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Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874/Stances/III

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Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874/Stances
Œuvres complètes de Théodore Agrippa d’AubignéAlphonse Lemerre éd.3 (p. 80-84).

III.

Cessez noires fureurs, Œrynes inhumaines,
Esprits jamais lassez de nuire & de troubler,
Ingenieux serveaux, inventeurs de mes peines :
Si vous n’entreprenez rien que de m’acabler,
Nous avons bien tost fait, car ce que je machine
S’acorde à voz desseins & cherche ma ruine.
Les ordinaires fruitz d’un regne tirannique
Sont le meurtre, le sac & le bannissement,
La ruine des bons, le support de l’inique,
L’injustice, la force & le ravissement :

On juge sans m’ouir, je pleure, on me desnie
Et l'oreille & les yeux, est ce pas tirannye ?
Fiere qui as dressé un orgueilleux empire
Sur un serf abatu, le courroux de ta main
Te ruine par moy & ce mesme martire
Au Roy comme au subject est dur & inhumain,
Car pour me ruiner, la main aveugle & tainte
En mon sang mest commune & la penne & la plainte.
Je voy’ qu’il n’est plus temps d’enfumer de querelles
Le ciel noircy, fasché de l'aigreur de mes pleurs,
Et moins fault il chercher des complaintes nouvelles,
Ny remèdes nouveaux à mes nouveaux malheurs.
Quoy donc ? ceder au sort & librement se rendre,
Et ne prolonger pas son mal pour se deffendre !
On voit le cerf, fuiant une meutte obstineée
A sa pennible mort, eslancé pour courir,
S’estre une fin plus longue & plus dure donnee
Que si dedans son lit il eust voulu mourir.
Non, je ne fuirai plus la mort, je la desire,
Et de deux grans malheurs je veux le moindre eslire.
Ores que la pitié de la Parque amiable
D’un eternel sommeil me vient siller les yeux,
Quand la mort en pleurant de mon malheur m'acable,
L'esprit se plaint de toy, vollant dedans les Cieux,
Et dit : vis en regret, vis coupable ennemye,
Autre punission tu n’auras que ta vie.
Tu diras aux vivans que ta folle inconstance
Te fit perdre celuy qui de l'or de sa foy
Passa tous les humains, que tu pers l'esperance
En perdant serviteur si fidelle que moy,
Di’ à ceulx qui vivront que mon amitié sainte
De rien que de la mort jamais ne fut esteinte,
Di’ encores à ceulx qu’une chaleur nouvelle
Embraze d’amitié, que sages en mes frais

Ils facent leur proffit des plumes de mon esle,
Di’ aux dames aussi qu’elles songent de prés
Au malheur qui les suit & que leur œil contemple
Ma fin & mes tormens pour leur servir d’exemple.
Quant mon esprit jadis subjet à ta colhere
Aux Champs Eliziens achevera mes pleurs,
Je verrai les amans qui de telle misere
Gousterent telz repos aprés de telz malheurs,
Tes semblables aussi que leur sentence mesme
Punit incessemment en Enfer creux & blesme.
A quiconques aura telle dame servie
Avecq’ tant de rigeur & de fidelité
J’esgalleray ma mort, comme je fis ma vie,
Maudissant à l’envy toute legereté,
Fuiant l’eau de l’oubly, pour faire experiance
Combien des maux passez douce est la souvenance.
O amans, eschappez des misères du monde,
Je feuz le serf d’un œil plus beau que nul autre œil,
Serf d’une tyrannie à nulle autre seconde,
Et mon amour constant jamais n’eut son pareil :
Il n’est amant constant qui en foy me devance,
Diane n’eut jamais pareille en inconstance.
Je verray aux Enfers les peines préparees
A celles là qui ont aymé legerement,
Qui ont foullé au pied les promesses jurees,
Et pour chasque forfait, chasque propre torment :
Dieux frappez l’homicide, ou bien la justice erre
Hors des haultz Cieux bannye ainsi que de la terre !
Aultre punition ne fault à l’inconstante
Que de vivre cent ans à goutter les remortz
De sa legereté inhumaine, sanglante.
Les mesmes actions luy seront mille mortz,
Ses traits la fraperont & la plaie mortelle
Qu’elle fit en mon sein resaignera sur elle.

Je briseray, la nuit, les rideaux de sa couche,
Assiegeant des trois Seurs infernales son lit,
Portant le feu, la plainte & le sang en ma bouche :
Le resveil ordinaire est l’effroy de la nuit,
Mon cry contre le Ciel frapera la vengeance
Du meurtre ensanglanté fait par son inconstance.
Non, l'air n’a pas perdu ces souspirs miserables,
Mocqués, meurtris, payez par des traistres souris :
Ces souspirs renaistront, viendront espouvantables
T’effrayer à misnuict de leurs funestes cris ;
L’air a serré mes pleurs en noirs & gros nuages
Pour crever à misnuict de gresles & d’orages.
Lors son taint perissant & ses beautez perdues
Seront l’horreur de ceux qui transis l’adoroient,
Ses yeux deshonorés des prunelles fondues
Seront tels que les miens, alors qu’ilz se mouraient,
Et de ses blanches mains sa poitrine offencee
Souffrira les assaulx de sa juste pencee.
Aux plus subtils demons des régions hautaynes
Je presterai mon cors pour leur faire vestir,
Pasle, deffiguré, vray miroir de mes peines :
En songe, en visions ilz lui feront sentir
Proche son ennemy, dont la face meurtrie
Demande sang pour sang, & vie pour sa vie.
Ha ! miserable amant, miserable maitresse,
L’un souffre innocemment, l’autre aveuglant son mal,
Bastit en se jouant de tous deux la tristesse,
Le couteau, le tumbeau & le sort inegal :
L’une laisse volage à ses fureurs la bride,
L’autre meurant à tort pleure son homicide.
O Dieux ! n’arrachez point la pitié de mon ame,
D’une oublieuse mort n’ostez mon amitié :
Que je brusle plus tost à jamais en ma flamme,
Sans espoir de secours, sans aide, sans pitié

Que sa perte me soit peu gratieuse :
Faictes moy malheureux & la laissez heureuse !
Pardonnez l’inconstance & donnez à fortune
La cause de mon mal, ou laissez à ma foy
La coulpe de la rage aux amoureux commune ;
Vengez tout le forfait de Diane sur moy !
J’aime mieux habiter un enfer & me taire,
Brusler, souffrir, changer, ou vivre pour luy plaire.