Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874/Stances/I

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Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874/Stances
Œuvres complètes de Théodore Agrippa d’AubignéAlphonse Lemerre éd.3 (p. 71-77).

I.

Tous ceulx qui ont gousté combien de mortz on treuve
Couvertes soubz les fleurs d’une longue amitié,
Ceulx qui en bien aimant ont bien seu faire preuve
De leurs cueurs & non pas d’un regard de pitié,
Ceux qui affriandoient comme moy leurs pensees
D’un poison ensucré, loyer de leur printemps,
Qu’ils lisent mes regretz & mes larmes vercees,
Et mes sanglotz perdus aux pertes de mon temps.
Mais ceulx là qui auront d’une rude sagesse
Resisté à l’amour, les sauvages espritz
Qui n’ont ploié le col au joug d’une maitresse,
Je leur deffends mes vers, mes rages & mes cris.

Les uns gouteront bien l'ame de mes complaintes
Par les effetz sanglans d’une avare beauté,
Les autres penseraient mes larmes estre feintes,
De l'aigreur de mes maulx doubtans la verité.
Ha ! bien heureux espritz, cessez, je me contente,
N’espiés plus avant le sens de mes propos,
Fuiez au loin de moy, & que je me tormente
Sans troubler importun de pleurs vostre repos !
Sus ! tristes amoureux, recourons à nos armes
Pour n’en blesser aucun que nos seins malheureux,
Faisons un dur combat & noions en nos larmes
Le reste de nos jours en ces sauvages lieux.
Usons icy le fiel de nos fascheuses vies,
Horriblant de nos cris les umbres de ces bois :
Ces rochés égarés, ces fontaines suivies
Par l'echo des forestz respondront à nos voix.
Les vens continuelz, l'espais de ces nuages,
Ces estans noirs remplis d’aspiz, non de poissons,
Les cerfz craintifz, les ours & lezraes sauvages
Trancheront leur repos pour ouïr mes chansons.
Comme le feu cruel qui a mis en ruine
Un palais, forcenant leger de lieu en lieu,
Le malheur me devore, & ainsi m’extermine
Le brandon de l'Amour, l'impitoyable Dieu.
Helas ! Pans forestiers & vous Faunes sauvages,
Ne guerissez vous point la plaie qui me nuit,
Ne savez vous remede aux amoureuses rages,
De tant de belles fleurs que la terre produit.
Au secours de ma vie ou à ma mort prochaine
Acourez, Déités qui habités ces lieux,
Ou soiez médecins de ma sanglante peine,
Ou faites les tesmoins de ma perte vos yeux.
Relégué parmy vous, je veux qu’en ma demeure
Ne soit marqué le pied d’un délicat plaisir,

Sinon lors qu’il faudra que consommé je meure,
Satisfait du plus beau de mon triste desir.
Le lieu de mon repos est une chambre peinte
De mil os blanchissans & de testes de mortz
Où ma joie est plus tost de son object esteinte :
Un oubly gratieux ne la poulce dehors.
Sortent de là tous ceulx qui ont encore envie
De semer & chercher quelque contentement :
Viennent ceux qui vouldront me ressembler de vie,
Pourveu que l’amour soit cause de leur torment.
Je mire en adorant dans une anathomye
Le portrait de Diane entre les os, afin
Que voiant sa beauté ma fortune ennemie
L’environne partout de ma cruelle fin :
Dans le cors de la mort j’ay enfermé ma vie
Et ma beauté paroist horrible dans les os.
Voila commant ma joye est de regret suivie,
Commant de mon travail la mort seulle a repos.
Je veulx punir les yeux qui premier ont congneüe
Celle qui confina mes regretz en ces lieux :
Jamais vostre beauté n’approchera ma veuë
Que ces champs ennemis du plaisir de mes yeux.
Jamais le pied qui fit les premières aproches
Dans le piege d’amour ne marchera aussi
De carreau plus poly que ces hideuses roches
Où à mon gré trop tost il s’est reendurcy.
Tu n’auras plus de gans, o malheureuse dextre
Qui promis mon départ & le tins constemment
Ung espieu raboteux te fera mescongnoistre
Si ma dame vouloit faire un autre serment.
L’estommac aveuglé en qui furent trahies
Mes vaines, & par qui j’engageay ma raison,
Ira neü & ouvert aux chaleurs & aux pluies,
Ne changeant de l'abit comme de la saison :

Mais un gris envieux, un tané de tristesse
Couvriront sans façon mon cors plain de sueurs :
Mon front batu, lavé des orages ne laisse
Les trasses & les pas du ruisseau de mes pleurs.
Croissez comme mes maulx, hideuse chevelure,
Mes larmes, arozés leur racines, je veulx,
Puis que l'acier du temps fuit le mal que j’endure,
L’acier me laisse horrible & laisse mes cheveulx.
Tout cela qui sent l'homme à mourir me convie,
En ce qui est hideux je cherche mon confort :
Fuiez de moy, plaisirs, heurs, esperence & vie,
Venez, maulz & malheurs & desespoir & mort !
Je cherche les desertz, les roches egairees,
Les forestz sans chemin, les chesnes perissans,
Mais je hay les foretz de leurs feuilles parees,
Les sejours frequentez, les chemins blanchissans.
Quel plaisir c’est de voir les vieilles haridelles
De qui les os mourans percent les vieilles peaux :
Je meurs des oiseaux gais volans à tire d’ailes,
Des cources des poulains & des saulx de chevreaux !
Heureux quant je rencontre une teste sechee,
Un massacre de cerf, quant j’oy’ les cris des fans ;
Mais mon ame se meurt de despit assechee,
Voians la biche folle aux saulx de ses enfans.
J’ayme à voir de beautez la branche deschargee,
A fouller le feuillage estendu par l'effort
D’Autonne, sans espoir leur couleur orangee
Me donne pour plaisir l'ymage de la mort.
Un éternel horreur, une nuit eternelle
M’empesche de fuir & de sortir dehors :
Que de l'air courroucé une guerre cruelle,
Ainsi comme l’esprit, m’emprisonne le cors !
Jamais le cler soleil ne raionne ma teste.
Que le ciel impiteux me refuse son œil,

S’il pleut, qu’avec la pluie il creve de tempeste,
Avare du beau temps & jaloux du soleil.
Mon estre soit hyver & les saisons troublées,
De mes afflictions se sente l’univers,
Et l’oubly oste encor à mes pennes doublees
L'usage de mon lict & celuy de mes vers.
Ainsi comme le temps frissonnera sans cesse
Un printemps de glaçons & tout l'an orageux,
Ainsi hors de saison une froide vieillesse
Dés l'esté de mes ans neige fur mes cheveux.
Si quelque fois poussé d’une ame impatiente
Je vais precipitant mes fureurs dans les bois,
M’eschauffant sur la mort d’une beste inocente,
Ou effraiant les eaux & les montz de ma voix,
Milles oiseaux de nuit, mille chansons mortelles
M’environnent, vollans par ordre sur mon front :
Que l'’air en contrepoix fasché de mes querelles
Soit noircy de hiboux & de corbeaux en ront.
Les herbes sécheront soubz mes pas, à la veuë
Des misérables yeux dont les tristes regars
Feront tomber les fleurs & cacher dans la nuë
La lune & le soleil & les astres espars.
Ma présence fera desecher les fontaines
Et les oiseaux passans tomber mortz à mes pieds,
Estouffez de l'odeur & du vent de mes peines :
Ma peine estouffe moy, comme ilz sont estouffez !
Quant vaincu de travail je finiray par crainte,
Au repos estendu au pied des arbres verts,
La terre autour de moy crevera de sang teinte,
Et les arbres feuilluz seront tost descouvertz.
Desjà mon col lassé de suporter ma teste
Se rend soubz un tel faix & soubz tant de malheurs,
Chaque membre de moy se deseche & s’apreste
De chasser mon esprits hoste de mes douleurs.

Je chancelle incertain & mon ame inhumaine
Pour ne vouloir faillir trompe mes voluntez :
Ainsi que vous voiez en la forest un chesne
Estant demy couppé branller des deux costez.
Il reste qu’un demon congnoissant ma misere
Me vienne un jour trouver aux plus sombres forestz,
M’essayant, me tantant pour que je desespere,
Que je suive ses ars, que je l'adore aprés :
Moy, je resiteray, fuiant la solitude
Et des bois & des rochs, mais le cruel suivant
Mes pas assiegera mon lit & mon estude,
Comme un air, comme un feu, & leger comme un vent.
Il m’offrira de l’or, je n’ayme la richesse,
Des estatz, des faveurs, je mesprife les courz,
Puis me prometera le cors de ma maitresse :
À ce point Dieu viendra soudain à mon secours.
Le menteur empruntant la mesme face belle,
L’ydee de mon ame & de mon doux tourment,
Viendra entre mes bras aporter ma cruelle,
Mais je n’embrasseray pour elle que du vent.
Tantost une fumee espaíse, noire ou bleuë
Passant devant mes yeux me fera tressaillir ;
En bouc & en barbet, en facynant ma veuë,
Au lit de mon repos il viendra m’assaillir.
Neuf goutes de pur sang naistront sur ma serviette,
Ma coupe brisera sans coup entre nos mains,
J’oyrai des coups en l’aer, on verra des bluettes
De feux que pousseront les Démons inhumains.
Puis il viendra tantost un courrier à la porte
En courtisan, mais lors il n’y entrera pas ;
En fin me tourmentant, suivant en toute sorte,
Mes os s’asecheront jusques à mon trefpas.
Et lors que mes rigeurs auront finy ma vie
Et que pour se mourir finira mon souffrir,

Quant de me tormenter la fortune assouvie
Vouldra mes maulx, ma vie & son ire finir,
Nymphes qui avez veu la rage qui m’affole,
Satires que je fis contrister à ma voix,
Baptissez en pleurant quelque pauvre mausolle
Aux fondz plus esgairez & plus sombre des bois ;
Plus heureux mort que vif, si mon ame eveillée
Des enfers, pour revoir mon sepulchre une fois,
Trouvoit autour de moy la bande eschevelee
Des Driades compter mes pennes de leurs voix.
Que pour éterniser la sanguynere force
De mes amours ardentz & de mes maulx divers,
Le chesne plus prochain portast en son escorce
Le succez de ma mort & ma vie en ces verz.
Quant, cerf bruslant, géhenné, trop fidelle, je pense
Vaincre un cueur sans pitié, sourd, sans yeux & sans loy,
Il a d’ire, de mort, de rage & d’inconstance
Paié mon sang, mes feux, mes peines & ma foy.