Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874/Stances/VIII
I. II. III. IV. V. VI. VII. VIII. IX. X. XI. XII. XIII. XIV. XV. XVI. XVII. XVIII. XIX. XX.
VIII.
Le miel sucré de vostre grace,
Le bel astre de vostre face
Meurtriere de tant de cueurs
Ne sorte de ma souvenance ;
Mais où prendray je l’esperance
De guerison pour mes douleurs ?
Je sens bien mon ame insensee
Se transir sur vostre pancee
Et sur le souvenir de vous,
Mais je ne puis trouver les charmes
Qui me font friand de mes larmes
Et trouver mon malheur si doux.
Deux yeux portent ilz telle amorce ?
O Dieux ! il y a tant de force
Dedans les rais d’une beauté !
Je l’espreuve & ne le puis croire,
Et le fiel que j’ay soif de boire
Desjà m’est experimenté.
O Deesse pour qui j’endure,
Comme voz beautés je mesure,
Mesurez ainsi mon torment,
Car la soufrance qui me tuë,
Pourveu qu’elle vous soit congneuë,
Ne me deplaist aucunement.
Non pas que je veille entreprendre
De mesurer ny de comprendre
Ny vos beautez ny mon soucy ;
Ces choses sont ainsi unies :
Si vos graces sont infinies,
Mon affliction l’est aussi.
Mon martire & vostre puissance,
Comme ayant pareille naissance,
Ont aussi un effet pareil,
Hors mis que c’est par vostre veuë
Que ma puissance dyminuë,
Et la vostre croist par vostre œil.
Si vostre œil m’est insurportable,
Si d’un seul regard il m’accable
D’ardeur, de pennes & d’ennuy,
Pour Dieu, empeschez le de luyre,
Mais non, laissez le plus tost nuire,
Car je ne puis vivre sans luy !
Vostre presence me devore,
Et vostre absence m’est encore
Cent fois plus fascheuse à soufrir :
Un seul de vos regards me tuë,
Je ne vis point sans vostre veuë,
Je ne vis doncq’ point sans mourir.
Ha Deesse, que de martire
Je souffre en deschargeant mon yre
Dessus moy pour l’amour de vous !
Mais je ne puis trouver de penne,
D’exquise torture, de geenne,
Ny torment qui ne soit trop doux.
Ce peché fait que triste & blesme,
De regrez j’afflige moy mesme,
Je me desplais avec esmoy
De ma trop douce penitence,
Et je ne trouve en mon offence
Juge plus severe que moy.
J’ay voullu transonner de rage
La langue qui me fit dommage,
Pensant seulement me joüer,
Je ne l’osay faire de crainte
Que la force ne feust esteinte,
Ne l’ayant que pour vous loüer.
Je m’esbahis à part moy comme
Celuy qui du ventre de l’homme
Reprenoit le plus grand des Dieux,
Ne trouvoit une chose estrange
Mettre l’injure & la louange
En un membre si precieux.
Car comme l’espee ou la lance,
On a la langue pour deffence
Et pour l’ennemy offencer,
Mais celuy la est plein de folie (sic)
Qui forcenant en son envie,
De son couteau se vint blesser.
D’Adonis la face divine
Ne fit tant pleurer la Ciprine
Comme a pleuré mon cueur marry,
Ny Enee pour son Anchise,
Ny Niobé, ny Artemise
Sur les cendres de son mary.
Helas ! je congnois bien ma faute
Et la ferois encor’ plus haulte
Qu’elle n’est, si je le pouvois :
Mon ame en parlant en est folle
Et je soubsonne ma parolle
De pecher encor’ une fois.
Non, je ne puis couvrir ma honte,
Et quant mon forfait je raconte,
L’excuse, l’esprit me default,
Combien que le vulgaire estime
Qu’il ne peult y avoir de crime
Ou l’imprudence seule fault.
Mais quand je voy’ que vostre grace
Et les soleils de vostre face
Pourtant ne m’ont abandonné,
Lors, mon ame plus criminelle
Son affliction renouvelle
Pour estre sitost pardonné.
Ainsi vostre pitié m’accable,
Et vostre douceur agreable
Me condemne indigne de vous,
Car si ma faute estoit petite,
Elle s’accroit quant elle irrite
Un esprit si calme & si doux.
Le pardon suit la repentance,
Le repentir la congnoissance
Et la honte de son peché ;
Vous pardonnez donc bien, maitresse,
Car je doubleray ma vitesse
Aprés avoir un coup brunché.
Pour une simple penitence,
Pardonner celuy qui offence,
C’est le vray naturel des Dieux.
Comme vostre grace est celeste
Il falloit aussi que le reste
Et la pitié feust nee aux Cieux.
Bienheureux est celuy qui donne,
Qui pardonne est deux fois vaincueur
Et le pardon est dure peine,
Encor plus heureux qui pardonne,
La grace est marque souverayne
Quant elle atache un brave cueur.