Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874/Stances/X

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Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874/Stances
Œuvres complètes de Théodore Agrippa d’AubignéAlphonse Lemerre éd.3 (p. 93-95).

X.

Que je sorte du creux
Du labirinte noir par le fil qui a prise
Ma chere liberté de l’or de ses cheveux,
Ou, si je pers la vie ainsi que la franchise,
Je perde tout par eux.
De ma douce prison,
Des ameres douleurs de mes pressantes gennes,
Des doux liens de ma serve raison,
Je couppe de sanglotz, parcelles de mes peines,
Ma funebre oraison.
Je ne meurs pas à tort,
Bien coupable du fait, coupable du martire,
Du feu d’amour & d’un torment plus fort,
Mais las ! donne, Deesse, à l’amant qui souspire
Ou la grace ou la mort.
Si j’ay grace de toy,
Je recoy’ ma raison de qui me l’a ravye,
Si ton courroux vient foudroier sur moy,
Tu me feras injuste en m’arrachant la vye,
Martire de ma foy.
O bienheureux souspirs,
Si de ses yeux si doux vous tirez recompence,

Si ma vie est la fin de mes désirs,
Je triumphe en mourant & gaigne par constance
Le laurier des martirs.
Soit que ce soit, je veux
De la doubleuse mort, du cruel labirinthe
Sortir guidé du fil de ses cheveux,
S’il fault que pour armer mon ame soit esteinte,
Que je sorte par eux.
Pour Dieu, mort ou secours !
Bien heureux si je meurs, bien heureux si j’ay grâce,
Heureuse fin des malheurs & des jours !
Vivant, je soye aymé, ou en mourant j’efface
Ma vie & mes amours.
Si j’acheve par feux
Mes ans & mes douleurs, que ton bel œil m’enflame,
Ou sy mon jour est randu bienheureux
Par quelque beau soleil, que ce soit par la flame
Et les retz de tes yeux.
Si d’un coup inhumain
Ma poitrine se fend, ta main me soit mortelle ;
Si du tombeau quelque secours humain
Me vient tirer, je n’ay ayde qui me soit belle
Que de ta belle main.
Encore ay je soucy
Que ta bouche à ma mort prononce ma sentence.
Ou si je vis, qu’elle me die aussy,
Comme le desespoir, ma nouvelle esperance,
La mort ou la mercy.
Pour te suyvre obstiné je t’anime à la fuitte,
Par mon humilité j’esleve ton orgueil,
Je glace ton dedaing du feu de ma poursuytte,
Tu te lave en mes pleurs,
Et le feu de ton œil
S’accroist de mes chaleurs.

De ma triste despoüille & d’une ame ravie
Mon esprit triumphant couronne ta beauté
Vermeille de mon sang, ma mort te donne vie,
Et les plus doux zephirs
Qui charment ton Æsté
Sont mes tiedes souspirs.
Ainsi quand Daphné fut en laurier convertie,
Le soleil l’eschauffa de rayons & d’amours
Et arrousa ses pieds de larmes & de pluye.
O miserables pleurs
Qui croissez tous les jours
L’amour & les douleurs !