Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874/Stances

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STANCES.

I.

Tous ceulx qui ont gousté combien de mortz on treuve
Couvertes soubz les fleurs d’une longue amitié,
Ceulx qui en bien aimant ont bien seu faire preuve
De leurs cueurs & non pas d’un regard de pitié,
Ceux qui affriandoient comme moy leurs pensees
D’un poison ensucré, loyer de leur printemps,
Qu’ils lisent mes regretz & mes larmes vercees,
Et mes sanglotz perdus aux pertes de mon temps.
Mais ceulx là qui auront d’une rude sagesse
Resisté à l’amour, les sauvages espritz
Qui n’ont ploié le col au joug d’une maitresse,
Je leur deffends mes vers, mes rages & mes cris.

Les uns gouteront bien l'ame de mes complaintes
Par les effetz sanglans d’une avare beauté,
Les autres penseraient mes larmes estre feintes,
De l'aigreur de mes maulx doubtans la verité.
Ha ! bien heureux espritz, cessez, je me contente,
N’espiés plus avant le sens de mes propos,
Fuiez au loin de moy, & que je me tormente
Sans troubler importun de pleurs vostre repos !
Sus ! tristes amoureux, recourons à nos armes
Pour n’en blesser aucun que nos seins malheureux,
Faisons un dur combat & noions en nos larmes
Le reste de nos jours en ces sauvages lieux.
Usons icy le fiel de nos fascheuses vies,
Horriblant de nos cris les umbres de ces bois :
Ces rochés égarés, ces fontaines suivies
Par l'echo des forestz respondront à nos voix.
Les vens continuelz, l'espais de ces nuages,
Ces estans noirs remplis d’aspiz, non de poissons,
Les cerfz craintifz, les ours & lezraes sauvages
Trancheront leur repos pour ouïr mes chansons.
Comme le feu cruel qui a mis en ruine
Un palais, forcenant leger de lieu en lieu,
Le malheur me devore, & ainsi m’extermine
Le brandon de l'Amour, l'impitoyable Dieu.
Helas ! Pans forestiers & vous Faunes sauvages,
Ne guerissez vous point la plaie qui me nuit,
Ne savez vous remede aux amoureuses rages,
De tant de belles fleurs que la terre produit.
Au secours de ma vie ou à ma mort prochaine
Acourez, Déités qui habités ces lieux,
Ou soiez médecins de ma sanglante peine,
Ou faites les tesmoins de ma perte vos yeux.
Relégué parmy vous, je veux qu’en ma demeure
Ne soit marqué le pied d’un délicat plaisir,

Sinon lors qu’il faudra que consommé je meure,
Satisfait du plus beau de mon triste desir.
Le lieu de mon repos est une chambre peinte
De mil os blanchissans & de testes de mortz
Où ma joie est plus tost de son object esteinte :
Un oubly gratieux ne la poulce dehors.
Sortent de là tous ceulx qui ont encore envie
De semer & chercher quelque contentement :
Viennent ceux qui vouldront me ressembler de vie,
Pourveu que l’amour soit cause de leur torment.
Je mire en adorant dans une anathomye
Le portrait de Diane entre les os, afin
Que voiant sa beauté ma fortune ennemie
L’environne partout de ma cruelle fin :
Dans le cors de la mort j’ay enfermé ma vie
Et ma beauté paroist horrible dans les os.
Voila commant ma joye est de regret suivie,
Commant de mon travail la mort seulle a repos.
Je veulx punir les yeux qui premier ont congneüe
Celle qui confina mes regretz en ces lieux :
Jamais vostre beauté n’approchera ma veuë
Que ces champs ennemis du plaisir de mes yeux.
Jamais le pied qui fit les premières aproches
Dans le piege d’amour ne marchera aussi
De carreau plus poly que ces hideuses roches
Où à mon gré trop tost il s’est reendurcy.
Tu n’auras plus de gans, o malheureuse dextre
Qui promis mon départ & le tins constemment
Ung espieu raboteux te fera mescongnoistre
Si ma dame vouloit faire un autre serment.
L’estommac aveuglé en qui furent trahies
Mes vaines, & par qui j’engageay ma raison,
Ira neü & ouvert aux chaleurs & aux pluies,
Ne changeant de l'abit comme de la saison :

Mais un gris envieux, un tané de tristesse
Couvriront sans façon mon cors plain de sueurs :
Mon front batu, lavé des orages ne laisse
Les trasses & les pas du ruisseau de mes pleurs.
Croissez comme mes maulx, hideuse chevelure,
Mes larmes, arozés leur racines, je veulx,
Puis que l'acier du temps fuit le mal que j’endure,
L’acier me laisse horrible & laisse mes cheveulx.
Tout cela qui sent l'homme à mourir me convie,
En ce qui est hideux je cherche mon confort :
Fuiez de moy, plaisirs, heurs, esperence & vie,
Venez, maulz & malheurs & desespoir & mort !
Je cherche les desertz, les roches egairees,
Les forestz sans chemin, les chesnes perissans,
Mais je hay les foretz de leurs feuilles parees,
Les sejours frequentez, les chemins blanchissans.
Quel plaisir c’est de voir les vieilles haridelles
De qui les os mourans percent les vieilles peaux :
Je meurs des oiseaux gais volans à tire d’ailes,
Des cources des poulains & des saulx de chevreaux !
Heureux quant je rencontre une teste sechee,
Un massacre de cerf, quant j’oy’ les cris des fans ;
Mais mon ame se meurt de despit assechee,
Voians la biche folle aux saulx de ses enfans.
J’ayme à voir de beautez la branche deschargee,
A fouller le feuillage estendu par l'effort
D’Autonne, sans espoir leur couleur orangee
Me donne pour plaisir l'ymage de la mort.
Un éternel horreur, une nuit eternelle
M’empesche de fuir & de sortir dehors :
Que de l'air courroucé une guerre cruelle,
Ainsi comme l’esprit, m’emprisonne le cors !
Jamais le cler soleil ne raionne ma teste.
Que le ciel impiteux me refuse son œil,

S’il pleut, qu’avec la pluie il creve de tempeste,
Avare du beau temps & jaloux du soleil.
Mon estre soit hyver & les saisons troublées,
De mes afflictions se sente l’univers,
Et l’oubly oste encor à mes pennes doublees
L'usage de mon lict & celuy de mes vers.
Ainsi comme le temps frissonnera sans cesse
Un printemps de glaçons & tout l'an orageux,
Ainsi hors de saison une froide vieillesse
Dés l'esté de mes ans neige fur mes cheveux.
Si quelque fois poussé d’une ame impatiente
Je vais precipitant mes fureurs dans les bois,
M’eschauffant sur la mort d’une beste inocente,
Ou effraiant les eaux & les montz de ma voix,
Milles oiseaux de nuit, mille chansons mortelles
M’environnent, vollans par ordre sur mon front :
Que l'’air en contrepoix fasché de mes querelles
Soit noircy de hiboux & de corbeaux en ront.
Les herbes sécheront soubz mes pas, à la veuë
Des misérables yeux dont les tristes regars
Feront tomber les fleurs & cacher dans la nuë
La lune & le soleil & les astres espars.
Ma présence fera desecher les fontaines
Et les oiseaux passans tomber mortz à mes pieds,
Estouffez de l'odeur & du vent de mes peines :
Ma peine estouffe moy, comme ilz sont estouffez !
Quant vaincu de travail je finiray par crainte,
Au repos estendu au pied des arbres verts,
La terre autour de moy crevera de sang teinte,
Et les arbres feuilluz seront tost descouvertz.
Desjà mon col lassé de suporter ma teste
Se rend soubz un tel faix & soubz tant de malheurs,
Chaque membre de moy se deseche & s’apreste
De chasser mon esprits hoste de mes douleurs.

Je chancelle incertain & mon ame inhumaine
Pour ne vouloir faillir trompe mes voluntez :
Ainsi que vous voiez en la forest un chesne
Estant demy couppé branller des deux costez.
Il reste qu’un demon congnoissant ma misere
Me vienne un jour trouver aux plus sombres forestz,
M’essayant, me tantant pour que je desespere,
Que je suive ses ars, que je l'adore aprés :
Moy, je resiteray, fuiant la solitude
Et des bois & des rochs, mais le cruel suivant
Mes pas assiegera mon lit & mon estude,
Comme un air, comme un feu, & leger comme un vent.
Il m’offrira de l’or, je n’ayme la richesse,
Des estatz, des faveurs, je mesprife les courz,
Puis me prometera le cors de ma maitresse :
À ce point Dieu viendra soudain à mon secours.
Le menteur empruntant la mesme face belle,
L’ydee de mon ame & de mon doux tourment,
Viendra entre mes bras aporter ma cruelle,
Mais je n’embrasseray pour elle que du vent.
Tantost une fumee espaíse, noire ou bleuë
Passant devant mes yeux me fera tressaillir ;
En bouc & en barbet, en facynant ma veuë,
Au lit de mon repos il viendra m’assaillir.
Neuf goutes de pur sang naistront sur ma serviette,
Ma coupe brisera sans coup entre nos mains,
J’oyrai des coups en l’aer, on verra des bluettes
De feux que pousseront les Démons inhumains.
Puis il viendra tantost un courrier à la porte
En courtisan, mais lors il n’y entrera pas ;
En fin me tourmentant, suivant en toute sorte,
Mes os s’asecheront jusques à mon trefpas.
Et lors que mes rigeurs auront finy ma vie
Et que pour se mourir finira mon souffrir,

Quant de me tormenter la fortune assouvie
Vouldra mes maulx, ma vie & son ire finir,
Nymphes qui avez veu la rage qui m’affole,
Satires que je fis contrister à ma voix,
Baptissez en pleurant quelque pauvre mausolle
Aux fondz plus esgairez & plus sombre des bois ;
Plus heureux mort que vif, si mon ame eveillée
Des enfers, pour revoir mon sepulchre une fois,
Trouvoit autour de moy la bande eschevelee
Des Driades compter mes pennes de leurs voix.
Que pour éterniser la sanguynere force
De mes amours ardentz & de mes maulx divers,
Le chesne plus prochain portast en son escorce
Le succez de ma mort & ma vie en ces verz.
Quant, cerf bruslant, géhenné, trop fidelle, je pense
Vaincre un cueur sans pitié, sourd, sans yeux & sans loy,
Il a d’ire, de mort, de rage & d’inconstance
Paié mon sang, mes feux, mes peines & ma foy.


II

A longs filetz de sang, ce lamentable cors
Tire du lieu qu’il fuit le lien de son ame,
Et separé du cueur qu’il a laissé dehors
Dedans les fors liens & aux mains de sa dame,
Il s’enfuit de sa veuë & cherche mille mort-i.
Plus les rouges destins arrachent loin du cueur
Mon estommac pillé, j’espanche mes entrailles
Par le chemin qui est marqué de ma douleur :
La beauté de Diane, ainsy que des tenailles,
Tire l’un d’un costé, l’autre fuit le malheur.
Qui me voudra trouver destourne par mes pas,
Par les buissons rougis, mon cors de place en place :

Comme un vaneur baissant la teste contre bas
Suit le sangler blessé aisément à la trasse
Et le poursuit à l’œil jusqu’au lieu du trespas.
Diane, qui vouldra me poursuivre en mourant,
Qu’on escoute les rochs resonner mes querelles,
Qu’on suive pour mes pas de larmes un torrent,
Tant qu’on trouve seché de mes peines cruelles
Un coffre, ton portrait, & rien au demeurant.
Les chams sont abreuvés aprés moy de douleurs,
Le soucy, l’encholie & les tristes pensées
Renaissent de mon sang & vivent de mes pleurs,
Et des Cieux les rigeurs contre moy courroucées
Font servir mes soupirs à esventer ses fleurs.
Un bandeau de fureur espais presse mes yeux
Qui ne dissernent plus le dangier ny la voie,
Mais ilz vont effraiant de leur regard les lieux
Où se trame ma mort, & ma presence effroye
Ce qu’embrassent la terre & la voulte des Cieux.
Les piteuses foretz pleurent de mes ennuys,
Les vignes, des ormeaux les cheres espousees,
Gémissent avecq’ moy & font pleurer leurs fruitz
Milles larmes, au lieu des tendresses rosees
Qui naissoient de l’aurore à la fuitte des nuitz.
Les grands arbres hautains au milieu des foretz
Oyans les arbrisseaux qui mes malheurs dégoutent,
Mettent chef contre chef, & branches prés aprés,
Murmurent par entre eux & mes peines s’acoutent,
Et parmy eux fremit le son de mes regretz.
Les rochers endurcis où jamais n’avoient beu
Les troupeaux alterés, avortez de mes pennes
Sont fonduz en ruisseaux aussitost qu’ilz m’ont veu.
Les plus sterilles mons en ont ouvert leurs vaines
Et ont les durs rochers montré leur sang esmeu.
Les chesnes endurcis ont hors de leur saison

Sué, me ressentant aprocher, de cholere,
Et de couleur de miel pleurerent à foison,
Mais cest humeur estoit pareil à ma misère,
Essence de mon mal aigre plus que poison.
Les taureaux-indomptez mugirent à ma voix
Et les serpens esmeuz de leurs grottes sifflèrent,
Leurs tortillons grouillans là sentirent les loiz
De l’amour ; les lions, tigres & ours pousserent,
Meuz de pitié de moy, leurs cris dedans les bois.
Alors des cleres eaux l’estoumac herissé
Sentit jusques au fons l’horreur de ma presence,
Esloignant contre bas flot contre flot pressé ;
Je fuis contre la source & veulx par mon absence
De moy mesme fuyr, de moy mesme laissé.
Mon feu mesme embrassa le sein moite des eaux,
Les poissons en sautoient, les Nymphes argentines
Tiraient du fons de l’eau des violans flambeaux,
Et enflant d’un doux chant contre l’air leurs poitrines,
Par pitié gasouilloient le discours de mes maux.
O Saine ! di’je alors, mais je n’y puis aller,
Tu vas, & si pourtant je ne t’en porte envie,
Pousser tes flotz sacrés, abbreuver & mouiller
Les mains, la bouche & l’œil de ma belle ennemie,
Et jusques à son cœur tes ondes dévaler.
Prens pitié d’un mourant & pour le secourir
Porte de mes ardeurs en les ondes cachees,
Fais ses feux avecq’ toy subtilement courir,
De son cueur alumer toutes les pars touchees,
Luy donnant à gouter ce qui me fait mourir.
Mais quoy ! desja les Cieux s’acordent à pleurer,
Le soleil s’obscurcist, une amere rosee
Vient de gouttes de fiel la terre ennamourer.
D’un crespe noir la Loire en gemist desguisee,
Et tout pour mon amour veult ma mort honorer.

Au plus hault du midi, des eftoilles les feuz
Voiant que le soleil a perdu sa lumiere
Jectent sur mon trespas leurs pitoiables jeuz
Et de tristes aspectz soulagent ma misere :
L'hymne de mon trespas est chanté par les cieux.
Les anges ont senty mes chaudes passions,
Quictent des cieux aymés leur plaisir indissible,
Ils souffrent, affligez de mes afflictions,
Je les vois de mes yeux bien qu’il soient invisibles,
Je ne suis faciné de douces fictions.
Tout gemist, tout se plaint, & mon mal est si fort
Qu’il esmeut fleurs, costeaux, bois & roches estranges,
Tigres, lions & ours & les eaux & leur port,
Nymphes, les vens, les cieux, les astres & les anges.
Tu es loin de pitié & plus loin de ma mort,
Plus dure que les rocs, les costes & la mer,
Plus altiere que l’aer, que les cieux & les anges,
Plus cruelle que tout ce que je puis nommer,
Tigres, ours & lions, serpens, monstres estranges :
Tu vis en me tuant & je meurs pour aimer.


III.

Cessez noires fureurs, Œrynes inhumaines,
Esprits jamais lassez de nuire & de troubler,
Ingenieux serveaux, inventeurs de mes peines :
Si vous n’entreprenez rien que de m’acabler,
Nous avons bien tost fait, car ce que je machine
S’acorde à voz desseins & cherche ma ruine.
Les ordinaires fruitz d’un regne tirannique
Sont le meurtre, le sac & le bannissement,
La ruine des bons, le support de l’inique,
L’injustice, la force & le ravissement :

On juge sans m’ouir, je pleure, on me desnie
Et l'oreille & les yeux, est ce pas tirannye ?
Fiere qui as dressé un orgueilleux empire
Sur un serf abatu, le courroux de ta main
Te ruine par moy & ce mesme martire
Au Roy comme au subject est dur & inhumain,
Car pour me ruiner, la main aveugle & tainte
En mon sang mest commune & la penne & la plainte.
Je voy’ qu’il n’est plus temps d’enfumer de querelles
Le ciel noircy, fasché de l'aigreur de mes pleurs,
Et moins fault il chercher des complaintes nouvelles,
Ny remèdes nouveaux à mes nouveaux malheurs.
Quoy donc ? ceder au sort & librement se rendre,
Et ne prolonger pas son mal pour se deffendre !
On voit le cerf, fuiant une meutte obstineée
A sa pennible mort, eslancé pour courir,
S’estre une fin plus longue & plus dure donnee
Que si dedans son lit il eust voulu mourir.
Non, je ne fuirai plus la mort, je la desire,
Et de deux grans malheurs je veux le moindre eslire.
Ores que la pitié de la Parque amiable
D’un eternel sommeil me vient siller les yeux,
Quand la mort en pleurant de mon malheur m'acable,
L'esprit se plaint de toy, vollant dedans les Cieux,
Et dit : vis en regret, vis coupable ennemye,
Autre punission tu n’auras que ta vie.
Tu diras aux vivans que ta folle inconstance
Te fit perdre celuy qui de l'or de sa foy
Passa tous les humains, que tu pers l'esperance
En perdant serviteur si fidelle que moy,
Di’ à ceulx qui vivront que mon amitié sainte
De rien que de la mort jamais ne fut esteinte,
Di’ encores à ceulx qu’une chaleur nouvelle
Embraze d’amitié, que sages en mes frais

Ils facent leur proffit des plumes de mon esle,
Di’ aux dames aussi qu’elles songent de prés
Au malheur qui les suit & que leur œil contemple
Ma fin & mes tormens pour leur servir d’exemple.
Quant mon esprit jadis subjet à ta colhere
Aux Champs Eliziens achevera mes pleurs,
Je verrai les amans qui de telle misere
Gousterent telz repos aprés de telz malheurs,
Tes semblables aussi que leur sentence mesme
Punit incessemment en Enfer creux & blesme.
A quiconques aura telle dame servie
Avecq’ tant de rigeur & de fidelité
J’esgalleray ma mort, comme je fis ma vie,
Maudissant à l’envy toute legereté,
Fuiant l’eau de l’oubly, pour faire experiance
Combien des maux passez douce est la souvenance.
O amans, eschappez des misères du monde,
Je feuz le serf d’un œil plus beau que nul autre œil,
Serf d’une tyrannie à nulle autre seconde,
Et mon amour constant jamais n’eut son pareil :
Il n’est amant constant qui en foy me devance,
Diane n’eut jamais pareille en inconstance.
Je verray aux Enfers les peines préparees
A celles là qui ont aymé legerement,
Qui ont foullé au pied les promesses jurees,
Et pour chasque forfait, chasque propre torment :
Dieux frappez l’homicide, ou bien la justice erre
Hors des haultz Cieux bannye ainsi que de la terre !
Aultre punition ne fault à l’inconstante
Que de vivre cent ans à goutter les remortz
De sa legereté inhumaine, sanglante.
Les mesmes actions luy seront mille mortz,
Ses traits la fraperont & la plaie mortelle
Qu’elle fit en mon sein resaignera sur elle.

Je briseray, la nuit, les rideaux de sa couche,
Assiegeant des trois Seurs infernales son lit,
Portant le feu, la plainte & le sang en ma bouche :
Le resveil ordinaire est l’effroy de la nuit,
Mon cry contre le Ciel frapera la vengeance
Du meurtre ensanglanté fait par son inconstance.
Non, l'air n’a pas perdu ces souspirs miserables,
Mocqués, meurtris, payez par des traistres souris :
Ces souspirs renaistront, viendront espouvantables
T’effrayer à misnuict de leurs funestes cris ;
L’air a serré mes pleurs en noirs & gros nuages
Pour crever à misnuict de gresles & d’orages.
Lors son taint perissant & ses beautez perdues
Seront l’horreur de ceux qui transis l’adoroient,
Ses yeux deshonorés des prunelles fondues
Seront tels que les miens, alors qu’ilz se mouraient,
Et de ses blanches mains sa poitrine offencee
Souffrira les assaulx de sa juste pencee.
Aux plus subtils demons des régions hautaynes
Je presterai mon cors pour leur faire vestir,
Pasle, deffiguré, vray miroir de mes peines :
En songe, en visions ilz lui feront sentir
Proche son ennemy, dont la face meurtrie
Demande sang pour sang, & vie pour sa vie.
Ha ! miserable amant, miserable maitresse,
L’un souffre innocemment, l’autre aveuglant son mal,
Bastit en se jouant de tous deux la tristesse,
Le couteau, le tumbeau & le sort inegal :
L’une laisse volage à ses fureurs la bride,
L’autre meurant à tort pleure son homicide.
O Dieux ! n’arrachez point la pitié de mon ame,
D’une oublieuse mort n’ostez mon amitié :
Que je brusle plus tost à jamais en ma flamme,
Sans espoir de secours, sans aide, sans pitié

Que sa perte me soit peu gratieuse :
Faictes moy malheureux & la laissez heureuse !
Pardonnez l’inconstance & donnez à fortune
La cause de mon mal, ou laissez à ma foy
La coulpe de la rage aux amoureux commune ;
Vengez tout le forfait de Diane sur moy !
J’aime mieux habiter un enfer & me taire,
Brusler, souffrir, changer, ou vivre pour luy plaire.


IV.

O mes yeux abusez, esperance perdue,
Et vous, regars tranchans qui espiés ces lieux,
Comme je pers mes pleurs, vous perdez vostre veuë,
Les pennes de mon cueur & celles de mes yeux.
C’est remarquer en vain l'assiette & la contree
Et juger le pais où j’ay laissé mon cueur :
Mon desir s’y en volle & mon ame alteree
Y court ainsi qu’à l'eau le cerf en sa chaleur.
Ha ! cors vollé du cueur, tu brusle sans ta flamme,
Sans esprit je respire & mon pis & mon mieux,
J’affecte sans vouloir, je m’anyme sans ame,
Je vis sans avoir sang, je regarde sans yeux.
Le vent emporte en l'aer ceste plainte poussee,
Mes desirs, les regretz & les pennes de l’œil,
Les passion du cueur, les maulx de la pensee,
Et le cors delaissé ne veult que le sercueil.
J’ouvre mon estommac, une tumbe sanglante
De maux enseveliz : pour Dieu, tourne tes yeux,
Diane, & voy’ au fons mon cueur party en deux
Et mes poumons gravez d’une ardeur viollente,
Voy’ mon sang escumeux tout noircy par la flamme,
Mes os secz de langueur en pitoiable point

Mais considere aussi ce que tu ne vois point,
Les restes des malheurs qui sacagent mon ame.
Tu me brusle & au four de ma flame meurtriere
Tu chauffes ta froideur : tes delicates mains
Attizent mon brazier & tes yeux inhumains
Pleurent, non de pitié, mais flambants de cholere.
A ce feu devorant de ton yre alumee
Ton œil enflé gemist, tu pleures à ma mort,
Mais ce n’est pas mon mal qui te deplaist si fort :
Rien n’attendrit tes yeux que mon aigre fumee.
Au moins aprés ma fin que ton ame apaisee
Bruslant le cueur, le cors, hostie à ton courroux,
Prenne sur mon esprit un suplice plus doux,
Estant d’yre en ma vie en un coup espuisee.


V.

Puisque le cors blessé, mollement estendu
Sur un lit qui se courbe aux malheurs qu’il suporte
Me fait venir au ronge & gouster mes douleurs,
Mes membres, joissez du repos pretendu,
Tandis l'esprit lassé d’une douleur plus forte
Esgalle au cors bruslant ses ardentes chaleurs.
Le cors vaincu se rend, & lassé de souffrir
Ouvre au dart de la mort sa tremblante poitrine,
Estallant sur un lit ses miserables os,
Et l'esprit qui ne peult pour endurer mourir,
Dont le feu viollant jamais ne se termine,
N’a moien de trouver un lit pour son repos.
Les medecins fascheux jugent diversement
De la fin de ma vie & de l'ardante flamme
Qui mesme fait le cors pour mon ame souffrir,
Mais qui pourroit juger de l’eternel torment

Qui me presse ? d’ailleurs je say bien que mon ame
N’a point de médecins qui la peussent guerir.
Mes yeux enflez de pleurs regardent mes rideaux
Cramoisyr, esclatans du jour d’une fenestre
Qui m’offusque la veuë, & sait cliner les yeux,
Et je me resouviens des celestes flambeaux,
Comme le lis vermeil de ma dame fait naistre
Un vermeillon pareil à l’aurore des Cieulx.
Je voy mon lict qui tremble ainsi comme je fais,
Je foy trembler mon ciel, le chaslit & la frange
Et les soupirs des vens passer en tremblottant ;
Mon esprit tremble ainsi & gemist soubz le fais
D’un amour plain de vent qui muable se change
Aux vouloirs d’un cerveau plus que l’aer inconstant.
Puis quant je ne voy’ rien que mes yeux peussent voir,
Sans bastir là dessus les loix de mon martire,
Je coulle dans le lict ma pencee & mes yeux ;
Ainsi puisque mon ame essaie à concevoir
Ma fin par tous moiens, j’atten’ & je desire
Mon cors en un tumbeau, & mon esprit es Cieux.


VI.

Pressé de desespoir, mes yeux flambans, je dresse
A ma beauté cruelle & baisant par trois fois
Mon pougnard nud, je l’offre aux mains de ma deesse,
Et laschant mes soupirs en ma tremblante voix,
Ces mots coupez je presse :
Belle, pour estancher les flambeaux de ton yre,
Prens ce fer en tes mains pour m’en ouvrir le sein,
Puis mon cueur haletant hors de son lieu retire,
Et le pressant tout chault, estouffe en l’autre main
Sa vie & son martire.

Ha Dieu ! si pour la fin de ton yre ennemye
Ta main l’ensevelist, un sepulchre si beau
Sera le paradis de son ame ravie,
Le fera vivre heureux au milieu du tumbeau
D’une plus belle vie !
Mais elle fait secher de fievre continuë
Ma vie en languissant & ne veult toutefois,
De peur d’avoir pitié de celuy qu’elle tuë,
Rougir de mon sang chault l’yvoire de ses doitz
Et en troubler sa veuë.
Aveugle ! quelle mort est plus doulce que celle
De ses regards mortels & durement gratieux
Qui derobent mon ame en une aise immortelle ;
J’ayme donc mieux la mort sortant de ses beaux yeux
Et plus longue & plus belle !


VII.

Liberté douce & gratieuse.
Des petis animaux le plus riche tresor,
Ha liberté, combien es tu plus precieuse
Ni que les perles ni que l’or !
Suivant par les bois à la chasse
Les escureux sautans, moy qui estois captif,
Envieux de leur bien, leur malheur je prochasse,
Et en pris un entier & vif.
J’en fis présent à ma mignonne
Qui luy tressa de soie un cordon pour prison ;
Mais les frians apas du sucre qu’on luy donne
Luy sont plus mortelz que poison.
Les mains de neige qui le lient,
Les attraians regars qui le vont decepvant
Plustot obstinement à la mort le convient
Qu’estre prisonnier & vivant.

Las ! commant ne suis je semblable
Au petit escurieu qui estant arresté
Meurt de regretz sans fin & n’a si agreable
Sa vie que sa liberté.
O douce fin de triste vie
De ce cueur qui choisist sa mort pour les malheurs,
Qui pour les surmonter sacrifie sa vie
Au regret des champs & des fleurs !
Ainsi aprés mille batailles,
Vengeans leur liberté on a veu les Romains
Planter leurs chauds poignards en leurs vives entrailles,
Se guerir pour estre inhumains.
Mais tant s’en fault que je ruine
Ma vie & ma prison qu’elle me plaist si fort,
Qu’en riant je gazouille, ainsi que fait le cigne,
Les douces chansons de ma mort.


VIII.

Le miel sucré de vostre grace,
Le bel astre de vostre face
Meurtriere de tant de cueurs
Ne sorte de ma souvenance ;
Mais où prendray je l’esperance
De guerison pour mes douleurs ?
Je sens bien mon ame insensee
Se transir sur vostre pancee
Et sur le souvenir de vous,
Mais je ne puis trouver les charmes
Qui me font friand de mes larmes
Et trouver mon malheur si doux.
Deux yeux portent ilz telle amorce ?
O Dieux ! il y a tant de force

Dedans les rais d’une beauté !
Je l’espreuve & ne le puis croire,
Et le fiel que j’ay soif de boire
Desjà m’est experimenté.
O Deesse pour qui j’endure,
Comme voz beautés je mesure,
Mesurez ainsi mon torment,
Car la soufrance qui me tuë,
Pourveu qu’elle vous soit congneuë,
Ne me deplaist aucunement.
Non pas que je veille entreprendre
De mesurer ny de comprendre
Ny vos beautez ny mon soucy ;
Ces choses sont ainsi unies :
Si vos graces sont infinies,
Mon affliction l’est aussi.
Mon martire & vostre puissance,
Comme ayant pareille naissance,
Ont aussi un effet pareil,
Hors mis que c’est par vostre veuë
Que ma puissance dyminuë,
Et la vostre croist par vostre œil.
Si vostre œil m’est insurportable,
Si d’un seul regard il m’accable
D’ardeur, de pennes & d’ennuy,
Pour Dieu, empeschez le de luyre,
Mais non, laissez le plus tost nuire,
Car je ne puis vivre sans luy !
Vostre presence me devore,
Et vostre absence m’est encore
Cent fois plus fascheuse à soufrir :
Un seul de vos regards me tuë,
Je ne vis point sans vostre veuë,
Je ne vis doncq’ point sans mourir.

Ha Deesse, que de martire
Je souffre en deschargeant mon yre
Dessus moy pour l’amour de vous !
Mais je ne puis trouver de penne,
D’exquise torture, de geenne,
Ny torment qui ne soit trop doux.
Ce peché fait que triste & blesme,
De regrez j’afflige moy mesme,
Je me desplais avec esmoy
De ma trop douce penitence,
Et je ne trouve en mon offence
Juge plus severe que moy.
J’ay voullu transonner de rage
La langue qui me fit dommage,
Pensant seulement me joüer,
Je ne l’osay faire de crainte
Que la force ne feust esteinte,
Ne l’ayant que pour vous loüer.
Je m’esbahis à part moy comme
Celuy qui du ventre de l’homme
Reprenoit le plus grand des Dieux,
Ne trouvoit une chose estrange
Mettre l’injure & la louange
En un membre si precieux.
Car comme l’espee ou la lance,
On a la langue pour deffence
Et pour l’ennemy offencer,
Mais celuy la est plein de folie (sic)
Qui forcenant en son envie,
De son couteau se vint blesser.
D’Adonis la face divine
Ne fit tant pleurer la Ciprine
Comme a pleuré mon cueur marry,
Ny Enee pour son Anchise,

Ny Niobé, ny Artemise
Sur les cendres de son mary.
Helas ! je congnois bien ma faute
Et la ferois encor’ plus haulte
Qu’elle n’est, si je le pouvois :
Mon ame en parlant en est folle
Et je soubsonne ma parolle
De pecher encor’ une fois.
Non, je ne puis couvrir ma honte,
Et quant mon forfait je raconte,
L’excuse, l’esprit me default,
Combien que le vulgaire estime
Qu’il ne peult y avoir de crime
Ou l’imprudence seule fault.
Mais quand je voy’ que vostre grace
Et les soleils de vostre face
Pourtant ne m’ont abandonné,
Lors, mon ame plus criminelle
Son affliction renouvelle
Pour estre sitost pardonné.
Ainsi vostre pitié m’accable,
Et vostre douceur agreable
Me condemne indigne de vous,
Car si ma faute estoit petite,
Elle s’accroit quant elle irrite
Un esprit si calme & si doux.
Le pardon suit la repentance,
Le repentir la congnoissance
Et la honte de son peché ;
Vous pardonnez donc bien, maitresse,
Car je doubleray ma vitesse
Aprés avoir un coup brunché.
Pour une simple penitence,
Pardonner celuy qui offence,

C’est le vray naturel des Dieux.
Comme vostre grace est celeste
Il falloit aussi que le reste
Et la pitié feust nee aux Cieux.
Bienheureux est celuy qui donne,
Qui pardonne est deux fois vaincueur
Et le pardon est dure peine,
Encor plus heureux qui pardonne,
La grace est marque souverayne
Quant elle atache un brave cueur.


IX.

Pleurez avec moy, tendres fleurs,
Aportez, ormeaux, les rosees
De vos mignardes espousees,
Meslez vos pleurs avec les pleurs
De moy désolé qui ne puis
Pleurer autant que j’ay d’ennuis !
Pleurez aussi, aube du jour :
Belle Aurore, je vous convie
A mesler une doulce pluye
Parmi les pleurs de mon amour,
D’un amour pour qui je ne puis
Trouver tant de pleurs que d’ennuis !
Cignes mourans, à ceste foys
Quittez la Touvre Engoumoisine
Et meslez la plainte divine
Et l’aer de vos divines voys,
Avec moy chetif qui ne puis
Pleurer autant que j’ay d’ennuis !
Oiseaux qui languissez marris,
Et vous, tourterelles fachees,
Ne comptez aux branches sechees

Le veuvage de vos maris
Et pleurez pour moy qui ne puis
Pleurer autant que j’ay d’ennuis !
Pleurez, o rochers, mes douleurs
De vos argentines fonteines
Pour moy qui souffre plus de peines
Que je ne puis trouver de pleurs,
Pour moy douloureux qui ne puis
Plorer aultant que j’ay d’ennuis !


X.

Que je sorte du creux
Du labirinte noir par le fil qui a prise
Ma chere liberté de l’or de ses cheveux,
Ou, si je pers la vie ainsi que la franchise,
Je perde tout par eux.
De ma douce prison,
Des ameres douleurs de mes pressantes gennes,
Des doux liens de ma serve raison,
Je couppe de sanglotz, parcelles de mes peines,
Ma funebre oraison.
Je ne meurs pas à tort,
Bien coupable du fait, coupable du martire,
Du feu d’amour & d’un torment plus fort,
Mais las ! donne, Deesse, à l’amant qui souspire
Ou la grace ou la mort.
Si j’ay grace de toy,
Je recoy’ ma raison de qui me l’a ravye,
Si ton courroux vient foudroier sur moy,
Tu me feras injuste en m’arrachant la vye,
Martire de ma foy.
O bienheureux souspirs,
Si de ses yeux si doux vous tirez recompence,

Si ma vie est la fin de mes désirs,
Je triumphe en mourant & gaigne par constance
Le laurier des martirs.
Soit que ce soit, je veux
De la doubleuse mort, du cruel labirinthe
Sortir guidé du fil de ses cheveux,
S’il fault que pour armer mon ame soit esteinte,
Que je sorte par eux.
Pour Dieu, mort ou secours !
Bien heureux si je meurs, bien heureux si j’ay grâce,
Heureuse fin des malheurs & des jours !
Vivant, je soye aymé, ou en mourant j’efface
Ma vie & mes amours.
Si j’acheve par feux
Mes ans & mes douleurs, que ton bel œil m’enflame,
Ou sy mon jour est randu bienheureux
Par quelque beau soleil, que ce soit par la flame
Et les retz de tes yeux.
Si d’un coup inhumain
Ma poitrine se fend, ta main me soit mortelle ;
Si du tombeau quelque secours humain
Me vient tirer, je n’ay ayde qui me soit belle
Que de ta belle main.
Encore ay je soucy
Que ta bouche à ma mort prononce ma sentence.
Ou si je vis, qu’elle me die aussy,
Comme le desespoir, ma nouvelle esperance,
La mort ou la mercy.
Pour te suyvre obstiné je t’anime à la fuitte,
Par mon humilité j’esleve ton orgueil,
Je glace ton dedaing du feu de ma poursuytte,
Tu te lave en mes pleurs,
Et le feu de ton œil
S’accroist de mes chaleurs.

De ma triste despoüille & d’une ame ravie
Mon esprit triumphant couronne ta beauté
Vermeille de mon sang, ma mort te donne vie,
Et les plus doux zephirs
Qui charment ton Æsté
Sont mes tiedes souspirs.
Ainsi quand Daphné fut en laurier convertie,
Le soleil l’eschauffa de rayons & d’amours
Et arrousa ses pieds de larmes & de pluye.
O miserables pleurs
Qui croissez tous les jours
L’amour & les douleurs !


XI.

A l’escler viollant de ta face divine,
N’estant qu’homme mortel, ta celeste beaulté
Me fist goutter la mort, la mort & la ruyne
Pour de nouveau venir à l’immortalité.
Ton feu divin brusla mon essence mortelle,
Ton celleste m’esprit & me ravit aux Cieulx,
Ton ame estoit divine & la mienne fut telle :
Deesse, tu me mis au ranc des aultres Dieux.
Ma bouche osa toucher la bouche cramoysie
Pour cœiller sans la mort l’immortelle beaulté,
J’ay vescu de nectar, j’ay sucsé l’ambroysie,
Savourant le plus doux de la divinité.
Aux yeux des Dieux jalloux, remplis de frenaisie,
J’ay des autels fumants conu les aultres Dieux,
Et pour moy, Dieu segret, rougit la Jalousye
Quant un astre incognu ha déguizé les Cieux.
Mesme un Dieu contrefait, refuzé de la bouche,
Venge à coups de marteaux son impuissant courroux,

Tandis que j’ay cueilli le baiser & la couche
Et le sinquiesme fruict du nectar le plus doux.
Ces humains aveuglez envieux me font guerre,
Dressant contre le ciel l’eschelle, ils ont monté,
Mais de mon Paradis je mesprise leur terre
Et le ciel ne m’est rien au pris de ta beaulté.


XII.

J’implore contre toy la vengeance des Dieux,
Inconstante parjure & ingratte adversaire,
Las de noyer ton fiel aux pertes de mes yeux
Et à ta cruauté rendre tout le contraire,
D’enorgueillir ton front de mon humilité,
De n’adorer en toy rien plus que la beauté.
D’où as-tu, sanguynaire, extrait ce naturel ?
Est-ce des creux rochers de l’ardante Libie
Où tu fouillois aux reins de quelq’aspid mortel
Le roux venin, le suc de ta sanglante vie,
Pour donner la curee aux chaleurs de ton flanc
De te paistre de mortz & t’abreuver de sang ?
D’un courroux sans raison tu as greslé les fleurs,
Les fruictz de ma jeunesse, & ta rouge arrogance
Trepigne soubz les pieds l’espoir de mes labeurs,
Les sueurs de mon front & ma tendre esperance.
En languissant, je voi’ que les oiseaux passans
Sacagent impunis mes travaux florissans.
Celluy qui a pillé en proie ta beauté
N’a lenguy comme moy, les yeux dessus ta face,
Mais en tirannisant ta folle volupté :
II regne pour braver & pour user d’audace,
N’immolant comme moy en victoire son cueur,
Sur toy qui vomiçois il s’est rendu vainqueur.

Il aime inconstemment, c’est ta perfection :
Jamais rien de constant ne te fust agreable
Et je lis en cela ta folle affection.
Quant chascun veult tousjours rechercher son semblable,
J’aprens à te fuir comme contraire à moy,
Qui crains plus que la mort la perte de ma foy :
Or vis de l’inconstance, enivre tes esprits
De la douce poison dont t’a ensorcelee
Celluy qui en t’aimant n’aime que ton mespris ;
Je n’aimeray jamais d’une amour aveuglee
Un esprit impuissant, un cueur degenereux,
Superbe à ses amis & humble à ses haineux.


XIII.

Citadines des mons de Phocide, aportez
L’espaule audacieuse à ma fiere entreprise,
Et si vostre fureur un coup me favorise,
Je brusleray ma plume à voz divinitez.
J’enflamme ce labeur d’un œuvre si superbe
Que dés le commancer je me trouve au milieu.
Fortune aide aux rameaux qui grimpent en hault lieu
Et trepigne à ses piedz l’humidité de l’herbe.
Non, je n’escriray point, il suffist que mes yeulx,
Mes sens, mes voluntez & mon ame ravie
Osent vous admirant, ma bienheureuse vie,
Il vault mieux dire un peu & pencer beaucoup mieux.
C’est le riche subjet qui me donne courage,
Sur qui je n’entreprens rien temerairement,
Mais mon stile ne peut orner son argument,
Il fault que le subjet soit honneur du langage.
O que si tant de vers tous les jours avortez
Qui portent peinte au front la mort de leur naissance,

Si ces petits escrits, bastardeaux de la France,
Eussent donné telle ame aux vers qu’ils ont chantez,
L’honneur de ceux qu’on loue eust rendu par eschange
A ces poetes menteurs ce qu’il eust reçeu d’eux :
Quant à moy vostre gloire est commune à nous deux,
Car en vous adorant je me donne louange.
Mais ceux qui, eschauffans sur un rien leurs escris,
Barbouillent par acquit les beautés d’une face
D’une grandeur obscure & d’une fade grace,
D’un crespe de louange habillent leur mespris,
Outre plus d’entamer ce qu’on ne peut parfaire,
Cacher ce qui doibt estre eslevé au plus hault,
Ne loüer la vertu de la sorte qu’il fault,
II vaudroit beaucoup mieux l’admirer & se taire.
Je me tais, je l’admire, & en pensant beaucoup,
Je ne puis commencer, car tant de graces sortent,
Se pressant sans sortir, qu’en poussant elle emportent
Mon esprit qui ne peult tout porter en un coup.
Vous avez ainsi veu un vaze de richesse
Ne pouvoir regorger alors qu’il est trop plain,
Et par un huis estroit s’entrepousser en vain
Un peuple qui ne peult ressortir pour la presse.
Parainsi en craignant que vostre œil n’excusant
Ce qui menque à mes vers, veille nommer offence
L’erreur & appeller un crime l’impuissance,
Je vous metz jusqu’aux Cieux, je loue en me taisant,
Je tairay pour briser les coups de la mort blesme,
Pour targuer vostre nom à l’injure des Cieux,
Pour surmonter l’oubly & le temps envieux,
Vostre vertu qui est sa louange elle mesme.

XIV.

L’aer ne peut plus avoir de vens,
De nuages s’entresuivans,
Il a versé tous les orages,
Comme j’espuise mes douleurs :
Mes yeux sont assechez de pleurs,
Mon sein de souspirs & de rages.
Helas ! mes soupirs & mes pleurs
Trempaient mes cuisantes chaleurs
Et faisoient ma mort plus tardive,
Ores destitué d’humeur,
Je brusle entier en ma chaleur
Et en ma flamme tousjours vive.
Je ne brusle plus peu à peu,
Mais en voiant tuer mon feu
Je pers la vie aprés la veuë.
Comme un criminel malheureux
A qui l’on a bandé les yeux
Afin qu’il meure à l’impourveue.
Mes yeux, où voulez vous courir ?
Me laissez vous avant mourir
Pour voir ma fin trop avancee ?
Pour Dieu ! attendez mon trepas,
Ou bien ne vous enfuiez pas
Que vous n’emmeniez ma pensee !
Mes soleils en ceste saison
Ne luisent plus en ma prison
Comme ils faisaient en la premiere.
Le feu qui me va consommant
Me luist un peu & seulement
Je me brusle de ma lumiere.

XV.

Ores es tu contente, o Nature meurtriere.
De ses plus chers enfans impitoyable mere,
Tigresse sans pitié,
As tu saoullé de sang ta soif aspre & sanglante,
Faisant finir ma vie en ma mort violente,
Mais non mon amitié ?
Pourquoy prens tu plaisir à orner tes merveilles
De ses riches tresors & beautes non pareilles
Que puis aprés tu veux
Garnir de plus de maux & de pennes cruelles
Qu’Ethna ne fait sortir, du creux de ses moëlles,
De souffres & de feuz ?
Si cest œil ravissant qui me mit en servage
N’eust fait naistre l’espoir au rais de son visage,
Ravissant mes esprits,
Ou qu’un sang plus espais, de masse plus grossiere
A preuve de l’amour n’eust de ceste guerriere
Si tost esté surpris :
Helas ! mon œil fut sec & mon ame contente,
Mon esprit ne fut mort par la crainte & l’atente,
Ma main pas ne seroit
Ny ce fer apresté prests à finir la vie
Qu’amour hait, qu’il avoit à aymer asservie
En si mortel endroit.
Je ne me plaindrois pas, si ma mort pouvoit faire
Au pris d’un sacrifice esteindre sa cholere
Et un peu l’apaiser,
Tant qu’en voiant la fin d’une amour non pareille
Par un funebre adieu de sa bouche vermeille
Je sentisse un baiser.
Mon esprit satisfait errant par les brisees

Des Enfers esgairez & des Champs Elysees
Rien ne regretterait,
Que le mesme regret qu’auroit son ennemie
De la sainte amitié qu’encor aprés la vie
L’esprit emporteroit,
Mais en ne trouvant lieu pour mes larmes non feintes
Dans son cueur endurcy aux viollantes plaintes
D’un miserable amant :
Non plus que l’on verroit engraver quelque trasse
De l’inutille fer pressé dessus la face
D’un ferme diamant.
C’est fait, je veux mourir & qu’un tel sacrifice
Preste ma triste main pour un dernier office
A son cors malheureux,
Dehors duquel l’esprit ira, comme je cuide,
Sur les bors ombrageux du fleuve Acherontide
Soupirer amoureux,
Racontant aux Esprits la severe sentence
Qui fut l’amere fin d’une longue esperance,
D’une dure prison,
De mes maux abregez & l’issue & l’entree,
Qui forca le despit & la main forcenee
Surmonter ma raison.
Frape doncq’, il est temps, ma dextre, que tu face
Flotter mon sang fumeux, bouillonnant par la place
Soubz le cors raidissant.
Haste toy, douce mort, fin d’un amere vie,
Fay’ ce meurtre, l’esprit, ma rage te convie
Aux umbres fremissant.

XVI.

Mesurent des haultz Cieux tant de bizarres courses
Ceux qui ont espié leur subtils mouvements ;
L’autre cherche la cause aux divers excremens
Des pluies, des metaux, des plantes & des sources ;
Vante un brave soldat, à la face de tous,
Son adresse, son heur, sa force & son courage,
Et son esprit vanteur repeu de son dommage
Estalle un estomac gravé de mille coups.
Je veulx parler d’amour, docte en telle science,
Si le savoir est seur né par l’experience.
Le chef d’euvre de Dieu fut l’homme miserable
Fait des quatre elemens, un monde composé
Du froid comme du sec, humide & embrasé,
Et fut par le divin à Dieu mesme semblable,
Car son ame n’est moins que divine des Cieux,
Le plus beau que le Ciel peut donner en partage :
Si bien qu’estant unis d’un si beau mariage,
On a fait pour jaloux les Demons & les Dieux,
On a forgé de là l’audacieuse guerre
Des Titans animez & des filz de la Terre.
Ceste perfection fut la mesme Androgeine
Qui surpassa l’humain par ses divins effortz,
Quant le cors avecq’ l’ame & l’ame avecq’ son cors
Vit l’essence divine unie avecq’ l’humaine.
Le terrestre pesant n’engageoit de son pois
Le feu de son esprit à sa rude nature,
Mais ces deux unions en mesme creature
Souffroient de l’un’ à l’autre & l’amour & les loix.
Le divin se faisoit du naturel du reste

Et le terrestre espais n’estoit rien que celeste.
Jaloux & prevoiant le grand Dieu du tonnerre
Ne voullut plus souffrir l’homme estre un demi dieu
Ny suspendre en hasard son estat & son lieu,
Que la terre fust ciel & que le ciel fust terre.
Il fit des naturels deux diverses moitiés,
Couppa l’homme pour l’homme & la femme pour femme,
Le pesant du leger & le cors de son ame,
Separa d’unions, de cors & d’amitiés,
Tranchant par le milieu, ceste jumelle essence
A qui le separer apporta l’impuissance.
L’ame est l’esprit uni avecq’ le cors femelle
Dont l’homme le premier esprouvant l’union
Estoit homme plus qu’homme & sa perfection
Par l’accord de ces deux fut supernaturelle.
Perdant cest heur premier la celeste raison
Eut en horreur le cors & terrestre & prophane,
L’esprit fut gourmandé par le cors, son organe,
Et le cors de l’esprit ne fut que la prison,
Instrument seullement d’une contrainte vie,
Miserable moitié d’Androgeine partie.
Quant par desunion la force fut esteinte,
Quant ces pauvres moitiés perdirent le pouvoir,
Les Dieux furent emeuz par pitié d’y pourvoir,
Quant par leur impuissance ils perdirent la crainte,
Affin que ces moitiés peussent perpetuer
L’espece en rejoignant ceste chose egaree.
L’une & l’autre nature en son cors separee
Apprindrent par l’amour à se r’habituer,
Qui nasquit à ce point & de qui la naissance
Refit ceste union avecq’ moins de puissance.
Un jour que des grans Dieux la bande estant saisie
D’heur, de contentement, d’aise & de volupté,
Remplissoient pour Venus & sa nativité

Leurs cerveaux de nectar & de douce ambroisie,
Sur la fin d’un banquet, Pore conseil des Dieux,
Yvre de ses douceurs se desrobe en cachette,
En fuiant au jardin de Jupiter se jette
Sur les fleurs, recreant d’un doux sommeil ses yeux.
Livrant, di je, au sommeil son cors & l’ambroisie
Qui des liqueurs du ciel troubloit sa fantasie.
Sur ce point arriva la pauvrette Penie,
Qui durant le banquet prés de l’huis mandioit
Des miettes du Ciel, & pour neant avoit
Pour un chiche secours tant mandié sa vie.
Elle voit sur les fleurs le beau Pore endormy,
Elle change sa faim en desir de sa race,
Elle approche, se couche & le serre & l’embrasse
Tant qu’il l’eut pour amie & elle pour ami.
De là naquit l’Amour, & la nature humaine
Du conseil des grands Dieux conceut l’autre Androgeine
Aussitost qu’à nos yeux un raion de beauté
Nous a fait savourer le miel de l’agréable,
L’esprit conçoit la joie, emeu du delectable
Dont il recoit le goust par nostre œil presenté.
Au naistre de Venus, au naistre des beautez,
Nos esprits qui n’ont moins que l’essence divine
S’ejouissent du beau & l’ame l’imagine ;
Les pencers sont festins pour les divinitez,
Nostre pauvre nature est la mesme Penie
Qui n’estant du festin y va quester sa vie.
Elle ne peut gouster ny les os, ny les restes
Du nectar de l’esprit : son estomac n’a pas
De feu pour digerer ce precieux repas,
Mais au lieu de joïr des viandes celestes,
L’esprit fait tout divin est emeu à pitié,
Se couple avec le cors, & en ce mariage
Donne prevoir, juger, & souvenir pour gage

De l’union du cors & de son amitié ;
Le cors loge les trois : au front la congnoissance,
Le jugement plus hault, plus bas la souvenance.
L’esprit apprend au cors les ars & les sciences
De nature & d’acquis, & fidelle amoureux
Preserve sa femelle & du fer & des feux,
Par l’aigu jugement & les experiences.
Comment pourroit ainsi ce mari sans son cors
Exercer sa vertu, car sans sa bien aimee,
Les effets ne seroient qu’une ombre, une fumee,
Sans execution, sans œuvres, sans efforts ?
L’esprit, paintre parfait, emprunte la painture,
Les tableaux, les pinceaux des cinq sens de nature.
Comme Platon a peint l’amitié mutuelle
Des espritz & des cors l’un de l’autre cheris,
Moy je veux par l’amour des ars & des esprits
Repeindre une autrefois nostre amour naturelle,
Et du grand au petit, je nombre par raison
Que nous devons chercher les loix de la Nature
Au secret des espritz ; l’amour des cors endure
Mesme cause que l’autre & mesme liaison :
II brusle l’un & l’autre & de pareilles flammes
Unit l’amour des cors & celuy de noz ames.
Mais autant de subjetz sur lesquelz il espreuve
Le miel de ses douceurs ou ses mortels courroux,
Autant de fois il est ou vigoureux ou doux,
Et tel que le subjet son accident se treuve.
Comme le soleil chaud rengrege les odeurs
D’une charogne infecte & en forme la peste,
Et de mesmes raions le mesme nous apreste
En sa bonté le musch & le baume & les fleurs :
L’amour allume ainsi en nos esprits les flammes,
Certains eschantillons & mirouers de nos ames.
Tout ainsi que l’amour unist la difference

Du cors & de l’esprit, c’est lui tout seul qui peult
Unir deux autres cors en un seul, quant il veult,
Lorsque des deux espritz il tire sa naissance.
Par l’homme & son esprit Pore est représenté
Où l’amour a premier sa naissance & sa vie,
Puis l’ame de la femme est la pauvre Penie
Qui surprend nostre esprit yvre d’une beauté :
C’est le troisieme sens, & l’amour corporelle
En cela suit les loix de la spirituelle.
Nostre ame ne sauroit au cors donner la vie
Quant il est colleric, & son sang escumeux
Bouillonne, se dissipe & destourbe fumeux
L’esprit doux & qui n’est d’une telle armonie ;
L’esprit audacieux, entreprenant & vif,
Travaillant sans repos, bouillant en toute sorte,
Rend bien tost l’union, le cors, l’amitié morte,
Possedant un organe inutille & chetif.
Par la diverse humeur l’ame est donc departie,
Et les amours humains naissent de simpatye.
C’est pourquoy chacun peut aymer pour se complaire,
Mais c’est diversement, car les cors composez
Par les quatre elemens sont aussi disposez
A les recepvoir tous en leur forme ordinaire :
Mais si les qualitez ne sont pareillement
Parties dans les cors, aussi ne peuvent elles
Prendre en eux leurs vertus esgallement pareilles,
Car l’un reçoit le feu ou l’air plus aisement,
Et chasque cors meslé, exposé au pillage,
Reçoit le mieux celuy dont il a daventage.
Comme aux troubles confus d’une guerre civille,
Un fort qui sera plain de quatre factions,
Si deux tiers complotans ont mesmes passions
Ils livrent aisement à l’estranger la ville :
Ainsi la pierre où moins le feu a de vigueur

Est plus tard à brusler, & le bois qui recelle
Plus du simple en son cors plus aisement appelle
A deceler son feu un autre feu vaincueur,
Et des quatre elemens la ligue la plus forte
Aux pareils conquerans ouvre aisement la porte.
L’esprit est plus parfait, l’origine celeste
Ne le reduit aux loix d’humeur ni d’elemens ;
Hors le bon & mauvais tous autres sentimens
Sentans l’organe aymé s’acommodent au reste.
Pore avait refusé les viandes des Cieux
A ceste mandiante & chetive personne :
Il se derobbe aprés & luy mesme se donne.
Quant le sommeil pesant lui eut fermé les yeux,
Il falut qu’il dormist pour recebvoir Pœnie :
L’ame dedaygne ung cors quant elle est endormie.
La femme de qui naist le propre d’entreprendre
Le regime du monde & d’entrer au conseil,
Endort l’esprit de l’homme aux raions de son œil.
Sa beauté sont les fleurs qui le viennent surprendre ;
L’homme est fait amoureux & par l’oysiveté
Il s’acommode aux meurs de la femelle aymee.
Comme l’ame se voit par le cors transformee
Espouser son humeur, vouloir sa volonté,
Les esprits sont heureux qui ont cors debonnaire,
Les amans malheureux qui ont l’ame contraire.
L’esprit qui a un cors vif, subtil & ignee,
Qui sent le moins la terre & qui est moins pesant,
Sent cest organe beau, agreable & plaisant,
Et jamais de ces deux l’amour n’est terminee.
Mais l’esprit qui se loge en un cors froid & lent
N’aime qu’avec longtemps sa nature perverse.
Il le presse au premier, puis l’aime en la vieillesse,
Et l’amour d’entr’eux deux n’est jamais viollent
Que lorsqu’avec le temps ceste masse enterree

Se dépouillant de soy est au ciel preparee.
L’amour brusle aisement & aisement possede
Celle qui a le sang & le naturel chaud,
Pour ce qu’elle est de feu & que le feu d’en hault
Cherche tousjours le cors où la chaleur excede ;
Mais le froid naturel est mal propre à aimer :
S’il ayme, cest amour est artificielle,
Car il fault corriger la glace naturelle
Et l’effet naturel est plus à estimer :
L’unde n’est pas si tost par la flamme alumee
Comme la flamme vive est par l’eau consommee.
Les vigoureux espritz en fumelles aymees
Et de pareil humeur monstrent bien leurs vigeurs.
Quand la couple impareille aporte des langeurs.
Leur vie est lors stupide en prison enfermee ;
Comme un feu au bois vert, pourtant né pour brusler,
Quant le millieu s’embrase & l’escorse s’alume,
L’umidité s’en fuit par les boutz en escume,
Renvoiant l’eau en l’eau & poussant l’air en l’air :
Il faut ainsi souvent que l’esprit du feu face
Avant bien posseder son cors sortir la glace.
Ainsi l’homme amoureux, vrai esprit de la femme,
Use souvent son temps sur l’espoir, & ses jours
A corriger son cors premier que les amours
Aient changé l’humeur & la fumee en flamme.
Il semble l’intellect qui vif & viollant
Habite un cors sans feu ; l’esprit brusle de rage
Et use pour brusler son ardeur & son age,
Se consomme en dressant son organe trop grand,
Miserables amours qui par l’antipatye
Premier que vivre bien ont consommé leur vie.
J’esgalle ainsi l’amour & celeste & terrestre
Que le cors sans esprit, la dame sans amy
N’ont ne plaisir ne vie ou vivent à demy.

Pas un d’eux separé n’a ne forme, ne estre.
Comme souvent les cors mesprisent les espritz,
Les hommes sont ainsi reffusés par les dames :
L’amour plus necessaire aux cors qu’il n’est aux ames
Les doit faire plus doux & les avoir apris
Que l’ame vit encor quant le cors s’en delogne,
Et que le cors n’est rien sans ame que charogne.
Sans la conjonction leur amour est donc vaine,
Leurs effects separés sont songes impuissans,
Mais eux unis, de l’un & l’autre joissans,
Font germer en s’aymant leur amour & leur peine.
Separez moy le chaud d’avecq’ l’humidité,
A une autre liaison autre amour naturelle ;
Le chaut sterille en soy, l’humide est toute telle,
Et d’eux unis se fait toute nativité ;
Celluy doncq’ qui desjoint les moitiez de nature
Sacrilege la tuë & lui fait une injure.
Si nos esprits qui ont prins au Ciel leur naissance
Sont rien sans leur moitié, faitz mortz & impuissans,
Que sera il des cors mortelz & perissans
Sans amour, qui ont prins de l’autre amour substance,
Et quel est cest amour qui en l’affection
Naist & s’evanouist, se loge & s’imagine,
Si suivant son autheur, comme l’amour divine,
Il fleurist sans le fruit de la conjonction ?
C’est l’avorton liant la mort avecq’ la vie,
D’un parricide cors la vipere ravie.
Belle à qui j’ay sacré & mes vers & ma peine,
Voy’ comme en apaisant ta curiosité,
L’inutille regard d’une vaine beauté
N’est qu’une pure mort, sans unir l’androgeine.
Imitons les secrets de Nature & ses loix,
Fuions l’ingratitude & l’ame degenere,
Tout asseurez commant d’une si sainte mere

Les exemples, le cours & les editz sont droitz,
Car la desunion est la mort de Penie,
L’acord la ressucite & lui donne la vie.


XVII.

O bien heureux esprits qui printes vostre vie
Des fresnes endurcis & des rochs de Libye,
Avortez du Caucase & de quelque autre mont
A qui l’amour ne brusle & tormente les ames,
A qui la cruauté des cipriennes flammes
Ne martirise l’oeil, l’estoumac & le front !
Bien heureux sont ceulx là qu’une tendrette enfance
Empesche heureusement d’avoir la congnoissance
Des forces du malheur & de celles d’amour,
Mais ilz seroient heureux, si dés l’age premiere
D’un sommeil eternel ilz fermoient leur paupiere :
Leur vie & leur bonheur n’auroient qu’un dernier jour !
J’ay tort, hors de l’amour est toute joye esteinte.
Tout plaisir est demi, toute volupté feinte,
Et nul ne vit content s’il ne souffre amoureux.
Sans aimer & souffrir l’aise demeure vaine,
Et celuy qui son heur ne compare à la peine
De quel contentement sera il bien heureux ?
Le contraire est congneu tousjours par son contraire :
Ainsi qu’aprés l’hyver le printemps on espère,
Et comme aprés la nuit nous atendons le jour,
Ainsi le beau temps vient à la fin de l’orage,
Ainsi aprés le fiel d’un courroucé visage
Nous goustons la douceur de l’œil & de l’amour.
C’est l’amour tout puissant qui guerist la tristesse,
Qui fit le deuil amer de ma chere maitresse
Finir en mon bonheur, naistre en mesme saison.

On dit que le temps est medecin de nature
Et de nos passions, mais c’est coup d’aventure,
Car le mesme nous sert plus souvent de poison.
Olimpe, tu sais bien quelles furent les armes
Qui vainquirent ton deuil, tu sais comment tes larmes
Et mon desastre fier finirent en un jour :
Tu sais combien de temps dura ta maladie,
Tu sais que ton deuil fust plus dure que ta vie
Et par là tu congnois la vertu de l’amour.
Que diriez vous de voir un fiebvreux en la couche
Qui clorroit obstiné les levres & la bouche
Contre l’eau qui l’aurait autrefois fait guerir,
Sinon qu’il est saisi d’une aspre frenaisie,
Ou qu’un rouge malheur boult en sa fantaisie
Qui le fait n’aiant soif avoir soif de mourir.
Si les sermons fascheux des autres te travaillent,
Si les peurs des craintifs honteusement t’assaillent,
S’un autre te menace & te donne conseil,
Eh ! ne sais tu pas bien que la fiebvre amoureuse
Ne se congnoist pour voir une face hideuse,
Ou le poux inégal, ou le trouble de l’œil ?
Nous verrons quelquefois jargonner une vieille
Qui lorsqu’elle brusloit en une age pareille
D’un feu pareil au tien ne print en son ennuy
Autre conseil que soy & sa flamme nouvelle ;
Veux tu savoir commant ce conseil là s’appelle ?
Faire large courroie à la perte d’autruy.
Ne te laisse tromper à l’affeté langage
De plus jeune que toy, mais excuse par l’age
Le peu d’experience & le peu de raison.
Ceux là n’ont essaié la geenne qui nous serre :
C’est comme qui oiroit deviser de la guerre
Tel qui n’auroit jamais parti de la maison.
Celles qui en souffrant la mesme maladie

Et au mesme subjet desguisent leur envie
D’un propos contrefait tout autre que le cueur
Cachent pour t’affiner la cause qui les meine
En la mesme façon que la fine Climenne
Qui du beau Francion disoit mal à sa sœur.
Ton Parfait ne vit plus : Si un’ aise parfaite
Doibt durer à jamais, tout ce que je souhaite
Est de faire revivre un ami trepassé.
Si le secret tranchant de Parfait se presente,
Pense quel plaisir c’est par la chose présente
Te pouvoir faire encor’ revoir le bien passé.
Si ung frère fendant ou ung parent menace,
Laisse les menacer & leur quittant la place,
Sans changer de vouloir change d’un autre lieu.
Mille autre empeschemens essaient de combattre
Les cueurs nez à l’amour, mais qui pourrait abattre
L’entreprise & l’ouvrage & la force d’un Dieu ?
Or le dernier objet qui le plus espouvente
Les cueurs nez à l’amour, c’est quant le sein augmente
Et que les fruits d’amour sont trop gros devenuz.
Jamais un heur parfait n’est sans quelque aventure,
Et telle fut la loy de la sage Nature,
Que par les grands dangers les grans biens sont cogneuz.
Tu as vaincu ses peurs & ses craintes frivolles,
Et n’ont peu les rigueurs ny les douces parolles
Combatre ton courage & forger ton ennuy ;
Mais pourquoy, si jadis pour me donner la vie
Tu as peu surmonter le malheur & l’envie,
Ne te puis tu encor surmonter aujourd’huy ?
O jour plain de malheur, si le goust de mon aise
Mouilla tant seulement les fureurs de ma braise
Pour faire rengreger mes flammes peu à peu :
Jour pour jamais heureux, si d’une tendre nuë
La première rozee à jamais continue

De noier en pitié les rages de mon feu !
Je suis l’Ethna bruslant en ma flamme profonde,
Tu es le Nil heureux qui espanche ton onde
Sur la terre qui meurt de la soif de tes eaux ;
Noie les feuz, mignonne, embrazeurs de mon ame,
Ou me laisse brusler ton Nil dedans ma flamme,
Que je noye en tes pleurs, ou seche en mes flambeaux.


XVIII.

A qui ne fut point ravie
L’amitié qu’avec la vie,
De qui les chastes amours
N’ont finy qu’avec les jours.

Que de douceurs d’une douleur,
Que de vers rameaux d’une graine,
Que de sallaires d’une peine,
Que de fleurs naissent d’une fleur !
Qu’un œil ha de raions ardents,
Que de mortz sortent d’une vie,
Que de beaux printemps d’une pluie,
Que d’estés chaults d’un doux printemps !
Amours qui par l’aer voletez,
Portez sur vos aisles dorees
Le miel que vos langues sucrees
Ont succé de tant de beautez.
Que tous ceux qui liront ces vers
Et les amours qui y florissent,
Du miel qu’ilz gousteront benissent
Ces belles fleurs, ces rameaux vers.
Heureux de ta douleur, Monteil,
Qui triomphes de ton martire,
Et autant de fleurs en retire

Comme de larmes de ton œil !
Le soleil chaud de tes ardeurs
N’a point moissonné l’esperance
Et la delectable aparance
De ton printemps & de tes fleurs.
Tesmoins ces doux & riches vers
A qui la mort la mort ne donne,
De qui l’yver, de qui l’autonne
Ne secheront les rameaux vers.
Pour salaire de tes ennuis,
Pour la fin de tes douces rages,
Pour couronne de tes ouvrages
Dieu te donne encor’ d’autres fruitz.
Ces fruitz feront qu’en bien aymant
Ton doux chant fleschira ta dame ;
Tes pleurs feront noier ta flamme
Et les douleurs de ton tourment.
Tu cuilleras de ta beauté
Les espitz aprés l’esperance :
Ta Chloris en Ceres s’advance,
Ton printemps se fait un esté.
Ces fruiz là feront que l’amour
De ceste fleur espanouie
Ne verra la mort & la vie
Paroistre & finir en un jour.


XIX.

Quiconque sur les os des tombeaux effroiables
Verra le triste amant, les restes miserables
D’un cueur seché d’amour & l’immobile corps
Qui par son ame morte est mis entre les morts,
Qu’il deplore le sort d’un ame à soy contraire,

Qui pour ung autre corps à son cors adversaire
Me laisse exanimé sans vye & sans mourir,
Me faict aux noirs tombeaux aprés elle courir.
Demons qui frequentez des sepulchres la lame,
Aidez moy, dites moy nouvelles de mon ame,
Ou montrez moy les os qu’elle suit adorant
De la morte amytié qui n’est morte en mourant.
Diane, où sont les traitz de ceste belle face ?
Pourquoy mon œil ne voit comme il voyoit ta grace,
Ou pourquoi l’œil de l’ame, & plus vif & plus fort,
Te voit & n’a voulu se mourir en ta mort ?
Elle n’est plus icy, o mon ame aveuglee,
Le corps vola au ciel quant l’ame y est allee :
Mon cueur, mon sang, mes yeux verroient entre les mors,
Son cueur, son sang, ses yeux, si c’estoit là son cors.
Si tu brule à jamais d’une eternelle flamme,
A jamais je seray un corps sans toy, mon ame,
Les tombeaux me verront effrayés de mes cris,
Compagnon amoureux des amoureux espritz.


XX.

Vous qui pillez l’email de ces couleurs,
Friandes mains qui amassés les fraizes,
Que de tormans se quachent soubz vos aizes,
Que de serpans se coullent sur les fleurs !
J’estois plongee en l’ocean d’aimer,
Je me neiois au fleuve Acherontide,
J’espans aux bors ma robe toutte umide
Et sacrifie au grand Dieu de la mer.
Fermés l’oreille aux mortelles douceurs,
Amans, nochers, n’escoutés les Serenes ;
Ma paine fut d’avoir ouy leur paines

Et ma doulleur d’entandre leurs doulleurs.
C’est se hayr, leur porter amitié,
C’est s’obeir que leur estre rebelles,
C’est la douceur que leur estre cruelles
Et cruaulté que d’en avoir pitié.
Comme l’euil prent, trahi par son object,
L’impression de l’euil où il se mire,
Ainsi le mien fut trahi par un pire,
Un mal trompeur d’un vray fut le subget.
Leur faux soupirs meurent à soupirer
Pressans de veus ma poitrine entamee,
Leur feint ardeur qui n’étoit que fumee,
Mieux un feu clair, m’aprindront à pleurer.