L’Encyclopédie/1re édition/COUPER

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COUPER, v. act. (Gram.) c’est en général faire usage d’un instrument tranchant, & l’effet produit s’appelle coupure. Mais ce mot se prend aussi dans un autre sens, & il est synonyme à mêler & tempérer ; ainsi l’on dit couper un fluide avec un autre. Ce terme a encore d’autres acceptions particulieres, dont on verra quelques-unes dans les articles suivans.

Couper un opera. Il faut couper un opera bien différemment de tous les autres ouvrages dramatiques. Quinault a coupé tous ses poëmes pour la grande déclamation : il ne pouvoit pas alors avoir une autre méthode, parce qu’il n’avoit que des sujets propres à la déclamation ; que d’ailleurs on connoissoit à peine la danse de son tems, & qu’elle n’occupoit qu’une très-petite partie de la représentation.

Ce ne fut qu’au ballet du triomphe de l’Amour qu’on introduisit en France des danseuses dans les représentations en musique ; il n’y avoit auparavant que quatre ou six danseurs qui formoient tous les divertissemens de l’opéra, & qui n’y portoient par conséquent que fort peu de variété & un agrément très médiocre ; ensorte que pendant plus de dix ans on s’étoit passé à ce théatre d’un plaisir qui est devenu très-piquant de nos jours. Tous les ouvrages antérieurs à 1681 furent donc coupés de maniere à pouvoir se passer de danseuses ; & le pli étoit pris, si on peut s’exprimer ainsi, lorsque le corps de danse fut renforcé : ainsi Persée, Phaëton, Amadis de Gaule, Rolland & Armide, poëmes postérieurs à cette époque, furent coupés, comme l’avoient été Cadmus, Thésée, Atys, Isis, Alceste & Proserpine qui l’avoient précédée.

Quinault, en coupant ainsi tous ses opéra, avoit eu une raison décisive ; mais ceux qui l’ont suivi, avoient un motif aussi fort que lui pour prendre une coupe contraire. La danse naissoit à peine de son tems, & il avoit pressenti qu’elle seroit un des principaux agrémens du genre qu’il avoit créé : mais comme elle étoit encore à son enfance, & que le chant avoit fait de plus grands progrès ; que Lulli se contentoit de former ses divertissemens de deux airs de violons, de trois tout au plus, quelquefois même d’un seul ; qu’il falloit cependant remplir le tems ordinaire de la représentation, Quinault coupoit ses poëmes de façon que la déclamation suffît presque seule à la durée de son spectacle : trois quarts d’heure à-peu-près étoient occupés par les divertissemens, le reste devoit être rempli par la scene.

Quinault étoit donc astraint à couper ses poëmes de façon que le chant de déclamation (alors on n’en connoissoit point d’autre, voyez Coupe, Exécution, Déclamation, Opéra.) remplît l’espace d’environ deux heures & demie ; mais à mesure qu’on a trouvé des chants nouveaux, que l’exécution a fait des progrès, qu’on a imaginé des danses brillantes, que cette partie du spectacle s’est accrûe ; depuis enfin que le ballet (genre tout entier à la France, le plus piquant, le plus vif, le plus varié de tous) a été imaginé & goûté, toutes les fois qu’on a vû un grand opéra nouveau coupé comme ceux de Quinault (& tous les auteurs qui sont venus après lui, auroient crû faire un crime de prendre une autre coupe que la sienne), quelque bonne qu’ait été la musique, & quelqu’élégance qu’on ait répandu dans le poëme, le public a trouvé du froid, de la langueur, de l’ennui. Les opéra même de Quinault, malgré leur réputation, le préjugé de la nation, & le juste tribut de reconnoissance & d’estime qu’elle doit à Lulli, ont fait peu à peu la même impression ; & il a fallu en venir à des expédiens, pour rendre agréable la représentation de ces ouvrages immortels. Tout cela est arrivé par degrés, & d’une façon presqu’insensible, parce que la danse & l’exécution ont fait leurs progrès de cette maniere.

Les auteurs qui sont venus après Quinault, n’ont point senti ces différens progrès, mais ils ne sont point excusables de ne les avoir pas apperçûs ; ils auroient atteint à la perfection de l’art, en coupant leurs ouvrages sur cette découverte. Voyez Coupe.

La Mothe qui a créé le ballet, est le seul qui ait vû ce changement dans le tems même qu’il étoit le moins sensible ; il en a profité, en homme d’esprit, dans son Europe galante, dans Issé, & dans le Carnaval & la Folie, trois genres qu’il a créés en homme de génie. Voyez Ballet, Comédie ballet, & Pastorale. On ne conçoit pas comment après un vol pareil vers la perfection, il a pû retomber après dans l’imitation servile. Tous ses autres ouvrages lyriques sont coupés sur l’ancien patron, & on sait la différence qu’on doit faire de ses meilleurs opera de cette derniere espece, avec les trois dont on vient de parler.

En réduisant donc les choses à un point fixe qui puisse être utile à l’art, il est démontré, 1°. que la durée d’un opéra doit être la même aujourd’hui qu’elle l’étoit du tems de Quinault : 2°. les trois heures & un quart de cette durée qui étoient remplies par deux heures & demie de récitatif, doivent l’être aujourd’hui par les divertissemens, les chœurs, les mouvemens du théatre, les chants brillans, &c. sans cela l’ennui est sûr, & la chûte de l’opéra infaillible. Il ne faut donc que trois quarts d’heure à-peu-près de récitatif, par conséquent un Opéra doit être coupé aujourd’hui d’une maniere toute différente de celle dont s’est servi Quinault. Heureux les auteurs qui, bien convaincus de cette vérité, auront l’art de couper les leurs comme Quinault, s’il vivoit aujourd’hui, les couperoit lui-même. Voyez Ballet, Coupe, Déclamation, Débit, Divertissement, Opéra, Récitatif, &c. (B)

Couper, en Bâtiment, a plusieurs significations. On dit couper une pierre, pour exprimer qu’on en a ôté trop de son lit ou de son parement, ensorte qu’elle devient trop petite pour servir, & qu’il la faut mettre au rebut, ou la faire servir avec déchet dans un endroit de moindre capacité. Couper le plâtre, c’est faire des moulures de plâtre à la main ou à l’outil. Couper le bois, c’est pratiquer des ornemens de Sculpture en plein bois sur des panneaux de menuiserie. (P)

Couper du trait (Coupe des pierres) c’est faire un modele en petit avec de la craie, ou du plâtre, ou du bois, ou autre chose facile à couper, pour voir la figure des voussoirs, & s’instruire dans l’application du trait de l’épure sur la pierre en se servant des instrumens, comme cherches, panneaux, biveaux, équerres. Voyez Coupe des pierres. (D)

Couper le cable, (Marine.) Lorsqu’on est obligé d’appareiller très-promptement, soit à cause du mauvais tems, soit pour poursuivre un vaisseau ennemi ; comme dans ce cas si l’on levoit l’ancre à l’ordinaire, cela consommeroit un tems précieux, on commande de couper le cable, ce qui se fait sur les bittes ou sur l’écubier. Quelquefois pour éviter de couper le cable, ce qui est une perte, on le file bout pour bout, & l’on y attache une bouée qui sert de marque pour le venir chercher, & lever l’ancre qu’on a été forcé d’abandonner.

Lorsqu’un maître de navire est obligé de couper son cable & laisser son ancre, il en fait un procès-verbal signé des principaux de l’équipage ; & les armateurs ou les marchands le lui payent sur l’estimation, avant que les marchandises soient débarquées. (Z)

Couper un mast. Dans une tempête on est quelquefois obligé de couper un mât, & cette manœuvre doit se faire avec précaution.

On commence, si le tems le permet, par dégarnir le mât de sa vergue, & de toutes les manœuvres qui pourroient le retenir, excepté les haubans & l’étai : on coupe ensuite le mât sous le vent ; & quand il commence à chanceler, des matelots prêts avec des haches, coupent promptement les haubans au vent & le grand étai. Les haubans sous le vent se coupent quand le mât est à la mer, ou quand il y va, si l’on en a le moyen. Il faut remarquer qu’on coupe les haubans du vent les premiers, afin que le mât tombe sous le vent, & ne creve pas le vaisseau ; & qu’on commence de l’avant à l’arriere, afin que le mât tombe de l’arriere, ce qui est moins dangereux. S’il faut couper le mât étant au mouillage, on fait carguer le vaisseau du côté qu’on veut jetter le mât, & l’on fait ensuite la manœuvre qu’on vient d’exposer. (Z)

Couper la lame, c’est quand la pointe du vaisseau fend le milieu de la lame (les flots ou la vague), & passe au travers. (Z)

Couper l’or, en terme de Batteur d’or ; c’est partager une feuille en quatre parts, pour être battues & amenées chacune à la premiere grandeur qu’elles avoient avant que d’avoir été séparées ; ce qui se pratique jusqu’à ce que toutes ces feuilles soient assez minces & assez légeres. Voyez Batteur d’or.

Couper, en terme de Boulanger ; c’est trier les farines, & les mettre chacune avec celles de leur espece. Voyez Sasser.

Couper, en terme de faiseur de cardes ; c’est réduire au moyen des ciseaux, le fil-de-fer à la longueur nécessaire pour être employé : on fait pour cela un petit paquet du fil, que l’on arrête par un bout, & on le coupe sur une mesure.

Couper, (Carrossier.) Couper un carrosse, c’est lui retrancher un de ses fonds ; ainsi un carrosse coupé, c’est un carosse qui n’a qu’un fond.

Couper, en terme de Cirier ; c’est retrancher d’une bougie trop longue ce qui est superflu. Couper la tête, c’est ôter ce qui est de trop à l’extrémité où l’on a fait la tête.

Couper, v. n. (Commerce de sel, de légumes & de grains.) C’est passer la racloire sur la mesure, quand elle est comble.

Couper le Grain, terme de Courroyeur, qui signifie former sur la surface du cuir qu’on courroye du côté de la fleur, de petites traces s’entrecoupant en tout sens à angles inégaux, telles qu’on les remarque sur les peaux de veau retournées ; ce qui forme une espece de grain. Voyez Courroyer.

Couper, (Danse.) voyez Coupé.

Couper, en terme d’Epinglier fabriquant d’aiguilles pour les Bonnetiers, se dit de l’action de donner aux aiguilles les longueurs proportionnées à leur grosseur, par le moyen d’une boîte ou mesure. Voy. l’article Epinglier.

Couper. Quoique ce terme ait lieu dans plusieurs opérations des Epingliers, on ne l’employe pourtant proprement que pour signifier l’action de diviser les dressées en transons, & les transons en hanses. Voyez Dresser, Transons, &Hanses . Les plus gros transons se coupent ordinairement de la longueur de deux épingles ; les petits, de trois, & quelquefois de quatre & de cinq.

Couper les Epingles ; c’est les réduire à une certaine longueur ; ce qui s’exécute en les faisant entrer de toute cette longueur dans une boîte, & les faisant toutes toucher une traverse de cuivre qui les sépare. Voyez Boîte. & la fig. 19. Plan. I. de l’Epinglier.

Couper sous le Poignet, (Escrime.) c’est dégager par-dessous le poignet de l’ennemi, au lieu de dégager par-dessous le talon de sa lame. Voyez Dégager.

Couper sur Pointe, c’est porter une estocade à l’ennemi en dégageant par-dessus la pointe de son épée, au lieu de dégager par-dessous le talon. Voyez Dégager.

Couper, Jardinage, se dit d’un arbre dont on veut se débarrasser, d’une branche qu’on a dessein de supprimer. On dit encore couper un terrein ou terrasse en talus ; couper une allée.

Couper se dit aussi d’un bois bien dessiné.

On appelle coupée blanche la coupe des baliveaux & du gros bois d’un taillis ; ce qui est fort défendu par les ordonnances. (K)

Couper, (se) en termes de Manége, se dit des chevaux qui s’entre-heurtent les jambes, ou se donnent des atteintes en marchant, ou qui avec l’un des fers se font sauter la peau d’un des boulets. Voyez Boulet.

Cela arrive plus fréquemment aux piés de derriere qu’à ceux de devant. Ce défaut vient de lassitude, de foiblesse aux reins, de ce que les chevaux ne savent comment aller, ou de ce qu’ils sont mal ferrés.

On dit aussi couper le rond, couper la volte, lorsqu’un cheval change de main en travaillant sur ses voltes, ensorte que divisant la volte en deux il change de main, & part sur une ligne droite pour recommencer une autre volte. Dans cette sorte de manége les écuyers ont coûtume de dire, coupez, ou coupez le rond. Voyez Volte. (V)

Couper un Cheval, voyez Chatrer (Maréchallerie).

On dit : On a été obliger de couper ce cheval, parce qu’il ruoit & mordoit. C’est un excellent remede contre ces vices. Les roussins sont ordinairement entiers, non coupés.

Couper les oreilles, voyez Bretauder.

Couper, à la Monnoie. Lorsque les lames, soit d’or, d’argent, ou de billon, ont passé suffisamment par les laminoirs & au recuit, & que ces lames sont de l’épaisseur convenable à l’espece que l’on veut fabriquer, on en coupe avec un instrument appellé coupoir (voyez Coupoir) des morceaux ronds en forme de palets unis, à-peu-près du même poids des especes à fabriquer, appellés flancs. Voyez Flancs. Cette manutention est appellée couper les lames en flancs.

Couper Carreaux, terme d’ancien monnoyage ; c’étoit réduire les lames de métal en carreaux avec les cisoirs. Voyez Carreaux.

Couper, v. act. (Orfév. Grav. &c.) c’est exécuter avec le burin, l’échope, &c. en creux ou en relief, les différens ornemens des ouvrages, qu’on dit être bien ou mal coupés, selon que l’ouvrier est habile ou mal-adroit.

Couper, Trancher, en Peinture, se dit d’une couleur forte & vive, lorsqu’elle est mise près d’une autre sans aucun adoucissement. Les couleurs qui se coupent ou qui tranchent sans aucun passage, produisent un effet desagréable. (R)

Couper les Cheveux, (Perruquier.) Le Perruquier habile, en ôtant les cheveux de la tête avec des ciseaux, a soin de les prendre par petites parcelles appellées meches, & d’en couper peu à la fois afin qu’ils se trouvent plus égaux par la tête, & qu’il se fasse moins de déchet.

Couper, (Venerie.) se dit d’un chien lorsqu’il quitte la voie de la bête qu’il chasse, qu’il se sépare des autres, & qu’il la va chercher en coupant les devants pour prendre son avantage ; défaut auquel on doit prendre garde pour n’en pas tirer de la race. On dit, ce chien ne vaut rien, il ne fait que couper.

Couper, terme de Jeu ; c’est diviser le jeu de cartes en deux parties ; ce qui se fait par un des joüeurs, après que celui qui a la main a mêlé. La partie qui étoit dessus se met dessous, & celle qui étoit dessous se met dessus. Il ne faut point couper une carte.

Couper la Balle, (jeu de Paume.) c’est la frapper avec la raquette inclinée ; ce qui la faisant tourner de haut en bas relativement au côté de celui qui l’a coupée, elle ne fait point de bond quand elle vient à tomber à terre, ou n’en fait que très-peu, & trompe toûjours le joüeur inexpérimenté en le faisant faux, c’est-à-dire en se jettant après le bond ou à droite ou à gauche, ou même en avant, au lieu que le bond devroit être en arriere. Cela vient de la maniere dont la balle tourne quand elle est coupée, & de la maniere dont le carreau lui fait obstacle quand elle tombe : l’obstacle qu’il lui fait quand elle est coupée, est précisément en sens contraire de celui qu’il lui feroit si elle ne l’étoit pas.

Couper les Dés, terme de Jeu ; c’est en retirant le cornet leur donner en arriere une impulsion, qui compense celle qu’ils ont reçue pour aller en avant, ensorte qu’en tombant sur la table ils y restent sans se mouvoir.

Couper, (Blason.) se dit de l’écu ; c’est le diviser en deux parties égales, par une ligne horisontale ou parallele à la fusée. Il est coupé de gueules & de sable.