L’Encyclopédie/1re édition/NITREUX, acide

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NITREUX, acide, (Chimie & Mat. méd.) L’acide nitreux est un des trois acides minéraux, c’est à-dire, un des sels primitifs, un de ceux dont les Chimistes n’ont point encore opéré la décomposition, & qui concourent, comme principes, à la formation de plusieurs composés chimiques. Voyez Sel.

Les qualités extérieures & particulieres de l’acide nitreux sont celles-ci : lorsqu’il est suffisamment concentré, il est d’un rouge plus ou moins vif, plus ou moins orangé ou pâle selon son degré de concentration ; il exhale en très-grande abondance des vapeurs de la même couleur, même par le grand froid, & au point qu’un flacon à demi plein de cette liqueur a sa partie vuide constamment & très-sensiblement remplie de ses vapeurs. Lorsqu’il est très-foible, il n’a point de couleur. Un phénomene fort singulier, c’est que si on affoiblit un acide nitreux un peu fort en y mêlant de l’eau, il devient verd sur le champ, mais cette couleur ne dure point. De l’acide nitreux assez foible pour être décoloré peut néanmoins être encore un peu fumant, & les vapeurs qu’envoie celui-ci ont encore une légere teinte rouge. Toutes ces vapeurs sont suffoquantes & d’une odeur détestable. Il est beaucoup plus pesant que l’eau ; &, malgré l’espece de volatilité annoncée par cette émission continuelle de vapeurs, il est susceptible de concentration par la distillation qui fait élever un phlegme foiblement acide, & qui retient l’acide comme plus fixe. Cet acide nitreux ainsi déphlegmé ne jette pourtant point de vapeurs, à moins qu’il ne soit agité par une chaleur considérable ; en sorte qu’il paroît que quoique l’acide nitreux jette d’autant plus de vapeurs qu’on l’a plus concentré d’avance immédiatement, par les circonstances de la distillation par laquelle on le retire du nitre ; il paroît, dis-je, que la matiere de ces vapeurs pourroit bien n’être pas une émanation pure & simple de l’acide nitreux, mais une substance un peu diverse.

Les qualités spécifiques & essentielles, ou proprement chimiques de l’acide nitreux, sont ses affinités avec diverses substances, la génération des nouveaux êtres chimiques qui résultent de sa combinaison avec ces substances, & l’ordre ou le degré de ses affinités avec ces substances par rapport aux autres acides.

L’acide nitreux se combine avec le phlogistique, & forme avec, ce soufre éminemment inflammable qui est le vrai principe de la déflagration du nitre. Voyez l’article précédent.

Il dissout l’alkali fixe, tartareux ou nitreux, & forme avec, le nitre appellé régénéré, qui n’est autre chose que le vrai nitre parfait. Voyez l’article précéd.

Il produit par sa combinaison avec l’alkali fixe, de soude ou marin, le nitre quadrangulaire ou cubique dont il a été parlé aussi dans l’article précéd.

Il compose avec l’alkali volatil le sel ammoniacal nitreux. Voyez sous le mot Sel.

Avec les terres calcaires, un sel dont les propriétés sont rapportées à l’art. Chaux. Voyez cet article.

Il dissout l’argent, le cuivre, le fer, l’étain, le plomb, le mercure, l’antimoine, le zinc, le cobhalt, le bismuth, & l’arsenic en partie, en un mot, toutes les substances métalliques excepté l’or, & même ce dernier métal d’après une expérience véritablement exposée assez obscurément dans les Mém. de Suede, par M. Brandt. Nous ne parlons pas de la platine, à cause des justes soupçons de M. Margraf contre l’opinion qui fait regarder cette matiere métallique comme une nouvelle espece de métal. Voyez avec quelles circonstances l’acide nitreux agit sur chacune de ces matieres, & quels sont les produits de ces diverses combinaisons, aux art. particuliers Argent, Cuivre, Fer, Étain, Plomb, Mercure, Bismuth, Zinc, Antimoine, Arsenic, Cobhalt ; voyez aussi Or & Platine.

L’acide nitreux concentré subit avec les huiles une effervescence violente, suivie de l’inflammation. Ce phénomene est rapporté & examiné à l’article Huile. Voyez cet article.

L’action de l’acide nitreux sur l’esprit-de-vin, la nature des principaux produits de cette réaction, savoir, une huile éthérée très-subtile, & l’esprit de nitre dulcifié, & la maniere d’obtenir ces produits sont exposés à l’article Ether nitreux. Voyez cet article.

L’acide nitreux dissout aussi le camphre, & produit avec cette substance, trop peu définie jusqu’à-présent, une liqueur singuliere connue des Chimistes sous le nom d’huile de camphre. Voyez Camphre.

L’acide nitreux foible épaissit singulierement les huiles par expression. C’est sur cette propriété qu’est fondée la préparation d’une assez puérile composition pharmaceutique, connue sous le nom de baume d’aiguilles, & qui n’est autre chose que de l’huile d’olive qu’on a fait nager sur de l’acide nitreux dissolvant actuellement quelques aiguilles, & qui a été épaissie en consistance de baume dans cette opération.

Enfin, le soufre commun, pénétré par des vapeurs d’acide nitreux, est singulierement altéré dans sa consistance ; il devient mol, ductile, flexible comme du cuir mouillé.

L’acide nitreux ne dissout point les safrans & chaux métalliques vraies, telles que le safran de Mars, le colcothar, le safran de Vénus, l’antimoine diaphorétique, &c.

L’acide nitreux n’est point inflammable par lui-même. Sa prétendue spécification par le phlogistique n’est fondée sur rien que sur la couleur de cet acide, ce qui est encore un indice bien contestable ; voyez Phlogistique. Car l’influence de l’acide nitreux dans la production des inflammations, déflagrations, détonnations, calcinations, &c. ne prouve rien pour la présence de ce principe. On explique tous ces phenomenes bien plus naturellement, plus simplement, d’après une exacte analogie, par la grande affinité de l’acide nitreux avec le phlogistique. En effet l’acide vitriolique & l’acide du sel marin, dans lesquels on ne suppose point ce principe, n’en ont pas moins une affinité plus ou moins grande avec lui, & n’en sont pas moins propres à produire avec les substances phlogistiques des mixtes & des phénomenes, par lesquels ils ne différent qu’accidentellement, seulement quant au plus & au moins de l’acide nitreux.

Voici l’ordre d’affinité des différentes substances ci-dessus mentionnées avec l’acide nitreux. Le phlogistique, le soufre, l’arsenic, l’un & l’autre alkalis fixe, l’alkali volatil, les terres absorbantes (ces deux dernieres substances se précipitent réciproquement dans diverses circonstances), le fer, le cuivre, le plomb, le mercure, l’argent. L’ordre des autres substances métalliques n’a pas été observé, du moins publié.

L’ordre d’affinité de l’acide nitreux & des autres acides à l’égard de diverses substances est celui-ci : il occupe le second rang eu égard aux sels alkalis, tant fixes que volatils, & aux terres absorbantes : l’acide vitrlolique a plus de rapport que l’acide nitreux avec tous ces corps ; mais ce dernier acide en a davantage avec ces mêmes corps, que l’acide du sel marin, que l’acide végétal, & que l’acide animal. M. Margraf rapporte dans son Mémoire sur le sel microcosmique, une expérience qui semble prouver que l’acide microcosmique a plus de rapport avec l’alkali-fixe que l’acide nitreux ; mais cette expérience n’est rien moins que décisive. Voyez Sel microcosmique.

L’acide nitreux a moins de rapport que l’acide du sel marin avec toutes les substances métalliques que l’un & l’autre de ces acides dissolvent. L’ordre de rapport de l’acide vitriolique & de l’acide nitreux avec les corps que l’un & l’autre attaquent, n’est bien constaté que sur un petit nombre de sujets ; il l’est, par exemple, sur l’argent & sur le mercure, avec lesquels l’acide vitriolique a plus de rapport qu’avec l’acide nitreux. La table de Geoffroi peut pourtant subsister assez généralement en ce point particulier qui met l’acide nitreux après l’acide marin, & l’acide vitriolique dans l’ordre des rapports des acides minéraux avec les substances métalliques, & qui le place à cet égard avant l’acide du vinaigre. Voyez Rapport & Précipitation.

L’esprit de nitre differe à quelques égards selon l’intermede qu’on a employé à sa préparation. Selon Stahl, l’acide nitreux le plus fixe est celui qu’on retire par l’intermede du bol ; celui qu’on retire avec l’alun l’est moins, mais cependant plus que celui à la distillation duquel on a employé le vitriol. Celui qu’on retire du nitre bien séché, par l’intermede de l’huile de vitriol bien concentrée, est le plus concentré, le plus pesant, le plus rutilant, le plus fumant qu’il est possible. L’acide nitreux de couleur bleue & singulierement volatil de Stahl, est préparé en distillant une demi livre de nitre pur, une livre de vitriol calciné au rouge, & trois onces de magnes arsenicalis. Voyez Vitriol & Magnes arsenicalis. L’acide nitreux, distillé avec les terres bolaires, s’appelle communément esprit-de-nitre, & celui qui est distillé avec le vitriol, eau-forte. Les acides obtenus par ces deux divers intermedes, peuvent différer réellement, selon diverses circonstances du manuel, & porter des différences dans plusieurs travaux ; mais la différence prétendue essentielle, déduite du mélange estimé infaillible d’acide nitreux & d’acide vitriolique dans l’eau-forte, est fondée sur une théorie fausse, chimérique, sur l’ignorance de la doctrine des rapports, & de la volatilité respective de l’acide vitriolique adhérant à sa base, & de l’acide nitreux dégagé.

Les usages médicinaux internes de l’acide nitreux sont fort bornés ; ou plutôt on n’emploie presque point l’acide nitreux intérieurement. Sylvius Deleboë vante pourtant l’acide nitreux, soit simple soit dulcifié, comme le plus efficace des remedes contre les vents. D’ailleurs il est assez généralement avoué qu’il ne possede que les qualités génériques des acides. On a donné la préférence, dans l’usage, aux deux autres acides minéraux, à cause de l’odeur desagréable du nitre, & plus encore à cause d’une qualité virulente que cette odeur y a fait soupçonner.

On s’en sert extérieurement avec succès & commodité pour ronger les verrues.

Il a plusieurs usages pharmaceutiques officinaux : outre cette ridicule préparation du baume d’aiguilles dont nous avons déja parlé, & de l’huile de camphre dont on a fait un remede, il concourt à la formation, & fournit même le principe vraiment médicamenteux de la pierre infernale, de l’eau mercurielle, du précipité rouge, &c. qui sont des bons corrosifs. L’onguent mercuriel citrin lui doit évidemment une bonne partie de son efficacité. Voyez Mercure, Mat. méd. On trouve dans la nouvelle Pharmacopée de Paris, sur l’esprit-de-nitre, la même inexactitude que nous avons déja relevée sur le nitre : il y est dit que l’acide nitreux entre dans le sublimé corrosif, dans le précipité blanc, &c. On aura de la peine à faire croire cela aux Apothicaires instruits à qui ce code est destiné. Voyez Mercure, Chimie, Précipitation & Rapport. (b)