L’Encyclopédie/1re édition/NUTRITION
NUTRITION, s. f. (Econom. anim.) θρέψις, nutritio, nutricatio. C’est la fonction du corps vivant, par laquelle les parties qui le composent étant continuellement susceptibles d’être enlevées les unes ou les autres, & étant séparées peu-à-peu du tout par l’action de la vie, sont renouvellées & réparées par cette même action ; ensorte que la restitution qui s’en fait par une susception intérieure des parties des alimens, qui sont analogues à celles qui forment les élemens de l’organisation, & ceux des humeurs qu’elle renferme, est entierement proportionnée dans l’état de santé, à la déperdition qui s’est faite, de ces élemens, soit pour la quantité, soit pour la qualité & pour la promptitude avec laquelle s’exécute cette réparation.
La nutrition n’est, par conséquent, pas autre chose que la conservation complette du corps animal dans toutes ses parties par rapport à la consistance & au volume qu’elles doivent avoir naturellement pour l’exercice de leurs fonctions respectives.
Le corps humain est composé de parties solides & de parties fluides : celles-ci sont les plus abondantes, comme on peut en juger 1°. par l’origine de la matiere de la nourriture, qui vient des alimens réduits à l’état de fluidité, qui est la seule forme sous laquelle ils peuvent pénétrer dans le tissu des parties où se fait la nutrition : 2°. par la quantité du sang & de la masse des humeurs. Voyez Sang, Humeur. 3°. Par le rapport que l’on trouve entre la capacité des vaisseaux & les fluides qui y sont contenus. Voyez Vaisseau. 4°. par les injections dans les cadavres. Voyez Injection Anat. 5°. par le peu de poids auquel est réduit le corps humain privé de ses fluides, l’effet de plusieurs sortes de maladie. 6°. par la distillation chimique, ou par le desséchement des corps morts. Voyez Solide, Physiol. Fibre, Econ. anim. &c.
On conçoit aisément que, puisqu’il se fait, dans tous les corps inanimés, même les plus solides & les plus brutes, une dissipation continuelle de leurs parties, par la seule action de la matiere ignée, dont ils sont tous pénétrés, à plus forte raison, une pareille dissipation doit-elle avoir lieu & d’une maniere bien plus considérable, dans les corps qui, outre cette cause commune, sont doués d’un principe de mouvement, qui tend aussi sans cesse à détruire l’assemblage des parties qui forment les corps organisés ; mais ce sont surtout les fluides contenus dans les organes, ceux qui sont aqueux principalement, qui sont le plus promptement emportés par l’effet de la chaleur animale, & du mouvement des humeurs. La transpiration sensible qui se fait par les tégumens & par les poumons est au moins de trois à quatre livres par jour (Voyez Transpiration) ; & les parties les plus grossieres de nos fluides, les plus disposées à la coagulation par l’effet du repos & du froid, sont continuellement portées à se dissoudre par le mouvement animal & la chaleur vitale, portée à 96 degrés du thermometre de Farenheit, qui est la mesure ordinaire de celle de l’homme dans l’état de santé ; effet du frottement des globules des humeurs, contre les parois des vaisseaux & de ces mêmes globules entr’eux (voyez Transpiration) jusqu’à ce qu’ils parviennent à s’atténuer, à se diviser, à se volatiliser. Voyez Mouvement, Physiolog. Circulation, Putréfaction.
On doit observer, par rapport à la dissipation du fluide animal, que l’urine elle-même en fait une grande partie, parce qu’elle n’est pas seulement composée des parties aqueuses de la boisson ou des parties extrémenticielles des alimens : il s’y trouve encore beaucoup des humeurs de l’animal, puisqu’elle a tant de disposition à se pourrir, à devenir alkaline, & qu’elle contient des parties huileuses, spiritueuses, volatiles ; on peut ajouter encore que, par la voie des selles, il sort aussi chaque jour ordinairement de la bile & du différent suc intestinal excrémenticiel à la quantité de plusieurs onces.
Toutes ces différentes sortes de dissipation des fluides du corps animal sont suffisamment prouvées par l’inspection, par la pondération & par les effets de l’exercice, du travail excessif, par ceux de la fievre, des purgatifs & de toutes les évacuations artificielles, qui produisent une diminution considérable du poids du corps, par la maigreur & le desséchement, qui sont les suites de ces déperditions excessives.
Ainsi, la dissipation continuelle des fluides du corps vivant étant suffisamment établie, il s’agit à présent d’examiner celle des parties solides : elle se démontre facilement par ses causes : en effet, les colonnes du sang, c’est-à-dire, de celui de nos fluides qui est-mû avec le plus de force & de vîtesse, étant par l’action du cœur, poussées avec impétuosité contre les courbures, les angles des vaisseaux, & les points de rétrécissement de leur cavité, contre ceux de séparation entre leurs ramifications, en écartent les tuniques, les redressent, les alongent & les mettent dans un état de distractilité, qui ne cesse avec tous les autres effets qui s’ensuivent, que lorsque la force de l’impulsion cesse elle-même, & que la force d’élasticité des fibres reprend le dessus & les remet dans l’état de flexion qui leur est naturel ; ce qui produit des efforts alternatifs qui se répetent environ cent mille fois par jour, & seroient suffisans par les frottemens qui s’ensuivent pour user des machines de bois très-dur, & même de métal.
Ainsi, il ne doit pas paroître surprenant qu’il se fasse une déperdition de parties dans les organes du corps humain, qui ne sont composés que d’une terre friable, dont les particules ne sont unies entr’elles que par la seule force de cohésion dont elles sont douées, comme le prouve la combustion des os, & même celle des cheveux, & sans perdre leur forme ; & par la matiere mucide visqueuse, qui entre dans la composition de toutes les parties solides de l’animal. Ensorte que ces parties considérées en détail ont si peu de consistence, qu’elle peut être détruite par la dissolution qu’operent la chaleur animale, la putréfaction qui les réduisent en une espece de liquament mucilagineux dans lequel il ne reste plus aucune marque d’organisation.
La dissipation des élemens de nos solides qui exige la réparation, la nutrition dans tous le cours de la vie se fait dans tous les vaisseaux de notre corps, c’est à-dire dans toutes les parties qui-le composent ; puisqu’elles ne sont toutes qu’un assemblage de vaisseaux : mais c’est sur les plus petits, qui forment la surface intérieure des grands, que portent les effets du frottement, du tiraillement, par lesquels les élemens des fibres, qui forment leurs tuniques, étant ébranlés par la répétition des chocs qu’ils éprouvent, & les fibres elles mêmes étant alongées, il se fait un écartement entre les particules terreuses & glutineuses dont elles sont formées, & il s’ensuit nécessairement une diminution dans la force de cohésion, qui unit ces élemens entr’eux ; ensorte que cette force n’est plus suffisante pour résister à l’effort, à l’abrasion, qui enleve, qui détache entierement celles des particules élementaires qui cedent le plus, & qui, ayant éprouvé le plus d’ébranlement, se trouvent le plus disposées à la solution de continuité ; & sont, en conséquence, séparées en tous sens de tous les élemens voisins, au point d’être entierement hors de la sphère d’attraction réciproque, & d’être entraînées par le torrent des fluides, avec lesquels il est un contact immédiat, de maniere qu’il se fait un vuide, une fossette à la place de la particule qui est emportée ; laquelle fossette est remplie en même tems par une autre particule analogue, fournie par l’humeur lymphatique mucide, lente, contenue dans les vaisseaux nourriciers ; ensorte que cette particule, proprement alimentaire, qui est un mélange d’élemens de terre & de gluten, se moule dans le vuide, le scrobicule de la membrane ou tunique du vaisseau simple, & ne differe de la particule qu’elle remplace, qu’en ce que la nouvelle a plus de viscosité, de force, de cohésion, n’ayant pas encore été exposée à l’action du frottement, à la chaleur animale qui subtilisent, qui volatilisent les élemens même des parties solides, & qui sont bientôt éprouver à son tour la même altération à la particule subsidiaire, comme à toute autre : ensorte qu’elle est aussi enlevée à son tour, & remplacée par une autre, ce qui se répete ainsi continuellement dans tous les points du corps, plus ou moins promptement, à proportion que les parties sont plus ou moins exposées à l’action de la vie.
On voit par-là que les corps animés ne pourroient pas subsister long-tems, s’il n’y avoit quelque chose de propre à réparer les pertes qu’ils sont continuellement, puisque dans toute leur étendue il n’y a pas une seule partie qui ne perde quelque chose à chaque instant.
Cette déperdition est très-considérable pendant les premieres années de la vie, que toutes les parties solides sont plus molles, & qu’elles sont plus en mouvement : elle diminue à proportion qu’on avance en âge ; mais il s’en fait toujours : ensorte que pendant l’enfance & la jeunesse, la dissipation est proportionnée à la quantité de matiere mucilagineuse, qui abonde alors dans la masse des humeurs pour fournir celle de la nutrition : la quantité de la dissipation, comme celle de cette matiere, diminue de plus en plus, à mesure qu’on avance en âge, que toutes les parties solides acquierent plus de consistence, & tendent presque toutes à l’ossification. Voy. Vieillesse.
Ce n’est pas dans le même tems qu’il est enlevé des parties élémentaires de tous les points de la fibre par les frottemens, par les chocs qu’éprouvent les solides de notre corps ; chacune de ces parties se trouvant douée respectivement d’une force de cohésion un peu différente, eu égard au plus ou moins d’efforts qu’elle a essuyés, qui tendent à détruire cette force, c’est-à dire, à la surpasser & la rendre nulle, résiste plus ou moins a ces efforts, par lesquels elle doit être tôt ou tard séparée du tout qu’elle compose, selon que cette force est plus ou moins considérable, à proportion que cet effort est plus ou moins violent, & que l’organe dans le tissu duquel il se fait a plus ou moins de consistence.
C’est dans l’intérieur des grands vaisseaux où le mouvement des humeurs, leur choc contre les parois sont les plus considérables, que se fait en conséquence l’enlevement des parties élémentaires des solides, c’est-à-dire, des élémens des fibres qui forment les membranes extrèmement déliées des vaisseaux simples, dont l’assemblage compose les tuniques, & conséquemment les surfaces intérieures de ces grands vaisseaux.
Mais ce ne peut être que dans les petits vaisseaux simples, qui forment les tuniques des grands vaisseaux, que peut se préparer & s’opérer la répartition des particules enlevées, parce que les humeurs contenues dans ces petits vaisseaux étant très éloignées du principe d’impulsion, & ayant eu dans leur cours une infinité de résistances à surmonter, leur mouvement progressif, qui ne subsisteroit plus dans les derniers vaisseaux, sans l’action que leur donne vraissemblablement l’irritabilité dont ils sont doués, ce mouvement ne peut au moins qu’être très petit, & favoriser conséquemment l’application des particules destinées à remplacer par intus-susception celles qui ont été emportées au-dehors de ces vaisseaux simples ; ensorte que comme c’est l’effort qui se fait à la surface extérieure de ces petits vaisseaux qui forme l’intérieur des grands, que l’on doit regarder comme étant la cause qui tend continuellement à détruire toute la consistance des solides, la lenteur du mouvement des humeurs dans les vaisseaux simples, concourt à opérer l’intus-susception des particules nourricieres qui s’oppose à cette destruction, en tant que la force d’attraction & de cohésion dont elles sont susceptibles d’éprouver les effets de la part des parois des serobicules ou cavités formées par l’enlevement des particules élémentaires, l’emporte sur le peu de force d’impulsion qui leur reste pour être portées plus avant dans leurs propres vaisseaux, ou même la simple force de suction, semblable à celle des tubes capillaires ou des racines des plantes, peut suffire vraissemblablement pour conserver le cours des fluides contenus tant qu’ils restent sous cette forme.
Il n’y a d’ailleurs que les parties surabondantes du suc nourricier qui ne sont pas employées à leur destination, qui arrivent à l’extrémité des arteres nevro-lymphatiques, qui sont les véritables vaisseaux nourriciers, pour être reportées dans la masse des humeurs par les veines correspondantes, tandis que les particules enlevées des parois des grands vaisseaux sont entraînées dans le torrent de la circulation, où elles se mêlent au sang & aux autres humeurs, comme parties redevenues susceptibles d’entrer dans la composition des fluides du corps animal ; mais d’une maniere qui les rend impropres à former de bonnes humeurs. La chaleur & le frottement qui la produit, dont elles ont éprouvé les effets, les ayant fait dégénérer, en leur faisant contracter une qualité lixivielle, qui ne les dispose qu’à se méler à la partie excrémenticielle de la masse des humeurs, avec laquelle elles ont le plus d’analogie, à être séparées de cette masse par les vaisseaux propres, à les attirer, à les recevoir, pour être rejettées hors du corps par les organes destinés à cet effet.
D’où il suit que les alimens ou les corps destinés à fournir la nourriture de l’animal, étant la plûpart sous forme solide, ne contribuent à leur destination, qu’après avoir passé sous forme fluide dans la masse des humeurs, par l’extrait qui se fait de la matiere alimentaire dans les premieres voies sous le nom de chyle, lequel est encore un assemblage grossier de parties hétérogenes, parmi lesquelles se trouvent la véritable matiere de la nutrition, qui ne se développe & n’est suffisamment préparée, atténuée, qu’après avoir souffert différentes élaborations, d’abord sous la forme de sang, ensuite sous celle de lymphe, qui se subtilise & s’évapore de plus en plus, en passant par différentes filieres de vaisseaux toujours plus petits & toujours moins composés, jusqu’à ce qu’il soit parvenu à la derniere division des vaisseaux, qui sont ceux dans la composition desquels il n’entre que des fibres simples, élementaires, formées par conséquent de particules plastiques, de la même nature que le fluide qu’ils contiennent, qui a toutes les qualités requises pour entrer dans la composition des fibres simples, dont sont formées toutes les parties solides, tous les organes, qui n’en sont que des aggrégés.
Ainsi l’extrait des alimens devenu un fluide, qui conserve cette forme pour passer en masse par différentes élaborations, redevient solide en détail, en parvenant à sa destination principale, qui est de nourrir le corps, en formant ou réparant ses parties solides, pour reprendre ensuite de nouveau sa fluidité, lorsqu’il ne forme plus que les débris de ces mêmes solides, dans la composition desquels il étoit entré par l’action de la vie, & dont il a été tiré par l’effet de cette même action : ensorte que par une admirable disposition de la machine humaine, le principe de la vie, qui est en même tems inévitablement un principe de destruction, prépare aussi & opere en même tems ce qui est nécessaire pour corriger ce mauvais effet, & devient par ce moyen un principe de conservation, tant que l’état de santé se soutient & entretient les dispositions nécessaires pour ce principe, parce que ce n’est que du concours de toutes les fonctions, dont l’exercice est bien réglé & se fait bien naturellement, que résultent les conditions pour une bonne nutrition.
Voilà ce qui paroît pouvoir être dit de plus vraissemblable & de plus conforme, à ce que l’on connoît des opérations de l’œconomie animale, relativement à l’organisme & au mechanisme de la nutrition, qui, au reste, a toujours été regardée comme un des plus grands mysteres de la nature, & qui a conséquemment fourni matiere, ou au moins donné lieu aux hypotheses (en trop grand nombre, & dont l’exposition seroit trop longue, même en précis, pour trouver place ici), que les physiologistes ont proposées pour tenter de deviner le secret que la nature semble jusqu’à présent s’être réservé à cet égard : ensorte que les moyens dont elle se sert pour la conservation des individus, ne sont pas moins cachés, que ceux qu’elle emploie pour la conservation de l’espece. Voyez Génération.
Les lumieres de la théorie ne peuvent donc qu’être extrèmement bornées, lorsqu’on est réduit à conjecturer sur les causes & les effets physiques qui se dérobent à nos sens, comme il en est de l’opération dont il s’agit : mais il est presqu’aussi avantageux d’avouer simplement notre ignorance à cet égard, & la difficulté de la dissiper, comme à l’égard de toutes les autres premieres causes physiques, telles que la gravitation, l’attraction, l’elasticité, &c. pour épargner des recherches, qui, après tout, sont fort inutiles, puisque les principes de ces objets étant bien connus, n’en seroient pas plus susceptibles de modification de notre part, & que d’ailleurs il reste toujours impossible de porter jusqu’à la démonstration l’explication de pareils effets.
Tout ce qu’il y a de plus certain sur la nature de la matiere de la nutrition, & qu’il importe de savoir, c’est que toutes les parties solides des animaux, les os même comme les chairs, dont on fait la décoction dans la machine de Papin, se dissolvent entierement & se réduisent en un suc qui paroit homogene, gélatineux & diaphane ; d’où on peut conclure, que ce qui forme principalement le corps de l’animal, est ce qui résulte constamment & également de toutes ses parties ; que c’est par conséquent un fluide mucide qui fournit les élémens des fibres & les matériaux de tous les organes.
On observe que les premiers rudimens des animaux sont formés d’un suc lymphatique de la nature du blanc d’œuf, & que les embryons mis dans de l’eau tiede, se liquéfient & se changent entierement en une matiere visqueuse, diaphane, d’où on peut inférer avec fondement que la matiere dont les animaux sont engendrés, sont formés originairement, doit aussi être conséquemment celle de leur nutrition.
Ainsi il paroît que l’on peut assurer que la partie mucilagineuse la plus fine des matieres destinées à notre nourriture, qui sont portées dans la masse des humeurs & qui y éprouvent différentes élaborations, est le véritable suc nourricier : c’est pour quoi l’on observe que dans les animaux robustes, vigoureux, le sang est fort chargé de parties gélatineuses, & qu’au contraire il ne se trouve presque point de parties concrescibles dans le sang des animaux qui périssent par le défaut d’alimens ou par le marasme, qui provient de ce que le sang n’est pas propre à fournir le suc nourricier.
Ce n’est cependant pas la partie rouge du sang qui sert à la nutrition non plus que le chyle, dans lesquels il ne se trouve point de parties gélatineuses bien travaillées, bien développées. Ces fluides operent la réplétion des vaisseaux, réparent par conséquent la perte des fluides, qui se dissipent continuellement. Ils fournissent aussi plus ou moins les sucs huileux qui forment la graisse, qui contribuent par conséquent à augmenter le volume du corps ; mais ils n’ont pas les qualités nécessaires pour nourrir immédiatement les parties qui les contiennent, pour entrer dans leur composition intime, & être changées en la propre substance de l’animal, en ce qui fait la matiere de ses parties solides, des fibres qui forment toute son organisation : ils sont trop grossiers pour pouvoir pénétrer dans les différentes divisions de filieres, par lesquelles cette matiere doit être filtrée, subtilisée avant d’être propre à remplir sa destination.
Il suit donc que puisque la véritable matiere de la nutrition est un suc gélatineux, les alimens qui contiennent le plus de matiere mucide, de cette matiere qui est regardée par un des plus ardens scrutateurs de la nature, le célebre Néedham, & par le savant auteur de l’histoire naturelle moderne, M. de Buffon, comme un composé de molécules organiques, sont les plus propres à réparer les pertes du corps animal, & à servir à sa conservation individuelle ; au lieu que les matieres que l’on prend pour se nourrir, qui contiennent peu de suc gélatineux, ne fournissent que très-peu de suc nourricier, & sont par conséquent très-peu propres pour la nourriture : ainsi les chairs des jeunes animaux, comme les poulets, les agneaux, les veaux, celles des bœufs, des moutons, de la volaille ; les œufs, le lait, les extraits de ces différentes matieres alimentaires faits par décoction ou de toute autre maniere qui peut séparer en plus grande abondance les sucs gélatineux mucides des parties fibreuses terreuses qui les contiennent, comme une éponge chargée d’eau, & forment la partie inutile, inerte, non alimentaire ; en un mot des corps dans la nature destinés à fournir la matiere de la nutrition, sont les substances les plus propres à fournir une bonne nourriture, à réparer le sang & les autres humeurs d’où se tire le suc nourricier ; lorsqu’il s’est fait une grande déperdition de ces différentes humeurs par maladie ou par toute autre cause ; c’est par le défaut de matiere mucide, gélatineuse, c’est-à-dire, par le peu qu’en contiennent les substances végétales, qu’elles sont très peu propres en général, excepté leurs semences, à fournir une bonne nourriture. Ce sont les plantes succulentes, à fleurs cruciformes, dont la partie mucide est la plus analogue à celle des animaux & abonde le plus, qui, de tous les végétaux sont employés avec le plus d’avantage pour fournir la matiere de la nutrition.
En recherchant plus particulierement la nature de cette matiere, il paroît qu’on doit la regarder comme homogene, & d’une qualité égale, similaire dans toutes les parties où elle est distribuée & mise en œuvre pour sa destination ; ensorte qu’elle ne differe dans ses effets, que par la figure, l’organisation même de la partie, à la nutrition de laquelle elle est employée. Cette qualité de la matiere nourriciere, Galien l’appelloit douce ; ce qui ne signifie autre chose dans le sens d’Hippocrate, qu’une qualité tempérée, dans laquelle rien ne domine, rien n’est irritant, & pour ainsi dire, altérant. Cependant il paroît, selon les observations d’un savant physicien chimiste, M. Venel, professeur à Montpellier, que la plus grande partie des alimens, & les meilleurs, renferment dans leur substance nourriciere, une sorte de sel qu’il appelle microcosmique, c’est-à-dire, animal, qui venant à se développer à force d’élaborations dans les différens vaisseaux par où elle est filtrée, sert à aiguiser le suc nourricier parvenu dans les dernieres filieres de ses propres vaisseaux, & à donner de l’activité aux fibres élémentaires de l’organisation : ce qui peut contribuer beaucoup à différens phénomenes de l’économie animale. Voyez Sel, Animal, Irritabilité.
Ne pourroit-on pas ajouter en passant, à l’occasion du sel animal dont il vient d’être fait mention comme propre à favoriser la faculté irritable des solides, que ce peut être aussi ce mixte qui, étant trop développé ou trop abondant, excite avec excès cette propriété des solides dans plusieurs maladies inflammatoires, dans les fievres lentes, hectiques, dans les cacochimies chaudes, rhumatismales, arthritiques, cause une crispation dans les vaisseaux nevro lymphatiques, qui ne permet plus la distribution du suc nourricier, le fait refluer dans la masse du sang où il fournit la matiere plastique, concrescible, qui forme la coëne que l’on voit souvent dans les maladies se former sur la surface du sang qui est tiré par la saignée, où il est si dominant dans la masse des humeurs, qu’il détruit la consistence, la viscosité nécessaire au suc nourricier, qui revient par-là trop fluxile & susceptible de se dissiper, en se mêlant à la sérosité excrémenticielle, qui forme la matiere de la transpiration & des urines, ou qui prend son cours quelquefois par la voie des selles, ou qui se répand sur la masse dans quelques cavités sans issue, d’où s’en suivent la maigreur, le desséchement, qui résultent presque toujours de ces évacuations ou de ces hydropisies colliquatives.
Ne peut-on pas dire encore que, comme la qualité mucilagineuse balsamique des humeurs dans les premiers tems de la vie (d’où par conséquent celle du suc nourricier) favorise l’accroissement, la qualité saline ammoniacale que contractent de plus en plus les humeurs à mesure qu’on avance en âge, établissent peu à peu l’espece de cacochimie naturelle qui opere tous les mauvais effets de la vieillesse, pareils à ceux qui produisent la plûpart des maladies dont on vient de parler, dont le principal effet est aussi de procurer, pour ainsi dire, une vieillesse anticipée ?
Quoi qu’il en soit, de ces conjectures qui ne paroissent pas sans utilité, ni déplacées dans cet article, il reste au moins certain que le suc nourricier est de toutes les humeurs du corps humain, celle qui est la plus animale, puisqu’elle est la seule qui puisse se changer en la propre substance de l’animal, par l’analogie qu’elle a acquise avec les élémens qui le composent, par la qualité plastique que lui ont donnée les plus grandes élaborations qui puissent s’operer dans le corps animal, qui la font passer par le dernier degré d’atténuation, de coction possibles dans cette machine vivante, pour la séparer de tout ce qui lui est étranger ; mais de façon qu’à mesure qu’elle acquiert la plus grande fluidité pour pénétrer dans les filieres les plus fines que l’on puisse concevoir, elle devient par sa nature mucilagineuse & par la lenteur de son mouvement de plus en plus disposée à la concrétion.
On a cru que le fluide des nerfs se mêle au suc nourricier, parce que toutes les grandes évacuations qui sont suivies de la maigreur, de l’exténuation, sont aussi accompagnées de beaucoup de foiblesse ; mais 1°, la qualité des fluides dont il s’agit, n’a aucune analogie, est entierement opposée, parce que celui des nerfs ne peut être composé de parties mucilagineuses, mais huileuses, sulphureuses, électriques, & doit avoir par conséquent, par sa nature & par sa destination, le plus grand éloignement à devenir concrescible comme le fluide nerveux. 2°. L’effet qui vient d’être allégué, peut être attribué tout simplement à ce que les évacuations dissipent la matiere du fluide nerveux, comme celle de la nutrition ; d’où suit le relâchement des nerfs, qui ne doivent leur ressort qu’au fluide qu’ils contiennent ; d’où s’ensuit que lorsque ce ressort manque dans le genre nerveux en général, ou à l’égard d’une partie quelconque, le suc nourricier, en conséquence, n’est point préparé & distribué dans les vaisseaux avec les qualités convenables.
Il en est de même lorsque la circulation du sang est distribuée dans une partie, comme par la ligature d’une artere, d’un nerf, ou par la paralysie : ces différentes lésions nuisent considérablement au méchanisme & à l’organisme de la nutrition, par l’action affoiblie, empêchée des solides de cette partie, & le déréglement dans le mouvement d’impulsion des fluides qui doivent y être distribués ; ce qui donne lieu à ce que la nutrition est plus ou moins imparfaite, & que la maigreur, le desséchement, ou la bouffissure, & le relâchement des fibres musculaires succedent dans les parties viciées ; ce qui est plus sensible encore dans les plaies de ces parties, où il ne se forme que de mauvaises chairs fongueuses, blaffardes, qui ne peuvent jamais former une bonne cicatrice.
L’excès dans l’évacuation de la liqueur séminale par l’exercice vénérien, par la répétition trop fréquente des pollutions involontaires, des pollutions nocturnes occasionnées par des rêves & par toute autre cause que ce puisse être, mais sur-tout par la mastupration, est une des causes des plus considérables & des plus communes du défaut de nutrition & de l’épuisement qui s’en suit ; parce que cette liqueur véritablement analogue au suc nourricier, par sa qualité mucilagineuse, plastique, & par l’élaboration qu’elle éprouve, étant d’ailleurs destinée en grande partie à être repompée dans la masse des humeurs, est un des principaux moyens que la nature employe pour entretenir la sensibilité, l’irritabilité convenables dans toutes les parties solides des mâles ; ce qui contribue le plus à établir la force, la robusticité qui les distinguent entre les deux sexes : effet que l’on peut encore attribuer au sel animal, dont la liqueur séminale doit être imprégnée, tout comme le suc nourricier, eu égard au rapport de ces deux fluides entr’eux. Voyez Semence, Irritabilité.
Le spasme, le resserrement des nerfs qui gênent le cours des humeurs dans une partie quelconque, en y empêchant conséquemment la distribution du suc nourricier, nuisent aussi beaucoup à la nutrition, & peuvent causer la maigreur, le desséchement des parties affectées.
L’exercice violent, le travail forcé, la fievre & toute agitation excessive du corps & d’esprit, doivent être aussi rangés parmi les causes qui peuvent le plus contribuer à altérer la qualité du suc nourricier, en détruisant sa qualité concrescible, plastique, en le volatilisant & le disposant à se dissiper sans remplir convenablement sa destination. Par la raison du contraire, le défaut d’exercice, d’action des organes du mouvement animal, produit un embonpoint excessif, qui dépend cependant beaucoup plus de la réplétion des vaisseaux adipeux & des cellules graisseuses, que d’un excès de nutrition proprement dite, qui ne se fait même jamais parfaitement dans ce cas, & ne produit que des fibres lâches, des chairs molles, par le défaut d’élaboration suffisante ou suc nourricier.
Dans les premiers tems de la vie, les fluides prédominent sur les solides qui sont alors très-flexibles, & pour ainsi dire ductiles. Les vaisseaux cedent aisément aux efforts des parties contenues ; ils sont susceptibles d’une dilatation toujours plus considérable ; ils s’étendent & s’alongent de plus en plus, ce qui exige une nutrition plus abondante que n’est alors la déperdition de substance par l’action de la vie, c’est ce qui forme l’accroissement. Voyez Accroissement.
Dans un âge avancé, au contraire, les solides qui perdent peu-à-peu presque toute leur flexibilité, qui n’ont plus de ductilité, cedent difficilement à l’effort des fluides, se condensent de plus en plus ; ensorte que les fibres de toutes les parties, bien loin de s’alonger & de s’étendre, ne permettent pas même que la réparation soit proportionnée aux pertes que font continuellement les solides ; elles se raccornissent, les vaisseaux s’obliterent, se raccourcissent, & donnent lieu à un véritable décroissement, qui dépend principalement de ce que la contraction des vaisseaux l’emporte sur la force d’impulsion & de dilatation de la part des fluides. Voyez Décroissement.
Pour un plus grand détail sur tout ce qui a rapport à la nutrition, voyez principalement la physiologie de M. de Senac, connue sous le titre, Essai de physique sur l’anatomie d’Heister ; le Commentaire de la physiologie de Boerhaave, de l’édition du baron de Haller, & la physiologie même de ce savant auteur, qui n’a point encore paru en entier, mais dont les premiers volumes font désirer les derniers avec le plus grand empressement.
Nutrition, (Jardinage.) se dit des végétaux qui profitent beaucoup ; ce qui contribue le plus à cette nutrition, ce sont les labours & les engrais que l’on donne à la terre.
Les vrais principes de la nutrition des plantes sont les pluies, la rosée, les parties nitreuses de l’air, les sels de la terre fermentés par les feux souterrains, & secondés de l’ardeur du soleil.