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ne pas dire impossible, de prononcer l’articulation que les Allemands représentent par ch, qu’eux-mêmes ont peine à prononcer notre u qu’ils confondent avec notre ou ; que les Chinois ne connoissent pas notre articulation r, &c. Les élémens de la voix usités dans une langue, ne sont donc pas toûjours les mêmes que ceux d’une autre ; & dans ce cas les mêmes lettres ne peuvent pas y servir, du moins de la même maniere ; c’est pourquoi il est impossible de faire connoître à quelqu’un par écrit, la prononciation exacte d’une langue étrangere, sur-tout s’il est question d’un son ou d’une articulation inusitée dans la langue de celui à qui l’on parle.

Il n’est pas plus possible d’imaginer un corps de lettres élémentaires qui soient communes à toutes les nations ; & les caracteres chinois ne sont connus des peuples voisins, que parce qu’ils ne sont pas les types des élémens de la voix, mais les symboles immédiats des choses & des idées : aussi les mêmes caracteres sont-ils lûs diversement par les différens peuples qui en font usage, parce que chacun d’eux exprime selon le génie de sa langue, les différentes idées dont il a les symboles sous les yeux. Voyez Écriture chinoise.

Chaque langue doit donc avoir son corps propre de lettres élémentaires ; & il seroit à souhaiter que chaque alphabet comprît précisément autant de lettres qu’il y a d’élémens de la voix usités dans la langue ; que le même élément ne fût pas représenté par divers caracteres ; & que le même caractere ne fût pas chargé de diverses représentations. Mais il n’est aucune langue qui jouisse de cet avantage ; & il faut prendre le parti de se conformer sur ce point à toutes les bisarreries de l’usage, dont l’empire après tout est aussi raisonnable & aussi nécessaire sur l’écriture que sur la parole, puisque les lettres n’ont & ne peuvent avoir qu’une signification conventionnelle, & que cette convention ne peut avoir d’autre titre que l’usage le plus reçu. Voyez Orthographe.

Comme nous distinguons dans la voix deux sortes d’élémens, les sons & les articulations ; nous devons pareillement distinguer deux sortes de lettres, les voyelles pour représenter les sons, & les consonnes pour représenter les articulations. Voyez Consonne, son. (Gramm.) Voyelle, H, & Hiatus. Cette premiere distinction devoit être, ce semble, le premier principe de l’ordre qu’il falloit suivre dans la table des lettres ; les voyelles auroient dû être placées les premieres, & les consonnes ensuite. La considération des différentes ouvertures de la bouche auroit pu aider la fixation de l’ordre des voyelles entre elles : on auroit pu classifier les consonnes par la nature de l’organe dont l’impression est la plus sensible dans leur production, & régler ensuite l’ordre des classes entre elles, & celui des consonnes dans chaque classe par des vûes d’analogie. D’autres causes ont produit par-tout un autre arrangement, car rien ne se fait sans cause : mais celles qui ont produit l’ordre alphabétique tel que nous l’avons, n’étoient peut-être par rapport à nous qu’une suite de hasards, auxquels on peut opposer ce que la raison paroît insinuer, sinon pour réformer l’usage, du moins pour l’éclairer. M. du Marsais désiroit que l’on proposât un nouvel alphabet adapté à nos usage présens, (Voyez Alphabet), débarrassé des inutilités, des contradictions & des doubles emplois qui gâtent celui que nous avons, & enrichi des caracteres qui y manquent. Qu’il me soit permis de poser ici les principes qui peuvent servir de fondement à ce système.

Notre langue me paroit avoir admis huit sons fondamentaux qu’on auroit pu caractériser par autant de lettres, & dont les autres sons usités sont déri-

vés par de légeres variations : les voici écrits selon

notre orthographe actuelle, avec des exemples où ils sont sensibles.

a, Comme dans la premiere syllabe de cadre ;
ê, tête ;
é, lésard ;
i, misère ;
eu, meunier ;
o, poser ;
u, humain ;
ou, poudre.

Il me semble que j’ai arrangé ces sons à peu-près selon l’analogie des dispositions de la bouche lors de leur production. A est à la tête, parce qu’il paroît être le plus naturel, puisque c’est le premier ou du moins le plus fréquent dans la bouche des enfans : je ne citerai point en faveur de cette primauté le verset 8. du ch. j. de l’Apocalypse, pour en conclure, comme Wachter dans les prolégomenes de son Glossaire germanique, sect. 11. §. 32, qu’elle est de droit divin ; mais je remarquerai que l’ouverture de la bouche nécessaire à la production de l’a, est de toutes la plus aisée & celle qui laisse le cours le plus libre à l’air intérieur. Le canal semble se retrécir de plus en plus pour les autres. La langue s’éleve & se porte en avant pour ê ; un peu plus pour é ; les mâchoires se rapprochent pour i ; les levres font la même chose pour eu ; elles se serrent davantage & se portent en avant pour o ; encore plus pour u ; mais pour le son ou, elles se serrent & s’avancent plus que pour aucun autre.

J’ai dit que les autres sons usités dans notre langue dérivent de ceux-là par de legeres variations : ces variations peuvent dépendre ou du canal par où se fait l’émission de l’air, ou de la durée de cette émission.

L’air peut sortir entierement par l’ouverture ordinaire de la bouche, & dans ce cas on peut dire que le son est oral ; il peut aussi sortir partie par la bouche & partie par le nez, & alors on peut dire que le son est nasal. Le premier de ces deux états est naturel, & par conséquent il ne faudroit pour le peindre, que la voyelle même destinée à la représentation du son : le second état est, pour ainsi dire, violent, mais il ne faudroit pas pour cela une autre voyelle ; la même suffiroit, pourvu qu’on la surmontât d’une espece d’accent, de celui, par exemple, que nous appellons aujourd’hui circonflexe, & qui ne serviroit plus à autre chose, vû la distinction de caractere que l’on propose ici. Or, il n’y a que quatre de nos huit sons fondamentaux, dont chacun puisse être ou oral, ou nasal ; ce sont le premier, le troisieme, le cinquiéme & le sixieme. C’est ce que nous entendons dans les monosyllabes, ban, pain, jeun, bon. Cette remarque peut indiquer comment il faudroit disposer les voyelles dans le nouvel alphabet : celles qui sont constantes, ou dont l’émission se fait toujours par la bouche, feroient une classe ; celles qui sont variables, ou qui peuvent être tantôt orales & tantôt nasales, feroient une autre classe : la voyelle a assure la prééminence à la classe des variables ; & ce qui précede fixe assez l’ordre dans chacune des deux classes.

Par rapport à la durée de l’émission, un son peut être bref ou long ; & ces différences, quand même on voudroit les indiquer, comme il conviendroit en effet, n’augmenteroient pas davantage le nombre de nos voyelles : tout le monde connoît les notes grammaticales qui indiquent la brieveté ou la longueur. Voyez Breve.

Si nous voulons maintenant fixer le nombre & l’ordre des articulations usitées dans notre langue, afin de construire la table des consonnes qui pourroient entrer dans un nouvel alphabet ; il faut con-