Phonétique d’un parler irlandais de Kerry/2-1

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Deuxième partie. Le système vocalique.
Chapitre I. — Glides. Rapports des consonnes et des voyelles




Deuxième partie


Le système vocalique





Chapitre I
Glides
Rapports des consonnes et des voyelles

§ 92. La voyelle est unie à la consonne qui la suit par jonction étroite (fester Anschluss), quelles que soient par ailleurs les condi­tions d’accen­tuation, de quantité ou de sylla­bation.

§ 93. L’oppo­sition qui domine le système conso­nantique du parler, celle des vélaires et des palatales, domine également les rapports des consonnes et des voyelles, et se trouve réfléchie dans le système vocalique. Là réside sans doute la prin­cipale origi­nalité de ce parler au point de vue phoné­tique.

En effet, dans les langues où les carac­tères de sonorité, d’ouverture, etc., déter­minent les princi­pales opposi­tions caracté­ristiques du conso­nantisme (oppo­sition entre sourdes et sonores, entre occlu­sives et spirantes), ces opposi­tions ne sauraient se retrouver dans le vocalisme, qui reste ainsi largement indé­pendant du conso­nantisme : une voyelle, étant par défi­nition un phonème sonore et relative­ment ouvert, ne peut être affectée considé­rable­ment par le caractère sourd ou sonore, spirant ou occlusif, des consonnes voisines. Au contraire la nasalité, par exemple, est un caractère qui peut être commun aux voyelles et aux consonnes : aussi la nasali­sation est-elle une des formes les plus fré­quentes dans les diverses langues de l’influence exercée par les consonnes sur les voyelles environ­nantes.

De même, les carac­tères palatale et vélaire, définis par une position linguale avancée ou rétractée, jointe au soulève­ment de la partie anté­rieure ou posté­rieure du dos de la langue, sont-ils communs aux voyelles et aux consonnes. La rencontre d’une voyelle et d’une consonne soulève donc des problèmes variés, selon que la position linguale (vélaire ou palatale) est fondamen­tale­ment la même pour la voyelle et pour la consonne, ou qu’elle diffère plus ou moins. Certaines combi­naisons sont actuelle­ment possibles, d’autres ne se rencon­trent pas, d’autres donnent lieu au développe­ment de sons inter­médiaires (glides).

§ 94. On sait que l’oppo­sition vélaire-palatale, que présente le conso­nantisme, joue un rôle essentiel tant dans la morpho­logie que dans le vocabu­laire du parler. La tendance est donc de préserver et de renforcer le caractère vélaire ou palatal d’une consonne, en effec­tuant l’élévation caracté­ristique de la langue avant même que commence l’implosion de la consonne, et en la main­tenant jusqu’à ce que l’explosion soit complétée, ou même légère­ment après : le résultat acous­tique diffère selon que les voyelles précé­dentes et suivantes compor­tent une position linguale analogue ou opposée à celle qu’exige la consonne. Dans le dernier cas, c’est-à-dire là où une consonne vélaire se trouve en contact avec une voyelle d’avant, ou, inverse­ment, une consonne palatale avec une voyelle d’arrière, on entend, avant l’implosion ou après l’explosion, un son inter­médiaire, un glide.

§ 95. Le glide d’implosion (on-glide) d’une consonne vélaire est un son vocalique ultra-bref d’arrière de timbre obscur : ə ; celui d’une consonne palatale est un son vocalique ultra-bref d’avant de timbre obscur : ɩ. Ces glides sont d’autant plus déve­loppés que l’implosion est plus audible, c’est-à-dire davantage pour une consonne implosive (finale ou devant consonne, cf. § 251) que devant une consonne explosive. Nous avons négligé de rendre cette nuance dans la tran­scription.

Le glide d’explosion (off-glide) d’une consonne vélaire est une demi-voyelle d’arrière (appendice vélaire) : w ; celui d’une consonne palatale est une demi-voyelle d’avant : j.

§ 96. Les glides ne sont pas également déve­loppés après ou avant n’importe quelle consonne de la série vélaire : c’est ainsi que, comme il a été signalé (§ 23) les dentales vélaires ne sont pas assez véla­risées pour déve­lopper un glide vélaire w. De même (§§ 71, 73, 81 et 84), r et s sont souvent trop faible­ment vélarisés, et ʃ trop faible­ment palata­lisés, pour déve­lopper des glides nets.

Les glides implosifs n’appa­raissent qu’après voyelles longues ; c’est le timbre même de la voyelle brève qui est modifié, dans les condi­tions où, si la voyelle était longue, un glide apparaî­trait à la fin. Les rapports des consonnes avec les voyelles ne sont donc pas les mêmes selon qu’il s’agit de voyelles longues ou brèves.

Rapport des consonnes avec les voyelles longues

§ 97. En principe, une consonne peut être suivie ou précédée d’une voyelle longue d’un timbre quel­conque.

Cependant, ɑ꞉ est d’ordinaire légère­ment avancé après une consonne palatale : fʲɑ꞉r, ou a꞉r (fearr) « meilleur » (cf. § 189).

Entre consonnes palatales, c’est u꞉, non ᴜ꞉, qu’on a (cf. § 165).

Après consonne vélaire, on a ɪ꞉, non i꞉ (cf. § 138).

§ 98. Une consonne palatale ne développe un j que devant voyelle longue d’arrière : gʲɑ꞉rkəχ (gearrcach) « oison » ; bʲo꞉ (beó) « vivant » ; pʲᴜ꞉nt (pionnt) « pinte » ; mais : bʹi꞉nʹ (binn) « mélodieux » ; kʹe꞉lʹɩ (céile) « compagnon, mari ».

§ 99. Une consonne palatale ne développe un i qu’après voyelle longue d’arrière : ə χɑ꞉ⁱtʹ (a Cháit) « Kate ! » ; bro꞉ⁱgʹ (bróig), dat. de bro꞉g (bróg) « soulier » ; le glide est sensible­ment moins développé dans le génitif bro꞉ⁱgʹɩ (bróige) parce que le g est explosif ; kᴜ꞉ⁱlʹ (cúil) « coin, recoin » ; mais bʹrʹe꞉gʹɩ (bréige), gén. de bʹrʹì꞉ag (bréag) « mensonge » ; tɪ꞉dʹɩ (taoide) « flux ».

§ 100. Une consonne vélaire ne développe un w que devant voyelle longue d’avant : kʷi꞉nʹ (caoin) « charmant » ; gʷᴇ̈꞉h (gaoth) « vent » ; mʷᴇ̈꞉ᵊl (maol) « chauve », mais gɑ꞉ (gádh) « bénéfice » ; mo꞉ⁱdʹɩ (móide) « parole » ; dᴜ꞉ⁱlʹ (dúil) « désir ».

Avec appendice non développé : rᴇ̈꞉ᵊbə (raobadh) « gratter, déchirer » ; sᴇ̈꞉əl (saoghal) « ciel » ; tᴇ̈꞉ᵊsg̬ (taosc) « jet ».

§ 101. Une consonne vélaire ne développe un ə qu’après voyelle longue d’avant, non après voyelle longue d’arrière : nɪ꞉ᵊntə (naoidh­eanta) « net, propre » ; dʹi꞉ᵊl (díol) « vendre » ; ʃi꞉əs, ou ʃi꞉s (síos) « en bas » ; tʹe꞉ᵊn (téigheann) « il vient » ; kʷᴇ̈꞉ᵊχ (caoch) « aveugle » ; gʷᴇ̈꞉ᵊl (gaol) « parenté », mais : kᴜ꞉ (cú) « lévrier » ; glo꞉r (glór) « bruit » ; o꞉g (óg) « jeune » ; bɑ꞉r (barr) « sommet ».

§ 102. Ce fait (très net dans le cas des voyelles longues), que les consonnes palatales déve­loppent des glides au contact des voyelles d’arrière, de même que les consonnes vélaires au contact des voyelles d’avant, peut aussi s’exprimer sous la forme : une voyelle qui, mise en contact avec une consonne palatale, provoque l’insertion d’un glide, est une voyelle d’arrière une voyelle qui, mise en contact avec une consonne vélaire, provoque l’insertion d’un glide, est une voyelle d’avant. La voyelle notée ᴇ̈꞉ apparaît donc comme appa­rentée aux voyelles d’avant : le même principe peut guider dans la classi­fication, assez délicate, des voyelles brèves.

Rapports des consonnes avec les voyelles brèves

§ 103. Une consonne ne peut pas être suivie ou précédée d’une voyelle brève quel­conque ; au contraire, le timbre d’une voyelle brève est plus ou moins rigoureu­se­ment déterminé en fonction de la qualité vélaire ou palatale des consonnes suivantes et précé­dentes.

Soit le cas d’une voyelle suivie et précédée de consonnes, ces consonnes pourront être ou de même qualité, ou de qualité contraire.

§ 104. Dans le premier cas, la voyelle est en accord avec les consonnes qui l’encadrent, c’est-à-dire qu’elle est d’avant si celles-ci sont palatales, d’arrière si celles-ci sont vélaires. Il n’y a pas lieu à développe­ment de glides.

I. Entre deux consonnes palatales. — On peut avoir : i, , ɩ (en position atone), α.

ʃinʹɩ (sine) « plus âgé », comp. de ʃαn (sean‑) « vieux » ; tʹinʹɩ (teine) « feu » ; bʹrʹᴇʃ (breis) « davantage » ; kʹᴇlʹtʹ (ceilt) « cacher » ; mʹᴇrʹigʹ (meirg) « rouille » ; gʹatʹɩrʹɩ (geaitiri) « petit bâton, margotin ».

Il importe de souligner le fait que α (la variété la plus avancée d’ɑ, cf. § 146), apparaît ici dans les mêmes condi­tions qu’une voyelle d’avant.

§ 105. II. Entre deux consonnes vélaires., ö, λ (devant h), ɔ, (forme avancée de ɔ), ʌ (forme désar­rondie de ɔ), ɑ, a (forme avancée de ɑ, sous l’influence de χ et h, cf. § 186), ə (en position atone).

dᴜv (dubh) « noir » ; mᴜk (muc) « cochon » ; brλh (bruth) « éruption » ; bɔg (bog) « mou, doux » ; gɔb ou go̤b (gob) « bec » ; rʌd (rud) « chose » ; mɑk (mac) « fils » ; səlaχ (salach) « sale », aussi səlaχ ; mɑrəv (marbh) « mort » ; sɑlən (salann) « sel ».

§ 106. Il peut arriver que les consonnes qui précèdent et suivent une voyelle ne soient pas de même qualité. On a alors :

III. Entre consonne vélaire et consonne palatale.ɪ, forme rétractée de i ; voyelle d’avant, devant laquelle se développe un glide quand il y a lieu : tɪlʹɩ (tuile) « supplé­ment, surplus » ; bʷɪlʹɩ (buile) « rage » ; kʷɪrʹɩ (cuire) « invi­tation ».

ɛ, qui n’apparaît qu’après des consonnes vélaires comme s et r, qui ne déve­loppent pas de glide (sans quoi, on atten­drait un glide w) : sɛvʹɩrʹ (saidhbhir) « riche » ; rɛvʹ (raibh) « était ».

ö (cf. § 159), devant lequel ne se développe pas d’appendice vélaire, et qui se comporte donc comme une voyelle d’arrière :

köʃɩ (coise), gén. de kɔs ou ko̤s (cos) « pied » ; löʃg̬ʹɩmʹ (loiscim) « je brûle ».

Parfois  : sg̬o̤lʹ (scoil) « école ».

a, qui ne donne pas davantage lieu au développe­ment d’un glide et, contraire­ment à α, se comporte donc comme une voyelle d’arrière : maʃɩ (maise) « bénéfice » ; banʹi (bainne) « lait ».

ɩ (en position atone), précédé d’un faible glide : fʹiꞏəkʷɩlʹ (fiacail) « dent » ; αkʷɩrʹ (deacair) « difficile ». Mais il faut noter que, devant voyelle atone, le glide est beaucoup moins net que devant voyelle tonique.

On peut faire entrer dans cette classe certains cas où la consonne qui suit la voyelle est h, qui se comporte comme s’il appar­tenait à une catégorie inter­médiaire entre les vélaires et les palatales. On a ainsi : χah (chaith) « jeta » ; rah (rath) « chance » ; röh (roth) « roue » (mais gén. rɔhə), et cf. § précédent.

§ 107. IV. Entre consonne palatale et consonne vélaire.ï, voyelle très rétractée, qui ne donne pas lieu au développe­ment d’un glide, et se comporte donc comme une voyelle d’avant : bʹïr (bior) « pointe » ; krʹïs, ou krʹis (crios) et devant h (neutre) : krʹïh (crith) « tremble­ment ».

 : bʲo̤g (beog) « petit ».

ɛ, devant r suivi de dentale palatale : ɛrtʹ (beirt) « deux personnes ».

α, non précédé de glide : bʹαn (bean) « femme » ; αl (geal) « brillant », avec mouillure comme dans gʹᴇtʹ (geit) « sursaut », mais non avec glide comme dans λks (giucs) « mot, syllabe quel­conque ».

λ, voyelle d’arrière, précédée de glide : tʲλv (tiubh) « touffu » ; λ (giolla) « garçon, groom ».

ə en position atone, précédé parfois d’un faible glide : αrʹɩgʲəd et αrʹigʹəd (airgead) « argent » ; taʃtʲəl (taisteal) « voyager » ; particu­lière­ment lorsque ə est en position préto­nique (où il conserve quelque tension) : bʲəgɑ̃꞉n (beogán) « un peu » ; kʲəpɑ̃꞉ntə (ceapánta) « contra­riant » ; mais le glide peut aussi bien ne pas se déve­lopper, ce qui est générale­ment le cas devant ə post-tonique (au reste souvent avancé dans la direction de ɩ, cf. § 161) : tʹinʹəs (tinneas) « souf­france » ; hɪgʹəs (thuigeas) « je compris » ; mʷɪ꞉nʹtʹərhə (muintear­dha) « familier ».

§ 108. Une voyelle peut n’être en contact qu’avec une seule consonne, que celle-ci la suive ou la précède. Le timbre en est déterminé comme suit :

Voyelles brèves en finale de mot. — Normale­ment, ces voyelles sont atones, le parler évitant les voyelles brèves toniques à la finale (§ 289). Après consonne palatale, on a une voyelle de la série I : tʹᴇ(h) (te) « chaud » ; tɪlʹɩ (tuille) « supplé­ment » ; après consonne vélaire, une voyelle de la série II : (h) (ba), plur. de bo꞉ (bó) « vache » ; bɔgə (bogadh) « courber, amollir ».

§ 109. Voyelles brèves a l’initiale du mot : Devant consonne palatale. — On peut avoir :

1° Une voyelle de la série I : imʹərtʹ (imirt) « jouer » ; ᴇlʹɩ (eile) « autre » ; αrʹɩ (aire) « soin, attention » ; ɩʃtʹαꞏχ (isteach) « dedans (avec mouvement) ».

2° Une voyelle de la série III, mais dans ce cas, il y a tendance a substi­tuer à cette voyelle une voyelle de la série I : ɪʃg̬ʹɩ et iʃg̬ɩ (uisge) « eau » ; ɛbʹⁱrʹɩ (oibre) « de travail (gén.) » ; ödʹəs ou ᴇdʹəs, ou ɛdʹəs (oideas) « ordon­nance » ; ahɩnʹɩ ou αhɩnʹɩ (aithne) « con­naissance ».

§ 110. Devant consonne vélaire. — On peut avoir :

1° Une voyelle de la série II : χt (ucht) « giron » ; ɔkᵊrəs, o̤kᵊrəs (ocras) « faim » ; ɑrəm (arm) « arme » ; ərɑ̃꞉n (arán) « pain ».

2° Une voyelle de la série IV, mais, dans ce cas, il y a tendance à substi­tuer à cette voyelle une voyelle de la série II : ïməl (imeall) « bordure », ou λməl, ou ᴜməl ; ɩnʲ λmərkə (an iomarcadh) « trop », mais plutôt ᴜmərkə (sans l’article) que λmərkə ; αsb̬ə, ou ɑsb̬ə (easba) « manque ».

On voit que, quel que soit le nombre des variétés voca­liques que possède le parler, en une position donnée seul un petit nombre de variétés nettement diffé­renciées est possible. De plus, en l’absence d’éléments consonan­tiques déter­minants, plusieurs variétés tendent à se confondre.