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Œuvres de Descartes/Édition Adam et Tannery/Tome 9/Texte entier

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René Descartes : Œuvres de Descartes, éd. Adam et Tannery, Tome 9




ŒUVRES
DE
D E S C A R T E S

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MEDITATIONS
ET
PRINCIPES
TRADUCTION FRANÇAISE

IX






M. Darboux, de l’Académie des Sciences, doyen honoraire de la Faculté des Sciences de l’Université de Paris, et M. Boutroux, de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, professeur d’histoire de la philosophie moderne à la Sorbonne, directeur de l’Institut Thiers, ont suivi l’impression de cette publication en qualité de commissaires responsables.


ŒUVRES
DE
DESCARTES

PUBLIÉES
PAR
Charles ADAM & Paul TANNERY
SOUS LES AUSPICES
DU MINISTÈRE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE

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MEDITATIONS
ET
PRINCIPES
TRADUCTION FRANÇAISE
IX


PARIS
LÉOPOLD CERF, IMPRIMEUR-ÉDITEUR
12, RUE SAINTE-ANNE, 12

1904

AVERTISSEMENT



La traduction française des Méditations eut, au XVIIe siècle, trois éditions, aux dates de 1647, 1661 et 1673. Laquelle des trois devons-nous suivre dans cette édition nouvelle des Œuvres de Descartes, et pour quelles raisons ?

La troisième semble tout d’abord se recommander particulièrement. Dans la Vie de Monsieur Des-Cartes, publiée par Adrien Baillet en 1691, on lit au tome II, I. VII, c. 13, p.324 : « Nous n’en avons pas de plus parfaite & de plus utile que la troiſiéme, qui parut en la même forme que les précédentes à Paris l’an 1673. Les Méditations y ſont diviſées par articles, avec des ſommaires fort exacts à côté, outre des renvois fort commodes des articles aux objections, & des objections aux réponſes, pour donner aux Lecteurs la facilité de les conférer & de mieux comprendre les unes & les autres. Il n’eſt pas juſte que le Public ignore à qui il eſt redevable de cette troiſiéme édition. C’eſt à M. Fédé (en marge : René Fédé natif de Château-Dun), Docteur en Médecine de la Faculté d’Angers, dont le mérite ne peut être inconnu qu’à ceux qui n’ont pas ouy parler de ſon zèle pour la Philoſophie Cartéſienne.» Les termes soulignés sont ceux du titre même, que Baillet ne fait que reproduire ; il donne en même temps le nom désigné seulement par les initiales R. F. Mais ce qui fait la nouveauté et aussi l’utilité de cette troisième édition, à savoir la division en articles, les sommaires et les renvois, est précisément pour nous une raison de ne pas la suivre. Ce sont là, en effet, des additions, d’une autre main que celle de Descartes ou même de Clerselier, son traducteur ; et comme elles sont de 1673, elles n’ont pas pu être connues du philosophe, mort en 1650. Répondent-elles exactement à sa pensée, et les aurait-il admises sans difficulté ? Nul ne le sait, et il est fort possible que, soit pour le fond, soit pour la forme, il y eût trouvé beaucoup à redire. Elles n’ont donc aucun titre à prendre place dans une édition où tout doit être de Descartes lui-même, ou du moins avoir été approuvé par lui.

La troisième édition écartée, faudra-t-il s’en tenir à la seconde, celle de 1661 ? À part la division en articles, et les sommaires et renvois, qui n’apparaissent qu’en 1673, ce sont les mêmes textes, mis dans le même ordre ; la pagination est aussi la même. Mais le titre annonce une particularité importante : « Seconde édition », dit-il, « augmentée de la verſion d’vne Lettre de Mr Des-Cartes au R. P. Dinet, & de celle des ſeptieſmes Objections & de leurs Reſponſes. » En effet, ces deux pièces manquent l’une et l’autre dans la première traduction de 1647 comme dans la première édition latine, Paris, 1641. Ce n’est que plus tard, en vue de la seconde édition française de 1661, que Clerselier les traduisit, pour compléter la première[1]. Mais Descartes, qui était mort depuis dix ans, ne put avoir connaissance de ces deux pièces nouvelles en français. Il ne vit et ne corrigea que la première traduction, qui s’en tenait aux Objections et Réponses publiées en 1641. Seules celles-ci peuvent donc paraître dans une édition de ses œuvres, et on ne saurait admettre, sous son autorité et sa garantie, les deux additions de l’édition française de 1661.

La première traduction elle-même, celle de 1647, peut-elle être reproduite intégralement ? Il ne le semble pas. Sans doute Descartes eut communication des pièces déjà traduites, lors de son voyage en France de 1644 ; mais le traducteur, Clerselier n’en était qu’aux quatrièmes Objections, et Descartes le pria expressément d’omettre les cinquièmes, celles de Gassend, ainsi que ses propres réponses, et de ne pas prendre la peine de les traduire. C’est lui-même qui le déclare, dans un « Avertissement de l’auteur », imprimé page 340 de la première édition ; et Clerselier confirme cette déclaration dans un « Avertissement du traducteur », imprimé page 393. De fait, dans cette première édition, on trouve, après les Réponses aux quatrièmes Objections, et à la place des cinquièmes qui devraient venir ensuite, l’Avertissement de Descartes, puis tout aussitôt les sixièmes Objections avec leurs Réponses. Le volume aurait dû finir là. Mais Clerselier eut un scrupule : pourquoi priver le lecteur de la traduction des Objections de Gassend et des Réponses de Descartes à ces Objections ? Il traduisit donc les unes et les autres quand même, et obtint de Descartes qu’elles figureraient dans l’édition, non plus à leur place, entre les quatrièmes et les sixièmes, mais après les sixièmes et comme dernière partie du volume. C’est ce que lui-même explique dans son « Avertissement du traducteur ». Mais Descartes, qui n’avait pas vu cette traduction avec les autres en 1644, par la raison qu’elle n’était point faite encore, et qu’il ne voulait pas qu’on la fît, n’en prit point davantage connaissance en 1645-1646. Elle ne saurait donc figurer dans une édition de ses Œuvres, parmi des pièces revues et corrigées par lui, et qui ont obtenu son approbation. Pourtant Gassend ayant voulu répliquer aux Réponses de Descartes à ses Objections, et ayant publié celles-ci avec de nombreuses « Instances », sous le titre de Disquisitio metaphysica, Descartes parcourut ce volume, qu’il trouva trop gros ; on lui en fit un court extrait, auquel il répondit par une lettre en français à Clerselier, du 12 janvier 1646. Celui-ci ne manqua point de la joindre à sa traduction des cinquièmes Objections et Réponses, tout à la fin de l’édition de 1647. Nous donnerons donc, dans le présent volume, à la place de la traduction des cinquièmes Objections et Réponses, dont Descartes ne voulait point, les trois pièces suivantes : Avertissement de Descartes, Avertissement de Clerselier, et Lettre de Descartes à Clerselier, au sujet de ces Objections et des Instances qui y furent faites. Viendront ensuite les sixièmes Objections avec les Réponses, que le philosophe n’avait aucun motif d’évincer, et dont il dut même voir aussi la traduction, puisqu’il les laissa imprimer après les quatrièmes Objections dans l’édition de 1647 : celle-ci aurait de la sorte formé un volume (sans les cinquièmes) tel qu’il eût désiré d’un bout à l’autre, et entièrement approuvé de sa main. Ainsi les mêmes raisons qui nous ont fait écarter la troisième édition, puis la seconde, nous font écarter encore une notable partie de la première ; et c’est toujours par le même souci de ne donner comme traduction, soit latine soit française, des ouvrages de Descartes, que ce qui a été revu et corrigé par lui.

La première édition des Méditations en français, dans la partie que nous en retenons, c’est-à-dire environ les deux tiers du volume, nous servira également de guide pour le texte. Ce n’est pas qu’il n’y ait, cependant, de notables différences, au point de vue du texte, entre cette première édition et la seconde, ou la troisième. Le titre même de la seconde en avertit d’ailleurs : « reueuë & corrigée par le traducteur ». C’est Clerselier qui s’exprime ainsi, au singulier, comme s’il était désormais seul traducteur, tandis que la première édition en désigne deux par leurs initiales, un pour les Méditations, « Mr le D. D. L. N. S. » (Monsieur le Duc De LuyNeS), un autre pour les Objections et Réponses, « Mr C. L. R. » (Monsieur ClerseLieR). Clerselier n’était point satisfait sans doute de son premier travail, pour les Objections et Réponses ; il voulut donc le revoir, avant de le publier une seconde fois en 1661. Mais il était encore moins satisfait, ce semble, du travail de M. le duc de Luynes pour les Méditations ; il faut dire que lui-même les avait aussi traduites, de son côté, en même temps que les Objections et Réponses, comme il le déclare dans son « Avertissement »[2], et que, comparant sa propre traduction avec celle du jeune duc, il préférait naturellement la sienne. De là de nombreuses variantes, de la première édition à la seconde, plus nombreuses, et cela se comprend, pour les Méditations que pour les Objections et Réponses : dans le premier cas, Clerselier corrigeait le duc de Luynes ; dans le second, il se corrigeait lui-même. Mais, et c’est là l’essentiel pour la présente édition. Descartes n’eut pas à se prononcer sur ces corrections de Clerselier : elles sont, en effet, postérieures à la traduction publiée en 1647, la seule dont le philosophe ait eu au préalable entre les mains une copie manuscrite. C’est donc bien celle-ci seulement qui doit faire autorité. Peu importe que Clerselier l’ait jugée ensuite imparfaite, et l’ait remaniée ! Peu importe que nous-mêmes aujourd’hui nous y relevions bien des négligences ou des erreurs ! Elle garde sur les éditions suivantes, de 1661 et de 1673, l’avantage d’avoir été vue par Descartes, et acceptée et agréée par lui. D’ailleurs n’est-il pas intéressant de voir quelle est la traduction dont s’est contenté le philosophe, et qui lui a paru suffisante ? Les remaniements de Clerselier peuvent avoir leur intérêt, mais, par exemple, dans une étude sur Clerselier lui-même, considéré comme traducteur de Descartes, ou bien encore pour l’histoire du cartésianisme après Descartes ; ils ne nous intéressent en rien, pour l’établissement du texte tel que le philosophe l’a jugé bon, ce qui est la seule chose que nous devons avoir ici en vue. Conclusion : nous donnerons, dans le présent volume, pour toutes les pièces dont nous retenons la traduction, le texte de la première édition (1647), sans nous mettre en peine des variantes que peuvent offrir les deux suivantes, celles de 1661 et de 1673.

Ce n’est pas ici le lieu de faire l’historique de la traduction du duc de Luynes et de Clerselier ; on le trouvera tout au long, comme un chapitre à part, dans la Vie de Descartes. D’ailleurs les éléments en sont épars dans la Correspondance : lettres à Picot, 11 sept. 1644 et 9 févr. 1645 ; à Clerselier, 10 avril et 20 déc. 1645, 12 janv., 23 févr. et 9 nov. 1646 ; à Picot encore, 8 juin 1647 (voir tome IV de la présente édition, pages 138-139, 176, 192-195, 338-339, 357-358, 362, 563-564, et tome V, page 64).

Nous ajouterons, comme appendice à cet Avertissement, le fac-similé de chacun des titres de la première, de la seconde et de la troisième édition de la traduction française des Méditations.

C. A.
Nancy, 31 décembre 1903.




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MEDITATIONS

METAPHYSIQVES

DE RENE' DES CARTES

TOVCHANT LA PREMIERE PHILOSOPHIE, danslefquellcsrcxiftcncedcDieu,^ la diftindion réelle entre l'amc&ic corps de l'homme, font demonftrccs.

Traduites du Latin de l'Auteur par M' le D.D.L.JV.S.

Et lesObjcdions faites contre ces Méditations par diucrfes pcrfonnestrcs-do6lcs,aucc les réponfesdc lAutcur.

Traduites par M' C.L.R,

���A PARIS, Chez la Vcuue lEAN CAMVSAT,

ET

PIERRE LE PETIT, Imprimeur ordinaire duRoy,

rue S.IacqueSjà la Toyfon d'Or.

M. DC. XLVII. u^FEC PRIVILEGE DF ROT

�� � MEDITATIONS

META PH YSIQVES DE RENE DES-CARTES

TOVCHANT LA PREMIERE PHILOSOPHIE.

SECON'DE EDITION,

Reueuë bC corrigée par le Tradudeur ;

ET A VG M ENTEE DE LA VERSION D'VNE

Lettre de M' Des-Cartcs au R. P. Dincti &de celle

des repticfmes Objections , & de leurs Refponfcs.

���A PARIS,

Chez HENRY LE GRAS, au rroifîéme Pillicr de la Grand' Salle du Palais , à L. couronnée.

��M. D G. LXL

�� � MEDITATIONS

METAPHYSIQVES

DE RENE' DES CARTES

TOVCHANT LA PREMIERE PHILOSOPHIE,

DÉDIÉES A MESSIEVRS DE SORBONE-

NOVVELLEMENT DIVISE'ES PAR ARTICLES auec des Sommaires à cofté, & auec des Renuois des Ar- ticles aux Objedlions, & des Objeélions aux Refponfes. Pour en faciliccr la ledture&rmcelligence. ParR.F.

TROISIEME EDITION.

Revcuë & corrigée,

A PARIS,

Chez MICHEL BOBIN & NICOLAS LE GRA^, au-

troifiéme Pilier de la Grand' Salle du Palais, à l'Efperancc

& à L, couronnée.

M. DC. Lxxin. AFEC PR/f^/LECE DT ROV.

�� �


MEDITATIONS

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OBJECTIONS & RÉPONSES


LE LIBRAIRE AV LECTEUR[3]

La satisfaction que ie puis promettre à toutes les personnes d'esprit dans la lecture de ce Liure, pour ce qui regarde l’Auteur & les Traducteurs, m'oblige à prendre garde plus soigneusement à contenter aussi le Lecteur de ma part, de peur que toute sa disgrace ne tombe sur moy seul. Ie tasche donc à le satisfaire, & par mon soin dans toute cette impression, et par ce petit éclaircissement, dans lequel ie le dois icy auertir de trois choses, qui sont de ma connaissance particuliere, & qui seruiront à la leur. La premiere est, quel a esté le dessein de l'Auteur, lors qu'il a publié cét ouurage en Latin. La seconde, comment & pourquoy il paroist aujourd’huy traduit en Français. Et la troisiesme, quelle est la qualité de cette version.

I. Lorsque l'Auteur, après auoir conceu ces Meditations dans son esprit, resolut d'en faire part au public, ce fut autant par la crainte d'étouffer la voix de la verité, qu'à dessein de la soumettre à l'épreuve de tous les doctes. A cét effet il leur voulut parler en leur langue, & à leur mode, & renferma toutes ses pensées dans le Latin & les termes de l'Escole. Son intention n'a point esté frustrée, & son Liure a esté mis à la question dans tous les Tribunaux de la Philosophie. Les Objections iointes à ces Méditations le témoignent assez, & montrent bien que les sçvants du siecle se sont donné la peine d'examiner ses propositions auec rigueur. Ce n'est pas à moy de iuger auec quel succez, puisque c'est moy qui les presente aux autres pour les en faire iuges. Il me suffit de croire pour moy, & d'assurer les autres, que tant de grands hommes n'ont pu se choquer sans produire beaucoup de lumiere.
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Œuvres de Descartes

II. Cependant ce Liure passe des Vniuersitez dans les Palais des Grands, & tombe entre les mains, d'vne personne d'vne condition tres-eminente[4]. Aprés en auoir leu les Méditations, & les auoir iugées dignes de sa memoire, il prit la peine de les traduire en François : soit que par ce moyen il se voulut rendre plus propres & plus familieres ces notions assez nouuelles, soit qu'il n'eust autre dessein que d'honorer l'Auteur par vne si bonne marque de son estime. Depuis vne autre personne aussi de merite[5] n'a pas voulu laisser imparfait cét ouurage si parfait, & marchant sur les traces de ce Seigneur, a mis en nostre langue les Objections qui suiuent les Meditations, auec les Réponses qui les accompagnent; iugeant bien que, pour plusieurs personnes, le François ne rendroit pas ces Meditations plus intelligibles que le Latin, si elles n'estoient accompagnées des Objections & de leur(s) Réponses, qui en sont comme les Commentaires. L'Auteur ayant esté auerty de la bonne fortune des vnes & des avtres, a non seulement consenty, mais aussi desiré, & prié ces Messieurs de trouuer bon que leurs versions fussent imprimées; parce qu'il auoit remarqué que ses Meditations auoient esté accueillies & (3) recuës auec quelque satis|faction par vn plus grand nombre de ceux qui ne s'appliquent point à la Philosophie de l'Escole, que de ceux qui s'y appliquent. Ainsi, comme il auoit donné sa premiere impression Latine au desir de trouuer des contredisants, il a creu deuoir cette seconde Françoise au fauorable accueil de tant de personnes qui, goustant desia ses nouuelles pensées, sembloient desirer qu'on leur osta la langue & le goust de l'Ecole, pour les accommoder au leur.

III. On trouuera partout cette version assez iuste, & si religieuse, que iamais elle ne s'est escartée du sens de l'Auteur. Ie le pourrois assurer sur la seule connoissance que i'ay de la lumiere de l'esprit des traducteurs, qui facilement n'auront pas pris le change. Mais i'en ay encore vne autre certitude plus authentique, qui est qu'ils ont (comme il estoit iuste) reserué à l'Auteur le droit de reueuë & de correction. Il en a vsé, mais pour se corriger plutost qu'eux, & pour éclaircir seulement ses propres pensées. Ie veux dire que, trouuant quelques endroits où il luy a semblé qu'il ne les auoit pas renduës assez claires dans le Latin pour toutes sortes de personnes, il les a voulu icy éclaircir par
3

MEDITATIONS.

quelque petit changement, que l’on reconnoistra bientost en conferant le François auec le Latin. Ce qui a donné le plus de peine aux Traducteurs dans tout cét ouurage, a esté la rencontre de quantité de mots de l’Art, qui, estant rudes & barbares dans le Latin mesme, le sont beaucoup plus dans le François, qui est moins libre, moins hardy, & moins accoustumé à ces termes de | l’École. Ils n’ont osé pourtant les obmettre, parce qu’il (4) eut fallu changer le sens, ce que leur defendoit la qualité d’Interpretes qu’ils auoient prise. D’autre part, lorsque cette version a passé sous les yeux de l’Auteur, il l’a trouuée si bonne, qu’il n’en a iamais voulu changer le style, & s’en est tousiours defendu par sa modestie, & l’estime qu’il fait de ses Traducteurs; de sorte que, par vne deference reciproque, personne ne les ayant ostez, ils sont demeurez dans cét ouurage.

I’adjousterois maintenant, s’il m’estoit permis, que ce Liure contenant des Meditations fort libres, & qui peuuent mesme sembler extrauagantes à ceux qui ne sont pas accoustumez aux Speculations de la Metaphysique, il ne sera ny vtile, ny agreable aux Lecteurs qui ne pourront appliquer leur esprit auec beaucoup d’attention à ce qu’ils lisent, ny s’abstenir d’en iuger auant que de l’auoir assez examiné. Mais i’ay peur qu’on ne me reproche que ie passe les bornes de mon mestier, ou plutost que ie ne le sçay guere, de mettre vn si grand obstacle au debit de mon Liure, par cette large exception de tant de personnes à qui ie ne l’estime pas propre. Ie me tais donc, & n’effarouche plus le monde. Mais auparauant, ie me sens encore obligé d’auertir les Lecteurs d’apporter beaucoup d’équité & de docilité à la lecture de ce Liure; car s’ils y viennent auec cette mauuaise humeur & cét esprit contrariant de quantité de personnes qui ne lisent que pour disputer, & qui, faisans profession de chercher la verité, semblent auoir peur de la trouuer, puisqu’au mesme | moment qu’il leur (5) en paroit quelque ombre, ils taschent de la combattre & de la détruire, ils n’en feront iamais ny profit, ny iugement raisonnable. Il le faut lire sans préuention, sans precipitation, & à dessein de s’instruire; donnant d’abord à son Auteur l’esprit d’Escolier, pour prendre par aprés celuy de Censeur. Cette methode est si necessaire pour cette lecture, que ie la puis nommer la clef du Liure, sans laquelle personne ne le sçauroit bien entendre.


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A MESSIEURS LES DOYEN & DOCTEURS
DE LA SACRÉE FACULTÉ DE THEOLOGIE
DE PARIS.[6]


Messieurs,

La raiſon qui me porte à vous preſenter cét ouurage eſt ſi iuſte, &, quand vous en connoiſtrez le deſſein, ie m'aſſeure que vous en aurez auſſi vne ſi iuſte de le prendre en voſtre protection, que ie penſe ne pouuoir mieux faire, pour vous le rendre en quelque ſorte recommandable, qu'en vous diſant en peu de mots ce que ie m'y ſuis propoſé. I'ay toûjours eſtimé que ces deux queſtions, de Dieu (2) & de l'ame, eſtoient les principales de | celles qui doiuent pluſtoſt eſtre demonſtrées par les raiſons de la Philoſophie que de la Theologie: car bien qu'il nous ſuffiſe, à nous autres qui ſommes ſideles, | de croire par la Foy qu'il y a vn Dieu, & que l'ame humaine ne meurt point auec le corps, certainement il ne ſemble pas poſſible de pouuoir iamais perſuader aux Infideles aucune Religion, ny quaſi meſme aucune vertu Morale, ſi premierement on ne leur prouue ces deux choſes par raiſon naturelle. Et d'autant qu'on propoſe ſouuent en cette vie de plus grandes recompenſes pour les vices que pour les vertus, peu de perſonnes prefereroient le iuſte à l'vtile, ſi elles n'eſtoient retenuës, ny par la crainte de Dieu, ny par l'attente d'vne autre vie. Et quoy qu'il ſoit abſolument vray, qu'il faut croire qu'il y a vn Dieu, parce qu'il eſt ainſi enſeigné dans les Saintes Eſcritures, & d'autre part qu'il faut croire les Saintes Eſcritures, parce qu'elles viennent de Dieu; & cela pource que, la Foy eſtant vn don de Dieu, celuy-la meſme qui donne la grace pour faire croire

les autres choſes, la peut auſſi donner pour nous faire croire qu'il
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5

Meditations. — Epistre.

exiſte : on ne ſçauroit neantmoins propoſer cela aux Infidelles, qui pourroient s'imaginer que l'on commettroit en cecy la faute que les Logiciens nomment vn Cercle[7].

Et de vray, j'ay pris garde que | vous autres, Meſſieurs, auec tous (3) les Theologiens, n'aſſeuriez pas ſeulement que l'exiſtence de Dieu ſe peut prouuer par raiſon naturelle, mais auſſi que l'on infere de la Sainte Eſcriture, que ſa connoiſſance eſt beaucoup plus claire que celle que l'on a de pluſieurs choſes creées, & qu'en effet elle eſt ſi facile, que ceux qui ne l'ont point ſont coupables. Comme il paroiſt par ces paroles de la Sageſſe, chapitre I3, où il eſt dit que leur ignorance n'eſt point pardonnable ; car ſi leur eſprit a pénétré ſi auant dans la connoiſſance des choſes du monde, comment eſt-il poſſible qu'ils n'en ayent point trouué plus facilement le ſouuerain Seigneur? Et aux Romains, chapitre premier, il eſt dit qu'ils ſont inexcuſables. Et encore, au meſme endroit, par ces paroles : Ce qui eſt conu de Dieu, eſt manifeſte dans eux, il ſemble que nous ſoyons aduertis, que tout ce qui ſe peut ſçauoir de Dieu peut eſtre monſtré par des raiſons qu'il n'eſt pas beſoin de chercher ailleurs que dans nous- meſmes, & que noſtre eſprit ſeul eſt capable de nous fournir. C'eft pourquoy i'ay penſé qu'il ne ſeroit point hors de propos, que ie fiſſe voir icy par quels moyens cela ſe peut faire, & quelle voye il faut tenir, pour arriuer à la connoiſſance de Dieu auec plus de facilité & de certitude que nous ne connoiſſons les | chofes de ce monde[8]. (4)

Et pour ce qui regarde l'Ame, quoy que pluſieurs ayent creu qu'il n'eſt pas ayſé d'en connoiſtre la nature, | & que quelques-vns ayent meſme oſé dire que les raiſons humaines nous perſuadoient qu'elle mouroit auec le corps, & qu'il n'y auoit que la ſeule Foy qui nous enſeignaſt le contraire, neantmoins, d'autant que le Concile de Latran, tenu ſous Leon X, en la Seſſion 8, les condamne, & qu'il ordonne expreſſément aux Philoſophes Chreſtiens de reſpondre à leurs argumens, & d'employer toutes les forces de leur eſprit pour faire connoiſtre la verité, i'ay bien oſé l'entreprendre dans cét eſcrit. Dauantage, ſçachant que la principale raiſon, qui fait que pluſieurs impies ne veulent point croire qu'il y a vn Dieu, & que l'ame humaine eft diſtincte du corps, eſt qu'ils diſent que perſonne juſques icy n'a peu demonſtrer ces deux choſes ; quoy que ie ne ſois point de leur opinion, mais qu'au contraire ie tienne que preſque toutes les

raiſons qui ont eſté aportées par tant de grands perſonnages,
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3-4.
Œuvres de Descartes.

touchant ces deux queſtions, ſont autant de demonſtrations, quand elles ſont bien entenduës, & qu'il ſoit preſque impoſſible d'en in- uenter de nouuelles: ſi eſt-ce que ie croy qu'on ne ſçauroit rien faire de plus vtile en la Philofophie, que d'en rechercher vne fois curieu (5) ſement & auec ſoin | les meilleures & plus ſolides, & les diſpoſer en vn ordre ſi clair & ſi exact, qu'il ſoit conſtant deſormais à tout le monde, que ce ſont de veritables demonſtrations. Et enfin, d'autant que pluſieurs perſonnes ont deſiré cela de moy, qui ont connoiſſance que i'ay cultiué vne certaine méthode pour reſoudre toutes ſortes de difficultez dans les ſciences; methode qui de vray n'eſt pas nouuelle, n'y ayant rien de plus ancien que la verité, mais de laquelle ils ſçauent que ie me ſuis ſeruy aſſez heureuſement en d'autres rencontres ; i'ay penſé qu'il eſtoit de mon deuoir de tenter quelque choſe ſur ce ſuject[9].

| Or i'ay trauaillé de tout mon poſſible pour comprendre dans ce Traité tout ce qui s'en peut dire. Ce n'eſt pas que i'aye icy ramaſſé toutes les diuerſes raiſons qu'on pourroit alleguer pour ſeruir de preuue à noſtre ſujet : car ie n'ay iamais creu que cela fuſt neceffaire, ſinon lors qu'il n'y en a aucune qui ſoit certaine; mais ſeulement i'ay traité les premieres & principales d'vne telle maniere, que i'oſe bien les propoſer pour de tres-euidentes & très-certaines demonſtrations. Et ie diray de plus qu'elles ſont telles, que ie ne penſe pas qu'il y ait aucune voye par où l'eſprit humain en puiſſe iamais découurir de meilleures; car l'importance de l'affaire, (6) & la gloire de Dieu à laquelle tout cecy ſe | raporte, me contraignent de parler icy vn peu plus librement de moy que ie n'ay de couſtume. Neantmoins, quelque certitude & euidence que ie trouue en mes raiſons, ie ne puis pas me perſuader que tout le monde ſoit capable de les entendre. Mais, tout ainſi que dans la Geometrie il y en a pluſieurs qui nous ont esté laiſſées par Archimede, par Apollonius, par Pappus, & par pluſieurs autres, qui ſont receuës de tout le monde pour tres-certaines & tres-euidentes, parce qu'elles ne contiennent rien qui, conſideré ſeparément, ne ſoit tres-facile à connoiſtre, & qu'il n'y a point d'endroit où les conſequences ne quadrent & ne conuiennent fort bien auec les antecedans ; neantmoins, parce qu'elles ſont vn peu longues, & qu'elles demandent vn eſprit tout entier, elles ne ſont compriſes & entenduës que de fort peu de perſonnes : de meſme, encore que i'eſtime que celles dont ie me ſers icy, égalent, voire meſme ſurpaſſent en certitude & euidence les demonſtrations de Geometrie, i’aprehende neantmoins qu’elles ne puiſſent pas eſtre aſſez ſuffiſamment entenduës de pluſieurs, tant parce qu’elles ſont auſſi vn peu longues, & dependantes les vnes des autres, que principalement parce qu’elles demandent vn eſprit entierement libre de tous préjugez & qui ſe puiſſe ayſément | détacher (7) du commerce des ſens. Et en verité, il ne s’en trouue pas tant dans le monde qui ſoient propres pour les Speculations Metaphyſiques, que pour celles de Geometrie. Et | de plus il y a encore cette difference que, dans la Geometrie chacun eſtant preuenu de l’opinion, qu’il ne s’y auance rien qui n’ait vne demonſtration certaine, ceux qui n’y ſont pas entièrement verſez, pechent bien plus ſouuent en approuuant de fauſſes demonſtrations, pour faire croire qu’ils les entendent, qu’en refutant les veritables. Il n’en eſt pas de meſme dans la Philoſophie, où, chacun croyant que toutes ſes propoſitions ſont problematiques, peu de perſonnes s’addonnent à la recherche de la verité ; & meſme beaucoup, ſe voulant acquerir la reputation de forts eſprits, ne s’étudient à autre choſe qu’à combattre arrogamment les veritez les plus apparentes[10].

C’eſt pourquoy, Messieurs, quelque ſorce que puiſſent auoir mes raiſons, parce qu’elles apartiennent à la Philoſophie, ie n’eſpere pas qu’elles faiſſent vn grand effort[11] ſur les eſprits, ſi vous ne les prenez en voſtre protection. Mais l’eſtime que tout le monde fait de voſtre Compagnie eſtant ſi grande, & le nom de Sorbonne d’vne telle authorité, que non ſeulement en ce qui regarde la Foy, aprés les ſacrez Conciles, on n’a iamais tant déferé au iugement d’aucune (8) autre Compagnie, mais auſſi en ce qui regarde l’humaine Philoſophie, chacun croyant qu’il n’eſt pas poſſilble de trouuer ailleurs plus de ſolidité & de connoiſſance, ny plus de prudence & d’integrité pour donner ſon iugement : ie ne doute point, ſi vous daignez prendre tant de ſoin de cét eſcrit, que de vouloir premierement le corriger : car ayant connoiſſance non ſeulement de mon infirmité, mais auſſi de mon ignorance, ie n’oſerois pas aſſurer qu’il n’y ait aucunes erreurs ; puis aprés y adjoùter les choſes qui y manquent, acheuer celles qui ne ſont pas parfaites, & prendre vous-meſmes la peine de donner vne explication plus ample à celles qui en ont beſoin, ou du moins de m’en auertir afin que i y trauaille, & enfin, aprés que les raiſons par leſquelles ie prouue qu’il y a vn Dieu, &

que l’ame humaine differe d’auec le corps, auront eſté portées
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5-6.
Œuvres de Descartes.

iuſques au point de clarté & d'euidence, où ie m'aſſure qu'on les peut conduire, | qu'elles deuront eſtre tenuës pour de tres-exactes demonſtrations, vouloir declarer cela meſme, & le témoigner publiquement : ie ne doute point, dis-ie, que, ſi cela ſe fait, toutes les erreurs & fauiſſes opinions qui ont iamais eſté touchant ces deux (9) queſtions, ne ſoient bien-toſt effacées de l'eſprit des hommes. Car | la verité ſera que tous les doctes & gens d'eſprit ſouſcriront à voſtre iugement; & voſtre autorité, que les Athées, qui ſont pour l'ordinaire plus arrogans que doctes & iudicieux, le dépoüilleront de leur eſprit de contradiction, ou que peut-eſtre ils ſoûtiendront euxmeſmes les raiſons qu'ils verront eſtre receuës par toutes les perſonnes d'eſprit pour des demonſtrations, de peur qu'ils ne paroiſſent n'en auoir pas l'intelligence; & enfin tous les autres ſe rendront ayſément à tant de témoignages, & il n'y aura plus perſonne qui oſe douter de l'exiſtence de Dieu, & de la diſtinction réelle & veritable de l'ame humaine d'auec le corps[12].

C'eſt à vous maintenant à iuger du fruit qui reuiendroit de cette creance, ſi elle eſtoit vne fois bien eſtablie, qui voyez les deſordres que ſon doute produit ; mais ie n'aurois pas icy bonne grace de recommander dauantage la cauſe de Dieu & de la Religion, à ceux

qui en ont touſiours eſté les plus fermes Colonnes[13].

ABREGÉ

DES SIX MEDITATIONS SVIVANTES[14]



Dans la première, ie mets en auant les raiſons pour leſquelles nous pouuons douter generalement de toutes choſſes, & particulierement des choſes materielles, au moins tant que nous n'aurons point d'autres fondemens dans les ſciences, que ceux que nous auons eu juſqu'à preſent. Or, bien que l'vtilité d'vn doute ſi general ne paroiſſe pas d'abord, elle eſt toutesfois en cela tres-grande, qu'il nous déliure de toutes ſortes de préjugez, & nous prepare vn chemin tres-facile pour accoûtumer noſtre eſprit à ſe détacher des ſens, & enfin, en ce qu'il fait qu'il n'eſt pas poſſible que nous puiſſions plus auoir aucun doute, de ce que nous découurirons aprés eſtre veritable.

Dans la ſéconde, l'eſprit, qui, vſant de ſa propre liberté, ſuppofe que toutes ſes choſes ne ſont point, de l'exiſtence deſquelles il a le moindre doute, reconnoiſt qu'il eſt abſolument | impoſſible que cependant (2) il n'exiſte pas luy-meſme. Ce qui eſt auſſi d'vne tres-grande vtilité, d'autant que par ce moyen il fait aiſement diſtinction des choſes qui luy appartiennent, c'eſt à dire à la nature intellectuelle, & de celles qui appartiennent au corps. Mais parce qu'il peut arriuer que quel-ques-vns attendent de moy en ce lieu-là des raiſons pour prouuer l'immortalité de l'ame, | j'eſtime les deuoir maintenant auertir, qu'ayant taſché de ne rien eſcrire dans ce traitté, dont ie n'euſſe des demonſtrations tres-exactes, ie me ſuis veu obligé de ſuiure vn ordre ſemblable à celuy dont ſe ſeruent leſ Geometres, ſçauoir eſt, d'auancer toutes les choſes deſquelles dépend la propoſition que l'on cherche, auant que d'en rien conclure.

Or la première & principale choſe qui eſl requiſe, auant que de connoiſtre l'immortalité de l'ame, eſt d'en former vne conception claire
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13-14.
Œuvres de Descartes.
& nette, & entierement diſtincte de toutes les conceptions que l'on peut auoir du corps : ce qui a eſté fait en ce lieu-là. Il eſt requis, outre cela, de ſçauoir que toutes les choſes que nous conceuons clairement & diſtinctement ſont vrayes, ſelon que nous les conceuons : ce qui n'a pú eſtre prouué auant la quatriéme Meditation. De plus, il faut auoir vne conception diſtincte de la nature corporelle, laquelle ſe forme, partie dans cette ſeconde, & partie dans la cinquiéme & fixiéme Meditation. Et enfin, l'on doit conclure de tout cela que les choſes que l'on conçoit clairement & diſtinctement eſtre des ſubstances diuerſes, comme l'on conçoit l'Eſprit & le Corps, ſont en effet des ſubſtances diuerſes, & réellement diſtinctes les vnes d'auec les autres : & c'eſt ce (3) que l'on conclut dans la ſixiéme Meditation. Et en la | meſme auſſi cela ſe confirme, de ce que nous ne conceuons aucun corps que comme diuiſible, au lieu que l'eſprit, ou l'ame de l'homme, ne ſe peut conceuoir que comme indiuiſible : car, en effet, nous ne pouuons conceuoir la moitié d'aucune ame, comme nous pouuons faire du plus petit de tous les corps; en ſorte que leurs natures ne ſont pas ſeulement reconnuës diuerſes, mais meſme en quelque façon contraires. Or il faut qu'ils ſçachent que ie ne me ſuis pas engagé d'en rien dire dauantage en ce traitté-cy, tant parce que cela ſuffit pour monſtrer aſſez clairement que de la corruption du corps la mort de l'ame ne s'enſuit pas, & ainſi pour donner aux hommes l'eſperance d'vne ſeconde vie aprés la mort; comme auſſi parce que les premiſſes deſquelles on peut conclure l'immortalité de l'ame, dépendent de l'explication de toute la Phyſique : Premierement, | afin de ſçauoir que generalement toutes les ſubſtances, c'eſt à dire toutes les choſes qui ne peuuent exiſter ſans eſtre creées de Dieu, ſont de leur nature incorruptibles, & ne peuuent iamais ceſſer d' eſtre, ſi elles ne ſont reduites au neant par ce meſme Dieu qui leur veüille dénier ſon concours ordinaire. Et enſuite, afin que l'on remarque que le corps, pris en general, eſt vne ſubſtance, c'eſt pourquoy auſſi il ne perit point ; mais que le corps humain, en tant qu'il differe des autres corps, n'eſt formé & compoſé que d'vne certaine configuration de membres, & d'autres ſemblables accidens; & l'ame humaine, au contraire, n'eſt point ainſi compoſé d'aucuns accidens, mais eſt vne pure ſubſtance. Car encore que tous ſes accidens ſe changent, par exemple, qu'elle conçoiue de certaines choſes, qu'elle en veüille d'autres, qu'elle (4) en ſente d'autres, &c., c'eſt pourtant touſiours la | meſme ame ; au lieu que le corps humain n'eſt plus le meſme, de cela ſeul que la figure de quelques-vnes de ſes parties ſe trouue changée. D'où il s'enſuit que le corps humain peut facilement périr, mais que l'eſprit, ou l'ame de l'homme (ce que ie ne diſtingue point), eſt immortelle de ſa nature.
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Meditations. — Abregé.

Dans la troiſiéme Meditation, il me ſemble que i'ay expliqué aſſez au long le principal argument dont ie me ſers pour prouuer l'exiſtence de Dieu. Toutesfois, afin que l'eſprit du Lecteur ſe pût plus aiſement abſtraire des ſens, ie n'ay point voulu me ſeruir en ce lieu-là d'aucunes comparaiſons tirées des choſes corporelles, ſi bien que peut-eſtre il y eſt demeuré beaucoup d'obſcuritez, leſquelles, comme i'eſpere, ſeront entierement éclaircies dans les réponſes que i'ay faites aux objections qui m'ont depuis eſté propoſées. Comme, par exemple, il eſt aſſez difficile d'entendre comment l'idée d'vn eſtre ſouuerainement parfait, laquelle ſe trouue en nous, contient tant de realité objectiue, c'eſt à dire participe par repreſentation à tant de degrez d'eſtre & de perfection, qu'elle doiue neceſſairement venir d'vne cauſe ſouuerainement parfaite. Mais ie l'ay éclaircy dans ces réponſes, par la comparaiſon d'vne machine fort artificielle, dont l'idée ſe rencontre dans l'eſprit de quelque ouurier ; car, comme l'artifice objectif de cette idée doit auoir quelque cauſe, à ſçauoir la 'ſcience de l'ouurier, ou de quelque autre duquel il l'ait apriſe, de meſme | il eſt impoſſible que l'idée de Dieu, qui eſt en nous, n'ait pas Dieu meſme pour ſa cauſe.

Dans la quatriéme, il eſt prouué que les choſes que nous conceuons fort clairement & fort diſtinctement ſont toutes vrayes ; & enſemble eſt expliqué en quoy conſiſte la rai | ſon de l'erreur ou fauſſeté : ce qui doit (5) neceſſairement eſtre ſceu, tant pour confirmer les veritez precedentes, que pour mieux entendre celles qui ſuiuent. Mais cependant il eſt à remarquer, que ie ne traitte nullement en ce lieu-là du peché, c'eſt à dire de l'erreur qui ſe commet dans la pourſuite du bien & du mal, mais ſeulement de celle qui arriue dans le iugement & le diſcernement du vray & du faux; & que ie n'entens point y parler des choſes qui appartiennent à la foy, ou à la conduite de la vie, mais ſeulement de celles qui regardent les veritez ſpeculatiues & connuës par l'ayde de la ſeule lumière naturelle.

Dans la cinquième, outre que la nature corporelle priſe en general y eſt expliquée, l'exiſtence de Dieu y eſt encore demonſtrée par de nouuelles raiſons, dans leſquelles toutesfois il ſe peut rencontrer quelques difficultez, mais qui ſeront reſoluës dans les réponſes aux objections qui m'ont eſté faites ; & auſſi on y découure de quelle ſorte il eſt veritable, que la certitude meſme des demonſtrations Geometriques dépend de la connoiſſance d'vn Dieu.

Enfin, dans la ſixiéme, ie diſtingue l'action de l'entendement d'auec celle de l'imagination; les marques de cette diſtinction y ſont décrites. I'y monſtre que l'ame de l'homme eſt réellement diſtincte du corps, & toutesfois qu'elle luy eſt ſi eſtroitement conjointe & vnie, qu'elle ne
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15-16.
Œuvres de Descartes.

compoſe que comme vue meſme choſe auecque luy. Toutes les erreurs qui procedent des ſens y ſont expoſées, auec les moyens de les euiter. Et enfin, i'y apporte toutes les raiſons deſquelles on peut conclure l'exiſtence des choſes materielles : non que ie les iuge fort vtiles pour prouuer ce qu'|elles prouuent, à ſça|uoir, qu'il y a vn Monde, que les hommes ont des corps, & autres choſes ſemblables, qui n'ont iamais eſté miſes en doute par aucun homme de bon ſens ; mais parce qu'en les conſiderant de prés, l'on vient à connoiſtre qu'elles ne ſont pas ſi fermes ny ſi euidentes, que celles qui nous conduiſent à la connoiſſance de Dieu & de noſtre ame; en ſorte que celles-cy ſont les plus certaines & les plus euidentes qui puiſſent tomber en la connoiſſance de l'eſprit humain. Et c'eſt tout ce que i'ay eu deſſein de prouuer dans ces ſix Meditations ; ce qui fait que i'obmets icy beaucoup d'autres queſtions, dont i'ay auſſi parlé par occaſion dans ce traitté. |


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MEDITATIONS

TOUCHANT

LA PREMIERE PHILOSOPHIE

DANS LESQUELLES

L’EXISTENCE DE DIEU ET LA DISTINCTION RÉELLE ENTRE L’AME ET LE CORPS DE L’HOMME SONT DEMONSTREES


Premiere Meditation.

Des choſes que l’on peut reuoquer en doute.


Il y a deſia quelque temps que ie me ſuis apperceu que, dés mes premieres années, i’auois receu quantité de fauſſes opinions pour veritables, & que ce que i’ay depuis fondé ſur des principes ſi mal aſſurez, ne pouuoit eſtre que fort douteux & incertain ; de facon | qu’il me falloit entreprendre ſerieuſement vne fois en ma vie de me (8) defaire de toutes les opinions que i’auois receuës iuſques alors en ma creance, & commencer tout de nouueau dés les fondemens, ſi ie voulois eſtablir quelque choſe de ferme & de conſtant dans les ſciences. Mais cette entrepriſe me ſemblant eſtre fort grande, i’ay attendu que i’euſſe atteint vn âge qui fuſt ſi meur, que ie n’en peuſſe eſperer d’autre aprés luy, auquel ie fuſſe plus propre à l’executer; ce qui m’a fait differer ſi long-temps, que deſormais ie croirois commettre vne faute, ſi i’employois encore à deliberer le temps qui me reſte pour agir.

Maintenant donc que mon eſprit eſt libre de tous ſoins, | & que ie me ſuis procurë vn repos aſſuré dans vne paiſible ſolitude, ie m’apliqueray ſerieuſement & auec liberté à deſtruire generalement toutes mes anciennes opinions. Or il ne ſera pas neceſſaire, pour arriuer à ce deſſein, de prouuer qu’elles ſont toutes fauſſes, de quoy peut-eſtre ie ne viendrois iamais à bout ; mais, d’autant que la raiſon me perſuade deſ-ja que ie ne dois pas moins ſoigneuſement m’empeſcher de donner creance aux choſes qui ne ſont pas entierement certaines & indubitables, qu’à celles qui nous paroiſſent manifeſtement eſtre fauſſes, le moindre ſujet de douter que i’y trouueray, ſuffira pour me les faire toutes rejetter. Et pour cela il n’eſt pas beſoin que ie les examine chacune en particulier, ce qui (9) ſeroit d’vn trauail infiny ; mais, parce | que la ruine des fondemens entraine neceſſairement auec ſoy tout le reſte de l’edifice, ie m’attaqueray d’abord aux principes, ſur leſquels toutes mes anciennes opinions eſtoient appuyées.

Tout ce que i’ay receu iuſqu’à preſent pour le plus vray & aſſuré, ie l’ay appris des ſens, ou par les ſens : or i’ay quelquefois éprouué que ces ſens eſtoient trompeurs, & il eſt de la prudence de ne ſe fier iamais entierement à ceux qui nous ont vne fois trompez.

Mais, encore que les ſens nous trompent quelquefois, touchant les choſes peu ſenſibles & fort éloignées, il s’en rencontre peut-eſtre beaucoup d’autres, deſquelles on ne peut pas raiſonnablement douter, quoy que nous les connoiſſions par leur moyen : par exemple, que ie ſois icy, aſſis auprés du feu, veſtu d’vne robe de chambre, ayant ce papier entre les mains, & autres choſes de cette nature. Et comment eſt-ce que ie pourrois nier que ces mains & ce corps-cy ſoient à moy ? ſi ce n’eſt peut-eſtre que ie me compare à ces inſenſez, | de qui le cerueau eſt tellement troublé & offuſqué par les noires vapeurs de la bile, qu’ils aſſurent conſtamment qu’ils ſont des roys, lorſqu’ils ſont tres-pauures ; qu’ils ſont veſtus d’or & de pourpre, lorſqu’ils ſont tout nuds ; ou s’imaginent eſtre des cruches, ou auoir vn corps de verre. Mais quoy ? ce ſont des fous, & ie ne ſerois pas moins extrauagant, ſi ie me reglois ſur leurs exemples.

(10) | Toutesfois i’ay icy à conſiderer que ie ſuis homme, & par conſequent que i’ay coùtume de dormir & de me repreſenter en mes ſonges les meſmes choſes, ou quelquefois de moins vray-ſemblables, que ces inſenſez, lors qu’ils veillent. Combien de fois m’eſt-il arriué de ſonger, la nuit, que i’eſtois en ce lieu, que i’eſtois habillé, que i’eſtois auprès du feu, quoy que ie fuſſe tout nud dedans mon lict ? Il me ſemble bien à preſent que ce n’eſt point auec des yeux endormis que ie regarde ce papier; que cette teſte que ie remuë n’eſt point aſſoupie; que c’eſt auec deſſein & de propos deliberé que i’eſtens cette main, & que ie la ſens : ce qui arriue dans le ſommeil ne ſemble point ſi clair ny ſi diſtinct que tout cecy. Mais, en y penſant ſoigneuſement, ie me reſſouuiens d’auoir eſté ſouuent trompé, lors que ie dormois, par de ſemblables illuſions. Et m’arreſtant ſur cette penſée, ie voy ſi manifeſtement qu’il n’y a point d’indices concluans, ny de marques aſſez certaines par où l’on puiſſe diſtinguer nettement la veille d’auec le ſommeil, que i’en ſuis tout eſtonné ; & mon eſtonnement eſt tel, qu’il eſt preſque capable de me perſuader que ie dors.

Suppoſons donc maintenant que nous ſommes endormis, & que toutes ces particularitez-cy, à ſçauoir, que nous ouurons les yeux, que nous remuons la teſte, que nous eſtendons les mains, & choſes ſemblables, ne ſont que de fauſſes illuſions ; & penſons que peut-eſtre nos mains, ny tout noſtre corps, ne | ſont pas tels que nous (11) les voyons. Toutesfois il faut au moins auouer que les choſes qui nous ſont repreſentées dans le ſommeil, ſont comme des tableaux & des peintures, qui ne peuuent eſtre formées qu’à la reſſemblance de quelque choſe de réel & de veritable; & qu’ainſi, pour le moins, ces choſes generales, à ſçauoir, des yeux, vne teſte, des mains, & tout le reſte du corps, ne ſont pas choſes imaginaires, mais vrayes & exiſtantes. Car de vray les peintres, lors meſme | qu’ils s’eſtudient auec le plus d’artifice à repreſenter des Syrenes & des Satyres par des formes bijarres & extraordinaires, ne leur peuuent pas toutesfois attribuer des formes & des natures entierement nouuelles, mais ſont ſeulement vn certain mélange & compoſition des membres de diuers animaux ; ou bien, ſi peut-eſtre leur imagination eſt aſſez extrauagante pour inuenter quelque choſe de ſi nouueau, que iamais nous n’ayons rien veu de ſemblable, & qu’ainſi leur ouurage nous repreſente vne choſe purement feinte & abſoluëment fauſſe, certes à tout le moins les couleurs dont ils le compoſent doiuent-elles eſtre veritables.

Et par la meſme raiſon, encore que ces choſes generales, à ſçauoir, des yeux, vne teſte, des mains, & autres ſemblables, peuſſent eſtre imaginaires, il faut toutesfois auoüer qu’il y a des choſes encore plus ſimples & plus vniuerſelles, qui ſont vrayes & exiſtantes ; du mélange deſquelles, ne plus ne moins que de celuy de quelques veritables couleurs, toutes ces | images des choſes qui (12) reſident en noſtre penſée, ſoit vrayes & réelles, ſoit feintes & fantaſtiques, ſont formées. De ce genre de choſes eſt la nature corporelle en general, & ſon eſtenduë ; enſemble la figure des choſes eſtenduës, leur quantité ou grandeur, & leur nombre ; comme auſſi le lieu où elles ſont, le temps qui meſure leur durée, & autres ſemblables. C’eſt pourquoy peut-eſtre que de là nous ne conclurons pas mal, ſi nous diſons que la Phyſique, l’Aſtronomie, la Medecine, & toutes les autres ſciences qui dépendent de la conſideration des choſes compoſées, ſont fort douteuſes & incertaines ; mais que l’Arithmetique, la Geometrie, & les autres ſciences de cette nature, qui ne traittent que de choſes fort ſimples & fort generales, ſans ſe mettre beaucoup en peine ſi elles ſont dans la nature, ou ſi elles n’y ſont pas, contiennent quelque choſe de certain & d’indubitable. Car, ſoit que ie veille ou que ie dorme, deux & trois ioints enſemble formeront toùjours le nombre de cinq, & le quarré n’aura iamais plus de quatre coſtez ; & il ne ſemble pas poſſible que des veritez ſi aparentes puiſſent eſtre ſoupçonnées d’aucune fauſſeté ou d’incertitude.

| Toutesfois il y a long-temps que i’ay dans mon eſprit vne certaine opinion, qu’il y a vn Dieu qui peut tout, & par qui i’ay eſté creé & produit tel que ie ſuis. Or qui me peut auoir aſſuré que ce Dieu n’ait point fait qu’il n’y ait aucune terre, aucun Ciel, aucun (13) corps eſtendu, aucune figure, aucune grandeur, | aucun lieu, & que neantmoins i’aye les ſentimens de toutes ces choſes, & que tout cela ne me ſemble point exiſter autrement que ie le voy ? Et meſme, comme ie iuge quelquefois que les autres ſe méprennent, meſme dans les choſes qu’ils penſent ſçauoir auec le plus de certitude, il ſe peut faire qu’il ait voulu que ie me trompe toutes les fois que ie fais l’addition de deux & de trois, ou que ie nombre les coſtez d’vn quarré, ou que ie iuge de quelque choſe encore plus facile, ſi l’on ſe peut imaginer rien de plus facile que cela. Mais peut-eſtre que Dieu n’a pas voulu que ie fuſſe deceu de la ſorte, car il eſt dit ſouuerainement bon. Toutesfois, ſi cela repugneroit à ſa bonté, de m’auoir fait tel que ie me trompaſſe touſiours, cela ſembleroit auſſi luy eſtre aucunement contraire, de permettre que ie me trompe quelquefois, & neantmoins ie ne puis douter qu’il ne le permette.

Il y aura peut-eſtre icy des perſonnes qui aymeront mieux nier l’exiſtence d’vn Dieu ſi puiſſant, que de croire que toutes les autres choſes ſont incertaines. Mais ne leur reſiſtons pas pour le preſent, & ſuppoſons, en leur faueur, que tout ce qui eſt dit icy d’vn Dieu ſoit vne fable. Toutesfois, de quelque façon qu’ils ſuppoſent que ie ſois paruenu à l’eſtat & à l’eſtre que ie poſſede, ſoit qu’ils l’attribuent à quelque deſtin ou fatalité, ſoit qu’ils le referent au hazard, ſoit qu’ils veüillent que ce ſoit par vne continuelle ſuite & (14) liaiſon des choſes, il eſt certain que, | puiſque faillir & ſe tromper eſt vne eſpece d'imperfection, d'autant moins puiſſant ſera l'auteur qu'ils attribuëront à mon origine, d'autant plus ſera-t-il probable que ie ſuis tellement imparfait que ie me trompe toûjours. Auſquelles raiſons ie n'ay certes rien à répondre, mais ie ſuis contraint d'auoüer que, de toutes les opinions que i'auois autrefois receuës en ma creance pour veritables, il n'y en a pas vne de laquelle ie ne puiſſe maintenant douter, non par aucune inconſideration ou legereté, mais pour des raiſons tres-fortes & meurement conſiderées : de ſorte qu'il eſt neceſſaire que i'arreſte & ſuſpende deſormais mon iugement ſur ces penſées, | & que ie ne leur donne pas plus de creance, que ie ferois à des choſes qui me paroiſtroient euidemment fauſſes, ſi ie deſire trouuer quelque choſe de conſtant & d'aſſeuré dans les ſciences.

Mais il ne ſuffit pas d'auoir fait ces remarques, il faut encore que ie prenne ſoin de m'en ſouuenir ; car ces anciennes & ordinaires opinions me reuiennent encore ſouuent en la penſée, le long & familier vfage qu'elles ont eu auec moy leur donnant droit d'ocupper mon eſprit contre mon gré, & de ſe rendre preſque maiſtreſſes de ma creance. Et ie ne me deſaccoutumeray iamais d'y acquieſcer, & de prendre confiance en elles, tant que ie les conſidereray telles qu'elles ſont en effet, c'eſt à ſçauoir en quelque façon douteuſes, comme ie viens de monſtrer, & toutesfois fort probables, en ſorte que l'on a beaucoup | plus de raiſon de les croire que de les nier. C'eſt pourquoy ie penſe que i'en vſeray plus prudemment, ſi, prenant vn party contraire, i'employe tous mes ſoins à me tromper moy-meſme, feignant que toutes ces penſées ſont fauſſes & imaginaires ; iuſques à ce qu'ayant tellement balancé mes prejugez, qu'ils ne puiſſent faire pancher mon aduis plus d'vn coſté que d'vn autre, mon iugement ne ſoit plus deſormais maiſtriſé par de mauuais vſages & détourné du droit chemin qui le peut conduire à la connoiſſance de la verité. Car ie ſuis aſſeuré que cependant il ne peut y auoir de peril ny d'erreur en cette voye, & que ie ne ſçaurois aujourd'huy trop accorder à ma defiance, puiſqu'il n'eſt pas maintenant queſtion d'agir, mais ſeulement de mediter & de connoiſtre.

Ie ſuppoſeray donc qu'il y a, non point vn vray Dieu, qui eſt la ſouueraine ſource de vérité, mais vn certain mauuais génie, non moins ruſé & trompeur que puiſſant, qui a employé toute ſon induſtrie à me tromper. Ie penſeray que le Ciel, l'air, la terre, les couleurs, les figures, les ſons & toutes les choſes exterieures que nous voyons, ne ſont que des illuſions & tromperies, dont il ſe ſert pour ſurprendre ma credulité. Ie me conſidereray | moy-meſme comme n’ayant point de mains, point d’yeux, point de chair, point de ſang, comme n’ayant aucuns ſens, mais croyant fauſſement auoir toutes ces choſes. Ie demeureray obſtinément attaché à cette penſée ; & ſi, par ce moyen, il n’eſt pas en mon pouuoir de paruenir | à la connoiſſance d’aucune verité, à tout le moins il eſt en ma puiſſance de ſuſpendre mon iugement. C’eſt pourquoy ie prendray garde ſoigneuſement de ne point receuoir en ma croyance aucune fauſſeté, & prepareray ſi bien mon eſprit à toutes les ruſes de ce grand trompeur, que, pour puiſſant & ruſé qu’il ſoit, il ne me pourra iamais rien impoſer.

Mais ce deſſein eſt penible & laborieux, & vne certaine pareſſe m’entraine inſenſiblement dans le train de ma vie ordinaire. Et tout de meſme qu’vn eſclaue qui jouiſſoit dans le ſommeil d’vne liberté imaginaire, lorſqu’il commence à ſoupçonner que ſa liberté n’eſt qu’vn ſonge, craint d’eſtre réueillé, & conſpire auec ces illuſions agreables pour en eſtre plus longuement abuſé, ainſi ie retombe inſenſiblement de moy-meſme dans mes anciennes opinions, & i’apprehende de me réueiller de cét aſſoupiſſement, de peur que les veilles laborieuſes qui ſuccederoient à la tranquillité de ce repos, au lieu de m’apporter quelque iour & quelque lumiere dans la connoiſſance de la verité, ne fuſſent pas ſuffiſantes pour éclaircir les tenebres des difficultez qui viennent d’eſtre agitées.


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| Méditation seconde.

De la nature de l’Eſprit humain; & qu’il eſt plus ayſé à connoiſtre que le Corps.


La Meditation que ie fis hier m’a remply l’eſprit de tant de doutes, qu’il n’eſt plus deſormais en ma puiſſance de les oublier. Et cependant ie ne voy pas de quelle façon ie les pouray reſoudre ; & comme ſi | tout à coup i’eſtois tombé dans vne eau tres-profonde, ie ſuis tellement ſurpris, que ie ne puis ny aſſeurer mes pieds dans le fond, ny nager pour me ſoutenir au deſſus. Ie m’efforceray neantmoins, & ſuiuray derechef la meſme voye où i’eſtois entré hier, en m’éloignant de tout ce en quoy ie pouray imaginer le moindre doute, tout de meſme que ſi ie connoiſſois que cela fuſt abſolument faux ; & ie continuëray touſiours dans ce chemin, | iuſqu'à ce que i'aye rencontré quelque choſe de certain, ou du moins, ſi ie ne puis autre choſe, iuſqu'à ce que i'aye apris certainement, qu'il n'y a rien au monde de certain.

Archimedes, pour tirer le Globe terreſtre de ſa place & le tranſporter en vn autre lieu, ne demandoit rien qu'vn point qui fuſt fixe & aſſuré. Ainſy i'auray droit de conceuoir de hautes eſperances, ſi ie ſuis aſſez heureux pour trouuer ſeulement vne choſe qui ſoit certaine & indubitable.

Ie ſuppoſe donc que toutes les choſes que ie voy font fauſſes ; ie me perſuade que rien n'a iamais eſté de tout ce que ma mémoire remplie de menſonges me repreſente ; ie penſe n'auoir aucun ſens ; ie croy que le corps, la figure, l'étenduë, le mouuement & le lieu ne ſont que des fictions de mon eſprit. Qu'eſt ce donc qui poura eſtre eſtimé veritable ? Peut-eſtre rien autre choſe, ſinon qu'il n'y a rien au monde de certain.

Mais que ſçay-ie s'il n'y a point quelque autre choſe differente de celles que ie viens de iuger incertaines, de laquelle on ne puiſſe auoir le moindre doute ? N'y a-t-il point quelque Dieu, ou quelque autre puiſſance, qui me met en l'eſprit ces penſées ? Cela n'eſt pas neceſſaire ; car peut-eſtre que ie ſuis capable de les produire de moy-meſme. Moy donc à tout le moins ne ſuis-ie pas quelque choſe ? Mais i'ay deſ-ja nié que i'euſſe aucun ſens ny aucun corps. Ie heſite neantmoins, car que s'enſuit-il | de là ? Suis-ie tellement dépendant du corps & des ſens, que ie ne puiſſe eſtre | ſans eux ? Mais ie me fuis perfuadé qu'il n'y auoit rien du tout dans le monde, qu'il n'y auoit aucun ciel, aucune terre, aucuns eſprits, ny aucuns corps ; ne me ſuis-ie donc pas auſſi perfuadé que ie n'eſtois point ? Non certes ; i'eſtois ſans doute, ſi ie me ſuis perſuadé, ou ſeulement ſi i'ay penſé quelque choſe. Mais il y a vn ie ne ſçay quel trompeur tres-puiſſant & tres-ruſé, qui employe toute ſon induſtrie à me tromper touſiours. Il n'y a donc point de doute que ie ſuis, s'il me trompe ; & qu'il me trompe tant qu'il voudra, il ne ſçauroit iamais faire que ie ne ſois rien, tant que ie penſeray eſtre quelque choſe. De ſorte qu'après y auoir bien penſé, & auoir ſoigneuſement examiné toutes choſes, enfin il faut conclure, & tenir pour confiant que cette propoſition : Ie ſuis, i'exiſte, eſt neceſſairement vraye, toutes les fois que ie la prononce, ou que ie la conçoy en mon eſprit.

Mais ie ne connois pas encore aſſez clairement ce que ie ſuis, moy qui ſuis certain que ie ſuis ; de ſorte que deſormais il faut que ie prenne ſoigneuſement garde de ne prendre pas imprudemment quelque autre choſe pour moy, & ainſi de ne me point méprendre dans cette connoiſſance, que ie ſoutiens eſtre plus certaine & plus euidente que toutes celles que i'ay euës auparauant.

C'eſt pourquoy ie conſidereray derechef ce que ie croyois eſtre auant que i'entraſſe dans ces dernieres penſées ; & de mes anciennes opinions ie retrancheray tout ce qui peut eſtre combatu par les raiſons que i'ay | tantoſt alleguées, en ſorte qu'il ne demeure preciſement rien que ce qui eſt entierement indubitable. Qu'eſt-ce donc que i'ay creu eſtre cy-deuant ? Sans difficulté, i'ay penſé que i'eſtois vn homme. Mais qu'eſt-ce qu'vn homme ? Diray-ie que c'eſt vn animal raiſonnable ? Non certes : car il faudroit par après rechercher ce que c'eſt qu'animal, & ce que c'eſt que raiſonnable, & ainſi d'vne ſeule queſtion nous tomberions inſenſiblement en vne infinité d'autres plus difficiles & embaraſſées, & ie ne voudrois pas abuſer du peu de temps & de loiſir qui me reſte, en l'employant à démeſler de ſemblables ſubtilitez. Mais le m'arreſteray pluſtoſt à conſiderer icy les penſées qui naiſſoient cy-deuant d'elles-meſmes en mon eſprit, | & qui ne m'eſtoient inſpirées que de ma ſeule nature, lorſque ie m'apliquois à la conſideration de mon eſtre. Ie me conſiderois, premierement, comme ayant vn viſage, des mains, des bras, & toute cette machine compoſée d'os & de chair, telle qu'elle paroiſt en vn cadavre, laquelle ie deſignois par le nom de corps. Ie conſiderois, outre cela, que ie me nouriſſois, que ie marchois, que ie ſentois & que ie penſois, & ie raportois toutes ces actions à l'ame ; mais ie ne m'arreſtois point à penſer ce que c'eſtoit que cette ame, ou bien, ſi ie m'y arreſtois, i'imaginois qu'elle eſtoit quelque choſe extremement rare & ſubtile, comme vn vent, vne flame ou vn air tres-delié, qui eſtoit inſinué & répandu dans mes plus groſſieres parties. Pour ce qui eſtoit du corps, ie ne doutois nullement de ſa nature ; car | ie penſois la connoiſtre fort diſtinctement, &, ſi ie l'euſſe voulu expliquer ſuiuant les notions que i'en auois, ie l'euſſe décrite en cette ſorte : Par le corps, i'entens tout ce qui peut eſtre terminé par quelque figure ; qui peut eſtre compris en quelque lieu, & remplir vn eſpace en telle ſorte que tout autre corps en ſoit exclus ; qui peut eſtre ſenty, ou par l'attouchement, ou par la veuë, ou par l'ouye, ou par le gouſt, ou par l'odorat ; qui peut eſtre meu en pluſieurs façons, non par luy-meſme, mais par quelque choſe d'étranger duquel il ſoit touché & dont il reçoiue l'impreſſion. Car d'auoir en ſoy la puiſſance de ſe mouuoir, de ſentir & de penſer, ie ne croyois aucunement que l'on deuſt attribuer ces auantages à la nature corporelle ; au contraire, ie m'eſtonnois plutoſt de voir que de ſemblables facultez ſe rencontroient en certains corps.

Mais moy, qui ſuis-ie, maintenant que ie ſupoſe qu'il y a quelqu'vn qui eſt extremement puiſſant &, ſi ie l'oſe dire, malicieux & ruſé, qui employe toutes ſes forces & toute ſon induſtrie à me tromper ? Puis-ie m'aſſurer d'auoir la moindre de toutes les choſes que i'ay attribué cy-deſſus à la nature corporelle ? | Ie m'areſte à y penſer auec attention, ie paſſe & repaſſe toutes ces choſes en mon eſprit, & ie n'en rencontre aucune que ie puiſſe dire eſtre en moy. Il n'eſt pas beſoin que ie m'arreſte à les denombrer. Paſſons donc aux attributs de l'Ame, & voyons s'il y en a quelques-vns qui ſoient en moy. Les premiers ſont de me nourir & de marcher ; mais s'il eſt vray que ie n'ay point de | corps, il eſt vray auſſi que ie ne puis marcher ny me nourir. Vn autre eſt de ſentir ; mais on ne peut auſſi ſentir ſans le corps : outre que i'ay penſé ſentir autrefois pluſieurs choſes pendant le ſommeil, que i'ay reconnu à mon reueil n'auoir point en effet ſenties. Vn autre eſt de penſer ; & ie trouue icy que la penſée eſt vn attribut qui m'appartient : elle ſeule ne peut eſtre détachée de moy. Ie ſuis, i'exiſte : cela eſt certain ; mais combien de temps ? A ſçauoir, autant de temps que ie penſe ; car peut-eſtre ſe pouroit-il faire, ſi ie ceſſois de penſer, que ie ceſſerois en meſme temps d'eſtre ou d'exiſter. Ie n'admets maintenant rien qui ne ſoit neceſſairement vray : ie ne ſuis donc, preciſement parlant, qu'vne choſe qui penſe, c'eſt à dire vn eſprit, vn entendement ou vne raiſon, qui ſont des termes dont la ſignification m'eſtoit auparauant inconnue. Or ie ſuis vne choſe vraye, & vrayment exiſtante ; mais quelle choſe ? Ie l'ay dit : vne choſe qui penſe. Et quoy dauantage ? I'exciteray encore mon imagination, pour chercher ſi ie ne ſuis point quelque choſe de plus. Ie ne ſuis point cet aſſemblage de membres, que l'on appelle le corps humain ; ie ne ſuis point vn air delié & penetrant, répandu dans tous ces membres ; ie ne ſuis point vn vent, vn ſouffle, vne vapeur, ny rien de tout ce que ie puis feindre & imaginer, puiſque i'ay ſupoſé que tout cela n'eſtoit rien, & que, ſans changer cette ſupoſition, ie trouue que ie ne laiſſe pas d'eſtre certain que ie ſuis quelque choſe.

Mais auſſi peut-il arriuer que ces meſmes choſes, | que ie ſuppoſe n'eſtre point, parce qu'elles me ſont inconnuës, ne ſont point en effect differentes de moy, que ie connois ? Ie n'en ſçay rien ; ie ne diſpute pas maintenant de cela, ie ne puis donner mon iugement que des choſes qui me ſont connues : i'ay reconnu que i'eſtois, & ie cherche quel ie ſuis, moy que i'ay reconnu eſtre. Or il eſt très-certain que cette notion & connoiſſance de moy-meſme, ainſi preciſement priſe, ne depend point des choſes dont | l'exiſtence ne m'eſt pas encore connuë ; ny par conſequent, & à plus forte raiſon, d'aucunes de celles qui ſont feintes & inuentées par l'imagination. Et meſme ces termes de feindre & d'imaginer m'auertiſſent de mon erreur ; car ie feindrois en effet, ſi i'imaginois eſtre quelque choſe, puiſque imaginer n'eſt autre choſe que contempler la figure ou l'image d'vne choſe corporelle. Or ie ſçay des-ja certainement que ie ſuis, & que tout enſemble il ſe peut faire que toutes ces images-là, & generalement toutes les choſes que l'on rapporte à la nature du corps, ne ſoient que des ſonges ou des chimeres. En ſuitte de quoy ie voy clairement que i'aurois auſſi peu de raiſon en diſant : i'exciteray mon imagination pour connoiſtre plus diſtinctement qui ie ſuis, que fi ie diſois : ie ſuis maintenant éueillé, & i'aperçoy quelque choſe de réel & de veritable ; mais, parce que ie ne l'aperçoy pas encore aſſez nettement, ie m'endormiray tout exprés, afin que mes ſonges me repreſentent cela meſme auec plus de verité & d'euidence. Et ainſi, ie reconnois certainement que rien de tout ce que ie puis com|prendre par le moyen de l'imagination, n'apartient à cette connoiſſance que i'ay de moy-meſme, & qu'il eſt beſoin de rapeller & détourner ſon eſprit de cette façon de conceuoir, afin qu'il puiſſe luy-mefme reconnoiſtre bien diſtinctement ſa nature.

Mais qu'eſt-ce donc que ie ſuis ? Vne choſe qui penſe. Qu'eſt-ce qu'vne choſe qui penſe ? C'eſt à dire vne choſe qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine auſſi, & qui ſent. Certes ce n'eſt pas peu ſi toutes ces choſes apartiennent à ma nature. Mais pourquoy n'y apartiendroient-elles pas ? Ne ſuis-ie pas encore ce meſme qui doute preſque de tout, qui neant-moins entens & conçoy certaines choſes, qui aſſure & affirme celles-là ſeules eſtre veritables, qui nie toutes les autres, qui veux & deſire d'en connoiſtre dauantage, qui ne veux pas eſtre trompé, qui imagine beaucoup de choſes, meſme quelquefois en dépit que i'en aye, & qui en ſens auſſi beaucoup, comme par l'entremiſe des organes du corps ? Y a-t-il rien de tout cela qui ne ſoit auſſi veritable qu'il eſt certain que ie ſuis, & que i'exiſte, quand meſme | ie dormirois toujours, & que celuy qui m'a donné l'eſtre ſe ſeruiroit de toutes ſes forces pour m'abuſer ? Y a-t-il auſſi aucun de ces attributs qui puiſſe eſtre diſtingué de ma penſée, ou qu'on puiſſe dire eſtre ſeparé de moy-meſme? Car il eſt de ſoy ſi euident que c'eſt moy qui doute, qui entens, & qui deſire, qu'il n'eſt pas icy beſoin de rien adjouſter pour l'expliquer. Et i'ay auſſi certainement la puiſſance d'imaginer ; car | encore qu'il puiſſe arriuer (comme i'ay ſupoſé auparauant) que les choſes que i'imagine ne ſoient pas vrayes, neantmoins cette puiſſance d'imaginer ne laiſſe pas d'eſtre réellement en moy, & fait partie de ma penſée. Enfin ie ſuis le meſme qui ſens, c'eſt à dire qui reçoy & connois les choſes comme par les organes des ſens, puiſqu'en effet ie voy la lumiere, i'oy le bruit, ie reſſens la chaleur. Mais l'on me dira que ces apparences ſont fauſſes & que ie dors. Qu'il ſoit ainſi ; toutesfois, à tout le moins, il eſt tres-certain qu'il me ſemble que ie voy, que i'oy, & que ie m'échauffe ; & c'eſt proprement ce qui en moy s'apelle ſentir, & cela, pris ainſi preciſement, n'eſt rien autre choſe que penſer. D'où ie commence à connoiſtre quel ie ſuis, auec vn peu plus de lumiere & de diſtinction que cy-deuant.

Mais ie ne me puis empeſcher de croire que les choſes corporelles, dont les images ſe forment par ma penſée, & qui tombent ſous les ſens, ne ſoient plus diſtinctement connuës que cette ie ne ſçay quelle partie de moy-meſme qui ne tombe point ſous l'imagination : quoy qu'en effet ce ſoit vne choſe bien étrange, que des choſes que ie trouue douteuſes & éloignées, ſoient plus clairement & plus facilement connues de moy, que celles qui ſont veritables & certaines, & qui appartiennent à ma propre nature. Mais ie voy bien ce que c'eſt : mon eſprit ſe plaiſt de s'égarer, & ne ſe peut encore contenir dans les iuſtes bornes de la verité. Relachons-luy donc encore vne fois la | bride, | afin que, venant cy-apres à la retirer doucement & à propos, nous le puiſſions plus facilement regler & conduire.

Commençons par la conſideration des choſes les plus communes, & que nous croyons comprendre le plus diſtinctement, à ſçauoir les corps que nous touchons & que nous voyons. Ie n'entens pas parler des corps en general, car ces notions generales ſont d'ordinaire plus confuſes, mais de quelqu'vn en particulier. Prenons pour exemple ce morceau de cire qui vient d'eſtre tiré de la ruche : il n'a pas encore perdu la douceur du miel qu'il contenoit, il retient encore quelque choſe de l'odeur des fleurs dont il a eſté recueilly ; ſa couleur, ſa figure, ſa grandeur, ſont apparentes ; il eſt dur, il eſt froid, on le touche, & ſi vous le frappez, il rendra quelque ſon. Enfin toutes les choſes qui peuuent diſtinctement faire connoiſtre vn corps, ſe rencontrent en celuy-cy.

Mais voicy que, cependant que ie parle, on l'aproche du feu : ce qui y reſtoit de ſaueur s'exale, l'odeur s'éuanoüit, ſa couleur ſe change, ſa figure ſe perd, ſa grandeur augmente, il deuient liquide, il s'échauffe, à peine le peut-on toucher, & quoy qu'on le frappe, il ne rendra plus aucun ſon. La meſme cire demeure-t-elle aprés ce changement ? Il faut auoüer qu'elle demeure ; & perſonne ne le peut nier. Qu'eſt-ce donc que l'on connoiſſoit en ce morceau de cire auec tant de diſtinction ? Certes ce ne peut eſtre rien de tout ce que i'y ay remarqué par l'entremiſe des ſens, puiſque | toutes les choſes qui tomboient ſous le gouſt, ou l'odorat, ou la veuë, ou l'attouchement, ou l'ouye, ſe trouuent changées, & cependant la meſme cire demeure. Peut-eſtre eſtoit-ce ce que ie penſe maintenant, à ſçauoir que la cire n'eſtoit pas ny cette douceur du miel, ny cette agreable odeur des fleurs, ny cette blancheur, ny cette figure, ny ce ſon, mais ſeulement vn corps qui vn peu auparauant me paraiſſoit ſous ces formes, & qui maintenant ſe fait remarquer ſous d'autres. Mais qu'eft-ce, preciſément parlant, que i'imagine, lorſque ie la conçoy en cette ſorte? Conſiderons-le | attentiuement, & éloignant toutes les choſes qui n'appartiennent point à la cire, voyons ce qui reſte. Certes il ne demeure rien que quelque choſe d'eſtendu, de flexible & de muable. Or qu'eſt-ce que cela : flexible & muable ? N'eſt-ce pas que i'imagine que cette cire eſtant ronde eſt capable de deuenir quarrée, & de paſſer du quarré en vne figure triangulaire ? Non certes, ce n'eſt pas cela, puiſque ie la conçoy capable de receuoir vne infinité de ſemblables changemens, & ie ne ſçaurois neantmoins parcourir cette infinité par mon imagination, & par conſequent cette conception que i'ay de la cire ne s'accomplit pas par la faculté d'imaginer.

Qu'eſt-ce maintenant que cette extenſion ? N'eſt-elle pas auſſi inconnuë, puiſque dans la cire qui ſe fond elle augmente, & ſe trouue encore plus grande quand elle eſt entierement fondue, & beaucoup plus encore quand la chaleur augmente dauantage ? Et ie ne con|ceurois pas clairement & ſelon la verité ce que c'eſt que la cire, ſi ie ne penſois qu'elle eſt capable de receuoir plus de varietez ſelon l'extenſion, que ie n'en ay iamais imaginé. Il faut donc que ie tombe d'accord, que ie ne ſçaurois pas meſme conceuoir par l'imagination ce que c'eſt que cette cire, & qu'il n'y a que mon entendement ſeul qui le conçoiue ; ie dis ce morceau de cire en particulier, car pour la cire en general, il eſt encore plus euident. Or quelle eſt cette cire, qui ne peut eſtre conceuë que par l'entendement ou l'eſprit ? Certes c'eſt la meſme que ie voy, que ie touche, que i'imagine, & la meſme que ie connoiſſois dés le commencement. Mais ce qui eſt à remarquer, ſa perception, ou bien l'action par laquelle on l'aperçoit, n'eſt point vne viſion, ny vn attouchement, ny vne imagination, & ne l'a iamais eſté, quoy qu'il le ſemblaſt ainſi auparauant, 31-33. Méditations. — Seconde. 25

mais feulement vne infpection de l'efprit, laquelle peut eltre impar- faite & confufe, comme elle eftoit auparauant, ou bien claire & diftinfte, comme ^lle eft à prefent, félon que mon attention fe porte plus ou moins aux chofes qui font en elle, & dont elle eft compofée.

Cependant ie ne me fçaurois trop étonner, quand ie confidere combien mon efprit a de foibleffe, & de pente qui le porte infenfi- blemènt dans l'erreur. Car encore que fans parler |ie confidere tout cela en moy-mefme, les paroles toutesfois m'arreftent, & ie fuis prefque trompé par les termes du langage ordinaire; car nous di- fons que nous voyons la mefme cire, fi on j nous la prefente, & non 29 pas que nous iugeons que c'eft la mefme, de ce qu'elle a mefme cou- leur & meime figure : d'où ie voudrois prefque conclure, que l'on connoift la cire par la vifion des yeux, & non par la feule infpedion de l'efprit, fi par hazard ie ne regardois d'vne feneftre des hommes qui pallent dans la rue, à la veuë defquels ie ne manque pas de dire que ie voy des hommes, tout de mefme que ie dis que ie voy de la cire ; Et cependant que voy-je de cette feneftre, finon des chapeaux & des manteaux, qui peuuent couurir des fpedres ou des hommes feints qui ne fe remuent que par reftbrs? Mais ie iuge que ce font de vrais hommes, & ainfi ie comprens, par la feule puiffance de iuger qui refide en mon efprit, ce que ie croyois voir de mes yeux.

Vn homme qui tafche d'éleuer fa connoiffance au delà du com- mun, doit auoir honte de tirer des occafions de douter des formes & des termes de parler du vulgaire ; i'ayme mieux pafl"er outre, & confiderer fi ie conceuois auec plus d'euidence & de perfection ce qu'eftoit la cire, lorfque ie l'ay d'abord apperceuë, & que i'ay creu la connoiftre par le moyen des fens extérieurs, ou à tout le moins du fens commun, ainfi qu'ils appellent, c'eft à dire de la puiffance imaginatiue, que ie ne la conçoy à prefent, après auoir plus exade- ment examiné ce qu'elle eft, & de quelle façon elle peut eftre con- nue'. Certes il feroit ridicule de mettre cela en doute. Car, qu'y auoit-il dans cette première perception qui fuft diftinél & éuident, & I qui ne pouroit pas tomber en mefme forte dans le fens du moindre 30 des animaux? Mais quand ie diftingue la cire d'auec fes formes exté- rieures, & que, tout de mefme que fi ie luy auois ofté fes vefte- mens, ie la confidere toute nuë, certes, quoy qu'il fe puiffe encore rencontrer quelque erreur dans mon iugement, ie ne la puis con- ceuoir de cette forte fans vn efprit humain.

I Mais enfin que diray-ie de cet efprit, c'eft à dire de moy-mefme? Car iufques icy ie n'admets eu moy autre chofe qu'vn efprit. Que prononceray-je, dis-je, de moy qui femble conceuoir auec tant de Œuvres. IV, 4

�� � 20 Œuvres de Descartes. 33-34.

netteté & de diftin£lion ce morceau de cire? Ne me connois-je pas moy-mefme, non feulement auec bien plus de vérité & de certitude, mais encore auec beaucoup plus de diftinétion & de netteté ? Car fi ie iuge que la cire eft, ou exifte, de ce que ie la voy, certes il fuit bien plus euidemment que ie fuis, ou que i'exifte moy-mefme, de ce que ie la voy. Car il fe peut faire que ce que ie voy ne foit pas en effet de la cire ; il peut auffi arriuer que ie n'aye pas mefme des yeux pour voir aucune chofe ; mais il ne fe peut pas faire que, lorfque ie voy, ou (ce que ie ne diltingue plus) lorfque ie penfe voir, que moy qui penfe ne fois quelque chofe. De mefme, fi ie iuge que la cire exifte, de ce que ie la touche, il s'enfuiura encore la mefme chofe, à fçauoir que ie fuis ; & fi ie le iuge de ce que mon imagination me le perfuade, ou de quelque autre caufe que ce foit, 31 ie concluray toufiours la mefme chofe. Et ce que i'ay rejmarqué icy de la cire, fe peut apliquer à toutes les autres chofes qui me font extérieures, & qui fe rencontrent hors de moy.

Or fi la notion & la connoiffance de la cire femble eftre plus nette & plus diftinde, après qu'elle a efté découuerte non feulement par la veuë ou par l'attouchement, mais encore par beaucoup d'autres caufes, auec combien plus d'euidence, de dillinclion & de netteté, me dois-je connoiftre moy-mefme, puifque toutes les raifons qui feruent à connoiftre & conceuoir la nature de la cire, ou de quelque autre corps, prouuent beaucoup plus facilement & plus euidem- ment la nature de mon efprit ? Et il fe rencontre encore tant d'autres chofes en l'efprit mefme, qui peuuent contribuer à l'éclair- ciffement de fa nature, que celles qui dépendent du corps, comme celles-cy, ne méritent quafi pas d'eflre nombrées.

Mais enfin me voicy infenfiblement reuenu où | ie voulois ; car, puifque c'eft vne chofe qui m'eft à prefent connue, qu'à proprement parler nous ne conceuons les corps que par la faculté d'entendre qui eft en nous, & non point par l'imagination ny par les fens, & que nous ne les connoiffons pas de ce que nous les voyons, ou que nous les touchons, mais feulement de ce que nous les conceuons par la penfée, ie connois euidemment qu'il n'y a rien qui me foit plus facile à connoiftre que mon efprit. Mais, parce qu'il eft prefque impoffible de fe deffaire fi promptement d'vne ancienne opinion, il 32 fera bon | que ie m'arrefte vn peu en cet endroit, afin que, par la longueur de ma méditation, l'imprime plus profondement en ma mémoire cette nouuelle connoiffance.

�� � 34-35. Méditations. — Troisième. 27

��|Meditation troisième. 33

De Dieu; qu'il exijie.

le fermeray maintenant les yeux, ie boucheray mes oreilles, ie détourneray tous mes fens, i'effaceray mefme de ma penfée toutes les images des chofes corporelles, ou du moins, parce qu'à peine cela fe peut-il faire, ie les reputeray comme vaines & comme fauffes; & ainfi m'entretenant feulement moy-mefme, & conliderant mon intérieur, ie tafcheray de me rendre peu à peu plus connu & plus familier à moy-mefme. le fuis vne chofe qui penfe, c'eit à dire qui doute, qui affirme, qui nie, qui connoilt peu de chofes, qui en ignore beaucoup, qui ayme, qui haït, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine auffi, & qui fent. Car, ainfi que i'ay remarqué cy-deuant, quoy que les chofes que ie fens & que i'imagine ne foient peut-eftre rien du | tout hors de moy & en elles-mefmes, ie fuis neantmoins 34 affuré que ces façons de penfer, que i'appelle fentimens & imagi- nations,} en tant feulement qu'elles font des façons de penfer, re- fident & fe rencontrent certainement en moy. Et dans ce peu que ie viens de dire, ie croy auoir rapporté tout ce que ie fçay véritable- ment, ou du moins tout ce que iniques icy i'ay remarqué que ie fçauois.

Maintenant ie confidereray plus exaflement fi peut-eftre il ne fe retrouue point en moy d'autres connoiflances que ie n'aye pas encore apperceuës. le fuis certain que ie fuis vne chofe qui penfe ; mais ne fçay-je donc pas aufli ce qui elt requis pour me rendre cer- tain de quelque chofe? Dans cette première connoilïance, il ne le rencontre rien qu'vne claire & diltinfte perception de ce que ie con- nois; laquelle de vray ne feroit pas fuffifante pour m'alTurer qu'elle eft vraye, s'il pouuoit iamais arriuer qu'vne choie que ie conceurois ainfi clairement & diftinftement fe trouuaft faufle. Et partant il me femble que des-ja ie puis eftablir pour règle générale, que toutes les chofes que nous conceuons fort clairement & fort diitinctcment.font toutes vrayes.

Toutesfois i'ay receu & admis cy-deuant plufieurs chofes comme très-certaines & tres-manifeltes , lefquclles neantmoins i'ay re- connu par après eflre douteuies & incertaines. Quelles eltoient donc ces choies-là? C'eltoit la Terre, le Ciel, les Aftres, & toutes les autres chofes que i'apperceuois par l'entremife de mes | fens. Or 35

�� � 28 OEuvREs DE Descartes, 35-36.

qu'eft-ce que ie conceuois clairement & diflindement en elles ? Certes rien autre choie finon que les idées ou les penfées de ces choies fe prelentoient à mon efprit. Et encore à prêtent ie ne nie pas que ces idées ne fe rencontrent en moy. Mais il y auoit encore vne autre chofe que i'affurois, & qu'à caufe de l'habitude que l'auois à la croire, ie penfois apperceuoir tres-clairement, quoy que véritable- ment ie ne l'apperceufle point, à fçauoir qu'il y auoit des choies hors de mo}', d'où procedoient ces idées, & aul'quelles elles eftoient tout à fait femblables. Et c'eftoit en cela que ie me trompois; ou, fi peut-eftre ie iugeois félon la vérité, ce n'eftoit aucune connoilfance que i'eufle, qui fuft caufe de la vérité de mon iugement.

Mais lorfque ie confiderois quelque chofe de fort fimple & de fort facile touchant l'Arithmétique & la Géométrie, | par exemple que deux & trois ioints enfemble produifent le nombre de cinq, & autres chofes femblables, ne les conceuois-je pas au moins aflez clairement pour affurer qu'elles eftoient vrayes? Certes fi i'ay iugé depuis qu'on pouuoit douter de ces choies, ce n'a point efté pour autre raifon, que parce qu'il me venoit en l'efprit, que peut- efire quelque Dieu auoit pu me donner vne telle nature, que ie me trompaffe mefme touchant les chofes qui me femblent les plus manifeftes. Mais toutes les fois que cette opinion cy-devant conceuë de la fouueraine puilTance d'vn Dieu fe prefente à ma penfée, ie fuis 36 contraint d'auouer ( qu'il luy eft facile, s'il le veut, de faire en forte que ie m'abufe, mefme dans les chofes que ie croy connoiftre auec vne euidcnce très-grande. Et au contraire toutes les fois que ie me tourne vers les chofes que ie penfe conceuoir fort clairement, ie fuis tellement perfuadé par elles, que de moy-mefme ie me laiffe em- porter à ces paroles : Me trompe qui poura, fi eft-ce qu'il ne fçau- roit iamais faire que ie ne fois rien, tandis que ie penferay eftre quelque chofe ; ou que quelque iour il foit vray que ie n'aye iamais erté, eftant vray maintenant que ie fuis; ou bien que deux & trois ioints enfemble faffent plus ny moins que cinq, ou chofes fem- blables, que ie voy clairement ne pouuoir eftre d'autre façon que ie les conçoy.

Et certes, puifque ie n'ay aucune raifon de croire qu'il y ait quelque Dieu qui foit trompeur, & mefme que ie n'ay pas encore confideré celles qui prouuent qu'il y a vn Dieu, la raifon de douter qui dépend feulement de cette opinion, eft bien légère, & pour ainfi dire Metaphyfique. Mais afin de la pouuoir tout à fait ofter, ie dois examiner s'il y a vn Dieu, fi-toft que l'occafion s'en prefentera; & fi ie trouue qu'il y en ait vn, ie dois auffi examiner s'il peut eftre

�� � 36-38. Méditations. — Troisième. 29

trompeur: car fans la connoiffance de ces deux veritez, ie ne voy pas que ie puifle iamais eftre certain d'aucune chofe. Et afin que ie puilTe auoiroccafion d'examiner cela fans interrompre l'ordre de méditer que ie me fuis propofé, qui ert de paffer par degrez des no- tions que ie irouueray les premières en mon efprit à celles que i'y pouray | trouuer par après, | il faut icy que ie diuife toutes mes pen- 37 fées en certains genres, & quo ie confidere dans lefquels de ces genres il y a proprement de la vérité ou de l'erreur.

Entre mes penfées, quelques-vnes font comme les images des chofes, & c'ert à celles-là feules que conuient proprement le nom d'idée : comme lorfque ie me représente vn homme, ou vne Chi- mère, ou le Ciel, ou vn Ange, ou Dieu mefme. D'autres, outre cela, ont quelques autres formes : comme, lorfque ie veux, que ie crains, que i'affirme ou que ie nie, ie conçoy bien alors quelque chofe comme le fujet de l'adion de mon efprit, mais i'adjoulte auffi quelque autre chofe par cette adion à l'idée que i'ay de cette chofe- là; & de ce genre de penfées, les vnes font appellées volontez ou affedions, & les autres iugemens.

Maintenant, pour ce qui concerne les idées, û on les confidere feulement en elles-mefmes, & qu'on ne les rapporte point à quelque autre chofe, elles ne peuuent, à proprement parler, eftre fauffes; ca ■ foit que i'imagine vne Chèvre ou vne Chimère, il n'efi pas moins vray que i'imagine l'vne que l'autre.

11 ne faut pas craindre auffi qu'il le puiffe rencontrer de la fauffeté dans les affedions ou volontez ; car encore que ie puiffe defirer des chofes mauuaifes, ou mefme qui ne furent iamais, toutesfois il n'eft pas pour cela moins vray que ie les defire.

Ainfi il ne reffe plus que les fèuls iugemens, dans lefquels ie dois prendre garde foigneufement de ne me | point tromper. Or la prin- 33 cipale erreur t^ la plus ordinaire qui s'y puiffe rencontrer, confifte en ce que ie iuge que les idées qui font en moy ; font femblables, ou conformes à des chofes qui font hors de moy ; car certainement, fi ie confiderois feulement les idées comme de certains modes ou fa- çons de ma penfée, fans les vouloir rapporter à quelque autre chofe d'extérieur, à peine me pouroient-elles donner occafion de faillir.

Or de ces idées les vnes me femblent eftre nées auec moy, les autres eftre étrangères & venir de dehors, | & les autres eftre faites & inuentées par moy-meime. Car, que i'aye la faculté de conceuoir ce que c'eft qu'on nomme en gênerai vne chofe, ou vne veri.é, ou vne penfée, il me femble que ie ne tiens point cela d'ailleurs que de ma nature propre; mais fi i'oy maintenant quelque bruit, fi ie

�� � 2 Œuvres de Descartes. 38.39.

voy le Soleil, fi ie fens de la chaleur, iufqu'à cette heure i'ay iugé que ces fentimens procedoient de quelques chofes qui exiftent hors de moy; & enfin il me lemble que les Syrenes, les Hypogrifes & toutes les autres femblables Chimères font des fidions & inuentions de mon efprit. Mais aufli peut-eftre me puis-je perfuader que toutes ces idées font du genre de celles que i'apelle étrangères, & qui viennent de dehors, ou bien qu'elles font toutes nées auec moy, ou bien qu'elles ont toutes efté faites par moy ; car ie n'ay point encore clairement découuert leur véritable origine. Et ce que i'ay princi- palement à faire en cet endroit, eft de confiderer, touchant celles qui 39 me femblent venir de quelques objets qui font hors de | moy, quelles font les raifons qui m'obligent à les croire femblables à ces objets.

La première de ces raifons eft qu'il me femble que cela m'efl en- feigné par la nature ; & la féconde, que l'expérimente en moy-mefme que ces idées ne dépendent point de ma volonté ; car fouuent elles fe prefentent à moy malgré moy, comme maintenant, foit que ie le veuille, foit que ie ne le veuille pas, ie fens de la chaleur, & pour cette caufe ie me perfuade que ce fentiment ou bien cette idée de la chaleur eft produite en moy par vne chofe différente de moy, à fçauoir par la chaleur du feu auprès duquel ie me rencontre. Et ie ne voy rien qui me femble plus raifonnable, que de iuger que cette chofe étrangère enuoye & imprime en moy fa reffemblance pluftoft qu'aucune autre chofe.

Maintenant il faut que ie voye fi ces raifons font alTez fortes & conuaincantes. Quand ie dis qu'il me femble que cela m'eft en- feigné par la nature, i'entens feulement par ce mot de nature vne certaine inclination qui me porte à croire cette chofe, & non pas vne lumière naturelle qui me face connoiftre qu'elle eft vraye. Or ces deux chofes différent beaucoup entr'elles; car ie ne fçaurois rien reuoquer en doute de ce que la lumière naturelle me fait voir eftre vray, ainfi qu'elle m'a tantoft fait voir que, de ce que ie dou- tois, ie pouuois conclure que i'eftois. Et ie n'ay en moy aucune autre faculté, ou puiffance, pour diftinguer le vray du faux, qui me puiffe enfeigner que ce que cette lumière me monftre comme vray 40 ne l'eft pas, & à qui ie me | puiffe tant fier qu'à elle. | Mais, pour ce qui eft des inclinations qui me femblent auffi m'eftre naturelles, i'ay fouuent remarqué, lorfqu'il a efté queftion de faire choix entre les vertus & les vices, qu'elles ne m'ont pas moins porté au mal qu'au bien; c'eft pourquoy ie n'ay pas fujet de les fuiure non plus en ce qui regarde le vray & le faux.

�� � 39-40. Méditations. — Troisième. j i

Et pour l'autre railbn, qui eft que ces idées doiuent venir d'ail- leurs, puifqu'elles ne dépendent pas de ma volonté, ie ne la trouue non plus conuaincante. Car tout de mefme que ces inclinations, dont ie parlois tout maintenant, fe trouuent en moy, nonobltant qu'elles ne s'accordent pas toufiours auec ma volonté, ainfi peut- eftre qu'il y a en moy quelque faculté ou puiffance propre à pro- duire ces idées fans l'ayde d'aucunes chofes extérieures, bien qu'elle ne me foit pas encore connue; comme en effet il m'a toufiours femblé iufques icy que, lorfque ie dors, elles fe forment ainfi en moy fans l'ayde des objets qu'elles reprefentent. Et enfin, encore que ie demeurafle d'accord qu'elles font caufées par ces objets, ce n'eft pas vne confequence neceffaire qu'elles doiuent leur eftre femblables. Au contraire, i'ay fouuent remarqué, en beaucoup d'exemples, qu'il y auoit vne grande différence entre l'objet & fon idée. Conmie, par exemple, ie trouue dans mon efprit deux idées du Soleil toutes diuerfes : l'vnc tire fon origine des fens, &; doit eftre placée dans le genre de celles que i'ay dit cy-deffus venir de dehors, par laquelle il me paroift extrêmement petit; l'autre eft I prile des raifons de l'Aftronomie, c'eft à dire de certaines notions 41 nées auec moy, ou enfin eft formée par moy-mefme de quelque forte que ce puiffe eftre, par laquelle il me paroift plufieurs fois plus grand que toute la terre. Certes, ces deux idées que ie conçoy du Soleil, ne peuuent pas eftre toutes deux femblables au mefme Soleil ; & la raifon me fait croire que celle qui vient immédiatement de fon apparence, eft celle qui luy eft le plus diffemblable.

Tout cela me fait aifez connoiftre que iufques à cette heure ce n'a point eilé | par vn iugement certain & prémédité, mais feulement par vne aueugle & téméraire impulfion, que i'ay creu qu'il y auoit des chofes hors de moy, & différentes de mon eftre, qui, par les organes de mes fens, ou par quelque autre moyen que ce puiffe eftre, enuoyoient en moy leurs idées ou images, & y imprimoient leurs reffemblances.

Mais il fe prefente encore vne autre voye pour rechercher fi, entre les chofes dont i'ay en moy les idées, il y en a quelques-vnes qui exiftent hors de moy. A fçauoir, fi ces idées font prifes en tant feulement que ce font de certaines façons de penfer, ie ne recon- nois entr'elles aucune différence ou inégalité, & toutes femblent procéder de moy d'vnc mefme forte ; mais, les confiderant comme des images, dont les vues reprefentent vne chofe & les autres vne autre, il eft euident qu'elles font fort différentes les vnes des autres. Car, en effet, celles qui me reprefentent des fubttances.

�� � j2 Œuvres de Descartes. 4o-4i-

42 font fans doute quelque chofe de plus, & contiennent | en foy (pour ainf) parler) plus de realité objectiue, c'eft à dire participent par reprefentation à plus de dcgrez d'elke ou de perfedion; que celles qui me reprefentent feulement des modes ou accidens. De plus, celle par laquelle ie conçoy vn Dieu fouuerain, éternel, infini, immuable, tout connoilfant, tout puiflant, & Créateur vniuerfel de toutes les chofes qui font hors de luy; celle-là, dis-je, a certai- nement en foy plus de realité objediue, que celles par qui les fubftances finies me font reprefentées.

Maintenant c'ell vne choie manifefte par la lumière naturelle, qu'il doit y auoir pour le moins autant de realité dans la caufe efficiente & totale que dans fon effeél : car d'où eft-ce que l'effect peut tirer fa realité, finon de fa caufe ? & comment cette caufe la luy pouroit-elle communiquer, fi elle ne l'auoit en elle-mefme?

Et de là il fuit, non feulement que le néant ne fçauroit produire aucune chofe, mais auffi que ce qui ell: plus parfait, c'eft: à dire qui contient en foy plus de realité, | ne peut eflre vne fuite & vne dé- pendance du moins parfait. Et cette vérité n'eft pas feulement claire & euidente dans les effets qui ont cette realité que les Philo- fophes appellent aéluelle ou formelle, mais auffi dans les idées où l'on confidere feulement la realité qu'ils nomment objecliue : par exemple, la pierre qui n'a point encore efi;é, non feulement ne peut pas maintenant commencer d'eftre, fi elle n'efl; produitte par vne

43 chofe qui polTede en foy formellement, ou emijnemment, tout ce qui entre en la compofition de la pierre, c'eft à dire qui contienne en foy les mefmes choies ou d'autres plus excellentes que celles qui font dans la pierre; & la chaleur ne peut eflre produite dans vn fujet qui en eltoit auparauant priué, fi ce n'eft par vne chofe qui foit d'vn ordre, d'vn degré ou d'vn genre au moins aufïï parfait que la chaleur, & ainfi des autres. Mais encore, outre cela, l'idée de la chaleur, ou de la pierre, ne peut pas eftre en moy, fi elle n'y a efté mife par quelque caufe, qui contienne en foy pour le moins autant de realité, que l'en conçoy dans la chaleur ou dans la pierre. Car encore que cette caufe-là ne tranfmette en mon idée aucune chofe de fa realité actuelle ou formelle, on ne doit pas pour cela s'ima- giner que cette caufe doiue eilre moins réelle; mais on doit fçauoir que toute idée eftant vn ouurage de l'efprit, fa nature eft telle qu'elle ne demande de foy aucune autre realité formelle, que celle qu'elle reçoit & emprunte de la penfée ou de l'efprit, dont elle eft feulement vn mode, c'eft à dire vne manière ou façon de penfer. Or, afin qu'vne idée contienne vne telle realité objecliue plutoft

�� � 4I-4Î- Méditations. — Troisième. jj

qu'vne autre, elle doit fans doute auoir cela de quelque caul'e, dans laquelle il fe rencontre pour le moins autant de realité formelle que cette idée contient de realité objecl:iue. Car fi nous fupofons qu'il fe trouue quelque chofe dans l'idée, qui ne fe rencontre pas dans fa caufe, il faut donc qu'elle tienne cela du néant; mais, pour impar- faite que foit cette façon d'eftre, par laquelle vne chofe efi: objecti- uement | ou par reprefentation dans l'entendement par fon idée, ^* certes on ne peut pas neantmoins dire que cette façon & manierc- là ne foit rien, ny par confequent que cette idée tire fon ori- gine du néant. le ne dois pas auffi douter qu'il ne foit necelTaire |que la realité foit formellement dans les caufes de mes idées, quoy que la realité que ie confidere dans ces idées foit feulement objediue, ny penfer qu'il fuffit que cette realité fe rencontre obiedi- uement dans leur (s) caufes; car, tout ainfi que cette manière d'eftre obiediuement appartient aux idées, de leur propre nature, de mefme auffi la manière ou la façon d'eftre formellement appartient aux caufes de ces idées (à tout le moins aux premières & princi- pales) de leur propre nature. Et encore qu'il puilfe arriuer qu'vne idée donne la naiffance à vne autre idée, cela ne peut pas toutes- fois eftre à l'infiny, mais il faut à la fin paruenir à vne première idée, dont la caufe foit comme vn patron ou vn original, dans lequel toute la realité ou perfedlion foit contenue formellement iS: en effet, qui fe rencontre feulement obiediuement ou par repre- fentation dans ces idées. En forte que la lumière naturelle me fait connoiftre euidemment, que les idées font en moy comme des tableaux, ou des images, qui peuuent à la vérité facilement déchoir de la perfeftion des chofes dont elles ont efté tirées, mais qui ne peuuent iamais rien contenir de plus grand ou de plus parfait.

Et d'autant plus longuement & foigneufement l'examine toutes ces chofes, d'autant plus clairement & di|ftin6tement ie connois 45 qu'elles font vrayes. Mais enfin que concluray-je de tout cela? C'eft à fçauoir que, û la realité obiediue de quelqu'vne de mes idées eft telle, que ie connoifte clairement qu'elle n'eft point en moy, ny formellement, ny éminemment, & que par confequent ie ne puis pas moy-mefme en eftre la caufe, il fuit de là necefl'airement que ie ne fuis pas feul dans le monde, mais qu'il y a encore quelque autre chofe qui exifte, &qui eft la caufe de cette idée; au lieu que, s'il ne fe rencontre point en moy de telle idée, ie n'auray aucun argu- ment qui me puifl"e conuaincre & rendre certain de l'exiftence d'aucune autre chofe que de nioy-mefme ; car ie les ay tous foi-

ŒUVRE IV 5

�� � 34 OEuvRES DE Descartes. 42-44-

gneufement recherchez, & ie n'en ay peu trouuer aucun autre iufqu'à prelent.

Or entre ces idées, outre celle qui me reprefente à moy-mefme, de laquelle il ne peut y auoir icy aucune difficulté, | il y en a vne autre qui me reprefente vn Dieu, d'autres des chofes corporelles & inanimées, d'autres des anges, d'autres des animaux, & d'autres enfin qui me reprefentent des hommes femblables à moy. Mais pour ce qui regarde les idées qui me reprefentent d'autres hommes, ou des animaux, ou des anges, ie conçoy facilement qu'elles peuuent eltre formées par le mélange & la compofition des autres idées que i'ay des chofes corporelles & de Dieu, encores que hors de moy il n'y eufl: point d'autres hommes dans le monde, ny aucuns animaux, ny aucuns anges. Et pour ce qui regarde les idées des chofes corporelles, ie n'y reconnois rien de fi grand ny de fi excel-

46 lent, qui ne me fem|ble pouuoir venir de moy-mefme ; car, fi ie les confidere de plus prés, & fi ie les examine de la mefme façon que i'examinay hier l'idée de la cire, ie trouue qu'il ne s'y rencontre que fort peu de chofes que ie conçoiue clairement & diftinélement : à fçauoir, la grandeur ou bien l'extenfion en longueur, largeur & profondeur; la figure qui efl: formée par les termes & les bornes de cette extenfion;Ia fituation que les corps diuerfement figurez gardent entr'eux; & le mouuement ou le changement de cette fituation; aufquelles on peut adjouter la fubftance, la durée, & le nombre. Quant aux autres chofes, comme la lumière, les couleurs, les fons, les odeurs, les faueurs, la chaleur, le froid, & les autres qualitez qui tombent fous l'attouchement, elles fe rencontrent dans ma penfée auec tant d'obfcurité & de confufion, que i'ignore mefme û elles font véritables, ou faufies & feulement apparentes, c'efi à dire fi les idées que ie conçoy de ces qualitez, font en effet les idées de quelques chofes réelles, ou bien fi elles ne me reprefentent que des eftres chymeriques, qui ne peuuent exifter. Car, encore que i'aye remarqué cy-deuant, qu'il n'y a que dans les iugemens que fe puilTe rencontrer la vraye & formelle faufieté, il fe peut neantmoins trouuer dans les idées vne certaine faulfeté matérielle, à fçauoir, lorfqu'elles reprefentent ce qui n'elT; rien comme fi c'efloit quelque chofe. Par exemple, les idées que i'ay du froid & de la chaleur font fi peu claires & fi peu diftincles, | que par leur moyen ie ne puis pas

47 difcerner fi le froid eft feulement vne priuation de la ] chaleur, ou la chaleur vne priuation du froid, ou bien fi l'vne & l'autre font des qualitez réelles, ou fi elles ne le font pas ; & d'autant que, les idées eftant comme des images, il n'y en peut auoir aucune qui ne

�� � 44-45. Méditations. — Troisième. 55

nous femble reprefenter quelque chofe, s'il eft vray de dire que le froid ne foit autre chofe qu'vne priuation de la chaleur, l'idée qui me le reprefente comme quelque choie de réel & de pofitif, ne fera pas mal à propos appellée faufle, ^ ainfi des autres femblables idées ; aufquelles certes il n'eft pas neceffaire que i'attribuë d'autre au- theur que moy-mefme. Car, fi elles font fauffes, c'eft à dire fi elles reprefentent des chofes qui ne font point, la lumière naturelle me fait connoiftre qu'elles procèdent du néant, c'efl à dire qu'elles ne font en moy, que parce qu'il manque quelque chofe à ma nature, & qu'elle n'efl pas toute parfaite. Et fi ces idées font vrayes, neant- moins, parce qu'elles me font paroiflre fi peu de realité, que mefme le ne puis pas nettement difcerner la chofe reprefentée d'auec le non eftre, ie ne voy point de raifon pourquoy elles ne puiffent eftre produites par moy-mefme, & que ie n'en puiffe eflre l'auteur.

Quant aux idées claires & diftinftes que i'ay des chofes corpo- relles, il y en a quelques-vnes qu'il femble que i'aye pu tirer de l'idée que i'ay de moy-mefme, comme celle que i'ay de la fub- ftance, de la durée, du nombre, & d'autres chofes femblables. Car, lorfque ie penfe que la pierre efi vne fubftance, ou bien vne chofe qui de foy eft capable d'exifter, puis que ie fuis | vne fubftance, 48 quoy que ie conçoiue bien que ie fuis vne chofe qui penfe & non étendue, & que la pierre au contraire eft vne chofe étendue & qui ne penfe point, & qu'ainfi entre ces deux conceptions il fe ren- contre vne notable différence, toutesfois elles femblent conuenir en ce qu'elles reprefentent des fubftances. De mefme, quand ie penfe que ie fuis maintenant, & que ie me reffouuiens outre cela d'auoir efté autresfois, & que ie conçoy plufieurs diuerfes penfées dont ie connois le nombre, alors i'acquiers en moy | les idées de la durée & du nombre, lefquelles, par après, ie puis transférer à toutes les autres chofes que ie voudray.

Pour ce qui eft des autres qualitez dont les idées des chofes corporelles font compofées, à fçauoir l'étendue, la figure, la fitua- tion. & le mouuement de lieu, il eft vray qu'elles ne font point formellement en moy, puifque ie ne fuis qu'vne chofe qui penfe ; mais parce que ce font feulement de certains modes de la fub- ftance, & comme les veftemens fous lefquels la fubftance corporelle nous paroift, & que ie fuis aufli moy-mefme vne fubftance, il femble qu'elles puifl"ent eftre contenues en moy éminemment.

Partant il ne refte que la feule idée de Dieu, dans laquelle il faut confiderer s'il y a quelque chofe qui n'ait pu venir de moy-mefme. Par le nom de Dieu i'entens vne fubftance infinie, éternelle, im-

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��OEUVRES DE Descartes. 45-46.

��muable, indépendante, toute connoiffante, toute puiffante, & par laquelle mo3'-mefme, & toutes les autres chofes qui font (s'il eft 49 vray qu'il y en ait qui exiilent) ont efté créées | & produites. Or ces auantages font fi grands & fi eminens, que plus attentiuement ie les confidcre, & moins ie me perfuade que l'idée que l'en ay puiffe tirer fon origine de moy feul. Et par confequent il faut neceffai- rement conclure de tout ce que i'ay dit auparauant, que Dieu exifle ; car, encore que l'idée de la fubflance foit en moy, de cela mefme que ie fuis vne fubftance, ie n'aurois pas neantmoins l'idée d'vne fubftance infinie, moy qui fuis vn eflre finy, fi elle n'auoit efté mife en moy par quelque fubftance qui fuft véritablement infinie.

Et ie ne me dois pas imaginer que ie ne conçoy pas l'ihfiny par vne véritable idée, mais feulement par la négation de ce qui eft finy, de mefme que ie comprens le repos & les ténèbres par la négation du mouuement & de la lumière : puifqu'au contraire ie voy mani- feftement qu'il fe rencontre plus de realité dans la fubftance infinie, que dans la fubftance finie, & partant que i'ay en quelque façon premièrement en moy la notion de l'infiny, que du finy, c'eft à dire de Dieu, que de moy-mefme. Car comment feroit-il poftible que ie peuffe connoiftre que ie doute & que | ie defire, c'eft à dire qu'il me manque quelque chofe & que ie ne fuis pas tout parfait, fi ie n'auois en moy aucune idée d'vn eftre plus parfait que le mien, par la com- paraifon duquel ie connoiftrois les défauts de ma nature?

Et l'on ne peut pas dire que peut-eftre cette idée de Dieu eft ma- 50 teriellement fauffe, & que par con|fequent ie la puis tenir du néant, c'eft à dire qu'elle peut eftre en moy pource que i'ay du défaut, comme i'ay dit cy-deuant des idées de la chaleur & du froid, & d'autres chofes femblables : car, au contraire, cette idée eftant fort claire & fort diftinde, & contenant en foy plus de realité obieiftiue qu'aucune autre, il n'y en a point qui foit de foy plus vraye, ny qui puiffe eftre moins foupçonnée d'erreur & de fauffeté.

L'idée, dis-je, de cet eftre fouuerainement parfait & infiny eft entièrement vraye ; car, encore que peut-eftre l'on puiffe feindre qu'vn tel eftre n'exifte point, on ne peut pas feindre neantmoins que fon idée ne me reprefente rien de réel, comme i'ay tantoft dit de l'idée du froid.

Cette mefme idée eft aufli fort claire & fort diftincte, puifque tout ce que mon elprit conçoit clairement & diftindement de réel & de vray, & qui contient en foy quelque perfedion, eft contenu & renfermé tout entier dans cette idée.

�� � 46-47- Méditations, — Troisième. ^7

Et cecy ne laiffe pas d'eftre vray, encore que ie ne comprenne pas l'infiny, ou mefme qu'il fe rencontre en Dieu vne infinité de chofes que ie ne puis comprendre, ny peut-eftre aufli atteindre aucune- ment par la penfée : car il eft de la nature de l'infiny, que ma nature, qui eft finie & bornée, ne le puifTe comprendre; & il fuffit que ie conçoiue bien cela, & que ie iuge que toutes les chofes que ie conçoy clairement, & dans lefquelles ie fçay qu'il y a queljque 51 perfeftion, & peut-eftre aufli vne infinité d'autres que i'ignore, font en Dieu formellement ou éminemment, afin que l'idée que i'en ay foit la plus vraye, la plus claire & la plus diftinfte de toutes celles qui font en mon efprit.

Mais peut-eftre aufli que ie fuis quelque chofe de plus que ie ne m'imagine, & que toutes les perfedions que i'attribuë à la nature d'vn Dieu, font en quelque façon en moy en puifl"ance, quoy qu'elles ne fe produifent pas encore, | & ne fe facent point paroiftre par leurs adions. En effet i'experimente défia que ma connoiffance s'aug- mente & fe perfectionne peu à peu, & ie ne voy rien qui la puifle empefcher de s'augmenter de plus en plus iufques à l'infiny; puis, eftant ainfi accreuë & perfectionnée, ie ne voy rien qui empefche que ie ne puiffe m'acquerir par"fon moyen toutes les autres per- fections de la nature Diuine ; & enfin il femble que la puiffance que i'ay pour l'acquifition de ces perfe6tions, fi elle eft en moy, peut eftre capable d'y imprimer & d'y introduire leurs idées. Toutesfois, en y regardant vn peu de prez, ie reconnois que cela ne peut eftre ; car, premièrement, encore qu'il fuft vray que ma connbifiance ac- quilt tous les iours de nouueaux degrez de perfedion, & qu'il y euft en ma nature beaucoup de chofes en puiffance, qui n'y font pas encore aftuellement, toutesfois tous ces auantages n'appartiennent & n'approchent en aucune forte de l'idée que i'ay de la Diuinité, dans laquelle rien ne | fe rencontre feulement en puiffance, mais 52 tout y eft actuellement & en effed. Et mefme n'eft-ce pas vn argu- ment infaillible & très-certain d'imperfection en ma connoiffance, de ce qu'elle s'accroift peu à peu, & qu'elle s'augmente par degrez ? Dauantage, encore que ma connoiffance s'augmentaft de plus en plus, neantmoins ie ne laiffe pas de conceuoir qu'elle ne fçauroit eftre actuellement infinie, puifqu'elle n'arriuera iamais à vn fi haut point de perfection, qu'elle ne foit encore capable d'acquérir quelque plus grand accroiiïement. Mais ie conçoy Dieu actuelle- ment infiny en vn fi haut degré, qu'il ne fe peut rien adioufter à la fouueraine perfettion qu'il poffede. Et enfin ie comprens fort bien que l'eftre objectif d'vne idée ne peut eftre produit par vn eftre qui

�� � 58

��OEuvRES DE Descartes. 47-48.

��exifte feulement en puiffance, lequel à proprement parler n'eft rien, mais feulement par vn eûre formel ou actuel.

Et certes ie ne voy rien en tout ce que ie viens de dire, qui ne foit tres-aifé à connoiftre par la lumière naturelle à tous ceux qui voudront y penfer foigneufement ; mais lorfque ie relâche quelque chofe de mon attention, mon efprit fe trouuant obfcurcy 8.. comme aueuglé par les images des chofes fenfibles, ne fe reffouuient pas facilement de la raifon pourquoy l'idée que i'ay d'vn eflre plus par- fait que le mien, doit necefiairement auoir efté mife en moy par vn eftre qui foit en effet plus parfait.

53 I C'eft pourquoy ie veux icy paffer outre, & confiderer | fi moy- mel'me, qui ay cette idée de Dieu, ie pourrois eftre, en cas qu'il n'y euft point de Dieu. Et ie demande, de qui aurois-je mon exiflence? Peut-eftre de moy-mefme, ou de mes parens, ou bien de quelques autres caufes moins parfaites que Dieu ; car on ne fe peut rien ima- giner de plus parfait, ni mei'me d'égal à luy.

Or, fi i'eftois indépendant de tout autre, & que ie fuffe moy- mefme l'auteur de mon eftre, certes ie ne douterois d'aucune chofe, ie ne conceurois plus de defirs, & enfin il ne me manqueroit au- cune perfection ; car ie me ferois donné moy-mefme toutes celles dont i'ay en moy quelque idée, & ainfi ie ferois Dieu.

Et ie ne me dois point imaginer que les chofes qui me manquent font peut-eftre plus difficiles à acquérir, que celles dont ie fuis defia en poffeffion ; car au contraire il efl très-certain, qu'il a efté beau- coup plus difficile, que moy, c'eft à dire vne chofe ou vne fubftance qui penfe, fois forty du néant, qu'il ne me feroit d'acquérir les lumières & les connoiffances de plufieurs chofes que i'ignore, & qui ne font que des accidens de cette fubftance. Et ainfi fans diffi- culté, fi ie m'ei^ois moy-melme donné ce plus que ie viens de dire, c'eft à dire fi i'eftois l'auteur de ma nailTance & de mon exiftence, ie ne me ferois pas priué au moins des chofes qui font de plus facile acquifition, à fçauoir, de beaucoup de connoifl'ances dont ma nature

54 eft dénuée ; ie ne me ferois pas | priué non plus d'aucune des chofes qui font contenues dans l'idée que ie conçoy de Dieu, parce qu'il n'y en a aucune qui me lemble de plus difficile acquifition; & s'il y en auoit quelqu'vne, certes elle me paroiftroit telle (fuppofé que i'eufi"e de moy toutes les autres chofes que ie poffede), puifque i'experimenterois que ma puilfance s'y termineroit, & ne feroit pas capable d'y arriuer.

Et encore que ie puilfc fuppofer que peut-eftre i'ay toufiours efté comme ie fuis maintenant, ie ne fçaurois pas pour cela euiter la force

�� � 48-50. Méditations. — Troisième. 59

de ce raifonnement, & ne laiffe pas de connoiftre qu'il eft necef- faire que Dieu foit l'auteur de mon exiftence. Car tout le temps de ma vie | peut eftre diuilé en vne infinité de parties, chacune def- quelles ne dépend en aucune façon des autres; & ainfi, de ce qu'vn peu auparauant i'ay efté, il ne s'enfuit pas que ie doiue maintenant eftre, fi ce n'eft qu'en ce moment quelque caufe me produife & me crée, pour ainfi dire, derechef, c'eft à dire me conferue.

En effet c'eft vne chofe bien claire & bien euideiite (à tous ceux qui confidereront auec attention la nature du temps), qu'vne fub- ftance, pour eftre conferuée dans tous les momens qu'elle dure, a befoin du mefme pouuoir & de la mefme a(5tion,qui feroit necefTaire pour la produire & la créer tout de nouueau, û elle n'eftoit point encore. En forte que la lumière naturelle nous fait voir clairement, que la conferuation & la création ne différent qu'au regard 1 de 55 noftre façon de penfer, & non point en effet. Il faut donc feulement icy que ie m'interroge moy-mefme, pour fçauoir fi ie poffede quelque pouuoir & quelque vertu, qui foit capable de faire en forte que moy, qui fuis maintenant, fois encor à l'auenir : car, puifque ie ne fuis rien qu'vne choie qui penle (ou du moins puifqu'il ne s'agit encor iufques icy precifement que de cette partie-là de moy-mefme), fi vne telle puiffance refidoit en moy, certes ie deurois à tout le moins le penfer, & en auoir connoiffance ; mais ie n'en reflens aucune dans moy, & par là ie connois euidemment que ie dépens de quelque eftre différent de moy.

Peut-eftre auffi que cet eftre-là, duquel ie dépens, n'eft pas ce que l'appelle Dieu, & que ie fuis produit, ou par mes parens, ou par quelques autres caufes moins parfaites que luy? Tant s'en faut, cela ne peut eftre ainfi. Car, comme i'a}' défia dit auparauant, c'eit vne chofe tres-euidente qu'il doit y auoir au moins autant de realité dans la caufe que dans fon effet. Et partant, puifque ie fuis vne chofe qui penfe, & qui ay en moy quelque idée de Dieu, quelle que l'oit enfin la caufe que l'on attribue à ma nature, il faut neceffairc- ment auciier qu'elle doit pareillement eftre vne chofe qui penfe, & potfeder en foy l'idée de toutes les perfecl:ions que i'attribuë à la nature Diuine. Puis l'on peut derechef rechercher fi cette caufe tient fon origine & fon exifience defoy-mefme, ou de quelque autre chofe. Car fi elle la tient de | foy-mefme, il s'enfuit, p;-ir les railbns 56 que l'ay cy-deuant alléguées, qu'elle-iiicrme doit citre Dieu ; puif- qu"|ayant la vertu d'efirc «S: d'exiltcr par foy, elle doit aulfi auoiv fans doute la puill'ance de polieder actuellement toutes tes perfeclions dont elle conçoit les idées, c'eft à dire toutes celles que ic conçoy

�� � 40 OEUVRES DE Descartes. so-si.

eftre en Dieu. Que fi elle tient Ion exiftence de quelque autre caufe que de foy, on demandera derechef, par la mefme raifon, de cette féconde caufe, li elle eft par foy, ou par autruy, iufques à ce que de degrez en degrez on paruienne enfin à vne dernière caufe qui fe trouuera eflre Dieu. Et il eft tres-manifefle qu'en cela il ne peut y auoir de prOgrez à l'infiny, veu qu'il ne s'agit pas tant icy de la caufe qui m'a produit autresfois, comme de celle qui me conferue prefentement ".

On ne peut pas feindre auffi que peut-eflre plufieurs caufes ont enfemble concouru en partie à ma production, & que de l'vne i'ay receu l'idée d'vne des perfections que i'attribuë à Dieu, & d'vne autre l'idée de quelque autre, 2n forte que toutes ces perfections fe trouuent bien à la vérité quelque part dans l'Vniuers, mais ne fe rencontrent pas toutes iointes & affemblées dans vne feule qui foit Eieu. Car, au contraire, l'vnité, la fimplicité, ou l'infeparabilité de toutes les choies qui font en Dieu, eft vne des principales per- fections que ie conçoy eftre en luy; & certes l'idée de cette vnité & affemblage de toutes les perfections de Dieu, n'a peu eftre mife 57 en moy par aucune caufe, de qui ie n'aye point auffi receu | les idées de toutes les autres perfections. Car elle ne peut pas me les auoir fait comprendre enfemblement iointes & infeparables, fans auoir fait en forte en mefme temps que ie fceufle ce qu'elles eftoient, & que ie les connufl"e toutes en quelque façon.

Pour ce qui regarde mes parens, defquels il femble que ie tire ma naiffance, encore que tout ce que l'en ay iamais peu croire foit véritable, cela ne fait pas toutesfois que ce foit eux qui me con- feruent, ny qui m'ayent fait & produit en tant que ie fuis vne chofe qui penfe, puifqu'ils ont feulement mis quelques difpofitions dans cette matière, en laquelle ie iuge que moy, c'eft à dire mon efprit, lequel ieul ie prens maintenant pour moy- mefme, | fe trouue ren- fermé; & partant il ne peut y auoir icy à leur égard aucune diffi- culté, mais il faut necelfairement conclure que, de cela feul que i'exifte, & que l'idée d'vn eftre Ibuuerainement parfait (c'eft à dire de Dieu) eft en moy, l'exiftence de Dieu eft tres-euidemment de- monftrée.

Il me rerte feulement à examiner de quelle façon i'ay acquis cette idée. Car ie ne I'ay pas receuë par les fens, & iamais elle ne s'eft offerte à moy contre mon attente, ainfi que font les idées des choies t'enfibles, lorfque ces choies fe prefentent ou femblent fe prefenter

a. Non à la ligne.

�� � 5ï-52. Méditations. — Troisième. 41

aux organes extérieurs de mes fens. Elle n'eft pas aufTi vne pure produélion ou fidion de mon efprit; car il n'eft pas en mon pou- uoir d'y diminuer ny d'y adioufter aucune chofe. Et par confequent il ne refte plus autre chofe à dire, finon que, comme l'idée de moy- [mefme, elle eft née & produite auec moy dés lors que i'ay efté créé. 58

Et certes on ne doit pas trouuer eftrange que Dieu, en me créantj ait mis en moy cette idée pour eftre comme la marque de l'ouurier emprainte fur fon ouurage; & il n'eft pas aufli neceffaire que cette marque foit quelque chofe de différent de ce mefme ouurage. Mais de cela feul que Dieu m'a créé, il eft fort croyable qu'il m'a en quelque façon produit à fon image & femblance, & que ie conçoy cette reffemblance (dans laquelle l'idée de Dieu fe trouue contenue) par la mefme faculté par laquelle ie me conçoy moy-mefme; c'eft à dire que, lorfque ie fais reflexion fur moy, non feulement ie connois que ie fuis vne chofe imparfaite, incomplète, & dépendante d'autruy, qui tend & qui afpire fans ceffe à quelque chofe de meilleur & de plus grand que ie ne fuis, mais ie connois aufli, en mefme temps, que celuy duquel ie dépens, poffede en foy toutes ces grandes chofes aufquelles i'afpire, & dont ie trouue en moy les idées, non pas indéfiniment & feulement en puiffance, mais qu'il en iouit en effed, aduellement & infiniment, & ainfi qu'il eft Dieu. Et toute la force de l'argument dont i'ay icy vfé pour prouuer l'exiftence de Dieu, confiile en ce que ie reconnois qu'il ne feroit pas poffible | que ma nature fuft telle qu'elle eft, c'eft à dire que i'euffe en moy l'idée d'vn Dieu, fi Dieu n'exiftoit vérita- blement; ce mefme Dieu, dif-je, duquel l'idée eft en moy, c'eft à dire qui pofTede toutes ces | hautes perfeftions, dont noftre efprit 59 peut bien auoir quelque idée fans pourtant les comprendre toutes, qui n'eft fujet à aucuns deffauts, & qui n'a rien de toutes les chofes qui marquent quelque imperfeélion.

D'où il eft affez euident qu'il ne peut eftre trompeur, puifque la lumière naturelle nous enfeigne que la tromperie dépend neceffai- 'rement de quelque deffaut.

Mais, auparauant que i'examine cela plus foigneufement, & que ie pafl"e à la conftderation des autres veritez que l'on en peut re- cueillir, il me iemble très à propos de m'arrefter quelque temps à la contemplation de ce Dieu tout parfait, de pefer tout à loifir fes merueilleux attributs, de confiderer, d'admirer & d'adorer l'incom- parable beauté de cette immenfe lumière, au moins autant que la force de mon efprit, qui en demeure en quelque forte éblouy, me le poura permettre.

Œuvres. IV. 6

�� � 42

��OEUVRES DE Descartes. 52-53.

��Car, comme la foy nous apprend que la fouueraine félicité de l'autre vie ne confifte que dans cette contemplation de la Ma;efté diuine, ainfi experimentons-nous dés maintenant, qu'vne femblable méditation, quoy qu'incomparablement moins parfaite, nous fait iouir du plus grand contentement que nous foyons capables de reffentir en cette vie.

��60 I Méditation quatrième.

Du vray & du faux.

le me fuis tellement accouftumé ces iours paffez à détacher mon efprit des fens, & i'ay fi exactement remarqué qu'il y a fort peu de chofes jque l'on connoilTe auec certitude touchant les chofes corpo- relles, qu'il y en a beaucoup plus qui nous font connues touchant l'efprit humain, & beaucoup plus encore de Dieu mefme,que main- tenant ie deflourneray fans aucune difficulté ma penfée de la confi- derâtion des chofes fenfibles ou imaginables, pour la porter à celles qui, eftant dégagées de toute matière, font purement intelligibles.

Et certes l'idée que i'ay de l'efprit humain, en tant qu'il efl vne chofe qui penfe, & non eftenduë en longueur, largeur & profon-

61 deur, & qui ne participe à | rien de ce qui appartient au corps, eft incomparablement plus diftinde que l'idée d'aucune chofe cor- porelle. Et lorfque ie confidere que ie doute, c'eft à dire que ie fuis vne chofe incomplète & dépendante, l'idée d'vn eftre complet & indépendant, c'elt à dire de Dieu, fe prefente à mon efprit auec tant de diltinclion & de clarté; & de cela feul que cette idée fe retrouue en moy, ou bien que ie fuis ou exirte, moy qui poffede cette idée, ie conclus fi.euidemment l'exilknce de Dieu, & que la mienne dé- pend entièrement de luy en tous les momens de ma vie, que ie ne penfe pas que l'elprit humain puilTe rien connoiftre auec plus d'eui- dence & de certitude. Et defia il me femble que ie découure vn chemin qui nous conduira de cette contemplation du vray Dieu (dans lequel" tous les trefors de la fcience & de la fageffe font ren- fermez) à la connoill'ance des autres chofes de l'Vniuers.

Car, premièrement, ic reconnois qu'il eit impoffible que iamais il

a. K Laquelle » (i" édit.). « Lequel » (2« édit. et suiv.).

�� � 53-55. Méditations. — Quatrième. 4?

me trompe, puifqu'en toute fraude & tromperie il le rencontre quelque forte d'imperfection. Et quoy qu'il femble que pouuoir tromper foit vne marque de fubtilité, ou de puiffance, toutesfois vouloir tromper témoigne fans doute de la foiblefle ou de la ma- lice. Et, partant, cela ne peut fe rencontrer en Dieu.

En après l'expérimente en moy-meime vne certaine puiffance de iuger, laquelle fans doute i'ay receuë de Dieu, de mefme que tout le refle des chofes que ie | polfede; | & comme il ne voudroit pas 62 m'abufer, il efl certain qu'il .le me l'a pas donnée telle que ie puiffe iamais faillir, lorfque l'en vferay comme il faut. Et il ne refleroit aucun doute de cette vérité, fi l'on n'en pouuoit, ce femble, tirer cette confequence, qu'ainfi donc ie ne me puis iamais trom- per; car, fi ie tiens de Dieu tout ce que ie poffede, & s'il ne m'a point donné de puiffance pour faillir, il femble que ie ne me doiue iamais abufer. Et de vray, lors que ie ne penfe qu'à Dieu, ie ne découure en moy aucune caufe d'erreur ou de fauU'eté ; mais puis après, reuenant à moy, l'expérience me fait connoiflre que ie fuis neantmoins fujet à vne infinité d'erreurs, defquelles recherchant la caufe de plus prés, ie remarque qu'il ne fe prefente pas feulement à ma penfée vne réelle & pofitiue idée de Dieu, ou bien d'vn eflre fouuerainement parfait, mais auffi, pour ainfi parler, vne certaine idée negatiue du néant, c'eft à dire de ce qui efl infiniment éloigné de toute forte de perfedlion; & que ie fuis comme vn milieu entre Dieu &i le néant, c'efl à dire placé de telle forte entre le fouuerain eftre & le non eftre, qu'il ne fe rencontre, de vray, rien en moy qui me puiffe conduire dans l'erreur, en tant qu'vn fouuerain eflre m'a produit; mais que, fi ie me confidere comme participant en quelque façon du néant ou du non eftre, c'eft à dire en tant que ie ne fuis pas moy-mefme le fouuerain eftre, ie me trouue expofé à vne in- finité de manquemens, de façon que ie ne me dois pas eftonner û ie me trompe.

I Ainfi ie connois que l'erreur, en tant que telle, n'eft pas quelque 63 chofe de réel qui dépende de Dieu, mais que c'eft feulement vn défaut ; & partant, que ie n'ay pas befoin pour faillir de quelque puiffance qui m'ait efté donnée de Dieu particulièrement pour cet effed, mais qu'il arriue que ie me trompe, de ce que la puiflance que Dieu m'a donnée pour difcerner le vray d'auec le faux, n'eft pas en moy infinie.

Toutesfois cela ne me fatisfait pas encore tout à fait; j car l'er- reur n'eft pas vne pure négation, c'eft à dire, n'eft pas le fimple défaut ou manquement de quelque perfedion qui ne m'eft point

�� � 44 OEuvREs DE Descartes. ss-se.

deuë, mais plutoft cû vne priuation de quelque connoiffance qu'il femble que ie deurois polfeder. Et conliderant la nature de Dieu, il ne me femble pas polîible qu'il m'ait donné quelque faculté qui foit imparfaite en fon genre, c'eil à dire, qui manque de quelque perfedion qui luy foit deuë ; car s'il eft vray que plus l'artilan eft expert, plus les ouurages qui fortent de fes mains font parfaits & accomplis, quel eftre nous imaginerons-nous auoir eflé produit par ce fouuerain Créateur de toutes chofes, qui ne foit parfait & en- tièrement acheué en toutes fes parties? Et certes il n'y a point de doute que Dieu n'ait peu me créer tel que ie ne me peulTe iamais tromper; il efl certain auffi qu'il veut toufiours ce qui eft le meil- leur : m'eft-il donc plus auantageux de faillir, que de ne point faillir? Confiderant cela auec plus d'attention, il me vient d'abord en la

64 penfée que ie ne me dois point eitonlner, fi mon intelligence n'eft pas capable de comprendre pourquoy Dieu fait ce qu'il fait, & qu'ainfi ie n'ay aucune raifon de douter de fon exiftence, de ce que peut-eftre ie voy par expérience beaucoup d'autres chofes, fans pouuoir comprendre pour quelle raifon ny comment Dieu les a produites. Car, fçachant défia que ma nature eft extrêmement foible & limitée, & au contraire que celle de Dieu eft immenfe, incom- prehenfible, & infinie, ie n'ay plus de peine à reconnoiftre qu'il y a vne infinité de chofes en fa puiffance, defquelles les caufes fur- paffent la portée de mon efprit. Et cette feule raifon eft fuffiiante pour me perfuader que tout ce genre de caufes, qu'on a couftume de tirer de la fin, n'eft d'aucun vfage dans les chofes Phyfiques, ou naturelles; car il ne me femble pas que ie puiffe fans témérité rechercher & entreprendre de découurir les fins impénétrables de Dieu.

De plus il me tombe encore en l'efprit, qu'on ne doit pas confi- derer vne feule créature feparement, lorfqu'on recherche fi les ouurages de Dieu font parfaits, mais généralement toutes les créa- tures enfemble. Car la mefme chofe qui pourroit peut-eftre auec quelque forte de raifon fembler fort | imparfaite, fi elle eftoit toute feule, fe rencontre tres-parfaite en fa nature, fi elle eft regardée comme partie de tout cet Vniuers. Et quoy que, depuis que i'ay fait deffein de douter de toutes chofes, ie n'ay connu certainement

65 que mon exiftence & celle de Dieu, [ toutesfois aulfi, depuis que i'ay reconnu l'infinie puiffance de Dieu, ie ne fçaurois nier qu'il n'ait produit beaucoup d'autres choies, ou du moins qu'il n'en puiffe produire, en forte que i'cxifte & fois placé dans le monde, comme faifant partie de rvniuerf(al)ité de tous les eftres.

�� � 56-57. Méditations. — Ql:atriéme. 45

En fuite de quoy, me regardant de plus prés, & confiderant quelles font mes erreurs (lefquelles feules témoignent qu'il }' a en moy de l'imperfedion), ie trouue qu'elles dépendent du concours de deux caufes, à fçauoir, de la puiffance de connoiftre qui eft en moy, & de la puiflance d'élire, ou bien de mon libre arbitre : c'eft à dire, de mon entendement, & enfemble de ma volonté. Car par l'entendement feul ie n'alfeure ny ne nie aucune chofe, mais ie conçoy feulement les idées des chofes, que ie puis alîeurer ou nier. Or, en le confiderant ainfi precifément, on peut dire qu'il ne fe trouue iamais en luy aucune erreur, pourueu qu'on prenne le mot d'erreur en fa propre fignificatiqn. Et encore qu'il y ait peut-eftre vne infinité de chofes dans le monde, dont ie n'ay aucune idée en mon entendement, on ne peut pas dire pour cela qu'il foit priué de ces idées, comme de quelque chofe qui foitdeuë à fa nature, mais feulement qu'il ne les a pas; parce qu'en effet il n'y a aucune raifon qui puilfe prouuer que Dieu ait deu me donner vne plus grande & plus ample faculté de connoiltre, que celle qu'il m'a donnée; &, quelque adroit & fçauant ouurier que ie me le repre- fente, ie ne dois | pas pour celapenfer qu'il ayt deu mettre dans 66 chacun de fes ouurages toutes les perfections qu'il peut mettre dans quelques-vns. le ne puis pas auill me plaindre que Dieu ne m'a pas donné vn libre arbitre, ou vne volonté allez ample & par- faite, puifqu'en effet ie l'expérimente fi vague & û étendue, qu'elle n'efl renfermée dans aucunes bornes. Et ce qui me femble bien remarquable en cet "endroit, eil que, | de toutes les autres chofes qui font en moy, il n'y en a aucune li parfaite & fi eftenduë, que ie ne reconnoilfe bien qu'elle pouroit eflre encore plus grande & plus parfaite. Car, par exemple, fi ie confidere la faculté de conceuoir qui efl en moy, ie trouue qu'elle efl: d'vne fort petite étendue, & grandement limitée, & tout enfemble ie me reprefente l'idée d'vne autre faculté beaucoup plus ample, & mefme infinie; & de cela feul que ie puis me reprefenter l'on idée, ie connois fans diffi- culté qu'elle appartient à la nature de Dieu. En mefme façon, fi l'examine la mémoire, ou l'imagination, ou quelqu'autre puiflance, ie n'en trouue aucune qui ne foit en moy très-petite & bornée, & qui en Dieu ne foit immenfe & infinie. Il n'y a que la feule volonté, que l'expérimente en moy eflre fi grande, que ie ne conçoy point l'idée d'aucune autre plus ample & plus étendue : en forte que c'eft elle principalement qui me fait connoifire que ie porte l'image & la reffemblance de Dieu. Car, encore qu'elle foit incomparable- ment plus grande dans Dieu, que dans moy, foit à raifon de la

�� � 46 OEuvRES DE Descartes. 57-58,

67 con[noiffance & de la puilTance, qui s'y trouuant iointes la rendent plus ferme & plus efficace, foit à raifon de l'objet, d'autant qu'elle fe porte & s'eftend infiniment à plus de choies; elle ne me femble pas toutesfois plus grande, fi ie la confider'î formellement & pre- cifement en elle-melme. Car elle co.ififte feulement en ce que nous pouuons faire vne choie, ou ne la faire pas (c'efl à dire affirmer ou nier, pourfuiure ou fuir), ou pluftofl feulement en ce que, pour affirmer ou nier, pourfuiure ou fuir les chofes que l'entendement nous propofe, nous agifTons en telle forte que nous ne fentons point qu'aucune force extérieure nous y contraigne. Car, afin que ie fois libre, il n'ell pas necelfaire que ie fois indiffèrent à choifir l'vn ou l'autre des deux contraires; mais plutoft, d'autant plus que ie panche vers l'vn, foit que ie connoiffe euidemment que | le bien & le vray s'y rencontrent, foit que Dieu difpofe ainfi l'intérieur de ma penlee, d'autant plus librement l'en fais choix & ie l'embraffe. Et certes la grâce diuine & la connoilfance naturelle, bien loin de diminuer ma liberté, l'augmentent pluftoft, & la fortifient. De façon que cette indifférence que ie fens, lorfque ie ne fuis point emporté vers vn collé plullofl que vers vn autre par le poids d'aucune raifon, eft le plus bas degré de la liberté, & fait plutofi: paroiftre vn défaut dans la connoiflance, qu'vne perfection dans la volonté ; car fi ie connoiffois toufiours clairement ce qui efl vray & ce qui efl: bon, ie

68 ne ferois iamais en peine | de délibérer quel iugement & quel choix ie deurois faire ; & ainfi ie ferois entièrement libre, fans iamais eftre indiffèrent.

De tout cecy ie reconnois que Tiy la puilTance de vouloir, la- quelle i'ay receuë de Dieu, n'efi: point d'elle-mefme la caufe de mes erreurs, car elle eft tres-ample & tres-parfaite en fon efpece ; ny auflTi la puiffance d'entendre ou de conceuoir : car ne conceuant rien que par le moyen de cette puilïance que Dieu m'a donnée pour conceuoir, fans doute que tout ce que ie conçoy, ie le conçoy comme il faut, & il n'efi: pas pofllble qu'en cela ie me trompe. D'où eft-ce donc que naiffent mes erreurs? C'eil: à fçauoir, de cela feul que, la volonté eflant beaucoup plus ample & plus étendue que l'entendement, ie ne la contiens pas dans les mefmes limites, mais que ie l'eflens auffi aux chofes que ie n'entens pas; aufquelles eflant de foy indifférente, elle s'égare fort aifement, & choifit le mal pour le bien, ou le faux pour le vray. Ce qui fait que ie me trompe & que ie pèche.

Par exemple, examinant ces iours paflez fi quelque chofe exiftoit dans le monde, & connoiflant que, de cela feul que i'examinois

�� � 58-50. Méditations. — Quatrième. 47

cette queltion, il fuiuoit tres-euidemment que l'exiftois moy-mefme, ie ne pouuois pas m'empefcher de iuger qu'vne choie que ie conce- uois fi clairement eftoit vraye, non que | le m'y trounalfe forcé par aucune caufe extérieure, mais feulement, parce que d'vne grande clarté qui eftoit en mon entendement, a fuiuy vne grande inclina- Ition en ma volonté ; & ie me fuis p'orté à croire auec d'autant plus 69 de liberté, que ie me fuis trouué auec moins d'indifférence. Au contraire, à prefent ie ne connois pas feulement que i'exifte, en tant que ie fuis quelque chofe qui penfe, mais il fe prefente auffi à mon efprit vne certaine idée de la nature corporelle : ce qui fait que ie doute û. cette nature qui penfe, qui eft en moy, ou plutoft par la- quelle ie fuis ce que ie fuis, eft différente de cette nature corporelle, ou bien fi toutes deux ne font qu'vne mefme chofe. Et ie fuppofe icy que ie ne connois encore aucune raifon, qui me perfuade pluftoft l'vn que l'autre ; d'où il fuit que ie fuis entièrement indiffèrent à le nier, ou à l'affurer, ou bien mefme à m'abftenir d'en donner aucun iugement.

Et cette indifférence ne s'étend pas feulement aux chofes dont l'entendement n'a aucune connoiffance, mais généralement aufli à toutes celles qu'il ne découure pas auec vne parfaite clarté, au moment que la volonté en délibère; car, pour probables que foyent les conieélures qui me rendent enclin à iuger quelque chofe, la feule connoiffance que i'ay que ce ne l'ont que des conieftures, & non des raifons certaines & indubitables, fuffit pour me donner occafion de iuger le contraire. Ce que i'ay fuffifamment expérimenté ces iours paffez, lorfque i'ay pofé pour faux tout ce que i'auois tenu aupa- rauant pour tres-veritable, pour cela feul que i'ay remarqué que l'on en pouuoit douter en quelque forte.

I Or 11 ie m'abftiens de donner mon iugement fur vne chofe, '0 lorfque ie ne la conçoy pas auec alfcz de clarté & de diftinclion, il eft euident que l'en vfe fort bien, & que ie ne fuis point trompé ; mais fi ie me détermine à la nier, ou affeurer, alors ie ne me fers plus comme ie dois de mon libre arbitre ; & | fi i'affure ce qui n'eft pas vray, il eft euident que ie me trompe, mefme auffi, encore que ie iuge félon la vérité, cela n'arriue que par hazard, & ie ne laiffe pas de faillir, & d'vfer mal de mon libre arbitre ' ; car la lumière na- turelle nous enfeigne que la connoiffance de l'entendement doit toufiours précéder la détermination de la volonté. Et c'eft dans ce mauuais vfage du libre arbitre, que fe rencontre la priuation qui

a. Arbitre omis {l^ édit.)

�� � 4^ OEuvRES DE Descartes. 60-61.

conftituë la forme de l'erreur. La priuation, dif-je, fe rencontre dans l'opération, en tant qu'elle procède de moy ; mais elle ne fe trouue pas dans la puidance que i'ay receuë de Dieu, ny mefme dans l'opération, en tant qu'elle dépend de luy. Car ie n'ay certes aucun fujet de me plaindre, de ce que Dieu ne m'a pas donné vne intelligence plus capable, ou vne lumière naturelle plus grande que celle que ie tiens de luy, puifqu'en effet il efl du propre de l'entendement finy, de ne pas comprendre vne infinité de chofes, & du propre d'vn entendemant créé d'eftre finy : mais i'ay tout fujet de luy rendre grâces, de ce que, ne m'ayant iamais rien deu, il m'a neantmoins donné tout le peu de perfedions qui eft en moy ; bien loin de conceuoir des fentiments fi iniufl:es, que de m'imaginer

71 qu'il I m'ait oflé ou retenu iniuftement les autres perfections qu'il ne m'a point données. le n'ay pas auffi fujet de me plaindre, de ce qu'il m'a donné vne volonté plus étendue que l'entendement-, puifque, la volonté ne confifiant qu'en vne feule chofe, & fon fujet eftant comme indiuifible, il femble que fa nature eft telle qu'on ne luy fçauroit rien ofter fans la deftruire; & certes plus elle fe trouue eftre grande, & plus i'ay à remercier la bonté de celuy qui me l'a donnée. Et enfin ie ne dois pas auflTi me plaindre, de ce que -Dieu concourt auec moy pour former les adcs de cette volonté, c'eft à dire les iugemens dans lefquels ie me trompe, parce que ces ades- là font entièrement vrays, & abfolument bons, en tant qu'ils dé- pendent de Dieu ; & il y a en quelque forte plus de perfection en ma nature, de ce que ie les puis former, que fi ie ne le pouuois pas. Pour la priuation, dans laquelle feule | confifte la raifon formelle de l'erreur & du péché, elle n'a befoin d'aucun concours de Dieu, puifque ce n'eft pas vne chofe ou vn eftre, & que, fi on la rapporte à Dieu comme à fa caufe, elle ne doit pas eftre nommée priuation, mais feulement négation, félon la fignification qu'on donne à ces mots dans l'Efchole.

Car en effed ce n'eft point vne imperfedion en Dieu, de ce qu'il m'a donné la liberté de donner mon iugement, ou de ne le pas donner, fur certaines chofes dont il n'a pas mis vne claire & diftinde

72 jronnoiffance en mon entendement ; mais fans doute | c'eft en moy

vne imperfedion, de ce que ie n'en vfe pas bien, & que ie donne témérairement mon iugement, fur des chofes que ie ne conçoy qu'auec obfcurité & confufion.

le voy neantmoins qu'il eftoit aifé à Dieu de faire en forte que ie ne me trompaffe iamais, quoy que ie demeuraffe libre, & d'vne connoiffance bornée, à fçauoir, en donnant à mon entendement

�� � 61-62. Méditations. — Quatrième. 49

vne claire & diftinde intelligence de toutes les chofes dont ie deuois iamais délibérer, ou bien feulement s'il euft fi profondément graué dans ma mémoire la refolution de ne iuger iamais d'aucune chofe fans la conceuoir clairement & diftinftement, que ie ne la peufTe iamais oublier. Et ie remarque bien qu'en tant que ie me confi- dere tout feul, comme s'il n'y auoit que moy au monde, i'aurois efté beaucoup plus parfait que ie ne fuis, fi Dieu m'auoit créé tel que ie ne failliffe iamais. Mais ie ne pnis pas pour cela nier, que ce ne foit en quelque façon vne plus grande perfeftion dans tout l'Vniuers, de ce que quelques vnes de fes parties ne font pas exemptes de deffaut, que fi elles eftoient toutes femblables. Et ie n'ay aucun droit de me plaindre, fi Dieu, m'ayant mis au monde, n'a pas voulu me mettre au rang des chofes les plus nobles & les plus parfaites; mefme i'ay fujet de me contenter de ce que, s'il ne m'a pas donné la vertu de ne point faillir, par le premier moyen que i'ay cy-defl'us déclaré, qui dépend d'vne claire & éuidente con- noiffance de toutes les chofes dont ie puis délibérer, | il a au moins laiffé en ma puifl"ance l'autre moyen, qui efi: | de retenir fermement la refolution de ne iamais donner mon iugement fur les choies dont la vérité ne m'eft pas clairement connue. Car quoy que ie remarque cette foiblefl"e en ma nature, que ie ne puis attacher continuellement mon efprit à vne mefme penfée, ie puis toutesfois, par une médita- tion attentiue & fouuent réitérée, me l'imprimer fi fortement en la mémoire, que ie ne manque iamais de m'en reffouuenir, toutes les fois que l'en auray befoin, & acquérir de cette façon l'Jiabitude de ne point faillir.. Et, d'autant que c'eft en cela que confifte la plus grande & principale perfeftion de l'homme, i'eflime n'auoir pas peu gagné par cette» Méditation, que d'auoir" découuert la caufe des fauffetez & des erreurs. 1

Et certes il n'y en peut auoir d'autre que celle que i'ay expliquée ; car toutes les fois que ie retiens tellement ma volonté dans les bornes de ma connoiffance, qu'elle ne fait aucun iugement que des chofes qui luy font clairement & diftindement reprefentées par l'entendement, il ne fe peut faire que ie me trompe; parce que toute conception claire & diftinfte eft fans doute quelque chofe de réel et de pofitif, & partant ne peut tirer fon origine du néant, mais doit necelfairement auoir Dieu pour fon auteur, Dieu, dif-je, qui,

a. 1" édit. : en cette. Mais aux «fautes à corriger : lise\ par cette ».

b. 1'^ édit. : d'auoir. « Fautes à corriger : lise^ que d'auoir ». 2" et 3' édit, : d'auoir.

7

��73

�� � ^o OEuvRES DE Descartes.

��62-63

��eftant fouuerainement parfait, ne peut eftre caufe d'aucune erreur ; 74 & par confe|quent il faut conclure qu'vne telle conception ou vn tel iugement ell véritable.

Au relie ie n'ay pas feulement apris auiourd'huy ce que ie dois éuiter pour ne plus faillir, mais auffi ce que ie dois faire pour par- uenir à la connoifTance de la vérité. Car certainement l'y par- uiendray, fi i'arrefte fuffifamment mon attention fur toutes les chofes que ie conceuray parfaitement, & fi ie les fepare des autres que ie ne comprens qu'auec confufion & obfcurité. A quoy dorefnauant ie prendray foigneufement garde.

��75 II Méditation cinquième.

De l'ejfaice des chofes matérielles ; &, derechef de Dieu, qu'il èxifle.

Il me refte beaucoup d'autres chofes à examiner, touchant les Atributs de Dieu, & touchant ma propre nature, c'eft à dire celle de mon efprit : mais l'en reprendray peut-eftre vne autre fois la recherche. Maintenant (après auoir remarqué ce qu'il faut faire ou éuiter pour paruenir à la connoifTance de la vérité), ce que i'ay prin- cipalement à faire, efl d'effayer de fortir & me débaraiîer de tous les doutes où ie fuis tombé ces iours palTez, & voir fi l'on ne peut rien connoiftre de certain touchant les choies matérielles.

Mais auant que i'examine s'il y a de telles chofes qui exiftent

76 hors de moy, ie dois confiderer leurs idées, | en tant qu'elles font en ma penfée, & voir quelles font celles qui font dill:incl:es, & quelles font celles qui font confufes.

En premier lieu, l'imagine diftindement cette quantité que les Philofophes appellent vulgairement la quantité continue, ou bien l'extenfion en longueur, largeur & profondeur, qui eft en cette quantité, ou plutoft en la chofe à qui on l'attribue. De plus, ie puis nombrer en elle plufieurs diuerfes parties, & attribuer à chacune de ces parties toutes fortes de grandeurs, de figures, de fituations, & de mouuemens ; & enfin, ie puis affigner à chacun de ces mou- uemens toutes fortes de durées.

Et ie ne connois pas feulement ces chofes auec diftinftion, lorfque ie les confidere en gênerai ; mais auiîi, pour peu que l'y applique mon attention, ie conçoy vne infinité de particularitez touchant les

�� � 63-65. Méditations. — Cinquie:me. ^ r

nombres, les figures, les mouuemens, & autres chofes femblables, dont la vérité fe fait paroiftre auec tant d'euidence|& s'accorde fi bien auec ma nature, que lorfque ie commence à les découurir, il ne me femble pas que l'apprenne rien de nouueau, mais plutofi que ie me relTouuiens de ce que ie fçauois défia auparauant, c'eft à dire que i'aperçoy des chofes qui eltoient défia dans mon efprit, quo}' que ie n'euffe pas encore tourné ma penfée vers elles.

Et ce que ie trouue icy de plus confiderable, eft que ie trouue en moy vne infinité d'idées de certaines chofes, qui ne peuuent pas eftre eilimées vn pur | néant, quoy que peut-eflre elles n'ayent au- n cune exiftance hors de ma penfée, & qui ne font pas feintes par moy, bien qu'il foit en ma liberté de les penfer ou ne les penfer pas; mais elles ont leurs natures vrayes & immuables. Comme, par exemple, lorfque i'imagine vn triangle, encore qu'il n'y ait peut- eftre en aucun lieu du monde hors de ma penfée vne telle figure, & qu'il n'y en ait iamais eu, il ne laiffe pas neantmoins d'y auoir vne certaine nature, ou forme, ou elfence déterminée de cette figure, laquelle eft immuable & éternelle, que ie n'a}' point in- uentée, & qui ne dépend en aucune façon de mon efprit; comme il paroift de ce que l'on peut demonflrer diuerfes proprietez de ce triangle, à fçauoir, que fes trois angles font égaux à deux droits, que le plus grand angle eft fouftenu" par le plus grand cofté, & autres femblables, lefquelles maintenant, foit que ie le veuille ou non, ie reconnois tres-clairement & tres-euidemment eftre en luy, encore que ie n'y aye penfé auparauant en aucune façon, lorfque ie me fuis imaginé la première fois vn triangle; & partant on ne peut pas dire que ie les aye feintes & inuentées.

Et ie n'ay que faire icy de m'obiefter, que peut-eftre cette idée du triangle eft venue en mon efprit par l'entremife de mes fens, parce que i'ay veu quelquefois des corps de figure triangulaire; car ie puis former en mon efprit vne infinité d'autres figures, dont on ne peut auoir le moindre foupçon que iamais elles me foient tombées fous les fens, & ie ne laifte | pas toutesfois| de pouuoir de- 78 monftrer diuerfes proprietez touchant leur nature, auiïi bien que touchant celle du triangle : lefquelles certes doiuent eftre toutes vrayes, puifque ie les conçoy clairement. Et partant elles font quelque chofe, & non pas vn pur néant; car il eft tres-euident que tout ce qui eft vray eft quelque chofe, & i'ay défia amplement de- monftré cy-de(fus que toutes les chofes que ie connois clairement &

a. Lire fouftendu ?

�� � 52 OEuVRES DE DeSC\RTES.

��65-66.

��diftindement font vrayes. Et quoy que ie ne l'euffe pas demonftré, toutefois la nature de mon efprit elt telle, que ie ne me fçaurois empefcher de les eftimer vrayes, pendant que ie les conçoy claire- ment & diftinétement. Et ie me reflbuuiens que, lors mefme que i'eftois encore fortement attaché aux objeds des fens, i'auois tenu au nombre des plus confiantes veritez celles que ie conceuois clai- rement & diftinclement touchant les figures, les nombres, & les autres chofes qui appartiennent à l'Arithmétique & à la Géométrie. Or maintenant, fi de cela feul que ie puis tirer de ma penfée l'idée de quelque chofe, il s'enfuit que tout ce que ie reconnois claire- ment & diftindement appartenir à cette chofe, luy appartient en effeft, ne puis-je pas tirer de cecy vn argument & vne preuue de- monftratiue de l'exiftence de Dieu ? Il efl certain que ie ne trouue pas moins en moy fon idée, c'eft à dire l'idée d'vn eftre fouueraine- ment parfait, que celle de quelque figure ou de quelque nombre

79 que ce foit. Et iê ne connois pas moins clairement & | diltindement qu'vne a6luelle & éternelle exiftence appartient à fa nature, que ie connois que tout ce que ie puis demonftrer de quelque figure ou de quelque nombre, appartient véritablement à la nature de cette figure ou de ce nombre. Et partant, encore que tout ce que i'ay conclu dans les Méditations précédentes, ne fe trouuafl: point veri- lable, l'exiftence de Dieu doit palier en mon efprit au moins pour auffi certaine, que i'ay eftimé iufques icy toutes les veritez des Ma- thématiques, qui ne regardent que les nombres & les figures : |bien qu'à la vérité cela ne paroiffe pas d'abord entièrement manifefte, mais femble auoir quelque apparence de fophifme. Car ayant ac- couftumé dans toutes les autres choies de faire diftinclion entre l'exiftence & l'effence, ie me perfuade ayfement que l'exiftence peut eftre feparée de l'effence de Dieu, & qu'ainfi on peut conceuoir Dieu comme n'eftant pas a6luellement. Mais neantmoins, lorfque i'y penfe auec plus d'attention, ie trouue manifeftement que l'exi- ftence ne peut non plus eftre feparée de l'elfence de Dieu, que de l'effence d'vn triangle redliligne la grandeur de fes trois angles égaux à deux droits, ou bien de l'idée d'vne montagne l'idée d'vne valée ; en forte qu'il n'y a pas moins de répugnance de conceuoir vn Dieu (c'eft à dire vn eftre fouuerainement parfait) auquel manque l'exiftence (c'eft à dire auquel manque quelque perfeftion), que de conceuoir vne montagne qui n'ait point de valée.

80 Mais encore qu'en effed ie ne puiffe pas conce|uoir vn Dieu fans exiftence, non plus qu vne montagne fans valée, toutesfois, comme de cela leul que ie conçoy vne montagne auec vne valée, il ne s'en.

�� � 66-67. Méditations, — Cinquième. ijj

fuit pas qu'il y ait aucune montagne dans le monde, de mefme auffi, quoy que ie conçoiue Dieu auec l'exiftence, il femble qu'il ne s'enfuit pas pour cela qu'il y en ait aucun qui exifte : car ma penfée n'impofe aucune neceffité aux chofes ; & comme il ne tient qu'à moy d'imaginer vn cheual aiflé, encore qu'il n'y en ait aucun qui ait des aifles, ainfi ie pourois peut-eftre attribuer l'exiftence à Dieu, encore qu'il n'y euft aucun Dieu qui exiftaft. Tant s'en faut, c'eft icy qu'il y a vn fophifme caché fous l'apparence de cette ob- jedion : car de ce que ie ne puis conceuoir vne montagne fans valée, il ne s'enfuit pas qu'il y ait au monde aucune montagne, ny aucune valée, mais feulement que la montagne & la valée, foit qu'il y en ait, foit qu'il n'y en ait point, ne fe peuuent en aucune façon feparer l'vne d'auec l'autre ; au lieu que, de cela feu! que ie ne puis | conceuoir Dieu fans exiftence, il s'enfuit que l'exiftence efl infeparable de luy, & partant qu'il exifte véritablement : non pas que ma penfée puilTe faire que cela foit de la forte, & qu'elle impofe aux chofes aucune necefiité ; mais, au contraire, parce que la neceffité de la chofe mefme, à fçauoir de l'exiftence de Dieu, dé- termine ma penfée à le conceuoir de cette façon. Car il n'eft pas en ma liberté de conceuoir vn Dieu fans exiftence (c'eft à dire vn eftre fouuerainement parfait fans | vne fouueraine perfedion), comme il 81 m'eft libre d'imaginer vn cheual fans aifles ou auec des aifles.

Et on ne doit pas dire icy qu'il eft à la vérité neceffaire que i'auoûe que Dieu exifte, après que i'ay fuppofé qu'il poflede toutes fortes de perfeftions, puifque l'exiftence en eft vne, mais qu'en effe6t ma première fuppofition n'eftoit pas neceffaire ; de mefme qu'il n'eft point neceffaire de penfer que toutes les figures de quatre coftez fe peuuent infcrire dans le cercle, mais que, fuppofant que i'aye cette penfée, ie fuis contraint d'auouer que le rhombe fe peut infcrire dans le cercle, puifque c'eft vne figure de quatre coftez; & ainfi ie feray contraint d'auouer vne chofe fauffe. On ne doit point, dif-je, alléguer cela : car encore qu'il ne foit pas neceffaire que ie tombe iamais dans aucune penfée de Dieu, neantmoins, toutes les fois qu'il m'arriue de penfer à vn eftre premier & fouuerain, & de tirer, pour ainfi dire, fon idée du trefor de mon efprit, il eft necelfaire que ie luy attribue toutes fortes de perfections, quoy que ie ne vienne pas à les nombrer toutes, & à appliquer mon attention fur chacune d'elles en particulier. Et cette neceffité eft fufiifante pour me faire conclure (après que i'ay reconnu que l'exiftence eft vne perfection), que cet eftre premier & fouuerain exifte véritablement : de mefme qu'il n'eft pas neceffaire que i'imagine iamais aucun triangle ; mais

�� � ^4 Œuvres de Descartes. 67-69.

toutes les fois que ie veux confiderer vne figure recliligne com-

82 pofée feulement de trois angles, il efl: abfolument necef|laire que ie luy attribue toutes les chofes qui feruent à conclure que fes trois angles ne font pas plus grands que deux droicls, encore que peut- eftre ie ne confidere pas alors cela en particulier. | Mais quand i'exa- mine quelles figures font capables d'eftre infcrites dans le cercle, il n'efl: en aucune façon neceffaire que ie penfe que toutes les figures de quatre collez Ibnt de ce nombre; au contraire, ie ne puis pas mefme feindre que cela foit, tant que ic ne voudray rien receuoir en ma penlee, que ce que ie pouray conceuoir clairement & difiin- ftement. Et par confequent il y a vne grande différence entre les faulfes fupofitions, comme eft celle-cy, & les véritables idées qui font nées auec moy, dont la première & principale eft celle de Dieu.

Car en effett ie reconnois en plufieurs façons que cette idée n'eft point quelque chofe de feint ou d'inuenté, dépendant feulement de ma penfée, mais que c'ert l'image d'vne vraye & immuable nature. Premièrement, à caufe que ie ne fçaurois conceuoir autre chofe que Dieu feul, à l'eflence de laquelle l'exiftence appartienne auec necef- fité. Puis aufli, pource qu'il ne m'eft pas poffible de conceuoir deux ou plufieurs Dieux de mefme façon. Et, pofé qu'il y en ait vn main- tenant qui exifle, ie voy clairement qu'il eit necefiaire qu'il ait eûé auparauant de toute éternité, & qu'il foit éternellement à l'auenir. Et enfin, parce que ie connois vne infinité d'autres chofes en Dieu, defquelles ie ne puis rien diminuer ny changer.

83 I Au refle, de quelque preuue & argument que ie me férue, il en faut touiours rcuenir là, qu'il n'y a que les choies que ie conçoy clairement & diftinélement, qui ayent la force de me perfuader en- tièrement. Et quoy qu'entre les chofes que ie conçoy de cette forte, il y en ait à la vérité quelques vues manifeftement connues d'vn chacun, & qu'il v en ait d'autres aulFi qui ne fe découurent qu'à ceux qui les confiderênt de plus prés & qui les examinent plus exactement; toutesfois, après qu'elles font vne fois découuertes, elles ne ibnt pas eftimées moins certaines les vues que les autres. Comme, par exemple, en tout triangle rectangle, encore qu'il ne paroilfe pas d'abord fi facilement que le quarré de la bafe efl égal aux quarrés des deux autres cofiez, | comme il efi éuident que cette bafe eft oppofée au plus grand angle, neantmoins, depuis que cela a efté vne fois reconnu, on eil autant perfuadé de la vérité de Fvn que de l'autre. Et pour ce qui eft de Dieu, certes, fi mon efprit n'eftoit preuenu d'aucuns preiugez, & que ma penfée ne fe trouvait point diuenie par la prefence continuelle des images des chofes lenfibles.

�� � 84

��69-70. Méditations. — Cinquième. 5 5

il n'y auroit aucune chofe que ie connuffe pluftoft ny plus facile- ment que luy. Car y a-t-il rien de foy plus clair & plus manifefte, que de penfer qu'il y a vn Dieu, c'eft à dire vn eftre fouuerain & parfait, en l'idée duquel feul l'exiftence neceffaire ou éternelle eft comprife, & par confequent qui exifte ?

Et quoy que, pour bien conceuoir cette vérité, ] i'aye eu befoin d'vne grande application d'efprit, toutesfois à prefent ie ne m'en tiens pas feulement auffi affeuré que de tout ce qui me femble le plus cer- tain : mais, outre cela, ie remarque que la certitude de toutes les autres choies en dépend fi abfolument, que fans cette connoiliance il elt impoffible de pouuoir Jamais rien içauoir parfaitement.

Car encore que ie fois d'vne telle nature, que, dés auffi-tofl: que ie comprens quelque chofe fort clairement & fort diflinclement, ie fuis naturellement porté à la croire vraye; neantmoins, parce que ie fuis auffi d'vne telle nature, que ie ne puis pas auoir l'efprit touf- iours attaché à vne mefme chofe, & que fouuent ie me reffouuiens d'auoir iugé vne chofe eftre vraye ; lorfque ie ceffe de confiderer les raifons qui m'ont obligé à la iuger telle, il peut arriuer pendant ce temps-là que d'autres raifons fe prefentent à moy, lefquelles me feroient aifement changer d'opinion, fi i'ignorois qu'il y eufl vn Dieu. Et ainfi ie n'aurois iamais vne vraye & certaine fcience d'au- cune chofe que ce foit, mais feulement de vagues & inconfiantes opinions.

Comme, par exemple, lorfque ie confidere la nature du triangle, ie connois euidemment, moy qui fuis vn peu verfé dans la Géomé- trie, que fes trois angles font égaux à deux droits, & il ne m'eft pas pofllble de ne le point croire, pendant que l'applique ma penfée à la demonflration; mais auffi tort que | ie l'en détourne, encore que ie me reffouuienne | de l'auoir clairement comprife, toutesfois il fe 85 peut faire aifement que ie doute de fa vérité, fi i'ignore qu'il y ait vn Dieu. Car ie puis me perfuader d'auoir efté fait tel par la Nature, que ie me puiffe aifement tromper, mefme dans les chofes que ie croy comprendre auec le plus d'éuidence & de certitude; veu prin- cipalement que ie me reffouuiens d'auoir fouuent efiimé beaucoup de chofes pour vrayes & certaines, lefquelles par après d'autres raifons m'ont porté à iuger abfolument fauffes.

Mais après que i'ay reconnu qu'il y a vn Dieu, pource qu'en mefme temps i'ay reconnu auffi que toutes chofes dépendent de luy, & qu'il n'eft point trompeur, & qu'en fuite de cela i'ay iugé que tout ce que ie conçoy clairement & diftindement ne peut manquer d'eftre vray : encore que ie ne penfe plus aux raifons pour lefquelles

�� � 56

��OEUVRES DE Descartes. 7o-7«.

��i'ay iugé cela eftre véritable, pourueu que ie me reffouuienne de l'auoir clairement & diftinctement compris, on ne me peut appor- ter aucune raifon contraire, qui me le face iamais reuoquer en doute; & ainfi i'en ay vne vra3'e & certaine fcience. Et cette mefme fcience s'eftend auffi à toutes les autres chofes que ie me reffouuiens d'auoir autrefois demonftrées, comme aux veritez de la Géométrie, & autres femblables : car qu'eft-ce que l'on me peut obieder, pour m'obliger à les reuoquer en doute? Me dira-t-on que ma nature eft telle que ie fuis fort fujet à me méprendre? Mais ie fçay defia que ie 86 ne puis me tromper dans les iugemens dont ie | connois clairement les raifons. Me dira-t-on que i'ay tenu autrefois beaucoup de chofes pour vrayes & certaines, lefquelles i'ay reconnu par après eftre faulies? Mais ie n'auois connu clairement ny diftinctement aucunes de ces chofes-là, &, ne fçachant point encore cette règle par laquelle ie m'affeure de la vérité, i'auois elle porté à les croire par des raifons que i'ay reconnu depuis eftre moins fortes que ie ne me les eftois pour lors imaginées. Que me pourra-t-on doncques obieder dauan- tage? Que peut-eftre ie dors (comme ie me l'eftois moy-mefme ob- jecté cy-deuantj, ou bien que toutes les penfées que i'ay maintenant ne font pas plus vrayes que les réueries que nous imaginons eftans endormis? Mais| quand bien mefme ie dormirois, tout ce qui fe pre- fente à mon efprit auec éuidence, eft abfolument véritable. Et ainfi ie reconnois tres-clairement que la certitude & la vérité de toute fcience dépend de la feule connoiffance du vray Dieu : en forte qu'auant que ie le connutfe% ie ne pouuois fçauoir parfaitement au- cune autre chofe. Et à prefent que ie le connois, i'ay le moyen d'ac- quérir vne fcience parfaite touchant vne infinité de chofes, non feulement de celles qui font en luy, mais auflî de celles qui appar- tiennent à la nature corporelle, en tant qu'elle peut feruir d'objet aux demonftrations des Géomètres, lefquels n'ont point d'égard à fon exiftence.

a. ■;( Fautes à corriger : p. 86, connoiffe, lis. connulTe. » {i" édit.)

�� � 88

��71-72. Méditations. — Sixième. 57

��Méditation sixième. 87

De l’existence des choses materielles, & de la réelle distinction entre l’ame & le corps de l’homme.

Il ne me reste plus maintenant qu’à examiner s’il y a des choses matérielles : & certes au moins sçay-je désia qu’il y en peut avoir, en tant qu’on les considere comme l’objet des demonftrations de Géométrie, veu que de cette façon ie les conçoy fort clairement & fort diftindement. Car il n’y a point de doute que Dieu n’ait la puis- sance de produire toutes les choses que ie fuis capable de concevoir auec diftindion; & ie n’ay iamais iugé qu’il luy fust impoiïible de faire quelque chose, qu’alors que ie trouuois de la contradiélion à la pouuoir bien concevoir. De plus, la faculté d’imaginer qui est en moy, & de laquelle ie voy par | expérience que ie me fers lorfque ie m’applique à la confideration des choses matérielles, est capable de me perfuader leur exiftence : car quand ie confidere attentivement ce que c’est que l’imagination, | ie trouue qu’elle n’est autre chose qu’une certaine application de la faculté qui connoift, au corps qui luy est intimement prefent, & partant qui exifte. :

Et pour rendre cela tres-manifeste, ie remarque premièrement la différence qui est entre l’imagination & la pure intelledion ou con- ception. Par exemple, lorsque i’imagine un triangle, ie ne le conçoy pas feulement comme une figure compofée & comprife de trois lignes, mais outre cela ie confidere ces trois lignes comme prefentes par la force & l’application intérieure de mon esprit; & c’est propre- ment ce que i’appelle imaginer. Que fi ie veux penser à un Chilio- gone,ie conçoy bien à la vérité que c’est une figure compofée de mille coftez, aufli facilement que ie conçoy qu’un triangle est une figure composée de trois coftez feulement: mais ie ne puis pas imaginer les mille coftez d’un Chiliogone, comme ie fais les trois d’un triangle, ny, pour ainfi dire, les regarder comme prefens auec les yeux de mon efprit. Et quoy que, fuiuant la couftume que i’ay de me feruir toufiours de mon imagination, lorfque ie penfe aux chofes corpo- relles, il arriue qu’en conceuant un Chiliogone ie me reprefente confufement quelque figure, toutesfois il est tres-euident que cette figure n’est point un Chiliogone, | puifqu’elle ne differe nullement de celle que ie me reprefenterois, fi ie penibis à un Myriogone, ou à quelque autre figure de beaucoup de costez ; & qu’elle ne fert en Œuvres. IV. 8

��89

�� � )8 OEuvRES DE Descartes. 72-74-

aucune façon à découurir les proprietez qui font la différence du Chiliogone d'auec les autres Pol3-gones.

Que s'il eft queflion de confiderer vn Pentagone, il eft bien vray que ie puis conceuoir fa figure, auffi bien que celle d'vn Chiliogone, fans le fecours de l'imagination; mais ie la puis auffi imaginer en appliquant l'attention- de mon efprit à chacun de fes cinq coftez, & tout enfemble à l'aire, ou à l'efpace qu'ils renferment. Ainfi ie connois clairement | que i'ay befoin d'vne particulière contention d'efprit pour imaginer, de laquelle ie ne me fers point pour conce- uoir; & cette particulière contention d'efprit montre cuidemment la différence qui ei1: entre l'imagination & l'intelledion ou concep- tion pure.

le remarque outre cela que cette vertu d'imaginer qui eft en moy, en tant qu'elle diffère de la puiffance de conceuoir, n'eft en aucune forte necelfaire à ma nature ou à mon eflence, c'eit à dire à l'eflence de mon efprit; car, encore que ie ne l'euffe point, il eft fans doute que ie demeurerois toufiours le mefme que ie fuis maintenant : d'où il femble que l'on puilfe conclure qu'elle dépend de quelque chofe qui diffère de mon efprit. Et ie conçoy facilement que, fi quelque corps exifte, auquel mon efprit ibit conjoint & vny de telle forte, 90 qu'il fe puiffe appliquer | à le confiderer quand il luy plaift, il fe peut faire que par ce moyen il imagine les chofes corporelles : en forte que cette façon de penfer diffère feulement de la pure intel- leclion, en ce que Tefprit en conceuant fe tourne en quelque façon vers Iby-mefme, & confidere quelqu'vne des idées qu'il a en foy ; mais en imaginant il fe tourne vers le corps, & y confidere quelque chofe de conforme à l'idée qu'il a formée de foy-mefme ou qu'il a receuë par les fens. le conçoy, dif-je, aifement que l'imagination fe peut faire de cette forte, s'il eft vray qu'il y ait des corps; & parce que ie ne puis rencontrer aucune autre voye pour expliquer com- ment elle fe fait, ie coniecture de là probablement qu'il y en a : mais ce n'eft que probablement, & quoy que l'examine foigneufement toutes chofes, ie ne trouue pas neantmoins que de cette idée diftinde de la nature corporelle, que i'ay en mon imagination, ie puiffe tirer aucun argument qui conclue auec necelFité l'exiftence de quelque corps.

I Or i'ay accouftumé d'imaginer beaucoup d'autres choies, outre cette nature corporelle qui eft l'objet de la Géométrie, à fçauoir les couleurs, les fons, les faneurs, la douleur, & autres chofes fem- blables, quoy que moins diftincfement. Et d'autant que i'apperçoy beaucoup mieux ces chofes-là par les fens, par l'entremife defquels, & de la mémoire, elles lemblent eftre paruenuës iufqu'à mon ima-

�� � 74-75. Méditations. — Sixième. ^9

gination, ie croy que, pour les examiner plus commodément, il ell: à I propos que l'examine en rnelme temps ce que c'eft que fentir, l^ que ie voye fi des idées que ie reçoy en mon efprit par cette façon de penfer, que l'appelle fentir, ie puis tirer quelque preuue certaine de l'exiflence des chofes corporelles.

Et premièrement ie rappelleray dans ma mémoire quelles font les chofes que i'ay cy-deuant tenues pour vrayes, comme les ayant re- ceuës par les fens, & fur quels fondemens ma créance eftoit appuyée. En après, i'examineray les raifons qui m'ont obligé depuis à les reuoquer en doute. Et enfin ie confidereray ce que l'en dois main- tenant croire.

Premièrement doncques i'ay fenty que i'auois vne teHe, des mains, des pieds, & tous les autres membres dont eft compofé ce corps que ie confiderois comme vne partie de moy-mefme, ou peut-eflre aufli comme le tout. De plus i'ay fenty que ce corps elloit placé entre beaucoup d'autres, defquels il eftoit capable de receuoir diuerfes commoditez & incommoditez, & ie remarquois ces ccmmoditez par vn certain fentiment de plaifir ou < de > » volupté, & les " incommo- ditez par vn fentiment de douleur. Et outre ce plaifir & cette douleur, ie reffentois auffi en moy la faim, la foif, & d'autres femblables appé- tits, comme auffi de certaines inclinations corporelles vers la ioye, la trifteffe, la colère, & autres femblables pallions. Et au-dehors, outre l'extenfion, les figures, j les mouuemens des corps, ie remar- quois en eux de la dureté, de la chaleur, & toutes les autres qua- litez qui tom|bent fous l'attouchement. De plus l'y remarquois de la lumière, des couleurs, des odeurs, des faueurs & des fons, dont la variété me donnoit moyen de diltinguer le Ciel, la Terre, la Mer, & généralement tous les autres corps les vns d'auec les autres.

Et certes, confiderant les idées de toutes ces qualitez qui le pre- fentoient à ma penfée, & lefquelles feules ie fentois proprement & immédiatement, ce n'elloit pas fans raifon que ie croyois fentir des chofes entièrement différentes de ma penfée, à fçauoir des corps d'où procedoient ces idées. Car i'experimentois qu'elles fe prefen- toient à elle, fans que mon confentement y fuft requis, en forte que ie ne pouuois fentir aucun objet, quelque volonté que l'en euffe, s'il ne fe trouuoit prefent à l'organe d'vn de mes fens ; & il n'eftoit nullement en mon pouuoir de ne le pas fentir, lorfqu'il s'y trouuoit prefent.

a. Ce de, omis dans la r' édit., a été rétabli dès la seconde.

b. Sic les [i" édit.). Lire ces ? (2^ et 3' édit.].

��91

��92

�� � 6o OEuvREs DE Descartes. 75-76.

Et parce que les idées que ie receuois par les fens eftoient beau- coup plus viues, plus exprefles, & mefme à leur façon plus diftindes, qu'aucunes de celles que ie pouuois feindre de moy-mefme en mé- ditant, ou bien que ie trouuois imprimées en ma mémoire, il fem- bloit qu'elles ne pouuoient procéder de mon efprit; de façon qu'il eftoit neceffaire qu'elles fuffent caufées en moy par quelques autres chofes. Defquelies chofes n'ayant aucune connoiffance, finon celle que me donnoient ces mefmes idées, il ne me pouuoit venir autre

93 chofe en l'efprit, fmon que ces cho|fes-là eftoient femblabies aux idées qu'elles caufoient.

Et pource que ie me reffouuenois aufli que ie m'eftois pluftoft feruy des fens que de la raifon, & que ie reconnoiffois que les idées que ie formois de moy-mefme n'eftoient pas fi exprefles, que celles que ie receuois par les fens, & mefme qu'elles eftoient le plus fou- uent compofées des parties de celles-cy, ie me perfuadois aifement que ie n'auois aucune idée dans mon efprit, qui n'euft paffé aupa- rauant par mes fens.

Ce n'eftoit pasaulTi fans quelque raifon que ie croyois que ce corps (lequel par vn certain droit particulier i'appellois mien) |m'ap- partenoit plus proprement & plus étroittement que pas vn autre. Car en effed ie n'en pouuois iamais eftre feparé comme des autres corps ; ie reffentois en luy & pour luy tous mes appétits & toutes mes affedions; & enfin i'eftois touché des fentimens de plaifir & de douleur en les parties, & non pas en celles des autres corps qui en font feparez.

Mais quand i'examinois pourquoy de ce ie ne fçay quel fentimcnt de douleur fuit la-triftelfe en l'efprit, &du fentiment de plaifir naift la ioye, ou bien pourquoy cette ie ne fçay quelle émotion de l'efto- mac, que l'appelle faim, nous fait auoir enuie de manger, & la feche- reffe du gofier nous fait auoir enuie de boire, & ainfi du refte, ie n'en pouuois rendre aucune raifon, finon que la nature me l'enfei- gnoit de la forte; car il n'y a certes aucune aftinité ny aucun rap-

94 Iport (au moins que ie puifle comprendre) entre cette émotion de l'éftomac & le defir de manger, non plus qu'entre le fentiment de la chofe qui caufe delà douleur, & la penfée de triftefl'e que fait naiftre ce fentiment. Et en mefme façon il me fembloit que i'auois appris de la nature toutes les autres chofes que ie iugeois touchant les objets de mes fens; pource que ie remarquois que les iugemens que i'auois couftume de faire de ces objets, fe formoient en moy auant que i'eufl"e le loifir de pefer & confiderer aucunes raifons qui me peuffent obliger à les faire.

�� � 76-78. Méditations. — Sixième. 61

Mais par après plufieurs expériences ont peu à peu ruiné toute la créance que i'auois adiouftée aux fens. Car i'ay obferué plufieurs fois que des tours, qui de loin m'auoient femblé rondes, me paroil- foient de prés eftre quarrées, & que des coloffes, éleuez fur les plus hauts fommets de ces tours, me paroiffoient de petites ftatuës à les regarder d'embas ; & ainfi, dans vne infinité d'autres rencontres, i'ay trouué de l'erreur dans les iugemens fondez fur les fens exté- rieurs. Et non pas feulement fur les fens extérieurs, mais mefme fur les intérieurs : |car y a-t-il choie plus intime ou plus intérieure que la douleur? & cependant i'ay autresfois appris de quelques perfonnes qui auoient les bras & les iambes coupées, qu'il leur fembloit encore quelquefois fentir de la douleur dans la partie qui leur auoit efbé coupée; ce qui me donnoit fujet de penfer, que ie ne pouuois aufTi eftre alfeuré d'auoir mal à quelqu'vn de mes membres, | quoy que 95 ie fentiffe en luy de la douleur.

Et à ces raifons de douter l'en ay encore adioufté depuis peu deux autres fort générales. La première eft que ie n'ay iamais rien creu fentir eftant éueillé, que ie ne puiffe aufli quelquefois croire fentir quand ie dors ; & comme ie ne croy pas que les chofes qu'il me femble que ie fens en dormant, procèdent de quelques objets hors de moy, ie ne voyois pas pcfurquoy ie deuois pluftoft auoir cette créance, touchant celles qu'il me femble que ie fens eftant éueillé. Et la féconde, que, ne connoiflant pas encore, ou pluftoft feignant de ne pas connoiftrc l'autheur de mon eftre, ie ne voyois rien qui peuft empefcher que ie n'euffe efté fait tel par la nature, que ie me trom- paffe mefme dans les chofes qui me paroifl'oient les plus véritables.

Et pour les raifons qui m'auoyent cy-deuant perfuadé la vérité des chofes fenfibles, ie n'auois pas beaucoup de peine à y refpondre. Car la nature femblant me porter à beaucoup de choies dont la raifon me détournoit, ie ne cro3ois pas me deuoir confier beaucoup aux enfeignemensde cette nature. Et quoy que les idées que ie reçoy par les fens ne dépendent pas de ma volonté, ie nepenfois pas que l'on deuft pour cela conclure qu'elles procedoient de chofes diffé- rentes de moy, puifque peut-eftre il lé peut rencontrer en moy quelque faculté (bien qu'elle m'ait efté iufques icy inconnue), qui en loit la caufe, & qui les produife.

I Mais maintenant que ie commence à me mieux connoiftre mo}'- 96 mefme & à découurir plus clairement l'autheur de mon origine, ie ne penfe pas à la vérité que ie doiue témérairement admettre toutes les chofes que les fens femblent nous enfeigner, | mais ie ne penfe pas aulfi que ie les doiue toutes généralement reuoquer en doute.

�� � 6,2 OEuvRES DE Descartes. 78-79-

Et premièrement, pource que ie fçay que toutes les chofes que ie conçov clairement & diftinclement, peuuent eftre produites par Dieu telles que ie les conçoy, il fuffit que ie puifle conceuoir claire- ment &diftinflement vne chofe fans vne autre, pour eftre certain que l'vne eit diftincte ou différente de l'autre, parce qu'elles peuuent eftre pofées feparement, au moins par la toute puifl'ance de Dieu; & il n'importe pas par quelle puifl'ance cette feparation fe face, pour m'obliger à les iuger différentes. Et partant, de cela mefme que ie connois auec certitude que i'exifte, & que cependant ie ne remarque point qu'il appartienne neceffairement aucune autre chofe à ma na- ture ou à mon efl"ence, fmon que ie fuis vne chofe qui. penfe, ie con- clus fort bien que mon elTence confifte en cela feul, que ie fuis vne chofe qui penfe, ou vne fubftance dont toute l'effence ou la nature n'eft que de penfer. Et quoy que peut-eftre (ou plutoft certainement, comme ie le diray tantoft) i'aye vn corps auquel ie fuis tres-étroitte- ment conioint; neantmoins, pource que d'vn cofté i'ay vne claire

97 & diftinde idée de nioy-mefme, en tant que ie fuis feujlement vne chofe qui penfe & non étendue, & que d'vn autre i'ay vne idée diftinde du corps, en tant qu'il eft feulement vne chofe étendue & qui ne penfe point, il eft certain que ce moy, c'eft à dire mon ame, par laquelle ie fuis ce que ie fuis, eft entièrement & véritablement diftinfte de mon corps, & qu'elle peut eftre ou exifter fans luy.

Dauantage, ie trouue en moy des facultez de penfer toutes parti- culières, & diftinftes de moy, à fçauoir les facultez d'imaginer & de fentir, fans lefquelles ie puis bien me conceuoir clairement & diftinclement tout entier, mais non pas elles fans moy, c'eft à dire fans vne fubftance intelligente à qui elles foient attachées. Cardans la notion que nous auons de ces facultez, ou (pour me feruir des termes de l'école) dans leur concept formel, elles enferment quelque forte d'intelledion : d'où ie conçoy qu'elles font diftindes de moy, comme les figures, les mouuemens, & les autres modes ou acci- dens des corps, le font des corps mefmes qui les fouftiennent.

le reconnois aufli en moy quelques autres facultez, comme celles de changer de lieu, de fe mettre en plufieurs poftures, & autres fem- blables, qui ne peuuent eftre conceuës, non plus que les précédentes, fans I quelque fubftance à qui elles foient attachées, ny par confe- quent exifter fans elle; mais il eft tres-éuident que ces facultez, s'il eft vray qu'elles exiftent, doiuent eftre attachées à quelque fubftance corporelle ou étendue, & non pas à vne fubftance intelligente,

98 puifque, dans | leur concept clair & diftind, il y a bien quelque forte d'extenfion qui fe trouue contenue, mais point du tout d'intelli-

�� � 79-80. Méditations. — Sixième. 63

gence. De plus, il fe rencontre en moy vne certaine faculté paffiue de fentir, c'ell à dire de receuoir & de connoiftre les idées des chofes fenfibles; mais elle me feroit inutile, & ie ne m'en pourois aucune- ment feruir, s'il n'y auoit en moy, ou en autruy, vne autre faculté adiue, capable de former & produire ces idées. Or cette faculté aftiue ne peut élire en moy en tant que ie ne fuis qu'vne chofe qui penfe, veu qu'elle ne prefupofe point ma penfée, & auiïi que ces idées-là me font fouuent reprefentées fans que i'y contribue en au- cune forte, & mefme fouuent contre mon gré; il faut donc neceffai- rement qu'elle foit en quelque fubitance différente de moy, dans laquelle toute la realité, qui eft obieftiuement dans les idées qui en font produites, foit contenue formellement ou éminemment (comme ie l'ay remarqué cy-deuant). Et cette fubftance efl: ou vn corps, c'eft à dire vne nature corporelle, dans laquelle eft contenu formel- lement & en effeél tout ce qui eft objedivement & par reprefenta- tion dans les idées; ou bien c'eft Dieu mefme, ou quelqu'autre créature plus noble que le corps, dans laquelle cela mefme eft con- tenu éminemment.

Or, Dieu n'eftant point trompeur, il eft tres-manifefte qu'il ne m'enuoye point ces idées immédiatement par luy-mefme, ny auffi par l'entremife de quelque créature, dans laquelle leur realité ne foit 1 pas contenue formellement, mais feulement éminemment. Car ne m'ayant donné aucune faculté pour connoiftre que cela foit, mais au contraire vne très-grande | inclination à croire qu'elles me font enuoyées ou qu'elles partent des chofes corporelles, ie ne voy pas comment on pouroit l'excufer de tromperie, û en effecl ces idées partoient ou eftoient produites par d'autres caufes que par des chofes corporelles. Et partant il faut confeft"er qu'il y a des chofes corporelles qui exiftent. •

Toutesfois elles ne font peut-eftre pas entièrement telles que nous les apperceuons par les fens, car cette perception des fens eft fort obfcure & confufe en plufieurs chofes; mais au moins faut-il auoiier que toutes les chofes que i'y conçoy clairement & diftinftement, c'eft à dire toutes les chofes, généralement parlant, qui font com- prifes dans l'objet de la Géométrie fpeculatiue, s'y retrouuent véri- tablement. Mais pour ce qui eft des autres chofes, lefquelles ou font feulement particulières, par exemple, que le Soleil foit de telle gran- deur & de telle figure, &c., ou bien font conceuës moins clairement & moins diftinctement, comme la lumière, le fon, la douleur, & autres femblables, il eft certain qu'encore qu'elles foient fort dou- teufes & incertaines, toutesfois de cela feul que Dieu n'eft point

�� � 64 Œuvres de Descartes.

��80-81.

��trompeur, & que par confequent il n'a point permis qu'il peuft y auoir aucune fauileté dans mes opinions, qu'il ne m'ait aufli donné 100 quelque faculté capable de la cor|riger, ie croy pouuoir conclure alîurement que i'ay en moy les moyens de les connoiftre auec cer- titude.

Et premièrement il n'y a point de doute que tout ce que la nature m'enfeigne contient quelque vérité. Car par la nature, conûderée en gênerai, ie n'entens maintenant autre chufe que Dieu mefme, ou bien l'ordre & la dirpofition que Dieu a établie dans les chofes créées. Et par ma nature en particulier, ie n'entens autre chofe que la complexion ou l'alfemblage de toutes les chofes que Dieu m'a données.

Or il n'y a rien que cette nature m'enfeigne plus expreffement, ny plus fenfiblement, fmon que i'ay vn corps, qui eH ma! dilpofé quand ie fens de la douleur, qui a befoin de manger ou de boire, quand i'ay les fentimens de la faim ou de la foif, &c. Et partant ie ne dois aucunement douter qu'il n'y ait en cela quelque vérité.

j La nature m'enfeigne auffi par ces fentimens de douleur, de faim, de foif, &c., que ie ne fuis pas feulement logé dans mon corps, ainfi qu'vn pilote en fon nauire, mais, outre cela, que ie luy fuis conioint tres-étroittement & tellement confondu & méfié, que.ie compofe comme vn feul tout auec luy. Car, Il cela n'ertoit, lorfque mon corps eu bleffé, ie ne fentirois pas pour cela de la douleur, moy qui ne fuis qu'vne chofe qui penfe, mais i'aperceurois cette bleffure par le feul entendement, comme vn pilote appcrçoit par la veuë fi 101 quelque chofe fe rompt dans fon vaiffeau; | & lorfque mon corps a befoin de boire ou de manger, ie connoiftrois fimplement cela mefme, fans en ertre auerty par des fentimens confus de faim & de foif. Car en effed tous ces fentimens de faim, de foif, de douleur, &c., ne font autre chofe que de certaines façons confufes de penfer, qui prouiennent & dépendent de l'vnion & comme du mélange de l'efprit auec le corps.

Outre cela, la nature m'enfeigne que plufieurs autres corps exiftent autour du mien, entre lefquels ie dois pourfuiure les vns & fuir les autres. Et certes, de ce que ie fens différentes fortes de couleurs, d'odeurs, de faueurs, de fons, de chaleur, de dureté, &c., ie conclus fort bien qu'il y a dans les corps, d'où procèdent toutes ces diuerfes perceptions des fens, quelques varietez qui leur répondent, quoy que peut-eftre ces varietez ne leur foient point en e£Fei5l femblables. Et auffi, de ce qu'entre ces diuerfes perceptions des fens, les vnes me font agréables, & les autres defagreables, ie

�� � 8i-82. Méditations. — Sixième. 65

puis tirer vne confequence tout à fait certaine, que mon corps (ou plutoil moy-mefme tout entier, en tant que ie fuis compofé du corps & de l'ame) peut receuoir diuerfes commoditez ou incommoditez des autres corps qui l'enuironnent.

I Mais il y a plufieurs autres chofes qu'il femble que la nature m'ait enfeignées, lefquelles toutesfois ie n'ay pas véritablement re- ceuës d'elle, mais qui fe font introduites en mon efprit par vne cer- taine coutume que i'ay de iuger inconfiderement des chofes; & ainfi il | peut ayfément arriuer qu'elles contiennent quelque fauf- 102 fêté. Comme, par exemple, l'opinion que i'ay que tout eipace dans lequel il n'y a rien qui meuue, & face impreffion fur mes fens, foit vuide; que dans vn corps qui eft chaud, il y ait quelque chofe de femhlable à l'idée de la chaleur qui eft en moy; que dans vn corps blanc ou noir, il y ait la mefme blancheur ou noirceur que ie fens; que dans vn corps amer ou doux, il y ait le mefme gouft ou la mefme faueur, & ainfi des autres; que les aftres, les tours & tous les autres corps efloignez foient de la mefme figure & grandeur qu'ils paroiffent de loin à nos yeux, &c.

Mais afin qu'il n'y ait rien en cecy que ie ne conçoiue diftinftc- ment, ie dois precifement définir ce que i'entens proprement lorfque ie dis que la nature m'enfeigne quelque chofe. Car ie prens icy la nature en vne fignification plus refferrée, que lorfque ie l'appelle vn aOemblage ou vne complexion de toutes les chofes que Dieu m'a données; veu que cet aflemblage ou complexion comprend beaucoup de choies qui n'appartiennent qu'à l'efprit feul, defquelles ie n'en- tens point icy parler, en parlant de la nature : comme, par exemple, la notion que i'ay de cette vérité, que ce qui a vne fois efté fait ne peut plus n'auoir point efté fait, & vne infinité d'autres femblables, que ie connois par la lumière naturelle fans l'ayde du corps, & qu'il en comprend auftl plufieurs autres qui n'appartiennent qu'au corps feul, & ne font point icy non plus contenues fous le nom de nature : comme la qua|lité qu'il a d'eflre pefant, & plufieurs autres 103 femblables, defquelles ie ne parle pas aufll, mais feulement des chofes que Dieu m'a données, comme ertant compofé de l'efprit & du corps. Or cette nature m'apprend bien à fuir les chofes qui caufent en moy le fentiment de la douleur, & à me porter vers celles qui me communiquent quelque fentiment de plaifir; mais ie ne voy point qu'outre cela elle m'apprenne que de ces diuerfes perceptions des fens nous dénions iamais rien conclure touchant les chofes qui font hors de nous, fans que l'efprit les ait foigneufement & meure- ment examinées. Car c'eft, ce" me femble, à l'efprit feul, & non Œuvres. IV. o

�� � 66 OEuvREs DE Descartes. 82-84.

point au compole de l'efprit & du corps, qu'il appartient de con- noiftre la vérité de ces chofes-là.

|Ainfi, quoy qu'vne eftoille ne face pas plus d'imprefTion en mon œil que le feu d'vn petit flambeau, il n'y a toutesfois en moy au- cune faculté réelle ou naturelle, qui me porte à croire qu'elle n'eft pas plus grande que ce feu, mais le l'ay iugé ainfi dés mes pre- mières années fans aucun raifonnable fondement. Et quoy qu'en aprochant du feu ie fente de la chaleur, & mefme que m'en ap- prochant vn peu trop prés ie reffente de la douleur, il n'y a toutesfois aucune raifon qui mepuilfe perfuader qu'il y a dans le feu quelque chofe de femblable à cette chaleur, non plus qu'à cette douleur; mais feulement i'ay raifon de croire qu'il y a quelque chofe en luy, quelle qu'elle puilie eflre.. qui excite en moy ces fentimens de chaleur ou de douleur.

104 |De mefme auffi, quoy qu'il y ait des eipaces dans lefqueis ie ne trouue rien qui excite & meuue mes fens, ie ne dois pas conclure pour cela que ces efpaces ne contiennent en eux aucun corps ; mais ie voy que, tant en cecy qu'en plufieurs autres chofes femblables, i'ay accouftumé de peruertir & confondre l'ordre de la nature, parce que ces fentimens ou perceptions des fens n'ayant efté mifes en moy que pour fignitîer à mon efprit quelles choies font conue- nables ou nuifible.s au compofé dont il eft partie, & iufques là eflant affez claires & aflez diftindes, ie m'en fers neantmoins comme fi elles eftoient des règles très-certaines, par lefquelles ie peuffe con- noiflre immédiatement l'eflence & la nature des corps qui font hors de moy, de laquelle toutesfois elles ne me peuuent rien enfeigner que de fort obfcur & confus.

Mais i'ay défia cy-deuant affez examiné comment, nonobstant la fouueraine bonté de Dieu, il arriue qu'il y ait de la fauffeté dans les iugemens que ie fais en cette forte. Il fe prefente feulement encore icy vne difficulté touchant les chofes que la nature m'enfeigne de- uoir eftre fuiuies ou euitées, & aufli touchant les fentimens inté- rieurs qu'elle a mis en moy; car il me femble y auoir quelquefois remarqué de l'erreur, & ainfi que ie fuis diredement trompé par ma nature. Comme, par exemple, le gouft agréable de quelque viande, en laquelle on aura meflé du poifon, peut m'inuiter à prendre ce poifon, & ainfi me tromper. |I1 eft vray toutesfois qu'en cecy la na-

105 ture I peut eftre excufée, car elle me porte feulement à defirer la viande dans laquelle ie" rencontre vne faueur agréable, & non point

a. Lire fe comme dans la 2' et la 3' édition ?

�� � 84-83. Méditations. — Sixième. d-j

à defirer le poifon, lequel luy eil: inconnu ; de façon que ie ne puis conclure de cecy autre chofe, finon que ma nature ne connoift pas entièrement & vniuerfellement toutes chofes: de quoy certes il n'y a pas lieu de s'eftonner, puifque l'homme, eftant d'vne nature finie, ne peut aufli auoir qu'vne connoiffance d'vne perfection limitée.

Mais nous nous trompons auifi affez fouuent, mefme dans les chofes aufquelles nous fommes directement portez par la nature, comme il arriuc aux malades, lorfqu'ils défirent de boire ou de manger des chofes qui leur peuuent nuire. On dira peut-eftre icy que ce qui efl caufe qu'ils fe trompent, eft que leur nature efi cor- rompue; mais cela n'ofle pas la difficulté, parce qu'vn homme malade n'eft pas moins véritablement la créature de Dieu, qu'vn homme qui efl: en pleine fanté ; & partant il répugne autant à la bonté de Dieu, qu'il ait vne nature trompeufe & fautiue, que l'autre. Et comme vne horloge, compofée de roiies & de contrepoids, n'ob- ferue pas moins exactement toutes les loix de la nature, lorfqu'elle eft mal faite, & qu'elle ne montre pas bien les heures, que lorf- qu'elle fatisfait entièrement au defir de l'ouurier ; de mefme aufïï, fi ie confidere le corps de l'homme comme citant vne machine telle- ment baftie & compofée d'os, de nerfs, de mufcles, | de veines, de io6 fang & de peau, qu'encore bien qu'il n'y eult en luy aucun efprit, il ne lairroit pas de fe mouuoir en toutes les ihefmes façons qu'il fait à prefent, lorfqu'il ne fe meut point par la direction de fa vo- lonté, ny par confequent par l'aide de l'efprit, mais feulement par la difpofition de fes organes, ie reconnois facilement qu'il feroit auiïi naturel à ce corps, eftant, par exemple, hydropique, de fouffrir la fecherelïe du gozier, qui a coultume de fignifier à l'efprit le fenti- ment de la foif, & d'eftre difpofé par cette fechereife à mouuoir (es nerfs & les autres parties, en la façon qui eft requife pour boire, & ainfi d'augmenter fon mal & fe nuire à foy-mefme, qu'il luy eft na- turel, lorfqu'il n'a aucune indifpofition, | d'eftre porté à boire pour fon vtilité par vne femblable fechereffe de gozier. Et quoy que, re- gardant à l'vfage auquel l'horloge a efté deftinée par fon ouurier, ie puifle dire qu'elle fe détourne de fa nature, lorfqu'elle ne marque pas bien les heures ; & qu'en mefme façon, confiderant la machine du corps humain comme ayant efté formée de Dieu pour auoir en foy tous les mouuemens qui ont couftume d'y eftre, i'aye fujet de penfcr qu'elle ne fuit pas l'ordre de fa nature, quand fon gozier eit fec, (!s: que le boire nuit à fa conferuation ; ie reconnois toutesfois que cette dernière façon d'expliquer la nature eft beaucoup diffé- rente de l'autre. Car celle-cy n'eft autre choie qu'vne fimple deno-

�� � 68 Œuvres de Descartes. ss-se.

mination, laquelle dépend entièrement de ma penfée, qui compare 107 vn homme malade & | vne horloge mal faite, auec l'idée que i'ay d'vn homme fain & d'vne horloge bien faite, & laquelle ne fignifie rien qui fe retrouue en la chofe dont elle fe dit ; au lieu que, par l'autre façon d'expliquer la nature, i'entens quelque chofe qui fe rencontre véritablement dans les chofes, & partant qui n'eft point fans quelque vérité.

Mais certes, quoy qu'au regard du corps hydropique, ce ne foit qu'vne dénomination extérieure, lors qu'on dit que fa nature eft cor- rompue, en ce que, fans auoir befoin de boire, il ne laide pas d'auoir le gozier fec & aride ; toutesfois, au regard de tout le compozé, c'eft à dire de l'efprit ou de l'ame vnie à ce corps, ce n'eft pas vne pure dénomination, mais bien vne véritable erreur de nature, en ce qu'il a foif, lorfqu'ii luy eft tres-nuifible de boire ; & partant, il refte encore à examiner comment la bonté de Dieu n'empefche pas que la nature de l'homme, prife de cette forte, foit fautiue & trompeufe.

Pour commencer donc cet examen, ie remarque icy, première- ment, qu'il y a vne grande différence entre l'efprit & le corps, en ce que le corps, de fa nature, eft toufiours diuifible, & que l'efprit eft entièrement | indiuifible. Car en effed, lors que ie confidere mon efprit, c'eft à dire moy-mefme en tant que ie fuis feulement vne chofe qui penfe, ie n'y puis diftinguer aucunes parties, mais ie me conçoy comme vne chofe feule & entière. Et quoy que tout l'efprit femble eftre vny à tout le corps, toutesfois vn pied, ou vn bras, 108 ou quelqu'autre partie ] eftant féparce de mon corps, il eft certain que pour cela il n'y aura rien de retranché de mon efprit. Et les facultez de vouloir, de fentir, de conceuoir &c., ne peuuent pas proprement eftre dites les parties : car le mefme efprit s'emploie tout entier à vouloir, & aulli tout entier à fentir, à conceuoir &c. Mais c'eft tout le contraire dans les chofes ' corporelles ou eftenduës : car il n'y en a pas vne que ie ne mette aifement en pièces par ma penfée, que *■ mon efprit nediuife fort facilement en plufieurs parties, & par confequent que ie ne connoiffe eftre diuifible. Ce qui fuffiroit pour m'enfeigner que l'efprit ou l'ame de l'homme eft entièrement ditîerente du corps, fi ie ne l'auois deiia d'ailleurs aftez appris.

a '< des choses » (; édit.). Errata : « dans les choses ».

b. Que] ou que \3' édit.). — Mais cette incise « que. . . parties » semble être une retouche (faite par Descartes?) de celle qui préccclc <■ que... pensée », et qui aurait dû être supprimée.

�� � 86-87. Méditations. — Sixième. 69

le remarque auflî que l'efprit ne reçoit pas immédiatement l'im- preflion de toutes les parties du corps, mais feulement du cerueau, ou peut-eftre mefme d'vne de fes plus petites parttes, à fçauoir de celle où s'exerce cette faculté qu'ils appellent le fens commun, la- quelle, toutes les fois qu'elle eft difpofée de mefme façon, fait fentir la mefme chofe à l'efprit, quoy que cependant les autres parties du corps puiffent eftre diuerfement difpofées, comme le témoignent vne infinité d'expériences, iefquelles il n'eft pas icy befoin de rap- porter.

le remarque, outre cela, que la nature du corps eft telle, qu'au- cune de fes parties ne peut eftre meuë par vne autre partie vn peu efloignée, qu'elle ne le puilîe eftre aufli de la mefme forte par cha- cune des parties qui font entre deux, quoy que cette partie | plus i09 efloignée n'agiffe point. Comme, par exemple, dans la corde ABCD qui eft toute tendue, fi | l'on vient à tirer & remuer la dernière partie D, la première A ne fera pas remuée d'vne autre façon, qu'on la pouroit aufti faire mouuoir, fi on tiroit vne des parties moyennes, B ou C, & que la dernière D demeuraft cependant immobile. Et en mefme façon, quand ie reffens de la douleur au pied, la Phy- fique m'apprend que ce fentiment fe communique par le moyen des nerfs difperfez dans le pied, qui fe trouuant étendus comme des cordes depuis là iufqu'au cerueau, lorfqu'ils font tirez dans le pied, tirent auflî en mefme temps l'endroit du cerueau d'où ils viennent & auquel ils aboutiffent, & y excitent vn certain mouue- ment, que la nature a inftitué pour faire fentir de la douleur à l'ef- prit, comme fi cette douleur eftoit dans le pied. Mais parce que ces nerfs doiuent paffer par la iambe, par la cuiffe, par les reins, par le dos & par le col, pour s'eftendre depuis le pied iufqu'au cerueau, il peut arriuer qu'encore bien que leurs extremitez qui font dans le pied ne foient point remuées, mais feulement quelques vnes de leurs parties qui pafl"ent par les reins ou par le col, cela neantmoins excite les mefmes mouuemens dans le cerueau, qui pouroient y eftre excitez par vne bleffure receuë dans le pied, en fuitte de quoy il fera necefl"aire que l'efprit reffente dans le pied la mefme douleur que s'il y auoit receu vne blefl"ure. Et il faut iuger le femblable de toutes les autres perceptions de nos fens,

I Enfin ie remarque que, puifque de tous les mouuemens qui fe llO font dans la partie du cerueau dont l'efprit reçoit immédiatement l'imprelfion, chacun ne caufe qu'vn certain fentiment, on ne peut rien en cela fouhaitter ny imaginer de mieux, finon que ce mouue- ment face reffentir à l'efprit, entre tous les fentimens qu'il eft

�� � 70 OEuvRES Dt: Descartes. sy-ss.

capable de caufer, celuy qui elt le plus propre & le plus ordinaire- ment vtile à la conferuation du corps humain, lorfqu'i! eft en pleine fimté. Or l'expérience nous fait connoiftre, que tous les fentimens que la nature nous a donnés font tels que ie viens de' dire; & partant, il ne fe trouue rien en eux, qui ne face paroiftre la puif- fance & la bonté du Dieu qui les a produits.

Ainfi, par exemple, | lorfque les nerfs qui font dans le pied font remuez fortement, & plus qu'à l'ordinaire, leur mouuement, paf- fant par la mouelle de l'efpine du dos iufqu'au cerueau, fait vne impreffion à l'efprit qui luy fait fentir quelque chofe, à fçauoir de la douleur, comme ertant dans le pied, par laquelle l'efprit eft auerty & excité à faire fon polTible pour en chaffer la caufe, comme tres-dangereufe & nuifible au pied.

Il eft vray que Dieu pouuoit eftablir la nature de l'homme de telle forte, que ce mefme mouuement dans le cerueau fift fentir toute autre chofe à l'efprit : par exemple, qu'il le fift fentir foy- mefme, ou en tant qu'il eft dans le cerueau, ou en tant qu'il eft m dans le pied, ou bien en tant qu'il eft en quelqu'autre en|droit entre le pied & le cerueau, ou enfin quelque autre chofe telle qu'elle peuft eftre ; mais rien de tout cela n'euft fi bien contribué à la conferuation du corps, que ce qu'il luy fait fentir.

De mefme, lorfque nous auons befoin de boire, il naift de là vne certaine fechcreffe dans le gozier, qui remue fes nerfs, & par leur moyen les parties intérieures du cerueau ; (Se ce mouuement fait reflentir à l'efprit le lentiment delà loif, parce qu'en cette occafion- là il n'y a rien qui nous loit plus vtile que de fçauoir que nous auons befoin de boire, pour la conferuation de noftre fanté; & ainfi des autres.

D'où il eft entièrement manifefte que, nonobftant la fouueraine bonté de Dieu, la nature de Thomme, en tant qu'il eft compol'é de l'efprit & du corps, ne peut qu'elle ne foit quelquefois fautiue & trompeufe.

Car s'il }'■ a quelque caufe qui excite, non dans le pied, mais en quelqu'vne des parties du nerf qui eft tendu depuis le pied iuf- qu'au cerueau, ou mefme dans le cerueau, le mefme mouuement qui fe fait ordinairement quand le pied eft mal difpofé, on fentira de la douleur comme fi elle eftoit dans le pied, & le fens fera naïu- rellenient trompé ; parce qu'vn mefme mouuement dans le cer- ueau ne pouuant caufer en l'elprit qu'vn mefme fentiment, & ce

a de omis {i"^' édit. ) .

�� � 88-90. Méditations. — Sixième. 71

fentiment edant beaucoup plus fouuent excité par vnc caufe qui blelFe le pied, que par vne autre qui l'oit ailleurs, il eft bien plus raifonnable | qu'il porte à l'efprit la douleur | du pied que celle 112 d'aucune autre partie. Et quoy que la fecliereffe du gozier ne vienne pas toufiours, comme à l'ordinaire, de ce que le boire eft neceffaire pour la fanté du corps, mais quelquefois d'vne caufe toute contraire, comme expérimentent les hydropiques, toutesfois il efl: beaucoup mieux qu'elle trompe en ce rencontre-là, que fi, au contraire, elle trompoit toufiours lorfque le corps eft bien difpofé; & ainfi des autres.

Et certes cette confideration me fert beaucoup, non feulement pour reconnoiftre toutes les erreurs aufquelles ma nature eft fujette, mais auftî pour les euiter, ou pour les corriger plus facilement : car fçachant que tous mes fens mie fignifient plus ordinairement le vray que le faux, touchant les chofes qui regardent les commoditez ou incommoditez du corps, & pouuant prefque toufiours me feruir de plufieurs d'entre eux pour examiner vne mefme chofc, & outre cela, pouuant vfer de ma mémoire pour lier & ioindre les connoif- fances prefentes aux paffées, & de mon entendement qui a défia découuert toutes les caufes de mes erreurs, ie ne dois plus craindre déformais qu'il fe rencontre de la fauifeté dans les chofes qui me font le plus ordinairement reprefentées par mes fens. Et ie dois rejetter tous les doutes de ces iours partez, comme hyperboliques & ridicules, particulièrement cette incertitude fi générale touchant le fommeil, que ie ne pouuois diftinguer de la veille : car à prefent i'y rencontre vne tres-notable différence, en ce que no|ftre mémoire 113 ne peut iamais lier & ioindre nos fonges les vns aux autres & auec toute la fuitte de noftre vie, ainfi qu'elle a de couftume de ioindre les chofes qui nous arriuent eftant éueillés. Et, en effed, fi quel- qu'vn, lorfque ie veille, m'apparoiffoit tout foudain & difparoilToit de mefme, comme font les images que ie vov en dormant, en forte que ie ne puffe remarquer ny d'où il'viendroit, ny où il iroit, ce ne feroit pas fans raifon | que ie l'eftimerois vn fpeftre ou vn phan- tofme formé dans mon cerueau,& femblable à ceux qui s'y forment quand ie dors, pluftoft qu'vn vray homme. Mais lorfque i'aperçoy des chofes dont ie connois diftinélement & le lieu d'où elles viennent, & celuy où elles font, & le temps auquel elles m'apa- roiffent, & que, fans aucune interruption, ie puis lier le fentiment que l'en ay, auec la fuitte du refte de ma vie, ie fuis entièrement affeuré que ie les apperçoy en veillant, & non point dans le fommeil. Et ie ne dois en aucune façon douter de la vérité de ces chofes-Ià,

�� � ſi, après auoir appelé tous mes ſens, ma memoire & mon entendement pour les examiner, il ne m’eſt rien rapporté par aucun d’eux, qui ait de la repugnance auec ce qui m’eſt raporté par les autres. Car de ce que Dieu n’eſt point trompeur, il ſuit neceſſairement que ie ne ſuis point en cela trompé.

Mais parce que la neceſſité des affaires nous oblige ſouuent à nous déterminer, auant que nous ayons eu le loiſir de les examiner 114 ſi ſoigneufement, il faut | auoüer que la vie de l’homme eſt ſujette à faillir fort ſouuent dans les choſes particulieres ; & enfin il faut reconnoiſtre l’infirmité & la foibleſſe de noſtre nature.



fin.
OBIECTIONS ii5

FAITES PAR DES PERSONNES TRES-DOCTES

CONTRE LES PRECEDENTES MEDITATIONS

��AVEC LES REPONCES DE l'auteur

��PREMIERES OBIECTIONS D'vn' fçauant Théologien du Pays-bas.

M.eJJieitrs,

Aiijfi-toft que. i'ay reconnu le defir que vous auiei que i'examinaffe foigneujement les écrits de Monjtetir des-Cartes, i'ay penfé qu'il ejîoit de mon deuoir de fatisfaire en cette occafion à des perfonues qui me font fi chères, tant pour vous témoi\gner par là l'ejlime que ne iefais de vojîre amitié, que pour vous faire connoiflre ce qui manque à ma fufjifance & à la perfeâion de mon e/pril; afin que dorefna- uant vous afe\ vn peu plus de charité pour moj-, fi i'en aj bcfoin, & que vous m'épargniez vne autre fois, fi ie ne puis porter la charge que vous m'aue\ impofée.

On peut dire auec vérité, félon que i'en puis iuger, que Monfieur des-Cartes eft vn homme d'vn très-grand efprit & d'vne très-pro- fonde modeflie, & fur lequel ie ne penfe pas que Momus, le plus mé- difant de fon Jiecle, peufl trouuer à reprendre. le penfe, dit-il, donc iefuis; voire mefme ie fuis la penfée mefme, ou V efprit. Cela eft vray. Or eft-il qu'en penfant i'ay en moy les idées des chofes, \ S- première- ment celle d'vn eflre tres-parfait & infiny. le l'accorde. Mais ie n'en fuis pas la caufe, moy qui n'égale pas la realité objeâiue d'vne telle idée; doncques quelque chofe de plus parfait que moy en eft caufe; & partant il y a vn eflre différent de moy qui exifle, & qui a plus de

a. D'vn] Faites par Monfieur Caterua (2' et 3' édit.).

Œuvres. IV. 10

�� � 74 OEuvRES DE Descartes. 92-93.

per/câioiis que ie n'ay pas. Oti, comme dit Saint Denis, au Chapitre aiiquiefme des Noms divins : il y a quelque nature qui ne pofTcde pas l'eftre à la façon des autres choies, mais qui embraffe & contient en Iby tres-fimplement, & fans aucune circonfcription, tout ce qu'il y a d'effence dans l'eftre, & en qui toutes chofes font renfermées comme dans vne caufe première & vniuerfelle".

117 Mais ie fuis icy contraint de m'arrejier vu peu, de peur de | me fatiguer trop ; car i'ay defia l'efprit aujfi agité que lejlotant Euripc. l'accorde, ie nie, i'approuue, ie réfute, ie ne veux pas m'efoigner de l'opinion de ce grand homme, & toutesfois ie ny puis con/entir. Car, ie vous prie, quelle caufe requiert vne idée ? Ou dites-moy ce que c'efl qu'idée? C'eft donc la chofe penfée, en tant qu'elle eft objeftiue- ment dans l'entendement. Mais qu'eft-ce qu'eflre objeâiuement dans l'entendement? Si ie l'a/ bien appris, c'efl terminer à la façon d'vn objet l'aâe de l'entendement, ce qui en effeâ n'efl qu'vne dénomina- tion extérieure, & qui n'adjoujlerien de réel à la chofe. Car, tout ainf qu'eflre veu n'efl en moj- autre chofe f non que l'aâe que la vif on tend vers moj', de mefme efre penfé, ou efre objeâiuement dans l'entendement, c'efl terminer & arrefler en foy la penfée de l'efprit; ce qui fe peut faire fans aucun mouuement & changement en la chofe, voire mefme fans que la chofe foit. Pourquof donc recher- chaj'-je la caufe d'vne chofe, qui aâuellement n'efl point, qui n'ef qu'vne fimple dénomination & vn pur néant?

Et neantmoins, dit ce grand efprit, afin qu'vne idée contienne vne realité objeftiue, pluftoft qu'vne autre, elle doit fans doute auoir cela de quelque caufe. Au contraire, d'aucune; car la realité objeâiue efl vne pure dénomination ; aâuellement elle n'ejl point. \ Or l'influence que donne vne caufe efl réelle & aâuelle; ce qui aâuelle- ment n'ejl point, ne la peut pas receuoir, & partant ne peut pas

118 dépendre ny procéder \ d'aucune véritable caufe, tant s'en faut qu'il en requière. Doncques i'ay des idées, mais il n'y a point de caifes de ces idées ; tant s'en faut qu'il y en ait vne plus grande que moy & infinie^\

Mais quelqu'vn me dira peut-eflre : fi vous ne donne\point la caufe des idées, donne\ au moins la raifon pourquoy cette idée contient pliitofi cette réalité objeâiue que celle-là. C'efl très-bien dit ; car ie n'ay pas couflume d'ejlre referu-é auec mes amis, mais ie traitte auec eux libéralement. le dis l'niuerfellement de toutes les idées ce que

a. Non à la ligne (/" édit.).

b. Idem.

�� � 93-94- Premières Objections. 715

Moufieitr des-Carlas a dit autrefois du Iriangk : Encore que peut- eilre, dit-il, il n'y ait en aucun lieu du monde hors de ma penfée vne telle figure, & qu'il n'y en ait iamais eu, il ne lailTe pas neant- moins d'y auoir vne certaine nature, ou forme, ou eflence déter- minée de cette figure, laquelle eft immuable & éternelle. Aijifi cette vérité ejï éternelle, & elle ne requiert point de cauje. Vn bateau ejl vn bateau, & rien autre chofe ; Dauus e/l Dauus, & non Œdipus. Si neanlvtoins vous me prejfe- de vous dire vne rai/on, ie vous diray que c'ejî l'imperfeâion de nojlre e/prit, qui n'cjl pas injînj ; car, ne pouuant par vne feule apprehenfwn embrajjer l'vniuerfel, qui efi tout enfemble & tout à la fois, il le diuife & le partage ; & ainfi ce qu'il ne fçauroit enfanter ou produire tout entier, il le conçoit petit à petit, ou bien, comme on dit en l'efcole (inadéquate) imparfaitement & par partie.

Mais ce grand homme pourfuit : Or, pour imparfaijte que foit H9 cette façon d'eftre, par laquelle vne chofe eft obie6liuement dans l'entendement par fon idée, certes on ne peut pas neantmoins dire aue cette façon & maniere-là ne foit rien, ny par confequent que cette idée vienne du néant.

Il y a icy de l'equiuoque ; car,fi ce mot Rien efl la mefme chofe qrie n'eflre pas aéîuellement, en ejfecî ce n'efl rien, parce qu'elle n'efl pas acluellement, & ainfi elle vient du néant, c'efl à dire qu'elle n'a point de caufe. \ Mais Ji ce mot Rien dit quelque chofe de feint par iefprit, qu'ils appellent vulgairement Eftre de raifon, ce n'efl pas vn Rien, mais quelque chofe de réel, qui efl conceuë di/linélement. Et neantmoins, parce qu'elle efl feulement conceuë, 6 qu'aâuellement elle n'efl pas, elle peut à la vérité ejlre conceué, mais elle ne peut aucunement eflre caiifée, ou mife hors de l'entendement.

Mais ie veux, dit-il, outre cela examiner, fi moy, qui ay cette idée de Dieu, ie pourrois eftre, en cas qu'il n'y euft point de Dieu, ou comme il dit immédiatement auparauant, en cas qu'il n'y euft point d'ellrc plus parfait que le mien, & qui ait mis en moy fon idée. Car, dit-il, de qui aurois-ie mon exiftence? Peut-eftre de moy-mefme, ou de mes parens, ou de quelques autres, &c. Or eft-il que, fi ie l'auois de moy-mefme, ie ne douterois point, ny ne defirerois point, & il ne me manqueroit aucune chofe; car ie me ferois donné toutes les perfeflions dont i'ay en moy quelque idée, & ainfi moy-mefme ie ferois Dieu. Que fi i'ay mon exiftence d'au- truy, ie viendray enfin à ce qui l'a de | foy ; & ainfi le mefme 120 raifonnement que ie viens de faire pour moy eft pour !uy, & prouue qu'il eft Dieu. Voila certes, à mon auis, la mefme voje que 76 OEuvRES DE Descartes. 94-95.

fuit Saint Thomas, qu'il appelle la raye de la eau/alité de la caufe efficiente, laquelle il a tirée du Philofophe; hormis que Saint Thomas ny Arijîote ne fe font pas foucie^ des caufes des idées. Et peut-ejire n'en efloit-il pas befoin; car pourquoy ne fniuray-ie pas la voye la plus droite & la moins écartée? le penfe, donc ie fuis, voire mefme ie fuis l'ejprit mefme & la penfée ; or, cette penfée & cet efprit, ou il eft parfoy-mefme, ou par autruy ; fi par autriiy, cehiy-là enfin par qui efi-il ? s'il ejl par foy, donc il efi Dieu; car ce qui eft par foyfe Jera aifément donné toutes chofes.

I le prie icy ce grand perfonnage, & le coniure de ne fe point cacher à vn Lecteur qui efi dejireux d'apprendre, & qui peut-efire 71'efi pas beaucoup intelligent. Car ce mot Par foy efi pris en deux façons. En la première, il efi pris pofitiuement, à fçauoir par foy-mefme comme par vne caufe; & ainfi ce qui feroit par foy & fe donneroit l'efire à foy-mefme, fi par vn choix preueu & prémédité il fe donnait ce qu'il voudroit, fans doute qu'il fe donneroit toutes chofes, & partant il feroit Dieu. En la féconde, ce mot Par foy efi pris negatiuement, & efi la mefme chofe que de foy-mefme ou non par autruy ; & de cette façon, fi ie m'en fouuiens, il efi pris de tout le monde. 121 I Or maintenant, fi quelque chofe efi par foy, c'efi à dire non par autruy, comment prouuerei-vous pour cela qu'elle comprend tout, & qu'elle efi infinie? Car, à prefent, ie ne vous écoute point, fi l'ous dites : puifqu'elle eft par foy, elle fe fera ayfément donné toutes chofes ; d'autant qu'elle n'efi pas par foy comme par vne caufe, & qu'il ne luy a pas efié pojjible, auant qu'elle fufi, de preuoir ce qu'elle pouroit efire, pour choifir ce qu'elle feroit après. Il me fouuient d'auoir autrefois entendu Suare^ raifonner de la forte : Toute limi- tation vient d'vne caufe ; car vne chofe eft finie & limitée, ou parce que la caufe ne luy a peu donner rien de plus grand ny de plus parfait, ou parce qu'elle ne l'a pas voulu; fi donc quelque chofe eft par foy & non par vne caufe, il eft vray de dire qu'elle eft infinie & non limitée.

Pour moy, ie n'acquiefce pas tout à fait à ce raifonnement. Car, qu'vne chofe fait par foy tant qu'il vous plaira, c'efi à dire qu'elle ne fait point par autruy, que pourre\-vous dire fi cette limitation vient de fes principes internes â confiituans, c'efi à dire de fa forme mefme & de fon effence, laquelle neantmoins vous n'aue^ pas encore prouué efire infinie? Certainement, fi vous fupofei que le chaud efi chaud, il fera chaud par fes principes internes & confiituans, & non pasfi-oid, encore que vous imaginiez qu'il ne fait pas par autruy ce qu'il efi. le ne doute point que Monfieur des Cartes ne manque pas de

�� � 95-07- Premières Objections. 77

raifons pour fubjlituer à ce que les autres n'ont peut-ejlre \ pas ajfe^ 122 fuffifamment expliqué, ny déduit ajfe^ clairement.

Enfin ie conuiens auec ce grand homme, en ce qu'il établit pour règle générale, que les chofes que nous conceuons fort clairement & fort diftinctement font toutes vrayes. Me/me ie croy que tout ce que ie pen/e efi vraj-, \ & il y a défia long-temps que i'ay rejioncé à toutes les chymeres & à tous les efires de rai/on, car aucune puijfance ne fe peut dejlourner de fon propre objed :fi la volonté fe meut, elle tend au bien; lesfens /ne/mes ne/e trompent point, car la veuë void ce qu'elle void, l'oreille entend ce qu'elle entend, & fi on void de l'oripeau, on void bien ; mais on fe trompe lo?-fqu'on détermine par fon iugement, que ce que l'on void efi de l'or. De forte que Monfieur Des-Cartes attribue auec beaucoup de raifon toutes les erreurs au iugement & àla volonté.

Mais maintenant voyons fi ce qu'il veut inférer de cette règle efi véritable. le connois, dit-il, clairement & diftindement l'Eftre in- fîny; donc c'eft vn eftre vray & qui cft quelque chofe. Quelqu'm luy demandera : Connoiffe\-vous clairement & difiinclement l'Efire infiny? Que veut donc dire celte commune fentence, laquelle efi connue d'vn chacun : L'infiny, en tant qu'infiny, eft inconnu? Car fi, lorfque iepefifeà vn Chyliagone, me reprefentant confufément quelque figure, ie n'imagine ou ne connais pas di/Iinâement le Chyliagone, parce que ie ne me reprefente pas difiinâemeni fes mille cofie\, comment efi-ce I que ie conceuray difiiuâement, & non pas confufément, l'E/lre 123 infiny, en tant qu'infiny, veu que ie ne puis pas voir clairement, & comme au doigt & à l'œil, les infinies perfeâions dont il efi compofe ?

Et c'efi peut-efire ce qu'a voulu dire Saint Thomas ; car, ayant nié que cette propofition, Dieu ell, fufi claire & connue fans preuue, il fe fait à foy-mefme cette objeâion des paroles de Saint Damafcene: La connoiffance que Dieu eft, ell naturellement emprainte en l'ef- prit de tous les hommes ; donc c'elt vne chofc claire, & qui n'a point befoin de preuue pour eltre connue. A quoy il refpond : Con- noiilre que Dieu ell, en gênerai, &, comme il dit, fous quelque confufion, à fçauoir en tant qu'il elt la béatitude de l'homme, cela eft naturellement imprimé en nous; mais ce n'eft pas, dit-il, \con- noiftre fimplement que Dieu e(l ; tout ainli que connoirtre que quelqu'vn vient, ce n'clt pas connoiflre Pierre, encore que ce foit Pierre qui vienne, &c. Comme s'il voulait dire que Dieu eft connu fous vne raifon commune, ou de fin dernière, ou mefme de premier efire, & Ires-parfait, ou enfin fous la raifon d'vn efire qui comprend & embraffe confufément & en gênerai toutes chofes, }nais non pas fous

�� �

��OEuvRES DE Descartes. 97-98.

��la raifon precife de fon ejlrc, car aiiiji il e/l injînf & nous ejî in- connu, lefçay que Monficur Des-Cartes refpondr a facilement à celuy qui l'interrogera de la forte ; ie croy neantmoins que les chofes que i'allegue icj-, feulement par forme d'entretien & d'exercice, feront

i24 qu'il fe rejfouuiendra de | ce que dit Boëcc, qu'il y a certaines no- tions communes, qui ne peuuent eftre connues fans preuue que par les fçauans ; de forte qu'il ne fe faut pas fort ejïonner, fi ceux-là interrogent beaucoup, qui défirent fçauoir plus que les autres, & s'ils s'arrejlent long-temps à conftderer ce qu'ils fçave7it auoir efé dit & auancd, comme le premier & principal fondement de toute l'affaire, & que neantmoins ils ne peuuent entendre fans vue longue recherche & l'ne très-grande attention d'efprit. ■

Mais demeurons d'accord de ce principe, & fupofons que quel- qu'un ait l'idée claire & diftincle d'vn ejïre fouuerain & fouuerai- nement parfait : que prétendez-vous inférer de là ? C'efï à fçauoir, que cet eftre infiny exijle, & cela Ji certainement, que ie dois eftre au moins auffi affuré de l'exiftence de Dieu, que ie l'ay efté iufques icy de la vérité des demonflrations Mathématiques ; en forte qu'il n'y a pas moins de répugnance de conceuoir vn Dieu (c'eft à dire vn eftre fouuerainement parfait) auquel manque l'exiftence (c'eft à dire auquel manque quelque perfection), que de conceuoir vne montagne qui n'ait point de valée. C'ejl icy le nœud de toute la quejtion : qui cède à prefenl, il faut qu'il fc confejje vaincu; pour moj', qui ay à faire auec vn puifanl aduerfaire, il faut que i'ef- quiue vn peu, afin qu'ayant à e/lrc vaincu, \ ie difere, au moins pour quelque temps, ce que ie ne puis cuilcr.

Et premièrement encore que nous n'agijjions pas icy par aut-o-

125 rite, mais feulement par raifon, neant\moins, de peur qu'il ne femble que ie me veiiille oppofer fans fujct à ce grand efprit, écoute\ plufiqft Saint Thomas, qui fe fait à foy-mefme celte objeâion : Aufti-toft qu'on a compris & entendu ce que fignifie ce nom Dieu on fçait que Dieu eft; car, par ce nom, on entend vne chofe telle, que rien de plus grand ne peut eftre conccu. Or ce qui eft dans l'entendement & en effet, eft plus grand que ce qui eft feulement dans l'entendement. C'eft pourquoy, puifque, ce nom Dieu eftant entendu, Dieu eft dans l'entendement, il s'enfuit auftl qu'il eft en effet. Lequel argument ie reus ainf en forme : Dieu eft ce qui eft tel que rien de plus grand ne peut eftre conccu ; mais ce qui eft tel que rien de plus grand ne peut eftre conccu enferme l'exiftence ; doncques Dieu, par fon nom ou par fou concept, enfeime l'exiftence; & parlant il ne peut eftre, ni eftre conccu fans exijlence. Mainlenanl, diles-moj-.

�� � 98-99- Premières Objections. 70

ie vous prie, n'e/l-cc pas là le me/me argument de Monfieur Des- Carles? Saint Thomas dejînit Dieu ainfi : ce qui eil tel que rien de plus grand ne peut elhe conceu. Monfieur Des-Carles l'apelk vn eftre fouuerainement parfait; certes rien de plus grand que luy ne peut ejîre conceu. Saint Thomis pourfuit : ce qui eft tel que rien de plus grand ne peut ertre conceu, enferme l'exiitence ; autrement quelque chofe de plus grand que luy pouroit eltre conceu, à fcauoir ce qui eil conceu enfermer aufii l'exiftence. Mais Monfieur Des- Cartes ne femble-t-il pas fe feruir de la mefme mineure dans \ fon 126 argument? Dieu ef vn e/lre fouuerainement parfait; or cf-il 'que l'e/lre fouuerainement parfait enferme l'exifence, autrement il ne feroit pas fouuerainement parfait. Saint Thomas infère : doncques, puilque, ce nom Dieu ellant compris & entendu, ifelt dans l'enten- dement, il s'enfuit auffi qu'il eit en effet; c'elt à dire, de ce que, dans le concept ou la notion eUentieile d'vn eilre tel que rien de plus grand ne peut eftre conceu, l'exiftence eft comprife & en- fermée, il s'enfuit que cet eftre exifte. Monfeur Des-Cartes infère la mefme chofe. Mais, dit-il, de cela feul | que ie ne puis conceuoir Dieu fans exiftence, il s'enfuit que l'exiftence eft infeparable de luj', & partant qu'il exifte véritablement. Que maintenant Saint Thomas réponde à foy-mefme & à Monfeur Des-Cartes. Pofé, dit-il, que chacun entende que par ce nom Dieu il eft fignifié ce qui a efté dit, à fcauoir ce qui eft tel que rien de plus grand ne peut eftre conceu', il ne s'enfuit pas pour cela qu'on entende que la choie qui eft fignifiée par ce nom foit dans la nature, mais leulement dans l'ap- prehenfion de l'entendement. Et on ne peut pas dire qu'elle foit en effet, fi on ne demeure d'accord qu'il y a en effet quelque chofe telle que rien de plus grand ne peut eftre conceu ; ce que ceux-là nient ouuertement, qui difent qu'il n'y a point de Dieu. D'oi' ie répons auffi en peu de paroles : encore que l'on demeure d'accord que Vejlre fouuerainement parfait par fon propre nom emporte l'exifence, neantmoins il ne s'enfuit pas que cette mefme exiflence foit dans la nature aéluellement quelque chofe, mais feulement | qu'auec 127 le concept, ou la notion de Vejlre fouuerainement parfait, celuj de l'exiftence efl infeparablement conioint. D'oit vous ne pouue-^ pas inférer que l'exiftence de Dieu foit aâiiellement quelque chofe, ft vous ne fupofe\ que cet eftre fouuerainement parfait exifte aauellement; car pour lors il contiendra aauellement toutes les perfedions, <L' celle auffi d'vne exiftence réelle.

Trouue- bon maintenant, Meffiieurs, qu'après tant de fatigues ie delaffie vn peu mon efprit. Ce compofé, lion exiftant, enferme efen-

�� � 8o OEuvREs DE Descartes.

��yg-ioi.

��tidleiuent ces deux parties, àfçauoir, lion & l'exijtence ; car fi vous o/?q l'vne ou l'autre, ce ne fera plus le me/me compofd. Maintenant Dieu n'a-t-il pas de toute cternité connu clairement & dijl in clément ce compofé? Et l'idée de ce compofé, en tant que tel, n'enferme-l-elle pas effenliellemenl l'vne il- l'autre de ces parties? c'e/l à dire l'exi- jtence n'ejt-elle pas de l'effencc de ce \ compofé ïion exi liant? Et neaut- moins la dijlincle connoij/a)ice que Dieu a eue de toute éternité, ne fait pas neceffairement que l'vne ou l'autre partie de ce compofé foit, Ji on ne fupofe que tout ce compofé e/l aâuellement; car alors il enfermera & contiendra en foj- toutes fes perfeâions ejfentielles , & partant aujji l'exijîence aâuelle. De mefme, encore que ie connoiffe clairement & di/tinclement l'e/lre fouuerain, <!:'• encore que l'ejtre fouuerainement parfait dans fon concept eJJ'entiel enferme l'exijîence, neantmoins il ne s'eifuit pas que cette exijlence foit aâuellement quelque citofe, Ji vous ne fupofe ^ que cet ejlre fouuerain exijîe ; car 128 alors, auec toutes fes autres perfeâions, \ il enfermera auJJi aâuel- lement celle de l'exijîence ; à'- ainfi il faut prouuer d'ailleurs que cet eJlre J'ouuerainement parfait exiJle.

l'en diraj peu touchant l'exijîence de l'ame & Ja dijîinâion réelle d'auec le corps ; car ie confejfe que ce grand efprit m'a defia telle- meut fatigué, qu'au delà ie ne puis quaft plus rien. S'il y a vne dijîinâion entre l'ame il- le corps, il femble la prouuer de ce que ces deux chofes peuuent eJlre conceuës dijîinâement £■ feparément l'vne de l'autre. Et fur cela ie mets ce Jçauant homme aux prifes auec Scot, qui dit qu'afn qu'vne chofe foit conceuë dijîinâement & fepa- rément d'rne autre, il Juffil qu'il y ait entre elles vne diftinâion, qu'il appelle ioïvntWe. à- obieftiue. laquelle il met entre la diftinftion réelle (S- celle de railon ; é- c'eji ainfi qu'il dijîingue la iujîice de Dieu d'auec fa mifericorde ; car elles ont, dit-il, auant aucune opération de l'entendement, des raifons formelles différentes, en forte que l'vne n'ert pas l'autre ; & neantmoins ce feroit vne mauuaife conl'e- quence de dire : la iullice peut eltre conceuë feparément d'auec la mifericorde, donc elle peut auffi exifter feparément. Mais ie ne vof pas que i'ay defia pajfé les bornes d'rne lettre.

Voilà, MeJJieurs, les chofes que i'aiiois à dire touchant ce que vous m'aue\ propofé ; c'ejî à vous maintenant d'en ejîre les luges. Si vous prononce^ en ma faueur, \ il ne fera pas mal-aifé d'obliger M' Des- Cartes à ne me vouloir point de mal, fi ie luf ay vu peu contredit; que fi vous eftes pour luy, ie donne dés à prefent les mains, & me confejfe vaincu, d- et' d'autant plus volontiers que ie craindrois de l'ejlre encore vne autre fois. Adieu.

�� � 101-102. Premières Réponses. 8i

REPONSES DE L'AVTEVR 127 Wj*

AUX PREMIERES OBJECTIONS,

faites par vnfçauant Théologien du Pais-bas.

Meffieurs,

le vous confeffe que vous auez fufcité contre moy vn puiffant ad- uerfaire, duquel l'efprit & la do6lrine euffent peu me donner beau- coup de peine, fi cet officieux & deuot Théologien n'euft mieux aimé fauorifer la caufe de Dieu & celle de fon foible defenfeur, que de la combatre à force ouuerte. Mais quoy qu'il lui ait eflé tres- honnefte d'en vfer de la forte, ie ne pourois pas m'exempter de blâme, fi ie tàchois de m'en preualoir; c'eft pourquoy mon deffein eft plutoft de découurir icy l'artifice dont il s'eft feruy pour m'aflift;er, que de luy répondre comme à vn aduerfaire.

Il a commencé par vne briêue dedudion de la | principale raifon 128 bis dont ie me fers pour prouuer l'exiftence de Dieu, afin que les Lecteurs s'en relibuuinflent d'autant mieux. Puis, ayant fuccinte- ment accordé les chofes qu'il a iugé eftre fuffifamment démontrées, & ainfi les ayant apuyées de fon autorité, il eft venu au nœud de la difficulté, qui eft de fçauoir | ce qu'il faut icy entendre par le nom d'idée, & quelle caufe cette idée requiert'.

Or i'ay écrit en quelque part, que l'idée eft la choje me/me conceuë, ou penfée, en tant qu'elle eft objediuement dans l'entendement, lef- quelles paroles il feint d'entendre tout autrement que ie ne les ay dites, afin de me donner occafion de les expliquer plus clairement. Eftre, dit-il, objeâiuement dans l'entendement, ceft terminer à la façon d'pu objet l'acte de l'entendement, ce qui n'eft qu'vne dénomina- tion extérieure, & qui n'adjoùte rien de réel à la choJe, &c. Où il faut remarquer qu'il a égard à la chofe mefme, comme eftant hors de

a. Par une erreur de pagination, dans la \'^ édition, les numéros 727 et Ï28 (deux dernières pages de la feuille Q) se trouvent répétés aux deux premières de la feuille R. Par contre les numéros i35 et i36 man- quent. Nous avons indiqué en marge par I2y bis et 12S bis les numéros répétés.

b. Vnj Monfieur Caterus (2' et 3' édii.),

c. Non à la ligne (/" édit.).

Œuvres. IV. 11

�� � 82 Œuvres de Descartes. 102-103.

l'entendement, au refpecl de laquelle c'eft de vray vne dénomina- tion extérieure, qu'elle foit objeéliuement dans l'entendement; mais que ie parle de l'idée, qui n'eft iamais hors de l'entendement, & au refped de laquelle ejlre objeâiiiement ne fignifie autre chofe, qu'eftre dans l'entendement en la manière que les objets ont coutume d'y élire. Ainfi, par exemple, fi quelqu'vn demande, qu'efl-ce qu'il arriue au Soleil de ce qu'il eft objecliuement dans mon entendement, on répond fort bien qu'il ne !uy arriue rien qu'vne dénomination exté- rieure, à fçauoir qu'il termine à la façon d'un objet l'opération de

129 mon entendement ; mais fi on ] demande de l'idée du Soleil ce que c'ell, & qu'on réponde que c'elt la chofe penfée, en tant qu'elle eft objediuement dans l'entendement, perfonne n'entendra que c'eft le Soleil mefme, en tant que cette extérieure dénomination eft en luy. Et là eftre objeâiuemeiit dans l'entendement ne fignifiera pas ter- miner fon opération à la façon d'vn objet, mais bien eftre dans l'en- tendement en la manière que fes objets ont coutume d'y eftre ; en telle forte que l'idée du Soleil eft le Soleil mefme exiftant dans l'en- tendement, non pas à la vérité tormelkment, comme il eft au Ciel, mais objediuement, c'eft à dire en la manière | que les objets ont coutume d'exifter dans l'entendement : laquelle façon d'eftre eft de vray bien plus imparfaite que celle par laquelle les chofes exiftent hors de l'entendement; mais pourtant ce n'eft pas vn pur rien, comme i'ay défia dit cy-deuant".

Et lorfque ce fçauant Théologien dit qu'il y a de l'equiuoque en ces paroles, vn pur rien, il femble auoir voulu m'auertir de celle que ie viens tout maintenant de remarquer, de peur que ie n'y prilTe pas garde. Car il dit, premièrement, qu'vne chofe ainfi exi- ftante dans l'entendement par fon idée, n'eft pas vn eftre réel ou aduel, c'eft à dire, que ce n'eft pas quelque chofe qui foit hors de l'entendement; ce qui eft vray. En après il dit aufti que ce n'eft pas quelque chofe de feint par l'efprit, ou vn eftre de raifon, mais quelque chofe de réel, qui eft conceu diftindement; par lefquelles paroles il admet entièrement tout ce que i'ay auancé. Mais neant-

130 moins | il adjoûte, parce que cette chofe ejl feulement conceuë, & qu aâuellement elle n'eft pas (c'eft à dire, parce qu'elle eft feulement vne idée, & non pas quelque chofe hors de l'entendement), elle peut à la vérité eftre conceuë, mais elle ne peut aucunement eftre caufée, c'eft à dire, qu'elle n'a pas befoin de caufe pour exifter hors de l'en- tendement ; ce que ie confefl'e, mais certes elle a befoin de caufe

a. Non à la ligne (i" et 2' édit.).

�� � io?-io4. Premières Réponses. 8j

pour eftre conceuë, & de celle-là feule il eft icy queftion. Ainfi, fi quelqu'vn a dans l'efprit l'idée de quelque machine fort artificielle, on peut auec raifon demander quelle efl; la caufe de cette idée; & celuy-là ne fatisferoit pas, qui diroitque cette idée hors de l'enten- dement n'eft rien, & partant qu'elle ne peut eftre caufée, mais feu- lement conceuë; car on ne demande icj' rien autre chofe, finon quelle eft la caufe pourquoy elle efl conceuë. Celuy-là ne fatisfera pas auffi, qui dira que l'entendement mefme en eft la caufe, en tant que c'eft vne de fes opérations ; car on ne doute point de cela, mais feulement on demande quelle eft la caufe de l'artifice objeftif qui eil en elle. Car que cette idée | contienne vn tel artifice objedif plutoft qu'vn autre, elle doit fans doute auoir cela de quelque caufe, & l'artifice objedif eft la mefme chofe aa refpect de cette idée, qu'au refpe6t de l'idée de Dieu la realité objediue. Et de vray on peut afligner diuerfes caufes de cet artifice ; car ou c'elt vne réelle & femblable machine qu'on aura veuë. auparauant, à la reffemblance de laquelle cette idée a erté formée, ou vne grande connoilTance de la mejchanique qui eft dans l'entendement, ou peut-eftrevne grande 131 fubtilité d'efprit, par le moyen de laquelle il a peu l'inuenter fans aucune autre connoiflance précédente. Et il faut remarquer que tout l'artifice, qui n'eft qu'objetiliuement dans cette idée, doit efire formellement ou éminemment dans fa caufe, quelle que cette caufe puiffe eftre. Le mefme aufil faut-il penfer de la realité objeftiue qui eft dans l'idée de Dieu, Mais en qui eft-ce que toute cette realité, ou perfection, fe pourra rencontrer telle, finon en Dieu réellement exif- tant ? Et cet efprit excellent a fort bien veu toutes ces chofes; c'eft pourquo}' il confeife qu'on peut demander pourquo)' cette idée con- tient cette realité objetliue plutoft qu'vne autre : à laquelle demande il a répondu, premièrement, que de toutes les idées, il en eft de mefme que de ce que i'ay efcrit de l'idée du triangle, fcauoir eft que, bien que peut-eftre il n'y ait point de triangle en aucun lieu du monde, il ne laijjé pas d'y auoir vne certaine nature, ou forme, ou ejfence déter- minée du triangle, laquelle eft immuable & éternelle, & laquelle il dit n'ajioir pas befoin de caufe. Ce que neantmoins il a bien iugé ne pouuoir pas fatisfaire ; car, encore que la nature du triangle foit immuable & éternelle, il n'eft pas pour cela moins permis de de- mander pourquoy fon idée eft en nous. C'eft pourquoy il a adjoûté : Si neantmoins vous me pre£'e\ de vous dire rne raifon, ie vous diraj que c'eft Vimperfeâion de noftre efprit, &c. Par laquelle réponfe il femble n'auoir voulu fignifier autre chofe, finon que ceux qui fe voudront icy | éloigner de mon fentiment. ne pourront rien 132

�� � 84 OEuvRES DE Descartes. 104-106.

répondre de vray-femblable. | Car, en effet, il n'eft pas plus probable de dire que la caufe pourquoy l'idée de Dieu eft en nous, foit l'im- perfedion de noflre efprit, que fi on difoit que l'ignorance des mechaniques fufl: la caufe pourquoy nous imaginons plutoft vne machine fort pleine d'artifice qu'vne autre moins parfaite. Car, tout au contraire, fi quelqu'vn a l'idée d'vne machine, dans laquelle foit conteau tout l'aftifice que l'on fçauroit imaginer, l'on infère fort bien de là, que cette idée procède d'vne caufe dans laquelle il y auoit réellement & en effet tout l'artifice imaginable, encore qu'il ne foit qu'objediuement & non point en effet dans cette idée. Et par la mefme raifon, puifque nous auons en nous l'idée de Dieu, dans la- quelle toute la perfection eft contenue que l'on puiffe iamais conce- uoir, on peut de là conclure tres-euidemment, que cette idée dépend & procède de quelque caufe, qui contient en foy véritablement toute cette perfedion, à fçauoir, de Dieu réellement exiftant. Et certes la difficulté ne paroiftroit pas plus grande en l'vn qu'en l'autre, fi, comme tous les hommes ne font pas fçauans en la mechanique, & pour cela ne peuuent pas auoir des idées de machines fort artifi- cielles, ainfi tous n'auoient pas la mefme faculté de conceuoir l'idée de Dieu. Mais, parce qu'elle eft emprainte d'vne mefme façon dans l'efprit de tout le monde, & que nous ne voyons pas qu'elle nous d33 vienne iamais d'ailleurs que de nous-mefmes, nous fupofons | qu'elle apartient à la nature de noftre efprit. Et certes non mal à propos; mais nous oublions vne autre chofe que l'on doit principalement confiderer, & d'où dépend toute la force, & toute la lumière, ou l'intelligence de cet argument, qui eft que cette faculté d'auoir en fof l'idée de Dieu ne pourvoit pas ejlre en nous, fi nojlre efprit ejloit feulement vne chofe finie, \comme il ejl en effet, & qu'il n'eujl point, pour caufe defon eftre, vne caufe quifujl Dieu. C'eft pourquoy, outre cela, i'ay demandé, fçauoir fi ie pourrois eftre, en cas que Dieu ne fuft point, non tant pour aporter vne raifon différente de la précé- dente, que pour expliquer la mefme plus exactement.

Mais icy la courtoifie de cet aduerfaire me iette dans vn pallage affez difficile, & capable d'attirer fur moy l'enuie & la ialoufie de plufieurs ; car il compare mon argument auec vn autre tiré de Saint Thomas & d'Ariftote, comme s'il vouloit par ce moyen m'obliger à dire la raifon pourquoy, eftant entré auec eux dans vn mefme che- min, ie ne I'ay pas neantmoins fuiuy en toutes choies; mais ie le prie de me permettre de ne point parler de? autres, & de rendre feulement raifon des chofes que i'ay écrites. Premièrement donc, ie n'ay point tiré mon argument de ce que ie voyois, que dans les

�� � 106-107. Premières Réponses. 8^

chofes fenfibles il y ajoit vn ordre ou vne certaine fucceiïîon de caufes efficientes, partie à caufe que i'ay penfé que l'exiftence de Dieu eftoit beaucoup plus éuidente que celle d'aucune choie fen- fible, & partie auffi pour ce | que ie ne voyois pas que cette Tue- 134 ceffion de caufes me peuft conduire ailleurs qu'à me faire connoiftre rimperfe61:ion de mon cfprit, en ce que ie ne puis comprendre com- ment vne infinité de telles caufes ont tellement fuccedé les vnes aux autres de toute éternité, qu'il n'y en ait point eu de première. Car certainement, de ce que ie ne puis comprendre cela, il ne s'enfuit pas qu'il y en doiue auoir vne première : comme aulfi, de ce que ie ne puis comprendre vne infinité de'diuifions en vne quantité finie, il ne s'enfuit pas que l'on puifle venir à vne dernière, après laquelle cette quantité ne puiffe plus eflre diuifée; mais bien il fuit feule- ment I que mon entendement, qui efl fin}-, ne peut comprendre l'in- finy. C'ert pourquoy i'ay mieux aymé apuier mon raifonncment fur l'exiftence de moy-mefme, laquelle ne dépend d'aucune fuite de caufes, & qui m'elt fi connue que rien ne le peut efire dauantage; &, m'interrogeant fur cela moy-mefme, ie n'ay pas tant cherché par quelle caufe i'ay autrefois eflé produit, que i'ay cherché quelle efi la caufe qui à prefent me conferue, afin de me deliurer par ce mo\ en de toute fuite & fucceflion de caufes. Outre cela, ie n'ay pas cher- ché quelle efl la caufe de mon efire, en tant que ie fuis compofé de orps & d'ame, mais feulement & precifément en tant que ie fuis ,ne chofe qui penfe. Ce que ie croy ne feruir pas peu à ce fujet, car ainfi i'ay pu beaucoup mieux me deliurer des preiugez, conlidercr ce que dicte la lumière naturelle, m'interroger | moy-mefme, & 137 » tenir pour certain que rien ne peut efire en moy, dont ie n'aye quelque connoiffance. Ce qui en effecl ei\ autre chofe que fi, de ce que ie voy que ie fuis né de mon père, ie confiderois que mon père vient aufli de mon ayeul; & fi, parce qu'en cherchant ainfi les pères de mes pères ie ne pourois pas continuer ce progrez à l'infiny, pour mettre fin à cette recherche, ie concluois qu'il y a vne première caufe. De plus, ie n'ay pas feulement cherché quelle eft la caufe de mon eftre, en tant que ie fuis vne chofe qui penfe, mais principale- ment en tant qu'entre plufieurs autres penfées, ie reconnois que i'ay en moy l'idée d'vn efire fouverainement parfait; car de cela feul dépend toute la force de ma demonftration. Premièrement, parce que cette idée me fait connoifire ce que c'eft que Dieu, au moins autant que ie fuis capable de le connoiftre; &, félon les loix de la

a. Voir ci-avant, p. 8i, note a.

�� � 86 OEuvRES DE Descartes. 107-109.

vraye Logique, on ne doit iamais demander d'aucune cliofe, fi elle ejï, qu'on ne | fçache premièrement ce quelle ejt. En fécond lieu, parce que c'eft cette mefme idée qui me donne occafion d'examinei fi ie fuis parmoy ou par autruy, & de reconnoiftre mes défauts. Et en dernier lieu, c'eil elle qui m'aprend que non feulement il y a vne caufe de mon eftre, mais de plus auiïi, que cette caufe contient toutes fortes de perfections, & partant qu'elle eft Dieu. Enfin, ie n'ay point dit qu'il eft impolfible qu'vne chofe foit la caufe efficiente de foy-mefme; car, encore que cela foit manifeftement véritable, lorf-

138 qu'on reftraint la fignification d'effi|cient à ces caufes qui font diffé- rentes de leurs effets, ou qui les précèdent en temps, il femble toutesfois que dans cette queftion elle ne doit pas eftre ainfi ref- trainte, tant parce que ce feroit vne queftion friuole : car qui ne fçait qu'vne mefme chofe ne peut pas eftre différente de foy-mefme ny fe précéder en temps? comme auffi parce que la lumière naturelle ne nous dicte point, que ce foit le propre de la caufe efficiente de pré- céder en temps fon effet : car au contraire, à proprement parler, elle n'a point le nom ny la nature de caufe efficiente, finon lorf- qu'elle produit fon effet, & partant elle n'eft point deuant luy. iMais certes la lumière naturelle nous dide qu'il n'y a aucune chofe de la- quelle il ne foit loifible de demander pourquoy elle exifte, ou dont on ne puilTe rechercher la caufe efficiente, ou bien, fi elle n'en a point, demander pourquoy elle n'en a pas befoin; de forte que, fi ie penfois qu'aucune chofe ne peuften quelque façon eftre, à l'efgard de foy-mefme, ce que la caufe elficiente eft à l'efgard de fon effect, tant s'en faut que de là ie vouluffe conclure qu'il y a vne première caufe, qu'au conirairc de celle-là | mefme qu'on appelleroit première, ie rechercherois derechef la caufe, & ainfi ie ne viendrois iamais à vne première. Mais certes i'auouë franchement qu'il peut y auoir quelque chofe dans laquelle il y ait vne puilïance fi grande & fi inepuifable, qu'elle n'ait iamais eu befoin d'aucun fecours pour exifter, & qui n'en ait pas encore befoin maintenant pour eftre con-

139 feruée, & ainfi qui foit en queljque façon la caufe de foy-mefme; & ie conçoy que Dieu eft tel Car, tout de mefme que, bien que i'euffe efté de toute éternité, & que par confequent il n'y euft rien eu auant moy, neantmoins, parce que ie voy que les parties du temps peuuent eftre feparées les vnes d'auec les autres, & qu'ainfi, de ce que ie fuis maintenant, il ne s'enfuit pas que ie doiue eftre encore après, fi, pour ainfi parler, ie ne fuis créé de nouueau à chaque moment par quelque caufe, ie ne ferois point difficulté d'apeller efficiente la caufe qui me crée continuellement en cette façon, c'eft à dire qui me con-

�� � •09-110. Premières Réponses. 87

férue. Ainfi, encore que Dieu ait toufiours elle, neantmoins, parce que c'eft luy-mefme qui en effeft fe conferue, il femble qu'affez pro- prement, il peut eftre dit & apelé la caufe defoy-mefme. (Toutesfois il faut remarquer que ie n'entens pas icy parler d'vne conferuation qui le faffe par aucune influence réelle & poruiue de la caufe effi- ciente mais que i*entens feulement que l'elTence de Dieu eft telle, qu'il eft impoflible qu'il ne foit ou n'exirte pas toufiours.)

Cela eftant pofé, il me fera facile de répondre à la diftindion du mot par fof, que ce tres-dode Théologien m'auertit deuoir eftre ex- pliqué. Car, encore bien que ceux qui, ne s'attachant qu'à la propre & étroite fignification d'efficient, penfent qu'il eft impoffible qu'vne chofe foit la caufe efficiente de foy-mefme, & ne remarquent icy au- cun autre genre de caufe, qui ait raport & analogie auec la caufe efficiente, encore, dif-je, que ceux-là n'ayent pas de couftume | d'en- 140 tendre autre chofe, | lorfqu'ils difent que quelque chofe eft parfoy, finon qu'elle n'a point de caufe, fi toutesfois ils veulent pluftoft s'ar- refter à la chofe qu'aux paroles, ils reconnoiftront facilement que la fignification negatiue du mot parfoy ne procède que de la feule imperfeflion de l'efprit humain, & qu'elle n'a aucun fondement dans les chofes ; mais qu'il y en a vne autre pofitiue, tirée de la vé- rité des chofes, & fur laquelle feule mon argument eft appuyé. Car fi, par exemple, quelqu'vn penfe qu'vn corps foit par foy, il peut n'entendre par là autre chofe, finon que ce corps n'a point de caufe; & ainfi il n'alfure point ce qu'il penfe par aucune raifon pofitiue, mais feulement d'vne façon negatiue, parce qu'il ne connoift aucune caufe de ce corps. Mais cela témoigne quelque imperfedion en fon iugement, comme il reconnoiftra facilement après, s'il confidere que les parties du temps ne dépendent point les vues des autres, & que partant, de ce qu'il a fupofé que ce corps iufqu'à cette heure a efté par foy, c'eft à dire fans caufe, il ne s'enfuit pas pour cela qu'il dôme eftre encore à l'auenir, fi ce n'eft qu'il y ait en luy quelque puiffance réelle & pofitiue, laquelle, pour ainfi dire, le reproduife continuel- lement. Car alors, voyant que dans l'idée du corps il ne fe rencontre aucune puiftance de cette forte, il luy fera ayfé d'inférer de là que ce corps n'eft pas par foy, & ainfi il prendra ce mot par Joy pofitiue- ment. De mefme, lorfque nous difons que Dieu eft par foy, nous Ipouuons aufli à la vérité entendre cela negatiuement, & n'auoir 141 point d'autre penfée, finon qu'il n'y a aucune caufe de fon exiftence ; mais fi nous auons auparauant recherché la caufe pourquoy il eft, ou pourquoy il ne ceife point d'eftre, & que, con- fiderans l'immenfe & incomprehenfible puiffance qui eft contenue

�� � 88 OEuvREs DE Descartes. no-ni,

dans fon idée, nous l'ayons reconnue fi pleine & fi abondante, qu'en eftecl elle foit la caufe pourquoy il eft & ne ceffe point d'eftre, & qu'il n'y en puilTe auoir d'autre que celle-là, nous difons que Dieu eûparfoj% non plus negatiuement, mais au contraire tres- pofitiuement. Car, encore qu'il ne foit pas befoin de dire {qu'il eft la caufe efficiente de foy-mefme, de peur quepeut-eftre on n'entre en difpute du mot, neantmoins, parce que nous voyons que ce qui fait qu'il eft par foy, ou qu'il n'a point de caufe différente de foy-mefme, ne procède pas du néant, mais de la réelle & véritable immenfité de fa puiflance, il nous eft tout à fait loifible de penfer qu'il fait en quelque façon la mefme chofe à l'efgard de foy-mefme, que la caufe efficiente à l'efgard de fon effed, & partant, qu'il eft par foy pofitiue- ment. Il eft aufll loifible à vn chacun de s'interroger foy-mefme, fçauoir fi en ce mefme fens il eft par foy, & lorfqu'il ne trouue en foy aucune puiflance capable de le conferuer feulement vn moment, il conclut auec raifon qu'il eft par vn autre, & mefme par vn autre qui eft par foy, pource qu'eftant icy queftion du temps prefent, & 142 non point du pafte ou du futur, le progrez ne | peut pas eftre conti- nué à l'mfiny. Voire mefme i'adjoufteray icy de plus (ce que neant- moins ie n'ay point écrit ailleurs), qu'on ne peut pas feulement aller iufqu'à vne féconde caufe, pource que celle qui a tant de puilTance que de conferuer vne chofe qui eft hors de foy, fe conferue à plus forte raifon foy-mefme par fa propre puilîance, & ainfi elle eft par foy".

Maintenant, lorfqu'on dit que toute limitation eft par vne caufe, ie penfe, à la vérité, qu'on entend vne chofe vraye, mais qu'on ne

a. Le paragraphe ajouté, dont il est question au tome VI, p. 1 1 1, note b, ne se trouve point dans la traduction de 1647 (/« édit.), mais seulement dans celle de 1 66 1 (2' édit.) et les suivantes II n'a donc pas été vu par Des- cartes, et serait tout entier de Clerselier. Nous le donnons cependant ici, à titre de document : « Et, pour preuenir icy vne obiedtion que l'on pou- » roit faire, à fçauoir que peut-ellre celuy qui s'interroge ainfi foy-mefme » a la puilVance de fe conferuer fans qu'il s'en apperçoiue, ie dis que cela » ne peut eftre, & que iï cette puiffance eftoit en luy, il en auroit necelfai- » rement connoilfance ; car, comme il ne fe confidere en ce moment que » comme vne chofe qui penfe, rien ne peut eftre en luy dont il n'ait ou » ne puilfe auoir connoiflance, à caufe que toutes les adions d'vn efprit » (comme feroit celle de fe conferuer foy-mefme, li elle procedoit de luy) » eftant des penfées, & partant eftant prefentes & connues à l'efprit, celle- » là, comme les autres, luy feroit auffi prefente & connue, & par elle il » viendroit necelTairement à connoiftre la faculté qui la produiroit, toute » adion nous menant necelïairement à la connoilfance de la faculté qui la » produit. »

�� � 1,1-1,3. Premières Réponses. 89

l'exprime pas en termes affez propres, & qu'on n'olte pas la diffi- culté ; car, à proprement parler, la limitation eit feulement vne né- gation d'vne plus grande perfeflion, laquelle négation n'elt point par vne caufe, mais bien la choie limitée. Et encore qu'il ibit vray que toute choie eft limitée par vne caufe, cela neantmoins n'eft pas de foy manifefle, mais il le faut prouuer d'ailleurs. Car, comme ré- pond fort bien ce fubtil Théologien, vne chofe peut eflre | limitée en deux façons, ou parce que celuy qui l'a produite ne luy a pas donné plus de perfedions, ou parce que fa nature eft telle qu'elle n'en peut receuoir qu'vn certain nombre, comme il eft de la nature du triangle de n'auoir pas plus de trois coftez. Mais il me femble que c'eft vne chofe de foy éuidente & qui n'a pas befoin de preuue, que tout ce qui exifte, eft ou par vne caufe, ou par foy comme par vne caufe; car puifque nous conceuons & entendons fort bien, non feulement l'exiftence, mais aufli | la négation de l'exiftence, il n'y a 143 rien que nous puiiïions feindre eftre tellement par foy, qu'il ne faille donner aucune raifon pourquoy plutoft il exifte, qu'il n'exifte point; & ainfi nous deuons toufiours interpréter ce mot ejlre par foy pofi- tiuement, & comme fi c'eftoit eftre par vne caufe, à fçauoir par vne furabondance de fa propre puillance, laquelle ne peut eftre qu'en Dieu feul, ainfi qu'on peut ayfcment démontrer.

Ce qui m'eft enfuite accordé par ce fçauant Dodeur, bien qu'en effecl il ne reçoiue aucun doute, eft neantmoins ordinairement fi peu confideré, & eft d'vne telle importance pour tirer toute la Philofri- phie hors des ténèbres où elle femble eftre enfeuelie, que lorfqu'il le confirme par fon authorité, il m'ayde beaucoup en mon deffein.

Et il demande icy, auec beaucoup de raifon, fi ie connois claire- ment & diftindement l'infiny ; car bien que i'aye taché de preuenir cette objedion, neantmoins elle fe prefente fi facilement à vn cha- cun, qu'il eft necefl'aire que i'y réponde vn peu amplement. C'eft pourquoy ie diray icy premièrement que l'infiny, en tant qu'infiny, n'eft point à la vérité compris, mais que neantmoins il eft entendu; car, entendre clairement & diftindement qu'vne chofe foit telle qu'on ne puilfe y rencontrer de limites, c'eft clairement entendre qu'elle eft infinie. | Et ie mets icy de la diftindion entre Vindejinj- & Vinjiiiy. Et il n'y a rien que ie nomme proprement infiny, finon ce en I quoy de toutes parts ie ne rencontre point de limites, auquel 144 fens Dieu feul eft infiny. Mais les choies efquelles fous quelque con- fideration feulement ie ne voy point de fin, comme l'étendue des efpaces imaginaires, la multitude des nombres, la diuifibilité des parties de la quantité & autres choies femblables, ie les appelle Œuvres. IV. 12

�� � 90 OEuvRES DE Descartes. 113-114.

indéfinies, & non pas iujinies, parce que de toutes parts elles ne font pas fans fin ny fans limites. Dauantage, ie mets diitindtion entre la raifon formelle de l'infiny, ou l'infinité, & la chofe qui eil infinie. Car, quant à l'infinité, encore que nous la conceuions eftre très po- fitiue, nous ne l'entendons neantmoins que d'vne façon negatiue, fçauoir eft, de ce que nous ne remarquons en la chofe aucune limi- tation. Et quant à la chofe qui efl infinie, nous la conceuons à la vérité pofitiuement, mais non pas félon toute fon étendue, c'ert à dire que nous ne comprenons pas tout ce qui eil intelligible en elle. Mais tout ainfi que, lorfque nous lettons les yeux fur la mer, on ne laide pas de dire que nous la voyons, quoy que notre veuë n'en atteigne pas toutes les parties & n'en mefure pas la val1:e étendue: & de vray, lorfque nous ne la regardons que de loin, comme fi nous la voulions embraffer toute auec les yeux, nous ne la voyons que confufément, comme aulîi n'imaginons-nous que confufément vn Chiliogone, lorfque nous tâchons d'imaginer tous fes coitez en- femble ; mais, lorfque noftre veuë s'arrelte fur vne partie de la mer feulement, cette vifion alors peut eftre fort claire & fort diftindc,

145 comme auffi l'imagination | d'vn Chiliogone, lorfqu'elle s'étend feu- lement fur vn ou deux de fes coftez. De mefme i'auouë auec tous les Théologiens, que Dieu ne peut eftre compris par l'efprit humain, |& mefme qu'il ne peut eftre diftindement connu par ceux qui tâchent de i'embraffer tout entier & tout à la fois par la penfée, & qui le regardent comme de loin: auquel fens Saint Thomas a dit, au lieu cj'-deuant cité, que la connoiifance de Dieu eft en nous fous vne efpece de confuiion feulement, & comme fous vne image obfcure ; mais ceux qui confiderent attentiuement chacune de fes perfections, & qui appliquent toutes les forces de leur efprit à les contempler, non point à deftein de les comprendre, mais pluftoftde les admirer, & reconnoiftre combien elles font au delà de toute compreheniîon, ceux-là, dif-je,trouuent enluy incomparablement plus de chofes qui peuuent eftre clairement & diftindement connues, & auec plus de facilité, qu'il ne s'en trouue en aucune des chofes créées. Ce que Saint Thomas a fort bien reconnu luj'-mefme en ce lieu-là, comme il eft aifé de voir de ce qu'en l'article fuiuani il alfure que l'exiftence de Dieu peut eftre demonftrée. Pour moy, toutes les fois que i'ay dit que Dieu pouuoit eftre connu clairement & diftindement, ie n'ay iamais entendu parler que de cette connoifl"ance finie, & accom- modée à la petite capacité de nos efprits. Aufli n'a-t-il pas efté né- cefiaire de l'entendre autrement pour la vérité des chofes que i'ay

146 auancées, comme | on verra facilement, fi on prend garde que ie n'ay

�� � ii4-'i6. Premières Réponses. 91

dit cela qu'en deux endroits. En l'vn defquels il eltoit queftion de fçauoir fi quelque cliofe de réel eftoit contenu dans l'idée que nous formons de Dieu, ou bien s'il n'y auoit qu'vne négation de chofe (ainfi qu on peut douter fi, dans l'idée du froid, il n'y a rien qu'vne négation de chaleur), ce qui peut aifement eftre connu, encore qu'on ne comprenne pas l'infiny. Et en l'autre, i'ay maintenu que l'exi- ftence n'apartenoit pas moins à la nature de l'eftre fouuerainement parfait, que trois collez | apartiennent à la nature du triangle : ce qui le peut auiîi affez entendre, fans qu'on ait vne connoiffance de Dieu 11 étendue, qu'elle comprenne tout ce qui eft en luy.

Il compare icy derechef vn de mes argumens auec vn autre de Saint Thomas, aîfin de m'obliger en quelque façon de monftrer le- quel des deux a le plus de force. Et il me lemble que ie le puis faire fans beaucoup d'enuie, parce que Saint Thomas ne s'ert pas feruy de cet argument comme fien, & il ne conclut pas la mefme chofe que celu}' dont ie me fers; & enfin, ie ne m'éloigne icy en aucune façon de l'opinion de cet Angélique Dodeur. Car on luy demande, fçauoir, fi la connoiffance de l'exiflence de Dieu eflfi natu- relle à l'efprit humain qu'il ne foit point befoin de la prouuer, c'eft à dire fi elle eft claire & manifen:e à vn chacun ; ce qu'il nie, & moy auec luy. Or l'argument qu'il s'objecte à foy-mefme, fe peut ainfi propofer. Lorfqu'on comprend | & entend ce que fignifie ce nom 147 Dieu, on entend vne chofe telle que rien de plus grand ne peut eftre conceu ; mais c'eft vne chofe plus grande d'eftre en effecl & dans l'entendement, que d'eftre feulement dans l'entendement; doncques, lorfqu'on comprend & entend ce que fignifie ce nom Dieu, on en- tend que Dieu eft en effect & dans l'entendement : où il y a vne faute manifefte en la forme, car on deuroit feulement conclure : doncques, lorfqu'on comprend & entend ce que fignifie ce nom Dieu, on entend qu'il fignifie vne chofe qui eft en effect & dans l'en- tendement ; or ce qui eft fignifie par vn mot, ne paroift pas pour cela eftre vray. Mais mon argument a efté tel : ce que nous conceuons clairement & diftinclement apartenir à la nature, ou à l'eCfence, ou à la forme immuable & vraye de quelque chofe, cela peut eftre dit ou affirmé auec vérité de cette chofe ;| mais après que nous auons affez foigneufement recherché ce que c'eft que Dieu, nous conceuons clairement & diftinclement qu'il apartient à fa vrave & immuable nature qu'il exifte ; doncques alors nous pouuons affirmer auec vé- rité qu'il exifte. Où du moins la conclufion eft légitime. Mais la maieure ne fe peut aufli nier, parce qu'on eft défia tombé d'accord cy-deuant, que tout ce que nous entendons ou conceuons claire-

�� � 92 OEuvRES DE Descartes. ne-uy.

ment & diftinélement eft vray. Il ne refte plus que la mineure, où ie confeffe que la difficulté n'eit pas petite. Premièrement, parce 148 que nous fommes tellement ac|couftumez dans toutes les autres chofes de diltinguer l'exilknce de l'effence, que nous ne prenons pas allez garde comment elle apartient à l'effence de Dieu, pluftoft qu'à celle des autres chofes ; & auffi pource que, ne diftinguant pas les chofes qui appartiennent à la vraye & immuable effence de quelque chofe, de celles qui ne luy font attribuées (]ue par la fiction de noftre entendement, encore que nous aperceuions affez claire- ment que l'exiftence apartient à l'effence de Dieu, nous ne con- cluons pas toutesfois de là que Dieu exifte, pource que nous ne fçauons pas fi fon effence eft immuable & vraye, ou fi elle a feule- ment efté inuentée. Mais, pour ofter la première partie de cette difficulté, il faut faire diflindion entre l'exiftence poffible & la ne- ceffaire ; & remarquer que l'exiftence poffible eft contenue dans le concept ou l'idée de toutes les chofes que nous conceuons clairement & diftin^lement, mais que l'exiftence neceffaire n'eft contenue que dans la feule idée de Dieu. Car ie ne doute point que ceux qui confidereront auec attention cette différence qui eft entre l'idée de Dieu & toutes les autres idées, n'aperçoiuent fort bien, I qu'encore que nous ne conceuions iamais les autres chofes, finon comme exiftantes, il ne s'enfuit pas neantmoins de là qu'elles exi- ftent, mais feulement qu'elles peuuent exifter ; parce que nous ne conceuons pas qu'il ibit neceffaire que l'exiilence actuelle foit con- 149 iointe auec leurs autres proprietez; mais que, de ce que nous | con- ceuons clairement que l'exiftence aduelie eft neceffairement & touf- iours conjointe auec les autres attributs de Dieu, il fuit de là que Dieu necelTairement exifte. Puis, pour ofter l'autre partie de la diffi- culté, il faut prendre garde que les idées qui ne contiennent pas de vrayes & immuables natures, mais feulement de feintes & com- pofées par l'entendement, peuuent eftre diuifées par le meime en- tendement, non feulement par vne abftradion ou reftricT:ion de fa penfée, mais par vne claire & diftinde opération ; en forte que les chofes que l'entendement ne peut pas ainfi diuifer, n'ont point fans doute efté faites ou compofées par luy. Par exemple, lorfque ie me reprefente vn cheual aifté, ou vn lion aduellement exiftant, ou vn triangle infcrit dans vn quarré, ie conçoy facilement que ie puis aufll tout au contraire me reprefenter vn cheual qui n'ait point d'aifle.'., vn lion qui ne foit point exiftant, vn triangle fans quarré, & partant, que ces chofes n'ont point de vrayes & immuables na- tures. Mais fi ie me reprefente vn triangle, ou vn quarré (ie ne parle

�� � 1 17-119. Premières Réponses. Cfj

point icy du lion ni du cheual, pource que leurs natures ne nous font pas encore entièrement connues), alors certes toutes les chofes que ie reconnoiftray eftres contenues dans l'idée du triangle, comme que fes trois angles font égaux à deux droits, &c., ie l'affeureray auec vérité d'vn triangle ; '& d'vn quarré, tout ce que ie trouueray eltre contenu dans l'idée du quarré ; car encore que ie puiffc conce- |uoir vn triangle, en reftraignant tellement ma penfée, que ie ne 150 conçoiue en aucune façon que fes trois angles font égaux à deux droits, ie ne puis pas neantmoins nier cela de luy par | vne claire & diftincle opération, c'eft à dire entendant nettement ce que ie dis. De plus, fi ie confidere vn triangle infcrit dans vn quarré, non afin d'attribuer au quarré ce qui apartient feulement au triangle, ou d'attribuer au triangle ce qui apartient au quarré, mais pour exa- miner feulement les chofes qui naiffent de la conjonction de l'vn & de l'autre, la nature de cette figure compofée du triangle & du quarré ne fera pas moins vraye & immuable, que celle du feul quarré ou du feul triangle. De façon que ie pouray alTurer auec vé- rité que le quarré n'eft pas moindre que le double du triangle qui luy eft infcrit, & autres chofes femblables qui appartiennent à la nature de cette figure compofée. Mais fi ie confidere que, dans l'idée d'vn corps tres-parfait, l'exiftence efi contenue, & cela pource que c'eft vne plus grande perfeftion d'ellre en effed & dans l'entende- ment que d'efire feulement, dans l'entendement, ie ne puis pas de là conclure que ce corps tres-parfait exilte, mais feulement qu'il peut exifter. Car ie reconnois afiez que cette idée a elle faite par mon en- tendement, lequel a ioint enfembie toutes les perfe.dions corpo- relles; & auffi que l'exillence ne refùlte point des autres perfections qui font comprifes en la nature du corps, pource que l'on peut éga- lement affirmer I ou nier qu'elles exiitent. Et de plus, à caufe qu'en 151 examinant l'idée du corps, ie ne voy en luy aucune force par la- quelle il fe produife ou fe conferue luy-mefme, ie conclus fort bien que l'exifience necelfaire, de laquelle feule il eft icy queftion, con- uient auffi peu à la nature du corps, tant parfait qu'il puilfe eltre, qu'il apartient à la nature d'vne montagne de n'auoir point de valée, ou à la nature du triangle d'auoir fes trois angles plus grands que deux droits. Mais maintenant, fi nous demandons, non d'vn corps, mais d'vne choie, telle qu'elle puiffc eftre, qui ait toutes les | per- fections qui peuuent eftre enfembie, fçauoir fi l'exiftence doit eftre comtée parmy elles; il eft vray que d'abord nous en pourons douter, parce que noftre efprit, qui eft finy, n'ayant pas couftume de les confiderer que feparées, n'aperceura peut-eitre pas du premier coup,

�� � 94 OEuvRES DE Descartes. i 19-120.

combien neceffairement elles font iointes entr'elles. Mais fi nous examinons loigneufement, Içauoir, ii l'exiftence conuient à l'e^lre Ibuuerainement puiflant, & quelle forte d'exillence, nous pourrons clairement & dillindement connoiftre, premièrement, qu'au moins l'exiftence poffible luy conuient, comme à toutes les autres chofes dont nous auons en nous quelque idée diftinde, mefme à celles qui font compofées par les fictions de noltre efprit. En après, parce que nous ne pouuons penfer que fon exiflence elt poflible, qu'en mefme temps, prenans garde à fa puilfance infinie, nous ne connoifiions

152 qu'il peut exifter | par fa propre force, nous conclurons de là que réellement il exilte, & qu'il a eité de toute éternité. Car il eil tres- manifefte, par la lumière naturelle, que ce qui peut exifler par fa propre force, exifte toufiours; & ainfi nous connoiltrons que l'exi- llence neceffaire eil contenue dans l'idée d'vn élire fouuerainement puilTant, non par aucune f-dion de l'entendement, mais pource qu'il apartient à la vraye & immuable nature d'vn tel élire, d'exi- lier ; & nous connoiÛrons aulîi facilement qu'il elt impofiible que cet eltre fouuerainement puiffant n'ait point en luy toutes les autres perfedions qui font contenues dans l'idée de Dieu, en forte que, de leur propre nature, & fans aucune fiction de l'entendement, elles foycnt toutes iointes enfemble, & exiilent dans Dieu. Toutes lef- quelles chofes font manifeiks à celuy qui y penfe ferieufement, |& ne différent point de celles que i'auois délia cy-deuant écrites, fi ce n'elt feulement en la façon dont elles font icy expliquées, laquelle i'ay exprelTément changée pour m'accommoder à la diuerfité des efprits. Et ie confelTeray icy librement que cet argument elt tel, que ceux qui ne fe rellbuuiendront pas de toutes les chofes qui feruent à fa demonltration, le prendront aifement pour vn Sophifme ; & que cela m'a fait douter au commencement fi ie m'en deuois feruir, de peur de donner occafion à ceux qui ne le comprendront pas, de fe deffier aulFi des autres. Mais pource qu'il n'y a que deux vo3'es

153 par lefquelles on puiffe prouuer qu'il y a vn Dieu, fçauoir : | l'vne par fes effecls, & l'autre par fon eflence, ou fa nature mefme ; & que i'ay expliqué, autant qu'il m'a elle poflible, la première dans la troifiefme Méditation, i'ay creu qu'après cela ie ne deuois pas ob- mettre l'autre.

Pour ce qui regarde la diftindion formelle que ce tres-dode Théologien dit auoir prife de Scot, ie répons briêuement qu'elle ne diffère point de la modale, & qu'elle ne s'étend que fur les ellres incomplets, lefquels i'ay loigneufement diflinguez de ceux qui font complets; & qu'à la vérité elle fuftit pour faire qu'vne chofe foit

�� � I20-I2I. Premières Réponses. 9^

conceuë feparement & diftinctement d'vne autre, par vne abflradion de l'efprit qui conçoiue la chofe imparfaitement, mais non pas pour faire que deux chofes foient conceuës tellement diftindes & feparées l'vne de l'autre, que nous entendions que chacune eft vn eftre complet & différent de tout autre; car pour cela il efl: befoin d'vne diftindion réelle. Ainfi, par exemple, entre le mouuement & la figure d'vn mefme corps, il y a vne diflinftion formelle, & le puis fort bien conceuoir le mouuement fans la figure, & la figure fans le mouuement, & l'vn & l'autre fans penfer particulièrement au corps qui fe meut ou qui eft figuré; mais ie ne puis pas neantmoins conceuoir pleinement & parfaitement le mouuement fans quelque corps auquel ce mouuement foit attaché, ny la figure) fans quelque corps où refide cette figure; ny enfin ie ne puis pas feindre que le mouuement foit en vne chojfe dans laquelle la figure ne puifl"e pas 154 eftre,ou la figure en vne chofe incapable du mouuement. De mefme ie ne puis pas conceuoir la iuftice fans vn iufte, ou la mifericorde fans vn mifericordieux ; & on ne peut pas feindre que celuy-là mefme qui eft iufte, ne puiffe pas eftre mifericordieux. Mais ie conçoy pleinement ce que c'eft que le corps (c'eft à dire ie conçoy le corps comme vne chofe complète), en penfant feulement que c'eft vne chofe étendue, figurée, mobile &c., encore que < ie > nie de luy toutes les chofes qui appartiennent à la nature de l'efprit ; & ie conçoy auffi que l'efprit eft vne chofe complète, qui doute, qui en- tend, qui veut &c., encore que ie n'accorde point qu'il y ait en luy aucune des chofes qui font contenues en l'idée du corps; ce qui ne fe pouroit aucunement faire, s'il n'y auoit vne diftindibn réelle entre le corps & l'efprit.

Voila, Meflieurs, ce que i'ay eu à répondre aux objedions fub- tiles & officieufes de voftre amy commun. Mais fi ie n'ay pas efté affez heureux d'y fatisfaire entièrement, ie vous prie que ie puili'e eftre auerty des lieux qui méritent vne plus ample explication, ou peut-eftre mefme fa cenfure. Que fi ie puis obtenir cela de luy par voftre moyen, ie me tiendra}' à tous infiniment voftre obligé.

�� � 96

OEuvREs DE Descartes.

165 SECONDES OBIECTIONS

Recueillies par le R. P. Merfenne de la bouche de diuers Théologiens & Philofophes.

Moufieiir, Piiifque, pour confondre les notiueaux Geans du Jîecle, qui ofent attaquer l'Auteur de toutes chofes, vous aue^ entrepris d'en affermir le trône en demon/Irant fon exijlence,\& que vojîre dejfein femble fi bien conduit, que les g-ens de bien peuuent efperer qu'il ne Je trouuera déformais perfonne qui, après auoir leu atientiuement vos Méditations, ne confejfe qu'il j' a me diuinité éternelle de qui toutes chofes dépen- dent, nous auons iugé à propos de vous auertir & vous prier tout en- femble, de répandre encore fur de certains lieux, que nous vous mar- querons cj--apres, vue telle lumière, qu'il ne rejle rien dans tout vojîre 156 ouurage, qui ne \ foit, s'il cji poffible, tres-clairement & tres-manife- fement démonjlré. Car, d'autant' que depuis plufieurs années vous auei, par de continuelles méditations, tellement exercé vq/lre efprit, que les cliofes qui femblent aux autres obfcures & incertaines, vous peuuent paroi/ire plus claires, & que vous les conceue\ peut-eftre par vne fimple infpeâion de l'efprit, fans j'ous aperceuoir de l'obfcurité que les autres j- trouuent, il fera bon que vous fo}'e\ auertj- de celles qui ont befoin d'ejîre plus clairement & plus amplement expliquées & demonjfrées, & lorfque vous nous ,aure\ Jatisfait en cecy, nous ne iugeons pas qu'il r ait guieres perfonne qui puijj'e nier que les raifons, dont vous auei commencé la deduâion pour la gloire de Dieu & l'vti- lité du public, < ne^> doiuent e/ire prifes pour des demonflrations. Premièrement, ;'oz/5 vous refjouuiendre^ que ce n'ejl pas aâuelle- ment & en vérité, mais feulement par vnejiâion de l'efprit, que vous aue\ rejette, autant qu'il vous a e/té poffible, les idées de tous les corps, comme des chofes feintes ou des fantofmes trompeurs, pour conclure que vous efîie\ feulement vne chofe qui penfe; de peur qu'après cela vous ne crorie- peut-ejlre que l'on puiffe conclure qu'en effeâ & fans fiéiion vous n'ejîes rien autre chofe qu'im efprit, ou vne chofe qui penfe; ce que nous auons feulement trouué digne d'obferualion tou- chant vos deux premières Méditations, dans lefquelles \ vous faites

a. « ne » omis (;"■ édit.). rétabli (i"' édit. et suiv.). h, « croyez » {i" et 3' edii.j.

ibl 122-123. Secondes Objections.

��97

��l'oir clairement qu'au moins il ejl certain que vous qui penfc\ ejies quelque chofe. Mais arrejîons-nous vn peu icy. lufques-là vous cun- noijfei que vous ejles vue chofe qui penfe, mais vous ne J'çaue:{ pas en- core ce que c'ejl que cette chofe qui penfe. Et que fçauei-vous fi ce n'efl point vn corps, qui, par f es diuers mouuemens & rencontres, fait cette aâion que nous apellons du nom de penfée ? Car, encores que vous croyiei auoir rejette toutes fortes de corps, vous vous efies peu tromper en cela, que vous ne vous efïes pas rejette vous-mefme, qui ejles vn corps. Car comment prouue^-vous qu'vn corps ne peut penfer? {ou que des mouuemens corporels ne font point la penfée mef me? Et pourquoj- tout lefijteme de voftre corps, que vous croye\ auoir rejette, ou quelques parties d'iceluf, par exemple celles du cerueau, ne peu- uent-elles pas concourir à former ces mouuemens que nous apellons des penfées ? le fuis, dites-vous, ime chofe qui penfe; mais quefçaue\- vousfi vous nèfles point aujfi vn mouuement corporel, ou vn corps remué?

Secondement, de l'idée d'vn eflre fouuerain, laquelle vous fouflene-^ ne pouuoir eflre produite par vous, vous ofe^ conclure l'exiflence d'vn fouuerain eflre, duquel feul peut procéder l'idée qui efl en voftre efpril. Mais nous trouuons en nous-mefmes vn jondemcnt fuffifant, fur lequel eflant feulement apuj-e:( nous pouuons former celte idée, quoj qu'il n'y eufl point de fouuerain eftre, ou que nous ne \ fceuffwiis 158 pas s'il y en a vn, & que fon exiflence ne nous vinfl pas mefme en la penfée ; car ne voy-je pas qu'ayant la faculté de penfer, i'ay en moy quelque degré de petfeâion ? Et ne voy-je pas auffi que d'autres que moy ont vn femblable degré? Ce qui me fer t de fondement pour penfer à quelque nombre que ce f oit, & auffi pour adjoiifler jni degré de perfedion fur l'autre iufqu'à l'infiny ; tout de meftne que, quand il n'y aurait au monde qu'vn degré de chaleur ou de lumière, ie pourois neantmoins en adjoufter & en feindî-e toujours de nou- ueaux iufques à l'infitiy. Pourquoy pareillement ne pouray-je pas adioufler à quelque degré d' eflre que i'aperçoy e/ire en moy, tel autre degré que ce foit, &, de tous les degre^ capables d'eflre adioufle\, former l'idée d'vn eflre parfait? Mais, dites-vous, l'efj'ecl ne peut auoir aucun degré de perfeâion, ou de réalité, qui n'ait eflé aupara- uant dans fa caufe. Alais (outre que nous voyons tous les iours que les mouches, & plufieurs autres animaux, comme aiifjt les plantes, font produites par le Soleil, la pluye & la terre, dans Icfqueh il n'y a point de vie comme en ces animaux, laquelle rie efl plus noble qu'aucun autre degré purement corporel, d'oii il arriue que l'e/fecl tire quelque realité de fa caufe, qui neantmoins n'efloit pas dans fa Œuvres. IV. i3

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OEuvRES DE Descartes. 123-125.

caiifé); mais, dif-Je, celle \ idée ii'c/l rien autre choje qu'vn ejire de raijon, qui n'eft pas plus noble que vojîre efvrit qui la conçoit. De plus, que fçaue\ <-rous > ' Ji celle idéejefujl iamais offerle à voJlre

159 I efpril, fi vous eujfie\ pajjé toute vojire vie dans vu defert, & non point en la compagnie de perj'onnes fçauantes? Et ne peut-on pas dire que vous l'aue- puijée des penfées que vous aue:{ eues auparauant, des enfeignemens des Hures, des di/cours & entretiens de vos amis, &c., & non pas de vojîre ejprit feul, ou d'vn fouuerain ejîre exijlant ? Et partant il faut prouuer plus clairement que cette idée ne pou- roi t e/lre en vous, s'il n'j auoit point de fouuerain efire; & alors nous ferons les premiers à nous rendre à vofire raifonnement, & nous

y donnerons tous les mains. Or, que cette idée procède de ces notions anticipées, cela paroijl, ce femble, affe:^ clairement, de ce que les Canadiens, les Hurons & les autres hommes Saunages n'ont point en eux me telle idée, laquelle vous pouue\ mefme former de la connoif-

Jance que vous aue^ des chofes corporelles ; en forte que vofire idée ne reprefente rien que ce monde corporel, qui embraffe toutes les per- fedions que vous fcaurie^ imaginer; de forte que vous ne pouuei con- clure autre chofe, finon qu'il y a vu eftre corporel tres-parfait ; fi ce n'eft que vous adjotiftie\ quelque chofe de plus, qui éleue vofire efpril iufjuà la connoijfance des chofes fpirituelles ou incorporelles. Nous pouuons icj- encore dire, que l'idée d'vn Ange peut eftre en vous, aujfi bien que celle d'vn efire tres-parfait, fans qu'il fait befoin pour cela qu'elle foit formée en vous par vn Ange réellement exiflant, bien

160 que l'Ange foit plus \ parfait que vous. Mais vous n'aue^ pas l'idée de Dieu, non plus que celle d'vn nombre ou d'vne ligne infinie; la- quelle quand vous pouriei auoir, ce nombre neantmoins efi entier e- ment impofjible. Adjoufie^ à cela que l'idée de l'vnité & fimplicité d'vne feule perfeclion qui embraffe & contienne toutes les autres, fe

fait feulement par l'opération de l'entendement qui raifonne, tout ainfi que fe font les vnités imiuerfelles, qui ne font point dans les chofes, mais feulement dans l'entendement, comme on peut voir par l'vnité générique, tranfcendantale, &c.

En troifiefme lieu, puifque vous n' efi es pas encore affeuré de l'exi- fience de Dieu, <S- que vous dites neantmoins que vous ne fçauriei eftre affeuré d'aucune chofe, ou que\ vous ne pouue^ rien connoiftre clai- rement <S- difiinâementffi premièrement vous ne connoiffe:{ certaine- ment & clairement que Dieu exifie, il s'enfuit que vous ne fçaue^pas

a. « Que K-aucz li... » [i" édit.). « Que Içauez-vous ù... « [2' édit. et suiv.]. 125-126. Secondes Objections. pc)

encore que vous e/fes rue cliofe qui penfe, puifque, félon vous, ce/le cojinoiffance dépend de la connoi[fance claire d'rii Dieu exijlanl, la- quelle vous n'aue\ pas encore demonftrée, aux lieux oii vous con- cluei que l'ous connoijfe^ clairenienl ce que vous ejles. Adjoufte\ à cela qu'vn Athée connoijl clairement & di/iinâement que les trois angles d'vn triangle font égaux à deux droits, qiioy que neanlmoins il fait fort efloigné de croire l'exiftence de Dieu, puifqu'il la nie tout à fait : parce, dit-il, que fi Dieu cxifloit, ily\auroit m fouuerain eflre 161 & vu fouuerain bien, c'efl à dire vn inftnj- ; or ce qui efl infiny en tout genre de perfeâion exclut toute autre cliofe que ce fait, non feu- lement toute forte d'efre & de bien, mais aiifji toute forte de non eftre & de mal; & neantmoins il y a plufieurs eflres & plufieurs biens, comme auffi plufieurs non eflres €■■ plufieurs maux ; à laquelle objeâion nous iugeons qu'il efl à propos que vous répondiCy, afin qu'il ne refle plus rien aux impies à objeâcr, & qui puijfe feruir de prétexte à leur impieté.

En quatrième lieu, vous nie^ que Dieu puiffe mentir ou deceuoir; quoj que neantmoins il fe irouue des Scolqfiiques qui liennenl le con- traire, comme Gabriel, Ariminenfts, & quelques autres, qui penfent que Dieu meni, abfohiment parlant, c'efl à dire qu'il fignifïe quelque chofe aux hommes contre fou intention, & contre ce qu'il a décrété & refolu, comme lorfque, fans adioufler de condition, il dit aux Nini- uites par fon Propliete : Encore quarante iours, & Niniue fera fub- uertie, & lorfqu'il a dit plufieurs attires chofes qui ne font point arriuées, parce qu'il n'a pas voulu que telles paroles répoiidijfenl à fon intention ou à fon décret. Que s'il a endurcy & aueuglé Pharaon, & s'il a mis dans les Prophètes | vn efprit de menfonge, comment pouue'i < vous > dire que nous ne pointons eftre trompe^ par luj ? Dieu ne peut-il pas fe comporter enuers les hommes, comme vn mé- decin enuers fes malades, & vn père enuers f es ejifans, lefquels l'vn & l'autre trompent Jifouiient, \ mais toitfiours auec prudence & vtilité? 162 Carfi Dieu nous mon/lroit la vérité toute nue, quel œil ou pluflofl quel efprit aurait ajfe'{ de force pour la fupporter ?

Combien qu'à vray dire il nefoitpas neceffaire de feindre vn Dieu trompeur, afin que vous fojei deceu dans les chofes que vous penfe\ connoiflre clairement & difiindemenl, veu que la caufe de cette décep- tion peut eflre en vous, quoy que vous n'y fongie^ feulement pas. Car que fçaue^-vous fi vofire nature n'cft point telle qu'elle fe trompe touf- jours, ou du moins fort fouuent ? El d'oît aue--vous apris que, lou- chant les chofes que vous penfe\ connoiflre clairement & diflincle- menl. il efl certain que vous n'ejlcs iamais trompé, & que vous ne le lOO

OEuvRES DE Descartes. 126-127

pouue\ eftrc ? Car combien de fois auons nous peu que des perfonnes Je font trompées en des chofes qu'elles penfoient voir plus clairement que le Soleil? Et partant, ce principe d'vne claire & dijlinâe connoif- fance doit ejîre expliqué fi clairement & fi dijîinclemcnt, que perfonne déformais, qui ait l'efprit raifonnable, ne puiffe eftre deceu dans les chofes qu'il croira fcaunir clairement & diflinclement ; autronoit nous ne voyons point encor que nous puijjions répondre auec certitude de la vérité d'aucune chofe.

En cinquième lieu,_^ la volonté ne peut iamais faillir, ou ne pèche point, lorfqu'elle fuit & fe laiffe conduire parles lumières claires & 163 dijlincles de l'efprit qui lagouuer)ie, & fi, au contraire, elle fe \ met en danger, lorj'qu'elle pourfuit & embrajfe les connoijfances obfcures & confufes de l'entendement, prene\ garde que de là il femble que l'on puijfe inférer que les Turcs & les autres infidèles non feulement ne pèchent point lorfqu'ils n'embraffent pas la Religion Chre/lienne & Catholique, mais mefme qu'ils pèchent lorfqu'ils l'embraffent, puif- qu'ils n'en connoiffent point la vérité uj^ clairement nr di/linàeinent. Bien plus, fi cette règle que vous établi [l'e\ eft vraye, il ne fera permis à la volonté d'embrajfer que fort peu de chofes, veu que nous ne con- naifons quafi rien auec cette clarté cS'- difinciion que vous requere-, pour former vue certitude qui ne puijfe e/lre fujette à aucun doute. Prene- donc garde, s'il vousplaift, que, \voulant ajfennir le partj- de la vérité, vous ne prouuie;[ plus qu'il iw faut, & qu'au lieu de l'apuyer vous ne la reinierfic:{.

En fixicme lieu, dans vos réponfcs aux précédentes objections, il femble que vous are'{ manqué de bien tirer la conclufion, dont voicj- l'argument : Ce que clairement & diftinclement nous entendons apartcnir à la nature, ou à l'ellence, ou à la forme immuable & vraye de quelque chofe, cela peut eftre dit ou affirmé auec vérité de cette chofe; mais (après que nous auons < affez > foigneufement obferué ce que c'eft que Dieu) nous entendons clairement & diftinftement qu'il apartient à l'a vraye & immuable nature, qu'il exille. Il fau- 164 droit conclure : Donc\ques (ap7-es que nous auons afi'e- foigneufement obferué ce que c'efl que Dieu), nouspouuons dire ou affirmer auec vérité, qu'il apartient à la nature de Dieu qu'il exi/le. D'oii il ne fuit pas que Dieu exifie en ejfeâ, mais feulement qu'il doit exifier, fi fa nature eft pofjible, ou ne répugne point ; c'e/t à dire que la nature ou l'ejfence de Dieu ne peut eftre conccuë fans exiftence, en telle forte que, fi cette effénce e/t, il exifie réellement. Ce qui fe raporte à cet argument que d'autres propofent de la forte : s'il n'implique ponil que Dieu foi I, il eft certain qu'il exifie; or il n'implique point qu'il exifie; doncques. &c. Mais on eſt en queſtion de la mineure, à ſçavoir, qu’il n’implique point qu’il exiſte, la verité de laquelle quelques vns de nos aduerſaires reuoquent en doute, & d’autres la nient. Dauantage, cette clauſe de voſtre raiſonnement (aprés que nous auons aſſez clairement reconnu ou obſerué ce que c’eſt que Dieu) eſt ſupoſée comme vraye, dont tout le monde ne tombe pas encore d’accord, veu que vous auoüez vous-meſme que vous ne comprenez l’infiny qu’imparfaitement ; le meſme faut-il dire de tous ſes autres attributs : car, tout ce qui eſt en Dieu eſtant entierement infiny, quel eſt l’eſprit qui puiſſe comprendre la moindre choſe qui ſoit en Dieu, que tres-imparfaitement ? Comment donc pouuez-vous avoir aſſez clairement et diſtinctement obſerué ce que c’eſt que Dieu ?

En ſeptiéme lieu, nous ne trouuons pas vn seul | mot dans vos Meditations touchant | l’immortalité de l’ame de l’homme, laquelle neantmoins vous deuiez principalement prouuer, & en faire vne tres-exacte démonſtration pour confondre ces perſonnes indignes de l’immortalité, puiſqu’ils la nient, et que peut-eſtre ils la deteſtent. Mais, outre cela, nous craignons que vous n’ayez pas encore aſſez prouué la diſtinction qui est entre l’ame et le corps de l’homme, comme nous auons deſia remarqué en la premiere de nos obſeruations, à laquelle nous adjouſtons qu’il ne ſemble pas que, de cette diſtinction de l’ame d’auec le corps, il s’enſuit qu’elle ſoit incorruptible ou immortelle ; car qui ſçait ſi ſa nature n’eſt point limitée ſelon la durée de la vie corporelle, et si Dieu n’a point tellement meſuré ſes forces & ſon exiſtence, qu’elle finiſſe auec le corps ?

Voila, Monſieur, les choſes auſquelles nous deſirons que vous aportiez vne plus grande lumiere, afin que la lecture de vos tres-ſubtiles ,& , comme nous eſtimons, tres-veritables Meditations ſoit profitable a tout le monde. C’eſt pourquoy ce ſerait vne choſe fort vtile, si, à la fin de vos ſolutions, aprés auoir premierement auancé quelques definitions, demandes & axiomes, vous concluyez le tout ſelon la methode des Geometres, en laquelle vous eſtes ſi bien verſé, afin que tout d’vn coup, et comme d’vne ſeule œillade, vos Lecteurs y puiſſent voir de quoi ſe ſatisfaire, & que vous rempliſſiez leur eſprit de la connoiſſance de la diuinité.


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I02 OEuvRES DE Descartes. 128-129.

166 I REPONSES DE L'AVTEVR

AVX SECONDES OBJECTIONS

recueillies de plufieiirs Théologiens & Philojophes par le R. P. Merjenne.

Meffieurs,

C'eft auec beaucoup de fatisfadion que i'ay leu les obferuations que vous auez faites fur mon petit traité de la première Philofo- phie; car elles m'ont fait connoiftre la bien-veillance que vous auez pour mcy, voftre | pieté enuers Dieu, & le foin que vous prenez pour l'auancement de fa gloire; & ie ne puis que ie ne me rejoLiiffe, non feulement de ce que vous auez iugé mes raifons dignes de voftre cenfure, mais auffi de ce que vous n'auancez rien contre elles, à quoy il ne me femble que ie pouray répondre affez commodément.

En premier lieu, vous m'auertiffez de me refTouuenir : Que ce

167 ii'ejt pas aâuellement & en verilé, mais \ feulement par me Jidion de l'e/pril, que i'ay rejette les idées ou les fantômes des corps, pour conclure que ie fuis me chofe qui penfe, de peur que peul-eftre ie n'eflime qu'il fuit de là que ie ne fuis qu'vne chofe qui penfe. Mais i'ay défia fait voir, dans ma féconde Méditation, que ie m'en eftois affez fouuenu, veu que i'y ay mis ces paroles : Mais aujji peut-il arriuer que ces niefmes chofes que ie fupofe n'eftre point, parce qu'elles me font inconnues, ne font point en effeâ différentes de moy que ie connois : ie n'eu fça)- rien, ie ne difpute pas maintenant de cela, &c., par lefquelles i'ay voulu expreifemcnt aduertir le Lecteur, que ie ne cherchois pas encore en ce lieu-là fi l'efprit eftoit différent du corps, mais que i'examinois feulement celles de fes proprietez, dont ie puis auoir vne claire & affeurée connoiffance. Et, d'autant que i'en ay là remarqué plufieurs, ie ne puis admettre fans diftinc- tion ce que vous adioutez enl'uite : Que ie ne fçay pas Jieantmoins ce que c'efl qu'vne chofe qui penfe. Car, bien que i'auoiie que ie ne fçauois pas encore fi cette chofe qui penfe n'eftoit point différente du corps, ou fi elle l'eftoit, ie n'auoiie pas pour cela que ie ne la connoiffois point; car qui a iamais tellement connu aucune chofe, qu'il fceuft n'y auoir rien en elle que cela mefme qu'il connoiffoit? Mais nous penfons d'autant mieux connoiftre vne chofe, qu'il y a plus de particularitez en elle que nous connoiffons; ainfi nous auons plus

�� � i2g-i3i. Secondes Réponses. ioj

de connoiflance de ceux auec qui nous conuerfons tous les iours, que de ceux dont nous ne connoiiïons que le||nom ou le vifagc ; 168 & toutesfois nous ne iugeons pas que ceux-cy nous l'oyent tout à fait inconnus ; auquel fens ie penfe auoir allez demonftré que rcl- prit, confideré fans les chofes que l'on a de coullume d'attribuer au corps, eft plus connu que le corps confideré fans l'efprit. Et c'ell tout ce que i'auois deffein de prouuer en cette féconde Méditation.

Mais ie voy bien ce que vous voulez dire, c'efl: à fçauoir que, n'ayant efcrit que lix Méditations touchant la première Philofophie, les Ledeurs s'eftonneront que, dans les deux premières, ie ne con- clue rien autre chofe que ce que ie viens de dire tout maintenant, & que pour cela ils les trouueront trop lleriles, & indignes d'auoir efté mifes en lumière. A quoy ie répons feulement que ie ne crains pas que ceux qui auront leu auec iugement le refte de ce que i'ay efcrit, ayent occafion de foupconner que la matière m'ait manqué ; mais qu'il m'a femblé tres-raifonnable que les chofes qui de- mandent vne particulière attention, & qui doiuent ertre confiderées feparément d'auec les autres, fuffent mifes dans des Méditations feparées.

G'eit pourquoy, ne fçachant rien de plus vtile pour paruenir à vne ferme & alfeurée connoiffance des chofes, que fi, auparauant qu'e de rien établir, on s'acoultume à douter de tout & principale- ment des chofes corporelles, encore que i'euife veu il y a long-temps plufieurs liures efcrits par les Sceptiques & Académiciens touchant cette matière, & que ce ne | fuit pas fans quelque dégoull que ie 169 remâchois vne viande fi commune, ie n'ay peu toutesfois me dif- penfer de luy donner vne Méditation tout entière ; & ie voudrois que les Lecteurs n'employaffcnt pas feulement le peu de temps qu'il faut pour la lire, mais quelques mois, ou du moins quelques femaines, à confiderer les chofes dont elle traitte, auparauant que de palTer outre ; car ainfi ie ne doute point qu'ils ne filfent bien mieux leur profit de la ledture du relie.

De plus, à caufe que nous n'auons eu iufques icy aucunes idées des chofes qui apartiennent à l'efprit, qui n'ayent elle tres-confufes & I mêlées auec les idées des chofes fenfibles, & que c'a elle la pre- mière & principale raifon, pourquoy on n'a peu entendre alfez clairement aucunes des chofes qui le difoient de Dieu & de l'amc, i'ay penfé que ie ne ferois pas peu, fi ie monllrois comment il faut diitinguer les proprietez ou qualitez de l'efprit, des proprietez ou qualitcz du corps, & comment il les faut reconnoillre ; car, encore qu'il ait défia elté dit par plufieurs que, pour bien entendre les

�� � 170

��104 Œuvres de Descartes. i3i-i32.

choies immatérielles ou metaphyfiques, il faut éloigner fon efprit des fens, neantmoins perfonne, que ie fçache, n'auoit encore monftré par quel moyen cela fe peut faire. Or le vray &, à mon iugement, l'vnique moyen pour cela eft contenu dans ma féconde Méditation; mais il elt tel que ce n'eit pas affez de l'auoir enuifagé vne fois, il le faut examiner fouuent, & le confidejrer long-temps, afin que l'habitude de confondre les chofes intelleduelles auec les corporelles, qui s'eft enracinée en nous pendant tout le cours de noilre vie, puilfe eftre elfacée par vne habitude contraire de les diftinguer, acquife par l'exercice de quelques iournées. Ce qui m'a femblé vne caufe allez iufte pour ne point traitter d'autre matière en la féconde Méditation.

Vous demandez icy comment ie démonflre que le corps ne peut penfer; mais pardonnez-moy fi ie répons que ie n'ay pas encore donné lieu à cette queflion, n'ayant commencé d'en traitter que dans la fixiéme Méditation, par ces paroles : C'ejl affe:{ que ie puijfe clairement & dijiinùlement conceuoir vne choje fans pne autre, pour ejlre certain que l'vne ejî dijlinâe ou différente de l'autre, &c. Et vn peu après : Encore que i'aje im corps qui me fait fort eflroi- lement conjoint, neantmoins, parce que, d'un coflé, i'ay vne claire & diflinâe idée de moy-mcfme, en tant que ie fuis feulement vne chofe qui penfe, & non étendue, & que, d'vn autre, i'ay une claire & diflinâe idée I du corps, en tant qu'il ejt feulement vne chofe étendue, & qui ne penfe point, il efl certain que moy, c'efl à dire mon efprit, ou mon aine, par laquelle ie fuis ce que ie fuis, efl entièrement & véritable- ment dijlincle de mon corps, & qu'elle peut eflre ou exiger fans luy. A quoy il elt aifé d'adjoufler : Tout ce qui peut penfer efl efprit, ou s'apelle efprit. Mais puifque le corps & l'efprit font niellement dijlinâs, nul corps n'e/l efprit. Doncques nul corps ne peut penfer. 171 Et certes ( ie ne voy rien en cela que vous puifliez nier ; car nierez vous qu'il fuffit que nous conceuions clairement vne chofe fans vne autre, pour fçauoir qu'elles font réellement diltindes ? Donnez- nous donc quelque figne plus certain de la diftinftion réelle, fi toutesfois on en peut donner aucun. Car que direz- vous? Sera-ce que ces chofes là font réellement diilindes, chacune defquelles peut exifler fans l'autre? Mais de rechef ie vous demanderay, d'où vous connoiifez qu'vne chofe peut exiller fans vne autre. Car, afin que ce foit vn figne de dillinclion, il ell neceffaire qu'il foit connu.

Peut-eflre direz-vous que les fens vous le font connoillrc, parce que vous voyez vne chofe en l'abfence de l'autre, ou que vous la touchez, &c. Mais la foy des fens elt plus incertaine que celle de

�� � , 32-134. Secondes Réponses. io^

l'entendement ; & il fe peut faire en plufieurs façons qu'vne feule & mefme chofe paroilTe à nos fens fous diuerfes formes, ou en plufieurs lieux ou manières, & qu'ainfi elle foit prife pour deux. Et enfin, fi vous vous reffouuenez de ce qui a efté dit de la cire à la fin de la féconde Méditation, vous fçaurez que les corps meimes ne font pas proprement connus par les fens, mais par le feul entende- ment ; en telle forte que fentir vne chofe fans vne autre, n'elt rien finon auoir l'idée d'vne chofe, & entendre que cette idée n'ell pas la mefme que l'idée d'vne autre : or cela ne peut eftre connu d'ailleurs, I que de ce qu'vne chofe elt conceuë fans l'autre ; & cela ne peut eftre I certainement connu, fi l'on n'a l'idée claire & diftinèle de ces deux 172 chofes : & ainfi ce figne de réelle diftinaion doit eftre réduit au mien pour eftre certain.

Que s'il y en a qui nient qu'ils ayent des idées diftindes de l'ef- prit & du corps, ie ne puis autre chofe que les prier de confiderer allez attentiuement les chofes qui font contenues dans cette féconde Méditation, & de remarquer que l'opinion qu'ils ont que les parties du cerueau concourent auec l'efprit pour former nos penfées, n'eft point fondée fur aucune raifon pofitiue, mais feulement fur ce qu'ils n'ont iamais expérimenté d'auoir efté fans corps, & qu'aftez fou- ucnt ils ont efté empefchez par luy dans leurs opérations; & c'eft le mefme que fi quelqu'vn, de ce que dés fon enfance il auroit eu des fers aux pieds, eftimoit que ces fers fiflent vne partie de fon corps, & qu'ils luy fulfent neceffaires pour marcher.

En fécond lieu, lorfque vous dites : Que nous auons en nous- mej'mes vn Jondement Juffifant pour former l'idée de Dieu, vous ne dites rien de contraire à mon opinion. Car i'ay dit moy-mefme en termes exprés, à la fin de la troifiéme Méditation : Qite cette idée efl née auec moy, & quelle ne me vient point d' ailleurs que de mof -mefme. l'auoue auflî que nous la pour ions former, encore que nous lie fcetif- fions pas qu'il f a vn fouuerain eflre, mais non pas fi en effeél il n'y en auoit point; car, au contraire, i'ay s^àn^xv^ que toute la force de mon argument confifte en ce qu'il ne fe pouroit faire que la facul\lé 173 déformer cette idéefufl en mof,fi ie n'auois efié créé de Dieu.

Et ce que vous dites des mouches, des plantes, &c., | ne prouue en aucune façon que quelque degré de perfedion peut eftre dans vn effed, qui n'ait point efté auparauant dans fa caufe. Car, ou il eft certain qu'il n'y a point de perfection dans les animaux qui n'ont point de raifon, qui ne fe rencontre aulfi dans les corps inanimez, ou s'il y en a quclqu'vne, qu'elle leur vient d'ailleurs, & que le Soleil, la pluye & la terre ne font point les caufes totales de ces animaux. Œuvres. IV. '4

�� � io6 OEuvRES DE Descartes. 134-135.

Et ce feroit vne choie fort efloignée de la raifon, û quelqu'vn, de cela feul qu'il ne connoilt point de caufe qui concoure à la généra- tion d'vne mouche & qui ait autant de degrez de perfeftion qu'en a vne mouche, n'eftant pas cependant afTuré qu'il n'y en ait point d'autres que celles qu'il connoift, prenoit de là occafion de douter d'vne chofe, laquelle, comme ie diray tantoft plus au long, eft mani- fefte par la lumière naturelle.

A quoy i'adjoufte que ce que vous objectez icy des mouches, eftant tiré de la confideration des chofes matérielles, ne peut venir en l'ef- prit de ceux qui, fuiuans l'ordre de mes Méditations, détourneront leurs penfées des chofes fenfibles, pour commencer à phLlofopher.

Il ne me femble pas auffi que vous prouuiez rien contre moy, en difant, Que l'idée de Dieu qui ejl en nous n'ejl qu'vn ejîre de raifon. i^ Car cela n'eft pas | vray, fi par vu eJlre de raifon l'on entend vne chofe qui n'ert point, mais feulement fi toutes les opérations de l'en- tendement font prifes pour des eflres de raifon, c'ell à dire pour des eftres qui partent de la raifon ; auquel fens tout ce monde peut auffi eltre apelé vn élire de raifon diuine, c'eft à dire vn eflre créé par vn fimple afte de l'entendement diuin. Et i'ay défia fulfifamment auerty en plufieurs lieux, que ie parlois feulement de la perfedion ou rea- lité objectiue de cette idée de Dieu, laquelle ne requiert pas moins vne caufe, |en qui foit contenu en effed tout ce qui n'eft contenu en elle qu'objediuement ou par reprefentation, que fait l'artifice objectif ou reprefenté, qui eft en l'idée que quelque artifan a d'vne machine fort artificielle.

Et certes ie ne voy pas que l'on puiife rien adjouter pour faire connoiftre plus clairement que cette idée ne peut eftre en nous, fi vn fouuerain eftre n'exifte, fi ce n'eft que le Leéleur, prenant garde de plus prés aux chofes que i'ay défia efcrites, le deliure luy-mefme des preiugez qui offufquent peut-eftre fa lumière naturelle, & qu'il s'a- coullume à donner créance aux premières notions, dont les connoif- fances font fi vrayes & fi éuidentes, que rien ne le peut eftre dauan- tage, pluftoft qu'à des opinions obfcures & faulîes, mais qu'vn long vfage a profondement grauées en nos efprits.

Car, qu'il n'y ait rien dans vn effefl;, qui n'ait elle d'vne femblable 175 ou plus excellente façon dans fa caujfe, c'eft vne première notion, & fi euidente quil n'y en a point de plus claire; & cette autre com- mune notion, que de rien rien ne fe fait, la comprend en Iby, parce que, fi on accorde qu'il y ait quelque choie dans l'effect, qui n'ait point efté dans fa caufe, il faut aufli demeurer d'accord que cela pro- cède du néant ; & s'il elt éuident que le rien ne peut eftre la caufe

�� � i35.i36. Secondes Réponses. 107

de quelque chofe, c'eft feulement parce que, dans cette caufe, il n'y auroit pas la mcfme chofe que dans l'effed.

C'eit aufïi vne première notion, que toute la réalité, ou toute la perfection, qui n'eft qu'objeftiuement dans les idées, doit eftre for- mellement ou éminemment dans leurs caufes ; & toute l'opinion que nous auons iamais eue de l'exiltence des chofes qui font hors de noltre efprit, n'eft apuyée que fur elle feule. Car d'où nous a peu venir le foupçon qu'elles exiftoient, fmon de cela feul que leurs idées venoient par les fens fraper noftre efprit?

Or, qu'il y ait en nous quelque idée d'vn eftre fouuerainement puiflant & parfait, & auffi que la realité objediue de cette idée ne fe trouue point en nous, ny formellement, ny éminemment, cela de- uiendra manifefte à ceux qui y penleront ferieufement, & qui vou- dront auec moy prendre la peine d'y méditer; maisie ne le | içaurois pas mettre par force en l'efprit de ceux qui ne liront mes Médita- tions que comme vn Roman, pour fe defennuyer, & fans y auoir grande attention. Or, de tout cela, on | conclud très manifeftement 176 que Dieu exille. Et toutesfois, en faueur de ceux dont la lumière naturelle eft fi foible, qu'ils ne voyent pas que c'eft vne première notion, que toiile la perfeâioii qui e.ft objeâiuement dans vue idée, doil eftre réellement dans quelqii'vne de /es caufes, ie l'ay encore dé- montré d'vne façon plus ayfée à conceuoir, en monftrant que l'efprit qui a cette idée ne peut pas exifter par foy-mefme; & partant ie ne voy pas ce que vous pouuez defirer de plus pour donner les mains, ainfi que vous l'auez promis.

le ne voy pas auffi que vous prouuiez rien contre moy, en dilant que i'ay peut-eftre receu l'idée qui me reprefente Dieu, des penfées que i'aj- eues auparauant, des enjéigneineus des Hures, des di/'cours & enireliens de mes amis, &c., & non pas de mon efprit feul. Car mon argument aura toufiours la mefme force, ii, m'adrellant à ceux de qui l'on dit que ie l'ay receuë, ie leur demande s'ils l'ont par cu.\- mefmes, ou bien par autruy, au lieu de le demander de mov-mefme; & ie concluray toufiours que celuy-là eft Dieu, de qui elle ell pre- mièrement deriuée.

Quant à ce que vous adjouftez en ce lieu-là, qu'elle peut eftre formée. de la coti/iderafion des chofes corporelles, cela ne me fcniblc pas plus vra3'femblable, que i\ vous difiez que nous n'auons aucune faculté pour ouyr, mais que, par la feule veuë des couleurs, nous paruenons à la connoilfance des fons. Car on peut dire qu'il y a plus d'analogie ou de ra|port entre les couleurs & les fons, qu'entre les 177 chofes corporelles & Dieu. Et lorlque vous demandez que i'adjoufte

�� � io8 Œuvres de Descartes. i36-i38.

quelque cho/e qui nous éleiie iufqu'à la connoijfance de l'eftre imma- tériel ou fpiriluel, \ ie ne puis mieux faire que de vous renuoj'er à ma féconde Méditation, afin qu'au moins vous connoilTiez qu'elle n'eft pas tout à fait inutile ; car que pourois-je faire icy par vne ou deux périodes, fi ie n'ay pu rien nuancer par vn long difcours pré- paré feulement pour ce fujet, & auquel il me fcmble n'auoir pas moins apporté d'induftrie qu'en aucun autre efcrit que i'aye publié?

Et encore qu'en cette Méditation i'aye feulement traité de l'efprit humain, elle n'eft pas pour cela moins vtile à faire connoiftre la différence qui eft entre la nature diuine &. celle des chofes maté- rielles. Car ie veux bien icy auoûer franchement que l'idée que nous auons, par exemple, de l'entendement diuin, ne me femble point diferer de celle que nous auons de noftre propre entendement, finon feulement comme l'idée d'vn nombre infiny diffère de l'idée du nombre binaire ou du ternaire; & il en eft de mefme de tous les attributs de Dieu, dont nous reconnoiffons en nous quelque veftige.

Mais, outre cela, nous conceuons en Dieu vne immenfité, fimpli- cité, ou vnité abfoluë, qui embralTe & contient tous fes autres attri- buts, & de laquelle nous ne trouuons ny en nous, ny ailleurs, aucun 178 exemple ; mais elle eft (ainfi que i'ay dit auparauant)lcom;nc' la marque de l'ouiirier imprimée fur fon ouurage. Et, par fon moyen, nous connoiffons qu'aucune des chofes que nous conceuons élire en Dieu & en nous, & que nous confiderons en luy par parties & comme fi elles eftoient diftinfles, àcaufe de la foibleffe de noftre entendement & que nous les expérimentons telles en nous, ne conuiennent point à Dieu & à nous en la façon qu'on nomme vniuoque dans les efcoles. Comme aufli nous connoiffons que, de plufieurs chofes particulières qui n'ont point de fin, dont nous auons les idées, comme d'vne con- noiffance fans fin,d'vnepuin"ance,d'vn nombre, d'vne longueur, &c., qui font aufli fans fin, il y en a quelques-vnes qui font contenues formellement dans l'idée que nous auons de Dieu, comme la con- noilîance & la puiffance, & d'autres qui n'y font qu'éminemment, comme le nombre & la longueur ; ce qui certes ne feroit pas ainfi, | fi cette idée n'eftoit rien autre chofe en nous qu'vne fidlion.

Et elle ne feroit pas aufli conceuë fi exactement de la mefme façon de tout le monde; car c'eft vne chofe tres-remarquable, que tous les Metaphyficiens s'accordent vnanimement dans la defcription qu'ils font des attributs de Dieu (au moins de. ceux qui peuuent eftre con- nus par la feule raifon humaine), en telle forte qu'il n'y a aucune chofe phyfique ny fenfible, aucune chofe dont nous ayons vne idée fi expreffe & fi palpable, touchant la nature de laquelle il ne fe ren-

�� � i38-i39. Secondes Réponses,

��[09

��contre chez les Philofophes vne plus grande diuerfité | d'opinions, 179 qu'il ne s'en rencontre touchant celle de Dieu.

Et certes iamais les hommes ne pouroient s'éloigner de la vraye connoiflance de cette nature diuine, s'ils vouloient feulement porter leur attention fur l'idée qu'ils ont de l'eftre fouuerainement parfait. Mais ceux qui méfient quelques autres idées auec celle-là, compofent par ce moyen vn Dieu chimérique, en la nature duquel il y a des chofes qui fe contrarient ; &, après l'auoir ainfi compofé, ce n'eft pas merueille s'ils nient qu'vn tel Dieu, qui leur eft reprefenté par vne fauffe idée, exifte. Ainfi, lorfque vous parlez icy d'j'ii ejire corporel tres-par-fait, fi vous prenez le nom de tres-parfait abfolument, en forte que vous entendiez que le corps ell vn élire dans lequel fe rencontrent toutes les perfections, vous dites des chofes qui fe con- trarient : d'autant que la nature du corps enferme plufieurs imper- fedions,par exemple, que le corps foit diuifible en parties, que chacune de fes parties ne foit pas l'autre, & autres femblables ; car c'eft vne chofe de foy manifefte, que c'eft vne plus grande perfettion de ne pouuoir eftre diuifé, que de le pouuoir eflre, &c.' Que fi vous entendez feulement ce qui ell tres-parfait dans le genre de corps, cela n'ed point le vray Dieu.

Ce que vous adjouftez de l'idée d'vn Ange, laquelle ejt plus par- faite que nous, \ à fçauoir, qu'il n'eft pas befoin qu'elle ait ejlé mife en nous par vn Ange, l'en demeure aifémént d'accord ; car i'ay défia dit moy-|mefme, dans la.troifiéme Méditation, qu'elle peut ejtre corn- 180 pofée des idées que nous auons de Dieu & de Vhomme. Et cela ne m'eft en aucune façon contraire.

Quant à ceux qui nient d'auoir en eux l'idée de Dieu, & qui au lieu d'elle forgent quelque Idole, &c., ceux-là, dis-je, nient le nom, & accordent la chofe. Car certainement ie ne penfe pas que cette idée foit de mefme nature que les images des chofes matérielles dépeintes en la fantaifie ; mais, au contraire, ie croy qu'elle ne peut eftre conceuë que par le feul entendement, & qu'en effet elle n'eft rien autre chofe que ce qu'il nous en fait connoiftre, foit par la première, foit par la féconde, foit par la troifiéme de fes opérations. Et ie pretens maintenir que, de cela feul que quelque perfedion, qui eft au-deffus de moy, dénient l'objet de mon entendement, en quelque façon que ce foit qu'elle fe prefente à luy : par exemple, de cela feul que i'aperçoy que ie ne puis iamais, en nombrant, arriuer au plus grand de tous les nombres, & que de là ie connois qu'il y a quelque

a. « &c » omis {i édil.).

�� � no OEuvREs DE Descartes. 139-140.

chofe, en matière de nombrer, qui furpaffe mes forces, ie puis con- clure neceifairement,' non pas à la vérité qu'vn nombre infiny exiik,- ny aufli que ion exiilence implique contradiction, comme vous dites, mais que cette puilîance que i'ay de comprendre qu'il y a toufiours quelque chofe de plus à conceuoir, dans le plus grand des nombres, que ie ne puis iamais conceuoir, ne me vient pas de moy-mefme, & que ie I'ay receuë de quelque autre ertre qui eit plus parfait que ie ne fuis.

181 I Et il importe fort peu qu'on donne le nom d'idée à ce concept d'vn nombre indefiny, ou qu'on ne luy donne pas. Mais, pour entendre quel eft cet eitre plus parfait que ie ne fuis, & fi ce n'eft point ce mefme nombre, dont ie ne puis trouuer la fin, qui eft réel- lement cxiftani & infiny, ou bien fi c'eft quelqu'autre chofe, il faut confiderer toutes les autres perfe6lions, lefquelles, outre la puiffance de me donner cette idée, peuuent efire en la mefme chofe en qui efi cette puilfance ; | & ainfi on trouuera que cette chofe cil Dieu.

Enfin, lors que Dieu efl: dit eltre inconceuable, cela s'entend d'vne pleine & entière conception, qui com.prenne & embraffe parfaite- ment tout ce qui ell en luy, & non pas de cette médiocre & impar- faite qui efi en nous, laquelle neantmoins fufit pour connoiftre qu'il exiife. Et vous ne prouuez rien contre mo}', en difant que l'idée de l'vnité de toutes les perfeâ ions qui fout en Dieu, foit formée de la mefme façon que l'vnité genci-ique & ceUe des autres vniueifaux. Mais neantmoins elle en efl fort difterente ; car elle dénote vne par- ticulière & pofitiue perfection en Dieu, au lieu que l'vnité générique n'adjoufte rien de réel à la nature de chaque indiuidu.

En troifiéme lieu, où i'ay dit que nous ne pouuons rien fçauoir certainement, fi nous ne connoiffons premièrement que Dieu exijle, i'ay dit, en termes exprez, que ie ne parlois que de la fcience de ces conclufions, dont la tnemoire nous peut reuenir en l'efprit, lorfque

182 \nous ne penfons plus aux raifojis d'où nous les auons tirées. Car la connoiffance des premiers principes ou axiomes n'a pas accouftumé d'eftre apellée fcience par les Dialediciens. Mais quand nous aper- ceuons que nous fommes des chofes qui penfent, c'eft vne première notion qui n'eft tirée d'aucun fyllogifme ; & lorfque quelqu'vn dit : le penfe, donc ie fuis, ou i'exifle, il ne conclut pas fon exiftence de fa penfée comme par la force de quelque fyllogifme, mais comme vne chofe connue de foy ; il la void par vne fimple infpedion de l'efprit. Comme il paroift de ce que, s'il la deduifoit par le iyllogifme, il auroit deu auparauant connoiftre cette maieure : Tout ce qui penfe, efi ouexifîe. Mais, au contraire, elle lui eft enfeignée de ce qu'il fent

�� � '4°-'4=- Secondes Réponses. i i i

en luy-mefmc qu'il ne le peut pas faire qu'il penle, s'il n'exifte. Car c'eft le propre de noltre elprit, j de former les propofitions générales de la connolifance des particulières.

Or, quvn Alliée pi/iffe comioiftre clairement que les trois angles d'im triangle font égaux à deux droits, ie ne le nie pas ; mais ie maintiens feulement qu'il ne le connoift pas par vne vraye & cer- taine fcience, parce que toute connoiffance qui peut eftre rendue douteufe ne doit pas eftre apellée fcience ; & puifqu'on fupofe que celuy-là eft vn Athée, il ne peut pas eftre certain de n'eftre point deceu dans les chofes qui luy femblent eftre tres-euidentes, comme il a défia efté montré cy-deuant ; & encore que peut eftre ce doute ne luy vienne point en la penfée, il luy peut neantmoins | venir, s'il 183 l'examine, ou s'il luy eft propofé par vn autre ; & iamais il ne fera hors du danger de l'auoir, fi premièrement il ne reconnoift vn Dieu. Et il n'importe pas que peut-eftre il eftime qu'il a des demonftra- tions pour prouuer qu'il n'y a point de Dieu; car, ces demonftra- tions prétendues eftant faufl"es, on luy en peut toufiours faire con- noiftre la faulfeté, & alors on le fera changer d'opinion. Ce qui à la venté ne fera pas difficile, i:i pour toutes raifons il aporte feulement ce que vous adjouftez icy, c'eft à fçauoir, que l'injinj en tout genre de perjeâion exclut tout autre forte d'ejlre, &c.

Car, premièrement, fi on luy demande d'où il a apris que cette exclulion de tous les autres eftres apartient à la nature de l'infiny, il n'aura rien qu'il puiffe répondre pertinemment, d'autant que, par le nom A'infiny, on n'a pas coutume d'entendre ce qui exclut l'exi- ftence des chofes finies, & qu'il ne peut rien fçauoir de la nature d'vnechofe qu'il penfe n'eftre rien du tout, & par'confequent n'auoir point de nature, finon ce qui | eft contenu dans la feule & ordinaire fignification du nom de cette chofe.

De plus, à quoy feruiroit l'infinie puifl"ance de cet infiny imagi- naire, s'il ne pouuoit iamais rien créer? Et enfin, de ce que nous expérimentons auoir en nous-mefmes quelque puiiTance de penfer, nous conceuons facilement qu'vne telle puifi'ance peut eftre en quelque autre, & mefme plus grande qu'en nous; mais encore que nous penfions que celle-là s'augmente à | l'infiny, nous ne crain- 184 drons pas pour cela que la noftre deuienne moindre. Il en eft de mefme de tous les autres attributs de Dieu, mefme de la puiffance de produire quelques effets hors de foy, pourueu que nous fupo- fions qu'il n'y en a point en nous, qui ne foit foumife à la volonté de Dieu; & partant il peut eftre entendu tout à fait infiny fans aucune exclufion des chofes créées.

�� � 1 1 2 OEuvRES DE Descartes. 142-143.

En quatrième lieu, lorfque ie dis que Dieu ne peut mentir, ny ejlre trompeur, ie penfe conuenir auec tous les Théologiens qui ont iamais eflé & qui feront à l'auenir. Et tout ce que vous alléguez au contraire n'a pas plus de force, que fi, ayant nié que Dieu le mifl en colère, ou qu'il fuit fujet aux autres palTions de l'ame, vous m'ob- jeftiez les lieux de l'Ecriture où il femble que quelques paflions humaines luy font attribuées.

Car tout le monde connoift affez la diftindion qui eit entre ces façons de parler de Dieu, dont l'Ecriture fe fert ordinairement, qui font accommodées à la capacité du vulgaire & qui contiennent bien quelque vérité, mais feulement en tant qu'elle eft raportée aux hommes, & celles qui expriment vne vérité plus fimple & plus pure & qui ne change point de nature, encore qu'elle ne leur foit point raportée ; dcfqueiles chacun doit vfer en philofophant, & dont i'ay deu principalement me feruir dans mes Méditations, veu qu'en ce lieu-là mefme ie ne fupofois pas encore qu'aucun homme me full connu, & que | ie ne me conliderois pas non plus en tant que

185 compofé de corps & | d'efprit, mais comme vn efprit feulement.

D'où il elt euident que ie n'ay point parlé en ce lieu-là du men- fonge qui s'exprime par des paroles, mais feulement de la malice interne & formelle qui elt contenue dans la tromperie : quoy que ncantmoins ces paroles que vous aportez du Prophète : E)icore quarante iours, & Niniue fera fubuertie, ne foient pas mefme vn menfonge verbal, mais vne fimple menace, dont l'euenement dépen- doit d'vne condition ; & lorfqu'il eft dit que Dieu a endurcf le cceur de Pharaon, ou quelque chofe de femblable, il ne faut pas penier qu'il ait fait cela pofitiuement, mais feulement negatiuement, à fçauoir, ne donnant pas à Pharaon vne grâce eificace pour fe conuertir.

le ne voudrois pas neantmoins condamner ceux qui difcnt que Dieu peut proférer par fes Prophètes quelque menfonge verbal, tels que font ceux dont fe feruent les Médecins quand ils deçoiucnt leurs malades pour les guerrir, c'eft à dire qui fuft exempt de toute la malice qui fe rencontre ordinairement dans la tromperie. Mais, bien dauantage, nous voyons quelquesfois que nous fommcs réel- lement trompez par cet inftind naturel qui nous a efté donné de Dieu, comme lorfqu'vn hydropique a foif ; car alors il eft réelle- ment pouffé à boire par la nature qui luy a el^é donnée de Dieu pour la conferuation de fon corps, quoy que neantmoins cette na- ture le trompe, puifque le boire luy doit eftre nuifible ; mais i'ay

186 expliqué, dans la fixiéme Méditation, cojnmciit cela peut | com- patir aucc la bonté & la vérité de Dieu.

�� � •43-145. Secondes Réponses. i i }

Mais dans les chofes qui ne peuuent pas eftre ainli expliquées, à fçauoir, dans nos iugemens tres-clairs & tres-exads, lefquels, s'ils jeftoient faux, ne pouroient eftre corrigez par d'autres plus clairs, ny par l'ayde d'aucune autre faculté naturelle, ie fouftiens hardi- ment que nous ne pouuons eftre trompez. Car Dieu eftant le fouue- rain eftre, il faut neceftairement qu'il foit auffl le fouuerain bien (S: la fouueraine vérité, & partant il répugne que quelque chofe vienne de luy, qui tende pofitiuement à la faufl"eté. Mais puifqu'il ne peut y auoir rien en nous de réel, qui ne nous ait efté donné par luy (comme il a efté démontré en prouuant fon exiftence), & puifque nous auons en nous vne faculté réelle pour connoiftre le vray & le diftinguer d'auec le faux (comme on peut prouuer de cela feul que nous auons en nous les idées du vray & du faux), fi cette faculté ne tendoit au vray, au moins lorique nous nous en feruons comme il faut {c'eû à dire lorfque nous ne donnons noftre confentement qu'aux chofes que nous conceuons clairement & diftindement, car on ne peut pas feindre vn autre bon vfage de cette faculté), ce ne feroit pas fans raifon que Dieu, qui nous l'a donnée, feroit tenu pour vn trompeur.

Et ainfi vous voyez qu'après auoir connu que Dieu exifte, il eft necelîaire de feindre qu'il foit trompeur, fi nous voulons réuoquer en doute les chofes que nous conceuons clairement & diftinde- ment ; & | parce que cela ne fe peut pas mefme feindre, il faut i87 neceft"airement admettre ces chofes comme tres-vrayes & tres- aflurées.

Mais d'autant que ie remarque icy que vous vous arreftez encore aux doutes que i'ay propofez dans ma première Méditation, &. que ie penfois auoir leuez allez exadement dans les fuiuantes, i'expli- queray icy derechef le fondement fur lequel il me fcmble que toute la certitude humaine peut eftre apuyée.

Premièrement, auftitoft que nous penlbns conceuoir clairement quelque vérité, nous l'ommes naturellement portez à la croire. Et li cette croyance eft fi forte que nous ne puidions jamais auoir aucune raifon de douter de ce que nous croyons de la forte, il n'y a rien A rechercher dauantage : nous auons touchant cela toute la certitude qui fe peut raifonnablement | fouhaiter.

Car que nous importe, fi peut-eftre tiuelqu'vn feint que cela mefme, de la vérité duquel nous foninies li fortement perl'uadez, paroiil faux aux yeux de Dieu ou des Anges, & que partant, abfo- lument parlant, il efl faux r Qu'auons nous à faire de nous n;eure en peine de cette fauH'eté ablblue, puifque nous ne la croyons point Œuvres. IV. i5

�� � 188

��114 OEuvRES DE Descartes. 145-146.

du tout, & que nous n'en auons pas mefme le moindre foupçon ? Car nous fupofons vne croyance ou vne perluafion fi ferme, qu'eHe ne puiffe eftre ollée; laquelle par confequent eft en tout la mefme chofe qu'vne tres-parfaite certitude. Mais on peut bien douter fi l'on a quelque certitude de cette nature, | ou quelque perfuafion ferme & immuable.

Et certes, il eft manifefte qu'on n'en peut pas auoir des chofes oblcures & confufes, pour peu d'obfcurité ou confufion que nous y remarquions ; car cette obfcurité, quelle qu'elle Ibii, eft vne caufe aflez fuffil'ante pour nous faire douter de ces chofes. On n'en peut pas aufli auoir des chofes qui ne font aperceuës que par les fens, quelque clarté qu'il y ait en leur perception, parce que nous auons iouuent remarqué que dans le fens il peut y auoir de Terreur, comme lorfquVn hydropique a foif, ou que la neige paroift jaune à celuy qui a la jaunilfe ; car celuy-là ne la void pas moins clairement & diftinclement de la forte, que nous à qui elle paroift blanche. Il refte donc que, fi on en peut auoir, ce foit feulement des chofes que l'efprit conçoit clairement & diftinftement.

Or, entre ces chofes, il y en a de fi claires & tout enfemble de fi iimples, qu'il nous eft impoffible de penfer à elles, que nous ne les croyons eftre vrayes : par exemple, que i'exifte lorfque ie penfe, que les chofes qui ont vne fois efté faites ne peuuent pas n'auoir point efté faites, & autres chofes femblables, dont il eft manifefte que l'on a vne parfaite certitude.

Car nous ne pouuons pas douter de ces chofes-là | fans penfer à elles; mais nous n'y pouuons iamais penfer, fans croire qu'elles font vrayes, comme ie viens de dire ; doncques, nous n'en pouuons douter, que nous ne les croyons eftre vrayes, c'eft à dire que nous n'en pouuons iamais douter. 189 I Et il ne fert de rien de dire que nous auons fouuent expérimenté que des perfonnes fe fonl trompées en des chofes qu'elles peu foienl voir plus clairement que le Soleil. Car nous n'auons iamais veu, ny nous ny perfonne, que cela foit arriué à ceux qui ont tiré toute la clarté de leur perception de l'entendement feul, mais bien à ceux qui l'ont prife des fens ou de quelque faux préjugé. Il ne fert de rien auftl que quelqu'vn feigne que ces chofes femblent faulfes à Dieu ou aux Anges, parce que l'euidence de noftre perception ne permettra pas que nous écoutions celuy qui l'aura feint & nous le voudra perfuader.

Il y a d'autres choies que noftre entendem^ent conçoit auffi fort clairement, lorfque nous prenons garde de prés aux raifons d'où

�� � '46-147- Secondes Réponses. i i ^

dépend leur connoillance ; & pour ce, nous ne pouuons pas alors en douter. Mais, parce nous pouuons oublier les raifons, & cependant nous reffouuenir des conclurions qui en ont elle tirées, on demande fi on peut auoir vne ferme & immuable perfuafion de ces conclu- rions, tandis que nous nous reffouuenons qu'elles ont elle déduites de principes tres-euidens ; car ce fouuenir doit eltre fupofé pour pouuoir eftre apellées conclufions. Et ie répons que ceux-là en peuuent auoir, qui connoilTent tellement Dieu, qu'ils fçauent qu'il ne fe peut pas faire que la faculté d'entendre, qui leur a elté don- née par luy, ait autre chofe que la vérité pour objet ; mais que les autres n'en ont point. Et cela a eûé fi clairement expliqué à la fin de la cinquième Méditation, que | ie ne penfe pas y deuoir icy rien 190 adjoufter.

I En cinquième lieu, ie m'étonne que vous niiez que la l'olonté je mel en danger de faillir, lorfqu'elle poinfuil & embrajj'e les connoif- fances objcures & confiifes de l'entendement . Car qu'eft-ce qui la peut rendre certaine, fi ce qu'elle luit n'eft pas clairement conneu ? Et quel a iamais efté le Philofophe ou le Théologien, ou bien feu- lement l'homme vfant de railbn, qui n'ait confelTé que le danger de faillir où nous nous expofons, eft d'autant moindre, que plus claire efl la chofe que nous conceuons auparauant que d'y donner noilre consentement ? & que ceux-là pèchent, qui, fans connoiflance de caufe, portent quelque iugement? Or nulle conception n'eft dite obfcure ou confufe, finon parce qu'il y a en elle quelque chofe de contenu, qui n'eft pas connue

Et partant, ce que vous objedez touchant la foj- qu'on doit em- braser, n'a pas plus de force contre moy, que contre tous ceux qui ont iamais cultiué la raifon humaine; &, à vray dire, elle n'en a aucune contre pas vn. Car, encore qu'on die que la foy a pour objet des choies obfcures, neantmoins ce pour quoy nous les croyons n'eft pas obfcur ; mais il eft plus clair qu'aucune lumière natu- relle. D'autant qu'il faut diftinguer entre la matière, ou la chofe à laquelle nous donnons noftre créance, & la raifon formelle qui meut noftre volonté à la donner. Car c'eft dans cette feule raifon formelle que nous voulons qu'il y ait de la clarté & de l'euidence.

I Et quant à la matière, perfonne n'a iamais nié qu'elle peut eitre 191 obfcure, voire l'obfcurité mefme ; car, quand ie luge que l'obfcu- rité doit eftre oftée de nos penfées pour leur pouuoir donner noftre contentement fans aucun danger de faillir, c'eft l'obfcu- rité mefme qui me fert de matière pour former vn iugement clair & diftincl.

�� � ii6 OEuvRES DE Descartes.

��147-149.

��Outre cela, il faut remarquer que la clarté ou l'euidence, | par laquelle noitre volonté peut eftre excitée à croire, eft de deux l'ortes : l'vnc qui part de la lumière naturelle, & l'autre qui vient de la grâce diuine.

Or, quoy qu'on die ordinairement que la foy eft des choies oblcures, toutesfois cela s'entend feulement de fa matière, 6s: non point de la raifon formelle pour laquelle nous croyons; car, au contraire, cette raifon formelle conlille en vne certaine lumière intérieure, de laquelle Dieu nous ayant furnaturellement éclairez, nous auons vne confiance certaine que les chofes qui nous font propofées à croire, ont efté reuelées par luy, & qu'il ell entièrement impoiTible qu'il foit menteur & qu'il nous trompe : ce qui cil plus allure que toute autre lumière naturelle, & fouuent mefme plus euident, à caufe de la lumière de la grâce.

Et certes les Turcs & les autres infidelles, lorfqu'ils n'embrailcnt point la religion Chrefl.ienne, ne pèchent pas pour ne vouloir point adjoufter foy aux chofes oblcures, comme cllant obfcures ; mais ils pèchent, ou de ce qu'ils refillent à la grâce diuine qui les auertit 192 intérieurement, ou que, pechans en d'aujtres chofes, ils le rendent indignes de cette grâce. Et ie diray hardiment qu'vn infidèle qui, deititué de toute grâce furnaturellc, & ignorant tout à faif que les chofes que nous autres Chrelliens croyons, ont efié reuelées de Dieu, neantmoins, attire par quelques faux raifonnements, fe por- teroit à croire ces mefmes choies qui luy leroient obfcures, ne leroit pas pour cela fidèle, mais plutoll qu'il pecheroit en ce qu'il ne fe fcruiroit pas comme il faut de fa raifon.

Et ie ne penfc pas que iamais aucun Théologien ortodoxe ait eu d'autres fentimens touchant cela; & ceux aulli qui liront mes Mé- ditations n'auront pas fujet de croire que ie n'aye point connu cette lumière furnaturellc, puifque, dans la quatrième, où i'ay foigneu- fcment recherché la caufe de l'erreur ou faullété, i'ay dit, en paroles expreffes, | qu'elle difpofe l'inlericiir de nojtre penjee à ronloii-, i'- que neaulmoins elle'ne diminue poiiil la liberté.

Au relie, ie vous prie icy de vous louuenir que, touchant les chofes que la volonté peut embraU'er, i'ay toufiours mis vne très- grande diftindion entre l'vfage de la vie & la contemplation de la vérité. Car, pour ce qui regarde l'vfage de la vie, tant s'en faut que ie penfe qu'il ne faille fuiure que les choies que nous connoillons tres-clairement, qu'au contraire ie tiens qu'il ne faut pas mefme toujours attendre les plus vra3'-femblables, mais qu'il faut quelques- fois, entre plufieurs choies tout à fait inconnues & incertaines, en

�� � i49->3o. Secondes Réponses. h/

��103

��Ichoifir vne & sy déterminer, & après cela ne la pas croire moins fermement, tant cjue nous ne voyons point de railbns au contraire, que fi nous l'auions choifie pour des railons certaines & tres-eui- dentes, ainfi que i'ay dcfia expliqué dans le Difcours de la Mé- thode, p. 2h. Mais où il ne s'agit que de la contemplation de la vérité, qui a iamais nié qu'il faille fufpendre Ton iugement à l'égard des chofes obfcures, & qui ne font pas allez diflinclement connues? Or, que cette feule contemplation de la vérité ait lieu dans mes Méditations, outre que cela fe reconnoi 11 allez clairement par elles- mefmes, ie I'ay de plus déclaré en paroles exprelfcs fur la fin de la première, en difant que ie iic yonuoh trop douter iir J'fer de trop de défiance en ce lieu-là, d'autant que ie ne m'appliquais pas alors aux chofes qui regardent l'i'Jhge de la rie, niais feulement à la recherche de la vérité.

En Jixiéme lieu, où vous reprenez la conclulion d'vn fyllogifmc que i'auois mis en forme, il femble que vous péchiez vous-mefmes en la forme; car, pour conclure ce que vous voulez, la majeure deuoit élire telle : Ce que clairement & di/linclement nous conceuons aparlenir à la nature de quelque chofe, cela peut cjlre dit ou affirmé auec perité appartoiir à la nature de cette chofe. Et ainli elle ne con- ticndroit rien qu'vne inutile &: fuperlluè^ répétition. Mais la maieure de mon argunient a eiié | telle" : Ce que clairement <S'- diftinclewcnt nous conceuons aparlenir à la nature de quelque chofe, cela peut cJlre dit ou af\ firme auec vérité de celle chofe. C'ell à dire, W élire animal IM apartient à l'elfencc ou à la nature de l'homme, ou peut ali'urer que l'homme ell animal; fi auoir les trois angles égaux à deux droits apartient à la nature du triangle rediligne, on peut affurcr que le triangle rectiligne a l'es trois angles égaux à deux droits; fi cxifler apartient à la nature de Dieu, on peut alTurer que Dieu exille, (Sec. Et la mineure a elle telle : Or ejl-it qu'il apartient à la nature de Dieu d'exi/ler. D'où il ell euident qu'il faut conclure comme i'ay fait, c'ell à fçavoir : Doncques on peut auec vérité ajj'urer de Dieu qu'il e.yi/ie ; & non pas comme vous voulez: Doncques nous poll- uons ajfurer auec vérité qu'il apartient à la nature de Dieu d'exi/ler.

Et partant, pour vfer de l'exception que vous aportez enfuite, il vous euil falu nier la majeure, & dire que ce que nous conceuons clairement ^ diilinclement apartenir à la nature de quelque chofe, ne peut pas pour cela élire dit ou affirmé de cette chofe, li ce n'elt que fa nature l'oit polfible, ou ne répugne point. Mais voyez, ie vous

a. A la lij^nc (i"' édit.).

�� � ii8 OEuvREs DE Descartes. i5o-i5i.

prie, la foiblelïe de cette exception. Car, ou bien par ce mot de pojjible vous entendez, comme l'on fait, d'ordinaire, tout ce qui ne répugne point à la pcnfcic humaine, auquel fens il eft manifefte que la nature de Dieu, de la façon que ie l'ay décrite, eil poiïible, parce que ie n'ay rien l'upole en elle, finon ce que nous conceuons claire- ment & diftinctement luy deuoir apartenir, & ainfi ie n'ay rien fupofé 195 qui répugne à la penlee ou au concept | humain ; ou bien vous fei- gnez quelque autre pollibilité, de la part de l'objet mefme, laquelle, fi elle ne conuient auec la précédente, ne peut iamais eftre connue par l'entendement huma n; & partant elle n'a pas plus de force | pour nous obliger à nier la nature de Dieu ou fon exiltence, que pour renuerfer toutes les autres chofes qui tombent fous la connoilVance des hommes. Car, parla mefme raifon que l'on nie que la nature de Dieu elt poiïible, encore qu'il ne fe rencontre aucune impofiibilité de la part du concept ou de la penfée, mais qu'au contraire toutes les chofes qui font contenues dans ce concept de la nature diuine, foient tellement connexes entr'elles, qu'il nous femble y auoir de la contradiction à dire qu'il y en ait quelqu'vne qui n'apartiennc pas à la nature de Dieu, on poura aulTi nier qu'il foit poffible que les trois angles d'vn triangle foient égaux à deux droits, ou que celuy qui penfe actuellement exifte; & à bien plus forte raifon l'on poura nier qu'il y ait rien de vray de toutes les chofes que nous aperceuons par les fens ; & ainfi toute la connoifl'ance humaine fera renuerfée, mais ce ne fera pas auec aucune raifon ou fondement.

Et pour ce qui eft de cet argument que vous comparez avec le mien, à fçauoir : S'il n'implique point que Dieu exijfe, il ejl certain qu'il exijle; mais il n'implique point; doncques, &c., matériellement parlant il eft vray, mais formellement c'eft vn fophifme. Car, dans 196 la majeure, ce mot // implique regarde le concept de la caufe | par laquelle Dieu peut eftre, &, dans la mineure, il regarde le feul con- cept de l'exiftence & de la nature de Dieu, comme il paroift de ce que, fi on nie la majeure, il la faudra ainfi prouuer :

Si Dieu n'exifte point encore, il implique qu'il exifte, parce qu'on ne fçauroit afligner de caufe fuffifante pour le produire; mais il n'im- plique point qu'il exifte, comme il a efté accordé dans la mineure; doncques, &c.

Et fi on nie la mineure, il la faudra prouuer ainfi" : Cette chofe n'implique point, dans le concept formel de laquelle il n'y a rien qui enferme contradidion; mais dans le concept formel

a. Non à la ligne {i" édit.).

�� � 197

��ibi-ib3. Secondes Réponses. 119

de Texiftence ou de la nature diuine, il n'y a rien qui enferme contradiaion ; doncqucs, &c. Et ainfi ce mot il implique eH pris | en deux diuers fens.

Car il le peut faire qu'on ne conceura rien dans la choie melme qui empefche qu'elle ne puiffe exiller, & que cependant on con- ceura quelque choie de la part de fa caufe, qui empefche qu'elle ne foit produite.

Or, encore que nous ne conceuions Dieu que très imparfaitement, cela n'empefche pas qu'il ne foit certain que fa nature eft polhble, ou qu'elle n'implique point'; ny auili que nous ne puiffions alfurer auec vérité que nous l'auons alïez foigneufement examinée, & affez clairement connue (à fçauoir autant qu'il fuffit pour connoilbc qu'elle eil poffible, & auiïï que | l'exiftence neccflaire luy apartient;. Car toute impoffibilité, ou, s'il m'ell permis de me feruir icy du mot de l'école, toute implicance confiftc feulement en noilre concept ou penfée, qui ne peut conjoindre les idées qui le contrarient les vues les autres; & elle ne peut confilter en aucune choie qui foit hors de l'entendement, parce que, de cela mefme qu'vne chofe elt hors de l'entendement, il eft maniferte qu'elle n'implique point, maii. qu'elle ert pofTible.

Or l'impollibilité que nous trouuons en nos penfées, ne vient quc_ de ce qu'elles font obfcures & confufes, & il n'y en peut auoir aucune dans celles qui font claires & dillincles; & partant, afin que nous puiffions affurer que nous connoilfons affez la nature de Dieu pour fçauoir qu'il n'y a point de répugnance qu'elle exifte, il fuffit que nous entendions clairement & diflindement toutes les choies que nous aperceuons eftre en elle, quoy que ces choies ne foient qu'en petit nombre, au regard de celles que nous n'aperceuons pas, bien qu'elles foient aufli en elle; & qu'auec cela nous remarquions que l'exiftence neceffaire ell l'vne des choies que nous aperceuons ainfi eflre en Dieu.

\Eh fepliéme lieu, i'ay défia donné la rail'on, dans l'abrci^é de mes Méditations, pourquoy ie n'ay rien dit icy touchant l'immor- talité de l'ame; i'ay auffii fait voir cy-deuant comme quoy i'ay fuf- fifamment prouué la diltindion qui eit entre l'efprit & toute forte de corps.

I Quant à ce que vous adjoufiez, qut de la dijlindioii de l'aine 198 d'auec le corps il ne s'enfuit pas qu'elle foit iinmorlelle, parce que nonobjlant cela on peut dire que Dieu l'a faite d'inie telle nature,

a. A la ligne (i" édit.).

�� � I20 OEuVRES DE DeSCARTES. i53-i54.

que fa durx'cjiuit auec celle de la pie du coiys, ie confeffe que ie n'ay rien à y répondre ; car ie n'ay pas tant de prefomption que d'entre- prendre de déterminer, par la force du raifonnement humain, vne chofe qui ne dépend que de la pure volonté de Dieu.

La connoiffance naturelle nous aprend que l'efprit eft différent du corps, & qu'il eft vne iubitance; & auffi que le corps humain, en tant qu'il diffère des autres corps, eft feulement compofé d'vne cer- taine configuration de membres, & autres femblables accidens; & enfin que la mort du corps dépend feulement de quelque diuifion ou changement de figure. Or nous n'auons aucun argument ny aucun exemple, qui nous perfuade que la mort, ou l'aneantiffement d'vne fubftance telle qu'eft l'efprit, doiue fuiure d'vne caufe fi légère comme eft vn changement de figure, qui n'eft autre chofe qu'vn mode, & encore vn mode, non de l'efprit, mais du corps, qui eft réellement diftind de l'efprit. Et mefme nous n'auons aucun argu- ment ny exemple, qui nous puifle perfuader qu'il y a des fubftances qui font fujettes à eftre anéanties. Ce qui fuffit pour conclure que l'efprit, ou l'ame de l'homme, | autant que cela peut eftre connu par la Philofophie naturelle, eft immortelle.

Mais fi on demande fi Dieu, par fon abfoluë puiffance, n'a point 199 pcut-eftre déterminé que les âmes | humaines ceffent d'eftre, au mefme temps que les corps aufquels elles font vnies font deftruits, c'eft à Dieu feul d'en répondre. Et puifqu'il nous a maintenant reuelé que cela n'arriuera point, il ne tious doit plus refter touchant cela aucun doute.

Au refte, i'ay beaucoup à vous remercier de ce que vous auez daigné fi offtcieufement, & auec tant de franchife, m'auertir non feu- lement des chofes qui vous ont femblé dignes d'explication, mais auffi des difficultez qui pouuoient m'eftre faites par les Athées, ou par quelques enuieux & médifans.

Car encore que ie ne voye rien, entre les chofes que vous m'auez propofées, que ie n'euffe auparauant rejette ou expliqué dans mes Méditations (comme, par exemple, ce que vous auez allègue des mouches qui font produites par le Soleil, des Canadiens, des Nini- uites, des Turcs, & autres chofes femblables, ne peut venir en l'efprit à ceux qui, fuiuans l'ordre de ces Méditations, mettront à part pour quelque temps toutes les chofes qu'ils ont aprifes des fens, pour prendre garde à ce que dicle la plus pure & plus faine raifon, c'eft pourquoy ie penfois auoir des-ja rejette toutes ces chofes), encore, dis-je, que cela foit, ie iuge neantmoins que ces objections feront fort vtiles à mon dcifein, d'autant que ie ne me promets pas d'auoir

�� � «54-'56. Secondes Réponses. 121

beaucoup de lefteurs qui veuillent aporter tant d'attention aux chofes que i'ay efcrites, qu'eftant paruenus à la fin, ils fe reflbuuien- nent de tout ce qu'ils auront leu auparauant; & ceux qui ne le I feront pas, tomberont aifément en des difficuhez, aufquelles ils 200 verront, puis aprez, | que i'auray fatisfait par cette réponfe, ou du moins ils prendront de là occafion d'examiner plus foigneufement la vérité.

Pour ce qui regarde le confeil que vous me donnez, de difpofer mes raifons félon la méthode des Géomètres, afin que tout d'vn coup les ledeurs les puiffent comprendre, ie vous diray icy en quelle façon i'ay des-ja taché cy-deuant de la fuiure, & comment i'y taf- cheray encore cy-aprés ^

Dans la façon d'écrire des Géomètres, ie diftingue deux chofes, à fçauoir l'ordre, & la manière de démontrer.

L'ordre confifte en cela feulement, que les chofes qui font pro- polées les premières doiuent eftre connues fans l'aide des fuiuantes, & que les fuiuantes doiuent après eflre difpofées de telle façon, qu'elles foient démontrées par les feules chofes qui les précèdent. Et certainement i'ay taché, autant que i'ay pu, de fuiure cet ordre en mes Méditations. Et c'eft ce qui a fait que ie n'ay pas traité, dans la féconde, de la diflindion de l'efprit d'auec le corps, mais feulement dans la fixiéme, & que i'ay obmis de parler de beaucoup de chofes dans tout ce traité , parce qu'elles prefupofoient l'explication de plufieurs autres.

La manière de démontrer efl double : l'vne fe fait par l'analyf'î ou refolution, & l'autre par la fynthefe ou compofition.

L'analyfe montre la vraye voye par laquelle vne chofe a efté métho- diquement inuentée, & fait voir | comment les effets dépendent des 2O1 caufes; en forte que, fi le ledeur la veut fuiure, & jetter les yeux foigneufement fur tout ce qu'elle contient, il n'entendra pas moins parfaitement la chofe ainfi démontrée, & ne la rendra pas moins fienne, que fi luy-mefme l'auoit inuentée.

Mais cette forte de demonftration n'eft pas propre à conuaincre les Icdeurs opiniafires ou peu attentifs : | car fi on lailfe échaper, fans y prendre garde, la moindre des chofes qu'elle propofe, la neceflTité de fes conclufions ne paroiftra point ; & on n'a pas coutume d'y ex- primer fort amplement les chofes qui font alfez claires de foy-mefme, bien que ce foit ordinairement celles aufquelles il faut le plus prendre garde.

a. Non à la ligne (;>■<: édit.).

Œuvres. IV. l6

�� � 122 OEuVRES DE DeSCARTES. iSÔ-iSy.

La fynthele, au contraire, par vne voye toute autre, & comme en examinant les caufes par leurs effets (bien que la preuue qu'elle contient foit fouuent auffi des effets par les caufes), démontre à la vérité clairement ce qui eft contenu en fes conclufions, & fe fert d'vne longue fuite de définitions, de demandes, d'axiomes, de théorèmes & de problèmes, afin que, fi on luy nie quelques confequences, elle face voir comment elles font contenues dans les antecedens, & qu'elle arrache le confentement du le6leur, tant obfliné & opi- niaftre qu'il puiffe eftre ; mais elle ne donne pas, comme l'autre, vne entière fatisfadion aux efprits de ceux qui défirent d'aprendre, parce qu'elle n'enfeigne pas la méthode par laquelle la choie a efté inuentée. 202 I Les anciens Géomètres auoient coutume de fe feruir feulement de cette fynthele dans leurs écrits, non qu'ils ignoraffent entière- ment l'analyfe, mais, à mon auis, parce qu'ils en faifoient tant d'état, qu'ils la referuoient pour eux feuls, comme vn fecret d'im- portance.

Pour moy, i'ay fuiuy feulement la voye analytique dans mes Mé- ditations, pource qu'elle me femble eftre la plus vraye, & la plus propre pour enfeigner ; mais, quant à la fynthefe, laquelle fans doute eft celle que vous defirez icy de moy, encore que, touchant les chofes qui fe traitent en la Géométrie, elle puiffe vtilement eftre mife après l'analyfe, elle ne conuient pas toutesfois fi bien aux ma- tières qui apartiennent à la Metaphyfique. Car il y a cette diffé- rence, que les premières notions qui font fupofées pour démontrer les propofitions Géométriques, ayant de la conuenance auec les fens, font receuës facilement d'vn chacun; c'eft pourquoy il n'y a point là de difficulté, finon à | bien tirer les confequences, ce qui fe peut faire par toutes fortes de perfonnes, mefme par les moins attentiues, pourueu feulement qu'elles fe rcffouuiennent des chofes précédentes ; & on les oblige aifément à s'en fouuenir, en diftin- guant autant de diuerfes propofitions qu'il y a de chofes à remarquer dans la difficulté propoiee, afin qu'elles s'arreftent feparement fur chacune, & qu'on les leur puiffe citer par après, pour les auertir de celles aufquelles elles doiuent penfer. Mais au contraire, touchant les quejftions qui apartiennent à la Metaphyfique, la principale dif- ficulté cil de conceuoir clairement & dillindement les premières notions. Car, encore que de leur nature elles ne foient pas moins claires, & mefme que fouuent elles foient plus claires que celles qui font confiderées par les Géomètres, neantmoins, d'autant qu'elles femblent ne s'accorder pas auec plufieurs préjugez que nous

��203

�� � ■ 57. Secondes Réponses.

��125

��auons receus par les fens, & aufquels nous fommes acoutumez dés noftre enfance, elles ne font parfaitement comprifes que par ceux qui font fort attentifs & qui s'étudient à détacher, autant qu'ils peuuent, leur efpritdu commerce des fens; c'ell pourquoy, fi on les propofoit toutes feules, elles feroient aifement niées par ceux qui ont l'efprit porté à la contradiftion.

Ce qui a eflé la caufe pourquoj' i'a}' plutofl écrit des Méditations que des difputes ou des queftions, comme font les Philofophes, ou bien des théorèmes ou des problèmes, comme les Géomètres, afin de témoigner par là que ie n'ay écrit que pour ceux qui fe voudront donner la peine de méditer auec moy ferieufement & confiderer les chofes auec attention. Car, de cela mefme que quelqu'vxi le prépare pour impugner la vérité, il le rend moins propre à la comprendre, d'autant qu'il détourne Ion efprit de la confideration des raifons qui la perfuadent, pour l'apliquer à la recherche de celles qui la détruifent".

Mais neantmoins, pour témoigner combien ie défère ii vollrc confeil, ie tacheray icy d'imiter la fyn|thelc des Géomètres, & y 204 feray vn abrégé des principales raifons dont i'a}' vl'é pour démontrer l'exiflencc de Dieu, & la difiinclion qui ell entre l'efprit & le corps humain : ce qui ne feruira pcut-eilre pas peu pour foulager l'atten- tion des Led:eurs.

a. La fin des Réponses aux 2" Oojeciions en kiiin, p. 1 5;, 1. 27, à p. i 59. 1. 22, de cette édition ne figure pas dans la traduction française. Elle est remplacée par le court alinéa, que nous donnons ici pour terminer.

�� � 205 RAISONS

��QVI PROVVKNT

L'EXISTENCE DE DIEV

c<. LA DISTINCTION QVI EST ENTRE L'ESPRIT

(Se LE CORPS HVMAIN,

DISPOSÉES d'vNE façon GEOMETRIQUE

��Dejitiitious.

I. Par le nom de peu/ce, ic comprcns tout ce qui efl tellement en nous, que nous en Tommes immédiatement connoill'ans. Ainfi toutes les opérations de la volonté, de l'entendement, de l'imagination & des Fens, t'ont des pent'ées. Mais i'ay adjoulté immedialcmeul, pour exclure leg chofes qui i'uiuent ^ dépendent de nos penfées : par exemple, le mouuement volontaire a bien, à la vérité, la volonté pour ton principe, mais luy-mcfme neantmoins n'ed pas vne penfée.

II. Par le nom d'idce, i'entcns cette forme de chacune de nos penfées, par la perception immédiate de laquelle nous auons con- noill'ance de ces mefmes penfées. En telle forte que ie ne puis rien

200 exprimer par | des paroles, lorfque i'entens ce que ie dis, que de cela mefme il ne foit certain que i'ay en moy l'idée de la chofe qui efl iignifiée par itte% paroles. Et ainfi ie n'apelle pas du nom d'idée les feules images qui font dépeintes en la fantaifie; au contraire, ic ne les appelle point icy de ce nom, en tant qu'elles font en la fan- tailie I corporelle, c'eit à dire en tant qu'elles font dépeintes en quelques parties du cerueau, mais feulement en tant qu'elles in- forment l'el'prit mefme, qui s'aplique à cette partie du cerueau.

III. Par la i-ealilé objeâiue d'i'ne idée, i'entens l'entité ou l'eftre de la chofe reprefentée par l'idée, en tant que cette entité eil dans l'idée ; & de la mefme façon, on peut dire vne perfeclion objediue, ou vn artifice objectif, &c. Car tout ce que nous conceuons comme citant dans les objets des idées, tout cela ell objefliuement, ou par reprcfentation, dans les idées mefmes.

�� � i6i-i62. Secondes Réponses. 125

IV. Les mefmes chofes font dites eftre formellement dans les objets des idées, quand elles font en eux telles que nous les conce- uons ; & elles font dites y eflre éminemment, quand elles n'y font pas à la vérité telles, mais qu'elles font fi grandes qu'elles peuuent fupléer à ce défaut par leur excellence.

V. Toute chofe dans laquelle refide immédiatement comme dans fon fujet, ou par laquelle exifte quelque chofe que nous conceuons, c'eit à dire quelque propriété, qualité, ou attribut, dont nous auons

en nous vne réelle idée, s'appelle Subjiance. Car nous | n'auons point 207 d'autre idée de la fubflance precifément prife, finon qu'elle eft vne chofe dans laquelle exifte formellement, ou éminemment, ce que nous conceuons, ou ce qui eft objeftiuement dans quelqu'vne de nos idées, d'autant que la lumière naturelle nous enfeigne que le néant ne peut auoir aucun attribut réel.

VI. La fubftance, dans laquelle refide immédiatement la penfée, eft icy apellée Efprit. Et toutesfois ce nom eft équiuoque, en ce qu'on l'attribue aufli quelquesfois au vent & aux liqueurs fort fub- tiles; mais ie n'en fçache point de plus propre.

VII. La fubftance, qui eft le fujet immédiat de l'extenfion & des accidens qui prefupofent l'extenfion, comme de la figure, de la litua- tion, du mouuement local, &c., |s'apelle Corps. Mais defçauoir fi la fubftance qui eft apellée Efprit eft la mefme que celle que nous apc- lons Corps, ou bien fi elles font deux fubftances diuerfes & fepa- rées, c'eft ce qui fera examiné cy-aprés.

VIII. La fubftance que nous entendons eftre fouuerainement par- faite, & dans laquelle nous ne conceuons rien qui enferme quelque défaut, ou limitation de perfection, s'apelle Dieu.

IX. Quand nous difons que quelque attribut eft contenu dans la nature ou dans le concept d'vne chofe, c'eft de mefme que fi nous difions que cet attribut eft vray de cette chofe, & qu'on peut alfurer qu'il eft en elle.

X. Deux fubftances font dites eftre diftinguées réellement, quand chacune d'elles peut exifter fans l'autre.

I Demandes. 208

le à^md^nàz, premièrement, que les Lecteurs confiderent combien foibles font les raifons qui leur ont fait iniques icy adjoufter foy à leurs fens, & combien font incertains tous les iugemens qu'ils ont depuis apuyez fur eux; &. qu'ils repalTent fi long temps & li fouuent cette confideration en leur efprit, qu'enfin ils acquièrent l'habitude

�� � 120 OEuvREs DE Descartes. 162-16?.

de ne le plus confier fi fort en leurs fens ; car i'eftime que cela eft neceffiiire pour fe rendre capable de connoiftre la vérité des chofes Metaphyfiques, lefquelles ne dépendent point des fens.

En fécond lieu, ie demande qu'ils confiderent leur propre efprit, & tous ceux de fes attributs dont ils reconnoiflront ne pouuoir en aucune façon douter, encore mefme qu'ils lupofaffent que tout ce qu'ils ont iamais receu par les fens fuit entièrement faux; & qu'ils ne ceffent point de le confiderer, que premièrement ils n'ayent ac- quis l'vfage de le conceuoir diftindement, & de croire qu'il efl plus aifé à connoiftre que toutes les chofes corporelles.

En troifiéme lieu, qu'ils examinent diligemment les propofitions qui n'ont pas befoin de preuue pour eftre connues, & dont chacun trouue les notions en foy-mefme, comme font celles-cy : qu'vne mefme chofe ne peut pas eftre{<S- n'efîre point tout enfemble ; que le

209 rien ne peut pas ejlre la caufe efficiente d'aucune chofe, & | autres femblables ; & qu'ainfi ils exercent cette clairté de l'entendement qui leur a efté donnée par la nature, mais que les perceptions des fens ont accoutumé de troubler & d'obfcurcir, qu'ils l'exercent, dis-je, toute pure & deliurée de leurs préjugez ; car par ce moyen la vérité des axiomes fuiuans leur fera fort euidente.

En quatrième lieu, qu'ils examinent les idées de ces natures, qui contiennent en elles vn affemblage de plufieurs attributs enfemble, comme eft la nature du triangle, celle du quarré ou de quelque autre figure; comme auffi la nature de Tefprit, la nature du corps, & par delTus toutes, la nature de Dieu ou d'vn eftre fouuerainement parfait. Et qu'ils prennent garde qu'on peut afTurer auec vérité, que toutes ces chofes-là font en elles, que nous conceuons clairement y eftre contenues. Par exemple, parce que, dans la nature du triangle reftiligne, il eft contenu que les trois angles font égaux à deux droits, & que dans la nature du corps ou d'vne choie étendui; la diuifibilité y eft comprife (car nous ne conceuons point de chofe étendue fi petite, que nous ne la puiflions diuifer, au moins par la penfée), il eft vray de dire que les trois angles de tout triangle reifti- li^ne font égaux à deux droits, & que tout corps eft diuifible.

En cinquième lieu, ie demande qu'ils s'arreftent long-temps à con- templer la nature de Teftre fouuerainement parfait; &, entr'autres chofes, qu'ils confiderent que, dans les idées de toutes les autres

210 natures, | l'exiftence pofllble fe trouue bien contenue, mais que, dans l'idée de Dieu, non feulement l'exiftence polfible y eft contenue, mais de plus la necelfaire. Car, de cela feul, & lans aucun raifonnement, ils connoiftront que Dieu cxiUc ; &. il ne leur fera pas moins clair &

�� � i63-i65. Secondes Réponses. 127

euident, fans autre preuue, qu'il leur eft manifefle | que deux eft vn nombre pair, & que trois eft vn nombre impair, & choies lem- blables. Car il y a des chofes qui font ainfi connues fans preuues par quelques-vns, que d'autres n'entendent que par vn long dif- cours & raifonnement.

En Jixiéme lieu, que, confiderant auec loin tous les exemples d'vne claire & diftinde perception, & tous ceux dont la perception eft obfcure & confufe, defquels i'ay parlé dans mes Méditations, ils s'accoutument à diftinguer les chofes qui font clairement connues, de celles qui font obfcures ; car cela s'aprend mieux par des exemples que par des règles, & ie penfe qu'on n'en peut donner aucun exemple, dont ie n'aye touché quelque chofe.

En feptiéme lieu, ie demande que les ledeurs, prenans garde qu'ils n'ont iamais reconnu aucune faufl'eté dans les chofes qu'ils ont clairement conceuës, & qu'au contraire ils n'ont iamais ren- contré, fmon par hazard, aucune vérité dans les choies qu'ils n'ont conceuës qu'auec obfcurité, ils confiderent que ce feroit vne chofe entièrement déraifonnable, fi, pour quelques préjugez des fens, ou pour quelques fupofitions faites à plaifir, & fondées fur quelque cho|fe d'obfcur & d'inconnu, ils reuoquoient en doute les chofes 211 que l'entendement conçoit clairement & diftindement. Au moyen de quoy ils adinettront facilement les Axiomes iuiuans pour vrays & indubitables, bien que j'auouë que plufieurs d'entr'eux euifent pu eftre mieux expliquez, & eufl'ent deu eftre plutoft propofez comme des théorèmes que comme des axiomes, fi i'euffe voulu eftre plus exad.

Axiomes ou Notions communes.

I. Il n'y a aucune chofe exiftante de laquelle on ne puiffe deman- der quelle eft la caufe pourquoy elle exifte. Car cela mefme fe peut demander de Dieu ;| non qu'il ait befoin d'aucune caule pourexif- ter, mais parce que l'immenfité mefme de fa nature eft la caufe ou la raifon pour laquelle il n'a befoin d'aucune caufe pour exifter.

IL Le temps prefent ne dépend point de celuy qui l'a immé- diatement précédé ; c'eft pourquoy il n'eft pas befoin d'vne moindre caufe pour conferuer vne chofe, que pour la produire la première fois.

III. Aucune chofe, ny aucune perfedion de cette chofe aduclle- mcnt exiftante, ne peut auoir le Néant, ou vne chofe non exiftante, pour la caufe de Ion exiftence.

�� � 128 Œuvres de Descartes. iôs-iôg.

212 |IV. Toute la realité ou perfection qui eft dans vne chofe fe ren- contre formellement, ou éminemment, dans fa caufe première & totale.

V. D'où il fuit aufli que la realité objediue de nos idées re- quiert vne caufe, dans laquelle cette mefme realité foit contenue, non feulement objediuement, mais mefme formellement, ou émi- nemment. Et il faut remarquer que cet Axiome doit fi neceffaire- ment eftre admis, que de luy feul dépend la connoiffance de toutes les chofes, tant fenfibles qu'infenfibles. Car d'où fçauons-nous, par exemple, que le Ciel exifte ? Eit-ce parce que nous le voyons ? Mais cette vifion ne touche point l'efprit, finon en tant qu'elle eft vne idée : vne idée, dis-je, inhérente en l'el'prit mefme, & non pas vne image dépeinte en la fantaifie ; &, à l'occafion de cette idée, nous ne pouuons pas iuger que le ciel exifte, fi ce n'eft que nous fupofions que toute idée doit auoir vne caufe de fa realité objediue, qui foit réellement exiftenie; laquelle caufe nous iugeons que c'eft le ciel mefme, & ainfi des autres.

VI. Il y a diuers degrez de realité ou d'entité : car la fubftance a plus de realité que l'accident ou le mode, & la fubftance infinie que la finie. C'eft pourquoy auffi il y a plus de realité objediue dans l'idée de la fubftance | que dans celle de l'accident, & dans l'idée de la fubftance infinie que dans l'idée de la fubftance finie.

213 VII. La volonté fe porte volontairement, & libre|ment (car cela eft de fon effence), mais neantmoins infailliblement, au bien qui luy eft clairement connu. C'eft pourquoy, fi elle vient à connoiftre quelques perfections qu'elle n'ait pas, elle fe les donnera auflltoft, fi elles font en fa puifl'ance ; car elle connoiftra que ce luy eft vn plus grand bien de les auoir, que de ne les auoir pas.

VIII. Ce qui peut faire le plus, ou le plus difficile, peut auffi faire le moins, ou le plus aifé.

IX. C'eft vne chofe plus grande & plus difficile de créer ou conferuer vne fubftance, que de créer ou conferuer fes attributs ou proprietez ; mais ce n'eft pas vne chofe plus grande, ou plus difficile, de créer vne chofe que de la conferuer, ainfi qu'il a des-ja efté dit.

X. Dans l'idée ou le concept de chaque chofe, l'exiftence y eft contenue, parce que nous ne pouuons rien conceuoir que fous la forme d'vne chofe qui exifte ; mais auec cette différence que, dans le concept d'vne chofe limitée, l'exiftence poffible ou contingente eft feulement contenue, & dans le concept d'vn eftre fouueraine- ment parfait, la parfaite & neccliaire y eft comprife.

�� � 166.167. Secondes Réponses. i 29

��I Proposition première. 2i4

L'exirtence de Dieu fe connoift de la feule confideration de fa nature.

Démonjîralion.

Dire que quelque attribut eft contenu dans la nature ou dans le concept d'vne choie, c'elt le mefme que de dire que cet attribut eft vray de cette chofe, & qu'on peut all'urer qu'il eil en elle (par la définition neufiéme).

Or eft-il que l'exiftence neceffaire | eil contenue dans la nature ou dans le concept de Dieu (par l'axiome dixième).

Doncques il eft vray de dire que l'exiftence necelfaire eft en Dieu, ou bien que Dieu exifte.

Et ce fyllogifme eft le mel'me dont ie me fuis feruy en ma réponfe au fixiéme article de ces objedions; & fa conclufion peut eftre con- nue fans preuue par ceux qui font libres de tous préjugez, comme il a efté dit en la cinquième demande. Mais parce qu'il n'eft pas aifé de paruenir à vne fi grande clairté d'efprit, nous tafcherons de prouuer la mefme chofe par d'autres voyes.

��I Proposition seconde.

L'exiftence de Dieu eft démontrée par fes effets, de cela feul que l'on idée eft en nous,

Démonjl ration.

La realité objediue de chacune de nos idées requiert vne caufe dans laquelle cette mefme realité foit contenue, non pas objediue- ment, mais formellement ou éminemment (par l'axiome cinquième).

Or eft-il que nous auons en nous l'idée de Dieu (parla définition deuxième & huitième), & que la réalité objediue de cette idée n'ell point contenuif en nous, ny formellement, ny éminemment (par l'axiome fixiéme), & qu'elle ne peut eftre contenue dans aucun autre que dans Dieu mefme (par la définition huitième).

Doncques cette idée de Dieu, qui eft en nous, demande Dieu pour fa caufe : i!s; par conlequent Dieu exifte (par l'axiome troiliéme . Œuvres. IV. 17

�� � i^o Œuvres de Descartes. 168-169.

��216 II Proposition TROISIEME.

L'exiftence de Dieu eft encore démontrée de ce que nous-mefmes, q^ui auons en nous ion idée, nous exilions.

Démonji ration.

Si i'auois la puillance de me conlcruer moy-melme, i'aurois auffi, à plus forte raitbn, le pouuoir de me donner toutes les per- fedions qui me manquent (par l'axiome 8 & 9); car ces perfections ne font que des attributs de la fubftance, & moy ie fuis vne fub- Itance.

Mais ie n'ay pas la puiHancc de me donner toutes ces perfedions ; car autrement ie les poffederois des-ja (par l'axiome 7).

Doncques ie n'ay pas la puillance de me conferuer moy-mefme.

En après, ie ne puis cxiller fans eltre conferué tant que i'exiite, Ibit par moymcfme, fupofé que l'en aye le pouuoir, foit- par vn autre qui ait cette puilfance (par l'axiome i &. 2).

Or elt-il que l'exilk, & toutesfois ie n'ay pas la puillance de me conferuer moy-melme, comme ie viens de prouuer.

Doncques ie fuis conferué par vn autre.

De plus, celuy par qui ie fuis conferué a en foy formellement, ou éminemment, tout ce qui ell en moy (par l'axiome 4).

217 |Or ell-il que i"ay en moy l'idée ou la notion de plulieurs per- fedions qui me manquent, 6c enlemble l'idée d'vn Dieu (par la défi- nition 2 & 81.

Doncques la notion de ces mefmes perfedions ell aulli en celuy par qui ie fuis conferué.

Enfin, celuy-là mefme par qui ie fuis conferué ne peut auoir la notion d'aucunes perfections qui luy manquent, c'e(l-à-dire qu'il n'ait point en foy formellement, ou e mi ne m ment (par l'axiome 7); car, ayant la puillance de me conferuer, comme il a edé dit main- tenant, il auroit à plus forte raifon le pouuoir de le les donner lu\- mefme, s'il ne les auoit pas | (par l'axiome 8 «S: i|i.

( )r ell-il qu'il a la notion de toutes les perfections que ic reconnois me manquer, (S: que ie conçoy ne pouuoir ellrc qu'en Dieu feul, comme ic viens de prouuer.

Doncques il les a des-ja toutes en lb\ formellement, ou éminem- ment ; «S. ainli il ell Dieu.

�� � 169-170. Secondes Réponses. i^i

��Corollaire.

Dieu a créé le Ciel & la Terre, & tout ce qui y eft contenu, & outre cela, il peut faire toutes les choies que nous conceuoni, clairement, en la manière que nous les conceuons.

Démonjlratîon.

Toutes ces chofes luiuent clairement de la propofition précé- dente. Car nous y auons prouué.l'exiftence de Dieu, parce qu'il eft necelTaire qu'il | yait vn eftre qui exille, dans lequel toutes les per- 218 feétions, dont il y a en nous quelque idée, l'oient contenues formel- lement, ou éminemment.

Or eft-il que nous auons en nous l'idée d'vne puillance fi grande, que, par celuy-là feut en qui elle fe retrouue, non feulement le Ciel & la Terre, &c., doiuent auoir eflé créez, mais auffi toutes les autres chofes que nous connoiffons comme poflibles.

Doncques, en prouuant l'exiftence de Dieu, nous auons auffi prouué de luy toutes ces chofes.

��Proposition quatrième. L'Efprit & le Corps font réellement diflinds.

Dévionjlration.

Tout ce que nous conceuons clairement peut eflre fait par Dieu en la manière que nous le conceuons (par le corollaire pré- cèdent).

Mais I nous conceuons clairement l'efprit, c'ert à dire vne fub- llance qui penfe, fans le corps, c'ell à dire fans vne fubftance étendue (par la demande 2) ; & d'autre part nous conceuons auffi clairement le corps fans l'efprit (ainfi que chacun accorde facile- ment).

Doncques, au moins par la toute-puilTance de Dieu, l'efprit peut efire fans le corps, & le corps fans l'efprit.

Maintenant les fubitances qui peuuent eftre l'vne | fans l'autre font 213 réellement dilfindes (par la définition 10).

�� � 1^2 Œuvres de Descartes. >7o.

Or ell-il que l'efprit & le corps font des fubftances (par les défi- nitions 5, 6 & 7), qui peuuent eftre l'vne fans l'autre (comme ie le viens de prouuer).

Doncques l'efprit & le corps font réellement diflinds.

Et il faut remarquer que ie me fuis icy feru} de la toute-puiffance de Dieu pour en tirer ma preuue ; non qu'il foit befoin de quelque puilfance extraordinaire pour feparer l'efprit d'auec le corps, mais pource que, n'ayant traité que de Dieu feul dans les propofitions précédentes, ie ne la pouuois tirer d'ailleurs que de luy. Et il n'im- porte aucunement par quelle puiffance deux chofes foient feparées, pour que nous connoiflions qu'elles font réellement diftindes.

�� � |i TROISIÈMES OBIECTIONS

faites par vn célèbre Philolophc Anglois,

AVEC LES RÉPONSES DE l'aUTEUR.

��220

��OBIECTION PREMIERE.

Il paroi/} ajje:^, par les cliofes qui ont ejlé dites dans celte Médi- tation, qu'il n'y a point de marque certaine & euidente, par laquelle nous puijjions reconnoijtre & dijlinguer nos fanges de la veille & d'vne rraj-e perception des J'eus ; €■ parlant, que les images des chofes que nous l'entons e/lant éueille-, ne font point des accidens altache\ à des objets extérieurs, £■ qu'elles ne font point des prennes fujîfantes pour monjtrer que ces objets extérieurs exijlent en effeâ. C'ejî pour- quoj- \Jî, fans nous aider d'aucun autre raifonnement, nous fiiiuons feulement nos fens, nous auons iufte fujet de douter fi quelque choj'e exifte ou non. Nous reconnoiffons donc la vérité de cette Méditation. Mais d'autant que Platon a parlé de cette incertitude des chofes fen- fibles, 6'- plufteurs autres anciens Philofophes auant & après luy, & qu'il ejî aifé de remarquer la difficulté qu'il y a de difcerner la veille du fommeil, i'eujfe voulu que cet excellent auteur de nouuelles fpecu- lalions fc fuji ab/lenu de publier des chojesfi vieilles.

��Sur la Première Méditation.

Des chofes

qui peuucnt ejlre

révoquées en doute.

��221

��RÉPONSE.

Les railons de douter qui font icy leceuës pour vrayes par ce Fhilofophe, n'ont eilé propofées par moy que comme vray-lem- blables; & ie m'en fuis feruy, non pour les débiter comme nou- uelles, mais en partie pour préparer les efprits des Ledeurs|à confi- derer les chofes intellectuelles, & les diitinguer des corporelles, à quoy elles m'ont toufiours femblé tres-neceflaires; en partie pour y répondre dans les Méditations fuiuantes; & en partie aulTi pour faire voir combien les veritez que ie propofe enfuite font fermes & alfurées, puifqu'elles ne peuuent e(tre ébranlées par des doutes fi généraux & fi extraordinaires. Et ce n'a point eflé pour acquérir de

�� � H

��OEuvRES DE Descartes.

��172-173.

��la gloire que ie les ay raportées, mais ie penle n'auoir pas c(lé moins obligé de les expliquer, qu'vn Médecin de décrire la maladie dont il a entrepris d'enfeigner la cure.

��222

��\ OBJECTION SECONDE.

��Sur la Seconde Méditation.

De la nature de l'efpn't humain.

��223

��le fuis vne chofe qui penfe. C'ejl fort bien dit ; car, de ce que ie penje, ou de ce que i'aj- vne idée, foit en reillant,foii en dormant, l'on infère que ie fuis penfant : car ces deux cliofes, le penfe & ie fuis peni'ant, fgnifeut la niefme chofe. De ce que ie fuis penfant, il s'enfuit que ie (ms, parce que ce qui penfe n'ejl pas vn rien. Mais oii nojlre auteur adjoujle : c'eft à dire vn efprit, vne ame, vn entendement, vne raifon, de là naijl vn doute. Car ce raifonnement ne me femble pas bien déduit, de dire : ie fuis penfant, donc ie fuis vne penfée ; ou bien ie fuis intelligent, donc ie fuis vn entendement. Carde la mefme façon ie pourois dire : ie fuis promenant, donc ie fuis vne prome- nade. Monfieur des Cartes donc prend la chofe intelligente & l'intel- leélion, qui en ejl l'aâe,pour vne mefme chofe; ou du moins il dit que c'ejl le mefme que la chofe qui entend & l'entendement, qui ejl vne puijfance ou faculté d'vne chofe intelligente. Neantmoins tous les Phi- lofophes diflinguent le fujet de fes facultei & defes aâes, c'eft à dire de fes propriele\& .ie fes\effences; car c ejl autre chofe que la chofe mefme qui ell, & autre chofe que [on eflence. // fe peut donc faire qu'vne chofe qui penfe \ foit le fujet de l'efprit, de la raifon, ou de l'entendement, & partant, que ce foit quelque chofe de corporel, dont le contraire ejl pris, ou auancé, & n'ejl pas prouué. Et neantmoins c'ejl en cela que confifte le fondement de la conclujîon qu'il J'emble que Monjieur Des-Cartes l'eiiille ejlablir.

Au mefme endroit il dit : l'ay reconnu que i'exilte, ie cherche maintenant qui ie fuis, moy que i'ay reconnu eftre. Or il ell très- certain que cette notion & connoiffance de moy-mefme, ainfi preci- fément prife, ne dépend point des chofes dont l'exilknce ne m'eil pas encore connue.

Il ejl très-certain que la connoiffance de cette propofition : i'exille, dépend de celle-cf : ie penfe, comme il nous a fort bien enfeigné. Mais d'oii nous vient la connoiffance de celle-cy : ie penfe ? Certes, ce n'efi point d'autre chofe, que de ce que nous ne pouuons conceuoir aucun acte fans fou fujet, comme la penjee J'ans vne choj'e qui penfe, lafciencefans vne ch(fe qui f cache, & la promenade fans vne chofe qui fe promené.

�� � '73-174. TrioisiLiMEs Objections. i}^

El de là il fcmbk'fiiiure, qu'ruc choJ'L' qui pciifc cji quelque cho/'e de corporel; ecii- les fiijels de lous les aâes Je)nbleul eflre feulejneul en- tendus fous rue rai/ou corporelle, ou fous l'ue )\iif(>u de matière. comme il a luj--mefme muulré ru peu api-es par l'exemple de la cire, laquelle, quoy que fa couleur, fa dureté, fa Jigiire, & tous fes autres actes fûieul cliaui,e-;, e/l toufiours couceui' ejlre la mej'me cJiofe, c'ejl à dire la iiiefme matière fujette à lous ces cliauli^-emeiis. Or ce u'ejl pas 224 par rue autre peiifée qu'on infère que ie penfe; car, encore que quelqu'rn piiiffe peufer qu'il a penfé (laquelle penfce n'e/i rien autre cliofe qu'iii fouuenir), neantmoins il eft tout à fait impofjible de penfer qu'on penfe, uj' de fçauoir qu'on fçait ; car ce feroit me inlerroi^ation qui ne Jîni- roit iamais : d'oii fçûue';-7'0iis que l'cnis fçaue- que mus fçaue\ que vous fcaue\, &c.?

Et partant, puifque la connoiffance de cette propofition : l'exille,^ dépend de la connoiffance de celle-cj- : le penfe; £■ la connoiffance de celle-cy, de ce que nous ne pouuons fep>arer la penfée d'rne matière qui penfe ;\ il femble qu'on doit plutq/i inférer qu'vne cliofe qui penfe efl matérielle, qu'immatérielle.

��Réponse.

Où i'ay dit : c'cft à dire m efprit, ime ame, ini entendement, me raifou, &c., ie n'ay point entendu par ces noms les feules facultez, mais les chofes douées de la faculté de penfer, comme par les deux premiers on a coutume d'entendre, & alfez fouuent aulli par les deux derniers : ce que i'ay fi fouuent expliqué, &en termes fi exprés, que ie ne voy pas qu'il y ait eu lieu d'en douter.

Et il n'y a point icy de raport ou de conuenance entre la prome- nade & la penfée, parce que la promenade n'elf iamais prifc autre- ment que pour l'adion mefme ; mais la penfée fe prend quelquesfois pour I l'aétion, quelquesfois pour la faculté, & quelquesfois pour la 225 chofe en laquelle refide cette faculté.

Et ie ne dis pas que l'intelledion iv: la chofe qui entend foient vne mefme chofe, non pas mefme la chofe qui entend & l'entendement, fi l'entendement eil pris pour vne faculté, mais feulement lorfqu'il ell pris pour la chofe mefme qui entend. Or i'auouë franchement que, pour fignifier vne chofe ou vne fubltance, laquelle ie voulois dépouiller de toutes les chofes qui ne luy apartiennent point, ie me fuis ieruy de termes autant fimples & abllraits que i'ay pu, comme au contraire ce Philofophe, pour fignifier la mefme fubfiance, en

�� � ,,6

��Œuvres de Descartes. «74- '76.

��employé d'autres fort concrets & compofez, à fçauoir ceux de fujet, de matière è^c de corps, afin d'empefcher, autant qu'il peut, qu'on ne puilïe leparer la penfée d'auec le corps. Et ie ne crains pas que la façon dont il le l'ert; qui ell de joindre ainfi plufieurs chofes en- l'emble, Ibit trouuée plus propre pour paruenir à la connoiflance de la vérité, qu'eil la mienne, par laquelle ie diitingue, autant que ie puis, chaque chofe. Mais ne nous arrêtons pas dauantage aux pa- roles, venons à la chofe dont il ert queltion.

\Ilfe peut faire, dit-il, qu'rne chofe qui peiife fait quelque chofe de corporel, dont le contraire e/l pris & n'efl pas prouué. Tant s'en faut. le n'ay point auancé le contraire, & ne m'en fuis en façon quelconque ferui pour fondement, mais ie l'ay laiffé entièrement indéterminé iufqu'à la lixiéme Méditation, dans laquelle il ei\ prouué.

826 I En après, il dit fort bien que nous ne pouuons conceuoir aucun aâe fans fon fujet, comme la penfée fans v.ne ciiofe qui penfe, parce que la chofe qui penfe n'ejl pas vn rien; mais c'eft fans aucune raifon, & contre toute bonne Logique, & mefme contre la façon ordinaire de parler, qu'il adioute que de là il fumble fuiure qu'rne chofe qui penfe, cfl quelque chofe de corporel; car les fuiets de tous les actes font bien à la vérité entendus comme elUns des fubllances (ou, fi vous voulez, comme des matières, à fçauoir des matières metaphy- fiques), mais non pas pour cela comme des corps.

Au contraire, tous les Logiciens, & prefque tout le monde auec eux, ont coutume de dire qu'entre les fubltanccs les vues font fpiri- tuelles, & les autres corporelles. Et ie n'ay prouué autre chofe par l'exemple de la cire, finon que la couleur, la dureté, la figure, &c., n'appartiennent point à la raifon formelle de la cire; c'elt à dire qu'on peut conceuoir tout ce qui le trouue necelïairement dans la cire, fans auoir belbin pour cela de penfer à elles. le n'ay point auin parlé en ce lieu-là de la raifon formelle de l'efprit, ny mefmc de celle du corps.

Et il ne fert de rien de dire, comme fait icy ce philofophe, qu'vne penfée ne peut pas eltre le fujet d'vne autre penfée. Car qui a iamais feint cela que luy? Mais ie tacheray icy d'expliquer toute la chofe dont il elt queilion en peu de paroles.

227 II ert certain que la penfée ne peut pas eltre fans | vne chofe qui penfe, & en gênerai aucun accident ou aucun ade ne peut eltre fans vne fubitance|de laquelle il foit l'ade. Mais, d'autant que nous ne connoilTons pas la fubrtance immédiatement par elle-mefme, mais feulement parce qu'elle ell le l'uiet de quelques actes, il elt fort con-

�� � 176-177. Troisièmes Objections. ijj

uenable à la raifon, & l'vfage mefme le requiert, que nous apelions de diuers noms ces fubilances que nous connoilTons eftre les fuiets de plufieurs ades ou accidens entièrement differens, & qu'après cela nous examinions fi ces diuers noms fignifient des chofes diffé- rentes, ou vne feule & mefme choie.

Or il y a certains attes que noys apelons corporels, comme la grandeur, la figure, le mouuement, & toutes les autres chofes qui ne peuuent eftre conceuës fans vne extenfion locale, & nous apelons du nom de corps la fubftance en laquelle ils refident ; & on ne peut pas feindre que ce foit vne autre fubftance qui foit le fujet de la figure, vne autre qui foit le fujet du mouuement local, &c., parce que tous ces ades conuiennent entr'eux, en ce qu'ils préfupofent l'eftenduë. En aprez, il y a d'autres actes que nous apelons intellccluels, comme entendre, vouloir, imaginer, fentir, &c., tous lefquels conuiennent entr'eux en ce qu'ils ne peuuent eftre fans penfée, ou perception, ou confcience & connoiffance ; & la fubftance en laquelle ils re- fident, nous difons que c'eft vne cliofe qui peujc, ou vu efprit, ou de quelque autre nom que nous veuillions l'apeller, pourueu que nous ne la confondions point auec la fubftance corporelle, d'autant que les ades intellectuels n'ont aucune affinité auec les a£tes corporels, & que la penfée, qui eft la raifon commune en laquelle ils con- uiennent, diffère totalement de'l'extenfion, qui eft la raifon com- mune des autres.

Mais, après que nousauons formé deux concepts clairs & diftinéls de ces deux fubftances, il eft ayfé de connoiftre, par ce qui a efté dit en la fixiéme Méditation, fi elles ne font qu'vne mefme chofe, ou Ç\ elles en font deux différentes.

��I OBIECTJON TROISIÈME.

Qui a-t'il'donc qui foit dillingué de ma penfée? Qui a-t'il" que l'on puiffe dire eftre feparé de moy-mefme ?

(Jitelqu'vn' répondra peiit-e/frc à celle quejliou : le fuis diftinguc de mapeiijée, moj'-mefme qui penfe ; & quoy qu'elle ne foit pas à la vérité feparée de moy-mejine, elle ejl neanlmoins différente de moj' : de la mefme façon que la promenade {comme il a ejîé dit cy-dejfus) efl di- fliuffuée de celuy qui fe promené. Que fi Monfieur Des Cartes monftre que celuj- qui entende l'entendement font vne mefme chofe, nous tom-

.a. Sic peur Qu'y a-t'il (r% 2' et 3' édit.). — De même p. 1 38, 1.8 et 11. Œuvres. IV. 18

�� � 1^8 OEuvRES DE Descartes. ^n-n^.

229 benms dans celte façon de parler fcholajliqiie : ien\lendemenl entend, la veiie raid, la volonté l’eut ; £-par vne Jti/tc aiialoff-ie, la protnenade, ou du moins la faculté de Je promener. Je promènera : toutes le/quelles chofes font obj’cures, impropres, (S’- Ires-indignes de la netteté ordinaire de Monfieur Des Cartes.

Réponse.

le ne nie pas que moy, qui penfe, fois diltingué de ma penfée, comme vne choie l'est de fon mode ; mais où ie demande : qui a-t-il donc qui foit dijlingué de ma penfée? i’entens cela des diuerfes façons de penler, qui font là énoncées, & non pas de ma fubftance ; & où i’adioute : qui a-t-il que l’on puiffe dire ejîre feparé de 77ioy- mejme? ie veux dire feulement que toutes ces manières de penler, qui font en moy, ne peuuent auoir aucune exiltence hors de moy : & ie ne voy pas qu’il y ait en cela aucun lieu de doute, ny pour- quoy l’on me blâme icy d’obfcurité.

OBJECTION QVATRIÉME.

Il faut donc que ie demeure d’accord que ie ne fçaurois pas mefme conceuoir par l’imagination ce que c’eft que cette cire, & qu’il n’y a que mon entendement feul qui le conçoiue.

|//j’ a grande différence entre imaginer, c’ejl à dire auoir quelque 230 idée, & conceuoir, de l’entende\ment, c’ejl à dire conclure, en raifon- nant, que quelque chofe eft ou exifte ; i7iais Monfieur Des Cartes ne nous a pas expliqué en quoy ils différent. Les anciens Peripateticiens ont aujji enfeigné ajjé{ clairement que la fubjlance ne s’aperçoit point par lesfens, mais qu’elle fe collige par la raij’on.

Que dirons-nous maintenant, fi peut-eflre le raifonnement n’ejî rien autre chojé qu’vn ajjémblage & enchaifnement de noms par ce mot eft? D’oii il s’enfuiuroit que, par la raifon, nous ne concluons rien du tout touchant la nature des chofes, mais feulement touchant leurs apella- tions, c’eji à dire que, par elle, nous voyons fimplement fi nous ajjém- blons bien ou mal les noms des chofes, félon les conuentions que nous auons faites à nojlre fantaijîe touchant leurs Jignifications. Si cela e/t ainf, comme il peut effi-e, le raifonnement dépendra des noms, les noms de l’imagination, & l’imagination peut-eftre {& cecy félon mon fentiment) du mouuement des organes corporels; & ainf l’efprit ne fera rien autre chofe qu’vn mouuement en certaines parties du corps organique. ,78-i7y. Troisièmes Objections. ij9

��Réponse.

l'ay expliqué, dans la féconde Méditation, la différence qui eu entre l'imagination & le pur concept de l'entendement ou de l'ef- prit, lorlqu'en l'exemple de la cire i'ay fait voir quelles font les chofes que nous imaginons en elle, & quelles font cel|les que nous 231 conçeuons par le feul entendement ; mais i'ay encore expliqué ail- leurs comment nous entendons autrement vne chofe que nous ne l'imaginons, en ce que, pour imaginer, par exemple, vn pentagone, il eft befoin d'vne particulière contention d'efprit qui nous rende cette figure (c'eit à dire fes cinq coltez & l'efpace qu'ils renferment) comme prefente, de laquelle nous ne nous feruons point pour con- ceuoir. Or l'affemblage qui fe fait dans le raifonnement n'eft pas celuy des noms, mais bien celuy des chofes Tignifiées par les noms ; & ie m'étonne que le contraire puifle venir en l'efprit de perfonne.

Car qui doute qu'vn François ( & qu'vn AUeman ne puifTent auoir les mefmes penfées ou raifonnemens touchant les mefmes chofes, quo}' que neantmoins ilsconçoiuent des mots entièrement differens? Et ce philofophe ne fe condamne-t-il pas luy-mefme, lorfqu'il parle des conuentions que nous auons faites à noilre fantaifie touchant la fignification des mots? Car s'il admc: que quelque chofc ell figni- fiée par les paroles, pourquoy ne veut-il pas que nos difcours & raifonnemens lovent pluitofl de la chofe qui ell fignifiée, que des paroles feules ? Et certes, de la mefme façon & auec vne aufll iufie raifon qu'il conclut que l'elprit ell vn mouuement, il pouroit auili conclure que la terre ell le ciel, ou telle autre chofe qu'il luy plaira ; pource qu'il n'y a point d'autres chofes au | monde, entre lefquelles 232 il n'y ait autant de conuenance qu'il y en a entre le mouuement & l'efprit, qui font de deux genres entièrement differens.

��OBJECTION CINQVIEME.

Quelques vnes d'entre elles [à fçaiioir d'entre les penfées des Sur la Troisième hommes) font comme les images des chofes, aufquelles feules con- Méditation.

uient proprement le nom d'idée, comme lorfque ie penfe à vn De Dieu.

homme, à vn(e) chymere, au ciel, à vn Ange, ou à Dieu.

Lorfque ie peiife à l'u homme, ie me reprefcnle vne idée ou vne image compofée de couleur & de figure, de laquelle ie puis douter fi

�� � 233

��140 OEuvRES DE Descartes. 179-180.

elle a la rejjemblance d'vn homme, ou Jl elle ne l'a pas. Il en ejt de me/me, lorfquc te penje an ciel. Lorfquc ie penfe à me chymere, ie me reprefente mie idée, ou vue image, de laquelle ie puis douter Ji elle ejl le pourtrait de quelque animal qui n'exijle point, mais qui puijfe e/ire, ou qui ait efté autrefois, ou bien qui n'ait iamais ejlé.

Et lorfque quelqu'rn penfe à vu Ange, quelques/ois l'image d'rne Jlamme Je prefente à J'on efpril, if-'- quelques/bis celle d'vn jeune eu' faut qui a des aijles, de laquelle ie penfe pouuoir dire auec \ certi- tude qu'elle n'a point la reff'emhlancc d'i'ii Ange, & partant, qu'elle n'ejï point l'idée d'vn Ange; mais, croyant \ qu'il j- a des créatures inuifbles & immatérielles, qui font les minijlres de Dieu, nous doti' nous à vue choje que nous croyons oufupofons, le nom d'Ange, quof que ncantmoins l'idée fou\ laquelle i' imagine vn Ange foi t compofee des idées des cliofes vif blés.

Il en e/l de mefme du nom l'cno-able de Dieu, de qui nous n'auons aucune image ou idée; c'ejl pourquoj- on nous défend de l'adorer fou\ vue image, de peur qu'il ne nous femble que nous conceuions celuj qui eft inconceuable.

Nous n'auons donc point en nous, ce femble, aucune idée de Dieu ; mais tout ainji qu'i'u aueui^le-né, qui s'e/t plufieurs fois aproché du feu & qui en a fenli la clialeui-, reconnoiji qu'il j- a quelque chofe par quor il a ejlé écliaufé, &, entendant dire que cela s'appelle du feu, conclut qu'il y a du feu, &.neantmoins n'en connoi/l pas la fgure ny la couleur, & n'a, à vray dire, aucune idée, ou image du feu, qui fe prefente à fon efprit" ; de mefme l'Iiomme, vofanL qu'il doitj- auoir quelque caufe defes images ou de fes idées, & de cette caufe vue autre première, & ainf de fuite, e/l enfn conduit à vne fin, ou à vue fuppo- fition de quelque caufe éternelle, qui, pource qu'elle n'a iamais coni- 234 mancé d'e/lre, ne peut auoir de caufe qui la précède, ce qui fait qu'il conclut ne\celfai rement qu'il y a vn efire éternel qui exi/te ; é- néant- moins il n'a point d'idée qu'il puiJJ'e dire ejlre celle de cet efire éternel, mais il nomme ou appelle du nom de Dieu cette chofe que lafof ou fa raifon luf perfuade.

Maintenant, d'autant que de celle fuppofition, à fçauoir que nous uuons en nous l'idée de Dieu, Monfieur Des-Cartes rient à la prenne de ce théorème : que Dieu [c'e/t à dire vn efire tout puif'anl, tres-fage, Createu)- de l'Vniuers, dV.) exiilc, // a deu mie^ux expliquer cette idée de Dieu, 6- de là en conclure non fculemenl fin exifience, mais aujji la création du monde.

a. A la ligne [i% 2' et J' édit,).

�� � Troisièmes Objections. 141

��I Réponse.

Par le nom d'idée, il veut feulement qu'on entende icy les images des chofes matérielles dépeintes en la fantaifie corporelle ; & cela eftant fupofé, il lu}' elt aifé de monitrer qu'on ne peutauoir aucune propre & véritable idée de Dieu ny d'vn Ange ; mais i'ay Ibuuent auerti, & principalement en ce lieu-là mefme, que ie prens le nom d'idée pour tout ce qui elt conccu immédiatement par i'efprit : en l'orte que, lorfque ie veux & que ie crains, parce que ie conçoy en mefme temps que ie veux & que ie crains, ce vouloir & cette crainte font mis par moy au nombre des idées ; & ie me fuis ferui de ce nom, parce qu'il efloit defia communément receu par les philo- fophes, pour | lignifier les formes des conceptions de l'entende- 235 ment diuin, encore que nous ne reconnoifTions en Dieu aucune fan- taifie ou imagination corporelle; & ie n'en fçauois point de plus propre. Et ie penfe auoir allez expliqué l'idée de Dieu, pour ceux qui veulent conceuoir le fens que ie donne à mes paroles; mais pour ceux qui s'attachent à les entendre autrement que ie ne fais, ie ne le pourois iamais allez. Enfin, ce qu'il adioute icy de la créa- tion du monde, efl: tout affait hors de propos ; car i'ay prouué que Dieu exilte, auant que d'examiner s'il y auoit vn monde créé par luy, & de cela feul que Dieu, c'ell a dire vn eilre Ibuuerainemcnt puiffant, exille, il fuit que, s'il y a vn monde, il doit auoir elle créé par luy.

��OBJECTION SIXIEME.

Mais il y en a d'autres (à fç auoir d'autres peiijees) qui contiennent de plus d'autres formes : par exemple, lorfque ie veux, que ie crains, que i'affirme, que ie nie, ie conçoy bien, à la vérité, toufiours quelque chofe comme le fujet de l'adion de mon efprit, mais i'ad- ioute aufli quelque autre chofe par cette action à l'idée que i'ay de cette chofe-là; & de ce genre de penfées, les vnes font apclées volontez ou affedions, & les autres iugemcns.

\LorJ'qiic qitelqu'vii veut ou craint, // a bien, à la vcritc, l'image de la chofe qu'il craint €■ de l'aâion \ qu'il veut; mais qu'ejl-cc que celuy 236 qui veut ou qui craint, embrajje de plus par fa penféc, cela u'ejî pas icf expliqué. El quqy qu'à le bien prendre la crainte foit rue penfée, ie )ie roy pas comment elle peut ejlre autre que la penfée ou l'idée de

�� � 142 Œuvres de Descartes. isa-iw.

la choj'e que l'on craint. Car qii'e/l-ce autre choj'e que la crainte d'i'n lion qui s'auance vers nous, finon l'idée de ce lion, & l'effeâ [qu'tme telle idée engendre dans le cœur) par lequel celuy qui craint ejt porté à ce mouuement animal que nous apelons fuite ? Maintenant ce jnou- uement de fuite n'ejl pas i>ne penfée; & partant, il rejte que, dans la crainte, il n'y a point d'autre penfée, que celle qui confifte en la rejfem- blance de la chofe que l'on craint. Le mefme fe peut dire auffi de la volonté.

Dauantage, l'affirmation & la négation ne fe font point fans pa- role & fans noms ; d'oie vient que les be/les ne peuuent rien affirmer nj nier, non pas mefme par la penfée, & parlant, ne peuuent auffi faire aucun ingénient. Et neantmoins la penfée peut ejlre femblable dans vn homme & dans vue befte; car, quand nous affirmons qu'vn homme court, nous n'auons point d'autre penfée que celle qu'a vn chien qui voit courir fon maijlre, & partant, l'affirmation & la négation n'adioutent rien aux fimples penfées, fi ce n'eJl peut-ejîre la penfée que les noms, dont l'affirmation e/l compofée, font les noms de la chofe mefme qui ejl en l'efprit de celuy qui affirme; & cela nejl rien 237 autre chofe \ que comprendi-e par la penfée la rejfemblance de la chofe, mais cette rejfemblance deux fois.

Réponse.

Il eft de i'oy tres-euident, que c'eit autre choie de voir vn lion, & enfemble de le craindre, que de le voir feulement; & tout de mefme, que c'cll autre chofe de voir vn homme qui court, que d'af- furerl qu'on le void. Et ie ne remarque rien icy qui ait befoin de réponfe ou d'explication.

��OBŒCriON SEPTIEME.

Il me relie ieulement à examiner de quelle façon i'ay acquis cetie idée; car ie ne I'ay point receuë par les Cens, & iamais elle ne s'eft offerte à moy contre mon attente, comme font les idées des chofes fenfibles, lorfquc ces choies fe prefentent aux organes extérieurs de mes fens, ou qu'elles femblent s'y prcfenter. Elle n'ell pas auflî vne pure production ou fiction de mon efprit. car il n'elt pas en mon pouuoir d'y diminuer, ny d'y adiouter aucune chofe ; & partant, il ne relie plus autre chofe à dire, finon que, comme l'idée de moy- mefme, elle ell née & produite auec moy, dez lors que i'a\- efté créé.

�� � i83-i84. Troisièmes Objections. 143

S'il ny a point d'idée de Dieu (or on ne prouue point qu'il y en ait], comme il femble qu'il n'y en ci point, toute cette recherche ejl inutile. Ua\uantage l'idée de mof -me/me me vient [Ji on regarde le 238 corps) principalement de la veûe; {fi l'ame) nous n'en auons aucune idée; mais la raifon nous fait conclure qu'il j^ a quelque chofe de ren- fermé dans le corps humain, qui luy donne le mouuement animal par lequel il Jent & Je meut; & cela, quoj" que ce foit, fans aucune idée, nous l'apelons ame.

Réponse.

S'il y a vne idée de Dieu (comme il eft manifefte qu'il y en a vne), toute cette obiedion eft renuerfée; & lorfqu'on adioute que nous n'auons point d'idée de l'ame, mais qu'elle fe collige par la raifon, c'eft de mefme que fi on difoit qu'on n'en a point d'image dépeinte en la fantaifie, mais qu'on en a neantmoins cette notion que iufques icy i'ay apelé du nom d'idée.

��\0BIECT10N HVITIEME.

Mais l'autre idée du Soleil eft prife des raifons de l'Aftronomie, c'eft à dire de certaines notions qui Ibnt naturellement en moy.

Il femble qu'il ne puiffey auoiren mefme temps qu'une idée du Soleil, foit qu'il foit veu par les yeux, foit qu'il foit conceu par le raifonne- ment e/lrc plu \fieurs fois plus grand qu'il ne paroift à la veuë , car 239 cette dernière n'ejî pa» l'idée du Soleil, mais vne confequence de nojlre raifonnement, qui nous aprend que l'idée du Soleil feroit plufieurs fois plus grande, s'ilejloit regardé de beaucoup plus pre\. Il ejl vray qu'en diuers temps il peut y auoir diuerfes idées du Soleil, comme Ji en m temps il ejl regardé feulement auec les yeux, & en vn autre auec me lunette d'aproche ; mais les raifons de l'AJlronomie ne rendent point l'idée du Soleil plus grande ou plus petite, Jéulement elles nous en- feignent que l'idée J'enjîble du Soleil ejl trompeufe.

Réponse.

Derechef, ce qui eft dit icy n'eftre point l'idée du Soleil, & neant- moins eft décrit, c'eft cela mefme que i'appelle idée. Et pendant que cephilofophe ne veut pas conuenir auec moy de la fignification des mots, il ne me peut rien obiecl:er qui ne foit friuole.

�� � 144 OEuvRES DE Descartes. 184.1R5.

��OBJECTION NEVFIÉME.

Car il eft certain que les idées qui me reprefentent des fubflances font quelque chofe de plus, &, pour ainfi dire, ont plus de realité obiediue, que celles qui me reprefentent feulement des modes ou

240 accidens ; & dere|clief celle par laquelle ie conçoy vn Dieu fou- ueiain, éternel, | infiny, tout connoillant, tout puillant, & créateur vniuerfel de toutes les chofes qui font hors de luy, a fans doute en foy plus de realité obiectiue que celles par qui les fubltances finies me font reprefentées.

l'ay defia plitjieurs fois remarqué cy-deuant que nous n'auons ait' aine idée de Dieu ny del'ame; i'adioiite maintenant : ny de la fubjtance ; car i'auouc bien que la fubjlance, en tant qu'elle eft vne matière ca- pable de receuoir diuers accidens, à'- qui eft fujelte à leurs change- niens, eft aperceuë & prouuée par le raifonnement ; mais neantmoins elle n'eft point conceuë, ou nous n'en auotis aucune idée. Si cela eft rray, comment peut-on dire que les idées qui nous reprefentent des fubftances, font quelque chofe de plus & ont plus de realité obieâiue, que celles qui nous reprefentent des accidens ? Dauantage, que Mon- feur Des-Caries confidere derechef ce qu'il veut dire par ces mots, ont plus de realité. La realité reçoit-elle le plus ê le moins ? Ou, s'il penfe qu'vne chofe foit plus chofe qu'vne autre, qu'il confidere comment il eft pofjible que cela puiffe eftre expliqué auec toute la clarté & l'eui- dence qui eft requije en pue démonftration, & auec laquelle il a plu- fieursfois traitté d'autres matières.

241 I Réponse.

l'ay plufieurs fois dit que i'apelois du nom d'idée cela mefme que la raifon nous fait connoiltre, comme auffi toutes les autres chofes que nous conceuons, de quelque façon que nous les conce- uions. Et i'ay fufifamment expliqué comment la realité reçoit le plus &lemoins,endifantquela fubftanceell quelque chofe de plus que le mode, & que, s'il y a des qualités réelles ou des fubftances incom- plètes, elles font aulli quelque chofe de plus que les modes, mais quelque chofe de nwins que les fubftances complètes; & enfin que, s'il V a vne fubftance infinie & indépendante, cette fubftance eft plus chofe, ou a plus de realité, c'eft à dire participe plus de l'eftre ou de la chofe, que la fubftance finie & dépendante. Ce qui eft de foy fi ma- nifefte, qu'il n'eft pas befoin d'y aporter vne plus ample explication.

�� � 186-187. Troisièmes Objections. 145

��\OBIECTION DIXIÈME.

Et partant, il ne refte que la feule idée de Dieu, dans laquelle il faut confiderer s'il y a quelque chofe qui n'ait peu venir de moy- mefme. Par le nom de Dieu, i'entens vne fubftance infinie, indé- pendante, fouuerainement intelligente, fouuerainenient puilfante, & par laquelle tant | moy que tout ce qui eft au monde, s'il y a 242 quelque monde, a efté créé. Toutes lefquelles chofes font telles que, plus i'y penie, & moins me femblent-elles pouuoir venir de moy feul. Et par conséquent il faut conclure necefl'airement de tout ce qui a efté dit cy-deuant, que Dieu exifte.

Conftderant les attributs de Dieu, afin que de là 7ious en tyuus l'idée, & que nous voyions s'il y a quelque chofe en elle qui n'ait peu venir de nous-mefmes, ie trouue, fi ie ne me trompe, que ny les chofes que nous conceuons par le nom de Dieu ne viennent point de nous, ny qu'il n'ejl pas necejfaire qu'elles viennent d'ailleurs que des obiets extérieurs. Car, par le nom de Dieu, i'entens vne fubftance, c'ejt à dire i'entens que Dieu exifte {non point par aucune idée, mais par le difcoiirs) ; infinie {c'eft à dire que ie ne puis conceuoir ny imaginer fes termes ou de parties fi éloignées, que ie n'en puiJJ'e encore imaginer de plus reculées) : d'oii il fuit que le nom cf'infini ne nous fournil pas l'idée de l'infinité diuine, mais bien celle de mes propres termes & limites ', indépendante, c'ejî à dire ie ne conçoy point de caufe de laquelle Dieu puiffe venir : d'oii il paroifi que ie n'ay point d'autre idée qui réponde à ce nom tV'independant, yf?zoH la mémoire de mes propres idées, qui ont toutes leur commencement en diuers temps, & qui par confequent font dépendantes.

C'ejl pourquoy, dire que Dieu eft indépendant, ce n'efl rien\dire autre chofe, finon que Dieu eft du | nombre des chofes dont ie ne puis 243 imaginer l'origine; tout ainfi que, dire que Dieu ejt infini, c'eft de mefme que fi nous difions qu'il eft du nombre des chofes dont nous ne conceuons point les limites. Et ainfi toute l'idée de Dieu efi réfutée; car quelle eft cette idée qui eft fans fin & fans origine?

Souuerainement intelligente. le demande icj par quelle idée Moti- fieur Des-Cartes conçoit l'intelleâion de Dieu.

Souuerainement puiffante. le demande aufji par quelle idée fa piiif- fance, qui regarde les chofes futures, c'eft à dire non exiftanles, eft entendue.

Certes, pour moy, i'entens la puiffance par l'image ou la mémoire Œuvres. IV. 19

�� � 14^ OEuvRES DE Descartes.

��187-188.

��des chofes pqffees, eu raifonnant de cette forte : Il a fait ainfi ; donc il a peu faire ainfi ; donc, tant ju' il fera, il poura encore faire ainfi, c'eft à dire il en a la puijfance. Or toutes ces chofes font des idées qui peuuent venir des obiets extérieurs.

Créateur de toutes les chofes qui font au monde. le puis former quelque image de la création par le mojen des chofes que i\ij' veuës, par exemple, de ce que i'ay veu vn homme naijfant, & qui efl paruenu, d'vne pelitejfe prejque inconceuable, à la forme & grandeur qu'il a maintenant ; & perfonne. à mon aiiis, n'a d'autre idée à ce nom de Créateur; mais il ne fuffit pas, pour prouiier la création, que nous puiffions imaginer le monde créé.

244 I C'ejt pourquof, encore qu'on eufî démontré qurn eftre infini, indé- pendant, tout-puilTant, &c., exifle, il ne s'enfuit pas neantmoins qu'rn créateur exifle, fi ce n'efl que quelqu'vn penfe qu'on infère fort bien, de ce que quelque chofe exifle, laquelle nous croyons auoir créé toutes les autres chofes, que pour cela le monde a autrefois cfîé créé par elle.

Dauantage, oit il dit que l'idée de Dieu & de noflre atne \ efl née & ref dente en nous, ie voudrois bien fçauoir fi les âmes de ceux-là penfent, qui dorment profondement &fans aucune réuerie. Si elles ne penfent point, elles n'ont alors aucunes idées; £■ partant, il n'y a point d'idée qui foi l née & refidante en nous, car ce qui ejt né & r'efidant en nous, ejl loufiours prefent à noftre penfée.

Réponse.

Aucune cliofe, de celles que nous attribuons à Dieu, ne peut venir des obiets extérieurs comme d'vne caufe exemplaire : car il n'y a rien en Dieu de femblable aux choies extérieures, c'eft à dire aux chofes corporelles. Or il efl manifeite que tout ce que nous conce- uons eftre en Dieu de diffemblable aux chofes extérieures, ne peut venir en noftre penfée par l'entremile de ces mefmes chofes, mais feulement par celle de la caufe de cette diuerfité, c'eft à dire de Dieu.

Et ie demande icy de quelle façon ce philofophe tire l'intelledion

245 de Dieu des choies extérieures ; | car, pour moy, l'explique aifement quelle eft l'idée que l'en ay, en difant que, par le mot d'idée, i'entens tout ce qui eft la forme de quelque perception; car qui eft celuy qui conçoit quelque chofe, qui ne s'en aperçoiue, & partant, qui n'ait cette forme ou idée de l'intelleclion, laquelle étendant à l'infini, il forme l'idée de l'intellection diuine .? Et ainfi des autres attributs de Dieu.

�� � 188-190. Troisièmes Objections. 147

Mais, d'autant que ie me fuis ferui de l'idée de Dieu qui eft en nous pour démontrer fon exiftence, & que dans cette idée vne puif- fance fi immenfe eft contenue, que nous conceuons qu'il répugne (s'il eft vray que Dieu exifte), que quelque autre chofe que luy exifte, û elle n'a efté créée par luy, il fuit clairement de ce que fon exiftence a efté démontrée, qu'il a efté aufll démontré que tout ce monde, c'eft à dire toutes les autres chofes différentes de Dieu qui exiftent, ont efté créées par luy.

I Enfin, lorfque ie dis que quelque idée eft née auec nous, ou qu'elle eft naturellement emprainte en nos âmes, ie n'entens p^s qu'elle fe prefente toujours à noftre penfée, car ainfi il n'y en auroit aucune ; mais feulement, que nous auons en nous-mefmes la faculté de la produire.

OBJECTION ONZIÈME.

Et toute la force de l'argument dont i'ay vfé pour prouuer l'exi- ftence de Dieu, confifte en ce que ie voy qu'il ne feroit | pas pof- 246 fible que ma nature fuft telle qu'elle eft, c'eft à dire que i'euffe en moy l'idée d'vn Dieu, fi Dieu n'exiftoit véritablement, à fçauoir ce mefme Dieu dont i'ay en moy l'idée.

Doncqiies, pinfque ce n'eft pas vue choj'c dcmontrée que nous ayons en vous Vidée de Dieu, & que la Religion CItrc/lienne nous oblige de croire que Dieu eft inconceuable, c'eft à dire, félon mon opinion, qu'on n'en peut auoir d'idée, il s enfuit que V exiftence de Dieu n'a point efté démontrée, & beaucoup moins la création.

Réponse.

Lorfque Dieu eft dit inconceuable, cela s'entend d'vne conception qui le comprenne totalement & parfaitement. Au refte, i'ay défia tant de fois expliqué comment nous auons en nous l'idée de Dieu, que ie ne le puis encore icy repeter fans ennuyer les lecteurs.

I OBIECTION DOVZIÉME.

Et ainfi ie connois que l'erreur, en tant que telle, n'eft pas Sur la Quatrième quelque chofe de réel qui dépende de Dieu, mais que c'eft feule- Méditation.

ment vn défaut; & partant, que ie n'ay pas befoin, pour errer, de Duvray&dufaux. quelque puiftance qui m'ait eité donnée de Dieu particulièrement pour cet eil'ecl.

�� � 148 OEuvRES DE Descartes. 190-191.

247 I II eft certain que l'ignorance eji feulement m défaut, & qu'il n'efl pas befoin d'aucune faculté pofitiue pour ignorer; mais, quant à l'er- reur, la chofe n'efl pas fi manifejle : car il femble que,fi les pierres & les autres chofes inanimées ne peuuent errer, c'eft feulement parce qu'elles n'ont pas la faculté de raifonner ny d'imaginer ; & partant, il faut conclure que, pour errer, il eft befoin d'vn entendement, ou du

moins d'vne imagination, qui font des faculté^ toutes deux pofiliues, acco?-dée{s) à tous ceux qui errent, mais aufji à euxfeuls.

Dauantage, Monfeur Des Cartes adioute : l'aperçoy que mes cireurs dépendent du concours de deux caufes, à fçauoir, de la faculté de connoirtre qui cft en moy, & de la faculté d'élire ou du libre arbitre, ce qui femble auoir de la contradiâion auec les chofes qui ont efté dites auparauant. Oit il faut anffi remarquer que la liberté du franc-arbitre eft fupofée fans eftre prouuée, quoj que cette fupo- filion fait contraire à l'opinion des Caluin'ftes.

Réponse.

Encore que, pour errer, il foit befoin de la faculté de raifonner (ou plutoft de iuger, ou bien d'affirmer ou de nier), d'autant que c'en eft le défaut, il ne s'enfuit pas pour cela que ce | défaut foit réel, non plus que l'aueuglement n'ell pas apelé réel, quoy que les

248 pierres ne foyent pas | dites aueugles pource feulement qu'elles ne font pas capables de voir. Et ie fuis étonné de n'auoir encore peu rencontrer dans toutes ces obieclions aucune confequence, qui me femblaft eftre bien déduite de fes principes.

le n'ay rien fupofé ou auancé, touchant la liberté, que ce que nous reffentons tous les iours en nous-mefmes, & qui eft tres- connu par la lumière naturelle ; & ie ne puis comprendre pourquoy il eft dit icy que cela répugne, ou a de la contradiclion, auec ce qui a efté dit auparauant.

Mais encore que peut-eftre il y en ait plufieurs qui, lorfqu'ils confiderent la préordination de Dieu, ne peuuent pas comprendre comment noftre liberté peut fubfifter -^ s'accorder auec elle, il n'y a neantmoins perfonnc qui, fe regardant feulement foy-mefme, ne reffente & n'expérimente que la volonté & la liberté ne font qu'vne mefme chofe, ou plutoft qu'il n'y a point de différence entre ce qui eft volontaire &, ce qui eft libre. Et ce n'eft pas icy le lieu d'exa- miner quelle eft en cela l'opinion des Caluiniftes.

��

OBJECTION TREIZIÉME.

Par exemple, examinant ces iours paſſez ſi quelque choſe exiſtoit dans le monde, & prenant garde que, de cela ſeul que i’examinois cette queſtion, il ſuiuoit très | euidemment que i’exiſtois 249 moy-meſme, ie ne pouuois pas m’empeſcher de iuger qu’vne choſe que ie conceuois ſi clairement eſtoit vraye ; non que ie m’y trouuaſſe forcé par aucune cauſe extérieure, mais ſeulement parce que, d’vne grande clarté qui eſtoit en mon entendement, a ſuiui vne grande inclination en ma volonté, & ainſi ie me ſuis porté à croire auec d’autant plus de liberté, que ie me ſuis trouué auec moins d’indifférence.

Celte façon de parler, vne grande clarté dans l’entendement, cft métaphorique, & partant, n’ejl pas propre à entrer dans vn argument : or celuy qui | n’a aucun doute, prétend auoir vne femblable clarté, & fa volonté n’a pas vne moindre, inclination pour affirmer ce dont il n’a aucun doute, que celui qui a vne parfaite Jcience. Cette clarté peut donc bien efîre la caufe pourquoj- quelqu’vn aura & deffendra auec opiniâtreté quelque opinion, mais elle ne luy peut pas faire connoifire auec certitude qu’elle efl vraye.

De plus, non feulement fçauoir qu’vne chofe efl i’raye, mais auffi la croire, ou luj donner fon adueu & confentement, ce font chofes qui ne dépendent point de la volonté; car les chofes qui nous font prouuées par de bons argumens, ou racontées comme croyables, foit que nous le veuillions ou non, nous fommes contraints de les croire. Il efl bien vray qu’affirmer ou nier, foutenir ou réfuter des propof lions, ce font des actes de la volonté; mais il ne s’enfuit pas que le con\fentement 250 & l’adueu intérieur dépende de la volonté.

Et partant, la conclusion qui suit n’est pas sufisamment démontrée : Et c’est dans ce mauuais vsage de nostre liberté, que consiste cette priuation qui constituë la forme de l’erreur.

Réponse.

Il importe peu que cette façon de parler, vne grande clarté, ſoit propre, ou non, à entrer dans vn argument, pourueu qu’elle ſoit propre pour expliquer nettement noſtre penſée, comme elle eſt en effect. Car il n’y a perſonne qui ne ſçache que par ce mot, vne clarté dans l’entendement, on entend vne clarté ou perſpicuité de connoiſſance, que tous ceux-là n’ont peut-eſtre pas, qui penſent l’auoir ; mais cela n’empeſche pas qu’elle ne diffère beaucoup d’vne 251

��MO

��OEuvRES DE Descartes.

��192-194.

��opinion obltinée, qui a efté conceuë fans vne euidente perception. Or, quand il eft dit icy que, foit que nous voulions, ou que nous ne voulions pas, nous donnons noftre créance aux chofes que nous conceuons clairement, c'eft de mefme que fi on difoit que, foit que nous voulions, ou que nous ne voulions pas, nous voulons & defi- rons les chofes bonnes, quand elles nous font clairement connues; car cette façon de parler, /o/7 que nous ne voulions pas, n'a point de lieu en telles occafions, parce qu'il i y a de la contradiction à vou- loir & ne vouloir pas vne mefme chofe.

��I OBJECTION Q VA TORZIEME.

��Si'R r.A Cinquième

Méditation.

De l'effence

des

chofes corporelles.

��Comme, par exemple, lorfque i'imagine vn triangle, encore qu'il n'v ait peut-eftre en aucun lieu du monde hors de ma penfée vne telle figure, & qu'il n'y en ait iamais eu, il ne laiffe pas neantmoins d'y auoir vne certaine nature, ou forme, ou elïence déterminée de cette figure, laquelle eil immuable & éternelle, que ie n'ay point inuentée, & qui ne dépend en aucune façon de mon efprit, comme il paroift de ce que l'on peut démontrer diuerfes proprietez de ce triangle.

S'il n'y a point de triangle en aucun lieu du monde, ie ne puis com- prendre comment il a vne nature; car ce qui n'ejî nulle part, n'eji point du tout, & n'a donc point aujfi d'ejîre ou de nature. L'idée que nojîre efprit conçoit du triangle, vient d'vn autre triangle que nous auons veu, ou inuentéfur les chofes que nous auons veuës ; mais depuis qu'vnefois nous auons apelé du nom de triangle la chofe d'oii nous 252 penfons que l'idée du triangle tire fou origine, encore \ que cette chofe perijfe, le nom demeure toujîours. De mefme, fi nous auons vne fois conceu par la penfée que tous les angles d'vn triangle pris enfemble font égaux à deux droits, & que nous ayons donné cet autre nom au triangle : qu'il eft vne chofe qui a trois angles égaux à deux droits, quand il n'f aurait au monde aucun triangle, le nom neantmoins ne laifferoit pas de demeurer. Et ainfi la vérité de cette propofition fera éternelle, que le triangle eft vne chofe qui a trois angles égaux à deux droits; mais la nature du triangle ne fera pas pour cela éternelle, car s'il arriuoit par hasard que tout triangle généralement perifi, elle cefferoit d'efîre.

De mefme cette propofition, l'homme eft vn animal, /ertz vraye éter- nellement, à caufe des noms éternels ; mais, fupofé que le genre humain fut aneanty, il n'y aurait plus de nature humaine.

\D'oii il ejl euident que l'effence, en tant qu'elle efî diflinguée de l'exi-

�� � i94-'95-

��Troisièmes Objections.

��Kl

��S

��^ftence, n'ejl rien autre chofe qii'vn ajffemblage de noms par le verbe ert ; & partant, l'ejjeiice fans l'cxiftence ejî vne Jiâion de nojîre efprit. Et il femble que, comme l'image de l'homme qui ejl dans l'efprit e/t à l'homme, ainfi l'e(feuce ejl à Vexijlence; ou bien, comme celle propo- fition, Socrate eft homme, ejl à celle-cy, Socrate eft ou exifte, ainjt Veffence de Socrate ejl à Vexijlence du mejme Socrate. Or cecy, Socrate eft homme, quand Socrate n'exijle point, ne fignijîe autre chofe qu'vn ajfemblage de noms, é- ce mot eft ou eftre a \fou:{foy l'image de l'vnité d'vne chofe, qui ejl defignée par deux noms.

��253

��Réponse.

La diftindion qui eft entre l'eftence & l'exiftence eft connue de tout le monde; & ce qui eft dit icy des noms éternels, au lieu des con- cepts ou des idées d'vne éternelle vérité, a défia efté cy-deuant affez refuté & reietté.

��OBJECTION QVINZIEME.

Car Dieu ne m'ayant donné aucune faculté pour connoiitre que cela foit (à fçauoir que Dieu, par luf-mefme ou par l'entremife de quelque créature plus noble que le corps, m'enuoye les idées du corps), mais, au contraire, m'ayant donné vne grande inclination à croire qu'elles me font enuoyées ou qu'elles partent des chofes corporelles, ie ne voy pas comment on pouroit l'excufer de tromperie, fi en effecl ces idées partoient" ou eftoient produites par d'autres caufes que par des chofes corporelles ; & partant, il faut auouër qu'il y a des chofes corporelles qui exiftent.

Il Ce/? la commune opinion que les Médecins ne pèchent point, qui deçoiuent les malades pour leur propre fanté, ny les pères qui trompent leurs enfans pour leur propre bien, & que le mal de la tromperie ne confijle pas dans lafaujfeté des paroles, mais dans la malice de celuy qui trompe. Que Monfieur Des-Cartes prenne donc garde fi cette pro- portion : Dieu ne nous peut iamais tromper, prife rniucrfellement, ejl vraye ; car fi elle n' ejl pas vraye, ainji miuerfellement prife, celte coûclufion n'ejt pas bonne : donc il y a des ciiofcs corporelles qui exiftent.

��Sur la Sixième Méditation.

De Vexijlence

des

chofes matérielles.

��254

��a. La 2^ et la 3' édit. ajoutent ici d'ailleurs. Mais, dans la i"', le tra- ducteur, Clerselier, reliait sans doute partoicnl avec d'autres caufes, les mois intermédiaires ou ejloicnt produites par étant comme une incise explicative.

�� � 1^2 OEuvREs DE Descartes 195-196.

��Réponse.

Pour la vérité de cette conclulîon, il n'eit pas necelTaire que nous ne puiffions iamais élire trompez (car, au contraire, i'ay auoûé franchement que nous le fommes fouuent) ; mais feulement, que nous ne le foyons point, quand noftre erreur feroit paroirtre en Dieu vnc volonté de deceuoir, laquelle ne peut eftre en luy ; & il y a encore icy yne confequence qui ne me femble pas eilre bien déduite de les principes.

OBJECTION DERNIÈRE.

Car ie reconnois maintenant qu'il y a entre l'vn & l'autre {^fça-

255 uoir ejt entre la veille & le Jommeil) \ vne très-grande différence, en ce que noflre mémoire ne peut iamais lier & ioindre nos fonges les vns aux autres & auec toute la fuite de nollre vie, ainfi qu'elle a de coutume de ioindre les chofes qui nous arriuent eftant eueillez.

le demande : fçauoirfi c'ejl inie choje certaine, qu'vne perfonne, fon- geant qu'elle doute Ji elle Jonge ou non, ne puijfe fongei' que fun fonge ejl ioint & lié auec les idées d'vne longue fuite de chofes pajjees. Si elle le peut, les chofes qui femblent à vne perfonne qui dort efire les actions de fa vie pajfée,peuuent eftre tenues pour vrajes, tout ainfi que fi elle efloit éueillée. Dauantage, d'autant, comme il dit luy-mefme,\que toute la certitude de lafcience & toute fa vérité dépend de la feule connoif- faiice du vray Dieu, ou bien vn Athée ne peut pas reconnoiflre qu'il veille par la mémoire de fa l'ie paffée, ou bien vne perfonne peut fça- uoir qu'elle veille fans la connoifj'ance du vray Dieu.

Réponse.

Celuy qui dort & fonge, ne peut pas ioindre & aflembler parfai- tement & auec vérité tes refueries auec les idées des chofes paffées, encore qu'il puille fonger qu'il les alTemble. Car qui ell-ce qui nie

256 que celuy qui dort le | puilfe tromper ? Mais après, ellant éueillé, il connoiftra facilement fon erreur.

Et vn Athée peut reconnoiftre qu'il veille par la mémoire de fa vie pallee ; mais il ne peut pas fçauoir que ce ligne elt fuftifant pour le rendre certain qu'il ne le trompe point, s'il ne fçait qu'il a elle créé de Dieu, & que Dieu ne peut eflre trompeur.

�� � 196-197. Quatrièmes Objections. i 5 }

IQVATRIÉMES OBIECTIONS 267

FAITES PAR MONSIEUR ARNAULD DOCTEUR EN THEOLOGIE.

Lettre HnHit S. au R. P. Mciienne.

Mon Reuerend Père,

le met\ au rang des fignaki bienfaits la communication qui m'a ejk' faite par rojîre moyen des Méditations de Monfteur Des-Cartes; mais, comme l'ous en fçauie- le prix, aiiffi me l'aue^-vous vendue fort chèrement, puifque vous n'aue- point voulu me faire participant de cet excellent oiiurage, que ie ne me fois premièrement obligé de vous en dire mon fentiment. C'ejl me condition à laquelle ie ne me ferois point engagé, fi le defir de connoifre les belles chofes n'ejloit en moyfort violent, \ & contre laquelle ie réclamerais volontiers, f ie penfois pou- uoir obtenir de vous au j]i facilement une exception | pour m'eftre laijfé 268 emporter par la volupté, comme autre- fois le Prêteur en accordait à ceux de qui la crainte ou la violence auoit arraché le confentement.

Car que voule^ vous de moy? 'Mon iugement touchant l'auteur? Nullement ; il y a long temps que l'oiis fcauCy en quel ejlime i'ay fa perfonne, & le cas que ie fais de fon efprit & de fa doâriue. Vous n'ignore:; pas au/J'i les fàcheufes affaires qui me tiennent à prefent occupé, & fi vous aués meilleure opinion de moy que ie ne mérite, il ne s'enfuit pas que ie n'aye point cunnoiffance de mon peu de capacité. Cependant, ce que vous voule\foumelre à mon examen, demande vue très-haute fufifance, auec beaucoup de tranquillité & de loifir, afin que l'efprit, eftanl dégagé de iembaras des affaires du monde, ne penfe qu'à foy-mefnte ; ce que vous fuge\ bien ne fe pouuoir faire fans mie méditation très - profonde & vue très-grande recolleâion d'efprit, l'obeiray neantmoins, puifque vous le voule:{, mais à cond'tion que vousfere; mon garend, iS- que vous répondre'^ de toutes mes fautes. Or quoy que la philofophie fe puife vanter d'auoir feule enfanté cet ouurage, neantmoins, parce que ua/lrc auteur, en cela tres-modejle, fe vient liiy-niefme prefenler au tribunal de la Théologie, ie iouëray iey deii.x perfonnages : dans le premier, paroijjani en philofophe, ie repre- fenteray les principales dijficulie; que ie iugeray pou\uoir ejlre pio- 259 pofées par ceux de cette piofcffion, touchant les deux que/lions de la nature de l'efprit humain & de rexi/lunce de Dieu ; & après cela, pre-

(EuvRKs. IV. 20

�� � 154 OEuvRES DE Descartes. i97-'98-

nanl l'habit d'vn Théologien, ie mettraj' en auanl les Jcriipules qu'vn homme de cette robe pouroit rencontrer en tout cet ouurage.

De la nature de l'esprit humain.

La première choje que ie irouue icy digne de remarque, ejl de voit que Moniteur Des-Cartcs ejîablijj'e pour fondement & premier principe de toute fa phi lofophie ce qu'auant luy Saint Augujtin, homme de très- grand efprit & d'vne finguliere doârine, non feulement en matière de Théologie, mais aujji en ce qui concerne l'humaine philofophie, auoii pris pour la ba^e & le foulien de la ftenne. Car, dans le Hure fécond du libre arbitre, chap. 3, Alipius difpulant auec Euodius, | d'- l'oulanl prouuer qu' il y a vn Dieu : Premièrement, dit-il, ie vous demande, afin que nous commencions par les choies les plus manifeltes, fça- uoir : fi vous efi;es, ou fi peut-eftre vous ne craignez point de vous méprendre en répondant à ma demande, combien qu'à vray dire li vous n'eftiez point, vous ne pouriez iamais eitre trompé. Aufquelles paroles reuiennent celles-cj' de nojîre auteur : Mais il y a vn ie ne Içay quel trompeur tres-puiflant & tres-ruzé, qui met toute Ion in- duftrie à me tromper toufiours. Il elt donc fans doute que ie fuis, 260 s'il I me trompe. Mais pourfuiuons, & afin de ne nous point éloigner de nojîre fujei, voyons comment de ce principe on peut conclure que nq/lre efprit efi dijlinàl ôfeparé du corps.

Je puis douter fi i'ay vn corps, voire mefme ie puis douter s'il y a aucun corps au monde, & neantmoins ie ne puis pas douter que ie ne fois, ou que ie n'exi/te, tandis que ie doute, ou que ie penfe.

Doncques, moy qui doute & qui penfe, ie ne fuis point vn corps : autrement, en doutant du corps, le douterois de moy-mefmc.

Voire meftne, encore que ie foutienne opiniajîrement qu'il n'y a aucun corps au monde, cette vérité neantmoins fubjifie toufiours, ie luis quelque choie, & partant, ie ne fuis point vn corps".

Certes cela efi fublil ; mais quelqu'vn poura dire [ce que mefnc nofire auteur s'obieâe) : de ce que ie doute, ou mefme de ce que ie nie qu'il y ait aucun cot'ps, il ne s'enfuit pas pour cela qu'il n'y en ait point.

Mais aulTi peut-il arriuer que ces chofes mefmes que ie fupofc n'ellre point, parce qu'elles me font inconnues, ne font point en effect différentes de moy, que ie connois. le n'en fçay rien, dit-il, ie ne difpute pas maintenant de cela. le ne puis donner mon iugement

a. Non à la ligne {1", 2' et 3' édit.).

�� � lySîou. Qi-iATRiEMES- Objections. i^^

que des choies qui me font connues ; i'ay reconnu que i'ellois, & ie cherche quel ie fuis, moy que i'ay reconnu cftre. Or il efl très- certain que cette notion & connoilTance de mo3'-meime, ainfi pre- citementlprife, ne dépend point des choies dont l'exiftence ne m'eft 26d pas encore connue.

I Mais, ptiifqu'i! confejle Itii-inefiiw que, par Varginnent qu'il apro- po/é dans fou trailté de la Méthode, p. 84, la chofe en ejl venue feule- ment a ce point, d'exclure tout ce qui ejt corporel de la nature de/on ej'prit, non pas eu égard à la vérité de la choie, mais feulement fui- uant l'ordre de fa penfée & de l'on raifonnement (en telle forte que l'on fens eftoit, qu'il ne connoillbit rien qu'il fceull appartenir à fon effence, linon qu'il eltoit vne chofe qui penfe), il ejl euident, par cette réponfe, que la difpute en ejl encore aux nie fuies termes, & partant, que la que/lion, dont il nous promet la Joliition, demeure encore en fon entier : àfçauoir, comment, de ce qu'il ne connoifl rien autre chofe qui appartienne à fon effence {finon qu'il efl vne chofe qui penfe), il s'enfuit qu'il n'y a aufïi rien autre chofe qui en effect lu}' appartienne. Ce que toutes-fois ie n\ij peu décuuurir dans toute l'étendue de la

féconde Méditation, tant i'aj- l'cfprit pefant & grojjier. Mais, autant que ie le puis conieâurer. il en vient à la prenne dans la Jixiéme, pource qu'il a creii qu'elle dépendoit de la connoiffance claire & diflincîe de Dieu, qu'il ne s'ejloil pas encore acquife dans la féconde Méditation. Voicj- donc comment il prouiie & décide cette dijfictdlé. Pource, dit-il, que ie fçay que toutes les chofes que ie conçov clairement & dilfindement peuuent eftre produites par Dieu telles que ie les conçoy, il fuffit que ie puilTe con|ceuoir clairement & 262 dillincfement vne chofe fans vne autre, pour eflre certain que l'vne ell diltincte ou différente de l'autre, parce qu'elles peuuent eitre pofées feparement, au moins par la toute puilfance de Dieu; & il n'importe pas par quelle puilfance cette feparation fe faffe pour m'o- bliger à les iuger différentes. Doncques, pource que, d'vn collé, i'ay vne claire & dillincle idée de moy-mefme, en tant que ie fuis feule- ment vne chofe qui penfe & non étendue ; & que, d'vn autre, i'ay vne idée diltincte du corps, en tant qu'il elt feulement vne chofe étendue & qui ne penfe point, il elt certain que ce moy, c'ell à dire mon ame, par laquelle ie fuis ce que ie fuis, elt entièrement &: véri- tablement diflincle de mon corps, | & qu'elle peut eftre ou exilfer fans luy, en forte qu'encore qu'il ne fuit point, elle ne lairroit pas d'eftre tout ce qu'elle elt.

II faut icy s'aréter vn peu, car il me femble que dans ce peu de paroles confijle tout le nœud de la difficulté.

�� � ,,6

��OEuvRES DE Descartes.

��Et preinieremenl, afin que la majeure de cet argument /oit rraye, cela ne fe doit pa<! entendre de toute forte de cnnnoiffance, ny me/me de toute celle qui ejt claire & difiincle, mais feulement de celle qui eft pleine & entière [c'e/l à dire qui comprend tout ce qui peut e/tre connu de la chofe). Car Monfeur Des-Cartes confeffe luj-mefme, dans fes Ré- ponfes aux premières Obieâions, qu'il n'efi pas bejoin d'une diflinâion réelle, mais que la (or m&Wtfuffit, afin qu'âme chofe foi l conceuë diftin- 263 dément & feparement d'vne autre, par me ab\firadion de l'efpril qui ne conçoit la chofe qu'imparfaitement & en partie: d'oii vient qu'au mefme lieu il adioute :

Mais ie conçoy pleinement ce que c'eft que le corps {c'eft à dire te conçoy le corps comme me chofe complète), en penfant feulement que c'ell vne chofe étendue, figurée, mobile, &c., encore que ie nie de luy toutes les chofes qui appartiennent à la nature de l'efprit. Et d'autre part ie conçoy que l'efprit eil vne chofe complète, qui daute, qui entend, qui veut, &c., encore que ie n'accorde point qu'il y ait en luy aucune des chofes qui font contenues en l'idée du corps. Doncques il y a vne dillindion recUe entre le corps & l'efprit.

Mais fi quelqu'un vient à reuoquer en doute celle mineure, & qu'il foutienne que l'idée que vous auei de rous-mefme n'efi pas entière, mais feulement 'imparfaite, lorjque vous vous conceue\ [c'eft à dire vofire efpril) comme vne chofe qui penfe & qui n'e/l point étendue, £• pareillement, lorfque vous vous conceue^ [c'eft à dire vojlre corps) comme vne chofe étendue & qui ne penfe point, il faut voir comment cela a efié prouué dans ce que vous aue'; dit auparauant ; ca)- ie ne penfe pas que ce foit vne chofe fi claire, qu'on la doiue prendre pour vn principe indémon ftrable, & qui n'ait pas béfoin de preuue\

Et quant à fa p, emiere partie, à fçauoir que vous conceuez pleine- ment ce que c'ell que le corps, en penfant | feulement que c'eft vne chofe étendue, figurée, mobile, &c., encore que vous nyiez de luy 264 toutes les chofes qui | apartiennent à la nature de l'efprit, elle efi de peu d'importance; car celuy qui maintieudroit que nofire efpril efi corporel, n'efiimeroit pas pour cela que tout corps fufi efpril, & ainfi le corps feroit à l'efprit comme le genre efi à l'efpece. Mais le genre peut efire entendu fans l'efpece, encore que l'on nie de hij- tout ce qui efi propre 6- particulier à l'efpece : d'oii vient cet axiome de Logique, que, l'efpece eftant niée, le genre n'eft pas nié, ou bien, là où eft le genre, il n'eft pas necell^aire que l'efpece foit ; ainfi ie puis conccuoir la figure fans conceuoir aucune des propriété-^ qui font particulières

a. Non à la ligne (ze^ 2' édit.).

�� � îoi-joî. Quatrièmes Objections. 1^7

au :ercle. Ilrefte donc encore à prouver que l'efprit peut ejlre pleine' vient & entièrement entendu fans le corps.

Or, pour prouuer cette propofition. ie n'aj' point, ce mefemble, trnuue de plus propre argument dans tout cet ouurage que celuj que i'ay alcgué au commencement : afçauoir, ie puis nier qu'il y ait aucun corps au monde, aucune choie étendue, & neantmoins ie fuis alTuré que ie fuis, tandis que ie le nie ou que ie penfe; ie fuis donc vne chofe qui penfe, & non point vn corps, & le corps n'apartient point à la connoiflance que i'a}' de moy-mefme.

Mais ie voy que de là il refulte feulement que ie puis acquérir quel- que connoijj'aiice de mof -me/me fans la connoiffance du corps ; mais, que cette connoiffance foit complette & entière, en telle forte que ie fois affuré que ie ne me trompe point, lorfque i'exclus le corps | de 265 }non effence. cela ne m'eft pas encore entièrement manife/fe. Par exemple :

Pofons que quelqu'un f cache que l'angle au demj--cerclc efi droit, & partant, que le triangle fait de cet angle & du diamètre du cercle efl reâangle ; mats qu'il doute & ne fçaclie pas encor certaiuemenc, voire mefme qu'ayant ejlé deceu par quelque fophifme, il nie que le quarré de la ba^e d'vn triangle rectangle foit égal aux quare^ des co/le:{, il femble que, par la mefme rai fou que propofe Monfieur Des- Cartes, il doiue fe confirmer dans fon erreur & fauffe opinion. Car, dira-t-il, ie connais clairement & diflinclemenl que ce triangle efl reâangle; | ie doute neantmoins que le quaré de fa ba^e foit égal aux quarery des cofîe\ ; donc il n'efl pas de l'effence de ce triangle que le quaré de fa ba\e foit égal aux quarei des cofie-.

En après, encore que ie nie que le quaré de fa ba^e foit égal aux quare\ des cojîei, iefuis neantmoins affuré qu'il efi reâangle, & il me demeure en l'efprit vne claire & difiinâe connoiffance qu'vn des angles de ce triangle efi droit, ce qu'efianl, Dieu mefme ne fçauroit faire qu'il ne foit pas reâangle.

Et partant, ce dont ie doute, & que ie puis mefme nier, la mefme idée me demeurant en l'efprit, n'apartient point à fon effence.

Dauantage, pource que ie fçay que toutes les chofes que ie conçoy clairement & diftinclement, peuuent eflre produites par Dieu telles que ie les conçoy, c'efl: afTez que | ie puilfe conceuoir clairement & 266 diftindement vne chofe fans vne autre, pour cllre certain que l'vne ert différente de l'autre, parce que Dieu les peut feparer. Mais ie conçoy clairement & diftinâement que ce triangle efi reâangle, fans que ie fçache quf le quai'é de fa ba^e foit égal aux quare^ des cofiei; doncques, au moins par la toute puiffance de Dieu, il fe peut faire

�� � 1^8 OEuvRES DE Descartes. 202-20?.

m triangle reâangle dont le quarc de la ba\e ne fera pas égal aux quare\ des coJîe\.

le ne l'oy pas ce que l'on peut icv répondre, fi ce n'eft que cet homme ne connoijl pas clairement & dijlindement la nature du triangle reâangle. Mais d'oii puis-ie fçauoir que ie cannois mieux la nature de mon efprit, qu'il ne connoijl celle de ce triangle ? Car il eft aujji ajfure que le triangle au demy-cercle a m angle droit, ce qui ejl la notion du triangle reâangle, que ie fuis ajj'uré que i'exijte, de ce que ie penje.

Tout ainfi donc que celuy-là fe trompe, de ce qu'il penfe qu'il n'eft pas de l'ejfence de-ce triangle [qu'il connoift clairement & diftinclement e/tre reâangle), que le quaré de fa baie \foit égal aux quare^ des cofle\, pourquoy peut-ejlre ne me trompay-ie pas aufft, en ce que ie penfe que rien autre chofe n'appartient à ma nature [que ie fcay certainement (S- diftinâement eftre nie chofe qui penfe), finon que ie fuis vne chofe qui penfe? veu que peul-ejlrc il efi aufji de mon effence, que ie fois vne chofe étendue. 2C7 \Et certainement, dira quelqu'rn, ce n'eft pas merueille fi, lorfque,

de ce que ie penfe, ie viens à conclure que ie fuis, l'idée que de là ie forme de mof-mefme, ne me reprefente point autrement à mon efprit que comme vne chofe qui penfe, puifqu'elle a efté tirée de ma feule penfée. Et ainfi il nefemblc pas que cette idée nous pu iffe fournir aucun argument, pour prouver que rien autre chofe n'apartieni à 7non effence, que ce qui eft contenu en elle.

On peut adiouter à cela que l'argument propofé femble prouuer trop, €• nous porter dans cette opinion de quelques Platoniciens {laquelle neantmoins noftre auteur réfute), que rien de corporel n'apartient à noftre ejj'ence, en forte que l'homme foi t feulement vn efprit, & que le corps n'en foi t que le véhicule, d'oii vient qu'ils definiffent l'homme vn efprit vfant ou fe feruant du corps.

Que fi vous réponde\ que le cotps n'eft pas abfolument exclus de mon effence, mais feulement en tant que precifement ie fuis ime chofe qui penfe, on pouroit craindre que quelqu'vn ne vinft à foupçonner que peut-eftre la notion ou l'idée que i'ay de moy-mefme, en tant que ie fuis vne chofe qui penfe, ne fait pas l'idée ou la notion de quelque eftre complet, lequel foit pleinement â parfaitement conceu, mais feu- lement imparfaitement & auec quelque forte d'abftraâion d'efprit & reflriâion de la penfée. 268 I C'eft pourquoy, tout ainfi que les Géomètres conçoiuent la ligne

comme vne longueur fans largeur, & la fuperficie comme vne longueur & largeur fans profondeur, quoy qu'il n'y ait point de longueur fans

�� � 2o3-2o5. Quatrièmes Objections. 1^9

largeur, tij- de largeur fans profondeur ; peut-eflre aufjï quelqu'un poura-t-il mettre en doute, fçauoirf \ tout ce qui penfe n'ejî point auffi vne chofe étendue, mais qui, outre les propriete\ qui luj font com- munes auec les autres chofes étendues, comme d'ejlre mobile, fi gurable, &c., ait aujji cette particulière vertu & faculté de penfer, ce qui fait que, par vne abflradion de l'efprit, elle peut eflre conceuë auec cette feule vertu comme vne chofe qui penfe, quoy qu'en effed les propriété^ & qualité^ du corps conuiennent à toutes les chofes qui penfent ; tout ainji que la quantité peut eflre conceuë auec la longueur feule, quoy qu'en effed il n'y ait point de quantité à laquelle, auec la longueur, la largeur & la profondeur ne conuiennent.

Ce qui augmente cette difficulté ejl que cette vertu de penfer femble eflre attachée aux organes corporels, puifque dans les enfans elleparoijl ajfoupie, & dans les fou x tout affait éteinte & perdue; ce que les per- fonnes impies & meurtrières des âmes nous obieâent principalement.

Voylà ce que i'auois à dire touchant la diflindion réelle de l'efprit d'auec le corps. Mais puifque Alonfieiir Des-Cartes a entrepris de démontrer l'immortalité de l'ame, on peut demander a\uec raifon fi 269 elle réfulte euidcmmeni de cette di/tinclion. Car, félon les principes de la philofophie ordinaire, cela ne s'enfuit point du tout; veu qu'ordi- nairement ils difent que les âmes des bejtes font diftinâes de leurs corps, & que neantmoins elles perijjent auec eux.

I'auois étendu iufques-icy cet efcrit, £• moti dejfein efloitde montrer comment, félon les principes de noftre auteur [lefquels ie penfois auoir recueillis de fa façon de philofopher), de la réelle diflindion de l'efprit d'auec le corps, fon immortalité fe conclut facilement, lorfqu'on m'a mis entre les maitis vn fommaire des fx Méditations fait par le mefme auteur, qui, outre la grande lumière qu'il apporte à tout fon ouurage, contenoit fur ce fujet les mefmes raifons que i'auois méditées pour la folulion de cette queflion.

Pour ce qui ejl des âmes des be/les, il a défia affe:{fait connoiflre, | en d'autres lieux, que fon opinion ejl qu'elles" n'en ont point, mais feule- ment vn corps figuré d'vne certaine façon, & compofé de plufieurs dif- ferens organes difpofCy de telle forte, que toutes les opérations que nous voyons peuuent eflre faites en luy & par luy.

Mais il y a lieu de craindre que cette opinion ne puiffe pas trouuer créance dans les efprits des hommes, fi elle n'efi foutenuë (^ prouuée par de très fortes raifons. Car cela femble incroyable d'abord, qu'il fe puiffe faire, fans le minifiere d'aucune ame, | que la lumière qui 270

a. « qu'ils » [i" édit.).

�� � i6o Œuvres de Descartes. 205-206.

reflcchit du corps du loup dans les yeux de la brebis, remue les petits filets des nerfs optiques, & qu'en vertu de ce mouuement, qui va iuf' qu'au cerueau, les cfprits animaux forent répandus dans les nerf en la manière qu'il cfl ncccjfaire pour faire que la brebis prenne la fuite.

l'adiouteraj feulement icy que i'nprouue grandement ce que Mon- fieur Des-Cartes dit toucha>iî la di/îinâion qui ejl entre l'imagination & la peifée ou l'intelligence; & que c'a toufiours ejlé mon opinion, que les choies .jue nous conceuons par la rai/on font beaucoup plus cer- taines que celles que les fens corpoi-cls uo:is font aperceuoir. Car il y a long temps que i'ay apris de Saint Augujtin, Chap. iS, De la quan- tité de l'ame, qu'il faut reietter le fentiment de ceux qui fe perfuadent que les chofes que nous voyons par l'efprit, font moins certaines que celles que nous voyons par les yeux du corps, qui font toifiours trouble\ par la pituite. Ce qui fait dire au mefme Saint Augujtin, dans le Hure premier de fes Solil., Chapitre <^>% qu'il a expéri- menté plufieurs fois qu'en matière de Géométrie les fens Jont comme des vaifjéaux.

Car, dit-il, lorlque, pour rellabliffement & la prcuue de quelque propofition de Géométrie, le me fuis laiffé conduire par mes fens iufqu'au lieu où ie pretendois aller, ie n€ les ay pas plutoil quittez que, venant à repalier par ma penfée toutes les chofes qu'ils fem- bloient m'auoir aprifes, ie me fuis trouué l'efprit aulli inconllant que 271 font les ] pas de ceux que l'on vient de mettre à terre après vne longue nauigation. C'eft pourquoy ie penfe qu'on pouroit plutoil trouuer l'art de nauiger l'ur la terre, que de pouuoir comprendre la Géométrie par la feule entremife des fens, quoy qu'il femble qu'ils n'aident pas peu ceux qui commencent à l'apprendre.

|De Dieu.

La première raifon que nojlre auteur apporte pour démontrer l'exi'

Jlence de Dieu, laquelle il a entrepris de prouuer dans fa troifiéme

Méditation, contient deux parties : la première eji que Dieu exijle,

parce que fon idée eft en moy ; & la féconde, que moy, qui ay vne telle

idée, ie ne puis venir que de Dieu.

Touchant la première partie, il n'y a qu vne feule chofe que ie ne puis aprouuer, qui ejt que, Monfieur Des-Cartes ayant foutenu que la

a. Le chiffre manque dans la i" édition. — Voir t. III, p. 359, 1- -> '^^ il faut lirt cap. 4" (et non 40).

�� � faiiffelé ne Je trouiie proprement que dans les iiigemens, il dit neant-moins, vn peu apre-^, qu’il y a des idées quipeuueut, non pas à la vérité formellement, mais matériellement, ejire faujfes : ce qui me femble auoir de la répugnance auec jes principes.

Mais, de peur qu’en vue ynatierefi obfcure ie ne puijfe pas expliquer ma penfée affe^ nettement, ie me feruiray d’vn exemple qui la rendra plus manifejle. Si, dit-il, le froid elt l’eulement vne priuation | de la 272 chaleur, l’idée qui me le reprefente comme vne choie pofitiue, lera matériellement fauſſe.

Au contraire, si le froid est seulement une privation, il ne poura y auoir aucune idée du froid, qui me le reprefente comme une chose positive ; & icy nostre auteur confond le jugement avec l’idée.

Car qu’ejt-ce que l’idée du froid? C’e/l le froid mefme, en tant qu’il ejt obieâiuementdans l’entendement; mais fi le froid ejl vne priuation, ilnefçauroit ejîre obieâiuement dans l’entendement par vne idée de qui l’ejlre obiediffoit vn eJlre pofitif ; doncques.fi le froid eft feulement vne priuation, iamais l’idée n’en poura efre pofitiue, €• confequem- mcnt il n’j en poura auoir aucune qui fait matériellement faujjé.

Celafe confirme par le mefme argument que Monfieur Des-Cartes employé pour prouuer que l’idée d’vn eJlre infini eft neceffairement vraye. Car, bien que l’on puijfe feindre \qu’vn tel eftre n’exifte point, on ne peut pas neantmoins feindre que fon idée ne me reprejente rii-n

de réel.

La mefme chofe fe peut dire de toute idée pofitiue ; car, encore que l’on puiffe feindre que le froid, que ie penfe eftre reprefente par vne idée pofitiue, nefoitpas vne chofe pofitiue, on ne peut pas neantmoins feindre qii’vne idée pofitiue ne me reprefente rien de réel & de pofiitif \mt que les idées ne font pas apelées pojlliiies félon l’eftre \ qu’elles ont 273 en qualité de modes ou de manières de penfer, car en ce fens elles ferofent toutes pofitiiies ; mais elles font ainfi apelées de l’eftre objectif qu’elles contiennent & reprefentent à nofire efprit. Partant, cette idée peut bien n’eftrepas l’idée du froid, mais elle ne peut pas eftre faiifc.

Mais, direi-vous, elle eft faujfe pour cela mefme qu’elle n’eft pas l’idée du froid. Au contraire, c’eft voftre ingénient qui eft faux, fi vous la iugei eftre l’idée du froid ; mais, pour elle, il eft certain qu’elle e/l tres-vraye ; tout ainfi que l’idée de Dieu ne doit pas materiellemeu! mefme eftre apelée faujfe, encore que quelqu’vn la pui’"'- ’ransferer & raporter à vne chofe qui ne foit point Dieu, comme ont fait les idolâtres.

Enfin cette idée du froid, que vous dites eftre matériellement faujfe, que reprefente-t-elle à vofire efprit ? Vne priuation ? Donc elle eft 102 Œuvres de Descartes.

��207-209.

��v?'a/e. Vn ejîre pofitif? Donc elle n'ejl pas l'idée du froid. Et déplus, quelle ejl la caufe de cet eJîre pofitif obieâifqui, félon voflre opinion, fait que cette idée fait 7nateriellement faujfe? C'ert, dites-vous, moy- mefme, en tant que ie participe du néant. Doncques l'efîre obieâif pofitif de quelque idée peut venii' du néant, ce qui neantmoins répugne tout affait à vos premiers fondemens.

274 Mais venons à la féconde partie de cette démonjiration, en laquelle

on demande, fi moy, qui ay | l'idée d'vn eftre infini, ie puis eftre par vn autre que parvn efire infini, & principalement! fi ie puis eftre par moy-mefme. Monfteur Des-Cartes foutient que ie ne puis eJlre par moj-mefme, d'autant que, fi ie me donnois l'eftre, ie me donnerois aulfi toutes les perfedions dont ie îrouue en moy quelque idée. Mais l'auteur des premières Obieâions réplique fort fubtilement : Eftre par Iby ne doit pas e/tre pris pofitiuement, mais neganuement, en forte que ce foi t le mefme que n'eftre pas par autruy. Or, adioute-t-il, fi quelque chofe eft par Iby, c'eft à dire non par autruy, comment prou- uerez-vous pour cela qu'elle comprend tout, & qu'elle eft infinie? Car à prel'ent ie ne vous écoute point, fi vous dites : puifqu'elle eft par loy, elle fe fera aifement donné toutes chofes; d'autant qu'elle n'eft pas par foy comme par vne caufe, & qu'il ne luy a pas efté pof- fible, auant qu'elle fuft, de preuoir ce qu'elle pouroit eftre, pour choifir ce qu'elle feroit après.

Pour foudre cet argument, Monfieur Des-Cartes répond que cette façon de parler, eftre par iby, ne doit pas eJîre prife negatiuement, mais pofitiuement, eu égard mefme à l'exiftence de Dieu; en telle forte que Dieu fait en quelque façon la mefme chofe à l'égard de foy- mefme, que la caufe efficiente à l'égard de fon efteift. Ce qui mefembte vn peu hardf, & n'ejîre pas véritable.

C'ejt pourquoj ie conuiens en partie auec luy, & en partie ie n'y

27B conuiens pas. Car i'auouëbien que ie ne puis eftre par moy-mefme que pofitiue\ment, mais ie nie que le mejme fe doiue dire de Dieu. Au con- traire, ie trouue vne manifejîe contradiclion que quelque chofe foit par foy pofitiuement & comme par vne caufe. C'ejt pourquoy ie conclus la mefme chofe que nojlre auteur, mais par me l'oye tout affait diffé- rente, en cette forte :

Pour ejtre par moy-mefme, ie deurois eflre par moy poiitiuement &\commepar vne caufe ; doncques il eft impoffible que te fois par moy- mefme. La maieure de cet argument ejt prouuée par ce qu'il dit luy- mefme, que les parties du temps pouuant eftre feparées, & ne dépen- dant point les vues des autres, il ne s'enfuit pas, de ce que ie luis, que ie doiue eftre encor à l'aucnir, fi ce n'eft qu'il y ait en moy

�� � 209-210. Quatrièmes Objections. i6j

quelque puiflance réelle & politiue, qui me crée quafi derechef en tous les momens.

Quant à la mineure, à fçauoir que ie ne puis eftre par moy pofiti- uement & comme par vne caufe, elle me J'emble fi manifejîe par la lumière naturelle, que ce ferait en vain qilon s'arrejleroit à la vouloir prouuer, puifque ce feroit perdre le temps àprouuer vne cliofe connue par vne ai ire moins connue. Nq/îre auteur me/me femble en auoir reconnu la vérité, lorj'qu'il n'a pas ofé la nier ouuei-lement. Car, ie vous prie, examinons foigneufement ces paroles de fa Réponfe aux premières Obiecîions :

le n'a}' pas dit, dit-il, qu'il eit impolFible qu'vne choie loit la caufe efficiente de loy-mefme ; car, encore que cela foit | manifeltement 276 véritable, quand on reftraint la fighification d'efficient à ces fortes dt caufes qui ibnt différentes de leurs efFects, ou qui les précèdent en temps, il ne femble pas neantmoins que, dans cette queftion, on la doiue ainfi rellraindre, parce que la lumière naturelle ne nous difte point que ce foit le propre de la caufe efficiente de précéder en temps fon effecl.

Cela eft fort bon pour ce qui regarde le premier membre de cette diftinâion ; mais pourquoj a-t-il obniis le fécond, & que n'a-t-il adiouté que la mefme lumière naturelle ne nous diâe point que ce foit le propre de la caufe efficiente d'e/lre différente de fon effeâ, finon parce que la lumière naturelle ne luy permettoit pas de le dire?

Et de vraj-, tout effeâ eftant dépendant de fa caufe, & receuant d'elle fon effre, n'e/l-il pas tres-euident qu'vne me/me chofe\ne peut pas dépendre ny receuoir l'ejlre de fof-mefme?

Dauantage, toute caufe eff la caufe d'vn effeél, & tout effeâ eft V effeâ d'vne caufe, & partant, il y a vu raport mutuel entre la caufe & l'effeâ : or il ne peut j' auoir de raport mutuel qu'entre deux chofes.

En après, on ne peut conceuoir, fans abfwdité, qu'vne chofe reçoiue l'eftre, & que neantmoins cette mefme chofe ait l'eftre aitparaiiant que nous ayons conceu qu'elle l'ait receu. Or cela arriueroitji nous attri- buions les notions de cnufe & d'effeâ à vne mefme chofe au regard de fof -mefme. Car \ quelle eft la notion d'vne caufe? Donner l'eftre. 277 Quelle eft la notion d'vn effeâ ? Le receuoir. Or la notion de la caufe précède naturellement la notion de l'effeâ.

Maintenant, nous ne pouuons pas conceuoir vne chofe fous la notion de caufe, comme donnant l'eftre, fi nous ne conceuons qu'elle l'a ; car

a. Il faudrait lire ici, /eco«i, et à la ligne suivante, premier, au lieu de fécond, les deux membres ayant été intervertis dans la traduction.

�� � 164

��OEuvRES DE Descartes.

��perfonne ne peut donner ce qu'il n\i pas. Doncqiies nous conceurions premièrement qu'inie chofe a l'ejlre, que nous ne conceurions qu'elle l'a receu; & neanlmoins, en celuj qui reçoit, receuoir précède l'auoir.

Cette rai/on peut ejlre encore ainjt expliquée : perfonne ne donne ce qu'il n'a pas ; doncques perfonne ne fe peut donner l'ejlre, que celuy qui l'a défia; or, s'il l'a defia, pourquoj- fe le donneroit-il?

Enfin, il dit qu'W eft manifeile, par la lumière naturelle, que la création n'eft dillinguée de la conferuation que par la raifon. Mais il ejl aufji manifefle, par la mefne lumière naturelle, que rien ne fe peut créer foy-mefme, nj- par confequent aufji fe conferuer.

Que fi de la tliefe générale nous defcendons à Hij-pothefe fpeciale de Dieu, la chofe fera encore, à mon aduis, plus manifejle, àfçauoir que Dieu ne peut eflre par foy pofitiuement, mais feulement negati- uement, c'ejî à dire non par autruy.

278 \Et premièrement cela efl euident par la raifon \ que Monfteur Des- Cartes aporte pour prouuer que, fi le corps eit par foy, /'/ doit éJlre

par foy pofitiuement. Car, dit-il, les parties du temps ne dépendent point les vnes des autres; & partant, de ce que l'on fupofe que ce corps iufqu'à cette heure a efté par foy, c'eil: à dire fans caufe, il ne s'enfuit pas pour cela qu'il doiue élire encore à l'auenir, fi ce n'elt qu'il y ait en luy quelque puilfance réelle & pofitiue,qui, pour ainfi dire, le reproduife continuellement.

Mais tant s'en faut que cette raifon puiffe auoir lieu, lorfqu'il eft quejlion d'vn eftre fouuerainement parfait & infini, qu'au contraire, pour des raisons tout ajfail oppofées, il faut conclure tout autrement . Car, dans l'idée d'rn eftre infini, l'infinité de fa durée j- eft aufii con- tenue, c'eft à dire qu'elle n'eft point renfermée dans aucunes limites, & partant, qu'elle eft indiuifible, permanente & Jubfiftante toute à la fois, & dans laquelle on ne peut fans erreur & qu'improprement, à caufe de l'imperfeâion de noftre ejprit, conceuoir de pajfé ny d'auenir.

D'oii il eft manifefte qu'on ne peut conceuoir qu'rn eftre infini exifte, quand ce ne feroil qu'vn moment, qu'on ne conçoiue en mefne temps qu'il a toufiours efté & qu'il fera éternellement [ce que noftre auteur mefne dit en quelque endroit), & partant, que c'eft me chofe fiperfiuë de demander pourquoy il perfeuere dans l' eftre.

279 Voire mefne, comme l'en feigne Saint Auguftin \ [lequel, après les auteurs facre\, a parlé de Dieu plus hautement & plus dignement qu'aucun autre], en Dieu il >i'y a point de paffé nv de futur, mais m continuel prefent; ce qui fait ruir clairement qu'on ne peut fans abfurdité demander pourquoy Dieu perfeuere dans l'eftre, rcu que

�� � 211-213. Quatrièmes Objections. 165

cette quejlioli emieloppe manifeftement le deuant & l'aprês, le paffé £■ le futur, qui doiuenl eftre bannis de l'idée d'vn ejtre infini.

Dauantage on ne peut pas conceuoir que Dieu foit par foy pofiti- uement, (cowwe s7/ s'efioit hir-mefme premièrement produit, car il aurait efié auparauant que d'ejlre; mais feulement (comme nojire auteur déclare en plufieurs lieux), parce qu'en effeâ il fe conferue.

Mais la conferuation ne conuient pas mieux à l'eflre infini que la première production. Car qu'eft-ce, ie vous prie, que la conferuation, Jinon vue continuelle reprodiiéîion d'vne chofe? d'où il arriue que toute conferuation fupofe me première produâion. Et c'eft pour cela mefme que le nom de continuation, comme aujji celuj' de conferuation, ejîant plutojt des noms de puiffance que d'aâe, emportent auec foy quelque capacité ou difpofition à receuoir; mais l'e/lre infini efi tni aâe tres-pur, incapable de telles difpofitions.

Concluons donc que nous ne pouuons conceuoir que Dieu foit par joy pofitiuement, fvion à caufe de l'imperfeâion de nofire efprit, qui conçoit I Dieu à la façon des chofes créées ; ce qui fera encoî'e plus 280 euident par cette autre raifon :

On ne demande point la caufe efficiente d'vne chofe, finon à raifon de fou exifience, & non à raifon de fon ejfence : par exemple, quand on demande la caufe efficiente d'tm triangle, on demande qui a fait que ce triangle foit au monde ; mais ce ne feroit pas fans abfurdité que ie demandetois la caufe efficiente pour-quoy vn triangle afes trois angles égaux à deux droits; & à celuy qui feroit cette demande, on ne ré- pondrait pas bien par la caufe efficiente, mais an doit feulement ré- pondre, parce que telle efi la nature du triangle; d'oii vient que les Mathématiciens, qui nefe mettent pas beaucoup en peine de l'exifience de leur obiet, ne font aucune demonfiration par la caufe efficiente & finale. Or il n'ejl pas moins de l'effence d'vn efire infini d'exifier, voire mefme, fi vous voule\, de verfeuerer dans l'efire, qu'il efi de l'effence d'vn triangle d'auoir fes trois angles égaux à deux droits. Doncques, tout ainfi qu'à celuy qui demanderait pourquoy l'ji triangle a fes trois angles égaux à deux drois, on ne doit pas répondre p-ir la caufe efficiente, mais feulement : parce que telle efi la nature im- muable & éternelle du triangle ; de mefme, fi quelqu'vn demande pourquoj Dieu efi, ou pourquay il ne ceffe point d'ejlre, \ il ne faut point chercher en Dieu, ny hors de Dieu, de caufe efficiente, ou quafi efficiente [car ie ne difpute pas \ icy du nom, mais de la chofe), mais 28i il faut dire, pour toute raifon, parce que telle efi la nature de l'efire fouuerainement parfait.

C'eft pourquoy, à ce que dit Monfieur Des-Cartes, que la lumière

�� � 282

��i66 Œuvres de Descartes. 213-214.

naturelle nous dide qu'il n'y a aucune chofe de laquelle il ne foit permis de demander pourquoy elle exifte, ou dont on ne puiffe re- chercher la caufe efficiente, ou bien, 11 elle n'en a point, demander pourquoy elle n'en a pas befoin, ie répons que, fi on demande pourqiioj' Dieu exijfe, il ne faut pas répondre par la caufe efficiente, mais feulement : parce qu'il efl Dieu, c'efl à dire vu eftre infini. Que fi on demande quelle efl fa caufe efficiente, il faut répondre qu'il n'en a pas befoin; iL'- enfin, fi on demande pourquoy il n'en a pas befoin, il faut répondre : parce qu'il efl vu ejlre infini, duquel l'exiflence efl fon effence ; car il n'y a que les chofes dans lefquelles il efl permis de diflinguer l'exiflence actuelle de Tefence, qui ayent befoin de caufe efficiente.

Et partant, ce qu'il adioute immédiatement après les paroles que ie viens de citer, fe détruit de foy-mefme, àfçauoir : Si ie penfois, dit-il, qu'aucune choie ne peuit en quelque façon eftre à l'égard de fov- mefme ce que la caule efficiente eft à l'égard de l'on eftect, tant s'en faut que de là ie vouluffe conclure qu'il y a vne première caufe, qu'au contraire de celle-là mefme qu'on appelleroit première, ie rc- chercherois derechef la caufe, & ainfi ie ne viendrois iamais à vne première.

I Car, au contraire, fi ie penfois que, de quelque chofe que ce fuft, il falufi rechercher la caufe efficiente, on quafi efficiente, i'aurois dans l'efprit de chercher vne caufe différente de cette chofe ; d'autant \qu'il ejî manifefle que rien ne peut en aucune façon eftre à l'égard de foy-mefme ce que la caufe efficiente efi à l'égard de fon effeél.

Or il me femble que nofire auteur doit eftre auerti de confiderer

diligemment & aiiec attention toutes ces chofes, parce que ie fuis

affuré qu'il y a peu de Théologiens qui ne s'offenfent de cette propo-

fition, àfçauoir, que Dieu eft par foy pofitiuement, & comme ji;ar

vne caufe.

// ne me refle plus qutmfcrupule, qui eft de fçauoir comment ilfe peut deffendre de ne pas commettre vn cercle, lorfqu'U dit que nous ne fommes affurez que les chofes que nous conceuons clairement & diftindement font vrayes, qu'à caufe que Dieu eft ou exifte.

Car nous ne pouuons efire affure\ que Dieu eft, finon parce que nous conceuons cela tres-clairement & tres-diflindement ; doncques, auparauant que d'eftre affure:{ de l'exiflence de Dieu, nous deuons eftre affurei que toutes les chofes que nous conceuons clairement & diftinctement font toutes vi-a/es.

l'adiouteray tme chofe qui m'efloit efchapée, c'efl à fçauoir, que cette propofition me femble fauffe que Monfieur Des-Cartes donne

�� � îi4-2>5. Quatrièmes Objections, 167

' 283 jiouv vue l'erité \ Ires-conjlante, à Içauoir que rien ne peut eftre en luy, en tant qu'il elt vne choie qui penl'e, dont il n'ait connoilTance. Car par ce mot, en luy, en tant qu'il ell vne chofe qui pcnfe, il n'entend autre chofe que fou efprit, en tant qu'il eft diftingué du corps. Mais qui ne void qu'il peut y auoir phijieurs clio/es en l' efprit, dont l'efprit mefne n'ait aucune connoijfance ? Par exemple, l'efprit d'vn enfant qui eft dans le ventre de fa mère, a bien la vertu ou la faculté de penfer, mais il n'en a pas connoijfance. le pajfe fous filence vn grand nombre de femblables chofes.

��Des choses qui peuuent arester les Théologiens.-

Enfin, pour finir vn difcours qui n'efl defia que trop ennuyeu.x, le veux icy traitter les chofes le plus briéuement qu'il me fera pojjible, & à ce fiijet 7non dejjein ejf de marquer feulement les difficulté^, fans m'arefler a vne difpute plus exaâe.

Premièrement, ie crains que quelques vus ne s'ofenfent de cette libre \ façon de philofopher, par laquelle toutes chofes font réuoquées en doute. Et dei'raj- noftre auteur mefme coufejfe, dans fa Méthode, que cette j'oj-e ejl dangereufe pour les foibles efpris ; i'auoùe néant- 284 moins qu'il tempère vn \ peu lefujet de cette crainte dans l'abrégé de fa première Méditation.

Toutesfois ie ne fçaj- s'il )ie feroit point à propos de la munir de quelque préface, dans laquelle le lecîeur fujt auerti que ce n'efl pas ferieufement & tout de bon que l'on doute de cea chofes, mais ajin qu'ajant pour quelque temps mis à part toutes celles qui peuuent donner le moindre doute, uu, comme pa>-le nq/lre auteur eu vn autre endroit, qui peuuent donner à noitre efprit vne occafion de douter la plus hyperbolique, nous voj-ions fi, après cela, il n'y aura pas moyen de trouuer quelque vérité qui foit fi ferme d- fi affurée, que les plus opiniaflresn'en puijfent aucunement douter. Et aufi'i, au lieu de ces paroles : ne connoiffant pas l'auteur de mon origine, ie penjerois qu'il vaudrait mieux mettre : feignant de ne pas connoiilre.

Dans la quatrième Méditation, qui traite du vray & du faux, ie voudrais, pour plufieurs raifons qu'il feroit long de raporter icj', que Monfieur Des-Carles, dans fou abrégé, ou dans le tijfu mefme/ de. cette Méditation, auerlifl le lecleur de deux chofes.

La première, que, lorfqu'il explique la caufe de l'erreur, il entend principalement parler de celle qui fe commet dans le difcernement du

�� � i68 Œuvres de Descartes. 215-216.

iTO}'- & du faux, & non pas de celle qui arriue dans la pourfuite du bien & du mai 285 Car, puifque cela fufit pour le dejfein & le but | de nojlre auteur, & que les chofes qu'il dit icy touchant la caufe de l'erreur foufri- royent de très-grandes obieâions, fi on les étendait aujji à ce qui re- garde la pourfuile du bien & du mal, il mefemble qu'il ejl de la pru- dence, & que l'ordre me/me, dont nojlre auteur paroifi fi ialoux, requiert que toutes les chofes qui ne feruent point au fuiet, & qui \peuucnt donner lieu à plufieurs difputes, fojent retranchées, de peur que, tandis que le lecteur s'amujé inutilement à difputer des chofes qui fontfuperjhiës. Une foit diuerti de la connoiffance des neceffaires.

La féconde chofe dont ie voudrois que nofire auteur donna/1 quelque auertiffement, efi que, lorfqu'il dit que nous ne deuons donner nojlre créance qu'aux chofes que nous conceuons clairement & difiincîement, cela s'entend feulement des chofes qui concernent les Jciences, & qui tombent foui nofire intelligence, & non pas de celles qui regardent lafof & les aâions de nofire vie ; ce qui a fait qu'il a toujiours con- damné l' arrogance & prefomption de ceux qui opinent, c'efi à dire de ceux qui penfentfçauoir ce qu'ils ne fçauent pas, mais qu'il n'a iamais blâmé la iujte perjuafion de ceux qui croyent auec prudence.

Car, comme remarque fort iudicieufement S. Augujtin au Cha- pitre i5 DE l'utilité de la croyance, il y a trois choies en l'efprit de l'homme qui ont entr'elles vn très-grand raport, & ferîibient qua/i 286 n'eftre qu'vne mefme choie, mais qu'il faut | neantmoins tres-foi- gneufement diftinguer, fçauoir eft : entendre, croire & opiner.

Celuy-la entend^ qui comprend quelque chofe par des raifons cer- taines. Celuy-la croit, lequel, emporté par le poids & le crédit de quelque graue et puiffante autorité, tient pour vray cela mefme qu'il ne comprend pas par des raifons certaines. Celuy-la opine, qui fe perfuade ou plutoft qui prefume de fçauoir ce qu'il ne fçait pas.

Or c'eft vne choie honteufe & fort indigne d'vn homme que d'opiner, pour deux raifons : la première, pource que celuy-la n'eft plus en eltat d'aprendre, qui s'efl defia perfuade de fçauoir ce qu'il ignore; & la féconde, pource que la prefomption eil de foy la marque d'un efprit mal fait & d'un homme de peu de fens.

Doncques ce que nous entendons, nous le deuons à la raifon ; ce que nous croyons, à l'autorité; ce que nous opinons, à l'erreur. le dis cela afin que nous fçachions qu'adioutant foy mefme aux chofes que nous ne comprenons pas encore, nous lommes exemps de la prefomption de ceux qui opinent. Car ceux qui difent qu'il ne faut rien croire que ce que nous fça-

�� � 2i6-2i8. QlTATRIÉMES OBJECTIONS. 169

uons, tafchent feulement de ne point tomber dans la faute de ceux qui opinent, laquelle | en eifecl eft de foy honteufe & blafmable. Mais fi quelqu'vn confidere auec foin la grande différence qu'il y a, entre celui qui prefume fçauoir ce qu'il ne fçait pas, & celuy qui croit ce qu'il fçait bien qu'il n'entend pas, y eftant toutesfois porté par quelque puiffante autorité, il verra que celu}'-cy euite fagement le péril de l'erreur, le blafme de peu de confiance | & d'humanité, 287 & le péché de fuperbe '.

Et vn peu après, Chap. 12, il adioute :

On peut aporter plufieurs raifons qui feront voir qu'il ne reile plus rien d'aflurc parmy la focieté des hommes, fi nous Ibmmes refolus de ne rien croire que ce que nous pourons connoiftre cer- tainement. Iiifques icf Saint Augujîin.

Monjieitr Des-Carles peut maintenant iuger combien il ejl necej- faire de dijlinguer ces cliofes, de peur que plufieurs de ceux qui panchent auiourdhuy vers l'impiété, ne pui£eut fe feruir de fes pa- roles pour combatre la foj & la vérité de nojîre créance.

Mais ce dont ie preuoy que les Théologiens s' offenferont le plus, ejl que, félon fes principes, il ne femble pas que les chofes que l'Eglife nous enfeigne louchant le facré myjlere de l'Euchariflie puiffent fub- Jijler & demeurer en leur entier.

Car nous tenons pour article de fof que la fubftance du pain eftant oftée du pain Euchariftique, les feuls accidens y demeurent. Or ces accidens font l'étendue, la figure, la couleur, l'odeur, la faueur, dî- tes autres qualite:{fenfibles.

De qualite:{ fenfibles nofire auteur n'en reconnoifi point, mais feu- lement certains differens mouuemens des petits corps qui font autour de nous, par le moyen defquels nous fentons ces différentes impref- ftons, lefquelles puis après nous apelons du nom de couleur, de fa- ueur, d'odeur &c. \ Ainf il refie feulement la figure, l'étendue & la 288 mobilité. Mais nofire auteur nie que ces faculté^ puiffent efire enten- dues fans quelque fubfiance en laquelle elles refident, \& partant aujji, qu'elles puiffent exifier fans elle; ce que mefme il répète dans Jes Réponfes aux premières Obieclions.

Il ne reconnoifi poiiil auffi entre ces modes ou ajfeâions de la fub- fiance, & la fubftance, de diflinélion autre que la formelle, laquelle ne fufjit pas, ce femble, pour que les chofes qui font ainfi difiinguées, puiffent efire féparées Vvne de l'autre, mefme par la toute puiffance de Dieu.

a. Non à la ligne.

Œuvres. IV. aa

�� � 170 OEuvRES DE Descartes. 218-219.

le ne douta point que Monfieur Des-Cartes, dont la pieté nous eji très connue, n'examine & ne pefe diligemment ces chofes, & qu'il ne iuge bien qu'il hiy faut foigneufement prendre garde, qu'en tachant de Joutenir la caufe de Dieu contre l'impiété des libertins, il ne femble pas leur auoir mis des armes en main, pour combatre vue for que l'autorité du Dieu qu'il défend a fondée, & au moyen de laquelle il efpere paruenir à cette vie itnmortelle qu'il a entrepris de perfuader aux hommes.

��289

RÉPONSES DE L'AVTEVR

AUX QUATRIEMES OBJECTIONS

Faites par Monfieur Arnauld, Docleur en fheologie.

LETTRE DE l'auteur AU R. P. MERSENNE.

Mon R. Père, Il m'euft efté dificile de fouhaiter vn plus clairuoyant & plus offi- cieux examinateur de mes écris, que celuy dont vous m'auez enuoyé les remarques; car il me traite auec tant de douceur & de ciuilité, que ie voy bien que l'on delTein n'a pas efté de rien dire contre moy ny contre le fuiet que i'ay traitté; & neantmoins c'eft auec tant de foin qu'il a examiné ce qu'il a combatu, que i'ay raifon de croire 290 que rien ne luy a échapé. Et outre cela il infifte fi viuement contre les I chofes qui n'ont peu obtenir de luy fon aprobation, que ie n'ay pas fujet de craindre qu'on | eftime que la complaifance luy ait rien fait diffimuler; c'eft pourquoy ie ne me mets pas tant en peine des obieclions qu'il m'a faites, que ie me réjouis de ce qu'il n'y a point plus de chofes en mon écrit aufquelles il contredife.

RÉPONSE A LA PREMIERE PARTIE. DE LA NATURE DE L'ESPRIT HUMAIN.

le ne m'arefteray point icy à le remercier du fecours qu'il m'a donné en me fortifiant de l'autorité de Saint Auguftin, & de ce qu'il a propofé mes raifons de telle forte, qu'il fembloit auoir peur que les autres ne les trouuaffent pas aflez fortes & conuaincantes.

Mais ie diray d'abord en quel lieu i'ay commencé de prouuer

�� � comment, de ce que ie ne connois rien autre choſe qui appartienne à mon eſſence, c’eſt à dire à l’eſſence de mon eſprit, ſinon que ie ſuis vne choſe qui penſe, il s’enſuit qu’il n’y a auſſi rien autre choſe qui en effect luy appartienne. C’eſt au meſme lieu où i’ay prouué que Dieu eſt ou exiſte, ce Dieu, dis-ie, | qui peut faire toutes les choſes que ie conçoy 291 clairement & diſtinctement comme poſſibles.

Car, quoy que peut-eſtre il y ait en moy pluſieurs choſes que ie ne connois pas encore (comme en effect ie ſupoſois en ce lieu-là que ie ne ſçauois pas encore que l’eſprit euſt la force de mouuoir le corps, ou de luy eſtre ſubſtantiellement vny), neantmoins, d’autant que ce que ie connois eſtre en moy me ſufit pour ſubſiſter auec cela ſeul, ie ſuis aſſuré que Dieu me pouuoit créer ſans les autres choſes que ie ne connois pas encore, & partant, que ces autres choſes n’apartiennent point à l’eſſence de mon eſprit.

Car il me ſemble qu’aucune des choſes ſans leſquelles vne autre peut eſtre, n’eſt compriſe en ſon eſſence ; & encore que l’eſprit ſoit de l’eſſence de l’homme, il n’eſt pas neantmoins, à proprement parler, de l’eſſence de l’eſprit, qu’il ſoit vny au corps humain.

| Il faut auſſi que i’explique icy quelle eſt ma penſée, lorſque ie dis qu’on ne peut pas inſerer vne diſtinction réelle entre deux choſes, de ce que l’vne eſt conceuë ſans l’autre par vne abſtraction de l’eſprit qui conçoit la choſe imparfaitement, mais ſeulement, de ce que chacune d’elles eſt conceuë ſans l’autre pleinement, ou comme vne choſe complete.

Car ie n’eſtime pas qu’vne connoiſſance entiere & parfaite de la choſe ſoit icy requiſe, comme le pretend Monſieur Arnauld ; mais il y a en cela cet|te difference, qu’afin qu’vne connoiſſance ſoit entiere 292 & parfaite, elle doit contenir en ſoy toutes & chacunes les proprietez qui ſont dans la choſe connuë. Et c’eſt pour cela qu’il n’y a que Dieu ſeul qui ſçache qu’il a les connoiſſances entieres & parfaites de toutes les choſes.

Mais, quoy qu’vn entendement créé ait peut-eſtre en effect les con- noiſſances entieres & parfaites de pluſieurs choſes, neantmoins iamais il ne peut ſçauoir qu’il les a, ſi Dieu meſme ne luy reuele particu- lierement. Car, pour faire qu’il ait vne connoiffance pleine & en- tiere de quelque choſe, il eſt ſeulement requis que la puiſſance de connoiftre qui eft en luy égale cette chofe, ce qui fe peut faire ayſement ; mais pour faire qu’il ſçache qu’il a vne telle connoiſ- fance, ou bien que Dieu n’a rien mis de plus dans cette choſe que ce qu’il en connoift, il faut que, par ſa puiſſance de connoiſtre, il égale la puiſſance infinie de Dieu, ce qui eft entierement impof

Or, pour connoiſtre la diſtinction réelle qui eſt entre deux choſes, il n’est pas neceſſaire que la connoissance que nous auons de ces choſes soit entière & parfaite, si nous ne ſçauons en meſme temps qu’elle est telle ; mais nous ne le pouuons iamais fçauoir, comme ie viens de prouuer ; donc il n’est pas neceſſaire qu’elle soit entière & parfaite.

293 C’est pourquoy, où l’ay dit qu’il ne suffil pas quvne chofi soit coiiceuëfans vue attire \ par une abstraction de l’esprit qui conçoit la chose si7tparf ai tentent, ie n’ay pas pensé que de là l’on peuit inférer que, pour établir vne distinction réelle, il fufl : besoin d’vne connoiſſance entière & parfaite, mais seulement d’vne qui full telle, que nous ne la rendiffions point imparfaite & defeâueuse par l’abstraction & restriclion de nostre esprit.

Car il y a bien de la différence entre auoir vne connoissance entièrement parfaite, de laquelle personne ne peut iamais estre assuré, si Dieu mefme ne luy reuele, & auoir vne connoissance parfaite iusqu’à ce point que nous fçachions qu’elle n’est point rendue imparfaite par aucune abltraction de nostre esprit.

Ainsi, quand l’ay dit qu’il faloit conceuoir pleinement vne chose, ce n’effort pas mon intention de dire que nostre conception deuoit estre entière & parfaite, mais seulement, qu’elle deuoit estre allez distinde, pour fçauoir que cette chose effort complète.

Ce que le pensois estre manifeste, tant par les choses que l’auois dit auparauant, que par celles qui fument immédiatement aprez : car l’auois distingué vn peu auparauant les estres incomplets de ceux qui font complets, & l’auois dit qu’il effort nécessaire que chacune des choses qui sont distinguées réellement, fuft conceuë comme vn estre par foy & distind de tout autre.

294 |Et vn peu aprez, au mefme sens que l’ay dit que le conceuois pleinement ce que c’est que le corps, l’ay actiouté au mefme lieu que le conceuois aussi que l’esprit est vns chose complète, prenant ces deux façons de parler, conceuoir pleinement, & conceuoir que c’est vne chose complète, en vne seule & mefme signification.

Mais on peut roy demander auec raison ce que l’entens par vne chose complète, & comment ie prouue que, pour la distinction réelle, ilfujsit que deux choses foyent conceuës l’une sans l’autre comme deux choses complètes.

I A la première demande ie répons que, par vne chose complète, ie n’entens autre chose qu’vne substance reuétuë des formes, ou attributs, qui suffisent pour me faire connoistre qu’elle est vne substance.

Car, comme l’ay défia remarqué ailleurs, nous ne connoissons point les substances immédiatement par elles-mefmes ; mais, de ce

�� � 212-223. Quatrièmes Réponses. IJJ

que nous aperceuons quelques formes, ou attribus, qui doiuent eftre attachez à quelque chofe pourexifter, nous apelons du nom de Subjlance cette choie à laquelle ils font atachez.

Que fi, après cela, nous voulions dépouiller cette melme fubftance de tous ces attributs qui nous la font connoiftre, nous détruirions toute la connoilîance que nous en auons, & ainfi nous pourions bien à la vérité dire quelque choie de la lubllance, mais tout ce que nous en dirions ne confifteroit qu'en paroles, defquelles nous ne concc- urions pas | clairement & diftindement la fignification.

le fçay bien qu'il y a des iubftances que l'on appelle vulgairement incomplètes; mais, fi, on les apelle ainfi parce que de foy elles ne peuuent pas fubfiller toutes feules & fans eftre foutenuës par d'autres chofes, ie confefle qu'il me femble qu'en cela il y a de la contra- di(5lion, qu'elles foyent des fubltances,c'eft à dire des chofes qui fub- fiftent par foy, & qu'elles foyent aufii incomplètes, c'eft à dire des chofes qui ne peuuent pas fubfifter par foy. Il eft vray qu'en vn autre fens on les peut apeller incomplètes, non qu'elles ayent rien d'in- complet en tant qu'elles font des fubftances, mais feulement en tant qu'elles le raportent à quelqu'autre fubltance auec laquelle elles compofent vn tout par foy & diftinft de tout autre.

Ainfi la main eft vne fubftance incomplète, fi vous la raportcz à tout le corps dont elle eft partie; mais à vous la confiderez toute feule, elle eft vne fubftance complète. Et pareillement l'efprit & le corps font des fubftances incomplètes, lorfqu'ils font raportez à l'homme qu'ils compofent; mais eftant confiderez feparement. ils font des fubftances complètes.

j Car tout ainfi qu'eftre étendu, diuifible, figuré, &c., font des formes ou des attributs par le moyen defquels ie connois cette fub- ftance qu'on apelle corps; de mefme eftre intelligent, voulant, dou- tant, &c., font des formes par le moyen defquelles | ie connois cette fubftance qu'on apelle efprit ; & ie ne comprens pas moins que la fubftance qui penfe eft vne chofe complète, que le comprens que la fubftance étendue en eft vne.

Et ce que Monfieur Arnauld a adiouté ne le peut dire en façon quelconque, à Içauoir, que peut-eftre le corps eft à l'efprit comme le genre eft à l'efpece : car, encore que le genre puifle eftre conceu fans <:ette particulière dilference fpecifique, ou fans celle-là, l'efpece toutes- lols ne peut en aucune façon eftre conceuë fans le genre.

Ainfi, par exemple, nous conceuons aifément la figure fans penfer au cercle (quoy que cette conception ne foit pas diftinde, fi elle n'eft raportée à quelque figure particulière; ny d'vne chofe complète,

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�� � 174 OEuvRES DE Descartes. 223-225.

li elle ne comprend la nature du corps); mais nous ne pouuons conceuoir aucune différence fpecifique du cercle, que nous ne pen- fions en mefme temps à la figure.

Au lieu que l'elprit peut élire conceu diftindement & pleinement, c'ell à dire autant qu'il faut pour élire tenu pour vne chofe com- plète, fans aucune de ces formes, ou attributs, au moyen defquels nous reconnoillons que le corps ell vne fubltance, comme ie penfe auoir fufilamment demonftré dans la féconde Méditation; & le corps ell aulfi conceu dillinctement & comme vne chofe complète, fans aucune des chofes qui appartiennent à l'elprit.

297 Icy neantmoins Monfieur Arnauld pade plus | auant, & dit : encore que ie puiffe acquérir quelque uolion de moy-inejme fans la notion du coi-ps, il ne réfulle pas neanbnoins de là, que celle notion fait complele & entière, en telle forte que ie fois ajfuré que ie ne me trompe point, lorfque i'exclus le corps de mon eff'euce.

I Ce qu'il explique par l'exemple du triangle inl'crit audemv-cercle, que nous pouuons clairement & diflindement conceuoir eflre re- ctangle, encore que nous ignorions, ou mefme que nous nyions, que le quarré de la baze foit égal aux quarez des collez ; & neantmoins on ne peut pas de là inférer qu'on puilfe faire vn triangle redangle, duquel le quaré de la baze ne foit pas égal aux quarez des collez.

Mais, pour ce qui ell de cet exemple, il dilfere en plufieurs façons de la chofe propofée. Car, premièrement, encore que peut-ellre par vn triangle on puilfe entendre vne fubftance dont la figure ell trian- gulaire, certes la propriété d'auoir le quaré de la baze égal aux qua- rez des collez, n'ell pas vne fubihmce, & partant, chacune de ces deux chofes ne peut pas élire entendue comme vne chofe complette, ainfi que le font Vefprit & le corps. Et mefme cette propriété ne peut pas eflre apellée vne chofe, au mefme fens que i'ay dit que c'ejl affe\ que ie puiffe conceuoir vne chofe (c'ell à fçauoir vne chofe complète) fans me autre, &c., comme il ell ayfé de voir par ces paroles qui fuiuent: Dauantage ie tromie en moy des facultei, &c.. Car ie n'ay

298 pas dit que ces fa|cultez fuflent des chofes, mais i'ay voulu exprelfe- ment faire dillindion entre les chofes, c'ell à dire entre les fubllances, & les modes de ces chofes, c'ell à dire les facultez de ces fubllances.

En fécond lieu, encore que nous puillions clairement & diflinde- ment conceuoir que le triangle au demy-cercle ell redangle, fans aperceuoir que le quaré de fa baze ell égal aux quarez des collez, neantmoins nous ne pouuons pas conceuoir ainfi clairement vn triangle duquel le quaré de la baze | foit égal aux quarez des collez, fans que nous apcrceuions en mefme temps qu'il ell redangle ; mais

�� � 225-226. Quatrièmes Réponses. 17^

nous conceuons clairement & diftinctement l'elprit fans le corps, &. réciproquement le corps fans l'efprit.

En IroiJÎL'me lieu, encore que le concept ou l'idée du triangle infcrit au demv-cercle puiïfe eftre telle, qu'elle ne contienne point l'égalité qui efl: entre le quaré de la baze & les quarez des coftez, elle ne peut pas neantmoins eftre telle, que l'on conçoiue que nulle proportion qui puifle eftre entre le quaré de la baze & les quarez des coftez n'apartient ii ce triangle ; & partant, tandis que l'on ignore quelle eft cette proportion, on n'en peut nier aucune que celle qu'on con- noift clairement ne luy point appartenir, ce qui ne peut iamnis eftre entendu de la proportion d'égalité qui elt entr'eux.

Mais il n'y a rien de contenu dans le concept du | corps de ce qui apartient à l'efprit, & réciproquement dans le concept de l'efprit rien n'eft compris de ce qui apartient au corps.

C'eft pourquoy, bien que i'aye dit que c'ejl a£'e\ que te puijje con- ceuoir clairement & dijlinâement me chofe fans vne autre, &c., on ne peut pas pour cela former cette mineure : Or ejî-il que ie conçoy clairement & dijîinéiement que ce triangle eji reâangle, encore que ie doute ou que ie nie que le quaré de fa ba:{e fait égal aux quare\ des cojlei, &c.

Premièrement, parce que la proportion qui eft entre le quàré de la baze & les quarez des coftez n'eft pas vne chofe complète.

Secondement, parce que cette proportion d'égalité ne peut eftre clairement entendue que dans le triangle rectangle.

Et en troifiénie lieu, parce que nul triangle ne peut eftre diftincte- ment conceu, lî on nie la proportion qui eft entre les quarez de fes coftez & de fa baze.

Mais maintenant il faut pafl'er à la féconde demande, & montrer comment il eft vray que, de cela Jéul que | ie conçoy clairement & dijlinâement vne fubjlance fans vne autre, ie fuis aJJ'uré qu'elles s'e.\- cluent mutuellement l'vne l'autre : cq que ie montre en cette forte.

La notion de la fubjlance eft telle, qu'on la conçoit comme vne chofe qui peutexifter par foy-mefme, c'eft à dire fans le fecours d'au- cune autre | fubftance, & il n'y a jamais eu perfonne qui ait conceu deux fubftances par deux differens concepts, qui n'ait iugé qu'elles eftoyent réellement diftindes.

C'eft pourquoy, li ien'eufte point cherché de certitude plus grande que la vulgaire, ie me fuffe contenté d'auoir montré, en la féconde Méditation, que Vefprit eft conceu comme vne chofe fubfiftante, quoy qu'on ne luy attribue rien de ce qui apartient au corps, & qu en mefme façon le corps eft conceu comme vne chofe fubfiftante, quoy

��299

��300

�� � 176

��Œuvres de Descartes. 226-227.

��qu'on ne lui attribue rien de ce qui apartient à l'elprit. Et ie n'aurois rien adiouté dauantage pour prouuer que l'efprit eft réellement diftingué du corps, d'autant que vulgairement nous iugeons que toutes les chofes l'ont en effecl, & félon la vérité, telles qu'elles paroiflent à noftre penfée.

Mais, d'autant qu'entre ces doutes h3'perboliques que i'ay pro- poiez dans ma première Méditation, cetuy-cy en eftoit vn,à fçauoir, que ie ne pouuois eftre alfuré que les chofes fujfeiit en effeQ, & félon la vérité, telles que nous les conceuons, tandis que ie fupolbis que ie ne connoiliois pas l'auteur de mon origine, tout ce que i'ay dit de Dieu & de la vérité, dans la 3,4 & 5 Méditation, fert à cette conclu- lion de la réelle dillinftion de Vefprit d'auec le corps, laquelle enfin i'ay acheuée dans la fixiéme.

\Ie couçof fort bien, dit Monfieur Arnauld, la nature du triangle

301 infcril dans le demj'-cercle, fans que ie \ fçache que lequaré de fa ba\e efl égal aux quarei des cofte:[. A quoy ie répons que ce triangle peut véritablement eltre conceu, fans que l'on penle à la proportion qui efl. entre le quaré de la baze & les quarez de fes collez, mais qu'on ne peut pas conceuoir que cette proportion doiue efl;re niée de ce triangle, c'elt à dire qu'elle n'apartienne point à la nature de ce triangle ; & qu'il n'en efl; pas ainfi de l'efprit ; pource que non feu- lement nous conceuons qu'il eft fans le corps, mais auffi nous pou- uons nier qu'aucune des chofes qui apartiennent au corps, apar- tienne à l'efprit ; car c'eft le propre & la nature des fubftances de s'exclure mutuellement l'vne l'autre.

Et ce que Monfieur Arnauld a adiouté ne m'eft aucunement con- traire, à fçauoir que ce n'efi pas merueilleft, lorfque de ce que ie penfe ie viens à conclure que iefuis, l'idée que de là ie forme de moy-mefme, me reprefenle feulement comme vue chofe qui penfe. Car, de la mefme façon, lorfque l'examine la nature du corps, ie ne trouue rien en elle qui relfente la penfée ; & on ne fçauroit auoir vn plus fort argument de la diftinc^ion de deux chofes, que lorique, venant à les confiderer toutes deux féparement, nous ne trouuorîs aucune chofe dans l'vne qui ne foit entièrement différente de ce qui le retrouue en l'autre.

le ne voy pas aufll pourquoy cet argument femble prouuer trop ; carie ne penfe pas que, pour montrer qu'vne chofe eft réellement

302 diftinfte d'vne autre, on | puifle rien dire de moins, finon que par la toute-puilfance de Dieu elle en peut eftre feparée ; & il m'a femblé que i'auois pris garde affez foigneufement à ce que perfonne ne puft pour cela penfer que l'homme n'e/t rien qu'vn efprit vfant oufeferuant du corps.

�� � a27-229- Quatrièmes Réponses. 177

Car, dans |la mefme fixiéme Méditation, où i'a}' parlé de la diftin- dion de l'efprit d'auec le corps, i'ay aufli montré qu'il luy ell: fubftan- tiellement vny ; pour preuue de quoy ie me fuis lerui de raifons qui font telles, que ie n'ay point fouuenance d'en auoir iamais leu ailleurs de plus fortes & conuaincantes.

Et comme celuy qui diroit que le bras d'vn homme eft vne fub- ftance réellement diftinde du refte de fon corps, ne nieroit pas pour cela qu'il eft de l'effence de l'homme entier, & que celuy qui dit que ce mefme bras eft de l'effence de l'homme entier, ne donne pas pour cela occafion de croire qu'il ne peut pas fubfifter par foy ; rinfi ie ne penfe pas auoir trop prouué en montrant que l'efprit peut eftre fans le corps, ny auoir aulTi trop peu dit, en difant qu'il luy eft fubftan- tiellement vny; parce que cette vnion fubftantielle n'empêche pas qu'on ne puilfe auoir vne claire & diftincte idée ou concept de l'ef- prit, comme d'vne chofe complète; c'eft pourquoy le concept de l'efprit diffère beaucoup de celuy de la fuperfîcie & de la ligne, qui ne peuuent pas eftre ainli entendues comme des chofes complètes, |fi, outre la longueur & la largeur, or ne leur attribue auffi la pro- 303 fondeur.

Et enfin, de ce-que la faculté de peufer eft affoupie dans les en/ans, 6 que dans les faux elle e/?,non pas à la vérité éteinte, mais troublée, il ne faut pas penfer qu'elle foit tellement attachée aux organes cor- porels, qu'elle ne puiffe eftre fans eux. Car, de ce que nous voyons fouuent qu'elle ef\ empêchée par ces organes, il ne s'enfuit aucune- ment qu'elle foit produite par eux; & il n'eft pas poflible d'en donner aucune railbn, tant légère qu'elle puiffe eftre.

le ne nie pas neantmoins que cette étroite liaifon de l'efprit & du corps, que nous expérimentons tous les iours, | ne foit caufe que nous ne découurons pas ayfément, & fans vne profonde méditation, la dil^indion réelle qui eft entre l'vn & l'autre.

Mais, à mon iugement, ceux qui repalieront Ibuuent dans leur efpiit les chofes que i'ay efcrites dans ma féconde Méditation, fe per- fuaderont ayiement que l'efprit n'eft pas diftingué du corps par vne feule fîdion ou abftradion de l'entendement, mais qu'il eft connu comme vne chofe diftinète, parce qu'il eft tel en effed.

le ne répons rien à ce que Monfieur Arnauld a icy adiouté tou- chant l'immortalité de l'ame, puifque cela ne m'eft point contraire ; mais, pour ce qui regarde les âmes des beftes, quoy que leur confi- Ideration ne foit pas de ce lieu, & que, fans l'explication de toute la 304 phyfique, ie n'en puiffe dire dauantagc que ce que i'ay défia dit dans la 5 partie de mon traité de la Méthode, toutesfois ie diray encore Œuvres. IV. 2 3

�� � 305

��178 OEl'vres de Descartes. 229-230.

icy qu'il me iemble que c'elt vne choie fort remarquable, qu'aucun mouuement ne fe peut faire, foit dans les corps des beftes, foit mefme dans les noftres, fi ces corps n'ont en eux tous les organes & inftru- mens, par le moyen delquels ces mefmes mouuemens pourroyent auffi eftre accomplis dans vne machine; en forte que, mefme dans nous, ce n'eft pas l'efprit (ou l'ame) qui meut immédiatement les membres extérieurs, mais feulement il peut déterminer le cours de cette liqueur fort fubtile, qu'on nomme les efprits animaux, laquelle, coulant continuellement du cœur par le cerueau dans les mufcles, eft caufe de tous les mouuemens de nos membres, & fouuent en peut caufer plufieurs difFerens, aufli facilement les vns que les autres. Et mefme il ne le détermine pas toufiours ; car, entre les mouuemens qui fe font en nous, il y en a plufieurs qui ne dépendent point du tout de l'efprit, comme font le batement du cœur, la digeftion des viandes, la nutrition, la refpiration de ceux qui dorment, & mefme, en ceux qui font éueillez, le marcher, | chanter, & autres avions fem- blables, quand elles fe font fans que l'efprit y penfe. Et lorfque ceux qui tombent de haut, prefentent leurs mains les premières pour fauuer leur | telle, ce n'eft point par le confeil de leur raifon qu'ils font cette adion ; & elle ne de'pend point de leur efprit, mais feule- ment de ce que leurs fens, eftans touchez par le danger prefent, caufent quelque changement en leur cerueau qui détermine les ef- pris animaux à paiîer de là dans les nerfs, en la façon qui eft requife pour produire ce mouuement tout de mefme que dans vne machine, & fans que l'efprit le puiffe empêcher.

Or, puifque nous expérimentons cela en nous-mefmes, pourquoy nous étonnerons-nous tant, fi la lumière refléchie du corps du loup dans les yeux de la brebis a la mefme force pour exciter en elle le mouuement de la fuite ?

Après auoir remarqué cela, fi nous voulons vn peu raifonner peur connoiftre fi quelques mouuemens des beftes font femblables à ceux qui fe font en nous par le ministère de l'efprit, ou bien à ceux qui dépendent feulement des efpris animaux & de la difpofition des or- ganes, il faut confiderei les différences qui font entre les vns & les autres, lefquelles i'ay expliquées dans la cinquième partie du dif- cours de la Méthode, car le ne penfe pas qu'on en puiffe trouuer d'autres; & alors on verra facilement que toutes les adions des beftes font feulement femblables à celles que nous faifons fans que noftre efprit y contribue. 806 -^ raifon de quoy nous ferons obligez de conclure, que nous ne connoilfons en effecl en elles au|cun autre principe de mouuement

�� � 2^°-=-^2. Quatrièmes Réponses. 170

que la feule dilpofition des organes & la continuelle affluence des efpris animaux produis par la chaleur du cœur, qui aienuë & fubti- life le fang; & enfemble nous reconnoiftrons que rien ne nous a cy- deuant donné occaiion de leur en attribuer vn autre, finon que, ne diftinguans pas ces deux principes du mouuement, & voyans que l'vn, qui dépend feulement des efpris animaux & des organes, eft dans I les belles auffi bien que dans nous, nous auons creu inconfide- rément que l'autre^ qui dépend de l'efprit & de la penfée, eftoit aufli en elles.

Et certes, lorfque nous nous fommes perfuadez quelque chofe dez noftre ieunelTe, & que noftre opinion s'eft fortifiée par le temps, quelques raifons qu'on employé aprez cela pour nous en faire voir la fauffeté, ou plutofl: quelque fauffeté que nous remarquions en elle, il eft neantmoins très difficile de l'ofter entièrement de noftre créance, fi nous ne les repaffons fouuent en noftre efprit, & ne nous acoutu- mons ainfi à déraciner peu à peu ce que l'habitude à croire, plutoft que la raifon, auoit profondement graué en noftre efprit.

\ RÉPONSE A VAUTRE PARTIE. 307

DE DIEU.

lufques icy i'ay tâché de refoudre les argumens qui m.'oni efté propofez par Monfieur Arnauld, & me fuis mis en deuoir de fou- tenir tous fes efforts; mais déformais, imitant ceux qui ont à faire à vn trop fort aduerfaire, ie tacheray plutoft d'euiter les coups, que de m'oppofer diredement à leur violence.

Il traitte feulement de trois choies dans cette partie, qui peuuent facilement eftre accordées félon qu'il les entend ; mais ie les prenois en vn autre fens, lorfque ie les ay écrites, lequel fens me femble auffi pouuoir eftre receu comme véritable,

^ La première eft que quelques idées fout matériellement fauffesl c'eft à dire, félon mon fens, qu'elles font telles qu'elles donnent au jugement matière ou occafion d'erreur; mais luy, confiderant les idées prifes formellement, foutient qu'il n'y a en elles aucune fauffeté.

La féconde, que Dieu ejl par Jof pofiliuemenl d- comme par ime caufe, ou i'ay feulement voulu dire que la raifon pour laquelle Dieu n'a befoin d'aucune caufe efficiente pour exifter, eft fondée en vne chûfe pofitiue, à fçauoir, dans l'immenfité mefme | de Dieu, | qui eft 308 la chofe la plus pofitiue qui puiffe eftre ; mais luy, prenant la chofe autrement, prouue que Dieu n'eft point produit par foy-mefme, &

�� � i8o OEuvRES DE Descartes. i3î-233.

qu'il n'eft point conferué par vne adlion pofitiue de la caufe effi- ciente, de quoy ie demeure auffi d'accord.

Enfin, la troifiéme eft, qu'i7 iie peut y auoir rien dans nojlre ejprit dont nous n'ayons connoijfance ; ce que i'ay entendu des opérations, & luy le nie des puiffances.

Mais ie tâcheray d'expliquer tout cecy plus au long. Et premiè- rement, où il dit que,/ le froid ejl Jeulement vne priuation, il ne peut y auoir d'idée qui me le reprefente comme vne chofe pojitiue, il eft manifefte qu'il parle de l'idée pnk formellement.

Car, puifque les idées mefmes ne font rien que des formes, & qu'elles ne font point compofées de matière, toutes & quantes fois qu'elles font confiderées en tant qu'elles reprefentent quelque chofe, elles ne font pas pnies matériellement, mais formellement; que fi on les confideroit, non pas en tant qu'elles reprefentent vne chofe ou vne autre, mais feulement comme eftant des opérations de l'enten- dement, on pouroit bien à la vérité dire qu'elles feroient prifes matériellement, mais alors elles ne fe raporteroient point du tout à la vérité ny à la faufl'eté des objets.

C'eft pourquoy ie ne penfe pas qu'elles puiffent eftre dites maté- riellement fauffes, en vn autre fens que celuy que i'ay défia expliqué : c'eft à fçauoir, foit que le froid foit vne choie pofitiue, foit qu'il foit 309 vne priuation, ie n'ay pas pour cela vne autre | idée de luy, mais elle demeure en moy la mefme que i'ay toufiours eue; laquelle ie dis me donner matière ou occafion d'erreur, s'il eft vray que le froid foit vne priuation, & qu'il n'ait pas autant de realité que la cha- leur, d'autant que, venant à confiderer l'vne & l'autre de ces idées, félon que ie les ay receuës des fens, ie ne puis| reconnoiftre qu'il y ait plus de realité qui me foit reprefentée par l'vne que par l'autre.

Et certes ie n'ay pas confondu le iugement auec l'idée ; car i'ay dit qu'en celle-cy fe rencontroit vne fauffeté matérielle, mais dans le iugement il ne peut y en auoir d'autre qu'vne for-melle. Et quand il dit que l'idée du froid eft le froid mefne en tant qu'il efl objeâi- uement dans l'entendement, ie penfe qu'il faut vfer de diftindion ; car il arriue fouuent dans les idées obfcures & confufes, entre lefquelles celles du froid & de la chaleur doiuent eftre mifes, qu'elles fe raportent à d'autres chofes qu'à celles dont elles font véritablement les idées.

Ainfi, fi le froid eft feulement vne priuation, l'idée du froid n'eft pas le froid mefme en tant qu'il efl objediuement dans l'enten- dement, mais quelque autre chofe qui eft prife faufl"ement pour cette

�� � 310

��233-234- Quatrièmes Réponses. i8i

priuation : fçauoir elt, vn certain fentiment qui n'a aucun eftre hors de l'entendement.

Il n'en eft pas de mefme de l'idée de Dieu, au moins de celle qui eft claire & diftinde, parce qu'on ne peut pas dire qu'elle fe ra- porte à quelque cho|fe à quoy elle ne foit pas conforme.

Quant aux idées confufes des Dieux qui font forgées par les Idolâtres, ie ne voy pas pourquoy elles ne pouroient point auffi eftre dites matériellement fauffes, en tant qu'elles feruent de ma- tière à leurs faux iugemens.

Combien qu'à dire vray, celles qui ne donnent, pour ainfi dire, au iugement aucune occafion d'erreur, ou qui la donnent fort légère, ne doiuent pas auec tant de raifon eftre dites matériellement fauffes, que celles qui la donnent fort grande ; or il eft aifé de faire voir, par plufieurs exemples, qu'il y en a qui donnent vne bien plus grande occafion d'erreur les vnes que les autres.

Car elle n'eft pas | fi grande en ces idées confufes que noftre efprit inuente luy-mefme (telles que font celles des faux Dieux), qu'en celles qui nous font offertes confufément par les fens, comme font les idées du froid & de la chaleur, s'il eft vray, comme i'ay dit, qu'elles ne reprefentent rien de réel.

Mais la plus grande de toutes elt dans ces idées qui naiffent de l'appétit fenfitif. Par exemple, l'idée de la Ibif dans vn hydropique ne luy eft-elle pas en effet occafion d'erreur, lorfqu'elle luy donne fujet de croire que le boire luy fera profitable, qui toutesfois luy doit eftre nuifible ?

Mais Monfieur Arnauld demande ce que cette idée du froid me reprefente, laquelle i'ay dit eftre matériellement fauffe : car, dit-il, fi elle reprefente vne [priuation, donc elle eft vraye; fi vn eftre ■po- 311 filif, donc elle n'eft point l'idée du froid. Ce que ie luy accorde ; mais ie ne l'apelle fauffe, que parce qu'eftant obfcure & confufe, ie ne puis difcerner fi elle me reprefente quelque chofe qui, hors de mon fentiment, foit pofitiue ou non; c'eft pourquoy i'ay occafion de iuger que c'eft quelque chofe de pofitif, quoy que peut-eftre ce ne foit qu'vne fimple priuation.

Et partant, il ne faut pas demander quelle eft la caufe de cet eftre pofitif objeâif, qui, félon mon opinion, fait que cette idée eft maté- riellement faujfe; d'autant que ie ne dis pas qu'elle foit faite maté- riellement fauffe par quelque eftre pofitif, mais par la feule obfcu- rité, laquelle neantmoins a pour fujet & fondement vn eftre pofitif, à fçauoir le fentiment mefme.

Et de vray, cet eftre pofitif eft en moy, en tant que ie fuis vne

�� � i82 OEuvRES DE Descartes. 234-136.

chofe vraye.; mais l'obfcurité, laquelle feule me donne occafion de iuger que l'idée de ce fentiment | reprefente quelque objet hors de moy qu'on apelle froid, n'a point de caufe réelle, mais elle vient feulement de ce que ma nature n'efi: pas entièrement parfaite.

Et cela ne renuerfe en façon quelconque mes fondemens. Mais ce que i'aurois le plus à craindre, feroit que, ne m'eftant iamais beau- coup arrellé à lire les Hures des Philofophes, ie n'aurois peut-eftre pas fuiuy affez exadement leur façon de parler, lorfque i'ay dit que ces idées, qui donnent au iugement matière ou occafion d'erreur,

312 Gi\.o\tr\x matériellement \faujfes, fi ie ne trouuois que ce mot tnate- riellemcnt eft pris en la mefme fignification par le premier auteur qui m'elt tombé par hazard entre les mains pour m'en éclaircir : c'eit Suarez, en la Difpute 9, fedlion 2, n. 4.

Mais paffons aux chofes que M. Arnauld defapprouue le plus, & qui toutesfois me femblent mériter le moins fa cenfure : c'eft: à fçauoir,où i'ay dit qu'il nous ejîoit loiftble de penfer que Dieu fait en quelque façon la mefme chofe à l'égard de foy -mefme, que la caufe efficiente à l'égard defon effet.

Car, par cela mefme, i'ay nié ce qui luy femble vn peu hardy & n'eftre pas véritable, à fçauoir, que Dieu foit la caufe efficiente de fo3'-mefme, parce qu'en difant qu'/7/a/i en quelque façon la mefme chofe, i'ay monftré que ie ne croyois pas que ce fuft entièrement la mefme ; & en mettant deuant ces paroles : il nous ejl tout à fait loifible de penfer, i'ay donné à connoiltre que ie n'expliquois ainfi ces chofes, qu'à caufe de l'imperfeftion de l'efprit humain.

Mais qui plus eft, dans tout le relte de mes écrits, i'ay toufiours fait la mefme diftindion. Car dés le commencement, où i'ay dit qu'il n'y a aucune chofe dont on r.e puijfe rechercher la caufe efficiente, i'ay adiouté : ou, f\ elle n'en a point, demander pourquof elle ?i'én a pas befoin; lefquelles paroles témoignent affez que i'ay penfé que quelque chofe exiftoit, qui n'a pas befoin de caufe efficiente.

313 Or quelle chofe peut eftre telle, exceptéDieu ? | Et mefme vn peu après i'ay dit : qu'il y auoit en Dieu vneft grande &fi inépuifable puif- fayic'e, qu'il n'a iamais eu befoin d'aucun fecours pour exijler, & qu'il n'en a pas encore befoin pour ejtre conferué, en telle forte qu'il ejl en quelqtie façon la caufe de foy -mefme.

Là où ces paroles, la caufe de foy-mefme, ne peuuent en façon quelconque eftre entendues de la caufe efficiente, mais feulement que la puiffance inépuifable de Dieu eft la caufe ou la raifon pour laquelle il n'a pas beloin de caufe.

Et d'autant que cette puiffance inépuifable, ou cette- immenfité

�� � S36-237. Quatrièmes Réponses. 183

d'effence, ert tres-pofitiiie, pour cela i'ay dit que la raifon ou la caufe pour laquelle Dieu n'a pas befoin de caufe, eft pofiliue. Ce qui ne fe pouroit dire en mefme façon d'aucune chofe finie, encore qu'elle fuft tres-parfaite en fon genre.

Car fi on difoit qu'aucune ' fuft par foy, cela ne pouroit eftre entendu que d'vne façon negatiue, d'autant qu'il feroit impoffible d'aporter aucune raifon, qui fuft tirée de la nature pofitiue de cette chofe, pour laquelle nous deuflions conceuoir qu'elle n'auroit pas befoin de caufe efficiente.

Et ainfi, en tous les autres endroits, i'ay tellement comparé la caufe formelle, ou la raifon prife de l'effence de Dieu, pour laquelle il n'a pas befoin de caufe pour exifter ny pour eftre conferué, auec la caufe efficiente, fans laquelle les chofes finies ne peuuent exifter, que partout il eft aifé de connoiftre, de mes propres termes, qu'elle eft tout à fait différente de | la caufe efficiente. 314

Et il ne fe trouuera point d'endroit, où i'aye dit que Dieu fe con- ferué par vne influence pofitiue, ainfi que les chofes créées font con- feruées par luy, |mais bien feulement ay-ie dit que l'immenfité de fa puiffance ou de fon effence, qui eft la caufe pourquoy il n'a pas befoin de conferuateur, eft vne chofe pofitiue.

Et partant, ie puis facilement admettre tout ce que M. Arnauld aporte pour prouuer que Dieu n'eft pas la caufe efficiente de foy- mefme, & qu'il ne fe conferué pas par aucune influence pofitiue, ou bien par vne continuelle reproduction de foy-mefme, qui eft tout ce que l'on peut inférer de fes raifons.

Mais il ne niera pas auffi, comme i'efpere, que cette immenfité de puiffance, qui fait que Dieu n'a pas befoin de caufe pour exifter, eft en luy vne chok pojitiue, & que dans toutes les autres chofes on ne peut rien conceuoir de femblable, qui foit pqfitif, à raifon de quoy elles n'ayent pas befoin de caufe efficiente pour exifter; ce que i'ay feulement voulu fignifier, lorfque i'ay dit qu'aucune chofe ne pouuoit eftre conceuë exifter par foy que negatiuement, hormis Dieu feul; & ie n'ay pas eu befoin de rien auancer dauantage, pour répondre à la difficulté qui m'eftoit propofée.

Mais d'autant que M. Arnauld m'auertit icy fi ferieufement qu'il y aura peu de Théologiens qui ne s'offen \fent de cette propofition, à 315 fçauoir, que Dieu ejl par foy pofitiuement & comme par vne caufe, ie diray icy la raifon pourquoy cette façon de parler eft, à moïi auis,

a. « aucune », sic à Verrata de la i" édition. Celle-ci donnait « vne telle chofe » ; la 2« et la 3», " vne chofe finie ».

�� � 184 OEuvRES DE Descartes. 237 2?9.

non feulement tres-vtile en cette queilion, mais aulfi necelTaire & telle qu'il n'y a perl'onne qui puiffe auec rail'on la trouuer mauuaife.

le fçay que nos Théologiens, traittans des choies diuines, ne fe feruent point du nom de caiife, lorfqu'il s'agit de la proceffion des perfonnes de la tres-fainte Trinité, & que lii où les Grecs ont mis indifféremment ohivj & àoyr.-j, ils aiment mieux vfer du feul nom de principe, comme tres-general, de peur que de là | ils ne donnent occaiion de iuger que le Fils el1: moindre que le Père.

Mais où il ne peut y auoir vne femblable occafion d'erreur, & lorfqu'il ne s'agit pas des perfonnes de la Trinité, mais feulement de l'vnique elTence de Dieu, ie ne voy pas pourquoy il faille tant fuir le nom de caufe, principalement lorfqu'on en eit venu à ce point, qu'il femble tres-vtile de s'en feruir, & en quelque façon neceffaire.

Or ce nom ne peut eflre plus vtilement employé que pour dé- montrer l'exiftence de Dieu ; & la neceffité de s'en feruir ne peut eftre plus grande que fi, fans en vfer, on ne la peut pas clairement démontrer.

Et ie penfe qu'il efl: manifefle à tout le monde que la confideration de la caufe efficiente eft le premier & principal moyen, pour ne pas 316 dire le feul | & l'vnique, que nous ayons pour prouuer l'exiftence de Dieu.

Or nous ne pouuons nous en feruir, fi nous ne donnons licence à noftre efprit de rechercher les caufes efficientes de toutes les chofes qui font au monde, fans en excepter Dieu mefme ; car pour quelle raifon l'excepterions-nous de cette recherche, auant qu'il ait efté prouué qu'il exifte?

On peut donc demander de chaque chofe, fi elle eft parfoy ou par autriif; & certes par ce moyen on peut conclure l'exiftence de Dieu, quoy qu'on n'explique pas en termes formels & précis, comment on doit entendre ces paroles, ejire parfoy.

Car tous ceux qui fuiuent feulement la conduite de la lumière naturelle, forment tout auffi-toft en eux dans ce rencontre vn certain concept qui participe de la caufe efficiente & de la formelle, & qui eft commun à l'vne & à l'autre : c'eft à fcauoir, que ce qui eft par aulruj', eft par luy comme par vne caufe efficiente ; & que ce qui eft par foj-, eft comme par vne caufe formelle, c'eft à dire, parce qu'il a vne telle nature qu'il n'a pas befoin de caufe efficiente, j C'eft pour- quoy ie n'ay pas expliqué cela dans mes Méditations, & ie l'ay obmis, comme eftant vne chofe de foy manifefte, & qui n'auoit pas befoin d'aucune explication.

�� � J39-240- Quatrièmes Réponses. i8ç

Mais lorfque ceux qu'vne longue acoutumance a confirmez dans cette opinion de iuger que rien ne peut eftre la caufe efficiente de foy-merme, & [ qui font foigneux de diftinguer cettç caufe de la 317 formelle, voyent que l'on demande û quelque chofe eft parfoj, il arriue ayfement que, ne portans leur efprit qu'à la feule caufe effi- ciente proprement prife, ils ne penfent pas que ce moX parfay doiue eftre entendu com\\-ï& par vue caiije, mais feulement negatiuement &l comme fans caufe ; en forte qu'ils penfent qu'il y a quelque chofe qui exifte, de laquelle on ne doit point demander pourquoy elle exifte.

Laquelle interprétation du mot par foy, fi elle eftoit receuë, nous ofteroit le moyen de pouuoir démontrer l'exiftence de Dieu par les effedts, comme il a eftc bien prouué par l'auteur des premières Objedions; c'eft pourquoy elle ne doit aucunement eftre admife.

Mais pour y répondre pertinemment, i'eftime qu'il eft neceffaire de montrer qu'entre la caufe efficiente proprement dite, & nulle caufe, il y a quelque chofe qui tient comme le milieu, à fçauoir l'eJJ'ence pojitiue d'vne chofe, à laquelle l'idée ou le concept de la caufe effi- ciente fe peut étendre en la mefme façon que nous auons couftume d'étendre en Géométrie le concept d'vne ligne circulaire, la plus grande qu'on puiffe imaginer, au concept d'vne ligne droite, ou le concept d'vn polygone reftiligne, qui a vn nombre indefiny de coftez, au concept du cercle.

Et ie ne penfe pas que i'eulfe iamais pu mieux | expliquer cela, 318 que lorfque i'ay dit que la fignification de la caufe efficiente ne doit pas eflre reflrainte en cette quefiiok à ces caufes quifont\differentes de leurs effets, ou qui les précèdent en temps; tant parce que ce ferait vne chofe friitole & inutile, piiifqu'il n'y a perfonne qui ne fçache qu'vne mefme chofe ne peut pas eflre différente de foy-mefme, ny fe pré- céder en temps, que parce que l'vne de ces deux conditions peut eflre oflée de fon concept, la notion de la caufe efficiente ne laiffant pas de demeurer toute entière.

Car, qu'il ne foit pas neceffaire qu'elle précède en temps fon effet, il eft euident, puifqu'elle n'a le nom & la nature de caufe efficiente que lorfqu'elle produit fon effet, comme il a des-ja efté dit.

Mais de ce que l'autre condition ne peut pas auffi eftre oftée, on doit feulement inférer que ce n'eft pas vne caufe efficiente propre- ment dite, ce que i'auouë; mais non pas que ce n'eft point du tout vne caufe pofitiue, qui par analogie puifl'e eftre raportée à la caufe efficiente, & cela eft feulement requis en la queftion propofée. Car par la mefme lumière naturelle, par laquelle ie conçoy que ie me Œuvres. IV. a4

�� � i86 OEuvREs DE Descartes. 2^0-241.

ferois donné toutes les perfections dont i'ay en moy quelque idée, fi le m'eftois donné l'eftre, ie conçoy auffi que rien ne fe le peut donner en la manière qu'on a couftume de reftraindre la fignification de la caufe efficiente proprement dite, à Içauoir, en forte qu'vne mefme chofe, en tant qu'elle fe donne l'ellre, foit différente de foy-mefme en

319 tant qu'elle le reçoit; parce qu'il y a de la contradiction entre | ces deux chofes, eitre le mefme, & non le mefme, ou différent,

C'eft pourquoy, lorfque l'on demande fi quelque chofe fe peut donner î'eftre à foy-mefme, il ne faut pas entendre autre chofe que û on demandoit, fçauoir, iî la nature ou l'effence de quelque chofe peut eltre telle qu'elle n'ait pas befoin de caufe efficiente pour eltre ou exilter.

Et lorfqu'on ad'pute, Ji quelque chofe ejf telle, elle Je donnera toutes les perfe'âions dont elle a les idées, s'il eji vraj qu'elle 7ie les ait pas encore, cela veut dire qu'il elt impoffible | qu'elle n'ait pas actuelle- ment toutes les perfections dont elle a les idées; d'autant que la lumière naturelle nous fait connoiltre que la chofe dont l'effence elt û immenfe qu'elle n'a pas befoin de caufe efficiente pour eltre, n'en a pas auffi befoin pour auoir toutes les perfedions dont elle a les idées, & que fa propre effence luy donne éminemment tout ce que nous pouuons imaginer pouuoir eltre donné à d'autres chofes par la caufe efficiente.

Et ces mots, 7? elle ne les a pas encore, ellefe les donnera, feruent feulement d'explication; d'autant que par la mefme lumière natu- relle nous comprenons que cette chofe ne peut pas auoir, au moment que ie parle, la vertu & la volonté de le donner quelque chofe de nouueau, mais que fon effence eft telle, qu'elle a eu de toute éternité tout ce que nous pouuons maintenant penfer qu'elle fe donneroit, fi elle ne l'auoit pas encore.

320 |Et neantmoins toutes ces manières de parler, qui ont raport & analogie auec la caufe efficiente, font tres-neceflaires pour conduire tellement la lumière naturelle, que nous conceuions clairement ces chofes ; tout ainfi qu'il y a plufieurs choies qui ont elle démontrées par Archimede touchant la Sphère & les autres figures compofées de lignes courbes, par la comparaifon de ces mefmes figures auec celles compofées de lignes droites; ce qu'il auroit eu peine à faire comprendre, s'il en eull vfé autrement.

Et comme ces fortes de demonltrations ne font point defaprou- uées, bien que la Sphère y foit confiderée comme vne figure qui a plufieurs collez, de mefme ie ne penfe pas pouuoir eltre icy repris de ce que ie me fuis feruy de l'analogie de la caufe efficiente, pour

�� � 241-243. Quatrièmes Réponses. 187

expliquer les chofes qui apartiennent à la caufe formelle, c'ell à dire à l'effence mefme de Dieu.

Et il n'y a pas lieu de craindre en cecy aucune occafion d'erreur, d'autant que tout ce qui eft le propre de la caufe efficiente, | & qui ne peut eftre étendu à la caufe formelle, porte auec foy vne manifefte contradiclion, & partant, ne pouroit iamais eftre crû de perfonne, à fçauoir, qu'vne chofe foit différente de foy-mefme, ou bien qu'elle foit enfemble la mefme chofe, & non la mefme.

Et il faut remarquer que i'ay tellement attribué à Dieu la dignité d'eftre la caufe, qu'on ne peut pas de là inférer que ie luy aye auffi attribué l'imperfeldion d'eftre l'effet : car, comme les Théologiens, 321 lorfqu'ils difent que le Père eft \c principe du Fils, n'auouent pas pour cela que le Fils {o\i principié, ainfi, quoy que i'aye dit que Dieu pouuoit en quelque façon eftre dit la caufe de fqy-mefme, il ne fe trouuera pas neantmoins que ie I'aye nommé en aucun lieu l'effet de foy-mefme ; & ce d'autant qu'on a de couftume de raporter prin- cipalement l'effet à la caufe efficiente, & de le iuger moins noble qu'elle, quoy que fouuent il foit plus noble que les autres caufes.

Mais, lorfque ie prens l'effence entière de la chofe pour la caufe formelle, ie ne fuis en cela que les vertiges d'Ariftote ; car, au liu. 2 de fes Analyt. pofter., chap. 16, ayant cbmis la caufe matérielle, la première qu'il nomme eft celle qu'il appelle ai-r(y_y ti t1 rv Cvjy.i, ou, comme l'ont tourné fes interprètes, la caufe foj-melle, laquelle il étend à toutes les effences de toutes les chofes, parce qu'il ne traitte pas en ce lieu-là des caufes du compofé phyfique (non plus que ie fais icy), mais généralement des caufes d'où l'on peut tirer quelque connoiffance.

Or, pour faire voir qu'il eftoit malaifé, dans la queftion propofce, de ne pomt attribuer à Dieu le nom de caufe, il n'en faut point de meilleure preuue que, de ce que Monfieur Arnauld ayant tâché de conclure par vne autre voye la mefme chofe que moy, il n'en eft pas neantmoins venu à bout, au moins à mon iugement.

Car, après auoir amplement montré que Dieu ( n'eft pas la caufe 322 efficiente | de foy-mefme, parce qu'il eft de la nature de la caufe effi- ciente d'eftre différente de fon effed; ayant auffi fait voir qu'il n'efl pas par (oy pofitiuement, entendant par ce mot pqfitiuement vne in- fluence pofitiue de la caufe, & auffi qu'à vray dire il ne fe conferue pas foy-mefme, prenant le mot de conferualioit pour vne continuelle reproduction de la chofe (de toutes lefquelles chofes ie fuis d'acord auec luy), après tout cela il veut derechef prouuer que Dieu ne doit pas eftre dit la caufe efficiente de foy-mefme : parce que, dit-il, la

�� � i88 OEuvRES DE Descartes. 243-244.

caiife efficiente d'vne chofe ii'eft demandée qu'à r ai/on de fon exijîence, & iamais à rai/on de fon ejfence : or eft-il qu'il n'ejl pas moins de l'ejfence d'vn ejlre infini d'exijîer, qu'il ejl de l'ejfence d'vn triangle d'auoir f es trois angles égaux à deux droits ; doncques il nefautnOn plus répondre par la caufe efficiente, lorfqu'on demande pourquoy Dieu exijîe, que lorfqu'on demande pourquoy les trois angles d'vn triangle font égaux à deux droits.

Lequel fyllogifme peut ayfément eftre renuoyé contre fon auteur, en cette manière : Quoy qu'on ne puiffe pas demander la caufe effi- ciente à raifon de l'elTence, on la peut neantmoins demander à raifon de l'exiftence; mais en Dieu l'effence n'eft point diftinguée de l'exi- ftence, doncques on peut demander la caufe efficiente de Dieu.

Mais, pour concilier enfemble ces deux chofes, on doit dire qu'à celuy qui demande pourquoy Dieu exifte, il ne faut pas à la vérité 323 répondre par la | caufe efficiente proprement dite, mais feulement par l'effence mefme de la chofe, ou bien par la caufe formelle, la- quelle, pour cela mefme qu'en Dieu l'exiflence n'eft point diftinguée de l'effence, a vn très-grand raport auec la caufe efficiente, & partant, peut eftre apelée quafi caufe efficiente.

Enfin il adioute, qu'à celuy qui demande la caufe efficiente de Dieu, il faut répondre qu'il n'en a pas befoin ; & derechef, \ à celuy qui de- mande pourquoy il n'en a pas befoin, il faut répondre, parce qu'il eft vn efire infini duquel l'exifience efl fon effence ; car il n'y a que les chofes dans lefquelles il efi permis de difiinguer l'exifience aâuelle de l'effence, qui ayent bejoin de caufe efficiente.

D'où il infère que ce que i'auois dit auparauant eft entièrement renuerfé ; c'eft à fçauoir, y? ie penfois qu'aucune chofe ne peufi en quelque façon efire à l'égard de foy-mefme ce que la caufe efficiente efi à l'égard de fon effeâ, iamais en cherchant les caiifes des chofes ie ne viendrois à vue première ; ce qui neantmoins ne me femble aucu- nement renuerfé, non pas mefme tant foit peu affoibly ou ébranlé; car il eft certain que la principale force non feulement de ma démon- ftration, mais auffi de toutes celles qu'on peut aporter pour prouuer l'exiftence de Dieu par les effets, en dépend entièrement. Or prefque tous les Théologiens foutiennent qu'on n'en peut aporter aucune, fi elle n'eft tirée des effets.

Et partant, tant s'en faut qu'il aporte quelque éclairciffement à la

324 preuue & demonftration de l'exiftenlce de Dieu, lorfqu'il ne permet

pas qu'on lui attribut" à l'égard de foy-mefme l'analogie de la caufe

efficiente, qu'au contraire il l'obfcurcit & empefche que les lefteurs.

ne la puiffent comprendre, particulièrement vers la fin, où il conclut

�� � Ï44-Î46. Quatrièmes Réponses. 189

que, s'il penfoit qu'il falujl rechercher la caufe efficiente, ou quaji effi- ciente, de chaque chofe, il chercherait vne caufe différente de cette chofe.

Car comment eft-ce que ceux qui ne connoifTent pas encore Dieu, rechercheroient la caufe efficiente des autres chofes, pour arriuer par ce moyen à la connoiffance de Dieu, s'ils ne penfoient qu'on peut rechercher la caufe efficiente de chaque chofe?

Et comment enfin s'arrefteroient-ils à Dieu comme à la caufe première, & mettroient-ils en luy la fin de leur recherche, s'ils penfoient que la caufe efficiente de chaque chofe deuft eftre cher- chée différente de cette chofe ?

Certes, il me femble que M. Arnauld a fait en cccy la mefme chofe que fi (après qu'Archimede, parlant des chofes | qu'il a demon- flrées de la Sphère par analogie aux figures reftilignes infcrites dans la Sphère mefme, auroit dit : fi ie penfois que la Sphère ne peuft eflre prife pour vne figure rediligne, ou quafi reftiligne, dont les codez font infinis, ie n'attribuerois aucune force à cette demonftra- tion, parce qu'elle n'eft pas véritable, fi vous confiderez la Sphère comme vne figure curuiligne, ainfi qu'elle eft en effet, mais bien fi vous la confiderez comme vne figure reftiligne dont le nombre des coftez eft infiny).

|Si, dis-ie, M. Arnauld, ne trouuant pas bon qu'on apellaft ainfi 325 la Sphère, & neantmoins defirant retenir la demonftration d'Archi- mede, difoit : fi ie penfois que ce qui fe conclut icy, fe deuft en- tendre d'vne figure rediligne dont les coftez font infinis, ie ne croi- rois point du tout cela de la Sphère, parce que i'ay vne connoiffance certaine que la Sphère n'eft point vne figure rediligne.

Par lefquelles paroles il eft fans doute qu'il ne feroit pas la "mefme chofe qu'Archimede, mais qu'au contraire il fe feroit vn obftacle à foy-mefme & empefcheroit les autres de bien comprendre fa demonftration.

Ce que i'ay déduit icy plus au long que la chofe ne fembloit peut- eftre le mériter, afin de monftrer que ie prens foigneufement garde à ne pas mettre la moindre chofe dans mes écrits, que les Théolo- giens puiffent cenfurer auec raifon.

Enfin i'ay défia fait voir affez clairement, dans les réponfes aux fécondes Objedions, nombre 3 & 4, que ie ne fuis point tombé dans la faute qu'on apelle cercle, lorfque i'ay dit que nous ne femmes affurèz que les chofes que nous conceuons fort clairement & fort diftindement font toutes vrayes.qu'à caufe que Dieu eft ou exifte; & que nous ne fommes | affurez que Dieu eft ou exifte, qu'à caufe que nous conceuons cela fort clairement & fort diftindement; en faifant

�� � iço OEuvREs DE Descartes. 246-247.

diftindion des chofes que nous conccuons en effet fort clairement,

326 d'auec celles que | nous nous reffouuenons d'auoir autrefois fort clairement conceués.

Car, premièrement, nous fommes affurez que Dieu exiile, pource que nous preftons noftre attention aux raifons qui nous prouuent fon exiftence ; mais après cela, il fuffit que nous nous reffouuenions d'auoir conceu vne chofe clairement, pour élire affurez qu'elle eft vraye : ce qui ne fuffiroitpas, fi nous ne fçauions que Dieu exifte & qu'il ne peut eftre trompeur.

Pour la queftion fçauoir s'il ne peut y auoir rien dans noftre efprit, en tant qu'il eft vne chofe qui penfe, dont luy-melme n'ait vne actuelle connoiffance, il me femble qu'elle eft fort aifée à refoudre, parce que nous voyons fort bien qu'il n'y a rien en luy, lorlqu'on le confidere de la forte, qui ne Ibit vne penlee, ou qui ne dépende entièrement de la penfée : autrement cela n'apartiendroit pas à l'ef- prit, en tant qu'il eft vne chofe qui penfe ; & il ne peut y auoir en nous aucune penlee, de laquelle, dans le mefme moment qu'elle eft en nous, nous n'ayons vne actuelle connoiffance.

C'eft pourquoy ic ne doute point que l'efprit, aufti-toft qu'il eft infus dans le corps d'vn enfant, ne commence à penfer. & que deflors il ne fçache qu'il penfe, encore qu'il ne fe relibuuicnno pas après de ce qu'il a penle, parce que les efpeces de fes penfées ne demeurent pas empraintes en fa mémoire.

Mais il faut remarquer que nous auons bien vne actuelle connoif-

327 lance des acT;es ou des opérations | de noftre efprit, mais nor pas toufiours de les facultez, fi ce n'eft en puiffance ; en telle forte que, lorfque nous nous difpofons à nous feruir de quelque faculté, tout auffi-toft, fi cette faculté eft en noftre efprit, | nous en acquérons vne aétuelle connoiffance ; c'eft pourquoy nous pouuons alors nier affu- rement qu'elle y foit, fi nous ne pouuons en acquérir cette connoif- fance aâ;uelle.

RÉPONSE

AUX CHOSES QUI PEUVENT ARRESTER

LES THEOLOGIENS

le me fuis opofé aux premières raifons de Monfieur Arnauld, i'ay

'aché de parer aux fécondes, & ie donne entièrement les mains à

elles qui fuiuent, excepté à la dernière, pour raifon de laquelle

efpere qu'il ne me fera pas difficile de faire en forte que luy-mefme

'accommode à mon aduis.

�� � Ï47-I48- Quatrièmes Réponses. ici

le confeffe donc ingenuëment auec luy que les chofes qui font contenues dans la première ÎYleditation,& mefme dans les fuiuantes, ne font pas propres à toutes fortes d'efprits, & qu'elles ne s'ajuftent pas à la capacité de tout le monde ; mais ce n'elt pas d'aujourd'huy que i'ay fait cette déclaration : ie l'ay des-ja faite, & la feray encore autant de fois que | l'occalion s'en prefentera. 328

Auffi a-ce eflé la feule raifon qui m'a ernpefché de traiter de ces chofes dans le difcours de la Méthode, qui efloit en langue vulgaire, & que i'ay referué de le faire dans ces Méditations, qui ne doiuent eftre leuës, comme i'en ay plufieurs fois auerty, que par les plus forts efprits.

Et on ne peut pas dire que i'eulTe mieux fait, fi ie me fuffe abll:enu d'écrire des chofes dont la lecture ne doit pas eftre propre ny vtile à tout le monde ; car ie les croy fi neceffaires, que ie me perfuade que fans elles on ne peut jamais rien eflablir de ferme & d'afluré dans la Philofophie.

Et quoy que le fer & le feu ne fe manient iamais fans péril par des enfans ou par des miprudens, neantmoins, parce qu'ils font vtiles pour la vie, il n'y a perfonne qui iuge qu'il fe faille abftenir pour cela de leur vfage.

Or, que dans ia quatrième Méditation ie n'aye parlé que de [l'er- reur qui fe commet dans le difcernement du vray & du faux, & non pas de celle ^ qui arriue dans la pourfuite du bien & du mal ; & que i'aye toufiours excepté les chofes qui regardent la foy & les actions de nollre vie, lorfque i'ay dit que nous ne deuons donner créance qu'aux chofes que nous connoilTons euidemment, tout le contenu de mes Méditations en fait foy ; & outre cela ie l'ay expreffement dé- claré dans les réponfes aux fécondes Obiedions, nombre cinquième, com|me auffi dans l'abrégé de mes Méditations ; ce que ie dis pour 329 faire voir combien ie défère au iugement de Monfieur Arnauld, & l'ertime que ie fais de fes confeils.

Il relie le facrement de l'Euchariftie, auec lequel Monfieur Ar- nauld iuge que mes opinions ne peuuent pas conuenir, parce que, dit-il, nous tenons pour article de foy que, la fubftance du pain efïant oflée du pain Euchariflique, les feuls accidens y demeurent. Or il penfe que ie n'admets point d'accidens réels, mais feulement des modes, qui ne peuuent pas eftre entendusyh?;5 quelque fubfîance en laquelle ils refident, & partant, ils ne peuuent pas exifer fans elle. A laquelle obieclion ie pourois très facilement m'exempter de

a. « celuy » [i" édit.)

�� � 192 Œuvres de Descartes. 348050.

répondre, en difant que iufques icy ie n'ay iamais nié que les ac- cidens fuffent réels : car, encore que ie ne m'en lois point ferui dans la Dioptrique & dans les Météores, pour expliquer les chofes que ie traittois alors, i'ay dit neantmoins en termes exprez, dans les Météores page 164, que le ne voulois pas nier qu'ils fuffent réels. Et dans ces Méditations i'ay de vray i'upofc que | ie ne les con- noiffois pas bien encore, mais non pas que pour cela il n'y en euft point : car la manière d'écrire analytique que i'y ay fuiuie permet de faire quelquefois des fupofitions, lorfqu'on n'a pas encore alîez foigneufement examiné les chofes, comme il a paru dans la première

330 Méditation, où i'auois fupofé beaucoup de chofes que i'ay | depuis refutées dans les fuiuantes.

Et certes ce n'a point efté icy mon deffein de rien définir tou- chant la nature des accidens, mais i'ay feulement propofé ce qui m'a femblé d'eux de prim'abord; & enfin, de ce que i'ay dit que les modes ne peuuent pas eflre entendus fans quelque fubftance en laquelle ils refident, on ne doit pas inférer que i'aye nié que par la toute puiffance de Dieu ils en puiffent eftre feparez, parce que ie tiens pour très affeuré & croy fermement que Dieu peut faire vne infinité de chofes que nous ne fommes pas capables d'entendre.

Mais, pour procéder icy auec 'us defranchife, ie ne diffimuleray point que ie me perfuade qu'il n'y a rien autre chofe par quoy nos fens foyent touchez, que cette feule fuperficie qui eft le terme des dimenfions du corps qui eft fenty ou aperceu par les fens. Car c'efl. en la fuperficie feule que fe fait le contad, lequel eft fi necefCaire pour le fentiment, que i'eftime que fans luy pas vn de nos fens ne pouroit eftre meu ; & ie ne fuis pas le feul de cette opinion : Ariftote mefme & quantité d'autres philofophes auant moy en ont efté. De forte que, par exemple, le pain & le vin ne font point aperceus par les fens, finon en tant que leur fuperficie eft touchée par l'organe du fens, ou" immédiatement, ou mediatement par le moyen de l'air ou des autres corps, comme ie I'eftime, ou bien,

331 comme difent | plufieurs philofophes, par le moyen des efpeces intentionelles.

Et il faut remarquer que ce n'eft pas la feule figure extérieure des corps qui eft fenfible aux doigts & à la main, qui doit eftre prife pour cette fuperficie, mais qu'il faut auffi confiderer tous ces (petits interuales qui font, par exemple, entre les petites parties de la farine dont le pain eft compofé, comme aufli entre les particules de

a. « ou » manque (/" édit.), ajouté (2' et 3' édit.).

�� � s5o-î5i. Quatrièmes Réponses. 195

l'eau de vie, de l'eau douce, du vinaigre, de la lie ou du tartre, du mélange defquelles le vin eft compofé, & ainfi entre les petites parties des autres corps, & penfer que toutes les petites fuperficies qui terminent ces inteiuales, font partie de la fuperfïcie de chaque corps.

Car certes, ces petites parties de tous les corps ayans diuerfes figures & groffeurs & differens mouuemens, iamais elles ne peuuent eftre fi bien arrangées ny fi iuftement jointes enfemble, qu'il ne refte plufieurs interualles autour d'elles, qui ne font pas neantmoins vuides, m.ais qui font remplis d'air ou de quelque autre matière, comme il s'en voit dans le pain, qui font affez larges & qui peuuent eftre remplis non feulement d'air, mais auffi d'eau, de vin, ou de quelque autre liqueur; & puifque le pain demeure toufiours le mefme, encore que l'air, ou telle autre matière qui eft contenue dans fes pores foit changée, il eft conftant que ces chofes n'apartiennent point à la fubftance du pain, & parjtant, que fa fuperficie n'eft pas 332 celle qui par vn petit circuit l'enuironne tout entier, mais celle qui touche immédiatement chacune de fes petites parties.

Il faut aufii remarquer que cette fuperficie n'eft pas feulement remuée toute entière, lorfque toute lamafl"e du pain eft portée d'vn lieu en vn autre, mais qu'elle eft aufli remuée en partie, lorfque quelques vnes de fes petites parties font agitées par l'air ou par les autres corps qui entrent dans fes pores ; tellement que, s'il y a des corps qui foyeat d'vne telle nature que quelques vnes de leurs parties, ou toutes celles qui les compofent, fe remuent continuel- lement (ce que i'eftime eftre vray de plufieurs parties du pain & de toutes celles du vin), il faudra auflî conceuoir que leur fuperficie eft dans vn continuel mouuement.

Enfin, il faut remarquer que, par la fuperficie du pain ou du vin, ou de quelque autre corps que ce foit, on n'entend pas icy aucune partie de la fubftance, ny mefme de la quantité de ce mefme corps, ny aufii aucunes parties des autres corps qui l'enuironnent, mais feulement ) ce terme que l'on conçoit ejïre moyen entre chacune des particules de ce corps & les coiys qui les enuironnent, & qui n'a point d'autre entité que la modale.

Ainfi, puifque le contad fe fait dans ce feul terme, & que rien n'eft fenty, fi ce n'eft par contad, c'ert vne chofe manifefte que, de cela feul que les | fubftances du pain & du vin font dites eftre tel- 333 lement changées en la fubftance de quelque autre choie, que cette nouuelle fubftance foit contenue precifement fous les mefmes termes fouz qui les autres eftoyent contenucfs, ou qu'elle exifte dans Œuvres. IV. 25

�� � 194 OEuvREs DE Descartes. 251-253.

le mefme lieu où le pain & le vin exilloyent auparauant (ou plutoll, d'autant que leurs termes font continuellement agitez, dans lequel ils exilleroyent s'ils eltoyent prefens), il s'enfuit necell'airement que cette nouuelle fubftance doit mouuoir tous nos fens de la mefme façon que feroient le pain & le vin, fi aucune tranfubftantiation n'auoit eflé faite.

Orl'Eglife nous enfeigne, dans le Concile de l'rente, fedion i3, can. 2 & 4, qu'il fe fait vne conuerfton de toute la fubjïance du pain en la fubftance du Corps de nojlre Seigneur lefus-ChriJl, demeurant feulement l'efpece du pain. Où ie ne voy pas ce que l'on peut en- tendre par l'efpece du pain, fi ce n'eft cette fuperficie qui eft moyenne entre chacune de fes petites parties & les corps qui les enuironnent.

Car, comme il a défia efté dit, le contact fe fait en cette feule fuperficie; & Ariltote mefme confefle que, non feulement ce fens que par priuilege fpecial on nomme V attouchement, mais aufli tous les autres ne fentent que par le moyen de l'atouchement. C'cft dans le liure 3 de l'Ame, chap. i3, où font ces mots : y.y.i '.i d)ly. yh^r-mia.

334 I Or il n'y a perfonne qui penfe que par l'efpece | on entende autre choie que ce qui elt precifement requis pour toucher les fens. Et il n'y a auffi perfonne qui croye la conuerfion du pain au Corps de Christ, qui ne pense que ce Corps de Christ eft precisement contenu sous la mesme superficie fous qui le pain feroit contenu s'il eitoit present, quoy que neantmoins il ne foit pas là comme proprement dans vn lieu, mais sacramentellement, & de cette manière d'exifter, laquelle, quoy que nous ne puissions qu'à peine exprimer par pa- roles, après neantmoins que nostre esprit eft éclairé des lumières de la foy, nous pouuons conceuoir comme possible à vn Dieu, & la- quelle nous fommes obligez de croire tres-fermemen\ Toutes lesquelles choses me semblent estre si commodément expliquées par mes principes, que non seulement ie ne crains pas d'auoir rien dit icy qui puisse offenser nos Théologiens, qu'au contraire i'espere qu'ils me fçauront gré de ce que les opinions que ie propofe dans la Physique font telles, qu'elles conuiennent beaucoup mieux auec la Théologie, que celles qu'on y propose d'ordinaire. Car, de vray, l'Eglise n'a iamais enseigne (au moins que ie sçache) que les especes du pain & du vin, qui demeurent au Sacrement de l'Eucharistie, soient des accidents réels qui subsistent miraculeusement tous seuls, après que la substance à laquelle ils estoient attachez a esté oftée.

Mais peut-estre à cause que les premiers Théologiens qui ont entrepris d'ajufter cette question auec | la Philosophie naturelle | fe

��335

�� � 253-254. Quatrièmes Réponses. 19^

perfuadoient fi fortement que ces accidens qui touchent nos fens eltoient quelque choie de réel difl'erent de la fubflance, qu'ils ne penfoient pas feulement que iamais on en peuft douter, ils ont fupofé, fans aucune iufte railbn & fans v auoir bien penfé, que les efpeces du pain eftoient des accidens réels de cette nature; puis enfuite ils ont mis toute leur ertude à expliquer comment ces accidens peuuent fubfifter fans fuiet. En quoy ils ont trouué tant de difficultez que cela feul leur deuoit faire iuger qu'ils s'efloyent détournez du droit chemin, ainfi que font les voyageurs quand quelque fentier les a conduits à des lieux pleins d'épines & inac- ceffibles".

Car, premièrement, ils femblent fe contredire (au moins ceux qui tiennent que les obiefts ne meuuent nos fens que par le moyen du contad^i. lorfqu'ils fupofent qu'il faut encore quelque autre chofe dans les obiets, pour mouuoir les fens, que leurs fuper- ficies diuerfement difpofées ; d'autant que c'efl vne choie qui de foy eft euidente, que la fuperficie feule fuffit pour le contad; et s'il y en a qui ne veulent pas tomber d'acord que nous ne fentons rien fans le contaft, ils ne peuuent rien dire, touchant la façon dont les fens font meus parleurs objecls, qui ait aucune aparence de vérité.

Outre cela, l'efprit humain ne peut pas conceuoir que les accidens du pain foyent réels, & que neanimoins ils exiftent fans fa fubftance, qu'il ne les conçoiue en mefme façon qui fi c'ef|toient des fubftances ; 338 c'eft pourquoy il femble qu'il y ait en cela de la contradiction, que toute la fubftance du pain foit changée, ainfi que le croit l'Eglife, & que cependant il demeure quelque chofe de réel qui efloit aupa- rauanr dans le pain; parce qu'on ne peut pas conceuoir qu'il de- meure rien de réel, que ce qui fubfifte; & encore qu'on nomme cela* vn accident, on le conçoit neantmoins comme vne fubflance. Et c'eft en effecl la mefme chofe que fi on difoit qu'à la vérité toute la l'ubftance du pain eft changée, mais que neantmoins cette partie de fa fubftance, qu'jon nomme accident réel, demeure : dans lefquelles paroles s'il n'y a point de contradiftion, certainement dans le con- cept il en paroift beaucoup.

Et il femble que ce foit principalement pour ce fuiet que quel- ques-vns fe font éloignez en cecy de la créance de l'Eglife Romaine. Mais qui poura nier que, lorfqu'il eft permis, & que nulle raifon,

a. Les trois premières éditions de la traduction française (pas plus d'ailleurs que l'original latin) ne mettent plus à la ligne jusqu'au dernier alinéa : C.'eJÏ pourquoy, s'il m'e/i icy permis . . . (p. 197 ci-après).

�� � 196

��Œuvres de Descartfs. 254-255.

��ny theologique, ny mefme philofophique, ne nous oblige à em- brader vne opinion plutoft qu'vne autre, il ne faille principale- ment choifir celles qui ne peuuent donner occafion ny prétexte à perfonne de s'efloigner des veritez de la foy ? Or, que l'opinion qui admet des accidens réels ne s'accommode pas aux railons de la Théologie, ie penfe que cela fe void icy affez clairement; & qu'elle foit tout à fait contraire à celles de la philofophie, i'efpere dans peu le démontrer euidemment, dans vn traitté des principes

337 que i'ay deffein de publier, & | d'y expliquer comment la couleur, la faueur, la pefanteur, & toutes les autres qualitez qui touchent nos iens, dépendent feulement en cela de la fuperficie extérieure des corps.

Au refte, on ne peut pas fupofer que les accidens foyent réels, fans qu'au miracle de la tranfubftantiation, lequel feul peut élire- inféré des paroles de la confecration, on n'en adioute fans necef- fité vn nouueau & incomprehenfible, par lequel ces accidens réels exiftent tellement fans la fubftance du pain, que cependant ils ne foyent pas eux mefmes faits des fubftances ; ce qui ne répugne pas feulement à la raifon humaine, mais mefme à l'axiome des Théologiens, qui difent que les paroles de la confecration n'o- pèrent rien que ce qu'elles lignifient, & qui ne veulent pas attri- buer à miracle les chofes qui peuuent eltre expliquées par raifon naturelle. Toutes lefquelles difficultez font entièrement leuées par l'explication que ie donne à ces chofes. Car tant s'en faut que, I félon l'explication que i'y donne, il foit befoin de quelque mi- racle pour conferuer les accidens après que la fublfance du pain elt oftée, qu'au contraire, fans vn nouueau miracle (à fçauoir, par lequel les dimenfions fulfent changées), ils ne peuuent pas eftre oltez. Et les hiltoires nous aprennent que cela ell quelquefois arriué, lorfqu'au lieu de pain confacré il a paru de la chair ou vn petit enfant entre les mains du preitre; car iamais on n'a creu que

338 cela foit arriué par vne celfation de miracle, mais on a | toufiours attribué cet efl"e'5t à vn miracle nouueau.

D'auantage, il n'y a rien en cela d'incomprehenfible ou de dif- ficile, que Dieu, créateur de toutes chofes, puiffe changer vne fubflance en vne autre, & que cette dernière fubftance demeure precifement fou7 la inefme fuperficie fuus qui la première eiloit contenue. On ne peut aufïï rien dire de plus conforme à la raifon, ny qui foit plus communément receu par les philofophes, que non feulement tout fentiment, mais généralement toute adion d'vn corps fur vn autre, fe fait par le contact, & que ce contait peut élire en

�� � 255-256. Quatrièmes Réponses. 197

la feule fuperficie: d'où il fuit euidemment que la mefme fuperficie doit toufiours de la mefme façon agir ou patir, quelque changement qui arriue en la fubftance qu'elle couure.

C'eft pourquoy, s'il m'eft icy permis de dire la vérité fans enuie, i'ofe efperer que le temps viendra, auquel cette opinion, qui admet les accidcns réels, fera rejettée par les Théologiens comme peu feure en la foy, éloignée de la raifon, & du tout incomprehenfible, & que la mienne fera receuë en fa place comme certaine & indubitable. Ce que i'ay crû ne deuoir pas icy diflimuler, pour preuenir, autant qu'il m'eft poiTible, les calomnies de ceux qui, vouians paroiftre plus fçauans que les autres, & ne pouuans foufrir qu'on propofe aucune opinion différente des leurs, | qui foit eftimée vraye & importante, ont couftume de dire qu'elle répugne aux verijtez de la foy, & 339 tachent d'abolir par autorité ce qu'ils ne peuuent réfuter par raifon '. Mais i'apelle de leur fentence à celle des bons & ortodoxes Théo- logiens, au iugement & à la cenfure defquels ie me foumettray toufiours tres-voIontiers.

a. Cette phrase diffère sensiblement de l'original latin (voir p. 255, 1. 2g, a.p. 256, 1. 6).

��

|AVERTISSEMENT

DE L'AVTEVR[15]

TOVCHANT LES CINQVIEMES OBJECTIONS[16]


Auant la premiere edition de ces Meditations [17], ie deſiray qu'elles fuſſent examinées, non ſeulement par Meſſieurs les Docteurs de Sorbone, mais auſſi par tous les autres ſçauans hommes qui en voudroient prendre la peine, afin que, faiſant imprimer leurs objections & mes réponſes en ſuite des Meditations, chacunes ſelon l'ordre quelles auroient eſté faites, cela ſeruiſt à rendre la verité plus euidente. Et encore que celles qui ne furent enuoyées les cinquiémes ne me ſemblaſſent pas les plus importantes, & qu'elles fuſſent fort longues, ie ne laiſſay pas de les faire imprimer en leur ordre[18], pour ne point deſobliger leur auteur, auquel on fit meſme voir, de ma part, les épreuues de l'impreſſion, afin que rien n'y fuſt mis comme ſien qu'il n'approuuaſt ; mais pource | qu'il a fait depuis vn gros liure, qui contient ces meſmes objections auec pluſieurs nouuelles inſtances ou repliques contre mes réponſes[19] & que la dedans il s'eſt plaint de ce que ie les auois publiées, comme ſi ie l'auois fait contre ſon gré, & qu'il ne me les euſt enuoyées que pour mon inſtruction particuliere, ie ſeray bien aiſe de m'accommoder dorénauant à ſon deſir, & que ce volume en ſoit deſchargé. C'eſt pourquoy, lors que i'ay ſceu que Monſieur C. L. R.[20] prenoit la peine de traduire les autres objections, ie l'ay prié d'obmettre celles-cy. Et afin que le Lecteur n'ait point ſujet de les regretter, i'ay à l'auertir en cet endroit que ie les ay releuës depuis peu, & que i'ay leu auſſi toutes les nouuelles inſtances du gros liure qui les contient, auec intention d'en extraire tous les points que ie iugerois auoir beſoin de réponſe, mais que ie n'en ay ſceu remarquer aucun, auquel il ne me ſemble que ceux qui entendront vn peu le ſens de mes Meditations pouront ayſement répondre ſans moy ; & pour ceux qui ne iugent des liures que par la groſſeur du volume ou par le titre, mon ambition n'eſt pas de rechercher leur approbation. 393 lAVERTISSEMENT

DV TRADVCTEVR^

TOVCHANT LES CINQVIÉMES OBJECTIONS FAITES PAR MONSIEVR GASSENDY*'

��i< N'ayant entrepris la traduction des Méditations de Monfieur

» Des-Cartes pour autre deffein que celuy de me fatisfaire moy-

» meime, & me rendre plus maiftre de la dodrine qu'elles con-

» tiennent, le fruit que l'en <ay> tiré me donna enuie de pour-

» fuiure celle de tout le refte du Hure. Et fur le point que l'en

» eftois aux quatrièmes Objedions, ayant communiqué tout mon

» trauail au R. P. Merfenne, ie fus eftonné que, luy l'ayant fait

» voir à Monfieur Des-Cartes, lors d'vn petit tour qu'il vint faire

394 » en | France il y a quelque temps % ie receu de luy vn mot de

» compliment", auec vne prière de vouloir continuer mon ouurage,

» dans le deffein qu'il auoit de vouloir joindre ma verfion des ob-

» jeftions & de leur réponle à la traduction fidèle & excellente de

» fes Méditations, dont vn Seigneur de très-grande confideration

» luy auoit fait prefent. Et pour me donner plus de courage, en

» m'épargnant la peine, il me pria d'obmettre les cinquièmes ob-

i< jedions, que des raifons particulières l'obligeoient lors de détacher

)) de l'édition nouuelle qu'il vouloit faire de fes Méditations en

a. Clerselier.

b. Imprimé seulement dans la première édition (1647), après les i?epon/ej aux fixiémes Objeâions, et avant les Cinquièmes Obieâions, dont Cler- selier publiait la traduction, ainsi que celle des Réponfes, de sa propre autorité, et contrairement à l'avis de Descartes, bien qu'avec la permission de celui-ci. Voir, dans notre Préface, les raisons pour lesquelles nous ne croyons pas devoir reproduire ici cette traduction française des Cinquièmes Obieâions de Gassend ni des Réponfes de Descartes.

c. Le voyage de 1644 (fin juin jusque vers la mi-novembre).

d. Ce « mot de compliment » n'a pas été conservé. Voir toutefois au t. IV de cette édition, p. 144.

�� � Sur les Cinquièmes Objections. 201

>> François, ainfi que l'auertiffement qu'il a fait mettre icy en leur » place " le peut témoigner. Mais depuis, ayant coniideré que ces » objeftions partoient de la plume d'vn homme qui ell en repu- » tation d'vn très-grand fçauoir, i'ay penfé qu'il eltoit à propos » qu'elles fulfent veuës d'vn chacun, & ay trouué bon de les tra- » duire, de peur qu'on ne peni'art que c'a efté faute d'y auoir pu » répondre que Monfieur Des- Cartes a voulu qu'on les ait obmifes ; » outre que c'euft efté priuer le Le(5teur de la plus grande partie du » liure, & ne luy prefenter qu'vne verfion imparfaite. l'auouë neant- » moins que c'eft celle qui m'a donné le plus de peine, parce que, » defirant adoucir beaucoup de chofes qui pouront fembler rudes » en noike langue, que la libre façon de | parler des Philofophes 395 » admet fans fcrupule dans le Latin, ie me fuis au commencement » beaucoup trauailié. Mais depuis, cette entreprife m'ayant femblé » d'vne trop longue fuite, & ne voulant pas fi long-temps forcer mon » efprit, & d'ailleurs craignant de corrompre le fans de beaucoup » de lieux penfant en ofter la rudeffe & les accommoder à la ciui- » lité Françoife, ie me fuis aftraint, autant que i'ay pu & que le )i difcours me !'a pu permettre, à traduire Amplement les chofes » comme elles font; me remettant à la docilité du Lefteur de iuger <> benignement des chofes ; eftant d'ailleurs affuré que ceux qui, » comme moy, ont cet aduantage de connoiftre ces Meffieurs, ne » pouront croire que des perfonnes fi bien inftruittes ayent efté ca- » pables d'aucune animofité : en tout cas, fi en cela il y a quelque » faute, c'eft à moy feul à qui elle doit eftre imputée, ayant efté » auoiié de l'vn & de l'autre de reformer toutes chofes comme ie le » trouuerois à propos. Et pour payer le Lefteur de la peine qu'il » aura eue à lire vne fi mauuaife traduction qu'eft la mienne, ie luy » feray part d'vne lettre" que Monfieur Des-Cartes m'a fait l'hon- » neur de m'efcrire, fur le fujet d'vn petit recueil des principales » difficultez que quelques-vns de mes amis auoient foi|gneufement » extraites du liure des Inftances de Monfieur Gaifendy% dont la » réponfe, à mon auis, mérite bien d'eltre veuë. »

a. La pièce précédente, p. 198.

b. Imprimée ci-après, p. 202.

c. Voir la note a, p. 199 ci-avant. — Par malheur, ce « petit recueil » n'a pas été retrouvé.

��Œuvres. IV. 26

�� � I LETTRE

DE MONSIEVR DES-CARTES

��A MONSIEVR C. L. R.

��Semant de réponfe a vn recueil des principales

injîances faites par Monjieur Gajfendi 5

contre les précédentes Réponfes^.

��[i2 janvier 1646'.]

Monfieur,

le vous ay beaucoup d'obligation de ce que, voyant que i'ay négligé de répondre au gros Liure 10 d'inflances que FAuteur des cinquièmes Objedions a produit contre mes Réponfes, vous auez prié quelques-vns de vos amis de recueillir les plus fortes raifons de ce liure, & m'auez enuoyé l'extrait qu'ils en ont fait. Vous avez eu en cela plus de foin de i5

a. C. L. R., c'est-à-dire Clerselier. Voir ci-avant, p. 201, les dernières lignes de l'avertissement qui précède.

b. C'est-à-dire les Réponfes aux cinquièmes Objeâions, dont la tra- duction précédait immédiatement cette lettre dans l'édition de 1647.

c. Voir, pour cette date, t. IV de la présente édition, lettre CDXX, p. 357-358.

d. Voir au t. VII de cette édition, à la suite du texte des Cinquièmes Objeâions et Réponfes, VIndex de ce livre, qui ne contient pas seulement les Infiances de Gassend, mais aussi sous le nom de Dubitationes les Objeâions de ce philosophe, avec les Réponfes de Descartes. Le titre du volume l'indique d'ailleurs : voir ci-avant, p. 199, note a. — A défaut du « recueil >i auquel Des-cartes répond ici, et qui n'a pas été conservé, cet Index fournira d'utiles indications.

�� � ma reputation que moy-meſme ; car ie vous aſſure qu’il m’eſt indifferent d’eſtre eſtimé ou mépriſé par ceux que de ſemblables raiſons auroient pû perſuader. Les meilleurs eſprits de ma connoiſ|ſance qui 594 5 ont leu ſon liure, m’ont témoigné qu’ils n’y auoient trouué aucune choſe qui les areſtaſt ; c’eſt à eux ſeuls que ie deſire ſatisfaire. Ie ſçay que la pluſpart des hommes remarque mieux les apparences que la verité, & iuge plus ſouuent mal que bien ; c’eſt pourquoy ie 10 ne croy pas que leur approbation vaille la peine que ie faſſe tout ce qui pouroit eſtre vtile pour l’acquerir. Mais ie ne laiſſe pas d’eſtre bien ayſe du recueil que vous m’auez enuoyé, & ie me ſens obligé d’y répondre, plutoſt pour reconnoiſſance du trauail de vos 15 amis que par la neceſſité de ma defenſe ; car ie croy que ceux qui ont pris la peine de le faire, doiuent maintenant iuger, comme moy, que toutes les objections que ce liure contient ne ſont fondées que ſur quelques mots mal entendus ou quelques ſupoſitions 20 qui font fauſſes ; vu que toutes celles qu’ils ont remarquées ſont de cette ſorte, & que neantmoins ils ont eſté ſi diligens, qu’ils en ont meſme adiouté quelques-vnes que ie ne me ſouuiens point d’y auoir leuës.

Ils en remarquent trois contre la première 25 Meditation, à ſçauoir : 1. Que ie deinande vne choſe impoſſible, en voulant qu’on quitte toute ſorte de préjugez. 2. Qu’en penſant les quiter on ſe reueſt d’autres préjugez qui ſont plus préjudiciables. 3. Et que la methode de douter de tout, que i’ay propoſée, ne peut ſeruir à 30 trouuer aucune vérité[21].

La première deſquelles eſt fondée ſur ce que l’Auteur de ce liure n a pas conſideré que le mot de préjugé ne s’étend point à toutes les notions qui ſont en 595 noſtre | eſprit, deſquelles i’auouë qu’il eſt impoſſible de ſe defaire, mais ſeulement à toutes les opinions 5 que les iugemens que nous auons faits auparauant ont laiſſées en noſtre creance. Et pource que c’eſt vne action de la volonté que de iuger ou ne pas iuger, ainſi que i’ay expliqué en ſon lieu, il eſt éuident qu’elle eſt en noſtre pouuoir : car enfin, pour ſe defaire de 10 toute ſorte de préjugez, il ne faut autre choſe que ſe reſoudre à ne rien aſſurer ou nier de tout ce qu’on auoit aſſuré ou nié auparauant, ſinon aprés l’auoir derechef examiné, quoy qu’on ne laiſſe pas pour cela de retenir toutes les meſmes notions en 15 ſa memoire. I’ay dit neantmoins qu’il y auoit de la difficulté à chaſſer ainſi hors de ſa creance tout ce qu’on y auoit mis auparauant, partie à cauſe qu’il eſt beſoin d’auoir quelque raiſon de douter auant que de s’y determiner : c’eſt pourquoy i’ay propoſé 20 les principales en ma premiere Meditation ; & partie auſſi à cauſe que, quelque reſolution qu’on ait priſe de ne rien nier ny aſſurer, on s’en oublie aiſement par aprés, ſi on ne l’a fortement imprimée en ſa memoire : c’eſt pourquoy i’ay deſiré qu’on y penſaſt 25 auec ſoin[22].

La 2. Objection n’eſt qu’vne ſuppoſition manifeſtement fauſſe ; car, encore que i’aye dit qu’il faloit meſme s’efforcer de nier les choſes qu’on auoit trop aſſurées auparauant, i’ay tres-expreſſement limité 30 Sur les Cinquièmes Objections. 20^

que cela ne fe deuoit faire que pendant le temps qu'on portoit Ton attention à chercher quelque chofe de plus certain que tout ce qu'on pouroit ainfi { nier, pendant lequel il efl euident qu'on ne fçauroit fe 5 reuellir d'aucun préjugé qui foit préjudiciable ^

La troifiéme auffi ne contient qu'vne cauillation; car, bien qu'il foit vray que le doute feul ne fuffit pas pour eftablir aucune vérité, il ne lailTe pas d'eftre vtile à préparer Fefprit pour en eftablir par après, &

10 c'eft à cela fcul que ie Tay employé.

Contre la féconde Méditation vos amis remarquent fix chofes. La première eft qu'en diiant : ie penfe, donc ie fuis, l'Auteur des Inftances veut que ie fuppofe cette maieure : celuy qui penfe, eji ; & ainfi que i'aye

i5 defia époufé vn préjugé. En quoy il abufe derechef du mot de préjugé : car, bien qu'on en puilîe donner le nom à cette propotition, lorfqu'on la profère fans attention & qu'on croit feulement qu'elle eft vraye à caufe qu'on fe fouuient de l'auoir ainfi iugé aupara-

20 uant, on ne peut pas dire toutesfois qu'elle foit vn préjugé, lorfqu'on Lexamine, à caufe qu elle paroift ft éuidente à l'entendement, qu'il ne fe fçauroit em- pefcher de la croire, encore que ce foit peut-eftre la première fois de fa vie qu'il y penfe, & que par conle-

25 quent il n'en ait aucun préjugé. Mais l'erreur qui eft icy la plus confiderable, eft que cet Auteur fuppofe que la connoiflance des proportions particulières doit toufiours eftre déduite des vniuerfelles,fLiiuant l'ordre des fyllogifmes de la Dialedique : en quoy il montre

3o fçauoir bien peu de quelle façon la vérité fe doit

a. Non à la ligne (/'-' édU.]é

��b96

�� � 2o6 OEuVRES DE DeSCARTES.

chercher ; car il eft certain que, pour la trouuer, on 597 doit toujours commencer | par les notions particu- lières, pour venir après aux générales, bien qu'on puilTe auffi réciproquement, ayant trouué les géné- rales, en déduire d'autres particulières. Ainfi, quand 5 on enfeigne à vn enfant les elemens de la Géométrie, on ne lui fera point entendre en gênerai que, lorfque de deux quantité^ égales on ojîe des parties égales, les rejîes demeurent égaux, ou que le tout ejl plus grand que f es parties, fi on ne luy en montre des exemples en lo des cas particuliers. Et c'efl faute d'auoir pris garde à cecy, que noftre Auteur s'eft trompé en tant de faux raifonnemens, dont il a grolîi fon liure ; car il n'a fait que compofer de fauifes maieures à fa fan- taifie, comme (i l'en auois déduit les veritez que i'ay '5 expliquées.

La féconde Objedion que remarquent icy vos amis eft : Que, pour fçauoir qu'on penfe, il faut fçauoir ce que c'eji que penfée '; ce que ie ne fçais point, difent- ils, à cause que i'ay tout nié. Mais ie n'ay nié que 20 les préjugez, & non point les notions, comme celle- cy, qui fe connoiffent fans aucune affirmation ny négation.

La troiliéme eft : Qiie la penfée ne peut efîrefans objet, par exemple fans le corps. Où il faut éuiter l'équiuoque ^5 du mot de penfée, lequel on peut prendre pour la chofe qui penfe, & auffi pour l'aftion de cette chofe ; or ie nie que la chofe qui penfe ait befoin d'autre objet que de foy-mefme pour exercer fon adion, bien qu'elle puifle auffi l'étendre aux chofes matérielles, 3o lorfqu'elle les examine.

�� � Sur i.Es Cinquièmes Objections. 207

La quatrième : Que, bien que i'aye vne penjec de ?noy- \mefine, ie ne fçay pas fi cette peu fée ejl vne aclion corpo- 598 relie ou vn atome qui fe meut, plutoft qu'vne fubjlance immatérielle. Où Tequiiioque du nom de penfée efl 5 répétée, & ie n'y voy rien de plus, finon vne queftion fans fondement, & qui eflfemblable àcelle-cv. Vous iugez que vous eftes vn homme, à caufe que vous aperceuez en vous toutes les chofes à l'occafion defquelles vous nommez hommes ceux en qui elles

10 fe trouuent; mais que fçauez-vous fi vous n'eftes point vn éléphant plutoft quVn homme, pour quelques autres raifons que vous ne pouuez aperceuoir ? Car, après que la fubftance qui penfe a iugé qu'elle eft intellectuelle, à caufe qu'elle a remarqué en foy

i5 toutes les proprietez des fubftances intelleduelles, d' n'y en a pu remarquer aucune de celles qui apar- tiennent au corps, on luy demande encore comment elle fçait fi elle n'eft point vn corps, plutoft qu'vne fubftance immatérielle.

20 La cinquième Objedion eft femblable : Que, bien que ie ne trouue point d étendue en ma penfée, il ne s'en- fuit pas quelle ne fait point étendue, pource que ma penfée n'efl pas la règle de la vérité des chofes. Et aufti la fixiéme : Quil fe peut faire que la dijîinéîion, que ie

25 trouue par ma penfée entre la penfée & le corps, foit

fauffe. Mais il faut particulièrement icy remarquer

l'équivoque qui eft en ces mots : ma penfée n'efl pas

la règle de la vérité des chofes. Car, fi on veut dire que

ma penfée ne doit pas eftre la règle des autres, pour

So les obliger à croire vne chofe à caufe que ie la penfe vrave, ien fuis entièrement j d'accord ; mais cela ne

��599

�� � 600

��2o8 OEUVRES DE DeSCARTES.

vient point icy à propos : cai ie n'ay iamais voulu obliger perfonne à fuiure mon autorité, au contraire i'ay auerty en diuers lieux qu'on ne fe deuoit laiffer perfuader que par la feule euidence des raifons. De plus, fi on prend indifféremment le mot de penfée 5 pour toute forte d'opération de lame, il eft certain qu'on peut auoir plulieurs penfées, defquelles on ne doit rien inférer touchant la vérité des chofes qui font hors de nous ; mais cela ne vient point aufli à propos en cet endroit, ou il n'eft queftion que des penfées lo qui font des perceptions claires & diftincles, & des iugemens que chacun doit faire à part foy enfuite de ces perceptions. C'eft pourquoy, au fens que ces mots doiuent icy eftre entendus, ie dis que la penfée d'vn chacun, c'efl à dire la perception ou connoifTance i5 qu'il a d'vne chofe, doit eftre pour luy la règle de la vérité de cette chofe, c'efl à dire, que tous les iugemens qu'il en fait, doiuent eftre conformes à cette perception pour eftre bons . Mefme touchant les veritez de la foy, nous deuons aperceuoir quelque 20 raifon qui nous perfuade qu'elles ont efté reuelées de Dieu, auant que de nous déterminer à les croire; & encore que les ignorans faiTent bien de fuiure le jugement des plus capables, touchant les chofes dif- ficiles à connoiftre, il faut neantmoins que ce foit leur 25 perception qui leur enfeigne qu'ils font ignorans, & que ceux dont ils veulent fuiure les iugemens ne le font peut-eftre pas tant, autrement ils feroient maljde les fuiure, & ils agiroient plutoft en automates, ou en beftes, qu'en hommes. Ainfi cefl l'erreur la plus ab- 3o furde t^ la plus exorbitante qu vn Philofophe puille

�� � Sur les Cinquièmes Objections. 209

admettre, que de vouloir faire des iugemens qui ne fe raportent pas aux perceptions qu'il a des chofes ; & toutefois ie ne voy pas comment noflre Auteur fe pouroit excufer d'eftre tombé en cette faute, en la 5 plufpart de fes objedions : car il ne veut pas que chacun s'arefte à fa propre perception, mais il pré- tend qu'on doit plutoft croire des opinions ou fan- taifies qu'il luy plaift nous propofer, bien qu'on ne les aperçoiue aucunement.

10 Contre la troiliéme Méditation vos amis ont re- marqué : I. Que tout le monde n'expérimente pas en foy l'idée de Dieu. 2. Qiie, fi Vauois cette idée, ie la compren- drois. j. Que plu/ieurs ont leu mes raifons, qui n'en fotit point perfuadey. 4. Et que, de ce que ie me connais im-

1 5 parfait, il ne s'enfuit pas que Dieu [oit. Mais, fi on prend le mot d'idée en la façon que i'ay dit tres-expreifemcnt que ie le prenois, fans s'excufer par l'equiuoque de ceux qui le reflreignent aux images des chofes maté- rielles qui fe forment en l'imagination, on ne fçauroit

20 nier d'auoir quelque idée de Dieu, fi ce n'eft qu'on die qu'on n'entend pas ce que lignifient ces mots : la chofe la plus parfaite que nous puifjions conceuoir ; car c'eft ce que tous les hommes apellent Dieu. Et c'efl palier à d'eftranges extremitez pour vouloir faire des

25 objedions, que d'en venir à dire qu'on n'entend pas ce que fjgnifient les mots qui font les plus ordinai|res en 601 la bouche des hommes. Outre que c'eft la confeflion la plus impie qu'on puiflc faire, que de dire de foy- mefme. au fens que i'ay pris le mot d'idée, qu'on n'en

3o a aucune de Dieu : car ce n'eft pas feulement dire qu'on ne le connoift point par raifon naturelle, mais

Œuvres. IV. 27

�� � 2IO OEUVRES DE DeSCARTES.

auffi que, ny par la foy, ny par aucun autre moyen, on ne fçauroit rien fçauoir de luy, pource que, (1 on n a aucune idée, c'eft à dire aucune perception qui réponde à la lignification de ce mot Dieu, on a beau dire qu'on croit que Dieu efh, c'eft le melme que fi on 5 difoit qu'on croit que rien eft, & ainfi on demeure dans l'abyfme de l'impiété & dans l'extrémité de l'ignorance ".

Ce qu'ils adjoutent : Que, Ji i'auois celte idée, ie la comprendrois, eft dit fans fondement. Car, à caufe que lo le mot de comprendre fignifie quelque limitation, vn efprit fini ne fçauroit comprendre Dieu, qui eft infini ; mais cela n'empefche pas qu'il ne l'aperçoiue, ainfi qu'on peut bien toucher vne montagne, encore qu'on ne la puilTe embraiîer. '5

Ce qu'ils difent aufil de mes raifons : Que plujieurs les ont leuès fans en ejîre perfuadcT^, peut aifement eftre réfuté, parce qu'il y en a quelques autres qui les ont comprifes & en ont efté fatisfaits. Car on doit plus croire à vn feul qui dit, fans intention de mentir, qu'il 20 a veu ou compris quelque chofe, qu'on ne doit faire à mille autres qui la nient, pour cela feul qu'ils ne l'ont pu voir ou comprendre : ainfi qu'en la découuerte des Antipodes on a plutoft creu au raport de quelques 602 matelots qui ont fait le tour de la terre,|quà des mi- 25 liers de Philofophes qui n'ont pas creu qu'elle fuft ronde. Et pource qu'ils allèguent icy les Elemens d'Eu- clide, comme s'ils eftoient faciles à tout < le > monde, ie les prie de confiderer qu'entre ceux qu'on eftime

a. Non à la ligne (/" édit.].

b. Même remarque.

�� � Sur les Cinquièmes Objections. 211

les plus fçauans en la Philofophie de l'Efcbole, il n'y en a pas, de cent, vn qui les entende, & qu'il n'y en a pas vn, de dix mille, qui entende toutes les démon- llrations d'Apollonius ou d'Archimede, bien qu'elles

5 foient auffi éuidentes &l auffi certaines que celles d Euclidc '.

Enfin, quand ils dilent que, de ce que ie reconnais en moy quelque imper feclion, il ne s'enfuit pas que Dieu/oit, ils ne prouuent rien ; car ie ne l'ay pas immedia-

10 tement déduit de cela feul fans y adjouter quelque autre choie. & ils me font feulement fouuenir de l'artifice de cet Auteur, qui a couftume de tronquer mes raifons & n'en raporter que quelques parties, pour les faire paroiflre imparfaites.

i5 le ne voy rien en tout ce qu'ils ont remarqué tou- chant les trois autres Méditations, à quoy ie n'aye amplement xxpondu ailleurs, comme à ce qu'ils ob- jec1:cnt : i . Que i'ay convins vn cercle, en prouuant l'exi- Jlciicc de Dieu par certaines notions qui font en nous, &

20 difant après qu'on ne peut ejlre certain d'aucune chofe

fans fçauoir auparauant que Dieu cfî. 2. Et que fa con-

noiffance ne fert de rien pour acquérir celle des veri-

tei de Mathématique, y Et qu'il peut eflre trompeur.

Voyez fur cela ma réponfe aux fécondes objedions,

25 nombre j &. 4, & la fin de la 2. partie des qua-. triémes.

Mais ils adjoutent à la fin vne penfée, que ie ne fçache point que | nortre Auteur ait écrite dans fon

a. Non à la ligne (/"' édit.).

b. Même remarque (i" et 2' édit.). — Voirci-avant la traduction, p. no, 112, et iSy-igo.

��603

�� � 212 OEuVRES DE DeSCARTES.

liure d'Inftances, bien qu elle foit fort femblable aux Tiennes. Plujieurs excellens efprits, difent-ils, croyent voir claii-ement que l'étendue Mathématique, laquelle ie pofc pour le principe de ma Phyfique, nejl rien autre chofc que ma penfce, & qu'elle n'a, ny ne peut auoir, nulle 5 fubjijlencc hors de mon efprit, n'ejîant qu'vne abjlraélion que ie fais du corps Phyjique ; & partant, que toute ma Phyjique ne peut ejlre qu'imaginaire & feinte, comme font toutes les pures Mathématiques ; & que, dans la Phy/ique réelle des chofes que Dieu a créées, il faut vne matière lo ■ réelle, folide, & non imaginaire. Voilà l'objedion des objedions, & labregé de toute la dodrine des excel- lens efprits qui font icy alléguez. Toutes les chofes que nous pouuons entendre & conceuoir, ne font, à leur conte, que des imaginations & des fidions de i5 noflre efprit, qui ne peuuent auoir aucune fubfiftence : d'où il fuit qu'il n'y a rien que ce qu'on ne peut au- cunement entendre, ny concevoir, ou imaginer, qu'on doiue admettre pour vray, c'efi; à dire qu'il faut en- tièrement fermer la porte à la raifon, & fe contenter 20 d'eflre Singe, ou Perroquet, & non plus Homme, pour mériter d'eftre mis au rang de ces excellens efprits. Car, fi les chofes qu'on peut conceuoir doiueni eftre eflimées faufl'es pour cela feul qu'on les peut con- ceuoir, que refte-t-il, finon qu'on doit feulement re- 25 ceuoir pour vrayes celles qu'on ne conçoit pas, Si en compofer fa dodrine, en imitant les autres fans fça- 604 uoir pourquoy on les imite, comme font les Siu'ges, & en ne proférant que des paroles dont on n'entend point le fens, comme font les Perroquets ? Mais iay 3o bien de quoy me confoler, pource. qu'on ioint icy ma

�� � Sur les Cinquièmes Objections. 213

Phyfique auec les pures Mathématiques, aufquelles ie fouhaite furtout qu'elle reffemble.

Pour les deux queftions qu'ils adjoutent auffi à la fin, à fçauoir : commeiit l'ame meut le corps, fi elle n'ejî

5 point matérielle ? & comment elle peut receuoir les efpeces des objets corporels ? elles me donnent feulement icy occafion d'auertir que noftre Auteur n'a pas eu raifon, lorfque, fous prétexte de me faire des objedions, il m'a propofé quantité de telles queftions, dont la fo-

to lution n'eftoit pas neceftaire pour la preuue des chofes que i'ay écrites, & que les plus ignorans en peuuent plus faire, en vn quart d'heure, que tous les plus fçauans n'en fçauroient réfoudre en toute leur vie : ce qui eft caufe que ie ne me fuis pas mis en peine de

1 5 répondre à aucunes. Et celles-cy, entr.e autres, préfup- pofent l'explication de l'vnion qui eft entre l'ame & le corps, de laquelle ie n'ay point encore traité. Mais ie vous diray, à vous, que toute la difficulté qu'elles contiennent ne procède que d'vne fuppofition qui eft

20 faufte, & qui ne peut aucunement eftre prouuée, à fçauoir que, fi l'ame & le corps font deux fubftances de diuerfe nature, cela les empefche de pouuoir agir l'vne contre l'autre; car, au contraire, ceux qui ad- mettent des accidens réels, comme la chaleur, la pe-

25 fauteur, & femblables, ne doutent point que ces acci- dens ne puiflent agir | contre le corps, & toutefois il y a plus de différence entre eux & luy, c'eft à dire entre des accidens & vne fubftance, qu'il n'y a entre deux fubftances.

3o Au refte, puifque i'ay la plume en main, ie remar- queray encore icy deux des équiuoques que i'ay trou-

��605

�� � 2 14 OEuvRES DE Descartes.

uées dans ce liure d'Inflances, pource que ce font celles qui me femblent pouuoir furprendre le plus aifement les Lecteurs moins attentifs, & ie defire par là vous témoigner que, fi i'y auois rencontré quelque autre chofe que ie creufTe mériter réponfe, ie ne Fau- rois pas négligé.

La première eft en la page 6j % où, pource que i'ay

a. Difquifilio Melaphyfica, etc., p. 62-64, c'est-à-dire la 3" partie de VInJiantia qui fait suite à la Dubitatio IV in Meditationem II et Refpon- fio (voir, pour ces deux pièces, t. VII de la présente édition, p. 263 à 265, etc.) :

« ...& maxime ciim ollenfum fit te aut alTumpl^iffe, aut nihil probalTe, » ubi ita concludifli : Siim igitur prcccifè tantiim res cogitans. Placet » potiùs ingenuain confeffionem admiitere, &, quod ad calcem Dubita- » tionis teci te iterùm heic admonere, ut illius memineris, videlicet, » poftquàm dixifti : Siim igitur prœcifè tantiim Res cogitans, dici a te » nefcire te, neque hoc loco difputare, an fis compages membroiiim, quœ » corpus humanuw appellatur, an tennis aliquis aêr ijlis membris iiifufus, ). an ignis, an vapor, an lialitus, &c. Exinde nempe l'equuntur duo. Vnum » eft fore ut, fi, cùm ad illam tuam demonllrationem in Meditaiione lexià » pervenerimus, deprehendaris nufquam probaffe te non effe compagem » membrorum, aut tenuem aërem, vaporem, &c., non poffis illud tanquam » probatum aut conceffum affumere. Alterum, tr immeritô hilce verbis » jam conclufille : Sum igitur prœcifè' tantiim res cogitans. Quid llbi enim » vult illa vox tanlùin? An-non reftricliva elt, ut lie loquar, ad folam rem » cogitantem, & exclufiva aliarum omnium, inier quas funt compages » membrorum. tenuis aër, ignis, vapor, halitus, & castera corpora? An, » cùm fis Res cogitans, nofti te prœterea harum nullam efle ? Refpondes » perfpicuè te id ignorare. Nefcio, inquis, jam non difputo. Cur igitur » dicis te effe tantiim rem cogitantem? An-non id dicis quod ignoras? » An-non infers id quod non probas ? An-non deftruis id quod llruxiffe te M arbitraris? En nempe luum ratiocinium :

» Quifcitfe effe rem cogitantem & nejcit an fit prœtereà res alia, iitpotc » compages membrorum, tenuis aër, &c., ille e/ï prœcifè tantiim res Cogi- » tans.

1) Atqui ego fcio me effe rem cogitantem, & nefcio an prœtereà fini res )i alia, iitpote compages membrorum, tenuis aër, &c.

)> Igitur fum prœcifè tantiim res cogitans.

» Non retexo ; quia fufficit rem, ut le haDet, propofuille. Adnoto Ibliim, » cùm propofitio videatur effe adeè abfurda, non abs re fuperiùs admo- » nuiffe me cavendum tibi non modo effe ne quid imprudenter in locum

�� � Sur les Cinquièmes Objections. 21^

dit, en vn lieu, que, pendant que l'âme doute de l'exiftence de toutes les chofes matérielles, elle ne fe connoifl; que précif emeni, prcecife tantùm, comme vne fubflance immatérielle; &, fept ou huit lignes plus

5 bas, pour montrer que, par ces mois prœcife tantùm, ie n'entens point vne entière exclufion ou négation, mais feulement vne abftradion des chofes matérielles, i'ay dit que, nonobflant cela, on n'eftoit pas aifuré qu'il n'y a rien en l'ame qui foit corporel, bien qu'on n'y con-

10 noifle rien : on me traite fi injuftement que de vouloir perfuaderau Leéleur, qu'en difant prcecife lantùm, i'ay voulu exclure le corps, & ainfi que ie me fuis con- tredit par après, en difant que ie ne le voulois pas exclure. le ne répons rien à ce que ie fuis accufé

i5 enfuite d'auoir fuppofé quelque chofe, en la 6. Médi- tation, que ie n'auois pas prouué auparauant, & ainfi d'auoir fait j vn paralogifme; car il efl: facile de recon- 6O6 noiftre la faufîeté de cette accufation, qui n'efl que trop commune en tout ce Hure, & qui me pouroit

20 faire foupçonner que fon Auteur n'auroit pas agi de

)i tui alTumeres, fed etiam ne non fatis allumeres, & nofcens aliquid de te, I) hoc elTe tuam totem naturani putares. Vnde & jam dico te reclè ratioci- » nantem potuilTe duntaxat in hune modum arguere :

)i Qui fcitfe ejfe rem cogitanlem, & uefcit anfitprœtereà res alia, iitpote » compages membrorum, tennis aër, &c., illeje novit prœctje tantùm rem 1) cogitautem :

)> ^4^1^!/! egofcio me ejjfe rem cogitautem, & uej'cio au prœterea fim res » alia, utpote compages membrorum, tennis aër, &c.

» Igitur ego novi me prcecife tantiim rem cogitautem.

'« Hoc fane modo légitime ac verè conclufilTes, nemoque tibi fuccen- » fuilTet, fed attendilTet folùm ad ea quœ potuiffes deducere. Nunc autem, )i cùm tantùm difcriminis fit inter hafce duas conclufiones : Sum prcecife >) tantùm res cog'tans, & Novi me prœcifè lantùm rem cogitautem, quis, >i te procedente ab eo qiiod nofti ad illud qiiod es, ferre paralogifmum » podit ? »

�� � 2i6 OEuvRES DE Descartes.

bonne foy, fi ie ne connoifTois fon efprit, & ne croyois qu'il a efté le premier furpris parvne fi fauffc créance.

L'autre equiuoque eft en la page 84", où il veut que dijîinguere & ahjîrahere foient la mefme chofe, & tou- 5 tefois il y a grande différence : car, en diftinguant vne fuhftance de fes accidens, on doit confiderer Fvn & l'autre, ce qui fert beaucoup à la connoiflre; au lieu que, fi on fepare feulement par abltradion cette fubftance de fes accidens, c'eft à dire, fi on la con- 10 fidere toute feule fans penfer à eux, cela empefche qu'on ne la puiffe fi bien connoiftre, à caufe que c'eil par les accidens que la nature de la fubftance eft manifeftée.

Voilà, Monfieur, tout ce que ie croy deuoir ré- i5 pondre au gros Hure d'Inftances; car, bien que ie fatisferois peut-eftre dauantage aux amis de l'Auteur,

a. Difquifttio Metaphyfica, p. 84, c'est-à-dire l'^partie de VInJlautia, qui fait suite à la Dubiiatio VII in Meditationem II et Refponfio (voir t. VII de la présente édition, p. 271 (n" S,pro 7): « lam fi quisledor fitfatis patiens » ut Dubitationem meam relegat, quaefo ut ferat fimul de illà deque Ref- » ponlione judicium. Dicis te non abjlraxiffe conceplum cerœ ab acciden- » tiuin ejus conceptu. Ccdo tuam fidem ! An-non haec ipfa tua funt verba : » Ceram ab externis formis dijîinguo, & tanquçim veftibus detraâis, uiidam » confidero? Et quid eil: aliud. conceptum unius rei a conceptu aliarum » abftrahere, quàm illam fine iftis conliderare ? quàm illam nudam con- » liderare, illis detra>5lis ceu vertibus? An alià ratione conceptu's naturœ » humanœ abftrahi cenfetur ab individuorum conceptibus, quàm illam ab 1) individuantibus, ut vocani, differentiis diftinguendo, & tanquam verti- 11 bus detractis nudam conllderando ? Verîim inllare circa id pigeât, quod » il nefciret Dialedicus, vapularet in Scholis. Dicis te potitis indicare vo- it hiijfe qtio paâo cerœjubjlantia peraccidentia manifejietiir. Irtud voluifti » indicare, & illud enunciarti clarè. An-non l'utî'ugium lepidum ? Et cîim » volueris indicare, quànam ratione indicafti, aut manifeftani ceram fecifti, » nifi fpedando primùm accidentia, ut velteis, ac deinde illis dctraflis » ceram nudam conliderando ?. . . »

�� � Sur les Cinquièmes Objections. 217

fi ie réfutois toutes fes Inllances Fvne après l'autre, ie croy que ie ne fatisferois pas tant aux miens, lefquels auroient fujet de me reprendre d'auoir em- ployé du temps en vne chofe fi peu neceflaire, & ainfi de rendre maiftres de mon loifir tous ceux qui voudroient perdre le leur à me propofer des queftions inutiles. Mais ie vous remercie de vos foins. Adieu,

��Œuvres. IV. 28

�� � 342 I SIXIÈMES OBIECTIONS

faites par diuers Théologiens & Philofophes.

Après aiioir leu aiiec attention vos Méditations, & les réponfes que vous aue:{ faites aux difficulté^ qui vous ont ejté cy-deuant objeâêes, il nous rejle encore en l'efprit quelques /crapules, dont il ejl à propos que vous nous releuie-.

I Le premier elT:, qu'il ne femble pas que ce foit vn argument fort certain de noflre ejlre, de ce que nous penfons. Car, pour ejlre certain que vous penfe-, vous deuei auparauant fçauoir quelle eji la nature de la penfêe & de l'exijlence; &, dans l'ignorance oit vous efles de ces deux chofes, comment pouue--vous fçauoir que vous penfe^^, ou que vous ejles? Puis donc qu'en difant : ie penfe, vous ne fçaue- pas ce que vous dites; & qu'en adioujlant : donc ie fuis, vous ne vous en- tendeipas non plus; que niefine vous ne fçaue\ pas fi vous dites ou fi 343 vous penfe\ quel\que chofe, ejîant pour cela necejfaire que vous con- noiffie^ que vous fçaue\ ce que vous dites, & derechef que vous /ça- chie\ que vous connoijfe- que vous fçauei ce que vous dites, & ainft iufques à l'infiny, il efï euident que vous ne pouue\ pas fçauoir fi vous ejles, ou mefmc fi vous penfe~.

Mais, pour venir au fécond fcrupule, lorfque vous dites : ie penfe, donc ie fuis, ne pouroit-on pas dire que vous vous ti-ompe^, que vous ne penfez point, mais que vous eftes feulement remué, â que ce que vous attribue^ à la penfêe n'e/i rien autre chofe qu'vn mouuement corporel? perfonne n'ayant encore pu comprendre voftre raifonne- ment, par lequel vous prétende'^ auoir démontré qu'il n'y a point de mouuement corporel qui puife légitimement ejlre apelé du nom de penfêe. Car penfei-vous auoir tellement coupé & diuifé, par le moyen de voftre analyfe, tous les mouuemens de vojlre matière fubtile, que vous foye\ aff'uré, & que vous nous puiffie\ perfuader, à nous qui femmes tres-alteiitifs £■ qui penfons ejlre affe^ clairuoyans, qu'il y a de la répugnance que nos penjées foient répandues dans ces mouue- mens corporels ?

Le troifiéme fcrupule n'eft point différent du fécond ; car, bien que quelques Pères de l'EgliJé ayent crû, auec tous les Platoniciens, que les Anges ejloient corporels, d'oii vient que le Concile de Latran a 4'^-4'5. Sixièmes Objections. 219

couclu qu'on les poiiuoit peindre, & qu'ils ayent eu la me/me penfée de l'ame raifonnable, que \ quelques-rns d'entr'eux ont ejlimé venir 344 de père àjils, ils oui neantmoins dit que les Anges & que les âmes p enf oient ; ce qui nous fait croire que leur opinion ejîoit que la penfée Je pouuoit faire par des mouueviens corporels, ou que les Anges n'ejîoient eu.x-mefmes que des mouuemens corporels, dont \ ils ne dijîingiioient point la penfée. Cela fe peut aujji confirmer par les penfées qu'ont les finges, les chiens & les autres animaux; & de vrajr, les chiens aboyent en dornuint, comme s'ils pourfuiuoienl des lièvres ou des râleurs; ils fçauent auJJi fort bien, en veillant, qu'ils courent, & en rcuant, qu'ils aboyent, quoyque nous reconnoiffions auec vous qu'il n'y a rien en eux qui foi t diflingué du corps. Que fi vous dites que les chiens ne fçauent pas qu'ils courent, ou qu'ils penfent, outre que vous le dites fans le prouuer, peut-efire efi-il vray qu'ils f on i de nous vu pareil iugement, à fçauoir, que nous ne fçauons pas fi nous courons, ou fi nous pcnfons, lorfque nous fai- fons l'vne ou l'autre de cesacîions. Car enfin vous ne voje\ pas quelle efl la façon intérieure d'agir qu'ils ont en eux, non plus qu'ils ne voyent pas quelle efl la vofire ; & il s' efl trouué autrefois de grands perfonnages, é'- s'en trouuent encore aujourd'hui, qui ne dénient pas la raifon aux befles. Et tant s'en faut que nous puifjions nous per- fuader que toutes leurs opérations puiffent eftre fufifamment ex- pliquées par le moyen de la mechanique, fans leur attribuer ny fens, nj' ame, nj- vie, \ qu'au contraire nous fommes prefls defouffenir, au 345 dédit de ce que l'on voudra, que c'efî vue chofe tout à fait impojjible & mefme ridicule. Et enfin, s'il efl vray que les finges, les chiens & les elephans agiffent de celte forte dans toutes leurs opérations, il s'en trouuera plufieurs qui di'-ont que toutes les actions de l'homme font aufji femblables à celles des machines, & qui ne voudront plus admettre en luj de fens nj d'entendement ; veu que, fi la foible rai- fon des befies diffère de celle de l'homme, ce n'efi que par le plus & le moins, qui ne change point la nature des chofes.

Le quatrième Icrupule eft touchant la fcience d'vn Athée, laquelle ilfoutient eflre très-certaine, & mefme, félon vofire règle, tres-euideute, lorfqu'il ajfure que, fi de chofes égales on ofie rhofes égales, les refies feront égaux; ou bien que les trois angles d'vn triangle reâiligne font égaux à deux droits, & autres chofes femblables ; puifquil ne peut penfer à ces chofes fans \ croire qu'elles font très-certaines. Ce qu'il maintient efire fi véritable, qu'encore bien qu'il n'y eufi point de Dieu, ou mefme qu'il fufi impojjible qu'il j en eufi, comme il s'ima- gine, il ne Je lient pas moins ajjïiré de ces vérité^, que fi en effeùl iljy

�� � 2 20 OEuVRES DE DeSCARTES. 4>5-4'6.

en aiioil vu gui exiftaj}. Et de fait, il nie qu'on luy puijfe iaviais rien obieâer qui lui cau/e le moindre doute; car que hiy obieâere\-vous? que, s'il y a m Dieu, il le peut deceuoir? mais il l'ous fou tiendra

346 qu'il n'ejl pas pojjible qu'il puijfe \ iamais e^ftre en cela deceu, quand me/me Dieu y employeroil toute fa puijfance.

De ce fcrupule en naijl vn cinquième, qui prend fa force de celte déception que vous voule^ dénier entièrement à Dieu. Car, fi pluficurs Théologiens font dans ce fenliment, que les damne-, tant les anges que les hommes, font continuellement deceus par l'idée que Dieu leur a imprimée d'vnfeu déuoranl, en forte qu'ils crojent fermement, & s'imaginent voir & rejfentir ejfeâiuement, qu'ils font tourmente^ par vn feu qui les confomme, quoj qu'en effeâ il n'y en ait point, Dieu ne peut-il pas nous deceuoir par de femblables efpeces, & nous impofer continuellement, imprimant Jans cejfe dans nos âmes de ces faujfes £' trompeufes idées? en forte que nous penfions voir tres-dairetnent, 6'- loucher de chacun de nosfens, des chofes qui toutesfois ne font rien hors de nous, eflant véritable qu'il n'y a point de ciel, point d'afîres, point de terre, & que nous n'auons point de bras, point de pieds, point d'yeux, &c. Et certes, quand il en vferoit ainfî, il ne pouroit eflre blâmé d'iniuftice, & nous n'aurions aucun fujet de nous plaindre de luy, puifqu'eflant le fouuerain Seigneur de toutes chofes, il peut difpofer de tout comme il luy plaifi ; veu principalement qu'il femble auoir droit de le faire, pour abaijfer l'arrogance des hommes, châtier leurs crimes, ou punir le péché de leur premier père, ou pour d'autres

347 raifons qui nous font inconnues. Et \ de vray, il femble que cela fe confirme par ces lieux de l'Efcriture, qui pronuent que l'homme ne peut rien fçauoir, comme il paroi ft par ce texte de l'ApoJire à la pre- mière aux Corinth., chapitre 8, verfet 2 : Quiconque ertime fçauoir quelque choie, | ne connoiftpas encore ce qu'il doit Içauoir ny com- ment il doit fçauoir; & par celuy de l'Ecclefiafle, chapitre S, verfet ij : l'ay reconnu que, de tous les ouurages de Dieu qui fe font fouz le Soleil, l'homme n'en peut rendre aucune raifon, & que, plus il s'efforcera d'en trouuer, d'autant moins il en trouuera; mefnies s'il dit en fçauoir quelques- vncs, il ne les poura trouuer. Or, que le Sage ait dit cela pour des laifons mcurement couftdcrécs, & non point à la hâte dî-fansy auoir bien p(^nfé, cela fe void par le conlciiii de tout le Liure, & principalement oii il traille la quejlion de l'ame, que vous foulene- eflre immortelle. Car, au chap. 3, veifet i <j , il dit : Que

l'homme & la iument paflent de mefme façon; d' afin que vous ne difie\ pas que cela fe doit entendre feulement du corps, il adioute, vn peu après, que l'homme n'a rien de plus que la iument ; «S- venant à 4 '6-4 17. Sixièmes Objections. 221

parler de l'cfprit mcfme de l'homme, il dit qu'il n'y a perfonnc qui fçache s'il monte en haut, c'ejl à dire s'il ejl immortel, ou fi, auec ceux des autres animaux, il defcend en bas, c'ejt à dire s'il fe cor- rompt. El ne dites point qu'il parle en ce lieu-là en la perjonne des impies : autrement il auroil deu en auertir, & réfuter ce qu'il auoit auparauant alégué. Ne penfe^pas aujj] vous excufer, en renuoj'ant aux Tlieolo\giens d'interpréter l'Efcrilure ; car, e/lant Chrejîien comme 348 vous ejles, vous deue\ ejlre prejl de répondre & de fatis faire à tous ceux qui vous obieclent quelque chofe contre la foy, principalement quand ce qu'on vous obiecle choque les principes que vous voule- établir.

Le fixiéme fcrupule vient de l'indiference du iugement, ou de la liber'é, laquelle tant s'en faut que, félon vofîre doârine, elle rende le franc arbitre plus noble & plus parfait, qu'au contraire c'ejl dans l'indifférence que vous melte:{fon imperfeâion ; en forte que, tout au- tant de fois que l'entendement connoift clairement & diflinâemoit les chofes qu'il faut croire, qu'il faut faire, ou qu'il faut obmettre, la vo- lonté pour lors nef iamais indifférente. Car ne voje\-vous pas que par ces principes \ vous détruife^ entièrement la liberté de Dieu, de laquelle vous oflei l'indiference, lo?f qu'il crée ce monde-cy plutofl qu'vn autre, ou lorfqu'il n'en crée aucun? enflant neantmoins de la foy de croire que Dieu a eflé de toute etermi té indifférent à créer vn monde ou plu- fieurs, ou mefme à n'en créer pas vn. Et qui peut douter que Dieu n'ait toufiours veu trcs-clairement toutes les chofes qui e/loyent à faire ou à laiffer? Si bien que l'on ne peut pas dire que la connoijjance Ires- claire des chofes d leur diftinâe perception ojte l'indiference du libre arbitre, laquelle ne conuiendroit iamais auec la liberté de Dieu, fi elle ne pouuoit conuenir auec la liber\lé humaine, efiant vray que les 349 effcnces des chofes, auffi bien que celles des nombres, font indiuifibles & immuables ; & partant, l'indifférence n'eff pas moins comprife dans la liberté du franc arbitre de Dieu, que dans la liberté du franc ar- bitre des hommes.

Le feptiéme fcrupule /t'ra de la fuperficie, en laquelle ou par le moyen de laquelle vcnis dites que fe font tous les fentimens. Car nous ne voyons pas comment il fe peut faire qu'elle ne foit point partie des corps qui font aperceus, ny de l'air, ou des vapeurs, ny mefme l'ex- trémité d'aucune de ces chofes ; & nous n'entendons pas bien encore comment vous pouue- dire qu'il n'y a point d'accidens réels, de quelque corps oufubfance que ce foit, qui puijjént par la toute puijfance de Dieu cjlrefepare^ de leur fujet, & exifler fans luy, & qui véritable- ment exifent ainfi au Saint Sacrement de l'autel. Toutesfois nos Docleurs n'ont pas occufion de s' émouuoir beaucoup, iufqu'à ce qu'ils 2 22 OEuVRES DE DeSCARTES. 4>7-4i8.

ayent veiijî, dans cette Phyfiqne que vous nous pi-omette\, vous ûure:[ J'ujifamment démontré toutes ces chofes ; il e/l rraj- qu'ils ont de la peine à croire qu'elle nous les puijj'e ft clairement propofcr, que nous les dénions déformais embraser, au preiudice de ce que l'antiquité nous en a apris.

La réponfe que vous aue\ faite aux cinquièmes obi celions a donné lieu au huictiéme fcrupule. Et de vray, comment Je peut-il faire que

350 les verite\ \ Géométriques ou Metaphyfiques, telles que font celles dont vous aue^fait mention en ce lieu-là, j'oyeut immuables & éter- nelles, & que ncantmoins elles dépendent de Dieu ? Car en quel j genre, de câuj'e peuuent-elles dépendre de luy ? Et comment auroil-il peu

faire que la nature du triaiiffle ne fujl point ? ou qu'il n'eu/l pas ejlé vray,de toute éternité, que deux fois quatre fuffent huicl ? ou qu'vn triangle n'eujl pas trois angles? Et partant, ou ces vcrite\ ne dépen- dent que du feul entendement, lorfqu'il penfe, on elles dépendent de l'exi/lence des chofes me/mes, ou bien elles font indépendantes : peu qu'il ne femble pas poffible que Dieu ait peu faire qu'aucune de ces eJJ'ences ou rei'ite- ne fuJl pas de toute éternité.

Enjîn le 9. fcrupule nous femble fort preJJ'ant, lorfque l'ous dites qu'il faut fe défier des feus, €■ que la certitude de l'entendement efl beaucoup plus grande que la leur. Car comment cela pouroit-il ejtre, fi l'entendement mcfme n'a point d'autre certitude que celle qu'il em- prunte des feus bien difpofe-'? Et défait, ne roit-ou pas qu'il ne peut corriger l'erreur d'aucun de nos feus, fi, premièrement, r)i autre ne l'a tiré de l'erreur oit il e/toit luy-mefme? Par exemple, vn baflon paroifi rompu dans l'eau à caufe de la refraclion : qui corrigera cet erreur? fera-ce l'entendement? point du tout, mais le fens du tou- cher. Il en eft de me/me de tous les autres. El partant, fi rue fois vous

351 pouue-y auoir tous vos fens \ bien difpofe^, & qui vous raporteut touf- iours la mefme chofe, tene- pour certain que vous acquerre:^ par leur moyen la plus grande certitude dont vn homme foit naturellement capable. Que fi vous vous fe\ par trop aux raifonnemens de l'o/lre efprit, aJfure\-vous d'eftre fouuent trompé; cai- il arriue afiéy ordi- nairement que nojlre entendement nous trompe en des chofes qu'il auoit tenues pour indubitables.

Voilà en quoy confijlent nos principales difficulté'^; à quoy vous adjoutere-y auffi quelque règle certaine & des marques infaillibles, fuiuant lefquelles nous puijjions connoijire auec cei titude, quand nous conceuons vne chofe fi parfaitement fans l'autre, qu'il foit rray que l'vnefoit tellement difiinéle de l'autre, qu'au moins par la toute puif- fance de Dieu elles puijfent fubfijler feparement : c'ejl à dire, en vn

�� � 418-4JO. Sixièmes Objections.

��22}

��mot, que vous nous enfeigiiie\ comment nous pouuons clairement, diJ1inâemenl\& certainement connoiftre que cette dijîinclion, que noftre entendement forme, ne prend point fou jondcment dans nq/lre efprit, mais dans les chofes me/mes. Car, lor/que nous contemplons l'immen- filé de Dieu, fans penfer à fa iujlice, ou que nous faifons réflexion fur fon exiflence, fans penfer au Fils ou au S. Efprit, ne conceuons- nous pas parfaitement cette exiflence, on Dieu mcfnie exiflant, fans ces deux autras perfonnes, qu'vn infldele peut auec autant de raifon nier de la diuinité, que vous eu aue'^ de denier au \ corps l'cfprit ou 352 la penfec? Tout ainfi donc que celuy-là concluroil mal, qui dirait que le Fils & que le S. Efprit font effejitiellement diflingue\ du Père, ou qu'ils peuuent e/lre fepare\ de luy : de mefme on ne l'ous concédera jamais que la peu fée, ou plutofl que l'efprit humain, fait réellement difliugué du corps, quof que vous conceuie\ clairement l'ru fans l'autre, & que vous puijjie- nier l'vn de l'autre, & mefme que vous reconnoiffei que cela ne fe fait point par aucune abflraâion de vqflre efprit. Mais certes, fi vous fatisfailes pleinement à toutes ces diffi- culte:^, vous deuei eflre aJJ'uré qu'il n'j- aui-a plus rien qui puiffe faire ombrage à nos Théologiens.

Addition.

l'adiouteray \cy ce que quelques autres m'ont propofé, afin de n'auoir pas belbin d'y répondre feparenient ; car leur fujet eit prel'que lemblable.

Des perfonnes de tres-bon efprit, & de rare doctrine, m'ont fait les trois queftions fuiuantes :

La première ell : comment nous pouuons e/lre afurei que nous auons l'idée claire & di/linâe de nq/lre ame.

La féconde : comment nous pouuons eflre affure\ que celle idée e/l tout afldit différente des autres chofes.

j-La troifieme : comment nous pouuons eflre a fure-; qu'elle n'a rien cil foy de ce qui appartient au coips.

Ce qui fuit m'a aufli elle enuo}é auec ce titre :

[DES PHILOSOPHES ô- GEOMETRES 353

A MONSIEUR DESCARTES. Monfieur, Quelque foin que nous prenions à examiner fi l'idée que nous auons de uoflre efpi it, c'efl à dire, fi la notion ou le concept de l'efprit

�� � 2 24 OEuVRES DE DeSCARTES. 4:0-421-

humain ne contient rien en for de corporel, nous n'nfous pas ueant- moins ajfnrer que la poij'ée ne piiiffe en aucune façon conuenir au corps agité par defecrets niouueniens. Car, voyant qu'il y a certains corps qui ne penfent point, & d'autres qui penfent, comme ceux des hommes & peut-eflre des befîes, ne pajjerions-nous pas auprès de vous pour des fophifîes, & ne nous accuferie--7'ous pas de trop de témérité, fi, nonobflant cela, nous roulions conclure qu'il n'y a aucun corps qui penfe ? Nous auons mefme de la peine à ne pas croire que vous aurie\ eu raifon devons moquer de nous, fi nous eufjions les pre- miers forgé cet ai-gutnent qui parle des idées, & dont vous vous fér- ue^ pour la prenne d'vn Dieu & de la diftinâion réelle de l'efprit d'anec le corps, & que vous l'euf]ie\ enfnite fait pajj'er par l'examen

354 \de voftre analyfe. Il efl vray que vous paroif]'e\ en eflre fi fort pre- uenu& préoccupé, qu'il femble que vous vous foye^ vous-mefme mis vn voile deuant l'efprit, qui vous empefche de voir que toutes les opérations 6' propriété- de lame, que vous remarque^ efire en vous, dépendent purement des mouuemens du corps; ou bien défaites le nœud qui, félon voftre ingénient, tient nos efprits enchainei, & les empêche de s'éleuer an dejj'us du corps.

\Le nœud que nous trouuons en cecy eft que nous comprenons fort bien que 2 & 3 ioins enfemble font le nombre de 5, & que, fi de chofes égales on ofie chofes égales, les refies feront égaux : nous sommes conuaincus par ces verite- & par mille autres, aujji bien que vous; pourquoy donc ne fommes-nous pas pareillement conuaincus par le moyen de vos idées, ou mefme par les nofires, que l'ame de l'homme cfi' réellement difiinâe du corps, & que Dieu exifie? Vous dire^peut- efire que vous ne pouue\ pas nous mettre cette vérité dans l'efprit, fi nous ne méditons auec vous ; mais nous auons à vous répondre que nous auons leu plus de fept fois vos Méditations auec vne attention d'efprit prefque femblable à celle des Anges, & que neantmoins nous ne fommes pas encore perfiade^. Nous ne pointons pas toutesfois nous perfuader que vous veuillie\ dire que, tous tant que nous fommes, nous auons l'efprit fiupide & grofjier comme des befies, & du tout

355 inhabile pour les chofes metaphyfiques, \ aufquelles il y a trente ans que nous nous exerçons, plutofi que de confeffer que les raifous que vous flwe^ tirées des idées de Dieu & de l'efprit, ne font pas d'vn

fi grand poids & d'vne telle autorité, que les hommes fçauans, qui tâchent, autant qu'ils peuuent, d'élcuer leur efprit au defius de la matière, s'y puijjént & s'y doiuent entièrement fonmettre.

Au contraire, nous cfiimons que vous confefferei le mefme auec nous, //" jous voule- vous donner la peine de relire vos Méditations 42I-42I- Sixièmes Réponses. 22^

aiiec le mefnie e/prit, & les paffcr par le mcfmc examen que vous ferie\fi elles vous auoyeiit e/té propofées par me perfoiine ennemie. Enfin, piiifque nous ne connoijj'ons point iujqu'oii Je peut étendre la vertu des corps i de leurs mouuemens, veu que l'ous confeffei vous- mcfme qu'il n'y a perfonne qui puijfe feauoir tout ce que Dieu a mis ou peut mettre dans vn J'ujet, fans vue reuelation particulière de fa part, d'oii pouue\-vous auoir apris que Dieu n'ait point mis cette vertu & propriété dans quelques corps, que de p enfer, de douter, il-c? Ce font là, Monjieui-, nos arf^umens, ou, fi vous aymés mieux, nos préiuge\, au/quels fi vous aporte\ le remède necejj'aire, nous ne fçau- rio7is vous exprimer de combien de grâces nous vous ferons rede- uables. ny quelle fera l'obligation que nous vous aui-ons, d'auoir telle- ment défriché nofire efprit, que de l'auoir rendu capable de \ receuoir auec I fruiéi la femence de vofire doâriue. Dieu j'eiiille que vous en puijjiei venir heureufemiJit à bout, & nous le prions qu'il luy plaife donner cette recompenfe à vofire pieté, qui ne vous permet pas de rien entreprendre, que vous ne facrifyie\ entièrement à fa gloire.

��356

��I REPONSES DE L'AVTEVR 357

AUX SIXIÈMES OBJECTIONS

faites par diuers Théologiens, Philofophes & Géomètres,

C'eft vne choie tres-allurée que perfonne ne peut dire certain s'il penle & s'il exifte, fi, premièrement, il ne connoifl la nature de la penfée & de l'exirtence. Non que pour cela il foit belbin d'vne Icience réfléchie, ou acquife par vne démonitration, & beaucoup moins de la Icience de cette fcience, par laquelle il connoifle qu'il Içait, & dere- chef qu'il fçait qu'il fçait, & ainfi iufqu'à l'infini, eftant impofilble qu'on en puifie iamais auoir vne telle d'aucune chofe que ce foit; mais il fufiit qu'il fçache cela par cette forte de connoifiance inté- rieure qui précède toufiours l'acquife, & qui eft fi naturelle à tous les hommes, en ce qui regarde la penfée & l'exiftence, que, bien que peut-ellre eftant aueuglez par | quelques préjugez, & plus attentifs 358 au fon des paroles qu'à leur véritable fignification, nous puiffions feindre que nous ne l'auons point, il efi neantmoins impofiible qu'en effed nous ne l'ayons. Ainfi donc, lorfque quelqu'vn aperçoit qu'il Œuvres. IV. 29

�� � 2 26 OEuVRES DE DeSCARTES. 4^^-424

penfc & que de là il fuit tres-euiderament qu'il exille, encore qu'il ne fe foit peut-ellre iamais auparauant mis en peine de fçauoir ce que c'eft que la penfée & que l'exiftence, il ne le peut faire neant- moins qu'il ne les connoiffe affez l'vne & l'autre pour dire en cela pleinement fatisfait.

2. Il ert auiïi du tout impoffible, que celuy qui d'vn collé içait qu'il penfe, & qui d'ailleurs connoift ce que c'eit que d'eltre agité par des mouuemcns, puilie iamais croire qu'il fe trompe, & qu'en elTet il ne penfe point, mais qu'il efl: feulement remué. Car, ayant vne idée ou notion toute autre de la penfée] que du mouuement corporel, il faut de necedité qu'il conçoiue l'vn comme différent de l'autre; quoy que, pour s'eftre trop accouUumé à attribuer à vn mefme fujet plu- fieurs proprietez difercntcs, & qui n'ont entr'elles aucune affinité, il fe puiffe faire qu'il reuoque en doute, ou mefme qu'il affure, que c'elt en luy la mefme diufe de penfer & d'eflre meu. Or il faut re- marquer que les chofcs dont nous auons différentes idées, peuuent eitre prifes en deux façons pour vne feule & mefme chofe : c'efl à fçauoir, ou envnité & identité de nature, ou feulement en vnité de

359 compolition. Ainfi, par exemple, il ell bien vray | que l'idée de la figure n'ell; pas la mefme que celle du mouuement ; que l'aclion par laquelle i'entens, ell conceuë fous vne autre idée que celle par laquelle ie veux ; que la chair & les os ont des idées différentes ; & que l'idée de la penfée ell toute autre que celle de l'extenfion. Et neantmoins nous conceuons fort bien que la mefme fubltance à qui la figure conuient, ell aufii capable de mouuement, de forte qu'élire figuré & élire mobile n'ell qu'vne mefme chofe en vnité de nature ; comme auffi n'efl-ce qu'vne mefme cliofe, en vnité de nature, qui veut & qui entend. Mais il n'en efl: pas ainli de la fubflance que nous con- fiderons fous la forme d'vn os, & de celle que nous confiderons fous la forme de chair : ce qui fait que nous ne pouuons pas les prendre pour vne mefme choie en vnité de nature, mais feulement en vnité de compofition, en tant que c'efl vn mefme animal qui a de la chair & des os. Maintenant la quellion ell de fçauoir li nous conceuons que la chofe qui penfe & celle qui efl étendue, Ibient vne mefme chofe en vnité de nature, en forte que nous trouuions qu'entre la penlee & l'extenfion, il y ait vne pareille connexion (Se affinité que nous remarquons entre le mouuement & la figure, l'aution de l'en- tendement & celle de la volonté; ou plutoit] fi elles ne font pas ape- lées vne en vnité de compolition, en tant qu'elles fe rencontrent toutes deux en vn mefme homme, comme des os & de la chair en

360 vn mefme animal. Et pour moy, c'efl là mon | fentiment; car la diflin-

�� � 424-4". Sixièmes Réponses. 227

ction ou diuerfité que ie remarque entre la nature d'vne chofe éten- due &. celle d'vne chofe qui penfe, ne me paroift pas moindre que celle qui eft entre des os & de la chair.

Mais, pource qu'en cet endroit on fe fert d'autoritez pour me combattre, ie me trouue obligé, pour empêcher qu'elles ne portent aucun préjudice à la vérité, de répondre à ce qu'on m'objeéte {que perfonne n'a encore pîi comprendre ma déinonftration), qu'encore bien qu'il y en ait fort peu qui l'ayent foigneufement examinée, il s'en trouue neantmoins quelques-vns qui fe perfuadent de l'entendre, & qui s'en tiennent entièrement conuaincus. Et comme on doit adjouter plus de foy à vn feul témoin qui, après auoir voyagé en Amérique, nous dit qu'il a veu des Antipodes, qu'à mille autres qui ont nié cy-deuant qu'il y en euft, fans en auoir d'autre raifon, fmon qu'ils ne le fçauoient pas : de mefme ceux qui pezent comme il faut la valeur des raifons, doiuent faire plus d'eftat de l'autorité d'vn feul homme, qui dit entendre fort bien vne démonflration, que de celle de mille autres qui difent, lans railon, qu'elle n'a pu encore eltre comprife de peribnne. Car, bien qu'ils ne l'entendent point, cela ne fait pas que d'autres ne la puilfent entendre ; & pource qu'en inférant l'vn de l'autre, ils font voir qu'ils ne font pas affez exaiSs dans leurs raifonnemens, il lemble que leur autorité ne doiue pas eflre beaucoup confiderée.

I Enfin, à la quertion qu'on me propofe en cet endroit, fçauoir : fi 361 i'ay telloncnt coupé & diuifè par le moyen de mon analyfe tous les mouuemeiis de ma matière fubtile, que non feulement ie fois affeuré, mais mefme que ie puiffe faire connoijlre à des perfonnes tres-atleU' tiues, & qui penfent eflre affe\ clairuoyantes, qu'il y a de la répu- gnance que nos penfées foyent répandues dans des mouuemens cor- porels, c'elt à dire, comme ie l'eflime, que nos penfées | foyent vne mefme chofe auec des mouuemens corporels, ie répons que, pour mon particulier, i'en fuis très-certain, mais que ie ne me promets pas pour cela de le pouuoir perfuader aux autres, quelque attention qu'ils 3' aportent & quelque capacité qu'ils penfent auoir, au moins tandis qu'ils n'apliqueront leur efprit qu'aux chofes qui font feule- ment imaginables, & non point à celles qui font purement intelli- gibles ; comme il eft aile de voir que ceux-là font, qui s'imaginent que toute la dillindion & différence qui ei^ entre la penfée & le mouue- ment, fe doit entendre par la difleétion de quelque matière fubtile. Car cela ne fe peut entendre, finon lorfqu'on confidere que les idées d'vne choie qui penfe, & d'vne chofe étendue ou mobile, font entiè- rement diuerfes & indépendantes l'vne de l'autre, & qu'il répugne

�� � 2 28 OEuVRES DE DeSCARTES. 425-426.

que des chofes que nous conceuons clairement & diftindement eftre diuerfes & indépendantes, ne puill'ent pas eftre feparées, au moins par la toute puiffance de Dieu ; de forte que, tout autant de fois que

3f.2 nous les | rencontrons enfemble dans vn mefme fuiet, comme la penfe'e & le mouuement corporel dans vn mefme homme, nous ne deuons pas pour cela eftimer qu'elles foyent vne mefme chofe en vnité de nature, mais feulement en vnité de compofition.

3. Ce qui eft icy rapo/té des Platoniciens & de leurs fectateurs, eft auiourd'huy tellement décrié par toute l'Egiife Catholique, & communément par tous l,es philofophes, qu'on ne doit plus s'y arefter. D'ailleurs il ell bien vray que le Concile de Latran a conclu qu'on pouuoit peindre les Anges, mais il n'a pas conclu pour cela qu'ils fuffent corporels Et quand en effed on les croiroit eftre tels, on n'auroit pas raifon pour cela de penfei que leurs efpris fuffent plus infeparables de leurs corps que ceux des hommes ; & quand on (foudroit auffi feindre que l'ame humaine viendroit-de père à fils, on ne pouroit pas pour cela conclure qu'elle fuft corporelle, mais feu- lement que, comme nos corps prennent leur naiffance de ceux de nos parens, de mefme nos | âmes procederoient des leurs. Pour ce qui eft des chiens & des fmges, quand ie leur attribuerois la penfée, il ne s'enfuiuroit pas de là que l'ame humaine n'eft point diftincle du corps, mais plutoft que dans les autres animaux les efpris & les corps font aufli diftinguez : ce que les mefmes Platoniciens, dont on nous vantoit tout maintenant l'autorité, ont eftimé auec Pythagore,

363 comme leur Metempfycofe fait affez connoiftre. Mais pour | moy, ie n'ay pas feulement dit que dans les beftes il n'y auoit point de penfée, ainfi qu'on me veut faire acroire, mais outre cela ie l'ay prouué par des raifons qui font fi fortes, que iufques à prefent ie n'ay veu perfonne qui ayt rien oppofe de confiderable à l'encontre. Et ce font plutoft ceux qui affurent que les chiens fçaiient en veillant qu'ils courent, £■ mefme en donnant qu'ils aboyent, & qui en parlent comme s'ils eftoyent d'intelligence auec eux, & qu'ils viffent tout ce qui fe paffe dans leurs cœurs, lefquels ne prouuent rien de ce qu'ils difent. Car bien qu'ils adioutent '.qu'ils ne peuuent pas fe perfuader que les opérations des hefles puiffent eftre fufif animent expliquées par le moyen de la mechaniqUe,fans leur atribiier nj-fens, ny aine, iiy vie (c'eft à dire, félon que ie l'explique, fans la penfée; car ie ne leur ay iamais dcnié ce que vulgairement on apelle vie, ame corporelle, & fens organique), qu'au contraire ils veulent fout enir, au dédit de ce que l'on voudra, que c'eft vne chofe tout affait impofl'ible & me/me ridi- cule, cela neantmoins ne doit pas eftre pris pour vne preuue : car il

�� � 426-417. Sixièmes Réponses. 229

n'y a point de propofition Ci véritable, dont on ne puiffe dire en mefme façon qu'on ne fe lafçauroit perfuader; & mefme ce n'eft point la coutume d'en venir aux gajeures, que lorfque les preuues nous manquent; &, puifqu'on a veu autres-fois de grans hommes qui fe font moquez, d'vne façon prefque pareille, de ceux qui foutenoyent qu'il y -luoit des antipodes, i'eftime qu'il ne faut pas légèrement tenir pour faux | tout ce qui femble ridicule à quelques autres. 364

Enfin, ce qu'on adioute enfuite : qu'il s'en trouiiet\i plujieurs qui diront que toutes les aâions de l'homme font femblables à celles des machines, | & qui ne voudront plus admettre en luy defens ny d'enten- dement, s'il ejl vraj que lesjtnges, les chiens & les elephans agijfent aujfi comme des machines en toutes leurs opérations, n'eft pas aufli vne raifon qui prouue rien, fi ce n'eft peut-eftre qu'il y a des hommes qui conçoiuent les choies fi confufement, & qui s'atachent auec tant d'opiniâtreté aux premières opinions qu'ils ont vne fois conceuës, fans les auoir iamais bien examinées, que, plutoft que de s'en dé- partir, ils nieront qu'ils ayent en eux mefmes les chofes qu'ils expé- rimentent y eftre.Car,de vray,il ne fe peut pas faire que nous n'ex- périmentions tous les iours en nous mefmes que nous penfons; & partant, quoy qu'on nous faffe voir qu'il n'y a point d'opérations dans les beftes qui ne fe puiffent faire fans la penfée, perfonne ne poura de là raifonnablement inférer qu'il ne penfe donc point, fi ce n'eft celuy qui, ayant toufiours fupofé que les beftes penfent comme nous, & pour ce fuiet s'eftant perfuadé qu'il n'agit point autrement qu'elles, fe voudra tellement opiniaftrer à maintenir cette propofi- tion : l'homme & la bejte opèrent d'vne mefme façon, que, lorfqu'on viendra à luy montrer que les beftes ne penfent point, il aimera mieux fe dépouiller de fa propre penfée (laquelle il ne peut toutes- fois ne pas connoiftre en foy-| mefme par vne expérience continuelle 365 & infaillible) que de changer cette opinion, qu'il agit de mefme façon que les befles. le ne puis pas neantmoins me perfuader qu'il y ait beaucoup de ces efpris; mais ie m'affeure qu'il s'en trouuera bien dauantage qui, fi on leur accorde que la penfée n'efl point diflinguée du mouuement corporel, foutiendront (& certes auec plus de raifon) qu'elle fe rencontre dans les beiges aufli bien que dans les hommes, puifqu'ils verront en elles les mefmes mouuemens corporels que dans nous ; &, adioutant à cela que la différence, qui n'eft que félon le plus ou le moins, ne change point la nature des chofes, bien que peut-eftre ils ne faffent pas les beftes n raifonnablcs que les hommes, ils auront neantmoins occafion de croire qu'il y a en elles des efpris de femblable efpece que les noftres.

�� � 2jO OEuVRES DE DeSCARTES. 428-429.

I4. Pour ce qui regarde la Icience d'vn athée, il eft aifé de montrer qu'il ne peut rien fçauoir auec certitude & aflurance; car, comme i'ay défia dit cy-deuant, d'autant moins puilTant fera celuy qu'il reconnoiilra pour l'auteur de fon eftre, d'autant plus aura t'il occa- fion de douter û fa nature n'eft point tellement imparfaite qu'il fe trompe, mefme dans les chofes qui luy femblent très euidentes ; & iamais il ne poura eftre deliuré de ce doute, fi, premièrement, il ne reconnoift qu'il a efté créé par vn vray Dieu, principe de toute vérité, & qui ne peut eftre trompeur.

366 I 5. Et on peut voir clairement qu'il eft impoiïible que Dieu foit trompeur, pourueu qu'on veuille confiderer que la forme ou l'ef- fence de la tromperie eft vn non eftre, vers lequel iamais le fouue- rain eftre ne fe peut porter. Aufll tous les Théologiens font-ils d'ac- cord de cette vérité, qu'on peut dire eftre la bazc & le fondement de la religion Chreftienne, puifque toute la certitude de fa foy en dépend. Car comment pourions-nous adiouter foy aux chofes que Dieu nous a reuelées, fi nous penfions qu'il nous trompe quelque- fois? Et bien que la commune opinion des Théologiens foit que les damnez font tourmentez par le feu des enfers, neantmoins leur fen- timent n'eft pas pour cela, qu'ils font deceiis par vue faujfe idée que Dieu leur a imprimée d'pnfeu qui les cotifomme,' ma'is plutoft qu'ils font véritablement tourmentez par le feu ; parce que, comme l'efprit d'vn homme viuant, bien qu'il ne foit pas corporel, efl neantmoins naturellement détenu dans le corps, ainfi Dieu, par fa toute puiffance, peut aifement faire qu'il foufre les attaintes du feu corporel après fa mort, i&c. Voyez le Maiftre des Sentences, Lib. 4, Dift. 44. Pour ce qui eft des lieux de l'Efcriture, ie ne iuge pas que ie fois obligé d'y répondre, fi ce n'eft qu'ils femblent contraires à quelque opinion qui me foit particulière; car lorfqu'ils ne s'ataquent pas à moy feul, mais qu'on les propofe contre les opinions qui font communément receuës de tous les Chreftiens, comme font celles que l'on | impugne en ce

367 lieu-cy, par | exemple : que nous pouuons fçauoir quelque chofe, & que l'ame de l'homme n'eft pas femblable à celle des animaux; ie craindrois de paft"er pour prefomptueux,fi ie n'aimois pas mieux me contenter des réponfes qui ont défia efté faites par d'autres, que d'en rechercher des nouuelles ; veu que ie n'ay iamais fait profeftion de l'étude de la Théologie, & que ie ne m'y fuis apliqué qu'autant que i'ay creu qu'elle eftoit neceffaire pour ma propre inftrudion, & enfin que ie ne fens point en moy d'infpiration diuine.qui me falfe iuger capable de l'enfeigner. C'eft pourquoy ie fais icy ma déclaration, que déformais ie ne répondray plus à de pareilles obiections.

�� � 439-430. Sixièmes Réponses. 251

Mais ie ne lairray pas d'y répondre encore pour cette fois, de peur que mon iilence ne donnait occafion à quelques vns de croire que ie m'en abftiens faute de pouuoir donner des explications allez com- modes aux lieux de l'Efcriture que vous propofez. le dis donc, pre- mièrement, que le paiTage de Saint Paul de la première aux Corinth., Chap. 8, ver. 2, fe doit feulement entendre de la fcience qui n'eft pas iointe auec la charité, c'eft à dire de la fcience des Athées : parce que quiconque connoifl Dieu comme il faut, ne peut pas eftre fans an:our pour luy, & n'auoir point de charité. Ce qui fe prouue, tant par ces paroles qui précèdent immédiatement : la fcience enfle, mai., la charité édifie, que par celles qui fuiuent vn peu après : quefi quel- qu'vn aime Dieu, iceluf (à | fçauoir Dieu) efi connu de Uiy. Car ainfi 368 l'Aportre ne dit pas qu'on ne puilTe auoir aucune fcience, puifqu'il confeil'e que ceux qui aiment Dieu le connoiffent, c'efl: à dire qu'ils ont de luy quelque fcience ; mais il dit feulement que ceux qui n'ont point de chanté, & qui par confequent n'ont pas vne connoiffance de Dieu fuffiiante, encore que peut-eftre ils s'eftiment fçauans en d'autres chofes, ils ne connoiffent pas neantmoins encore ce qu'ils doiuent fçauoir, ny comment ils le doiuent fçauoir : d'autant qu'il faut commencer par la connoilfance de Dieu, & | après faire dépendre d'elle toute la connoiffance que nous pouuons auoir des autres chofes, ce que i'ay auffi expliqué dans mes Méditations. Et partant, ce mefme texte, qui eftoit allégué contre moy, confirme fi ouuertement mon opinion touchant cela, que ie ne penfe pas qu'il puiffe eftre bien expliqué par ceux qui font d'vn contraire aduis. Car, fi on vouloit prétendre que le fens que i'<iy donné à ces paroles : que fi quelqu'vn aime Dieu, iceluf (à fçauoir Dieu) eft connu de luj', n'eft pas celuy de l'Efcriture, & que ce pronom iceluy ne fe réfère pas à Dieu, mais à l'homme, qui eft connu & aprouué par luy, l'Apoftre Saint lean, en fa première Epiftre, Chapitre 2, verf. 2, fauorife entièrement mon expliquation, par ces paroles : En cela nous fçauons que nous l'auons connu, fi nous obferuons fes commandemens ; & au Chap. 4, verf. 7 : Celuj qui aime, eft enfant de Dieu, & le connoift.

Les lieux que vous alléguez de l'Ecclefiafte ne | font point aufli 369 contre moy : car il faut remarquer que Salomon, dans ce liure, ne parle pas en la perfonne des impies, mais en la fienne propre, en ce qu'ayant efté auparauant pécheur & ennemy de Dieu, il fe repent pour lors de fes fautes, & confeffe que, tant qu'il s'eftoit feulement voulu feruir pour la conduite de fes actions des lumières de la fagelfe humaine, fans la référer à Dieu ny la regarder comme vn bienfait de la main, iamais il n'auoit rien peu trouuer qui le fatisfift

�� � 2^2 OEuVRES DE DeSCARTES. 430.431.

entièrement, ou qu'il ne vill remply de vanité. C'eft pourquo}', en diuers lieux; il exhorte & foUicite les hommes de fe conuertir à Dieu & de faire pénitence. Et notamment au Chap. 11, verf. 9, par ces paroles : Et /cache, dit-il, que Dieu te fera rendre compte de toutes tes actions; ce qu'il continue dans les autres fuiuans iufqu'à la fin du Hure. Et ces paroles du Chap. S, verf. 17 : Et i'af reconnu que, de tous les ouurages de Dieu qui Je font fous le foleil, l'homme n'en peut rendre aucune raifon &c., ne doiuent pas eflre entendues de toutes fortes de perfonncs, mais feulement de celuy qu'il a décrit au verfet précèdent : Il y a tel homme qui paffe les iours & les nuits fans dormir; \ comme fi le prophète vouloit en ce lieu-là nous auertir que le trop grand trauail, & la trop grande alTiduité à l'eftude des lettres, empefche qu'on ne paruienne à la connoiffance de la vérité : ce que le ne croy pas que ceux qui me connoiffent particuliè- rement, iugent pouuoir eftre appliqué à moy. Mais furtout il faut

370 pren|dre garde à ces paroles : qui fe font fou\ le foleil, car elles font fouuent répétées dans tout ce liure, & dénotent toufiours les chofes naturelles, à l'exclufion de la fubnrdination & dépendance qu'elles ont à Dieu, parce que, Dieu eitant éleué au delTus de toutes chofes, on ne peut pas dire qu'il foit contenu entre celles qui ne font que fouz le Soleil ; de forte que le vray fens de ce paffage efl: que l'homme ne fçauroit auoir vne connoillance parfaite des chofes na- turelles, tandis qu'il ne connoifira point Dieu : en quoy ie conuiens auffi auec le prophète. Enfin, au Chapitre 3, verf. 19, où il efl dit que l'homme & la jument pafl'enl de mefne façon, & auffi que l'homme n'a rien de plus que la jument, il ell manifelle que cela ne fe dit qu'à raifon du corps; car en cet endroit il n'efi fait mention que des chofes qui apartiennent au corps; & incontinent après il adioute, en parlant féparement de l'ame : Qui fçaitfi l'efprit des enfans d'Adam monte en haut, & H l'efprit des animaux defcend en bas? c'ell à dire qui peut connoilbe, par la force de la raifon humaine, & à moins que de fe tenir à ce que Dieu nous en a reuelé, fi les âmes des hommes iouiront de la béatitude éternelle? Certes i'ay bien taché de prouuer par raifon naturelle que l'ame de l'homme n'efi point corporelle; mais de fçauoir fi elle montera en haut, c'eft à dire fi elle iouira de la gloire de Dieu, i'auoue qu'il n'y a que la feule foy qui nous le puilfe aprendrc.

371 I G. Quant à la liberté du franc-arbitre, il ell certain que celle qui fe retrouue en Dieu, efl bien diflerente de celle qui eft en nous, d'au- tant qu'il répugne que la volonté de Dieu n'ait pas efté de toute éter- nité indifférente à | toutes les chofes qui ont elle faites ou qui le

�� � 372

��432-433. Sixièmes Réponses. 23 j

feront iamais, n'y ayant aucune idée qui reprelente le bien ou le vray, ce qu'il faut croire, ce qu'il faut faire, ou ce qu'il faut ob- mettre, qu'on puilTe feindre auoir elle Tobjet de l'entendement diuin, auant que ia nature ait erté coniUtuée telle par la détermina- tion de fa volonté. Et ie ne parle pas icy d'vne (impie priorité de temps, mais bien dauantage ie dis qu'il a elle impoffible qu'vne telle idée ait précédé la détermination de la volonté de Dieu par vne priorité d'ordre, ou de nature, ou de raifon raifonnée, ainfi qu'on la nomme dans l'Efcole, en forte que cette idée du bien ait porté Dieu à élire l'vn plutoll que l'autre. Par exemple, ce n'elt pas pour auoir vcu qu'il elloit meilleur que le monde fuft créé dans le temps que dés l'éternité, qu'il a voulu le créer dans le temps; & il n'a pas voulu que les trois angles d'vn triangle fuffent égaux à deux droits, parce qu'il a connu que cela ne fe pouuoit faire autrement, &c. Mais, au contraire, parce qu'il a voulu créer le monde dans le temps, pour cela il eft ainfi meilleur que s'il euft efté créé dés l'eiernité; & d'autant qu'il a voulu que les trois angles d'vn triangle fuffent neceffairement égaux à deux droits, il eft maintenant vray que cela | eft ainfi, & il ne peut pas eilre autrement, & ainli de toutes les autres choies. Et cela n'empefche pas qu'on ne puiffe dire que les mérites des Saints font la caufe de leur béatitude éternelle ; car ils n'en font pas tellement la caufe qu'ils déterminent Dieu à ne rien vouloir, mais ils font feulement la caufe d'vn eifet, dont Dieu a voulu de toute éternité qu'ils fuffent la caufe. Et ainfi vne entière indifférence en Dieu eft vne preuue très-grande de fa toute-puiffance. Mais il n'en eil pas ainfi de l'homme, lequel trouuant des-ja la na- ture de la bonté & de la vérité eftablie & déterminée de Dieu, & fa volonté eftant telle qu'elle ne fe peut naturelleinent porter que vers ce qui eft bon, il eft manifefte qu'il embralfe d'autant plus volon- tiers, & par confequent d'autant plus librement, le bon & le vray, qu'il les connoift plus euidemment; & que iamais il n'eft indiffè- rent que lorfqu'il ignore ce qui eft de mieux ou | de plus véritable, ou du moins lorfque cela ne lui paroift pas fi clairement qu'il n'en puiffe aucunement douter. Et ainfi l'indifférence qui conuient à la liberté de l'homme, eft fort différente de celle qui conuient à la liberté de Dieu. Et il ne fert icy de rien d'alléguer que les effences deschofes font indiuifibles; car, premiereinent, il n'y en a pomt qui puiffe conuenir d'vne mefme façon à Dieu & à la créature; & enfin l'indifférence n'eft point de l'elfence de la liberté humaine, veu que nous ne fommes pas feulement libres, quand l'ignorance du bien & du vray | nous rend indifferens, mais principalement auffi lorfque 373

Œuvres. IV. 3o

�� � 2^4 OEuvREs DE Descartes. 433-4?4,

la claire & diftincte connoilTance d'vne choie nous poufle & nous engage à la recherche.

7. le ne conçoy point la fuperficie par laquelle i'eftime que nos fens font touchez, autrement que les Mathématiciens ou Philo- fophes conçoiuent ordinairement, ou du moins doiuent conceuoir, celle qu'ils diftinguent du corps & qu'ils fuppofent n'auoir point de profondeur. Mais le nom de fuperficie fe prend en deux façons par les Mathématiciens : à fçauoir,-ou pour le corps dont on ne confi- dere que la feule longueur & largeur, fans s'arrefter du tout à la profondeur, quoy qu'on ne nie pas qu'il en ait quelqu'vne; ou il elt pris feulement pour vn mode du corps, & pour lors toute profondeur lui eft déniée. C'eft pourquoy, pour euiter toute forte d'ambiguitc, i'ay dit que ie parlois de cette fuper- ficie, laquelle, eftant feulement vn mode, ne peut pas eftre partie du corps; car le corps eft vne fubftance dont le mode ne peut eftre partie. Mais ie n'ay iamais nié qu'elle fuft le terme du corps; au contraire, ie croy qu'elle peut fort proprement eftre apelée l'extré- mité, tant du corps contenu que de celuy qui contient, au fens que l'on dit que les corps contigus font ceux dont les extremitez | font enfemble. Car, de vray, quand deux corps fe touchent mutuelle- ment, ils n'ont enfemble qu'vne mefme extrémité, qui n'eft point partie de l'vn ny de l'autre, mais qui eft le mefme mode de tous les 374 deux, | & qui demeurera toufiours le mefme, quoy que ces deux corps foient oftez, pourueu feulement qu'on en fubftituë d'autres en leur place, qui foient precifement de la mefme grandeur & Igure. Et mefme ce lieu, qui eft apellé par les Peripateticiens la fuperficie du corps qui enuironne, ne peut eftre conceu eftre vne autre fuper- ficie, que celle qui n'eft point vne fubftance, mais vn mode. Car on ne dit point que le lieu d'vne tour foit changé, quoy que l'air qui l'enuironne le foit, ou qu'on fubftituë vn autre corps en la place de la tour; & partant la fuperficie, qui eft icy prife pour le lieu, n'eft point partie de la tour, ny de l'air qui l'enuironne. Mais, pour ré- futer entièrement l'opinion de ceux qui admettent des accidens réels, il me femble qu'il n'eft pas befoin que ie produife d'autres raifons que celles que i'ay des-ja auancées. Car, premièrement, puifque nul fentiment ne fe fait fans contaél, rien ne peut eftre fenty que la fuperficie des corps. Or, s'il y a des accidens réels, ils doiuent eftre quelque chofe de différent de cette fuperficie, qui n'eft autre chofe qu'vn mode. Doncques, s'il yen a, ils ne peuuent eftre fentis. Mais qui a iamais penfé qu'il y en euft, que parce qu'il a crû qu'ils eftoient fentis? De plus, c'eft vne chofe entièrement impoflible &qui

�� � 4?4-436. Sixièmes Réponses. 255

ne le peut conceuoir fans répugnance & contradiction, qu'il y ait des accidens réels, poiirce que tout ce qui efl: réel peut exil^er lepa- renient de tout autre fujet : or ce qui peut ainfi exiller feparement, eft vne fub|rtance, & non point vn accident. Et il ne fert de rien de 375 dire que les accidens réels ne peuuent pas naturellement eflre fe- parez de leurs fujets,mais feulement parla toute-puilTance de Dieu; I car eilre fait naturellement, n'ert rien autre choie qu'eflre fait par la puiffance ordinaire de Dieu, laquelle ne diffère en rien de fa puif- fance extraordinaire, & laquelle, ne mettant rien de nouueau dans les chofes, n'en change point aufli la nature; de forte que, fi tout ce qui peut eftre naturellement fans fujet, eft vne fubftance, tout ce qui peut auffî eftre fans fujet par la puiffance de Dieu, tant extraordi- naire qu'elle puiffe eftre, doit aulïi eftre apelé du nom de fubftance. l'auouë bien, à la vérité, qu'vne fubftance peut eftre apliquée à vne autre fubftance; mais, quand cela arriue, ce n'eft pas la fubftance qui prend la forme d'vn accident, c'eft le feul mode ou la façon dont cela arriue : par exemple, quand vn habit eft apliqué iur vn homme, ce n'eft pas l'habit, mais ejîre habillé, qui eft vn accident. Et pource que la principale raifon qui a meu les Philofophes à établir des accidens réels, a efté qu'ils ont crû que fans eux on ne pouuoit pas expliquer comment fe font les perceptions de nos fens, i'ay promis d'expliquer par le menu, en écriuant de la Phyfique, la façon dont chacun de nos fens eft touché par fes objets; non que ie veuille qu'en cela, ny en aucune autre chofe, on s'en raporte à mes paroles, mais parce que i'ay crû que ce que i'auois expliqué de la veuë, dans ma Dioptrique, pou|uoit feruir de preuue fuffifante de ce que ie puis 376 dans le refte.

8. Quand on confidere attentiuement l'immenfité de Dieu, on Void manifeftement qu'il eft impoflible qu'il y ait rien qui ne dé- pende de luy, non feulement de tout ce qui fubfifte, mais encore qu'il n'y a ordre, ny loy, ny raifon de bonté & de. vérité qui n'en dépende ; autrement (comme ie difois vn peu auparauant), il n'auroit pas efté tout afîait indiffèrent à créer les chofes qu'il a créées. Car fi quelque raifon ou aparence de bonté euft précédé fa preordination, elle l'euft fans doute déterminé à faire ce qui auroit efté de meilleur. Mais, tout au contraire, parce qu'il s'eft déterminé à faire les chofes | qui font au monde, pour cette raifon, comme il eft dit en la Genefe, elles font très-bonnes, c'eft à dire que la raifon de leur bonté dépend de ce qu'il les a ainfi voulu faire. Et il n'eft pas befoin de demander en quel genre de caufe cette bonté, ny toutes les autres veritez, tant Mathématiques que Metaphyfiques,

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��OEuvREs DE Descartes. -136-437.

��dépendent de Dieu ; car, les genres des caul'es ayant elle ellablis par ceux qui peut-eltre ne penl'oient point à cette raifon de caufalilé, il n'y auroit pas lieu de s'étonner, quand ils ne iuy auroient point donné de nom ; mais neantmoins ils Iuy en ont donné vn, car elle peut eltre apelée efficiente, de la mefme façon que la volonté du Roy peut ell:re dite la caule efficiente de la loy, bien que la loy

377 mefme ne foit pas vn eltre naturel, mais | feulement (comme ils difent en l'Efcole) vn eflre moral. Il ell aufTi inutile de demander comment Dieu eult peu faire de toute éternité que deux fois 4 n'eulient pas elté 8, ikc, car i'auouë bien que nous ne pouuons pas comprendre cela; mais, puifque d'vn autre colté ie comprens fort bien que rien ne peut exilter, en quelque genre d'eftre que ce foit, qui ne dépende de Dieu, & qu'il Iuy a efté très-facile d'ordonner tellement certaines chofes que les hommes ne peuffent pas com- prendre qu'elles euffent peu eltre autrement qu'elles font, ce feroit vne chofe tout à fait contraire Via raifon, de douter des chofes que nous comprenons fort bien, à caufe de quelques autres que nous ne comprenons pas, & que nous ne voyons point que nous deuions comprendre. Ainfi donc il ne faut pas penfer que les l'erilc^ éter- nelles dépendent de l'entendement humain, ou de l'exijlence des chofes, mais feulement de la volonté de Dieu, qui, comme vn fouuerain legiflateur, les a ordonnées & eilablies de toute éternité.

g. Pour bien comprendre quelle eft la certitude du fens, il faut diitinguer en Iuy trois fortes de degrez. Dans le premier, on ne doit confiderer autre chofe que ce que les obiets extérieurs caufent immédiatement dans l'organe corporel ; ce qui ne peut élire autre chofe que le mouuement des particules de cet | organe, & le chan-* gement de figure & de fituation qui prouient de ce mouuement. Le

378 felcond contient tout ce qui refulte immédiatement en l'efprit, de ce qu'il eft vny à l'organe corporel ainll meu & difpofé par fes obiets; & tels font les fentimens de la douleur, du chatouillement, de la faim, de la foif, des couleurs, des fons, des faneurs, des odeurs, du chaud, du froid, & autres femblables, que nous auons dit, dans la fixiéme Méditation, prx)uenir de l'vnion & pour ainfi dire du mélange de l'efprit auec le corps. Et enfin, le troifiéme comprend tous les iugemens que nous auons coutume de faire depuis" noftre ieunelfe, touchant les chofes qui font autour de nous, à l'occafion des impreffions, ou mouuemens, qui fe font dans les organes de nos fens. Par exemple, lorfque ie voy vn bâton, il ne faut pas s'imaginer qu'il forte de Iuy de petites images voltigeantes par l'air, apelées vulgairement des efpeccs intentionelles, qui paffent

�� � 437-433. Sixièmes Réponses. 2^7

iufques à mon œil, mais feulement que les rayons de la lumière réfléchis de ce baiton excitent quelques mouuemens dans le nerf optique, & par fon mo3'en dans le cerueau mefme, ainfi que i'ay amplement expliqué dans la Dioptrique. Et c'eil en ce mouue- ment du cerueau, qui nous eif commun auec les belles, que confifte le premier degré du fentiment. De ce premier fuit le fécond, qui s'étend feulement à la perception de la couleur & de la lumière qui elt réfléchie de ce bâton, & qui provient de ce que l'efprit ell fi étroittement & fi intimement conioint auec le cerueau, qu'il fe ref- jfent mefme & eft comme touché par les mouuemens qui fe font en 379 luy; & c'eft tout ce qu'il faudroit raporter au fens, fi nous vou- lions le diftinguer exadement de l'entendement. Car, que de ce fen- timent de la couleur, dont ie fens rimprelfion, ie vienne à iuger que ce bâton qui efl hors de moy efl coloré, & que de l'étendue de cette couleur, de fa terminaifon & de la relation de fa fituation auec les parties de mon cerueau, ie détermine quelque chofc touchant la grandeur, la figure & la difiance de ce mefme bâton, quoy qu'on ait accoutumé de l'atribuer au fens, & que pour ce fuiet ie l'a^e raporté à vn troifiéme | .degré de fentiment, c'ell neantmoins vne chofe manifeile que cela ne dépend que de l'entendement feul. Et mefme i'ay fait voir, dans la Dioptrique, que la grandeur, la dillance & la figure ne s'aperçoiuent que par le raifonnement, en les dédui- fant les vues des autres. Mais il y a feulement eh cela de la diffé- rence, que nous atribuons à l'entendement les iugemens nouueaux & non accoutumez que nous faifons touchant toutes les chofes qui fe prefentent, & que nous attribuons aux fens ceux que nous auons eflé accouflumez de faire dés noftre enfance touchant les chofes fen • fibles, à l'occafion des imprefllons qu'elles font dans les organes de nos fens; dont la raifon eft que la coufiume nous fait raifonner & iuger fi promptement de ces chofes- là (ou plutofl: nous fait reffouue- nir des iugemens que nous en auons faits autresfois), que | nous ne 380 diflinguons point cette façon de iuger d'auec la fimple apprehen- fion ou perception de nos fens. D'où il efl manifefte que, lorfque nous difons que la certitude de l'entendement eft plus grande que celle des fens, nos paroles ne fignifient autre chofe, finon que les iugemens que nous faifons dans vn âge plus auancé, à caufe de quelques nouuelles obferuations, font plus certains que ceux que nous auons formez dés noftre enfance, fans v auoir fait de re- flexion; ce qui ne peut receuoir aucun doute, car il ell confiant qu'il ne s'agit point icy du premier ny du fécond degré du lénti- ment, d'autant qu'il ne peut y auoir en eux aucune faufl'eté. Quand

�� � 2)8

��OEuvREs DE Descartes. 438-440.

��donc on dit qu'i'ii hâlon paroijl rompu dans l'eau, à caiife de la refraâion, c'elt de mefme que fi l'on difoit qu'il nous paroilt d'vne telle façon qu'vn enfant iugeroit de là qu'il eil rompu, & qui fait auiïi que, félon les preiugez aufquels nous fommes accourtumez désinolfre enfance, nous iugeons la mefme chofe. Mais le. ne puis demeurer d'accord de ce que l'on adioufle enfuite, à fçauoir que cet erreur n'ejl point corrigé par l'entendement, mais par le fens de l'attouchement ; car bien que ce fens nous fafle iuger qu'vn bâton elt droit, & cela par cette façon de iuger à laquelle nous fommes accoutumez dés noftre enfance, & qui par confequent peut élire np^lé^fen liment, neantmoins cela ne luffit pas pour corriger l'erreur de la veuë, mais outre cela il eft befoin que nous a3'ons quelque

381 raifon, qui nous enfeigne que | nous deuons en ce rencontre nous fier plutolt au iugement que nous faifons en fuite de l'attouchement, qu'à celu}' où femble nous porter le fens de la veuë ; laquelle raifon n'ayant point efté en nous dés nollre enfance, ne peut eftre attri- buée au fens, mais au feul entendement; & partant, dans cet exemple mefme, c'elt rentendemeni Icul qui corrige l'erreur du fens, & il efl impofiible d'en aportcr iamais aucun, dans lequel l'erreur vienne pour s'efirc plus fié à l'opération de l'efprit qu'à la perception des fens.

10. D'autant que les difilcultez qui relient à examiner, me font plutofi propofées comme des doutes que comme des objections, ie ne prefume pas tant de moy, que i'ofe me promettre d'expliquer alfez fuffifamment des chofes que ie voy élire encore aujourd'huy le fujet des doutes de tant de fçauans hommes. Neantmoins, pour faire en cela tout ce que ie puis, & ne pas manquer à ma propre caufe, ie diray ingenuëment de quelle façon il ell arriué que ie me fois moy-mefme entièrement deiiuré de ces doutes. Car, en ce fai- fant, fi par hazard il arriue que cela puilfe feruir à quelques-vns, i'auray fujet de m'en rejouir, & s'il ne peut feruir à perfonne, au moins auray-je la fatisfaction qu'on ne me poura pas accufer de prefomption ou de témérité.

I Lorfque i'eu" la première fois conclu, en fuite des raifons qui

382 font contenues dans mes Medita|tions, que l'efprit humain eft réelle- ment diflingué du corps, & qu'il efl mefme plus aifé à connoiftre que luy, & plufieurs autres chofes dont il efi là traitté, ie me fentois à la vérité obligé d'y acquiefcer, pource que ie ne remarquois rien en

a. Texte de la i° édit. : « i'eus ». Mais on trouve à Verrata : « p. 3Si, 1. 28, i'eus, lii'. i'eu, & de mefme par tout ailleurs ».

�� � 440-44' •

��Sixièmes Réponses. zjç

��elles qui ne fufl: bien fuiu}', & qui ne fuft tiré de principes tres- euidens, fuiuant les règles de la Logique. Toutesfois ie confeffe que ie ne fus pas pour cela pleinement perfuadé, & qu'il m'arriua prefque la merme chofe qu'aux Aflronomes, qui, après auoir efté conuaincus par de puilfantes railbns que le Soleil eft plufieurs fois plus grand que toute la terre, ne Içauroient pourtant s'empefcher de iuger qu'il eil plus petit, lorfqu'ils iettent les yeux fur luy. Mais après que i'eu pafle plus auant, & qu'apuyé fur les mefmes prin- cipes, i'eu porté ma confideration fur les chofes Phyfiques ou naturelles, examinant premièrement les notions ou les idées que ie trouuois en moy de chaque chofe, puis les diftinguant foigneufe- ment les vnes des autres pour faire que mes iugemens enflent vn entier raport auec elles, ie reconnus qu'il n'y auoit rien qui apar- tinft à la nature ou à l'effence du corps, fmon qu'il eft vne fub- ftance étendue en longueur, largeur & profondeur, capable de plufieurs figures & de diuers niouuemens, & que fes figures & mouuemens n'eftoient autre chofe que des modes, qui ne peuuent jamais eftre fans luy ; mais que les couleurs, les odeurs, les fa- ueurs, & autres chofes femblables, n'eftoient rien que des fenti- |mens qui n'ont aucune exiftence hors de ma penfée, & qui ne font 383 pas moins differens des corps que la douleur diffère de la figure ou du mouuement de la flèche qui la caufe ; &'enfin, que la pefanteur, la dureté, la vertu d'échauffer, d'attirer, de purger, & toutes les autres qualitez que nous remarquons dans les corps, confiftent feulement dans le mouuement ou dans fa priuation, & dans la configuration & arrangement des parties".

Toutes lefquelles opinions eftant fort différentes de celles | que i'auois eues auparauant touchant les mefmes chofes, ie commençay après cela à confiderer pourquoy l'en auois eu d'autres par cy- deuant, & ie trouuay que la principale raifon eftoit que, dez ma ieuneffe, i'auois fait plufieurs iugemens touchant les chofes natu- relles (comme celles qui deuoient beaucoup contribuer à la con- feruation de ma vie, en laquelle ie ne faifois que d'entrer), & que i'auois toufiours retenu depuis les mefmes opinions que i'auois autrefois formées de ces chofes -là. Et d'autant que mon efprit ne fe feruoit pas bien en ce bas âge des organes du corps, & qu'y eltant trop attaché il ne penfoit rien fans eux', auffi n'aperceuoit-il que confufèment toutes chofes. Et bien qu'il euft connoiffance de fa propre nature, & qu'il n'euft pas moins en foy l'idée de

a. Non à la ligne (/" et 2' édit.).

�� � 240 Œuvres de Descartes. 44'-442.

la penfée que celle de l'étendue, neantmoins, pource qu'il ne concèuoit rien de purement intellectuel, qu'il n'imaginaft aufli 384 en mefme temps quelque chofe de corlporel, il prenoit l'vn & l'autre pour vne mefme chofe, & raportoit au corps toutes les notions qu'il auoit des chiofes intelleduelles. Et d'autant que ie ne m'eftois iamais depuis déliuré de ces preiugez, il n'j auoit rien que ie connuffe" affez dilHnclement & que ie ne fupofaffe eike corporel, quoy que neantmoins ie formafTe fouuent de telles idées de ces cho'fes mefmes que ie fupofois eitre corporelles, & que l'en eulTe de telles notions, qu'elles reprefentoyent plutoft des efprits que des corps \

Par exemple, lorfque ie conceuois la pefanteur conlme vne qualité réelle, inhérente & attachée aux corps maffifs & groffiers, encore que ie la nommaffe vne qualité, en tant que ie la raportois aux corps dans lefquels elle refidoit, neantmoins, parce que i'ad' ioutois ce mot à&rcelle, ie penfois en effed que c'eftoit vne fub- ftance : de mefme qu'vn habit confideré en foy eft vne fubllance, quoy qu'eftant raporté à vn homme habillé, | il puiffe eftre dit vne qualité; & ainfi, bien que l'eiprit foit vne fubitance, il peut neant- moins eftre dit vne qualité, eu égard au corps auquel il eil vny. Et bien que ie conceuffe que la pefanteur eil répandue par tout le corps qui eil pefant, ie ne luy attribuois pas neantmoins la mefme forte d'étendue qui conilitue la nature du corps, car cette étendue efl telle qu'elle exclut toute penetrabilité de parties; & ie penfois qu'il y auoit autant de pefanteur dans vne maffe d'or ou de quelque 385 autre metail de la longueur | d'vn pied, qu'il y en auoit dans vne pièce de bois longue de dix piedz ; voire mefme i'eftimois que toute cette pefanteur pouuoit eftre contenue Ibus vn point Mathématique. Et mefme lorfque cette pefanteur eftoit ainfi également étendue par tout le corps, ie vo^'ois qu'elle pouuoit exercer toute fa force en cha- cune de fes parties, parce que, de quelque façon que ce corps fuft fuf- pendu à vne corde, il la tiroit de toute fa pefanteur, comme fi toute cette pefanteur eull efté renfermée dans la partie qui touchoit la corde. Et certes ie ne conçoy point encore aujourd'huy que l'efprit foit autrement étendu dans le corps, lorfque ie le conçoy eftre tout entier dans le tout, & tout entier dans chaque partie. Mais ce qui fait mieux paroiftre que. cette idée de la pefanteur auoit efté tirée en partie de celle que i'auois de mon efprit, eft que ie penfois que la pefanteur portoit les corps vers le centre de la terre, comme fi elle

a. Texte : « ie ne connuffe », corrigé à \' errata : « ie connuffe « (/" édit.).

b. Non à la ligne (/" et 2' édit.).

�� � 442-444- Sixièmes Réponses.

��241

��386

��euft eu en Iby quelque connoiffance de ce centre : car certainement il n'ell pas poflîble que cela le faffe fans connoiffance, & partout où il y a connoiffance, il faut qu'il y ait de l'elprit. Toutesfois i'atri- buois encore d'autres chofes à cette pefanteur, qui ne peuuent pas en mefme façon eftre entendues de l'efprit : par exemple, qu'elle eftoit diuilîbie, mefurable, &c".

Mais après que i'eu fuffifamment confideré toutes ces chofes, & que i'eu diftingué l'idée de l'efprit humain | des idées du corps & du mouuement corporel, & que ie me fus | aperceu que toutes les autres idées que i'auois eu auparauant, foit des qua- litez réelles, foit des formes fubftantielles, en auoyent efté com- pofées, ou formées par mon efprit, ie n'eu pas beaucoup de peine à me défaire de tous les doutes qui font icy propofez\ Car, premièrement, ie ne doutay plus que ie n'euffe vne claire idée de mon propre efprit, duquel ie ne pouuois pas nier que ie n'euffe connoiffance, puifqu'il m'eftoit û prefent & fi conjoint. le ne mis plus auffi en doute que cette idée ne fuft entièrement diilerente de celles de toutes les autres chofes, & qu'elle n'euft rien en foy de ce qui apartient au corps : pource qu'ayant recherché tres-foigneu- fement les vrayes idées des autres chofes, & penfant mefme les connoiflre toutes en gênerai, ie ne trouuois rien en elles qui ne fuft en tout différent de l'idée de mon efprit. Et ie voyois qu'il y auoit vne bien plus grande différence entre ces chofes, qui, bien qu'elles fuffent tout à la fois en ma penfée, me paroiffoient neantmoins diftindes & différentes, comme Ibnt l'efprit & le corps, qu'entre celles dont nous pouuons à la vérité auoir des penfées leparées, nous arre- ftant à l'vne fans penfer à l'autre, mais qui ne font iamais enfemble en noftre efprit, que nous ne voyions bien qu'elles ne peuuent pas fubfifter feparement. Comme, par exemple, l'immenfité de Dieu peut bien eftre conceuë fans que nous penfions à fa iuftice, mais on ne peut pas les auoir toutes deux | prefentes à fon efprit, & croire que Dieu 387 puiffe eftre immenfe fans eftre iufte. De mefme l'exiftence de Dieu peut eftre clairement connue, fans que l'on fçache rien des perfonnes de la tres-fainte Trinité, qu'aucun efprit ne fçauroit bien entendre s'il n'eft éclairé des lumières de la foy; mais lorfqu'elles font vne fois bien entendues, ie nie qu'on puiffe conceuoir entr'elles aucune diftinction réelle | à raifon de l'effence diuine, quoy que celafe puiffe à raifon des relations".

a. Non à la ligne (/"^ et 2' édit.).

b. A la ligne [ibid.].

Œuvres. IV. ,1

�� � 242 OEuvRES DE Descartes. 444-445.

Et enfin ie n'appréhende plus de m'eÛre peut-eftre laiiîé fur- prendre & preuenir par mon analyfe, lorfque, voyant qu'il y a des corps qui ne penfent point, ou plutoll: conceuant tres-clai- rement que certains corps peuuent eftre fans la penfée, i'ay mieux aimé dire que la penfée n'apartient point à la nature du corps, que de conclure qu'elle en elt vn mode, pource que l'en voyois d'autres (à fçauoir ceux des hommes) qui penfent ; car, à vray dire, ie n'ay iamais veu nj^ compris que les corps humains euffent des penlées, mais bien que ce font les mefmes hommes qui penfent & qui ont des corps. Et i'ay reconnu que cela fe fait par la compo- fition & l'affemblage de la fubftance qui penie auec la corporelle; pource que, conliderant feparement la nature de la fubftance qui penfe, ie n'ay rien remarqué en elle qui pult apartenir au corps, & que ie n'ay rien trouué dans la nature du corps, confiderée toute feule, qui peuft apartenir à la penfée. Mais, au contraire, examinant

388 tous les modes, tant du corps | que de l'efprit, ie n'en ay remarqué pas vn, dont le concept ne dépendit entièrement du concept mefme de la chofe dont il ell le mode. Aulli, de ce que nous voyons fou- uent deux chofes jointes enfemble, on ne peut pas pour cela inférer qu'elles ne font qu'vne mefme chofe; mais, de ce que nous voyons quelquefois l'vne de ces chofes fans l'autre, on peut fort bien con- clure qu'elles font diuerfes. Et il ne faut pas que la puilfance de Dieu nous empefche de tirer cette confequence ; car il n'y a pas moins de répugnance à penfer que des choies que nous conceuons clairement & dilUndement comme deux chofes diuerfes, foient faites I vne mefme chofe en elfence & fans aucune compofition, que de penfer qu'on puiffe feparer ce qui n'eft aucunement diftincl. Et partant, û Dieu a donné à quelques corps la faculté de penfer (comme en elVet il l'a donnée à ceux des hommes), il peut, quand il voudra, l'en i'eparer, & ainfi elle ne lailTe pas d'eftre réellement diftinfte de ce corps".

Et ie ne m'eftonne pas d'auoir autrefois fort bien compris, auant mefme que ie me fuffe deliuré des preiugez de mes fens, que deux & trois ioints enfemble font le nombre de cinq, & que, lorfque de chofes égales on ofte chofes égales, les refies font égaux, & plu- fieurs choies femblables, bien que ie ne fongeaffe pas alors que l'ame de l'homme fufl diftinae de l'on corps ; car ie voy très-bien que ce qui a fait que ie n'ay point en mon enfance donné de

389 faux iugement touchant ces propofitions qui font relceuës genera-

a. Non à la ligne {i" et 2' édit.).

�� � 44>446. Sixièmes Réponses. 24^

lement de tout le monde, a efté parce qu'elles ne m'elloient pas encore pour lors en vlage, & que les enfans n'aprennent point à affembler deux auec trois, qu'ils ne foient capables de iuger s'ils font le nombre de cinq, &c. Tout au contraire, dés ma plus tendre ieu- neffe, i'ay conceu l'efprit & le corps (dont ie voyois conful'ement que i'eftois compole) comme vne feule & mefme chofe; & c'eil le vice prefque ordinaire de toutes les connoiffances imparfaites, d'aflembler en vn plufieurs chofes, & les prendre toutes pour vne mefme; c'elt pourquoy il faut par après auoir la peine de les feparer, & par vn examen plus exact les dillinguer les vnes des autres '.

Mais ie m'elfonne grandement que des perfonnes tres-docles & accoutumées depuis trente années aux fpeculations Metaphyjiques, après auoir leu mes Méditations plus defeptfois, fe perfuadent ^z/e, Ji ie les relifois auec le mefme efprit que ie les examinerais \fi elles m'auoient ejlé propofées par vne perfonne ennemie, ie ne ferais pas tant de cas & n'aurais pas me opinion fi auantageufe des raifons qu'elles contiennent, que de croire que chacun fe deuroit rendre à la force & au poids de leurs j'erite^ & liaifons, veu cependant qu'ils ne font voir eux-mefmes aucune faute dans tous mes raifonnemens. Et certes ils m'atribuent beaucoup plus qu'ils ne doiuent, & qu'on ne doit pas mefme penfer d'aucun homme, s'ils croyent que ie me férue d'vne telle analyfe que ie puiflè par fon moyen renuerfer les démonrtrations véritables, ou donner vne telle couleur aux | faufTes, 390 que perfonne n'en puilie iamais découurir la faulîeté ; veu qu'au contraire ie profefle hautement que ie n'en ay iamais recherché d'autre que celle au moyen de laquelle on peull: s'afiurer de la cer- titude des raifons véritables, & découurir le vice des fauffes & cap- tieufes. C'eil pourquoy ie ne fuis pas tant étonné de voir des per- fonnes tres-dodes n'acquiefcer pas encore à mes conclufions, que ie fuis ioyeux de voir qu'après vne fi ferieufe & fréquente lecture de mes raifons, ils ne me blâment point d'auoir rien auancé mal à propos, ou d'auoir tiré quelque conclu/ion autrement que dans les formes. Car la difficulté qu'ils ont à receuoir mes conclufions, peut aifément elfre atribuèe à la coutume inueterée qu'ils ont de iuger autrement de ce qu'elles contiennent, comme il a defia elle remarqué des Aftronomes, qui ne peuuent s'imaginer que le Soleil foit plus grand que la terre, bien qu'ils ayent des raifons très-certaines qui le démontrent. Mais ie ne voy pas qu'il puifle y auoir d'autre raifon pourquoy ny ces Meffieurs, ny perfonne que ie fçache, n'ont peu

a. Non à la ligne [i" et 2^ édit.).

�� � iuſques icy rien reprendre dans mes raiſonnemens, ſinon parce qu’ils ſont entierement vrais & indubitables ; veu principalement que les principes ſur quoy ils ſont appuyez, ne ſont point obſcurs, ny inconnus, ayant tous eſté tirez des plus certaines & plus euidentes notions qui ſe preſentent à vn eſprit qu’vn doute general de 391 toutes choſes a defia deliuré de toutes ſortes de | preiugez ; car il ſuit de là neceſſairement qu’il ne peut y auoir d’erreurs, que | tout homme d’eſprit vn peu mediocre n’euſt peu facilement remarquer. Et ainſi ie penſe que ie n’auray pas mauuaiſe raiſon de conclure, que les choſes que i’ay écrites ne ſont pas tant affoiblies par l’autorité de ces ſçauans hommes qui, aprés les auoir leües attentiuement pluſieurs fois, ne ſe peuuent pas encore laiſſer perſuader par elles, qu’elles ſont fortifiées par leur autorité meſme, de ce qu’aprés vn examen ſi exact & des reueües ſi generales, ils n’ont pourtant remarqué aucunes erreurs ou paralogiſmes dans mes demonſtrations[23].



EXTRAIT DV PRIVILEGE DV ROY

��Par Grâce & Priuilege du Roy,figné Ceberet, donné à Paris le 4. ioiir de May i63j, il ejl permis au fieur des Cartes d'imprimer ou faire im- primer, par qui bon lur femblera, toutes fes œuures feparément & con- iointement, & ce durant le temps & efpace de dix années confecutiues, défendant à tous Libraires & Imprimeurs, ou autres perfonnes, de quelque forte & condition qu'ils puijfent ejlre, de les imprimer ny faire imprimer fans le confentement dudit fieur, ou de ceux qui auront fon droit, à peine de mille Hures d'amande, comme il efl plus au long porté dans lef dites Lettres.

Et ledit fieur Des-Cartes a cédé & tranfporté fon Priuilege à la Venue lean Camufat & Pierre le Petit, pour le Liure intitulé : Mcditations Metaphyliques de René Des-Cartes touchant la première Philolophie, & pour en ioiiir comme luy-mefme fuiuant l'accord fait entr'eux le 4. Juin 1646.

�� �


TABLE DES MATIÈRES

—————


Avertissement I

Faux-titres des premières éditions VII

Le Libraire au Lecteur 1

Epître à la Sorbonne 4

Abrégé des Méditations 9

Première Méditation 13

Méditation seconde 18

Méditation troisième 27

Méditation quatrième 42

Méditation cinquième 50

Méditation sixième 57

Premières Objections 73

Réponses 81

Secondes Objections 96

Réponses 102

— Exposé géométrique 124

Troisièmes Objections et Réponses 133

Quatrièmes Objections 153

Réponses 170

Avertissement de l'auteur touchant les Cinquièmes Objections 198

Avertissement du traducteur 200

LETTRE DE DESCARTES A CLERSELIER 202

Sixièmes Objections 218

Réponses 225

Privilège 245



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PRINCIPES

DE LA

PHILOSOPHIE
AVERTISSEMENT



Les Principes de la Philosophie, | Eſcrits en Latin | Par René Descartes, | Et traduits en François par vn de ſes Amis, furent publiés à Paris, chez Henri Le Gras, m.dc.xlvii, en un volume in-4, de 487 pages (plus 58 pages non numérotées pour la Dédicace, la Préface et la Table des matières, et à la fin du volume, vingt planches pour les figures). L’historique de cette traduction se trouve à sa place dans la Vie de Descartes, au premier volume de la présente édition. On ne donnera donc ici que les renseignements relatifs au texte même.

L’édition française de 1647, comparée à l’édition latine de 1644, offre d’abord une particularité importante. Entre l’Epiſtre ou la Dédicace à la princesse Elisabeth, placée en tête dans l’une comme dans l’autre, et les Principes proprement dits, Descartes a inséré, dans la traduction, une Lettre de l’Autheur à celuy qui a traduit le Liure, laquelle, ajoute-t-il, peut icy ſeruir de Preface. Cette pièce étant de la main du philosophe, on l’imprimera avec les mêmes caractères que tous les textes originaux ; et elle figurera en tête, puisqu’elle constitue l’addition principale à la traduction, et que nous n’avons plus les raisons protocolaires, qu’on pouvait avoir au xviie siècle, d’imprimer d’abord, et avant tout, l'Epiſtre à la Sereniſſime Princeſſe Elisabeth. Cette Epiſtre viendra ensuite, en français, suivie aussitôt de la traduction des Principes.

Dans l’édition latine, chacune des quatre parties des Principes est divisée en articles numérotés, et chaque article est résumé dans une phrase qui en est comme le titre. L’édition latine donne ces petites phrases en marge, chacune en regard de l'article correspondant, et nous avons conservé la même disposition typographique dans notre volume des Principia Philosophiæ. Mais, dans la traduction française, la chose eût été impossible à cause des caractères employés. Ceux-ci étant plus petits, comme pour tous les textes qui ne sont pas de Descartes (à savoir du 9, au lieu du 14), il serait arrivé que, pour certains articles assez courts, le résumé en marge eût dépassé la dernière ligne et se fût trouvé finalement en regard de l'article suivant, refoulant par suite le résumé de celui-ci, lequel n'eût plus été exactement à sa place. Nous avons donc été forcés de mettre les résumés, non plus en marge, mais au milieu de chaque page, comme des titres, avec les articles au-dessous, tandis que l'édition française de 1647, imprimée en caractères assez forts, a pu laisser les sommaires en marge.

Une raison de même ordre a décidé la place où nous mettrions les figures. Elles sont assez nombreuses dans l'édition latine (90, chiffre exact) ; mais les mêmes se trouvent reproduites plusieurs fois à des pages différentes : tout compte fait, 25 seulement ne servent qu'une seule fois, tandis que 13 servent deux fois, 3 servent trois fois, une sert quatre fois une autre cinq fois, une encore jusqu'à dix fois, et même une enfin onze fois, ce qui réduit les quatre-vingt-dix figures à quarante-cinq seulement. Pour éviter de reproduire si souvent les mêmes dans le corps du volume, l'édition française de 1647 a réparti ces quarante-cinq figures en vingt planches, rejetées toutes ensemble à la fin. En marge de chaque article, aux endroits nécessaires, une indication renvoie le lecteur à telle planche, telle figure, et les planches sont insérées de façon qu'on les consulte commodément. Les éditions suivantes n'ont d'ailleurs pas toutes adopté la même disposition : quelques-unes ont préféré mettre chaque figure à sa place, aussi souvent qu'il est besoin, au risque de reproduire plusieurs fois la même, comme faisait l'édition latine ; et c'est ce qu'aurait fait aussi la première édition française, celle de 1647, sans certaines raisons que l'éditeur explique dans une petite note[24]. Néanmoins nous ne pouvions faire autrement que de reproduire les vingt planches à la fin du volume : nos caractères typographiques en sont toujours la cause. En effet, vu les dimensions réduites de ces caractères, une page de notre édition répond, peu s'en faut, à deux de l'édition de 1647 ; il aurait donc fallu, en certains cas, charger de plusieurs figures la même page, chose difficile, parfois même impossible, pour les plus grandes figures, à moins de les réduire, ce qui eût été leur faire perdre leur netteté et surtout leur aspect et leur style, si essentiel à conserver dans une édition comme celle-ci. D'ailleurs, nous nous sommes réservé, dans l'édition latine, où les caractères ne nous imposaient plus la même gêne ni contrainte, de suivre fidèlement la disposition consacrée par l'édition princeps de 1644.

Dirons-nous aussi un mot de l'orthographe ? L'édition de 1647 présente, à cet égard, une certaine uniformité, qu'il n'est pas sans intérêt de signaler. Règle générale, même caractère pour v et pour u, au commencement des mots, et c'est le v ; même caractère aussi pour ces deux lettres dans le corps des mots, et c'est toujours u.

Au commencement des mots, le j est distingué de l’i (exemple, j'ay, je ſuis, etc), sauf pour les majuscules : Iupiter, I'ay, Ie ſuis, etc.

A la fin des mots, l’y est presque toujours mis pour l’i : celuy, cetuy (rare), vray, etc. ; sauf cependant pour la conjonction ni, qu'on trouve assez souvent avec un i. Il va sans dire que la première personne des verbes se termine aussi par y : j'ay, je ſçay, etc. et même quelquefois je dy.

Au pluriel, les noms en é, au lieu d'ajouter un s (és), s'écrivent toujours ez. Il n'y a point d'exception.

Comme formes vieillies, on trouve presque partout pource que, et non parce que. Les exceptions sont rares : on en rencontre cependant quelques-unes, comme si la forme nouvelle parce que tendait à s'introduire timidement. Deux fois on lit hurter et hurtent (p. 96, I. 1, et p. 97, I. 82), au lieu de heurter et heurtent, comme déjà, dans le Discours de la Méthode, le mot ou plutôt la prononciation, hureux, pour heureux, et aussi dans un autographe de Descartes lui-même (t. I, p. 16, I. 11). Le terme fonde est conservé également (p. 86, 131, etc.), au lieu de fronde, et nous savons que c'est celui dont Descartes se servait (Correspondance, t. III, p. 76, I. 9). De même rejallir, pour rejaillir, etc. Particularité intéressante, étude, ou plutôt eſtude, est parfois du masculin : cét eſtude, vn eſtude ; de même, une fois, erreur (p. 77, I. 5-6). Enfin les lettres doubles, sans être systématiquement simplifiées, le sont cependant d'ordinaire : lunetes, eſtincele, flame, preuienent, etc. , pour lunettes, étincelle, flamme, préviennent, etc. Somme toute, l'orthographe de cette édition est assez homogène, et plus simple, en bien des cas, que celle des éditions suivantes, du xviie et même du xviiie siècle. Celles-ci ne sont guère en progrès que sur un point, le parce que substitué au pource que ; mais elles reviennent en arrière sur bien d'autres : des lettres, par exemple, supprimées sans scrupule en 1647, ont été rétablies, l’s dans eſtendue, eſgal, paroiſt, etc., le c dans effect, fruict etc. ; l’édition de 1647 donne étendue, égal, paroit, effet, fruit, etc. C’est elle, bien entendu, que nous suivrons scrupuleusement.

Si nous insistons quelque peu sur cette question de l’orthographe, c’est qu’elle nous achemine à un gros problème qui se pose au sujet du texte même de la traduction française. De qui ce texte est-il exactement ? De l’abbé Picot seul, qui est, comme on sait, « l’ami de Descartes », qui a traduit le livre des Principes ? Ou bien, en certains endroits, de Descartes lui-même, qui a revu la traduction ? Ou même peut-être, car on serait tenté d’aller jusque-là, de Descartes seul, qui aurait alors récrit en français, pour une partie, sinon en entier, ses Principia Philosophiæ ? Le problème ne se posait pas, au moins dans les mêmes termes, pour les deux éditions, française et latine, du Discours de la Méthode et Essais, ni même pour les deux éditions, latine et française, des Méditations. Pour le Discours, en effet, une note explicite de Descartes disait quel degré de confiance on pouvait accorder à la traduction latine, et de qui étaient les modifications et additions, somme toute, assez légères : à savoir, du philosophe lui-même[25]. Pour les Méditations, nous avons vu quelle était la part du duc de Luynes, celle de Clerselier, et comment l’un et l’autre ont rempli leur tâche ; et dans un Avertissement au Lecteur, le « libraire », parlant au nom de Descartes, déclare que, « lors que cette verſion a paſſé ſous les yeux de l’Auteur, il l’a trouvée ſi bonne, qu’il n’en a iamais voulu changer le ſtyle, & s’en eſt touſiours defendu par ſa modeſtie, & par l’eſtime qu’il fait de ſes Traducteurs[26]». Pour la traduction des Principes, nous n’avons guère qu’une phrase, la première de la Lettre-préface à l’abbé Picot : « La verſion que vous auez pris la peine de faire de mes Principes eſt ſi nette & ſi accomplie, qu’elle me fait eſperer qu'ils ſeront leus par plus de perſonnes en François qu'en Latin, & qu'ils ſeront mieux entendus.» (Ci-après, p. 1, I. 5-9.) Et c'est tout. Or il est clair que les mots ſi nette et ſi accomplie se rapportent plutôt à la forme qu'au fond ; ce sont les qualités du style que loue le philosophe, lesquelles rendront plus aisée la lecture du livre, et non pas l'exactitude, la fidélité de la traduction, dont il ne dit mot. Non pas que l'on doive interpréter ce silence comme une réserve ou un blâme tacite ; mais enfin Descartes ne se porte pas non plus ici garant de la traduction française des Principes, comme il l'avait fait expressément, par exemple, pour la traduction latine du Discours et des Essais. Comparons donc l'un à l'autre, pour édifier notre jugement, l'original latin et la version française.

Cette comparaison, au moins pour les deux premières parties, plutôt métaphysiques, comme on sait, les deux autres étant plutôt scientifiques, suggère aussitôt de singulières réflexions. D'abord, en ce qui concerne la forme ou le style même, le latin de Descartes n'est pas seulement plus sobre, plus net, plus vigoureux, tandis que les expressions françaises sont souvent incertaines, plus ou moins approximatives, et molles et vagues ; mais, comme tours de phrases, l'auteur a parfois un style coupé, haché même, en propositions détachées les unes des autres, et d'une saisissante brièveté, tandis que le traducteur se plaît à réunir deux ou trois de ces propositions, et les relie et les enserre, à l'aide de conjonctions surajoutées, en des périodes plus ou moins longues, encombrées d'incises, et qui traînent et n'en finissent plus. Si bien que, chose remarquable, le latin, ici singulièrement dégagé, de Descartes se rapproche plus du français moderne et paraît en avance, à cet égard, sur la traduction, tandis que le français de Picot retarde, sans conteste, et se rengage sous le joug du latinisme diffus en usage dans l'Ecole. Certes on ne sera pas tenté, après une double lecture comparative, d'attribuer à Descartes la version française des deux premières parties : elle doit être de Picot, à n'en pas douter ; et même, si le philosophe a pris la peine de la reviser, on se prend à regretter qu'il ne se soit pas montré plus exigeant et plus sévère.

Parfois, en effet, la version est si négligée qu'elle en devient inexacte. Ainsi ce serait, semble-t-il, un parti pris du traducteur, d'éviter les mots techniques, comme positivè, négativè, objectivè, modus, etc. Ou bien il les supprime (par exemple, pages 32 et 37 ci-après), ou bien il les rend par des expressions peut-être équivalentes dans la langue commune, mais qui n'ont point le sens particulier et précis que leur donne en latin la terminologie philosophique ou, si l'on veut, scolastique. Modus, par exemple, est traduit négligemment par façon (p. 45, etc.). Pourtant Descartes ne s'interdisait pas l'emploi de ces termes, je ne dis pas seulement en latin, mais même en français, comme il le déclare expressément dans le Discours de la Méthode : « I'uſeray, s'il vous plaiſt, icy librement, dit-il, des mots de l'Eſchole[27]. » Et les traducteurs des Méditations, après avoir hésité un moment à s'en servir, les trouvant rudes & barbares dans le latin meſme & beaucoup plus dans le françois, s'y sont résignés de bonne grâce, pour une raison qui est tout à leur honneur : Ils n'ont oſé les obmettre, parce qu'il eut fallu changer le ſens, ce que leur defendoit la qualité d'Interpretes qu'ils auoient priſe[28].On eût été heureux de trouver les mêmes scrupules chez l'abbé Picot traducteur des Principes. Faute de cela, il oblige, surtout aujourd'hui, où l'on a d'autres exigences qu'au xviie siècle en matière de traduction, les lecteurs des Principes à ne lire la version française qu'avec une extrême défiance, en se reportant, pour chaque page, disons mieux, pour chaque ligne et pour chaque expression même, à l'original latin, crainte de se laisser induire parfois en de trompeuses interprétations.

Mais la version offre encore d'autres particularités. D'abord maintes phrases se trouvent modifiées, en passant de latin en français, non seulement dans la forme, toujours plus verbeuse, mais souvent aussi pour le sens. Et l'on se demande si c'est bien Picot qui a pris sur lui d'introduire toutes ces modifications, qui ne conservent le sens qu'en gros, avec des suppressions ou additions de détails, ou si elles ne seraient pas l'œuvre de Descartes lui-même. Au moins le doute ne semble pas permis, lorsqu'il s'agit, comme il arrive assez fréquemment, d'additions véritables, de phrases entières ajoutées à la traduction, et dont il n'y a point trace dans le latin : Descartes sans doute les a insérées après coup, et Picot n'aurait pas osé les inventer de toutes pièces. A moins que ce traducteur trop zélé n'ait cru de son devoir d'expliquer, à sa manière, les passages qu'il ne comprenait pas bien, et que Descartes, à la fois pour ne pas désobliger un ami et pour être mieux entendu, comme il le dit, du commun des lecteurs, jugeant utiles et bonnes les explications de Picot, ne les ait adoptées et finalement laissées comme siennes dans l'imprimé de 1647. Cependant les additions deviennent plus nombreuses, plus longues aussi, et à tous égards plus importantes, à mesure qu'on avance dans la troisième et la quatrième partie, au point qu'on incline de plus en plus à penser qu'elles ne peuvent être que de l'auteur, reprenant la traduction de Picot, afin de compléter lui-même et de perfectionner dans le français sa rédaction latine de 1644.

Deux témoignages, l'un et l'autre du XVIIe siècle, semblent d'abord trancher définitivement la question. Le premier se trouve dans un vieil exemplaire de la première édition des Principes en français, celle de 1647 : les marges des pages donnent un assez bon nombre de notes manuscrites, de trois ou quatre écritures différentes ; l'une est certainement de l'abbé Legrand, qui prépara, nous l'avons vu, une édition nouvelle des Œuvres de Descartes, mais mourut en 1704, sans avoir eu le temps de rien publier. Plusieurs de ces notes (non pas celles de Legrand, il est vrai), remontent à l'année 1659 ; c'est la date donnée par l'une d'elles, que nous reproduisons à la page 119 ci-après. D'ailleurs l'exemplaire porte à la première page toute une série d'indications, la plupart datées, dont la plus ancienne est de 1651 et les plus récentes de 1677 ; aucune de celles-ci non plus n'est de Legrand[29]. Mais on lit, à la page 152 du volume, en regard de l'article 41 de la 3e partie, la note suivante (p. 121, ci-après) : « La verſion eſt depuis icy de Mr. D. (de la même main que les indications de la première page ; la suite, au contraire, est de l'écriture de Legrand) : ce que nous jugeons ainſy a cauſe de l'original que nous en auons entre les mains ecrit de la propre main de Mr Deſc. (ces trois derniers mots de Mr Deſc. ont été barrés, et la lettre l de la corrigée en ſ, de façon à donner : de ſa propre main ; puis le même Legrand ajoute encore, mais d'une écriture un peu différente, comme si cette dernière partie de la note avait été écrite postérieurement) : Et il n'eſt pas croyable que, ſi cette verſion n'etoit pas de luy, il ſe fut donné la peine de la tranſcrire luy XII Avertissement.

qui d'ailleurs doit Jî accablé d'affaires. » Legrand a, dit-il, l'original entre les mains; or il n"a pu le recevoir que de Cler- selier, dépositaire des papiers de Descartes, lequel mourut en 1684; cette note a donc été écrite entre 1684 et 1704.

Le second témoignage est de provenance analogue. Un vieil exemplaire, de la seconde édition des Principes cette fois, celle de 1659, a été signalé par M. Victor Egger dans un article de la Revue philosophique", septembre 1890. L'exemplaire porte même le nom de son ancien possesseur, Anne-Joseph de Beau- mont; mais les notes manuscrites, qu'il fournit également en grand nombre, seraient, M. Paul Tannery l'a reconnu par une comparaison d'écritures, d'un mathématicien du xvii' siècle,

cin demeurant rue des Marest^ pre\ (ce dernier mot barré et remplacé par qui aboutit dans) la rue de Reims. >>

« A M' Aljphon:{e Pollot a Geneue. le luy ay ejcrit le i5 luillet 1662. »

(Pollot était revenu, en effet, de Hollande à Genève vers lôSg, et y mourut le 8 octobre 1668.)

Ensuite un renseignement non moins intéressant :

« Le R. P. André' Martin, prejîre de l'Oratoire, m'ejl venu voir le 12 luillet i(i02. C'ejl luy qui auoit enfeigné philofophiam Augujlianam que i'auuis notée, & qui l' auoit diâée à Angers, & a Marfeille, & première- ment au Mans, oii ion n'auoit pas d'abord voulu qu'elle fujl foutenue. »

Puis deux adresses :

« Apud Dominuni Louis {?).

Habitat D' Burnet. Rue des Boucheries. »

« M' de Majfy, gendre de Mad" Le Beau, pre^ S^-Geruais. »

Enfin des indications de prêts de livres :

« Le 4 Décembre iG-;~, l'ay prejlé à M' l'Abbé d'HoJlel, qui ejludie au Collège du PleJJis en phyfique, vn Arijlote latin, vn Platon latin, la Méthode dz M' De/cartes, les Principes de Philofophie de M' De/cartes, les Meditaùons Metaphyftques de M^ De/cartes, & la Phyftqus <de> M' Rohjult couuerte de bajane verte, fur le carton de laquelle i'ay efcrit le mémoire des Hures que ie luy ay prejie\, & le iour 4 Décembre 16 j', & luy ay offert mes autres Hures. »

a. Quinzième année, t. XXX, p. 3 1 5. Le passage cité se trouvep. 317- 3i8.

�� � Avertissement. xiii

Ozanam. Or, juste au même endroit que dans l'exemplaire pré- cédent, c'est-à-dire en regard de l'article 41 de la 3" partie (page i39 de cette seconde édition), une de ces notes donne l'indication suivante : « La verfion ejî depuis ici de M' Dcfc. M' Clerfelier a le rejle de ce livre en manufcrit de M' De/cartes inefme. Il me la monjîré. » Clerselier étant mort le i3 avril 1684, c'est donc avant cette date que l'annotateur a vu, de ses propres yeux, chez le fidèle dépositaire des papiers de Des- cartes, le manuscrit original, qui est bien certainement le même que l'abbé Legrand aura plus tard entre les mains. Ce second témoignage confirme donc le premier, et tous deux concordent parfaitement.

D'autre part, nous avons l'inventaire des papiers de Des- cartes, dressé à Stockholm en Suède, le i3 février i65o, le surlendemain de sa mort. Et dans cet inventaire, sous la lettre X, on trouve la mention suivante : « Soixante & neuf feuillets dont la fuite efl interrompue en plufieurs endroits, contenant la doéîrine de fes Principes en français & non en- tièrement conformes a l'imprimé latin. » Ce signalement ne répond-il pas fort bien aux indication*; de nos deux anciens exemplaires, bien qu'il soit moins explicite, remarquons-le, et ne dise pas expressément : la j>ersion est de M. Descartes? Mais c'est la même doctrine que celle des Principes^ et elle est con- forme à l'imprimé latin, quoique non entièrement. D'où l'on peut conclure qu'il y a des modifications, et même des addi- tions, insérées dans un texte d'ailleurs semblable à celui de 1644, c'est-à-dire (notons la chose, elle a son importance), divisé comme lui en articles, et présentant la même forme adaptée par avance à l'enseignement de l'école. Or ces modifi- cations et additions sont précisément les particularités que pré- sente aussi, comparé au latin, l'imprimé français de 1647, donné comme une version de l'original. Ce sont les annota- teurs de nos deux anciens exemplaires, qui, de leur propre autorité, et pour s'expliquer à eux-mêmes la présence d'un pareil manuscrit parmi les papiers du philosophe, ont imaginé

�� � XIV Avertissement.

que la version était de lui, parce qu'elle était écrite de sa main, à partir de l'article 41 de la 3' partie. Encore l'abbé Legrand a-t-il été pris de scrupule, puisqu'il a ajouté après coup, et comme pour répondre à une objection, cette dernière partie de sa note : « Et il n'ejl pas croyable que, fi cette verfion n'étoit pas de luy, il Je fut donné la peine de la tranfcrire, luy qui d'ail- leurs était Ji accablé d'affaires. » Un doute lui était donc venu à l'esprit, qu'il s'est efforcé de dissiper. Son affirmation en demeure affaiblie cependant : si vraisemblable qu'elle paraisse, ce n'est plus, comme celle de l'autre annotateur, qu'une hypo- thèse, une conjecture.

Nous n'avons point retrouvé, par malheur, les soixante et neuf feuillets que mentionne l'inventaire du i3 février i65o, et qui peut-être auraient fourni quelque indication décisive. Ils semblent irrémédiablement perdus. Du moins pouvons-nous être certains d'une chose : c'est que le texte qu'ils contenaient n'était point différent de celui qui a été imprimé dans les édi- tions successives à partir de 1647. Ni Legrand, en effet, ni Ozanam qui travaillaient sur des exemplaires de 1647 ^t ^^ 1659, ne parlent d'aucune différence entre le texte imprimé qu'ils annotaient et la version de M^ Descartes, dont ils ont vu l'original manuscrit. Il y a plus : la quatrième édition desPr//î- cipes, achevée d'imprimer le 3i juillet 1681, porte, à la suite du titre, cette indication qui n'est point dans les précédentes : a. Quatrième édition reveuë & corrigée fort exactement par Monfieur C L R. » Clerselier (qui est l'éditeur désigné par ces trois lettres) avait entre les mains le manuscrit original de Descartes; il n'aura pas manqué de s'en servir, en réimpri- mant les Principes, pour corriger et améliorer, s'il y avait lieu, les éditions précédentes. Or entre celles-ci et la sienne, de 1681, les différences sont insignifiantes : toutes portent uni- quement sur le style, pour le rajeunir par endroits ou le rendre plus correct, sans souci, à cet égard, du manuscrit original, dont le texte de 1647 se rapprochait sans doute davantage. Bien que Clerselier ne paraisse donc pas avoir eu un respect

�� � Avertissement. xv

excessif pour la lettre même de son manuscrit, on peut croire, en tout cas, que celui-ci ne différait point, sauf peut-être pour d'infimes détails, du texte imprimé que nous possédons.

Peut-on savoir maintenant qui est le véritable auteur de ce texte : Là-dessus, en dépit des deux témoignages ci-dessus rap- portés et réduits à leur juste valeur, nous avons, par contre, les déclarations formelles de Descartes lui-même, A vrai dire bien que nous suivions, étape par étape, dans la correspon- dance de Descartes, le travail entrepris par l'abbé Picot (envoi de la I" partie, puis de la 2% puis de la 3' et enfin de la 4% les- quelles deux dernières ont donc bien été traduites aussi par lui), la plupart des lettres qui se rapportent à cette question ne nous sont point parvenues en entier : nous ne les connaissons que par des résumés, sans doute exacts et fidèles, qu'en a donnés Baillet dans sa Vie de M' Descartes, et mieux vaudrait sans contredit avoir le texte même. Mais, en revanche, la Pré- face ajoutée par le philosophe à la traduction française des Principes est déjà assez explicite : Lettre de l'Autheur à celiiy qui a traduit le Liure. Il dit bien le Liure, et non pas seule- ment la première et la seconde parties du livre. De même le titre qu'il a laissé mettre, sinon fait mettre lui-même, en tête de l'ouvrage, ne fait aucune restriction ni réserve : Les Prin- cipes de la Philofophie, efcrits en latin par René Defcartes, & traduits en français par vn de fes Amis. A Descartes l'ori- ginal latin; mais à son ami, la traduction française. Nous avons mieux encore : une lettre de Descartes à Picot lui-même, une lettre entière, cette fois, et non plus un résumé de lettre, du 17 février i645\ Descartes a reçu la traduction de la troi- sième partie, tout entière sans doute; car elle comprend i5j articles, et il répond à des difficultés proposées par son ami au sujet des articles 86,74 et i55. Or, d'après nos annotateurs, Ozanam et Legrand, la traduction serait de Descartes lui- même, à partir de l'article 41 de cette troisième partie. Nous

a. Voir Correspondance de Descartes, t. IV de cette édition, p. 180- i83.

�� � XVI Avertissement.

voyons que Picot l'avait certainement aussi traduite jusqu'à l'article i 55 inclus, autant dire jusqu'à la fin. Mais peut-être Descartes a-t-il été peu satisfait de la traduction de l'abbé Picot, au point d'éprouver le besoin de la refaire presque entièrement lui-même: Point du tout; car il commence par déclarer, bien qu'il ne l'ait pas encore toute lue, que « ce qu'il en a veu, ejl aujOx bien qu'il le fçauroit fouhaiter. Comme aujji, conti- nue-t-il, les difficulté^ que vous me propofei, monjlr'ent que vous entendei parfaitement la matière; car elles n'auroient pu tomber en l'efprit d'vne perfonne qui ne l' ente ndroit que fuperfi- ciellemenr. » Et il ajoute enfin, après une explication demandée par Picot au sujet de l'article i55 : « le n'aiiois pas pris la peine de déduire ceti^ particularité tout au long, à caiife que i'auois crû que perfonne n'y regarderoit de fi près que vous aue\ fail^. y Ces textes sont décisifs, et ne nous laissent aucune raison de dénier à Picot, pour sa traduction française, la paternité que Descartes lui-même lui reconnaît en termes si élogieux.

Comment expliquer alors ce manuscrit de soixante-neuf feuillets, inventorié parmi les papiers de Descartes, et qui a donné lieu à la conjecture de Legrand, d'Ozanam, et peut-être de Clerselier lui-même? Le plus simplement du monde, ce semble. Le philosophe, tout en se déclarant satisfait de la tra- duction de Picot, a fort bien pu ne plus l'être, en 1645 et 1646, de sa propre rédaction imprimée en 1644; et afin de rendre sa pensée plus claire, il aurait apporté lui-même, en français, des modifications et des additions à son texte latin. Nous ne pou- vons savoir en quel état exactement était le manuscrit envoyé par Picot; mais comme tous les manuscrits qui ont reçu des ratures, des corrections et des surcharges, il devait être peu lisible assurément, après avoir été revu et remanié par Des- cartes. Il a eu donc besoin d'être recopié. Sans doute Des- cartes aurait pu se décharger de cette besogne sur un secré-

a. Correspondance, t. IV, p. 181, 1. 2-7.

b. Ibid., p. i83, 1. 2-5.

�� � Avertissement. xvii

taire; mais qui pouvait, mieux que lui, se retrouver dans ce grimoire que le manuscrit était sans doute devenu par son fait? Qui aurait su, mieux que lui, insérer, chacun à sa place, tous les changements qu'il avait introduits lui-même? Il aura donc recopié de sa main ce nouveau texte, où subsistait quand même la version de Picot, mais avec ses propres modifications et additions, intercalées chacune au bon endroit et ajustées toutes comme il convenait, si bien que le manuscrit transformé de la sorte pouvait passer, à première vue et avant une réflexion et une étude approfondies, pour une traduction nouvelle, refaite entièrement, ou, comme le disent nos annotateurs, pour la ver- sion de M' Desc. Et elle est bien de lui, si l'on veut, en ce sens qu'il l'a avouée après y avoir mis beaucoup du sien; mais elle n'en reste pas moins de l'abbé Picot primitivement, et pour la plus grande part, puisque celui-ci a fourni le fond principal, auquel se sont ajoutés les remaniements de Descartes. Cette solution du problème ' explique tout : d'une part, les notes signalées dans les deux anciens exemplaires, et la mention faite à l'inventaire du i3 février i65o; de l'autre, les témoi- gnages du philosophe, soit en tète de l'édition de 1647, soit dans sa lettre à Picot du 17 février 1645.

Reconnaissons toutefois que certaines additions, au moins, sont authentiquement de Descartes, et cela parce que lui-même l'a déclaré. Dans une lettre à Clerselier\ également du 17 fé- vrier 1645, il répond d'abord à des objections au sujet de ses règles du mouvement; puis il termine par cette phrase signifi- cative : a II faut pointant icy que ie vous auoiie que ces règles ne font pas fans difficulté ; & ie tafcherois de les éclaircir dauantage, fi l'en eflois maintenant capable; mais pour ce que i'ay l'efprit occupé par d'autres penfées, i'attendray, s'il vous

a. C'est aussi celle que suggéiait déjà M. Victor Egger, dans l'anicle précédemment cité: i Peut-être Descartes avait-il recopié la traduction de Picot en la corrigeant à mesure. » [Revue philosophique, 1890, t. XXX, p. 3.8.)

b. Correspondance, t. IV de celte édition, p. i83.

Œuvres. IV. ^

�� � XVIII Avertissement.

pîaijt, a vne autre fois, à vous en mander plus au long mon opinion. » Il a tenu parole, non pas, il est vrai, dans une autre lettre à Clerselier, mais en remaniant dans la traduction fran- çaise ce qu'il avait mis de ces règles dans le texte latin: nulle part, en effet, les modifications et additions ne sont aussi im- portantes qu'en cet endroit, articles 46 à 52 de la seconde partie (p. 89-93 ci-après). Et plus tard, le 16 avril 1648, des difficultés sur ces mêmes règles lui étant proposées par Burman, qui ne les connaissait que par l'édition latine de 1644, Descartes le renvoie aux explications données par lui dans l'édition française de i647\ Pour d'autres additions encore, bien qu'on n'ait plus, comme pour celles-ci, les déclarations expresses du philosophe, on peut être convaincu qu'elles sont de lui seul, et non point de Picot, notamment dans la dernière partie, surtout à la fin.

La conséquence de ce qui précède eût été d'imprimer en caractères différents, afin de les rendre distincts au simple coup d'œil, les passages qui, traduisant à peu près le latin, sont par conséquent de l'abbé Picot, et ceux qui, ajoutés ou même sim- plement modifiés, sont vraisemblablement de Descartes. Mais il aurait fallu pour cela employer jusqu'à trois sortes de carac- tères : d'abord des caractères romains (module 10) pour la tra- duction pure et simple, puis des caractères italiques (même module) pour ies passages qui ne sont que modifiés, enfin les caractères mêmes du texte de Descartes (romains, module 14) pour les additions. Typographiquement, l'eiïet n'aurait pas été heureux; mais surtout le lecteur pouvait parla être induit en erreur : car enfin sommes-nous sûrs que toutes les additions sont de Descartes lui-même? Quelques-unes au moins ne peuvent- elles pas avoir été proposées par Picot ? Sans doute elles ont été acceptées ensuite et adoptées par le philosophe; mais enfin doivent-elles être signalées à l'attention au même titre que les

a. Correspondance, t. IV, p. 187,1. 12-17.

b. Ibid., t. V, p, t68.

�� � Avertissement. xix

autres, qui sont bien personnelles à celui-ci? Il y aurait peut- être ainsi deux sortes d'additions, et il est bien difficile de dis- tinguer entre elles. Nous ne sommes pas sûrs davantage que toutes les modifications que Ton constate, en comparant nombre de phrases françaises aux phrases latines correspondantes, ont été introduites par Descartes; pourquoi quelques-unes au moins ne seraient-elles pas le fait de Picot ? Et encore une fois com- ment distinguer les unes des autres ? Dans cette incertitude générale, nous avons pris le parti suivant : imprimer en ita- liques tout ce qui, pour une cause ou pour une autre, s'écarte du texte latin, soit pour le modifier, soit pour y ajouter (en outre, plusieurs points çà et là indiquent, car il y en a aussi, les omissions et suppressions). Les caractères italiques serviront donc seulement à mettre en garde le lecteur, à l'avertir de faire attention : telle phrase, telle expression même parfois, n'est plus conforme au texte latin. Qu'est-ce donc ? Peut- être une simple modification, rien de plus; peut-être toute une addition. Au lecteur à vérifier la chose, et à se faire ensuite lui-même une opinion, sur la provenance comme sur l'importance du texte nouveau. Notre devoir d'éditeur ne pouvait aller au delà d'un simple avertissement à son adresse.

La conclusion qui s'impose, à la suite de toutes ces ré- flexions, est qu'on ne devra jamais lire les Principes en fran- çais, sans avoir en même temps l'original latin sous les yeux. On peut, à la rigueur, pour le Discours de la Méthode et les Essais, s'en tenir, indifféremment, soit à l'original français, soit à la traduction latine, bien qu'il soit toujours préférable de collationner les deux textes. On peut aussi, avec moins d'assu- rance cependant, pour les Méditations, lire ou bien l'original latin ou bien la traduction française, quoiqu'ici le latin doive conserver, à tous égards, la priorité. Mais, pour les Principes de la Philosophie, on ne saurait se contenter du latin seul : il y manque trop de choses, qui ont été ajoutées ou modifiées dans la traduction; ni du français seulement : s'il est souvent supé-

�� � XX Avertissement.

rieur au latin, à cause des modifications et additions qu'il fournit, encore faut-il connaître celles-ci d'abord, et de quelle nature elles sont; puis il est trop souvent inférieur aussi pour la netteté de la pensée et de l'expression, et ne présente que trop d'inexactitudes. Il est donc nécessaire de ne jamais sé- parer l'une de l'autre la lecture des Principes de la Philosophie et celle des Priiicipia Philosophiœ.

C. A.

Nancy, 20 décembre 1904.

�� � LES PRINCIPES

PHILOSOPHIE

DE RENE DESCARTES,

£IVATRIE ME EDITION,

Reveuë &: corrigée fort exadement par Monfieur CLR.

Avec des Figures dans le corps du Livre ;

Et celles en taille -douce , de la première Edition^ mtfès à la fin du Livre*

���A PARIS,

Chez Théodore Girard, dans la grand Salle

du Palais, du cofté de la Salle Dauphine, à l'Envie.

M. DC LXXXI. AVEC PRIVILEGE DV ROY.

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LETTRE DE L’AVTHEVR

A CELVY QVI A TRADVIT LE LIVRE[30],

laquelle peut icy ſervir de Preface[31].


Monſieur,

La verſion que vous auez pris la peine de faire de mes Principes eſt ſi nette & ſi accomplie, qu’elle me fait eſperer qu’ils ſeront leus par plus de perſonnes en François qu’en Latin, & qu’ils ſeront mieux entendus. I’apprehende ſeulement que le titre n’en rebute pluſieurs qui n’ont point eſté nourris aux lettres, ou bien qui ont mauuaiſe opinion de la Philoſophie, à cauſe que celle qu’on leur a enſeignée ne les a pas contentez ; & cela me fait croire qu’il ſeroit bon d’y adjouſter vne Preface, qui leur declaraſt quel eſt le ſujet du Liure, quel deſſein j’ay eu en l’écriuant, & quelle vtilité on en peut tirer. Mais encore que ce ſeroit à moy de faire cette Preface, à cauſe que je doy ſçauoir ces choſes-là mieux qu’aucun autre, je ne puis rien obtenir de moy-meſme, ſinon que je mettray | ici en 2 OEuvRES DE Descartes.

abrégé les principaux points qui me femblent y de- uoir eftre traitiez ; & je laifTe à voflre difcretion d'en faire telle part au public que vous jugerez eftre à propos.

l'aurois voulu premièrement y expliquer ce que 5 c'eft que la Philofophie, en commençant par les chofes les plus vulgaires, comme font : que ce mot Philofophie fignifie Feflude de la SagefTe, &. que par la Sagefle on n'entend pas feulement la prudence dans les affaires, mais vne parfaite connoiffance de lo toutes les chofes que l'homme peut fçauoir, tant pour la conduite de fa vie, que pour la conferuation de fa fanté & l'inuention de tous les arts ; & qu'afin que cette connoiffance foit telle, il eft neceffaire qu'elle foit déduite des premières caufes, en forte que, pour i5 eftudier à l'acquérir, ce qui fe nomme proprement philofopher, il faut commencer par la recherche de ces premières caufes, c'eft à dire des Principes; & que ces Principes doiuent auoir deux conditions : l'vne, qu'ils foient fi clairs & fi éuidens que l'efprit 20 humain ne puiffe douter de leur vérité, lorfqu'il s'ap- plique auec attention à les confiderer ; l'autre, que ce foit d'eux que dépende la connoiffance des autres chofes, en forte qu'ils puiffent eftre connus fans elles, mais non pas réciproquement elles fans eux; & qu'a- 25 (11) près cela il j faut tafcher de déduire tellement de ces principes la connoiffance des chofes qui en dé- pendent, qu'il n'y ait rien, en toute la fuite des de- dudions qu'on en fait, qui ne foit tres-manifefte. Il n'y a véritablement que Dieu feul qui foit parfaite- 3o ment Sage, c'eft a dire qui ait l'entière connoiffance

�� � Principes. — Préface. 5

de la vérité de toutes chofes ; mais on peut dire que les hommes ont plus ou moins de SagefTe, à raifon de ce qu'ils ont plus ou moins de connoiffance des veritez plus importantes. Et je croy qu'il n'y a rien 5 en cecy, dont tous les dodes ne demeurent d'accord, l'aurois en fuite fait confiderer l'vtilité de cette Phi- lofophie, & monftré que, puis qu'elle s'eflend à tout ce que l'efprit humain peut fçauoir, on doit croire que c'efl elle feule qui nous diftingue des plus fau-

10 uages & barbares, & que chaque nation eft d'autant plus ciuilifée & polie que les hommes y philofophent mieux; & ainfi que c'efl le plus grand bien qui puiiTe eflre en vn Eftat, que d'auoir de vrais Philofophes. Et outre cela, que, pour chaque homme en particu-

i5 lier, il n'efl pas feulement vtile de viure auec ceux qui s'appliquent à cet eflude, mais qu'il eu incom- parablement meilleur de s'y appliquer foy-mefme ; comme fans doute il vaut beaucoup mieux fe feruir de fes propres yeux pour fe conduire, & jouir par

20 mefme moyen de \ la beauté des couleurs & de la (12) lumière, que non pas de les auoir fermez & fuiure la conduite d'vn autre ; mais ce dernier efl encore meil- leur, que de les tenir fermez & n'auoir que foy pour fe conduire. C'eft proprement auoir les yeux fermez,

25 fans tafcher jamais de les ouurir, que de viure fans philofopher; & le plaifir de voir toutes les chofes que noftre veuë découure n'efl: point comparable à la fatisfaélion que donne la connoiffance de celles qu'on trouue par la Philofophie ; & enfin cet eflude

3o eft plus neceffaire pour régler nos mœurs, & nous conduire en cette vie, que n'eft l'vfage de nos veux

�� � 4 OEuvRES DE Descartes.

pour guider nos pas. Les belles brutes, qui n'ont que leurs corps à conferuer, s'occupent continuel- lement à chercher de quoy le nourrir ; mais les hommes, dont la principale "partie eft l'efprit, de- uroient employer leurs principaux foins à la re- 5 cherche de la Sagefle, qui en eft la vraye nourriture ; & je m'aflure auffi qu'il y en a plufieurs qui n'y man- queroient pas, s'ils auoient efperance d'y reûffir, & qu'ils fceuftent combien ils en font capables. Il n'y a point d'ame tant foit peu noble, qui demeure û fort lo attachée aux objets des fens, qu'elle ne s'en détourne quelquefois pour fouhaiter quelque autre plus grand bien, nonobftant qu'elle ignore fouuent en quoy il (13) confifte. Ceux que la fortune | fauorife le plus, qui ont abondance de fanté, d'honneurs, de richeffes, ne i5 font pas plus exempts de ce defir que les autres ; au contraire, je me perfuade que ce font eux qui fou- pirent auec le plus d'ardeur après vn autre bien, plus fouuerain que tous ceux qu'ils pofTedent. Or ce fou- uerain bien, confideré par la raifon naturelle fans la 20 lumière de la foy, n'eft autre chofe que la connoif- fance de la vérité par fes premières caufes, c'eft à dire la Sageffe, dont la Philofophie eft l'eftude. Et, pource que toutes ces chofes font entièrement vrayes, elles ne feroient pas difficiles à perfuader, fi elles eftoient 2 5 bien déduites.

Mais, pource qu'on eft empefché de les croire par l'expérience, qui monftre que ceux qui font profeffion d'eftre Philofophes, font fouuent moins fages & moins raifonnables que d'autres qui ne fe font jamais appli- 3o quez à cet eftude, j'aurois icy fommairement expliqué

�� � Principes. — Préface. 5

en quoy confifte toute la fcience qu'on a maintenant, & quels font les degrez de Sageffe aufquels on eft paruenu. Le premier ne contient que des notions qui font fi claires d'elles mefmes qu'on les peut acquérir 5 fans méditation. Le fécond comprend tout ce que l'ex- périence des fens fait connoiilre. Le troifiéme, ce que la conuerfation des autres hommes nous enfeigne. A ) quoy on peut adjoufler, pour le quatrième, la le- dure, non de tous les Liures, mais particulièrement

10 de ceux qui ont efté écrits par des perfonnes capables de nous donner de bonnes inflrudions, car c'efl vne efpece de conuerfation que nous auons avec leurs autheurs. Et il me femble que toute la Sageffe qu'on a couflume d'auoir n'efl acquife que par ces quatre

15 moyens ; car je ne mets point icy en rang la reuela- tion diuine, pource qu'elle ne nous conduit pas par degrez, mais nous éleue tout d'vn coup à vne créance infaillible. Or il y a eu de tout temps de grands hommes qui ont tafché de trouuer vn cinquième de-

20 gré pour paruenir à la Sageffe, incomparablement plus haut & plus affuré que les quatre autres : c'eft de chercher les premières caufes & les vrays Principes dont on puiffe déduire les raifons de tout ce qu'on eft capable de fçauoir; & ce font particulièrement

25 ceux qui ont trauaillé à cela qu'on a nommez Phi- lofophes. Toutefois je ne fçache point qu'il y en ait eu jufques à prefent à qui ce deffein ait reùffi. Les premiers & les principaux dont nous ayons les écrits font Platon & Àriftote, entre lefquels il n'y a eu autre

3o différence finon que le premiei;, fuiuant les traces de fon maiftre Socrate, a ingenuëment confeffé qu'il

��(14)

�� � 6 OEuvREs DE Descartes.

nauoit encore rien pu trouuer de certain, & s'efl (15) contenté | d'écrire les chofes qui luy ont femblé eftre vray-femblables, imaginant à cet effet quelques Prin- cipes par lefquels il tafchoit de rendre raifon des autres chofes; au lieu qu'Ariftote a eu moins de fran- 5 chife, & bien qu'il eufl eflé vingt ans fon difciple, lI n'eufl point d'autres Principes que les fiens, il a en- tièrement changé la façon de les débiter, & les a pro- pofez comme vrays & alTurez, quoy qu'il n'y ait au- cune apparence qu'il les ait jamais eftimé tels. Or lo ces deux hommes auoient beaucoup d'efprit, & beau- coup de la Sagefl'e qui s'acquiert par les quatre moyens precedens, ce qui leur donnoit beaucoup d'authorité, en forte que ceux qui vinrent après eux s'arrefterent plus à fuiure leurs opinions qu'à cher- i5 cher quelque chofe de meilleur. Et la principale dif- pute que leurs difciples eurent entre eux, fut pour fçauoir fi on deuoit mettre toutes chofes en doute, ou bien s'il y en auoit quelques vnes qui fuffent cer- taines. Ce qui les porta de part & d'autre à des er- 20 reurs extrauagantes : car quelques-vns de ceux qui eftoient pour le doute, l'cflendoient mefme jufques aux adions de la vie, en forte qu'ils negligeoient d'vfer de prudence pour fe conduire; & ceux qui maintenoient la certitude, fuppofant qu'elle deuoit 25 dépendre des fens, fe fioient entièrement à eux, juf- ques-là qu'on dit | qu'Epicure ofoit affurer, contre tous les raifonnemens des Aftronomes, que le Soleil n'eft pas plus grand qu'il paroiil. C'eft un défaut qu'on peut remarquer en la plufpart des difputes, que, la îo vérité eftant moyenne entre les deux opinions qu'on

��(16)

�� � Principes. — Préface. 7

fouftient, chacun s'en éloigne d'autant plus qu'il a plus d'affedion à contredire. Mais Terreur de ceux qui penchoient trop du cofté du doute ne fut pas long- temps fuiuie, & celle des autres a efté quelque peu

5 corrigée, en ce qu'on a reconnu que les fens nous trompent en beaucoup de chofes. Toutefois je ne fçache point qu'on l'ait entièrement ollée, en faifant voir que la certitude n'eft pas dans le fens, mais dans l'entendement feul, lors qu'il a des perceptions eui-

10 dentés; & que, pendant qu'on n'a que les connoif- fances qui s'acquerent par les quatre premiers degrez de SagefTe, on ne doit pas douter des chofes qui fem- blent vrayes, en ce qui regarde la conduite de la vie, mais qu'on ne doit pas auffi les eflimer fi certaines qu'on

i5 <ne> puiffe changer d'aduis, lorf qu'on y eft obligé par l'euidence de quelque raifon. Faute d'auoir connu cette vérité, ou bien, s'il y en a qui l'ont connue, faute de s'en élire feruis, la plufpart de ceux de ces der- niers fiecles qui ont voulu eftre Philofophes, ont fuiuy

20 aveuglement Ariftote, en forte qu'ils ont fouuent | cor- (i7) rompu le fens de fes écrits, en luy attribuant diuerfes opinions qu'il ne reconnoiftroit pas eftre fiennes, s'il reuenoit en ce monde ; & ceux qui ne l'ont pas fuiuy (du nombre defquels ont efté plufieurs des meilleurs

25 efprits) n'ont pas laifle d'auoir efté imbus de fes opi- nions en leur jeuneffe (pource que ce font les feules qu'on enfeigne dans les efcholes), ce qui les a telle- ment préoccupez, qu'ils n'ont pu paruenir à la con- noiftance des vrays Principes. Et bien que je les eftime

3o tous, & que je ne vueille pas me rendre odieux en les reprenant, je puis donner vne preuue de mon dire

�� � 8 Œuvres de Descartes.

que je ne croy pas qu'aucun d'eux defaduouë, qui eft qu'ils ont tous fuppofé pour Principe quelque chofe qu'ils n'ont point parfaitement connue. Par exemple, je n'en fçache aucun qui n'ait fuppofé la pefanteur dans les corps terreftres ; mais encore que 5 l'expérience nous monftre bien clairement que les corps qu'on nomme pefans defcendent vers le centre de la terre, nous ne connoiflbns point pour cela quelle eft la nature de ce qu'on nomme pefanteur, c'eft à dire de la caufe ou du Principe qui les fait lo ainfi defcendre, & nous le deuons apprendre d'ail- leurs. On peut dire le mefme du vuide & des atomes, & du chaud & du froid, du fec, de l'humide, & du fel, (18) du fouffre, du j mercure, & de toutes les chofes fem- blables que quelques-vns ont fuppofées pour leurs i5 Principes. Or toutes les conclufions qu'on déduit d'vn Principe qui n'eft pas éuident ne peuuent auffi eftre euidentes, encore qu'elles en feroient déduites euidemment : d'où il fuit que tous les raifonnemens qu'ils ont appuyez fur de tels Principes, n'ont pu leur 20 donner la connoiffance certaine d'aucune chofe, ny par confequent les faire auancer d'vn pas en la re- cherche de la SagefTe. Et s'ils ont trouué quelque chofe de vray, ce n'a efté que par quelques-vns des quatre moyens ci-defTus déduits". Toutefois je ne veux 25 rien diminuer de l'honneur que chacun d'eux peut prétendre; je fuis feulement obligé de dire, pour la confolation de ceux qui n'ont point eftudié, que tout de mefme qu'en voyageant, pendant qu'on tourne le dos au lieu où l'on veut aller, on s'en éloigne d'autant 3o

a. Ci-avant, p. 5,1. 'i-17, et p. 7, 1. 11,

�� � Principes. — Préface. 9

plus qu'on marche plus long-temps & plus ville, en forte que, bien qu'on foit mis par après dans le droit chemin, on ne peut pas arriuer fitoft que fi on n'auoit point marché auparauant; ainfi, lors qu'on a de mau-

5 uais Principes, d'autant qu'on les cultiue dauantage, & qu'on s'applique auec plus de foin à en tirer di- uerfes confequences, penfant que ce foit bien philo- fopher, d'aujtant s'éloigne-t'on dauantage de la con- (i9) noiflance de la vérité & de la SageiTe. D'où il faut

10 conclure que ceux qui ont le moins apris de tout ce qui a elle nommé jufques icy Philofophie, font les plus capables d'apprendre la vraye.

Apres auoir bien fait entendre ces chofes, j'aurois voulu mettre icy les raifons qui feruent à prouuer que

i5 les vrays Principes par lefquels on peut paruenir à ce plus haut degré de SagefTe, auquel confifte le fouue- rainbien de la vie humaine, font ceux que j'ay mis en ce Liure : & deux feules font fuffifantes à cela, dont la première efl qu'ils font tres-clairs, & la féconde,

20 qu'on en peut déduire toutes les autres chofes : car il n'y a que ces deux conditions qui foient requifes en eux. Or je prouue ayfement qu'ils font tres-clairs : premièrement, par la façon dont je les ay trouuez, à fçauoir en rejettant toutes les chofes aufquelles je

25 pouuois rencontrer la moindre occafion de douter; car il ell certain que celles qui n'ont pu en cette façon eflre rejettées, lorfqu'on s'eft appliqué à les confi- derer, font les plus euidentes & les plus claires que l'efprit humain puifle connoillre. Ainfi, en confiderant

3o que celuy qui veut douter de tout, ne peut toutefois douter qu'il ne foit, pendant | qu'il doute, & que ce (20)

ŒuvKES. IV. 33

�� � lo OEuvREs DE Descartes.

qui raifonne ainfî, en ne pouuant douter de foy-mefme & doutant neantmoins de tout le refte, n'eft pas ce que nous difons eftre noftre corps, mais ce que nous appelions noftre ame ou noftre penfée, j'ay pris Feftre ou l'exiftence de cette penfée pour le premier Prin- 5 cipe, duquel j'ai déduit tres-clairement les fuiuans: à fçauoir qu'il y a vn Dieu, qui eft. autheur de tout ce qui eft au monde, & qui, eftant la fource de toute vé- rité, n'a point créé noftre entendement de telle nature qu'il fe puifte tromper au jugement qu'il fait des chofes lo dont il a vne perception fort claire & fort diftinde. Ce font là tous les Principes dont je me fers touchant les chofes immatérielles ou Metaphyfiques, defquels je déduits tres-clairement ceux des chofes corporelles ou Phyfiques, à fçauoir qu'il y a des corps eftendus t5 en longueur, largeur & profondeur, qui ont diuerfes figures & fe meuuent en diuerfes façons. Voyla, en fomme, tous les Principes dont je déduits la vérité des autres chofes. L'autre raifon qui prouue la clarté des" Principes eft qu'ils ont efté connus de tout temps, 20 & mefme receus pour vrays & indubitables par tous les hommes, excepté feulement l'exiftence de Dieu, (21) qui a efté mife en doute par quelques- vns, à | caufe qu'ils ont trop attribué aux perceptions des fens, & que Dieu ne peut eftre vu ny touché. Mais encore 25 que toutes les veritez que je mets entre mes Principes ayent efté connues de tout temps de tout le monde, il n'y a toutefois eu perfonne jufques à prefent, que je fçache, qui les ait reconnues pour les Principes de la Philofophie, c'eft à dire pour telles qu'on en peut dé- 3o

a. Lire de ces ?

�� � Principes. — Préface. i i

duire la connoiffance de toutes les autres chofes qui font au monde : c'eft pourquoy il me refte icy à prouuer qu elles font telles; & il me femble ne le pou- uoir mieux qu'en le faifant voir par expérience, c'eft

5 à dire en conuiant les Ledeurs à lire ce Liure. Car encore que je n'y aye pas traitté de toutes chofes, & que cela foit impoffible, je penfe auoir tellement ex- pliqué toutes celles dont j'ay eu occafion de traitter, que ceux qui les liront auec attention auront fujet

10 de fe perfuader qu'il n'eft point befoin de chercher d'autres Principes que ceux que j'ay donnez, pour paruenir à toutes les plus hautes connoilTances dont i'efprit humain foit capable; principalement fi, après auoir leu mes écrits, ils prennent la peine de confi-

1 5 derer combien de diuerfes queftions y font expliquées, & que, parcourant auffi ceux des autres, ils voyent combien peu de raifons vray-femblables on a pu (22) donner, pour expliquer les mefmes queftions par des Principes differens des miens. Et, afin qu'ils entre-

2o prennent cela plus aifement, j'aurois pu leur dire que ceux qui font imbus de mes opinions ont beaucoup moins de peine à entendre les écrits des autres & à en connoiftre la jufte valeur, que ceux qui n'en font point imbus; tout au contraire de ce que j'ay tantoft

25 dit de ceux qui ont commencé par l'ancienne Philofo- phie, que d'autant qu'ils y ont plus eftudié, d'autant ils ont couftume d'eftre moins propres à bien ap- prendre la vraye.

l'aurois auffi adjoufté vn mot d'aduis touchant la

3o façon de lire ce Liure, qui eft que je voudrois qu'on le parcouruft d'abord tout entier ainfi qu'vn Roman, fans

�� � 12 OEUVRES DE Descartes.

forcer beaucoup fon attention, ny s'arrefter aux difR- cultez qu'on y peut rencontrer, afin feulement de fça- uoir en gros quelles font les matières dont j'ay traitté ; & qu'après cela, fi on trouue qu'elles méritent d'eflre examinées, & qu'on ait la curiofité d'en connoiftre les 5 caufes, on le peut lire vne féconde fois, pour remar- quer la fuitte de mes raifons ; mais qu'il ne fe faut pas derechef rebuter, fi on ne la peut allez connoiftre par- tout, ou qu'on ne les entende pas toutes; il faut leule- (23) ment marquer d'vn | trait de plume les lieux où l'on lo trouuera de la difficulté, & continuer de lire fans in- terruption jufques à la fin; puis, fi on reprend le Liure pour la troifieme fois, j'ofe croire qu'on y trouuera la folution de la plufpart des difficultez qu'on aura marquées auparauant; & que, s'il en refte encore i5 quelques-vnes, on en trouuera enfin la folution en relifant.

l'ay pris garde, en examinant le naturel de plu- fieurs efprits, qu'il n'y en a prefque point de fi grofiTiers ny de fi tardifs, qu'ils ne fuffent capables 20 d'entrer dans les bons fentimens & mefmes d'acquérir toutes les plus hautes fciences, s'ils eftoient conduits comme il faut. Et cela peut aufii eftre prouué par rai- fon : car, puis que les Principes font clairs, & qu'on n'en doit rien déduire que par des raifonnemens très- 25 éuidens, on a touf-jours afilez d'efprit pour entendre les chofes qui en dépendent. Mais, outre l'empefche- ment des préjugez, dont aucun n'eft entièrement exempt, bien que ce font ceux qui ont le plus eftudié les mauuaifes fciences aufquels ils nuifent le plus, il 3o arriue prefque touf-jours que ceux qui ont l'efprit

�� � Principes, — Préface 13

modéré négligent d'eftudier, pource qu'ils n'en penfent pas eftre capables, & que les autres qui font plus ardens fe hallent trop : d'où vient qu'ils |reçoiuent (24) fouuent des Principes qui ne font pas éuidens, & qu'ils

5 en tirent des confequences incertaines. C'eft pour- quoy je voudrois affurer ceux qui fe défient trop de leurs forces, qu'il n'y a aucune chofe en mes écrits qu'ils ne puiffent entièrement entendre, s'ils prennent la peine de les examiner; & neantmoins auffi auertir

10 les autres, que mefmes les plus excellens efprits au- ront befoin de beaucoup de temps & d'attention pour remarquer toutes les chofes que j'ay eu deffein d'y comprendre.

En fuitte de quoy, pour faire bien conceuoir quel

i5 but j'ay eu en les publiant, je voudrois icy expliquer l'ordre qu'il me femble qu'on doit tenir pour s'inf- truire. Premièrement, vn homme qui n'a encore que la connoiffance vulgaire & imparfaite qu'on peut ac- quérir par les quatre moyens cy-deffus expliquez", doit

20 auant tout tafcher de fe former vne Morale qui puifTe fuffire pour régler les adions de fa vie, à caufe que cela ne fouffre point de delay, & que nous deuons fur tout tafcher de bien viure. Apres cela, il doit auffi eftudier la Logique : non pas celle de l'efchole, car

2 5 elle n'efl, à proprement parler, qu'vne Dialedique qui enfeigne les moyens de faire entendre à autruy les chofes qu'on fçait, ou mefme auffi | de dire fans juge- (25) ment plufieurs paroles touchant celles qu'on ne fçait pas, & ainfi elle corrompt le bon fens plufloft qu'elle

3o ne l'augmente ; mais celle qui apprend à bien conduire

a. Ci-avant, p. 5, I. 3-i3.

�� � 14 Œuvres de Descartes.

fa raifon pour découurir les veritez qu'on ignore ; & pource qu'elle dépend beaucoup de l'vfage, il eft bon qu'il s'exerce long temps à en pratiquer les règles tou- chant des queftions faciles & fimples, comme font celles des Mathématiques. Puis, lors qu'il s'eft acquis 5 quelque habitude à trouuer la vérité en ces queftions, il doit commencer tout de bon à s'appliquer à la vraye Philofophie, dont la première partie eft la Metaphy- fique, qui contient les Principes de la connoiftance, entre lefquels eft l'explication des principaux attri- lo buts de Dieu, de l'immatérialité de nos âmes, & de toutes les notions claires & fimples qui font en nous. La féconde eft la Phyfique, en laquelle, après auoir trouué les vrays Principes des chofes matérielles, on examine en gênerai comment tout l'vniuers eft com- '5 pofé, puis en particulier quelle eft la nature de cette Terre & de tous les corps qui fe trouuent le plus com- munément autour d'elle, comme de l'air, de l'eau, du feu, de l'aymant & des autres minéraux. En fuitte de (26) quoy il eft befoin auffi d'examiner en | particulier la 20 nature des plantes, celle des animaux, & fur tout celle de l'homme, afin qu'on foit capable par après de trouuer les autres fciences qui luy font vtiles. Ainfi toute la Philofophie eft comme vn arbre, dont les racines font la Metaphyfique, le tronc eft la Phyfique, 25 & les branches qui fortent de ce tronc font toutes les autres fciences, qui fe reduifent à trois principales, à fçauoir la Médecine, la Mechanique & la Morale, j'entens la plus haute & la plus parfaite Morale, qui, prefuppofant vne entière connoiftance des autres 3o fciences, eft le dernier degré de la Sagefte.

�� � Principes. — Préface. i 5

Or comme ce n'eft pas des racines, ny du tronc des arbres, qu'on cueille les fruids, mais feulement des extremitez de leurs branches, ainfi la principale vtilité de la Philofophie dépend de celles de fes parties qu'on

5 ne peut apprendre que les dernières. Mais, bien que je les ignore prefque toutes, le zèle que j'ay touf-jours eu pour tafcher de rendre feruice au public efl caufe que je fis imprimer, il y a dix ou douze ans, quelques effais des chofes qu'il me fembloit auoir apprifes. La

10 première partie de ces effais fut vn Difcours touchant la Méthode pour bien conduire fa rai/on & chercher la vérité dans les fciences, où je mis fomjmairement les principales règles de la Logique & d'vne Morale im- parfaite, qu'on peut fuiure par prouifion pendant

i5 qu'on n'en fçait point encore de meilleure. Les autres parties furent trois traitez : l'vn de la Dioptrique, l'autre des Météores, & le dernier de la Géométrie. Par la Dioptrique, j'eu deffein de faire voir qu'on pouuoit aller affez auant en la Philofophie, pour arriuer par

20 fon moyen jufques à la connoiffance des arts qui font vtiles à la vie, à caufe que l'inuention des lunetes d'approche, que j'y expliquois, efl l'vne des plus diffi- ciles qui ayent jamais eilé cherchées. Par les Météores, ie defiray qu'on reconnufl la différence qui efl entre

2 5 la Philofophie que ie cultiue & celle qu'on enfeigne dans les efcholes où l'on a couflume de traitter de la mefme matière. Enfin, par la Géométrie, je preten- dois demonflrer que j'auois trouué plufieurs chofes qui onteflé cy-deuant ignorées, & ainfi donner occa-

3o fion de croire qu'on en peut decouurir encore plu- fieurs autres, afin d'inciter par ce moyen tous les

��'271

�� � i6 OEuvRES DE Descartes.

hommes a la recherche de la vérité. Depuis ce temps là, preuoyant la difficulté que plufieurs auroient à conceuoir les fondemens de la Metaphyfique, j ay tafché d'en expliquer les principaux points dans vn

(28) liure de Méditations qui n'eft | pas bien grand, mais 5 dont le volume a elle groffi, & la matière beaucoup éclaircie, par les objetlions que plufieurs perlonnes tres-doéles m'ont envoyées à leur fujet, & par les ref- ponfes que je leur ay faites. Puis, enfin, lors qu'il m'a femblé que ces traittez precedens auoient allez pre- lo paré l'efprit des Ledeurs à receuoir les Principes de la Philofopliie, je les ay auffi publiez & j'en ay diuifé le Liure en quatre parties, dont la première contient les Principes de la connoilTance, qui efl ce qu'on peut nommer la première Philofophie ou bien la Metaphy- i5 fique : c'eft pourquoy, afin de la bien entendre, il eft

à propos de lire auparauant les Méditations que j'ay écrites fur le mefme fujet. Les trois autres parties contiennent tout ce qu'il y a de plus gênerai en la Phylique, à fçauoir l'explication des premières loix ou 20 des Principes de la Nature, & la façon dont les Cieux, les Eiloiles fixes, les Planètes, les Comètes, & géné- ralement tout l'vniuers eft compofé; puis, en particu- lier, la nature de cette terre, & de l'air, de l'eau, du feu, de l'aymant, qui font les corps qu'on peut trouuer 25 le plus communément partout autour d'elle,- & de toutes les qualitez qu'on remarque en ces corps, comme font la lumière, la chaleur, la pefanteur, &

(29) femblables : au moyen | de quoy je penfe auoir com- mencé à expliquer toute la Philofophie par ordre, 3o fans auoir omis aucune des chofes qui doiuent pre-

�� � Principes. — Préface. 17

céder les dernières dont j'ay écrit. Mais, afin de con- duire ce deffein jufques à fa fin, je deurois cy-apres expliquer en mefme façon la nature de chacun des autres corps plus particuliers qui font fur la terre,

5 à fçauoir des minéraux, des plantes, des animaux, & principalement de l'homme ; puis, enfin, traitter exadement de la Médecine, de la Morale, & des Mechaniques. C'eft ce qu'il faudroit que je fiffe pour donner aux hommes vn corps de Philofophie tout

10 entier ; & je ne me fens point encore fi vieil, je ne me défie point tant de mes forces, je ne me trouue pas fi éloigné de la connoifiTance de ce qui refte, que je n'o- fafle entreprendre d'acheuer ce deffein, fi j'auois la commodité de faire toutes les expériences dont j'au-

i5 rois befoin pour appuyer & juftifier mes raifonne- mens. Mais voyant qu'il faudroit pour cela de grandes defpenfes, aufquelles vn particulier comme moy ne fçauroit fuffire, s'il n'eftoit aydé par le public, & ne voyant pas que je doiue attendre cet ayde, je croy

20 deuoir d'orefnauant me contenter d'eftudier pour mon infl;rudion particulière, & que la pofterité m'excufera fi je manque à trauailler déformais pour elle.

I Cependant, afin qu'on puifife voir en quoy je penfe (30) luy auoir def-ja feruy , je diray icy quels font les fruiéls

25 que je me perfuade qu'on peut tirer de mes Principes. Le premier ell la fatisfadlion qu'on aura d'y trouuer plufieurs veritez qui ont efl:é cy-deuant ignorées ; car bien que fouuent la vérité ne touche pas tant noltre imagination que font les fauffetez & les feintes, à

3o caufe qu'elle paroiil moins admirable & plus fimple, toutefois le contentement qu'elle donne efl: touf-jours

Œuvres. IV. ^4

�� � i8 OEuvRES DE Descartes.

plus durable & plus folide. Le fécond fruid eft qu'en eftudiant ces Principes on s'accouftumera peu à peu à mieux juger de toutes les chofes qui fe rencontrent, & ainfi à élire plus Sage : en quoy ils auront vn effed contraire à celuy de la Philofophie commune ; car 5 on peut aifement remarquer en ceux qu'on appelle Pedans, qu elle les rend moins capables de raifon qu'ils ne feroient s'ils ne l'auoient jamais apprife. Le troifiéme eft que les veritez qu'ils contiennent, eftant tres-claires & très-certaines, ofteront tous fujets de lo difpute, & ainfi difpoferont les efprits à la douceur & à la concorde : tout au contraire des controuerfes de l'efchole, qui, rendant infenfiblement ceux qui les apprennent plus pointilleux & plus opiniaftres, font peut eftre la première caufe des herefies & des diften- i5 (31) tions qui trauaillent maintenant le monde. Le dernier & le principal fruid de ces Principes eft qu'on pourra, en les cultiuant, decouurir plufieurs veritez que je n'ay point expliquées; & ainfi, paflant peu à peu des vnes aux autres, acquérir auec le temps vne parfaite 20 connoiftance de toute la Philofophie & monter au plus haut degré de la Sagefte. Car, comme on voit en tous les arts que, bien qu'ils foient au commencement rudes & imparfaits, toutefois, à caufe qu'ils con- tiennent quelque chofe de vray & dont l'expérience 25 monftre l'effed, ils fe perfedionnent peu à peu par l'vfage : ainfi, lors qu'on a de vrais Principes en Phi- lofophie, on ne peut manquer en les fuiuant de ren- contrer parfois d'autres veritez ; & on ne fçauroit mieux prouuer la faufl*eté de ceux d'Ariftote, qu'en 3o difant qu'on n'a fceu faire aucun progrez par leur

�� � Principes. — Préface. 19

moyen depuis plufieurs fiecles qu'on les a fuiuis.

le fçay bien qu'il y a des efprits qui fe haflent tant,

& vfent de fi peu de circonfpedion en ce qu'ils font,

que, mefme ayant des fondemens bien folides, ils

5 ne fçauroient rien baftir d'alTuré ; & pource que ce font d'ordinaire ceux-là qui font les plus prompts à faire des Liures, ils pourroient en peu de temps galler tout ce que j'ay fait, & introduire | l'incertitude (32) & le doute en ma façon de philofopher, d'où j'ay foi-

10 gneufement tafché de les bannir, fi on receuoit leurs écrits comme miens, ou comme remplis de mes opi- nions, l'en ay veu depuis peu l'expérience en l'vn de ceux qu'on a le plus creu me vouloir fuiure, & mefme duquel j'auois écrit, en quelque endroit, « que je m'af-

1 5 » furois tant fur fon efprit, que je ne croyois pas qu'il » eufl aucune opinion que je ne voulufTe bien auoûer » pour mienne ^ » : car il publia l'an pafTé vn Liure, inti- tulé Fundamenta Phyficœ"^^ où, encore qu'il femble n'a- uoir rien mis, touchant la Phyfique & la Médecine, qu'il

20 n'ait tiré de mes écrits, tant de ceux que j'ay publiez que d'vn autre encore imparfait touchant la nature des animaux, qui luy efl tombé entre les mains, tou- tefois, à caufe qu'il a mal tranfcrit, & changé l'ordre, & nié quelques veritez de Metaphyfique, fur qui toute

25 la Phyfique doit eftre appuyée, je fuis obligé de le defaduoùer entièrement, & de prier icy les Ledeurs

a. Epistola Renati Dès-Cartes ad celeberrimum Virum D. Gisbertum VoETiuM, 1643 : « . . .acutissimo et perspicacissimo ingenio Regii tantum .. tribuo, ut vix quicquam ab illo scriptum putem quod pro meo non » libenter agnoscam ». (Page 232, édh. princeps.)

h. Henri Regii Ultrajeciini, Fundamenta Physices. (Amstelodami, apud Ludovicum El\evirium. A° 164G, in-S.)

c. Voir Correspondance, t. IV, p. 248, 256, 497, 5 10, 517, 566, 590, 619, 625 et 63o ; t. V, p. 79, 112, 170 et 625.

�� � 20 Œuvres de Descartes.

qu'ils ne m'attribuent jamais aucune opinion, s'ils ne la trouuent exprelTement en mes écrits, & qu'ils n'en reçoiuent aucune pour vraye, ny dans mes écrits ny ailleurs, s'ils ne la voyent tres-clairement eflre dé- duite des vrais Principes. 5

(33) I le fçay bien auffi qu'il pourra le pafTer plufleurs fiecles auant qu'on ait ainfi déduit de ces Principes toutes les veritez qu'on en peut déduire, pourceque la plufpart de celles qui reflent à trouuer, dépendent de quelques expériences particulières, qui ne fe rencon- lo treront jamais par hazard, mais doiuent eftre cherchées auec foin & depenfe par des hommes fort intelligens ;

& pource qu'il arriuera difficilement que les mefmes qui auront l'adreiïe de s'en bien feruir ayent le pou- uoir de les faire; & auffi pource que la plufpart des i5 meilleurs efprits ont conceu vne fi mauuaife opinion de toute la Philofophie, à caufe des defaux qu'ils ont remarquez en celle qui a efté jufques à prefent en vfage, qu'ils ne pourront pas s'appliquer à en chercher vne meilleure. Mais fi enfin la différence qu'ils verront 20 entre ces Principes & tous ceux des autres, & la grande fuite de veritez qu'on en peut déduire, leur fait connoiftre combien il eft important de continuer en la recherche de ces veritez, & jufques à quel degré de Sagefle, à quelle perfedion de vie, à quelle félicité elles 25 peuuent conduire, j'ofe croire qu'il n'y en aura aucun qui ne tafche de s'employer à vn eflude fi profitable,

(34) ou du moins qui ne fauorife & vueille ayder | de tout fon pouuoir ceux qui s'y employeront auec fruid.

le fouhaite que nos neueux en voient le fuccez, &c. 3o

�� � A LA SERENISSIME

PRINCESSE

ELIZABETH,

PREMIERE FILLE

De Frédéric, Roy de Bohême, Comte Palatin, ET Prince Electeur de l'Empire.

��Madame,

Le principal fruit que j'aye receu des écrits que j'ay cy-deuant publiez a efté qu'à leur | occafion j'ay eu l'honneur d'eftre connu de Vostre Altesse, (2) & de luy pouuoir quelquefois parler : ce qui m'a donné moyen de remar- quer en elle des qualitez fi eftimables & fi rares, que je croy que c'eft rendre feruice au public de les propofer à la pofterité pour exemple. l'au- rois mauuaife grâce à flaier, ou bien à écrire des chofes dont je n'aurois point de connoiffance certaine, principalement aux premières pages de ce liure, dans lequel je tafcheray de mettre les principes de toutes les veritez que l'efprit humain peut fçauoir. Et la généreuse modeftie qui reluit en toutes les actions de voftre Alteffe m'affure que les difcours fimples & francs d'vn homme qui n'écrit que ce qu'il croit, vous feront plus agréables, que ne feroient des louanges ornées de termes pompeux & recherchez par ceux qui ont eftudié l'art des complimens. C'eft pourquoy je ne mettray rien en cette lettre dont l'expérience &^ la raifon ne m'ait rendu certain ; & j'y écriray en Philofophe, ainfi que dans le refte du liure. Il y a beaucoup de différence entre les | vrayes vertus & celles qui ne font (3) qu'apparentes; & il y en a auffi beaucoup entre les vrayes qui procèdent d'vne exafte connoiffance de la vérité, & celles qui font accompagnées d'ignorance ou d'erreur. Les vertus que je nomme apparentes ne font, à proprement parler, que des vices, qui, n'eftant pas fi frequens que d'autres vices qui leur font contraires, ont cou(\ume d'eftre plus eftimez que les vertus qui confiftent en la médiocrité dont ces vices oppofez font les excez. Ainfi, à caufe qu'il y a bien plus de perfonnes qui craignent trop les dangers qu'il n'y en a qui les craignent trop peu, on prend fouuent la témérité pour vne vertu, & elle éclate bien plus aux occafions que ne fait le vray courage; ainfi les prodigues ont couftume d'eftre plus loiiez que

��a. Lire « ou », au lieu de « et » ? Voir le texte latin.

�� � 22 OEuVRES DE DeSCARTES.

les libéraux; & ceux qui font véritablement gens de bien n'acquerent point tant la réputation d'eftre deuots, que font les fuperftitieux & les hypocrites. Pour ce qui eft des vrayes vertus, elles ne viennent pas toutes d'vne vraye connoiffance, inais il y en a qui naiffent aufli quelquefois du

(4) défaut ou de l'erreur : ainfi fouuent la fim [plicité eft caufe de la bonté, la peur donne de la deuotion, & le defefpoir du courage. Or les vertus qui font ainfi accompagnées de quelque imperfedion,foni différentes entr'elles, & on leur a auflî donné diuers noms. Mais celles qui font û pures & fi par- faites qu'elles ne viennent que de la feule connoiffance du bien, font toutes de mefme nature, & peuuent eftre comprife? fous le feul nom de la Sageffe. Car quiconque a vne volonté ferme & confiante d'vfer touf-jours de la" raifon le mieux qu'il eft en fon pouuoir, & de faire en toutes fes adions ce qu'il juge eftre le meilleur, eft véritablement fage, autant que fa nature permet qu'il le foit; & par cela feul il eft jufte, courageux, modéré, & a toutes les autres vertus, mais tellement jointes entre elles qu'il n'y en a aucune qui paroiffe plus que les autres; c'eft pourquoy, encore qu'elles foient beaucoup plus parfaites que celles que le meflange de quelque défaut fait éclater, toutefois, à caufe que le commun des hommes les remarque moins, on n'a pas couftume de leur donner tant de louanges.

(5) Outre cela, de deux chofes qui font requifes à la | Sageffe ainfi décrite, à fçauoir que l'entendement connoiffe tout ce qui eft bien, & que la volonté foit touf-jours difpofée à le fuiure, il n'y a que celle qui confifte en la vo- lonté que tous les hommes peuuent également auoir, d'autant que l'enten- dement de quelques-vns n'eft pas fi bon que celuy des autres. Mais, encore que ceux qui n'ont pas le plus d'efprit puiffent eftre auffî parfaitement fages que leur nature le permet, & fe rendre tres-agreables à Dieu par leur vertu, fi feulement ils ont touf-jours vne ferme refolution de faire tout le bien qu'ils fçauront, & de n'ometre rien pour apprendre celuy qu'ils ignorent; toutefois ceux qui, auec vne conftante volonté de bien faire & vn foin très-particulier de s'inftruire, ont aufli vn très-excellent efprit, arriuent fans doute à vn plus haut degré de Sageffe que les autres. Et je voy que ces trois chofes fe trouuent tres-parfaitement en Vostre Altesse. Car pour le foin qu'elle a eu de s'inftruire, il paroift aflez de ce que ny les diuer- tiffemens de la Cour, ny la façon dont les Princeffes ont couftume d'eftre

(6) I nourries, qui les deftournent entièrement de la connoiffance des lettres, n'ont peu empefcher que vous n'ayez tres-diligemment eftudié tout ce qu'il y a de meilleur dans les fciences. Et on connoift l'excellence de voftre efprit en ce que vous les auez parfaitement aprifes en fort peu de temps. Mais j'en ay encore vne autre preuue qui m'eft particulière, en ce que je n'ay jamais rencontré perfonne qui ait fi généralement & fi bien entendu tout ce qui eft contenu dans mes écrits : car il y en a plufieurs qui les trouuent tres-obfcurs, mefme entre les meilleurs efprits & les plus dodes; & je re- marque prefque en tous, que ceux qui conçoiuent ayfement les chofes qui

a. Lire « fa » ? Voir le texte latin.

�� � Principes. — Epistre. 23

��appartiennent aux Mathématiques ne font nullement propres à entendre celles qui fe rapportent à la Metaphyfique, & au contraire, que ceux à qui celles-cy font aifées ne peuuent comprendre les autres : en forte que je puis dire auec vérité que je n'ay jamais rencontré que le feul efprit de VosTRE Altesse auquel l'vn & l'autre fuft également facile, & que par con- fequent j'ay | jufte raifon de l'eftimer incomparable. Mais ce qui augmente 0) le plus mon admiration, c'eft qu'vne fi parfaite & fi diuerfe connoiffance de toutes les fciences n'efl point en quelque vieux dodeur qui ait employé beaucoup d'années à s'inftruire, mais en vne Princeffe encore jeune, & dont le vifage reprefente mieux celuy que les Poètes attribuent aux Grâces, que celuy qu'ils attribuent aux Mufes ou à la fçauante Minerue. Enfin je ne remarque pas feulement en Vostre Altesse tout ce qui eft requis de la part de l'efprit à la plus haute & plus excellente Sageffe, mais aufTi tout ce qui peut eftre requis de la part de la volonté ou des mœurs, dans lefquelles on voit la magnanimité & la douceur jointes enfemble auec vn tel tempé- rament que, quoy que la fortune, en vous attaquant par de continuelles injures, femble auoir fait tous fes efforts pour vous faire changer d'hu- meur, elle n'a jamais pu, tant foit peu, ny vous irriter, ny vous abaiffer. Et cette fi parfaite Sageffe m'oblige à tant de vénération, que non feule- ment je penfe luy | deuoir* ce Liure, puis qu'il traitte de la Philofophie (8) qui en eft l'eftude, mais auffi je n'ay pas plus de zèle à philofopher, c'eft à dire à tafcher d'acquérir de la Sageffe, que j'en ay à eftre,

Madame,

de Voftre" Alteffe

Le tres-humble, tres-obeiffant & tres-deuot feruiteur,

��Descartes.

��a. Suppléer ; « dédier et consacrer » ?

b. « De voftre Voftre » (i" édit.).

�� � LES PRINCIPES

��DE

��LA PHILOSOPHIE

��PREMIERE PARTIE.

Des Principes de la connoijfance humaine.

��I. Que pour examiner la vérité il ejl befoin, vnefois en fa vie, de mettre toutes chofes en doute, autant qu'il fe peut.

Comme nous auons elté enfans auant que d'edre hommes, & que nous auons jugé tantort bien & tantolt mal des chofes qui fe font prefentées à nos fens, lors que nous n'auions pas encore l'vfage entier de noftre raifon, plufieurs jugemens ainfi précipitez nous empefchent de paruenir à la connoiilance de la vérité, & nous preuienent de telle forte, qu'il n'y a point d'apparence que nous puiflions nous en deliurer, fi nous n'entreprenons de douter, vne fois en noftre vie, de toutes les chofes où nous trouuerons le moindre foupçon d'm- certitude.

2. Qu'il ejl vtile aujfi de confiderer comme fauffes toutes les chofes dont on peut douter.

Il fera mefme fort vtile que nous rejettions comme fauffes toutes celles où nous pourrons imaginer le moindre doute, afin que, 1 fi 2 nous en découurons quelques-vnes qui, nonobftant cette précaution, nous femblent manifeftement vrayes,nous facions eftat qu'elles font auffi très-certaines, & les plus aifées qu'il eft poffible de connoiftre. Œuvres. IV. ^^

�� � 20 Œuvres de Descartes.

��3. Que nous ne deuons point vj'er de ce doute pour la conduite de nos aâions.

Cependant il ejl à remarquer que je n'entends point que nous nous feruions d'vne façon de douter fi générale, finon lors que nous commençons à nous appliquer à la contemplation de la vérité. Car // ejt certain qu'en ce qui regarde la conduite de nofire vie, nous fommes obligez de fuiure bien fouuent des opinions qui ne font que vray-femblables, à caufe que les occafions d'agir en nos affaires fe pafleroient prefque touf-jours, auant que nous puffions nous deli- urer de tous nos doutes. Et lors qu'il s'en rencontre plufieurs de telles fur vn mefme fujet, encore que nous n'apperceuions peut- eflre pas dauantage de vray-femblance aux vnes qu'aux autres, y? l'aâion ne fouffre aucun delay, la raifon veut que nous en choifif- fions vne, & qu'après l'auoir choijïe, nous la fuiuions conjlammeut, de mefme que Jt nous l'auions jugée très-certaine.

4. Pourquojy on peut douter de la vérité des chofes j'enftbles.

Mais, pource que nous n'auons point d'autre deflein maintenant que de vaquer à la recherche de la vérité, nous douterons, en pre- mier lieu, fi de toutes les chofes qui font tom|bées fous nos fens, ou que nous auons jamais imaginées, il y en a quelques-vnes qui foient véritablement dans le monde : tant à caufe que nous fçauons par expérience que nos fens nous ont trompez en plufieurs ren- contres, & qu'il y auroit de l'imprudence de nous trop fier à ceux qui nous ont trompez, quand mefme ce n'auroit elté qu'vne fois ; comm'auffi à caufe que nous fongeons prefque touf-jours en dor- mant, & que pour lors il nous femble que nous fentons viuement & que nous imaginons clairement vne infinité de chofes qui ne font point ailleurs, & que, lors qu'on ell ainfi refolu à douter de tout, il ne refte plus de marque par où on puifl"e fçauoir^? les penjees qui vienent en fonge font plutofî fatiffes que les autres.

5. Pourquoy on peut aujfi douter des demonjîrations de Mathématique.

Nous douterons auffi de toutes les autres chofes qui nous ont femblé autrefois très-certaines, mefme des demonftrations de Ma- thématique &de fes principes, encore que d'eux-mefmes... ils foient affez manifeftes j pource qu'il y a des hommes qui fe font mépris

�� � Principes. — Première Partie. 27

en raifonnant fur de telles matières... ; mais principalement, pource que nous auons ouy dire que Dieu, qui nous a créez, peut faire tout ce qu'il luy plaift, & que nous ne fçauons pas encore s'il a voulu nous faire tels que nous foyons touf-jours trompez, mefmes aux chofes que nous | penfons mieux connoillre. Car, puilqu'il a bien permis que nous nous foyons trompez quelquesfois, ainfi qu'il a elté def-ja remarqués pourquoy ne pourroit-il pas permettre que nous nous trompions touf-jours? Et fi nous voulons feindre qu'vn Dieu tout-puiffant n'eft point autheur de noftre eftre, & que nous fub- filtons par nous mefmes, ou par quelque autre moyen ; de ce que nous fuppoferons cet autheur moins puiffant, nous aurons touf- jours d'autant plus de fujet de croire que nous ne fommes pas fi parfaits, que nous ne puiffions ei^re continuellement abufez.

6. Que nous auons vn libre arbitre qui fait que nous pouuons nous abjlenir de croire les chofes douteufes, & ainfi nous empefcher d'ejlre trompe\.

Mais quand celuy qui nous a créez feroit tout-puiffant, & quand mefmes il prendroit plaifir à nous tromper, nous rie lailTons pas d'efprouuer en nous vne liberté qui eft telle que, toutes les fois qu'il nous plairt, nous pouuons nous abftenir de receuoir en noftre croyance les chofes que nous ne connoiffons pas bien, & ainfi nous empefcher d'eftre jamais trompez.

7. Que nous nefqaurions douter fam ejlre, & que cela eft la première connoiffance certaine qu'on peut acquérir.

Pendant que nous rejettons en cette forte tout ce dont nous pouuons douter, & que nous feignons mefmes qu'il eft faux, nous fuppofons facilement qu'il n'y a point de Dieu, ny de ciel, ny de terre..., &i que nous n'auons point de corps; mais nous ne fçau- rions fuppofer de mefme, que nous ne fommes point, pendant que nous dou|tons de la vérité de toutes ces chofes : car nous auons tant de répugnance à conceuoir que ce qui penfe n'eft pas véritablement au mefme temps qu'il penfe, que, nonobjîant toutes les plus extra- uagantes Juppofitions, 7wus ne fçaurions nous empefcher de croire que cette conclufion : Ie pense, donc ie suis, ne foit vraye, & par confequent la première & la plus certaine, qui fe prefente à celuy qui conduit fes penfées par ordre.

a. Article précédent.

�� � 28 OEuvREs DE Descartes.

��8. Qu'on coinwijl auffi en fuite la dijUnâion qui ejl entre l'anie £■ le corps.

Il me femble aulli que ce biais elt tout le meilleur que nous p'iij- Jrous choiftr pour connoiftre la nature de l'ame, & qu'elle elt v}ie fitbjiaiice entièrement dirtinde du corps : car, examinant ce que nous fommes, nous qui penfons maintenant qu'il n'y a rien hors de nojlre peufée qui foi t véritablement ou qui exifte, nous connoilfons manifeflement que, pour ejtre, nous n'auons pas belbin d'extenfion, de figure, d'eftre en aucun lieu, ny d'aucune autre telle chofe qu'on peut attribuer au corps, & que nous fommes par cela feul que nous penfons ; & par confequent, que la notion que nous auons de noftre ame ou de noftre penfée précède celle que nous auons du corps, & qu'elle eft plus certaine, veu que nous doutons encore qu'il y ait au monde aucun corps, & que nous fçauons certainement que nous penfons.

g. Ce que c'ejl que penfer.

I Par le mot de penfer, j'entends tout ce qui fe fait en nous de telle forte que nous Tapperceuons immédiatement par nous-mefmes... ; c'eft pourquoy non feulement entendre, vouloir, imaginer, mais auffi fentir, eft la mefme chofe icy que penfer. Car fi je dy que je voy ou que je marche, & que j'infcre de là que je fuis ; fi j'en- tends parler de l'action qui fe fait auec mes yeux ou auec mes jambes, cette conclufion n'eft pas tellement infaillible que ie n'aye quelque fujet d'en douter, à c&ufe qu'il fe peut faire que je penfe voir ou marcher, encore que je n'ouure point les yeux & que je ne bouge de ma place; car cela m'arriue quelquefois en dormant, & le mefme pourroit peut-eftre arriuer fi je n'auois point de corps : au lieu que, fi j'entends parler feulement de l'aâion de ma penfée, ou du fentiment, c'eft à dire de la connoiffance qui eft en moy, qui fait qu'il me femble que je voy ou que je marche, cette mefme conclu- fion eft/ abfolument vraye que je n'en peux douter, à caufe qu'elle fe rapporte à l'ame, qui feule a la faculté de fentir, ou bien de penfer en quelqu' autre façon que ce fait.

10. Qu'il y a des notions d'elles-mefmes ft claires qu'on les obfcurcit en les voulant définir à la façon de l'efcole, & qu'elles ne s'aquierent point par eflude, mais naiffent auec nous.

le n'explique pas icy plufieurs autres termes dont je me fuis def-ja feruy, & dont je fais eftat de me feruir cy-apres ; car je ne penfe

�� � Principes. — Première Partie. 29

pas que, | parmy ceux qui liront mes efcrits, il s'en rencontre de li ftupides qu'ils ne puiffent entendre d'eux-mefmes ce que ces termes fignifient. Outre que i'ay remarqué que les Philolbphes..., en tafchant d'expliquer, par les règles de leur Logique, des chofes qui font... manifeftes d'elles-mefmes, n'ont rien fait que les obfcurcir; & lors j'ay dit que cette propofition : Je pense, donc je suis, eft la première & la plus certaine qui fe prefente à celuy qui conduit fes penfées par ordre, je n'ay pas pour cela nié qu'il ne fallut fçauoir auparauant ce que c'eft que penfée, certitude, éxiftence, & que pour penfer il faut eftre, & autres chofes femblables ; mais, à caufe que ce font là des notions fi fimples que d'elles-mefmes elles ne nous font auoir la connoiffance d'aucune chofe qui exirte, je n'ay pas jugé qu'elles deuffent élire mifes icy en compte.

//. Comment nous pouuons plus clairement connoijire nojire ame que nojîre corps.

Or, afin de fçauoir comment la connoilfance que nous auons de noftre penfée, précède celle que nous auons du corps..., & qu'elle eft incomparablement plus éuidente, £■ telle, qu'encore qu'il ne fujt point, nous aurions rai/on de conclure qu'elle ne laijferoit pas d'ejire tout ce qu'elV ejl, nous remarquerons qu'il eft: manifelle, par vne lumière qui eft naturellement en nos âmes, que le néant n'a au- cunes qualitezl ny proprietez qui lui /oient affeâées, & qu'où nous en apperceuons quelques-vnes, il fe doit trouuer neceffairement vne chofe ou fubftance dont elles dépendent. Cette mefme lumière nous montre aufli que nous connoiflbns d'autant mieux vne chofe ou fubftance, que nous remarquons en elle dauantage de proprietez. Or il eft certain que nous en remarquons beaucoup plus en noftre penfée qu'en aucune autre chofe, d'autant qu'il n'y a rien qui nous excite à connoiftre quoy que ce foit, qui ne nous porte encore plus certainement à connoiftre noftre penfée. Par exemple, fi je me per- fuade qu'il y a vne terre à caufe que je la touche ou que je la voy, de cela mefme, par vne raifon encore plus forte, je dois eftre per- fuadé que ma penfée ejl ou exifte, à caufe qu'il fe peut faire que je penfe toucher la terre, encore qu'il n'y ait peut-eftre aucune terre au monde, & qu'il n'eft pas poflible que moy, c'eft à dire mon ame, ne foit rien pendant qu'ell'a cette penfée. Nous pouuons conclurre le mefme de toutes les autres chofes qui nous vienent en la penfée, à fçauoir que nous, qui les penfons, exijlons, encore qu'elles foient peut-eflre faujfes ou qu'elles n'ayent aucune exiflence.

�� � ^o OEuvREs DE Descartes.

��12. D'où vient que tout le monde ne la connoiji pas en cette façon.

Ceux qui n'ont pas philofophé par ordre ont eu d'autres opinions 9 fur ce fujet, pource | qu'ils n'ont jamais diftingué alTez foigneufe- ment leurame, ou ce qui penfe, d'auec le corps, ou ce qui e/l ejlendu en longueur, largeur & profondeur. Car encore qu'ils ne fiilent point difficulté de croire qu'ils ertoient dans le monde, & qu'ils en euffent vne airurance plus grande que d'aucune autre chofe, neantmoins, comme ils n'ont pas pris garde que, par ^ eux, lors qu'il efloit quefîion d'jme certitude Metaphifîque , ils deuoient entendre feulement leur penfée, & qu'au contraire ils ont mieux aymé croire que c'eftoit leur corps, qu'ils voyoient de leurs yeux, qu'ils touchoient de leurs mains, & auquel ils attribuoient mal à propos la faculté de fentir, ils n'ont pas connu diftindement la nature de leur ame.

i3. En quelfens on peut dire que.fi on ignore Dieu, on ne peut auoir de connoijfance certaine d'aucune autre chofe.

Mais, lors que la penfée, qui fe connoift foy-mefme en cette façon, nonobflant qu'elle perfifie encore à douter des autres chofes, vfe de circonfpeftion pour tafcher d'eftendre fa connoiffance plus auant, elle trouue en foy, premièrement, les idées de plufieurs chofes ; & pendant qu'elle les contemple fimplement, & qu'elle n'affeure pas qu'il y ait rien hors de foy qui foit femblable à ces idées, & qu'aufll elle ne le nie pas, elle eft hors de danger de fe méprendre. Elle ren- contre aufTi quelques notions communes, dont elle compofe des de- 10 monftrations..., | qui la perfuadent fi abfolument, qu'elle ne fçauroit douter de leur vérité pendant qu'elle s'y applique. Par exemple, elle a en foy les idées des nombres & des ligures; elle a auffi, entre les communes notions, « que, fi on adjoulte des quantitez égales à d'autres quantitez égales, les tous feront égaux » & beaucoup d'autres aufll éuidentes que celle-cy, par lefquelles il eft aifé de démontrer que les trois angles d'vn triangle sont égaux à deux droits, &c. Tant qu'elle apperçoit ces notions & l'ordre^ dont elle a déduit cette conclufion ou d'autres femblables, elle eft tres-affurée de leur vérité ; mais, comme elle ne fçauroit y penfer touf-jours auec tant d'attention, lors qu'il arriue qu'elle fe fouuient de quelque

a. <i Par eux », traduction exacte du latin per se ipsos. Les éditions sui- vantes donnent, à tort, « pour eux «.

b. « Prasmissas ex quibus. »

�� � Principes. — Première Partie. } i

coiiclujion faiis prendre garde à l'ordre dont elle peut ejtre démontrée, & que cependant elle penfe que l'Aiilheur de fou ejlre aurait peu la créer de telle nature qu'elle fe méprilt... en tout ce qui luy femble tres-éuident, elle voit bien qu'elle a vn jufte lu jet de fe défier de la vérité de tout ce qu'elle n'apperçoit pas dijîinâement, & qu'elle ne fçauroit auoir aucune fcience certaine, jufques à ce qu'elle ait connu celuy qui l'a créée.

14. Qu'on peut démontrer qu'il y a vn Dieu, de cela f eut que ta necejjité d'ejlre ou d'exijîer ejl comprife en la notion que nous auons de luy.

Lors que, par après, tWtfait vue reueuë fur les diuerfes idées ou notions qui font en foy, & qu'elle y trouue celle d'vn eftre tout con- noif|fant, tout-puiffant & extrêmement parfait..., elle juge facilement, H par ce qu'elle apperçoit en cette idée, que Dieu, qui ejl cet Eftre tout parfait, efl ou exifle : car, encore qu'elle ait des idées diftindes de plujieurs autres chofes, elle n'y remarque rien qui l'ajfure de l'exi- Jlence de leur objet; au lieu qu'cW^ apperçoit en celle-cy, non pas feulement, comme dans les autres, vne exiltence poffible...,mais vne abfolument neceflaire & éternelle. Et comme, de ce qu'elle voit qu'il eft neceffairement compris dans l'idée qu'elle a du triangle, que fes trois angles foient égaux à deux droits, elle fe perfuade abfo- lument que le triangle a trois angles égaux à deux droits: de mefme, de cela feul qu'elle apperçoit que l'exiftence neceffaire & éternelle efl comprife dans l'idée qu'elle a d'vn Eftre tout parfait, elle doit conclure que cet Eftre tout parfait ejl ou exifte.

i5. Que la necejfité d'ejlre n' ejl pas ainft comprife en la notion que nous auons des autres chofes, mais feulement le pouuoir d'ejlre.

Elle pourra s'aflurer encore mieux de la vérité de celte conclujion, li elle prend garde qu'elle n'a point en foy l'idée ou la notion d'au- cune autre chofe où elle puiffe reconnoiftre vne exiftence qui foit ainft abfolument neceffaire. Car de cela feul elle fçaura que l'idée d'vn Eftre tout parfait n'eft point en elle par vne fixion, comme celle qui reprefente vne chimère, mais qu'au contraire, elle y efl empreinte par vne najture immuable & vraye, & qui doit necef- 12 fairement exifter, pource qu'elle ne peut eftre conceuë qu'auec vne exiftence neceffaire.

�� � 3 2 OEUVRES DE Descartes.

��i6. Que les préjuge:^ empefchent que plufieurs ne connoijjent clairement cette necejftté d'ejire qui eji en Dieu.

Nq/tt-e ame ou notre penfée n'auroit pas de peine à fe perfuader celte vérité', fi elle eftoit libre... de fes préjugez ; mais, d'autant que nous fommes accouftumez à dirtinguer en toutes les autres choies l'effence de l'exiftence, & que nous pouuons feindre à plaifir plu- fieurs idées de chofes qm... peut-ejire n'ont jamais QÛé<S-qui ne feront peut-eftre jamais, lors que nous ti'éleuoiis pas comme il faut noflre efprit à la contemplation de cet Eftre tout parfait, il fe peut faire que nous doutions fi l'idée que nous auons de luy n'eft pas l'vne de celles que nous feignons quand bon nous femble, ou qui font pojjibles, encore que l'exiftence ne foit pas necejfairement comprife en leur nature'.

ly. Que, d'autant que nous conceuons plus de perfeâion en vne chofe, d'autant deuons-nous croire que fa caufe doit auffi eftre plus parfaite .

De plus, lors que nous faifons reflexion fur les diiierfes idées qui font en nous, il eft aile d'apperceuoir qu'il n'y a pas beaucoup de différence entre elles, en tant que nous les confderons fîmplement comme les dépendances " de noflre ame ou de noftre penfée, mai^ qu'il y en a beaucoup, en tant que l'vne reprefente vne chofe, & l'autre vne autre; & mefme, que leur caufe doit eftre d'autant plus parfaite, que ce qu'elles reprefentent de leur objet a" plus de 13 perfection. Car, tout | ainfi que, lors qu'on nous dit que quelqu'vn a l'idée d'vne machine où il y a beaucoup d'artifice, nous auons raifon de nous enquérir comment il a peu auoir cette idée : à fçauoir, s'il a veu quelque part vne telle machine faite par vn autre, ou s'il a fi bien apris la fcience des mechaniques, ou s'il eft auantagé d'\ne telle viuacité d'efprit, que de luy-mefme il ait peu l'inuenter fans auoir rien veu de femblable ailleurs; à caufe que tout l'artifice qui eft reprefente dans l'idée qu'a cet homme... ainfi que dans vn tableau, doit eftre... en fa première & principale caufe, non pas feulement par imitation , mais en effet... de la mefme forte, ou dVne façon encore plus éminente' qu'il n'eft reprefente :

a. Latin : « ad quarum essentiam. >>

b. " Les dépendances ». Latin ; « modi >■-

c. « Plus perfedionis objectivœ in se continent. »

d. « Objective sive repraeseniative. »

e. « Reipsâ tormaliter aut eminenter. « 

�� � Principes. — Première Partie. j }

��i8. Qu'on peut derechef démontrer par cela qu'il y a vn Dieu.

De mefme, pource que nous trouuons en nous l'idée d'vn Dieu ou d'vn Eftre tout parfait, nous pouuons rechercher la caufe qui fait que cette idée eft en nous; mais, apxes auoir confideré auec attention combien font immenfes les perfeâions qu'elle nous reprefente, nous fommes contraints d'aduoùer que nous ne fçaurions la tenir que d'vn Eftre tres-parfait, c'eft à dire d'vn Dieu qui eft véritablement ou qui exifte, pource qu'il eft non feulement manifefte par là lumière naturelle que le néant ne peut eftre autheur de quoy que ce foit, & que le plus parfait ne fçauroit efir'e vue fuite & vne de\pendance^ du 14 moins parfait, mais auflî pource que nous voyons, par le moyen de cette mefme lumière, qu'il eft impolîîbie que nous ayons l'idée ou l'image de quoy que ce foit, s'il n'y a..., en nous ou ailleurs, vn ori- ginal qui comprenne en effet toutes les perfeélions qui nous font ainfi reprefentées. Mais comme nous fçauons que nous fommes fujets à beaucoup de deffauls, & que nous ne polfedons pas ces extrêmes perfedions dont nous auons l'idée, nous deuons conclure qu'elles font en quelque nature qui eft différente de la noftre & en effet tres- parfaite, c'eft à dire qui eft Dieu; ou du moins qu'elles ont efté autrefois en cette chofe ; & il fuit..., de ce qu'elles efloient infinies, qu'elles y font encore.

tg. Qu'encore que nous ne comprenions pas tout ce qui efl en Dieu, il ■ n'y a rien toutefois que nous ne connoijjions fi clairement comme fes perfeâions.

le ne voy point en cela de difficulté, pour ceux qui ont accouftumé leur efprit à la contemplation de la Diuinité, & qui ont pris garde à fes perfedions infinies. Car, encore que nous ne les comprenions pas, pource que la nature de l'infiny eft telle que des penfées finies ne le fçauroient comprendre, nous les conceuons neantmoins plus clairement & plus diftindement que les chofes matérielles, à caufe qu'eftant plus fimples & n'eftant point limitées, ce que nous en con- ceuons eft beaucoup moins confus\ Aufft il n'y a point defpeculation qui I puiffe plus ayder à perfeâionner noflre entendement & qui foit 15 . plus importante que celle-cy, d'autant que la confideration d'vn objet qui n'a point de bornes en fes perfedions nous comble de fatisfaâion & d'ajjeurance.

a. « Ut a causa efficiente et totalî produci. »

b. « Quia cogitationem nostram magis implant. »

Œuvres, IV. 36

�� � }4 OEuvREs DE Descartes.

��20. Que nous ne fommes pas la caufe de nous meftnes, mais que c'ejl Dieu, & que par confequent il y a vn Dieu.

Mais tout le monde n'y prend pas garde comme il faut ; & pource que nous fçauons affez, iors que nous auons vne idée de quelque machine où il y a beaucoup d'artifice, la façon dont nous l'auons eue, & que nous ne fçaurions nous fouuenir de mefme quand l'idée que nous auons d'vn Dieu nous a efté communiquée de Dieu, à caufe qu'elle a touf-jours elté en nous, il faut que nous facions encore cette reueuë, & que nous recherchions quel eft donc l'autheur de nojlre ame ou de nojtre penjée, qui a en foy l'idée des perfedions infinies qui font en Dieu : pource qu'// ejî éuident que ce qui con- noit quelque chofe de plus parfait que foy, ne s'eft point donné l'eltre, à caufe que par mefme moyen il fe feroit donné toutes les perfedions dont il auroit eu connoifTance ; & par confequent qu'il ne fçauroit fubfifter par aucun autre que par celuy qui poffede en effect toutes ces perfedions, c'eft à dire qui elt Dieu.

2/. Que la feule durée de nojlre vie J'uffit pour démontrer que Dieu ejK

le ne croy pas qu'on doute de la vérité de cette demonftration,

pourueu qu'on prenne garde à la nature du temps ou de la durée

16 de I nojlre rie. Car, eftant telle que fes parties ne dépendent point

les vnes des autres & n'exillent jamais enfemble, de ce que nous

fommes maintenant, il ne s'enfuit pas necejj'airement que nous

foyons vn moment après, fi quelque caufe, à fçauoir la mefme qui

nous a produit, ne continue à nous produire, c'ell à dire ne nous

conferue. Et nous connoilfons aifement qu'il n'y a point de force

en nous par laquelle nous puiffions J'ubjijler ou nous conferuer vn

feul moment & que celuy qui a tant de puiffance qu'il nous fait

fubjijler hors de luy & qui nous conferue, doit... fe conferuer foy-

mefme, ou pluftoft n'a befoin d'eftre eonferué par qui que ce ibit,

& enfin qu'il elt Dieu.

22. Qu'en connoijfant qu'il y a vn Dieu, en la façon icy expliquée, on connoit aujfi tous fes attributs, autant qu'ils peuuent ejlre connus par la feule lumière naturelle.

Nous receuons encore cet auantage, en prouuant de cette forte l'exiftence de Dieu...', que nous connoilfons par mefme moyen ce

a. « Per ejus scilicet ideam. »

�� � 17

��Principes. — Première Partie. 3 5

qu'il eft, autant que le permet la foibleffe de noftre nature. Car, faifant reflexion fur l'idée que nous auons naturellement' de luy, nous voyons qu'il eft éternel, tout connoiffant, tout puiffant, fource de toute bonté & vérité, créateur de toutes chofes, & qu'enfin il a en foy tout ce en quoy nous pouuons reconnoiftre... quelque per- fedion infinie, ou bien qui n'eft bornée d'aucune imperfedion.

23. Que Dieu n'eft point corporel, & ne connoit point par Vayde des fens comme nous, & n'eft point Autheur du péché.

Car il y a des chofes dans le monde qui font | limitées & en quelque façon imparfaites, encore que nous remarquions en elles quelques perfeftions ; mais nous conceuons aifement qu'W n'eft pas poftlble qu'aucunes de celles-là foient en Dieu. Ainfi, pource que l'extenfion conftituë la nature du corps, & que ce qui eft eftendu peut eflre diuifé en plufieurs parties, & que cela marque du deffaut, nous concluons que Dieu n'eft point vn corps. Et bien que ce foit vn aduantage aux hommes d'auoir des fens, neantmoins, à caufe que les fentimens fe font en nous par des impreftions qui viennent d'ailleurs, & que cela témoigne de la dépendance, nous concluons aufli que Dieu n'en a point; mais qu'il entend & veut, non pas encore comme nous par des opérations aucunement différentes, mais que touf-jours, par vne mefme & tres-fimple adion, il entend, veut & fait tout, c'eft à dire toutes les chofes qui font en effet ; car il ne veut point la malice du péché, pource qu'elle n'eft rien.

■24. Qu'après avoir connu que Dieu eft pour pajfer à la connoiffance des créatures, il fe faut fouuenir que noftre entendement eft finy, & la puiffance de Dieu infinie.

Apres auoir ainfi connu que Dieu exifte & qu'il eft l'autheur de tout ce qui eft ou qui peut eftre, nous fuiurons fans doute la meil- leure méthode dont on fe puiffe feruir pour decouurir la vérité, fi, de la connoiflance que nous auons de fa nature, nous palfons à l'explication des chofes qu'il a créées, & fi nous | eflayons de la 18 déduire en telle forte des notions qui font naturellement en nos âmes, que nous ayons vne fcience parfaite, c'eft à dire que nous connoif- fions les effets par leurs caufes. Mais, afin que nous puiftlons l'en- treprendre auec plus de fureté..., nous nous fouuiendrons. toutes

a. « Nobis ingenitam. « 

�� � 7 6 OEuvRES DE Descartes.

les fois que nous voudrons examiner la nature de quelque chofe, que Dieu, qui en eft l'Autheur, eft infiny, & que nous fommes entière- ment finis.

25. Et qu'il faut croire tout ce que Dieu a reuelé, encore qu'il foi t au dejjfus de ta portée de no/ire efprit.

Tellement que, s'il nous fait la grâce de nous reueler..., ou bien à quelques autres, des chofes qui furpâfl'ent la portée ordinaire de noltre efprit, telles que font les myfteres de l'Incarnation & de la Trinité, nous ne ferons point difficulté de les croire, encore que nous ne les entendions peut-ejlre pas bien clairement. Car nous ne deuons point trouuer eilrange qu'il y ait en fa nature, qui eft immenfe, & en ce qu'il a fait, beaucoup de chofes qui furpaffent la capacité de noftre efprit.

26. Qu'il ne faut point tafcher de comprendre l'infiny, mais feulement penfer que tout ce en quoi nous ne trouuons aucunes bornes efl indefiny.

Ainfy nous ne nous embarafferons jamais dans les difputes de l'infiny; d'autant qu'il feroit ridicule que nous, qui fommes finis, entreprilTions d'en déterminer quelque chofe, & par ce moyen le fuppofer finy en tafchant de le comprendre. C'eft pourquoy nous ne tg nous foucierons pas de répondre à ceux qui demandent | fi la moi- tié d'vne ligne infinie efl infinie, & fi le nombre infiny elt pair ou non pair, & autres chofes femblables, à caufe qu'il n'y a que ceux qui s'imaginent que leur efprit eft infiny, qui femblent deuoir exa- miner telles difficultés. Et pour nous, en voyant des chofes dans lefquelles, félon certain fens, nous ne remarquons point de limites, nous n'affurerons pas pour cela qu'elles foient infinies, mais nous les eftimerons feulement indéfinies". Ainfi, pource que nous ne fçaurions imaginer vne eftenduë fi grande, que nous ne conceuions en mefme temps qu'il y en peut auoir vne plus grande, nous dirons que l'eftenduë des chofes poffibles eft indéfinie. Et pource qu'on ne fçauroit diuifer vn corps en des parties fi petites, que chacune de ces parties ne puiffe eftre diuifée en d'autres plus petites, nous pen- ferons que la quantité peut eftre diuifée en des parties dont le nombre eft indefiny. Et pource que nous ne fçaurions imaginer tant d'eftoiles, que Dieu n'en puifle créer dauantage, nous fuppoferons que leur nombre eft indefiny & ainfi du refte.

a. Voir Correspondance, t. V, p. 167.

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��Principes. — Première Partie. 37

��2-j. Quelle différence il y a entre indefiny & infiny.

Et nous appellerons ces chofes indéfinies pluftort qu'infinies, afin de referuer à Dieu feul le nom d'infiny ; tant à caufe que nous ne remarquons point de bornes en fes perfeâions, comme aufll à caufe que nous fommes tres-affu|rés qu'il n'y en peut auoir. Pour ce qui eft des autres chofes, nous /cations qu'elles ne font pas ainjt abfolu- ment parfaites, pource que, encore que nous y remarquions quel- quefois des propriétés qui nous femblent n'auoir point de limites, nous ne laiffons pas de connoi/îre que cela procède du deffaut de nojlre entendement, & non point de leur nature'.

28. Qu'il ne faut point examiner pour quelle fin Dieu a fait chaque chofe, mais feulement par quel moyen il a voulu qu'elle fuji produite.

Nous ne nous arrefterons pas auffi à examiner les fins que Dieu... s'eft propofé en créant le monde, & nous rejeterons entièrement de noflre Philofophie la recherche des caufes finales : car nous ne deuons pas tant prefumer de nous-mefmes, que de croire que Dieu nous ait voulu faire part de fes confeils; mais, le confiderant comme l'Autheur de toutes chofes, nous tafcherons feulement de trouuer, par la faculté de raifonner qu'il a mife en nous, comment celles que nous apperceuons par l'entremife de nos fens ont pu efire pro- duites; & nous ferons affurez, par ceux de les attributs dont il a voulu que nous ayons quelque connoiffance, que ce que nous aurons me fois apperceu clairement & diftinâement apartenir à la nature de ces chofes, a la perfeâion d'eftre vraj . . .

29. Que Dieu n'ejl point la caufe de nos erreurs.

Et le premier de fes attributs qui fembie deuoir eike icy confi- deré, confilte en ce qu'il eft tres-veritable & la fource de toute lu- mière, de forte | qu'il n'eft pas pofllble qu'il nous trompe, c'eft à 21 dire qu'il foit directement" la caufe des erreurs aufquelles nous fommes fujets & que nous expérimentons en nous-mefmes. Car, encore que l'adreffe à pouuoir tromper fembie eitre vne marque de fubtilité d'efprit entre les hommes, neantmoins jamais la volonté

a. La traduction évite ici les termes techniques J70^i//ve et négative.

b. Latin : proprie ac positive.

�� � }S Œuvres de Descartes.

de tromper ne procède que de malice, ou de crainte & de foibleffe, & par confequent ne peut eftre attribuée à Dieu.

3o. Et que par confequent tout cela eft vray que nous connoijfons claire- ment eftre vray, ce qui nous deliure des doutes cy-dejffus propofe:^.

D'où il fuit que la faculté de connoiftre qu'il nous a donnée, que nous appelions lumière naturelle, n'apperçoit jamais aucun objet qui ne foit vray en ce qu'elle l'apperçoit, c'eft à dire en ce qu'elle con- noit clairement & diftindement; pource que nous aurions fujet de croire que Dieu feroit trompeur, s'il nous l'auoit donnée... telle que nous priffions le faux pour le vray, lors que nous eu vfotis bien. Et cette confideration feule nous doit deliurer de ce doute hyperbo- lique" où nous auons efté, pendant que nous ne fçauions pas encore fi celuf qui nous a crée^ auoit pris plaiftr'a nous faire tels, que nous fuffions trompez en toutes les chofes qui nous femblent tres-claires. Elle doit nous feruir aufli contre toutes les autres raifons que nous auions de douter, & que j'ay alléguées cy-deffus"; mefmes les vérités 22 de mathématique ne nous feront | plus fufpedes, à caufe qu'elles font tres-éuidentes ; & fi nous apperceuons quelque chofe par nos fens, foit en veillant, foit en dormant, pourueu que nous feparions ce qu'il y aura de clair & diflind, en la notion que nous aurons de cette chofe, de ce qui fera obfcur & confus, nous pourrons facilement nous affurer de ce qui fera vray. le ne m'eftends pas icy dauantage fur ce fujet, pource que j'en ay amplement traité dans les Médita- tions de ma Metaphyfique', & ce qui fuiura tantoft feruira encore à l'expliquer mieux.

3i. Que nos erreurs, au regard de Dieu, ne font que des négations, mais, au regard de nous, font des priuations ou des deffauts.

Mais pource qu'il arriue que nous nous méprenons fouuent, quoy que Dieu ne foit pas trompeur, fi nous defirons rechercher la caufe de nos erreurs & en découurir la fource, afin de les corriger, il faut, que nous prenions garde qu'elles ne dépendent pas tant de noftre entendement comme de noflre volonté, & qu'elles ne font pas des chofes ou fubjiances qui ayent befoin du concours aduel de Dieu pour eftre produites : en forte qu'elles ne font, à fon égard,

a. Latin : summa.

b. Art. 4 et 5, p. 26-37.

c. Voir surtout Méditation IV, p. 43 et suiv. de ce volume.

�� � Principes. — Première Partie. }9

que des négations, c'eji à dire qu'il ne nous i pas donne tout ce qu'il pouuoit nous donner & que nous poyons par me/me moyen qu'il n'ejîoit point tenu de nous donner; au lieu qu'à noftre égard elles font des deffauts & des imperfedions.

32. Qu'il n'y a en nous que deux fortes de penfée, àfcauoir la perception de l'entendemetit & l'aâion de la volonté.

Car toutes les façons de penfer que nous refmarquons en nous, peuuent eftre rapportées à deux générales, dont l'vne confifte à apperceuoir par l'entendement, & l'autre à fe déterminer par la vo- lonté. Ainfi fentir, imaginer, & mefmes conceuoir des chofes pure- ment intelligibles, ne font que des façons différentes d'apperceuoir; mais defirer, auoir de l'auerfion, affurer, nier, douter, font des façons différentes d& vouloir.

��33. Que nous ne nous trompons que lors que nous jugeons de quelque chofe qui ne nous ejï pas affe\ connue.

Lors que nous apperceuons quelque chofe, nous ne fommes point en danger de nous méprendre, fi nous n'en jugeons en aucune façon ; & quand mefme nous en jugerions, pourueu que nous ne don- nions nortre confentement qu'à ce que nous connoiffons clairement & diftindement deuoir eftre compris en ce dont nous jugeons, nous ne fçaurions non plus faillir; mais ce qui fait que nous nous trompons ordinairement, ell que nous jugeons bien fouuent, encore que nous n'ayons pas vne connoillance bien exade de ce dont nous jugeons.

34. Que la volonté, aujji bien que V entendement, ejl requife pour juger.

l'auoûe que nous ne fçaurions juger de rien, fi noftre entendement n'y interuient, pource qu'il n'y a pas d'apparence que noftre vo- lonté fe détermine fur ce que noftre entendement n'apperçoit en aucune façon; mais comme la volonté eft abfolument neceffaire, afin que nous donnions noftre confentement à ce que | nous auons aucu- nement apperceu, & qu'il n'eft pas neceffaire, pour faire vn juge- ment tel quel, que nous ayons vne connoiflance entière & parfaite, de là vient que bien fouuent nous donnons noftre confentement à des chofes dont nous n'auons jamais eu qu'vne connoift'ance... fort confufe.

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�� � 40 Œuvres de Descartes

��35. Qu'elle a plus d'ejienduë que luy, & que de là viennent nos erreurs.

De plus, l'entendement ne s'eftend qu'à ce peu d'objets qui fe prefentent à luy, & fa connoilTance eft touf-jours fort limitée : au lieu que la volonté en quelque fens peut fembler infinie, pource que nous n'apperceuons rien qui puiffe eftre l'objet de quelque autre volonté, mefmes de cette immenfe qui ert en Dieu, à quoy la noltre ne puilfe auffi s'eftendre : ce qui eft caufe que nous la por- tons ordinairement au delà de ce que nous connoiffons clairement & dijtinâement. Et lors que nous en abufons de la forte, ce n'eft pas merueille s'il nous arriue de nous méprendre.

36. Le/quelles ne peuuent ejlre imputées à Dieu.

Or, quoy que Dieu ne nous ait pas donné vn entendement tout connoiffant, nous ne deuons pas croire pour cela qu'il foit l'Au- theur de nos erreurs, pource que tout entendement créé eft finy, & qu'il eft de la nature de l'entendement finy de n'eftre pas tout connoiffant.

3j. Que la principale per/eâion de l'homme eft d'auoir vn libre arbitre, & que c'eft ce qui le rend digne de louange ou de blafme.

Au contraire, la volonté eftant de fa nature tres-eftenduë, ce nous 25 eft vn auantage très-grand de | pouuoir agir par fon moyen, c'eft à dire librement; en forte que nous foyons tellement les mailtres de nos adions, que nous fommes dignes de louange lors que nous les condui/oiis bien. Car, tout ainfi qu'on ne donne point aux machines qu'on voit fe mouuoir en plufieurs façons diuerfes, auffi juftement qu'on fçauroit defirer, des louanges qui Je rapportent véritablement à elles, pource que ces machines ne reprefentent aucune action qu'elles ne doiuent faire par le mofen de leurs rejjorts, & qu'on en donne à l'ouurier qui les a faites, pource qu'il a eu le pouuoir & la volonté de les compofer auec tant d'artifice : de mefme, on doit nous attribuer quelque chofe de plus, de ce que nous choififfons ce qui eft vray, lors que nous le diftinguons d'auec le faux, par vne détermination de noftre volonté, que fi nous y eftions déterminez & contraints par vn principe étranger.

�� � Principes. — Première Partie. 41

38. Que nos erreurs font des défauts de nojîre faqon d'agir, mais non point de noftre nalure; & que les fautes desfujetspeuuentfouuent efîre attribuées aux autres maifîres, mais non point à Dieu.

Il eft bien vray que, toutes les fois que nous faillohs, il y a du deffaut en noftre façon d'agir ou en l'vfage de noftre liberté; mais il n'y a point pour cela de defîaut en noftre nature, à caufe qu'elle eft touf-jours la mefme, quoy que nos jugemens foient vrays ou faux. Et quand Dieu auroit pu nous donner vne connoifl"ance fi grande que nous n'euftîon? jamais efté fujets à faillir, nous n'auons aucun droit pour cela de | nous plaindre de luy. Car, encore que, parmy nous, celuy qui a pu empefcher vn mal & ne l'a pas empef- ché, en foit blafmé & jugé comme coupable..., il n'en eft pas de mefme à l'égard de Dieu : d'autant que le pouuoir que les hommes ont les vns fur les autres eft inftitué afin qu'ils empefchent de mal faire ceux qui leur font inférieurs,^ c\n& la toute-puifl"ance que Dieu a fur l'vniuers eft tres-abfoluë & très-libre. C'eft pourquoy nous deuons le remercier des biens qu'il nous a faits, & non point nous plaindre de ce qu'il ne nous a pas aduantagez de ceux que nous connoiO'ons qui nous manquent, & qu'il auroit peut-e/lre pu nous départir.

3g. Que la liberté de nofire volonté fe conHoitfans preuue, ar la feule expérience que nous en auons.

Au refte, il eft fi euident que nous auons vne volonté libre, qui peut donner fon confentement ou ne le pas donner, quand bon luy femble, que cela peut eftre compté pour vne... de nos plus com- munes notions... Nous en auons eu cy-deuant' vne preuue bien claire ; car, au mefme temps que nous doutions de tout, & que nous fuppofions mefme que celuy qui nous a créez employoit fon pouuoir à nous tromper en toutes façons, nous apperceuions en nous vne liberté fi grande, que nous pouuions nous empefcher de croire ce que nous ne connoiftions pas encore parfaitement bien. Or ce que nous aperceuions difiindement, & dont nous ne pou|uions douter, pendant vne fufpenfton ft générale, eft aufli certain qu'aucune autre chofe que nous puiflions jamais connoiftre.

a. Art. 6, p. 27.

Œuvres. IV. '

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��27

�� � 42 Œuvres de Descartes.

��40. Que nous fcauons aujji très-certainement que Dieu a preordonné

toutes chofes.

Mais, à caufe que ce que nous auons depuis connu de Dieu, nous affure que fa puiffance eft fi grande, que nous ferions vn crime de penfer que nous euffions jamais efté capables de faire aucune chofe, qu'il ne l'euft auparauant ordonnée, nous pourrions ayfément nous embaraffer en des difficultez très-grandes, fi nous entreprenions d'accorder la liberté de noftre volonté auec fes ordonnances, & fi nous tafchions de comprendre, c'ejl à dire, d'embrajfer & comme limiter auec nojire entendement toute l'ejlenduë de nojire libre arbitre & l'ordre de la Prouidence éternelle.

��41 . Comment on peut accorder nojire libre arbitre auec la preordination diuine.

Au lieu que nous n'aurons point du tout de peine à nous en deli- urer, fi nous remarquons que noftre penfée eft finie, & que la toute- puiffance de Dieu, par laquelle il a non ieulement connu de toute éternité ce qui eft ou qui peut eftre, mais il l'a auffi voulu..., eft infinie. Ce qui fait que nous auons bien ajfe\ d'intelligence pour connoiftre clairement & diftinélement que cette puiffance eft en Dieu, mais que nous n'en auons pas ajfei pour comprendre telle- ment /o?/ ejlenduë que nous puiflions fçauoir comment elle laifie les 28 aélions des hommes en\tierement libres & indéterminées; & que, d'autre cofté, nous fommes aufli tellement a£'ure^ de la liberté & de l'indifférence qui eft en nous, qu'il n'y a rien que nous connoiffions plus clairement... : de façon que la toute-puijfance de Dieu ne nous doit point empefcher de la croire. Car nous aurions tort de douter de ce que nous apperceuons intérieurement & que nous fçauons par expérience eftre en nous, pource que nous ne comprenons pas vne autre chofe que nous fçauons... eftre incomprehenfible de fa nature.

42. Comment, encore que nous ne vueillions jamais faillir, cejl neantmoins par nojire volonté que nous /aillons.

Mais, pource que nous fçauons que l'erreur dépend de noftre volonté, & que perfonne n'a la volonté de fe tromper, on s'efton- nera peut-eftre qu'il y ait de l'erreur en nos jugemens. Mais il faut remarquer qu'il y a bien de la différence entre vouloir eftre trompé.

�� � 29

��Principes. — Première Partie. 4J

& vouloir donner fon confentement à des opinions qui font caufe que nous nous trompons quelquefois. Car, encore qu'il n'y ait per- fonne qui vueille expreffement fe méprendre, il ne s'en trouue prefque pas vn qui ne vueille... donner fon confentement à des chofes qu'il ne connoijl pas dijîinâement. Et mefmes il arriue fouuent que c'eft le defir de connoiflre la vérité qui fait que ceux qui ne fçauent pas l'ordre qu'il faut tenir pour la rechercher, manquent de la trouuer & fe trompent, à caufe qu'il les incite à précipiter leurs \jugemens, & à prendre des chofes pour vrayes, defquelles -Js n'ont pas affés de Connoiffance.

43. Que nous ne fcaurions faillir en ne jugeant que des chofes que nous apperceuons clairement & dijîinâement.

Mais il eft certain que nous ne prendrons jamais le faux pour le vray, tant que nous ne jugerons que de ce que nous apperceuons clairement & diflinftement ; parce que. Dieu n'eftant point trom- peur, la faculté de connoiflre qu'il nous a donnée ne fçauroit faillir, ny mefmes la faculté de vouloir, lors que nous ne l'eftendons point au delà de ce que nous connoiffons. . . Et quand mefme cette vérité n'auroit pas efté demonflrée, nous fommes naturellement fi enclins à donner noftre confentement aux chofes que nous apperceuons manifeflement, que nous n'en fcaurions douter pendant que nous les apperceuons de la forte.

44. Que nous ne fcaurions que mal juger de ce que nous n'aperceuons pas clairement, bien que nojîre jugement puiffe ejire vray, & que c'ejt fouuent noJlre mémoire qui nous trompe.

Il eft auffi très-certain que, toutes les fois que nous approuuons quelque raifon dont nous n'auons pas vne connoiffance bien exàéte, ou nous nous trompons, ou, fi nous trouuons la vérité, comme ce n'eft que par hazard, nous ne fcaurions eJlre ajfurei de l'auoir 7'en- contrée, & ne fcaurions Içauoir certainement que nous ne nous trompons point. J'aduoiie qu'il arriue rarement que nous jugions d'vne chofe en mefme temps que nous remarquons que nous ne la connoiffons pas aifez diftinélement ; à caufe que la raifon naturelle- ment nous dide que nous ne | deuons jamais juger de rien, que de 30 ce que nous connoiffons dijîinâement auparauant que de juger. Mais nous nous trompons fouuent, pource que nous prefumons auoir autrefois connu plufieurs chofes, & que, tout aufli-toft qu'il

�� � 44 Œuvres de Descartes,

nous en louuient, nous y donnons noftre confentement, de mefme que fi nous les auions fuffifamment examinées, bien qu'en effet nous n'en ayons jamais eu vne connoiffance bien exaéle.

45. Ce que c'eji qu'vne perception claire & dijlinâe.

Il y a mefmes des perfonnes qui, en toute leur vie, n'apperçoiuent rien comme il faut pour en bien juger. Car la connoiflance fur laquelle on veuf eftablir vn jugement... indubitable, doit eftre non feulement claire, mais auffi diftinde. l'appelle claire celle qui eft prefente & manifefte à vn efprit attentif: de mefme que nous difons voir clairement les objets, lors qu'eftant prefents ils agiffent allez fort..., & que nos yeux font difpofés à les regarder. Et diflinde, celle qui. . . elt tellement precife & différente de toutes les autres, qu'elle ne comprend en foy que ce qui paroit manifeftement a celuf qui la conjicîere comme il faut.

46. Qu'elle peut ejire claire fans ejlre dijlinâe, mais non au contraire.

Par exemple, lors que quelqu'vn fent vne douleur cuifante, la connoiffance qu'il a de cette douleur eft: claire à fon égard, & n'eft 31 pas pour cela touf-jours diftinde, pource qu'il la | confond ordinai- rement auec \& faux jugement qu'il fait fur la nature de ce qu'il penfe eftre en la partie bleffée, qu'il croit eftre femblable à l'idée ou au fentiment de la douleur qui eft en fa penfée, encore qu'il n'ap- perçoiue rien clairement que le fentiment ou la penfée confufe qui ejl en luy. Ainfi la connoiffance peut eftre claire fans eftre diftinde, & ne peut eftre diftinde qu'elle ne foit claire par mefme moyen.

4y. Que, pour ofler lesprejuge^ de nojlre enfance, il faut confiderer ce qu'il y a de clair en chacune de nos premières notions.

Or, pendant nos premières années, nojlre ame ou noftre penfée eftoit fi fort offufquée du corps, qu'elle ne connoiflbit rien diftinde- ment, bien qu'elle apperceuft plufteurs chofes affe^ clairement; & pource qu'elle ne laiffoit pas de faire cependant vne réflexion telle quelle fur les chofes qui fe prefentoient, nous auons remply noftre mémoire de beaucoup de préjugez, dont nous n'entreprenons prefque jamais de nous deliurer, encore qu'il foit très-certain que nous ne

a. Lire : peut. Edit. lat. : possit.

�� � Principes. — Première Partie, 4^

fçaurions autrement les bien examiner. Mais afin que nous le puif- fions maintenant fans beaucoup de peine, je feray icy vn dénom- brement de toutes les notions fimples qui compofent nos penfées, & lepareray ce qu'il y a de clair en chacune d'elles, & ce qu'il y a d'obfcur ou en quoy nous pouuons faillir.

48. Que tout ce dont nous auons quelque notion eft confideré comme vne rhnfe ou comme vne vérité : 6 le dénombrement des chofes.

le diftingue tout ce qui tombe fous noftre connoilfance en deux genres : le premier con|tient toutes les chofes... qui ont quelque 32 exijîence ; & l'autre, toutes les veritez. . . qui ne font rien hors de noftre penfée. Touchant les chofes, nous auons premièrement ccx- liùnes notions getieralles qui fe peuuent rapporter à toutes : à fça- uoir celles que nous auons de la fubitance, de la durée, de l'ordre & du nombre, & peut-eftre aufli quelques autres. Puis nous en auons aujji de plus particulières, qui feruent à les dijîinguer. Et la principale diftindion que je remarque entre toutes les chofes créées, cil que les vnes font intellecluelles, c'eft à dire /on; des fubjlances intelligentes, ou bien des propriété^ qui appartiennent à ces fub- ftances ; & les autres font corporelles, c'eft à dire font des corps ou bien des propriété'^ qui appartiennent... au corps. Ainfi l'entende- ment, la volonté, & toutes les façons" de connoitre & de vouloir, appartiennent à la fubftance qui penfe ; la grandeur, ou l'eftenduë en longueur, largeur & profondeur, la figure, le mouuement, la fituation des parties & la difpofition qu'elles ont à eftre diuilees, & telles autres proprietez, le rapportent au coi-ps. Il y a encore, outre cela, certaines chofes que nous expérimentons en nous-mefmes, qui ne doiuent point eftre attribuées à X'ame feule, ny aufli au corps feul, mais à l'étroite... vnion qui eft entre eux, ainfi que j'expli- Iqueray cy-apres"" : tels font les appétits de boire, de manger, & les 33 émotions ou les partions de l'ame, qui ne dépendent pas de la penfée feule, comme l'émotion à la colère, à la joyë, à la triftelfe, à l'amour, &c.; tels font tous les fentimens, comme... la lumière, les couleurs, les fons, les odeurs, le gouft, la chaleur, la dureté, & toutes les autres qualités qui ne tombent que fous le fens de l'attouchement.

a. « Modi ».

b. Voir ci-après, partie IV, art. i8q, 190 et 191.

�� � 46 Œuvres de Descartes.

��4q. Que les verile:; ne peiiueut ain/i ejlre dénombrées. & qu'il n'en ejl pas befoin.

lufques \cy j'ay dénombré tout ce que nous connoiflbns comme des choies...; // refte à parler de ce que nous connoijfons comme des verite\. Par exemple, lors que nous penfons qu'on ne fçauroit faire quelque chofe de rien, nous ne croj'ons point que cette propofition... foit vne chofe qui exifte ou la propriété de quelque chofe, mais nous la prenons pour vne certaine vérité éternelle qui a fon fiege en noftre penfée, & que l'on nomme vne notion commune ou vne maxime. Tout de mefme, quand on dit qu'il efl impoiTible qu'vne mefme chofe en mefme temps foit & ne foit pas, que ce qui a efté fait ne peut n'eftre pas fait, que celuy qui penfe ne peut manquer d'ejîre ou d'exifter pendant qu'il penfe, & quantité d'autres fem- blables, ce font feulement des vérité!^, & non pas des chofes qui foient hors de noftre penfée, & il y en a fi grand nombre de telles, qu'il 34 feroit | mal-aifé de les dénombrer. Mais aufli n'ejt-il pas neceffaire, pource que nous ne fçaurions manquer de les fçauoir, lors que l'occafion fe prefente de penfer à elles, & nue nous n'auons point de préjugez qui nous aueuglent.

5o. Que toutes ces verite\ peuuent ejîre clairement aperceuës. mais non pas de tous, d caufe des préjuge y

Pour ce qui efl: des vérité^ qu'on nomme des notions communes, il ell certain qu'elles peuuent eftre connues de plufteiirs /re.y-claire- ment & fres-diftin6lement, car autrement elles ne meriteroient pas d'auoir ce nom ; mais il efl vray auffi qu'il y en a qui le méritent au regard de quelques perfonnes, qui ne le méritent point au regard des autres, à caufe qu'elles ne leur font pas affez éuidentes : non pas que je croye que la faculté de connoiftre qui efl: en quelques hommes s'eftende plus loin que celle qui efl communément en tous ; mais c'eft pluftoft qu'il y en a lefquels ont imprimé de longue main des opi- nions en leur créance, qui, eftant contraires à quelques-vnes de ces veritez, empefchent qu'ils ne les puilTent apperceuoir, bien qu'elles foient fort manifeftes à ceux qui ne font point ainfl preocupez.

5/. Ce que c'eft que la fubftance, & que c'eft vn nom qu'on ne peut attribuer à Dieu & aux créatures en mefme fens.

Pour ce qui ell des chofes que nous confiderons comme ayant

�� � 35

��Principes. — Première Partie. 47

quelque exiftence..., il elt befoin que nous les examinions icy l'vne après l'autre, ajin de dijtinguer ce qui ejt obfcur d'auec ce qui eft éuident en la notion que nous auons de \ chacune. Lors que nous con- ceuons la fubftance, nous conceuons feulement vne chofe qui exifte en telle façon, qu'elle n'a befoin que de foy-mefme pour exifter. En quof il peut y auoir de' l' obfcur ité touchant V explication de ce mot : N'auoir befoin que de Jof-mefme ; car, à proprement parler, il n'y a que Dieu qui foit tel, & il n'y a aucune chofe créée qui puilfe exiller vn feul moment fans eftre foultenuë & conferuée par fa puiifance. C'eft pourquoy on a raifon dans l'Efcole de dire que le nom de fubftance n'ell pas « vniuoque » au regard de Dieu & des créatures, c'eft à dire qu'il n'y a aucune fignification de ce mot que nous con- ceuions diftindement, laquelle conuienne à luy & à elles; mais pource qu'entre les chofes créées quelques-vnes font de telle nature qu'elles ne peuuent exijler fans quelques autres, nous les diftinguons d'auec celles qui n'ont befoin que du concours ordinaire de Dieu, en nommant celles-cy des fubjlances, & celles-là des qualité^ ou des at- tributs de ces fubflances.

��52. Qu'il peut ejire attribué à lame & au corps en mefme fens, & comment on connaît la fubjlance.

Et la notion que nous auons ainlî de la fubftance créée, fe raporte en mefme façon à toutes, c'eft à dire à celles qui font immatérielles comme à celles qui font matérielles ou corporelles ; car il faut feu- lement, pour entendre que ce font des fubftances, que nous apper- ceuions | qu'elles peuuent exifter fans l'ayde d'aucune chofe créée. 36 Mais lors qu'il efl queflion de fçauoir fi quelqtivne de ces fubflances exifle véritablement, c'ejl à dire ft elle ejl à prefent dans le monde, ce n'eft pas aifez qu'elle exifte en cette façon pour faire que nous l'aperceuions ; car cela feul ne nous découure rien qui excite quelque connoiffance particulière en noflre penfée. Il faut, outre cela, qu'elle ait quelques attributs que nous puiftions remarquer; & il n'y en a aucun qui ne fuffife pour cet effet, à caufe que l'vne de nos notions communes eft que le néant ne peut auoir aucuns attributs, ny proprietez ou qualitez : c'eft pourquoy, lors qu'on en rencontre quelqu'vn, on a raifon de conclure qu'il eft l'attribut de quelque fubftance, & que cette fubftance exifte.

�� � 48 OEuvRES DE Descartes.

��53. Que chaque fubjlance a vn attribut principal, & que celuy de l'ame

ejï la penfée, comme l'extenfion ejl celuy du corps.

Mais, encore que chaque attribut foit fuffifant pour faire con- noiltre la fubftance, il y en a toutesfois vn... en chacune, qui confti- tuë fa nature & fon effence, & de qui tous les autres dépendent. A fçauoir l'eftenduë en longueur, largeur & profondeur, conftituë la nature de la fubftance corporelle ; & la penfée conftituë la nature de la fubftance qui penfe. Car tout ce que d'ailleurs on peut attribuer au corps, prefupofe de l'eftenduë, & n'eft quV«e dépendance de ce

37 qui eft eftendu ;de mefme, toutes les proprie\te:{ que nous trouuons en la chofe qui penfe, ne font que des façons différentes de penfer. Ainfi nous ne fçaurions conceuoir, par exemple, de figure, û ce n'eft en vne chofe eftenduë, ny de mouuement, qu'en vn efpace qui eft eftendu; ainfi l'imagination, le fentiment & la volonté dépendent tellement d'vne chofe qui penfe, que nous ne les pouuons conce- uoir fans elle. Mais, au contraire, nous pouuons conceuoir l'eften- duë fans figure ou fans mouuement, & la chofe qui penfe fans ima- gination ou fans fentiment, & ainfi du refte. . .

54. Comment nous pouuons auoir des penfées dijlinâes de la fubjlance

qui penfe, de celle qui eji corporelle, & de Dieu.

Nous pouuons donc auoir deux notions ou idées claires & di- ftinctes, l'vne d'vne fubftance créée qui penfe, & l'autre d'vne fub- ftance eftenduë, pourueu que nous feparions foigneufement tous les attributs de la penfée d'auec les attributs de l'eftenduë. Nous pou- uons auoir aufli vne idée claire & diftinde d'vne fubftance increée qui penfe & qui eft indépendante, c'eft à dire d'vn Dieu, pourueu que nous ne penfions pgs que cette idée nous reprefente. . . tout ce qui eft en luy, & que nous n'y méfiions rien par vne fidion de noftre entendement; mais que nous prenions garde feulement à ce qui eft compris véritablement en la notion diftinde que nous auons de luy & que nous fçauons appartenir à la nature d'vn Eftre

38 tout parfait. Car il n'y a per|fonne qui puifl'e nier qu'vne telle idée de Dieu foit en nous, s'il ne veut croire yt7«s rai/on que l'en- tendement humain ne fçauroit auoir aucune connoiflance de la Diuinité.

�� � Principes. — Première Partie. 49

��Si5. Comment nous en pouuons aiijfi aiioir de la durée, de l'ordre

& du nombre.

Nous conceuons aufli tres-diftindement ce que c'eft que la durée, l'ordre & le nombre, li, au lieu de méfier dans l'idée que nous en auons ce qui appartient proprement à l'idée de la fubftance, nous penfons feulement que la durée de chaque chofe eft vn mode ou me façon dont nous confiderons cette choie en tant qu'elle continue d'éftre; & que pareillement, l'ordre & le nombre ne différent pas en effet des choies ordonnées & nombrées, mais qu'ils font feu- lement des façons fous lefquelles nous confiderons diuerfenicnt ces chofes.

56. Ce que c'eft que qualité, & attribut, & façon ou mode.

Lors que je dis \cy façon ou mode, je n'entends rien que ce que je nomme ailleurs attribut ou qualité. Mais lors que je confidere que la fubftance en eft autrement difpofée ou diuerlifiée, je me fers par- ticulièrement du nom de mode ou façon; & lors que, de cette difpo- fition ou changement, elle peut eftre appellée telle, )e nomme qua- litez les ditterfes façons qui font qu'elle ejl ainfi nommée; enfin, lors que je penfe plus generallement que ces modes ou qualité^ font en la fubiknce, fans les confiderer autrement que comme les dépen- dances de cette \ fubftance, je les nomme attributs. Et pource que je ne dois conceuoir en Dieu aucune variété ny changement, je ne d}' pas qu'il y ait en luy des modes ou des qualitez, mais pluffoll des attributs; & mefme dans les chofes créées, ce qui fe trouue en elles touf-jours de mefme forte, comme l'exifience & la durée en la chofe qui exifte & qui dure, je le nomme attribut, & non pas mode ou qualité.

S-. Qu'il y a des attributs qui apartienent aux chojes aujquelles ils font atlribuey, & d'autres qui dépendent de noftre penfée.

De ces qualité^ ou attributs, il y en a quelques-vns qui font dans les chofes mefmes, & d'autres qui ne font qu'en noftre penfée. Ainfi le temps, par exemple, que nous diftinguons de la durée prife en "eneral. & que nous difons eftre le nombre du mouuement, n'eft rien qu'vne certaine /aço« dont nous penlons a cette durée, pource que nous ne conceuons point que la durée des chofes qui Œlvuks. IV. 28

��39

�� � ^O OEUVRES DE DeSGARTES.

font meués foit autre que celle des chofes qui ne le font point : comme il cil éuident de ce que, fi deux corps font meus pendant vne heure, l'vn ville & l'autre lentement, nous ne comptons pas plus de temps en l'vn qu'en l'autre, encore que nous fuppofions plus de mouuement en l'vn de ces deux corps. Mais, afin de comprendre la durée de toutes les chofes fous vne mefme mefure, nous nous fer- uons ordinairement de la durée de cei'tains mouuemens réguliers

40 qui font les jours | & les années, & la nommons temps, après l'auoir ainfi comparée; bien qu'en effet ce que nous nommons ainfi ne foit rien, hors de la véritable durée des chofes, a^W vne façon de penfer.

58. Que les nombres & les vniiierj'aux dépendent de nojîre penfée.

De mefme le nombre que nous conliderons. . . en gênerai, fans faire reflexion fur aucune choie créée, n'ell point, hors de nollre penfée, non plus que toutes ces autres idées générales, que dans l'efcole on comprend fous le nom d'vniuerfaux,"

5g. Quels font les vniuerfaux.

Qui le font de cela feul que nous nous feruons d'vne mefme idée pour penfer à plulieurs chofes particulières qui ont entr'elles i>ii certain raport. Et lors que nous comprenons fous vn mefme nom les chofes qui font reprefentées par cette idée, ce nom auffi eft vni- uerfel. Par exemple, quand nous voyons deux pierres, & que, fans penfer autrement à ce qui ell: de leur nature, nous remarquons feu- lement qu'il y en a deux, nous formons en nous l'idée d'vn certain nombre que nous nommons le nombre de deux. Si, voyant enfuite deux oyfeaux ou deux arbres, nous remarquons, fans penfer aufli à ce qui ell de leur nature, qu'il y en a deux, nous reprenons jOijr ce moyen la mefme idée que nous auions auparauant formée, & la rendons vniuerfelle, & le nombre aulîi que nous nommons d'vn

41 nom vniuerlel, le nombre de deux. De | mefme, lors que nous con- fiderons vne figure de trois collez, nous formons vne certaine idée, que nous nommons l'idée du triangle, & nous en feruons en fuite... à nous ïe.^rt{^nx.e.ï généralement toxatts les figures qui n'ont que trois coftez. Mais quand nous remarquons plus particulièrement que, des figures de trois coftez, les vnes ont vn angle droit & que les autres n'en ont point, nous formons en nous vne idée vniuerfelle du triangle rectangle, qui, ellant rapportée à la précédente qui eil générale &. plus vniuerfelle, peut élire nommée efpece ; & l'angle

�� � Principes. — Première Partie. 51

droit, la différence vniuerfelle par où les triangles reftangles dif- férent de tous les autres. De plus, fi nous remarquons que le quarré du collé qui fourtend' l'angle droit eft égal aux quarrez des deux autres coftez, & que cette propriété conuient feulement à cette efpece de triangles, nous la pourrons nommer propriété vniuerfelle des triangles redangles. Enfin fi nous fuppofons que, de ces triangles, les vns fe meuuent & que les autres ne fe meuuent point, nous prendrons cela pour vn accident vniuerfel en ces triangles. Et c'eit ainfi qu'on compte ordinairement cinq vniuerfaux, à fçauoir le genre, l'efpece, la différence, le propre, & l'accident.

60. Des dijlinaions, & premièrement de celle qui eft réelle.

Pour ce qui eff du nombre que nous remarquons dans les chofes mefmes, il vient de | la diftindion qui efl entr'elles : & il y a des diftinaions de trois fortes, à fçauoir, réelle, modale, & de raifon, ou bien qui fe fait de lapenfée. La réelle fe trouue proprement. . . entre deux ou plufieurs fubrtances. Car nous pouuons conclure que deux fubftances font réellement diflinftes l'vne de l'autre, de cela feul que nous en pouuons conceuoir vne clairement & diftindement fans penfer à l'autre; pource que, fuiuant ce que nous connoiffons de Dieu, nous fommes affeurez qu'il peut faire tout ce dont nous auons vne idée claire & diftinae. C'efl pourquoy, de ce que nous auons maintenant l'idée, par exemple, d'vne fubftance eftenduë ou corpo- relle, bien que nous ne fçachions pas encore certainement fi vne telle chofe eft à prefent dans le monde, neantmoins, pource que nous en auons l'idée, nous pouuons conclure qu'elle peut eflre ; & qu'en cas qu'elle exifte, quelque partie que nous puifiions déter- miner de la penfée, doit eftre diftinae réellement de fes autres par- ties. De mefme, pource qu'vn chacun de nous apperçoit en foy qu'il penfe, & qu'il peut en penfant exclure de foy ou de fou ame toute autre fubftance ou qui penfe ou qui eft eftenduë, nous pouuons conclure aufïï qu'vn chacun de nous ainfi confideré eft réellement diftina de toute autre fubftance qui penfe, & | de toute fubftance corporelle. Et quand Dieu mefme joindroit fi eftroitement vn corps à vne ame, qu'il fuft impoffible de les vnir dauantage, & feroit vn compofé de ces deux fubftances ainfi vnies, nous conceuons auffi çz/ 'elles demeureroient toutes deux réellement diftinaes, nonobftant cette vnion; pource que, quelque liaifon que Dieu ait mis entr'elles,

a. « Souftant » (inédit.).

��42

�� � 52 OEUVRES DE Descartes.

il n'a pu le delTaire de la puillance qu'il auoit de les feparer, ou bien de les conferuer l'vne fans l'autre, & que les chofes que Dieu peut feparer, ou conferuer feparement les vnes des autres, font réelle- ment diftincles.

��6i . De la dijîinâion modale.

Il y a deux fortes de dillincTion modale, à fçauoir l'vne entre le mode que nous aiions appelle façon, & la fubftance dont il dépend & qu'il diuerjifie, & l'autre entre deux difi"erentesyaço»5 d'vne mefme fubrtance. La première eil remarquable en ce que nous pouuons apperceuoir clairement la fubltance fans la façon qui diffère d'elle en cette forte; mais que, réciproquement, nous ne pouuons auoir vne idée diftinde d'vne telle façon, fans penfer à vne telle fubflance. Il y a, par exemple, vne dillindion modale entre la figure ou le mouuement, & la fubltance corporelle dont ils dépendent tous deux; il y en a auffi entre affurer ou le refouuenir, &. la chofe qui penfe. 44 Pour I l'autre forte de diftinclion, ^;a' ejl entre deux dijfei-entes façons d'vne wefme fub fiance, elle elt remarquable en ce que nous pou- uons connoiftre l'vne de ces façons fans l'autre, comme la figure fans le mouuement, & le mouuement fans la figure...; mais que nous ne pouuons penfer diftinclement ni à l'vne ni à l'autre, que nous ne fçachions qu'elles dépendent toutes deux d'vne mefme fubftancc. Par exemple, fi vne pierre ell meuc, & auec celc quarrée, nous pou- uons connoiftre fa figure quarrée fans fçauoir qu'elle foit meuë; & réciproquement, nous pouuons fçauoir qu'elle eit meuë, fans fçauoir fi elle eft quarrée ; mais nous ne pouuons auoir vne connoilfance diftinde de ce mouuement & de cette figure, fi nous ne connoiiVons qu'ils font tous deux en vne mefme chofe, à fçauoir en la fubllance de cette pierre. Pour ce qui eft de la diftinction dont la façon d'vne fubftance eft différente d'vne autre fubftance ou bien de la façon d'vne autre fubftance, comme le mouuement d'vn corps eft différent d'vn autre corps ou d'vne chofe qui penfe, ou bien comme le mou- uement eft différent du doute", il me femble qu'on la doit nommer réelle pluftoft que modale, à caufc que nous ne Içaurions connoiftre les modes fans les fubftances dont ils dépendent, & que les fubjla)ices font réellement diftinctes les vnes des autres.

a. La traduction ne tient pas compte de l'errata de l'cdition latine, où dubitatio est corrigé en duratio.

�� � Principes. — Première Partie. ^j

62. De la dijlinâion qui fe fait par la penfée.

I Enfin, la diftindion qui fe fait par la penfée, confifte en ce que 45 nous diftinguons quelquefois vne fubftance de quelqu'vn de fes attributs, fans lequel neantmoins il n'eft pas poflible que nous en ayons vne connoiffance diftinéte; ou bien en ce que nous tafchons de feparer d'vne mefme fubftance deux tels attributs, en penfant à l'vn fans penfer à l'autre. Cette diftindion eft remarquable en ce que nous ne fçaurions auoir vne idée claire & diftinfte d'vne telle fubftance, fi nous luy oftons vn tel attribut; ou bien en ce que nous ne fçaurions auoir vne idée claire & diftindè de l'vn de deux ou plufieurs tels attributs, fi nous le feparons des autres. Par exemple, à caufe qu'il n'y a point de fubftance qui ne cefte d'exifter, lors qu'elle cefle de durer, la durée n'eft diftindè de la fubftance que par la penfée ; & généralement tous les attributs qui font que nous auons des penfées diuetfes d'vne mefme chofe, tels que font, par exemple, l'efienduëdu corps & fa propriété d'efîre diuifé' en plufteurs parties, ne différent du corps qui nousfert d'objet, & réciproquement l'vn de l'autre, qu'à caufe que nous penfons quelquefois confufement à l'vn fans penfer à l'autre. Il me fouuient d'auoir meflé la diftindion qui fe fait par la penfée auec la modale, fur la fin des réponfes que j'ay faites I aux premières objedions-qui m'ont efté enuoyées fur les Méditations de ma Metaphyfique"; mais cela ne répugne point à ce que fécrj en cet endroit, pource que, n'ayant pas deffein de traitter pour lors fort amplement de cette matière, il me fuffifoit de les diftinguer toutes deux de ta réelle.

63. Comment on peut auoir des notions dipnâes de l'exlenfion & de la penfée, en tant que l'vne conjiituê la nature du corps, & l'autre celle de l'ame.

Nous pouuons auftï confiderer la penfée & l'eftenduë comme les chofes principales qui conftituent la nature de la fubftance intelli- gente & corporelle; & alors nous ne deuons point les conceuoir autrement que comme la fubftance mefme qui penfe & qui eft eften- duë, c'eft à dire comme l'ame & le corps : car nous les connoilTons en cette forte tres-clairement& tres-diftindement. Il eft mefme plus ayfé de connoitre vne fubftance qui penfe ou vne fubftance eftenduë,

a. Lire « divisible » ?

b. Voir la traduction française ci-avant, p. 94-95.

��46

�� � 54 OEuvRES DE Descartes.

que la l'ubilance toute feule, laiffant à part fi elle penle ou fi elle eil eftenduf;; pource qu'il y a quelque difficulté à feparer la notion que nous auons de la fubftance de celles que nous auons de la penfée &de l'eftenduë : car elles ne différent de la fiibjfance que par celafeul que nous confiderons quelquefois la penfée ou l'ejîendué', fans faire reflexion fur la chofe mefme qui penfe ou qui ejl eflendiië. Et noftre conception n'eft pas plus diflinfte, pource qu'elle comprend peu de

47 chofes, | mais pource que nous difcernons foigneufement ce qu'elle comprend, & que nous prenons garde à ne le point confondre auec d'autres notions qui la rendroient plus obfcure.

64. Comment on peut aujfi les conceuoir difinétement, en les prenant pour des modes ou attributs de ces fubftances.

Nous pouuons confiderer auffi la penfée & l'eftenduë comme les modes ou différentes façons qui fe trouuent en la fubftance : c'eft à dire que, lors que nous confiderons qu'vne mefme ame peut auoir plufieurs penfées diuerfes, & qu'vn mefme corps auec fa mefme grandeur peut eftre eftendu en plufieurs façons, tantoft plus en lon- gueur & moins en largeur ou en profondeur, & quelquefois, au contraire, plus en largeur & moins en longueur; & que nous ne diftinguons. . . la penfée & l'eftenduë, de ce qui penfe & de ce qui efl ejlendu, que comme les dépendances d'vne chofe, de la chofe mefme dont elles dépendent ; nous les connoiflons auffi clairement & auffi diftindement que leurs fubftances, pourueu que nous ne penfions point qu'elles fubfiftent d'elles-mefmes..., mais qu'elles font feule- ment les façons ou dépendances de quelques fubftances. Pource que, quand nous les confiderons comme les proprietei des fubftances dont elles dépendent, nous les diftinguons aifement de ces fubftances, & les prenons pour telles qu'elles font véritablement : au lieu

48 que, fi nous voulions les confiderer fans fubftance, | cela pourroit eftre caufe que nous les prendrions pour des chofes qui fubfiftent d'elles-mefmes; en forte que nous confondrions l'idée que nous deuons auoir de la fubftance, auec celle que nous deiions auoir defes propriété^.

65. Comment on conçoit aujfi leurs diuerfes propriété^ ou attributs.

Nous pouuons auffi conceuoir fort diftinftement diuerfes /açoHS de penfer, comme entendre, imaginer, fe fouuenir, vouloir &c.; & diuerfes/açows d'eftenduë, ou qui appartiennent à l'eftenduë, comme

�� � Principes. — Première Partie. <, <,

généralement toutes les figures, la fituation des parties & leurs mou- uemens, pourueu que nous les confiderions fimplement comme les dépendances des fubftances où elles lont; & quant à ce qui eft du mouuement, pourueu que nous penfions feulement à celuy qui le fait d'vn lieu en autre, fans rechercher la force qui le produit, laquelle toutefois j'elïayeray" de faire connoiltre, lors qu'il en fera, temps.

66. Que nous auons auffi des notions dijtinâes de nos fentimens, de nos affeâions & de nos appétits, bien que fouuent nous nous trompions aux jugemens que nous enfaifons.

Il ne relie plus que les fentimens, les affections & les appétits, defquels nous pouuons auoir auffi vne connoiffance claire & dif- //«(?(.% pourueu que nous prenions garde... à ne comprendre dans les jugemens que nous en ferons, que ce que nous connoiflrons preci- fement par le moyen de noftre entendement, & dont nous ferons ajfure'i par la raifon. Ma'\s il eft mal-aile d'vfer continuellement d'vne telle précaution,! au moins à l'égard de nos fens,à caufe que... nous auons creu, dés le commencement de noftre vie, que toutes les choies que nous fentions auoient vne exiftence hors de noftre pcn- fée, & qu'elles eftoient entièrement femblables aux fentimens ou aux idées que nous auions à leur occafion. Ainfi, lors que nous auons veu, par exemple, vne certaine couleur, nous auons creu voir vne chofe qui fubfiftoit hors de nous, & qui eftoit femblable à l'idée que nous auions. Or nous auons ainfi jugé en tant de rencontres, & il nous a femblé voir cela fi clairement & fi diftinflement, à cauie que nous eftions accouftumez à juger de la forte, qu'on ne doit pas trouuer ejtrange que quelques-vns demeurent enfuitc tellement per- fuade\ de ce faux préjugé, qu'ils ne puijfent pas mefme fe refoudre à en douter.

(n- Que fouuent mefme nous nous trompons en jugeant que nous f entons de la douleur en quelque partie de noftre corps.

La mefme preuention a eu lieu en tous nos autres fentimens, mefmes en ce qui eft du chatouillement & de la douleur. Car, encore que nous n'ayons pas creu qu'il y euft hors de nous dans les objets extérieurs des cliojés qui fujjént jémblables au chaloïdllement ou à la douleur qu'ils nous faifoient fentir, nous n'auons pourtant pas

a. Partie II, art. 24 à 54, et surtout art. 43 0144.

��49

�� � 56

��OEuvRES DE Descartes.

��confideré ces fcntimcns comme des idées qui ejîoient feulement en noftreame...; mais nous auons creu qu'ils elloient dans nos mains, 50 dans nos pieds, & dans les au|tres parties de noftre corps : fans que toutefois il y ait aucune raifon qui nous oblige à croire que la dou- leur que nous fentons, par exemple, au pied foit quelque chofe hors de noftre penfée qui foit dans noftre pied, ni que la lumière que nous penlons voir dans le Soleil foit dans le Soleil ainji qu'elle ejl en nous. Etft quelques vus Je laijfent encore perfuader à vue fi^fauffe opinion, ce n'ejî qu'à caiife qu ils font fi grand cas des jugemens qu'ils ont faits lors qu'ils ejîoient enfans, qu'ils ne Jçauroient les oublier pour en Jaire d'autres plus Jolides, comme il paroiftra encore plus manifeftement par ce qui fuit.

68. Comment on doit dijiiuguer en telles chofes ce en quoy on peut Je tromper d'auec ce qu'on conçoit clairement.

Mais, afin que nous puiffions diftinguer icy ce qu'il y a de clair en nos Jentimens d'auec ce qui eft obfcur, nous remarquerons..., en premier lieu, que nous connoiffons clairement & diftindement la douleur, la couleur, & les autres fentimens, lors que nous les confi- derons fimplement comme... des penfées; mais que, quand nous voulons juger que la couleur, que la douleur, &c., font des chofes qui fubfiftent hors de noftre penfée, nous ne conceuons en aucune façon quelle chofe c'eft que cette couleur, cette douleur, &c. Et il en eft de mefme, lors que quelqu'vn nous dit qu'il voit de la couleur dans Bl vn corps, ou qu'il fent de la douleur en quel|qu'vn de fes membres, comme s'il nous difoit qu'il voit ou qu'il fent quelque chofe, mais qu'il ignore entièrement quelle eft la nature de cette chofe, ou bien qu'il n'a pas vne connoiffance diflinâe de ce qu'il voit & de ce qu'il fent. Car, encore que, lors qu'il n'examine pas fes penfées auec attention, il fe perfuade peut-eftre qu'il en a quelque connoilfance, à caufe qu'il fuppofe que la couleur qu'il croit voir dans l'objet. ..,a de la reffemblance auec le fentiment qu'il éprouue en foy, neantmoins, s'il fait refledion fur ce qui luy eft reprefenté par la couleur ou par la douleur, en tant ^î^'elles ' exiftent dans vn corps coloré, ou bien dans vne partie bleffée, il trouuera fans doute qu'il n'en a pas de connoiffance.

a. Contre-sens.

�� � Principes. — Première Partie. ^7

��6q. Qu'on connoijl tout autrement les grandeurs, les figures, &c., que les couleurs, les douleurs, êc'

Principalement s'il confidere qu'il connoift bien d'vne autre façon ce que c'ell que la grandeur dans le corps qu'il apperçoit, ou la figure, ou le mouuement, au moins celuy qui le fait d'vn lieu en vn autre (car les Philofophes, en feignant d'autres mouuemens que celuy-cy, n'ont pas connu fi facilement fa vraye nature), ou la fitua- tion des parties, ou la durée, ou le nombre, & les autres propriete:{ que nous apperceuons clairement en tous les corps, comme il a efté def-ja remarqué ', que non pas ce que c'eft que la couleur dans le mefme corps, ou la | douleur, l'odeur, le goitjî, la faueur, & tout ce 52 que j'ay dit deuoir efire attribué au fens. Car, encore que, voyant vn corps, nous ne foyons pas moins affurez de fonexiftence, par la couleur que nous apperceuons à l'on occafion, que par la figure qui |e termine, toutefois il ejl certain que nous connoiflbns tout autre- ment en luy cette propriété qui eft caufe que nous difons qu'il "eft figuré, que celle qui fait qu'il nous femble coloré.

-0. Que nous pouuons juger en deux façons des chofes fenfibles, par l'vne de/quelles nous tombons en erreur, £■ par l'autre nous l'éuitons.

Il e(t donc éuident, lors que nous difons à quelqu'ini que nous apperceuons des couleurs dans les objets, qu'il en elt de mefme que fi nous luy difions que nous apperceuons en ces objets je ne fçay quoy dont nous ignorons la nature, mais qui caufe pourtant en nous vn certain fentiment, fort clair & manifefte, qu'on nomme le fenti- ment des couleurs. Mais il y a bien de la différence en nos juge- mens; car, tant que nous nous contentons de croire qu'il y a je ne fçay quoy dans les objets (c'eft à dire dans les chofes telles qu'elles foientj qui caufe en nous ces penfées confufes qu'on nomme fenti- 53 mens..., tant s'en faut que nous nous méprenions, qu'au contraire nous éuitons la furprife qui nous pourroit faire méprendre, à caufe que nous ne nous emportons pas fi toll à juger témérairement d'vne chofe que nous remarquons ne pas bien connoillre. Mais, lors que nous croyons | apperceuoir vue certaine couleur dans vn objet, bien que nous n'ayons aucune connoilfance dijUnâe de ce que nous

a. Art. 48, p. 45.

b. Ibidem.

c. Mot ajouté à l'errata de la première édition

Œuvres. IV. 39

�� � ^8 OEuvRES DE Descartes.

appelions d'vn tel nom, & que uoftre raifon ne nous face aperceuoir aucune relfemblance entre la couleur que nous luppolons eftre en cet objet & celle qui eji en nortre l'ens; neantmoins, pource que nous ne prenons pas garde à cela & que nous remarquons en ces mefmes objets plufieurs proprietez, comme la grandeur, la figure, le nombre, &c., qui exiltent en eux... de mel'me forte que nos fens ou plu/lojt noilre entendement nous les fait apperceuoir, nous nous laillbns perfuader aifément que ce qu'on nomme couleur dans vn objet eft quelque choie qui exi/ie en cet objet, qui reil'emble entière- ment à la couleur qui e/l en nojlre penfée, & en fuite nous penlons apperceuoir clairement en cette chofe ce que nous n'apperceuons en aucune façon appartenir à fa nature.

yi. Que la première €■ principale caufe de nos erreurs font les prejuge\

de nojlre enfance.

C'ert ainfi que nous auons receu la plufparl de nos erreurs : à fçauoir, pendant les premières années de noltre vie, que noftre ame eftoit fi ertroitement liée au corps, qu'elle ne s'appliquoit à autre chofe qu'à ce qui caufoit en luy quelques impreOions, elle ne confi- deroit pas encore 11 ces imprefTions eltoient caufées par des chofes qui exiitalfent hors de foy, mais feulement elle fentoit de la douleur, 54 lors que | le corps en eitoit offenfé, ou du plailir, lors qu'il en rece- uoit de l'vtilité, ou bien, Çi elles ejtoient fi légères que le corps n'en receufl: point de commodité, ni auffi d'incommodité qui fujl impor- tante à fa conferuation, elle auoit des fentimens tels que font ceux qu'on nomme goult, odeur, fon, chaleur, froid, lumière, couleur, & autres femblables, qui véritablement ne nous reprefentent rien qui exille hors de noitre penfée, mais qui font diuers félon les diuerfitez qui fe rencontrent dans les mouuemens qui paffent de tous les en- droits de nojlre corps jufques à l'endroit du cerneau auquel elle ejl ejlroitement jointe & mie. Elle apperccuoit aulîi des grandeurs, des figures & des mouuemens..., qu'elle ne prenoit pas pour des fenti- mens, mais pour des chofes, ou de^ propriété- de certaines chofes, qui luy fembloient exifler, ou du moins pouuoir exifter hors de foy, bien qu'elle n'y remarquai! pas encore cette différence. Mais, lors que nous auons e/fé quelque peu plus aduance\ en âge, & que noflre corps. ..,fe tournant fortuitement de part & d'autre par la difpofition de fes organes..., a rencontré des chofes vtiles ou en a éuité de nui- fibles, l'ame, qui luy eftoit eftroitement vnie, faifant réflexion fur les chofes qu'il rencontroil ou éuitoit, a remarqué, premièrement,

�� � Principes. — Première Partie. ^9

qu'elles exiftoient au dehors, & ne leur a pas attribué | feulement 55 les grandeurs, les figures, les mouuemens, & les autres /^ro/?r/c'/c'^ qui appartiennent véritablement au corps, & qu'elle conceuoit fort bien ou comme des choies ou comme les dépendances de quelques chofes, mais encore les couleurs, les odeurs, & toutes les autres idées de ce genre qu'elle apperceuoit auffi à leur occafion. Et comme elle elloit fi fort offufquéedu corps, qu'elle ne confideroit les autres chofes qu'autant qu'elles feruoient à fon vfage, elle jugeoit qu'il y auoit plus ou moins de realité en chaque objet, félon que les im- preflions qu'il caufoit luy fembloient plus ou moins fortes. De là vient qu'elle a creu qu'il y auoit beaucoup plus de fubflance ou de corps dans les pierres & dans les métaux que dans l'air ou dans l'eau, parce qu'elle y fentoit plus de dureté & de pefanteur; & qu'elle n'a confideré l'air non plus que rien, lorfqu'il n'elloit agité d'aucun vent & qu'il ne luy fembloit ni chaud ni froid. Et pource que les eltoiles ne luy faifoient gueres plus fentir de lumière que des chandelles allumées, elle n'imaginoit pas que chafque eltoile fuft plus grande que la flamme qui paroift au bout d'vne chandelle qui brufle. Et pource qu'elle ne confideroit pas encore fi la terre peut tourner fur fon eflieu, & fi fa fuperficie eit courbée comme celle d'vne | boule, elle a jugé d'abord qu'elle efi immobile, & que 56 fa fuperficie eft plate. Et nous auons efté par ce moyen fi fort préuenus de mille autres préjugez, que, lors me/me que nous eflions capables de bien vjer de nofire raifon, nous les auons receus en nojlre créance; & au lieu de penfer que nous auions fait ces jugemens en vn temps que nous n'eftions pas capables de bien juger, & par confequent qu'ils pouuoient ejîre plujlq/l faux que vrais, nous les auons receus pour aujfi certains que fi nous en auions eu vne connoiffance dijlinâe par l'entremife de nos fens, & n'en auons non plus douté que s'ils eufient cité des notions communes.

72. Que la féconde ejl que nous ne pouuons oublier ces préjuge^.

Enfin lors que nous auons atteint l'r/age entier de nojlre raifon, &i que noftre ame, n'eftant plus fi fujette au corps, tafche à bien Juger des chojes & à connoiftre leur nature; bien que nous remarquions que les jugemens que nous auons faits lors que nous ellions entans font pleins d'erreur, nous auons aflez de peine à nous en déliurer entièrement : & neantmoins il ejl certain que, Ji nous manquons à

�� � 57

��6o Œuvres de Descartes.

nous fouuenir qu'ils font douteux^, nous fommes touf-jours en dan- ger de retomber en quelque fauffe preuention. Cela efl: tellement vray, qu'à caufe que, dés noltre enfance, nous auons imaginé, par exemple, les eftoiles fort petites, nous ne fçaurions nous | deffaire encore de cette imagination, bien que nous connoiflions par les raifons de l'Aftronomie qu'elles font très-grandes, tant a de pou- uoir fur nous vne opinion def-ja receuë !

yS- La troiftéme, que nojlre efpritfe fatigue quand il fe rend attentif à toutes les chofes dont nous jugeons.

De plus, comme nollre ame ne fçauroit s'arrefter à confiderer long-lemps vne mefme chofe auec attention fans fe peiner & mefmes fans fe fatiguer, & qu'elle ne s'applique à rien auec tant de peine qu'aux chofes purement intelligibles, qui ne font prefentes ni au fens ni à l'imagination, foit que naturellement elle ait eité faite ainfi, à caufe qu'elle elt vnie au corps, ou que, pendant les pre- mières années de noftre vie, nous nous foyons fi fort accouftumez à fentir & imaginer, que nous ayons acquis vne facilité plus grande à penfer de cette forte, de là vient que beaucoup de perfonnes ne fçauroient croire qu'ily ait de fubitance, fi elle n'efi: imaginable & corporelle, & mefme fenfible. Car on ne prend pas garde ordinaire- ment qu'il n'y a que les chofes qui confillent en eftenduë, en mou- uement & en figure, qui foient imaginables, & qu'il y en a quantité d'autres que celles-là, qui font intelligibles. De là vient aufii que la plus part du monde fe perluade qu'il n'y a rien qui puilfe fubfiftcr fans corps, & mefmes qu'il n'y a point de corps qui ne foit fenfible. &8 Et d'autant que... ce ne font point nos fens... qui | nous font décou- urir la nature de quoy que ce foit, viais feulement nojlre raifon lors qu'ellej- interuient,... on ne doit pas trouuer eitrange que la plus part des hommes n'apperçoiuent les chofes que fort confufément, veu qu'il n'y en a que tres-peu qui s'ejludient à ta bien conduire.

74. La quatriefme, que nous attachons nos pen fées à des paroles qui ne les expriment pas exaâement.

Au refte, parce que nous attachons nos conceptions à certaines paroles, afin de les exprimer de bouche, & que nous nous fouue- nons pluflofi des paroles que des chofes, à peine fçauiions-nous

a. Texte de l'errata de la première édition. Elle donnait : Ji nous n'en perdons le fouuenir l

�� � Principes. — Première Partie. 6i

conceuoir aucune chofe fi diftindement, que nous feparions entiè- rement ce que nous conceuons d'auec les paroles qui auoient efté choifies pour l'exprimer. Ainfi tous les hommes donnent leur at- tention aux paroles pluftoft qu'aux chofes ; ce qui efl: caufe qu'ils donnent bien fouuent leur confentement à des termes qu'ils n'en- tendent point, <S- qu'ils ne fe foucimt pas beaucoup d'entendre, ou pource qu'ils croyent les auoir entendus autrefois, ou pource qu'il leur a femblé que ceux qui les leur ont enfeignez en connoiffoient la fignification, £■ qu'ils l'ont apprife par me/me moyen. Et bien que ce ne foit pas ic}' l'endroit où je dois traitter de cette matière, à caufe que jen'ay pas enfeigné quelle eft la nature du corps humain, & que je n'ay pas mefmes encore prouué qu'il y ait au | monde 59 aucun corps, il me femble neantmoins que ce que j'en av dit', nous pourra feruir à difcerner celles de nos conceptions qui font claires & diftincles, d'auec celles où il y a de la confufion & qui nous font inconnues.

��y 5. Abrégé de tout ce qu'on doit objeruer pour bien philofopher .

C'elt pourquoy, fi nous defirons vaquer ferieufement à l'eitude de la Philofophie & à la recherche de toutes les veritez que nous fommes capables de connoiflre, nous nous deliurerons, en premier lieu, de nos préjugez, & ferons eftat de rejetler toutes les opinions que nous auons autrefois receucs en nofire créance, jufques à ce que nous les ayons derechef examinées... Nous ferons enfuite vne reueuë fur les notions qui font en nous, &. ne receurons pour vrayes que celles qui le prei'enteront clairement & diftinClement à noftre entendement. Par ce moyen nous connoiltrons, première- ment, que nous fommes, en tant que noflre nature eft de penfer; & qu'il y a vn Dieu duquel nous dépendons; après auoir confideré fes attributs, nous pourrons rechercher la vérité de toutes les autres chofes, pource qu'il en elt la caufe. Outre les notions que nous auons de Dieu &. de noftre penfée, nous trouuerons aufTi en nous la connoiliance de beaucoup de propofitions qui ioni perpé- tuellement vrayes, comme, par exemple, que le néant ne peut eftre l'autheur de quoy | que ce foit, &c. Nous y trouuerons l'idée d'vne 60 nature corporelle ou eflenduë, qui peut eftre mue, diuifée, &c., & des fentimens qui cnufent en nous certaines difpofitions, comme la douleur, les couleurs..., &c...; Et comparant ce que nous l'enons

a. Art. 43 à 47 inclus, p. 4?-45.

�� � 02 OEUVRES DE Descartes.

d'apprendre en examinant ces cho/es par ordre, auec ce que nous en penfions auant que de les auoir ainjt examinées, nous nous accoutumerons à former des conceptions claires & diftinftes fur tout ce que nous fommes capables de connoillre. C'eft en ce peu de préceptes que je penfe auoir compris tous les principes plus généraux & plus importons de la connoiffance humaine.

•j6. Que nous deuons préférer l'authorité diuine à nos raifonnemens, & ne rien croire de ce qui n'eji pas reuelé que nous ne le connoiffions fort clairement.

Surtout, nous tiendrons pour règle infaillible, que ce que Dieu a reuelé efl incomparablement plus certain que le reft e ; afin que, fi quelque ejlincele de raifon fembloit nous fuggerer quelque chofe au contraire, nous foyons touf-jours prerts àfotïmeltre noftre jugement à ce qui rient de fa part. Mais, pour ce qui eft des veritei dont la Théologie ne fe mefle point, il n'y auroit pas d'apparence qu'vn homme qui veut cjlre Philofophc receuft pour vray ce qu'il n'a point connu eltre tel, & qu'il aymall mieux fe fier à fes fens, c'elt à dire aux jugcmens inconfidcrez de fon enfance, qu'à fa raifon, lors qu'il efl en eflat de la bien conduire.

�� � LES PRINCIPES

DE

LA PHILOSOPHIE


SECONDE PARTIE.

Des Principes des choſes matérielles.

I. Quelles raiſons nous font ſçauoir certainement qu’il y a des corps.

Bien que nous ſoyons ſuffiſamment perſuadez qu’il y a des corps qui ſont véritablement dans le monde, neantmoins, comme nous en auons douté cy-deuant[32] & que nous auons mis cela au nombre des jugemens que nous auons faits dés le commencement de noſtre vie, il eſt beſoin que nous recherchions icy des raiſons qui nous en facent auoir vne ſcience certaine. Premièrement, nous expérimentons en nous meſmes que tout ce que nous ſentons vient… de quelque autre choſe que de noſtre penſée ; pource qu’il n’eſt pas en noſtre pouuoir de faire que nous ayons vn ſentiment pluſtoſt qu’vn autre, & que cela dépend… de cette choſe, ſelon qu’elle touche nos ſens. Il eſt vray que nous pourrions nous enquerir ſi Dieu, ou quelque autre que luy, ne feroit point cette choſe : mais, à cauſe que nous | ſentons, ou pluſtoſt que nos ſens nous excitent ſouuent à apperceuoir clairement & diſtinctement, vne matière eſtenduë en longueur, largeur & profondeur, dont les parties… ont des figures & des mouuemens diuers, d’où procedent les ſentimens que nous auons des couleurs, des odeurs, de la douleur, &c., ſi Dieu preſentoit à noſtre 64 Œuvres de Descartes.

ame immédiatement par luy mefme l'idée de cette matière eften- duf, ou feulement s'il permettoit qu'elle fuit caufée en nous par quelque choie qui n'euil point d'extenfion, de figure, ni de mouue- ment, nous ne pourrions trouuer aucune raifon qui nous empef- chail de croire qu'il prend^ plaifir à nous tromper; car nous con- ceuons... cette matière comme vne chofe... différente de Dieu &... de noilre penfée, & il nous femble... que l'idée que nous en auons fe forme en nous à l'occafion des corps de dehors, aufquels elle eft entièrement femblable. Or, puifque Dieu ne nous trompe point, pource que cela répugne à fa nature, comme il a erté def-ja re- marqué ^ nous deuons conclure qu'il y a vne certaine fiibjîance ellenduë en longueur, largeur & profondeur, qui exilte à prefriit dans le monde auec toutes les proprietez que nous connoiflbns mani- felkment luy appartenir. Et cette fubjlance ellenduë efl ce qu'on nomme proprement le corps, ou la fubjlance des chofes matérielles.

63 I 2. Comment nousfqauons aujfi que nojlre ame eji jointe à vn corps.

Nous deuons conclure auffi qu'vn certain corps eft plus eftroite- ment vni à noftre ame que tous les autres qui font au monde, pource que nous appercevons clairement que la douleur & plufieurs autres fentimens nous arriuent fans que nous les ayons préueus, & que nortre ame, par vne connoijjance qui luy eft naturelle, juge que ces fentimens ne procèdent point d'elle feule. . ., en tant qu'elle eft vne chofe qui penfe, mais en tant qu'elle eft vnie à vne chofe eftenduë qui fe meut par la difpojition de fes organes, qu'on nomme pro- prement le corps d'vn homme. Mais ce n'eft pas icy l'endroit où je prétends en traitter particulièrement.

3. Que nosfens ne nous en/eignent pas la nature des chofes, mais feulement ce en quoy elles nous font vtiles ou nuifibles.

Il fuffira que nous remarquions feulement que tout ce que nous apperceuons par l'entremife de nos fens fe rapporte à Tertroite vnion qu'a l'ame auec le corps, & que nous cohnoiffons ordinairement par leur moyen ce en quoy les corps de dehors nous peuuent pro-

a. U édhion princeps donnait : « qu'il ne prend point », mais avec cette correction à V errata : « qu'il prend ».

b. Voir les art. 29 et 36 de la première partie, ci-avant, p. 37-38.

c. '< Il etoit fur le point de trauailler a cette matière quand la mort nous l'a rauv. V. le I art. du traité de l'homme. » [Note MS. de Legrand.)

�� � Principes. — Seconde Partie. 6^

fiter ou nuire, mais non pas quelle ejl leur nature, fi ce n'eft peut- cllre rarement iS: par hazard. Car, après celle réflexion, nous quitte- rons fans peine tous les préjugez qui ne font fondez que fur nos fens, & ne nous Icruirons que de nollrc entendement, pource que c'eft en iuy /c'2//que les premières notions ou idées, qui font comme les femences des rerite:{ que nous fommes capa\bles de connoiflre, 64 le trouuent naturellement.

��4. Que ce n'ejl pas la pcfauteur, ni la dureté, ni la couleur, &c., qui conjiituë la nature du corps, mais l'exteti/ton feule.

En ce faifant, nous fçaurons que la nature de la matière, ou du corps pris en gênerai, ne confifte point en ce qu'il ell vne chofe dure, ou pefiinte, ou colorée, ou qui touche nos iéns de quelque autre façon, mais feulement en ce qu'il eft vnG fubfiance eftenduë en lon- gueur, largeur & profondeur. Pour ce qui efl: de la dureté, nous n'en connoiffons autre chofe, par le moyen de l'attouchement, finon que les parties des corps durs refirent au rnouuement de nos mains lors qu'elles les rencontrent; mais fi, toutes les fois que nous por- tons nos mains vers quelque part, les corps qui font en cet endroit fe retiroient auffi vifte comme elles en approchent, il efl certain que nous ne fentirions jamais de dureté; & neantmoins nous n'auons aucune raifon qui nous puiffe faire croire que les corps qui fe retire- roient de cette forte perdiffent pour cela ce qui les fait corps. D'où il fuit que leur nature ne confiite pas en la dureté que nous /entons quelques/ois à leur occafion, ni auffi en la pefanteur, chaleur & autres qualitez de ce genre; car 7? nous examinons quelque corps que ce foit, nous pouuons penjer qu'il n'a en foy aucune de ces qua- litez, & cependant nous connoiffons clairement & diflinâement qu'W a tout ce qui le | fait corps, pourueu qu'il ail de l'extenflon en Ion- 65 gueur, largeur à'- profondeur: d'où il fuit aulli que, pour eflre, il n'a befoin d'elles en aucune façon, & que fa nature confifle en cela feul qu'il eft vue fubflance qui a de l'extenflon.

5. Que cette vérité ejl obfcurcie par les opinions dont on eft préocupé touchant la rarefaâion & le vuide.

Pour rendre cette vérité entièrement éuidente, il ne relie icy que

deux difficultez à éclaircir. La première coniifle en ce que quelques-

vns, voyant proche de nous des corps qui font quelquefois plus &

quelquefois moins raréfiez, ont imaginé qu'vn melme corps a plus

Œuvres. IV. 40

�� � 66 OEuvREs DE Descartes.

d'extenfion, lors qu'il ell raréfié, que lors qu'il eft condenfé; il y en a merme qui ont l'ubtilifé jufques à vouloir diftinguer la fubftance d'vn corps d'auec fa propre grandeur, & la grandeur mefme d'auec Ton cxtenfion. L'autre n'eft fondée que fur vne façon de penfer qui eft en vfage, à fçauoir qu'on n'entend pas qu'il y ait vn corps, où on dit qu'il n'y a qu'vne eftenduë en longueur, largeur & profondeur, mais feulement vne efpace, & encore vne efpace vuide, qu'on fe perfuade aifément n'eftre rien.

6". Comment fe fait la rarefaâion.

Pour ce qui eft de la rarefadion & de la condenfation, quiconque voudra examiner les penfées, & ne rien admettre lur ce fujet que ce dont il aura vne idée claire & dijîinâe, ne croira pas qu'elles fe facent autrement que par vn changement de figure qui arriiic au 66 corps, lequel c/t raréfié ou condenfé : c'eft-à-dire | que toutes fois & quantes que nous voyons qu'vn corps eft raréfié, ïious devions penfer qu'W y a plufieurs interualles entre fes parties, lefquels font remplis de quelque autre corps; & que, lors qu'il eft condenfé, fes mefmes parties font plus proches les vnes des autres qu'elles n'eftoicnt, foit qu'on ait rendu les interualles qui eftoient entr'elles plus petits, ou qu'on les ait entièrement oftez, auquel cas on ne fçauroit conceuoir qu'vn corps puilTe eftre dauantage condenfé. Et toutefois il ne laifte pas d'auoir tout autant d'extenfion que lors que ces mefmes parties, eftant elloignées les vnes des autres & comme efparfes en plufieurs branches, embralioient vn plus grand efpace". Car nous ne deuons point luy attribuer l'eftenduë qui eft dans les pores ou interualles que fes parties n'occupent point lors qu'il efi raréfié, mais aux autres corps qui rempliffent ces interualles; tout de mefme que, voyant vne efponge pleine d'eau ou de quelque autre liqueur, nous n'en- tendons point que chafque partie de cette efponge ait pour cela plus d'eftenduë, mais feulement qu'il y a des pores ou interualles entre fes parties, qui fout plus grands..., que lors qu'elle eil feiche & plus ferrée.

7. Qu'elle ne peut eftre intelligiblement expliquée qu'en la façon

icy propofée.

le ne fçay pourquoy, lorsqu'on a voulu expliquer comment vn 67 corps eft raréfié, on a mieux | aymé dire que c'eftoit par l'augmen-

a. Correction de Yerrata. Texte primitif : » en plus grande tfpace •>.

�� � Principes. — Seconde Partie. 67

tation de fa quantité, que de fe leruir de l'exemple de cette efponge. Car bien que nous ne voyons point, lors que l'air ou l'eau font ra- réfiez, les pores qui font entre les parties de ces corps, ni comment ils font deuenus plus grands, ni mefme le corps qui les remplit, il ell toutefois beaucoup moins raifonnable de feindre je ne fçay quoy qui n'ertpas intelligible, pour expliquer feulement en apparence, & par des termes qui n'ont aucun fens, la façon dont vn corps eit raréfié, que de conclure, en conlequence de ce qu'il eil raréfié, qu'il y a des pores ou interualles entre les parties qui font deuenus plus grands, & qui font pleins de quelque autre corps. Et nous ne deuons pas faire difficulté de croire que la rarefaâion ne fe face ainji que je dr, bien que nous n'apperceuions par aucun de nos fens le corps qui les remplit, pource qu'il n'y a point de raifon qui nous oblige à croire que nous deuons apperceuoir de nos fens tous les corps qui font autour de nous, & que nous voyons qu'il elt tres-aifé de l'ex- pliquer en cette forte, & qu'il elt impoffîble de la conceuoir autre- ment. Car enfin il y auroit, ce me femble, vne contradiction manifefte qu'vne chofe fufl augmentée d'vne grandeur ou d'vne extenfion qu'elle n'auoit point, & qu'elle ne fufl pas ac|creuë par mefme moyen d'vne nouuelle fubitance eltenduë ou bien d"vn nouueau corps, à caule qu'il n'efi pas poffible de conceuoir qu'on puiffe adjoufter de la grandeur ou de l'extenfion à vne chofe par aucun autre moyen qu'en y adjoufiant vne chofe grande & efienduë, comme il paroiftra encore plus clairement par ce qui fuit.

8. Que la grandeur ne diffère de ce qui eji grand, ni le nombre des citofes nombrées, que par nojirc penfée.

Dont la raifon eft que la grandeur ne diffère de ce qui ejl grand & le nombre de ce qui ell nombre, que par nofire penfée : c'eit à dire qu'encore que nous puiffions penfer à ce qui el^ de la nature d'vne chofe eftenduë qui eil comprife en vne el'pace de dix pieds, fans prendre garde à cette mefure de dix pieds, à caule que cette chofe eft de mefme nature en chacune de fes parties comme dans le tout; & que nous puiffions penfer à vn nombre de dix, ou bien à vne grandeur continue de dix pieds, fans penfer à vne telle chofe, à caufe que l'idée que nous auons du nombre de dix eft la mefme, foit que nous confiderions vn nombre de dix pieds ou quelqu'autre dizaine; & que nous puiffions mefme conceuoir vne grandeur continue de dix pieds lans faire reflexion fur telle ou telle chofe, bien que nous ne puiflions la conceuoir fans quelque chofe d'eftendu... : toutefois il

��68

�� � 68 OEuvRES DE Descartes.

69 eft éuident qu'on ne içauroit oller aucune partie | d'vne telle gran- deur, ou d'vne telle extenfion, qu'on ne retranche par mefme moyen tout autant de la chofe; & réciproquement, qu'on ne Içauroit retran- cher de la chofe, qu'on n'orte par mefme moyen tout autant de la grandeur ou de l'extenfion.

g. Que la fubftance corporelle ne peut ejlre clairement conceuë fans/on extenfion.

Si quelques vns s'expliquent autrement fur ce fujet, je 'ne penfe pourtant pas qu'ils conçoiuent autre chofe que ce que je viens de dire. Car lors qu'ils diltinguent la fublLance d'auec l'extenfion & la grandeur, ou ils n'entendent rien par le mot de fubftance, ou ils forment feulement en leur efprit vne idée confufe de la fubftance immatérielle, qu'ils attribuent fauli'einent à la fubftance matérielle, & laiffent à l'extenfion la véritable idée de cette fubftance mate- riellCj qu'ils nomment accident, Ji improprement qu'il e/l aifé de connoijire que leurs paroles n'ont point de rapport auec leurs penfées.

10. Ce que c'ejl que l'efpace ou le lieu intérieur.

L'efpace, ou le lieu intérieur, & le corps qui cft compris en cet efpace, ne font differens aulfi... que par noftre penfée. Car, en effet, la mefme eftenduë en longueur,, largeur & profondeur, qui conftituë l'efpace, conftituë le corps; & la différence qui eft entr'eux ne con- fifte qu'en ce que nous attribuons au corps vne eftenduë particu- lière, que nous conceuons changer de place auec luy toutes fois &

70 quantes qu'il eft | Iran/porté, & que nous en attribuons à l'efpace vne fi générale & Ji vague, qu'après auoir ojlé d'vn certain efpace le corps qui l'occupoit, nous ne penfons pas auoir aulfi tranfportc l'eftenduê de cet efpace, à caufe qu'il nous femble que la mefme eftenduë y demeure touf-jours, pendant qu'il eft de mefme grandeur, de mefme figure, & qu'il n'a point change de fituation au regard des corps de dehors par lefquels nous le déterminons.

/ /. En quel fens on peut dire qu'il n'ejl point différent du corps

qu'il contient.

Mais il fera aifé de connoiftre que la mefme eftenduë qui conftituë la nature du corps, conftituë aufli la nature de l'efpace, en forte

�� � Principes. — Seconde Partie. 69

qu'ils ne difl'erent entr'eux que comme la nature du genre ou de l'efpece diffère de la nature de l'indiuidu, fi, pour mieux difcerner quelle eil la véritable idée que nous auons du corps, nous prenons pour exemple vne pierre & en citons tout ce que nous fçaurons ne point appartenir à la nature du corps. Oftons en donc premièrement la dureté, pource que, fi on reduifoit cette pierre... en poudre, elle n'auroit plus de dureté, & ne laifferoit pas pour cela d'eil:re vn corps ; oitons en aufii la couleur, pource que nous auons pu voir quelque fois des pierres fi tranfparentes qu'elles n'auoient point de couleur; oitons en la pelanteur, pource que nous voyons que le feu, quoy qu'il Ibit | tres-leger, ne laifle pas d'eftre vn corps; ollons en 74 le froid, la chaleur, & toutes les autres qualitez de ce genre, pource que nous ne penibns point qu'elles foient dans la pierre, ou bien que cette pierre change de nature parce qu'elle nous femble taniojî chaude & tanlojt froide. Apres auoir ainfi examiné cette pierre, nous trouuerons que la véritable idée que nous en auons confilte en cela feul que nous appefceuons dijtinâement qu'elle ell vue Jubjlance ellenduë en longueur, largeur & profondeur : or cela mefme eft compris en Tidée que nous auons de l'ei'pace, non feulement de celuy qui eft plein de corps, mais encore de celuy qu'on appelle vuide.

12. Et en quel fens il eft différent.

Il ell vray qu'il y a de la différence en noftre façon de penfer; car 'i^i on a oité vne pierre de l'efpace ou du lieu où elle eitoit, nous en- tendons qu'on en a oité l'eltenduë de cette pierre, pource que nous les jugeons... inleparables l'vne de l'autre : & toutefois nous penfons que la mefme eitenduc du lieu où eftoit cette pierre eil demeurée, nonobltant que le lieu qu'elle occupoit auparauant ait efté rempli de bois, ou d'eau, ou d'air, ou de quelque autre corps, ou que mefme il pareille vuide, pource que nous prenons l'effenduë en gênerai, & qu'il nous femble que la mefme peut eftre commune aux pierres, au bois, à l'eau, à l'air, &. à tous les au|tres corps, & aulli 72 au vuide, s'il y en a, pourueu qu'elle foit de mefme grandeur, de mefme figure qu'auparauant, & qu'elle conferue vne mefme fituation à l'égard des corps de dehors qui déterminent cet efpace.

i3. Ce que c'eft que le lieu extérieur.

Dont la railbn ell que les mots de lieu & d'cfpace ne fignitïent rien qui diffère veritahlemeiit du corps que nous difons effre en

�� � 70 OEuvRES DE Descartes.

quelque lieu, & nous marquent feulement la grandeur, fa figure, & comment il elt fitué entre les autres corps. Car il faut, pour déter- miner cette fituation, en remarquer quelques autres que nous con- fiderons comme immobiles; mais, félon que ceux que nous confi- derons ainfi font diuers, nous pouuons dire qu'vne mefme chofe en mefme temps change de lieu & n'en change point. Par exemple, fi nous confiderons vn homme affis à la pouppe d'vn vailfeau que le vent emporte hors du port, & ne prenons garde qu'à ce vaiffeau, il nous femblera que cet homme ne change point de lieu, pource que nous voyons qu'il demeure touf-jours en vne mefme fituation a l'égard des parties du vaifleau fur lequel il eft ; & fi nous prenons garde aux terres voifines, il nous femblera auiïi que cet homme change inceflamment de lieu, pource qu'il s'éloigne de celles-cy, & qu'il approche de quelques autres ; fi, outre cela, nous fuppofons 73 I que la terre tourne fur fon eflku, & qu'elle fait precifement autant de chemin du couchant au leuant comme ce vailfeau en fait du leuant au couchant, il nous femblera derechef que celui qui elf alTis à la poupe ne change point de lieu, pource que nous determmons ce lieu par quelques poincts immobiles que nous imaginerons elhe au Ciel. Mais fi nous penibns qu'on ne fçauroit rencontrer en tout l'vniuers aucun point qui foit véritablement immobile (car on connoiftra" par ce qui fuit que cela peut élire demonjîré), nous conclurons qu'il n'y a point de lieu d'aucune chofe au monde qui foit ferme & arrejïé, finon en tant que nous l'arrejîons en noftrc penfée.

14. Quelle différence il y a entre le lieu €■ l'efpace.

Toutefois le lieu & l'efpace font différens en leurs noms, pource que le lieu nous marque plus expreffement la fituation, que la gran- deur ou la figure; & qu'au contraire nous penfons plultofl à celles-cy, lors qu'on nous parle de l'efpace. Car nous difons qu'vne chofe eft entrée en la place d'vne autre, bien qu'elle n'en ait exactement ni la grandeur ni la figure, & n'entendons point qu'elle occupe pour cela le mefme efpace qii'occupoit cette autre chofe ; & lors que la fituation eft changée, nous difons que le lieu eft auffi changé, quoy qu'il

a. Note manuscrite de Legrand : « tant par ce que le dois dire de la » nature du mouuement dans cette 2. partie, que par le fyfteme du monde « que ie dois établir dans la 3. » Le « ie « qui se retrouve deux fois dans cette note, n'indique-t-il pas qu'elle serait de Descartes lui-même, et que Legrand n'aurait fait que la copier en marge de son exemplaire ?

�� � Principes. — Seconde Partie. 71

foit de mefme grandeur & de mefme figure qu'aupa|rauant. De forte que, fi nous difons qu'vne chofe eft en tel lieu, nous entendons feulement qu'elle eft fituée de telle façon à l'égard de quelques autres chofes ; mais fi nous adjouftons qu'elle occupe vn tel efpace ou vn tel lieu, nous entendons, outre cela, qu'elle eft de telle gran- deur & de telle figure qu'elle peut le remplir toutjujlement.

i5. Comment lafuperficie qui enuironne vn corps peut ejire prife pour fon lieu extérieur.

Ainfi nous ne diftinguons jamais l'efpace d'auec l'eftenduë en lon- gueur, largeur & profondeur; mais nous confiderons quelquefois le lieu comme s'il eftoit en la chofe qui eft placée, & quelquefois auffi comme s'il en eftoit dehors. L'intérieur ne diftere en aucune façon de l'efpace ; mais nous prenons quelquefois l'extérieur, ou pour la fuperficie qui enuironne immédiatement la chofe qui eft placée (& il eft à remarquer que, par la fuperficie, on ne doit entendre aucune partie du corps qui enuironne, mais feulement l'extrémité qui eft entre le corps qui enuironne & celuy qui eft enuironne, qui n'eft rien qu'vn mode ou vue façon), ou bien pour la fuperficie en gênerai, qui n'eft point partie d'vn corps pluftoft que d'vn autre, & qui femble touf-jours la mefme, tant qu'elle eft de mefme grandeur & de mefme figure. Car, encore que nous voyons que le corps qui enuironne vn autre corps, paffe ailleurs auec fa fuper|ficie, nous n'auons pas couftume de dire que celuy qui en eftoit enuironne aye pour cela changé de place, lors qu'il demeure en la mefme fituation à l'égard des autres corps... que nous confi- derons comme immobiles. Ainfi nous difons qu'vn batteau qui eft emporté... par le cours d'vne riuiere, mais qui eft repouffé... par le vent d'vne force fi égale qu'il ne change point de fituation à l'égard des riuages, demeure en mefme lieu, bien que nous voyons que toute la fuperficie qui l'environne change inceffamment.

16. Qu'il ne peut y auoir aucun vuide aujens que les Phitofophes prenent ce mot.

Pour ce qui eft du vuide, au fens que les Philofophes prennent ce mot, à fçauoir pour vn efpace où il n'y a point de fubftance, il eft éuident qu'il n'y a point d'efpace en l'rniucrs qui foit tel, pource que l'extenfion de l'efpace ou du lieu intérieur n'eft point différente de l'extenfion du corps. Et comme, de cela feul qu'vn corps eft

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��OEuvREs DE Descartes.

��eftendu en longueur, largeur & profondeur, nous auons raifon de conclure qu'il ell vne fubltance, à caufe que nous conceuons qu'il n'eft pas poiïîble que ce qui n'eft rien ait de l'extenfion, nous deuons conclure le mei'me de l'efpace qu'on fuppofe vuide : à fçauoir que, puis qu'il V a en luy de l'extenfion, il y a necelTairement aulli de la fubftance.

77. Que le mot de vuide pris félon l'vfage ordinaire n'exclud point toute forte de corps.

16 Mais lors que nous prenons ce mot félon | l'vfage ordinaire, & que nous difons qu'vn lieu eft vuide, il e(l confiant que nous ne vou- lons pas dire qu'il n'y a rien du tout en ce lieu ou en cet efpace, mais feulement qu'il n'y a rien de ce que nous prefumons y deuoir ertre. Ainfi, pource qu'vne cruche eft faite pour tenir de l'eau, nous difons qu'elle eft vuide lors qu'elle ne contient que de l'air; & s'il n'y a point de poilîon dans vn viuier, nous difons qu'il n'y a rien dedans, quoy qu'il foit plein d'eau ; ainfi nous difons qu'vn vaift"eau eft vuide, lors qu'au lieu des marchandifes dont on le charge d'ordi- naire, on ne l'a chargé que de fable, afin qu'il puft refifter à l'impe- tuofité du vent : & c'eft en ce mefme fens que nous difons qu'vn efpace eft vuide, lors qu'il ne contient rien qui nous foit fenfible, encore qu'il contienne vne matière créée & vne fubftance eftenduë. Car nous ne confiderons ordinairement les corps qui font proches de nous, qu'en tant qu'ils caiifent dans les organes de nos fens des impredions 7?/o/-/t's, que nous pouuons les fenlir. Et fi, au lieu de nous fouuenir de ce que nous deuons entendre par ces mots de vuide ou de rien, nous penfions par après qu'vn tel efpace..., où nos fens ne nous font rien apperceuoir, ne contient aucune chofe créée, nous tomberions en vne erreur aufti groffiere que li, à caufe qu'on dit

77 ordinaire|ment qu'vne cruche eft vuide, dans laquelle il n'y a que de l'air, nous jugions que l'air qu'elle contient n'eft pas vne chofe ou vne fubftance.

18. Comment on peut corriger la fauffe opinion dont on efl préoccupé

touchant le vuide.

Nous auons prefque tous efté préoccupe^ de cette erreur dés le commencement de noftre vie, parce que, voyant qu'il n'y a point de liaifon neceffaire entre le vafe & le corps qu'il contient, il nous a femblé que Dieu pourroit ofter tout le corps qui eft contenu dans

�� � Principes. — Seconde Partie. 7)

vn vafe, & conferuer ce vafe en/on me/me e/iat, fans qu'il fuft befoin qu'aucun autre corps fuccedaft en la place de celuy qu'il aurait ofté. Mais, afin que nous puiflions maintenant corriger vne fi fauffe opinion, nous remarquerons qu'il n'y a point de liaifon neceffaire entre le vafe & vn tel corps... qui le remplit, mais qu'elle eft... fi abfolument neceffaire entre la figure concaue qu'a ce vafe & l'eftcn- duë... qui doit eftre comprife en cette concauité, qu'il n'y a pas plus de répugnance à conceuoir vne montagne fans vallée, qu'vne telle concauité fans l'extenfion qu'elle contient, & cette extenfion fans quelque cho/e d'eftendu, à caufe que le néant, comme il a efté def-ja remarqué plufieurs fois, ne peut auoir d'extenfion. C'eft pourquoy, fi on nous, demande ce qui arriueroit, en cas que Dieu oftaft tout le corps qui eft dans vn vafe, fans qu'il permift qu'il en rentraft d'autre, nous répondrons | que les coftez de ce vafe/e trou- 78 ueroient fi proches qu'ils fe toucheroient immédiatement. Car il faut que deux corps s'entre-touchent, lors qu'il n'y a rien entr'eux deux, pource qu'il y auroit de la contradidion que ces deux corps fuffent éloignez, c'efl à dire qu'il y euft de la diftance de l'vn à l'autre, & que neantmoins cette diftance ne fuft rien : car la diftance eft vne propriété de l'eftenduë, qui ne fçauroit fubfifter fans quelque chofe d'eftendu.

ig. Que cela confirme ce qui a efté dit de la rarefaâion.

Apres qu'on a remarqué que la nature de la fubftance matérielle ou du corps ne confifte qu'en ce qu'il eft quelque chofe d'eftendu, & que fon extenfion ne diffère point de celle qu'on attribue à l'efpace vuide, il eft aifé de connoiftre qu'il n'eft pas poftible qu'en quelque façon que ce/oit aucune de fes parties occupe plus d'efpace vne fois que l'autre, & puiffe eftre autrement raréfiée qu'en la façon qui a efté expofée cy-deffus"; ou bien qu'il y ait plus de matière ou de corps dans vn vafe, lors qu'il eft plein d'or, ou de plomb, ou de quelque autre corps pefant & dur, que lors qu'il ne contient que de l'air & qu'il paroift vuide : car la grandeur des parties dont vn corps e/l compoféne dépend point de la pefanteur ou de la dureté que nous /entons à Jon occafion, comme il a ejlé aujjî remarqué^, mais feule- ment de reften|duë, qui eft touf-jours égale dans vn mefme vafe. 79

a. Art. 6 ie cette 2« partie, ci-avant p. 66.

b. Art. 4 et II, p. 65 et p. 68.

Œuvres. IV. 41

�� � 74 OEuvRES DE Descartes.

��20. Qu'il ne peut y auoir aucuns atomes ou petits corps indiuifibles.

Il eft auffi tres-aile de connoiftre qu'il ne peut y auoir des atolmes, ou des parties de corps qui... foient indiuifibles, aiiijt que quelques Philofophes ont imaginé. D'autant que, fi petites qu'on fuppofe ces parties, neantmoins, pource qu'il faut qu'elles foient eftenduës, nous conceuons qu'il n'y en a pas vne entr'elles qui ne puiffe eftre encore diuifée en deux ou plus grand nombre d'autres plus petites, d'où il fuit qu'elle eft diuifible. Car, de ce que nous connoilTons clai- rement & dijîinâement qu'vne chofe peut eftre diuifée, nous deuons juger" qu'elle eft diuifible, pource que, fi nous en jugions autre- ment, le jugement que nous ferions de cette chofe feroit contraire à la connoiffance que nous en auons. Et quand mefme nous luppo- ferions que Dieu euft réduit quelque partie de la matière à vne peti- teffe fi extrême, qu'elle ne puft eftre diuifée en d'autres plus petites, nous ne pourrions conclure pour cela qu'elle feroit indiuifible, pource que, quand Dieu auroit rendu cette partie fi petite qu'il ne feroit pas au pouuoir d'aucune créature de la diuifer, il n'a pu fe priuer foy-mefme du pouuoir qu'il auoit de la diuifer, à caufe qu'il 80 n'eftpas poflible qu'il diminue fa | toute-puiffance, comme il a efté def-ja remarqué \ G'eft pourquoy... nous dirons que la plus petite partie ejlenduë qui puijfe ejîre au monde, peut touf-jours eftre diui- fée, pource qu'elle eft telle de fa nature.

2/. Que l'ejienduë du monde ejl indéfinie.

Nous fçaurons auïïi que ce monde, ou la matière eftenduë qui compofe l'vniuers, n'a point de bornes", pource que, quelque part où nous en vueillions feindre, nous pouuons encore imaginer au delà des efpaces indéfiniment eftendus, que nous n'imaginons pas feulement, mais que nous conceuons eftre tels en effet que nous les imaginons; de forte qu'ils contiennent vu corps indéfiniment eltendu, car... l'idée de l'eftenduë que nous conceuons en quelque efpace que ce foit, eft la vraye idée que nous deuons auoir du corps.

a. Texte primitif : « nous fçauons ». A Xerrata : « nous deuons juger ».

b. Partie I, art. 6o. Ci-avant, p. 52.

c. Voir Correspondance, t. V, p. 69.

�� � Principes. — Seconde Partie. 7^

��22. Que la terre & les deux ne font faits que dvne me/me matière, £■ qu'il ne peut y auoir pliifieurs mondes.

Enfin il n'elt pas mal-ailé d'inferer de tout cecy, que la terre & les deux font faits d'vne mefme matière; & que, quand mefme il y auroit vne infinité de mondes, ils ne feroient faits que de cette ma- tière; d'où il fuit qu'il ne peut y en auoir plufieurs ', à caufe que nous conceuons manifefiement que la matière, dont la nature confifte en cela feul qu'elle eft vne chofe eftenduë, occupe maintenant tous les efpaces imaginables où ces autres mondes pourroient eflre, & que nous ne fçaurions découurir en | nous l'idée d'aucune autre matière. 81

23. Que toutes tes variété^ qui font en la matière... dépendent du mouuement de fes parties.

Il n'y a donc qu'vne mefme matière en tout l'vniuers, & nous la connoiffons par cela feul qu'elle eft eftenduë; pource que toutes les proprietez que nous apperceuons diftindement en elle, fe raportent à ce qu'elle peut eflre diuifée & meuë félon fes parties, & qu'elle peut receuoir toutes les diuerfes difpofitions que nous remarquons pouuoir arriuer par le mouuement de fes parties. Car, encore que nous puiffions feindre, de la penfée, des diuifions en cette matière, neantmoins il eft conftant que nofîre penfée n'a pas le pouuoir d'y rien changer, & que. . . toute la diuerfité des formes qui s'y ren- contrent dépend du mouuement local. Ce que les Philofophes ont fans doute remarqué, d'autant qu'ils ont dit, en beaucoup d'endroits, que la nature eft le principe du mouuement & du repos, & qu'ils entendoient, par la nature, ce qui fait que les corps fe dil'pofent ainfi que nous voyons par expérience.

24. Ce que c'ejl que le mouuement pris félon l'vfage commun.

Or le mouuement (à fçauoir celuy qui fe fait d'vn lieu en vn autre, car je ne conçoy que celuy-là, & ne penfe pas aufll qu'il en faille fuppofer d'autre en la nature), le mouuement donc, félon qu'on le prend d'ordinaire, n'eft autre chofe que I'action par laquelle vn CORPS PASSE d'vn LIEU EN VN AUTRE. Et tout ainfi que nous I auons 82 remarqué cy-deffus, qu'vne mefme chofe en mefme temps change

a. Voir Correspondance, t. V, p. 69.

b. Partie II, art. i3. Ci-avant, p. 69-70.

�� � 76 OEuvRES DE Descartes.

de lieu & n'en change point, de mefme nous pouuons dire qu'en mefme temps elle fe meut & ne le meut point. Car celuy, par exemple, qui eft affis à la pouppe d'vn vailfeau que le vent fait aller, croit fe mouuoir, quand il ne prend garde qu'au riuage duquel il eft party & le confidere comme immobile, & ne croit pas fe mouuoir, quand il ne prend garde qu'au vaiffeau fur lequel il eft, pource qu'il ne change point de fituation au regard de fes parties. Toutefois, à caufe que nous fommes accouftumez de penfer qu'il n'y a point de mouuement fans adion..., nous dirons que celuy qui eft ainfi affis, eft en repos, puis qu'il ne fent point d'adion en foy, & que cela ejt en vjage^.

25. Ce que c'ejî que le mouuement proprement dit.

Mais fi, au lieu de nous arrefter à ce qui n'a point d'autre fonde- ment que l'vfage ordinaire, nous defirons fçauoir ce quec'eft que le mouuement félon la vérité, nous dirons, afin de luy attribuer vne nature qui foit déterminée, qu'il eft le transport d'vne partie de

LA MATIERE, OU d'vN CORPS, DU VOISINAGE DE CEUX QUI LE TOUCHENT IMMEDIATEMENT, ET QUE NOUS CONSIDERONS COMME EN REPOS, DANS LE VOISINAGE DE QUELQUES AUTRES. Par VN CORPS, OU bien par VNE PARTIE

DE LA MATIERE, j'entends tout ce qui eft tranfporté enfemble, quoy 83 qu'il foit | peut-eftre compofé de plufieurs parties qui employent cependant leur agitation à /aîVe d'autres mouuemens. Et je dy qu'il eft le TRANSPORT & non pas la force ou l'adion qui tranfporté, afin de monftrer que le mouuement eft touf-jours dans le mobile, & non pas en celuy qui meut ; car il me femble qu'on n'a pas couftume de diftinguer ces deux chofes afl'ez foigneufement. De plus, j'entends qu'il eft vne propriété du mobile, & non pas vne fubftance : de mefme que la figure eft vne propriété de la chofe qui eft figurée, & le repos, de la chofe qui eft en repos.

a. Cette traduction est ainsi modifiée par des notes manuscrites, en marge de notre édition annotée, presque toutes de la main de Legrand : « Et » me/mes, a caufe que nous fommes accoutumez de penfer que, dans tout » mouuement, il y a de l'aâion, & que, dans le repos, il n'y en a point, » mais qu'au contraire il y a vne cejfation d'aâion, il ejl mieux de dire » que celuy qui eft ainfi ajfis, eft en repos, que de dire qu'il fe meut, puis )) qu'il etc. »

b. Voir Correspondance, i. V, p. 384. Voir aussi ibid., p. 38o, 1. 26, et p. 403, 1. 25 et 26.

�� � Principes. — Seconde Partie. 77

��26. Qu'il n'ejî pas requis plus d'aâion pour le mouuement que pour le repos.

Et d'autant. que nous nous trompons ordinairement, en ce que nous penfons qu'il faut plus d'aflion pour le mouuement que poul- ie repos, nous remarquerons icy que nous femmes tombez en cet erreur dés le commencement de noltre vie, pource que nous re- muons ordinairement noftre corps félon noftre volonté, dont nous auons vite coiuioilfance intérieure ; & qu'il cil en repos, de cela feul qu'il eft attaché à la terre par la pefanteur, dont nous ne feu- lons point la force. Et comme cette pefanteur, & plufieurs autres caufes que nous n'auons pas couftume d'apperceuoir, refiftent au mouuement de nos membres, & font que nous nous laflbns, il nous a femblé qu'il falloit vne force | plus grande & plus d'a6tion pour 84 produire vn mouuement que pour l'arrefter, à caufe que nous auons pris ra(^ion pour l'effort qu'il faut que nous facions, afin de mou- uoir nos membres & les autres corps par leur entremife. Mais nous n'aurons point de peine à nous defliurer de cq faux préjugé, û nous remarquons que nous ne faifons pas feulement quelque effort pour mouuoir les corps qui font proches de nous, mais que nous en fai- fons auifi pour arreiter leurs mouuemens, lors qu'ils ne font point amortis... par quelque autre caufe. De forte que nous n'employons pas plus d'action, pour faire aller, par exemple, vn hatteau qui eil en repos dans vne eau calme & qui n'a point de cours, que pour l'arreller tout à coup pendant qu'il fe meut '. . . F.t fi l'experieuce uotts fait voir en ce cas qu'il eu faut quelque peu motus pour l'arrefler que pour le faire aller, c'eft à caufe que la pefanteur de l'eau qu'il foûleue lors qu'il fe meut, & fa lenteur" [car je la fuppofe calme & comme dormante) diminuent peu à peu fon mouuement,

27. Que le mouuement & le repos ne font rien que deux diuerf es façons dans le corps où ilsfe trouuent.

Mais pource qu'il ne s'agit pas icy de l'adion qui eft en celuy qui meut ou qui arrelfe le mouuement, & que nous confiderons prin-

a. Note en marge de notre exemplaire annoté : « add. », II n'y a pas seulement d'ailleurs « additions n, mais aussi quelques omissions par rap- port au texte latin.

b. « Lentor », du texte latin, signifie viscosité. — Voir aussi Correspon- dance, t. V, p. 1C8 et 384.

�� � 78

��Œuvres de Descartes.

��cipalement le tranfport, & la ceffation du tranfport, ou le repos, il 85 eft cuident que ce tranfport | n'eit rien hors du corps qui eft meu ; mais que leulement vn corps eft autrement difpofé, lors qu'il eft tranfporté, que lors qu'il ne l'eft pas... ; de forte que le mouuement & le repos ne font en luy que deux diverfes /aço«s.

28. Que le mouuement en fa propre fignification ne Je raporte qu'aux corps qui touchent celuy qu'on dit Je mouuoir.

J'ay aufTi adjoufté que le transport du corps se fait du voisi- nage DE CEUX qu'il touche % DANS LE VOISINAGE DE QUELQUES AUTRES,

& non pas d'vn lieu en vn autre, pource que le lieu peut eftre pris en piufieurs façons, qui dépendent de noftre penfée, comme il a cité remarqué cy-del^us^ Mais quand nous prenons le mouuement pour le tranfport d'vn corps qui quitte le voifinage de ceux qu'il touche', il eft certain que nous ne fçaurions attribuer à vn mefme mobile plus d'vn mouuement, à caufe qu'il n'y a qu'vne certaine quantité de corps qui le puiffent toucher en mefme temps.

2g. Et mefme qu'il ne fe rapporte que à ceux de ces corps que nous conjiderons comme en repos.

Enfin, j'ay dit que le tranfport ne fe fait pas du vo'ifmage de toutes fortes de corps, mais feulement de ceux que nous considé- rons COMME EN repos. Car il eft réciproque ; & nous ne fçaurions conceuoir que le corps AB foit tranfporté du voifinage du corps CD", que nous ne fçachions auiïi que le corps CD eft tranfporté du voiilnage du corps AB, & qu'il faut tout autant... d'adion pour l'vn que pour l'autre". Tellement que, fi nous voulons attribuer au 86 mouuement | vne nature qui puiffe eftre confiderée toute feule, & fims qu'il foit befoin de la" raporter à quelque autre chofe, lors que

a. Sic dans le texte imprimé, pour traduire contiguorum. Correction ms. ; « qui le touchent », conforme à la définition donnée à l'art. 25, p. 76.

b. En marge : « V. depuis l'art. 10 de cette partie iufques à l'art. 16 de » cette même partie ». [Note de Legrand.) — Ci-avant, p. 68-71.

c. Voir Correspondance, t. V, p. 3i2, 1. i5, et p. 345, 1. 22.

d. En marge de l'édition princeps : « Voyez en la planche qui fuit la » I. figure. » Cette planche devait sans doute être insérée dans le texte. Mais elle a été rejetée à la fin, et la note corrigée ainsi à la main : « Voyez » la I. planche, i. figure. »

e. Texte imprimé : « le ».

�� � Principes, — Seconde Partie. 79

nous verrons que deux corps qui le touchent immédiatement feront tranfportez, l'vn d'vn cofté & l'autre d'vn autre, & feront récipro- quement feparez, nous ne ferons point difficulté de dire qu'il y a tout autant de mouuement en l'vn comme en l'autre. J'aduouë qu'en cela nous nous éloignerons beaucoup de la façon de parler qui eft en vfage : car, comme nous fommes fur la terre, & que nous penfons qu'elle eft en repos, bien que nous voyons que quelques vnes de fes parties, qui touchent d'autres corps plus petits, font tranfportées du voifmage de ces corps, nous n'entendons pas pour cela qu'elle foit meue.

3o. D'où vient que le mouuement quijepare deux corps qui Je touchent, ejî plujlojl attribué à l'vn qu'à l'autre.

...Pource que nous penfons qu'vn corps ne fe meut point, s'il ne fe meut tout entier, & que nous ne fçaurions nous perfuader que la terre fe meuue tout entière, de cela feul que quelques vnes de fes parties font tranfportées du voifmage de quelques autres corps plus petits qui les touchent; dont la raifon eft que nous remarquons ibuuent auprès de nous plufieurs tels tranfports qui font contraires les vns aux autres : car fi nous fuppofons, par exemple, que le corps EFGH foit la terre, & qu'en mefme temps | que... le corps AB eft 87 tranfporté de E vers F, le corps CD foit tranfporté de H vers G, bien que nous fçachions que les parties de la terre qui touchent le corps AB font tranfportées de B vers A, & que l'adlion qui fert à ce transport n'eft point d'autre nature, ni moindre, dans les parties de la terre, que dans celles du corps AB, nous ne dirons pas que la terre fe meuue de B vers A, ou bien de l'occident vers l'orient, à caufe que, celles de les parties qui touchent le corps CD eftant tranf- portées en mefme forte de C vers D, il faudroit dire auffi qu'elle fe meut vers le cofté oppofé, à fçauoir du leuant au couchant, & il y auroit en cela trop d'embarras. C'eft pourquoy... nous nous conten- terons de dire que les corps AB & CD, & autres femblables, fe meuuent, & non pas la terre. Mais cependant nous nous fouuien- drons que tout ce qu'il y a de réel... dans les corps qui fe meuuent, en vertu de quoy nous difons qu'ils fe meuuent, fe trouve pareille- ment en ceux qui les touchent, quoy que nous les confiderions comme en repos ".

a. Voir Correspondance, t. V, p. 70, p. 385, et p. 403, 1. 25.

�� � 8o Œuvres de Descartes.

��3i. Comment il peut _y auoir plufieurs diuers mouttemens en vn me/me corps.

Mais, encore que chaque corps en particulier n'ait qu'vn feul mouuement qui luy eft propre, à caufe qu'il n'y a qu'vne certaine quantité de corps.., qui le touchent & qui foient en repos à fon égard, toutefois il peut participer à vne infinité d'autres mouuemens,

88 en tant qu'il | fait partie de quelques autres corps qui fe meuuent diuerfement. Par exemple, fi m marinier, fe promenant dans fon vaiffeau, porte fur foy vne montre, bien que les roues de fa montre n'ayent qu'vn mouuement vnique qui leur eft propre, il elt certain qu'elles participent auffi à celuy du marinier qui fe promeine, pource qu'elles compofent auec luy vn corps qui ejî Iran/porté tout enfemble; il efl certain qu'elles participent aulfi à celuy du vaiffeau..., & mefme à celuy de la mer, pource qu'elles fuiuent fon cours ; & à celuy de la terre, fi on fuppofe que la terre tourne fur fon effieu, pource qu'elles compofent vn corps auec elle. Et bien qu'il foit vray que tous ces mouuemens font dans les roues de cette montre, neant- moins, pource que nous n'en conceuons pas ordinairement vn fi grand nombre à la fois, & que mefme il n'efl: pas en nofire pouuoir de connoiftre tous ceux aufquels elles participent, il fuffira que nous confiderions en chaque corps celuy qui eft vniquè, & duquel nous pouuons auoir vne connoiffance certaine.

32. Comment le mouuement vnique proprement dit, qui ejl vnique en chaque corps, peut auffi ejlre pris pour plufieurs.

Nous pouuons mefmes confiderer ce mouuement vnique qui efl proprement attribué à chaque corps, comme s'il eftoit compofé de plufieurs autres mouuemens : tout ainfi que nous en diftinguons

89 deux dans les roués | d'vn carrofle, à fçauoir l'vn circulaire, qui fe fait autour de leur eflieu, & l'autre droit, qui laiffe vne trace le long du chemin qu'elles parcourent. Toutefois il eft éuident que ces deux mouuemens ne différent pas, en effet, l'vn de l'autre, parce que chaque point de ces roues, & de tout autre corps qui fe meut, ne décrit jamais plus d'vne feule ligne. Et n'importe que cette ligne foit fouuent tortue % en forte qu'elle femble auoir efté produite par plufieurs mouuemens diuers : car on peut imaginer que quelque

a. WoiT Correspondance, t. V, p. i68.

�� � Principes. — Seconde Partie. 8i

ligne que ce foit, mefme la droite, qui eft la plus fimple de toutes, a efté décrite par vne infinité de tels mouuemens. Par exemple, fi, en mefme temps que la ligne AB' tombe fur CD, on iait auancer fon point A vers B, la ligne... AD, qui fera décrite par le point A, ne dépendra pas moins des deux mouuemens de A vers B & de A B fur CD, qui font droits, que la ligne courbe, qui efl: décrite par chaque point de la roue, dépend du mouuement droit & du circu- laire. Et bien qu'il foit vtile de difiinguer quelquefois vn mouue- ment en plufieurs parties, afin d'en auoir vne connoiffance plus diftinde, neantmoins abfolument parlant, nous n'en deuons jamais compter plus d'vnen chaque corps.

33. Comment, en chaque mouuement, il doit y auoir vn cercle, ou anneau, de corps qui Je meuuent enfemble.

Apres ce qui a eité démontré cy-deffus , à fçauoir que tous les lieux font pleins de corps, | & que chaque partie de la matière eft 90 tellement proportionnée à la grandeur du lieu qu'elle occupe, qu'il n'ejî pas pojjible qu'elle en rempUJfe vn plus grand, ni qu'elle Je re- ferrc en vn moindre, ni qu'aucun autre corps y troitue place pendant qu'elle y e/?, nous deuons conclure qu'il faut neceffairement qu'il y ait touf-jours/oM^vn cercle de matière ou anneau de corps quife meuuent enfemble en mefme temps; en forte que, quand vn corps quitte fa place à quelqu'autre qui le chalft, il entre en celle d'vn autre, & cet autre en celle d'vn autre, & aijifi de fuitte jufques au dernier, qui occupe au mefme inftant le lieu delaiffé par le premier. Nous con- ceuons cela fans peine en vn cercle parfait, à caufe que, fans recou- rir au vuide & à la rarefadion ou condenfation, nous voyons que la partie A" de ce cercle peut fe mouuoir vers B, pourueu que fa partie B fe meuue en mefme temps vers C, & C vers D, & D vers A. Mais on n'aura pas plus de peine à conceuoir cela mefme en vn cercle imparfait, & le plus irregulier qu'on fçauroit imaginer, fi on prend garde à la façon dont toutes les inégalitez des lieux peuuent eftre compenfées par d'autres inégalitez qui fe trouuent dans le mouuement des parties. En forte que toute la matière qui efl com- prife en l'efpace EFGH, peut fe mouuoir | circulairement, & fa 91

a. En marge : « Voyez la figure 4. » (Edit. princeps.) Ajouté à la main : « p. I n (planche i).

b. Art. 18 et 19 de cette partie. Voir ci-avant, p. 72 et 73.

c. En marge : « Voyez la figure a. » Planche I.

d. En marge : « Voyez la figure 3. » Ibidem.

Œuvres. IV. 4*

�� � 82 Œuvres de Descartes.

partie qui eft vers E, paffer vers G, & celle qui eft vers G, paffer en mefme temps < vers > E, fans qu'il faille fuppofer de condenfation ou de vuide, pourueu que, comme on fuppofe l'efpace G quatre fois plus grand que l'efpace E, & deux fois plus grand que les efpaces F & H, on fuppofe aufli que fon mouuement eft quatre fois plus vite vers E que vers G% & deux fois plus que vers F ou vers H, & qu'en tous les endroits de ce cercle la viteffe du mouuement com- penfe la petiteffe du lieu. Car il eft aifé de connoiftre en cette façon qu'en chaque efpace de temps qu'on voudra déterminer, il paflera tout autant de matière dans ce cercle par vn endroit que par l'autre.

34. Qu'il fuit de là que la matière Je diui/e en des parties indéfinies

& innombrables".

Toutefois il faut auoiier qu'il y a quelque chofe en ce mouue- ment que noftre ame conçoit eftre vray, mais que neantmoins elle ne fçauroit comprendre: à fçauoirvne diuifion de quelques parties de la matière jufques à l'infiny, ou bien vne diuifion indéfinie', & qui fe fait en tant de parties, que nous n'en fçaurions déterminer de la penfée aucune fi petite, que nous ne conceuions qu'elle elt di- uifée en effect en d'autres plus petites. Car il n'eft pas poffible que la matière qui remplit maintenant l'efpace G**, rempliffe fucceffiuement tous les efpaces qui font entre G & E, plus petits les vns que les 92 I autres par des degrez qui font innombrables, fi quelqu'vne de fes parties ne change' fa figure, & ne le diuife ainfi qu'il faut pour emplir tout juftement les grandeurs de ces efpaces qui font diffé- rentes les t'nes des autres & innombrables. Mais, afin que cela foit, il faut que toutes les petites parcelles aufquelles on peut ima- giner qu'vne telle partie eft diuifée, lefquelles véritablement font innombrables, s'eftoignent quelque peu les vnes des autres ; car, fi petit que foit cet efloignement, il ne lailfe pas d'eftre vne vraye diuifion.

a. '^<X\x. princeps : < vers G que vers E », lapsus non corrigé.

b. Voir Correspondance, t. V, p. 242, 1. 21.

c. Ibid., t. V, p. 70, et p. 274, 1. 4.

d. Planche i, figure 3.

e. Texte imprimé d'abord : ;< ne prelle «. Corrigé à Verrata : >< ne change ». Latin : « accommodet ».

�� � Principes. — Seconde Partie. 85

��S5. Que nous ne deuons point douter que cette diuifion ne Je face, encore que nous ne la puijffions comprendre.

Il faut remarquer que je ne parle pas de toute la matière, mais feulement de quelqu'vne de fes parties. Car encore que nous fuppo- fions qu'il y a deux ou trois parties en l'efpace G, de la grandeur de l'efpace E, & qu'il y en a d'autres plus petites en plus grand nombre, qui demeurent indiuifes, nous conceuons neantmoins qu'elles peuuenr fe mouuoir toutes circulairement vers E, pourueu qu'il y en ait d'autres méfiées parmy, qui... changent leurs figures en tant de façons, qu'eflant jointes à celles qui ne peuuent changer les leurs fi facilement, mais qui vont plus ou moins vite a raifon du lieu qu'elles doiuent occuper, elles puiffent emplir tous les angles & les petits recoins, où ces autres pour ejlre trop grandes ne fçauroient en|trer. Et bien que nous n'entendions pas comment fe fait cette 93 diuifion indéfinie, nous ne deuons point douter qu'elle ne fe face, pource que nous apperceuons qu'elle fuit neceffairement de la na- ture de la matière, dont nous auons def-ja vne connoiffance tres- diftinde, & que nous apperceuons aufli que cette vérité efl: du nombre de celles que nous ne fçaurions comprendre, à caufe que noftre penfée efl finie.

36. Que Dieu ejl la première caufe du mouuement, &.qu'il en conferue touf-jours vne égale quantité en l'vniuers.

Apres auoir examiné la nature du mouuement, il faut que nous en confiderions la caufe, & pource qu'elle peut eftre prife en deux façons, nous commencerons -par la première & plus vniuerfelle, qui produit généralement tous les mouuemens qui font au monde; nous confidererons par après l'autre..., qui fait que chaque partie de la matière en acquert, qu'elle n'auoit pas auparauant. Pource qui eft de la première, il me femble qu'il eft éuident qu'il n'y en a point d'autre que Dieu, qui de fa Toute-puiffance a créé la matière auec le mouuement & le repos, & qui conferue maintenant en l'vniuers, par fon concours ordinaire, autant de mouuement & de repos qu'il y en a mis en le créant. Car, bien que le mouuement ne foit qu'vne façon en la matière qui eft meuë, elle en a pourtant vne certaine quantité... qui n'auigmente & ne diminue jamais..., encore qu'il y 94 en ait tantoft plus & tantoft moins en quelques vues de fes parties.

a. Voir Correspondance, t. V, p. 242, 1. 21.

�� � 84 OEuvRES DE Descartes.

C'eft pourquoy, lors qu'vne partie de la matière fe meut deux fois plus vite qu'vne autre, & que cette autre efl: deux fois plus grande que la première, nous deuons penfer qu'il y a tout autant de mou- uement dans la plus petite que dans la plus grande; & que toutesfois & quantes que le mouuement d'vne partie diminue, celuy de quelque autre partie... augmente à proportion. NousconnoilTonsauiïl que c'eft vne perfection en Dieu, non feulement de ce qu'il eft im- muable en fa nature, mais encore de ce qu'il agit d'vne façon qu'il ne change jamais : tellement qu'outre les changemens que nous voyons. . . dans le monde, & ceux que nous croyons, parce que Dieu les a reuelez,& que nous fçauons...arriuer ou e/ire arviue\ en la na- ture, fans aucun changement de la part du Créateur, nous ne deuons point en fuppofer d'autres en fes ouurages, de peur de luy attribuer de l'inconftance. D'où il fuit que..., puis qu'il a meu en plufieurs façons différentes les parties de la matière, lors qu'il les créées, & qu'il les maintient toutes en la mefme façon & auec les me/mes loix qu'// leur a fait obferuer en leur création, il conferue incefl"amment en cette matière vne égale quantité de mouuement".

��95 I 3-j. La première loy de la nature : Que chaque chofe demeure en l'ejlat qu'elle ejl, pendant que rien ne le change. . .

De cela aulTi que Dieu n'eft point fujet à changer, & qu'il agit touf-jours de mefme forte, nous pouuons paruenir à la connoiffance de certaines règles, que je nomme les loix de la nature, & qui font les caufes fécondes... desdiuers mouuemens que nous remarquons en tous les corps; ce qui les rend icf fort confiderables. La première eft que chaque chofe en particulier... continue d'eftre en mefme eftat autant qu'il fe peut, & que jamais elle ne le change que par la ren- contre des autres . AÀnÇy nous voyons tous les jours lors que quelque partie de cette matière eft quarrée,... qu'elle demeure touf-jours quarrée, s'il n'arriue rien d'ailleurs qui change fa figure; & que, fi elle eft en repos,... elle ne commence point à fe mouuoir defoy-mefme. Mais lors qu'elle a commencé vne fois de fe mouuoir, nous n'auons aufli aucune railbn de penfer qu'elle doiue jamais ceffer de fe mou- uoir de mefme force..., pendant qu'elle ne rencontre rien qui retarde ou qui arrefte l'on mouuement. De façon que, fi vn corps a com- mencé vne fois de fe mouuoir, nous deuons conclure qu'il continue par après de fe mouuoir, & que jamais il ne s'arrejle de foy-mefme.

a. Voir Correspondance, t. V, p. 385,

�� � Principes. — Seconde Partie. 85

Mais, pource que nous habitons vne terre dont la conftitution eft telle que tous les mouuemens qui fe font auprès de nous celfent en peu I de temps, & fouuent par des raifons qui font cachées à nos 96 fens, nous auons jugé, dés le commencement de noflre vie, que les mouuemens qui celfent ainfi par des raifons qui nous font incon- nues, s'arreltent d'eux-mefmes, & nous auons encore à prefent beau- coup d'inclination à croire le femblable de tous les autres qui font au monde, à fçauoir que naturellement ils ceffent d'eux-mefmes, & qu'ils tendent au repos, pource qu'il nous femble que nous en auons fait l'expérience en plufieurs rencontres. Et toutefois ce n'eft qu'^n faux préjugé, qui répugne manifeflement aux loix de la nature; car le repos eft contraire au mouuement, & rien ne fe porte par l'inJUnd de fa nature à fon contraire, ou à la deftrudion de foy-mefme.

38. Pourqiioy les corps pouJ[fe\ de la main continuent de Je mouuoir après qu'elle les a quitte^.

Nous voyons tous les jours la preuue de cette première règle dans les chofes qu'on a pouffées" au loin. Car il n'y a point d'autre raifon pourquoy elles continuent... de fe mouuoir, lors qu'elles font hors de la main de celuy qui les a pouffées, finon que, fuiuaut les loix de la nalure, tous les corps qui fe meuuent continuent de fe mouuoir jufques à ce que leur mouuement foit arrejté par quelques autres corps... Et il eft éuident que l'air & les autres corps liquides, entre lefquels nous voyons ces chofes fe mouuoir, diminuent peu à peu la viteffe de leur mouue|ment...; car nous pouuons mefme fentir de 97 la main la refiftance de l'air. ..,fi nous fecoiions aftez. vite vn Euentail qui foi l ejlendu, & il n'y a point de corps fluide fur la terre, qui ne refifte, encore plus manifeftement que l'air, aux mouuemens des autres corps . . .

��3g. La 2. loy de la nature : Que tout corps qui fe meut, tend à continuer fon mouuement en ligne droite.

La féconde loy que je remarque en la nature, eft que chaque partie de la matiere,en fon particulier, ne tend jamais à continuer de fe mouuoir fuiuant des lignes courbes, mais fuiuant des lignes droites, bien que plufieurs de ces parties foient fouuent contraintes de fe détourner, pource qu'elles en rencontrent d'autres en leur

a. Texte imprimé « pouffé ».

�� � 86 Œuvres de Descartes.

chemin, & que. . ., lors qu'vn corps fe meut, il fe fait touf-jours vn cercle ou anneau de toute la matière qui eft meuë enfemble. Cette règle, comme la précédente, dépend de ce que Dieu eft immuable, & qu'il conlerue le mouuement en la matière par vne opération tres- fimple; car il ne le conferue pas comme il a pu eftre quelque temps auparauant, mais comme il eft precifement au mefme inftant qu'il le conferue. Et bien qu'il foit vray que le mouuement ne fe fait pas en vn mftant, neantmoins il eft éuident que tout corps qui fe meut..., eft déterminé a fe mouuoir... fuiuant vne ligne droite, & non pas fuiuant vne circulaire... : car, lors que la pierre A tourne

98 dans la fonde | E A fuiuant le cercle A B F% en l'inftant qu'elle eft au point A, elle eft déterminée à fe mouuoir vers quelque cofté, à fça- uoir vers C, fuiuant la ligne droite A C, fi on fuppofe que c'eft celie-Ià qui touche le cercle. Mais on ne fçauroit feindre qu'elle foit déterminée à fe mouuoir circulairement, pource qu'encore quelle foit venue d'L vers A fuiuant vne ligne courbe, nous ne conceuons point qu'il y ait aucune partie de cette courbure en cette pierre, lors qu'elle eft au point A; & nous en fommes afl"eurez par l'expé- rience, pource que cette pierre auance tout droit vers C, lors qu'elle fort de la fonde, & ne tend en aucune façon à fe mouuoir vers B. Ce qui nous fait voir manifejlement, que tout corps qui eft meu en rond, tend fans ceffe à s'eftoigner du cercle qu'il décrit. Et nous le pouuons mefme fentir de la main, pendant que nous faifons tourner cette pierre dans cette fonde; car elle tire & fait tendre la corde pour s'ejloigner direâement de nojlre main. Cette confideration ejl de telle importance, & feruira en tant d'endroits cy-apres, que nous deuons la remarquer foigneufement icy; & je l'expliqueray encore plus au long, lors qu'il en fera temps ^

40. La 3. que, fi vn corps qui fe meut en rencontre vn autre plus fort que Joy, il ne perd rien de fon mouuement, & s'il en rencontre vn plus faible qu'il puijfe mouuoir, il en perd autant qu'il luy en donne.

La troifiéme loy' que je remarque en la nature, eft que, fi vn corps

99 qui fe meut & qui en | rencontre vn autre, a moins de force, pour

a. En marge : « Voyez la figure i. delà 2. planche. »

b. Voir ci-après, partie III, art. 5j et 58.

c. Tandis que les deux lois précédentes sont aujourd'hui considérées comme des vérités scientifiquement acquises, la troisième a été ruinée, dès le xvM" siècle, par les travaux de Huygens sur le choc des corps. C'est sur ce point que porte la principale erreur de la physique de Descartes, erreur qui entache surtout les règles données dans les articles 46 à 52 ci-après.

�� � Principes. — Seconde Partie. 87

continuer de fe mouuoir en ligne droite, que cet autre pour luy re- fifter,il perd l'a détermination. ..fans rien perdre de fon mouuement; & que, s'il a plus de force, il meut auec Iby cet autre corps, & perd autant de fon mouuement qu'il luy en donne. Ainfi nous voyons qu'vn corps dur, que nous auons pouffé contre vn autrt plus grand qui ejî dur & ferme, rejallit vers le coflé d'où il eft venu, & ne perd rien de fon mouuement; mais que, û le corps qu'il rencontre efl moi, il s'arrefte incontinent, pource qu'il luy transfère... fon mou- uement. Les caufes particulières des changemens qui arriuent aux corps, font toutes comprifes en cette... règle, au moins celles qui font corporelles ; car je ne m'informe pas maintenant fi les Anges & les penfées des hommes ont la force de mouuoir les corps... : c'elt vne queftion que je referue au traitté que j'efpere faire de l'homme".

41. La preuue de la première partie de cette règle.

On connoirtra encore mieux la vérité de la première partie de cette règle, fi on prend garde à la différence qui eft entre le mouue- ment d'vne chofe..., & fa détermination vers vn coi\é plu/lq/l que vers vn autre ; laquelle différence eft caufe que cette détermination peut eftre changée, fans qu'il y ait rien de changé au mouuement. Car, ...de ce que chaque chofe, telle | qu'eft le mouuement, continue touf- 100 jours d'ertre comme elle eft en foj- fimplement, £■ non pas comme elle efl au regard des autres, jufques à ce qu'elle foit contrainte de changer par la rencontre de quclqu'autre ; il faut neceffairement qu'vn corps qui, en le remuant, en rencontre vn autre en fon chemin, Ji dur afferme qu'il nefçauroit le pouffer en aucune façon, perde entièrement la détermination qu'il auoit à fe mouuoir vers ce cofté-là ; d'autant que la caufe qui < la > luy fait perdre eft manifefte, àfçauoirla refiflance du corps qui l'empefche de pajfer outre ; mais il ne faut point qu'il perde rien pour cela de fon mouuement, d'au- tant qu'il ne luy eft point ofté... par ce corps, ni par aucune autre caufe, & que le mouuement n'eft point contraire au mouuement.

42. La preuue de la féconde partie.

On connoiftra mieux aufll la vérité de l'autre partie de cette règle, fi on prend garde que Dieu ne change jamais fa façon d'agir,

a. En marge de l'exemplaire annoté : « Comme fon traité de l'homme » n'eft pas acheué, il n'a pas (eu occafion barré) pu traiter cette queftion. » {Note ms. de Legrand.) — Cf. ci-avant, p. 64, note c.

�� � 88 Œuvres de Descartes.

& qu'il conferuc le monde auec la mefme adion qu'il l'a créé. Car, tout ellant plein de corps, & neantmoins chaque partie Je la ma- tière tendant à fe mouuoir en ligne droite, il ert éuident que, dés le commencement que Dieu a créé la matière, non feulement il a meu diucrfement les parties, mais auffi qu'il les a faites de telle nature,

101 que les vnes ont dellors commencé à pouffer les | autres, & à leur communiquer vne partie de leur mouucment. Et pource qu'il les maintient encore auec la mefme action & les mefmes loix qu'// leur a fait obferuerç.n leur création, il faut qu'il conferue maintenant en elles toutes le mouuement qu'il j- a mis dejlors auec la propriété qu'il a donné à ce mouuement, de ne demeurer pas touf-jours attaché aux mefmes parties de la matière, & de paffer des vnes aux autres, félon leurs diuerfes rencontres. En forte que ce continuel changement qui clt dans les créatures, ne répugne en aucune façon à l'immutabilité qui elt en Dieu, & femble mefme feruir d'argument pour la prouuer.

43. En quoy confijie la force de chaque corps pour agir ou pour refijler.

Outi-e cela il faut remarquer... que la force dont vn corps agit contre vn autre corps ou refifte à fon adion, confifte en cela feul, que chaque chofe perfifte autant qu'elle peut à demeurer au mefme eftat où elle fe trouue, conformément à la première loy qui a elle ex- pofée cy-deffus ". De façon qu'vn corps qui eft joint à vn autre corps, a quelque force pour empefcher qu'il n'en foit feparé; & que, lors qu'il en eft feparé, il a quelque force pour empefcher qu'il ne luf foit joint; & auffi que, lors qu'il eft en repos, il a de la force pour de- meurer en ce repos &... pour refifter à tout ce qui pourroit le faire

102 changer. De mefme que, lors qu'il fe meut, | // a de la force pour continuer de fe mouuoir auec la mefme viteffe & vers le mefme cofté. Mais on doit juger de la quantité de cette force par la gran- deur du corps où elle eft, & de la fuperficie félon laquelle ce corps eft feparé d'vn autre, & auffi par la vitelfe du mouuement..., & les façons contraires dont plufieurs diuers corps fe rencontrent.

44. Que le mouuement n'eji pas contraire à vn autre mouuement, mais au repos; & la détermination d'vn mouuement vers vn co/ié, à fa déter- mination vers vn autre.

De plus, il faut remarquer qu'vn mouuement n'eft pas con- traire à vn autre mouuement plus vite que foy, & qu'il n'y a... de

a. Art. 37 ci-avant, p. 84.

�� � Principes. — Seconde Partie. 89

la contrariété qu'en deux façons feulement. A fçauoir, entre le mouuement & le repos, ou bien entre la vitelie & la tardiueté du mouuement, en tant que cette tardiueté participe de la nature du repos ; & entre la détermination qu'a vn corps à fe mou- uoir vers quelque collé, & la refiftancc des autres corps qu'il ren- contre en fon chemin, foit que ces autres corps fe repolent, ou qu'ils fe meuuent autrement que lu}', ou que celuy qui fe meut rencontre diuerfement leurs parties; car, félon que ces corps fe trouuent difpofe\, cette contrariété eft plus ou moins grande.

45. Comment on peut déterminer combien les corps qui fe rencontrent, changent les mouuemens les vus des autres, par les règles quifuiuent.

Or afin que nous puiiTions déduire de ces principes, comment chaque corps en particulier augmente ou diminue fes mouuemens, ou change leur détermination à caufe de la ren|contre des autres 103 corps, il faut feulement calculer combien il y a de force en cha- cun de ces corps, pour mouuoir ou pour refifter au mouuement, pource qu'il eft éuident que celuy qui en a le plus, doit touf-jours produire fon effet, & empefcher celuj de l'autre ; & ce calcul feroit aifé à faire en des corps parfaitement durs, s'il fe pouuoit faire qu'il n'y en euft point plus de deux qui fe rencontraffent, ni qui fe touchaffent l'vn l'autre à mefme temps, & qu'ils fulfent tellement feparez de tous les autres, tant durs que liquides, qu'il n'y en euft aucun... qui aydaft, ni qui empefchaft en aucune façon leurs mou- uemens : car alors ils obferueroient les règles suivantes".

46. La première "'.

La première eft que, fi ces deux corps, par exemple B & C, eftoient exadement égaux, & fe mouuoient d'égale vitelTe en ligne droite l'vn vers l'autre..., lors qu'ils viendroient à fe rencontrer, ils rejalliroient tous deux également, & retourneroient chacun vers le cofté d'où il feroit venu, fans perdre rien de leur viteffe. Car il n'y a point en cela de caufe qui < la > leur puiffe ojler, mais il f en a me fort éuidente qui les doit contraindre de rejallir ; «S- pource quelle feroit égale en l'vn &en l'autre, ils rejalliroient tous deux en mefme façon' .

a. Voir Correspondance de Descartes, t. IV, p. 187, 1. 12-17, <^t P- ^96, 1. 5-10 ; t. V, p. 168, et p. 405, 1. 6. — Voir également la Note I à la fin du prcseni volume.

h. En marge : « Voyez la 2. figure de la planche 2. »

c. Voir Correspondance, t. V, p. 291, 1. 2? à 27.

Œuvres. IV. 4^

�� � 90 OEuvRES DE Descartes.

4j. La féconde.

i04 |,a féconde ell que, li B elloit tant l'oit peu | plus grand que C, &

qu'ils fc rciiconlfaJfL'iit aiiec niefnie l'iteffe, il n'y auroit que C qui lejallit rers le co/lJ d'où iljl'foit i'eiiii,&i ils continueroient par après leur niouuement tous deux enfemble vers ce mefme colté. Car B a]-anl fins de force que C, il ne pourrait eftrc contraint par luy à re/allir.

48. La troifiéme.

La troifiéme que, fi ces deux corps eftoient de melnie grandeur, mais que B eult tant l'oit peu plus de vitclle que C, non feulement, après s'ejlre rcnconlre\, C feul rejalliroit, & ils iroient tous deux enfemble, comme deuant, vers le collé d'où G leroit venu ; mais auHi il feroit necelTaire que B luy transférait la moitié de ce qu'il auroit de plus de vitelle, à caufe que, l'ayant deuant foy, il ne pourrait aller plus vite que luy. De façon que, fi B auoit eu, par exemple, lix degrez de vitelTe a/Uî«/ leur rencontre, & que C en cull eu leule- mcnt quatre, ...il luy transférerait l'vn de/es deux degre- qu'il auroit eu de plus, & ainji ils iroient par après chacun auec cinq degrez de vitelïe ; car il luy ejl bien plus aifé de communiquer vn de fes degre\ de vitejje à C, qu'il nefl à C, de changer le cours de tout le mouuement qui efl en B.

4r). La quatrième.

La quatrième que, fi le corps C eltoit tant foit peu plus grand que B, & qu'il fuit ' entièrement en repos, c'ejl à dire que non 105 feu\lement il n'eu/t point de mouuement apparent, mais aujji qu'il ne fufl point enuironné d'air, ni d'aucuns autres corps liquides, lefquels, comme je diray cy-apres , difpofent les corps durs qu'ils enuirovnent, à pouuoir ejlre meus fort aifement, de quelle viteffe que B pult venir vers luy, jamais il n'auroit la force de le mouuoir; mais il feroit contraint de rejallir vers le mefme collé d'où il feroit venu'. Car d'autant que B ne fçauroit pouffer C, fans le faire aller auffi rite qu'il iroit foy-mefme par après, il ell certain que C doit d'autant

a. Texte imprimé : « qu'ils fullent ". A Verrata : <■ qu'il fuft ".

b. Art. 59.

c. Voir Correspondance, t. IV, p. i83, 1. 1 1, et p. 186, 1. i. Principes. — Seconde Partie. 91

plus refiiler, que B vient plus vite vers luy; & que fa refiftence doit preualoir à l'action de B, à caufe qu'il eft plus grand que luy. Ainfi, par exemple, fi C ejl double de B, & que B ait trois degre^ de mouuement, il ne peut pouffer C, qui eft en repos, Ji ce n'eft qu'il luj en transfère deux degre\, à fçauoir vn pour chacune de fes moitié^, & qu'il retienne feulement le troifiéme pour foy, à caufe qu'il n'efl pas plus grand que chacune des moitié'^ de C, & qu'il ne peut aller par après plus vite qu'elles. Tout de mefme, fi B a trente degre- de l'iteffe, il faudra qu'il en coninnniique vingt à C ; s'il en a trois cent, qu'il communique deux cent; & ainfi touf-jours le double de ce qu'il retiendra pour foj-. Mais puis que C efi en repos, il refifle dix fois plus à la \ réception de vingt degre^^, qu'à celle de deux, ê cent fois 1C6 plus à la réception de deux cent ; en forte que, d'autant que B a plus de viteffe, d'autant il trouiie en C plus de refiftence. Et pource que chacune des moitié- de C a autant de force pour demeurer en fon repos, que B en a pour la pouffer, & qu'elles luj- refijlent toutes deux en mefme temps, il eft éuident qu elles doiuent preualoir à le contraindre de rejallir. De façon que, de quelle viteffe que B aille vers C, ainfi en repos d'- plus grand que luy, jamais il ne peut auoir la force de le mouuoir,

5o. La cinquième'.

La cinquième ell que, fi, au contraire, le corps C ei\oh tant foit peu moindre que B, cetu_v-cy ne fçauroit aller fi lentement vers l'autre, lequel je fuppofe encore parfaitement en repos, qu'il n'euft la force de le pouii'er & luy transférer la partie de fon mouuement qui ieroit requife pour faire qu'ils allaflent par après de mefme vitelfe : à fçauoir, fi B edoit double de C, il ne luy transfereroit que le tiers de fon mouuement, à caufe que ce tiers feroit mouuoir C audi vite que les deux autres tiers feroient mouuoir B, puis qu'il elt fuppofé deux fois aufll grand ; & ainfi, après que B auroit ren- contré C, il iroit d'vn tiers plus lentement qu'auparauant, c'eit à dire qu'en autant de temps qu'il auroit pu parcourir aupara- uant I trois efpaces, il n'en pourroit plus parcourir que deux. 107 Tout de mefme, fi B efloit trois fois plus grand que C, il ne luv transfereroit que la quatrième partie de fon mouuement, & ainfi des autres; & B ne fçauroit auoir fi peu de force qu'elle ne luy fuf- ffe louffours pour mouuoir C ; car il eft certain que les plus

a. Voir Correspondance, t. IV, p. 186, 1. j. 92 OEuvRES DE Descartes.

foibles mouuemens doiucnt future les me/mes loix, & auoir à propor- tion les vie/mes effets que les plus forts, bien que fouuent on penfe remarquer le contraire fur cette terre, à caufe de l'air & des autres liqueurs qui enuironnent touj'-jours les corps durs quife meuuent, & qui peuuent beaucoup augmenter ou retarder leur viteffe, ainft qu'il paroijira cj-apres\

5i . La fixiéme'".

La fixiéme, que fi le co'-ps C eftoit en repos, & parfaitement égal en grandeur au corps B, qui fe meut vers luy, il faudrait neceffai- rement qu'\\ fuft en partie pouffé par B, & qu'en partie il le fit rejnllir ; en forte que, fi B eftoit venu vers C auec quatre degrez de viteffe, // faudrait qu'W luy en transferaft vn, & ^w'auec les trois autres il retournafl vers le cofté d'où il feroit venu. Car ejiant neceffaire, ou bien que B pouffe Cfans rejallir, & ainfi qu'il luj- trans- fère deux degrei de fon mouuement ; ou bien qu'il rejalliffe fans le pouffer, & que par confequent il retienne ces deux degre\ de viteffe 108 auec les \ deux autres qui ne luy peuuent efîre ofle^; ou bien enfin qu'il rejalliffe en retenant me partie de ces deux degre^ & qu'il le pouffe en luy en transférant l'autre partie : il efl éuident que, puis qu'ils font égaux, & ainfi qu'il n'y a pas plus de raifon pourquoy il doiue rejallir que pouffer C, ces deux effets doiuent effre également partage^ : c'efl à dire, que B doit transférer à C l'vn de ces deux degrei de viteffe, & rejallir auec l'autre.

52. Lafeptiéme.

La feptiéme & dernière règle ' eft que, fi B & C vont vers vn mcfme cofté, & que C précède, mais aille plus lentement que B, en forte qu'il foit enfin atteint par luy..., il peut arriuer que B transfé- rera vne partie de fa viteffe à C, pour le pouffer deuant foy ; & il peut arriuer auffi qu'il ne luy en transférera rien du tout, mais rejallira, auec tout fon mouuement, vers le cojiéd'oit il fera venu. A fçauoir, non feulement lors que C efl plus petit que B, mais auffi lors qu'il eft plus grand, pourueu que ce en quoy la grandeur de C fur-

a Art. 56, Sj, 58 et Sg.

b. Voir Correspondance, t. IV, p i86, 1. i.

c. Comparée au texte latin, la version française offre ici non seulement, comme dans les articles précédents, d'importantes additions, mais des transpositions et des explications intéressantes.

�� � Principes. — Seconde Partie. çj

pafle celle de B, foit moindre que ce en quoy la vitelle de B furpalie celle de C, jamais B ne doit rejallir, mais pouffer C, en luy trans- férant vne partie de fa viteffe. Et au contraire, lors que ce en quoy la grandeur de C furpaffe celle de B, eft plus grand que ce en quoy la viteffe de B furpafle celle de C, il faut que B rejallifle, fans rien I communiquer à C de fon mouuement; & enfin, lors que 109 l'exce:[ de grandeur qui eji en C, efi parfaitement égal à l'exce\ de ritejfe qui ejl en B, cetuy-cj- doit transférer vne partie de fon mouue- ment à l'autre, & rejallir auec le rejle. Ce qui peut eftre fupputé en cette façon : fi C eft juftement deux fois aufli grand que B, & que B ne fe meuue pas deux foisaufTi vifte que C, mais qu'il en manque quelque chofe, B doit rejallir fans augmenter le mouuement de C ; & fi B fe meut plus de deux fois auffi vite que C, // ne doit point rejallir, mais transférer autant de fon mouuement à C, qu'il ejl re- quis pour faire qu'ils fe meuuent tous deux par après de mefme viteffe. Par exemple, fi C n'a que deux degrez de viteffe, & que B en ait cinq, qui ejl plus que le double, il luy en doit communiquer deux de les cinq, lefquels deux eftant en C, n'en feront "qu'vn, à caufe que C eft deux fois auffi grand que B, & ainfi ils iront tous deux par après auec trois degrez de viteffe. Et les demonftrations de tout cecy font fi certaines, qu'encore que l'expérience nous fembleroit faire voir le contraire, nous ferions neantmoins oblige'^ d'adjoufer plus de foy à nojlre raifon qu'à nos feus.

��53. Que l'explication ' de ces règles est difficile, à caufe que chaque corps ejl touché par plufieurs autres en mefme temps.

En effet, il arriue fouuent que l expérience peut fembler d'abord répugner aux règles que \ Je viens d'expliquer, mais la raifon en ejl liO éuidente. Car elles prefuppofent que les deux corps B & C font par- faitement durs, & tellement feparez de tous les autres, qu'il n'y en a aucun autour d'eu.x qui puijfe ayder ou empefcher leur mouue- ment ; & nous n'en voyons point de tels en ce monde. C'eft pour- quov, auant qu'on puiffe juger fi elles s'y obferuent ou non, il ne fujfit pas de fçauoir comment deu.x corps, tels que B & C, peuuent agir l'vn contre l'autre, lors qu'ils fe rencontrent : mais il faut, outre cela, confiderer comment tous les autres corps qui les enuironnent peuuent augmenter ou diminuer leur aâion. Et pource qu'il n'y a rien qui leur face auoir en cecy des effets differens, finon la diffe-

a. Lire application ?

�� � 94

��OEuvRES DE Descartes.

��rence qui ell entr'eux, en ce que les vns fant liquides ou mous, & les autres durs, il cft befoin que nous examinions, en cet endroit, en quoy conlilknt ces deux qualités d'ellre dur & d'eftre liquide.

54. En quoy confijle la nature des corps durs & des liquides.

En quoy nous dcuons, premièrement, receuoir le témoignage de nos fcns,/7n/s que ces qualité^ fe rapportent à eux ; & ils ne nous enfeignent en cecy autre chofe, fmon que les parties des corps liquides cèdent i\ ailement leur place, qu'elles ne font point de refi- Itance à nos mains, lors qu'elles les rencontrent; & qu'au contraire, dll les parties des corps durs font tellement jointes | les vues aux autres, qu'elles ne peuuent eltre feparées fans vne force qui rompe cette liaiibn qui ell entr'elles. En fuite de quoy, fi nous examinons quelle peut élire la caufe pourquoy certains corps cèdent leur place fans faire de refiftance, & pourquoy les autres ne la cèdent pas de mefme : nous n'en trouuons point d'autre, finon que les corps qui font def-ja en adion pour fe mouuoir, n'empefchent point que les lieux qu'ils font difpofez à quitter d'eux mefmes, ne foient occu- pez par d'autres corps ; mais que ceux qui font en repos, ne peuuent eltre chalïez de leur place, fans quelque force qui rieiuie d'ailleurs, afin de caufer en eux ce changement. D'où il fuitqu'vn corps eft liquide, lors qu'il eft diuifé en plufieurs petites parties qui fe meuuent feparement les vnes des autres en plufieurs façons dif- férentes, & qu'il elt dur, lors que toutes fes parties s'entre-touchent, fans ertre enadion pour s'éloigner l'vne de l'autre.

55. Qu'il n'y a rien qui joigne les parties des corps durs,ftnon qu'elles font en repos au regard l'vne de l'autre.

Et je ne croy pas qu'on puiffe imaginer aucun ciment plus propre à joindre enfcmble les parties des corps durs, que leur propre repos. Car de quelle nature pourroir-il efire ? Il ne fera pas vne chofe qui fubfirte de Iby-mefme : car toutes ces petites parties eflant des fubftances, pour quelle raifon feroient-elles pluftofl: vnies par 112 d'autres fubftances, que par elles-mefmes ? Il | ne fera pas aulTi vne qualité différente du repos, pource qu'il n'y a aucune qualité p\us contraire au mouuement qui pourroit feparer ces parties, que le repos qui eft en elles. Mais, outre les fubftances & leurs qualité-, nous ne connoillbns point qu'il y ait d'autres genres de chofes',

a. Wo'ir Correspondance, t, V, p. 385,

�� � Principes. — Seconde Partie.

��9S

��30. Que les parties des corps /lu Ides ont des mouuemens qui lendeiU éga- lement de tous cojie^, & que la moindre force fuffit pour mouuuir les corps durs qu'elles eiuiironnent.

Pour ce qui ell des corps lluides, bien que nous ne voyons point... que leurs parties le meuuent, d'autant qu'elles l'ont trop petites, nous pouuons neantmoins le connoillre... par plufieurs effets; & principalement parce que l'air & l'eau corrompent plufieurs autres corps, & que les parties doul ces liqueurs font compofées ne pour- roient produire vne adion corporelle, telle qu'eff cette corruption, fi elles ne fe remuoient actuellement. le montrera}' cy-apres ' quelles font les caules qui font mouuoir ces parties. Mais la diffi- culté que nous deuons examiner icy, eff que les petites parties qui compofent ces corps fluides, ne fçauroient le mouuoir toutes en mefme temps de tous coflez, & que neantmoins cela femblc eftrc requis, afin qu'elles n'empefchent pas le mouuement des corps qui peuuent venir vers elles de tous coffez, comme en effect nous voyons qu'elles ne l'empefchent point. Car [\ nous fuppofons, par exemple, que le corps dur B fe meut vers C\ | (!<: que quelques 113 parties de la liqueur qui eff entre-deux..." fe meuuent... de C vers B, tant s'en faut que celles-là facilitent le mouuement de B, qu'au contraire elles l'empefchent beaucoup plus que li elles eltoient tout à fait fans mouuement. Pour refoudre cette dilfi- culté, nous nous fouuiendrons, en cet endroit, que le mouuement elt contraire au repos, & non pas au mouuement; ^ que la déter- mination d'vn mouuement vers vn coffé, eff contraire à la détermi- nation vers le coffé oppofé, comme il a effé remarqué cydelfus' ; &. auffi que tout ce qui fe meut tend toul-jours à continuer de fe mou- uoir en ligne droite". En fuite de quoy il eff éuident... que, lors que le corps B... eil en repos, il eff plus oppofé par fon repos aux mouuemens des petites parties du corps liquide D, prifes toutes ^nfemble, qu'il ne leur feroit oppofé par fon mouuement, s'il fe mouuoit. Et pour ce qui èft de leur détermination, il eff éuident auiîi qu'il y en a tout autant qui fe meuuent de C vers B, comme il y en a qui fe meuuent au contraire ; d'autant que ce font les mefmes

a. Partie m, art. 49, 5o et 5i.

b. En marge : ■■ Voyez en la planche qui fuit la 3 figure. .1 Corrige a la niain : « en la planche 2. « — Même remarque que ci-avaiit, p. 78, note A.

c. Art. 44, p. 88.

d. Art. 39, p. 85.

�� � 96

��Œuvres de Descartes.

��qui, venant de C, hurtent^ contre la fuperficie du corps B, & re- tournent par après vers C. Et bien que quelques vnes de ces parties, prifes en particulier, pouffent B vers F, à mefure qu'elles

114 le rencontrent, & l'empefchent par ce moyen dauantajge de fe mouuoir vers C, que fi elles eitoient fans mouuement : neantmoins pource qu'il y en a tout autant d'autres, qui tendant d'F vers B, le pouffent" versC, ...il n'eff pas plus pouffé par elles toutes d'vn cofté que d'autre, & ne doit point le mouuoir, s'il ne luy arriue rien d'ailleurs...; pource que, quelque figure qu'on fuppofe en ce corps B, il y aura juftement autant de ces parties qui le poufferont vers vn cofté, comme il y en a d'autres qui le poufferont au contraire, pourueu que la liqueur qui l'enuironne n'ait point de cours feni- blable à celuf des riuieres, qui la face couler toute entière vers quelque part... Et je fuppofe que B eft enuironné de tous coftez par la liqueur FD, (S- non pas jujtement au milieu d'elle. Car, encore qu'il y en ait plus entre B & C qu'entre B & F, elle n'a pas pour cela plus de force à le pouffer vers F que vers C, pource qu'elle n'agit pas toute entière contre luy, mais feulement par' celles de fes parties qui touchent fa fuperficie. Nous auons confideré jufques à cette heure le corps B comme eftant en repos ; mais fi nous fuppofons maintenant qu'il foit pouffé vers C par quelque force qui luy vienne de dehors, fi petite qu'elle puiffe eftre, elle fuf- fira, non pas véritablement à le mouuoir toute feule, mais à fe

115 joindre auec les parties du corps liquide FD, en les determilnant à le pouffer auffi vers C, & à luy communiquer vne partie de leur mouuement^

5j. La preuue de l'article précèdent'.

Afin de connoiftre cecy plus diftindement, conjîderons . . . que, quand il n'y a point de corps dur... dans le corps fluide FD, fes petites parties aeioa font difpofées comme vn anneau, & qu'elles fe meuuent circulairement fuiuant l'ordre des marques aei; & que les autres, marquées ouyao, fe meuuent aujji fuiuant l'ordre des

a. Sic dans l'imprimé : « hurtent ».

b. Ainsi corrigé à Verrata. Texte imprimé : « qui tendent d'F vers B qui le pouffent ».

c. Texte imprimé : « & qu'il n'y a que ». A Verrata : « mais feulement par ».

d. Correspondance, t. V, p. 385.

e. Planche II, tigure 3.

�� � Principes. — Seconde Partie. 97

marques ouf. Car, afin qu'vn corps ibit fluide, les petites parties qui le compofent doiuent fe mouuoir en plufieurs façons diffé- rentes, comme il a efté def-ja remarqué". Mais fuppofant que le corps dur B flotte dans le fluide FD entre fes parties a & 0, fans fe mouuoir, confiderons ce qui en auient. Premièrement, il enipefchc que les petites parties aeio ne pafl"ent d'o vers a, & n'acheuent le cercle de leur mouuement; il empefche aufli que celles qui font marquées ouya ne palfent d'à vers 0; de plus, celles qui viennent d'j vers 0, poufl"ent B vers C, & celles qui viennent pareillement ày vers a, le pouffent vers F, d'vne force fi égale que, s'il n'arriiie rien d'ailleurs, elles ne peuuent le faire mouuoir, mais les mes retournent d'o vers u, & les autres d'à vers e ; & au lieu des deux circulations qu'elles faifoient auparauant, elles n'en font plus qu'vne, fuiuant rorjdre des marques aeiouya. Il elt donc manifefle 1^^ qu'elles ne perdent rien de leur mouuement par la rencontre du corps B, & qu'elles changent feulement leur détermination, & ne continuent plus de fe mouuoir fuiuant des lignes fi droites", ni fi approchantes de la droite, que fi elles ne le rencontroient point en leur chemin. Enfin, fi nous fuppofons que B foit poulfé par quelque force qui n'eftoit pas en luy auparauant, je dy que cette force, eftant jointe à celle dont les parties du corps fluide qui viennent à'i vers o le pouffent vers C, ne fçauroit eflre fi petite, qu'elle ne furmonte celle qui fait que les autres qui viennent à'y vers a le repouffent au contraire, & qu'elle fuflît pour changer leur détermi- nation, & faire qu'elles fe meuuent fuiuant l'ordre des marques a/ MO, autant qu'il eft requis pour ne point empefcher le mouue- ment du corps B'; pource que, quand deux corps font déterminez à fe mouuoir vers deux endroits... diredement oppofezl'vn à l'autre, & qu'ils fe rencontrent, celuy qui a plus de force doit changer la détermination de l'autre. Et ce que je viens de remarquer, touchant les petites parties aeiouy, fe doit aufli entendre de toutes les autres parties du corps fluide V D, qui hurtent" contre le corps B : à fçauoir que celles qui le pouffent vers C, font oppofées à vn nombre | égal d'autres qui le pouffent à l'oppofite, & que, pour H peu de force qui' furuienne <3m.v mes plus qu'aux autres, ce peu de force fuffît pour changer la détermination de celles qui en ont

a. Art. 54, p. 94 ci-avant.

b. Correspondance, t. V, p. 385.

c. Voir ci-après, art. 60, p. 99, note c.

d. Voir ci-avant, p. 96, note a.

e. (i qui », corrigé à Verrata. Texte imprimé : « qu'il ».

Œuvres. IV. 44

�� � 98

��OEuvREs DE Descartes.

��moins. Et quand mermc elles ne décriroient pas des cercles tels que ceux qui l'ont icy reprelentez '..., elles employent fans doute leur agitation à te mouuoir circulairemcnt, ou bien en quelques autres façons équiualentes.

58. Qu'vn corps ne doit pas ejlre ejlimé entierenietttjluide,au regard d'vn corps dur qu'il emiironne, quand quelques vues de/es parties Je meuuent moins vite que ne fait ce corps dur.

Or la détermination des petites parties du corps fluide qui em- pefchoient le corps B de fe mouuoir vers C, eflant ainfi changée, ce corps... commencera... de fe mouuoir, & aura tout autant de viteire\ qu'en a la force qui doit eJlre adjoujlée à celle des petites parties de cette liqueur, pour le déterminer à ce mouuement ; pour- ueu toutefois qu'il n'y en ait aucunes parmy elles, qui ne fe meuuent plus vite, ou du moins aulïï vite, que cette force ; pource que, s'il y en a quelques-vnes qui fe meuuent plus lentement, on ne doit pas confi.lerer ce corps A:omme liquide, en tant qu'il en eft compofé ; & en ce cas aufli la momdre petite force ne pourroit pas mouuoir le corps dur qui feroit dedans, d'autant qu'il faudroit qu'elle fuit fi grande, qu'elle puft furmonter la refiflance de celles 118 qui ne fe remueroient pas affez vite. Ainfi nous voyons que l'air, l'eau, & les autres corps Buides refillent affez fenfi|blement aux corps qui fe meuuent parmy eux d'vne vitclfe extraordinaire, & que ces mefmes liqueurs leur cèdent tres-aifement, lors qu'ils fe meuuent plus lentement.

5g. Qu'vn corps dur,ejlanl pouffé par vn autre, ne reçoit pas de luy feul tout le mouuement qu'il acquert, mais en emprunte auffi vne partie du corps Jluide qui l'enuironne.

Toutefois nous deuons penfer que, lors que le corps B eft meu... par vne force extérieure, il ne reçoit pas fon mouuement de la feule force qui l'a pouffé, mais qu'il en reçoit aulTi beaucoup des petites parties du corps fluide qui l'enuironne; & que celles qui com- pofent les cercles aeio & ayuo perdent autant de leur mouuement, comme elles en communiquent aux parties du corps... B, qui font entre o &ia, pource qu'elles participent aux mouuemens circulaires aeioa & ayuoa, nonobftant qu'elles fe joignent fans ceffe à

a. Planche II, figure 3.

b. Art. 6o ci-après.

�� � Principes. — Seconde Partie. 99

d'autres parties de cette liqueur, pendant qu'elles auancent... vers C ; ce qui eft canjl- aiijji qu'elles ne recohient que fort peu Je vtouuemetit de chacune.

��ho. Qu'il ne peut toutefois auoir plus de vitejfe que ce ' corps dur ne luy en donne .

Mais il faut que je rende railbn pourquoy je n'a_v pas dit cy- deflus' que la détermination des parties a/uo deuoit eltre entiere- inent changée, & que feulement elle deuoit Tertre autant qu'il eftoit requis pour ne point empefcher le mouuement du corps B: à fçauoir, pource que ce corps B ne peut fe mouuoir plus vite qu'il n'elt poufle par la force extérieure, encore que... les parties du corps fluide FD ayent fouiuent beaucoup plus d'agitation. Et c'eR ce 119 qu'on doit foigneufement obferuer en philofophant, que de n'attri- buer jamais k vne caule aucun effet qui furpafle l'on pouuoir. Car, fi nous fuppofons que le corps... B, qui elfoit enuironné de tous zoflez de la liqueur F D fans fe mouuoir, eil maintenant pouHe aifez lentement par quelque force extérieure, à fçauoir par celle de ma main, nous ne deuons pas croire qu'il fe meuue auec plus de vitelfe qu'il n'en a receu de ma main, pource qu'il n'y a que la feule impulfion qu'il a receuë de ma main, qui foit caufe de ce qu'il le meut. Et bien que... les parties du corps iluide fe meuuent /ic'»/ ejlre beaucoup plus vite, nous ne deuons pas croire qu'elles Ibient déterminées à des mouuemens circulaires, tels que aeioa & ajuoa, ou autres femblables, qui ayent plus de viteffe que la force qui poulie le corps B, mais feulement qu'elles employent l'agitation qu'elles ont de refte, à le mouuoir en plufieurs autres fiiçons.

61. Qu'vn corps fluide qui fe meut tout entier vers quelque cojlé, emporte neceffairement auec fuy tous les corps durs qu'il contient ou enuironné.

Or il eft aile de connoiftre, parce qui vient d'cllre demonftré, qu'vn corps dur qui eft en repos entre les petites parties d'vn corps fluide qui l'enuironne de tous coftez, eft e'galcinent balancé : en forte que la moindre petite force le peut poulfer de coite & d'autre, nonobftant qu'on le fuppofe fort grand ; foit que cette forjce luv 120

a. Lisez le.

b. Planche II, figure 3.

c. Art. 37, ci-avant p. 97. v. note c.

d. Voir Correspondance, t. V, p. 385:

�� � 121

��loo OEuvRES DE Descartes.

vienne de quelque caufe extérieure, ou qu'elle confifte en ce que tout le corps fluide qui l'enuironne, prend fon cours vers vn cer- tain codé : de mefme que les riuieres coulent vers la mer,&... l'air vers le couchant, lors que les vents d'Orient Ibufflent : car en ce cas il faut que le corps dur qui eft enuironné de tous coftez de cette liqueur, foit emporté auec elle. Et la quatrième règle, fuiuant laquelle il a eflé dit cy-deffus^ qu'vn corps qui eil en repos ne peut eltre meu par vn plus petit, bien que ce plus petit le meuue extrê- mement vite, ne répugne en aucune façon à cela.

62. Qu'on ne peut pas dire proprement qu'vn corps dur fe meul, lorf qu'il ejï ainji emporté par vn corps Jluide.

Et mefme lî nous prenons garde à la vraj'e... nature du mouue- ment, qui n'elt proprement que le tranfport du corps qui fe meut du voifmage de quelques autres corps qui le touchent, & que ce tranfport eft réciproque dans les corps qui fe touchent l'vn l'autre : encore que nous n'ayons pas couftume de dire qu'ils fe meuuent tous deux, nous fçaurons neantmoins qu'il n'eft pas fi vray de dire qu'vn corps dur fe meut, lors qu'eftant enuironné de tous coflez d'vne liqueur, il obéît à fon cours, que s'il auoit tant de force pour luj refifter, qu'il pujl s'empefcher <i'eflre emporté pac elle ; car il s'efloigne beaucoup moins des parties qui l'enui- ronnent, lors qu'il fuit le cours de celte \ liqueur, que lors qu'il ne le fuit point.

63. D'où vient qu'il y a des corps ft durs, qu'ils ne peuuent ejire diuife\ par nos mains, bien qu'ils f oient plus petits qu'elles.

Apres auoir vioiijlré que la facilité que Jtous auons quelquefois à mouuoir de fort grands corps, lors qu'ils flottent ou font fufpendus en quelque liqueur, ne répugne point à la quatrième règle cy- dejfus expliquée", il faut aulTi que je montre comment la difficulté que nous auons à en rompre d'autres qui font affez petits..., le peut accorder auec la cinquième'. Car, s'il eft vray que les parties des corps durs ne foient jointes enfemble par aucun ciment, & qu'il n'y ait rien du tout qui empefche leur feparal ion, fmon qu'elles font en

a. Art. 49, p. 90.

b. Ibidem.

c. An. 5o, p. 91.

�� � Principes. — Seconde Partie. ioi

repos les vnes contre les autres, ainji qu'il a ejlé tantojl dit', & qu'il Ibit vray aufli qu'vn corps qui (c mem, qiioy que lentement, a touf-jours allez de force pour en mouuoir vn autre plus petit qui eft en repos, ainJi qu'enfeigne celte cinquième 7-egle : on peut deman- der pourquoy... nous ne pouuons, auec la feule force de nos mains, rompre vn clou ou vn autre morceau de fer qui eft plus petit qu'elles..., d'autant que chacune des moitiez de ce clou peut eftre prife pour vn corps qui eji en repos contre fon autre moitié, & qui doit, ce femble, en pouuoir eftre feparé par la force de nos mains, puis qu'il n'eft pas fi grand qu'elles, £■ que la nature du mouuemeut confijle en ce que le corps qu'on ditfe mouuoir, ejl \ feparé des autres 122 coips qui le touchent. Mais il faut remarquerque nos mains font fort molles, c'eft à dire qu'elles participent dauantage de la nature des corps liquides que des corps durs, ce qui eft caufe que toutes les parties dont elles font compofées, n'agilîent pas enfemble contre le corps que nous voulons feparer, & qu'il n'y a que celles qui, en le touchant, s'appuyent conjointement fur luy. Car, comme la moitié d'vn clou peut eftre prife pour vn corps, à caufe qu'on la peut feparer de fon autre moitié : de mefme la partie de noftre main qui touche cette moitié de clou, & qui eft beaucoup plus petite que la main entière, peut eftre prife pour vn autre corps, à caufe qu'elle peut eftre feparée des autres parties qui compofent cette main ; & pource qu'elle peut eftre feparée plus aifement du refte de la main, qu'vne autre partie de clou du refte du clou, & que nous fentons de la douleur, lors qu'vne telle feparation arriue aux parties de noftre corps, nous ne fçaurions rompre vn clou auec nos mains ; mais, fi nous prenons vn marteau, ou vne lime, ou des cifeaux, ou quelque autre tel inftrument, & nous en feruons en telle forte que nous appliquions la force de noftre main contre la partie du corps que nous voulons diuifer, qui doit eftre plus petite que la partie de l'inftrument que nous appliquons con|tr'elle, nous pourrons venir 123 à bout de la dureté de ce corps, bien qu'elle foit fort grande.

64. Que je ne reçois point de principes en Phyjique, qui ne Joient aiiffi receus en Mathématique, afin de pouuoir prouuer par demonfiration tout ce que j'en deduiray; & que ces principes fuffifent, d'autant que tous les Phainomenes de la nature peuuent efire explique^ par leur moyen.

le n'adjoufte rien icy touchant les figures, ni comment de leurs diuerfitez infinies il arriue, dans les mouuemens, des diuerfitez

a. Art. 55, p. 94.

�� � 102 OEuVRES DE DeSCARTES.

innombrables : d'autant que ces chofes pourront affez eftre enten- dues d'elles-mefmes, lors qu'il fera temps d'en parler, & que je fuppofe que ceux qui liront mes écrits, fçauent les élemens de la Géométrie, ou, pour le moins, qu'ils ont i'efprit propre à com- prendre les demonllrations de Mathématique. Car j'aduouif franche- ment icy que je ne connoj' point d'autre matière des chofes corpo- relles, que celle qui peut eltre diuifée, figurée & meuë en toutes fortes de façons, c'eit à dire celle que les Géomètres nomment la quantité, & qu'ils prennent pour l'objet de leurs demonitrations; & que je ne confidere.en cette matière, que fes diuifions,fes figures & fes mouuemens ; & enfin que, touchant cela, je ne veux rien receuoirpour vrny, finon ce qui en fera déduit auec tant d'éuidence, qu'il pourra tenir lieu d'vne demonftration Mathématique. Et pource qu'on peut rendre raifon, en cette forte, de tous les Phaino- menes de la nature, comme on pourra juger par ce qui fuit, je ne penfe pas qu'on doiue receuoir d'autres principes en la Phyfique, 124 \ ni mefme qu'on ait raifon d'en fouhaiter d'autres, ^z/e ceux qui font icy explique^.

�� � LES PRINCIPES

��DE

��LA PHILOSOPHIE

��TROISIESME PARTIE. Du monde pifible.

��I. Qu'on nefçauroit penfcr trop hautement des œuures de Dieu.

Apt-es aiioir rejette ce que nous auions autre/ois receu en nojlre créance, auaut que de l'auoir fuffifamment examiné, 'pnh que la raifon toute pure. . . nous a fourny affez de lumière pour nous faire décou- urir quelques principes des chofes matérielles, & qu'elle nous les a prefentez aucc tant d'éuidence que nous ne fçaurions plus douter de leur vérité, il faut maintenant effayer fi nous pourrons déduire de ces feuls principes l'explication de tous les Phainomenes, c'ejl à dire des effets qui font en la nature, & que nous apperceuons par l'enire- mife de nos fens. Nous comlmencerons par ceux qui font les plus 125 généraux, & dont tous les autres dépendent : à fçauoir, par Vadnii- rable flrudure de ce monde vifible. Mais, afin que nous puifiTions nous garder de nous méprendre en les examinant, // me femble que nous deuons foigneufement obferuer deux jhofes : la première eft que nous nous remettions touf-jours deuant les yeux, que la puif- fance & la bonté de Dieu font infinies, afin que cela nous face con- noiftre que nous ne deuons point craindre de faillir, en imaginant fes ouurages trop grands, trop beaux ou trop parfaits; mais que nous pouuons bien manquer, au contraire, fi nous fuppofonsen eux quelques bornes ou quelques limites, dont nous n'ayons aucune connoiflance certaine.

�� � I04 OEuvRES DE Descartes.

��2. Qu'on prefumeroit trop de foy-mefme, fi on entreprenoit de connoiftre

la fin que Dieu s'efi propojé en créant le monde.

La féconde eft que nous nous remcltions auffi touf-jours dcuant les yeuXf que la capacité de nojlre efprit ejl fort médiocre, & que nous ne deuons pas trop prefumer de nous-melmes, comme il femble que nous ferions, fi nous fuppofions que l'vniuers euft quelques limites, fans que cela nous fuft affuré par reuelation diuine, ou du moins par des raifons naturelles fort éuidentes ; pource que ce feroit vou- loir que noftre penfée puft imaginer quelque chofe au delà de ce à quoy la puiffance de Dieu s'eft eftenduë en créant le monde; mais

126 auflî I encore plus, fi nous nous perfuadions que ce n'ell que pour noftre vfage" que Dieu a créé toutes les chofes, ou bien feulement fi nous prétendions de pouuoir connoiftre par la force de noftre efprit quelles font les fins pour lefquelles il les a créées.

3. En quelfens on peut dire que Dieu a créé toutes chofes pour l'homme.

Car encore que ce foit vne penfée pieufe & bonne, en ce qui re- garde les moeurs, de croire que Dieu a fait toutes chofes pour nous, afin que cela nous excite d'autant plus à l'aymer & luy rendre grâces de tant de bien-faits; encore aulTi qu'elle foit vra3'e en quelque fens, à caufe qu'il n'y a rien de créé dont nous ne puiftions tirer quelque vfage, quand ce ne feroit que celuy d'exercer noftre efprit en le confiderant, & d'éftre incitez à loUer Dieu par fon moyen : il n'eft toutefois aucunement vray-femblable que toutes chofes ayent efté faites pour nous, en telle façon que Dieu n'ait eu aucune autre fin en les créant. Et ce feroit, ce me femble, eftre impertinent de fe vouloir feruir de cette opinion pour appuyer des railbnnemens de Phyfique; car nous ne fçaurions douter qu'il n'y ait vne infinité de chofes qui font maintenant dans le monde, ou bien qui y ont efté autrefois & ont def-ja entièrement cefl'é d'eftre, fans qu'aucun homme les ait jamais veuës ou'connuës, & fans qu'elles luy ayent jamais feruy à aucun vfage.

127 I 4. Des Phainomenes ou expériences, & à quoy elles peuuent icy feruir.

Or les principes que j'ay cy-deffus expliquez, font fi amples, qu'on en peut déduire beaucoup plus de chofes que nous n'en

a. Voir Correspondance ^ t. V, p. 53, 1. 24, à p. 56, 1. 22, et ibid., p. 168.

�� � Principes. — Troisiesme Partie. 105

voyons dans le monde, & mefmes beaucoup plus que nous n'en fçau- rions parcourir de la penfée en tout < le > temps de nojire vie. C'eft pourquoy je feray icy vne briéve defcription" des principaux Phai- nomenes, dont je pretens rechercher les caufes, non point afin d'en tirer des raifons qui feruent à prouuer ce que j'ay à dire cy-apres : car j'ay deffein d'expliquer les effets par leurs caufes, & non les caufes par leurs effets ; mais afin que nous puiffions choifir, entre vne infinité d'effets qui peuuent eftre déduits des mefmes caufes, ceux que nous deuons principalement tafcher d'en déduire.

5. Quelle proportion il y a entre le Soleil, la Terre & la Lune, à raifon de leurs diftances & de leurs grandeurs.

Il nous femble d'abord que la Terre eft beaucoup plus grande que tous les autres corps qui font au monde, & que la Lune & le Soleil font plus grands que les Eftoiles ; mais fi nous corrigeons le défaut de noftre veuë par des raifonnemens qui font infaillibles, nous connoiftrons, premièrement, que la Lune eft éloignée de nous d'en- uiron trente diamètres de la Terre, & le Soleil de fix ou fept cent ; & comparant enfuite ces diftances auec le diamètre apparent du Soleil & de la Lune, nous trouuerons que la Lune eft plus petite que la Terre, & que le So|leil eft beaucoup plus grand. 128

6. Quelle dijlance il y a entre les autres Planètes & le Soleil.

Nous connoiftrons aufli, par l'entremife de nos yeux, lors qu'ils feront aydez de la raifon, que Mercure eft diftant du Soleil de plus de deux cent diamètres de la Terre ; Venus, de plus de quatre cent; Mars, de neuf cent ou mille ; lupiter, de trois mille & dauantage ; & Saturne, de cinq ou fix mille.

7. Qu'on peut fuppofer les Eftoiles fixes autant éloignées qu'on veut.

Pour ce qui eft des Eftoiles fixes, félon leurs apparences, nous ne deuons point croire qu'elles foient plus proches de la Terre, ou du Soleil, que Saturne; mais aufli nous n'y remarquons rien qui nous empefche de les pouuoir fuppofer plus éloignées jufques à vne diftance indéfinie. Et nous pourrons conclure, de ce que je diray

a. Texte latin t « brevem historiam w. Voir Correspondance, 1. 1, p. 25i, L .7.

Œuvres. IV. 45

�� � io6 OEuvREs DE Descartes.

cy-apres% touchant les mouuemens des Cieux, qu'elles font fi éloi- gnées de la Terre, que Saturne, à comparaifon d'elles, en eft extrê- mement proche.

.V. Que la Terre, ejlant vcuc du Ciel, ne paroilroit que comme vue Planète moindre que lupiter ou Saturne.

En fuitte de qaoy il eft aifé de connoiftre que la Lune & la Terre paroiftroient beaucoup plus petites, à celuy qui les regarderoit de lupiter ou de Saturne^ que ne paroit lupiter ou Saturne au mefme fpeclateur qui les regarde de la Terre, & que, fi on regardoit le Soleil de dedus quelque. Eftoile fixe, il ne paroiftroit peut eftre pas plus grand que les Eftoiles paroifient à ceux qui les regardent du

129 lieu où nous fommes : de forte que, | fi nous voulons comparer les parties du monde vifible les vnes aux autres, & juger de leurs gran- deurs fans preuention, nous ne deuons point croire que la Lune, ou la Terre, ou le Soleil, foient plus grands que les Eftoiles.

g. Que la lumière du Soleil & des Ejloiles fixes leur efi propre.

Mais, outre que les Eftoiles ne font pas égales en grandeur, on y remarque encore cette ditïerence, que les vnes brillent de leur propre lumière, & que les autres reflechifient feulement celle qu'elles ont receuë d'ailleurs. Premièrement, nous ne fçaurions douter que le Soleil n'ait en foy cette lumière qui nous éblouit, lors que nous le regardons Irop fixement ; car elle eft fi grande que toutes les Eftoiles enfemble ne luy en pourroient pas tant commu- niquer, pource que celle qu'elles nous enuoyent eft incompara- blement plus foibie que la fienne, bien qu'elles ne foient pas tant éloignées de nous que de luy; & s'il y auoit dans le monde quelqu'autre corps plus brillant, duquel il empruntait fa lumière, il faudroit que nous le viffions. Mais fi nous confiderons aulB combien font vifs & eftincelans les rayons des Eftoiles fixes, nonobftant qu'elles foient extrêmement éloignées de nous & du Soleil, nous ne ferons pas de difficulté de croire qu'elles luy reffemblent : en forte que, fi nous eftions aulli proches de quelqu'vne d'elles, que nous

130 fommes de luy, | celle-là nous paroiftroit grande &. lumineufe comme vn Soleil.

a. Art. 20 et 41.

�� � Principes. — Troisiesme Partie. 107

��10. Que celle de la Lune & des autres Planètes ejl empruntée du Soleil.

Au contraire, de ce que nous voyons que la Lune n'éclaire que du cofté qui elt oppofé au Soleil, nous deuons croire qu'elle n'a point de lumière qui luy foit propre, & qu'elle renuoye feulement vers nos yeux les rayons qu'elle a receus du Soleil. Cela a eilé obferué depuis peu fur Venus, auec des lunettes de longue-veuë ; & nous pouuons juger le femblable de Mercure, Mars, lupiter & Saturne, pource que leur lumière nous paroit beaucoup plus foible & moins éclatante que celle des Eftoiles fixes, & que ces Planètes ne font pas fi éloignées du Soleil, qu'elles n'en puiffent eftre éclairées.

/ 1 . Qu'en ce qui ejl de la lumière, la Terre ejl femblable aux Planètes.

Enfin, de ce que nous voyons que les corps dont la Terre ell compofée font opacques, & qu'ils renuoyent les rayons qu'ils re- çoiuent du Soleil, pour le moins auifi fort que la Lune : car les nuages qui l'enuironnent ', bien qu'ils ne foient compofez que de celles de fes parties qui font les moins opacques & les moins propres à réfléchir la lumière, nous paroiffent auffi blancs que la Lune, lors qu'ils font éclairez du Soleil ; nous deuons conclure que la Terre, en ce qui ell de la lumière, n'efi point différente de la Lune, de Venus, de Mercure, &. des autres Planètes.

I /2. Que la Lune, lors qu'elle ejl nouuelle, ejl illuminée par la Terre. 131

Nous en ferons encore plus affeurez, fi nous prenons garde à vne certaine lumière foible qui paroill fur la partie de la Lune qui n'eil point éclairée du Soleil, lors qu'elle eil nouuelle, qui fans doute luy eil enuoyée de la Terre par reflexion, pource qu'elle diminue peu à peu, à mefure que la partie de la Terre qui eft éclairée du Soleil, fe defl:ourne de la Lune.

i3. Que le Soleil peut ejlre mis au nombre des EJioiles Jîxes, & la Terre au nombre des Planètes.

Tellement que, fi nous fuppofions que quelqu'vn de nous fuft deffus lupiter, & qu'il confideraft nofire Terre, il elt éuident qu'elle

a. A savoir « la Terre ».

�� � io8 OEuvRES DE Descartes.

luy paroiflroit plus petite, mais peut eftre auffi lumineufe que Jupi- ter rîous paroit ; & qu'elle paroiftroit plus grande au mefme fpeda- teur, s'il eftoit fur quelqu'autre Planète plus voifine ; mais qu'il ne la verroit point du tout, s'il eftoit fur quelqu'vne des Eftoiles fixes, à caufe de la trop grande diftance. Ainfi la Terre pourra eftre mife au nombre des Planètes, & le Soleil au nombre des Eftoiles fixes.

14. Que les EJîoiles fixes demeurent touf-jours en mefme fituation au regard l'vne de l'autre, & qu'il n'en ejl pas de mefme des Planètes.

Il y a encore vne autre différence entre les Eftoiles, qui confifte en ce que les vnes gardent vn mefme ordre entr'elles, & fe trouuent touf-jours également diftantes, ce qui eft caufe qu'on les nomme fixes ; & que les autres changent continuellement de fituation, ce qui eft caufe qu'on les nomme Planètes ou Eftoiles errantes.

132 l i5. Qu'on peut vfer de diuerfes hypothef es pour expliquer

les Phainomenes des Planètes.

Et comme celuy qui, eftant en mer pendant vn temps calme, regarde quelques autres vaiffeaux affez éloignez qui luy femblent changer de fituation, ne fçauroit dire bien fouuent fi c'eft le vaif- feau fur lequel il eft, ou les autres, qui en fe remuant caufent vn tel changement; ainfi, lors que nous regardons, du lieu où nous fommes, le cours des Planètes & leurs différentes fituations, après les auoir bien confiderées, nous n'en fçaurions tirer aucun éclair- ciflement qui foit tel que nous puiffions déterminer, par ce qui nous paroit, quel eft celuy de ces corps auquel nous deuons propre- ment attribuer la caufe de ces changemens ; & pource qu'ils font inégaux & fort embrouillez, il n'eft pas aifé de les démefler, fi, de toutes les façons dont on les peut eritendre, nous n'en choifilfons vne, fuiuant laquelle nous fuppofions qu'ils fe faffent. A cette fin, les Aftronomes ont inuenté trois différentes hypothefes ou fuppo- fitions, qu'ils ont feulement tafché de rendre propres à expliquer tous les phainomenes, fans s'arrefter particulièrement à examiner fi elles eftoient auec cela conformes à la vérité.

16. Qu'on ne les peut expliquer tous par celle de Ptolemée.

Ptolemée inuenta la première; mais, comme elle eft ordinaire- ment improuuée de tous les Philofophes, pource qu'elle eft con-

�� � Principes. — Troisiesme Partie. 109

traire à plufieurs obferuations qui ont efté faites depuis \ peu % & 133 particulièrement aux changemens de lumière qu'on remarque fur Venus, femblables à ceux qui fe font fur la Lune, je n'en parleray pas icy dauantage".

77. Que celles de Copernic S de Tycho ne différent point, fi on ne les confidere que comme hypothefes.

La féconde eft de Copernic, & la troifiéme de Tycho Brahe : lefquelles deux, en tant qu'on les prend feulement pour des fuppo- fitions, expliquent également bien les phainomenes, & il n'y a pas beaucoup de différence entr'elles. Neantmoins celle de Copernic me femble quelque peu plus fimple & plus claire; de forte que Tycho n'a pas eu fujet de la changer, fmon pource qu'il effayoit d'expliquer comment la chofe eftoit en effet, & non pas feulement par hypothefe.

18. Que par celle de Tycho on attribué en effet plus de mouuemcnt à la Terre que par celle de Copernic, bien qu'on luy en attribué moins en paroles.

Car d'autant que Copernic n'auoit pas fait difficulté d'accorder que la Terre eftoit meuë, Tycho, à qui cette opinion fembloit abfurde & entièrement éloignée du fens commun, a tafché de la corriger; mais, pource qu'il n'a pas aflez conlideré quelle eft la vraye nature du mouuement, bien qu'il ait dit que la Terre eftoit immobile, il n'a pas laifl'é de luy attribuer plus de mouuement que l'autre.

19. Que je nie le mouuement de la Terre auec plus de foin que Copernic,

& plus de vérité que Tycho.

C'éft pourquoy, fans eftre en rien différent de ces deux, excepté en cela feul, que j'auray plus de foin que Copernic de ne point

a. En marge de l'exemplaire annoïc : « Comme, enir'autres, que Mars nous paroist plus proche que le Soleil, et que Venus ei Mercure nous paroissent plus éloignez que le Soleil : ce qui ne seroit point, si l'hypo- thèse de Ptolemée estoit vraye. De plus, les différentes faces {lise^ phases) qu'on a obseruées sur Venus comme sur la Lune, qui nous paroist cornue, tantost en croissant, tantost en son decours, et qui nous paroist presque plaine quand le Soleil est entre elle et nous, et par conséquent plus éloignée de nous que le Soleil, font voir que l'hypo- thèse de Ptolemée n'est pas véritable. >• (Note MS.)« De Marte(!) sub Sole viso. Imprimé en Hollande. » lIdem.)\oii: la Note II ;i la fin du volume.

b. Voir Correspondance, t. V, p. 386.

�� � iio Œuvres de Descartes.

i34 attribuer de mouuement à la Terre, & que je tafcheray | de faire que mes raifons, fur ce fujet, foient plus vrayes que celles de Tycho : je propoferay icy l'hypothefe qui me femble ertre la plus fimple de toutes & la plus commode, tant pour connoiltre les Phainomenes, que pour en rechercher les caufes naturelles. Et cependant j'aduer- tis que je ne pretens point qu'elle foit receuë comme entièrement conforme à la vérité, mais feulement comme vne hypothefe, ou fiip- pofitiou qui peut e/lrefaii(Jl'.

20. Qu'il faut Juppofer les Ejlniles fixes extrêmement éloignées

de Saiwne.

Premièrement, à caufe que nous ne fçauons pas encore aflure- ment quelle diltance il y a entre la Terre & les Eltoiles fixes, &. que nous ne fçaurions les imaginer fi éloignées que cela répugne à l'expérience, ne nous contentons point de les mettre au deffus de Saturne, où tous les Aiîronomes auoiient qu'elles font, mais prenons la liberté de les fuppofe'r autant éloignées au-delfus de luy, que cela pourra eflre vtile à noftre deffein. Car /i nous voulions juger de leur hauteur par la comparaifon des dirtances qui Ibnt entre les corps que nous voyons fur la Terre, celle qu'on leur attribué dcf-ja, feroit auHi peu croyable que la plus grande que nous fçaurions imaginer; au lieu que, li nous confiderons la toute-puiflance de Dieu qui les a créées, la plus grande diilance que nous pouuons 135 conceuoir, n'elt pas moins croyable qu'v|ne plus petite. Et je feray voir cy-apres " qu'on ne Içauroit bien expliquer ce qui nous paroit, tant des Planètes que des Comètes, fi on ne fuppofc vn très-grand efpace entre les Efioiles fixes & la fphere de Saturne.

21 . Que la matière du Soleil, ainji que celle de lajljmme, ejl fort mobile ; mais qu'il n'ejl pas befoin pour cela qu'il pafj'e tnut entier d'vn lieu en vn autre.

En fécond lieu, puis que le Soleil a cela de conforme auec la flamme & auec les Eltoiles fixes, qu'il fort de luy de la lumière, laquelle il n'emprunte poinl d'ailleurs, imaginons qu'il cil femblable auffi à la flamme, en ce qui efl de fon mouuement, ^ aux Efioiles fixes, en ce qui concerne fa fituation. Et comme nous ne voyons rien fur la Terre qui foit plus agité que la flamme, en forte que, fi les

a. An. 41.

�� � Principes. — Troisiesme Partie. i i i

corps qu'elle touche ne Ibnt grandement durs & Iblides, elle efbranle toutes leurs petites parties, & emporte auec foy celles qui ne luf font point trop de fejî/lence : toutefois fon mouuement ne confifte qu'en ce que chacune de Ces parties fe meut leparement, car toute la flamme ne palTe point pour cela d'vn lieu en vn autre, fi elle n'ell tranfportée par quelque corps auquel elle foit attachée. Ainfi nous pouuons croire que le Soleil ell compole d'vne matière fort liquide, & dont les parties font fi extrêmement agitées, qu'elles emportent auec elles les parties du Ciel qui leur font voifines & qui les enuironnent ; mais qu'il a cela de commun auec les Eftoiles fixes, qu'il nelpaffe point pour cela d'vn endroit du Ciel en vn autre. 136

22. Que le Soleil n'a pas befoin d'aliment comme la flamme.

Et on n'a pas fujet de penfer que la comparaifon que je fais du Soleil auec la flamme ne foit pas bonne, à caufe que toute la flamme que nous voyons fur la Terre a befoin d'eftre jointe à quelque autre corps qui luy férue de nourriture, & que nous ne remarquons point le mefme du Soleil. Car, fuiuant les loix de la nature, la flamme, ainfi que tous les autres corps, continueroit d'eftre, après qu'elle cft vne fois formée..., & n'auroit point befoin d'aucun aliment à cet effet, fi fes parties, qui font extrêmement fluides, & mobiles n'al- loient point continuellement fe méfier auec lair qui eft autour d'elle, & qui, leur q/fant leur agitation, fait qu'elles cejfent de la compofer. Et ainfi ce n'eft pas proprement pour eftre conferuée, qu'elle a befoin de nourriture, mais afin qu'il renaiffe continuel- lement d'autre flamme qui luy fuccede, à mefure que l'air la dil- fipe. Or nous ne voyons pas que le Soleil foit ainfi didipé par la matière du Ciel qui l'enuironne; c'eil pourquoy nous n'auons pas fujet de juger qu'il ait befoin de nourriture comme la flamme, encore qu'il luy rejfemble en autre chofe. Et toutefois j'cfpere faire voir cy-apres ', ^«^7/ /«;- ejl encore feniblable en cela, qu'il entre en luy fans ceffe quel|que matière, & qu'il en fort d'autre. 131

23. Que toutes les EJloiles ne font point en vne fuperficie fpheriqae, & qu'elles font fort éloignées l'vne de l'autre.

Au refte, il faut icy remarquer que, fi le Soleil & les Eftoiles fixes fe reflemblent en ce qui efl de leur fituation, nous ne deuons pas

a Art. 69.

�� � 112 Œuvres de Descartes.

juger qu'elles loient toutes en la fuperficie d'vne mefme fphere, ainfi que plufieurs fuppofent qu'elles font, pource que le Soleil ne peut eftre auec elles en la fuperficie de cette fphere ; mais que, tout ainfi qu'il eft enuironné d'vn vafte efpace, où il n'y a point d'Eftoile fixe, de mefme que chaque Eftoile fixe eft fort éloignée de toutes les autres, & que quelques-vnes de ces Eftoiles font plus éloignées de nous & du Soleil que quelques autres. En forte que, fi S, par exemple, eft le Soleil, F f feront des Eftoiles fixes, & nous en pourrons con- ceuoir d'autres fans nombre, au deffus, au deffous, & par delà le plan de cette figure, efparfes par toutes les dimenfions de l'efpace '.

24. Que les Cisux font liquides.

En troifiéme lieu, penfons que la matière du Ciel eft liquide, aufli bien que celle qui compofe le Soleil & les Eftoiles fixes. C'eft vne opinion qui eft maintenant communément receu(; des Aftronomes, pource qu'ils voyent qu'il eft prefquc impoffible fans cela de bien expliquer les phainomenes.

25. Qu'ils tranfportent auec eux tous les corps qu'ils contiennent.

Mais il me femble que plufieurs fe méprenent en ce que, vou- 138 lant attribuer au Ciel la pro|priété d'eftre Jiquide, ils l'imaginent comme vn efpace entièrement vuide, lequel non feulement ne rcfiftc point au mouuemcnt des autres corps, mais auffi qui n'ait aucune force pour les mouuoir & les emporter auec iby ; car outre qu'il ne fçauroit y auoir de tel vuide en la nature, il y a cela de commun en toutes les liqueurs, que la raifon pourquoy elles ne refiftent point aux mouuemens des autres corps, «'eft pas qu'elles ayent moins qu'eux de matière, mais qu'elles ont autant ou plus d'agi- tation, & que leurs petites parties peuucnt aifement eftre détermi- nées à fe mouuoir de tous coftez; & lors qu'il arriue qu'elles font déterminées à fe mouuoir toutes enfemble vers vn mefme cofté, cela fait qu'elles doiuent necelTairement emporter auec elles tous les corps qu'elles embraftent & enuironnent de tous coftez, & qui ne font point empefchez de les fuiure par aucune caufe extérieure, quoy que ces corps foicnt entièrement en repos, & durs & folides, ainfi qu'il fuit éuidemment de ce qui a efté dit cy-de(Tus' de la nature des corps liquides.

a. Planche III.

b. Partie II, art. 61 p. 100

�� � Principes. — Troisiesme Partie. i i j

��26. Que la Terre fe repofe en/on Ciel, mais qu'elle ne laiffe pas d'ejlre tranfportée par luy.

En quatrième lieu, puis que nous vo3'ons que la Terre n'eft point fourtenuë par des colomnes, ni fufpenduë en l'air par des cables, mais qu'elle eft enuironnée de tous coftez d'vn Ciel très-liquide, penfons qu'elle eft en repos, & qu'elle | n'a point de propenfion au 139 mouuement, veu que nous n'en remarquons point en elle ; mais ne croyons pas auffi que cela puiffe empefcher qu'elle ne foit emportée par le cours du Ciel, & qu'elle ne fuiue fon mouuement fans pour- tant fe mouuoir : de mefme qu'vn vaiffeau, qui n'eft point emporté par le vent, ni par des rames, & qui n'eil point auiTi retenu par des ancres, demeure en repos au milieu de la mer, quoy que peut élire lejlux ou reflux àç. cette grande malTe d'eau l'emporte infen- fiblement auec foy.

27. Qu'il en eft de mefme de toutes les Planètes.

Et tout ainfi que les autres Planètes reffemblent à la Terre, en ce qu'elles sont opacques & qu'elles renuoyent les rayons du Soleil, nous auons fujet de croire qu'elles luy reffemblent encore, en ce qu'elles demeurent co»î7He elle en repos, en la partie du Ciel où cha- cune fe trouue, & que tout le changement qu'on obferue en leur fituation, procède feulement de ce qu'elles obeïffent au mouuement de la matière du Ciel qui les contient.

��2<?. Qu'on ne peut pas proprement dire que la Terre ou les Planètes fe meuuent, bien qu'elles foient aiitfi tranfportées.

Nous nous fouuiendrons aufti, en cet endroit, de ce qui a efté dit cy-delfus", touchant la nature du mouuement, à fçauoir qu'à pro- prement parler, il n'eft que le tranfport d'vn corps, du voifinage de ceux qui le touchent immédiatement & que nous confiderons comme en re|pos, dans le voifinage de quelques autres; mais que, félon 140 l'vfage commun, on appelle fouuent, du nom de mouuement, toute action qui fait qu'vn corps pall'e d'vn lieu en vn autre; & qu'en ce fens on peut dire qu'vne mefme chofc en mefme temps eft mcuc & ne l'eft pas, félon qu'on détermine fon lieu diuerfem'mt. Or on ne

a. Partie II, art, 23. Pi 761

Œuvres. IV. 46

�� � 114 OEuvREs DE Descartes.

fçauroit trouuer dans la Terre, ni dans les autres Planètes, aucun mouuement, félon la propre fignilîcation de ce mot, pource qu'elles ne font point tranfportées du voifinage des parties du Ciel qui les touchent, en tant que nous confiderons ces parties comme en repos ; car pour eftre ainfi tranfportées, il faudroit qu'elles s'éloignalfcnt en mefme temps de toutes les parties de ce Ciel prifes enfemble, ce qui n'arriue point. Mais la matière du C^iel eftant liquide, & les parties qui la compofent fort agitées, tantoft les vnes de ces parties s'éloignent de la Planète qu'elles touchent, & tantoit les autres, & ce, par vn mouuement qui leur ell propre, & qu'on leur doit attri- buer pluftort qu'à la Planète qu'elles quittent : de mefme qu'on attri- bue les particuliers tranfports de l'air ou de l'eau qui fe font lur la fuperficie de la Terre, à l'air ou à l'eau, & non pas à la Terre.

2q. Que, mefme en parlant improprement & fuiuant l'vfage, on ne doit point attribuer de mouuement à la Terre, mais feulement aux autres Planètes.

Et fi on prend le mouuement fuiuant la façon vulgaire, on peut

141 bien dire que toutes les | autres Planètes fe meuuent, mefmes le Soleil & les Eftoiles fixes; mais on ne fçauroit parler ainfi de la Terre, que fort improprement. Car le peuple détermine les lieux des Eftoiles, par certains endroits de la Terre qu'il confidere comme immobiles, & croit qu'elles fe meuuent, lors qu'elles s'éloignent des lieux qu'il a ainfi déterminez : ce qui eft commode à l'vfage de la vie, & n'eit pas imaginé fans raifon, pour ce que, comme nous auons tous jugé dés noltre enfance que la Terre eltoit plate & non pas ronde, & que le bas & le haut, & les parties principales, à fçauoir le leuant, le couchant, le midy & le feptentrion, eltoient touf-jours & par tout les mefmes; nous auons marqué par ces choses, qui ne font arre/lées qu'en nojlre peufée, les lieux des autres corps. Mais fi vn Philofophe, qui fait prof ejjion de rechercher la vérité, ayant pris garde que la Terie elt vn globe qui tlutte dans vn Ciel liquide, dont les parties ibnt extrêmement agitées, (S: que les Elloiles fixes gardent entr'elles touf-jours vne mefme fituation, fe vouloir feruir de ces Elloiles & les confiderer comme fiables, pour déterminer le lieu de la Terre, & en fuitte de cela vouloir conclure qu'elle fe meut, il fe méprendroit, & fon difcours ne feroit appuyé d'aucune raifon. Car

142 fi on prend le lieu en fon vray fens, & comme tous | les Philofophes qui en connoifient la nature le doiuent prendre, il faut le déter- miner par les corps qui touchent immédiatement celuy qu'on dit

�� � 143

��Principes. — Troisiesme Partie. 115

eftre meu, & non par ceux qui font extrêmement éloignez, comme font les Eftoiles fixes au regard de la Terre; & fi on le prend selon l’vfage, on n’a point de raifon pour fe perfuader que les Eftoiles foient ftables pluftoft que la Terre, fi ce n’eft peut eftre qu’on s’imagine qu’il n’y a point d’autres corps par delà les Eftoiles qu’elles puiffent quitter, & au regard defquels on puifl’e dire qu’elles fe meuuent, & que la Terre demeure en repos, au mefme fens qu’on prétend pouuoir dire que la Terre fe meut au regard des Eftoiles fixes. Mais cette imagination feroit fans fondement, pource que noftre penfée eftant de telle nature, qu’elle n’aperçoit point de limites qui bornent l’vniuers, quiconque prendra garde à la grandeur de Dieu & à la foiblefle de nos fens, jugera qu’il eft bien plus à propos de croire que peut eftre, au delà de toutes les Eftoiles que nous voyons, il y a d’autres corps au regard defquels il faudroit dire que la Terre eft en repos & que les Eftoiles fe meuuent, que de fuppofer que la puiffance du Créateur eji fi peu parfaite, qu’il n’y en Içauroit auoir de tels, aiufi que doiiieut supposer ceux qui ajfurcvt eu cette façon que la Terre se meut. Que Ji ueautmoius cy-apres, pour uous accommoder à l’i'fage, nous femblons attribuer quelque mouuement à la Terre, il faudra penfer que c’ejl en parlant improprement, & au mefme fens que l’on peut dire quelquefois de ceux qui dorment & font couche^ dans vn raijjeau, qu’ils pajjent cependant de Calais à Douure, à cause que le raiffeau les y porte.


30. Que toutes les Planètes sont emportées autour du Soleil par le Ciel qui les contient.


Apres auoir ofté par ces raifonnemens tous les scrupules qu’on peut auoir touchant le mouuement de la Terre, penfons que la matière du Ciel où font les Planètes, tourne fans ceffe en rond, ainfi qu’vn tourbillon qui auroit le Soleil à Ion centre, & que fes parties qui font proches du Soleil fe meuuent plus vite que celles qui en font éloignées yw/^i/es à vue certaine dijîance, & que toutes les Planètes (au nombre defquelles nous mettrons déformais la Terre) demeurent touf-jours fufpenduës entre les mefmes parties de cette matière du Ciel. Car par cela feul, & fans y employer d’autres machines, nous ferons aifement entendre toutes les chofes qu’on remarque en elles. D’autant que, comme dans les deftours des riuieres où l’eau fe replie en elle-mefme, & tournoyant ainft fait des cercles, fi quelques feftus, ou autres corps fort légers, flotent parmy cette eau, on peut voir qu’elle les emporte & les fait mouuoir en | rond 144

ii6 Œuvres de Descartes.

auec foy; & mefme, parmy ces feftus, on peut remarquer qu'il y en a fouuent quelques-vns qui tournent auffi autour de leur propre centre; & que ceux qui font plus proches du centre du tourbillon qui les contient, acheuent leur tour pluftoft que ceux qui en font plus éloignez; & enfin que, bien que ces tourbillons d'eau affeftent touf-jours de tourner en rond, ils ne décriuent prefque jamais des cercles entièrement parfaits, & s'eftendent quelquefois plus en long, & quelquefois plus en large, de façon que toutes les parties de la circonférence qu'ils décriuent, ne font pas également dijlantes du centre. Ainfi on peut aifement imaginer que toutes les mefmes chofes arriuent aux Planètes; & il ne faut que cela feul pour expli- quer tous leurs phainomenes.

3i. Comment elles font ainfi emportées.

Penfons donc que S' eft le Soleil, & que Joute la matière du Ciel qui l'enuironne, tourne de mefme cofté que luy, à fçauoir du cou- chant par le midy vers l'orient, ou de A par B vers C, fuppofant que le Pôle Septentrional eft éleué au deffus du plan de cette figure. Penfons auffi que la matière qui eft autour de Saturne, employé quafi trente années à luy faire parcourir tout le cercle marqué t); & que celle qui enuironne lupiter, le porte en douze ans, auec les autres 145 petites Planètes qui l'accompagnent, | par tout le cercle ^; que Mars acheue par mefme moyen en deux ans, la Terre auec la Lune en vn an, Venus en huid mois, Mercure en trois, leurs tours qui nous font reprefentez par les cercles marquez cf T 5 ^ .

32. Comment Je font auffi les ta'-hes qui Je voyentfur lajuperficie

du Soleil.

Penfons auffi que ces corps opacques qu'on voit auec des lunettes de longue-veuë fur le Soleil, & qu'on nomme fes taches, fe meuuent fur fa fuperficie, & employent vingt-fix jours à y faire leur tour.

33. Que la Terre eft auffi portée en rond autour de fou centre, & la Lune autour de la Terre.

Penfons, outre cela, que dans ce grand tourbillon qui compole vn Ciel duquel le Soleil efl le centre, il y en a d'autres plus petits qu'on

a. Planche IV.

�� � 146

��Principes. — Troisiesme Partie. 117

peut comparer à ceux qu'on voit quelquefois dans le tournant des riuieres, où ils fuiueiit tous enfemble le cours du plus grand qui les contient, & fe meuuent du mefme cofté qu'il fe meut; & que l'vn de ces tourbillons a lupiter en fon centre, & fait mouuoir auec luy les autres quatre Planètes qui font leur circuit autour de cet Aftre, d'vne viteffe tellement proportionnée, que la plus éloignée des quatre acheue le fien à peu près en feize jours, celle qui la fuit en fept, la troifiéme en quatre-vingt cinq heures, & la plus proche du centre en quarante-deux; & qu'elles tournent ainfi plufieurs fois autour de luy, pendant qu'il décrit vn grand cercle autour du Soleil : de I mefme que l'vn des tourbillons dont la Terre eft le centre, fait mouuoir la Lune autour de la Terre en l'efpace d'vn mois, & la Terre mefme fur fon elTieu en l'efpace de vingt-quatre heures, & que, dans le temps que la Lune & la Terre parcourent ce grand cercle qui leur efl commun & qui fait Tannée, la Terre tourne en- uiron 365 fois fur fon eflieu, & la Lune enuiron douze fois autour de la Terre.

34. Que les mouuemens des deux ne font pas parfaitement circulaires.

Enfin nous deuons penfer que les centres des Planètes ne font point tous exadement en vn mefme plan, & que les cercles qu'elles décriuent ne font point parfaitement ronds, mais qu'il s'en faut touf- jours quelque peu que cela ne foit exaft, & mefme que le temps y apporte fans ceffe du changement, ainfi que nous voyons arriuer en tous les autres effets de la nature.

35. Que toutes les Planètes ne font pas touf-jours en vn mefme plan.

De façon que, fi cette figure" nous reprefente le plan dans lequel eft le cercle que le centre de la Terre décrit chaque année, lequel on nomme le plan de l'Ecliptique, on doit penfer que chacune des autres Planètes fait fon cours dans vn autre plan quelque peu incliné fur cetuy-cy, & qui le coupe par vne ligne qui 11e paffe pas loin du centre du Soleil, & que les diuerjes inclinations de ces plans font déterminées par le moyen des EJloiles fixes. Par exemjple, le 147 plan dans lequel efl maintenant la route de Saturne, coupe l'Eclip- tique vis à vis des Signes de l'Efcreuiffe & du Capricorne, & efl in- cliné vers le Nord vis à vis de la Balance, & vers.le Zud vis à vis du

a. Planche IV.

�� � ii8 OEuvRES DE Descartes.

Bélier : & l'angle qu'il fait auec le plan de l'Ecliptique, en s'incli- nant de la forte, eit enuiron de deux degrez & demy. De mefme les autres Planètes font leur cours en des plans qui coupent celuy de l'Ecliptique en d'autres endroits; mais l'inclination eit moindre en ceux, de lupiter & de Mars, qu'elle n'eft en celuy de Saturne; elle eft enuiron d'vn degré plus grande en celuy de Venus, & elle eft beau- coup plus grande en celuy de Mercure, où elle eft prefque de fept degrez. De plus, les taches qui paroili'ent fur la fuperficie du Soleil, y font auffi leur cours en des plans inclinés à celuy de l'Ecliptique, de fept degrez ou dauantage (au moins fi les obferuations du Père Scheiner' font vrayes, & il les a faites auec tant de foin, qu'il ne femble pas qu'on en doiue defirer d'autres que les fiennes fur cette matière) \ . . La Lune aufti fait fon cours autour de la Terre dans vn plan incliné de cinq degrez fur celuy de l'Ecliptique; & enfin la Terre mefme eft portée autour de fon centre fuiuant le plan de l'Equa- teur, lequel elle transfère partout auec foy, & il eft écarté de 23 de- 148 grez & demvde celuy de l'Eclilptique.Et on nomme la laliliidc des Planètes, la quantité des degrez qui le comptent ainfi entre l'Ecli- ptique & les endroits de leurs plans où elles le trouuent'.

36. Et que chacune n'ejl pas touf-jours également éloignée d'vn mefme centre.

Mais le circuit qu'elles font autour du Soleil, fe nomme leur lon- gitude : en laquelle il y a auftl de l'irrégularité, en ce que n'eftant pas touf-jours à mefme diftance du Soleil, elles ne Jemblent pas fe mouuoir touf-jours à fon égard de mefme viiejfe. Car au fiecle où nous fommes, Saturne eft plus éloigné du Soleil enuiron de la vingtième partie de hi diftance qui eft entr'eux, lors qu'il eft au figne du Sagitaire, que lors qu'il eft au figne des lumeaux; & lors que lupiter eft en la Balance, il en eft plus éloigné que lors qu'il eft au Bélier; & ainfi les autres Planètes se trouuent en des lieux dif- ferens, & ne font pas vis à vis des mefmes lignes, lors qu'elles font aux endroits où elles s'approchent ou s'éloignent le plus du Soleil. Mais après quelques fiecles, toutes ces chofes feront autrement dif- pofées qu'elles ne font à prefent, & ceux qui feront alors pourront remarquer que les Planètes, & la Terre aufti, couperont le plan où

a. Voir Correspondance de Descartes, t. I, p. ii5 et p. 283.

b. Dans rédition princeys, la parenihèse est fermée deux lignes plus haut, après vraj'es.

c. Voir Correspoud'jncc, t. V, p. 386,

�� � Principes. — Troisiesme Partie. 119

eft maintenant l'Ecliptique, en des lieux ditïeiens de ceux où elles le coupent à prelent, & qu'elles s'en écarteront vn peu plus ou moins, & ne ieront pas vis à vis des mel'mes iignes où elles ] le trouuent maintenant, lors qu'elles font plus ou moins éloignées du Soleil '.

3-. Que tous les Phainomenes peuuent ejlre explique^par l'Itypothefe

icy propofée.

En fuite de quoy il n'eft pas befoin que j'explique comme on peut entendre, par cette hypothefe, que fe font les jours & les nuits, les ellez &les hyuers, . . .le croillant & le decours de la Lune, les ecly- pfes, les itations & rétrogradations des Planètes, l'auancement des equinoxes", la variation qu'on remarque en l'obliquité de l'Eclip- tique % & chofes femblables : car il n'y a rien en cela qui ne foit facile à ceux qui font vn peu verfez en rArtronomiC.

38. Que, fuitiant l' hypothefe de Tycho, on doit dire que la Terre Je meut autour de /on centre.

Mais je diray encore icy en peu de mots, comiTient par l'hypo- thefe de Brahé, qui elt receuë communément par ceux qui rejettent

a. Voir Correspondance, t. V, p. 386.

b. En marge de l'exemplaire annote : « Car autrefois, du temps de Pto- » lemce, les equinoxes se fesoieni au premier point d'Aries et de Libra; » maintenant ils se font au 22 degré de Pisces et de Virgo qui sont 8 degrez » auparauani, auant {erreur pour d'autant) que c'est en ces points, et non » plus au premier d'Aries et de Libra, que l'Equateur et l'Eclyptique » s'entrecoupent.» (Note MS.) — L'auteur de cette Note se met en contra- diction avec l'usage constant des astronomes depuis Hipparque. On sait, en effet, que les longitudes se comptent toujours du point vernal, et sont, par suite, variables en raison de son déplacement.

c. Ibidem : " C'est a dire la variation qui arriue a la déclinaison de i> l'Eclypùque au regard de l'Equateur, sur lequel elle est maintenant .1 inclinée de 23 d. et demy. Et du temps de Copernic, elle n'estoit incli- » née que de 23» 24'. Et du temps de Ptolemée, elle estoit inclinée de » 23° 54'. Et c'est pour cela que les Astronomes auoient feint vn ciel crys- » tallin qui balançoit irrégulièrement et fort peu, du midy au septentrion ,1 et du septentrion au midy, si bien qu'an temps ou nous sommes de 1659 « la déclinaison va augmentant peu a peu. >■ (Note MS.) — Les chiffres indiqués dans cette Note sont entachés d'inexactitude; l'obliquité de l'écliptique a été évaluée par Ptolemée à 235 r4o", par Copernic à 2 3°28'a4" (valeur trop faible), par Tycho à 2329' 3o". La détermination de 23«3o' et l'opinion (erronée) que désormais l'obliquité, après avoir diminué, aug- mente, paraissent empruntées à Wendelin.

d. Voir Correspondance, t. V, p. 386.

��149

�� � I20 OEUVRES DE DeSCARTES.

celle de Copernic, on attribue plus de mouuement à la Terre que par l'autre. Premièrement, il faut, pendant que la Terre, félon l'opi- nion de Tycho, demeure immobile, que le Ciel auec les Eftoiles tourne autour d'elle chaque jour, ce qu'on ne Tçauroit entendre fans conceuoir aufii que toutes les parties de la Terre font feparées de toutes les parties du Ciel qu'elles touchoient vn peu auparauant, & qu'elles viennent à en toucher d'autres; & pource que cette fepa- ration eft réciproque, ainfi qu'il a eflé dit cy-deffus", & qu'il faut qu'il y ait autant de force ou d'adion en la Terre comme au Ciel,

150 je ne voy rien qui nous | oblige à croire que le Ciel foit pluftoft meu que la Terre ; au contraire, nous auons bien plus de raifon d'attri- buer ce mouuement ^ la Terre, pource que la feparation fe fait en toute fa fuperficie, & non pas de mefme en toute la fuperficie du Ciel, mais feulement en la concaue qui touche là Terre, & qui eft extrêmement petite, à comparaifon de la conuexe. Et n'importe qu'ils difent que, félon leur opinion, la fuperficie conuexe du Ciel eftoilé eft auffi bien feparée du Ciel qui l'enuironne, à fçauoir du criftalin ou de l'empirée, comme la fuperficie concaue du mefme Ciel l'eft de la Terre, & que, pour cela, ils attribuent le mouuement au Ciel pluftoft qu'à la Terre. Car ils n'ont aucune preuue qui face paroiftre cette feparation de toute la fuperficie conuexe du Ciel eftoilé d'auec l'autre Ciel qui l'enuironne ; mais ils la feignent à plaifir. Et ainfi, par leur hypothefe, la raifon pour laquelle on doit attribuer le mouuement au Ciel & le repos à la Terre, eft imagi- naire & ne dépend que de leur fantaifie; au lieu que la raifon pour laquelle ils pourroient dire que la Terre fe meut, eft euidente & certaine.

3p. Et aitjft qu'elle fe meut autour du Soleil.

De plus, fuiuant l'hypothefe de Tycho, le Soleil faifant vn circuit tous les ans autour de la Terre, emporte auec foy aon feulement

151 Mercure & Venus, mais encore Mars, lupiter & Sajturne, qui font plus éloignez de luy que n'eft la Terre; ce qu'on ne fçauroit en- tendre en vn Ciel liquide comme ils le fupofent, fi la matière du Ciel qui eft entre le Soleil & ces Aftres, n'eft emportée toute en- femble auec eux, & que cependant la Terre, par vne force particu- lière & différente de celle qui tranfporte ainfi le Ciel, fe fepare des parties de cette matière qui la touchent immédiatement, & qu'elle

a. Partie II, art. 29, p. 78.

�� � Principes. — Troisiesme Partie. 121

décriue vn cercle au milieu d'elles. Mais cette feparation qui fe fait ainfi de toute la Terre, deura élire nommée fon mouuement.

40. Encore que la Terre changé de fttuation au regard des autres Pla- nètes, cela n'ejl pas fenfible au regard des EJioiles fixes, à caufe de leur extrême dijlance.

On peut icy propoler vne difficulté contre mon hypothefe, à fça- uoir que, puifque le Soleil retient touf-jours vne mefme fituation à l'égard des Elloiles fixes, il eft donc neceſſaire que la Terre qui tourne autour de luy, approche de ces Eftoiles, & s'en éloigne auffi, de tout l'interualle qui eil compris en ce grand cercle qu'elle décrit en faifant fa route d'vne année, & neantmoins on n'en a rien fceu encore découurir par les obferuations qu'on a faites. Mais il eft aifé de répondre que la grande diftance qui ell entre la Terre & les Eſtoiles en eſt caufe : car je la ſuppoſe ſi immenſe, que tout le cercle que la Terre décrit autour du Soleil, à comparaiſon d'elle, ne doit élire comté que pour yn point. Ce qui femblera peut eflre incroyable à ] ceux qui n'ont pas. accouftumé leur efprit à con- ſiderer les merueilles de Dieu, & qui penfent que la Terre eft la partie principale de l'vniuers, pource qu'elle eft la demeure de l'homme, en faueur duquel ils fc perfuadent fans raifon ^we toutes choies ont erté faites; mais je fuis aſſeuré que les Aſtronomes, qui fçaucnt def-ja que la Terre, comparée au Ciel, ne tient lieu que d'vn point, ne le trouueront pas ſi eſtrange.

41. Que cette distance des Eſtoiles fixes eſt neceſſaire pour expliquer les munuemens des Comètes'.

Et cette opinion de la diſtance des Eſtoiles fixes peut eſtre con- firmée par les mounemcus des Comètes,ſ lequelles on ſçait mainte- nant allez n'eſtre point des Meteores qui s'engendrent en l'air proche de nous,ainll qu'on a vulgairement creu dans rEfcole,a//aH/ que les

a. En rc^ard de cet article, on lit à la marge de rexemplaire annoté : « La version est icy de M' D. [Note MS. d'une première main, peut-être celle de Clerselier ? Ce qui suit est d'Une autre main, sûrement celle de Lcgi'and :) Ce que nous iugeons ainsy a cause de l'original que nous en " allons entre les mains écrit de sa propre main [primitivement de la » propre main de M"" Desc, ces derniers mots barrés). Et il n'est pas » croyable que si cette version n'etoit pas de luy, il se fut donné la peine » de la transcrire luy qui d'ailleurs etoit si accablé d'affaires. » Cette note si importante a été discutée dans notre Introduction.

Œuvres. IV. 47

��152

�� � 122 OEuVRES DE DeSCARTES.

AJlroiioines ctijj'cnl cxamind leurs paralaxcs ; car j'c/pcrc faire voir cj-ciprcs ' que ces Comctci^ font des Allies qui font de li grandes excur- (ions de tous coitez dans les cicux, tV ii différentes, tant de la fiabi- lité des ERoiles fixes, que du circuit régulier que font les Planètes autour du Soleil, qu'il feroit inipollible de les expliquer conformé- ment aux loix de la nature. Il on manquoit de fuppol'er vn efpace extrêmement valte entre le Soleil & les Elloiles rtxes, dans lequel ces cxcurlions fe puillent faire. Et nous ne deuons point auoir d'égard à ce que Tycho & les autres Allronomes.qui ont recherché

153 foigneufemcnt | leurs paralaxes, ont dit qu'elles eiloient leùlemeni au deffus de la Lune, vers la fphere de Venus ou de Mercure : car ils euffent encore mieux pu déduire de leurs obleruations qu'elles eiloient au delfus de Saturne ; mais pource qu'ils difputoient contre les anciens, qui ont compris les Comètes entre les météores gui fe

Jormenl dans l'air au dellous de la Lune, ils fe font contentez de monllrer qu'elles font dans le Ciel, & n'ont ofé leur attribuer toute la hauteur .qu'ils découuroient par leur calcul, de peur de rendre leur propofition moins croyable.

42. Qu'on peut mettre au nombre des Phainomenes toutes les chofes qu'on voit fur la terre, mais qu'il n'efl pas icj- befoin de les conftdcrcr toutes.

Outre ces chofes plus générales, je pourrois comprendre encore icy, entre les Phainomenes, non feulement plufieurs autres chofes particulières touchant le Soleil, les Planètes, les Comètes & les Elloiles fixes, mais auffi toutes celles que nous voyons autour de la Terre, ou qui fe font fur fa fupcrficie. D'autant que, pour con- noiftre la vra3'e nature de ce monde vilible, ce n'efl pas affez de trouuer quelques caufes par lefquelles on puitl'e rendre raifon de ce qui paroifl dans le Ciel bien loin de nous, & qu'il faut auffi on pouuoir déduire ce que nous voyons tout auprès, & qui nous touche plus fenjiblenienl. Mais je croy qu'il n'eit pas befoin pour cela que nous les conliderions toutes d'abord, & qu'il fera mieux que nous

154 tafchions de 1 trouuer les caules de ces plus générales que fa/ icy propojees, afin de voir par après fi des mefmes caufes nous pour- rons aulli déduire toutes les autres plus particulières, aufquelles nous n'aurons point pris garde en cherchant ces caufes. Car fi nous trouuons que cela l'oit, ce fera vn ttes fort argument pour nous atfurer que nous fommcs dans le vray chemin.

a. Art. 119, 126 et 127.

�� � Principes. — Troisiesme Partie. 12 j

��43. Qu'il n'efi pas vrar-fcmblable que les caufes de/quelles on peut déduire tous les Phainomeiies, foient faujjes.

Et certes, fi les principes dont je me fers font tres-éuidens,fi les confequences que j'en tire font fondées fur l'euidence des Mathé- matiques, & fi ce que j'en déduis de la forte s'accorde exadement auec toutes les expériences, il me femble que ce feroit faire injure à Dieu, de croire que les caufes des elTcts qui font en la nature, & que nous auons ainfi trouuées, font faulfes : car ce feroit le rouloir rendre coupable de nous auoir créez fi imparfaits, que nous fulïïons fujets à nous méprendre, lors mefme que nous vfons bien de la rai- fon qu'il nous a donnée.

44. Que je ne veus point toutefois affurer que celles que je propofe

font vrayes.

Mais pource que les chofes dont je traite ic}', ne font pas de peu d'importance, & qu'on me croiroit peut eltre trop Hardy, fi j'affu- rois que j'ay trouué des veritei qui n'ont pas ejlé décoiniertcs par d'autres, j'aime mieux n'en rien décider, & afin que chacun foit libre d'en penfer ce qu'il luy plaira, je defire que ce que | j'écriray foit 155 feulement pris pour vne hypothefe, laquelle ert peut eftre fort éloi- gnée de la vérité; mais encore que cela fu(l, je croiray auoir beau- coup fait, fi toutes les chofes qui en feront déduites, font entière- ment conformes aux expériences : car fi cela fe trouue, elle ne fera pas moins vtile à la vie que fi elle eftoit vraye, pource qu'on s'en pourra feruir en mefme façon pour difpofer les caufes naturelles à produire les effets qu'on dejirera.

45. Que mefme j en fuppoferay icy quelques vnes que je croy fauffes.

Et tant s'en faut que je l'ueillc qu'on croye toutes les chofes que fécriraj-, que mefme je pretens en propofer icy quelques vnes que je croj- abfolument eflre fauffes. Afçauoir, je ne doute point que le monde n'ait elle créé au commencement auec autant de perfeclion qu'il en a% en forte que le Soleil, la Terre, la Lune, les Eitoiles ont eflé deflors, & que la terre n'a pas eu feulement en foy les femences des plantes, mais que les plantes mefmes en ont couuert vue partie; &

a. Voir Correspondance, t. V, p. i58-g.

�� � 124 OEuvREs DE Descartes.

qu'Adam & Eue n'ont pas efté créez enfans, mais en aage d'hommes parfaits. La Religion Chreftienne veut que nous le croyons ainfi, & la raifon naturelle nous perfuade abfolument cette vérité, pource que, confiderant la toute-puiffance de Dieu, nous deuons juger que tout ce qu'il a fait, a eu dés le commencement toute la perfedion

156 qu'il de|uoit auoir; mais neantmoins, comme on connoiftroit beau- coup mieux quelle a efté la nature d'Adam & celle des arbres du Paradis, fi on auo'it examiné comment les enfans fe forment peu à peu au rentre des mères, & comment les plantes fortent de leurs femences, que fi on auoit feulement confideré quels ils ont efté quand Dieu les a créez : tout de mefme, nous ferans mieux en- tendre quelle eft généralement la nature de toutes les chofes qui font au monde, fi nous pouuons imaginer quelques principes qui foient fort intelligibles & fort fimples, defquels nous facions voir clairement que les aftres & la terre, & enfin tout le monde vifible auroit pu eftre produit ainfi que de quelques femences, bien que nous fçachions qu'il n'a pas efté produit en cette façon ; que fi nous le décriuions feulement comme il eft, ou bien comme nous croyons qu'il a efté créé. Et pource que je penfe auoir trouué des principes qui font tels, je tafcheray icy de les expliquer.

46. Quelles font ces fuppofttions «.

Nous auons remarqué cy-def^us^ que tous' les corps qui com- pofent l'vniuers, font faits d'vne mefme matière, qui eft diuifible en toutes fortes de parties, & def-ja diuifée en plufieurs qui font meuës diuerfement, & dont les mouuemens font en quelque façon circu-

157 laires'; & qu'il y a touf-jours vne égale quantité de ces | mouuemens dans le monde : mais nous n'auons pu déterminer en mefme façon combien font grandes les parties aufquelles cette matière eft diuifée, ni quelle eft la vitefté dont elles fe meuuent, ni quels cercles elles décriuent. Car ces chofes ayant pu eftre ordonnées de Dieu en vne infinité de diuerfes façons, c'eft par la feule expérience, & non par la

force du raifonnement, qu'on peut fçauoir laquelle de toutes ces façons il a choifie. C'eft pourquoy il nous eft maintenant libre de fuppofer celle que nous voudrons, pourueu que toutes les chofes qui en feront déduites s'accordent entièrement avec l'expérience.

a. L'importance de cet article 46 a été signalée par Descartes lui-même ci-après, Partie IV, art. 206, fin.

h. Partie II, art. 4, 20, 22, 2?, 33, 36 et 40, pp. 65, 74, 75, 81, 83, 86. c. Voir Correspondance, t. V, p. 170.

�� � Principes. — Troisiesme Partie. 125

Suppofons donc, s'il vous plaift, que Dieu a diuifé au commence- ment toute la matière dont il a compofé ce monde vifible, en des parties aufii égales entr'elles qu'elles ont pu cftre, & dont la gran- deur eftoit mediocre% c'eft à dire moyenne entje toutes les diuerfes grandeurs de celles qui compofent maintenant les Cieux & les Aftres; & enfin, qu'il a fait qu'elles ont toutes commencé à fe mou- uoir d'égale force en deux diuerfes façons, à fçauoir chacune à part autour de fon propre centre, au moyen de quoy elles ont compofé vn corps liquide, tel que je juge eftre le Ciel; & auec cela, plufieurs enfemble autour ùe quelques centres"... difpofez en mefme façon dans l'vniuers, | que nous voyons que font à prefent les centres des 158 Eftoiles fixes, mais dont le nombre a efté plus grand, en forte qu'il a égalé le leur joint à celuy des Planètes <5 des Comètes; â que la viteffe dont il les a aiufi mettes efîoit médiocre, c'efl à dire, qu'il a mis en elles toutes autant de mouuement qu'il y en a encore à prefent dans le monde. Ainfi, par exemple, oh peut peufer que Dieu a diuifé toute la matière qui eft dans l'efpace A ET, eu très-grand nombre de petites parties, qu'il a meuës, non feulement chacune autour de fon centre, mais aujji toutes enfemble autour du centre S; & tout de mefme, qu'il a meu toutes les parties de la matière qui eft en l'ef- pace AEV autour du centre F, & ainfi des autres; en forte qu'elles ont compofé autant de differens tourbillons [je me feruiraj- d'orena- mant de ce mot pour fignifer toute la matière qui tourne ainfi en rond autour de chacun de ces centres) qu'il y a maintenant d'Aftres dans le monde.

47. Que leur fauffeté n'empefche point que ce qui en fera déduit

ne j'oit vraj-.

Ce peu de fuppofitions mo. femble fuffire pour m'en fcruir comme de caufes ou de principes, dont je déduiray tous les eflets qui pa- roiffent en la nature, par les feules loix cy-deft'us expliquées. Et je ne croy pas qu'on pullfe imaginer des principes plus fimplcs, ni plus intelligibles, ni aulTi plus vrayfemblabies, que ceux | cy. Car 159 bien que ces loix de la nature foient telles, qu'encore melnie que nous fuppoferions le Chaos des Pactes, c'efl à dire me entière confufion de toutes les parties de l'vniuers, on pourroit touf-jours

a. Voir Correspondance, t. V, p. 170.

b. Ibid.,, p. 170-17 1.

c. Planche III.

d. Partie II, art. ?7, 39 et 40, p. 84, 85 et 86.

�� � 120 OEuvRES DE Descartes.

demonftrer que, par leur moj'en, cette confufion doit peu à peu reue- nir à l'ordre qui eft à prelent dans le monde, & que j'aye autrefois entrepris d'expliquer comment cela auroit pu eftre' : toutefois, à caufe qu'il ne conuient pas fi bien à la fouueraine perfedion qui eft en Dieu, de le faire autheur de la confufion que de l'ordre, & auffi que la notion que nous en auons eft moins diflinéte, j'ay creu deiioir icj préférer la proportion & l'ordre à la confufion du Chaos. Et pource qu'il n'y a aucune proportion, ni aucun ordre, qui foit plus fimple & plus aifé à comprendre que celu}' qui confifte en vne parfaite égalité, j'ay fuppofé icy que toutes les parties de la matière ont au commen- cement efté égales entr'elles, tant en grandeur qu'en mouuement, & n'ay voulu conceuoir aucune autre inégalité en l'vniuers, que celle qui eft en la fituation des Eftoiles fixes, qui paroit fi clairement à ceux qui regardent le ciel pendant la nuit, qu'il n'eft pas poiïible de la mettre en doute. Au refte, il importe fort peu de quelle façon je fuppofe icy que la matière ait eflé difpofée au commencement, 160 puis que | fa difpofition doit par après eftre changée fuiuant les loix de la nature, & qu'à peine en fçauroit on imaginer aucune, de laquelle on ne puiffe prouuer que, par ces loix, elle doit continuel- lement fe changer, jnfques à ce qu'enfin elle compofe vu monde entièrement femblable à celuy-cj (bien que peut-eftre cela feroit plus long à déduire d'vne fuppofition que d'vne autre) ; car ces loix eftant caufe que la matière doit prendre fuccelBuement toutes les formes dont elle eft capable, fi on confidere par ordre toutes ces formes, on pourra enfin paruenir à celle qui fe trouue à prefent en ce monde. Ce que je mets icy exprejjement, afin qu'on remarque qu'encore que Je parle de fuppofi lions, je n'en fais neantmoins aucune dont la faujfeté, quoy que connue, puiffe donner occafion de douter de la vérité des conclufions qui en feront tirées.

48. Comment toutes les parties du Ciel font deuenuês rondes.

Or ces choies eftant ainfi pofées, afin que nous commencions à voir quel effet en peut eftre déduit par les loix de la nature, confide- rons que, toute la matière dont le monde eft compofé aj'ant efté au commencement diuifée en plufieurs parties égales, ces parties n'ont pu d'abord eftre toutes rondes, à caufe que plufieurs boules jointes enfemble ne compofent pas vn corps entièrement folide & continu,

a. Voir Discours de la Méthode, cinquième partie, p. 41, 1. 21 et suiv. de cette édition, notanimein p. 42, 1. 17-27.

�� � Principes. — Troisiesme Partie. 127

I tel qu'ejl cél vniuers, dans lequel j'ai démontré cj-dejjus' qu'il ne 161 peutjauoir devuide. Mais quelque figure que ces parties ayent eu pour lors, elles ont deu par fucceiïion de temps deuenir rondes, d'autant qu'elles ont eu diuers mouuemens circulaires. Et pource que la force dont elles ont efté meuës au commencement, eftoit affez grande pour les feparer les vnes des autres, cette melme force, continuant encore en elles par après, a efté aufll fans doute affez grande pour émouffer tous leurs angles à mefure qu'elles fe rencon- troient, car il n'en falloit pas tant pour cet effet qu'il en auoit fallu pour l'autre ; & de cela feul que tous les angles d'vn corps font ainfi émouffez, il eft aifé de conceuoir qu'il eft rond, à caufe que tout ce qui auance en ce corps au delà de fa figure fpherique, eft icy compris fous le nom d'angle.

4q. Qu'entre ces parties rondes il y en doit auoir d'autres plus petites pour remplir tout l'efpace où elles/ont.

Mais d'autant qu'il ne fçauroit y auoir d'efpace vuide en aucun endroit de l'vniuers, & que les parties de la matière, eftans rondes, ne fçauroient fe joindre fi eftroitement enfembie, qu'elles ne laiftent plufieurs petits interualles nu recoins entr'elles : il faut que ces recoins foient remplis de quelques autres piViics de cette matière, qui doiuent eftre extrêmement menues, ajïn de changer de figure à tous momens, pour s'accommoder à celles des lieux où | elles entrent. C'eft pourquoy nous deuons penfer que ce qui fort des angles des parties de la matière, à mefure qu'elles s'arondiffent en fe frottant les vnes contre les autres, eft fi menu & acquert une viteffe fi grande, que rimpetuofité de fon mouuement le peut diuifer en des parties innombrables, qui, n'a/ant aucune grojfeur ni figure déterminée, rempliffent aifement tous les petits angles ou recoins par où les autres parties de la matière ne peuuent paffer.

5o. Que ces plus petites parties font aifées à diuifer.

Car il faut remarquer que, d'autant que ce qui fort de la raclure des parties de la matière, à mefure qu'elles s'arondiffent, eft plus menu, il peut d'autant plus aifement eftre meu, & derechef amenuifé ou diuifé en des parties encore plus petites que celles qu'il a defja,pouTCQ que, plus vn corps eft petit \ plus il a de fuper-

a. Partie II, art. i6, p. 71 ci-avant.

b. Correspondance de Descartes, t. V, p. 171.

��162

�� � 128 OEuvRES DE Descartes.

ficie% à railbn de la quantité de fa matière, & que la grandeur de cette fuperficie fait qu'il rencontre d'autant plus de corps qui font effort pour le monuoir ou diiiijer, pendant que fou peu de matière fait qu'il peut d'autant moins refijler à leur force.

Si. Et qu'elles Je meuuent très-vite.

Il faut aufïï remarquer que, bien que ce qui fort ainfi de la raclure des parties qui s'arondiffent n'ait aucun mouuement qui ne vienne d'elles, il doit toutefois fe mouuoir beaucoup plus vite, à caufe que,

163 pendant qu'elles vont par des | chemins droits & ouuerts, elles contraignent cc'//c' raclure ou poujjiere qui e/t pariuy elles, à paflTer par d'autres chemins plus ellroits <Sc plus dellournez : de mefme qu'on voit, en fermant vn ibufflct alfez lentement, qu'on en fait Ibrtir l'air allez vite, à caufe que le trou par où cet air fort eft eftroit. Et j'ay def-ja prouué cy-delïus" qu'il doit y auoir necefTairement quelque partie de la matière qui le meuue extrêmement vite, & fe diuife en vne infinité de petites parties, afin que tous les mouue- mens circulaires & inégaux qui font dans le monde y puilTent eltre fans aucune raréfaction ni aucun vuide ; mais je ne crois pas qu'on en puilTe imaginer aucune plus propre à cet eflet, que celle que je viens de décrire.

52. Qu'il y a trois principaux elemens du monde viftble.

Ainfi nous pouuons faire eflat d'auoir def-ja trouué deux diuerfes formes en la matière, qui peuuent eflre prifes pour les formes des deux premiers elemens du monde vifible. La première ci\ celle de cette raclure qui a deu efre feparée des autres parties de la matière, lors qu'elles fe font arondies, d qui ejl meu'è auec tant de ritejfe, que la feule force de fon agitation ei\ fufKfante pour faire que, rencon- trant d'autres corps, elle (oh froiffée (S- diuifée par eux en vne infi- nité de petites parties, qui fe font de telles figures, qu'elles rem-

164 plilfent touf-jours exacte|ment tous les recoins qu'elles trouuent autour de ces corps. L'autre eft celle de tout le refte de la matière, dont les parties font rondes & fort petites, à comparaifon des corps que nous voyons fur la terre; mais neantmoins elles ont quelque quantité déterminée, en forte qu'elles peuuent eftre diuifces en

a. Correspondance de DescarlC!, t. \'. p. 17^.

b. Partie II, an. 33 et 34, p. 81 ci 82 ci-avant.

�� � Principes. — Troisiesme Partie. 129

d'autres beaucoup plus petites. Et nous trouuerons encore cy-apres nie troifiéme forme en quelques parties de la matière : à fçauoir en celles qui, à caufe de leur grofleur & de leurs figures, ne pourront pas eftre meuës fi aifement que les précédentes. Et je tafcheray de faire voir que tous les corps de ce monde vifible font compofez de ces trois formes qui fe trouuent en la matière, ainfi que de trois diuers elemens : k fçauoir que le Soleil & les Eftoiles fixes oHi la forme du premier rfe ces elemens ; les Cieux, celle du fécond ; & la Terre auec les Planètes & les Comètes, celle du troifiéme. Car voyant que le Soleil & les Eftoiles fixes enuoyent vers nous de la lumière, que les Cieux luy donnent paffage, & que la Terre, les Planètes & les Comètes la rejettent & la font réfléchir, il me femble que j'ay quelque raifon de me feruir de ces trois différences, ejlre lumineux, eflre tranfparent, & eftre opacque ou obfcur, qui font les principales qu'on puijfe rapporter au fens de la veuë, pour diftin- Igucr les trois elemens de ce monde vifible. 165

53. Qu'on peut dijlinguer l'vniuers en trois diuers Cieux.

Ce ne fera peut-eflre pas auiïi fans raifon que je prendray d'ore- nauant toute la matière comprife en l'efpace A El, qui compofe vn tourbillon autour du centre S% pour le premier Ciel, & toute celle qui compofe vn fort grand nombre d'autres tourbillons autour des centres F, f, & femblables, pour le fécond ; & enfin toute celle qui eft au delà de ces deux Cieux, pour le troifiéme^ Et je me perfuade que le troifiéme eft immenfe au regard du fécond, comme auffî le fécond eft extrêmement grand au regard du premier. Mais je n'auray point icy occafion de parler de ce troifiéme, pource que nous ne remarquons en luy aucune chofe qui puilfe eftre veuë par nous en cette vie, & que j'ay feulement entrepris de traiter du monde vifible. Comme aufli je ne prens tous les tourbillons qui font autour des centres F, f, que pour vn Ciel, à caufe qu'ils ne nous paroijfent point differens, & qu'ils doiuent eftre tous confiderez par nous d'vne mefme façon. Mais pour le tourbillon dont le centre eft marqué S, encore qu'il ne foit point reprefenté différent des autres en cette figure, je le prens neantmoins pour un Ciel à part, & mefme pour le premier ou principal, à caufe que c'eil en luy que nous trouuerons

a. En marge : « Voyez la figure qui fuit. » Ajoute à la main : p. 3 (planche IIIi.

b. Correspondance de Descartes, {. y, p. 171.

Œuvres. IV. 48

�� � ijo OEuvREs DE Descartes.

166 cy-apresMa Terre qui eft noftre demeure, & | que, pour ce fuiet, nous aurons beaucoup plus de chofes à remarquer en luy feul que dans les deux autres. Car n'ayant befoin d'impofer les noms aux chofes... que pour expliquer les penlees que nous en auons, nous deuons ordinairement auoir plus d'égard à ce en quoj- elles nous touchent, qu'à ce qu'elles font en effet.

54. Comment le Soleil & les EJîoiles fixes ont pu Je former .

Or d'autant que les parties du fécond élément fe font frottées, dés le commencement, les vnes contre les autres, la matière du premier, qui a deu fe faire de la raclure de leurs angles, s'ell augmentée " peu à peu, & lors qu'il s'en eft trouué en l'vniuers plus qu'il n'en falloit pour emplir les recoins que les parties du fécond, eftant rondes, laiffent neceffairement entr'elles, le refte s'eftant écoulé vers les centres S, F, f, va compofé des corps tres-fubtils & très-liquides, à fçauoir le Soleil dans le centre S, & les Eltoiles aux autres centres. Car après que tous les angles des parties qui compofent le fécond élément ont elle émoulfez, et qu'elles ont ejU arondies, elles ont occupé moins d'efpace qu'auparauant, & ne le font plus eftenduës jufques aux centres; mais s'en éloignant également de tous coftez, elles y ont lailfé des efpaces ronds, lefquels ont efté incontinent remplis de la matière du premier qui y affluoit de tous les endroits d'alentour, pource' que les loix de la nature font telles que tous

167 lies corps qui fe meuuent en rond, doiuent continuellement faire quelque effort pour s'éloigner des centres autour defquels ils fe meuuent.

55. Ce que c'ejl que la lumière.

le tafcheray maintenant d'expliquer, le plus exatlement que je pourray, quel eft l'effort que font ainfi, non feulement les petites boules qui compofent le fécond élément, mais auffi toute la matière du premier, pour s'éloigner des centres S, F, f & iemblables, autour defquels elles tournent ; car je prétends faire voir cy-apres' que c'eft

Q. Art. 146.

b. Correspondance de Descartes, t. IV, p. 454-455. G. Toute cette fin : « pource... meuuent » est, dans le texte latin, la première phrase de l'art. 55, rattachée ici à l'art. 54.

d. Partie II, art. 39, p. 85.

e. Partie IV, an. 28.

�� � en cet effort feul que confifte la nature de la lumière, & la connoif- l’ance de cette vérité pourra feruir à nous faire entendre beaucoup d’autres choies.

��56. Comment on peut dire d’vne choje inanimée, quelle tend à produire

quelque effort.

Quand je dy que ces petites boules font quelque effort, ou bien qu’elles ont de l’tnclinalion à s’éloigner des centres autour defquels elles tournent, je n’entends pas qu’on leur attribue aucune penfée d’où procède cette inclination, mais feulement qu’elles font tellement fituées & difpofées à fe mouuoir, qu’elles s’en éloigneroient en effet, fi elles n’eftoient retenues par aucune autre caufe.

$■]. Comment vn corps peut tendre à Je mouuoir en phtfieurs diuerfes façons en me/me temps.

Or, d’autant qu’il arriue fouuent que plufieurs diuerfes caufes, agiffant enfemble contre vn mefme corps, empefchent l’effet l’vne de l’autre, on peut dire, félon diuerfes confiderations, que ce corps tend, ou fait effort pour aller | vers diuers coitez en mefme temps. Par exemple, la pierre A% qu’on fait tourner dans la fonde E A, tend véritablement d’A vers B, fi on confidere toutes les caufes qui concourent à déterminer fon mouuement, pource qu’elle fe meut vers là; mais on peut dire aufli que cette mefme pierre tend vers C, lors qu’elle eft au point A, fi on ne confidere que la force de fon mouuement toute feule â fon agitation, ...fuppofant que AC eft vne ligne droite qui touche le cercle au point A\ Car il efl certain que, fi cette pierre fortoit de la fonde, à l’inftant qu’elle arriue au point A, elle iroit d’A vers C, & non pas vers B; & bien que lu fonde la retienne, elle n’empefche point qu’elle ne face effort /-oi/r aller vers C. Enfin fi, au lieu de confiderer toute la force de fon agitation, nous prenons garde feulement à l’vne de fes parties, dont l’effet eft empefché parla fonde, & que nous la diftinguions de l’autre partie, dont l’effet n’eft point ainfi empefché, nous dirons que cette pierre, eftant au point A, tend feulement vers D, ou bien qu’elle fait feu- lement effort pour s’éloigner du centre E, fuiuant la ligne droite E A D.

a. En marge : « Voyez la figure i de la planche 5. » h. Partie II. art. 3g. p. 83. ij2 Œuvres de Descartes,

5S. Comment il tend à s'éloigner tiu centre autour duquel il Je meut.

Afin de mieux entendre cecy, comparons le mouuemcnt dont cette pierre iroit vers C,fi rien ne l'en empelchoit.auec le mouuement

169 dont vne fourmi qui feroit au mefme point A, | iroit vers C*, fuppo- fant que EY fuft vne règle fur laquelle cette fourmi marcheroit en ligne droite d'A vers Y, pendant qu'on feroit tourner cette règle autour du centre E, & que fon point marqué A décriroit le cercle ABF, d'vn mouuement tellement proportionné à celuy de la fourmi, qu'elle fe trouueroit à l'endroit marqué X, quand la règle feroit vers C, puis à l'endroit marqué Y, quand la règle feroit vers G, & ainfi de fuitte, en forte qu'elle feroit touf-jours en la ligne droite A C G. Comparons auffi la force dont la pierre qui tourne dans cette fonde, fuiuant le cercle ABF, fait effort pour s'éloigner du centre E fuiuant les lignes AD, BC, FG, auec l'effort que feroit la mefme fourmi, fi elle eftoit attachée... fur la règle EY, au point A, de telle façon qu'elle employaft toutes fes forces pour aller vers Y, & s'éloigner du centre E, fuivant les lignes droites EAY, EBY, & autres femblables, pendant que cette règle l'em- porteroit autour du centre E.

5(j. Combien cette tenjîon a de force.

le ne doute point que le mouuement de cette fourmi ne doiue eftre tres-lent au commencement, & que fon effort ne fçauroit fem- bler bien grand, fi on le rapporte feulement à cette première mo- tion ; mais aulFi on ne peut pas dire qu'il foit tout à fait nul, &

170 d'autant qu'il augmente à mefure qu'il produit son effet, ] la vitell'e qu'il caufe deuient en peu de temps alfez grande. Mais pour diiilcr toute forte de difficulté, feruons nous encore d'vne autre compa- raifon. Que'la petite boule A foit mife dans le tuyau E Y\ (? voyons ce qui en arriuera. Au premier moment qu'on fera mouuoir ce tuyau autour du centre E, cette boule n'auancera que lentement vers Y; mais elle nuancera vn peu plus vite au fécond, à caufe qu'outre qu'elle aura retenu la force qui luy auoit efté communiquée au pre- mier inftant, elle en acquerra encore vne nouuelle, par le nouuel effort qu'elle fera pour s'éloigner du centre E, pource que cet cHort

a. En marge : « Voyez la figure 2. » Ajoute à la main : p. 5 (planche V).

b. En marge : « Voyez la figure '}. » Ajouté à la main : p. 5 (plancheV).

�� � Principes. — Troisiesme Partie.

��}}

��continue autant que dure le mouuement circulaire, & fe renouuelle prefque à tous momens... Car nous voyons que, lors qu'on fait tourner ce tuj'au E Y aflez vite autour du centre E, la petite boule qui eft dedans, pafie fort promptement d'A vers Y-; nous voyons auffi que la pierre qui eft dans vne fonde, fait tendre la corde d'au- tant plus fort qu'on la fait tourner plus vite ; & pource que ce qui fait tendre cette corde, n'eft autre cliofe que la force dont la pierre fait effort pour s'éloigner du centre autour duquel elle eft meuë, nous pouuons connoiftre par cette tenfion quelle eft la quantité de cet effort.

60. Que toute la matière des deux tend ainfi à s'éloigner de certains centres.

Il eft aifc d'appliquer aux parties du fécond | élément ce que je 171 viens de dire de cette pierre qui tourne dans vne fonde autour du centre E, ou de la petite boule qui eft dans le tuyau EY : à fçauoir, que chacune de ces parties employé vne force affez confiderable pour s'éloigner du centre du Ciel autour duquel elle tourne, mais qu'elle eft arreftée par les autres qui font arrengées au deftus d'elle, de mefme que cette pierre eft retenue par la fonde. De plus il eft à remarquer que la force de ces petites boules eft beaucoup aug- mentée de ce qu'elles font continuellement pouffées par celles de leurs femblables qui font entr'elles & l'ajîre qui occupe le centre du tourbillon qu'elles compofent, Si encore par la matière de cet ajîre. Mais afin de pouuoir expliquer cecy plus diftindement, j'exami- neray feparément l'effet de ces petites boules, fans penfer à celuy de la matière des ajlres, non plus que fi tous les efpaces qu'elle occupe eftoient vuides, ou pleins d'vne matière qui ne contribuaft rien au mouuement des autres corps, & ne l'empefchaft point aufti; car fuiuant ce qui a efté dit cy-dell'us', c'eft aipfi que nous deuons conceuoir le vuide.

61. Que cela eft caufe que les corps du Soleil & des Eftoiles fixes

font ronds.

Premièrement, de ce que toutes les petites boules qui tournent autour d'S dans le Ciel A El, font effort pour s'éloigner du centre S, comme il a efté def-ja remarqué^ nous pouuons | conclure que celles 172

a. Partie II, art. 17, p. 72.

b. Art. 54, p. i3o.

�� � I j4 OEuvRES DE Descartes.

qui font en la ligne droite S A% fe pouffent les vnes les autres vers A, & que celles qui font en la ligne droite SE, fe pouffent vers E.&ainfi des autres ; en forte que, s'il n'y en auoit pas alTez pour occuper tout l'efpace qui ett entre S & la circonférence A El, elles laifferoient vers S tout ce qu'elles n'occuperoient point. Et d'autant que celles, par exemple, qui font en la ligne droite SE, s'appuyant feulement les vnes fur les autres, ne tournent pas conjointement comme vn baflon, mais font leur tour, les vnes pluflofl, &. les autres plus tard, ainfi que je diray ci-apres*", l'efpace qu'elles lailfent vers S doit eflre rond. Pource qu'encore que nous imaginerions que la ligne SE fuft plus longue, & contint plus de petites boules que la ligne SA ou SI, en forte que celles qui feroient à Textremité de la ligne SE fuffent plus proches du centre S, que celles qui font à l'extrémité de la ligne SI : neantmoins ces plus proches auroient plullort acheué leur tour que les autres plus éloignées du mefme centre ; & ainfi quelques-vnes d'entr'elles s'iroient joindre à l'extrémité de la ligne SI, afin de s'éloigner d'autant plus du centre S. C'ell pourquoy nous deuons conclure qu'elles font maintenant difpofées de telle forte, que toutes celles qui terminent ces lignes, fe trouuent également l'î3 diftan|tes du point S, & par confequent que l'efpace BCD, qu'elles lailTent autour de ce centre, eft rond.

��62. Que la matière celejie qui les emiironne, tend à s'éloigner de tous les points de leur fuperficie.

De plus il efl à remarquer que toutes les petites boules qui font en la ligne droite SE fe pouffent non feulement vers E, mais auffi que chacune d'elles eft pouffée par toutes les autres qui font comprifes entre les lignes droites qui, ertant tirées de l'vne de ces petites boules à la circonférence BCD, toucheroient cette circonfé- rence'. Et que, par exemple, la petite boule F eft pouffée par toutes celles qui font comprifes entre les lignes BF & DE, ou bien dans le triangle BFD, & qu'elle n'eft pouflée par aucune de celles qui font hors de ce triangle ; en forte, que fi le lieu marqué F eftoit vuide,

a. Eli marge : « Voyez la figure i de la planche 6, en la page précé- dente. )i Cette planche, rejetée à la fin du volume, devait donc être primiti- vement insérée entre les pages 170 et 171.

b. Art. 83 6184.

c. En marge : « Voyez la mefme figure en la page qui fuit. « Il s'agit de la figure i de la planche VI, qui devait donc primitivement être répétée entre les pages 174 et 175.

�� � in

��Principes. — Troisiesme Partie. iJ^

toutes celles qui font en l'elpace BFD, s'auanceroient autant qu'il re pourroit afin de le remplir, & non point les autres. D aut.n que comme nous voyons que la pelantcur d'vne pierre qui '^ ^«'^^^■^ ^ liane droite vers le centre de la terre, lors qu elle e en 1 air la fa rouler de trauers lors qu'elle tombe par le penchant d me "-"^-^;' - de mefme nous deuons penler que la force quifau 4^^ ks pet es boules qui font en l'efpace BFD, tendent à ^'^•«'g^^'^^^'^^'i.^^^i;, fuiuant des lignes droites tirées de ce centre, peut fa.re ul^' ^^^ ^ ^ s'éloilgnent du mefme centre par des lignes qui s en écartent quelque peu.

63. Que les parties de cette matière ne s'empe/chent point en cela

l'vne l'autre.

Et cette comparaifon de la peianteur fera connoiftre cecy fort clairement, fi on confidere des boules de plomb arrengees comme qui font reprefentées dans le vafe BFD». qui s'appuyent d elle façon les vnes fur les autres, qu'ayant fait vne ouuerture u fond de ce vafe, la boule marquée i foit contrainte d en iortir tant par la force de fa pefanteur, que par celle des autres qm font au-deirus d'elle. Car au mefme inftant que celle cy fortira, on pourra voir que les deux marquées 2, 2, & les trois autres marquées 3 3o 3, s'auanceront, & les autres en fuite. On pourra voir auJJ, ^" ^" mèfme injlant que la plus baffe commencera de Je mouuoxr, celles qui on comprifes dans le triangle BFD s'auanceront toutes mais qu'il n'y en aura pas vne de celles qui font hors de ce triangle, qu fe difpofe à fe mouuoir vers là. Il eit bien vray qu'en cet exemple es deux boules 2, 2, s'entretouchent. après el re quelque peu defcenduës, ce qui les empefche de defcendre plus bas ; mais il n' n eft pa de mefme des petites boules qui compolent le fécond el ment 'car encore qu'il arnue quelquefois qu'el es te trouuen difpofées en mefme forte que celles qui lont reprelentees en ette figure, elles ne s'y arrellem neantmoins | que ce peu de temps qu on il5 nomme vn inftant. pource qu'elles font fans celle en adion pour e mouuoir, ce qui eit caufo qu'elles continuent leur mouuement ians interruption. De plus, il faut remarquer que la force de la lumière pour l'Lplication de laquelle /écris tout cecy, ne coniifte point en la durée de quelque mouuement, mais foulement en ce que ces petites boules font prelïées^ & font effort pour fe mouuoir vers

a. En marge : « Voyez les figures 2 et 3 de la planche 6. »

b. Correspondance de Descartes, t. V, p. 172.

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��OEuvRES DE Descartes.

��176

��quelque endroit, encore qu'elles ne s'y mcuuent peut-cilre pas acluellement.

��64. Que cela fuffit pour expliquer toutes les propriété'^ de la lumière. & pour faire paroijlre les ajtres lumineux, fans qu'ils jr contribuent aucune chofe.

Ainfi nous n'aurons pas de peine à connoillre pourquoy cette adion que je prends pour la lumière, s'eftend en rond de tous coftez autour du Soleil & des Eftoiles fixes, & pourquoy elle palfc en vn inftant à toute forte de diilance fuiuant des lignes qui ne viennent pas feulement du centre du corps lumineux, mais aulli de tous les points qui font en fa fuperficie : ce qui contient les principales proprietez de la lumière, en fuitte defquelles on peut connoiftre aufli les autres. Et on peut remarquer icy vne vérité qui femblera peut-eftre fort paradoxe à plufieurs, à fçauoir que ces mefmes propriete\ ne lailferoient pas de fe trouuer en la matière du Ciel, encore que le Soleil ou les autres Aftres autour defquels elle tourne, n'y contribuaffent en aucune façon; en forte que, fi le | corps du Soleil n'ertoit autre chofe qu'vn efpace vuide, nous ne laiiferions pas de le voir auec la mefme lumière que nous penfons venir de luv vers nos yeux, excepté feulement qu'elle feroit moins forte. Toute- fois cec}' ne doit ertre entendu que de la lumière qui s'eftend autour du Soleil, a.\i feus que tourne la matière du Ciel dans lequel il eft, c'eft à dire, vers le cercle de l'Ecljplique : car je ne confidere pas encore icy l'autre dimenfion de la Sphère qui s'eflend vers les pôles. Mais afin que je puilTe auffi expliquer ce que la matière du Soleil &. des Ertoiles peut contribuer à la production de cette lumière, & comment elle s'ellend non feulement j'ers l'Eclfplique, mais aufji vers les pôles & en toutes les dimenfions de la Sphère, il eft befoin que je die auparavant quelque chofe touchant le mouuement des Cieux.

��65. Que les Cieux font diuife^ en plufieurs tourbillons, £■ que les pôles de quelques vns de ces tourbillons touchent les parties les plus éloignées des pôles des autres.

De quelque façon que la matière ait efté meuë au commencement, les tourbillons aufquels elle elt partagée, doiuent eftre maintenant tellement difpofez cntr'eux, que chacun tourne du cofté où il luy ell le plus aiic de continuer fon mouuement : car, félon les loix de la

�� � Principes. — Troisiesme Partie. ijj

nature", vn corps qui le meut, fe détourne aifément par la rencontre d'vn autre corps. Ainfi fuppofant que le premier tourbillon" qui a S pour l'on centre, ert emporté d'A par E vers I, | l'autre qui luy eft 1" voifm, & qui a F pour Ton centre, tournera d'A par E vers V, fi ceux qui les enuironnent ne les empefchent point, pource que leurs mouuemens s'accordent très-bien en cette façon. De mefme, le troifiéme, qu'il faut imaginer auoir Ion centre hors du plan SAFE, & faire vn triangle auec les centres S & F, fe joignant aux deux tourbillons AEI&AEVenla ligne droite AE, tournera par en haut d'Avers E. Cela fuppofé, le quatrième tourbillon, dont le centre eft f% ne tournera pas d'E vers I, à caufe que, fi fon mouuement s'accordoit auec celuy du premier, il feroit contraire à ceux du fécond & du troifiéme; ni auffi de mefme que le fécond, à fçauoir d'E vers V, à caufe que le premier & le troifiéme l'en empefche- roient; ni enfin d'E par en haut, comme le troifiéme, à caufe que le premier & le fécond luy (eroient contraires; mais il tournera fur fon effieu marqué EB, d'I vers V, & l'vn de fes pôles fera vers E, & l'autre à l'oppofite vers B.

66. Que les mouuemens de ces tourbillons fe doiuent vn peu dejîourner pour n'ejïre pas contraires l'vn à l'autre.

De plus, il elt à remarquer qu'il y auroit encore quelque peu de contrariété en ces mouuemens, fi les Eclyptiques, c'eft à dire les cercles qui font les plus éloignez des pôles de ces trois premiers tourbillons, fe rencontroient diredement au point E, où je mets le

a. Partie II, art. 40, p. 86.

b. Planche III.

c. VcAmon pr inceps porte F, faute d'impression.

d. Correspondance de Descartes, t. V, p. 172. — En outre, notre exem- plaire annoté donne, à cet endroit, l'explication suivante : « "La figure fait » voir icy, qu'il faut adiouter quelque chofe a la disposition des trois pre- » micrs tourbillons, que M"^ Desc. n'a pas expliqué, mais qu'il s'est con- )i tenté de représenter par les figures de cet article, c'est a sçauoir qu'il >' faut disposer leurs Eclyptiques de telle façon qu'elles regardent chacune » le point E, et faccni entr'elles des angles de 120 degrez, ainsy qu'il est » représenté par la tig. 4 : aprez quoy faisant tourner le 4e tourbillon sui- « uant l'ordre des lettres I VX, pour emousser vn peu l'Eclyptique El, et " faciliter par ce moyen le moiiucmjnt du 4« tourbillon, elle se change en » 1 1, de la 5. figure, E V en 2 V, et EX en 3X. Ce qui se justifie en arran- » géant trois boules, comme les trois premiers tourbillons, et faisant tour- )i ner vne quattriesme boule dessus les trois autres ; car vous verrez que » leurs Eclyptiques se disposeront ainsy que le dit M Desc. » (Note MS.)

Œuvres. IV. 49

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��OEuvRES DE Descartes.

��178 pôle du quatrième. Car Ci, par exemple, IVX efl fa partie qui | efl vers le pôle E", qui tourne fuiuant l'ordre des marques IVX, le premier tourbillon, le frottant contr'elle fuiuant la ligne droite El & les autres qui font parallèles à cette-cy, le fécond tourbillon, fe frottant auffi contr'elle fuiuant la ligne droite EV, & le troifiéme fuiuant la ligne EX, empefcheroient fon mouuement circulaire. Mais la nature accommode cela fort aifément par les loix du mouuement, en deftournant quelque peu les Eclyptiques de ces trois tourbillons vers l'endroit où tourne le quatrième IVX: en forte que, ne fe frottant plus contre luy fuiuant les lignes droites El, EV, EX, mais fuiuant les lignes courbes i I, 2 V, 3 X, ils s'accordent très-bien auec fon mouuement.

67. Que deux tourbillons ne fe peinient toucher par leurs pôles.

le ne crois pas qu'on puilfe rien inuenter de mieux pour ajulter les mouuemens de plufieurs tourbillons. Pource que, fi on fuppofe qu'il y en ait deux qui fe touchent de leurs pôles, ou ils tourneront tous deux de mefme codé, & s'vnilfant enfemble n'en feront plus qu'vn, ou bien l'vn prendra fon cours d'vn cofté, & l'autre d'vn autre, & par ce moyen ils s'empefcheront tous deux extrê- mement. C'ert pourquoy, bien que je n'entreprenne pas de déter- miner comment tous les tourbillons qui compofent le Ciel font fituez, ni comment ils fe meuuent, je penfe neantmoins que je peux

179 deterjminer, en gênerai, que chaque tourbillon a les pôles plus éloignez des pôles de ceux qui font les plus proches de luv, que de leurs Eclyptiques; & il me femble que je l'ay futtifamment démontré.

ô^tV. Qu'ils ne penuent ejîre tous de mefme grandeur.

Il me femble auffi que cette variété incomprehenfible qui paroill en lafituation des Eftoiles fixes, montre allez que les tourbillons qui tournent autour d'elles, ne font pas égaux en grandeur". Et je tiens qu'il elt manifefte, par la lumière qu'elles nous enuoyent, que chaque Ertoile eft au centre d'vn tourbillon, & ne peut ertre ailleurs ; car li on admet cette fuppofition, il efl aile de connoiihe cowmenl leur lumière paruienl jufques à nosycu.x par des cfpaces immenfes. aiiiii

a. En marge : « Voyez les figures 4 et 5 de la planche 6. ■>

b. Correspondance de Descartes, t. V, p. 172.

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��Principes. — Troisiesme Partie. 139

qu'il paroiftra euidemment, partie de ce qui a def-ja erté dit', & partie de ce qui fuit"; & il n'eft pas poffibie, fans elle, d'en rendre raifon qui vaille. Mais d'autant que nous n'aperceuons rien dans les Efloiles fixes, par l'cntremifc de nos fens, que leur lumière & la fituation où nous les voyons, nous ne deuons fuppofer que ce qui eft abfolument neceffairc pour rendre raifon de ces deux effets. Et pource qu'on ne fçauroit connoiftre la nature de la lumière, fi on ne fuppofe que chaque tourbillon toun e autour d'vne Eftoile auec toute la matière qu'il contient, & qu'on ne peut aufli rendre | raifon de la fituation où elles nous paroilient, fi on ne fuppofe que ces tourbillons font differens en grandeur, /e croj' qu'il ejt également necelfaire que ces deux fiippofitions foicnt admifcs. Mais s'il eft vray qu'ils foient inégaux, il faudra que les parties éloignées des pôles des vns touchent les autres aux endroits qui font proches de leurs pôles, à caufe qu'il n'eft pas poftlble que les parties femblables des corps qui font inégaux en grandeur, conuiennent entr'elles.

6g. Que la matière du premier élément entre par les pôles de chaque tour- billon vers/on centre, &Jort de là par les endroits les plus éloigne^ des pôles.

On peut inférer de cecy que la matière du premier élément... fort fans celfe de chacun de ces tourbillons, par les endroits qui font les plus éloignez de leurs pôles, & qu'il y en entre aufll d'autre fans ceffe par les endroits qui en font les plus proches. Car fi nous fuppo- fons, par exemple, que le premier Ciel AYBM', au centre duquel eft le Soleil, tourne fur fes pôles, dont l'vn marqué A eft l'Auftral, & B le Septentrional, & que les quatre tourbillons K, O, L, C, qui font autour de luy, tournent fur leurs eflîeux TT, YY, ZZ, MM, & qu'il touche les deux marquez O & C vers leurs pôles, & les deux autres K & L vers les endroits qui en font fort éloignez : il eft euident, parce qui a def-ja efté dif", que toute la matière dont il eft compofé, faifant effort pour s'éloigner de l'effieu AB, tend plus fort vers les endroits marquez Y & M, que vers ceux qui ibnt | mar- 181 quez A & B; & pource qu'elle rencontre vers Y & M les pôles des tourbillons O & C, qui ont peu de force pour luy refifter, & qu'elle

a. Art. 57, 58 et suivants, pp. i3i, i?2.

b. Art. i3o et i32.

c. En marge : « Voyez en la pag. précédente la planche 7. » Cette planche se trouve à la fin du volume.

d. Art. 54, 60 et 64, pp. i3o, i33, i36.

�� � 140 OEuvREs DE Descartes.

rencontre vers A & B les tourbillons K & L, aux endroits qui font les plus éloignez de leurs pôles, & qui ont plus de force pour auancer de K & d'L vers S, que les parties qui font vers les pôles du Ciel S n'en ont pour auancer vers L & K, il efl: éuident auffi que celle qui eft aux endroits K & L, doit s'auancer vers S, & celle qui eft à l'endroit S, vers O & C.

��yo. Qu'il n'en ejî pas de me/me du fécond élément.

Cela fe deuroit entendre de la matière du fécond élément, aufll bien que de celle du premier, fi quelques caufes particulières n'em- pefchoient fes petites parlics de s'auancer jufques là. Mais pource que l'agitation du premier élément eft beaucoup plus grande que celle du fécond, & qu'il elt toul-jours tres-aifé à ce premier de paiTer par les petits recoins que les parties du fécond, qui font rondes, laiffent neceffairement autour d'elles : quand mefme on fuppoferoit que toute la matière, tant du premier que du fécond élément, qui eft comprife dans le tourbillon L\ commenceroit en mefme temps de fe mouuoir d'L vers S, il faudroit neantmoins que celle du premier paruint au centre S plufloll que celle du fécond. Et cette matière du 182 premier, eftant ainfi paruenuë dans l'efpace S, poulie d'vne | telle impetuofité les parties du fécond, non feulement vers l'Eclyptique eg ou MY, mais auiïi vers les pôles /tf ou AB, comme j'expli- queray tout maintenant ", qu'elle empefche que les petites boules qui viennent du tourbillon L, n'auancent vers S que jufques à vn certain efpace qui ell icy marqué par la lettre B. Le mefme fe doit entendre du tourbillon K, & de tous les autres.

7 / . Quelle eft la caufe de cette diuerfité.

De plus, il faut remarquer que les parties du fécond élément qui tournent autour du centre L, n'ont pas feulement la force de s'éloi- gner de ce centre, mais auffi celle de retenir la viteffe de leurmouue- ment, & que ces deux effets font en quelque façon contraires l'vn à l'autre : pource que, pendant qu'elles tournent dans le tourbillon L, l'efpace dans lequel elles peuuent s'eftendre elt limité, en quelques endroits de la circonférence qu'elles décriuent, par les autres tour- billons qu'il faut imaginer au delfus & au delfous du plan de cette

a. En marge : « Voyez la mefme figure de la page qui fuit. » Planche VIL

b. Art. 78.

�� � Principes. — Troisiesme Partie. 141

figure •. De façon qu'elles ne peuucnt s'éloigner dauantage de ce centre vers l'endroit B, où leur efface n'eft pas ainfi limité, fi ce n'eft que leur vitefle y foit d'autant plus diminuée qu'il y aura plus d'efpace entre L & B, qu'entre le mefme L & la fuperficie de ces autres tourbillons.-.Ainfi.quoy que la force qu'elles ont à s'éloigner du point L, foit caufe | qu'elles s'en éloignent vers B dauantage 183 que vers les autres codez, pource qu'elles y rencontrent les pôles du tourbillons, qui ne leur font pas beaucoup de refiftance : toutes- fois la force qu'elles ont de retenir leur viteffe, eft caule qu'elles ne s'en éloignent pas fans fin, & qu'elles n'auancent pas jufques a S. Il n'en eft pas de mefme de la matière du premier élément : car encore qu'elle s'accorde aucc les parties du fécond, en ce que, tournant comme elles dans les tourbillons qui la contiennent, elle tend a s'éloigner de leurs centres, il v a cette différence, qu'elle peut s'éloi- gner de ces centres fans rien perdre de fa vitefle, à cauie qu'elle trouue de tous coikz des pafl-ages, emre les parties du fécond élément, qui font à peu près égaux les vns aux autres. Ce qui fait qu'elle coule fans ceffe vers le centre S, par les endroits qui font proches des pôles A & B, non feulement des tourbillons marquez K & L, mais auffi de plufieurs autres qui n'ont pu eftre commodé- ment rêprefentez en cette figure, pource qu'ils ne doiucnt pas eftre tous imaginez en vn mefme plan, & que je ne peux déterminer leur fituation, ni leur grandeur, ni leur nombre; & quelle pafledu centre S vers les tourbillons O & C, & vers plufieurs autres lem- blables, dont je n'entreprends point de déterminer ni la fituation, 1 ni la grandeur, ni le nombre, ni fi cette mefme matière retourne immédiatement d'O & C vers K & L, ou bien fi, auant que d'ache- uer le cercle de fon mouuement, elle pafte par beaucoup d'autres tourbillons plus éloignez d'S que ceux-cy.

72. Comment Je meut la matière qui compofe le corps du Soleil.

Mais je tafcheray d'expliquer la force dont elle eft meuë dans l'efpace defg. Celle qui eft venue d'A vers f, doit continuer fon mouuement en ligne droite jufques à d, pource qu'il n'y a rieii enlre-

a En marge de l'exemplaire annoté : « Cecy est dans le latin : Car puis- qu'elles se meuuent circulaiiement, elles ne peuuent pas employer plus de temps à passer entre L et la superficie de ces autres tourbillons qu a passer entie le mesme L et B, où l'espace est plus grand et où par conséquent la matière doit tourner moins visie. » (Note MS ) Le dernier membre de phrase n'est nullement dans le texte latin.

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�� � 142 OEl'vres de Descartes.

deux qui l'en einpefche; mais vers d elle rencontre des parties du fécond élément, lelquelles elle poulie vers B, & elle elt audi repouf- fée par elles & contrainte de retourner en dedans, du pôle d vers tous les coftez de l'Eclyptique e g. De mefme celle qui elt venue de B vers d, continue l'on mouuement en ligne droite jufques à/", où elle rencontre les parties du fécond élément qu'elle poulfe vers A, & elle ell repoulTée par elles du poley" vers la mefme Eclyptique e g; & paffanl ainfi des deux poU's d,f vers lou^ les cojîei de l'Eclyptique e g, elle poulfe également toutes les parties du fécond élément qu'elle rencoiilre eu la fuperfîcie de la Sphère d efg, & s'écoule en fuitte vers M & Y, par les petits recoins qu'elle trouue entre les parties du fécond élément vers cette Eclyptique e g. De plus, pendant qu'elle 185 elf meuë en li|gne droite par fa propre agitation, depuis les pôles du Ciel A & B jufques aux pôles du corps du Soleil d & f, elle eft aufli portée en rond autour de l'eflieu AB par le mouuement circu- laire de ce Ciel, au moyen de quoy chacune de les parties décrit vne ligne fpirale ou tournée en limaçon, & ces fpirales s'auancent tout droit d'A jufques à d, & de B jufques à f, mais ejfant paruenuës à d ikf, elles le replient de part & d'autre vers l'Eclyptique e g. Et", pource qu'il y a plus d'efpace dans la Sphère d efg, que la matière du premier élément qui paflé entre les parties du fécond n'en pour- roit occuper, fi elle ne faifoit qu'y entrer & fortir fuiuant ces fpi- rales, elle y doit fejourner vn peu dauantage, & y compofer vn corps très-liquide, qui tourne fans celle autour de VeiïÏQu fd, à fçauoir le corps du Soleil.

/3. Qu'il y a beaucoup d'inégalité^ en ce qui regarde la fituation du Soleil au milieu du tourbillon qui ienuironne.

Et il faut icy remarquer que Ce corps ne peut manquer d'eftre rond; car encore que l'inégalité des tourbillons qui enuironneut le Ciel AM BY, foit caufe que nous ne deuons pas penfer que la ma- tière du premier élément vienne aufll abondamment vers le Soleil par l'vn des pôles de ce Ciel que par l'autre, ni que ces pôles foicnt diredement oppofez, en forte que la ligne ASB foit exaâeinent droite, ni qu'il y ait aucun cercle parfait qu'on puiiTe prendre pour

a. En marge de l'exemplaire annoté : « Version de mot à mot du latin : Et pource que l'espace defg est plus grand que ne sont les conduits par où la matière du premier élément y entre et en sort, de là il arriue qu'il y demeure tousiours quelque partie de sa matière qui y compose vn corps très liquide, lequel tourne sans cesse autour de Tessieu/t/. « (Note MS.)

�� � Principes. — Troisksme Partie. 14}

fon Eclyptique, & auquel fe rapportent ii également | tous les tour- 186 billons qui l'enuironnent, que la matière du premier élément, qui vient du Soleil, puiffe fortir de ce Ciel auec pareille facilité par tous les endroits de cete Eclyptique...; toutefois on ne peut inférer de cela qu'il y ait aucune notable inégalité en la figure du Soleil, mais feu- lement qu'il y en a en la fituation, en fon mouuement & en la gran- deur, comparée à celle des autres ajires. Cai, par exemple, fi la matière du premier élément, qui vient du pôle A vers S, a plus de force que celle qui vient du pôle B, elle ira plus loin auant qu'elles fe puilfent deftourner l'vne l'autre par leur mutuelle rencontre, ...& ainfi elles feront que le Soleil fera plus proche du pôle B que du pôle A. Mais les petites parties du fécond élément ne feront pas pouffées plus fort à l'endroit de la circonférence marqué d qu'en l'autre marqué/, qui luj e/i direâemem oppojé, & cette circonfé- rence ne laiilera pas d'eftre ronde. Tout de mefme, fi la matière du premier élément paffe plus aifement d'S vers O que vers C (à fça- uoir pource qu'elle y trouuera dauantage de place), cela fera caufe que le corps du Soleil s'approchera quelque peu plus à'O que de C, & qu'acourciffant par ce moyen l'efpace qui e(l entre O & S, il s'ar- reftera à l'endroit où la force de cette matière fera également balancée des deux coflez. Par ainfi, encojre que nous n'aurions égard qu'aux 187 quatre tourbillons L,C,K,0, pourueu que nous les fuppofions iné- gaux, cela fuftit pour nous obliger à conclure que le Soleil n'eft pas fitué jultement au milieu de la ligne O C, ni aufli au milieu de la ligne L K, & on peut conceuoir beaucoup d'autres inégalitez en fa fituation. Il onconfidere qu'il y a encore plufieurs autres tourbillons qui l'enuironnent.

74. Qu'il jr en a aujfi beaucoup en ce qui regarde le mouuement de fa matière'.

De plus, fi la matière du premier élément qui vient des tourbil- lons K & L, n'eft pas fi difpofée à fe mouuoir vers S... que vers quelques autres endroits proches de là : par exemple, fi celle qui vient de K eft plus difpofée à fe mouuoir vers e, & celle qui vient d'L, vers^, cela fera caufe que les pôles/, d, autour defquels elle tourne lors qu'elle compofe le corps du Soleil, ne feront pas dans les lignes droites menées de K & d'L vers S, mais que le pôle auilral/ s'auancera quelque peu plus vers e, & le feptentrional d vers g. Tout

a. Même planche VII.

�� � 144 OEuvRES DE Descartes.

de mefme, fi la ligne droite S M, fuiuant laquelle je fuppofe que la matière du premier élément va plus facilement d'S vers C que fuiuant aucune autre, pafl'e par vn point de la circonference/erf, qui foit plus proche du point d que du point/"; & en mefme façon, que la ligne S Y, fuiuant \ai(\\it\\& je fuppofe que c&xxq matière tend d'S

188 vers O, paffe par vn point delà circon|ference /^tV, qui foit plus proche du point^que du point d : cela fera caufe que g"Se, qui reprefente ici l'Eclyptique du Soleil ", c'eft à dire le plan dans lequel fe meut la partie de fa matière qui décrit le plus grand cercle, aura fa partie S e plus penchée vers le pôle d que vers le pôle/, mais non pas toutefois du tout tant qu'eit la ligne droite SM ; & que fon autre partie S^ fera plus penchée vers/' que vers d, mais non pas auin du tout tant que la ligne droite S Y. D'où il fuit que l'elfieu, autour duquel toute la matière dont le corps du Soleil efl compofé fait fon tour, & qui eft terminé par les deux pôles f, d, n'eft pas exadement droit, mais quelque peu courbé des deux coJîe\; & que cette matière tourne quelque peu plus vite entre e & W ou entre f &L g, qu'entre e Si. f ou dSig-; & que pcut-eftre auffî la viteffe dont elle tourne entre e & d, n'eit pas entièrement égale à celle dont elle tourne entre/& g.

75. Que cela n'empefche pas que fa figure ne foit ronde.

Mais cela ne peut pourtant empefcher que le corps du Soleil ne foit affez exadement rond, pource que fa matière a cependant vn autre mouuement de fes pôles vers fon Eclyptique, lequel corrige ces inégalitez. Et comme on voit qu'vne bouteille de yerre fe fait ronde, par cela feul qu'en fouflant par vn tuyau de fer, on fait

189 entrer de l'air dans la matière dont on la \fail, à caufe que cet air n'a pas plus de force à pouffer la partie de cette matière qui efl diredement oppofée au bout du tuyau par où il entre, qu'à pouffer celles qui font en tous les autres coftez vers lefquels il efl repoufle par la refiftance qu'elle luy fait : ainfi la matière du premier élé- ment qui entre dans le corps du Soleil par fes pôles, doit pouffer également de tous coftez les parties du fécond qui l'enuironnent, aufTi bien celles contre qui elle efl repoulïéc obliquement, que celles qu'elle rencontre de front.

a. Correspondance de Descartes, t. IV, p. iSiJ. 18.

�� � Principes. — Troisiesme Partie. 145

��•j6. Comment Je meut la matière du premier élément qui ejï entre les parties du fécond dans le Ciel,

Il faut auffî remarquer, touchant cettematiere du premier élément, que, pendant qu'elle eft entre les petites boules qui compo/ent le Ciel AMBY', outre qu'elle a deux mouuemens, l'vn en ligne droite qui la porte des pôles A & B vers le Soleil, puis du Soleil vers l'Eclyptique YM, & l'autre circulaire autour de ces pôles, qui luy eft commun auec tout le refte de ce Ciel, elle employé la plus grande part de fon agitation à fe mouuoir en toutes les autres façons qui font requifes pour changer continuellement les figures de fes petites parties, & ainfi remplir exadement tous les recoins qu'elle trouue autour des petites boules entre lefquelles elle palTe. Ce qui eft caufe que fa force eft plus foible, eftant ainfi diuifée, & que ce peu de ma- tière qui eft I en chacun des petits recoins par où elle pafl'e, eft touf- 190 jours preft d'en fortir, & de céder au mouuement de ces boules, pour continuer le fien en ligne droite vers quelque cofté que ce foit; mais que ce qu'il y a de cettematiere vers S, où elle compofe le corps du Soleil, y a vne force qui eft tres-notable & très-grande, à caufe que toutes fes parties s'accordent enfemble à fe mouuoir en mefme fens, & qu'elle employé cette force à poufter toutes les petites boules du fécond élément qui enuironnent le Soleil.

77. Que le Soleil n'enuoye pas feulement fa lumière vers l'Eclyptique, mais aujfi vers les pôles.

En fuitte de quoy il eft ailé de connoiftre combien la matière du premier élément contribue à l'aétion que je croy deuoir eftre prife pour la lumière, & comment cette adion s'eftend de tous coftez, auftî bien vers les pôles que vers 1 Eciyptique. Car, premièrement, fi nous fuppofons qu'il y ait en quelque endroit du Ciel j>ers l'Eclyptique, par exemple en l'endroit marqué H, vn efpace affez grand pour con- tenir vne ou plufieurs des petites boules du fécond élément, dans lequel il n'y ait que de la matière du premier', nous pourrons facile- ment remarquer que les petites boules qui font dans le cône dWf, lequel a pjur bafe l'hemifphere dcf, fe doiuent auancer toutes en mefme temps vers cet efpace pour le remplir.

a. En marge : « Voyez la figure qui fuit. » Ajouté à la main • p 7 (planche VII).

b. Voir art. 61 et 62, p. i33 et 134.

Œuvres. IV. 5o

�� � 146 OEuvRES DE Descartes.

��■j8. Comment il l'enuoye vers l'Eclyptique.

191 Et j'ay def-ja prouué cecy% touchant les peti|tes boules qui font comprifes dans le triangle qui a pour fa bafe...rEcl3'ptique duSoleii, bien que je ne confideraffe point encore que la matière du premier élément y contribue. Mais le mefme peut maintenant encore mieux eftre expliqué par fon moyen, non feulement touchant les petites boules qui font en ce triangle, mais aulTi touchant toutes les autres qui font dans le cône dHf: car en tant que cette matière compofe le corps du Soleil, elle pouffe aufïï bien celles qui font dans le demy cercle def, & généralement toutes celles qui font dans le cône dlif, que celles qui font dans le demy cercle qui coupe def à angles droits an point e, d'autant qu'elle ne fe meut pas auec plus de force vers l'Eclyptique e que vers les pôles df, & vers toutes les autres parties de la fuperticie fpherique def g; & en tant que nous la fup- pofons remplir l'efpace H, elle ert difpofée à fortir du lieu où elle eft, pour aller vers C, & de là, paffant par les tourbillons L & K (& autres fcmblables, retourner vers S. C'ell pourquoy elle n'empefche en aucune façon que toutes les petites boules comprifes dans le cône d H /", ne s'auancent vers H ; & à mefme temps qu'elles s'auancent, il vient des tourbillons K & L, & femblables, autant de matière du premier élément vers le Soleil, qu'il en entre de celle du fécond en l'efpace H.

192 I -g. Combien il ejl aifé quelquefois aux corps qui fe meuuent,

d'ejlendre extrêmement loin leur aâion.

Et tant s'en faut qu'elle les empefche de s'auancer ainfi vers H, que pluftoft elle les y difpofe. Car puis que tout corps qui fe meut, tend à continuer fon mouuement en ligne droite, ainji que j'ay prouué cy- dejj'us", cette matière du premier élément qui eft en l'efpace H,eftant extrêmement agitée, a bien plus de facilité à palfer en ligne droite vers C, qu'à tournoyer dans le lieu où elle eft ; S- n'y ayant point de ruide en la nature, il ejl neceffaire qu'ily ait touf-jours tout vn cercle de matière qui fe meuue enfenibleen mefme temps, ainfi que j'ay aujji prouué cy-dejj'us'. Mais d'autant que le cercle de la matière qui le meut ainfi enfemble, eft plus grand, d'autant le mouuement de chacune

a. Alt. 62, p. 134.

b. Partie II, art. 3q, p. 85.

c. Ibid., art. 33, p. 81 .

�� � Principes. — Troisiesme Partie. 147

de fes parties eft plus libre, à caufe qu"\\ fe fait fuiuant vne ligne moins courbée, ou moins différente de la droite : ce qui peut feruir pour empefcher qu'on ne trouue eftrange, que fouuent le mouuement des plus petits corps eftende fon adion jufques aux plus grandes diftances; & ainfi, que la lumière du Soleil & des Eftoiles les plus éloignées paffe en vn moment jufques à la terre.

80. Comment le Soleil enuoyeja lumière vers les pôles.

Ayant ainfi veu comment le Soleil agit vers l'Ecl/ptiqiie, nous pouuons voir en me/me façon comment il agit vers les pôles, fi nous fuppofons qu'il s'y trouue quelque efpace, comme, | par exemple, au 193 point N, qui ne foit remply que du premier élément, bien qu'il foit affe\ grand pour contenir quelques-vnes des parties du fécond. Car puis que la matière qui compofe le corps du Soleil, pouffe de tous cofle\ auec grande force la fuperfcie du Ciel qui l'enuironne, il eft éuident qu'elle doit faire auancer vers N tomes les parties du fécond élément qui font comprifes dans le cône e'Ng, & encore que peut- eftre ces parties n'ayent en elles mefmes aucune difpofition à fe mouuoir vers là, elles n'en ont aufli aucune qui les face refifter à l'aflion qui les y pouffe. La matière du premier élément, dont l'ef- pace N eft remply, ne les empefche point aufli d'y entrer, à caufe qu'elle eft entièrement difpofée à en fortir, & aller vers S remplir la place qu'elles lailfent derrière elles en la fuperficie du Soleil efg, à mefure qu'elles s'auancent vers N. Et il n'y a aucune difficulté, en ce qu'il eft befoin, pour cet effet, que, pendant que toute la matière du fécond élément qui eft dans le cône eNg, s'auance en ligne droite d'S vers N, celle du premier fe meuue tout au contraire d'N vers S : car celle-cy paffant aifement par les petits interualles que les parties de l'autre laiffent autour d'elles, fon mouuement ne peut empefcher, ni eftre empefche par le leur. Ainfi qu'on voit en vn horloge de fable, que ] l'air enfermé dans le vafe d'embas, n'eft point empefche 194 de monter en celuy d'enhaut, par les petits grains de fable qui en defcendent, bien que ce foit parmy eux qu'il doiue paffer.

Si . Qu'il n 'a peut ejire pas du tout tant de force vers les pales que veis l'Eclyptique.

Mais on peut faire icy vne queftion, fçauoir fi les petites boules du cône e'i^ g font pouflees auec autant de force vers N, par la matière du Soleil toute feule, que celles du cône ^H/le font vers

�� � 148 Œuvres de Descartes.

H par la mefme matière du Soleil, & aucc cela par leur propre mouuement, lequel fait qu'elles tendent à s'éloigner du centre S. Et il }' a grande apparence que cette force n'eft pas égale, fi on fuppofe que H & N loient également éloignez du point S ; mais, comme j'ay def-ja remarqué que la diitance qui ell entre le Soleil & la circonfé- rence du Ciel qui l'enuironne, ell moindre vers fes pôles que vers fon Eclyptique, on doit, ce me femble, juger qu'afin qu'elles foient pouiiées aufli fort vers N que vers H, il faut que la ligne droite SH foit au moins aulTi grande, au regard de la ligne SN, que SM au re- gard de SA ; & il n'y a qu'vn feul Phainomene en la nature qui nous puiffe faire fçauoir la vérité de cecy par expérience, à fçauoir lors qu'il arriue quelquefois qu'vne Comète pafl'e par vne fi grande par- tie de noftre Ciel, qu'elle ell veuë premièrement vers l'Eclyptique,

195 puis vers l'vn des pôles, & après dere|chef vers l'Eclyptique ; car alors on peut connoifire, ayant égard à la diuerfité de fa diftance, fi fa lumière (laquelle, ainfi que je diray cy-apres% luy vient du Soleil) ell plus forte à proportion vers l'Eclyptique que vers les pôles, ou bienfi elle ejl feulement égale.

82. Quelle diuerfité il y a en la grandeur €■ aux mouuemens des parties du fécond élément qui compofent les deux.

Il refte encore icy à remarquer que les parties du fécond élément qui font les plus proches du centre de chaque tourbillon, font plus petites, & fe meuuent plus vite que celles qui en font quelque peu plus éloignées, & ce jufques à vn certain endroit, au delà duquel celles qui font plus hautes fe meuuent plus vite que celles qui font plus balles ; & pour ce qui elf de leur grofleur, elles font égales. Par exemple, on peut penfer que, dans le premier Ciel, les plus petites parties du fécond élément font celles qui touchent la fuperficie du Soleil, & que celles qui en font plus éloignées, font plus grolfes, félon les differens efiages où elles fe rencontrent, jufques à la fuper- ficie de la fphere irreguliere HNQR; mais que celles qui font au delà de cette fphere, font toutes également groffes ; & que celles qui fe meuuent le plus lentement de toutes, font en la fuperficie H NQR : en forte que les parties du fécond élément qui font vers HQ, employent peut-elfre trente années, ou plus, à décrire vn cercle

196 autour des pôles A B, | au lieu que celles qui font plus hautes vers M & Y, & celles qui font plus balfcs vers e & g, fe meuuent fi vite, qu'elles n'employent que peu de femaines à faire leur tour.

a. Art. i3o.

�� � Principes. — Troisiesme Partie. 149

��83. Pourquqy les plus éloignées du Soleil dans le premier Ciel, Je meuueiit plus vite que celles qui enfant vn peu plus' loin.

Et premierement\ il eft aifé de prouuer que celles qui font vers M & Y, fe doiuent mouuoir plus vite que celles qui font plus bas vers H & Q. Car de ce que j'ay fuppofé' qu'elles ont efté au commencement du monde toutes égales (ce que je penfe auoir eu raifon de fuppofer, pendant que je n'en auois point qui m'obligeaft de les eflimer inégales), & de ce que le Ciel qui les contient & qui les emporte auec foy circulairement, ainfi qu'vn tourbillon, n'eft pas exadement rond, à caufe que les autres tourbillons qui le tou- chent ne font pas égaux entr'eux, & auITi à caufe qu'il doit eftre plus ferré visa vis des centres de ces tourbillons, qu'aux autres endroits, il faut neceliairement que quelques vues de fes parties fe meuuent quelquefois plus vite que les autres, à fçauoir lors qu'elles doiuent changer leur rang pour palier d'vn chemin plus large en vn plus eftroit. Comme on peut voir icy' que les deux boules qui font entre les points A & B ne peuuent paffer entre les deux autres points C & D, que je fuppofe plus proches, s'il n'y en a vne qui s'auance deuant l'autre, & qui par confequent aille plus | vite. Or d'autant 197 que toutes les parties du fécond élément qui compofent le premier Ciel, tendent à s'éloigner du centre S', fi tort qu'il y en a quelqu'vne qui va plus vite que celles qui en font plus éloignées, cette vileffe luy donnant plus de force, fait qu'elle paffe au deffus d'elles; telle- ment que ce font touf-jours celles qui fe meuuent le plus vite, qui en doiuent eftre les plus éloignées. le ne détermine point la quantité • de leur vitefTe, pource que c'eft par la feule expérience que nous la pouuons apprendre; & cette expérience ne fe peut faire que par le iroyen des Comètes, qui, comme je feray voir cy-apresS trauerfent d'vn Ciel en vn autre, & fuiuent à peu près le cours de celuj oh elles fe trouuent. le ne détermine point non plus combien eft lent le mouuement du cercle H Q ; car nous ne le connoiffons qu'autant que

a. Lire : « vn peu moins » {aliquanto minus).

h. Correspondance de Descartes, t. IV, p. 455-456.

c. Art. 47 et 48, pp. 125 et 126.

d. Correspondance de Descartes, t. V, p. 172.

e. En marge : « Voyez la figure i de la planche 8 en la page précédente. » Ces quatre derniers mots barrés, la plan"he ayant été rejetée à la fin du livre.

f. Planche VII.

g. Art. 128.

�� � I ^o OEuvREs DE Descartes.

nous l'apprend le cours de Saturne, qui ue s'acheue qu'en trente ans', & doit eftre compris dans ce cercle, comme il paroiftra de ce qui luit.

84. Pourquoy aujfi celles qui font les plus proches du Soleil Je meuuent- plus vite que celles qui en font vn peu plus loin.

Il ert aile aufll à prouuer qu'entre les parties du fécond élément qui font au dedans du cercle HQ, celles qui font les plus proches du centre S, doiuent faire leur tour en moins de temps que celles qui en font plus éloignées, à caufe que le mouuement qu'a le Soleil 198 autour du mcfme centre, doit augmenter leur viteffe. Car | d'autant qu'il fe meut plus vite qu'elles, & qu'il fort continuellement de luy quelques parties de fa matière qui coulent entre celles du fécond élément vers l'Ecl^yptique, pendant qu'il en reçoit d'autres vers les pôles, il eft éuident qu'il doit entrainer auec Iby toute la matière du Ciel qui eft autour de luy, jufques à vne certaine diftance. Et les limites de ce. te diftance font icy" reprefentez par l'elipfe HNQR pluftolt que par vn cercle; car encore que le Soleil Ibit rond, & qu'il ne poufl'e pas moins fort les parties du Ciel qui font vers les pôles, que celles qui font vers l'Eclyptique, par l'adion que j'ay dit' deuoir eftre prife pour fa lumière, il n'en eft pas neantmoins de mefme de cette autre adion, par laquelle il entraine auec Iby celles qui font les plus proches de luy, pource qu'elle ne dépend que du mouuement circulaire qu'il fait autour de fon eiïieu, lequel fans doute a moins de force vers les pôles que vers l'Eclyptique. C'eft pourquoy H & Q doiuent eftre plus éloignez du centre S que N & R, & cecy feruira cy-apres" pour rendre raifon de ce que les queues des Comètes nous paroiffent quelquefois droites, & quel- quefois courbées.

85. Pourquoy ces plus proches du Soleil font plus petites que celles qui en font plus éloignées.

Or, de ce que les parties du fécond élément qui font fort proches du Soleil, fe meuuent plus vite que celles qui en font vn peu plus éloignées, | jufques à l'endroit du ciel marqué HNQR, on peut prouuer ^«'elles doiuent aufli eftre plus petites ; car fi elles ertoient

a. Ci-après, art. 148.

b. Planche VII.

c. Art. 63, p. i35.

d. Art. i38.

��199

�� � Principes. — Troisiesme Partie. i ^ i

plus greffes ou égales, elles iroient au deffus des autres, à caufe que ce qu'elles ont de viteffe plus que ces autres, leur feroit auoir plus de force. Mais lors qu'il arriue que quelqu'vne de ces parties deuient û petite, à proportion de celles qui font au deffus d'elle, que la viteffe dont elle les furpaffe, à caufe qu'elle ejl plus proche du Soleil, n'augmente pas fa force de tant, comme la grandeur dont ces autres \i\ turpai^ent aug-mente la leur, il eft éuident qu'elle doit touf-jours demeurer au deffous d'elles l'ers le Soleil, encore qu'elle fe menue plus vile. Et bien que j'aye fuppole'que toutes ces parties du fécond élément ont efté égales en* leur commencement, quelques vnes ont deu, par fucceffion de temps, deuenir plus petites que les autres, à caufe que les endroits par où elles elloient contraintes de paffer, n'eftant pas égaux, il a deu y auoir quelque inégalité en leur mouuement, ainfi que j'ay tantoft prouué', & il a deu auffi fuiure de là quelque inégalité en leur groffeur, pource que celles qui ont eu le plus de viteffe fe font heurtées l'rne l'autre auec plus de force, & ainfi ont perdu dauantage de leur matière. Et il ne peut y en auoir eu fi peu, qu\ par fuccejjion de temps \ foicnt deuenuës notablement 200 moindres que les autres, qu'il ne foit facile à croire qu'elles fuffifent pour remplir l'efpace HNQR, pource qu'il eff extrêmement petit, à comparaifoii de tout le Ciel AYBM, bien qu'à comparaifon du Soleil il foit ajfei grand ; mais la proportion qui eft entr'eux n'a pu eftre reprefentée en cette figure', à caufe qu'il l'euff fallu faire trop grande. Il y a encore plufieurs autres inégalitez à remarquer, tou- chant le mouuement des parties du Ciel, principalement de celles qui fonte» l'efpace HNQR, mais elles pourront plus commodément cy-apres eftre expliquées.

S6. Que ces parties du fécond élément ont diuers mouuemens qui les rendent rondes en tous fens.

Au reffe, il ne faut pas oublier icy à prendre garde que, bien que la matière du premier élément qui vient des tourbillons K, L & femblables, prenne principalement fon cours vers le Soleil, elle ne laiffe pas de couler auHi de diuers coffez vers les autres endroits du Ciel AYBM, & de paffer de là vers les autres tourbillons C, O & femblables, /à«s a»o/r eflé jufques au Soleil, &i que, coulant ainli de

a. Art. 48, p. 1 26.

b. Art. 83, p. 149.

c. Même planche VII.

d. K, par faute d'impression, dans l'édition de 1647.

�� � 1 5 2 OEuvRES DE Descartes.

diuers collez entre les pcliles parties du fécond élément, elle fait que chacune d'elles fe meut, non feulement autour de fon centre, mais ibuuent aulll en pluficurs autres façons. En fuite de quoy... il eft

201 éuident que, quelques figures que ces piD-lies du fécond \ élément ayent eues au commencement, elles ont deu, par fuccelîion de temps, deuenir rondes de tous collez, comme des boules, & non point feulement comme des cylindres ou autres folides, qui ne font ronds que d'vn colté.

(S'j. Qu'il y a diuers degre^ d'agitation dans les petites parties du premier élément.

Apres auoir acquis vne médiocre notion de la nature des deux pre- miers elemcns, il faut que nous tafchions aufTi de connoillre celle du troifiéme. Et à cet elfet il ell befoin de confiderer que la matière du premier n'eft pas également agitée en toutes fes parties, & que fou- uent en vne fort petite quantité de cette matière il y a tant de diuers degrez de vitelfe, qu'il feroit impoffible de les nombrer. Ge.qui peut facilement eftre prouué, tant par la façon que j'ay fuppofé, cy-deffus% qu'elle a erté produite, que par l'vfage auquel elle doit continuelle- ment feruir. Car j'ay fuppofé qu'elle a elle produite de ce que, lors que les parties du fécond élément n'eftoient pas encore rondes..., & qu'elles remplilloient entièrement l'efpace qui les contenoit, elle^ n'ont pu fe mouuoir fans rompre les petites pointes de leurs angles, & fans que ce qui s'ell feparé d'elles, à mefure qu'elles fe font aron- dies, ait changé diuerfement de figures, pour remplir exadement tous les petits recoins qu'elles ont laiffé autour d'elles, au moyen de

202 quov il a pris la forme du premier elejment. Et je croy que mainte- nant encore fon vfage ell de remplir ainfi tous les petits recoins qui fe trouuent entre tous les corps, quels qu'ils foient : d'où il eft éui- dent que chacune des parties dont ce premier élément efl compofé, n'a pCi au commencement élire plus grande que les petites pointes d'angles qui deuoient ejlre oflées de celles du fécond, afin qu'elles fe pujjhit mouuoir, ou tout au plus que l'efpace qui s'eil trouué entre trois de ces parties du fécond elemoit joignantes l'vne l'autre, après qu'elles ont eflé arondies ; & que quelques vnes ont pu retenir par après la mefme grojj'eur, mais qu'il a fallu que les autres fe foient froiffées & diuifées en vne infinité de plus petites parties, qui n'euf fent aucune groffeur ni figure déterminée, afin qu'elles fe pujfent

a. Art. 49, p. 127.

�� � 203

��Principes. — Troisiesme Partie. i ^ 3

accommoder aux diuerfes grandeurs des petits efpaces qui Je trouuent entre les parties du fécond élément, pendant qu'elles fe meuuent. Par exemple, fi nous penfons que les petites boules A, B, C'/o«^ trois de ces parties du fécond eletnent, & que les deux premières A & B, qui fe touchent au point G, ne fe meuuent que chacune autour de fon propre centre, pendant que la troifiéme C, qui touche la première au point E, roule fur la fuperjicie de cette première d'E vers I, jufques à ce que fon point D aille rencontrer le point F | de la fé- conde : il eft éuident que la matière du premier element.qui eft dans l'efpace triangulaire FI G, y peut cependant demeurer fans auoir aucun mouuement, & ainfi n'eftre compofée que d'vne feule partie (bien qu'elle puiffe auffi eftre compofée de plufieurs), mais que celle qui remplit l'efpace F I E D ne peut manquer de le mouuoir, & mefme qu'on ne fçauroit déterminer aucune partie fi petite entre les points F & D, qu'elle ne foit plus grande que celle qui doit fortir à chaque moment hors de la ligne FD, à caufe que, pendant tous les momens de temps que la boule C approche de B, elle accourcit cette ligne F D, & luy fait auoir fucceffiuement plus de différentes lon- gueurs qu'on n'en fçauroit exprimer par aucun nombre.

88. Que celles de ces parties qui ont le moins de vitejfe, en perdent aifement vne partie, & s'attachent les vnes aux autres.

Ainfi on voit qu'il doit y auoir quelques jpar//e5, en la matière du premier élément, qui foient moins petites & moins agitées que 'es autres; & pource que nous fuppofons qu'elles font faites de la ra- clure qui eft fortie d'autour de celles du fécond élément, pendant qu'elles fe font arondies..., leurs figures doiuent auoir eu* beaucoup d'angles, & edrc fort empcfchantes ; ce qui efl caufe qu'elles s'at- tachent facilement les vnes aux autres, & transfèrent vne grande partie de leur agitation à celles qui font les plus petites & les plus agitées. Car, fuiuant | les loix de la nature', quand des corps de 204 diuerfes grandeurs font méfier enfemble, le mouuement des vns ejl fouuent communiqué aux autres; mais il y a bien plus de rencontres où celuy des plus grands doit palier dans les plus petits, qu'il n'y en a, au contraire, où les plus petits puiffent donner le leur aux plus grands. De façon qu'on peut affurer que ces plus petits font ordinaire- ment les plus agite\.

a. En marge : « Voyez la figure 2 de la planche 8. »

b. Ce mot eu semble à supprimer.

c. Partie II, art. 40, p. 86.

Œuvres. IV. 5i

�� � I <j4 OEuvREs DE Descartes.

��^(j. Que c'ejl principalement en la matière qui coule des pôles vers le centre de chaque tourbillon, qu'il Je trouue de telles parties.

Et les parties qui s'attachent ainfi les vîtes aux autres, & qui re- tiennent le moins d'agitation, fe trouuent principalement en la ma- tière du premier élément qui coule en ligne droite des pôles de chaque tourbillon vers fon centre. Car elles n'ont pas befoin d'eftre tant agitées pour ce feul mouuement droit, que pour les autres plus deftournez & diuers, qui fe font aux autres lieux : de façon que, lors qu'elles fe trouuent en ces autres lieux, elles ont couftume d'en eflre repouffées vers cetuy-là, dans lequel elles fe joignent plufieurs enfembie, & compofent certains petits corps dont je tafcheray d'ex- pliquer fort particulièrement la figure, à cauje qu'elle mérite d'ejîre remarquée.

yo. Quelle ejî la figure de ces parties que nous nommerons canelées.

Premièrement, ils doiuent auoir la figure d'vn triangle en leur largeur & profondeur, à caufe qu'ils paffent par ces petits efpaces 205 triangulaires qui fe trouuent au milieu de trois àçs\ parties du fé- cond élément, quand elles fe touchent. Et pour ce qui eft de leur longueur, il n'eft pas aifé de la déterminer, d'autant qu'il ne femble pas qu'elle dépende d'aucune autre caufe que de l'abondance de la matière qui fe trouue aux endroits où le forment ces petits corps; mais il fuffit que nous les conceuions ainfi que des petites colomnes canelées, à trois rayes ou canaux, & tournées comme la coquille d'vn limaçon", tellement qu'elles peuuent palfer en tournoyant par les petits interualles qui ont la figure du triangle curuiligne F I G, & qui fe rencontrent infailliblement entre trois boules..,, lors qu'elles s'entre-touchent. Car, d'autant que ces parties canelées peuuent eftre beaucoup plus longues que larges, & qu'elles paffent fort prompte- ment entre les parties du fécond élément, pendant que celles-cy fuiuent le cours du tourbillon qui les emporte autour de fon ejjieu, on

a. In modum cochlearum intortis, dit le texte latin. Cochlea,c^m signifie « coquille de limaçon », est aussi le mot technique pour désigner une. vis, et c'est bien dans ce sens que Descartes a dû récrire, quand même il aurait accepté plus tard la traduction « coquille de limaçon ». Cette tra- duction ne doit, en tous cas, être prise que dans le sens où nous disons vulgairement un escalier « en colimaçon », supposant un noyau cylin- drique et des spires de même dimension.

�� � Principes. — Troisiesme Partie.

��M5

��conçoit aifement que les trois canaux qui font eu la fuperficie de chacune, doiuent eftre tournez à 7>is',ou comme vne coquille; & que ces trois canaux font plus ou moins tournez, à proportion de ce qu'elles paffent par des endroits qui font plus ou moins éloignez de cet effieu, à caufe que les parties du fécond élément tournent plus vite en ces endroits plus éloignez, qu'aux autres plus proches...

\ gi. Qu'entre ces parties canelées, celles qui viennent d'vn pale font 206 tout autrement tournées que celles qui viennent de l'autre.

Et pource qu'elles viennent vers le milieu du Ciel, de deux coftez qui font contraires l'vn à l'autre, à fçauoir les vnes du pôle auftral^ & les autres du feptentrional, pendant que tout le Ciel tourne en mefme fens fur fon effieu, il eft manifefte que celles qui viennent du pôle auftral, doiuent eftre tournées en coquille en autre fens que celles qui viennent du feptentrional. Et cette particularité me femble fort remarquable, à caufe que c'eit principalement d'elle que dé- pendent les forces de l'aimant, lefquelles j'expliqueray cy-apres'.

p2. Qu'il n'y a que trois canaux en la fuperficie de chacune.

Mais afin qu'on ne croye pas que j'affure fans raifon que ces parties du premier élément n'ont que trois canaux en leur fuper- ficie, nonobftant que les parties du fécond ne fe touchent pas touf- jours de telle forte que les interualles qu'elles laiffent entr'elles ayent la figure d'vn triangle, on peut voir icy que les autres figures... qu'ont les interualles qui fe trouuent entre ces parties du fécond élément, ont touf-jours leurs angles entièrement égaux à ceux du triangle FGI, & qu'au refte elles fe remuent inceflamment, ce qui fait que les parties canelées..., qui paffent par ces interualles, y doi- uent prendre la figure que j'ay décrite. Par exemple, les quatre boules A, B, C, H, qui fe touchent aux points K, L, G, E, lailfent au milieu d'elles vn efpace qui | a quatre angles, chacun defquels 207 eft... égal à chaque angle du triangle FOI; & pource que ces... petites boules, en fe remuant, changent fans ceffe la figure de cet efpace, en forte que tantoft il eft quatre, tantoft plus long que large, & qu'il eft aufli quelquefois diuifé en deux autres efpaces qui ont

a. Voir la note de la page précédente.

b. Voir art. 83, p. 149.

c. Partie IV, art. i33, etc.

d. En marge : « Voyez la figure 3 de la planche 8. »

�� � m6

��OEuvRES DE Descartes.

��chacun la figure d'vn triangle, cela fait que la matière du premier élément la moins agitée qui le trouue là, eft contrainte de fe retirer vers vn ou deux de ces angles, & de quitter ce qui refte de place à la matière la plus agitée, laquelle peut changer à tous momens de figure pour s'accommoder à tous les mouuemens de ces petites boules. Et fi par hazard il y a quelque partie de cette matière du pre- mier élément, ainfi retirée vers l'vn de ces angles, qui s'eftende vers l'endroit oppofé à cet angle au delà d'vn efpace égal au tiiangle F G I, elle fera heurtée &... diuifée par la rencontre de la troifiéme boule, lors qu'elle s'auancera pour toucher les deux autres qui ioni l'angle où cette matière s'efl: retirée. Par exemple, fi la matière qui n'eft: pas la plus agitée, après s'eftre retirée en l'angle G, s'eitend vers D plus loin que la ligne F I, la boule C, en roulant vers B, la chaflera hors de cet angle, ou bien en retranchera ce qui l'empefche de fermer le triangle FGI. Et pource que les parties du premier 208 ele|ment qui font les moins petites & les moins agitées, doiuent fort fouuent, pendant qu'elles paffent çà & là dans les cieux, fe trouuer entre trois boules qui s'auancent ainfi pour s'entre-toucher, il ne femble pas qu'elles puifl"ent auoir aucune figure déterminée qui demeure en elles pendant quelque temps, excepté celle que je viens de décrire.

g3. Qu'entre tes parties canetées & tes plus petites du premier élément, ily en a d'vne infinité de diuerfes grandeurs.

Or, encore que ces parties... canelées foient fort différentes des plus petites parties du premier élément, je ne laifl'e pas de les com- prendre toutes fous ce me/me nom de premier élément, pendant qu'elles font autour des parties du fécond, tant à caufe que je ne remarque point qu'elles y produifent aucuns effets differens, comme aufïï à caufe que... je juge qu'entre ces parties canelées & les plus petites, il y en a ^e mofennes à'vnt infinité de diuerfes grandeurs, ainfi qu'il eft aifé à prouuer par la diuerfité des lieux par où elles paflent, & qu'elles remplirent.

g4. Comment elles produifent des taches fur le Soleil, ou fur les Efloiles.

Mais lors que la matière du premier élément compofe le corps du Soleil ou de quelque Eftoile, tout ce qu'il y a en elle de plus fubtil, n'eftant point deftourné par la rencontre des parties du fécond élément, s'accorde à fe mouuoir tout enfemble fort vite : ce

�� � Principes. — Troisiesme Partie. i ^ 7

qui fait que les parties canelées, & plufieurs autres vn peu moins grolfes qui,à caufe de l'irrégularité de leurs figures..., ne | peuuent receuoir vn mouuement fi prompt, font rejettées par les plus fubtiles hors de l'a/tre qu'elles compofent, & s'attachant facilement les vnes aux autres..., e//es nagent fur fa fuperjîcie. ov, perdant la forme du premier élément, elles acquerent celle du troifieme; e- lors quelles f font en fort grande quantité, elles y empefchent radion de fa lumière, & ainfi compofent des taches lemblables a celles qu'on a obferuées fur le Soleil. Ce qui fe fait en mefme façon & pour la mefme raifon..., qu'il fort ordinairement de l'écume hors des liqueurs qu'on fait bouillir lur le feu, lors quelles ne font pas pures, & quelles ont des parties qui, ne pouuant eftre agitées par l'aâion du feu fi fort que les autres, s'en feparent, & s attachant facilement enfemble, compofent cette écume...

g5. Quelle efl la caufe des principales propriété^ de ces taches.

En fuite de quoy' il eu aifé d'entendre pourquoy ces taches ont couflume de paroiflre fur le Soleil vers fon Eclyptique, pluftoft que vers fes pôles : & pourquoy elles ont des figures fort irregu- lieres & :hangeantes ; & enfin pourquoy elles fe meuuent en rond autour de luj; non pas peut-eftre fi vite que la matière qui le compofe, mais au moins auec celle du Ciel qui l'enuironne. Atnfi qu'on voit que l'écume qui nage fur quelque liqueur, fuit auffi fon cours, & reçoit cependant plufieurs ditierfes figures.

I g6. Comment elles font détruites, & comment il s'en produit de nouuelles.

Et comme il y a beaucoup de liqueurs qui, en continuant de bouillir dijfipent l'écume qu'elles ont auparauant produite : ainfi doit on'penfer que les taches qui font fur la fuperficie du Soleil, s'y del\ruifent. . . auec la mefme facilité qu'elles s'y engendrent. . . Car ce n'eft pas de toute la matière qui eft dans le Soleil, mais feulement de celle qui y eil nouuellement entrée, qu'elles fe com- pofent Et pendant que les moins fubtiles parties de cette nouuelle matière s'en feparent, & s'attachant les mes aux autres, font conti- nuellement de nouuelles taches, ou augmentent celles qui font def-ja faites l'autre matière qui a elle plus long-temps dans le Soleil, ou elle s'est entièrement purifiée & fubtilifée, y tourne auec tant de

a. Voir Correspondance de Descartes, t. IV, p. 436-458.

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�� � 1^8 OEuvREs DE Descartes.

violence, qu'elle emporte fans celfe auec foy quelque partie des taches qui font en fa fuperficie, & ainji en défait ou dijfoiit à peu près autant qu'il s'en produit de nouuelles... Et l'expérience fait voir que toute la fuperficie du Soleil, excepté celle qui eft vers fes pôles, ell ordinairement couuerte de la matière qui compole ces taches, bien qu'on ne luy donne proprement le nom de taches, qu'aux endroits où elle eft fi épaiffe..., qu'elle ohfcurcit notable- ment la lumière qui vient de luy vers nosj'eux.

gj. D'ail vient que leurs extrémité^ paroijjfent quelquefois peintes des me/mes couleurs que l'arc en ciel.

Or il peut aifement arriuer, lors que ces taches font affez épaiffes 2U & ferrées, que la matie|re. . . du Soleil, qui les diiTout peu à peu en coulant fous elles, les diminue dauantage en leur circonférence qu'au milieu, & que par ce moyen leurs extremitez deuiennent tranlparentes & moins épaiffes vers la circonférence que vers le milieu, ce qui fait que la lumière qui pajje au trauers f fouffre réfraction; d'où il fuit que ces extremitez doiuent alors paroiiVre peintes des couleurs de l'arc en ciel, pour les raifons que j'ay ex- pliquées au huitième Difcours des Météores*, en parlant d'vn prifme ou triangle de crifial, & on a fouuent obferué de telles cou- leurs en ces taches.

��gS. Comment ces taches Je changent en fiâmes, ou au contraire les Jlames en taches.

Il peut fouuent aufll arriuer que la matière du Soleil rend leurs extremitei fi minces en paffant fous elles, qu'elle peut enfin paffer aufll au deffus, £■■ les enfoncer fous fof, au moyen de quoy fe trou- uant engagée entr'elles & la fuperficie du Ciel qui ell tout proche, elle efl contrainte de fe mouuoir plus vite qu'à l'ordinaire : ainfi que les riuieres font plus rapides aux endroits où, leur lit eftant fort ellroit, il fe trouue encore des bancs de fable qui s'éleuent prefque à fleur d'eau, qu'en ceux où il ell plus large & plus profond. Et de ce qu'elle fe meut plus rite, il eft éuident que la lumière y doit pa- roiftre plus viue qu'aux autres endroits de la fuperficie du Soleil. 212 Ce qui s'accorde auec l'expérience; car \ on obferue fouuent des petites fiâmes qui fuccedent aux taches qu'on auoit auparauant

a. Voir t. VI, p. 329, de ceue édition.

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obferuées... Mais on oblerue auiTi quelquefois, au contraire, qu'il reuient des- taches aux endroits où ces petites fiâmes ont paru : ce qui arriue lors que, les autres taches qui anoicnt précédé ces Jlames n'eftant enfoncées que dvn collé dans la matière... du Soleil, la nouuelle matière des taches, qu'il rejette continuellement hors defof, s'arrefte & s'accumule contr'elles de l'autre cofté.

gg. Quelles font les parties en quoy elles Je diuifent.

Au refte, lors que ces taches fe défont, les parties en quoy elles fe diuifent ne font pas entièrement fembiables à celles dont elles ont efté compofées : mais quelques-vnes font plus petites, & auec cela plus 7}taffiues ou folides, à caufe que leurs pointes fe font rom- pues; & pour ce fujet.. . elles palïent facilement entre les parties du fécond élément pour aller vers les centres des tourbillons d'alen- tour. Quelques autres font encore plus petites, à fçauoir celles qui fe font des pointes rompues des précédentes, & celles-cy peuuent aufli pafl'er de tous cofle:{ vers le Ciel, ou bien efîre repouffées vers le Soleil, & feruir à compofer fa plus pure fublfance. Enfin, les autres demeurent plus grolfes, pource qu'elles font compofées de plufieurs parties canelées ou autres jointes enfemble ; & celles-|cy, ...ne pou- 213 uant palier par les efpaces triangulaires qui fe trouuent autour des petites boules du fécond élément dans le Ciel, entrent dans les places de quelques vues de ces boules ; mais pource qu'elles ont des figures fort irregulieres & embaraffanles, elles ne les peuuent pas imiter en la vitefle de leur mouuement.

00. Comment il fe forme vne efpece d'air autour des aflres '.

Et fe Joignant les vnes aux autres fans aucunement fe preffer, elles compofent rH corps fort rare, femblable à l'air qui elt autour de la terre, au moins à celuf qui ejl le plus pur au deffus des nues. Et ce corps rare, que fappclleray Air d'orenauant, enuironne le Soleil de tous coftez, s'ertendant depuis fa fuperficie jufques vers la fphere de Mercure, & peut-eftre mefme plus loin. Mais encore qu'il reçoiue fans cefl'e de nouuelles parties de la matière des taches qui fe défont, il ne peut pas pour cela croiltre à l'infini, pource que l'agi- tation. . . du fécond élément qui palfe tout autour & tout au trauers de fon corps, dilTipe autant de fes parties qu'il luy en rient de non-

a. Voir Correspondance de Descartes, t. IV, p. 456.

�� � i6o OEuvRES DE Descartes.

iielles, & les diuifant en plufieiirs pièces, leur fait reprendre la forme du premier élément. Mais pendant qu'elles compofent cet air ou ces taches, foit autour du Soleil, foit autour des autres aftres, le [quels font en cecy tout femblables , elles ont la forme que j'attribue

214 au troifiéme élément, à caufe qu'elles | font plus grojfes & moins propres à fe mouuoir que les parties de deux premiers.

loi. Que les caufes qui produifent ou dijfipent ces taches font fort incertaines.

Il faut^ peu de cAo/e pour faire qu'il fe produife des taches fur vn aftre, ou pour l'empefcher, qu'on n'a pas fujet de trouuer eftrange fi quelquefois il n'en paroiit aucune lur le Soleil, & fi quelquefois, au contraire, il y en a tant, que fa lumière en deuient notablement plus obfcure. Car il ne faut que deux ou trois des moins fubiiles parties du premier élément, qui s'attachent l'vne à l'autre, pour former le commencement d'vne tache, contre laquelle s'alfemblent. , . par après quantité d'autres parties, qui ne fe fuffent point ainfi afl'emblées, fi elles ne l'auoient rencontrée, pource que cette rencontre diminue la force de leur agitation.

102. Comment quelquefois vne feule tache couure toute la fuperficie

d'vn ajire.

Et il faut remarquer que ces taches font fort molles & fort rares, lors qu'elles commencent à fe former, ce qui fait qu'elles peuuent diminuer l'agitation des parties du premier élément qu'elles ren- contrent, & les joindre à foy ; mais que la matière du Soleil qui coule fous elles auec grande force, preffant leur fuperficie du cofté qu'elle les touche, ne les rend pas feulement égales & polies de ce cofté-là, mais aufli peu à peu plus ferrées & plus dures, bien qu'elles demeurent molles & rares de l'autre cofté qui eft tourné

215 vers le Ciel ; & ainfi, qu'elles ne | peuuent pas ayfement eftre dé- faites par la matière du Soleil qui coule fous elles, fi ce n'eft qu'elle coule aulïï autour de leurs bords & les rende peu à peu fi minces quelle puifle pafier par delfus. Car pendant que leurs bords font fi cleuez au deffus de la fuperficie du Soleil, qu'ils ne font aucune- ment pren"ez par fa matière, elles fe peuuent pluftofl accroiftre que diminuer, pource qu'il s'attache touf-jours quelques nouuelles parties contre CCS bords. C'eft pourquoy il fe peut faire qu'vne feule tache deuiennefi grande, qu'enfin elle s'ellende fur toute la fuperficie de

�� � Principes. — Troisiesme Partie. tôt

l'aftre qui l'a produite, & qu'elle s'y arrefte quelque temps auant que de pouuoir eftre diflîpee.

io3. Pourquoy le Soleil a paru quelque/ois plus obfcur que de coujiume ; & pourquoy les EJloiles ne paroijfent pas touf-jours de me/me gran- deur.

C'ell: ainfi que quelques hiftoriens" nous rapportent qu'autrefois le Soleil pendant plufieurs jours, voire mefme pendant toute vne année, a paru plus pâle qu'à l'ordinaire, & n'a fait voir qu'vne lumière /brf^a/e & fans rayons, quaji comme celle de la Lune. Et l'on remarque qu'il y a des Eftoiles qui nous paroiffent plus petites, &. d'autres plus grandes, qu'elles n'ont paru autrefois aux Aftro- nomes qui en ont exprimé la grandeur en leurs écrits. De quoy je ne penfe pas qu'on puill'e rendre aucune autre raifon,fmon qu'ertant maintenant plus ou moins couuertes de taches, qu'elles n'ont ejté \ autrefois, leur lumière nous doit paroijîre plus fombre ou plus viue. 216

104. Pourquoy il y en a qui difparoijfent ou qui paroijfent de nouueau.

Il fe peut faire aufii que les taches qui couurent quelque allre, foient dciietiucs par fuccejjion de temps., , fi épailfes, qu'elles nous

a. « Plutaïque au 2 1., ch. 24, de l'opinion des philosophes rapporte que le Soleil a été quelquefois éclipsé un mois durant.

» Et Pline, 1. 2, chap. 3o, dit qu'il fut une année entière éclipsé, c'est à dire ayant une lumière fort pasle. Voicy ses paroles : Fiunt prodigiosi et longiores Salis defectus, qualis occiso dictature Cœsare et Antoniano bello totius pêne anni pallore continua etc. Xiphilin en dit autant dans la uie d'Auguste.

» Ce que rapporte aussy Virgile dans ces vers :

Ille etiam extincto miseratus Cœsare Romam Ciim capiit obscura nitidum ferruginc tinxit. Impiaque ceternam timuerunt sœcula noctcm.

(Georg., i" 1., versu 466.)

» Voyez encore Georges Cedren qui, dans ses Annales de Constanti- nople, imprimées à Basle, dit ces paroles, p. 304, v. 60 : Tato eo anno sot lunœ instar sine radiis luccm tristem prœbuit, et ajoute, p. 389 : anno -]" Constant., qui fuit Xti jSô, Sokni per ly dies obscuratum fuisse radios- que nuHos emittenteni.

» V. encore Tertuil. ad Scapulam, dont uoicy les termes : Nain et Sol ille in conucntu Vlicensi. extincto penc lumine, adco portcntum fuit, ut non potuerit ex ordinario dcliquio hoc pâli, < positus > in suo hypsomate et domicilia. Habetis astrologos. » (Note MS. en marge de l'exemplaire annoté.)

Œuvres. IV. Si

�� � 102 OEuvRES DE Descartes.

en oftent entièrement la veuë. Et c'eft ainfi qu'on a comté autrefois fept Plejades, au lieu qu'on n'en voit maintenant que fix. Et il fe peut faire, au contraire, qu'vn aftre que nous n'auons point veu auparauant, paroiffe tout à coup, & nous furprenne par l'éclat de fa lumière : à fçauoir fi tout le corps de cet aftre ayant efté couuert jufques à prefent d'vne tache alfez épaifle pour nous en ojier entiè- rement la veuë, il arriue maintenant que la matière du premier élément, y affluant plus abondamment qu'à l'ordinaire, fe répande fur la fuperficie extérieure de cette tache ; car cela e/lant, elle la doit couurir toute en fort peu de temps, & faire que cet altre nous paroilfe auec autant de lumière, que s'il n'eftoit enuelopé d'aucune tache. Et il peut continuer long-temps par après à paroiftie auec cette mefme lumière, ou bien auffi la perdre peu à peu. C'eft ainfi qu'il arriua, fur la fin de l'an 1672, qu'vne Eftoile, qu'on n'auoit point veuë auparauant, parut dans le figne de Cafliopée, auec vne lumière fort éclatante & fort viue, laquelle s'obfcurcit par après 2i7 peu à peu, tant qu'elle dif| parut entièrement vers le commence- ment de l'an 1574. Et nous en remarquons quelques autres dans le ciel, que les anciens n'ont point \cuiis, mais qui nedifparoijfentpasfi lojl. De toutes lefquelles chofes je tafcheray icy de rendre raifon.

io5. Qu'il y a des pores dans les taches, par où les parties canelées

ont libre pajfage.

Polbns, par exemple, que l'aftre I " eft entièrement couuert de la tache defg, & confiderons que cette tache ne peut ertre fi épaiffe, qu'il n'y ait en elle plufieurs pores ou petits trous par où la matière du premier élément, & mefme fes parties canelées... peuuent paffer. Car ayant efté fort molle & fort rare en fon commencement, il y a eu en elle quantité de tels pores, & bien que fes parties fe foient par après plus ferrées, & qu'elle foit deuenuë plus dure, toutefois les parties canelées & autres du premier élément, paf- fant continuellement par dedans fes pores, n'ont pas permis qu'ils fe foient fermez tout à fait, mais feulement qu'ils fe foient eftrecis en telle forte qu'il n'y ejl rcjlè qu'autant d'efpace qu'il en faut pour donner palTage à ces parties canelées qui font les plus greffes du premier élément, & mefme qu'autant qu'il en faut pour leur donner paffagi> du cojlé qu'elles ont coujîume d'y entrer, en forte que les pores par où < font admifes > celles qui font venues de l'vn des

a. Planche IX, figure i.

�� � Principes. — Troisiesme Partie. 16}

pôles vers 1, ne'feroient pas propres à les rece|uoir, fi elles retour- noient d'I vivsce mefinepole. ny à receuoir celles qui viennent de l'autre pôle, pource qu'elles font tournées en coquille d'autre façon.

106. Pourqiioy elles ne peuueni retourner par les me/mes pores par où elles entrent.

Ainfi il faut penfer que les parties canelées... qui coulent fans ceffe d'A vers I, c'efl à dire de toute la partie du Ciel qui eft autour du pôle A, ...vers la partie du Ciel HIQ, fe font formé certains pores dans la tache defg, fuiuant des lignes droites qui font parallèles à reflîeu/^(ou peut-ertre qui font tant foit peu plus proches l'vne de l'autre vers d que vers f, à caufe que l'efpacé qtiiefl versA,d'oii elles viennent, ejl plus ample que celiiy oîi elles fe vont rendre, vers I), & que les entrées de ces pores font éparfes en toute la moitié de la fuperficie efg, & les forties en l'autre moitié edg, de façon que les parties canelées qui viennent d'A, peuuent ayfement entrer par efg, & fortir par.. . edg; mais non point retourner par edg, ny fôrtir par efg. Dont la raifon ell que, cette tache n'ayant efté com- pofée que des parties du premier elem&nt, qui eftant très-petites, & ayant des figures fort irregulieres, fe font jointes ks vnes aux autres, ainfi que plufieurs petites branches d'arbres entaffées toutes enfemble, les parties canelées qui font venues à' A par f vers d, ont deu plier & faire pencher df vers d toutes les extremitez | de ces petites branches qu'elles ont rencontrées en paflant par les pores qu'elles fe font for me\. De forte que, fi elles repalToient de d vers/ par ces mefmes pores, elles rencontreraient à contre fens les extre- mitei de ces petites branches qu'elles ont ainfi pliées, & les redref- fant quelque peu, fe boucheroient le paffage. En mefme façon les parties canelées qui viennent du pôle B, fe font formé d'autres pores en cette tache defg, l'entrée defquels eft en la moitié de cette tache e dg, & la fortie en l'autre moitié efg.

10/ . Pourquoy celles qui viennent d'vn pote doiuent avoir d'autres poj-es que celles qui viennent de l'autre.

Et il faut remarquer que ces pores font creufez en dedans, ainfi que l'écrouë d'vne vis, au fens qu'ils le doiuent eftre pour donner libre paffage aux parties canelées qu'ils ont couftume de receuoir : ce qui eft caufe que ceux par où paftent les parties canelées qui viennent d'vn pôle, ne fçauroient receuoir celles qui viennent de

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�� � 164 OEuvREs DE Descartes.

l'autre po\e,pource que leurs rayes ou canaux font tournez en coquille d'vne façon toute contraire.

��108. Comment la matière du premier élément prend fan cours par ces pores.

Ainfi donc" la matière du premier élément, qui vient de part & d'autre des pôles, peut palïer par ces pores jufques à l'aftre I"; & pource que celles de fcs parties qui font canelées, font les plus groffes de toutes, & qu'elles ont par confequent le plus de force à conti-

220 nuer leur mouue|ment en ligne droite, elles n'ont pas couftume de s'y arrelkr ; mais celles qui entrent par/fortent. . . par ci, par oii elles arriuent dans le Ciel, où elles rencontrent \es parties du fécond élément, ou bien la matière du premier venant de B, qui, les empef- chant de paffer plus auant en ligne droite, fait qu'elles retournent de tous collez, entre les parties de l'air marqué .v.v, vers efg, l'hemifphere de la tache par lequel elles font auparauant entrées en cet ajlre. Et toutes celles de ces parties canelées qui peuuent trou- uer place dans les pores de cette tache (ou de ces taches, car il y en peut auoir plufteurs V vue fur l'autre, ainfi que je feray voir cy- aprcs' . . .), rentrent par eux en l'ajlre I ; puis, en refortant par riievùfphcre edg, & de là retournant par l'air de tous coftez vers riicnii/phcrc efg, elles compofent comme vn tourbillon autour de cet q/lre. Mais celles qui ne peuuent trouuer place en ces pores, font brifées ê diffipées par la rencontre des parties de cet air, ou bien font chaffées vers les parties du Ciel qui font proches de rEcl3'ptique HQ ou M Y. Car il faut icy remarquer que les parties canelées qui viennent d'A vers I, ne font point en fi grand nombre, qu'elles occupent continuellement tous les pores qui leur peuuent donner

221 paffage au trauers de la tache efg, pource quelles n'occu|pent pas aufli dans le Ciel tous les interualles qui font autour des petites boules du fécond élément, & qu'il doit y auoir là parmy elles beaucoup d'autre matière plus fubtile, ajin de remplir tous ces interualles, nonobjlant les diuers mouuemens de ces boules; laquelle matière plus fubtile, venant d'A vers 1 auec les parties canelées, tnx.ï&vo'w. auec elles dans les pores de la tache efg, fi les autres parties canelées, ij;// font [orties de cette tache par fon hemifphere edg, €■ reuenuës de là

a. V ou Correspondance de Descartes, t. IV, p. 458-460.

b. Planche IX, ligure i.

c. Art. 112 et ii3.

d. Voir Correspondance de Descartes, t. V, p. 38/.

�� � Principes. — Troisiesme Partie. i6^

par l'air xx vers f. n'auoient plus de force qu'elle pour les occuper. Au rcfte.ce que je viens de dire des parties canelées qui viennent du pôle ^ (Centrent par rhemifphere efg, fe doit entendre en mefme façon de celles qui viennent du pôle B & entrent par rhemifphere edg : à fçauoir qu'elles y ont creufé des paffages, tourne:^ en coquille tout au rebours des autres, par lefquels elles coulent... à trauers l'aftre I. . . de d vers/, puis de là. . . retournent vers d par l'av xx, faifant ainjt vne efpece de tourbillon autour de cet ajlre ; & que cependant il_r a touf-jours autant de ces parties canelées qui le défont, ou bien s'écoulent dans /e nW vers l'Eclyptique M Y, qu'il envient de nouuelles du pôle B.

jog. Qu'il y a encore d'autres pores en ces taches qui croifent

tes precedens.

Pour le refte de la matière du premier élément qui compofe l'aûre I, tournant autour de l'effieu \ f d, il fait continuellement effort pour s'en éloigner, â aller dans le ciel vers l'Ecljplique MY. C'eft pourquoy il s'eft formé dés le commencement d'autres pores, & les a conferuez depuis dans la tache de/g, lefquels croifent. . . les precedens ; & il y a touf-jours quelques parties de cette matière qui fortent par eux, à caufe qu'il en entre auffi touf-jours quelques vnes par les autres pores auec les parties canelées. Car les parties de cette tache font tellement jointes l'vne à l'autre, que l'ajire I qu'elles enuironnent ne peut deuenir plus grand ny plus petit qu'il eft; c'eft pourquoy il doit touf-jours /o?7/r de luy autant de matière qu'il f en entre.

no. Que ces taches empefchent la lumière des ajires qu'elles couurent.

Et pour la mefme raifon, la force en quoy j'ay dit cy-defl"us^ que confifte la lumière des aJlres. doit eftre en cetuy-cy entièrement efteinte, ou du moins fort affoiblie. Car en tant que fa matière fe meut autour de l'effieu /rf. toute la force dont elle tend à s'éloigner de cet effieu, s'amortit contre la tache, & n'agit point contre les par- ties du fécond élément qui font au delà. Et auffi la force dont les parties canelées, qui viennent d'vn pôle, tendent diredcment vers l'autre en fartant de cet aflre. ne peut auoir en cecy aucun effet : non feulement à caufe que ces parties canelées ne fe meuuent pas du tout fi vite que le refte de la matière du premier élément, | & font

a. Art. 77 et 78, p. 145-146.

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�� � i66 OEuvREs DE Descartes.

fort petites à comparaifon de celles du fécond, le/quelles il faïuiroit qu'elles pouJfa(]'eiit pour exciter de la lumière; mais principalement à caiife que celles c[\i\ /orient de cet ajlre, ne peuuent auoir plus de force à pouffer la matière du ciel vers les pôles, que celles qui viennent des pôles à ta repouffer en mefme temps vers cet aJlre.

III. Comment il peut arriuer qu'viie nouuelle EJloile paroiffe tout à coup

dans le Ciel.

Mais cela n'empefche pas que la matière du fécond élément qui eft autour de cet aftre, & compofe le tourbillon A YBM\ ne retienne la force dont elle pouffe de tous coJle- les autres tourbillons qui l'en- uironnent, & mefme encore que peut élire cette force foit trop petite pour faire fentir de la lumière à nos yeux, def quels je fuppofe que ce tourbillon eji fort éloigné, elle peut neantmoins eftre affez grande pour preualoir à celle des autres tourbillons voifins de cetuj^-cy, en forte qu'il les preffe plus fort qu'il n'eft prelfé par eux. En fuite de quoy il faudroit que l'aflre I devint plus grand qu'il n'eft, s'il n'eftoit point borné de tous coftez par la tache def g. Car fi nous penfons que maintenant AYBM efl la circonférence du tourbillon I, nous deuons aufli penfer que la force dont les parties de fa matière qui font vers cette circonférence, tendent à palTer plus outre & entrer 224 en là place des autres tourbil|lons voifins, n'eft ny plus ny moins grande, mais exactement égale à celle dont la matière de ces autres tourbillons tend à s'auancer vers I, pource qu'il n'y a aucune caufe, que la feule égalité de ces forces, qui face que cette circonférence foit où elle eft, & non point plus proche tiy plus éloignée du point I. Si après cela nous penfons que, par exemple, la force dont la matière du tourbillon O preffe celle du tourbillon I, 'diminue, fans qu'il y ait rien de changé en celle des autres (& cecy peut arriuer pour plu- fieurs caufes, comme fi fa matière s'écoule en quelqu'vn des autres tourbillons qui le touchent, ou bien qu'il deuienne couuert de taches..., &c.), il faut, fuiuant les loix de la nature, que la cir- conférence du tourbillon I... s'auance d'Y vers P; en fuite de quoy... il faudroit auiTi que celle de l'aftre I devint plus grande qu'elle n'eft, fi elle n'eftoit point bornée par la tache def g, à caufe que toute la matière de ce tourbillon s'éloigne le plus qu'elle peut du centre I. Mais pource que la tache defg ne permet pas que la gran- deur de cet aftre fe change, // ne peut arriuer icj- autre chofe, fmon

a. Planche IX, figure i. Principes. — Troisiesme Partie. 167

que les petites parties du fécond élément, qui font autour de cette tache, s'écarteront les vnes des autres, ajin d'occuper plus de place qu'auparauant. Et elles peuuent ainfi vn peu s'écarter, Jans pour cela Je I feparer entièrement, ny ceffer d'ejïre jointes à cette tache : ce qui 225 ji'r caufera aucun changement remarquable, à caufe que la matière du premier élément qui remplira tous les interualles qui feront autour d'elles, y fera tellement diuifée, qu'elle n'aura pas beaucoup de force; mais s'il arriue qu'elles s'écartent fi fort les vnes des autres, que la matière du premier élément qui les poufle en fortant de la tache, ou quelqu'autre caufe que ce foit, ait la force de faire que quelques vnes ceffent de toucher la fuperficie de cette tache, la matière du premier élément qui remplira incontinent tout l'efpace qui fera entre-deux, y aura aufli affez de force pour en feparer encore quelques autres ; & pource que fa force s'augmentera d'autant plus qu'elle en aura ainfi feparé dauantage de la fuperficie de cette tache, & que... fon adion eft extrêmement prompte, elle feparera prefque en vn inftant toute la fuperficie de cette tache de celle du Ciel; Si. prenant fon cours entre-deux, elle tournera en mefme façon que celle qui compofe l'aflve I, preffant par ce moyen de tous coftez la matière du Ciel qui l'enuironne, auec autant de force que feroit cet aftre, s'il n'eftoit couuert d'aucune tache. . . ; & ainfi il paroiftra tout à coup auec vne lumière fort éclatante.

112. Comment vne Efloile peut dijparoijlre peu à peu.

Or fi cette tache eft fi mince & fi rare, que la | matière du premier 226 élément, prenant ainfi fon cours fur fa fuperficie extérieure, la puilfe diffoudre & diffiper, l'aftre I ne difparoiftra pas aifement derechef, pource qu'il faudroit à cet effet qu'il feformafl fur luy vne nouuelle tache qui couurift... toute fa fuperficie. Mais fi elle efl fi épaiffe, que l'agitation de la matière du premier élément ne la difiipe point, elle la rendra, tout au contraire, plus dure & plus ferrée en fa fuper- ficie extérieure"... Et s'il arriue cependant que les caufes qui ont fait auparauant que la matière du tourbillon O s'e/l reculée d'Y vers P, foient changées, en forte que, tout au contraire, elle s'auance peu à peu de P vers Y, ce qu'il y a du premier élément entre la tache defg & le Ciel, diminuera, & fe couurira de plufieurs autres taches qui obfcurciront peu à peu fa lumière ; puis, fi cela continue, elles la pourront enfin efteindre tout à fait, & mefme

a. Voir art. 102, p. i6oci-avant4

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��i68 OEuvRES DE Descartes.

occuper entièrement l'elpace qu'aremplf le premier élément enh-c la tache dcfi,'- & k Ciel x.\. Car les parties du fécond élément qui com- pofent le lourbillon O, s'auançant de P vei-s Y, prelferont toutes celles Ju tourbillon I, qui fonten la circonférence extérieure APBM, & en fuite auffi toutes celles de fa circonférence intérieure xx, lefquelles citant ainfi prellées & engagées dans les pores de l'air, que j'ay dit '/^ trouuer autour | de chafque aftre, feront que les parties canelées & autres des moins fubtiles du premier élément, qui fortent de l'q/lre I, n'entreront pas fi li-brement que de coujîume dans le Ciel XX. C'eft pourquoy elles feront comriùnlQS de fe Joindre les mes aux autres, & compofer des taches, lefquelles, occupant enfin tout l'efpace qui efioit entre defg & xx, y feront comme vue nouvelle écorce, au deJJ'us de la première qui couure l'aftre I.

1 13. Que les parties canelées Je font plufieurs pajfages en toutes les taches.

Et il peut, par fuccejjion de temps, fe former en mefme façon plu- fieurs autres telles écorces/Hr ce mefme afire, touchant lefquelles on peut icy remarquer, par occafion, que les parties canelées fe font des palTages par où elles peuuent/w;?ov leur cours fans interruption, au trauers de toutes ces taches, ainfi qu'au trauers d'vne leule. Car à caufe qu'elles ne font compofées que de la matière du premier élément, elles font fort molles en leur commencement, & laiflent palier aifement ces parties canelées, qui, continuant touf-jours par après le mefme cours, pendant que ces taches deuiennent plus dures, empefchent que les chemins qu'elles fe font faits ne fe bouchent. Mais il n'en efl pas de mefme de l'air qui enuironne les aftres : car bien qu'eftant compofé du débris de ces taches, les plus groffes de fes parties retiennent encore | quelques-vnes des ouuertures que les par- ties canelées f ont faites, neantmoins, pource qu'elles obeiffent aux mouuemens de la matière du Ciel qui eft méfiée parmy elles, & ne font pas touf-jours en vne mefme fituation, les entrées & forties de ces ouuertures ne fe rapportent pas les mes aux autres, & ainfi les parties canelées qui tendent à future leur cours en ligne droite, ne peuuent que fort rarement les rencontrer.

114. Qu'vne mefme EJloile peut paroijlre & difvaroijîre plufieurs fois. Mais il peut aiftment arriuer qu'vne mefme Eltoile nous pareille a. Art. 100, p. 159.

�� � Principes. — Troisiesme Partie. 169

& difparoiife plulieurs fois m la façon qui a ejié ky expliquée, & qu'à chaque fois qu'elle difparoijlra. il fe forme vne nouuelle écorce de taches qui la couure. Car ces changements alternatifs qui arriuent aux corps qui fe meuuent, font fort ordinaires en la nature : en forte que, lors qu'vn corps eft pouffé vers vn lieu par quelque caufe, au lieu de s'arrefter en ce lieu-là lors qu'il j- ejl parueiiu, il a courtume de paffer outre, jufques à ce qu'il foit repoulTé vers le mefme lieu par vne autre caufe. Ainfi pendant qu'vn poids, attaché à vne corde, ell emporte de trauers par la force de fa pefanteur vers la ligne qui joint le centre de la terre auec le point duquel pend cette corde, il acquert vne autre force qui fait continuer fon mouuement au delà de cette ligne, vers le cofté oppofé à celuy d'oii il a commencé à/e moii\uoir, jufques à ce que fa pefanteur, ayant fur- monté cette ai^/re/orc^, le face retouiner; & en retournant il acquert derechef vne autre force qui le fait paffer au delà de cette mefme ligne. Ainfi, après qu'on a meu la liqueur qui eft en quelque vaif- feau, quof qu'on l'ait feulement pou ffée vers vn cojlé, elle va & reuient plufieurs fois vers les bords de ce vaijfeau, auant que de s'arrefter. Et ainfi, pource que tous les tourbillons qui compofent les cieux, font à peu près égaux en force & comme balancez entr'eux, fi la matière de quelques-vns fort de cet éc[Vi\\\hxt, comme je fuppofe que fait icy' celle des tourbillons O & I, elle peut auancer & reculer plu- fieurs fois, de P vers Y & d'Y vers P, auant que ce mouuement foit arrefté.

II 5. Que quelquefois tout vn tourbillon peut ejlre dejiruit.

Il peut arriuer aufll qu'vn tourbillon entier foit deftruit par les autres qui l'cnuironnent, & que l'Eftoile qui eftoit en fon centre, palfant en quelqu'vn de ces autres tourbillons, fe change en vne Comète ou en vne Planète. Car nous n'auors trouué cy-deffus" que deux caufes qui empefchent ces tourbillons de fe deftruire les vns les autres. Dont l'vne, qui confifte en ce que la matière d'vn tour- billon eft empefchée de s'auancer vers vn autre par ceux qui en font plus proches, ne peut auoir lieu en tous, pource que fi, par exemple % la matière du tourbillon | S eft tellement prellee de part & d'autre par celle des tourbillons L & N, que cela l'empefche de s'auancer \ersD plus qu'elle ne fait, elle ne peut eftrc empefchée en mefme

a. Planche IX, figure i.

b. Voir surtout art. 69 à 71, p. i39 à 141.

c. Planche III.

Œuvres. IV. ^^

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�� � I/o Œuvres de Descartes.

façon, de s'auancer vers L ou N par celle du tourbillon D, ny d'au- cuns autres, fi ce n'eft qu'ils tbient plus proches de luy que ne font L ô N...; &i ainfi que cette caufe n'a point de lieu en ceux qui font les plus proches. Pour l'autre, qui confifle en ce que la matière... de l'aftre qui eft au centre de chaque tourbillon, pouffe continuelle- ment celle de ce tourbillon vers les autres qui l'enuironnent, elle a véritablement lieu en tous les tourbillons dont les affres ne font offufquez d'aucunes taches; mais il eit certain qu'elle ceffe en ceux dont les ajires font entièrement couuerts de ces taches, principale- ment lors qu'il y en a plufieurs couckes qui font comme autant d'écorces l'vne fur l'autre.

1 16. Comment cela peut arriuer auant que les taches qui couurent f on ajlref oient fort épaiffes.

Ainfi on peut voir que chaque tourbillon n'eft point en danger d'eftre deftruit..., pendant que l'aftre qu'il a en fon centre eft fans taches; mais que, lors qu'il en eft entièrement couuert, il n'y a que la façon dont ce tourbillon eft fitué entre les autres, qui face qu'il foit deftruit par eux pluftoft ou plus tard. A fçauoir, s'il eft telle- ment fitué, qu'il face beaucoup d'empefchement au cours de la ma- 231 tiere des autres tourbil|lons, il pourra eftre deftruit par eux, auant que les taches qui couurent fon aftre ayent loifir de deuenir fort épaifl'es; mais s'il ne les empefche pas tant, ils le feront diminuer peu à peu, en attirant vers eux quelques parties de fa matière, & cependant les taches qui couurent l'aftre qu'il a en fon centre, s'épaiiïiront de plus en plus, & il s'accumulera continuellement de nouuelle matière, non feulement en dehors, en la façon cy-deffus expliquée^, mais aufll en dedans autour d'elles. Par exemple, en cette figure^, le tourbillon N eft tellement fitué, qu'il empefche manifefte- ment le cours du tourbillon S, dauantage que ne fait aucun des autres qui l'enuironnent; c'eft pourquoy il fera facilement emporté par luy, fi toit que l'aftre qu'il a en fon centre, eftant couuert de taches, n'aura plus de force pour luy rejîfîer. Et alors la circonfé- rence du tourbillon S, qui eft maintenant referrée par la ligne courbe OPQ, s'eftendra jufques à la ligne ORQ, pource qu'il em- portera auec foy toute la matière qui eft contenue entre ces deux lignes OPQ, ORQ, & luy fera fuiure fon cours, pendant que le refte de la matière qui compofoit le tourbillon N, à fcauoir celle qui

a. Art. 1 12, p. 167.

b. Planche III.

�� � Principes. — Troisiesme Partie. 171

eft entre les lignes ORQ, OMQ, fera auiïi emportée par les autres tourbillons voifins. Car rien ne fçauroit | conferuer le tourbillon N 232 en la fituation où je le fuppofe à prefent, finon la... force de l'ajirc qui eft en fon centre, & qui, pouffant de tous coftez la matière du fécond élément qui Venuironue, la contraint de fuiure fon cours pluftoft que celuy des tourbillons d'alentour. Et cette force s'afloi- blit, puis enfin fe perd tout à fait, à mefure que cet aftre fe couure de taches.

iij. Comment ces taches peiiuent aujfi quelquefois deuenir fort épaijjes, auant que le tourbillon qui les contient foit dejlruit.

Mais en cette autre Jigure%\Q. tourbillon C eft tellement fitué entre les quatre S, F, G, H & les deux autres M & N, lefquels on doit con- ceuoir au deffus de ces quatre, que, bien qu'il s'amaffe quantité de taches fort épaifles autour de Vi\^rç.qu'il a en fon centre, il ne pourra toutefois eftre entièrement deftruit, pendant que les forces de ces fix qui l'enuironnent feront égales. Car je fuppofe que les deux S, F, & le troifiéme M, qui eft au-deffus d'eux enuiron le point D, fe meu- uent chacun autour de fon propre centre, de D vers C ; & que les trois autres G, H, & le fixiéme N qui eft fur eux, fe meuuent aufli chacun autour de fon centre, d'E vers C; & enfin que le tourbillon C eft tellement enuironné de ces fix, qu'il n'en touche aucuns autres, & que fon centre eft également diftant de tous leurs centres, & que l'effieu autour duquel il fe meut, eft en la ligne E D : au moyen de quoy les | mouuemens de ces fept tourbillons s'accordent fort bien, 233 & quelque quantité de taches qu'il puiffe y auoir autour de l'aftre... C, en forte qu'il ne luy refte que peu ou point de force pour faire tourner auec foy la matière du tourbillon qui l'enuironne, il n'y a aucune raifon pour laquelle les fix autres tourbillons puifi'cnt chaffer cet aftre hors de fa place, pendant qu'ils font tous fix égaux en force.

118. En quelle façon elles font produites.

Mais afin de fçauoir en quelle façon il a pu s'amafier fort grande quantité de taches autour de luy, penfons que fon tourbillon a efté au commencement aufli grand que chacun des fix autres qui l'enui- ronnent..., & que cet aftre, eftant compofé de la matière du premier élément, qui venoit en luy des trois tourbillons S, F, M, par fon

a. En marge : « Voyez la figure 2 de la planche 9. »

�� � 17^ OEUVRES DE Descartes.

pôle D, & des trois autres G, H, N, par/oH autre pôle', & n'en refor- toit par fou Eclyplique qui ejloil ris à ris des points K & L, que pour rentrer en ces mefmes tourbillons, a aufli efté fort grand ; en forte qu'il auoic la force de faire tourner auec foy toute la matière du Ciel comprije en la circonférence 1234, & ainfi d'en compofer fon tourbillon : mais que l'inégalité & incommenfurabilité des fgures & grandeurs... qu'ont les autres parties de l'vniuers, n'ayant pu per- mettre que les forces de cesfept tourbillons foient touf-jours demeu-

234 fées éga\les comme nous fuppofons qu'elles ont ejté au commencement, lors qu'il eft arriué que le tourbillon C a eu tant foit peu moins de force que fes voifins, il y a eu quelque partie de fa matière qui a palîé en eux, & cela s'efl fait auec impetuoritc, en forte qu'il en eft plus paffé que la différence qui ejtoil entre fa force & la leur ne reque- roit : c'eft pourquoy il a deu repaffer en luy vn peu après quelque partie de la matière des autres, & ainfi par interualles en pajfer derechef de luy en eux, & d'eux en hij- plufieursfois. Et pource qu'à chaque fois qu'il q/l ainfi forty de luy quelque matière, fon aftre s'eft deu couurir d'vne nouuelle écorce de taches en la façon cy-deffus expliquée", fes forces fe font diminuées de plus en plus; ce qui a efté caufe qu'il eft à chaque fois forty de luy vn peu plus de matière qu'il n'y en eft rentré, jufques à ce qu'enfin il eft deuenu fort petit, ou mefme qu'il n'eft rien du tout refté de luy, excepté l'aftre qu'il auoit en fon centre, lequel aftre, eftant enuelopé de plulîeurs taches, ne peut fe mefter auec la matière des autres tourbillons, ny eftre chaffé par eux hors de fa place, pendant que ces autres tourbillons font entr'eux à peu près d'égale force. Mais cependant les taches qui l'en- uclopent fe doiuent efpaiftir de plus en plus; & enfin, fi quelqu'vn

235 des tourbillons voifins deuient | notablement plus grand & plus fort que les autres, comme, par exemple, fi le tourbillon H s'augmente tant qu'il eftende fa fuperficie jufques à la ligne 567, alors il em- portera facilement auec foy tout cet aftre C, lequel ne fera plus liquide & lumineux, mais dur & obfcur ou opaque, ainfi qu'vne Comète ou vne Planète.

/ ig. Comment vne EJioile fixe peut deuenir Comète ou Planète '.

Maintenant il faut que nous confiderions de quelle façon fe doit mouuoir cet aftre..., lors qu'il commence à eftre ainfi emporté par

a. En marge : « Voyez la figure 2 de la planche 9. "

b. Art. 112, p. 167, ci-avant.

c. Voir Correspondance de Descartes, t. IV, p. 461-463.

�� � Principes. — Troisiesme Partie. 17}

le cours de quelqu'vn des tourbillons qui luy font voifins. Il ne doit pas feulement fe mouuoii en rond auec la matière de ce tour- billon, mais auffi eflre pouffé par elle vers le centre de ce mouue- ment circulaire, pendant qu'il a en foy moins d'agitation que les parties de cette matière qui le touchent. Et pource que toutes les petites parties de la matière qui compofe vn tourbillon, ne iont pas égales ny en agitation, ny en grandeur, & que leur mouuement eft plus lent, félon qu'elles font plus éloignées de la circonférence, juf- ques à vn certain endroit, au deffous duquel elles fe meuuent plus vite & font plus petites, félon qu'elles font plus proches du centre, ainfi qu'il a efté dit cy-delfus» ; fi cet aftre eft H folide que, deuant que d'élire defcendu jufques à l'endroit où font les parties du tourbillon qui fe meuuent le plus lente|ment de toutes, il ait acquis autant d'agitation qu'en ont celles entre lefquelles il fe trouuera, il ne def- cendra point plus bas j'crs le centre de ce tourbillon, mais, au con- traire, il montera vers fa circonférence, puis paffera de là en vn autre. & ainfi fera changé en vne Comète. Au lieu que, s'il n'eft pas affez folide;;onr acquérir tant d'agitation. & que pour ce fujet il del- cende plus bas que l'endroit ait les parties du tourbillon fe meuuent le moins rite, il arriuera julques à quelque autre endroit entre cettuy- cy & le centre, où eftant paruenu il ne fera plus que fuiure le cours de la matière qui tourne autour de ce centre, fans monter ny def- cendi-e dauantage. & alors il fera changé en vne Planète.

120. Comment fe meut cette EJÏoile, lors qu'etle commence à n'efre plus fixe.

Penfons, par exemple, que la matière du tourbillon AEIO'^ commence maintenant à emporter auec foy l'aike N, & voyons vers ou elle doit le conduire. Puifquc toute cette matière fe meut au- tour du centre S, il eft certain qu'elle tend à s'en éloigner, fuiuant ce qui a efté dit cy-de{fus% & par confequent que celle qui eft à prefent vers O, en tournant par \i vers Q, doit pouffer cet aftre en ligne droite d'N vers S, £■ par ce moyen le faire dcfcendrc l'ers là. Car en confiderant cy-apres" la nature de la pefanteur, on con- noiftra que, lors qu'm corps... eft ainfi pouffé vers le centre du

a. Art. 83, 846185, pp. 14921 '5o.

b. En marge : « Voyez la planche 3 en la page précédente. » — Voir aussi Correspondance de Descartes, t. IV, p. 463-464.

c. Ci-avanr, art. 56 et suiv., p. i3i, etc.

d. Partie IV, art. 23, ci-après.

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�� � 1/4 OEuvREs DE Descartes.

237 tourbillon dans | lequel il eft, on peut dire proprement qu'il -def- cend. Or celle maliere du Ciel qui ejî vers O doit ainfi faire defcendre cet aftre au commencement, lors que nous ne conceuons point qu'elle luy donne encore aucune autre agitalion; mais pource que, renuironnant de toutes parts, elle l'em.norte aulfi circulairement auec ioy d'N vers A, cela luy donne incontinent quelque force pour s'écarter du centre S, & ces deux forces ejîanl contraires, c'eft félon qu'il eft plus ou moins folide, que l'vne a plus d'effet que l'autre ; en forte que, s'il a fort peu de folidité, il doit defcendre fort bas vers S, & s'il en a beaucoup, il ne doit que fort peu defcendre au commencement, puis incontinent après remonter & s'éloigner du centre S.

��121. Ce que j'entens par la folidité des corps, & par leur-agitation.

l'entens icy par la folidité de cet aftre la quantité de la matière du troifiéme élément, dont les taches £■ l'air qui l'enuironnent font compofez, en tant qu'elle eft comparée auec l'efendue de leur fuperficie, & la grandeur de l'efpace qu'occupe cet ajlre. Car la force dont la matière du tourbillon A E I O" l'emporte circulairement autour du centre S, doit eftre eftimée par la grandeur des fuper- ficies qu'elle rencontre en l'air ou aux taches de cet afire, h caufe que, d'autant que ces fuperficies font plus grandes, il y a d'autant 238 plus grande quantité de cette | matière qui agit contre luy. Mais la force dont cette mefme matière le fait defcendre vers S, doit eftre mefurée par la grandeur de l'efpace qu'il occupe, à caufe que, bien que toute la matière qui eft dans le tourbillon A E I O, face effort pour s'éloigner d'S, ce n'eft pas toutefois elle toute, mais feulement ce font celles de fes parties qui montent en la place de l'aftre N, lors qu'il delcend, & qui par confequent font égales en grandeur à l'efpace qu'il quitte, lefqueiles agifl"ent contre luy. Enfin la force que cet aftre acquert de ce qu'il eft Iranfporté circiilairement autour du centre S par la matière du Ciel qui le contient, la force, dis-je, qu'il acquert pour continuer à eftre ainfi tranfporté, ou bien à fe mouuoir, qui eft ce que j'appelle fon agitation, ne doit pas eftre mefurée par la grandeur de fa fuperficie, ny par la quantité de toute la matière dont il eft compofé, mais feulement par ce qu'il y a en lu}', ou autour de luy, de la matière du troifiéme élément, dont les petites parties fc fouftiennent & demeurent jointes les vnes aux

a. En marge : « Voyez la planche 3 en la page qui fuit. »

�� � Principes. — Troisiesme Partie. 175

autres... Car pour la matière qui appartient au premier ou bien au fécond élément, d'autant qu'elle fort continuellement hors de cet aftre, & qu'il y en entre d'autre en fa place, cette dernière ne peut pas retenir la force de l'agitation qui a elté mife en celle à | qui 239 elle fuccede : outre qu'il n'a peut-ejlre eflé mis aucune nouuelle agitation en celle-cy; mais le mouuement qu'elle auoit d'ailleurs, a erté feulement déterminé à fe faire vers certain cofté plujlojl que vers d'autres ; & cette détermination peut eflre continuellement changée par diuerfes caufes.

7 22. Que la folidité d'vn corps ne dépend pas feulement de la matière dont il ejï compofé,mais aujji de la quantité de cette matière & de fa figure.

Ainfi nous voyons fur cette terre, aue des pièces d'or, de plomb, ou d'autre métal, conferuent bien plus leur agitation, & ont beau- coup plus de force à continuer leur mouuement, lors qu'elles font vne fois ébranlées, que n'ont des pièces de bois ou des pierres de mefme grandeur & de mefmc figure, ce qui fait que nous jugeons qu'elles font plus folides : c'eft à dire, que ces métaux ont en eux plus de la matière du troifiéme élément, & moins de pores qui foient remplis de celle du premier ou du fécond. Mais vne boule pourfoit cftre fi petite, qu'encore qu'elle fufl: d'or, elle auroit moins de force à continuer fon mouuement qu'vne autre beaucoup plus groffe, qui ne ferait que de boi^s ou de pierre. Et on pourroit aufii donner telle figure à vn lingot d'or, qu'vne boule de bois plus petite que luy feroit capable d'vne plus grande agitation : à fçauoir fi on le tiroit en filets fort deliei, ou fi on le battait en fueilles fort minces, ou fi on le ren|doit plein dt pores ou petits trous femblables 240 à ceux d'vne efponge, ou fi, en quelqu'autre façon que ce. foit, on luy faifoit auoir plus de fuperficie, à raifon de la quantité de fa matière..., que n'en a cette boule de bois.

123. Comment les petites boules du fécond élément peuuent auoir plus de folidité que tout le corps d'vn afîre.

Et il peut arriuer, en mefme façon, que l'aftre N ait moins de folidité ou moins do. force pour continuer fon mouuement, que les petites boules du fécond élément qui l'enuironnent, nonobltant qu'il foit fort gros & couuert de plufieurs écorces de taches. Car ces petites boules font aufji folides qu'aucun corps de mefme grandeur

�� � 241

��ij^ Œuvres de Descartes.

fçauroit eftre, d'autant que nous nt fnppofous point qu'il y ait en elles aucuns pores qui doiuent eltre remplis de quelque autre ma- tière..., & que leur figure ell l'pherique, qui eft celle qui contient le plus de matière fous vne moindre luperficie, ainfi que fçauent les Géomètres. Et de plus, encore qu'il y ait beaucoup d'inégalité entre leur petitefle & la grandeur d'vn aftre, cela eft recompenfé,.., parce que ce n'ejl pas vne feule de ces houles qui doit ejlre icy comparée auec cet ajlre, mais vne quantité de telles boules qui puiffe occuper autant de place que luj. En forte que, pendant qu'elles tournent auec Taftre N autour du centre S, & que ce mouuement circulaire leur donne, tant à elles qu'à cet aftre, quelque force pour s'éloi|gner de ce centre, s'il arriue que cette force foit plus grande en cet allre feul, qu'en toutes les petites boules jointes enfemble qui doiuent occuper fa place, en cas qu'il la quitte, il fe doit éloigner de ce centre...; mais Ci, au contraire, il en a moins, // doit s'en approcher,

124. Comment elles peuuent aujfi en auoir moins.

Et comme il fe peut faire qu'il en ait moins, il je peut faire auffi qu'il en ait dauantage..., nonobflant qu'il n'y ait peut-eftre pas tant en luy de la matière du troifiéme élément, en laquelle feule confifle cette force, qu'il y en a de celle du fécond, en autant de ces petites boules qu'il en faut pour occuper vne place égale à la fienne ; pource qu'eftant feparées les vnes des autres, & ayans diuers mouuemens, quoy qu'elles confpirent toutes enfemble pour agir contre lu}', elles ne fçauroient eftre fi bien d'accord, qu'il n'y ait touf-jours quelque partie de leur force qui efl diuertie, & demeure en cela inutile : mais, au contraire, toutes les parties de la matière du troifiéme élément, qui compofent l'air... & les taches... de cet aftre, ne font enfemble qu'vn feul corps, qui fe meut tout entier d'vn mefme branfle, & ainfi employé toute fa force à continuer fon mouuement vers vn feul cofté. Et c'ell pour cette mefme raifon que les pièces de bois & les glaçons qui font emportez par le cours d'vne riuiere, ont beaucoup plus de force | que fon eau à continuer leur mouuement en ligne droite, ce qui fait qu'ils choquent auec plus d'impetuofité les deftours de fon riuage, & les autres obflacles qu'ils rencontrent ; nonobftant qu'il y ait moins en eux de la matière du troifiéme élé- ment, qu'il n'y en a en vne quantité d'eau qui leur eft égale en grofl'eur.

�� � Principes. — Troisiesme Partie. 177

��2 5. Comment quelques vnes enpeuuent auoir plus, & quelques autres

��li- en auoir moins.

��Enfin il fe peut faire qu'vn mefme aftre foit moins folide que quelques parties de la matière du ciel, & le foit plus que quelques autres qui ferotu vn peu plus petites, tant pour la railon que )e viens d'expliquer, à fçauoir que les forces de plufieurs petites boules ne font pas ft tmies que celles d'vne plus grojfe qui leur eji égale, comme aum àcaufe que, bien qu'il y ait juftement autant de la matière du fécond élément en toutes les boules qui occupent vn efpace égal a celuy de cet aftre. lors qu'elles font fort petites, que lors qu elles font plus groffes; toutefois les vlu^etites ont moins de force, a cauje qu'Mcs ont plus de fuperficie^à raifon de la quantité de leur ma- tière & pour ce fujet elles peuuent pins facilement eftre deftournees que les plus groffes, foit par la matière du premier élément qui eit dans les recoins qu'elles lailTent autour d'elles, foit par les autres corps qu'elles rencontrent.

126. Comment vue Comète peut commencer à Je mouuoir.

Si donc maintenant nous fuppofons que I l'affre N" foit plus folide que les parties du fécond élément affez éloignées du cemre S, 61 qui font égales entr'elles, il elt vray qu'il pourra d'abord eftre pouffé vers diuers cortez,M& aller plus ou moins direâement vers S, fuiuant la diuerfe difpofition des autres tourbillons, du voifinage defquels il s'éloignera; d'autam qu'ils peuuent le retemr ou le pouffer en plufieurs façons; à quoy contribuera aufli fa lolidite, pource que, d'autant qu'elle eff plus grande, d'autant peut elle plus refifter aux caufes qui le deftournent du premier chemin qu il a pris. Mais neantmoins les tourbillons dont il eft voifin ne le peuuent pouffer au commencement auec beaucoup de force, veu que nous lup- pofons qu'il eft demeuré vn peu auparauant au milieu d eux ians changer de place, ny par confequent eftre pouffé par eux d'aucun co/lé- d'oii il fuit qu'il ne peut commencer à fe mouuoir contre le cours du tourbillon AEIOQ, c'e/i a dire, paffcr du lieu oii il eft vers les parties de ce tourbillon, qui font entre le cofté de Ja circonjerence 10 & le centre S, mais feulement vers l'autre cofte, entre b c.-^^; vers lequel cofté il doit enfin arriuer en quelque lieu où la ligne. >f

a. Planche III.

Œuvres. IV. ""'■*

��243

�� � 178 Œuvres de Descartes,

droite, foit courbe, que décrit fon mouuement, touchera l'vne des lignes circulaires que décriuent les parties du fécond élément en tour-

244 nant | autour du centre S; où après eftre paruenu, il continuera fon cours de telle forte qu'il s'éloignera touf-jours de plus en plus du point S, jufques à ce qu'il /or/e entièrement du tourbillon AE 10, & paffe dans les limites d'vn autre. Par exemple, s'il fe meut, au commencement, fuiuant la ligne NC, lors qu'il fera paruenu au point C, où cette ligne courbe NC touche le cercle que décriuent en ce lieu les parties du fécond élément qui tournent autour d'S, il commencera à s'éloigner de ce centre S, fuiuant la ligne courbe C 2, laquelle palïe entre ce cercle & la ligne droite qui le touche ai^ point C. Car ayant efté conduit jufques à C par la matière du fécond élément, plus éloignée d'S que celle qui cû vers C, & qui par confe- quent fe mouuoit plus vite, & auec cela eftant plus folide qu'elle, ainfi que nous fuppofons, il ne peut manquer d'auoir plus de force à continuer fon mouuement fuiuant la ligne droite qui touche ce cercle; mais pource que, fi toft qu'il eft au delà du point C, il ren- contre d'autre matière du fécond élément qui fe meut vn peu plus vite que celle qui ejl vers C, & qui tourne en rond comme elle autour du centre S, le mouuement circulaire de celle matière fait que cet aftre fe détourne quelque peu de la ligne droite qui touche le cercle au

245 point C, & ce qu'elle a de vitef|fe plus que luy, eft caufe qu'il monte plus haut, & ainfi qu'il fuit la ligne courbe C 2, laquelle s'écarte d'autant moins de la ligne droite qui touche le cercle, que cet aftre eft plus folide, & qu'il eft venu d'N vers C auec plus de vitefle.

12'. Comment les Comètes continuent leur mouuement.

Pendant qu'il fuit ainfi fon cours vers la circonférence du tour- billon AEIO\ il acquert afl"ez d'agitation pour auoir la force de paffer au delà, & entrer dans vn autre tourbillon, duquel il paffe par après en vn autre, & continue ainfi fon mouuement, touchant lequel il V a icy deux chofes à remarquer. La première eft que, lors que cet aflre... paffe d'i'n tourbillon dans vn autre, il pouffe touffours deuant foy quelque peu de la matière de celuy d'oii il fort, €' n'en peut eflre entièrement déuelopé, qu'il tte foit entré affe\ auant dans les limites de l'autre... Par exemple, lors qu'il fort du tourbillon AEIO, £■ qu'il eft vers 2, il fe trouue encore enuironné de la matière de ce tour-

a. En marge : « Voyez la figure qui fuit. » Il s'agit toujours de la planche III, jusqu'à l'art. i32 inclus.

�� � Principes. — Troisiesme Partie. 179

billon qui tourne autour de luy, & n'en peut eflre entièrement dégagé qu'il ne (bit vers 3, dans le tourbillon AE V... L'autre chofc qu'il faut remarquer ejl que le cours de cet aftre décrit vne ligne diuerlement courbée félon les diuers mouuemens des tourbillons par où il paffe, comme on voit icf que la partie de cette ligne 284 eft courbée tout autrement que la précédente | NC 2, pource que 246 la matière du tourbillon AEV tourne d'A par E vers V, & celle du tourbillon AEIO, d'A par E vers I; & la partie de cette ligne 5678 ert prefque droite, pource que la matière du tourbillon où elle eft, tourne fur l'eflieu XX. Au reûe les aftres qui paffent ainfi d'vn tourbillon dans vn autre, font ceux qu'on nomme des Comètes, defquelles je tafcheray icy d'expliquer tous les phainomenes.

12S. Quels font leurs principaux Phainomenes.

Les principales chofes qu'on obferue en elles, font qu'elles palfent l'vne par vn endroit du Ciel, l'autre par vn autre, fans fuiure en cela aucune règle qui nous Ibit connue; & que nous n'en voyons vne mefme que pendant peu de mois, ou quelquefois mefme peu de jours; & que pendant ce temps là elles ne trauerfent jamais plus, ou gueres plus, mais fouuent beaucoup moins, que la moitié de noftre Ciel. Et que, lors qu'elles commencent à paroiftre, elles femblent allez groffes; en forte que leur groffeur apparente n'aug- mente guère par après, fmon lors qu'elles trauerfent vne fort grande partie du Ciel ; mais que, lors qu'elles tendent à leur fin, on les voit diminuer peu à peu fufques à ce qu'elles cejjent de paroijire. Et que leur mouuement eft aufli en fa plus grande_/brce au commencement, ou peu après le commencement de leur apparition; mais qu'il s'ajlentit par après peu à peu jufques à la fin. Et je ne me fouuiens 247 point d'auoir leu, que d"vne feule, qu'elle ait ejlé veuë trauerfer en- uiron la moitié de noftre Ciel, à fçauoir" dans le liure de Lotharius Sarfius ou bien Horatius Graftius, nommé Libra AJlronomica^, où il en parle comme de deux Comètes; mais je juge que ce n'a efté qu'vne mefme dont il a tiré l'hiftoire de deux autheurs, Regiomon- tanus & Pontanus, qui l'ont expliquée en termes differens, & qu'on dit auoir paru en l'an 1475, entre les Eftoiles de la Vierge, & auoir efté au commencement... affez petite & tardiue en fon mouuement,

a. « A fçauoir. . . Pontanus. » Note marginale du texte latin, insérée ici dans la version française. Voir Correspondance, t. IV, p. i5i, 1. 14, et p. 665.

b. Voir Correspondance, t. IV, p. i5i, 1. 4.

�� � i8o OEuvRES DE Descartes.

mais que peu après elle deuint d'vne merueilleule grandeur, & acquit tant de vitelfe, qu'en pallant par le Septentrion elle y parcou- rut en vn jour trente ou quarante degrez de l'vn des grands cercles qu'on imagine en la J'phere, & alla par après peu à peu dUparoirtre proche des Eftoiles du Poilïon Septentrional, ou bien vers le figne du Bélier.

12g. Quelles font les cau/es de ces phainomenes.

Or les cau/es de toutes ces obferuations fe peuuent icy" entendre fort aifement. Car nous voyons que la Comète que nous y auons décrite, y trauerfe le tourbillon F d'autre façon que le tourbillon Y, & qu'il n'y a aucun cofté dans le Ciel par lequel elle ne puiffe pafl'er

248 en cette forte; & il faut penfer qu'elle retient à peu près | la mefme vitefTe, à fçauoir celle qu'elle acquert en paflant vers les extremitez de ces tourbillons, où la matière du Ciel eit fi fort agitée qu'elle y fait fon tour en peu de mois, comme il a efté dit cy-deflus; d'où il fuit que cette Comète, qui ne fait qu'enuiron la moitié d'vn tel tour dans le tourbillon Y, & en fait beaucoup moins dans le tourbillon F, & n'en peut jamais faire gueres plus en aucun, ne peut demeurer que peu de mois en vn mefme tourbillon. Et fi nous confiderons qu'elle ne fçauroit eftre veuë de nous que pendant qu'elle eft dans le premier Ciel, c'ejî à dire dans le tourbillon vers le centre duquel nous habitons, & mefme que nous ne l'y pouuons apperceuoir que lors qu'elle ceiïe d'eftre enuironnée & fuiuie par la matière du tour- billon d'où elle vient, nous pourrons entendre pourquoy, nonob- ftant qu'vne mefme Comète fe meuue touf-jours à peu près de mefme vitefle & demeure de mefme grandeur, il doit neantmoins fembler qu'elle efl plus grande & fe meut plus vite au commence- ment de fon apparition qu'à la fin, & quelquefois aulTi qu'elle eil encore plus grande & fe meut plus vite entre ces deux temps quau commencement. Car fi nous penfons que l'œil de celuy qui la regarde eft vers le centre du tourbillon F, elle luy paroiftra plus

249 granjde & auec vn mouuement plus vite, eflant vers 3, où il com- mencera de l'aperceuoir, que vers 4, où elle ceû'era de luy paroillre, pource que la ligne droite F3 eft beaucoup plus courte que Fz|, & que l'angle F43 eft plus aigu que F34. Mais fi le fpedateur eft vers Y, cette Comète luy paroiftra fans doute plus grande, & auec

a. Voir planche III.

b. Art. 82, p. 148.

c. Voir Correspondance, t. V, p. 387.

�� � 250

��Principes. — Troisiesme Partie. i8i

vn mouuement plus vite, quand elle fera vers 5, où il commencera de la voir, que quand elle fera vers 8, où il la perdra de veuë ; mais elle luy paroirtra encore beaucoup plus grande & auec plus de vitefTe que vers 5, quand elle paffera de 6 jufquesà 7, pource qu'elle fera fort proche de fes yeux. En forte que,/ mus prenms ce tourbillon Y pour le premier Ciel oii nous Jommes, elle pourra paroiftre entre les Eftoiles de la Vierge eftant vers 5, & proche du pôle Boréal en paf- fant de 6 jufques à 7, & là parcourir en vn jour trente ou quarante degrez de l'vn des grands cercles de lafphere, & enfin fe cacher vers 8, proche des Eftoiles du Poillbn Septentrional : en mefme façon que cette admirable Comète de l'an 1475, qu'on dit auoir cfté obferuée par Regiomontanus.

i3o. Comment la lumière des EJloiles fixes peut paruenir jufques à la Terre.

Il eft vray qu'on peut icy demander pourquoy nous ceffons de voir les Comètes, fi toft qu'elles fortent de noftre ciel, & que nous ne laiffons pas de voir les Eftoiles fixes, encore | qu'elles foient fort loin au delà. Mais il y a de la différence en ce que la lumière des Eftoiles, venant d'elles-mefmes, eft bien plus viue & plus forte que celle des Comètes, qui... eft empruntée du Soleil. Et fi on prend garde que la lumière de chaque Eftoile confifte en l'aftion dont toute la matière du tourbillon dans lequel elle eft, fait effort pour s'éloi- gner d'elle fuiuant les lignes droites qu'on peut tirer de tous les points de fa fuperficie, & qu'elle prefl'e par ce moyen la matière de tous les autres tourbillons qui l'enuironnent, fuiuant les mefmes lignes droites... (ou fuiuant celles que les loix de la refraftion leur font produire, quand elles paffent obliquement d'vn corps en vn autre, ainfi que j'ay expliqué en la Dioptrique), on n'aura pas de difficulté à croire que la lumière des Eftoiles, non feulement de celles comme/, F, L, D% qui font les plus proches de la terre, laquelle je fuppofe eftre vers S, mais aufti de celles qui en font beaucoup plus éloignées, comme Y & femblables, peut paruenir jufques à nos yeux. Car d'autant que les forces de toutes ces Eftoiles [au nombre de/quelles je mets aujfi le Soleil), jointes à celles des tourbillons qui les enuironnent, font touf-jours égales entr' elles : la force dont les rayons de lumière qui viennent d'F tendent vers S, eft véritable- ment diminuée " à mefure \ qu'ils entrent dans le tourbillon A E I O, 251

a. Voir planche III.

b. Voir Correspondance, t. V, p. ?88.

�� � 252

i82 OEUVRES DE Descartes.

par la refiftence qu'ils y trouuent; mais elle ne peut eftre entière- ment efteinteque lors qu'ils font paruenus jufques au centre S; c'eft pourquoy, lors qu'ils arriuent à la terre qui eft vn peu éloignée de ce centre, il leur en reite encore aK&z pour agir contre nos yeux. Et tout de melme, les rayons qui viennent d'Y peuuent eftendre leur ailion jufques à la terre; car l'interpofition du tourbillon AEV ne diminue rien de leur force, linon en tant qu'elle les en rend plus éloi- gne-, pource qu'elle ne leur rejijle pas dauantage, en ce qu'elle fait effort pour aller d'F vers Y, qu'elle leur ayde, en ce qu'elle fait auffi effort pour aller d'F j'ers S. Et le mefme le doit entendre des autres Eftoiles.

i3i. Que les EJloiles ne font peut-ejlre pas aux me/mes lieux oit elles paroijfent. Et ce que c'ejï que le Firmament.

On peut aufli remarquer en cet endroit, que les rayons qui viennent d'Y vers la terre", tombent obliquement fur les lignes A E & VX, lefquels reprefentent les fuperficies qui feparent les tour- billons S, F, Y, les vns des autres, de façon qu'ils y doiuent fouffrir refradion, ô-fe courber. D'où il fuit qu'on ne voit point de la terre toutes les Eftoiles, comme eftant aux lieux où elles font véritable- ment, mais qu'on les voit comme û elles eftoient dans les lignes droites menées vers la terre, des endroits de la fuperficie de nojire Ciel AEIO, par lefquels | paffent ceux de leurs rayons qui viennent à nos yeux ; & peut-eftre aufli qu'on voit vne mefme Ertoile, comme fi elle eftoit en deux ou plufieurs lieux, & ainfi qu'on la comte pour plufieurs. Car, par exemple, les raj'ons de l'EJloile Y peuuent auffi bien aller vers S, en paffant obliquement par les fuperjicies du tour- billon f qu'en paffant par celles de l'autre marqué F, au moyen de quof on doit voir cette EJîoile en deux lieux, àfçauoir entre E & I & entre A & E. Mais, d'autant que les lieux oit fe voyent ainji les Eftoiles demeurent fermes, & n'ont point paru fe changer depuis que les Aftronomes les ont remarquez, il me femble que le firmament n'efl: autre chofe que la fuperficie qui fepare ces tourbillons les vns des autres, & qui ne peut ejlre changée, que les lieux apparens des EJloiles ne changent auffi.

a. Voir planche III. Principes. — Troisies.me Partie. 185

��i32. Pourquoy nous ne voyons point les Comètes quand elles font hors Je nojîre Ciel.

Pour ce qui ell de la lumière des Comètes, d'autant qu'elle elt beaucoup plus foible que celle des Ertoiles li.xes, elle n'a point allez de force pour agir contre nos yeux, Il nous ne les voyons fous vn angle affez grand; de façon que leur diltance feule peut empefcher que nous ne les apperceuions, quand elles font fort éloignées de nollre Ciel ; car il eft confiant que nous voyons vn mefme corps fous vn angle d'autant plus petit qu'il eil plus éloigné de nous. Mais I lors qu'elles en font alTez proches, il ell aile d'imaginer 253 diuerfes caufes qui nous peuuent empefcher de les voir auant qu'elles y foient tout à fait entrées, bien qu'il ne foit pas ayfé de fçauoir laquelle c'efl de ces caufes qui véritablement nous en em- pefche. Par exemple', fi l'œil du fpeclateur ell vers F, il ne commen- cera devoir la Comète icy reprefeiiléc, que lors qu'elle fera vers 3, & ne la verra pas encore quand elle fera vers 2, pource qu'elle ne fera pas tout à fait déuelopée de la matière du tourbillon d'où elle fort, fuiucint ce qui a ejié dit cf-defftis; & toutefois il la pourra voir lors qu'elle fera vers 4, bien qu'il y ait plus de diilance entre F & 4 qu'entre F & 2. Ce qui peut élire caufé par la façon dont les rayons de l'Eiloile F, qui tendent vers 2, foufTrent réfraction en la fuper- ficie conuexe de la matière du Ciel AEIO, qui le trouue encore autour de la Comète. Car cette refraclion les deilourne de la per- pendiculaire, conformément à ce que j'ay demonllré en la Diop- trique^ à caufe que ces rayons palTent beaucoup plus difficilement par la matière du ciel AEIO, que par celle du tourbillon A E VX. Ce qui fait qu'il en arriue beaucoup moins jufques à la Comète, qu'il n'y en arriueroit fans cette refradion, & ainli que, receuant peu de rayons, ceux qu'elle renuoye vers l'ccil du fpeclateur ne font | pas 254 aflez forts pour la rendre vifible. Le mefme eff'ed peut auffi eflre caufé de ce que, comme c'ell touf-jours la mefme face de la Lune qui regarde la Terre, ainfi chaque Comète a pcut-ellre vn coflé qu'elle tourne touf-jours vers le centre du tourbillon dans lequel elle efl, & n'a que ce collé qui foit propre à rcHéchir les rayons qu'elle reçoit. De façon que la Comète qui cil vers 2, a encore celuy de fes coftez qui ell propre à refléchir la lumière tourné vers S, & ainfi ne peut élire veuë par ceux qui font vers F; mais e/tant vers S, elle

a. En marge : « Voyez la figure qui luit. » Entendez la planche III.

b. Discours II, p. 9? et suiv. de cette édition.

�� � 184 OEuvRES DE Descartes.

l'a tourné... vers F, & ainfi commence à pouuoir y eilre veuë. Car nous auons grande raifon de penfer, premièrement, qiie, pen- dant que la Comète a passé d'N par C vers 2, celuy de les coflez qui eftoit vis à vis de l'ailre S, a efté plus échauffé, ou agité en fes petites parties, & raréfié par la lumière de cet aftre, que n'eftoit pas fon autre cofté; & enfuitte,que les plus petites, ou pour ainfi parler, les plus molles parties du troifiéme élément qui eftoient fur ce cojlé de la fuperficie de la Comète, en ont efté feparées par cette agitation ; ce qui l'a rendue plus propre à renuoyer les rayons de la lumière de ce cofté-là que de l'autre. Ainfi qu'on pourra connoiftre par ce que je diray cy-apres' ck la nature du feu, que la raifon qui

2B5 fait que les corps bruJle-, ejîanl con\uertis en charbons, font tous noirs, & conuertis en cendres, font blancs, confifte en ce que l'aâion du feu, agitant toutes les plus petites & plus molles parties des corps qu'il brufïe, fait que ces petites parties viennent premièrement cou- urir toutes les fuperficies, tant extérieures qu'intérieures, qui font dans les pores de ces corps, & que de là par après elles s'enuolent, & ne laijfent que les plus groffieres qui n'ont pu ejlre ainfi agitées ; d'où vient que,fi le feu efl efleint pendant que ces petites parties couurent encore les fuperficies du corps bruflé, ce corps paroifl noir £■ efl conuerti en charbon ; mais s'il ne s'efleint que de foy-mefme, après auoir feparé de ce corps toutes les petites parties qu'il en peut fepa- rer, alors il n'y refle que les plus groffieres, qui font les cendres, & ces cendres font blanches, à caufe qu'ayant pu refifler à l'aâion du feu, elles refflent auffi à celle de la lumière, & la font réfléchir. Car^ les corps blancs font les plus propres de tous à refléchir la lumière, & les noirs y font les moins propres. De plus, nous auons raifon de penfer que ce cofté de la Comète qui a efté le plus raréfié, eft moins propre à fe mouuoir que l'autre, à caufe qu'il efl le moins folide, & que par confequent, fuiuant les loix des Mechaniques, // doit touf jours fe tourner vers les centres des tourbillons dans lefquels

256 I pajfe la Comète. Ainfi qu'on voit que les flèches fe tournent en l'air, & que c'eft touf-jours le plus léger de leurs coftez qui eft le plus bas pendant qu'elles moruent, & le plus haut pendant qu'elles def- cendent. Dont la raifon efl, que par ce moyen la ligne que décrit le plus rare coflé de la Comète & le plus léger de la flèche, efl vn peu plus courte que celle qui efl décrite par l'autre, comme icy la partie concaue du chemin de la Comète marqué NC 2, qui eft tournée vers S, efl vn peu plus courte que la conuexe, & celle du chemin 2 3 4,

a. Partie IV, art. 80 et suivants. Principes. — Troisiesme Partie, i8^

qui eft tournée vers F, ejl la plus courte, & ainjï des autres. On pourroit encore imaginer d'autres railbns qui nous empefchent de voir les Comètes pendant qu'elles font hors de noftre Ciel, à caufe qu'il ne faut que fort peu de chofe pour faire que la fuperficie d'vn corps foit propre à renuoyer les rayons de la lumière, ou pour l'em- pefcher. Et touchant tels effets particuliers, defquels nous n'auons pas affez d'expériences pour detenniuer quelles fout les vrajes caufes qui les produifent, nous deuons nous contenter d'en fçauoir quelques vnes par le/quelles il Je peut faire qu'ils f oient produits...

i33. De la queue des Comètes, & des diuerfes cfiofes qu'on j- a obferuées.

Outre les proprietez des Comètes que je viens d'expliquer, il y en a encore vne autre bien remarquable, à fçauoir cette lumière fort I eftenduë.en forme de queue ou de cheuelure, qui a couflume de les 257 accompagner & dont elles ont pris leur nom. Touchant laquelle on obferue que c'eft touf-jours vers le cofté le pius éloigné du Soleil, qu'elle paroifl. En forte que, fi la Terre fe rencontre juftement en ligne droite entre la Comète & le Soleil, cette lumière fe répand également de tous coftez autour de la Comète ; £■ lors que la Terre fe trouue hors de cette ligote droite, c'efl du mefme coflé oit efl la Terre que paroijl cette lumière, laquelle on nomme la cheuelure de la Co- mète, lors qu'elle la précède au regard du mouuement qu'on obferue en elle, & on la nomme fa queue, lors qu'elle la fuit. Comme on obferua en fa Comète de l'an 1475, qu'au commencement de fon apparition elle auoit vne cheuelure qui la precedoit, & à la fin vne queue qui la fuiuoit, à caufe qu'elle eftoit alors en la partie du Ciel oppofée à celle oie elle auoit eflè au commencement. On obferue aufTi que cette queue ou cheuelure elt plus grande ou plus petite, non feulement à raifon de la grandeur apparente des Comètes, en forte qu'on n'en voit aucune en celles qui font fort petites, i? qu'on la voit diminuer en toutes les autres, à mejure qu'approchant de leur fin, elles paroiffent moins grandes, mais audi à raifon du lieu où elles font, en ibrte que, fuppofant le | refte égal, la cheuelure de la Comète 258 paroift d'autant plus longue, que la Terre ell plus éloignée du point de fa route qui ejt en la ligne droite qu'on peut tirer de cette Co- mète vers le Soleil; & mefme que, lors qu'elle en efl fi éloignée que le corps de la Comète ne peut eftre veu, à caufe qu'il eft offufqué par les rayons du Soleil, l'extrémité de fa queue ou cheuelure ne lailfe pas quelquefois de paroillre, 6' on la nomme alors vne barre ou Œuvres. IV. 55

�� � i86 OEuvREs DE Descartes.

cheuron de feu, à caiife qu'elle en a la figure. Enfin, on obferue que cette queùë ou cheuelure des Comètes ell quelquefois vn peu plus large, quelquefois vn peu plus eftroite que de cou fi unie ; qu'elle eft quelquefois droite, & quelquefois pu peu courbée; & qu'elle paroijî quelquefois exaâement dans le me/me cetxle qu'on imagine paffer par les centres du Soleil & de la Comète, & que quelquefois elle femble s'en deftourner quelque peu. De toutes lefquelles chofesye tafcheraj icj" de rendre rai/on.

i34. En quoy confijîe la refraâion qui fait paroijire la queue

des Comètes.

Et à cet effet, il faut que j'explique vn nouueau genre de refra- étion, duquel je n'ay point parlé en la Dioptrique, à caufe qu'on ne le remarque point dans les corps terreftres. Il confifte en ce que, les parties du fécond élément qui compofent le Ciel n'eftant pas toutes 259 égales, mais plus petites au dejfous de la fphere de \ Saturne qu'au dcffus', les rayons de lumière qui viennent des Comètes vers la Terre font tellement tranfmis des plus groffes de ces parties aux plus petites, qu'outre qu'ils fuiuent leur cours en lignes droites, ils s'écartent aufli quelque peu de part & d'autre /><3r le moyen de ces petites, & ainfi fouffrent quelque refraflion.

i35. Explication de cette refraâion.

Confiderons, par exemple, cette figure, en laquelle des boules affez groffes font appuyées fur d'autres beaucoup plus petites, & penfons que ces boules font en continuel mouuement, ainfi que les parties du fécond élément ont efté cy-deffus' reprefentées, en forte que, fi l'vne d'elles eft pouffée vers quelque cofté, par exemple, fi la boule A eft pouffée vers B, elle pouffe en mefme temps toutes les autres qui font vers ce mefme cofté, à fçauoir toutes celles qui font en la ligne droite AB, & ainfi leur communique cette adtion. Tou- chant laquelle action il faut remarquer qu'elle paffe bien toute en- tière en ligne droite depuis A jufques à C, mais qu'il n'y en a qu'vne partie qui continue ainfi en ligne droite de C jufques à B, & que Je refte /e dejtourne, & fe répand tout à ientour jufques vers D & vers E. Car la boule C ne peut pouffer vers B la petite boule

a. Voir ci-avant, art. 82, p. 148.

b. Voir planctie X.

c. Art. 62, p. 134.

�� � Principes. — Troisiesme Partie. 187

marquée 2, qu'elle ne pouffe les deux autres, i & 3% vers D & vers E, I au moyen de qiiof elle pouffe ciiiffi toutes celles qui font dans le 26O triangle DCE. Et il n'en eft pas de mefme de la boule A, lors qu'elle pouffe les deux autres boules 4 & 5 vers C ; car encore que l'aclion dont elle les pouffe foit tellemeat receuë par ces deux boules, qu'elle femble élire deftournée par elles vers D & vers E, elle ne laiffe pas de paffer toute entière vers C, tant à caufe que ces deux boules 4 & 5, effant également fouftenuës des deux coftez par celles qui les enuironnent, la transfèrent toute à la boule 6 ; comme auffi à caufe que leur continuel mouuement fait que cette adion ne peut jamais eftre receuë conjointement par deux telles boules, pendant quelque efpace de temps, & que, fi elle ejt mainte- nant receuë par l'vne qui ejl difpofée à la dejlourner vers vn cojîé, elle ejl incontinent après receuë par me autre qui ejl difpofée à la dejlourner vers le cojlé contraire, au moyen de quoy elle fuit touf- jours la mefme ligne droite. Mais lors que la boule C pouffe les autres plus petites i, 2, 3, vers B, fon aftion ne peut pas ainfi eftre renuoyée toute entière par elles "■ vers ce cofté-là ; car encore qu'elles fe meuuent, il y en a touf-jours plufieurs qui la reçoiuent oblique- ment, & la dejlournent vers diuers cofle^ en mefme temps. C'eft pour- quoy, encore que la principale force, ou le principal rayon | de cette 261 aftion, foit touf-jours celuy qui paffe en ligne droite de C vers B, elle fe diuife en vne infinité d'autres plus foibles, qui s'eftendent de part & d'autre vers D & vers E. Tout de mefme, fi la boule F eft pouffée vers G, fon adion paffe en ligne droite d'F jufques à H, où ejlant paruenuë, elle fe communique aux petites boules 7, 8, 9, qui la diuifent en plufeurs rayons, dont le principal va vers G, & les autres le deftournent vers D. . . Mais il faut icy remarquer que, pource que je fuppofe que la ligne HC, fuiuant laquelle les plus groffes de ces boules font arrengées fur les plus petites, ejl vn cercle, les rayons de l'aâion dont elles font pouffées, fe doiuent dejlourner diuerfement, à raifon de leurs diuerfes incidences fur ce cercle. En forte que l'adion qui vient d'A vers C, enuoye fon principal rayon vers B, & diftribuë les autres également vers les deux coftez D & E, pource que la ligne AC rencontre ce cercle à angles droits. Et l'aftion qui vient d'F vers H, enuoye bien aiiffi fon principal rayon vers H % mais fuppofant que la ligne F H rencontre le cercle le pins ohWquemQU^. qu'il fe puiffe, les autres rayons ne fe deftournent que

a. « I & 3 », corrigé à l'errata. Texte imprimé : « & 3 ».

b. Imprimé « elle », faute d'impression.

c. Lire « vers G ».

�� � i88 OEuvRES DE Descartes.

vers l'ii feu! cq/îé, àjçauoir vers D, où ils Je répandcnl en tout l'efpace qui ejl entre G & B, Sijoiit touf-Jours d'autant plus foibles, qu'ils Je

262 dejlournent dauautage de la ligne H G. Enfin | fi la ligne F H ne rencontre pas li obliquement le cercle, il y a quelques-vns de ces rayons qui le deftournent aufii vers l'autre cofié; mais il y en a d'autant moins, i^'- ils font d'autant plus foibles, que l'incidence de cette ligne ejl plus oblique.

i36. Explication des caufes qui font paroijire les queues des Comètes.

Apres auoir bien compris les raifons de tout cecy, il eft aifé de les approprier à la matière du Ciel, dont toutes les petites parties font rondes comme ces boules. Car encore qu'il n'y ait aucun lieu ou ces parties du Ciel foient fort notablement plus groffes que celles qui les fuiuent immédiatement, ainfl que ces boules font icy' reprefentées en la ligne CH, toutesfois à caufe qu'elles vont en diminuant peu à peu depuis la fphere de Saturne jufques au Soleil, ainfi qu'il a erté dit cy-deirus*", & que ces diminutions fe font fuiuant des cercles tels que celuy qui ejl icy reprefenté par cette ligne C H, on peut aifement le perfuader qu'il n'y a pas moins de différence entre celles qui font au-deffus. . . de Saturne, & celles qui font vers. . . la Terre, qu'il y a entre les plus groffes & les plus petites de ces boules; & que, par confequent, les rayons de la lumière n'y doiuent pas moins ejlre deJlourne\, que ceux de l'aâion dont je viens de parler, Jans qu'il y ait autre diuerfté, Jinon qu'au lieu que les rayons de cette aâion Je

263 dejlournent beau\coup en vn endroit â point ailleurs, ceux de la lumière ne Je dejlournent que peu à peu, à mejure que les parties du Ciel par oit ils pajfent, vont en diminuant. Par exemple, fi S 'eft le Soleil, 2 3 4 5 le cercle que la Terre décrit chaque année, y prenant fon cours fuiuant l'ordre des chiffres 2, 3, 4, & DEFGH la Jphere qui marque l'endroit où les parties du Ciel cejfent d'ejlre égales, & vont en diminuant jufques au Soleil (laquelle fphere j'ay dit cy- deffus" n'eftre pas entièrement régulière, mais... beaucoup plus plate vers les pôles que vers l'Eclyptique), & que C foit vne Co- mète fituée au-dejfus de Saturne en noftre Ciel : il faut penfer que les rayons du Soleil qui vont vers cette Comète, font tellement ren- uoyez par elle vers \a Jphere D E FG H, que la plufpart de ceux qui

a. Voir planche X.

b. Art. 82 et 85, p. 148 et i5o.

c. Planche XI.

d. Art. 81, p. 147.

�� � Principes. — Troisiesme Partie. 189

rencontrent cette fphere à angles droits au point F, paffent outre en ligne droite vers 3, mais que les autres/e dejîournent quelque peu tout autour de la ligue F 3 comme vers 2 & vers 4 ; &. e^ue la plu/part de ceux qui la rencontrent obliquement au point G, padent auifi en ligne droite vers 4, & que les autres fe deftournent, non pas éga- lement tout autour, mais beaucoup plus vers 3, cV/? à dire vers le centre de la fphere, que vers l'autre cojîê; &. que la plu/part de ceux qui la rencontrent au point V{,pa[]'anl outre en ligne droite, ne par- uiennent | point jufques au cercle 234F, mais que les autres qui 264 Je dejîournent vers le centre de la fphere, y paruiennenl ; £■ enjin, que ceux qui rencontrent cette fphere en d'autres lieux, comme vers E ou vers D, pénètrent au dedans en mef me façon, partie en lignes droites, l^ partie en fe deflournant. En fuitte de quoy il cft éuident que,fi la Terre eft en l'endroit de fa roH/c marqué 3, nous deuons voir cette Comète auec vne cheuelure également éparfe de tous coftez; car les plus forts rajons qui viennent en ligne droite d'F vers 3, reprefentent /o« corps, & les autres plus foibles, qui eftant deltour- nez viennent aulli de G & d'E vers 3, font voir la cheuelure. PJt on a donné le nom de Rofe à cette efpece de Comète. Tout de mefme il efl éuident que, (i la Terre eft vers 4, nous deuons voir le corps de cette Comète par le moyen des rayons qui fuiuent la ligne droite CG4, & fa cheuelure, ou, pour mieux dire, fa queue, eltenduc vers vn feul collé, par le moyen des rayons courbez qui viennent d'H,& de tous les autres lieux qui font entre G & H, vers 4. Il eft éuident aufli que, (i la Terre eit vers 2, nous deuons voir la Comète par le moyen des rayons droits CE 2, & fa cheuelure par le moyen de tous les rayons courbe- paffans entre les lignes CE2 & CD2, qui s'af fembloitvers 2. Sans qu'il y ait en cela autre | différence, linon que, 265 la Terre eftant vers 2, celte Comète paroillra le matin auec la che- uelure qui femblera la précéder, & la terre eftant vers 4, la Comète fe verra le foir auec vne qiieuë qu'elle traînera après Iby.

i3~. Explication de t' apparition des cheurons de feu".

Enfin, fi la Terre cft vers 5, il eft éuident que nous ne pourrons voir cette Comète, à caufe de l'interpofition du Soleil, mais feule- ment vne partie de fa queue ou cheuelure, qui femblera vn cheuron de feu, & paroillra le foir ou le matin, fe'.on que la Terre fera plus proche du point 4 ou du point 2 ; en forte que, ii elle eft jufte-

a. Voir planche XI. ipo Œuvres de Descartes.

ment au point 5, également dijîant de ces deux autres, peut-eftre que cette mefme Comète nous fera voir deux cheurons de feu, Fi'u au foir & l'autre au matin, par le moyen des rayons courbe- qui viennent d'H & de D vers 5. le dis peut-ejtre, à caufe que, fi elle n'eji fort grande, fes rayons ainfi courbe^ ne feront pas affe\ forts pour ejlre apperceus de nos yeux.

j36'. Pourquoy la queue des Comètes n'efi pas touf-jours exaàement droite, ny direâement oppofée au Soleil".

Au relie, cette queue ou cheuelure des Comètes ne paroiftpas touf- jours entièrement droite, mais quelquefois vn peu courbée; ny aulTi touf-jours dans la mefme ligne droite, ou. ce qui renient à vn, dans le mefme cercle qui palfe par les centres du Soleil & de la Comète, vm\^fouuent elle s'en écarte quelque peu; & enfin elle ne paroiftpas

266 touf-jours également | large, mais quelquefois plus eftroite, ou auHi plus lumineufe, lors que les rayons qui viennent de fes codez s'af- femblent vers l'œil. Car toutes ces varietez doiuent fuiure de ce que \a fphere DEFGH n'eft pas régulière; & pource que fa figure eft plus plate vers les pôles qu'ailleurs", les queues des Comètes y doiuent eftre plus droites & plus larges; mais quand elles s'eftendent de trauers entre les pôles & l'Eclyptique, elles doiuent eftre cour- bées & s'écarter vn peu de la ligne qui paffe par les centres du Soleil & de la Comète; enfin, lors qu'elles s'y eftendent en long, elles doiuent eflre plus lumineufes & plus eftroites qu'aux autres lieux. Et je ne penfe pas qu'on ait jamais fait aucune obferuation tou- chant les Comètes, laquelle ne doiue point eflre prife pour fable ny pour miracle, dont la raifon n'ait efté icy expliquée.

i3g. Pourquoy les Efioiles fixes & les Planètes ne paroiffent point auec de telles queues.

On peut feulement propofer encore vne difficulté, fçauoir pour- quoy il ne paroift point de cheuelure autour des Elloiles fixes, & aufli autour des plus hautes Planètes, Saturne & lupiter, en mefme façon qu'autour des Comètes. Mais il e(l aifé d'y répondre. Premiè- rement, à caufe que, mefme autour des Comètes, cette cheuelure n'a point couftume d'ellre veuë, lors que leur diamètre apparent

267 n'eft point plus grand que celuy des Eftoiles tixes; à caufe que | les

a. Voir planche XI.

b. Voir art. 8i, p. 148. Principes. — Troisiesme Partie. 191

raj'ons... qui la forment n'ont point alors affez de force... Puis en particulier touchant les Elloiles fixes, il faut remarquer que, d'au- tant qu'elles ont leur lumière en elles mefmes, & ne l'empruntent point du Soleil, s'il paroilToit quelque cheuelure autour d'elles, il faudroit qu'elle y furt également éparfe de tous coftez, & par confe- quent aufli fort courte, aiufi qu'aux Comètes qu'on nomme Rofes; mais on voit véritablement vne telle cheuelure autour d'elles, car leur figure n'eft point limitée par aucune ligne qui foit vniforme, & on les voit enuironnées de rayons... de tous codez; & peut-eftre aufli que cela eft la caufe qui fait que leur lumière eft fi eftincelante ou tremblante, bien qu'on en puiffe encore donner d'autres raifons. Enfin, pour ce qui eit de lupiter & de Saturne, je ne doute point qu'ils ne paroiffent auflTi quelquefois auec vne telle cheuelure..., aux païs où l'air tù. fort clair & fort pur; & je me fouuiens fort bien d'auoir leu quelque part, que cela a eflé autrefois obferué, bien que je ne me fouuienne point du nom de l'autheur. Outre que ce que dit Ariftote, au premier des Météores, chap. 6, que les Egyptiens ont quelquefois apperceu de telles cheuelures autour des Eftoiles, doit, je croy, pluftoft eftre entendu de ces Planètes, que non pas des EJioiles Jixes; & pour ce qu'il dit, auoir | veu luy-mefme vne cheue- 268 lure autour de l'vne des Eftoiles qui font en la cuifle du Chien, cela doit eftre arriué par quelque vzivz&Àon extraordinaire qui fe faifoit en l'air, ou pluftoft par quelque indifpofition qui eftoit en fes yeux : car il adjoufte que cette cheuelure paroifloit d'autant moins, qu'il la regardoit plus fixement...

140. Comment les Planètes ont pu commencer à Je mouuoir '.

Apres auoir ainfi examiné tout ce qui appartient aux Comètes, nous pouuons confiderer eu mefme façon les Planètes, & fuppofer que l'aftre N eft moins folide, ou bien a moins de force pour continuer fon mouuement en ligne droite, que les parties du fécond élément qui font vers la circonférence de noftre Ciel, mais qu'il en a quelque peu plus que celles qui font proches du centre oit ejl le Soleil. D'où il fuit que, fi toft qu'il eft emporté par le cours de ce Ciel, il doit continuellement defcendre vers fon centre, jufques à ce qu'il foit paruenu au lieu où font celles de fes parties, qui n'ont... ny plus ny moins de force que luy à perfeuerer en leur mouuement...; & que,

a. En marge : « Voyez la planche 3, en la pag. 263. » Cf. p. 184 ci- avant, notes a et c. — Planche III.

�� � 192 OEuvRES DE Descartes.

lors qu'il cil defcendu jufques là, il ne doit pas s'approcher ny (e reculer du Soleil, finon en tant qu'il ell poulie quelque peu çà ou là par d'autres caufes,' mais leulement tourner en rond autour de luy auec ces parties du Ciel qui luy fout égales eu force; & ainli, que cet

269 altre eft vne Planète. Car s'il | defeeudoil plus bas vers le Soleil, il s'y trouueroit enuironné de parties du Ciel vn peu plus petites, & qui par confeqaent luy cederoient en force..., outre qu'eilant plus agi- tées, elles augmenteroient aufli ion agitation & enlemble fa force, laquelle le feroit auffi tort remouter. Et au contraire, s'il allait plus haut, il y rencontreroit des^ar//t's du Ciel vn peu moins agitées, au moyen de quoy elles dlminueroient ion mouucment; 1^'. vn peu plus grolfes", au moyen de quoy elles auroient la force de le repouller vers le Soleil.

141 . Quelles font les diuerfos caufes qui dejlournent le mouuement des Planètes. La première.

Les autres caufes qui peuuent quelque peu deftourner çà ou là cette Planète... ibnt : Premièrement, que l'eipace dans lequel elle tourne auec toute la matière du premier Ciel, n'eit pas exaélement rond. Car il eft necellaire qu'aux lieux où cet efpace eft plus ample, la matière du Ciel fe meuue plus lentement, & donne moyen à cette Planète de s'éloigner vn peu plus du Soleil, qu'aux lieux où il eft plus eftroit.

142. La féconde.

Et en iecond lieu\ que la matière du premier élément, coulant fans celTe de quelques-vns des tourbillons voifms vers le centre de celuf que nous nommons noftreCiel,& retournant de là vers quelques autres, pouffe diuerfement... cette Planète, /e/oH les diuers endroits ail ellefe trouue.

143. La troifiéme.

270 De plus, que les pores ou petits paffages que \ les parties canele'es de ce premier élément fe font faits dans cette Planète, ai>ifi qu'il a efté dit cf-deffus', peuuent eftre plus diipofez à receuoir celles de ces

a. Latin : « paullô-minores », faute dont la correction s'imposait.

b. Voir Correspondance, t. IV, p. 181, 1. 12-17. ^^ même pour les ar- ticles suivants, 143, 144 et 145. — Voir aussi Ibid., t. V, p. 259, 1. 7, etc.

c. Art. io5, p. 162.

�� � Principes. — Troisiesme Partie. 19^

parties canelées... qui viennent de certains endroits du Ciel, qu'à receuoir celles qui viennent des autres; ce qui fait que... les pôles... de la Planele fe doiuent tourner vers ces endroits là...

��144. La quatrième.

Puis aiijft, que quelque mouuement peut auoir efté imprimé aupa- rauant en cette Planète, lequel elle conferue encore long temps après, nonobllant que les autres caufes /ç;- e.\ji;//i/z/â's y répugnent. Car comme nous voyons qu'vne pirouette" acquert affcz de force, de cela feul qu'vn enfant la fait tourner entre f es doigts, pour continuer pav apxes toute feule pendant quelques minutes, & faire peut-eftre en ce temps Va plus de deux ou trois mille tours fur fou centre, nonobftant qu'elle foit fort petite, & que tant l'air qui l'enuironne que la terre qui la fouftient, luy refirent, <?■ relardent fon mouue- ment de tout leur pouuoir : ainfi on peut aifement croire que, fi vne Planète auoit efté agitée en mefme façon dés le commencement qu'elle a efté créée, cela feul feroit fuffifant pour luy faire encore à prefent continuer le mefme mouuement fans aucune notable diminu- tion, pource que, d'autant qu'vn corps efl plus grand, d'autant il peut retenir plus long \ temps l'agitation qui luy a ejlé ainfi imprimée, 271 & que la durée de cinq ou fix mil ans qu'il y a que le monde eft, fi on la compare auec la groffeur d'vne Planète, n'efl pas tant qu'vuQ minute comparée auec la petiteffe d'vne pirouette.

145. La cinquième.

Puis enfin, que la force de continuer ainfi à fe mouuoir eft plus durable & plus conftante dans les Planètes, que dans la matière du Ciel qui les enuironne; & mefme, qu'elle eft plus durable en vne grande Planète qu'en vne moins grande. Dont la raifon eft que les moindres corps, ayant plus de fuperfîcie, à raifon de la quantité de leur matière, que n'en ont ceux qui font plus grands, rencontrent plus de chofes en leur chemin qui empefclient ou deflournent leur mouue- ment, & qu'vne portion de la matière du Ciel, qui égale en groffeur vne Planète, efï compofée de pluficurs petites parties qui fe doiuent toutes accorder à vn mefme mouuement pour égaler celuj de cette Planele, & qui, n'eftant point attachées les vnes aux autres, peuuent eflre

a. Non Correspondance, t. V, p. 173. — Descartes avait plutôt voulu parler d'une toupie.

Œuvres. IV. 56

�� � 194 OEuvRES DE Descartes.

deJîouDiées de ce mouueinent, chacune à part, par les moindres caiifes. D'où' il fuit qu'aucune Planète ne le meut fi vite que les petites parties de la matière an C\e\ qui l'enuironnent, pource qu'elle peut feulement égaler celuy de leurs mouuemens, félon lequel elles

272 s'accordent à fuiure toutes vn mefme cours, & | que, d'autant qu'elles font diuifées, elles en ont touf-jours quelques autres qui leur font particuliers. Il fuit auffi de cela, que, lors qu'// ;- c7 quelque caufe qui augmente ou retarde ou deftourne le mouuement de cette matière du Ciel, la mefme caufe ne peut pas fi promptemcnt nv ii fort augmenter ou retarder ou diminuer celuy de la Planète.

i4fi. Comment toutes les Planètes peuuent auoir ejlé formées.

Or fi on confidere bien toutes ces choies, on en pourra tirer les raifons de tout ce qui a pil efire obferué jufques icy touchant les Planètes, & voir qu'il n'y a rien en cela qui ne s'accorde parfaite- ment auec les loix de la nature cy-deiïus expliquées \ Car rien n'em- pefche que nous ne penfions que ce grand efpace. .. que nous nom- mons le premier Ciel, a autrefois efié uiuile en quatorze tourbillons, ou en dauantage, & que ces tourbillons ont elle tellement dilpofez, que les aif res qu'ils auoicnt en leurs centres, le font peu à peu cou- uerts de plufieurs taches, en fuitte de quov les plus petits ont efié deÛTUiîs par les plus giaiids cnla. façon qui a elle décrite\.. A fçauoir, on peut penfer que les deux tourbillons qui auoient les allres que nous nommons maintenant... lupiter & Saturne en leurs centres, elloient les plus grands, & qu'il y en auoit quatre moindres autour

273 de celuy de lupitcr, dont les afires font | dcfcendus vers lu\', &font les quatre petites Planètes que nous y payons ; puis, qu'il y en auoit aufll deux autres autour de celuy de Saturne, dont les atlres font defcendus vers luy en mefme façon (au moins s'il eil vray que Saturne ait proche de foy deux autres moindres Planètes, ainji qu'il Jemble paroijfre); & que la Lune ejl aujji defcenduë vers la Terre, lors que le tourbillon qui la contenait a ejlé deflruit; & enfin, que lesy/.v tourbillons qui auoicnt Mercure, Venus, la Terre..., Mars, lupiter & Satuj-ne en leurs centres, e/lant dejb-uils par vn autre plus i^rand, au milieu duquel c/loil le Soleil, tous ces allres font defcendus vers luy, & s'y font difpofei en la façon qu'ils j- paroiJJ'ent à prefent; mais que, s'il y a eu encore quelques autres tourbillons... en l'efpace qui

a. Partie II, art. 3/, 3g et 40, p. 84, 85 et 86.

b. Art. ii5, 116 et 117, p. 169-171.

�� � Principes. — Troisiesme Partie. 19^

comprend maintenant le premier Ciel,\t?, aflres qu'ils auoienten leurs centres, ejant deuenus plus folides que Saturne, fe font conuertis en Comètes.

i4j. Pourquoy toutes les Planètes ne font pas également dijlantes

du Soleil.

Ainfi, voyant maintenant que les principales Planètes, Mercure. Venus, la Terre, Mars, lupiter & Saturne, font leur cours à di- uerfes diftances du Soleil, nous deuons juger que cela vient de ce qu'elles ne font pas... également folides, & que ce font celles qui le font moins, qui s'en approchent dauantage. Et nous n'auons | pas 274 fujet de trouuer ellrange que Mars en Ibit plus éloigné que la Terre, nonobftant qu'il foit plus petit qu'elle, pource que ce n'eft pas la feule grandeur qui fait que les corps font folides", & qu'il le peut eftre plus que la Terre, encore qu'il ne foit pas Ji i^rand.

148. Pourquoy les plus proches du Soleil fe meuitent plus vite que les plus éloignées, & toutefois fes taclies, qui en font fort proches, fe meuuent moins vite qu'aucune Planète.

Et voyant que les Planètes qui font plus proches du Soleil fe meu- uent... plus vite que celles qui en font plus éloignées, nous penferons que cela arriue à caufe que la matière du premier élément qui com- pofe le Soleil, tournant extrêmement vite fur fou ejjieu, augmente dauantage le mouuement des parties du Ciel qui font proches de luy, que de celles qui en font plus loin. Et cependant nous ne trou- uerons point eftrange que les taches qui paroiffent fur fa fuperficie, fe meuuent plus lentement qu'aucune Planète, en forte qu'elles employent enuiron vingt-fix jours à faire leur tour, qui ei\ fort petit, au lieu que Mercure n'employé pas trois mois à faire le lien, qui ert plus de foixante fois plus grand. & que Saturne acheue le fien en trente ans, ce qu'il ne deuroit pas faire en cent, s'il n'alloit point plus vite que ces taches, à caufe que le chemin qu'il fait elt enuiron deux mille fois plus grand que le leur. Car on peut penfer que ce qui les retarde, eft qu'elles font Jointes à l'air que fay dit cy-deffus*' deuoir eflre \ autour du Soleil, pource que cet air s'eftend jufques 275 vers la fphere de Mercure, ou peut-eflre mefme plus loin, & que les parties dont il eft compofé, ayant des figures fort irregulieres...,

a. Art. 121 et 122, p. 174 et ijS.

b. Art. 100, p. iSg.

�� � [96

��OEuvREs DE Descartes.

��s'attachent les vnes aux autres, & ne fe peuuent mouuoir que toutes enfemble, en forte que celles qui font fur la fuperficie du Soleil auec fes taches, ne peuuent faire gueres plus de tours autour de luy que celles qui font vers la fphere de Mercure, & par confequent doiueni aller beaucoup plus lentement. Ainji qu'on voit en vue roue, lors qu'elle tourne, que les parties proches de fon centre vont beau- coup moins vite que celles qui font en fa circonférence.

14g. Pottrquoy la Lune tourne autour de la Terre '.

Puis, vo3ant que la Lune a fon cours, non feulement autour du Soleil, mais aufli autour de la Terre, nous jugerons que cela peut eftre arriué de ce qu'elle efl defceiiduë dans le tourbillon qui auoit la Terre en fon centre, auparauant que la Terre y«/ defcenduë vers le Soleil, ainfi que quatre autres Planètes /oh^ descendues vers lupiter; ou pluftoft, de ce que neflant pas moins folide que la Terre, & toutes- fois eflant plus petite, fa folidité efl caufe qu'elle doit prendre fon cours à mefne diflance du Soleil, & fa petitefle, qu'e//c' s'_y doit mou- uoir plus vite, ce qu'elle ne peut, f non en tournant aiijfi autour de la 276 Terre. Soit^ par exemple, S le Soleil, & | NTZ le cercle fuiuant lequel la Terre & la Lune prennent leur cours autour de luy, en quel endroit de ce cercle que la Lune ait efté au commencement, elle a deu venir bien toll vers A, proche de la Terre T, puifqu'elle alloit plus vite qu'elle; &. trouuant au point A, que la Terre auec l'air & la partie du Ciel qui l'enuironne, luy faifoit quelque refiltance . . ., elle a deu fe dertourner vers B, je dis vers B plufloU: que vers D, pource qu'en cette façon le cours qu'elle a pris a efté moins éloigné de la ligne droite. Et pendant que la Lune eft ainfi allée d'A vers B, elle a difpofé la matière du Ciel contenue dans le cercle ABCD... à tourner auec l'air & la Terre autour du centre T, & y faire comme \n petit tourbillon, qui a touffours depuis continué fon cours auec la Lune & la Terre, fuiuant le cercle TZN autour du Soleil .

i5o. Pourquoj' la Terre tourne autour de fon centre.

Cela n'eit pas toutefois la feule caufe qui fait que la Terre tourne fur fon ellieu. Car puis que nous la confiderons comme fi elle auoit

a. Voir Correspondance, t. IV, p. 464-465.

b. Planche XIL

c. Voir Correspondance, t. V, p. 3i3, 1. 4, p. 346, 1. i3, et p. 388.

�� � Principes. — Troisiesme Partie. 197

efté autrefois vne EJloile fixe qui occupoit le centre d'vn tourbillon particulier dans le Ciel, nous deuons penfer qu'elle tournoit dés lors en cette forte, & que la matière du premier élément qui a touf- jours demeuré depuis en fon centre, continue de la mouuoir* en mefme façon.

��I 1 3i . Pourqitoy la Lunefe meut plus vite que la Terre. E77

Et on n'a point fujet de trouuer eftrange que la Terre face prefque trente tours fur fon effieu, pendant que la Lune en fait feulement vn fuiuant le cercle ABCD^ pource que la circonférence de ce cercle ellant enuiron loixante fois aulli grande que le circuit de la Terre, cela fait que le mouuement de la Lune ell encore deux fois aufll vite que celuy de la Terre. Et pource que c'eft la matière du Ciel qui les emporte toutes deux,& qui vray-femblablement fe meut auin vite contre la Terre que vers la Lune, je ne penfe pas qu'il y ait d'autre raifon pourquoy la Lune a plus de vitelfe que la Terre, fmon pource qu'elle eft plus petite.

i52. Pourquoy c'ejl touf -jours vn mefme cojlé, de la Lune qui ejl tourné vers la Terre.

On n'a pas fujet aulîl de trouuer eftrange que ce foit touf-jours à peu près le mefme collé de la Lune qui eft tourné vers la Terre... Car on peut aifement fe perfuader que cela vient de ce que ion autre corté ell quelque peu plus folide, & par confequent doit décrire le plus grand cercle..., fuiuant ce qui a cy-de(fus' efté remarqué tou- chant les Comètes. Et certainement toutes ces inegalitez en forme de montagnes & de valées, que les lunetes d'approche font voir fur celuy de fes coftez qui eft tourné vers nous, monftrent qu'il n'eft pas fi folide que peut ejlrejbn autre cq/lc. Et on peut attribuer la caufe de cette différence à l'aclioi de la lumière, pource | que celuy des 278 coftez de la Lune qui nous regarde, ne reçoit pas feulement la lu- mière qui vient du Soleil, ainfi que l'autre, mais aulîi celle qui luy eft enuoyée par la reflexion de la Terre, au temps des nouuelles Lunes.

a. Voir Correspondance, t. V, p. 173.

b. Planche XII. — Voir Correspondance, t. V, p. 346, 1. 24.

c. Art. 119, i?2, p. 173 et i83.

�� � 279

��198 OEuvRES DE Descartes.

��j53. Pourquoy la Lune va plus vite, & s'écarte moins de fa route, ejiant pleine ou nouuelle, que pendant fon croijfant ou /on decours '.

On ne fe doit pas non plus eftonner de ce que la Lune fe meut vn peu plus vite, & fe dellourne moins de fa route en tout fens, lors qu'elle eft pleine ou nouuelle, c'ell à dire lors qu'elle eft vers B ou vers D, que pendant fon croiffant ou fon decours, c'eft à dire pen- dant qu'elle eft vers A ou vers C. Car la matière du Ciel, qui eft contenue en l'efpace ABCD, eft compofée des parties du fécond i'/c'W(.';;;femblables à celles qui font vers N & vers Z, & par confe- qucnl m peu plus groffes, £■ m peu moins agitées que celles qui font plus has que D rers K, mais, au contraire, plus petites & plus agitées que celles qui font plus haut que B vers L, ce qui fait qu'elles fe méfient plus aifement auec celles qui font vers N & vers Z, qu'auec celles qui font vers K ou vers L, & ainfi que le cercle ABCD n'eft pas exadement rond, ma.\s plus long que large, en forme d'Ellipfe"; & que, la matière du Ciel ^«7/ co«//e«; allant plus lentement entre A & C qu'entre B & D% la Lune qu'elle emporte auec foyj' doit aufft aller plus lentement, & j faire fes excurfions plus grandes", tant en s'éloi|gnant qu'en s'approchant, de la Terre om de l'Eclyptique..,

154. Pourquoy les Planètes qui font autour du Jupiter y tournent fort vite, & qu'il n'en efï pas de mefme de celles qu'on dit efire autour de Saturne.

De plus, on n'admirera point que les deux Planètes qu'on dit eftre auprès de Saturne', ne fe meuuent que fort lentement, ou peut-eftre point du tout, autour de luy ; & au contraire, que les qijatre qui font autour de lupiter, s'y meuuent fort vite, & mefme, que celles qui font plus proches de luy, fe meuuent plus vite que les autres. Car on peut penfer que cette diuerfité eft caufée de ce que lupiter» ainli que le Soleil & la Lune, tourne fur fon eflleu ; & que Saturne, qui efl la plus haute Planète, tient touf-jours vn mefme cofté tourné vers le centre du tourbillon qui la contient, ainfi que la Lune & les Comètes.

a. Planche Xn.

b. Voir Correspondance, t. V, p. 259, 1. 26.

c. Ibid., t. IV, p. 464.

d. Voir art. 141, p. 192.

e. Les anses de l'anneau, qu'on prenait alors pour des satellites.

�� � Principes. — Troisiesme Partie. 199

��i55. Pourqiioy les pôles de l'Equateur font fort éloigne^ de ceux de l'Eclyptique.

On n'admirera point aufli que l'effieu fur lequel la Terre fait fon tour en vn jour, ne foit pas parallèle à celuy de l'Eclyptique fur lequel elle fait fon tour en vn an, & que leur inclination... qui fait la différence de l'efté & de rh3uer, foit de plus de vingt-trois degrez. Car le mouuement annuel de la Terre en l'Eclyptique elt principalement déterminé par le cours de toute la matière celerte qui tourne autour du Soleil, comme il paroilt de ce que toutes les Planètes s'accordent en cela, qu'elles preuttenl leur cours à peu près Juiuant l'Eclfptique. Mais ce | font les endroits du firmament d'où 280 viennent les parties canelées du premier élément, qui font les plus propres àpajfer par les pores delà Terre, lefquelles^ déterminent la fituation de l'effieu fur lequel elle fait fon tour chaque jour, ainfi que ces parties canelées caufent auffi la direâion de l'armant, comme il fera dit cy-apres". Et puifque nous conliderons tout l'efpace dans lequel eft maintenant le premier Ciel, comme ayant autrefois con- tenu quatorze tourbillons, ou plus, aux centres defquels il y auoit des aflres qui font conuertis en Planètes, nous ne pouuons fuppofer que les elfieux fur lefquels femouuoient tous ces allres fuffent tour- nez vers vn mefme cofté, pource que cela ne s'accorderoit pas auec les loix de la nature, ainfi qu'il a e/lé monflré cy-dejj'us'. Mais nous auons raifon de penfer que les pôles du tourbillon qui auoit la Terre en fon centre, regardoient prefque les mefmes endroits du firma- ment, vis à vis defquels font encore à prefent les pôles de la Terre fur lefquels elle fait fo?! tour chaque jour ; & que ce font les parties canelées qui viennent de ces endroits du firmame)it, lefquelles, eflant plus propres à entrer en fes pores que celles qui viennent des autres lieux, la retiennent en cette fituation"^.

i56. Poitrquoy ils s'en approchent peu à peu.

Mais cependant, à caufe que le tour que la ) Terre fait dans 281 TEclj-ptique pendant vne année, & celuy qu'elle fait chaque jour fur fon efjieu, fe feroient plus commodément, l\ l'efTieu de la Terre

a. Lire /i?i.7!(t'/5 (les endroits) ?

b. Partie IV, art. i5o.

c. Art. 65, p. I 3G.

d. Voir Correspondance, t. IV, p. 182, I. 20.

�� � 200 OEuVRES DE DeSCARTES.

&celuy de l'Eclyptique elloient parallèles, les caufes qui empefchent qu'ils ne le foient, fe changent par fucceffion de temps peu à peu ; ce qui fait que l'Equateur s'approche inlenfiblement de l'Eclyptique.

l^j. La caufe générale de toutes les variele:{ qu'on remarque aux mouuemens des ajlres.

Enfin, toutes les diuerfes erreurs des Planètes, lefquelles s'écar- tent touf-jours plus ou moins, eu tout feus, du mouuemeut circulaire auquel elles font principalement déterminées, ne donneront aucun fujet d'admiration, fi on confidere que tous les corps qui font au monde s'entre-touchent, fans qu'il puiffe y auoir rien de vuide, en forte que mefme les plus éloignei agilTent touf-jours quelque peu les vns contre les autres, par l'eutremife de ceux qui font entre-deux, bien que leur effet foit moins grand & moins fenjible,à raifon de ce qu'ils font plus éloignei; & ainfi, que le mouuement particulier de chaque corps ^ej^f eflre continuellement defîourné tant foit peu, en autant de diuerfes façons qu'il y a d'autres diuers corps qui fe meuuent en l'vniuers. le n'adjoufle rien icj- dauantage,pource qu"\\ me femble y auoir rendu raifon de tout ce qu'on obferue dans les Cieux & que 282 nous ne pouuons voir que de loin , mais je | tafcheray cy-apres d'ex- pliquer en mefme façon tout ce qui paroift fur la Terre, en laquelle il j' a beaucoup plus de chofes à remarquer, pource que nous la voyons de plus près.

�� � LES PRINCIPES

��DE

��LA PHILOSOPHIE

��QUATRIESME PARTIE. De la Terre.

��I . Que, pour trouuer les vrayes caujes de ce qui ejl fur la Terre, il faut retenir l'hypothefe def-japrife, nonobfiaiit qu'elle f oit fauffe.

��283

��Bien que je ne vueille point qu'on le perfuade que les corps qui compofent ce monde vifible ayent jamais efté produits en la façon que j'ay décrite, ainfi que j'ay cy-deffus' affez auerti, je fuis neantmoins obligé de retenir encore icy la mefme hypothefe, pour expliquer ce qui efl fur la Terre, afin que, fi je monftre éuidemment, ainfi que j'efpere faire, qu'on peut, par ce moyen, donner des raifous tres-intel- ligibles& certaines de toutes les chofes... qui s'y remarquent, & qu'on ne puiffe faire le lemblable par aucune autre inuention, nous ayons fujet de conclure que, bien que le monde n'ait pas efl é fait au commen- cement en cette façon, & qu'il ait efté immédiatement créé de Dieu, toutes les chofes qu'il \ contient ne laiffent pas d'eftre maintenant de 284 mefme nature, que fi elles auoient eflé ainfi produites.

■j. Quelle a ejlé la génération de la Terre, fuiuant cette hypothefe.

Feignons donc que cette Terre où nous fommes a efté autrefois vn aftre compole de la matière du premier élément toute pure,

a. Partie III, art. 43, p. i23.

IV. ^7.

�� � 202 Œuvres de Descartes.

laquelle occupoit le ceiitt-e d'rn de ces quatorze tourbillons qui ejîoient contenus en l'e/pace que nous nonunons le premier Ciel, en forte qu'elle ne ditTeroit en rien du Soleil, finon qu'elle eiloit... plus petite; mais que les moins fubtiles parties... de fa matière, s'attachant peu à peu les vnes aux Auixcs,, fe font alfemblées fur fa fuperjîcie, & y ont com- pofé des nuages, ou autres corps plus efpais & obfcurs, femblables au.v taches qu'on voit continuellement eftre produites, & peu après dillipées, fur la fuperficie du Soleil; & que, ces corps obfcurs eitant uufll difllpez peu de temps après qu'ils auoient eftc produits, les parties qui en reftoient, & qui, eflant plus greffes que celles des deux premiers elemens, auoient la forme du troifiéme, fe font confuie- ment entaflees autour de cette Terre, & l'enuironnant de toutes parts, ont compofé... vn corps prejque femhlable à l'air... que nous ref- pirons. Puis enfin que, cet air eftant deuenu fort grand £■ efpais, les 285 corps obfcurs qui continuoient à fe former fur la fu|perficie de la Terre..., n'ont pu fi facilement qu'auparauant j- eflre deflruils, de façon qu'ils l'ont peu à peu toute couuerte & offufquée; & mefme que... peut-eftre plufieurs couches de tels corps s'y font entaffées l'vne fur l'autre, ce qui a tellement diminué la force du tourbillon qui la contenoit, qu'il a efté entièrement deflruit, & que la Ferre, auec l'air & les corps obfcurs qui l'enuironnoient, eft defcenduë vers... le ?)0\t\\ jufques à l'endroit oii elle eft à prefent.

3. Sa diuifion en trois diuerfes régions, & la defcription de la première.

Et fi nous la confiderons en l'eftat qu'elle a deu eftre peu de temps auparauant qu'elle foit ainfi defcenduë vers le Soleil, nous y pourrons remarquer trois régions fort diuerfes. Dont la première & plus baffe, qui eft icy marquée / ', femble ne deuoir contenir que de la matière du premier élément, qui s'y meut en mefme façon que celle qui ell dans le Soleil, & qui n'eft point d'autre nature, finon qu'elle n'eft peut-eftre pas du tout û fubtile, à caufe qu'elle ne fe peut purifier, ainfi que fait celle du Soleil, qui rejette continuelle- ment hors de foy la matière de fes taches. Et cette raifon me pourroit perfuader que l'efpace I n'eft maintenant prefque rempli que de la matière du troifiéme élément, que les moins fubtiles parties du premier ont compofée, en s'attachant les nies aux autres, 286 finon qu'il me femble que, fi cela eftoit, la Terre feroit ] f\ folide, qu'elle ne pourroit demeurer i\ proche du Soleil qu'elle fait. Outre

a. En marge : « Voyez la fin (sic!) qui fuit. •■ Planche XIII, figure i.

�� � Principes. — Quairiesme Partie. 20^

qu'on peut imaginer ciiiierfes rai fous qui empefcheiil qu'il ne puiffe y auoir autre cliofe en Vejpace I, que de la plus pure matière du premier clemeiit ; car peut-ejh-e que les parties de celte matière qui font les plus difpofées à s'attacher les vnes aux autres, font empef- citées d'f entrer par le corps de fa" féconde rcaion, & peut-ejîre aujfi que fou mouuement a tant de force, lois qu'elle efl enfermée en cet efpace, que non feulement il empejche qu'aucunes de fes parties ne demeurent /ointes, mais qu'il en dejîache aufji peu à peu quelques vnes du corps qui l'enuironne.

4. Defcription de la féconde.

Car \a féconde ou moyenne région, qui eft icy marquée M, ell remplie d'vn corps fort opaque ou obfcur, & fort folide ou ferré, en forte qu'il ne contient aucuns pores plus grands que ceux qui donnent paiTage aux parties canelées... de la matière du premier élément, d'autant qu'il n'a efté compofé que des parties de cette matière, qui, eftant extrêmement petites, n'ont pu lailfer de plus grands interualles parmy elles, lors qu'elles fe font jointes les vnes aux autres. Et on voit, par expérience, que les taches du Soleil, qui font produites en mefme façon qu'a efté ce corps M, & ne font point d'autre nature que luy, excepté qu'elles font | beaucoup plus minces & moins ferrées, 287 empefchent le palïage de la lumière; ce qui monftre qu'elles n'ont point de pores affez grands pour receuoir les petites parties du fécond élément. Car s'il y auoit en elles de tels pores, ils y feroient fans doute allez droits & vnis pour ne point interrompre la lumière, à caufe qu'ils fe feroient formez en vne matière qui a efté au com- mencement fort molle &fort fluide, £■ n'a que des parties foi-t petites €■ fort faciles à plier.

5. Defcription de la troiftéme.

Or ces deux premières & plus ba£'es régions de la Terre nous im- portent fort peu, d'autant que jamais homme viuant n'ell defcendu jufques à elles. Mais nous aurons beaucoup plus de cliofes à re- marquer en la troifiéme, à caufe que c'efl en elle que fe doiuent produire tous les corps que nous voyons autour de nous. Toutefois // n'j paroifl encore icy autre chofe, finon vn amas confus des petites parties du troifiéme élément, qui ne font point fi eftroitement jointes,

a. Lire la ?

�� � 288

204 OEuVRES DE DeSCARTES.

i]ii'\\ n'y ait beaucoup de la matière diifecotid parmy elles, & pource que nous pourrons connoiftre leur nature en confiderant exactement de quelle façon elles ont efté formées, nous pourrons aujji venir à me parfaite connoiffatiee de tous les coips qui en doiuent ejire compoJe\.

\6. Que les parties du troifiéme élément, qui font en cette troijiéme région, doiuent eJlre affe\ grandes.

Et premiereinenl. puifque ces parties du troifiéme élément font venues du débris des nuages ou taches qui Je formoient autrefois fur la Terre, lors qu'elle ejloit encore femblable au Soleil, chacune d'elles doit eltrc compofce de pluiieurs autres parties beaucoup plus petites, qui apparleuoient au premier élément auant qu'elles fujfent jointes enfeinble, tk doit aulîl ertre ajfe\ folide & affez grande, pour ne pouuoir eflre rompue par les petites boules de la matière du Ciel qui roulent continuellement autour d'elles. Car toutes celles qui ont pu eftre ainfi rompues, n'ont pas retenu la forme du troifiéme élément, mais ont repris celle du premier, ou bien ont acquis celle du fécond.

7. Qu'elles peuuent eflre changées par t'aâion des deux autres elemens.

11 efl vray que, bien que ces parties du troifiéme élément foieni aJfe- grandes & folides pour n'eftre pas entièrement dilTipées par la rencontre de celles du fécond, toutefois elles peuuent touf-jours quelque peu eftre changées par elles, & mefme par fuccejfton de temps entièrement deflruites, à caufe que chacune eft compofée de plu- fieurs, qui ajant eu la forme du premier élément, doiuent eflre fort petites & flexibles.

8. Qu'elles font plus grandes que celles du fécond, mais non pas fi folides

ny tant agitées.

Et pource que ces parties du premier élément qui compofent 289 celles du troifiéme, ont | plufieurs diuerfes figures, elles n'ont pu fe joindre fi juftement l'vne à l'autre, qu'il ne foit demeuré entr'elles beaucoup d'interualles qui font fi eftroits, qu'ils ne peuuent eftre remplis que de la plus fluide & plus fubtile matière de ce premier élément, ce qui fait que les parties du troifiéme qui en font compofees, ne font pas fi mafjiues ou folides, ny capables d'vne fi forte agitation que celles'-du fécond, bien qu'elles foient beaucoup plus greffes. loint que ces parties du fécond élément font rondes, ce qui les rend fort Principes. — Quatriesme Partie. 205

propres à fe mouuoir, au lieu que celles du troifiéme ne peuuent auoir que des figures fort irregulieres & diiierfes, à cauje de la façon dont elles font produites...

g. Comment elles fe font au commencement affemblées.

Et il faut icy remarquer qu'auant que la Terre fuft delcenduë vers le Soleil, bien que ces parties du troifiéme élément, qui eftoient def-ja autour d'elle, fufi'ent entièrement feparées les vnes des autres, elles ne fe répandoient pas toutefois confufément dans toUt le Ciel, mais demeuroient entaffées & appuyées l'vne fur l'autre... e«  la façon qu'elles font icy reprefentées^ . Dont la raifon eft, que les/'ar- //es du fécond élément, ^M/cowjoq/b/e«f 1^?/ tourbillon autour de cette Terre, & qui eftoient plus majjiues qu'elles, les pouffoient continuel- lement vers fon centre..., en faifant effort pour s'en éloigner.

\ 10. Qu'il ejl demeuré plufteurs interualles autour d'elles, 290

que les deux autres elemens ont remplis.

Il faut aufii remarquer qu'encore qu'elles fuffent ainfi appuyées l'vne fur l'autre, toutefois, à caufe de l'inégalité & irrégularité de leurs figures, & qu'elles s'eftoient entaffées fans ordre, à mefure qu'elles auoient ejlé formées, elles ne pouuoient eftre fi preffées ny fi juftement jointes, qu'il n'y euft quantité d'interualles autour d'elles, qui eftoient affez grands pour donner paiîage non feule- ment à la matière du premier élément , mais auffi à celle du fécond.

��I / . Que les parties du fécond élément ef oient alors plus petites, proche de la Terre, qu'vn peu plus haut.

De plus, il faut remarquer qu'entre \qs parties du fécond élément qui fe trouuoient en ces interuailes, celles qui eftoient les plus baffes au regard de la Terre, eftoient quelque peu plus petites que celles qui eftoient plus hautes, pour la mefme raifon qu'il a efté dit cy- deffus\ que celles qui font autour du Soleil font par degrez plus petites, félon qu'elles font plus proches de fa fuperficie, & que toutes ces parties du fécond élément, qui ejloient en la plus haute région de la Terre, n'eftoient point plus greffes que celles qui font

a. Planche XIII, figure i. — Voir Correspondance, t. IV, p. 465.

b. Partie III, art. 85, p. i5o ci-avant.

�� � 206 OEuVRES DE DeSCARTES.

maintenant autour du Soleil au deflbus de la fphere de Mercure, mais que peut-ellre elles elloient plus petites, à caufe que le Soleil eft plus grand que n'a jamais elle la Terre : d'où il fuit qu'elles ertoient aulfi plus petites que celles qui font à prefent en cette mejme 291 région de la Tei-re, pource que celles-|cy, ellant plus éloignées du Soleil que celles qui font au deflbus de la fphere de Mercure, doiuent par conléquent eflre plus grollés.

12. Que les cfpaeespar ou elles pajjoieiit entre les parties de la troijiéme région ejloient plus eftroils.

Il faut encor icy remarquer, qu'à nw/nre que les parties ter- re/Ires de cette plus haute région ont e/té produites, elles Je foui tel- lement entaj/ees, que les interualles qui font demeurez parmy elles, ne fe font ajuitez qu'à la grandeur de ces plus petites parties du fécond élément : ce qui a fait que, lors que d'autres plus greffes leur ont fuccedé, elles n'y ont pas trouué le palfage entièrement libre.

i3. Que les plus groffes parties de cette troijiéme région n' ejloient pas touj'-jours les plus baJJ'es.

Enfin, il faut remarquer qu'il eft fouuent arriué pour lors, que quelques-vnes des plus greffes & plus folides de ces parties du troi- fiéme élément, fe tenoient au delfus de quelques autres qui eltoient moindres..., pource que, n'ayant qu'vn mouuement vniforme autour de l'effieu de la Terre, & s'arreffant facilement l'vne à l'autre, à caufe de l'irrégularité de leurs figures : encore que cha- cune fuft pouffée vers le centre de la Terre, par les parties du fécond élément, d'autant plus fort qu'elle effoit plus groffe & plus Iblide, elle ne pouuoit pas touf-jours le dégager de celles qui l'efloient moins, afin de defcendre plus bas, & ainfi elles retenoient à peu près le mefme ordre félon lequel elles auoient effé formées ; en forte que 292 celles qui \ venaient des taches qui Je dijfipoient les dernières, ejloient les plus baffes.

i4^ Qu'il s'eji par après formé en elle diuers corps.

Or quand la Terre..., ainfi compofée de trois diuerfes régions, efl delcenduë vers le Soleil..., cela n'a pu caufer grand changement aux deux plus baffes, mais û bien en la plus haute, laquelle a deu, pre- mièrement, le partager en deux diuers corps, puis en trois, & après en quatre, & en fuitte en plulieurs autres.

�� � /J>.

��Principes. — Quatriesme Partie. 207

��Quelles font les principales aâ ions par le/quelles ces corps ont ejlé produits. Et l'explication de la première.

��Et je tafcheray d'expliquer icy en quelle forte tous ces corps ont dcu eltre produits ; mais il elt befoin que je die auparauant quelque chofe de trois ou quatre des principales actions qui ont contribué à cette production. La première confifte au mouuenient des petites parties delà matière du Ciel, confideré en gênerai. La féconde, en ce qu'on nomme la pefanteur. La troifiéme, en la lumière. Et la quatrième, en la chaleur. Par le mouuement des petites parties delà matière du Ciel en gênerai, j'entens leur agitation continuelle, qui elt fi grande, que non feulement elle fuffit à leur faire faire vn grand tour chaque année autour du Soleil, & vn autre chaque jour autour de la Terre, mais auffi à les mouuoir cependant en plufieurs autres façons. Et pource que, lors qu'elles ont pris leur cours vers quelque colté, elles le continuent touf-jours autant qu'il fe peut en ligne droite..., de là | vient qu'ellant méfiées parmy les parties 293 du troifiéme élément, qui compolent tous les corps de cette plus haute région de la Terre, elles produifent plufieurs diuers eflets, dont je remarqueray icy trois des principaux.

16. Le premier effet de cette première aâion, qui ejl de rendre les corps tranfparens.

Le premier eft qu'elle rend tranfparens tous les corps... liquides qui font compofez des parties du troifiéme élément, qui font [\ petites & en fuiltefi peu prejfées, que celles du fécond peuuent palier datons coltez autour d'elles. Car, en palfant ainfi entre les parties de ces corps, &, ayant la force de leur faire changer de fituation, elles ne manquent pas de s'y faire des pafi'ages qui luiucnt en tous fens des lignes droites, ou du moins des lignes qui font auiïi propres à tranfmettre l'action de la lumière que les droites, 6 ainfi de rendre ces corps tranfparens. Auffi nous voyons, par expé- rience, qu'il n'y a aucune liqueur fur la Terre, qui foit pure & com- pofée de parties allez petites, laquelle ne foit tranfparente. Car pour ce qui elt de l'argent vif, les parties font fi grofi'es que, Je pref- faiit trop fort l'vne l'autre, elles ne permettent pas à la matière du fécond élément de palier de tous coltez autour d'elles, mais feule- ment à celle du premier. Et pour ce qui elt de l'ancre, du lait, du fang, ou autres femblables liqueurs qui ne font pas pures £■ funples, il y a en elles | des parties fort irrojfes, dont chacune coiupofe un 294

�� � 208 OEuVRES DE DeSCARTES.

corps à part, aiiifi que fait chaque grain de fable ou de poujfiere, ce 'qui les empejche d'ejire tranfparcHles. Et on peut remarquer, tou- chant les corps durs, que tous ceux là font tranfparens, qui ont efté faits de quelques liqueurs tranfparentes, dont les parties fe font arre/lées peu à peu l'vue contre l'autre, i'ans qu'il fe fait rien mejlé parnij- elles qui ait changé leur ordre...; mais, au contraire, que tous ceu.\-là font opaques ou ubfcurs, dont les parties ont efté jointes... par quelque force étrangère qui n'obeïlToit pas au mouue- ment de la matière du Ciel... Car encore qu'il ne laifie pas d'y auoir auiïi en ces corps plufieurs pores, par où \cs parties du fécond élé- ment peuuent palfer..., toutefois, à eau fe que ces pores font bou- chez ou interrompus en plufieurs lieux, ils ne peuuent tranfmettre l'action de la lumière...

ij. Comment les corps durs & folides peuuent ejire tranfparens.

Mais afin d'entendre comment il eft poiïible qu'vn corps/or/ dur C-Jolide, par exemple, du verre ou du crijlal, ait en Iby aflez de pores pour donner partage, /«»/ii7// des lignes droites, en tous fens,à la matière du Ciel, & ainji auoir ce que j'aj- dit e^/lre requis en r«  corps pour le rendre tranfparent : on peut confiderer plufieurs pommes ou boules affez grolfes &• polies, qui foient enfermées dans 295 vn reth, & tellement | preffées, ...qu'elles compofent toutes en- fcmble vn corps dur. Car fur quelque colté que ce corps puilTe elhe tourné, fi on jette delfus des dragées de plomb, ou d'autres boules a(J'e:[ petites pour paffer entre ces plus groffes ainJi prejjees, on les verra couler tout droit en bas au trauers de ce corps, par la force de leur pefanteur; £■ mefnie,fi on accumule tant de ces dragées fur^ce corps dur, que tous les pajjages oii elles peuuent entrer en foient remplis, au melnie injlant que les plus hautes prejjeront celtes qui feront fnis elles, celte aclion de leur pefanteur pajfcra en ligne droite jufqucs aux plus baffes, &.ainfi on aura l'image d'vn corps /'or/ dur, fort folide, & auec cela/o;V tranfparent, à caufe qu'il n'eft pas befoin que \ts parties du fécond élément ayent... des palfages plus droits..., pour transférer Vaclion de la lumière, que font ceux par où def- cendent ces dragées entre ces pommes.

/."*■. Le fécond effet de la première action, qui eji de purifier les liqueurs C les diuifer. en diuers corps.

Le fécond ellct que produit l'agilalion de la matière fubtile dans les corps terreikc?. principalement dans ceux qui font liquides, elt

�� � 298

��Principes. — Quatriesme Partie. 209

que, lors qu'il y a de deux ou plufieurs fortes de parties en ces corps, confulement méfiées enfemble, ou bien elle les fepare & en fait deux ou piulieurs corps differens, ou bien elle les ajurte les vnes aux autres, & les diftribuë également en ions les eudfoits de ce corps, £■ ainfi le pn\rife, & fait que chacune de fes gouttes deuient entièrement femblable aux autres. Dont la raifon eft que, fe gliflant de tous cofiez entre ces parties terreftres qui font inégales, elle pouffe continuellement celles qui, à caufe de leur gi^offeur, ou de leur figure, ou de leur fituation, fe trouuent plus auancées que les autres dans les chemins par oîi elle pafj'e, jufques à ce qu'elle ait tel- lement changé leur fituation, c\W elles foient également répandues par tous les endroits de ce corps, & Çx bien ajuftées auec les autres, qu'elles n'empelchent plus fes mouuemens ; ou bien, fi elles ne peuuent efire ainfi ajufiées, elle les fepare entièrement de ces autres, & en fait vn corps différent du leur. Ainfi il y a plufieurs impuretez dans le vin nouueau, 17/// en font feparées par cette action delà ma- tière fubtile : car elles ne vont pas feulement au delfus ou au deffous du vin, ce qu'on pourroit attribuer à leur légèreté ou pefanteur ; mais il y en a aufil qui s'attachent aux coftez du tonneau. Et bien que ce vin demeure encore compofé de plufieurs parties de diuerfes grojjeurs & figures, elles r font tellement agencées, après qu'il eft clarifié ji7ar l'adion de cette matière fubtile, que celuy qui eft au haut du tonneau, n'eft pas différent de celuy qui eft au milieu, ou vers le bas au deffus de la lie. Et on voit ] arriuer le femblable en quantité 297 d'autres liqueurs...

in. Le iroifiéme effet, qui efl d'arondir les gouttes de ces liqueurs.

Le troifiéme effet de cette matière celefte eft qu'elle fait deuenir rondes les gouttes de toutes les liqueurs, lors qu'elles font entière- ment enuironnées d'air ou d'vne autre liqueur, dont la nature eft /;■ différente de la leur, qu'elles nefe méfient point auec elle, ainfi que j'ay def-ja expliqué dans les Météores \ Car, d'autant que cette ma- tière fubtile trouue des pores autrement difpofez en vne goutte éi:eau, par exemple, que dans l'air qui l'enuironne, & qu'elle tend touf-jours à fe mouuoir fuiuant des lignes droites, ou le moins différentes de la droite qu'il eft poffible, il eft éuident que la fuper- ficie de cette eau empeiche moins, non feulement les parties de la matière fubtile qui efi en fes pores, mais auffi\es parties de celle qui

a. Discours V, p. 280 de cette édition.

Œuvres. IV. 58

�� � 2IO OEUVRES DE DeSCARTES.

eft en l'air qui l'enuiroiine, de continuer ainfi leur mouuement fui- uant des lignes les plus droites qu'elles peuuent ei\rc, fans pcijjer d'rii corps en l autre, lors que cette fuperjîcie eft toute ronde, que fi elle auoit quelque autre figure; & que, lors qu'elle ne l'eft pas, les mouuemens de la matière Jubtile, qui eft en l'air d'alentour, font plus de/iotirnei par les parties de fa fuperficie qui font les plus éloi- gnées du centre que par les autres, ce qui eft cauje ç/z/ 'elle les pouffe 298 Idauantage vers ce centre; & au contraire, les mouuemens de celle qui eft dans la goutte d'eau, font plus de/tourne^ par les parties de fa fuperficie qui font les plus proches du centre, ce qui efl caufe qu'elle fait effort pour les en éloigner. Et ainfi la matière fublile qui eft au dedaîis de cette goutte, aujji bien que celle qui efl au dehors, contri- bue à/aire que toutes les parties de fa fuperficie foient également disantes de fon centre, c'efi à dire, à la rendre ronde ou fpherique. Pour mieux entendre cecj, on doit remarquer que l'angle que fait vne ligne droite auec vne ligne courbe qu'elle touche, eft plus petit qu'aucun angle qui puilTe eftre fait par deux lignes droites, & que de toutes les lignes courbes il n'y a que la circulaire, en toutes les parties de laquelle cet angle d'attouchement foit égal ; d'où il fuit que les mouuemens qui font empefche- d'eftre d)'oits par quelque caufe qui les deftourne également en toutes leurs parties, doiuent ejlre circulaires, lors qu'ils fe font en jnie feule ligne, & fpheriques, lors qu'ils fe font j'ers tous les co/le- de quelque fuperficie.

L'explication de la féconde aâion, en laquelle confijîe la pefanteur.

La féconde aclion dont J'aj- entrepris icr de parler, eft celle qui rend les corps pefans, laquelle a beaucoup de rapport auec celle qui fait que les gouttes d'eau deuiennent rondes. Car c'eft la niefuie 299 maliei-e fubtile, qui, par cela | feul qu'elle fe meut indifféremment de tous coftez autour d'vne goutte d'eau, pouffe également toutes les parties de fa fuperficie vers fon centre..., & qui, par cela feul qu'elle fe meut autour de la Terre..., poulie aufti vers elle tous les corps qu'on nomme pefans, Icfquelsen font des parties...

■j r. Que chaque partie de la Terre, ejïant confiderée toute feule, eji plujîoji légère que pej'anle.

Mais afin d'entendre plus parfaitement en quor confifte la nature de cette pefanteur, il faut remarquer que, fi tout l'efpace qui eft au- tour de la Terre, & n'eft point remply ^av aucutie de fes parties, eWon

��20.

�� � Principes, — Quatriesme Partie. 2 1 1

vuide, c'ert à dire s'il n'clloit rempl}' que d'vn corps qui ne pufl aider ny empefcher les mouuemens des autres corps (car c'ert ce qu'on doit proprement entendre par le nom de vuide), & que cepen- dant elle ne laiffalt pas de tourner... en vingt-quatre heures fur fon effieu, aiu/i qu'elle fait à prefent, toutes celles de fes parties qui ne feroient point fort eftroitement jointes à clic, s'en fepareroient & s'écarteroient de tous collez vers le ciel, en mcfme façon que la poufllere qu'on jette fur vne pirouette, pendant qu'elle tourne, n'y peut demeurer , mais e(l rejettée par elle vers l'air de tous colfez. Et fi cela eltoit, /o«s les corps terrejlres pourraient qÛvc appeliez légers pluflofl que pefans.

22. En quoy confijîe la légèreté de la matière du Ciel.

Mais à caufe qu'il n'y a point de vuide au|tour de la Terre, &. 300 qu'elle n'a pas de foy mefme la force qui fait qu'elle tourne' en vingt- quatre heures fur foh cjjleu, mais qu'elle eft emportée par le cours de la matière du Ciel qui l'enuironne & qui pénètre par tout en les pores, on la doit confiderer comme vn corps qui n'a aucun mouue- ment, & penfer auffi que la matière du Ciel tiq ferait ny légère ny pelante à fon regard, fi elle n'auoit point d'autre agitation que celle qui la fait tourner en vingt-quatre heures auec la Terre; mais que, d'autant qu'elle en a beaucoup plus qu'il ne luy en faut pour cet effet, elle eniploj-e ce qu'elle a déplus, tant à tourner plus vile que la Terre en mefme Jens, qu'à faire diuers autres mouuemens de tous coflej, lefquels ne pouuant eltre continuez en lignesT? droites qu'ils fcroienl, û la Terre ne le rencontroit point en leur chemin, )ion feulement ils font effort pour la rendre ronde ou fpherique, ainfi qu'il a efîé dit des gouttes d'eau; mais aujji cette matière du Ciel a plus de- force à s'é- loigner du centre, autour duquel elle tourne, que n'ont aucunes des parties de la Terre, ce qui fait qu'elle eft légère à leur égard.

23. Que c'eji la légèreté de cette matière du Ciel, qui rend les corps

terrejîres pefans.

Et il faut remarquer que la force dont la matière du Ciel tend à s'éloigner du centre de la Terre, ne peut auoir fon effet, fi ce n'eit que I celles de fes parties qui s'en éloignent montent en la place de quelques parties terreftres qui defcendent au mefme temps en la leur.

a. Voir Correspondance, t. V, p. 388.

b. Art. 19, p. 209-210 ci-avant.

��301

�� � 302

��212 OEuVRES DE DeSCARTES.

Car, d'autant qu'il n'y a aucun efpace autour de la Terre qui ne foit remply de fa matière ou bien de celle du Ciel, & que toutes les parties du fécond élément qui compofent celle du Ciel ont pareille force..., elles ne fe chaffent point l'vne l'autre hors de leurs places; mais pource que la mefme force n'eft pas en la Terre % lors qu'il fe trouue quelqii'vne de fes parties plus éloignée de fou centre que ne font des parties du Ciel qui peuuent monter en fa place, il efl certain qu'elles y doiuent monter, & par confequent la faire defcendre en la leur. Ainfi chacun des corps qu'on nomme pefans, n'eft pas pouffé rers le centre de la Terre par toute la matière du Ciel qui l'enui- ronne, mais feulement par les parties de cette matière qui montent en fa place lors qu'il defcend, & qui par confequent font toutes en- femble juftement auffi greffes que luy. Par exemple, fi B'^' eft vn corps terreftre dont les parties... toitm plus ferrées que celles de l'air qui l'enuironne, en forte que fes pores... contiennent moins de la ma- tière du Ciel que ceux de la portion de cet air qui doit monter en fa place en cas qu'il defcende, il eft éuident que... ce qu'il y a de plus de la matière du | Ciel en cette portion d'air qu'en ce corps B, tendant à s'éloigner du centre de la Terre, a la force de faire qu'il s'en approche, £■ ainfi de luj donner la qualité qu'on nomme fa pefanteur.

24. De combien les corps font plus pefans les vns que les autres.

Mais afin de pouuoir exactement calculer combien efl grande cette pefanteur, il faut confiderer qu'il y a quelque quantité de matière celefte dans les pores de ce corps B, laquelle, ayant autant de force qu'vne pareille quantité de celle qui eft dans les pores de la portion d'air qui doit monter en fa place, fait qu'il n'y a que le furplus qui doiue eflre conté; & que tout de mefme il y a quelque quantité de la matière du troijiéme élément en cette portion d'air, laquelle doit eftre rabatuë auec vue égale quantité de celle qui compofe le corps B... Si bien que... toute la pefanteur de ce corps confifle en ce que le refte de la matière /«è///(?, qui eft en cette portion d'air, a plus de force à s'éloigner du centre de la Terre, que le refte de la matière terreftre qui le compofe...

a. Voir Correspondance, t. V, p. 17?.

b. En marge : « Voyez la fin [sic !} qui suit. » — Cf. p. 202, note a. Il s"agit encore ici de la Planche XIII, figure i.

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 21

��25. Que leur pefanteur n'a pas touf-jours me/me rapport aiiec leur matière.

Et afin de ne rien oublier, il faut prendre garde que, par la ma- tière celefte ou fubtile, je n'entends pas feulement celle du fécond élément, mais aufll ce qu'il y a du premier meflé entre fes parties; & mefme, outre cela, qu'on y doit comprendre eu quelque façon les parties du troijiéme qui font emportées par le | cours de cette ma- 303 tiere du Ciel plus vite que toute la maffe de la Terre; & toutes celles qui compofent l'air font de ce nombre. Il faut auffi prendre garde que ce qu'il y a du premier élément, en ce que Je comprens fous le nom de vialiere fubtile... , a plus de force à s'éloigner du centre de la Terre, que pareille quantité du fécond, à caufe qu'elle fe meut plus vite; & pour mefme raifon, que le fécond élément a plus de force que pareille quantité des parties du troifiéme qui compofent l'air... Ce qui eft caufe que la pefanteur feule ne futïit pas pour faire con- noiftre combien il y a de matière terreftre en chaque corps. Et il fe peut faire que, bien que, par exemple, vne maffe d'or foit vingt fois plus pefante qu'vne quantité d'eau de mefme groffeur, elle ne con- tienne pas neantmoins vingt fois plus de matière..., mais quatre ou cinq fois feulement, pource qu'il en faut autant fouftraire de l'eau que de l'or, à caufe de l'air dans lequel on les pefe; puis auiïi, pource que les parties terreftres de l'eau, & généralement de toutes les liqueurs, ainfi qu'il a ejîé dit de celles de l'air, ont quelque mou- uement qui, s' accordant auec ceux de la matière fubtile, empefche qu'elles ne foient fi pefantesque celles des corps durs.

26. Pourquoy les corps pefans n'agijjent point, lors qu'ils ne font qu'entre leurs femblables.

11 faut auffife fouuenir quetous les mouuelmens font circulaires..., 304 au fens qui a efté cy-deffus expliqué'; d'où il fuit qu'vn corps ne peut eftre porté en bas par la force de fa pefanteur, fi au mefme infiant vn autre corps, qui occupe autant d'efpace & foit toutefois moins pefant, ne monte en haut. Et cela efl caufe que les plus hautes parties de l'eau, ou d'vne autre liqueur, qui eft contenue en vn vafe, tant grand & tant profond qu'il puiffe eftre, n'agiffent point

a. Dans le présent article.

b. Voir Correspondance, t. V, p. 388.

c. Partie II, art. 33, p. 8i.

�� � 305

��2 14 OEuvREs DE Descartes.

contre les plus balies, & mefme que chaque endroit du fonds de ce vafe n'eft prelfé que par autant de parties de cette liqueur, qu'il y en a qui font direclevient pofées fur luy. Par exemple ', en la cime ABC, la goutte d'eau inarquéc i n'ell point pouliéc par les autres 2, 3, 4, qui font au delfus, pource que, fi cellcs-cy defcendoient, il ne pourroit y auoir que d'autres gouttes d'eau, telles que 5, 6, 7, qui montalfent en leur place; & pource que celles-cy ne font pas moins pelantes, elles les retiennent en balance, au inoren de qiioy elles les empefchent de Je poujfer ii'iie l'auii-e. Et toutes les gouttes d'eau qui font en la ligne dfoile 1234, preffent la partie du fonds de la ciiue qui ejl marquée B, pource que, fi... B defcendoit, toutes ces gouttes pourroient audi defcendrc au mefme inllant, & faire monter en leur place, par le dehors de la cuue, les parties d'air S, 9, oufeni- blables, qui font plus légères. | Mais cette partie B n'ell prellec que par le petit cylindre d'eau 1 2 3 4..., dont elle ejl la bafe, pource qu'en cas qu'elle commence à defcendrc, il ne peut y auoir que l'eau de ce cylindre i 2 3 4 [ou vne autre pareille quantité) qui la fuiue au mefme inftant. Et la confideration de cecy peut feruir à rendre lailon de plujieurs particularitez qu'on remarque touchant les effets de la pefanteur..., & qui femblent fort admirables à ceux qui n'en fçauent pas les l'raj-es caujes.

2~. Pourquoy c'efî vers le centre de la lierre qu'ils tendent.

Au rerte, il faut remarquer qu'encore que les parties... du Ciel fe meuuent en plufieurs diuerfes façons à mefme temps, elles s'ac- cordent neantmoins à fe balancer & s'oppofer l'vne à l'autre, en telle forte qu'elles eftendent également leur adion vers tous les collez oii elles peuuent l'e/îendre; & ainfi que, de cela feul que la malle de la Terre, par fa dureté, répugne à leurs mouuemens, elles tendent à s'éloigner également de tous collez de l'on voifinage, fuiuant des lignes droites tirées de l'on centre, fi ce n'eft qu'il y ait des caufes particulières'... qui rnettent en cela quelque dmerfité. Et je peux bien conccuoir deux ou trois telles caufes ; mais je n'ay encore fceu faire aucune expérience qui m'alfure fi leurs effets font fenfibles ou non.

a. Planche XIII, figure 2.

b. Voir Correspondance, t. V, p. 174.

c. Ibid., p 388.

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 2 i ^

��2(?. De la troifiéme aâion, qui ejl la lumière : comment elle agite les parties de l'air.

Quant à la lumière, qui e/î la troifiéme aâion que nous auons icj à confiderer..., )e | penfe auoir def-ja cy-deffus' affez expliqué fa na- 306 turc; il refte feulement à remarquer que..., bien que tous fes rayons viennent en mefme façon du Soleil, & ne facent autre choie que preffer en ligne droite les corps qu'ils rencontrent, ils caufent neant- moins diuers mouuemens dans, les parties du troifiéme élément, dont la plus haute région de la Terre eft com^oiét..., pour ce que ces parties, eftant vieuës aujjî par d'autres caufes, ne Je prefentent pas touf-jours à eux de mefme forte. Par exemple, fi AB" ell vne de ces parties du troifiéme élément..., appuyée fur vne autre marquée C, & qui en a plufieurs autres, comme D, E, F, au-dejfus d'elle, il ejl aifé à entendre que les rayons du Soleil qui l'iennent de GG, peuuent main- tenant eftre moins empefchez, par l'interpofition de ces autres, de preffer celle de fes extremitez qui ejl marquée A, que de preffer celle qui ejl marquée B, de façon qu'ils la doiuent faire baiffer dauan- tage...;& qu'incontinent après, ces parties D, E, Echangeant de fitua- tion, à caufe qu'elles font meuës par la matière du Ciel qui coule autour d'elles, il arriuera qu'elles empefcheront moins les rayons du Soleil de preffer B que A, ce qui doit donner à cette partie terrejtre A B vu mouuement tout contraire au précèdent. Et il en eft de mefme de toutes les autres...; ce | qui fait qu'elles font continuellement 307 agitées çà & là par la lumière du Soleil.

2g. Explication de la quatrième aâion, qui ejî la chaleur; & pourquoy elle demeure après la lumière qui l'a produite.

Or c'eft vne telle agitation des petites parties des corps terrellres, qu'on nomme en eux la chaleur (foit qu'elle ait efté excitée par la lumière du Soleil, foit par quelque autre caufe), principalement lors qu'elle eft plus grande que de couftume, & qu'elle peut mouuoir affez fort les nerfs de nos mains pour eftre fentie; car cette dénomi- nation de chaleur fe rapporte au fens de l'attouchement. Et on peut icy remarquer la raifon pourquoy la chaleur, qui a efté produite par la lumière, demeure par après dans les corps terrejlres, encore que cette lumière foit abfente, jufques à ce que quelque autre caufe l'en

a. Partie III, art. 55 et suiv., p. i3o.

b. Planche XIII, figure 3.

�� � 308

��2l6 OEuVRES DF DeSCARTKS.

o/?e; car elle ne conlllte qu'au mouucment des petites parties de ces corps, «Se ce mouuciTieiit citant vne fois excité en elles, y doit demeurer, l'uiuant les luix de la nature", iu/qucs à ce qu'il puiljl' ejlrii Iransfcvc a d'autres C(}rps.

3o. Comment elle pendre iVu/ts les eorps qui ne font point tranfparens.

On doit aulfi remarquer que les parties lerreflres qui font ainfi agitées par la lumière du Soleil, en aj^itent d'autres qui font/o;/5 elles..., &. que ce!les-cy en agitent encore d'autres qui foui plus bas, & ainfi de iuite; en forte que, bien que les rayons du Soleil ne paffent point plus auant que jufques à la première fuperficiQ des corps terrejlres qui /ont opaques ou obfcurs, toute|fois à caufe qu'il y a touf-jours toute vne moitié de la Terre qui efl échauffée par le Soleil en mefme temps..., fa chaleur paruient jufques aux plus baffes parties du troifiéme élément, qui compofent fa féconde ou moyenne région.

��3i . Pourquoy elle a coujlume de dilater les corps oit elle eji, & pourquoy elle en condenfe auffi quelques-vns.

Enfin on doit remarquer que cette agitation des petites parties des corps terreftres eft ordinairement caufe qu'elles occupent plus d'efpace que lors qu'elles font en repos, ou bien qu'elles font moins agitées. Dont la raifon ell, qu'ayant des figures irregu- lieres..., elles peuuent cAre inieux agencées l'vne contre l'autre, lors qu'elles retiennent touf-jours vne mefme fituation, que lors que leur mouuement la fait changer. F^t de là vient que la chaleur raréfie prefque tous les corps terreflres, les vns toutefois plus que les autres, félon la diuerfiic des tigures &: des arrcngemens de leurs parties'. En forte qu'il v en a aufji quelques-vns qu'elle condenfe, pource que leurs parties s'arrengent mieu.x, & s'approchent dauan- tage l'7'nede l'autre, e/lant agitées, que ne l'ejlant pas,ainfi qu'il a ejle dit de la glace & de la neige, dans les Météores'.

a. Partie 11, ait. .^7. p. 84.

b. Note MS. en marge : « Addition ->, et d'une autre main (celle de Legrand) : .< Ces paroles jusques a la fin de l'art, ne se trouuent point dans » le latin, et ont été ajoutées par M' Desc. luy même en rénovant son » ouurage, ainsy qu'il a fait en une infinité d'autres endroits. »

c. Discours VI. p. 292 de cette édition.

�� � 309

��Principes. — Quatriesme Partie. 217

��32. Comment la troiftéme région de la Terre a commencé à Je diuifer en deux diuers corps.

Apres auoir remarqué les diuerfes actions qui peuueut caujer quelques changemeus en l'ordre des petites parties de la Terre, fi nous confiderons derechef cette Terre-, comme eftant tout nouuel- lement defcenduë vers le Soleil, & | a)'ant fa plus haute région compofée de parties du troifiéme élément qui fout entajfées l'vne fur l'autre, fans eftre fort ertroitement liées ou jointes enfemble; en forte qu'il y a parmy elles beaucoup de petits efpaces qui font rem- plis de parties du fécond élément vn peu plus petites que celles qui compofent, non feulement les endroits du Ciel par où elle paffe en defcendant, ma\s auffi celuy où elle s'arrefte autour du Soleil : il nous fera aifé de juger que ces petites parties du fécond élément doiuent quitter leurs places à ces plus groffes..., & que celles-cy, entrant auec impetuofité en ces places, qui font vn peu trop ejlroites pour les receuoir, pouffent les parties terre/Ires qu'elles rencontrent en leur chemin, les faifant par ce moyen defcendre au-deffous des autres ; & que ce font principalement les plus groffes qu'elles font ainfi defcendre, pource que la pefanteur de ces plus groffes leur ayde à cet effet, & que ce font celles qui empefchenl le plus leurs mouuemens; & d'autant que ces parties terreftres ainfi pouffées au-deffous des autres ont des figures fort irregulieres & diuerfes, elles fe prejfent, s'accrochent, & fe joignent bien plus eflroitement que celles qui demeurent plus haut, ce qui efl caufe qu elles interrompent aufli le cours de la matière du Ciel qui les poujfe. Et ainfi la plus haute région | de la Terre ayant efié auparauant comme elle eft reprefentée 310 vers A% eft par après diuifée en deux corps fort differens, tels que fontB&. C, dont le plus haut B eft rare, liquide & tranfparent, & l'autre, à fçauoir C, eft, à comparaijon de luj, fort folide, dur & opaque.

33. Qu'il y a trois diuers genres de parties terreftres.

On pourra facilement auffi juger qu'il s'eft deu encore former vn troifiéme corps entre B & C.., pourvu qu'on conftdere que, bien que les parties du troifiéme élément qui compofent celte plus haute région delà Terre, ayent vue infinité dt figures fort irregulieres &

a. Planche XIV, partie de gauche.

Œuvres. IV. 59

�� � 2i8 OEuvRES DE Descartes.

diuerfes, ainfi qu'il a efté dit CN'-deffus", elles fe reduifent toutefois à trois genres principaux. Dont le/rew/Vr comprend toutes celles qui ont desjîgut-es fort empefchantes..., & dont les extremitez s'eilendent diuerfement çà & la, ainfi que des branches d'arbres ou chofes femblables ; & ce font principalement les plus grojfes de celles qui appartiennent à ce genre, qui, ayant efté poulfées en bas par raclion de la matière du Ciel, le font accrochées les vnes aux autres & ont compofé le corps C. Le fécond genre contient toutes celles qui ont quelque figure qui les rend plus maffiues & folides que les précé- dentes ; & il n'eft point befoin pour cela qu'elles foient parfaitement rondes ou quarrées, mais elles peuuent auoir toutes les diuerfes 311 filgures qu'ont des pierres qui n'ont jamais efté taillées. Et les plus grolfes de ce genre ont deu fe joindre au corps C, à caufe de leur pe- fanteur; mais les plus petites font demeurées vers B, entre les inter- ualles de celles du premier genre. Le troifémecd de celles qui.eftant longues & menues ainfi que des joncs ou des baftons, ne font point embarajfantes comme les premières, ny mafjiues comme les fecor.des ; & elles fe méfient, auffi bien que ces fécondes, dans les corps B & C, mais pource ^«'elles ne s'y attachent point, elles en peuuent uifé- ment efire tirées.

34. Commeni il s'ejl formé vn troifiéme corps entre les deux precedens'.

En fuitte de quoy il eft railonnable de croire que, lors que les par- ties du premier genre, dont le corps C eft compofé, ont commencé à fe joindre, plufieurs de celles du troijiéme ont efté méfiées parm}' elles ; mais que, lors que Vacîion de la matière du Ciel les a par après dauantage preffées, ces parties du troifiéme genre font forlies du corps C, & fe font affemblées au delfu's vers D, où elles ont com- pofé vn corps fort différent des deux precedens B & C. En mefme façon que, lors qu'on marche fur la terre d'vn mareft, la j'eule force dont on la prefe auec les pieds, fuffit pour faire qu'il forte de l'eau de fes pores, & que toutes les parties de cette eau s'afemblent en vn corps qui couure fa fuperficie. Il eft aujji fort raijonnable de 3i2 croire que, \ pendant que ces parties du troifiéme genre font montées de C vers D, il en eft defcendu d'autres de B, tant de ce mefme genre que du fécond, lefquelles ont augmenté ces deux corps... C &D.

a. Art. 8, p. 204.

b. Voir Correspondance, t. V, p. 174.

c. Planche XIV, partie inférieure à droite.

�� � Principes. ■ — Quatriesme Partie. 219

��35. Que ce corps ne sejl compofé que d'vn feul genre de parties '.

Or encore qu'il y ait eu au commencement j3////«/rs parties du fécond genre, auffi bien que de celles du troijte'me. . . , méfiées auec celles du premier, qui compofoieuf le corps C, il eft toutefois à remarquer que ces parties du fécond genre n'ont pu fortir fi facilement de ce corps, lors qu'il a ejîé dauantage prejfé, que celles du troijiéme; ou bien, fi quelques Ynes"" en font /orties, qu'elles y font rentrées par après plus facilement : pource que celles du troijiéme genre..., ayant plus de fuperficie à raifon de la quantité de leur matière, ont efté plus aifément chaffées hors de ce corps C par la matière du Ciel qui coule en fes pores ; &... à caufe qu'elles font longues, elles fe font couchées de trauers fur fa fuperficie, après ejlre forties de fes pores; de façon qu'elles n'ont pu y rentrer..., comme ont fait celles dufecond.

36. Que toutes les parties de ce genre Je font réduites à deux efpeces" .

Ainfi plufieurs parties... du troifiéme genre fe font affemblées vers D, & bien qu'elles n'ayent peut-eftre pas efl:é d'abord toutes égales, ny entièrement femblables, elles ont toutefois eu cela de commun, qu'elles n'ont pu s'attacher | les vnes aux autres, ny à aucuns autres corps, & qu'elles ont fuiuy le cours de la matière du Ciel qui couloit autour d'elles ; car c'eft cela qui a efté caufe qu'... elles fe font affemblées vers D. Et pource que la matière du Ciel qui eft là parmy elles, n'a ceffé de les agiter, & de faire qu'elle s'entre- fuiuent & fuccedent à la place l'vne de l'autre, elles ont deu, par fucceffion de temps, deuenir fort vnies & gliffantes, & à peu près d'égale groffeur, afin de pouuoir remplir les mefmes places ; en forte qu'elles fe font toutes réduites à deux cfpeces. A fçauoir ce//e5 ^«i efioient au commencement les plus grojjes , font detneurées toutes droites {ans fe plier; & les autres, qui eftoient affez petites pour eftre pliées par l'agitation de la matière du Ciel, fe font entortillées autour de ces plus groffes, & fe font meuës conjointement auec elles. Or ces deux efpeces de parties, dont les vnes font pliantes & les autres ne le font pas, ont pu continuer plus aifément à fe mou- uoir, eftant ainfi méfiées enfemble, qu'elles n'auroient pu faire

a. Ce troisième corps répond à l'eau.

b. « Quelques vnes >>, corrigé à l'errata. Texte imprimé : « quelqu'vnes ».

c. A savoir les parties proprement aqueuses et les parties salines.

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��2 20 OEuvRES DE Descartes.

eftant réparées ; ce qui elt caufe qu'elles ne fe font point réduites à me feule efpece. Et bien qu'au coinnienceinent il y en ail eu de plus & de moins flexibles ou inflexibles par degre:{, toutesfois, pource que celles qui ont pu d'abord eftre pliées... par l'aâion de la maiiere du Ciel, ont toui"-|jours continué par après à eflre pliées & repliées en diuerfes façons par cette mefmeaâion, elles font toutes deuenuës fort flexibles, ainfi que des petites anguilles ou des bouts de cordes, qui font fi courts qu'ils ne fe nouent point les vns aux autres. Et au contraire, celles qui n'ont point efté pliées d'abord, ne l'ont pu eflre aufji par après ; ce qui les a fait deuenir toutes fort roides & inflexibles . . .

3j. Comment le corps marqué C s'ejl diuifé en plufteurs autres \

Et il faut icy remarquer que le corps D a commencé d'eftre feparé des deux B & C, auant qu'ils futfent entièrement formez : c'eft à dire auant que C fuil deuenu fi dur que la matière du Ciel ne puft ferrer dauantage fes parties ny les faire defcendre plus bas; & aufll auant que les parties du corps B fuflent toutes réduites à tel ordre que cette matière du Ciel puft librement... palfer de tous coftez parmy elles en lignes droites. De façon qu'il y a eu encore plufteurs des parties de ce corps B qu'elle a fait defcendre vers C, d' les mes de ces parties ont eflé moins folides que celles qui compofent le corps D, les autres l'ont eflé dauantage. Or, pour celles qui l'ont efté dauantage, elles ont facilement pajjé au trauers de ce corps D, pource qu'il efl liquide, & defcendant jufques à C, quelques- vnes font entrées en fes pores; les autres, dont \agroffeur ou figure ne l'a pas permis, | font demeurées fur fa fuperficie ; & ainfi le corps C s'eft diuifé en plufteurs diuerfes régions, félon les diuerfes efpeces de par- ties qui l'ont compofé & leurs diuers arrengemens, en forte qu'il y a mefme peut-eftre quelques-vnes de ces régions où il eft entièrement fîuide, à caufe qu'il ne s'y eft aftemblé que des parties de telles figures qu'elles ne fe peuuent attacher les vnes aux autres. Mais il eft impcATible d'expliquer tout.

38. Comment il s'ejl formé vn quatrième corps au dejfus du Iroifiéme .

Quant aux parties c/î/ troifléme élément qui ont efté pouftccs hors du corps Bpar l'aâion de la matière du Ciel, & qui eftoient moins

a. Planche XIV, partie inférieure de droite.

b. Ibidem, partie supérieure de droite.

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 221

folides que celles du corps D, elles ont deu demeurer au deflus de fa fuperficie; & pource que plufieurs auoient des figures irregulieres, ainfi que font celles des branches d'arbres ou femblables, elles fe font peu à peu entrelacées & attachées les vnes aux autres, en forte qu'elles ont compofé le corps E", qui eft dur & fort différent des deux liquides B & D, entre le/quels il ejï. Et bien que ce corps E n'ait eu au commencement que fort peu d'épaiffeur, & qu'il n'ait efté que comme vne petite peau ou écorce qui couuroit la fuper- ficie du corps D, il a deu deuenir peu à peu plus efpais, à caufe qu'il y a eu beaucoup de parties qui fe font jointes à luy, tant de celles qui font defcenduës du corps B, | que de celles qui font montées 316 de D..., en la façon que je diray aux deux articles fuiuans. Et pource que les aftions de la lumière & de la chaleur ont contribué à faire monter & de/cendre ces parties du troifiéme élément qui Je Jont jointes au corps E, celles qui s'y font jointes en chaque lieu, durant l'efté ou durant le jour, ont erté autrement difpofées que celles qui s'y font jointes l'hyuer ou la nuit; ce qui a mis quelque diftinélion entre les parties de ce corps..., en forte qu'il elt mainte- nant compofé de plufieurs couches de matière..., qui font comme autant de pethes peaux eftenduës l'vne fur l'autre.

��3g. Comment ce quatrième corps s'ejl accreu, & le troifiéme s' ejl purifié.

Et il n'a pas efté befoin de beaucoup de temps pour diuifer la plus haute région de la Terre... en deux corps tels que B & C, ny pour alfembler vers D les parties du troifiéme, ny mefme pour com- mencer vers E la première couche du quatrième. Mais ce ne peut auoir efté qu'en plufieurs années, que toutes les parties du corps D fe font réduites aux deux efpeces tantoft décrites \ & que toutes les couches du corps E fe font acheuées ; pource qu'au commencement il n'y a eu aucune raifon qui ait empefché que les parties du troi- fiéme élément, qui s'alTembloient vers D, ne fuflent quelque peu plus longues ou plus grofles les vnes que les autres; & mefme elles ont pu avoir diuerfes figures en ] leur longueur, & eftre plus grofles par 317 vn bout que par l'autre, & enfin auoir des fuperficies qui n'eftoient pas tout à fait gliffantes & polies, mais quelque peu rudes & iné- gales, pourvu qu'elles ne l'ayent point tant efté que cela les ait em- pefché de fe feparer des corps C ou E. Mais pource qu'elles n'eftoient

a. La croûte terrestre dans un état primitif hypothétique.

b. Art. 36, p. 219.

�� � 318

��2 22 OEuVRES DE DeSCARTES.

point jointes l'vne à l'autre, & que la matière du Ciel qui couloit autour d'elles ne ceffoit de les agiter, elles ont deu, en s'entrefui- uant & paflant toutes par mefmes chemins, deuenir fort giiffantes & vnies... & fe réduire aux deux efpeces de figures que fay dé- crites... Ou bien celles qui n'ont pu s'y réduire..., ont deu fortir de ce corps D, SiJI elles ont efté plus folides que celles qui y demeuraient, elles font defcenduës vers C ; mais celles qui l'ont ejîé moins, l'ont montées en haut, & la pluÇpanfe font ari-efiées entre B & D, où elles ont feruy de matière pour augmenter le corps E.

40. Comment l'épaiffeur de ce troifiéme corps s'ejl diminuée, en forte qu'il efl demeuré de l'efpace entre luy & le quatrième corps, lequel efpace s'ejï remiply de la matière du premier ".

Car, pendant le jour & l'efté, la lumière & la chaleur du Soleil, qui affiffoient conjointement contre toute vne moitié du corps D, augmentaient tellement l'agitation des petites parties de cette moitié, qu'elles ne pouuoient eltre contenues ^h //jcez/ d'efpace qu'aupara- uaut; de façon que, fe trouuant enfermées entre les deux corps durs C &. E, plulieurs eiloient contraintes de paffer par les pores de ce dernier pour | monter vers B, lefquelles par après, pendant la nuit & encore plus pendant l'hyuer..., defcendoicnt derechef vers D, par le moyen de leur pefanteur, pource que leur agitation efiait moin- tfr<?. Mais plufieurs caufes pouuoient les empefcher... de retourner jufques à ce corps D, & faire que la plufpart fe joignifjfent au carps E : car la lumière & la chaleur, en les agitant lors qu'elles e/toient enfermées entre B & C, les incitoient bien plus à monter, que par après leur pefanteur ne les incitait à defcendre. Et ainfi plufieurs fe failbient des palfages au trauers... du corps E, lors qu'elles mon- toient, qui, n'y en rencontrant point en defcendant, s'arrertoient fur (a luperticie, oii elles feruoient de matiei-e pour l'augmenter. Et mefme quelques-vnes fe trouuoient tellement engagées en fes pores, que, ne pouuant monter plus auant, elles fermoient le chemin à celles qui defcendoicnt. Et enfin c'elloient prefques touf-jours les plus petites, & celles qui auoient des figures plus différentes du commun des autres, qui, pouuant eftre chaflees du corps D par la plus ordinaire adion de la matière fubtile, fe prefentoient les pre- mières pour monter vers E & B, où, rencontrant des parties de ces corps E & B, elles s'attachoient aifément à elles, ou /e diuifoient,

a. Planches XIV et XV, figure i (commencement et tin de la période

décrite).

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 22}

ou changeoient de figure, & ainfi ceiToient d’eflre pro|pres à coin- 319 pofer le corps D. Ce qui eft caule qu’après plufieurs jours & années il y a eu beaucoup moins de matière en ce corps D, qu’il n’y en auoit lors que le corps E a commencé à Je former, & qu’il n’eft demeuré en luy que celles de fes parties qui ont pu fe réduire aux deux efpeces que j’ay décrites", & auffi que le corps E a ei\é allez efpais & ferré, d’autant que la plufpart des parties qui font forties de D, fe font arreftées en fes pores, & ainfi l’ont rendu plus ferré, ou bien, changeant de figures... & fe joignant à quelques- vnes de celles du corps B, font retombées {uv fa fuperjicie, & ainfi l’ont rendu plus efpais. Et enfin cela eft caufe qu’il eft demeuré, entre D & E, vn efpace affez grand, tel qu’eft F, qui n’a pu eftre remply que de la matière qui compofe le corps B, en laquelle il y a eu des parties fort déliées, qui ont pu aifément paffer par les pores du corps E, pour entrer en la place de celles qui font forties du corps D.

41. Comment il s’st fait plusieurs fentes dans le quatrième corps ^

Ainfi, encore que le corps E fuit beaucoup plus mallif &’plus pefant que celuy qui ejloil i^ers F, & mefme aufii peut-eltre que le corps D, il a deu toutefois, pendant quelque temps, fe fouftenir au deffus... comme vne voûte, à caufe de fa dureté. Mais il ell à remar- quer que, lors qu’il a commencé à fe former, les parties du corps D, à la fuperficie duquel il elloit joint, ont | deu fe referuer en luy plu- 320 fieurs pores par où elles pulTent paffer, à caufe qu’il y en auoit con- tinuellement plufieurs que la chaleur faifoit monter vers B durant le jour, & que leur pefanleur faifoit redelcendre vers D durant la nuit, en forte qu’elles remplilToient toui-jours ces pores du corps E, par lefquels elles paffoient. Au lieu que, par après, comnieiiçaiit ày auoir quelque efpace entre D & E, qui contenait le corps E, quelques- rnes des parties de ce corps E’ font entrées en quelques-vus de ces pores du corps E ; mais, eilant plus petites que celles du corps D

a. Art. 36, p. 219.

b. Planche XV. figure i.

c. Tout ce passage a été remanie. Le seul changement important, par rapport au texte latin, est cependant la substitution du corps F au corps B, comme origine de l'action qui produit les fentes du corps E. On peut douter que cette substitution ait été consciemment adoptée par Descartes, d’autant que. pour lui, ces deux corps, qui représentent notre air, ne diffèrent guère que de situation. 2 24 Œuvres de Descartes.

qui auoient couftume d'y eftrc, elles ne les pouuoient entièrement remplir. Et pource qu'il n'y a aucun vuide en la nature, & que la matière des deux premiers elemens acheue touf-jours de remplir les efpaces que les parties du troifiéme laiffent autour d'elles, cette matière des deux premiers elemens, entrant auec impetuofité dans ces pores, auec les parties du corps F..., a fait tel effort pour en élargir quelques- vns, que les autres, qui leureftoient voifms, en deue- noient plus eftroits ; & ainfi, qu'il s'eit fait plufieurs fentes dans le corps E\ lefquelles font peu à peu deuenuës fort grandes. En mefme façon & pour les mefmes raifons qu'il a coultume auiïi de s'en faire dans la terre des lieux marefcageux, lors que les chaleurs de l'efté la défeichent...

��321 I 42. Comment ce quatrième corps s'eji rompu en plufieurs pièces.

Or y ayant ainfi plufieurs fentes dans le corps E, lefquelles s'aug- mentoient de plus en plus, elles font enfin deuenuës fi grandes, qu'il n'a pu fe fouftenir plus long-temps par la liaifon de les par- ties, & que la voûte qu'il compofoit fe creuant tout d'vn coup, fa pe- fanteur l'a fait tomber en grandes pièces fur. la fuperficie du corps C. Mais pource que cette fuperficie n'efioit pas alfez large pour re- ceuoir toutes les pièces de ce corps... en la mefme fituation qu'elles auoient efté auparauant, il a fallu que quelques-vnes foicnt tombées de cofté, & fe foient appuyées les vnes contre les autres. En forte que, fi, par exemple, en la partie du corps E qui eft icy reprefentée ", les principales fentes ont efté aux endroits marque\ 1,2, 3, 4, 5, 6, 7, & que les deux pièces 2 3, & 6 7, ayent commencé à tomber vn peu pluftoft que les autres, & auffi que les bouts des quatre autres, marque^ 2, 3, 5 & G, foient tombez pluftoft que leurs autres bouts marque^ 1, 4 & V; & enfin que 5, l'vn des bouts de la pièce 4 5, foit tombé vn peu pluftoft que V, l'vn des bouts de la pièce V 6, ces pièces doiuent fe trouuer, après leur cheute, difpofées fur la fuperficie du corps C, en la façon qu'elles paroiffent en cette figure, où les pièces 2 3, & 6 j,font couchées tout plat fur cette fuperficie,

322 & les autres quatre font penchées fur leurs coftez, & fe foujftiennent les vnes les autres.

a. Nous avons corrigé E, au lieu de D, imprimé par une erreur évi- dente.

b. Planche XV, figure 2 (cf. fig. i).

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 22^

��43. Comment vne partie du troifiéme eft montée au deffus

du quatrième '.

De plus, à caufc que la matière du corps D eft liquide & moins pcfante que les pièces du corps E, elle a deu non feulement occuper tous les recoins & tous... les paffages qu'elle a trouuez au delïous d'elles, mais auffi, à caufe qu'elle n'y pouuoit eftre toute contenue, elle a deu monter à mefme temps au-delTus des plus «baffes, telles que font 2 3, & 6 7, (S- par mefme moyen Je former des paffages pour entrer oufortir du deffous des mes au deffus des autres.

44. Comment ont ejîé produites les montagnes, les plaines,

les mers, &c..

En fuite de quoy, fi nous penfoas que les corps B & F ne font autre chofe que de l'air, que D eft de l'eau, & C vne croufte de terre intérieure fort folide & fort pefante, de laquelle viennent tous les métaux, 6c enfin que E eft me autre croujîe de terre moins maffiue, qui eft compofée de pierres, d'argile, de fable & de limon : nous verrons clairement en quelle façon les mers fe font faites... au def- fus des pièces 23,67, & fembïables, & que ce qu'il y a des autres pièces qui n'cft point couuert d'eau, ny beaucoup plus éleué que le rejle,..,& fait des plaines; mais que ce qui a efté plus éleué &fort en pente, comme i 2, & 9 4 V, a fait des montagnes. Et enfin, confiderant que ces grandes pièces n'ont pu tomber en la façon qui a efté dite, fans que leurs cxtremitez... ayent efté brifées en beau|coup d'autres moindres pièces par la force de leur pefanteur 6- l'impetuofité de leur clieute, nous verrons pourquoy il y a des rochers en quelques endroits au bord de la mer, comme i 2, & mefme des efcueils au dedans, comme 3 & 6; & enfin pourquoy il y a ordinairement plufieurs diuerfes pointes de montagnes en pue mefme contrée, dont les vues font fort hautes, comme vers 4, les autres le font moins, comme vers 9 & vers V.

45. Quelle ejl la nature de l'air.

On peut aufli connoiftre de cecy quelle eft la vraye nature de l'air, de l'eau, des minéraux & de tous les autres corps qui font fur la Terre,

a. Planche XV, figure 2. — La lettre B manque dans les deux figures de cette planche, où elle devrait marquer la couche la plus extérieure.. Œuvres. IV. ^°

��323

�� � 2 26 OEuVRES DE DeSCARTES.

ainfi que je taj cher ay maintenant d'expliquer. Premièrement, on en peut déduire que l'air n'eft autre choie qu'vn amas des parties du troifiéme élément, qui font fi déliées & tellement deftachées les vues des autres, qu'elles obeïfl'ent à tous les mouuemens de la matière du C\ç.\ qui eji parmy elles : ce qui eft caufe qu'il eft... rare, liquide & tranfparent, & que les petites parties dont il eft compofé, peuuent eftre de toutes fortes de figures. La raifon qui me fait dire que ces parties doiuent eftre entièrement détachées les vnes des autres, eft que, 7? elles fe pouuoient attacher, elles fe feroient jointes auec le corps E; mais pource qu'elles font ainfi déjointes, chacune fe meut

324 feparément de fes voifines, & rejtient tellement à foy tout le petit efpace fpherique, dont elle a befoin pour fe mouuoir... de touscoftez autour de fon centre, qu'elle en chalïe toutes les autres, Ji tojf qu'elles fe prejentent pour y entrer, fans qu'il importe pour cet effet de quelles figures elles foient.

46. Pourquoy il peut eftre facilement dilaté & condenfé.

Et cela fait que l'air eft aifement condenfé par le froid & dilaté par la chaleur. Car fes' parties eftant prefque toutes fort molles & flexibles, ainfi que des petites plumes ou des bouts de cordes fort déliées, chacune fedoit d'autant pluseftendre qu'elle eft plus agitée, & parce moyen occuper vn efpace fpherique d'autant plus grand...; mais, fuiuant ce qui a efté dit' de la nature de la chaleur, elle doit augmenter leur agitation, & le froid la doit diminuer.

4-j. D'où vient qu'il a beaucoup de force àfe dilater, eftant preffe en certaines machines.

Enfin, lors que l'air eft renfermé en quelque vaifl'eau dans lequel ai en fait entrer beaucoup plus grande quantité qu'il n'a couftume d'en contenir, céx air en fort par après auec autant de force qu'on en a employé à l'y faire entrer ; dont la raifon eft que, lors que l'air eft ainfi preffé, chacune de fes parties n'a pas à foy feule tout l'efpace fpherique dont elle a befoin pour fe mouuoir, à caufe que les autres font contraintes de prendre vne partie du mefme efpace, & que, re- tenant cependant l'agitation qu'elles auoient, à caufe que la matière

325 fubtile, qui continue | touf-jours de couler autour d'elles, leur fait

retenir le mefme degré de chaleur, elles. .. fe frapent ou fe pouffent

a. Art. ag, p. 2i5.

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 227

les vnes les autres en le remuant, & ainfi s'accordent toutes enfemble à faire effort pour occuper plus d'efpace qu'elles n'en ont. Ce qui a Icrui de fondement à l'inuention de dinerfes machines,.dont les vnes lont des fontaines, où l'air ainfi renfermé fait fauter l'eau tout de mefme que ù elle venoit d'vne Iburce fort élciice : &. les autres /«;/; dea pclils canons, qui, n'ejîant charge^ que d'air, poullent des baies ou des flèches prefque auffî fort... que s'ils c/toienl charge^ de poudre.

4S. De la nature de l'eau, & pourquoy elle Je change aifement en air & en glace.

Pour ce qui eilde l'eau, j'ay def-ja monrtré' comment elle eit com- polée de deux fortes de parties toutes longues €■ mies, dont les vnes font molles & pliantes, & les autres font roides & inflexibles, en forte que, lors qu'elles font feparées, celles-cv compofent le fel, &. les premières compofent l'eau douce. Et pource que j'ay affez curieuje- ment fait voir, dans les Météores ^ comment, toutes les proprietez qu'on peut remai-quer dans le fel & dans l'eau douce, fuiuent de cela feul qu'ils font compofe\ de telles parties, je n'ay pas befoin d'en dire autre chofe, linon qu'on y peut remarquer la fuite & la liaifon des choies que j'ay écrites; & comment, de ce que la Terre s'eft formée en la façon que je \ riens d'expliquer, on peut conclure qu'il 326 y a maintenant telle proportion entre la groUcur des parties de l'eau «Se celle des parties de l'air, & aufli entre ces mefmes parties & la force dont elles font meuës par la matière du fécond élément, que, lors que cette force efl quelque peu moindre qu'il l'ordinaire, cela fuffit pour faire que les vapeuis qui fe trouuent en l'air, prennent la forme de l'eau, & que l'eau prenne celle de la glace; comme au contraire, lors qu'elle efl: tant foit peu plus grande, elle éleue en vapeurslcs plus... flexibles parties de l'eau. &. ainfi leur donne la forme de l'air.

4g. Du/lux & reflus de la mer.

l'ay aufli expliqué, dans les Météores', les caufes des vents, par lefquels l'eau de la mer efl agitée en plufieurs façons irregulicres. Mais il y a encore en elle vn autre mouuement, qui fait qu'elle fe

a. Art. 36, p. 219.

b. Discours III et V, t. VI de cette édition, p, 249 et 279.

c. Discours IV, voir t. VI, p. 265.

�� � 2 28 OEUVRES DE DeSCARTES,

haufle & fe baiffe règlement deux fois le jour en chaque lieu, & que cependant elle coule fans ceffe du leuant vers le couchant, de quoy je tafcheray icy de dire la caufe. Soit ABCD' la partie du premier Ciel qui compofe vn petit tourbillon autour de la Terre T, dans lequel la Lune ^ eH comprife, & qui les fait moinioir loiiles deux autour de fou centre, pendant qu'elle les emporte auffi autour du Soleil. Et pofant, pour plus grande facilité, que la mer i 2 3 4 couure toute

327 la fuperficie de la Terre EF|GH, comme elle efl: aulli couuerte de l'air 5678, confiderons que la Lune empefche que le point T, qui eft le centre de la Terre, ne foit juftement au mefme lieu que le point M, qui efl: le centre de ce tourbillon; & qu'elle eft caufe que T eft m peu plus éloigné que M du point B. Dont la raifon eft que la Lune & la Terre ne fe pouuant mouuoir fi vite que la matière... de ce tourbillon par qui elles font emportées, fi le point T n'eftoit point vn peu plus éloigné de B que de D, la prefence de la Lune empefcheroit que cette matière ne coulaft fi librement entre B & T qu'entre T & D ;.& pource qu'il n'y a rien qui détermine le lieu de la Terre en ce tourbillon, finon l'égalité des forces dont elle eft preftee par luy de tous coftez, il eft éuident qu'elle doit vn peu s'a- procher vers D, quand la Lune ejl vers B, afin que la matière de ce tourbillon ne la prejfe point plus vers F que vers H. Tout de mefme, lors que la Lune eft vers C..., la Terre fe doit vn peu retirer vers A; & généralement, en quelque lieu que la Lune Je trouue, le centre de la Terre T doit touf-jours vn peu plus eftre éloigné d'elle que le centre du tourbillon AL Confiderons auiïi que, lors que la Lune eft vers B, elle fait que la matière du tourbillon ABCD a moins d'efpace pour couler non feulement entre B & T, mais aufii entre T & D, qu'elle

328 n'auroit fi la Lune eftoit | hors du diamettre B D, & que, par con- fequent, elle s'y doit mouuoir plus vite, & preller dauantagc les fuperficies de l'air & de l'eau, tant vers 6 & 2 que vers 8 & 4 ; & en fuite, que l'air & l'eau eftant des corps liquides, qui cèdent lors qu'ils font prelfez & s'écoulent ai/émeut ailleurs, ils doiuent auoir moins de hauiQUTou profoîideur fur les endroits de la Terre/«c7r<^;/c':^ F & H, & par mefme moyen en auoir plus fur les endroits E & G, que fi la Lune e[\oit ailleurs...

5o. Pourquoj- l'eau de la mer employé dou^e heures & enuiron vingt-quatre minutes, à monter & defcendre en cliaque marée.

Confiderons, outre cela, que, d'autant que la Terre fait m tour fur

a. Planche XVL — Voir Correspondance, t. V, p. 260, I. 7.

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 229

Jon centre en 24 heures, fa partie marquée F% qui eft maintenant vis à vis de B, où l'eau de la mer eftfort baffe, doit arriueren fix heures... vis à vis de C, où la mer eft fort haute... Et de plus, que la Lune, qui fait auffi vn tour en vn mois dans le tourbillon BCD A. s'auance quelque peu de B vers C, pendant les fix heures que l'endroit de la Terre marqué F employé à ejlre tranfporté jufques au lieu oii ejl maintenant G, en forte que ce point marqué F... ne doit pas feule- ment emplo3'er fix heures, mais auffi enuiron douze minutes de plus, pour paruenir jufques au lieu delà plus grande hauteur delà mer, qui fera pour lors vn peu au delà de G, à caufe de ce que la Lunç fe fera cependant auancée...; & tout de mefme, | qu'en fix autres heures & douze minutes, le point de la Terre marqué F fera vn peu au delà du lieu où eft H, où la mer fera pour lors la plus baffe... Et ainfi on voit clairement que la mer doit employer enuiron douze heures & vingt-quatre minutes à monter & defcendre en chaque lieu.

5i . Pourquoy les marées font plus grandes, lors que la Lune eft pleine ou nouuelle, qu'aux autres temps \

De plus, il faut remarquer que ce tourbillon A BC D n'eft pas exactement rond, & que celuy de fes diamètres dans lequel la Lune fe trouue, eftant pleine ou nouuelle, eft le plus petit de tous ; & celuy qui le coupe à angles droits eft le plus grand, ainfi qu'il a efté dit cy- deffus'. D'où il fuit que la prefence de la Lune preffe davantage les eaux de la mer, & les fait hauffer & baiffer dauantage, lors qu'elle eft pleine ou nouuelle, que lors qu'elle n'eft qu'à demy pleine.

Su, Pourquoy elles font auffi plus grandes aux Equinoxes qu'aux Solftices.

Il faut auffi remarquer que la Lune eft touf-jours fort proche du plan de l'Eclyptique, au lieu que la Terre tourne fur fon centre fuiuant le plan de l'Equateur, ^m/' en efi affe\ éloigné, h. que ces deux plans s'entrecoupent aux lieux où fe font les equinoxes, mais qu'ils font fort éloignez l'vn de l'autre en ceux des folftices. D'où il fuit que c'eft au commencement du printemps & de l'automne, c'efl à dire au temps des equinoxes, que la Lune agit le plus dire\âement contre la Terre, & ainfi rend les marées plus grandes.

a. Planche XVL — Voir Correspondance, t. IV, p. 466 et 467-468.

b. Ibid., t. IV, p. 467-468.

c. Partie III, art. i53, p. 198.

��330

�� �

jO OEUVRES DE DeSCARTES.

��53. Pourquoy l'eau & l'air coulent J'ans ceffe des parties Orientales

de la Terre vers les Occidentales ".

Il y a encore icy à remarquer que, pendant que la Terre tourne d'E par F vers G, c'eft à dire de l'Occident vers l'Orient, l'enflure de l'eau 4 i 2, & celle de l'air 8 5 6, que je fuppofe maintenant fur l'endroit de la Terre marqué E, paffent peu à peu vers fes autres parties qui font plus à l'Occident : en forte que, dans fix heures & dou^e minutes, elles feront fur l'endroit de la Terre marqué H, & dans douze heures & vingt-quatre minutes, fur celuy qui eft marqué G; & en mefme façon, que les enflures de l'eau & de l'air marquées 2 3 4, & 6 7 8, paJJ'ent de G vers F : en forte que l'air & l'eau de la mer ont vn cours continu qui les porte des parties Orientales de la Terre vers les Occidentales.

54. Pourquoy les pais qui ont la mer à l'Orient font ordinairement

moins chaux que ceux qui l'ont au Couchant.

Il eft vray que ce cours n'efl; pas fort rapide, mais il ne laiffe pas d'eftre tel qu'on le peut aifément remarquer: premièrement, à caufe que dans les l'ongues nauigations il faut touf-jours employer plus de temps..., lors qu'on va vers l'Orient, que lors qu'on retourne vers l'Occident; puis auffi, à caufe qu'il y a des deftroits dans la mer, où l'on voit que l'eau coule fans ceffe vers le Couchant ; & enfin, à caufe que les terres qui ont la mer vers l'Orient, ont couflume d'eftre 331 I moins efchauffées par le Soleil, que celles c\w\ font en me/me climat £■ ont... la mer vers l'Occident. Comme on voit, par exemple, qu'il fait moins chaut au Brefil qu'en la Guinée, dont on ne peut donner autre raifon, /mon que le Brefil eft plus rafrefchy par l'air qui luy vient de la mer, que la Guinée par celuy qui luy vient des terres quelle a au Leuant.

55. Pourquoy il n'y a point de flux & reflux dans les lacs ; & pourquoy vers les bords de la mer il ne fe fait pas aux me/mes heures qu'au milieu.

Enfin, il faut remarquer que, bien que la Terre ne foit pas toute couuerte des eaux de la mer, ainfi qu'<?//e ejî icy reprefentée, toute-

a. Planche XVI. — Voir Correspondance, t. IV, p. 468.

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 2jï

fois, à caufe que celles de l'Océan l'enuironnent, elles doiuent eftre meucs par la Lune en mei'me façon que fi elles la couuroient entière- ment; mais que, pour ce qui efi des lacs & des eftangs qui font du tout feparez de l'Océan, d'autant qu'ils ne couurent pas de fi grandes parties de la Terre, qu'vn cofté de leur fuperficie foit jamais beau- coup plus prefie que l'autre... par la prefence de la Lune, leurs eaux ne peuuent eilre ainfi meuës par elle; & que, bien que celles qui fout au jnilieu de l'Oceaii, s'y haujfent & baijfenl règlement en la façon que J'aj- décrite', toutefois leur flux & reflux vient différemment & a diuers temps, aux diuers endroits de fes bords, à caufe qu'ils font fort irreguliers, & beaucoup plus auancez en vn lieu qu'en l'autre...

I 50. Comment on peut rendre raifon de toutes les différences 332

particulières desjlux & reflux.

Et on peut, de ce qui a def-ja elle dit \ déduire les caufes particu- lières de toutes les diuerfitez du flux & veûnyi, pourvu qu'on f cache que, lors que la Lune ell pleine ou nouuelle, les eaux qui font au milieu de l'Océan aux lieux les plus éloignez de fes bords, vers l'E- quateur & l'Eclyptique, font le plus enflées aux endroits oii il ejî iïx heures du foir ou du matin, ce qui fait qu'elles s'écoulent de là vers les bords ; & qu'elles font au mefmc temps le moins enflées aux lieux où il efl Midy ou Minuit, ce qui fait qu'elles y coulent des bords vers le tnilieu ; <k que, félon que ces bords font plus proches ou plus éloignez, & que ces eaux palfent par des chemins plus ou moins droits & larges & profonds, elles y arriuent pluftoft ou plus tard, & en plus ou moins grande quantité ; & aufll, que les diuers dellours de ces chemins, caufe\par l'interpofttioti des ijles, par les dij/'ereittes profondeurs de la mer, par la defccnte des riuieres & par l'irrégularité des bords ou riuages, font fouuent que les eaux qui vont vers vn bord, font rencontrées par celles qui viennent d'vn autre, ce qui auance ou relarde leur cours en plufieurs diuerfes façons; & enfin, qu'il peut aufli eftre auancé ou retardé par les vents, quelques-vns defquels foufiient touf-jours règlement en certains lieux, à certains temps. Car je croy qu'il n'y a | rien de particulier à 333 obferuer, touchant les flux & reflux de la mer, dont la caufe ne foit comprife en ce peu que je viens de dire.

a. Art. 5o, 5i et 52, p. 228-229.

b. Ibidem.

�� � 2 } 2 OEuVRES DE DeSCARTES.

��57. De la nature de la Terre intérieure, qui ejl au dejfous dès plus bajfes eaux '.

Touchant la Terre intérieure marquée C, qui s'ejl formée au def- fous des eaux, on peut remarquer qu'elle cil compofée de parties de toutes fortes de figures, & qui font fi greffes que la matière du fécond élément n'a pas la force, par fon mouuement ordinaire, de les emporter auec foy, comme elle emporte celles de l'air & de l'eau "; mais qu'elle en a feulement affez pour les rendre pefantes, en les preffant vers le centre de la Terre, & auffi pour les esbranler quelque peu, en coulant par les interualles qui doiuent eftre parmy elles en grand nombre, àcaufede l'irrégularité de leurs Jigures ; & qu'elles font auffi esbranlées, tant par la matière du premier élément, qui remplit tous ceux de ces interualles qui font fi eftroits qu'aucun autre corps n'y peut entrer, que par les parties de l'eau, de l'air & de la Terre extérieure qui s'eft formée au deffus de l'eau, lefqueiles defcendent fouuent dans les plus grands de ces interualles, & j- agitent Jî fort quelques parties delà Terre intérieure qu'elles les dé- tachent des autres, & les font par après monter avec elles. Car il eft ayfé à juger que les plus hautes parties de cette Terre intérieure C 334 I doiuent eftre véritablement fort entre-lacées & fermement jointes les vues aux autres, pource que ce font elles qui ont efté les pre- mières à fouftenir l'effort & rompre le cours de la matière fubtile qui paffoit en lignes droites par les corps B & D, pendant que C fe for- moit; mais que neantmoins, ejîant ajfei grojfes & ayant des figures fort irregulieres, elles n'ont pu s'ajujterfi bien l'vne à l'autre, qu'il ne foit demeuré parmy elles plufieurs efpaces affez grands pour donner paffage à quelques-vnes des parties terrejlres qui ejîoient au deffus, comme particulièrement à celles du fel & de l'eau douce'...; mais que les autres parties de ce corps C, qui eJloiént au-deffous de ces plus hautes, n'ont point ejté ft fermement jointes", ce qui efl caufe qu'elles ont pu ejlre feparées par les parties du fel, ou autres fem- blables, qui venoient vers elles.

a. Planche XV, figure 2.

b. Art. 45 et 48, p. 225-226 et 227.

c. Exemplaire annoté, de deux mains différentes : « et mesme aussy a d'autres plus branchuës (au latin) ». Ces deux derniers mots barrés par la seconde main, qui récrit en tête : <> Le latin ajoute. . . » et après : « . . .qui viennent du corps E ».

d. La traduction a transporté ici, en le paraphrasant, le début de l'article suivant, tel qu'il est dans le texte latin.

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 2)j

��5S'. De la nature de Fargent vif.

¥a mefmo il y n eu peut-eftre quelque endroit, an dediins nu bien au dejfmts de ce corps C , où il s'ell afTcmhlé pluileurs de ces parties, qui ont des /is-urcs 11 vnies & fi glili'antes, qu'encore que leur pcfantcur fort caul'e qu'elles s'appuyent l'vne fur l'autre, en forte que /,7 vmtiere du fécond eleinent ne coule pas librement de tous coftez autour d'elles, ainfi qu'elle fait autour de celles de l'eau: elles ne font touteslois | aucunement attachées l'vne à l'autre, mais font coni\- 335 nuellement meurs, tant par la matière du premier élément, qui remplit tous les intcrualles qu'elles laiffent autour d'elles, que par les plus petites du fécond, qui peuucnt aufll palfer par quciques-vns de ces intcrualles; au moyen de quoy elles compofent vne liqueur qui, eltant beaucoup plus pefantc que l'eau & n'eilant aucunement tranfparenle comme elle, a la forme de l'argent vif.

5y. Des inégalité^ de la chaleur qui efi en cette Terre intérieure.

Outre cela, on doit remarquer que, comme nous voyons que les taches, qui s'engendrent journellement autour du Soleil, ont des figures fort irregulieres & diuerfes, ainfi la moyenne région de la Terre marquée M, qui cil compofée de me/me matière que ces taches, n'ett pas également folide par tout, mais qu'il j- a en elle quelques endroits oiifes pailies font moins ferrées qu'aux autres : ce qui fait que la matière du premier élément, qui vient du cenlrù de la Terre vers le corps C, paffe par quelques endroits de cette moyenne région en plus grande quantité que par les autres, & ainfi... a plus de force pour agiter ou esbranler les parties de ce corps C, qui font au dejj'us de ces endroits là. On doit auffi remarquer que la chaleur du Soleil, qui, comme il a efié dit cy-deffus, pénètre jufques aux plus intérieures parties de la Terre, | n'agit pas également contre 335 tous les endroits de ce corps C; pource qu'elle luy eft plus abon- damment communiquée par les parties de la Terre extérieure E, qui le touchent, que par les eaux D; & que... les codez des montagnes qui font expofez au Midy font beaucoup plus échauffez par le Soleil, que ceux qui rci^ardent les pôles; & enfin, que les Terres fituées vers l'Equateur font autrement échauffées que celles qui en font fort

a. Planche XV, figure 2.

b. Art. 3(), p. 216.

Œuvres. IV. 61

�� � 2j4 OEuvREs DE Descartes.

loin; & que la viciflltude, tant des jours & des nuits que... des eftez & des h3'uers, caufe aufli en cela de la diuerfité.

��60. Quel ejl l'effet de cette chaleur '.

En fuitte de quoy il eft éuident que toutes les petites parties de ce cot-psC, ont touf-jours quelque agitation, laquelle y eft inégale, lelon les lieux ô les temps. Et cecy ne doit pas feulement eftre entendu... des parties de l'argent vif, ou de celles du fel & de l'eau douce, & autres femblables, qui font defcenduës de la Terre extérieure E dans les plus grands pores de l'intérieure C, oit elles ne font aucunement attachées, mais aufli de toutes celles de cette Terre intérieure, tant dures & fermement jointes les vues aux autres qu'elles puiffent eftre. Non pas que ces parties ainfi jointes ayent couftume d'eftre entièrement feparées par l'aâion de la chaleur ; mais, comme nous voyons que le vent agite les branches des arbres, & fait qu'elles 337 js'approchent & fe reculent quelque peu les vnes des autres, /<jhs pour cela ejlre arrachées ny rompues : ainfi on doit penfer que la plufpart des parties du corps C ont diuerfes branches tellement entrellacées & liées enfemble, que la chaleur en les esbranlant ne les peut pas entièrement déjoindre, mais feulement faire que les interualles qui font parmy elles, deuiennent tantoft plus ertroits, & tantoft plus larges; & que, d'autant qu'elles font beaucoup plus dures que les parties des corps D & E, qui deicendent en ces inter- ualles quand ils s'élargijfent, elles les preffent lors qu'ils deuiennent plus ejlroits, & les frapant à diuerfes reprifes, elles les froijfent ou les plient en telle façon, qu'elles les réduifent à deux genres de figures, qui méritent d'eftre icy confiderez.

61. Comment s'engendrent les fucs aigres ou corrofifs, qui entrent en la compofition du vitriol, de l'alun, & autres tels minéraux.

Le premier genre vient des parties du fel, ou autres femblables aflez dures & folides, qui eftant engagées dans les pores du corps C, y font tellement ji;/-<?^e't'5 & agitées, qu'au lieu qu'elles ont efté auparauant rondes & roides, ainfi que des petits baflons, elles de- uiennent plates & pliantes : en mefme façon qu'vne verge de fer..., ou d'autre métal, fe change en vne lame..., à force d'eftre batuë à coups de marteau. Et de plus, ces parties du corps D ou E..., en

a. Planche-XV, figure 2.

�� � Principes. — Quatriesme Partie. ijij

fe gliiïant çà & là contre celles du corps C, qui les furpaffent en Idureié, s'y aiguifent & polluent en telle forte que, deuenant tran- 338 chaules & pointues..., elles prennent la forme de certains fucs... aigres & corrofifs, qui, montant par après vers le corps E, où font les mines, y compofent du vitriol, de l'alun ou d'autres minéraux, félon qu'ils fe méfient, en fe congelant, auec des métaux ou des pierres on d'autres matières.

62. Comment s'engendre la matière huyleuje qui entre en la compo/ttion du foulfre, du bitume, &c.

L'autre genre vient des parties des corps D & E,.., qui, eflant moins dures que les précédentes, font tellement froiffées dans les pores du corps C, par l'agitation de/es parties, qu'elles fe diuifent en plufieurs branches fort déliées & flexibles, qui, eftant écartées les vnes des autres par... la matière du premier élément, ô emportées vers le corps E, s'attachent à quelques-vnes de fes parties..., & par ce tnoj'en compofent le foulfre, le bitume, & généralement toutes les matières graifes ou huileufes qui font dans les mines.

63. Des principes de la Chymie, & de quelle façon les métaux viennent dans les mines.

Et j'ay icy expliqué' trois fortes de corps qui me femblent auoir beaucoup de rapport auec ceux que les Chymiftes ont couftume de prendre pour leurs trois principes, & qu'ils nomment le fel, le foulfre & le mercure. Car on peut prendre ces fucs corro- fifs pour leur fel, ces petites branches qui compofent vne matière huileufe pour leur foulfre, & le vif argent pour leur mercure. Et mon opinion eft, que la vraye caufe qui ] fait que les métaux 339 viennent dans les mines, efl: que ces fucs corrofifs, coulant çà & là dans les pores du corps C, font que quelques-vnes de fes parties fe détachent des autres, lefquelles par après, fe trouuant envelopées & comme reueftuës des petites branches de la matière huileufe, font facilement pouflees de C vers E par les parties de l'argent vif, lors qu'il eft agité & raréfié par la chaleur. Et félon les diuerfes grandeurs & figures qu'ont ces parties du corps C, elles compofent

a. Art. 58, 61, 62, p. 233 et suiv.

b. Le ternaire des principes de l'ancienne chimie ne remonte pas au delà de Paracelse, qui ajouta le sel au soufre et au mercure des alchimistes.

�� �

j6

��OEuvREs DE Descartes.

��diuerfes efpeces de métaux, leiquelles j'aurois peut eltre icy plus particulièrement expliquées, fi j'auois eu commodité de faire toutes les expériences qui font requiles ji'o;/r rei-ijier les raifonnemens que fay faits fur ccfujet.

64. De la nature de la Terre extérieure & de l'origine des fontaines.

Mais/tî^s nous arrejîer à cela dauanlage, commençons à exami- ner la Terre extérieure E, que nous auons def-ja dit' cjîre diuifée enplufieurs pièces, dont les plus bafj'es font couuertes de l'eau de la mer, les plus hautesSont les montagnes, & celles qui font entre-deux font les plaines ; & voyons maintenant... quelles y font les fources des fontaines & des riuieres, & pourquoy elles ne s'épuifent jamais, bien que leurs eaux ne celfent de couler dans la aier : comme auffi pourquoy toutes ces eaux douces, qui vont dans la mer, ne la 340 rendent point plus grande ny | moins falée. A cet effet il faut confi- derer qu'il y a de grandes concauitez pleines d'eau fous... les mon- tagnes, d'où la chaleur êleue continuellement plufieurs vapeurs, leiquelles, n'eftant autre chofe que des petites parties d'eau feparées l'vne de l'autre... & fort agitées, /c glifent en tous les pores de la Terre extérieure, & ainfi paruiennent jufques aux plus hautes fuperficies des plaines & des montagnes. Car puis que nous voyons quelques-vnes de ces vapeurs palier bien loin au delà dedans l'air, où elles compofent les nues, nous ne pouuons douter qu'il n'y en ait beaucoup dauantage qui montent jufques aux fommets desmon- tagnes, à caufe qu'il leur eit plus aile de s'éleuer en coulant entre les parties de la Terre qui aide à les fouflenir, qu'en paifant par l'air qui, eftantfîuide..., ne les peut foufleniren mefme façon. Déplus, il faut confiderer que, lors que ces \apeurs font pariienuù's l'ers le haut des montagnes, & qu'elles ne fe peuuent e'ieuer dauantage, à caufe que leur agitation diminue, leurs petites parties fe joignent plulieurs enfcmble..., & que, reprenant par ce moyen la forme de l'eau, elles ne peuuent defcendre par les pores par où elles font montées..., à caufe qu'ils font trop eilroits ; mais qu'elles rencontrent d'autres palfages m peu plus larges entre les diuerfes crouiles ou écorces, 341 dont faj- \ dit' que la Terre extérieure cfl compofcc, par lefquels elles fe vont rendre dans les fentes que far dit aujji' fe tromier eu

a. .\rt. 4.i. 4J et 44, p. 2^4 et 225.

b. Art. 38, p. 220-22 I.

c. Art. 41, p. 223-224.

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 257

celle Terre exlerietire, &, les remplijfanl, elles font des J'ources qui demeurent cachées fous tevrc Jitfqnes à ce qu'elles rencontrent quelques outtertures en fa fuperficie, &, fartant par ces ouuertures , elles compofent des fontaines, dont les eaux coulant par le penchant des valées.,., s'affemblent en riuieres & defcendent enfin jufques à la mer.

65. Pourquqy l'eau Je la mer ne croijl point de ce que les rivières

y entrent '.

Or encore qu'il forte ainfi continuellement beaucoup d'eau des concauitei qui font fous les montagnes, d'oti eflant éleuce, elle coule par les riuieres jufques à la mer, toutefois ces concauitez. . . ne s'épuifent point, & la mer n'en deuient point plus grande. Dont la raifon eit que la Terre extérieure n'a pu eftre formée, en la façon que j'ay décrite", par le débris du corps E, dont les pièces font tombées inégalement fur la fuperficie du corps C, qu'il ne foit demeuré... plufieurs grands palfages au dell'ous de ces pièces, par où il retourne autant des eaux de la mer vers le bas des montagnes, qu'il en fort par le haut qui va dans la mer. De façon que le cours de l'eau en cette Terre imite ccluy du fang dans le corps des animaux, où il fait vn cercle en coulant /j/zs cçjle fort promplemenl de leurs reines en leurs artères, d'- de leurs artères en leurs reines,

I 6" 6". Pourqtioy l'eau de la plus part des fontaines eft douce, 342

& la mer demeure falée.

Et bien que la mer foit falée, toutefois la plus part des fontaines ne le font point. Dont la raifon e/l que les parties de l'eau de la mer qui font douces, eltant molles iS: pliantes, fc changent ayfémcnt en vapeurs, iS' pafent par les chemins détourne-^ qui font entre' les petits grains de fable & les autres telles parties de la Terre extérieure, au lieu que celles qui compofent le fel, cllant dures ^ roides, font plus difficilement éleuées par la chaleur, & ne peuucnt paffer par les porcs de la Terre, // ce n'ejl qu'ils foient plus larges qu'ils n'ont cou/tuine d'e/lre. Et les eaux de ces fontaines, en s'ccoulant dans la mer, ne la rendent point douce, à caufc que Icfel qu'elles j- ont laiffé, en s'éleuant en rapeurs dans les montagnes, fe me/le derechef auec elles.

a. Planche XV, Hirure 2.

b. Art. 42, p. 224.

�� � Pourquoy il y a aitjji quelques fontaines dont l’eau ejl falée.

Mais nous ne deuons pas pour cela trouuer eflrange qu’il fe ren- contre auffi quelques ybarces d’eau falée en des lieux fort éloignez de la mer. Car la Terre s’ellant entreferidué en plufieurs endroits, aifift qu’il a ejté dit\ il fe peut faire que l’eau de la mer vient jufques aux lieux oii font ces fources, fans pajfi^r que par des con- duits qui fout ^ larges qu’elle aviene facilement fonfel auecfoj : non feulement lors que ces conduits fe rencontrent en des puits C\ pro- fonds, qu’elles ne ibnt pas moins baffes que l’eau de la mer, auquel 343 cas elles participent ordinairement \ à fou flux & reflux; mais aulfi lors qu elles font beaucoup plus hautes, à caufe que les parties du fel, ertant fouflenuës par la pente de ces conduits, peuuent monter auec celles de l’eau douce. Comme on voit par expérience, enfaifant chauffer de l’eau de mer dans vne cuue telle que ABC’, qui eft plus large par le haut que par le bas, qu’il s’éleue du fel le long de fes bords, lequel s’y attache de tous collez en forme de croulle, pendant que l’eau douce qui l’accompagnoit s’éuaporc.

68. Pourquoy il y a des mines de fel en quelques montagnes.

Et cet exemple fert auili à entendre comment il s’ell aifemblé quantité de fel en certaines montagnes, dont on le tire en forme de pierres, /"Oî/r s’enferuir ainfi que de cehiy qui fe fait d’eau de nier. Car cela vient de ce que les parties de l’eau douce qui ont amené du fel de la mer jufques là, ont paifé outre... Qns’duaporant, & qu’il ne les apûfuiureplus loin.

6 g. Pourquoy, outre le fel commun, on en trouue auffi de quelques autres efpeces.

Mais il arriue aulTi quelquefois que le fel qui vient de la mer, pade par des pores de la Terre û eitroits, ou tellement difpofei, qu’ils changent quelque choie en la figure... de fes parties, au moyen de quû\- ’\\ perd la forme du fel commun, & prend celle du falpetre, du fel ammoniac, ou de quelque autre efpece de fel. Et outre cela, plulicursdes petites parties de la Terre,/a//5 ejlre venues de la mer,

a. Art. 42, p. 224.

b. Planche XIII, tigure 2=

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 239

peuuent eftre de telles | figures, qu'elles entrent en la conipofdion de 344 ces fels; car rieu n'e/} requis à cet effeâ, finon qu'elles fcient affez longues &. roides, fans élire diuifées en branches ; & félon les autres différences qu'elles ont, elles compofent des fels de diuerles efpeces.

70. Quelle différence il y a icy entre les vapeurs, les efprits & les exhalaifons.

Outre les vapeurs qui s'éleuent des eaux, il fort aufli de la Terre intérieure grande quantité d'efprits penetrans €■ corrofifs, & plu- lîeurs exhalaifons g-raffes ou huileufes, & mefme de l'argent vif, lequel, montant en forme de vapeur, amené auec foy des parties des autres métaux...; & félon les diuerfes façons que ces chofes fe niellent enfemble, elles compofent dîners minéraux. le prends icy pour les efprits..., tant les parties des lues corrofifs que celles des fels volatiles, lors qu'elles font feparées l'vne de l'autre, & tellement meuës que la force de leur agitation furpaffe celle de leur pefan- teur. Et bien que le mot d'exhalaifons/o;7 gênerai, je ne le prends neantmoins maintenant que pour lignifier des parties de la matière du troifiéme élément, feparées L^ agitées comme celles des rapeurs on des efprits, mais qui font fort déliées & diuifées en plufieurs bran- ches fort pliantes, en forte qu'elles peuuent feruir à compofer tous les corps gras d'- /t'5 huiles. Ainli, oicore que les eaux, les fucs corro- fifs iS: les huiles \foie)it des corps liquides, il y a neantmoins cette 345 différence que leurs parties ne font que ramper £■ glijjér l'rne contre l'antre; au lieu que ces mefmes parties, lors qu'elles compofent des vapeurs, des efprits, ou des exhalaifons, fiDit tellement feparées & agitées qu'on peut dire proprement .^/r 'elles volent.

7/. Comment leur mejlange compofe diuerfes efpeces de pierres, dont quelqites-vnes font tranfparentes, & les autres ne le font pas.

Et ce font les efprits qui doiuent cllre meus le plus fort pour voler en cette façon ; ce font eux aulFi qui pénètrent le plus aifément dans les petits pores des corps tcrrellres, à canfe de la force dont ils font meus, d'- de là figure de leurs parties, en fuite de quoy ils s'y arreftent & s'y attfichent aulh le plus fort : c'eft pourquoy ils rendent ces corps plus durs que ne font les exhalaifons ny les vapeurs. Au rerte, à caufe qu'il y a grande dilTercnce entre ces trois fortes de fumées que Je nomme rapenrs, efprits S- exhalaifons, félon que leurs

�� � 240 OEUVRES DE Descartes.

parties fe méfient & fe joignent diuerfement, elles compofent toutes les diuerfes fortes de pierres & autres corps quife Irouuent/oiis terre. Et quelques-piis de ces corps font trattfparens, les autres ne le font pas. Car lors que ces fumées ne font que s'arrefter dans les pores de quelque partie de la Terre extérieure, yà7is changer leur Jîtuation, il efi éuident que les corps qu'elles compofent ne peuuent ejlre tranf-

346 parens, à caufe que cette Terre ne | V efi pas. Mais lors qu'elles s'af- femblent hors de ces pores en quelques fentes ou concauitez de la Terre, les corps qu'elles compofent font liquides au commence- ment, & par mefme moyen tranfparens. Ce qu'ils retiennent encore par après, bien que, les plus fluides... de leurs parties s'éuaporant peu à peu, ils deuiennent durs. Et c'eft ainfi que les diamans, les agates, le crifîal, & autres telles pierres fe produifent.

j2. Comment les métaux viennent dans les mines, & comment s'y fait le vermeillon.

Ainfi les vapeurs de l'argent vif, qui montent par les petites fentes & les plus larges pores de la Terre, amènent auffi auec foy des par- ties d'or, d'argent, de plomb, ou de quelque autre métal, lefquelles y demeurent par après, bien que fouuent l'argent vif ne s'y arrefte pas, à caufe qu'eftant fort fluide il paile outre ou bien redefcend. Mais il arriue aufFi quelquefois qu'il s'y arrefte, à fçauoir lors qu'il rencontre plufieurs exhalaifons dont les parties fort déliées enue- lopent les fiennes,.., & par ce moyen le changent en vermeillon. Au refte, ce n'eft pas le feu l argent pif qui peut amener auec foy les métaux de la Terre intérieure en l'extérieure ; les efprits & les exha- laifons font auffi le femblable au regard de quelques-vns, comme du cuiure, du fer & de l'antimoine.

j3. Pourquoy les metau.x nefe trouuent qu'en certains endroits

de la Terre.

Et il faut remarquer que ces métaux ne peuuent gueres monter

347 que des endroits de la Ter|re intérieure, aufquels touchent les pièces de l'extérieure qui font tombées fur elle. Comme, par exemple, en cette figure% ils montent de b vers V. Et ce qui empefche qu'ils ne montent aujji des autres lieux, efi qu'W y a de l'eau entredeux, au trauers de laquelle ils ne peuuent eiïre éleucz ; ce qui etl caufe qu'on ne trouue pas des métaux en tous les endroits de la Terre.

a. Planche XV, figure 2.

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 241

��7^. Pourquoy c'ejl principalement au pied des montagnes, du cojïé qui regarde le Midy ou l'Orient, qu'ils Je trouuent.

Il faut auffi remarquer, que c'eft ordinairement... par le pied des montagnes que montent ces métaux, comme icy de 5 vers V; & que c'eft là qu'ils s'arreftent le plus aifément, pour y faire des viines d'or, d'argent, de cuiure ou femblahles, à caufe qu'il s'y trouue quantité de petites fentes, ou de pores fort larges, que ces métaux peuuent remplir; & mefme, qu'ils ne s'affemblent gueres en ces montagnes que vers les coftez qui font expofez au Midy ou à l'Orient, à caufe que ce font ceux que la chaleur du Soleil, qui ayde à les faire monter, échauffe le plus. Ce qui s'accorde auec l'expérience, pource que ceux qui cherchent des mines, n'ont coujiume d'en trouuer qu'en ces coftez là.

j5. Que toutes les mines font en la Terre extérieure, & qu'on ne fcauroit creufer jufques à l'intérieure.

Mais il ne faut pas efperer qu'on puiffe Jamais, à force de creufer, paruenir jufques à cette Terre intérieure que faj dit"" ejlre entière- ment métallique ; car, outre que l'extérieure, qui eft au deflus, ctt fi épaiffe qu'à peine la force des hommes | pourrait fuffire pour 348 creufer au delà, on ne manqueroit pas d'}' rencontrer diuerfes fources par lefquelles l'eau fortiroit auec d'autant plus d'impetuofité qu'elles feroient ouuertes plus bas..., en forte que les mineurs ne pourroient éuiter d'eftre noyez.

76'. Comment fe compojent le foulfre, le bitume, l'huile minerai & l'argile.

Quant aux exhalaifons que j'ay décrites " & qui viennent de la Terre intérieure, leurs parties font fi déliées, qu'elles ne peuuent compofer, eftant feules, aucun autre corps que de l'air. Mais elles fe joignent aifément auec les plus fubtiles parties des efprits, lef- quelles, ceffant par ce moyen d'eftre vnies & gliflantes, acquerent des petites branches qui font qu'elles peuuent aujji s'attacher à d'autres corps. Afçauoir, elles s'attachent quelquefois auec des par- ties des fucs corrofifs, méfiées de quelques autres qui font metal-

a. Art. 44, p. 225. h. Art. 70, p. 239.

Œuvres. IV. 6a

�� � 242 OEuVRES DE DeSCARTES.

liques, & ainfi eiles compofent du foulfre; quelquefois elles fe joignent auec des parties de la Terre extérieure, parmy lelquelles il y a quantité des mefmes i'ucs, & ainfi compolent des terres qu'on peut bruJJer, comme du bitume, de la naphte, & femblables ; quel- quefois auili elles ne fe méfient qu'auec des parties de terre, & lors elles compofent de l'argile; enfin, quelquefois elles s'aliemblent prefque toutes feules : à fçauoir, lors que leur agitation eft fi foible

349 que leur pefanleu)- eft fuffifante pour fai\re qucWt?, ft preflent les vnes les autres, au moyen de quoy elles compofent les huiles qji'on troune en quelques endroits dans les mines.

jj. Quelle ejî la caufe des iremblemens de Terre.

Mais lors que ces exhalaifons, /ow/cs aux plus fubliles parties des ejprits, font trop agitées pour fe conuertir ainfi en huile, & qu'elles fe rencontrent fous terre en des fentes ouconcauitez qui n'ont aupa- rauant contenu que de l'air, elles y compofent vne fumée grafie & épailVe, qu'on peut comparer à celle qui fort d'vne chandelle, lors qu'elle vient d'ellre eileinte. Et comme celle-ci s'embrafe fort aije- meul,fi tojl qu'on en approche la Jlame d'vne autre chandelle: ainjilors que quelque eltincelle de feu ert excitée en ces concauitez, elle s'épiwid incontinent en toute la fumée dont elles font pleines, & par ce moyen la matière de cette fumée, fe changeant en flame, fe raréfie tout à coup, & poulie auec grande violence tous les collez du lieu où elle eft enfermée, principalement s'il y a en elle quantité d'efprits ou de fels volatiles. Et c'ell ainfi que fe font les tremblemens de terre ; car lors que les co)icauite:{ qu'elle occupe Jonl fort grandes, elle peut efbranler en vu moment tout le pais qui les couure ou les enuironne.

j8. D'où vient qu'il y a des montagnes dont il fort quelquefois de grandes flames.

Il arriue aufli quelquefois que la flame qui caufe ces tremblemens entr'ouure la Terre vers le fommet de quelque montagne, & fort...

350 en \ grande abondance par là. Car, les concauite\ oie clic e/l n'ejlant pas afj'ei grandes pour la contenir, elle fait effort de tous cojle^ pour enfortir, &■ fe fait plus aifément vn palTage par le fommet d'vne montagne que par aucun autre lieu: premièrement, à caufe qu'il ne fe rencontre ^»e>vs de concauitez qui foient fort grandes £■ propres à receuoir ces fumées, finon au deffous des plus hautes montagnes; puis aulli, à caufe qu'/7 n'efl pas befoin de tant de force pour entr'ouurir

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 24J

<S-feparer les extrémité^ de ces grandes pièces de la Terre extérieure, quej'aj- dit' ejlre appuyées de colté l'vne contre l'autre aux lieux oit elles compofeut les fonimels des montagnes, que pour y faire vne nou- uelle ouuerture en quelque autre endroit. Et bien que la pefanteur de ces grandes pièces de terre ainfi entr'ouuertes/o/7 eaufe qu'elles fe rejoignent fort promptement, lors que la flame elt fortie, toutefois, à caufe que cette flame, qui fort auec grande impetuofité, poulFe ordi- nairement deuant foy beaucoup de terre mejlée de foulfre ou de bitume, il fe peut faire que ces montagnes bru/lent encore long temps après, jufques à ce que tout ce foidfre ou bitume foi t coiifomme. Et lors que les mefmes concauitez fe rempIilTent derechef de femblables fumées qui s'embrafent, la flame en ion plus aifément par l'endroit qui I a def-ja eilé ouuert que par d'autres. Ce qui efl caufe qu'il y a 351 des montagnes où plufieurs tels embrafemcns uni c/lé l'cus, comme font Ethna en Sicile, le Vefnne près de Naples, Hecla en Ifiande, &c.

/(). D'où vient que les trembleinens de Terre fe font Jouncnt à ptufieurs fecouffes.

Au relie, les tremblemens de Terre ne Jiniffent pas touf jours après la première fecoujfe; mais il s'en fait quelquefois plufieurs pen- dant quelques heures ou quelques jours de fuite. Dont la raifon efl que les fumées... qui s'enflament, ne font pas touf-jours en vne feule concauité, mais ordinairement en plufieurs, qui ne font feparées que d'i'n peu de terre bitumineufe ou foulfrée, en forte que, lors que le feu s'éprend en l'vne de ces concauitez, & donne par ce moyen la première fecouffe à la Terre, il ne peut entrer pour cela dans les autres jufques à ce qu'il aitconfommd la matière qui ejl entre-deux, à quoy il a befoin de quelque temps.

<^'o. Quelle ejl la nature du feu.

Mais je n'ay point encore dit en quelle façon le feu fe peut éprendre dans les concauitez de la Terre, à caufe qu'il faut fçauoir auparauant quelle eft fa nature, laquelle je tafcheray maintenant d'expliquer. Toutes les petites parties des corps terrellres, de quelque groffeur ou figure qu'elles foient, prennent la forme du feu, lors qu'elles font feparées l'vne de l'autre, & tellement enuiron- nées de la matière du premier | élément, qu'elles doiuent fuiure fon 35S: cours. Comme aufli elles prennent la forme de l'air, lors qu'elles

a. Art. 42 et 44, p. 224 et 225.

�� � 244 OEuvREs DE Descartes.

font oiuironnées de la lualierc du fécond élément, de laquelle elles luiucnt le cours. De façon que la première & la principale différence qui eft entre l'air & le feu, confifte en ce que les parties du feu fe meuuent beaucoup plus vite que celles de l'air, d'autant que... l'agi- tation du premier élément efl incomparablement plus grande que celle du fécond. Mais il y a encore entr'eux vne autre différence fort remarquable, qui confilte en ce que ce font les plus greffes parties des coi-ps terrejlres, qui font les plus propres à conferuer & nourrir le feu, au lieu que ce font les plus petites qui retiennent le mieux la forme de l'air...; car bien que les plus groffes, comme par exemple celles de l'argent vif, la puiffent auffi receuoir, lors qu'elles font fort agitées par la chaleur, elles la perdent par après d'elles-mefmes, lors que, cette agitation diminuant, leur pefanteur les fait defcendre...

8i. Comment il peut ejlre produit.

Or les parties du fécond élément occupent tous les intcrualles autour de la Terre & dans fes pores, qui font affez grands pour les receuoir, Si. font tellement entaffées qu'elles s'entre-touchent & fe fou- ftiennent l'vne l'autre, en forte qu'on n'en peut mouuoir aucune fans 353 mouuoir auffi fes voifines fi ce n'eff peut eftre qu'on la | face tourner fur fon centre). Ce qui eft caufe que, bien que la matière du premier élément acheue de remplir tous les recoins où ces parties du fécond ne peuuent eftre, & qu'elle s'y meuue extrêmement vite, toutefois, pendant qu'elle n'y occupe point d'autres plus grands efpaces..., elle ne peut auoir la force d'emporter auec foy les parties des corps terrcftres, £■ leur faire Juiure fon cours, ny par confequent de leur donner la forme du feu, pourcc qu'elles fe fouftiennent toutes les vnes les autres, & font fouftenucs par les parties du fécond élément qui font autour d'elles. Mais afin qu'il commence à y auoir du feu quelque part, il eft befoin que quelque autre force chaffe les parties du fécond élément de quelques vns des interualles qui Ibnt entre les parties des corps terreftres, afin que, cclfant de fe fouftenir les vnes les autres, il y en ait quelqu'vne qui fe trouue enuironnée tout autour de la feule matière du premier élément; au moyen de quoy elle doit fuiure fon cours...

tV2. Comment il eft conferué.

Puis, afin que le feu ainli produit ne fuit pas incontinent efteint, il eil befoin que ces parties terrellres foient allez grolles &. folidcs,

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 24^

& affez propres à fe mouuoir, pour auoir la force, en s'écartanl de tous coJie\ auec l'impetuofité qui leur elt communiquée par le pre- mier élément, de repouli'er les parties du fécond, qui fe pre|rentent 354 fans ceffe pour rentrer en la place du feu, d'où elles ont ejlé chajfées, & ainfi empefcher que, fe joignant derechef les vues aux autres..., elles ne l'elteignent.

83. Pourquoy il doit toiif-jours auoir quelque corps à confumer, afin de fe pouuoir entretenir .

Outre cela, ces parties terrellres, en repouffant celles du fécond élément, peuuent bien, les empefcher de rentrer dans le lieu oii ejl le feu, mais elles ne peuuent pas eftre empefchées par elles de paffer outre vers l'air, où... perdant peu à peu leur agitation, elles celïent d'auoir la forme du feu, & prennent celle de la fumée. Ce qui eft caufe que le feu ne peut demeurer long-temps en vn mefme lieu, fi ce n'eft qu'il y ait quelque corps qu'il confume fucceffiuement pour s'entretenir; & à cet effet, il ell: beloin, premièrement, que les parties de ce corps foient tellement difpofées quelles en puiffent eftre fepa- rées l'vne après l'autre par l'adion du feu, duquel elles prennent la forme, à mefure que celles qui l'ont fe changent en fumée ; puis aujji, qu'elles foient en ajje:{ grand nombre & affe\ grojfes pour auoir la force de repouffer les parties du fécond élément, qui tendent àfuffo- quer ce feu: ce que ne pourraient faire celles de l'air feul, c'ejl pour- quoy il ne fiiffit pas pour l'entretenir.

84. Comment on peut allumer du feu auec vnfu!{il.

Mais, afin que cecy puiffe eftre plus parfaitement entendu, j'expli- queray icy les diuers | moyens par lefquels le feu a couftume d'eftre 355 produit; puis auffi, toutes les chofes qui feruent; à le conferuer;& enfin, quels font les effets qui dépendent de fon aftion. Le plus ordi- naire moyen qu'on employé pour auoir du feu, quand on en manque, eft d'en faire fortir d'vn caillou, en le frapant auec vn fuiil ou bien auec vn autre caillou. Et je croy que la caufe du feu, ainfi produit, confifte en ce que les cailloux font... durs & roides [c'ejl à dire tels que,Jion plie tant foit peu quelques vues de leurs parties, elles tendent à fe remettre en leur première figure, tout de mefme qu'vn arc qui eft bandé), & qu'auec cela ils font... callans. Car, pource qu'ils font durs & roides, on fait, en les frapant..., que plufieurs de leurs petites parties s'approchent quelque peu les mes des autres fans fe

�� � 246

��Œuvres de Descartes.

��356

��joindre entièrement pour cela, & que les interualles qui l'ont autour d'elles deuiennent fi eftroits que les parties du fécond élément en fortent toutes, de façon qu'ils ne demeurent remplis que du pre- mier; puis derechef, poiirce qu'ils font roidcs,Ji iojl que le coup a cejfé, leurs parties tendent à reprendre leur première figure; & pource qu'ils lont caflans..., la force dont elles tendent ainji à retourner en leurs places, fait que quelques-vnes le feparent entièrement des autres, au moyen de quoy, ne fe trouuant enuironnées que | de la matière du premier élément, elles fe conuertiflent en feu. Par exemple, on peut penfer que les petites boules qu'on voit entre les parties du caillou A% reprefentent le fécond clément qui ell en fes pores; & que, lors qu'il ell {vapé d'vn fu'il, comme on voit vers B, toutes ces petites boules fortent de fes pores, lefquels deuiennent i'i eftroits qu'ils ne contiennent que le premier élément; & enfin, qu'après le coup ces parties du caillou, eftant rompues, tombent en pirouettant, à caufe de la l'iolentc agitation du premier clément qui les enuironne, & ainfi compofent des eftincelles de feu.

85. Comment on en allume aufft en frôlant vn boisfec.

Si on frape du bois en mefmc façon, tant l'ec qu'il puifl'e eftre, on n'en fera point fortir du feu pour cela: car il s'en faut touf-jours beaucoup qu'il ne foit auffi dur qu'vn caillou; & les premières de fes parties qui font prelTées par la violence du coup, fe replient fur celles qui les fuiuent, & fe joignent à elles auant que ces fécondes fe replient fur les troifiémes: ce qui fait que \cs parties du fécond élé- ment (qui deuroient fortir de plufieurs de leurs interualles en mefme temps, afin que le premier élément qui leur fuccede y pût agir auec quelque force) n'en fortent que fucceffiuement, des premiers en pre- mier lieu, après des féconds, & ainfi de fuite. Mais, fi on frotte alfez 357 fort ce mefme bois pendant | quelque temps, le branfle que cette agitation donne à les parties,.., peut fuffire pour chalfer le fécond élément d'autour d'elles, & faire que quelques-vnes fe deftachent des autres : au moyen de quoy, }ie fe trouuant enuironnées que du premier élément, elles fe conuertiffent en feu.

86. Comment auec vn miroir creux ou vn verre connexe.

On peut auffi allumer du feu par le moyen d'vn miroir concaue, ou d'vn verre conuexe, en faifant que plufieurs rayons du Soleil,

a. Planche XVII.

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 247

tendant vers vn mefme point, r joignent leias forces. Car, encore que ces raj'ons n'agilfent que par l'ciilremife... du fécond clément, leur action ne lailTe pas d'eltre beaucoup plus prompte que celle qui luy eft ordinaire; & elle l'cltalfez pour exciter du feu, à caufe qu'elle vient... du premier élément, qui compole le corps du Soleil; elfe peut aufll eftre affez forte, lors que plufieurs rayons fe joignent enfemble, \)o\iv fcparer des corps terrejîres quelques rues de leurs parties, â leur communiquer la vitelfe du premier élément, en laquelle conjijle la forme du feu.

R-j . Comment la feule agitation d'vn corps le peut embrafer.

Car enfin, partout où le trouue vne telle vitelfe dans les parties des corps terreitres, il y a du feu, fans qu'il importe qu'elle " en foit la caufe. Et comme // ejt vray que ces parties terreftres ne peuuent eftre enuironnées de la feule matière du premier élément fans ac- quérir cette vitelfe, bien qu'elles n'en eulfent point du tout aupa- rauant : | en mefme façon qu'vn bateau ne peut cltre au milieu d'vn 358 torrent fans fuiure fon cours, lors qu'il n'y a point d'ancres nj- de cordes qui le retiennent : /'/ e/l vray aujji que, lors qu'elles acquerent celle l'itejj'e", bien qu'il y ait plufieurs parties du fécond élément qui les louchent, & qu'elles fe touchent auJJi les l'iies les autres, elles chajfeut incontinent d'autour de foy tout ce qui peut empefcher leur agitation, en forte qu'il n'y demeure que le premier élément, lequel ferla l'entretenir. Ainfi tous les mouuemens violens fuflifcnt pour produire du feu. Et cela fait voir comment la foudre, les éclairs, & les tourbillons de vent/t? peuuent enjlamer : pource que, fuiuant ce qui a efté dit dans les Météores', ils font caiife^ de ce que l'air qui elt enfermé entre deux nues en fort auec très-grande viteife, lors que la plus haute de ces nues tombe fur la plus bafle.

SS. Comment le me/lange de deux corps peut auj/i faire qu'ils s'embrafent.

Toutefois cette viteffe n'eft peut elfre jamais la l'culc caufe des feux qui s'allument dans les nues, pource qu'il y a ordinairement des exlialaifons dedans \'a\r qui leur ferueut de matière, & qui font

a. Lire quelle ?

b. Note MS. (barrée): •< Vide laiinum. » Autre main (de Lcgrand ?) : « Consultez le latin qui en cet endroit est fort expressif. ->

c. Discours VII, p. 32 i de cette édition, 1. 3.

�� � 248 OEuvRES DE Descartes.

de telle nature qu'elles s'embrafent fort ailement, ou du moins elles compofent des corps qui jettent quelque lumière, encore qu'ils ne Je confiimeut pas. Et c'eft de ces exhalaifons que fe font les

359 feux folets en la plus \ bajfe région de l'air, & les éclairs qu'on voit quelquefois fans qu'il tonne en la moyenne, & en la plus haute les lumières enforme rf'eftoiles, qui femblent tomber du ciel ou y courir d'vn lieu à l'autre. Car les exhalaifons, ainfi qu'il a efté dit", font compofées de parties fort déliées & diuifées en plufieurs branches, qui fe font attachées à d'autres parties vn peu plus greffes, tirées des fels volatiles & des fucs aigres & corrofifs. Et il efl à remar- quer que les interualles qui font entre ces branches fort déliées font fi petits..., qu'ils ne Ibnt ordinairement remplis que de la matière du premier élément : ce qui efl caufe que, bien que les parties du fécond occupent tous les autres plus grands interualles qui font entre les parties des fels, ou fucs, reueftuës de ces branches, elles en peuuent facilement ejlre chajfées, lors que, ces exhalaifons ejîant preffées de diuers cojle^, quelques-unes des parties des fucs ou fels volatiles entrent en ces plus grands interualles des autres. Car l'aâion du premier élément, qui eft entre les petites branches qui les enuironnent, leur ayde à les chaffer : & par ce moyen ces parties des exhalaifons fe changent en fiame.

8g. Comment s'allume le feu de la foudre, des éclairs, & des EJloiles qui trauerfent.

Et la caufe qui preffe ainfi les &\\\a\d\{on's, pour faire qu'elles s' en- flament, quand elles compofent la foudre ou les éclairs, efl: éuidente,

360 I pource qu'elles font enfermées entre deux nues, dont l'vne tombe fur l'autre. Mais celle qui leur fait compofer les lumières en forme d'EJioiles qu'on voit, en temps calme &ferain, courir çà & là par le ciel, n' efl pas du tout fi manifejle : neantmoins on peut penfer qu'elle confijle en ce que, lors qu'vne exhalaifon efl: defja aucunement condenfée & arreftée par le froid en quelque lieu de l'air, les parties d'vne autre, qui viennent d'vn lieu plus chaud & font par confe quent plus agitées, ou feulement qui, à caufe de leurs figures, conti- nuent plus long temps à fe mouuoir, ou bien auffi qui font portées vers elle par vn peu de vent, s'infinuent en fes pores, & en chaffent le fécond élément : au moyen de quoy..., fi elles peuuent auffi

a. Art. 76 et y-j, p. 241 et 242.

b. Note MS. (barrée) : « Vide latinum. » Autre note (de Legrand ?) : « Consultez le latin en cet endroit. »

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 249

déjoindre les parties, elles en compofent vne flame, qui, conjumant prompiemenl ce tic exhalai fou, ne dure que fort peu de temps, & lemble vne Elloile qui palfc d'vn lieu en vn autre.

go. Comment s'allument les EJloiles qui tombent, S- quelle ejl {a cauje de tous les autres tels feux qui luifent €■ ne bru/lent point.

Au lieu que, fi les parties de l'exhalaifon font Jî bien jointes qu'elles ne puilient ainfi eftre feparées par l'aclion des autres exlia- lai/ons qui s'infinueut en fes porcs, elle ne s'emhraje pas tout à fait, mais rend feulement quelque lumière : ainfi que font aulfi quel- quefois les bois pourris, les poidbns falez, les gouttes de l'eau de mer, & quantité d'autres corps. Car il n'efl befoin d'autre chofe, pour produire de la lumie|re, fmon que les parties du fécond ele- 361 ment Ibient pouffées par la matière du premier, ainfi qu'il a efté dit c}'-deffus ". Et lors que quelque corps terrcflre... a plufieurs pores qui font 11 eifroits qu'ils ne peuuent donner paffage qu'à cette matière du premier élément, il peut arriuer que, bien qu'elle n'y ait pas affez de force pour détacher les parties de ce corps les vnes des autres, êpar ce moyen le briijler, elle en ait neantmoins aflez pour poulfer les parties du fécond élément, qui font en l'air ^'alentour, & ainfi caufer quelque lumière. Or on peut penfer que les Efloiles qui tombent ne l'ont que des lumières de cette forte; car on trouue fouuent fur la terre, aux lieux où elles font tombées, vne matière vifqueufe & gluante qui ne hrujle point. Toutefois on peut croire aufll que la lumière qui paroill en elles, ne vient pas proprement de cette matière vifqueufe, mais d'vne autre plus fubtile qui l'enui- ronne, & qui eflant enflamée fe confume pour l'ordinaire auant qu'elle paru icnne jufques à la terre.

gi. Quelle ejl la lumière de l'eau de mer, des bois pourris, &c.

Mais pour ce qui ell de l'eau de mer, dont j'ay cy-deffus ' expliqué la nature, il ell aifé à juger que la lumière qui paroift autour de fes gouttes, lors qu'elles font agitées par quelque tempefte. .. , ne vient que de ce que cette agitation fait que, pendant que celles de leurs parties qui l'ont mol\lcs €■ pliantes demeurent jointes enfemble, les 362

a. Pariie III, art. 55 et suiv., p. i3o.

h. Voir ci-après, art. 102.

c. Art. 66, p. 337.

d. Voir Météores, Discours III, p. 255 de cette édition, 1. 21.

Œuvres. IV. 63

�� � 2^0 Œuvres de Descartes.

pointes des autres, qui font roides £■ droites, s'auancent, ainfi que des petits dards, hors de leurs fuperficies, & pouffent auec impe- tuofite les parties du fécond élément qu'elles rencontrent. le croy auffi que les bois pourris, les poiffons y'a/e^, & autres tels corps, ne luifent point, que lors qu'il fe fait en eux quelque altération qui reftrecit tellement plufieurs de leurs pores, qu'ils ne peuuent con- tenir que de la matière du premier élément ° : foit que cette altéra- tion vienne de ce que quelques-vnes de leurs parties s'approchent, lors que auelques autres s'éloignent, comme il femble arriuer aux bois pourris ; foit de ce que quelque autre corps fe meJJe auec eux , comme il arriue aux poijjons falei, qui ne luifent que pendant les jours que les parties du fel entrent dans leurs pores.

��g2. Quelle ejl la caufe des feux qui brûlent ou efchaufent, & ne luifent point : comme lors que le foin s'échaufe de foy-mejme.

Et lors que les parties... d'vn corps... s'infmuent ainfi entre celles d'vn autre..., elles ne peuuent pas feulement le faire luire fans l'échauffer, en la façon que je viens d'expliquer, mais fouuent aujjt elles réchauffent fans le faire luire, à'- enfin quelquefois elles l'em- brafent tout à fait. Comme il paroilt au foin qu'on a renfermé auant qu'il full fec, &. en la chaux viue fur laquelle on verfe de l'eau, & en toutes les fermentations... qu'on voit communément en la Chy- 363 mie... Car il | n'y a point d'autre raifon qui face que le foin... qu'on a renfermé auant qu'il fuit (ec, s'échauffe peu à peu jufques ix s'em- brafer, finon que les fucs ou efprits, qui ont couflume de monter de la racine des herbes... tout le long de leurs ùges pour Icurfcr- itir de nourriture, n'eltant pas encore tous fortis de ces herbes..., lors qu'on le renferme, continuent par après leur agitation, &, for- tant des vnes de ces herbes, entrent dans les autres, à caufe que, le foin ejlant renfermé, ces J'ucs ne fe peuuent éuaporer ; & pource que ces herbes commencent à fe feicher, ils y trouuent plufieurs pores vn peu plus efiroits que de cou/lume, qui, ne les pouuant plus rece- uoir auec... le fécond élément, les rcçoiuent feulement enuironnez du premier, lequel, les agitant fort promptement, leur donne la

a. Note MS. (de Legiand ?) : « Le reste de cet art. n'est point dans le 1) latin, et a été ajouté par .\k Desc. en traduisant ses principes. ><

h Idem: " Ce qu'il dit en un endroit auoir expérimenté luy même. >i Voyla ses paroles : Dum in oceano f^ermanico nauigarem &c. » — Et d'une auire main : " Tout le reste est écrit dans l'autre liure. » (Sans dùuit; le rcsic de cette citation laiine.)

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 2^1

forme du feu. Penfons, par exemple, que l'efpace qui eft entre les corps B & C', reprefente vn des pores qui l'ont dans les herbes encore vertes, & que les petits bouts de cordes i , 2, 3, auec les petites boules qui les enuironnent, reprelentent les parties des lues ou efprits enuironnées... du fécond élément, ainli qu'elles ont couftume d'eftre lors qu'elles coulent le long de ces pores; & de plus, que l'efpace qui elt entre les corps D & E, l'oit l'vn des pores d'vne autre herbe qui commence à fe feicher, ce qui eft caufe qu'il eft fi eflroit que, I lors que les mefmes parties des fucs 1 , 2, 3, y viennent, elles n'y peuucnt eftre enuironnées du fécond élément, mais feulement de quelque peu du premier. Et nous verrons éuidemment que, pen- dant que les Jurs /, 2, 3, coulent par dedans l'herbe verte d- humide BC, ils n'y fuiuent que le cours... du fécond élément; mais que, lors qu'ils Vaffent dans l'herbe feiche DE, ils y doiuent fuiure le cours du premier, lequel efl beaucoup plus rapide. Car, encore qu'il n'y ait que fort peu du premier élément autour des parties de ces fucs, c'eft affez qu'il les enuironne en telle for le qu'elles ne fnieii! aucunemeni retenues par le fécond, ny par aucun autre corps qui les touche, pour faire qu'il ait la force de les emporter auec foj : amfi qu'vn battcau peut eftre emporté par le cours d'vn niifl'eau qui n'a juftement qu'autant de largeur qu'il en faut pour le contenir, auec quelque peu d'eau tout autour gui empefche qu'il ne touche à la terre, auiïi bien que par le cours d'vne riuiere également rapide & beau- coup plus large. Or, quand ces parties des fucs fuiuent ainfi le cours du premier élément, elles ont beaucoup plus de force à pouffer les corps qu'elles rencontrent, que n'auroit pas ce premier élément, 5'// ejloit feul : comme on voit aufli qu'vn bateau qui fuit le cours d'vne riuiere, en a beaucoup plus... que l'eau de cette | riuiere, qui toutefois e/l feule la câui'e de fon mouuement. C'eft pourquoy ces parties des fucs ainfi agitées, rencontrant les plus dures parties du foin, les pouffent auec tant d'impetuofité, qu'elles les feparent aifément de leurs voifines, principalement lors qu'il arriue que plufieurs en pouffent vne feule en mefme temps...; & lors qu'elles en feparent ainfi affez grand nombre qui, ejîant proches les vues des autres, fui- uent le cours du premier élément, le foin s'embrafe tout à fait ; mais lors qu'elles n'en meuuent que quelques vues, qui n'ont pas a[le^ d'ef- pace autour d'elles pour en aller choquer d'autres, elles font feule- ment que ce foin deuient chaut, & fe corrompt peu à peu fins s'em- brafer, en forte qu'alors il j a en lit/ vne efpece de feu qui ejt fans lumière.

a. Planche XVIII, figure i.

��364

��365

�� � 2^2 OEuVRES DE DeSCARTES.

��f)3. Pourqiioy, lors qu'on jette de l'eau fur de la chaux vitie, & générale- ment, lors que deux corps de diuerfe nature font mejle\enj'emble, cela excite en eux de la chaleur.

En mefme façon nous pouuons penler que, lors qu'on cuit de la chaux, l'adion du feu chaffe quelques-vues des parties du troijieme elcment, qui fou l dans les pierres dont elle Je fait : ce qui ejl caufe que plufieuVs des pores qui elloient en ces pierres s'élargiffent jufqucs à telle inclure, qu'au lieu qu'ils ne pouuoient auparauant donner paf- lagc qu'au fécond élément, ils peuuent par après, lors qu'elles fout conuerlies en chaux, le donner aux parties de l'eau, cnuironnées de 366 quelque peu de la matière du premier | élément. En fuite de quoj- il ejl éuidenl que, lors qu'on jette de l'eau fur cette chaux, les parties de cette eau, entrant en fes pores, en chaffent le fécond élément, £• y demeurent feules auec le premier, lequel, augmentant leur agitation, échauffe la chaux. Et afin que j'acheue en peu de mots tout ce que j'a}' à dire fur ce fujet, je croj' généralement, de tous les corps... qui peuuent eflre échauffez par le feul meflange de quelque liqueur, que cela vient de ce que ces corps ont des pores de telle grandeur, que les parties de cette liqueur peuuent entrer dedans, en chaffer le fécond élément, & n'y demeurer enuironnées que du premier. le croy aulli que c'ell la mefme raifon qui fait échauffer diuerfes liqueurs, lors qu'on les nielle l'vnc auec l'autre : car touf-jours l'vne de ces liqueurs efl compofée de parties qui ont quelques petites branches, par le moyen defquelles fe joignant & s'accrochant quelque peu les vnes aux autres, elles font l'office d'vn corps dur. Et cecy peut mefme eftre entendu des exhalaifons, fuiuant ce qui a tantoft efté dit'.

g 4. Comment le feu peut ejlre allumé dans les concauite^ de la Terre.

Au reite, le feu peut eftre allumé en toutes les façons qui vien- nent d'eftre expliquées, non feulement fur la fuperficie de la Terre, mais aufll dans les concauitez qui font au dejfous. Car il peut y auoir des efprits... qui, fe glilTant entre les | parties des exhalaifons..., les enflament ; & il y a des pièces" de rochers... demy-rompuës, qui, eltant minées peu à peu par le cours des eaux ou par d'autres caufes, peuuent tomber tout à coup du haut de ces concauitez, &

a. Art. 89, p. 248.

b. Lire ; pierres? comme quatre lignes après : d'autres pierres.

��367

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 2 5 j

par ce moyen faire du feu : foit à caufe qu'en tombant elles frapent d'autres pierres, ainfi qii'rn fir^il ; foit auffi à caufe que, lors qu'elles font grandes, elles chalfent l'air qui eft fous elles auec fort grande violence, ainfi qu'ejl chajfé celuy qui ejî entre deux nues, lors que l'vne tombe fur l'autre"...

g 5. De la façon que brujle vn flambeau.

Or, après que le feu s'efl épris en quelque corps, il palfe facile- ment de là dans les autres voifms, lors qu'ils l'ont propres à le rece- uoir. Car les parties du premier corps qui efl enflante, eflant fort violemment agitées par le feu, rencontrent celles des autres qui font proches de Itij; & leur communiquent leur agitation... Mais cecy n'appartient pas tant à la façon dont le feu eft produit, qu'à celle dont il eft conferué, laquelle je doy maintenant expliquer. Confide- rons,par exemple', le flambeau AB, qui eft allumé, &penfons qu'il y a plufieurs petites parties de la cire ou autre matière grafe ou iiuileufe dont il eft compofé, comme aufli plufieurs... du fécond élément, qui fe meuuent fort vite en tout l'efpace CDE, où elles compofent la flame, à caufe qu'elles y fuiuent le cours du premier élément..., & que, | bien qu'elles fe rencontrent fouuent & s'entre- poulfent, elles ne fe touchent pas toutefois de tant de codez, qu'elles fe puiffenl arrefler l'vne l'autre, & s'empefcher d'eflre emportées par luf.

g6. Ce que c'ejl qui conferué fa flame.

Penfons aujfi que la matière du premier élément, qui eft en grande quantité auec les parties du fécond & auec celles de la cire en cette flame, tend touf-jours à en fortir, pource qu'elle ne peut continuer Ion mouuement en ligne droite, qu'en s'éloignant du lieu où elle eft ; & qu'elle tend mefme à en fortir en montant plus haut, & s'éloi- gnant du centre de la Terre, à caufe que, fuiuant ce qui a efté dit cy-delTus% elle eft légère, non feulement à comparaifon... des parties de l'air d'alentour, mais aufjl à comparaifon de celles du fécond élé- ment qui font en fes pores. C'eft pourquoy ces parties... de l'air & du fécond élément tendent auffi à defcendre en fa place, laquelle

a. Dans le texte latin, Tan. 94 continue et s'achève par les phrases sui- vantes, rattachées ici à l'art. gS : Or après que.. . expliquer.

b. Planche XVIIl, figure 2.

c. Art. 22 et 2 3, p. 211 et 21 3.

��368

�� � 2^4 OEUVRES DE Descartes.

elles occuperoietit incontinent, & ainfi fuffoqueroient cette flamc, fi elle n'eftoit compofée que du premier; mais les parties... de la cire qui cornmencent à fuiure fon cours, dés lors qu'elles fortent de la mèche FG...% vont rencontrer ces parties de l'air & du fécond élément, qui font difpofées à defcendre en la place de la flame, & les repouffent auec plus de force, que ce premier élément feul ne pour- 369 roit faire •• au | moyen de quoy cette flame fe conferue.

��gj. Pourquoy elle monte en pointe. Et d'où vient la fumée.

Et pource que ces parties de la cire fuiitent le cours du premier élément, elles tendent principalement à monter en haut, ce qui cil caufe de la figure pointue de la flame. Mais pource qu'elles ont plus de force que les parties de l'air d'alentour..., tant à caufe qu'elles font plus groffes, qu'à caufe qu'elles fe meuuent plus vite, bien qu'elles empefchent cet air de defcendre vers la flame, elles ne peuuent pas eftre empefchées par luy en mefme façon de monter plus haut vers H , où, perdant peu à peu leur agitation, elles fe changent en fumée.

gS. Comment l'air & les autres corps nourriJJ'ent la flame.

Et cette fumée ne trouueroit aucune place où fe mettre, hors de la flame, à caufe qu'il n'y a point de vuide, fi, à mefme temps qu'elle entre dans l'air, vne pareille quantité de cet air ne prenoit fon cours circulairement vers le lieu qu'elle quitte. C'eft pourquoy, lors qu'elle monte vers H, elle en chaiTe de l'air qui defcend par I & K vers B, où râlant le haut du flambeau B & le bas de la mèche F, il couJe de là dans la flame, & fert de matière pour l'entretenir. Toutefois, à caufe que ces parties font fort déliées, elles ne pourroient fuftire à cela toutes feules; mais elles font auffi monter auec foy, par les pores de la mèche, des parcelles de cire, à qui la chaleur du feu a def-ja 370 donné quelque agitation : ce qui fait que | la flame fe conferue en changeant continuellement de matière, & en ne demeurant jamais deux momens de fuite la mefme, que comme fait vne riuiere '.n laquelle il aflue inceflamment de nouuelles eaux.

a. Planéhe XVIII, figure 2.

b. Ibidem,

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 255

gg. Que l'air renient circulairement vers le feu en la place de la fumée.

Et ce mouuement circulaire de l'air... vers la flame peut aifé- ment eftre connu par expérience : car, lors qu'il y a vn aiTez grand feu dans vne chambre, où toutes les portes & fenejlres font bien fer- mées, & où, excepté le tuyau de la cheminée par où la fumée fort, il n'y a rien d'ouuert que quelque vitre caffée, ou quelque autre trou afTez eftroit, fi on met la main auprès de ce trou, l'on fent manifefte- ment le vent que fait l'air en venant par là vers le feu en la place de la fumée "...

��7 00. Comment les liqueurs efteignent le feu, & d'où vient qu'il y a des corps qui brujlent dans l'eau.

Ainfi on peut voir qu'il y a touf-jours deux chofes requifes pour faire que le feu ne s'efleigne point. La première eft, qu'il y ait en luy des parcelles du Iroifiéme élément, qui, eftant meuës par le pre- mier, ayent affez de force pour repouffer le fécond élément auec l'air ou les autres liqueurs qui font au deffus de luy, & empefcher qu'elles ne le fuffoquent. le ne parle icy que des liqueurs qui font au deffus, à caufe que, n'y ayant que leur pefanteur qui les face aller vers luy, celles qui font au deffous n'y vont jamais en cette façon pour l'efteindre ; & elles y vont feulement, lors quelles f font attirées pour \ le nourrir : comme on voit que la mefme liqueur qui 371 fert à entretenir la flame d'vn flambeau quand il ejt droit, le peut efteindre quand il eft renuerle. Et au contraire, on peut faire des feux qui brujlent fous l'eau, à caufe qu ils conûtnntnx. des parcelles du iroifiéme élément, fi folides, fi agitées, & en fi grand nombre, qu'elles ont la force de repouffer l'eau de tous coftez, & ainfi l'em- pefcher d'efteindre le feu.

10 1 . Quelles matières font propres à le nourrir.

L'autre chofe qui eft requife pour la durée du feu, eft qu'il y ait auprès de luy quelque corps, qui luy fourniffe touf-jours de la matière pour fucceder à la fumée qui en Ibrt. Et à cet effet, il faut que ce corps ait en foy plufieurs parties affez déliées, à raifon du feu qu'il doit entretenir, & qui foient jointes entr'elles, ou à d'autres

a. Voir Correspondance, t. III, p. SSj.

�� � 2^6

��Œuvres de Descartes.

��plus greffes, en telle forte que les parties qui font def-ja embrafées puiffent les feparer de ce corps, & aufli des parties du fécond élé- ment qui font proches d'elles, afin de leur donner par ce moyen la forme du feu.

102. Pourquoy lajiame de l'eau de vie ne briijle point vn linge moUillé

de cette me/me eau.

le dis qu'il faut que ce corps ait en foy des parties affez déliées, à comparaifon du feu qu'elles doiuent entretenir, pource qu'elles ne pourvoient r feruir, fi elles efioicnt fi grojfes qu'elles ne pùffent efire meuës & feparées par les parties du troifiéme élément qui compofent

372 ce feu, & qui ont d'autant moins de force \ qu'elles font plus déliées Comme on voit, ayant mis le feu en de l'eau de vie dont vn linge elt mouillé, que ce linge. . . n'en peut eftre hruflé, ny par confequent nourrir ce feu : dont la raifon eÛ que les parties de la flame qui vient de l'eau de vie, font trop déliées & trop faibles pour mouuoir celles du linge ainfi mouillé.

io3. D'où vient que l'eau de vie bru/le facilement.

l'adjoufie qu'elles doiuent efire jointes en telle forte, que le feu les puijj'e feparer les vnes des autres, & auffi des parties du fécond élé- ment qui font proches d'elles. Et afin qu'elles puiffent efire feparées les vnes des autres, ou bien elles doiuent c/lre fi petites & fi peu jointes enfemble, qu'encore que la/lame ne touche que la fuperficie du corps qu'elles compofent, fon aâion jufiije pour les tirer de cette fuperficie l'vne après l'autre : & c'efi ainfi que brufie l'eau de vie; mais le linge efi compofé de parties trop groJJ'es & trop bien jointes pour efire feparées en mef ne façon. Ou bien il doit y auoir plufieurs pores en ce corps, qui foient aj[e\ grands pour receuoir les parties de la fiame, afin que les parties de la fiame, coulant autour des fiennes, a/ent plus de force à les feparer : & pource qu'il y a quantité de tels pores dans le linge, de là vient qu'il peut aifement efire brufié, mefme par la fiame de l'eau de vie, lors qu'il n efi point du tout moïiillé; mais

373 lors qu'il efi moi'iillé, en\core que ce nejoit que d'eau de vie, les parties de cette eau qui ne font point enfiamées rempliffent fes pores, & ainfi empefchent celles de la fiame, qui efi au dcff'us, d'y entrer. De plus, afin que les parties du corps, qui fer t à entretenir le feu, puiffent efire feparées du fécond élément qui les enuironne, ou bien elles doiuent efire affe'i fermement jointes les vnes au.x autres, en forte que les par-

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 257

ties du fécond élément, refijlant moins qu'elles à la fiante, en foient chajfées les premières, & cette condition Je trouue en tous les corps durs qui peuuent brujler ; ou bien,Jî les parties du corps qui brujle font Ji petites & fi peu jointes enfemble, qu'encore que la flame ne touche que lafuperficie de ce corps, elle ait la force de lesfeparer, il eft befoin qu'elles aj'ent plufieurs petites branches fi déliées & fi proches les vnes des autres, qu'il n'y ait que le feul premier élément qui puilTe remplir les petits interualles qui font autour d'elles. Et pource que l'eau de vie brufle fort aifément, il eft à croire que fes parties ont de telles branches, mais qui font fort courtes, à caufe que, fi elles efloient rn peu longues, elles f*" lieroient les vnes aux autres, & ainfi compoferoient de l'huile...

��104. D'où vient que l'eau commune ejîeint le feu.

L'eau commune eft en cela fort différente de l'eau de vie ; car elle eft plus propre à eftein\dre le feu qu'à l'entretenir. Dont la raifon eft 374 que fes parties font affez groffes, & auec cela fi gliffantes, vnies & pliantes, que non feulement les parties du fécond élément, qui fe joignent à elles de tous coftez, n'y laijfent que fort peu de place pour le premier ; mais auffi elles entrent facilement dans les pores des corps qui bruflent, Si en chaffant les parties qui ont def-ja l'agitation du feu, cmpefchent que les autres ne s'embrafent.

io5. D'où vient qu'elle peut auffi quelquefois l'augmenter, & que tous les Jets font lefemblable.

Toutefois cela dépend de la proportion qui eft entre la groffeur de fes parties & la violence du feu, ou la grandeur des pores du corps qui brufte. Car, comme il a def-ja efté dit ' de la chaux viue, qu'elle s'efchauffe auec de l'eau froide, ainfi il y a vneefpece de charbon qui en doit eftre arrofé tors qu'il brufte, afin que fa flamme" en foit plus viue. Et tous les feux qui font fort ardens, le deuiennent encore plus, lors qu'on jette deffus quelque peu d'eau. Mais, fi on y jette du fel, leur ardeur fera encore plus augmentée que par l'eau douce: à caufe que les parties du fel, eftant longues & roides, & s'élançant de pointe, comme des flèches, ont beaucoup de force, lors qu'elles font enflammées..., pour efbranler les parties... des corpsqu'elles ren-

a. Art. 93, p. 252.

b. Sic, exceptionnellement, avec deux m (comme aussi p. 358 et aSg).

Œuvres. IV. 64

�� � 258 OEUVRES DE Descartes.

contrent. Et c'eft pour cette raifon qu'on a couftume de mefler cer- 375 tains fels parmy les | métaux, pour les fondre plus aifément.

106. Quels corps font les plus propres à entretenir le feu.

Pour ce qui eft du bois & des autres corps durs dont on peut entretenir le feu, ils doiuent eftre compofez de diuerfes parties, quelques-vnes defquelles foient affez petites, les autres vn peu plus groffes, & qu'il y en ait ainfi par degré?, ju/ques à celles qui font les plus grojfes de toutes. Et il y en doit auoir dont les figures foient affei irregulieres, & comme diuifées en plufieurs branches, en forte qu'il y ait parmy elles d'aflez grands pores, afin que les parties du troifiéme élément qui font enflamme'es, entrant en ces pores, puiffent premièrement agiter... les plus petites, puis par leur moyen les médiocres, & par le moyen de celles-cy les plus groffes ; & en mefme tem^schdSier le fécond élément, premièrement des plus petits pores, puis auffi de tous les autres, & enfin emporter auec foy toutes les parties de ce corps, excepté les plus groffes qui demeurent & compo- fent les cendres.

loj. Pourquoy il y a des corps qui s'enjlament & d'autres que le feu confomme fans les enflamer.

Et lors que les parties qui fortent en vn mefme temps du corps qui brufle, font en affez grand nombre pour auoir la force de chaffer les parties du fécond élément, qui font en quelque endroit de l'air proche de ce corps, elles rempliffent tout cet endroit de flame; mais fi elles font en trop petit nombre, ce corps brufjle fans s'enflammer ; & s'il eft compofé de parties fi égales & tellement dijpofées, que les premières qui s'embj-afent ayent la force d'embrafer leurs voifines en fe gliffant parmy elles, lefeufe conferue en ce corps jufques à ce qu'il l'ait confumé : comme on voit arriuer... aux mèches dont fe feruent les Soldats pour leurs moiifquets.

108. Comment lefeufe conferue dans le charbon.

Mais fi les parties de ce corps ne font point ainjî difpofées, le feu ne s'y conferue qu'en tant que les plus Jubtiles,qui font deffa embrafées, fe trouuant engagées entre plufieurs autres plus grojfes, qui ne le font pas, ont befoin de quelque temps... pour s'en dégager. Ce qu'on expérimente aux charbons... qui, eftans couuerts de cendres, con-

��376

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 2^9

feruent leur feu pendant quelques heures, par cela Icul que ce feu confiite en l'agitation de certaines parties du troijiéine élément afl'ez petites, qui ont plufieurs branches, & qui, fe trouuant engagées entre d'autres plus groffes, n'en peuuent fortir que l'vne après l'autre, nonobftant qu'elles foient fort agitées, & qui peut eftre aufil ont befoin de quelque temps pour eftre diminuées ou diuifées peu à peu par la force de leur agitation, auant qu'elles puiffent fortir des lieux où elles font.

��10g. De la poudre à canon, qui Je fait de foulfi-e, de falpettre & de charbon. Et premièrement du foulfre.

Mais il n'y a rien qui prenne fi toft feu, & j qui le retienne moins 377 long temps, que fait la poudre à canon. De quoy on peut voir claire- ment la caufc, en confderant la nature du foulfre, du falpetre & du charbon, qui font les feuls ingrediens dont on la compofe. Car, premièrement, le foulfre efl de foy mefriie extrêmement prompt à s'enflammer, d'autant qu'il efl compofé des parcelles des fucs aigres ou corrofifs, enuironnées de la matière huileufe, qui fe trouue auec eux dans les mines, 5- qui efl diuifée en petites branches fi délices & fi proches les vnes des autres, qu'il n'y a que le premier élément qui puiffe paffer parmy elles. Ce qui fait auffi que, pour l'vfage de la Médecine, on eflime le foulfre fort chaud.

1 10. Du falpetre.

Puis, pour ce qui efl: du falpetre, il efl: compofé de parties qui font toutes longues & roides, ainfi que celles du fel commun, dont elles différent feulement en cela qu'vn de leurs bouts eft plus menu & plus pointu que l'autre, au lieu que les deux bouts des parties du fel commun font égaux entr'eux. Ce qu'on peut connoiflre par expé- rience, en faifant diflbudre ces deux fels en de l'eau : car, à mefure que cette eau s'éuapore, les parties du fel commun demeurent cou- chées fur fa fuperficie, où elles compofent des petits quarrez, ainfi que j'aj expliqué dans les Météores " ; mais les parties du falpetre defcen|dent au fonds, ou s'attachent aux coftez du vailfeau, 6- mon- 378 firent par là que l'pn de leurs bouts efl plus gros ou plus pefant que l'autre.

a. Discours III, p. 256 de cette édition^ 1. 27.

�� � 200 OEuVRES DE DeSCARTES.

��m. Du me/lange de ces deux enfemble.

Et... il faut remarquer qu'il y a telle proportion entre les parties du falpetre & celles du foulfre que, bien que celles-cy foieiil plus petites ou moins majfiues que les autres, toute/ois, ejlant enjlamées, elles ont la force de chafTer fort vite tout ce qu'ily a du fécond élément entr'elles & ces autres, & par me/me moyen, de faire que le premier élément les agite.

��112. Quel ejl le mouuement des parties du falpetre.

11 faut aufïï remarquer que c'eft principalement le bout le plus pointu de chacune de ces parties du falpetre, qui fe meut pendant qu'elles font ainfi agitées,, & qu'il décrit vri cercle en tournoyant; au lieu que fon autre bout, qui eft plus gros & plus pefant, fe tient en bas vers le centre de ce cercle: en forte que, par exemple % fi B eft vne parcelle du falpetre qui n'ejl point encore agitée, C la reprefente lors qu'elle commence à s'agiter, & que le cercle qu'elle décrit n'eft pas encore fort grand; mais il s'augmente incontinent après... S' dénient aujft grand qu'il peut eflre, comme on voit vers D. Et ce- pendant les parties du foulfre, ^«/«e tournoyent pas en mefme façon, palTent plus loin en ligne droite vers les autres parties du falpetre, 379 qu elles enjlament en mefme façon, en chajjant le fécond \ élément d'autour d'elles.

��Ii3. Pourquoy lajlame de la poudre fe dilate beaucoup ; & pourquoy [on aâion tend en liaut.

Ce qui fait def-ja voir la caufe pourquoy la poudre à canon fe dilate beaucoup, lors qu'elle s'enflame..., & auffi pourquoy fon effort tend en haut...: en forte que, lors qu'elle eft... bien fine, on la peut faire brufler dans le creux de la main, fans en receuoir aucun mal. Car chacune des parties du falpetre chaffe toutes les autres du cercle qu'elle décrit, & elles s'eiitrechaffent ainfi auec grande force, à caufe qu'elles font dures & roides; mais, pource que ce ne font que leurs pointes qui décriuent ces cercles, & qu'elles tendent touf- jours vers en haut, de là rient que,f leur famé fe peut ejlendre librement vers là, elle ne briife aucunement ce qui ejlfous elle.

a. Planche XVIII, figure 3.

�� � 380

��Principes. — Quatriesme Partie. 261

��1 14. Quelle ejï la nature du charbon.

Au refte, on mefle du charbon auec le falpetre &le foulfre, & de ces trois chofes enfemble, humedées de quelque liqueur, afin qu'elles fe puiffeut mieux Joindre, on compole des petites^ boules ou petits grains, qui, eftant parfaitement ieichez, en forte qu'il n'y refiè rien de la liqueur, font la poudre. Et en confiderant que le charbon ejï ordinaireynent fait de bois, duquel on a efieint le feu auant qu'il fufl entièrement brufié, on voit qu'il doit y auoir en luy plufieurs pores qui font fort grands : premièrement, à caufe qu'il y en, a eu beau- coup 1 dans le bois ou autre matière dont il eft fait ; puis auflî, à caufe qu'il eft forty beaucoup de parties terrefires, hors de ce bois pendant qu'zV a bruflé, lefquelles fe font changées en inméc. On voit auffi qu'il n'eft compofé que de deux fortes de parties : dont les vues font fi groffes, qu'elles ne fçauroient efire conuerties enfumée par l'aâion du feu, mais feroient demeurées pour 'es cendres,/ le char- bon auoit acheué de brufier ; & les autres font plus petites, àfçauoir celles qui en feroient for lies. Et celles-cy, ayant def-ja efté efbranlées par l'aaion du feu, font déliées, & molles, & aifées à embrafer dere- chef; & auec cela elles ont des figures... affez embarafl'antes, en forte qu'elles ne fe dégagent pas aifément des lieux où elles font : comme il paroift de ce que, beaucoup d'autres en eftant def-ja forties & changées en fumée, elles y font demeurées les dernières.

II 5. Pourquqy on graine la poudre; & en quoy principalement confijle fa force.

Ainfi les parcelles du falpetre & du foulfre entrent aifément dans les pores du charbon, pource qu'ils font grands ; & elles y font enuelopées & liées enfemble parcelles de fes parties qui font molles & embaraffantes .• principalement, lors que le tout enfemble, après auoir efté humefté & formé en grains..., eft delfeiché. Et la raifon pourquoy on graine la poudre, eft afin que les parties du falpetre ne s'embrafent pas feule |ment l'vne après l'autre, ce qui leur don- 381 neroit moins de force, mais qu'il y en ait plufieurs qui prennent feu toutes enfemble... Car chafque grain de poudre ne s'allume pas... au mefme inftant qu'il eft touché de quelque flame...; mais cette flame doit, premièrement, palier... de la fuperficie de ce grain jufques au dedans, & y embrafer les parties du foulfre, par l'entremife def- quelles celles du falpetre font agitées & décriuent, au commencement.

�� � 202 Œuvres de Descartes.

de fort petits cercles, puis, tendant à en décrire de plus grands, elles font effort toutes enfemble pour rompre les parties du charbon qui les retiennent, au moyen de quoy tout le grain s'enflame. Et bien que le temps qui eft requis pour toutes ces chofes foit extrêmement court, fi on le compare auec des heures ou des journées, en forte qu'il ne nous efl prefque point fenfible, il ne lailfe pasd'eftre affez long, lors qu'on le compare auec l'extrême viteffe dont la flame qui fort ainfi d'vn grain de poudre s'eftend de tous coftez en l'air qui l'enuironne. Ce qui eft caufe que, par exemple, lors qu'vn canon efl: chargé, la flame de l'amorce, ou des premiers grains de poudre qui prennentfeu, a loifirde s'eftendre en tout l'air qui eft autour des autres grains, & de les toucher tous, auant qu'il y en ait aucun qui s'enjlame; puis 382 incontinent après, bien que les plus pro\ches de la lumière foient les premiers difpofei à s'enflamer, toutefois, à caife qu'en fe dilatant ils ébranlent les autres, & leur aj'dent à fe rompre, cela fait qu'ils s'en- flament & fe dilatent tous en vn mefme inftant, au moyen de quoy toutes leurs forces jointes enfemble chaffent la baie auec très-grande vitejfe. A quoy la refiftance que font les parties du charbon fert beaucoup, à caufe qu'elle retarde, au commencement, la dilatation des parties dufalpetre, ce qui augmente, incontinent après, la viteffe dont elles fe dilatent. Il fert aufll que la poudre foit compofée de grains, & mefme que la grojfeur de ces grains & la quantité du charbon foit proportionnée à la grandeur du canton, afin que les interualles que ces grains laiffent entr'eux, foient affez larges pour donner paffage à la flame de l'amorce, & faire qu'elle ait loifir de s'eftendre par toute la poudre, & de paruenir jufques aux grains plus éloigne^, atiant qu'elle ait embrafé les plus proches.

1 16. Ce qu'on peut juger des lampes qu'on dit auoir conferué leur flame

durant plufieursfiecles.

Apres le feu de la poudre, qui eft l'vn de ceux qui durent le moins, confiderons fi, tout au contraire, il peut y auoir quelque feu qui dure fort long temps, fans auoir befoin de nouuelle matière pour s'entretenir: comme on raconte de certaines lampes qu'on a trouuées ardentes en des tombeaux..., lors qu'on les a ouuerts après I qu'ils auoient ejlé fennec plufieurs fiecles'. le ne veux point eflre

a. Edition princeps : 385, faute d'impression.

b. Note MS. (de Legrand?) : « V. la lettre de M. le Roy a M. Desc. » dattée du 9 feurier 1644, cy aprez dans les fragmens. » — Voir Carres^ pondance, t. IVj p. 97.

��383

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 263

garent de la vérité de telles hijîoires ; mais il me femble qu'en vn lieu fouterrain, qui efl fi exactement clos de tous coftez, que l'air n'y eft jamais agité par aucun vent qui vienne du dedans ou du dehors de la terre, les parties de l'huile qui fe changent en fumée, & de fumée en fuye lors qu'elles s'arreftent & s'attachent les vnes aux autres, fe peuuent arrerter tout autour de la flame d'vne lampe, & y compofer comme vne petite voûte, qui foit fuffifante pour empefcher que l'air d'alentour ne vienne... fuffoquer cette flame, & auffi pour la rendre fi foible & fi débile, qu'elle n'ait pas la force d'enflamer aucune des parties de l'huile ny de la mèche, fi tant eft qu'il en refte encore qui n'ayent point efté hruflées. Au moyen de quoy... le premier élément, demeurant feul en cette flame, à caufe que les parties de l'huile qu'elle contenait s'attachent à la petite voûte de fuie qui l'enuironne, & tournant en rond là dedans en forme d'vne petite eftoile, a la force de repouffer de toutes parts le fécond élément, qui feul tend encore à venir rers la flame par les pores qu'il s'eft referué en cette voûte, & ainfi d'enuoyer de la lumière en l'air d'alentour, laquelle ne peut eftre que fort {o'Mq... pendant que le lieu demeure fermé ; 384 mais à l'inflrant qu'il | eft ouuert, & que l'air qui vient de dehors diflipe \a petite voûte de fumée qui l'enuironnoit, elle peut reprendre fa vigueur, & faire paroiftre la lampe affez ardente, bien que peut ejlre elle s'ejieigne bientojl après, à caufe qu'il eft vray-femblable que cette flame n'a pu ainfi fe conferuer fans aliment, qu'après auoir confumé toute fon huile.

i ij. Quels font les autres effets du feu.

Paffons maintenant aux effets du feu, que l'explication des diuers moyens qui feruent à le produire ou conferuer^ n'a pu encore faire entendre. Et pource que, de ce qui a def-ja efté dit% on connoift affez pourquoy il luit, & échauffe, & diffout en plufieurs petites par- ties tous les corps qui luy feruent de nourriture ; & auffi pourquoy ce font les plus petites & plus gliffantes parties de ces corps qu'il en chafle les premières; & pourquoy elles font fuiuies par après de celles qui, bien qu'elles ne foient peut-eftre pas moins petites que les précédentes, fortent toutefois moins aifément, à caufe que leurs figures font embaraffantes & diuifées en plufieurs branches (d'où vient que, s'attachant aux tuyaux des cheminées, elles fe changent en fuie); puis enfin, pourquoy il ne laiffe rien que les plus groffes

8. Articles précédents,

�� � 264 OEuvREs DE Descartes.

qui compofent les cendres : il refte feulement icy à expliquer com- ment vn mefme feu peut faire que certains corps, qui ne feruent 385 pointa | l'entretenir, deuiennent liquides, & qu'ils bouillent; &que les autres, au contraire, fe feichent & fe durciffent ; & enfin, que les vns fe changent en vapeurs, les autres en chaux, & les autres en verre.

/ 18. Quels font les corps qu'il fait fondre & bouillir.

Tous les corps durs, compofez de parties _^ égales ou femblables qu'elles peuuenl ejîre toutes agitées & feparées auffi aifément l'vne que l'autre, deuiennent liquides, lors que leurs parties font ainfi agitées & feparées par l'aflion du feu. Car vn corps eft liquide, par cela feul que les parties dont il eft compofé fe meuuent feparément les vnes des autres. Et lors que leur mouuement eft fi grand, que quelques-vnes, fe changeant en air ou en feu, requerent beaucoup plus d'efpace que de couftume pour le continuer..., elles font éleuer par bouillons la liqueur d'où elles fortent.

/ ig. Quels font ceux qu'il rendfecs & durs.

Mais, au contraire, le feu feiche les corps qui font compofez de parties inégales, plufieurs defquelles font longues, pliantes, & glif- fantes..., de façon que, n'eftant aucunement attachées à ces corps, elles en fortent aifément, lors que la chaleur du feu les agite. Car quand on dit d'vn corps dur qu'il eft fec, cela ne fignifie autre chofe, finon qu'il ne contient enfes pores, ny fur fa fuperficie, aucunes de ces parties vjties & gliffantes, qui, lors qu'elles font jointes enfemble, (compofent de l'eau ou quelqu'autre liqueur. Et pource que ces parties gliffantes, eftant dans les pores des corps durs, les élar- giffent quelque peu & communiquent leur mouuement aux autres parties de ces corps, cela... diminue ordinairement leur dureté; mais, lors qu'elles font chaffées par l'aâion du feu hors de leurs pores, cela fait que leurs autres parties... ont couftume de fe joindre plus fort les vnes aux autres..., & ainfi que ces corps deuiennent plus durs.

7 20. Comment on tire diuerfes eaux par difîillation.

Et les parties qui peuuent eftre chaffées hors des corps terrejires par l'aâion du feu, font de diuers genres, comme on expérimente

��386

�� � Principes, — Quatriesme Partie. 265

fort clairement par la Chymie. Car, outre celles qui font fi mobiles & fi petites qu'elles ne compofent, eftant feules, aucun autre corps que de l'air, il y en a d'autres, tant foit peu plus grojjes, qui fortent fort aifément hors de ces corps : à fçauoir celles qui, eftant ramaffées & jointes enfemble par le moyen d'vn alembic, compofent des eaux de vie.... telles qu'on a couftume de les tirer du vin, du bled, & de quantité d'autres matières. Puis M y en a d'autres, vn peu plus grojfes, dont fe compofent les eaux douces & infipides, qu'on tire auffi, par diftillation, hors des plantes ou des autres corps. Et il y en a encore d'autres, vn peu plus grojfes, qui compofent les eaux fortes. ., & fe tirent des fels auec grande violence de feu.

\ 121. Comment on tire attjfi des Jublime^ & des huiles

Derechef, il y en a qui- font encore plus groffes : à fçauoir, celles des fels, lors qu'elles demeurent entières, & celles de l'argent vif, qui, eltant éleuées par l'adion d'vn affez grand feu, ne demeurent pas liquides, mais, s'attachant au haut du vaiffeau qui les contient, y compofent des fublimez. Les dernières, ou celles qui fortent auec plus de difficulté des corps durs & fecs, font les huiles ; & ce n'elt pas tant par la violence du feu, que par vn peu d'induftrie, qu'elles en peuuent eflre tirées. Car, d'autant que leurs parties font fort déliées, & ont des figures fort embarajantes, l'adion d'vn grand feu les feroit rompre, <& changeroit entièrement leur nature, en les tirant auec force d'entre les autres parties des corps où elles font. Mais on a couftume de tremper ces corps en vne grande quantité d'eau commune, dont les parties, qui font vnies & gliffantes, s'infi- nuent/orf aifément dans leurs pores, & en détachent peu à peu les parties des huiles... ; en forte que cette eau, montant par après par l'alembic, les amené toutes entières auec foy.

122. Qu'en augmentant ou diminuant la force du feu, on change fouuent fon effet.

Or, en toutes ces diftillations,le degré du feu fe doit obferuer ; car, felon'qu'on le fait plus ou moins ardent, les effets qu'il produit font diuers. Et il y a plufieurs corps qu'on peut rendre fort fecs, & par après tirer d'eux diuerfes li\queurs par difîillation, lors qu'on les expofe au commencement à vn feu lent, lequel on augmente après peu à peu, qui feroient fondus d'abord, en forte qu'on ne pourroit tirer d'eux les mefmes liqueurs, s'ils eftoient expofez... à vn grand feu. Œuvres. IV. ^^

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��388

�� � 206 OEuvREs DE Descartes.

��123. Comment on calcine plufieurs corps.

Et ce n'ejî pas feulement le degré du feu, mais aufli la façon de l'ap- pliquer, qui peut changer fes effets. Ainfi on voit plufieurs corps qui fe fondent, lors que toutes leurs parties font échauffées égale- ment ; & qui fe calcinent ou conuertilfent en chaux, lors qu'vne flame fort ardente agit feulement contre leur fuperficie, d'oiifepa- rant quelques parties, elle fait que les autres demeurent en poudre. Car, félon la façon de parler des Chymiftes, on dit qu'vn corps dur eft calciné, lors qu'il eft ainfi mis en poudre par l'adion du feu... ; en forte qu'il n'y a point d'autre différence entre les cendres & la chaux, finon que les cendres font ce qui refte des corps entièrement bruflez, ap7-es que le feu en a feparé beaucoup de parties qui ont feruy à l'entretenir; & la chaux eft ce qui refte de ceux qu'il a pul- uerife\, fans en pouuoir feparer que peu de parties, qui feruoient de liaifon aux autres.

124. Comment fe fait le verre.

Au refte, le dernier & l'vn des principaux effets du feu eft, qu'il peut conuertir toute forte de cendres & de chaux en verre. Car, les 389 cendres | & la chaux n'eftant autre chofe que ce qui refte des corps bruflez, après que le feu en a fait forti'r toutes les parties qui eftoient affez petites pour eftre chaffées ou rompues par luy, toutes leurs parties font fi folides & fi groffes, qu'elles ne fçauroient eftre éleuées comme les vapeurs par fon adion ; & auec cela elles ont, pour la plufpart, des figures affez irregulieres & inégales: ce qui fait que, bien qu'elles foient appuyées l'vne fur l'autre & s'entre-foufîiennent, elles ne s'attachent point toutefois les vnes aux autres, & mefme ne fe touchent pas immédiatement, fi ce n'eft peut-eftre en quelques points extrêmement petits. Mais lors qu'elles cuifent par après dans vn feu fort ardent..., c'eft à dire, lors que plufieurs parties du troi- fiéme élément moindres qu'elles, & plufieurs de celles du fécond qui eftant agitées par le premier compofent ce feu, pafient auec très-grande viteffe de tous coftezparmy elles, cela fait que les pointes de leurs angles s'émouffent peu à peu, & que leurs petites fuperficies s'aplaniffent, & peut-eftre aufli que quelques vnes de ces parties fe plient, en forte qu'elles peuuent enfin couler de biais les vnes fur les autres, & ainfi fe toucher immédiatement, non pas feulement en des points, mais auffi en quelques vnes de leurs fuperficies..., par lefquelles demeurant jointes elles compofent le verre.

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 267

��I 7 25. Comment f es parties fe joignent enemble'. 390

Car il eft à remarquer que, lors que deux corps dont les fuper- ficies ont quelque eftenduë, fe rencontrent de front, ilsnefe peuuent approcher fi fort l'vn de l'autre, qu'il ne demeure quelque peu ti'efpace entre-deux, qui eft occupé par... le fécond élément; mais que, lors qu'ils coulent de biais l'vn fur l'autre, leurs fuperficies fe peuuent entièrement joindre. Par exemple, fi les corps B & C s'approchent l'vn de l'autre fuiuant la ligne droite AD, les parties du fécond élément qui fe trouuent entre-deux ti'en peuuent e/lre chajfées; c'eft pourquoy elles empefchent qu'ils ne fe touchent. Mais les corps G& H, qui viennent l'vn vers l'autre fuiuant la ligne... E F , fe peuuent tellement joindre qu'il ne demeure rien entre-deux, au moins fi leurs fuperficies font toutes plates & polies; & fi elles ne le font pas, le mouuement dont elles gliffent ainfi l'vnefur l'autre, fait que peu à peu elles le deuiennent. Ainfi les corps B & C repre- fentent la façon dont les parties... des csndrts font jointes enfemble, & G & H repréfentent celle dont fe joignent les parties du verre. Et de la feule différence qui ejl entre ces deux façons de fe joindre, dont il eft éuident que la première ejl dans les cendres, & que la féconde y doit eftre introduite par vne longue & viofente agitation du feu, on peut connoijlre parfaitement la na\ture à\i verre, & rendre raifon ^^^ de toutes fes proprietez.

126. Pourquoy il ejl liquide & gluant, lors qu'il ejl embrafê.

La premie?-e de fes propriété^ ejl, qu'il eft liquide, lors qu'il elt fort échauffé par le feu..., & peut aife'ment receuoir toutes fortes de figures, lefquelles il retient eftant refroidy ; & mefme, qu'il peut ejlre tiré en filets aujfi delie\ que des cheueux. Il eft liquide, à caufe que l'aftion du feu ayant def-ja eu la force de faire couler fes parties l'vne fur l'autre pour les polir & plier, & ainjî les changer de cendres en verre, a infailliblement aujji la force de les mouuoir feparément l'vne de l'autre. Et tous les corps que le feu a rendus liquides ont cela de commun, qu'ils prennent aifément toutes les figures qu'on leur veut donner, à caufe que leurs petites parties, qui font alors en continuelle agitation, s'y accommodent; & en fe refroidiffant, ils

a. Voir Correspondance, t. V, p. 174.

b. Planche XVIII, figure 4.

�� � 392

��208 OEuvREs DE Descartes.

retiennent la dernière qu'on leur a donnée, à caiife que le moiiue- ment de leurs parties ejl arrejlé par le froid. Mais, outre cela, le verre ejl comme gluant, en forte qu'il peut eftre tiré en filets. ../ans

fe rompre, pendant qu'il ejî encore chaut & qu'il commence à Je refroidir : dont la raifon ell que, les parties eltant meuës en telle façon qu'elles gliffent continuellement les vnes fur les autres, il leur eft plus aile de continuer ce mouuement & ainft de s'ejlendre eu

filets, que non pas de fe feparer.

I 12-j. Pourquoy il ejl fort dur ejïant froid.

Vue autre propriété du verre ejl, ^w'eftant froid il efl: fort dur, & auec cela fort caifant; & mefme, qu'W eft d'autant plus caffant, qu'il ell plus promptement deuenu froid. La caufe de fa dureté eft que chacune de fes parties eft fi grolfe & fi dure & fi difficile à plier, que le feu n'a pas eu la force de les rompre, & qu'elles ne font pas jointes enfemble par l'entrelacement de leurs branches, mais par cela feul qu'elles fe touchent immédiatement les vnes les autres. Car il y a plufleurs corps qui font mous, à caufe que leurs parties font pliantes, ou du moins qu'elles ont quelques branches dont les extremitez font pliantes, & qu'elles ne font jointes les vnes aux autres que par l'entrelacement de ces branches ; mais jamais les parties d'vn corps ne peuuent eftre mieux jointes que lors qu'elles le touchent immé- diatement..., & qu'elles ne font point en aflion pour fe mouuoir feparément l'vne de l'autre : ce qui arriue aux parties du verre, fi tbft qu'il eft retiré du feu ; d'autant qu'elles font fi groffes, & telle- ment pofées les vnes fur les autres, & ont des figures fi irregulieres & inégales, que l'air n'a pas la force d'entretenir en elles l'agitation que le feu leur auoit donnée.

128. Pourquoy il ejl aujfifort cajjant.

393 La caufe qui rend le verre caffant eft que fes parties ne fe touchent immédiatement, qu'en des fuperficies qui font fort petites & en petit 1 nombre ; & on ne doit pas trouuer ejlrange,que plufieurs corps beaucoup moins durs font plus difficiles à diuifer ; car cela vient de ce que, leurs parties eftant engagées l'vne dans l'autre, ainfi que les anneaux d'vne chaîne, on peut bien les plier de tous cojlci, mais non pas pour cela les déjoindre fans les rompre..., & qu'il y a bien plus de petites parties à rompre dans ces corps, auant qu'ils f oient entière- ment diuij'ei, qu'il n'y a de petites fuperficies à feparer dans le verre.

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 269

i2r). Pourquqy il dénient moins cajfant, lors qu'on le laijfe refroidir lentement.

Mais la caufe qui le rend plus caffant, lors qu'on le tire tout à coup du fourneau, que lors qu'on le laiffe recuire & fe refroidir peu à peu, confiite en ce que fes pores font vn peu plus larges, lors qu'iV ejt liquide, que lors qu'il ejl froid. ..,^ que, s'il deuient froid trop promp- i&mcm, fes parties n'ont pas loiftr de s'agencer comme il faut pour les reflrecir tous autant l'im que l'autre, de façon que le fécond élé- ment qui pafj'e par après dans ces pores fait effort pour les rendre égaux, au moyen de quoy le verre fe caffe ; car fes parties nefe tenant que par des fuperficies fort petites, fi tort que deux de fes fuperficies fe feparent, toutes les autres, qui les fuiuent en mefme ligne, fe feparcnt auffi. C'eft pourquoy les Verriers ont couftume de recuire leurs verres, c'efl à dire de les remettre dans le feu après les auoir faits, 6- puis de les en retirer | par degrez, afin qu'ils ne deuiennent 394 pas froids trop promptement. Et lors qu'vn verre froid eit expolé au feu, en forte qu'il s'échaufle beaucoup plus d'vn coflé que d'autre, cela le fait rompre, à caufe que la chaleur dilate fes porcs, & que les vns ne peuuent eftre notablement plus dilatez que les autres, fans que fes parties fe feparent. Mais û on chauffe vn verre. . également de tous collez, en telle forte qu'vn mefme degré de chaleur paruienne en mefme temps à toutes fes parties, il ne caffcra point, à caufe que tous fes pores s'élargiront également.

i3o. Pourquoy il efl tranf parent.

De plus, le verre efl: tranfparent, à caufe qu'ayant efl:é liquide lors qu'il a efté fait, la matière du feu qui couloit de tous cofl:ez entre fes parties, y a laiffé plufieurs pores par où le fécond élément.,., peut après tranfmettre en tous fens l'aflion de la lumière, luiuant des lignes droites. Et il n'elt pas befoin pour cela que ces pores foient exadtement droits; il ïn^i qu'ils s'enlrefuiuent fans eflre ferme\ nj interrompus en aucun lieu : en forte que, fi... vncorpsQ^oh compofé de parties exadement rondes qui s'cntrctouchajfent, & iufient fi grolles que le fécond élément purt palier par les pelits efpaces triangulaires qui demeurent entre trois telles parties, lors qu'elles le touchent, ce corps fcroit plus folide que n'efl: aucun verre que nous ayons, & ne | laiiferoit pas pour cela d'cllre fort tranfparent, ainfi 395 qu'il a def-ja eflé expliqué^.

a. Art. 17, p. 208.

�� � 396

��270 OEuvRES DE Descartes.

��i3i. Comment on le teint de diuerfes couleurs

Mais lors qu'on mefle parmy le verre quelques métaux, ou autres matières, dont les parties refiltent dauantage, & ne peuuent pas fi aifément eftre polies par l'adion du feu, que celles des cendres dont on le compofe, cela le rend moins tranfparent, & luy donne diuerfes couleurs ; à caufe que ces parties des métaux, ejîant plus groJJ'es & autrement JigU7'ées que celles des cendres, auancent quelque peu au dedans de/es pores, au moyen de quoy elles en bouchent quelques vns, & font que les parties du fécond élément qui pajfent par les aut r es j' roulent en diuerfes façons; &j'afprouué,dans les Météores^, que c'ejl ce roulement qui caufe les couleurs.

32, Ce que c'ejï qu'ejîre roide ou faire reffort, & pourquoy cette qualité

fe troiiue aujfi dans le verre.

Au refte, le verre... peut eftre plié quelque peu... fans fe caffer, comme on voit clairement, lors qu'il eft tiré en filets fort déliez; car, quand il ejl ainfi plié, il fait relfort, comme vn arc, & /t'«<i à repren- dre fa première figure. Et cette propriété de plier & faire reflort, qu'on peut appeller en vn mot ejîre roide, fe trouue généralement en tous les corps..., dont les parties font jointes par le parfait attou- chement de leurs petites fupcrjîcies, non par le feul entrelacement de leurs branches. Dont la raifon contient trois points. | Le premier ejl, que ces corps ont tous plufieurs pores par où il coule fans ceffe quelque matière... Le fécond, que la figure de ces pores ell difpo- fée à donner libre paffage à cette matière, d'autant que c'eft touf-jours par fon adion, ou par quelque autre femblable, qu'ils ont elle for- mez... : comme, par exemple, lors que le verre deuient dur, fes pores qui ont ejlé élargis par l'aciion du feu, pendant qu'il cjloit liquide, font rejlrecispar l'adion du fécond élément qui les ajujle à lagrojfeur de fes parties. Le troifiéme point ejl, que ces corps ne peuuent eftre pliez..., que la figure de leurs pores ne fe change quelque peu, en forte que la matière qui a couftume de les remplir, n'y pouuant plus couler fi facilement que de couftume, pouffe les parties de ce corps qui l'en empefchent, & ainfi fait effort pour les remettre en leur pre- mière figure. Par exemple, fi dans vn arc, qui n'eft point bandé, les pores qui donnent paffage au fécond élément font exadement ronds,

a. Discours VIII, p. 33i de cette édition, 1. i5.

�� � 397

��Principes. — Quatriesme Partie. 271

il eft éuident qu'après qu'il eft bandé..., ces mefmes pores doiuent eftre vn peu plus longs que larges, en forme d'ouales, & que les parties du fécond élément preffent les cottez de ces ouales..., afin de les faire derechef deuenir rondes ". Et bien que la force dont elles les preffent, eftant confiderée en chacune de ces parties en particulier, ne foit I pas fort grande, toutefois, à caufe qu'il y en a touf-jours vn fort grand nombre... qui agiflent enfemble, ce n'ejl pas merueille qu'elles facent que.. . l'arc fe débande auec beaucoup de violence. Mais fi on tient vn arc long temps bandé, principalement vn arc de bois, ou d'autre matière qui ne foit pas des plus dures, la force dont il tend à fe débander diminue auec le temps : dont la raifon eft que les parties de la matière fubtile qui preffent les coftez de fes pores, les élargijfent peu à peu à force de couler par dedans, & ainfi les accommodent à leur figure.

i33. Explication de la nature de l'aymant.

lufques icy j'ay tafché d'expliquer la nature & toutes les princi- pales propriété^... de l'air, de l'eau, des terres, & du feu, pource que ce font les corps qui fe trouuent le plus généralement partout en cette région ///^/i/;/c7n-c' que nous habitons, de laquelle on les nomme les quatre elemens ; mais il y a encore vn autre corps, à fçauoir l'ay- mant..., qu'on peut dire auoir plus d'eflenduë qu'aucun de ces quatre, à caufe que me/me toute la majfe de la Terre ejl vn aymant, & que nous ne fçaurions aller en aucun lieu où fa vertu ne fe remarque. C'eft pourquoy, ne defirant rien oublier de ce qu'il y a de plus gênerai en cette terre, il eft befoin maintenant que je l'explique. A cet effet remetons nous en la mémoire ce qui a efté dit cy-deffus en rarti|cle 87 de la troifiéme partie" & aux fuiuans, touchant les par- 398 tics canelées du premier élément de ce monde vifible; & appliquant icy à la Terre tout ce qui a efté dit en cet endroit là, depuis l'article io5 jufques à l'article 109 , de l'aftre qui ejloit marqué I, penfons qu'il y a en fa moyenne région plufieurs pores ou petits conduits parallèles à fon eftieu, par où les parties canelées palfent librement d'vn pôle vers l'autre ; & que ces conduits font tellement creufez,& ajuftez à la figure de ces parties canelées, que ceux qui reçoiuent les parties qui viennent du pôle Auftral, ne fçauroient receuoir celle qui viennent du pôle Boréal, & que, réciproquement, les conduits

a. Voir Correspondance, t. I, p. 341, 1. i3, et p. 58o-58i.

b. Page i52 ci-avant.

c. Page i6::-i65.

�� � 272 OEUVRES DE DeSCARTES.

qui recoiuent les parties qui viennent du pôle Septentrional, ne font pas propres à receuoir celles qui viennent du polc Auflrai, à caufe qu'elles font tournées à vis tout au rebours les vnes des autres. Peitfons aujji que ces parties canelées peuuent bien entrer par vn cofté dans les pores qui font propres à les receuoir, mais qu'elles ne peuuent pas retourner par l'autre cofté des me/mes pores, à caufe qu'il y a certains petits poils ou certaines branches tres-deliées, qui nuancent tellement dans les replis de ces conduits, qu'elles n'empef- chent aucunement le cours des parties canelées, quand elles y

399 viennent par le coftc qu'elles ont cou|ftume d'y entrer, mais qui fe rebrouffent, & redreffent quelque peu leurs extrémité^, lors que ces parties canelées fe p^efentent pour y entrer par l'autre cofté, & ainfi leur bouchent le paffage, comme il a eflê dit en l'article io6^. C'eft pourquoy, après qu'elles ont trauerfé toute la terre... d'vne moitié à l'autre, fuiuant des lignes... parallèles à fon eCTieu, il y en a plu- fieurs qui retournent par l'air d'alentour vers la mefme moitié par où elles eftoient entrées, & paffant ainfi réciproquement de la terre en l'air, & de l'air en la terre, y compofent vne efpece de tourbillon, qui a efîé expliqué en l'article loS'.

134. Qu'il n'y a point de pores dans l'air ni dans l'eau, qui foient propres à receuoir les parties canelées.

De plus"", il a été dit, en l'article 1 1 3 de la mefme troifiéme Partie % qu'il ne pouuoit y auoir de pores dans l'air qui enuironnoit l'aflre marqué I, c'efl à dire la Terre, fmon dans les plus groffes parcelles de cet air, dans lefquelles il eftoit demeuré des traces des conduits qui y auoient efléforme\ aiiparauant. Et il a efbé dit depuis, en cette dernière partie', que toute la maffe de cet air... s'eft diftihguée en quatre diuers corps, qui font l'air que nous refpirons, l'eau tant douce que falée, la terre fur laquelle nous marchons, & vne autre terre intérieure d'où viennent les métaux, en laquelle toutes les plus greffes parcelles,^»/ ejloient auparauant en l'air, fe font alfemblées :

400 d'oii il fuit qu'il ne peut y auoir aucuns \ conduits propres à receuoir

a. Page 358.

b. Voir Correspondance, t. V, p. 388-380.

c. Page 258 ci-avant.

d. Plusieurs transpositions importantes, dans la traduction de cet article, comparé au te.xte latin.

e. Page 168.

f. Art. .^2-45, p. 217-225.

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 273

les parties canelées, ny dans l'eau, ny dans l'air qui ejl maintenant, tant à caufe que les parcelles qui les compofent lont trop menues, comme auffi à caufe qu'elles [ont toutes fans cejfe en adion pour Je mouuoirfeparémeut les vues des autres, de façon que, quand mefmc il y auroit eu de tels conduits en quelques vnes, il y a def-ja long temps qu'ils auroient efté gallez par vn changement fi fréquent, à caufe qu'ils ont befoin d'vne fituation ferme & arreftée pour fe conferuer,

i35. Qu'il ny en a point aujfi eu aucun autre corps fur cette terre, excepté dans le fer.

Et pource qu'il a auffi efté dit^que la.. .Terre intérieure, tf'oH vien- nent les métaux, eft compofée de deux fortes de parties, dont les vnes font diuifées en branches qui fe tiennent accrochées enfemble, &les autres fe meuuent incelTamment çà & là dans les mterualles qui font entre fes branches : nous deuons penfer qu'il n'y a point de tels conduits en ces dernières..., pour la raifon qui vient d'eftre duc, & qu'il n'y a que celles qui font diuifées en branches, qui en puillent auoir Nous deuons auffi penfer qu'il n'y en a eu aucuns, au com- mencement, en cette Terre extérieure oh nous habitons, pource que, s'eftant formée entre l'eau & l'air, toutes les parcelles qui l'ont com- vofée eftoient fort petites. Mais, par fucceffion de temps, elle a receu en fov'plufieurs métaux, qui font venus de la | Terre intérieure; & bien qu'il n'y ait point auffi de tels conduits, en ceux de ces métaux nui font compofez de parties très lolides&^ùi.s, il eft neantmoins fort croyable qu'il y en a en celuy ou ceux dom les parties font diuifées en branches, & ne font pas folides à proportion de ce qu elles font greffes. Ce qui fe peut dire du fer ou de l acier, ^ non point d'aucun autre métal.

i36. Pourquoy ily a de tels pores dans le fer.

Car nous n'en auofls aucun qui obeïffe plus mal-aifément au marteau, fans l'aide du fl'u,qu'on face fondre auec tant de peine..., ny qui fe puiffe rendre fi dur, fans le meflange d'aucun autre corps . ce qui tefmoigne que les parcelles qui le compofent ont plus d inega- Ite- ou de branches..., par le moyen delquelles elles le peuuent joirldre & lier enfemble, que n'ont les parcelles des autres métaux.

a. Art. 57, p. 232. ^^

Œuvres. IV.

��401

�� � 2 74 OEuvRES DE Descartes.

Il ell vray qu'on n'a pas tant de peine à le fondre la première fois, après qu'il ejl tiré de la mine; mais cela vient de ce que fts parties^ eftant alors tout à fait feparées les vnes des autres..., peuuent plus ailement eftre agitées par l'action du feu. Et bien que le fer foit plus dur & plus mal-aifé à fondre que les autres métaux, il ne laiffe pas d'eftre l'vn des moins pefans, & de ceux qui peuuent le plus aifé- ment eftre dijfous par les eaux fortes, & me/me la rouilleyet(/c' peut le corrompre : ce qui fert à prouuer que les parcelles dont il elt com-

402 pofé, I ne font pas plus folides que celles des autres métaux, à raifon de ce qu'elles font plus greffes, & que, par confequent, il y a en elles pluOeurs pores.

i3y. Comment peuuent ejïre ces pores en chacune de fes parties.

le ne veux pas toutefois affurer que ces conduits tournez à vis, qui donnent paffage aux parties canelées, foient tous entiers en chacune des parcelles du fer, comme auffi je n'ay aucune raifon pour le nier; mais il fuffira icy que nous penfions que les figures des moi- tiez de ces conduits font tellement formées fur les fuperficies de ces parcelles du fer, que, lors que deux de ces fuperficies font bien ajuftées l'vne à l'autre, ces conduits s'y trouuent entiers. ¥jt pource que, lors qu'vn corps dur, dans lequel il j- a plufieurs trous ronds, ejl rompu, c'ejt ordinairement Juiuant des lignes qui pajfent jujle- ment par le milieu de ces trous qu'il fe diuife, les parties de la Terre intérieure..., dans lefquelles il y auoit de tels trous, eftant celles dont le fer eft compofé, il eft bien aifé à croire qu'elles n'ont pu eftre tant diuifées par la force des efprits ou fucs corrofifs qui les ont amenées dans les mines, qu'il n'y foit au moms. demeuré de telles moitiez de ces trous grauées fur leur fuperficie...

i38. Comment ils y font difpofe:^ à receuoir les parties canelées des deux coJle\.

Et il eft à remarquer que, pendant que les parcelles du fer font ainfi montées dans les mines, elles n'ont pii retenir touf-jours vne

403 tttefme ftiuation,pourcc qu'ayant des figures ii-regu Hères, & | les che- mins par où elles paffoient ellanfinégaux, elles ont roiillé en mon- tant, & Je/ont tournées tantojl fur vn coflé, tantojl fur vn autre, & que, lors que leur fituation a efté telle, que les parties canelées (qui, fortant auec grande vitefle de la Terre intérieure, cherchent en toute l'extérieure les paffages qui font les plus propres pour les receuoir)

�� � Principes. — Ql:atriesme Partie. 27^

ont rencontré ceux qui ertoient en ces parcelles du fer... tournera contre feus, foit qu'ils fujeut entiers ou «oh, elles ont fait rebroul- fer les pointes de ces petites branches, que j'ay dit» ejlre couchées dans leurs Tep\is,êont fait peu àpeu qu'elles Je font entièrement ren- uer/ées : en forte qu'elles ont pu entrer par le cofté de ces pores par où "elles fortoient auparauant...; & que, lors que par après laftua- tion de ces parcelles du fera cjU changée, Taclion des parties cane- lées afait derechef que les petites branches qui auancent dans leurs pores . le font couchées de l'autre cofté... ;& enfin que, lors qu'il eft arriué que ces petites branches ont efté ainfi repliées plufieurs fois, maintenant fur vn cofté & après fur le coflé contraire elles ont acquis vne grande facilité à pouuoir par après derechef eftre repliées d'vn cofté fur l'autre.

i3g. Quelle différence il y a entre l'aymant & le fer ^

Or la différence qui ejl entre l'aymant & le fer, conffle en ce que les parcelles dont le fer eft compofé, ont ainfi changé plufieurs-fois de Ifituation, depuis qu'elles font for lies de la Terre inlerieure : ce qui cjl caufe que les petites pointes qui auancent dans les replis de leurs poresl peuuent aifément eftre renuerfées de tous cofte',, Et au con- traire celles de l'aymant ont retenu touf-jours, ou du moins Joi t long temps, vne mefme fituation : ce qui eft caufe que les pointes des branches qui font en leurs pores, ne peuuent que difficilement eflre renuerfées. Ainfi l'aymant & le fer participent beaucoup de la nature l'vn de l'autre ; & ce ne font que ces parcelles de la Terre intérieure, dans lefquelles il y a des pores propres à receiioir les parties canelees qui leur donnent leur forme, bien qu'ordinairement il y ait beaucoup d'autre matière meftce auec q\\^^, non feulement en la minedejer, d'oii cette autre matière eft feparée par la fonte, mais encore plus en l'aymant : car fouuent la caufe qui afait que fes parcelles ont plus long temps demeuré en vne mefme fituation que les parcelles qui compofent le fer, eft qu'elles font engagées entre les parties de quelque pierre fort dure ; & cela fait auffi quelquefois qu d eft prefque im- Poimede les fondre pour en faire du fer, à caule qu elles lont plurtoft calcinées & confumées par le feu, que dégagées des lieux où elles l'ont.

a. Partie 111, art. io6, p. i63. , .• », i,

b. Le titre de cet article n'est pas le même que dans le texte latin, et le contenu aussi est tout changé.

�� � 276

��OEuvRES DE Descartes.

��405

��140. Comment on fait du fer ou de l'acier, en fondant la mine.

��Pour ce qui eft de la mine de fer, lors qu'on | la fait fondre, afin de la conuertir en fer ou en acier, il faut penfer que les parcelles du métal, eftant agitées par la chaleur, fe dégagent /rew/erew/e?;/ des autres matières auec qui elles font méfiées, & ne ceffent après de fe remuer feparement les vnes des autres, jufques à ce que celles de leurs fuperficies où les moitiez des conduits cf-ie^ws décrils'- {ont imprimées, foient tellement ajullées les vnes aux autres..., que ces conduits s'y trouuent entiers. Mais lors que cela eft, les parties canelées, qui ne font pas en moins grand nombre dans le feu que dans tous les autres corps terreftres, prenant... incontinent leur cours par dedans ces conduits, empefchent que les petites fuper- ficies, parla conjonction... defquelles ils font faits, ne changent fi aifément de fituation qu'elles faifoicnt auparauant; outre que leur mutuel attouchement, & la force de la pefanteur qui prefTe toutes les parties du métal l'vne contre l'autre, aide à les retenir ainfi jointes. Et pource que cependant ces parties du métal ne laiffent pas de continuer à eftre agitées par le feu, cela fait que plufieurs s'accordent enfemble à fuiure vn mefme mouuement, & ainfi, que toute la liqueur du métal fondu fe diuife en plufieurs petits tas ou petites gouttes, dont les fuperficies deuiennent polies. Car toutes les 406 parcelles du métal qui font en quelque façon \ jointes enfemble, compofent vne de ces gouttes..., laquelle eftant preffée de tous coftez par les autres gouttes qui l'enuironnent, & qui fe meuuent en autre fens qu'elle, aucune des pointes ou branches de ces par- celles ne fçauroit auancer tant foit peu plus que les autres hors de fa fuperficie, qu'elle ne foit incontinent repoufiee vers fon centre par les autres gouttes, ce qui polit cette fuperficie; & cela fait aujfi que les parcelles qui compofent chaque goutte, fe refTcrrent, & fe joignent d'autant mieux enfemble.

��'O'

��141. Pourquoy l'acier eft fort dur, G roide, & caffant.

Lors que le métal eft ainfi fondu, & diuife en petites gouttes..., qui fe défont fans cejj'e & fe refout pendant qu'il demeure liquide, fi on le fait promptemcnt refroidir, il dcuient de l'acier, qui eft fort dur & roide & cafiant, à peu près comme le verre. Il eft dur, à

a. Art. 13;, p. 274,

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 277

cauTe que fes parties font fort eftroitement jointes. Il eft roide &fait rejfort, à caufe que ce n'eft pas l'arrengement de fes parties, mais feulement la figure de fes pores qu'on peut changer en le pliant, ainfi qu'il a tantoft efté dit" du verre. Et il eft caffant, à caufe que les petites gouttes... dont il eft compofé, ne font jointes que par l'attouchement de leurs fuperficies, lefquelles ne fe touchent immé- diatement qu'en fort peu de petites parties.

142. Quelle différence il y a entre le ftmple fer et f acier.

Mais toutes les mines dont on tire du fer ne font pas propres ë faire de bon acier, & la mine | dont on en peut faire de tres-bon... 407 ne donne que de fimple fer, lors qu'on la fait fondre à vn feu qui n'eft pas tempéré comme il faut. Car, fi les parcelles de la mine font trop rudes & inégales, en forte qu'elles s'accrochent les vnes aux autres, auant qu'elles a3'ent eu le loifir d'ajufter leurs petites fuper- ficies & fe diftinguer en plufieurs petites gouttes, en la façon que faj expliquée^ ; ou bien, fi le feu n'eft pas alfez fort pour faire que la mine fondue fe diftingue ainfi en plufieurs gouttes, & que les parcelles de chacune de ces gouttes fe relîerrent enfemble ; ou enfin, s'il eft fi violent qu'il trouble leur jufte fituation, elles ne compofent pas de l'acier, mais feulement du fer commun.

143. Quelle eft la raifon des diuerfes trempes qu'on donne à l'acier.

Et lors qu'on a de l'acier def-ja fait, fi on le remet dans le feu, il ne peut pas aifément eftre 7-efondu, & rendu femblable au fer commun, à caufe que les ^tmts gouttes dont il a efté compofé, font trop groffes & trop folides, pour eftre remuées toutes entières par l'aftion du feu, & que les parcelles de chacune de ces gouttes font aufli trop bien jointes & trop ferrées, pour eftre tout à fait feparées par cette mefme action. Mais il peut eftre ramolly , à caufe que toutes fes parties font ébranlées par la chaleur. Et fi on le laifte par après refroidir afjei lentement, il ne deuient point fi dur&roi|de & caffant, comme il a efté, mais demeure mol 408 & pliant comme du fer... Dont la raifon eft que, pendant qu'il fe refroidit..., les petites branches des parcelles qui compofent chacune de fes gouttes, & que j'ay dit ' eftre repouflees en dedans par

a. Art. i32, p. 270-271.

b. Art, 140, p. 276.

c. Ibidem.

�� � 278

��OEuvRES DE Descartes.

��l'aéîion des autres gouttes qui l'enuironnent, ont loifir, à mefure que la force de celte aâion diminue, de s'auancer quelque peu hors de la fuperficie , fuiuant en cela leur plus naturelle fituation, & par ce moyen de s'accrocher & s'entrelacer auec celles qui s'auancent en meftne façon hors des fuperfcies des autres gouttes. Ce qui fait que les parcelles de chaque goutte ne font plus fi eftroitement jointes & refferrées enfemble, & auffi que ces gouttes ne fe touchent plus immédiatement, mais font feulement liées par les petites pointes ou branches qui fortent de leurs Juperficies..., au moyen de quoy l'acier n'efl plus fi dur, ny roide, ny caflant, comme il a efté... Mais il demeure touf-jours cette différence entre luy & le fimple fer, qu'on luy peut rendre fa première dureté..., en le faifant rougir dans le feu & après refroidir tout à coup, au lieu que le fer commun ne peut eftre rendu fi dur en mefme façon. Dont la raifon eft que les parcelles de l'acier ne font point fi éloignées de la fituation en laquelle il faut qu'elles foient pour le rendre fort dur, qu'elles n'y 409 puif|fent eftre remifes par l'adion du feu, & la retenir, lors que le froid fuccede fort promptement à la chaleur : au lieu que les parties du fer, n'ayant jamais eu vne telle fituation, ne la peuuent ainfi acquérir. Or, afin de faire que le fer... ou l'acier fe refroidille fort promptement, on a couflume de le tremper en de l'eau ou dans quelques autres liqueurs froides ; comme, au contraire, afin qu'il fe refroidiffe lentement & deuienne plus mol, on le trempe en de l'huile ou en quelqu'autre liqueur graffe. Et pource qu'à mefure qu'il fe rend plus dur..., il deuient auffi pluscaffant, les artifans qui en font des efpées, des fcies, des limes, & autres diuers inftrumens, n'employent pas touf-jours les plus froides liqueurs à le tremper, mais celles qui font tempérées & proportionnées à l'effet qu'ils défirent. Ainfi la trempe des limes ou des burins ejl différente de celle des fcies ou des efpées &c., félon que la dureté eft plus requife aux vns de ces inftrumens qu'aux autres, & qu'il efi plus ou moins à craindre qu'ils ne fe caffent. C'efl; pourquoy on peut dire auec raifon qu'on tempère l'acier, lors qu'on le trempe bien à propos.

��144.. Quelle différence il y a entre les pores de l'aymant, de l'acier & du fer.

Pour ce qui eft des petits conduits propres à receuoir les parties canelées, on connoift, de ce qui a efté dit", qu'il y en doit auoir en

��Art. 134-140, p. 272-276

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 279

��410

��très-grand nombre, tant dans l'acier que dans le fer, .5 me/\we beau- coup plus que dansVaymant, dans lequel il y a touf-jours plufteurs parties qui ne font point métalliques. On connoift auffi que ces con- duits doiuent" eftre beaucoup plus entiers & plus parfaits dans l'acier que dans le fer, & que les petites pointes que fay dit^ejtre couchées dans leurs replis ne s'y renuerfent pas fi aifement d vn cofté fur l'autre, qu'ils font dans le fer .- premièrement, a cauje que la mine dont on fait l'acier efî la plus pure, & celle dont les parcelles ont moins changé depuis quelles font f orties de la Terre intérieure; puis auffi, à caufe qu'elles j- font mieux agencées & plus ferrées que dans le fer. Enfin on connoift que ces conduits ne font point tous tournez, ny dans l'acier ny dans le fer, ainfi qu'ils font dans 1 ay- mant : à fcauoir, en forte que toutes les entrées des conduits, par où les parties canelées qui viennent du pôle Auftral peuuent pafier, regardent vn mefme cofté, & que toutes celles qui peuuent receuoir les parties canelées qui viennent du pôle Septentrional, regardent le cofté contraire; mais, que ces conduits y font tournez en di- uerfes façons & fans aucun .ordre certain, à caule que 1 adion du feu a diu'erfement changé leur fituation. Il eft vray que, pendant le moment que cette adion ceffe, & que le fer ou l'acier embrafe fe refroidit les 1 parties canelées qui coulent touf-jours, par le dejjus 411 de la Terre, d'vn de fes pôles vers l'autre, peuuent difpofer quelques vns de leurs conduits... en la façon qu'ils doiuent eftre afin qu'elles V avent libre paA^age; & elles peuuent aujji difpofer atnfi peu a peu 'quelques vns des pores de l'acier ou du fer qui n'ejî point embrafe, lorsqu'il demeure long-temps en vne mefme fituation. Mais pource qu'il V a beaucoup plus de tels conduits, dans le fer & l'acier, que les parties canelées qui paffent par l'air n'en peuuent remplir, elles n'en peuuent ainfi difpofer que fort peu : ce qui eft caufe qu il n y a aucun fer ny acier qui n'ait quelque chofe de la vertu de 1 aymant.^, bien qu'il n'y en ait prefque point qui en ait tant, qu'il n'en puifte auoir encore dauantage.

145. Le dénombrement de toutes les propriété^ de l'aymant.

Et toutes ces chofes fuiuent fi clairement des principes... qui ont efté cv-deffus expofezS que je ne laifferois pas de juger qu'elles loni telles que je viens de dire, encore que je n'aurois aucun égard aux

a. Partie 111, art. io6, p. i63.

b. Partie II, art. 37, Sg, 40, P- §4, «5 et 86.

�� � 28o OEuVRES DE DeSCARTES.

proprietez... qui en peuuent ejlre déduites ; mais j'efpere maintenant faire voir que toutes celles de ces proprietez que les plus curieufes expériences des admirate\irs de l'afinaiit ont pu découuriv jujques à prefent, peuuent û. facilement eftre expliquées par leur moyen, que cela feul fuffiroit pour perfuader qu'elles font vrayes, encore qu'elles

412 n'auroient point | efté déduites des premiers principes de la nature. Et ajin qu'on remarque mieux quelles font toutes ces proprietez.... je les réduiray icy à certains articles qui font :

I. Qu'il y a deux pôles en chaque aymant, l'vn defquels, en quelque lieu de la Terre que ce foit, tend touf-jours à eftre tourné vers le Septentrion, & l'autre vers leZud\

3. Que ces pôles de l'aymant tendent aujjî à fe pencher vers... la Terre ; & ce diuerfement, à raifon des diuers lieux où il eft tranfporté\

3. Que, lors que deux aymans de figure ronde font proches, cha- cun d'eux fe tourne &fe penche vers l'autre, en mefme façon qu'vn feul fe tourne & penche^ vers la Terre.

4. Que, lors qu'ils font ainfi tournez l'vn vers l'autre, ils s'ap- prochent yw/^'WM à ce qu'ils fe touchent'.

5. Que, s'ils font retenus jpar contrainte en vne fituation contraire à celle-là, ils fe fuyent & fe reculent l'vn de l'autre'.

6. Que, fi vn aymant eft diuifé en deux pièces fuiuant... la ligne qui joint fes deux pôles, les parties de chacune de ces pièces tendent à s'éloigner de celles de l'autre pièce, dont elles eftoient les plus proches auant la diuifion.

7. Que, s'il eft diuifé en vn autre f eus, en forte que le plan de la

413 diuifion coupe à angles droits | la ligne qui joint fes pôles, les deux points de cette ligne ainfi coupée, qui fe touchoient auparauant, & font l'vn en l'vne des pièces de l'aymant & l'autre en l'autre, y font deux pôles de vertu contraire, en forte que l'vn tend à fe tourner vers le Nord, & l'autre vers le Zud \

8. Que, bien qu'il n'y ait que deux pôles en chaque aymant, l'vn Boréal & l'autre Auftral, il nelaiffe pas d'y en auoir aufTi deux... en

a. Art. i5o ci-après.

b. An. i5i.

c. Lire : fe penche ?

d. An. 1 52. c An. i53.

f. Art. 154.

g. Art. i55. h. Art. i56.

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 281

chacune de fes parties, lors qu'elle ejl feule; & ainfi, que la vertu de chaque partie... eftfemblable à celle qui eft dans le tout". ^

9. Que le fer peut receuoir cette vertu de l'aymant, lors qu'il en eft /oMc//t' oi/ feulement approché \

10. Que, félon le cofté qu'on le tourne en l'en approchant, il reçoit diuerfement cette vertu'.

11. Que, neantmoins, en quelque façon qu'on en approche vn morceau de fer, qui eft beaucoup plus long que large, il la reçoit touf-jours fuiuant fa longueur.

12. Que l'aymant ne perd rien de cette vertu, encore qu'il la communique au fer'.

i3. Qu'il la luy communique en fort peu de temps ; mais que, fi le fer demeure fort long-temps en mefme fitiiaîion contre l'aymant, elle s'y fortifie & s'y affermit dauantage'.

14. Que le plus dur acier reçoit vne vertu plus | forte, & retient 414 celle qu'il a receuë beaucoup mieux que le fer commune

i5. Qu'il en reçoit dauantage d'vne bonne pierre que d'vne moindre\

16. Que toute la Terre eft vn aymant, & qu'elle communique auffi au fer quelque peu de fa vertu '.

17. Que, bien que la Terre foit grande, cette vertu ne paroift pas en elle fi forte qu'en la plufpart des pierres d'aymant, qui font incomparablement plus petites'.

18. Que les aiguilles touchées de l'aymant tournent leurs bouts, l'vn vers le Nord, l'autre vers le Zud, ainfi que l'aymant tourne fes

pôles \

19. Mais que ny les pôles de ces aiguilles, ny ceux des pierres d'aymant, ne fe tournent pas fi juftement vers les pôles de la Terre, qu'ils ne s'en écartent fouuent quelque peu ; & ce, plus ou moins, félon les diuers lieux où elles font '.

��a.

�Art. i57 ci-après

�b.

�An. i58.

�c.

�Art. 159.

�d.

�Art. 160.

�e.

�An. 161.

�f.

�Art. 162.

�g-

�Art. i63.

�h.

�Art. 164.

�i.

�An. i65.

�j.

�Art. 166.

�k.

�An. 167.

�1.

�Art. 168.

� �Œuvres. IV.

��67

�� � 282 OEuvREs DE Descartes.

20. Et que cela peut auflî changer auec le temps % en forte qu'il f a mainlenant des lieux oie cette déclinai/on de l'aj'uiant ejl moindre quelle n'a ejlé aujiecle paJJ'é, & d'autres oii elle ejf plus grande.

21. Que cette déclinailbn eft nulle, ainfi que quelques-vns difcnt, ou peut-ertre qu'elle n'eft pas la mefme ny fi grande, quand vn

415 aymant eft perpendiculairement éleué fur l'vn de fes pôles, | que lors que fes deux pôles font également diftans de la Terre'.

22. Que l'aymant attire le fe^^

23. Qu'eftant armé il en peut fouftenir vne plus grande quantité, que lors qu'il ne l'eft point".

24. Que, bien que fes pôles foient de vertu contraire eu autre chofe-, ils s'aydent neantmoins à fouftenir vn mefme morceau de fer'.

2 5. Que, pendant qu'vne pirouete de fer tourne, foit à droit, /oit à gauche, fi on la tient fufpenduë à vn aymant, elle n'eft point empefchée par luy de continuer à fe mouuoir'.

26. Que la vertu d'vn aymant eft quelquefois augmentée, & quel- quefois diminuée, par le voijtnage d'vn morceau de fer, ou d'vn autre aymant, félon les diuers coftez qu'ils font tournez vers luy".

27. Qu'vn morceau de fer & vn aymant, tant foible qu'il foit, eftans joints enfemble, ne peuuent eftre feparez par vn autre aymant, bien que très-fort, pendant qu'il ne les touche point '.

28. Et qu'au contraire le fej joint à vn aymant qui eft très-fort, en peut fouuent eftre feparé par vn aymant plus foible..., lors qu'il le touche'.

29. Que le cojié de l'aymant qui tend vers le Nord, peut fouftenir 416 plus de fer en ces régions | Septentrionales, que ne fait fon autre

cofté...".

30. Que la limure de fer s'arrenge en certain ordre autour des pierres d'aymant'.

a. Voir Correspondance, t. III, p. 46.

b. Art. 169 ci-après.

c. Art. 170.

d. Art. 171.

e. Art. 172.

f. Art. 173.

g. Art. 174 h. Art. 175 i. Art. 176 j. Art. 177 k. Art. 178 1. Art. 179

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 28^

3i. Qu'appliquant vne lame de fer contre l'vn des pôles de l'ay- mant, on deftourne la vertu qu'il a pour attirer... d'autre fer vers ce tnejme pôle '.

32. Et que cette vertu ne peut eftre dejloiiriiêe ny empefchée par aucun autre corps qui foit mis en la place de cette lame de fer ".

33. Que fi vn aymant demeure long-temps autrement tourné, au regard de la Terre ou des autres aymans dont il eft proche, qu'il ne tend naturellement à fe tourner..., cela luy fait peu à peu perdre fa force'.

34. Et enfin, que cette force luy peut eftre oftée par le feu, & diminuée par la rouille & par l'humidité..., mais non point par aucune autre choe qui nous foit connue .

146. Comment las parties canelées prennent leur cours au trauers & autour de la Terre.

Maintenant, pour entendre les raifons de ces proprietez de l'ay- mant, confiderons cette figure' en laquelle ABCD reprefente la Terre, dont A eft le pôle Auftral ou du Zud, & B eft le Boréal ou celuf du Nord. Et toutes ces petites viroles qu'on a peintes autour, reprefentent les parties canelées, touchant lefquelles il faut remar- quer que les vues font tournées tout au rebours des autres..., ce qui eft caufe qu'elles ne | peuuent paffer par les mefmes pores ; & que 417 toutes celles qui viennent de la partie du Ciel marquée E, qui eft le Zud,/o«/ tournées en vn mefme fens, & ont en la moitié de la Terre CAD les entrées des pores, par où elles paffent ans ceffe en ligne droite jiifques à la fuperficie de /on autre moitié CBD, puis de là retournent circulairement de part & d'autre, par dedans l'air, l'eau & les autres corps de la Terre fuperieure, vers CA D; & qu'en mefme façon toutes celles qui font tournées en Vautre fens, viennent du Nord F, & entrant par l'heniifphere CBD, prennent leur cours en lignes droites au dedans de la Terre jufques à l'autre hemifphere CAD, par oii efiant forties elles retournent par l'air vers CBD. Car il a e/lé dit' que les pores par où elles paflent az^ trauers de la Terre, font tels, qu'elles n'y peuuent entrer par le mefme cofté par où elles peuuent fortir.

a. Art. 180 ci-après.

b. Art. 181.

c. Art. 182.

d. Art. i83.

e. Planche XIX, figure i.

f . Art. i33, p. 271.

�� � 284 OEuvRES DE Descartes.

��14-]. Qu'elles pajfent plus difficilement par l'air & par le rejle de la Terre extérieure, que par l'intérieure.

Il faut auj/i remarquer qit'W afflue touf-Jours cependant de nou- uelles parties canelées vers la Terre, des endroits du Ciel qui font au Zud & au Nord, bien qu'elles n'ayent pu commodément eftre icy reprefentées ; mais qu'il y en a autant d'autres, qui retourjient dans le Ciel vers G & H, ou bien qui... perdent leur figure en y allant. 418 II eft vray qu'elles ne la peuuent jamais perdre, pendant qu'eljles trauerfent le dedans de la Terre, à caule qu'elles y trouuent des conduits fi ajurtez à leur mefure, qu'elles y paffent... fans aucun empefchement. Mais, pendant qu'elles retournent par l'air ou l'eau ou les autres corps de la Terre extérieure dans lefquels elles ne trouuent point de tels- pores, elles y paffent auec beaucoup plus de difficulté; & pource qu'elles y font continuellemem heurtées par les parties du fécond & du troifiéme élément, // ejl aifé à croire que fouuent elles j changent défigure.

148. Qu'elles n'ont pas la mefme difficulté à paffier par l'aymant '.

Or, pendant que ces parties canelées ont ainji de la difficulté à couler par dedans la Terre extérieure, fi elles y rencontrent vne pierre d'aymant dans laquelle il y a des conduits ajuftez à leur me- fure, tout de mefme qu'en la Terre intérieure..., elles doiuent fans doute palier plus aifément par dedans cette pierre, qu'elles ne font par l'air, ou par les autres corps... d'alentour ; au moins, fi elle elt en telle htuation, que les entrées de fes pores foient tournées vers les coftez d'où viennent les parties canelées qu'ils peuuent aifément receuoir.

14g. Quels font Jes pôles.

Et comme le pôle Auftral de la Terre elt juft:ement au milieu de celle de fes moitie\ par où entrent les parties canelées qui viennent du Ciel du cofté du Zud, ainfi je nomme le poie Auftral de l'aymant 419 celuy de fes points qui eft au | milieu de celle de fes moitiez par où entrent les mefmes parties, & jeprens le point oppofé pour fon pôle Septentrional... : nonobftant que je fçache bien que cela eft contre l'vfage de plufieurs, qui, voyant que le pôle de l'aymant, que je

a. Planche XIX, figure i.

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 285

nomme Auftral,/e tourne iiatiirellement vers le Septentrion, comme j'expliqueray tout maintenant', l'ont nommé fon pôle Septentrional, & pour me/me rat/on, ont nommé l'autre fon pôle Aujlral. Car il me femble qu'il n'y a que le peuple, auquel on doiue laiffer le droit d'authorifer par vn long vfage les noms qu'il a mal impofez aux chofes ; & pource que le peuple n'a point couftume de parler de ce\\e-cy, mais feulement ceux qui philofopJient, & défirent fçauoir la vérité, je m'affure qu'ils ne trouueront pas mauuais que Je préfère la raifon à l'vfage.

i5o. Pourquoy ils Je tournent vers les pôles de la Terre ".

Lors que les pôles de l'aymant ne font pas tournez vers les coftez de la Terre d'où viennent les parties canelées qu'ils peuuent rece- uoir, elles fe prefentent de biais pour y entrer, & par la force qu'elles ont à continuer leur mouuement en lignes droites, elles pouffent celles de fes parties qu'elles rencontrent, jufques à ce qu'elles leur ayent donné la fituation qui leur efl la plus commode : au moyen de quoy, fi cet aymant n'efl point retenu par d'autres corps plus forts, elles le contraignent de fe mouuoir \jujques à ce 420 que celuy de fes pôles que je nomme Auftral,-foit entièrement tourné vers le Boréal de la Terre, & celuy que je nomme Boréal, vers l'Auftral. Dont la raifon efl que les parties canelées qui viennent du cofté du Nord vers l'aymant, font les mel'mes qui font entrées dans laTerre intérieure parle cofté du Znd,<& en font forties par le Nord; comme auffi celles qui viennent du Zud vers l'aymant, font les mefmes qui font entrées par le Nord en la Terre intérieure,..

ï5i . Pourquoi' ils fe penchent auffi diuerfement vers fon centre, à raifon des diuers lieux où ils font "'.

La force qu'ont les parties canelées pour continuer leur mouuement en ligne droite, fait auffi que les pôles de l'aymant fe penchent l'vn plus que l'autre vers la Terre, & ce diuerfement, félon les diuers lieux où il eft. Par exemple, en l'aymant L, qui eft icy diredement pofé fur l'Equateur de la Terre, les parties cav.elées font bien que fon

a. Article suivant, sur la fin.

b. Propriété i, p. 280 ci-avant.

c. Sic, par exception, au lieu de Pourquoy. Voir aussi ci-après, p. 292, article i63 et p. 295, articles 167 et 168.

d. Propriété 2, p. 280.

�� � 286 OEuvRES DE Descartes.

pôle Auflral a eft tourné vers B, le Boréal de la Terre, & fon autre pôle b... vers l'Auftral A..., pource que celles qui entrent par Jon cojlé CaG, font aujfi entrées en la Terre par CAD, ô /orties par CBD""; mais elles ne font point pencher l'vn de ces pôles plus que l'autre, à caufe que celles qui viennent du Nord n'ont pas plus de force à en faire baijjer vn, que celles qui viennent du Zud à faire baiJJ'er l'autre. Et au contraire, en l'aymant N, qui ejî fur le pôle 421 Boréal de la Terre, les parties canelées font que | fon pôle Aujlral a s'abaiffe entièrement vers la Terre, & que l'autre b demeure éleué tout droit au deffus. Et en l'aymant M, qui eft entre l'Equateur & le Nord..., elles font pencher fon pôle Aujlral plus ou moins bas, félon que le lieu où eft cet aymant eft plus proche du Septentrion ou du Midy.Et en l'autre hemifphere^elles font pencher le pôle Boréal des aymans I & K, en meftne façon que l'Auftral des aymans N & M en cetuy-cy. Dont les raifons font éuidentes : car les parties cane- lées... qui fortent... de la Terre par... B, & entrent en l'aymant N par a, y doiuent continuer leur cours en ligne droite, à caufe de la facilité du pajfage qu'elles y trouuent, & que les autres parties cane- lées, qui viennent d'A par H & G vers N, n'entrent pas en luy beau- coup plus difficilement pour cela par fon pôle b. Tout de mefme les parties canelées qui entrent par a, le coflé Auflral de /'aymant M, fortent de la fuperficie de la Terre intérieure qui eft entre B & M : c'eft pourquoy elles doiuent faire pencher fon pôle a, enuiron vers le milieu de cette fuperficie ; & cela ne peut eftre empefché par les autres parties canelées qui entrent par l'autre coflé de cet aymant, à caufe que, venant de l'autre hemifphere de la Terre, & ainft deuant neceffairement faire tout vn demy tour pour y entrer, elles ne fe 422 deftournent pas da|uantage, en pajfant par cet aymant\oxs qu'il efl: ainfi fitué, que fi elles ne pafoient que par l'air.

i52. Pourquoy deux pierres d'aymant fe tournent l'vne vers l'autre, ainft que chacune fe tourne vers la Terre, laquelle ejl aujji vn aymant *'.

Ainfi on voit que les parties canelées prennent leur cours par les pores de chafque pierre d'aymant, en mefme façon que par ceux de la Terre : d'où il fuit que, lors que deux aymans de figure ronde /o«/ proches, chacun d'eux fe doit tourner <S- pencher vers l'autre, en mefme façon qu'il fe pencheroit vers la Terre, s'il ejloitfeul. Car il

a. En marge : « Voyez la figure précédente. » Planche XIX, figure i.

b. Propriété 3, p. 280.

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 287

faut remarquer qu'il y a touf-jours beaucoup plus de ces parties ca- nelées autour des pierres d'aymant, qu'il n'y en a aux autres endroits de l'air..., à caufe qu'après qu'elles l'ont /orties par l'vn des coJîe\ de l'ajmant, la refiftence qu'elles trouuent en l'air qui les enuironne, fait que la plufpart retournent par cet air vers l'autre cojlé de cet aymant par lequel elles entrent derechef: & abifi, plujîeurs demeu- rant autour de lu/, elles/ font vue c/pece de tourbillon, tout de me/me qu'il a ejlé dit qu'elles font autour de la Terre. De forte que toute cette Terre peut auiTi eftre prife pour vn aymant, lequel ne diffère point des autres, fmon en ce qu'il eft beaucoup plus grand..., <? que fur fa fuperjicie, oii nous viuons, fa vertu ne paroijt pas efîre bien forte.

i53. Pour^uoy deux aymans s'approchent l'vn de l'autre, & quelle ejl la/phere de leur vertu '.

Outre que deux aymans qui font proches fe tournent jufques à ce que le pôle Auftral de l'vn | regarde le pôle Boréal de l'autre, ils 423 s'approchent en fe tournant ou bien après eftre ainfi tournez, juf- ques à ce qu'ils viennent à fe toucher, lors que rien n'empefche leur mouuement. Car il faut remarquer que les parties canelées paflent beaucoup plus vite par les conduits de l'aymant que par l'air, dans lequel leur cours efl arreflé par le fécond & troifiéme élément qu'elles rencontrent, au lieu qu'tn ces conduits elles ne fe nieflent qu'auec la plus fubtile matière du premier élément..., laquelle augjjiente leur viteffe. C'efl pourquqy elles continuent quelque peu leur mouuement en lignes droites, après eflre for lies de l'aymant, auant que la re- Jijîance de l'air les puiffe deflourner ; & fi, en l'efpace par oii elles vont ainfi en lignes droites, elles rencontrent les conduits d'vn autre aymant, qui foient difpufe\ à les receuoir, elles entrent en cet autre aymant au lieu de fe deftourner, & chaffant l'air qui efl entre ces deux aymans, font qu'ils s'approchent l'vn de l'autre. Par exemple, les parties canelées qui coulent dans les conduits de l'aymant marqué 0^.., les vnes de B vers A, & les autres d'A vers B, ont la force de paffer outre en ligne droite des deux coftez jufqu'à R & S, auant que la refifiance de l'air les contraigne de prendre leur cours de part & d'autre vers V. Et note^ que tout l'efpace RVS, qui contient \ le tourbillon que font les parties canelées autour de cet 424 aymant O, fe nomme la fphere de fon adiuité ou de fa vertu ; & que

a. Propriété 4, p. 280.

b. Planche XIX, figure 2.

�� � 288 Œuvres de Descartes.

cette fphere eft d'autant plus ample qu'il eft plus grand, ou du moins qu'il eft plus long.,., pource que les parties canelées, y cou- lant par de plus longs conduits, ont loifir d'y acquérir la force de pajfer plus aiiant dans l'air en ligne droite. Ce qui fait que la vertu des grands aymans s'ejîend touf-joiirs beaucoup plus loin que celle des petits, bien que d'ailleurs elle /oit quelquefois plus foible : à fçauoir, lors qu'il n'j- a pas tant de conduits, propres à receuoir les parties cajtelées, dans vn grand ajmant que dans vn moindre. Or fi la fphere de la vertu de l'aymant O eftoit entièrement feparée de celle de l'aymant P, qui eft TXS, encore que les parties canelées qui fortent de cet aymant O poufferoient l'air qui eft vers R & vers S, comme elles font, elles ne le chalferoient point pour cela des lieux où il eft, à caufe qu'il n'auroit point d'autre lieu où il puft aller, pour éuiter d'eflre poujfé par elles, & rendre leur cours plus facile. Mais maintenant que les fpheres de ces deux aymans font tellement jointes en S, que le pôle Boréal de l'vn regarde le pale Aujlral de l'autre, ilfe trouue vn lieu oii l'air qui ejl vers S peutfe 425 retirer, à fçauoir vers R & vers T, derrière ces deux af\mans, en faifant qu'ils s'approchent l'vn de l'autre; car il eft éuident que cela facilite le cours des parties canelées, aufquelles il efi plus aifé de paffer en ligne droite d'vn aymant en l'autre, que défaire deux tour- billons fepare^ autour d'eux; & elles peuuent paffer ainft en ligne droite de l'vn en l'autre, d'autant plus aifément qu'ils font plus pro- ches. C'efl pourquoj- elles chaflent, vers R & vers T, l'air qui fe trouue entre-deux...; & cet air ainfi chafle fait auancer les deux aymans d'R & T vers S...

i54. Pourquoy aujfi quelquefois ilsfe fuient^.

Mais cela n'arriue que lors que le pôle Auflral de l'vn de ces aymans efl tourné vers le Boréal de l'autre ; car, au contraire, ils fe reculent & fe fuyent l'vn l'autre, lors que ceux de leurs pôles qui fe regardent, font de mefme vertu, & que leur fituation ou quelque autre caufe les empefche tellement de fe tourner, qu'elle ne les empefche pas pour cela de Je mouuoir en ligne droite. Dont la raifon eft que les parties canelées qui fortent de ces deux aymans, ne pouuant entrer de l'vn en l'autre, fe doiuent referuer entre-deux quelque efpace pour paffer en l'air d'alentour... Par exemple, fi l'aymant O" flotte fur l'eau dans vne petite gondole, en laquelle il fait tellement planté fur

a. Propriété 5, p. 280.

b. Planche XX, figure i.

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 289

fon pôle Boréal B, qu'il ne Je puiffe momioir qu'aiiec elle,&. que, tenant l'aymant P auec la main, en forte que fon pôle | Auflral a foit tour- 426 né vers A, le pôle Auilral de l'autre, on Vauancs peu à peu de P vers Y, il doit faire que l'aymant O fe recule d'O vers Z, auant que de luy toucher, à caufe que... les parties canelées, qui fortent de l'en- droit de chacun de ces aj-mans qui ejl vis à pis de l'autre a/manl, doiuent auoir quelque efpace entre ces deux aymans, par où elles puilTent paffer...

��i55. Pourquoy, lors qii'vn aymant ejî diuifé, les parties qui ont ejlé

jointes fefuyent '.

Des chofes qui ont def-ja efté dites, on voit clairement que, fi vn aymant eft diuifé en deux pièces, fuiuant... la ligne qui joint fes deux pôles, & qu'on tienne l'vne de ces pièces pendue... à vn filet au- deffus de l'autre, elle fe doit tourner de foy-mefme, & prendre vne fituation contraire à celle qu'elle a eue... Car, auant la diuifion, fes parties Auflrales eftoient jointes aux parties Auftrales de l'autre pièce, & les Boréales aux Boréales ; mais lors qu'elles font feparées, les parties canelées qui fortent du pôle Auftral de l'vne de ces pièces, prennent leur cours par dedans l'air vers le pôle Boréal de l'autre, au moyen de quoy elles font que a, le pôle Aujiral de celle qui ejl fufpenduë, fe tourne vers B, le pôle Boréal de l'autre, & b vers A.

��i56. Comment il arriue que deux parties d'vn aymant qui fe touchent deuiennent deux pôles de vertu contraire, lors qu'on le diuifé ^

On voit aufli pourquoy, fi vn aymant ert diuifé en telle forte que le plan de la diuifion coupe à angles droits' la ligne AB, qui joint fes deux pôles, les deux points de cette ligne qui fe toulchoient auant 427 qu'elle fut diuifée, & qui font l'vn en l'vne de fes pièces & l'autre en l'autre, comme font icy è & a, y font deux pôles de vertu contraire, à caufe que les parties canelées qui peuuent fortir par l'vn, peuuent entrer par l'autre.

a. Propriété 6, p. aSo. — Voir Correspondance, t. IV, p. 46g.

b. Propriété 7, p. 280.

c. Planche XX, figure 3.

Œuvres. IV. 68

�� � 290 OEuvRES DE Descartes.

��1 5y. Comment la vertu qui ejl en chaque petite pièce d'vn aymant ejl femblable à celle qui ejî dans le tout\

De plus, on voit comment la vertu de tout vn aymant n'eft pas d'autre nature que celle de chacune de fes parties, encore qu'elle paroijje tout autrement en fes pôles qu'ailleurs. Car elle n'y eft pas autre pour cela; mais elle y eft feulement plus grande, à caufe que la ligne qui les joint efl: la plus longue, & qu'elle tient le milieu entre toutes les lignes, fuiuant lefquelles les parties canelées palfent au trauers de cet aymant : au moins en vn aymant fpherique, à l'exemple duquel on juge que les pôles des autres aymans font les points où leur vertu paroiit le plus. Et cette vertu n'eft pas aufli autre dans le pôle Auftral que dans le Boréal, finon en tant que ce qui entre par l'vn, doit fortir par l'autre; mais il n'y a point de pièce d'aymant, tant petite qu'elle foit, en laquelle il j- ait quelque pore par où, pajfent les parties canelées, qu'il n'y ait vn cofté par où elles entrent, & vn autre par où elles fortent, & par confequent qui n'ait fes deux pôles.

��i58. Comment cette vertu efl communiquée au fer par Faymant^.

Et nous n'auons pas fujet de trouuer eftrange qu'vn morceau de 428 fer ou d'acier, eftant apiproché d'vne pierre d'aymant, en acquere incontinent la vertu. Car, fuiuant ce qui a efîé dit', il a def-ja des pores propres à receuoir les parties canelées, au£i bien que l'aymant, & mefne en plus grand nombre; c'eft pourquoy il ne luy manque rien pour auoir la mefme vertu, fmon que les petites pointes... qui auancent dans les replis de fes pores, _;- /oh/ tournées fans ordre, les vnes d'vne façon & les autres d'vne autre, au lieu que toutes celles des pores qui peuuent receuoir les parties canelées venues du Nord, deuroient eftre couchées fur vn mefme cofté, & toutes les autres fur le cofté contraire. Mais lors qu'vn aymant eft proche de luy, les parties canelées qui fortent de cet aymant, entrent en tel ordre & auec tant d'impetuofité dans fes pores, qu'elles ont la force d'y difpofer ces petites pointes en cette façon; & ainfi elles donnent au fer tout ce qui luy manquoit pour auoir la vertu de l'aymant.

a. Propriété 8, p. 280-281.

b. Propriété 9, p. 281.

c. Art. i35-i39, p. 273-275.

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 291

��i5g. Comment elle ejl communiquée au fer diuerjement, à rai/on des diiierfes façons que l'aymant ejl tourné vers luy\

Nous ne deuons point admirer non plus, que ie fer reçoiue diuer- fement cette vertu, à raifon des diuers codez de l'aymant aufquels il eft appliqué. Car, par exemple^ fi R, Im des bouts du fer RST, eR mis contre J5, le pôle Boréal de l'aymant P, ce fer receura tellement la vertu de cet aymant, que R fera Ion pôle Auftral, & T, le Boréal, à caufe que les parties canelées,qui vienlnent du Zud dans la Terre & enfortentpar le Nord, entrent par R, & que celles qui viennent du Nord, après eftre ibrties de la Terre par A & auoir fait le tour de part ou d'autre par l'air, entrent par T dans le fer. Si ce mefme fer eft couché fur l'Equateur de cet aymant [c'ejî à dire, fur le cercle également difîant de fes pôles) & que fon point R foit tourné vers 5..., comme on le voit fur la partie de l'Equateur marquée C, il y receura fa vertu en mefme fens qu'auparauant, & R fera encor fon pôle Auftral, à caufe que les mefmes parties canelées y entreront. Mais fi on tourne ce point R vers A.. ., comme on le voit fur l'endroit de l'Equateur marqué D, il perdra la vertu du pôle Auftral, & deuiendra le pôle Septentrional de ce fer, à caufe que les parties ca-^ nelées qui entroient auparauant par R entreront par T, & celles qui entroient par T entreront par R. Enfin, fi S, le point du milieu de ce fer, touche le pôle Auftral de cet aymant..., les parties canelées qui viennent du Nord entreront dans le fer par S, & ibrtiront par les extremitez R & T : au moyen de quoy il aura en fon milieu la vertu du pôle Boréal, & en fes deux bouts celle du pôle Auftral.

/ 60 . Pourquoy néanmoins vnfer qui ejl plus long- que large ny efpais, la reçoit toitf-jours jfuitiant fa longueur'.

Et il n'y a point en tout cela de difficulté, finon qu'on peut... demander pourquoy les parties canelées qui, Ibrtant du pôle A de l'aymant ^ en|trent par S, le milieu du fer, ne vont pas plus outre en ligne droite vers E, au lieu de fe deftourner de part & d'autre vers R & vers T.... A quoy il eft aifé de refpondre, que ces parties

a. Propriété 10, p. 2S1. ^ , r m vv

b. En marge: «Voyez en la planche qui précède la hgure 4. » FI. XX,

c. Pioprictc II, p. 281.

d. Planche XX, tigure 4.

��429

��430

�� � 292 OEuvRES DE Descartes.

canelées, trouuant des pores dans le fer, qui font propres à les receuoir, & n'en trouuant point dedans l'air, font deftournées par la refijlance de cet air, & coulent le plus long-temps qu'elles peuuent par dedans le fer, lequel pour cette caufe reçoit touf-jours la vertu de l'aymant fuiuant fa longueur..., lors qu'il ejl notablement plus long que large ou e/pais.

161. Pourquoy l'aymant ne perd rien de fa vertu, en la communiquant au fer '.

Il eft aifé aufli de refpondre à ceux qui demandent pourquoy l'ay- mant ne perd rien de fa force, encore <\\i' on face qu'û la communique à vne fort grande quantité de fer. Car il n'arriue aucun changement en l'aymant, de ce que les parties canelées qui fortent de fes pores entrent dans le fer pluftot que dans quelqu'autre corps, fmon... en tant que, paffant plus facilement par le fer que par d'autres corps, cela fait çz/ 'elles paffent auffi plus librement & en plus grande quan- tité /'ar l'aymant, lors qu'il a du fer autour de luy, que lors qu'il n'en a point. Ainfi, au lieu de diminuer fa vertu, il l'augmente en la communiquant au fer.

162. Pourquoy elle fe communique au fer fort promptement, & comment elle y ejl affermie par le temps *■.

Et cette vertu eft acquife fort promptement par le fer, à caufe 48i qu'îV ne faut gueres de temps \ aux parties canelées qui vont très-vite pour paffer de l'vn de fes bouts jufques à l'autre, & que, dés la pre- mière fois qu'elles f paffent, elles luy communiquent la vertu de l'ay- mant duquel elles viennent. Mais fi on retient long-temps vii mefme fer en mefme fluation contre vne pierre d'aymant, il y acquert vne vertu plus ferme, & qui nepeutpasftaifément luy eftre ofiée, à caufe que les petites branches qui auancent dans les replis de fes pores, demeurant fort long temps couchées fur vn mefme coflé, perdent peu à peu la facilité qu'elles ont eue k fe renuerfer fur l'autre cofté.

i63. Pourquoi l'acier la reçoit mieux que le fimple fer \

Et l'acier reçoit mieux cette vertu que le fimple fer, pource que fes pores propres à receuoir les parties canelées l'ont plus parfaits

a. Propriété 12, p. 281 .

b. Propriété i?, ibidem.

c. Propriété 14, ibid. — Voir Correspondance, t. IV, p. 470.

�� � Principes. — Quatriesme Partie, 293

& en plus grand nombre ; & après qu'il l'a recetië, elle ne luy peut fi tort eftre oftée, à caufe que les petites branches qui auancent en les conduits... ne/c peuuent pas fi aiiement reuuerj'er.

��164. Pourquoy il la reçoit plus grande d'viifurt bon aymant, que d'vn moindre \

Et félon qu'vn aymant eft plus grand & plus parfait, il luy com- munique vne vertu plus forte, à caufe que les parties canelées, entrant auec plus d'impctuofité dans fes pores, remierfent plus par- faitement toutes les... petites branches qu'elles rencontrent en leurs replis; & auffi à caufe que, renant tn plus grande quantité toutes enfemble, elles fe préparent plus grand nombre de | pores. Car il ert à remarquer qu'il y a touf-jours beaucoup plus de tels pores dans leferuu l'acier, duquel toutes les parties font métalliques, que dans l'aymant, où ces parties métalliques font méfiées... auec celles d'vne pierre ; & ainfi que, ne pouuant fortir en mefme temps que peu de parties canelées d'vn aymant foible, elles n'entrent pas en tous les pores de Vacier, mais feulement en ceux où il y a moins de petites branches qui leur refijlent, ou bien où... ces branches font plus faciles à plier ; iS- que les autres parties canelées qui viennent après, ne pajfent que par ces me/mes pores oii elles trouuent le chemin def-ja ouuert,Jt bien que les autres pores ne feruent de rien, /mon lorsque ce fer ejl approché d'pn aymant plus parfait, qui, enuoyanl fers luy plus de parties canelées, luy donne pne pertu plus forte.

16 5. Comment la Terre feule peut communiquer cette vertu au fer ^.

Et pource que les petites branches qui auancent dans les pores du plus fimple fer, y peuuent fort aifément eftre pliées, de là vient que la Terre mefme... luy peut en vn moment communiquer la vertu de l'aymant, encore qu'elle femble n'en auoir qu'vne fort foible. De qitoy l'expérience ejîant ajfei belle, je mettray icy le moyen de la faire. On prend vn morceau de fimple fer, tel qu'il foit,pourueu que fa figure foit longue, & qu'il n'ait point encore en foy aucune vertu I d'aymant ^2n/o27 notable; on baiife vn peu l'vn de fes bouts plus que l'autre vers la Terre ; puis, les tenant tous deux également dijlans de l'horifon, on approche vne boujfole de celuy qui a efté baijfé

a. Propriété i5, p, 281.

b. Propriété 16, ibidem.

��432

��433

�� � 294 OEuvREs DE Descartes.

le dernier, & l'aiguille de cette boujfole tourne vers luy le me/me cq/lé qu'elle a coiijlume de tourner vers le Zud; puis, hauilant quelque peu le melme bout de ce fer, & le remetant incontinent parallèle à l'hori- fon proche de la me/me boujfole, on voit que l'aiguille luf pre fente fon autre cojlé; & fi on le haujj'e & baijje ainft plufieurs fois, on trouue touf-jours,en ces régions Septentrionales, que le co'flé que l'aiguille a coujlume de tourner vers le Zud, Je tourne vers le bout du fer, qui a ejlé baijfé le dernier, & que celuj' qu'elle a coujlume de tourner vers le Nord, Je tourne contre le bout du fer qui a efié hauffé le dernier : ce qui monjlre que lajeulejitualion qu'on luy donne au regard de la Terre, luj- communique lavertu de Jaire ainjt tourner cette aiguille; d- on le peut haujfer & baijferfi adroitement, que ceux qui le voyent, ne pouuant remarquer la cauje qui luj- change fi Jubilementja vertu, ont occafion de l'admirer.

��166. D'où vient que de Jort petites pierres d'aymant paroijfent fomicnt auoir plus de Jorce que toute la Terre \

Mais on peut icy demander pourquoy la Terre, qui cft vn fort grand aymant, a moins de vertu que n'en ont ordinairement les 434 pierres d'ay]mant, qui font incomparablement plus petites. A quuyje refpons que mon opinion eit, qu'... elle en a beaucoup dauantage en tajeconde région, en laquelle j'ay dit cy deifus" qu'il y a quantité de pores par où les parties canelées prennent leur cours ; mais que la plufpart de ces parties canelées, après eitre forties par l'vn des cofie:{ de cens féconde région, retournent vers l'autre par la plus baffe partie de la troijiéme région, d'où viennent les metaù'x, en laquelle il y a auffi beaucoup de tels pores... :ce qui ell caulé qu'elles ne viennent qu'en fort petit nombre jufques à cette Juperficie de la Terre oit nous habitons. (I3.Ï ]t cïoy que les entrées & forties cies pores par oit elles pajfent..., font tournées, en cette troifiéme région de la Terre tout autrement qu'en layeco/uYt'; en forte que les parties cane- lées, qui viennent du Zud vers le Nord par les pores de ctnt Jecon de région, retournent du Nord vers le Zud par la troifiéme, en paf- fant... prefque toutes par fon plus bas eflage, & aujji par les mines d'aymant & de fer, à caiife qu'elles j- trouuent des pores commodes : ce qui fait qu'il n'en refte que fort peu qui s'efforcent de paffer par l'air & par les autres corps proches de nous, où il n'y a point de

a. Propriété 17, p. 281.

b. Art. i33 et suiv., p. 271.

�� � 43E

��Principes. — Quatriesme Partie. 295

tels pores. De quoy on peut examiner la vérité par l'expérience : car, fi ce que j'en écris eft vray, le mefme cofté de l'aymant qui regar- de I le Nord, pendant qu'il efl: encore joint à la w/hc, fe doit touf- jours tourner defoy mefme vers le Nord, après qu'il en eft feparé, & qu'on le laiffc librement floter... fur l'eau, fans qu'il foit proche d'aucun autre ayinant que de la Terre. Et Gilbert, qui a découueri le premier que toute la Terre ejl vn aymant, & qui en a très curieufe- ment examiné les vertus, aflure qu'il a éprouué que cela eft. Il eft vray que quelques autres difent aufii qu'ils ont éprouué le contraire. Mais peut-eftre qu'ils fe font trompez, en faifant floter l'aymant dans le lieu mefme d'où ils l'auoient coupé, pour voir s'il changeroil de fituation; & que lors véritablement il l'a changée, à caufe que le refte de la mine, dont on l'auoit feparé, eftoit aufli vn aymant, fuiuant ce qui a efté dit en l'article j55'. Au lieu que, pour bien faire cette expérience, il faut, après auoir remarqué quels font les cofîe^ de l'aymant qui regardent le Nord & le Zud, pendant qu'il eft joint à la mine, le tirer tout à fait hors de là, & ne le tenir proche d'aucun autre aymant que de la Terre, pour voir vers oit fes mefmes cofle^fe tourneront.

i6y. Pourquoi les aiguilles aymantées ont touf-jours les pôles de leur vertu en leurs extremite\ ".

Or, d'autant que le fer ou l'acier qui eft de figure longue reçoit touf-jours la vertu de l'aymant fuiuant fa longueur, encore qu'il luy l'oit appliqué en autre fens, il eft certain que les aiguil|les aymantées 436 doiuent touf-jours auoir les pôles de leur vertu precifément en leur deux bouts, & les tourner vers les mefmes coftez... qu'vn aymant parfaitement fpherique tourneroit fes pôles, s'il efloit aux mefmes endroits de la Terre où elles font.

168. Pourquoi les pôles de l'aymant ne fe tournent pas touf-jours exaâemeni vers tes pôles de la Terre'.

Et pource qu'on peut beaucoup plus ailement obferuer yers quel coflé fe tourne la pointe d'vne aiguille, que vers lequel fe tourne le pôle à' \nt pierre ronde, on a dccouucrt, par le moyen de ces aiguilles, que l'aymant ne tourne pas touf-jours fes pôles exadement

a. Page 289 ci-avant.

b. Propriété 18, p. 281.

c. Propriété 19, ibidem.

�� � içô

��OEUVRES DE Descartes.

��vers les pôles de la Terre, mais qu'il les en détourne orditiairejyietit quelque peu, & quelquefois plus, quelquefois moins, félon les diuers pais oii l'on le porte. De quoy la raifon doit eftre attribuée aux inégalitez qui font en la fuperficie de la Terre, ainfi que Gilbert a fort bien remarqué. Car il eft éuident qu'il y a des endroits, en cette terre..., où il 3' a plus d'aymans ou de fer que dans le relie ; &que, par confequent, les parties canelées qui fortent de la Terre intérieure, vont en plus grande quantité vers ces endroits là que vers les autres : ce qui fait qu'elles fe détournent fouuent du chemin qu'elles prendroient, Ji tous les endroits de la Terre e/loient femblables. Et pource qu'il n'y a rien que ces parties canelées qui facent tourner

437 çà ou là les pôles de | l'aymant..., ils doiuent fuiure toutes les varia- tions de leur cours. Ce qui peut eftre confirmé par l'expérience, li on met vne fort petite aiguille d'acier fur vne a[fe\ grojfe pierre d'aymant qui ne foit pas ronde ; car on verra que les bouts de cette aiguille ne fe tourneront pas touf-jours exactement vers les mefmes points de cette pierre, mais qu'ils s'en détourneront diuerfement fuiuant les inégalité^ de fa figure. Et bien que les inégalitez qui paroiffent en la fuperficie... de la Terre ne foient pas fort grandes, à raifon de toute la grofléur de fon corps..., elles ne laiffent pas de l'eftre affez..., à raifon des diuers endroits de cette fuperficie, pour

y caufer la variation des pôles de l'aymant qu'on y obferue.

i6p. Comment cette variation peut clianger auec le temps en vn me/me endroit de la Terre ".

Il y en a qui difent que cette variation n'eit pas feulement diffé- rente aux différents endroits de la Terre, mais qu'elle peut aufTi changer auec le temps en vn mefme lieu; en forte que celle qu'on obferue maintenant en certaines places, ne s'accorde pas auec celle qu'on y a obferuéeaufieclepajje. Ce qui ne me femble nullement eftrange, eti confiderant qu'elle ne dépend que de la quantité du fer & de l'aymant quife trouue plus ou moins grande vers l'ini des cofie\ de ces lieux là que vers l'autre, non feulement à caufe que les hommes tirent con- tinuellement du fer de certains endroits de la Terre, & le tranf-

438 Iportent en d'autres; mais principalement auffi, à caufe qu'Hy a eu autrefois des mines de fer en des lieux oii il n'y en a plus, pource qu'elles s'y font corrompues auec le temps, & qu'il y en a mainte- nant en d'autres oii il n'y en auoit point auparauant, parce qu'elles y ont depuis peu efté produites...

a. Propriété 20, p. 28a.

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 297

��/ -jo. Comment elle peut aitffi cjîre changée yar la diuerfefttuation

de l'aymant '.

II y en a aufîi qui difent que cette variation eft nulle en vn aymant de figure ronde planté... fur l'vn de fes pôles, à fçauoir fur fon pulc Aurtral, lors qu'il efl en ces parties Septentrionales, & fur le Boréal, lors qu'il eft en l'autre hemifphere. En forte que cet aymant, ainli planté dansvne petite gondole qui flotte fur l'eau, tourne touf-jours vn mcfme cofté... vers la terre, fans s'en efcarleren aucune façon, lors qu'il ejl Iran/porté en diuers lieux... Mais, encore que je n'aye point fait d'expérience qui m'alïure que cela foit vray, je juge neantmoins que la declinaiibn d'vn aymant ainfi planté n'eft pas la mefme, & peut-eftre aufTi qu'elle n'efl pas fi grande que lors que la ligne qui joint fes pôles ejî parallèle à l'horifon ; car, en tous les endroits de cette terre extérieure, excepté en l'Equateur & fur les pôles, il y a des parties canelées qui prennent leur cours en deux façons : à fçauoir, les vnes le prennent fuiuant des \\gn<ts parallèles à l'horifon, pource qu'elles viennent de \ plus loin & pajfenl outre; & les autres le 439 prennent de bas en haut, ou de haut en bas, pource qu'elles fortent de la terre intérieure, ou qu'elles y entrent en ces endroits là. Et ce font principalement ces dernières qui font tourner l'aymant planté fur fes pôles, au lieu que ce font les premières qui caufent la variation qu'on y obferue lors qu'il ejt en l'autre fituation.

i~ I . Pourquoy l'aymant attire le fer ".

La propriété de l'aymant qui efl la plus commune, & qui a eflé remarquée la première, ejl qu'il attire le fer, ou pluftoft que le fer & l'aymant s'approchent naturellement l'vn de l'autre, lors qu'il n'y a rien qui les retienne. Car, à proprement parler, il n'y a aucune attraction en cela ; mais, fi toit que le fer eft dans la fphere de la vertu de l'aymant, cette vertu luy eft communiquée, & les parties canelées qui pafent de cet aymant 01 ce fer, chalient l'air qui eft entre deux, faifant par ce moyen qu'ils s'approchent, ainfi qu'il a eflé dit de deux aymans en l'art. iS3'. Et mefme le fer a plus de facilité à fe mouuoir vers l'aymant, que l'aymant à fe mouuoir vers le fer, à caufe que toute la matière du fer a des pores propres à

a. Propriété 21, p. 282.

b. Propriété 22, ibidem.

c. Page 287.

Œuvres. IV. 69

�� � 298 OEuvRES DE Descartes.

receuoir les parties canelées, au lieu que l'aymant el^ apefanti par la matière dejîituée de ces pores dont il a coujliime d'ejîre compojé.

772, Pourquoy il foujiient plus de fer lors qu'il ejl arméj que lors qu'il ne l'ejl pas '.

Mais il y en a plufieurs qui admirent qu'vn aymant eftant armé, 440 c'eft à dire, ayant quelique morceau de fer attaché à l'rn de f es pôles , puiffe, par le mojen de ce fer, fouftenir beaucoup plus d'autre fer, qu'il ne feroit eftant defarmé. De quoy neantmoins on peut affe^ facilement découurir la caufe, en remarquant que, bien que fon armure luy aj-de à fouftenir le fer qu'elle touche, elle ne luy ayde point en mefme façon à faire approcher celuy dont elle eft tant foit peu feparée; ny mefme à le fouitenir, quand il y a quelque chofe entre luy & elle, encore que ce ne feroit qu'vne fueille de papier fort déliée. Car cela monftre que la force de l'armure ne confifte en autre chofe, finon en ce qu'elle touche le fer d'autre façon que ne peut faire l'aymant : à fçauoir, pource que cette armure eft de fer, ■ tous fes pores fe rencontrent vis à vis du fer qu'elle fouftient, & les parties canelées qui palTent de l'vn en l'autre de ces fers... chafl"ent tout l'air qui eft entre-deux, faifant par ce moyen que leurs fuper- ficies fe touchent immédiatement, & c'eft en cette forte d'attouche- ment que... confifte la plus forte liaifon qui puiffe joindre deu.x corps l'vn à l'autre, ainfi qu'il a efté prouué cy-delïus. Mais, à caufe de la matière non métallique qu'x a couflume d'eftre en l'aymant, fes pores ne peuuent ainfi fe rencontrer juftement vis à vis de ceux du fer; c'eft pourquoy les parties canelées qui [orient de l'vn n-e 44i I peuuent entrer en l'autre, qu'en coulant quelque peu de biais entre leurs fuperf des; & ainfi, encore qu'elles les facent approcher l'vn de l'autre, elles empefchent neantmoins qu'ils ne fe touchent tout à fait, à caufe qu'elles retiennent entre-deux autant d'efpace qu'il leur en faut pour couler ainji de biais des pores de l'vn en ceux de l'autre.

Ij3. Comment les deux pôles de l'aymant s'aident l'vn l'autre à fouftenir le fer '.

Il y en a aufli quelques-vns qui admirent que, bien que les deux pôles d'vn mefme aymant ayent des vertus toutes contraires, en ce

a. Propriété 23, p. 282.

b. Partie II, art. 55, p. 94.

c. Propriété 24, p. 282.

�� � 442

��Principes — Quatriesme Partie. 299

qui ejl de Je tourner vers le Zud & vers le Nord, ils s'accordent neant-

moins â s'entr'aydent, en ce qui eft de fouftenir le fer; en forte

qu'vn aymant, armé en fes deux pôles, peut porter prefque deux

fois autant de fer, que lors qu'il n'eft armé qu'en l'vn de les pôles.

Par exemple, fi AB eft vn aymant % aux deux pôles duquel font

jointes les armures CD & EF, tellement auancées en dehors vers

D & F, que le fer GH qu'elles fouftiennent les puiffe toucher en

des fuperficies affez larges, ce fer G H peut eftre prefque deux fois

auJJ'i pefant, que s'il ne touchait qu'à l'vne de ces deux armures.

Mais la railbn en eft éuidente à ceux qui confiderent le mouuement

des parties canelées qui a efté expliqué; car, bien qu'elles foient

contraires les mes aux autres, en ce que celles qui fortent de l'ay-

mant par l'vn de \ les pôles, n'y peuuent rentrer que par l'autre,

cela n'empefche pas qu'elles ne joignent leurs forces enfemhle pour

attacher le fer à l'aymant, à caufe que celles qui fortent d'A, le pôle

Auftral de cet aymant, eftant dcftournées par l'armure Cù vers b,

où elles font le pôle Boréal du fer G H, coulent de b vers a, le pôle

Auftral du mefme fer, & d'à..., par l'armure FE, entrent dans B, le

pôle Boréal de l'aymant ; comme aufll, en melme façon, celles qui

fortent de B, retournent circulairement vers A par... EF,.., HG

&... DC. Et ainft elles attachent le fer autant à l'vne de ces armures

qu'à l'autre.

174. Pourquoy vnepiroiiete de fer n'eft point empefchée de tourner par l'aymant auquel elle eftfufpendue ".

Mais ce mouuement des parties canelées... ne femble pas s'accor- der ft bien auec vne autre propriété de l'aymant, qui eft de pouuoir foujîenir en l'air vne petite pirouette de fer... pendant qu'elle tourne [foit qu'elle tourne à droit, foit à gauche), S^ de n'empefcher point qu'elle continue à fe mouuoir, eftant fufpenduë à l'aymant, plus long-temps qu'elle ne feroit... eftant appuyée fur yne table. En effed, fi les parties canelées n'auoient qu'vn mouuement droit, & que le fer & l'aymant fe puffent tellement ajufter, que tous les pores de l'vn fe trouuaiïent exactement vis à vis de ceux de l'autre, je croirois que ces parties canelées, en pafl"ant de l'vn en l'autre, de- uroient ajujler ainft tous leurs pores, & par ce moyen \ empelcher la 443 pirouette de tourner. Mais, pource qu'elles tournent elles-mefmes

a. Planche XX, figure 5.

b. Propriété 25, p. 282. — Voir Correspondance, t. IV, p. 470.

�� � joo OEuvRES DE Descartes.

fans celîe, les vnes à droit, les autres à gauche, & qu'elles /e rc- feriieiit toiif-jours quelque peu d'efpace entre les Jiiperficies de l'ay- mant & du fer, par oh elles coulent de biais des pores de l'vn en ceux de l'autre, à caufe qu'ils ne fe rapportent pas les vus aux autres, elles peuuent tout aufli aifément palTer des por-es de l'ar- mant en ceux d'vne pirouette, lors qu'elle tourne, Ibit à droit, foit à gauche, que fi elle eftoit arreftée; c'ejl pourquof elles ne l'arrejleut point. Et pource que, pendant qu'elle eil: ainfi fufpenduë, ilj- a touf-jours quelque peu d'efpace e>itre elle & l'aymant, fon attou- chement Yarreffe bien moins que ne fait celuy d'vne table quand elle efl appitj'ée defus, & qu'elle la prefle par fa pefanteur.

��/ ~5. Comment deux aymans doiuent ejlre fnue\ pour s'ayder ou s'empëfcher l'vn l'autre à foujîenir, du fer ".

Au rejle, la force qu'a vne pierre d'aymant à fouflenir le fer, peut diuerfement eftre augmentée ou diminuée par vn autre aymant, ou par vn autre morceau de (er, félon qu'il liiy efl diuerfement appliqué. Mais il n'y a en cela qu'vne règle générale à remarquer, qui eft que toutefois & quames qu'vn fer ou aymant elt tellement pofé au regard d'vn autre aymant, qu'il fait aller quelques parties canelées vers luy, il augmente fa force; & au contraire, s'il efl: caufe qu'il y 444 en aille moins, il la diminue. Car, d'autant que les | parties canelées qui paffent par vn aymant, font en plus grand nombre ou plus agitées, il a d'autant plus de force, & elles peuuent venir vers luy en plus grand nombre & plus agitées, d'vn morceau de fer ou d'vn autre aymant, que de l'air feul ou de quelque autre corps qu'on mette en leur place. Ainfi, non feulement lors que le pôle Auftral d'vn aymant eft joint au pôle Septentrional d'vn autre, ils s'aydent mutuellement à fouftenir le fer qui eft vers leurs autres pôles, mais ils s'aydent auflTi, lors qu'ils font feparez, à fouftenir le fer qui eft entre-deux. Par exemple \ l'aymant C eft aydé par l'aymant F à fouftenir contre foy le fer DE, qui luy eft joint; & réciproquement, l'aymant F eft aide par l'aymant C, à fouftenir en l'air le bout de ce fer marqué E; car il peut ertre fi pelant, que cet aymant F... ne le foulliendroit pas ainfi en l'air, fi l'autre bout marqué D, au lieu d'eftre joint à l'aymant C, eftoit appuyé fur quelque autre corps qui le retiendroit en la place oit il efl, fans empefcher E de fe baijfer.

a. Proprictc 26, p. 2S2.

b. Planche XX, timirc 6.

�� � 445

��Principes. — Quatriesme Partie. }oi

��i~6. Pourquoi vn aymant bien fort ne peut attirer le fer qui pend à vn ajmant plus foible '.

Mais, pendant que l'ay aant F eji ainfi aidé par Vaymant C à foujfenir le fer DE, il eu empefché par ce mefme aymant de faire approcher ce fer vers foy. Car il eft à remarquer que, pendant que ce fer touche... C, il ne peut eftre attiré par... F, lequel il ne touche point, nonobftant | qu'on fuppofe ce dernier beaucoup plus puif- fant que le premier. Dont la raifon eft que, les parties canelées paffant au trauers de ces deux aymans & de ce fer, ainfi que s'ils n'eftoient qu'vn feul aymant, en la façon def-ja expliquée\ n'ont point notablement plus de force en l'vn des endroits qui eft entre C & F qu'en l'autre, & par confequent ne peuuent faire que le fer D E quitte C pour aller vers F, d'autant qu'il n'eft pas retenu vers C par la feule force qu'a cet aymant pour l'attirer, mais principalement aufti parce qu'ils fe touchent, bien que ce ne foit pas en tant dépar- ties que fi cet ajmant ejloit armé.

ij-j. Pourquoy quelquefois, au contraire, le plus foible aymant attire le fer d'vn autre plus fort'.

Et cecy fait entendre pourquoy vn aymant qui a peu de force, ou mefme vn fimple morceau de fer, peut fouuent deftacher vn autre fer d'vn aymant fort puilfant auquel il efl joint. Car il faut remarquer que cela n'arriue jamais, fi ce n'eft que le plus foible aymant touche aufti le fer qu'il doit feparer de l'autre; & que, lors qu'vn fer d^e figure longue, comme DE, touche deux aymans//»*.- comme C & F, en forte qu'il touche de fes deu.x bouts deux de leurs pôles qui ayent diuerfe vertu, fi on retire ces deux aymans l'vn de l'autre, le fer qui les touchoit tous deux ne demeurera pas touf-jours joint au plus fort, nv touf-jours aulTi au plus foible, mais quelque|fois à 446 cetuy-cy, &" quelquefois à cetuy-là. Ce qui monftre que la feule raifon qui fait qu'il en fuit l'vn pluftoft que l'autre, eft qu'il fe rencontre quï\ touche en vne fuperficie tant foit peu plus grande, ou bien en plus de points, celuy auquel il demeure attaché.

a. Propriété 27, p. 282. — Planche XX, figure 6.

b. Article i33, p. 287.

c. Propriété 28, p. 282. — Planche X'X, figure 6.

�� � ^02 Œuvres de Descartes.

��i~S. Pourquoi, en ces pais Septentrionaux, le pôle Aiijiral de l'aymant peut tirer plus de fer que l'autre '.

On peut aufli entendre pourquoy le pôle... Auftral de toutes les pierres d'aymantfemble auoir plus de force & fouftient plus de fer en cet hemifphere Septentrional, que leur autre pôle, en confide- rant comment l'aymant C eft aidé par l'aymant F, à fouftenir le fer DE. Car, la Terre eftant auflî vn... aymant, elle augmente la force des autres aymans, lors que leur pôle Auflral efl tourné vers fon pôle Boréal, en mcfme façon que l'aymant F augmente celle de l'ay- mant C; comme aufli, au contraire, elle la diminue, lors que le pôle Septentrional de ces autres aymans eft tourné vers elle en cet hemi- fphere Septentrional ,

! "jg. Comment s'arrengent les grains de la limure d'acier autour d'vn aymant .

Et fi on s'arrefte à confiderer en quelle façon \a poudre ou limure de fer qu'on a jellee autour d'vn aymant s'y arrengc, on y pourra remarquer beaucoup de chofes qui confirmeront la vérité de celles que je viens de dire. Car, en premier lieu, on y verra que les petits grains de cette poudre ne s'entaffent pas confufément, mais que, fe 447 joignant en long les vns | aux autres, ils compofent comme des filets qui font autant de petits tuyaux par où paffent les parties canelées plus librement que par l'air, & qui, pour ce fujet, peuuent feruir à faire connoiftre les chemins qu'elles tiennent après eftre forties de l'aymant. Mais, afin qu'on puiffe voir à l'œil quelle eft l'in- flexion de ces chemins, il faut répandre cette limure fur vn plan bien vny, au milieu duquel foit enfoncé vn aymant fpherique, en telle forte que fes deux pôles le touchent, comme on a couftume d'enfoncer les globes... dans le cercle de l'horifon pour reprefenter la fphere droite ; car les petits grains de cette limure s'arengeront... fur ce plan fuiuant des lignes qui marqueront exaélement le chemin que j'ay dit cy-defTus', que prennent les parties canelées autour de chaque aymant, & auffi autour de toute la Terre. Puis, fi on enfonce en mefme façon deux aymans en ce plan, & que le pôle Boréal de

a. Propriété 29, p. 282. — Planche XX, figure 6.

b. Propriété 3o, p. 282.

c. Art. 146, p. 283.

�� � 448

��Principes. — Qi:atriesme Partie. }0)

l'vn foit tourné vers l'Aultral de l'autre, comme ils font en cet te figure', la limure mife autour fera voir que les parties canelées prennent leur cours autour de ces deux aymans en mefme façon que s'ils n'eiloient qu'vn ; car les lignes fuiuant le/quelles s arrengeront Jes petits grains, leront droites entre les deux pôles qui fe regardent, comme font icy celles qu'on voit entre A & b ; Se les autres... feront repliées des | deux coftez..., comme on voit celles que defignent les lettres BRVXT a. On peut auffi voir, en tenant m armant auec la main, l'vn des pôles duquel, par exemple l'Auflral, foit tourné vers la Terre, £• qu'il y ait de la limure de fer pendue à ce pôle, que, s'il y a vn autre aymant au delfous, dont le pôle de mefme vertu, à fçauoir l'Auftral, foit tourné vers cette limure, les petits filets qu'elle com- pofe, qui pendent tout droit de haut en bas, lors que ces deux aymans font éloigne-^ l'un de l'autre, fe replient... de bas en haut lors qu'on les approche, à caufe que les parties canelées de V aymant fuperieur, qui coulent le long de ces filets, font repouffées vers en haut par leurs femblables qui fortent de l'aymant inférieur. Et mefme, fi cet aymant inférieur etl... plus fort que l'autre, il en deftachera cette limure & la fera tomber fur foy, lors qu'ils feront proches, à caule que fes parties canelées... faifant elfort pour palTer par les pores de la limure, & ne pouuant y entrer que par les fuperficies de fes grains qui font jointes à l'autre aymant, elles les fepareront de luy. Mais fi, au contraire, on tourne le pôle Boréal de l'aymant inférieur vers l'Aufiral du fuperieur auquel pend cette limure, elle allongera fes petits //efs en ligne droite..., à caufe que leurs pores feront dif- pofcz à receuoir... toutes les parties canelées qui palïeront de l'vn I de fes pôles à l'autre ; mais la limure ne fe deftachera point pour 449 cela de l'aymant fuperieur, pendant qu'elle ne touchera point à l'autre, à caufe de la liaifon qu'elle acquert par l'attouchement, ainfi qu'il a tantoit efié à\-.\ Et à caufe de cette mefme liaifon, fi la limure qui pend à vn aymant fort puiilant, efi touchée par vn autre aymant beaucoup plus foible, ou feulement par quelque morceau de fer, il y aura touf-joiirs plufieurs de fes grains qui quitteront le plus fort aymant, & demeureront attachez au plus foible, ou bien au morceau de fer, lors qu'on les retirera d'auprès deluj...; pource que, les petites fuperficies de cette limure eltant fort diuerfes & iné- gales, il fe rencontre touf-jours que plufieurs de ces grains touchent en plus de points, ou par me plus grande fuperficie, le plus foible aymant que \ç. plus fort.

a. Planche XIX, figure 2.

b. Art. 176 et 177, p. 3oi.

�� � }04 OEuvRES DE Descartes.

��[180. Comment vue lame de fei jointe à l'vn des pôles de l'ajmant empefchc fa vertu '.

Vne liime de fer qui, citant appliquée contre l'vn des pôles de l'aymant, liiyfert d'armure, & augmente de beaucoup la force qu'il a pour foullenir d'autre fer..., empefche celle qu'a le mefnne aymant pour attirer ou faire tourner vers foy les aiguilles qui font proches de ce pôle. Par exemple", la lame DCD empefche que l'aymant AB, au pôle duquel elle eft jointe, ne fare tourner ou approcher de foy l'aiguille E F, ainji qu'il ferait Ji cette lame efloit ojlée. Dont la

450 raifon ejl que \ les parties canelées, qui continueroient leur cours de B vers E F, s'il n'y aiioit que de l'air entre-deux, entrant en cette lame par fon milieu C, font deftournées par elle vers les extremitez DD, d'où elles retournent vers A..., & ainfi à peine peut-il y en auoir aucune qui aille vers l'aiguille EF. En mefme façon qu'il a erté dit cy-deffus', qu'il en vient peu jufques à nous de celles qui paffent par \a féconde région de la Terre, à caufe qu'elles retournent prefque toutes d'vn pôle vers l'autre par la croufte intérieure de la troifiéme région où nousfommes, & que c'eft ce qui fait que la vertu de l'aymant nous paroift en elle fi foible.

181. Que celle mefme vertu ne peut eflre empefchée par l'interpofition d'aucun autre corps".

Mais, excepté le fer & l'aymant, nous n'auons aucun corps, eu celte Terre extérieure, qui, eflant mis en la place où ert cette lame CD, puiffe empefcher que la vertu de l'aymant AB ne paffe jufques à l'aiguille EF. Car nous n'en auons aucun..., tant folide & tant dur qu'il puilfe eftre, dans lequel il n'y ait plufieurs pores, non pas véritablement qui foient ajultez à la figure des parties canelées, comme font ceux du fer & de l'aymant, mais qui font beaucoup plus grands, en forte que.. . le fécond élément les occupe ; ce qui fait que les parties canelées palfent aufli aifément par dedans ces corps durs, que par l'air, par lequel elles ne peuuent pajfer, non plus que par

451 I eux,Jînon en fefaifant faire place par les parties du fécond élément qu'elles rencontrent.

a. Propriété 3i, p. 28.'î.

b. Planche XX, figure r.

c. Art. 166, p. 294.

d. Propriété 32, p. 283.

�� � Principe?. — Quatriesme Partie. 305

��182 Que la fituation de l'aymant qui eft contraire à celle qu'il prend naturellement, quand rien ne l'empefche, luy ojle peu à peu fa vertu \

le ne fcay aujji aucune chofe qui face perdre la vertu à l'aymant ou au fer,' excepté lors qu'on le retient long-temps en vne fituation contraire à celle qu'il prend naturellement, quand rien ne 1 em- pefche de tourner les pôles vers ceux de la Terre, ou des autres aymans dont il eft proche ; & auJJi, lors que l'humidité ou la roudle le corrompt; & enfin, lors qu'il eft mis dans le feu. Mais, s'tl eft retenu longtemps hors de fa fttuation naturelle, les parties canelees qui viennent de la Terre ou des autres aymans proches, font effort pour entrer... à contre fens dans fes pores, & par ce moyen, changeant peu à peu leurs figures, luy font perdre fa vertu.

i83. Que cette vertu peut auffi luy eflre oftée par le feu, & diminuée par la rouille "

La rouille auflî, en fortant hors des parties métalliques de l'af- mant, bouche les entrées de fes pores, en forte que les parties ca- nelees n-f font pas fi aifément receuës; & l'humidité, fait en quelque façon le femblable..., entam qu'elle difpofe a la rouille; & enfin, le feu, e/lanl affe^ fort, trouble l'ordre des pnrties du fer ou de l aymant en les agitant," <? mefmc il peut eftre fi violent, qu'il change aufti la figure de leurs pôles. Au refte, je ne croy pas qu on ait encore amais obferué aucune chofe touchant l'aymant, qii. fou vraye o- en laquelle l'obferuateur nefe \foit point mépris, dont la ra. on ne foi comprife en ce que je viens d'expliquer, & n'en puiffe facilement eftre déduite.

184. Quelle eft l'attraâion de l'ambre, du jayet, de la cire, du verre, Se.

Mais, après auoir parlé de la vertu qu'a l'aymant pour attirer le fer il femble à propos que^e die auffi quelque choie de celle qu ont l'ambre, le jayet, la cire, la refine, le verre, & pluficurs autres corp.s, pour attirer toutes fortes de ftm.feftus. Car, encore que mon def- ■fein ne foit pas d'expliquer icy la nature cfaucun corps particulier, finon en tant qu'elle peut feruir à confirmer la venté de ce que ) ay

a. Propriété 33, p. ?.83.

b. Propriéié 34, ibid.

Œuvres. IV. °

��4^2

�� � }o6

��OEuvREs DE Descartes.

��écrit touchant ceux qui fe trouuentle plus vniuerfellement par tout, & peuuent ejîre pris pour les elemens de ce monde l'ifible ; encore aufli que je ne puille fçauoir ajfiirément pourquoy l'ambre ou le jayet a telle vertu, fi je ne fais premièrement plufieurs expériences qui... me découurent intérieurement quelle eft leur nature : toutefois, à caufe que la mefme vertu eft dans le verre, duquel j'ay efté cy- deffus" obligé de parler entre les effets du feu, fi jen'expliquois point en quelle forte cette vertu ejl en luy, on auroit fujet de douter des autres choies que j'en ay écrites. Veu principalement que ceux qui remarquent que prefque tous les autres corps où eft cette vertu font... gras ou huileux, fe perfuaderoient peut-eftre qu'elle confifte en 453 ce que, lors qu'on frotte ces corps | (car il eft ordinairement befoin de les frotter afin qu'elle foit excitée), il y a quelques vnes des plus petites de leurs parties qui fe refpandent par l'air d'alentour, & qui, eftant compofées de plufieurs petites branches, demeurent tellement liées les vnes aux autres qu'elles retournent incontinent après vers le corps d'où elles font /orties, & apportent vers luy les petits fejlus au/quels elles fe font attachées. Ainfi qu'on voit quelquefois, en fecoiiant vn peu le bout d'vne baguette auquel pend vne goutte de quelque lïquQur fort gluante, qu'vne partie de cette liqueur file en l'air & defcend jufques à certaine diftance, puis remonte incontinent de foy-mefme vers le refte de la goutte qui eft demeuré joint à la baguette, & y apporte aufti des feftus..., fi elle en rencontre en fon chemin. Car on ne peut imaginer rien de fem- blable dans le verre, au moins fi fà nature eft telle que je l'ay décrite...; c'eft pourquoy il eft befoin que je cherche en luy vne autre caufe de cette attradion.

��i85. Quelle ejl la caufe de cette attraâion dans le verre.

Or, en confiderant de quelle façon j'ay dit" qu'il fe fait, on peut connoiftre que les interualles qui font entre fes parties, doiuent eftre pour la plufpart de figure longue, & que c'cd feulement le milieu de ces interualles qui eft aflez large pour donner pafl'age aux parties du fécond élément, lefquelles rendent le verre tranfparent ; de forte qu'il demeure des deux cojîei, en chacun de ces interualles, des petites fentes fi eftroites..., qu'il n'y a rien que le premier élément qui les puiffe occuper. En luittede quoy il faut remarquer, touchant

��454

��a. Art. 124-133, p. 266-271.

b. Art. 12.5, p. 267.

�� � Principes. — Qjjatriesme Partie. J07

ce premier élément, dont la propriété eft de prendre touf-jours la figure des lieux où il fe trouue, que, pendant qu'il coule par ces petites fentes, les vioins agitées de fes parties s'attachent les vues aux autres & compofent comme des bandelettes qui font fort minces, mais qui ont vu peu de largeur & beaucoup plus de longueur, & qui vont & viennent... en tournoyant de tous coftez entre les parties du verre..., fans jamais guère s'en éloigner, à caufe que les paflages qu'elles trouuent dans l'air ou les autres corps qui l'enuironnent, ne font pas fi ajufte^ à leur mefure, ny fi propres à les receuoir. Car, encore que le premier élément foit très fluide, il a neantmoins en foy des parties qui font moins agitées que le refle de fa matière, ainfi qu'il a efté expliqué aux articles 87 & 88 de la troifiéme partie", & il eft railonnable de croire que, pendant que ce qu'il y a de ^\\is fluide Qn fa matière paffe continuellement de l'air dans le verre & du verre dans l'air, les moins fluides de fes parties qui fe trouuent dans le verre... jj' demeurent dans les fentes aufquelles ne refpondent pas les pores de l'air, & que là, fe joi|gnant les vnes aux 455 autres, elles compofent ces bandelettes, lefquelles acquerent par ce moyen, en peu de temps, des figures fi fermes, qu'elles ne peuuent pas aifément eftre changées. Ce qui eft caufe que, lors qu'on frotte le verre affez fort, en forte qu'il s'échauffe quelque peu, ces bande- lettes qui font chaffées hors de fes pores par cette agitation, font contraintes d'aller vers l'air & les autres corps d'alentour, où ne trouuant pas des pores fi propres à les receuoir, elles retournent auflitoft dans le verre, & y ameinent auec foy les feflus ou autres petits corps, dans les pores defquels elles fe trouuent cnga' es.

��1S6., Que la tneftne caufe femble auffi auoir lieu en toutes les autres

attraâions.

Et ce qui eft dit icy du verre, fe doit auflTi entendre de tous, ou du moins de la plus part des autres corps en qui eft cette attradion : à fçauoir, qu'il y a quelques interualles entre leurs parties, qui eftant trop eftroits pour le fécond élément, ne peuuent receuoir que le premier, & qui, eftant plus grands que ne font dans l'air ceux où le feul premier élément peut paffer, retiennent en foy les parties de ce premier élément qui font les moins agitées, & qui, fe joignant les vnes aux autres, y compofent des bandelettes qui ont véritablement diuerfes figures, félon la diuerfité des pores par où elles pafTent,

a. Pages iSz et i53.

�� � jo8

��OEuvRES DE Descartes.

��mais qui conuiennent en cela, qu'elles font longues, plaltes, 456 pliantes, & qu'elles coulent çà & là... entre | les parties de ces corps. Car, d'autant que les interualles. .. juar où elles pajfent, font fi eftroits que. . le fécond élément n'y peut entrer, ils ne pourroient eftre plus grands que font dans l'air ceux où le mefme fécond élément n'entre point, s'ils ne s'eftendoient jc>/«s qu'eux en longueur, ejfant ainfi que des petites fentes qui i-endent ces bandelettes larges & minces. Et ces interualles doiuent ejire plus gi-atids que ceux de l'ai?; ajîn que les parties les moins agitées du premier élément s'arrejlent en eux, pendant qu'il Jo7~t continuellement autant du mefme premier élément par quelques autres pores de ces corps, qu'il j' en vient des pores de l'air. C'eit pourquoy, encore que je ne nie pas que l'autre caufe d'attradion que j'ay tantort expliquée^, ne puiffe auoir lieu en quelques corps, toutefois, pource qu'elle ne femble pas affez générale pour conuenir à tant de diuers corps comme cette dernière, & que neantmoins il y en a fort*grand nombre en qui cette propriété de huer des feftus fe remarque, je croy que nous deuons penfer qu'elle elt en eux, ou du moins en la plus-part, femblable à celle qui eft dans le verre.

��i8j. Qu'à l'exemple des chofes qui ont ejlé expliquées, on peut rendre rai/on de tous les plus admirables effets qui font fur ta terre.

Au refte, je defire icy qu'on prenne garde que ces bandelettes, ou autres petites parties longues & remuantes, qui fe forment ainfi 457 de la matière du premier élément dans les interualles | des corps tcrrefires, y peuuent eltre la caufe, non feulement des diuerfes attractions telles que font celles de l'aymant & de l'ambre, mais aufil d'vne infinité d'autres effets tres-admirables. Car celles qui fe forment en chaque corps ont quelque chofe de particulier en leur figure, qui les rend différentes de toutes celles qui fe forment dans les autres corps. Et d'autant qu'elles fe meuuent fans cefle fort vite, fuiuant la nature du premier élément duquel elles font des parties, il fe peut faire que des circonfiances tres-peu remarquables les déterminent quelquefois à tournoyer çà & là dans le corps où elles font, fans s'en écarter; & quelquefois, au contraire, à paffer en fort peu de temps jufques à des lieux fort éloignez, yi77/s qu'aucun corps qu'elles rencontrent en leur chemin les puiff'e arrefler ou dej- tourner, & que, rencontrant là vne matière difpofée à receuoir leur

a. Art. 184, tin, p. 3o6.

�� � Principes. — Quatriesme Partie. ^09

adion, elles y produifent des effets entièrement rares & mertteilleux : comme peuuent ejîre de faire faigner les playes du mort, lors que le meurtrier s'en approche; d'émouuoir l'imagination de ceux qui dorment, ou mefme aiijft de ceux qui font éueillei, & leur donner des penfées qui les auertijfent des chofes qui arriuent loin d'eux, en leur faifant reffentir les grandes afflidions ou les grandes joyes d'vn in- time amy, les mauuais dejfeins | d'un ajfajjlu, & ctiofesfemblables'. Et 458 enfin, quiconque voudra confiderer combien les proprietez de l'ay- mant & du feu font admirables, & différentes de toutes celles qu'on obferue communément dans les autres corps ; combien eft grande la flame que peut exciter en fort peu de temps vne feule eflincelle de feu, quand elle tombe en vne grande quantité de poudre, & combien elle peut auoir de force ; jufques à quelle extrême diftance les eftoiies fixes eftendent leur lumière... en vu infant; & quels font tous les autres eôets, dont je croy auoir icy donné des raifons affez claires, fans les déduire d'aucuns autres principes que de ceux qui font généralement receus & connus de tout le monde, à fçauoir, de la grandeur, figure, firuation & mouuement des diuerfes parties de la matière : il me femble qu'il aura fujet de le perfuader qu'on ne remarque aucunes qualite\... qui foient fi ocultes, ny aucuns effets de Simpatie ou Antipatie fi merueilleux & fi ef ranges*, ny enfin aucune autre chofey? rai-e en la nature (pourueu qu'elle ne pro- cède que des caufes purement matérielles & deftituées de penfée... ou de libre arbitre], que la raifon n'en puiffe eftre donnée par le moyen de ces mefmes principes. Ce qui méfait icy conclure que tous les autres principes qui ont jamais efté adjouflez à ceux-cy, fans qu'on ait eu aucune autre \ raifon pour les adjoufer, finon qu'on n'a 459 pas creu que, fans eux, quelques effets naturels pujfent efre explique:^, font entièrement fuperflus.

iS^. Quelles chofes doiuent encore eJlre expliauées, afin que ce trait té

fait complet.

le finirois icy cette quatrième partie des Principes de la Philofo- phie, fi je l'accompagnois de deux autres, l'vne louchant la nature... des animaux & des plantes, l'autre touchant celle de l'homme', ainfi que je m'eftois propofé lors que j'ay commencé ce traitté. Mais, pourceque je n'ay pas encore affez de connoilfance de j!?/t{/?e«r5 chofes

a. Cf. Correspondance, t. V, lettre 582, p. 462-463.

b. Ibid., t. V, p. 389.

c. Ibid., t. V, p. 389.

�� � } lo OEuvRES DE Descartes.

que j'auois enuie de mettre aux deux dernières parties, & que, par faute d'expériences ou de loifir, je n'auray peut eftre jamais le moyen de les acheuer; afin que celles-cy... ne laijfent pas d'ejîre complètes, & qu'il n'y manque rien de ce que j'aurois creu y deuoir mettre, fi je ne me fuffe point referué à l'expliquer dans les fuiuantes, j'adjou- fteray icy quelque chofe touchant les objets de nos fens. Car jufques icy j'ay décrit cette Terre, & generalemetit tout le monde vifible, comme fi c'eftoit feulement vne machine en laquelle il n'y euft rien du tout à confiderer que les figures & les mouuemens de fes parties ; & toutefois // ejl certain que nos fens nous y font paroiftre pliifieurs autres chofes, à fçauoir des couleurs, des odeurs, des fons, & toutes les autres qualitez fenfibles, defquelles fi je ne parlois point, on 460 pourroit penfer que | j'aurois obmis l'explication de la plufpart des chofes qui font en la nature'.

��i8g. Ce que c'ejl que le fens, & en quelle façon nous fentonr.

C'eft pourquoy il eft icy befoin que nous remarquions qu'encore que noftre amefoit j^nie à tout le corps, elle exerce nsantmoins fes principales fondions dans le cerueau, & que c'eft là non feulement qu'elle entend & qu'elle imagine, mais auflî qu'elle fent; & ce par l'entremife des nerfs, qui font eftendus, comme des filets tres-delie^, depuis le cerueau jufques à /owi« les parties des autres membres, aufquelles ils font tellement attachez, qu'on n'en fçauroit prefque toucher aucune qu'on ne face mouuoir les extremitez de quelque nerf..., & que ce mouuement ne paffe, par le moyen de ce nerf, jufques au cerueau où eft le fiege du fens commun, ainfi que j'ay aflez amplement expliqué au quatrième difcours de la Dioptrique*"; & que les mouuemens qui palfent ainfi, par l'entremife des nerfs, jufques à l'endroit du cerueau auquel noftre ame... eft eftroitement iointe & vnie', luy font auoir diuerfes penfées, à raifon des diuerfitez qui font en eux; & enfin, que ce font ces diuerfes... penfées de noftre ame, qui viennent immédiatement des mouuemens qui font excite\ par l'entremife des nerfs dans le cerueau, que nous &^^e\\on?> proprement nos fentimens, ou bien les perceptions de nos fens.

a. Correspondance, t. V, p. 291, 1. 27,3 p. 292, 1. i3.

b. Voir t. VI de cette édition, p. 109.

c. Correspondance, t. V, p. 3i3, 1. i5, et p. 347, 1. 7.

�� � Principes. — Quatriesme Partie. }i

��I ipo. Combien ily a de diuersjens, & quels font les intérieurs, ceji à dire les appétits naturels & les pajfions.

Il ejl befoin aujfi de confiderer que toutes les varietez de ces fenti- mens dépendent, premièrement, de ce que nous auons plufieurs nerfs, puis aufli, de ce qu'il y a diuers mouuemens en chaque nert; mais j«e, neantmoins, nous n'auons pas autant de fens difterens... que nous auons de nerfs. Et je n'en diftingue principalement que fept deux defquels peuuent eftre nommez inteneurs, & les cmq autres' extérieurs. Le premier fens que je nomme intérieur com- prend la faim, la foif, & tous les autres appétits naturels; & dejl excité en l'amepar les mouuemens des nerfs de l'eftomac..., du golier, & de toutes les autres parties qui feruent aux fonaions naturelles, pour lefquelles on a de tels appétits. Le fécond comprend la )oye, la triltelTe, l'amour, la colère, & toutes les autres paffions; & il dépend principalement d'm petit nerf... qui va vers le cœur..., puis aufli de ceux du diaphragme & des autres parties intérieures. Car, par exemple, lors qu'il arriue que noftre fang tik fort pur ô bien tem- péré en forte qu'il fe dilate dans le cœur plus ayfément & plus fort que de couftume, cela fait tendre les petits nerfs qui font aux entrées de fes concauitei, & les meut d'vne certaine façon qui refpond )ufques au cerueau & y excite noftre ame à fentir naturellement de la joye. Et toutefois & quantes que ces mefmes | nerfs font meus en la mefme façon, bien que ce foit pour d'autres caufes, ils excitent en noftre ame ce mefme fentiment de joye. Ainfi, lors que nous penfons jouir de quelque bien, l'imagination de cette jouïffance ne contient pas en foy le fentiment de la joye, mais elle fait que. les efprits ani- maux paffent du cerueau dans les mufcles aufquels ces nerfs font inferez; & faifant par ce moyen que les entrées du cœur fe dilatent, elle fait aufli que ces nerfs fe meuuent en \a façon qui eft inftituee de la nature pour donner le fentiment de la joye. A.nfi, lors qu on nous dit quelque nouuelle, l'ame juge premièrement fi elle eit bonne ou mauuaife; & la trouuant bonne, elle s'en ré)ouït en elle- mefme, d'vne joye qui efl purement intelleauelle, & tellement^ in- dépendante des émotions du corps, que les Stoïques n ont pu la dénier à leur Sage, bien qu'ils ajent voulu qu'il fuft exempt de toute va/non. Mais fi toft que cette joye fpirituelle vient de V entendement en l'imagination, elle fait que les efprits coulent du cerueau vers es mufcles qui font autour du cœur, & là excitem le mouuement des nerfs par lequel eft excité vn autre mouuement dans le cerueau, qui

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�� � } I 2 OEuvRES DE Descartes.

donne à l'ame le fentiment ou la paiïîon de la joye... Tout de mefme, lors que le fang eft fi groiîier qu'il ne coule & ne fe dilate qu'à peine

463 dans... le cœur, il | excite dans les mefmes nerfs vn mouuement tout autre que le précèdent, & qui... ejl iii/litué de la nature pour donner à l'ame le fentiment de la trifleffe, bien que fouuent elle ne fçache pas elle-melme ce que c'eft qui fait qu'elle s'attrifte; & toutes les autres caufes qui meuuent ces nerfs en mefme façon, donnent aufli à l'ame le mefme fentiment. Mais les autres mouuemens des mefmes nerfs luy font fentir d'autres paffions, à fçauoir celles de l'amour, de la haine, de la crainte, de la colère &c.; en tant que ce font des fentimèns ou paffions de l'ame; c'eft à dire en tant que ce font des penfées confufes que l'ame n'a pas de foy feule, mais de ce qu'eftant eftroitement vnie au corps, elle reçoit l'imprcffion des mouuemens qui Je font en luy : car il y a vne grande différence entre ces paffions & les connoiffances ou penfées diftinftes que nous auons de ce qui doit eftre aymé, ou hài, ou craint &c., bien que fouuent elles fe trouuent enfemble. Les appétits naturels, comme la faim, la foif, & tous les autres, font auffi des fentimèns excitez en l'ame par le moyen des nerfs de l'eftomac, du gofier, ô des autres parties, & font entière- ment differens de l'appétit ou de la volonté qu'on a de manger, de boire, & d'auoir tout ce que nous penjons ejtre propre à la conferua-

464 tiott de nojlre corps; mais à caufe que cet appétit ou | volonté les accompagne prefque touf-jours, on les a nommez des appétits.

ICI. Des fens extérieurs ; & en premier lieu, de l'attouchement.

Pour ce qui eft des fens extérieurs, tout le monde a couftume d'en conter cinq, à caufe qu'il y a autant de diuers genres d'objets qui meuuent les nerfs..., & que les impreffions qui viennent de ces objets excitent en l'ame cinq diuers genres de penfées confufes. Le premier eft l'attouchement, qui a pour objet tous les corps quipeuuent mouuoir quelque partie de la chair ou de la peau de nojlre corps, & pour organe tous les nerfs qui,fe trouuans en cette partie de nojlre corps, participent à fon mouuement. Ainfi les diuers corps qui touchent noftre peau meuuent les nerfs qui fe terminent en elle, d'vne façon par leur dureté, <d'vne autre par leur pefanteur>, d'vne autre par leur chaleur, d'vne autre par leur humidité, &c., & ces nerfs excitent autant de diuers fentimèns en l'ame qu'il y a de diuerfes façons dont ils font meus, ou dont leur mouuement ordinaire eft empefché : à raifon de quoy on a auffi attribué autant de diuerfes qualitez... à ces corps; & on a donné à ces qualité:^ les

�� � Principes. — Qijatriesme Partie. )i}

noms de dureté, pefanieiir, chaleur, humidité, & femblables, qui ne r,mii fient rien autre chofe,finon qu'il y a en ces corps ce qui ejt requis pour faire que nos nerfs excitent en no/ire ame les fentmens de la dureté, pefanteur, chaleur, &c. Outre cela, lors | que ces nerfs font meus vn peu plus fort que de couftume, & toutefois en telle lorte que noftre corps n'en ell aucunement endommagé, cela fait que l'ame fent le chatouillement qui ejl aujfi en elle me penfée confufe; & cette penjée lui eÛ naturellement agréable, d'autant qu'elle luy rend tefmoignasîe de la force du corps auec lequel elle ett jointe, en cequil veut Souffrir l'aâion qui caufe ce chatouillement fans eftre offenfe. Mais, fi cette mefme action a tant fait peu plus de force, en forte qu'elle offenfe noftre corps en quelque façon, cela donne a nojlre ame le fenliment de la douleur. Et ainfi on voit pourquoy la volupté du corps & la douleur font en l'ame des fentimens entièrement contraires, nonobftant que/o««eHf l'vn fuiue de l'autre, & ^we leurs caufes foient prefque femblables.

ig2. Du gouji.

Le fens qui eft le plus groffier, après l'attouchement, ejî le goufl, lequel a pour organe les nerfs de la langue & des autres parties qui luy font voifines, â pour objet les petites parties des corps terreltres, lors qu'eftant feparées les vnes des autres, elles nagent dans la laliue qui humeâe le dedans de la bouche : car, félon qu'elles font différentes en figure, en grojfeur, ou en mouuement, elles agitent diuerfement les extremitez de ces nerfs, & par leur moyen font fenttr a l ame toutes fortes de goufls differens.

\ig3. De l'odorat.

Le troifiémeejl l'odorat, qui a pour organe deux nerfs, lefquels ne femblent eftre que des parties du cerueau qui s'auancent vers le nei pource qu'ils ne fortent point hors du crâne; & il a pour objet les 'petites parties des corps terreftres qui, eftant feparées les vnes des autres, voltigent par l'air, non pas toutes indifféremment, mais feulement celles qui font aftcz fubtiles & pénétrantes pour entrer... par les pores de l'os qu'on nomme fpongieux, lors qu'elles font atti- rées auec l'air de la refpiration, & aller mouuoir les extremitez de ces nerfs : ce qu'elles font en autant de différentes façons que nous fentons de différentes odeurs.

Œuvres. IV. 7'

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194. De l’ouye.

Le quatriéme eſt l’ouye. qui n’a pour objet que les diuers tremblemens… de l’air ; car il y a des nerfs… au-dedans… des oreilles, tellement attachez à… trois petits os qui ſe ſouſtiennent l’vn l’autre, & dont le premier eſt appuyé contre la petite peau qui couure la concauité qu’on nomme le tambour de l’oreille, que tous les diuers tremblemens que l’air de dehors communique à cette peau ſont rapportez a l’ame par ces nerfs, & luy font ouyr autant de diuers ſons.

195. De la veuë.

Enfin le plus ſubtil de tous les ſens eſt celuy de la veuë ; car les nerfs 467 optiques, qui en ſont les organes, ne ſont point meus par l’air, ny | par les autres corps terreſtres, mais ſeulement par les parties du ſecond element, qui, paſſant par les pores de toutes les humeurs & peaux tranſparentes des yeux…, paruiennent iuſques à ces nerfs, & ſelon les diuerſes façons qu’elles ſe meuuent, elles font ſentir à l’ame toutes les diuerſîtez des couleurs & de la lumiere, comme j’ay deſ-ja expliqué aſſez au long dans la DioptriqueErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu. & dans les MéeteoresErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu..

ig6. Comment on prouue que l’ame ne f eut qu’en tant quelle efl dans le cerueau.

Et on peut aifément prouuer… que l’ame ne lent pas en tant qu’elle eft en chaque membre du corps, mais feulement en tant qu’elle eft dans le cerueau, oii les nerfs, par leurs mouuemens, luy rapportent les diuerfes aâlions des objets extérieurs qui touchent les parties du corps dans lefquelles ils font infère^. Car, premièrement, il y aplufieurs maladies qui, bien qu’elles n’oftencent que le cerueau feul, oftent neantmoins l’vfage de tous les fens…, comme fait auffl le fommeil, ainfi que nous expérimentons tous les jours…, & toutefois il ne change rien que dans le cerueau. De plus, encore qu’il n’y ait rien de mal difpofé, ny dans le cerueau, ny dans les membres où font les organes des fens extérieurs ; û feulement le mouuement de l’vn des nerfs qui s’eftendent du cerueau jufques à ces membres eft

a. Discours VI, t. VI, p. i3o de cette édition. — Voir aussi Correspondance, t. V, p. Sgo.

b. Discours VIII, p. 325, et Discours IX, p. ? 45.

�� � Principes. — Quatriesme Partie. } i <,

empefché en quelque endroit de l'efpace qui eft entre-deux, cela fuffit pour ofter | le fentiment à la partie du corps où font les extremitez de ce nerf. Et, outre cela, nous fentons quelquefois de la douleur, comme fi elle eftoit en quelques vns de nos membres, dont la caufe n'eft pas en ces membres où elle fe fent, mais en quelque Vi&u plus proche du cerueau par où paffent les nerfs qui en domient à l'ame le fentiment. Ce que je pourrois prouuer par plufienrs expériences; mais je me contenteray icy d'en mètre vnefort manifejîe. On auoit couftume de bander les yeux à vne jeune fille, lors que le Chirur- gien la venoit penfer d'vn mal qu'elle auoit à la main, à caufe qu'elle n'en pouuoit fupporter la veuë, & la gangrène s'eftant mife à fon mal, on fut contraint de luy couper jufques à la moitié du bras, ce qu'on fît fans l'en auertir, pource qu'on ne la voulait pas attrifler; & on luy attacha plufieurs linges liez l'vn fur l'autre en la place de ce qu'on auoit coupé, en forte qu'elle demeura long-temps après fans le fçauoir. Et ce qui eft en cecf remai-quable, elle ne laiffoit pas cependant d'auoir diuerfes douleurs qu'elle penfoit eftre dans la main qu'elle n'auoit plus, & de fe plaindre de ce qu'elle fentoit tantoit en l'vn de fes doigts, & tantoft à l'autre. De quoy on ne fçauroit donner d'autre raifon, finon que les nerfs... de fa main, qui 'finifl"oient alors vers le coude, y eftoient meus | en la mefme façon qu'ils auroient deu eftre auparauant dans les extremitez de fes doigts pour faire auoir à l'ame dans le cerueau le lentiment de femblables douleurs. Et cela montre éuidemment que la douleur de la main n'eft pas fentie par l'ame en tant qu'elle eft dans la main, mais en tant qu'elle ejl dans le cerueau\

ipj. Comment on prouue qu'elle eji de telle nature que lefeul mouuement de quelque corps fuffit pour luy donner toute forte defentimens.

On peut aufli prouuer fort ajfément que noftre ame eft de telle nature que les feuls mouuemens qui fe font dans le corps font fuffi- fans pour luy faire auoir toutes fortes de pcnfées, fans qu'il foit befoin qu'il y ait en eux aucune chofe qui rejfemble à ce qu'ils luy font conceuoir; & particulièrement, qu'ils peuuent exciter en elle ces penfées confufes qui s'appellent des fentimens... Car, premièrement, nous voyons que les paroles, foit proférées de la voix, foit écrites fur du papier, luy font conceuoir toutes les chofes qu'elles fignifient,

a. Sic, à Verrata. Le texte imprimé d'abord : « ...par l'ame en tant qu'elle eft dans le cerueau ».

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��OEuvRES DE Descartes.

��& lu\ donnent en fuite diuerfes paffions. Sur vn mefme papier, auec la mefme plume, & la mefme ancre, en remuant tant foit peu le bout de la plume en certaine façon, vous tracez des lettres qui font ima- giner des combats, des tempeftes, ou des furies, à ceux qui les lifent, & qui les rendent indignez ou triftes; au lieu que, fi vous remuez la plume d'vne autre façon prefque femblable, la feule différence qui 470 fera en ce peu de viouue\ment leur peut donner des penfées toutes contraires, de paix, de repos, de douceur, & exciter en eux des paillons d'amour & de joye. Quelqu'vn refpondra peut-eftre que l'efcriture & les paroles ne reprefentent immédiatement à l'ame que la figure des lettres & leurs fons, en fuite de quoy elle, qui entend lafignification de ces paroles, excite en foy-mel"me les imaginations & pajjions qui s'y rapportent. Mais que dira-t'on du chatouillement & de la douleur ? Le feul mouuement dont vne efpée coupe quelque partie de noftre peau nous fait fentir de la douleur, /a7?s nous faire fçauoir pour cela quel ejl le mouuement ou la figure de cette efpée. Et il efï certain que l'idée que nous auons de cette douleur n'efl: pas moins différente du mouuement qui la caufe, ou de celuy de la partie de noftre corps que l'efpée coupe, que font les idées que nous auons des couleurs, des fons, des odeurs ou des gouits. C'eft pourquoy... on peut conclure que noftre ame eft de telle nature que les feuls mou- uemens de quelques corps peuuent auffi bien exciter en elle tous ces diuers fentimens, que celuy-d'vne efpée y excite de la douleur.

��igS. Qu'il n'y a rien dans les corps qui puiffe exciter en nous quelque fentiment, excepté le mouuement, la figure oufituation, & la grandeur de leurs parties.

Outre cela nous ne fçaurions remarquer aucune différence entre les nerfs, qui nous face juger que les vns puiflent apporter... au 471 cerueau quelque autre chofe que les autres, bien qu'ils \ caufent en l'ame d'autres fentimens, ny auflî qu'ils y apportent aucune chofe que les diuerfes façons dont ils font meus. Et l'expérience nous montre quelquefois Ires-clairement qne les feuls mouuemens excitent en nous non feulement du chatouillement & de la douleur, mais aufll des fons & de la lumière. Car, fi nous receuons quelque coup en l'œil aflez fort, en forte que le nerf optique en foit efbranlé, cela nous fait voir naille eftincelles de feu, qui ne lont point tou- tefois hors de noftre œil; & quand nous mettons le doigt vn peu auant en noftre oreille, nous oyons vn bourdonnement dont la caufe ne peut eftre attribuée qu'à l'agitation de l'air que nous y

�� � Principes. — Quatriësme Partie. j\j

tenons enfermé. Nous pouuons fouucnt auffi remarquer que la chaleur, la dureté, la pejanlcur, & les autres qualitez fenfibles, en tant qu'elles font dans les corps que nous appelons chauds, durs, pefans, &c., & mefme aulïï les formes de ces corps qui font pure- ment matérielles, comme... la forme du feu, & femblables, y font produites par le mouuement de quelques autres corps, & qu'elles produifent auffi par après d'autres mouuemens en d'autres corps. Et nous pouuons fort bien conceuoir comment le mouuement d'vn corps peut eftre caujé par celuj' d'vn autre, & diuerfifié par la gran- deur, la figure, & la fituation de fes par|ties, mais nous ne fçaurions 472 entendre en aucune façon comment ces mefmes chofes, à fçauoir la grandeur, la figure & le mouuement, peuuent produire des na- tures entièrement différentes des leurs, telles que font celles des qualitez réelles &. des formes fubftantielles, que la plus part des Philofophes ont fuppofées eftre dans les corps ; ny aulli comment ces formes ou qualitez, eftant dans vn corps, peuuent auoir la force d'en mouuoir d'autres. Or puis que... nous fçauons que noftre ame eft de telle nature que les diuers mouuemens de quelque corps fuf- fifcnt pour luy faire auoir tous les diuers fentimens qu'elle a, & que nous voyons bien par expérience que plufieurs de fes fentimens font véritablement caufez par de tels mouuemens, mais que nous n'apperceuons point qu'aucune autre chofe que ces mouuemens palTe jamais par les organes des fens... jufques au cerueau, nous auons fujet de conclure que nous n'apperceuons point aulli en au- cune façon que tout ce qui efl dans les objets..., que nous appelons leur lumière, leurs couleurs, leurs odeurs, leurs goufts, leurs fons, leur chaleur ou froideur, & leurs autres qualitez qui fe fentent par l'attouchement, & auffi ce que nous appelions leurs formes fublhin- tielles, foit en eux autre chofe que les diuerfes_//^H;vi-, Jitualioiis, graudeuis \ & inouuemeiis de leurs parties, qui font tellement dif- 473 polees qu'elles peuuent mouuoir nos nerfs en toutes les diucrfes façons qui font requifes pour exciter en iiojtre ame tous les diuers feulimens qu'ils j- excitent.

'99- Qu'l n'y a aucun pliainomene en la nature qui ne foit compris en ce qui a ejlé expliqué en ce traitté.

Etainlije puis demoniker, par vn dénombrement très-facile, qu'il n'y a aucun phainomene en la nature dont l'explication ait elle obmife en ce traitté. Car il n'y a rien qu'on puille mettre au nombre de ces phninomcnes, (mon ce que nous pouuons apperceuoir par

�� � 5.8

��CEuvRES DE Descartes.

��l'entremife des fens ; mais, excepté le mouuement, la grandeur, la figure ou fitiiation des parties de chaque corps, qui font des chofes que j'a}' \cy expliquées le plus exaclement qu'il m'a ejîé pojjihle, nous n'apperceuons rien hors de nous, par le moyen de nos fens, que la lumière, les couleurs, les odeurs, les goufls, les fons, & les qualitez de l'attouchement : de toutes lefquelles je viens de prouuer que nous n'apperceuons point aufli qu'elles foient rien hors de nojlre penjée, finon les mouuemens, les grandeurs ou les Jîgures de quelques cojps. Si bien que j'ay prouué qu'il n'y a rien en tout ce monde vifible, en tant qu'il ejl feulement vifible ou fenftble, finon les chofes que j'y ay expliquées.

2 00. Que ce traitté ne contient aiijfi aucuns principes qui n'ayent eJîé receus de tout temps de tout le monde, en forte que cette philofophie n'ejl pas nouuelle, mais la plus ancienne & la plus commune qui puiffe ejlre.

Mais je defire auffi qu'on remarque que, bien que j'aye icy tafché 47i de rendre raifon de... toutes | les chofes matérielles, je ne m'y fuis neantmoins feruy d'aucun principe qui n'ait edé reçeu & approuuê par Ariftote & pai^ tous les autres Philofophes qui ont jamais efté au monde; en forte que cette Philofophie n'eft point nouuelle, mais la plus ancienne & la plus vulgaire qui puiffe eftre. Car je 7i'ay rien du tout confideré que la figure, le mouuement & la grandeur de chaque corps, ny examiné aucune autre chofe que ce que les loix des mechaniques, dont la vérité peut eftre prouuée par vne infinité d'expériences..., enieignent deuoir fuiure de ce que des corps qui ont diuerfes grandeurs, ou figures, ou mouuemens, fe ren- contrent enfemble. Mais perfonne n'a jamais douté qu'il n'y euft des corps dans le monde qui ont diuerles grandeurs & figures, & fe meuuent diuerfement, félon les diuerfes façons qu'ils fe rencon- trent, & mefme qui quelquefois fe diuifent..., au moyen de quoy ils changent de figure & de grandeur. Nous expérimentons la vérité de cela tous les Jours, non par le moyen d'vn feul fens, mais par le moyen de plufieurs, à fçauoir de l'attouchement, de la veuë & de l'ouye ; noftre imagination en reçoit des idées très diftindes, & noftre entendement le conçoit /res-clairement. Ce qui ne fe peut dire d'aucune des autres chofes qui tombent fous nos fens, comme 475 font les | couleurs, les odeurs, les fons & femblables : car chacune de ces chofes ne touche qu'vn feul de nos fens, & n'imprime en noihe imagination qu'vne idée de foy qui eft fort confufe, & enfin ne fait point connoiftre à noftre entendement ce qu'elle eft.

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 319

��201. Qu'il ejî certain que les corps fenjibles font compofe:{ de parties infenfibles.

On dira peut-eftre que je confidere plufieurs parties en chaque corps qui font Ji petites qu'elles ne peuuent eftre ienties ; & je fçay bien que cela ne fera pas approuué par ceux qui prennent leurs fens pour la mefure des choies qui fe peuuent connoiftre. Mais c'eji, ce me femble, faire grand tort au i-aifonnement humain, de ne vouloir pas qu'il aille plus loin que les jeux; & il n'y a perlbnne qui puiiie douter qu'il n'y ait des corps qui font fi petits, qu'ils ne peuuent eftre apperceus par aucun de nos fens, pourueu feulement qu'il confi- dere quels font les corps qui font adjouftez à chaque/o/s aux chofcs qui s'augmentent continuellement peu à peu, & quels Ibnt ceux qui font oftez des chofes qui diminuent en me/me façon. On voit tous les jours croiftre lesphvites, & il eft impofiible de conceuoir com- ment elles deuiennent plus grandes qu'elles n'ont efié, fi on ne conçoit que quelque corps eft adjoufté au leur : mais qui eft-ce qui a jamais pu remarquer, par l'entremife des fens, quels ibnt les petits corps qui font adjouftez | en chaque moment à chaque partie ci'vne plante qui croift? Pour le moins, entre les Philofophes, ceux qui auouent que les parties de la quantité ibnt diuifibles à l'infiny, doiuent auouer qu't'« fe diuifant elles peuuent deuenir fi petites qu'elles ne feront aucunement fenfibles. Et la raifon qui nous em- pefche de pouuoir fentir les corps qui font fort petits ejl éuidente : car elle confifte en ce que tous les objets que nous fentons doiuent mouuoir qiielques-rnes des parties de nojîre corps qui feruent^ d'or- ganes aux fens, c'efl à dire quelques petits filets de nos nerfs, & que, chacun de ces petits filets ayant quelque grolleur..., les corps qui ibnt beaucoup plus petits qu'eux n'ont point lu force de les mou- uoir, PJ\nï\, eflant affure-^ que chacun des corps que nous fentons efî compofé de plufieurs autres corps f petits que nous ne les fçaiirions apperceuoir, il n'y a, ce me femble, perfonne, pourueu qu'il vueille vier de raifon, qui ne doiue auouer que c'eft beaucoup mieux philo- fopher, de juger de ce qui arriue en ces petits corps, que leur feule petitefl"e nous empefche de pouuoir fentir, par l'exemple de ce que nous voyons arriuer en ceux... que nous lentons, & de rendre raifon, par ce moyen, de tout ce qui eft en la nature, ainfi que fay tafchè de faire en ce Iraitté, que, pour rendre railbn des mefmes | chofes, en 477 inuenter je ne fçay quelles autres qui n'ont aucun rapport auec celles que nous fentons, comme font la matière première, les formes

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�� � }20 OEuVRES DE DeSCARTES.

fiib/iautielles, & tout ce grand attirail de qualité^ que plujieurs out coujluwe de ftippofer, chacune de/quelles peut plus difficilement ejlre connue que toutes les cliofes qu'on prétend expliquer par leur tnoyen.

��202. Que ces principes ne s'accordent point mieux auec ceux de Democrile qu'auec ceux d'A rijlote ou des autres.

Peut-eftre aujji que quelqu'un dira que Democrite a def-ja cy- deuant imaginé des petits corps qui auoient diuerfes figures, gran- deurs &.mouuemens, par le diuers mejlange dcfquels tous les corps fenfibles eftoient compofez, & que neantmoins fa Phiiofophie ell communément rejettée. A quoy je répons qu'elle n'a jamais efté rejettée de perfonne, pource qu'il failbit confiderer des corps plus petits que ceux qui font apperceus de nos fens, & qu'il leur attri- buoit diuerfes grandeurs, figures & mouuemens ; pour ce qu'il n'y a perfonne qui puiffe douter qu'il n'y en ait véritablement de tels, ainfi qu'il a def-ja elle prouué. Mais elle a efté rejettée, pre- mièrement, à caufe qu'elle fuppofoit que ces petits corps eltoient indiuifibles : ce que je rejette aulli entièrement. Puis, à caufe qu'il imaginoit du vuide enire-deux, & je demonftre qu'il eft impoflible qu'il y en ait ; puis aulfi, à caufe qu'il leur attribuoit de la pefanteur, 478 I & moy je nie qu'il y en ait en aucun corps, en tant qu'il eft confi- deré feul, pource que c'eft vne qualité qui dépend du mutuel rap- port que plufieurs corps ont les vns aux autres ; puis, enfin, on a eu fujet de la rtjetter, à caufe qu'il n'expliquoit point en particulier comment toutes chofcs auoient efté formées par le feul rencontre de ces petits corps, ou bien, s'il l'expliquoit de quelques vnes, les raifons qu'il en donnoit ne dependoicnt pas tellement les vnes des aunes que cela fit voir que toute la nature pouuoit efire expliquée en me/me façon (au moins on ne peut le connoiftre de ce qui nous a efté laiflé par écrit de les opinions). Mais je laille à juger aux ledeurs fi les raifons que j'ay mifes en ce traittc fe fuiuent alfez, £'fi on en peut déduire ajfe\ de chofes. Et pource que la confideration des figures, des grandeurs et des mouuemens a efié reccue par Arifiote £■ par tous les autres, aujfi bien que par Dempcrite, & que je rejette tout ce que ce dernier a fuppo/e outre cela, ainfi que je rejeté généralement tout ce qui a efié fuppofé par les autres, il efi cuident que cette façon de philojopher n'a pas plus d'affinité auec celle de Democrile qu'auec toutes les autres j'edes particulières.

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 521

��2o3. Comment on peut paruenir à la connoiffance des figures, grandeurs & mouuemens des corps infenfibles.

Quelqu'vn derechef pourra demander d'où j'ay appris quelles font les figures, grandeurs | & mouuemens des petites parties... 479 de chaque corps, plufieurs defquelles j'ay icy déterminées tout de mefme que fi je les auois veuës, bien qu'il fait certain que je n'aj- pu les aperceuoir par l'aj-de des feus, puis que j'aduouë qu'elles font infenfibles. A quoy je répons que j'ay, premièrement, confideré en gênerai toutes les notions claires & dijîindes qui peuuent eftre... en noftre entendement touchant les chofes matérielles, & que, n'en aj'ant point trouué d'autres finon celles que nous auons des figures, des grandeurs & des mouuemens, £■ des règles fuiuant le/quelles ces trois chofes peuuent ejlre diuerfifiées l'i'ue par l'autre, lefquelles règles font les principes de la Géométrie & des Mechaniques, j'aj- jugé qu'il faloit necejjairement que toute la connoiffance que les hommes peuuent auoir de la nature fufl tirée de cela feul ; pource que toutes les autres notions que nous auons des chofes fenfibles, efiant confufes & obfcures, ne peuuent feruir à nous donner la connoiffance d'aucune chofe hors de nous, mais plujiofl la peuuent empefcher. En fuite de quoi, j'ay exa- miné toutes les principales différences qui fe peuuent trouuer entre les figures, grandeurs & mouuemens de diuers corps que leur feule peiitelfe rend infenfibles, & quels effets fenfibles peuuent eftre pro- duits par les di\uerfes façons dont ils fe méfient enfemble. Et par 480 après, lors que j'ay rencontré de femblables effets dans les corps que nos fens aperçoiuent, j'ay penfé qu'ils auoient jjî'c efire ainfi pro- duits. Puis far creu qu'ils l'auoieiit infailliblement efîé, lors qu'il m'a femblé eftre impofliblede trouuer en toute l'efienduë de la nature aucune autre caufe capable de les produire. A quoy l'exemple de plufieurs corps, compofez par l'artirice des hommes, m'a beaucoup feruy : car je ne reconnois aucune différence entre les machines que font les arlifans & les diuers corps que la nature feule compofe, finon que les effets des machines ne dépendent que de l'agencement de certains tuj-aux, ou refforls, ou autres inftrumens, qui, deuant auoir quelque proportion auec les mains de ceux qui les font, font touf- jours fi grands que leurs figures & mouuemens fe peuuent voir, au lieu que les tuyaux ou refforts qui caufent les effets des corps naturels lont ordinairement trop petits pour eftre appcrceus de nos fens. Et il eft certain que toutes les règles des Mechaniques appartiennent à la Phyfique. .., enforlc que toutes les chofes qui font Œuvres. IV. -i

�� � p2 OEuvRES DE Descartes.

artificielles, font auec cela naturelles. Car, par exemple, lors qu'vne montre marque les heures par le moyen des roues dont elle eft faite, 481 cela ne lui eft pas moins na|turel qu'il eft à vn arbre... de produire fes fruits. C'eft pourquoy, en mefme façon (\Wvn horologier..., en voyant vtie montre qu'il n'a point faite, peut ordinairement juger, de quelques vnes de fes parties qu'il regarde, quelles" font toutes les autres qu'il ne voit pas : ainfi, en confiderant les effets & les parties fenfibles des corps naturels, j'ay tafché de connoiftre quelles* doiuent eftre celles de leurs parties qui font infenfibles.

��204. Que, touchant les chofes que nos fens n'aperçoiuent point, il fuffit d'expliquer comment elles peuuent ejlre; & que c'ejl tout ce qu'AriJiote a tafché de faire.

On répliquera encore à cecy que, bien c\nt faye peut-eflre imaginé des caufes qui pourroient produire des effets femblables à ceux que jious l'oyons, nous ne deuons pas pour cela conclure que ceux que nous voyons font produits par elles. Pource que, comme vn horolo- gier indufirieux peut faire deux montres qui marquent les heures en mefme façon, & entre lefquelles il n'y ait aucune différence en ce qui paroift à l'extérieur, qui n'ayent toutefois... rien de femblable en la compofition de leurs roues : ainfi il eft certain que Dieu a vne infinité de diuers moyens, par chacun defquels il peut auoirfait que toutes les chofes de ce monde paroiffent telles que maintenant elles paroiffent, fans qu'il foit poffible à l'efprit humain de connoifire lequel de tous ces moyens il a voulu employer à les faire. Ce que Je ne fais aucune 482 difficulté d'accorder; Et je croiray auoir affez | fait, fi les caufes que j'ay expliquées font telles que tous les effets qu'elles peuuent produire fe trouuent femblables à ceux que nous voyons dans le monde, fans m' enquérir fi cefl par elles ou par d'autres qu'ils font produits. Mefme je croy qu'il eft aufll vtile pour la vie, de connoifire des caufes ainfi imaginées, que fi on auoit la connoiJJ'ance des vrayes : car la Médecine, les Mechaniques, & généralement tous les arts à quoy la connoiflance de la Phyfique peut feruir, n'ont pour fin que d'ap- pliquer ?e//e»/e«/ quelques corps fenfibles /l'5 vus aux autres, que, par la fuite des caufes naturelles, quelques effets fenfibles foient produits ; ce que nous ferons tout auffi bien, en confiderant la fuite de quelques caufes ainfi imaginées, bien que faujfes, que fi elle efioient les vrayes, puis que cette fuite efi fuppofée femblable, en ce qui regarde les effets

a. Texte imprimé : « quelles >>.

�� � Principes. — Quatriesme Partie. 523

fenfibles. Et afin qu'on ne penfe pas qu'Ariftote" ait jamais... pré- tendu de faire quelque chofe de plus que cela ", il dit luy-mefme, au commencement du 7. chap. du premier liure de fes Météores, que, « pour ce qui eft des chofes qui ne font pas manifeftes aux ». fens, il penfe les demonftrer fuffifammcnt, â autant qu'on peut » dejrer auec rai/on, s'il fait feulement voir qu'elles peuuent eitre » telles qu'il les explique ».

2o5. Que neantmoins on a vne certitude morale.'que toutes les chofes de ce monde font telles qu'il a efté icy demonjlré quelles peuuent ejlre.

Mais neantmoins, afin que je ne face point de \ tort à la vérité, 483 en la/uppofant moins certaine qu'elle n'ejî, je dijUngueray icy deux fortes de certitudes. La première efl apelée morale, c'eft à dire fuffi- fante pour régler nos mœurs, ou aujji grande que celle des chofes dont nous n'auons point coujlume de douter touchant la conduite de la vie, bien que nous fçachions qu'il fe peut faire, abfohanent parlant, qu'elles foient faujfes. Ainf ceux qui n'ont jamais eflé à Rome ne doutent point que ce ne foit vne ville en Italie, bien qu'il fe pourr oit faire que toin ceu.x defquels ils l'ont appris les ayent trompe^. Et fi quelqu'vn..., pour deuiner m chiffre écrit auec les lettres ordi- naires, s'auife de lire vn B partout où il y aura vn A, & de lire vn G partout où il y aura vn B, & ainfi de iubftituer en la place de chaque lettre celle qui la fuit en l'ordre de l'alphabet, & que, le lifant en cette façon, il y trouue des paroles qui ayent du fens, il ne doutera point que ce ne foit le vray fens de ce chiffre qu'il aura ainfi trouué, bien qu'...il fe pourroit faire que celuy qui l'a écrit y en ait mis vn autre tout différent, en donnant vne autre fignification à chaque lettre : car cela peut fi difficilement arriuer, prificipalement lors que le chiffre contient beaucoup de m.ots, qu'il n'eft pas morale- ment croyable. Or, fi on confidere combien de diuerfes propriété^ de l'aymant, du feu, | & de toutes les autres chofes qui font au monde, 484 ont elle tres-euidemment déduites d'vn fort petit nombre de caufes que j'ay propofées au commencement de ce traitté, encore mefme qu'on s'imagineroit que je les ay fuppofées' par hazard, & fans que la raifon me les ait perfuadées, on ne laiffera pas d'auoir pour le moins autant de raifon de juger quelles font les vray es caufes de tout ce que fen ay déduit, qu'on en a de croire qu'on a trouué le

a. Cf. Correspondance de Descartes, t. V, p. 55o, 1. 4.

b. « De plus que cela », corrigé à Verrata. Texte imprimé : « de cela ».

c. « Suppofées », corrigé à Verrata. Texte imprimé : « fuppofez ».

�� � J24 Œuvres de Descartes.

vray feus d'vn chiffre, lors qu'on le voit future de lafignijicalion qu'on a donnée par conjeâure à chaque lettre. Car le nombre des lettres de l'alphabet ejl beaucoup plus grand que celuy des premières caufes que j'ajfuppofêes, & on n'a pas conjlume de mettre tant de mots, ny me/me tant de lettres, dans vn chiffre, que j'ay déduit de diuers effets de ces caufes \

206. Et mefme qu'on en a vne certitude plus que morale.

L'autre forte de certitude eft lors que nous penfons qu'il n'efl au- cunement poffible que la chofe foit autre que nous la jugeons... Et elle eft fondée fur vn principe de Metaphyfique tres-affuré, qui eft que, Dieu eftant fouuerainement bon & la fource de toute vérité, puifque cefl luy qui nous a créei, il eft certain que la puiffance ou faculté qu'il nous a donnée pour diftinguer le vray d'auec le faux, ne. fe

485 trompe point, lors que nous en vfons bien & qu'elle nous | monftre euidemment qu'vne chofe efl vraye. Ainfi cette certitude s'eftend à tout ce qui eft demonftré dans la Mathématique; car nous voyons clairement qu'il efî impoffible que deux & trois joins enfemble facent plus ou moins que cinq, ou qu'vn quarré n'ait que trois cofle\, & chofes femblables. Elle s'eftend auffi à la connoiftance que nous auons qu'il y a des corps dans le monde, pour les raifons cy-deffus expliquées au commencement de la féconde partie. Puis en fuitte elle s'eftend à toutes les chofes qui peuuent eftre demonftrées, touchant ces corps, par les principes de la Mathématique ou par d'autres auffi éuidens & certains; au nombre defquelles il me femble que celles que j'ay écrites en ce traitté doiuent eftre receuës, au moins les principales & plus générales. Et j'efpere qu'elles le feront en effet par ceux qui les auront examinées en telle forte, qu'ils verront clairement toute la fuite des deduftions que j'ay faites, & combien font euidens tous les principes defquels je me fuis feruy; principalement s'ils com- prennent bien qu'il ne fe peut faire que nous fentions aucun objet, finon par le moyen de quelque mouuement local que cet objet excite en nous, & que les eitoiles fixes... ne peuuent exciter ainfi aucun mouuemer.t e« nos yeu.r, fans... mouuoir auffi en quelque façon

486 toute I la matière qui eft entre elles & nous, d'oii il fuit tres-éuidem- ment que les deux doiuent ejîre fluides, c'ejl à dire compofe\ de petites parties qui fc meuucnt feparement les vues des autres, ou du moins

a. Voir Correspondance, t. V, p. 309, 1. 16.

b. Texte imprimé : « nature », corrigé à ïerrata.

�� � Principes. — Quatriesme Partie. J2<,

qu'il doitf auoir en eux de telles parties. Car tout ce qu'on peut dire quej'ayfuppofé, & qui Je trouue en l'article 46 de la troijiéme partie', peut ejlre réduit à celafeul que les deux font fluides. En forte que ce feu l point eftant reconnu pour fuffifamment démontré par tous les effets de la lumière, & < par > la fuite de toutes les autres chofes que faf expliquées, je penfe qu'on doit auffi reconnoiftre que /or prouué par demonflration Mathématique toutes les chofes que j'ay écrites, au -moins les plus générales qui concernent la fabrique du ciel & de la terre, & en la façon que je les ay écrites : car j'ay eu foin de propofer comme douteufes toutes celles que faj penfé l'eflre.

20-j. Mais que je foumets toutes mes opinions au jugement des plus fages & à l'authorité de l'Eglife.

Toutefois, à caufe que je ne veux pas me fier trop à moy mefme. je n'affure icy aucune chofe, & je foùfmets toutes mes opinions au jugement des plus fages &. à l'authorité de l'Eglife... Mefme je prie les Lecteurs de n'adjoufter point du tout de foy à tout ce qu'ils trouueront icy écrit, mais feulement de l'examiner & n'en receuoir que ce que la force & l'euidence de la raifon les pourra contraindre de croire.

a. Page 124.

��FIN.

�� � NOTE l

SUR LES RÈGLES DU CHOC DES CORPS

D'APRÈS DESCARTES (Voir ci-avant, p. So- n°^« '*•)

��Il m'a paru utile d'indiquer ici avec précision en quoi les sept règles cartésiennes, relatives au choc des corps, diffèrent des règles théoriques de la Mécanique applicables aux mêmes cas (corps parfaitement durs, isolés de tous autres, et n'ayant d'actions réciproques qu au moment du choc se mouvant enfin suivant la droite qui joint leurs centres de gravite, cette droite passant d'ailleurs par les points qui viennent en contact). _

Ces règles théoriques sont comprises sous une formule unique qui se déduit du théorème de la conservation du mouvement du centre de gra- vité (ici supposé immobile), et de celui de la conservation des forces vives, démontrés en Mécanique rationnelle pour tout système isole.

Si l'on désigne par B et C les masses des deux corps désignes sous les mêmes lettres par Descartes, si l'on appelle b et c leurs vitesses respectives avant le choc, p et y leurs vitesses après le choc (vitesses comptées positi- vement dans le même sens), les théorèmes précités tournissent les rela- tions :

(,) Bi + Cc = Bp + CT, (2) Bt' + Cc'=.Br+CY',

et l'on en déduit les formules générales :

^Clb — c) 1 2E{b — c)

Mais d'autant que, dans ses six premières règles, Descartes suppose les corps animés de vitesses dirigées en sens contraires (ou l'une d elles nulle), pour faciliter les rapprochements avec son texte, nous remplacerons, pour ces six règles, c par -c, v par - T, et nous mettrons les formules sou. la

forme v. ,. , i

„ . 2C(b + c) - 3B(fc + c)

(3') P = *- -B+^' ^^ B + G

i" Règle : II, 46 (p. 89). Hypothèses : B = C, b = c. On a : p = — fr, •( = — b.

�� � }28

��Notes.

��Les corps rejaillissent de part et d'autre, en conservant la même vitesse absolue. Descartes a admis la même règle.

2me Règle .•11,4/ (P- 9o)- Hypothèses .- B > C, è = c.

„ B— 3C, 3B — C,

^ = -B + C-*' ^ = --BT^^-

Le corps C rejaillit toujours avec une vitesse plus grande, en valeur absolue, que la vitesse antérieure ; le corps B peut, suivant les rapports des masses , suivre le corps G, mais avec une vitesse moindre ; ou bien s'arrêter, si B =r 3C ; ou enfin rejaillir lui-même.

Descartes admet que le corps C rejaillit toujours avec une vitesse égale,

en valeur absolue, à la vitesse antérieure, et que B le suit avec la même

vitesse, (p = — 1=^ b). La force vive du système reste la même ; le mou-

R 4- C vement du centre de gravité s'accélère dans le rapport "*" .

B — C

3™» Règle : II, 48 (p. 90). Hypothèses : B = C, b > c.

p = - c, Y = — *•

Les corps rejaillissent en échangeant leurs vitesses.

D'après Descartes, au contraire, C rejaillit seul, et les deux corps conti- nuent à se mouvoir en restant joints ensemble, avec une vitesse égale à la moyenne arithmétique des valeurs absolues des vitesses antérieures.

(p = — Y = — ^- — • La force vive du système diminuerait alors d'autant

plus que b serait supérieur à c; le mouvement du centre de gravité s'accé-

i< ■ 1 1 b 4- c

lererait dans le rapport -; — ■ — .

b — c

4'"" Pègle : II, 49 (p. 90). Hypothèses ; C> B, c = o.

. __ C - B , 2 B ,

��C+B' '~ B+C

Après le choc, les deu.x corps se meuvent en sens contraire. D'après Descaries, C reste en repos, et B rejaillirait en conservant sa vitesse en valeur absolue {^ = — b, c ^ o). La force vive resterait la même, le mou- vement du centre de gravité changerait de sens.

5me Règle ; II, 5 o (p. 91). Hypothèses .■ C < B, c = o.

k - B- C . 2 B ,

Après le choc, les deux corps se meuvent dans le même sens, C prenant une vitesse plus grande que B. Descartes admet, au contraire, que B et C

prennent une vitesse commune b ; cette fois, sa règle conserve le

�� � Notes. }^9

mouvement du centre de gravité, mais elle diminue la force vive dans le rapport g-^^.

ô"" Règle : II, 5 1 (p. 92). Hypothèses : C = B, c = o.

p = o. Y = — *•

Le corps B s'arrête, et le corps C prend sa vitesse. D'après Descartes, B reiaillirait en gardant les trois quarts de sa vitesse absolue, G se met- trait en mouvement avec un quart de cette même vitesse. Dans cette solu- tion, le mouvement du centre de gravité change de sens, et la force vive du système diminue de trois huitièmes.

„me Règle : II, 52 (p. 92). Les deux corps se meuvent, avant le choc, dans le même sens.

Nous reprenons, pour cette septième règle, les formules générales (3), en supposant que c y ait une valeur positive. Comme, pour que la ren- contre ait lieu, il faut admettre que b>c, on voit qu après le choc, la vitesse de C est augmentée, et la vitesse de B diminuée, assez en tous cas pour tomber au-dessous de celle que prend C. Cette diminution peut être assez forte pour que B s'arrête (si ^ = g^^, ce qui exige au moins B <3C. Il peut même rejaillir, si ^<b^. B étant relativement encore plus faible.

Descartes distingue deux cas :

,0 B et C prennent, après le choc, une vitesse commune, si B > C ou si, avec B < C, on a g<l La vitesse commune est, d'après l'exemple

qu'il donne, ^l+A^ Le mouvement du centre de gravité est conservé; " ' B -|- C

il y a perte de force vive.

2» Si, au contraire, -<%C continue son mouvement avec sa vitesse

antérieure, B rejaillit en conservant la sienne en valeur absolue (p = - ft, V — cl Alors la force vive reste la même; le mouvement du centre de gra-

. . _■ , Cc -Eb

vite est, au contraire, diminue dans le rapport q^-^-qI-

On remarquera que, pour la limite qui sépare ces deux cas, à savoir si

  • = 9, il y a indécision, les règles de Descartes aboutissant à des lésul-

îats contradictoires. Il n'a indiqué nulle paM comment il atirait pallié ce saltus naturœ, et s'il avirait employé un compromis analogue a celui de la gme Règle, où les circonstances étaient analogues.

Œuvres. IV. "^

�� � ^^o Notes.

On remarquera aussi que Descartes n'a pas épuisé toutes les combi- naisons qu'il devait envisager. Pour les vitesses dirigées en sens contraire avant le choc et inégales, il manque, en effet, deux règles correspondant aux hypothèses :

(3). b>c B>C

(3)b b>c B < C.

Or, ni dans l'un ni dans l'autre de ces deux cas, on ne peut être assuré de retrouver les solutions que Descartes aurait données. . . {La note s'ar- rête ici dans les papiers de Paul Tannery. Elle est certainement ina- chevée, et a été interrompue par la mort.)

��NOTE II

(Page 109, note a, fin.)

On n'a rien retrouvé, dans les papiers de Paul Tannery, qui se rappor- tât à la note annoncée ici. Contentons-nous de corriger au moins l'indi- cation erronée : De Marte sub Sole viso. Il faut lire sans doute De Mer- curio sub Sole viso, opuscule de Gassend, imprimé une première fois en i63i, une seconde en i632.

�� � TABLE DES PRINCIPES

��DE LA

��PHILOSOPHIE

��Pages. III

Avertissement ^^^

Frontispices ^

Lettre de l'Autheur au Traducteur ^^

Dédicace à la Princesse Elisabeth

PREMIERE PARTIE 25


Des Principes de la connoijfance humaine.

,, Que, pour examiner la ve- 6. Que nous auons vn libre

rite, il eft befoin, vne fois arbitre qui fait que nous

en fa vie, de mettre toutes pouuons nous abftenir de

chofes en doute, autant croire les chofes douteu-

qu'il fe peut 25 fes, & amfi nous empef-

.. QÎ-il ea vtile aum de confi- cher d'eftre trompez ^^. 27

derer comme faulTes toutes 7- Que nous ne fçaunons dou-

les chofes dont on peut ter fans eftre, & que cela

„ eft la première connoif-

3. QueTous ne deuon^'poln; fance certaine qu'on peut ^

vfer de ce doute pour la acquérir . . ... ...... . • ■ . •

conduite de nos adions. . 26 8. Qu'on connoift -"^ ^"f"'

4. Pourquoy on peut douter a d.ft.naion qui eft entre

^ de la vérité dés chofes fen- l'ame & le corps 28

j-bles . • » 9- C^ 'î"^ "^^ "1"^ ^^ P

5. Pourquoy' 'on 'peut auftl .0. Qu'il y a des notions d'el-

douL des demonftrations les-mefmes fi da.res qu on

de Mathématique » 1" obfcurctt en les vou-

�� � Jj2 Table des

lant définir à la façon de l'Echoie; & qu'elles ne s'acquerent point par eftu- de , mais naiffent auec nous 28

11. Comment nous pouuons plus clairement connoi- flre noftre ame que noftre corps 29

12. D'où vient que tout le monde ne la connoift pas

en cette façon 3o

i3. En quel fens on peut dire que, fi on ignore Dieu, on ne peut auoir de connoif- fance certaine d'aucune autre chofe »

14. Qu'on peut demonftrer qu'il y a vn Dieu de cela feul que la neceflîté d'eftre ou d'exifter eft comprife en la notion que nous auons de luy 3i

1 5. Que la neceflité d'eftre n'eft

pas comprife en la no- tion que nous auons des autres choies, mais feule- ment le pouuoir d'eftre.. . »

16. Que les préjugez empef-

chent queplulleurs ne con- noiflent clairement cette neceflîté d'eftre qui eft en Dieu 32

17. Que, d'autant que nous conceuons plus de perfe- £lion en vne chofe, d'au- tant deuon? - nous croire que fa caufe doit auffi eftre plus parfaite »

18. Qu'on peut derechef de- monftrer par cela, qu'il y

a vn Dieu 33

19. Qu'encore que nous ne comprenions pas tout ce qui eft en Dieu, il n'y a

��Principes

rien toutefois que nous connoifTions fi clairement comme fes perfedions 53

20. Que nous ne fommes pas

la caufe de nous mefmes, mais que c'eft Dieu, & que par confequent il y a vn Dieu 34

21. Que la feule durée de no- ftre vie fuflfit pour demon- ftrer que Dieu eft »

22. Qu'en connoiffant qu'il y a vn Dieu, en la façon icy expliquée, on connoift aulTi tous fes attributs, au- tant qu'ils peuuent eftre connus par la feule lu- mière naturelle »

23. Que Dieu n'eft point cor-

porel, & ne connoift point par l'aydedes fens comme nous, & n'eft point au- theur du péché 35

24. Qu'après auoir connu que

Dieu eft, pour palier à la connoiffance des créatu- res, il fe faut fouuenir que noftre entendement eft li- ny, & la puiffance de Dieu infinie »

25. Et qu'il faut croire tout ce que Dieu a reuelé, encore qu'il foit au defTus de la portée de noftre efprit 36

26. Qu'il ne faut point tafcher de comprendre l'infiny. ' mais feulement penfer que tout ce en quoy nous ne trouuons aucunes bornes

eft indefiny »

27. Quelle différence il y a en-

tre indefiny & infiny 37

28. Qu'il ne faut point exami-

ner pour quelle fin Dieu a fait chaque chofe, mais

�� � DE LA Philosophie

feulement par quel moyen il a voulu qu'elle fuft pro- duite 37

29. Que Dieu n'eft point la caufe de nos erreurs »

3o Et que par confequeni tout cela eft vray que nous con- noiffons clairement eftre vray, ce qui nous deliure des doutes cy-deffus pro- pofez 38

3i. Que nos erreurs, au re- gard de Dieu, ne font que des négations, mais au re- gard de nous, font des pri- uations ou des defaux. . . . »

3i. Qu'il n'y a en nous que deux fortes de penfée, à fçauoir, la perception de l'entendement, & l'aflion de la volonté 39

33. Que nous ne nous trom- pons que lors que nous jugeons de quelque chofe qui ne nous eft pas affez connue »

34. Que la volonté, auflî bien que l'entendement, eft re- quife pour juger »

35. Qu'elle a plus d'eftenduë que luy, & que de là vien- nent nos erreurs 40

36. Lefquelles ne peuuenteilre imputées à Dieu »

37. Que la principale perfe-

dion de l'homme eft d'a- uoir vn libre arbitre, & que c'eft ce qui le rend digne de louange ou de blafme. »

38. Que nos erreurs font des défaux de noftre façon d'a- gir , mais non point de noftre nature ; & que les fautes des fujeis peuuent fouuent eftre attribuées

��}}}

��aux autres maiftres, mais non point à Dieu 41

39. Que la liberté de noftre volonté fe connoift fans preuue, par la feule expé- rience que nous en auons. »

40. Que nous fçauons auflî très- certainement que Dieu a préordonné toutes chofes. 42

41. Comment on peut accor- der noftre libre arbitre auec la préordination di- uine »

42. Comment, encore que nous nevueillions jamais faillir, c'eft neantmoins par noftre volonté que nous faillons. »

43. Que nous ne fçaurions fail- lir en ne jugeant que des chofes que nous aperce- uons clairement & diftin- lElement 43

44. Que nous ne fçaurions que mal juger de ce que nous n'aperceuons pas claire- ment, bien que noftre ju- gement puiffe eftre vray, & que c'eft fouuent noftre mémoire qui nous trompe. »

45. Ce que c'eft qu'vne percep- tion claire & diftinde .... 44

46. Qu'elle peut eftre claire fans eftre diftinde, mais non au contraire »

47. Que, pour ofter les préju- gez de noftre enfance, il faut confiderer ce qu'il y a de clair en chacune de nos premières notions. ... »

48. Que tout ce dont nous auons quelque notion eft conftderé comme vne cho- fe ou comme vne vérité : & le dénombrement des chofes 45

�� � 3^4 Table des

49. Que les veritez ne peuuent ainfi eftre dénombrées, & qu'il n'en eft pas befoin . . 46

50. Que toutes ces veritez peu- uent eftre clairement ap- perceuës; mais non pas de tous, à caufe des préjugez. »

5i. Ce que c'eft que la fub- ftance; & que c'eft vn nom qu'on ne peut attribuer à Dieu & aux créatures en mefme feus »

52. Qu'il peut eftre attribué à

l'ame & au corps en mefme lens : & comment on coii- noift la fubftance 47

53. Que chaque fubftance a vn

attribut principal ; & que ceiuy de l'ame eft la pen- Ice, comme l'extenlion eft celuy du corps 48

54. Comment nous pouuons auoir des penfées diftinfles de la fubftance qui penfe, de celle qui eft corporelle,

& de Dieu >'

55. Comment nous en pouuons auffi auoir de la durée, de l'ordre & du nombre 49

56. Ce que c'eft que qualité, & attribut, & façon ou mode »

57. Qu'il y a des attributs qui appartiennent aux chofes aufquelles ils font attri- buez, & d'autres qui dé- pendent de noftre penfée. . »

58. Que les nombres & les vni-

uerfaux dépendent de no- ftre penfée 5o

59. Quels font les vniucrfaux. »

60. Des diftindions, & premiè-

rement de celle qui eft réelle 5i

61. De la diftindion modale. . 52

��Principes

62. De la diftinftion qui fe fait par la penfée 53

63. Comment on peut auoir des notions diftindes de l'extenfion & de la penfée, en tant que l'vne conftituë la nature du corps, & l'au- tre celle de l'ame »

64. Comment on peut auftl les conceuoir diftinilement en les prenant pour des mo- des ou attribus de ces fub- ftances 54

65. Comment on conçoit aufïï leurs diuerfes propriétés

ou attributs »

66. Que nous auons auftl des notions diflindes de nos fentimens, & de nos affe- dions, & de nos appétits, bien que fouuent nous nous trompions aux juge- mens que nous en faifons. 55

67. Que fouuent mefme nous nous trompons en jugeant que nous l'entons de la douleur en quelque partie

de noftre corps w

68. Comment on doit diftin- guer en telles chofes ce en quoy on peut fe tromper d'auec ce qu'on conçoit clairement 56

69. Qu'on connoift tout autre-

ment les grandeurs, les fi- gures, &c., que les cou- leurs, les douleurs, &c. . . 57

70. Que nous pouuons juger en deux façons des chofes fenfibles, par l'vne def- quelles nous tombons en erreur, & par l'autre nous l'éuitons »

71. Que la première & princi- pale caufe de nos erreurs

�� � DE LA Philosophie.

��}M

��font les préjugez de noftre enfance 58

72. Que la féconde eft que nous ne pouuons oublier

ces préjugez 59

73. La troiliéme, que noftre efprit fe fatigue quand il fe rend attentif à toutes les chofes dont nous jugeons. 60

74. La quatrième, que nous attachons nos penfccs à

��des paroles qui ne les ex- priment pas exaflement. . 60

75. Abrégé de tout ce qu'on doit obferuer pour bien philofopher 61

76. Que nous deuons préférer l'authorité diuine à nos raifonnemens, & ne rien croire de ce qui n'eft pas reuelé que nous ne le con- noilTions fort clairement. 62

��SECONDE PARTIE Des Principes des chofes matérielles.

��1. Quelles raifons nous font

fçauoir certainement qu'il y a des corps 63

2. Comment nous fçauonsaufTi

que noftre ame eft jointe à

vn corps 64

3. Que nos fens ne nous enfei-

gnent pas la nature des chofes, mais feulement ce en quoy elles nous font vtiles ou nuifibles n

4. Que ce n'eft pas la pefan-

teur, ni la dureté, ny la couleur, &c., qui conftituc la nature du corps, mais l'extenfwn feule 65

5. Que cette vérité eft obfcui-

cie par les opinions dont on eft préocupé touchant la rarefaclion & le vuide.. )■>

6. Comment fe fait la rarefa-

aion 66

7. Qu'elle ne peut eftrc intelli-

giblement expliquée qu'en la façon icy propofée. ... x

��8. Que la grandeur ne difere

de ce qui eft grand, ny le nombre des chofes nom- brées, que par noftre pen- fée 67

9. Que la fubftance corporelle

ne peut eftre clairement conceuë fans fon exten- fion 68

10. Ce que c'eft que l'efpace

ou le lieu intérieur »

11. En quel fens on peut dire qu'il n'eft point différent

du corps qu'il contient... »

12. Et en quel fens il en eft différent 69

i3. Ce que c'eft que le lieu ex- térieur »

14. Quelle différence il y a entre le lieu & l'efpace. . . 70

i5. Comment la fuperficie qui enuironne vn corps peut elfre prife pour fon lieu extérieur 71

16. Qu'il ne peut y auoir aucun

�� � î j6 Table des

vuide, au fens que les Phi- lofophes prennent ce mot. 71

17. Que le mot de vuide, pris félon l'vfage ordinaire , n'exclud point toute forte

de corps 72

18. Comment on peut corriger la fauffe opinion dont on eft préocupé touchant le vuide »

19. Que cela confirme ce qui a efté dit de la rarefaftion . . 73

20. Qu'il ne peut y auoir au- cuns atomes, ou petits corps indiuifibles 74

21. Que l'eftenduë du monde

eft indéfinie »

22. Que la Terre & les Cieux ne font faits que d'vne mefme matière, & qu'il ne peut y auoir plufieurs mondes 75

23. Que toutes les varietez qui font en la matière dé- pendent du mouuement de

fes parties »

24. Ce que c'eft que le mouue- ment pris félon l'vfage commun »

25. Ce que c'eft que le mouue- ment proprement dit 76

26. Qu'il n'eft pas requis plus d'aflion pour le mouue- ment que pour le repos. . . -/-j

27. Que le mouuement & le repos ne font rien que deux diuerfes façons dans le corps où ils fe trouuent. . »

28. Que le mouuement en fa propre fignification ne fe rapporte qu'aux corps qui touchent celuy qu'on dit

fe mouuoir 78

29. Et mefme qu'il ne fe rap- porte qu'à ceux de ces

��Principes

corps que nous confide- rons comme en repos. ... »

3o. D'où vient que le mouue- ment qui fepare deux corps qui fe touchent, eft pluftoft attribué à l'vn qu'à l'autre. 79

3i. Comment il peut y auoir plufieurs diuers mouue- mens en vn mefme corps. 80

32. Comment le mouuement vnique proprement dit, qui eft vnique en chaque corps, peut auflî eftre pris pour plufieurs »

33. Comment en chaque mou- uement il doit y auoir tout vn cercle ou anneau de corps qui fe meuuent en- femble 81

34. Qu'il fuit de là que la ma- tière fe diuife en des par- ties indéfinies & innom- brables 82

35. Que nous ne deuons point douter que cette diuifion ne fe face, encore que nous

ne la puiffions comprendre 83

36. Que Dieu eft la première caufe du mouuement, & qu'il en conferue touf- jours vne égale quantité en l'vniuers »

37. La première loy de la na- ture : que chaque chofe demeure en l'eftat qu'elle eft, pendant que rien ne le change 84

38. Pourquoy les corps pouf- fez de la main continuent defe mouuoir après qu'elle

les a quittez 85

39. La 2. loi de la nature : que tout corps qui fe meut tend à continuer fon mouue- ment en ligne droite , »

�� � 41. 42, 43,

44.

��DE LA Philosophie

40. La 3. : que li vn corps qui

fe meut en rencontre vn

autre plus fort que foy, il

ne perd rien de fon mou-

uement; & s'il en ren- contre vn plus foible qu'il

puilîe mouuoir, il en perd

autant qu'il luy en donne. 86

La preuue de la première

partie de cette règle 87

La preUue de la féconde

partie »

En quoy conlîfte la force

de chaque corps pour agir

ou pour refifter 88

Que le mouuement n'ert

pas contraire à vn autre

mouuement, mais au re- pos; & la détermination

d'vn mouuement vers vn

cofté, à fa détermination

vers vn autre »

45. Comment on peut déter- miner combien les corps

qui fe rencontrent chan- gent les mouuemens les

vns des autres, par les rè- gles qui'fuiuent 89

La première >•

La féconde 90

La troifiéme »

La quatrième »

La cinquième 91

La fixiéme 93

La feptiéme »

Que l'explication de ces

règles eft difficile, à caufe

que chaque corps eft tou- ché par plufieurs autres en

mefme temps gS

54. En quoy confifte la nature des corps durs & des li- quides 94

55. Qu'il n'y a rien qui joigne les pariies des corps durs,

Œl'vrf.s. IV.

��}}7

��46.

47- 48, 49, 5o, 5i.

52,

53,

��finon qu'elles font en repos au regard l'vne de l'autre. »

56. Que les parties des corps fluides ontdes mouuemens qui tendent également de tous coftez, & que la moindre force fuffit pour mouuoir les corps durs qu'elles enuironnent 95

57. La preuue de l'article pré- cèdent 96

58. Qu'vn corps ne doit pas eftre elHmé entièrement fluide au regard d'vn corps dur qu'il enuironne, quand quelques-vnes de fes par- ties fe meuuent moins vite que ne fait ce corps dur. . 98

59. Qu'vn corps dur eftant pouffé par vn autre ne re- çoit pas de luy feul tout le mouuement qu'il acquert, maisen emprunte aufïï vne partie du corps fluide qui l'enuironne »

60. Qu'il ne peut toutefois auoir plus de viteffe que ce corps dur ne luy en donne

61. Qu'vn corps fluide qui fe meut tout entier vers quelque cofté emporte ne- ceffairement auec foy tous les corps durs qu'il con- tient ou enuironne »

62. Qu'on ne peut pas dire pro- prement qu'vn corps dur fe meut, lors qu'il eft ainfi emporté par vn corps fluide. ; 100

63. D'où vient qu'il y a des corps ù durs qu'ils ne peuuent eftre diuifés par nos mains, bien qu'ils foient plus petits qu'elles. »

74

��99

�� � >î8

��Table des Principes

��64. Que je ne reçois point de principes en Phyfique qui ne foient auITi receus en Matlnematique , afin de pouuoir prouùer par de- monftration tout ce que

��j'en déduiray, & que ces principes fuffifent, d'au- tant que tous les Phaino- menes de la nature peuuent eftre expliquez par leur moyen loi

��TROISIESME PARTIE Du Monde vifible.

��i. Qu'on ne fçauroit penfer trop hautement des œu- ures de Dieu iftS

2. Qu'on prefumeroit trop de

foy-mefme, fi on entrepre- noit de connoiftre la fin que Dieu s'eft propofé en créant le monde 104

3. En quel fens on peut dire

que Dieu a crée toutes chofes pour l'homme »

4. Des Phainomenes ou expé-

riences, & à quoy elles peuuent icy feruir »

5. Quelle proportion il y a

entre le Soleil, la Terre & la Lune, à raifon de leurs diftances & de leurs gran- deurs io5

6. Quelle difiance il y a entre

les autres Planètes & le Soleil »

7. Qu'on peut fuppofer les

Eftoiles fixes autant éloi- gnées qu'on veut. ....... »

8. Que la Terre efiant veue du

Ciel ne paroidroit que comme vne Planète moin- dre que lupiter ou Sa- turne 106

��9. Que la lumière du Soleil &

des Eftoiles fixes leur eft propre »

10. Que celle de la Lune & des autres Planètes eft em- pruntée du Soleil 107

1 1. Qu'en ce qui eft de la lu- mière la Terre eft fem- hlable aux Planètes »

12. Que la Lune, lors qu'elle eft nouuelle, eft illuminée par la Terre »

1 3. Que le Soleil peut eftre mis au nombre des eftoiles fixes, & la Terre au nombre des Planètes »

14. Que les Eftoiles fixes de- meurent louf- jours en mefme fituation au regard l'vne de l'autre, & qu'il n'en eft pas de mefme des Pla- nètes 108

1 5. Qu'on peut vfer de diuerfes hypothefes pour expliquer les Phainomenes des Pla- nètes i>

16. Qu'on ne les peut expliquer tous par celle de Ptolemée. »

17. Que celles de Copernic & de Tycho ne différent point.

�� � DE LA Philosophie.

��}}9

��19.

��20.

��21

��û on ne les confidere que

comme hypothefes 109

18. Que par celle de Tycho on attribue en etîet plus de mouuement à la Terre que par celle de Copernic, bien qu'on luy en attribue moins

en paroles »

Que je nie le mouuement de la Terre auec plus de foin que Copernic, & plus de

vérité que Tycho »

Qu'il faut fuppofer les Eftoiles fixes extrêmement

éloignées de Saturne iio

Que la matière du Soleil, ainli que celle de la flame, eil: fort mobile, mais qu'il n'ell pas befoin pour cela qu'il palTe tout entier d'vn

lieu en vn autre »

22. Que le Soleil n'a pas befoin

d'aliment comme la flame. 1 1 1 23- Que toutes les eftoiles ne font point en vne luper- ticie fpherique & qu'elles font fort éloignées l'vne de l'autre »

24. Que les Cieux font liquides. 112

25. Qu'ils tranfportent auec eux tous les corps qu'ils contiennent »

26. Que la Terre fe repofe en fon Ciel, mais qu'elle ne laiffe pas d'eftre tranfpor-

tée par luy 1 1 3

27. Qu'il en eft de mefme de toutes les Planètes »

28. Qu'on ne peut pas propre- ment dire que la Terre ou les Planètes fe meuuent, bien qu'elles foient ainfi tranfportées

29. Que mefme, en parlant im- proprement & fuiuant l'v-

��fage, on ne doit point attri- buer de mouuement à la Terre, mais feulement aux autres Planètes 114

30. Que toutes les Planètes font emportées autour du Soleil par le Ciel qui les contient Ii5

3 1. Comment elles font ainfi emportées 116

32. Comment fe font auffi les taches qui fe voient fur la fuperficie du Soleil »

33. Que la Terre eft auffi por- tée en rond autour de fon centre, & la Lune autour

de la Terre , »

34. Que les mouuemens des

Cieux ne font pas parfaite- ment circulaires. , 1 17

35. Que toutes les Planètes ne font pas touf-jours en vn mefme plan »

36. Et que chacune n'eft pas

touf-jours également éloi- gnée d'vn mefme centre. .118

37. Que tous les Phainomenes peuuent eftreexpliquezpar l'hypothefe icy propofée. . 119

38. Que, fuiuant l'hypothefe de Tycho, on doit dire que la Terre fe meut au- tour de fon centre »

39. Et auffi qu'elle fe meut au- tour du Soleil 120

40. Encore que la Terre change

de fituation au regard des autres Planètes, cela n'eft pas fenfible au regard des Eftoiles fixes, à caufe de leur extrême diftance 121

41. Que cette diftance des Ef-

toiles fixes eft necelTaire pour expliquer les mouue- mens des Comètes. »

�� � 340 Table des

42. Qu'on peut mettre au nombre des Phainomenes toutes les chofes qu'on voit fur la Terre, maisqu"il n'eft pas icy befoin de les confiderer toutes 122

43. Qu'il n'eft pas vray-fem- blable que les caufes def- quelles on peut déduire tous les Phainomenes foient faufles i23

44. Que je ne veux point tou- tefois affurer que celles que je propofe font vrayes. »

45. Que mefme j'en fuppofe- ray icy quelques vnes (]ue

je crois fauffes »

46. Quelles font ces fuppoll- tions 124

47. Que leur faulTeté n'em- pefche point que ce qui

en fera déduit nelbitvray. i25

48. Comment toutes les par- ties du Ciel font deuenuës rondes 126

49. Qu'entre ces parties rondes il y en doit auoir d'autres plus petites pour remplir tout l'efpace où elles font. 127

50. Que ces plus petites font aifées à diuifer »

5 I . Et qu'elles fe meuuent ires-

vite 128

52. Qu'il y a trois principaux elemens du monde vifible. »

53. Qu'on peut diftinguer l'v- niuers en trois diuers Cieux 129

54. Comment le Soleil & les Ertoiles ont pu fe former. i3o

55. Ce que c'eft que la lumière. »

56. Comment on peut dire d'vne chofe inanimée qu'elle tend à produire quelque effort 1 3 1

��Principes

57. Comment vn corps peut tendre à fe mouuoir en plufieurs diuerfes façons en mefme temps 1 3 1

53. Comment il tend à s'éloi- gner du centre autour du- quel il fe meut l32

59. Combien cette tenlion a de force »

60. Que toute la matière des Cieux tend ainfi à s'éloi- gner de certains centres.. i33

61. Que cela cft caufe que les corps du Soleil & des Eftoiles fixes font ronds. . »

62. Que la matière celelle qui les enuironne tend à s'éloi- gner de tous les points de leur fuperlicie i ?4

63. Que les parties de cette matière ne s'empefchent point en cela l'vne l'autre. i35

64. Que cela fuffit pour expli- quer toutes les proprictcz de la lumière, &pour faire paroiftre les aftres lumi- neux fans qu'ils y contri- buent aucune chofe 1 36

65. Que les Cieux font diuifez en plufieurs tourbillons, & que les pôles de quelques vns de ces tourbillons tou- chent les parties les plus éloignées des pôles des autres >>

66. Que les mouuemens de ces tourbillons fe doiueni vn peu deftourner pour n'ellre pas contraires l'vn à l'au- tre i37

67. Que deux tourbillons ne fe peuuent toucher par leurs pôles i38

68. Qu'ils ne peuuent élire tous de mefme grandeur. »

�� � 70. 7'-

72

73

��DE LA PhII.

69. Que la matière du pre- mier élément entre par les pôles de chaque tourbillon vers fon centre, & fort de là par les endroits les plus

éloignez des pôles iSg

Qu'il n'en eft pas de mefme

du fécond élément 140

Quelle ert la caufe de cette

diuerfité »

Comment fe meut la ma- tière qui compofe le corps

du Soleil 141

Qu'il y a beaucoup d'ine- galitez en ce qui regarde la fituation du Soleil au mi- lieu du tourbillon qui l'en- uironne 142

74. Qu'il y en a aulïï beaucoup en ce qui regarde le mou- uement de fa matière 143

75. Que cela n'empefche pas que fa figure ne foit ronde. 144

76. Comment fe meut la ma- tière du premier élément qui eïl entre les parties du fécond dans le Ciel 145

77. Que le Soleil n'enuoye pas feulement fa lumière vers l'Eclyptique , mais aufli vers les pôles »

78. Comment il l'enuoye vers

l'Eclyptique 146

79. Combien il eft aifé quelque- fois aux corps qui fe meu- uent d'eftendre extrême- ment loin leur aftion »

80. Comment le Soleil en- uoye fa lumière vers les pôles 147

81. Qu'il n'a peut-eftre pas du tout tant de force vers les pôles que vers l'Ecly- ptique »

82. Quelle diuerfité il y a en la

��.OSOPHIE. J4I

grandeur & aux mouue- mens des parties du fécond élément qui compofent les Cieux 148

83. Pourquoy les plus éloi- gnées du Soleil dans le pre- mier Ciel fe meuuent plus vite que celles qui en font vn peu plus (lire moins) loin 149

84. Pourquoy aufli celles qui font les plus proches du Soleil fe meuuent plus vite que celles qui en font

vn peu plus loin 1 5o

85. Pourquoy ces plus pro- ches du Soleil font plus petites que celles qui en font plus éloignées »

86. Que ces parties du fécond élément ont diuers mou- uemens qui les rendent rondes en tout fens 1 5 1

87. Qu'il y a diuers degrez d'a-

gitation dans les petites parties du premier élé- ment l52

88. Que celles de ces parties qui ont le moins de vitefTe en perdent aifement vne partie, & s'attachent les vnes aux autres t53

89. Que c'eft principalement en la matière qui coule des pôles vers le centre de chaque tourbillon qu'il fe trouue de telles parties. . . 154

90. Quelle eft la figure de ces parties que nous nomme- rons canelées »

91. Qu'entre ces parties cane- lées celles qui viennent d'vn pôle font tout autre- ment tournées que celles qui viennent de l'autre. . . i55

�� � 342 Table des

92. Qu'il n'y a que trois ca- naux en la fuperficie de chacune i55

93. Qu'entre les parties cane- lées & les plus petites du premier élément il y en a d'vne infinité de diuerfes grandeurs i56

94. Comment elles produifent des taches fur le Soleil ou fur les Eftoiles »

95. Quelle eftla caufe des prin-

cipales proprietez de ces taches iSj

96. Comment elles font deftrui-

tes, & comment il s'en pro- duit de nouuelles »

97. D'où vient que leurs extre- mitez paroiffent quelque- fois peintes des mefmes couleurs que l'arc en ciel. i58

98. Comment ces taches fe changent en fiâmes, ou au contraire les fiâmes en taches »

99. Quelles font les parties en quoy elles fe diuifent iSg

100. Comment il fe forme vne efpece d'air autour des aftres »

loi. Que lescaufes qui produi- fent ou difiTipent ces taches font fort incertaines 160

102. Comment quelquefois vne feule tache couure toute la fuperficie d'vn aftre »

io3. Pourquoy le Soleil a paru quelquefois plus obfcur que de couftume, & pour- quoy les Eftoiles ne pa- roiffent pas touf-jours de mefme grandeur 161

104. Pourquoy il y en a qui difparoilTent ou qui pa- roiffent de nouueau « 

��Principes

io5. Qu'il y a des pores dans les taches par où les parties canelées ont libre paffage. 162

106. Pourquoy elles ne peu- uent retourner par les mefmes pores par où elles entrent i63

107. Pourquoy celles qui vien- nent d'vn pôle doiuent auoir d'autres pores que celles qui viennent de l'au- tre »

108. Comment la matière du premier élément prend fon cours par ces pores 164

109. Qu'il y a encore d'autres pores en ces taches qui croifent les precedens . . . . i65

iio. Que ces taches empef- chent la lumiere-des aftres qu'elles couurent »

III. Comment il peut arriuer qu'vne nouuelle Eftoile paroifle tout à coup dans le Ciel 166

1X2. Comment vne Eltoilepeut

difparoiftre peu à peu. . . . 167

1 1 3. Que les parties canelées fe font plufieurs palTages en toutes les taches 168

1 14. Qu'vne mefme Eftoilepeut paroifire & difparoiftre plufieurs fois »

11 5. Que quelquefois tout vn tourbillon peut eftre de- ftruit i6q

116. Comment cela peut arri- uer auant que les taches qui couurent fon aftre foient foit efpaiffes 170

117. Commentées taches peu- uent auftî quelquefois de- uenir fort épailfes auant que le tourbillon qui les contient foit deftruit 171

�� � DE LA Philosophie.

��34?

��1 18. En quelle façon elles font produites 171

1 19. Comment vne Eftoile fixe peut deuenir Comète ou Planète 172

120. Comment fe meut cette Eftoile lors qu'elle com- mence à n'eftre plus fixe.. 173

121. Ce que j'entends par la folidité des corps & par leur agitation 1 74

122. Que la folidité d'vn corps ne dépend pas feulement de la matière dont il eft compofé, mais auiïi de la quantité de cette matière

& de fa figure 175

123. Comment les petites bou- les du fécond élément peu- uent auolr plus de folidité que tout le corps d'vn aftre. »

124. Comment elles peuuent aufTi en auoir moins 176

125. Comment quelques vnes en peuuent auoir plus, & quelques autres en auoir moins 177

126. Comment vne Comète peut commencer à fe mou- uoir »

127. Comment les Comètes continuent leur mouue- ment 178

128. Quels font leurs princi- paux Phainomenes 179

129. Quelles font les caufes de

ces Phainomenes 180

i3o. Comment la lumière des Eftoiles fixes peut parue- nir jufques à la Terre. ... 181 i3i. Que les Eftoiles ne font peut-eltre pas aux mefmes lieux où elles paroilTent; & ce que c'eft que le firma- ment 182

��i32. Pourquoy nous ne voyons point les Comètes quand elles font hors de noftre Ciel i83

i33. De la queue des Comètes & des diuerfeschofesqu'on y a obferuées i85

134. En quoy confifte la re- fraflion qui fait paroiftre la queue des Comètes. .. . 186

i35. Explication de cette re- fraftion »

1 36. Explication des caufes qui font paroiftre les queues des Comètes 188

137. Explication de l'appari- tion des cheurons de feu.. 189

i38. Pourquoy la queue des Comètes n'eft pas touf- jours exaflement droite ny direftementoppofée au So- leil 190

139. Pourquoy les Eftoiles fixes & les Planètes ne pa- roiffent point auecde telles queues »

140. Comment les Planètes ont pu commencer à fe mouuoir 191

141. Quelles font les diuerfes caufes qui deftournent le mouuement des Planètes.

La première 192

142. La féconde »

143. La troifiéme »

144. La quatrième 193

145. La cinquième »

146. Comment toutes les Pla- nètes peuuent auoir efté formées 194

147. Pourquoy toutes les Pla- nètes ne font pas égale- ment diftantes du Soleil. . 195

148. Pourquoy les plus pro- ches du Soleil fe meuuent

�� � J44 Table des

plus vite que les plus éloi- gnées, & toutefois fes ta- ches qui en font fort pro- ches fe meuuent moins vite qu'aucune Planète. . . igS

149. Pourquoy la Lune tourne autour de la Terre 196

1 50. Pourquoy la Terre tourne autour de l'on centre »

i5i. Pourquoy la Lune fe meut plus vite que la Terre 197

i52. Pourquoy c'eft touf-jours vn mefme cofté de la Lune qui efl tourné vers laTerre. »

i53. Pourquoy la Lune va plus vite & s'écarte moins de fa route, eftant pleine ou

��Principes

nouuelle, que pendant fon croiffant ou fon dccours.. . 198

154. Pourquoy les Planètes qui font autour de lupiter y tournent fort vite, & qu'il n'en eft pas de mefme de celles qu'on dit eltre au- tour de Saturne »

i55. Pourquoy les pôles de l'Equateur font fort éloi- gnez de ceux de l'Eclyp- tique 199

i56. Pourquoy ils s'en appro- chent peu à peu »

i5j. La caufe générale de tou- tes les varietez qu'on re- marque aux mouuemens des aftres 200

��QUATRIESME PARTIE De la Terre.

��1. Que pour trouuer les vrayes

caufes de ce qui eft fur la Terre il faut retenir l'hy- pothefe def-ja prife, nonob- ftant qu'elle foit fauffe. . . . 201

2. Quelle a efté la génération

de la Terre fuiuant cette hypothele »

3. Sa diuifion en trois diuerfes

régions, & la defcription de la première 202

4. Defcription de la féconde . . 2o3

5. Defcription de la troifiéme. »

6. Que les parties du troifiéme

élément qui font en cette troifiéme région doiuent ertre affez grandes 204

7. Qu'elles peuuent eftre chan-

��gées par l'aflion des deux autres elemens 204

8. Qu'elles font plus grandes

que celles du fécond, mais non pas fi folides ny tant agitées s

9. Comment elles fe font au

commencement affem- blées 2o5

10. Qu'il eft demeuré plu- = fieurs interualles autour d'elles, que les deux autres elemens ont remplis »

11. Que les parties du fécond

élément eftoient alors plus petites, proches de la Terre, qu'vnpeu'plushaut. » 13. Que les efpaces par Quelles

�� � DE LA Philosophie.

��H5

��paffoient entre les parties de la troiiîéme région

eiloient plus eftrolts 206

i3. Que les plus greffes parties de cette troifiéme région n'ertoient pas touf-jours les plus baffes »

14. Qu'il s'eft par après formé

en elle diuers corps »

1 5. Quelles font les principales

allions par lefquelles ces corps ont efté produits. Et l'explication de la pre- mière 207

16. Le premier effet de cette première aélion, qui eff de rendre les corps tranf- parens »

17. Comment les corps durs &

folides peuuent effre tranf- parens 208

18. Le fécond effet de la pre- mière aition, qui eft de purifier les liqueurs & les diuifer en diuers corps. . . »

19. Le troifiéme effet, qui eft d'arondir les gouttes de

ces liqueurs 209

20. L'explication de la féconde action, en laquelle confifte

la pefanteur 210

21. Que chaque partie de la Terre, eftant confiderée toute feule, eft pluftoft lé- gère que pefante »

22. En quoy confifte la légè- reté de la matière du Ciel. 2 1 1

2?. Que c'eft la légèreté de cette matière du Ciel qui rend les corps terreftres pefans »

24. De combien les corps font plus pefans les vns que ieà autres 212

23. Que leur pefanteur n'a pas

Œuvres. IV.

��214

��2l5

��touf-jours mefme rapport auec leur matière 2 1 3

26. Pourquoy les corps pefans n'agiffent point, lors qu'ils ne font qu'entre leurs fem- blables »

27. Pourquoy c'eft vers le cen- tre de la Terre qu'ils ten- dent

28. De la troifiéme aftion, qui eft la lumière; comment elle agite les parties de l'air

29. Explication de la quatrième

aftion, qui eft la chaleur ; & pourquoy elle demeure après la lumière qui l'a produite »

30. Comment elle pénètre dans les corps qui ne font point tranfparens 216

3i. Pourquoy elle a couftume de dilater les corps où elle eft, & pourquoy elle en condenfe aufTi quelques- vns *

32. Comment la troifiéme ré-

gion de la Terre a com- mencé à fe diuifer en deux diuers corps 217

33. Qu'il y a trois diuers gen- res de parties terreftres... »

34. Comment il s'eft formé vn troifiéme corps entre les deux precedens 218

35. Que ce corps ne s'eft com- pofé que d'vn feul genre

de parties 219

36. Que toutes les parties de ce genre fe font réduites à deux efpeces »

37. Comment le corps marqué C s'eft diuifé en plufieurs autres 220

38. Comment il s'eft formé vn

75

�� � H^

��Table des Principes

��quatrième corps au delTus du troifiéme 220

39. Comment ce quatrième corpss'eft accreu,&le troi- fiéme s'eft purifié 221

40. Comment l'épailTeur de ce troifiéme corps s'efi dimi- nuée, en forte qu'il eft de- meuré de l'efpace entre luy & le quatrième corps, le- quel efpace s'eft remply

de la matière du premier. . 223

41. Comment il s'eft fait plu- fieurs fentes dans le qua- trième corps 223

42. Comment ce quatrième corps s'eft rompu en plu- fieurs pièces 224

43. Comment vne partie du troifiéme eft montée au deffus du quatrième 225

44. Comment ont efté produi- tes les montagnes, les plai- nes, les mers, &c »

45. Quelle eft la nature de l'air »

46. Pourquoy il peut eftre fa- cilementdilatè & condenfè 226

47. D'où vient qu'il a beau- coup de force à fe dilater, eftant prellé en certaines machines »

48. De la nature de l'eau, & pourquoy elle fe change aifement en air& en glace. 227

49. Du fiux & refluxde la mer. »

50. Pourquoy l'eau de la mer employé douze heures & enuiron vingt-quatre mi- nutes à monter & defccn- dre en chaque marée 228

5i. Pourquoy les marées font plus grandes, lors que la Lune eft pleine ou nou- uelle, qu'aux autres temps. 329

��52. Pourquoy elles font auffi plus grandes aux equi- noxes qu'aux folftices.... 229

53. Pourquoy l'eau & l'air cou- lent fans celfe des parties Orientales de la Terre vers

les Occidentales 2?o

54. Pourquoy les pais qui ont la mer à l'Orient font or- dinairement moins chaux que ceux qui l'ont au cou- chant »

55. Pourquoy il n'y a point de flux & reflux dans les lacs; &. pourquoy vers les bords de la mer il ne fe fait pas aux mefmes heures qu'au milieu »

56. Comment on peut rendre raifon de toutes les diffé- rences particulières des flux & reflux 23 1

57. De la nature de la Terre

intérieure, qui eft au def- fous des plus ba(îes eaux. 2 32

58. De la nature de l'argent

vif \... 233

59. Des inegalitez de la cha- leur qui eft en cette Terre intérieure »

60. Quel eft l'effet de cette cha- leur 234

61. Comment s'engendrent les fucs aigres ou corrofifs qui entrent en la compofiiion du vitriol, de l'alun & au- tres tels minéraux »

62. Comment s'engendre la ma-

tière huileufe qui entre en la compofition du foulfre, du bithume, &c 235

63. Des principes de la Chy- mie, & de quelle façon les métaux viennent dans les mines »

�� � DE LA Pi

64. De la nature de la Terre extérieure, & de l'origine des fontaines 236

65. Pourquoy l'eau de la mer ne croift point de ce que

les riuieres y entrent 287

66. Pourquoy l'eau de la pluf-

part des fontaines eft dou- ce, & la mer demeure falée »

67. Pourquoy il y a auffi quel- ques fontaines dont l'eau

eft falée 238

68. Pourquoy il y a des mines de fel en quelques monta- gnes »

69. Pourquoy, outre le fel com- mun, on en trouue auiït de quelques autres efpe-

ces »

70. Quelle différence il y a icy entre les vapeurs, les ef- prits & les exhalaifons 239

71. Comment leur meflange compofe diuerfes efpeces de pierres, dont quelques- vnes font tranfparentes &

les autres ne le font pas. . »

72. Comment les métaux vien- nent dans les mines, & comment s'y fait le ver- meillon 240

73. Pourquoy les métaux ne fe trouuent qu'en certains en- droits de la Terre »

74. Pourquoy c'eft principale- ment au pied des monta- gnes, du cofté qui regarde le Midi ou l'Orient, qu'ils

fe trouuent 241

75. Que toutes les mines font en la Terre extérieure, & qu'on ne fçauroit creufer jufques à l'intérieure »

76. Comment fe compofent le

��IILOSOPHIE. }47

foulfre, le bitume, l'huile

minerai & l'argile 241

■;■]. Quelle eft la caufe des tremblemens de terre 242

78. D'où vient qu'il y a des montagnes dont il fort quelquefois de grandes flames »

79. D'oij vient que les tremble-

mens de terre fe font fou- uent à plufieurs fecoufTes. 248

80. Quelle eft la nature du feu. »

81. Comment il peuteftre pro-

duit ^44

82. Comment il eft conferué . . »

83. Pourquoy il doit auoir quelque corps à confumer afin de fe pouuoir entrete- nir 245

84. Comment on peut allumer

du feu auec vn fufil »

85. Comment on en allume aufli en frétant vn bois fec. 246

86. Comment auec vn miroir

creus, ou vn verre con- uexe »

87. Comment la feule agita-

lion d'vn corps le peut embrafer 247

88. Comment le meftange de deux corps peut aufll faire qu'ils s'embrafent »

89. Comment s'allume le feu de la foudre, des efclairs & des Eftoiles qui trauerfent. 248

90. Comment s'allument les Eftoiles qui tombent, & quelle eft la caufe de tous les autres tels feux qui lui- fent 6<. ne bruflent point. . 249

91. Quelle eft la lumière de l'aau de mer, des bois pourris, &c »

92. Quelle eft la caufe des feux

qui bruflent ou efchaufent

�� � 348

��Table des Principes

��& ne luifent point, comme lors que le foin s'echaufe

de foy-mefmc 25o

g3. Pourquoy lors qu'on jette de l'eau fur de la chaux viue, & généralement lors que deux corps de diuerfe nature font méfiez enfem- ble, cela excite en eux de la chaleur 252

94. Comment le feu ell allumé dans les concauitez de la Terre

95. De la façon que brufle vn flambeau 253

96. Ce que c'elt qui conferue

la flame »

97. Pourquoy elle monte en pointe, & d'où vient la fu- mée 254

98. Comment l'air «Se les autres corps nourriffent la flame. »

99. Que l'air reuient circulai- rement vers le feu en la place de la fumée 255

100. Comment les liqueurs efteignent le feu, & d'où vient qu'il y a des corps qui bruflent dans l'eau. . . »

ICI. Quelles matières font pro- pres à le nourrir »

102. Pourquoy la flame de l'eau de vie ne bruile point vn linge mouillé de cette mefme eau 256

io3. D'où vient que l'eau de vie bruile facilement »

104. D'où vient que l'eau com- mune efleint le feu 257

io5. D'où vient qu'elle peut aufTi quelquefois l'aug- menter, & que tous les fels font le femblablc >

106. Quels corps font les plus propres à entretenir le feu. 258

��107. Pourquoy il y a des corps qui s'enflament & d'au- tres que le feu confume fans les enflamer 258

108. Comment le feu fe con- ferue dans le charbon .... »

109. De la poudre à canon qui fe fait de foulfre, de falpe- ftre & de charbon ; & pre- mièrement du foulfre 259

1 10. Du falpeftre »

111. Du meflange de ces deux enfemble 260

112. Quel eft le mouuement des parties du falpeflre. . . »

11 3. Pourquoy la flame de la poudre fe dilate beaucoup, & pourquoy fon adion tend en haut »

114. Quelle eft la nature du charbon 261

M 5. Pourquoy on grene la poudre, & en quoy princi- palement confifte fa force. »

116. Ce qu'on peut juger des lampes qu'on dit auoir conferue leur flame du- rant plufieurs fiecles 262

117. Quels font les autres effets

du feu 203

1 18. Quels font les corps qu'il fait fondre & bouillir 264

119. Quels font ceux qu'il rend fecs & durs »

120. Comment on tire diuerfes eaux par diftilation »

121. Comment on tire auflî desfublimez & des huiles. 265

122. Qu'en augmentant ou di- minuant la force du feu on change fouuent fon ef- fea >.

1 23. Comment on calcine plu- fieurs corps 266

124. Comment fe fait le verre. »

�� � DE LA PhII

125. Comment fes parties fe joignent enfemble 267

126. Pourquoy il eft liquide & gluant, lors qu'il el\ em- brafc »

127. Pourquoy il elt fort dur eftant froid 268

128. Pourquoy il eil audî fort caffant »

129. Pourquoy ildeuientmoins calTant, lors qu'on lailTe refroidir lentement ...'.. 269

i3o. Pourquoy il eil tranfpà-

rent »

i?i. Comment on le teint de diuerfes couleurs 270

i32. Ce que c'elt qu'élire roide ou faire refl'ort, & pour- quoy cette qualité fe trouue aulTi dans le verre »

i33. Explication de la nature de l'aymant 27 1

13^. Qu'il n'y a point de pores dans l'air ny dans l'eau qui foient propres à rece- uoir les parties canelées. . 272

i35. Qu'il n'y en a point aufll en aucun autre corps fur cette terre, excepté dans le fer 273

i36. Pourquoy il y a de tels

pores dans le fer »

137. Comment peuuent eitre ces pores en chacune de ces parties 274

i38. Comment ils y font dif- pofez à receuoir les parties canelées des deux coftez. »

i3g. Quelle différence il y a entre l'aymant & le fer. . . 275

140. Comment on fait du fer ou de l'acier en fondant la mine 276

141. Pourquoy l'acier e(t fort dur, & roide & callant. ... »

��.OSOPHIE, ^49

142. Quelle différence il y a entre le fimple fer & l'acier. 277

143. Quelle eft la raifon des di- uerfes trempes qu'on donne

à l'acier »

144. Quelle différence il y a entre les pores de l'ay- mant, de l'acier & du fer. . 278

145. Le dénombrement de tou- tes les proprietez de l'ay- mant 279

146 Comment les parties ca- nelées prennent leur cours au trauers & autour de la Terre 283

147. Qu'elles paffent plus diffi- cilement par l'air & par le rerte de la terre extérieure que par l'intérieure 284

t48. Qu'elles n'ont pas la mefme difficulté à paffer par l'aymant »

149. Quels font fes pôles »

5o. Pourquoy ils fe tournent

vers les pôles de la Terre. 285

l5i. Pourquoy ils fe penchent aulTi diuerfement vers fon centre, à raifon des diuers lieux où ils font »

i52. Pourquoy deux pierres d'aymant fe tournent l'vne vers l'autre, ainfi que cha- cune fe tourne vers la Terre, laquelle eft auffi vn aymant 286

1 53. Pourquoy deux aymans s'approchent l'vn de l'au- tre, & quelle eft la fphere

de leur vertu 287

154. Pourquoy aufli quelque- fois ils fe fuycnt 288

i55. Pourquoy, lors qu'vn ay- mant eft diuifé, les parties qui ont elle jointes fe fuyent 289

�� � }^o Table des

i56. Comment il arriue que deux parties d'vn aymani qui fe touchent, deuien- nent deux pôles de venu contraire, lors qu'on le diuifc 289

157. Comment la vertu qui eft en chaque petite pièce d'vn aymant eft femblahle à celle qui eft dans le tout 290

i58. Comment cette vertu eft communiquée au fer par l'aymant »

1 59. Comment elle eft commu- niquée au fer diuerfement, à raifon des diuerles fa- çons que l'aymant eft tour- né vers luy 291

160. Pourquoy neantmoins vn fer qui eft plus long que large ny efpais la reçoit toufiours fuiuant la lon- gueur »

161. Pourquoy l'aymant ne perd rien de fa vertu en la communiquant au fer. . . . 292

162. Pourquoy elle fe commu- nique au fer fort prompte- ment, & comment elle y

elt affermie par le temps. . »

i63. Pourquoy l'acier la re- çoit mieux que le fimple fer »

164. Pourquoy il la reçoit plus grande d'vn fort bon ay- mant que d'vn moindre. . . 293

i65. Comment la Terre feule peut communiquer cette vertu au fer »

t66. D'où vient que de fort petites pierres d'aymant paroilTent fouuent auoir plus de force que toute la Terre 294

��Principes

167. Pourquoy les aiguilles ay- mantées ont touf-jours les pôles de leur vertu en leurs extremitez 295

168. Pourquoy les pôles de l'aymant ne fe tournent pas touf-jours exadement vers les pôles de la Terre. »

169. Comment cette variation peut changer auec le temps en vn mefme endroid de la Terre 296

170. Comment elle peut aufTi cftre changée par la di- uerfe fituation de l'ay- mant 297

17 r. Pourquoy l'aymant attire le fer »

172. Pourquoy il fouftient plus de fer, lors qu'il eft armé, que lors qu'il ne l'eft pas . . 298

173. Comment les deux pôles de l'aymant s'aident l'vn l'autre à fouftenir le fer. . . >>

174. Pourquoy vne pirouette de fer n'eft point empef- chée de tourner par l'ay- mant auquel elle eft fuf- penduë 299

175. Comment deux aymans doiuent eftre fituez pour s'aider ou s'empefcherl'vn l'autre à fouftenir du fer. . 3oo

176. Pourquoi vn aymant bien fort ne peut attirer le fer qui pend à vn aymant plus foible 3oi

177. Pourquoi quelquefois au contraire le plus foible aymant attire le fer d'vn autre plus fort »

178. Pourquoi en ces païs Septentrionnaux le pôle Auftral de l'aymant peut tirer plus de fer que l'autre 3o2

�� � DE LA Philosophie.

��MI

��179. Comment s'arrengent les grains de la limure d'acier

��180

��181

��I»2

��i83,

184

i85 186.

.87

188

.89 190

��autour d'vn aymant 3o2

, Comment vne lame de fer jointe à l'vn des pôles de l'aymant empefche la vertu 304

Que cette mefme vertu ne peut eltre empefchée par l'interpofition d'aucun au- tre corps 11

Que la iîtuation de l'ay- mant, qui elt contraire à celle qu'il prend naturel- lement quand rien ne l'em- pel'che, lui olte peu à peu fa vertu 3o5

Que cette vertu peut aullî luy eltre oltée par le feu & diminuée par la rouille. . . » , Quelle eft l'attraiflion de lambre, du jayet, de la

cire, du verre, &c »

, Quelle ertlacaufe de cette attraclion dans le verre . . . 3o6

Que la mefme caufe fem- ble auffi auoir lieu en tou- tes les autres attrapions . . 307 . Qu'à l'exemple des chofes qui ont eflé expliquées on peut rendre raifon de tous les plus admirables etîecis qui font fur la terre 3o8

Quelles chofes doiuent encore eilre expliquées, afin que ce traité foit com- plet 309

Ce que c'eft que le fens, & en quelle façon nous fen-

tons 3io

, Combien il y a de diuers fens, & quels font les inté- rieurs, c'elt à dire les ap- pétits naturels & les paf- fions 3i I

��[91

��192. 193, 194 .95 .96

��198

��IQO

��200

��201

��202

��Des fens extérieurs ; & en premier lieu, de l'attou- chement 3l2

Du gouft 3i3

De l'odorat »

De l'ouye 3 14

De la veuë »

Comment on prouue que l'ame ne fent qu'en tant qu'elle elt dans le cerueau. »

Comment on prouue qu'elle eft de telle nature que le feul mouuement de quelque corps fuffit pour luy donner toute forte de

fentimens 3i5

, Qu'il n'y a rien dans les corps qui puiffe exciter en nous quelque fentiment, excepté le mouuement, la figure ou fituation, & gran- deur de leurs parties 3 16

Qu'il n'y a aucun phai- nomene en la nature qui ne foit compris en ce qui a efté expliqué en ce

Traitté 317

. Que ce Traitté ne con- tient aufTi aucuns Princi- pes qui n'ayent efté receus de tout temps de tout le monde; en forte que cette Philofophie n'ell pas nou- uelle, mais la plus an- cienne & la plus commune

qui puiffe eltre 3 18

, Qu'il elt certain que les corps fenlibles font com- pofez de parties infenli-

bles 3 19

, Que ces Principes ne s'ac- cordent pas mieux auec ceux de Democrite qu'a- uec ceux d'Ariftote ou des autres 3 20

�� � j^2 Table des Principes

203. Comment on peut parue- 2o5. Que neantmoins on a vne nir à la connoilTance des certitude morale que toutes figures, grandeurs & mou- les chofes de ce monde uemens des corps inl'en- lont telles, qu'il a elle icy fibles 32 1 dcmonilré qu'elles peu-

204. Que, touchant les chofes uent eftre 3. '3

que nos fens n'apperçoi- 206. Et mefme qu'on en a vne uent point, il fuffit d'ex- certitude plus que morale. 324 pliquer comme elles peu- 207. Mais que je foùmets tou- uent eftre : & que c'eft tout tes mes opinions au juge- ce qu'Ariftote a tafchc de ment des plus Sages & à faire , . 322 l'authoriié de l'Hglife .... 325

Note J 327

Note II 33o

�� � CORRECTIONS ET ADDITIONS

��MEDITATIONS

��Page lo, ligne

�26 : toutes

�i8, 1.'23

�les ténèbres

�29, 1. 3i

�en moy ;

�34, 1. 18

�chofes

�65,1. 29

�corps,

�49, 1. 22

�: une

�5o, 1. 12

�: &, derechef

�», 1. i5

�efprit :

�63.1. i5

�: objedivement

�68,1. II

�compozé

�75,1. i3

�Tefcole

�», 1. 29

�examiner, li

�78,1.9:

�fçavent

�», 1. 10

�auancé, comme

�», I. 27

�premièrement

�», 1. 3i

�Dieu

�», 1. 39

�conceu

�80, 1. 26

�: entre elles

�85, 1. 4 :

�pour ce

��», 1. 6 (remontant) : fouverainement 87, 1. 6 : efficiente

88, note a : tome VI

90, 1. 3 (remontant) : nécelTaire 93, 1. I : ni

106, 1. i3 : difant,

136,1.4: ilfefert;

168, 1. 7 (remontant) : un . . . un Œuvres. IV.

��a supprimer.

lire : toutes les ténèbres.

— en moy,

— chofe

— corps ;

— vne

— & derechef

— efprit ;

— objecliuemertt

— compofé

— l'efcole,

— examiner fi

— fçauent

— auancé comme

— premièrement,

— Dieu,

— conceu,

— entr'elles

— pource

— fouuerainc-meni

— efficiente,

— tome VII

— necelfaire

— ny

— difant

— il fe fert,

— vn. . . vn

76

�� � j^4 Corrections et Additions.

��Page 184,

'94. 198,

�1.6: 1. 26 : 1. 12 :

�àpxv laquelle, ne furent

�203,

�1. 3 :

�auroient

�206,

�1. 19:

�fçais

�207,

�1. 5:

�répétée,

�208,

�1. 12 :

�enfuite

�» ,

�1. 24 :

�jugement

�214,

�note a, 1. S

�^ : feci te

�216,

�note a, 1. '.

�? : p. 271 (n" 8

�224,

�1. 22 :

�sommes

�23 I,

�!. 10 :

�mai

�■■^47.

�1. 2 : 1. 3 :

�I VII

��lire : àpxv,v

— laquelle

— me furent

— auront

— fçay

— répété,

— en fuite

— iugement

— feci, te

— p. 271, n" 8,

— fommes

— mais

— V

— XI

��II PRINCIPES

��Page 6, ligne 2g : un lire : vn

12,1. i3: troifieme — troifiéme

3o, 1. 7 (remontant) : égaux » — égaux »,

», 1. 5 (id.) : sont — font

35, art. 24 : avoir — auoir

71,1.30: environne — enuironne

74, art. 20 : ou petits corps indiuifibles. en italiques.

78, 1. 5 : diverfes lire : diuerfes

83, art. 35 : Voir planche I, figure 3.

84, 1. 10 (remontant) : jours lors que lire ; jours, lors que 86, 1. 9 : a fe mouuoir — à fe mouuoir 90, 1. 4 : rejallit [sic) — rejalliroit

y3, art. 53 : est — eft

98, » 58-9 : Voir planche II, figure 3.

i3o, .. 54-5 : — 111.

i?7, note d : Les deux figures 4 et 5 de la planche VI ont été

complétées, conformément à cette note, par l'annotateur lui-même, au moyen de lignes tracées à la plume, comme on le voit sur la planche. Nous avons laissé subsister la repro- duction photographique d'une phrase ms. qui explique ces lignes.

�� � Corrections et Additions. } <) ^

Page 140-148, art. 71-82 : Voir planche VII.

��i5i, art. 86 :

�Idem.

�154, " 90 :

�Planche VIII, figure 2.

�i63, 1) 106-7 •

�IX, .. I.

�i65, " 109-110

�: » IX, .. I.

�167-8,1) II2-3 :

�IX, » I.

�175, » 123 :

�III.

�212, » 24 :

�» XIII, ligure i.

�219, » 35-6 :

�XIV.

�221, » 39 :

�Idem.

�225, note a :

�Cette lettre B a été ajoutée à la plume par Tanno

� �tateur de notre vieil exemplaire. Planche XV,

� �figure 3.

�226, art. 47 :

�prefTe lire : prefTé

�229, » 5i :

�Planche XVI.

�235, » 62-3 :

�» XV, figure 2.

�241, I. 9 :

�que lire : que (ital.)

�242, 1. 3 ^remontantl :fe — le (romain)

�244,1. 17 :

�l'ont — y font

�246, 1. 20 :

�du — de

�248,.!. 9 :

�attachées — atachées

�25o, 1. 27 :

�lors qu'on le renferme (romain)

�252, 1. 26 :

�mefme lire : mefme (ital.)

�» , note h :

�pièces traduction (?) de fragmenta [lat.]

�254. I. 7 (reniontani) : ces lire : fes

�257! 1. 5:

�les feparer ^ les en fcparer

�269, 1. 1 1 :

�fes — ces (?)

�272, note a :

�258 — i63

�» , note c :

�258 — 164-165

�273, 1. i5 :

�fes — ces

�283,1. 16 :

�ABCD — ACBI)

�285, art. i5o :

�Planche XIX, figure i.

�286, 1. 23 :

�pôle a lire : pôle a

�289, art. i55 :

�Planche XX, figure 2.

�3o2, 1. dernière :

�en lire : dans

�322, 1. av.-dern. :

�elle — elles

�328, 1. 19 :

�ft + <rl ^ + <■ A

�~" 2 J

�� � TABLE DES NOMS PROPRES

��MÉDITATIONS

��Académiciens : 103.

Alipius : i54.

Apollonius : 6, 211.

Archimède : 6, 19, 186, 189, 211.

Ariminensis : gg.

Aristote : 76, 84, 187, 192, 194.

Arnauld : i53, 170, 171, 173, 174,

176, 177, 179. 181-3, 187, 189,

191. Augustin (Saint) : 154, 160, 164.

i68-g, 170. B.\iLLET (Adrien) : v. Blaev (Joh.) : 100. BoECE : 78. BouRDiN (Le P.) : vi. Calvinistes : 148, 148. Camusat (Veuve) : xi, i, 245. Canadiens : gS. 120. Caterus : 73, 81. Ceberet : 245. Clerselier : vi-xi, 2, i5i, 199, 200,

202, 244. Concile de Latran : 5, 218, 228.

Trente : 194. Damasciîne (Saint) : 77. Dams : 75. Denis (Saint) : 74. DiNET (Le P.) : vi, xiii.

��Ecclésiaste ; 220, 231.

Ecritures {Saintes) : 4, 5, gg, 112,

120, 220-1, 231-2. EucLiDE : 210. Evodius : 154. Fedé (René) : v, ix, xv, i, 9. Gabriel : gg.

Gassend : VII, 198-231, 202, 244. Genèse : 235. (HoBBES) : i33. Hurons : gê. Jean (Saint) : 231. Le Gras : xiii. Léon X : 5. Le Petit : xi, i, 245. Luynes (Duc de) : viii-xi, 2, 3, 200. Maître des Sentences : 230. Mersenne : 96", 102, i53, 170. Œdipus : 75. Pappus : 6.

Paul (Saint) : 5, 220, 231. Péripatéticiens : i38, 234. Pharaon : gg, 112. Picot (Abbé) : x. Platon : i32.

Platoniciens : i58, 218, 228. Prophètes : gg, 112. Pythagore : 228.

��a. Les chiffres gras se rapportent au texte de Descartes, en italiques à celui des auteurs d'objections, et en arabe ordinaire aux notes et docu- ments du même genre. — Les noms en italiques sont des noms de sectes ou de peuplades, ou de personnages des auteurs sacrés ou profanes, etc

�� � î!8

��Table des Noms propres.

��Salomon : 231-2. Sceptiques : 103. Scolastiques : gg. ScoT : 80, 94.

SOCRATE : l5l.

��SoLY (Michel) ; iy8.

Sorbonne : 1, 4, 7, 198.

Su.\REZ : y6, 182.

Thomas (Saint) : 76-g, 84, 90-1.

Turcs : too, 116, 120.

��PRINCIPES

��Adam et Eve : 124.

Alchimistes : 235.

André Martin : xii.

Aristote : 5, 6, 7, 18, 191, 318.

320, 322, 323, 347. Baillet (Adrien) : xv. Beaomont (Anne-Joseph de) : xii. burman : xviii. Cedren : 161.

CLERSELfER : VII, XIII, Xiy, XVI. XVII, XVIII, 12 1.

Copernic : 109, 119, 120, 334, 335.

DÉMOCRiTE : 320, 347.

Egyptiens : 191.

Elisabeth : m, i, 21, 327.

Epicuke : 6.

Frédéric (roi de Bohême) : 21.

Gilbert : 295.

Grâces : 23.

Grassius (Horaiius) : 179.

Hipparque : 1 19.

HoYGENs : 86.

Le Gras : m.

Legrand : X, XI, xii. xiii, xiv, xv, xvi,

64, 70, 76, 78,. 87, 121, 216, 247,

25o, 262. Luynes (Duc de) : vu.

��Minerve : 23.

Muses : 23.

ozanam : xiii-xvi.

Paracelse : 235.

Picot : vu, vin, ix. x, xv, xvi. xvii.

xviii, xx, i. Platon : 5. Pline : 161. Plutarque : 161. Pollot : XI, XII.

PONTANUS : 179.

Ptolémée : 108, my, 119, 334.

Reciomontanus : 179, 181.

Regius : 19, 262.

rohault : xii.

Sarsios (Lotharius) : voir Grassius.

Scheiner : 118.

SoCRATE : 5.

Stoiques : 311.

Tertullien : 161.

Tycho-Brahé : 109, 110, 119, ISO,

122, 334, 335. Virgile : 161. Voet : 19. Wendehn : 1 19. XiPHiLiN : 161.

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Achevé d’imprimer
par LÉOPOLD CERF
12, rue Sainte-Anne, à Paris
le 31 décembre 1904


i Planche iime Planche


iiime Planche iiiime Planche


xvme Planche xvime Planche


xviime Planche xviiime Planche


xixme Planche

  1. En 1645, lorsqu’il se décida à laisser imprimer une traduction de ses Méditations, Descartes, réconcilié avec le P. Bourdin, ne pouvait désirer ce complément. Au reste, à ce moment, comme on va le voir, Clerselier était loin d’avoir terminé sa version du texte de la première édition latine.
  2. Voir ci-après, p. 200, I. 5. — C’est sans doute ce qui a fait dire à René Fédé, dans la Préface de la troisième édition, en 1673 : « La Traduction eſt la meſme qui a paru iuſques-icy ; elle a eſté fort approuuée, & il ſeroit malaiſé d’en donner vne meilleure & vne plus fidelle. Il ſuffit d’aduertir, pour en faire porter vn iugement auantageux, qu’elle a eſté veuë par Monſieur Des-Cartes, & qu'elle eſt preſque toute de Monſieur Clerſelier. » En fait, l’édition de 1673 n’apporte que de très légers changements au texte de la seconde.
  3. Avis imprimé, sans pagination, dans la première édition (1647) et dans la seconde (1661). Il est remplacé dans la troisième (1673) par une note « Au Lecteur » du nouvel éditeur, René Fédé. Dans la première édition, cet Avis se trouve aussitôt après l'Epistre aux « Doyen et Docteurs » de la Faculté de Théologie de Paris. Dans la seconde, il ne vient qu'au troisième rang, après la même Epistre et la Préface de l'Auteur au Lecteur. — La première édition ayant été publiée « A Paris, chez la Veuue Jean Camusat, et Pierre Le Petit, Imprimeur ordinaire du Roy », le « Libraire » qui s'adresse ici « au Lecteur » est sans doute Pierre Le Petit.
  4. Louis Charles d'Albert Duc de Luynes.
  5. Claude Clerselier.
  6. Cette Epistre, placée en tète du volume dans les trois premières éditions, n'est point paginée. Les numéros en marge, entre parenthèses, indiquent les pages de la première édition. Les numéros en haut des pages renvoient à celles du texte latin (t. VII-de cette édition) ; les lignes verticales, d'un trait plus fort, correspondent à ces dernières.
  7. Non à la ligne.
  8. Idem.
  9. Non à la ligne.
  10. Non à la ligne.
  11. Effort, sic (1rt, 2e et 3e édit.). Lire : effect ?
  12. Non à la ligne
  13. La traduction française de la Prœfatio de Descartes (t. VII, p. 7-11) manque dans la première édition; nous ne la publions donc pas, pour les raisons données dans notre Introduction. Cette traduction ne se trouve que dans la seconde édition, sous ce titre : Preface de l'Autheur au Lecteur, entre l' Epistre à la Sorbonne (ci-avant, p. 4-8) et l'Avis intitulé : Le Libraire au Lecteur (p. 1-3). Dans la troisième édition, elle vient également après l'Epistre et avant le nouvel avis Au Lecteur (voir p. 1, note).
  14. La pagination ne commence, dans la première édition, qu'avec cet Abrégé, qui est la traduction française de la Synopsis (t. VII, p. 12-16). Il figure à la fois dans la première édition et dans la seconde, mais disparaît de la troisième, où il est remplacé par une Table des Articles des Méditations Metaphisiques, œuvre du nouvel éditeur R. F. (René Fédé).
  15. C'est-à-dire de Descartes lui-même.
  16. Imprimé seulement dans la première édition (1647), aussitôt après les Réponſes aux quatriémes Objections, et à la place des Cinquiémes Objections, lesquelles sont rejetées après les Sixiémes (p. 342-391) et forment la dernière partie du volume (p. 397-591).
  17. L'édition latine de 1641, à Paris, chez Michel Soly.
  18. Objectiones quintæ Petri Gaſſendi Dinienſis Eccleſiæ Præpoſiti & acutiſſimi Philoſophi. a pag. 355 ad 492. — Reſponſiones, a pag. 493 ad 551 (1re édit.)
  19. Petri Gassendi Diſquiſitio Metaphyſica, ſeu Dubitationes et Inſtantiæ, adverſus Renati Carteſii Metaphyſicam et Reſponſa (Amſterodami, apud Iohannem Blaev, CIↃ IↃ CXLIV ; in-4, pp. 319, plus une réimpression des Meditationes de Descartes, avec une pagination à part, pp. 48).
  20. Abréviation de « Clerselier ».
  21. Non à la ligne (1re édit.).
  22. Non à la ligne (1re édit.).
  23. Viennent ensuite, dans l’édition de 1647, les pièces suivantes : 1° Avertissement du Tradvcteur, touchant les cinquiémes Objections faites par Monſieur Gaſſendy, p. 393-396 ; 2° Cinquiémes Objections, faites par Monſieur Gaſſendy, p. 397-535 ; 3° Réponses de l’Avteur aux cinquiémes Objections faites par Monſieur Gaſſendi, p. 537-591 ; 4° Lettre de Monsieur Des-Cartes a Monsieur C. L. R., ſeruant de réponſe à vn recueil des principales inſtances faites par Monſieur Gaſſendi contre les precedentes Réponſes, p. 593-606. — Nous avons réimprimé la première de ces quatre pièces, p. 200-201 ci-avant, ainsi que la quatrième, p. 202-217. Nous avons donné, dans la Préface, les raisons pour lesquelles nous n’avons pas cru devoir insérer dans ce volume les pièces deuxième et troisième.
  24. Voici cette note, insérée dans l'édition de 1647, à la suite de la table des matières (laquelle est d'ailleurs placée en tête, entre la Préface et le texte des Principes).

    « Table des Figures qui ſeruent à ce Liure.

    « Si on auoit pu trouuer dans Paris quelque artiſan qui euſt ſceu grauer en bois, l'Imprimeur auroit mis chaque figure en l'article où eile doit ſeruir, ce qui auroit eſté ſans doute beaucoup mieux que de les mettre toutes à la fin où on a eſté contraint de les placer ; d'autant qu'vne meſme figure ſeruant en pluſieurs endroits, il auroit fallu l'imprimer pluſieurs fois, & le Liure auroit eſté trop gros & tres-difficile à relier. Je n'ay eſté aduerty de cet inconuenient que lors que l'Impreſſion a eſté preſque acheuée, car j'auois touſ-jours fait eſtat qu'on mettroit les figures entre les pages du Liure en tous les endroits où il en ſeroit beſoin. C'eſt pour-quoy je vous aduertis que vous ne vous arreſtiez point aux renuoys qui ont eſté mis à la marge, & ſi en liſant quelque article vous auez peine à choiſir la figure qui ſert à l'expliquer, vous en ſerez ſoulagez par cette Table. »

    Suit une longue liste des articles de la seconde, de la troisième, et de la quatrième partie, avec l'indication des planches et des figures, en regard de chacun.

  25. Voir, au volume Discours et Essais, p. 539.
  26. Voir, à la première partie du présent volume, p. 3, I. 11-44.
  27. Voir, au volume Discours de la Méthode, etc., p. 34, I. 26-27.
  28. Première partie de ce volume, p. 3, I. 4-5 et I. 7-9.
  29. Voici ces notes manuscrites :
    « I'ay preſté a Mr de Braquen la Methode de Mr des Cartes le 9 Nov 1651.
    « I'ay preſté l'Ariſtote à Mr Friſon.
    « I'ay preſté St Bernard à Mr Hinſelin. »
    (Ces trois lignes barrées de traits transversaux). . .
    « Tanto magis aliquid eſt perfectius, quanto magis ſuæ perfectioni ſubiicitur, ſicut corpus animæ, aer luci (creatura creatori). Domine quia ego ſeruus tuus ſum. »
    Suit l'indication, d'ailleurs barrée, de divers articles des parties 3e, 4e et 2e des Principes.

    Ensuite un titre d'ouvrage, et deux indications :
    « Concordia præcipuorum myſteriorum fidei cum præcipuis materiis philoſophiæ. Authore Thoma Bonarte Anglo. Coloniæ Agripp. »
    « Philoſophia Carteſiana non contradicit ſacræ Scriptura » (ligne barrée).
    « Mr le Prat. 5l à l'Impr. pour tirer 750 feuilles in-4o du gros Romain. »
    « Duval excellent graueur en bois. Deuant la porte du College de Reims. »

    Une adresse intéressante :
    « Pour eſcrire a Mr Pollot, faut porter les lettres a Mr Sarazin
  30. L’Abbé Claude Picot, Prieur du Rouvre. — Voir Correspondance, t. IV, p. 147, 175, 181, 222 ; t. V, p. 66. Cf. ibidem, t. V, p. 78-79.
  31. Dans l’édition princeps de 1647, cette Lettre n’est imprimée qu’après l’Epître à la princesse Elizabeth, traduite du latin, et placée en tête. Ni l’Epître ni la Lettre ne sont paginées. — Voir aussi, pour cette Lettre, t. V, p. 111-112.
  32. Partie I, art. 4, p. 26.