Cours d’agriculture (Rozier)/TAILLE DES ARBRES

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Hôtel Serpente (Tome neuvièmep. 344-370).


TAILLE DES ARBRES. C’est l’art de les disposer & de les conduire pour en retirer ou plus d’utilité ou plus d’agrémens. Il ne sera question dans cet article que de la taille des seuls arbres fruitiers. On suppose que leurs feuilles sont tombées, que le bois est bien aoûté ; enfin, qu’on va commencer la taille d’hiver. Successivement nous indiquerons les soins que les arbres exigent depuis une taille d’hiver jusqu’à l’autre.


CHAPITRE PREMIER.

Des préparatifs de la taille.

L’habitude des jardiniers est de penser à ce qu’ils ont besoin, au seul moment où le besoin est urgent. Que de perte de temps, que de courses inutiles du jardin à la maison, le tout pour n’avoir prévu dès la veille ou en commençant la journée, de quelles espèces d’outils ils se serviront. Combien de fois ne faut-il pas envoyer à la ville voisine, chercher ce qui manque, & suspendre toute opération ? Un maître vigilant, accoutume, peu-à-peu, ses ouvriers à avoir de la prévoyance ; lorsqu’ils n’en ont pas, un moyen réussit à leur en procurer, c’est de faire chercher, pendant le temps du repas ou du repos, à celui qui oublie les outils qui manquent ou qu’il n’a pas indiqués. Les plaisanteries de ses camarades deviendront une bonne leçon pour lui, & elle sera utile à tous les autres.

Les premiers soins consistent a rassembler, 1°. des fils de fer, en proportion même plus forte que celle préjugée nécessaire, soit poux remplacer ceux qui sont brisés, soit pour les additions que l’on veut faire. 2°. De gros clous qui serviront à les fixer. 3°. Des morceaux de bois de trois ou quatre pouces de longueur, que l’on enfonce dans la maçonnerie lorsque le joint des pierres est trop large, & ne retient pas le clou dans la place qui lui convient. 4°. Un nombre considérable d’alaise, ou petites baguettes, que l’on assujettit par les deux bouts sur les fils de fer, & sur lesquels on attache les branches. 5°. Des échallas de moyenne grosseur, destinés à fixer les fortes branches. 6°. Un marteau et des tenailles. 7°. Des osiers gros & petits, & mis tremper depuis quelques jours, afin de conserver leur souplesse. 8°. Une forte provision d’onguent de Saint-Fiacre, afin que chaque plaie faite à l’arbre, reste le moins de temps possible exposé à l’impression de l’air. 9°. Un nombre de cerceaux de toute grandeur, & proportionné à la quantité d’arbres en gobelets ou en buissons, qu’on doit tailler. 10°. Des serpettes et serpillons, une scie à couteau ou passe-partout, une scie en archet & plus forte. 11*. Deux ou trois ciseaux a bois, de différente largeur, bien affûtés, et un petit maillet en bois, 12°. De la paille longue ou des chiffons en laine, à placer autour de la branche, lorsqu’il s’agit de quelque forte ligature. 13°. Enfin des échelles de différentes longueurs.

Les jardiniers des environs de Paris, qui ne connoissent que les murs élevés en plâtre, & sur lesquels ils fixent des clous à volonté, seront sans doute étonnés de ce qu’on leur parle de fils de fer & d’alaise, même pour la taille d’hiver. Leur usage devient indispensable dans plus des trois quarts du royaume, où les murs sont construits en grosses pierres, avec chaux & sable, & dans lesquels on ne fixe pas un clou par-tout où on le désire, puisque souvent on trouve à cette place une grosse pierre qu’il ne sauroit pénétrer.

Les fils de fer doivent être placés rang par rang à 18 pouces de distance, & de toise en toise, autant que faire se peut, assujettis contre le mur avec un fort gros clou. Il convient que le fil de fer soit très-tirant. On le rendra souple & il se prêtera à toutes sortes de plis, si on a eu la précaution de le faire rougir, soit dans un four, soit peu à peu. S’il étoit trop cuit, il perdroit de son nerf. Il suffit qu’entre lui & le mur, il ne règne qu’un petit espace, c’est-à-dire, l’espace nécessaire pour y passer les osiers destinés à assujettir les alaises par-tout où besoin sera. On ne doit pas craindre de les multiplier, parce qu’elles facilitent singulièrement la bonne disposition des mères branches, & celle des bourgeons à mesure qu’ils se développent.

Une fois les fils de fer fixés contre le mur, on lie sur eux, avec des osiers, les alaises par-tout où elles les touchent, & leur grosseur est proportionnée à l’effort qu’elles doivent supporter.

Avant de placer les alaises, il est essentiel de couper généralement toutes les ligatures des branches & des bourgeons, faites l’année précédente. Cependant, si on craignoit qu’une branche trop longue & trop foible ne succombât sous son poids, on lui laisseroit le nombre de ligatures suffisantes, & jusqu’à nouvel ordre, c’est-à-dire, jusqu’au moment de l’assujettir lors de la taille générale.

Les jardiniers ordinaires ne sentent pas l’importance de couper toutes les anciennes ligatures, & surtout ceux qui prennent à prix fait la taille des arbres d’un jardin : ils trouvent leur travail très-diminué, & c’est autant de journées gagnées pour eux. Ils devroient observer que sur les arbres vigoureux, les mères-branches, celles du second & du troisième ordre, acquièrent beaucoup de volume, & que même, dans la première année, si on n’y veille de près, les ligatures compriment l’écorce, souvent s’y implantent, enfin causent un bourlet, (consultez ce mot) qui nuit beaucoup, sur-tout au mouvement descendant de la sève pendant la nuit. (Consultez ce mot) Que l’on juge donc du malaise qu’éprouvera toute cette partie de L’arbre, si la même ligature est conservée pendant l’année suivante. La véritable destination des ligatures est de maintenir les branches & les bourgeons, dans la position qui est jugée la plus convenable, & non pas de les étrangler.

Comme la saison d’hiver est celle où les jardiniers sont les moins occupés, d’ailleurs, comme les arbres sont dépouillés de leurs feuilles, on voit bien mieux ce que l’on fait que lorsqu’ils sont parés de leur verdure ; il convient donc de profiter de la circonstance, afin de placer autant d’alaises qu’il en faudra pour la taille & pour le pallissage. Si elles sont mises avec ordre, ce quadrillage multiplié sera agréable à la vue, si l’ouvrier conserve entre chaque alaise un espace proportionné.

Ce qu’on vient de dire des mors construits en pierres dures, chaux & sable, s’applique également à ceux de pisai ; (consultez ce mot) quoiqu’il fût aussi facile d’y planter des clous à loque que dans ceux en plâtre ; mais il est essentiel, pour leur conservation, de ménager l’enduit ou couche de mortier de sable & chaux, qui recouvre toute leur surface ; si on y multiplioit les cloux comme dans les murs à loque, cet enduit ne subsisteroit pas long-temps ; il est indispensable de se servir de fils de fer & de gros clous d’alaises. C’est ici que les coins en bois dont on a parlé, deviennent plus nécessaires, attendu que la terre seule du mur n’assujettit pas assez les murs.

Dans les cantons où les murs sont en plâtre, des clous & des loques, (consultez ce mot) suffisent ; & lorsqu’à la fin, ces murs sont criblés de trous, on fait très-bien de les recouvrir par un enduit général en plâtre.

Tout est disposé pour la taille : il s’agit d’y procéder.


CHAPITRE II.

De la taille d’hiver.

I. Époque de la taille. L’opinion des jardiniers est partagée sur l’époque à laquelle on doit commencer à tailler. Les uns disent que lors de la chute des feuilles, le bois est assez aoûté ; les autres attendent que le temps des fortes gelées soit passé, parce que le froid, l’eau des pluies, des neiges qui se glace sur des coupures nouvellement faites y endommage le bois & l’écorce, ce qui empêche que la plaie ne cicatrise. Je trouve un grand avantage a suivre la première opinion. 1°. Quoiqu’on ait près de quatre mois devant soi (suivant le climat), on n’a jamais trop de tems pour bien faire, sur-tout lorsqu’on a beaucoup d’arbres a tailler.

J’aime beaucoup mieux un ouvrage terminé, qu’un ouvrage à faire. Il est sage de prendre des avances, sur-tout dans la saison morte, afin de n’être pas forcé à travailler à la hâte sur la fin de l’hiver. Tous les travaux des saisons suivantes se sentiront de ce retard, & tout s’exécutera avec précipitation ; dès lors tout sera mal fait. Il convient, autant qu’on le peut, de profiter de la fin de novembre & du mois de décembre, parce qu’une fois que la neige, le givre ou la glace couvrent les arbres, ce n’est pas le cas de tailler. Souvent on est trompé par la précocité de l’hiver ou par sa durée : il est donc prudent de se hâter de profiter du temps, dès qu’aucune circonstance majeure ne s’y oppose. Le grand hiver de 1788 à 1789 m’a prouvé démonstrativement que l’opinion des jardiniers en faveur de la taille tardive, porte une donnée fausse. J’avois taillé la majeure partie de mes arbres avant le 10 novembre 1788, & aucun œil n’a été endommagé, quoiqu’on ait éprouvé à Lyon jusqu’à 17 degrés de froid, & quoique le jour de noël nous ayons éprouve une espèce de dégel, accompagné le lendemain d’une forte gelée. C’est à ce dégel & à ce gel subit, ainsi qu’à des givres épais & long-temps soutenus, que j’attribue les tristes effets du froid, sur les plançons et les nouvelles pousses des arbres greffés l’année précédente. La moelle des jeunes pêchers étoit devenue noire, ainsi que celle des plançons des poiriers. Ces arbres levés de la pépinière, & plantés dans le mois de mars suivant, ont en partie péri pendant la première année, & presqu’aucune n’a subsisté après la seconde. Je rapporte ce fait, afin que l’on juge de la différence dans les effets du froid ou sur les jeunes arbres, ou sur ceux plantés depuis long-temps. Les bourgeons, dira-t-on, des arbres anciens ressemblent aux pousses des arbres en pépinière. Je nie l’assertion : il est de règle que le sujet greffé en pépinière, fasse sa tige dans la première année, autrement l’arbre est presque de rebut ; tout l’effort des racines & de la greffe, s’est porté sur un jet unique, tandis que sur l’arbre ancien, il s’est divisé sur un très-grand nombre. Dans le jet de la greffe, on distingue difficilement le foible du fort, (consultez l’article sève) parce que le jet est presque tout d’une venue ; tandis que sur le bourgeon du vieux arbre, on voit sans peine l’effet, & de la sève du printems, & de la sève du mois d’août. Avant la seconde reprise de la sève, la première pousse a eu le temps de s’aoûter, pendant la stase qui a eu lieu avant la poussée du mois d’août. C’est précisément dans ce point de séparation, qu’on a établi la taille d’hiver, en supprimant toute la partie poussée par la sève du mois d’août ; donc on avoit taillé sur un bois fait donc il ne craignait plus les effets de la gelée. Le jardinier au contraire qui a taillé sur le bois nouveau d’août, a vu les bourgeons endommagés : cela devoit arriver ; leur bois ressembloit à celui des plants de pépinière qu’on a pris pour exemple.

L’objection tirée des plaies faites aux bourgeons, & de leur difficulté ; de cicatriser, n’est pas plus concluants. Un petit soin remédie à tout. Aussitôt qu’on a fini de tailler un arbre & de le pallisser, il faut couvrir toutes les plaies, grandes ou petites, avec l’onguent de Saint-Fiacre, mettre la plaie à l’abri du contact de l’air, & on ne craindra plus les effets de la neige, du givre, ni du froid. Ce qui m’est arrivé dans le cruel hiver dont il est question, me fournit une preuve sans réplique ; mes vignes mêmes ne furent pas endommagées. C’est donc la faute de celui qui taille, si les arbres ont souffert j’ajouterai encore si avant l’hiver il n’a pas dépouillé les troncs de ses vieux arbres des vieilles écorces qui se lèvent par écailles. C’est sous les écailles que se rassemble l’eau des pluies, des neiges ; le froid survient & le tronc se trouve enveloppé d’un manteau de glace. On n’a pas à craindre la même chose sur les bourgeons pendant les trois premières années, parce que leur écorce est lisse.

2.Étude de l’arbre. Que l’on appelle chez soi ces tailleurs d’arbres de profession, & qui, dans les environs des grandes villes, voltigent d|un jardin a un autre la serpette à la main, ils commencent par donner un nom à un arbre, bien ou mal appliqué, n’importe ; ensuite, prenant une des extrémités de l’arbre, la serpette travaille & de ça & de la. Certes, ce n’est pas travailler, c’est massacrer l’ouvrage.

Le premier soin est d’étudier tellement l’arbre dans son ensemble & dans toutes ses parties, que même en fermant les yeux, on ait dans son esprit, une image nette de tous ses détails, de toutes ses branches, de tous ses bourgeons. C’est au milieu de cette méditation, & sans regarder l’arbre, que le jardinier instruit se dit ; je dois couper telle & telle branche ; celle-çi est au-dessus de son angle naturel ; & celle-la trop basse, demande à être relevée. Ici, voila un vuide à remplir ; mais un bon œil laissé sur ce bourgeon, deviendra un tirant dans le cours de l’année prochaine ; ce tirant bouchera le vuide & remplacera cette vieille branche. De temps en temps il ouvre les yeux ou se retourne du côté de l’arbre, ou pour examiner ce qui n’est pas suffisamment gravé dans sa mémoire, ou pour juger si effectivement ce que sa mémoire lui a présenté, est conforme avec ce qui existe sur l’arbre. Travailler ainsi, c’est ce qu’on appelle savoir perdre du temps à propos, ou plutôt jamais le temps n’a été mieux employé.

Lorsque le jardinier sait son arbre par cœur, s’il est permis de s’exprimer ainsi, il commence par placer ses quatre mères-branches ; ensuite, venant à une des deux extrémités de l’arbre, il dispose les branches du second ordre, ensuite du troisième ; enfin il fixe ce qu’il laisse des bourgeons ; mais à mesure qu’il assujettit chacune de ses parties, il supprime tous les chicots, les onglets, les bois morts, (consultez, ces mots) & il rase & unit tellement la plaie, qu’en passant le doigt dessus, il ne sent aucune aspérité, aucune proéminence, aucun bourrelet. Si sous ces chicots, ces onglets, il trouve du bois mort, des parties chancreuses, il creuse jusqu’au vif, ménage avec soin l’écorce, parce que c’est la seule partie qui se régénère & qui soit capable de remplir le vuide. Elle est à l’arbre, ce que la peau est à la chair de l’homme & des animaux ; c’est la seule qui se régénère. Le creux ou vuide est aussitôt bouché avec l’onguent de Saint-Fiacre. Les chicots & onglets doivent leur origine à la mauvaise coupe & à l’ignorance du jardinier. Les chancres sont très-multjpliés sur les arbres a noyaux, & ils y sont occasionnés, sur-tout, par le séjour de la gomme. Ce n’est qu’a la longue que les onglets & les chicots produisent la pourriture du bois intérieur ; & ils la produisent infailliblement, si on les conserve pendant deux ou trois ans.

Le jardinier arrive progressivement d’une des extrémités de l’arbre jusqu’au milieu ; & il sait que cette partie du milieu, quoique vuide dans le moment, se garnira assez par la poussée des nouveaux bourgeons. Cependant, si le vuide étoit trop considérable, ce qu’il aura prévu en étudiant son arbre, il détournera quelques bourgeons de l’année précédente, & après les avoir taillés un peu court, ou très-court suivant le besoin, il les inclinera sur un angle convenable contre ce milieu. Plus le bourgeon sera taillé court, & plus, au printems suivant, les jets seront forts & vigoureux. Il répète sur l’autre aile de l’arbre, ce qu’il a fait sur la première, en commençant toujours par l’extrémité. Le grand art consiste à ne pas multiplier le gros bois, & a bien juger de la quantité des bourgeons qui pousseront au printems suivant, afin que lors du palissage, tous puissent être placés convenablement & sans confusion, en ne supprimant que ceux qui poussent sur le devant de la branche ou entre la branche & le mur. Le vrai jardinier sait que chaque branche palissée suivant les règles, doit représenter un arbre entier, c’est-à-dire, que considéré isolément, c’est un arbre en diminutif. Mais cette manière de tailler suppose que le cultivateur connoît les vrais principes de la taille, & sait les modifier & en faire une juste application. Que l’on ne se trompe pas ; sur la multitude d’arbres d’un jardin, deux ne se ressemblent pas au point que leur taille soit la même, quoiqu’ils soient supposés, depuis l’enfante, conduits d’après les mêmes principes. Il faut donc de toute nécessité les modifier suivant le besoin, & la beauté. L’élégance & même la durée d’un arbre, dépendent de la main du jardinier, à moins que des causes extérieures, telles qui les insectes, le ver du hanneton, le taupe-grillon, la grêle, une gelée printanière, un coup de vent, de soleil, &c. ne contrarient ses soins & son savoir.

3. Principes de la taille. Ils sont donc bien difficiles, ces principes, puisque chaque jardinier a les siens, puisque dans chaque province ils varient ? Pas un seul jardinier n’approuve la taille ce son voisin, pas un ne reconnoît un artiste supérieur à lui. À qui faut-il donc en croire ? quelle méthode suivre pour tailler, & quelle est la meilleure ? Si on prenoit la peine d’étudier le grand livre de la nature, on verroit, si on étoit de bonne foi, qu’elle en sait plus que nous, enfin que le chef-d’œuvre de l’art est de l’imiter. Si nous parvenons à connoître d’après quelles lois elle dispose & dirige la végétation de tel ou tel arbre, nous serons alors de véritables cultivateurs. Essayons, par un exemple, de fixer l’attention du lecteur. Le poirier en général va servir de modèle ; je dis en général, parce que des espèces s’écartent plus ou moins de la loi générale. Le poirier de blanquette, malgré son âge, conserve ses branches droites & serrées les unes contre les autres. Le bon chrétien d’été les écarte trop : il en est ainsi de l’angélique de Bordeaux, & de quelques autres. Le blanquet pousse des bourgeons courts, leurs feuilles sont rassemblées en bouquet ; le bon chrétien, l’angélique de Bordeaux, poussent des bourgeons fluets, que l’on est forcés de conserver en grande partie, parce qu’ils donnent le plus souvent leurs fruits à l’extrémité. Ce sont donc des causes particulières qui concourent à la soustraction de la loi générale, qui, malgré cette exception, ne cesse pas d’être générale.

Je vois un poirier isolé & greffé à œil dormant à la sève du mois d’août précédent. La greffe se développe & suit la direction de B en A, fig. 4, planche XIII, page 350. Je ne parle pas de la petite courbure qui a lieu à la sortie du jet de la greffe ; elle se dissipe peu à peu, ensuite au point que le jet ne forme plus avec le tronc qu’un tout en ligne droite. Cette tige, à mesure qu’elle s’élève, pousse des feuilles ; chaque feuille devient la nourrice d’un bouton placé à la base de son pétiole ou queue. (Consultez ce mot) L’année suivante & au printems, ces boutons pousseront, & ils décriront, en s’élevant avec le tronc A B, un angle de dix degrés AC[1]. Ce qui est arrive cette année à la tige A B, arrivera l’année d’après aux bourgeons qui se développeront sur la tige B C, & ainsi de suite, jusqu’à l’angle G de quarante-cinq degrés, relativement à la première tige A B. Chaque branche, chaque bourgeon, chaque feuille, demande à jouir de la lumière du soleil, des bienfaits de l’air ; mais si tous les nouveaux bourgeons avoient conservés, entre eux, l’angle de dix degrés, il est clair qu’il y auroit confusion entre ceux des tiges A C D E, &c. &c., & leur majeure partie seroit privée de la lumière, de l’influence de l’air & des effets météoriques. Mais la branche C, trop voisine des bourgeons de la tige, s’écarte en D ; le D en E, & ainsi de suite, & petit à petit, jusqu’en G, ou angle de quarante-cinq degrés ; parce que, sous cet angle, tous les bourgeons trouvent à se placer d’un côté & d’un autre, à respirer & à jouir de la lumière. Voilà donc la circonférence de la tête de l’arbre garnie d’autant de bourgeons & de feuilles qu’elle peut en contenir : alors, presque tous les boutons, feuilles & bourgeons, à mesure qu’on s’approche du centre, périssent petit à petit, parce que les feuilles de la circonférence leur intercepte l’air & leur dérobe la lumière : mais faites une trouée dans cette circonférence, c’est-à-dire, coupez le sommet, d’une ou de deux branches, vous verrez bientôt paroître des bourgeons dans l’intérieur, & ces bourgeons venir occuper la place vide. C’est pour chercher l’air & la lumière, que les branches inférieures des châtaigniers, des noyers, &c. pendent presque jusqu’à terre, & que l’intérieur de ces arbres est entièrement dégarni.

La nature m’apprend encore que jusqu’à ce que ce que la totalité des branches, relativement les unes aux autres, soit parvenue à l’angle de quarante-cinq degrés, la sève s’emporte, monte avec force au sommet des tiges, & ce sommet est garni de bourgeons vigoureux qu’on peut avec raison nommer ici gourmands, puisqu’ils attirent à eux toute la sève. C’est d’après ce mécanisme que s’élève l’arbre à plein vent, qu’il s’élance, qu’il ne pousse plus de bourgeons ni de feuilles au bas de ses branches, & que toute la sève se porte à son sommet. Voilà l’arbre dans sa plus grande vigueur ; le voilà en état de dire à chacune de ses branches : votre sève est modérée par une égale distribution ; la preuve en est que vous pousserez sur les deux côtés, des bourgeons dont la direction, relativement à la vôtre, sera à l’angle de quarante-cinq degrés. Il y a donc un accord parfait entre toutes vos parties.

Bientôt la longueur des branches augmentera leur poids ; plus les feuilles & les fruits, seront placés à l’extrémité du levier, plus ils acquerront de pesanteur. La pluie, la neige concourent à augmenter le poids, & petit à petit les branches s’inclinent au-dessous de l’angle de quarante-cinq degrés ; l’arbre commence à perdre de sa vigueur : à cinquante degrés, elle diminue ; à soixante-cinq, il est vieux : enfin, lorsque toutes les branches sont parallèles entre elles, c’est-à-dire, à quatre-vingt-dix degrés, l’arbre est décrépit. Qui ne voit dans la progression des forces de l’arbre, dans son état de perfection, & dans sa détérioration, une concordance exacte avec le cours de la vie humaine !

De cet exemple, considéré en grand, & que la nature offre à chaque pas, dérivent d’eux-mêmes les principes généraux de la taille des arbres nains. Les besoins & l’agrément que l’homme cherche à se procurer, l’ont engagé à modérer la poussée des arbres, & à les réduire sous l’empire d’une seconde loi qui les assujettit à l esclavage ; mais si leur despote ne sait pas user de son autorité absolue, ils tendront sans cesse à recouvrer leurs premiers droits : de nains qu’ils étoient, ils redeviendront arbres à plein vent, & oublieront leur servitude. Si le joug est trop dur, ils périront peu à peu, & leur maître impérieux sera forcé de les remplacer par de nouveaux. Si au contraire le jardinier est instruit, ces arbres nains resteront sans peine dans leur état nain, & le récompenseront largement des soins qu’il leur aura prodigués. Venons a l’application.

Je suppose parler à un homme qui n’a pas les premières notions de la taille des arbres, ou à un jardinier qui convient de bonne foi, chose fort rare, que sa méthode est mauvaise, & qui cherche à s’instruire. La forme du dialogue paroît à leur portée.

D. Qu’entendez-vous par tailler un arbre ?

R. Comme dans ce moment il ne s’agit que de la taille des nains, c’est en général supprimer les branches inutiles, & raccourcir les bourgeons.

D. Quels sont les principes de la taille ?

R. Ils se réduisent à quatre ; 1°. supprimer tout canal direct ; 2°. fixer les deux mères-branches principales à l’angle de quarante-cinq degrés, & les deux inférieures à l’angle de soixante-cinq degrés ; 3°. maintenir l’équilibre & la proportion des branches dans les deux côtes ou ailes de l’arbre ; 4°. de tailler du fort au foible.

1°. D. Qu’appelez-vous canal direct ?

R. Consultez la figure 4 de La planche XIII. J’appelle la ligne qui part de A en B, le canal direct, parce que la sève ne trouve aucun obstacle à son cours, depuis les racines jusqu’au sommet. Le canal direct est la ligne perpendiculaire qui part du sommet A, & qui repose sur la ligne horisontale ou parallèle à l’horizon NN, où l’on suppose la naissance des tiges sur le tronc. La superficie plate du sol dans lequel l’arbre est planté, est la vraie ligne horisontale ; mais comme dans la gravure il étoit nécessaire de faire voir le tronc de l’arbre, on l’a placé plus haut que le sol, ainsi que la figure graduée du demi-cercle. Cette tige principale n’est pas le seul canal direct. Toute branche, bourgeon ou gourmand, qui s’élève droit ou perpendiculairement, devient canal direct ; il s’emporte, & épuise ou la branche qui lui donne naissance, ou même tout un côté de l’arbre, si on le laisse subsister dans cette direction, parce que l’arbre nain tend sans cesse à revenir à sa première loi, c’est-à dire, arbre à plein vent.

D. Comment trouver la ligne perpendiculaire ?

R. En attachant une pierre, un poids quelconque à une ficelle ; soutenant par le haut la ficelle avec la main, le poids étant en bas, la ligne tracée par la ficelle sur le mur, est la ligne perpendiculaire ou verticale. Ces deux mots signifient la même chose.

D. Comment trouver la ligne horisontale ?

R. Je vous ai déja dit que la superficie du sol donne la ligne horisontale.

2°. D. Comment trouver l’angle de quarante-cinq degrés ?

R. Vous connoissez la perpendiculaire ou verticale AB ; vous connoissez également l’horizontale BN : il s’agit de partager actuellement par le milieu l’espace qui se trouve entre A & N, & on trouve la ligne qui correspond à la quarante-cinquième division du quart de cercle. On la trace sur le mur, en partant du quarante-cinquième degré, & on vient aboutir au point central, où correspond le tronc de l’arbre, & la naissance de ses mères-branches ou membres, lorsque l’on parle des quatre mères-branches. Celles qui viennent après, sont du second ou troisième ordre, relativement à leur force ; le reste n’est plus que du bois à fruit.

D. Pourquoi appelez-vous un angle, l’espace compris entre la perpendiculaire & l’horisontale ?

R. Toutes parties dont les deux extrémités se rapprochent dans un point commun, comme en B, & qui s’écartent ensuite, forment un angle, de manière que si de l’extrémité de ces deux lignes A, B, & B, N, on tiroit une ligne de A en N, on auroit un triangle équilatéral, c’est-à dire, dont les lignes des trois côtés seroient égales en longueur. Ainsi, les deux lignes A & C forment un angle, tout comme celles A & G donnent un angle plus ouvert, c’est-à dire, dont les extrémités sont moins rapprochées.

D. Pourquoi appelez-vous angle de quarante-cinq degrés, la ligne qui se trouve au milieu, entre la perpendiculaire & l’horizontale ?

R. C’est que les hommes sont convenus de diviser le cercle, ou rond, en trois cent soixante parties, nommées degrés ; ce qui donne, pour chaque quart de cercle, quatre-vingt-dix degrés ; & si on le divise en huit, chaque division sera de quarante cinq degrés. — J’ai tout lieu de penser que la division de trois cent soixante tient à une grande loi de la nature, & que les hommes on été forcés de s’y conformer sans qu’ils s’en soient apperçus.

D. Pourquoi, pour le placement des deux premières mères-branches ou membres supérieurs, adoptez-vous plutôt l’angle de quarante-cinq degrés, par exemple, que celui de soixante ou de trente-six ?

R. Des exemples vont préparer ma réponse. Si d’un grenier on jette par la fenêtre une masse de grains, le grain tombant sur le pavé s’amoncellera sur l’angle de quarante-cinq degrés. Si on charie de la terre ; si on la verse, par exemple, du haut d’une colline, cette terre s’arrangera d’elle-même, & sa pente ou inclinaison sur laquelle elle restera, sera de quarante-cinq degrés. Si au bord d’un fleuve dont le cours est rapide, on donne à la terre de ses bords, supposée forte & tenace, cette pente de quarante-cinq degrés, l’eau ne l’endommagera pas ; elle suivra sans creuser, à moins que des atterrissemens ou telle autre cause, n’établissent un courant particulier & très rapide, qui portera seulement sur un des points de ses bords. Alors la force & la résistance n’étant pas égales, la chaussée cédera dans le point de l’attaque ; ce qui ne seroit pas arrivé, si l’attaque avoit été générale. Je pourrois vous citer beaucoup d*autres traits semblables.

D. Soit ; mais comment de ces exemples pouvez-vous conclure qu’il faille palisser les mères-branches & les bourgeons sur l’angle de quarante-cinq degrés ?

R. Par ces exemples, j’ai voulu mettre sous vos yeux une des grandes lois de la nature, & vous donner à penser qu’elle s’étend à la formation & à la conservation de la majeure partie des individus auxquels elle donne l’existence ou la vie. Faisons-en une application directe & démontrée par la pratique : si on fixe beaucoup au-dessous de l’angle de quarante-cinq, par exemple, de B en N, comme cela se pratique pour les deux membres inférieurs, la branche ou le bourgeon ainsi placé sur la ligne horisontale, ne poussera point de nouveaux bourgeons au-dessous, c’est-à-dire, dans la partie inférieure qui regarde la terre, tandis qu’elle poussera tous ses bourgeons dans la partie supérieure ou qui regarde le ciel. D’ailleurs ce membre ne prospérera pas long-temps, puisqu’on lui a donné de bonne heure la direction qu’il auroit prise, si l’arbre avoit été livré à lui-même lorsqu’il seroit parvenu à sa décrépitude : toute branche au dessous de cinquante degrés, perd de sa force ; elle s’affoiblit beaucoup, comme je l’ai déja dit, soixante, vieillit à soixante-dix, devient caduque à quatre-vingt, & décrépit à quatre-vingt-dix.

D. Qu’arrive-t-il aux mères-branches & bourgeons que l’on palisse trop au-dessus de quarante-cinq degrés ?

R. L’arbre tenu en espalier, en éventail ou en buisson, (consultez ces mots) est dans un état forcé & éloigné de sa première loi de nature, puisque le même arbre, livré à lui-même, élève perpendiculairement son tronc, & presque perpendiculairement ses branches, tant qu’il est jeune. C’est donc une seconde loi de la nature qu’on lui fait contracter en le tenant en espalier, &c. Il faut donc contrarier la première loi, le moins qu’il est possible, en lui faisant parcourir le milieu de l’espace entre la perpendiculaire & l’horizontale. L’expérience de tous les temps, de tous les lieux, prouve que toute branche placée à l’angle de quarante-cinq degrés, pousse également ses bourgeons sur ses deux côtés ; que ces bourgeons devenant à leur tour des branches, pousseront également des deux côtes, de nouveaux bourgeons, si les premiers ont été palissés sur l’angle de quarante-cinq degrés ; que la force des uns & des autres sera pooportionnée entre eux ; enfin, que le membre ou mère-branche ne se dépouillera pas de ses rameaux inférieurs. Au contraire, si on fixe les membres & les branches & les bourgeons au-dessus de l’angle de quarante-cinq degrés, la sève de la mère-branche, des branches secondaires & des bourgeons, s’emporte à leur extrémité. Cette extrémité se charge tellement de bois gourmands, de jets vigoureux, qu’ils affament les bourgeons inférieurs, & ces bourgeons inférieurs périssent peu-à-peu d’épuisement. Enfin, l’arbre nain reprend ses premiers droits si on ne l’arrête & tend à devenir à plein vent. Le jardinier aura beau raccourcir ces branches & ces bourgeons, à la sève du mois d’août ou à la taille de l’hiver suivant, plus il les raccourcira, & plus ils pousseront de gourmands & de bois nouveaux. Le remède sera pire que le mal. Cependant c’est ce qui arrive tous les jours. Les jardiniers le voient, ils disent que l’arbre s’épuise en bois, & ils ne savent pas y remédier.

D. Il est facile de concevoir actuellement, comment & pourquoi on palisse les mères-branches à l’angle de quarante-cinq degrés ; mais comment trouver la direction du palissage des bourgeons sur cet angle ?

R. Nous avons à distinguer deux sortes de boutons & de bourgeons, relativement à la place qu’ils occupent sur une branche. Les uns poussent sur la partie supérieure & les autres sur la partie inférieure : on ne parle pas ici de ceux du devant ou du derrière de la branche, dont la suppression est décidée, à moins que leur conservation ne tienne à un besoin urgent, soit pour renouveler une vieille branche, soir pour garnir une grande place vuide. Dans ces deux cas, on donne de bonne heure la direction qui leur convient. Si on attend trop tard, ils plieront difficilement par la suite, & offriront dans leur courbure un coup-d’œil désagréable.

Pour trouver la place des bourgeons supérieurs, je répète l’opération par laquelle j’ai trouvé le premier angle de quarante-cinq degrés. C’est-à-dire, je prends ma ficelle & son poids que je suspends en S, sur l’endroit P, d’où part le bourgeon porté par la mère-branche ; voilà ma perpendiculaire trouvée. Alors je partage l’espace compris entre la ligne S, P, & la ligne quarante-cinq, & je trouve la ligne P, T, qui est au point du milieu. C’est précisément sur cette ligne mitoyenne que je palisse mon bourgeon supérieur qui est alors, relativement à la mere-branche, à quarante-cinq degrés, comme celle-ci l’est relativement au partage du quart de cercle. Je suppose actuellement que sur la ligne P, T, il naisse en T un bourgeon, je prends de nouveau ma perpendiculaire A, T ; je partage encore l’espace entre A & Z, & je trouve que la ligne X, ligne mitoyenne, désigne la place où le nouveau bourgeon doit être fixé ; ainsi, les lignes X, T, & Z, P, sont autant à l’angle relative de quarante-cinq degrés, que l’est la ligne quarante-cinq.

D. Comment trouver le point où il convient de placer le bourgeon inférieur de la mère-branche ?

R. Je suis les mêmes principes que pour les supérieurs, mais pris dans un autre sens. Je tire une ligne horisontale de Q en R, c’est-à-dire, à partir de la base du bourgeon : je partage l’espace compris entre la ligne horisontale Q, R, & la ligne de quarante-cinq degrés ; je trouve la ligne U, & je pallisse sur cette ligne U mon bourgeon. Il se trouve comme le supérieur également à l’angle de quarante cinq degrés, relativement à la mère-branche.

D. Pouvez-vous ainsi palisser tous les bourgeons qui poussent pendant l’été ?

R. Oui, si lors de la taille je n’ai pas trop laissé d’anciens bourgeons, & si j’ai prévu par avance quelle sera la place que les bourgeons à venir devront occuper. Sans cette prévoyance essentielle & que l’habitude donne, on est forcé, lors du palissage, de mettre à bas beaucoup de bois, & c’est faire à l’arbre beaucoup de plaies dont il souffre, tandis qu’on ne doit abattre que les bourgeons qui poussent sur le devant ou sur le derrière des branches. C’est toujours la faute de celui qui taille s’il est gêné à l’époque du palissage. En laissant trop de bourgeons à pousser, on use la sève en pure perte, puisqu’il faudra abattre les surnuméraires ; & cette sève auroit servi à mieux nourrir ceux qui restent en place. Quand & comment doit-on palisser ? On l’expliquera ci-après.

3°. D. Qu’appellez-vous maintenir l’équilibre dans les branches ?

R. C’est lorsque les deux ailes de l’arbre sont d’égale force, c’est-à dire, lorsque, 1°. les membres ou branches ont autant de grosseur, de force & de vigueur les unes que les autres ; 2°. il en est ainsi lorsque le nombre & la force des branches du second & du troisième ordre, sont dans les mêmes proportions ; 3°. lorsque les bourgeons sont à peu près en nombre égal des deux côtés.

D. Qu’appelez-vous branches du premier, du second ou du troisième ordre ?

R. Les branches du premier ordre sont les deux membres ou mères branches qui, placées à l’angle de quarante-cinq degrés, représentent un V bien ouvert. Ces membres ont poussé des bourgeons qui sont devenus par la suite des branches du second ordre. Ces branches ont poussé de nouveaux bourgeons qui ont formé des branches à fruit, sur-tout dans le poirier ; car les bourgeons du pêcher sont à fruit après la première année, au moins pour la majeure partie.

D. Qu’arrive-t-il lorsqu’un côté de l’arbre l’emporte sur l’autre ?

R. 1°. Les racines se multiplient beaucoup plus du côté trop vigoureux, & leur force & leur nombre vont toujours en augmentant, & celles de l’autre côté en s’appauvrissant & en se diminuant. 2°. La foiblesse ou la force des branches des deux côtés de l’arbre, suit la même marche ; d’où il résulte qu’un de ses côtés prospère & l’autre languit & périt peu à peu ; c’est le fort qui mange le foible.

D. Comment vous y prenez-vous pour qu’un côté ne prévale pas sur l’autre ?

R. En mettant en pratique les principes déja établis & des effets résultans de l’angle de quarante-cinq degrés. Je sais que si je fixe une branche ou bourgeon au-dessus de cet angle, par exemple, à celui de vingt-cinq, il tire beaucoup plus de sève que si je le palissais à l’angle de quarante-cinq, & infiniment plus que si je le palissais très-au-dessous de cet angle ; par exemple à celui de soixante cinq… Ainsi, suivant le besoin, je soulève la branche ou le bourgeon foible, à l’angle de dix, vingt ou trente degrés, & j’incline la trop forte au dessous de l’angle de quarante-cinq degrés ; c’est-à-dire à cinquante, à soixante & même à soixante-dix, si le besoin l’exige. Dans le premier cas, il est ramené à sa direction de jeunesse, & dans le second, au point que l’âge lui auroit fait contracter si l’arbre avoit été livré à lui-même. Par le moyen de l’inclinaison, je modère le cours de la sève du côté le plus fort, & j’empêche que les bourgeons ne viennent ; de tirans & de gourmands qu’ils étoient, je les métamorphose en bois à fruit pour la seconde année. En relevant la branche, le bourgeon sur le côté foible, je le fortifie, j’y attire une plus grande quantité de sève, elle y circule plus librement, & dans peu le changement est sensible, soit de ce côté, soit de l’autre ; d’où il résulte que tous les deux se mettent en équilibre, soit pour la grosseur du bois, le nombre, la force des racines, des bourgeons, &c. ; enfin je suis maître de l’arbre.

D. Puisque vous parvenez à volonté, à donner plus de force au côté foible, il doit donc à la longue ruiner le côté fort, comme celui-ci épuisoit auparavant le côté foible ?

R. L’épuisement de ce côté seroit infaillible, si je conservois la même direction dans les deux ailes de l’arbre ; mais dès que j’aperçois que l’équilibre est rétabli, je relève les branches & les bourgeons que j’avois inclinés au-dessous de l’angle de quarante-cinq degrés, & je les ramène & les palisse tous à cet angle. Sur le côté opposé, je rabaisse le tout & palisse le tout au même angle de quarante-cinq degrés. Alors toutes les branches & bourgeons sont fixés & palissés uniformément sur tout l’arbre, & l’arbre a repris sa parfaite égalité, son véritable équilibre. C’est donc, comme je l’ai dit, la faute du jardinier, si un arbre en espalier, en éventail, & même en buisson ou gobelet, se porte plus d’un côté que d’un autre.

D. Êtes-vous physiquement assuré de la réussite de ce procédé ?

R. Oui, mais quelquefois on ne parvient pas à ce point dans une seule année, sur-tout lorsque l’arbre est déja vieux. Le moyen le plus prompt est de détacher du mur le côté foible ; c’est-à-dire, la branche & les bourgeons, & de les soutenir élevés par des tuteurs, parce que, relativement à leur longueur, ils n’auroient pas assez de consistance pour résister aux coups de vent & aux orages. D’ailleurs les tuteurs ne gênent point leur végétation, & servent à les écarter de douze à dix-huit pouces du mur ; ce moyen est infaillible si on ne s’y prend pas trop tard… Si la mère-branche est trop forte pour se prêter à cette opération, on laissera tous les bourgeons sonner autant de canaux directs ou perpendiculaires jusqu’à ce qu’ils aient attiré à eux la sève nécessaire, tandis que toutes les branches & rameaux, de l’autre aîle de l’arbre, seront chacun respectivement palissés au-dessous de l’angle de quarante-cinq degrés.

D. Comment palisser, par exemple, à l’angle de quarante-cinq degrés, les bourgeons qui s’élèvent au-dessus d’un mur ?

R. Ils ne doivent pas l’être, à moins qu’on les fixe sur un treillage. Il faut les coucher horizontalement contre le mur, & si on les y laisse, ils ne donneront l’année d’après, que des boutons à fruit. Cette position horisontale les fait passer tout de suite de l’adolescence à la vieillesse, & elle force la sève qu’ils attiroient auparavant avec vigueur, à refluer dans les branches inférieures, & à profiter de l’excès de nourriture devenue inutile à ces bourgeons. J’aurois pu renvoyer cette réponse au chapitre suivant de la taille d’été, mais ici elle complette la théorie de l’effet de l’angle de quarante-cinq degrés.

D. Vous avez parlé de la position des deux premiers membres, & vous n’avez encore rien dit des deux seconds, c’est-à-dire, des deux inférieurs ?

R. Il est juste de satisfaire à votre impatience ; tous les bons jardiniers conviennent aujourd’hui que les deux membres supérieurs doivent être placés à l’angle de quarante-cinq degrés ; mais ils veulent encore que les deux inférieurs soient diriges sur l’horisontale B, N ce qui avec la perpendiculaire A, B, donne l’angle de quatre-vingt-dix degrés ; consultez la planche XVIII du mot pêcher, p. 509, tome VIII[2]. Les figures 15, 19, 20, &c. représentent des bourgeons placés au-dessous de la ligne horisontale. Ils sont bien rangés dans la gravure, mais le sont-il également sur l’arbre ? C’est un fait à examiner & que je ne crains pas de nier, si le membre B, N, est déjà vieux.

J’ose ne pas être du sentiment des écrivains sur la conduite des arbres, parce que je ne consulte que le livre de la nature ; je n’agis que d’après les règles qu’elle me dicte. On doit aux judicieux cultivateurs de Montreuil, & à leurs sages observations, la découverte de l’angle de quarante-cinq degrés, pour fixer les deux membres supérieurs. M. l’Abbé Roger de Schabol est le premier qui ait fait connoître leur méthode par ses écrits. Il leur a rendu la justice qu’ils méritoient. Ces bons cultivateurs sont parvenus, à force d’observations, à la plus sublime théorie & pratique de la taille. Il est surprenant qu’après avoir fait le premier pas décisif, ils n’aient pas tiré du principe de quarante-cinq degrés, la conséquence naturelle de placer les branches du second & du troisième ordre & les bourgeons sur un angle proportionnel & correspondant au premier. Ils n’avoient plus que ce pas à faire pour completter leur doctrine.

Quel motif a donc déterminé les sectateurs de la méthode de Montreuil à disposer les deux membres inférieurs sur la ligne horisontale 90, B, N, & d’avoir conservé quatre membres principaux, c’est-à-dire, les deux supérieurs 45, B, G ? c’est qu’il ne leur a pas été possible, ou du moins très-difficile, avec le seul membre B, G, 45, & avec les branches du premier & du second ordre, & avec ses bourgeons, de remplir tout l’espace 45 & 90. Il étoit contre toute règle naturelle de tirer des branches ou bourgeons au-dessous de l’horizontale ; il a donc fallu recourir à un expédient & mieux aimer avoir des branches secondaires sur le membre horisontal. Je préfère la position des secondaires sur l’oblique K de 65, parce que ce membre tirera plus de sève, que lorsqu’il est placé sur la ligne 90. Nous avons dit que les nombres des angles étoient l’image fidèle de ceux de l’âge de l’homme, on ne niera pas qu’un homme de soixante-cinq ans ne soit plus fort, plus vigoureux que celui de quatre-vingt-dix. Si pour remplir l’espace compris entre soixante-cinq & quatre-vingt-dix, on est forcé de tirer quelques branches du second ou du troisième ordre, 1°. elles auront moins de portées ; 2. elles partiront d’un point qui les rapprochera plus de l’angle de quarante-cinq degrés, que si ces branches sortoient du membre B, N. Si la nécessité nous force à nous écarter de la loi de la nature, de l’angle de quarante-cinq degrés, écartons nous-en donc le moins qu’il est possible.

L’exemple des arbres, soit forestiers, soit fruitiers, livrés à eux-mêmes, nous apprend que lorsque leurs branches sont successivement parvenues à l’horizontalité, comme B, N, 90, l’arbre est en décours dans le grand état de vieillesse, & que le charbon fait avec son bois, se fuse & donne peu de chaleur.

Les tailleurs d’arbres attachent une grande importance à garnir symétriquement de verdure les deux lignes B, N, 90, & même à voir ces lignes chargées de fruit ; l’arbre fait bien le rideau, disent-ils ; cela eh vrai, mais c’est un tour de force & rien de plus. Après un certain temps, les membres inférieurs B, N, 90, s’épuisent, se chargent de bois morts ; dans les pêchers, ils sont hors d’état de fournir du bois nouveau, & par conséquent de rajeûnir l’arbre par la suppression des membres inférieurs, au lieu qu’ils durent beaucoup plus long-temps, placés sur la ligne B, K, 65.

Si à la longue ces membres inférieurs s’épuisent, je les supprime & substitue petit à petit à leur place les membres supérieurs B, G, 45 ; ceci demande une explication. L’expérience apprend & démontre physiquement, que plus les branches rapprochent de la perpendiculaire, plus elles tirent, pompent de la sève, & tendent à devenir gourmands (consultez ce mot). D’après ce principe incontestable, dès que je commence à m’apercevoir que les membres inférieurs déclinent, je ravale à deux ou trois pouces la branche secondaire du membre placé de B en G, 45, du côté de la ligne perpendiculaire A, comme on le voit en D : si j’ai un bon bourgeon, je ménage la branche ; ce tronçon de branche, dont la coupure est aussitôt couverte avec l’onguent de Saint-Fiacre, me donnera un ou plusieurs bourgeons. S’il y en a plusieurs, lorsqu’ils seront bien assurés, je supprime les plus foibles & je n’en conserve qu’un seul ; il pousse librement, perpendiculairement, & par conséquent avec vigueur, c’est-à-dire, qu’il agit comme un gourmand ; mais dans la crainte de quelqu’accident sur ce bourgeon précieux, il est assujetti doucement contre un tuteur par de simples ligatures de paille, & qu’on dénoue même au besoin, à mesure que ce tirant prend de la grosseur, de la consistance & de la longueur. S’il n’en prend pas assez pendant la première année, je le ravale encore à un œil à la taille suivante de l’hiver, & suis assuré que cette seconde poussée aura une force convenable, sur-tout si, à l’entrée de l’hiver, j’ai eu soin de renouveller la terre au pied de l’arbre & sur une certaine étendue ; je l’aide encore en enfouissant dans cette circonférence du fumier bien consommé, ou si on aime mieux, je lui donne un fort bouillon, à la même époque. (Consultez ce mot)

Lorsque le tirant provenu du tronçon de la branche C, a déja assez de force & de longueur, je l’incline doucement du côté de la ligne 45 ; mais jamais tout à la fois, c’est peu à peu & de quinzaine en quinzaine, afin de ne pas modérer tout à coup la fougue de la sève qui, par son reflu, développeroit les yeux qui ont percé le long de ce tirant, & les changeroit en bourgeons. Cette opération doit tout au plus commencer en août & se continuer en septembre & même en octobre, afin que, lorsque l’époque de la taille d’hiver sera venue, ce tirant soit dans le cas d’occuper la ligne 45, sans coude & sans présenter la forme d’un archer de violon. Une alaise attachée de bonne heure à ce tirant ou même son tuteur, aidera à lui faire prendre l’inclinaison sans courbure, & ce sera sur l’alaise qu’on placera les ligatures, afin de n’occasionner aucun bourrelet.

Voilà une branche nouvelle qui occupera la place du membre B, G, 45, & ce membre prendra à son tour la place de celui placé auparavant en B, K, 65, que l’on supprimera ; c’est ainsi que l’on rajeunit peu à peu un arbre. Les poiriers greffés sur coignassier, les pommiers sur paradis & même sur doucin, se prêtent difficilement à cette opération, pour peu qu’ils soient vieux ; au contraire les pommiers, & les poiriers greffes sur franc, offrent sans cesse des ressources précieuses, parce qu’ils sont forts en mères-racines & en chevelus, à moins que leur totalité ne soit entièrement caduque. Presque tous les arbres sur coignassier font bourrelet dans l’endroit où la greffe a jadis été placée ; au-dessous de ce bourrelet qui est à fleur de terre, & qui ne ressemble pas mal à une massue, partent trois ou quatre mères-racines qui plongent très-peu, & qui sont très-peu garnies de chevelus. Celles, au contraire, des francs, sont pivotantes, longues, nombreuses, chevelues, & la sève ne trouve jamais de bourrelet qui modère son cours.

Je ne cesserai de répéter qu’on ne doit planter que des francs, excepté pour certaines espèces particulières de poires, indiquées à l’article poirier. Les francs sont des arbres à ressource ; ils portent autant de fruit que les autres & aussitôt, quoi qu’en disent les jardiniers, si on fait les tailler & les conduire. J’admets que certaines espèces de poires & de pommes sont plus belles & plus grosses sur le coignassier ou sur le doucin, ou sur le paradis ; mais quelques exceptions particulières ne détruisent pas la loi générale. Le verd des feuilles d’un arbre sur franc sera toujours plus foncé que celui des poiriers sur coignassier ; cette couleur seule décideroit la question, si la beauté des bourgeons n’étoit pas encore une preuve palpable de ce que j’avance. On fait tout ce que l’on veut avec le franc, quand on sait le manier.

D. Je conçois qu’avec un peu d’attention, il est facile de s’accoutumer à la taille & au parfilage de quarante-cinq degrés, soit des membres, soit des bourgeons ; mais cette taille, que vous dites conforme à la loi de la nature, si elle est telle, doit donc être universelle, & s’appliquer par conséquent à l’arbre élevé en buisson ou gobelet ou entonnoir.

R. Vous avez raison de tirer cette conséquence, puisque dans le buisson comme dans l’espalier & dans l’éventail, l’arbre ne suit plus la première loi, qui lui dictait auparavant d’élever sa tige sur la ligne perpendiculaire, afin que toutes les branches fussent dans le cas de jouir des bienfaits de la lumière du soleil, & des effets météoriques. Depuis longtemps vous avez soustrait vos arbres de jardin au joug de cette première loi, & depuis un peu plus d’un siècle, les habitans de Montreuil ont arraché une seconde vérité à la nature ; cette grande & importante vérité est la loi de l’angle de quarante-cinq degrés. Or, si elle est indispensable pour l’éventail & pour l’espalier, elle l’est également pour le gobelet, puisqu’il ne diffère des premiers que par la forme circulaire sur laquelle on dispose ses branches. Cependant la parité, quoique parfaitement exacte pour le fond, ne l’est pas complètement par ses détails, puisque dans le gobelet il ne s’agit pas ces deux membres Supérieurs, ni des deux inférieurs, mais de plusieurs branches dont l’évasement en partant du tronc, prend la forme d’un gobelet monté sur son pied. Expliquons comment on parvient à faire prendre à toutes les branches l’angle de quarante-cinq degrés.

Pour bien juger, il convient d’avoir des points de comparaison. Prenons donc pour exemple l’arbre en buisson, conduit par un jardinier sans principes. Que le tronc n’ait qu’un à deux pieds au-dessus de terre, ou qu’il en ait trois ou quatre, peu importe. Du sommet de ce tronc je vois trois, quatre, cinq, & même six branches, non pas s’élever perpendiculairement sur leur base, mais s’écarter par le haut, avec le secours de quelques cerceaux, à mesure qu’elles grandissent. Ces branches sont à peu près toutes d’une venue, quant à la direction, depuis le tronc jusqu’au sommet. De ces branches partent quelques rameaux, soit à bois, soit à fruit, qui garnissent l’espace entre une branche & sa voisine. Enfin, à la longue, l’arbre est plein, c’est-à-dire, garni dans toute la surface extérieure. D’autres jardiniers croyant mieux faire, laissent, dans l’intérieur du gobelet, pousser tout le bois ; ce bois quelconque, arrivé au sommet, est taillé & arrêté à la même hauteur que les branches & bourgeons extérieurs, soit forts, soit foibles. On a raison d’appeler cet arbre un gobelet plein ; en un mot, c’est un vrai buisson, dans toute l’acception du terme, qui, malgré tous le bois dont il est surchargé, ne donne du fruit que sur sa face extérieure.

Je vois chaque année des bourgeons forts & vigoureux, terminer les sommets des branches ; la sève y afflue avec abondance, & petit à petit la substance des rameaux du bas est absorbée ; ils deviennent maigres, périssent & laissent paroître des branches nues. Ce transport de la sève au sommet est dans l’ordre naturel, parce que le canal direct subsiste, & par conséquent l’arbre fait tous ses efforts pour revenir à sa première loi, la perpendiculaire. Je vois encore çà et là des gourmands percer l’écorce, s’importer & consommer inutilement une portion de sève, qui auroit bien plus profité répandue dans les autres branches. En un mot, le jardinier ne sait pas maîtriser l’arbre, & souvent il pousse tout d’un côté, tandis que tout l’autre dépérit. Je crois avoir décrit, sans exagération, la manière d’être des gobelets ou buissons, que l’on rencontre presque par-tout. De tels arbres durent fort peu, sur-tout quand ils sont sur coignassier ou sur paradis, & lorsqu’ils sont sur franc, leur taille est encore plus ridicule. Le seul moyen de corriger cette taille est de ramener à la loi de quarante-cinq degrés.

La méthode est simple, & elle aide singulièrement l’évasement de l’arbre par le haut, sans contraindre les branches & les bourgeons à aucun tour de force. Ils se placent d’eux-mêmes sur le pourtour ; &, si on se sert de cerceaux, c’est uniquement dans la vue de procurer une rondeur extérieure, égale dans tous ses points, & afin que les branches ne perdent pas leur direction. Supposons un pied d’arbre coupé net en-dessus, & plus ou moins ravalé, il donnera à son sommet deux, trois ou quatre bourgeons. Supposons-les encore de force égale ; pendant la première année, ils poussent tout à leur aise ; tout au plus, leur peu de consistance dans la texture, est-elle soulagée par des tuteurs qui s’opposent à leur cassure par des coups de vent. Cependant, si un ou deux de ces bourgeons gagnent de vitesse les voisins, on les inclinera, suivant le besoin, à l’aide des tuteurs, & les autres seront maintenus dans leur perpendicularité jusqu’au moment où l’équilibre sera établi entre tous les bourgeons. Actuellement, considérons d’une manière isolée un de ces bourgeons ; ce qu’on dira pour lui s’applique à tous les autres ; la figure A, de l’arbre en buisson ou gobelet, tome II, planche XIX, page 495, présente le tableau de toutes les bifurcations des branches mais le dessinateur n’a pas eu la scrupuleuse attention de placer ces bifurcations à l’angle exact de quarante-cinq degrés, il faut donc que le lecteur y supplée par l’imagination, & qu’il suppose les bifurcations encore un peu plus rapprochées qu’elles ne le sont.

Ce bourgeon de l’année s’écarte un peu de la perpendiculaire, parce qu’on le suppose accompagné de deux à trois autres, placés sur le pourtour de la tête de l’arbre, qui se sont mutuellement forcés à s’écarter un peu les uns des autres… À la taille d’hiver, je le ravale sur deux yeux latéraux, c’est-à-dire, placés sur les côtés, & non en avant ou en arrière. Ces deux yeux fourniront, au printemps suivant, deux bourgeons nouveaux, qui s’écarteront d’eux-mêmes à la forme V, ou de quarante-cinq degrés, parce que j’ai supprimé, à la taille d’hiver, le canal direct ou partie du bourgeon qui excédoit les deux yeux. Ils pousseront sans contrainte & sans gêne, pendant toute l’année, simplement fixés par des alaises, pour les garantir, ainsi qu’il a été dit, des coups de vents… À la taille de l’hiver suivant, je les ravale à la hauteur de quatre, six ou huit yeux latéraux, suivant leur force particulière… Les nouveaux bourgeons s’écarteront encore d’eux-mêmes en forme de V, & ainsi de suite, d’année en année. On voit donc clairement que cette taille supprime chaque année tout canal direct, & force les bourgeons à suivre d’eux-mêmes la seconde loi naturelle, & qu’ils se mettent d’eux-mêmes à l’angle de quarante-cinq degrés. Cette multiplicité d’angles & de bourgeons évase petit à petit le sommet du gobelet, & se prête à la forme qu’on désire lui donner. Si un des bourgeons a moins de force, est moins vigoureux que ses voisins, je laisse à ceux-ci un ou deux yeux de plus, & le ou les bourgeons foibles de la seconde ou troisième année, &c. sont taillés à un ou deux & même trois yeux de moins. Plus une branche a de bourgeons à nourrir, moins ils acquièrent de force, & ils en acquièrent du côté où leur nombre est moins considérable. C’est par ce petit stratagème que l’on parvient à établir successivement un équilibre parfait dans toutes les branches du pourtour de l’arbre. Enfin, par la suppression perpétuelle du canal direct, toutes les fois qu’il se présente, on empêche la poussée des gourmands, & sur-tout de ces tirans si communs sur les buissons, dont les branches sont toutes d’une même venue, depuis le tronc jusqu’à leur sommet… Si malgré ces précautions les tirans sont trop nombreux ou trop forts au sommet, & sur-tout sur les francs ; enfin, si ce sommet est déjà à une hauteur convenable où je veuille l’arrêter, les principes indiqués me fournissent la facilité de modérer la sève… Au mois de juin ou de juillet, suivant le climat, j’incline horizontalement ces bourgeons les uns sur les autres, dans toute la circonférence ou évasement de l’arbre. Par cette opération bien simple, ces bourgeons, qui ne devoient, l’année d’après, donner que des boutons à bois, vont se charger de boutons à fruit… Ils restent ainsi sans être taillés pendant deux ans. Les voilà métamorphosés tous entiers en branches à fruit. Pendant ce temps, la sève n’étant plus tirée avec la même force par le haut de l’arbre, se répand avec profusion dans les branches inférieures, & y fait percer quantité de nouveaux boutons, soit à bois, soit à fruit, & même des gourmands dont il faut profiter pour garnir les places vuides. Ils seront rigoureusement supprimés dès qu’ils paroîtront, si on n’en a pas besoin… Après ces deux années, si je vois que l’arbre se mette trop à fruit, & pas assez à bois, effet très-commun sur les cognassiers, je supprime en tout ou en partie les bourgeons supérieurs qui avoient été couchés horizontalement. Alors il se forme de nouveaux tirans, & la sève afflue en abondance dans le haut, sauf à rabaisser à l’horisontale, quand le besoin l’exigera ; ensuite à la supprimer, & ainsi de suite. On est assuré qu’en conservant cet équilibre entre la partie supérieure & l’inférieure, que le gobelet sera chaque année garni de la même verdure & de la même quantité de fruit, sur-tout si l’on supprime, sur chaque bois à fruit, une partie des vieilles bourses, (consultez ce mot) & si on diminue une certaine quantité de boutons à fruit, ainsi que je l’ai indiqué aux articles poiriers, pommiers, &c.

La taille de l’arbre en buisson ou gobelet, est moins difficile que celle de l’espalier ou de l’éventail, puisqu’en supprimant sans cesse tout canal direct, les yeux placés au-dessous de la coupe, se dirigent d’eux-mêmes sur l’angle de quarante-cinq degrés, & le jardinier n’a pas besoin de chercher cet angle. Après cette première attention, la seule qui lui reste à avoir, est de ménager sur le bourgeon, au sommet de chaque branche, la naissance d’une fourche ou bifurcation pour l’année d’après, & non pas à la manière des jardiniers, de tailler sur un seul œil, qui donnera un fort tirant. Que si les deux bras de la fourche sont inégaux en force, il laissera au plus fort quatre ou six yeux, & deux seulement au plus foible. Que si, malgré cette précaution, celui-ci reste le plus foible, il doit l’abandonner & le tailler de manière qu’il ne concoure plus avec les autres à la couronne de l’arbre, mais simplement à devenir rameaux auxiliaires, propres au garnissement de l’espace compris entre les fourches. L’autre branche de la fourche sera traitée comme bourgeon de couronne, c’est-à-dire, taillée de manière que ses jets à venir, fassent eux-mêmes la fourche ou V, par la suppression du canal direct.

D. Puisque vous appelez principe universel, de la taille, l’angle de quarante-cinq degrés, on doit donc l’appliquer à celle des arbres taillés en colonne ou pyramide ou quenouille ?

R. La forme de ces arbres tient au caprice, & tout caprice en ce genre n’est conforme à aucune loi de la nature. En effet, qu’est-ce qu’un arbre qui conserve la tige verticale ou perpendiculaire, & dont toutes les branches sont horisontales ? C’est combattre un principe par un autre. La perpendiculaire ou canal direct attire la sève au sommet, & l’horisontale la retient dans le bas : de tels arbres sont des monstres ; leur courte & très-courte durée devient le résultat de cette opposition de principes : on ne contrarie jamais la nature impunément.

On plante communément des poiriers greffés sur coignassier, des pommiers sur le grand paradis ; on attend pendant trois ans les premiers fruits, & à dix ou douze ans au plus, ces arbres sont caducs & bons pour chauffer le four. Dans ce court intervalle, ils donnent, il est vrai, de très-beaux fruits : mais dédommagent-ils de la courte durée de l’arbre, & des dépenses de l’achat, de la plantation, replantation, tuteurs &c. ?

Si on plante des arbres sur franc, ils ne poussent que du bois, se mettent rarement à fruit, & leur existence est un peu plus prolongée, c’est-à-dire, que leur véritable produit a été un amas de fagots. Je dirai cependant aux amateurs de ce genre d’arbres : ne plantez que des francs ; n’arrêtez pas sans cesse les bourgeons, sans cesse ne les pincez pas ; au contraire, laissez-les pousser tout à leur aise pendant la première & la seconde année. À la fin de la seconde, & à la taille d’hiver, les bourgeons seront devenus rameaux ; tirez ceux de la première année sur la ligne horisontale, & formez circulairement la base de la colonne ou quenouille, par trois ou quatre, après avoir supprimé les voisins. À la fin de la troisième année, répétez la même opération sur le rang des bourgeons au-dessus ; poussez pendant la seconde, & ainsi de suite, jusqu’à la hauteur que vous désignez à votre colonne : par ce procédé, vous permettez aux bourgeons supérieurs du reste de la tige, d’agir comme tirans, & d’élever la Sève à son sommet. Vous corrigez ainsi & un peu la monstruosité de cette taille ; vos arbres dureront beaucoup, & quoique sur franc, ils se chargeront de fruits. Ce procédé facilite encore la proportion de grosseur à donner à la base de la colonne, relativement à sa hauteur. Après un certain nombre d’années, lorsqu’on s’aperçoit que les rameaux circulaires de la base commencent à décliner, on les ravale comme en dd, ligne BG 45 de la figure 4, mais avec modération, & successivement les uns après les autres, & deux tout au plus par année. La même opération a lieu par la suite sur les rameaux supérieurs, & de la même manière. Les bourgeons qui pousseront de la base des rameaux ravalés, resteront libres jusqu’à la taille de l’hiver suivant. À cette taille, ils reprendront la première forme circulaire de leurs devanciers. Peu importe que la symétrie de l’Ordre pyramidal soit quelquefois dérangé : il vaut mieux conserver plus long-temps la vie à un arbre qui donne de beaux & bons fruits. La Sève se seroit naturellement portée aux branches ou rameaux supérieurs : elle est gênée dans son cours ; elle se jette sur les fruits : c’est à cette circonstance qu’on doit attribuer leur beauté & leur grosseur. Les pommes les plus monstrueuses sont fournies par les petits pommiers paradis, vulgairement connus sous la dénomination de paradis de Hollande.

4°. De la taille du fort au foible

D. Que signifient ces mots ?

R. M. de la Bretonnerie, dans son excellent ouvrage, intitulé : École du Jardin fruitier, & que la reconnoissance engage souvent à citer, est le premier qui ait présenté des idées claires & précises sur cet objet. En bon observateur de la nature, il a vu que les bourgeons, à mesure qu’ils se développoient, conservoient jusqu’à un point donné, la même grosseur, le même écartement d’un bouton à un autre ; que vers la fin de la première fougue de la sève, les boutons de l’extrémité des bourgeons devenoient plus serrés, plus rapprochés ; que la grosseur des bourgeons commençoit à diminuer sensiblement ; enfin que le bourgeon s’allongeoit par la suite sur une grosseur moindre que dans le commencement. C’est à cette ligne de démarcation, presque toujours bien prononcée aux yeux de l’homme accoutumé à voir, que M. de la Bretonnerie assigne la dénomination du fort au foible. La partie inférieure est le fort, & la supérieure est le foible. « C’est, dit-il avec raison, entre le fort & le foible de chaque branche ou bourgeon qu’on doit les couper ou tailler toutes précisément ; ce qui se trouve ordinairement depuis un œil pour les plus foibles, et jusqu’à trois ou quatre pieds pour les plus fortes ou les gourmandes. On ne sauroit s’y tromper, puisque c’est où la sève commence à diminuer, qu’on est assuré d’avoir pris un juste milieu entre une taille trop longue qui énerve l’arbre, & une taille trop courte qui le retient ; ce qui équivaut & revient au détail de tout ce que l’on peut dire sur la taille des branches fortes, demi-fortes & foibles. Il n’y a donc qu’une seule bonne méthode de tailler les arbres fruitiers : c’est de l’ignorance de tout bon principe, que naît l’incertitude de nos jardiniers qui taillent à tout hasard, tantôt trop long, tantôt trop court, sans égard à la force des branches, sans juste mesure, sans savoir ce qu’ils font, ni d’où provient le dépérissement précipité des arbres, & la perte de tous nos fruits. »

D. Taillez-vous toujours ainsi, soit sur l’espalier, soit sur l’éventail, le gobelet, la pyramide ou quenouille ?

R. Oui, pour les espaliers, éventails & gobelets, & non pour les arbres en pyramides ou quenouilles, parce que le mode de leur conduite s’écarte de toutes les lois de la nature. Si on suivoit cette taille, leur forme ressembleroit bientôt à celle d’un peuplier d’Italie, & comme chaque bourgeon affecteroit la ligne perpendiculaire, on n’auroit point de fruit sur les francs, & très-peu sur les coignassiers & paradis. Quant aux autres, je vous ai indiqué les cas où il convient de s’écarter de la taille du fort au foible ; par exemple, lorsqu’un côté d’espalier & d’éventail l’emporte sur l’autre ; lorsqu’un gobelet offre la même défectuosité, ou lorsque sur ce gobelet il convient de garnir une place, enfin de le rendre plus ou moins tirant ; il est certain, par exemple, que lorsqu’on établit un gobelet sur un jeune arbre, si toutes ses pousses sont égales en force, chaque année le fort & le foible désigneront la hauteur qu’ils doivent garder ; & ainsi d’année en année, ils désigneront la distance d’une bifurcation à la bifurcation suivante ; parce que les deux yeux du sommet des branches de la fourche seront les plus tirans de tous ceux qui subsistent sur cette branche, & ils serviront, lorsque l’année d’après on taillera leur pousse du fort au foible, à fournir de nouvelles bifurcations ou fourches, & ainsi de suite. Quant aux arbres en espalier & en éventail, comme la base de leur taille ne porte pas sur la bifurcation, rien n’est plus facile que la taille du fort au foible. Un seul coup-d’œil sur les bourgeons indique la place où l’on doit tailler.

D. Après s’être conformé aux quatre grands principes fondamentaux, ne reste-t-il plus rien à faire pour la taille d’hiver ?

R. Il faut palisser soit avec des loques, soit sur des alaises, les mères branches, celles du second ordre & les bourgeons ; enfin les assujettir de manière que les coups de vent & autres accidens ne les dérangent pas de la direction qu’on leur a donnée. Quant aux ligatures, elles seront lâches, c’est-à-dire, qu’entre elles & l’écorce, il reste un vuide proportionné au volume que les branches ou bourgeons doivent acquérir pendant l’année. Si la ligature est trop serrée, il se formera un bourrelet, & ce bourrelet, (consultez ce mot) est très-nuisible a la végétation ; que si on est contraint de serrer fortement une grosse branche, soit pour la faire plier, soit pour lui faire prendre une nouvelle direction, cette opération n’aura lieu que petit à petit, & tous les quinze jours on resserrera le lien ; mais entre les points de contact du lien sur l’écorce, on aura soin de glisser de la paille ou des paquets de chiffons, afin que le lien ne meurtrisse pas l’écorce. (Consultez les mots palissage, pêcher)

CHAPITRE III

De la Taille d’été.

La taille d’été a pour objet l’ébourgeonnement, le cassement ou pincement & le palissage. Consultez ces mots, afin d’éviter les répétitions. En quoi consiste la taille d’été du jardinier qui n’a aucun principe ? Dans le courant de juin, ou au plus tard dans le commencement de juillet, il arrive & commence une suite d’arbres gros ou petits, jeunes ou vieux, sains ou souffrans, peu lui importe ; il arrête tous les bourgeons de l’année à trois ou quatre yeux, soit au sommet, soit sur les côtés des arbres : voilà sa taille d’été. Que résulte-t-il de cette absurde manipulation ? aucun bien & beaucoup de mal. La taille est faite à contretemps, puisque l’œil supérieur du tronc du bourgeon qu’il a laissé, se développera & poussera presqu’aussi long que si on n’avoit pas touché au bourgeon ; & sur le bas de ce bourgeon, les yeux resteront simplement à bois, tandis que l’objet de la taille d’été est de les disposer à se changer en boutons qui fourniront par la suite le bois à fruit. Ce n’est encore rien ; il faudra à la taille suivante de l’hiver, rabattre au dessous de la seconde poussée : on aura donc sans nécessité & très-mal à propos, 1°. dérangé le cours de la sève dans sa plus grande impétuosité ; 2°. employé la sève à nourrir en pure perte du bois que l’on retranchera ; 3°. supprimé les ressources que la nature offroit d’elle-même à l’arbre, pour se charger de fruits. Le propriétaire se plaint ensuite que ses arbres ne portent pas de fruit ; le jardinier s’excuse sur la saison, sur le sol qui ne convient pas à l’arbre ; enfin il raisonne comme il travaille, toujours à contre sens. C’est un raisonneur & un ignorant.

À l’article ébourgeonnement, j’ai rapporté le texte de M. l’abbé Roger de Schabol. Celui de M. de la Bretonnerie présente d’autres idées neuves, & il complettera cet article. Ce rapprochement fera plaisir à nos lecteurs. « L’ébourgeonnement ou taille d’été est aussi essentielle que la taille d’hiver. De son opération & de la saison de la faire qui sont aussi peu connues, dépend le succès ».

Danger d’ébourgeonner trop tôt.

» 1°. Si vous ébourgeonnez avant que la grande furie de la pousse soit passée, vos arbres s’épuiseront à repousser une quantité prodigieuse de bourgeons qui vous obligeront de recommencer plusieurs fois le même ouvrage, déjà assez long par lui-même, ce qui n’arrive pas quand la sève est arrêtée. Il faut donc attendre, comme disent les gens de l’art, que l’arbre ait jeté tout son feu, & qu’il soit devenu sage[3].

» 2°. Si l’on supprime les bourgeons trop tôt, presque toutes les branches deviennent gourmandes, et il ne se forme que peu ou point de branches à fruit ; mais quand le bourgeon reste plus long-temps, en partageant la sève, il la modère & l’arrête ; il en résulte plus de branches foibles, qui sont celles qui donnent du fruit.

» 3. En supprimant les bourgeons avant que les arbres aient fini leur pousse, on augmente la sève de celles qui restent, & il arrive encore qu’elles poussent de nouveaux bourgeons de tous leurs yeux, même les plus bas[4], ce qui rend la taille d’hiver tellement difficile, qu’on ne sait plus, pour l’asseoir, où trouver un œil qui n’ait pas poussé ; il faut le chercher souvent jusqu’à une très-grande hauteur, où la branche a quelquefois trop perdu de sa force, ce qui est la cause que tant d’arbres sont dégarnis & » totalement dénués, par le bas, de branches à bois & à fruit.

» 4. Enfin, en ébourgeonnant trop tôt, on découvre, et l’on met à l’air, avant qu’ils aient pris assez de consistance, les fruits encore trop tendres qui croissent, se nourrissent, grossissent à couvert sous les bourgeons, & y acquièrent plus de fermeté pour résister au impressions de l’air quand la saison de supprimer les bourgeons sera venue. »

Véritable saison de l’ébourgeonnement.

» Celle du pêcher & de l’abricotier est au déclin du solstice[5], depuis la fin de juin jusqu’à la fin de juillet, après la grande pousse des arbres qui se fait en juin… Pour les poiriers, pommiers & pruniers, dont la pousse est plus tardive, ce n’est qu’au déclin de la canicule, depuis la fin de juillet jusqu’à la fin d’août, n’étant plus à craindre après ce renouvellement de sève, qu’on appelle la sève d’août, occasionnée par la grande chaleur de la canicule[6], que les arbres poussent de nouveaux bourgeons, qui ne seroient même que de faux bourgeons tendres, blanchâtres, nullement propres à donner du bois, ni du fruit… Si vous retranchez trop jeunes les sorties, les nouveaux canaux où l’abondance de la sève s’est extravasée, ne pouvant plus être contenue dans les principales branches, la sève perce de nouveau, et forme de nouveaux bourgeons multipliés, par-tout où elle trouve jour ; elle s’épuise enfin à ce jeu répété ; & toutes les petites plaies de ces nouveaux rejetons que vous avez retranchés, et dont les pores sont plus ouverts, prenant plus d’air, sèchent & fatiguent vos arbres. La sève, au contraire, a-t-elle jeté tout son feu, a-t-elle poussé au-dehors tout ce qu’elle contenoit de superflu, elle s’arrête ; vous retranchez alors entièrement ces bourgeons, c’est-à-dire, toutes les petites branches qui sont sur le devant & sur le derrière de l’arbre, celles enfin qui sont confuses & absolument inutiles. Il n’en repousse plus d’autres, ces mêmes bourgeons étant alors plus murs, plus serrés, les pores moins ouverts, le retranchement que vous en faites, donne moins d’entrée à l’air, desséche & fatigue moins vos arbres. Les fruits, d’ailleurs encore tendres, ont besoin de cette couverture pendant un certain temps à l’abri des bourgeons, étant moins exposés aux ardeurs du soleil & à d’autres accidens ; ils se nourrissent & grossissent davantage, & se trouvant débarrassés à temps & à propos de ce bois inutile, avant de les palisser, ils s’accoutument insensiblement à l’air, & prennent une nouvelle croissance.

» Enfin, toutes vos branches à palisser étant plus corsées, ayant plus de longueur & de consistance, elles supportent mieux les attaches, elles ont plus de soutenance, & votre palissage est fait pour n’y plus revenir ; c’est diminuer l’ouvrage & gagner du temps : il faut donc sur cela ne pas céder aux mauvais exemples & ne jamais ébourgeonner avant le temps prescrit, si ce n’est dans des cas particuliers & extraordinaires, comme il arrive quand les fourmis ont attaqué un pêcher, qu’elles en ont crispé & recoquillé les bourgeons & les feuilles dont elles ont formé des paquets aux extrémités des branches, où elles se retirent avec le puceron. Il faut alors devancer l’ébourgeonnement ordinaire, couper tous ces bourgeons & les bouts de ces branches habitées par ces animaux.

» Les greffes mêmes, quand elles sont faites à propos dans le temps du mouvement de la sève, dont les jets poussent avec force, n’ont pas besoin de cette suppression prématurée des bourgeons ; ils ne peuvent que contribuer, comme on le souhaite, à retenir ces jets principaux des greffes, en moyen bois qui ne prend point trop de force, ne s’élance pas trop & se met plutôt à fruit. Enfin, on abandonne l’arbre à cet effet avec tous ses bourgeons à lui-même, jusqu’à ce que cette première fougue soit passée. « 

Exceptions.

» Après la connoissance des règles générales, il faut encore observer les variations du tems qui font les années plus hâtives ou plus tardives. L’année 1770 fut tellement tardive dans le climat de Paris, le froid rigoureux de l’hiver ayant duré un mois de plus qu’à l’ordinaire, & s’étant prolongé par des pluies qui refroidirent encore la terre, on ne put ébourgeonner les pêchers qu’en août, dans les terres froides sur-tout, & les fruits, qui n’avoient été nourris que d’eau pendant près de deux mois, étoient encore si tendres, & le soleil devint si brûlant, qu’on fut obligé de couvrir les pêches avec des feuilles de vigne, à mesure qu’on palissoit, pour les garantir des coups de soleil, jusqu’à ce qu’il vînt un temps sombre qui permît de les découvrir. Il en fut de même en 1777. Les poiriers & les pommiers particulièrement, restèrent très-tard en sève ; mais en 1778, ce fut le contraire. Les poiriers se trouvèrent en état d’être ébourgeonnés dès le commencement d’août, à cause de la grande sécheresse qui précéda & qui dura long-temps. En 1781, la grande chaleur & la longue sécheresse du printemps avança tout ; les abricotiers & les pêchers furent en état d’être ébourgeonnés quinze jours plutôt qu’à l’ordinaire ; c’est-à-dire, dès le commencement de juin. On feroit mal alors d’attendre un temps qu’on propose comme une règle générale, qui n’est pas, comme l’on voit, sans exception, suivant les années et les circonstances. »

» L’ébourgeonnement du pêcher & de l’abricotier consiste, 1°. à couper à une ligne ou deux près de la branche qui les porte, les bourgeons qui ont poussé sur le devant, derrière & dans les aisselles de ces branches : 2°. à ravaler dans l’intérieur de l’arbre toutes les branches trop foibles sur les plus basses, faisant la même opération lorsque les branches seroient trop confuses & qu’on ne trouveroit pas absolument trop de place pour palisser ; car pour peu qu’il y en ait, il faut palisser beaucoup & couper le moins qu’on peut, & quand il se trouve des branches fortes, nécessaires pour garnir l’étendue de l’arbre, il ne faut laisser subsister qu’à la distance au moins de deux pieds les unes des autres ; on a l’attention de n’entretenir que des plus foibles entre deux : 3°. on retranche par le pied les gourmands mal placés, dont on ne sauroit absolument rien faire, & on conserve ceux qui peuvent remplacer les principales branches s’il y en a qui languissent, ou pour remplir les vuides. On coupe ces derniers à la fin de mai, à moitié de leur longueur ; à la mi-juin encore plus bas, & au commencement de juillet, à un seul œil ou bien à deux ou trois yeux les plus bas, selon la place à remplir, & d’où il sortira des branches plus foibles, qui seront encore assez tôt formées pour donner du fruit l’année suivante… Mais on retranche entièrement dans ce même temps ceux qui se sont formés au pied des principales de la dernière taille aux extrémités de l’arbre. On feroit de trop grandes plaies à ces branches, si on ne les supprimoit qu’au temps de l’ébourgeonnement : 4°. on retranche tout le bois mort ; on coupe les branches attaquées de la gomme au-dessous de la partie affectée. »


  1. On a divisé le cercle en trois cent soixante parties égales, qu’on a nommées degrés. On peut subdiviser le degré en autant de point ou lignes qu’on le désire. On appelle quart de cercle la distance comprise entre A & N. Elle est divisée en quatre-vingt-dix degrés : le milieu entre A & N est à quarante-cinq degrés.
  2. Dans cet article sont données toutes les méthodes de la taille proposées par les différens auteurs ; ce qui m’évite d’entrer ici dans de nouveaux détails. (Consultez cet article essentiel, afin de juger par comparaison.)
  3. Note de l’éditeur. C’est l’époque de la stase de la sève. (Consultez ce mot)
  4. Dans nos provinces vraiment méridionales, lorsqu’on pince & ébourgeonne trop tôt les pommiers, les boutons du bas des bourgeons s’ouvrent et donnent des fleurs sur la fin d’août.
  5. L’auteur parle pour le climat de Paris ; à mesure qu’on s’approche du midi, l’ébourgeonnement doit être plus rapproché.
  6. J’ai développé à l’article sève, les causes de cette seconde sève, & d’après quels principes elle s’exécute.