Aller au contenu

L’Œuvre de Richard Wagner à Paris et ses interprètes/Texte entier

La bibliothèque libre.
Maurice Senart et Cie, éditeur (p. couv.-92).

L’ŒUVRE

DE

Richard Wagner

À PARIS

ET SES INTERPRÈTES

(1850-1914)


PAR
HENRI DE CURZON



AVEC DES TABLEAUX DE TOUS LES INTERPRÈTES DE CHAQUE ŒUVRE
UN INDEX GÉNÉRAL DE TOUS LES NOMS CITÉS
ET 24 PLANCHES COMPRENANT 42 PORTRAITS



MAURICE SENART ET Cie, ÉDITEURS
20, RUE DU DRAGON, PARIS
TOUS DROITS RESERVÉS



À MADEMOISELLE MARIETTE DABIJA
HOMMAGE

DE RESPECTUEUSE ET SINCÈRE AFFECTION
H. de C.


L’ŒUVRE DE RICHARD WAGNER À PARIS

ET SES INTERPRÈTES




Le cycle incomparable des drames de Richard Wagner était à peine accompli, sur notre première scène, lorsque des événements trop peu prévus en ont brusquement éteint le rayonnement. L’Allemagne domestiquée par la Prusse, et qui doit à son culte de la force, à son matérialisme intensif l’incroyable décadence où nous la voyons dans toutes les branches de l’esprit, même dans celle où elle était sans égale, la musique, l’Allemagne se manifestait au monde comme la négatrice de tout droit, de toute justice, de toute beauté. Elle déshonorait jusqu’à l’héritage dont elle eût pu être le plus réellement fière.

Mais le beau est éternel comme la justice et comme le droit, et il revivra sur les ruines amoncelées. En attendant cette heure incertaine mais sûre de son règne, recueillons-nous et cherchons un refuge dans le passé. Évoquons un instant cette évolution radieuse de chefs-d’œuvre, si vibrante encore autour de nous, et, s’il se peut, jouissons-en encore par le souvenir, par l’empreinte profonde qu’ils ont laissée en nous.

Aussi bien, l’œuvre wagnérienne nous appartient. Je ne veux pas seulement dire par là qu’elle est désormais à tous, que les années écoulées depuis la mort de Wagner l’ont libérée légalement, et qu’elle ne nous rend plus tributaire de nos ennemis. Je tiens qu’elle est à nous par droit de conquête, parce qu’elle est devenue l’une des gloires de nos scènes lyriques, et parce que nous l’avons mise en valeur aussi bien, et mieux parfois, que partout ailleurs. Je vais plus loin. Je prétends qu’elle n’a été nulle part mieux appréciée et plus réellement aimée qu’en France.

… À qui trouverait quelque paradoxe en cette assertion, je rappellerai ce mot de Nietzsche : que « l’une des conditions nécessaires pour goûter l’art wagnérien est la délicatesse, la finesse artistique des cinq sens, et qu’elle ne se rencontre qu’à Paris ». Ou, mieux encore, les déclarations de Wagner même (lettre à Gabriel Monod, en 1876) que les festivals de Bayreuth « ont été jugés par les Français avec plus de justesse et d’intelligence que par la grande majorité de la presse allemande » ; et plus tard, à propos de la représentation des Maîtres Chanteurs à Munich (en 1879) : « Il est remarquable que ce furent les quelques spectateurs français, qui y assistaient, qui reconnurent, dans toute sa vivacité, l’élément populaire de mon œuvre et l’acclamèrent comme tel : alors que rien, au contraire, ne trahit une pareille impression sur le public munichois que j’avais eu surtout en vue[1] ».

Pendant la dernière guerre, tel de nos Français prisonniers, musicien, cherchant à causer de son art avec les Allemands qu’il rencontrait, s’apercevait avec stupeur que le nom même du maître « national » était parfaitement ignoré d’eux.

Pour rester sur le terrain de l’intelligence et de l’exécution de son œuvre, on se souvient des enthousiasmes de Wagner à Paris, soit devant la révélation de Beethoven, soit, plus tard, aux répétitions de Tannhaeuser : « Je déclare hautement, écrivait-il à Wesendonck, que je n’ai encore jamais été à pareille fête, et, qu’en Allemagne, je n’y arriverai certainement jamais ». À Bayreuth enfin, on tient de lui cette parole : « Je ne suis pas inquiet avec les Français. Ils finiront par m’interpréter mieux que les Allemands. » — Et voilà mon dire justifié.

Wagner savait à qui il avait affaire. Peut-être même pensait-il, comme Nietzsche encore : « qu’un artiste ne peut avoir d’autre patrie que Paris[2] ». Depuis sa jeunesse il n’avait cessé de tenir ses regards rivés sur la France, et sa vie était hantée du regret de n’avoir pas reçu chez nous cet accueil qui avait été également refusé à Mozart mais qui avait assuré le triomphe de Gluck. Comme Mozart cherchait dans notre théâtre le thème de ses inspirations, Wagner s’était épris de nos épopées : Lohengrin, Tristan, Parsifal en témoignent. En vain lui objectait-on cette hostilité toujours latente chez nous. Il avait reconnu qu’elle était irraisonnée et superficielle, qu’elle tenait à des motifs extrinsèques, dont il était le premier à déplorer l’origine. Et il déclarait, en propres termes, qu’elle était peu de chose, en somme, auprès de celle dont ses compatriotes n’avaient cessé d’entraver toute son activité, et qui, celle-là, (nous sommes assez renseignés pour nous en être rendu compte à notre tour), était aussi perfide, lâche, et calculée qu’on peut l’imaginer d’une pareille race.

« Il fait sombre dans mon cœur d’Allemand (écrivait-il en propres termes à Hans von Wolzogen, en 1880, c’est-à-dire tout à la fin de sa carrière). Je pense, de plus en plus, à quitter, avec les miens, l’Empire allemand pour l’Amérique… Mais d’abord. Parsifal ! »

Oui, si l’on veut étre juste et juger d’ici, sans parti pris, la question wagnérienne, il faut reconnaître que l’Allemagne n’a adopté ni apprécié Wagner que lorsqu’elle a compris qu’elle en pouvait faire un instrument d’expansion commerciale, une arme de guerre. Alors seulement, rien ne lui a plus coûté pour vanter et applaudir l’œuvre qu’elle avait méconnue, l’artiste qu’elle avait exilé et condamné à la misère. C’est l’Allemagne qui, par les agissements souterrains où elle se complaît, a pu rendre odieux à de bons esprits (que n’arrêtait pas la question musicale) certains à côté du triomphe de Wagner chez nous. La qualité de l’œuvre n’y est pour rien, pas plus que ses « tendances » imaginaires. Si l’on veut voir le pangermanisme au travail, dans le domaine de la musique, ce n’est pas là qu’il faut le chercher, mais chez ceux qui ont prétendu enchérir sur lui et sur les maîtres de l’art : dans les symphonies où les cornets d’automobile et les bruits de cailloux froissés prennent rang à côté des violons et des flûtes, dans les drames lyriques où des poèmes malsains et déformateurs sont accentués d’une réalisation musicale prétentieuse et alambiquée. C’est là que le colossal, le complexe, le dominateur, règnent sans partage. Wagner, selon l’expression parfaitement juste de M. Vincent d’Indy, Wagner est « le dernier des classiques ». Wagner n’a pas seulement du génie, il a du goût, il est clair, il est sain.

Et c’est pourquoi nous admirons et nous aimons son œuvre, comme nous admirons et aimons celle de Mozart et de Beethoven, celle de Bach et de Haendel, de Gluck et de Weber, de Schubert et de Schumann…

Ce n’est pas à nous qu’il faut demander de détruire les cathédrales !


On oublie d’ailleurs un peu trop facilement, en général, qu’avec Wagner nous restons dans le domaine historique ; qu’il s’agit d’un contemporain de Berlioz, de Meyerbeer et de Rossini, et que son œuvre, si elle a attendu trente, quarante, cinquante ans même, pour prendre rang sur notre scène, n’en est pas moins chronologiquement voisine de Charles VI et du Prophète, du Trouvère et de Faust, des Troyens et d’Hamlet. Un arrêt soudain, une coupure nette a souligné ce recul. Il est donc naturel et logique d’en parler, dès à présent, d’une façon historique et documentaire.

Ce n’est pas sans une réelle émotion que mes souvenirs s’attachent à cette évolution du cycle wagnérien sur la scène parisienne. Après l’avoir suivie pas à pas, ou peu s’en faut, pendant toute sa période, j’ai peine à ne pas m’y attarder encore. Oui, telles représentations, véritables rayonnements de poésie, révélatrices de beauté et de vie, vibrent encore en moi comme au premier jour, et il me semble acquitter une dette de reconnaissance, en évoquant quelques-unes des impressions qu’elles nous ont causées alors, en dressant, aussi complet que possible, le tableau des artistes qui ont eu, successivement, l’honneur d’y prendre part.


L’ŒUVRE DE RICHARD WAGNER AU CONCERT




Avant, toutefois, de rappeler les exécutions de ces œuvres au théâtre, lesquelles n’ont commencé régulièrement qu’en 1891, — c’est une place à part qui est due aux tentatives brusquement arrêtées de Tannhaeuser en 1861 et de Lohengrin en 1887 ; et Rienzi (1869) peut être négligé, — il importe d’esquisser rapidement les auditions, préparatoires en quelque sorte, dont elles ont été l’objet au concert.

Les fragments choisis furent d’abord, et pendant assez longtemps, symphoniques. Aussi bien Wagner lui-même en avait donné l’exemple, dans les trois séances organisées par lui au cours de son séjour à Paris, en janvier-février 1860. Il avait fait exécuter (dans la salle du Théâtre Italien) l’ouverture du Vaisseau fantôme, l’ouverture, les deux marches et une introduction de Tannhaeuser, le prélude, la marche et le chœur des fiançailles de Lohengrin, enfin le prélude de Tristan. Tout au plus avait-il donné place, la seconde fois, à la « romance de l’Étoile » de Tannhaeuser, interprétée par Jules Lefort. Pour être exact, et juste, il importe encore de noter qu’avant même cette date, l’ouverture de Tannhaeuser avait été entendue du public parisien : Seghers, à la Société Sainte-Cécile, l’avait dirigée en 1850, et Arban, aux Concerts de Paris, en 1858. C’est incontestablement la première page wagnérienne qui ait acquis droit de cité à Paris, et celle encore qui, longtemps, ait été la mieux comprise, la mieux reçue.

Au moment où l’Opéra répétait Tannhaeuser, un autre chef d’orchestre, qui commençait sa carrière, s’était mis en tête de faire connaître, et de défendre au besoin, cette musique nouvelle : c’est Pasdeloup. Et comme il devait, pendant une douzaine d’années, régner sans partage, son action a été aussi considérable que son audace méritoire. Quelques réserves qu’une critique sévère puisse faire sur ses exécutions, il n’est pas de plus noble figure et qui commande, autant que la sienne, la gratitude et le respect des musiciens.

Il dirigeait encore « les Jeunes artistes » du Conservatoire, quand il fit entendre, en 1861, le chœur des fiançailles et la marche de Lohengrin. C’était avant l’audition inconsciente de Tannhaeuser à l’Opéra. Après le retrait de cette œuvre par Wagner, il redonna encore ces deux pages. Peu de temps après, il fondait ces « Concerts populaires » qui allaient rendre si célèbre le Cirque d’hier, et exécutait dès lors, successivement, mais encore à de longs intervalles, la marche (1865), puis l’ouverture, de Tannhaeuser, le prélude, la marche et le chœur des fiançailles, la marche religieuse, de Lohengrin, l’ouverture du Vaisseau fantôme et celle de Rienzi, le prélude l’entr’acte, la marche du troisième acte, puis l’ouverture, des Maîtres Chanteurs, le prélude de Tristan, enfin (1876), la marche funèbre du Crépuscule des dieux. Avec quelle fortune, je n’ai pas à le redire : il y eut des séances épiques. On applaudissait assez volontiers, mais on sifflait plus volontiers encore, parfois « par sport », comme des écoliers « conspuent » un maître qui leur déplaît. Une fois, on bissa, d’enthousiasme, par erreur sans doute, le prélude de Lohengrin (en 1867) ; d’autres fois l’orage prit des proportions de scandale (l’ouverture des Maîtres Chanteurs, entre autres, en 1869). Pasdeloup, alors, perdait un peu la tête, mais il allait jusqu’au bout. Bien plus, il remettait l’œuvre au programme de sa séance suivante !

Le vaillant artiste fit plus : ayant, à cette même date, assumé la charge de directeur du Théâtre Lyrique, il monta Rienzi (1869). Et s’il était un peu tard, au point de vue wagnérien, — l’œuvre date de 1842 et ne correspondait plus du tout à l’esthétique actuelle du maître, — il n’était du moins pas trop tôt pour le public parisien, car le chiffre très honorable de trente-huit représentations prouve l’intérêt sérieux qu’il y sut prendre. Les interprètes furent : le vaillant ténor Monjauze, avec Mlle Sternberg dans le personnage d’Irène, Mlle Borghèse dans celui d’Adriano, et Mlle Priola dans le messager de paix.

La Société des Concerts du Conservatoire, — dont le rôle est d’ailleurs plutôt de rendre en perfection les œuvres classiques, connues ou non, que d’en révéler de nouvelles, — ne s’était pas tout à fait abstenue pendant ces quinze années : elle avait offert à ses abonnés la marche et le chœur des pèlerins de Tannhaeuser, ainsi que la marche religieuse de Lohengrin.

On s’étonne davantage qu’Édouard Colonne, fondant les séances de « l’Association artistique » en 1873, ait poussé la prudence jusqu’à attendre huit ans avant d’accorder à Wagner une place sur ses programmes. Il s’efforça du moins de choisir des pages neuves. Telle, la « Chevauchée des Valkyries », qui devait prendre rang parmi ses succès les plus répétés (1881) ; tel le prélude et la finale de Tristan, amalgamés suivant l’usage. Il avait commencé, en 1880, par les ouvertures de Tannhaeuser et du Vaisseau fantôme, sans oublier « Siegfried-idyll ».

C’est du reste une étape nouvelle que marquent ces années-là, dans cette chronique de Wagner au concert, mais bien moins parce que Colonne avait enfin pris son parti, que parce que Charles Lamoureux entrait à son tour dans l’arène, en fondant, au théâtre du Château-d’eau, ses « Nouveaux Concerts ». Certes, le Cirque d’hiver continua, et avec plus de zèle que jamais, de vibrer aux accents d’importantes pages symphoniques ou lyriques, anciennes ou nouvelles ; et le vaste théâtre du Châtelet n’en attira pas moins la foule croissante des dilettantes à ses exécutions très vivantes, très chaleureuses. Mais au Château-d’eau et plus tard à l’Eden, puis au Cirque d’été, il y avait vraiment quelque chose d’à part. Sous l’inspiration d’un chef sévère, exigeant, mais essentiellement imprégné de l’esprit wagnérien, et qui inspirait, par son autorité même, une confiance toute particulière à ses auditeurs comme à ses musiciens, les œuvres qu’on croyait le mieux connaître apparaissaient sous un jour nouveau, évoquaient des impressions plus émouvantes, faisaient comprendre aux indécis de bonne foi, avec la pensée du maître, la raison d’être et la beauté de ce qu’elle apportait de neuf.

On sent très bien ce revirement d’opinion dans les articles du temps, ceux du moins que dictait une vraie conscience. On n’avait eu trop souvent, jusqu’alors, avec Pasdeloup, qu’une esquisse, un à peu près de L’œuvre, et L’on goûtait enfin à son extraordinaire source de vie.

On y goûtait seulement, car, après tout, c’était encore faute de mieux. Wagner le déclarait un jour à Louis de Fourcaud, qui me l’a répété : ces succès de concert, dont on lui faisait remarquer l’enthousiasme croissant, il ne les appréciait qu’assez peu. Il allait jusqu’à dire qu’ils trahissaient son œuvre et en évoquaient à faux l’esprit véritable.

C’est sans doute dans la même pensée qu’il formulait, devant le même auditeur, la boutade suivante : En France, trois sortes de personnes s’occupent de moi, si je ne me trompe : celles qui connaissent ma musique, et qui sont rares ; celles qui ne la connaissent pas et qui l’aiment ; et celles qui la détestent sans la connaître.

Il exprimait ainsi, en termes sobres, une observation des plus justes. Mais, pour être tout à fait exact, il eût pu distinguer encore deux autres classes d’auditeurs. D’une part, ceux qui, sans connaître sa musique, ne se contentaient pas de la détester, mais mettaient tout en œuvre pour lui susciter des adversaires et la dénigraient par principe ; de l’autre, ceux qui, croyant la connaître, faisaient litière, à son profit, de toutes les autres, et par un autre principe, pensaient l’exalter en lui donnant des allures d’intransigeance et de domination.

Et l’on peut se demander par qui des deux la cause de Wagner a été le plus trahie ? Comme dit le fabuliste :

Rien n’est si dangereux qu’un ignorant ami
Mieux vaudrait un sage ennemi.

Mais, pour aimer la musique de Wagner sans réellement la connaître, combien d’entre nous en étaient ! Moi, du moins. Je l’admirais, je l’aimais, certes, comme ébloui par ce flot lumineux de vie et de poésie que j’y entrevoyais. Mais je n’en ai vraiment été épris, et ému, que lorsque je l’ai entendue au théâtre, dans son ambiance spéciale, dans son action vibrante, telle qu’elle a été conçue. Et encore, peu à peu, à mesure que je la connaissais mieux. Tant il est vrai qu’admirer et comprendre, aimer et connaître, ne vont pas toujours ensemble. Par exemple une conséquence originale de cette évolution, c’est qu’on se trouve plus foncièrement « wagnérien » à mesure que la mode de l’être décroît et disparaît. Il n’y a, du reste, pas de mal à cela : on a conscience de n’avoir, à aucun moment, pris parti sans savoir, et cessé d’écouter afin de mieux connaître : et cette satisfaction n’est pas méprisable.

Oh ! nos belles années de passion musicale désintéressée, de lutte pour le beau sans étiquette, pour l’art tout court…, quand les retrouverons-nous ? Oh ! les temps héroïques où les concerts dominicaux vibraient de toute la fièvre d’attente, de satisfaction et de joie apportée par l’exécution des chefs-d’œuvre, nouveaux pour le public, et qu’il s’agissait de lui faire comprendre, de Bach à Berlioz, de Beethoven à Wagner !… Avec quelle religion nous nous y préparions, avec quelle foi nous les suivions, avec quelle exigence nous en réclamions la parfaite mise en valeur !

Chez Colonne, dans la trop grande salle du Châtelet, l’admiration était bruyante et combative : l’air était comme chargé d’électricité… Chez Lamoureux, on concentrait ses impressions : dans les enceintes du Château-d’eau, de l’Eden, du Cirque d’été, depuis longtemps disparues…, comme notre jeunesse…, il semblait qu’on entrât dans un sanctuaire. Malheur aux frivoles et aux distraits qui croyaient permis de causer ou de quitter sa place ! Charles Lamoureux les foudroyait du regard. Et que de fois il a tout arrangé, tout fait recommencer… Les coupables eussent voulu rentrer sous terre ! Mais aussi quels enthousiasmes après ces magistrales exécutions ! De quel feu sacré ne nous pénétrait-il pas, cet orchestre chaleureux et vivant ! On sortait de là comme tonifié pour la semaine.

Notez qu’à cette époque heureuse il n’y avait pour ainsi dire plus de lutte à soutenir : l’audacieux Pasdeloup avait aplani la route. Ou plutôt, entre les différents concerts, on luttait de perfection dans le rendu. La lutte n’est revenue, et encore pas bien longtemps, que lorsque le concert a fait place au théâtre, les fragments aux œuvres intégrales, — et que des gens qui, d’ailleurs, n’allaient pas plus au théâtre qu’au concert, ont prétendu empêcher le public d’entendre ce que bon lui semblait. — Fermeront-ils aussi nos musées, de peur que nous n’admirions telle école dont la nationalité les choque ?

Certains esprits, sérieux pourtant, soutenaient que nous faisions le jeu de l’Allemagne ! Oui, nous en savons qui traitaient de « victoire » allemande l’arrivée (si tardive !) de Wagner à l’Opéra. Comment ne voyaient-ils pas que c’est eux-mêmes qui le faisaient, ce jeu, en prenant au sérieux le bluff coutumier et lourdement naïf de nos ennemis ? Ne savent-ils pas bien que ce bluff est partout, même là où il est le plus inutile du monde ? — Car enfin, il s’agit ici de tels chefs-d’œuvre que la moindre « réclame » est presque une insulte au goût. — Si les opulents espions qu’hébergeait notre courtoisie trouvaient spirituel de souligner à leur façon, c’est-à-dire avec le manque de tact de leur race, la supériorité du génie de Wagner, que nous importe ? Une « victoire allemande » parce qu’on jouait du Wagner ?

… Lorsque Samson et Dalila (créé sur la scène de Weimar, en 1877, grâce à Liszt) a été solennellement représenté à l’Opéra de Berlin, en 1913, et officiellement acclamé sous la propre direction de M. Camille Saint-Saëns, quelqu’un s’est-il donné le ridicule de parler de « victoire française » ?

Revenons à nos concerts et aux exécutions fragmentaires des drames wagnériens.

Avant cette date de 1881, que nous marquions tout à l’heure comme celle de l’essor définitif de grandes pages de Wagner dans les concerts, les seuls fragments lyriques avaient été empruntés à Tannhaeuser. Un souvenir spécial doit s’attacher à la soirée que le ténor Roger avait tenu à organiser à l’Opéra-comique, le 17 septembre 1861, avant une série de représentations régulières qui fut la dernière de sa belle carrière. Il y chanta le grand récit du pèlerinage à Rome, avec un art d’autant plus méritoire qu’il resta plus incompris et le baryton Troy la romance de l’Étoile. L’ouverture avait été exécutée d’abord. Pasdeloup, de son côté, n’avait pas tardé à songer à Lohengrin. À ses concerts, Victor Capoul, en 1867, avait chanté le récit du Graal, de Lohengrin, et surtout, le Vendredi Saint de 1868, Faure et Christine Nilsson avaient évoqué d’inoubliables impressions de grandeur et de poésie dans les premières scènes du troisième acte de Tannhaeuser : romance de l’Étoile et prière d’Élisabeth. La mémoire en doit être conservée, ne fût-ce que pour remarquer, — avec un regret dont on ne peut se défendre, — que, sans la guerre de 1870, ces chefs-d’œuvre, auraient pu dès lors nous être offerts avec de tels interprètes !… La même année, la Société des Concerts du Conservatoire faisait entendre le chœur des pèlerins, de ce même Tannhaeuser.

Lorsque, quelques années après cette date fatale, Pasdeloup reprit les pages d’orchestre de son précédent répertoire, il y joignit un jour la prière de Rienzi, avec Bosquin, et le récit de Lohengrin, avec Vergnet, lequel était encore au Conservatoire (1871). Mais ce qui compte surtout, pendant cette période, c’est l’audace qu’il eut, en 1879, d’exécuter en entier le premier acte de Lohengrin, avec le ténor Prunet, les barytons Auguez, Seguin, Piccaluga, et Mlle Juliette Rey.

La saison de 1881, je l’ai dit, fait preuve d’une émulation, qui est désormais générale. Les trois concerts populaires rivalisent d’auditions sensationnelles. Abandonnons donc leur succession rigoureuse pour les grouper, jusqu’à la fin de ce cycle de trente-trois ans, selon les œuvres elles-mêmes.

On pourrait croire inutile de faire entrer Rienzi en ligne de compte. Il n’a pourtant jamais été abandonné, et non seulement pour la prière du héros du drame, dont le ténor Bosquin s’était fait comme une spécialité (1874-1883), et que chantèrent plus tard Vergnet (1890 et 1898), Van Dyck (1894), Cazeneuve (1899)…, mais pour l’air d’Adriano, que Mme Materna mettait sur son programme chaque fois qu’elle venait à Paris (1889, 1890, 1894), et que chanta également Mme Schumann-Heink (en 1903). Colonne fit même entendre, en 1882, toute une partie du troisième acte, avec Stéphane et Mmes Dihau, Marie Battu et Brun. Je ne parle pas de l’ouverture, qui est classique en quelque sorte et par qui Lamoureux débuta en 1881.


Avec le Vaisseau Fantôme, nous entamons la série des œuvres dont la représentation a été comme préparée au concert. On ne trouve guère, avant son entrée au répertoire de l’Opéra-Comique en 1897, que la fulgurante ouverture et le délicieux chœur des fileuses. Pasdeloup, cependant, toujours initiateur, avait fait chanter, en cette année 1881, la scène du Hollandais et de Senta (par Lauwers et Mme Brunet-Lafleur) et Lamoureux l’air du Hollandais (par Guiot) ; puis, en 1886, Colonne donnait à son tour le duo du deuxième acte (avec Victor Maurel et Mlle Tanésy). Dans ces dernières années, l’air de Senta fut choisi par quelques cantatrices, telle Mme Kutscherra (1905), et celui du Hollandais par divers barytons, tels Frœlich (1908) et surtout Delmas (1910), Renaud (1911), Van Rooy (1912) et Albers (1913), qui se montrèrent tous quatre très remarquables à des titres divers.


Tannhaeuser, à partir de 1873, n’a pour ainsi dire pas quitté le répertoire des Concerts, et le choix des morceaux élus a toujours été d’autant plus justifié que l’action scénique y est moins sensible. En dehors de l’ouverture, de la marche, du chœur des pèlerins, c’est le troisième acte qui s’offrait de préférence aux exécutions. Nous avons déjà vu la poétique invocation de Wolfram et la prière d’Élisabeth révélés véritablement au public par les deux plus grands artistes de Paris. Ce n’est qu’après treize ans, en 1881, que notre illustre Faure, toujours aux séances de Pasdeloup (auquel il est resté si fidèle) nous fit réentendre ces pages avec son style admirable et voix de velours ; il avait, cette fois, pour Élisabeth, une jeune élève du Conservatoire, dont la carrière devait être particulièrement belle, et à qui, justement, l’avenir destinait ce rôle à l’Opéra, quinze ans plus tard : Mme Rose Caron.

Les mêmes scènes furent encore chantées par celle-ci et Lauwers, chez Colonne (1883). Mais le plus souvent, elles étaient détachées. Faure chanta fréquemment l’invocation à l’Étoile, soit seule, soit après le septuor du premier acte et la phrase : « Salut, salut, ô chanteur magnanime ! » que nul n’a jamais dite comme lui. (Concerts Pasdeloup, Colonne et Lamoureux : 1882, 1883, 1884, 1885, 1887, 1889). On y entendit également Victor Maurel (1881, concerts Delsart), Auguez (1881, Colonne), Heuschling (1882, Lamoureux), Bouhy (1880, Colonne), Delmas (1890, Conservatoire), Van Rooy (1901 et 1905, Colonne), Daraux (1905, Colonne), Renaud (1909, 1910, Lamoureux ; avec l’air de concours du second acte). La prière d’Élisabeth, et aussi son air d’entrée, au second acte, furent très souvent dits : par Mmes Materna (1889, 1890, Lamoureux), Krauss (1890, Colonne), Mottl (1897, 1890, Colonne, Lamoureux), Raunay (1899, Lamoureux), Demougeot et Lormont (1909, Lamoureux), Wittich 1914, Colonne).

Avant la reprise de 1895, la plus belle exécution a été celle de la Société des Concerts, en 1893, qui donna le troisième acte en son entier, avec Mme Bosman, Renaud et Saléza. Ce dernier, en particulier, sut rendre le récit du pèlerinage à Rome avec une ampleur et un mordant, un pathétique, qu’on oublierait difficilement. En 1894 encore, d’importants fragments de cet acte et du précédent furent entendus aux concerts d’Harcourt, avec Vergnet, Auguez et Éléonore Blanc.


Lohengrin n’a pas eu un moindre succès au Concert, et moins répété. Nous l’avons déjà vu fêté, soit par le « récit du Graal », dès 1867, soit même par le premier acte en entier. Ces auditions se répétèrent fréquemment par la suite, jusqu’en 1887, où l’œuvre parut enfin en scène ; on y joignit aussi le duo du troisième acte. Relevons ainsi, comme exécutions du premier acte, celles de Lamoureux, en 1882 et 1883, auxquelles concoururent Lhérie et Bosquin (Lohengrin), Heuschling et Couturier (Telramund), Plançon (Le Roi), Auguez (Le héraut). Mmes Franck-Duvernoy et Brunet-Lafleur (Elsa), — et celles de Pasdeloup, en 1883, avec Bolly, Faure et Lauwers, Claverie, Mmes Rose Caron et Huré. Puis, pour le duo d’amour, Bosquin et Mme Franck-Duvernoy (Lamoureux en 1882), et pour le récit du Graal, Bosquin (Pasdeloup, même année).

Mais ici, la vraie date, la révélation, pour mieux dire, c’est l’apparition d’Ernest Van Dyck, chez Lamoureux, en 1883. Je reviendrai plus à loisir sur ce héros du répertoire wagnérien à Paris, quand j’aborderai les œuvres mêmes, au théâtre. Je rappelle seulement ici quelles impressions nouvelles et attachantes nous apportait cette exceptionnelle nature d’artiste, dont l’action sur le public, au concert comme au théâtre, a toujours en quelque chose de particulièrement direct et comme «  électrisant ». Né à Anvers, élève brillant de l’Université de Louvain, remarqué à Bruxelles par Gounod, dont il avait chanté quelques œuvres dans un salon ami, il était venu à Paris surtout pour satisfaire ses goûts littéraires, et déjà se faisait une place dans le journalisme, lorsque le hasard lui apporta l’occasion de se révéler aussi chanteur : remplaçant au pied levé le principal interprète de la cantate de Paul Vidal au concours du prix de Rome, il eut la double joie de voir le jeune musicien obtenir le prix et d’attirer, pour sa part, l’attention de Charles Lamoureux. Ces deux natures d’artiste étaient faites pour s’entendre. Van Dyck ne possédait pas seulement une voix puissante et colorée de ténor de force éclatante dans le haut, chaude et timbrée dans le grave, il révélait un goût musical très rare, une compréhension approfondie de ce qu’il chantait, une expression ardente et enthousiaste. À l’école sévère de Lamoureux, nous l’avons vu, en quelques années, atteindre une qualité d’interprétation lyrique de tout premier ordre. On se souvient encore de l’effet qu’il produisit, en 1884, dans le récit du Graal, après le duo, chanté avec Mme Brunet-Lafleur. L’émotion était indescriptible. Et que de fois, depuis, la vit-on renaître ! On ne se lassait pas de réclamer cette page fulgurante, (en 1896 encore) et le duo fut d’ailleurs répété quatre ans de suite par les deux artistes. On entendit ensuite Vergnet et Mme Caron (1889 et 1898), et, dans le Graal, le même Vergnet (1888), Engel (1890), Imbart de la Tour (1901, Burgstaller (1907, chez Colonne, cette fois, et en allemand), et Franz (1912, au Trocadéro). On doit citer encore, comme pages plus rares, la scène d’Elsa et d’Ortrude, au second acte, qu’interprétèrent Mmes Brunet-Lafleur et Materna (1891) et le premier air d’Elsa, chanté seul par Mmes Schroeder, (1883), Mottl (1898) et Caron (1901).


Tristan et Isolde a débuté devant le public parisien par sa dernière scène, qui est restée depuis la page la plus fréquemment interprétée, avec ou sans le prélude de l’œuvre en manière d’introduction. C’est Mme Panchioni qui la fit entendre tout d’abord, sous la direction de Pasdeloup, en 1882. Après elle, il faut attendre jusqu’en 1888, chez Lamoureux, pour Mme Montalba et surtout Mme Materna (1889, 1890, 1892, 1893, 1894), souveraine de caractère, souveraine de style. Amalia Materna est cette héroïne de l’art lyrique, dont Liszt disait qu’elle « donnait toute son humanité aux choses surhumaines », c’est-à-dire vraiment son être et son sang ; dont Louis de Fourcaud écrivait plus tard : « Il semblait que le sentiment des personnifications colossales que Wagner lui demandait d’incarner en sa chair lui fût inné ! » — Viennent ensuite Mmes Fursch-Madier (Colonne, 1891), Emma Langlois, Lilli Lehmann, Alba Chrétien, Pacary, Chrétien-Vaguet, (Lamoureux, 1892, 1893, 1896, 1899), Kutscherra, Mottl, Adiny (Colonne, 1896, 1897, 1898, 1900, 1901, 1905)… ; Et voici Félia Litvinne, cette voix de flamme, si pure et si lumineuse, qui rayonna chaque année depuis 1902 dans chacune de nos salles de concerts et même au Conservatoire (1905) ; enfin Mmes Kachowska (Lamoureux, 1904, 1907, 1910), Grandjean (Colonne et Conseraloire, 1908, 1909), Borgo (Colonne, 1909), et Leffler-Burckhardt (Colonne, 1912, 1914, en allemand).

Mais il y a mieux. Tristan, de bonne heure, a été l’objet d’exécutions intégrales, qui ont fait sensation et dont le souvenir bienfaisant n’a pas été effacé même par les représentations scéniques. L’acte I a été donné par Lamoureux en 1884, pour les débuts wagnériens de Van Dyck, avec Mme Montalba, très dramatique, très puissante dans Isolde, où elle faisait apprécier une voix d’un timbre vibrant, avec Mme Boidin-Puisais dans Brangaine, le vigoureux Blauwaert dans Kurwenal et Mauguière, tout jeune encore, dans le pilote. Et combien de fois le succès força-t-il de répéter la séance ! En 1885, après une nouvelle série de ce premier acte, Lamoureux y joignit le second, avec les mêmes interprètes. En 1887, le premier les retrouva encore, sauf Mme Montalba, remplacée par Mlle Leroux, et en 1891, le second acte fut réentendu, mais en allemand, avec le ténor Kalish et sa femme, l’admirable Lilli Lehmann, à l’enthousiasme si émouvant et avec Mlle Mangin dans Brangaine. En allemand encore, mais en scène, on citera le premier acte joué, sur le petit Théâtre Mondain, le 12 mai 1896, par Mme Hellman, débordante de passion, avec Bagès, Damad et Mme Gramaccini-Soubre, sous la direction de Pierre de Bréville, l’orchestre remplacé par deux pianos (transcription Luzzato), que jouaient Camille Chevillard et Mlle Hellman. — Enfin, à la veille des représentations de l’Éden, Lamoureux donna encore les deux premiers actes successivement, l’un avec Félia Litvinne et Cossira, Bartet et Mme Marty, l’autre avec Mme Chrétien, Cossira et Éléonore Blanc.

Entre cette date et celle de l’entrée de l’œuvre au répertoire de l’Opéra, en 1902, M. Chevillard dirigeait à son tour une exécution du premier acte avec Mme Adiny, très valeureuse, et Féodorow, Daraux et Mme Gaëtane Vicq. Puis, ce sont diverses auditions du duo du second acte, qui tendait à prendre, dans les programmes, une place aussi normale que la scène finale : en 1911 (Lamoureux) Agnès Borgo avec le ténor allemand Hans Tænzler : en 1912 et 1913 (Colonne) Mme Leffler-Burckhardt ou Mme Alvi, avec Knote ou Hensel (en allemand également) enfin Mlle Borgo avec Franz ou Laffitte.


Les Maitres Chanteurs sont encore moins faits pour le concert que les autres drames de Richard Wagner. Cependant, en dehors des morceaux d’orchestre, dont l’effet reste si évocateur, quelques pages lyriques ont toujours plu infiniment, toutes détachées qu’elles fussent. Pasdeloup, qui, dès 1868. c’est-à-dire l’année même de la création de l’œuvre à Munich, avait donné la primeur de ces morceaux d’orchestre, fit entendre presque tout le troisième acte, en 1881, avec Bolly, Lauwers. Mmes Panchioni et Rose Caron, et les troisième et quatrième, en 1882, avec Mme Laron encore, mais Escalaïs, Labis et Hettich. Le même quatrième acte reparaît en 1890, au Conservatoire, avec Engel (excellent Walter), Auguez (Hans Sachs) et Soulacroix (Beckmesser) et chez Lamoureux, en 1895, avec Delmas et Muratet. En 1894, Eugène d’Harcourt avait donné, de son côté, à ses concerts, une sélection d’autant plus intéressante qu’elle employait la version encore inédite d’Alfred Ernst ; Éléonore Blanc, Gibert (Walter) et Auguez y prenaient part. Pour « l’air de concours » nous l’avons entendu chanter par Vergnet (Colonne, 1889), puis Kalis, Engel, Gibert, Kirchhof (Lamoureux, 1891, 1892, 1894, 1902, 1910). Le premier chant de Walther, si poétique, ou se souvient que Van Dyck l’avait mis au nombre des pages choisies qu’il disait le plus volontiers : nul n’a évoqué comme lui la grâce discrète et parfumée de cet écho du moyen âge (Lamoureux et Colonne, 1894-1912). Quant aux barytons, ils avaient pour eux les deux monologues de Hans Sachs, la « rêverie » surtout : on y entendit Frœlich et Daraux (Colonne, 1903, 1905), Delmas et Van Rooy (Lamoureux, 1004, 1912). Les phrases, moins saillantes, de Pogner, furent même choisies à l’occasion ; par Froelich (Lamoureux, 1902 et 1913).


L’Or du Rhin qui, plus que tout autre, a besoin de la scène, est la dernière partition dont le nom ait figuré sur les programmes des concerts. Colonne, en 1800, s’avisa d’exécuter tout le début, si expressif, pour peu qu’on ait la moindre imagination. Auguez fut Alberich, Mmes de Montalant, Delorn et de Clercq les Filles du Rhin. Chez Lamoureux, en 1893, on applaudit l’air narquois de Loge, qui resta depuis (— 1912) au répertoire de Van Dyck ; puis, en 1894, deux exécutions différentes du premier tableau, l’une avec Fournets et Mmes Marcy, Vauthier, Héglon, l’autre avec Noté et Mmes Leroux-Corso, Tarquini d’or et Héglon. Mais c’est aussi cette même année que l’Opéra, comme prologue à la Valkyrie, prit le parti économique et un peu ridicule, de faire entendre au concert, et avec deux pianos (tenus par Puguo et Debussy, mais qu’importe ?), une importante sélection de l’ouvrage entier : Renaud y fut un excellent Alberich, Fournets un Wotan sonore et de grande allure ; Vaguet était Loge, Mmes Richard, Bosman et Marcy les Filles du Rhin…, et Catulle Mendès conférenciait.

Après quoi, Colonne exécuta deux nouveaux fragments, avec Fournets, Auguez, Challet, Lorrain, Ballard (Albérich et Wotan), Gaudubert, Gibert Cazeneuve (Loge) et Mmes Éléonore Blanc, Pregi, Planès (les Filles du Rhin, en 1895, 1897, 1898 et 1900) ; et encore la première scène, Fournets étant Albérich. — On notera aussi, comme curiosité, la scène d’Erda, en 1903 et 1906, chantée par Mme Schumann-Heink. — Mais surtout, à partir de 1901, Camille Chevillard inaugura cette belle série d’exécutions intégrale qui ont si bien préparé l’auditeur aux représentations enfin consenties par l’Opéra. Et il est impossible de ne pas rappeler les principales. En 1901, Henri Albers se tailla le plus vif succès dans Albérich, avec Bagès et Challet dans Loge et Wotan, Mmes Lormont, Vicq et Melno dans les Filles du Rhin. En 1902, Frœlich interprétait Wotan et Challet Albérich. En 1903, Dufriche était Loge… En 1909, enfin, Van Dyck nous apportait son incomparable personnification de Loge, déjà célèbre, entre Nivette (Wotan), Carbelly et Vilmos Beck, Mmes Lormont et Croiza…


De La Valkyrie, la scène essentielle, détachée d’abord, c’est la dernière : les adieux de Wotan et l’incantation du feu. Elle a été magistralement présentée au public, dès 1881, sous la direction de Pasdeloup (à son festival du Trocadéro), puis encore en 1883, par Faure en personne. Le noble artiste lui donna un caractère grandiose et tendre à la fois qui était de toute beauté. Le jeune baryton Labis l’interpréta aussi cette année et la suivante. Puis viennent Lauwers (Colonne, 1883}, Gaston Reyle (Pasdeloup, 1887}, Auguez (Colonne et Lamoureux, 1889, 1893), Van Rooy, superbe d’ampleur (Lamoureux et Colonne, 1897, 1901, 1905, 1912), Lorrain (Colonne, 1897), Frœlich (Lamoureux, 1902, 1909), Delmas (Lamoureux et Colonne, 1904, 1912), Renaud (Lamoureux, 1911), Journet (Sechiari, 1912), Thomas Denys (Colonne, 1914), Albers (Lamoureux, 1914).

Le chant d’amour du Printemps, de Siegmund, est aussi couramment choisi par les ténors. On l’entend avec Bosquin et Soum (Colonne, 1885), Vergnet (un vrai charme, Colonne, 1889), Van Dyck (Lamoureux et Colonne, 1893-1896, 1902-1912), Imbart de la Tour (Lamoureux, 1901), Cazeneuve et Burgstaller (Colonne, 1905). Mais surtout, les scènes de Siegmund et Sieglinde, au premier acte, et de Wotan et Brunnhilde, au dernier. On oubliera difficilement la révélation des premières et leur éclat jeune et vibrant, chez Lamoureux, en 1886, 1887, 1888 (jusqu’à dix auditions !) entre Van Dyck et Mme Brunet-Lafleur. On entendit ensuite Engel, avec Mme Brunet-Lafleur (1889) puis Mme Chrétien-Vaguet (1896, version inédite d’Ernst) ; Imbart de la Tour et Mme Raunay (1909), et, chez Colonne, Cazeneuve avec Mme Mottl (1897) ou Mme Caron (1898) et Martinelli avec Mlle Daumas (1911). Les dernières ont été mises en valeur par Mmes Lilli Lehmann, Bréma et Litvinne, trois Brunnhilde très diverses et pourtant également émouvantes par leur style pur et leur voix pénétrante, avec Reichmann, Francis Braun et surtout Van Rooy (1900, 1903, 1905).


Siegfried, plus déplacé au concert, n’apparaît sur les programmes qu’en 1889. Colonne choisit alors, pour en donner quelque idée, la scène qui suit les « murmures de la forêt ». Engel fut Siegfried et Mme Auguez de Montalant l’Oiseau. Il faut ensuite arriver à 1897 et 1898, pour entendre une sélection, mais alors importante, du troisième acte, avec Cazeneuve (Siegfried), Auguez (Wotan), Mme Kutscherra (Brunnhilde) et Planès (Erda). Elle reparaît en 1900, avec Cazeneuve encore et Ballard, Mmes Adiny et Dhumon. Enfin Chevillard la donne à son tour, en 1901, avec Imbart de la Tour et Challet ; Mmes Chrétien et Gerville-Réache.

Mais dès lors, c’est à la grande scène finale entre Siegfried et Brunnhilde que se bornent les exécutions. Déjà Lamoureux l’avait fait entendre avec Rousselière et Mme Chrétien (1901). Colonne la donne avec Cazeneuve et Mme  Kutscherra (1905), Burgstaller et Mme Litvinne (1905 et 1906) ou Mme  Kaschowska (1907), Hensel ou Knote et Mme Leffler-Burckhardt (1911 et 1912), toutes ces dernières auditions en allemand, ce qui ne laisse pas que d’en accentuer la longueur. Chevillard l’exécute de son côté avec Imbart de la Tour et Agnès Borgo (1910). Mais, somme toute, c’est l’ « air de la forge » qui retentit le plus souvent dans l’une et l’autre salle de concerts. Il est vrai que Van Dyck s’en est fait comme une spécialité, de 1902 à 1912 (après une première exécution, en 1896, chez Colonne, par le vaillant ténor Lafarge), et qu’il lui donne, soit en français, soit en allemand, une couleur vibrante, une sorte de joie de vie, extraordinairement évocatrice.


Le Crépuscule de Dieux a paru sur l’affiche de Pasdeloup dès 1876, mais pour la seule marche funèbre de Siegfried, cette splendeur, radicalement incomprise alors. Nous ne le retrouvons ensuite qu’en 1884, pour la même page, rendue, par Lamoureux, avec une ampleur qui, cette fois, fit grand effet. C’est Mme Materna, qui, dès sa première apparition à Paris, à ces mêmes concerts, en 1889, nous révéla la scène finale de Brunnhilde, dès lors si souvent chantée. Son fier et puissant style en a fait quelque chose de vraiment à elle, d’inoubliable, ou sa marque restera toujours attachée : une majesté farouche, un enthousiasme de la fatalité accomplie… Après elle, — mais elle en donna chaque année une nouvelle audition jusqu’en 1894 : — on entendit Lilli Lehmann, si belle d’une autre façon (1895), Mmes Jane Marcy (1895 et 1896), Chrétien (1897 et 1899), Pacary (1898, 1899) Litvinne (1898, 1899), Bréma (1902), Kaschowska (1903, 1904, 1908, 1910), Borgo (1908, 1913), Grandjean (1910), Bréval (1912, 1914) : tout ceci aux concerts Lamoureux. Chez Colonne, la série ne commence qu’en 1896, mais avec toute la fin de l’œuvre, depuis la mort de Siegfried : celui-ci étant interprété par Cazeneuve et Brunnhilde par Mme Kutscherra, qui redit seule aussi la scène finale (1897). Viennent après eux, Lilli Lehmann (1900, 1911), Mmes Adiny (1901), Litvinne (1902, 1906, 1908), Ellen Gulbranson (1903), Borgo (1909), Leffler-Burckhardt (1912, 1914), Kaschowska (1912), Marie Wittich (1913, 1914), Enfin Mlle Hatto s’y fit encore entendre la dernière année, aux concerts Sechiari.

La sélection choisie au troisième acte en 1896 (les Filles du Rhin étaient Mmes Auguez de Montalant, Texier et Planès), et qui fournit alors jusqu’à 6 exécutions, fut donnée par Chevillard, à son tour, en 1900, avec Engel, puis Bagès et Mme Chrétien : en 1901, avec Cazeneuve et la même ; en 1901, 1903 et 1904, avec Van Dyck et Félia Litvinne, puis Mme Kaschowska, les Filles du Rhin étant personnalisées, chaque fois, par Mlles Lormont, Vicq et Melno. Le récit de Siegfried fut une fois chanté seul, par Burgstaller (Colonne, 1907).

Mais c’est dans le prologue qu’on avait puisé tout d’abord. La vibrante scène de Siegfried et Brunnhilde avait été exécutée dès 1894 par Lamoureux, avec Gibert et Jane Marcy, Klafsky et Mme Materna. Il la redonna en 1898, avec Gogny et Lina Pacary. Colonne en fit entendre une éclatante exécution, en 1904, avec Van Dyck et Fédia Litvinne, et plus tard, en allemand, avec Hensel et Mme Leffler-Burckhardt (1912). Enfin Chevillard donna le prologue intégral en 1907, avec Cazeneuve et Mme Kutscherra, Mmes Cauchy, Grégoire et Mellot-Joubert étant les trois Nornes ; et avec Van Dyck et Marcelle Demougeot, en 1909, sans les Nornes.

À part, on citera le récit de Waltraute, au second acte, chanté par Mme Schumann-Heink (Colonne, 1906).


Parsifal date d’une époque où le public parisien commençait à se bien familiariser avec l’œuvre wagnérienne. Les trois concerts symphoniques existant en 1882 exécutèrent en même temps le Prélude, et Pasdeloup y joignit, en 1883, l’ « Enchantement du Vendredi Saint ». Mais Colonne fit mieux dès 1884 : il exécuta des fragments du premier acte, avec les chœurs, et du troisième, Faure interprétant Gurnemanz et Mazalbert Parsifal. Et cette audition reste encore digne du souvenir : ce n’est pas un petit honneur pour le grand artiste qui résume en quelque sorte en lui tout l’art du chant d’avoir ainsi successivement prouvé, au service des principales œuvres de Wagner, quelles beautés réellement mélodiques recèle cette musique que tant de critiques sommaires prétendaient inchantable et bonne pour casser les voix. Colonne s’est d’ailleurs réservé en quelque sorte Parsifal, et nul n’en a exécuté plus de pages. En 1887, voici la scène des Filles-fleurs (déjà donnée, toutefois, par la société Concordia), où Cornubert, encore élève au Conservatoire, chante Parsifal ; et elle reparaît, en 1894, avec Engel. La scène religieuse du premier acte (chœurs) est redonnée en 1887, 1889, 1894, 1899 et 1900. Enfin le duo de Parsifal et Kundry, au second acte, est révélé, en 1906, par Van Dyck et Mme Kachowska, et chanté depuis par Burgstaller et Félia Litvinne (même année), en allemand, ainsi que par Hensel et Mme Leffler-Burckhardt (1911) ; puis, cette fois précédée de l’ensemble des Filles-fleurs, par Van Dyck et Mme Litvinne (la plus belle exécution de l’ensemble que nous ayons jamais eue) ; enfin, par Schmedes et Marie Wittich et par Haynes et Félia Litvinne (1913).

La Société des concerts donna aussi, dès 1892, une magistrale audition de la scène religieuse, avec la partie d’Amfortas (tenue par Dufriche). Lamoureux prit pour lui, en 1894, l’Enchantement du Vendredi Saint et la scène finale, Engel étant Parsifal, Fournets Gurnemanz et Auguez Amfortas. Mais ce n’est ensuite qu’en 1907 que ces fragments reparaissent ici, avec Lemaire, Nivette et Gilly. Enfin, en 1912, Vilmos Beck esquisse Amfortas, et, en 1913, Van Dyck interprète, splendidement, le duo du second acte, avec Agnès Borgo, et la scène du Vendredi Saint, avec Marvini.

On a remarqué que, depuis une dizaine d’années déjà, sans résistance apparente du public, l’usage s’était établi de faire entendre, non plus seulement un air ou un lied par hasard, mais des scènes entières de l’œuvre wagnérienne, en allemand et par des artistes allemands. Sauf pour les quelques pages qui nous ont été vraiment révélées ainsi, — par Amalia Materna spécialement, et encore Lilli Lehmann, — on ne peut dire que ces auditions aient notablement servi la cause de Wagner à Paris. La plupart étaient même inutiles. Il fallait du moins pour être complet les signaler ici. On en pensera de même, au moment de la dernière année de la période qui nous intéresse (1914) des représentations données par la Compagnie anglaise de Covent-Garden et New-York, au théâtre des Champs-Élysées. Malgré quelques artistes vraiment intéressants, et les directions de Weingærtner ou de Nikisch, elles ne nous ont rien appris. Il suffira donc de noter que Tristan et Isolde a été chanté par Peter Cornelius et Kiess, avec Mmes Van der Osten et Claussen, et, ce qui valait mieux (en fin de saison) par Urlus et Mme Matzenauer ; que les Maîtres chanteurs ont eu pour interprètes Bender ou Van Rooy, dans Sachs, Sembach, dans Walter, Leonhardt et Schwarz, dans Beckmesser et David, avec Mme Lucile Weingærtner ; qu’enfin Parsifal, (dans une mise en scène ridicule) a été défendu par Sembach, Fenten (Gurnemanz) et Van Hulst (Anfortas), avec Mme Matzenauer.

Abordons maintenant les exécutions complètes, au théâtre. Comme pour les concerts, et puisque nous évoquons ici tout l’ensemble du cycle wagnérien, il semble préférable de maintenir chaque ouvrage à son rang chronologique. Rappelons simplement, avant de commencer, que les convenances ou les préférences directoriales les ont fait défiler, à Paris, dans l’ordre suivant :

Lohengrin (Eden, 1887, Opéra, 1891) ; — La Valkyrie (Opéra, 1893) ; — Tannhaeuser (Opéra, 1895) ; — Le Vaisseau fantôme (Opéra-Comique, 1897) ; — Les Maîtres Chanteurs (Opéra, 1897) ; — Tristan et Isolde (Nouveau-Théâtre, 1899, Opéra, 1904) ; — Siegfried (Opéra, 1902) ; — Le Crépuscule des Dieux (Château-d’Eau, 1902, Opéra, 1908) ; — L’Or du Rhin (Opéra, 1909) ; — Parsifal (Opéra, 1914).

Le cycle wagnérien au théâtre


I

Le Vaisseau fantôme (1843)

Le Vaisseau fantôme, puisqu’il faut commencer par lui, n’est apparu qu’assez tard sur nos programmes, le 17 mai 1897, sur la scène de l’Opéra-Comique, dix ans après le premier effort tenté en faveur de Lohengrin ; et il ne s’est pas imposé dès l’abord avec le grand caractère que l’interprétation devrait mettre surtout en valeur. Il est plus facile de souligner l’anecdote romantique, avec ses emportements ou sa grâce et son pittoresque, que de révéler la douloureuse noblesse, la profondeur mystérieuse et humaine qui en est la plus grande beauté. En ce sens, la sauvagerie vibrante et robuste de Max Bouvet, et le brillant de ceux qui l’entouraient, Jane Marcy notamment, ne pouvaient servir aussi heureusement l’ouvrage que l’émotion concentrée, l’autorité calme, la largeur de diction de Maurice Renaud, la sincérité de Claire Friché, la passion de Léon Beyle.

Le Hollandais reste une des plus belles incarnations wagnérienne de Maurice Renaud, momentanément émigré de l’Opéra, et l’ampleur vocale de Dufranne, la fermeté de style d’Albers ne sauraient le faire oublier. C’est du reste encore lui qui fit la reprise de 1911, où une si belle Senta lui donnait la réplique avec Marthe Chenal, pleine d’inspiration et de flamme.

L’une des difficultés de l’interprétation réside dans les chœurs : ils furent surtout appréciables aux reprises, ainsi que l’orchestre, dirigé alors par Luigini, puis par Ruhlmann, et digne de tous les éloges.

L’ensemble des représentations a atteint le chiffre de 51, mais en cinq années, et distribuées en trois séries dont la première ne figure que pour 10.

LE VAISSEAU FANTÔME
LE HOLLANDAIS DALAND ERIK SENTA MARIE
Dir.
Dansé, 1897
(Opéra-Comique)
Bouvet. Belhomme. Jérôme. Marcy. Delorn.
1904 Renaud. Vieuille. Beyle. Friché. Cocyte.
1905 Dufranne. Velder.
1911 Albers. Azéma. Dubois. Chenal
Espinasse.
Charbonnel.

II

TANNHAEUSER (1845)


Tannhaeuser a une histoire, sur laquelle il est inutile de revenir, car elle a été faite, et très complètement (par M. Georges Servières surtout), celle des représentations données, à grand’peine, par Wagner lui-même, à l’Opéra, en mars 1861, et par lui interrompues devant l’incompréhension manifeste du public et de la critique[3]. On eût pu penser que notre première scène tiendrait à honneur, du jour où elle en aurait reçu l’autorisation officielle, de commencer par cette réparation la mise régulière des œuvres du maître. Mais, puisque aussi bien l’on doutait que la représentation pût se passer sans encombre, du moins hors de la salle, il avait paru préférable de donner le pas à Lohengrin, qu’une plus récente et plus absurde mésaventure avait davantage illustré ; et même à la Valkyrie, réclamée avec une ardeur toute particulière. Tannhaeuser ne revit donc la rampe, et n’eut sa troisième représentation, à l’Opéra, que le 13 mai 1895.

Il paraîtrait que cette attente n’était pas un mauvais calcul, car, une fois de plus, l’inspiration qui pénètre et vivifie ce drame fut d’abord peu comprise. Les exaltés qualifiaient de « recul » la représentation d’une œuvre pas assez « avancée » à leur goût ; et les snobs, déçus, la déclaraient froide, pour n’y avoir trouvé que des beautés de grandeur et de vérité simples. Le troisième acte, en particulier, d’une profondeur et d’une pureté si émouvantes, ne fut pleinement goûté que lorsqu’il eut pour auditeur un public sans parti pris ni prétention critique.

Avec quelle supériorité pourtant n’était-il pas exécuté !

Toute l’interprétation, au surplus, est une des plus admirables qu’aucune œuvre de Wagner ait trouvée à l’Opéra. Elle réunissait les cinq artistes qui ont consacré le plus particulièrement leur talent à l’établissement du répertoire wagnérien sur notre première scène : Ernest Van Dyck, Maurice Renaud, Jean Delmas, Mme Rose Caron et Lucienne Bréval.

J’ai déjà dit comment Van Dyck avait pris rang à l’école de Lamoureux, à la tête de nos chanteurs de concert, et quelle irrésistible action il exerçait sur le public. À l’époque où nous sommes ici, son apprentissage théâtral était achevé depuis longtemps. Après le Lohengrin de 1887, où sa jeune carrière semblait buter dès le premier pas, il avait été engagé à la fois à Bayreuth et à Vienne. Dans la cité de Wagner, il avait remporté, sous L’armure de Parsifal, des succès extraordinaires ; à l’Opéra de Vienne, il avait chanté Lohengrin et Roméo, Armide et Faust, créé Manon et Werther. Il avait triomphé, d’autre part, à Monte-Carlo, à Londres, à Saint-Pétersbourg… Mais il abordait pour la première fois Tannhaeuser, qui devait rester l’une de ses incarnations les plus typiques. Pour en évoquer le souvenir, il semble qu’il suffise de rappeler la définition que Wagner a donnée du personnage de l’ardent chevalier :

« Dans le caractère de Tannhaeuser, le trait que je signale comme essentiel, c’est qu’il est tout plein du sentiment, toujours immédiatement actif, toujours à son comble, de la situation présente ; c’est le vif contraste qu’y provoquent les brusques changements de cette situation et qui se manifeste en même temps que ce sentiment le saisit. Tannhaeuser ne fait jamais les choses à moitié : tout ce qu’il est, il l’est à fond et sans réserve. »

Aussi bien, Ernest Van Dyck n’a pas eu d’autre règle, dans sa carrière, que la conformité au dessein du compositeur, approfondi, vécu, vibrant. C’est là, en quelque sorte, la caractéristique de son interprétation.

Qui ne se souvient, parmi ceux qui ont assisté à la soirée du 13 mai, de la commotion inattendue produite par lui, lorsque, après le brio de sa scène avec Vénus, plongé dans une muette prière, sur le devant de la scène, et inconscient du changement de décor et du passage des pèlerins, il s’écriait enfin, le visage transfiguré et d’une voix où semblait passer toute son âme : « Seigneur, soyez béni !… » Qui ne le revoit, dans la scène du concours, atterré devant la douleur d’Élisabeth, baisant le bas de son manteau avec une sorte d’enthousiasme de pénitence et d’expiation, défaillant ensuite comme d’horreur de soi, et, par deux fois, tombant genoux sur ce chemin de l’exil ? Qui ne se sent ému encore de l’expression qu’il donnait au redoutable récit de son pèlerinage à Rome, de son aspect exténué, ravagé, obsédé de désespoir ? Et combien ce récit n’était-il pas « supérieurement détaillé, en faisant ressortir toutes les nuances, tous les contrastes, avec un art magistral, avec un sentiment dramatique des plus élevés » (comme l’écrivit si justement Reyer) ! Quels services ne lui rendaient pas cette puissance de diction hors de pair, cette vérité d’inflexion si rare et si savoureuse !

Pour Maurice Renaud, le rôle de Wolfram a été vraiment le point de départ de la grande réputation où nous l’avons vu atteindre. C’est à Bruxelles qu’il avait fait son apprentissage de la science lyrique (et peut-être s’était-il croisé en chemin avec son futur camarade Van Dyck).... De 1883 à 1890, sous la direction de Gevaert et de Joseph Dupont, il avait plié son talent ingénieux et chercheur, sa voie chaude, aux rôles les plus divers du répertoire comique autant que du dramatique. Mais c’est sur sa remarquable création d’Hamilcar, dans Salammbô et sa romantique incarnation du Hollandais dans le Vaisseau fantôme, qu’il avait été engagé à Paris, à l’Opéra-Comique d’abord (pour Benvenuto) puis à l’Opéra, où Lohengrin, Gwendoline, et le répertoire de Guillaume Tell, l’Africaine, Aïda, Samson… avait permis de tout attendre de lui. Dans Tannhaeuser, il se surpassa. Non seulement sa diction faisait valoir avec la plus rare pureté les phrases si belles et si mélodieuses dont le rôle de Wolfram est plein, mais le personnage même était incarné de la façon la plus sincère, la plus émouvante. Nul n’a fait ressortir, comme lui, la générosité chaleureuse de l’affection que ce sage chevalier porte à son ami égaré, le sacrifice muet qu’il lui fait, sa sollicitude inlassable et si noble !… Maurice Renaud n’a, vraiment, jamais été plus artiste que dans ce rôle.

Delmas était de la maison depuis 1886, année de son double triomphe au Conservatoire de Paris. Après avoir affirmé, dans les Huguenots et Freischütz, Faust et Don Juan (Leporello), la souplesse vibrante de sa belle voix, son timbre si généreux, la fière prestance et déjà l’autorité de son jeu, il s’était montré excellent dans Lohengrin et de premier ordre dans la Valkyrie, et Thaïs. Le landgrave de Tannhaeuser, qui demande surtout de la noblesse et du tact, ne pouvait être plus dignement rendu que par lui.

Mme Rose Caron avait, elle aussi, débuté au théâtre de la Monnaie en 1881 et lui était resté fidèle, lorsque l’Opéra à qui elle avait apporté Sigurd en 1880 croyait pouvoir se passer d’elle. Sur l’une et l’autre scène, elle avait été la plus noble héroïne comme la plus gracieuse fille des hommes : en dehors du répertoire (la Juice, les Huguenots, Faust…) elle avait été Norma et Fidelia, elle avait fait acclamer Sigurd, Salammbô, Othello, elle avait enfin, dans les Maîtres chanteurs, puis dans Lohengrin et la Valkyrie, apporté au service des admirables figures évoquées par Wagner les plus rares qualités de grandeur et de sincérité. De l’idéale, la sainte Élisabeth de Tannhaeuser, elle donna une impression vraiment inoubliable. La simplicité, la chasteté de son amour, de sa douleur, de son extase religieuse, était nuancée avec une vérité saisissante. Charmante de grâce affectueuse quand elle accueillait les assistants au concours, elle rayonnait en quelque sorte de douleur quand l’aveu de Tannhaeuser la frappait au cœur ; et lorsqu’elle reparaissait au dernier acte, s’agenouillait pour une prière suprême, s’éloignait lentement sous le regard désolé de Wolfram, on sentait qu’elle n’appartenait plus à la terre. Sa voix, d’autre part, se modelait sur cette évolution expressive avec les nuances les plus prenantes, les plus délicates inflexions.

Lucienne Bréval, par son récent triomphe de la Valkyrie, si peu de temps après sa sortie du Conservatoire (1890) était comme nimbée d’une jeune gloire qui relevait tout ce qu’elle jouait. Vénus cependant parut lui convenir assez peu. Aussi bien faut-il à l’interprète de ce rôle secondaire une ampleur et une autorité dont on ne semble pas, en général, s’être rendu compte. Louise Grandjean, cependant, y a laissé un bon souvenir, et surtout Felia Litvinne, qui a eu grandement raison de ne pas le juger indigne d’elle.

Élisabeth a tenté un si grand nombre d’artistes qu’il serait abusif de s’arrêter à chacune. Des dons de jeunesse et de grâce nous retiendraient chez presque toutes, et plus d’une y joignait un style très pur. On ne saurait oublier combien l’harmonie de ces qualités rendait séduisante Aïno Ackté, par exemple, dont l’aspect virginal ajoutait en vérité humaine à l’instinct des attitudes et dont la voix cristalline dominait si naturellement, par son contraste même, le tumulte général qui bientôt cédait devant elle. La finesse charmante de Mlle Hatto, l’élan superbe de Mlle Chenal, la simplicité, la douceur, de Mlle Demougeot (pour ne nommer que celles qui ont joué le rôle avec quelque suite)… retiennent particulièrement la mémoire.

On compterait moins de Tannhaeuser et de Wolfram vraiment dignes de leur tâche redoutable. Le plus intéressant Tannhaeuser, à coup sûr, après le créateur du rôle, a été Albert Saléza, dont le tempérament ardent, la voix chaleureuse, se sont toujours alliés à un souci scrupuleux de la pensée du musicien. Ce respect était vraiment attachant chez ce bel artiste, qui eût été un Siegfried incomparable si la maladie n’avait, avant l’âge, terrassé son effort enthousiaste. Après lui, les voix généreuses d’Alvarez et de Franz sonnent encore à nos oreilles, comme celle d’Albers, de Dufranne ou de Roselly… dans le personnage de Wolfram. Mais qui nous a rendu l’écho de son âme tendre et généreuse, qui s’est assez détaché du rôle pour être le héros même ?

L’orchestre, pendant la première série des représentations, a eu Taffanel pour chef. C’était la première des œuvres wagnériennes qu’il lui était donné d’étudier et de rendre ; il s’était livré à ce travail avec l’ardeur et la joie d’un néophyte, — et le seul défaut qu’on put lui reprocher, était en effet de n’être encore qu’un néophyte ; — mais aussi avec le soin et le goût délicats qui restent inséparables du souvenir de ce flûtiste admirable, de ce fin musicien.

Si les impressions de la première soirée de 1895 pouvaient faire penser à certains auditeurs que Tannhaeuser serait loin d’obtenir la fortune de Lohengrin et de la Valkyrie, la suite des représentations ne tarda pas à les démentir. Tannhaeuser, en dix-neuf ans, a eu 243 exécutions à l’Opéra, soit une moyenne de 13, presque égale à celle de Lohengrin et sensiblement supérieure à toutes les autres. Sa carrière a eu un premier élan moins vif (52 représentations pendant les deux premières années) mais un fond plus sûr.

TANNHAEUSER
TANNHAEUSER
WOLFRAM
LE LANDGRAVE
ÉLISABETH
VÉNUS
Dir.
Taffanel.
1895 (Opéra).
Van Dyck.
Saleza.
Dupeyron.
Alvarez.
Renaud.
Bartel.
Delmas.
Chambon.
R. Caron.
Bosman.
Lafargue.
Bréval.
Lola Beeth.
Carrère.
Corot.
1898
Gibert. Ackté. Grandjean.
1899
Fournets.
1901
Gresse fils. Hatto.
1902
Noté. Nivette.
1903
Garay.
Casset.
Féart. Demougeot.
1904
Scaramberg.
1905
Lindsay.
1906
Gilly. Chenal.
1907
Dubois. D’Assy. Farrar. Mancini.
1908
Albers.
Dangès.
Marcoux. Mérentié.
Borgo.
Henriquez.
Foreau.
Carlyle.
1909
Allchewsky.
Franz.
Dufranne.
Whitehill.
Journel. Demougeot. Litvinne.
1910
Roselly. Bourdon. Dubois-Lauger.
Caro-Lucas.
1911
Duclos. Panis.
Dorliac.
Daumas.
Mazarin.
Henriquez.
Mati.
1912
Kirsch.
1913
Lestelly. Dubel.

III

lohengrin (1850)

Ce n’est qu’en 1885 que l’on prépara sérieusement, à Paris, la mise en scène de ce fier chef-d’œuvre. Plus d’une raison pouvait faire croire que nul autre, dans le cycle Wagnérien, ne se présenterait devant le public avec plus de chances de charmer les uns et de calmer les défiances des autres. Au concert on avait acclamé tout ce qui avait pu en être détaché ; le style de la partition était clair, enthousiaste, plein de jeunesse : le sujet » basé sur une légende française, avait la terre flamande pour scène…

Carvalho, au temps où il montait, au Théâtre Lyrique, les chefs-d’œuvre méconnus de Gluck, de Mozart ou de Beethoven, avait déjà, à plus d’une reprise (en 1864, 1868, 1870) songé à faire place à Lohengrin sur ses programmes. Cette fois, il pensa bien toucher au but. Il en avait étudié de près la représentation, à Vienne, déjà les rôles étaient distribués : à Talazac et à Bouvet, à Emma Calvé et à Blanche Deschamps… Une opposition, sourde d’abord, grondante ensuite, faite bien plus de jalousies mesquines (comme nous n’en voyons que trop aujourd’hui, hélas !) que de susceptibilités excusables, aboutit à lui faire renoncer à ce beau dessein. À qui voudrait se rendre compte de l’état des esprits à cette époque, je ne puis mieux faire, sans insister davantage, que de signaler l’article écrit, d’un esprit excellent et d’une plume alerte, par Louis de Fourcaud, dans le Gaulois du 6 décembre 1885. Il vaudrait d’être reproduit. Ce fin critique, qui était aussi un noble cœur, fut d’ailleurs si sottement pris à parti, qu’il dut faire remarquer que la guerre de 70 l’avait vu s’engager, lui, à un âge où à peine on pouvait l’accepter, et qu’il avait peut-être le droit de déclarer que le vrai patriotisme est d’être soldat en temps de guerre, non de siffler des opéras en temps de paix[4].

L’Opéra aussi s’était déclaré un moment séduit, pour son compte, par l’entreprise, et déjà l’on nommait comme interprètes : Jean de Reszke, le nouveau triomphateur du Cid, Christine Nilsson, alors à Paris, et le baryton Devoyod, qu’on aurait engagé tout exprès.

Je ne referai pas ici la chronique du mémorable essai, mené cette fois jusqu’au bout, que la ténacité de Charles Lamoureux parvint à accomplir le 3 mai 1887, dans une salle spéciale, et à grands frais. Le triomphe fait à l’œuvre, d’autant plus incontestable qu’une petite partie seulement du public lui était d’avance acquise, exaspéra l’opposition systématique de certains journaux, encouragea les gamineries trop faciles de la rue, fit de ce simple événement musical je ne sais quel trouble de la paix publique. Lamoureux, qui eût pu, en réalité, tenir bon, préféra céder : le sacrifice, si complet, reste tout à son honneur.

D’autant plus que cette unique exécution est un de ses leurs titres de gloire. Outre que la partition était donnée dans son intégralité, — pour la première fois depuis les représentations dirigées par Liszt à Weimar en 1870, — l’orchestre et les chœurs atteignaient une perfection de voix, de mouvement, de vie, qui n’a jamais été dépassée depuis. Et l’éclatant début de Van Dyck, son héros favori, n’était-il pas aussi son œuvre ? Certes, celui-ci n’avait pas encore la maîtrise que nous avons tant de fois admirée depuis, mais quelle flamme de jeunesse enthousiaste, quelle conviction et déjà quelle sûreté musicale ! C’étaient ses premiers pas sur la scène, mais qui les a vus ne saurait les oublier : ils avaient la souplesse et la fermeté que donne la foi. Ses adieux au cygne et la façon dont il se présentait au Roi pour défendre Elsa donnaient vraiment l’impression d’un être surnaturel : plus tard, le duo d’amour ne semblait pas moins détaché de la terre : et quant au récit du Graal, sa ferveur fit passer comme un frisson d’aise. On apprécia encore, très sincèrement, la beauté de style de Fidès Devriès dans Elsa, la rudesse de Blauwaert dans Telramund ; enfin Auguez sut donner, par la simplicité mais la plénitude de son style vocal, au rôle secondaire du héraut, une valeur qu’il a bien rarement retrouvée et dont le souvenir de l’excellent artiste doit bénéficier.

Retenons cependant surtout le souvenir de la première représentation à l’Opéra, qui dut attendre jusqu’au 16 septembre 1891. Celle-là aussi eut ses péripéties dans la rue : mais on savait assez, désormais, que les causes de trouble qui ne sont nées que d’une imagination échauffée doivent être arrêtées sans hésitation, fût-ce par la force. Au bout de quelques soirs de précautions policières, les manifestations s’évanouirent pour ne plus reparaître. Dans la salle, depuis l’ovation jaillie de tous les rangs à la conclusion du prélude, l’exécution entière fut soulignée d’applaudissements enthousiastes. D’abord, pour la seconde fois, Lamoureux était au pupitre ; et l’on tenait à lui témoigner ainsi la sympathie pour les déboires passés comme la joie du triomphe présent. Puis, vraiment, la vie qu’il avait su insuffler aux chœurs et à l’orchestre était chose si nouvelle ! Sur la scène, chacun semblait avoir tellement à tâche de se montrer digne de l’œuvre radieuse qu’il devait défendre ! Peu de soirées furent aussi belles : peu vibrèrent en quelque sorte aussi harmonieusement de cet échange d’impressions, entre les interprètes et le public, sans lequel il n’est pas d’effet absolu.

Cette vibration, si favorable à certains artistes, nul ne la créait plus chaleureuse que Van Dyck, dont cette soirée consacrait bien aussi la revanche, et qui, comme l’écrivit un critique pourtant difficile, « tenait positivement l’auditoire suspendu à ses lèvres ». Aussi bien son nouveau Lohengrin était-il comme l’épreuve définitive de l’essai précédent, — et telle, que Mme Wagner ne devait pas hésiter à lui faire créer le rôle à Bayreuth même (en 1894). À l’époque où nous sommes, il avait bien des fois déjà évoqué ce héros chevaleresque à Vienne et sur les principales scènes de Hollande. À Paris, on s’éprit tout de suite de sa « ferveur mystique », de la noblesse, l’ « élévation surhumaine » de tout son personnage, dont l’expression, l’attitude, le geste, semblaient l’émanation d’une essence supérieure. Le succès de l’œuvre fut si éclatant, que les adversaires résolus de Wagner l’imputaient à cet interprète irrésistible et prédisaient que son départ le ferait éteindre.

Jugement absurde et injuste. D’abord, peu d’Elsa furent aussi touchantes et d’une voix aussi pure, aussi nuancée, que Rose Caron, dont Reyer écrivait que « sa petite tête au profil de médaille, encadrée de longues boucles, sa robe de vestale, ses attitudes alanguies, ses gestes toujours si nobles, si expressifs, formaient un ensemble d’un charme inexprimable et tout à fait enveloppant ». Elle évoquait avec un tact parfait l’impression d’une âme ingénue et désarmée que trouble une vague terreur ; mais elle ne manquait ni d’émotion ni d’élan.

En face d’elle, Maurice Renaud donnait un relief des plus intéressants à Telramund. Avec une voix souple et mordante, très habilement conduite, il rendait vigoureusement cette spontanéité, constamment renaissante, d’un esprit borné mais qu’excite à propos la perfidie de celle qui le mène à son gré.

Puis c’était Delmas, plein d’autorité calme, superbe de voix et de caractère dans le Roi. Malheur à l’interprète qui ne sait pas maintenir à son rang suprême ce rôle en apparence secondaire : il fausse toute l’harmonie de l’ensemble. C’est une crainte qui ne venait jamais à la pensée avec un pareil artiste. On citera encore, au moins pour leur prestance et leur voix, Plançon et Édouard de Reszke ; on appréciera surtout le style large et sérieux d’André Gresse, le fils, qui en somme, après Delmas, reste le principal et le meilleur interprète de Henri l’Oiseleur.

Ortrude était moins heureusement incarnée, et du reste bien peu d’Ortrudes surent, ici, mettre en valeur la beauté de ce rôle. Ce n’est pas une grosse voix désordonnée et un jeu tumultueux qui peuvent donner à ce personnage farouche mais concentré le grand style qui lui est indispensable. On y eût souhaité, par exemple, Gabriello Krauss. Aussi Éva Dufrane, qui justement avait suppléé cette noble tragédienne dans la plupart de ses rôles, se montra-t-elle, dans celui-ci, toute à son honneur. Je citerai encore l’adresse de Mme Deschamps-Jehin, et surtout l’âpreté nerveuse et sonore de Mme Chrétien-Vaguet, que l’on avait eu tort de faire d’abord paraître en Elsa, et dont toutes les qualités s’accordaient, au contraire, au profit d’Ortrude.

Les trois premiers personnages du drame ont bénéficié de quelques interprètes remarquables. Ce sont des rôles si heureusement conçus, qu’ils mettent aisément en lumière les vraies qualités d’un artiste, et les font d’autant plus valoir qu’il est plus sincère La principale difficulté à vaincre, — il en est d’ailleurs de même pour tous les drames de Wagner, et l’on s’étonne que les directeurs ne le comprennent pas mieux, — c’est que les qualités diverses des interprètes soient harmonieuses entre elles, et qu’un même esprit les guide. N’est-ce pas, au fond, tout le secret des exécutions de Bayreuth, et par quoi, avec, souvent, de bien moindres beautés vocales ou scéniques, elles donnaient des impressions sans analogue ailleurs ?

Je rappellerai surtout, sous l’armure d’argent de Lohengrin : Verguet, qui avait une voix de charme et de style, d’un timbre excellent dans les ensembles ; Alvarez, auquel la conviction surtout faisait défaut, mais qui ne manquait pas d’ampleur ; Jean de Reszke, dont l’élégance et la diction étaient incontestablement séduisantes, mais d’un homme et d’un amoureux plus que d’un héros mystique ; Scaramberg, dont la simplicité et l’émotion s’efforçaient au contraire, avec goût, d’évoquer cette impression surhumaine ; Franz, aux notes chaudes et vibrantes… Van Dyck reparut naturellement assez souvent, et, par exemple, tout exprès pour la centième de l’ouvrage (qui eut lieu le 7 mai 1894).

Mme Caron, qui conserva longtemps aussi son rôle, fut suppléée avec talent par Mme Bosman. Louise Grandjean, pour son souci de la composition du personnage, s’y montra souvent digne d’éloges, et encore Aïno Ackté, très pure de style, Yvonne Duhel, charmante de jeunesse ingénue, Maria Kousnezoff, si belle d’attitude et de voix, Jeanne Hatto, pleine de noblesse et de gravité…

Renaud trouva peu de successeurs qui ne le fissent regretter. La voix mordante du jeune Duclos est une de celles qui sonnèrent le plus heureusement dans le rôle de Telramund, où Roselly se distingua en dernier lieu.

Lohengrin a été, de beaucoup, le plus constant succès du cycle wagnérien à l’Opéra. En vingt-trois ans il a obtenu 331 représentations, dont 73 pendant les deux premières années.

LOHENGRIN
LOHENGRIN
TELRAMUND
LE ROI
ELSA
ORTRUDE
LE HÉRAUT
Dir.
Lamoureux.
1887 (Eden)
Van Dyck. Blauwaert. Couturier. F. Devriès. Duvivier. Auguez.
1891 (Opéra)
Van Dyck.
Affre.
Vergnet.
Engel.
Renaud.
Dufriche.
Delmas.
Plançon.
R. Caron.
Bosman.
Fiérens.
Domenech.
Douaillier.
1892
Muralet.
Alvarez.
Berardi.
Beyle.
Ballard. Issaurat.
Dufrane.
L. Beeth.
Dufrane. Ballard.
Vallier.
1893
J. de Reszke. Noté. Ed. de Reszke. Berthet. Deschamps-
   Jehin.
Dupeyron.
Gibert.
Chambon. Chrétien.
1894
Delpouget.
1896
Vaguet. Granjean. Bourgeois.
1897
Bartet Nordica.
1898
Ackté. Picard.
1899
Fournets.
1900
Chrétien.
1901
Gresse fils. Goulancourt. Riddez.
1902
Krousceniska. Stamler.
1903
Casset.
Scaremberg.
Riddez. Nivette. Noria.
1904
Dubel.
1905
Caro-Lucas.
Royer.
1906
Lindsay. Féart.
1907
Paquot-d’Assy.
1908
Feodorow.
Godard.
Vilmos-Beck.
Dangès.
Journet. Kousnezoff.
Mastio.
Hatto.
Gilly.
Nucelly.
1909
Franz. Duclos. Scalar.
Kaiser.
Durif.
Mancini.
Teissié
1910
Altchewsky. Cerdan. Féart.
Gall.
Daumas.
1911
Dubois.
Fontaine.
Dorliac.
Bourdon.
Mati. Triadou.
1912
Verdier. Roselly.
Carrié.
Panis.
Lorraine.
Le Senne. Carrié.
1913
Lassalle. Laskin. Téclar. Cousinou.
1914
Darmel.

IV

tristan et isolde (1865)

Au souvenir de la première représentation de cette œuvre, — dans la salle du Nouveau-Théâtre, le 28 octobre 1899, — reste indissolublement lié celui de Charles Lamoureux, qui survécut à peine à l’admirable effort accompli. Bien que l’enceinte fût trop petite, et bien que l’interprétation lyrique n’eût pas cette homogénéité que nous avions tant appréciée dans les précédentes créations françaises des drames wagnériens, l’œuvre, intégralement exécutée, était rendue avec une telle perfection, par l’orchestre, et son esprit même vibrait en quelque sorte avec une telle intensité, sous la baguette de ce chef incomparable, qu’il serait de toute injustice d’en oublier le mérite et la haute valeur.

Trois mois d’études avaient été nécessaires pour la mise au point. Lamoureux avait pensé d’abord, en vue des trois rôles de Tristan, Kurwenal et Marke : à Van Dyck, naturellement, ou, à son défaut, à Jean de Reszke (qui avait eu, à l’étranger, de grands succès dans le personnage de Tristan, à certains égards si bien fait pour lui) ; à Van Rooy, le robuste baryton ; et à Édouard de Reszke. Mais tous avaient alors des engagements en Amérique, qui les rendaient indisponibles. Il s’adressa encore à Cossira, un vaillant ténor, mais qu’effraya la responsabilité d’un tel rôle en scène, bien qu’il l’eût assumé, presque en entier, nous l’avons vu, au concert. Gibert pensa qu’il « aurait du moins l’honneur de l’avoir entrepris ». Et de fait, il serait peu équitable de ne pas lui tenir compte de l’effort accompli par sa fougue et son élan. Sainprey et Vallier tinrent leurs personnages avec honneur : l’un (dont on s’étonne que la longue carrière n’ait été que récemment parisienne) par son accent vigoureux et sa belle allure, l’autre par son autorité et la sonorité de son timbre de basse.

Isolde et Brangaine, elles, ne pouvaient être plus noblement incarnées que par Mmes Litvinne et Bréma. Cette dernière, par le goût si plastique de son geste et la sincérité simple de son jeu, comme par l’émotion de sa voix, notamment dans les appels nocturnes du haut de la tour, donna au personnage de Brangaine une beauté harmonieuse et un caractère qu’on n’a vraiment pas retrouvés depuis. Félia Litvinne peut également compter cette création d’Isolde parmi les plus puissantes et les plus dignes d’elle que nous ayons jamais applaudies. L’égalité soutenue de sa voix si lumineuse, la sûreté de sa diction lyrique, au premier acte, la grandeur de son style à la scène sublime de la mort de Tristan, ne peuvent s’effacer de la mémoire. Nous l’avons, au surplus, revue au Château-d’eau, puis à l’Opéra, quelques années après, sinon plus belle, du moins plus chaleureuse, plus vibrante encore.

L’entreprise de Charles Lamoureux, que la mort a empêché, on le sait, d’étendre, sur une scène spéciale, à l’ensemble de l’œuvre wagnérienne, n’a pas eu de seconde à l’Opéra directement, mais au théâtre du Château-d’eau, en 1902, dans une série d’exécutions patronnées (comme celles de 1899) par la Société des Grandes Auditions musicales. Cette fois, c’est Alfred Cortot, pour ses débuts au pupitre (alternant avec le Crépuscule des Dieux), qui dirigeait, à son honneur, les représentations. La première eut lieu le 1er juin. On y applaudit de nouveau Félia Litvinne, avec Mme Olitzka, Brangaine d’une belle sincérité, Henri Albers, nerveux Kurwenal et Daraux, consciencieux Marke. Mme Ada Adiny fut aussi une belle Isolde, au geste large, à la voix passionnée. Dalmorès incarna Tristan avec fougue, mais sans simplicité : exagérant la netteté rythmique des chanteurs allemands, il donnait à sa diction une allure heurtée, saccadée, qui ôtait tout style à son admirable personnage. Le vrai régal de ces soirées fut l’apparition, unique malheureusement, d’Ernest Van Dyck. Celui-là savait prendre les qualités de l’école lyrique allemande et non ses défauts ; surtout, il savait être lui-même, et l’avait déjà prouvé dans Tristan en Angleterre et en Amérique. Nous le retrouverons à l’Opéra.

Sur notre première scène, c’est deux ans plus tard que l’œuvre fut installée au répertoire, le 14 décembre 1904, sous la direction très soigneuse, très minutieuse (un peu trop peut-être) de Taffanel. Chose curieuse, une fois de plus, l’interprétation manquait un peu d’équilibre et décevait sans qu’on s’en rendît trop compte : si bien même, que l’impression ne s’imposa pas, d’un succès durable comme celui des précédentes partitions. Ce drame emporté de passion, frémissant d’une lutte surhumaine, semblait languir par instant et manquer d’accent. C’est que l’ampleur sonore, l’exquis nuancé et la beauté de timbre d’Alvarez, dans Tristan, ne pouvaient évoquer que le côté extérieur de ce rôle admirable, et que celui qui forçait les applaudissements par les plus séduisantes qualités vocales, c’était en somme Alvarez et non Tristan même. Cependant Isolde était supérieurement rendue par Louise Grandjean, qui peut-être n’avait encore jamais paru autant à son avantage : la souplesse de son jeu fier et tendre, la sûreté de sa diction, la chaleur de son émotion, furent des plus appréciables. À côté d’elle, Rose Féart incarnait une Brangaine un peu jeune, et de voix trop semblable à celle d’Isolde, mais dont les appels dans la nuit étaient d’une harmonieuse beauté. Delmas vivait un Kurwenal excellent, joyeusement rude au premier acte, attentif, affectueux, fraternel au troisième : enfin André Gresse ne méritait que des éloges dans le roi Marke, dont il savait rendre avec tact la noblesse douloureuse et dont il articulait à merveille le grave langage.

Cependant le vrai « départ » de l’œuvre date de la prise de possession du héros Tristan par Van Dyck, quelques mois plus tard, le 10 avril. De la vie prodigieuse dont il l’imprégnait, étude d’âme telle qu’on en a bien rarement vue sur la scène lyrique, mais d’ailleurs aussi des enseignements que son expérience avait données aux répétitions, — et dont ses camarades avaient été profondément impressionnés, — toute la représentation se ressentit, dans la salle comme sur la scène. J’ai déjà dit combien cet artiste agissait directement, « portait » sur le public : jamais cet effet ne fut plus éclatant. Il suffira, sans insister outre mesure, de rappeler l’expression concentrée, la finesse, puis l’ampleur, de son dialogue avec Isolde au premier acte ; l’élan affolé d’abord, puis caressant, de leur scène au second ; enfin tout le troisième acte, où, presque immobile, il savait faire passer un tel souffle de poésie, de douleur, d’amour, dans ses phrases haletantes[5]. J’ai déjà dit que presque toutes ses incarnations offrent quelque minute saisissante, inoubliable… Rappelez-vous l’instant de sa mort, lorsqu’il accourt en chancelant au-devant de sa bien-aimée, murmure simplement « Isolde ! » et défaille tout en la fixant éperdument de ses yeux qui semblent devenir vitreux !… Les larmes montent, irrésistibles !

Van Dyck resta le seul Tristan jusqu’en 1912, où le valeureux ténor de la Monnaie, Verdier, parut deux fois dans le rôle, non sans caractère, et 1913, où la belle voix de Paul Franz et sa sûre articulation suppléèrent à un ton encore trop égal, un geste trop impassible.

Parmi les Kurwenal qui succédèrent à Delmas, l’excellent baryton Dufranne est surtout à signaler, pour sa rudesse sonore et son jeu attentif. Brangaine mit particulièrement en relief Mlle Le Senne, qui donnait bien toute sa valeur au personnage. Quant à Isolde, chacune de ses interprètes doit être rappelée. Il est superflu d’insister sur le plaisir qu’on éprouva à revoir Félia Litvinne, si noble et si pathétique, mais l’apparition, pour quelques soirs, de Mme Nordica, fut loin d’être sans attrait ; Marcelle Demongeot, dont la profonde étude du rôle était manifeste, lui prêta, avec une voix d’une sûreté infaillible, des nuances d’une douceur vraiment exquise ; et Mlle Mérentié fit encore apprécier un accent vibrant, une chaude émotion.

69 représentations en dix ans, tel est le chiffre atteint par Tristan et Isolde à l’Opéra.

TRISTAN ET ISOLDE
  TRISTAN KURWENAL MARKE ISOLDE BRANGAINE
Dir.
Lamoureux. Chevillard
1899
(Nouveau-Théâtre)

Gibert.
Lafarge.

Sainprey.

Vallier.

Litvinne.
Pacary.
Janssen.

Bréma.
Darlays.
Dir.
Cortot, 1902
(Château-d’eau)

Dalmorès.
Van Dyck.

Albers

Daraux.

Litvinne.
Adiny.

Olitzka.
Dir.
Tafanel, 1904
(Opéra)

Alvarez.

Delmas.

Gresse fils.

Grandjean.

Féart.
1905 Van Dyck. Bartet.   Caro-Lucas.
1907 Litvinne.
1908 Beck. Paty. Paquot-d’Assy.
1909 Dufranne.
1910 Dangès. Nordica. Le Senne.
1911 Duclos Dubois-Lauger.
1912 Verdier. Demougeot.
1913 Franz. Roselly.
Cerdan.
Cerdan. Mérentié. Daumas.
Bonnet-Baron.

V

les maîtres chanteurs (1868)

C’est le quatrième ouvrage choisi par la direction de l’Opéra, et peut-être celui qui lui fit plus d’honneur. Par les qualités vocales de ses interprètes, la représentation dépassait en beauté tout ce qu’on avait entendu à l’étranger : par la vie surprenante de ses chœurs et de sa figuration, nettement supérieure à ce dont ils avaient fait preuve jusqu’alors, elle se montrait digne des plus parfaites. C’était, en même temps, la première fois qu’on adoptait, sur notre scène, la nouvelle version, si scrupuleusement rythmique, d’Alfred Ernst. Celui-ci, qui avait suivi de près les répétitions, avait positivement communiqué son enthousiasme à tous les interprètes. Rarement se vit ici pareille exaltation de zèle et d’effort. Quand chacun fait vraiment de son mieux, on obtient de ces résultats, qui devraient être une règle générale.

Pas un artiste, cette fois, qui ne fût le mieux choisi pour son rôle, et ne le mît le plus complètement en valeur. Alvarez figurait le plus beau Walter imaginable, avec un jeu large et une voix exquise, d’un timbre tout à fait séduisant : c’est de beaucoup la meilleure évocation wagnérienne que compte sa carrière. Quant à Delmas, peu d’incarnations lui ont été aussi favorables que celle de Hans Sachs. Il n’y trouvait pas seulement l’occasion de nuancer avec un charme extrême de demi-teinte le timbre si riche de sa voix, il unissait la simplicité et la bonhomie à la dignité naturelle du cordonnier-poète que révèrent les maîtres-chanteurs et qu’acclame le peuple ; il était paternel avec discrétion et gai avec goût : il laissait deviner, sans appuyer, cette évolution intérieure qui rend le rôle si intéressant : au premier acte, c’est le maître qui écoule en silence et qui se laisse pénétrer, sans parti pris, de la nouveauté d’une poésie hors des règles ; au second il est devenu l’ami, déjà, d’instinct et parce qu’il est, lui vraiment poète, de ce jeune seigneur qui pourtant a pris le cœur d’Éva, et il se joue narquoisement du plat pédant dont la rauque sérénade trouble la nuit ; au troisième, à l’aube, c’est le poète philosophe, un peu mélancolique, mais qui se retrempe à son dévouement même, et dont la bonté plus encore que l’esprit sera glorifiée tout à l’heure par une foule enthousiaste.

Maurice Renaud, comme dans la plupart des rôles qu’il assumait à cette époque, parut méconnaissable dans Beckmesser. Le visage ravagé par l’inquiétude et l’envie, la taille professionnellement voûtée, le geste étriqué et sournois, la voix sèche, coupante, geignarde, c’était le cuistre allemand dans toute sa beauté. La façon rageuse dont il traitait le chevalier Walter au premier acte, les gaucheries si sincèrement ridicules de sa sérénade, au second et de son concours, au quatrième, la lourdeur maladroite et répugnante de sa visite intéressée à Hans Sachs au troisième, autant de faces inoubliables de son personnage.

David c’était Vaguet, jeune, fringant, gai, aimable, un peu grand seulement pour ce gentil apprenti ; Pogner, l’excellent Gresse (père), affectueux et digne ; Éva, Lucienne Bréval, gracieuse au possible, fine et délicate, dans les charmantes scènes chez Sachs notamment : Magdalena, Louise Grandjean, accorte et spirituelle.

Et puis, ne faut-il pas insister sur l’étonnante animation des choristes, des figurants, des moindres comparses, soit dans le prodigieux méli-mélo nocturne du second acte, interpellation de femmes aux fenêtres, prises de mains des hommes dans la rue, provoqués par le charivari de Beckmesser, et que dissipe comme par enchantement la corne du veilleur, soit au troisième, où tout un peuple semble vivre en scène ? Ne faut-il pas dire aussi que l’orchestre, dirigé par Taffanel, était un régal à entendre, de nuance et de couleur ?

À part deux intervalles, les Maîtres Chanteurs ont été joués presque chaque année, à l’Opéra. Aussi, plusieurs artistes ont-ils tenu les principaux rôles, celui de Sachs excepté. Il n’est que juste de rappeler combien, dans Walter, Vaguet a montré à son tour d’élégance et de charme, avec une voix peut être un peu petite pour le rôle, mais à laquelle convenait spécialement la tessiture élevée dans laquelle celui-ci a été écrit…, et de noter l’ample et somptueuse allure que sut donner Franz, pour la reprise de 1911, à un personnage qui, de toutes façons, lui allait si bien et restera probablement le meilleur de ses héros wagnériens. Beckmesser a été encore évoqué, avec mordant, par Riddez, et, en dernier lieu, avec goût et adresse, par Sizes. David a donné l’occasion d’un excellent début à Léon Lafitte, qui sortait tout juste du Conservatoire et s’y montra comédien-chanteur d’avenir. Éva enfin, fut charmante avec Mme Bosman, Mlle Hatto, Mlle Lindsay, Yvonne Gall…

En somme, si l’on ne tenait compte que des années où elle a tenu l’affiche, l’œuvre est une de celles qui ont remporté le plus de succès à l’Opéra. Le total des représentations n’est que de 105, en dix-sept ans ; mais le premier départ en avait fourni 45, et la moyenne, répartie sur dix années, est de plus de 10. Ernest Reyer, dans son feuilleton de 1897, contait l’impression qu’il avait gardée d’une représentation des Maîtres à Londres, sous la direction de Richter. Il avait passé ses quatre heures de soirée debout, serré et fort mal à l’aise. Et cependant, lorsque le rideau s’était abaissé, pour ne plus se relever, sa première pensée avait été : « Mon Dieu ! si cela pouvait recommencer ! » — Je ne suis pas fâché de finir sur ce mot.

LES MAÎTRES CHANTEURS
WALTER SACHS BECKMESSER DAVID POGNER EVA MAGDALENA
Dir. Taffanel, 1897 (Opéra). Alvarez. Delmas. Renaud. Vaguet. Gresse.
Chambon.
Bréval. Grandjean.
1898 Courtois. Noté. Beyle.
Lafitte.
Bosman. Beauvais.
1900 Vaguet.
1901 Hatto.
1902 Rigaux.
1906 Muratore. Riddez. Nuibo. Lindsay. Caro-Lucas.
Goulancourt.
1911 Franz. Campagnola.
Dubois.
Journet. Gall. Daumas.
Lejeune.
1912 Faber. Daumas.
1913 Sizes. Charny.

VI

L’anneau du Nibelung (1869-1876)

La tétralogie a été, comme on sait, introduite ici dans l’ordre le plus fantasque, avant de pouvoir apparaître dans sa suite logique et en son entier. La Valkyrie, qui était particulièrement réclamée, sans doute à cause de la curiosité qu’avaient excitée les pages exécutées dans les concerts, monta tout d’abord en scène, dès 1893. Puis ce fut le tour de Siegfried, neuf ans plus tard. Ensuite vint le Crépuscule des Dieux. Enfin, en 1909 seulement, l’Or du Rhin compléta le cycle, qu’il eût dû précéder, puisqu’il en est proprement le prologue.


A. — L’Or du Rhin (1869).

Il est juste, toutefois, de tenir compte de l’audition qui avait été préparée, des principales pages de ce prologue, la veille de la première représentation de la Valkyrie, le 6 mai 1893, avec une conférence. Je l’ai déjà mentionnée plus haut. On ne fut pas sans trouver étrange ce parti de faire chanter à l’Opéra, au piano, et sous forme de concert de salon, une partition qu’il eût été tellement plus logique de mettre en action. On remarqua aussi que plus d’un maître critique eût été mieux en droit que celui qui prenait alors la parole, de se qualifier « wagnérien de la première heure ». N’importe, le succès fut vif et mérité, soit pour l’interprétation de Pugno et de Debussy, sur deux pianos à queue, soit pour l’ampleur donnée par Fournets aux phrases de Wotan, le mordant de Renaud dans la partie d’Albérich, la belle sonorité de Mme Richard dans Erda et l’une des Filles du Rhin, la finesse de Vaguet dans Loge, sans oublier Mmes Bosman et Marcy dans les autres rôles.

Il va sans dire que cette audition n’eut pas de lendemains ; mais peut-on affirmer qu’elle ne retarda pas la représentation même ? On prit trop facilement l’habitude de se contenter d’entendre l’œuvre au concert. On admit trop aisément que sa mise à la scène était impossible et que l’effet en serait médiocre, sinon fâcheux. L’effort accompli en 1909, par la nouvelle direction Messager-Broussan, prouva une fois de plus que Wagner n’avait rien imaginé d’irréalisable, et que sa conception, au contraire, avait tout à gagner à prendre corps.

En tête des interprètes se retrouvait Van Dyck, dont le personnage de Loge était une des plus célèbres incarnations. (C’est en 1890, à Vienne, qu’il avait commencé de l’évoquer, mais l’Angleterre et l’Amérique, sans oublier Monte-Carlo, l’avaient aussi applaudi à l’envi.) L’avant-goût qu’il venait de nous en donner, dans les exécutions de l’œuvre à la salle Gaveau, était justement l’un des exemples les plus topiques qu’on pût voir de la supériorité de la représentation sur le concert. Loge, vif et mobile comme la flamme, fantasque et crépitant comme elle, est tout mouvement, en scène. Il n’est pas un geste, un sursaut, un cri, qui ne soit suggéré par la musique.

Le caractère essentiel du personnage, « cette correspondance étroite, cette union intime du chant et de l’orchestre, qui met sans cesse l’acteur et le chanteur à sa véritable place dans l’ensemble sonore, au centre de la musique et de l’œuvre », seul un artiste comme celui-ci pouvait l’évoquer. Et M. Pierre Lalo que je cite ici, a trouvé un mot particulièrement heureux pour expliquer ce qu’une pareille interprétation offrait de créateur : « Avec une connaissance profonde du contenu poétique et musical de l’œuvre, M. Van Dyck sait qu’à telles paroles, qu’à tel détail mélodique de son rôle répond dans l’orchestre tel thème, tel dessin instrumental : il les appelle, il les fait jaillir par la vie intense de sa diction et de son accent. »

Et quel relief prenait ce langage incisif, qui menait tout le drame, qui secouait en quelque sorte à son gré la passivité des autres personnages ! On ne peut, sans un frémissement intime retrouver dans le souvenir la façon dont il lançait ce mot, symbolique de toute la tétralogie et fatal conseil où se prévoit déjà le crépuscule de ces dieux : « Le vol ! » — Tranchant comme un coup de hache, il semblait, dans le soudain arrêt, le brusque silence de tout l’orchestre, glacer jusqu’au fond de l’âme.

Oui, succédant de près au Siegfried du Crépuscule des Dieux, le Loge de l’Or du Rhin aura été le couronnement de la carrière d’Ernest Van Dyck à l’Opéra. Il surprit, après tant de purs et nobles héros. Mais un tel contraste, si violent soit-il, c’est précisément la beauté spéciale d’une interprétation intuitive comme celle dont Van Dyck a donné constamment l’exemple. Elle a pour bases « l’autorité de diction et le sens de l’action que Wagner déclarait qualités nécessaires entre toutes ». Je cite cette fois Fourcaud, qui s’y connaissait mieux que pas un, — et qui ajoute : « il a une verve, une joie enfiévrée, une ruse ironique, une mordante fantaisie qu’on ne saurait trop reconnaître. Il est la vie de cette réalisation scénique. Il laisse vraiment dans l’esprit de ceux qui le voient et l’entendent l’impression franche de l’art wagnérien. »

On eût souhaité plus d’homogénéité entre lui et les autres interprètes : on eût attendu également plus de vie et de lumière de l’orchestre et moins d’à peu près de la mise en scène, souvent plus heureuse et plus expressive. On ne put d’ailleurs que louer Delmas, qui incarnait naturellement Wotan et sa fière allure, mais en faisant bien sentir l’inconscience foncière de ce dieu autoritaire et indécis à la fois. Alberich, c’était le jeune baryton Duclos, excellent pour sa voix sonore et sa ferme articulation : Mime, Fabert, déjà remarqué dans ce hideux personnage lors des représentations de Siegfried.

L’Or du Rhin a obtenu ainsi 15 représentations, comme début, mais n’a plus reparu dès lors que pour les exécutions totales de la tétralogie, c’est-à-dire cinq fois.

L’OR DU RHIN
WOTAN LOGE DONNER ALBERICH MIME FRIKA FREIA FAFNER FASOLT ERDA
Dir.
Messager,
1909 (Opéra).
Delmas. Van Dyck.
Fabert.
Noté. Duclos. Faubert.
Nansen.
Demougeot. Campredon. Journet. Gresse. Charbonnel.
1910 Dangès. Le Senne. Cerdan. Cerdan. Lacombe-Olivier.
1911 Roselly. Mati. Charny.
1912 Rousselière.
1913 Swolfs. Kirsch.

B. — La Valkyrie (1870).

La Valkyrie, au contraire, n’a presque pas quitté la scène pendant les vingt et un ans qui se sont écoulés depuis le 12 mai 1893, où elle y est montée, et 69 représentations, en moins de deux ans, montrent assez l’attrait qu’elle exerçait.

Il était considérable, à l’avance. Les concerts y avaient préparé : le public apportait une curiosité extrême, qu’une exécution excellente, sous la conduite d’Édouard Colonne, une interprétation jeune et vibrante, une mise en scène très réussie, satisfirent largement. La seule critique sérieuse porta sur les coupures, trop légèrement pratiquées, au second acte particulièrement. On fut plus respectueux par la suite.

Une autre porta sur la traduction de Victor Wilder, qui ne manquait pas non plus de sans-gêne avec le texte. Il est probable qu’on n’y aurait guère fait attention si justement, chacun des interprètes n’avait donné des soins particuliers à bien articuler. L’exemple venait de Van Dyck, naturellement. Cette fois les intransigeants du texte lui en voulurent presque, de si bien prononcer ! Quelle profonde incarnation du personnage ne donnait-il pas ? Comme on sentait bien, avec lui, que le malheureux Siegmund est le jouet d’une destinée qu’il ignore ! Quelle joie de vivre et d’aimer, quel enthousiasme, chez le fils de Wotan, que ce dieu borné sacrifie si délibérément et comme par dépit de son erreur ! Un critique peu suspect de wagnérisme, Heugel, résumait son jugement par ces mots : « Van Dick ne sacrifie rien à son succès personnel et interprète l’œuvre pour elle-même. C’est un artiste qui ne trahit pas. » Jamais mot ne fut plus exact. La franchise, la sincérité de ses récits du premier acte, et la variété des effets nés de cette spontanéité, de cette mobilité même du caractère de Siegmund, constituaient une évolution de vie qu’on ne se lassait pas de suivre et de pénétrer. Souvenez-vous du sentiment de détresse mystérieuse qui l’étreignait en prononçant ces mots de son récit : « Mon père… avait… disparu !… » et de l’élan irrésistible avec lequel il enlevait toute la conclusion glorieuse de ce premier acte ! Rappelez-vous l’intensité pathétique de son émotion dans la scène du second, où lui apparaît Brunnhilde !

Delmas a remporté sa plus belle victoire avec le personnage de Wotan. Cette soirée a été comme le coup de barre décisif de sa carrière, pourtant déjà si valeureuse. Physique et voix, son talent mettait en valeur les dons les mieux appropriés au rôle, et l’on ne pouvait rêver évocation plus complète du dieu : ampleur et sobriété, énergie, lorsqu’il croit encore à la réalisation de ses desseins, grandeur simple quand il doit s’incliner devant des arrêts plus forts que les siens, son personnage était souverainement beau. La scène finale, avec Brunnhilde, et l’incantation du feu, qui couronne le drame, étaient dites dans un style incomparable.

L’apparition de Lucienne Bréval ne lui pas moins glorieuse : son jeune talent, presque à ses débuts, s’épanouissait dans ce fier rôle de la Valkyrie avec une flamme audacieuse, une passion vibrante, une harmonie de visage et de gestes qui étaient vraiment de toute beauté. C’est dans cet ensemble de qualités, cette sûreté d’exécution, que prennent leur prix les élans, les cris de la vierge guerrière, trop souvent « vulgarisés ». L’exubérance de son personnage offrait d’ailleurs le plus juste contraste avec la noblesse passive et résignée de Sieglinde, c’est-à-dire Mme Rose Caron. Ah ! que firent preuve de peu de jugement ceux qui, cette fois, ne voulurent pas comprendre et apprécier la grande artiste ! Quelle grâce discrète et quelle finesse de race ne montrait-elle pas au premier acte, entre la brute qui l’avait conquise et le héros libérateur vers qui, d’instinct, bondissait son âme opprimée ! Quelle pureté de lignes, dirai-je, dans son récit !… et plus tard, quelle grandeur lorsque tout son espoir s’est effondré sous un nouveau coup du destin ! Comment ne pas se sentir tout ému encore en évoquant la façon dont elle laissait tomber de ses lèvres, au milieu de l’agitation sonore des valkyries apitoyées, cette phrase si simple : « N’ayez nul souci de mon sort !… » — Oui, comme l’a dit quelqu’un, Mme Caron prenait, d’un geste, d’une intonation !

Gresse était un excellent Hunding. Sa sincérité et sa conviction n’étaient pas moins dignes d’éloges que sa robuste voix. Mme Deschamps-Jehin déployait une louable et sonore énergie dans Fricka. Quant aux Valkyries, dont on se rappelle l’effet prodigieux aux premières représentations, nommons-les ici : pareil chœur ne se retrouvera plus. C’étaient Mmes Marey, Carrère, Berthet, Héglon, Agussol, Janssen, Fayolle et Vincent.

La plupart des ténors qui ont paru sur la scène de l’Opéra, même les moins faits pour comprendre pareille tâche, ont interprété Sigmund, bien que Van Dyck, à l’occasion, l’ait incarné jusqu’en 1913. Le plus remarquable à coup sûr, ici encore, a été son successeur immédiat, Albert Saléza, nature chaude et passionnée, avec un charme très prenant. Son seul écueil, mais pour presque tous est le même, c’était la scène de l’apparition de Brunnhilde, qui demande une ampleur dans le grave que possèdent fort peu de ténors. Son succès fut très grand et très mérité, à plusieurs reprises. On citera aussi, au moins pour sa belle voix. Alvarez, qui, lui, avait un très beau registre grave, puis, pour leurs efforts méritoires et dramatiquement intéressants : Lafarge, Godard, Swolfs, Franz, Verdier…

Brunnhilde a également varié, très souvent, d’interprète. Nulle ne fut plus impressionnante que Félia Litvinne. Avec elle et Van Dyck, la scène du second acte était incomparable. Au dernier acte, moins vibrante que Lucienne Bréval, mais plus touchante, elle joignait à la pureté exquise de sa voix des attitudes et une émotion concentrée qui étaient des plus impressionnantes. D’autres encore, telles Mlles Demougeot et Grandjean méritent qu’on se souvienne de leur belle vaillance, de leur style vigoureux.

Il y a eu des Sieglinde de goût et de style : Mlle Hatto par exemple, dont le sentiment était sincère et très pur, la ligne harmonieuse, et Mme Paquot d’Asie, dont la voix, sonore avec charme, ne laissait pas tomber une syllabe. Fricka n’a probablement pas été plus heureusement évoquée que par Mme Héglon, dès le début. Quand on a dit de ce personnage qu’il est insupportable et que son rôle est sacrifié, on croit avoir tout dit… C’est que jamais on ne s’aperçoit qu’il doit s’imposer au premier plan, et avec une majesté, une noblesse, une autorité qui fassent comprendre sa victoire sur Wotan et pourquoi celui-ci s’incline et se dément. Dans Wotan, Delmas n’a été qu’accidentellement remplacé. Mais Hunding a eu plus d’un titulaire intéressant : Dubulle, Nivette, d’Assy, Gresse fils…

Colonne ne dirigea que les 18 premières représentations. Taffanel lui succéda, avec cette conscience, ce souci musical dont on ne doit pas perdre le souvenir. J’ai déjà dit l’éclatant succès de l’œuvre : 69 soirées en deux années, dont 46 la première, en témoignent assez. Il se soutint moins, par la suite, que celui de Lohengrin et de Tannhaeuser, probablement faute d’interprètes. Au total, la Valkyrie a atteint le chiffre de 225 soit une moyenne annuelle de 11.


LA VALKYRIE
SIEGMUND WOTAN HUNDING BRUNNHILDE SIEGLINDE FRICKA
Dir.
Colonne.
1893 (Opéra)
Van Dyck.
Saléza.
Dupeyron.
Alvarez.
Delmas.
Fournets.
Gresse.
Chambon.
Dubulle
Bréval.
Dufrane.
Chrétien.
R. Caron.
Bosman.
Martini.
Deschamps-

Jehin.
Héglon.
Richard.

1894 Bourgeois. Carrère. Dufrane.
1896 Duffaut.
Lafarge.
Bartet. Paty. Ganne. Kutscherra.
1898 Courtois. Picard. Marcy.
1899 Demauroy. Flahaut.
1901 Rousselière. Marcy. Courty.
1904 Demougeot. Hatto.
1905 Nivette. Grandjean.
1906 Dubois. Borgo.
Féart.
Margy.
1907 D’Assy Litvinne. Paquot d’Assy.
Mérentié.
Durif.
1909 Godard. Whitehill. Journet.
Gresse fils.
Le Senne. Carlyle. Lapeyrette.
Charbonnel.
1910 Swolfs.
Franz.
Journet. Lequien.
Vallier.
Henriquez.
Bourdon.
Dubois-Lauger.
1911 Daumas.
1912 Marvini.
1913 Verdier. Mérentié.

C. — Siegfried (1876).

Une mise en scène très réussie n’avait pas été inutile au premier effet de la Valkyrie sur le public. La chevauchée du troisième acte, en particulier, que rendaient réalisable, presque au naturel, les vastes espaces de la scène de l’Opéra, avait paru des plus adroitement évoquée. Siegfried offrait aussi ses difficultés et ses attractions : le « ver » monstrueux, Fafner, ou l’ascension de Siegfried vers Brunnhilde endormie… Leur réalisation satisfit les plus difficiles. Mais c’est l’exécution musicale qui compte surtout, et elle fut vraiment remarquable, sous la direction attentive et vivante de Taffanel

Cette fois, Jean de Reszke était revenu d’Amérique tout exprès pour ce rôle qui l’avait toujours particulièrement séduit et qu’il possédait depuis longtemps. Ce n’est pas qu’il en réalisât complètement le caractère. La maturité de son talent était moins faite pour la force sans contrainte et la fougue désordonnée, essentielle au personnage, que pour la grâce adorable, la finesse, le charme, la poésie… qu’évoque constamment aussi cette musique et qui ne sont pas moins essentielles. En sorte que si les chants de la forge, au premier acte, paraissaient un peu froids et la scène du réveil de Brunnhilde un peu dépourvue de passion, les rêveries dans la forêt, en revanche, étaient délicieuses avec lui, d’un sentiment pénétrant, d’un goût incomparable ; et les scènes suivantes, sa victoire sur Fafner, sa victoire sur Wotan, brillaient d’un éclat jeune et enthousiaste vraiment surprenant. En somme, un jeu libre, alerte, naturel, et une diction juste, nette, souverainement adroite, ce sont là qualités qui n’avaient jamais été applaudies plus à propos chez l’artiste, et qui ont très fièrement couronné sa longue carrière.

Wotan, ou le Voyageur, a, bien entendu, trouvé en Delmas son interprète-type, avec un mélange de hauteur et de bonhomie, d’ironie et d’émotion, qui donnait beaucoup de sincérité au personnage. Sa prestance et sa voix superbe rendaient dans un style magnifique l’évocation d’Erda. — Mime a été très curieusement évoqué par Laffitte, qui s’était montré un alerte David, mais qu’on n’aurait pas soupçonné aussi ingénieusement comique et… répugnant. On remarqua l’adresse et la vérité de son débit, qui utilisait, selon l’occasion, le chant rythmé et le presque parlé. Le timbre très cuivré de sa voix le servait en ceci. Alberich, farouche et violent, ne pouvait être qu’évoqué à souhait par l’organe sonore de Noté. Brunnhilde parut assez pâle avec Louise Grandjean ; mais le tableau final avait été tellement remanié !... Mme Héglon donnait à Erda de belles notes de cloche. Enfin c’est la gentille voix de Bessie Abott qui faisait parler l’oiseau du second acte, et les robustes notes de Paty qui retentissaient dans le porte-voix de Fafner.

Rousselière succéda à Jean de Reszke : peu d’interprètes d’un même personnage pouvaient être aussi dissemblables, autant comme physique que comme talent. Siegfried perdit son style et son charme, mais gagna une fougue, un relief, une vaillance désordonnée qui n’en firent pas moins honneur au jeune ténor, dont c’est, de beaucoup, le meilleur rôle wagnérien. Dalmorès aussi parut dans le héros Siegfried, avec aisance mais sans ampleur. Fabert dut à sa voix adroite mais un peu spéciale de débuter dans Mime et d’y réussir à souhait, avec un jeu souple et en musicien. Duclos prit, de son côté, le personnage d’Alberich, en même temps qu’il l’évoquait dans l’Or du Rhin. Brunnhilde retrouva aussi ses plus valeureuses interprètes de la Valkyrie et du Crépuscule des Dieux : Félia Litvinne, Marcelle Demougeot, Lucienne Bréval. Pour ce personnage, tout au moins, l’unité était souhaitable et fut heureusement réalisée.

Je reviendrai tout à l’heure sur les représentations d’ensemble du cycle. Comme l’Or du Rhin, ce n’est qu’à elles que Siegfried dut d’être maintenu à la scène pendant les dernières années. Au total, il n’a récolté, à l’Opéra, que 40 représentations en six années, dont 21 la première.

SIEGFRIED
SIEGFRIED MIME LE VOYAGEUR ALBERICH BRUNNHILDE ERDA
Dir.
Taffanel,
1902 (Opéra)
J. de Reszke. Laffite. Delmas.
Gresse fils.
Noté. Grandjean. Héglon.
Flahaut.
1904 Rousselière.
1909 Fabert. Duclos. Litvinne.
Pacary.
Charbonnel.
1911 Dalmorès. Charny.
1912 Demougeot.
Bréval.


D. — Le Crépuscule des Dieux (1876).

Comme Tristan, le Crépuscule des Dieux, nous le savons, avait bénéficié de l’initiative de la société des Grandes Auditions musicales, sur la scène du Château-d’eau, en 1902, avant de prendre sa place au répertoire de l’Opéra. C’est par lui que fut inauguré ce festival wagnérien, où, non sans quelque outrance, et à grands frais, l’on avait cherché à donner au public parisien une idée du théâtre de Bayreuth. Salle obscure, orchestre enfoncé, invisible (et même couvert d’une sorte de grille !) toutes choses nouvelles alors… L’exécution était excellente, ce qui valait certes mieux. Alfred Cortot, de retour, justement, de Bayreuth, et tout imbu de son enseignement, faisait ici ses débuts à la tête de l’orchestre. On regrettait bien le pauvre Lamoureux, que la mort avait empêché de réaliser de semblables représentations. Mais on convenait sans difficulté qu’un aussi grand effort ne pouvait guère être plus heureusement réalisé.

Dans Brunnhilde, Félia Litvinne vécut une des grandes heures de sa carrière, sa voix si pure, si ample, si moelleuse, d’une tenue si ferme, d’une égalité si absolue du grave à l’aigu, s’unissait, plus complètement que dans l’Isolde de 1899, à un jeu vivant, enthousiaste, plein d’émotion et de chaleur. Et quel art des nuances dans ces trois phases du rôle : le départ de Siegfried, qui, pour la première fois, fait sentir à la Valkyrie qu’elle est devenue une simple femme ; l’attente anxieuse de son retour, le fatal refus, qu’elle oppose aux dieux de rendre l’anneau, et l’atroce violence qu’elle subit du héros masqué qui ne la connaît plus ; enfin l’apaisement suprême au moment de la mort, qui est à la fois le retour de son intelligence divine et l’union définitive avec celui que le destin lui a réservé !

Le ténor lorrain Dalmorès avait mûri à Bruxelles son rôle de Siegfried : il y fit valoir de sérieuses qualités de sonorité, de clarté, de jeunesse, mais qu’une nervosité saccadée de diction et de gestes empêchait un peu de vraiment goûter. La scène de sa mort, c’est-à-dire le grand récit où sa mémoire se dessille, lui faisait du moins grand honneur. Vallier était un Hagen rude, vigoureux, excellent en tous points, avec un timbre grave superbe, Albers un Gunther plus pâle mais bien chantant. Waltraute était évoquée avec une éloquence vocale et une chaleur de jeu qu’on a rarement retrouvées depuis, par Rosa Olitzka. Quant à Gutrune, son interprète avait-elle manqué au dernier moment ? Ce n’est pas sous cet aspect que Jeanne Leclercq peut laisser un souvenir, mais sous celui de la première des Filles du Rhin, avec Mlles Vicq et Deville : ce trio évoqua des impressions bien rares de grâce onduleuse et comme fluide. Mlle Olitzka incarnait aussi l’une des Nornes du prologue, avec Mlles Melgounoff et Nedoff.

Pour achever en quelque sorte le caractère bayreuthien de ce festival, on fit appel aussi à plusieurs des plus réputés kapellmeister : Richter surtout, et Mottl. Même, des Siegfried allemands se succédèrent, tels Knote et Burgstaller, auxquels les Brunnhilde ne manquaient pas de répondre en leur langue, lorsqu’elles étaient en scène avec eux. On ne donnera pas ceci comme une façon harmonieuse de comprendre les représentations d’une grande œuvre ; mais il n’est que juste de souligner les impressions vraiment fortes qu’apportèrent ainsi, à leur tour, après Félia Litvinne, Ada Adiny, très héroïque, très noble, et Mme Bréma, si musicale.

À l’Opéra, l’œuvre n’a été mise en scène que six ans plus tard, le 23 octobre 1908 : c’était un des premiers desseins de M. Messager, devenu directeur, de la monter et de la diriger en personne. Il a fait l’un et l’autre avec sa précision coutumière, que servait un orchestre particulièrement souple et fondu sous sa main. À la Société des Concerts du Conservatoire, ce même orchestre, car c’est presque le même, devait deux jours plus tard, l’élire son chef, et c’est assez dire. Il a tenu, d’ailleurs, à donner l’ensemble, drame et prologue, dans son intégralité, et l’on ne saurait trop l’en louer, tout en regrettant le parti, médiocrement digne d’une pareille enceinte, qui, pour les premières soirées, chercha des succès de mode en organisant au buffet des « dîners-entr’actes ».

Il n’avait pas manqué non plus d’appeler à lui Ernest Van Dyck comme protagoniste de l’interprétation. L’apparition de ce valeureux artiste, dans la clarté soudaine de la scène, dans la flamme de l’orchestre, au moment où les trois Nornes se sont enfoncées sous terre…, l’élan jeune, enthousiaste, avide de vie et de liberté, avec lequel il bondissait en quelque sorte de la grotte, suivi de Brunnhilde tenant en main son cheval Grane… ce fut vraiment une minute glorieuse. Il y avait d’assez longues années qu’aucun nouveau personnage wagnérien ne nous avait été révélé par lui. Dans l’évocation de Siegfried, il sembla résumer à la fois la claire jeunesse de ses premières créations et la pleine et forte autorité de sa longue expérience. Avec ses oppositions et ses nuances, avec cette âme naïve qui se connaît à peine et qui ne s’appartient pas, qu’une trahison obscurcit et égare, qu’une fatalité ballotte à son gré, ce rôle est probablement le plus difficile à bien rendre, de tout le répertoire. Van Dyck, comme chanteur, comme comédien, comme artiste, le mit en relief, le vécut, de la façon la plus absolue. Les sonorités graves, qui donnent tant de caractère au personnage, prenaient avec lui une intensité singulière : les finesses charmantes de son dialogue avec les Filles du Rhin ou du récit inconscient de ses souvenirs pendant la halte de chasse, revêtaient sur ses lèvres une légèreté incomparable. L’aisance avec laquelle « il posait vaillamment son personnage et gardait à son héroïsme cette belle humeur fière et cette bonhomie qui le caractérisent », (ces mots sont de Louis de Fourcaud) pénétrait, une fois de plus, le spectateur de cette sympathie spontanée dont nous avons vu les effets irrésistibles.

Autour de cette insouciance joyeuse, qui vraiment éclairait l’œuvre entière, le caractère trouble, sombre, tourmenté, des autres personnages n’apparaissait que mieux. Il est évident que si Gunther se montrait pâle et incertain, ce n’était pas tout à fait la faute de Gilly, et que l’inconsciente Gutrune ne pouvait être mise mieux en valeur que par Rose Féart, musicienne attentive et voix pénétrante, constamment fidèle au caractère du personnage. Hagen lui-même, qui sait ce qu’il veut, reste comparse, et Alberich s’inquiète à bon droit de son habileté d’emprunt, de son ambition brutale et bornée : dans son âpreté glaciale, sans souplesse, Delmas a fortement indiqué cette nuance. Comme Brunnhihle, on espérait Mme Litvinne, et pour cause. Le rôle a paru un peu lourd pour Mlle  Grandjean, supérieure en Isolde, ici trop passive et sans le rayonnement d’héroïsme qui doit transparaître constamment en elle jusqu’à la transfiguration finale. L’admirable scène de Waltraute a bien servi Mlle Lapeyrette, dont la belle voix se maria ensuite avec grâce à celles de Mlles Gall et Laute-Brun dans les Filles du Rhin. Les Nornes étaient chantées, très honorablement, par Mmes Charbonnel, Caro-Lucas et Baron.

Parmi les artistes qui succédèrent à ceux-ci dans la suite des représentations, on doit une mention particulière au ténor Verdier, d’une grande variété d’expression, avec beaucoup de liberté, d’adresse, dans Siegfried, à André Gresse, solidement farouche dans Hagen, à Roselly, qui fut le meilleur Gunther. Quant au personnage de Brunnhilde, il a bénéficié d’au moins trois évocations aussi intéressantes que diverses : Félia Litvinne a épanoui de nouveau la vivante ampleur de sa voix, l’ardeur de sa conviction. Marcelle Demougeot a déployé une vaillance infatigable, et c’est peut-être le rôle qui a été le plus à son avantage, qui lui a fait le plus d’honneur ; Lucienne Bréval a donné au personnage ce grand caractère, cette beauté souveraine qui déjà avaient tellement exalté ici la Valkyrie encore déesse.

Tous ces interprètes concoururent, tantôt dans un rôle, tantôt dans un autre, à l’attrait des représentations cycliques de l’Anneau du Nibelung, dont la direction de l’Opéra tint à honneur de donner un aperçu en 1911, 1912 et 1913. On n’adressera à celle-ci qu’un reproche, dans la réalisation de ce beau dessein : c’est qu’elle ait cru devoir convier à les diriger des Kapellmeister allemands. Certes, nous avions plus d’une fois applaudi Weingartner et Nikisch, mais dans des concerts indépendants et dont ils étaient en quelque sorte responsables. Notre première scène nationale n’avait aucune raison de faire appel à d’autres musiciens que ceux mêmes qui lui appartiennent. En s’effaçant ainsi, M. Messager semblait jeter un discrédit sur sa propre direction et sur celle de M. Henri Rabaud qui le suppléait avec une autorité si personnelle et si musicale. Et l’orchestre, heureusement, n’en était ni moins bon ni meilleur pour cela.

L’interprétation fut extrêmement variée, mais généralement bonne. L’unité d’évocation des personnages essentiels du drame est pourtant toujours souhaitable, et il n’eût pas été impossible de la réaliser plus complètement. Ces représentations eussent acquis un attrait particulier s’il n’avait été exceptionnel, par exemple, de voir Delmas incarner Wotan, chaque fois, dans ses trois épisodes successifs, et Duclos Alberich ; plus encore, en 1913, que Brunnhilde, ait paru également trois fois sous le même aspect, celui de Félia Litvinne, et Siegfried deux fois, sous celui de Dalmorès…

En somme, il n’y eut ainsi que quatre représentations de la tétralogie, hors série : deux en 1911, dirigées, la première par Weingartner, la seconde par Nikisch ; une en 1912, dirigée par Weingartner ; une encore en 1913, mais pour laquelle, enfin, M. Messager reprit sa place au pupitre.

Le Crépuscule des Dieux, pour sa part, a obtenu en tout, à l’Opéra, 39 soirées, en six ans, dont 21 dans sa première course. Il en avait eu 11 au Château-d’eau.

LE CRÉPUSCULE DES DIEUX
SIEGFRIED GÜNTHER HAGEN BRUNNHILDE WALTRAUTE GUTRUNE ALBERICH
Dir.
Cortot,
1902
(Château-d’eau).
Dalmorès. Albers. Vallier. Litvinne.
Adiny.
Bréma.
Olitzka.
Melgounoff.
Leclercq.
Janssen.
Challet.
Dir.
Messager,
1908 (Opéra).
Van Dyck.
Godard.
Gilly.
Dangès.
Delmas. Grandjean. Lapeyrette.
Charbonnel.
Béart. Duclos.
1909 Gresse fils. Litvinne. Boyer de Lafory.
1910 Bourdon.
1911 Altchewsky. Teissié. Demougeot. Beek.
1912 Verdier. Roselli. Bréval.
Borgo.
1913 Dalmorès. Henriquez.

VII

PARSIFAL (1882)


L’histoire de l’œuvre suprême de Richard Wagner ne peut être que courte, partout ailleurs qu’à Bayreuth qui l’a vue naître : garantie par la loi allemande jusqu’à l’expiration des trente années qui ont suivi la mort de son auteur, elle n’échappait à l’exclusion jalousement gardée par les héritiers de celui-ci, qu’au jour où, comme ses sœurs et au même titre qu’elles, elle devenait l’apanage du monde entier, où elle entrait dans « le domaine public ». C’est tout au plus si quelques représentations d’ordre privé en purent être données en Europe (telles, celles d’Amsterdam, auxquelles participa Félia Litvinne, celles de Zurich, et, en 1913, celles de Monte-Carlo, réduites d’ailleurs à une répétition), et si, en 1904 et en 1909, un directeur américain osa braver anathèmes et protestations pour satisfaire l’impatiente curiosité du public de New-York… Parsisal ne prit une place officielle au théâtre que le 1er janvier 1914.

Mais, du même coup, toutes les scènes en mesure de le représenter convièrent à l’envi leurs habitués à en goûter l’attrait depuis si longtemps défendu. On en nommerait bien une cinquantaine rien qu’au cours du mois de janvier, en France et en Belgique, à Berlin et à Vienne, à Prague et à Rome, à Milan, à Londres, à Copenhague, à Madrid (avec Rousselière), à Saint-Pétersbourg (avec Félia Litvinne)…

Restons à Paris, où M. Messager s’était mis en mesure de « passer » dès le premier jour de l’année. Ce n’est pas le lieu, ici, d’entrer dans une discussion serrée de la présentation de l’œuvre et de sa mise en scène. Aussi bien, pour en sauvegarder l’esprit essentiel, n’eût-il pas fallu un théâtre, et tel que l’usage le comprend. Lorsqu’une action scénique est représentée sans qu’il y ait, entre elle et le public admis à y assister, un échange quelconque d’impressions ; lorsque les interprètes agissent sans que rien puisse leur laisser soupçonner, en quelque sorte, qu’ils ont des spectateurs ; lorsque ceux-ci gardent un silence absolu, même la dernière note éteinte, et que le rideau fermé ne se rouvre pas,… il est aisé de comprendre le caractère de sanctuaire que prend une salle, et pourquoi, pour Parsifal spécialement, celle de Bayreuth était unique, incomparable. La question d’obscurité est secondaire ; la non-interruption des scènes par les applaudissements est élémentaire pour toute œuvre digne qu’on l’écoute. L’essentiel, c’est le silence de l’entr’acte, c’est la prolongation, d’un acte à l’autre, de ce respect qui répugne à tout ce qui troublerait son recueillement, c’est l’abandon, par les interprètes, de toute prétention aux suffrages manifestés… Et ces conditions sont trop en opposition avec l’usage, pour qu’il soit possible même d’en espérer la réalisation. Parsifal, sorti de Bayreuth, est devenu un drame lyrique comme les autres, est devenu « du théâtre » : il faut en prendre notre parti.

Et cela étant, l’Opéra de Paris avait bien fait les choses, et mieux que la plupart des autres scènes, c’est incontestable. En dehors de quelques détails des cérémonies du Temple, et de la disposition imparfaite des chœurs invisibles, c’est surtout sur les coupures que des reproches ont été justifiés. Toujours les raisons d’usage. On avait donné une première série de représentations intégrales ; après quoi, il a fallu condenser. Encore aurait-on pu mettre moins de tâtonnements et plus de discrétion à cette opération.

Intégrale ou non, l’œuvre a été jouée ainsi jusqu’au mois de juillet de cette année, atteignant, en moins de sept mois, un total de 34 représentations.

Nous avons eu plaisir à retrouver, en tête des interprètes, un wagnériste de la première heure : Jean Delmas. Son Gurnemanz a été d’une grande beauté musicale. Le timbre velouté de sa voix avait des demi-teintes pénétrantes, des caresses comme naïves, et son attitude, ses récits, empreints de foi et de simplicité, montraient assez avec quelle ferveur il vivait son personnage. Cette conviction, cette foi, artistiquement indispensable à tous les héros de Wagner, sont plus nécessaires encore à l’évocation d’un « mystère » comme Parsifal. Elles ont été pour beaucoup dans l’enthousiasme sans précédent qui accueillit jadis à Bayreuth (en 1888 et jusqu’en 1912) Ernest Van Dyck, — un étranger pourtant ! — le Parsifal idéal, le Parsifal croyant et inspiré, qui n’a jamais pu, sans une indicible émotion, un religieux respect, revêtir l’armure du chevalier baptiste, brandir la lance sainte, élever le Graal vivifiant[6] — Il ne lui a pas été donné de révéler le premier au public parisien cette incarnation hors de pair. Paul Franz a eu l’honneur, et d’ailleurs très mérité, de la plupart des représentations : il y a fait preuve, avec sa riche et chaleureuse voix coutumière, d’un sentiment grave, sincère, soucieux de vérité. Mais Van Dyck a pu reparaître, pour plusieurs soirées, tout à fait à la fin de la saison, et « avec une telle conviction, un tel feu, un tel accent, une si admirable compréhension, qu’on en reste tout ému », — déclarait M. Adolphe Jullien, en ajoutant : « Quelle leçon ! »

Et vraiment, il y avait quelque chose de touchant à voir, l’un près de l’autre, ces deux grands artistes, ces deux amis, Van Dyck et Delmas, conclure le cycle wagnérien sur cette même scène où ils l’avaient ouvert ensemble, vingt-trois ans auparavant

Lucienne Bréval était presque de la première heure aussi. Le double personnage de Kundry, somptueuse et ensorcelante, humble et dévouée, devait la tenter particulièrement : aussi y montra-t-elle, avec sa beauté naturelle, un style très noble, un souci constant d’expression et de vérité. Marcelle Demougeot, qui alternait avec elle, fut ce qu’elle est toujours, pleine de vaillance et d’une sûreté vocale impeccable, musicienne enfin. Le personnage d’Amfortas fit le plus grand honneur à Lestelly, voix expressive et souple, jeu dramatique avec sobriété et goût ; celui de Klingsor ne servit pas moins le robuste organe de Journet et son excellente articulation. Cette qualité est aussi coutumière chez André Gresse, qui s’était chargé de la voix lointaine de Titurel. La scène des Filles-fleurs, si difficile, fut rendue de la façon la plus satisfaisante, surtout comme qualités sonores : on y entendait les voix pures et ailées de Mmes Gall, Campredon, Lapeyrette, Laute-Brun, Daumas, Bugg… Les chœurs des chevaliers ont donné également un ensemble des plus amples et harmonieux.

Il n’est pas seulement logique, il est bon de terminer sur Parsifal une étude de l’interprétation des œuvres de Richard Wagner ; car nulle ne symbolise mieux que celle-ci les qualités que le maître demandait à ses interprètes : la sincérité et l’abnégation. C’est elles qu’il convient de mettre en tête de toutes : il faut vivre ces drames ; il faut pénétrer ces âmes ; il faut répudier tout désir d’effet personnel ; il faut enfin garder constamment dans l’esprit le mot de Kundry, — qui devrait être la devise de tout véritable artiste, — ce mot de ferveur et de foi : servir !… servir !

PARSIFAL
PARSIFAL GURNEMANZ AMFORTAS KLINGSOR KUNDRY
Dir.
Messager,
1914 (Opéra).
Franz.
Van Dyck.
Darmel.
Delmas. Lestelly.
Sellier.
Journet.
Cerdan.
Bréval.
Demougeot.


INDEX GÉNÉRAL DES NOMS CITÉS

Artistes.
A
Abott (Bessie), p. 71.
Ackté (Aïno), p. 40, 42, 49, 50.
Adiny (Ada), p. 20, 21, 26, 27, 53, 56, 74, 79.
Affre (Auguste), p. 50.
Agussol (Marie), p. 67.
Albers (Henri), p. 16, 24, 25, 33, 41, 42, 53, 56, 74, 79.
Altchewsky, p. 42, 50, 79.
Alvarez (Raymond), p. 41, 42, 48, 50, 53, 56, 57, 60, 68, 69.
Alvi (Mme), p. 22.
Assy (D’), p. 42, 68, 69.
Auguez (Numa), p. 15, 17, 18, 22-25, 29, 45, 50.
Auguez de Montalant (Mme) p. 23, 25, 27.
Azéma (Louis), p. 34.
B
Bagès, p. 21, 24. 27.
Ballard, p. 23, 26, 50.
Bartet (Jean), p. 21, 42, 50, 56, 69.
Battu (Marie), p. 16.
Beauvais (Laure), p. 60.
Beck (Vilmos), p. 24, 29, 50, 56, 79.
Beeth (Lola), p. 42, 50.
Belhomme, p. 34.
Bender, p. 30.
Berardi, p. 50.
Berthet (Lucy), p. 50, 67.
Beyle (Gaston), p. 24, 50.
Beyle (Léon), p. 33, 34, 60.
Blanc (Éléonore), p. 18, 21, 22, 24.
Blauwaert, p. 21, 45, 50.
Boidin-Puisais (Mme), p. 21.
Bolly (Jacques), p. 18, 22.
Bonnet-Baron (Marguerite), p. 56.
Borghèse (Mlle), p. 9.
Borgo (Agnès), p. 20, 22, 26, 27, 29, 42, 69, 79.
Bosman (Rosalie), p. 17, 23, 42, 49, 50, 60, 62, 69.
Bosquin (Jules), p. 15, 18, 25.
Bouhy (Jacques), p. 17.
Bourdon (Jeanne), p. 42, 50, 69, 79.
Bourgeois (Mlle), p. 50, 69.
Bouvet (Max), p. 33, 34, 43.
Boyer de Lafory (Mme), p. 79.
Braun (Francis), p. 25.
Bréma (Marie), p. 25, 27, 52, 56, 74, 79.
Bréval (Lucienne), p. 27, 36, 40, 42, 59, 60, 66, 67, 69, 72, 77, 79, 84, 85.
Brun (Mlle), p. 16.
Brunet-Lafleur (Mme), p. 16, 18, 19, 25.
Bugg (Madeleine), p. 85.
Burgstaller, p. 19, 25, 26, 27, 29, 74.
C
Calvé (Emma), p. 43.
Campagnola (Léon), p. 61.
Campredon (Jeanne), p. 64, 85.
Capoul (Victor), p. 14.
Carbelly (Romain), p. 24.
Carlyle (Odette), p. 42, 69.
Caro-Lucas (Mme), p. 42, 50, 56, 60, 76.
Caron (Rose), p. 17, 18-20, 22, 25, 36, 39, 40, 42, 47, 49, 50, 67, 69.
Carrère (Marguerite), p. 42, 67, 69.
Carrié (Maurice), p. 50.
Casset, p. 42, 50.
Cauchy (Mme), p. 28.
Cazaux, p. 35.
Cazeneuve (Émile), p. 15, 24-27.
Cerdan (Joachim), p. 50, 56, 64, 85.
Challet, p. 23, 24, 26, 79.
Chambon (Marius), p. 42, 50, 60, 69.
Charbonnel (Marie), p. 34, 64, 69, 72, 76.
Charny (Lyse), p. 60, 64, 72.
Chenal (Marthe), p. 34, 40, 42.
Chrétien (Alba), p. 20.
Chrétien-Vaguet (Mme), p. 20, 21, 25-27, 48, 50, 69.
Claussen (Mme), p. 30.
Claverie, p. 18.
Clercq (Mlle de), p. 23.
Cocyte (Mathilde), p. 34.
Cornélius (Peter), p. 30.
Cornubert, p. 29.
Corot Mlle), p. 42.
Cossira (Émile), p. 21, 52.
Courtois (Auguste), p. 60, 69.
Courte (Mlle), p. 69.
Cousinou (Robert), p. 50.
Couturier, p. 18, 50.
Croiza (Claire), p. 24.
D
Dalmorès (Charles), p. 53, 56, 71-73, 78, 79.
Damad, p. 21.
Dangès (Henri), p. 42, 50, 56, 64, 79.
Daraux (Pierre), p. 17, 21, 23, 53, 56.
Darlays (Mme), p. 56.
Darmel (Arthur), p. 50, 85.
Daumas Alice, p. 25, 42, 50, 56, 60, 69, 85.
Delmas (Jean-Francisque), p. 16, 17, 22-24, 36, 39, 42, 47, 50, 54, 56, 58, 60, 64, 66, 69, 71, 72, 76, 78, 79, 83, 85.
Delorn (Mlle), p. 23, 34.
Delpouget (François), p. 50.
Demauroy (Charles), p. 69.
Demougeot (Marcelle), p. 17, 28, 40, 42, 55, 56, 64, 68, 69, 72, 77, 79, 84, 85.
Denys (Thomas), p. 25.
Deschamps-Jehin (Mme), p. 43, 48, 50, 67, 69.
Deville (Mlle), p. 74.
Devoyod (Jules), p. 44.
Devriès (Fidès), p. 45, 50.
Dhumon (Mme), p. 26.
Dihau (Mlle), p. 16.
Domenech (Consuelo), p. 50.
Dorliac (Mlle), p. 42, 50.
Douaillier (Charles), p. 50.
Dubel (Yvonne), p. 42, 49, 50.
Dubois (Gaston), p. 34, 42, 50, 60, 69.
Dubois-Lauger (Mme), p. 42, 56, 69.
Dubulle (Auguste), p. 68, 69.
Duclos (Célestin), p. 42, 49, 50, 56, 64, 72, 78, 79.
Duffaut (Jean) p. 69.
Dufrane (Éva), p. 48, 50, 69.
Dufranne (Hector), p. 34, 41, 42, 55, 56.
Dufriche (Eugène), p. 20, 50.
Dupeyront, p. 42, 50, 69.
Durif (Mlle), p. 50, 69.
Duvivier (Marthe), p. 50.
E
Engel (Émile), p. 19, 22, 25. 27, 29, 50.
Escalaïs (Léon), p. 22.
Espinasse (Mlle), p. 34.
F
Fabert (Henri), p. 60, 64, 71, 72.
Farrar (Géraldine), p. 42.
Faure (J.-B), p. 14, 17, 18, 24, 28.
Fayolle (Mlle), p. 67.
Féart (Rose), p. 42, 50, 54, 56, 69, 76, 79.
Fenten, p. 30.
Féodorow, p. 21, 50.
Fiérens (Mlle), p. 47, 50.
Flahaut (Mlle), p. 69, 72.
Fontaine (Charles), p. 50.
Foreau (Mlle), p. 42.
Fournets (René), p. 23, 24, 29, 42, 50, 62, 69.
Franck-Duvernoy (Mme), p. 18.
Franz (Paul), p. 19, 22, 41, 42, 48, 50, 55, 56, 59, 60, 69, 84, 85.
Friche (Claire), p. 33, 34.
Frœlich, p. 16, 23, 24.
Fursch-Madier (Mme), p. 20.
G
Gall (Yvonne), p. 50, 60, 76, 85.
Gandubert, p. 24.
Ganne (Marie-Thérèse), p. 69.
Garay, p. 42.
Gerville-Réache (Mlle), p. 20.
Gibert (Étienne) p. 22, 24, 28, 42, 50, 52, 56.
Gilly (Dinh), p. 29, 42, 50, 70, 79.
Godard, p. 50, 68, 69, 79.
Goulancourt (Mlle), p. 50, 60.
Gramaccini-Soubre (Mme), p. 21.
Grandjean (Louise), p. 20, 27, 40, 42, 49, 54, 56, 59, 60, 68, 69, 71, 72, 76, 77, 79.
Grégoire (Mme), p. 28.
Gresse, p. 59, 60, 67, 69.
Gresse (André) fils, p. 42, 47, 50, 54, 56, 64, 68, 69, 72, 77, 79, 84.
Guiot, p. 16.
Gulbranson (Mme), p. 27.
H
Hatto (Jane), p. 27, 40, 42, 49, 50, 60, 68, 69.
Haynes, p. 29.
Héglon (Myriade), p. 23, 67-69, 71.
Hellman (Mlle), p. 21.
Henriquez (Jane), p. 42, 69, 79.
Hensel, p. 22, 26, 28, 29.
Hettich, p. 22.
Heuschling, p. 17, 18.
Huré (Mlle), p. 18.
I
Imbart de la Tour (Georges), p. 19, 25, 26.
Issaurat (Mlle), p. 50.
J
Janssen (Mlle), p. 56, 67, 79.
Jérôme (Henri), p. 34.
Journet, p. 25, 42, 50, 60, 69, 84, 85.
K
Kachowska (Mme), p. 20, 26, 27, 29.
Kaiser (Alice), p. 50.
Kalish, p. 21, 22.
Kiess, p. 30.
Kirchhof, p. 22.
Kirsch (Jeanne), p. 42, 64.
Klafsky, p. 28.
Knote, p. 22, 26. 74.
Kousnezoff (Maria), p. 49, 50.
Krauss (Gabrielle), p. 17.
Krousceniska (Mlle), p. 50.
Kutscherra (Mlle), p. 10. 20, 20, 27. 69.
L
Labis (Octave), p. 22, 24.
Lacombe-Olivier (Mme), p. 64.
Lafarge (Emmanuel), p. 26, 56, 68, 69.
Lafargue (Marie), p. 42.
Laffitte (Léon), p. 22, 59, 60, 71, 72.
Langlois (Emma), p. 20.
Lapeyrette (Catherine), p. 69, 70, 79, 85.
Laskin, p. 50.
Lassalle (Robert), p. 50.
Laute-Brun (Marie), p. 70, 85.
Lauwers, p. 16-18, 22, 24.
Leclercq (Jeanne), p. 74, 79.
Leffler-Burckhardt (Mme), p. 20, 22, 26-29.
Lefort (Jules), p. 7.
Lehmann (Lilli), p. 20, 21, 25, 27, 30.
Lejeune (Mlle), p. 60.
Lemaire (Fernand), p. 29.
Leonhardt, p. 30.
Lequien (Henri), p. 69.
Leroux (Mlle), p. 21.
Leroux-Corso (Mme), p. 23.
Le Senne (Germaine), p. 50, 55, 56, 69.
Lestelly (Charles), p. 42, 84, 85.
Lhérie (Paul), p. 18.
Lindsay (Mlle), p. 42, 50, 60.
Litvinne (Félia), p. 20, 21, 23-29, 40, 42, 52, 53, 55, 56, 68, 69, 72-74, 77-79, 81, 82.
Lormont (Charlotte), p. 17, 24, 27.
Lorrain, p. 23, 24.
Lorraine (Mlle), p. 50.
M
Mancini (Louise), p. 42, 50.
Mangin (Mlle), p. 21.
Marcoux (Vanni), p. 42.
Marcy (Jane), p. 23, 27, 28, 33, 34, 62, 67, 69.
Margyl (Jane), p. 69.
Martinelli, p. 25.
Martini (Mlle), p. 69.
Marty (Mme), p. 21.
Marvini (Robert), p. 29, 69.
Mastio (Catherine), p. 50.
Materna (Amalia), p. 15, 17, 19, 20, 26, 30.
Mati (Mlle), p. 42, 50, 64, 69.
Matzenauer (Mme), p. 30.
Mauguière (Georges), p. 21.
Maurel (Victor), p. 16, 17.
Mazalbert, p. 28.
Mazarin (Mlle), p. 42, 50.
Melgonnoff (Mlle), p. 74, 79.
Mellot-Joubert (Charlotte), p. 28.
Melno (Mlle), p. 24, 27.
Mérentié (Marguerite), p. 42, 56, 69.
Monjauze, p. 9.
Montalant (Voy. Auguez de).
Montalba (Mme), p. 20, 21.
Morelli, p. 35.
Motll (Mme), p. 17, 20, 25.
Muratore (Lucien), p. 60.
Muratet (Antoine), p. 22, 30.
N
Nansen (Louis), p. 64.
Nedoff (Mlle), p. 74.
Niemann, p. 35.
Nilsson (Christine), p. 14, 44.
Nivette (Juste), p. 24, 29, 42, 50, 68, 69.
Nordica (Mlle), p. 30, 53.
Noria (Mlle), p. 30.
Noté (J.-B.), p. 23, 42, 50, 60, 64, 71, 72.
Nucelly, p. 30.
Nuibo (Francisco), p. 60.
O
Olitzka (Mlle), p. 53, 36, 74, 79.
P
Pacary (Lina), p. 20, 27, 28, 56, 72.
Panchioni (Mme), p. 20, 22.
Panis (Lucyle), p. 42, 50.
Paquot dAssy (Mme), p. 50, 56, 68, 69.
Paty (Hubert), p. 56, 69.
Picard (Mlle), p. 50, 69.
Piccaluga (Alexandre), p. 15.
Plançon (Pol), p. 18, 47, 50.
Planés (Marie), p. 24, 26, 27.
Pregi (Marcella), p. 24.
Priola (Sophie), p. 9.
Prunet, p. 15.
R
Raunay (Jeanne), p. 17, 23.
Reichmann, p. 23.
Renaud (Maurice), p. 16, 17, 23, 24, 33, 34, 36, 38, 39, 42, 47, 50, 38, 60, 62.
Reszke (Jean de), p. 44, 48, 50, 51, 70, 72.
Reszke (Édouard de), p. 47, 50, 51.
Rey (Juliette), p. 15.
Richard (Léonie), p. 23, 62, 69.
Riddez (Louis), p. 50, 59, 60.
Rigaux (Lucien), p. 60.
Roger (Gustave), p. 14.
Roselly, p. 41, 42, 49, 50, 56, 64, 77, 79.
Rousselière (Charles), p. 26, 64, 69, 71, 72, 82.
Royer (Jacqueline), p. 50.
S
Sainprey, p. 52, 56.
Saléza (Albert), p. 17, 41, 42, 67, 69.
Sasse (Marie), p. 35.
Scalar (Mlle), p. 50.
Scaramberg, p. 42, 48, 50.
Schmedes, p. 29.
Schroeder (Mme), p. 20.
Schumann-Heink (Mme), p. 16, 24, 28.
Schwarz, p. 30.
Seguin (Henri), p. 15.
Sellier, p. 85.
Sembach, p. 30.
Sizes (Gabriel), p. 59, 60.
Soulacroix (Gabriel), p. 22.
Soum (Victor), p. 25.
Stamler, p. 50.
Stéphane, p. 16.
Sternberg (Mlle), p. 9.
Swolfs, p. 64, 68, 69.
T
Taenzler, p. 22.
Talazac (Alexandre), p. 43.
Tanésy (Mlle), p. 16.
Tarquini d’Or (Mme), p. 23.
Tedesco (Mme), p. 35.
Teissié (Léonce), p. 50, 79.
Texier (Mme), p. 27.
Triadou (Pierre), p. 50.
Troy (Étienne), p. 14.
U
Urlus, p. 30.
V
Vaguet (Albert), p. 23, 50, 58-60, 62.
Vallier (Jean), p. 50, 52, 56, 74, 79.
Van der Osten (Mme), p. 30.
Van Dyck (Ernest), p. 15, 18, 21-29, 35-37, 42, 45. 46, 48, 50, 51, 53, 54, 56, 62-66, 69, 75, 79, 83, 84, 85.
Van Hulst, p. 30.
Van Rooy, p. 16, 23-25, 30, 51.
Vauthier (Mlle), p. 23.
Velder (Mlle), p. 34.
Verdier, p. 50, 55, 56, 68, 69, 77, 79.
Vergnet (Edmond), p. 15, 18, 19, 22, 25, 48, 50.
Vicq (Gaëtane), p. 21, 24, 27, 74.
Vieuille (Félix), p. 34.
Vilmos Beck (Voy. Beck).
Vincent (Mlle), p. 67.
W
Weingaertner (Mme Lucile), p. 30.
Whitehill, p. 42, 69.
Wittich (Marie), p. 17. 27, 29.

Chefs d’orchestre.
Arban, p. 8.
Bréville (Pierre de), p. 21.
Chevillard (Camille), p. 21, 24-29, 56.
Colonne (Édouard), p. 9, 12, 16-28, 65, 68, 69.
Cortot (Alfred), p. 53, 56, 73, 79.
Danbé (Jules), p. 34.
Delsart (Jules), p. 17.
Harcourt (Eugène d’), p. 18, 22.
Lamoureux (Charles), p. 10, 12, 13, 16-29, 44, 46, 50, 51, 56.
Luigini (Alexandre), p. 34.
Messager (André), p. 64, 74, 77-79, 82, 85.
Mottl (Félix), p. 74.
Nikisch (Arthur), p. 30, 77, 78.
Pasdeloup (Jules), p. 8, 9, 14-28.
Rabaud (Henri), p. 77.
Richter (Hans), p. 74.
Rühlmann, p. 34.
Sechiari (Pierre), p. 27.
Seghers, p. 8.
Taffanel (Paul), p. 41. 42, 53, 56, 59, 60, 68, 70, 72.
Weingaertner (Félix), p. 30, 77, 78.

Musiciens et Critiques.
Debussy (Claude), p. 23, 62.
Ernst (Alfred), p. 22, 25, 57.
Fourcaud (Louis de), p. 2, 11, 20, 44, 63, 76.
Heugel (Henri), p. 65.
Indy (Vincent d’), p. 5.
Jullien (Adolphe), p. 46, 84.
Lalo (Pierre), p. 55, 63.
Liszt (Franz), p. 3, 20, 45.
Mendès (Catulle), p. 23, 61.
Nietzsche, p. 2, 3.
Pugno (Raoul), p. 23, 62.
Reyer (Ernest), p. 38, 47, 60.
Servières (Georges), p. 35.
Wagner (Richard), p. 2, 3, 4, 5, 7, 11, 37.



 
Pasdeloup (1861-1887).


 
Ed. Colonne. (1880-1909).


Cliché Martinotta
Ch. Lamoureux. (1881-1899).

Pl. I. — CHEFS D’ORCHESTRE




 
J. Faure (1868-1887).


Cliché Neurdein.
Bosquin (1874-1885).


Cliché Benque.
Vergnet. (1874-1898).

Pl. II. — CONCERTS




Cliché Benque.
Paul Taffanel (1892-1908).


Cliché Benque.
André Messager.


 
Camille Chevillard.

Pl. III. — CHEFS D’ORCHESTRE




Cliché P. Berger.
Maurice Renaud dans Le Vaisson fantôme.
(Le Hollandais.)


Cliché Benque.
Maurice Renaud dans Tannhaeuser.
(Wolfram.)

Pl. IV.




Cliché Benque.
Rose Caron dans Tannhaeuser.
(Élisabeth.)


Cliché A. Dupont.
Ernest Van Dyck dans Tannhaeuser.
(Wolfram.)

Pl. V.



Cliché Benque.
Rose Caron dans Lohengrin.
(Elsa).

Pl. VI.



Cliché Benque.
Ernest Van Dyck dans Lohengrin.
(Logengrin.)

Pl. VII.



Cliché Beutlinger.
Felia Litvinne, dans Tristan et Isolde.
(Isolde.)

Pl. VIII.



Cliché Dupont.
Ernest Van Dyck dans Tristan et Isolde.
(Tristan).

Pl. IX.




Cliché P. Benque.
Louise Grandjean dans Tristan et Isolde.
(Isolde.)


Cliché Reutlinger.
Jean Delmas dans Tristan et Isolde.
(Kurwenal.)

Pl. X.




Cliché Nadar.
 


Cliché Nadar.
 

Pl. XI. — Jean Delmas et Louise Grandjean dans Les Maîtres Chanteurs.
(Hans Sachs et Éva.)




Cliché Benque.
 


Cliché Benque.
 

Pl. XII. — Maurice Renaud dans Les Maîtres Chanteurs.
(Beckmesser.)




Cliché Berger.
Alvarez dans Les Maîtres Chanteurs.
(Walther.)


Cliché Nadar.
Vaguet dans Les Maîtres Chanteurs.
(David.)

Pl. XIII.



Cliché Dupont.
Ernest Van Dyck dans L’or du Rhin.
(Loge.)

Pl. XIV.



Cliché Benque.
Jean Delmas et Lucienne Bréval dans La Valkyrie.
(Wotan et Brünnhilde).

Pl. XV.




Cliché A. Dupont.
Ernest Van Dyck dans La Valkyrie
(Siegmund.)


Cliché Benque.
Rose Caron dans La Valkyrie
(Sieglinde.)

Pl. XVI.




Cliché Benque.
Gresse dans La Valkyrie
(Hunding.)



Cliché Nadar.
Jean Delmas dans Siegfried
(Le Voyageur.)

Pl. XVII.



Cliché Nadar.
Jean de Reszke dans Siegfried.
(Siegfried.)

Pl. XVIII.



Cliché Boyer et P. Bert.
Ernest Van Dyck dans Le Crépuscule des dieux.
(Siegfried.)

Pl. XIX.



Cliché Klary.
Felia Litvinne dans Le Crépuscule des dieux.
(Brünnhilde.)

Pl. XX.




Cliché Reutlinger.
Louise Grandjean dans Le Crépuscule des dieux
(Brünnhilde.)


Cliché Bert.
Jean Delmas dans Le Crépuscule des dieux
(Hagen.)

Pl. XXI.




Cliché Bert.
Paul Franz dans Parsifal
(Parsifal.)


 
Ernest Van Dyck dans Parsifal
(Parsifal.)

Pl. XXII.




Cliché Reutlinger.
Marcelle Demougeot dans Parsifal
(Kundry.)


Cliché Bert.
J. Delmas dans Parsifal
(Gurnemanz.)


Pl. XXIII.



Cliché Berthelonnier.
Lucienne Bréval dans Parsifal.
(Kundry).

Pl. XXIV.


TABLES DES MATIÈRES


Pages.
 35
 43
 65
 70
VII. 
 81
 diverses

TABLE DES PORTRAITS


Planche XVIII Entre les pages.
Planche I.
Chefs d’orchestre : Pasdeloup (1869-1887), Colonne (1880-1910), Lamoureux (1881-1899) 
     Déd. et 1
Planche II.
Concerts : J. Faure (1868-1887), Bosquin (1874-1885), Vergnet (1874-1898) 
     4 et 5
Planche III.
Chefs d’orchestre : Taffanel, A. Messager, C. Chevillard 
     8 et 9
Planche IV.
Maurice Renaud dans le Vaisseau Fantôme et Tannhaeuser 
     12 et 13
Planche V.
Rose Caron et Ernest Van Dyck dans Tannhaeuser 
     16 et 17
Planche VI.
Rose Caron dans Lohengrin 
     20 et 21
Planche VII.
Ernest Van Dyck dans Lohengrin 
     24 et 25
Planche VIII.
Félia Litvinne dans Tristan et Isolde 
     28 et 29
Planche IX.
Ernest Van Dyck dans Tristan et Isolde 
     32 et 33
Planche X.
Louise Grandjean et Jean Delmas dans Tristan et Isolde 
     36 et 37
Planche XI.
J. Delmas et Lucienne Bréval dans les Maîtres chanteurs 
     40 et 41
Planche XII.
Maurice Renaud dans les Maîtres chanteurs 
     44 et 45
Planche XIII.
Alvarez et Vaguet dans les Maîtres chanteurs 
     48 et 49
Planche XIV.
E. Van Dyck dans l’Or du Rhin 
     52 et 53
Planche XV.
J. Delmas et Lucienne Bréval dans la Valkyrie 
     56 et 57
Planche XVI.
E. Van Dyck et Rose Caron dans la Valkyrie 
     60 et 61
Planche XVII.
Gresse dans la Valkyrie. Delmas dans Siegfried 
     64 et 65
Planche XVIII.
Jean de Reszke dans Siegfried 
     68 et 69
Planche XIX.
Van Dyck dans le Crépuscule des Dieux 
     72 et 73
Planche XX.
Félia Litvinne dans le Crépuscule des Dieux 
     76 et 77
Planche XXI.
Louise Grandjean et Delmas dans le Crépuscule des Dieux 
     80 et 81
Planche XXII.
P. Franz et E. Van Dyck dans Parsifal 
     84 et 85
Planche XXIII.
Marcelle Demougeot et J. Delmas dans Parsifal 
     88 et 89
Planche XXIV.
Lucienne Bréval dans Parsifal 
     92 et TdP
  1. Il est amusant d’en rapprocher ici cette anecdote personnelle que conta jadis Louis de Fourcaud, le fin et original critique, dans un article sur Bayreuth. À la nouvelle de ces mêmes représentations des Maîtres, à Munich, il avait télégraphié à un sien ami de cette ville, pour retenir un fauteuil. Mais l’ami, courant tout droit à la pièce en vogue, lui avait apporté une place pour un petit théâtre où se jouait alors une comédie « empruntée » au répertoire français. « Je n’aurais jamais cru (telle fut son excuse) que vous voulussiez perdre ainsi votre soirée… Ce Wagner est une façon de maniaque, protégé par le Roi. Ses pièces sont assommantes à en mourir ! »
  2. Il écrivait, en tous cas, à Liszt, « en pensant avec un véritable dégoût à l’Allemagne » (en 1860) : « Crois-moi, nous autres, nous n’avons pas de patrie ».
  3. Les interprètes étaient le ténor allemand Niemann, avec Morelli et Cazaux, et Mmes Marie Sasse dans Élisabeth et Tedesco dans Vénus. Il est assez curieux de noter, en passant, que celui auquel était réservée en quelque sorte la troisième représentation, Ernest Van Dyck, naissait quelques semaines à peine après ces deux premières.
  4. Cf. encore les articles du 13 et du 16 janvier 1886, toujours dans le Gaulois.
  5. « C’est (écrivait un jour, très justement M. Pierre Lalo) l’unique Tristan qui ne soit pas opprimé, accablé, écrasé par cet acte formidable et sublime. Tous les autres paraissent y soutenir une lutte inégale : la plupart succombent : les moins débiles ont une bataille indécise ; aucun ne tient la victoire. M. Van Dyck seul donne la sensation qu’il mène le combat à son gré, qu’il domine et possède le rôle, tant la composition en est ferme et puissante. Et en même temps que cette composition et cette autorité, il a l’émotion ; on ne peut exprimer avec plus de force la fièvre, l’angoisse d’amour et la mort de Tristan. »
  6. Il faut lire les souvenirs et les impressions qu’il a consignés dans la revue S. I. M. en 1913.