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L’Encyclopédie/1re édition/GROSSESSE

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GROSSESSE, s. f. (Econom. anim. Medec.) c’est le terme ordinaire que l’on employe pour désigner l’état d’une femme enceinte, c’est-à-dire d’une femme dans laquelle s’est opérée l’ouvrage de la conception, pour la production d’un homme, mâle ou femelle, quelquefois de deux, rarement d’un plus grand nombre.

On entend aussi par le terme de grossesse, le tems pendant lequel une femme qui a conçu, porte dans son sein l’effet de l’acte de la génération, le fruit de la fécondation ; depuis le moment où la faculté prolifique a été réduite en acte, & où toutes les conditions requises de la part de l’un & de l’autre sexe, concourent dans la femme, & commencent à y jetter les fondemens du fœtus, jusqu’à sa sortie.

Il suffit pour caractériser la grossesse, que ce qui est engendré prenne accroissement ou soit présumé pouvoir le prendre (dans les parties qui sont susceptibles de le contenir, mais ordinairement dans la matrice, rarement dans les trompes, & hors des parties de la génération), au point de procurer au bas-ventre une augmentation de volume, de le rendre plus renflé, plus grès, qu’il n’est ordinairement. Ainsi il n’y a pas moins grossesse, soit que le germe reste parfait, ou qu’il devienne imparfait dans sa formation, dans son développement, & dans celui de ses enveloppes : les cas où il ne se forme que des monstres, des moles, de faux-germes, qui prennent néanmoins un certain accroissement, constituent toûjours de vraies grossesses.

L’état où les germes restent enfermés, se nourrissent & croissent dans le sein des femelles de tous les animaux vivipares, comme dans l’espece humaine, a beaucoup de rapport avec l’incubation des ovipares ; il peut être regardé lui-même comme une véritable incubation qui se fait au-dedans du corps des femelles pour la même fin que celle des ovipares se fait au-dehors. Le fœtus humain, comme celui de tous les vivipares, prend son accroissement dans le ventre de sa mere pour acquérir des forces, qui lui donnent le moyen d’en sortir, & de pouvoir subsister hors d’elle, d’une maniere convenable aux dispositions qu’il a acquises ; de même que le poulet couvé dans l’œuf, s’y nourrit & y grossit, jusqu’à ce qu’il soit assez fort pour en sortir & pour travailler ultérieurement à sa nourriture & à son accroissement d’une maniere proportionnée à ses forces. Voyez Génération, Fœtus, Incubation.

L’exposition de ce qui se passe pendant la grossesse, n’étant donc que l’histoire de la formation du fœtus humain, de son développement, de la maniere particuliere dont il vit, dont il se nourrit, dont il croît dans le ventre de sa mere, & dont se font toutes ces différentes opérations de la nature à l’égard de l’un & de l’autre ; c’est proprement l’histoire du fœtus même qu’il s’agiroit de placer ici, si elle ne se trouvoit pas suffisamment détaillée en son lieu. Voyez Fœtus. Ainsi il ne reste à traiter dans cet article, que des généralités de la grossesse, & de ce qui y est relatif ; savoir, des signes qui l’annoncent, de sa durée, des causes qui en déterminent les différens termes naturels & contre-nature ; & ensuite du régime qu’il convient aux femmes d’observer pendant la grossesse, des maladies qui dépendent de cet état, & de la cure particuliere dont elles sont susceptibles. Cela posé, entrons en matiere, suivant l’ordre qui vient d’être établi.

Des signes de la grossesse. Quelques auteurs, dit M. de Buffon dans son histoire naturelle, tom. IV. en traitant de l’homme ; quelques auteurs ont indiqué deux signes pour reconnoître si une femme a conçu. Le premier est un saisissement ou une sorte d’ébranlement qu’elle ressent dans tout le corps au moment de la conception, & qui dure même pendant quelques jours. Le second est pris de l’orifice de la matrice, qu’ils assûrent être entierement fermé après la conception. Mais ces signes sont au-moins bien équivoques, s’ils ne sont pas imaginaires.

Le saisissement qui arrive au moment de la conception est indiqué par Hippocrate dans ces termes : liquidò constat earum rerum peritis, quod mulier, ubi concepit, statim inhorrescit ac dentibus stridet, & articulum reliquumque corpus convulsio prehendit : c’est donc une sorte de frisson que les femmes ressentent dans tout le corps au moment de la conception, selon Hippocrate ; & le frisson seroit assez fort pour faire choquer les dents les unes contre les autres, comme dans la fievre. Galien explique ce symptome par un mouvement de contraction ou de resserrement dans la matrice ; & il ajoûte que des femmes lui ont dit qu’elles avoient eu cette sensation au moment qu’elles avoient conçu. D’autres auteurs l’expriment par un sentiment vague de froid qui parcourt tout le corps, & ils employent aussi les mots d’horror & d’horripilatio. La plûpart établissent ce fait, comme Galien, sur le rapport de plusieurs femmes. Ce symptome seroit donc un effet de la contraction de la matrice qui se resserreroit au moment de la conception, & qui fermeroit par ce moyen son orifice, comme Hippocrate l’a exprimé par ces mots, quæ in utero gerunt, harum os uteri clausum est ; ou, selon un autre traducteur, quæcumque sunt gravidæ, illis os uteri connivet. Cependant les sentimens sont partagés sur les changemens qui arrivent à l’orifice interne de la matrice après la conception : les uns soûtiennent que les bords de cet orifice se rapprochent, de façon qu’il ne reste aucun espace vuide entre eux ; & c’est dans ce sens qu’ils interpretent Hippocrate : d’autres prétendent que ces bords ne sont exactement rapprochés qu’après les deux premiers mois de la grossesse ; mais ils conviennent qu’immédiatement après la conception l’orifice est fermé par l’adhérence d’une humeur glutineuse ; & ils ajoûtent que la matrice qui hors de la grossesse pourroit recevoir par son orifice un corps de la grosseur d’un pois, n’a plus d’ouverture sensible après la conception ; & que cette différence est si marquée, qu’une sage-femme habile peut la reconnoître. Cela supposé, on pourroit donc constater l’état de la grossesse dans les premiers jours. Ceux qui sont opposés à ce sentiment, disent que si l’orifice de la matrice étoit fermé après la conception, il seroit impossible qu’il y eût de superfétation. On peut répondre à cette objection, qu’il est très possible que la liqueur séminale pénetre à-travers les membranes de la matrice ; que même la matrice peut s’ouvrir pour la superfétation, dans certaines circonstances, & que d’ailleurs les superfétations arrivent si rarement, qu’elles ne peuvent faire qu’une legere exception à la regle générale. D’autres auteurs ont avancé que le changement qui arriveroit à l’orifice de la matrice, ne pourroit être marqué que dans les femmes qui auroient déjà mis des enfans au monde, & non pas dans celles qui auroient conçu pour la premiere fois : il est à croire que dans celles-ci la différence doit être moins sensible ; mais quelque grande qu’elle puisse être, en doit-on conclure que ce signe est réel & certain ? Ne faut-il pas du-moins avoüer qu’il n’est pas assez évident ? L’étude de l’anatomie & de l’expérience ne donnent sur ce sujet que des connoissances générales, qui sont fautives dans un examen particulier de cette nature. Il en est de même du saisissement ou du froid convulsif, que certaines femmes ont dit avoir ressenti au moment de la conception. Comme la plûpart des femmes n’éprouvent pas le même symptome, que d’autres assûrent au contraire avoir ressenti une ardeur brûlante, causée par la chaleur de la liqueur séminale du mâle, & que le plus grand nombre avoue n’avoir rien senti de tout cela, on doit en conclure que ces signes sont très-équivoques, & que lorsqu’ils arrivent c’est peut-être moins un effet de la conception, que d’autres causes qui paroissent plus probables.

A ce qui vient d’être dit des signes de la grossesse, M. de Buffon ajoûte un fait qui prouve que l’orifice de la matrice ne se ferme pas immédiatement après la conception, ou bien que s’il se ferme, la liqueur séminale du mâle ne laisse pas de pouvoir entrer dans la matrice, en pénétrant à-travers le tissu de ce viscere. Une femme de Charles-Town, dans la Caroline méridionale, accoucha en 1714 de deux jumeaux, qui vinrent au monde tout-de-suite l’un après l’autre ; il se trouva que l’un étoit un enfant negre, & l’autre un enfant blanc ; ce qui surprit beaucoup les assistans. Ce témoignage évident de l’infidélité de cette femme à l’égard de son mari, la força d’avoüer qu’un negre qui la servoit étoit entré dans sa chambre un jour que son mari venoit de la laisser dans son lit ; & elle ajoûta pour s’excuser, que ce negre l’avoit menacée de la tuer, & qu’elle avoit été contrainte de le satisfaire. Voyez Lectures on muscular motion, by M. Parsons. London, 1745, pag. 79. Ce fait ne prouve-t-il pas aussi que la conception de deux ou de plusieurs jumeaux ne se fait pas toûjours en même tems ? Voyez Superfétation.

La grossesse, continue M. de Buffon, a encore un grand nombre de symptomes équivoques, auxquels on prétend communément la reconnoître dans les premiers mois ; savoir une douleur legere dans la région de la matrice & dans les lombes ; un engourdissement dans tout le corps, & un assoupissement continuel ; une mélancolie qui rend les femmes tristes & capricieuses ; des douleurs de dents, le mal de tête, des vertiges qui offusquent la vûe, le retrécissement des prunelles, les yeux jaunes & injectés, les paupieres affaissées, la pâleur & les taches du visage, le goût dépravé, le dégoût, les vomissemens, les crachemens, les symptomes hystériques, les fleurs blanches, la cessation de l’écoulement périodique, ou son changement en hémorrhagie, la secrétion du lait dans les mammelles, &c. L’on pourroit encore rapporter plusieurs autres symptomes, qui ont été indiqués comme des signes de la grossesse, mais qui ne sont souvent que les effets de quelques maladies particulieres ; il n’y a que les mouvemens du fœtus, devenu assez fort environ le quatrieme mois, pour les rendre sensibles au toucher sur le ventre, qui puisse assûrer l’état de la grossesse, & qui en soient par conséquent le signe le moins équivoque, si on les distingue bien des remuemens d’entrailles : on peut même dire qu’ils sont un signe certain, lorsqu’ils sont joints à la dureté, à l’enflure particuliere de l’hypogastre, dans un sujet qui joüit d’ailleurs d’une bonne santé ; les symptomes ci-devant mentionnés cessant ordinairement vers ce tems-là, lorsqu’ils sont l’effet de la grossesse.

On seroit obligé d’entrer dans un trop grand détail, si l’on vouloit considérer chacun de ces symptomes & en rechercher la cause : pourroit-on même le faire d’une maniere avantageuse, puisqu’il n’y en a pas un qui ne demandât une longue suite d’observations bien faites ? Il en est ici comme d’une infinité d’autres sujets de physiologie & d’économie animale ; à l’exception d’un petit nombre d’hommes rares, qui ont répandu de la lumiere sur quelques points particuliers de ces sciences ; la plûpart des auteurs qui en ont écrit, les ont traités d’une maniere si vague, & les ont expliqués par des rapports si éloignés & par des hypotheses si fausses, qu’il auroit mieux valu n’en rien dire du tout.

Ce qu’on peut cependant indiquer ici de plus vraissemblable concernant les incommodités, les desordres dans l’économie animale, qu’éprouvent la plûpart des femmes dans les commencemens de leur grossesse, c’est que l’on doit les attribuer en général à la suppression des menstrues, plûtôt qu’à toute autre cause. Voyez ci-après Grossesse (maladies de la). Ce sont les mêmes symptomes que souffrent les filles à qui cette évacuation périodique manque. En effet, les incommodités des femmes grosses ne commencent à se faire sentir qu’au tems après la conception, où les regles auroient paru, si elle n’avoit pas eu lieu ; ensorte qu’il se passe quelquefois près d’un mois sans que les maux de la grossesse surviennent, si la conception s’est faite immédiatement après les regles. Les bêtes qui ne sont pas sujettes à cette évacuation périodique, n’éprouvent aucun des effets qui suivent la suppression. La subversion de l’équilibre dans les solides & dans les fluides, qui résulte du reflux dans la masse des humeurs du sang qui devroit être évacué pour le maintien de cet équilibre, semble une cause suffisante pour rendre raison de tous les accidens occasionnés par les regles retenues. Voyez ce qui est dit à ce sujet dans l’art. Equilibre, (Econ. anim.) ; & pour ce qui regarde le goût dépravé des femmes grosses, leurs fantaisies singulieres, voyez Envie, (Pathol.) Malacie, Opilation, Menstrues. Voyez aussi ci-après ce qui est dit des maladies dépendantes de la grossesse.

Dans le cours ordinaire de la nature, les femmes ne sont en état de concevoir qu’après la premiere éruption des regles ; & la cessation de cet écoulement à un certain âge, les rend stériles pour le reste de leur vie. Voyez Puberté, Menstrues. Il arrive cependant quelquefois que la conception devance le tems de la premiere éruption des regles. Il y a beaucoup de femmes qui sont devenues meres avant d’avoir eu la moindre marque de l’écoulement naturel à leur sexe ; il y en a même quelques-unes qui, sans être jamais sujettes à cet écoulement périodique, ne laissent pas d’être fécondes. On peut en trouver des exemples dans nos climats, sans les chercher jusque dans le Bresil, où des nations entieres se perpétuent, dit-on, sans qu’aucune femme ait d’écoulement périodique. On sait aussi que la cessation des regles, qui arrive ordinairement entre quarante & cinquante ans, ne met pas toutes les femmes hors d’état de concevoir. Il y en a qui ont conçû après cet âge, & même jusqu’à soixante & soixante & dix ans : mais on doit regarder ces exemples, quoique assez fréquens, comme des exceptions à la regle ; & d’ailleurs, quoiqu’il ne se fasse pas d’évacuation périodique de sang, il ne s’ensuit pas toûjours que la matiere de cette évacuation n’existe point dans la matrice. Voyez Menstrues.

La durée de la grossesse est pour l’ordinaire d’environ neuf mois, c’est-à-dire de deux cents soixante & quatorze jours : ce tems est cependant quelquefois plus long, & très-souvent bien plus court. On sait qu’il naît beaucoup d’enfans à sept & à huit mois ; on sait aussi qu’il en naît quelques-uns beaucoup plûtard qu’au neuvieme mois : mais en général les accouchemens qui précedent le terme de neuf mois, sont plus communs que ceux qui le passent ; aussi on peut avancer que le plus grand nombre des accouchemens qui n’arrivent pas entre le deux cents soixante & dixieme jours & le deux cents quatre-vingtieme, arrivent du deux cents soixantieme au deux cents soixante & dixieme ; & ceux qui disent que ces accouchemens ne doivent pas être regardés comme prematurés, paroissent bien-fondés. Selon ce calcul, les tems ordinaires de l’accouchement naturel s’étendent à vingt jours, c’est-à-dire depuis huit mois & quatorze jours, jusqu’à neuf mois & quatre jours.

On a fait une observation qui paroît prouver l’étendue de cette variation dans la durée des grossesses en général, & donner en même tems le moyen de la réduire à un terme fixe, dans telle ou telle grossesse particuliere. Quelques personnes prétendent avoir remarqué que l’accouchement arrivoit après dix mois lunaires de vingt-sept jours, ou neuf mois solaires de trente jours, au premier ou au second jour qui répondoit aux deux premiers jours auxquels l’écoulement périodique étoit arrivé à la mere avant sa grossesse. Avec un peu d’attention, l’on verra que le nombre de dix périodes de l’écoulement des regles peut en effet fixer le tems de l’accouchement à la fin du neuvieme mois, ou au commencement du dixieme.

Il naît beaucoup d’enfans avant le deux cents soixantieme jour ; & quoique ces accouchemens précedent le terme ordinaire, ce ne sont pas de fausses-couches, parce que ces enfans vivent pour la plûpart. On dit ordinairement qu’ils sont nés à sept mois ou à huit mois ; mais il ne faut pas croire qu’ils naissent en effet précisément à sept mois ou à huit mois accomplis : c’est indifféremment dans le courant du sixieme, du septieme, du huitieme, & même dans le commencement du neuvieme mois. Hippocrate dit clairement que les enfans de sept mois naissent dès le cent quatre-vingts-deuxieme jour ; ce qui fait précisément la moitié de l’année solaire.

On croit communément que les enfans qui naissent à huit mois, ne peuvent pas vivre, ou du-moins qu’il en périt beaucoup plus de ceux-là, que de ceux qui naissent à sept mois. Pour peu que l’on refléchisse sur cette opinion, elle paroît n’être qu’un paradoxe ; & je ne sai si en consultant l’expérience, on ne trouvera pas que c’est une erreur. L’enfant qui vient à huit mois est plus formé, & par conséquent plus vigoureux, plus fait pour vivre, que celui qui n’a que sept mois : cependant cette opinion, que les enfans de huit mois périssent plûtôt que ceux de sept, est assez communément reçûe ; elle est fondée sur l’autorité d’Aristote, qui dit : cæteris animantibus ferendi uteri unum est tempus ; homini vero plura sunt, quippe & septimo mense & decimo nascitur, atque etiam inter septimum & decimum positis ; qui enim mense octavo nascuntur, cesi minus, tamen vivere possunt. De generat. animal. lib. IV. cap. ult. Le commencement du septieme mois est donc le premier terme de la grossesse ; si le fœtus est rejetté plûtôt, il meurt, pour ainsi dire, sans être né : c’est un fruit avorté qui ne prend point de nourriture, & pour l’ordinaire il périt subitement dans la fausse-couche.

Il y a, comme l’on voit, de grandes limites pour les termes de la durée de la grossesse, puisqu’elles s’étendent depuis le septieme jusqu’au neuvieme & dixieme mois, & peut-être jusqu’au onzieme : il naît à la vérité beaucoup moins d’enfans au dixieme mois, qu’il n’en naît dans le huitieme, quoiqu’il en naisse beaucoup au septieme. Mais en général les limites de la grossesse sont renfermées dans l’espace de trois mois, c’est-à dire depuis le septieme jusqu’au dixieme de sa durée possible.

Les femmes qui ont fait plusieurs enfans, assûrent presque toutes que les femelles naissent plûtard que les mâles : si cela est, on ne devroit pas être surpris de voir naître des enfans à dix mois, sur-tout des femelles. Lorsque les enfans viennent avant neuf mois, ils ne sont pas aussi gros ni aussi formés que les autres : ceux au contraire qui ne viennent qu’à dix mois ou plûtard, ont le corps sensiblement plus gros & mieux formé, que ne l’est ordinairement celui des nouveau-nés ; les cheveux sont plus longs ; l’accroissement des dents, quoique cachées sous les gencives, est plus avancé ; le son de la voix est plus net & le ton en est plus grave qu’aux enfans de neuf mois. On pourroit reconnoître à l’inspection du nouveau-né, combien sa naissance auroit été retardée, si les proportions du corps de tous les enfans de neuf mois étoient semblables, & si les progrès de leur accroissement étoient reglés : mais le volume du corps & son accroissement varient, selon le tempérament de la mere & celui de l’enfant ; ainsi tel enfant pourra naître à dix ou onze mois, qui ne sera pas plus avancé qu’un autre qui sera né à neuf mois.

Les fœtus des animaux n’ont qu’un terme pour naître. Les jumens portent le leur pendant onze à douze mois ; d’autres comme les vaches, les biches, pendant neuf mois ; d’autres comme les renards, les louves, pendant cinq mois ; les chiennes pendant neuf semaines ; les chattes pendant six ; les femelles des lapins trente-un jours : la plûpart des oiseaux sortent de l’œuf au bout de vingt-un jours ; quelques-uns, comme les serins, éclosent au bout de treize ou quatorze jours, &c. La variété est à cet égard tout aussi grande qu’en toute autre chose qui est du ressort & des opérations de la nature : cependant il paroît que les femelles des plus gros animaux, qui ne produisent qu’un petit nombre de fœtus, sont constamment celles qui portent le plus long-tems ; & que le tems du séjour de leur fœtus dans le ventre de la mere est toûjours le même.

On doit observer aussi que l’accouchement dans ces différens animaux est sans hémorrhagie : n’en doit-on pas conclure que le sang que les femmes rendent toûjours après leur accouchement, est le sang des menstrues ; & que si le fœtus humain naît à des termes si différens, ce ne peut être que par la variété de l’action de ce sang, qui se fait sentir sur la matrice à toutes les révolutions périodiques ; action qui est aussi vraissemblablement une des principales causes de l’exclusion du fœtus, dans quelque tems qu’elle se fasse, & par conséquent des douleurs de l’enfantement qui la précedent. En effet ces douleurs sont, comme on sait, tout au-moins aussi violentes dans les fausses-couches de deux & de trois mois, que dans les accouchemens ordinaires ; & il y a bien des femmes qui ont dans tous les tems & sans avoir conçu, des douleurs très-vives, lorsque l’écoulement périodique est sur le point de paroître : ces douleurs sont de la même espece que celles de la fausse-couche ou de l’accouchement ; dès-lors ne doit-on pas soupçonner qu’elles viennent de la même cause ?

L’écoulement des menstrues se faisant périodiquement & à des intervalles déterminés, quoique la grossesse supprime cette apparence, elle n’en détruit cependant pas la cause ; & quoique le sang ne paroisse pas au terme accoûtumé, il doit se faire dans ce même tems une espece de révolution, semblable à celle qui se faisoit avant la grossesse aussi y a-t-il des femmes dont les menstrues ne sont pas supprimées dans les premiers mois de la grossesse : il y a donc lieu de penser que lorsqu’une femme a conçû, la révolution périodique se fait comme auparavant ; mais que comme la matrice est gonflée, & qu’elle a pris de la masse & de l’accroissement (Voyez Matrice), les canaux excrétoires étant plus serrés & plus pressés qu’ils ne l’étoient auparavant, ne peuvent s’ouvrir ni donner d’issue au sang, à moins qu’il n’arrive avec tant de force, ou en si grande quantité, qu’il puisse se faire passage malgré la résistance qui lui est opposée : dans ce cas il paroîtra du sang, & s’il en coule en grande quantité, l’avortement suivra ; la matrice reprendra la forme qu’elle avoit auparavant, parce que le sang ayant rouvert tous les canaux qui s’étoient fermés, ils reviendront au même état qu’ils étoient. Si le sang ne force qu’une partie de ses canaux, l’œuvre de la génération ne sera pas détruite, quoiqu’il paroisse du sang ; parce que la plus grande partie de la matrice se trouve encore dans l’état qui est nécessaire pour qu’elle puisse s’exécuter : dans ce cas il paroîtra du sang, & l’avortement ne suivra pas ; ce sang sera seulement en moindre quantité que dans les évacuations ordinaires.

Lorsqu’il n’en paroît point du tout, comme c’est le cas le plus ordinaire, la premiere révolution périodique ne laisse pas de se marquer & de se faire sentir par les mêmes symptomes, les mêmes douleurs : il se fait donc dès le tems de la premiere suppression, une violente action sur la matrice ; & pour peu que cette action fût augmentée, elle détruiroit l’ouvrage de la génération : on peut même croire avec assez de fondement, que de toutes les conceptions qui se font dans les derniers jours qui précedent l’arrivée des menstrues, il en réussit fort peu, & que l’action du sang détruit aisément les foibles racines d’un germe si tendre & si délicat, ou entraîne l’œuf avant qu’il se soit attaché à la matrice. Les conceptions au contraire qui se font dans les jours qui suivent l’écoulement périodique, sont celles qui tiennent & qui réussissent le mieux ; parce que le produit de la conception a plus de tems pour croitre, pour se fortifier & pour résister à l’action du sang & à la révolution qui doit arriver au tems de l’écoulement. C’est sans doute par cette considération que le célebre Fernel, pour calmer les alarmes que donnoit à toute la France la stérilité de la reine, donna d’abord ses attentions aux écoulemens périodiques : après en avoir corrigé les irrégularités, il crut que le tems qui pouvoit le plus faire espérer la fécondité, étoit celui qui suivoit de près les regles.

Le fœtus ayant eu le tems de prendre assez de force pour résister à la premiere épreuve de la révolution périodique, est ensuite plus en état de souffrir la seconde, qui arrive un mois après cette premiere : aussi les avortemens causés par la seconde période sont-ils moins fréquens que ceux qui sont causés par la premiere ; à la troisieme, le danger est encore moins grand, & moins encore à la quatrieme & à la cinquieme : mais il y en a toûjours. Il peut arriver & il arrive en effet de fausses-couches dans les tems de toutes ces révolutions périodiques ; seulement on a observé qu’elles sont plus rares dans le milieu de la grossesse, & plus fréquentes au commencement & à la fin. On entend bien, par ce qui vient d’être dit, pourquoi elles sont plus fréquentes au commencement : il reste à expliquer (toûjours d’après M. de Buffon, qui nous fournit une grande partie de cet article) pourquoi elles sont aussi plus fréquentes vers la fin que vers le milieu de la grossesse.

Le fœtus vient ordinairement au monde dans le tems de la dixieme révolution ; lorsqu’il naît à la neuvieme ou à la huitieme, il ne laisse pas de vivre, & ces accouchemens précoces ne sont pas regardés comme de fausses-couches, parce que l’enfant quoique moins formé, ne laisse pas de l’être assez pour pouvoir vivre ; on a même prétendu avoir des exemples d’enfans nés à la septieme & même à la sixieme révolution, c’est à dire à cinq ou six mois, qui n’ont pas laissé de vivre ; il n’y a donc de différence entre l’accouchement & la fausse-couche, que relativement à la vie du nouveau né ; & en considérant la chose généralement, le nombre des fausses-couches du premier, du second, & du troisieme mois, est très-considérable par les raisons que nous avons dites, & le nombre des accouchemens précoces du septieme & du huitieme mois, est aussi assez grand en comparaison de celui des fausses-couches des quatrieme, cinquieme & sixieme mois, parce que dans ce tems du milieu de la grossesse, l’ouvrage de la génération a pris plus de solidité & plus de force, & qu’ayant eu celle de résister à l’action des quatre premieres révolutions périodiques, il en faudroit une beaucoup plus violente que les précédentes, pour le détruire : la même raison subsiste pour le cinquieme & le sixieme mois, & même avec avantage ; car l’ouvrage de la génération est encore plus solide à cinq mois qu’à quatre, & à six mois qu’à cinq ; mais lorsqu’on est arrivé à ce terme, le fœtus qui jusqu’alors est foible & ne peut agir que foiblement par ses propres forces, commence à devenir fort & à s’agiter avec plus de vigueur ; & lorsque le tems de la huitieme période arrive, & que la matrice en éprouve l’action, le fœtus qui l’éprouve aussi, fait des efforts qui se réunissant avec ceux de la matrice, facilitent son exclusion ; & il peut venir au monde dès le septieme mois, toutes les fois qu’il est à cet âge plus vigoureux ou plus avancé que les autres, & dans ce cas il pourra vivre ; au contraire, s’il ne venoit au monde que par la foiblesse de la matrice, qui n’auroit pû résister au coup du sang dans cette huitieme révolution, l’accouchement seroit regardé comme une fausse-couche, & l’enfant ne vivroit pas ; mais ces cas sont rares : car si le fœtus a résisté aux sept premieres révolutions, il n’y a que des accidens particuliers qui puissent faire qu’il ne résiste pas à la huitieme, en supposant qu’il n’ait pas acquis plus de force & de vigueur qu’il n’en a ordinairement dans ce tems. Les fœtus qui n’auront acquis qu’un peu plus tard ce même degré de force & de vigueur plus grandes, viendront au monde dans le tems de la neuvieme période ; & ceux auxquels il faudra le tems de neuf mois pour avoir cette même force, viendront à la dixieme période ; ce qui est le terme le plus commun & le plus général : mais lorsque le fœtus n’aura pas acquis dans ce tems de neuf mois ce même degré de perfection & de force, il pourra rester dans la matrice jusqu’à la onzieme & même jusqu’à la douzieme période, c’est-à-dire ne naître qu’à dix ou onze mois, comme on en a des exemples.

Il paroît donc que la révolution périodique du sang menstruel peut influer beaucoup sur l’accouchement, & qu’elle est la cause de la variation des termes de la grossesse dans les femmes, d’autant plus que toutes les autres femelles qui ne sont pas sujettes à cet écoulement périodique, mettent bas toûjours au même terme ; mais il paroît aussi que cette révolution occasionnée par l’action du sang menstruel, n’est pas la cause unique de l’accouchement, & que l’action propre du fœtus ne laisse pas d’y contribuer, puisqu’on a vû des enfans qui se sont fait jour & sont sortis de la matrice après la mort de la mere ; ce qui suppose nécessairement dans le fœtus une action propre & particuliere, par laquelle il doit toûjours faciliter son exclusion, & même se la procurer en entier dans de certains cas. Voyez Accouchement, Enfantement.

Il est naturel d’imaginer que si les femelles des animaux vivipares étoient sujettes aux menstrues comme les femmes, leurs accouchemens seroient suivis d’effusion de sang, & qu’ils arriveroient à différens termes. Les fœtus des animaux viennent au monde revêtus de leurs enveloppes, & il arrive rarement que les eaux s’écoulent & que les membranes qui les contiennent se déchirent dans l’accouchement ; au lieu qu’il est très-rare de voir sortir ainsi le sac tout entier dans les accouchemens des femmes : cela semble prouver que le fœtus humain fait plus d’effort que les autres pour sortir de sa prison, ou bien que la matrice de la femme ne se prête pas aussi naturellement au passage du fœtus, que celle des animaux ; car c’est le fœtus qui déchire sa membrane par les efforts qu’il fait pour sortir de la matrice ; & ce déchirement n’arrive qu’à cause de la trop grande résistance que fait l’orifice de ce viscere avant que de se dilater assez pour laisser passer l’enfant. M. de Buffon, hist. nat. tom. III. IV.

Quant aux autres circonstances de ce qui se passe dans l’exclusion du fœtus, & de ce qui la suit, voy. Accouchement, Naissance, Respiration, Mammelle, Lait.

Régime pendant la grossesse. Il s’agit maintenant de dire quelque chose des précautions que doit observer une femme grosse par rapport à son enfant, & de la conduite qu’elle doit tenir pendant tout le cours de la grossesse, pour éviter bien des indispositions & des maladies particulieres à son état, dont il sera aussi fait une brieve mention à la fin de cet article.

« Aussi-tôt que la grossesse est déclarée, dit l’auteur de l’essai sur la maniere de perfectionner l’espece humaine, que nous suivrons en partie dans ce que nous avons à dire ici, la femme doit tourner toutes ses vûes sur elle-même & mesurer ses actions aux besoins de son fruit ; elle devient alors la dépositaire d’une créature nouvelle ; c’est un abrégé d’elle-même, qui n’en differe que par la proportion & le développement successif de ses parties ».

On doit regarder l’embryon dans le ventre de la mere, comme un germe précieux auquel elle est chargée de donner l’accroissement, en partageant avec lui la partie la plus pure de ce qui est destiné à être converti en sa propre substance : elle doit donc s’intéresser bien fortement à la conservation de ce précieux rejetton, qui exige de sa tendresse tous les soins dont elle est capable ; ils consistent en général à respirer, autant qu’il est possible, un air pur & serein, à proportionner sa nourriture à ses besoins, à faire un exercice convenable, à ne point se laisser excéder par les veilles ou appesantir par le sommeil, à soûtenir les évacuations ordinaires communes aux deux sexes dans l’état de santé, & à mettre un frein à ses passions.

Nous allons suivre sommairement tous ces préceptes les uns après les autres ; nous tracerons aux femmes grosses les regles les plus salutaires pour leur fruit, & nous leur indiquerons la conduite la plus sûre & la moins pénible pour elles.

Quoique l’embryon cantonné comme il l’est dans la matrice, paroisse vivre dans un monde différent du nôtre ; quoique la nature l’ait muni d’une triple cloison pour le défendre des injures de l’air, il est cependant quelquefois la victime de cet ennemi qu’il ne s’est pas fait : renfermé dans le ventre de sa mere comme une tendre plante dans le sein de la terre, son organisation, sa force, sa constitution & sa vie, dépendent de celle qui doit lui donner le jour ; si la mere ressent donc quelques incommodités des effets de l’air, le fœtus en est nécessairement affecté. Ainsi les femmes enceintes doivent éviter, autant qu’il est en leur pouvoir, de respirer un air trop chaud, de vivre dans un climat trop sujet aux chaleurs, sur-tout si elles n’y sont pas habituées, parce que leur effet tend principalement à causer trop de dissipation dans les humeurs, trop de relâchement dans les fibres ; ce qui est ordinairement suivi de beaucoup de foiblesse, d’abattement, de langueur dans l’exercice des fonctions, d’où peuvent résulter bien des desordres dans l’économie animale par rapport à la mere, qui ne manquent pas de se transmettre à l’enfant. L’air froid ne produit pas de moins mauvais effets relativement à sa nature, sur-tout par les dérangemens qu’il cause dans l’évacuation si nécessaire de la transpiration insensible, entant qu’ils occasionnent des maladies catarrheuses qui portent sur la poitrine, y excitent la toux, dont les violentes secousses, les fortes compressions opérées sur les parties contenues dans le bas-ventre, peuvent donner lieu à de fausses-couches & à bien de fâcheux accidens qui s’ensuivent. La sécheresse & l’humidité peuvent aussi faire des impressions très-nuisibles sur le corps des femmes grosses & sur celui de leurs enfans ; autant qu’elles peuvent, elles doivent éviter de demeurer dans les campagnes marécageuses, au bord des rivieres, dans le voisinage des égoûts, des cloaques, sur les hautes montagnes, ou dans des endroits trop exposés aux vents desséchans du nord. Les odeurs, tant bonnes que mauvaises, peuvent leur être très-pernicieuses, entant qu’elles peuvent nuire à la respiration, en altérant les qualités de l’air, ou qu’elles affectent le genre nerveux. On a vû, selon que le dit Pline, des femmes si délicates & si sensibles, que l’odeur d’une chandelle mal éteinte leur a fait faire des fausses-couches : Liébault assûre avoir observé un pareil effet, qui peut être produit encore plus fréquemment par les vapeurs de charbon mal allumé ; Mauriceau rapporte une observation de cette espece à l’égard d’une blanchisseuse. Il y a aussi bien des exemples des mauvais effets que produisent les parfums dans l’état de grossesse, sur-tout par rapport aux femmes sujettes aux suffocations hystériques. Voyez Odeur, Parfum, Passion hystérique.

Si l’enfant dans la matrice trouvoit des sucs entierement préparés pour servir à sa nourriture, il risqueroit beaucoup moins pour sa conformation & sa vie, du défaut de régime de la mere ; mais elle ne fait qu’ébaucher l’élaboration des humeurs qui doivent fournir au développement & à l’accroissement de son fruit : ainsi quand elles sont mal digérées, il reste à l’embryon beaucoup de travail pour en achever l’assimilation, à quoi ses organes délicats ne suffisent pas le plus souvent ; d’où peuvent s’ensuivre bien des maux différens, tant pour la mere que pour l’enfant. Lorsqu’il s’agit donc d’établir les regles auxquelles les femmes enceintes doivent se conformer pour la maniere de se nourrir, il est nécessaire de considérer les différens états où elles se trouvent, la différence de leur tempérament, & les différens tems de leur grossesse. Plus les femmes sont délicates, moins elles sont avancées dans leur grossesse, & plus le fœtus est incommodé du trop de nourriture ; il faut qu’elle soit proportionnée aux forces & aux besoins réciproques de la mere & de l’enfant. Quand les femmes enceintes se sentent des dégoûts, des nausées, de la plénitude, elles doivent se condamner à la diete ; il arrive quelquefois qu’elles ont une aversion marquée pour la viande, les œufs, & toutes les substances animales ; c’est un avertissement de la nature qui leur conseille de vivre de végétaux & de les assaisonner avec des aromates ou des acides, pour tempérer leurs humeurs qui ont trop de penchant à la putréfaction. Voyez Dégoût, Envie. Il est donc souvent très-important aux femmes-grosses d’écouter leur sentiment secret, comme la voix de la nature qui les instruit de la conduite qu’elles doivent tenir ; elles peuvent en sûreté suivre le conseil d’Hippocrate (aphoris. xxxviij. lib. II.) qui porte que les alimens & la boisson qui ne sont pas de la meilleure qualité, sont cependant préférables dès qu’ils sont plus propres à exciter l’appétit, & qu’on en use en quantité convenable : car il n’est pas moins pernicieux aux femmes grosses de manger trop, que de vivre d’alimens indigestes, sur-tout dans le commencement de la grossesse, qu’il faut chercher à diminuer la plénitude & à ne point affoiblir l’estomac ; à quoi on ne peut réussir qu’en ne prenant que peu d’alimens, mais autant qu’on le peut, bien choisis & qui puissent s’assimiler aisément. Voyez Alimens, Assimilation. Au bout de deux ou trois mois, les femmes enceintes qui joüissent d’une bonne santé, peuvent augmenter la quantité de leur nourriture à mesure que le fœtus consume davantage des humeurs de la mere ; elles peuvent manger indifféremment de toutes sortes d’alimens qui ne sont pas indigestes : elles doivent cependant préférer ceux qui contiennent peu d’excrémens & plus de parties aqueuses. Les femmes grosses qui digerent bien le lait, peuvent en faire usage, il donne un chyle doux, à-demi assimilé ; le lait de vache est le plus nourrissant, & dans le dernier mois de la grossesse, il est le plus convenable.

Si les femmes enceintes doivent se garantir des mauvais effets du trop de nourriture, elles n’ont pas moins à craindre de l’excès opposé, à cause de l’alkalescence des humeurs que produit toûjours une diete trop sévere. Les femmes grosses & les enfans ne peuvent point-du-tout supporter l’abstinence ; on doit y avoir égard jusque dans leurs maladies : le jeûne forcé leur est presque toûjours préjudiciable, à-moins qu’elles ne soient extrèmement pléthoriques, ou que l’embryon ne soit très-petit ; ainsi quand elles se sentent de la disposition à manger, elles seroient très-imprudentes de ne pas se satisfaire avec modération, & elles doivent se faire un peu de violence pour prendre de la nourriture, quand elles en sont détournées par un dégoût excessif, sur-tout lorsque la grossesse est avancée.

La boisson des femmes grosses est aussi sujette à quelques variétés ; dans les commencemens, la petitesse du fœtus & la mollesse de ses organes exigent moins de boissons aqueuses ; ainsi elles peuvent boire dans ce tems-là un peu de vin pur, & ensuite le bien tremper dans le cours de la grossesse. Quand la température de l’air est très-chaude, il faut qu’elles fassent un grand usage de boissons délayantes, mais elles doivent craindre l’usage de la glace, qui peut causer de violentes coliques, & quelquefois même des fausses-couches, comme l’éprouva, selon que le rapporte Mauriceau, une impératrice de son tems ; à l’égard des liqueurs fortes, ce sont de vrais poisons pour les femmes enceintes, mais sur-tout pour leur fruit, attendu que par l’effet qu’elles produisent de raccornir les fibres, d’épaissir, de coaguler la lymphe, elles s’opposent à son développement, produisent des engorgemens, des tumeurs, des difformités, qui se manifestent quelquefois aussi-tôt que l’enfant voit le jour, ou dans la suite entant qu’il ne prend pas un accroissement proportionné à son âge, & qu’il vieillit de bonne heure : c’est ce qu’on observe à l’égard des enfans qui naissent de femmes du peuple & de celles qui habitent des pays où l’on fait un grand usage d’eau-de-vie. En général les femmes enceintes doivent éviter tout ce qui peut donner trop de mouvement, d’agitation, au sang, & disposer à des pertes, &c. comme sont les alimens acres, échauffans, les boissons de même qualité, & l’exercice du corps poussé à l’excès.

C’est principalement dans les premiers tems de la grossesse, que l’exercice pouvant être facilement nuisible, est presqu’absolument interdit ; c’est avec raison que l’on condamne la conduite des femmes enceintes qui se livrent à des mouvemens violens : rien cependant n’est plus commun parmi elles, sur-tout lorsqu’elles sont dans la vivacité de la premiere jeunesse ; à peine la conception est-elle déclarée, qu’il leur arrive quelquefois de passer les nuits à danser & le jour à chanter ; ce qui est le plus souvent la cause des fausses-couches aux quelles elles sont sujettes. Si dans les commencemens de la grossesse les femmes avoient l’attention de se reposer, elles pourroient ensuite se livrer à l’exercice avec plus de sécurité, lorsque les racines du placenta seroient implantées plus solidement dans la substance de la matrice, & que le fœtus y auroit acquis plus de force. Les femmes élevées délicatement ne doivent pas se modeler sur celles de la campagne, qui malgré leur grossesse, continuent dans tous les tems leurs travaux ordinaires ; la vie dure qu’elles menent, donne à leurs fibres plus de force, plus de ressort, & les garantit des accidens qu’éprouvent les femmes des villes : les danseuses publiques sont à-peu-près dans le même cas que celles qui sont habituées au travail. Ainsi les femmes enceintes doivent proportionner l’exercice qu’elles font, à la force de leur tempérament ; il est toûjours plus sûr de s’y livrer moins qu’on ne pourroit le soûtenir, cependant sans passer d’une extrémité à l’autre, parce que le défaut nuit comme l’excès. Voyez Exercice, (Econom. anim.)

Mais lorsqu’il s’agit de s’exercer avec modération pendant la grossesse, ce ne doit jamais être par des moyens qui puissent causer des secousses dans le corps ; on ne doit par conséquent se servir qu’avec beaucoup de prudence, de voitures roulantes, & ne pas s’exposer aux accidens de l’équitation, sur-tout aux approches de l’accouchement ; le repos est alors plus nécessaire que dans aucun autre tems. C’est un préjugé pernicieux de croire que les mouvemens du corps aident alors à détacher l’enfant & à favoriser son exclusion ; il en est comme d’un fruit que l’on abat à coups de gaule avant sa maturité : cet abus est une des causes les plus communes des mauvais accouchemens, des pertes qui les précedent, des situations desavantageuses dans lesquelles se présente l’enfant pour sortir de la matrice. Voyez Accouchement, Fausse-Couche.

Des différens états de santé dans lesquels peut se trouver la femme. Il en est peu où le sommeil paroisse lui convenir autant que pendant la grossesse ; l’embryon ou le fœtus qu’elle porte est dans un repos presque continuel. Voyez Fœtus. Puisque le repos du fœtus est un des moyens que la nature se choisit pour travailler à sa formation, attendu la délicatesse de ses organes, qui ne pourroient pas être mis en mouvement dans les premiers tems sans danger de solution de continuité, les meres doivent donc être attentives à tout ce qui peut troubler ce repos, sur-tout dans les premiers tems de la grossesse : ainsi elles doivent dormir dans cet état plus qu’elles ne font ordinairement ; mais en général le sommeil doit être proportionné à leurs forces & à l’exercice qu’elles font. Les femmes délicates dissipent moins que les autres, elles ont les fibres plus foibles, le sommeil les relâche, les affoiblit encore plus ; elles doivent donc aussi s’y livrer avec modération : celles qui sont robustes & qui font beaucoup d’exercice, ou qui sont accoûtumées à des travaux pénibles, ont besoin de plus de repos, & le sommeil leur convient mieux. La vie oisive équivaut presque au sommeil ; la vie exercée est l’état le plus marqué de la veille, & celui qui paroît être le plus éloigné du sommeil. Plus on s’exerce, plus on a besoin de repos, c’est ce qui doit servir aux femmes grosses pour se régler sur le plus ou moins d’avantage qu’elles peuvent retirer du sommeil, entant qu’il peut contribuer au parfait développement & à l’accroissement du fœtus.

Quant aux évacuations naturelles, il est ordinaire dans l’état de santé, que les femmes grosses ne soient point sujettes aux flux menstruel, le plus souvent il est nuisible qu’elles le soient ; ainsi elles doivent éviter tout ce qui peut les échauffer, foüetter le sang, & faire reparoître cette évacuation qui est alors contre-nature ; les exercices violens, les passions vives produisent souvent cet effet, & sont par-là également préjudiciables à la mere & à l’enfant : quand au contraire la suppression naturelle des menstrues cause quelque atteinte à la santé des femmes grosses, elles peuvent y remédier par de plus grands exercices, par la diminution des alimens & le choix de ceux qui sont plus liquides, & par la saignée ; le volume & le poids de la matrice, en resserrant le boyau rectum sur lequel elle porte principalement, y retient les matieres fécales, en retarde l’excrétion ; ce qui donne lieu à ce qu’elles s’y dessechent par leur séjour dans un lieu chaud, & occasionne le plus souvent la constipation. On peut remédier à cet inconvénient (qui peut même être cause de quelque fausse-couche par les efforts qu’il fait faire dans la déjection), en usant de quelques legers laxatifs huileux ou de quelques minoratifs, & sur-tout en employant les remedes ou lavemens, avec la précaution de ne rien faire qui puisse rendre le ventre trop libre, parce que ce vice oppose à celui qu’il s’agit de combattre, dispose souvent à l’avortement, selon que l’a remarqué Hippocrate, qui dit, anhor. xxxjv. lib. V. que si une femme enceinte a un cours de ventre considérable, elle est en grand danger de se blesser.

Tout annonce que la femme est plus délicate que l’homme, par conséquent plus sensible ; c’est pourquoi elle est plus susceptible des plus fortes passions, mais elle les retient moins long-tems que l’homme. De tous les différens états de la vie dans lesquels peut se trouver la femme, il n’en est point dans lequel sa grande sensibilité soit plus marquée, & les passions qui en peuvent résulter lui soient plus nuisibles que dans celui de la grossesse : cette différence ne peut être attribuée qu’au changement qui se fait dans l’équilibre de l’économie animale par rapport à la femme grosse, par l’effet de la suppression des menstrues, qui rend le système des vaisseaux en général plus tendu, qui augmente l’érétisme du genre nerveux ; ce qu’on observe également dans cette même suppression, lorsqu’elle est morbifique. Voyez Equilibre (Econom. amm.), Orgasme, Menstrues, (Physique). En général toutes les passions agissent en tendant ou détendant les organes du sentiment, en contractant ou relâchant les fibres motrices ; de quelque maniere qu’elles produisent leurs effets, elles ne peuvent que troubler l’action des solides & le cours des humeurs : ainsi les passions de l’ame ne peuvent manquer de produire de plus grands, desordres dans les femmes grosses, à proportion qu’elles y ont plus de disposition. Ainsi soit que les passions accélerent l’exercice de toutes leurs fonctions, ou qu’elles le retardent, il ne peut que s’en suivre des lesions qui doivent se communiquer au fœtus ou par les compressions, par les resserremens spasmodiques, convulsifs, auxquels il est exposé de la part de la matrice & des parties ambiantes, ou par les étranglemens des vaisseaux utérins, qui lui transmettent la matiere de sa nourriture, ou par le défaut d’impulsion dans le cours des humeurs de la mere, qui dispose celles qui sont portées au fœtus à perdre leur fluidité, & à contracter d’autres mauvaises qualités, &c. ensorte que les passions excessives ne peuvent qu’être très-pernicieuses au fœtus, lorsqu’elles le sont à celle qui le porte dans son sein ; d’autant plus qu’il est lui-même plus susceptible d’impression à-proportion que son organisation est plus foible, plus délicate ; mais il faut observer que les influences de l’ame de la mere sur le fœtus se réduisent toûjours à des impressions purement méchaniques, & qu’elles n’ont sur lui aucun pouvoir physique, tel que celui qu’on attribue communement à l’imagination. Voy. Imagination.

On peut juger de tout ce qui vient d’être dit des mauvais effets des passions dans les femmes grosses, par ceux qu’elles produisent dans les femmes pendant l’évacuation menstruelle : la terreur causée par le bruit subit du tonnerre, d’un coup de canon, arrête souvent tout-à-coup le flux utérin dans les unes, & l’excite dans les autres au point de causer une suppression ou une perte, & quelquefois même une fausse-couche. Les passions sont donc extrêmement à craindre pour les femmes grosses, sur-tout quand elles font des révolutions subites ; c’est pourquoi on doit éviter soigneusement qu’il ne leur soit annoncé aucun évenement qui soit propre à exciter tout-à-coup une grande joie, un grand chagrin, ou une grande crainte ; qu’elles ne soient affectées de rien qui puisse les effrayer, les épouvanter, en un mot qui puisse causer des agitations subites, violentes dans l’ame, ou en suspendre considérablement les influences sur le corps. Elles doivent donc sur-tout être fort attentives à ne pas se laisser aller à la disposition qu’elles peuvent avoir à la colere, à la tristesse, ou à toute autre affection vive, forte, dont les rend susceptibles leur sensibilité naturelle, qui est fort augmentée ordinairement, comme il a été dit, par les changemens que la grossesse occasionne dans l’économie animale. Il faut qu’elles s’abstiennent généralement, autant qu’il est possible, de tout ce qui peut animer le sang & lui donner de l’acreté, pour ne pas augmenter cette disposition, c’est-à-dire le trop d’érétisme du genre nerveux dont elle dépend : on doit leur procurer de la dissipation & mettre en usage tous les moyens, tant physiques que moraux, propres à conserver ou à ramener le calme dans leur esprit.

Une autre sorte de passion qu’ont la plûpart des femmes enceintes, qui n’est pas la moins nuisible aux fœtus qu’elles portent dans leur sein, c’est le soin qu’elles prennent de la partie de leurs ajustemens, qui tend à leur conserver ou à leur faire paroître la taille aussi-bien faite qu’elles peuvent en être susceptibles. Elles employent communément pour cet effet, ce qu’on appelle corps, qui est une espece de vêtement peu flexible, armé de busques roides, dont elles se serrent le tronc pour le tenir droit ; qui comprime fortement la partie moyenne & inférieure de la poitrine & toute la circonférence du bas-ventre au-dessus des hanches & des os pubis, autant qu’elle en est susceptible, par le moyen des lacets qui rapprochent avec violence les pieces de ce vêtement, que l’on tient toûjours fort étroit, pour que le resserrement, la constriction en soit d’autant plus considérable : ensorte que le bas-ventre prend la figure en en-bas d’un cone tronqué, dont la poitrine est la base : ce qui ne peut manquer de gêner tous les visceres de l’abdomen dans leurs différentes fonctions, d’empêcher notablement le jeu des organes de la respiration, & de presser les mammelles, d’en comprimer les vaisseaux en les tenant soulevées vers la partie supérieure du thorax, qui est la moins resserrée par l’espece de cuirasse dans laquelle le bas de la poitrine se trouve emboîté tout comme le bas-ventre.

Mais tous ces mauvais effets sont encore plus marqués dans les femmes grosses, en tant qu’elles se servent de ce vêtement, joint au poids des jupons & des paniers liés fortement & suspendus sur les hanches, pour empêcher autant qu’il est possible, le ventre de grossir en-avant, & de leur gâter la taille ; ce qui ne peut que gêner la matrice dans sa dilatation, l’empêcher de prendre une forme arrondie, rendre sa cavité moins ample, déranger la situation naturelle du fœtus & de ses enveloppes, rendre ses mouvemens moins libres, &c. d’où doivent s’ensuivre bien des desordres, tant par rapport à l’enfant, que par rapport à la mere, dont tous les visceres du bas-ventre trop pressés entre eux, ne lui permettent pas de prendre des alimens, d’augmenter le volume de l’estomac, sans empêcher ultérieurement le jeu, l’abaissement du diaphragme, & disposer à la suffocation ; embarrassent le ventricule & les intestins dans leurs fonctions, en détruisant la liberté du mouvement péristaltique ; dérangent les digestions, la distribution du chyle ; resserrent la vessie, le rectum ; causent des rétentions d’urine, des constipations ou des évacuations forcées ; exposent en un mot la mere à un grand nombre d’accidens qui augmentent considérablement les dérangemens de sa santé, qui peuvent même occasionner des avortemens : attendu que le fœtus se ressentant de tous ces desordres par les vices qui en résultent dans le cours & la qualité des humeurs qu’il reçoit de sa mere, est d’ailleurs exposé à des compressions qui nuisent à sa conformation & à son accroissement ; & tous ces funestes inconvéniens ont lieu, sans que les femmes y gagnent autre chose que l’apparence d’un peu moins de rotondité ; tandis qu’elles augmentent par-là réellement les défectuosités qui résultent de la grossesse pour leur ventre, qui en est ensuite plus ridé, plus mou, plus pendant, à-proportion que les enveloppes, c’est-à-dire les tégumens ont été plus forcés à se recourber en en-bas, à s’étendre sous les busques, pour donner au bas-ventre dans un sens ou dans un autre, la capacité qui lui est nécessaire pour loger les visceres & tout ce que la matrice contient de plus qu’à l’ordinaire.

M. Winslow a écrit en général sur les abus des corps, des busques, dont se servent les femmes : on peut le consulter sur ce qui a plus particulierement rapport aux femmes grosses, à cet égard, pour avoir un détail qui ne peut pas trouver sa place ici.

Grossesse (maladies dépendantes de la). Les femmes enceintes sont sujettes à des desordres plus ou moins considérables dans l’économie animale, qui ne proviennent absolument que des changemens qu’y occasionne la grossesse.

La plûpart des lésions de fonctions qu’elles éprouvent dans les commencemens, dans les premiers mois, ne doivent être attribuées qu’à la suppression du flux menstruel, à la pléthore, qui résulte de ce que cette évacuation n’a pas lieu comme auparavant, à cause que les effets de la conception ont excité une sorte d’érétisme dans la matrice, qui en a fermé l’orifice & resserré tous les pores, par lesquels se faisoit l’excrétion du sang utérin ; d’où s’ensuit le reflux dans la masse des humeurs, de la portion surabondante de ce sang qui auroit été évacuée : reflux qui subsiste tant que le fœtus & ses dépendances contenues dans la matrice ne sont pas suffisans pour consumer, pour employer à leur accroissement cette portion de la masse des humeurs qui est destinée à en fournir les matériaux.

Les indispositions qui surviennent dans des tems plus avancés de la grossesse, proviennent du volume & de la masse du fœtus & de ses dépendances, qui en distendant la matrice, en pressant les parties ambiantes, en opérant sur elles, gênent leurs fonctions, y font obstacle au cours des humeurs, y causent des dérangemens qui se communiquent souvent à toute la machine, soit en augmentant le renversement d’équilibre dans les fluides, soit en augmentant la sensibilité, l’irritabilité des solides qui en sont susceptibles par la communication de proche en proche, de ces qualités que possede plus éminemment la matrice, à-proportion qu’elle souffre une plus grande distension dans ses parois.

Ainsi les maladies de la grossesse commençante & de ses premiers tems, sont les nausées, les vomissemens, le dégoût ou la dépravation de l’appétit, les défaillances, les vertiges, les douleurs que la plûpart des femmes ressentent alors aux reins, aux aînes, aux mammelles, la pesanteur, la lassitude, la difficulté de respirer, & souvent des dispositions aux fausses-couches, des symptomes qui en sont les avant-coureurs. Et comme toutes ces lésions sont les effets d’une même cause, c’est-à-dire du reflux dans la masse des humeurs, du sang surabondant dans la matrice, on réussit ordinairement à y remédier par la saignée, qui fait cesser cette cause, en faisant cesser la pléthore.

Mais ce moyen doit être employé avec beaucoup de prudence, parce que selon l’observation d’Hippocrate, aph. 31. lib. V. une saignée faite mal-à-propos, peut causer l’avortement. Ainsi on ne doit y avoir recours que pour les femmes d’un assez bon tempérament, qui sont sujettes à avoir leurs regles abondamment ou plus long-tems que d’autres ; qui menent une vie sédentaire, & se nourrissent bien. Si elles sont fort incommodées pendant le cours de leurs grossesses, on peut leur tirer du sang par intervalles jusqu’à cinq ou six fois : pour celles qui le sont moins, trois fois suffisent ; savoir, dans le second mois, dans le cinquieme, & dans le neuvieme. On a cependant vû des cas, selon Mauriceau, de prægnant morb. lib. I. cap. xj. où on a été obligé d’y revenir jusqu’à dix fois. Cet auteur rapporte même avoir vu une femme qu’on fut obligé de saigner jusqu’à quarante-huit fois, pour l’empêcher d’être suffoquée, sans que l’accouchement qui suivit, en fût moins heureux & moins à terme ; mais de pareils exemples sont très-rares. Le plus grand nombre de femmes enceintes n’a pas besoin de beaucoup de saignées ; elles sont très-dangereuses à celles qui, étant d’un tempérament délicat, font peu de sang. Elles sont inutiles à celles qui sont robustes & font beaucoup d’exercice, comme les femmes de la campagne.

Il est beaucoup de femmes à qui il suffit de prescrire la diete, ou au moins de retrancher de la nourriture ordinaire ; de faire faire un peu plus d’exercice qu’à l’ordinaire, avec ménagement ; de faire user de quelques boissons délayantes ; pour qu’elles se délivrent de la plûpart des incommodités de la grossesse. En général, lorsqu’elles ne sont pas urgentes, on doit toûjours tenter ces derniers moyens, avant d’en venir à la saignée. On éprouve aussi très souvent selon Boerhaave, de bons effets de l’usage des remedes cardiaques legerement aromatiques, unis à de doux anti-hystériques, ou de celui des boissons acidules, comme la limonade, les ptisanes nitreuses, lorsque les différens accidens de la grossesse sont accompagnés de foiblesse ou d’ardeurs d’entrailles.

On doit être aussi très-reservé dans l’usage des purgatifs pour le cas dont il s’agit. Les émétiques sur tout, par les violentes secousses qu’ils occasionnent, sont très-dangereux, & peuvent causer des avortemens : l’expérience prouve cependant qu’ils sont très-peu sûrs pour les procurer à dessein : mais le tempérament & la disposition actuelle du sujet décident toûjours de l’effet qu’on a lieu d’attendre de pareils moyens. Les vomitifs & les purgatifs doux peuvent être employés sans danger à l’égard des femmes qui ont beaucoup de facilité à être évacuées par le haut & par le bas. Elles peuvent par-là se décharger de la surabondance d’humeurs qui refluent sur-tout dans les vaisseaux de l’estomac, qui en distendent les fibres nerveuses, & y excitent le sentiment de nausée ou les efforts qui font le vomissement ; & les purgatifs en dégorgeant de même les intestins, font cesser les coliques ou les cours de ventre, qui incommodent souvent les femmes grosses : mais les purgatifs forts sont absolument à éviter, parce qu’en irritant trop les intestins, ils peuvent par communication exciter des mouvemens convulsifs dans la matrice, qui pourroient procurer l’avortement, principalement dans les premiers tems, & sur la fin de la grossesse.

Il n’y a pas moins d’attention à faire concernant l’usage des narcotiques, qui peuvent aussi produire des effets fâcheux par le relâchement général qu’ils procurent dans le genre nerveux ; relâchement qui, comme il peut favoriser un accouchement trop douloureux, peut de même contribuer à l’exclusion du fœtus dans tous les tems de la grossesse. Ainsi ce ne peut être qu’après avoir inutilement employé les saignées, (si elles sont praticables) pour calmer les douleurs qui surviennent dans cet état, que l’on peut recourir aux préparations d’opium, avec tout le ménagement possible. On ne peut guere indiquer de cas où ces remedes puissent être employés avec plus de sureté & de succès, selon Horstius, lib. X. observ. 3. que lorsque les femmes grosses sont affectées de violentes douleurs rhumatismales, qui causent des insomnies opiniâtres, pourvû qu’ils ne soient pas contre-indiqués d’ailleurs.

En général, on ne doit s’obstiner à combattre aucun des symptomes des maladies dépendantes de la grossesse, qu’entant que les forces ne suffisent pas pour les soûtenir ; qu’il y a danger qu’il ne survienne une fausse couche. Voyez Fausse-Couche. Ceci soit dit des vomissemens, des flux-de-ventre, & même des hémorrhagies quelconques ; à plus forte raison, de toute autre accident de moindre conséquence.

Il faut s’appliquer à bien distinguer les douleurs des reins, des lombes, qui sont causées par la grossesse, d’avec celles qui pourroient être occasionnées par des calculs, des pierres contenues dans les voies urinaires. Voyez Calcul, Pierre. Dans ce dernier cas, on ne pourroit faire usage des bains qu’avec beaucoup de précaution, parce qu’ils operent des effets, d’où peuvent aisément résulter de fausses couches, sur-tout les bains chauds. Il y a des exemples qui prouvent que les bains de riviere, pris dans la saison convenable, même dans les commencemens de la grossesse, ne sont point nuisibles à cet état.

Les maladies qui surviennent aux femmes enceintes dans le milieu, & vers la fin de leur grossesse, sont principalement la difficulté d’uriner, la rétention ou le vice opposé, qui est l’incontinence d’urine, la fréquente envie de rendre cette humeur excrémentitielle, la constipation ou la déjection difficile, les hémorrhoïdes, les varices, l’enflure des piés, des jambes, des levres de la vulve, la disposition à faire des chûtes, & autres approchantes. Toutes ces lesions dépendent d’une seule & même cause, ci-devant mentionnée, qui est le volume & le poids de la matrice, qui comprime la vessie contre les os du bassin, y forme un étranglement qui exige de grands efforts de la part des fibres musculaires de ce reservoir de l’urine, pour surmonter l’obstacle qu’il trouve à se vuider du liquide qu’il contient, ce qui établit la difficulté d’uriner ; ou la pression de la vessie forme un empêchement qu’elle ne peut pas vaincre, ce qui donne lieu à la rétention d’urine ; ou l’urine ne peut être retenue qu’en petite quantité, à cause de cette pression qui laisse peu de capacité au reservoir, ce qui oblige à une fréquente évacuation. La matrice comprimant aussi le rectum contre l’os sacrum, empêche qu’il ne se remplisse de matieres fécales, fait séjourner ces matieres dans les parties supérieures des gros boyaux où elles se dessechent ; ce qui fournit différentes causes de la constipation & de la déjection difficile. Cette même compression de la matrice portant sur les veines hémorrhoïdales, empêche le libre retour du sang qu’elles contiennent, qui dilate ses vaisseaux, y cause des distensions douloureuses, ou les rompt & se fait issue en s’évacuant, & les veines iliaques étant aussi comprimées par la même cause, il en résulte une gêne, un obstacle dans le retour du sang des extrémités inférieures, qui donne lieu aussi à la dilatation forcée des rameaux veineux les moins forts, tels que ceux qui ne sont point soûtenus par l’action des muscles, ceux qui ne sont recouverts que de la peau ; ce qui produit des varices aux piés, aux jambes. Voyez Varice. Et les principaux vaisseaux qui rapportent la lymphe de ces mêmes parties, soit qu’ils ne puissent pas se vuider aisément dans les veines engorgées, ou qu’ils soient aussi comprimées à leur passage par le bassin pour se rendre au reservoir, deviennent aussi engorgés eux-mêmes ; ensorte que la surabondance de la liqueur qu’ils contiennent, venant à refluer dans le tissu cellulaire, en augmente le volume ; d’où les enflures des piés & des jambes, qui s’étendent quelquefois jusqu’aux cuisses de proche en proche. Et par la même raison le tissu cellulaire des bords du vagin s’enfle aussi très-souvent, vers la fin de la grossesse sur-tout, où la cause de l’engorgement des vaisseaux produit des effets plus étendus. Pour ce qui est de la disposition qu’ont les femmes grosses à faire des chûtes, on peut l’attribuer encore à la compression des muscles psoas & iliaques, qui gêne la flexion des cuisses : mais la principale cause est le volume, le poids du ventre, qui dispose le corps à se porter aisément hors de son centre de gravité.

La compression que produit la matrice & son poids, étant la cause générale & commune de tous ces symptomes, ou de toutes ces différentes lésions, cette cause n’est pas de nature à pouvoir être détruite ; elle ne peut cesser que par l’exclusion du fœtus, qui ne laisse à la matrice que son volume & son poids ordinaire : ainsi on ne peut apporter à ces maux-là d’autres remedes que des palliatifs. Voyez Urinaires, (maladies des voies) Constipation, Déjection, Hémorrhoïdes, Varice, Œdème), attendu qu’il n’y a rien de particulier à observer par rapport à ces remedes employés dans le cas de grossesse.

Pour ce qui est de la disposition à faire des chûtes, qui est ordinaire aux femmes grosses, surtout dans les derniers tems de la grossesse où le ventre a le plus de volume & de poids ; comme cette disposition, outre les causes mentionnées, dépend beaucoup aussi de ce qu’elles ne peuvent pas voir leurs piés en marchant, ni par conséquent où elles les posent, d’autant plus qu’elles sont obligées de porter le corps en-arriere pour conserver l’équilibre de gravitation entre les parties du corps étant debout : lorsque les choses en sont venues à ce point-là, il n’y a pas d’autre moyen d’éviter les chûtes, qui sont très-dangereuses dans cet état pour la mere & pour l’enfant, que de ne jamais marcher sans être appuyé sur quelqu’un qui conduise ou soûtienne la femme grosse, & regle, pour ainsi dire, ses pas. Si le ventre par son volume & par son poids tombe sur les cuisses, & contribue à empêcher de marcher, on peut prendre le parti de le suspendre par des bandages appropriés, qui soient arrêtés fixes derriere les reins.

Les maladies tant aiguës que chroniques, qui ne dépendent pas de la grossesse essentiellement, doivent être traitées comme dans les autres sujets, avec attention de n’employer aucun remede qui puisse être contre-indiqué par l’état de grossesse, sans y avoir eu égard, sans avoir bien pesé, lorsqu’on se détermine à en faire de contraires à cet état, les inconvéniens, le danger de part & d’autre, & sans y avoir été forcé par l’urgence du cas. C’est d’après ces précautions que l’on doit traiter les maladies inflammatoires, les fievres violentes, les hydropisies, la phthisie, la vérole même dans les femmes grosses, que l’expérience a appris être susceptibles de faire usage de toute sorte de remedes, avec les ménagemens convenables ; ce qu’il seroit trop long d’établir ici avec un certain détail. Ce qui a été ébauché du régime des femmes grosses, & ce qui vient d’être dit du traitement des maladies propres à la grossesse, peut suffire pour servir de regle à l’égard de toutes autres maladies dans cet état : mais pour suppléer à ce qui manque ici, on ne peut trop recourir aux ouvrages où il est traité, ex professo, des maladies des femmes grosses ; tels que ceux de Varandæus, de Sennert, Etmuller, Mauriceau, &c. On trouve aussi bien des choses intéressantes à ce sujet dans les œuvres d’Hoffman, passim : la continuation bien attendue du commentaire des aphorismes de Boerhaave, par l’illustre baron Wanswieten, premier medecin de la cour impériale, ne laissera sans doute rien à desirer en traitant de cette matiere en son lieu. (d)