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L’Encyclopédie/1re édition/JUGE

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JUGE, s. m. (Droit moral.) magistrat constitué par le souverain, pour rendre la justice en son nom à ceux qui lui sont soumis.

Comme nous ne sommes que trop exposés à céder aux influences de la passion quand il s’agit de nos intérêts, on trouva bon, lorsque plusieurs familles se furent jointes ensemble dans un même lieu, d’établir des juges, & de les revêtir du pouvoir de venger ceux qui auroient été offensés, de sorte que tous les autres membres de la communauté furent privés de la liberté qu’ils tenoient des mains de la nature. Ensuite on tâcha de remédier à ce que l’intrigue ou l’amitié, l’amour ou la haine, pourroient causer de fautes dans l’esprit des juges qu’on avoit nommés. On fit à ce sujet des lois, qui réglerent la maniere d’avoir satisfaction des injures, & la satisfaction que chaque injure requéroit. Les juges furent par ce moyen soumis aux lois ; on lia leurs mains, après leur avoir bandé les yeux pour les empêcher de favoriser personne ; c’est pourquoi, selon le style de la jurisprudence, ils doivent dire droit, & non pas faire droit. Ils ne sont pas les arbitres, mais les interpretes & les défenseurs des lois. Qu’ils prennent donc garde de supplanter la loi, sous prétexte d’y suppléer ; les jugemens arbitraires coupent les nerfs aux lois, & ne leur laissent que la parole, pour m’exprimer avec le chancelier Bacon.

Si c’est une iniquité de vouloir rétrécir les limites de son voisin, quelle iniquité seroit-ce de transporter despotiquement la possession & la propriété des domaines en des mains étrangeres ! Une sentence injuste, émanée arbitrairement, est un attentat contre la loi, plus fort que tous les faits des particuliers qui la violent ; c’est corrompre les propres sources de la justice, c’est le crime des faux monnoyeurs qui attaque le prince & le peuple.

Personne n’ignore en quoi consistent les autres devoirs des juges, & je suis dispensé d’entrer dans ce détail. Je remarquerai seulement que le juge ayant rapport avec le souverain ou le gouvernement, avec les plaideurs, avec les avocats, avec les subalternes de la justice ; ce sont autant d’especes de devoirs différens qu’il doit remplir. Quant aux parties il peut les blesser, ou par des arrêts injustes & précipités, ou par de longs délais. Dans les états où regne la vénalité des charges de judicature, le devoir des juges est de rendre promptement la justice ; leur métier est de la différer, dit la Bruyere.

Un juge prévenu d’inclination en faveur d’une partie, devroit la porter à un accommodement plutôt que d’entreprendre de la juger. J’ai lu dans Diogene Laërce que Chilon se fit recuser dans une affaire, ne voulant opiner ni contre la loi, ni décider contre l’amitié.

Que le juge sur-tout reprime la violence, & s’oppose à la fraude qu’il découvre ; elle fuit dès qu’on la voit. S’il craint que l’iniquité puisse prévaloir ; s’il la soupçone appuyée du crédit, ou déguisée par les détours de la chicane, c’est à lui de contrebalancer ces sortes de malversations, & d’agir de son pour mieux faire triompher l’innocence.

En deux mots, « le devoir d’un juge est de ne point perdre de vûe qu’il est homme, qu’il ne lui est pas permis d’excéder sa commission, que non seulement la puissance lui est donnée, mais encore la confiance publique ; qu’il doit toujours faire une attention sérieuse, non pas à ce qu’il veut, mais à ce que la loi, la justice & la religion lui commandent ». C’est Ciceron qui parle ainsi dans son oraison pour Cluentius, & je ne pouvois pas supprimer un si beau passage. (D. J.)

Juge, s. m. (Hist. des Israélites.) gouverneur du peuple Juif avant l’établissement des rois ; en effet on donna le nom de juges à ceux qui gouvernerent les Israëlites, depuis Moïse inclusivement jusqu’à Saül exclusivement. Ils sont appellés en hébreu sophetim au plurier, & sophet au singulier. Tertulien n’a point exprimé la force du mot sophetim, lorsque citant le livre des juges, il l’appelle le livre des censeurs ; leur dignité ne répondoit point à celle des censeurs romains, mais coïncidoit plutôt avec les suffetes de Carthage, ou les archontes perpétuels d’Athenes.

Les Hébreux n’ont pas été les seuls peuples qui ayent donné le titre de suffettes ou de juges à leurs souverains ; les Tyriens & les Carthaginois en agirent de même. De plus les Goths n’accorderent dans le iv. siecle à leurs chefs que le même nom ; & Athanaric qui commença de les gouverner vers l’an 369, ne voulut point prendre la qualité de roi, mais celle de juge, parce qu’au rapport. de Thémistius, il regardoit le nom de roi comme un titre d’autorité & de puissance, & celui de juge, comme une annonce de sagesse & de justice.

Grotius compare le gouvernement des Hébreux sous les juges à celui qu’on voyoit dans les Gaules & dans la Germanie avant que les Romains l’eussent changé.

Leur charge n’étoit point héréditaire, elle étoit à vie ; & leur succession ne fut ni toujours suivie, ni sans interruption ; il y eut des anarchies & de longs intervalles de servitude, durant lesquels les Hébreux n’avoient ni juges, ni gouverneurs suprèmes. Quelquefois cependant ils nommerent un chef pour les tirer de l’opression ; c’est ainsi qu’ils choisirent Jephthé avec un pouvoir limité, pour les conduire dans la guerre contre les Ammonites ; car nous ne voyons pas que Jephthé ni Barac ayent exercé leur autorité au-delà du Jourdain.

La puissance de leurs juges en général, ne s’étendoit que sur les affaires de la guerre, les traités de paix & les procès civils ; toutes les autres grandes affaires étoient du district du sanhédrin : les juges n’étoient donc à proprement parler que les chefs de la république.

Ils n’avoient pas le pouvoir de faire de nouvelles loix, d’imposer de nouveaux tributs. Ils étoient protecteurs des loix établies, défenseurs de la religion, & vengeurs de l’idolatrie ; d’ailleurs sans éclat, sans pompe, sans gardes, sans suite, sans équipages, à moins que leurs richesses personnelles ne les missent en état de se donner un train conforme à leur rang.

Le revenu de leur charge ne consistoit qu’en présens qu’on leur faisoit ; car ils n’avoient aucun émolument réglé, & ne levoient rien sur le peuple.

A présent nous récapitulerons sans peine les points dans lesquels les juges des Israëlites différoient des rois. 1°. Ils n’étoient point héréditaires ; 2°. ils n’avoient droit de vie & de mort que selon les lois, & dépendemment des lois ; 3°. ils n’entreprenoient point la guerre à leur gré, mais seulement quand le peuple les appelloit à leur tête ; 4°. ils ne levoient point d’impôts ; 5°. ils ne se succédoient point immédiatement. Quand un juge étoit mort, il étoit libre à la nation de lui donner un successeur sur le champ, ou d’attendre ; c’est pourquoi on a vu souvent plusieurs années d’inter-juges, si je puis parler ainsi ; 6°. ils ne portoient point les marques de souveraineté, ni sceptre, ni diadème ; 7°. enfin ils n’avoient point d’autorité pour créer de nouvelles lois, mais seulement pour faire observer celles de Moïse & de leurs prédécesseurs. Ce n’est donc qu’improprement que les juges sont appellés rois dans deux endroits de la Bible, sçavoir, Juges ch. ix. & ch. xviij.

Quant à la durée du gouvernement des juges, depuis la mort de Josué jusqu’au regne de Saül, c’est un sujet de chronologie sur lequel les savans ne sont point d’accord, & qu’il importe peu de discuter ici. (D. J.)

Juges, livre des, (Théol.) livre canonique de l’ancien testament, ainsi nommé parce qu’il contient l’histoire du gouvernement des juges ou chefs principaux qui régirent la république des Hébreux, à compter environ trente ans depuis la mort de Josué jusqu’à l’élévation de Saül sur le trône, c’est-à-dire l’espace de plus de trois cens ans.

Ce livre que l’Eglise reconnoît pour authentique & canonique, est attribué par quelques-uns à Phinès, par d’autres à Esdras ou à Ezéchias, & par d’autres à Samuel ou à tous les juges qui auroient écrit chacun l’histoire de leur tems & de leur judicature. Le P. Calmet pense que c’est l’ouvrage d’un seul auteur qui vivoit après le tems des juges. La preuve qu’il en apporte est, qu’au chap. xv. viij. x. & dans les suivans, l’auteur fait un précis de tout le livre, & qu’il en donne une idée générale. L’opinion qui l’attribue à Samuel paroît fort probable ; 1°. l’auteur vivoit en un tems où les Jébuséens étoient encore maîtres de Jérusalem, comme il paroît par le chap. j. v. 21. & par conséquent avant David ; 2°. il paroît que lorsque ce livre fut écrit, la république des Hébreux étoit gouvernée par des rois, puisque l’auteur remarque en plus d’un endroit sous les juges, qu’alors il n’y avoit point de rois en Israël.

On ne laisse pas que de former contre ce sentiment quelques difficultés considérables, par exemple il est dit dans les Juges, chap. xviij. v. 30 & 31. que les enfans de Dan établirent Jonathan & ses fils prêtres dans la tribu de Dan jusqu’au jour de leur captivité, & que l’idole de Micha demeura chez eux, tandis que la maison du Seigneur fut à Silo. Le tabernacle ou la maison de Dieu ne fut à Silo que jusqu’au commencement de Samuel, car alors on la tira de Silo pour la porter au camp où elle fut prise par les Philistins ; & depuis ce tems elle fut renvoyée à Cariath-ïarim. Quant à la captivité de la tribu de Dan, il semble qu’on ne peut guere l’entendre que de celle qui arriva sous Theglapt Phalassar, roi d’Assirie, plusieurs siecles après Samuel : & par conséquent il n’a pu écrire ce livre, à moins qu’on ne reconnoisse que ce passage y a été ajoûté depuis lui ; ce qui n’est pas incroyable, puisqu’on a d’autres preuves & d’autres exemples de semblables additions faites au texte des livres sacrés. Calmet, Diction. de la Bible.

JUGE, s. m. (Hist. rom.) dans la république romaine, les juges furent d’abord choisis parmi les sénateurs ; l’an 630, les Gracches transporterent cette prérogative aux chevaliers ; Drusus la fit donner aux sénateurs & aux chevaliers ; Sylla la remit entre les mains des seuls sénateurs ; Cotta la divisa entre les sénateurs, les chevaliers & les trésoriers de l’épargne ; César prit le parti de priver ces derniers de cet honneur ; enfin Antoine établit des décuries de sénateurs, de chevaliers & de centurions, auxquels il accorda la puissance de juger.

Tant que Rome, ajoute l’auteur de l’Esprit des lois, conserva les principes, les jugemens purent être sans abus entre les mains des sénateurs ; mais quand Rome fut corrompue, à quelques corps qu’on transportât les jugemens, aux sénateurs, aux chevaliers, aux trésoriers de l’épargne, à deux de ces corps, à tous les trois ensemble, enfin à quel qu’autre corps que ce fût, on étoit toujours mal ; si les chevaliers avoient moins de vertu que les Sénateurs, s’il étoit absurde de donner la puissance de juger à des gens qui devoient être sans cesse sous les yeux des juges, il faut convenir que les trésoriers de l’épargne & les centurions avoient aussi peu de vertu que les chevaliers ; pourquoi cela ? C’est que quand Rome eut perdu ses principes, la corruption, la dépravation se glisserent presque également dans tous les ordres de l’état. (D. J.)

JUGES des enfers, (Mythol.) la fable en nomme trois, Minos, Eaque & Rhadamante, & l’on imagine bien qu’elle leur donne à tous trois une origine céleste ; ce sont les fils du souverain maître des dieux.

Rhadamante, selon l’histoire, fut un des législateurs de Crète, qui mérita par son intégrité & par ses autres vertus la fonction de juge aux enfers, dont les Poëtes l’honorerent. Voyez Rhadamante.

Minos son illustre frere & son successeur, eut encore plus de réputation. Sa profonde sagesse donna lieu de dire, qu’il étoit dans la plus étroite confidence de Jupiter, & Jovis arcanis Minos admissus ; on ne manqua pas d’assurer après sa mort qu’il remplissoit le premier des trois tribunaux, où tous les pâles humains sont cités pour rendre compte de leurs actions. Voyez Minos.

Eaque régna sur Egine, aujourd’hui Eugia :

Œnopiam veteres apellavere ; sed ipse
Æacus, Æginam genitricis nomine dedit.

C’est le seul des rois de cette île, dont l’histoire ait conservé le nom. Ses belles qualités lui procurerent une place entre Minos & Rhadamante : il jugeoit l’europe entiere. Sa réputation fut si grande pendant le cours de sa vie, que toute l’Attique ayant été affligée d’une longue sécheresse, on consulta l’oracle, qui répondit, que ce fléau cesseroit seulement quand Eaque se rendroit l’intercesseur de la Grèce. Voyez Eaque.

Platon feint ingénieusement que lorsque Jupiter, Neptune & Pluton eurent partagé le royaume de leur pere, ils ordonnerent que les hommes prêts à quitter la vie, fussent jugés pour recevoir la récompense ou le châtiment de leurs bonnes ou mauvaises actions ; mais comme ce jugement se rendoit à l’instant qui précédoit la mort, il étoit sujet à de grandes injustices. Les princes fastueux, guerriers, despotiques, paroissoient devant leurs juges avec toute la pompe & tout l’appareil de leur puissance, les éblouissoient, & se faisoient encore redouter, en sorte qu’ils passoient souvent dans l’heureux séjour des justes. Les gens de bien au contraire, pauvres & sans appui, étoient encore exposés à la calomnie, & quelquefois condamnés comme coupables.

Sur les plaintes réitérées qu’en reçut Jupiter, il changea la forme de ses jugemens ; le tems en fut fixé au moment même qui suit la mort. Rhadamante & Eaque ses fils, furent établis juges ; le premier pour les Asiatiques & les Afriquains, le second pour les Européens ; & Minos son troisieme fils étoit au-dessus d’eux, pour décider souverainement en cas d’incertitude.

Leur tribunal fut placé dans un endroit, appellé le champ de la vérité, parce que le mensonge & la calomnie n’en peuvent approcher : il aboutit d’un côté au Tartare, & de l’autre aux champs Elisées. Là comparoit un prince dès qu’il a rendu le dernier soupir : là, dit Socrate, il comparoit dépouillé de toute sa grandeur, réduit à lui seul, sans défense, sans protection, muet & tremblant pour lui-même, après avoir fait trembler la terre. S’il est trouvé coupable de fautes qui soient d’un genre à pouvoir être expiées, il est relégué dans le Tartare pour un tems seulement, & avec assurance d’en sortir quand il aura été suffisamment purifié. Tels étoient aussi les discours des autres sages de la Gréce.

Tous nos savans croyent que l’idée de ce jugement après la mort, avoit été empruntée par les Grecs de la coutume des Egyptiens, rapportée dans Diodore de Sicile, & dont nous avons fait mention au mot Enfer, & au mot Funérailles des Egyptiens.

La sépulture ordinaire de ce peuple, dit l’historien Grec, étoit au-delà d’un lac nommé Achérusie. Le mort embaumé devoit être apporté sur le bord de ce lac, au pié d’un tribunal, composé de plusieurs juges qui informoient de ses vie & mœurs, en recevant les dépositions de tout le monde. S’il n’avoit pas payé ses dettes, on livroit son corps à ses créanciers, afin d’obliger sa famille à le retirer de leurs mains, en se cottisant pour faire la somme due ; s’il n’avoit pas été fidele aux lois, le corps privé de sépulture, étoit jetté dans une espece de fosse, qu’on nommoit le Tartare. Mais si le jugement prononçoit à sa gloire, le batelier Querrou avoit ordre de conduire le corps au-delà du lac, pour y être enseveli dans une agréable plaine qu’on nommoit Elisou. Cette cérémonie finissoit en jettant trois fois du sable sur l’ouverture du caveau, où l’on avoit enfermé le cadavre, & en lui disant autant de fois adieu : Magnâ manes ter voce vocavi.

M. Maillet nous a très-bien expliqué comment on enterroit les cadavres embaumés des Egyptiens. On les descendoit dans des caveaux profonds, qui étoient pratiqués dans le roc ou le tuf, sous les sables de la plaine de Memphis ; on bouchoit le caveau avec une pierre, & on laissoit ensuite retomber par dessus le sable des endroits voisins.

Ajoutons en passant, que la coutume égyptienne de jetter trois fois du sable sur le corps mort, devint universelle. Les Grecs en donnerent l’exemple aux Romains : injecto ter pulvere, dit Horace. Ceux qui avoient négligé cet acte de religion, que la plupart des chrétiens suivent encore aujourd’hui, étoient obligés, pour expier leur crime, d’immoler tous les ans à Cérès une truie qu’on nommoit porca præcidanea. Voyez Sépulture. (D. J.)

Juge, (Jurisprud.) du latin judex, quasi jus dicens, signifie en général toute personne qui porte son jugement sur quelque chose.

On entend quelquefois par le terme de juge une puissance supérieure qui a le pouvoir de rendre à chacun ce qui lui appartient : on dit par exemple en ce sens, que Dieu est le souverain juge des vivans & des morts ; l’Eglise est juge des articles de la foi ; les souverains sont les premiers juges de leurs sujets, c’est-à-dire, qu’ils leur doivent la justice, mais ils se déchargent d’une partie de ce soin sur d’autres personnes.

On donne le titre de juges à ceux qui sont établis par les souverains pour rendre la justice, ou par ceux auxquels ils en ont concédé quelque portion pour la faire exercer, tels que les évêques & autres seigneurs ecclésiastiques & laïques, & les villes & communautés qui ont quelque part en l’administration de la justice.

Dans le premier âge du monde les peres faisoient chacun la fonction de juges dans leur famille ; lorsque l’on eut établi une puissance souveraine sur chaque nation, les rois & autres princes souverains furent chargés de rendre la justice, ils la rendent encore en personne dans leurs conseils & dans leurs parlemens ; mais ne pouvant expédier par eux-mêmes toutes les affaires, ils ont établi des juges, sur lesquels ils se sont déchargé d’une partie de ce soin.

Chez les Romains, & autrefois en France, ceux qui avoient le gouvernement militaire d’une province ou d’une ville, y remplissoient en même tems la fonction de juges avec quelques assesseurs dont ils prenoient conseil.

La fonction de juge dans le premier tribunal de la nation, a toujours été attachée aux premiers & aux grands de l’état.

En France, elle n’étoit autrefois remplie au parlement que par les barons ou grands du royaume, auxquels ont succédé les pairs, & par les prélats ; pour y être admis en qualité de sénateur, il falloit être chevalier.

Du tems de saint Louis, il falloit en général être noble ou du moins franc, c’est-à-dire, libre, pour faire la fonction de juges : aucun homme coutumier ou villain ne pouvoit rendre la justice ; car dans les lieux où elle se rendoit par pair, il falloit nécessairement être pair pour être du nombre des juges, & dans les lieux où elle se rendoit par des baillifs, ceux-ci ne devoient appeller pour juger avec eux que des gentilshommes ou des hommes francs, c’est-à-dire, des seigneurs de fief, & quelquefois des bourgeois.

Il y a différens ordres de juges qui sont élevés plus ou moins en dignité, selon le tribunal où ils exercent leur fonction ; mais le moindre juge est respectable dans ses fonctions, étant à cet égard dépositaire d’une partie de l’autorité du souverain.

L’insulte qui est faite au juge dans ses fonctions & dans l’auditoire même, est beaucoup plus grave que celle qui lui est faite ailleurs.

Le juge doit aussi, pour se faire connoître & se faire respecter, porter les marques de son état, tellement que si le juge n’étoit pas revêtu de l’habillement qu’il doit avoir, ce qu’il auroit fait seroit nul, comme étant réputé fait par quelqu’un sans caractere ; hors leurs fonctions & les cérémonies publiques, ils ne sont pas obligés de porter la robe & autres marques de leur état, mais ils ne doivent toujours paroître en public qu’en habit décent, & tel qu’il convient à la gravité de leur caractere.

Les magistrats romains étoient précédés d’un certain nombre de licteurs ; en France plusieurs juges ont obtenu la prérogative d’avoir des gardes ; le prevôt de Paris a douze huissiers armés de pertuisanes ; Louis XI. avoit aussi donné vingt-cinq gardes au prevôt de Bourges à cause qu’il y étoit né.

Tous les juges ont des huissiers & sergens qui les précédent lorsqu’ils entrent au tribunal ou qu’ils en sortent, pour leur faire faire place & leur faire porter honneur & respect ; ces huissiers battent ordinairement de la baguette devant le tribunal en corps, ou devant une députation, ou devant les premiers magistrats du tribunal, pour annoncer la présence de ces juges & en signe de leur autorité.

La fonction des juges est de rendre la justice à ceux qui sont soumis à leur jurisdiction. Ils rendent des ordonnances sur les requêtes qui leur sont présentées, & rendent des sentences, ou si ce sont des juges souverains, des arrêts sur les contestations instruites devant eux.

Ils font aussi des enquêtes, informations, procès-verbaux, descentes sur les lieux, & autres actes, lorsque le cas y échet.

Leurs jugemens & procès-verbaux sont rédigés & expédiés par leur greffier, & leurs commissions & mandemens sont exécutés par les huissiers ou sergens de leur tribunal, ou autres qui en sont requis.

Le pouvoir de chaque juge est limité à son territoire, ou à la matiere dont la connoissance lui a été attribuée ou aux personnes qui sont soumises à sa jurisdiction ; lorsqu’il excede les bornes de son pouvoir, il est à cet égard sans caractere.

Il doit rendre la justice dans l’auditoire ou autre lieu destiné à cet usage ; il peut seulement faire en son hôtel certains actes tels que les tuteles, curateles & référés.

L’écriture dit que xenia & dona excæcant oculos judicum ; c’est pourquoi les ordonnances ont toujours défendu aux juges de boire & manger avec les parties, & de recevoir d’elles aucun présent.

Les anciennes ordonnances défendoient même aux sénéchaux, baillifs & autres juges de recevoir pour eux ni pour leurs femmes & enfans aucun présent de leurs justiciables, à moins que ce ne fussent des choses à boire ou à manger que l’on pût consommer en un seul jour ; ils ne pouvoient pas vendre le surplus sans profusion, encore ne devoient-ils en recevoir que des personnes riches, & une fois ou deux l’année seulement ; s’ils recevoient du vin en présent, il falloit que ce fût en barils ou bouteilles ; telles étoient les dispositions de l’ordonnance de 1302, art. 40 & suiv.

Celle d’Orléans, art. 43, permettoit aux juges de recevoir de la venaison ou gibier pris dans les forêts & terres des princes & seigneurs qui le donneroient.

Mais l’ordonnance de Blois, art. 114, défend à tous juges de recevoir aucuns dons ni présens de ceux qui auront affaire à eux.

Le ministere des juges devoit donc être purement gratuit, comme il l’est encore en effet pour les affaires d’audience ; mais pour les affaires appointées l’usage ayant introduit que la partie qui avoit gagné son procès faisoit présent à ses juges de quelques boëtes de dragées & confitures seches que l’on appelloit alors épices ; ces épices furent dans la suite converties en argent. Voyez Épices.

Les juges sont aussi autorisés à se faire payer des vacations pour leurs procès-verbaux & pour les affaires qui s’examinent par des commissaires.

Les anciennes ordonnances défendent aux juges de recevoir aucunes sollicitations, dans la crainte qu’ils ne se laissent prévenir à force d’importunités.

On obtenoit aussi autrefois en France, comme chez les Romains, que nul ne fût juge dans son pays, afin que le juge ne fût point détourné de son devoir par des motifs de considération pour ses parens, alliés, amis, voisins ou autres personnes à lui connues.

Anciennement les juges devoient être à jeun pour juger, c’est la disposition d’un capitulaire de Charlemagne de l’an 801, & d’un concile de Reims de l’an 813, ce qui ne s’observe plus ; on observe seulement que les procès-criminels doivent être vus le matin & non de relevée, & les juges ne sont pas obligés d’être à jeun même pour juger ces sortes d’affaires ; mais la prudence veut que s’ils déjeunent, ils le fassent sobrement.

Quant au nombre de juges qu’il faut pour rendre un jugement, cela dépend des tribunaux & de la nature des affaires.

Dans les justices seigneuriales & dans les petites justices royales, il n’y a ordinairement qu’un seul juge pour rendre une sentence ; mais dans les affaires criminelles, il en faut au moins trois, de sorte que s’il n’y en a pas, le juge appelle avec lui deux gradués.

Au châtelet de Paris, il faut du moins cinq juges pour rendre une sentence en la chambre du conseil.

Il y a quelques tribunaux qui ne peuvent juger qu’au nombre de cinq, tels que le conseil souverain de Roussillon.

Les présidiaux ne peuvent juger qu’au nombre de sept, autrefois il falloit y être au nombre de douze & même treize pour juger une proposition d’erreur, ce qui a été abrogé.

Les parlemens de Grenoble, Aix & Dijon, jugent au nombre de sept, comme font aussi les maîtres des requêtes au souverain ; le parlement de Paris ne juge qu’au nombre de dix.

Au conseil du roi, il n’y a point de nombre fixe de juges pour rendre un arrêt.

Les juges doivent écouter avec attention les avocats & procureurs des parties, ou celui d’entre eux qui fait le rapport de l’affaire ; ceux qui ont manqué d’assister à quelque plaidoirie ou à une partie du rapport ne peuvent plus être du nombre des juges pour cette affaire.

Il n’est pas permis au juge de réformer lui-même sa sentence, elle ne peut être réformée que par un juge supérieur ; c’est pourquoi Philippe de Macédoine aima mieux payer l’amende, en laquelle, étant endormi, il avoit condamné un homme, que de révoquer sa sentence.

Les juges qui manquent à leur devoir ou qui prévariquent dans leurs fonctions sont sujets à diverses peines.

Nous voyons dans l’antiquité que Cambyse, roi de Perse, fit écorcher un juge pour avoir jugé faussement ; Artaxercès traita de même de mauvais juges, & fit asseoir sur leurs peaux leurs successeurs.

Les anciennes ordonnances du royaume veulent que les juges qui ne feront pas le procès aux délinquans, soient tenus de payer le dommage.

Dans les pays coutumiers, lorsque l’on se plaignoit d’un jugement, on intimoit le juge pour voir infirmer ou confirmer le jugement, & l’on ajournoit la partie, & lorsque le juge avoit mal jugé on le condamnoit en l’amende ; présentement on n’intime plus que la partie qui a obtenu la sentence, à moins qu’il n’y ait des causes pour prendre le juge à partie ; il est seulement resté de l’ancien usage que les juges du châtelet assistent à l’ouverture du rolle de Paris.

Il n’est pas permis aux juges de se rendre adjudicataires des biens qui se vendent en leur siege ou qui s’y donnent à bail judiciaire ; ils doivent aussi observer toutes les bienséances qui conviennent à leur état ; par exemple, il est défendu aux juges royaux de faire commerce.

Les juges de seigneurs peuvent être destitués ad nutum, à moins qu’ils n’ayent payé une finance pour leur office, auquel cas ils ne peuvent être destitués qu’en les remboursant.

La destitution ne doit point être faite cum elogio, à moins que le seigneur ne soit en état de prouver les faits.

Pour ce qui est des juges royaux depuis la vénalité des charges, ils ne peuvent plus être destitués que pour malversation.

Voyez au code les titres de officio civilium judicum, de officio diversorum judicum, de sententiis judicum, le dictionnaire de Drillon au mot Juge, & ci-après aux mots Justice, Lieutenant, Magistrat. (A)

Juge d’appeaux ou d’appel, est celui devant lequel ressortit l’appel d’un juge inférieur. On disoit autrefois juge d’appeaux ; on dit présentement juge d’appel. On l’appelle aussi juge ad quem. Au reste, cette qualité n’est pas absolue pour les juges inférieurs, mais seulement relative ; car le même juge qui est qualifié juge d’appel, par rapport à celui qui y ressortit, est lui-même qualifié de juge à quoi, relativement à un autre juge qui est son supérieur, & auquel ressortit l’appel de ses jugemens. Voyez Juge a quoi. (A.)

Juge d’appel est celui qui connoît d’appel de la sentence d’un juge inférieur ; au lieu que le juge dont est appel, est le juge inférieur dont l’appel ressortit au juge d’appel qui est son supérieur. Voyez Appel. (A.)

Juge dont est appel, ne signifie pas simplement celui des jugemens duquel on peut appeller, mais celui dont la sentence fait actuellement la matiere d’un appel. Voyez Juge d’appel & Juge a quo. (A.)

Juge d’armes est un officier royal établi pour connoître de toutes les contestations & différends qui arrivent à l’occasion des armoiries, circonstances & dépendances, & pour dresser des registres dans lesquels il employe le nom & les armes des personnes nobles & autres, qui ont droit d’avoir des armoiries.

Cet officier a succédé au maréchal d’armes, qui fut établi par Charles VIII. en 1487, pour écrire, peindre & blasonner dans les registres publics, le nom & les armes de toutes les personnes qui avoient droit d’en porter.

La noblesse de France, animée du même esprit, supplia le roi Louis XIII. de créer un juge d’armes ; ce qu’il fit par Edit de Janvier 1615, lequel lui donne plein pouvoir de juger des blasons, fautes & méséances des armoiries, & de ceux qui en peuvent & doivent porter, & des différends à ce sujet, à l’exclusion de tous autres juges : voulant S. M. que les sentences & jugemens de ce juge ressortissent nuement devant les maréchaux de France.

L’office de juge d’armes fut supprimé en 1696, & en sa place on créa un grand-maître de l’armoirie général, pour juger en dernier ressort l’appel des maîtres particuliers, qui furent aussi créés dans chaque province ; mais ces officiers furent eux-mêmes supprimés en 1700 ; & par Edit du mois d’Août 1707, celui de juge d’armes fut rétabli. Voyez Armoiries. (A.)

Juge d’attribution est un juge extraordinaire, auquel le roi a attribué la connoissance de toutes les affaires d’une certaine nature ; tels sont les chambres des comptes, cours des aides, cours des monnoies, les élections, greniers à sel, les juges d’eaux & forêts, & autres semblables.

Il y a aussi des juges ordinaires qui deviennent juge d’attribution, pour certaines affaires qui leur sont renvoyées en vertu de lettres-patentes.

L’établissement des juges d’attribution est fort ancien ; car il y en avoit dejà chez les Romains. Outre le juge ordinaire appellé prætor urbanus, il y avoit d’autres préteurs, l’un appellé prætor peregrinus, qui connoissoit des causes des étrangers ; un autre qui connoissoit des fideicommis ; un autre, du crime de faux ; & en France la plûpart des grands officiers de la couronne avoient chacun leur jurisdiction particuliere pour la manutention de leurs droits, tels que le connétable, l’amiral, le grand forestier, & autres, d’où sont venus plusieurs jurisdictions d’attribution, qui subsistent encore présentement. (A)

Juge auditeur du chastelet, est un juge royal qui connoît des affaires pures personnelles jusqu’à 50 livres une fois payées ; on dit quelquefois les auditeurs, parce qu’en effet il y en avoit autrefois plusieurs.

On ne sait pas au juste le tems de leur premier établissement, non plus que celui des conseillers dont ils ont été tirés ; il paroît seulement que des le douzieme siecle il y avoit au châtelet des conseillers & que le prevôt de Paris en commettoit deux d’entr’eux pour entendre les causes légeres dans les basses auditoires du châtelet, après qu’ils avoient assisté à l’audience du siege d’en haut avec lui ; on les appelloit aussi auditeurs de témoins, & enquêteurs ou examinateurs, parce qu’ils faisoient les enquêtes, & examinoient les témoins.

Le commissaire de la Mare, en son traité de la police, prétend que S. Louis, lors de la réforme qu’il fit du châtelet, élut des auditeurs, & voulut qu’ils fussent pourvûs par le prevôt ; que ce fut lui qui sépara la fonction des auditeurs de celle des enquêteurs & examinateurs de témoins. Il est cependant vrai de dire que les auditeurs firent encore pendant quelque tems la fonction d’examinateurs de témoins ; que les uns & les autres n’étoient point des officiers en titre, & que ce n’étoient que des commissions momentannées que le prevôt de Paris donnoit ordinairement à des conseillers.

En effet, l’ordonnance de Philippe-le-Bel, du mois de Novembre 1302, fait mention que les auditeurs de témoins étoient anciennement choisis par le prevôt de Paris, lorsque cela étoit nécessaire ; que Philippe-le-Bel en avoit ensuite établis en titre ; mais par cette ordonnance il les supprima, & laissa au prevôt de Paris la liberté d’en nommer comme par le passé, selon la qualité des affaires. Il y en avoit ordinairement deux.

Cette même ordonnance prouve qu’ils avoient déja quelque jurisdiction ; car on leur défend de connoître du domaine du roi, & de terminer aucun gros méfait, mais de le rapporter au prevôt de Paris ; & il est dit que nul auditeur, ni autre officier ne sera pensionnaire en la vicomté de Paris.

Par des lettres de Philippe le Bel du 18 Décembre 1311, il leur fut défendu & à leurs clercs ou greffiers de s’entremettre en la fonction d’examinateurs ; & dans la sentence du châtelet, les auditeurs & conseillers qui avoient été appellés, sont dits tous du conseil du roi au châtelet.

Suivant une autre ordonnance du premier Mai 1313, ils choisissoient avec le prevôt de Paris les examinateurs & les clercs ou greffiers ; ils ne devoient juger aucune cause où il fût question d’héritages, ni de l’état des personnes, mais seulement celles qui n’excéderoient pas soixante sols ; tous procès pouvoient s’instruire devant eux, & quand ils étoient en état d’être jugés, ils les envoyoient au prevôt, & celui-ci leur renvoyoit les frivoles amendemens ou appels qui étoient démandés de leurs jugemens.

Le reglement fait pour le châtelet en 1327, porte qu’ils feront continuelle résidence en leur siege du châtelet, s’ils n’ont excuse légitime ; qu’en ce cas le prevôt les pourvoira de lieutenans ; que ni eux, ni leurs lieutenans ne connoitront de causes excédantes 20 liv. parisis, ni pour héritages ; qu’ils ne donneront ni decrets ni commissions signés, sinon ès causes de leur compétence ; qu’on ne pourra prendre un défaut en bas devant les auditeurs, dans les causes commencées en haut devant le prevôt, & vice versâ ; qu’on ne pourra demander au prevôt l’amendement d’une sentence d’un auditeur, pour empêcher l’exécution par fraude, à peine de 40 s. d’amende que le prevôt pourra néanmoins diminuer ; qu’il connoitra sommairement & de plano de cet amendement ; enfin que les auditeurs entreront au siege, & se leveront comme le prevôt de Paris.

On voit par une ordonnance du roi Jean, du mois de Février 1350, qu’ils avoient inspection sur les métiers & marchandises, & sur le sel ; qu’au défaut du prevôt de Paris, ils étoient appellés avec les maîtres des métiers pour connoître la bonté des marchandises amenées à Paris par les forains ; que dans le même cas ils avoient inspection sur les bouchers & chandeliers, élisoient les jurés de la marée & du poisson d’eau douce, & avoient inspection sur eux ; qu’ils élisoient pareillement les quatre prud’hommes qui devoient faire la police sur le pain.

Dans des lettres du même roi de 1354, un des auditeurs est aussi qualifié de commissaire sur le fait de la marée.

Charles V. par une ordonnance du 19 Octobre 1364, enjoint aux chirurgiens de Paris, qui panseront des blessés dans des lieux saints & privilégiés, d’avertir le prevôt de Paris ou les auditeurs. La même chose leur fut enjointe en 1370.

Un autre reglement que ce même prince fit en Septembre 1377, pour la jurisdiction des auditeurs, porte que dorénavant ils seroient élus par le roi ; qu’ils auront des lieutenans ; que leurs greffiers demeureront avec eux, & prêteront serment entre les mains du prevôt de Paris & des auditeurs ; que ceux-ci répondront de leur conduite ; que le produit du greffe ne sera plus affermé (comme cela se pratiquoit aussi bien que pour les offices d’auditeurs) ; que ces derniers & leurs lieutenans viendront soir & matin au châtelet ; qu’ils y assisteront avec le prevôt ou son lieutenant, pour les aider à conseiller & à délivrer le peuple, jusqu’à ce qu’il soit heure qu’ils aillent dans leur siege des auditeurs, pour l’expédition des causes des bonnes gens qui auront affaire à eux ; que les procès où il ne s’agira pas de plus de 20 sols, ne pourront être appointés.

Joly, en son traité des offices, observe à cette occasion que les auditeurs assistoient aux grandes causes & aux jugemens que rendoit le prevôt de Paris, ou son lieutenant civil, depuis sept heures du matin jusqu’à dix, & que depuis dix jusqu’à midi, ils descendoient ès basses auditoires où ils jugeoient seuls, & chacun en leur siege singulier ; qu’en l’absence du lieutenant civil ils tenoient la chambre civile ; qu’ils recevoient les maîtres de chaque métier, & que les jurés prêtoient serment devant eux.

On voit encore dans des lettres de Charles V. du 16 Juillet 1378, que les deux auditeurs du châtelet furent appellés avec plusieurs autres officiers pour le choix des quarante procureurs au châtelet.

D’autres lettres du même prince, du 19 Novembre 1393, nomment les avocats auditeurs & examinateurs, comme formant le conseil du châtelet que le prevôt avoit fait assembler pour délibérer avec eux si l’on ne fixeroit plus le nombre des procureurs au châtelet, comme cela fut arrêté & ordonné.

Il est encore parlé des auditeurs dans deux ordonnances de Charles VIII. du 23 Octobre 1485, qui rappellent plusieurs reglemens faits précédemment à leur sujet. L’une de ces ordonnances porte de plus qu’ils auront 60 liv. parisis de gages ; qu’ils seront conseillers du roi au châtelet, & prendront chacun la pension accoutumée ; qu’ils ne seront point avocats, procureurs, ni conseillers d’autres que du roi ; qu’ils ne souffriront point que les clercs des procureurs occupent devant eux.

A ce propos, il faut observer qu’autrefois il y avoit douze procureurs en titre aux auditeurs ; on les appelloit les procureurs d’en bas ; ils avoient aussi un greffier, un receveur des épices, deux huissiers, deux sergens, & tous ces officiers se disoient officiers du châtelet. Voyez Joly, des offices, tit. des auditeurs. Présentement il n’y a plus de procureurs aux auditeurs, ce sont les parties elles-mêmes qui y plaident, ou les clercs des procureurs ; la plûpart des autres officiers ont aussi été supprimés.

Par un arrêt du parlement du 7 Février 1494, rendu entre les auditeurs & le lieutenant criminel, il fut ordonné que les auditeurs connoitroient des crimes incidens, & qu’ils pourroient rapporter & juger en la chambre du conseil avec les lieutenans & conseillers du châtelet.

La jurisdiction des auditeurs fut confirmée par l’ordonnance de Louis XII. du mois de Juillet 1499, portant défenses aux procureurs de traduire les causes des auditeurs devant le lieutenant civil, avec injonction au lieutenant civil de les renvoyer aux auditeurs.

Les deux sieges des auditeurs furent réunis en un, par arrêt du parlement du 18 Juin 1552, portant que le, deux auditeurs tiendroient le siege alternativement chacun pendant trois mois ; que l’autre assisteroit pour conseil à celui qui seroit au siege, & que les émolumens seroient communs entr’eux.

François I. donna en 1543 un edit, portant que les sentences des auditeurs seroient exécutées jusqu’à 20 liv. parisis & au destous, & les dépens à quelque somme qu’ils se puissent monter, nonobstant opposition ou appellation quelconque : un arrêt du parlement du mois de Novembre 1553, portant vérification de cet édit entre les auditeurs, lieutenans & conseillers du châtelet, ordonna de plus que les auditeurs pourroient prendre des épices pour se jugement des procès pendans pardevant eux.

Charles IX. confirma les auditeurs dans leur jurisdiction jusqu’à 25 liv. tournois, par une déclaration du 16 Juillet 1572, qui fut vérifiée en 1576 ; leur jurisdiction fut encore confirmée par un arrêt du 14 Avril 1620, que rapporte Joly, Jan. 1629, ordonnance de Louis XIII. art. 116, « les auditeurs établis au châtelet de Paris, pourront juger sans appel jusqu’à 100 sols entre mercénaires, serviteurs & autres pauvres personnes, & les dépens seront liquidés par même jugement sans appel. »

Lors de la création du nouveau châtelet en 1674, on y établit deux auditeurs comme dans l’ancien châtelet, de sorte qu’il y en avoit alors quatre ; il y eut une déclaration le 6 Juillet 1683, qui en fixa le nombre à deux, & porta jusqu’à 50 liv. leur attribution qui n’étoit jusqu’alors que de 25 liv.

Enfin, au mois d’Avril 1685, il y eut un édit qui supprima les deux juges-auditeurs reservés par la déclaration de 1683 ; & en créa un seul avec la même attribution de 50 l. On a aussi supprimé plusieurs autres offices qui avoient été créés pour ce même siege.

Le juge-auditeur tient son audience au châtelet, près le parquet ; on assigne devant lui à trois jours ; l’instruction y est sommaire ; il ne peut entendre de témoins qu’à l’audience ; il doit juger tout à l’audience, ou sur pieces mises sur le bureau, sans ministere d’avocat & sans épices ; il ne peut prendre que cinq sols pour chaque sentence définitive.

L’appel de ses sentences doit être relevé dans quinzaine, & porté au présidial où il est jugé en dernier ressort. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race ; Joly, des offices ; le traité de la police ; le dictionn. des arrét s, au mot, Auditeur, & les réglemens de justice. (A)

Juge banneret, est le nom que l’on donne en certains pays aux juges de seigneurs, comme dans le ressort du parlement de Toulouse. M. d’Olive, en ses actions forenses, troisieme partie, actions, rapporte un arrêt de son parlement, du 29 Août 1614, qui adjuge la préséance au juge-banneret sur le juge royal de la plus prochaine ville, parce que l’église étoit dans la justice du juge-banneret.

On donne aussi ce même nom aux juges des seigneurs dans la principauté souveraine de Dombes.

Ce nom peut venir de ce que ces juges ont été créés à l’instar des douze bannerets qui étoient établis à Rome, pour avoir chacun l’inspection sur leur quartier ; ou bien ce nom vient de ce que chaque juge a son ban ou territoire. (A)

Juge bas-justicier, est celui qui exerce la basse-justice. Voyez Justice basse. (A)

Juges bottés, quelques personnes entendent par-là des juges qui rendent la justice sans aucun appareil, & pour ainsi dire militairement ; mais dans la vérité ce sont les officiers de cavalerie & de dragons, qui assistent aux conseils de guerre, lesquels, suivant l’ordonnance du 25 Juillet 1665, doivent avoir leurs bottes ou bottines pour marque de leur état, comme les officiers d’infanterie doivent avoir leur hausse-col. (A)

Juge cartulaire ou chartulaire, on donne ce titre à certains juges établis pour connoître de l’exécution des actes passés sous leur scel & sous les rigueurs de leur cour.

Par exemple, selon le style nouveau, imprimé à Nimes en 1659, fol. 180, le juge des conventions de Nimes, établi par Philippe III. en 1272, est juge chartulaire, ayant scel royal, authentique & rigoureux, comme celui du petit-scel de Montpellier, scel-mage de Carcassonne, siege de Saint-Marcellin en Dauphiné. Il connoît seulement des exécutions faites en vertu des obligations passées aux forces & rigueurs de sa cour, & aux sens de contraindre les débiteurs à payer & satisfaire ce à quoi ils sont obligés, par saisie & vente de leurs biens, capture & détention de leurs personnes, (si à ce se trouvent soumis). Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race, tom. II. p. 232, aux notes.

On donne aussi quelquefois le titre de juge cartulaire aux notaires, parce qu’en effet leurs fonctions participent en quelque chose de celles du juge ; ils reçoivent les affirmations des parties, & leur donnent acte de leurs dires & réquisitions ; il est même d’usage en quelques provinces, dans les actes passés devant notaire, de dire en parlant des obligations consenties par les parties, dont nous les avons jugés & condamnés de leur consentement ; mais alors c’est moins le notaire qui parle que le juge, dont le nom est intitulé au commencement de l’acte, les notaires n’étant dans leur origine que les greffiers des juges. Voyez Loyseau, des offices, livre I. chap. jv. n. 24. le jurisconsulte cartulaire, & au mot Notaire. (A)

Juge civil, est celui qui connoît des matieres civiles, à la difference des juges criminels qui ne connoissent que des matieres criminelles. Il y a des juges qui sont tout à la fois juges civils & criminels ; dans d’autres tribunaux, ces deux fonctions sont séparées. Voyez Juge criminel. (A)

Juge commis, est celui qui n’a pas la jurisdiction ordinaire, mais qui est seulement commis pour juger certaines personnes ou certains cas privilégiés, tels que les requêtes de l’hôtel ou du palais pour les commensaux de la maison du roi & autres personnes qui jouissent du droit de committimus. Voyez Commensaux, Committimus, Privilégiés, Requêtes de l’hostel et du palais. (A)

Juge compétent est celui qui a qualité & pouvoir pour connoître d’une affaire. Voyez Compétence & Incompétence. (A)

Juge comtal, est celui qui rend la justice attachée à un comté. (A)

Juge conservateur, voyez Conservateur & Conservation.

Juge consul, voyez Consuls.

Juge criminel, est celui qui est établi singulierement pour connoître des matieres criminelles ; tels sont les présidens & conseillers qui sont de service à la tournelle ou chambre criminelle dans les cours & autres tribunaux, les lieutenans criminels, & les lieutenans criminels de robe-courte, les prevôts des maréchaux, leurs assesseurs. Voyez ci-devant Juge civil. (A)

Juge délégué est celui qui est commis par le prince, ou par une cour souveraine, pour instruire & juger un différend.

Les juges inférieurs ne peuvent pas déléguer à d’autres leur jurisdiction ; ils peuvent seulement commettre un d’entre eux pour entendre des témoins, ou pour faire une descente, un procès-verbal, &c.

Le juge délégué ne peut pas subdéléguer, à moins qu’on ne lui en ait donné le pouvoir, comme les commissaires départis par le roi dans les provinces, lesquels sont proprement des juges délégués pour certains objets, avec pouvoir de subdéléguer. Voyez Délégation.

En matiere ecclésiastique le pape & les évêques déleguent en certains cas des juges. Le pape en commet, en cas d’appel au saint siége. On les appelle juges délégués in partibus, parce que ce sont des commissaires que le pape délegue dans le royaume, & spécialement dans le diocese d’où l’on a interjetté appel au saint siége. Car c’est une de nos libertés, que de n’être pas obligé d’aller plaider hors le royaume.

Il y a aussi des juges délégués par le pape, pour fulminer des rescrits, ou donner des visa. Ceux-ci ne dépendent pas du choix du pape ; il doit toujours commettre l’évêque du lieu, ou son official.

On peut appeller de nouveau au saint siége de la sentence des juges délégués. par le Pape. Voyez aux décretales le tit. de officio & potestate judicis delegati.

Les évêques sont aussi obligés de déléguer des juges en certain cas, comme quand ils donnent des lettres de vicariat à un conseiller clerc du parlement, pour juger conjointement avec la cour certaines causes où il peut y avoir quelque chose appartenant à sa jurisdiction ecclésiastique. Voyez Fevret, Traité de l’abus, liv. IV. chap. ij. D’Héricourt, en ses Loix ecclésiastiques, part. I. chap. ix. (A)

Juge du délit, est celui qui a droit de prendre connoissance d’un délit ou affaire criminelle, soit comme juge ordinaire du lieu où le délit a été commis, soit comme juge de la personne, en conséquence de quelque privilége, soit enfin à cause d’une attribution particuliere qui est faite à ce juge de certaines matieres. Voyez Crime, Délit. (A)

Juge en dernier ressort, est celui des jugemens duquel on ne peut pas appeller à un juge supérieur. Tels sont les présidiaux au premier chef de l’édit, & plusieurs autres juges royaux auxquels les ordonnances attribuent le droit de juger certaines causes en dernier ressort ; comme les consuls jusqu’à 500 francs. Les cours souveraines sont aussi des juges en dernier ressort : mais tous les juges en dernier ressort n’ont pas le titre éminent de cours souveraines. V. Cour & Ressort. (A)

Juge du domicile, est le juge ordinaire du lieu où le défendeur a son domicile. (A)

Juge ducal, est celui qui rend la justice pour un duc, tels que les juges de la barre ducale de Mayenne. (A)

Juge d’église, est celui qui exerce la jurisdiction ecclésiastique contentieuse de quelque église, monastere ou bénéficier.

Les officiaux sont des juges d’église. Voyez Jurisdiction ecclésiastique, & Official. (A)

Juge d’épée, est celui qui siége l’épée au côté, lorsqu’il rend la justice. Anciennement ceux qui rendoient la justice étoient tous gens d’épée, & siégeoient l’épée au côté : mais vers l’an 1288, ou au plus tard en 1312, on quitta l’épée au parlement & par-tout ailleurs ; de maniere que les chevaliers, les barons, les pairs, & les princes mêmes, siégeoient au parlement sans épée ; le roi étoit le seul qui ne quittât jamais la sienne. Mais depuis 1551 on commança à se relâcher de ce réglement, le roi ayant voulu que les princes du sang & les pairs, le connétable, les maréchaux de France & l’amiral, pussent en son absence porter l’épée au parlement.

Les maréchaux de France siégent aussi l’épée au côté, dans leur tribunal du point d’honneur & dans celui de la connétablie.

Les autres juges d’épée sont les officiers tenant conseil de guerre, les chevaliers d’honneur, le prevôt de Paris & les baillifs d’épée, les grands maîtres des eaux & forêts & les maîtres particuliers, & quelques autres officiers auxquels on a accordé le droit de siéger l’épée au côté. (A)

Juge des exempts, est le nom qui fut donné à certains officiers établis dans les appanages des princes, pour y connoître au nom du roi des cas royaux, des causes des églises de fondation royale, des affaires des privilégiés, & de tous les cas dont les officiers royaux connoissent par prévention, dans les terres & provinces données en appanage. On en trouve un exemple dans les lettres patentes de Charles IX. de l’an 1566, pour les appanages des ducs d’Anjou & d’Alençon ses freres. La même chose fut pratiquée pour Montargis, lorsque le duché d’Orléans fut donné en appanage, & encore en d’autres occasions. Voyez Exempts & Jurisdiction des exempts. (A)

Juge extraordinaire, seu quasi extra ordinem naturalem, est celui qui n’a pas la jurisdiction ordinaire ; mais seulement une jurisdiction d’attribution, tels que les cours des aydes, élections, greniers à sel, tables de marbre, maîtrises, les consuls ; ou comme les juges de privilége, tels que des requêtes de l’hôtel & du palais, le prevôt de l’hôtel, les juges conservateurs des priviléges des foires, & ceux des universités. Voyez Juge d’attribution, Juge ordinaire & Juge de privilége. (A)

Juge fiscal, appellé judex fiscalis, & quelquefois fiscalis simplement, étoit un juge royal, mais d’un ordre inférieur. On l’appelloit fiscalis, parce qu’il exerçoit sa jurisdiction dans les terres fiscales & appartenantes au roi en propriété ; ou, comme dit Loyseau, parce qu’il étoit établi, non par le peuple, mais par le roi, qui a vraiment seul le droit de fisc. Il en est parlé dans la loi des Ripuariens, tit. xxxij. §. 3. tit. li. §. 1. & tit. liij. §. 1. Il paroît que l’on donnoit ce titre aux comtes particuliers des villes, pour les distinguer des grands du royaume, qui étoient juges dans un ordre plus éminent. Ces juges fiscaux tenoient probablement la place des juges pedanées. Voyez le Glossaire de Ducange, au mot Judex fiscalis ; & Loyseau, des Seig. ch : xvj. n. 55. (A)

Juge gruyer. Voyez Gruyer & Grurie.

Juge haut justicier, est celui qui exerce la haute justice. On entend quelquefois par-là un juge haut, moyen & bas justicier, suivant la maxime que in majori, minus inest ; quelquefois aussi ces termes s’entendent strictement d’un juge qui n’a que la haute justice seulement, la moyenne & la basse étant exercées par un autre juge. (A)

Juge haut, moyen et bas justicier, est celui qui réunit en lui le pouvoir de la haute, moyenne & basse justices. (A)

Juge immédiat, est celui qui a droit de connoître directement d’une affaire, sans qu’elle vienne par appel d’un autre tribunal. On ne peut appeller d’un juge à un autre omisso medio, si ce n’est en matiere criminelle ou en en cas d’appel, comme de juge incompétent, & déni de renvoi. (A)

Juge incompétent, est celui qui ne peut connoître d’une affaire, soit parce qu’il n’est pas le juge des parties, ou parce que l’affaire est de nature à être attribuée spécialement à quelque autre juge. Voyez Compétence, Juge compétent & Incompétence. (A)

Juge inférieur, est celui qui en a un autre au-dessus de lui. Cette qualité est relative ; car le même juge peut être inférieur à l’égard de l’un, & supérieur à l’égard de l’autre : ainsi les baillifs & sénéchaux sont juges supérieurs à l’égard des juges de seigneurs, & ils sont juges inférieurs à l’égard du parlement. (A)

Juge laïc ou Séculier, est celui qui exerce la jurisdiction séculiere. Il y a des clercs admis dans les tribunaux séculiers qui néanmoins sont considérés comme jugés laïcs, en tant qu’ils sont membres d’un tribunal séculier. On comprend sous ce terme de juge laïc tous les juges royaux, municipaux & seigneuriaux.

La qualité de juge laïc est opposée à celle de juge d’église. Voyez Juge d’Eglise & Juge royal.

Juge des lieux, est celui qui a la justice ordinaire dans le lieu du domicile des parties, ou dans le lieu où sont les choses dont il s’agit, ou dans lequel s’est passé le fait qui donne lieu à la contestation. Voyez Juge du domicile & Juge du délit. (A)

Juge-mage ou maje, quasi judex major, & qu’en effet on appelle en quelques endroits grand juge, signifie naturellement le premier juge du tribunal. Néanmoins dans le Languedoc on donne ce nom au lieutenant des sénéchaux. Dans quelques villes il y a un juge-maje, qui est le premier officier de la jurisdiction, comme à Cluny. (A)

Juge moyen justicier, est celui qui n’exerce que la moyenne justice. Voyez Justice moyenne. (A)

Juge moyen et bas justicier, est celui qui réunit en lui le pouvoir de la moyenne & de la basse justices. Voyez Basse justice & Moyenne justice. (A)

Juge sans moyen, est celui qui a droit de connoître d’une affaire en premiere instance, ou qui en connoît par appel, sans qu’il y ait entre lui & le juge à quo aucun autre juge intermédiaire. (A)

Juge municipal, est celui qui exerce la justice ou quelque partie d’icelle dont l’administration est confiée aux corps de ville. On a appellé ces juges municipaux du latin municipium, qui étoit le nom que les Romains donnoient aux villes qui avoient le privilége de n’avoir d’autres juges & magistrats que de leurs corps ; & comme par succession de tems le peuple, & ensuite les empereurs accorderent la même prérogative à presque toutes les villes, ce nom de municipium fut aussi donné à toutes les villes, & tous leurs officiers furent appellés municipaux.

Chaque ville à l’imitation de la république romaine, formoit une espece de petite république particuliere, qui avoit son fisc & son conseil ou sénat qu’on appelloit curiam ou senatum minorem, lequel étoit composé des plus notables citoyens. On les appelloit quelquefois patres civitatum, & plus ordinairement curiales ou curiones, seu decuriones, parce qu’ils étoient chefs chacun d’une dixaine d’habitans. Le conseil des villes étoit probablement composé des chefs de chaque dixaine. Cette qualité de décurion devint dans la suite très-onéreuse, sur-tout à cause qu’on les rendit responsables des deniers publics. Il ne leur étoit pas permis de quitter pour prendre un autre état, & l’on contraignoit leurs enfans à remplir la même fonction ; on la regarda même enfin comme une peine à laquelle on condamnoit les délinquans. L’empereur Léon supprima les décurions & les conseils de ville.

Les décurions n’étoient pas tous juges ni magistrats ; mais on choisissoit entre eux ceux qui devoient remplir cette fonction.

Dans les villes libres appellées municipia, & dans celles que l’on appelloit coloniæ, c’est-à-dire, où le peuple romain avoit envoyé des colonies, lesquelles furent dans la suite confondues avec celles appellées municipia ; ceux qui étoient chargés de l’administration de la justice étoient appellés duum-viri, parce qu’ils étoient au nombre de deux. Ceux qui étoient chargés des affaires communes étoient nommés ædiles. Les duumvirs avoient d’abord toute la jurisdiction ordinaire indéfiniment ; mais dans la suite ils furent restraints à ne juger que jusqu’à une certaine siomme, & il ne leur étoit pas permis de prononcer des peines contre ceux qui n’auroient pas déféré à leurs jugemens.

Les villes d’Italie qui avoient été rebelles au peuple romain n’avoient point de justice propre ; on y envoyoit des magistrats de Rome appellés præfecti ; elles-avoient seulement des officiers de leur corps appellés ædiles. Ces officiers exerçoient la menue police, & pouvoient infliger aux contrevenans de légeres corrections & punitions, mais c’étoit sans figure de procès.

Enfin dans toutes les villes des provinces non libres ni privilégiées, il y avoit un officier appellé défensor civitatis, dont l’office duroit cinq ans. Ces défenseurs des cités étoient chargés de veiller aux intérêts du peuple, & de diverses autres lois. Mais au commencement ils n’avoient point de jurisdiction ; cependant en l’absence des présidens des provinces, ils s’ingererent peu à peu de connoître des causes légeres, sur-tout inter volentes : ce qui ayant paru utile & même nécessaire pour maintenir la tranquilité parmi le peuple, les empereurs leur attribuerent une jurisdiction contentieuse jusqu’à 50 sols.

Les gouverneurs de provinces, pour diminuer l’autorité de ces défenseurs des cités, firent si bien qu’on ne choisissoit plus pour remplir cette place que des gens de basse condition, & même en quelques endroits ils mirent en leur place des juges pédanées. Ce qui fut réformé par Justinien, lequel ordonna par sa Novelle 15, que les plus notables des villes seroient choisis tour à tour pour leurs défenseurs, sans que les gouverneurs pussent commettre quelqu’un de leur part à cette place ; & pour la rendre encore plus honorable, il augmenta leur jurisdiction jusqu’à 300 sols, & ordonna qu’au dessous de cette somme on ne pourroit s’adresser aux gouverneurs, sous peine de perdre sa cause, quoiqu’auparavant les défenseurs des cités ne jugeassent que concurremment avec eux : il leur attribua même le pouvoir de faire mettre leurs sentences à exécution ; ce qu’ils n’avoient pas eu jusqu’alors, non plus que les juges pédanées. Mais il réduisit le tems de leur exercice à deux années au lieu de cinq.

Il n’y eut donc par l’évenement d’autre différence entre les duumvirs & les défenseurs des cités, sinon que les premiers étoient établis dans les villes privilégiées & choisis dans leur conseil ; aulieu que les défenseurs des cités étoient préposés dans toutes les villes de province où il n’y avoit point d’autres officiers de justice populaire, & étoient choisis indifféremment dans tout le peuple.

Les juges municipaux avoient le titre de magistrats ; leurs fonctions étoient annales, ou pour un autre tems limité : ceux qui sortoient de charge nommoient leurs successeurs, desquels ils étoient garants.

César & Strabon remarquent que les Gaulois & les Allemands s’assembloient tous les ans pour élire les principaux des villes pour y rendre la justice.

C’est de-là que plusieurs villes de la Gaule Belgique ont conservé la justice ordinaire jusqu’à l’ordonnance de Moulins, laquelle art. 71 a ôté aux villes la justice civile, & leur a seulement laissé la connoissance de la police & du criminel. Ce qui n’a cependant point été exécuté par tout, y ayant encore plusieurs villes, sur-tout dans la Gaule Belgique, où les maires & échevins ont la justice ordinaire. Voyez au mot Echevins & Echevinage.

Sous Charlemagne & ses successeurs, les comtes établis par le roi dans chaque ville jugeoient avec les échevins, qui étoient toujours juges municipaux.

Présentement dans la plupart des villes les juges municipaux ont pour chef l’un d’entre eux, qu’on appelle prevôt des marchands, maire, bayle ; ailleurs ils sont tous compris sous un même titre, comme les capitouls de Toulouse, les jurats de Bordeaux.

Dans toute la France Celtique & Aquitanique, les juges municipaux ne tiennent leur justice que par concession ou privilége ; ils n’ont communément que la basse justice ; en quelques endroits on leur a attribué la police, en d’autres ils n’en ont qu’une partie, comme à Paris, où ils n’ont la police que de la riviere & des ports, & là connoissance de tout ce qui concerne l’approvisionnement de Paris par eau.

Quoique les consuls prennent le titre de juges & consuls établis par le roi, ils ne sont en effet que des juges municipaux, étant élus par les marchands entre eux, & non pas nommés par le roi. Voyez Consuls.

Les élus ou personnes qui étoient choisies par le peuple pour connoître des aides, tailles & autres subsides, étoient aussi dans leur origine des officiers municipaux : mais depuis qu’ils ont été créés en titre d’office, ils sont devenus juges royaux. Voyez Loyseau, Traité des seigneuries, chap. xvj. (A)

Juges des Nobles ; ce sont les baillifs & sénéchaux, & autres juges royaux ressortissans sans moyen au parlement, lesquels connoissent en premiere instance des causes des nobles & de leurs tuteles, curateles, scellés & inventaires, &c. Voyez l’édit de Cremieu, art. 6. (A)

Juge ordinaire ; est celui qui est le juge naturel du lieu, & qui a le plein exercice de la jurisdiction, sauf ce qui peut en être distrait par attribution ou privilege, à la différence des juges d’attribution ou de privileges, & des commissaires établis pour juger certaines contestations, lesquels sont seulement juges extraordinaires. Voyez ci-devant Juge extraordinaire. (A)

Juges sous l’orme, sont ceux qui n’ayant point d’auditoire fermé, rendent la justice dans un carrefour public sous un orme. Cette coûtume vient des Gaulois, chez lesquels les druides rendoient la justice dans les champs, & particulierement sous quelque gros chêne, arbre qui étoit chez eux en grande vénération. Dans une ancienne comédie gauloise latine, intitulée Querolus, il est dit en parlant des Gaulois qui habitoient vers la riviere de Loire, ibi sententiæ capitales de robore proferuntur ; les François en usoient autrefois communément de même ; une vieille charte de l’Abbaye de S. Martin de Pontoise, anciennement dite S. Germain, qui est la 131 de leur chartulaire, dit, hæc omnia renovata sunt sub ulmo ante ecclesiam beati Germani, ipso Hugone & filio suo Roberto majore audientibus. Joinville en la premiere partie de son histoire, dit que le roi saint Louis alloit souvent au bois de Vincennes, où il rendoit la justice, étant assis au pié d’un chêne. La coûtume de rendre la justice sous l’orme dans les villages, vient de ce que l’on plante ordinairement un orme dans le carrefour où le peuple s’assemble. Il y a encore plusieurs justices seigneuriales où le juge donne son audience sous l’orme.

Dans le village de la Bresse en Lorraine, bailliage de Remiremont, la justice se rend sommairement sous l’orme par le maire & les élus ; cette justice doit être sommaire ; en effet, l’art. 32 des formes anciennes de la Bresse, porte qu’il n’est loisible à personne plaider par-devant ladite justice, former, ou chercher incident frivole & superflu, ains faut plaider au principal, ou proposer autres fins pertinentes, afin que la justice ne soit prolongée. La défense de former des incidens frivoles & superflus dont être commune à tous les tribunaux, même du premier ordre, où la justice est mieux administrée que dans les petites jurisdictions. Il seroit même à souhaiter que dans tous les tribunaux on pût rendre la justice aussi sommairement qu’on la rend dans ces justices sous l’orme ; mais cela n’est pas pratiquable dans toutes sortes d’affaires. Voyez les opuscules de Loisel, pag. 72. Bruneau, traité des Criées, pag. 20. Les mémoires sur la Lorraine, pag. 193. (A)

Juge de Pairie ; est celui qui rend la justice dans un duché ou comté pairie, ou dans quelque autre terre érigée à l’instar des pairies ; ces sortes de juges ne sont pas juges royaux, mais seulement juges de seigneuries, ayant le titre de pairie ; la principale prérogative de ces justices est de ressortir sans moyen au parlement. Voyez Pairie. (A)

Juges in partibus, est la même chose que commissaires ad partes ; ce sont des juges que le pape est obligé de déléguer en France lorsqu’il y a appel du primat au saint siége ; une des libertés de l’Eglise Gallicane étant que les sujets du roi ne sont point obligés d’aller plaider hors le royaume. Voyez ci-devant Juge délégué. (A)

Juge pédanée, judex pedaneus, étoit le nom que l’on donnoit chez les Romains à tous les juges des petites villes, lesquels n’étoient point magistrats, & conséquemment n’avoient point de tribunal ou prétoire ; quelques-uns croyent qu’ils furent ainsi appellés, parce qu’ils alloient de chez eux à pié au lieu destiné pour rendre la justice, au lieu que les magistrats alloient dans un chariot ; d’autres croyent qu’on les appella juges pédanées, quasi stantes pedibus, parce qu’ils rendoient la justice debout ; mais c’est une erreur, car ils étoient assis ; toute la différence est qu’ils n’étoient point sur des siéges élevés, comme les magistrats ; mais in subselliis ; c’est-à-dire sur de bas siéges ; de maniere qu’ils rendoient la justice de plano, seu de plano pede ; c’est-à-dire que leurs piés touchoient à terre ; c’est pourquoi on les appella pedanei, quasi humi judicantes.

On ne doit pas confondre avec les juges pédanées les sénateurs pédaniens ; on donnoit ce nom aux sénateurs qui n’opinoient que pedibus ; c’est-à-dire en se rangeant du côté de celui à l’avis duquel ils adhéroient.

Les empereurs ayant défendu aux magistrats de renvoyer aux juges délégués autre chose que la connoissance des affaires légeres, ces juges délégués furent nommés juges pédanées.

L’empereur Zenon établit des juges pédanées dans chaque siége de province, comme il est dit en la novelle 82, thap. j. & Justinien, à son imitation, par cette même novelle, érigea en titre d’office dans Constantinople, sept juges pédanées, à l’instar des défenseurs des cités qui étoient dans les autres villes, & au lieu qu’ils n’avoient coutume de connoître que jusqu’à 50 sols (qui valoient 50 écus) ; il leur attribua la connoissance jusqu’à 300.

L’appel de leurs jugemens ressortissoit au magistrat qui les avoit délégués.

Parmi nous on qualifie quelquefois les juges de seigneurs & autres juges intérieurs, de juges pédanées. La coûtume d’Acqs. tit. ix. art. 43, parle des bayles royaux pédaniens, quasi pedanei.

Voyez Aulu Gelle & Festus ; Cujas sur la novelle 82. Loiseau, des offices, liv. I. chap. v. n. 52 & suiv. (A)

Juge de Police, est celui qui est chargé en particulier de l’exercice de la police ; tels sont les lieutenans de police ; en quelques endroits cette fonction est unie à celle de lieutenant général, ou autre principal juge civil & criminel ; dans d’autres elle est séparée & exercée par le lieutenant de police seul ; en quelques villes ce sont les maires & échevins qui ont la police. Voyez Echevin & Lieutenant de Police, Mairie & Police. (A)

Juge premier, n’est pas celui qui occupe la premiere place du tribunal, ni qui remplit le degré supérieur de jurisdiction ; c’est au contraire celui devant lequel l’affaire a été traitée, ou dû l’être en premiere instance avant d’être portée au juge supérieur. Ce n’est pas toujours celui qui remplit le dernier degré de jurisdiction, tel que le bas justicier qu’on appelle le premier juge. Un juge royal, & même un bail if ou sénéchal, est aussi qualifié de premier juge pour les affaires qui y devoient être jugées avant d’être portées au parlement ou autre cour supérieure. Voyez Appel, Juge d’appel, Juge a quo. (A)

Juges présidiaux, sont ceux qui composent un présidial & qui jugent présidialement ; c’est-à-dire conformément au pouvoir que leur donne l’édit des présidiaux, soit au premier ou au second chef, Voyez Présidial. (A)

Juge de privilege, est celui auquel appartient la connoissance des causes de certaines personnes privilegiées ; tels sont les requêtes de l’hôtel & du palais, qui connoissent des causes de ceux qui ont droit de committimus. Tel est aussi le grand-prevôt de l’hôtel, qui connoît des causes de ceux qui suivent la cour : tels sont encore les juges conservateurs des privileges des universités, & quelques autres juges semblables. Voyez Privilege.

Les juges de privilege, sont différens des juges d’attribution. Voyez ci-devant Juge d’attribution. (A)

Juge privé, est opposé à juge public : on entend par-là celui qui n’a qu’une jurisdiction domestique, familiere ou économique ; les arbitres sont aussi des juges privés ; on comprenoit aussi sous le terme de juges privés, tous les juges des seigneurs, pour les distinguer des juges royaux que l’on appelloit juges publics. Voyez ci-après Juge public. (A)

Juge public, judex publicus : on donnoit autrefois ce titre aux ducs & aux comtes, pour les distinguer des juges séculiers des évêques. Lettr. hist. sur le parlement, page 125. (A)

Juge ad quem : on se sert quelquefois de cette expression par opposition à celle de juge à quo, pour signifier le juge auquel l’appel doit être porté ; au lieu que le juge à quo est celui dont est appel. (A)

Juge a quo : on sous-entend à quo appellatur, ou appellatum est, est celui dont l’appel ressortit à un juge supérieur. On entend aussi par-là singulierement le juge dont la sentence fait actuellement la matiere d’un appel. Voyez Juge d’appel, Juge dont est appel, Juge ad quem. (A)

Juges de Robe-courte, sont ainsi appellés par opposition à ceux qui portent la robe longue ; ils siégent l’épée au côté, & néanmoins ne sont pas considérés comme juges d’épée, mais comme juges de robe, parce qu’ils portent en même tems une robe dont les manches sont fort courtes, & qui ne leur descend que jusqu’aux genoux ; tels sont les lieutenans criminels de robe-courte. Voyez Lieutenans-criminels, & au mot Robe-courte.

L’ordonnance d’Orléans porte que les baillifs & sénéchaux seront de robe-courte ; néanmoins dans l’usage, on ne les appelle pas des juges de robe-courte, mais des juges d’épée, attendu qu’ils ne portent point de robe-courte, comme les lieutenans-criminels de robe courte, mais seulement le manteau avec l’épée & la tocque garnie de plumes. (A)

Juges de robe longue, sont tous ceux qui portent la robe ordinaire, à la différence des juges d’épée & des juges de robe-courte. Voyez ci-devant Juges d’épée & Juges de robe-courte. (A)

Juge royal, est celui qui est établi & pourvu par le roi & qui rend la justice en son nom.

Toute justice en France est émanée du roi, soit qu’elle soit exercée par ses officiers ou par d’autres personnes qui en jouissent par privilege ou concession.

On distingue cependant plusieurs sortes de juges, savoir les juges royaux, les juges d’église, les juges de seigneur, & les juges municipaux.

L’établissement des juges royaux est aussi ancien que la monarchie.

Il y avoit aussi dès-lors des juges d’église & des juges municipaux dans quelques villes, principalement de la Gaule belgique ; pour ce qui est des juges de seigneur, leur premiere origine remonte jusqu’au tems que les offices & bénéfices furent institués, c’est-à-dire, lorsque nos rois distribuerent à leurs officiers les terres qu’ils avoient conquises ; mais ces officiers furent d’abord juges royaux ; ils ne devinrent juges de seigneurs, que lors de l’établissement des fiefs.

Les premiers juges royaux en France, furent donc les ducs & les comtes, tant du premier que du second ordre, qui avoient été établis par les Romains dans les provinces & dans les villes ; les grands officiers auxquels nos rois distribuerent ces gouvernemens prirent les mêmes titres ; ils étoient chargés de l’administration de la justice.

Mais les capitaines, lieutenans, & sous-lieutenans, auxquels on distribua le gouvernement des petites villes, bourgs, & villages, ne trouvant pas assez de dignité dans les titres que les Romains donnoient aux juges de ces lieux, de judices ordinarii, judices pedanei, magistri pagorum, conserverent les noms de centeniers, cinquantainiers, & dixainiers, qu’ils portoient dans les armées ; & sous ces noms rendoient la justice. On croit que c’est de-là que sont venus les trois degrés de haute, moyenne, & basse-justice, qui sont encore en usage dans les jurisdictions seigneuriales : cependant ces juges inférieurs étoient aussi d’abord juges royaux, de même que les ducs & les comtes.

Vers la fin de la seconde race, & au commencement de la troisieme race, les ducs, comtes, & autres officiers, se rendirent chacun propriétaires des gouvernemens qu’ils n’avoient qu’à titre d’office & de bénéfice. Ils se déchargerent alors d’une partie de l’administration de la justice sur des officiers qu’ils établirent en leurs noms ; & qui prirent indifféremment, selon l’usage de chaque lieu, les noms de vicomtes, prevôts, ou viguiers ; ceux des bourgs fermés, ou qui avoient un château, prirent le nom de châtelain, ceux des autres lieux prirent le nom de maires.

Les ducs & les comtes jugeoient avec leurs pairs l’appel des juges inférieurs, & les affaires de grand-criminel ; mais dans la suite ils se déchargerent encore de ce soin sur des officiers que l’on appella baillifs, & en d’autres endroits sénéchaux : mais ces baillifs & sénéchaux n’étoient d’abord que des juges de seigneurs.

A Paris, & dans les autres villes du domaine, qui étoient alors en très-petit nombre, le roi établissoit un prevôt royal pour rendre la justice en son nom. Ces prevôts royaux avoient d’abord la même autorité que les comtes & vicomtes qui les avoient précédés.

Le parlement qui étoit encore ambulatoire, avoit l’inspection sur tous ces juges ; nos rois des deux premieres races envoyoient en outre dans les provinces éloignées des commissaires appellés missi dominici, pour recevoir les plaintes que l’on pouvoit avoir à faire contre les seigneurs ou leurs officiers.

Les seigneurs se plaignant de cette inspection qui les ramenoit à leur devoir, on cessa pour un tems d’envoyer de ces commissaires ; mais au lieu de ces officiers ambulatoires, le roi créa quatre baillifs royaux permanens, dont le siége fut établi à Vermand, aujourd’hui Saint Quentin, à Sens, à Mâcon, & à Saint Pierre-le-Moutier.

Le nombre de ces baillifs fut augmenté à mesure que l’autorité royale s’affermit. Philippe-Auguste en 1190, en établit dans toutes les principales villes de son domaine, & tous ces anciens duchés & comtés ayant été peu-à-peu réunis à la couronne, les baillifs & sénéchaux, prevôts, & autres officiers qui avoient été établis par les ducs & comtes, devinrent juges royaux.

Il y eut cependant quelques seigneurs qui donnerent à leurs juges le titre de baillifs ; & pour les distinguer des baillifs royaux, ceux ci furent appellés baillici majores, & ceux des seigneurs baillici minores.

Le dernier degré des juges royaux, est celui des prevôts, châtelains, viguiers, maires, &c dont l’appel ressortit aux bailliages & sénéchaussées.

Quelques bailliages & sénéchaussées ont été érigés en présidiaux, ce qui leur donne un pouvoir plus étendu qu’aux autres.

L’appel des bailliages & sénéchaussées ressortit au parlement.

Outre les parlemens qui sont sans contredit le premier ordre des juges royaux, nos rois ont établi encore d’autres cours supérieures, telles que le grand-conseil, les chambres des comptes, les cours des aides, qui sont aussi des juges royaux.

Il y a des juges royaux ordinaires, d’autres d’attribution, & d’autres de privilege. Voyez Juge d’attribution, Juge ordinaire, Juge de privilege.

Tous juges royaux rendent la justice au nom du roi ; il n’y a cependant guere que les arrêts des cours qui soient intitulés du nom du roi ; les jugemens des autres sieges royaux sont intitulés du nom du baillif ou sénéchal de la province.

La connoissance des cas appellés royaux, appartient aux juges royaux, privativement à ceux des seigneurs.

Ils précedent en toutes occasions les officiers des seigneurs, excepté lorsque ceux-ci sont dans leurs fonctions.

Ils ne peuvent posséder aucun office dans la justice des seigneurs, à moins qu’ils n’ayent obtenu du roi des termes de compatibilité à cet effet. Voyez Baillifs, Comte, Cour, Présidiaux, Prevôt royal, Senéchal, Vicomté, Viguier . (A)

Juge Séculier, est celui qui est établi par le roi ou par quelqu’autre seigneur. Cette qualification est opposée à celle de juge d’église ou ecclésiastique. Voyez Juge d’église. (A)

Juge de Seigneur, est celui qui rend la justice au nom du seigneur qui l’a établi. On l’appelle aussi juge subalterne : Voyez Justice seigneuriale. (A)

Juge seigneurial, est la même chose que juge de seigneur. On l’appelle ainsi pour le distinguer du juge royal. Voyez Juge de seigneur, & Juge royal. (A)

Juge souverain, est celui qui est dépositaire de l’autorité souveraine pour juger en dernier ressort les contestations qui sont portées devant lui.

Les magistrats qui composent les cours sont des juges souverains.

Quelques tribunaux ont le même caractere à certains égards seulement, comme maîtres des requêtes de l’hôtel, lesquels dans les affaires qu’ils ont droit de juger souverainement, prennent le titre de juges souverains en cette partie.

Le caractere des juges souverains est plus éminent, & leur pouvoir plus étendu que celui des juges en dernier ressort ; les juges souverains étant les seuls qui puissent, selon les circonstances, faire céder la rigueur de la loi à un motif d’équité. Voyez Cours & Juge en dernier ressort. (A)

Juge Subalterne, signifie en général un juge inférieur qui en a un autre au-dessus de lui ; mais on donne ce nom plus communément aux juges de seigneurs relativement aux juges royaux qui sont au-dessus d’eux. Voyez Justice seigneuriale. (A)

Juge Subdélégué, est celui qui est commis par un juge qui est lui-même délégné. Voyez Juge délégué & subdélégué. (A)

Juge Supérieur, se dit quelquefois d’une cour souveraine, ou d’un magistrat qui en est membre.

Mais on entend aussi plus souvent par-là tout juge qui est au-dessus d’un autre. Ainsi le juge haut justicier est le juge supérieur du bas & du moyen justicier ; le bailli royal est le juge supérieur du juge seigneurial, de même que le parlement est le juge supérieur du bailli royal. Le terme de juge supérieur est opposé en ce sens à celui de juge inférieur. Voyez ci-devant Juge inférieur. (A)

Juges des traites ou des traites foraines, qu’on appelle aussi Maîtres des ports, sont des juges royaux d’attribution, qui connoissent en premiere instance tant au civil qu’au criminel, des contestations qui surviennent pour les droits qui se perçoivent sur les marchandises qui entrent ou qui sortent du royaume ; ils connoissent encore des marchandises de contrebande & de beaucoup de matieres qui regardent l’entrée & la sortie des personnes & des choses hors du royaume, suivant leur établissement.

Henri II. par des lettres patentes en forme d’édit, du mois de Septembre 1549, créa des maîtres des ports, lieutenans, & autres officiers, auxquels il attribua privativement à tous autres juges la connoissance & jurisdiction en premiere instance, non-seulement des droits anciens d’imposition foraine ou domaine forain, qui faisoient partie de l’appanage des rois & de la couronne, mais encore des droits qu’il établit nouvellement, aussi appellés droits d’imposition foraine sur les choses qui entrent & sortent & même sur les personnes qui pourroient également entrer ou sortir du royaume. L’article 15. de cet édit enjoint aux officiers desdits maîtres des ports, chacun en droit soi respectivement, d’envoyer de quartier en quartier, les états signés au vrai de leurs mains aux trésoriers de France, de ce qu’auront valu les droits de domaine forain & haut passage, & à l’égard de l’imposition foraine aux généraux des finances.

Cet édit fut adressé & vérifié au parlement ; mais comme les droits de l’imposition n’étoient point de sa compétence, l’arrêt d’enregistrement porte, lectâ publicatâ & registratâ, in quantum tetigit domanium, domini nostri regis audito procuratore generali.

Cette reserve ou forme d’enregistrement, se trouve dans plusieurs arrêts de vérification de cette cour ; ce qui prouve l’union & la fraternité qui regnoit entre ces deux cours également souveraines.

Le même roi Henri II. ayant institué en 1551 de nouveaux officiers & maîtres des ports, pour éviter la confusion dans la perception des droits de domaine forain & d’imposition foraine, établit des bureaux dans les différentes provinces du royaume.

Ces bureaux, dont le plus grand nombre tirent leur origine de cet édit, si l’on excepte celui de Paris, furent successivement connus sous le nom de bureaux des traites, à la reserve des trois qui sont connus par distinction sous le nom de douanne, soit par leur situation ou leur ancienneté, qui sont les bureaux des douannes de Paris, Lyon, & Valence.

L’on prétend que le nom de douanne, vient d’un terme bas-breton doen, qui signifie porter ; parce que l’on transporte dans ces bureaux toutes sortes de marchandises.

Les maîtres des ports furent confirmés dans leurs fonctions & établissement sous Louis XIV. par un édit du mois de Mars 1667, & furent indistinctement dénommés maîtres des ports, ou juges des traites.

Mais ce même prince, après avoir établi par ses ordonnances de 1680 & 1687, une jurisprudence certaine pour la perception des droits qui composent les fermes générales des gabelles, aydes, entrées, & autres y jointes, dont la connoissance appartient aux élus en premiere instance, & par appel à la cour des aydes, fixa & détermina pareillement des maximes concernant la perception des droits de sortie & d’entrée sur les marchandises & denrées par son ordonnance du mois de Février 1687, contenant 13 titres, dont le douzieme attribue la compétence & la connoissance de tous différends civils & criminels, concernant les droits de sortie & d’entrée, & ceux qui pourroient naître en exécution de ladite ordonnance, aux maîtres des ports & juges des traites en premiere instance, & par appel aux cours des aydes de leur ressort.

Cette même ordonnance prescrit aux juges la forme de procéder tant en premiere instance que sur l’appel. (A)