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Les cavaliers de Miss Pimbêche/Texte entier

La bibliothèque libre.
George E. Desbarats, éditeur (p. 1-94).


ESSAIS LITTERAIRES

ET

POÉTIQUES.


























Typographie de G. E. Desbarats.

LES CAVALIERS
DE
MISS PIMBÊCHE.
Esquisse de mœurs Canadiennes.

LES PERCE-NEIGE.
Essais Poétiques.
PAR
Emm. Blain de St. Aubin,
Asst.-Traducteur Français
à l’Assemblée Législative.

QUÉBEC
GEORGE E. DESBARATS. ÉDITEUR
Coin des rues Ste. Anne et des Jardins
1865
Droit de traduction réservé.Droit de traduction réservé.Droit de traduction réservé.


Enregistré conformément à l’Acte de la Législature provinciale, en l’année mil-huit cent soixante-cinq, par Emmanuel Blain de St. Aubin, dans le bureau du Régistrateur de la province du Canada.



À MON GRAND-PÈRE


M. Emmanuel Delamarre, Officier de la Légion d’Honneur, Ancien Inspecteur de l’Académie, Conseiller à la Cour d’Appel de Rennes, (France), Auteur du « Traité du Contrat de Commission, » etc., etc,

Cette « Esquisse » est respectueusement dédiée, en reconnaissance des soins qu’il a pris de mon éducation.

L’Auteur.


AU LECTEUR.


Les personnes qui, d’après le titre de cette « Esquisse, » penseraient y trouver un seul mot de médisance ou de calomnie, ou une seule allusion déplacée, se trompent et se trompent grandement. Si j’avais cédé à de telles inspirations, je croirais faire une œuvre mauvaise en publiant ces pages. — Or il est écrit : « Malheur à l’homme par qui le scandale arrive ! » (St. Mathieu, xviii, 7.)

J’ai, au contraire, l’humble prétention d’avoir fait un petit ouvrage qui pourra être classé dans le catalogue des « bons livres. »

E. B. de St. A.
Québec, juin, 1865.


LES CAVALIERS

DE

MISS PIMBÊCHE.

ESQUISSE DE MŒURS CANADIENNES.











LES CAVALIERS[1]
de
MISS PIMBÊCHE.[2]



INTRODUCTION.


À mon arrivée au Canada, je me trouvai en rapport avec un de ces « Anciens Canadiens » dont M. Aubert de Gaspé a si bien décrit les mœurs dans l’ouvrage récent qui porte ce titre. Dernier rejeton d’une des plus anciennes familles Françaises du pays, mon vieil ami avait conservé une vive antipathie pour les Anglais ; je serais peut-être plus exact en disant seulement qu’il n’aimait pas les mœurs Anglaises. En tout cas, ce sentiment était tempéré chez lui par un jugement sain, une grande aménité de caractère et un esprit agréable qui le faisaient rechercher dans la meilleure société des deux origines.

Il avait beaucoup voyagé, et connaissait les hommes.

— Je ne les méprise pas, me disait-il un jour, et cependant bien des gens qui ont « vu le monde » arrivent à mépriser profondément l’humanité.

— Je suis encore bien jeune, lui répondis-je, et parfois j’ai éprouvé ce sentiment-là.

— Il faut vous en défier… Je prétends même que, par nature, les hommes ne sont pas généralement mauvais. Vous avez pu les trouver égoïstes et méchants lorsque vous étiez malheureux, mais vous n’avez pas persisté et vous ne sauriez persister dans cette opinion.

— C’est tort possible. Vous avez été jeune aussi ; ne croyez-vous pas qu’une déception amoureuse, pour spécifier davantage, peut quelquefois porter celui qui en est la victime à la haine permanente et universelle de la plus gracieuse moitié du genre humain ?

Je venais, paraît-il, de toucher la corde sensible, car mon vieil ami fronça le sourcil, et un nuage, qu’il ne put me dissimuler, passa sur son front. Il se remit bien vite et, parlant d’un franc éclat de rire :

— J’y suis, me dit-il, vous avez été victime et vous voudriez vous poser comme l’ennemi acharné du beau sexe… ! Mais, pour bien des raisons, je vous en défie… !

— Oh ! je n’ai pas parlé pour moi… Mais cela peut arriver : par exemple, la nature aimante et délicate de certaines femmes ne peut-elle pas succomber à une de ces déceptions ?

— Oui et non. — Vous voulez dire, avec, feu Henri IV :

« Mieux vaut-être sans vie
« Que sans amour. »

Or vous savez, tout comme moi, que ni le Béarnais ni la belle Gabrielle ne sont morts d’amour. Toutefois, plaisanterie à part, vous n’avez pas tout-à-fait tort. J’ai là, dans mes papiers, un document assez curieux que je vais vous montrer, et qui pourra vous éclairer sur cette question ; il s’y trouve aussi quelques détails sur les mœurs Anglaises malheureusement trop suivies dans la société Française du Canada. Vous dire comment j’en suis devenu possesseur, c’est ce que je ne saurais me permettre. Qu’il vous suffise de savoir que j’ai intimement connu, la personne, la femme qui a rédigé ce « Journal » ; car c’est un vrai « Journal, » ajouta-t-il, en prenant, dans sa bibliothèque, un assez fort volume manuscrit que nous parcourûmes ensemble.

— C’était une personne fort aimable, me dit-il, avec un soupir, en fermant le livre. Mais elle n’a point jugé à propos de « mourir d’amour, » comme vous venez de le voir. Elle a cependant été bien maltraitée par un Anglais… ! Hélas ! il y a des gens sans cœur dans toutes les nations… !

Je m’aperçus qu’évidemment mon hôte avait joué un rôle dans l’histoire que nous venions de feuilleter. Je dissimulai ma découverte et nous causâmes encore longtemps.

À la fin de la soirée, j’obtins du vieux gentilhomme la permission d’emporter le « Journal » de son ancienne amie, et il m’a, depuis, autorisé à en publier les extraits suivants.


LE « JOURNAL » DE MISS PIMBÊCHE.

PREMIÈRE PARTIE.


Amour ! Amour ! quand tu nous tiens,
On peut bien dire ; Adieu prudence !

(Lafontaine, — Le Lion amoureux.)


Page 1. — « Les hommes sont perfides et inconstants ! »

« Le moment est proche où le beau sexe (comme ils nous appellent, les trompeurs !) les châtiera d’une façon éclatante.

« Cette vengeance devra rester mémorable dans l’histoire de l’humanité, et former le plus beau chapitre de l’histoire des femmes !

« Moi, Pimbêche Caquet, descendante de la noble famille des Haut-de-verbe, je veux contribuer, pour ma faible part, à l’œuvre de la rétribution. C’est pourquoi j’entreprends de tenir ce « Journal intime » dans lequel je consignerai les noirceurs, les trahisons et les ruses infernales dont j’ai pu souffrir ainsi que plusieurs de mes amies, et dont quelques-unes de mes lectrices sont peut-être à la veille d’être victimes.

« Heureuse si, quelque jour, ces pages tombent sous les yeux d’un de ces anges dont les noirs tyrans qu’on appelle les hommes aiment tant à couper les ailes ! Heureuse, si je puis ainsi en arracher un seul à l’abîme ! »

— On verra, par la suite de ces extraits, à quel âge et dans quelles circonstances Miss Pimbêche dut écrire cette page furibonde qui forme, pour ainsi dire, le prospectus de son « Journal. » — Je continue à copier les passages les plus saillants de cette œuvre originale :

Page 5. — « J’avais seize ans, (je ne les ai plus !) mon excellente mère me dit un jour : « Tu es invitée au bal que notre amie Madame de Villeneuve donne jeudi prochain. L’état de ma santé ne me permettra point de t’accompagner, mais je tiens à ce que tu y sois, prépare ta toilette »… J’étais enchantée, je passai trois nuits sans dormir ; pendant trois jours je parcourus tous les magasins, et, le soir du bal j’étais armée de toutes pièces. »

Page 10. — « Je suis allée à ce bal ; j’ai beaucoup dansé, surtout avec le fils aîné de notre amie. Il a été assidu près de moi toute la soirée, je pense que je ne lui déplais pas. Hier il est venu m’apporter un superbe bouquet, et, pendant que maman causait avec une autre personne, il m’a dit à voix basse : « J’espère que j’aurai le plaisir de vous voir au grand bal qui a lieu la semaine prochaine, je sais que vous serez invitée. » — J’ai été un peu surprise de cette invitation, car je connais à peine la famille qui donne ce grand bal. — Mais enfin, j’irai, car ma bonne mère me le permettra sans doute, elle a l’air si heureuse de mon bonheur ! »

Page 12. — « Le grand bal a eu lieu et j’y étais, je me suis beaucoup amusée ; le fils de Madame de Villeneuve m’a de nouveau entourée de toutes sortes de prévenances. Mais j’ai vu avec peine qu’il partageait ses attentions entre cette horrible petite Charlotte Beauvais et moi. Une idée de vengeance m’a traversé le cœur, et j’ai dansé plusieurs fois avec le beau Léopold Verner qui, après le bal, nous a accompagnés, mon frère et moi, jusqu’à notre demeure. »

Page 15. — « Le petit manège que je fis l’autre jour, dans le ferme espoir de vexer Monsieur de Villeneuve, n’a point semblé lui causer de peine. Il est venu nous faire deux visites dans l’une desquelles il a rencontré le beau Léopold. — C’est égal, en voilà deux que je tiens ! Je n’ai plus qu’à faire mon choix ! Je puis encore attendre. Monsieur de Villeneuve est très-aimable, je crois que c’est un beau jeune homme, mais il n’est pas riche. Monsieur Léopold est riche, très-beau cavalier…, sportsman achevé… ; peut-être je consulterai maman… ; certainement, je la consulterai…, mais j’ai peur d’aborder cette question. »

Page 17. — « Je suis allée à un pique-nique. Monsieur Wladislas Terrien était mon cavalier pour la journée. Qu’il est charmant ce Monsieur Wladislas ! (Je puis bien me permettre cette exclamation dans mon « Journal intime ».)… Décidément j’aime ce nom Polonais,… Wladislas ! »

Page 25. — …Les bals se sont succédé pendant tout l’hiver… ; je suis un peu fatiguée… ; mais j’ai eu bien du plaisir, et, ce qui mieux est, je suis fixée dans mon choix !… Je n’épouserai ni M. de Villeneuve, ni M. Léopold, (il n’est pas déjà si accompli !) ni M. Wladislas qui a, je m’en suis aperçue, bien des petits défauts. — Ce bel officier qui m’a tant recherchée cet hiver, a définitivement gagné toute mon affection. Pour surcroît de bonheur, maman le trouve tout-à-fait de son goût. Il est allé en Europe demander le consentement de sa famille, il revient dans trois mois et alors… alors… « je serai grandi dame ! » Que j’aurai de plaisir à regarder, du haut de ma voiture, cette affreuse petite Charlotte… allant à pied avec quelque vulgaire amoureux… ! Mais non,… il faut être charitable l’amour rend bon,… je suis si heureuse ! L’avenir m’apparaît si riant ! Dans mon bonheur, j’ai composé une pièce de vers où je retrace les impressions de mon jeune âge, jusqu’au moment où j’ai fait la rencontre de mon charmant officier. — Je cède au plaisir de la transcrire dans mon « journal » :


HISTOIRE DE TOUTES LES JEUNES FILLES,
RACONTÉE PAR UNE D’ELLES.


« À sept ans, par chacun fêtée,
J’aimais les joujoux, les bonbons,
Et j’étais même un peu gâtée
Car mes parents étaient si bons !
Je les aimais d’un amour tendre,
De moi, pour leurs soins bienveillants,
C’est le moins qu’ils pouvaient attendre,
Voilà comme on aime à sept ans !

À dix ans, j’aimai la dentelle
Et je songeais à mes atours ;
Avec une robe nouvelle
J’aimais à sortir tous les jours.
On peut bien excuser cet âge
D’aimer falbalas et rubans,
Mainte vieille que l’on dit sage
Les aime encore à cinquante ans.

À quinze ans, deux bonnes amies
Firent ma joie et mon bonheur.
Oh ! comme nous étions unies…
Nos trois cœurs étaient un seul cœur !
Grands secrets, douces confidences
Rendaient nos entretiens charmans… ;

Et que de belles espérances !
On aime si bien à quinze ans !

« La danse n’est pas ce que j’aime, »
Dit la chanson, mais j’eus mon tour :
Dans un bal, fière de moi-même,
Je dansai jusqu’au point du jour.
Je dormis toute la journée,
J’eus les rêves les plus rians,
Et… la tête un peu fatiguée…
On rêve beaucoup à seize ans !

On aura beau dire et beau faire, —
Il faut aimer… c’est une loi —
Riez, (ce n’est pas mon affaire)
Vous la subirez comme moi.
Un beau jour j’aimerai peut-être
Un cavalier des plus charmans…
Et, s’il veut devenir bon maître,
On verra… car j’ai dix-neuf ans. »


Page 31. — …« Je suis triste aujourd’hui ; — l’officier auquel je suis irrévocablement fiancée[3] (je me garderai bien d’écrire son nom, même dans ce cahier, car, d’après une vieille ballade que je chante souvent :

« Pour être heureux, garçons et filles,
Gardez longtemps, gardez toujours

Le doux secret de vos amours. »

Mon officier, comme disent quelques-unes de mes amies jalouses de mon bonheur, ne m’a point écrit ; il me l’avait pourtant promis. Maman me rassure, il lui a inspiré beaucoup de confiance. C’est qu’il reviendra plus tôt qu’il ne pensait. Je suis tranquille, je suis heureuse ! »


Page 35. — … « Le jeune Auguste Dickson, notre voisin, est un jeune homme de grands talents ; à vingt-trois ans il a une fort jolie position. J’ai cru m’apercevoir que depuis un mois il venait plus souvent qu’à l’ordinaire à la maison. — Je lui en sais gré, car je m’ennuie un peu ;… il est très-aimable, nous avons été élevés ensemble… je raconterai ses visites à mon cher officier, il en rira ! »


Page 35. — … « Monsieur Auguste, qui vit avec ses livres et à son bureau, n’a rien entendu dire de mes engagements, et ce soir il m’a fait… une déclaration ! J’en ris encore ! Le pauvre garçon, est-il assez drôle ! J’allais dire assez simple… ! Je lui parlerai raison, en lui promettant de m’occuper, par la suite, de son avenir,… et lui assurant la protection de mon mari. »


Page 41. — « Depuis quelques jours je suis en butte aux sarcasmes de mes amies… « Ah ! ton officier, tu ne le reverras plus, sois en sûre ! » me disent-elles… Que le monde est méchant !… Néanmoins, je ne saurais le dissimuler, je commence à être inquiète… On m’apporte un journal Anglais… Je l’ouvre en tremblant !… On y a marqué deux paragraphes ; Je lis dans le premier :

« Le 4… régiment, actuellement au Canada, est désigné pour les Grandes-Indes. »

« Ciel ! c’est le régiment de mon ami ! Le second paragraphe est ainsi conçu :

MARIAGES.

« À l’église de K… le 29 mars… Mademoiselle Jane F… à Monsieur Arthur T… lieutenant au 4… de ligne… »

« Ciel ! je n’y survivrai pas ! C’est lui, le traître ! Il me trompait ! J’allai me jeter dans les bras de ma bonne mère,… je tombai évanouie !… »


Page 43. — … « J’ai été malade quinze jours. Pouvais-je croire à tant de perfidie ! Oh ! je le déteste aujourd’hui autant que je l’ai aimé… ! Ma mère m’a emmenée à la campagne… Elle m’entoure des plus tendres soins… Je veux vivre pour me venger de lui et pour le haïr… ! Mais non, j’ai tort… Mon Dieu, pardonnez-moi ! »


Page 45… « Nous sommes de retour en ville… Que de tristes réflexions j’ai faites pendant ce séjour à la campagne ! Ma mère est aussi malheureuse que moi…, elle se reproche d’avoir autorisé les visites du trompeur… Mais je la consolerai… j’aurai du courage : … Je m’informe des nouvelles… Le jeune de Villeneuve est marié, Monsieur Léopold est marié, Monsieur Wladislas est marié… ils sont tous mariés, même la petite Charlotte ! Cette horrible Charlotte ! !… Allons !… pas de faiblesse… je n’ai encore que vingt-deux ans. J’espère qu’Auguste viendra me voir… il n’est pas marié, lui. C’est mon ami d’enfance, un excellent garçon, presqu’un frère pour moi… Je lui dirai combien je regrette d’avoir froissé ses sentiments,… il me pardonnera,… c’est le commencement de l’amour ! »


Page 49. — … « Monsieur Auguste a quitté le pays. Il écrit à ma mère qu’il a toujours considérée comme sa meilleure amie. Dans sa dernière lettre se trouve le passage suivant :

… « Vous apprendrez sans doute avec plaisir, Madame, que je suis bien établi et marié. D’abord commis de la maison Wilson et Cie, je suis parvenu à gagner les sympathies de Monsieur Wilson qui me donne sa fille unique en mariage et me prend pour un de ses associés. Je n’ai pas encore entendu dire que Mademoiselle votre fille fût mariée, j’espère recevoir bientôt cette heureuse nouvelle… »

« Auguste Dickson. »

Dernier espoir qui s’envole !… oh ! j’ai été trop bonne et trop confiante… ! Désormais je veux agir avec le monde comme il a agi avec moi ! À vingt-deux ans tout n’est pas perdu !… Mais il faut que je répare l’affront sanglant dont j’ai été victime… L’occasion ne manquera pas de se présenter… On a bien ri de moi. — Je veux rire des autres… On se réjouit méchamment, dans certaines régions, de voir mon mariage manqué. — Eh bien ! et moi aussi je déferai bien des mariages. »



SECONDE PARTIE.


L’amour est un état de guerre, c’est pour cela que tous les termes en sont militaires : vaincu, vainqueur, chaîne, conquête, etc., etc.
(M. Dubucq.)


— Eh bien ! que pensez-vous de Miss Pimbêche ? me demandait, à quelques jours de là, mon vieil ami.

— Je pense, lui répondis-je, que c’était une coquette achevée, peu sensible, pour ne pas dire tout-à-fait sans cœur, très-orgueilleuse et, bien que douée d’un esprit agréable, totalement dépourvue de sens commun.

— Et voilà comment, jeune homme impitoyable, vous jugez une pauvre femme que le monde, par sa méchanceté, a lancée dans une mauvaise voie, mais que le ciel avait créé, bonne, indulgente, sensible et dévouée !

— Je suis fâché de ne point partager votre opinion, mais je n’ai pas trouvé même le germe de toutes ces qualités dans les notes que vous avez bien voulu me communiquer ; j’y ai vu de l’aigreur, un désir impitoyable de vengeance, enfin, un égoïsme parfait, si je comprends bien la valeur de ce mot.

— Dites moi, si vous aviez été traité par une femme comme cette pauvre Pimbêche l’a été par l’officier du 4… de ligne, auriez-vous aujourd’hui l’âme bien disposée à la bienveillance ?

— Non, peut-être, mais je me contenterais de mépriser, d’abord, puis d’oublier la personne qui m’aurait trompé, et je ne songerais point à me venger sur des innocents d’un malheur qui n’atteint que moi.

— Fort bien, mais vous oubliez une distinction importante : vous êtes homme, mon cher ; vous êtes jeune et, partant, courageux ; si on vous inflige une insulte, vous avez mille moyens de vous en venger. Mais que reste-t-il à une femme ? La déception et les pleurs.

— Miss Pimbêche nous dit qu’elle a pleuré pendant quinze jours. L’orage passé, elle s’est levée furieuse, et elle veut s’occuper maintenant à défaire des mariages… Voilà un beau rôle pour une jeune personne de vingt-trois ans !

— Vous le pardonneriez à une jeunesse[4] de cinquante ans, je suppose ?

— Peut-être, car une femme de cet âge n’a pas toujours d’intérêt personnel à se mêler de négociations amoureuses, et je suis porté à croire que votre ancienne amie ne voulait faire ce petit manège qu’à son profit.

— Je vous trouve indulgent pour les Colin-Tampon du sexe féminin… Il suffit, pour les excuser à vos yeux, qu’elles aient atteint un certain âge… Mais vous ne sauriez pardonner ce travers dans une jeune personne ?

— Je ne le pardonnerais pas.

— Eh bien ! mon jeune ami, permettez moi de vous présenter mes compliments ; vous parlez comme un livre, et, je suis forcé de l’avouer, l’expérience et la logique des faits vous donnent raison dans bien des cas. Lisez la suite de ce « Journal »… faites en des extraits, si cela vous sourit ; quand vous aurez terminé votre travail, Monsieur Auguste Dickson,… car c’est moi qu’elle désigne ainsi, vous racontera, en peu de mots, la fin de l’histoire malheureusement trop véridique de Miss Pimbêche Caquet, comme vous l’avez si bien baptisée.

Le ton un peu ironique dont ces dernières paroles avaient été prononcées, ne manqua pas de m’intriguer et j’étais fort impatient de connaître la fin de ce roman de la vie réelle. En rentrant chez moi, je parcourus avidement la fin du « Journal » de Miss Pimbêche. Cette partie était plus décousue… On y voyait l’auteur en proie à une sorte d’agitation fébrile, cherchant des consolations dans le tourbillon du monde, flattant ceux qu’elle avait dénigrés et oubliant, ou du moins refoulant dans un coin stérile de son cœur, toutes ses premières affections. Après cette lecture, je commençai à mettre une partie des torts sur la société. D’accord avec « l’Ancien Canadien », je blâmai, en moi-même, la facilité avec laquelle on laisse nos jeunes personnes se créer des relations qui doivent souvent leur coûter bien des larmes et compromettre leur avenir. En un mot, sans excuser Miss Pimbêche, je commençai à la plaindre un peu.

Voici ce qui me parut le plus saillant dans ce brouillon écrit à la hâte et d’une main agitée :


Le « journal » de Miss Pimbêche.

(Suite et fin.)


Page 57. — … « Les mariages sont écrits dans les cieux. » Voilà certes une belle pensée que je trouve ce matin dans un de mes auteurs favoris. Depuis la cruelle déception qui est venue empoisonner ma vie, je lis beaucoup, c’est une de mes grandes consolations. Si le ciel décide les mariages, il est naturel que les âmes charitables s’occupent sérieusement d’empêcher ceux qui pourraient avoir de funestes conséquences. Pour la même raison, elles doivent favoriser ceux que le monde égoïste peut trouver mal assortis, et qui sont, avant tout, l’union de deux âmes prédestinées. Une de mes bonnes amies, Mademoiselle Alice Bourdonnais, est à la veille de contracter un mariage dont je n’augure rien de bon. Je lui écris à ce sujet et je serais bien aise de voir l’affaire manquée. Les gens frivoles et mal-intentionnés pourront dire que c’est, de ma part, une tentative inspirée par l’amour-propre déçu. Il n’en est rien. Et d’abord si mon amour-propre a été froissé, ne le dois-je pas à mon inexpérience et à l’insigne perversité des hommes ? En outre, je puis encore, à mon âge, voir bientôt cet affront réparé ; je n’ai pas malheureusement la vocation religieuse et je sens que je ferais une bonne femme de ménage[5]…, c’est peut-être une présomption de ma part… Mais enfin : « Les mariages sont écrits dans les cieux »… !

« J’ai écrit à mon amie Alice la lettre suivante :

« Ma chère amie, — Le monde qui est toujours au courant des négociations amoureuses, dit et répète que tu vas bientôt épouser Monsieur Séraphin Bonaban. Je ne doute pas que ton Monsieur Séraphin ne soit un ange détaché des tribus célestes et que le ciel favorable a dépêché vers toi pour t’aider à faire le voyage de la vie. C’est sans doute ainsi que tu le considères, et tu as toujours été parfaitement digne d’une telle faveur. Permets toutefois à la sincère amitié, qui nous unit depuis plusieurs années, de te soumettre quelques observations sur cette grande affaire.

Tu étais encore enfant que M. Séraphin faisait parler de lui. Le bruit de ses exploits parvint alors jusqu’en mon humble retraite ; de plus, j’ai souvent eu occasion de juger par moi-même celui que tu as choisi pour époux. Ce que je vais t’apprendre ne doit point t’effrayer ni changer tes sentiments. Si Dieu n’a jamais voulu la mort du pécheur, les femmes doivent aussi pardonner et oublier, surtout quand elles aiment, car, tu le sais, « l’amour est un sacrifice. »

Il y a six ans, M. Séraphin jurait un amour éternel à cette pauvre Adelina que nous avons vue mourir il y a bientôt trois ans. M. Séraphin était un beau jeune homme, charmant cavalier, aimant tous les plaisirs et… (te le dirai-je ?) toutes les jolies femmes.

Un jour, il interrompit les visites qu’il faisait assidûment à notre amie,… et, depuis lors, il ne l’a pas revue.

La famille d’Adelina se trouva d’abord fort offensée de ce changement. Mais, après avoir pris des informations, elle acquit la certitude que son enfant chérie était loin de perdre un trésor. M. Séraphin était alors un joueur effréné, partant très-égoïste, et d’une conduite peu exemplaire. Sa fortune très-ébréchée par ses folles dépenses ne lui laissait qu’un petit avoir insuffisant à ses goûts dispendieux. Tout cela fut dit à notre amie, mais la pauvre enfant avait voué, paraît-il, son existence à ce joli masque. M. Séraphin s’est un peu réformé depuis ce temps ; il est entré dans les affaires, a refait sa fortune et semble plus posé. Mais les spéculations commerciales ont-elles changé son cœur ? — J’en doute, ma chère amie, et cette pensée m’effraie !

Quant à notre Adelina, elle devint triste et mélancolique ; sa santé déjà faible s’altéra considérablement ; … tu sais le reste !

Je pourrais encore te faire l’histoire des relations de ton Séraphin avec deux ou trois autres jeunes personnes. Mais j’en ai dit assez ; à toi de juger avant de prendre un engagement sérieux. »

Ton amie dévouée,
P


Page 65. — … « Alice est venue me voir aussitôt après réception de cette lettre. Son père, à qui je n’avais pas manqué de signaler les antécédents de M. Séraphin, a fait, à sa fille une sérieuse admonition au sujet du mariage projeté. Il ne veut pas entendre parler de M. Séraphin pour gendre, et refuse de donner son consentement. La pauvre enfant est désolée, car elle aime à la folie ce diable de Séraphin. Je lui ai parlé en véritable amie, tâchant de la consoler par toutes les bonnes raisons que mon expérience personnelle a pu me suggérer. Tiens, ma chère amie, lui disais-je, je vais te faire en quelques mots le portrait de ton Séraphin et de plusieurs autres qui lui ressemblent :

« Âge, 35 ans ; physique agréable ; toujours satisfait de lui-même et saisissant toutes les occasions de le faire voir. Recherchant, de temps à autre, une jeune personne de la meilleure société, non par amour, mais pour qu’on dise : « il est bien accueilli par Mademoiselle X… » Aimant, pardessus tout, sa personne, ses amis de plaisir, son club, ses chevaux et ses chiens. Incapable d’éprouver une amitié sincère et désintéressée ; ne goûtant point les plaisirs de la famille. Destiné à vivre et, à mourir vieux garçon ou à faire le malheur de celle qu’il épousera, car, même marié, il ne renoncera pas à ses habitudes d’aujourd’hui. Monsieur s’amusera au club ou ailleurs, Madame « restera seule à la maison. » …

« Ensuite, je signalai individuellement à Alice plusieurs autres « Dandys » du genre Séraphin. La pauvre enfant a pris les hommes en horreur, je crois qu’elle se fera religieuse … J’envie son sort ! »

Page 71. — … « M. Séraphin n’a point jugé à propos de faire une maladie parcequ’il est obligé de renoncer à Alice. Il ne s’en porte que mieux. Il est de tous les bals et de toutes les fêtes. On disait dernièrement qu’il avait l’intention d’entrer dans la politique. Sa fortune et ses talents lui promettent un bel avenir.»

Page 73. — … « M. Séraphin est membre du parlement… Il paraît même qu’on lui offre un portefeuille dans le nouveau ministère. On le rencontre dans les meilleurs salons. J’ai dansé plusieurs fois avec lui. L’autre jour, dans la conversation, j’ai fait une légère allusion à Alice.

— Ne m’en parlez pas, m-a-il répondu, j’ai bien souffert…, c’est la faute des parents !

— Ce n’est pas ce qu’on dit.

— Alors on me calomnie, je pourrais, au besoin, vous en donner les preuves.

— Je n’ai aucun droit, monsieur, à une pareille confiance de votre part… Mais, si tel est le cas, il serait permis de vous plaindre… Votre ancienne amie, qui était aussi la mienne, a trouvé la meilleure des consolations, elle est religieuse… Mais vous ?…

Il y eut un moment de silence… Tout-à-coup il me dit à voix basse :

— Vous êtes charmante… Dansez-vous les Lanciers ?[6]

Et nous fûmes bientôt emportés dans le tourbillon de la danse.

Cette conversation avait duré trop longtemps, il faut le croire, car les mauvaises langues me marient déjà avec M. Séraphin. »

Page 75 — … « C’est à ne pas y croire !… Il a demandé ma main !… Lui !  ! Que faire ? Oh ! je vais l’éprouver au moins pendant un an !… Ce doit être agréable d’être la femme d’un ministre… ! Après tout, il est très-franc, il reconnaît ses torts et je me sens presque disposée à lui pardonner. »

Page 80. — … « Deux grands mois se sont écoulés, il est toujours constant… ; l’époque du mariage est fixée. Me voilà grande dame ! Alice n’en saura rien, au fond du couvent où elle est retirée… Mais Charlotte, l’horrible Charlotte !… Elle en fera une maladie. Je ferme mon « Journal intime, et je ne tiendrai plus que le Journal des dépenses de ma riche maison. »

P

CONCLUSION.


Voilà une singulière histoire, me dis-je, en achevant la lecture de ce « Journal »… Mais quelle en est la conclusion… ? Mon vieil ami me le dira.

Le lendemain je causais avec lui.

— Et qu’est-il advenu de ce mariage ?

— C’est une triste affaire, me répondit-il, mais puisque vous semblez y prendre intérêt, je vous la raconterai en quelques mots.

— Votre ancienne amie semble avoir conclu ce mariage avec une précipitation étrange et les yeux fermés.

— C’est vrai, et ce fut un résultat logique de la trop grande indulgence que lui témoigna toujours sa mère. J’ai très-bien connu cette pauvre Emmelina,… (c’était son nom.) Elle est morte aujourd’hui, morte après dix ans d’un ménage malheureux. À une certaine époque, je l’aurais aimée sincèrement ; nous avions été élevés ensemble, ou, plutôt, je l’avais vue grandir, car j’étais son aîné d’une douzaine d’années. Je ressentais pour elle une véritable affection,… mais, sans me dédaigner, elle appréciait fort peu mes sentiments. Elle avait pris l’habitude d’admirer la jeunesse dorée. Vous avez dû voir, par ses écrits, quelle jugeait bien la classe d’hommes à laquelle appartenait son mari. Mais l’orgueil l’emporta. Elle voulut primer dans la société, elle atteignit ce but au prix de son bonheur. Pendant les premières années de son mariage, elle s’étourdit par le bruit des plaisirs. Sa maison était le rendez-vous de tous les dandys des deux sexes… Elle donnait les fêtes les plus magnifiques ; son mari y trouvait son compte, car il fut toujours et il est encore ambitieux. Or on se fatigue de ce genre de vie : elle tomba malade au bout de trois ans de joies vides et turbulentes. Le cercle de ses relations une fois restreint, M. Séraphin retourna à ses anciens amis. Il redevint vieux garçon, et vécut en conséquence. Emmelina pleurait en silence. Elle n’avait point d’enfants pour se consoler… Elle s’éteignit lentement. —

Trois jours avant sa mort elle me fit demander.

— Tenez, dit-elle, en me remettant ce volume, gardez ces pages en souvenir de moi. Et, lorsqu’une de vos filles devra se marier, veuillez, par amitié pour elle, et pour le bien de mon âme, lui en lire quelques passages. Elle y verra, bien qu’en dise le monde, que les mariages auxquels président la Vanité et l’Intérêt sont rarement, je dirai même ne sont jamais heureux !

FIN
DES
« CAVALIERS DE MISS PIMBÊCHE. »

LES PERCE-NEIGE.

ESSAIS POÉTIQUES.

À MES AMIS, AU CANADA.


Comme la fleur dont j’ai inscrit le nom en tête de ce recueil, mes rimes sont écloses à la fin du sombre hiver réservé à tout émigrant qui arrive en pays étranger avec de faibles ressources. Cet hiver durait pour moi depuis quatre ans, lorsque de vrais amis, Français comme moi, de fait ou d’origine, me tendirent la main et me donnèrent abri contre les froids de l’adversité. Je pourrais tous les nommer ici, car « mon cœur a bonne mémoire, »[7] n’était la crainte d’offenser de trop louables modesties. Qu’ils acceptent du moins, avec l’expression de ma reconnaissance, l’hommage de mes premiers « Essais poétiques ; » un jour, peut-être, j’aurai quelque chose de mieux à leur offrir.

Quelques-unes de ces poésies sont inédites ; on m’a fait l’honneur de publier les autres dans divers journaux et recueils « Canadiens. »

E. B. de St. A.
Québec, Mai, 1865.

LE BOUQUET.

À ma mère.

Parfois, au milieu des douleurs
Qui bordent le chemin si triste de la vie,
J’ai trouvé de modestes fleurs :
Je me suis arrêté, pensif, l’âme ravie.

Les noms de ces fleurs sont charmants :
L’une est le « Souvenir ; » toutes vers l’Espérance
M’attirent en ces doux moments
Où je pense à ma mère, à mes sœurs, à la France.


Mes sœurs ! l’une nous a quittés,
Mais nous la reverrons, auprès de notre père ;
Vers le ciel mes vœux emportés
Me parlent, dans ces fleurs, et me disent : « Espère ! »

Ces fleurs, j’en ai fait un bouquet,
Et je viens te l’offrir, ô ma mère chérie !
Il n’est ni brillant, ni coquet,
Mais son parfum est doux comme le mot : « Patrie ! »



LE SOUVENIR.

À ma sœur tant regrettée, Emma.

Un souvenir
Est plein de charmes,
Il parle au cœur
Dans le malheur !
Pour adoucir
Regrets et larmes
Rien n’est si fort qu’un souvenir.

Le souvenir
Apporte à l’âme
Parfums, amours
De nos beaux jours.
De l’avenir
La vive flamme
Rayonne au feu du souvenir.

Au souvenir
De son enfance
L’aïeul blanchi
Sent, malgré lui,
Son cœur s’ouvrir
À l’Espérance,
En se berçant d’un souvenir.


Ô Souvenir,
Ange sur terre,
Peuple mes soirs
De gais espoirs ;
Pour endormir
Le solitaire,
Apparais, joyeux souvenir !




L’AMOUR ET L’AMITIÉ.

(fable.)
À M. J. R.

L’Amour et l’Amitié, deux enfants blonds et roses,
Vers ma demeure, un jour, avaient porté leurs pas.
L’Amour, petit bavard, me conta mille choses
Auxquelles, moi, je ne crois pas.

L’Amitié discrète
Me dit en cachette :
« N’écoute pas ce trompeur, »
« Il te promet le bonheur, »
« Mais, sujet à maints caprices, »
« Il rira de tes supplices »
« En te déchirant le cœur. »
« Souvent il me cherche querelle : »
« Mais, en lui restant fidèle, »
« Je saurai le corriger ; »
« Nous ferons la paix. — J’espère »
« Qu’il redeviendra bon frère, »
« Et, sous le toit qui doit te voir heureux, »
« Dans ton cœur réunis, tous vivrons tous les deux. »



« MAMAN A TOUJOURS RAISON. »


À Mademoiselle M. D.


Écoutez, grandes et petites,
En passant, quelques bons avis ;
Ne doutez point de leurs mérites
Car sachez où je les ai pris :
Maman dit qu’il faut être sage
Et bien apprendre sa leçon,
Or vous savez, tout comme moi, je gage,
Que « Maman a toujours raison. »

Maman dit que sur un bon livre
On ne saurait trop méditer ;
C’est là qu’on peut apprendre à vivre,
À bien écrire, à bien parler.
Avec un Roman Dramatique
On perd son temps à la maison,
Et l’on devient triste, mélancholique,…
Oh ! « Maman a toujours raison ! »

Maman dit que, pour votre père,
Il faut prier, soir et matin,
S’efforcer en tout de lui plaire,
Ne point lui causer de chagrin.
Maman ne parle jamais d’elle,…
Parler de soi, c’est mauvais ton !
Dernier avis à mainte demoiselle…
Et « Maman a toujours raison. »


LE BAZAR DE CHARITÉ.

Aux RR. PP. Oblats, St. Sauveur de Québec.

La charité, toujours ingénieuse,
Depuis longtemps inventa le « Bazar. »
En contemplant cette foule joyeuse
Où, l’autre soir, me guida le hasard,
Je me disais : « Au malheureux qui pleure »
« Cette gaîté du moins profitera : »
« Bien et plaisir sont unis à cette heure, »
« Honni celui qui mal y pensera. »

Derrière un rang de tables surchargées
De fleurs, de fruits, d’ouvrages variés,
Anges du pauvre, j’aperçois rangées
Des environs les alertes beautés.
Un vieux garçon, riche comme la banque,
Entre tout fier,… hélas ! il le paiera,…
Quel beau gibier ! malheur à qui le manque !
Mais honni soit qui mal y pensera !

« Prenez, monsieur, pour cette belle chaise,
« Un seul billet, voyez comme c’est beau !
« Dans ce fauteuil on est si bien à l’aise
« C’est élégant, tout frais et tout nouveau !
« Prenez aussi pour cette loterie ;
« Numéro douze à coup sûr gagnera : …
« Mais,… à propos,… on dit,… on vous marie ;
« Honni celui qui mal y pensera ! »


Il paie enfin, puis un autre remplace
Le vieux garçon, victime des enfants,
Essaim joyeux qui rit, bavarde, agace,
Au nom du pauvre, en ses ébats bruyants,
Et vend toujours… À cette noble cause,
« Jeunes et vieux, tout le monde aidera…
« Mais quel est donc ce vieux ? — C’est autre chose, »
« Allez-y voir, demain il y sera. »




MON ROCHER DE ST. MALO.

Romance composée lors de mon départ pour le Canada.

Ô mon rocher de St. Malo
Te reverrai-je encore,
Battu sans cesse par le flot
Que le soleil colore ?
Ô mon rocher de St. Malo,
Si beau !

À l’abri des sombres naufrages,
Sur la cime de mon rocher,
Je voyais de loin les orages
Qu’aujourd’hui je m’en vais braver.
Et je contemplais, sur la grève,
Le toit où je laisse mon cœur,
Le toit où je fis plus d’un rêve
D’amour, d’espoir et de bonheur !

Ô mon rocher de St. Malo
Te reverrai-je encore,
Sans cesse battu par le flot
Que le soleil colore ?
Ô mon rocher de St. Malo.
Si beau !


LA MÈRE CANADIENNE.

Chant patriotique composé à l’époque de l’affaire
du « Trent » — 1862.
AU COLONEL M. A. DE SALABERRY.

L’Américain, dans sa folle arrogance,
A dit un jour : « Prenons le Canada » !
Il oubliait que des fils de la France
Le noble sang toujours lui résista.
De Châteauguay la phalange immortelle
Dans ses tombeaux frémit d’un noble émoi ;
Pars, mon enfant, vole où l’honneur t’appelle.
Ta mère, ici, prîra le ciel pour toi !

En vain mon cœur, tout rempli de tendresse,
Voudrait, hélas ! différer ton départ !
Tes compagnons, dont la foule se presse,
Sont réunis sous leur noble étendard,
Va, ne crains rien, la victoire est fidèle
Aux défenseurs du sol et de la foi :
Pars, mon enfant, vole où l’honneur t’appelle,
Ta mère, ici, prîra le ciel pour toi !


Le ciel, mon fils, veille sur ta patrie,
Il guidera ses vaillants défenseurs.
Crois en l’espoir de ta mère chérie :
Vers leurs foyers ils reviendront vainqueurs.
Dans les combats, si, trompant ta vaillance,
Un sort cruel me séparait de toi,
Pour consoler mes ans et ma souffrance
Au ciel, mon fils, tu prîras Dieu pour moi !




VENDREDI.

Aux abonnés du « Canadien, » à l’occasion du
jour de l’an, 1864.
Tel qui rit vendredi dimanche pleurera.
Racine, (Les plaideurs.)

Lecteurs, salut et bonne année,
Santé, paix et bonheur parfait :
C’est pour vous, en cette journée,
Le vœu que mon amitié fait.
Mais, dans la commune allégresse,
Mon cœur semble tout engourdi :
Hélas ! il est plein de tristesse… !
Le jour de l’an se trouve un vendredi.

Laissez vos contes de grand’s-mères,
Me dira-t-on, en ce beau jour
Tous les hommes s’aiment en frères
Et le répètent tour à tour.
Plus de faux amis… ! Quel beau rêve !
Hélas ! je le crois trop hardi,
Et demain, sans doute, il s’achève…
Le jour de l’an se trouve un vendredi.

La douce paix revient sur terre.
Le Sud au Nord donne la main,
La France unie à l’Angleterre
Nous assure ce lendemain…


Mais quand la Pologne sanglante
Demande vengeance ou merci,
On se tait… ! Elle est expirante !
Le jour de l’an se trouve un vendredi.

Au Canada, notre patrie,
On est fidèle à ses amours,
Au Canada, terre chérie,
L’union régnera toujours.
Et pourtant combien de nuages
À l’horizon en plein midi !
Dieu nous préserve des orages… !
Le jour de l’an se trouve un vendredi.

ENVOI.

J’aurais dû vous parler en prose,
Mais, (c’est chez nous un vrai travers,)
Il semble qu’on est quelque chose
Quand on a fait huit pauvres vers.
Que, durant l’année, en nos fêtes,
Dieu, vous épargnant tout ennui,
Vous garde des mauvais poètes,
Demain, toujours…, même le vendredi.




POUR ÊTRE HEUREUX.

Aux abonnés du « Canadien, » à l’occasion du
jour de l’an,
1865.

« Pour être heureux il faut, en cette vie,
« Beaucoup d’argent et de nombreux plaisirs, »
Dit le sceptique, au cœur rongé d’envie
Et tout rempli de ses honteux désirs.
Moi qui n’ai pas l’honneur d’être incrédule,
(D’aucuns le sont et s’en vantent parfois !)
Je me permets de changer la formule
Et d’élever ici mon humble voix :
Pour être heureux
Soyez modeste,
Charitable, laborieux,
Et n’ayez nul souci du reste.
Pour être heureux.

Le Nouvel-An va-t-il rendre plus sage
Notre vieux monde, impitoyable enfant
Qui rit de tout en disant ; « C’est l’usage ! »
Et qu’un jouet rend fier et triomphant ?
Chacun maudit l’embarras des richesses,
Mais se prosterne à l’autel du veau d’or…
Pauvres humains ! pitié pour vos faiblesses !
Me croirez-vous si je vous dis encor :
Pour être heureux
Soyez modeste,
Charitable, laborieux,
Et n’ayez nul souci du reste,
Pour être heureux.


« Fi ! de l’argent ! mais la Philosophie !
« Voilà, dit-on, la source du bonheur
« Et du progrès dont la marche défie
« La Foi tenace en son antique erreur ! »
Oui,… notre siècle est fort sur le sophisme,
Nous avons lu Michelet et Renan…
Nos grands-papas lisaient le Catéchisme,
Et leur conseil était au jour de l’an :
Pour être heureux
Soyez modeste,
Charitable, laborieux,
Et n’ayez nul souci du reste,
Pour être heureux.

Soyez heureux, lecteur, je le souhaite,
Soyez heureux ; que le bonheur d’autrui
Fasse, le vôtre ! On est à double fête
Auprès d’un frère ou d’un heureux ami.
Sombre envieux, jaloux à l’âme noire
Dorment fort mal et c’est leur châtiment ;
Sur ce point là je sais plus d’une histoire ;…
Mais je reviens à mon commencement :
Pour être heureux
Soyez modeste,
Charitable, laborieux,
Et n’ayez nul souci du reste,
Four être heureux.



TROIS CANADIENS-FRANÇAIS.

Appel aux Canadiens-Français qui émigrent
aux États-Unis.

« L’ouvrage manque, la misère
«  S’appesantit sur nos hameaux,
«  Et le printemps, pour nous sévère,[8]
«  N’apporte que malheurs nouveaux ! »
— Ainsi parlaient trois fils de France,
Trois Canadiens au cœur vaillant.
« Quittons ces lieux, car l’espérance
Nous fuit : il faut au moins mourrir en travaillant ! »

Ah ! ne franchis pas la frontière,
Ne va pas en lointain pays,
Bon Canadien, c’est la prière
De ta mère éplorée et de tes vrais amis !

C’était le plus vieux de la bande
Qui tenait ce sombre discours.
« Frère, dit le second, demande
« Aux Anciens ce que, dans ces tours
«  Au loin, la bourse et le cœur gagnent ?…
«  Quitter nos mères, nos foyers,

« Nos sœurs !… Que de maux accompagnent
« Le départ des soldats et des aventuriers ! »

Ah ! ne franchis pas la frontière,
Etc., etc., etc.

« Être soldat de ma patrie,
« C’est bien ! » répliqua le dernier,
« À l’étranger vendre ma vie !
« Jamais, fallût-il mendier !
« Frères, votre cœur jeune encore
« A connu la voix de l’amour,
« C’est cette voix qui vous implore,
« Restons, et le bonheur aura bientôt son tour. »

Ah ! ne franchis pas la frontière,
Etc., etc., etc.

Fidèles au vœu de leurs mères
Et fidèles à leur pays,
À leurs blondes, à leurs chaumières,
Ici vivent nos trois amis.
Le dimanche, après la grand’messe,
Le bon cure leur dit parfois :
« Vous êtes heureux ?… Ô jeunesse,
« Bonheur à qui du ciel fait entendre la voix ! »

Ah ! ne franchis pas la frontière,
Ne va pas en lointain pays,
Bon Canadien, c’est la prière
De ta mère éplorée et de tes vrais amis !



LA CHANSON DE LA SAINT-JEAN-BAPTISTE.[9]


Respectueusement dédiée à la Société St. Jean-
Baptiste de Québec. — 1865.

Air : — À la Claire Fontaine.

Des rayons de l’aurore
Le ciel est enflammé ;
Quel beau jour vient d’éclore ?
L’air est tout embaumé !

refrain :

Oui chantons et célébrons,
Bannière en tête,
La grande fête
Du plus grand de nos patrons,
C’est La St. Jean que nous fêtons !


Des enfants de la France,
Au cœur vif et joyeux,
Disent à l’Espérance
Des hymnes glorieux.

Hardis jusqu’à l’audace,
Toujours fiers, courageux,
Ils ont suivi la trace
De leurs nobles aïeux.

Quel est cette bannière ?
C’est un noble drapeau !
À Carillon, naguère,
Que le combat fut beau !

Dans leur vive allégresse
Le ciel va les bénir ;
Plus d’amère tristesse !
Plus de noir souvenir !!

La paix que le Ciel donne,
Nous comble de ses biens,
Soyons, (le Ciel l’ordonne,)
Français et Canadiens.

Le Français, près des belles.
Est galant, empressé ;
Par nus beautés fidèles
Il est recompensé.

Et pour savoir défendre
Ses Droits avec succès,

Nul ne peut en apprendre
Au Canadien-Français.

Sans fiel et sans colère,
Aux étrangers amis
Montrons une âme fière,
Des cœurs toujours unis.

Et venons, chaque année,
Fêter avec amour,
La Gloire fortunée
Du Patron de ce jour.
Oui chantons et célébrons,
Bannière en tête,
La grande fête
Du plus grand de nos patrons,
C’est La St. Jean que nous fêtons !



LE CŒUR ET LA VOLONTÉ.


À Mademoiselle D. D.

Conseils à une jeune personne sur le choix d’un mari.

Un mari parfait est une chimère,
Ne le cherchez pas, ce serait en vain.
Vous vous réservez mainte peine amère
En rêvant un Ange, être surhumain.
La perfection n’est pas de ce monde,
Tous ont des défauts ; (triste vérité !)
Tout tourne ici-bas, car la terre est ronde,
Tout tourne : le cœur et la « volonté. »

Il est cependant un moyen facile
Qui devrait toujours guider notre choix ;
Je vous le soumets, et, sans être habile,
Je le tiens pour bon, fermement j’y crois
Le cœur est léger, inconstant, volage,
Par tous les zéphyrs il est emporté,
Mais le plus gros vent, le plus fort orage
N’entraînent jamais une « volonté. »


La « volonté » ferme assure en ménage
L’ordre, le repos, la paix, le bonheur,
Le succès partout ; c’est le meilleur gage
Qu’on puisse donner en offrant son cœur.
Ne me parlez pas de ce caractère
Qu’un méchant ami bien vite a gâté ;
C’est peut-être un cœur dévoué, sincère,…
Il lui manque, hélas ! une « volonté. »

La « volonté » c’est le rocher solide
Qui brave l’effort des vents en courroux ;
Qui rit des cancans du monde perfide
Et du destin même affronte les coups.
Il est fort joli d’avoir le cœur tendre,
L’œil vif… en un mot d’être bien tourné
Mais d’un bon époux on a droit d’attendre
Avec un bon cœur une « volonté. »



MES RAQUETTES.

À Mademoiselle E. R.
(1er Novembre, — 1864.)

C’est l’hiver, douze pieds de neige
Encombrent le chemin du Roi,[10]
Mon cheval se livre au manège,
L’attelage est en désarroi.
C’est le temps des plaisirs, des fêtes,[11]
Ma blonde[12] m’attend au hameau ;
J’aurais dû prendre mes raquettes,[13]
Mais, quand je suis parti, le ciel était si beau !


On dit que l’amour a des ailes,
J’en doute, car je suis mal pris ;[14]
Peut-être à des vœux infidèles
Mon retard ajoute du prix.
Croirai-je aux faciles conquêtes ?
Hélas ! l’amour est un fardeau !
J’aurais dû prendre mes raquettes,
Mais, quand je suis parti, le ciel était si beau !

À mon aurore dans la vie,
Tout n’était que chemins de fleurs.
Ô premiers ans ! je vous envie
Jeux sans fin et courtes douleurs !
L’avenir, chargé de tempêtes,
Me tend maint obstacle nouveau… !
J’aurais dû prendre mes raquettes,
Mais, quand je suis parti, le ciel était si beau !

Mais non ! je crois à la constance,
Je crois même aux serments d’amour.
Si je fais rude pénitence,
J’aurai le bonheur à mon tour.
Eh ! que vois-je ? — Deux jeunes têtes,…
C’est Elle et sa sœur, en traîneau ![15]
Qu’avais-je à parler de raquettes ?
Ma blonde vient vers moi, le ciel est toujours beau !


LES GRAINS D’ELLÉBORE.[16]

Avis à mes contemporains.

À vingt ans, il se crut poète
Et fit des vers, Dieu sait comment !
C’était mon ami, je regrette
De lui parler trop franchement.
Mais, s’il voulait rimer encore,
J’oserais lui dire entre nous :
« Prenez quatre grains d’Ellébore,
« Au temps jadis, ainsi l’on guérissait les fous. »

Il se mêla de politique,
Et voulut sauver son pays ;
Au début de la polémique
C’est le moins qu’il se crût permis.
Les périls, les maux qu’il déplore
L’ont rendu sinistre, jaloux :
« Prenez quatre grains d’Ellébore,
« Au temps jadis, ainsi l’on guérissait les fous. »

Il cherche, au fond de plus d’un verre,
Son avenir et son passé ;
Mais il vit triste et solitaire,
Amours, plaisirs l’ont délaissé.

Bacchus, qu’en vain sa voix implore,
Lui répond : « Cher, c’est fait de vous !
« Prenez quatre grains d’Ellébore,
« Au temps jadis ainsi l’on guérissait les fous. »

Et telle est la piteuse histoire
D’un quidam que vous connaissez.
C’est triste, mais il faut y croire,
Les faits parlent,… c’en est assez.
S’il meurt, nous redirons encore,
Pour le bien de chacun de nous :
« Qui n’a pas besoin d’Ellébore ?
« Au temps jadis, ainsi l’on guérissait les fous.»



« C’EST COMM’ PAR CHEZ NOUS. »

Chanson Canadienne.

Pierre disait à son cousin
Habitant d’un canton voisin :
— Par chez vous comment vont les choses ?
Ici, ma foi, tout n’est pas roses,
Nos avocats sont des bavards,
Et tous nos marchands des vantards
De leur marchandise.
Puisqu’on en devise,[17]
Mon cousin, c’est, par chez vous,
Tout comm’ par chez nous. (Bis)

Mais Jean reprit : — Dans mon canton
Tous ceux qui prennent le haut ton
Ne sont pas toujours les moins… bêtes ;
Et le vent remplit bien des têtes
Que surchargent de gros bonnets
Et que portent de grands benêts…
J’en ris à ma guise !
— Puisqu’on en devise,
Mon cousin, c’est, par chez vous,
Tout comm’ par chez nous. (Bis)


— Le Docteur est un bon garçon
Qui sait par cœur une leçon
Pour guérir chaque maladie…
Ma femme y croit, je m’en défie ;
Au ciel même il donnera tort
Si je meurs de ma belle mort
Sans qu’il s’en avise.
— Puisqu’on en devise.
Mon cousin, c’est, par chez vous,
Tout comm’ par chez nous. (Bis)

— Pierre, combien as-tu d’enfants ?
Dix, mais, malgré mes cinquante ans,
Je trouve toujours que nos filles
Sont vives, aimantes, gentilles,
Fidèles à leurs cavaliers
Et souple comm’ des gadelliers[18]
Qu’agite la brise.
— Puisqu’on en devise,
Mon cousin, c’est, par chez vous,
Tout comm’ par chez nous. (Bis)

— Aussi, malgré mille travers,
Malgré les esprits à l’envers,
Au pays je veux toujours croire…
Si les docteurs s’en font accroire,
Si les avocats parlent trop,
Si les marchands sont sur not’ dos…
Bah !… prends une prise !
— Puisqu’on en devise,
Ailleurs c’est pis’ que chez vous :
— Et mêm’ que chez nous. (Bis)

LE GOUVERNEMENT RESPONSABLE

Quatrain traduit de l’Anglais.[19]

Si pour occire ton semblable,
Ta main prend au fourreau le glaive meurtrier,
Le Gouvernement responsable
N’en dira rien, mais Dieu te le fera payer.




ACROSTICHE.


E lle était jeune et j’étais solitaire,
U n jour le ciel me la fit rencontrer,
P auvre exilé, sur la terre étrangère
H eureux alors, je jurai de l’aimer.
É tonnez-vous, s’il vous plaît, de ma chance,
M ais le Bon Dieu bénira nos amours ;
I ci je crois, par moments, être en France,
E n me disant : « Je l’aimerai toujours. »


UN PORTRAIT.


C ’est un petit homme,
A rdent, courageux,
R ude, mais, en somme,
T rès-bon. Les peureux,
I l sait les pousser, les flatter les combattre,
E t devant les géants, plutôt que de s’abattre.
R ebelle, il se soulève et dit : « Brown, à nous deux ! »[20]


SI J’ÉTAIS OFFICIER !


Ballade respectueusement dédiée aux demoiselles dont le cœur est temporairement engagé dans les régiments Royaux en garnison au Canada.[21]

I.
Si j’étais officier de cette grande armée
Dont l’Angleterre ici met quelques régiments,
Par mon noble maintien toute femme charmée
Baisserait pavillon, au feu des sentiments
De mon cœur chaleureux. — Oh ! je serais superbe !
De mes quatre chevaux l’attelage princier
Foulerait, au galop, les passants comme l’herbe ;
Que je serais heureux, si j’étais officier !

II.
Si j’étais officier, je voudrais, à la danse,
Être le cavalier de la reine du bal ;
Je me rirais bien fort du vain peuple qui pense
Que la vie est, pour moi, « l’éternel carnaval. »
« Aimer,[22] boire, se battre, » eh ! c’est toute la vie !
D’un cœur sensible et franc pourquoi se soucier ?
Voler de fleur en fleur, toujours l’âme ravie,
Ce serait là mon plan si j’étais officier !
III.
Si j’étais officier, courageux à la guerre,
Je saurais, en un mot, profiter de la paix,
L’audace est, après tout, fort bonne conseillère ;
Jeune, j’étais timide, hélas ! je me trompais !
« Du front, toujours du front ! » — Ce sera ma devise ;
Pourquoi par le bonheur tant se faire prier ?
Bien d’autres avant moi… ; parbleu ! je me ravise,
Et veux être hardi tout comme un officier !



OH, WOULD I WERE AN OFFICER !


A Ballad respectfully dedicated to the Ladies who are temporarily smitten with the gallant Officers of Her Majesty’s Regiments garrisoned in Canada

I.
Oh, would I were an Officer
Of Britain’s legions grand !
Whose presence here inspires with a we
The people of the land :
Each pretty girl her heart would give
At sight of such a swell ! —
With horses four, I’d pass her door,
And drive in princely style,
Sensation make, a stir create
And scatter crowds pell-mell.
Oh, would I were an Officer !
II.
Oh, would I were an Officer !
At every bail and rout,
The partner of the belle I’d be
Although the rest might pout ;

Not much I’d rare for people who
Might think my life a scene
Of pleasure and unmixed delight —
I’d live as in a dream.
Free as a bee I’d buzz along
And fly from flower to flower,
My soul entranced, with bliss enthralled,
I would not lose an hour.
Oh, would I were an Officer !
III.
Oh, would I were an Officer !
Though brave I’d be in war,
In time of peace good rare I’d take
Nought should my pleasure mar.
Brass, after all, is quite the thing !
When young I was mistaken,
I knew it not, and thus it came
That I was quite forsaken.
My motto for the nonce shall be
Let Brass and Bronze prevail !
Why should I not enjoy myself ?
I know I cannot fail :
So many of the scarlet cloth
For days and years gone past
Have revelled in all kinds of joy !!
Where’er their lot was cast.
Then would I were an Officer
The bravest of the brave
In peace or war
In lands afar
What jolly fun I’d have !

II.
Si j’étais officier, je voudrais, à la danse,
Être le cavalier de la reine du bal ;
Je me rirais bien fort du vain peuple qui pense
Que la vie est, pour moi, « l’éternel carnaval. »
« Aimer,[23] boire, se battre, » eh ! c’est toute la vie !
D’un cœur sensible et franc pourquoi se soucier ?
Voler de fleur en fleur, toujours l’âme ravie,
Ce serait là mon plan si j’étais officier !
III.
Si j’étais officier, courageux à la guerre,
Je saurais, en un mot, profiter de la paix,
L’audace est, après tout, fort bonne conseillère ;
Jeune, j’étais timide, hélas ! je me trompais !
« Du front, toujours du front ! » — Ce sera ma devise ;
Pourquoi par le bonheur tant se faire prier ?
Bien d’autres avant moi… ; parbleu ! je me ravise,
Et veux être hardi tout comme un officier !


Not much I’d rare for people who
Might think my life a scene
Of pleasure and unmixed delight —
I’d live as in a dream.
Free as a bee I’d buzz along
And fly from flower to flower,
My soul entranced, with bliss enthralled,
I would not lose an hour.
Oh, would I were an Officer !
III.
Oh, would I were an Officer !
Though brave I’d be in war,
In time of peace good rare I’d take
Nought should my pleasure mar.
Brass, after all, is quite the thing !
When young I was mistaken,
I knew it not, and thus it came
That I was quite forsaken.
My motto for the nonce shall be
Let Brass and Bronze prevail !
Why should I not enjoy myself ?
I know I cannot fail :
So many of the scarlet cloth
For days and years gone past
Have revelled in all kinds of joy !!
Where’er their lot was cast.
Then would I were an Officer
The bravest of the brave
In peace or war
In lands afar
What jolly fun I’d have !


UN MÉDECIN-POÈTE.
ou
HISTOIRE D’UNE ANNONCE.


Les personnes qui ont voyagé aux États-Unis savent à quelles extravagances se livre la réclame dans cette heureuse République. Je me souviens, entr’autres, de cet industriel qui fit placarder dans toutes les rues de New-York une immense affiche commençant par ces mots, imprimés en lettres colossales :

LE PRÉSIDENT DES ÉTATS-UNIS
EST DEVENU FOU !

puis, au moyen d’une transition bien ménagée, finissait par offrir aux passants un « Nouveau système breveté de boutons à trois trous. » Il y a quelques années, je fus bien surpris de trouver une réclame de ce genre dans un journal du Bas-Canada. Ce n’était plus une plaisanterie, mais, pour employer le vrai mot, une tartufferie. Un Monsieur, se disant diplômé de la Faculté de Médecine de Paris, publiait, dans un journal, une annonce des plus pompeuses, contenant des détails qu’un médecin honorable n’affiche point. Or on lui avait dit, paraît-il, que, la population Canadienne étant très-religieuse, certains dehors de bon apôtre ne nuiraient point à son petit commerce, et voilà qu’en portant son annonce à l’éditeur, il lui remit une pièce de vers intitulée : « L’Amour divin. » Les deux factums parurent le même jouir et signés du même nom. Le contraste était si choquant, je dirai même tellement hideux, que je crus devoir infliger à notre Hippocrate un léger châtiment, de par le sens commun et Apollon, sous la forme d’une parodie. On lira plus loin les deux pièces de ce court procès. Le « médecin-poète » ne répliqua mot, et, peu de temps après, il voguait vers d’autres rivages.


L’AMOUR DIVIN.


Je veux être bien simple et vous dire, au hasard,
Ou du moins essayer et sans ruse et sans fard,
De dire en peu de mots, et c’est un bon système,
Que nous devons aimer ! Et puis le Dieu Suprême,
(Faut-il donc l’oublier ?) Lui qui, le Tout-Puissant,
Nous surveille de loin, nous commande et, tonnant,

Rappelle aux habitants de ce lieu de misère[24]
Que les foudres d’en haut ne sont pas de la terre !
Donc, il faut le bénir, y penser et prier,
Et lui, sans aucun doute, il peut nous consoler.
Si les champs sont fleuris, qui donc en est la cause ?
Est-il en ce bas-monde, est-il donc une chose
Qui ne dérive pas de ce maître absolu ?
Courbons, courbons la tête, et voilà la vertu !
Quand viendra le malheur nous avons la ressource,
Comme un pauvre altéré qui va boire à la source,
De parler au Seigneur, qui toujours répondra :
Puis, frappez à la porte et l’on vous ouvrira.
L’Homme est faible, à coup sûr, il lui faut un refuge,
Le refuge c’est Dieu, notre ami, notre juge.
Nous allons, nous marchons et, par sa volonté,
Comme par l’ouragan un vaisseau transporté,
S’il le veut, le Seigneur, notre âme est courageuse,
Et, s’il ne le veut pas, la nature oublieuse
Entraînant l’animal l’abandonne au néant.
L’homme, sans Dieu, n’est pas, certes, même[25] un enfant

L’amour divin allège une charge pesante,
Les ennuis, les chagrins et quand l’âme est souffrante
Il faut directement s’adresser à Jésus !
On lui dit ses douleurs, c’est un ami de plus.
Rien, avec cet amour, ne sera bas ni vile,
« Sois humble, » a dit le Christ, il n’a pas dit servile.
Le courage, à grands flots, se répand de l’amour,
J’ai dit l’Amour divin qui dure plus d’un jour.
Il inspire aux élus la charité discrète
Car, pour être béni, il la faudrait secrète.
L’AMOUR DIVIN :
Il est vif, il est fort, il brûle, il est violent.
Il dit toujours : « mon Dieu, mon amour et ma vie, »
Oh ! dilate mon âme, et ta force infinie
Saura bien m’enseigner les devoirs les plus Saints.
Ne croyons pas, amis, que nous sommes des Saints.
Dieu puissant ! je voudrais t’aimer plus que moi-même,
Te rester bien fidèle et qu’un malheur extrême,
En pensant à Jésus n’abattît pas mon cœur,
Oh ! priez dans la joie et puis dans la douleur,
Pensez à Jésus-Christ mourant sur le Calvaire,
Il ne pensait qu’à nous à son heure dernière.[26]


L’AMOUR DE L’ARGENT.


(Parodie.)

Je vais vous parler franc : une fois, par hasard,
Ne sera pas de trop en ce siècle où le fard,
Jusque dans les écrits devenant un système,
Voudrait mettre en oubli cette règle suprême :
« Rimez avec raison ! » C’est un moyen puissant
De charmer le lecteur, ô poète étonnant !
Malheureux ! qui, cherchant une rime à « Misère, »
Nous dites que « Le ciel n’est pas sur cette terre ! »
La Palisse l’eût dit sans se faire prier.
Mais nous ! qui de ces vers pourra nous consoler ?
Vous fîtes, en rimant, une effroyable chose ;
Et pourquoi rimez-vous ? Tout effet à sa cause.
Est-ce une maladie, un besoin absolu ?
Vous taire, en pareil cas, serait une vertu.
Ah ! dans votre malheur, je vois peu de ressource,
Vite, guérissez-vous, buvez de l’eau de source ;
Phébus, à votre appel, peut-être répondra,
Et votre faible esprit à la fin s’ouvrira.
Non, pour ce rimailleur, il est un seul refuge,
Ici près à Beauport[27] : Apollon est son juge,
Et, s’il ose rimer contre sa volonté,

Comme par l’ouragan qu’il y soit transporté.
Vous avez, cher monsieur, la muse courageuse,
Mai » quand votre raison endormie, oublieuse,
Nous montre l’animal qui retourne au néant
C’est le fait d’un Athée ou d’un stupide enfant.
Pour votre faible dos la charge est trop pesante :
Vous voulez soulager l’humanité souffrante
Et, Docteur impuissant, vous blasphémez Jésus !
Un pareil défenseur est un Judas de plus.
Faible esprit pour vouloir commenter l’Évangile.
Il faudrait une voix plus forte, moins servile,
Pour l’impure réclame un moins hideux amour
Et des vers destinées à vivre plus d’un jour !
Pour professer d’Albert la science secrète
Votre muse, monsieur, n’est pas assez discrète !
L’AMOUR DE L’ARGENT :
Il est vif, il est fort, il brûle, il est violent.
« Pour gagner de l’argent, le charme de la vie
« Donnez moi de clients une troupe infinie,
« Et, sans vouloir prétendre en faire autant de saints,
« Par des remèdes sûrs j’en ferai des corps sains. »
Voilà, voilà comment j’aurais parlé moi-même,
Mais n’allez pas, poussant la folie à l’extrême,
Confondre, dans vos vers, la joie et la douleur,
La rime et la raison, la tête avec le cœur,
Le fas et le nefas, la Bourse et le Calvaire :
C’est mon dernier conseil en ma ligne dernière.

E. B.
Fin des Perce-neige.


TABLE DES MATIÈRES.



 62

  1. L’auteur préfère le terme cavalier à ceux d’amoureux et de prétendant qui sont plus modernes, il est vrai, mais ne sont pas plus français, si on en croit les meilleurs auteurs. Le terme Cavalier est, du reste, consacré par un long usage au Canada ; conservons notre langue et nos usages !
  2. Les noms propres, inscrits dans le manuscrit où l’auteur a copié ces lignes, ont dû être nécessairement changés ici. Ils ont été remplacés par des noms aussi en rapport que possible avec le caractère des personnages.
  3. On emploie trop souvent, dans ce sens, le mot : engagée ; c’est un affreux anglicisme.
  4. Expression canadienne qui est parfaitement française, et, comme le mot cavalier, consacrée par l’usage, au Canada.
  5. J’ai souvent entendu cet éloge adressé à des demoiselles Canadiennes. À mon avis, il en vaut bien d’autres.
  6. Que ne se dit-on pas, à voix basse, dans les bals ?
  7. Hippolyte Violeau, — « L’Exilé fie là-bas. »
  8. Les inondations qui ont eu lieu au printemps de 1865.
  9. Chantée, avec plein succès, par M. E. G., à la soirée du 26 Juin, 1865.
  10. Le chemin du Roi est-ce qu’on désignait autrefois, en France, sous le nom de Route Royale, aujourd’hui Route Impériale.
  11. C’est le temps des plaisirs, des fêtes Au Canada, tous les travaux étant suspendus pendant l’hiver, cette saison est, en effet, celle du plaisir, des piques-niques, des soirées dansantes, etc., etc.
  12. Ma blonde. C’est ainsi que les jeunes gens du peuple appellent la fiancée, la promise.
  13. Les raquettes qu’on s’attache aux pieds pour marcher sur la neige en dehors des chemins battus, ou même sur la voie publique, après une forte bordée de neige, ont à-peu-près la forme des raquettes dont on se sert pour jouer au volant.
  14. Mal pris. — Expression populaire au Canada pour dire : embarrassé.
  15. Traîneau. — En Canada on substitue trop souvent à ce mot sa traduction Anglaise, Sleigh. Ce véhicule n’est autre chose que le traîneau Russe.
  16. On sait qu’anciennement on attribuait à cette plante la vertu de guérir la folie.
  17. Le verbe deviser est employé ici dans son sens le plus ancien, le plus français, — qui est : causer familièrement.
  18. Nom vulgaire du groseiller.
  19. Voici le quatrain Anglais, tel que cité par l’Hon. T. D. McGee dans son discours sur la confédération :

    If you lake a soard an’ draor’ it
    An’ go stick a feller thru’,
    Gov’nment won’t answer for it,
    God’H send the bill te you.

  20. Allusion au long antagonisme des Honorables MM. G. E. Cartier et G. Brown, aujourd’hui membres du même ministère. — (Mai, 1865.)
  21. La fureur de l’habit rouge est, je dois le dire, une maladie très-rare chez les demoiselles Canadiennes-Françaises — C’est pour cela que j’ai fait insérer cette pièce de vers dans un petit journal anglais, “ The Sprite, ” qui publia, en même temps, la traduction qu’on trouvera ci-après.
  22. Devise de Henry IV, — Roi de France.
  23. Devise de Henry IV, — Roi de France.
  24. Je demande pardon au lecteur de lui présenter ici cet amas d’inepties, de contre-sens,… d’horreurs imbéciles… Cette pièce de vers fut publiée, par mégarde sans doute, dans un bon journal ; je crus bien faire en y appliquant un remède ; je suis encore persuadé que je n’ai pas tort de mettre MM. les éditeurs en garde contre les charlatans.
  25. Rien que cela de chevilles !
    E. B.
  26. Qu’on me cite quelque chose de plus bêtement hypocrite que ce factum et je nommerai l’auteur.
    E. B.
  27. L’asile des fous.