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morale d’Aristote que j’y desirerois ; par exemple, tout ce qui regarde le droit naturel, & que je crois devoir être traité dans la Morale, puisque c’est sur le droit naturel que toute la Morale est appuyée. Sa méthode me paroît mauvaise, & ses argumens foibles. » Il étoit difficile en effet qu’il pût donner une bonne morale, puisqu’il nioit la Providence, l’immortalité de l’ame, & par conséquent un état à venir où on punit le vice & où on récompense la vertu. Quelles vertus veut-on admettre en niant les premieres vérités ? Pourquoi donc ne chercherois-je pas à être heureux dans ce monde-ci, puisqu’il n’y a rien à espérer pour moi dans l’autre ? Dans les principes d’Aristote, un homme qui se sacrifie pour la patrie, est fou. L’amour de soi-même est avant l’amour de la patrie ; & on ne place ordinairement l’amour de la patrie avant l’amour de soi-même, que parce qu’on est persuadé que la préférence qu’on donne à l’intérêt de la patrie sur le sien est récompensée. Si je meurs pour la patrie, & que tout meure avec moi, n’est-ce pas la plus grande de toutes les folies ? Quiconque pensera autrement, sera plus attention aux grands mots de patrie, qu’à la réalité des choses. Corringius s’éleva pourtant un peu trop contre Descartes : il ne voyoit rien dans la Physique de raisonnable, & celle d’Aristote le satisfaisoit. Que ne peut pas le préjugé sur l’esprit ? Il n’approuvoit Descartes qu’en ce qu’il rejettoit les formes substantielles. Les Allemands ne pouvoient pas encore s’accoutumer aux nouvelles idées de Descartes ; ils ressembloient à des gens qui ont eu les yeux bandés pendant long-tems, & auxquels on ôte le bandeau : leurs premieres démarches sont timides ; ils refusent de s’appuyer sur la terre qu’ils découvrent ; & tel aveugle qui dans une heure traverse tout Paris, seroit peut-être plus d’un jour à faire le même chemin si on lui rendoit la vûe tout-d’un-coup. Corringius mourut, & le Péripatétisme expira presque avec lui. Depuis il ne fit que languir, parce que ceux qui vinrent après, & qui le défendirent, ne pouvoient être de grands hommes : il y avoit alors trop de lumiere pour qu’un homme d’esprit pût s’égarer. Voilà à peu-près le commencement, les progrès & la fin du Péripatétisme. Je ne pense pas qu’on s’imagine que j’aye prétendu nommer tous ceux qui se sont distingués dans cette secte : il faudroit des volumes immenses pour cela ; parce qu’autrefois, pour être un homme distingué dans son siecle, il falloit se signaler dans quelque secte de Philosophie ; & tout le monde sait que le Péripatétisme a long-tems dominé. Si un homme passoit pour avoir du mérite, on commençoit par lui proposer quelqu’argument, in barocho très-souvent, afin de juger si sa réputation étoit bien fondée. Si Racine & Corneille étoient venus dans ce tems-là, comme on n’auroit trouvé aucun ergo dans leurs tragédies, ils auroient passé pour des ignorans, & par conséquent pour des hommes de peu d’esprit. Heureux notre siecle de penser autrement ![1]

ARITHMANCIE, ou ARITHMOMANCIE, s. f. divination ou maniere de connoitre & de prédire l’avenir par le moyen des nombres. Ce mot est formé du Grec ἀριθμός, nombre, & de μαντέια, divination. Delrio en distingue de deux sortes ; l’une en usage chez les Grecs, qui considéroient le nombre & la valeur des lettres dans les noms de deux combattans, par exemple, & en auguroient que celui dont le nom renfermoit un plus grand nombre de lettres, & d’une plus grande valeur que celles qui composoient le nom de son adversaire, remporteroit la victoire ; c’est pour cela disoient-ils, qu’Hector devoit être vaincu par Achille. L’autre espece étoit connue des Chaldéens, qui partageoient leur alphabet en trois décades, en répétant quelques lettres, chan-

geoient en lettres numérales les lettres des noms de

ceux qui les consultoient, & rapportoient chaque nombre à quelque planete, de laquelle ils tiroient des présages.

La cabale des Juifs modernes est une espece d’arithmancie, au moins la divisent-ils en deux parties, qu’ils appellent théomancie & arithmancie.

L’évangéliste S. Jean, dans le chap. xiij. de l’Apocalypse, marque le nom de l’Antechrist par le nombre 666. passage dont l’intelligence a beaucoup exercé les commentateurs. C’est une prophétie enveloppée sous des nombres mystérieux, qui n’autorise nullement l’espece de divination dont il s’agit dans cet article. Les Platoniciens & les Pythagoriciens étoient fort adonnés à l’arithmancie. Delrio, Disquisit. Magicar. lib. IV. cap. ij. quæst. 7. sect. 4. pag. 565. & 566. (G)

ARITHMETICIEN, s. m. se dit en général d’une personne qui sait l’Arithmétique, & plus communément d’une personne qui l’enseigne. Voyez Arithmétique. Il y a des experts jurés écrivains Arithméticiens. Voyez Expert, Juré, &c. (E)

ARITHMÉTIQUE, s. f. (Ordre encycl. Entend. Raison, Philos. ou Science, Science de la nat. ou des êtres, de leurs qualités abstraites, de la quantité, ou Mathémat. Math. pures, Arithmétique.) Ce mot vient du Grec ἀριθμός, nombre. C’est l’art de nombrer, ou cette partie des Mathématiques qui considere les propriétés des nombres. On y apprend à calculer exactement, facilement, promptement. Voyez Nombre, Mathématiques, Calcul

Quelques auteurs définissent l’Arithmétique la science de la quantité discrete. Voyez Discret & Quantité.

Les quatre grandes regles ou opérations, appellées l’addition, la soustraction, la multiplication, & la division, composent proprement toute l’Arithmétique. Voyez Addition. &c.

Il est vrai que pour faciliter & expédier rapidement des calculs de commerce, des calculs astronomiques, &c. on a inventé d’autres regles fort utiles, telles que les regles de proportion, d’alliage, de fausse position, de compagnie, d’extraction de racines, de progression, de change, de troc, d’excompte, de réduction ou de rabais, &c. mais en faisant usage de ces regles, on s’apperçoit que ce sont seulement différentes applications des quatres regles principales. Voyez Regle. Voyez aussi Proportion, Alliage, &c.

Nous n’avons rien de bien certain sur l’origine & l’invention de l’Arithmétique : mais ce n’est pas trop risquer que de l’attribuer à la premiere société qui a eu lieu parmi les hommes, quoique l’histoire n’en fixe ni l’auteur ni le tems. On conçoit clairement qu’il a fallu s’appliquer à l’art de compter, dès que l’on a été nécessité à faire des partages, & à les combiner de mille différentes manieres. Ainsi comme les Tyriens passent pour être les premiers commerçans de tous les peuples anciens, plusieurs Auteurs croyent qu’on doit l’Arithmétique à cette nation. Voyez Commerce.

Josephe assûre que par le moyen d’Abraham l’Arithmétique passa d’Asie en Egypte, où elle fut extrèmement cultivée & perfectionnée ; d’autant plus que la Philosophie & la Théologie des Egyptiens rouloient entierement sur les nombres. C’est de-là que nous viennent toutes ces merveilles qu’ils nous rapportent de l’unité, du nombre trois ; des nombres quatre, sept, dix. Voy. Unité, &c.

En effet, Kircher fait voir, dans son Œdip. Ægypt. tom. II. p. 2. que les Egyptiens expliquoient tout par des nombres. Pythagore lui-même assûre que la nature des nombres est répandue dans tout l’univers, & que la connoissance des nombres conduit à

  1. Voir erratum, Tome II, p. iv.