Poésies (Quarré)/Texte entier

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Poésies (Quarré)
Poésies d’Antoinette QuarréLamarche ; Ledoyen (p. --TdM).

POESIES D’ANTOINETTE QUARRÉ , DE DIJON PARIS , CHEZ LEDOYEN , LIBRAIRE , AU PALAIS -ROYAL , Galerie d’Orléans , 31 . DIJON CHEZ LAMARCHE , LIBRAIRE , RUE SAINT-MICHEL , 13. 1843 . Poésies. DIJON. — Imp. de SIMONNOT —CARION. Page:Quarré - Poésies d’Antoinette Quarré, 1843.djvu/11 Page:Quarré - Poésies d’Antoinette Quarré, 1843.djvu/13 Page:Quarré - Poésies d’Antoinette Quarré, 1843.djvu/14 Page:Quarré - Poésies d’Antoinette Quarré, 1843.djvu/15 Page:Quarré - Poésies d’Antoinette Quarré, 1843.djvu/16 Page:Quarré - Poésies d’Antoinette Quarré, 1843.djvu/17 Page:Quarré - Poésies d’Antoinette Quarré, 1843.djvu/18 Page:Quarré - Poésies d’Antoinette Quarré, 1843.djvu/19 Page:Quarré - Poésies d’Antoinette Quarré, 1843.djvu/20 Page:Quarré - Poésies d’Antoinette Quarré, 1843.djvu/21 Page:Quarré - Poésies d’Antoinette Quarré, 1843.djvu/22 Page:Quarré - Poésies d’Antoinette Quarré, 1843.djvu/23 Page:Quarré - Poésies d’Antoinette Quarré, 1843.djvu/24 Page:Quarré - Poésies d’Antoinette Quarré, 1843.djvu/25 Page:Quarré - Poésies d’Antoinette Quarré, 1843.djvu/26 Page:Quarré - Poésies d’Antoinette Quarré, 1843.djvu/27 Page:Quarré - Poésies d’Antoinette Quarré, 1843.djvu/28 Page:Quarré - Poésies d’Antoinette Quarré, 1843.djvu/29 Page:Quarré - Poésies d’Antoinette Quarré, 1843.djvu/30 Page:Quarré - Poésies d’Antoinette Quarré, 1843.djvu/31 Page:Quarré - Poésies d’Antoinette Quarré, 1843.djvu/33 Page:Quarré - Poésies d’Antoinette Quarré, 1843.djvu/34 Page:Quarré - Poésies d’Antoinette Quarré, 1843.djvu/35 Page:Quarré - Poésies d’Antoinette Quarré, 1843.djvu/36




LIVRE PREMIER.






DÉDICACE.




À M. le baron de Belloguet.



Au coin d’un vert bosquet, caché dans les charmilles,
Où vient rire et chanter l’essaim des jeunes filles,
Quand, pour se dérober aux feux brûlans du jour,
Elles cherchent le frais sous un ombreux séjour,
Un arbuste épineux, dédaigné, sans culture,
Et de sauvages fleurs doté par la nature,
Les voyait s’effeuiller au plus léger zéphir,
Sans qu’une main jamais songeât à les cueillir.

Mais un jour que, baigné des larmes de l’aurore,
Il levait au matin son front, amant de Flore
Le maître du jardin, passant sous ces bosquets,
Respira tout-à-coup son parfum doux et frais ;
Il lui trouva du charme, et non pas sans surprise ;
Mais, d’un subit amour sentant son ame éprise
Pour cet humble buisson, ce modeste églantier
Qui jetait ses parfums et ses fleurs au sentier :
« Ces pâles fleurs, dit-il, sur tes branches écloses,
« Grace à mes tendres soins vont devenir des roses. »
Et la greffe aussitôt, sous son habile main,
Se marie à la tige et pénètre en son sein ;
Il redresse et soutient les rameaux, puis enlève
Tous les jets superflus pour ménager la sève ;
Enfin, prix désiré de ses labeurs constans,
Ils ne furent pas vains, et le nouveau printemps

Vit l’arbuste, tout fier de sa métamorphose,
À son maître chéri présenter une rose.
Ainsi, de l’art des vers ignorant les leçons,
Quand ma voix modulait d’imparfaites chansons,
Tu daignas leur prêter une oreille attentive,
Et, surpris d’y trouver quelque grace naïve,
M’enseigner les secrets doux et mélodieux
Aux poètes, jadis, révèlés par les Dieux.
Oui, c’est toi dont l’accent, noble et plein d’éloquence,
Dispensant tour-à-tour le blâme ou l’indulgence,
Me faisait désirer, comme un heureux succès,
Un mot approbateur pour mes jeunes essais.
C’est toi qui, me guidant comme une enfant chérie
Qui s’égare au détour d’une route fleurie,
M’appris à distinguer l’or pur d’avec le faux,
Le sentiment réel de l’emphase des mots,

Et dont la voix sévère, accusant ma faiblesse,
De mon esprit souvent gourmanda la paresse,
Quand d’un tour prosaïque ou d’un sens incomplet,
Oubliant tes leçons, parfois il se servait.
Tu m’as tout enseigné, mes vers sont ton ouvrage,
Ô mon ami ! mon maître, acceptes-en l’hommage ;
Daigne, en père indulgent, leur faire un doux accueil ;
Si mon faible talent trouva plus d’un écueil,
Si je n’ai pas toujours, avec force élancée,
Aussi haut que la tienne élevé ma pensée,
Et du luth inspiré si la corde parfois
Impuissante ou rebelle a frémi sous mes doigts,
Excuse ces défauts, pardonne à la faiblesse
De mon sexe, timide, et fait pour la tendresse
Plus que pour les travaux nobles et sérieux
À l’homme grave et fier destinés par les cieux,




UN FILS.




Un fils.



Que de fois j’ai rêvé, seule, hélas ! sur la terre,
Un ange aux blonds cheveux qui me nommait sa mère,
Un enfant blanc et rose entre mes bras couché,
Jeune être souriant au soleil, à la vie,
Unique et cher espoir de mon ame ravie,
Trésor où mon amour se serait épanché !

Je le voyais déjà grandir dans ma pensée,
Comme un jeune arbrisseau dont la tige élancée
S’élève avec orgueil sur le sol maternel ;
Et mon œil attentif aimait à voir son ame
Briller naïve et pure en ses regards de flamme,
Comme un reflet du ciel.


Ardent, et de ses jeux épris avec ivresse,
Si sa fougue parfois alarmait ma tendresse,
J’étais heureuse aussi quand, lui tendant la main,
Sur le seuil s’avançait quelque vieillard timide,
Et j’embrassais mon fils qui venait, l’œil humide,
De courir vers le pauvre et lui donner son pain ;
Mon fils, mon seul amour, mon espoir et ma joie,
Dont la jeune raison chaque jour se déploie,

Qui déjà sait comprendre et graver dans son cœur
Qu’on doit amour à Dieu, qu’il frappe ou qu’il bénisse,
Indulgence à son frère, horreur profonde au vice,
Et pardon à l’erreur.


Quand ma voix, faible écho de notre belle histoire,
S’essaie à lui conter quelque scène de gloire,
Un sympathique orgueil l’enflamme à mon récit ;
D’un feu plus éclatant son regard étincelle,
Et tout trahit déjà, dans ce corps tendre et frêle,
Une ame neuve et forte où la vertu grandit.
Mais si je peins la France à l’étranger vendue,
De son char triomphal renversée et vaincue,
Pleurant la trahison de ses enfans ingrats,
Veuve de son héros, reine découronnée…

Il me dit, rougissant de la voir profanée :
Mère, oh ! n’achève pas.


Mais le temps a volé : de l’enfant qui s’efface
L’homme au front rayonnant vient de prendre la place.
Qu’il est noble, superbe, et que de majesté !
Tel devait être Adam sortant des mains divines,
Quand les anges, ravis, aux célestes collines,
Descendaient vers Eden, admirant sa beauté.
La vierge, à son aspect s’étonnant d’être émue,
Sent palpiter son cœur, rougit, baisse la vue,
La relève aussitôt pour le suivre de l’œil ;
Et moi que ses vertus, ses succès, rendent fière,
Je le contemple alors, et trop heureuse mère,
Je m’enivre d’orgueil.



Sans regrets maintenant, je puis quitter la vie,
Car mon fils est un homme et ma tâche est remplie,
Et je m’endormirai paisible sur son cœur :
Lit doux à mon repos, sans tache, sans souillure,
Que n’a jamais flétri, sous son ardeur impure,
D’un coupable désir le souffle corrupteur.
Va ! si pour toi les jours sont féconds en orages,
Si ton bel horizon s’obscurcit de nuages,
Et que tes yeux en pleurs cherchent en vain les cieux,
Tu porteras toujours, pour vaincre avec constance,
Et le divin amour et la ferme espérance
Dans ton sein généreux.


Je veillerai sur toi de la céleste voûte ;
Mes regards maternels te suivront dans ta route ;

Et si, par la douleur, je te vois abattu,
Sur l’aile d’un archange, au sein des nuits profondes,
Mon ame, franchissant la distance des mondes,
Viendra du haut des cieux ranimer ta vertu.
Mais non ; c’est une erreur que j’avais caressée,
Un rêve mensonger dont je m’étais bercée ;
L’enfant a disparu ; je reste seule, hélas !
Mon fantôme adoré, ma ravissante image,
Ce fils de mon amour, cet homme, mon ouvrage,
S’est enfui de mes bras.


Tel parfois un nuage aux formes fantastiques
Semble offrir à nos yeux des temples, des portiques,
Peuplés de séraphins se berçant dans l’azur,
D’anges tout rayonnans sous leurs célestes voiles,

Chantant l’hymne éternel, et couronnant d’étoiles,
Sur des trônes brillans, les vierges au front pur.
Mais quand l’œil enchanté sourit à ces images,
Un vent léger s’élève, et bientôt les nuages
Effacent en fuyant ce tableau radieux :
Ainsi, disparaissant de mon ame ravie,
Ce songe, qui charmait ma douce rêverie,
S’est perdu dans les cieux.




LA PROMENADE.


IDYLLE.




LA PROMENADE.



Viens ! les cieux sont d’azur, la campagne est fleurie,
L’astre brillant du jour se lève à l’horizon,
De suaves parfums embaument la prairie
Et les pleurs du matin brillent sur le gazon.

Viens, ô mon bien-aimé ! la journée est si belle,
Déposons en ces lieux nos soucis, nos travaux,

Et fuyons doucement comme un couple fidèle
De cygnes amoureux glissant au bord des eaux.

Des tilleuls odorans suivons la verte allée,
Au gré de ses détours laissons errer nos pas ;
De nulle crainte ici notre paix n’est mêlée,
Et je puis sans rougir m’appuyer sur ton bras.

Vois, le ciel nous sourit, le zéphir nous caresse,
Le rossignol prélude à ses tendres concerts,
Tout invite au bonheur, convie à la tendresse,
Nos cours sont pleins d’amour et les champs sont déserts.

Ainsi, rois de la terre, encor vierge et féconde,
L’un de l’autre charmés en se donnant la main,
Adam et sa compagne aux premiers jours du monde
S’égaraient à pas lents sous les berceaux d’Éden.


Parle, ô mon jeune ami ! de ta voix adorée
Mon oreille attentive aime les doux accens
Plus que les sons divins d’une lyre inspirée,
Dans l’espace, le soir, emportés par les vents.

Parle, dis-moi tes vœux, ta plus chère espérance,
De tes jours écoulés le plus doux souvenir ;
Épanche dans mon sein ta joie ou ta souffrance,
Tes songes du passé, tes rêves d’avenir.

Mais, de notre bonheur chérissant le mystère,
Et le cœur agité par de brûlans transports,
Si tu crains d’en livrer au langage vulgaire
Les secrets innocens et les divins trésors ;

Dans l’azur de tes yeux laisse briller ton ame,
Mon regard la comprend, tu le sais, tous les deux

N’avons-nous pas ainsi de la plus pure flamme
Échangé doucement les célestes aveux ?

Sur mon front rougissant, quoi ! ta lèvre se pose ;
Ah ! si chaste et si doux tu m’as pris ce baiser,
Que son charme naïf me rassure, et que j’ose
Te le rendre plutôt que te le refuser.

Ô mon amour ! dis-moi que toujours notre vie
S’écoulera paisible ainsi que ces flots purs
Qui vont, en arrosant les fleurs de la prairie,
Cacher leur cours heureux dans des vallons obscurs.

Qu’ai-je dit, ô mon Dieu ! quelques jours, et peut-être,
Sous les feux du soleil, sous la main des faucheurs,
Nos regards attristés auront vu disparaître
Et le ruisseau limpide et les modestes fleurs.


Du moment qui nous luit savourons bien l’ivresse,
Qui sait ce que demain peut apporter d’effroi ?
Aujourd’hui le bonheur, les baisers, la tendresse ;
Demain ? demain peut-être, emporté loin de moi,

De l’océan du monde affrontant les orages,
À toi, crédule enfant, qui comptes sur le sort,
Les fruits amers cueillis sur de lointains rivages
Et les écueils brisant ton esquif loin du port.

Tandis que dans ces lieux ton amante enchaînée,
Comme un oiseau captif sous de cruels réseaux,
Impuissante à lutter contre la destinée,
Consumera ses jours dans un mortel repos.

Ah ! qu’aujourd’hui du moins tout entier m’appartienne
Sous ces ombrages verts, ami, reposons-nous ;

Je suis heureuse ainsi, mes deux mains dans la tienne ;
Les yeux fermés au jour, ton front sur mes genoux.

Car je t’aime, vois-tu, de l’amour qu’une mère
A pour le premier-né qui s’abreuve à son sein ;
Ma tendresse n’est point une flamme éphémère,
C’est un feu chaste et pur, c’est un rayon divin.

Je voudrais être l’ange à qui, dès ta naissance,
Dieu confia le soin de veiller sur tes jours,
Ce bel ange dont l’aile abrita ton enfance
Et garde encor ton cœur des coupables amours.

Si tu dois rencontrer le bonheur, si la gloire
Se lève, astre brillant, sur ton bel horizon,
Perdant sans murmurer ma place en ta mémoire,
Dans mon lointain exil je redirai ton nom.


Mais, trompé par l’espoir dont ton ame est remplie,
Triste, découragé, las de combattre en vain,
Si tu sentais un jour le mépris de la vie,
Sentiment inconnu, s’éveiller dans ton sein ;

Si tes pas fatigués loin des sources limpides
Égaraient ta jeunesse, imprudent voyageur,
Pareil à l’oasis dans les sables arides,
Pour t’abreuver d’amour je garderai mon cœur.

Ce cœur qui t’appartient, ce cœur dont la tendresse
En parole ineffable, en délirant transport,
Dans les momens d’angoisse et les jours de détresse
Doit s’exhaler plus vive et plus sublime encor.

Cependant le jour baisse et la nuit va descendre,
Le pâtre au chant joyeux rassemble son troupeau,

De la cloche du soir le bruit se fait entendre
Et dans son humble nid revient le jeune oiseau.

De notre asile aussi, tous deux, prenons la route ;
Ma mère, j’en suis sûre, est au bord du chemin,
Le temps lui semble long ; attentive, elle écoute,
Et nous cherche de l’œil à l’horizon lointain.




À HÉGÉSIPPE MOREAU.


ÉLÉGIE.

Quand nous ne sommes plus, notre ombre a des autels.




À Hégésippe Moreau.



Oh ! que tu dois sourire, Hégésippe, à la gloire
Qui vient, belle et pompeuse, illustrer ton cercueil !
Qu’elle a de majesté sous sa tunique noire
Et ses atours de deuil !

Sa main, pour ombrager la couche où tu reposes,
D’un laurier immortel a cueilli les rameaux,

Et prodigue à ton nom ses caresses écloses
Au milieu des tombeaux.

Son beau front rayonnant, que le cyprès couronne,
S’est penché sur ton sein glacé par le trépas ;
À tes baisers d’amour, vois ! elle s’abandonne
Avec tous ses appas.

C’est le superbe espoir de tes jours solitaires,
Le rêve tant pleuré de tes nuits sans sommeil,
Celui qui te dorait tant d’horribles misères
Sous son prisme vermeil ;

La fantasque beauté vainement poursuivie,
Qui, sans jamais répondre à tes brûlans appels,
Te voyait consumer le parfum de ta vie
Au feu de ses autels.


De ses divins baisers l’impérissable empreinte,
Hégésippe, est le sceau d’un immortel bonheur ;
Saisis, saisis-la donc, et d’une folle étreinte
Presse-la sur ton cœur.

Poète, elle est à toi ! de ta couche glacée
Sors ; et, te relevant sur ce funèbre seuil,
Apparais aux regards de la foule empressée,
Grandi par le cercueil.

L’avenir, désormais accueillant ton génie,
Va se lever sur toi brillant comme un ciel pur,
Qui d’un astre nouveau voit la splendeur chérie
Embellir son azur.

Mais non ! ma voix évoque une insensible cendre
Dont rien ne peut troubler le lugubre sommeil ;

Oublieux de ses chants, ils l’ont laissé descendre
Dans la nuit sans réveil.

Pauvre cygne, exilé sur une ingrate rive,
En vain tu modulais des sons harmonieux ;
Pour forcer de l’écho la voix triste et tardive,
Il fallait tes adieux !

Présent cher et fatal ! ce flambeau du génie,
Que tu reçus des cieux avec un juste orgueil,
Ne devait donc briller qu’au jour de l’agonie
Pour éclairer ton deuil !

Ah ! du pressentiment la voix intime et sombre,
Sans doute, avait jeté sa tristesse en ton sein,
Quand, du chantre d’Armide évoquant la grande ombre,
Tu pleuras son destin.


Hélas ! il a fallu, d’un cœur que rien ne dompte,
T’armer contre l’oubli, l’isolement, la faim,
Et vider jusqu’au fond d’indigence et de honte
Un calice trop plein.

Poète infortuné ! d’une parole amie
Tu n’as pas entendu l’accent consolateur
Ranimer doucement l’espérance, la vie
Et l’amour dans ton cœur.

Sur les avides bords du funèbre royaume,
Le malheur t’a conduit par d’épineux chemins,
Triste, et le front baissé, passant comme un fantôme
Seul parmi les humains.

Ah ! ta vie en effet leur était étrangère ;
Qu’importe aux vils roseaux la fleur au doux parfum !

Entre toi, fils des cieux, et ces fils de la terre,
Qu’était-il de commun ?

L’ardente soif de l’or ne séchait point ton ame,
Tu n’étais point de marbre aux cris des malheureux ;
Mais de l’amour du beau la sainte et noble flamme
T’embrasait de ses feux.

Le poète n’est pas l’insensible poussière
Que, froide et corruptible, en leur tardif orgueil,
Ils veulent honorer d’une superbe pierre
Et doter d’un cercueil.

Le poète est l’esprit d’amour et d’harmonie
Que Dieu laissa lui-même exhaler de son sein,
Et qui retourne à lui, quand sa course est remplie,
Sûr d’un bonheur sans fin.



ODE À LA REINE,


SUR LA MORT DE LA PRINCESSE MARIE.

La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles.




ODE À LA REINE.



« Quoi ! si jeune, ô mon Dieu ! tu l’avais condamnée !
« Rien n’a pu la sauver, rien n’a pu te fléchir ;
« De beauté, de talens, de vertus couronnée,
« À l’amour d’un époux ne l’avais-tu donnée
« Que pour la lui ravir ?


« Tous les noms d’ici-bas qui font chérir la vie,
« Les plus grands, les plus doux, composaient son bonheur ;
« De tendresse et d’espoir entourée et suivie,
« Comme un ange de plus, mon Dieu ! tu l’as choisie
« Sans pitié pour mon cœur ! »

Trône baigné de pleurs ! mère désespérée !
La France à vos douleurs répond en longs échos ;
Nos tribuns les plus fiers avec vous l’ont pleurée ;
Du pauvre consterné la voix triste et sacrée
S’est perdue en sanglots.

Un renom populaire entourait sa jeunesse,
Qui des arts jusqu’au trône éleva le labeur :
Ils s’énorgueillissaient d’un ciseau de princesse ;
Et le peuple, adoptant leur royale prêtresse,
L’aimait comme une sœur.


Les flambeaux d’Hyménée, à leur douce lumière,
Avaient de son bonheur vu consacrer les nœuds ;
Puis un gage d’amour, joie intime et dernière,
La faisant palpiter au nom chéri de mère,
Comblait enfin ses vœux.

Quand d’un si beau destin la fugitive aurore
Promettait de longs jours à son cœur enchanté,
La voilà pâle et froide, et moins vivante encore
Que ce marbre immortel dont sa main fit éclore
L’héroïque beauté.

Mais, cette œuvre à jamais illustrant sa mémoire,
Son nom du sombre oubli saura franchir l’écueil ;
Et, noble monument, beau d’une double gloire,
Jeanne fera rêver tour à tour de victoire,
De génie et de deuil.


Pleurez, princes ! pleurez à votre amour ravie
Une épouse, une sœur, un enfant adoré,
Et toi, Reine ! à genoux, comme une autre Marie
Devant son fils divin qu’on descendait sans vie
Au sépulcre sacré.

Mais, si du Rédempteur la mère inconsolée,
Après trois jours d’angoisse et de tourment cruel,
À ses douleurs au moins vit sa joie égalée,
Quand son fils triomphant, sorti du mausolée,
Reparut immortel ;

Dans la tombe où ta fille, hélas ! est descendue,
De même elle a trouvé son immortalité,
Ô Reine ! et de vos pleurs son ame encore émue
Est déjà dans les cieux, où Dieu l’a revêtue
D’éternelle beauté.


Mêlée aux purs esprits dont la foule environne,
Sur son trône éclatant, le Roi de l’univers,
De son chaste et beau front la brillante couronne
Est un reflet divin de ce front qui rayonne
Au milieu des éclairs.

Mais, au sein des splendeurs que son œil voit éclore,
Vers la terre incliné son regard suit vos pas,
Puis remonte pour vous vers ce Dieu qu’elle implore,
À jamais bienheureuse, et pourtant triste encore
Des adieux d’ici-bas.

Et, des Cieux entr’ouverts si vous sentez descendre
Un consolant espoir qui charme vos douleurs,
C’est elle dont la voix mélancolique et tendre
Aura prié là-haut le Seigneur de répandre
Ce baume dans vos cœurs.




REMERCIEMENT


À la Reine



Note de l’Éditeur. — Ces vers furent adressés à la Reine pour la remercier d’un nécessaire en or qu’elle avait envoyé à l’auteur.


REMERCIEMENT À LA REINE.



Sors de ton abandon, viens, résonne, ô ma lyre !
Que l’orgueil te réveille et que l’amour t’inspire ;
Ta corde ne va plus soupirer mon ennui :
Pour chanter l’hymne heureux de la reconnaissance,
La gloire, la vertu, la sainte bienfaisance,
Je te prends aujourd’hui.

Sors de ton abandon, viens, sois fière, ô ma lyre !
Une mère, une Reine a daigné nous sourire ;

Que ta voix désormais, en bénissant le ciel,
Ainsi qu’un doux écho de joie et de tendresse,
N’apporte que des chants d’amour et d’allégresse
À son cœur maternel.

Comme un ange d’amour, veillant sur notre France,
Tarissant les douleurs, protégeant l’innocence,
Et par toutes les voix faisant bénir son nom,
Le ciel semble l’avoir placée au rang suprême
Pour secourir le pauvre, et du coupable même
Obtenir le pardon.

De son royal époux tendre et noble compagne,
Heureuse de ses fils que la gloire accompagne
Des portes de l’Atlas aux mers de l’équateur,
Unie à nos destins, de nos victoires fière,

Ce n’est point à l’éclat d’une pompe étrangère
Qu’elle doit sa splendeur.

Et sa faveur pourtant, jusqu’à moi descendue,
Comme un rayon brillant perçant la sombre nue,
M’a cherchée au milieu de mon obscurité,
Et vers son trône auguste, amour de la patrie,
De mon cœur palpitant, de mon ame attendrie,
Tous les vœux ont monté.

Sors de ton abandon, viens, sois fière, ô ma lyre !
Une Reine, une sainte a daigné nous sourire ;
Que ta voix désormais, en bénissant le ciel,
Ainsi qu’un doux écho de joie et de tendresse,
N’apporte que des chants d’amour et d’allégresse
À son cœur maternel.




LA MADONE.




LA MADONE.



Au pied de la colline il est une chapelle
Où s’incline en passant le front du voyageur,
Devant le marbre saint, image qui rappelle
La mère du Sauveur.


Les enfans du hameau vont tressant des guirlandes
Qu’ils apportent joyeux à la Vierge des champs,
Et la Vierge toujours accepte leurs offrandes
Et sourit aux enfans.

Espoir des villageois, veillant sur leurs prairies,
Elle écarte l’orage et les vents destructeurs,
Protégeant tour-à-tour ou les gerbes mûries,
Ou les naissantes fleurs.

Du soleil de juillet quand l’ardeur dévorante
Sur le rameau poudreux brûle les fruits penchés,
Quand les ruisseaux n’ont plus d’eau limpide et courante
Dans leurs lits desséchés ;

À l’autel de Marie, humblement prosternée,
La foule au cœur fervent prie avec son pasteur,

Et la Reine des cieux l’écoute, environnée
De grace et de douceur.

Un nuage, à sa voix, apparaît et déroule
Ses flancs réparateurs, par l’éclair déchirés,
D’où l’onde salutaire à flots pressés s’écoule
Dans les champs altérés.

Aussitôt tout renaît dans la verte vallée ;
Plus pur, plus embaumé, l’air reprend sa fraîcheur,
Les roses leur éclat, et l’oiseau sa volée
Sous les bosquets en fleur.

Ainsi tout languissait dans mon ame abattue,
L’espérance et l’amour semblaient s’éteindre en moi,
Et je cherchais en vain, de doutes combattue,
À ranimer ma foi.


De son flambeau mourant la clarté pâlissante,
Comme un cierge funèbre usé près d’un cercueil,
Ne jetait déjà plus qu’une lueur tremblante
Dans mon esprit en deuil.

Et j’allais, le cœur plein d’une tristesse amère,
Succomber sous le poids de ce mortel ennui,
Quand j’invoquai ton nom, ô secourable mère,
Des malheureux l’appui.

Prête à bénir tout front que la douleur incline,
Tu vis mon désespoir, et tu daignas alors
Épancher dans mon sein de ta pitié divine
Les célestes trésors.

Étoile du matin, tu versas dans mon ame
Les rayons épurés d’un jour brillant et doux,

Et de me consoler tu prias, tendre femme,
L’Esprit-Saint, ton époux.

Sa grace descendit, bienfaisante rosée ;
Comme un parfum suave elle inonda mon cœur,
Et je sentis renaître en mon ame épuisée
La force et la vigueur.

Du saint et pur amour la brûlante étincelle,
Qui depuis si long-temps sommeillait dans mon sein,
Ô Vierge ! s’éveilla plus ardente et plus belle
Sous ton souffle divin.

Et mon cœur, enivré d’une joie infinie,
Libre enfin des douleurs dont tu l’as su guérir,
Se perd dans son extase, et n’a plus, ô Marie !
Qu’un chant pour te bénir.


Reine au front étoilé, que mon humble louange
S’élève jusqu’à toi du pied de cet autel,
Et se mêle timide aux purs accens d’un ange
Dans les parvis du ciel.




L’ANGE ET LA FÉE.




L’ANGE ET LA FÉE.

À Madame la Comtesse de Grancey, née de Cordoue.
28 Décembre.


À pareil jour votre berceau
Jadis fut témoin d’un mystère ;
Tout sommeillait dans le château,
Votre nourrice et votre mère.

À peine ouverts, vos yeux charmans
S’étaient fermés sous des caresses ;

C’était l’heure où les talismans
Sont aux mains des enchanteresses.

Sur les castels aux noirs donjons,
Sur les tours d’aspect fantastique
Phébé versait les blancs rayons
De sa clarté pâle et magique ;

Gais farfadets, joyeux lutins,
Dansaient sur la neige durcie ;
Les pauvres Sylphes, en essaims,
Voltigeaient d’une aile transie ;

Quand, du merveilleux Alhambra
Quittant la royale retraite,
Dans un char ailé s’élança
Une fée avec sa baguette.


Au temps passé, flamme d’amour
Avait, dit-on, ô châtelaine !
Rempli son cœur qui brûla pour
Gonzalve le fier capitaine.

Du haut des airs dans les combats
Elle encourageait sa vaillance,
Puis le héros entre ses bras
Savourait douce récompense.

Le mystère voilait ces feux :
Mais, au réveil de chaque aurore,
Sur le gazon foulé par eux
Des parfums s’exhalaient encore ;

Et dans le souffle des zéphirs
Caressant la fleur agitée,

On respirait tendres soupirs
Du chevalier et de la fée.

Quand le destin brisa leurs nœuds,
Tout en pleurant d’être immortelle,
« Ô mon Gonzalve ! à tes neveux
« Mon amour restera, » dit-elle.

Depuis, envers les descendans
Du héros cher à sa tendresse,
Toujours par des dons séduisans
La fée acquitte sa promesse.

Et ce jour-là, pour vous doter,
Jeune enfant qui naissiez à peine,
Elle voulait faire éclater
Sa munificence de reine.


Sur un rayon mystérieux,
S’étant glissée en votre asile,
Elle vit un ange des cieux
Veillant près du berceau fragile.

Il redoutait l’effet puissant
De la magie et de ses charmes,
Et pour vous protéger, enfant,
Avait pris de célestes armes.

La fée entr’ouvrit les rideaux
Qui dérobaient votre visage,
Et murmura tout bas des mots
D’un étrange et secret langage.

Puis, touchant votre front vermeil
Avec sa baguette enchantée :

« Ainsi qu’un rayon de soleil
« Descend sur la nue argentée,

« Descends, beauté, charmante fleur
« Que l’on respire avec ivresse,
« Et répands ton attrait vainqueur
« Sur cet objet de ma tendresse.

— « La beauté pourrait être un mal,
« Dit le bon ange avec prudence ;
« Pour balancer ce don fatal,
« Mon Dieu, laissez-lui l’innocence.

— « Que ta lèvre invite au baiser ;
« Que ton œil noir lance la flamme.
— « Qu’un chaste amour, pour l’embrâser,
« Mon Dieu, règne seul dans son ame.


— « À ton sourire séducteur
« Je donne la grace entraînante.
— « Et moi, je donne la candeur
« Aux accens de ta voix charmante.

— « Esprit des sons mélodieux,
« Verse-lui des flots d’harmonie,
« Pour plaire au cœur ainsi qu’aux yeux
« Enivre-la de ton génie.

— « Présent divin, bonté du cœur,
« Qui fais pleurer sur la souffrance,
« Rends-la belle aux yeux du malheur
« Comme une aurore d’espérance. »

Ainsi chacun d’eux, tour-à-tour,
Épuisant pour vous ses largesses,

De bonté, de grace et d’amour,
Vous a prodigué les richesses.

Et souvent, aux yeux incertains,
La beauté profane ou divine
Dont tous vos charmes sont empreints
Rend douteuse votre origine.

Quand, au sein d’un monde attrayant,
Vous passez brillante et parée,
On dit tout bas, en vous voyant :
« C’est un lutin, c’est une fée. »

Mais, plus heureux, si l’on connaît
Votre ame aux vertus sans mélange,
La fée, aussitôt, disparaît,
Et le lutin devient un ange.




VŒUX.




Vœux.



Oh ! s’il m’était donné d’être brillante et belle,
D’avoir de longs cheveux en noirs anneaux flottans,
Et de riches joyaux où la perle se mêle
Aux rubis éclatans ;

Une taille élancée, aux formes ravissantes,
Au doux balancement, au contour gracieux,

Et puis de frais atours, des robes élégantes
À longs replis soyeux ;

L’éclat d’un noble nom, l’attrait plus cher encore
D’un regard enchanteur par l’amour embelli,
Aussi pur que les cieux quand l’astre qui les dore
Sur le soir a pâli ;

Et de vastes salons où, joyeuse et parée,
Régnant sur tous les cœurs de mes charmes épris,
Je verrais, dans les yeux de la foule enivrée,
Mes triomphes écrits !

Puis je voudrais avoir, au rang de mes conquêtes,
Des héros, des vainqueurs, beaux de gloire et d’amour,
Des princes conviés à mes brillantes fêtes,
Et des rois à ma cour.


Mais, pour tous ces amants insensible et sévère,
À celui que j’aimais gardant toujours ma foi,
Aimante avec lui seul, avec les autres fière,
Je serais toute à toi !

Et mon cœur, dédaignant la royale tendresse,
L’amour des nobles ducs et celui des guerriers,
Pour un de tes baisers ou pour une caresse,
Donnerait volontiers

Ces biens dont la pensée est trop peu pour mon âme,
Tous ces dons éclatants, pleins de frivolité,
Et ne voudrait garder que d’une simple femme
La touchante beauté.




CAPRICE.




CAPRICE.



Je ne veux plus t’aimer ; c’est en vain qu’à genoux
Tu viendrais, rappelant les sermens les plus doux,
Demander quel orage a passé dans mon ame ;
Me dire, qu’éphémère, un caprice de femme
Seul a pu m’inspirer de semblables discours ;
Que je t’aimais hier, que je t’aime toujours ;

Que nul soupçon jamais n’a troublé notre ivresse ;
Que ma félicité répond de ma tendresse,
Et que tu ne crois pas à ce propos menteur
Prononcé par ma voix, démenti par mon cœur.

Pourtant, il est bien vrai, notre chaîne est brisée,
Avant qu’au gré du temps elle se soit usée ;
Avant que, dans la coupe où nous buvions l’amour,
Nos lèvres aient goûté l’amertume un seul jour ;
Sans que le pâle ennui, l’ardente jalousie,
Aient en calice amer changé notre ambroisie ;
Avant que l’espérance ait fait place aux regrets :
Notre chaîne est brisée, oui, brisée à jamais.

Je ne veux plus t’aimer ; et pourtant, je l’avoue,
Au seul bruit de tes pas je tressaille ; ma joue

Se colore soudain d’un plus vif incarnat,
Et de mon œil humide on voit briller l’éclat ;
Ma main brûle et frémit sous ta main qui la touche ;
Les mots, pour te parler, semblent froids, et ma bouche
Inhabile à trouver d’assez tendres accens,
N’a sur sa lèvre en feu que des soupirs brûlans.


Mais tout ce fol amour dont s’enivre mon ame
Semble de mon génie avoir éteint la flamme ;
À mon luth oublié si je reviens parfois,
La corde est détendue et l’instrument sans voix.
De ces chants qui jadis faisaient toute ma gloire,
Mon cœur, en t’adorant, a perdu la mémoire ;
En vain, d’un art céleste évoquant les transports,
Je cherche à ressaisir d’harmonieux accords ;


Je demande au soleil, à la nuit, aux nuages,
De sublimes pensers et de belles images ;
Mais la nue et la brise, et la nuit et le jour,
Sont remplis de toi seul et me parlent d’amour.


Voilà pourquoi je veux, désormais insensible,
M’armer d’un regard fier et d’un cœur inflexible ;
Ne crois pas m’ébranler, tu n’y parviendrais pas.
Mais que dis-je ! il accourt… et je lui tends les bras.




À M. F.-C. BUSSET[1].




À M. F.-C. BUSSET.



Oui ! dussiez-vous sur moi fixer un œil sévère,
Charles, de vos amours je connais le mystère,
Et pourrais (mais comptez sur ma discrétion),
Nommer l’objet heureux de votre affection.
Ce n’est pas cependant que jamais cette belle
Docile à tous vos vœux, pour tant d’autres rebelle,

M’ait, sur le seuil obscur de son divin palais,
Laissé, même de loin, entrevoir ses attraits.
L’orgueilleuse, dit-on, de son sexe frivole
Dédaigne l’humble encens, mais du vôtre est l’idole.
Coquette, s’il en fut, pour s’attacher les cœurs
Elle a mille détours, et ses adorateurs,
Bien souvent poursuivis d’une idée importune,
De leurs tourmens secrets accusent la fortune ;
Puis, quand ils sont tout prêts à se désespérer,
D’un rayon imprévu les venant éclairer,
Elle approche et soulève à leur vue enivrée
Un coin du voile épais dont elle est entourée.
De ses divins appas, ô magique pouvoir !
Leur amour se rallume enflammé par l’espoir,
Et voilà de nouveau qu’à sa porte enchaînée
Leur foule est suppliante, émue, et prosternée.

Cependant elle est femme, et, dès-lors, il ne faut
Croire que sa rigueur jamais n’ait fait défaut.
Tandis qu’à soupirer se morfond le vulgaire,
Il est d’heureux élus qui, dans le sanctuaire,
S’enivrent à longs traits de bonheur et d’amour.
D’abord un favorable et coquet demi-jour
Laisse à leurs yeux charmés voir la forme indécise
De la divinité dont leur ame est éprise ;
Cet aspect les enflamme et trouble tous leurs sens,
Rien ne doit résister à leurs désirs puissans,
Et, fallût-il mourir pour ce moment d’ivresse,
Ils voudraient de ce prix payer une caresse.
Dans sa coquetterie elle sourit, alors
De leurs feux dévorans redoublent les transports,
Sur la gaze autour d’elle en nuage flottante
Se porte avec bonheur une main frémissante ;

Elle résiste en vain, il faut la conquérir.
À vos baisers ensuite elle viendra s’offrir.

Tel fut votre destin. Cette beauté si fière
À votre amour fidèle appartient tout entière ;
Tandis que cent rivaux blessés des mêmes traits
Adorent sans la voir l’ombre de ses attraits,
Sans voile, sans témoins, prodigue de ses charmes,
Sa farouche vertu vous a rendu les armes,
Et sur votre beau front, dans vos yeux rayonnans,
On lit votre victoire et ses enchantemens.

Vous le voyez, ami, je sais tout ; mais, discrète,
Ma muse gardera le secret de vos feux ;
Elle aime les amans, et la voix du poète
Chante sans le trahir un mystère amoureux.

Ne m’accusez donc pas si, malgré ma prudence,
Le feu qui vous enflamme éclate en vos discours,
Et, révélant l’objet de vos tendres amours,
Tout bas, en souriant, fait nommer ?… la Science.




REGRETS D’UNE JEUNE FEMME.




REGRETS D’UNE JEUNE FEMME.



Je suis jeune, et déjà le souffle du destin
A fait plier ma tête et flétri ma couronne ;
Du printemps de mes jours le pâlissant matin
Est triste et déjà sombre ainsi qu’un soir d’automne.

C’est en vain qu’on m’entraîne au milieu des concerts,
Des bals éblouissans, des pompes du théâtre ;

Les fêtes et les jeux en vain me sont offerts ;
Moi, je hais ces plaisirs que le monde idolâtre.

Mais je dois y paraître avec un front joyeux,
Mais je souris à tous, et pas un ne devine
Que, des fleurs sur la tête et des pleurs dans les yeux,
J’étouffe les sanglots qui gonflent ma poitrine.

Tu t’applaudis, ma mère, en ton superbe orgueil,
D’avoir jeté ta fille aux bras d’un noble maître.
De son cœur affligé que t’importe le deuil ?
Sous la pourpre et sous l’or, qui le verra paraître ?

En vain je t’ai priée, en vain, à tes genoux,
Pour un timide amour je t’ai demandé grace ;
Il a fallu céder à ton altier courroux,
Et de mes pleurs brûlans cacher jusqu’à la trace.


Tremblante, on m’a conduite au pied des saints autels,
Et, sur mon front paré des voiles d’hyménée,
Le prêtre a prononcé les accens solennels
Qui liaient à jamais ma triste destinée.

Ces accens consacrés dont la chaste douceur
Avait rendu souvent ma jeune ame jalouse,
Quand, livrée à l’espoir d’un innocent bonheur,
Je rêvais les doux noms et de mère et d’épouse.

Oh ! que j’étais alors crédule en l’avenir !
Comme, heureuse d’aimer, je riais à la vie,
Trompeuse, qui m’offrait des fleurs pour les flétrir,
Et d’un calice amer les bords pleins d’ambroisie !

Et que me font à moi les vains titres et l’or
De cet époux illustre à qui l’on m’a livrée,

Quand mon cœur palpitant garde et chérit encor
D’un amant jeune et beau l’image idolâtrée ?

Oui, j’ai dû t’obéir, j’ai dû courber mon front ;
Mais, ma mère, bientôt tu pleureras peut-être,
Et, redoutant des nuits le silence profond,
Tu craindras dans leur sein de me voir apparaître.




LE PARDON DE L’INFIDÈLE.




Le Pardon de l’Infidèle.



 
« Quitte le ton plaintif ; il est temps, ô ma lyre,
 « D’essayer d’autres chants ;
« D’un amour malheureux tu te plais à redire
 « Les éternels tourmens.

« Va, c’est assez gémir, secoue enfin les chaînes,
 « Ô lyre ! éveille-toi ;

« Adieu les vains soupirs, adieu des plaintes vaines
 « Le langoureux émoi !

« Chantons ! chantons les jeux, les ris et la folie,
 « Les liens passagers,
« La foi jurée en vain qu’on a cent fois trahie
 « Et les propos légers.

« Viennent, viennent l’oubli, les festins et la joie,
 « Les femmes aux doux yeux,
« Et la bruyante orgie où le chagrin se noie
 « Dans le nectar des Dieux.

« Moi je veux être aimé, mais non pas pour la vie,
 « Seulement pour un jour ;
« Car, autant je chéris l’amoureuse folie,
 « Autant je hais l’amour.


« À moi donc le parfum de la rose embaumée
 « Dont se pare Eucharis,
« Et le baiser brûlant de ta lèvre enflammée,
 « Attrayante Naïs.

« Viens, Nina, que ta voix éclatante et sonore
 « Commence un chant joyeux ;
« Vois, pour te le payer, ma coupe est pleine encore
 « D’un vin délicieux.

« Jetez, jetez des fleurs, brûlez l’ambre et la myrrhe ;
 « Qu’étincelant de feux,
« Chargé de mille encens, l’air qu’ici l’on respire
 « Enivre et rende heureux.

« C’est bien, c’est bien, Nina, de ta voix caressante
 « Vive à jamais les chants !

« Et voyons si pour moi la corde frémissante
 « Garde encor des accens.

« Mais, quand je veux chanter, d’où vient que tu soupires,
 « Ô luth ! entre mes mains,
« Des sons tristes et lents, doux comme ces sourires
 « Qui de larmes sont pleins ?

« D’où vient que dans mon cœur les parfums et l’ivresse
 « Éveillent les échos
« De cette inconsolable et mortelle tristesse
 « Qui m’inonde à longs flots ?

« Image du plaisir, Eucharis, vois, la rose
 « Dont se parait ton sein,
« S’effeuillant dans la coupe où ta lèvre se pose,
 « Meurt avec le festin.


« Ainsi ma destinée en un jour s’est flétrie,
 « Quand j’ai vu, malheureux !
« Aux bras de mon amante infidèle et chérie
 « Un rival odieux.

« Percé d’un trait fatal, quelle est donc ma blessure,
 « Que les feux du plaisir,
« Ni mon jaloux orgueil, ni ton crime, ô parjure !
 « Rien n’a pu la guérir ?

« Par quel art, quels secrets enfans de la magie,
 « Quel philtre, quel poison,
« À ton funeste amour as-tu lié ma vie,
 « Et perdu ma raison ?

« Ah ! plus doux que le ciel, ton sourire ou tes larmes,
 « Tes refus, ta pudeur,

« Tes baisers, tes sermens, voilà, voilà les charmes
 « Qui t’ont donné mon cœur.

« Comment ne pas t’aimer, quand, d’une voix émue
 « Où tremblait le désir,
» Tu résistais en vain, rougissant à ma vue
 « De trouble et de plaisir ?

« De tes seize printemps la beauté virginale,
 « Dans sa naissante fleur,
« Brillait comme un rayon de l’aube matinale
 « Sur ton front séducteur.

« L’amour, en se jouant, de tes lèvres de rose
 « Entr’ouvrait le corail,
Bijou voluptueux, frais écrin où repose
 « Un double rang d’émail ;


« Et dans tes yeux voilés d’une langueur timide
 « Se peignaient tous ses feux,
« Comme on voit rayonner dans un cristal humide
 « L’éclat brillant des cieux.

« Et ton ame était pure, ô ma jeune maîtresse,
 « Comme un parfum divin
« Qui de l’urne des lys s’exhale avec ivresse
 « Au souffle du matin.

« Ah ! sans doute une erreur de mon rival complice
 « Aura trompé tes sens,
« Toi dont le chaste cœur ignorait l’artifice
 « Des mensongers accens.

« Non, tu n’es pas coupable, et tu pourrais encore,
 « Dans mes bras entr’ouverts,

« Effacer de ce cœur brisé, mais qui t’adore,
 « Les maux qu’il a soufferts.

« Oh ! rends-moi mon bonheur, oh ! rends-moi mon délire ;
 « Tendre comme autrefois,
« Viens, le pardon t’attend, et sur ma bouche expire
 « Le reproche sans voix. »

De celle qu’il aimait sa plainte est entendue ;
Elle était sur le seuil, l’écoutait, et soudain,
S’élançant d’un seul bond, palpitante, éperdue,
Les yeux baignés de pleurs, vient tomber sur son sein.




LIVRE DEUXIÈME.






INVOCATION.




Invocation.



Sylphe à la voix si pure, harmonieux génie,
Ô toi qui dans mon cœur
Murmures des accords d’une grace infinie,
Des chants pleins de douceur,

Des chants qui dans mon ame endorment la tempête,
Puissans comme autrefois,

Sur le cœur de Saül la harpe du prophète
Et le son de sa voix ;

Toi qui vins si souvent aux jours de la souffrance
Apaiser mon chagrin,
Comme un enfant en pleurs que sa mère balance
Et calme sur son sein ;

Toi dont la voix divine a pleuré dans mon ame,
Quand d’un amour trompé
L’invincible douleur brisa mon cœur de femme
D’un coup soudain frappé ;

Ami dont la présence ignorée et fidèle
Embellit mon séjour ;
Ame unie à la mienne, esprit, pure étincelle
D’harmonie et d’amour ;


Oh ! pourquoi tes accens, plus purs que la prière
Dont le rapide essor
Franchit des vastes cieux les fleuves de lumière
Et les nuages d’or ;

Pourquoi tes chants, plus doux que la brise embaumée
Qui, passant sur les fleurs,
Féconde leur calice et nous vient parfumée
De leurs tièdes odeurs ;

Oh ! pourquoi tous ces dons restent-ils dans mon ame
Ignorés et perdus ?
Génie aux saints transports, ange aux soupirs de flamme,
Pour moi fais encor plus !

Laisse mes doigts jaloux, sur ta harpe sonore,
Essayer le pouvoir

De ces désirs brûlans dont l’ardeur me dévore,
Quand, s’éveillant le soir,

Ton souffle inspirateur dans mon ame oppressée,
Fait déborder à flots
L’impétueux besoin d’exhaler ma pensée
En ravissans échos.

Révèle, il en est temps, à mon esprit qui t’aime,
L’harmonieux secret
De ces chants gracieux dont la douceur suprême
A pour moi tant d’attrait.

Ne crains pas que jamais ta lyre, destinée
À des accents divins,
Par d’indignes accens frémisse profanée
Dans mes coupables mains.


De ma fidélité mes malheurs sont les gages ;
Tu le sais, ici-bas,
Au livre des douleurs j’ai lu toutes les pages,
Encor bien jeune, hélas !

Et des pleurs, bien souvent mêlés à ma prière,
Ont, loin des yeux mortels,
Dans le secret du temple, inondé ma paupière
À l’ombre des autels.

Mais la voix qui soupire au ciel est entendue,
Et mon cœur éprouvé,
De la mer d’amertume où je flottais perdue,
Plus pur s’est relevé.

Dans mon sein gémissant, le pardon de l’injure
Est né de leur mépris.

Ils m’avaient enseigné l’outrage et le parjure ;
Toi, douleur ! tu m’appris

Quels trésors sont cachés dans l’ame du poète,
Cette ame aux ailes d’or,
Qui, froissée aux dédains que la foule lui jette,
Agrandit son essor,

Et, même au sein des maux, dont souvent on l’inonde,
Calme comme au beau jour,
Soupire un hymne saint, chante, et n’envie au monde
D’autre encens que l’amour.

Oui, m’enivrer d’amour, d’air pur, de mélodie,
Voilà mes seuls désirs.
Que m’importent ces biens que le vulgaire envie !
Moi, j’ai d’autres plaisirs.


La voix du rossignol au zéphir mariée,
Le parfum d’une fleur,
Aux yeux d’un malheureux une larme essuyée,
C’est assez pour mon cœur.

Laisse-moi donc chanter, laisse-moi, saint génie,
Dérober à ta voix
Un seul de ces accords dont la douce magie
M’enivra tant de fois.

Comme l’oiseau, caché sous la feuille tremblante,
Chante à l’abri du jour,
Laisse-moi soupirer sur ta harpe vibrante
Quelques hymnes d’amour.

À peine, aux jours de mai, dans nos bois est éclose
La fleur de l’églantier ;

Que ses parfums légers, son haleine de rose,
Embaument le sentier.

Laisse-moi donc, comme elle, en des flots d’harmonie,
Pleins d’un charme divin,
Exhaler ces trésors de tendresse infinie
Renfermés dans mon sein.




ÉLÉGIE.




ÉLÉGIE.



Ainsi tu m’oubliais, quand mon ame enivrée,
Heureuse de t’aimer, et comptant sur ta foi,
Caressait en secret ton image adorée
Et ne songeait qu’à toi.

Ainsi tu l’as brisé, ce cœur dont la tendresse,
Naïve et se fiant à d’innocens liens,

Était naguère encor ta plus douce richesse,
Le plus cher de tes biens.

Toi ! qui m’as si souvent juré que l’existence
Par moi seule enchantée était belle à tes yeux,
Qu’en tes rêves chéris d’avenir, d’espérance,
J’étais pour toi les cieux.

Que ta voix était douce et ta lèvre éloquente,
Quand tu peignais tes maux, par moi seule adoucis,
Quand tu m’entretenais de ta flamme naissante,
À mes côtés assis !

Ah ! que je t’écoutais attendrie et charmée !
Dans quelle pure extase, et quels ravissemens,
Mon ame recueillait de ta parole aimée
Tous les divins accens !


Admirant ton respect pour ma sainte croyance,
Ton amour pour des rois proscrits et malheureux,
Ta foi chevaleresque et la noble constance
De ton cœur généreux ;

J’étais si fière alors, dans mon tendre délire,
De partager ton sort, de m’être unie à toi,
Qu’à l’univers entier ma bouche eût voulu dire :
 « Il m’a donné sa foi. »

Oh ! je voudrais mourir, car désormais ma vie,
Veuve de tout espoir d’amour et de bonheur,
N’est qu’un champ dépouillé, qu’une palme flétrie,
Qu’un soupir de douleur.

Car il n’est plus, hélas ! rien pour moi sur la terre ;
Que m’importent des jours destinés à pleurer !

Quand ton cœur est brûlé d’une flamme adultère,
Puis-je encore espérer ?

Non ! que ma mort t’unisse à ta nouvelle amante ;
Porte à ses pieds l’amour que tu m’avais juré ;
Des feux les plus brûlans puise l’ivresse ardente
Sur son sein adoré.

Perds-toi dans cet amour, qu’il devienne ta vie,
Ton plus charmant espoir, ton unique bonheur ;
Et puis connais un jour la poignante agonie
De la voir sur ton cœur,

Glacée et dédaignant d’ineffables caresses,
Insensible à l’horreur de ton affreux tourment,
Réserver de son sein les plus riches tendresses
Pour un nouvel amant.


À traits lents et sans nombre épuisant le calice,
Savoure l’amertume ainsi que je l’ai fait ;
Et que la mort, loin d’être un cruel sacrifice,
Te paraisse un bienfait.

Mais non, va, dans mon cœur où n’entre point la haine,
Ce vœu fatal expire avant d’être formé :
À moi tous les chagrins, à moi toute la peine ;
À toi, mon bien-aimé !

La part que j’aurais pu demander à la vie
De nectar parfumé, d’ambroisie et de miel ;
Car, dans la coupe, hélas ! que sa main m’a remplie
Dieu n’a mis que du fiel.




À LA TERRE.




À LA TERRE.




Fleurissez, beaux lilas, et vous, charmantes roses,
Au souffle gracieux des zéphirs caressans
Livrez avec amour, de vos fleurs demi-closes
Les parfums ravissans !

L’air est chaud, le ciel bleu, tout renaît et s’anime,
Un vague enchantement remplit tout l’univers ;

Chaque chose a sa voix murmurante ou sublime,
Chaque être ses concerts.

Grenade, étale au jour ta parure enflammée ;
Roses, du vert laurier, couronnez les rameaux ;
Et toi, bel oranger, que ta fleur embaumée
Par les amans, par les vierges aimées,
Forme d’épais berceaux !

Ô Terre ! enivre-toi de joie et d’allégresse,
Car la vie et l’amour débordent dans ton sein ;
De ton brillant époux le regard te caresse,
Belle et parée, ainsi qu’à ton premier matin,
Quand la main du Très-Haut te lança dans l’espace,
Et qu’œuvre magnifique, où brillait sa splendeur,
Dans les champs éthérés tu vins prendre ta place,
Devant les cieux ravis qui t’admiraient en chœur !


Les siècles ont en vain mesuré l’existence,
Des empires cédant à leur pouvoir immense ;
L’homme, ton roi d’un jour, trahi dans son orgueil,
Se voit du trône en vain jeté dans le cercueil ;
Les générations naissent, grandissent, tombent ;
Leurs lois, leurs monumens, leurs mémoires succombent.
Rien ne peut t’attrister :
Souriant à la mort ainsi qu’à la naissance,
Tu sais que Jéhovah, dans sa magnificence,
T’a donné la puissance
De toujours enfanter.

Du temps, qui nous emporte et joue avec nos vies,
Loin de subir la loi,
Tu le vois ramener tes saisons rajeunies
Et renaître pour toi.

Qui dirait, admirant ta robe de verdure,
Et tes vallons fleuris, et tes rians coteaux,
Et les fleuves d’argent, et tes mers dont les flots
T’embrassent comme une ceinture ;

Qui dirait que déjà tant de jours sont passés,
Depuis que l’Éternel marqua ta première heure ?…
Ah ! qu’importe, en effet, qu’un peuple naisse ou meure !
Tu restes, c’est assez :
Car, dans ton sein fécond, que de peuples sans nombre,
Devant sortir un jour du néant et de l’ombre,
Sont encore entassés !

Que de gloires déjà dans le passé perdues ;
Combien de noms fameux effacés par le temps,
Et de vastes cités à jamais disparues,

Où dorment dans l’oubli les cendres confondues
Du peuple et des tyrans !

Ô Terre ! n’as-tu pas pitié de leur délire,
Quand, de ton noble sol se disputant l’empire,
Ils combattent sans fin ;
Oubliant que bientôt, tombés dans la poussière,
Ils ne conserveront de leur fortune altière
Qu’une couche en ton sein ?

Mais pourquoi souffres-tu, mère aux humains commune,
Que, parmi tes enfans,
Les uns soient condamnés aux pleurs, à l’infortune,
Tandis que, triomphans,
Les autres, enivrés de leurs richesses vaines,
Se partageant tes monts, tes forêts et tes plaines,

Vers le ciel indigné lèvent un front hautain,
Jetant au pauvre obscur l’insulte et le dédain ?

Dis, ne frémis-tu pas sous leur poids qui t’opprime,
Et, pour les engloutir,
N’as-tu jamais senti, pleins d’une horreur sublime,
Tes flancs prêts à s’ouvrir ?

Non ; car tu sais combien de sa toute-puissance
L’Éternel est jaloux,
Lui qui s’est réservé la terrible vengeance
Et le brûlant courroux.
Non, globe intelligent, la volonté suprême
T’a révélé qu’un jour,
Des destins immortels, plus grands que les tiens même,
Aux pauvres d’ici-bas qu’elle éprouve et qu’elle aime,
Sont promis et gardés dans un meilleur séjour.


Oui, ces fils de ton sein, êtres pétris d’argile,
Qu’une journée enfante et voit mourir par mille,
Sont immortels pourtant ;
Comme un parfum divin dans un fragile vase,
Cet homme au corps formé de limon et de vase
Porte un esprit sublime en son sein palpitant,
Une ame que l’amour de tous ses feux embrase
Et que le ciel attend.

Poursuis donc et remplis ta noble destinée ;
Belle comme une épouse à son jour d’hyménée,
Redouble de fécondité.
Qu’importe si des pleurs, tombant sur ta poussière,
De nos jours passagers attestent la misère
Et la stérilité ?

Sois orgueilleuse, ô Terre, et bondis d’allégresse ;
Car le Seigneur t’a dit : « Œuvre de ma sagesse,
« Enfante pour l’éternité ! »




À UN PETIT BOUQUET


DE FLEURS DES PRÉS.

À M. E. B.




À un petit Bouquet de Fleurs des Prés.



De ton parfum doux et sauvage
Que je m’enivre avec plaisir,
Bouquet charmant, aimable gage
De tendresse et de souvenir !

Chacun t’admire, et j’en suis fière ;
Oh ! conserve bien ton éclat,

Ta fraîcheur vive et printanière,
Ton charme simple et délicat.

Au bord d’une eau limpide et pure,
Loin des regards profanateurs,
Le sein fécond de la nature
Vous fit naître, modestes fleurs.

Ainsi, dans une ame candide,
Naissent les tendres sentimens,
L’amour discret, l’espoir timide,
Les rêves doux et caressans.

De nos jardins les fleurs brillantes
Parent le front de la beauté,
Et sur leurs tiges élégantes
Se balancent avec fierté.


Mais pour l’ondine gracieuse,
Jouant la nuit au sein des eaux,
Vous, guirlande mystérieuse,
Vous vous cachez sous les roseaux ;

Et ses pieds blancs qu’elle entrelace
Aux joncs verdoyans et fleuris,
Foulent, sans y laisser de trace,
Le frais émail de vos tapis ;

Et des baisers qu’on lui dérobe
Vous connaissez tous les secrets,
Quand, dénouant la verte robe
Qui flotte autour de ses attraits,

Un jeune sylphe la lutine,
Et, consumé de tendres feux,

Sur son cou léger, qui s’incline,
Boit les perles de ses cheveux ;

Puis, l’entraînant faible et charmée
Hors de l’onde aux flots murmurans,
Lui fait une couche embaumée
De vos calices odorans.




LE PALAIS DE JUSTICE.




Le Palais de Justice.



Hier, hier encor de ce palais antique
J’admirais, en passant, la façade gothique,
Et ne voyais en lui qu’un ancien monument
Par l’œil du voyageur contemplé froidement.

La majesté du temps m’y semblait seule empreinte,
J’en effleurais le seuil sans tristesse, sans crainte,

Et mes regards jamais, sondant sa profondeur,
N’avaient de son mystère interrogé l’horreur.

Mais le soir descendu, ma journée accomplie,
Légère d’une tâche heureusement remplie,
Sur un bras appuyée et prolongeant le cours
De la route incertaine et des tendres discours,

Je vis, sous le perron, la vieille porte ouverte :
Un reflet de clarté de l’enceinte déserte
Éclairait à demi le fond lugubre et noir :
On entrait librement, je voulus aller voir.

Je ne sais quel effroi sur ma bouche rieuse
Vint glacer tout-à-coup la parole joyeuse ;
En traversant ce temple au redoutable aspect,
Mon désir curieux faisait place au respect.


Du sanctuaire enfin nos pas touchent l’entrée,
C’est là que la justice, imposante et sacrée,
Apparaît aux regards du crime épouvanté
Dans sa toute-puissance et dans sa majesté.

C’est en vain qu’il avait, comptant sur la nuit sombre,
Creusé pour l’innocent une fosse dans l’ombre,
Dit : « La tombe est muette, et ses hôtes jamais
« Ne viennent du passé révéler les secrets. »

Mais d’un rayon vengeur la sombre nuit s’éclaire,
La justice se lève, elle arrache à la terre
Ce cadavre meurtri, page livide, où l’œil
Lit en lettres de sang les secrets du cercueil.

Le meurtrier pâlit à cette horrible vue,
Il voudrait détourner sa paupière éperdue,

Tous ses sens sont glacés, il frissonne, il croit voir
Le néant s’animer et la mort se mouvoir.

C’est à lui, maintenant, d’implorer sa victime ;
Ce cadavre l’étreint, ce spectre dans l’abîme
Va le précipiter, et le poursuivre encor
Avec ses cris d’angoisse et son râle de mort.

Il ferme, il ferme en vain ses yeux pleins d’épouvante ;
Rien ne pourra calmer sa torture incessante,
Le remords dévorant dans son sein est caché :
C’est le vautour antique à sa proie attaché.

Quels sont donc aujourd’hui les débats qu’on soulève ?
Sur quel front, ô mon Dieu ! se balance le glaive ?
Se peut-il, juste ciel ! assise au banc fatal,
Une enfant pleure et tremble au pied du tribunal ?


Mais vous vous méprenez ; son sexe, sa jeunesse,
Sont ignorans du crime et faits pour la tendresse ;
L’amour seul doit régner dans ce cœur ingénu,
Créé pour le bonheur, la paix et la vertu.

Ah ! pourquoi frémit-elle à ces chastes paroles ?
Amour ! vertu ! bonheur ! vos saintes auréoles
Ne couronnent donc plus son front déshonoré ?
Vous avez fui d’un cœur lâche et dénaturé…

Hélas ! il est donc vrai, dans un moment d’ivresse,
À l’attrait du plaisir succomba ta faiblesse,
Et, pour cacher la faute objet de ta rougeur,
Tu la couvris d’un crime… effroyable pudeur !

Quoi ! cet enfant ta vie, et ton sang, et ton ame,
Ce tendre premier né, fruit d’un baiser de flamme,

Pour qui le Créateur dans le sein maternel
Mit des trésors d’amour à faire envie au ciel ;

Ce fils dont un regard, une larme, un sourire,
Dans le cœur palpitant d’une mère en délire
Font passer tour-à-tour d’ineffables tourmens,
Et des transports de joie, et des ravissemens ;

Cet enfant, dont l’amour sanctifie et couronne
Le front purifié sur lequel il rayonne,
Tu l’as pu, malheureuse ! au sortir de ton sein,
À cette aveugle honte immoler de ta main ?

Ah ! je comprends alors d’où vient que tu tressailles :
C’est ton sang révolté qui crie en tes entrailles,
Et sa voix déchirante est plus cruelle encor
Que celle qui lira ta sentence de mort.


Oh ! que tu dois souffrir dans tes nuits d’insomnie,
Dans ton sommeil fiévreux, douloureuse agonie,
Où tu crois d’un enfant sentir les bras glacés,
Comme un lien funèbre, à tes bras enlacés.

En sondant de tes maux le ténébreux abîme,
Mon cœur brisé s’éprend d’une douleur intime,
Et voudrait, de ta vie éclairant l’horizon,
Te verser, comme un Dieu, les bienfaits du pardon.

Si les jours ne sont plus, Seigneur, où ta sagesse,
De la femme adultère épargnant la faiblesse,
De ses juges mortels détourna le courroux,
Fais descendre, Jésus, ton esprit parmi nous.

Laisse-toi désarmer, rigoureuse justice,
Oh ! la miséricorde, et non le sacrifice !

De cet être fragile, hommes, prenez pitié ;
Par ses tourmens déjà son crime est expié.

Mais je supplie en vain, de sa tête coupable
Nul ne peut détourner l’arrêt inexorable,
Et dans ces cœurs, hélas ! tout prêts à s’émouvoir,
Rien ne doit balancer l’inflexible devoir.

À cette heure suprême où la terre te juge,
Courbe-toi devant Dieu, ton unique refuge ;
Lui seul peut désormais t’ouvrir encor son sein,
Et couvrir ton forfait de son pardon divin.

Et je sortis alors, emportant dans mon ame
L’effrayant souvenir de ce terrible drame,
Et croyant voir errer sous les murs ténébreux
Des fantômes sanglans et des spectres hideux.


Mais d’un beau soir d’été la majesté splendide,
Comme un ciel se mirant dans une onde limpide,
Vint réfléchir sa paix dans mon esprit charmé,
Et lui rendre bientôt son calme accoutumé.

Sois béni, m’écriai-je, ô Roi de la nature !
Qui des jours et des nuits fais la beauté si pure ;
Sois à jamais béni d’avoir gardé mon cœur,
Vierge encor, ô mon Dieu ! de coupable douleur.

Quels que soient de nos jours l’amertume ou les charmes,
Heureux qui, devant toi laissant couler ses larmes,
Accablé de tristesse ou bercé par l’espoir,
D’un sommeil innocent peut s’endormir le soir !




À UN AMI.




À un Ami.



Oh ! pourquoi dans mon sein ne pas verser ta peine ?
Pourquoi me dérober tes déchirans soucis ?
Mon cœur en veut sa part, le nœud qui nous enchaîne
Pour souffrir isolés nous a-t-il réunis ?

Comme un esprit aimant que le Seigneur envoie
Pour veiller sur mes pas et les couvrir de fleurs,
Ne veux-tu donc sur moi répandre que la joie,
Et garder pour toi seul le secret de tes pleurs ?


Non, non, je suis jalouse, il me faut tout, mon ame
Est forte et veut porter la moitié de tes maux ;
Laisse-moi sur ta plaie, ainsi qu’un pur dictame,
De ma vive tendresse épancher tous les flots.

Tandis que la douleur sur ton visage est peinte,
Crois-tu mon cœur ingrat, satisfait de tes dons ?
Ah ! dans ta coupe aussi je veux boire l’absinthe,
Quand d’un miel savoureux tu m’offres les rayons.

Je veux souffrir aussi du mal qui te consume,
Préférer la tristesse aux accens du plaisir,
Et, de tous tes chagrins partageant l’amertume,
À force de t’aimer, peut-être, l’adoucir.




LE BAPTÊME


Du Comte de Paris.

2 mai 1841.




LE BAPTÊME DU COMTE DE PARIS.



Sur les fronts nouveau nés, sur les têtes blanchies,
La lyre a, de tout temps,
Exhalé ses concerts de paroles bénies,
D’ineffables accens.

Vers les seuils de la vie évoquant l’espérance
Au magique regard,

Elle promet la terre à l’enfant qui s’avance,
Et les cieux au vieillard.

Ainsi du rossignol la voix mélodieuse,
Où languit tant d’amour,
Chante les premiers feux de l’aube radieuse,
Et le déclin du jour.

Pareille au doux chanteur du soir et de l’aurore,
Lyre, présent des cieux !
Sur un berceau royal aujourd’hui fais éclore
Des sons harmonieux.

Chante un hymne riant, car c’est un jour de fête.
Oh ! béni du Seigneur,
Qu’il soit paisible et pur, sans que nulle tempête
En trouble le bonheur.


Le temple est préparé, l’autel déjà rayonne,
Et l’airain, dans les airs,
Aux superbes accens du bronze qui résonne
Mêle de saints concerts.

Un cortége imposant de la divine enceinte
Franchit l’antique seuil,
Et sous ses nobles pas tressaille la nef sainte
Et d’amour et d’orgueil.

Mais au Dieu des chrétiens qui donc rend cet hommage
Auguste et solennel ?
Est-ce l’encens, la myrrhe, ou l’or qu’un nouveau mage
Vient offrir à l’autel ?

Non, ce n’est point l’or pur, ni la myrrhe embaumée,
Ou le divin encens,

Dont le Roi qui s’avance et sa famille aimée
Apportent les présens.

Plus cher que les joyaux dont leurs fronts se couronnent
À nos yeux éblouis,
Plus cher que tous leurs biens, le trésor qu’ils te donnent,
Roi des Rois, c’est leur fils ;

Leur fils, leur premier né, leur plus riche espérance,
Qu’ils sont venus t’offrir ;
Car ils savent, Seigneur, qu’avant d’être à la France,
Il doit t’appartenir.

Ils savent que tu tiens la force et la victoire
Dans tes puissantes mains,
Et seul fais resplendir la véritable gloire
Au front des souverains.


Imprime donc au sien, fait pour le diadême,
La marque des élus,
Le sceau victorieux, la majesté suprême
Des sublimes vertus.

Tout un peuple, à genoux, avec moi t’en conjure,
Qu’il soit grand, qu’il soit bon,
Qu’il brave les dangers, et n’accorde à l’injure
Qu’un généreux pardon.

C’est ainsi seulement que, dans nos jours d’orage,
Les Rois peuvent encor
Briller, astres sereins, au milieu des nuages,
Et triompher du sort.

Car les temps ne sont plus où la seule naissance
Assurait, en tous lieux,

De leurs sujets soumis l’aveugle obéissance
Aux monarques heureux.

À plus d’un front lassé la couronne est pesante ;
Même on a vu parfois
Le sceptre s’échapper d’une main impuissante
À soutenir son poids.

Et des partis rivaux quand les luttes profondes,
Par des coups incessans,
Du vaisseau de l’état ballotté sur leurs ondes
Assaillissent les flancs ;

Ton aïeul, quelque jour, instruisant ta jeunesse
Te dira, noble enfant,
Ce qu’il faut de vertu, de force, de sagesse,
Pour régner triomphant.


Mais, non ! tu n’auras pas de sombres destinées,
Ô prince ! et de beaux jours,
Accordés à nos vœux, de tes jeunes années
Vont marquer l’heureux cours.

C’est là le prix divin gardé sur cette terre,
Par la main du Seigneur,
À la plus sainte femme, à la plus tendre mère,
À celle dont le cœur,

Trésor sublime et pur d’angélique tendresse,
Dans la joie ou le deuil,
A toujours vers les cieux exhalé sa tristesse
Ou son royal orgueil.

Oui, tu seras pour tous un gage d’alliance,
Un espoir, un lien ;

De notre liberté, de nos lois, de la France
L’amour et le soutien.

La discorde, la haine, et la funeste envie,
Éteignant leur flambeau,
Vont s’enfuir en voyant la paix et l’harmonie
Planer sur ton berceau.

Et, jeune arbre grandi sous l’ombre tutélaire
Des rameaux paternels,
Tu porteras des fleurs au parfum salutaire
Et des fruits immortels ;

Comme ces Rois, vivans dans leurs linceuls de gloire,
Dont les noms sont encor
Aux fastes éclatans de notre belle histoire
Écrits en lettres d’or.


D’un horizon long-temps noirci par les tempêtes
Fuyez, sombres vapeurs ;
Un nouvel arc-en-ciel se lève, et sur nos têtes
Vont briller ses couleurs.




PRIÈRE.




PRIÈRE.



Le souffle du malheur, depuis que je suis née,
A flétri tous mes ans ;
Ma vie à son matin, pauvre fleur, s’est fanée
Sous des cieux trop ardens.


Cependant, ô mon Dieu ! tu le sais, dans mon ame
Ivre de tes beautés,
L’amour, le pur amour seul a versé sa flamme
Et ses vives clartés.

Jamais je n’ai senti mon cœur battre de haine,
Ou d’envie, ou d’orgueil ;
Mais de l’enfant en pleurs et de la veuve en peine
J’ai partagé le deuil.

Je t’ai prié pour l’homme au front chargé d’années,
Dont les pas sont tremblans ;
Car toujours j’ai béni les têtes inclinées
Sous de longs cheveux blancs.

À l’être humble et souffrant qui m’offrait ton image,
Ô Dieu crucifié !

Mes lèvres ont toujours parlé le doux langage
De la tendre pitié.

Et pourtant, ô Seigneur, de ta sainte colère
Le poids tombe sur moi,
Et tu laisses briser comme un fragile verre
Mon cœur rempli de foi.

Ma voix en vain s’élève et te demande grace,
Tu ne lui réponds pas ;
Quand je pleure à tes pieds, tu détournes la face
Et me fermes les bras.

Ne te souvient-il plus des jours de ma jeunesse
Où ton regard divin,
S’abaissant sur mon cœur, en calmait la tristesse,
Comme autrefois ta main,


S’étendant sur la mer au fort de la tempête,
Apaisa son courroux,
Et fit au sein profond de leur sombre retraite
Rentrer les flots jaloux.

Reviens, reviens, mon Dieu, car mon ame est pareille,
Dans sa folle douleur,
À la mer agitée où chaque flot s’éveille
Bondissant de fureur.

Vois ! la dérision, le mépris, les injures,
Rien ne m’est épargné,
Et toi seul peux sonder les profondes blessures
Dont mon cœur a saigné.

Mais j’ai pourtant aussi des droits à ta tendresse,
Car je suis ton enfant,

Le fruit de ton amour, l’œuvre de ta sagesse
Et le prix de ton sang.

Non, tu ne voudras pas que ma vertu succombe
Dans ce combat mortel,
Toi qui nous as promis, au sortir de la tombe,
Un bonheur éternel.

Ta grace adoucira mon douloureux voyage,
Car mon ame est à toi,
Et j’ai toujours gardé comme un saint héritage
Ton amour et ta loi.

S’il semble quelquefois, Seigneur, que tu sommeilles
À l’instant du danger,
Cette heure est une épreuve, et soudain tu t’éveilles
Pour bénir ou venger.


Bénis donc, ô mon Dieu ! bénis tant de souffrance,
De soupirs et de pleurs ;
Mais sur mes ennemis n’exerce ta vengeance
Qu’en les rendant meilleurs.




RETOUR DE NAPOLÉON.


1840.




RETOUR DE NAPOLÉON.



I.

L’ombre de Napoléon.


« Sur ces bords oubliés quel bruit s’est fait entendre ?
« Pour la foudre des camps ce roc n’a point d’écho.
« Qui vient troubler ma paix et réveiller ma cendre ?
« D’où vient que je tressaille au fond de mon tombeau ?


« Les morts vont-ils sortir de leur sombre demeure ?
« Au matin du grand jour, Éternel, est-ce toi,
« Dont la voix les appelle et leur dit : « Voici l’heure ;
« Hommes, fils du néant, levez-vous devant moi ? »

« Mais, non, dans les tombeaux tout dort, seul je m’éveille ;
« Une joie inconnue a ranimé mes sens ;
« Sur la terre d’exil, ô surprise ! ô merveille !
« Oui, ce sont des Français, des guerriers que j’entends.

« Ah ! qui peut les guider vers ces funestes rives ?
« Chers et sacrés débris d’un nouvel Ilion,
« Auraient-ils confié leurs barques fugitives
« À la foi d’Albion ?

« Ô France ! des héros terre autrefois l’asile,
« Par le barbare encor ton noble sol foulé,

« Est-il veuf d’autres fils que le malheur exile
 « De ton sein désolé ?

« Ah ! faut-il me lever pour les guider encore ?
« L’aigle tombé des cieux, par la mort endormi,
« Sous les plis rayonnans du drapeau tricolore
 « Dans sa tombe a frémi !

« Mais, non, tu m’apparais, ô ma noble guerrière,
« Comme en nos plus grands jours préparée au combat ;
« De ton front belliqueux, de ta beauté si fière
 « Rien n’a terni l’éclat.

« C’est encor la maîtresse ardente, échevelée,
« Qui, par bonds indomptés s’élançant à ma voix
« Des Alpes jusqu’au Nil, de mêlée en mêlée,
 « Épouvantait les rois.


« Que de ces jours d’effroi l’Europe se souvienne ;
« Oui, c’est ma France encor, ma France aux grands destins,
« Qui de Moscou fumant, et de Rome, et de Vienne,
 « Connaît tous les chemins.

« Ne peux-tu, de nouveau t’élançant dans l’arêne,
« Aux murs du vieux Kremlin planter ton étendard,
« Et sous tes pieds vainqueurs fouler en souveraine
 « La pourpre des César ?

« Des peuples généreux, proclamant ton symbole,
« Se lèveront partout prêts à te seconder,
« Car tu reçus de Dieu le glaive et la parole
 « Pour abattre et fonder.

« Ton astre éblouissant, dans nos sombres tempêtes,
« Comme un soleil éteint n’a pas quitté les cieux ;

« Tu le verras encore aux plus sublimes faîtes
« Éclater radieux.

« Mais quel est cet enfant, grandi par la victoire,
« Qui, le front couronné de précoces lauriers,
« De ton fier pavillon l’espérance et la gloire,
« Conduit tous ces guerriers ? »


II.

Le Génie de la France.


« C’est un jeune héros, c’est un fils de la France,
« C’est le vieux sang des rois qui s’incline à ton nom,
« Et vient sur ce rocher perdu dans l’onde immense,
« Pour le rendre à mes yeux, chercher Napoléon.


« Non, grand triomphateur ! vaste et puissant génie !
« Non, tes restes sacrés, marqués d’un sceau fatal,
« Ne devaient pas toujours sur la terre ennemie
 « Rester sans piédestal.

« En vain des rois tremblans avaient rivé ta chaîne.
« Honte à leurs noms flétris ! mais à toi, leur martyr,
« Sage législateur, immortel capitaine,
 « L’éternel avenir.

« À toi le saint amour de ta noble patrie,
« Le retour merveilleux, les triomphes nouveaux,
« Les hymnes, les soupirs d’une foule attendrie,
 « Le culte des tombeaux.

« Plus de saule éploré sur ta cendre captive
« Berçant au vent de mer ses longs rameaux flétris,

« Comme un manteau de deuil dont une ombre plaintive
 « Laisse flotter les plis.

« Pour notre auguste hymen la couche est préparée ;
« Viens sur mon sein jaloux, viens dormir à jamais,
« Parmi tes vieux guerriers, dans l’enceinte sacrée
 « De ton dernier palais.

« Au fidèle Moncey la garde en est commise ;
« Viens, ô mon général ! rêver de tes splendeurs
« Sous les drapeaux ravis à l’Europe conquise
 « Par tes soldats vainqueurs.

« Sur sa base d’airain la colonne immortelle
« Va tressaillir de joie en voyant son héros,
« Et fière gardera, sublime sentinelle,
 « Ton glorieux repos. »


III.


Le navire orgueilleux fend la vague écumante ;
Comme un roi qui s’avance entouré de sa cour,
Il paraît dans sa gloire, et la mer frémissante
Le berce avec amour.

Héroïques débris de nos rangs intrépides,
Vous qu’il a si souvent guidés au champ d’honneur,
Pleurez, pleurez d’orgueil, illustres invalides :
Voici votre Empereur.

Pareil à Siméon, dont l’ame prophétique,
Bénissant le saint jour qu’il voyait resplendir,
S’exhala satisfaite en un divin cantique,
Moncey ! tu peux mourir.


Te voilà parmi nous, ô géant des batailles !
Et ta présence auguste, enflammant les esprits,
Défendra, mieux encor que de fortes murailles,
Ton superbe Paris.

Quel Français, prosterné devant ce mausolée,
Ne sentira son cœur, tout palpitant d’orgueil,
S’embraser plus ardent à la flamme exhalée
De ce noble cercueil ?

Ombre chère et sacrée ! à nous seuls ta mémoire !
S’il faut combattre encor l’insolent étranger,
L’univers apprendra que nous avons ta gloire
Et la nôtre à venger.




UNE VISITE AU CIMETIÈRE.




UNE VISITE AU CIMETIÈRE.



Salut ! champ des tombeaux ! terre paisible et sainte,
De larmes arrosée et d’espérance empreinte !
Qu’un autre en t’abordant pâlisse avec effroi,
Qu’il se trouble et s’enfuie, il peut trembler ; mais moi,
Moi dont la vie, hélas ! a perdu sa chimère,
Pour qui le pain est dur et l’espérance amère,

Dont le cœur, tout aimant, trahi dans son amour,
N’a plus de doux liens qui l’attachent au jour,
Et dont l’ame, en ces lieux étrangère, exilée
Comme l’aigle des monts captif dans la vallée,
Soupire avec ardeur vers un destin nouveau,
J’aime à venir ici rêver sur un tombeau.

Lit des morts bien-aimés, je me couche à ton ombre,
J’aime tes fleurs de deuil et leur feuillage sombre ;
Heureuse quand mon cœur, tranquille désormais,
Sous leurs rameaux pieux aura trouvé la paix,
Et que l’astre des nuits de sa douce lumière
Versera les rayons sur ma froide poussière !
Car, lasse de combattre, et lasse de souffrir,
Je n’ai plus qu’un seul vœu, qu’un seul espoir : mourir !

Mourir, laisser ce corps usé par la souffrance,
Abandonner enfin ces lieux que l’espérance
Naguère embellissait de son prisme enchanteur,
Mais où, vaine et trompeuse, elle a brisé mon cœur !

Oui, mourir ! m’élancer radieuse, immortelle,
Dans le sein rayonnant de la gloire éternelle,
Dans la Jérusalem dont la haine, l’orgueil,
Éloignés à jamais, n’ont pu franchir le seuil ;
Dans la cité des saints, qui, joyeuse et parée,
Me garde les amis dont je vis séparée,
Mais plus beaux, plus aimans qu’ils n’étaient ici-bas,
À l’heure où vint la mort les frapper dans mes bras ;
Car le maître est, là-haut, prodigue de largesses,
Et ses dons sont toujours plus grands que ses promesses.

Dans sa magnificence il les a revêtus,
Non de pourpre et d’azur, mais d’amour, de vertus ;
Car telle est la parure éclatante, infinie,
Que rien ne peut flétrir, qui jamais n’est ternie,
Que le monde méprise, et qu’admire le ciel.
Mais le monde est aveugle, et Dieu seul éternel.

Oh ! bienheureux celui dont les vertes années
Au soleil d’ici-bas n’ont pas été fanées,
Qui te porte, Seigneur, dans leur brillant espoir,
Ses hymnes du matin et ses rêves du soir !
Mais tu n’as pas voulu de mon ame encor neuve ;
Elle était destinée à subir son épreuve.
Sois-en béni, mon Dieu, toi qui sur les tombeaux
Mets des pensers plus saints et des songes plus beaux.




ODE AU CHRIST.

Toute puissance est à vous pour l’exercer au jour de votre gloire.
(Ps.)


Ode au Christ.



Oui, son nom a vieilli, sa puissance est usée,
Mortels, il va tomber sous vos coups triomphans ;
Frappez, frappez encor, la victoire est aisée ;
Brûlez son Évangile, et de sa croix brisée
Dispersez les fragmens.

Dès qu’un homme a franchi les bornes du jeune âge,
Il grandit dans sa force avec un noble orgueil,
Et, des jouets d’enfans détournant son visage,
Les rejette et n’a plus pour leur vain assemblage
Qu’un dédaigneux coup-d’œil.

Ainsi l’humanité, par les siècles mûrie,
Se lève en rayonnant de son obscur berceau,
Et planant sur la croix, du haut de son génie,
De ses puissantes mains la renverse et s’écrie :
« Ce n’était qu’un roseau.

« À son ombre, jadis, les peuples dans l’enfance,
« Crédules et pieux, ont abrité leur front ;
« Mais nous qui sommes grands, plus de fausse croyance.
« Imposer son mystère à notre intelligence,
« N’est-ce pas un affront ?

« Quoi ! nous abaisserions devant un vain symbole
« De l’humaine raison la sublime hauteur ?
« Non, non, reste au passé tout ce culte frivole,
« Ainsi que Jupiter le Christ est une idole,
 « Un mensonge, une erreur.

« Sur ses autels minés devant nous il chancelle,
« Du colosse imposant par le temps affaibli
« Chaque instant qui s’écoule entraîne une parcelle ;
« Encore quelques jours, et sa gloire éternelle
 « Se perdra dans l’oubli.

« Réserve donc ta foi pour nos doctrines pures,
« Peuple, rougis enfin de ta crédulité,
« Aujourd’hui que, lassé des vaines impostures,
« D’un œil intelligent tu saisis et mesures
 « L’ombre ou la vérité. »

Et le peuple abusé court à ces faux prophètes
Qui du superbe archange ont respiré l’orgueil,
Et, sur ton front divin amassant les tempêtes,
Nouveaux pharisiens, voudraient avant leurs fêtes
Te plonger au cercueil.

Laisseras-tu, Seigneur, leur œuvre sacrilège
Comme aux jours de Pilate aller jusqu’à sa fin ?
Sans que ton bras vainqueur la garde et la protège ?
Ta foi, sacré flambeau, sous ce vent qui l’assiège
S’éteindra-t-elle enfin ?

Non, Christ, au fond des cœurs où tu la fis éclore
Nulle ombre n’atteindra ses rayons lumineux,
Et de ton saint amour, dont la flamme dévore,
Leur souffle destructeur ne doit servir encore
Qu’à raviver les feux.

Non, l’arbre qui porta pour le salut du monde
Entre le ciel et nous l’homme-Dieu suspendu,
Cet arbre, dont la sève est ton sang qui l’inonde,
A poussé trop avant sa racine profonde
Pour se voir abattu.

C’est en vain que l’erreur, levant sa tête altière,
Pense t’anéantir sous ses efforts puissans ;
Et, déployant partout sa fatale bannière,
De tes élus eux-même, ô douloureux mystère !
A décimé les rangs.

Si de ton firmament les étoiles pâlissent,
Si du temple immortel où reposent tes lois
Sous les arceaux déserts les colonnes fléchissent,
Et si d’un monde vain les chants qui retentissent
Ont étouffé ta voix,

Ô Verbe ! c’est qu’un mot de ta lèvre adorée
Peut, fécondant la poudre au seuil de tes parvis,
En tirer des soleils dont la flamme épurée
Versera tous les flots de sa clarté sacrée
Dans tes cieux rajeunis.

C’est que tu peux briser, Seigneur, dans ta colère,
Le marbre encor superbe en sa fragilité,
Et choisir dans les flancs d’une obscure carrière
Le bloc prédestiné, l’impérissable pierre
Soutien de ta cité.

Oui, sans avoir besoin d’évoquer les fantômes
Des apôtres divins, des saints aux lèvres d’or,
Parmi tous ces enfans prosternés sous tes dômes
Fais descendre l’Esprit ; des Pauls, des Chrysostômes
Vont se lever encor.

Et, pour couvrir les chants de cette aveugle foule,
Éternel, n’as-tu pas la voix de ton courroux,
Plus forte que le bruit d’un monde qui s’écroule,
Quand tu fais tressaillir sous ton pied qui les foule
Tous les cieux à genoux ?

Mais plutôt, garde-nous, Seigneur, de ta colère ;
Tu portes dans tes mains la foudre et le trépas ;
Si le néant t’outrage, épargne sa misère,
Et sous le juste poids d’un châtiment sévère,
Dieu, ne l’accable pas.

Pardon, pardon, Seigneur, pour la bouche insensée
Qui lance l’anathême et l’insulte à ton nom !
Par ta splendeur future et ta gloire passée,
Par toi-même, ô, du Père, éternelle pensée,
Pardon, Seigneur, pardon !

Oui, tu peux d’un seul mot faire éclater ta gloire,
Et, confondant l’orgueil et l’incrédulité,
Éteindre des pécheurs la vie et la mémoire.
Mais les sauver, mon Dieu, c’est la seule victoire
Digne de ta bonté.




À Mme JULES PAUTET,


Sur son Album.




À Mme JULES PAUTET.



D’un époux adoré, femme aimable et chérie,
Te montrant tour-à-tour ou l’amante ou la sœur,
Camille, ange au doux nom, qui pour charmer sa vie
Répands avec amour les trésors de ton cœur ;

Comme un écho lointain dont la voix monotone
Ne peut redire, hélas ! que des sons empruntés,

Tandis que tout soupire, ou murmure, ou bourdonne,
Ou chante à ses côtés ;

Je ne puis rien t’offrir qu’un imparfait hommage,
Moi qui n’ai pas encore, étrangère à ton seuil,
De l’hospitalité, dans ton heureux ménage,
Reçu le doux accueil.

Mais ce n’est pas en vain que la voix m’y convie ;
Je viendrai quelque jour m’asseoir à ton foyer,
Où l’esprit, la bonté, ces parfums qu’on envie,
Charment le cours du temps et le font oublier.

Je viendrai prendre aussi ma part de la tendresse
Que ta vertu touchante inspire à tous les cœurs,
Et, comme un don chéri qu’engage une promesse,
De ta pure amitié réclamer les douceurs.

Alors sans doute, alors, sur ma lyre attendrie
Les chants naîtront d’eux-même aux accords de ta voix.
Le bonheur de t’aimer, à défaut du génie,
Fera frémir encor sa corde sous mes doigts.

Jusque-là cependant, loin de rester muette,
Elle redit, tout bas, les concerts d’alentour ;
Car, pour toi recueillis, les sons qu’elle répète
Sont des vœux de bonheur et des accens d’amour.




MÉLANCOLIE.



Mélancolie.


« Des chants, des chants encor, dites-vous à ma lyre,
 « Des chants, des chants toujours. »
Et dans les pleurs, hélas ! ma faible voix expire,
Mon cœur n’a plus d’amours.

Naguère, il m’en souvient, j’ai rêvé d’espérance ;
Mais j’étais jeune alors,

Je n’avais de la coupe où je bois la souffrance
Effleuré que les bords.

Et mon souffle brûlant aspirait cette écume,
Et je disais : Au fond
Ma lèvre va trouver le miel sous l’amertume,
Car le vase est profond.

Mais plus épaisse encor j’ai vu monter la lie,
Et mon cœur, tout-à-coup,
Comme un poison funeste a rejeté la vie,
Vaincu par le dégoût.

Et vous voulez des chants ! mais au fantôme pâle,
Qui traverse à minuit le domaine des morts,
Allez-vous demander l’hymne lente et fatale
Dont son reste de voix fait gémir les accords ?

Eh bien ! je suis pareille à l’ombre inanimée
Errant d’un pas sans but aux sentiers d’ici-bas ;
De mon cœur désormais la tombe est seule aimée ;
Dans son repos sans fin l’ame ne souffre pas.

Et quelquefois encor, si ma lèvre murmure
Des vers entrecoupés, poétiques lambeaux,
Comme un parfum versé devant ma sépulture,
C’est un chant de la mort, c’est un hymne aux tombeaux.




LIVRE TROISIÈME.






ÉPÎTRE DE M. DE LAMARTINE.




À UNE JEUNE FILLE POÈTE.



Quand, assise le soir au bord de ta fenêtre,
Devant un coin du ciel qui brille entre les toits,
L’aiguille matinale a fatigué tes doigts,
Et que ton front comprime une ame qui veut naître,
Ta main laisse échapper le lin brodé de fleurs
Qui doit parer le front d’heureuses fiancées,

Et, de peur de tacher ses teintes nuancées,
Tes beaux yeux retiennent leurs pleurs.

Sur les murs blancs et nus de ton modeste asile,
Pauvre enfant ! d’un coup-d’œil tout ton destin se lit :
Un crucifix de bois au-dessus de ton lit,
Un réséda jauni dans un vase d’argile,
Sous tes pieds délicats la terre en froids carreaux,
Et près du pain du jour que la balance pèse
Pour ton festin du soir le raisin ou la fraise
Que partagent tes passereaux.

Tes mains sur tes genoux un moment se délassent,
Puis tu vas t’accouder sur le fer du balcon
Où le pampre grimpant, le lierre au noir flocon,
À tes cheveux épars, amoureux s’entrelacent :

Tu verses l’eau de source à ton pâle rosier,
Tu gazouilles son air à ton oiseau fidèle
Qui béquėte ta lèvre en palpitant de l’aile
À travers les barreaux d’osier.

Tu contemples le ciel que le soir décolore,
Quelque dôme lointain de lumière écumant,
Ou plus haut, seule au fond du vide firmament,
L’étoile, comme toi que Dieu seul voit éclore ;
L’odeur des champs en fleurs monte à ton haut séjour,
Le vent fait ondoyer tes boucles sur ta tempe,
La nuit ferme le ciel, tu rallumes ta lampe,
Et le passé t’efface un jour !…

Cependant le bruit monte et la ville respire,
L’heure sonne, appelant tout un monde au plaisir ;

Dans chaque son confus que ton cœur croit saisir,
C’est le bonheur qui vibre ou l’amour qui respire ;
Les chars grondent en bas et font frissonner l’air ;
Comme les flots pressés dans le lit des tempêtes,
Ils passent emportant les heureux à leurs fêtes,
Laissant sous la roue un éclair.

Ceux-là versent au seuil de la scène ravie
Cette foule altérée au vent des passions,
Et qui veut aspirer d’autres sensations
Pour oublier le jour et pour doubler la vie ;
Ceux-là rentrent des champs, sur de plians aciers,
Berçant les maîtres las d’ombrage et de murmure,
Des fleurs sur les coussins, des festons de verdure
Enlacés aux crins des coursiers.

La musique du bal sort des salles sonores,
Sous les pas des danseurs l’air ébranlé frémit,
Dans des milliers de voix le cœur chante ou gémit ;
La ville aspire et rend le bruit par tous les pores.
Le long des murs, dans l’ombre, on entend retentir
Des pas aussi nombreux que des gouttes de pluie,
Pas indécis d’amant où l’amante s’appuie
Et pèse pour le ralentir.

Le front dans tes deux mains, pensive, tu te penches ;
L’imagination te peint de verts coteaux
Tout résonnans du bruit des forêts et des eaux,
Où s’éteint un beau soir sur des chaumières blanches ;
Des sources aux flots bleus voilés de liserons,
Des prés où, quand le pied dans la grande herbe nage,

Chaque pas aux genoux fait monter un nuage
D’étamine et de moucherons.

Des vents sur les guérets ; ces immenses coups d’ailes,
Qui donnent aux épis leurs sonores frissons,
L’aubépine neigeant sur les nids des buissons,
Les verts étangs rasés du vol des hirondelles ;
Les vergers alongeant leur grande ombre du soir,
Les foyers des hameaux ravivant leurs lumières,
Les arbres morts couchés sur le seuil des chaumières
Où les couples viennent s’asseoir.

Ces conversations à voix que l’amour brise,
Où le mot commencé s’arrête et se repent,
Où l’avide bonheur que le doute suspend
S’envole après l’aveu que lui ravit la brise ;

Ces danses où l’amant prenant l’amante au vol,
Dans le ciel qui s’entr’ouvre elle croit fuir en rêve
Entre le bond léger qui du gazon l’enlève
Et son pied qui retombe au sol !

Sous la tente de soie ou dans ton nid de feuille
Tu vois rentrer le soir, altéré de tes yeux,
Un jeune homme au front mâle, au regard studieux.
Votre bonheur tardif dans l’ombre se recueille ;
Ton épaule s’appuie à celle de l’époux,
Sous son front déridé ton front nu se renverse,
Son œil luit dans ton cil pendant que ton pied berce
Un enfant blond sur tes genoux.

De tes yeux dessillés quand ce voile retombe,
Tu sens ta joue humide et tes mains pleines d’eau,

Les murs de ce réduit où flottait ce tableau
Semblent se rapprocher pour voûter une tombe ;
Ta lampe y jette à peine un reste de clarté,
Sous tes beaux pieds d’enfant tes parures s’écoulent,
Et tes cheveux épars et les ombres déroulent
Leurs ténèbres sur la beauté.

Cependant le temps fuit, la jeunesse s’écoule,
Tes beaux yeux sont cernés d’un rayon de pâleur,
Des roses sans soleil ton teint prend la couleur,
Sur ton cœur amaigri ton visage se moule ;
Ta lèvre a replié le sourire, ta voix
A perdu cette note où le bonheur tressaille ;
Des airs lents et plaintifs mesurent maille à maille
Le lin qui grandit sous tes doigts.

Eh quoi ! ces jours passés dans un labeur vulgaire
À gagner miette à miette un pain trempé de fiel,
Cet espace sans air, cet horizon sans ciel,
Ces amours s’envolant au son d’un vil salaire,
Ces désirs refoulés dans un sein étouffant,
Ces baisers, de ton front chassés comme la mouche
Qui bourdonne l’été sur les coins de ta bouche :
C’est donc là vivre, ô belle enfant !

Nul ne verra briller cette étoile nocturne,
Nul n’entendra chanter ce muet rossignol ?
Nul ne respirera ces haleines du sol
Que la fleur du désert laisse mourir dans l’urne ?
Non, Dieu ne brise pas sous ses fruits immortels
L’arbre dont le génie a fait courber la tige,

Ce qu’oublia le temps, ce que l’homme néglige,
Il le réserve à ses autels.

Ce qui meurt dans les airs, c’est le ciel qui l’aspire :
Les anges amoureux recueillent flots à flots
Cette vie écoulée en stériles sanglots ;
Leur aile emporte ailleurs ce que ta voix soupire,
Et ces langueurs de l’ame où gémit ton destin,
Et ces pleurs sur ta joue, hélas ! jamais cueillies,
Et ces espoirs trompés, et ces mélancolies
Qui pâlissent ton pur matin.

Ils composent tes chants, mélodieux murmure,
Qui s’échappe du cœur par le cœur répondu,
Comme l’arbre d’encens que le fer a fendu
Verse en baume odorant le sang de sa blessure !

Aux accords du génie, à ces divins concerts,
Ils mêlent étonnés ses pleurs de jeune fille
Qui tombent de ses yeux et baignent son aiguille,
Et tous les soupirs sont des vers !

Savent-ils seulement si le monde l’écoute,
Si l’indigence énerve un génie inconnu,
Si le céleste encens au foyer contenu
Avec l’eau de ses yeux dans l’argile s’égoutte ?
Qu’importe aux voix du ciel l’humble écho d’ici-bas !
Les plus divins accords qui montent de la terre,
Sont les divins élans de l’ame solitaire
Que le vent même n’entend pas.

Non, je n’ai jamais vu la pâle giroflée
Fleurissant au sommet de quelque vieille tour

Que bat le vent du nord ou l’aile du vautour,
Incliner sur le mur sa tige échevelée ;
Non, je n’ai jamais vu la stérile beauté,
Pâlissant sous ses pleurs sa fleur décolorée,
S’exhaler sans amour et mourir ignorée,
Sans croire à l’immortalité !

Passe donc tes doigts blancs sur tes yeux, jeune fille !
Et laisse évaporer ta vie avec tes chants ;
Le souffle du Très-Haut sur chaque herbe des champs
Cueille la perle d’or où l’aurore scintille ;
Toute vie est un flot de la mer de douleur ;
Leur amertume un jour sera ton ambroisie ;
Car l’urne de la gloire et de la poésie
Ne se remplit que de nos pleurs !




RÉPONSE À M. DE LAMARTINE.




RÉPONSE À M. DE LAMARTINE.




Oh ! qui m’eût dit jamais, quand de tes chants ravie,
Recueillant tous les sons de ce luth immortel,
De mon cœur qu’enivrait ta sainte poésie,
À ton harmonieux et sublime génie
J’avais fait un autel ;


Quand, au sein de ce monde, où le malheur isole,
Ton livre, confident de mes chagrins divers,
Était pour moi l’ami, dont la tendre parole
À toutes nos douleurs se mêle, et nous console
Des jours les plus amers ;

Quand tes hymnes aimés, que notre orgueil répète,
À tous les cœurs prêtant de sublimes accords,
Des superbes palais à mon humble retraite,
En échos glorieux descendaient, ô poète !
Qui m’aurait dit alors

Qu’un jour ce divin luth et cette voix si chère,
De mon culte ignoré daignant bénir l’encens,
Au milieu de ta haute et brillante carrière,
Auraient aussi pour moi, pauvre enfant solitaire,
De célestes accens ?


Quoi ! mon sort inconnu, cette vie écoulée
Dans l’ombre et le travail, loin du monde et du bruit,
Ainsi qu’un filet d’eau caché dans la vallée,
Dont l’onde, en murmurant, va se perdre, mêlée
Au torrent qui s’enfuit ;

Et ces douleurs sans nom, cet ennui qui dévore,
De mon cœur affligé mal intime et puissant,
Voilé par un sourire, et que la foule ignore,
Quand son regard joyeux sur mon front jeune encore
Parfois tombe en passant :

Ta voix les a chantés, ta voix mélodieuse,
De ton cœur généreux, interprète divin,
Qui, pour toute infortune obscure ou glorieuse,
Change en sons immortels, en plainte harmonieuse,
Les soupirs de ton sein.


Oui ! souvent, il est vrai, dans l’air qui m’environne
Passent brillans et beaux des rêves enchanteurs ;
Puis, la réalité m’étreint, et je frissonne,
Et, faible, au désespoir mon ame s’abandonne,
Et je verse des pleurs.

Cependant ne crois pas que je reste vaincue ;
Non ! les maux d’ici-bas redoublent ma fierté ;
Bientôt, se relevant, ma pensée abattue
Embrasse l’univers et de son étendue
Franchit l’immensité.

Loin de ce lieu d’exil où mon ame se glace,
Où nul rayon d’espoir ne vient luire à mes yeux,
S’élançant par-delà les mondes et l’espace,
Elle cherche plus haut et son but et sa place :
Elle cherche les cieux.


Là, le fils adoré de la Vierge féconde,
Le Dieu de vérité, de grace et de vertu,
En qui des cœurs souffrans l’unique espoir se fonde,
Me tend ses bras divins qui soutiennent le monde
Et le pauvre abattu.

« Venez à moi, dit-il, vous que la terre oublie,
« Dont les pas chancelans tremblent sous vos fardeaux ;
« J’ai, pour vous consoler, des paroles de vie,
« Ô vous tous qui pleurez et dont le cœur n’envie
 « Que la paix des tombeaux ! »

Ah ! que d’un monde vain l’éclat semble frivole,
À l’œil qui, s’enivrant d’éternelle splendeur,
À sur le front des saints vu briller l’auréole,
Et la grace couler en céleste parole
Des lèvres du Seigneur !


Aussi, me recueillant dans mon obscur asile,
Je sens, paisible et fort, mon cœur nourri d’espoir ;
Que m’importent la pompe et le bruit de la ville ?
Mon sommeil n’en est pas moins doux ni moins tranquille
À l’heure où vient le soir.

Puis, je relis encor ces pages tant aimées,
Où s’exhala ton ame en ravissans concerts,
Et pour monter à Dieu, de mes lèvres charmées
L’ardent soupir s’élève en notes enflammées ;
Je prie avec tes vers.

Et ta douce promesse, en naissant accomplie,
Me fait bénir déjà les pleurs que j’ai versés ;
Car une larme seule en ton sein recueillie,
Et mêlée à tes flots d’amour et d’harmonie,
Pour ma gloire est assez.


Quand, de son trône d’or, l’astre qui nous éclaire,
Au sein d’une humble source a plongé ses rayons,
L’onde, où se réfléchit sa splendide lumière,
Roule un instant ses feux dans sa courte carrière
Et brille de ses dons.

Ainsi, quand ton génie, éclairant ma jeunesse,
M’inonda tout-à-coup d’ineffables clartés,
Mon ame à ses rayons s’ouvrant avec ivresse,
Mêla tous ses accens de joie ou de tristesse
À tes sons enchantés.

Ainsi, comme un écho, ma voix s’est fait entendre,
Et dans mes faibles chants s’il est quelque douceur,
Oh ! c’est qu’alors ton souffle harmonieux et tendre,
De ce parfum divin que toi seul sais répandre,
Avait rempli mon cœur.




UN MARIAGE.




UN MARIAGE



C’était par un beau soir de la saison des roses ;
On respirait l’amour sous des cieux étoilés,
Et le zephyr, jouant dans les fleurs demi-closes,
Emportait nos accens à leurs parfums mêlés.

L’air était calme et doux à cette heure enchantée,
Dans les bras du sommeil reposait la douleur,

Et la vieille cité, tout le jour agitée,
Dormait ainsi qu’un homme épuisé de labeur.

Quand du temple, à nos yeux, la voûte s’illumine
Au milieu de la nuit pour la première fois ;
L’orgue joyeux prélude, et la cloche argentine
Dans les airs étonnés fait entendre sa voix.

C’était l’heure d’hymen pour un couple timide,
Pour des amans heureux dont le modeste amour
Fuyait la foule vaine et la pompe splendide
Qu’avec orgueil, souvent, on étale au grand jour.

Mais nous, dont la tendresse ignorée et profonde,
Comme une source aux flots purs et mystérieux,
Cherchait aussi la paix loin des sentiers du monde
Sous le regard des cieux,

Nous voulûmes les voir, et, pleins de sympathie
Pour le pudique amour de ces jeunes époux,
Saluer leur union légitime et bénie,
De nos vœux les plus doux.

Alors, d’un pas léger glissant comme deux ombres,
En souriant tous deux et nous donnant la main,
Nous franchîmes le seuil ; la nef aux arches sombres
Nous reçut dans son sein.

Le front pâle et charmant, de roses couronnée,
Baissant ses yeux où brille un céleste bonheur,
La vierge vers l’autel s’avance environnée
De grace et de pudeur.

Son bien-aimé la suit et se place auprès d’elle,
Ému, tremblant, charmé, ne pouvant croire encor

Que Dieu lui donne enfin d’une main paternelle
Ce ravissant trésor ;

Cette fleur de beauté, d’amour et d’innocence,
Dont nul n’a respiré le parfum virginal,
Éclose pour lui seul dans l’ombre et le silence,
Et qui va l’enivrer d’un bonheur sans égal,

Le prêtre les unit, sa voix grave et touchante,
Où la douceur s’allie à la sublimité,
À des livres divins la noblesse éloquente
Et la simplicité.

Et nos cœurs se fondaient à sa tendre parole,
Et des larmes d’amour s’épanchaient de nos yeux,
Et son front couronné d’une blanche auréole
Nous semblait radieux.

On eût dit du Seigneur la majesté paisible,
Dans sa joie ineffable et sa sérénité,
Sur les traits du vieillard se répandant, visible
À notre œil enchanté.

Et quand il demanda, moment doux et suprême,
Aux époux prosternés le serment solennel,
Avec le Oui sacré de ce couple qui s’aime,
Au autre non moins pur s’exhala vers l’autel.

Puis, tout rentra bientôt dans son calme nocturne,
La flamme s’éteignit, l’orgue cessa ses chants,
Et l’encensoir laissa sommeiller dans son urne
Les parfums de l’encens.

Vers son lit nuptial emportant l’épousée,
Un char qui l’attendait disparut à nos yeux,

Et seuls, le front baigné des pleurs de la rosée,
Nous restâmes errans sous la voûte des cieux ;

Mais le cœur palpitant d’espoir et de tendresse,
Riches d’un avenir aux jours longs et rians,
D’un passé sans remords, d’une belle jeunesse,
Rêves qui nous berçaient, heureux et confians.

Nos regards enivrés échangeaient des sourires,
Nos lèvres des baisers doux et purs à la fois,
Nos cœurs de saints transports, d’ineffables délires,
Et, pleins de volupté, des entretiens sans voix.

Dans cette extase enfin retrouvant la parole,
Pour m’assurer cent fois de sa fidélité,
Il me disait : « Toujours tu seras mon idole,
« Ta présence est ma vie et ma félicité.

« D’un amour innocent goûtant la chaste ivresse,
« À la face du ciel, je t’en prie à genoux,
« Reçois l’heureux serment que ma bouche t’adresse,
« De n’aimer que toi seule et d’être ton époux. »

C’était par un beau soir de la saison des roses ;
On respirait l’amour sous des cieux étoilés ;
Mais le zéphyr, jouant dans les fleurs demi-closes,
Emportait les sermens à leurs parfums mêlés.




ODE AU ROI


Sur la Mort de S. A. R. Monseigneur le Duc d’Orléans.




Ode au Roi.



Oh ! d’un tel désespoir qui peut sonder l’abîme ?
Et du sein maternel partageant les douleurs,
À ton cruel trépas, chère et noble victime,
Donner assez de pleurs ?

Gloire ! jeunesse ! amour ! éclat du diadême !
Qui l’entouriez hier des rayons les plus doux ;

Trop périssables biens ! à cette heure suprême
Répondez : Qu’êtes-vous ?

Qu’êtes-vous, ô mon Dieu ! qu’une amère ironie,
Un songe fugitif aux pensers décevans,
Un mirage trompeur, une source infinie
De regrets déchirans ?

Ô Prince ! notre amour, notre belle espérance,
Quoi ! te voilà couché dans la nuit du cercueil ;
Toi, sur qui reposaient les destins de la France,
Il faut porter ton deuil !

Ton deuil, ô désespoir ! quand, brillant de jeunesse,
Triomphant, adoré du peuple et des soldats,
Tu voyais en tous lieux la joie et la tendresse
Éclore sous tes pas ;

Quand tes hautes vertus, ta bonté, ton courage
Et tous les nobles dons qui te faisaient chérir,
Assurant ton empire, étaient pour nous le gage
D’un si bel avenir.

Sur les bords de l’Escaut et sur le sol d’Afrique
N’avais-tu donc bravé les hasards des combats
Que pour venir au seuil du foyer domestique
Rencontrer le trépas ?

Ah ! que la mort n’a-t-elle, avide de sa proie,
Détourné ses regards sur un plus humble rang !
Pour lui payer tes jours, qui de nous avec joie
N’aurait donné son sang !

La foudre qui soudain brille et tombe à sa vue,
Jette moins d’épouvante au sein du voyageur,

Que ce funeste coup à la France éperdue
N’a causé de stupeur.

De ce malheur affreux quand la triste nouvelle
Vint répandre partout et l’horreur et l’effroi,
Mon cœur, près d’accuser la sagesse éternelle,
Dit au Seigneur : « Pourquoi ?

« Pourquoi donc, ô mon Dieu, dans le royal calice,
« De lie et de dégoûts déjà plein jusqu’au bord,
« Pourquoi ce fiel nouveau, ce cruel sacrifice,
 « Cette amertume encor ? »

Et muette, brisée, en un morne délire,
D’une amère pitié sentant couler les pleurs,
Comme un vain instrument, je rejetai la lyre
Aux sons consolateurs.

Car je comprenais bien, moi, sa triste impuissance
À calmer les tourmens qui vous faisaient souffrir ;
Et des larmes étaient le seul don qu’en silence
Mon cœur pût vous offrir.

Pour ta grande ame, ô Roi ! quelle mortelle épreuve !
Auguste et sainte mère au douloureux amour,
Quelle angoisse indicible, et pour toi, jeune veuve,
Oh ! quel funeste jour !

Non, ma voix, respectant votre souffrance intime,
N’aurait point exhalé ces funèbres accens,
À peindre la douleur dont le fardeau m’opprime,
Hélas ! trop impuissans.

Mais du peuple abattu, tous les enfans, mes frères,
Tristes, frappés du coup qui vous a déchirés,

Et payant le tribut de leurs larmes amères
Au fils que vous pleurez,

M’ont dit en gémissant : « Prête-nous ton langage,
« Emporte nos soupirs, comme sur un autel,
« Au pied du trône en pleurs va déposer l’hommage
 « Du deuil universel. »

Et j’obéis, je viens, à genoux, éplorée,
Sombre comme un esprit veillant près des tombeaux,
De la patrie en deuil, sur sa cendre adorée,
Apporter les sanglots.

Ah ! qu’il reçoive, au sein de sa funèbre couche,
Ce concert douloureux, cet hymne déchirant,
Qu’un peuple tout entier, s’exprimant par ma bouche,
Exhale en soupirant.

Mais, nous t’en supplions, qu’un chagrin aussi juste,
N’abatte point, ô Roi ! la force de ton cœur ;
Sur les deux orphelins lève ton front auguste
Accablé de douleur.

De son généreux sang ce sont les nobles restes ;
Sous tes yeux paternels vois-les grandir pour nous ;
Ils auront quelque jour des astres moins funestes
Et des destins plus doux.

Ainsi que, vers les cieux levant sa tête altière,
Un chêne dont la foudre a brisé les rameaux,
Résiste et voit fleurir à son pied séculaire
Des rejetons nouveaux,

Sois plus fort que les coups du destin qui t’accable ;
Sois plus grand que l’excès de ton adversité ;

Et laisse de courage un exemple admirable
À la postérité.

Élevés dans ton sein, nourris de ta parole,
Ces anges qu’aujourd’hui couvre un funeste deuil,
Enfans de la patrie, en deviendront l’idole,
La défense et l’orgueil.

De leurs jeunes vertus ta vieillesse entourée,
Du bonheur des Français retrouvera l’espoir ;
Ils te rendront leur père, et son ombre sacrée
Sourira de les voir,




À FRANÇOISE COLIN[2].




À Françoise Colin.



À l’aspect des douleurs qui font gémir la terre,
Que de fois nous osons, trop aveugles mortels,
Oubliant du Très-Haut la bonté tutélaire,
Accuser de rigueur ses décrets éternels !
Pourtant son cœur divin nous punit, mais nous aime,
Et, prêt à châtier nos crimes, nos fureurs,
Souvent balance encore, et du foudre suprême
Retient les feux vengeurs.

Que lui faut-il, hélas ! pour calmer sa colère ?
Des larmes, des soupirs vers son trône exhalés,
D’un enfant quelquefois l’innocente prière,
Ou des actes pieux par le secret voilés.
C’est ainsi que jadis une vierge timide,
Le priant d’écarter les Huns dévastateurs,
De Lutèce au berceau garda sous son égide
Les futures grandeurs.

La prière des saints, comme un divin arôme,
Monte en flots si puissans vers le céleste lieu,
Que dix justes trouvés dans l’impure Sodôme
En auraient éloigné le déluge de feu.
Et nous ne savons pas, orgueilleux et coupables,
Quels châtimens, peut-être, à nos murs seraient dus,

S’ils n’abritaient aussi des ames admirables
Et d’augustes vertus.

Ô toi, qu’avec respect aujourd’hui l’on contemple,
Noble et modeste femme au front humble et béni,
Françoise, dont la vie est un sublime exemple
De charité sans borne et d’amour infini,
Les ames comme toi sont ces ames d’élite
Que l’œil du Tout-Puissant cherche pour pardonner,
Quand, s’allumant enfin, sur la foule maudite
Son courroux va tonner.

Et le monde ignorait ton obscure existence,
Pauvre fille, oubliée en un triste séjour,
Que les anges du ciel admiraient en silence,
Riche devant leurs yeux et de grace et d’amour.

Et tu ne faiblis point, et deux fois vingt années
Ont vu ton dévoûment toujours plus généreux,
Sans espoir de salaire, unir ta destinée
À des jours malheureux.

Des cloîtres envahis quand les vierges chassées,
Encor pâles d’effroi, palpitantes d’horreur,
Dans un monde inconnu s’égaraient, dispersées
Comme un faible troupeau sans bercail ni pasteur ;
Une d’elles…, sa tête, hélas ! était blanchie,
Sans ami, sans parent qui la vînt secourir,
Seule avec sa misère au déclin de la vie,
N’avait plus qu’à mourir.

Mais ton cœur, ô Françoise ! ému de sa détresse,
Jeune, et quand d’un époux tu pouvais faire choix,

S’attache à son malheur, l’adopte pour maîtresse,
Et de son triste sort veut porter tout le poids.
Le fruit de ton labeur nourrit son indigence,
Pour soutenir les siens tu consumes tes jours,
Et tes soins généreux, seconde providence,
L’environnent toujours.

Le travail rigoureux et la veille assidue,
Avec l’âge ont usé ta force, ta vigueur ;
Ton pas devient plus lourd, et plus faible ta vue ;
Mais la peine et les ans n’ont pas changé ton cour.
Conduisant jusqu’au bout ta sainte et noble tâche,
Dans ton humble héroïsme et dans ta charité,
Tu redoubles d’efforts, et luttes sans relâche
Contre la pauvreté.

Le Seigneur qui t’aimait fit durer cette épreuve,
Lui, du pauvre toujours l’asile et le soutien,
Qui reçoit et bénit l’obole de la veuve
Mieux que tous les trésors dons du Pharisien.
Mais enfin ta vertu paraît dans tout son lustre,
Par les hommes déjà le prix t’en est donné,
Et dans le sein brillant d’une assemblée illustre
Ton nom est couronné.

Sur la couche où languit son infirme vieillesse,
Du trépas qui délivre implorant l’heureux coup,
Vois, au dernier moment, le front de ta maîtresse
D’un rayon de bonheur inondé tout-à-coup.
Ne craignant plus pour toi la misère cruelle,
Son cœur peut te bénir avec un doux transport,

Et dans le sein du Dieu dont la bonté l’appelle
Paisible elle s’endort.

Mais du jour éternel notre jour n’est qu’une ombre,
Le bonheur d’ici-bas qu’un rêve obscur et vain
De ces félicités sans mesure, sans nombre,
Que garde à ses élus le maître souverain.
Lui seul peut te payer, sublime bienfaitrice,
De généreux labeurs ce long enchaînement,
Et de ta vie entière offerte en sacrifice
Le noble dévouement.

Oui, son regard divin qui verse la lumière
Aux mondes enivrés d’un immortel amour,
A suivi pas à pas ta modeste carrière
Et te désigne aux cieux un rayonnant séjour ;

C’est là qu’est le vrai prix de ta sainte existence,
Ange d’un corps terrestre à nos yeux revêtu ;
C’est là qu’est l’éclatante et digne récompense
De ton humble vertu.




LES GIROFLÉES.




À Mademoiselle Antoinette Quarré,



Aux fentes des vieux murs de nos tours crénelées,
Naguères je voyais de faibles giroflées
Plier à tous les vents qui fouettaient leurs rameaux.
« Pauvres fleurs ! pauvres fleurs à la tige si frêle,
« Résisterez-vous bien à la pluie, à la grêle ?
« Et vous verrai-je encor dorer ces noirs créneaux ? »


L’hiver enfin n’est plus, et mes fleurs bien-aimées
Redressent fièrement leurs grappes parfumées ;
Le soleil amoureux les baise au point du jour,
Et les brises, le soir, reviennent enivrées,
Bercer leurs festons verts et leurs gerbes dorées :
Pour elles aujourd’hui tout est bonheur, amour.

Ô jeune fille, en vain la tempête obstinée
Te battait, pauvre fleur au mur enracinée,
Tu subis noblement l’inclémence des airs ;
Par la nécessité vainement opprimée,
Ta lyre l’a vaincue, et mon ame charmée
Aspire avec amour le parfum de tes vers.




RÉPONSE AUX GIROFLÉES.




À M. Joseph Petasse.



Non, brillant sur les murs de la tour crénelée,
Nul rayon n’a doré la pâle giroflée,
Et ses frêles rameaux, vains jouets des autans,
Chargés de blanche neige ou d’aride poussière,
Ignorent, suspendus au donjon solitaire,
La suave douceur des baisers du printemps.


Sa faible et douce odeur dans les airs s’évapore,
Et peut-être bientôt, effeuillée, inodore,
De la sauvage fleur il ne restera plus
Que quelques brins épars d’herbe sèche et jaunie,
Rares et s’effaçant sur la pierre noircie,
Comme au cœur oublieux les souvenirs confus.

Cependant, s’il est vrai qu’un esprit invisible,
Sylphe, génie ou fée, au cœur pur et sensible,
Comme une ame enchaînée aux objets d’ici-bas,
Respire dans les fleurs, baise avec le zéphyre
La rose qui sourit, la vierge qui soupire,
Et donne leurs parfums aux printaniers lilas ;

Celui qui s’attachait à l’humble giroflée,
Contraint d’abandonner sa plante étiolée,

Triste, viendra parfois bercer ton front rêveur,
Et, puisque tu l’aimais d’un amour sympathique,
Exhaler sur ton luth tendre et mélancolique
De la fleur qui n’est plus la fugitive odeur.




LE POÈTE.




LE POÈTE.



 
« Lyre, ont dit les heureux, éloigne la tristesse ;
 « Pourquoi tant de soupirs ?
« Les chants de désespoir ou les cris de détresse,
 « Voilà donc tes plaisirs ?


« N’as-tu reçu des cieux la divine harmonie
 « Que pour mêler toujours
« L’amertume des pleurs aux accens du génie,
« Et le deuil aux amours ? »

Ah ! du poète, hélas ! laissez la voix touchante
Gémir en longs accens,
Et son fier désespoir, et sa douleur ardente
Éclater dans ses chants.

Voyez un lac, paisible au sein d’une vallée,
Dans son calme sommeil
Réfléchir de la nuit la majesté voilée
Ou les feux du soleil.

D’un vaste ciel d’azur il vous offre l’image
Dans ses limpides eaux,

Et le parfum des fleurs qui bordent son rivage
Vient embaumer ses flots.

Dans son repos charmant si quelque bruit l’éveille,
C’est, à la fin du jour,
Le bruit de ces doux mots qu’on murmure à l’oreille
Avec des pleurs d’amour.

La paix et le bonheur vers ces bords si tranquilles
Semblent s’être fixés,
Et jamais on n’entend sous les vents indociles
Gémir ses flots pressés.

Mais le fleuve rapide entraînant dans sa course
La neige des hivers,
La fange du torrent et l’onde de la source
Pour les conduire aux mers ;


Le fleuve doit gronder quand ses eaux vagabondes,
Nous dérobant leurs cours,
S’engouffrent dans le sein de cavernes profondes
Aux ténébreux détours.

Il doit mugir encor quand l’aquilon terrible
Bat ses flots irrités,
Ou qu’ils viennent, fléau destructeur, invincible,
Envahir nos cités.

Et sa voix doit tonner, foudroyante et sublime,
Quand du sommet d’un mont
Il s’élance, et franchit un effroyable abîme
D’un gigantesque bond.

Mais si, roulant enfin ses eaux majestueuses
Dans un lit assuré,

De fertiles pays, de campagnes heureuses
Il s’avance entouré,

Superbe et reflétant tour-à-tour dans son onde
Les coteaux ou les cieux,
Il n’a plus pour ces bords qu’il arrose et féconde
Qu’un murmure amoureux.

Tel le chant du poète, écho de sa pensée,
Joyeux dans le bonheur,
Tonne, gronde ou mugit quand son ame blessée
Lutte avec la douleur.

Ne l’accusez donc pas s’il se plaint et soupire,
Vous que le ciel chérit ;
Savez-vous les secrets de cette ame en délire
Où l’espoir se tarit ?


Dans ce cœur trop ardent savez-vous quels orages
Ont grondé tour-à-tour ;
De ce vaste horizon quels ténébreux nuages
Ont obscurci le jour ?

Quand le volcan fougueux, de sa bouche enflammée,
Lance au loin dans les airs
Ou des torrens de lave, ou des flots de fumée
Tout sillonnés d’éclairs ;

Quand sa fureur s’annonce, ainsi qu’un sourd tonnerre,
En longs rugissemens,
D’incendie et d’horreur savez-vous quel mystère
Il recèle en ses flancs ?

Mais un chant noble et pur peut s’élever encore
Après de longs sanglots :

Que la gloire ou l’amour de sa harpe sonore
Éveillent les échos,

Le poète, oubliant le fardeau de misère
Dont il est accablé,
Va lever rayonnant son regard qui naguère
De pleurs était voilé.

Ce n’est plus l’homme faible et dont le front s’incline
Sous un poids douloureux ;
C’est le barde inspiré dont la harpe divine
Semble ravie aux cieux.

Il chante les héros, la vertu, la patrie,
La sainte liberté ;
Et, mortel, il dispose au gré de son génie
De l’immortalité.


Mais ces dons enivrans dont la foule frivole
Trouve l’éclat si beau,
C’est le prix des douleurs, c’est la sainte auréole
Au sortir du tombeau.




LA SYLPHIDE.




LA SYLPHIDE.



Il dort ! je puis enfin, mystérieuse amante,
De sa paisible couche approcher à mon tour,
Sur son sein endormi poser ma main tremblante
Et m’enivrer d’amour ;

Baiser son front chéri que mon cœur idolâtre,
De ma légère haleine effleurer ses doux yeux,

Et puis, avec ivresse, entre mes doigts d’albâtre
Rouler ses noirs cheveux.

Dors, ô mon jeune ami ; de peur que tu t’éveilles,
Ma tendresse, évoquant des fantômes légers,
Aura soin d’éloigner, tandis que tu sommeilles,
La crainte et les dangers.

Dors, et pour te bercer, d’une voix argentine,
Je redirai ces chants que les sylphes en chœur
Répètent en dansant le soir sur la colline,
Près des jasmins en fleur.

Car, pour toi, j’ai quitté leurs demeures brillantes
Dans des palais flottans d’azur et de vermeil,
Que peignent, tour-à-tour, de couleurs transparentes
L’aurore ou le soleil.

Pour toi, mon bien-aimé, la Sylphide amoureuse
A laissé des vallons ravissans, enchantés,
Où blanche elle volait sur l’aile vaporeuse
Des rayons argentés ;

Et des lacs aux flots bleus, entourés de verdure,
Qui reflètent les cieux dans leur vaste miroir,
Où vient se contempler la pudique figure
De la reine du soir.

Mais que me font ces biens qu’adorait ma jeunesse ?
Ma vie est dans ton souffle, et quand ton œil si doux
Sur un front pur et beau s’arrête avec ivresse,
Mon cœur en est jaloux.

Car, sitôt que l’amour d’une beauté mortelle
De ses feux dévorans viendra brûler ton sein,

Timide, et redoutant cette amante nouvelle,
Je m’enfuirai soudain.

Mais si jamais un jour, le cœur plein, l’œil humide,
D’un sentiment trahi tu connais les douleurs,
Oh ! rappelle-moi vite, et la tendre Sylphide
Viendra sécher tes pleurs.




À MON PERROQUET.




À mon Perroquet.



Viens, ô mon seul ami !
Mon bien-aimé fidèle,
Fais place à mes baisers, viens, soulève à demi
La plume de ton aile.

Bel oiseau caressant, de ton bec amoureux
Effleure, en te jouant, mon œil humide encore ;

Tu n’as plus de rival, désormais sois heureux,
Ô mon oiseau jaloux, c’est toi seul que j’adore ;

Toi seul, et pour toujours, va, crois en ma parole ;
Ainsi qu’un doux parfum brûlant près d’une idole,
Tu ne me verras plus pour un amant frivole
Prodiguer vainement ma tendresse et mes jours.

Pardonne si j’ai pu, trop long-temps insensée,
D’un infidèle amour caresser la pensée,
Te préférer l’ingrat dont les sermens trompeurs
À mes yeux attristés ont coûté tant de pleurs.

Tout à toi désormais, je veux, tendre et farouche,
Imiter ta constance, ô mon oiseau si fier !
Qui, dormant sur mon sein et buvant sur ma bouche,
T’enflammes de courroux dès qu’une autre main touche
De ses doigts étrangers ton beau plumage vert.

Que te font les attraits dont Lucie est si vaine,
La grace de Jenny, les charmes de Nina ?
Dédaignant leurs baisers, tu regardes à peine
Ces trésors de beauté dont Dieu les couronna.

Pour moi seule étalant ta parure élégante
Aux diverses couleurs,
Tu fais, en doux transports, de ta flamme constante
Éclater les ardeurs.

Mais pour toi seul aussi je veux être coquette,
Tu peux me voir parer sans en prendre d’effroi ;
Non, non, je t’appartiens ; baisers, soupirs, toilette,
Jusqu’à mes chants, tout est pour toi.

Et si jamais l’ingrat qui fit couler mes larmes
À mes faibles accens trouvait encor des charmes,

Tendre comme autrefois, s’il venait, à genoux,
Implorer son pardon et fléchir mon courroux ;

S’il redisait : Je t’aime, avec sa voix si douce,
En couvrant de baisers la main qui le repousse,
Comme au jour où, timide, et lui cachant mes feux,
Je voulais sur sa lèvre étouffer ses aveux ;

Oh ! tu verrais alors jusqu’où va ton empire !
Bien loin de partager son impuissant délire,
Sur son sein adoré loin d’appuyer mon cœur
Faible, et tout palpitant d’ivresse et de bonheur,
Je viendrais, te baisant, ô mon oiseau fidèle !
À ses regards jaloux dérober sous ton aile
Peut-être ma rougeur.




LA PROMESSE,


Idylle.




LA PROMESSE.



Jeune fille, où vas-tu si blanche et si parée ?
N’es-tu pas de nos bois quelque nymphe égarée,
Fleur entr’ouverte à peine aux doux rayons du jour,
Que Phébus étonné contemple avec amour ?
Car ton pas est léger, ton air semble candide,
Et sous mon œil brûlant rougit ton front timide.

Belle aux regards baissés ! vois, je suis jeune encor,
Et je saurais t’aimer ; l’amour au vif transport,
L’amour au doux accent, je voudrais te l’apprendre,
T’enseigner son langage harmonieux et tendre,
Ses mystères charmans, ses maux pleins de douceurs,
Et son brûlant délire, et ses molles langueurs ;
Viens, et sois mon amante, et bientôt, sur tes traces
Naîtront tous les plaisirs enfantés par les Graces ;
Et tu vivras alors, car, un cœur sans amour,
C’est la fleur sans parfum, la paupière sans jour,
Le rossignol sans voix et les flots sans murmures ;
Et lui seul sait donner des félicités pures.


— Ah ! qu’il sait bien aussi prodiguer les douleurs !
Vois ces regards chargés d’un nuage de pleurs ;

Lis sur ce front pâli par la triste insomnie
La fleur de ma jeunesse en son espoir flétrie,
Et mes chagrins passés, et mon malheur présent ;
Et dis-moi si l’amour est un dieu bienfaisant.


— Quoi ! déjà tu connais l’amertume des larmes ;
Ah ! sans doute un volage a causé tes alarmes,
Belle, il faut l’oublier, mépriser son dédain,
Des roses du plaisir parsemer ton chemin ;
Un autre amour, jaloux d’effacer ton injure,
Par des soins caressans guérira ta blessure,
Et l’ingrat qui t’a fait gémir dans l’abandon
Viendra, sans l’obtenir, implorer son pardon.


— Merci de ta pitié, mais son cœur est fidèle ;
Mais c’est lui qui me nomme insensible et cruelle,

Car je n’ai jamais dit, il ne saura jamais
Combien mon ame est tendre et combien je l’aimais.
Je vais bientôt partir ; sur l’écorce naissante,
Vois ce nom qu’a gravé ma main faible et tremblante :
C’est le seul monument d’un malheureux amour,
C’est la trace, laissée en ce triste séjour,
D’un chaste sentiment renfermé dans mon ame,
Dont ma lèvre jamais n’a dû trahir la flamme.


— Enfant, je t’ai comprise, et bénis ta douleur ;
Va, tu peux sans rougir l’épancher dans mon cœur.
Pauvre fleur en bouton, dès le matin flétrie,
Qui te penches déjà sur ta tige qui plie,
Que ne puis-je adoucir la rigueur du destin,
Et te verser l’espoir pour rafraîchir ton sein ?

Mais le nom que tu viens de graver sur ce hêtre
Il le verra du moins, je puis te le promettre ;
C’est moi qui, le guidant sous ces ombrages frais,
De ton cœur attristé lui dirai les secrets,
Et tous deux nous viendrons rêver dans cet asile
Un avenir pour toi plus doux et plus tranquille.




À M. LE DOCTEUR CLERTAN.




À M. le Docteur Clertan.



Disciple aimé du dieu qu’adorait Épidaure,
Tu veux que, pour louer son art plein de grandeur,
Je demande des sons à la lyre sonore
Et des chants à mon cœur.


Tu veux, pour le venger de l’injuste satire
Dont les hommes ingrats lui décochent les traits,
Que ma voix, évoquant un généreux délire,
Proclame ses bienfaits.

Mais tu ne sais donc pas, quand ton ame demande
Un chant réparateur et des vers inspirés,
Que les vers aujourd’hui, trop inutile offrande,
Languissent ignorés ?

Le poète n’a plus, ainsi qu’aux jours antiques,
Ses palmes, ses lauriers, ses couronnes de fleurs,
Et ses hymnes de gloire et ses accens magiques
Qui ravissaient les cœurs.

L’industrie aux cent bras a détrôné la lyre ;
Le chiffre, seul blason entouré de respect,

Voit un siècle guéri de tout noble délire
Adorer son aspect.

Pour le reste il n’est plus ni culte ni patrie ;
Comme des exilés, tristes sur le chemin,
L’espérance, la foi, l’amour, la poésie
Vont se donner la main.

Des prêtres et des rois la majesté sacrée
N’est plus qu’un vain fantôme en proie aux longs regrets,
Une ombre qui gémit, les pieds nus, éplorée,
Au seuil de son palais.

Tout ce que vénérait un âge plus crédule,
Tous les rayons divins dont nos cieux ont relui,
Tout ce qu’on adorait, outragé, ridicule,
Disparaît aujourd’hui.


Et tu veux du respect pour votre ministère,
Car des rires moqueurs ton esprit est lassé.
Mais alors que n’as-tu, fils d’un temps plus austère,
Vécu dans le passé ?

À ce mot je t’entends, plein d’une ardeur bouillante,
Maudire l’esclavage et tous les maux nombreux
Qui jadis, écrasant leur foule gémissante,
Accablaient nos aïeux.

Ah ! mon cœur jeune aussi les comprend, les partage,
Ces nobles sentimens fruits de la liberté,
Lui que les souvenirs de l’antique servage
Ont toujours révolté.

Mais, dans ces jours lointains de haine et de souffrance,
Tel eût versé son sang pour le peuple oppressé,

Qui d’un juste secours doit prêter la défense
Au pouvoir offensé.

Oui, le sceptre puissant et la crosse bénie
Avaient trop oublié les immortelles lois
De ce Dieu qui maudit l’injuste tyrannie
Et protège nos droits ;

Pour les purifier, le feu de sa colère,
Grondant comme la foudre aux sinistres lueurs,
Irrités, bouillonnans, du torrent populaire
Lança les feux vengeurs.

Et ce déluge ardent lava toute souillure,
Et tes cieux ont reçu, Seigneur, plus d’un martyr ;
Mais de son large lit la vague qui murmure
Cherche encore à sortir.


Ah ! pour la conjurer, dis-nous, que faut-il faire ?
— « Dans la sainte vertu se montrer affermi ;
« Aux sommets les plus hauts l’aigle plaçant son aire
 « Ne craint pas d’ennemi. »

Oui, la vertu peut seule, après un tel naufrage,
De tout ce qui fut grand conserver les débris ;
Plus il faut déployer de force et de courage,
Plus sublime est le prix.

Pères des nations, rois à qui l’on insulte,
Échappés par miracle au fer des assassins ;
Et vous, prêtres de Dieu, ministres de son culte,
Soyez forts, soyez saints.

Que le peuple attentif, qui debout vous contemple,
Et de vos actions s’est fait juge à son tour,

Apprenne, apprenne enfin, gagné par votre exemple,
La justice et l’amour.

Poètes, voix du ciel qui pleurez vos souffrances,
Plus de plainte isolée et de tristes soupirs ;
Ensemencez partout le champ des espérances
Et des nobles désirs.

Tout don vient du Seigneur, et la lyre docile
N’a pas été remise à vos tremblantes mains
Pour y gémir sans but, instrument inutile
Ou funeste aux humains.

Sa corde a trop long-temps, amollie et légère,
Soupiré de vains mots, langoureuses chansons ;
Il est temps d’enseigner, courageuse et sévère,
De sublimes leçons.


Et toi, Clertan ! et toi, poursuis en paix ta voie ;
Va, sans t’inquiéter d’impuissantes clameurs,
Où la bonté de Dieu comme un ange t’envoie,
Soulager les douleurs.

Car, sans doute, il est beau ce noble ministère,
Prix d’une longue étude et de soins assidus,
Qui vous fait, à genoux, adresser la prière
Des mortels éperdus,

Quand un fils, un époux, une mère éplorée,
Vous confiant l’objet de leurs plus tendres vœux,
Cherchent, ainsi qu’au ciel, de sa vie adorée
Le destin dans vos yeux.

Puis, quand un air mortel, plein de vapeurs fétides,
Dans les cités en deuil fait tomber expirans

Sur le pavé couvert de cadavres livides
Les citoyens errans,

Qu’il est beau de vous voir, hommes grands et sublimes,
Dans ces funestes murs apportant des secours,
À la contagion disputer ses victimes
Aux dépens de vos jours !

Et, sur la triste couche où languit la misère,
Quand vous lui prodiguez tous vos soins généreux,
Pour le pauvre, sauvé par votre art salutaire,
N’êtes-vous pas des dieux ?

Qui le sait mieux que toi ? toi dont la bienfaisance,
Du malade indigent tarissant les douleurs,
A vu souvent sa joie et sa reconnaissance
Te payer par des pleurs.


Et tu voudrais des chants ! mais quelle ode brillante,
Et de mille beautés éclatant tour-à-tour,
Parlerait mieux au cœur, serait plus éloquente
Que ces larmes d’amour ?




ACTIONS DE GRACES.


À M. Antoine Guillemot.




ACTIONS DE GRACES.



Merci ! merci, mon Dieu, des dons que tu m’as faits :
L’innocence, l’oubli, le sommeil et la paix.

Il fut un temps, hélas ! où, folle en mon délire,
J’aimais les chants d’amour frémissant sur la lyre ;
Où dans mon cœur, trop plein de ses félicités,
Débordaient à longs flots les pures voluptés ;

Où je buvais la vie enivrante, embaumée,
Comme un nectar divin dans une coupe aimée :
Car tous les jours alors, au lever du soleil,
L’espérance et l’amour enchantaient mon réveil ;
Dans les yeux d’un mortel que j’adorais, mon ame
Voyait briller sa vie et rayonner sa flamme ;
Puis, ces regards charmés se plongeant dans mon cœur,
L’inondaient d’un torrent d’ivresse et de bonheur.
Il devait être à moi, j’étais sa fiancée ;
Déjà nous n’avions plus à deux qu’une pensée,
Tous les jours nos deux voix s’unissaient pour bénir
Le nœud chaste et sacré qui devait nous unir
Et je croyais en lui comme à mon existence,
Sans redouter jamais ni le temps ni l’absence :
Car, si j’avais conçu quelque soupçon jaloux,
J’en aurais imploré le pardon à genoux,

Tant j’avais une foi sainte, puissante, pure,
Et comme mon amour profonde et sans mesure.

Merci ! merci, mon Dieu, des dons que tu m’as faits :
L’innocence, l’oubli, le sommeil et la paix.

Tel que, du haut des airs où son vol se déploie,
Le rapide épervier, s’abattant sur sa proie,
S’en saisit, la déchire, et, d’un bec tout sanglant,
Se repaît des lambeaux arrachés à son flanc ;
Ainsi le désespoir aux étreintes cruelles
S’abattit dans mon sein, et d’angoisses mortelles
Je sentis déchiré, sous ses ongles de fer,
Mon cœur, sans résistance, à leur courroux offert.
Et toi, qui rayonnais si splendide en mon ame,
Doux flambeau de l’amour, dont la brillante flamme

De mon chaste avenir éclairait l’horizon,
Ainsi que les clartés s’éteignit ma raison.

Quand d’un culte aboli la majesté succombe,
Que de l’autel brisé le Dieu profané tombe,
Les anges éperdus, en détournant les yeux,
D’un vol épouvanté remontent vers les cieux.
Le temple désolé, plein d’une horreur suprême,
Frémit de retentir des accens du blasphême,
Et voudrait, s’écroulant, cacher sous ses débris
Tous les restes divins outragés et flétris.
Ainsi j’aurais voulu mourir de ma tristesse,
Quand les derniers parfums, quand la dernière ivresse
De cet amour trahi, sans pitié, sans pudeur,
En sanglots déchirans s’exhalaient de mon cœur.


Que m’importaient, hélas ! et la vie et ses charmes ?
Mes yeux désenchantés n’avaient plus que des larmes ;
Sous le poids du malheur plié comme un roseau,
Tout mon être abattu n’aspirait qu’au tombeau,
Et sans l’effroi du ciel, qui m’aurait condamnée,
Je brisais de mes jours la coupe infortunée.

Merci ! merci, mon Dieu, des dons que tu m’as faits :
L’innocence, l’oubli, le sommeil et la paix.

Prosternée humblement sur le seuil de ton temple,
De ton Fils bien-aimé suivant le saint exemple,
Comme à l’heure où, sentant son cœur faillir en soi,
Dans le jardin sacré sa voix monta vers toi,
Je disais : « Ô mon Père ! éloigne ce calice,
« Mais que ta volonté néanmoins s’accomplisse,

« Et s’il faut l’épuiser, Seigneur, pour t’obéir,
« Fais-moi, sans murmurer, me soumettre et bénir. »


Dieu saint ! Dieu tout-puissant ! Dieu que le ciel adore !
Non, ce n’est pas en vain que la douleur t’implore ;
Ta grace descendit comme un rayon d’en-haut,
Et, plus forte déjà, je m’écriai bientôt :
« Pâleurs du désespoir sur mon front descendues,
« Larmes devant l’autel à longs flots répandues,
« Soupirs pleins d’amertume ! angoisses où mon cœur
« S’abîme incessamment, et se brise, et se meurt !
« Tourmens ! flammes ! supplice où je vis condamnée !
« J’accepte tout, Seigneur, et je suis résignée. »
Et la poudre, où mon front s’abaissait plus encor,
De mes cheveux épars souillait les boucles d’or.


Oh ! comment une lyre, entre mes mains placée,
Répéta tout-à-coup ma plainte cadencée ?
Comment sa mélodie aux célestes accords
De mon ame blessée apaisa les transports ?
Je ne sais ; mais depuis, interprète fidèle,
Sa voix touchante et pure à mes soupirs se mêle,
Et s’exhale avec eux, vive et douce parfois
Comme l’air parfumé qu’on respire en nos bois.
Bonheur inespéré ! cette voix solitaire,
Dans mon isolement chantant pour me distraire,
Cette lyre, du ciel présent consolateur,
Éveilla des échos dans plus d’un noble cœur ;
Et vers moi, pauvre, obscure, et de tous inconnue,
L’amitié caressante est doucement venue,
Me souriant des yeux et m’attirant des mains,
Pour me faire, auprès d’elle, asseoir à ses festins.

Sa voix, tour à tour grave, éloquente ou folâtre,
A des accens divins que mon cour idolâtre,
Des mots venus de l’ame, et des propos si doux
Que leur charme rendrait l’amour même jaloux ;
Et nulle ombre jamais, altérant sa tendresse,
Ne vient changer ma joie en soudaine tristesse.
Soit que son front superbe étale un noble orgueil,
Ou qu’un rayon aimant se reflète en son œil,
Sur son bras ferme et sûr quand je marche appuyée,
Tout effroi disparaît, toute peine oubliée
S’efface, et je suis fière, et mon cour enchanté,
Libre enfin des douleurs qui l’avaient attristé,
Savoure avec transport le bonheur qui l’inonde.
Toujours pleine de biens, mon Dieu, ta main féconde
Les verse abondamment sur l’immense univers,
Et chacun a sa part de tes présens divers.

Les fleurs ont des parfums et les flots des murmures,
Les oiseaux des chansons, les soirs des brises pures,
Les champs de blonds épis, les ceps un fruit vermeil,
Les vastes cieux d’azur ont leur brillant soleil ;
Les heureux d’ici-bas, la gloire et les richesses ;
Et moi, Seigneur, et moi, j’ai, grace à tes largesses,
De plus modestes dons et d’aussi doux bienfaits :
La lyre, l’amitié, l’innocence et la paix.




À DIJON.

Objets inanimés, avez-vous donc une ame Qui s’attache à notre ame et la force d’aimer ?



À Mme SOPHIE DE CHAMBURE MÈRE.


À DIJON.



Qui ? moi ! fuir de ton sein, ville à jamais chérie ;
Aller sur d’autres bords chercher un vain bonheur,
Dijon, noble cité, belle et douce patrie
Où la vie et l’espoir ont fait battre mon cœur ?

Non, non, de tes remparts j’aime l’étroite enceinte,
Et leurs arbres touffus, et tes clochers pieux
Qui semblent, des vieux jours gardant la noire empreinte,
D’une auguste beauté, d’une majesté sainte
Te parer à mes yeux.

Non, jamais, dans mon cœur, je n’eus d’autre pensée
Que de vivre et mourir sous l’azur de ton ciel,
Ainsi qu’une humble fleur à sa tige laissée
Pour éclore et tomber sur le sol maternel.

Qu’irais-je demander aux cités étrangères ?
Tes champs ont des épis ; tes sources, des flots purs ;
Aimés bien tendrement, tous tes fils sont mes frères,
Et mes désirs jamais, vastes et téméraires,
N’ont dépassé tes murs.

Pour mes yeux attendris, pour mon ame charmée,
Tout est beau dans ton sein, ô ma patrie aimée !
Et l’aurore ou le soir m’y parlent tour-à-tour
De passé, d’avenir, d’espérance et d’amour.
Quand le soleil levant, sur ta robe de pierre,
Déploie avec splendeur son manteau de lumière,
Et que tu sors enfin d’un paisible sommeil
Pour chanter et sourire au moment du réveil ;
Admirant ta richesse, et ta force, et ta vie,
À des pensers heureux ton aspect me convie ;
J’aspire avec l’air pur de ton riant matin
Le ravissant espoir d’un fortuné destin ;
Car j’ai mon astre aussi, caché là-bas dans l’ombre,
Mon soleil qui viendra dissiper ma nuit sombre,
Briller sur tous mes jours et ranimer mon cœur
Aux rayons caressans d’un amour enchanteur.

Mais quand le soir descend, mystérieux et pâle,
Que du soleil couché la splendeur triomphale
Ne vient plus couronner de ses feux éclatans
Et tes jardins fleuris et tes flots jaillissans ;
Quand la foule, rentrée au sein de ses demeures,
N’éveille plus d’échos, et que la voix des heures
Seule et lente, au milieu d’une paisible nuit,
De ses graves accens fait entendre le bruit,
J’aime à fouler ton sol ; devant les portails sombres,
Au pied silencieux des tours aux grandes ombres,
Vers la flèche élancée en des cieux de saphirs
J’évoque ton fantôme et tes vieux souvenirs.


Te levant du passé, comme une antique reine,
Tu revêts à mes yeux ta pompe souveraine,

Ô cité de nos ducs ! et, plein d’un saint respect,
Mon cœur, surpris et fier, tressaille à ton aspect.
Que ton front glorieux porte bien sa couronne !
De ton royal manteau la pourpre t’environne,
Et le fer dans ta main, comme un sceptre puissant,
Repose avec orgueil, ou brille menaçant.
Sur la terre de France un cri soudain s’élève,
Guerre ! guerre ! À ce cri tu t’élances, le glaive,
Agité dans les airs par tes fiers Bannerets,
Va chasser le Teuton ou repousser l’Anglais.


Ton duc victorieux rentre en sa capitale :
La fanfare a sonné sa marche triomphale,
Il ramène vainqueurs ses généreux guerriers,
Invincibles barons, illustres chevaliers,

Qui, portant au combat les couleurs de leurs dames,
D’un amoureux orgueil vont voir briller les flammes
Aux yeux de la beauté qui leur donna des lois.
Dans le souffle des airs il me semble parfois
Entendre encor le bruit de vos chansons joyeuses,
Pages adolescens, damoiselles rieuses,
Assemblés chaque soir au foyer de la tour,
Avec les ménestrels, pour deviser d’amour.


Ô coups de la fortune ! arrêt fatal du sort !
Aux portes de Nancy Charle a trouvé la mort,
Et le vent de la nuit, passant sur les trophées,
Semble gémir encor des plaintes étouffées.


Quoi ! le front incliné sous des voiles de deuil,
Pleurant ton rang suprême et tes ducs au cercueil ;

Au joug altier des rois il faut donc te soumettre !
Non, prenant un époux sans accepter un maître,
Noble veuve, tu sais, gardant ta liberté,
Déposer la couronne, et non pas ta fierté.
Au sceptre de Louis si l’on te voit soumise,
C’est qu’un serment royal assure ta franchise.
Et quand de Médicis l’ordre impie et cruel,
Armant le fanatisme au nom puissant du ciel,
D’un massacre béni vint effrayer la terre,
Entre tes sœurs de France, oh ! reste toujours fière !
Toi qui ne voulus pas rougir ton noble sol,
Nid d’où l’aigle de Meaux devait prendre son vol,
Et pour qui ce jour sombre, entre les jours néfastes,
Est du sang de Calvin resté pur dans tes fastes.

Mais d’où viennent ces cris au pied de tes remparts,
Dans les champs d’alentour ces bataillons épars,
Ces tentes, ces bivouacs dressés sur la colline,
Et tous ces feux tremblans dont la nuit s’illumine ?
De leurs vallons rians et de leurs pics altiers,
La sauvage Helvétie, appelant ses guerriers,
Les a lancés, nombreux, autour de tes murailles ;
Ils veulent enfoncer le fer dans tes entrailles,
Et, de leur pied vainqueur, insulter à ton front,
Pour la première fois, courbé sous un affront.


Reine des temps passés ! qui te viendra défendre ?
Quel secours invoquer, et quel destin attendre ?
Philippe, ou Jean-sans-Peur blessé d’un coup fatal,
Se levant, tout armés, du caveau sépulcral,

Viendront-ils, aux éclairs de leurs nobles épées,
Chasser ces légions d’épouvante frappées ?
Ah ! les morts dorment bien dans leur sombre repos,
Et l’éternelle paix règne au fond des tombeaux.
Pourtant, de tous côtés par la foudre assaillie,
Tu résistes en vain, luttant contre le sort,
À ces bronzes tonnans dont la gueule en furie
Vomit jusqu’en ton sein le désastre et la mort.


Ô toits de nos aïeux ! remparts ! arbres antiques !
Palais des souverains ! temple aux sacrés portiques,
Où les femmes en deuil imploraient le Seigneur !
Vieux témoins de ces jours, retracez-en l’horreur.
Mais plutôt dites-nous de la vierge Marie
La merveilleuse image au feu des camps noircie,

Les prières, les vœux de ce peuple éperdu,
Entre l’espoir timide et l’effroi suspendu ;
Par un miracle, enfin, sa foi récompensée,
La mitraille impuissante ou la flèche émoussée,
L’arquebuse indocile, et les boulets d’airain
Repoussés par l’effort d’une invisible main.
Si le monde railleur hésitait à vous croire,
Avec orgueil encor montrez la Vierge noire
Dont trois siècles n’ont pas altéré la couleur,
Et que jamais en vain n’invoqua la douleur.


Gloires de ma cité ! grands et nobles fantômes
Qui veillez sur ses murs, qui planez sur ses dômes,
Bernard, au cœur brûlé par le divin amour,
Qui rejetas les biens du terrestre séjour,

Et, comme un phare ardent brillant dans les nuits sombres,
De l’univers chrétien illuminas les ombres ;
Prélat majestueux ! Bossuet, grande voix
Retentissante encor sur la cendre des rois,
Dont l’ame répandait, ainsi qu’un fleuve immense,
Des trésors de génie et des flots d’éloquence ;
Crébillon ! nom profane et pourtant glorieux,
Qui, trouvant envahis et la terre et les cieux,
Alla jusqu’aux enfers, plein d’un sombre délire,
Évoquer les sujets de son tragique empire ;
Piron ! sur notre scène, étalant en beaux vers
Du poète inspiré les généreux travers ;
Rameau ! de l’harmonie expliquant les mystères,
Et des sons fugitifs montrant les lois sévères ;
Devosge ! ame vouée au culte heureux des arts,
Qui fonda leur école au sein de nos remparts,

Et, guidant de Prudhon la main novice encore,
Mit dans celle de Rude un ciseau qui l’honore ;
Et de Brosse, et Saumaise ! et vous tous dont les noms
Au front de ma patrie étincelans rayons,
La couronnent de gloire et la font grande et fière,
Recevez mes respects, mon culte et ma prière.


Oh ! combien je voudrais, désir, hélas ! trop vain,
Pour prix de mes beaux jours écoulés dans ton sein,
Te payer mon tribut, t’apporter mon offrande,
Mêler ma simple fleur à ta riche guirlande,
Et, gage d’un amour qui ne saurait tarir,
Te laisser, ô Dijon, un noble souvenir !


Mais non, je ne suis rien, et pourtant, ô mon ame !
Si le feu des beaux-arts dont tu ressens la flamme,

Pouvait, libre et brûlant, s’exhaler à son gré,
Tu chanterais toujours ton pays adoré.

Et, pareille à l’oiseau qui, dans sa course ailée,
Hors du nid paternel cherche d’autres destins,
Si, laissant ces beaux lieux, tu prenais ta volée
Vers des climats lointains,

Ce serait pour aller, près des sources fécondes
Où des luths inspirés s’éveillent les accords,
Savourer tous les fruits, boire à toutes les ondes
Des poétiques bords.

Puis, comme en nos bosquets l’abeille matinale,
Volant de fleurs en fleurs sous l’azur d’un beau ciel,
Ivre de leurs parfums, à la ruche natale
Vient déposer son miel,

Je reviendrais bientôt dans cette terre aimée,
Riche de souvenirs et de pensers divers,
Que ma voix traduirait sur la lyre charmée
En gracieux concerts.




À M. LE COMTE D’AUDIFFRED.




À M. le Comte d’Audiffred.



Comme, aux bords de son nid, sur la cîme élevée
D’un arbre au doux ombrage, aux flexibles rameaux,
Quelquefois, en juillet, une jeune couvée
De timides oiseaux,

Gazouillant à demi les chansons paternelles,
Et dans les champs voisins voulant prendre l’essor,
Essaie, hésite, et n’ose à ses forces nouvelles
Se confier encor,

Quand leur père, étendant son aile protectrice,
Ainsi qu’un doux fardeau qu’il porte loin du sol,
Les soutient, les dirige, et de l’essaim novice
Aide le premier vol ;

De même ces enfans d’une muse inconnue,
Ces vers, faibles soupirs de douleur ou d’amour,
Laissaient bien s’exhaler quelque note perdue,
Mais n’osaient, réunis, s’élancer au grand jour,

Quand soudain, me tendant une main généreuse,
Pour de nobles bienfaits toujours prête à s’ouvrir,

Que la triste vieillesse et l’enfance rieuse
Dans leur humble prière ont appris à bénir,

Vous avez ranimé dans mon ame incertaine
Le désir et l’espoir, ces deux flambeaux charmans,
Qui versent les rayons de leur clarté sereine
Au poète rêveur comme aux tendres amans.

Oui, vous avez pour moi cette bonté céleste,
De la bonté de Dieu reflet charmant et doux,
Qui, délicate et pure, et sublime et modeste,
Entre tant d’heureux dons se fait chérir en vous ;

Et mon timide essaim, abrité sous vos ailes,
Joyeux et confiant va s’envoler en chœur,
Comme, en un jour d’été, les jeunes hirondelles
Qui suivent, en chantant, leur guide protecteur.


TABLE.



 n. p.


Livre I. —  
 9
Livre I. —  
 19
 29
Livre I. —  
 45
Livre I. —  
 51
Livre I. —  
 59
Livre I. —  
 69
Livre I. —  
 75
Livre I. —  
 81
 89
 95
Livre II. — 
 107
Livre II. —  
 117
Livre II. —  
 125
Livre II. —  
 141
Livre II. —  
 153
 157
Livre II. —  
 169
Livre II. —  
 177
Livre II. —  
 189
Livre II. —  
 195
Livre II. —  
 205
Livre II. —  
 211
Livre III. — 
 219
Livre III. —  
 233
Livre III. —  
 243
Livre III. —  
 263
Livre III. —  
 273
Livre III. —  
 277
Livre III. —  
 283
Livre III. —  
 293
Livre III. —  
 299
Livre III. —  
 305
Livre III. —  
 313
Livre III. —  
 325
Livre III. —  
 337
 353
  1. Auteur de la Musique simplifiée et d’un Mémoire sur l’enseignement des Mathématiques, qui vient d’être couronné par l’Académie de Rouen.
  2. Cette fille respectable vient de recevoir un des prix de vertu fondés par M. de Monthyon, et distribués chaque année par l’Académie française.