Cours d’agriculture (Rozier)/CHÊNE

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Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 201-217).

CHÊNE. M. Tournefort le place dans la première section de la dix-neuvième classe, qui comprend les arbres & arbrisseaux à fleur à chaton, dont les fleurs mâles sont séparées des fleurs femelles, & dont les fruits ont une enveloppe coriacée. Il désigne, sous le nom de quercus, les chênes dont les feuilles tombent pendant ou après l’hiver ; ilex, les chênes dont les feuilles restent toujours vertes, & suber, les chênes-liége. M. Linné réunit toutes ces espèces de chênes sous la dénomination de quercus, & n’en fait, avec raison, qu’un seul & même genre.


Plan du travail sur le Chêne.


CHAPITRE PREMIER. Description du genre.
CHAP. II. Description des espèces.
CHAP. III. Des semis & de leur conduite.
CHAP. IV. De la transplantation.
CHAP. V. Des avantages qu’on retire des bois de Chêne, & du temps de les abattre.
CHAP. VI. Des usages médicinaux du Chêne.
CHAP. VII. Recueil d’observations qui m’ont été communiquées.


CHAPITRE PREMIER.

Description du Genre.


Les fleurs mâles, ainsi qu’il a été dit, sont séparées des fleurs femelles, quoique sur le même arbre, & leur forme est bien différente.

Les fleurs mâles sont portées par un péduncule commun, & leur assemblage forme ce qu’on appelle le chaton ; (voyez ce mot) les fleurs sont un peu éloignées les unes des autres.

Le calice de chaque fleur mâle est d’une seule pièce, divisé en quatre ou cinq découpures aiguës, & souvent chaque découpure est encore divisée en deux.

La fleur, sans pétale, est formée par des étamines courtes, quelquefois au nombre de cinq, de huit ou de dix.

Le calice des fleurs femelles est d’une seule pièce dure, coriace, raboteuse, en forme de coupe ; il est à peine visible pendant le temps de la fleuraison ; le pistil est plus long que le calice, les stiles au nombre de deux ou de cinq, & comme des fils de soie.

Le fruit qu’on nomme gland est ovale, divisé en deux lobes, recouvert d’une croûte coriacée, d’une seule pièce lisse unie, sous la forme d’une coupe ou cupule.

Règle générale, les feuilles des chênes qui les perdent après chaque hiver, sont sinueuses & à dentelures arrondies ; celles des chênes verts sont ou armées d’épines, ou à dentelures aiguës ; enfin, les chênes-liéges ont une écorce légère, que l’art sépare aisément du tronc de l’arbre.


CHAPITRE II.

Description des Espèces.


M. von Linné compte quatorze espèces de chêne, en enclavant sous plusieurs espèces, des individus qu’il appelle des variétés. M. Duhamel admet vingt-trois espèces sous la dénomination de chêne, huit sous celle de chêne verd ou ilex, & deux sous celle de liége. L’auteur du mot chêne, dans le Dictionnaire Encyclopédique, admet quarante espèces ; & M. le Baron de Tschoudi, dans le supplément de ce Dictionnaire, en admet vingt espèces d’après le célèbre Miller, anglois.

Dans le nombre des espèces qui vont être décrites, il s’en trouve beaucoup que je n’ai jamais vues ; mais comme M. le Baron de Tschoudi s’est sérieusement occupé des arbres forestiers, j’avoue avec plaisir que je vais le prendre pour guide ; d’ailleurs il est impossible de décrire toutes les variétés de chaque espèce, puisqu’on ne trouvera jamais deux chênes qui se ressemblent exactement.

No. 1. Chêne commun. Quercus robur. Lin. Les feuilles de cet arbre qui a produit un si grand nombre de variétés, tombent après l’hiver. On les appelle feuilles vernales, elles sont oblongues, soutenues par des pétioles plus larges vers le bout, à dentelures aiguës, à angles obtus, & les glands sont assis sur les branches. Il croît dans toute l’Europe, mais non pas au-delà de Suéde, en allant vers le pôle. L’épithète de robur, donnée par M. Linné, caractérise admirablement bien la force de cet arbre.

No. 2. Chêne à feuilles vernales, oblongues, obtuses, échancrées en ailes, à pétioles très-courts, & à glands attachés à des péduncules fort longs. Quercus foliis deciduis, oblongis, obtusis, pinnato-sinuatis, petiolis brevissimis, pediculis glandorum longissimis. Mill. On le trouve en Angleterre & en France, & son bois passe pour être meilleur que celui du premier.

No. 3. Chêne à feuilles hivernales, oblongues, échancrées & obtuses, à glands portés par de longs péduncules. Quercus foliis oblongis, sinuatis, obtusis perennantibus, pediculis glandorum longissimis. Mill. On le trouve sur les montagnes de l’Apennin, en Suabe & en Portugal ; les feuilles sont fort larges, & les glands naissent quelquefois trois à trois.

No. 4. Chêne à feuilles oblongues, sans pétiole, à dentelures obtuses, terminées par des filets pointus & à gros glands. Quercus foliis oblongis obtusè-sinuatis, setaceo-mucronatis, glandibus majoribus. Mill. Cette espèce se rencontre dans plusieurs provinces de France. C’est un grand & bel arbre dont les glands sont plus gros que ceux des espèces précédentes.

No. 5. Chêne à feuilles oblongues, échancrées en aile, velues par-dessous, à glands dont la coupe est velue & adhérente aux branches. Quercus foliis oblongis, pinnato-sinuatis, subtùs tomentosis ; glandibus sessilibus, calicibus tomentosis. Mill. Arbre naturel à l’Italie & au midi de la France. Ses feuilles sont plus courtes & plus larges que celles du chêne commun ; les glands sont rassemblés par bouquets.

No. 6. Chêne nain, à feuilles oblongues, à dentelures obtuses, à fruits adhérens aux branches, & en trochets. Quercus humilis, foliis oblongis, obtuse-dentatis ; fructibus sessilibus conglomeratis.

No. 7. Chêne de Bourgogne, à feuilles oblongues, échancrées en ailes en forme de lyre, à échancrures transversales & aiguës, légèrement velues par-dessous : c’est le quercus cerris de M. Linné. Cette espèce est naturelle en Bourgogne, d’où elle a pris son nom. Les glands sont petits, la coupe est épineuse, & la forme de sa feuille le distingue des autres chênes.

No. 8. Chêne à feuilles échancrées en ailes, à fruits adhérens aux branches. C’est le quercus esculus de M. von Linné. Il est commun en Italie & en Espagne ; les jeunes branches sont rougeâtres ; la coupe, qui renferme le gland, est un peu hérissée, & les glands sont alongés & menus. Cet arbre mériteroit d’être multiplié, parce que son fruit est doux, & qu’il peut servir de nourriture aux hommes comme aux troupeaux.

No. 9. Chêne villani, à feuilles oblongues, ovales, unies, à dentelures renversées. C’est le quercus ægilops de M. von Linné. Cet arbre est un des plus beaux du monde ; il étend au loin ses branches, & s’élève aussi haut que le chêne commun. Ses feuilles oblongues & épaisses, sont d’un vert pâle par-dessus & un peu cotonneuses par-dessous. Son écorce est grise, marquée de taches brunes. Les glands sont presqu’entièrement recouverts par des coupes écailleuses ; quelques-uns sont aussi gros qu’une pomme moyenne. Les Grecs modernes le nomment villani, & ils se servent de ses glands pour la teinture.

No. 10. Chêne rouge, à feuilles échancrées & obtuses, terminées par des filets aigus. Quercus foliis obtusè-sinuatis, setaceo-mucronatis. Mill. C’est le quercus rubra de M. Linné. Il forme un très-grand arbre en Virginie & dans l’Amérique septentrionale. Son écorce est grise & polie, celle des jeunes branches est d’une couleur plus obscure. Ses feuilles longues & larges, sont d’un vert brillant ; elles ne tombent souvent que vers Noël, & elles changent seulement de couleur peu de temps avant leur chute. Les glands en sont un peu longs, mais pas si larges que ceux du chêne commun.

No. 11. Chêne à feuilles de châtaignier, à feuilles presqu’ovales, pointues par les deux bouts, à sinuosités découpées en dentelures rondes & égales. C’est le quercus prinus de Linné. Il a été découvert dans l’Amérique septentrionale : on croit qu’il y en a deux variétés. L’une produit un arbre de moyenne taille, & l’autre est le plus grand chêne qui croisse dans cette partie du nouveau monde : son bois n’est pas d’un grain fin, mais il est de bon service. L’écorce en est grise & écailleuse ; ses feuilles ressemblent à celles du châtaignier, & sont d’un vert pâle ; les glands sont gros & leur coupe fort petite.

No. 12. Chêne noir d’Amérique, à feuilles en forme de coin, dont les anciennes ont trois lobes. Quercus nigra Lin. Il couvre les terres ingrates de la plupart des contrées de l’Amérique septentrionale. Ses feuilles sont fort larges au bout, où elles sont échancrées en trois lobes ; elles s’étrécissent vers le pétiole qui est court ; elles sont polies & d’un vert luisant. Cet arbre ne devient jamais grand & sert seulement au chauffage.

No. 13. Chêne rouge de Virginie, à feuilles obtuses, dont les angles sont aigus, terminés par des pointes, & dont les bords sont entiers. M. Linné le regarde comme une variété du précédent, & il le désigne par cette phrase : quercus foliorum sinubus obtusis, angulis acutis seta terminatis, margine integerrimo. Il croît dans l’Amérique septentrionale, & il a pris son nom du rouge éclatant dont ses feuilles se colorent avant de tomber. Son bois est doux, spongieux & de nulle durée.

No. 14. Chêne blanc de Virginie. C’est le quercus alba de M. Linné. Ses feuilles sont découpées en ailes obliques, à plusieurs échancrures, dont les sinuosités & les angles sont pointus. Cet arbre est originaire de l’Amérique septentrionale, & de tous les bois de charpente de ce pays, c’est le plus durable & le meilleur. L’écorce en est grisâtre ; les feuilles, d’un vert gai, sont longues & larges. Ses glands ressemblent à ceux du chêne commun.

No. 15. Chêne à feuilles de saule, étroites, terminées en lance, entières & unies. Quercus foliis lineari-lanceolatis integerrimis glabris. Mill. Il croît également dans l’Amérique septentrionale. On en distingue deux espèces : l’une se nomme le chêne à feuilles de saule de montagne ; il vient dans les terres maigres ; ses glands sont petits & ont de larges coupes. L’autre espèce croît dans les sols riches & humides, ses feuilles sont plus longues & plus étroites.

No. 16. Ilex ou yeuse, ou Chêne vert à feuilles étroites, ovales, entières, velues par-dessous. Quercus foliis oblongo-ovatis, subtus tomentosis, integerrimis. Il varie singulièrement par sa semence.

No. 17. Chêne vert à feuilles de houx. C’est le quercus gramuntia de M. Linné, très-commun dans nos provinces méridionales. Ses feuilles sont ovales, oblongues, à sinuosités épineuses, velues par-dessous, ses glands sont portés par des péduncules.

No. 18. Kermès à feuilles ovales, indivisées & unies, à dentelures épineuses. Quercus foliis ovatis indivisis spinoso dentatis glabris. C’est le quercus coccifera de M. Linné, arbre très-commun en Provence & en Languedoc, sur lequel on recueille le kermès, (voyez ce mot) ou grain d’écarlate, si utile pour les teintures. Il ne s’élève jamais bien haut.

No. 19. Chêne de vie d’Amérique, toujours vert, à feuilles ovales, terminées en lance & attachées à des pédicules. Quercus foliis lanceolato-ovatis, integerrimis, petiolatis, semper virentibus. Mill. Arbre originaire de la Caroline & de la Virginie. Il s’élève, dans son pays natal, à la hauteur de quarante pieds ; ses feuilles sont d’un vert obscur & d’une consistance épaisse, elles conservent leur verdure toute l’année ; ses glands, minces, alongés, ont de petites coupes, ils sont très-doux : les habitans les ramassent pour les manger pendant l’hiver. Le bois en est dur, grossier & raboteux.

No. 20. Chêne-liége, à feuilles ovales, oblongues, indivisées, dentelées, velues par-dessous, à écorce gercée & fongneuse. C’est le quercus suber de M. von Linné. Les deux principales variétés de cet arbre sont à feuilles larges, & l’autre à feuilles étroites ; toutes deux conservent leurs feuilles. Il a d’autres variétés qui se dépouillent en automne. Au mot Liége je décrirai la manière d’enlever cette écorce.


CHAPITRE III.

Des Semis de Chênes.


Il faut un siècle pour former une forêt, & dans un clin d’œil elle est, pour ainsi dire, abattue. Le voyageur étonné cherche avec surprise l’ombre délicieuse qui le garantissoit, l’année précédente, de l’ardeur du soleil, & il ne trouve plus un seul arbre sur pied. On veut jouir, le moment présent seul affecte ; le luxe entraîne à des dépenses au-delà des revenus ; il faut payer des dettes : les forêts respectées par le temps ne le sont plus par le propriétaire obéré. Elles lui présentent une ressource prompte & précieuse ; il les abat & ne les replante pas. C’est ainsi que peu à peu elles ont été détruites. Des provinces entières touchent presqu’au moment de ne plus avoir de bois pour les usages journaliers. Depuis dix ans la consommation du bois a sextuplé dans la capitale, & les ressources, loin de se multiplier, diminuent. La fureur des défrichemens a duré environ vingt-cinq ans, les croupes & les sommets des montagnes ont été convertis en guérèts ; & la terre végétale, qui s’y étoit accumulée avec peine pendant l’espace d’un siècle, après avoir produit une ou deux récoltes, a été entraînée par les pluies ; enfin, le tuf est resté à nud. Il étoit dans l’ordre de s’opposer à de pareils défrichemens. Quoique tout propriétaire soit le maître de disposer de son terrein ainsi qu’il lui plaît, s’il est imbécile ou fou, il a besoin d’un curateur. Il auroit peut-être été de la sagesse du gouvernement de défendre le défrichement des pentes des montagnes, à moins que les cultivateurs n’eussent été obligés de planter en bois les sommets jusqu’à une certaine distance. Si on avoit pris de semblables précautions, on ne verroit pas des chaînes entières sèches, arides, décharnées jusqu’au vif : ces bois, il est vrai, n’auroient pas été d’une élévation semblable à celle des forêts de Bourgogne, de Franche-Comté, de Champagne &c., mais au moins ils auroient revêtu le terrein ; ils en auroient fourni aux parties inférieures de la montagne ; leurs feuilles auroient procuré une nourriture d’hiver abondante pour les troupeaux, & une abondance pour le bois de chauffage ; au lieu que le mouton rencontre à peine aujourd’hui une herbe coriace où ceux des deux derniers siècles trouvoient une nourriture abondante. Pères de familles, qui aimez vos enfans, semez en bois quelconques tous vos terreins incultes ; plantez la plus grande quantité d’arbres que vous pourrez, soit fruitiers, soit forestiers, & vous doublerez peu à peu la valeur de vos domaines. Que l’exemple des seigneurs de la capitale n’influe pas sur vous. Plus ils abattront de forêts, plus les vôtres deviendront précieuses. Le seul moyen capable de prévenir la disette extrême, qui commence à se faire sentir dans ce royaume, consiste dans les semis.

Le chêne se multiplie par semences & par la transplantation. Avant de ramasser les glands, laissez tomber les premiers, faites-les enlever & mettre à part. Il en est des glands comme de tous les fruits ; ceux qui mûrissent avant les autres & devancent le temps ordinaire de la maturité, sont à coup sûr piqués des vers. Si on les sème, leur production sera défectueuse. Il faut donc attendre le moment de la pleine maturité, & par conséquent, de la chute la plus forte. Il en est des derniers glands comme des premiers, ils ne sont pas piqués des vers, il est vrai, mais ils sont chétifs & retraits. Sur la masse des glands tombés suivant la loi de la nature, il est important de choisir les plus gros & les mieux nourris, & de rejeter tous des autres : la prudence exige encore de choisir les glands des arbres les plus forts, les mieux venans, & surtout ceux dont la feuille large, épaisse & luisante, annonce un état de vigueur.

I. Il y a deux sortes de semis, ou à demeure ou en pépinière. Le semis à demeure est préférable à tout autre opération, sur-tout si on veut se procurer de grandes forêts, autrement la dépense seroit excessive.

Il y a deux manières de préparer le terrein destiné au semis ; ou avec la charrue, ou à force de bras en se servant ou de la bêche ou de la pioche. Cette dernière méthode est beaucoup plus dispendieuse, mais plus profitable.

La nature a imposé la loi au chêne de pivoter profondément ; l’intérêt de l’homme exige donc de ne pas la contrarier. Le travail fait à la pioche, facilite plus l’alongement de ce pivot précieux, que la charrue. Celle-ci divise seulement la superficie du terrein ; & par son poids & par la résistance qu’elle éprouve sur les côtés, elle resserre de plus en plus la terre sur laquelle elle passe.

On sème le gland, ou à la volée comme le blé, ou en suivant la direction des sillons. On doit semer fort épais ; plusieurs glands seront détruits par les mulots, & plusieurs autres ne seront pas assez enterrés ; la grande quantité de semence à répandre ne doit point étonner. Plus il germera de glands, & moins les mauvaises herbes auront de quoi végéter. D’ailleurs, les plus vigoureux détruiront par la suite leurs voisins les plus foibles.

Le temps de semer est marqué par la nature ; c’est celui de la chute du fruit ou peu de jours après, si la saison le permet, c’est-à-dire, si la terre est en état de recevoir la herse, & de n’être pas pétrie par les pieds des animaux employés au labourage. Pour ne pas perdre entièrement les avances occasionnées par le défrichement ou par le labourage, on peut semer du grain relatif à la qualité du sol, sur le semis du gland. La récolte qu’on en retirera ne nuira pas au semis.

Si des circonstances quelconques s’opposent au semis d’automne, on peut attendre la fin de l’hiver, & semer le gland dans la terre bien préparée, & par-dessus de l’avoine. Il y a des précautions à prendre afin de conserver le gland jusqu’à cette époque. Aussitôt qu’il est recueilli, on le dépose dans un lieu sec & frais, mêlé lit par lit avec de la terre sèche ou du sable. Lorsque le moment de le confier à la terre est venu, on enlève légèrement le lit de sable, ensuite celui de glands que l’on pose doucement dans des corbeilles, afin de ne point rompre la radicule de ceux qui l’ont poussée. On transporte ainsi les glands sur le champ, & enfin on les place l’un après l’autre, ou dans les raies tracées par la charrue, ou dans les fosses ouvertes avec la pioche. À mesure que l’opération s’exécute, la herse recouvre le semis. Si le sol a de la profondeur, il est très-essentiel de ménager avec le plus grand soin cette radicule, qui, dans la suite formera le pivot, parce qu’il s’y enfoncera aussi profondément qu’il trouvera de la terre. Si, au contraire, la base du sol est, à deux ou trois pieds de profondeur, un rocher formé par couches, la précaution est moins nécessaire ou presque inutile, puisque le pivot, ne pouvant pénétrer cette masse solide, est obligé de pousser des racines latérales, & le pivot lui-même, de suivre le banc de pierre ; mais dans ce cas le pivot ne s’alonge pas beaucoup.

Toutes les fois que la radicule ou pivot est rompue, elle pousse latéralement des chevelus qui constituent ensuite les maîtresses racines. Tant que la radicule subsiste intacte & qu’elle trouve un bon fond, elle s’enfonce perpendiculairement, de sorte qu’il en proviendra un jour un arbre, dont la tête, en me servant de l’expression de la Fontaine, au ciel sera voisine, dont les pieds toucheront à l’empire des morts.

Faut-il sarcler les semis de leurs mauvaises herbes, les faut-il travailler ? Le pour & le contre est soutenu par différens auteurs. Les mauvaises herbes couvrent de leur ombre les jeunes plants, & les défendent de la trop forte activité du soleil ; je conviens de ce fait. Si les mauvaises herbes n’ont que des racines chevelues, & par conséquent peu profondes, elles nuiront moins que les plantes à racines pivotantes ; les premières absorbent seulement les sucs de la superficie de la terre, tandis que les autres poussent & végètent en grande partie aux dépens des sucs de la couche inférieure, & ces sucs sont précisément ceux dont le pivot du gland a le plus grand besoin. Un chêneau de six pouces de hauteur a souvent un pivot de dix-huit à vingt-quatre, suivant la nature du sol. Je sais encore que dans certains endroits on sème du tremble & autres bois blancs parmi le gland, afin de le conserver pendant les premières années. Quant à moi, si ma position me permettoit de semer une forêt, je suivrois la méthode indiquée en parlant du châtaignier. (Voyez ce mot) Elle facilite le labourage de temps à autre, & il en résulte une différence étonnante entre une chênaie livrée à elle-même après le semis, & celle travaillée pendant les cinq ou six premières années. C’est de cette époque que dépend la beauté de chaque pied. Comme on a semé fort épais & par rangées, la charrue ne déracine & ne meurtrit pas les jeunes plants ; la couche de terre bien ameublie, reçoit & absorbe les précieuses & salutaires influences de tous les météores ; (voyez le mot Amendement) enfin, la végétation est prompte & rapide. Les jeunes tiges étant rapprochées, elles s’élancent avec force en ligne perpendiculaire, & on a la facilité d’arracher, de temps à autre, les surnuméraires, sans nuire aux tiges voisines. Enfin, on a la liberté de former une forêt plus ou moins fourrée & garnie d’arbres, & de proportionner leur nombre en raison de la force nourricière du grain de terre.

Si, au lieu d’une forêt, on se propose la formation des taillis, cette méthode est la plus avantageuse, puisque l’on peut, à volonté, disposer les cépées. (Voyez ce mot)

II. Du Semis en Pépinière. Pour éviter des répétitions inutiles, voyez ce qui a été dit aux mots Abricotier, Amandier.

Il est constant que si le terrein en est bien préparé, bien fumé, on aura de très-beaux sujets pour replanter ; mais est-ce là le seul but à se proposer ? La surabondance des soins, de nourriture, &c. leur sera préjudiciable lorsqu’ils seront livrés à eux, après la transplantation dans un terrein peut-être maigre, de médiocre qualité. Cette délicatesse d’éducation les rendra languissans pendant plusieurs années, & je doute qu’ils fassent jamais de beaux arbres. Afin d’éviter cet inconvénient, la terre de pépinière doit être de qualité passable, c’est-à-dire, qu’elle tienne le milieu entre la bonne & la terre médiocre.

Si vous avez à peupler un sol qui ait peu de fond, placez votre pépinière sur une couche dure de cailloux ou de rocher, pourvu que la terre ait deux pieds de profondeur : alors le pivot, ne pouvant s’enfoncer, poussera des chevelus en grand nombre, & c’est ce qu’il faut pour replanter avec succès. D’ailleurs, cette précaution vous évitera la peine de faire de profondes fouilles, afin de déraciner le pivot de l’arbre ; & le creux destiné à le recevoir, n’exigera pas tant de profondeur que si l’arbre étoit garni de son pivot.


CHAPITRE IV.

De la Transplantation.


On voit rarement réussir cette opération : est-ce la faute de l’arbre, des saisons, ou de la manière de transplanter ? Tous trois y concourent du plus au moins ; mais le planteur est souvent le plus coupable. La nature a donné aux arbres des racines, non-seulement pour leur procurer une partie de leur nourriture, mais encore pour les défendre contre les attaques impétueuses, & les secousses violentes que les vents leur font éprouver : elles sont autant de liens qui les tiennent assujettis à la terre, & le tronc cassera plutôt, que de voir l’arbre déraciné, s’il est garni de son pivot. Le nombre de ses racines est proportionné à celui des branches, & y correspond par la grosseur ; de sorte qu’on peut dire que, dans l’arbre parfait de la nature, & qui ne doit point son éducation à la main de l’homme, il y a une correspondance, une harmonie exacte entre les racines & le sommet de l’arbre. Que de conséquences à tirer de ce principe !

Si vous tirez vos arbres de la pépinière, ouvrez un profond fossé à l’une de ses extrémités, jusqu’à ce que vous parveniez au-dessous des racines : alors détachez le tronc de la terre, sans en casser ni mutiler aucune, & sur-tout ménagez le pivot avec le plus grand soin. Les trous destinés à recevoir les arbres, ne doivent donc pas être faits tous du même diamètre, de la même profondeur ; la grosseur, la grandeur & l’extension des racines doivent en décider.

On me dira que ces soins sont minutieux, dispendieux, &c. ; que la reprise de l’arbre s’exécute sans eux ; enfin, qu’une expérience de trente & de quarante années a prouvé le contraire. Si la durée d’un chêne étoit proportionnée à celle d’un pêcher, par exemple, qui, dans certaines provinces, ne subsiste que huit à dix ans, je passerois peut-être condamnation ; mais qu’on se rappelle qu’il faut un siècle pour former un chêne, & qu’un chêne mal venant ne produit presque aucun profit. Il vaut donc mieux dépenser un peu plus en le plantant, & avoir un bel arbre, que de dépenser moins, & avoir un arbre de médiocre qualité : on fait tout à la hâte, on va à l’économie, dès-lors mauvais travail.

Veut-on une preuve, sans replique, de la nécessité de ménager les racines & le pivot quand on le peut ; il suffira de jeter les yeux sur la transplantation des chênes tirés des forêts ; il est rare de la voir réussir, parce que, ou on achète ces arbres à tant la pièce, ou parce qu’on confie à des journaliers sans intelligence le soin de les tirer de terre. La fosse qu’ils ouvrent est trop étroite, pas assez profonde ; les racines sont coupées près du tronc, les chevelus abymés : ils ont beaucoup enlevé d’arbres ; ils paroissent avoir beaucoup travaillé : il étoit inutile de tant & tant se hâter, pour faire un mauvais travail. Si ces arbres à racines écourtées veulent attirer la sève, ils sont obligés à pousser de nouveaux chevelus, de nouvelles racines ; il valoit bien autant leur laisser celles qu’ils avoient déjà, les nouvelles auroient été une surabondance, & l’arbre n’auroit pas souffert jusqu’au moment où il a vécu aux dépends de ses nouveaux suçoirs. En un mot, je ne cesserai de le répéter, la nature n’a rien fait en vain ; elle n’a pas donné des racines aux arbres, pour être mutilées par la main de l’homme. Je prie les personnes les plus entêtées pour la suppression du pivot & le raccourcissement des racines & des chevelus, de juger ce que je dis par l’expérience ; de planter un arbre suivant la manière ordinaire, & d’en planter un autre avec son pivot & toutes ses racines, dans un trou proportionné à leur nombre & à leur volume : il faudra qu’ils portent le pyrrhonisme bien-loin, s’ils s’obstinent à se refuser à l’expérience.

Le progrès des lumières est sensible de jour en jour : on commence à revenir de ces avenues immenses en ormeaux ; le plus bel arbre de cette espèce ne supporte jamais le parallèle d’un beau chêne. Une avenue (voyez ce mot) plantée en beaux chênes & dans un bon terrein, produit à mes yeux le plus beau des spectacles ; & je n’ai pas l’idée affligeante de penser que leurs racines iront à vingt & trente toises au-delà affamer la récolte des grains, surtout si on a ménagé le pivot. Quelle fraîcheur on respire dans ces allées ! Comme les branches se courbent agréablement en ceintre, pour cacher la lumière du soleil, & pour me soustraire à l’ardeur de ses rayons !

Non, je ne connois point d’arbre aussi majestueux, & qui se prête plus aisément à mes désirs. La lenteur de la croissance du chêne lui a fait préférer l’ormeau : l’on veut jouir, ce sentiment est naturel ; mais pour l’homme qui pense, combien est douce la jouissance dans l’avenir ! Son idée lui représente les objets tels qu’ils seront un jour ; il jouit par anticipation : cette jouissance est pour moi plus délicieuse que celle de possession, qui ne me laisse plus rien à désirer.

C’est à l’homme qui plante ces avenues, que je demande s’il doit craindre une dépense un peu plus forte, en suivant le plan que j’indique ? C’est ici le cas de ne rien épargner. Dans une forêt, un arbre de plus ou de moins est peu de chose ; mais dans une avenue, il n’en est pas ainsi. Je mets en fait que, dans les plantations ordinaires, il en périt un tiers dans la première année ; que le second tiers est languissant pendant plusieurs années consécutives, & que l’autre tiers, qui a prospéré, nuira essentiellement aux plantations de remplacement, parce que les racines des arbres vigoureux iront affamer la terre nouvellement remuée des arbres replantés, & peu à peu elles occuperont tout l’espace. On économise peu à mal faire, & on perd considérablement par la suite. Ou faites bien, ou ne faites rien.

Quand, & à quel âge faut-il transplanter les chênes ? Il vaut infiniment mieux planter plutôt que plus tard ; la reprise est plus assurée, les frais moins considérables, les soins plus faciles, & l’arbre profite beaucoup plus. L’année de transplantation est presqu’une année perdue. Un chêne de deux ans de pépinière est en état d’être transplanté ; un de trois est plus fort, & ses racines plus difficiles à ménager. Si on attend que le tronc ait huit à dix pieds de hauteur, c’est par la même raison attendre trop tard : voilà pourquoi les semis à demeure ont toujours un grand avantage sur les transplantations.

Il convient beaucoup plus de transplanter avant qu’après l’hiver : les pluies, les neiges de cette saison, pénètrent la terre, collent plus intimément ses molécules contre les racines ; l’humidité les tient fraîches, & elles n’ont plus besoin que de chaleur pour végéter. Tant que la chaleur de l’intérieur de la terre n’est pas dissipée par le froid, les racines travaillent, se disposent à ouvrir leurs suçoirs ; leur écorce s’attendrit, la pointe des chevelus se développe ; & si le froid survient, l’action végétative est simplement suspendue : au contraire, dans toute transplantation faite après l’hiver, on court le risque d’avoir un printemps sec, peut-être des chaleurs prématurées, de voir dissiper l’humidité de la terre de la fosse ou du trou ; & si une pluie secourable ne survient pas à temps, l’arbre périt.

Doit-on receper ou abattre les branches de l’arbre que l’on replante ? Les auteurs ne sont pas d’accord sur ce point : la solution du problême me paroît simple.

Il ne s’agit pas ici de l’arbre esclave, & qui sera à l’avenir soumis à la serpette de son maître ; c’est bien assez que sa naissance, & les premiers jours de son éducation aient été forcés, sans vouloir encore étendre un impérieux despotisme sur son existence, après qu’il a recouvré la liberté ; enfin, il ne s’agit pas ici d’un arbre dont le fruit fera les délices de nos tables, & le plus bel ornement de nos potagers ; tout recepage dérange la première organisation de la tige. À l’endroit recepé l’écorce recouvre successivement la plaie ; si l’amputation a été bien faite, & près du sommet, il se forme de nouveaux jets. Il faut détruire tous ces nouveaux jets, à l’exception d’un seul qui représentera la tige première ; ainsi, la suppression de cette tige première, & de ses nouveaux jets, sont des plaies faites à l’arbre, qui subsisteront toujours, quoique recouvertes par l’écorce. Les racines, il est vrai, se fortifieront par le recepage ; mais si on a planté l’arbre, ainsi que je l’ai dit, avec ses racines bien ménagées, ainsi que son pivot, ce recepage est plus qu’inutile, puisque la tête de l’arbre & les racines étoient en proportions exactes. Quant aux arbres à racines écourtées, le recepage est avantageux : en effet, il faut qu’il en pousse de nouvelles pour la nourriture du tronc avant celle des branches ; ce qui prouve évidemment la nécessité de conserver & de ménager toutes les racines, & à cet effet, de ne pas planter l’arbre trop gros. Il n’en est pas tout-à-fait ainsi des branches à laisser sur la tige ; si on les coupoit ras du tronc, il faudroit que les bourgeons à naître, parsemés dans tout le tissu de l’écorce, la perçassent, pour produire de nouvelles branches ; mais si les racines ont été mutilées, si l’arbre a été planté à la fin de l’hiver, l’écorce ne contient plus cette humidité qui permettoit son extension & le développement du germe de ses bourgeons : il faut souvent attendre les effets de la sève du mois d’août, avant de les voir paroître. Dans les arbres plantés, ainsi que je l’ai prescrit, il est très-rare que ces bourgeons ne se développent au printemps ; mais sans chercher inutilement la formation des nouveaux bourgeons, pourquoi ne pas laisser sur cette tige toutes ses jeunes branches, & élaguer modérément celles qui sont trop bas : je dis modérément, parce que l’expérience m’a prouvé que ces jeunes branches sont autant de suçoirs ou de siphons qui attirent successivement la sève du bas vers le sommet, & facilitent son ascension ; enfin, elles maintiennent l’équilibre des fluides, entr’elles & les racines.

Si ces transplantations ont lieu pour la formation des forêts ou des bosquets, l’amputation des branches inférieures est inutile, puisque le bas de chaque arbre s’élaguera de lui-même, étant planté près à près, à mesure qu’il grandira : on doit également les ménager pour les arbres de bordure de bois, ou pour ceux des avenues. Relativement à ces derniers, il sera temps de les élaguer à la seconde année, afin que la tige talle & s’élève. Quant aux autres, ces branches inférieures intercepteront l’air & la lumière aux arbres de l’intérieur ; & afin d’en jouir, leur tige s’élancera au-dessus de celles de la circonférence ; & celles de la circonférence resteront toujours plus basses que celles de l’intérieur, parce que, n’étant pas gênées de ce côté, elles pousseront latéralement de fortes & de nombreuses branches, tandis que les autres seront forcées à s’élancer pour jouir du bénéfice de l’air, de la lumière, &c. Un seul coup-d’œil sur les arbres de l’intérieur, & sur ceux de la ceinture d’une forêt, prouve ce que j’avance. (Voyez ce que j’ai dit au mot Baliveau)

Si vous désirez que les chênes plantés en avenues ou en bosquets, ou en forêts, prospèrent, n’épargnez pas les labours pendant les premières années : c’est une dépense, il est vrai, mais vous en serez bien dédommagé par la forte végétation de vos arbres ; les plantes parasites leur font beaucoup de tort.

Si dans les chênes transplantés il s’en trouve quelques-uns à petites feuilles, ou de ceux qu’on reconnoît ne pas donner beaucoup de glands, on peut les greffer par approche, (Voyez le mot Greffe) avec une espèce à belle feuille ou à beaux fruits : on sent que cette opération suppose que les arbres ont été plantés près à près. Les autres manières de greffer réussissent rarement ; dans le cas de succès, on doit être attentif à émonder l’arbre au-dessous de la greffe, toutes les fois que le besoin le requiert.

CHAPITRE V.

Des avantages qu’on retire des Bois de Chêne, & du temps indiqué par la nature pour en abattre les forêts.


De tous les bois d’Europe, il n’en existe aucun comparable à celui-ci, soit pour la solidité & pour la durée ; il devient, pour ainsi dire, immortel s’il est employé dans l’eau, & s’il en est toujours recouvert : il change de couleur, & parvient insensiblement à celle du noir d’ébène ; prend le plus beau poli, & je ne connois pas le terme de sa durée dans cet état.

La durée des chênes ordinaires dépend de leur tissu, plus ou moins serré. Le bois du chêne à larges feuilles de l’Angoumois, est moins compacte que celui du chêne commun : plus doux au ciseau, plus docile à la main de l’ouvrier, il est préférable à tout autre pour la menuiserie, la sculpture. L’artiste devroit donc connoître les différentes espèces de chêne, afin de s’en servir suivant les ouvrages auxquels elles conviennent.

Les chênes du midi du royaume sont à préférer, pour la durée, à ceux du nord. Le bois de ceux qui croissent dans les bas-fonds, dans les endroits humides, sur les revers de montagnes exposés au nord, sont plus spongieux que ceux qui végètent dans les lieux secs & exposés au midi.

Je préférerois, pour les ouvrages destinés à être exposés continuellement à l’air, le bois des chênes verts : ces arbres ont peu d’élévation dans nos provinces méridionales ; mais en Corse, mais en Espagne, &c. on trouve des forêts entières de cet arbre précieux, & dont les quilles droites & unies ont souvent plus de quarante pieds de hauteur. Leur diamètre, il est vrai, n’est pas à comparer à celui des chênes majestueux de nos climats ; on a plus souvent besoin d’une pièce longue & droite, que d’une pièce épaisse. Tout le train de l’artillerie espagnole est fait avec ce bois, & il brave la chaleur excessive du soleil de ce pays : je conviens que les affûts, &c. sont plus lourds que ceux de l’artillerie de France, ce qui est fort indifférent pour des affûts de rempart.

Tout proprétaire qui veut abattre des chênes, & qui les destine à la charpente de sa maison, doit, une année d’avance, les faire écorcer sur pied, & pendant la plus grande sève. Par cette opération, toute la partie de l’aubier se change & se convertit en bois parfait, & le bois parfait lui-même acquiert une plus grande solidité. (Voyez les belles expériences de M. de Buffon, rapportées au mot Aubier.) Les jeunes arbres écorcés meurent dès la première année, les gros végètent encore deux ou trois ans.

Si on néglige d’écorcer l’arbre sur pied, il convient de le faire aussitôt qu’il est abattu ; de ne pas laisser le tronc couché par terre, mais de l’assujettir en ligne presque perpendiculaire, en buttant plusieurs troncs les uns contre les autres, & laissant un espace entre chacun, afin que le courant d’air agisse sur toutes les parties de ces troncs. Il est démontré, par l’expérience la plus décisive, que le bois abattu, & dont on a conservé l’écorce, ne se dessèche pas plus dans un an, que le fait en onze jours le bois écorcé ; enfin, ce dernier est moins sujet à la piqûre des vers, & le bois écorcé sur pied ne l’est jamais. Cette opération est avantageuse pour tous les bois en général, & plus particulièrement pour ceux qui ont végété dans un terrein bas & humide.

On diroit que la nature s’est plu à réunir dans cet arbre l’utile & l’agréable, & qu’elle a voulu dédommager l’homme de l’âcreté de son fruit, par les ressources qu’il lui offre. L’écorce des jeunes chênes fournit le tan, si utile aux préparations des cuirs ; les noix de galle, productions des insectes, & la base de nos teintures ; enfin, le kermès, insecte précieux, qui supplée à la cochenille. (Voyez ces mots)

Dans les temps désastreux, dans les temps de famine, les glands ont été la ressource unique des habitans de plusieurs de nos provinces : ils les mangeoient tels que la nature les produisoit ; mais ce gland lessivé avec de la cendre, & la lessive un peu aiguisée par la chaux, auroit perdu la plus grande partie de son amertume & de son acrimonie : je ne suis jamais parvenu à la faire disparoître complétement ; je ne doute pas que d’autres n’y réussissent ; ce que je puis assurer, est que ces glands n’avoient rien de trop rebutant au goût, après qu’ils eurent resté cinq jours dans la lessive, qui fut changée deux fois dans cet espace de temps, & après les avoir ensuite lavés à grande eau. Puisse le génie tutélaire de la France, ne réduire jamais ses habitans à de pareilles extrémités !

Tous les glands ne sont pas également amers & âcres ; ceux des arbres plantés en lieux secs & au midi, le sont beaucoup moins, & ce goût désagréable varie encore suivant les espèces & l’époque de leur récolte. Plus le fruit est cueilli sec, moins il est rebutant au goût.

Je crois qu’on pourroit multiplier, au moins dans nos provinces méridionales, le chêne no. 8 ; peut-être que de proche en proche, par les semis, on parviendroit à le naturaliser dans les provinces plus septentrionales. Le mûrier, originaire de Chine, n’est-il pas aujourd’hui naturalisé en Prusse, quoiqu’originaire de Chine ! On objectera la différence du produit. Aux yeux d’un gouvernement sage & qui encourage, la conservation de l’homme l’emporte sur la fabrique d’un habit de luxe : planter ou semer des chênes, il vaut autant semer ceux qui sont le plus utiles ; au moins dans les cas extrêmes on peut y avoir recours.

Personne n’ignore que le gland est la principale nourriture des pourceaux, des dindes ; &c. & que ces objets forment des branches de commerce assez considérables dans plusieurs de nos provinces, dont le prix suit la plus ou moins forte abondance du gland. On a dit, en décrivant la fleur du chêne, que la fleur mâle étoit séparée de la fleur femelle, mais sur le même pied ; cette fleur mâle est un long chaton chargé d’étamines ou poussière séminale lancée avec force, lorsque s’ouvrent les capsules qui la renferment avant leur épanouissement. Si d’une manière ou d’autre cette poussière est pas portée sur la fleur femelle pour la féconder, elle reste nulle : or, si dans le temps de la fleuraison il survient des pluies, cette poussière reste collée sur le chaton, ou est entraînée par l’eau, & la fleur femelle coule ; (voyez coulure) dès-lors, il y a peu ou point de glands : des jours froids, & des nuits plus froides encore produisent le même effet. L’abondance de toutes les productions de la nature dépend de l’époque de la fleuraison ; les chênes isolés donnent des glands presque toutes les années, par la raison que l’humidité, nuisible à la fleuraison, est dissipée par le courant d’air qui les environne. Il n’en est pas ainsi dans les grands bosquets, ni dans les forêts. Le premier qui tombe & devance la maturité ordinaire, est attaqué par le ver ; c’est le cas de le donner aussitôt aux cochons ; & celui qui tombe ensuite par une maturité non forcée, est le meilleur : les derniers mûrs doivent être mangés sur place. Si le paysan étoit plus attentif, plus prévoyant, il recueilleroit dans les années de fertilité, & les conserveroit pour celles de disette. J’ai vu des cochons manger avec autant d’avidité des glands desséchés depuis trois ans, que des glands de la dernière récolte ; ils les faisoient craquer entre leurs dents, & sembloient ne pouvoir s’en rassasier. On pourroit, si on le vouloit, les mettre tremper dans l’eau pendant quelques jours avant de les leur donner.

La manière la plus simple de conserver les glands, est de les ramasser aussi-tôt après qu’ils sont tombés, pendant le plus fort du soleil ; de les étendre ensuite dans un lieu sec & très-exposé à un grand courant d’air, de les remuer souvent en les changeant de place, &c. Le gland bien desséché se conserve pendant plusieurs années, si on le tient dans un lieu très-sec. On pourroit même, à la fin de la dessiccation, le faire passer à un four dont la chaleur seroit modérée : une pareille précaution, prise dans une année de grande abondance, seroit ensuite très-profitable au propriétaire, puisque le prix du gland est souvent au triple de sa valeur ordinaire.

Le gland sec & pulvérisé, mêlé avec le son ou telle autre substance, sert de nourriture à la volaille, sans être réduit en poudre ; mais frais, on le donne aux bêtes à laine, en petite quantité, & une fois par jour : sans cette précaution, il les altère & leur donne le dévoiement.

Les branches de chêne, coupées au mois d’août, sont une nourriture d’hiver très-précieuse pour les troupeaux, & qui économise singulièrement le fourrage. Celles de toutes les espèces de chêne vert ou chêne liége ont le même avantage.

Le chêne fournit le meilleur bois pour les cuves, les cerceaux, les douves des tonneaux. (Voyez ces mots) Je donnerai au mot Cuve la manière de faire disparoître son âpreté naturelle ; & au mot Lande, la manière de tirer parti des landes avec les chênes.

L’Académie de Bordeaux a proposé pour sujet de prix, d’indiquer l’époque à laquelle il étoit le plus avantageux d’abattre les forêts de chêne, soit pour l’usage de la marine, soit pour les usages économiques. Comme je n’ai pas son programme sous les yeux, je ne réponds pas que ce soient précisément les expressions dont elle s’est servie, mais c’est au moins le sens & le but de la question, autant qu’il m’en souvient. Je ne connois pas les ouvrages qui ont concouru, & ne sais pas si le prix a été décerné à l’un d’eux ; mais je crois avoir donné la solution du problême au mot Arbre, tome Ier, page 630. Il est inutile de le répéter ici.


CHAPITRE VI.

Des usages médicinaux du Chêne.


Les feuilles sont inodores, amères, gluantes, très-stiptiques ; le gland est inodore, d’une saveur austère, ainsi que son calice ; les feuilles, le gland, son calice, l’écorce de l’arbre sont astringens : la noix de gale est d’une saveur très-austère.

Quoi que j’aie dit sur la nourriture fournie par le gland, on ne doit y recourir que dans les besoins pressans, parce qu’elle fatigue l’estomac & constipe, sur-tout si on ne l’a pas préparée. On a conseillé les différentes parties du chêne dans les diarrhées occasionnées par foiblesse, ainsi que la poussière du tan & de la noix de gale. L’usage de cette dernière, surtout, n’est pas sans inconvéniens : elle est plus utile dans les hémorragies par pléthore ou par blessure, dans la dysurie, le pissement de sang, le flux hémorroïdal par pléthore, la lienterie par foiblesse des intestins. On se sert de ces différentes substances en gargarisme, dans le relâchement des gencives, dans l’angine inflammatoire, légère, récente, dans les aphtes. Extérieurement elles arrêtent le sang qui s’écoule d’une veine ou d’une petite artère ; elles tendent à maintenir dans leur situation naturelle l’intestin rectum, le vagin & les hernies réduites, principalement lorsque le déplacement est produit par le relâchement des parties contenantes.

Le suc exprimé des feuilles se donne depuis demi-once jusqu’à quatre onces ; les feuilles récentes, depuis demi-once jusqu’à trois onces en infusion dans cinq onces d’eau ; le calice pulvérisé, depuis demie jusqu’à deux drachmes, incorporées avec suffisante quantité de sirop, ou délayé dans quatre onces d’eau ; l’écorce du bois, comme du calice ; le tan réduit en poussière, & sous forme d’une pelotte moins considérable que l’ouverture par où a passé l’hernie réduite, & qu’il faut maintenir par un bandage imbu de vin, où l’on aura fait macérer de la poussière de tan. Changez de pelotte & de bandage toutes les vingt-quatre heures, pendant quinze jours consécutifs ; noix de gale, comme le calice ; & pour cataplasmes, pulvérisées & broyées avec suffisante quantité d’eau ou de vin. C’est ainsi que M. Vitet s’exprime dans sa Pharmacopée, au sujet des propriétés du chêne.


CHAPITRE VII.

Recueil d’Observations qui m’ont été communiquées.


I. On est très-embarrassé aujourd’hui de trouver des bois de chêne propres à la marine. Plus nous irons, plus l’embarras augmentera, ainsi que la valeur intrinsèque du bois. Sur les bords du lac de Genève, dans le pays de Vaud, il existe une superbe forêt appartenante à M. le Baron de Coppet, de laquelle on tireroit au moins quatre mille pieds d’arbres capables de faire des quilles pour des frégates.

II. Outre les belles forêts des cantons de Zurich & de Schaffouse, il y a beaucoup de chênes dans les haies, dont le gland est rebuté par les cochons. Dans la haute Alsace, on y connoît un chêne de haie, qui ne vient jamais que petit & tortu, dont le gland est presqu’entièrement renfermé dans son calice, & est très-amer ; mais ces vilains arbres ont un bois dont les fibres sont croisées dans tous les sens comme celles des ormes tortillards ; (voyez leur origine indiquée au mot Buis) & dans beaucoup d’ouvrages, ce bois est préférable à celui des chênes ordinaires, comme étant plus dur. Plusieurs de ces chênes restent nains, d’autres s’élèvent assez pour faire de très-bonnes courbes pour les vaisseaux. Son extérieur peu agréable, a sans doute rebuté l’observateur : il seroit essentiel cependant d’examiner sur quelle espèce de sol il vient mieux, & le multiplier à cause du prix excessif des bois destinés aux courbes. On l’appelle, dans la haute Alsace, haye-rehen, ou kleiberchen ; n’est-ce pas celui décrit au No 6 ?

III. En Flandre, dans le Brabant, dans la Normandie, &c. on voit de superbes avenues de chênes, & des plantations de cet arbre disposées en quinconces. Les arbres isolés n’ont jamais une quille d’une aussi grande portée que celle des arbres des forêts ; ils gagnent en largeur, en extension de leurs branches, ce que les autres gagnent en hauteur. Ce sont les seuls arbres capables de fournir les excellentes courbes pour la marine, & qu’on ne peut trouver dans les forêts que sur les rives des bois.

IV. Dans la plaine de Sisteron dans la haute Provence, on voit des chênes espacés au milieu des champs. Ceux qui existent sont conservés, parce qu’il est défendu aux propriétaires de les abattre. On n’en plante plus dans ce pays, afin de ne pas être sujet à l’inspection de la marine de Toulon, qui envoie les marques. Le prix fixé pour ces sortes d’arbres est sans doute trop modique, puisqu’il fait renoncer à leur plantation & à leur culture.

V. Dans le Brabant, on fait des haies croisées avec les chênes. (Voyez le mot Haie où je donne la description de la manière de faire ces haies.)

VI. Le taussin est une espèce de chêne blanc qui fournit le meilleur tan dans la basse Navarre. On prétend que cette écorce seroit d’un grand produit pour la province, si les bois, où cet arbre est commun, n’étoient pas si mal exploités. Quoique cet arbre soit employé à être écorcé, on le laisse quelquefois élever, & alors il devient aussi haut que les autres chênes. Ce chêne pousse six semaines plus tard que le chêne commun, & conserve ses feuilles également six semaines plus tard. C’est un avantage, parce qu’il est moins endommagé par les animaux, que les autres chênes, ses bourgeons paroissant dans une saison où ils trouvent d’autres pâtures. Il donne moins de fruits que les autres espèces.

Le chêne arraya, nom en langue basque, ou encena en espagnol, est beaucoup moins commun dans la basse Navarre que le taussin. Est-ce le chêne décrit, No. 1 ? Il a la feuille un peu plus petite que le chêne ordinaire : il vient presqu’aussi haut, & son bois est beaucoup plus dur que celui du chêne commun. (Cette qualité ne proviendroit-elle pas de la nature du sol, de l’exposition, &c ?) Il a la propriété de réussir dans les terreins secs, pierreux, & qui n’ont presque point de fond. On le trouve plus communément dans la haute Navarre que dans la basse : cependant on en voit assez fréquemment dans la communauté de Lantabat, près Saint-Jean-Pié-de-Port. Ce bois seroit excellent pour faire des chevilles destinées à la marine.


Chêne. (Petit) Voyez Germandrée.