Le Commerce galant/Texte entier

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chez Antoine Perisse (p. 1-292).

LE
COMMERCE
GALANT,

OU

LETTRES TENDRES

ET GALANTES,

DE LA JEUNE IRIS,

ET DE TIMANDRE.

PREMIERE EDITION.

À LYON,

Chez ANTOINE PERISSE, ruë
Merciere, à la Bible d’Or.

M. D C. XCVI.

AVEC PERMISSION.

Christophus Otto Comes et Dñs in Schallenberyse. Præpositis Constantien. sis ab a. 1693, Canonica Augustang aba° 1672 eiusdemas Caclesia De.. cang ab a. 1721. natus a: 1655.64 tanu, horá sa matyti in Hagen prope Cinzium Austria Superioris, Patre, Com- -te Christoph Ernestoke. Matre, Christina, navà Baronissa Schiferin. denatus a. 17.

TABLE DES LETTRES GALANTES

de ce Livre, & ce qu’elles contiennent de plus particulier.


À Madame L. D De. Timandre lui avouë la peine qu’il a de lui envoyer les lettres de la jeune Iris, & il en dit les raiſons, pag. 1. & ſuivant. Portrait qu’il fait de la jeune Iris. pag.4. & ſuiv.

LETTRE I. Timandre à la jeune Iris. Comment Timandre tache d’engager la belle Iris, & de quelle maniere il s’y prend pour lui inſpirer de la tendreſſe. pag. 14. & ſuiv.

Let. II. Reponſe d’Iris à Timandre. Elle lui expoſe les dangers qu’il y a de s’engager, & lui dit que quoi qu’elle ſemble ſe hazarder à un commerce amoureux, elle tachera toûjours de tenir ſon cœur dans l’indiference. pag. 20. & ſuiv.

Let. III. Timandre à la jeune Iris. Timandre tache en loüant le bel eſprit d’Iris de lui exprimer ſa paſſion pour elle ; & il ſe plaint de la rigueur de ſon cœur qu’il voudroit être un peu plus tendre. pag. 25 & ſuiv.

Let. IV. Autre lettre de Timandre à Iris. Sur la joie qu’il a de la voir aprés quinze jours d’abſence. Il veut lui perſuader qu’une rougeur qui lui est ſurvenuë au viſage, a augmenté ſa beauté. pag. 30. & ſuiv.

Let. V. Iris à Timandre. Elle ſe plaint de lui de ce qu’il a fait des vers contre ſa rougeur, malgré les défenſes qu’elle lui en avoit faites ; elle fait en échange des vers contre Timandre. pag. 34. 36. & Suiv.

Let. VI. Timandre à Iris. Il avouë à Iris qu’il n’avoit pas raiſon de dire que cette rougeur êtoit une marque d’amour ; enſuite il ſatisfait à l’envie qu’elle a d’être inſtruite en tendreſſe, par des vers pour répondre aux ſiens par les mêmes rimes. pag. 40. 41. & ſuiv.

Let. VII. Il ſe plaint de la jeune Iris de ce qu’elle n’a fait aucune reponſe à ſa derniere Lettre, & lui reproche de ne pas aler à l’Egliſe pour éviter de voir le monde, pag. 47. & ſuiv.

Let. VIII. Iris à Timandre. Elle le traite de prédicateur, & non d’amant. pag. 52. Billet d’Iris en vers qu’elle adreſſe à l’Amour pag. 52. 53. & ſuiv.

Let. IX. Timandre à Iris. Il lui fait des plaintes de ſa derniere lettre, & il lui écrit qu’il y a plus d’eſprit & de brillant que de tendreſſe, & lui dit qu’il ſeroit plus à propos qu’elle fût plus tendre que ſpirituelle. pag. 56. & ſuiv. Rondeau que Timandre envoie à Iris. pag. 61.

Reponse d’Iris à Timandre par un autre rondeau. pag 61

Let X. à la jeune Iris. Il lui écrit ſon départ ſans lui avoir pû dire adieu, & lui reproche ſon indiference, qui ne merite pas les empreſſemens qu’il a pour elle ; il lui exprime les chagrins que lui cauſe ſon éloignement d’elle pag. 65. & ſuiv.

Let XI. Iris à Timandre. Elle lui marque ſa ſurprise en recevant ſa lettre, & lui dit qu’elle veut rompre tout commerce avec lui, & le traite d’indiferent lui même. pag. 68. & Suiv.

Let XII. Timandre à Iris. Il l’apelle cruelle & lui dit qu’elle connoit bien mal ſa tendreſſe, il lui perſuade de plus que bien loin que ſon éloignement diminuë ſon amour, qu’au contraire il s’augmente tous les jours. pag. 72. & Suiv.

Let XIII. à la jeune Iris, Timandre ſe plaint à Iris qu’aprés avoir fait un voyage de trente lieuës pour la venir voir, elle ne s’empreſſe pas aſſes de ſe rendre viſible ; il voudroit n’être pas venu & n’avoir pas tant de tendreſſe pour elle. pag. 77. & Suiv.

Let XIV. Iris à Timandre. Elle lui écrit qu’il est difficile d’être aimé ſans aimer, & à même tems dangereux à un cœur de s’engager ; elle le traite de fou de lui demander un ſoupir pour en rendre mille. pag. 82. & Suiv.

Let XV. Timandre à Iris. Timandre louë ſa lettre, mais il lui dit que ſi elle fait paroiſtre plus d’eſprit que lui dans ſes reponſes, il montre auſſi plus de tendreſſe qu’elle ; il tache de l’engager par des vers. pag. 88. & ſuiv.

Let XVI. Iris à Timandre. Elle dit à Timandre qu’elle aime mieux conſerver ſa liberté que de ſoupirer, elle le prie de lui dire ſon ſentiment ſur une epiſtre ; louange que donne Timandre à cette epiſtre. pag. 96. & Suiv.

LET. XVIII. Timandre à Iris. Il lui écrit ſur le peu de ſoin qu’elle a de lui parler, & lui perſuade de ne pas croire ſon Oncle, de ſurmonter tous les obſtacles & d’avoir égard au ſejour & au voiage qu’il a ſait ſeulement pour la voir. pag. 101. & ſuiv.

LET. XVIII. Reponſe d’Iris à Timandre. Elle s’excuſe & lui dit qu’elle ne peut ſonger ſerieuſement à l’amour ſans crainte, parce qu’il y a trop de peines & de chagrins. pag. 108 109 & ſuiv.

LET. XIX. Reponſe de Timandre à la jeune Iris. Il lui ſait de grandes plaintes ſur ſon indiference à repondre à ſa tendreſſe ; & il lui témoigne d’avoir perdu ſon tems auprés d’elle. pag. 111 & ſuiv.

Let. XX. Autre lettre de Timandre à Iris. Il ſe plaint de ce gwelle ne [e trouva pas à un rendés-vous, on il l’attendit ſort long-tems inutilement ; il lui explique ſes inquietudes pendant ſon attente, Pag. 115 & ſuiv.

Let. XXI. Iris à Timandre, Elle lui dit de ſe retirer par nn Rondeau redoublé, parce qu’elle ne ſcauroit lui rien dire ſur l’impreſſion que l’amour à ſait ſur ſon cœur. pag. 118 & ſuiv.

Let. XXII Timandre à la jeune Iris. Il s’excuſe de ce qu’il ne peut rependre à ſon rondeau qui ne peut être ni plus juſte ni plus ſpirituel, parce que l’amour qu’il a pour elle l’occupe tellement, qu’il ne ſonge qu’à l’aimer. pag. 113 & ſuiv.

Let. XXIII. Autre lettre de Timandre à Iris. Il ſe plaint de ce qu’on neglige de retirer ſes lettres de la poſte, & parle de l’estime que pluſieurs perſonnes de merite ont fait du dernier rondeau de la jeune Iris. pag. 129 & ſuiv.

LET. XXIV. Reponſe de la jeune Iris à Timandre. Elle lui reproche ſon départ ſans lui avoir dit adieu, & prend pretexte delà de lui écrire, qu’elle croïoit qu’il lui avoit preſeré quelque autre maiſtreſſe. pag. 132 & ſuiv.

LET. XXV. Reponſe de Timandre. Il ſait à Iris des plaintes & des reproches continuels, & dit qu’il vondroit pouvoir devenir indiſſerent, mais qu’il lui eſt impoſſible. pag. 136. & Suiv.

Let. XXVIII. Iris à Timandre. Elle ſe plaint de ce qu’il a ſait une autre Maiſtreſſe ſans luy en rien dire, & elle luy temoigne que ſon procedé l’a ſurpriſe. pag. 142 & ſuiv.

Elle lui envoie pluſieurs Rondeaux de diferente façon, & lui en demande ſon ſentiment. pag. 145 & ſuiv.

SECONDE PARTIE

LETTRE I. La jeune Iris à Timandre. Elle lui dit qu’elle eſt dans une peine étrange de ce que ſa Lettre eſt perdue, parce qu’il y en avoit dedans pluſieurs choſes qu’elle lui envoyoit pour corriger & qu’elle aprehendoit qu’elle ne ſut vue de quelques perſonnes, elle le menace de rompre tout commer- ce avec lui s’il ne la retrouve. pag. 151 & Suiv.

Let. II. Timandre à Iris. Il la tire de peine en lui écrivant qu’il a retrouvé Ja Lettre, & les Rondeaux qui ſont inimitables. Il lui marque l’inquietude où il étoit de cette lettre. pag. 153 & Suiv.

Let. III. Iris à Timandre. Elle dit que l’amour qu’elle a pour les Damons, les Tyrcis &c. est moins ſort que pour Timandre, dont la tendreſſe eſt ſine & adroite, mais que pour ſe deſendre de lui, elle tache de lui opoſer toujours l’indiſerence, & elle le gronde de ce qu’il n’a point ſait de vers ſur ſa feſte. pag. 162 & Suiv.

LET. IV. Timandre à Iris. Il lui envoie les ouvrages de Madame de… Il ſe plaint de ce que ſon cœur n’a aucune part dans Jes let- tres, & s’excuſe de ce qu’il n’a rien ſait ſur ſa fête. pag. 167 & Suiv.

LET. V. Iris à Timandre. Elle ſe plaint de ce qu’il lui conſeille de faire une bruſquerie à ſa raison, elle lui dit quoiqu’il faſſe, elle ne ſe rendra que le plus tard qu’elle pourra. pag. 173 & ſuiv.

LET. VI. Timandre à Iris. Il lui dit qu’une lettre ſemblable à ſa derniere lui ſeroit reprendre ſa raiſon. pag. 177 : & Suiv.

LET. VII. Iris à Timandre. Elle ſe moque de lui en lui reprochant qu’il veut brûler ſes lettres, elle lui dit que s’il les brûle, qu’il ne ſe plaigne plus d’elle. pag. 185 & Suiv.

LET. VIII. Timandre à Iris. Il reproche à Iris de lui avoir envoyé pour étrénes de la ſroideur & de l’indiſerence & la traite d’ingrate pag. 190 & ſuiv.

LET. IX. Billet de Timandre à Amarante. Il lui avonë qu’il la trouve plus aimable que jamais, mais que malgré la beauté il veut ſoupirer pour la jeune Iris. pag. 195 & Suiv.

Let. X. La jeune Iris à Timandre. Elle ſe plaint de ce qu’il ſait voir (es lettres à tout le monde elle lui envoie un ſonnet qu’elle ſait ſur un amant qui n’est pas plus diſcret que lui. pag. 201 & ſuiv.

Let. XI. Timandre à Iris. Il lui écrit la raiſon, pour laquelle il a ſait voir ſes lettres, & lui fait connoiſtre que ſon crime n’est pas ſi grand qu’elle le dit. Il loue méme les vers qu’elle a fait contre lui. pag. 205 & Suiv.

LET. XII. La jeune Iris à Timandre. Iris lui dit qu'avec tous ſes ſoins il ne ſera pas d'elle un bel eſprit, parce qu'elle hait la lecture pag. 210. & ſuiv.

LET. XIII. Timandre à Iris. Il lui dit que ſa lettre lui a bien couté des ſoupirs, & qu'elle de- vroit au moins avoir un peu plus de tendreßle pour lui. pag. 215 & Suiv.

LET. XIV. Iris à Timandre. Iris lui reproche ſa diſſimulation, de lui écrire des lettres obligean- tes & tendres, pendant qu'il ai- me la belle Amarante. pag. 220 & Suiv.

LET. XV. Timandre à Iris. Il lui ſait ſçavoir ſon voiage precipité pour S. Germain lui ſait connoître qu'elle n'a pas lieu de ſe plaindre, ni de le croire infidelle. pag. 224 & ſuiv.

LET. XVI. Iris à Timandre. Elle lui dit qu'il doit eſtre content d’étre écouté d’Amarante, qui doit être joyeuse de le lui avoir ravi, & qu’elle va prendre un autre parti. pag. 228 & ſuiv.

LET. XVII. Timandre à Iris. Il lui reproche de dire qu’il eſt heureux & triomphant, puiſqu’il n’a rien encore gagné ſur ſon cœur, & qu’il est toujours dans ſes chai- nes. Il lui perſuade qu’il l’a ton- jours preſerée à Amarante. pag. 232 & Suiv.

LET. XVI I I. Iris à Timandre. Elle lui écrit qu’il ne devroit pas s’inſormer des noms de ſes Rivaux, & qu’il les devroit ignorer pour ſon bonheur. pag. 237 & Suiv.

LET. XIX. Timandre à Iris. M l’aſſure qu’elle n’a jamais eu de rivale ; il dit qu’il ſouhaite avoir mille Rivaux, & qu’il envie le bonheur dont ils jouiſſent.pag. 242 & ſuiv.

LET. XX. Iris à Timandre. Elle lui dit qu’elle l’informera de ſes conquêtes, mais qu’elle connoit par là ſon peu de tendreſſe en ſouhaitant d’avoir des Rivaux. pag.249 & Suiv.

LET. XXI. La jeune Iris à Timandre. Elle lui reproche ſon peu d’amour pour elle, parce que s’il L’aimoit bien, l’abſence ne ſeroit pas capable de diminuer ſa tendreſſe. &c. pag. 252 & Suiv.

LET. XXII. Timandre à Iris. Il lui dit qu’elle eſt bien peu raiſonnable de dire qu’il ne l’aime guere, parcequ’il ſonbaite de la revoir. Il lui ſait connoitre que s’il n’étoit pas ſi amoureux, il ecriroit avec autant d’esprit qu’elle, mais qu’il aimerait mieux une lettre tendre qu’une lettre pleine d’eſprit. pag. 255 & Suiv.

LET. XXIII. La jeune Iris à Timandre. Comparaison qu’Iris ſait du bon pere cloitré à l’esprit de Timandre. pag. 160 261 & ſuiv.

LET. XXIV. Timandre à Iris.

Il lui marque dans la lettre qu’il voudroit que ſa raiſon & ſon eſprit l’abandonnaſſent, & que l’a mour s’emparat de ſon cœur. &c. & Suiv. pag. 261

LET. XXV. La jeune Iris à Timandre. Iris repond à ſa Lettre ; & dit que Timandre eſt pour le deſordre & l’embarras, & elle pour l’ordre & le brillant, & que ſi elle avoit répondu à ſon amour, ils ne s’écriroient plus, parce que deux cœurs qui jouiſſent l’un de l’autre Se dégoutent en peu de tems & changent bientôt leur plaiſir en haine, pag. 267 & ſuiv,

LET. XXVI. Timandre à la jeune Iris. Il lui perſuade que quand elle lui auroit rendu tendreſſe pour tendreſſe, leur commerce ne ſeroit pas ſini pour cela, qu’au contraire deux cœurs qui ſont bien d’acord ne ſont jamais oiſiſs. &c. pag. 271 & ſuiv.

LET. XXVII. Iris à Timandre. Elle lui écrit que ſa fievre augmente, & que les amans atribuent les maladies de leurs maitreſſes à l’amour qui ſe vange de leurs froideurs. pag. 276 277 & ſuiv.

Let XXVIII. Timandre à Iris. Il lui marque par ſa lettre la peine qu’il ſoufre de ſa maladie, il la prie de lui tenir compte de l’inquietude où il eſt. p. 277 & ſuiv.

Let XXIX. La jeune Iris à Timandre. Iris écrit à Timandre qu’il faut aller doucement en amour, que les amans, dés qu’ils ſont heureux, travaillent à rendre les amantes malheureuſes : mais cependant elle lui avouë qu’on ne peut reſiſter à une tendreſſe conſtante ; elle lui envoïe des couplets & quelque choſe à corriger. pag. 279 & ſuiv.

Let derniere. Timandre à Iris. Il ſe plaint à Iris de ce qu’elle eſt ſi lente à aimer, &c. pag. 283

FIN.
LE

COMMERCE
GALANT,
OU
LETTRES
TENDRES
ET GALANTES
DE
LA JEUNE IRIS
ET

DE TIMANDRE.
À Madame, L. D De

Vous me commandez, Madame, de vous envoyer les Lettres de la jeune Iris & les miennes. Je n’oſerois vous refuſer les dernieres, dont je ſuis maiſtre ; & vous avez honoré les autres de tant d’eſtime, qu’il ſera toûjours glorieux à la jeune Iris, de s’eſtre attiré un ſuffrage auſſi illuſtre que le vôtre. Il eſt vray que pour m’obliger à vous abandonner des Lettres dont elle vouloit que je fiſſe un eternel myſtere, vous m’avez pris par mon foible ; vous leur avez donné des loüanges ſi flateuſes, & cependant ſi juſtes, que quoy que j’euſſe reſolu de les cacher à tout le reſte du monde, vous me forcez aujourd’huy à les mettre au jour : il eſt ſi doux d’entendre eſtimer ce qu’on aime, & de plus par une perſonne d’un auſſi grand merite que vous, & dont l’eſprit eſt ſi penetrant & ſi delicat, que je ne puis mieux payer cette eſtime que par la choſe meſme. Vous y verrez une Intrigue qui a commencé par un jeu d’Eſprit, & qui s’eſt terminée de mon coſté ſeulement par une bonne affaire de cœur, ſans embaraſſer celuy d’une tres-aimable perſonne, qui ne s’eſt que trop défendu pour mon repos. Cét aveu, Madame, n’eſt pas fort à mon honneur ; mais il eſt toûjours glorieux d’avouër hautement, qu’on aime ce qui merite d’être aimé. J’ay filé le parfait amour pendant ſix mois, cela n’eſt pas trop du monde ; & bien que feu Celadon ne ſoit pas fort à la mode dans le ſiecle où nous ſommes, j’ay trouvé des gens qui m’ont fait ſuivre ſes traces ; & mon cœur tout libertin qu’il eſt, n’a pû ſe défendre de prendre de la tendreſſe un peu plus que de raiſon, pour une jeune perſonne qui n’en a guére. J’entends de la tendreſſe, puis qu’elle a infiniment de la raiſon, comme vous avez vû par ſes Lettres. Vous avez une grande envie de la connoître, & vous me demandez ſon Portrait. Je ne ſçay ſi je ſeray habile pour en tirer une Image fidele ; cependant je le feray ſans la flater & ſans rien ajoûter ny aux traits de ſon viſage, ny à ceux de ſon eſprit.

PORTRAIT
de la jeune Iris.

Le tour de ſon viſage eſt ovale, ſon teint eſt blanc & uny, ſes cheveux ſont d’un tres-beau blond auſſi bien que ſes ſourcis ; ſon nez eſt tres-bien proportiõné, qui marque un petit air tres-fin, ſa bouche eſt fort bien coupée, ny trop grande, ny trop petite ; ſes levres ſont fort vermeilles, ſes dents blanches, ſes yeux bleus grands & bien fendus, pleins de feu & de brillant, temperés par une langueur charmante, & tout cela eſt ſoûtenu par la fraîcheur d’une gorge de ſeize ans, qui eſt la mieux taillée que l’on puiſſe voir, & d’une blancheur à ébloüir, auſſi bien que ſes bras & ſes mains. Pour ſa taille, elle eſt plus grande que petite, elle eſt ſi fine ſi libre & ſi degagée, qu’il y en a peu de pareilles. Elle a un air ſi noble dans ſa demarche & dãs ſon port, & quelque choſe qui la diſtingue ſi fort dans toute ſa perſonne, que bien qu’elle n’ait pas des traits à ſe recrier, elle en a à ſe faire ſentir, & ſi l’on ne peut pas dire qu’elle ſoit de ces beautez qui ſautent aux yeux, l’on peut éprouver aiſément que la ſienne va droit au cœur : mais ſur tout, elle a un certain petit air, qu’il eſt bien difficile de peindre & qui nous attrape plûtoſt qu’on ne le ſçauroit attraper.

Certain petit air nonchalant
Nous marque aſſez ſon caractere,
Ses yeux veulent parler avec tout leur brillant :
Mais helas ! ſon cœur indolent
Sçait leur ordonner de ſe taire :
Ils ont de la peine à le faire,
Et pour des yeux indifferens
Ils tiennent un langage aux gens
Qui ne ſent pas l’indifference :
Si ſa bouche ſeule obeit,
Ce petit airen récompenſe
En dit bien plus que l’on ne penſe,
Et penſe plus que l’on ne dit

Voilà pour ce qui regarde ſa perſonne. Pour ſon eſprit, il m’a tellement ſurpris, que je n’en reviens pas encore. Je ne ſçavois comprendre qu’une jeune perſonne de quinze à ſeize ans, ſans étude & ſans monde, pût avoir dans le fond d’une Province, toute la politeſſe de la Cour, un feu & une force d’eſprit inconcevable, une penétration & une delicateſſe ſans égale, avec un diſcernement ſi fin & ſi épuré : Elle parle ſi bien & ſi juſte de tout, ſans avoir rien appris, qu’il ſemble que la nature luy ait donné tout ce qu’une longue étude donne aux autres. Ses termes ſont propres & choiſis, ſes penſées ſont ſi neuves & ſi particulieres, qu’elles cauſent de l’étonnement & de l’admiration. Un peu de lecture luy tient lieu de tout ; un grand fonds d’eſprit, une imagination tres-vive, & un diſcernement tres-delicat en forment le caractere. Elle a quelquefois des ſaillies dans la converſation, qu’il eſt impoſſible de ſuivre. Elle prend un ſingulier plaiſir à prouver des contre veritez, & en vient à bout avec une grande facilité : Elle écrit comme vous avez vû, c’eſt à dire avec une délicateſſe enchantée ; Elle fait des Vers d’une maniere ſi aiſée, & elle les tourne ſi bien qu’il eſt impoſſible de faire mieux. Sa Proſe eſt nette & juſte, ſes penſées ſont originales, ſon ſtyle eſt ſerré, ſes expreſſions tres-nobles, & tout cela eſt accompagné d’une maniere, d’un tour & d’un caractere tout particulier, qui en fait l’aſſaiſonnement & la grace ; Elle n’emprunte rien d’autruy, & elle n’imite qu’elle même. Pour ſon ame, elle eſt grande, belle & genereuſe, tres-bonne à ſes amis — mauvaiſe à ſes Amans. Son humeur eſt aſſez inégale, & c’eſt ce qui fait l’ombre du Tableau. Cette inégalité eſt cauſée par le trop de feu de ſon eſprit. Pour ce qui eſt de ſon cœur, je ne vous en puis rien dire, il y a trois ans que je l’étudie, & je ne le connois point encore ; cependant il parle comme s’il en ſçavoit beaucoup, & il ne ſoûpire non plus que s’il ne ſçavoit rien. Il eſt auſſi délicat que ſon eſprit ; & s’il eſtoit un peu plus tendre, de bonne foy ce ſeroit ſans contredit le plus aimable cœur du monde. Cependant bien qu’il s’en défende, je crois ſon caractere naturellement aſſez tendre (veritable caractere d’un cœur bien né ;) mais elle s’en défend avec tant de ſoin, que l’on ne ſçait le plus ſouvent qu’en croire. Il ſe trouve cependant une tendreſſe répanduë dans tout ce qu’elle écrit, qui eſt inimitable ; & ſans doute, ſi ſon cœur n’en a pas encore, ſon eſprit en fait paroître beaucoup.

Il ſemble quand on voit cette aimable perſonne,
Que ſa raiſon ſoûpire, ou que ſon cœur raiſonne ;
On croiroit quelquefois qu’elle aime tout de bon ?

Mais une humeur un peu tigreſſe.
Nous leve bien-tost ce ſoupçon,
Ses yeux d’accord avec noſtre foibleſſe,
Concourent à la trahiſon.
Sa fierté nous fait voir ſans ceſſe
Que son cœur a de la raiſon,
Et ſa raison de la tendreſſe.

Voilà, Madame, le Portrait de la jeune Iris ; je l’ay tiré groſſierement, c’eſt à l’Amour à y mettre le dernier trait, pourveu qu’il répande dans ſon cœur une veritable tendreſſe, comme il en a remply le mien, je ne ſeray pas malheureux, puis qu’elle ne veut reſſentir qu’une tendreſſe en peinture, comme vous le verrez dans ſes Lettres ; Tout ce que je ſouhaite,

Eſt que ſa tendreſſe en peinture
Soit faite de telle nature

Que l’Amour en forme les traits
Que le temps n’efface jamais

voilà de quelle maniere eſt la mienne, mais de bonne foy, j’ay trouvé tant de plaisir à luy écrire & à recevoir de ſes Lettres, & les ſiennes ont cauſé tant d’admiration à tout ce qu’il y a de plus fin & de plus delicat à la Cour, que je me ſuis fait autant de Rivaux, que j’ay eu d’auditeurs de ces charmantes Lettres. Vous le ſçavez, Madame (& c’eſt ce qui a achevé de me perdre :) Il eſt ſi doux d’entendre par tout faire l’Eloge d’une perſonne dont nôtre cœur eſt préoccupé, & cela en fait ſi bien connoiſtre le prix, qu’on s’abandonne volontiers à ſon penchant. Ie ſuis encore trop heureux qu’elle demeure dans la Province, puis que j’aurois icy des Rivaux d’un rang & d’un merite qui me feroit trembler ſans doute, ſi je n’avois pour moy du moins l’avantage des lieux qui ſont preſque inacceſſibles à mes trop dignes Rivaux. La jeune Iris m’a fort reproché mon indiſcretion, d’avoir montré ſes Lettres, qui ne ſont qu’un jeu d’eſprit chez elle. Je luy en ay donné de ſi bonnes raiſons dans les miennes, que je ne les repeteray point icy. C’eſtoit à moy à les cacher, puis que ma tendreſſe n’y trouvoit pas ſon compte, mais j’ay preferé ſa gloire à la mienne, & je ne crois pas qu’elle doive me ſçavoir mauvais gré d’avoir fait admirer les charmantes productions de ſon eſprit, à une partie de ce qu’il y a de plus fin & de plus éclairé en Frãce, dont elle a fait la ſurpriſe & l’étonnement. J’ay mis ſes Lettres par ordre, ſelon que je les ay receuës, & comme je l’ay tres-peu veuë, & que j’ay tardé peu dans la Province où elle fait ſon ſejour, je les ay arrangées dans leur ordre naturel ſuivant les temps qu’elle me les a envoyées. J’y ay fait quelques remarques, pour vous donner l’intelligence de quelques-unes dont je vous expliqua le ſujet, qui vous en fera mieux comprendre la beauté. Voilà, Madame, vous obéïr avec toute l’exactitude que je vous dois, & vous rendre un compte fidele de tout ce qui s’eſt paſſé dans un commerce innocent, dont la jeune Iris a toute la gloire. Et ſi je me fais par là une affaire avec elle, vous m’en répondrez, Madame, quoy qu’il en puiſſe arriver, je vous ſupplie de croire que je ſeray toute ma vie avec un profond reſpect,

Voſtre, &c.

TIMANDRE
À LA JEUNE IRIS.

Lettre premiere.

Vous ſouvient-il que vous me prîtes hier au mot ? Que vous m’avez accepté pour Maître, & que vous eſtes mon Ecoliere ? Et enfin, vous ſouvient-il que vous me devez mettre le plus aimable cœur du monde entre les mains, pour l’inſtruire de la plus agreable paſſion qu’il puiſſe jamais reſſentir ? Pour moy, il ne me ſouvient que trop de vous avoir veuë, de la promeſſe que je vous ay faite ; & de plus, je ſens une ſorte diſpoſition à m’en acquiter. Il y aura bien du plaiſir ſans doute à inſtruire une auſſi aimable ignorante que vous ; mais je prevois que ce ne ſera pas ſans peine. Vous ayez la mine d’avoir le cœur plus dur que la teſte i n’importe, il ſaut toujours vous donner une leçon de tendreſſe.

Pour commencer à vous apprendre
Ce que je ne sçais que trop bien,
Si voſtre cœur veut eſtre tendre,
Il n’aura qu’à marcher ſur les traces du mien ;
Il leur faut à tous deux une heureuſe foibleſſe,
Meſme penchant, meſme langueur
Et j’iray dans vos yeux puiſer cette tendreſſe,
Que je veux à mon tour répandre en noſtre cœur.
Enfin pour devenir en peu de temps babile.
Prenez ſouvent de mes leçons,
Et pour écouter mes raiſons,

Ayez le cœur tendre & docile.

En voilà aſſez pour la premiere fois, belle Ignorante, & ſi vous profitiez bien de ces trois leçons, vous ſeriez bien-toſt auſſi ſçavante que voſtre Maître

Mais quoy ? Vous avez bien la mine
D’eſtre Ecoliere libertine,
Et je vois à vos yeux que voſtre cœur fripon,
Fera ſouvent l’école buiſſonniere,
Et qu’il ſe donnera carriere
Malgré l’Amour, le Maître & ſa leçon.

Cependant, ſi vous avez envie de parvenir, faites en ſorte que voſtre Eſprit ne ſe meſle point des affaires de voſtre Cœur, car il eſt trop fin & trop penétrant pour entrer en commerce avec vous.

Ouy, quoy que cét Eſprit ait pour moy mille appas,
Qu’il ne ſe meſle point de vouloir rien comprendre
Aux affaires du Cœur qu’il ne ſçauroit entendre,
Puis qu’en amour, on ne raiſonne pas.

Ie ne doute point que ſi vous ſuiviez ces maximes, vous ne fuſſiez dans peu tres-ſçavante en tendreſſe. Sondez voſtre cœur, jeune Iris, & voyez s’il veut preferer ſon ignorance, qui eſt une veritable lethargie, à une ſcience qui luy donneroit mille plaiſirs. Ie ſuis ſeur que s’il connoiſſoit la douceur d’aimer quelque choſe, & le plaiſir d’un veritable attachement, il ne voudroit plus vivre dans cette erreur, & que vous diriez quelque jour le refrain de la chanſon de Galathée que je vous chantois hier.

Il eſt bon de ſçavoir tout,

Trop heureux ſi je pouvais
   vous dire ſur le mê-
      me air,

Un jour le cœur d’une Belle,
Dont l’esprit ſçait tout charmer
Choiſit un Maître fidele
Pour s’inſtruire en l’art d’aimer,
Ce Maître par ſa tendreſſe
Qu’il oſa luy declarer,
Luy fit repeter ſans ceſſe
Qu’il eſt doux de ſoûpirer,
Qu’il est doux, &c.

Voilà, Madame, le premier Billet que je luy écrivis, elle ne vouloit pas y répondre ; la ſeule propoſition d’êtablir un commerce galant effraye une jeune perſonne, je tâche de luy lever ces legeres difficultez. Je luy fis connoître que cela pouvoit beaucoup ſervir à façonner ſon eſprit, à luy donner un tour agreable, & que ce n'étoit qu'un amuſement innocent qui n'avoit aucune ſuite. Enfin, aprés pluſieurs inſtances, elle ſe réſolut à me faire la réponſe, que voicy ; Elle commence par le Rondeau que vous avez trouvé ſi bien tourné.

RÉPONSE
DE LA JEUNE IRIS
À
TIMANDRE.

Lettre ſeconde.


Rondeau.

C’Eſt beaucoup s’expoſer qu’écouter un Amant,
Et ſoit dit entre nous, c’eſt inſenſiblement
Faire le joly plan d’une intrigue aſſez tendre,
Si je le permettois, de bonne foy, Timandre,

Que pourriez-vous penſer d’un tel conſentement ?
L’affaire eſt delicate à parler franchement,
C’eſt s’engager un peu qu’écouter doucement,
Et s’engager un peu ſans doute à la bien prendre,
    C’eſt beaucoup.
Je vois tout ce peril, j’en crains l’évenement.
Mais cependant icy j’avouë ingenuëment
Que je ne puis ſonger à ne pas l’entreprendre,
Je dis à ma raison que c’eſt pour me défendre,
Mais ſi mon cœur la dupe en ce commencement.
    C’est beaucoup.

Tout de bon, je ne ſçais ſi je me trompe moy-même, mais il me ſemble que c’eſt pour avoir le plaisir de deffendre mon cœur. que je conſens que vous l’attaquiez. Je ne ſçaurois répondre de luy ſur la foy de ſon indolence paſſée. Comme on n’a jamais attenté ſur ſon repos, ce n’eſt pas merveille s’il a conſervé juſques icy ſa tranquilité, il eſt fort à propos que je le mette à l’épreuve pour en connoiſtre du moins le caractere. La curioſité eſt un peu hardie, & je pourrois m’en trouver mal : Mais enfin, je crois qu’il vaudroit autant l’avoir perdu que de craindre toûjours de le perdre & de n’oſer s’en ſervir à rien. L’incertitude où je ſerois de n’en connoître pas le fort & le foible, m’embarraſſeroit eternellement ; c’eſt tout ce que la tendreſſe pourroit faire ; & embarras pour embarras, je prefere celuy qui a la reputation d’eſtre le plus agreable. Aprés tout, il n’eſt pas perdu pour eſtre riſqué, je pourray m’en tirer avec honneur. Mon cœur, Dieu-mercy, eſt d’une race où l’on connoiſt peu l’uſage des ſoûpirs, & j’eſpere qu’il ne degenerera pas de l’ancienne indifference de ſes Anceſtres. Je le pris l’autre jour en particulier, & je luy fis une grande leçon ; je luy défendis de ſe joüer auec l’Amour :

Car malgré la badinerie
De l’Amour ce petit fripon,
Quand un cœur est pris tout de bon
Cela paſſe la raillerie.

Il me promit bien de ſuivre mes ordres, & de profiter mieux de mes leçons que des voſtres. Il me ſemble qu’aprés cela on eſt aſſez en eſtat de vous faire un défy ; je mets toutes vos tendreſſes & tous vos ſoins au pis faire, voyez ſi vous les voulez continuer, la gloire eſt égale entre nous ; vous, de faire ma conqueſte ; & moy, de faire la vôtre ſans m’interreſſer ; parions à qui en aura l’honneur afin que du moins l’Ecoliere demeure toûjours la Maîtreſſe de ſon Maître.


RÉPONSE
DE
TIMANDRE
À LA JEUNE IRIS.

Lettre troiſiéme.

Vous avez tant d’eſprit, que vous m’allez faire perdre le peu qui m’en reſte ; je ſuis tellement ſurpris de ce feu, de ce brillant que j’ay trouvé dans voſtre Billet, que je ne ſçais plus où j’en ſuis ; quelle impreſſion avez vous faite ſur mon cœur ? J’en enrage contre vous & contre moy ; contre vous, de vous trouver tant de merite, & contre moy, de m’y trouver trop ſenſible. Je vois bien qu’une Ecoliere comme vous, en ſçait plus qu’un Maître comme moy, & cela m’a ſurpris à voſtre âge. Mais pour répondre à vôtre Billet ; Si vous ne goûtez le plaiſir de ce charmant embaras qui a la reputation d’eſtre le plus agreable, vous ſerez embaraſſée toute voſtre vie d’une indifference qui vous peſera quelque jour, il ne faut riſquer ſon cœur que pour le perdre ; & ſi vous vous en tiriez avec honneur,

Helas ! charmante Iris, que pretendez-vous faire,
Si voſtre cœur entre en affaire,
Il faut le deſ-armer d’une injuſte rigueur ;
Il n'eſt point de peril qu’en amour en n’affronte,
Et c’eſt en ſortir à ſa honte

Que d’en ſortir avec honneur.

Ne vantez donc plus ſa dureté, ny le peu d’uſage de ſoûpirs que Meſſieurs ſes Anceſtres en ont fait ; Car je vais vous convaincre en deux mots du contraire :

Vos Anceſtres ſans doute auroient degenéré
Dans leur Famille en Beauter ſi ſeconde ;
Et ſi tous ces Meſſieurs n’avoient pas ſoupiré,
La jeune Iris ne ſeroit pas au monde.

Faites leur reparation d’honneur au plus viſte, ou pluſtoſt ſuivez leurs glorieuſes traces, & laiſſez toujours entrer un petit Amour dans votre cœur en attendant mieux ; il le chatoüillera ſi agreablement, que vous en ſerez contente.

Souffrez donc la badinerie
De ce charmant petit Fripon,
Laiſſez-vous prendre tout de bon
Si vous entendez raillerie.

Car enfin que vous ſervira de faire ma conqueſte, ſi je ne fais pas la voſtre à mon tour.

Traitez-vous voſtre Amant comme voſtre Ennemy
Quand ſa fierté ſe trouve à vos pieds abbatuë :
Helas ! ſi vous n’eſtes vaincuë
Vous m’avez, vaincu qu’à demy.

Je fus quelque temps ſans la voir aprés luy avoir fait tenir cette réponſe, mais ce ne fut pas ſans inquietude ; je cherche avec empreſſement des occaſions de la rencontrer, mais en vain je fus vingt fois chez une de ſes amies ſans l’y trouver ; enfin aprés quinze jours que j’eus tout le loiſir de compter, je l’y retrouvay heureuſement. La converſation fut vive & brillante de ſon coſté, & aſſez embaraſſée du mien ; piqué de l’embaras où j’eſtois, je fis tomber la converſation ſur le deſordre d’un Amant qui veut parler & ne trouve point de termes aſſez propres pour s’expliquer. Ce mot la fit rougir, & l’embaraſſa à ſon tour ; elle ſe ſouvint de ſa Lettre, où elle parle de cet embarras qui a la reputation d’être le plus agreable. Je me vange un peu du mien ; & luy faiſant remarquer en riant le deſordre où elle eſtoit, cela l’augmenta de la moitié. Elle me parut ainſi plus aimable que jamais, je luy dis que cette charmante rougeur qui l’avoit renduë ſi belle, meritoit bien quelques Vers ; elle me défendit d’en faire, cependant je luy donnay le lendemain ce Billet que vous allez voir.

LETTRE
DE
TIMANDRE
À
LA JEUNE IRIS.

Lettre quatriéme.

Qui vôtre veuë me donna hier, une joye ſenſible. Il y avoir quinze jours que je vous cherchois par tout ſans vous trouver ; & dans ce temps, peut-eſtre n’avez-vous pas ſongé un moment à moy. Vous me paruſtes plus aimable que jamais ; vos yeux me dirent en un inſtant cent jolies choſes, auſſi bien que vosſtre bouche. Que j’eus d’émotion on les voyant, & de plaiſir à vous entendre, dans le peu de temps que je ſas avec vous ? Mais helas ! je partagay ſeul ce plaiſir, & ſans cette aimable rougeur qui vint à mon ſecours pour une vanger de voſtre indifference, j’en aurois eu pour mon compte. Voſtre embaras aida un peu à diſſiper le mien, & malgré la deſenſe que vous m’avez faite,

Je vous ſeray reſſouvenir
Que j’ay ſeen vous faire rougir,
Helas ! trop aimable Bergere
D’euſſiez en avoir quelque peu de dépit,
Apprenez que l’on ne rougit
Que d’amour, ou que de colere.

Je gage que vous eſtes dans une furieuſe colere contre moy dans ce moment, & que vous rougiſſez encore en liſant ces Vers ; prenez promptement voſtre Miroir, je vous en conjure, voyez combien vous paroiſſiez plus aimable, & quel ſurcroiſt de beauté un peu de rongeur vous donne. Je ſuis ſeur que vous me remercierez en ſecret de vous avoir ſait rougir.

Quand on voit des yeux ſi perçans
Devenir un peu languiſſans,
Et qu’un peu de rougeur colore vôtre jouë,
Apprenez que l’amour qui peint cette rougeur
    Sur votre viſage ſe joüe,
Quand il voit qu’il ne peut entrer dans vôtre cœur.

Hé bien n’ay-je pas bien expliqué vôtre rougeur ? Ne vous emporté donc plus contre moi, vous n’avez pas ſujet d’en rougir, puis que ce n’eſt qu’en fermant l’entrée de voſtre cœur à l’Amour,

qu’il monte ſur vôtre viſage ;

Ainſi, charmante Iris, ſoyez moinsen colere,
Et n’ayez plus de repentir
D’avoir ce vermeil qui ſçait plaire,
Et ne rougiſſez plus d’avoir osé rougirs,

Je crois que vous me le pardonnez à preſent. Ce que vous me dites hier touchant l’interruption de notre commerce ne me déplût point ; & puis que je n’ay pas la liberté de vous voir, du moins que j’aye celle de vous écrire ; & ſur tout,

N’ayons jamais de Confidens
Qui ſont toûjours ſort imprudens ;
Gardons un peu plus de myſtere,
Qu’un de nous deux le devienne à ſon tour ;
Et ſi nous recevons un tiers en cette affaire,
N’ayons pour Confident & pour tiers que l’Amour.

RÉPONSE
DE
LA JEUNE IRIS
À
TIMANDRE.

À la Lettre quatriéme.

Je fus hier bien attrapée quand je leus les Vers que vous aviez faits ſur ma rougeur, aprés m’avoir promis de n’en point faire. Je ne ſçaurois vous le pardonner ; & ſi vous avez pretendu bien adoucir la choſe, en diſant que l’Amour ſe plaçoit ſur mes jouës, ne pouvant entrer dans mon cœur, vous eſtes bien attrapé vous-meſme. La belle conſolation pour moy ! Il pouvoit eſtre au cœur, ſans que je m’en ſcandaliſaſſe ; du moins il n’y auroit point paru, mais de monter publiquement ſur mon viſage, la maniere eſt un peu trop triomphante, & ne m’accommode nullement ; après tout, tout adroit qu’il eſt, il a fort mal pris ſes meſures ; car pour entrer dans un lieu où l’on ne le recevroit pas volontiers, il n’y devoit pas venir à viſage découvert ; il devoit prendre des routes plus detournées, & il peut s’aſſeurer que quand il paroîtrà ainſi, je luy défendray le paſſage. Je penſe que vous eſtes au deſeſpoir à l’heure qu’il eſt ; Remettez-vous cependant, car je ne ſuis pas ſi méchante que je le parois ; & à dire vray, un peu de tendreſſe ne m’incommoderoit guére. Je voudrois de tout mon cœur en connoître la nature ; mais je ne vois point encore de jour à la choſe. En verité, mon Maître, vous ne m’aprenez rien. Je vous aborday hier d’un air ſi tranquille, que je ne ſceus m’empêcher d’en avoir un peu de dépit ; c’eſt voſtre faute, & non pas la mienne ; & vous me permertrez, s’il vous plaiſt, pour me vanger des Vers que vous avez faits ſur ma rougeur de rimer tant ſoit peu contre vous.


VERS IRREGULIERS
contre Timandre.

Si je veux bien faire l’experience
De ce trouble du cœur qu’en dit eſtre ſi doux ;
Pourquoy reſſens-je encore toute mon indolence
Cela n’est pas ſort glorieux pour vous ?
J’ay fait de grands efforts afin de faire naiſtre


Ce deſordre charmant que je ne puis avoir ;
Si je n'ay pas encor l'honneur de le connoistie.
L'Eſcoliere pourtant a bien ſait ſon devoir;
Si ſon cœur n'apprend rien, il faut s'en prendre au Maître,
ſe ſuis dans la belle ſaiſon,
Mon cœur eſt bonneſte & docile;
Si dans peu' je ne ſuis habile
De bonne ſoy vous m'en ſerez raiſon.
Pourquoy parliez-vous mal de mon indiference?
Vous avez Jaen m'en rebuter
Si vous ne pouviez me l'oſter
Il ſalloit la laiſſer du moins en patience.
De plus, vous m'avez peint avantageuſement
Je ne ſçay quoy que vous nommez tendreſſe,
Cette idée à mon cœur ſe preſente ſans ceſſe
Avecque tout Jon agrément;

Et pour tout elle ne me laiſſe
Qu’un aſſez grand reſſentiment
De n’avoir pas cette charmante hoteſſe.
Vous devez bien tout cecy démeſler,
Tont ſranc, je ne ſçaurois me ſouffrir ignorante ;
C’est donc à vous à me rendre Scauante,
On vous deviez ne vous en pas mejler
Perdre un peu de repas n’a rien qui m’embaraſſe,
Il ſaut enſin ſubir la naturelle loy,
Acquitez vons de voſtre employ ;
Puis que mon cœur s’oſſre de bonne grace,
Vous l’inſtruirez, on vous direz pourquey.

Le déſy eſt particulier, c’eſt preſque vous jetter mon cœur à la teſte ; mais enfin, je ſuis Glorieuſe, & quand j’entreprends quelque choſe, j’en veux venir promptement à bout ; ſi un tel empreſſement n’eſt pas permis en cette occaſion, ce n’est pas à vous d y regarder de ſi prés ; Car enfin, je vous vois tout diſpoſé à faire en ma faveur encore une fois le chemin de la Tendreſſe. & l’on riroit bien ſi l’on vous voyoit ſeul ſur une route où chacun eſt avec ſa chacune ; ainſi vous devez m’inſtruire à preſent pour voſtre gloire, & peut eſtre pour votre intereſt.

Vous avez trouvé, Madame les ſentimens de cette Lettre ſi neufs & ſi particuliers ; que je ne vous en diray rien ; Jay laiſſé les ers comme ils ſont écrits de ſa main, aimant mieux les mettre dans leur ſimplicité naturelle qui eſt originale, que de les polir davantage, & leur donner un tour qui les gâteroit peut-eſtre, ou du moins qui en auroit pû alterer le naturel qui en ſait toute la beauté. Voicy la réponſe.

RÉPONSE DE
TIMANDRE.
À
LA JEUNE IRIS

Lettre ſixieme.

Je vous pardonne de bon cœur des Vers que vous avez faits contre moy ; cette ſatyre ſi ſine & ſi bien tournée vous doit attirer mes louanges plâtoſt que mon reſſentiment. J’avoue que j’ay tout le tort imaginable d’avoir ſait monter l’Amour ſur voſtre viſage ; c’eſt l’avoir fait paroiſtre avec trop d’éclat, & il devroit prendre comme vous le dites ſort bien, des routes plus détournées.

Ouy, je n’ay pas raiſon, jeune Iris, je l’avonuë,
le devois mieux placer l’Amour ;  :
Quand on le ſait monter, ce n’eſt pas ſur la jonë,
Il ſaut luy ſaire prendre un plus joly détour.
Pour aller dans un cœur à petites journées,
L’obſcurité lui plaiſt, le grand éclale perd,
Il ſait choiſir ſur tout les routes : detournées
Et le petit chémin couvert.

Je gage que vous ne penſiez : pas avoir tant de raiſon que vous en aviez. L’envie que vous me marquez d’eſtre inſtruite en tendreſſe eſt admirable ; il eſt bon de ſatisfaire une curioſité qui vous doit eſtre ſi naturelle ; mais ne vous en prenez pas à moy, ſi vous n’avez pas ſenty on me voyant, ce trouble que je reſſens toûjours à voſtre abord ; ſi vous n’aviez donné votre cœur cons me je vous ay donné le mien, vous auriez reſſency la meſine émotion que moy, & ſi vous l’aviez laiſ ſé un moment en ma diſpoſition, Je vous répons qu’il auroit recens bien du plaiſir à ſuivre thes leçons. Souffrez done que je réponde à vos Vers ſur les meſmes rimes.

Fris pour vous donner la prompte experience
De ce trouble du cœur ſi charmant : & ſi doux,
Et pour chaſſer toute vostre indolence,
Souſſrez quelques momens Timandre auprés de vous ;
Je répons qu’il vous ſera naiſtres.
Ce deſodre charmant que vous vous.

lez avoirs
Vous le reſſomirez d’abord ſans le connoiſere,
Et vous verrez qu’il ſora ſor devoir
Et que ſon Eſceliers eſt aux mains d’un bon Maire :
Vous eſtes pour aimer dans la belle ſaiſon
Mais votre amo n’est pas docile
Et que vous ſervira d’avoir un
Matre babile,
Si vous n’entendez pas raison.
Un agreable inſtant chaſſe l’indifference :
Mais vous ne ſçauriez me rebuter
Si dans un doux transport je voulois vous l’oſter,
Vous n’en auriez jamais la patience ;
Pour l’éprouver avantageuſement,
Souſſrez qu’à vos genoue j’étale ma tendreſſe,
Qui auprés de vous je ſoupire ſans ceſſe,

Et pour mieux la ſentir dans tout ſon agrément
Que voſtre ſierté ne vous laiſſe :
Que l’unique reſſentiment
D’avoir recen ſitard cette charmante hôteſſe.
N’en doutez point, je ſçais m’en demeſler :
Si vous voulez n’eſtre plus ignorante,
Donnez moy voſtre cœur & vous ſerez ſçavante :
Puis que l’amour veut s’en meſler
Trop de repos vous embaraſſe,
Il ſaut ſubir enfin la naturelle loy,
Je ne suis pas ſort neuf en ce charmant employ
Et puis que vostre cœur s’offre de bonne grace.
Qu’il vienne entre mes mains, il aprendra pourquoy.

Le déſy eſt particulier à mon tour : Vous avez beau dire que vous me jettez voſtre cœur à la teſte, je n’en croiray rien juſques à ce qu’il ſoit entre mes mains : mais vous avez bien raiſon de dire que vous me trouvez ſort diſpoſé à faire encore une ſois pour vous le chemin. de la Tendreſſe. Cependant aprenez : que je ne ſuis pas d’humeur à marcher ſeul long-temps : C’eſt un chemin où l’on S’ennuye étrangement, & la ſolitude en eſt effroyable ; je ne répondrois pas, de l’humeur dont Je connois mon cœur, qu’il ne ſe laiſſaſt détrouſſer par quelques yeux fripons ; mais ſi le voſtre une fois luy tenoit fidele compagnie ſçachez qu’il défieroit tous es yeux du monde de luy donner la moindre atteinte.

Je ſus long-temps, Madame, ſans la voir, aprés cette Lettre : que je luy ſis tenir, un oncle Abbé ſort devot & ſort chagrin, ſous la conduite de qui elle eſtoit. ne luy. donnoit : pas toute la liberté qu’elle eût voulu avoir. Je peſtay ſou vent contre les chagrins du vieil oncle & d’une tante ſurannée, qui la ſaiſant vivre à ſa mode, ne s’accommodoit nullement à la noſtre. Cependant il falloit prendre patience ; une inquietude un peu trop preſſante commença à me ſaire connoître que ce commerce qui m’avoit paru d’abord un jeu d’eſprie, deviendroit une veritable affaire de cœur pour moy : ce peu de liberté que j’avais de la voir &c de lay parler en augmenta le deſir : ce deſit ſat ſaivy d’une inquietude aſſez piquante & aſſez vive, & cette inquietude me ſue un preſage de ce qui me devoit arriver. Je ne ſentois pourtant pas encore : ces émotions violentes, je croyois toujours badiner ; & ennuyé de ne point rencontrer cette aimable Perſonne, aux lieux meſmes où : noſtre devoir nous appelle rogu- lierement, je luy écrivis cette Lettre

À
LA JEUNE IRIS

Lettre ſeptidime.


Vous n’avez point répondu à ma derniere ; je ne vous vois plus, & vous n’avez aucun empreſſement de m’en ſaire naiſ. tre l’occaſion. Je penſe meſme que pour éviter la rencontre des hom nes, vous negligez le Service Divin ; cela n’oſt pas ſort devot, On ne vous voit non plus à E gliſe, que ſivous eſtiez Calvi niſte ou Lutherienne ; j’en ſuis fort ſcandalizé, encore vous ai-je veuë autrefois ſort attentive au Sermon. Je crains bien que la dureté de voſtre cœur ne palle. juſques à voſtre ame ; c’eſt une ſort méchante diſpoſition pour les bons ſentimens, que d’eſtre ſi indifferente pour toutes choſes ; & c’eſt trop, que de negliger à la ſois Dieu & les Hommes. Il me ſemble que je me ſens aujourd’huy d’humeur à vous preſcher un pen ſur bien des articles, puiſque vous negligés, les Sermons de nos Predicateurs ; & comme l’indifference eſt voſtre péché originel, il ſaut tâcher de la déraciner de vôtre ame : mais je crois que je perdray mon temps, de vouloir vous ſaire croire quelque choſe. Vous eſtes une petite Scelerate, qui n’avez ny ſoy, ny loy, ſur le chapitre de l’Amour, & mal-gré tout les zele dont je me ſens animé,

Voſtre cœur dans ce triſte jour
Qui par ſa dureté ne vent jamais rien croire,
Avec ſon noir & ſroid Grimoire.

Eſt pis qu’un Heretique en matiere d’amour.

Je veux pourtant vous envoyer le petit Amour qui a attendry mon ame, & qui m’a tiré de l’erreur où j’étois, pour vous preſcher & patrociner quelque temps ; il vous dogmatizera ſi tendrement, que vous en ſerez touchée ; car il n’eſt point de cœur ſi dur, qu’il ne ſende, & ſans doute il vous ſeroit venir à reſipiſcence, ſi vous luy donnez la moindre petite ouverture dans voſtre cœur ; vous verrez qu’il eſt éloquent, qu’il perſuade fortement ce qu’il inſinuë ; que ſes penſées ſont nobles & hardies, ſes expreſſions nettes · & juſtes, & qu’il répand dans l’ame de ſes Auditeurs une certaine douceur qui entraîne, qui charme, & qui convainc les cœurs les plus endurcis dans l’erreur de l’Indifference ! Ecoutez-le, charmante Heretique, ſortez du chemin de perdition, & rentrez dans la droite voye où marchent les Amans predeſtinez ; c’eſt la route la plus ſeure & la plus agreable, où l’Amour vous conduiſe. Ainſi ſoit-il.



RÉPONSE
DE
LA JEUNE IRIS
À
TIMANDRE.

Lettre huitième.


En verité, voſtre Amour s’aviſe d’un plaiſant ſtratageſme. Quoy ? pour me venir rendre viſite, prendre la figure d’un Predicateur ; qui l’auroit pû connoiſtre ſous ce déguiſement ? Eſt-ce l’affaire d’un Amour, que de ſe méler de reſormer les mours ; en verité, il diroit des choſes bien irregulieres, car ce n’eſt pas ſon talent que de raiſonner bien. Je crois qu’il n’a pas trop ſait de reflection ſur les qualitez qu’un tel perſonnage demande, & qu’il a pris ce party un peu à l’étourdy ; mais on ne luy doit pas demander plus de prudence, ce n’eſt pas auſſi dequoy je me plains. Devoit-il mettre la ſupercherie en uſage, pour entrer dans un cour qui s’eſtoit expliqué de ſi bonne foy avec vous. Je voudrois bien le luy reprocher à luy-meſme, mais comme je n’ay encore aucun commerce avec luy, & qu’il vous eſt aſſez familier, je vous prie de luy faire tenir. en main propre ce Biller que je luy envoyé.

LA JEUNE IRIS
À L’AMOUR.

Ie prens la liberté de vous écrire, Amour
Bien que mon cœur n’ait pas l’honneur de vous connoiſtre ;
Vou ſçavez qui je ſuis, s’il vous ſouvient qu’un jour
Vous priſtes ſoin de me choiſir un Maistre,
Qui grace à vos bontez m’a depuis fait ſa Cour.
C’eſt pourquoy, cher amour, en amy je vous traite ;
Car en eſſet ſi vous me connoiſſez
C’eſt connoiſſance à motié faite,

Et peut-eſtre qu’un jour vous connoîtrai-je aſſez :
Cependant entre nous je veux bien vous le dire,
De s’avoüer de vous on ſait quel que façon
Et telle dont le cœur reconnoiſt voſtre Empire,
N’oſeroit ſans rougir prononcer voſtre nom ?
Ce Billet éventé paſſeroit pour un crime ;
Tout commerce (dit-on) avec vous est fatal.
Ah ! que ce ſentiment ſelon moyſonne mal,
Je vous ens de tout temps en ſinguliere eſtime,
Et dans un jeune cœur c’eſt aſſez ma maxime
Qu’un peu d’amour ne ſied point mal.
Sans doute que ſçachant comme un cœur ſe gendarme
Alors que de vos traits il ſe croit menacé ;
Vous avés cru come Amour bien ſeſé ;

Qu’il faloit m’épargner cette inutile allarme,
Incognito vous eſtes avancé.
Paſſe ; mais d’un Docteur prendre le caractere,
Le deſſein est burleſque à le dire entre nous,
Eſt-ce en ſaiſant leçon qu’on trouve l’art de plaire ?
Telles gens ſont encore plus à crain que vous.
Dites-nous des douceurs c’est une affaire faite,
Noſtre cour entend trop ce langage fripon,
Et je puis avouer que la moindre fleurette
Me plairait beaucoup mieux que le meilleur Sermon.
A quoy bon tant de ſrais, tentez mieux l’avanture,
En qualité d’amour paroiſſez à mon cœur,
Un enſant tel que vous ne luy fait point de peur,
Il aime mieux voſtre propre figure

Que celle d’un Predicateur.
Luy-meſme eſt un Enfant, ne croyez pas qu’il tremble
Pour un petit Amour faut-il tant s’étonner ?
Il s’ennuye eſtant ſeul & ne ſçait où donner ;
Venez, venez, vous vous joüerez enſemble,
Mais ne faites que badiner
D’un Hoſte comme vous la viſite est charmante,
le vais le preparer à vous bien recevoir,
Amour, Adieu, juſques au revoir,
En attendant je ſuis voſtre ſervante.

RÉPONSE
DE
TIMANDRE
À LA JEUNE IRIS

Lettre neuviéme.

Ie ne ſuis point du tout content de voſtre dernier Billet, il eſt trop plein d’eſprit & de brillant, & je n’y ay pas trouvé un grain de tendreſſe. A quoy bon la plus fine raillerie ſur l’Amour Predicateur ; il eſtoit pourtant aſſez galant, s’il vous en ſouvient, & n’avoit nullement l’air d’un Pedagogue auſtere. Si je vous aimois un peu moins, j’aurois trouvé la Lettre d’Iris à l’Amour plus que charmante, mais enfin, je commence à m’appercevoir que tant d’eſprit ne ſait que chagriner quand le cœur n’a point de part à l’affaire. Noſtre commerce a commencé par un jeu d’eſprit à la verité, mais je ſens bien que mon cœur s’eſt mis malgré moy de la partie ; & que ſi le voſtre ne le ſeconde, il pourra mal paſſer ſon temps. Encore ſi j’avois la meſme force ſur le mien, que vous avez ſur le voſtre ; ſi j’eſtois auſſi tranquille que vous, la partie ſeroit plus égale ; ou ſi vous ſentiez autant d’émotion que moy, elle ſeroit plus raiſonnable & plus complette. Le trouble & le deſordre où je me trouvay hier en vous voyant, eſtoient bien plus éloquens que mille Lettres comme la voſtre (toute

ſpirituelle qu’elle eſt.)

Dans ce ſaiſiſſement que l’on ne peut celer,
Où la Langue ſe taiſt lors que le cœur ſoûupire,
Helas ! quand on ne peut parler
Que l’on a de choſes à dire ?

J’enrage de ces quatre Vers qui me ſont échapez malgré moy : Car, enſin, je ſuis bien ſimple de vous écrire tendrement, & je devrois badiner comme vous, & m’engager auſſi peu. Je vois bien ce que vous pretendez, & vous meriteriez ſans doute avec tout voſtre eſprit, que la tendreſſe que je commence à reſſentir pour vous, degğeneraſt en une ſimple eſtime ; ouy, vous meriteriez pour vous punir de voſtre indifference & de voſtre malice, que j’euſſe autant d’eſprit que vous en avez ; nous verrions à beau jeu beau retour. Cependant tréve d’eſprit, je vous en conjure, & un peu plus de rendreſſe. Je ſçais trop de quelle maniere le voſtre s’explique, écoutons un peu le langage de voſtre Cour.

Helas ! n’a t-il rien à me dire,
Ce Cœur qui me ſait murmurer ?
Et tandis que le mien ſoupire
Le vostre ne peut-il apprendre Soupirer ?

Je ſçay bien qu’il eſt trop libertin, & qu’il s’en défendra avec opiniâtreté ; j’ay envie de vous faire quelque jour une Satyre ſi violente contre l’Eſprit que vous aurez regret d’en avoir tant : mais comme je n’ay pas le loiſir à preſent, je vous envoye en attendant ce Rondeau, pour répondre à celuy que vous me dites dernierement, dont le mot eſt Non ; par lequel vous marquez que vous ne voulez pas vous rendre, ny meſme écouter les leçons de voſtre Maiſtre.


RONDEAU.

Ouy, je vous hais, c’eſt tout de bon.
Voſtre cœur n’eſt qu’un fripon
Qui ſçait trop l’art de ſe defendre,
Et cela n’est pas de raiſon,
Quand l’Amour luy donne leçon
Au lieu d’un impertinent non,
Ne doit-il pas luy faire entendre Ouy
Mais il faut mettre à la raison
La dureté de ſon jargon,
Et quand le fidele Timandre
Vous dira, jeune Iris, avez-vous l’ame tendre,
Répondez ſur un meſme ton Oüy.

Je vous prie de profiter de cette leçon, & de ne répondre plus par un nom ſi froid à voſtre Maître.

RÉPONSE AU RONDEAU.

RONDEAU.

Ouy, je vous hais, ce terme dois ſurprendre
Pour un objet à qui l’on veut ſe rendre ;
Pour un Amant, c’eſt mal faire ſa Cour
Pour un Rondeau c’eſt un fort méchant tour,
Et tel adieu ne rend pas un cœur tendre.
Dans l’art d’aimer vous deviez mieux aprendre
Qu’on n’a jamais pour ſe bien faire entendre
Ecrit, on dit, quand on brûle d’amour,

Ouy, je vous hais.
De ma fierté vous devez tout attendre.
Ab ! cependant, je commence à comprendre
Et j’entrevois le vray de ce faux jour ?
Ce je vous hais eſt un tendre détour
Et ne doit point attirer à Timandre,
     Oüy, je vous hais.

Voila, Madame, où nous en eſtions noſtre commerce eſtoit aſſez bien étably ; mais je n’avois pas la liberté de la voir que tres-rarement, cela m’embaraſſoit fort, & quand je pouvois attraper ces momens ſi deſirez & ſi attendus, j’avois une joye qu’il eſt bien difficile d’exprimer, je trouvois tous les jours de nouveaux charmes dans ſon eſprit & dans ſa perſonne ; & dans le temps que je commençois à en reſſentir le pouvoir avec aſſez de plaiſir, il fallut quitter la Province, une affaire indifpenfable me rapella à P…… dans un temps où j’efperois apprivoifer ce jeune Cœur avec l’Amour. Un chagrin fi noir me prit de la neceffité de ce départ, que je reconnus bien que mon cour fe faifoit de terribles violences en s’éloignant de ce qu’il aimoit. Cependant, il n’y avoit point de remife. Je cherchay par tout la jeune Iris pour luy dire adieu, & pour la prier de m’écrire pendant ce voyage, mais inutilement ; car je ne la voyois point chez elle. Je fus chez plufieurs de fes amies je ne l’y trouvay point ; & quelque adreffe dont je peuffe me fervir pour la rencontrer, il me fut impoffible de luy dire adied. Je partis donc fort trifte, & de bonne foy, dans un chagrin que fon cœur indifferent ne meritoit pas encore : Cependant, je me fis un plaifrde ce chagrin, il eft toûjours bien doux d’aimer, il y avoit plus de trois ans que mon cœur étoit dans une étrange oiſiveté. Je fus bien aife de me retrouver dans. une route où l’on a du plaifir à s’égarer : Ainfi je l’abandonai à fa bonne ou mauvaife fortune ; on eft toûjours affez payé de fa paffion par fa paffion même, qui malgré les petits déplaifirs qu’elle donne par l’indifference ou par la rigueur d’une Belle, ne laiffe pas d’avoir des momens tres-agreables & tres — fenfibles ; & je crois que tout bien compté, les chagrins que l’on à en aimant, valent prefque les plaifirs que l’on peut goûter ailleurs. Je partis donc tour remply de ces veritez ; & fans faire icy le Heros de Roman, encore plus remply de la charmante idée que j’emportois avec moy, j’arrivay à Paris plus amoureux que je ne l’eftois à… … je ne fçavois quel biais prendre pour écrire à cette aimable perſonne qui m’occupoit tout entier. Enfin, j’écrivis à une de ſes amies, & je mis un Billet dans fa Lettre, que je priay de luy donner en main propre.


À LA JEUNE IRIS.

Lettre dixiéme.

Puifque Mademoifelle d……… a eu la bonté de fe charger de ce Billet, je me hazarde de vous écrire aujourd’huy ; Je fçais bien que je n’en devrois rien faire, & que je dois auffi peu fonger à vous que vous avez penfé à moy depuis un mois tout entier. Je vous ay cherchée avec un empreffement que voftre indiference ne meriteit pas fans doute, & je n’ay pû vous dire un adieu que matendreffe devoit du moins me faire accorder avant mon départ ; je ne fçais fi vous le fçavez, ou fi yous aurez pris la peine de vous en informer. Je ſuis party ſans vous avoir veuë, & ce pendant je ne vous vois que trop tous les jours. Quoy ! trente lieuës ne pourront-elles éloigner d’un Cœur dont vous vous ſouciez ſi peu ? & ce Cœur qui vous eſt ſi indifferent ne pourra-t-il jamais s’éloigner de vous ?

Quand vous oſez le dédaigner,
Bien qu’il ait contre vous le ſecours
de l’abſence,
Il retrouve par tout voſtre aimable
preſence.
Et ne ſçauroit s’en éloigner.

Vous l’avez rendu inſenſible tons les plaiſirs qui s’offrent icy en foule, pour eſtre trop ſenſible à ſes chagrins : C’eſt là ſon unique occupation. Encore ſi vous vouliez un peu les adoucir en m’écrivant ; mais non, ne m’écrivez point un commerce eſt trop dangereux avec vous. Je ne ſçais que trop de quelle maniere vous écrivez, & vos Lettres acheveroient de me perdre quand je pourrois relire cent & cent ſois le caractere d’une maint qui a tant d’eſprit au bout des doigts : Cependant, je ſuis logé à …… & voilà mon adreſſe à tout hazard. Je ne veux point vous faire un détail de tout ce que j’ay reſſenti depuis mon départ. Pourquoy vôtre idée me ſuit-elle incellamment ? Et Paris n’eſt-il point un lieu d’azile contre cette image charmante qui me lutine toûjours ? Je ne vous en diray pas davantage, je craindrois de vous en dire trop. J’attens réponſe à celle-cy, avec une impatience que je voudrois que vous puſſiez connoiſtre, Songez un peu à un homme qui n’eſt occupé que de vous, & qui le ſera toute ſa vie. Adieu.

RÉPONSE
DE
LA JEUNE IRIS
À
TIMANDRE.

Lettre onziéme.

J’ay eſté fort ſurpriſe de recevoir une Lettre de vous par Mademoiſelle d…… la voye eſt aſſez indirecte, mais je vous le pardonne pour cette fois ; car j’ay d’ailleurs des rigueurs à vous faire ſentir. Je dis des rigueurs, puis qu’il me ſemble que je ſuis aſſez en eſtat de me ſervir de ce terme : Sans doute vous avez pris un peu de tendreſſe pour moi, mais vous avez attendu un peu tard à me l’expliquer. Il n’est pas temps que j’en aye de la reconnoiſſance, elle ſeroit hors de ſaiſon, puis qu’il ſaut abſolument rompre tout commerce. Je ne vois aucun biais de le continuer ; aprés tout, ce ſeroit prendre mal ſon temps, que de vouloir entrer en affaire pendant un éloignement. L’abſence eſt l’écueil de la tendreſſe, & l’on y verra bientoſt échouer la voſtre. Il vaut mieux vous redonner voſtre cœur de bonne grace, que d’attendre que vous me l’ôtiez. C’eſt toûjours avoir une eſpece de droit ſur vous, que de pouvoir eſtre en état. de vous rendre voſtre liberté. C’eſt pourquoy ſi l’affaire dépend de moy ; vous eſtes libre, ou ſi voſtre cœur eſt demeuré auprés de moy, comme vous voulez me le perſuader, il peut partir quand il lui plaira.

Oüy, que ce cœur du mien prenne congé,
Le mien aſſeurément vous demeure obligé,
Et vous eſt redevable autant qu’on le peut eſtre,
Si de vos perits ſoins il ſe trouve endetté,
Peut-eſtre avec le temps il euſt payé Son Maître,
Sans attendre ce temps ſon Maitre l’a quitté.

Mais pour revenir à ma rigueur, dont je m’écarte inſenſiblement, s’il eſt vray que mon idée vous tourmente ſi fort, je veux bien vous donner les moyens de l’exorciſer ; redites bien cinq ou ſix ſois toutes les duretez que vous trouverez dans cette Lettre, elles ſeront d’un merveilleux preſervatif contre toutes les idées les plus charmantes. Adieu, ayez autant de ſoin : de ma tranquilité, quand l’occaſion s’en preſentera, comme j’en ay maintenant de la voſtre, & ſur tout ne m’écrivez plus ; car je ne puis plus recevoir de vos Lettres, ſans riſquer furieuſement, on m’épie de tous coſtez.

À peine eus-je reçu cette Lettre, qu’une inquietude tres-preſſante s’empara de mõ ame.La mena. ce qu’elle me ſaiſoit de ne plus m’écrire, me donna de veritables allarmes ; & de bonne ſoy, ſans trop conſulter ſi mes aſſaires ne demandoient pas un plus long ſejour à… où j’eſtois, j’en partis le lendemain avec, un plaiſir, contre ma coûtume, qui n’eſt reſſenti que par ceux qui aiment fortement & qui ont une envie preſſante de revoir ce qu’ils aiment. J’arrivay à….. & le lendemain je luy ſis tenir cette Lettre.

TIMANDRE
A
LA JEUNE IRIS.

Lettre douzième.

Aprés la lecture de vôtre Lettre, je ſuis parti au meſme inſtant de…… pour vous en porter moy meſme la réponſe. J’ay oublié toutes mes affaires, pour ſonger à celles de mon cœur, en eſt-il de plus grandes dans la vie ? Je n’ay pû ſoutenir ſans frayeur la cruelle menace que vous me faites, de rompre noſtre commerce. En verité, charmante……… avez-vous bien fait reflexion ſur la peſanteur de ces paroles terribles ? N’eſtoit-ce pas allez de ne point vous voir, ſans me priver encore de la douceur de vous écrire. Je vois bien ce que vous vouliez faire : Vous aviez peut-eſtre envie de vous débarraſſer d’un homme, dont la tendreſſe vous importune, vous en ſeriez venue à bout. Ne plus vous voir, & ne plus vous écrire, ſont deux choſes qui m’auroient bien-toſt mis en eſtat de ne vous importuner jamais. Par là vous auriez briſé mes chaînes de bonne grace. Vous me ſeriez plaiſir ſans doute ; parlez & je retourne à………… il en arrivera ce qui pourra, repoſez-vous ſur mes chagrins, & ils vous donneront contentement. Aprés tout, c’eſt prendre mal ſon temps que de vouloir entrer en aſſaire pendant un éloignement. L’abſence eſt l’écueil de la tendreſſe, & on n’y verra bien — toſt échoué comme tous les autres Amans. Ah cruelle que mon cœur a, (ſi je l’oſe dire) dit d’injures contre vous, & que vous ne meritiez pas, vous connoiſſez bien mal ſa tendreſſe & vôtre pouvoir ſur luy, pour croire que l’abſence puiſſe alterer les ſentimens qu’il a pour vous. Mais, non, vous ne meritez pas que je vous deſabuſe, briſez mes chaines ſi vous le pouvez, & rendez moy ce Cœur ; enfin cette liberté dont vous faites ſi peu de cas, puis que vous me les jettez à la teſte avec tant d’indifference.

Suis-je en estat de les reprendre
Ce Ceur & cette Liberté,
Et s’ils ne vous ont rien coûté,
Pourquoy voulez-vous me les rendre.

Vous craignez que l’abſence détruiſe une paſſion auſſi forte que la mienne, je vous pardonnerois cette crainte, ſi vous l’aviez de bonne foi ; cependant depuis que je vous connois, n’avez-vous pas toûjours eſté abſente pour moy, & vous en ay-je moins aimée ? Je vous vois ſi peu, qu’il me ſeroit preſque égal d’être à cent lieues de vous, ſi je n’avois quelquefois l’eſperance de vous rencontrer. Mais quoy, je ne vous trouve que trop pour mon repos. Cependant, je voudrois bien eſtre en état de vous obeïr, & de reprendre ce Cœur que vous me renvoyez ; mais pour repondre à vos Vers ſur les meſmes rimes :

Helas ! mon cœur de vous peut-il prendre congé
Non, non, & pour jamais il ſe trouve obligé
De vivre voſtre eſclave autant qu’il le peut-eſtre,
Si de ſes petits ſoins le voſtre eſt endetté,
Iris dans un moment il peut payer ſon Maitre,
Son Maître est de retour, & ne l’a poins quitté.

Que vos Vers ont redoublé ma paſſion, qu’il y brille un certain petit air ſin & tendre, qui me charme & qui me deſeſpere en meſme temps : Car peut-eſtre vous auriez peu de regret de perdre un Maître qui ne vous quittera jamais, & qui attendra ce que vous devez au ſoin que ſon cœur prend d’inſtruire un cœur auſſi ignorant que le voſtre, & qui profite ſi peu de ſes leçons. Ce que vous ajoutez enſuite eſt charmant : ayez autant de ſoin de ma tranquillité comme j’en ay preſentement de la voſtre, &c. Quel funeſte ſoin avez-vous de la mienne ? Helas ! ſi j’avois un pareil ſoin de voſtre repos, que vous n’en auriez guéres ? Que vous ſeriez inquiete & chagrine, & enfin que vous m’aimeriez tendrement ? Cependant voyez ce que vous voulez que je faſſe, je je ne ſuis revenu de…… que pour vous voir & pour vous écrire ; j’ay quité ſans balancer tous les plaiſirs que l’on goûte à la Cour pour venir faire la mienne. Voyez ce que je fais ſans eſtre aimé, & jugez de ce que je ferois ſi j’eſtois un peu moins mal-heureux.

Aprés luy avoir ſait tenir cette Lettre, je ſus long-temps ſans en avoir la réponſe & ſans rencontrer la jeune Iris que je brûlois de revoir ; dans mon impatience, je luy écrivis encore celle-cy.



À
LA JEUNE IRIS.

Lettre treiziéme.


Depuis ma derniere écrite, je vous ay cherchée inutilement : Êtes-vous inviſible pour muoy ? Et que vous ay-je fait, pour me priver du déplaiſir de vous voir que je viens chercher exprés de trente lieuës. Je m’aperçois qu’il vous importe bien peu que je ſois icy ou ailleurs ; je vois bien que cela vous eſt ſort égal, & que vous n’y prenez aucun intereſt.

Je viens d’aſſez loin en un jour
Sur les aiſles de mon Amour
brûle de revoir ce que mon Cœur adore
Depuis huit jours je ſouffre un cruel embarras,
Je vous cherche par tout, & ne vous trouve pas,
Et le chagrin qui me devore
Sans doute a pour vous des appas.
Puis que vos cruautez le ſont durer encore,
Cependant un coup d’œil pourroit me raſſurer
Je pourrois devant vous me plaindre & ſoupirer,
Ou vous pourriez m’écrire un Billet un peu tendre,

Cruelle, vous n’en faites rien.
Helas ! que ne puis-je reprendre
Un cœur que vous tenez ſi bien !

Tout de bon, ſi j’avois eſté un peu plus ſage, je vous aurois obeï ponctuellement, j’aurois rapellé mon cœur à Paris, qui m’auroit diverty ſans doute, mais je n’ay eu pour toute compagnie que vos Lettres & mes chagrins. Je ſuis revenu bruſquement dans un temps où mille plaiſirs m’auroient attaché dans un Païs où ils ſont dans leur centre, mais quoy ? eſtois-je capable d’en prendre, eſtant ſi éloigné de vous ? Je ne ſçais ſi vous me tenez compte de tout ce que je ſats pour vous ; mais je puis dire de voſtre cœur à l’égard du mien,

Que jamais cœur ne ſut plus endetté,
Que mille petits ſins qu’il devroit reconnoistre,
L’engagent auprés de ſon maître,

Qui ſe verroit à la fin rebuté
S’il rencontroit toujours une ingrate fierté ;
Comme il eſt genereux plein d’honneſteté,
Du moins qu’il le faſſe paroître,
Et quand par un ſoupir il peut eſtre acquité,
Il peut bien-toſt payer ſon maître,

Vous voyez que ſon Maître eſt raiſonnable, & qu’il ſe contente de peu.

Écoutez ce qu’il vous propoſe,
Jeune Iris, contentez un ſi juste deſir,
Il ne demande qu’un ſoupir
Un ſoupir eſt ſi peu de choſe,
Depuis qu’il a pour vous tant d’eſtime & d’amour,
Son cœur en ſoupirs eſt fertile,
Que le vostre en pouſſe à ſon tour
Pour un il vous en rendra mille.

Vous ne perdez pas au change. En verité, trop aimable…… il ſaut icy que je m’explique avec vous de bonne ſoy, rien n’égale la tendreſſe & l’eſtime que j’ay pour vous ; pour tout dire elle eſt proportionnée à voſtre merite, mais je ne croyois pas qu’un jeu que je croyois d’eſprit, dût ſi ſort embarraſſer mon cœur & inquieter ſi peu le voſtre. Le peu d’empreſſement que vous avez à me faire connoiſtre que ma tendreſſe ne vous eſt pas tout à fait indifferente me deſole, & pourroit peut-eſtre la détruire expliquez moy les ſentimens de voſtre cœur ſur ce chapitre, je veux ſçavoir ma bonne ou mauvaiſe deſtinée, & je m’eſtimerois fort heureux, ſi vôtre indifference on voſtre froideur en faiſoient naiſtre dans mon ame, & par là vous me rendrez cette liberté que vous me renvoyez ſi tranquilement.

Quand vous m’avez voulu rendre ma liberté

Avec tant de tranquilité
D’une maniere ſi cruelle,
Helas ! vostre cœur en ſecret
N’avoit-il pas quelque regret,
De perdre un Amant ſi fidelle ?

Réponſe au plutoſt, je vous en conjure, degagez-moy tout à fait, ou me rengagez pour jamais.


LA JEUNE IRIS
À
TIMANDRE.

Lettre quatorzième.

Je vois qu’à mon intention, Timandre vous avez quitté l’indifference

Comme la choſe eſt pour moy d’importance,

Je luy dois bien au moins quelque reflexion.

Je commence à connoître que vous eſtes plus intereſſé qu’il ne ſeroit neceſſaire pour mon repos. Je vois avec quelque douleur que l’on ne vous conſervera pas longtemps, à moins que l’on ne coure les meſmes perils que vous. Il faut un peu ſe conſulter ſoy-meſme ; & cette affaire, entre nous merite bien qu’on y penſe.

Il s’agit de mon cœur ; qu’on eſt embarraſſée,
Lors que de deux coſtez on ſe voit partager ?
À vous voir mon Amant ma gloire intereſſée
Me dit qu’il ſaut vons engager :
D’ailleurs mon jeune cœur qui ſe voit en danger.
Dit que c’est au peril courir teste baiſſée,
Et franchement il ſe veut ménager.

Réduite au cruel choix de me voir ſans Berger
Ou de riſquer ce cœur : triſtement balancée,
Helas ! de quel party pourray-je me ranger

Qu’il ſeroit doux d’eſtre aimée, ſi l’on ne s’expoſoit pas d’aimer à ſon tour. Quel plaiſir de voir d’un air tranquile ſoûpirer un Amant ? Pourquoy ſaut-il craindre d’avoir le meſme ſort un jour ? Et pourquoy l’exigez-vous déja de moy ? L’étrange honneſteté que la voſtre de me demander un ſoupir pour m’en rendre mille ! Helas !

C’est le premier ſoupir qui coûte à noſtre cœur ;
Des qu’il a ſceu franchir ce pas ſi difficile,
Les plus ardens ſoupirs ne luy ſont plus de peur.
Qui ſçait en pouſſer un en pouſſe bientost mille.

En effet, c’eſt le premier hommage qu’on rend à l’Amour, le reſte ſuit de prés, tout paroiſt aiſé dans la ſuite, c’eſt la premiere entrée de l’Amour dans un cœur ; c’eſt d’où dépend tout le fracas qu’il y peut faire, & c’eſt juſtement cette entrée qu’il luy faut diſputer. Je dois donc me tenir ſur mes gardes :

Mais oſe-t-on déja prendre des ſeuretez ?
A peine voſtre cœur pour le mien s’intereſſe
Eſt-il temps de trembler ? Hé quoy voſtre tendreſſe
Sera-t-elle Pécueil de nos deux Libertez ?
Ah ! pour ſon cœur craindre ſans ceſſe,
C’eſt l’accuſer d’un peu trop de foibleſſe,
Me preſerve le Ciel de ces timiditez !

En verité, je veux éviter tant que je pourray de vous craindre, puis que la peur d’aimer ſait perdre la tranquilité ; je la tiens pire que le mal meſme. Aprés tout, je crois que l’on eſt aſſez embaraſſée de trouver un Amant maître de ſon cœur ; mais enſin l’affaire eſt faite, & je crois que l’on goûte quelque repos lors qu’on n’a plus rien à ménager. Mais qu’un jeune cœur s’expoſe à de cruelles allarmes, lors qu’il ne s’eſt jamais expoſé ? Que je vois pour luy de crainte, de perils & d’inquietudes dés la premiere ſois qu’il ſe laiſſe attaquer ? Pourquoy ſans neceſſité expoſer le mien à tous ces embarras ; ce ſeroit une folie ; Non, il n’en ſera rien, reprenez plûtoſt voſtre indifference, elle ſera une bonne caution de la mienne, que je ne dois pas riſquer pour ſauver voſtre tendreſſe naiſſante. Que cela eſt raiſonnable ? & cependant je ne me puis reſoudre à perdre de deſſein formé une conqueſte qui m’a déja coûté quelque envie de la faire.

Oüy ! quoy que la raison contre l’Amour propoſe,
On doit bien l’avouer, quoy qu’elle ait reſolu,
Pour peu qu’à ſes deſſeins en ſecret on s’oppoſe,
Son pouvoir n’eſt guére abſolu ;
Demeurez dans mes ſers, à quoy que je m’expoſe,
Arrive qui pourra je l’auray bien voulu.

Le party eſt un peu delicat à prendre, & je ne répondrois pas que je le priſſe encore de bonne ſoy ; cependant, vous pouvez retourner à …… quand bon vous ſemblera, je trouveray des biais de continuer le commerce ; mais marquez-moy, s’il vous plaît, les ſautes que je feray dans tes Vers & dans la Proſe, afin que du moins mon eſprit profite des riſques où je mets mon cœur. Adieu ſur tout, point de confidents deux teſtes en un Cœur ſuffiſent pour noſtre commerce, ſi le ſecond Cœur s’en meſſe, paſſe encore, il ne nuira point, mais une tierce perſonne ſeroit incommode.



RÉPONSE.
DE
TIMANDRE
À LA JEUNE IRIS.

Lettre quinziéme.

Que voſtre Lettre eſt enchantée divine…… j’en viens de ſolemniſer la lecture par mille ſoupirs, & la réponſe que j’y devrois faire pour mon honneur ſeroit de n’y en point faire du tout ; mais mon Amour l’emporte ſur ma gloire ; ſi je vous laiſſe voir dans ma Lettre la foibleſſe de mon Eſprit, vous verrez du moins la ſorce des ſentimens de mon Cœur ; & ſi vous avez l’avantage d’écrire mille ſois mieux que moy, j’auray du moins celuy d’aimer mille ſois mieux que vous, que vous n’oſerez me diſputer. Mais pour répondre regulierement à voſtre Lettre, vous eſtes trop raiſonnable pour me croire trop intereſſé : Si je le ſuis en effet, c’eſt plûtoſt pour votre intereſt que pour le mien propre ; & ſi je veux vous ſaire courir les meſmes perils que moy, c’eſt pour vous ſaire goûter les meſmes plaiſirs. Ainſi pour répondre à vos Vers

ſur les mieſines times.

Prés d’un Berger fidele est-on embarraſſée,
Et ſur un pareil choix peut-on ſe partager ?
Si-toſt qu’on a rendu ſon ame intereſſée,
Ne doit-on pas comme luy s’engager ?
Il faut tous deux courir meſme danger
Puis que c’eſt aux plaisirs courir teſte baiſſée,
Et c’eſt ménager tout que ne rien ménager
Vous voyez à vos pieds ce fidelle Berger,
Ne faites donc plus voir voſtre ame balancée.
Et venez avec luy ſous l’Amour vous ranger.

Ainſi, charmante Iris, ſçachez qu’il ſeroit bien triſte d’eſtre aimé, ou d’eſtre aimée, ſi nous

n’aimions pas qui nous aime.

On ſe doit aimer tour à tour
L’Amour n’est ſait que pour l’Amour
Dans un cœur ſeul la ſlame eſt toujours languiſſante,
Denx Cœurs unis ſont naître un doux moment,
Ils ont meſme plaiſir, ils ont meſme tourment,
Si l’Amant eſt fait pour l’Amante,
L’Amante est faite pour l’Amant.

Pourquoy donc craignez-vous d’avoir un meſme ſort que moy ? Que ferez-vous de ma tendreſſe ſi elle n’eſt pas ſuivie de la voſtre ? Croyez moy, ſans cela ce vous ſeroit une choſe fort inutile, & peut-eſtre fort embaraſſante. Ne vous étonnés donc plus ſi je demande un ſoûpir à voſtre Cœur, puis que le mien l’a déja payé par avance par un million de ſoûpirs.

C’est ce premier ſoupir que merite mon Cœur,

Le voſtre a-t-il franchi ce pas ſi difficile ?
Pardonnez, jeune Iris, ſi je tremble de peur,
Qu’il n’en ait déja pouſſé mille.

En effet, de la maniere dont vous raiſonnez de la tendreſſe je tremble que voſtre Cœur n’en ait déja reſſenty les atteintes, & qu’il n’ait eu. quelque Maître, dont les leçons ayent precedé les miennes.

Pour moy dans cette conjoncture,
Je vous demande, jeune Iris,
Qui vous en a donc tant apris,
Est-ce l’Amour, ou la Nature ?

Il eſt vray que ſi voſtre connoiſſance m’intimide, vôtre jeuneſſe & voſtre peu d’experience me raſſeurent, cependant.

A quinze ans & domy peut-on ſçavoir tant ?

Et peut-on raiſonner avec tant de juſteſſe ?
Eſcrit-on d’un air ſi galant
Avec la meſme politeſſe ?
A-t-on un tour ſi ſurprenant
Avec tant d’art & de fineſſe ?

Pour moy je n’en ay point aſſez pour penétrer une merveille que j’admire, & que je n’oſerois aprofondir. Je crains tout, & je n’oſe rien eſperer. Tout ce que je puis vous dire, c’eſt qu’il me ſemble qu’un Cour doit s’eſtre mal deffendu une vois pour ſe deffendre ſi bien dans la ſuite. Pardonnez-moy, jeune Iris, cette jalouſe delicateſſe : Helas ! je voudrois bien que voſtre Cœur ſçût le prix de ce premier ſoûpir, que le mien luy demande.

Quand on prend tant de ſeuretex
Contre un Cœur qui nous intereſſe,
On doit connoître la tendreſſe
Et le prix de nos libertez,

C’est là ce que je crains ſans ceſſe,
Mais pardonnez, Iris, à ma tendre foibleſſe,
Ces jalouſes timiditez.

Ne craignez donc plus de me craindre, je ne ſuis pas ſi dangereux pour voſtre tranquilité, que vous l’avez eſté pour la mienne, r’aſſurez-vous, puis que je n’ay pas voſtre merite, & je crains bien moy meſme pour mon repos, de ne vous trouver que trop tranquile.

Ainſi par mon amour laissez-vous enflâmer
Vous n’aurez pas lieu de vous plaindre,
Et vous ceſſerez de me craindre
Si-toſt que vous ſçaurez m’aimer

Cependant, s’il eſtoit vray qu’une conqueſte comme la mienne vous euſt coûté quelque envie de la faire, elle ſeroit trop bien payée. Cet endroit de voſtre Ler cre eſt ſi delicat, que je l’ay releu mille ſois auſſi bien que les Vers qui le ſuivent, auſquels je n’oſerois toucher, de peur d’en gâ ter le ſens qui eſt admirable. La ſeule ſaute que je trouve dans voſtre Lettre eſt la reflexion de la Proſe qui ſuit des Vers ſi charmans. Et puiſque vous me commandez de vous dire vos fautes, aſin que voſtre Eſprit profite des riſques où vous mettez voſtre Cœur, (qui eſt une choſe divine,) rayez s’il vous plaiſt de vôtre Lettre ces mots, Le party eſt un peu delicat à prendre, & je ne reſpondrois pas que je le priſſe encore de bonne foy. La barbare & la dure Proſe aprés des Vers ſi doux & ſi tendres ! Au reſte nous n’aurons point de conſidens. Ie vous donneray moy-meſme mes Billets, & je ne conſieray qu’à moy-meſme les ſentimens de mon Cœur ; donnez-moy les vôtres de meſme dans la rencontre ; mais ſur tout qu’il entre deux Cours auſſi bien que deux teſtes dans noſtre commerce, afin que les choſes ſoient dans une juſte égalité.



RÉPONSE
DE
LA JEUNE IRIS
À
TIMANDRE.

Lettre ſeizième.

Enfin, vous trouvez mauvais que je paroiſſe ſi ſçavante en matiere de tendreſſe ; de bonne ſoy j’ay eſté ſurpriſe auſſi bien que vous, de me trouver tant de mieres que je n’avois pas recherchées ; j’aurois ſans doute demande À ma raiſon, ſi c’eſtoit elle qui m’en avoit tant appris : peut-eſtre auroit-elle eſté fort embarraſſée à me répondre, de telles queſtions l’épouvantent & la mettent ordinairement en déroute ; mais que vos jalouſes timiditez ſont capables de la ramener de bien loin, ſi elle s’eſtoit égarée. Quelle injuſtice faites-vous à un jeune cœur, de croire qu’il a reſſenty la puiſſance de l’Amour, quand je vous avoue de bonne foy qu’il l’évite comme la plus dangereuſe choſe qui ſoit au monde.


Si ce commerce de ſoupirs.
Que pouſſent deux Amans, atteints de meſmes flâmes
Fait la felicité des ames,
Pourquoy craindrois-je tant de goûter ces plaiſirs ?

En verité, vous n’avez pas trop fait de reflexion ſur ce que vous avancez, ſi ſoûpirer de concert eſt quelque chose de ſi doux, pourquoy croyez-vous que je l’évite, parce que j’en ay fait l’experience, & que je veuille conſerver ma liberté par la connoiſſance que j’ay du plaisir que l’on goûte à la perdre : Accordez toutes ces choſes ſi vous pouvez ; Cependant il faut croire qu’il y en a beaucoup à la conſerver, puis que vous dites que j’en connois ſi bien le prix : aprés ces paroles ſi intelligibles, tout autre que moy croiroit le party de l’Amour le moins fort ; mais j’attends que vous prononciez encore là-deſſus.

Et ſi ce Cour que l’on met on balance
Oſoit former quelque ſouhait
Je doute fort s’il le feroit
En faveur de l’indifference.

Je vous envoye mon Epitre à l’Amour, reveue, augmentée & corrigée, vous m’en direz voſtra ſentiment.

Admirez, Madame, de quelle maniere cette Lettre eſt tournée & de quel raiſonnement elle eſt remplie. Pour moy je n’ay jamais vû tant de ſineſſe & de ſubtilité ; & vous voyez bien qu’un Cour deffendu par tant d’Eſprit, eſtoit de difficile accés : cependant, Madame, les difficultez les plus grandes ne ſont qu’irriter noſtre paſſion. Je vis bien qu’il falloit aller pied à pied, & que certe affaire eſtoit de plus longue haleine que je ne penſois. Cette Lettre n’eſtoit remplie que d’Eſprit, & la precedente avoit un peu plus de tendreſſe, ainſi mon cœur flottoit entre l’eſperance & la crainte, Je voyois tres-peu la jeune Iris, & je ne pouvois que luy écrire ; encore eſtois-je ſouvent fort long-temps ſans luy donner mes Lettres, je fus plus d’un mois meſme ſans la trouver ; elle voyoit ſort peu de monde, & le trop de regularité d’un oncle Bencſicier, tres-rigide, la laiſſoit à peine aller à la Meſſe, ſans ſonger que cette trop grande exactitude irrite quelqueſois les jeunes perſonnes, & les porte à prendre d’elles-meſmes les libertez qu’on ne leur accorde pass mais quoy cette aimable ſille eût tres-peu de liberté, elle n’en prenoit jamais d’elle-meſme, & vivoit dans une contrainte Monaſtique qui me deſoloit ſouvent, & qui me faiſoit enrager. Je ſus donc long temps ſans la rencontrer ; mais enſin, paſſant un jour dans la rue je la rencontrai, & aprés une ſort legére converſation, je n’eus le temps que de luy donner cette Lettre.

TIMANDRE
À
LA JEUNE IRIS.

Lettre dix-ſeptiéme.

De bonne foy, je ſuis fort mal édifié de vôtre peu d’empreſſement à me faire naître l’occaſion de vous rencontrer. Hé quoy ! vous me laiſſez gâter dans ma poche les réponſes que j’ay à vous donner, & vous ne voulez pas que je les confie à des gens qui pourroient nous ſervir dans un commerce innocent, dont vous ne devriez pas faire un ſi grãd myſtere, puiſque voſtre cœur y prend ſi peu de part, & que le mien s’y trouve le ſeul intereſſé ; & voſtre oncle, tout devot qu’il eſt, n’y pourroit pas trouver à redire : Un homme d’épée l’effarouche, & à moins que d’avoir un petit coller comme luy, & une petite perruque, on ne peut pas aborder voſtre maiſon. Pour moy je ſuis preſque reſolu de faire quelque metamorphoſe ſemblable, d’aller vous voir en ſotanelle, & de prendre un air de Tartuffe pour m’accommoder à ſa viſion. Mais quoy, devriez-vous pas, malgré luy, me faciliter les moyens de vous voir & de vous parler. Je vous avoue que voſtre Eſprit m’a charmé, que j’ay eſté ſurpris d’y trouver tant de ſeu & de delicateſſe. Je ne m’attendois point de rencontrer en Province un Eſprit qui la ſentit ſi peu, qui entraſt ſi bien dans les manieres du monde, ſans l’avoir jamais pratiqué, & à qui le ſeul naturel tint lieu de tout l’art & de toute l’experience des plus conſommez. Je vous parle icy de bonne ſoy & à Cœur ouvert. Jay conceu une ſi haute eſtime pour vous, je vois ſi bien ce que vous valez › que vous devriez ſaire un peu plus de cas de cette eſtine qui vous eſt trop indiſſerente, & qui me menera plus loin que l’eſtime. Encore ſi j’en demeurois là, paſſe ; mais je ſens bien par ce qui m’en coûte dé, a, ce qui m’en pourra coûter un jour. Je me ſuis ſait un plaiſir de vous écrire & de recevoir de vos Lettres qui m’ont charmé, & j’ay creu que la France m’auroit quelque jour de l’obligation d’avoir aidé à cultiver un des plus beaux genies qu’elle eût jamais. Vous m’avez bien fait prolonger le peu de ſejour que je faits ordinairement dans la Province. J’en ſuis party contre ma coûtume, avec un chagrin que je n’ay reſſenty que depuis que je vous connois, & j’y ſuis revenu avec un plaiſir qui ne ſçauroit s’exprimer : J’y ſuis encore à voſtre ſeule conſideration, je n’y ſuis revenu que pour vous, & l’on ſçait bien qu’il y a plus de huit ans que le mois d’Octobre ne m’a point veu à…… Je voudrois pouvoir eſtablir un commerce qui commence à me devenir trop cher. Je ne ſçaurois ſonger ſans frayeur qu’il ſaudra que je vous quite bien-toſt. Je reſve à trouver des biais pour vous eſcrire pendant ne longue abſence. Je ne ſçais ſi vous y voudrez conſentir. À peine vous ay-je veue depuis deux mois que je vous connois, & cependant je me ſens auſſi avancé dans ma paſſion, que ſi je vous avois toûjours veue. Pourquoy faut-il que mes aſſaires m’arrachent d’auprés de vous ? Et pourquoy faut-il que je ſois ſi ſenſible à un depart qui vous intereſſe ſi peu ? Je ne vous en ay guére appris ſur le chapitre de la tendreſſe ; & vous m’en avez trop inſpiré pour mon repos ; de ſorte que je puis dire avec confuſion, que le Maître n’a rien apris à l’Ecoliere, & que l’Ecoliere en a trop apris à ſon Maître. Vous voulez bien que je m’engage, mais vous ne voulez pas vous engager ; Cela eſt-il raiſonnable ? Voulez-vous que je porte ſeul tout le faix d’une tendreſſe pendant un long éloignement, ſans vouloir la partager avec moy. Cependant,

Parlez, expliquez-vous, jeune Iris, mais je tremble.
Lors que je veux ſçavoir avant que de partir
Si nos deux cœurs ſeront d’accord enſemble ;
Ce pas eſt delicat ; & ſi j’en veux ſortir,
Vous m’en ferez peut-être repentir.

Il n’importe, je veux ſçavoir ce que vous penſez là-deſſus, & quel progrez mon amour a fait

juſques icy dans voſtre cœur.

Helas ! que j'ay d'inquiornda
Quand je luy vois ſi peu d'empreſſement
Arépondre aux ſoins d'un Amant,
Veut-il vivre toujours dans ſon ingratitude?

De bonne foy, je ne ſçais le plus ſouvent où j'en ſuis avec vous. Vous m'avez ſait changer tout à fait ma maniere de vivre. J'eſtois fort libertin naturellement, mais je n'ay plus ny cet enjouëment ny cette liberté d'eſprit qui me tenoient autresſois aſſez fidelle compagnie. Je ne ſuis occupé que de vous,je ſuis le monde que j'aimois paſſionnément, je me trouve enſevely depuis quelque temps dans une profonde reſverie où vous n'avez que trop de part, & je n'en ſuis réveillé que par le chagrin que j'ay de vous quitter. J'en ſuis au deſeſpoir, & ce départ m'eſt auſſi ſenſible que ſi j'eſtois tendrement aimé de vous. Je vous prie d'engager voſtre coeur un peu plus que vous ne faites dans une affaire où le mien s'intereſſe ſi fortements mais vous ne vous en ſouciez guere ; vous ne partagez pas avec moy le plaiſir que j'ay de vous voir, & vous me dérobez ces momens qui me ſont ſi chers, & que vous me faites paſſer avec une rapidité inconcevable. À peine quand je vous rencontre, je ſuis un moment avec vous, que vous en ſortez ſouvent avec une inquietude qui me chagrine voſtre pretexte eſt la crainte que vous avez d'être trop long-temps loin de chez vous. Que je m'expoſerois à de bien plus grands chagrins que ceux-là, pour avoir le plaiſir de jouir d'un moment ſi doux. Mais enfin, faites reflection qu'il n'y a rien ſi agreable dans la vie, qu'une

tendreſſe reciproque, ainſi voyez.

Si vous voulez unir nos cœurs & nos ſoupirs
Si vous voulez brûler tous deux des mêmes flâmes,
Enfin ſi vous voulez enſevelir nos ames
Dans les plus tranquilles plaisirs.

Réponſe poſitive, je vous en conjure. Adieu.



RÉPONSE
DE
LA JEUNE IRIS
À
TIMANDRE.

Lettre dix huitiéme.

En verité, je n'avois pas crû juſques icy eſtre tant voſtre redevable. Je ne comptois point voſtre retour de… au nombre de mes debtes ; & s’il falloit l’y mettre, je me trouverois dans l’impuiſſance de m’acquitter, tout mon fonds de reconnoiſſance n’y ſuffiroit pas, & ce ſeroit beaucoup que de l’épuiſer. N’allez pas trop me perſuader que vous l’avez fait à mon intention, vous n’y trouveriez pas voſtre compte, je vais vous expliquer comment. Je m’étois toujours fait une idée agreable de l’Amour ; j’avois crû qu’il n’eſtoit propre qu’à amuſer. & à divertir un coeur, & je ne le croyois pas capable de luy donner des occupations plus ſerieuſes : mais enfin, ſi voſtre amour vous fait revenir exprés de trente lieues pour l’intereſt d’un commerce mal étably, je crois qu’il vous pourroit mener plus loin, & par là je dois me tenir ſur mes gardes, n’ayant pas d’envie d’aller ſi viſte. Quoy ! faire exprés trente lieues ( car je ne ſçaurois en revenir) pour le ſeul intereſt de voſtre tendreſſe ? Cela m’épouvante. Au nom de Dieu, n’ayons, s’il ſe peut, qu’une tendreſſe en peinture, & que noſtre cour ne reſſente point ce que noſtre main barbouillera ſur le papier, puiſque cette tendreſſe dangereuſe mene les gens ſi viſte & ſi loin. Au reſte, ne vous plaignez pas de ce que je ſuis ſi peu avec vous quand je vous rencontre. Vous devez bien juger que j’en ay des raiſons qui me chagrinent peut-eſtre autant que vous, & qui ſont la cauſe de des promptes retraites dont vous vous plaignez. Adieu, n’ayons ſur tout qu’une tendreſſe qui ne nous engage point trop, & dont nous puiſſions nous dégager quãd bon nous ſemblera, puiſqu’il eſt ſi dangereux de reſſentir celle qui mene les gens ſi loin, & dont on a peine à revenir.


REPONSE
DE
TIMANDRE
À LA JEUNE IRIS.

Lettre dix-neuſviéme.

Si vous aviez vou le chagrin où voſtre derniere Lettre m’a mis, vous auriez ſans doute regret de me d’avoir écrire. Je ne ſçais ſi j’auray la force d’y répondre, j’y vois tant d’ingratitude & tant d’indifference, qu’elle devroit rapeller la mienne. Hé quoy ! depuis trois mois d’attachement par la tendreſſe la plus paſſionnée. Voila tout le progrez que j’ay fait dans votre cœur ? Vous me regalez d’une tendreſſe en peinture, quelle eſperance ? Vous doutez meſme que je ſois revenu exprés de…… pour vous voir. Que vous importe, que je faſſe ma premiere affaire de celle de mon cœur, quand ce n’eſt qu’un amuſement pour le voſtre ? comme je vous l’ay déja dit, & que je perde ma tranquillité quãd la vôtre vous demeure toute entiere ? De bonne foy, vous eſtes bien injuſte de me reprocher que ma tendreſſe me mene trop loin, en me faiſant faire trente lieuës. Quel chemin vous a-t-elle fait faire dont vous ayez lieu de vous plaindre, vous ne devez pas eſtre fatiguée d’un ſi grand chemin, puiſqu’elle ne vous a jamais menée que de L… à celle de… où vous avez pris la peine de venir quelquefois, & enfin vous m’avez rendu trente pas pour les trente lieues que je n’ay faites que pour vous. Vous avez raiſon de vouloir prendre du repos après une ſi grande fatigue. En verité, Ma demoiſelle, je ne vous connoiſſois point encore : Je vous pardonne cette tendreſſe en peinture, dont vous outragez une tendreſſe trop veritable, puiſque vous ne connoiſſez pas la force de ces cruelles paroles. Non, vous ne les connoiſſez pas ſans doute avec tout voſtre eſprit, puiſqu’il faudroit que voſtre cœur fuſt auſſi tendre que le mien, pour en ſentir toute l’amertume. He quoy ! faut-il que je vous aye connue ; par quelle fatalité vous ay-je veuë ? Et qui Diable m’a mis entre les mains d’une jeune friponne comme vous, qui ne connoit pas encore tout le mal qu’elle fait, & tout le bien qu’elle pourroit faire ? Pourquoy ſuis-je perſuadé de ce que vous valez en vous aimant ſi tendrement ? Que ne puis-je reprendre mon cœur, & le barbouiller d’indifference, pour répondre à voſtre tendreſſe en peinture ; Je me donnerois de certain airs de fierté, qui tombent en un moment auprés de vous. Quoy ! je me ſentiray brûler tout de bon, j’auray une veritable inquietude, & enfin une belle & bonne tendreſſe pour une Ingrate ? Je crois ma foy qu’il n’en fera rien. Cependant, voyons la derniere reſolution de voſtre cœur, voyons s’il voudra s’engager avec le mien, ou le dégager tout à fait. Je pars dans deux jours, j’attens la réponſe avec impatience, elle fera ma deſtinée. Il n’y a pas un moment à perdre, puiſque de ce moment dépend la perte ou la liberté d’un cœur qui n’a eſté que trop à vous.

TIMANDRE,
À
LA JEUNE IRIS

Lettre vingtième.

Je vous attendis avant-hier où vous m’aviez promis de venir, mais inutilement ; vous m’y fiſtes garder le mulet depuis quatre heures juſques à ſept & demie. Je m’ennuyai horriblement en vous attendant, & cela me chagrina autant que la Lettre que j’ay receue de vous. Je pris l’Hiſtoire de France, j’en lûs quelque choſe, je parlay à baſtons rompus, je ſoûpiray, & enfin je parus dans un ſi furieux chagrin, qu’on ſcent fort bien me le reprocher. Les perſonnes avec qui j’eſtois, bien que fort aimables, ne me pûrent conſoler de vous. Vous m’avez donné un ſi grand dégouſt pour tout le reſte du monde, que j’en ſuis inſupportable à moy-meſine. Je ne ſçais cependant pourquoy je m’intereſſe ſi fort à une entre-veue que vous m’aviez promiſe. Aprés les Lettres que vous m’avez écrites, je devrois vous quitter abſolument : mais helas je vous rencontray hier, & je vis je ne ſçais quoy de ſi tendre & de ſi doux dans vos yeux, qui me faiſoit reparation de la cruauté de vos Lettres, que je ne pûs me deffendre de donner encore dans le paneau. Vous me promiſtes de vous trouver chez… & mon cœur vous promit malgré moy de vous aimer plus que jamais. Mais pourquoi me manquez vous de parole ? Où eſtiez-vous ? Que faiſiez-vous ? Qui vous occupoit ? En quelle Compagnie paſſiez-vous ce temps qui m’eſtoit dû à la veille de mon départ ? Helas ! qu’un peu de tendreſſe effective n’auroit conſolé de la tendreſſe en peinture, dont vous avez renpli vos deux dernieres Lettres. Il eſt vray que voſtre air a quelque choſe d’aſſez tendre, de ſorte que l’on ne ſçait pas trop où l’on en eſt. Prenez le meſme air dans vos Lettres, vous devez adoucir le feu & le brillant de voſtre eſprit par un peu de tendreſſe, & enfin badinez un peu plus ſerieuſement. Laiſſez conduire à voſtre cour les mouvemens de vôtre eſprit : mais ſur tout, apprenez-moy avant mon départ dans quelle ſituation je ſuis chez vous ; j’en ſuis peut-être bien éloigné, cependant quoy qu’il en puiſſe arriver, parlez, dites-moy hardiment un je vous haïs, ſi vous n’oſez pas me dire un je vous aime ; peut-être le premier me ſera-t-il moins funeſte que le ſecond ; qui me coûtera ſans doute tout le repos de ma vie. Réponſe au plutoſt.

LA JEUNE IRIS
À
TIMANDRE.

Lettre vingt-uniéme.

RONDEAU REDOUBLÉ.

Adieu Timandre, adieu partez dés ce moment
Sans attendre l'aveu que voſire cœur deſire.
Quoy! pourroit-on déja vous aimer tendrement;
Et quand on le pourrait, oſerait an le dire.
Quey, je dirais heļas! d'où vien que je ſoupire,
Et quel trouble ſecret m'agite inceſſamment ?
Auriez-vous ſur mon cœur pris un peu trop d'empire ?

Adieu, Timandre, adieu, partez dés ce moment
Si mes yeux indiſcrets parloient de mon tourment,
Ma bouche avec fierté ſçauroit les en dédire,
Voyez ſi vous pouvez m’aimer fidellement,
Sans attendre l’aveu que vostre cœur deſire ;
Un cœur ſeul, dites-vous, ne ſçauroit y suffire,
Deux mois de vains tranſports épuiſent un Amant ;
À peine connoiſt-on ſi l’amour les inſpire,
Quoy ? pourroit-on déja vous aimer tendrement ?
À moins d’un reciproque & tendre engagement,
Vostre cœur rompe ses fers, de luy-meſme il s’en tire ;
Ah ! peuts-on me quitter ainſi facilement,
Et quand on le pourrait, oſeroit-en la dire ?

Timandre, ſongez-y, l’Amour qui tout attire,
Peut m’attirer un jour, mais j’en fais le ſerment,
Que bien loin d’avouer mon amoureux martyre,
Je ſuirois pour jamais ſans dire ſeulement.
Adieu.

Voilà mes ſentimens, Timandre, ſur la declaration que vous exigez de moy ; n’en demandez pas davantage il faudroit neceſſairement que voſtre cœur ſortît d’affaire d’abord que le mien ſeroit en eſtat d’y entrer. Je vous fuirois, ſi je n’avois pas le droit de vous bannir ; ou je vous bannirois, ſi j’en avois le pouvoir. Quel triſte ſuccez d’une belle paſſion ! Et que nous reviendroit-il des débris de noſtre mutuelle tendreſſe. Vous m’admireriez, & je vous plaindrois, ce ſeroit là tout le fruit de cét amour ſi rendre. Croyez-moy, nous pouvons nous admirer l’un & l’autre à moins de frais, Admirez un jeune cœur qui ſçait déja ſe defendre comme s’il avoit eſté attaqué toute ſa vie, qui connoiſt toutes les ruſes de l’Amour, & qui les évite avec addreſſe. Mais auſſi faites en ſorte que j’admire la conſtance de vôtre cœur à ſurmonter toute la dureté du mien. Peut-eſtre ne la gardera-t-il pas long-temps, & qu’il n’aura de la tendreſſe que trop toſt pour ſon repos & pour le vôtre, puiſqu’il en coute preſque autant à un cœur aimé qu’à un cœur amoureux ; ainſi ne deſeſperez pas de le voir un jour au meſme point que le voſtre ; fatiguez à force de ſoins & de tendreſſe, la dureté que vous y trouverez, la perſeverance vient à bout des plus opiniaſtres & des plus rebelles. Alors ne craignez pas l’effet de toutes mes menaces ; & ſans recourir à un aveu qui intereſſe un peu trop noſtre gloire, il y a mille moyens de découvrir une paſſion naiſſante que l’on voit croiſtre avec plaiſir. Si la langue n’oſe rien dire, du moins les yeux parlent dans cette occaſion, un peu de deſordre & d’embarras l’explique avec plus de delicateſſe, qu’un aveu qui nous feroit rougir.

Et ſur tout certaine langueur
De nos cours charmante Interprete,
Mal gré ma ſevere rigueur
Avoüera bien-toſt ma défaite.


RÉPONSE
DE
TIMANDRE
À
LA JEUNE IRIS.

Lettre vingt-deuxiéme.


Voſtre Rondeau redoublé auroit infiniment augmenté l’eſtime que j’ay conceuë de voſtre genie, ſi je n’eſtois d’ailleurs trop convaincu de ſon ſçavoir faire ; & ſi j’avois l’eſprit auſſi libre & auſſi dégagé que vous, j’y aurois répondu ſans doute ; mais les mouvemens de mon cœur étouſfent les lumieres de mon eſprit & il ne m'en reſte encore affez que pour voir que je n'en ay plus au- prés de vous. Tout ce que je puis vous y répondre, c'eft que je vous aime éperduement. Voilà tous mes Rondeaux, tout mon Efprit, & tout mon Merite. Je ne fuis point en eſtat de vous en dire davanta- ge mon amour, mon départ, & mes chagrins, m'occupent fi ten- drement, que je n'ay pas le loifir de refpirer.

Jugez, charmante Iris, de mon tri.
ste embarras,
Apeine à mes foupirs tout mon cœur
peut fuffire,
Comment pourrois-je vous écrire,
Je vous aime, je pars, & vous ne
m'aimez pas.

Que je ferois de jolis Rondeaux, fi j'avois cette tranquillité dont vous joüiffez. Mais enfin prenez un peu de ma tendreffe, & donnez-moy un peu de voſtre eſprit, nous en ſerons un plus agreable temperament. Vous auriez plus de plaiſir que vous n’avez, & j’aurois un peu moins de chagrin ; enſin je vous écrirois de plus jolies Lettres, & vous auriez de plus tendres ſentimens. Cependant vous n’avez que de l’Eſprit, & moy je n’ay que de la Tendreſſe.

Triſte partage, belas ! pour le Cœur d’un Amant >
Quand il eſt ſeul qui s’intereſſe :
Si bien que nous avons dans ce cruel moment,
Vous tout l’Eſprit, moy toute la Tendreſſe.

Cependant je vous aſſeure que vous auriez mille plaiſirs que vous n’avez pas, ſi vous eſtiez plus intereſſée dans cette affaire ; un peu de tendreſſe vous ſeroit paſſer mille chagrins, puiſque ſans l’Amour les plaiſirs meſmes ſont fades

& inſipides.

Oüy, l’Amour vous doit faire envie
Sa douce & charmante langueur
Qui réveille ſi bien un cœur,
Eſt l’unique ſel de la vie.

J’aurois mille jolies choſes à vous dire là-deſſus, mais je n’en ay pas le temps ; & je ne ſuis guére en eſtat de vous écrire des gentilleſſes ; je vous aime, je pars, je ne vous verray plus, j’ignore comme je ſuis dans voſtre cœur, le mien n’eſt occupé que de vous. Que de crainte ! Que d’embarras. Je ne vous verray de long-temps je n’auray plus la douceur de l’eſperer, je ne ſeray plus quinze jours à attendre un moment ſi agreable. Je ne ſentiray plus cette émotion charmante que voſtre abord m’inſpire toujours. Ce trouble ſi doux & ſi ſenſible quand vaus me donnez vos Lettres de vôtre propre main, & que vous recevez mes réponſes de la mienne devant des gens qui ne s’en ap- perçoivent point, & à qui nous en ſaiſons myſtere. Sur tout, ſou- vencz-vous de mon trouble d’hi- er en vous donnant ma Lettre, & en recevant la voſtre. Cela m’é- pargnera la peine de ſaire un Ron- deau pour répondre au vôtre qui eſt admirable ; cependant.

Quand du poids de l’Amour je ſuis ſeul accablé,
Vous n’en estes point accablée,
Mais ma tendreſſe redoublée
Kaut bien un Rondeau redoublé.

Voſtre Proſe eſt tres-delicate ; & ſi j’avois le temps d’y répondre, je vous dirois en deux mots que ſi vous m’aimiez une fois, bien loin de me fuir ou de me bannir, vous me chercheriez par tout comme je vous cherche ; que nous ne ſerions point naufrage au port ; mais que nous y ſurgirions heureuſement : & il n’arriveroit point de débris de noſtre tendreſſe mutuelle, mais une liaiſon plus forte que jamais ; & qu’on pourroit-il arriver de plas, ſi ce n’eſt ce que ’je vous diſois dernierement.

Il en arriveroit mille & mille deſirs,
Il en arriveroit mille & mille tendreſſes,
Il en arriveroit mille & mille careſſes,
Il en arriveroit mille & mille plaiſirs.

Je ne vois pas qu’un pareil naufrage fut fort perilleux. Aprés tout, ſongez que vous perdez bien du plaiſir à vous defendre ſi long-temps ; c’eſt une jolie terre à défricher que voſtre Cœur, mais n’y faites pas naitre de nouvelles Epines ; admirez donc ma tendreſſe & ma fidelité, mais ne les fatiguez pas par une reſiſtance ſi longue.

Sur tout haſtez cette douce langueur

De l’Amour charmante Interprete,
Défaites-vous de certaine rigueur,
Vous aimerez aprés voſtre défaite.


TIMANDRE
À
LA JEUNE IRIS

Lettre vingt-troiſieſme.

Je n’ai point eſté ſurpris d’eſtre oublié de Mademoiſelle… mais j’avois eſperé que vous vous ſouviendriez de la promeſſe que vous m’aviez faite d’envoyer tous les Mecredis à la Poſte prendre les Lettres que je vous addreſſois ſous le nom de Mademoiſelle D… j’en ay écrit deux qui y ſont demeurées long-temps, & que j’ay envoyé retirer de peur qu’elles ne fuſſent perdues. Je me plains fort Page:Bernard-Pradon - Le Commerce galant.djvu/154 Page:Bernard-Pradon - Le Commerce galant.djvu/155 Page:Bernard-Pradon - Le Commerce galant.djvu/156 Page:Bernard-Pradon - Le Commerce galant.djvu/157 Page:Bernard-Pradon - Le Commerce galant.djvu/158 Page:Bernard-Pradon - Le Commerce galant.djvu/159 Page:Bernard-Pradon - Le Commerce galant.djvu/160 Page:Bernard-Pradon - Le Commerce galant.djvu/161 Page:Bernard-Pradon - Le Commerce galant.djvu/162 Page:Bernard-Pradon - Le Commerce galant.djvu/163 Page:Bernard-Pradon - Le Commerce galant.djvu/164 Page:Bernard-Pradon - Le Commerce galant.djvu/165 Page:Bernard-Pradon - Le Commerce galant.djvu/166 Page:Bernard-Pradon - Le Commerce galant.djvu/167 Page:Bernard-Pradon - Le Commerce galant.djvu/168 Page:Bernard-Pradon - Le Commerce galant.djvu/169 Page:Bernard-Pradon - Le Commerce galant.djvu/170 Page:Bernard-Pradon - Le Commerce galant.djvu/171 Page:Bernard-Pradon - Le Commerce galant.djvu/172 Page:Bernard-Pradon - Le Commerce galant.djvu/173 Page:Bernard-Pradon - 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Que ne m’écriviez-vous un mot comme je vous en avois prié ? Je crois que vous avez envie de me la donner, par la peur que vous me faites reſſentir pour les redoublemens de la vôtre. Je vois bien par voſtre derniere, que vous l’attendez encore. Mon Dieu ! que le mal de teſte dont vous vous plaigniez ſe communique dangereuſement à la mienne ! Faut-il que je ſouffre plus que vous à Paris, des maux que vous reſſentez à…

Charmante Iris, vous le ſçavez,
Mon cœur ſouffre pour vous, mille paines ſecretes ;
Mais n’a-t-il point aſſez des maux que vous luy faites,
Sans luy donner encor tous ceux que vous avez ?

Cependant je puis dire que les derniers ſont les ſeuls dont je me plains à préſent, & qui me chagrinent le plus, puis qu’ils attaquent une ſanté qui m’eſt ſi chere. Je n’oſe pas me plaindre des autres. Je pardonne tout à une Malade, pour qui l’on doit avoir de la douceur & de la complaiſance ? mais je ſuis occupé ſi tendrement du ſoin de voſtre ſanté, que je n’entens point parler de fiévre, que je ne frémille depuis les pieds juſqu’à la teſte. Il me ſemble pourrant qu’il faut bien que voſtre fiévre ne ſoit pas fort violente, puis qu’elle vous done le tems de raiſonner ſi délicatement ſur la tendreſſe. Helas, qu’elle vous laiſſe de liberté d’eſprit, & qu’elle n’a pas encore étouffé par ſon ardeur, celle que vous avez à vous défendre contre l’amour ! Je crois que les friſſons qu’elle vous cauſe ſont violens, & que le froid en eſt bien plus, opiniâtre que le chaud. Vos Vers ſur la démmarche que l’on ſait en tendreſſe ſont enchantez ; mais pour y répondre ſur les meſmes rimes ;

Que voſtre cœur, d’aimer forme un juſte deſſein,
Qu’à ſuivre le mien il s’apreſte ;
Quand tous deux ils ſerõt en train,
Je répons qu’en ſi beau chemin
Jamais cœur tendre ne s’arreſte.

Vous voulez que le mien ſe forme un amour durable, qui ſont à l’épreuve du tems & d’une autre tendreſſe. Ah ! ſi vous attendez cõme vous dites, à en faire naiſtre dans voſtre cœur, & à m’aſſurer de voſtre conſtance, quand vous ſerez en ſeureté du coſté de la mienne ; helas ! que vous m’aimeriez bientoſt, & que je ne ſerois pas encore longtems malheureux.

Tout vous aſſure de mon cœur,
Tous vous parle de ma constance,
Six mois d’une injuſte rigueur,
Autant de voſtre indiférence,
Bien loin d’éteindre mon ardeur,
En redoublent la violence.

Pourrois-je pouſſer d’autres vœux ?
Pourrois-je brûler d’autres feux ?
J’ay ſacrifié tout au voſtre,
Et mon cœur a trouvé plus doux,
D’eſtre malheureux prés de vous,
Que d’étre heureux auprés d’ũ autre,

Il me ſemble que voila aſſez les ſentimens d’un cœur véritablemẽt atteint d’une forte paſſion. Mandés-moi un peu ce qui vous en ſemble, & quand vous voudrés l’aſſurer à vôtre tour & de voſtre tendreſſe & même de vôtre conſtance. Adieu. J’attens réponſe au plûtoſt. J’en recevray aparãment à mon autre Lettre. Je crains d’y aprendre que vous ſoyez encore malade. Vous n’avés guére de raiſon de dire que vous eſtes dans une ſtupidité effroyable. Elle ne paroiſt pas dans voſtre Lettre, qui n’eſt que trop pleine d’eſprit ; mais je n’en veux plus de ce caractere. Adieu.

FIN.

Extrait du Privilege du Roy.

Par Grace & Privilege du Roy, donné à Verſailles le 24. Iuillet 1681. Signé, Par le Roy en ſon Conſeil, Gamart : Il eſt permis à ****** de faire imprimer un ouvrage intitulé Lettres de tendreſſe de Timandre à la jeune Iris, & de la jeune Iris à Timandre, en un ou pluſieurs Volumes, par tel Imprimeur qu’il voudra choiſir, durant le tems le ſix années. Pendant lequel tems faiſons deffenſes à toutes Perſonnes de quelque qualité qu’elles ſoient, de les imprimer, faire imprimer, ny vendre, d’autre Edition que celle de l’Expoſant, ou de ceux qui auront droit de luy, à peine d’amende, & de tous dépens, dommages & intereſts, ainſi qu’il eſt porté plus au long eſdites Lettres de Privilege.

Regiſtré ſur le Livre de la Communauté des Libraires & Imprimeurs de Paris le 7. Octobre 1681. Signé, Angot, Sindic.



PERMISSIONS.

Sur la Requiſition de Antoine Perisse Libraire de cette Ville à se qu’il lui ſoit permis de faire imprimer le Livre intitulé, Le Commerce Galant ou Lettres tendres & Galantes, atendu que le Privilege accordé pour ſix années, le 24. Iuillet 1681. eſt expiré, Veu led. Privilege.

Ie conſens pour le Roy à la Permiſſion requiſe. À Lyon le 12. Iuillet 1696.

VAGINAY.

Permis d’imprimer, À Lion, ce 12. Iuillet 1695.

DESEVE.