Au Pays de Rennes/Texte entier
Hyacinthe Caillière, .
PAYS DE RENNES
Dix exemplaires sur papier du Japon, numérotés de un à dix.
Trois cents exemplaires sur papier vélin teinté, numérotés de onze à trois cent dix.
AU
PAYS DE RENNES
par
Adolphe ORAIN
RENNES
HYACINTHE CAILLIÈRE, LIBRAIRE-ÉDITEUR
2, PLACE DU PALAIS, 2
M DCCC XCII
PRÉFACE
La Société Photographique, fondée à Rennes, le 13 Juin 1890, ne ressemble pas à tant d’associations qui, hormis sur leurs papiers où elles grouillent, sont mortes. Elle n’a pas un an d’existence que, bien vivante déjà, elle a tenu à se prouver telle par ses œuvres. Sa première manifestation est aussi heureuse qu’elle fut prompte.
Ses artistes maintenant courent la ville et la campagne, et bientôt, parmi toutes les épreuves rassemblées, les meilleures seront choisies pour illustrer ce livre du Pays de Rennes, que la Société vous a prié d’écrire.
Votre modestie me permettra de vous dire que la Société ne pouvait faire un meilleur choix. Nul, parmi nos compatriotes, ne connaît mieux son Pays et nul ne l’aime davantage. Nul n’en saurait mieux parler.
La photographie n’existait pas encore que vous étiez déjà, tout jeune et avant que la mode vînt du folk-lore et des monographies locales, le Pélerin passionné de notre Pays de Rennes. Vous l’avez exploré dans ses moindres détails et vingt charmantes plaquettes sur les Environs de Rennes, votre Guide du Voyageur, et surtout votre Géographie pittoresque d’Ille-et-Vilaine sont des preuves durables d’une vie entièrement dévouée au culte du Pays Natal.
Ce n’est pas devant vous, certes, qu’on pourrait médire de notre cher Pays, que ses habitants eux-mêmes parfois calomnient, faute de le connaître sans doute.
« Un pays plat, l’Ille-et-Vilaine, point pittoresque, banal, sans lettres, sans sciences, sans industrie ; un pays mort, où l’on s’ennuie, dans les brouillards du ciel et la monotonie de l’existence ; rien à voir, rien à faire. Le touriste y languit et l’habitant y sèche. » Vous avez déjà, cher confrère et ami, répondu d’avance et victorieusement à toutes ces boutades ; ce nouveau livre, qu’illustre le concours des artistes de la Société Photographique, sera comme un nouveau témoignage, avec preuves à l’appui, en faveur de notre beau Pays de Rennes.
Pour moi, je pense souvent que la vie n’y est point si malheureuse ; et j’imagine que le touriste qui fait le projet de s’y arrêter une journée n’est pas à plaindre et n’aura pas perdu son temps.
Je le vois, se réveillant dans l’un de nos hôtels, qui sont maintenant confortables, après avoir savouré un bol de lait crèmeux de Saint-Laurent ou de Saint-Jacques, descendre dans nos rues et parcourir notre ville. Croyez-vous qu’il n’emploiera pas bien sa journée à visiter nos places, nos quais, nos musées, la Bibliothèque, le Palais de Justice, le Thabor et le Jardin des Plantes, le Mail et la Porte Mordelaise, etc. Vos photographies, Messieurs, seront là désormais comme des points de repère pour diriger ses promenades.
Et combien de jours ne faudrait-il pas pour visiter les environs, comme on dit en style de guide. C’est vous, cher confrère et ami, qui serez le Virgile de ces pèlerinages à travers notre Paradis. Vous nous redirez les charmes de vos promenades et nous vous y suivrons reconnaissants.
On nous calomnie, allez ! mais nous ferons des conversions. Que diriez-vous d’un dîner, où nous inviterions un de ces détracteurs de l’Ille-et-Vilaine et où nous aurions rassemblé tant de bonnes choses qui sont les produits de notre pays : huîtres de Cancale, beurre de la Prévalaye, boudins blancs de Rennes, côtes de Présalé, canards sauvages des marais de Redon, petits pois de Paramé, poulardes de Janzé, asperges de Cherrueix, le tout arrosé de quelques bonnes bouteilles de cidre mousseux de Mordelles ; et puis, au dessert, les excellentes pâtisseries de notre ville et quelques beaux fruits du Jardin des Plantes ou de Saint-Vincent ? J’allais oublier nos maingaux, cette crème incomparable, dont on nous envie la mystérieuse recette. Bien des pays de France seraient empêchés d’en fournir autant et notre convive devrait avoir la digestion reconnaissante. Une bonne promenade, au clair de lune, ensuite, le long de ces quais qui partagent notre Rennes en deux quartiers, comme Paris, avec Saint-Germain pour Notre-Dame et le Moulin du Comte pour Trocadéro. Et ne croyez-vous pas que l’incrédule serait déjà fort ébranlé dans ses vieux dédains. Pour en faire le néophyte zélé de notre heureuse vie Rennaise, il suffirait, cher confrère et ami, que, sur sa table, il trouvât, en rentrant au logis, votre beau livre au Pays de Rennes. Vous lui direz l’histoire de nos monuments, de nos institutions ; vous évoquerez pour lui, et pour nous, les souvenirs glorieux de notre vie passée. Bien des traditions se perpétueront grâce à vous, qui êtes un maître dans l’art de sauver ces jolies légendes dont les grâces ont la délicatesse des pastels. Combien n’en avez-vous pas fixé déjà ?
Puisse ce livre, que vous avez écrit avec votre plume savante et amoureuse des choses de l’Ille-et-Vilaine, enrichi des pittoresques illustrations de tant d’artistes, porter très loin la science et l’amour de notre pays.
Bien des Rennais, peut-être, seront tout surpris d’avoir ignoré si longtemps tous ces charmes que vous leur direz si bien. C’est à vous qu’ils devront la joie de pouvoir admirer et faire admirer, autour d’eux, en toute sûreté et sans qu’on les puisse taxer d’hyperbole, la Ville et le Pays que nous, les vieux Rennais, même dans notre ignorance, nous trouverions encore les plus beaux du monde, pour cette triomphante raison que là fut notre berceau, que là est notre foyer et que là sera notre tombe.
Au Pays de Rennes
Notre intention n’est pas de recommencer dans cet ouvrage l’histoire de notre ville que nous avons publiée dans la Géographie pittoresque du département d’Ille-et-Vilaine, et dans différents Guides sur Rennes.
Ce que nous comptions faire ici, c’est une promenade à travers nos places, nos rues, nos vieilles paroisses. Nous décrirons les monuments quand nous les rencontrerons, nous dirons ce qu’ils étaient jadis et ce qu’ils sont aujourd’hui.
Nous devons à l’obligeance d’un savant modeste de notre ville la communication de notes intéressantes et surtout précises sur Rennes, notes prises un peu partout et principalement dans le remarquable Pouillé historique de M. l’abbé Guillotin de Corson, et dans les travaux non moins remarquables de M. de la Bigne-Villeneuve.
Nous donnerons ces notes — recherches de longues années — quand nous aurons occasion de les citer, à bâtons rompus, sans méthode, quand nous trouverons sur notre route un édifice ou une rue digne d’appeler l’attention de nos lecteurs.
Nous n’oublierons pas non plus les récits des temps passés, les légendes de nos pères qui souvent en disent plus long que bien des descriptions savantes.
Enfin nous parcourrons l’arrondissement de Rennes et nous ferons en sorte de décrire dans chaque canton les curiosités qui s’y trouvent.
Et pour commencer nous dirigeons nos pas vers :
La place de l’Hôtel de Ville
L’Hôtel de Ville, que nous avons à notre droite en descendant la place, date seulement de 1734.
Les nobles et les bourgeois de Rennes constituaient autrefois une assemblée qui, plus tard, devint le corps de ville. Il ne se réunissaient d’abord qu’accidentellement pour prendre quelques délibérations soumises à leur libre arbitre par le souverain.
Les assemblées se tenaient ordinairement chez le capitaine ou le gouverneur dans la Porte-Mordelaise au lieu dit : la Garde robe de la ville. Quelquefois, dans des occasions solennelles, ces réunions eurent lieu dans l’église Saint-Pierre, dans celle des Cordeliers et même dans la Chapelle Saint-Yves.
En 1482, les nobles bourgeois firent l’acquisition pour loger les écoles d’une maison située entre la Porte-Mordelaise et la Chapelle de Notre-Dame de la Cité. Plus tard, vers 1547, la ville de Rennes ayant été érigée en échevinage, la maison des Écoles devint la maison commune. On s’occupa de son agrandissement et de son embellissement, et pour en faciliter les abords, la ville acheta divers immeubles situés en face du cimetière de l’église cathédrale, ce qui permit de créer la petite place Saint-Pierre et de faire une terrasse avec plate-forme en avant de la maison de ville.
En 1694, le vieil hôtel tombait en ruines ; il fut reconstruit en partie et orné d’une grille de fer dont les matériaux provinrent des herses du pont Saint-Yves et du pont Saint-Georges.
Après l’incendie de 1720, l’Hôtel de Ville devenu insuffisant fut cédé aux États de Bretagne pour y loger, pendant les tenues, le Président de l’ordre de la noblesse.
De 1761 à 1790, l’ancien Hôtel de Ville fut occupé par la commission intermédiaire des États.
Plus tard, le 28 Pluviose an VI, le gouvernement y installa l’École d’Artillerie et le logement particulier du général commandant cette école. Depuis lors ce bâtiment n’a pas changé de destination.
La première pierre du nouvel Hôtel de Ville projeté par l’architecte Gabriel fut posée le 12 Avril 1734 par le comte de Volvire, chargé de représenter le comte de Toulouse Gouverneur général de Rennes. Les travaux ne furent terminés qu’en 1743.
La façade de cet édifice est d’un style pur et gracieux. Le milieu forme un fer à cheval dont les deux extrémités ressortent en larges pavillons. Celui du sud où l’on pénètre par un vestibule décoré de quatre colonnes monolithes en marbre de Saint-Berthevin est occupé par les bureaux de la mairie. Une vaste salle qui prend toute la façade Est de ce pavillon est destinée aux fêtes publiques. Elle fut décorée en 1858 à l’occasion du voyage de l’Empereur Napoléon III. On y voit les armes des principales villes de Bretagne.
Un conseiller municipal a demandé dernièrement que cette salle soit restaurée pour recevoir le Président de la République, M. Carnot, qui a promis de venir à Rennes.
Le pavillon Nord contient la bibliothèque publique, les bureaux du commissariat de la police et les divers services dépendant de la mairie. Il avait été construit pour servir de siège à l’un des quatre présidiaux de Bretagne (les autres à Nantes, à Vannes et à Kemper). Les présidiaux étaient des juridictions royales supérieures, tribunaux d’appel des bailliages et sénéchaussées sous l’autorité souveraine des Parlements.
Au milieu se trouve la tour de l’horloge publique. Cette tour qui porte une girouette à son sommet, était autrefois surmontée d’une grande fleur de lys à quatre faces qui fut remplacée par le bonnet phrygien à l’époque de la Révolution et par un aigle sous le premier empire.
Dans la partie inférieure de la tour est une niche dans laquelle s’élevait avant 1789 une statue pédestre en bronze du roi Louis XV. À gauche et à droite étaient deux autres statues : l’une représentant la Santé, l’autre la Bretagne.
La statue de Louis XV fut érigée pour célébrer le rétablissement du roi tombé gravement malade à Metz, au moment où il allait prendre le commandement de l’armée en 1744. L’allégresse fut alors universelle dans toute la France, et de nombreuses statues commémoratives s’élevèrent notamment à Reims et à Bourges.
Il serait à désirer qu’on plaçât dans la niche vide une statue quelconque, la Bretagne par exemple, que l’on pourrait accompagner de Duguesclin et de Richemont. C’est un vœu qui a été exprimé par M. de la Borderie.
Le Présidial, au Nord, a appartenu au département, qui le céda à la ville en échange de la partie du Palais de Justice qui avait été affectée à l’École de droit et dont un décret impérial attribuait la propriété à la ville.
C’est au premier étage du Présidial que se trouve la Bibliothèque publique.
Le premier fonds de cette bibliothèque fut constitué par celle que l’Ordre des avocats au Parlement de Bretagne avait créée le 21 Mai 1733, pour l’usage particulier de ses membres et qu’un arrêt du Conseil du Roi, en date du 20 juin 1758, leur avait permis d’installer à l’étage d’attique de l’hôtel neuf du Présidial.
La bibliothèque des avocats, tombée dans le domaine public en 1790, par suite de la suppression de l’Ordre, resta dans son ancien local, qu’elle occupe encore aujourd’hui. Elle s’y accrut, en 1803, de riches collections de livres provenant des établissements religieux supprimés par la Révolution. Le dépôt unique ainsi formé au chef-lieu du district, en exécution du décret du 8 pluviôse an II, comptait 14,000 volumes. Il en renferme actuellement plus de 50,000 dont 221 manuscrits.
On remarque parmi ces derniers une belle collection de livres d’heures, principalement des XIVe et XVe siècles, enrichis de miniatures, d’ornements en couleurs, et dont l’un fut la propriété et porte les armes de Françoise de Dinan, dame de Châteaubriant, comtesse de Laval (no 26 du catalogue).
À côté de ces produits de l’art national, un psautier exécuté au XVe siècle pour une princesse de la maison d’York (no 8 du catalogue), offre un curieux spécimen du travail des enlumineurs anglais à cette époque. On peut encore citer, entre bien d’autres manuscrits d’une exécution vraiment artistique, une traduction française du Traité du Gouvernement des Princes, de Gilles de Rome (no 116). Ce superbe in-folio de 311 feuillets fit d’abord partie de la bibliothèque du célèbre bibliophile flamand du XVe siècle, Jean de Bruges, seigneur de la Gruthuyre, dont la devise : « Plus est en vous, » se lit dans les encadrements de toutes les pages enrichies de miniatures.
Les vitrines de la bibliothèque offrent aussi à l’attention des curieux, outre d’intéressants échantillons de reliures artistiques, une précieuse collection de volumes incunables (1465-1500) sortis des presses les plus célèbres de France et d’Italie.
La salle de lecture, l’une des plus vastes et des plus confortables de province, est décorée des portraits des fondateurs de cette bibliothèque : le Procureur Général de la Chalotais, le comte de Miniac et le conseiller Robin d’Estréans.
La grosse horloge, — que le bon public Rennais appelle le Gros, — a elle aussi son histoire qui ne manque pas d’un certain intérêt.
Vers le milieu du XVe siècle, les habitants de Rennes formèrent le projet de se procurer une horloge publique et choisirent pour l’établir une tour de la ville située derrière la chapelle Saint-James, non loin de la porte Jacquet, et devenue inutile par suite des derniers accroissements de la cité.
Le duc de Bretagne, François II, voulut que cette horloge fût une des belles de son temps, et recommanda aux habitants de ne rien épargner pour la rendre parfaite. La fonte de la cloche dont le marché avait été passé le 17 janvier 1468 se fit, sans succès, à trois reprises différentes sur l’emplacement actuel de la fontaine du Champ-Jacquet. Elle ne réussit que la quatrième fois, en 1470, où l’opération eut lieu sur la place Saint-François. On y employa 39,263 livres de cuivre et 437 livres d’étain.
Elle fut nommée Françoise du nom de François II.
La tour Saint-James fut décorée d’une statue de Saint-Michel terrassant le diable.
En 1564 la cloche de l’horloge se fendit, et en 1565 il fallut la scier ; elle servit ainsi jusqu’en 1720, époque à laquelle elle fut fondue par l’incendie qui consuma une partie de la ville. On recueillit 29,982 livres de métal provenant des débris de la grosse cloche Françoise.
Sur la demande des habitants de Rennes on s’occupa du rétablissement de l’horloge qui fit partie du projet dressé par Gabriel pour la construction du nouvel Hôtel de Ville.
Dans la séance du 9 Août 1731, le maire présenta à la compagnie les dispositions projetées pour cette horloge, savoir : « que le timbre placé au milieu de la lanterne est marqué de six pieds dix pouces de diamètre, et les apeaux au nombre de douze dans l’intérieur du pourtour composant une octave et demye de ton suivant les règles du diapazon depuis l’ut embas jusqu’au sol faisant la quinte au dessus de l’octave. »
L’Intendant de Bretagne ayant approuvé la délibération du 9 août 1731, la communauté passa marché le 24 du même mois avec les sieurs Chauchard et Brochard, s’engageant à fournir à ces fondeurs le métal rendu à pied d’œuvre, et à leur payer une somme de 5000 livres.
La cloche et ses douze appeaux furent fondus dans l’enclos des Bénédictins de Saint-Melaine, y restèrent jusqu’au lundi 15 Mars 1745, et ne furent définitivement mis en place que le 26 Avril suivant.
Les écussons ornant la grosse cloche comprenaient : les armes du roi, du comte de Toulouse amiral de France et gouverneur de Bretagne, du maréchal d’Estrées commandant général pour le roi en Bretagne, du comte de Chateaurenault, de M. de la Tour des Gallays, intendant de Bretagne, du comte de Volvire, lieutenant du roi pour les quatre évêchés de Bretagne, du marquis de Pézé, gouverneur de Rennes, du marquis de Montataire, gouverneur de la province, et enfin de M. Rallier du Baty, maire de Rennes.
L’horloge actuelle est de 1845.
On lit sur une plaque en cuivre placée sur l’entourage du mécanisme :
« Cette horloge, œuvre de M. Gourdin, ingénieur mécanicien à Mayet (Sarthe) a été placée dans la tour de l’Hôtel de Ville sous l’administration de M. Emmanuel Pongérard, maire, MM. Eon-Duval, Guibert, Lautier adjoints, le 1er Octobre 1845. »
Le beffroi de la tour de l’horloge de Rennes a été restauré dans ces dernières années sur les dessins de M. Martenot, architecte de la ville.
Des événements divers et des scènes gaies ou tragiques se sont accomplis sur cette place qui s’est appelée place Neuve, place Royale, place d’Armes, place Le Chapelier, place Marat, place Napoléon, place Impériale et aujourd’hui place de la Mairie ou de l’Hôtel de Ville.
À l’endroit où a été construit le théâtre était autrefois une seconde place qui, en 1765, prit le nom de place Flesselles, puis place du Peuple et lorsqu’elle fut plantée place aux Arbres.
Ce qui reste de cette place s’appela après la construction du Théâtre, place du Théâtre, mais de nos jours on la nomme comme
sa voisine, place de la Mairie ou de l’Hôtel de Ville.Le 16 Août 1769 pour célébrer le retour du Parlement disgracié depuis 1765, on offrit à la duchesse de Duras, femme du commandant de la province, une fête superbe, accompagnée de réjouissances publiques.
Devant l’Hôtel de Ville, les danses, les distributions de vin, les illuminations, les feux d’artifice durèrent jusqu’au jour. Les branles, les gavottes, les galopées, les courantes, les danses champêtres se succédèrent sans interruption.
La guillotine fut dressée pour la première fois sur la place de la Mairie, le 29 Octobre 1792, pour l’exécution de Charles Eliot et de René Malœuvre condamnés la veille à la peine de mort pour conspiration monarchique et tentative d’embauchage de soldats.
L’émotion fut profonde dans la ville où Eliot inspirait les plus vives sympathies ; les femmes surtout s’apitoyaient sur son sort et sur celui de ses enfants. Quand les condamnés parurent, marchant d’un pas ferme, les cris de grâce ! grâce ! s’élevèrent de toutes parts.
Eliot gravit le premier les sinistres degrés : « Adieu, dit-il, citoyens de Rennes. Que j’aie le plaisir de crier une dernière fois avec vous : Vive la Nation ! »
Sa tête tomba aussitôt et Malœuvre monta à son tour sur l’échafaud.
Un employé de la municipalité s’amusa à graver avec un clou le dessin de la guillotine sur le chambranle d’une fenêtre de la Mairie. On peut encore voir aujourd’hui ce dessin à la fenêtre du bureau de la comptabilité.
Leperdit, navré d’avoir, chaque jour, sous les yeux l’affreux spectacle des exécutions et de voir le sang des suppliciés former des mares devant la Mairie, s’en alla trouver Carrier pour lui dire que l’échafaud serait mieux sur la place de l’Égalité (place du Palais), dressé au-dessus d’un soupirail dans lequel le sang pourrait couler et disparaître.
Il obtint ce qu’il désirait.
En 1794, on vit apparaître sur les marches de l’Hôtel de Ville le citoyen Leperdit, maire de Rennes, voulant calmer la populace demandant du pain.
Des misérables lui lancèrent des pierres dont l’une l’atteignit au front.
« Mes amis », dit Leperdit, en souriant, « je ne puis malheureusement, comme le Christ, changer ces pierres en pain. Quant à mon sang, je vous le donnerais avec joie jusqu’à la dernière goutte, s’il pouvait vous nourrir. »
À ces mots sublimes la foule, regrettant ce qu’elle a fait, pleure,
baise les mains du maire et le porte en triomphe jusque chez lui.Plus tard, dans sa vieillesse, quand il fut oublié et abandonné de tous, l’ancien maire Leperdit allait s’asseoir au soleil sur l’un des bancs de la place aux arbres. « Que de fois l’ai-je vu », dit Souvestre, « les yeux tournés vers ce grand édifice du Présidial, où il avait siégé aux plus terribles jours de la Révolution ! ah ! sans doute, qu’en contemplant le théâtre de tant de nobles angoisses, de généreuses espérances et de sublimes dévouements, d’amères pensées descendaient dans son âme ! sans doute qu’il se demanda plus d’une fois à quoi avaient servi tant d’efforts ! »
Le 14 juillet 1831, un arbre de la liberté fut planté sur la place d’armes en commémoration de la prise de la Bastille.
En 1858, quand l’Empereur Napoléon III et l’Impératrice Eugénie parurent au balcon de la salle des fêtes de l’Hôtel de Ville ils furent acclamés par la foule assemblée sur la place de la Mairie.
Enfin le dimanche 24 Mai 1891, on a vu le cortège de la première rosière de Rennes sortir de la Mairie, pour aller à l’église Notre-Dame entendre une messe en musique célébrée à l’occasion
de cette cérémonie.En face de l’Hôtel de ville, sur l’ancienne place plantée d’arbres s’élève notre théâtre qui rappelle des faits curieux que nous ne pouvons passer sous silence.
Le théâtre ne fut longtemps à Rennes, qu’une entreprise particulière. Des troupes de comédiens obtenaient la permission de jouer, mais cette permission accordée d’abord par la communauté devait être ratifiée par le Parlement et le Gouverneur.
Les écoles s’étaient aussi attribué le droit d’autorisation, et nulle troupe ne pouvait débuter à Rennes si préalablement les premiers rôles n’allaient humblement rendre visite au prévôt de l’école de droit.
La corporation des étudiants avait d’ailleurs droit, pour chaque représentation, à un certain nombre de places gratuites dont le prévôt, chef élu des étudiants, faisait l’équitable répartition entre les amateurs qui s’étaient fait inscrire sur un registre ad hoc. Les étudiants d’aujourd’hui ne se plaindraient sans doute pas du rétablissement de l’ancien usage.
Il résulte des actes de l’état civil que la troupe des comédiens de Molière a passé ou séjourné en notre ville à diverses reprises.
Le théâtre se tint quelque temps dans le vieux jeu de Paume établi rue Baudrairie et qui a été détruit lors de la construction des maisons de la rue Coëtquen.
Après la Révolution des entrepreneurs particuliers firent construire une salle spéciale rue Fracassière, actuellement rue de la Poulaillerie, au lieu dit : Le Petit Trianon, local jadis consacré aux serres du jardin de M. de Robien. Ils obtinrent l’autorisation d’ouvrir une sortie avec allée sur le champ-Jacquet. Cette salle servit aux représentations théâtrales jusqu’en 1835, et est occupée en partie présentement par le café du Sport.
Après la Révolution de 1830, le conseil municipal de Rennes décida qu’une salle de spectacle serait construite aux frais de la ville, sur la place aux Arbres.
Les travaux commencés en 1831, ne furent terminés qu’en 1835. On joua pour la première fois deux opéras comiques : La Dame Blanche et Maison à Vendre. Cette dernière pièce était l’œuvre d’un Rennais, l’académicien Alexandre Duval.
Un incendie qui éclata le 20 Février 1856, après une représentation des Pilules du Diable, détruisit complètement le théâtre de Rennes.
Ce monument reconstruit d’après les plans primitifs dressés par l’architecte Millardet, offre un luxe d’escaliers et de péristyles qui n’est point en rapport avec la salle de spectacle. Celle-ci, bien qu’elle ait été l’objet d’intelligentes restaurations laisse beaucoup à désirer.
La façade du théâtre, en forme d’hémicycle, est couronnée des statues d’Apollon et des neuf Muses, œuvre du sculpteur Lanno.
Au-dessous du théâtre est une galerie qui porte le nom de Galeries Méret, mais qu’on appelle plus communément à Rennes : « Les Arcades ».
Elle sert de promenade aux étudiants et les jours de pluie à tous les vieux rentiers. On y voit d’ailleurs de superbes magasins et de beaux cafés.
Des galeries Méret, on débouche sur la place du Palais, qui a eu comme la place de l’Hôtel de Ville ses fêtes et ses horreurs.
PLACE DU PALAIS
Le Palais-de-Justice occupe la partie Nord de cette place.
Un jeune avocat, dont nous aurons l’occasion de citer le nom tout-à-l’heure, écrivait dernièrement : « Outre les souvenirs historiques qu’il réveille, le Palais-de-justice est bien ce que Rennes possède de plus remarquable ».
Et, en effet, le vieux Parlement de Bretagne est le monument qui frappe le plus les étrangers de passage en notre ville.
Commencé en 1618, il ne fut terminé qu’en 1654. À cette époque, le Parlement, qui siégeait aux Cordeliers, y fit son entrée le 11 janvier 1655. Les États, qui se réunissaient également dans la salle des Cordeliers, y restèrent, car le Palais fut exclusivement réservé aux séances du Parlement.
Cet édifice n’a qu’un étage ; son architecture toscane est aussi sévère que majestueuse. Il est encadré par une vaste place formée de constructions du même style. Sa façade a 48 mètres de longueur.
Jacques Desbrosses en avait fait les dessins, mais l’exécution en fut confiée à l’architecte Courmeau, qui nécessairement y apporta quelques modifications. Toutefois la façade a été religieusement exécutée sur les dessins de Desbrosses.
Avant l’incendie de 1720, on montait au Palais par un grand perron extérieur, auquel répondait la principale porte-fenêtre de la grande salle dite aujourd’hui des Pas-Perdus, et à cette époque Salle des Procureurs. Après l’incendie cet escalier fut placé intérieurement ; il est monumental mais malheureusement de style Louis XIV au milieu de constructions Louis XIII.
En 1789 la façade du Palais, ainsi que les décorations de quelques salles, subirent des mutilations barbares. Des artistes habiles les ont réparées.
Devant le Palais se dressent quatre statues. Celle placée à l’Est représente Toullier assis. Ce grand jurisconsulte fut l’une des gloires de notre école de droit. Sa statue est de Gourdel, de Châteaugiron, qui avait obtenu à Paris le grand prix de l’École des Beaux-Arts.
À l’Ouest c’est le Sénéchal d’Argentré, célèbre historien et l’un des premiers commentateurs de la coutume de Bretagne. Cette œuvre est due au ciseau du sculpteur Lanno, un Rennais, qui, en 1824, obtint le grand prix de Rome.
La statue debout, à l’est, représente Gerbier, d’abord avocat au Parlement de Bretagne et qui, plus tard, conquit à Paris le surnom de l’Aigle du barreau. Ce fut à l’occasion d’un procès célébre dans lequel l’abbé de Clairveaux fut condamné à payer 120 000 livres de dommages-intérêts à une veuve dont le mari avait été séquestré arbitrairement. Cette statue est de Molchnet dont les débuts à Nantes eurent un très grand succès.
Enfin la quatrième statue représente La Chalotais faisant pendant à Gerbier. L’illustre procureur général, ne pouvait être oublié dans la décoration du palais de l’ancien Parlement dont il avait été l’une des gloires. Sa statue est l’œuvre de Suc, un artiste Nantais.
Les sommes versées par la ville de Rennes pour l’érection de ce monument s’élevèrent à 2.350.000 livres environ, sans compter les charrois, qui furent presque tous faits par corvées ; aussi le Palais de Justice est non seulement un splendide édifice, mais son intérieur est décoré avec un luxe inouï : Partout l’or recouvre les sculptures fouillées dans le chêne, et les plus riches peintures ornent les lambris.
On ne peut qu’admirer les vastes dimensions de la salle des Pas-Perdus et les sept grandes fenêtres qui l’éclairent. La porte principale, qui remonte à 1726, est décorée de belles boiseries et d’un bas-relief représentant la Force et la justice. Au-dessus est la Religion, œuvre consciencieuse du sculpteur Barré.
Salle du palais de justice (Cabinet du 1er président)
Les autres salles ont été décorées par Jouvenet, Coypel, Erard et Ferdinand.
Jouvenet a peint la Religion tenant d’une main un calice et de l’autre le feu divin ; la Justice, appuyée sur la Religion tient la balance et la main de justice. À droite de la Religion sont l’Autorité et la Vérité ; à sa gauche sont la Raison et l’Éloquence. Au-dessous de la Raison, des Génies publient les décrets de la Justice. Au bas du tableau, la Force, par ordre de la Justice, chasse l’Impiété, la Discorde, la Fourberie et l’Ignorance. La Fourberie tient à la main le masque qui lui a été arraché ; sa figure est affreuse. Après cela, des ovales représentant l’Étude, les Connaissances, l’Équité et la Piété.
Coypel, dans une autre chambre a peint la Religion tenant ouvert le livre de loi, et de la main droite montrant la Force. Au-dessous la Justice, l’Injustice, la Fourberie et le Plaideur de bonne foi. Les ovales représentent la Vérité, la Religion, Pomone et la Loi.
Le plafond de la grande chambre, également de Coypel, mérite de fixer l’attention. Au centre est un énorme tableau au sommet duquel est la Justice, représentée par une femme assise sur un trône ; près d’elle est un génie portant un glaive et sa balance. La Justice tend la main gauche à une femme qui, vêtue de blanc, représente l’Innocence. À droite, la Force s’appuie sur un lion ; à gauche, la Sagesse, sous la figure de Minerve, chasse les mauvaises passions. Aux quatre coins de la salle sont quatre ovales : la Justice, la Fraude, la Sincérité, la Foi des Serments.
Toutes ces peintures sont autant de chefs-d’œuvre.
Celles de Ferdinand (1706) sont bien conservées, mais ne peuvent être comparées aux autres.
Quant aux peintures d’Erard, qui datent de 1670, elles ont été restaurées par les pinceaux habiles de MM. Gosse, Boudet et Pourchet, et peuvent prendre rang à côté des œuvres de Coypel et de Jouvenet. C’est un plafond composé de cinq tableaux et représentant la Justice, la Renommée, la Foi, l’Espérance, la Charité, la Paix, l’Eloquence, la Clémence et l’Histoire.
Enfin la Cour d’assises, d’une décoration extrêmement sévère, est sans dorures ni peintures, et consiste uniquement en sculptures sur bois du plus grand style. Les caissons du plafond étaient sans doute destinés à recevoir des fresques ou des tableaux. Au fond de la salle était autrefois le beau Christ de Jouvenet. Mais un condamné ayant lancé son sabot à la tête du Président et crevé la toile, le tableau habilement restauré a été placé dans la première chambre, et remplacé aux assises par une copie. Aujourd’hui les prévenus sont invités à laisser leurs sabots à la porte.
Le rez-de-chaussée du Palais occupé par le tribunal civil et le tribunal de commerce, voûté comme un cloître, a un aspect lugubre qui contraste avec la rutilante somptuosité du premier étage ; c’est qu’à l’origine ce rez-de-chaussée était destiné à servir de prison. L’entrée du Palais se trouvant au premier étage, on descendait dans les prisons par des escaliers intérieurs.
C’est dans une chapelle, qui se trouve à l’intérieur du Palais, que se célèbre tous les ans la messe du Saint-Esprit.
De grandes réparations viennent d’être faites par M. Laloy, architecte des bâtiments de l’Etat, et M. d’Haucour, avocat du barreau de Rennes, en parle en ces termes :
« La restauration du Palais n’était pas une mince besogne. Indépendamment des aménagements intérieurs fort importants, il ne s’agissait, comme on le sait, de rien moins que de changer toute la charpente des combles et de refaire les toitures en entier ; et tout cela sans interrompre le cours de la justice.
« Tel qu’il est aujourd’hui, notre Palais a vraiment grande mine, avec ses larges façades surmontées de toits majestueux, ses hautes et vastes salles aux plafonds chargés de dorures, encadrant des caissons peints par des artistes tels que Coypel et Jouvenet. On a eu le bon goût de laisser les choses en leur état primitif, en sorte que les fleurs de lys fraternisent sur les lambris avec les abeilles impériales et le monogramme de Louis-Philippe. Sur les voûtes, les armes de France et de Bretagne accolées rappellent l’Union librement consentie de 1532, par laquelle les Bretons, abdiquant leur indépendance en réservant leurs franchises, devinrent pour jamais les fils dévoués et les fermes soutiens de la patrie française.
« Lorsqu’aux jours des audiences solennelles la grand’chambre ouvre à deux battants ses portes massives, et que sur les tapisseries tendues le long des murailles se détachent les robes noires des avocats et les robes rouges des conseillers avec, au fond, les présidents aux toges fourrées d’hermine, on se croirait reporté à deux siècles en arrière, aux beaux jours de ce Parlement de Bretagne qui défendit si vaillamment jusqu’à la fin la cause des libertés bretonnes.
« En cette logette dorée qui surplombe dans un angle de la salle, on s’attend à voir apparaître Mme de Sévigné, venant ouïr quelque mémoire de son cousin Montmoron, ou bien encore quel que rapport sur les Réformations de noblesse, élaboré par le conseiller Des Cartes.
« C’est sur ce banc tendu de velours que le procureur-général de La Chalotais fulminait ses réquisitoires ; et, dans une vision évocatrice du passé, le rêveur l’aperçoit, la tête haute, et d’un geste fougueux scandant ses mercuriales éloquentes, tel que le représente la statue érigée à la porte d’entrée du Palais.
« S’il nous était permis de formuler un vœu, nous souhaiterions de voir rétablir au faîte des toitures le couronnement de plomb aux aiguilles dentelées qui l’ornait autrefois, comme on le peut voir dans les estampes anciennes. L’édifice y gagnerait plus d’élégance et de légèreté. »
Par arrêté du Ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts en date du 17 janvier 1884, le Palais de Justice de Rennes a été classé parmi les monuments historiques.
Ce Palais − nous avons oublié de le dire − occupe la place de l’ancien cimetière des Cordeliers.
Le couvent de ces derniers, fondé à Rennes vers 1230, leur fut donné par les ducs de Bretagne. C’était un ancien hospice connu sous le nom d’Hopital Saint-Jacques et qui, d’après la tradition, était destiné dans l’origine à servir d’asile aux pèlerins qui se rendaient à Saint-Jacques de Compostelle.
Cet établissement acquit une grande importance vers le XVIe siècle par les rapports qui existèrent entre le Parlement de Bretagne et les Cordeliers. Le Parlement créé en 1553 tint ses premières séances dans les salles de Saint-François, et y demeura jusqu’au 11 janvier 1655, époque à laquelle il prit possession du Palais.
Les États de Bretagne se réunissaient à Rennes dans le réfectoire des Cordeliers, et ce fut là, qu’en 1789, ils tinrent leur dernière séance. Il existe au Musée une curieuse gravure représentant une tenue des États dans la salle des Cordeliers.
Le couvent occupait le terrain compris entre la rue Saint-François et la rue Louis-Philippe ; celle-ci a été tracée sur l’emplacement d’une partie de l’église conventuelle.
Cette église était située au midi des bâtiments claustraux et avait sa façade occidentale sur le placis Saint-François qui fait partie maintenant de la place du Palais.
Au bas de la nef de l’église, une porte pratiquée vers l’angle septentrional donnait accès dans une petite chapelle accolée à l’église et fondée par les seigneurs de Laval.
En 1576, Guy, comte de Laval et vicomte de Rennes, afféagea cette chapelle avec tous ses droits de prééminences d’enfeu et d’armoiries à Bertrand d’Argentré, Sénéchal de Rennes, qui y fut inhumé.
Pendant la Révolution, le couvent des Cordeliers servit de logement à la troupe, et la vaste salle des États y devint le siège des clubs révolutionnaires.
L’église des Cordeliers fut abattue en 1829 pour le percé de la rue Charles X qui prit plus tard le nom de rue Louis-Philippe et qu’on appelle aujourd’hui rue Victor-Hugo. Cette rue coupa l’église dans son axe.
Quant aux autres bâtiments conventuels, ils furent en partie détruits, en partie adaptés à de nouvelles constructions. Il ne reste plus aucune trace du cloître, mais quelques colonnes de granit qui en proviennent sont déposées au Musée archéologique.
Le premier programme révolutionnaire partit de Rennes.
Dès le 22 décembre 1788, le Tiers-Etat avait formulé des plaintes contre la noblesse et demandé l’abolition des lettres de cachet, la suppression des prisons d’État, l’affranchissement des serfs et la liberté illimitée de la presse.
Des idées de liberté fermentaient dans toutes les têtes.
Le café de l’Union, sur la place du Palais, était le rendez-vous de la jeunesse des écoles. Au milieu de la fumée de tabac se groupaient autour des tables des jeunes gens à l’âme ardente, au cœur chaud, à l’œil brillant qui discutaient avec chaleur.
Bernadotte était là qui, du talon de sa botte, voulait écraser le dernier des hobereaux. Il ne songeait pas alors à devenir roi de Suède.
Moreau, le futur général de la République, était prévôt de l’Ecole de droit et exerçait une influence très grande sur les étudiants et les bourgeois.
Volney, l’auteur des Ruines, plus âgé que les autres, était le principal orateur de la bande. Il publia quelque temps après, à Rennes, un journal intitulé « La Sentinelle du Peuple » qu’il imprimait clandestinement dans les caves du château de Maurepas, faubourg de Fougères.
Omnes-Omnibus, un autre étudiant fut député près de la jeunesse nantaise pour aller chercher du secours après les combats qui eurent lieu, dans les rues, entre les jeunes gens et les nobles.
Plus de 400 Nantais revinrent avec lui et avaient déjà dépassé Bain quand ils apprirent que la paix était faite. Ils continuèrent leur route cependant, mais entrèrent à Rennes sans armes.
Pendant les excès de la Révolution, Rennes se conduisit avec sagesse : elle envoya sa fougueuse jeunesse défendre les frontières et fournit des bataillons d’élite aux armées républicaines.
En 1793, lorsque la guillotine fut transférée de la place de l’Hôtel-de-Ville sur la place du Palais, les exécutions eurent lieu sans interruption. Les malheureux condamnés, les mains attachées derrière le dos, étaient amenés au pied de l’échafaud comme des moutons que l’on conduit à l’abattoir. Emigrés, suspects, prêtres, religieuses, réfractaires et chouans arrivaient à la suite les uns des autres. Leur nombre était considérable, puisque l’histoire nous apprend que 377 têtes tombèrent dans l’espace de vendémiaire an II à thermidor (chûte de Robespierre).
Par suite d’une contestation entre le citoyen chargé des sépultures et ses aides, les corps des suppliciés restèrent nus quatre jours entiers au pied de la guillotine (Reg. des délibérations du 25 ventôse an II).
Au mois de mars 1793 le tribunal criminel du département d’Ille-et-Villaine condamna à mort le citoyen Auguste-Etienne Baude de la Vieux-Ville, ci-devant marquis de Châteauneuf, convaincu de conspiration contre la liberté, de correspondance avec les émigrés ennemis de la République et d’avoir fait passer à ces derniers des secours pécuniaires.
Le jugement déclarait en outre les biens dudit Baude, acquis et confisqués au profit de la République.
Une copie certifiée du procès-verbal de scellés et d’arrestation du prévenu fut notifiée au citoyen de Talhouet Bonnamour son gendre.
L’exécution de M. de la Vieux-Ville eut lieu sur la place de l’Égalité (place du Palais). Il monta résolument à l’échafaud et, comme on le priait de tirer son bonnet, il répondit qu’il avait peur de s’enrhumer.
Un de ses amis M. Jacques-Jean-Michel de la Morvonnais accusé d’avoir prêté une somme de quatre-vingt un mille quarante-huit livres neuf sous en numéraire tant aux fils de la Vieux-Ville qu’à leur mère, fut arrêté et relaxé, faute de preuves suffisantes.
Mais un peu plus tard M. de la Morvonnais n’ayant pas cru pouvoir accepter la présidence du district de Port-Malo, fut de nouveau arrêté et dirigé de Saint-Malo sur Rennes. Le sort qui l’attendait n’était pas douteux.
Leperdit en apprenant l’arrestation de M. de la Morvonnais qu’il connaissait, envoya aussitôt un homme sûr, qui lui était dévoué, au-devant du convoi qui devait amener les prisonniers à Rennes avec ordre de les faire diriger par la Normandie sur Paris. Ils étaient seize accusés dans ce convoi, bourgeois, gentilshommes et autres qui arrivèrent dans la capitale trois jours après le 9 thermidor, c’est-à-dire après la mort de Robespierre.
Les prisonniers apprirent en sortant de Vire la chûte de Robespierre. Cette nouvelle leur fut annoncée par le célèbre jurisconsulte Toullier atteint par la loi des otages, spéciale à la Bretagne et qu’il venait de quitter.
Cette loi des otages, oubliée aujourd’hui, avait pour but de faire arrêter les citoyens soupçonnés de relations avec les ennemis de la République.
Le petit-fils de M. de la Morvonnais, qui habite Rennes, et de qui nous tenons les détails qui précèdent, nous a dit bien souvent : « Leperdit a sauvé la vie de mon grand-père. »
Le 8 septembre 1793, Carrier arrivé à Rennes depuis quelques jours, se rendit entre une double haie de citoyennes et de membres de la Société populaire, suivi de toute la force armée, et au son du tambour et de la musique, sur la place de l’Égalité (place du Palais) planter un arbre de la liberté.
On livra aux flammes le portrait de Louis XVI.
Des salves d’artillerie retentirent, et les danses, auxquelles les suspects eux-mêmes vinrent se mêler, eurent lieu autour de l’arbre symbolique et durèrent jusqu’à l’aurore.
Le 3 février 1794, Thomas Remacly, originaire de Liège, membre de la commission militaire révolutionnaire fut enterré, selon son désir, au pied de l’arbre de la liberté, sur la place de l’Égalité, en présence de la garde nationale, des autorités constituées et du représentant du peuple Esnue La Vallée. Son éloge funèbre, prononcé par l’accusateur militaire fut salué des cris de « Vive la République ! Vive la Montagne ! »
C’était dans la rue Saint-François, aujourd’hui rue Hoche, qui longe le Palais de Justice dans sa partie Est, que s’élevait la tour Le Bât. Dernier débris des murs de Rennes, elle était en forme de poivrière et se trouvait en haut de la rue à l’endroit où un menuisier a établi ses ateliers. Il n’en reste aucune trace.
Elle a servi longtemps de prison et a renfermé pendant la terreur tous les malheureux qui ont été exécutés sur nos places.
Plus tard ce fut une prison de femmes et lorsque l’église Saint-Melaine devint cathédrale (de 1803 à 1844), le jour de la Fête-Dieu, quand la procession débouchait près de la Préfecture pour entrer dans la rue des Fossés, on apercevait derrière les grilles du haut de la tour Le Bât les prisonnières qui avaient attaché un drap blanc sur lequel étaient piquées des fleurs. L’évêque, sans arrêter la procession, levait la tête et donnait sa bénédiction aux détenues.
Aux coins de la rue des Fossés et de la rue de Fougères est le vieil hôtel de Montbourcher où mourut La Chalotais. Il fut inhumé le 4 juillet 1785 dans l’enfeu de la famille de Caradeuc en la chapelle Saint-Jean.
Cette chapelle qui se trouvait située à l’entrée du Thabor fut démolie en 1820.
À cette époque on transporta les restes de l’illustre Procureur général dans le cimetière de la commune de Plouasne (Côtes-du-Nord) berceau de sa famille et où se trouve le château de Caradeuc.
À l’heure actuelle on ignore l’endroit du cimetière où furent déposés les os de La Chalotais et pas un monument, pas une croix ne rappelle au passant le souvenir de l’une de nos gloires bretonnes.
L’Hôtel de Montbourcher appartient toujours aux descendants de La Chalotais, par les femmes (Mme de Kernier). Malheureusement le beau jardin de cet hôtel va disparaître sous les constructions.
Lorsque Mme de Sévigné venait à Rennes où elle avait de nombreux parents et amis (le gouverneur, duc de Chaulnes, le lieutenant général de Lavardin, le trésorier des États d’Harrouis, le conseiller de Sévigné-Montmoron, le conseiller de Bréhand, beau-père de Charles de Sévigné le fils de la marquise ; la famille des Cartes, etc.), elle occupait chez son amie la Présidente de Marbœuf une chambre de velours rouge cramoisi, ornée comme à Paris.
L’Hôtel de Marbœuf n’était autre que l’Hôtel de Montbourcher.
LA PRÉFECTURE
La création des préfectures remonte au Consulat. Un décret du 15 janvier 1790 avait divisé la France en 83 départements, administrés chacun par un directoire. Une loi du 8 pluviôse an VIII (17 Février 1800) supprima les directoires et divisa le territoire de la République en départements et arrondissements dont l’administration fut confiée à des magistrats qui reçurent le nom de Préfets.
L’hôtel de Cornulier, situé rue de Belair près de la promenade de la Motte, qui servait de demeure avant la Révolution, aux Sénéchaux de Rennes, et en dernier lieu à l’Intendant de Bretagne, fut choisi pour loger le premier préfet d’Ille-et-Vilaine qui y fut installé en 1811.
Les exigences des divers services de la Préfecture ayant fait reconnaître la nécessité d’un agrandissement des bâtiments, on construisit des annexes, puis on acheta l’ancien hôtel de Francheville pour y élever de nouvelles constructions, et tout cela sans plan d’ensemble, de sorte que cet édifice offre à l’œil un assemblage bizarre qui n’a rien de monumental.
Toutefois il existe intérieurement une très belle salle des fêtes, œuvre de l’architecte Béziers-Lafosse ; malheureusement elle est trop étroite pour sa longueur. Elle a été décorée avec beaucoup de goût par M. Jobbé-Duval. On y voit aussi des médaillons peints par M. Roy, représentant les principaux personnages du département. Ces portraits sont remarquables.
Autrefois les archives départementales étaient dans les combles du Palais de Justice ; mais comme elles menaçaient de défoncer de superbes plafonds, on a construit pour les recevoir un bâtiment isolé, assez joli, à l’angle Nord-Est des jardins de la Préfecture. Les archives y furent déposées en 1884.
En 1881, lorsqu’on procéda aux fondations du bâtiment des archives, on mit à jour des urnes cinéraires, des sarcophages et une quantité de monnaies romaines du IIIe siècle.
Ces objets transportés au Musée archéologique ont fait l’objet d’une intéressante brochure du savant directeur de notre Musée, M. Lucien Decombe et qui a pour titre : Le Trésor de la Préfecture.
Tout à côté des archives départementales se dresse l’église de l’ancienne abbaye de Saint-Melaine.
SAINT-MELAINE (NOTRE-DAME)
L’abbaye de Saint-Melaine fut fondée, croit-on, en l’an 470 par l’évêque de ce nom, le protecteur de la Bretagne près du roi frank Clovis.
Dom Lobineau suppose au contraire que ce monastère fut seulement édifié par Saint-Paterne à la mort de Saint-Melaine qui arriva vers 530[1]. Dans tous les cas l’évêque Saint-Melaine y fut inhumé.
On raconte une curieuse légende sur ce saint évêque qui est né à Platz, aujourd’hui Brain, dans l’arrondissement de Redon. Sa réputation d’homme pieux, chaste et instruit s’étant étendue au loin, le roi Vannetais, Eusèbe le pria de le guérir d’une maladie affreuse dont il était atteint, en punition des cruautés qu’il avait commises, et de chasser le démon qui s’était emparé du corps de sa fille Aspasie. Saint-Melaine guérit le prince et malgré la résistance du démon le fit déguerpir du corps d’Aspasie.
En 660 un incendie détruisit une partie des bâtiments de l’abbaye.
Au IXe siècle les Normands envahirent la Bretagne et les reliques de Saint-Melaine furent transportées au monastère de Preuilly, en Touraine. C’est l’abbé Even qui obtint de Gervais, archevêque de Reims, la restitution de ces reliques.
Au commencement du XIe siècle, Alain III, duc de Bretagne, voulut relever Saint-Melaine et donna à cette abbaye la dîme de la monnaie frappée à Rennes.
En 1054 Geoffroy le Bâtard, comte de Rennes, entreprit la restauration de ce monastère qu’il confia à l’abbé Even dont il est question ci-dessus et qui mourut archevêque de Dol le 25 septembre 1081.
Vers 1516, les bâtiments et l’église tombaient en ruines ; ils furent relevés par Noël du Margat alors abbé de Saint-Melaine.
Dans la nuit du 18 au 19 Mars 1665, un violent incendie détruisit presque en entier les bâtiments de l’abbaye, la chambre commune, le vestiaire et la bibliothèque. À la suite de ce désastre, l’abbé Jean d’Estrades releva la tour actuelle de l’église et fit reconstruire le manoir abbatial devenu de nos jours palais archiépiscopal, tandis que les moines relevaient eux-mêmes leurs bâtiments claustraux.
L’abbaye de Saint-Melaine était l’une des plus importantes de la contrée et possédait de nombreux prieurés et domaines dans toute une partie de la Bretagne.
Comme tous les établissements d’origine féodale, Saint-Melaine jouissait de plusieurs droits féodaux. Ces droits consistaient dans la foire de l’abbaye et la quintaine. La foire, appelée foire aux oignons, se tenait près la chapelle Saint-Just, en un champ dit le Champ-de-Foire. Les religieux avaient droit de coutume sur toutes les denrées et marchandises vendues dans les neuf paroisses de Rennes, huit jours avant et huit jours après cette foire. Ce droit leur fut reconnu par François, duc de Bretagne.
La quintaine consistait jadis dans un poteau enfoncé en terre, sur lequel on posait une statue de chevalier armé d’une masse et d’un écu. La statue tournait sur un pivot, et les cavaliers courant quintaine devaient frapper sur l’écu sans que la masse d’armes leur rendit le coup. La quintaine de Saint-Melaine n’était plus cela : Le jour de la foire aux oignons, tous les mariés de l’année, dans le fief de l’abbaye, se présentaient à cheval au poteau de quintaine situé dans la ruelle de la Palestine, juste vis-à-vis le terrain où se trouve à l’heure qu’il est la prison départementale, et l’appel des mariés était fait. Ceux qui ne répondaient pas payaient 3 liv. d’amende ; les autres prenaient champ et passaient devant la quintaine, cherchant à engager dans une fente qu’elle présentait au milieu, une gaule de bois blanc qu’on leur donnait. Il y avait un prix pour les vainqueurs.
Devant l’église Saint-Melaine, s’étendait autrefois une place fermée qui n’avait guère que la largeur de l’église elle-même. La porte de cette place s’ouvrait sur la rue de la Quintaine, aujourd’hui rue de Fougères, en face de la basilique et à l’entrée de la rue Saint Melaine. Toute la partie méridionale de cette place était occupée par un vaste verger au milieu duquel se trouvait l’église paroissiale de Saint-Jean avec son cimetière. La porte de cette église s’ouvrait à peu près où se trouve maintenant la grille du Thabor, et l’église s’avançait parallèlement à la basilique Saint-Melaine, dans ce qu’on appelle aujourd’hui le carré Duguesclin.
Au Nord de la place s’élevait l’hôtel abbatial, avec sa cour au devant, ses greniers et ses remises à l’Ouest.
Au Nord de l’église se trouvait le monastère composé de deux parties : la cour du cloître avec ses dortoirs au Nord et à l’Est, et son hôtellerie avec son infirmerie à l’Ouest ; au Nord du cloître une seconde cour intérieure renfermant à l’orient le réfectoire surmonté de la bibliothèque, au septentrion les greniers et à l’Ouest les écuries. À côté de ces cours se trouvait le jardin du monastère et au-delà la vaste promenade du Thabor.
La basilique abbatiale existe encore à peu près telle qu’elle était à la fin du XVIIIe siècle ; la couronne d’épines, les clous de la passion et la devise Pax, adoptés par la congrégation de Saint-Maur dans ses armoiries apparaissent toujours sur les vantaux de la porte principale. Le plan de l’édifice se compose de trois nefs et d’un chœur séparés par un intertransept et deux bras de croix.
La partie inférieure de la tour, avec la porte d’entrée à double archivolte cintrée, ainsi que le bas de la nef, les deux transepts et le carré central appartiennent aux travaux de l’abbaye exécutés au commencement du XIe siècle. D’autres parties sont des XIIIe et XIVe siècles. Une restauration importante date même du XVIIe siècle.
À l’intérieur, le chœur se termine par un chevet droit percé d’une grande fenêtre retouchée plus d’une fois et refaite en dernier lieu dans la forme ogivale.
On a construit, en 1883, deux chapelles gothiques à l’extrémité des collatéraux du chœur dans de larges baies de style rayonnant ; on y a placé de jolies verrières modernes représentant l’une le mystère du Rosaire, l’autre la légende de saint Joseph. Les autels sont en marbre blanc sculpté, décorés d’animaux et de cuivres dorés.
Sous l’Empire, Saint-Melaine fut transformé en cathédrale sous le vocable de saint Pierre, patron du diocèse, nom que cette église conserva de 1803 à 1844. À cette époque M. Meslé, curé de Notre-Dame, demanda et obtint que sa paroisse fut placée sous l’invocation de la vierge. Par une ordonnance du 8 Avril 1844, l’évêque saint Marc lui donna le nom de Notre-Dame.
Quelques années plus tard la tour de l’église fut surmontée d’un dôme sur lequel s’élève une statue de la vierge qui domine toute la ville.
De grandes améliorations ont été apportées dans la décoration intérieure de Notre-Dame. Des verrières ont remplacé les mauvais vitrages en plomb du XVIIIe siècle, le maître autel, les autels latéraux et les confessionnaux ont été refaits dans le style gothique et un très beau jeu d’orgues y a été installé.
Les paroissiens de Notre-Dame, en souvenir du curé Meslé, ont fait exiger, sur son tombeau, sous la tour, à l’entrée de l’église, par le sculpteur Valentin, une statue d’une ressemblance parfaite.
À côté de Saint-Melaine est le Palais Archiépiscopal.
PALAIS ARCHIÉPISCOPAL
Au XIIe siècle, le manoir épiscopal, comme on l’appelait alors, était contigu à la cathédrale. Il occupait les terrains recouverts de nos jours par les habitations du côté Sud de la rue de la Monnaie près de la rue Saint-Guillaume.
Au XVe siècle on y ajouta de nouvelles constructions qui bordaient la Rue de la Cordonnerie, aujourd’hui rue de la Monnaie.
En 1770 cette propriété fut vendue au Président de la Houssaye qui y construisit les maisons occupées présentement par le Grand Hôtel.
François Barreau de Girac, évêque de Rennes, et en même temps abbé de Saint-Melaine, obtint la réunion de l’abbaye à la mense épiscopale. Il alla à ce moment et à ce titre habiter le palais abbatial construit à la suite de l’incendie qui détruisit une partie de l’abbaye de Saint-Melaine, dans la nuit du 18 au 19 Mars 1665. Il y resta jusqu’à la Révolution.
L’évêché abandonné en 1789 fut transformé en Musée, et lors du rétablissement du culte l’évêque de Maillé, nommé au siège épiscopal de Rennes le 28 Mars 1802, habita une maison rue de Corbin. Son successeur Enoch, nommé en 1805, demeura rue Trassart.
L’ancienne abbaye de Saint-Melaine fut rendue à sa destination de palais épiscopal en 1815.
Devenu palais archiépiscopal, par suite de l’érection en archevêché de l’évêché de Rennes le 3 janvier 1859, cet édifice a été l’objet de restaurations importantes.
On y accède par la place Saint-Melaine.
Avant de quitter le Nord-Est de la ville, si le lecteur y consent nous irons nous reposer un instant :
LE THABOR
Le Thabor est une délicieuse promenade qui, avant 1789, formait le jardin particulier des Bénédictins établis dans les bâtiments de l’abbaye de Saint-Melaine.
On y pénétrait par un passage qui communiquait du cloître intérieur avec le jardin potager, jardin qui est encore privatif à l’hospice des vieillards de Saint-Melaine.
L’évêque de Rennes avait pour promenade une longue allée de tilleuls perpendiculaire à la grille de ce jardin, dont une partie lui servait de potager, et un bosquet qui s’étendait sous la façade Nord du palais épiscopal. Dans le potager une butte ou cavalier permettait de plonger le regard dans le jardin des Bénédictins qui de leur côté dominaient le jardin de l’évêque au moyen des allées hautes établies au-dessus des bassins de l’Enfer et de la Tonnelle.
Un échange fait, en 1793, de l’hôpital de la santé contre les bâtiments et dépendances de l’abbaye de Saint-Melaine, y compris l’évêché, permit à la ville de Rennes d’installer l’hospice des vieillards dans cette abbaye, et d’affecter à son service le jardin potager y attenant.
Les parties du Thabor réservées comme promenades d’agrément pour l’évêque et les religieux furent converties en une promenade publique dont la cour de l’évêché devint l’entrée principale. Plus tard, la ville fit ouvrir une nouvelle entrée par la rue de Fougères, vis-à-vis les terrains où se trouve actuellement la caserne de gendarmerie.
En 1814, le comte de Ferrières, commissaire extraordinaire du roi Louis XVIII, remit l’évêché en possession de la partie de la promenade qui jadis constituait son jardin d’agrément, et la ville ne conserva en 1820 que l’allée de tilleuls perpendiculaire à la grille du jardin des plantes. L’entrée du Thabor fut alors rejetée au Nord jusque dans la ruelle de la Palestine.
Mais M. de Lorgeril, maire de Rennes, voulant rendre la promenade d’un accès plus facile, fit l’acquisition de diverses propriétés au Sud du jardin potager des Bénédictins et fit procéder à la démolition de l’église Saint-Jean située à l’Est de la grille actuelle du Thabor et parallèle à l’église abbatiale de Saint-Melaine ; ces diverses opérations permirent de reporter l’entrée principale de la promenade du côté gauche du portail de l’Église Saint-Melaine, et de créer la place de ce nom.
Depuis 60 ans le Thabor a subi successivement de grandes modifications. L’emplacement de l’ancienne église Saint-Jean a été transformé en un vaste carré, sillonné d’allées sablées et entouré d’arbres. Au milieu, sur un piédestal de granit, se dresse la statue de Duguesclin, érigée en 1825. Cette statue est loin d’être belle et M. le Directeur de notre École des Beaux-Arts devrait bien en offrir une à la Municipalité.
Un peu plus loin, au milieu d’un fer à cheval, s’élève une humble colonne de tuffeau surmontée d’une petite statue de la liberté, par Barré. Elle consacre le souvenir de deux bretons, Vanneau et Papu, tués en 1830, dans les journées de juillet.
Carré Duguesclin au Thabor
Le carré Duguesclin est le rendez-vous des bonnes et des enfants qui prennent leurs ébats sur la pelouse, à l’ombre des marronniers.
De cette esplanade, on monte par une rampe douce sur les glacis de l’Enfer d’où l’on jouit d’un magnifique panorama : on découvre une partie de la ville, la caserne Saint-Georges, Toussaint, le Lycée, la Gare, la Maison centrale et le clocher de l’église Saint-Hélier. Au loin, Laillé, Bout-de-Lande, Pont-Réan, et plus près, vers l’est, Chantepie, le château de Cucé, l’asile des aliénés de Saint-Méen et la verte vallée de la Vilaine. Au haut de l’escalier qui conduit au jardin des Plantes se dresse un chêne dix fois centenaire qui, dit-on, faisait jadis partie de l’ancienne forêt de Rennes.
L’endroit du Thabor appelé l’Enfer est un bassin qui se trouve au milieu des arbres de la partie culminante de la promenade. Au commencement du siècle l’enfer fut le lieu où les bretteurs et les ferrailleurs vidaient leurs querelles. La terre de ce bassin a été bien souvent arrosée de sang.
Au nombre de ces duels il en est un qui est resté célèbre.
Vers 1815, deux amis intimes, déjà d’un certain âge, — pourquoi taire leurs noms ? — MM. Lessard et Lecarpentier se prirent un jour de querelle au café, à propos de politique, et comme tous les deux étaient des bretteurs effrénés, ils s’envoyèrent leurs témoins et le lendemain matin allèrent s’aligner au Thabor.
M. Lecarpentier fut blessé assez grièvement. Son ami au désespoir l’accompagna chez lui et ne le quitta que lorsque le chirurgien eut déclaré qu’il était hors de danger.
M. Lessard retournait chaque jour voir son ami et lui exprimait ses regrets de l’avoir blessé.
« Je te remercie bien, répondait M. Lecarpentier à peine convalescent, mais, tu sais, gredin, je suis plus fort que toi, aussi nous recommencerons, je te soignerai à mon tour, mais nous recommencerons !
Ce duel donne une idée de l’esprit de l’époque. Le jardin des plantes qui, autrefois, était séparé du Thabor par une grille en bois en fait maintenant partie.
De magnifiques serres, construites en 1862 et 1863, sont l’œuvre de M. Martenot, architecte de la ville, qui a également édifié le kiosque élégant dans lequel la musique municipale et celles de la garnison se font entendre le jeudi et le dimanche.
Le 9 Août 1890 a eu lieu la pose, au jardin des plantes, du premier des quatre groupes décoratifs que M. Lenoir, Directeur des Beaux-Arts a offert, à la Municipalité de Rennes pour l’ornement de sa promenade.
Il a pour sujet l’enlèvement d’Euridyce. C’est certainement une œuvre remarquable.
Enfin une grille monumentale, calquée sur celle du parc Monceau, à Paris, a remplacé celle qui existait à l’entrée du Thabor.
En face de cette grille est la rue Saint-Melaine, l’une des vieilles rues de Rennes. Émile Souvestre y demeurait lorsqu’il suivit les cours de notre école de droit.
Il s’en souvint plus tard en écrivant l’un de ses romans les plus intéressants : « Riche et Pauvre » ; une partie de l’intrigue de son livre se déroule rue St-Melaine.
Nous allons maintenant voir la promenade de la Motte, ainsi que les ruines d’un ancien hôtel, rue Saint-Georges, qui fut autrefois l’opulente demeure d’un conseiller au Parlement de Bretagne.
Après cela nous ferons en sorte de découvrir le tombeau de d’Argentré dans l’église Saint-Germain, et nous passerons en revue les divers monuments situés dans la partie Sud-Est de la ville.
LA MOTTE
Sous la féodalité, on élevait près des châteaux et des manoirs des seigneurs, des buttes de terre ou mottes, comme indice et marque de la puissance seigneuriale. Une éminence de ce genre se trouvait anciennement comprise dans l’enceinte de l’abbaye de Saint Georges.
En 1420, Jean V, duc de Bretagne, ayant fait procéder à l’exécution des travaux de la seconde enceinte de la ville de Rennes, la Motte à Madame, comme on l’appelait en souvenir de la haute juridiction de l’abbesse de Saint-Georges, resta en dehors de cette enceinte.
En 1785, la Motte fut entourée d’une murette et en 1789, l’architecte Abeille dressa un plan de création de promenade sur cet emplacement. Une terrasse inférieure, dite Petite Motte, à laquelle on accédait par un escalier, fut ajoutée à la promenade. Cette dernière partie disparut en 1825, lors de l’ouverture de la rue Charles X (rue Victor Hugo), et fut remplacée par l’escalier monumental descendant à la rue de Paris.
Porteur d’eau devant la promenade « La Motte »
La Motte possédait une ancienne plantation d’ormeaux de très belle venue. Ceux qu’on y voit aujourd’hui datent de 1836.
L’étendue de cette promenade a été réduite par les travaux d’amélioration de la place de la Préfecture et de la rue de Belair. Elle le sera encore davantage, à une époque plus ou moins éloignée, pour l’élargissement de la rue qui la longe dans sa partie Ouest.
Cette promenade est d’ailleurs bien abandonnée aujourd’hui.
Au sud de la Motte se trouve le vieil hôtel Cuillé qui fut, le 2 Juin 1788, le théâtre de la scène la plus émouvante de nos annales parlementaires :
« Le Palais de Justice ayant été fermé par les ordres de M. de Thiard, commandant militaire à Rennes, le Parlement, auquel il avait été défendu de siéger, se réunit quand même à l’hôtel Cuillé, qui est aussitôt cerné par la troupe. Malgré cela, la Cour délibère avec calme dans le salon qui aboutit à la Motte, d’où l’on entend les cris du peuple aux prises avec les soldats.
« Soudain, M. de Melesse, grand prévôt de la province, envoyé par M. de Thiard, notifie au Parlement 48 lettres de cachet émanant du roi. Les magistrats indignés, cèdent devant la force, tout en protestant de la façon la plus énergique contre la violence déployée à leur égard. Ils quittent tous l’hôtel Cuillé aux acclamations de la foule, qui les accompagne jusque chez eux. »
HÔTEL DE LASSE, rue Saint-Georges
Au numéro 3 de la rue Saint-Georges, dans la cour, se trouve un hôtel dont la façade, aspectée au Sud, bordait autrefois les alignements de la rue. Cette façade en bois sculpté avec pilastres cannelés et consoles renflées est du style renaissance.
L’autre portion de l’hôtel, vers le Nord, est construite en granit ; ses fenêtres ont des moulures dans le goût du XVIIe siècle. Une tourelle carrée en encorbellement et des modillons sous la toiture lui donnent un cachet architectural assez remarquable.
Cet hôtel, auquel les Hubert de Lasse, conseillers au Parlement de Bretagne pendant plusieurs générations, avaient attaché leur nom, est connu de nos jours sous le nom d’Hôtel de la Moussaye.
ÉGLISE SAINT-GERMAIN
L’Église Saint-Germain, dont la majeure partie a été édifiée de 1435 à 1570, n’offre rien d’intéressant.
Au commencement du XVIIe siècle, les travaux n’étant pas encore terminés, faute de fonds, le recteur et les trésoriers firent des quêtes à domicile. En outre la fabrique fit bannir que quiconque voudrait avoir dans l’église, moyennant finances une belle pierre tombale de six pieds de long sur deux et demi de large, aurait à payer une somme de 300 livres. La concession de tombes dans l’église était d’ailleurs, dès le XVe siècle, comme au XVIIe, une des ressources principales pour subvenir aux dépenses de l’œuvre ; le prix variait suivant l’emplacement. Cette église fut en 1771 l’objet de travaux de consolidation pour empêcher sa ruine.
Saint-Germain possède quelques tableaux : une copie de la descente de croix, de Lebrun, dont l’original se trouve au musée de Rennes, Jésus au jardin des Oliviers, par Léofanti.
On y voit aussi une statue de Saint-Roch exécutée par Dominique Molchneck ; une Sainte-Anne et un ange, par Gourdel de Château giron ; un beau reliquaire, de Barré.
Une verrière représentant les principaux épisodes de la vie de Sainte-Anne, et qui éclaire la chapelle de ce nom a été donnée par les paroissiens. Celle qui décore l’autel de la vierge fut offerte par l’archevêque Godefroy-Saint-Marc ; une troisième provient d’un don de M. Édouard Duclos, ancien député. Une quatrième représentant la descente du Saint-Esprit sur les apôtres le jour de la Pentecôte forme le fond de l’autel du Saint-Esprit.
En octobre 1888, deux autres belles verrières provenant des ateliers de M. Duhamel, peintre verrier à Évreux, ont été placées aux deux dernières croisées du côté Sud-Ouest. Elles représentent divers épisodes des vies de Saint-Germain, évêque d’Auxerre et de Saint-Philippe-de-Néri, fondateur de l’Ordre des Oratoriens.
Les restes mortels de Bertrand d’Argentré, sénéchal de Bretagne, qui reposaient depuis 1590 dans la chapelle des Cordeliers, furent transférés en 1829, dans la chapelle Sainte-Anne de l’église Saint-Germain. Le nom de d’Argentré est gravé sur une dalle de marbre noir.
L’historien breton banni de Rennes comme ligueur, se retira chez son ami Mathurin Bouan, propriétaire du château de Tizé, paroisse de Cesson, (aujourd’hui dans la commune de Thorigné) où il mourut le 15 février 1590.
SAINT-GEORGES
Après Saint-Melaine, l’abbaye la plus importante fut sans contredit celle de Saint-Georges. C’est ce superbe monument qu’on aperçoit devant soi en sortant de la gare de Rennes et qui porte sur sa façade en grandes lettres de fer : « Magdeleine de la Fayette. »
Alain III duc de Bretagne, voyant sa sœur Adèle embrasser la vie religieuse fonda pour elle, en 1032, un monastère aux portes de Rennes.
L’église de cette abbaye fut dédiée à Saint-Georges.
Le domaine concédé à la première abbesse renfermait des vignes, des champs fertiles, de riches prairies, une rivière poissonneuse avec deux moulins : le moulin de Saint-Hélier qui existe encore sur la rivière de Vilaine en amont de Rennes, et celui de la Porte (plus tard de la Poissonnerie), démoli en 1844, lors de la construction des quais.
Les limites de ce domaine étaient au nord l’ancienne voie romaine de Rennes au Mans, au midi la rive gauche de la Vilaine, à l’orient les possessions de l’abbaye de Saint-Melaine et enfin à l’occident la ville de Rennes.
À ces donations d’autres furent ajoutées, ainsi que les droits féodaux qui s’y rattachaient.
Au XIIe siècle pendant la guerre des Plantagenets en Bretagne, le monastère et l’église furent pillés et dévastés. Ils ne tardèrent pas, toutefois, à être restaurés.
Trois siècles plus tard, les nouvelles fortifications de Rennes entreprises par les ducs de Bretagne bouleversèrent l’enclos de l’abbaye, et la promenade de la Motte, appelée alors « Motte à Madame » fut séparée du Monastère.
Vers la fin du XVIIe siècle, Magdeleine de la Fayette, fille de Jean de la Fayette et de Marguerite de Bourbon, nommée abbesse de Saint-Georges le 4 octobre 1663, fit construire le vaste et splendide édifice qui porte encore son nom, inscrit à sa façade méridionale. Les deux premières pierres de cet édifice furent posées solennellement, le 24 Mars 1670, l’une par l’évêque de la Vieuville, l’autre par l’abbesse Magdeleine de la Fayette. À chacune d’elles fut scellée une plaque de cuivre armoriée, portant une inscription dont la teneur a été consignée dans les archives du monastère.
De l’immense abbaye il ne reste plus que le monument édifié par Magdeleine de la Fayette, et qui est toutefois assez vaste pour y loger un bataillon d’infanterie.
Caserne Saint-Georges
Sur un ample corps de logis, flanqué de deux pavillons, le tout surmonté d’une toiture à la Mansard, se déploie un triple rang horizontal de vingt-trois fenêtres ; immédiatement au-dessous s’ouvre une série de dix-neuf arcades en plein cintre, formant portique voûté et rappelant le caractère monastique du monument.
Un fronton central rompt la monotonie de la ligne du faîte ; décoré de sculptures élégantes, ce fronton porte à son tympan l’écusson de Bretagne timbré de la couronne ducale. Au-dessus du blason et surmontant le cintre du fronton s’élevait, dominant tout l’édifice, une croix qui fut détruite en 1792.
Des deux côtés de l’écusson de Bretagne, deux figures symboliques, assises, portent les attributs de la Justice et de la Paix.
Trois écussons soutenus en pal de la crosse abbatiale se remarquent encore, l’un au centre de l’édifice, les deux autres sur chaque pavillon latéral ; le blason qu’ils portaient a été gratté et mutilé ; c’était celui de Magdeleine de la Fayette qui écartelait ses armes paternelles de celles de sa mère, issue d’une branche cadette de la maison de Bourbon.
Derrière l’édifice venaient se souder en équerre, dans la direction du Nord, trois corps de logis parallèles, séparés les uns des autres par des préaux ; celui du milieu était le jardin de l’abbesse qu’entourait le cloître, rebâti au commencement du XVIIIe siècle par les abbesses Marguerite du Halgouët et Élisabeth d’Alégre.
Dans ces spacieux bâtiments étaient répartis, outre les cellules de l’abbesse et des dames de chœur, les dortoirs, le réfectoire, la bibliothèque, l’infirmerie, la salle du chapitre, la sacristie, et toutes les dépendances de la communauté.
La vieille tour du clocher de l’église abbatiale existait encore au commencement du XIXe siècle ; elle disparut lorsqu’on ouvrit la rue Louis-Philippe, anciennement Charles X et aujourd’hui Victor Hugo.
La cour, plantée d’arbres bordant la rue de Belair qui sert aux évolutions des soldats, occupe la place de l’ancienne basilique de St-Georges.
À la fin du XVIIe siècle et au commencement du XVIIIe, les habitants payaient à l’abbaye, un droit féodal appelé droit de chevauchée. Voici en quoi il consistait :
Tous les mariés de l’année, dépendant de l’abbaye, étaient tenus, le jour de la Mi-Carême, de parcourir à cheval le champ de foire, en criant : « Gare la chevauchée de Madame l’abbesse ! » et renversaient sur leur passage toutes les petites boutiques des marchands qui ne s’étaient pas retirés assez promptement. Les nouvelles mariées, à leur tour, chaque premier dimanche de Carême, se rendaient à St-Hélier et là, en présence de la foule accourue, devaient chanter une chanson dont voici le premier couplet :
Je suis mariée,
Vous le savez bien,
Si je suis heureuse,
Vous n’en savez rien.
Celles qui ne voulaient pas se donner en spectacle payaient une amende de trois livres.
Les mariés, à leur tour, devaient sauter du cimetière dans le grand chemin, d’une hauteur d’environ six pieds ou payer une amende.
Les autres droits féodaux étaient : pendant la foire de la Mi-Carême, droit de bouteillage sur tous les habitants, droit d’aulnage sur les draperies étalées à la cohue (halle), et, huit jours après la foire, droit de coutume.
Les chanoines de la cathédrale étaient obligés, le mardi de Pâques, d’aller chanter une grand’messe à l’abbaye, et, au sortir de l’office, les religieuses leur servaient de la bouillie urcée (brûlée), dont chaque chanoine devait manger une part et en emporter un large plat processionnellement.
On allait à Saint-Georges faire des neuvaines pour une maladie appelée « le mal de Mgr Saint-Georges. » Les malades qui mouraient pendant la neuvaine étaient enterrés dans le cimetière des martyrs, contigu à celui des nonnes.
Au côté Est de la place située devant la caserne Saint-Georges, M. Martenot, architecte de la ville, termine en ce moment un monument qui doit recevoir la faculté des sciences beaucoup trop à l’étroit dans le palais de l’Université.
Ce nouveau palais des sciences, comme on l’appelle, a servi au mois de Mai 1891, à l’Exposition rétrospective du comité de la statue Leperdit.
Comme toutes les œuvres de M. Martenot, — qui vient au moment où nous écrivons ces lignes, d’être nommé membre correspondant de l’Institut, — cette nouvelle construction est d’une conception grandiose qui lui fait le plus grand honneur.
Il nous faut maintenant franchir la Vilaine pour aller explorer le sud de la ville ; mais nous devons, en passant le pont Saint-Georges, dire l’histoire de nos quais et de la navigation de la Vilaine.
LA VILAINE.[2]
Lorsque les Romains devinrent maîtres de la Gaule, leur premier soin fut de créer des voies de communication ; ils durent également s’occuper de l’amélioration du cours des fleuves et rivières, afin de faciliter la navigation. Des travaux de ce genre, exécutés sur quelques points de la Gaule, ne permettent pas de douter qu’il en fut ainsi pour la rivière de Vilaine et qu’un cours d’eau si utile, si vénéré (herius fluvius) ait été laissé sans soins. Quoi qu’il en soit, les barrages qui ont ralenti le cours de cette rivière sont très anciens, car quelques uns sont cités dans le cartulaire de Redon comme existant dès le IXe siècle.
Antérieurement au XVIe siècle, la navigation sur la rivière de Vilaine avait lieu au moyen de bateaux circulant dans les biefs compris entre les chaussées des divers moulins établis sur cette rivière. Depuis Messac, le transbordement se faisait à chacune des chaussées jusqu’à Pont-Réan et de là, les marchandises, chargées sur des voitures, étaient dirigées vers leur destination.
Vers le milieu du XVIe siècle, Léonard de Vinci ayant établi en Italie, au moyen d’écluses à portes tournantes, la communication entre les deux canaux de Milan, la ville de Rennes songea à s’occuper du projet de canalisation de la Vilaine par la construction d’écluses. Des projets furent dressés pour l’exécution de ce travail, depuis Rennes jusqu’à Messac, et le roi François Ier autorisa à cet effet, au mois d’Août 1539, la levée d’un impôt qui devait produire environ 6.000 livres par sa perception à Rennes et 18.000 livres dans tout le reste de la Bretagne.
Dès 1540, les travaux furent activement poussés mais ne purent atteindre le but proposé, tant par suite de l’incapacité des ingénieurs italiens et hollandais chargés de leur direction, que par les difficultés de toute nature soulevées par les riverains. Néanmoins, le vendredi 5 janvier 1542, le premier bateau chargé de vin arriva de Redon à Rennes.
Un habitant de notre ville, appelé Léon Hue, s’engagea à assurer le service de la navigation à l’aide des seules chaussées destinées à retenir les eaux. Les bateaux devaient être enlevés par un système de grues et de leviers, et franchir successivement tous les barrages. Par lettres patentes du 12 Octobre 1571, le roi consentit à ce nouvel essai qu’il fallut abandonner après quelques mois.
Plus tard, une association de capitalistes demanda, moyennant une concession d’exploitation exclusive de trente années de service des bâteaux de la rivière, à construire dix écluses sur le modèle de celle de Blossac. Henri III y consentit par lettres patentes de 1575, et pour faciliter l’entreprise, décida que tous les riverains devraient le passage aux bateliers sans autre indemnité à payer par les entre preneurs que la valeur des bois abattus. Les travaux furent poussés avec une très grande activité et, dès l’année 1585, la navigation fut assurée sur tout le parcours.
En 1610, une nouvelle écluse (la onzième), celle du moulin de la Poissonnerie, fut construite avec les deniers de la ville de Rennes.
En 1616, notre ville, maîtresse du cours de la rivière, abolit tout monopole et rendit la navigation libre sans autre condition que celle d’acquitter de modiques droits aux écluses, droits qui étaient affectés à l’entretien de ces constructions.
Un arrêt de 1635 avait ordonné la construction des écluses de Joué et de Saint-Hélier en amont de Rennes, mais il n’y fut donné suite que plus tard, et les travaux de ces deux écluses ne furent exécutés qu’en 1725 et 1726, d’après un projet dressé le 6 juillet 1722 par M. Robelin, ingénieur, et adjugé le vendredi 24 du même mois.
Le 2 Mai 1728, le Conseil d’État décida que sur le crédit de trois cent mille livres accordé pour divers travaux par délibération des États de la province de Bretagne,[3] une partie serait attribuée à l’établissement des ouvrages nécessaires pour rendre la rivière de Vilaine navigable toute l’année au moins, depuis Rennes jusqu’à Messac, d’après le projet dressé par le sieur Gabriel, contrôleur général des bâtiments du Roy, premier Ingénieur des Ponts-et-Chaussées et Directeur général des travaux pour la rectification de la partie incendiée de la ville de Rennes.
Pendant l’année 1761, on fit de nombreuses réparations aux écluses de la Vilaine et un mémoire à l’appui des dépenses fut présenté par M. l’Ingénieur Chocat de Grand Maison, le 13 Janvier 1762.
Vers 1780, les États de Bretagne, stimulés par M. de Rosnyvinen de Piré, entreprirent de doter la province d’un système complet de canaux et sentirent qu’une des premières nécessités était de se rendre maîtres de la canalisation de la Vilaine.
Les commissaires spécialement préposés à la navigation intérieure de la Bretagne furent en conséquence chargés de traiter avec la ville de Rennes, de l’acquisition de cette propriété. Les parties intéressées n’ayant pu se mettre d’accord, les commissaires des États soumirent la question au Parlement, qui rendit le 7 Août 1785, un arrêt par lequel la ville fut contrainte d’abandonner la navigation depuis Joué jusqu’à Messac, ainsi que tous les droits qu’elle en retirait, moyennant une rente annuelle. Rennes cessa d’être propriétaire de la navigation et reçut en échange un revenu de 8,425 livres. La Révolution en supprimant la province et les États, fit également disparaître le revenu.
Vue générale de Rennes prise du boulevard Laennec
Après l’incendie de Rennes, en 1720, un vaste plan avait été conçu pour le redressement du cours de la Vilaine dans la traverse de la ville, mais ce projet fut longtemps considéré comme une utopie. Néanmoins lors de l’achèvement du canal d’Ille-et-Rance, en 1834, il fut décidé que comme complément de ce travail, en même temps que comme tête du canal projeté de la jonction de la Vilaine à la Mayenne il serait procédé à l’ouverture des quais.
La loi du 8 juillet 1840 autorisa l’exécution des travaux, à la charge par la ville d’indemniser tous les propriétaires expropriés, et un emprunt de 800 000 francs fut autorisé à cet effet par la loi du 25 Juin 1841.
La dépense nette de cette expropriation s’est élevée à 848 164 fr. 92 centimes.
La construction des quais a coûté trois millions.
Trois ponts ont été exécutés par l’État sur la ligne des quais :
Le pont Saint-Georges, à l’entrée de l’avenue de la gare, avec culées en maçonnerie et arche en métal de 20 mètres d’ouverture (système Polonceau) établi en 1843, sous la direction de M. Guichard Ingénieur en chef directeur.
Le pont de Nemours, en pierre de taille, a été construit au bout de la rue de Rohan. La première pierre de ce pont, dont le projet avait été dressé par M. Le Pord, Ingénieur ordinaire, fut posée le 20 Août 1843 par Louis-Charles-Raphaël-Philippe d’Orléans, duc de Nemours, qui passait par Rennes pour se rendre au camp de Thélin près Plélan.
Le pont Napoléon (aujourd’hui de la Tour d’Auvergne), projeté également par l’Ingénieur Le Pord, a été établi en 1858, à l’entrée de l’avenue ouverte conformément aux ordres de l’Empereur, sur la demande du Génie militaire, pour mettre plus facilement en communication les divers établissements militaires.
Le pont de Berlin, joignant la rue de ce nom à la rue Chalais, a été construit vers la fin de 1836 aux frais de la ville de Rennes, sur les dessins de M. Millardet, architecte. Il s’écroula le 5 Septembre 1837 et ne put être livré à la circulation qu’en Décembre 1839.
La construction des quais, dans la traverse de Rennes, avait été interrompue par l’impossibilité où se trouvait la ville de livrer les terrains occupés par l’hospice Saint-Yves ; on n’a pu procéder à leur achèvement qu’après la translation de cet hospice, le 21 Novembre 1858, au nouvel Hôtel-Dieu construit au Nord-Ouest de Rennes.
Depuis cette époque, la ligne des quais a été prolongée en aval sur la rive droite de la Vilaine, jusqu’au bout de la promenade du Mail.
En amont de Rennes on s’est occupé d’un commencement d’exécution de la jonction de la Vilaine à la Mayenne par l’ouverture du canal du Mail-Donges et la construction de l’écluse de la chapelle Boby.
De grandes améliorations avaient d’ailleurs été apportées au service de la navigation depuis 1830. On avait procédé à la reconstruction de quatre écluses et cinq déversoirs et allongé les diverses autres écluses, pour les mettre en état de recevoir les bateaux provenant du canal d’Ille-et-Vilaine. Les bateaux ou péniches naviguant autrefois sur la rivière de Vilaine, étaient composés de deux parties qui se divisaient pour franchir les écluses.
En amont de Rennes, l’écluse de Joué, supprimée en 1840, a été restaurée au mois de juillet 1889. La navigation a été alors rétablie, entre Rennes et Cesson.
Un petit bateau à vapeur de plaisance (l’Abeille) a inauguré, le dimanche 29 septembre 1889, cette nouvelle voie de communication. Parti du palais du commerce, il a transporté un grand nombre de voyageurs au bourg de Cesson.
LE PALAIS UNIVERSITAIRE
Ce monument assez vaste, mais de triste apparence, avait été construit sur la rive gauche de la Vilaine, près du pont Saint-Georges, pour recevoir les facultés de droit, des sciences, des lettres et les Écoles préparatoires de médecine et de pharmacie.
La première pierre de ce monument, construit d’après les plans de M. Boullé qui était alors architecte de la ville, fut posée le 4 Mai 1849, par M. de Caffarelli, Préfet d’Ille-et-Vilaine.
Une boîte en chêne, doublée de plomb, placée à l’angle Nord-Ouest de l’édifice dans une pierre creusée à cet effet contenait, outre le procès-verbal de la cérémonie, des pièces frappées à l’effigie de la République Française, en cette même année 1849.
Le procès-verbal indiquait, comme protocole, que le jour de la pose étaient :
Président de la République, | Louis Napoléon |
Ministre de l’Instruction publique, | De Falloux |
Ministre de l’Intérieur, | Léon Faucher |
Commandant la 15e Division militaire, | Duvivier |
Préfet d’Ille-et-Vilaine, | E. de Caffarelli |
Evêque de Rennes, | Brossays Saint-Marc |
Maire de Rennes, | E. Pongérard |
Recteur de l’Académie, | Théry |
Entrepreneur, | Léofanti |
Le palais universitaire, commencé en 1849, a été terminé en 1855. Il renferme, outre les facultés et les écoles dont il a été parlé plus haut, un superbe Musée de peinture, de sculpture, de dessins, d’antiquités et d’histoire naturelle.
L’inauguration des Musées au Palais universitaire eut lieu le 12 août 1855.
Le Musée de peinture est l’un des plus riches de province. On y voit un nombre assez considérable de tableaux de maîtres. Les principaux sont :
Ecole italienne. — Persée délivrant Androméde, de Paul Véronèse. Ce magnifique tableau a été gravé par Louis Jacob. Il faisait jadis partie de la collection du Roi. Il fut envoyé à Rennes, avec 40 autres toiles, sous le gouvernement impérial de 1804 à 1808.
Jésus descendu de la Croix et pleuré par la Vierge, de Barbieri (Giovanni-Francesco), dit « il Guercino. »
Le Martyre de Saint-Laurent, de Luca Giordano. — Le Repos en Égypte, d’Annibal Carrache. — Le Baptême de Jésus-Christ, de Paul Véronèse. — Les Martyres de Saint-Pierre et de Saint-Paul, de Louis Carrache. — La Tête de Saint-Philippe, du même.
Un paysage représentant un Berger gardant son troupeau, de Lucatelli (Andréa). — Des Femmes lavant du linge, de Féti (Domenico). − Peneloppe, de Jacopo da Ponte « dit le Bassan ». − Bacchanale, de Primaticcio (Francesco). — Le Massacre des Innocents, du Tintoret (Robusti). — La Mort d’Abel, d’Elisabeth Sirani.
Écoles flamande, allemande et hollandaise. — Chasse aux Tigres et aux Lions, de Rubens. − Le Christ en Croix, avec plusieurs personnages, de grandeur naturelle, de Jordaens. — Saint-Luc peignant la Vierge, superbe tableau de Van Veen « dit Heemskerk », (le Louvre ne possède rien de ce maître). L’Élévation en Croix et la Résurrection de Lazare, deux jolies toiles de Crayer (Gaspar de). — La Madeleine repentante, de Philippe de Champaigne. — La sainte famille, de Van Dyck. — Village au bord d’un canal, de Breughel, dit de Velours. — Cabaret sur le bord d’un chemin, près d’un grand chêne ; à la porte sont arrêtés des voyageurs. Ce tableau, signé Gnees, est attribué à Decker. C’est une erreur. Il doit être, en effet, de Gnees, élève de Rubens, qui a gravé plusieurs œuvres du maître. — Jésus chez Simon le Pharisien, de Franck (Franz le jeune). Les sujets des grisailles, qui entourent le tableau central, sont tirés de la vie de la Madeleine. — La Vierge au Chardonneret, de Van Herp. — Un trompette qui veut embrasser une servante, de Leermanns, signé et daté de 1677. — Jeune femme à laquelle une vieille coupe les ongles des pieds, de Rembrandt. — Intérieur de Cabaret, de Teniers (David), dit le Vieux. — Intérieur de Cabaret, avec Joueurs de Cartes et Fumeurs, de Teniers (David), dit le Jeune. — Intérieur hollandais, un vieillard se coupant les ongles, de Van Tol (Dominique). — Un Homme écoutant une femme qui lui dérobe un ornement de sa Toque, très joli tableau dont on ignore l’auteur. Il est attribué à Vuchel. — Un Marché aux Chevaux, grande composition de Wouwerman (Pieter). — Deux Paysages, avec figures, de Wynandts (Jan). — Des Nymphes jouant avec des Satyres, de Spieriekx, signé et daté de 1659. — Sainte Famille dans un Paysage, de Sandrart. — Jésus crucifié entre le bon et le mauvais larron, de Schwartz. — Portrait de Charron, écrivain de l’époque de Henri IV, de Porbus (Franz). — Convoi en marche sur le bord d’un canal, qui traverse une forêt, de Van der Meulen (Anton-Franz). Ce tableau a pour pendant un paysage du même auteur, dans lequel on voit un carrosse attelé de huit chevaux blancs. Ces deux toiles, toutes petites, sont charmantes. — Le Musée possède en outre, de Meulen : Une chasse royale aux environs de Vincennes ; les Magistrats de Dôle offrant les clefs de la ville à Louis XIV. Le Ministre Colbert s’était attaché ce grand artiste, qui accompagna les armées, afin de reproduire fidèlement l’histoire militaire du roi. — Portraits de ses deux fils, par Van Mieris (Franz), dit le Vieux. — Une Dame et sa toilette, de Van Mieris (Villem). — Un tableau de Mytens, qui représente, croit-on, une fête donnée dans une des salles du palais du Stathouder, à Loyse-Marie de Gonzague, lors de son voyage pour se rendre près de son époux, le roi de Pologne. — Vue intérieure d’une église Gothique, avec figures de Neffs (Peter), dit le Vieux.
École française, ancienne et moderne. — Une Descente de Croix, de Lebrun. — Une chasse au loup, de Desportes. — Orphée aux Enfers, réclamant Eurydice, de Restout. — Jésus au jardin des Oliviers, de Jouvenet. — Noémie quittant la terre de Moah, pour retourner à Bethléem, Ruth l’accompagne ; Orpha, son autre belle fille, renonce à la suivre (signé d’Abel de Pujol, et daté de 1832). — Jésus aux Noces de Cana, très grand tableau attribué à Jean Cousin. C’est d’ailleurs avec cette supposition que cette toile fut envoyée à Rennes, dans les premières années de l’Empire. C’était le fond d’un autel de l’église Saint-Gervais, à Paris. Cousin, comme on le sait, demeurait dans cette paroisse, et avait même peint les vitraux de l’église. — Saint-Etienne prêchant l’Évangile, de Natoire. — Quatre belles toiles de Casanova : Voyageurs surpris par l’orage ; Scène d’ouragan ; Attaque de voleurs la nuit, avec effet de lune ; Voyageurs sur un chariot, précipités dans un torrent. — Sainte-Catherine, martyre de Claude Vignon. — Le Nouveau-Né, effet de lumière ; la Sainte-Vierge, Sainte-Anne et l’Enfant Jésus, auquel des anges présentent des fruits. Ces deux tableaux curieux sont de Le Nain. — Alexandre Le Grand cédant Campaste à Apelles, de Charles Meynier. — Délicieux portrait d’Éléonore Galligaï, maréchale d’Ancre, sœur de lait de Marie de Médicis, de François Quesnel. — Portrait d’Homme, drapé d’un manteau de velours cramoisi, et Portrait de Femme, drapée de la même façon, de Troy. — La Malade guérie en touchant les vêtements du Christ, de Louis Boullongne, le Jeune, daté et signé. — La Résurrection du Christ, de Noël Coypel. — Deux tableaux représentant Jupiter et Junon, sur le Mont Ida, et Vénus apportant les armes à Énée, de Antoine Coypel. — Le Christ en Croix, de Ferdinand. — Moine en prière dans la solitude, singulier paysage de Caruelle d’Aligny. — Jésus dans le désert, suivi par les anges, de Lesueur. — Bords de la Meuse, d’Anastasi, gentil paysage. — Femme âgée tenant des perles, splendide portrait, de Dumoutier. — Le comte de Comminge reconnaissant Adélaïde sous le costume de trappiste, au moment où on va l’enterrer, de Claudius Jacquand. — Deux superbes paysages de Francis Blin, de Rennes, mort en 1866, à l’âge de 39 ans, au moment où il commençait à avoir un nom : Souvenir de la Creuse et le Matin dans la Lande, à Monterfil (Ille-et-Vilaine). Les Pins de Plédéliac (Côtes-du-Nord) de Segé. — L’Anse d’Erquy (Côtes-du-Nord) d’Henri Saintin. — Attentat et la vie de Hoche, de Bertaux. — La Part des pauvres, de Marius Roy. — Nature morte, de Bourgogne. — Le repos du modèle, de Bompard. — La Mort de Saint-Jean-Baptiste, de Lévy. — Nymphe, de Feyen-Perrin. — Ma Nourrice, de Chaillou. — Sous-Bois, de Pelouze. — Mort du général Beaupuy, de Bloch. — La création, de Médard. — Berger étouffant un lion, de Lehoux.
Dessins et Gravures. — Ces collections renferment de charmants dessins de Michel-Ange, de Carrache, de Rubens, de Van Dyck, de Jordaens, du Titien, du Corrège, du Dominiquin, etc. L’authenticité est certaine. Ces dessins, placés par écoles, proviennent du cabinet de M. le marquis de Robien, connaisseur distingué.
Les gravures à l’eau-forte et au burin, au nombre de 224, ont été extraites d’une collection appartenant à la ville de Rennes et formée aussi par les soins de M. le président de Robien. Elles font connaître l’histoire de la gravure et la manière des principaux maîtres, depuis 1480, jusqu’à la fin du xviiie siècle.
Sculpture, — Bronzes. − Les deux bas-reliefs de Coysevox, qui décoraient autrefois le monument élevé à Louis XIV sur la place du Palais ; trois bustes de Barré ; Turquety, Boulay-Paty et Leperdit ; trois statuettes de Frémiet, élève de Rude.
Marbres. — Une statue colossale de Louis XVI, de Molchnecht. — Une Lesbie et un Noé grandeur naturelle de Lanno, de Rennes. — La Pensée, de Thomas. — Quatre bustes de Gérardin, Le joueur d’Onchets, de Dubois, de Rennes. — Le Petit Savoyard, de Pierre Gourdel, d’après Julien Gourdel. — Une jeune fille caressant un lévrier, ouvrage florentin, sans nom d’auteur. — Une ravissante Hébé, de Captier. — Le génie du mal, de Boisseau. — Tête de femme, de Robin. — Madeleine, de Dolivet. — Un buste de Lamennais, de David d’Angers, — et de nombreux bustes d’auteurs inconnus.
Plâtres. — Les plâtres sont dus en partie à des artistes bretons. Le sculpteur Gourdel, de Châteaugiron, y est dignement représenté : Le Petit Savoyard, La Petite fille au chien, Niobé, Toullier, etc. — De nombreux bustes de Lanno, de Pierre Gourdel, de Suc. — Satan, de Toulmouche.
Le Musée s’est enrichi d’œuvres nouvelles : L’Etoile du Berger, et la Défense du territoire, de Quinton. — Mignon, de Dolivet. — George Sand, d’Aimé Millet. — Bethsabée, de Blanchard. — La Vigne, de R. de Saint-Marceaux. — Joachim du Bellay, de Léofanti. — Une esquisse de Jeanne d’Arc, de Frémiet. — Étienne Marcel, maquette originale d’Idrac. — Premières funérailles, de Barrias. — L’immortalité, de Longepied. — Diane et la Femme au paon, de Falguière. Mercure inventant le caducée, d’Idrac. — La Musique, de Delaplanche. Chanteur florentin, de Dubois. — La Danse, de Delaplanche. — La Fortune, de Moreau-Vauthier. — Guy d’Arezzo, de Pêche. — David, de A. Mercier. — Et un buste de Jeanne d’Arc, de Chapu.
Pierre. − La Madeleine, de Barré.
Moulages sur l’antique. — L’Apollon du Belvédère. — Philopœmen, d’après David d’Angers, 1837. — Le Gladiateur. — Vénus dé Médicis. — Statue funéraire du chevalier messire Jacques Guibé, seigneur du Chesnay, etc., moulée sur un tombeau provenant de l’ancienne cathédrale de Rennes.
Bois. − Deux panneaux sculptés représentant des fleurs.
Terre. — Des joueurs de cartes, de Graillon ; quatre bustes et une statuette de Pierre Gourdel. — Plusieurs groupes d’auteurs inconnus.
Musée Géologique. — Fondé en 1853, il réunit tous les éléments géologiques qui forment la composition du bassin silurien de l’Ouest et de tous les terrains constituant l’écorce solide du globe.
Ce musée créé par M. Marie Rouault vient d’être classé par M. Bezier qui en a été nommé Directeur.
Musée Zoologique. — Les collections qui composent ce musée, faisant suite au précédent, appartiennent à la Faculté des Sciences. Elles ont été, sinon créées, du moins considérablement augmentées par M. Sirodot, doyen de cette Faculté.
À côté des nombreux squelettes de toutes sortes, hommes et animaux, des oiseaux empaillés, des papillons aux riches couleurs, des reptiles monstrueux, des coquillages splendides, on remarque les intéressantes découvertes de M. Sirodot, au Mont-Dol : les ossements et dents d’éléphant (mammouth), de cheval, de rhinocéros à narines cloisonnées, de bœuf, d’ours, de cerf, de loup, voire même de lion, etc. ; les silex, sous forme de hachette, de flèche, de casse-tête, etc., et enfin les coquilles.
Dans ce musée, tout est en ordre, tout est classé, rangé et étiqueté avec un soin minutieux, de façon à rendre l’étude facile et attrayante.
Une autre galerie Zoologique, appartenant à la Ville et indépendante de celle de la Faculté des Sciences, comprend une splendide collection de coquillages, des papillons, des oiseaux du pays, etc.
Le Musée Archéologique est situé également au Palais Universitaire. Bien que confiné dans un étroit local du second étage, il n’en est pas moins très remarquable et mérite d’être visité.
Ce musée a été formé, en grande partie, par le cabinet de M. de Robien dont il a été plusieurs fois question. Son fils hérita de ses collections, qui furent confisquées à l’époque de la Révolution. La loi du 8 pluviôse an ii donna aux directoires de district la propriété des objets d’art provenant des confiscations, et une décision du Ministre de l’intérieur du 24 ventôse an xiii attribua à son tour cette propriété aux communes. La ville de Rennes prit possession du cabinet de Robien le 24 vendémiaire an xiv.
Lors des travaux exécutés à Rennes, de 1841 à 1845, pour la canalisation de la Vilaine dans la traverse de la ville, on découvrit dans l’ancien lit de la rivière un énorme dépôt de monnaies romaines de tous métaux et de tous modules, depuis l’époque de la conquête jusqu’au ive siècle de notre ère. C’est ainsi qu’un nombre considérable de monnaies antiques vint se joindre aux séries numismatiques du président de Robien. Aujourd’hui, la collection de monnaies et médailles s’élève à plus de 10 000 pièces.
Le musée Archéologique, successivement enrichi par les dons de l’État, par des libéralités de citoyens généreux, par des acquisitions de la municipalité, renferme la collection particulière de la Société Archéologique du département d’Ille-et-Vilaine, qui conserve son droit de propriété distinct sur chaque objet qu’elle y dépose.
Nous devons signaler, parmi les choses les plus curieuses ou les plus intéressantes exposées aux yeux du public, les collections d’objets antiques, égyptiens, grecs, persans, judaïques, étrusques, gaulois, romains et gallo-romains ; — de nombreuses séries d’armes et d’ustensiles en pierre taillée et en pierre polie ; — une vitrine contenant de splendides échantillons de l’industrie de l’homme des cités lacustres, armes en pierre polie emmanchées dans des bois de cerf, poteries, outils en os, bijoux en bronze, etc. ; — de nombreux objets provenant des fouilles entreprises dans les nécropoles mérovingiennes du département de l’Aisne ; − une belle collection de pierres gravées ; — quelques émaux fort remarquables ; une magnifique armure complète du XVIIe siècle ; — une collection de faïences anciennes, d’autant plus intéressante que la plupart des pièces qui la composent proviennent des départements bretons.
La collection ethnographique, comprend des objets de toute sorte, armes, outils, ustensiles divers, instruments de musique, parures, etc., qui représentent toutes les parties du monde.
Le Musée archéologique a encore reçu récemment une collection d’armes modernes françaises et étrangères, et un certain nombre de portraits de personnages bretons qui sont venus augmenter la collection d’iconographie.
LE LYCÉE
Au VIIIe siècle, Charlemagne ordonna aux prêtres de son empire, de tenir école dans leurs paroisses.
On ignore la date précise du premier établissement d’instruction publique à Rennes ; mais ce que l’on sait, c’est qu’en 1035, Guérin, évêque de Rennes installa un maître d’école dans sa ville épiscopale. Ce maître s’appelait Incomaris. Pour le rendre indépendant l’évêque en fit un dignitaire de son église, lui assura une pension et lui donna un hôtel à l’entrée de la rue des Dames.
Les successeurs d’Incomaris prirent le nom de maîtres des écoles. Ils étaient chargés d’examiner et de recevoir les maîtres de tout le diocèse.
En 1492, la maison d’école de Rennes était située rue de la Cordonnerie, actuellement rue de la Monnaie. Elle se trouva bientôt insuffisante en raison du nombre croissant des élèves et alors la communauté de ville fit construire à ses frais un nouvel édifice sur le placis de la vieille Monnaie (aujourd’hui place Saint-Pierre), tout à côté de la chapelle Saint-Martin.
À la fin du XVe siècle, l’école de Rennes comprenait deux catégories : les grandes et les petites écoles. Dans les premières, qui étaient un véritable collège, on enseignait la philosophie, la rhétorique et les humanités. Dans les secondes on apprenait à lire, à écrire, et les principes de la grammaire. Deux prêtres dits recteurs, étaient préposés à chacune de ces écoles et les administraient.
La ville de Rennes passa, en 1495, un marché avec ses recteurs à l’occasion du nouvel édifice qu’elle venait de faire construire à ses frais. Ils acceptèrent un règlement, reconnurent le droit de patronage et de fondation du corps municipal, et à partir de ce moment furent rétribués par la ville qui les considéra comme ses agents et ses protégés.
Plus tard, en 1536, les bourgeois de Rennes obtinrent du roi François ier, l’érection en collège de l’ancien hôpital Saint-Thomas, situé près de la Porte-Blanche.
Le nouveau collège fut aménagé, doté et reconstruit aux frais de la communauté de ville qui nomma le principal et les professeurs. En 1593, le collège comprenait cinq classes dont les régents n’étaient admis qu’après examen passé devant le Scholastique de Rennes, grand personnage qui avait la haute censure sur tout le personnel enseignant.
En 1604 la communauté de ville fut autorisée par lettres patentes d’Henri IV à établir un collège de jésuites.
Le 30 Août de la dite année, la compagnie de Jésus prit possession du collège Saint-Thomas et l’acte de fondation fut passé le 18 Octobre 1606. Par cet acte les Jésuites s’engagèrent à entretenir deux cours de philosophie, un cours de cas de conscience et six cours de rhétorique, humanités et grammaire.
L’ancien collège Saint-Thomas et la vieille chapelle de ce nom avaient naturellement fait place à de nouvelles constructions, et l’on s’occupa de l’érection d’une nouvelle église en rapport avec l’importance de l’établissement. La communauté de ville accorda, en 1623, 70,000 livres et le 30 Juillet 1624, la première pierre fut posée solennellement par l’évêque Pierre Cornulier. Achevée en 1651, cette église fut consacrée le 3 Septembre en présence des nobles bourgeois.
Ainsi fut fondé le collège de Rennes, le plus beau et le plus vaste des établissements tenus par les Jésuites. Les élèves y affluèrent en si grand nombre, qu’on en comptait en 1654 deux mille huit cents.
En 1679, Mme Nicolle de la Monneraye, veuve d’Étienne de Loudel, mère d’un Jésuite, donna à la Compagnie sa propriété du Tertre de Joué, composée d’une maison d’habitation avec jardins, terrasses, promenades, bois, futaie, plus les Métairies de Belle-Vue, du Clos-Pilet et de la Touche. Les pères en prirent possession et en firent la maison de campagne de leur collège. Cette propriété vendue en 1769 appartient aujourd’hui aux missionnaires sous le nom de Bellevue.
L’expulsion des jésuites, en 1762, porta au collège de Rennes un coup dont il ne se releva point.
La ville ne pouvant rester sans enseignement supérieur, la communauté confia la direction du collège à des prêtres séculiers. Le premier principal fut un chanoine de Saint-Malo, M. Duchatellier : il avait sous ses ordres deux sous-principaux, un régent de physique, un de logique, un de rhétorique et cinq autres pour les classes de seconde, troisième, quatrième, cinquième et sixième, ecclésiastiques ou laïques. L’évêque institua en outre deux docteurs en Sorbonne pour l’enseignement de la théologie.
Deux vicaires généraux, MM. de Fayolle et de Bléry succédèrent à M. Duchatellier dans les fonctions de principal du collège de Rennes.
L’enseignement secondaire fut réorganisé par le décret Impérial du 9 avril 1808, et le collège fut rétabli sous le nom de Lycée qu’il conserva jusqu’en 1815. Sous la restauration il prit le nom de collège royal.
Dès avant 1805, tous les élèves des maisons dirigées par des ecclésiastiques étaient dans l’obligation, à partir de la quatrième, de suivre les cours du Lycée.
L’église paroissiale de Toussaints est l’ancienne chapelle du collège des jésuites, aujourd’hui complètement détruit, et sur l’emplacement duquel s’élève le Lycée actuel, de style Louis XIII, qui établit à jamais la réputation de M. Martenot, architecte de notre ville. Il est, avec sa gracieuse chapelle, l’un des plus beaux monuments de Rennes. Sa façade, sur l’avenue de la Gare, est d’un superbe effet.
KERGUS
En 1746, l’abbé de Kergu fonda à Rennes, avec le concours de M. de la Rive, une maison d’éducation pour les enfants des gentilshommes pauvres de Bretagne. L’établissement fut d’abord créé pour trente jeunes gens ; mais plus tard les États de Bretagne et les dons particuliers permirent d’y fonder de nouvelles bourses. Louis XV approuva la création de cette maison par lettres patentes de 1748 et permit de prendre dans sa forêt de Rennes, le bois nécessaire à la construction de l’édifice qu’on désigna sous le nom d’Hôtel des Gentilshommes.
La création de cet hôtel, fut chaudement encouragée par les états de Bretagne qui contribuèrent à son entretien et à son extension par de nombreuses subventions prises sur leur budget particulier. (De même à chaque tenue un certain nombre de bourses de 1200 à 2000 livres étaient attribuées à des gentilshommes sans fortune, nombreux en Bretagne, et qui sans ces allocations n’auraient pu venir prendre part aux délibérations des États).
Le nom de Kergus a été donné par erreur à l’ancien Hôtel des Gentilshommes.
Les familles de Kergu et de Kergus formaient en Bretagne deux maisons distinctes, et le fondateur de l’établissement est Jean-François-Jacques de Kergu, né le 1er novembre 1713 à Landebia, ancienne paroisse de l’évêché de Dol, et décédé à l’hôtel des Gentilshommes le 14 Février 1783. L’abbé de Kergu fut enterré à Lorette, près Quineleu, dans une propriété dont il avait fait l’acquisition de concert avec l’abbé de la Rive, son zélé coopérateur, pour servir de maison de campagne aux pensionnaires de l’Hôtel des Gentilshommes.
Nous avons lu quelque part que Châteaubriand fut quelque temps pensionnaire à Kergus.
On ne recevait dans cet établissement aucun enfant qui ne fût noble et pauvre.
Ces deux conditions étaient requises. La pauvreté se prouvait par l’attestation de l’évêque diocésain et de deux gentilshommes désignés dans chaque évêché. Quant à la noblesse, elle se justifiait par les anciennes réformations ou tout au moins par celle de 1668. L’âge de réception était de sept à douze ans. Dès que les jeunes gens avaient atteint la classe de sixième, ils allaient étudier aux collèges de la ville. Aux études ordinaires, on joignait tout ce qui pouvait concourir à leur donner une éducation complète : l’histoire, le blason, le dessin, la géographie, les fortifications et la navigation. Les élèves étaient tous nourris de la même façon et étaient vêtus, les laïques d’un habit blanc avec des boutons en cuivre doré, et ceux qui se destinaient à l’état ecclésiastique d’un vêtement noir.
La Révolution fit disparaître cette institution et, depuis cette époque, l’Hôtel des Gentilshommes a été transformé en caserne qui porte le nom de Caserne Kergus.
LE CHAMP-DE-MARS
Le Champ-de-Mars n’est séparé de la caserne Kergus que par le boulevard de la Liberté. Voici son histoire :
Les sécheresses extraordinaires de 1720, 1722 et 1723 obligèrent la ville de Rennes à rechercher les moyens de se procurer des eaux potables, et la municipalité fit creuser à cet effet, en 1724, un puits au pied d’une butte, dans les prairies dites de Beaumont appartenant à la communauté des Carmes.
Plus tard, en 1785, notre ville ne possédant pas de promenade, le Comte de Montmorin, gouverneur de Bretagne, s’entendit avec la municipalité pour en créer une, sur la hauteur qui dominait le puits. La butte fut écrêtée, des allées furent tracées et on planta des ormeaux. Cette promenade qui s’étendait depuis le chemin dit de Lorette jusqu’au bas chemin conduisant à la ferme de Beaumont, reçut le nom de Terrasse des champs de Montmorin.
La prairie de Beaumont située entre la promenade et les douves qui entouraient les murs (occupées aujourd’hui par le boulevard de la Liberté) devint à l’époque de la Révolution, par suite de la confiscation des biens des Carmes, une propriété nationale. Ce fut dans cette prairie qu’eut lieu, le 22 Mai 1790, la fête de la Fédération.
Un décret de 1802 prescrivant la création d’un Champ-de-Mars dans toutes les villes ayant une garnison, Rennes donna ce nom à la prairie de Beaumont.
En 1811 la ville vota les fonds nécessaires pour l’exécution des travaux de nivellement et aussi pour mettre en bon état le chemin conduisant au puits.
En 1819 la butte de Montmorin fut prolongée jusqu’à la ferme de Beaumont, et l’on planta une allée de marronniers tout le long de la partie Ouest du Champ-de-Mars.
L’établissement des lignes de chemins de fer au sud de la ville, la construction de la gare de Rennes, ainsi que l’ouverture de l’avenue qui y conduit, ont permis de compléter le Champ-de-Mars tel qu’il existe aujourd’hui.
La butte actuelle a été replantée ; le boulevard Magenta a remplacé avantageusement un ruisseau et des masures sordides, et la suppression de l’allée des marronniers a mis en communication directe la caserne du Colombier avec le Champ-de-Mars.
LE COLOMBIER
En 1627, les religieuses connues sous le nom de Visitandines fondèrent à Rennes un monastère, dans un endroit appelé Touriel, qui se trouvait situé entre la rue St-Melaine et les fossés de la ville. Ce couvent étant devenu trop petit pour contenir toutes les pensionnaires, les supérieures résolurent de fonder une nouvelle maison et achetèrent, à cet effet, le 29 Octobre 1633, le lieu noble du Colombier, anciennement appelé Beaumont et situé dans la paroisse de Toussaints.
Les Visitandines s’installèrent au Colombier en 1641 ; elles n’eurent d’abord qu’une chapelle provisoire, puis en 1674 elles commencèrent la construction d’une église conventuelle dans la cour de leur monastère.
En 1792, le couvent vendu nationalement fut acquis par l’État qui le transforma en quartier d’artillerie.
En 1820, on eut l’idée d’en faire une maison centrale pour hommes et pour femmes ; mais la ville, dans la crainte de perdre le régiment d’artillerie, aima mieux s’imposer d’énormes sacrifices pour l’ériger en caserne. Plus de cinq millions ont été dépensés par l’État et la ville en travaux de développement et de transformation.
Le 23 Juin 1833, la remise de cet immeuble fut faite au génie militaire.
Les écuries du Colombier sont construites dans toutes les règles prescrites par la science hippique. Le manège extrêmement vaste est surmonté d’une charpente très remarquable.
Le 5 Octobre 1890, M. Delteil, lieutenant au 41e de ligne, a découvert dans la caserne du Colombier en faisant des fouilles, sous la cantine, un cercueil de plomb mesurant 1m80 de longueur, renfermant le corps embaumé de Anne-Marie de Budes, fille de Jean de Budes, conseiller au Parlement de Bretagne et de Jeanne Brandin. Cette religieuse née en 1641, mourut au couvent du Colombier le vendredi 16 Novembre 1674.
Pour se conformer au désir exprimé par sa fille mourante, Mme de Budes fonda la maison de retraite de Rennes rue St-Hélier, qu’on appelle communément le couvent des Dames Budes.
Le cœur de Anne-Marie Budes avait été conservé par la congrégation qui en a fait une relique. Son corps a été inhumé le 23 Octobre 1890, dans la chapelle de la Communauté de la Retraite, rue St-Hélier, 54.
LA MAISON CENTRALE
La maison centrale de femmes, l’une des plus belles et des plus vastes de France a été édifiée par l’État, au sommet du coteau de Beaumont, au sud de la gare, le long de la route de Châtillon. Les murs de clôture, véritables forteresses, ont un kilomètre de tour.
Ce monument, commencé en 1857 et dont la construction a duré plus de dix ans, a coûté au gouvernement des sommes considérables. Il renferme actuellement 660 détenues. Le premier convoi de prisonnières fit son entrée dans cet établissement le 12 Octobre 1873.
Les dortoirs, les ateliers, les cuisines, les salles de bains, les cours intérieures, font l’admiration des personnes privilégiées admises à les visiter.
Au milieu des jardins est une belle pièce d’eau appelée autrefois par les Rennais, la carrière de Beaumont. C’est, en effet, une ancienne carrière qui fut célèbre jadis en raison du grand nombre de personnes qui s’y noyèrent ou qui y furent noyées.
On évitait d’y passer le soir.
Nous reviendrons sur nos pas, sans nous arrêter à la gare, — qui à part ses grands ateliers de construction occupant beaucoup d’ouvriers — n’a rien de monumental. Nous irons visiter l’escalier des Carmes, rue Vasselot, puis nous dirigerons nos pas vers le Palais du commerce et l’Arsenal, les deux seuls édifices qui nous restent à décrire dans la partie sud de la ville.
Toutefois, avant de quitter la gare, rappelons un souvenir qui s’y rattache :
Vers 1852, lorsqu’on effectua les travaux de terrassement pour la construction de la gare de Rennes, on découvrit plusieurs squelettes dans un champ qui se trouvait situé au sud-est de la gare actuelle, dans la direction de l’entrée de la gare aux marchandises (boulevard Solférino).
Ces restes provenaient des victimes d’un assassin célébre connu à Rennes sous le nom de Poulain de Beauregard. Ils avaient été cherchés sans succès, en 1824, après la disparition d’un marchand de toile de Quintin (Côtes-du-Nord) et de plusieurs filles publiques de notre ville.
Ce Poulain de Beauregard arriva à Rennes au commencement de 1824 et loua, sur la route de Châtillon, non loin de l’auberge du Pot d’Etain, une maison avec jardin qui portait le nom de propriété de Lorette.
Il fit la connaissance d’un M. Turmel, de Saint-Malo, qui venait souvent à Rennes. Il l’emmena à sa propriété de Lorette le 4 août 1824, et à partir de ce jour M. Turmel ne reparut plus.
L’absence prolongée de ce monsieur et la disparition des autres personnes qu’on avait vues entrer chez Poulain de Beauregard, attirèrent l’attention de la justice.
Une perquisition fut faite à la propriété de Lorette, qu’on trouva abandonnée, le maître ayant jugé à propos de prendre la clef des champs.
Des gendarmes gardèrent la maison pendant quelques jours, afin de s’emparer de Poulain de Beauregard, dans le cas où il reviendrait. Ils s’installèrent dans la cuisine, et tout en fumant leurs pipes autour du foyer, ils crurent sentir une odeur nauséabonde venant du parquet. L’un d’eux, avec son sabre, souleva une brique du fond de l’âtre, et alors apparurent des débris de chair humaine. C’était le cadavre de Turmel, coupé par morceaux et salé comme du lard dans un charnier.
L’émotion fut vive dans notre ville.
On chercha vainement les restes des autres victimes du misérable, et ce ne fut que 28 ans plus tard, lorsque des travaux remuèrent toutes les terres du quartier, qu’on les découvrit.
Poulain de Beauregard s’était dirigé sur la Normandie, où il fut arrêté à Saint-Lô, le 14 septembre 1824, au moment où il se disposait à joindre le crime de bigamie à ceux qui pesaient déjà sur sa tête.
Traduit devant la Cour d’assises du Calvados, il fut condamné à la peine de mort. Son exécution eut lieu sur la place de Caen, le lundi 2 mai 1825.
Voici son histoire telle qu’elle est révélée par les pièces du jugement de la condamnation :
Lemaire de Clermont, fils d’honnêtes cultivateurs, était né au Manoir (Calvados), le 26 décembre 1781. Après avoir été quelque temps clerc d’huissier, il s’enrôla dans la 17e compagnie des canonniers gardes-côtes de la direction de Cherbourg. Arrêté pour faux, il passa en jugement à Paris et fut condamné le 4 janvier 1806 à 8 ans de travaux forcés et à la marque. Il subit sa peine dans les bagues de Brest et de Lorient, et reconquit sa liberté le 7 février 1814. Il vint passer quelques jours à Rennes, puis se rendit en Normandie, où, avec l’aide d’anciens compagnons de bagne, il commit une série d’assassinats, de vols et de faux.
Le 25 septembre 1818, le tribunal correctionnel de Bayeux le condamna à plusieurs années d’emprisonnement. Libéré le 23 décembre 1823, Lemaire, dit Poulain de Beauregard, revint à Rennes avec plusieurs de ses complices, où ils commirent les crimes que nous connaissons.
L’ESCALIER DES CARMES
Par lettres patentes du 6 juillet 1448, François Ier duc de Bretagne, autorisa l’établissement des Carmes à Rennes, et le frère Olivier Jacques, du couvent de Nantes, fut nommé prieur de la nouvelle maison.
Jean, sire de Malestroit et de l’Argoët, vicomte de la Bellière et maréchal de Bretagne, donna aux religieux Carmes le ier Décembre 1450, son propre hôtel situé dans la rue Saint-Denis (actuellement rue des Dames), au coin de la rue du Griffon, et portant le nom de la Maison au Vicomte. Le local étant insuffisant, les Carmes ne s’y établirent que provisoirement, et les fondations d’un nouveau monastère s’élevèrent bientôt sur les terrains du manoir de la Tourniole, situé près la rue Vasselot, terrains qui leur furent offerts par Marie Madeuc, femme de Jean de Lorgeril, seigneur de Repentigné.
Des adjonctions de terrains provenant de dons particuliers ou d’acquisitions, vinrent agrandir l’enclos du couvent des Carmes qui s’étendit rue Vasselot sur une longueur de 272 pieds, et sa superficie totale atteignit environ un hectare trente ares.
L’église conventuelle construite de 1460 à 1480, bordait au nord les rues Vasselot et Saint-Thomas. Elle a été démolie en 1798, et à travers l’emplacement qu’elle occupait on a percé, en 1803, une rue qui porte le nom de rue des Carmes.
En 1779 les Carmes de Rennes acceptèrent l’établissement du premier hôpital militaire dans une partie de leur monastère, et voulurent bien se charger de soigner les soldats malades.
Lorsque la Révolution chassa les Carmes de notre ville, l’hôpital militaire fut transféré en septembre 1793 dans les bâtiments du grand séminaire où il existe encore. Une succursale de l’hôpital militaire fut établie en 1794 (Pluviose an II) sous le nom d’hôpital de la Montagne, dans le local du couvent de la Visitation.
Le presbytère de Toussaint est l’ancienne demeure du prieur des Carmes.
La rue du Champ-de-Mars occupe une partie du jardin.
Le No 42 de la rue Vasselot est une ancienne dépendance du couvent dont la porte cochère actuelle était l’entrée principale. Dans la cour de cette maison se trouvait un escalier en bois, à double rampe, et de forme ronde, par lequel on avait accès dans le couvent. C’était un joli spécimen de l’art au XVIe siècle dont il ne reste plus que des débris.
LE PALAIS DU COMMERCE
Le palais du commerce, dans le style Louis XIV, avec de ravissantes colonnes corinthiennes sera, une fois terminé, l’un des plus beaux monuments de province. C’est l’œuvre de notre architecte M. Martenot.
Ce palais s’élève sur la rive gauche de la Vilaine, dans l’ancien emplacement de la cale du Pré-botté. Il se composera d’une vaste façade, d’un pavillon central et de deux ailes latérales.
Le pavillon Ouest commencé en 1886 a été terminé en 1889. La première pierre de la façade fut posée sans cérémonie officielle le samedi 26 février 1887. Cette pierre se trouve à l’angle du quai et de la rue de Nemours.
On a dû surseoir, faute de ressources suffisantes, à la construction du pavillon central et de l’aile Est du Palais.
La partie actuellement construite est occupée par les bureaux des postes et télégraphes, un café, le logement du Receveur des Postes, l’appartement du Directeur des postes et télégraphes, une salle de cours, le bureau de l’exploitation, le cercle des officiers et l’école régionale des beaux-arts.
L’ARSENAL
Pendant la guerre de 1778, l’Angleterre ayant menacé la France d’une invasion, le gouvernement comprit la nécessité de créer dans l’Ouest un Arsenal d’artillerie pouvant approvisionner, à bref délai, tous les points importants de la Côte. Il ordonna à M. Ganot, directeur d’artillerie, à Rennes, de rechercher la ville de Bretagne qui convenait le mieux pour la création d’une École d’artillerie et la construction d’un Arsenal.
Ce projet n’eut pas de suite avant 1793, époque à laquelle les représentants du peuple, en mission dans l’Ouest, s’occupèrent de la question et désignèrent la ville de Rennes.
Le Commandant d’artillerie Savournin, chargé de l’exécution du projet, choisit l’hôpital général situé à la Croix Rocheran, près la route de Nantes. Il trouva là de vastes bâtiments et de grands terrains à proximité de la rivière. L’État s’entendit avec la ville qui proposa l’échange de son hospice contre les bâtiments et dépendances de l’abbaye de Saint-Melaine y compris l’évêché et le petit séminaire établi alors aux Catherinettes. L’échange fut signé le 10 Mai 1793.
Le Directoire, en vertu des arrêtés du Comité de salut public des 11 Nivose et 1er Pluviose an III, maintint les décisions précédentes et ordonna leur exécution.
Néanmoins pendant plusieurs années on ne s’occupa que de la confection des plans.
Les projets de détails pour les ateliers de forgerons et de serruriers, commencés en 1837 sous la direction du Colonel Dussoussoye, modifiés par le colonel Rapatel, furent définitivement approuvés le 26 Mai 1844 et adjugés le 10 juillet suivant.
Les travaux commencèrent le 20 Août 1844 et le procès-verbal de la pose de la première pierre de l’Arsenal est ainsi conçu :
« S. M. Louis-Philippe Ier roi des Français régnant, le Maréchal Soult, duc de Dalmatie, président du conseil des ministres, ministre de la guerre ; le baron de Tournemine, commandant l’École d’artillerie de Rennes ; le colonel Rapatel, Directeur d’artillerie, le chef d’escadron d’artillerie Aubert de Vincelles, sous-directeur ; le capitaine d’artillerie Cotard, spécialement chargé des constructions du nouvel Arsenal ; la première pierre de cet établissement a été posée le 22 Octobre 1844. — Entrepreneur Delage. »
Ce procès-verbal ayant été renfermé dans une boîte en chêne, soudée à son tour dans une boîte en plomb, la pierre d’angle fut posée par dessus et scellée par M. de Tournemine.
Les deux bâtiments affectés aux ouvriers en fer furent terminés le 20 Août 1846. Un autre édifice destiné aux ouvriers en bois, commencé le 1er juin 1846, a été terminé le 23 février 1848. Depuis cette époque, de grandes améliorations et de nombreuses constructions ont été faites. Après la guerre de 1870 des crédits considérables accordés par le gouvernement ont permis d’en faire l’un des arsenaux les plus importants de France.
Il s’étend jusqu’au boulevard de la Tour d’Auvergne et est contigu à la seconde et superbe caserne d’artillerie construite le long de ce boulevard.
L’infanterie attachée à l’Arsenal est logée dans les bâtiments de l’ancien hôpital.
L’Arsenal de Rennes est chargé de la construction, pour l’artillerie de terre, de tous les affûts et accessoires nécessaires à la défense du littoral depuis l’embouchure de la Seine jusqu’à celle de la Gironde. Le choix de notre ville est surtout justifié par ses canaux et ses lignes de chemins de fer qui la relient avec Brest, Nantes et Saint-Malo.
Il nous faut maintenant traverser le pont de la Tour d’Auvergne pour visiter la partie Nord-Ouest de Rennes.
Après avoir franchi ce pont, on aperçoit derrière la croix de la Mission, au coin du quai Duguay-Trouin et au bout du jardin de l’hôtel de Coniac, un pan de mur, dernier débris de la tour de Fourgon qui était comprise dans les anciennes fortifications de Rennes. C’est de là que partaient les remparts qui, pendant près de six siècles, ont été la préoccupation constante des habitants de la vieille cité bretonne. Nous allons indiquer les places qu’ils ont successivement occupées. Mais auparavant, disons deux mots de la croix de la Mission :
Cette croix fut placée en grande pompe à la suite de la Mission de 1817, comme le témoigne une curieuse gravure de l’époque, assez rare aujourd’hui.
À l’occasion d’une Mission donnée en 1887, la croix assez délabrée a été restaurée, redorée et un petit square enclos d’une grille a été créé à l’entour. La place de la Mission vient d’être plantée d’arbres dont l’ombrage sera fort agréable dans quelques années, pour les flâneurs qui, le samedi, viennent fureter dans les étalages des bouquinistes.
REMPARTS ET PORTES
Un travail extrêmement sérieux, et fort peu connu, a été fait en 1882 par M. Ch. Jailliard sur les fortifications de notre ville et son étendue depuis le IXe jusqu’au XVe siècle.
Il nous a paru intéressant d’analyser ce travail exécuté au moyen du plan de 1616 annexé à l’histoire de Bretagne de d’Argentré, du plan de 1665 dressé par Hévin et du plan de la ville de Rennes telle qu’elle est aujourd’hui.
Ainsi qu’on le verra, la population toujours croissante de Rennes fit agrandir trois fois ses remparts.
La vieille ville romaine, dit M. Jailliard, détruite en 824 par Louis Le Débonnaire, fut rebâtie sur le bord de la Vilaine et ne comprit d’abord, dans son enceinte, qu’une très petite surface autour de la cathédrale Saint-Pierre.
Nominoë, en 850, détruisit ces fortifications qui protégeaient mal les habitants et édifia la première enceinte régulière autour de Rennes.
En 1084, Alain Fergent reconstruisit sur le même emplacement la majeure partie de ces remparts, dans l’espace compris entre la Vilaine et la porte Saint-Michel. Il en reste deux vestiges : les portes Mordelaises et un bout de muraille rue Rallier, dans la cour de l’Hôtel de la Rivière.
Cette enceinte partait de la Vilaine, rive droite, près de la place actuelle de la croix de la Mission, s’en allait au nord, inclinait à l’est, arrivait aux portes Mordelaises, passait à travers les Lices où sont présentement les halles, puis derrière les maisons qui occupent le haut de la place et rejoignait la porte Saint-Michel, porte fortifiée qui se trouvait à l’endroit dont nous venons de parler et qu’on voit encore au sud du bazar parisien.
De la porte Saint-Michel les remparts se dirigeaient vers la rue de Toulouse — le milieu à peu près — la rue Châteaurenault, la rue Du Guesclin, la rue Beaumanoir, la rue de Rohan, la rue du Cartage, le quai Saint-Yves et arrivaient à la croix de la Mission.
Ces murs ne traversaient pas la Vilaine et renfermaient l’espace que l’on a appelé la Cité.
Cette nouvelle ville fut bientôt trop petite pour donner asile à sa population et des faubourgs surgirent en dehors des fortifications vers le Champ-Jacquet et la mairie d’abord, puis du côté de Saint Germain, du Palais de justice, de Saint-Georges et des bords de la Vilaine.
Les habitants de ces nouveaux quartiers réclamèrent le droit de cité et l’on se vit obligé de le leur accorder. Il fallut donc recommencer de nouveaux travaux.
On conserva les murailles de pierres existant depuis la place de la Croix de la Mission jusqu’à la porte Saint-Michel et on détruisit les autres. Des fossés larges et profonds furent creusés et la terre qui en fut extraite servit à entourer les faubourgs d’une levée palissadée et flanquée de tours en bois nommées bastilles. Plus tard des constructions plus solides remplacèrent ces travaux provisoires.
L’enceinte, tracée par Alain Fergent, ne fut réellement exécutée que de 1422 à 1440, (sous le duc Jehan V).
Les fortifications nouvelles partaient de la porte Saint-Michel, se dirigeaient vers le nord-est, coupaient la rue Leperdit, passaient derrière le champ Jacquet et arrivaient à la rue Pont-aux-Foulons.
Là, à l’entrée de la rue Motte-Fablet s’éleva une porte fortifiée appelée Porte-aux-Foulons.
La nouvelle enceinte s’en allait ensuite vers l’est, coupait la rue Bertrand, la rue Saint-François, rejoignait le Contour-de-la-Motte, descendait vers le Sud à l’encoignure de la rue Louis-Philippe, où fut construite une porte fortifiée qui prit le nom de porte Saint-Georges.
Ces remparts faisaient ensuite le tour de la caserne Saint-Georges, passaient à l’encoignure de la rue de Viarmes et revenant vers l’Ouest en suivant la rive droite de la Vilaine, rejoignaient toujours la vieille muraille de la Croix de la Mission.
La partie de la ville ainsi agrandie s’appela Ville-Neuve.
Dès 1449, la ville fortifiée fut insuffisante pour recevoir les nombreuses familles normandes qui, chassées par la guerre, vinrent se réfugier chez nous.
Si la Bretagne avait été durement éprouvée au XIVe siècle par la guerre de succession, le XVe siècle fut au contraire pour elle, une période de paix et de prospérité ; alors que le reste de la France, la Normandie en particulier, était le théâtre de luttes acharnées entre Français et Anglais, Armagnacs et Bourguignons, le duc Jean V restant sagement à l’écart de ces querelles, accueillit en Bretagne les fugitifs des provinces envahies, leur concédant immunités et privilèges, si bien que la population de Rennes doubla en 20 ans, et que commerce et industrie prospérèrent bientôt, faisant oublier aux Bretons les malheurs des luttes passées.
De nombreuses habitations s’élevèrent au-delà des portes Mordelaises, autour des Lices, rue Saint-Louis, rue Basse, autour de la place Sainte-Anne où se tenait alors le marché au bois.
Des faubourgs, en plus grand nombre encore, s’étendirent sur la rive gauche de la Vilaine. De ce côté ils étaient protégés par un bras de la Vilaine qui occupait alors le boulevard de la Liberté et offrait un obstacle aux incursions ennemies.
Ces habitants ne tardèrent pas, eux non plus, à réclamer le droit de Cité et les avantages acquis aux habitants intra-muros.
C’est alors qu’on créa la troisième enceinte.
Toutes les fortifications de la rive droite de la Vilaine depuis la place de la Croix de la Mission jusqu’à la rue de Viarmes furent conservées.
De la rue de Viarmes, la nouvelle enceinte s’en alla vers le Sud suivant le parcours de l’avenue de la gare, jusqu’à l’angle Nord-Ouest de la Manutention militaire. Elle obliquait ensuite vers le Sud-Ouest, arrivait près de la caserne Kergus, et suivait le boulevard de la Liberté pour aller rejoindre la rive gauche de la Vilaine, en face de la place de la Croix de la Mission.
Ces fortifications commencées en 1449 furent seulement achevées en 1456.
Au bout de la rue Saint-Thomas, — qui existait déjà à cette époque — se dressait une porte connue sous le nom de porte Blanche. À l’entrée de la rue Tronjolly il en existait une autre appelée porte Toussaints.
En 1852, on voyait encore au bout de la rue du Champ-de-Mars, les restes des travaux de la troisième enceinte et qui formaient une promenade appelée les Murs.
Les fortifications de Rennes restèrent à peu près intactes, de 1456 au 18 Juin 1602, époque à laquelle Henri IV signa un édit ordonnant que toutes les tours des remparts de Rennes seraient démantelées à l’exception des Portes-Mordelaises.
En 1636, Louis XIII permit à la ville « de vendre tous les fossés, bastions, contrescarpes et remparts pour être le produit employé à faire venir l’eau dans la ville. »
Tous les vieux murs furent rasés et c’est à peine si dans quelques propriétés particulières il en a été conservé quelques vestiges.
Au siècle suivant, en 1720, un incendie immense allumé par l’imprudence d’un homme ivre détruisit en grande partie notre ville, mais contribua à son embellissement.
On la reconstruisit sur un plan régulier, de grandes lignes furent tracées et des hôtels superbes remplacèrent les maisons de bois et les échoppes.
La construction des quais changea l’aspect de la ville ; des promenades s’élevèrent à l’Est et à l’Ouest, et Rennes devint promptement une des plus jolies villes de France.
Sa population augmente sans cesse, puisqu’elle a atteint en 1891 le chiffre énorme de 68 000 âmes, et sa quatrième enceinte qui n’est peut-être pas la dernière, est aujourd’hui représentée par les boulevards extérieurs, boulevard de l’Ouest, boulevard de l’Est, boulevard du Nord.
Au Sud, des faubourgs nouveaux s’élèvent chaque jour derrière la gare.
Des lignes de chemins de fer relient Rennes à toutes les villes environnantes.
L’eau a été amenée, à grand frais, de l’arrondissement de Fougères dans notre ville. On s’occupe en ce moment, de l’éclairage à l’électricité, et lorsque nous aurons des tramways il ne nous restera plus rien à envier aux autres grands centres.
Mais revenons à la Croix de la Mission, notre point de départ, et avant de diriger nos pas vers la promenade du Mail, allons jeter un regard sur les ruines d’une tour des anciens remparts, qui se trouve située dans la cour d’une maison de la rue Nantaise, au no 10, derrière l’école d’artillerie, Elle s’appelait autrefois la Tour du Chesne. Des fortifications de la vieille ville, c’est la seule tour qui subsiste. Elle mérite encore l’attention des archéologues et des artistes.
LE MAIL
Lieux chéris de mon cœur ! beau Mail, entouré d’eaux,
Dont se perdent au loin les trois jolis arceaux,
Mon beau Mail, où souvent l’hiver, quand de ta glace
Les légers patineurs effleuraient la surface,
Elle venait sourire à leurs jeux gracieux,
Et m’échauffait le cœur d’un rayon de ses yeux !
Depuis l’époque où le poète breton a chanté le Mail, bien des changements ont été faits. Les deux canaux qui baignaient l’avenue dans toute sa longueur ont été comblés. La promenade, pendant un certain temps, est passée à l’état de route et, aujourd’hui ses beaux tilleuls, trop vieux hélas ! semblent vouloir mourir les uns après les autres.
Mais le Mail a son histoire tout comme un monument. La voici :
En 1663, les douves qui existaient entre la porte Mordelaise et la rivière de Vilaine étaient bordées, en dehors des murailles, par des terrains vagues très accidentés. On nivela ces terrains pour les rendre propres à l’établissement d’un marché, et les déblais provenant des travaux furent employés à exhausser un marais appelé le Pré Raoul.
Cet emplacement fut choisi pour servir de promenade, et on y planta des arbres. On l’appela le Bosquet, la promenade du Pré Raoul et aussi les Champs-Elysées.
Plus tard, en 1675, le duc de Chaulnes, alors gouverneur de Bretagne, voulut compléter cette promenade par un Cours ou Mail qu’il fit faire par corvées. On le planta de quatre rangs d’ormeaux ainsi qu’un avant-cours qui fut exécuté en 1677.
Ces deux promenades étaient séparées l’une de l’autre par un petit canal qui réunissait les deux branches latérales du cours d’eau qui longeait le Mail et formait une île. Un pont-levis existait sur ce canal.
En 1783, M. l’Ingénieur Chocat de Grandmaison dressa un projet de restauration générale de la promenade du Mail. Des rigoles pratiquées, tant dans les prairies des Polieu que dans la ruelle du même nom, amenèrent l’eau de la rivière d’Ille dans le canal nord et les ormeaux furent remplacés par des tilleuls dans toute la longueur du cours.
Le Mail resta dans cet état jusqu’en 1840, époque à laquelle l’administration des ponts-et-chaussées, de concert avec le conseil municipal, décida que cette promenade serait traversée par la route no 12 de Paris à Brest, qui passait alors par le faubourg de Brest.
Ce fut un véritable chagrin pour beaucoup de Rennais lorsque la nouvelle route de Brest par le Mail fut inaugurée le 29 Octobre 1844.
En 1845, la ville abandonna le Mail à l’État à la condition qu’il respecterait les arbres, et qu’il en planterait d’autres sur la nouvelle route jusqu’à sa jonction avec l’ancienne.
L’élégante grille en fer, forgée à Paimpont, fut détruite, ainsi que la jolie porte d’entrée construite en 1802 sur les dessins et sous la direction de l’architecte Binet.
Le fossé qui joignait les deux canaux latéraux disparut.
Un pont construit à l’entrée du Mail a changé l’embouchure de la rivière d’Ille qui, jadis, se jetait dans la Vilaine à l’extrémité ouest de la promenade.
De 1857 à 1861, les canaux latéraux furent comblés avec les déblais provenant des travaux de fondation de la nouvelle maison centrale située derrière le Champ-de-Mars.
Enfin sur la demande de M. Martin, Maire de Rennes de 1871 à 1880, la ville a repris possession de son ancienne promenade et la route de Rennes à Brest emprunte seulement l’allée latérale sud du Mail.
Une foire, qui dure un mois, a été créée sur cette promenade au printemps de 1890. Cette année (1891), au moment où nous écrivons ces lignes, elle bat son plein et a un véritable succès. Tous les habitants de Rennes vont à cette fête voir les marchands, les jeux, les cirques, les montagnes russes et les barraques de saltimbanques qui couvrent le Mail dans toute sa longueur.À droite du Mail, en allant vers Brest, se trouve ainsi que nous l’avons dit plus haut la ruelle des Polieu. De nombreuses maisons et des jardins occupent aussi la place de l’ancienne prairie du même nom.
Un évènement véritablement étrange s’est accompli en ces lieux :
Beaucoup de vieillards se souviennent avoir connu, à Rennes, dans leur jeunesse, le père La Paillette, qui vécut quarante ans après avoir été enterré.
Cette histoire, qui semble être une plaisanterie, est cependant véridique.
Au commencement de notre siècle, un ouvrier de la rue Nantaise tomba malade et fut admis à l’hôpital Saint-Yves.
Un matin, la religieuse de service passant après du lit de l’ouvrier, crut s’apercevoir qu’il était mort. En effet, il ne donnait plus signe de vie et son corps avait la rigidité du cadavre.
Après vingt-quatre heures, son état n’ayant pas changé, on le transporta dans la chapelle de l’hospice, où quelques prières furent récitées à son intention, puis la charrette à ouau-ouau emporta le corps pour aller le jeter dans la fosse commune du cimetière de la Paillette.
On appelait charrette à ouau-ouau le misérable petit corbillard qui servait à conduire les pauvres à leur dernière demeure. Nous nous rappelons parfaitement l’avoir vu.
L’appellation de ouau-ouau venait sans doute de ce que le véhicule était tout au plus propre au transport des cadavres de chiens.
Le cimetière de la Paillette était situé près du Mail, à l’endroit occupé aujourd’hui par la ruelle de Polieu, que l’on s’obstine à tort à orthographier Paux-lieux.
Dans ce cimetière, une fosse commune avait été creusée pour recevoir les corps des indigents et principalement les morts de Saint-Yves.
Ce fut donc là que l’ouvrier de la rue Nantaise fut amené. On le fit glisser sur une planche au fond de la fosse, on jeta de la chaux dessus, et les quelques personnes qui l’avaient suivi s’en allèrent.
Le malheureux n’était pas mort et était seulement en léthargie. Le froid de la nuit suivante le fit revenir à la vie. Il se réveilla couché sur des cadavres.
C’était un homme jeune, d’une vigoureuse constitution, marié depuis peu de temps. Comme la lune éclairait la fosse, il reconnut au bout d’un instant l’endroit où il se trouvait.
La planche qui avait servi à le faire glisser dans le trou était encore là fort heureusement et lui permit de sortir de ce lieu sinistre.
La rue Nantaise était proche ; il put se traîner jusqu’à la porte de la chambre de sa femme.
Qu’on juge de l’effroi de celle-ci, qui, le matin, avait assisté à l’enterrement de son homme, et qui reconnaissait sa voix et l’entendait frapper à la porte !
Elle jeta des cris perçants qui attirèrent les voisins.
Force leur fut il tous de reconnaître que le pauvre diable était vivant. On le mit dans son lit et on le soigna comme on put.
Sa maladie dura encore quelques semaines, puis la nature aidant, il entra en convalescence et recommença bientôt à travailler.
Il vécut plus de quarante ans après cet événement, et comme il racontait volontiers son histoire à qui voulait l’entendre, on l’avait surnommé le père La Paillette, en souvenir du cimetière où il avait été enterré.
L’une de ses filles a tenu longtemps le bureau de tabac situé près de l’église Saint-Étienne.
SAINT-CYR
Au-delà du Mail, sur la crête d’un coteau, apparaît l’immense couvent des repenties de St-Cyr. La petite rivière d’Ille coule à ses pieds.
Un ancien monastère, dédié à Saint-Cyr, existait jadis à la porte de Rennes dominant la rivière d’Ille. Il fut détruit par les Normands au commencement du XIe siècle.
Vers l’an 1032, Gaultier, évêque de Rennes, donna à son demi-frère Mainguené, seigneur de la Guerche, les ruines de ce monastère qui faisait partie du domaine épiscopal.
Mainguené de la Guerche fit relever le vieux couvent et y créa un prieuré dépendant de l’abbaye de Tours. Plusieurs moines s’y installèrent. Il donna à ces religieux tout le territoire appelé l’Île, avec ses prairies, ses vignes, ses bestiaux, ses hommes vilains et métayers.
Un autre évêque ajouta plus tard à la donation précédente, le champ appelé Polieu, situé entre la rivière d’Ille et les murs de Rennes.
L’acte fut signé à Saint-Cyr le 25 Mai 1037.
Au commencement du XIIe siècle, l’évêque Marbode revendiqua la propriété du prieuré de Saint-Cyr comme faisant partie du domaine épiscopal. Une transaction eut lieu entre les intéressés et fut signée en 1105 dans la cathédrale de Rennes en présence d’un grand nombre de chanoines, de religieux et de laïques distingués.
À part quelques difficultés avec Geffroy, seigneur de la Guerche, les religieux de Saint-Cyr vécurent en paix jusqu’au XVe siècle, époque à laquelle leur prieuré tomba en commende.
Vers 1630, les religieuses bénédictines de la Congrégation du Calvaire, désirant s’établir à Rennes, demandèrent à occuper le monastère de Saint-Cyr. Le prieur commendataire Clément Aumaistre accueillit leur demande et mit à leur disposition la chapelle priorale, un vieux logis y joignant, la cour s’étendant au devant, un petit jardin à côté, deux autres jardins, et un verger, le tout contenant troix journaux de terre, mais à la condition que les bénédictines construiraient un monastère et y résideraient. Un traité définitif fut passé à cet effet le 21 Octobre 1638.
Après la construction du monastère, le prieuré de Saint-Cyr, en 1680, se composait comme suit :
« Un logis prioral et une grange, pouvant contenir cent charretées de foin, deux jardins, une fuie, un endroit appelé la Garenne où l’on tire de la pierre et du sable, cinq près le long de la rivière, 45 journaux de terre labourable, parmi lesquels se trouve le champ de la justice, un droit de pêche dans les rivières de Vilaine et d’Ille depuis le moulin du Comte jusqu’aux ponts du bourg l’Évêque. »
La vieille chapelle priorale du XIe siècle menaçant de tomber en ruines, il en fut construit une autre en 1670.
Les bénédictines du Calvaire restèrent à St-Cyr jusqu’à la Révolution. À ce moment le gouvernement s’empara de cet établissement pour en faire une caserne.
En 1808, cet établissement fut donné à la mère Eugènie, religieuse de la maison de la Trinité, pour servir d’asile aux filles de mauvaises mœurs.
En 1821, la Congrégation des filles de la Charité consentit à se charger de la maison de Saint-Cyr et y installa plusieurs religieuses du monastère de Caen. Elle obtint du gouvernement des sommes importantes pour faire des réparations.
Il ne reste de l’ancien monastère, qu’un vieux bâtiment avec cloître et l’église conventuelle.
Des constructions immenses ont été édifiées depuis plusieurs années. Cette communauté comprend une maison de refuge pour les repenties et une maison de préservation pour les jeunes filles orphelines et abandonnées. Les sœurs leur donnent les premières notions de l’instruction et s’efforcent surtout de leur apprendre divers travaux manuels pour les mettre en état de gagner honorablement leur vie. Il y a 90 religieuses, 250 pénitentes et 200 préservées qui n’ont aucun contact avec les autres. Elles suivent les règles de la vie religieuse et se consacrent entièrement au cloître.
Nous rentrerons en ville par le faubourg de Brest dont une partie s’est appelée longtemps la Perrière et le Bourg l’Évêque.
La perrière était une carrière de mauvaise pierre qui servit longtemps à la construction des maisons de Rennes.
C’est là nécessairement une des causes pour laquelle Rennes ne possède aucun vieux monument remarquable. Les voies de communication ne permettaient pas naguère, d’aller au loin chercher du granit, la Vilaine n’était pas navigable, le canal d’Ille-et-Rance n’existait pas, et l’on était forcé de se servir des matériaux que fournissait le pays.
C’est la mauvaise qualité de la pierre de la Perrière qui amena rapidement la ruine des tours et plus tard de l’ancienne cathédrale toute entière.
L’autre dénomination de Bourg-l’Évêque provenait de ce que la rue et le faubourg de Brest faisaient jadis partie du domaine temporel des évêques de Rennes.
Intérieur d’une cour rue de Brest, 22 (cour des 4 nations)
Ce faubourg a perdu beaucoup de son originalité par la reconstruction des vieux ponts et le percement de nouvelles lignes. Toutefois il a conservé des coins pittoresques sur les bords de l’Ille aux endroits où quelques vieilles maisons de bois se mirent dans les eaux de la rivière qui, à l’époque de la domination Romaine, s’appela Isola, puis en français Isole et enfin Isle et Ille.
Parmi les cinq ou six cents chansons populaires que nous avons recueillies dans le département d’Ille-et-Vilaine, l’une des plus drôles nous vient du bourg l’Évêque. Elle nous fut chantée autrefois par notre regretté ami Théophile Delys qui habitait ce quartier. Elle trouve tout naturellement sa place ici.
Lorsque j’étions petit fille, |
bis. |
On allait garder les vaches
Et les moutons.
Empêchous les gens d’aimer,
Ma dondaine,
Les v’lez-vous garder d’aimer,
Ma dondé !
On allait garder les vaches |
bis. |
Mais j’allions druger au bois
Ô les garçons.
Empêchous les gens d’aimer,
Ma dondaine,
Les v’lez-vous garder d’aimer,
Ma dondé !
Mais j’allions druger au bois |
bis. |
Ma mère n’a pas pris fourche,
A pris bâton.
Empêchous les gens d’aimer,
Ma dondaine,
Les v’lez-vous garder d’aimer,
Ma dondé !
Ma mère n’a pas pris fourche, |
bis. |
Oh ! tout beau, tout beau, ma mère,
À la raison.
Empêchous les gens d’aimer,
Ma dondaine,
Les v’lez-vous garder d’aimer,
Ma dondé !
Oh ! tout beau, tout beau, ma mère, |
bis. |
Vous frappez dessus les os,
Ils pourriront.
Empêchous les gens d’aimer,
Ma dondaine,
Les v’lez-vous garder d’aimer,
Ma dondé !
Vous frappez dessus les os, |
bis. |
Vous n’frappez point su le cœur,
Où l’z’amours sont !
Empêchous les gens d’aimer,
Ma dondaine,
Les v’lez-vous garder d’aimer,
Ma dondé !
Nous nous rendrons à la cathédrale par la porte Mordelaise ; mais en passant devant l’église Saint-Étienne, nous y entrerons voir les quelques belles œuvres qui s’y trouvent :
Deux statues de Barré, un Christ à la colonne et une Magdeleine au désert. Cette dernière statue a obtenu une médaille d’or à l’Exposition de 1843. Une Sainte-Anne également de Barré et une copie de Saint-Pierre existant dans la basilique de Saint-Pierre de Rome. Un tableau représentant la multiplication des pains par Jourjon, peintre Rennais. Il forme le fond de l’autel de la Providence. Et enfin, aux fenêtres, de très belles verrières exécutées dans les ateliers de MM. Claudius Lavergne et fils à Paris.
LA PORTE MORDELAISE
La porte Mordelaise fut ainsi nommée parce qu’elle conduisait à la paroisse de Mordelles.
C’était par cette porte que les ducs de Bretagne faisaient leur entrée lorsqu’ils venaient se faire sacrer à Rennes. Elle est curieuse comme souvenir historique et comme spécimen de l’architecture militaire au moyen-âge.
Porte mordelaise
On lisait autrefois une inscription sur une pierre placée par hasard au bas de l’un des murs de cette porte, puisque les trois lignes qui s’y trouvaient gravées étaient présentées verticalement.
Cette pierre est aujourd’hui au Musée archéologique, et voici l’inscription :
IMP. CÆS. ANTONIO. GORDIANO.
PIO. FEL. AVG. P. M.
TR. P. COS. O. R.
À l’Empereur César-Antoine Gordien, pieux, fortuné, auguste, souverain pontife, tribun du peuple, consul, le sénat de Rhedones.
C’est du moins la traduction qui est généralement adoptée.
Près de la porte Mordelaise s’élevait jadis le vieil ostel de l’oncle et de la tante de Bertrand Duguesclin. C’est là qu’ils l’accueillirent avec tant d’indulgence lorsqu’à treize ans, il se sauva de la maison paternelle.
Quand son ante le vit si fu moult tourmentée,
Dame, dist ses mariz vous estes rassotée
Il convient, et c’est droit, jeunesse soit passée.
En effet, jeunesse passa, et l’enfant terrible devint un héros.
LA CATHÉDRALE
D’après les traditions du chapitre, le culte du vrai Dieu fut d’abord rendu à Rennes dans une petite chapelle gallo-romaine, appelée Notre-Dame de la Cité qui se trouvait enclavée dans l’ancien hôtel du Bouëxic, près de l’École actuelle d’artillerie.
Au VIe siècle, on éleva une cathédrale dédiée à Saint-Pierre.
En 1181, comme elle menaçait de tomber en ruines, Philippe, abbé de Clermont, évêque de Rennes la fit démolir, et construisit sur son emplacement, une nouvelle cathédrale qui ne fut terminée qu’en 1359 par son successeur Pierre de Guemené.
En 1362, Charles de Blois y apporta pieds-nus les reliques de Saint-Yves.
Dès 1527, ce monument était dans un tel état de délabrement qu’il inspirait des craintes. Peu à peu la tour et le frontispice s’écroulèrent en partie et il fallut les démolir.
En 1541, on jeta les fondations des tours qui existent encore. La première pierre fut posée le 15 Septembre, ainsi qu’il résulte d’une inscription mise au tympan supérieur de chacune des portes qui existaient alors à la place de la grande baie du portail actuel.
Les carrières de St-Mars, de St-Hilaire du Tiercent (Ille-et-Vilaine) et de Querinan en Mégrit (Côtes-du-Nord) fourniront les matériaux nécessaires à l’achèvement des tours.
Les écussons dont on remarque encore au deuxième étage les figures martelées, furent exécutés, vers 1660, par Pierre de la Croix, maître sculpteur ; ils portaient les armes de Monseigneur Henry de la Mothe Houdancourt évêque de Rennes et de Charles de la Porte de Vesins, maréchal de la Meilleraye, lieutenant-général au Gouvernement de Bretagne.
La tour sud était entièrement terminée en 1674 ; il restait à achever la tour Nord et à surmonter les deux tours de dômes avec lanternes garnies de plomb, et boules dorées portant des croix de fer, mais il ne fut pas donné suite à ce dernier projet.
Le 23 Avril 1678, les chanoines décidèrent de placer au troisième étage des tours, les armes de Monseigneur Jean-Baptiste de Beaumanoir évêque de Rennes et du marquis de Lavardin son frère. Celles de Monseigneur le duc de Chaulnes, gouverneur de Bretagne, occupèrent la partie centrale. Les débris de ces écussons montrent encore leurs places.
En 1679, on monta les charpentes des tours pour y placer les cloches.
Le 22 Décembre 1685, l’architecte François Huguet fut chargé de modifier les deux petites portes latérales sous les tours et de placer les armes du roi dans un grand fronton, sur le vitrail au-dessus de la principale porte, entre les deux tours. Ce fronton existe encore, et on reconnaît le contour et les ornements de l’ancien écusson de France.
Les tours de la Cathédrale furent terminées en 1703 ; il s’était écoulé plus de 160 années entre l’établissement des fondations et la clôture des travaux.
Hélas ! le corps de l’édifice s’affaissait déjà et dès l’année 1700, un procès-verbal dressé par des architectes constatait sa ruine.
Le 11 février 1754, un éboulement se manifesta au-dessus des parties latérales de l’église et l’évêque dut prononcer l’abandon de la Cathédrale que le chapitre quitta processionnellement le 27 Février 1754, pour aller s’installer dans la chapelle de l’Hôtel-Dieu, appelée depuis l’hôpital Saint-Yves.
Un arrêt du Conseil du Roi du 2 Juin de la même année, ordonna la démolition de l’édifice.
Plusieurs personnages avaient reçu la sépulture dans le chœur de la cathédrale. Sur une plaque de cuivre on lisait :
« Cy-gist le corps d’Isabelle de Bretagne, sœur unique de la Reine Anne, qui décéda le X de juin MIIIIcc IIII** IX de son âge le huitième. »
En 1803, après le rétablissement du culte catholique, l’église abbatiale de Saint-Melaine devenue paroisse fut assignée au chapitre pour les cérémonies du culte qui pouvaient lui incomber.
Le cardinal Fesch, oncle de Napoléon Ier, vint à Rennes en 1808 et ne put voir sans regret les tours de la cathédrale veuves de leur église. Il en parla à l’Empereur et bientôt après parut le décret suivant qui mérite d’être cité : « Voulant, dit l’Empereur, donner une preuve de l’intérêt que nous portons aux habitants de notre bonne ville de Rennes, et voulant ne pas laisser imparfaite leur église cathédrale, nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
« Art. 1er. — L’église cathédrale de Rennes sera achevée.
« Art. 2. — Une somme de 500 000 fr. est mise à cet effet à la disposition de notre ministre des cultes. Cette somme sera payée en cinq ans, à partir de 1811. »
Les difficultés du temps firent arrêter les travaux qui ne furent repris qu’en 1819.
La Restauration activa le relèvement de l’église. En 1823, de nouvelles sommes furent accordées pour la continuation du travail, et en 1837 une dernière allocation permit de l’achever.
Le 7 avril 1844, jour de Pâques, l’évêque Godefroy Saint-Marc accompagné des chanoines, du Chapitre, et précédé d’un nombreux clergé, quitta l’église de l’ancienne abbaye de Saint-Melaine pour se diriger vers la nouvelle cathédrale en parcourant les principales rues de la ville.
La cathédrale Saint-Pierre de Rennes, fut élevée en 1859 à la dignité d’église métropolitaine de Bretagne.
Mgr Godefroy Brossays Saint-Marc, qui avait été nommé archevêque le 3 Janvier 1859 voulut, en 1863, laisser à ses successeurs une métropole digne de la province de Bretagne. Il fit appel à la générosité des fidèles et donnant lui-même l’exemple, versa une somme de cent mille francs pour commencer les travaux.
L’édifice tout entier est intérieurement recouvert de stucs imitant les plus beaux marbres. Le long des murailles on a réservé de grands espaces pour les fresques. La voûte, ornée de caissons de formes variées, est sculptée avec art et est éblouissante de dorures.
Au milieu du sanctuaire, se trouve le maître-autel construit en marbres précieux, envoyés au premier archevêque de Rennes par le pape Pie IX.
Les fenêtres du monument sont garnies de verrières représentant les armoiries des évêques de Rennes.
Le 7 Mars 1878, le cardinal St-Marc fut inhumé avec pompe dans le chœur de la cathédrale. Le corps descendu du catafalque d’honneur fut déposé dans une châsse de plomb renfermée dans une autre châsse de chêne.
Une plaque de cuivre clouée sur le côté gauche du cercueil porte l’inscription suivante :
Mgr Godefroy Brossays Saint-Marc, archevêque de Rennes, né à Rennes le 5 février 1803, sacré évêque de Rennes le 10 Août 1841, archevêque le cinq Juin 1859, créé cardinal dans le Consistoire du 17 Septembre 1875, du titre de Sainte-Marie-de-la-Victoire, décédé le 26 février 1878.
La pierre tombale porte en noir une double croix et au-dessous cette unique inscription :
Le bourdon de la Cathédrale se brisa le jour de Noël 1874, et l’accord parfait qui se trouvait dans la sonnerie fut détruit. Un nouveau bourdon-cloche, du poids de 3 630 kilogrammes, sortant des ateliers de M. Bollée du Mans, a été baptisé le 30 Mars 1884.
Enfin le 6 Mai 1884, Mgr Charles-Philippe Place, archevêque de Rennes, fit procéder à la consécration solennelle de la nouvelle métropole. Cette cérémonie fut présidée par Mgr di Rende, archevêque de Bénevent, nonce du pape à Paris, en présence des archevêques de Besançon et de Reims, et des évêques de St-Brieuc, Séez, Luçon, Nantes, Le Mans, Vannes, Quimper et Héliopolis.
Le même jour eut lieu l’inauguration du monument élevé à la mémoire du cardinal Brossays Saint-Marc. C’est une statue d’une grande ressemblance due au ciseau de M. Valentin, de Bourg-des-Comptes. Elle avait figuré au salon de 1883.
On vient de nettoyer et de réparer les tours de la Cathédrale qui, malgré leur diversité de style, sont assez curieuses.
Le portail, en granit, surmonté des deux tours, n’a pas moins de 40 mètres d’élévation. Chaque tour est formée de quatre étages qui sont d’ordres différents : le rez-de-chaussée, toscan mêlé de gothique et de renaissance ; le premier étage, ionique ; le deuxième étage, corinthien ; le troisième étage, composite ; le quatrième étage, dorique ; le tout couronné par une balustrade octogonale à jour.
Ce mélange bizarre d’architecture ne peut s’expliquer que par la longueur du temps (160 années) qui s’est écoulé depuis la pose de la première pierre jusqu’à l’achèvement complet de l’édifice.
LA VIEILLE MAISON DE LA RUE SAINT-GUILLAUME
La rue Saint-Guillaume conduit de la rue de la Monnaie au chevet de la Cathédrale. Elle tient son nom d’une chapelle dont il est question dans un aveu de 1548, et qui devait remonter au XIIIe siècle.
Il nous est pénible de détruire la légende de la maison de Du Guesclin, mais il le faut cependant : cette maison de bois, de la rue Saint-Guillaume, appelée maison de Du Guesclin, a été construite deux siècles après la mort du connétable.
En effet les deux maisons contiguës, car elles sont deux collées l’une contre l’autre, à façades en bois sculpté, sont du XVIe siècle. Elles furent construites sur un terrain touchant l’enclos de l’Évêché qui portait alors le nom de Manoir, pour servir de demeure aux chapelains chargés de desservir les deux chapelles de Saint-Michel et de Saint-Sébastien. Ces ecclésiastiques en prirent possession en 1573.
Les statues de Saint-Michel et de Saint-Sébastien ornent encore les façades de ces deux maisons.
HÔTEL DES MONNAIES
L’Hôtel de France, rue de la Monnaie, en face la rue Saint-Guillaume, est l’ancien Hôtel des Monnaies.
On ne connaît rien de précis sur l’origine de la fabrique des Monnaies, à Rennes, avant 1720. Toutefois il n’est pas douteux que bien avant cette époque on y battait monnaie. L’établissement destiné à cette opération devait être situé sur un terrain dépendant de la porte Mordelaise, près l’ancien hôtel de ville (aujourd’hui l’école d’artillerie) à l’endroit où il existait un temple de Junon Monète, destiné à conserver l’or et l’argent monnoyés.
En 1725, lorsque Rennes commença à renaître de ses cendres, l’on songea à bâtir un hôtel pour les monnaies dans l’une des nouvelles rues projetées. On fit, à cet effet, l’acquisition d’un terrain appartenant en partie au couvent de la Trinité et en partie à M. Chereil de la Rivière.
La construction du bâtiment, dont les dépenses s’élevèrent à 126 200 livres fut commencée en 1728. La Monnaie s’y installa en 1732 et y resta jusqu’en 1774, époque à laquelle un édit de Louis XVI ordonna sa suppression.
En remontant la rue de la Monnaie on arrive aux portes Saint-Michel dont il a été question dans l’histoire des remparts de notre ville.
L’année dernière il fut fait, à cet endroit, une découverte archéologique extrêmement intéressante. En voici le récit exact fait exprès pour le présent ouvrage par notre ami M. Decombe, Directeur du Musée archéologique de Rennes :
« Dans le courant du mois de Mars 1890, les travaux considérables entrepris pour la construction des nouveaux bâtiments du « Bazar parisien », dans le haut et sur le côté occidental de la rue Rallier, nécessitèrent la démolition de plusieurs baraques entassées au fond d’une cour basse dont le sol, formé de remblais anciens, occupait une partie des vieux fossés de la ville. Ces baraques étaient adossées à l’ancien mur fortifié de l’enceinte féodale de Rennes, réédifiée aux IXe et XIIe siècles sur les bases de la muraille romaine, et dans la construction duquel on avait non seulement utilisé des matériaux travaillés par les légions, ou des débris d’édifices ou de monuments de l’époque de l’occupation, mais même parfois laissé en place l’appareil gallo-romain, avec ses assises de granit, ses cordons de briques rouges, ses moëllons cubiques et son indestructible ciment.
Le dégagement de la cour basse du « Bazar parisien » amena la découverte d’une ancienne poterne pratiquée dans le mur de ville, et dont le sol reposait sur un rang de bornes milliaires couchées côte à côte. De plus, les murs latéraux de cette poterne étaient composés de débris gallo-romains de toute sorte, et notamment de bornes milliaires mêlées à des blocs de granit ou de calcaire de grande dimension.
Lorsque ces bornes furent dégagées et nettoyées, on put constater que l’on se trouvait en présence d’un trésor épigraphique de la plus haute importance. En effet, on recueillit en cet endroit dix-neuf milliaires, ou fragments de milliaires, couverts d’inscriptions en l’honneur de Septime Sévère, Caracalla et Géta, de Maximin et de son fils Maxime, de Postume, de Victorin et de Tétricus le père.
Ces précieux monuments épigraphiques peuvent généralement être datés d’une façon précise : ils représentent une période de près de trois quarts de siècle, de Septime Sévère à Tétricus, c’est-à-dire de l’an 198 à l’an 273 de l’ère chrétienne.
Les bornes milliaires de la rue Rallier sont aujourd’hui la propriété du Musée archéologique de Rennes. Malheureusement, l’exiguité des locaux affectés aux collections d’art et d’antiquité de la ville n’ont pas permis de les exposer à la vue du public, et elles se trouvent reléguées dans un étroit vestibule qu’elles encombrent, sans qu’on puisse les étudier et les examiner à loisir.
Il faut espérer que l’Administration municipale se décidera enfin à mettre à la disposition de la direction du Musée archéologique, (qui le réclame depuis longtemps), un local quelconque dans lequel pourront être exposés non seulement les milliaires découverts en 1890, mais encore les nombreux et intéressants monuments ou fragments qui, depuis l’époque gallo-romaine jusqu’au XVIIIe siècle, constituent le Musée lapidaire de la ville de Rennes.
Des portes Saint-Michel à la place du Champ-Jacquet il n’y a qu’un pas.
La fontaine qui se trouve sur cette place devant bientôt disparaître, nous indiquerons succinctement son origine et le drame qui la fit supprimer.
Avant 1822, il existait au milieu de la place du Champ-Jacquet, un puits dans lequel un malheureux artiste du Théâtre se précipita, dans un moment de désespoir et y trouva la mort.
M. de Lorgeril, alors maire de Rennes, ému par ce suicide, fit fermer le puits et pria M. Chaumont, son ami, un peintre de talent, d’exécuter le dessin d’une fontaine.
À eux deux, ils firent édifier cette affreuse chose que nous possédons encore et qu’on appela longtemps à Rennes : « Le tombeau du génie », par ironie sans doute envers ses ingénieurs.
Espérons que la statue de Leperdit fera bientôt disparaître ce mausolée.
On raconte sur l’existence du comédien qui se noya dans le puits du Champ-Jacquet des détails navrants :
Ce malheureux avait de nombreux enfants qu’en raison de son extrême misère il avait toutes les peines du monde à nourrir. Le soir, il leur disait : « Ceux de vous qui consentiront à aller se coucher sans souper, je leur donnerai un sou. » Quelques-uns acceptaient et allaient dormir le ventre vide.
Le lendemain matin, les pauvres petits êtres criaient la faim et alors le père leur disait : « Ce matin, pour déjeuner, il faut payer un sou. »
Il avait ainsi gagné un repas !
N’est-ce pas épouvantable !
Ce récit doit être vrai, car il nous a été fait bien souvent par de nombreuses personnes de Rennes.
En suivant la rue Leperdit on arrive sur les Lices, l’un des vieux quartiers de Rennes qui évoque de lugubres souvenirs :
Les paisibles habitants de la place du haut des Lices ne se doutent pas aujourd’hui des spectacles affreux et des scènes de sauvagerie qui ont eu lieu sur cette place.
C’était là que s’élevait, avant la Révolution, le gibet où l’on pendait les condamnés à mort.
Le dernier fut pendu le soir, à la lueur des flambeaux.
On transporta son corps, comme celui de ses prédécesseurs, dans un champ près de Saint-Hélier, pour être exposé, tout nu, à la cime d’un arbre.
Tous les pendus, hommes et femmes, complètement nus, étaient transportés dans ce champ et accrochés aux arbres. On les y laissait à la merci des oiseaux de proie et des animaux qui mangeaient la chair corrompue lorsque les membres pourris se détachaient du corps et tombaient par terre.
À l’heure actuelle, on trouve encore des os humains dans ce champ, qui porte le nom de Champ de la carrée. Il était autrefois entouré de murs formant un carré et appelé par ironie Roque mignon (grimpe mignon).
On nous y a conduit, il y a quelques jours, et nous y avons vu un péroné et une vertèbre. Une paysanne nous a dit y avoir trouvé une tête de mort il y a peu de temps.
Une dame — digne de foi — décédée à Saint-Hélier en 1870, à l’âge de 86 ans, racontait souvent avoir vu les squelettes de sept pendus se balancer aux branches des arbres de Roque mignon.
M. Dupont, ancien receveur d’octroi du bureau de Saint-Hélier, se souvient avoir vu des poulies au haut des arbres du champ des pendus, poulies qui avaient servi à hisser les cadavres.
C’était aussi sur les Lices qu’on rouait les condamnés. On leur brisait les membres les uns après les autres et le bourreau leur donnait le coup de grâce en leur défonçant la poitrine avec une barre de fer.
Le dernier ainsi martyrisé fut un bas-breton qui avait commis un crime horrible.
C’était un enfant naturel. Un jour il demanda à sa mère où était son père. Elle lui répondit qu’il n’en avait pas.
Ce misérable entra dans une colère féroce et, s’emparant d’un couteau, l’enfonça à plusieurs reprises dans la gorge de sa mère.
Sa rage ne s’arrêta pas là : il ouvrit la poitrine de la malheureuse femme, lui arracha le cœur, le fit cuire sur un gril et le mangea.
Il fut pour ce fait condamné à être roué vif.
Quand il eut les quatre membres brisés, il dit au bourreau : « Ne m’achevez pas. Qu’on me porte à l’hôpital, je suis fort, je guérirai. » Mais le bourreau ne l’écouta pas et acheva son œuvre.
C’était également sur les Lices − le samedi − que les condamnés étaient exposés au pilori, et que certains d’entre eux étaient marqués à l’épaule avec un fer rouge.
Une estrade en planches, haute de quatre-vingt-dix centimètres environ, s’élevait, près de l’escalier de pierre qui se trouve devant les magasins du haut de la place, au côté sud.
Des poteaux étaient dressés aux coins de l’estrade, suivant le nombre des condamnés. Ceux-ci étaient amenés entre deux gendarmes et attachés aux poteaux par le carcan qu’ils avaient au cou, sorte de collier de fer bordé comme ceux des chiens de garde.
Ils avaient en outre les mains liées derrière le dos.
Sur leur tête était un écriteau indiquant leur nom et les crimes qu’ils avaient commis.
L’exposition durait deux heures.
À leurs pieds était une sébille dans laquelle les passants déposaient des liards ou des sous pour apporter quelques adoucissements aux condamnés dans leur prison.
Lorsque l’un d’eux devait être marqué, on voyait le bourreau arriver avec son réchaud. Il se dirigeait vers la boutique d’un cloutier appelé Rageaud, qui demeurait rue des Innocents, chez lequel il allait allumer son charbon et faire chauffer ses fers.
Quand les instruments étaient rouges, il se rendait sur l’estrade, découvrait l’épaule du pauvre diable, posait le fer rouge sur l’omoplate. La chair grillait, la brûlure fumait, un cri perçant se faisait entendre, puis, si c’était un voleur, un V apparaissait ou bien les lettres T F P, s’il s’agissait d’un condamné aux travaux forcés à perpétuité.
Le bourreau frottait la blessure avec de la graisse, revêtait le patient et l’opération était terminée.
On emmenait le condamné.
Les amateurs de ce spectacle attendaient le samedi suivant avec impatience.
Le pilori de la place des Lices fut, paraît-il, transféré plus tard sur la place du Palais.
Plusieurs vieillards de Rennes nous ont affirmé qu’ils avaient vu marquer des condamnés sur la place du Palais, jusqu’en 1823.
Marché de la place des Lices
On rencontre sur les Lices, de vieilles maisons de bois intéressantes, et tout au bas, au numéro 34, l’hôtel du Molan, que fit construire en 1689, le célèbre jurisconsulte Pierre Hévin, pour sa fille, qui avait épousé René du Boberil, seigneur du Molan. Cet hôtel possède encore un vestibule décoré d’inscriptions et de peintures allégoriques rappelant les victoires de Louis XIV et la rentrée du Parlement à Rennes.
En montant la rue Saint-Louis on passe devant l’hôpital militaire, superbe monument, avec de très grands jardins au sommet d’un coteau. Sa façade attire les regards par sa régularité et sa belle disposition. Cet édifice fut construit, vers 1750, pour servir de grand séminaire. À l’époque de la Révolution on en fit un hôpital militaire, destination qu’il a conservée.
La rue Saint-Louis aboutit à la place Sainte-Anne, au nord de laquelle s’élève la nouvelle église Saint-Aubin, véritable cathédrale qui prendra le nom de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle. Elle sera, suppose-t-on, ouverte au culte le 8 septembre 1892, jour de la fête patronale de la Nativité. Elle est l’œuvre de l’habile architecte M. Martenot et de l’intelligent entrepreneur M. Poivrel.
Au moment où nous écrivons ces lignes les ogives de l’étage supérieur de la nef sont fermées, et la corniche sur laquelle sera posée la charpente est placée sur cette partie de l’édifice. Bientôt l’étage supérieur du chœur et de la chapelle de Bonne-Nouvelle va être terminé, sa corniche posée et les travaux du transept seront très avancés. On verra alors s’ouvrir les larges baies où doivent s’épanouir de magnifiques rosaces.
La charpente sera achevée prochainement. L’église une fois couverte, on construira la voûte ogivale, haute de 27 mètres.
La place Sainte Anne possède encore de vieilles maisons moyen-âge qui ne manquent pas d’un certain cachet.
À l’entrée de la rue d’Échange, vis-à-vis la porte de l’ancienne église Saint-Aubin, est une petite maison de bois, avec pignon sur rue, dont le rez-de-chaussée est occupé par une épicerie. C’est là que demeurait Leperdit, Maire de Rennes, doyen des tailleurs.
Maison de Leperdit, Contour Saint-Aubin
Le 26 Avril 1891 on a posé sur cette maison une plaque de marbre sur laquelle on lit :
LEPERDIT
Maire de Rennes
(1794-1795)
habita cette maison
où il est mort le 3 Août 1823.
La pose de cette pierre commémorative se fit avec une très grande solennité. À deux heures de l’après-midi le maire de Rennes, le conseil municipal, les membres du comité formé dans le but d’élever une statue à Leperdit, et le représentant du Préfet se réunirent sur la place de l’hôtel de Ville. Le cortège, précédé de la musique municipale et escorté de la compagnie de sapeurs-pompiers, se dirigea sur l’ancienne demeure du grand citoyen.
Lorsqu’on enleva la toile qui recouvrait la plaque de marbre, la musique joua la Marseillaise, tout le monde se découvrit et M. Morcel, président du comité retraça la vie de Leperdit. Après lui M. Lebastard, maire de Rennes, prononça une chaleureuse allocution qui fut très applaudie.
La maison de Leperdit fera l’objet d’une photographie dans le présent volume. On aura soin de placer tout à côté de cette maison un porteur d’eau, afin de conserver le souvenir d’une industrie fort ancienne à Rennes et qui ne tardera pas à disparaître. En effet, déjà dans un grand nombre de maisons le service des eaux est installé et bientôt il le sera partout.
Lorsqu’on descend la rue d’Échange on aperçoit, à droite, sur une petite place, une vieille église qui desservait autrefois une paroisse qui portait le nom de Saint-Étienne-es-Rennes. Cette paroisse remontait au XIIe siècle et, selon toute apparence, formait un bourg séparé, puisqu’au XVe siècle, la rue qui conduisait de la ville à cette église portait le nom de rue du Vieil-Bourg-Saint-Étienne.
La vieille église depuis 1798 sert de magasin de campement à l’armée.
En 1843, un cimetière existait encore autour de l’église et était entouré de murs tombant en ruine. Afin de permettre aux charriots d’artillerie d’arriver jusqu’à l’église, on abattit les murs du cimetière et l’on fit quelques travaux de terrassements pour niveler la place.
Ces travaux amenèrent la découverte, à l’endroit où se trouve actuellement le bas de la rue d’Échange, près de l’hôpital militaire, d’un nombre assez considérable de squelettes qui, chose extraordinaire, avaient le crâne percé d’une ou de plusieurs balles.
M. le docteur Godefroy, professeur à l’École de médecine, alla prendre quelques-uns de ces crânes pour les examiner.
On questionna les vieillards et l’on apprit qu’à l’époque de la Révolution, sous la Terreur, des suspects considérés comme traîtres à leur pays, avaient été fusillés à cet endroit, au pied d’un mur du cimetière.
Ces malheureux — hommes et femmes — étaient tombés sous les balles d’un bataillon de volontaires recrutés parmi des jeunes gens âgés de moins de 18 ans, et appelés : « L’Espoir de la Patrie ».
Les squelettes du cimetière de Saint-Étienne furent enfouis dans un trou à côté de la vieille église, dans le coin qui se trouve près de l’École d’apprentissage de la ville.
Des exécutions du même genre eurent lieu, en 1794, sur la Motte, contre un mur de l’Hôtel Cuillé.
La rue basse est au-dessous de la place Saint-Étienne. Si on la suit, en allant vers le nord, on arrive aux ruelles Saint-Martin et au pont qui se trouve sur la rivière d’Ille.
Près de ce pont est une maison de bois, à galeries à jour, qui semble s’incliner sur le bord de l’eau, et que tous les habitants de Rennes connaissent.
Elle a été photographiée souvent et dessinée par un grand nombre d’artistes.
Eh bien ! cette maison, le croirait-on ? est l’ancienne demeure de Cadet Rousselle.
Ne riez pas. C’est la vérité.
Cadet Rousselle n’est point un personnage légendaire comme on pourrait le supposer. Non seulement il a existé, mais c’est lui qui, au commencement du siècle dernier, a fait construire la maison de bois du pont Saint-Martin.
Jadis, une famille Rousselle, appartenant à la bourgeoisie de Rennes, était composée du père, de la mère et de trois fils.
Le second des garçons, appelé familièrement Cadet par ses parents lorsqu’il était petit, s’habitua si bien à ce nom que plus tard il signa ses œuvres, — car il devint poète et chansonnier, — du nom de Cadet Rousselle.
C’est sa maison des bords de l’Ille, dans laquelle il a vécu, qui lui inspira la chanson qui porte son nom. C’est peut-être de ses poésies la seule qui nous reste, mais en revanche elle est connue du monde entier.
Un de nos honorables concitoyens, très digne de foi, occupant une haute situation honorifique, — de qui nous tenons ces détails, nous a dit : « Cadet Rousselle fut le cousin de ma grand’mère, et chaque fois que, dans mon enfance, je suis passé sur le pont Saint-Martin, avec mes parents, ils m’ont fait remarquer la curieuse maison, en ajoutant : c’est l’ancienne demeure de notre cousin Cadet Rousselle. »
Cadet était un joyeux gaillard, goûtant fort la plaisanterie et qui a signé, paraît-il, de son nom de chansonnier, Cadet Rousselle, tous les actes de l’état-civil dans lesquels il comparut comme témoin.
On nous assure qu’avec de la patience on retrouverait sa signature sur les registres du greffe du tribunal.
Du pont Saint-Martin on aperçoit le petit monument funéraire qui précède l’ancien cimetière.
Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle il était d’usage d’enterrer les morts autour des églises ; mais vers cette époque on attribua différentes épidémies à la présence des sépultures au milieu des vivants, des réclamations furent faites et l’on s’occupa d’exiler nos morts. C’est un regret que nous avons bien des fois exprimé.
Nos chers morts reposaient au milieu du village
À l’ombre des tilleuls étendant leur feuillage
Sur la tombe ou la croix. Ils ne nous quittaient pas
Ces parents, ces amis, qui dormaient à deux pas.
Ils entouraient l’église, entendaient la prière
Que le vent apportait jusqu’au fond de leur bière.
À chaque instant du jour ils étaient sous nos yeux,
Et l’on priait pour eux en sortant des saints lieux.
Combien j’aurais aimé, près de ma vielle église,
Sous un saule pleureur balancé par la brise
À goûter le repos. Mais non, car les savants
Disent que l’air des morts corrompt l’air des vivants !
En 1784, un arrêt du Parlement imposa à la communauté de ville la création d’un cimetière qui rencontra une hostilité très-vive dans les diverses paroisses. Et ce ne fut qu’en 1789 que notre ville, en vertu d’un arrêt du Conseil du 11 Octobre 1785 et de lettres patentes du 21 Décembre de la même année, acquit des Bénédictins de Saint-Melaine le champ de l’Estival au nord-ouest de Rennes, sur le bord du chemin de Saint-Grégoire.
Cette propriété municipale a reçu, à diverses reprises, de l’extension par suite de l’acquisition de parcelles dépendant de la propriété de Gros-Malon. Elle est ornée d’une sorte de chapelle à son entrée, élevée en 1829, sous l’administration de M. de Lorgeril, Maire de Rennes, qui donna quatre colonnes de granit pour sa construction.
On avait d’abord projeté de faire dire dans cette chapelle des messes pour les défunts, mais ouverte à tous les vents, elle ne pouvait évidemment être consacrée au culte et régulièrement desservie.
Dans la partie basse de ce monument on a ménagé des caveaux destinés à recevoir les restes des hommes que la Cité jugerait dignes de cette distinction. En 1838, le Lieutenant Général de Bigarré y fut inhumé. Un second caveau renferme les restes du général Péchot tué au combat de Neuilly devant Paris, le 7 Avril 1871.
Ce lieu servant de passage aux enterrements était peu propre à recevoir des cercueils, aussi y a-t-on renoncé.
Le cimetière actuel, avec ses larges allées, ses beaux grands arbres, ses mausolées, véritables œuvres d’art, est d’un aspect sévère et grandiose.
Des monuments superbes sont dus au sculpteur Léofanti, l’un représente la Résurrection, sur la tombe de sa mère, l’autre a été fait pour son ami et maître le sculpteur Barré, et le troisième lui avait été commandé pour le poète Turquety.
Presque toutes nos illustrations rennaises reposent dans ce cimetière : le grand patriote Leperdit ; le poète Turquety, qui fut surnommé le fils aîné de Lamartine ; le philosophe Henri Martin, doyen de la Faculté des lettres, dont les ouvrages — chose triste à dire — sont plus appréciés à l’étranger que chez nous ; le chimiste éminent Malaguti ; l’illustre professeur Duhamel, membre de l’Institut ; le savant ingénieur Durocher, auteur de la carte géologique du département ; les sculpteurs Lanno, Barré, Léofanti ; les peintres Desnoyers, Jourjon, Logerot, Briand, Francis Blin, Laloue, Vaumort, Robbes ; les généraux de Bigarré, Rapatel, Péchot, Pongérard ; le philanthrope Le Graverend, qui a légué sa fortune aux pauvres ; le docteur Drouadaine, qui a doté le Lycée ; le géologue Marie Rouault ; et enfin les quelques poètes et artistes qui furent nos amis : Victor Lemonnier, Édouard Alix, Delatouche, Théophile Langlois, etc. etc.
CANTON NORD-EST DE RENNES
Le sifflet du bateau à vapeur de Saint-Grégoire se fait entendre et nous allons en profiter pour faire une excursion dans le canton Nord-Est de Rennes.
En face le cimetière, de l’autre côté du canal, sur la rive gauche, on aperçoit le moulin de Trublet, encadré dans un paysage de la rivière d’Ille. De nombreux ruisseaux se croisent en tous sens, se cachent sous les oseraies, se séparent un instant, se retrouvent plus loin et enfin s’unissent pour venir baigner le bas du coteau du faubourg d’Antrain.
Depuis moins d’un an de nombreux suicides ont eu lieu au moulin de Trublet.
Plus loin des bouquets d’arbres, de grandes futaies nous révèlent la présence de villas cachées au milieu de la verdure : C’est d’abord la Bellangerais, à M. Le Bastard, Maire de Rennes. Et au-delà du chemin de fer, d’un côté le Brossif et de l’autre la Brétèche.
La Brétèche est un ancien manoir, converti en habitation moderne, qui est loué, chaque été, par ses propriétaires à des familles de Rennes. Une chapelle y fut édifiée en 1715 par Sébastien Bodin, sieur de la Morandais, échevin de Rennes, et on y disait la messe les dimanches et jours fériés pendant la vie du fondateur.
Il y a dans le jardin de la Brétèche un écho qui répète plusieurs fois chaque syllabe prononcée.
Au détour, que fait le canal à cet endroit, on voit l’écluse de Saint-Grégoire, le rendez-vous des pêcheurs. Là, d’ailleurs, se trouvent de charmants petits coins soit près de la minoterie, soit au bord des caves profondes près du pont de fer, soit enfin au-delà de l’écluse. Le canal s’élargit jusqu’à Charbonnière et présente une superbe nappe d’eau entourée de glaïeuls, de menyanthes, de nénuphars, de joncs, de carex sous lesquels le poisson fait la sieste à l’abri des chauds rayons du soleil.
Le bourg de Saint-Grégoire, environné de petits chemins creux, avec sa vieille église entourée de son cimetière, ses nombreuses maisons de campagne, sa proximité du canal, ses prairies verdoyantes, son bassin calcaire et ses souvenirs, offre de l’attrait aux promeneurs, aux savants et aux poëtes.
Saint-Grégoire est antérieur au XIIe siècle, et on assure qu’il existait autrefois dans un des murs de l’église un appareil gallo-romain. Les seigneurs de la Plesse, du Désert et de la Sauldraye y avaient jadis leurs armoiries et leurs tombeaux.
En 1456, l’évêque Jacques d’Epinay excommunia cette paroisse pour venger l’insulte que lui avaient faite les habitants en refusant de lui payer une rente de froment.
Le bassin calcaire de Saint-Grégoire est une des curiosités des environs de Rennes. Ce dépôt coquillier servit jadis à la confection des tombes funéraires. Il est présentement utilisé pour l’agriculture. On y trouve des coquillages entiers, et entre autres le pecten solarium, des bryozoaires, du corail blanc, des madrépores, des vermisseaux tubulaires et des dents de squales atteignant des dimensions énormes.
On retrouve en Saint-Grégoire la trace de la voie romaine, dite chemin de la Reine Anne, s’en allant vers Melesse, et à un kilomètre du bourg les vestiges d’un camp romain.
La Saudraye (autrefois Sauldraye) est un antique manoir de Saint-Grégoire qui appartint à Raoul du Tronchay au XVe siècle, et à Jean Louail seigneur de la Sauldraye au XVIe siècle. Sa vieille chapelle existe encore, et l’on s’y rendait autrefois en procession aux rogations.
Sur l’autre rive, en face la Saudraye, se dresse, comme une sentinelle vigilante, une maison d’éclusier derrière laquelle s’étendent d’immenses prairies baignées par la rivière d’Ille. Cette rivière alimente le moulin de Charbonnière avant de se jeter dans le canal.
Du mois d’Octobre au mois d’Avril, on entend, au milieu des aulnes, sur le bord de l’Ille, le chant d’un petit oiseau appelé tarin qui se suspend aux branches à l’exemple de la mésange. Il est gracieux, élégant et, malheureusement pour lui, beaucoup trop confiant, car il se laisse prendre à tous les pièges. C’est à Charbonnière que les oiseleurs de Rennes vont faire la chasse aux tarins qu’ils vendent pendant tout l’hiver, le samedi, sous les halles des Lices.
Cet oiseau nous quitte à la fin de Mars pour aller nicher dans les sapins des Alpes.
Le tarin, aux couleurs variées, s’habitue facilement en cage, devient même familier et s’apparie avec la femelle du chardonneret et du serin.
On rencontre à Charbonnière, au pied d’un petit tertre, une fontaine dont l’eau est excellente et la source abondante même pendant les plus grandes chaleurs de l’été. Elle est appelée fontaine du bois de Charbonnière.
Nous suivrons le canal à pied jusqu’à Betton. C’est une promenade qui ne manque pas de charme.
Un peu plus loin que Charbonnière, et du même côté, se trouvent le grand ruisseau de la Ville-Asselin et le vieux manoir de ce nom, dépendant encore de Saint-Grégoire. Cette propriété, avant d’être dévastée par le chemin de fer possédait de superbes charmilles qui servaient de but de promenades aux élèves du Grand Séminaire.
Puis, nous arrivons à Roulefort, en Betton, qui est relié à la Busnelaye par une longue avenue de châtaigniers. La Busnelaye était, en 1513, à Guy, sire d’Espinay.
Roulefort, situé sur le bord du canal, a été construit sur un petit monticule au milieu d’un verger planté de grands arbres. Il appartint autrefois à la famille de Lantivy et est aujourd’hui à M. de Bréon.
Chose assez curieuse, toutes les campagnes de Saint-Grégoire à Betton, sont sur la rive gauche du canal. Cela tient sans doute à la configuration du sol. La rive gauche possède quelques accidents de terrain, tandis que la rive droite est complètement plate.
Au point où nous en sommes de notre promenade, le canal décrit une courbe qui allonge considérablement le trajet. C’est un arc allant vers l’ouest dont l’un des bouts est à Roulefort et l’autre à la Mesvrais. À l’extrémité de cet arc est l’écluse du Gacet dont le nom a encore été emprunté à un petit manoir bien délaissé présentement et qui appartient à M. Édouard Duclos.
Après le Gacet c’est, à gauche du canal, une importante minoterie et la vieille gentilhommière de Pont-Bran. À droite, le grand village de la Rinais et, un peu plus loin, le château de la Vallée, de construction moderne et qui a remplacé l’antique habitation de la Mesvrais (autrefois Mesveraye), à la famille Torquat.
Ce château de la Vallée est superbe avec ses belles avenues, ses petits sentiers sous bois, son ruisseau communiquant avec le canal et permettant d’y aller en bâteau, ses grands jardins et sa chapelle. C’est une des belles propriétés des environs de Rennes.
Il y a quelques années on remarquait, sur le bord de la route de Rennes à Saint-Malo, en face le bourg de Montgermont, mais sur le territoire de Saint-Grégoire, les débris d’une vieille croix en pierre sculptée qui devait être du commencement du XVIe siècle. On voyait d’un côté l’image de Saint Nicolas et de l’autre un prédicateur en chaire. Elle était appelée croix de Galisson, du nom de la ferme sur laquelle elle se trouvait. Les mères qui avaient de petits enfants atteints de convulsions, les conduisaient en pélerinage au pied de cette croix, et priaient Saint Nicolas de guérir ces pauvres petits êtres, de leur affreuse maladie. M. Torquat, son propriétaire, l’a fait transporter dans son jardin de la Vallée et l’a placée, sous de grands arbres, près d’une statue de Saint André provenant de l’ancienne chapelle de la Mesveraye.
En 1723, Gilles Serpin, sieur de la Mesveraye, présenta pour desservir sa chapelle Alexis Haligon, clerc tonsuré, en remplacement de Benoît Yvon, sieur de la Bertrie, prêtre démissionnaire.
Avant d’arriver à Betton, il ne nous reste plus à signaler que l’écluse du Vauchalet, l’usine et la minoterie de Betton.
L’usine traite tous les produits obtenus par la distillation du bois en vase clos. Les principaux sont : l’alcool méthylique, vulgairement appelé esprit de bois ; l’acide acétique, très employé en agriculture sous forme d’acétate de soude ou de chaux. Le résidu de la distillation donne du charbon de bois et des goudrons.
Encore quelques pas et notre voyage sera terminé. Du pont, sur le canal, qui précède l’entrée du bourg de Betton, on aperçoit, à gauche, plusieurs bras de la rivière d’Ille qui se réunissent à la place qu’occupait l’ancien moulin de Betton, aujourd’hui transformé en minoterie.
Si nous suivions un instant le cours de l’Ille, en allant vers le village des Landelles, nous rencontrerions de délicieux endroits. Les arbres s’inclinent sur l’eau, les branches s’enlacent, les fleurs des rives s’allongent démesurément dans la pénombre, et le tout forme des paysages qui, sur l’album d’un artiste, feraient de charmants fusains.
Betton, bâti en amphithéâtre sur un rocher, est dans une jolie situation. Aspecté au soleil levant, il domine la rivière d’Ille, le canal, un marais, de vastes prairies et le chemin de fer de Saint-Malo. Du haut du bourg on aperçoit la forêt de Rennes.
Cette paroisse dut son origine à un ancien prieuré dépendant de l’abbaye de Saint-Melaine de Rennes, qui existait dès le XIIe siècle.
De l’ancien manoir prioral, il reste encore, au milieu du bourg, près de l’église, un grand corps de logis flanqué d’une élégante tourelle. Cette habitation, qui a conservé de son ancienne splendeur de jolies fenêtres et de beaux jardins, est occupée par des religieuses institutrices.
La charmante propriété du Val-Richer, à M. Delalande, située au-dessous de la précédente, faisait jadis partie des dépendances du prieuré.
Il y eut parmi les prieurs de Betton de véritables personnages : l’un d’eux fut inhumé dans la cathédrale de Rennes, et l’on plaça sur sa tombe l’épitaphe suivante : « Cy-gist Messire Jacques Leduc, en son temps sieur de la Massaye, prieur de Béthon, chanoine de céans, décédé en décembre 1570 ».
Un autre, Claude Cornulier, fut aumônier et conseiller du Roi, abbé commendataire de Blanche-Couronne et prieur de Betton, vers 1635.
Dom Nicolas Tartarin succéda au précédent.
Le prieuré consistait alors en un manoir avec ses grange, cour, jardins, prairies et bois taillis. Une juridiction seigneuriale de moyenne justice à Betton, les dîmes grosses et menues en la même paroisse dans les traits de Launay, le Guérichet, la Touche, la Gaudière, la Renaudière, Mézière, Cottuel et moitié du trait de Vauchalet ; dix mines[4] de seigle dues, chaque année, à la Toussaint, par le recteur de Betton, et vingt-deux charretées de bois à prendre tous les ans dans la forêt de Liffré.
Le prieur avait en outre les bailliages de Gevezé et de Vignoc. Gevezé devait chaque année au prieur de Betton 15 livres monnaie, un coq, une paire d’éperons, deux esteufs[5] et « deux douzaines de ruban incarnat ».
En 1787, les religieux de Saint-Melaine affermaient le prieuré de Betton aux conditions suivantes :
2 400 livres ;
10 milliers de paille à conduire à l’abbaye ;
62 livres 8 sols à payer au recteur de Betton pour le service de deux messes par semaine dues par le prieur ;
7 livres 10 sols à la Fabrique pour le luminaire ;
6 livres 19 sols 3 deniers, à l’évêque de Rennes, pour droit synodal.
En 1762, l’abbesse de Saint-Sulpice-la-Forêt affermait les dîmes de Betton 40 livres.
La Seigneurie de Saint-Sulpice s’étendait dans la paroisse de Betton et comprenait les fiefs et masures de Rigué, Macheré, le Housset, la Béchère, etc., valant 7 livres 9 sols 4 deniers, 17 boisseaux d’avoine et 4 gélines[6]. L’abbesse devait pour ce fief, au seigneur de Betton, 14 sols de rente.
En 1773, l’abbaye de Saint-Melaine possédait des dîmes en Betton qui s’élevaient à 2 600 livres de rente. Et le recteur de Betton, une portion congrue de 450 livres de rente.
En 1792, les Carmes de Rennes étaient propriétaires des terres de Calœuvre et du Bas-Boussart en Betton.
Vers la même époque, les Cordeliers possédaient la métairie de la Trunay en Betton.
Les Minimes avaient la métairie de Maison-Neuve.
Etc., Etc.
La Châtellenie de Betton appartenait à la famille de Saint Gilles, dès le XIIIe siècle. Vers 1425, Jehan de Saint-Gilles fut chambellan du duc de Bretagne Jean V.
Cette châtellenie passa plus tard aux d’Argentré et aux Montbourcher qui avaient le droit de faire courir quintaine et de tenir un marché au bourg le lundi, et trois foires aux fêtes de Saint-Mathieu, Saint Yves et le lundi de la Pentecôte.
L’emplacement du château des seigneurs de Betton se voyait encore, il n’y a pas très longtemps, à la ferme appelée la Métairie, près de laquelle se trouvait aussi une motte féodale.
En 1860, le seigneur de Betton avait le droit, le jour de la foire Saint-Eloy, de prendre dans l’Église de Mouazé, sur l’autel Saint-Eloy, cinq sols des oblations faites, pour payer une paire de gants qu’il portait à ladite foire.
Nous avons, sous les yeux, un acte de vente de 1792 en tête duquel nous lisons :
« Par devant les notaires soussignés de la juridiction et chastellenie de Betton supérieure à celle des Gailleules-la-Louvraye, » etc.
On voyait autrefois dans le chœur de l’ancienne église de Betton, la porte du manoir prioral, et dans la fenêtre ogivale du chevet, une remarquable verrière représentant la légende de Saint-Martin de Tours, patron de la paroisse, avec le portrait des donateurs, les de Saint-Gilles. Quelques débris de ces vitraux ont été conservés au musée archéologique de Rennes.
Des fonts baptismaux de 1536, portant les armes des de Saint-Gilles, ont été vendus au musée de Cluny.
L’église nouvelle, sur le haut d’un rocher au milieu du bourg, est en bon style roman.
Betton fut pillé et incendié pendant la ligue, notamment en 1591, 1592 et 1597.
Enfin, il existe sur les filles de Betton et de Melesse un vieux dicton que nous ne pouvons écrire ici, mais que le lecteur entendra très certainement quand il ira se promener dans le canton Nord-Est de Rennes.
On peut revenir de Betton à Rennes par la route de Saint-Malo et s’arrêter un instant à Montgermont paroisse qui eût pour Seigneur, en 1356, Jean de Montgermont qui commandait une compagnie dans les armées de Charles V.
Le Château de Montgermont a disparu. Il reste encore dans la commune de Rennes, au nord-est de Pont-Lagot, quelques vestiges de celui de Montbarot qui était autrefois en Montgermont.
Dans le pignon ouest de l’église de cette dernière commune est encastrée verticalement une pierre tombale en granit. Un abbé, revêtu de ses vêtements sacerdotaux, les mains réunies sur la poitrine, est sculpté en petit relief à sa surface. Sa tête est surmontée d’une sorte d’arcature. L’inscription gothique qui règne tout alentour, sur une seule ligne, est assez bien conservée ; chaque lettre d’ailleurs est incrustée en plomb.
Voici ce qu’on en peut lire : « James de la Vizeulle qui decepda le XXIII jor de may mil IIIcc LXI et fonda trois messes en perpétuel a cest Aultier… priez por luy… »
Différentes armoiries se voient à l’extérieur de l’église, encastrées dans les murs, ou à l’intérieur, parmi les débris de l’ancienne verrière d’une fenêtre qui a conservé ses meneaux.
À côté de l’église, en face de la pierre tombale dont nous venons de parler, est une motte féodale entourée de fossés.
Montgermont a donné le jour au père Gérard, député de Rennes aux États généraux.
Il était cultivateur dans cette commune au moment de la convocation des États généraux et fut élu député du tiers état de la Sénéchaussée de Rennes. Il se fit remarquer par sa simplicité, son bon sens et sa franchise toute bretonne.
Il demanda, en 1789, la suppression du droit de bétail perçu dans la Bretagne, vota, en 1790, la suppression de toutes les banalités et sollicita ensuite l’augmentation du traitement des curés de campagne. Il fit décréter que tous les députés absents ou qui s’absenteraient, seraient privés de leur traitement. Il demanda ensuite que l’assemblée ne reçut aucun traitement tant qu’elle n’aurait pas terminé la constitution. Il revint dans son pays, après la session, cultiver ses champs avec la même simplicité.
Collot d’Herbois fit paraître, au commencement de la Révolution, l’Almanach du père Gérard, qui obtint un très grand succès.
Un petit journal politique, républicain, « Le Père Gérard » a paru au Mans, il y a quelques années ; il était rédigé dans un style simple approprié aux paysans. À l’époque des périodes électorales, on le répandait à profusion dans les campagnes bretonnes.
CANTON SUD-EST DE RENNES.
Notre seconde promenade s’effectuera dans le canton Sud-Est de Rennes par la route de Paris jusqu’à Cesson pour revenir par Chantepie et St-Hélier.
En pénétrant dans le faubourg de Paris, on aperçoit, tout d’abord, à droite, les splendides bâtiments de l’imprimerie Oberthur, l’une des plus importantes de France.
Plus loin, sur le haut du tertre de Joué, aspecté en plein midi, c’est l’asile départemental d’aliénés de Saint-Méen qui contient près de 800 malades.
En 1852, lorsque le département d’Ille-et-Vilaine devint propriétaire de l’asile Saint-Méen, cet établissement ne se composait encore que des vieilles constructions érigées par son fondateur Guillaume Régnier.
Ce dernier, en 1617, acquit au lieu dit Tertre de Joué, près Rennes, un corps de logis, une petite cour, une grange, deux étables, un four, un puits, une pièce de terre, nommée pièce de la Vigne, contenant deux journaux environ, y compris un petit jardin, un courtil nommé courtil du Puits, la pièce de terre du Mitan, nommée la pièce de Dessous-Joué, contenant trois journaux et demi, et un pré, nommé le pré de Joué, contenant deux journaux de terre environ.
Tous ces héritages, francs de rente, relevaient de l’abbaye de Saint-Georges, à l’exception du pré de Joué qui relevait de Cucé, mais aussi franc de rente.
Il transforma la propriété en asile où les pèlerins qui s’en allaient prier sur la tombe de Saint-Méen étaient assurés de trouver un gîte et quelques ressources pour leur permettre d’arriver au terme de leur voyage.
Il fit bâtir la chapelle en 1653 et fonda ainsi cet établissement.
Il légua l’asile au chapelain qui fut obligé de recevoir les pauvres passants, attaqués du mal Saint-Méen (la pellagre), pendant une nuit seulement et de leur distribuer à chacun pour deux liards de pain et une chopine de cidre ou la valeur d’un sol, le tout à volonté des malades.
Le nombre des passants qui s’arrêtaient au Tertre de Joué atteignit 1 200 la première année et bientôt dépassa 5 000.
Telle fut l’origine de cet établissement, qui plus tard reçut le nom de Petit Saint-Méen, à cause de son voisinage avec le Grand Saint-Méen et qui constitue aujourd’hui une partie de l’asile départemental des aliénés d’Ille-et-Vilaine.
Il servit successivement de refuge aux lépreux, aux vénériens, voire même aux condamnés.
Quand il devint propriété départementale, on l’appropria tant bien que mal aux besoins de sa nouvelle destination.
Des acquisitions de terrains considérables ont été faites, des constructions monumentales ont été édifiées et, aujourd’hui, l’asile d’aliénés de Rennes est devenu un des beaux établissements de ce genre.
Plus loin, dans le faubourg, c’est la Piltière, autre asile tenu par les Petites sœurs des Pauvres, où les vieillards indigents des deux sexes viennent se reposer des fatigues d’une vie laborieuse en attendant le grand voyage.
BOURG DE CESSON
Enfin, en continuant vers Cesson, la vue est distraite par les nombreuses campagnes qui apparaissent de chaque côté de la route, tantôt au milieu de bouquets d’arbres, tantôt au bout de longues et belles avenues de chênes.
Le pont de Cesson, le dimanche et les jours de fête, est un but de promenade pour les habitants de Rennes qui s’abattent dans les auberges et les restaurants comme des volées de friquets, pour aller ensuite rêver ou courir dans les buttes de Pincepoche ou pêcher à la ligne sur les bords sinueux de la Vilaine.
Le bourg lui-même, éclairé par un gai rayon de soleil, se présente bien avec sa minoterie et les nombreux canards nageant dans la rivière ou faisant la sieste sur les verts pâtis derrière le moulin.
La paroisse de Cesson est antérieure au XIIe siècle, puisqu’on sait qu’à cette époque les bénédictins de Saint-Melaine de Rennes possédaient l’église et le prieuré des Forges.
On sait également qu’un de ses seigneurs, Raoul de Cesson, accompagna en Palestine le duc de Bretagne Pierre de Dreux, et se distingua par le courage et la valeur qu’il déploya contre les Sarrasins dans les combats qui signalèrent la seconde croisade de Saint-Louis.
L’église de Cesson, des XVe et XVIe siècles, a une fenêtre flamboyante ainsi que des portes ornées de voussures retombant sur des colonnettes.
On voyait à l’entrée du bourg, il y a quelques années, deux maisons curieuses, à portes ogivales, ornementées de feuillages et d’animaux dans le style fleuri du XVe siècle. L’une d’elles appelée maison de l’hôpital, est sans doute le dernier débris de l’hôpital fondé jadis par les Seigneurs de Cucé, et qui existait encore en 1679.
L’une de ces maisons a été démolie.
Cesson possédait aussi les restes d’un vieux pont de pierre qui, il y a une trentaine d’années, était composé de six arches inégales, datant du XIIIe ou du XIVe siècle. On l’appelait le pont des Romains, probablement à cause des trouvailles qui furent faites dans ses environs, à diverses époques, telles que : monnaies romaines, statuettes en terre cuite de Vénus Anadyomène, fragments de poteries, etc.
Ce pont de pierre vient d’être détruit.
C’est aussi sur le territoire de Cesson que l’on découvrit, en 1851, un magnifique torquès gaulois, ceinture en or massif, travaillée en forme de spirale, et faisant aujourd’hui partie des collections du musée de Cluny.
En 1724, cette paroisse comptait, en outre du bourg, douze villages ou hameaux qui s’appelaient Couësmes, Moucon, Vaux, Calendrou, la Valette, Sévigné, Jussé, la Salmondiére, Forges, Hentiveul, la Menouriais et Bray.
Les archives du département du Morbihan nous apprennent que la métairie de la Salmonnière, en Cesson (ne serait-ce pas plutôt la Salmondière ?) appartint, au XVIe siècle à la Chartreuse d’Auray. Voici dans quelles circonstances :
La Chartreuse, on ne l’ignore pas, avait succédé à la Collégiale de Saint-Michel-du-Champ, fondée par Jean IV, duc de Bretagne, en reconnaissance de la victoire gagnée par lui sur Charles de Blois, à Auray, le 29 septembre 1364. Elle était composée, en 1482, d’un doyen et de huit chapelains, et en 1791, d’un prieur et de douze religieux.
Or, en 1580, Jean Louvel, reçu à profession, accorda à chacun de ses nouveaux frères, pour eux et leurs successeurs à perpétuité, en reconnaissance des prières qu’il leur demandait : « Une livre de bonne huille d’olive pour la salade qui sera chacun an distribuée le premier jour d’Avril, et deux journées de jardinier pour dresser leurs jardins lorsqu’ils requerront. » je veux en outre, ajoute-t-il : « Estre basty en notre jardin une galerie de six piedz de large, et une estude au bout, qui contienne en longueur douze piedz et huict en largeur, et au-dessoulz de la dicte estude, ung cabinet de mesme grandeur, et par mesme moien réparer toutes les incommoditéz ; de notre celle (cellule) ».
Pour fournir à ces diverses dépenses, Jean Louvel abandonna à la Chartreuse la métairie de la Salmonnière, en la paroisse de Cesson, près Rennes.
Le chemin vicinal qui conduit de Cesson à Chantepie traverse la ligne du chemin de fer de Rennes à Paris.
Après le passage à niveau, à l’Ouest, se trouvent les buttes de Pincepoche, avec leurs belles carrières de schiste, leurs profonds ravins, leurs grands sapins ombreux. Au printemps, les primevères et les violettes font de cette campagne un endroit délicieux.
Du côté opposé aux buttes, à gauche de la route, se dressent les grands arbres de la Moniais, ravissante propriété appartenant à M. du Boisdulier.
La Moniais a été créée au milieu de carrières abandonnées, maintenant transformées en pièces d’eau, en coulées verdoyantes, en sentiers sinueux, en rochers escarpés au milieu desquels croissent de splendides rhododendrons, et des pins superbes qui donnent à ces lieux un charme tout particulier. Le jour, ces bosquets sont remplis d’oiseaux, notamment de pics, de sitelles, de roitelets couronnés, et le soir les ramiers et les merles y viennent chercher un abri pour la nuit.
Au sud de la Moniais, on rencontre le village important de la Menouriais, dans lequel existent encore quelques vieilles maisons à portes ogivales. L’une d’elles — nous a assuré la bonne femme qui l’habite — servit jadis de demeure à des religieuses qui s’occupaient de l’instruction des enfants.
Le géologue qui, dans ces parages, regarderait à ses pieds, ne tarderait pas à découvrir de très joli grès avec joues de quartz, et même du grès porphyrique très remarquable.
Si nous revenons prendre le chemin de Chantepie, nous côtoyons bientôt une mare surmontée d’un lavoir en bois, aux trois quarts détruit. Cette flaque d’eau, couverte d’une épaisse couche de lentilles (que les savants appellent des Lemnacées), entourée d’arbres et de buissons, présente un joli paysage qu’un peintre de passage à Rennes, a su habilement reproduire.
Un jour que j’étais assis au bord de cette mare, regardant les rats d’eau courir dans les joncs, je fus interpellé de la manière suivante par une vieille femme qui filait sa quenouille en gardant sa vache :
− Vous aussi, vous l’avez vue et entendue, sans doute ?
− Qui cela, ma bonne femme ?
− La malheureuse qui, chaque nuit, vient ici laver son drap de lit.
− Non, ma foi, mais je serais heureux de connaître son histoire.
Alors la vieille se fit prier, car les paysans n’aiment pas à causer quand on les interroge. Mais je lui parlai d’elle, je la questionnai sur ses enfants, sur ses chagrins — nous en avons tous, hélas ! — et je revins sur l’histoire de la mare que je finis enfin par lui faire raconter.
− Elle n’est ni longue ni gaie, me dit-elle, ainsi que vous allez en juger.
Il y avait dans ma jeunesse au bourg de Chantepie, une vieille avaricieuse qui faisait tant travailler son pauvre homme et le nourrissait si mal, que le malheureux mourut à la peine.
Quand il fallut l’ensevelir, elle le mit elle-même dans le drap usé, troué et sale dans lequel le défunt avait succombé.
L’enterrement fut vite fait et la vieille rentra chez elle pour se remettre à filer, ne voulant pas perdre de temps. Son unique passion consistait à économiser sur sa mangeaille et ses hardes quelques pièces de monnaie qu’elle ramassait dans un bas caché dans la paillasse de son lit.
Un soir très tard, qu’elle filait à sa fenêtre, au clair de la lune, pour ne pas brûler sa rousine, elle se mit à trembler de tous ses membres en regardant dans le cimetière situé sous sa fenêtre, car vous savez qu’à Chantepie le cimetière entoure l’église, et les maisons entourent le cimetière. Grand Dieu ! ce qu’elle avait sous les yeux était bien propre à l’effrayer : elle vit sortir de terre, à l’endroit où il avait été enterré, son bonhomme enveloppé dans son drap sale et troué qui se dirigeait vers son ancien gîte.
Elle n’eut pas la force de bouger, elle était quasiment paralysée. Un bruit de pas se fit entendre sur les marches de l’escalier, la porte s’ouvrit et un squelette s’approcha d’elle, qui se débarrassa de son drap et le lui jeta aux pieds.
« Méchante avaricieuse ! s’écria-t-il, voilà ton drap. Tes journées ne suffiront pas désormais pour le raccommoder, et tes nuits se passeront à le laver dans la mare de Cucé. »
Cela dit, il s’en retourna dans le cimetière se recoucher dans sa tombe.
À partir de ce moment, la veuve passa ses journées à boucher les trous du drap qui se déchirait la nuit sous le battoué de la lavandière. Elle mourut un an après, le soir même de l’anniversaire de la visite de son défunt homme ; mais elle revient ici toutes les nuits laver le linceul du mort.
Les habitants du village de la Menouriais l’ont entendue bien souvent, et moi aussi, ajouta la vieille en soupirant, et en faisant le signe de la croix.
Église et cimetière de Chantepie
En continuant vers Chantepie on arrive promptement à la grille du château de Cucé.
Le fief de Cucé, important dès le XIIe siècle, était alors possédé par une famille de ce nom. Plus tard, il eut pour seigneurs les Montbourcher, les Bourgneuf qui, en 1644, le firent ériger en châtellenie, les Boisgelin, en 1681, puis les Cahideuc du Bois de la Motte.
En 1859 mourut le dernier descendant des seigneurs de Cucé, le comte du Bois de la Motte, laissant une immense fortune et dix neuf héritiers collatéraux. Cucé fut alors vendu comme les autres biens et on fit argent de ces beaux arbres séculaires si connus des promeneurs de Rennes.
C’est après cette dévastation que M. Conan, comte de Saint-Luc se rendit adjudicataire du château et de son parc de 52 hectares entièrement clos d’un mur qui a près d’une lieue de tour.
Le château actuel, qui avait été construit par le cardinal Raymond de Boisgelin, archevêque de Tours, tombait en ruines. M. de Saint-Luc le restaura complètement.
C’est un bâtiment, à caractère monumental, orné de trois pavillons, dont l’ensemble rappelle, dans des proportions à tous égards plus modestes, le château des Tuileries. Devant l’esplanade s’étend aujourd’hui une prairie de huit hectares agrémentée de massifs habilement disposés. Quant à l’ancienne futaie, qui couvrait le reste du parc, elle a fait place à de riches cultures.
Depuis plusieurs années le domaine de Cucé appartient à M. Langlois.
Presque en face Cucé, de l’autre côté de la route, apparaît le petit manoir de Hallouvry qui a conservé son antique chapelle. Il a été possédé, en 1782, par Godefroy Berthelot du Plessix, notaire des États de Bretagne, et plus tard par Morice du Lérain. Hallouvry est aujourd’hui la propriété du Grand Séminaire de Rennes.
Encore quelques pas et nous sommes à Chantepie (de cantu picœ).
Cette paroisse est antérieure au XIIIe siècle. L’église du XVe siècle, possède deux fenêtres et une porte du style ogival flamboyant.
Comme Cesson, Chantepie a sa maison de l’hôpital, seul vestige de l’établissement charitable fondé en 1698, et en faveur duquel Louis XIV accorda des lettres patentes, le 25 Mars 1701.
En 1790, l’hôpital de Chantepie était tenu et administré, selon la volonté du fondateur, René Couasnon, par deux filles de la campagne, qui étaient en même temps chargées de faire l’école aux petites filles de la paroisse.
En quittant Chantepie, nous entrons pour ainsi dire dans un faubourg de Rennes. De modestes campagnes, des auberges, et quelques petits castels délabrés, convertis en fermes, sont alignés des deux côtés de la route jusqu’à Saint-Hélier.
C’est près de Saint-Hélier, le long du nouveau cimetière de Rennes, que se trouve le champ de la Carrée plus connu à Rennes sous le nom de Roque-Mignon.
On lit dans un manuscrit de la bibliothèque de la ville, qui a pour titre « Journal d’un bourgeois de Rennes au XVIIe siècle » le passage suivant :
« Le mercredi 8 Octobre 1662, il a été faict mourir deux hommes sur le Pré-botté, l’un desquels estait un jeune homme aagé de 19 à 20 ans qui avait tué son père, et fut rompu vif de plus de vingt coups et puis jetté vif dans un feu ; et l’austre était leur vallet qui, pour avoir aidé à tuer son maître fut aussi rompu de quelques coups vif et puis son corps porté à la Carrée ».
On lit aussi dans le cartulaire de l’abbaye de Saint-Georges-de-Rennes :
« En 1665 l’abbaye de Saint-Georges avait encore dans ses attributions le droit de fourches patibulaires à quatre pilliers et paux qui étaient placés : en un caroil près le gué de Boon, dans un champ situé un peu au-dessus de la ferme de la Bouquinais, à gauche en allant vers Chantepie. Ce champ formait l’angle de la route de Rennes à la Guerche et d’un chemin se dirigeant vers les terres. Il portait le nom de champ de la Carrée. »
Ce champ de la Carrée, comme on le voit, a été pendant de longs siècles le cimetière des condamnés à la pendaison. Il n’est donc pas étonnant qu’il soit encore rempli d’os humains.
Si en 1665 il était affecté aux fourches patibulaires des religieuses de Saint-Georges de Rennes, et si on y faisait passer de vie à trépas les condamnés à mort, plus tard, c’est-à-dire à la fin du siècle dernier, on y exposait les pendus exécutés sur la place des Lices et en d’autres lieux.
Un criminel ayant été pendu dans la petite ville de Bain fut amené à dos de cheval dans le champ de la Carrée. Lorsque le cadavre traversa le faubourg de la Magdeleine, tous les enfants l’accompagnèrent au-delà de Saint-Hélier pour assister à l’opération de Roque-Mignon.
L’origine de la paroisse de Saint-Hélier est fort ancienne :
En 1030, le duc de Bretagne Alain III fit don des moulins de Saint-Hélier au monastère de Saint-Georges, dont sa sœur Adèle était abbesse.
Vers l’an 1080, Guillaume, fils de Geffroy, comte de Rennes, voulant éviter les anathèmes lancés contre les laïques qui retenaient par hérédité les biens ecclésiastiques, donna aux religieuses de Saint-Georges, à l’occasion de l’entrée de sa fille dans ce monastère, une portion de la dîme de la paroisse de Saint-Hélier.
Raoul et Jean, frères du donateur, approuvèrent cette donation dont se rendirent caution Guillaume et Even de Montgermont.
En 1261, un recteur de Talensac fit don par testament aux desservants de l’église Saint-Pierre et du couvent de Saint-Melaine, des revenus provenant des vignes des Landelles près Quineleu dans la paroisse de Saint-Hélier.
En 1665, les religieuses de Saint-Georges jouissaient d’un fief appelé bailliage de Saint-Hélier et s’étendant en cette paroisse et celles de Cesson et de Chantepie ; elles levaient en outre les dîmes de Saint-Hélier dont elles abandonnaient la moitié au recteur.
En 1790, les dîmes de Saint-Hélier appartenaient encore à l’abbaye de Saint-Georges et au chapitre de Rennes.
La fabrique de Saint-Hélier possède un intéressant livre de paroisse rédigé par les recteurs de 1609 à 1790. Il fait connaître qu’en 1609 on célébrait très solennellement les fêtes de Pâques pour lesquelles le pape Paul V avait accordé des indulgences. Les paroisses voisines se rendaient processionnellement à Saint-Hélier le lundi de Pâques.
En 1610, on jonchait l’église de paille aux fêtes de Noël et de la Toussaint parce qu’elle restait ouverte toute la nuit. À cette époque on faisait de longues processions, allant, en 1620, le lundi de la Pentecôte à Notre-Dame de la Rivière en Domloup ; en 1625 à Saint-Roch de Moucon en Cesson, et à la Motte Bruslon en Saint-Laurent. Les enfants de la paroisse allaient à la fin de l’année chanter des Noëls en quêtant pour l’église.
Le vicomte de Rennes était seigneur supérieur, fondateur et prééminencier de l’église de Saint-Hélier, mais le seigneur de Baud y avait un banc à queue vis-à-vis l’autel de l’Ange gardien et ses armoiries dans la vitre voisine.
Une parcelle de la vraie croix fut donnée à Saint-Hélier en 1783.
Il ne reste aucun vestige de l’église primitive de Saint-Hélier. L’édifice actuel est une construction des XV et XVIe siècles. Son plan consiste en une nef à chevet droit accompagnée de deux transepts et d’un seul collatéral au Nord. Cette église fut restaurée vers 1830 et l’on érigea, à cette époque, un gracieux clocher que le mauvais état de l’église, vient de faire abattre.
Dans le portail occidental, on remarque un élégant échantillon des formes architectoniques de la fin du XVe siècle.
À l’intérieur est une chaire en bois sculpté à deux rampes. Ce travail de menuiserie, dans le style ogival fleuri est l’œuvre de
ÉGLISE SAINT-HÉLIER
Quelques tableaux décorent l’église : Une copie du Christ mort, de Jordaëns, dont l’original peint sur bois existe au Musée de Rennes. Ce tableau est un don de M. Jan, artiste peintre, ancien Directeur du Musée de notre ville.
Une copie de la Vierge et de l’enfant Jésus, due au pinceau de M. Dangin-Lubin qui fut reçu à l’Académie royale de peinture le 4 Août 1651.
Les stations du chemin de croix, œuvre des plus médiocres, sont de Rousseau-Lagrave, artiste lyrique qui a laissé comme ténor une certaine réputation.
Jeune homme, il fut à Rennes le protégé de l’évêque Godefroy Saint-Marc qui avait un plaisir extrême à l’entendre chanter parmi les élèves de la Maîtrise de la Cathédrale.
Après s’être livré à la peinture du paysage, il entra dans un couvent de trappistes qu’il quitta bientôt pour entrer au Théâtre. Il débuta, à Rennes, dans la Favorite, où il eut un très grand succès. Nos pères ne tarissaient pas d’éloges lorsqu’ils s’entretenaient du talent de Rousseau-Lagrave.
Il eut également du succès à Bordeaux et ensuite à Paris à l’Opéra.
Il est mort en mer dans le naufrage d’un navire qui avait à son bord une troupe de comédiens se rendant à la Nouvelle-Orléans. Il avait à peine trente ans.
À l’emplacement du Calvaire actuel de Saint-Hélier il existait encore vers la fin du XVIIIe siècle une chapelle dite de l’Ecce Homo, oratoire cher à la dévotion populaire. On y transportait suivant un usage ancien les cercueils des défunts de la campagne avoisinante en attendant la cérémonie des obsèques à l’église Saint-Hélier.
Au sud de la rue Saint-Hélier se trouve la communauté des filles de la Sainte Vierge, ordre religieux fondé à la fin du XVIIe siècle par Anne-Marie Budes.
Pendant la Révolution cette communauté fut transformée en filature. On y annexa plus tard un dépôt de mendicité dans lequel on retenait les prostituées que la police y envoyait. Ce ne fut qu’en 1825 que quelques-unes des religieuses expulsées le 17 Novembre 1792 rachetèrent leur ancienne maison qui reprit alors sa destination primitive.
À l’entrée de la rue Saint-Hélier, du côté nord, est la prison militaire ainsi que le conseil de guerre du 10e corps d’armée. Ces divers établissements ont été construits dans l’emplacement occupé jadis par la maison centrale de détention qui, elle-même, avait remplacé le Petit Séminaire fondé en 1708 par l’évêque de Rennes de Lavardin.
En 1560, cette propriété qui bordait le chemin du moulin de Saint-Hélier appartenait à un nommé Mennemier Escoufflard et portait alors le nom de Bouzillé.
Elle servait de lieu de réunion aux protestants de la réforme. Ce nom de Bouzillé fut également donné à la ruelle qui se trouvait vis-à-vis et qui rectifiée et élargie porte le nom de rue de Châtillon.
Enfin un évêque irlandais, Kirivan proscrit par Cromwell, mourut en odeur de sainteté, le samedi 27 Août 1661, dans une maison appartenant au sieur de Betigneul Lebreton, rue Saint-Hélier. Le lundi suivant son corps fut inhumé dans l’église neuve Saint-Thomas des pères Jésuites, rue Saint-Germain, aujourd’hui église Toussaints.
CANTON SUD-OUEST DE RENNES
Nous retrouvons dans nos notes manuscrites une promenade que nous fîmes autrefois dans le canton Sud-Ouest de Rennes. Nous la transcrivons ici telle que nous l’écrivîmes il y a déjà bien des années.
Ce matin, un gai rayon de soleil est venu folâtrer dans les rideaux de ma fenêtre et m’a fait m’écrier : « Oh ! la belle journée ! »
Puis, j’ai songé que c’était dimanche, c’est-à-dire jour de repos et de liberté, qu’il devait faire bon dans les prés remplis de pâquerettes et de primevères, et que j’avais un pèlerinage à accomplir dans un cimetière de campagne sur la tombe d’un ami.
Une heure plus tard, je me dirigeais vers la gare pour prendre le train de Bruz.
Les troisièmes — qu’un voyageur facétieux, placé à côté de moi, appelait les premières roses, en regardant la couleur de son billet, — les troisièmes, dis-je, étaient remplies de pêcheurs, de promeneurs, de femmes, d’enfants et aussi d’amoureux. Tout ce monde remuait, fumait, mangeait, babillait, chuchotait, heureux de la perspective d’une journée dans les champs.
À Bruz, la bande joyeuse s’est dispersée, les pêcheurs vers Blossac, les promeneurs dans la direction du Boël, et les amoureux dans la forêt de Laillé.
La vieille et modeste petite église de Bruz, — plus originale, à mon avis, que l’orgueilleuse cathédrale qui l’a remplacée, — est encore debout au milieu du bourg, projetant son ombre sur les chétives maisons qui font cercle autour d’elle comme des enfants autour d’une grand’mère.
Cette petite église a inspiré à M. Robbes, peintre Rennais, un charmant tableau.
En 1084, l’évêque de Rennes, Sylvestre de la Guerche, fut fait seigneur de Bruz par Geoffroi, comte de Rennes. Le manoir seigneurial qui a servi longtemps de résidence d’été aux évêques successeurs de Sylvestre, existe encore. Il a été la propriété du célèbre jurisconsulte Toullier, qui l’affectionnait tout particulièrement, et y a écrit plusieurs de ses ouvrages. M. Paulmier, dans son éloge de Toullier, s’exprime ainsi en parlant du manoir : « C’était là que, s’enveloppant de silence et d’études, il retrempait son génie dans la contemplation de cette forte nature, et que, s’imprégnant peut-être de la teinte des lieux, il donnait à son style cette originalité, cette sève, cette couleur, quelquefois même cette âpreté qui le distinguent. »
Le manoir, tel est toujours son nom, se trouve sur le chemin vicinal de Bruz à Laillé, à l’endroit où ce chemin franchit la petite rivière la Seiche.
Le château de Cicé, aujourd’hui en ruine, dont les tourelles pointues indiquent une haute origine, est situé sur le bord de la Vilaine. Il existe encore, dans la plus grande des salles, d’anciennes peintures sur bois, d’une naïveté étonnante, et représentant des sujets de chasses.
Il appartenait au siècle dernier aux de la Bourdonnaye de Montluc seigneurs de Laillé.
Les seigneurs de Cicé ne paraissent dans nos annales que vers le XVe siècle, avec le titre de chevaliers. Au XVIe siècle ils devinrent barons. Le premier d’entre eux qui nous soit connu, est Charles Champion, conseiller au Parlement de Bretagne.
En 1520, un François Champion, Escuyer, tenait noblement le bailliage de Monthelleu dans la paroisse de Laillé.
Un Champion de Cicé fut évêque de Tréguier au XVIIe siècle.
Tout près du château de Cicé se trouve le bois taillis de Chancor (campus corvi, — champ du corbeau).
Les autres châteaux de Carcé, de la Bihardais, de la Pommerais ne conservent plus de traces de leur ancienne splendeur.
M. Le Graverend, ancien député d’Ille-et-Vilaine, a légué aux hospices de Rennes sa propriété de la Pommerais, située au sud ouest du bourg, non loin du manoir, pour être affectée à un asile de vieilles femmes. Elles sont en ce moment quarante environ, soignées par les sœurs des incurables.
On aperçoit la Pommerais du chemin de fer, au-delà de Bruz, immédiatement après avoir traversé la Seiche. On distingue le magnifique cèdre qui se trouve devant l’habitation et, derrière celle-ci, le bois de sapins qui sert de promenoir aux vieilles femmes.
Les maisons aux toits rouges qui se trouvent à côté, sont les fermes de Pierrefitte, construites par M. Bodin, l’ancien Directeur de la ferme École des Trois-Croix.
En 1529, Bruz fut incendié et trois de ses habitants pendus pour avoir assassiné deux officiers anglais. Le centre du bourg était alors, croit-on, à l’endroit où se trouve aujourd’hui le village de Saint-Armel, près de la Seiche ; on reconstruisit les maisons sur l’emplacement qu’elles occupent présentement.
C’est dans le cimetière de Bruz que repose le corps de mon ami. Aucun marbre, aucune croix n’indique sa tombe reléguée dans un coin, les malheureux suicidés ne devant pas être confondus avec les autres morts. Les plantains et les potentilles seuls, la recouvrent de leurs feuilles toujours vertes.
Pauvre et cher poète[7], toi si bon, si aimable, et pourtant si vite oublié, pourquoi le malheur est-il venu te frapper au moment où tu y pensais le moins ? Ah ! pourquoi ? Pourquoi le ciel se couvre-t-il de nuages au milieu d’un beau jour ? Pourquoi la foudre brise-t-elle, sans raison, l’arbre de la forêt ?
En m’agenouillant sur l’herbe, les yeux pleins de larmes, j’ai récité tout bas, des vers de mon ami :
« Dors, enfant aux doux yeux bleus,
« Dans ton berceau de dentelle,
« Pour te couvrir de son aile
« Un ange est descendu des cieux.
« Assis à ton chevet, il admire en silence,
« Ton petit front si pur, sans rides, sans douleurs,
« Et ta paupière close et ton air d’innocence,
« Et tes songes tous pleins d’étoiles et de fleurs !
« L’Ange qui sur toi veille et que le ciel te donne,
« C’est ta mère, enfant blond, ta mère à l’œil d’azur,
« Au front brillant encore de la chaste couronne
« Des vierges au cœur pur.
« Ferme sous ses baisers, doucement ta paupière,
« Sur ton cœur innocent croise tes faibles bras
« Et que son nom sacré soit la seule prière
« Que tu dises tout bas !
« Dors et repose en paix, trop tôt viendront les larmes !
« L’instant heureux, enfant, est l’heure du sommeil ;
« Au pied de ton berceau la vie et ses alarmes
« Attendent ton réveil »
Un autre poète, M. Bernard de la Durantais dort du long sommeil dans le cimetière de Bruz ; mais il a, lui, un tombeau superbe sur lequel sont énumérés les emplois qu’il occupa et les honneurs qu’il obtint de son vivant.
M. de la Durantais fonda, à Rennes, en 1853, avec Turquety, Boulay-Paty et d’autres jeunes gens, la première Revue de Bretagne. Il fit représenter au théâtre de cette ville un opéra en trois actes : « Bretagne et Mercœur » qui n’eut qu’un succès d’estime. Il contenait, cependant, d’assez jolies mélodies. L’une d’elles, Les Laveuses de nuit, a été depuis rééditée sous forme de romance avec un magnifique dessin fantastique de Victor Lemonnier.
« Quand vous marchez, dans les bruyères,
« Sur le bord des torrents, la nuit,
« Prenez bien garde aux lavandières,
« Aux lavandières de minuit. »
M. de la Durantais fut, pendant plusieurs années, sous-préfet de Châteaubriant ; mais il donna sa démission pour aller habiter Bruz où il fut nommé maire et conseiller général du canton. Il est mort chevalier de la Légion d’honneur.
Il a légué, par son testament, cinq cents francs de rente au bureau de bienfaisance de Bruz, cinq cents francs de rente à la commune pour ses chemins vicinaux et un capital de dix mille francs pour la construction de la nouvelle église. Le conseil municipal reconnaissant, a voulu que la commune lui fit don, dans son cimetière, d’un terrain pour sa sépulture et celle de toute sa famille.
Il n’était que midi quand je quittai le champ du repos pour aller, dans la commune d’Orgères, admirer les rochers des Noyers et du Tertre.
Jamais jour de printemps ne fut plus tiède ni plus ensoleillé. Le rouge-gorge gazouillait sur le haut des cerisiers en fleurs, et la vaillante alouette s’envolait au ciel en chantant son hymne à la liberté.
Des troupeaux de vaches et de moutons, sous la garde d’un enfant, paissaient le long des talus, de petits poussins suivaient leur mère aux abords des fermes, et dans les champs, de grandes nappes jaunes de navets fleuris embaumaient l’air.
La rivière La Seiche, que traverse la route, est encaissée entre des rives plantées d’arbres ombrageant la minoterie de Carcé. Tout à côté se dresse, au milieu des jardins, le manoir de Carcé connu dès 1400. Transformé en habitation moderne, il n’a conservé que de rares vestiges de son antiquité. La chapelle, elle-même a disparu.
Après avoir passé le pont on aperçoit, à gauche, sur le bord de la route, une grande mare au centre de laquelle se trouve une île recouverte de broussailles, entourée de grosses touffes de carex, et émaillée de cardamines roses.
Ce marais fut, il y a longtemps, l’effroi des paysans des environs. Il était hanté, disait-on. En effet, le matin, à l’aube, et le soir, jusqu’à la nuit, des cris affreux partaient de la mare, et étaient attribués à une âme du Purgatoire réclamant des prières.
Un jour, des chiens à la poursuite de râles d’eau, pénétrèrent jusque dans l’île et firent s’envoler un grand échassier qui tomba sous le plomb d’un chasseur. C’était un butor dont le cri est une espèce de mugissement bien propre à effrayer les gens qui n’ont pas l’habitude de l’entendre, surtout au milieu des ténèbres.
L’oiseau mort, le calme se fit dans la nature comme dans les esprits.
De gigantesques cheminées m’apprirent que j’approchais de la mine de Pont-Péan.
Cette mine, découverte en 1728, par des potiers occupés à extraire de l’argile, a une superficie de plus de huit kilomètres carrés. De nombreuses galeries s’étendant sous les communes de Bruz et de Saint-Erblon, facilitent l’exploitation des diverses directions des filons.
Les ouvriers de la mine, au nombre de 1 000 à 1 200 sont pour la plupart des bas-bretons. Ils forment une population à part dont les mœurs diffèrent complètement de celles des paysans de Bruz. Ils ont conservé les idées superstitieuses de leurs pays et croient encore à toutes sortes de génies.
Écoutez plutôt un de leurs contes :
Le petit mineur est le lutin protecteur des ouvriers de la mine qu’il affectionne et qu’il aime. Passant sa vie au milieu d’eux, il surveille, inspecte les travaux et évite, autant qu’il le peut, des malheurs à ses amis.
Si un travailleur s’assoit un instant pour se reposer ou pour manger son morceau de pain noir dans un endroit dangereux, aussitôt le petit mineur l’en prévient. Il fait pleuvoir dru comme grêle, sur la tête de l’ouvrier, de la poussière, des graviers et même des cailloux pour l’obliger à déguerpir au plus vite.
D’autres fois, lorsque des terrains doivent s’écrouler sans qu’on s’en doute, ou bien encore quand les échafaudages et les boiselages sont pourris et menacent de s’effondrer, le lutin qui voit tout, qui entend tout, donne l’alarme. Il frappe des coups précipités et distincts aux endroits dangereux ; il imite à s’y méprendre le bruit des craquements souterrains et fait prendre la fuite aux mineurs. Ceux-ci vous affirmeront même qu’ils ont été appelés par leurs noms au moment d’une catastrophe. Les faits sont venus trop souvent, hélas ! confirmer les prédictions du petit mineur, et n’ont fait qu’accroître, comme on le pense, son pouvoir surnaturel.
Pendant des manœuvres de pompes, de halage de cages de minerai, au moment où quelque travailleur courait un danger imminent, soit qu’il fût prêt à passer dans la cage descendant dans le puits, soit dans toute autre circonstance périlleuse, on a entendu soudain, au milieu des ténèbres, et au moment suprême, des commandements étranges qui avaient pour effet de conjurer le danger. Ce danger passé, personne n’avait donné d’ordres ; ce ne pouvait donc être que le petit mineur.
Que de fois n’a-t-on pas vu des puits sur le point d’être abandonnés parce que toutes leurs galeries étaient devenues stériles. Les ingénieurs, les directeurs avaient déclaré que toutes les recherches étaient désormais inutiles, qu’il n’y avait plus rien à espérer. Soudain, au milieu du silence profond de ces noirs souterrains, des coups de pioche se faisaient entendre, mais très distinctement, à intervalles réguliers, et, lorsqu’on se dirigeait du côté du bruit, on reconnaissait que la terre avait été fouillée. En creusant le sol à cet endroit, on retrouvait le filon disparu.
Les mineurs de Pont-Péan ont une telle croyance dans le lutin que, la veille de la Sainte-Barbe, ils vont le consulter pour savoir s’ils mourront dans l’année. Ils descendent à cet effet dans la mine, à leurs chantiers, et là, chaque mineur allume une chandelle qu’il laisse brûler. Si la lumière s’éteint avant d’être consumée, c’en est fait de leur existence : le lutin invisible est passé qui a fixé le terme de la vie de son protégé.
Des déblais considérables, extraits des souterrains, forment des monticules sans nombre, entre lesquels on voit çà et là de petites chaumières d’où sortent des mioches joufflus. Dans les courtils, quelques mineurs jardinent, tandis que d’autres jouent au bouchon à la porte des auberges.
Une poussière d’un gris bleu, presque impalpable, est chassée par le plus petit souffle de vent et vous recouvre des pieds à la tête. Elle donne à ces lieux un aspect si triste et si désolé que ce fut avec un véritable sentiment de satisfaction que je rejoignis la grande route de Nantes, d’où part le long ruban de chemin vicinal qui conduit à Orgères.
Afin d’abréger la distance, on peut prendre une superbe avenue qu’on appelle dans le pays la rabine du château.
Oh ! le pauvre château d’Orgères ! Il fait peine à voir, tant il est délabré, au milieu de ses douves profondes où dort une eau croupie recouverte d’un épais limon. Il ne lui reste rien de sa splendeur passée. On dirait qu’il n’a pas voulu survivre à la puissante famille qui l’habita si longtemps.
La seigneurie d’Orgères fut érigée en baronnie l’an 1641 pour Gabriel de Bourgneuf, seigneur de Cucé, président au Parlement de Bretagne, et pour deux évêques. Cette famille s’est éteinte ; de sa seigneurie, il ne reste plus que des épaves et de son ancien castel qu’une maison qui croule, sur laquelle nichent les corneilles, amies des ruines.
L’église d’Orgères, située sur une éminence, au milieu du bourg, a conservé quelques parties du XVe siècle.
Du haut de l’avenue, dite la rabine, qui aboutit à Orgères même, la vue découvre un charmant paysage qui embrasse Bout-de-Lande et Laillé.
Mais si l’on veut jouir d’un panorama splendide, il faut se rendre au moulin à vent de Bouharée. De cet endroit, la vue s’étend sur dix-sept communes dont on distingue facilement les clochers.
À un kilomètre au sud du bourg, au milieu des champs, est une baronnie convertie en ferme, appelée Châtenay. On voit encore au-dessus de la porte un écusson dont les armes ont été mutilées, et à droite de l’habitation une très belle motte féodale ombragée de chênes séculaires et recouverte de buis et de sylvies des bois.
Un poteau, placé sur des ruines, indiquait encore, il n’y a pas plus de cinquante ans, que le seigneur du Châtenay avait vaincu, en bataille rangée, trois de ses vassaux ligués contre lui.
Quelques pièces de terre séparent Châtenay de la ferme des Noyers. Cette ferme située dans le fond d’une vallée, est à deux cents mètres au plus des rochers, objet de ma visite.
Il est difficile de rencontrer un plus beau site que celui que la nature nous offre en cet endroit. Deux coteaux abrupts, couronnés d’énormes rochers qui semblent vouloir se détacher du sol, enserrent une gorge dans laquelle coule un ruisseau.
De nombreux blocs de pierre, épars çà et là au pied des coteaux, ressemblent à des dolmens détruits et à des menhirs renversés. L’une de ces pierres, la plus curieuse, appelée la pierre du diable, a 2 m. 50 de longueur sur un mètre de largeur. Elle est appuyée à l’une de ses extrémités sur deux autres gros cailloux. Enfin, sur le dessus est une empreinte ressemblant assez à une main ouverte.
Il existe dans un petit ouvrage intitulé : « Fleurs des landes, ou origine chrétienne d’Orgères », par Jules Louail, une légende sur la pierre du diable. M. Louail est né à la ferme du Tertre qui se trouve au versant de l’un des coteaux que je viens de décrire.
Cette pierre, dit-il, fut lancée du haut de la colline par la druidesse Irmanda, contre Saint-Martin évangélisant le pays, et les creux observés sur la pierre ne sont autre chose que l’empreinte de la main de la druidesse.
Le soleil, à l’horizon, m’a prévenu, hélas ! qu’il était temps de partir. Ma boîte à herboriser sur le dos, je suis revenu à Orgères où les cloches sonnaient à toute volée, pour la communion des enfants. Garçons et fillettes, les riches comme les pauvres, tous, de neuf habillés, portant des étendards aux vives couleurs, se rendaient à la procession.
Le bon vieux maître d’école, devant la maison communale, rangeait ses élèves sur deux rangs, et frappait trois coups dans ses mains pour leur donner le signal du départ.
Le soir venu, je voulus rentrer à Rennes à pied par la route de Nantes. Mais bientôt le ciel chargé de nuages depuis quelques heures déversa sur ma tête une pluie torrentielle qui m’obligea à chercher un abri. Comme je venais d’atteindre les premières maisons du village de la Chaussairie, qui sont alignées des deux côtés de la grand’route, je ne tardai pas à apercevoir une branche de buis sur le haut d’une porte. À cette enseigne, je reconnus un cabaret, et m’approchant, je vis écrit sur le mur :
ON BOIT ET ON MANGE
J’entrai aussitôt.
À la lueur fumeuse d’une chandelle fétide, j’aperçus quatre buveurs autour d’une table, en train de savourer le picton du pays. Près du feu, un petit tailleur, assis sur un escabeau, cousait un vêtement, et deux bambins se roulaient, dans les cendres du foyer, en tirant de temps en temps les oreilles et la queue d’un chat maigre, qui s’obstinait à garder sa place. — Ma présence ne sembla déranger personne. Je pris un siège et m’assis près du feu.
À en juger par leur conversation, mes voisins devaient être chaufourniers ; ils se plaignaient amèrement de la modicité des prix de journées et du vilain temps qui les empêchait souvent de travailler. Dans ce pays, du reste, tout le monde est chaufournier, mineur ou potier. Ce sont les seules industries de la contrée.
Au bout d’un instant, la porte s’ouvrit tout-à-coup, et un grand gaillard, à figure joviale, parut sur le seuil.
— « Tiens, dit-il, je m’en doutais, les camarades sont là, et je viens trinquer avec eux. » Puis, avisant le petit tailleur, il s’écria : « Est-ce possible ? je n’ose en croire mes yeux ! Le père Sanglé en chair et en os comme saint Amadou ! D’où s’arrache-t-il ? je ne l’ai pas vu depuis près de dix ans, et je le reconnais tout de suite. Dame ! ce n’est pas étonnant, au surplus, il m’amusait tant, lorsque j’étais petit, avec ses contes de revenants qui m’empêchaient de dormir. A-t-il dû en apprendre dans ses voyages ! Mais, c’est égal, s’il veut m’en raconter un, je choisirai encore, comme autrefois, la Mare à la fiancée. »
Le tailleur, que ce flux de paroles fit sourire, leva la tête et dit :
— « Moi, grand bavard, je te reconnaissais à la voix. Je n’ai pas besoin de mettre mes lunettes pour cela. Tu ne changeras donc jamais ? Le grand Michel sera toujours un braillard et un hâbleur ; mais cependant si la tête est folle, le cœur est bon. »
Ce dialogue échangé, ils se serrèrent cordialement la main et rapprochèrent leurs chaises du feu.
Le tailleur, questionné sur sa longue absence, nous apprit que la manie des voyages s’était emparée de lui, et qu’afin de la satisfaire, il était parti, un beau matin, pour aller apprendre, dans le fond de la Bretagne, les récits qu’on lui avait tant vantés. « Je reviens, ajouta-t-il, bien désenchanté, mes bons amis ; leurs histoires peuvent être plus belles que les nôtres, mais je ne le crois point. D’abord, ils les racontent dans une langue que je n’ai pu comprendre, et ils se refusent à les traduire, parce qu’elles perdraient toutes leurs beautés. Menteries que tout cela ! Si elles étaient vraiment si charmantes, ils pourraient les dire dans toutes les langues, et surtout en français. »
Les heures s’écoulaient ainsi, la pluie tombait toujours, et la conversation de mes deux voisins ne tarissait pas. Le grand Michel avait parlé de la légende de la Mare à la fiancée, et j’étais bien décidé à ne pas partir avant de l’avoir entendue. Or j’offris un pichet de cidre à la société, — sûr moyen d’être bien accueilli, — et je priai le tailleur de nous la raconter. Le père Sanglé se fit bien un peu tirer l’oreille, mais, le grand Michel aidant, nous parvînmes à le décider.
— Ce n’est point un conte que je vais vous faire, commença-t-il, c’est une histoire véridique que je tiens de mon grand-père, qui était chantre à l’église de Saint-Erblon, et qui savait lire dans tous les livres, pieux et autres.
Or donc, longtemps avant que le grand chemin de Rennes à Nantes fût fait, vivait, à la ferme des Noyers, en Orgères, une jeunesse d’une rare beauté, qui croyait en Dieu et secourait son prochain. Ses gens[8] qu’elle affectionnait ainsi que tout enfant doit le faire, comme de juste, l’aimaient au point de ne jamais rien entreprendre sans la consulter. Du reste, faut l’avouer ; elle était sage et entendue pour son âge, car elle comptait à peine dix-sept ans, quand on lui proposa de s’établir[9].
Fraîche comme la fleur dont elle portait le nom, Rose Landelle n’était point vaine de sa personne et ne faisait les yeux doux à aucun, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir un grand nombre d’amoureux. Les galants venaient de plus de dix lieues à la ronde, tant la réputation de la fillette s’étendait au loin.
Cependant il y en avait un plus assidu et mieux accueilli que les autres. Il était du bourg de Chanteloup et s’appelait Pierre Sauvage. C’était un brave jeune gars, courageux et bon chrétien, avec cela doux comme une brebis. De plus, il avait un bon petit fait[10] au soleil, ce qui ne déplaisait pas au père et à la mère de Rose. Celle-ci ne disait ni oui, ni non, mais ne semblait point pressée de prendre un maître.
Pierre, cependant, ne désespérait pas de se faire aimer. « Puisqu’on me laisse revenir, pensait-il, et qu’on renvoie les autres, toute chance de succès n’est pas perdue. » Le malheureux était loin de se douter de tout ce que lui réservait la Providence, pour l’éprouver, sans nul doute !
Il y avait alors, à Pont-Péan, un grand vaurien, appelé Jean Jumel, qui était contre-maître à la mine et qui gagnait de bon argent. C’était un cadet muscadin, bien façonné et point innocent[11]. Il savait tourner un compliment, chanter des chansons et en inventer même au besoin. C’était en un mot le béguin[12], la coqueluche du canton.
Ce mauvais sujet passait les soirées et presque les nuits entières dans un cabaret mal famé, situé au haut de la côte de Bout-de-lande, où tous les garnements se donnaient rendez-vous. Ce bouge affreux était tenu par un vieillard du nom de Jérôme.
Certains bruits couraient que de riches colporteurs entrés pour passer la nuit dans cette auberge, n’en étaient jamais ressortis. Ce qui le fait bien supposer, c’est que l’on a trouvé, en défrichant la prée derrière la maison, un grand nombre de squelettes humains, il n’y a pas beaucoup plus de vingt ans. Mais, comme la police était mal faite dans ce temps-là et que la maréchaussée allait elle-même se divertir dans ce mauvais lieu, on ne songeait point à inquiéter le bonhomme.
Ce dernier était d’ailleurs un maître fripon, un fin voleur, s’en allant la nuit par voies et par chemins. L’on n’osait rien dire, bien qu’on le surprit souvent à serrer le bien d’autrui, parce qu’il était méchant et malicieux, et qu’il avait bientôt jeté des sorts à ceux qui le rencontraient ; à preuve que la maison de Julien Ballard, le cantonnier, qui l’avait menacé de le dénoncer à la justice, fut bouleversée par des rats énormes restés inconnus jusque-là. Ces animaux rongèrent tout ce qu’il y avait, et si Ballard n’avait décampé au plus vite, c’en était fait de l’homme, il était mangé à son tour.
Et Jacques Tardif donc, qui avait le corps couvert de petites bêtes dévorantes, pour lui avoir jeté des pierres une nuit qu’il le vit dans son courtil à déraciner des pommes de terre. C’est encore un fait certain et avéré qu’il ne put s’en défaire qu’en allant porter deux écus de trois livres au vieux Jérôme, qui dit des paroles auxquelles il ne comprit goutte, et l’envoya, avant le soleil levé, au bord de la rivière, battre sa chemise pendant une heure avec une branche d’épine noire, après cela, ce fut fini, il ne fut plus jamais inquiété.
Je vous citerais bien d’autres faits du vieux sorcier, si je vous racontais son histoire ; mais c’est celle de la Rose et non la sienne qui nous occupe présentement.
Donc pour en revenir à Jean Jumel, ne s’avisa-t-il pas de dire à ses camarades de débauche qu’il avait envie d’épouser la belle Landelle ! Les autres se moquèrent de lui, mais, huit jours après, ils furent bien penauds, quand ils apprirent que les accordailles avaient lieu.
Voici ce qui était arrivé : le pas grand’chose s’était rendu à la ferme des Noyers, beau comme un soleil. Il avait mis, l’astucieux serpent, son pantalon de futaine et son touron de castorine, qui faisaient valoir ses avantages physiques, et, dans quelques heures, avec son air guilleret, il entra plus avant dans le cœur de l’innocente que le pauvre malheureux Pierre depuis qu’il y venait.
Rose n’écouta ni les avis, ni les conseils de personne, pas même les remontrances des siens, qui voyaient dans l’avenir de gros nuages noirs pour leur enfant. Elle était ensorcelée par ce luron, qui lui promettait monts et merveilles, c’est-à-dire plus de beurre que de pain, et qui l’endormait par ses paroles attifées et ses chansons ramageuses. Il fit tant et si bien, que Pierre fut prié de rester chez lui, et qu’on tua un cochon gras pour célébrer les fiançailles, où tous les fermiers des environs furent invités. Les personnes raisonnables et sensées la plaignaient entre elles, parce qu’elle était aimée ; mais les jeunes filles enviaient son sort.
Pierre Sauvage se retira sans plaintes et sans murmures. Il voulut quitter honnêtement et respectueusement des gens qui l’avaient bien accueilli chez eux, et surtout ne pas laisser paraître sa peine devant un rival ; mais il ne fut pas plus tôt hors de la maison que son pauvre cœur déborda de larmes.
Toute la nuitée, il erra dans les champs et les chemins, sans chercher un gîte, bien qu’on fut au mois de novembre et que la glace rompît sous ses pieds. Au point du jour, il reprit le chemin de sa demeure et ne reparut plus à la ferme des Noyers, où, pendant ce temps-là, l’on riait et chantait.
L’anniversaire du jour de la naissance du Christ était proche, et la Rose et son fiancé avaient décidé qu’ils iraient à Rennes, la veille de Noël, pour acheter leurs atours de mariés, et qu’ils resteraient à la messe de minuit, pour revenir ensuite réveillonner à la ferme.
C’est aussi à cette époque que l’on paie les fermages. Or Pierre Sauvage devait aller, le même jour, porter à son maître le prix du loyer de sa métairie. Son intention n’était point de passer la vesprée à Rennes ; mais, comme le marquis de Lalleu était à chasser en forêt, force lui fut d’attendre son retour.
Le marquis ne rentra que fort avant dans la nuit. Comme il aimait son métayer pour son savoir et ses connaissances des choses de la terre, il l’engagea à souper avec ses domestiques et à les accompagner ensuite à la messe.
Pierre accepta ne supposant point faire la rencontre de son infidèle. L’église, pour fêter cette solennité, était éblouissante de clarté ; des lumières innombrables l’éclairaient mieux que n’aurait pu le faire le soleil du bon Dieu. Pierre ne tarda pas à distinguer près de lui la Rose, plus occupée de sa toilette que de ses prières. De temps à autre, elle s’entretenait à demi-voix avec son fiancé. Toutes ses douleurs passées, toutes ses peines, tous ses chagrins lui revinrent au cœur, et il se vit obligé de sortir promptement de l’église pour étouffer les sanglots qui l’oppressaient.
Ne voulant pas rester plus longtemps à Rennes, de crainte de la rencontrer, il s’orienta de son mieux dans la nuit noire et ne tarda pas à trouver le chemin de son village.
Il n’avançait pas vite. Comme je l’ai dit plus haut, la grand’route n’était pas faite ; il existait seulement un vilain petit chemin creux, rempli de gros cailloux qui le faisaient trébucher à chaque pas. Enfoncé, pour ainsi dire perdu dans ses tristes réflexions, il marchait tout de même, s’arrêtant seulement pour essuyer son front couvert de sueur, malgré que la froidure fut excessive et que la neige commençât à tomber.
Arrivé en face de la ferme de Bréquigny, qui est à une lieue de Rennes, comme vous savez, il entendit chevaucher derrière lui. Bientôt des propos joyeux et des éclats de rire parvinrent distinctement à ses oreilles, et la douce voix de Rosette le tira de sa torpeur. C’étaient, en effet, les fiancés qui revenaient à cheval, accompagnés de leurs parents et de leurs amis.
Pour ne pas être reconnu, Pierre monta rapidement la côte, afin de distancer la cavalcade ; mais il réfléchit qu’elle l’aurait promptement rattrapé, et avisant à sa droite, près d’une carrière abandonnée et pleine d’eau, d’énormes roseaux et des broussailles épaisses, il s’y cacha pour se dérober aux yeux des passants.
À peine y fut-il entré, que les voix et les rires se firent entendre de nouveau. Les voix, confuses et vagues d’abord au tournant du chemin, devinrent dans un instant distinctes, claires et faciles à saisir.
Rose disait, en parlant du cheval qu’elle montait : « Bijou n’avance point ce soir ; je crois bien qu’il n’a eu ni à manger ni à boire, depuis ce matin, chez ces voleurs d’aubergistes. Heureusement que nous voici près d’une mare, où il va pouvoir se désaltérer. » Et, tout en caressant la bête de la main et de la parole, elle la dirigea vers la carrière abandonnée.
La lune, qui, à ce moment, se montrait entre deux nuages, éclaira subitement la figure de la jeune fille, et Pierre Sauvage crut remarquer qu’elle l’avait aperçu, car son regard était fixé sur la broussaille où il était blotti. Il voulut s’enfoncer plus avant dans les ronces, mais son pied glissa sur l’herbe glacée, et il tomba lourdement sur le sol. Ce bruit, à deux pas du cheval, effraya l’animal, qui avança subitement et roula dans l’abîme, entraînant sa maîtresse.
Ceci se passa en moins de temps que je n’en ai mis à vous le raconter.
Un homme, déchiré par les épines, se dressa soudain, semblable à un fantôme, et plongea dans la carrière. Il y resta longtemps, laissant dans l’anxiété les malheureux parents de Rose, qui se lamentaient. Il reparut enfin, mais seul ! Des cris sortaient de sa poitrine. Mutilé par les pierres, sanglant, affreux, couvert de boue, désespéré, cet homme était effrayant à voir ! Trois fois il recommença ses périlleuses recherches, et trois fois reparut seul à la surface de l’eau. Bientôt épuisé, n’en pouvant plus, anéanti, brisé, il resta étendu sur la berge, sans mouvement et sans vie.
Pendant ce temps-là, Jean Jumel s’était contenté d’appeler du secours et d’aller en chercher dans les fermes voisines ; mais tout fut inutile. On ne parvînt pas à retrouver le corps de la pauvre Rose, et, chose plus étonnante encore, il n’a jamais été retrouvé depuis.
Lorsque les premiers rayons du jour éclairèrent cette scène, tout était rentré dans le silence. Les parents de la fiancée avaient été emmenés par des amis, et l’homme souillé de boue avait disparu.
À partir de ce moment, l’on ne revit jamais Pierre Sauvage, ni dans le bourg de Chanteloup, ni ailleurs. Que devint-il ? Voilà ce qu’on ignore.
Des voyageurs annuités par les chemins affirment cependant avoir entendu des sanglots près de la mare profonde ; il y en a même qui ont vu un homme en prières sur le bord ; mais personne n’a pu assurer que ce fut Pierre Sauvage.
Depuis ce terrible événement, cette carrière s’appelle la Mare à la Fiancée. Près d’elle se dresse une croix qui a été élevée par les gens de la défunte. Pas un chrétien ne passe là désormais sans faire un signe de croix pour le soulagement des âmes du purgatoire. Il en faut encore beaucoup, paraît-il, puisque chaque année la noyée vient prier les fidèles de la délivrer par leurs prières. Cela vous sera affirmé par tous les rouliers et autres voyageurs qui sont passés devant la Mare à la Fiancée, la nuit de Noël. Une forme blanche, qui gémit et soupire, apparaît tous les ans derrière les roseaux.
Ce qui prouve, dit en terminant le père Sanglé, qu’on ne doit point aller distrait dans la maison du bon Dieu, pour y rire et causer. D’un autre côté, le doigt de la Providence est bien visible dans tout cela : la sainte Vierge n’a pas voulu que son alouette fut mangée par le chat-huant. Vous comprenez bien qu’elle n’aurait pas permis qu’une jeunesse sage et pieuse devînt la ménagère d’un réprouvé comme Jean Jumel.
Sa vengeance ne s’est point bornée là : le vaurien reprit bientôt ses habitudes de débauche et recommença à passer ses nuits à Bout-de-lande. Il en sortait presque toujours ivre, au point qu’un matin, il se trompa de route pour rentrer chez lui. Au lieu de venir de ce côté-ci, il s’en alla du côté de Nantes. La neige était depuis plus de dix jours sur la terre. Les animaux des bois rôdaient jusqu’auprès des maisons. Arrivé sur les landes de Moréans, comme le jour commençait à poindre, il reconnut qu’il s’était trompé de chemin et voulut retourner sur ses pas ; mais il n’était plus temps, l’heure de la justice céleste avait sonné pour lui.
Depuis plus d’une demi-heure, trois grands loups, qui le suivaient pas à pas, se jetèrent sur lui, quand il s’arrêta, et n’en firent qu’une bouchée. Enfin, l’été suivant, la foudre tomba sur la tanière du vieux sorcier, qui fut enseveli sous les décombres.
CANTON DE CHÂTEAUGIRON
Châteaugiron est une gentille petite ville, et en même temps l’une des plus anciennes du département.
Elle a conservé des maisons curieuses et, chose plus rare encore, une galerie et deux tours de l’antique château des sires de Châteaugiron.
CHÂTEAU DE CHÂTEAUGIRON
Notre ami M. Robidou a fait de ces ruines une description très exacte que nous reproduisons ici :
« En se laissant aller aux réflexions et aux souvenirs qu’éveille cette agglomération de ruines sagement conservées et de maisons de tous les âges, on devine tout de suite que, là comme partout en France, deux sociétés se sont heurtées et mêlées, léguant la poussière et quelque écho lointain de leur combat à la petite colline qui fut le champ d’armes d’un monde disparu, infiniment plus divisé encore que notre monde d’à présent.
« Ce qui reste de l’ancienne domination, ce sont ces deux tours d’un château-fort, des restes de murailles et de courtines qui les reliaient, et, au milieu, une vaste cour qui fut la place. Les contours, du côté de la ville, sont généralement des habitations construites avec les débris de la forteresse, et la chapelle même du château, qui servit, jusqu’à ces derniers temps, d’église paroissiale.
« La plus belle et la plus haute des tours qui couronnent ce monticule est complètement isolée et, par bonheur, appartient à la ville ; elle s’élève sur un soubassement de rocher et de grosse maçonnerie plongeant dans l’ancienne douve, et que recouvre extérieurement, à la base, un épais rideau de végétation sauvage ; on en atteint le sommet à l’intérieur par un escalier de granit en spirale, qui traverse six ou sept étages et vous conduit sous la toiture conique moderne qui couvre l’antique plate-forme. Des ouvertures ont été ménagées sur différentes faces, et de l’une d’elles on peut distinguer, par un temps clair, la haute futaie de notre Jardin des Plantes. Les sentinelles féodales en vedette nuit et jour à ce poste aérien découvraient ainsi quatre ou cinq lieues de pays.
« L’autre tour est engagée dans un mélange de divers bâtiments nouveaux ou remaniés, et reliés encore à son ancienne muraille ou courtine, que surmonte une galerie donnant sur la route de La Guerche.
« Derrière les tours et les vieilles murailles, des prairies et des rangées de grands arbres, platanes, ormeaux, etc., s’alignent le long du ruisseau d’Yaigne, qui ne roule pas précisément des flots d’argent entre des rives fleuries, mais ce peu de limpidité tient peut-être à la saison pendant laquelle je l’ai visité. Au reste, ce reproche paraîtra probablement fort déplacé dans la bouche d’un habitant des bords de la Vilaine.
« C’est cependant cet humble ruisseau, s’il daignait parler, qui pourrait le mieux raconter l’histoire et tous les mystères de terreur, de joie ou d’amour de son puissant voisin, car, tout petit et imperceptible qu’il est, il en faisait le tour, il emplissait les douves et formait, au pied du géant, une ceinture d’eau profonde qui en était la principale défense. L’âge nouveau est venu lui dire : Va ton chemin ; ne t’arrête plus à baigner ces remparts splendides ou odieux, n’amoncelle plus tes ondes pour les protéger et les rendre inaccessibles. Le temps est accompli où les vallées se comblent, où les hauteurs s’abaissent, où les abîmes sont mis à nu, où donjons et châteaux sont effondrés, ouverts aux quatre vents, où les forêts elles-mêmes sont percées ou fauchées, les précipices franchis ; où toutes les barrières cèdent à l’impulsion sacrée ; où le double règne matériel et moral de l’homme s’établit par le nivellement du globe sillonné de voies faciles et rapides et par la liberté des peuples se donnant la main par-dessus les trônes.
« Va, reprends toi-même ta course indépendante. »
Châteaugiron existait avant le XIe siècle, et dut son origine à ses seigneurs, dont l’un, appelé Anquetil-Giron, fonda en 1060, le prieuré de Sainte-Croix.
Le château-fort fut bâti par les comtes de Rennes qui avaient en apanage la seigneurie de Châteaugiron. Les puissants seigneurs de cette ville se distinguèrent à diverses époques. Patrice assista à la bataille d’Auray ; son fils Hervé signa, en 1389, le traité de paix passé entre Jean V et Charles VI.
En 1400, Patri, sire de Châteaugiron, grand chambellan héréditaire du duché de Bretagne, épousa Valance de Bain, dame de Poligné. Son frère Jean fut évêque de Saint-Brieuc en 1405.
En 1450, Jean sire de Derval et de Châteaugiron, s’allia à la puissante famille de Laval. La nouvelle mariée fit son entrée à Châteaugiron accompagnée de 119 chevaliers et écuyers. Les habitants et le clergé se rendirent au-devant d’elle et la rencontrèrent montée sur une blanche haquenée, et vêtue d’une robe de velours cramoisi garnie d’hermine. Un gentilhomme à pied portait la queue de sa robe. Elle était suivie de Marguerite de Derval, sa belle-sœur, et de cinq demoiselles d’honneur montées également sur des cavales blanches. Un immense char décoré avec goût, occupé par neuf autres jeunes filles, était traîné par six chevaux couverts de velours portant les armes de Châteaugiron et de Laval.
Les maisons étaient pavoisées et couvertes de tapisseries.
Le seigneur de la Châtaignerais prit la bride du cheval de la dame de Châteaugiron, qu’il conduisit, tête nue, sans bottes ni éperons, par la grande rue jusqu’à l’église paroissiale de Sainte-Croix.
La mariée se rendit ensuite au prieuré, où elle dîna. Les bourgeois de la ville vinrent lui offrir deux bassins d’argent.
Un droit était alors attaché à la baronnie de Châteaugiron. Le possesseur d’un certain héritage était tenu, sous peine de perdre la jouissance de ses revenus de l’année, de venir, le premier mai, chanter sur le pont du château, après la grand’messe, devant les officiers de la juridiction, une chanson dont on ne sait plus que le premier couplet :
Belle bergère, Dieu vous gard
Tant vous estes belle et jolie !
Le filz du roi, Dieu vous saulve et gard,
Vous et la vostre compagnie.
Entrez : je suis en fantaisie,
Belle, pour vous, votre franc regard ;
Pour vous suis venu ceste part.
Il devait, en outre, après sa chanson, remettre une ceinture de laine de cinq couleurs, d’une aune de long, et appelée la ceinture du berger.
Châteaugiron eut un ministre protestant en 1564.
Le château soutint plusieurs sièges pendant les guerres de la religion. Il fut pris d’assaut le 24 Juin 1592 par le duc de Mercœur, qui fit pendre toute la garnison, sur la contrescarpe de la grosse tour, à un arbre qui porta longtemps le nom de Chêne des Pendus.
La chapelle du château, qui conserve dans sa partie ancienne, une abside romane d’une grande simplicité, a servi pendant longtemps d’église paroissiale.
L’église de Châteaugiron possède une très belle Magdelaine du sculpteur Julien Gourdel. Cette œuvre peu connue mérite de l’être davantage.
Le prieuré de Sainte-Croix a disparu.
La principale industrie de Châteaugiron fut pendant longtemps la fabrication des toiles à voile et les blanchisseries de fil. Les nouveaux procédés de fabrication l’ont complètement ruinée.
Les femmes font des dentelles à la main qui servent d’ornement aux coiffes, appelées polkas, des paysannes des environs de Rennes.
Châteaugiron a donné le jour aux deux sculpteurs Julien et Pierre Gourdel, dont le Musée de Rennes possède plusieurs œuvres, parmi lesquelles on peut citer : de Julien Gourdel, la jolie statue du Petit Savoyard pleurant sa marmotte, la Petite Fille au chien, Niobé, Anaxagore, le buste de Toullier ; — de Pierre Gourdel, les bustes en marbre de l’architecte Letarouilly, d’Hippolyte Lucas, de Julien Gourdel ; ceux en plâtre ou en terre cuite de Du Guesclin, Merlin, La Riboisière, Ginguené, La Bletterie, La Tour d’Auvergne, Thomas Conecte, Descartes, etc. C’est Pierre Gourdel qui a été chargé par le gouvernement d’exécuter les bustes en marbre du marquis de Paulmy et de Bailly, qui ornent le péristyle de la Bibliothèque de l’Arsenal, à Paris.
M. Guillou, René-Marie, né à Châteaugiron le 15 Mai 1747, fut en qualité de curé de Martigné-Ferchaud député du clergé aux États généraux en 1789.
Il soutint avec énergie, contre l’avis de certains évêques, la légalité de la convocation faite par le roi des représentants du clergé de second ordre aux États généraux. Son opinion prévalut. Son discours est relaté dans un ouvrage du temps, intitulé : Correspondance des États généraux avec la Sénéchaussée de Rennes. (Ann. 1789 et suiv. tom. 1er).
Enfin Châteaugiron a eu son poète. Cette année, à Rennes, à l’Exposition rétrospective du Palais des sciences on pouvait voir un opuscule sur lequel on lisait :
Le 2 pluviose an II, un discours fut prononcé dans le temple de la Raison, à Dol, à la fête civique du Décadi, suivi de deux pièces de vers, l’une à la Raison, l’autre à l’Égalité par le citoyen René Gilbert, de Châteaugiron, près Rennes, membre de la Société populaire de Dol, imprimé par arrêté de cette Société.
Et plus bas la dédicace suivante :
représentant du Peuple, au département de la Manche et autres environnants.
« Je publie les bienfaits de la Raison, je lui rends hommage : elle a naturalisé chez nous ses deux filles, la Liberté et l’Égalité dont tu es l’ami, l’interprète, le défenseur. C’est sous tes heureux auspices que je suis glorieux de lui présenter mon offrande. »
Il est une promenade fort agréable à faire, pour un habitant de Rennes dans le canton de Châteaugiron et dans la commune de Bourg-Barré, qui dépend du canton sud-ouest de Rennes.
Tout ce pays est sillonné de cours d’eau le long desquels sont des rideaux de peupliers et de vastes prairies.
À l’automne lorsque la nature semble empreinte d’une douce mélancolie ces paysages sont ravissants : les saules et les oseraies ont des teintes bizarres, les aliziers se dorent sous les derniers rayons du soleil et des vapeurs s’élèvent sur l’eau et les prés, donnant à ces lieux un aspect tout particulier.
En quittant la gare de Vern si on laisse, à sa gauche, le bourg pour prendre le chemin de Nouvoitou, on rencontre le vieux manoir du Grand Corsé, sis en la commune de Nouvoitou. Il est précédé d’une belle avenue et possède un parc clos de murs en assez bon état.
Le pays devient de plus en plus accidenté et de larges horizons charment à chaque instant la vue.
Au bas de la côte qui précède le bourg de Nouvoitou, dans une vallée profonde est un large ruisseau s’en allant vers la Seiche et qui est appelé par les paysans ruisseau de Guines. Le pont sous lequel il coule porte le même nom « Pont de Guines ».
Ce ruisseau vient de Châteaugiron, passe derrière le château et s’appelle réellement comme nous l’avons dit : L’Yaigne.
L’église de Nouvoitou, du XVe siècle, possède dans la chapelle de la Vierge un retable fort curieux.
On a apporté, de la vieille baronnie de Vausel (aujourd’hui transformée en ferme), des pierres tombales qui ont été placées dans le cimetière de Nouvoitou. L’une d’elles, très bien conservée, est debout appuyée contre les murs de l’église. Elle représente, sculptée dans la pierre, une femme les mains jointes, entourée d’enjolivements offrant un certain caractère.
Une croix du cimetière est également très vieille.
En allant de Nouvoitou à Saint-Armel, on laisse sur la gauche le village de l’Epron, sur la Seiche, rivière qui possédait autrefois, à cet endroit, un pont que l’on supposait construit par les romains.
Du même côté, on aperçoit la baronnie de Vausel dont nous avons déjà parlé.
Plus loin, à un kilomètre, avant d’arriver à Saint-Armel, est un moulin sur les bords de la Seiche qu’on appelle moulin de la Motte. Il doit être une dépendance du manoir de ce nom dont il ne reste aucune trace.
Il y a là un joli sujet de tableau : quelques chétives masures avec leurs toits moussus, la roue noire du moulin, les grosses roches sous la chute d’eau et un rideau de peupliers allant se perdre dans les prairies forment un petit coin charmant.
Le bourg de Saint-Armel coupé par de nombreuses routes avec son église à l’intersection de toutes ces lignes n’offre rien de bien intéressant.
L’église renferme le sarcophage en pierre de Saint-Armel qui a été badigeonné d’une épaisse couche de peinture. Cet acte de vandalisme ne permet plus de rien distinguer, aussi a-t-on eu soin d’écrire en grosses lettres sur le mur : « Châsse de Saint-Armel mort ici en 581. »
Des vitraux modernes, à toutes les croisées, assombrissent beaucoup trop l’église. Ils rappellent les principaux miracles de la vie de Saint-Armel. On lit au-dessous de l’un d’eux : « Comment Saint-Armel traîne et noye le dragon dans la Seiche. »
L’église de Saint-Armel est une des rares églises du département qui a pour girouette un drapeau tricolore.
La fontaine de Saint-Armel a été pour moi une véritable désillusion. Je me figurais trouver dans un petit chemin creux une fontaine recouverte de lierre encadrant la statue du saint. Rien de tout cela. Un affreux trou carré, creusé au coin d’un champ et recouvert de quelques planches qui empêchent de voir la statue affreusement mutilée enfoncée dans la terre, les pieds dans l’eau.
Le chemin pavé qui y conduisait autrefois a été recouvert de terre et de gravier.
Un calvaire en bois a été placé près de cette fontaine située sur la route de Corps-Nuds derrière une barraque en planches servant de forges.
La route de Saint-Armel à Bourg-Barré est très accidentée.
L’ancien manoir de la Vairie, lui aussi transformé en ferme, a encore cependant un assez joli aspect avec ses pavillons aux toits pointus dominant la vallée de l’Yze qui coule au milieu d’immenses prairies.
Une très belle motte féodale, recouverte d’arbres et de buissons et entourée de douves desséchées, existe à côté de Bourg-Barré à moins de cent mètres de l’église. Elle appartient, ainsi que le vieux manoir de la Vairie, à M. de Talhouët.
Au nord du bourg est un tertre appelé le Rocher, près du village du même nom. Du haut de ce coteau la vue embrasse un panorama splendide : devant soi Bourg-Barré, plus loin l’hôpital de Corps-Nuds et à l’Ouest les clochers d’Orgères et de Laillé.
CANTON DE HÉDÉ
Hédé, Bécherel et Bain sont certainement les trois petites villes les plus pittoresques de notre pays.
La première est située sur le sommet d’une colline qui domine une vallée profonde dans laquelle serpente le canal d’Ille-et-Rance. Elle eut pour origine son château qui existait avant le XIIe siècle. Il ne reste plus de cette forteresse détruite par ordre de Henri IV qu’un mur d’enceinte et les débris d’une tour. Elle avait été construite en pierres de granit liées entre elles par un ciment d’une dureté incroyable et dans lequel croit-on, durent entrer des coquilles pulvérisées. La tradition veut aussi que le granit employé à sa construction provienne de carrières autrefois en exploitation et qui seraient actuellement recouvertes par les eaux de l’étang de Hédé.
Ce château fut avec celui de Dinan, l’une des plus importantes places fortes de Bretagne. Il joua un rôle important pendant les guerres du XIIe au XVIe siècle.
Blanche de Champagne, mariée à Jean Ier, duc de Bretagne, mourut au château de Hédé le 11 Août 1283. Son corps fut transporté et inhumé à l’abbaye de Notre-Dame-de-la-Joie, qu’elle avait fondée près d’Hennebont. Elle était fille de Thibaud, comte de Champagne et roi de Navarre, et d’Anne de Beaujeu, sa seconde femme.
Julienne Du Guesclin, sœur du célèbre connétable, abbesse de Saint-Georges de Rennes, autorisa, en 1399, le duc de Bretagne, à lever, pendant trois ans, sur tous les vassaux de son abbaye, les fouages (octrois) dont le produit devait servir à la reconstruction du château qui avait été ruiné pendant la guerre.
Après ces réparations, on y plaça plusieurs pièces d’artillerie pour servir à sa défense.
Par édit du roi Charles IX, donné à Châteaubriant en Octobre 1565, la juridiction royale de Hédé fut unie et incorporée à la Sénéchaussée de Rennes.
Pendant la Ligue, les troupes du duc de Mercœur occupèrent le château et, de concert avec celles du château de Québriac, ravagèrent les campagnes voisines.
L’église de Hédé est peut-être la seule du département qui soit entièrement romane. Elle date probablement des premières années du XIIe siècle. La porte principale est ornée de deux colonnes supportant un cintre surhaussé et couronné d’une espèce de fronton triangulaire. À l’intérieur, la nef communique avec les bas-côtés par des arcades en plein cintre soutenues par des piliers carrés. De petites fenêtres en meurtrières éclairent la nef. La sacristie actuelle est l’ancienne abside, qui servait jadis de sanctuaire ; elle ressemble à toutes celles du même temps.
Les fonts baptismaux en granit, qui sont à la porte de l’église, datent, pour la partie inférieure, de l’époque romane. La partie supérieure, c’est-à-dire les cuves, quoique très ancienne, est d’une époque moins reculée.
Il est un coin du canton de Hédé qui a conservé son aspect sauvage des temps passés ; on y trouvait encore des loups il y a quelques années. Nous voulons parler des landiers de Guipel.
En pénétrant dans cette commune, si l’on quitte un instant le chemin vicinal pour faire seulement deux cents mètres à travers champs, dans la direction du Bois-Geffroy, on découvre une ferme appelée le Chauchix qui dut être, jadis, bien qu’il n’en soit question nulle part, un charmant petit manoir, à en juger par son élégante tourelle et son architecture du XVe siècle.
Plus loin une ferme de construction récente nous rappelle l’antique demeure de la Menardière qui, en 1390, appartenait à Louise de Saint-Gilles. Un bel étang en dépend qui, lui aussi, porte le même nom de la Menardière.
Les villages de Champfleury et de Saint-Vincent bordent le chemin. Ce dernier fut, au XVIIe siècle, une succursale de la paroisse de Guipel. C’était alors un bourg avec chapelle, presbytère et de nombreux habitants.
À l’est du village de Saint-Vincent quatre chemins creux aboutissent à un carrefour appelé par les uns le pâtis breton et par les autres le pâtis de la chapelle. Là se dresse une vieille croix de bois vermoulu, à côté de broussailles, de ronces et d’épines. Quelques restes de murailles cachées par le gazon permettent encore de voir la forme et la grandeur de la chapelle qui s’éleva jadis en ces lieux et dans laquelle le seigneur du Chesnay-Piguelaye prétendait avoir droit de fondation et de prééminence.
Ce carrefour isolé prête à la rêverie et a un aspect vraiment mystique. Les violettes et les primevères fleurissent au pied de la croix, et les oiseaux nichent dans les broussailles à la place qu’occupa la chapelle, et peut-être même sur des tombeaux.
Un champ voisin a, dans ses talus, des débris de murs qui servirent autrefois de clôture au jardin du curé. Presbytère et chapelle furent brûlés à la fin du XVIIe siècle, et les pierres de taille en granit sculpté ont été utilisées à faire les portes ogivales des quelques maisons qui composent aujourd’hui les humbles hameaux de Champfleury et de Saint-Vincent.
L’un des petits chemins creux du pâtis de la chapelle, celui qui s’en va vers le nord-est, conduit directement au château du Chesnay-Piguelaye. On trouve dans ce chemin, cachée sous les fougères, une fontaine qui a encore à l’intérieur quelques restes de maçonnerie. Presque toujours les anciens avaient, près de leurs temples, des sources vénérées.
Le château du Chesnay-Piguelaye doit être aussi vieux que la paroisse dont il fait partie, puisqu’on sait que dès 1400 il était la propriété de Jean de la Piguelaye. Plus tard il appartint :
En 1593, à François seigneur de la Piguelaye, membre des États de Bretagne qui fut député vers la reine Élisabeth d’Angleterre pour lui demander des secours contre la Ligue.
En 1668, à Jeanne de la Piguelaye, veuve de Toussaint des Nos.
En 1677, à François Brecheu, conseiller au Parlement et à Jeanne de la Piguelaye, seigneur et dame du Chesnay.
En 1680, à François Toussaint de la Piguelaye, vicomte du Chesnay.
Les registres de l’état civil de la mairie de Guipel nous fournissent en outre les renseignements suivants :
En 1702, Messire Pierre de la Piguelaye fut le parrain, à Guipel, de la fille du procureur fiscal du Chesnay-Piguelaye.
En 1703, Jean de la Planche épousa Anne de Pail, du Chesnay-Piguelaye.
En 1717, François-Gabriel Brecheu, seigneur du Chesnay, et demoiselle Louise de Caradeuc furent parrain et marraine de la fille de François Guezille.
En 1776, François-Jules-Marie Bertrand, chevalier de Langle, capitaine de dragons au régiment du Dauphin, épousa à Guipel, Marguerite-Louise Rolland, fille de François-Gilles Rolland de Roscouët, chevalier de Guipel, seigneur de la vicomté du Chesnay-Piguelaye.
Enfin le corps de haut et puissant seigneur Messire François-Gilles Rolland, chevalier du Roscouët, seigneur vicomte du Chesnay-Piguelaye, Maillechapt, la Ménardière et autres terres et seigneuries, ancien conseiller au Parlement de Bretagne, âgé d’environ 62 ans, décédé à l’hôtel de Langle, à Rennes (paroisse Saint-Sauveur), a été transféré à Guipel où il a été inhumé dans le caveau des seigneurs de cette paroisse le 20 octobre 1781.
Depuis cette époque, et jusqu’à ces derniers temps, le Chesnay-Piguelaye a appartenu à la famille de Langle.
En 1836, M. de Langle, vicomte du Chesnay-Piguelaye ayant fait une chute de cheval dans la commune de Saint-Germain-sur-Ille, succomba des suites de cet accident. Son décès est ainsi constaté sur les registres de la commune de Guipel :
« M. Bertrand-Marie de Langle, vicomte du Chesnay-Piguelaye, fils de feu François de Sales Marie-Bertrand de Langle et de Marguerite-Marie-Louise Rolland du Roscouët, est décédé à Guipel le 6 octobre 1836 à l’âge de 54 ans. (Il était né à Rennes, paroisse Saint-Étienne). »
Le marquis de Langle, de la Couyère, a vendu le Chesnay-Piguelaye vers 1872.
Cet antique manoir appartient aujourd’hui à M. Auguste Lemoine, de Saint-Malo, qui l’a fait restaurer. Il a conservé une partie de ses douves, avec cour d’honneur, flanquée, d’un côté, d’une chapelle en bon état et de l’autre d’un colombier.
On voit aussi des traces de pont-levis et une tourelle suspendue.
Le rez-de-chaussée, de plein pied avec la cour, renferme de vastes et belles pièces boisées en vieux chêne, avec des plafonds ornés de poutrelles. Un immense escalier de bois conduit à une galerie du premier étage, qui longe tout le devant du bâtiment, et sur laquelle ouvrent les portes des appartements qui, par suite, ne sont éclairés que d’un seul côté. La chambre d’honneur possède une cheminée très remarquable, avec sculptures et incrustations de marbre. Malheureusement les armes des anciens seigneurs qui existaient sur des médaillons ont été enlevées ou mutilées. Une autre chambre possède à l’intérieur de sa cheminée, dissimulée par une plaque de fonte, une cachette qui rappelle assez celle qu’occupa, à Nantes, en 1832, la duchesse de Berry. Cette cachette, qui reçoit le jour par le haut de la cheminée, est en retrait dans un mur d’une épaisseur considérable. Elle est assez grande pour permettre d’y séjourner, d’y coucher et d’y vivre quelque temps à la condition toutefois, que le feu allumé dans l’âtre ne la chauffe pas outre mesure.
Les abords du château sont charmants : un bel étang qui alimente un moulin, est dominé par une charmille qui porte le nom de promenoir de Madame, et une autre promenade, ombragée de chênes, longe la pièce d’eau dans toute sa longueur.
Du promenoir on aperçoit le clocher de Guipel, la ferme de la Rochelle, le moulin, et un petit bois de sapins nouvellement planté.
En face la cour d’honneur est une très belle ferme, appelée la Porte (autrefois ferme du Chesnay-Piguelaye), ancienne dépendance du château.
Mais à notre avis le plus beau fleuron du Chesnay-Piguelaye a disparu, comme les avenues de chênes séculaires qui conduisaient autrefois à l’antique manoir. Nous voulons parler de l’étang neuf, superbe nappe d’eau environnée de bouquets d’arbres et qu’on a, hélas ! desséchée. Elle offrait, avec son encadrement de verdure, le plus joli paysage de la contrée.
CANTON DE JANZÉ
Janzé ne ressemble pas aux autres petites villes de l’Ille-et-Vilaine. Celles-ci sont calmes, tranquilles, tandis que Janzé est d’une activité dévorante. On n’y rêve que commerce et de tous côtés s’en vont des voitures aux marchés voisins pour en rapporter les beurres, les œufs, la volaille qui sont ensuite expédiés sur Rennes ou Paris.
Les habitants sont constamment en voyage et n’ont ni l’esprit ni le caractère des autres habitants du département.
Le bourg de Janzé — à part sa nouvelle église, véritable cathédrale en pur style roman qui a coûté plus d’un million — n’offre rien d’intéressant.
C’est une ancienne dépendance de la seigneurie de Brie.
Un acte de 1118, relatif à la fondation de l’église de Saint-Martin, donne le nom de Janzioco à cette paroisse qui, dans d’autres titres, est appelée Janzey et Janzai.
Un fief appelé la Lanceule appartenait, en 1630, à Pierre Coupu, seigneur de la Lanceule et en 1420 à Jeanne de Rennes. Une chapelle en ruines du XVe siècle est tout ce qui reste de cette seigneurie.
La butte du châtellier, près de la rivière la Seiche, offre les vestiges d’un camp romain, résidence d’une station militaire qui protégeait la voie d’Angers à Carhaix, passant dans le voisinage.
En creusant sur cette butte on a découvert des tombeaux en schiste ardoisier et en calcaire coquillier, qui provenaient des sépultures du monastère de Saint-Pierre. D’autres tombeaux ont également été trouvés, en 1810, dans une prairie du manoir de Villeraut, dite le Clos-aux-Moines.
Une voie romaine traversait naguère la commune d’Amanlis ; on en retrouve la trace en plusieurs endroits. Elle se rendait, selon toute probabilité, du camp romain de la butte du Châtellier à Ker a ès ou chemin d’Aés. Elle traversait la Seiche sur le pont d’Epron en la commune de Nouvoitou. En faisant les travaux de terrassement d’un chemin vicinal d’Amanlis à Janzé, on découvrit, vers 1835, près de la ferme de Bois-Robert, un vase renfermant un assez grand nombre de monnaies gauloises. Le musée archéologique de Rennes en possède quelques-unes.
Toutes les communes du canton de Janzé rappellent un souvenir glorieux ou triste.
À Brie, par exemple, le premier seigneur connu dans l’histoire, s’appelait Robin Loaisel. Il prit part à l’association des nobles pour la défense de la Bretagne contre la France en 1375.
Jean Loaisel, président et juge universel de Bretagne, fut député près de Louis XI, et l’accompagna dans son voyage à Redon, en 1462.
À Boistrudan, c’est le recteur de la paroisse, M. Leroux, qui, en 1792, fut fusillé dans le cimetière. La croyance populaire en a fait un saint et l’on va en pélérinage sur sa tombe pour obtenir la guérison de diverses maladies.
L’ancien ministre Corbière est né aux Baluaux dans la commune de Corps-Nuds le 22 mai 1766. Il mourut à Rennes le 12 janvier 1853 et fut inhumé à Amanlis, où il avait une résidence d’été, le 14 du même mois à l’âge de 86 ans, 7 mois, 20 jours.
Il avait épousé la veuve du constituant Le Chapelier. Élu député en 1815, il fut nommé ministre de l’Instruction publique en 1820, ministre de l’Intérieur en 1821 et en même temps membre du conseil privé du roi et pair de France.
Exclu de la chambre des pairs, en 1830, pour refus de serment à Louis-Philippe, il se retira dans ses terres et resta étranger à la politique.
M. Corbière a écrit une notice inédite intitulée : Bibliographie des anciennes communes.
La maison noble du Plessix, commune de Piré, existait avant le XVIe siècle et appartenait à Guyar de Coëtlogon, sieur de Méjussaume, dont le double nom rappelle plus d’un gouverneur de Rennes.
Un château moderne, élevé par la famille Rosnyvinen de Piré, a remplacé l’antique manoir. Cet édifice, d’un aspect noble et élégant, quoique privé de ses bois séculaires, domine un riche vallon qui le sépare du bourg. Cette superbe propriété a été vendue par le dernier marquis de Piré à M. Caron député.
Ce marquis de Piré, qui est mort il n’y a pas plus de dix ans, avait été député sous l’Empire. Comme il avait l’esprit assez original, les journaux, et même l’officiel, lui prêtaient des interruptions à la chambre et des saillies spirituelles dont il n’était pas toujours l’auteur.
Ces bons mots étaient souvent d’Alphonse Daudet — peu connu encore comme écrivain — et qui était alors sténographe à la chambre des députés.
Quand par hasard le marquis de Piré le rencontrait il ne manquait jamais de lui dire : « Il y a bien longtemps, M. Daudet, que vous ne m’avez fait dire des choses drôles. »
Et quelques jours après les journaux signalaient une interruption du député Rennais avec des réflexions qu’il n’avait pas toujours faites.
M. de Piré devint le chevalier d’honneur de la princesse Bacciochi. À partir de ce jour il l’accompagna partout.
Un été ils allèrent se promener en Allemagne. La princesse voyageait sous le nom de duchesse de Camerata, nom qu’elle prenait toujours lorsqu’elle voyageait incognito.
Arrivés à Postdam, ils voulurent visiter le château royal de cette ville.
De nombreux gardiens les accompagnèrent pour leur faire admirer les merveilles de ce palais.
L’un d’eux, celui qui remplissait les fonctions de cicérone, les conduisit dans un vaste salon servant de musée. Là, il dit en montrant un tableau : « Voici, Madame, la bataille où le grand Frédéric battit à plate couture l’armée française. » Il en indiqua un second en faisant la même annonce, et ainsi de suite pendant un quart d’heure. Il s’agissait toujours, dans ces peintures, de la défaite de nos troupes.
La princesse bouillait d’indignation et donnait dans le dos à de Piré des coups de poings formidables.
Elle regardait le guide bien en face pendant ses explications comme si elle l’eût écouté avec intérêt.
La revue des tableaux terminée, au moment de sortir de la salle, elle prit tout-à-coup le larbin par le col de son habit et le secouant vigoureusement elle lui cria :
« C’est très bien ! maintenant tu vas me faire voir la fenêtre par laquelle ton maître le roi de Prusse s’est sauvé lors de l’entrée de l’armée française à Postdam après Iéna.
Il y avait effectivement, dans le palais, une croisée par laquelle le roi, surpris au moment de l’arrivée des Français, s’était enfui précipitamment.
Le marquis tremblant s’écria : Oh ! princesse, taisez-vous. » Elle lui appliqua un renfoncement sur son chapeau en disant : « Mais tu ne vois donc pas que ce sont tous des gredins ! »
CANTON DE LIFFRÉ
Le chef-lieu de canton, à part sa mairie et son église neuve qui sont assez jolies, n’offre rien d’intéressant.
Les anciens manoirs du temps passé s’appelaient Le Feu et Chamfleury. Le premier est devenu une ferme, et le second a été transformé en une maison de campagne qui appartient au commandant Greset.
Une chapelle, appelée Notre-Dame-du-Feu, près du manoir de ce nom, a servi longtemps de cellier au fermier des religieuses de Saint-Georges de Rennes. On suppose que ce dut être un prieuré.
La forêt de Rennes est tout entière en Liffré. Celle de Liffré est en partie dans cette commune et le surplus dans le canton de Liffré et dans celui de Saint-Aubin du Cormier. La forêt de Sevailles est également en Liffré et sert en certains endroits de limite à la commune.
Il existait encore, il n’y a pas très longtemps, près de l’étang de Verrière aujourd’hui desséché, une motte féodale et les vestiges d’une enceinte provenant d’un ancien château. Cette résidence, disait-on, était autrefois le rendez-vous de chasse des anciens ducs de Bretagne.
De vastes étangs alimentent le haut fourneau de Sérigné, situé plus loin dans la commune de la Bouëxière.
Lorsqu’on va de la Bouëxière à Chevré on aperçoit, à droite, une tour carrée qui semble être du commencement du XVIe siècle. Elle dépendait — dit-on dans le pays, — d’un antique manoir qui s’appelait le Plessix-Anger et qui a été remplacé par une ferme qui porte le nom de métairie neuve.
Derrière cette métairie se trouve une vieille maison qui devait être une dépendance du Plessix-Anger. Elle renferme une immense cheminée de près de trois mètres de longueur qui a conservé quelques sculptures.
Un peu avant d’arriver à Chevré on trouve encore une autre gentilhommière convertie en ferme et appelée La Porte. Elle est datée de 1610 et est ornée d’une élégante tourelle.
Le village de Chevré — appelé ville de Gannes par les habitants sans qu’on sache pourquoi — est une des curiosités du département. On y trouve d’anciens hôtels délabrés, avec tourelles, datés de 1610, 1625 et 1643. Deux d’entre eux ont de ravissantes fenêtres avec de petits pilastres dans le style de la Renaissance.
Au nord-est est un vieux donjon croulant, encore perché sur le haut d’une butte couverte de broussailles et presque inaccessible. Enfin tout à côté est une chapelle du XIIIe siècle, pur style roman, dont le plafond en bois formant voûte a été refait au milieu du XVIIe siècle ainsi que l’indique une date de 1643. On y voit des peintures représentant les figures des évangélistes. Cette chapelle qui sert aujourd’hui de cellier a, dans un coin, les statues en bois de Saint-André, de la Vierge, de Sainte-Marguerite et d’un évêque.
Plusieurs plaques funéraires en faïence de Rennes existaient dans cette chapelle. Quelques-unes d’entre elles ont été enlevées et transportées au Musée archéologique de Rennes. On lit sur ces plaques :
Cy gist le cors de
N. H. Laurent LEMARCHANT,
seigneur de la Touche, décédé le 7 Décembre 1679.
Priez Dieu pour luy.
Cy gist le corps de damolle
Peronnelle-Angélique de la HERNERIE,
décédée le.... Avril 1681.
Priez Dieu pour elle.
En défonçant le sol, autour de l’église, on a trouvé des squelettes reposant dans des tombeaux en calcaire coquillier.
Sous la chaussée de l’étang de Chevré est un pont gothique à sept arches admirablement conservé. Il est extrêmement curieux et unique dans le pays.
On raconte à Chevré qu’il existe un souterrain partant du donjon, passant sous l’étang et s’en allant à Vitré par Saint-Aubin-du-Cormier.
On ajoute que la duchesse Anne, poursuivie par les Anglais, fit ferrer son cheval à rebours pour les dérouter. Malheureusement elle fut trahie par son palefrenier et ne dut son salut qu’au stratagème suivant : elle fit tuer, éventrer et vider un cheval, qui fut placé sur un haquet (sorte de charrette). Elle se cacha dans le corps de l’animal et passa ainsi au milieu de ses ennemis qui ne se doutèrent pas que la carcasse de cet animal renfermait la jolie bretonne.
À l’ouest du bourg de Dourdain, à un kilomètre environ, au fond d’une belle vallée, sur le bord de la route de Bourg-neuf à Mi-forêt, se dresse encore le manoir du Plessis-Pillet.
Ce dut être jadis un superbe château à en juger par son air imposant, son grand portail assez bien conservé et ses immenses cheminées ornées de sculptures remarquables. Une grande pièce d’eau l’entourait de trois côtés, un large fossé achevait de le protéger et un pont-levis y donnait seul accès.
C’était, à l’époque de sa splendeur, la demeure des suzerains de la contrée. L’un de ces seigneurs, Jehan de Cangé, est resté célèbre dans le pays. Lorsqu’on parle de lui aux veillois de la Toussaint, il se trouve toujours de vieilles gens prêts à raconter son histoire. La voici telle qu’elle nous a été dite :
Yves de Cangé et sa femme Marguerite de la Teillais qui ont laissé longtemps après eux le souvenir de leur bonté et de leurs bienfaits n’eurent pas une existence heureuse. Au début de leur ménage ils désirèrent longtemps un enfant que le ciel semblait vouloir leur refuser. Après de nombreux voyages et pèlerinages leur vœu ne se réalisant pas, Yves alla consulter une sorcière de la forêt de Fougères appelée par les uns Margot et par les autres la Chatte-noire. Elle annonça au seigneur du Plessis-Pillet qu’avant un an il serait père, malheureusement pour lui, car ce fils tant souhaité ne causerait que du deul[13] à ses parents.
De retour chez lui le sire de Cangé apprit à sa femme la prédiction de la sorcière, se gardant bien de lui parler du malheur qui les menaçait.
Cette heureuse nouvelle remplit de joie tout le pays.
Quand la châtelaine ressentit les douleurs de l’enfantement, les vassaux vinrent, sans être commandés, battre les eaux de l’étang avec de grandes gaules pour faire taire les grenouilles. C’était alors l’usage d’empêcher les cris discordants de ces bêtes de parvenir jusqu’aux oreilles des grandes dames nouvellement accouchées.
Quel ne fut pas l’étonnement des paysans en entendant, malgré le bruit qu’ils faisaient, les grenouilles coasser plus fort que jamais et se laisser plutôt assommer que de cesser leur tapage. Ces braves gens n’avaient jamais ouï parler de choses semblables et s’en allèrent effrayés, redoutant un malheur.
Pendant ce temps Marguerite avait mis au monde un fils qu’on appela Jehan et dont le baptême fut l’objet de fêtes splendides. Les vassaux furent conviés à un festin servi dans la cour d’honneur du château. Une immense table, autour de laquelle tout le monde prit place, était couverte de quartiers de vaches, de veaux, de porcs qui répandaient une odeur appétissante qu’on sentait à plus d’une lieue.
Les hommes et les gars avaient quitté la bique[14] pour prendre la carmiole[15] et les hannes[16] de noces. Les ménagères étaient parées de leur plus belle Marie-Louise[17] fraîchement lavée et repassée. Les couturières avaient remplacé les œillets des compères[18] des filles à marier, resserré d’un point le cotillon de penille[19] et remis des filets neufs à la devantière[20].
Pendant que les gars callaient les tonniaux de cidre, les vieux mettaient les fossets[21] et faisaient des puettes[22].
Les filles armées de havets[23], retiraient des chaudières des morceaux de viande destinés à remplacer ceux qui disparaissaient dans la bouche des convives. On but et l’on mangea ainsi trois jours durant.
L’héritier du Plessis-Pillet annonça promptement ce qu’il devait être plus tard. Violent, emporté, disputeur, dépensier et buveur, il ne supportait aucune remontrance et devint, ce qu’avait annoncé la sorcière, un vaurien, la désolation de ses parents. Le chagrin abrégea les jours de ceux-ci qui s’en allèrent rejoindre leurs ancêtres sous les dalles de l’église de Dourdain.
Lorsque le jeune seigneur se vit seul à la tête de sa fortune, il ne songea qu’à se divertir en compagnie de mauvais sujets. Les jours et les nuits s’écoulèrent en orgies, en folles dépenses qui dépassèrent ses revenus et amenèrent bientôt sa ruine.
Les créanciers menacèrent de faire vendre les terres, le château, les chevaux, les chiens, et Jehan en proie à un sombre désespoir méditait le genre de mort qu’il allait choisir. Il gravit l’escalier de la plus haute tour du castel avec l’intention de se précipiter dans l’étang. Au moment d’accomplir son sinistre projet il aperçut devant lui un individu tenant une escarcelle entr’ouverte dans laquelle il plongeait les mains pour faire sonner les louis d’or.
Jehan releva vivement la tête, et en voyant cette fortune qui l’attirait, il s’écria :
− Qui es-tu ? et que veux-tu ?
− Je suis Satan, et je t’offre treize fois ta charge d’or pour le prix de ton âme que je viendrai te réclamer dans dix ans. Signe de ton sang l’acte que voici et le marché sera conclu.
Le seigneur du Plessis-Pillet tremblait de tous ses membres, une sueur froide coulait sur son front, et il allait céder à la tentation quand il se souvint des recommandations que sa mère, en mourant, lui avait faites pour le salut de cette âme qu’on voulait lui acheter. Repoussant tout à coup le marché qu’il avait sous les yeux, il dit au diable : — Garde ton or, je ne signerai pas.
− À ta guise, répondit Satan, je vais aller offrir mes services à un seigneur de tes amis, qui, ruiné comme toi, ne refusera pas mes propositions et pourra ainsi non seulement recouvrer sa fortune mais encore acheter ton château et tes terres.
− Arrête, accorde-moi quinze ans de vie et le meilleur cheval de ton enfer pour me transporter où je voudrai.
− C’est convenu, ouvre-toi une veine et signe.
Jehan prit un poignard à sa ceinture, se fit au bras gauche une entaille d’où le sang jaillit avec abondance. Satan trempa lui-même la plume dans le sang et la tendit ensuite au sire de Cangé qui apposa son nom au pied du traité.
Le diable, après avoir plié soigneusement le parchemin, le cacha sous sa houppelande, puis ayant frappé trois fois de son pied fourchu les murs de la tour, une pierre se souleva et treize autres diables surgirent ployant sous des sacs d’or qu’ils déposèrent devant le sire de Cangé.
− Soupèse ces sacs, dit le malin esprit.
Jehan essaya, mais ne parvint pas à les changer de place.
− Tu le vois, ajouta le démon, je remplis fidèlement mes engagements. Au revoir, l’ami, dans quinze ans tu recevras ma visite.
Le sire de Cangé était en train de contempler ses richesses quand le hennissement d’un cheval se fit entendre dans la cour. Il descendit aussitôt et aperçut un superbe animal, noir comme l’ébène et richement harnaché. Les étriers étaient en or et la selle incrustée de pierres précieuses. Enfourchant aussitôt la bête et muni de l’escarcelle que le diable lui avait laissée, il se dirigea vers le pont-levis qui se baissa de lui-même à son approche. Dès qu’il fut hors du château le cheval releva fièrement la tête et lança feu et flammes par la bouche et les narines. Son cavalier, qui n’avait plus peur de rien, le conduisit avec une rapidité vertigineuse, chez tous ses créanciers qu’il paya sans vider complètement sa sacoche.
De retour chez lui Jehan songea à cacher son trésor. Ne le trouvant pas en sûreté dans sa demeure, il alla pendant neuf nuits le porter dans un trou qu’il avait creusé dans la lande de Clairay, à trois huchées du château.
Ses serviteurs entendant à chaque instant de la nuit le pont-levis se lever et s’abaisser, voulurent voir ce dont il s’agissait ; ils guettèrent leur maître et le suivirent jusque sur la lande où ils l’aperçurent enfouissant son or sous les bruyères et les ajoncs.
Quelques jours plus tard ces domestiques, dignes de leur maître, profitèrent de l’absence de Jehan pour s’en aller déterrer le trésor. Soudain le seigneur du Plessis-Pillet, monté sur sa cavale lançant des flammes, dispersa les voleurs à coups de cravache.
Le bruit se répandit bientôt qu’un immense trésor, gardé par le diable se trouvait sur la lande de Clairay.
Une bande de bandits, armés de faulx, de boucards[24], de hansards[25], de fourches à framboyer[26] se rendirent sur la lande avec l’intention de dérober l’or qui devait s’y trouver. Les mieux armés faisaient bonne garde pendant que les autres défonçaient la terre. Cette fois encore Jehan monté sur son grand cheval noir arriva au galop et culbuta guerriers et travailleurs.
Le sire de Cangé effectuait de lointains voyages. Chevauchant par monts et par vaux avec la rapidité de l’éclair, il visita le monde entier apportant et amassant dans son castel les curiosités des pays brûlés par le soleil et de ceux toujours couverts de neige.
Un dimanche matin en rentrant chez lui, ses gens lui apprirent que c’était à son tour de donner le pain béni à la messe du jour, mais qu’il n’y avait plus de pain blanc chez les boulangers du bourg de Dourdain.
− Quelle heure est-il ? demanda Jehan.
− La messe sonne avec les trois cloches, répondirent les domestiques et dans un quart d’heure elle sera commencée.
− J’ai grandement le temps d’aller en chercher à Rennes. Sellez mon cheval.
Il partit aussitôt et revint, en effet, avant l’office apportant six miches de trois livres.
Ennuyé de courir le monde, le seigneur du Plessis-Pillet resta dans le pays, recommença ses orgies et ses désordres, exaspérant ses voisins par ses insultes et ses bravades. Il fit si bien que la guerre lui fut déclarée.
On entendit bientôt la trompette des hommes d’armes et le hennissement des chevaux. C’était l’armée des seigneurs insultés accompagnés de leurs amis venant assaillir le château.
Cerné de tous côtés, Jehan, monté sur son cheval tenta, à la tête de ses gens, de faire une sortie, mais pour un ennemi mis hors de combat dix autres prenaient la place du mort. Force fut à l’assiégé, après avoir vu ses hommes succomber autour de lui, de rentrer dans sa demeure. Comme de coutume le pont-levis s’abaissa de lui-même pour le laisser rentrer et se releva aussitôt après.
L’infortuné seigneur, seul dans son château, réfléchissait au moyen d’échapper à ses ennemis lorsqu’il se rappela que son pacte avec le diable devait bientôt expirer. Comptant les mois et les jours il s’aperçut que les quinze années finissaient le lendemain. Abandonnant alors toute idée de fuite, il prit la résolution de s’ensevelir sous les ruines de sa forteresse. Amassant dans les caves et les salles basses tout le bois et les objets susceptibles d’être consumés, il y mit le feu, regrettant de ne pouvoir brûler avec lui le trésor de la lande, dont il restait encore une bonne partie.
Des quatre coins du château sortirent des tourbillons de fumée auxquels succédèrent les flammes. Au point du jour, quand les assiégeants qui avaient travaillé toute la nuit à combler les fossés, voulurent escalader les murs, ils reculèrent épouvantés et assistèrent en simples spectateurs à l’anéantissement de leurs espérances.
Des cris déchirants partirent du milieu du brasier quand le sire de Cangé succomba en livrant son âme au diable.
Il ne resta du Plessis-Pillet que le portail et la pierre sur laquelle fut signé le pacte du démon. Cette pierre se voit encore dans une des meurtrières du portail ; elle est marquée de trois taches rouges, larges gouttes de sang tombées de la plume de Satan.
Les habitants montrent aussi une tête, surmontée de deux cornes, sculptée dans la pierre et qui, disent-ils, rappelle la figure du démon.
La chemise que Jehan portait quand il se coupa la veine du bras, fut toute maculée de sang. Il paya une mère-mitaine[27] des environs pour aller la laver à la nuit noire et la battre pour faire disparaître la tache.
La malheureuse lavandière lave encore à l’heure présente, sans pouvoir enlever le sang de la chemise, et les gens assez braves pour passer à l’heure de minuit près du doué du château, entendent le battoué de la mère-mitaine.
Sur le haut de la lande de Clairay on aperçoit l’empreinte du pied d’un cheval. L’herbe ne croît pas à cette place et les pierres que l’on y dépose disparaissent la nuit suivante.
Enfin le trésor est toujours dans la lande, mais le diable le garde, il envoie, chaque fois qu’on essaye de l’enlever, le sire de Cangé, monté sur son grand cheval noir, pour chasser les personnes assez téméraires pour s’aventurer à fouiller la lande.
J’avais jusqu’ici écrit le nom du seigneur du Plessis-Pillet « Changé » lorsque le hasard m’a fait découvrir aux archives départementales d’Ille-et-Vilaine l’acte dont la teneur suit qui m’a appris l’orthographe véritable de ce nom.
« Le huictiéme jour du mois de janvier après midi mil sept-cent-sept, devant nous notaire du marquisat du Bordage au siège de Sérigné, ont comparu dame Catherine Boüan dame de Cangé, veuve et non séparée de biens de feu messire Charle Denyau chevallier seigneur de Cangé sy devant coner au parlement de bretagne renonsant et créantière en sa succession en privé non que comme caupsionne et mère de Charle Denyau chev. seig. de Chateaubourg et delle Anne-Charlotte-Jacquette Denyau damelle de Cangé tous deux héritiers soubz benefice d’inventaire du dit seigneur de Cangé leur père, lequel seigneur de Chateaubourg s’oblige à faire ratifier à son curateur, demeurants a présant a leur maison seigneuriale du Plessix en la paroisse de Dourdain, lesquels aux dits noms et qualités donnent par les présentes pouvoir et procure a (un blanc) retirer cheix monsieur le greffier des États de Bretagne pour eux et en leurs noms renonsis formellement à la qualité de compts aux honneurs et prorogations et comptes comme de fait ils renonsent pour d’Icell en avoir acte pour leurs services ainsi quil appartient de toute renoncion (renonciation) ce qu’ils ont aussy voulu juré puis tenir sans y contrevenir.
Fait et consenty à la maison du Plessix aud. Dourdain avec le sing de la dite dame de Cangé, du dit seigneur de Châteaubourg, de ladite damoiselle de Cangé aucy la notre
« Au Xe siècle, dit M. de la Borderie, le territoire de la paroisse de Livré était un domaine des comtes de Rennes, au centre duquel s’élevait une église dédiée à la Vierge ; mais comme beaucoup d’autres cantons de notre province dévastés par les invasions normandes, ce domaine était devenu un désert. Pour y ranimer la vie sociale et religieuse, Geoffroy Ier, comte de Rennes et duc de Bretagne (de 992 à 1008), voulut y appeler des moines et le donna à Robert, abbé de Saint-Florent. »
Telle fut l’origine de Notre-Dame de Livré, l’un des plus anciens prieurés bénédictins fondés en Bretagne par l’abbaye de Saint-Florent de Saumur.
Comme le prieuré de Gahard, celui de Livré relevait directement du pape, sans dépendre d’aucun évêque.
Le dimanche de la Quasimodo avait lieu à Livré le jeu de la quintaine : Tous les nouveaux mariés devaient, ce jour-là, comparaître devant le prieur et lui donner « un baiser et une chanson » ; ils devaient aussi courir en frappant la quintaine.
Les moines de Livré possédaient aussi, au village de Saint-Mauron, une chapelle qui se voit encore aujourd’hui dans la cour d’une métairie qui en a conservé le nom.
Au XVIe siècle les bénédictins cédèrent le prieuré de Livré aux jésuites de Rennes qui le possédaient encore à l’époque de la Révolution.
Le logis prioral existe encore au nord de l’église du bourg. Il est aujourd’hui converti en ferme. On remarque dans une de ses salles une vaste baie romane, maintenant bouchée ; on y voit aussi des chambres peintes en rouge, des cheminées à colonnes et quelques autres vestiges témoignant de l’ancienne importance du monastère.
La commune d’Ercé-près-Liffré a, sur son territoire, le château du Bordage, habité par la mère de M. Yves Guyot, ex-ministre des Travaux publics.
De cet ancien manoir qui fut jadis la propriété de René de Montbourcher, garde des sceaux d’Arthur II, il ne reste, — à côté de constructions modernes, que quelques pans de murailles tombant en ruines.
On voit à la mairie d’Ercé un drapeau de la première révolution ; il fut trouvé en 1815. La hampe était, à cette époque, surmontée d’un bonnet phrygien qui, plus tard fut remplacé par un coq gaulois. Cette relique a pu être conservée jusqu’à nos jours et les habitants de cette commune sont fiers de la posséder.
De très belles fêtes eurent lieu à Ercé, le dimanche 27 juillet 1890, à l’occasion de l’inauguration, sur la place du bourg, d’une statue de la République offerte par le ministre des Travaux publics.
Les belles ruines de l’ancienne abbaye de Saint-Sulpice-la-disparaissent, elles aussi, chaque jour :
Les derniers murs de l’église abbatiale s’écroulent, et les sculptures de l’ancienne chapelle du XVe siècle s’effacent sous l’action du temps.
Encore quelques années et les derniers vestiges de la puissante abbaye qui eut pour abbesses des princesses ne laisseront plus aucune trace.
Le poète Gérard de Nerval dans son roman « Le Marquis de Fayolle » a placé quelques scènes de l’époque de la Révolution à Saint-Sulpice-la-Forêt. Il a su, en y mêlant l’amour, les rendre palpitantes d’intérêt. Il est surprenant que ce superbe roman soit aussi peu connu.
CANTON DE MORDELLES
Le bourg de Mordelles aligné sur la route qui conduit à Plélan et à l’antique forêt de Brocéliande se présente bien. Baigné par les eaux du Meu et orné de châteaux et de villas, le pays a un aspect fort gai.
Mordelles a donné son nom à une porte ducale de Rennes, la porte Mordelaise.
Ses seigneurs furent célèbres : en 1380, Geoffroi de Mordelles signa le traité de Guérande passé entre Jean V et le roi de France. De 1400 à 1418, Guillaume de Mordelles parut à la cour des ducs. En 1720, Pierre de Mordelles était écuyer, sénéchal de Penthièvre et de Dinan ; ses armes étaient d’argent à un lion rampant de sable. Olivier de Mordelles fut conseiller de Jeanne de Penthièvre, femme de Charles de Blois.
Pendant les guerres de religion, les ligueurs, conduits par Trémereuc, frère du sieur du Bordage, ravagèrent et pillèrent Pacé, le Rheu et Mordelles.
Parmi les manoirs du moyen-âge, citons d’abord sur les bords du Meu, le château d’Artois, ancienne demeure des seigneurs de Mordelles, érigé en vicomté en 1711, en faveur du maréchal de Châteaurenaud, gouverneur de Bretagne ; ce manoir appartient aujourd’hui à M. de Rochemure ; − le château de Beaumont, avec tourelles, dont les seigneurs étaient connus dès 1208 ; la Ville-du-Bois ; la Grillonnais ; la Haichoix ; et la Haye.
On aperçoit près du bourg, sur la route de l’Hermitage, dans une jolie situation, un charmant château moderne, flanqué de deux tourelles. C’est la demeure de M. de Farcy, maire de Mordelles, conseiller général du canton.
Dans la commune de Chavagne, près le moulin de Chancors se trouve la grande pâture de Babelouze sur laquelle se tient une foire importante le 18 Octobre de chaque année.
Le poëte Hippolyte Lucas qui avait une campagne au Temple-du-Cerisier, commune de Saint-Jacques-de-la-Lande, mais tout près de Chancors, ne manquait jamais de se rendre à la foire de Babelouze où tous les paysans venaient lui serrer la main.
La ville de Rennes voulant perpétuer le souvenir de l’écrivain et du poëte Rennais vient de donner le nom d’Hippolyte Lucas à l’une de ses rues.
C’est aussi dans la commune de Chavagne, dans une vallée verdoyante couverte de beaux arbres, que se trouve le moulin de Bury cher aux pêcheurs.
Bury fut autrefois un manoir dont il ne reste plus qu’un moulin.
Il est encore une promenade charmante à faire pour l’habitant de Rennes qui ne peut disposer que de quelques heures. Elle consiste à aller par la route de Mordelles jusqu’au-delà de la propriété de Montigny (qui s’appelait autrefois Montigné), et de prendre à gauche, après avoir passé l’auberge qui se trouve au détour de la route, une avenue qui conduit à la ferme d’Apigné. Cette ferme est dans la commune du Rheu.
C’est à l’un des seigneurs de cette paroisse que Rennes dut l’une de ses tours qui portait le nom d’Apigné.
Du château d’Apigné il ne reste qu’une motte féodale située dans la cour de la ferme dont nous venons de parler, à côté d’une petite chapelle convertie en cellier. Le château fut autrefois une place fortifiée, puisqu’en 1593, pour la défendre contre la ligue, Montbarot, gouverneur de Rennes, y plaça une garnison.
Avant le XIIe siècle tout le canton de Mordelles n’était qu’une vaste forêt ; plus tard lorsque ces bois furent abattus le pays se trouva transformé en landes immenses qui existaient encore à la fin du siècle dernier c’est-à-dire à l’époque de la Révolution.
De petits sentiers à travers des prairies conduisent au moulin d’Apigné, sur le bord de la Vilaine, d’où l’on peut revenir à Rennes par le chemin de halage, en suivant les sinuosités de la rivière qui à chacune de ses courbes capricieuses offre des paysages ravissants.
Un jeune peintre d’histoire, M. Louis-François Roulin, est né au Rheu en 1821, et est mort à Paris en 1839. Élève de Gérard et d’Ingres, il fut second grand prix de Rome en 1837 pour son tableau : « Tobie rendant la vue à son père ». La maladie l’empêcha de terminer l’œuvre qu’il préparait pour le concours de 1838.
M. Roulin a laissé son portrait, qu’il exécuta l’année même de sa mort, et un Moïse qui a eu les honneurs de l’exposition.
Le château du Boberil était situé dans la commune de l’Hermitage. Il appartenait, au XIIIe siècle, à Geoffroy du Boberil ; en 1578, il fut érigé en châtellenie relevant du roi, avec haute, moyenne et basse justice. Il a été démoli presque en totalité. On ne voit plus aujourd’hui qu’un pavillon entouré de douves. Une des salles du rez-de-chaussée renferme un bahut sur lequel les figures des quatre évangélistes sont sculptées en relief. Ce bahut meublait la chambre de Henri IV, lorsqu’il vint coucher à la Prévalaye, en 1598.
CANTON DE SAINT-AUBIN D’AUBIGNÉ
Peu de localités sont aussi bien partagées que celle de Saint-Aubin-d’Aubigné sous le rapport des communications. De tous côtés partent, du milieu du bourg, des routes qui conduisent aux nombreuses communes du canton.
Ce petit bourg a réellement bon air, lorsqu’on s’y rend par la route de Rennes, et qu’en y arrivant l’on aperçoit, au fond d’immenses prairies, abrité par des bouquets d’arbres, l’antique manoir de Saint-Aubin, qui appartint, en 1427, à Pierre de Beaucé, et en 1500, à Bonabes-Freslon, seigneur de la Freslonniére. Il a subi depuis ces deux dates bien des transformations.
Le bourg possède quelques maisons moyen-âge, et notamment l’hôtel Chevrel qui, avec son porche, ne manque pas d’originalité. De belles propriétés cachées sous les arbres, avec des jardins remplis de fleurs, font soupirer le voyageur, qui se demande, en voyant ces nids de verdure, si le bonheur n’est pas là dans la paix et la solitude.
L’église offre quelques traces de sa primitive construction du XIe siècle. C’est un appareil en feuilles de fougères dans le mur septentrional de la nef et une baie romane aujourd’hui bouchée.
À l’intérieur, on découvre deux pierres tombales, derniers vestiges d’un enfeu seigneurial. Sur l’une d’elles est une épée posée près de l’écu.
Le château de la Morlais, au pied des rochers Moriaux, a conservé, lui aussi, quelques débris de son ancienne splendeur. On voit encore de vastes chambres boisées, une porte et des fenêtres de la Renaissance, et une tourelle au coin d’une ancienne cour d’honneur.
Ce château, aujourd’hui transformé en ferme, est baigné par l’Illet, et une avenue conduit aux rochers Moriaux.
Ces roches, situées au sommet d’une lande formant coteau, ont un aspect étrange. Ce sont des monuments mégalithiques qui atteignent des proportions considérables. Quelques-uns d’entre eux ont jusqu’à trois mètres, tant en largeur qu’en hauteur. Celui que l’on désigne sous le nom de Palet de Gargantua est un superbe dolmen d’un mètre d’épaisseur sur 2 m. 35 de long. Il s’appuie sur trois pierres, et sur la dernière, au moyen d’un petit caillou formant cale.
La lande, couronnée de ces rochers de quartz, ombragée de quelques châtaigniers, ferait certainement le sujet d’un splendide tableau. Nous signalons ce paysage à l’attention des artistes parisiens.
Du haut des rochers, la vue embrasse un horizon presque complet. D’un côté on découvre la forêt de Rennes, à l’est les collines d’Ercé-près-Liffré, au nord celles de Gahard, et au sud et à l’ouest les bourgs de Chasné et de Saint-Aubin-d’Aubigné. C’est un cirque merveilleux dont les rochers sont le centre.
Au point de vue géologique, la commune de Saint-Aubin-d’Aubigné est l’une des plus intéressantes du département. Lorsqu’on va de Saint-Aubin vers Gahard, on rencontre sur des landes des grès dévoniens renfermant des fossiles tels que : Grammysia, — Ptérinées, — Orthocères, etc. Plus loin, vers le Bois-Roux, on découvre du calcaire marbre mêlé à des schistes noirs fossilifères. Ce calcaire forme des bancs d’une hauteur de quarante centimètres à un mètre. Les principaux fossiles qu’il contient sont les suivants : Homalonotus, — Dalmanites, — Calymène, — Orthis, — débris d’Encrines, — Terebratula, etc., etc.
M. Papail, directeur des fours à chaux du Bois-Roux, — toujours si complaisant envers les géologues qui vont lui rendre visite, — a récemment trouvé un fossile superbe, un véritable échantillon de musée. C’est un énorme Homalonotus Gerwillei.
Cette commune doit son origine au château de la Magnane, dont les seigneurs, connus dès le XIIe siècle, descendaient des barons de Vitré.
Le petit bourg d’Andouillé, ou plutôt la partie du bourg qui avoisine l’église, se trouve dans une situation extrêmement pittoresque.
L’église, restaurée en 1824, a conservé un antique porche et une fenêtre flamboyante de l’ancien monument, datant de la fin du XVIe siècle. Située sur un rocher, elle a, à ses pieds, le bel étang d’Andouillé, dont la nappe d’eau se profile jusqu’auprès de Sens. Le vieux cimetière entoure encore l’église, et les humbles croix qui penchent tantôt à droite, tantôt à gauche, donnent à ce petit coin, un aspect mélancolique qui forme contraste avec la gaieté du moulin voisin, son tic-tac joyeux et les cascatelles qui gazouillent au milieu des herbes.
Sur la chaussée de l’étang est un vieux et superbe châtaignier d’une grosseur prodigieuse. Ce vétéran, qui doit compter plusieurs siècles d’existence, a vu bien des générations jouer sous ses ombrages. Il fut, sans doute, le contemporain du château d’Andouillé, qui existait au XVe siècle, près de l’église dont nous venons de parler et qui a été complètement détruit.
On trouve aux archives du département d’Ille-et-Vilaine[28] un aveu du 20 juin 1580, rendu au comte de Laval, baron de Vitré et seigneur d’Aubigné, par Noël du Faill, conseiller au Parlement[29] et Jeanne Perraud, sa femme, sieur et dame de La Hérissaye[30], de La Morlaye[31], pour la terre et seigneurie d’Andouillé, s’étendant en la paroisse d’Andouillé-Neuville. Ledit aveu mentionnant un droit d’étalage perçu sur les marchands vendant boissons à l’assemblée tenue en l’honneur de St-Léonard, au bois de Boq.
Ce document, le premier dans lequel il soit question du mariage de l’écrivain Noël Du Faill, est assez curieux pour être cité en entier ; il est d’ailleurs très court :
« Tiennent lesdicts mariez Du Faill de leurs dict seigneur le boays et buisson de Boon où est assise la chapelle Sainct-Léonard, estang audessoulz et aultre attache et vieille chaussée et retenue d’eau et la prée audessoulz dudict estang, avec les landes estantes sur les coustaulx et aesles dudict boays ; a droict de chasses audict breuil prohibitif à tous aultres.
» Droict d’estaillaige sur les vendans et exposans marchandises audict boays et distribuans vins, cildres et aultres breuvaiges aulx assemblées accoustumées, faire audict boays pour l’honneur dudict saint Léonard, avecq ung mouton, avecq sa layne, deu à chaurcun mardi de la Pentecouste ausdicts teneurs par cellui qui fait les fruicts de ladicte chapelle ; avecq la somme de cinq soulz monnaye. »
La terre d’Andouillé relevait d’Aubigné. Les archives de cette dernière seigneurie sont au château de la Magnane.
Ce château, du XVIIe siècle, avec perron, flanqué de tourelles, possédant un jardin merveilleux, est vraiment princier. Il est construit dans une vallée, au milieu d’immenses prairies qu’arrose le ruisseau de l’étang d’Andouillé. Çà et là, des bouquets de beaux arbres rompent la monotonie d’une aussi grande étendue de verdure. En face le château se dresse un coteau couvert de magnifiques futaies et de bois taillis. Enfin, de splendides avenues convergent toutes vers le château.
La Magnane, qui depuis le XIIe siècle appartient à la famille de Montbourcher, est aujourd’hui la propriété de M. René des Nétumières.
En 1559, un ministre protestant du nom de Dugravier fut appelé, de Rennes à la Magnane, par le sire de Montbourcher, pour y baptiser sa fille.
Le village de Neuville prétendait au siècle dernier, être l’ancienne paroisse, et un arrêt du Présidial de Rennes décida, en 1769, que les offices du culte seraient célébrés alternativement à Andouillé et à Neuville.
En allant du village de la Besnardière à Neuville, on rencontre deux jolies vallées au fond desquelles coule un ruisseau qui alimente trois moulins : Surgon, le Moulin-Rouge et celui d’Andouillé.
Gahard est l’un des vieux bourgs de notre département qui a conservé le plus de curiosités archéologiques. Lorsqu’on y entre par le chemin vicinal qui vient de la route d’Antrain, on aperçoit à gauche, les ruines du château des Fontaines qui fut construit, en 1450, par un membre de la famille du fameux Pierre Landais, trésorier et favori du duc de Bretagne François II.
Ces ruines ne se composent plus que de quelques pans de murs dans lesquels se trouvent d’immenses cheminées, avec des sculptures fort intéressantes, et qui méritent d’être conservées. Nous sommes surpris que M. de la Fosse, leur propriétaire, ne les mette pas à l’abri des outrages du temps. Un débris de fuie et quelques petites fenêtres curieuses attirent aussi l’attention.
Au pied des ruines, sur le bord de la route, sont des fontaines en granit qui, jadis, ont sans doute donné leur nom au château.
L’église de Gahard porte la date de 1405. Elle renferme, dans la sacristie un très beau coffre antique très artistement sculpté. On voit aussi : un reste de verrière représentant le père éternel vêtu en pape et entouré d’anges ; un bénitier en granit avec personnages ; de nombreuses inscriptions tumulaires sur les dalles en face du chœur.
L’ancienne maison priorale, attenant à l’église, a été transformée en habitation moderne par M. Perrussel auquel elle appartient.
En face l’église, de l’autre côté de la rue, est une maison avec tourelle assez curieuse.
Du milieu du bourg on aperçoit la forêt de Haute-Sève recouvrant un grand coteau qui dévale en pente douce jusqu’au fond de la vallée. Ce coteau assez élevé couronné de grands chênes fait l’effet d’une montagne coupant l’horizon. M. Yves Guyot, lors de sa visite à Gahard, le 28 juillet 1890, avait cueilli dans la propriété de M. Perrussel une branche de l’arbre de la Liberté (arbre planté en 1792), pour la remettre à M. le président de la République.
« Ce souvenir attestera, avait dit M. le ministre des travaux publics, qu’il y a en Bretagne des populations depuis longtemps républicaines. À Ercé, nous avons trouvé le drapeau du centenaire ; aujourd’hui, c’est le chêne de Gahard qui prouve l’ancienne communauté des sentiments qui animent ces communes voisines, restées fidèles aux principes et aux traditions de la Révolution. C’est en conservant ces glorieux souvenirs qu’un pays s’honore. Nous nous souvenons de ce qu’ont fait nos pères : nous saurons les imiter. »
À ce sujet, la lettre suivante a été adressée par M. le général Brugère, au nom de M. le président de la République, à l’honorable maire de Gahard.
« M. le ministre des travaux publics a remis à M. le président de la République le rameau du chêne de la liberté, planté à Gahard, en 1792, que vous l’aviez prié de faire parvenir à l’Élysée.
« M. le président a été très touché du sentiment qui a inspiré cette délicate attention, et il m’a chargé de vous transmettre, à vous ainsi qu’à vos concitoyens, ses vifs remerciements.
« Agréez, monsieur le maire, l’assurance de ma considération distinguée.
J. Brugère,
Secrétaire général de la Présidence.
À la limite orientale de la commune de Sens, sur les bords d’un lac aujourd’hui divisé en quatre étangs, on aperçoit les ruines du château du Bouessay, qui garde encore de délicates sculptures en granit dans le style de la Renaissance. Une charmante tourelle est occupée, presque en entier par un superbe escalier de pierre. Quelques fenêtres et deux manteaux de cheminée méritent l’attention du visiteur. Le reste du château ne présente plus qu’un amas de ruines. Quelques murailles, d’une épaisseur considérable, sont recouvertes de lierre et de ronces.
Le savant abbé, M. Guillotin de Corson, nous apprend que ce château du Bouessay fut construit vers la fin du XVe siècle par la famille de Champagné.
Il suppose que cette terre fut vendue au commencement du XVIIIe siècle à René de Montbourcher, seigneur de la Magnane et comte de Betton, époux de Marie de Montaudouin. « Celui-ci, dit-il, président au Parlement de Bretagne, était en effet, seigneur de Bouessay en 1767 ; mais sa femme étant venue à mourir, l’un des héritiers de cette dernière, Charles du Plessix, marquis de Grénedan, prétendit avoir droit à la possesion de la seigneurie de Bouessay à cause de sa propre femme, Elisabeth de Montaudouin.
« En conséquence, Charles du Plessix rendit aveu, le 20 avril 1769, au baron de Sens, pour la terre de Bouessay. Sa déclaration nous apprend que Bouessay était alors à peu près tel qu’aujourd’hui, c’est-à-dire « totalement en ruisne avec la tour au devant et une maison au couchant appelée la chambre où demeure le fermier ». La terre comprenait, en outre des étangs, et des bois, les métairies de la Renaudais et de la Chauvelais. La seigneurie se composait de huit fiefs, parmi lesquels on distinguait « le grand baillage du Bouessay s’étendant en la ville de Sens et valant 25 liv. de rente, quatre chapons, des oignons pour 4 sols au terme de Saint-Léger, et une paire de gants à la fête de Noël ». Enfin l’aveu mentionne, mais sans y appuyer, les prétendus droits de prééminence et de fondation de l’église de Sens que contestaient les barons du lieu.
« Le seigneur de Bouessay exerçait à Sens même une juridiction en haute, moyenne et basse justice ; mais l’on voit qu’en 1769 son manoir n’était plus qu’une ruine. À quelle époque remontait la dévastation d’une si jolie demeure ? Peut-être au temps des guerres de la Ligue. Georges de la Charonnière fut, en effet, l’un des fidèles serviteurs du duc de Mercœur, qui le choisit même pour remplacer Montbarot en qualité de gouverneur de Rennes. Le pillage et la ruine du château de Bouessay ne furent-elles pas l’œuvre de quelques Royaux ennemis des Ligueurs ? »
Les paysages que l’on rencontre dans ces deux communes sont avec ceux de Pont-Réan, Bourg-des-Comptes et Pléchâtel, les plus beaux du département.
C’est la nature vraie, pittoresque, abrupte sur les coteaux, fertile dans les vallées, avec des rochers perçant le sol ; c’est en un mot la Bretagne qu’on aime et celle que les poètes ont chantée :
« Avec son sol de pierre et sa rude campagne
Avec ses longs cheveux et son front indompté ».
Les coteaux de Bray, en Vieux-Vy, au confluent de la Minette et du Couesnon, sont admirables. Du haut de ces rochers granitiques, la vue embrasse Vieux-Vy, Orange, Lande pavée et les deux rivières.
Lande pavée est ainsi nommée à cause de la quantité considérable de pierres plates qui la recouvre. Du haut de cette lande on aperçoit une douzaine de clochers.
LA LANDE PAVÉE
près Vieux-Vy
On voyait autrefois près du village d’Orange les vestiges d’un camp romain et il a été trouvé dans ces parages des meules romaines, des projectiles en fer, des cercueils en pierre et un éperon en cuivre.
La vallée de la Minette, avec ses moulins plus ou moins délabrés et la plupart abandonnés, offre aux peintres de nombreux sujets d’études.
M. Savary, qui a eu l’idée du présent ouvrage et de son illustration par les membres de la Société photographique de Rennes, nous a adressé de sa propriété de Montmoron, commune de Romazy, des renseignements sur la vallée de la Minette que nous nous empressons de reproduire ici :
« Les moulins de la Sourde, appelés ainsi on ne sait pourquoi puisqu’ils sont tous sur la rivière de Minette, se trouvent entre la mine argentifère de la Touche et Saint-Christophe de Valains, c’est-à-dire à quelques centaines de mètres du moulin de Bray situé au confluent de la Minette et du Couesnon.
« Un moulin, qui sert à moudre du blé, est construit sur un rocher de granit dans une charmante situation. Il est présentement en pleine activité.
« À cinq cents mètres plus haut on aperçoit les ruines des anciens moulins à papier qui dépendaient de l’usine principale de Vieux-Vy, aujourd’hui abandonnée.
« L’un de ces vieux moulins est utilisé quelquefois, mais à de rares intervalles, au lavage des couvertures de chevaux des régiments de cavalerie. Les couvertures sont déposées dans de grandes cuves traversées par l’eau de la rivière et battues sans interruption par les marteaux qui servaient autrefois à piler la pâte du papier. Après un lavage et un martelage de plusieurs jours les couvertures sortent de là un peu usées peut-être, mais du moins très propres.
« Non loin de là est une carrière de granit, d’où l’on extrait des tables de pierre qui sont employées à daller les trottoirs de Rennes.
« Près des nombreux moulins abandonnés on rencontre de belles auges en granit, qui servaient autrefois à malaxer la pâte du papier. Cette pâte était faite avec les déchets du bois de peuplier provenant des fabriques de lanternes vénitiennes. Le bois mince qui forme le fond et le dessus de ces lanternes est découpé dans des planchettes dont les retailles étaient vendues pour la confection du papier d’emballage ».
Un Monsieur Lebigre, entrepreneur de routes à Romazy, découvrit, il y a près de quinze ans, un gisement de plomb, d’argent et d’autres métaux connexes. Une société se constitua au mois de juillet 1879 et obtint une concession d’une étendue superficielle de dix kilomètres carrés (61 hectares) dans les communes de Romazy, Chauvigné, Saint-Christophe de Valains et Vieux-Vy. C’est cette concession qui a pris le nom de Mine argentifère de la Touche.
Jusqu’à ces dernières années cette mine n’avait été l’objet que de travaux de sondage et n’occupait que quelques hommes ; mais depuis deux ans on a poussé activement les fouilles et entrepris d’importants travaux d’avenir et d’aménagement.
Dans le rapport que M. l’Ingénieur des Mines a préparé pour le Conseil général d’Ille-et-Vilaine (session du mois d’Août 1891), on lit : « Le montant des salaires de la mine de la Touche en 1890, dépasse 48 000 fr. pour un effectif moyen de 50 ouvriers à l’intérieur et 15 à l’extérieur. Actuellement le nombre total des ouvriers dépasse la centaine ; les travaux d’exploitation sont commencés et l’on peut prévoir pour la nouvelle mine un avenir prospère. »
L’espace qui nous est accordé par notre éditeur ne nous permet pas de nous étendre davantage sur les curiosités des autres communes du canton de Saint-Aubin-d’Aubigné.
Nous nous contenterons donc de signaler à nos lecteurs :
Dans la commune de Feins, le bel étang du Boulet dans lequel la rivière d’Ille prend sa source. Il a plus de douze kilomètres de tour.
La fromagerie du chalet à M. Champion et les belles cultures de cet intelligent agriculteur.
Les vestiges d’un camp romain à l’ouest du bourg de Montreuil, d’où la vue embrasse la belle vallée de la rivière d’Ille.
À Aubigné, les ruines du château des sires d’Aubigné, la maison des plaids au milieu du bourg, et le bénitier de l’église orné à la manière du XVe siècle.
Les sites charmants de Saint-Germain-sur-Ille et les ruines d’un ancien monastère au Bois-Lambin.
La magnifique verrière de Chevaigné.
La nouvelle et remarquable église de Melesse, les menhirs du champ du rocher, au village de Couyat.
Enfin le vieux château du Bois-Geffroy dans la commune de Saint-Médard-sur-Ille, et la Roche-du-Diable à 400 mètres du bourg sur la route de Saint-Germain à Aubigné.
C’est là, au pied de cette roche que nous fut narré le conte de Maître-Jean qui terminera nos récits du Pays de Rennes.
Une fermière du Bois-Geffroy, en Saint-Médard-sur-Ille, se disait la veille de Noël : « Il me faudrait aller au bourg chercher de la saucisse et du boudin pour réveillonner la nuit prochaine, mais je n’ose laisser ma garçaille[32] à la maison, il pourrait lui arriver du ma[33] ».
En effet, un enfant de deux ans environ sommeillait dans un ber[34], près de la cheminée, et il n’était guère prudent de le quitter.
La paysanne attendit le réveil du petit, le débarbouilla avec son mouchoué[35] de poche, le mit sur son bras et s’en alla à Saint-Médard.
C’était à la ressiée[36], et les jours sont si courts à Noël qu’elle eut beau trotter tout le long du chemin, se dépêcher d’acheter ses provisions, il faisait quasiment nuit quand elle quitta le bourg pour rentrer au logis.
Elle prit à travers champs pour abréger sa route ; mais au moment où elle allait enjamber l’échalier d’un pré à trois cônières[37], elle aperçut sous un pommier un linceul étendu sur l’herbe et qui était couvert de pièces de cent sous.
La frayeur la prit, son sang ne fit qu’un tour, et elle crut qu’elle allait laisser chai[38] sa garçaille. Tout de même, la vue des pièces de cent sous l’attirait et, ma foi, elle s’enhardit, passa l’échalier, s’avança vers le drap blanc, y déposa son enfant et se mit à remplir sa devantière[39] de belles pièces d’argent.
L’innocent[40], en voyant sa mère ramasser l’argent, fit comme elle, retroussa le devant de sa petite robe et en serra tant qu’il put.
Quand la femme en eut presque sa charge, elle songea à regagner sa demeure.
De retour à la maison, elle voulut compter sa fortune et ne trouva dans sa devantière que des fleurs fanées. Mais quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’elle vit dans la robe de son fils les quelques pièces qu’il avait ramassées.
Un rire strident lui fit tourner la tête et un gros chat noir, assis sur le husset[41] de la porte, lui dit : « Il n’y a que l’argent touché par les innocents qui se conserve. »
C’était un tour de Maître Jean.
- Hôtel de Ville. — Bibliothèque publique. — La Grosse Horloge. — La Guillotine en 1792. — Leperdit, Maire de Rennes (1794). — Le Théâtre.
- Palais de justice. — Couvent des Cordeliers. — Le premier programme Révolutionnaire. — La Guillotine en 1795. — Tribunal criminel de 1793. — Condamnés sauvés par Leperdit. — Carrier à Rennes (1793). — La Tour Le Bât. — L’Hôtel de Montbourcher et La Chalotais. — La Préfecture.
- Palais Archiépiscopal.
- La Rue Saint-Melaine.44
- L’Hôtel Cuillé.
- Tombeau de Bertrand d’Argentré.
- Les Musées.
- La Gare. — Histoire de Poulain de Beauregard.
- Le père La Paillette.
- Le Bourg l’Evêque. — La Perrière. — Empêchons les gens d’aimer (chanson du Bourg l’Evêque). — Saint-Étienne.
- Les Portes Saint-Michel. — La découverte des bornes milliaires. — La place du Champ-Jacquet. — La place des Lices. — Le Gibet. — Le Pilori. — L’Hôtel du Molan. — La Rue Saint-Louis et l’Hôpital Militaire. — La Place Sainte-Anne et l’Église Notre-Dame de Bonne-Nouvelle. — La Maison de Leperdit. — La rue d’Échange et ses Souvenirs. — Le Pont Saint-Martin et la Maison de Cadet-Rousselle. — Le Cimetière du Nord.
- Promenade le long du canal d’Ille-et-Rance par Saint-Grégoire et Betton. — Montgermont.
- Promenade par Cesson et Chantepie. — Le Revenant de Chantepie. — Le Château de Cucé. — Les pendus de Roque-Mignon. — La paroisse Saint-Hélier.
- Promenade par Bruz et Orgères. — Le Château de Cicé. — Le Cimetière de Bruz : Les poètes Émile Alliou et de La Durantais. — La Mine de Pont-Péan. — La légende du Petit Mineur. — Le Château d’Orgères. — Le Châtenay. — La légende de la Mare à la Fiancée.
- Châteaugiron. — Promenade par Nouvoitou et Saint-Armel.
- Hédé. — Promenade à Guipel. — Le Château du Chesnay-Piguelaye.
- Janzé. — Brie. — Boistrudan. — Corps-Nuds. — Piré. — Le Marquis de Piré et la Princesse Bacciochi.
- Liffré. — La Bouëxière. — Chevré. — La légende du sire de Cangé. — Livré. — Ercé près Liffré. — Saint-Sulpice-la-Forêt.
- Mordelles. — Chavagne. — Chancors. — Babelouze. — Château d’Apigné. — Le Rheu. — L’Hermitage. — Le Château du Boberil.
- Saint-Aubin. — Château de la Morlais. — Andouillé-Neuville et Noël du Faill. — Gahard. — Sens. — Ruines du Bouessay. — Romazy et Vieux-Vy. — Mine argentifère de La Touche. — Le Conte de Maître Jean.
Achevé d’imprimer
le premier Décembre mil huit cent quatre-vingt-douze
par
Lemercier & Alliot
à NIORT
Hyacinthe Caillière, Éditeur
à RENNES
- ↑ Saint-Melaine mourut à Brain et l’on ramena son corps à Rennes. Au moment où on le débarquait, une tour servant de prison s’écroula, rendant la liberté aux prisonniers qu’elle renfermait. Ceux-ci suivirent aussitôt le convoi du Saint en chantant ses louanges.
- ↑ Ce travail sur la navigation de la Vilaine est en entier de M. Gobaille. En sa qualité de conducteur des Ponts-et-Chaussés, il lui a consacré tous ses soins.
- ↑ Les États de Bretagne, à maintes reprises, s’intéressèrent à la question de la canalisation des rivières.
En 1730, le 8 décembre, les États votaient 10.000 liv. pour la création d’un canal de jonction entre la Rance et la Vilaine.
En 1746, M. de Kersauson soumettait aux États un vaste projet de canalisation :
1o Entre la Rance et la Vilaine (Rennes à Dinan) ;
2o Entre l’Oust et le Blavet (Rohan à Pontivy) ;
3o Entre la Vilaine et la Loire ;
4o Entre la Vilaine et la Mayenne ;
5o Éventuellement entre l’Aulne et le Blavet.
Le projet était soumis à l’étude, et à la tenue suivante, le 3 nov. 1748, les États approuvaient les devis de l’ingénieur Abeille, pour la création de 3 canaux entre la Rance, la Vilaine, la Loire, l’Oust et le Blavet, mettant en communication St-Malo, Dinan, Rennes, Redon, avec Nantes, Josselin, Pontivy et Lorient.
L’Empire réalisa les projets émis un demi-siècle auparavant, et abandonnés tante de fonds, et grâce à l’inertie du gouvernement central (canal d’Ille-et-Rance, canal de Nantes à Brest). Mais le canal de la Vilaine à la Mayenne est encore aujourd’hui à l’état de projet.
- ↑ 80 boisseaux, la mine était de 8 boisseaux
- ↑ Balles rembourrées de son et couvertes de cuir.
- ↑ Poules.
- ↑ Nous avons publié, dans la Revue de Bretagne et d’Anjou, une notice biographique sur ce poète Émile Alliou.
- ↑ Gens est employé ici pour parents ; le père et la mère presque toujours.
- ↑ S’établir pour se marier.
- ↑ Petite fortune.
- ↑ Innocent est pris ici dans le sens d’imbécile.
- ↑ Béguin et coqueluche sont souvent employés pour caprice.
- ↑ Chagrin.
- ↑ Vêtement de peau de chèvre ou de mouton.
- ↑ Paletot serrant la taille.
- ↑ Pantalon.
- ↑ Coiffe en tulle brodé.
- ↑ Sorte de corset.
- ↑ Jupe en laine cardée et en fil.
- ↑ Tablier.
- ↑ Espèce de clef pour tirer le cidre.
- ↑ Petit trou pour donner de l’air au tonneau quand on tire le cidre.
- ↑ Grande fourchette en fer à deux branches.
- ↑ Instrument qui sert à couper le marc de pommes dans les pressoirs.
- ↑ Outil pour hacher les guérets.
- ↑ Fourche pour vider le fumier des étables.
- ↑ Sage-femme.
- ↑ Saint-Brice. — Baronnie de Sens.
- ↑ Noël du Faill est connu des bibliophiles pour ses écrits charmants, intitulés : Propos rustiques et contes d’Eutrapel.
- ↑ En Pleumeleuc.
- ↑ La Morlaye relevait du Bordage, en Ercé-près-Liffré.
- ↑ Enfant des deux sexes.
- ↑ Mal.
- ↑ Berceau.
- ↑ Mouchoir.
- ↑ Après-midi.
- ↑ En formes de triangle.
- ↑ Choir, tomber.
- ↑ Tablier.
- ↑ Enfant n’ayant pas atteint l’âge de raison.
- ↑ Bas de porte.