Cahiers de la Quinzaine - IV-5/Texte entier

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Cahiers de la Quinzaine - IV-5

CINQUIÈME CAHIER DE LA QUATRIÈME SÉRIE
TEXTES ET COMMENTAIRES
ÉMILEZOLA
CAHIERS DE LA QUINZAINE
paraissant vingt fois par an
PARIS
8, rue de la Sorbonne, au rez-de-chaussée


Pour savoir ce que sont les Cahiers de la Quinzaine, il suffit d’envoyer un mandat de trois francs cinquante à M. André Bourgeois, administrateur des cahiers, 8, rue de la Sorbonne, Paris. On recevra en spécimens six cahiers de la deuxième et de la troisième série.




Nous mettons ce cahier dans le commerce ; nous le vendons deux francs
ÉDITIONS D’ART
Édouard Pelletan, 125, boulevard Saint-Germain, Paris

Pour paraître en décembre
ANATOLE FRANCE
de l’Académie française
FUNÉRAILLES D’ÉMILE ZOLA

Une plaquette petit in quarto carré, ornée de sept compositions de Steinlen, dont un portrait d’Émile Zola, gravées par Froment et L. Perrichon. Tirage en noir et rouge à 75 exemplaires seulement.

75 exemplaires — numéros 1 à 75 — sur vélin à la cuve des papeteries du Marais, filigrane ΚΤΗΜΑ ΕΣ ΑΕΙ, au prix net de 20 francs
Il a été tiré en outre :
6 collections d’épreuves d’artiste, signées, sur japon ancien,
au prix net de 20 francs
12 collections d’épreuves d’artiste, signées, sur chine, au prix net de 15 francs

ÉmileZola

Émile Zola est mort le lundi 29 septembre 1902. Ses funérailles ont eu lieu le dimanche 5 octobre au cimetière Montmartre.

Trois discours ont été prononcés :

le premier par M. Chaumié, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts ;

le deuxième par M. Abel Hermant, président de la Société des Gens de Lettres ;

le troisième et dernier par M. Anatole France.

DISCOURS DE M. CHAUMIÉ

Messieurs, il y a quelques jours à peine, le grand écrivain autour du cercueil duquel nous sommes aujourd’hui rassemblés, était en pleine vie, en pleine force. Son talent puissant, qui s’était affirmé dans tant de maîtresses œuvres, poursuivant son évolution, chaque jour plus élevé et plus épuré, assurait l’accomplissement des œuvres nouvelles entreprises ou annoncées.

Et voilà qu’il a suffi de l’accident le plus banal pour tout détruire en un instant.

La nouvelle de cette mort a produit un sentiment général de stupeur.

Ce n’est pas seulement la France, perdant ce jour-là une de ses hautes gloires littéraires, qui s’est sentie en deuil. De toutes parts ont afflué les manifestations les plus vives et les plus touchantes de douleur et de regret, marquant ainsi quelle place tenait dans le monde celui qui vient de disparaître. Parmi les nations étrangères, il en est une à laquelle Zola se rattachait par des liens d’origine ; sa perte y a été ressentie de façon plus cruelle, et le ministre de l’instruction publique de l’Italie m’a prié d’apporter sur ce cercueil la salutation suprême de son pays.

Le gouvernement de la République a tenu, lui aussi, à l’honneur de prendre part à ces funérailles.

D’autres étudieront le talent de l’écrivain, montreront la place qu’il tenait dans les lettres, diront la grandeur épique de ses récits, l’intensité de vie de ses personnages, son art de grouper et de faire mouvoir les foules et les armées, d’en sentir les frissons, d’en dégager l’âme, la puissance saisissante de ses descriptions, le relief de ses tableaux ; ils mettront en pleine lumière les grandes pages qui doivent rester, jetant peut-être un voile sur certaines, qui ont provoqué chez les uns tant de protestations et de colères, chez les autres tant de froissements de délicatesse et de pudeur, et qu’il a considérées comme inévitables, dans son souci profond de sincérité et de vérité.

C’est ce souci de sincérité et de vérité, animé par un grand sentiment de pitié et de justice, qui a dominé à la fois sa vie et son œuvre.

Dès le début, il s’est donné à une mission, mission, jadis, par beaucoup méconnue et raillée, admirée aujourd’hui, qu’il a suivie sans relâche, sans défaillance, et qu’il accomplissait encore quand la soudaine mort l’a frappé.

Quelle mission ? Faire et laisser de la société actuelle, de ses organes et de leur fonctionnement, des milieux dans lesquels elle se meut, des hommes qui la composent, des passions qui les agitent et les gouvernent, et aussi de ses vices, de ses tristesses et de ses misères, des souffrances de ses déshérités, un tableau si saisissant et si vrai, que de sa contemplation se dégage aux yeux de tous, des plus aveugles comme des plus clairvoyants, la nécessité de porter remède à ces souffrances, de combattre ces vices, d’adoucir ces tristesses.

Qui donc peut avoir oublié ce foyer de travailleur, si calme, qu’éclairait le sourire d’un enfant, et que la passion du mari pour l’alcool fait sombrer dans le désordre de la détresse et la folie ? Ne sentons-nous pas encore l’angoisse qui nous étreignait, lorsque, guidés par la main du conteur — pourquoi ne pas dire du poète — nous suivions les galeries étroites des mines, témoins à chaque pas du labeur dangereux et dur, de la si rude vie du mineur ? Cette vision peut-elle désormais s’effacer de notre esprit ? Combien d’autres aussi émouvantes hantent notre souvenir !

À ce qui eût pu n’être qu’une admirable œuvre littéraire, document inappréciable d’une époque, peinture à jamais vivante d’un temps qui se modifie sans cesse et sera demain disparu, le puissant souffle généreux qui l’a inspiré donne une grandeur supérieure, assure une gloire plus haute encore.

Qu’importe que l’idéal entrevu soit souvent inaccessible ? Qui a cherché à l’atteindre a monté.

Le rêve irréalisé n’en garde pas moins sa beauté ; l’effort, son utilité et sa noblesse.

Zola, d’ailleurs, était l’homme de son œuvre. Dès qu’une cause lui sembla juste, braver pour la défendre les colères irraisonnées ou perfides, subir les outrages furieux, les haines injustes, les abandons les plus douloureux, lui parut un impérieux devoir. Aucun sacrifice ne lui coûta pour répondre au cri de sa conscience.

Déjà les clameurs s’éteignaient, les intentions travesties ou calomniées apparaissaient aux yeux de tous dans leur véritable jour.

La mort, apportant avec elle l’apaisement et la sérénité, a hâté l’heure définitive de la justice. Tous ceux dont l’âme est vraiment haute, quel qu’ait été jusque-là leur parti dans la lutte, se sont inclinés devant ce cercueil.

Les petits, les malheureux, les déshérités, sur la souffrance desquels Zola a penché son observation attentive et sa pitié, sentant qu’ils ont perdu un ami, mêlent leur reconnaissance et leur deuil au deuil, à l’admiration de ceux qui pleurent l’immense perte faite par les lettres, et c’est ainsi que suivi d’un cortège grandiose, au milieu des hommages, laissant derrière lui un nom glorieux et des pages impérissables, le maître écrivain entre dans la tombe.

DISCOURS DE M. ABEL HERMANT

Messieurs,

Au bord de cette glorieuse tombe, devant laquelle même les inimitiés littéraires ne se sont pas tues, je voudrais de tout mon cœur, comme on veut ce qu’on doit, rendre à Émile Zola un hommage digne de lui. Hélas ! dans ces épreuves, ceux qui dénigrent ont vraiment tous les avantages sur ceux qui louent et qui pleurent. Notre douleur étonne notre enthousiasme. Notre admiration s’impatiente et se décourage, à sentir qu’elle ne dispose, pour s’exprimer dans toute son ampleur, que des paroles sommaires et improvisées qui sont de mise sur un cercueil ; c’est une poignante souffrance de plus, cette insuffisance de l’éloge funèbre au prix d’un mort si formidable.

Discuté jusque dans sa bière — et nous devons l’en applaudir, car certes cet amoureux de la lutte eût souhaité qu’il en fût ainsi — on lui a tout contesté, sauf d’être excessif et colossal ; là-dessus ses détracteurs s’accordent avec ses panégyristes. Ses livres, avant que d’aveugler l’imagination par leur splendeur, lui imposent par leur nombre et par leur poids. Si on les plaçait les uns sur les autres, ils feraient un piédestal assez haut pour la statue que nous lui élèverons. Il se présente au tribunal de la postérité escorté comme un patricien romain d’une clientèle qui est une armée, où je dénombre plus de douze cents créatures vivantes qu’il a façonnées de sa main et animées de son souffle. Pour que nul surcroît d’effort ne lui fût épargné, il a enfanté d’abord, longtemps, dans la misère. Ses premiers livres sont nés, comme des fils du peuple, dans des garnis et sur des grabats. L’angoisse du pain qui manque s’est ajoutée pour lui à l’angoisse du génie qui se cherche. Mais le mauvais sort, en s’acharnant à gêner son énergie, n’a fait que la multiplier. Il en avait accumulé au début de telles réserves que, plus tard, il ne s’est pas trouvé moins pourvu contre la fortune pernicieuse que contre la pauvreté salutaire, et il a gardé dans le luxe, qui en eût amolli tant d’autres, la noble allure d’un bon ouvrier.

Aux pires heures, sa pensée, que les soucis ne diminuaient pas, aspirait déjà au grandiose : l’âpre tragédie de Thérèse Raquin nous le montre ambitieux de dégager les types, de personnifier les vertus, les vices, comme un homme qui aurait le loisir de dominer les événements, de généraliser et d’abstraire. Mais dans une œuvre isolée, si vaste soit-elle, l’air lui manque. Les sujets de romans s’offrent à lui par groupes : où d’autres conçoivent un livre, il conçoit une bibliothèque. D’autres rêvent de forger un personnage, il rêve de constituer une famille. Et puisque les familles d’aujourd’hui, au lieu d’être comme jadis parquées dans une case étroite de la ruche sociale, s’irradient dans la société tout entière ; puisqu’on les peut considérer chacune, sans forcer l’artifice, comme une société en petit, où la grande se résume et s’abrège, il incorporera dans ses Rougon-Macquart l’effectif total des représentants d’une époque, et, en racontant leur histoire intime, il racontera celle de la France durant un quart de siècle.

Rien que l’idée d’une telle œuvre dénoterait une imagination de constructeur unique, car même la Comédie humaine de Balzac est ordonnée moins volontairement, avec moins de logique, avec des fissures par où le hasard s’y glisse. Mais ce qui est surtout prodigieux, c’est qu’un homme ait pu écrire en vingt-deux ans ces dix-neuf volumes consécutifs tels qu’il les avait vus du premier coup, sans un jour de chômage, sans une défaillance ni un doute, sans une infraction au plan primitif, sans une retouche à l’arbre généalogique et à l’état signalétique des personnages. Ce qui est surhumain, c’est qu’après avoir écrit le définitif mot « Fin » après la dernière de ce demi-million de lignes, il n’ait pas désiré une heure de repos. Mais déjà Lourdes était ébauché. Maintenant il lui fallait pour personnages des villes, la cité de misère et de foi — la Rome éternelle — Paris qui travaille, qui pense, qui brise les idoles et qui fait les révolutions.

Tandis qu’il posait une par une, avec son calme et sa sûreté coutumière, les assises de ce nouvel édifice, son imagination devançait encore la tâche d’aujourd’hui et lui en préparait d’autres pour demain. Ce passionné de grandeur, qu’on a incriminé de bassesse et de terre à terre, atteignait la chimère et l’utopie. Il avait déjà choisi les titres de ces quatre livres d’apostolat qu’il appelait des évangiles : Fécondité, Travail, Vérité, Justice. Le troisième est près de paraître. Zola portait en lui le quatrième, quand la mort stupide l’a surpris.

L’œuvre demeure inachevée, mais l’unité en est si apparente que, malgré cette brèche, l’effet d’ensemble existe, et après l’énormité de l’effort, ce qui émerveille le plus, c’est la netteté du parti pris. Nul n’a jamais tracé un sillon si droit ; nul n’est si bien demeuré soi-même de son premier à son dernier jour, en se développant ; et nul, par suite, n’est plus aisé à définir en brèves formules, que ce peintre véridique de l’actuel, ce prophète convaincu de l’avenir, cet artiste de la démocratie.

Je sais bien qu’en portant sur lui ce jugement — auquel souscrit d’ailleurs le monde entier — je vais contre une certaine critique de chez nous, dont la malice habituelle consiste à nier aux grands écrivains les qualités qu’ils revendiquent, pour leur en attribuer perfidement d’autres dont on espère qu’ils ne se soucient pas. Et comme Zola s’est proclamé réaliste, naturaliste, épris de modernité, on n’a pas manqué de lui chicaner tout cela pour lui décerner, en manière de consolation hypocrite, avec un dédain qui les faisait presque injurieuses, les somptueuses épithètes de lyrique et de romantique. Acceptons-les pour lui, messieurs. Lyrique ? C’est affaire de tempérament, et ne l’est point qui veut. Romantiques, nous le sommes tous, parce que nous procédons de ceux qui le furent. Zola connaissait trop bien la vraie science de la vie pour ignorer ce qu’on hérite : il a déclaré vingt fois qu’il continuait une évolution littéraire et qu’il ne faisait pas une révolution. Certes même, il se défia moins de ce romantisme invétéré, il s’efforça moins de s’y dérober que Flaubert, qui écrivit, dit-on, Madame Bovary par pénitence et pour asservir sa fantaisie fougueuse au joug minutieux de la réalité. C’est qu’il avait de cette réalité une vision autre que Flaubert, et capable justement d’emplir les cadres d’une imagination romantique.

Il était peu curieux de détails et de particularités personnelles ; et l’on peut dire, comme on l’a dit, que c’était faute d’une sensibilité assez délicate et d’une psychologie assez pénétrante ; mais ce pouvait être aussi bien parce que, dans l’humanité actuelle, les groupes lui semblaient avoir plus de valeur que les individus, l’être collectif plus de vie positive que chacune de ses unités composantes. C’est bien là une façon de voir démocratique, et j’ai eu raison de soutenir qu’il est le peintre, ou si on veut le poète, le chantre de la démocratie.

Sans doute, chacun des individus qu’il crée est visible, tangible, de vérité si obsédante que la plupart sont demeurés inscrits au calendrier de nos types littéraires, et que dans le langage courant, leurs noms propres sont devenus des noms communs ; mais le dessin en est aussi élémentaire que précis. Ses personnages vraiment réels sont les personnes civiles, les groupes, une famille, une contrée, une ville, une mine avec ses mineurs : ils ont d’autant plus d’âme qu’ils embrassent plus d’individualités diverses, et les deux êtres qu’il a le mieux fait vivre sont la Foule et la Nature.

Voilà où il a mérité son titre de naturaliste. Il ne fallait pas le lui refuser si vite, mais seulement s’apercevoir que pour un tel homme, un tel titre ne peut signifier je ne sais quelle entomologie. C’est au sens le plus transcendant du mot que Zola est naturaliste. Il a aimé ardemment l’objet, le décor, les choses : celles que la nature produit elle-même et directement, celles aussi qu’elle produit par l’entremise et par l’industrie de l’homme, et au premier rang la machine, qu’il a chantée en vrai poète de ceux qui peinent. Il a aimé ardemment la vie. Il a senti la joie de vivre : d’abord de façon si âpre et si chagrine que ces deux mots inscrits en tête d’un de ses livres y font l’effet d’une ironie ; — plus tard avec une sérénité profonde. Et je note que son optimisme, un peu artificiel peut-être aux jours de triomphe, est devenu sincère et imperturbable aux jours d’épreuve et d’amertume.

Non moins que la nature innombrable, il a aimé la foule, pareille à un élément. La foule n’est jamais absente de son œuvre : on l’y sent latente, quand elle n’envahit pas le premier plan ; on entend toujours au lointain la confuse rumeur populaire, comme on perçoit toujours la plainte du vent et des vagues dans le verbe de ceux qui ont vécu, pensé, rêvé au bord de la mer, dans le vers orageux de Victor Hugo, dans la phrase majestueuse de Chateaubriand. Et quand la foule, comme dans Germinal, tient le premier rôle, alors vous savez comment il la mène, comment il la meut, comment il la retient, comment il la déchaîne, avec quel art d’amoureux il la détaille et comme il lui devient égal pour la peindre. La foule fut souvent son personnage unique, toujours son personnage préféré.

Elle fut son public aussi. C’est à elle qu’est dédiée son œuvre ; c’est d’elle qu’il a obtenu cette renommée anormale ; c’est auprès d’elle qu’il est en instance d’immortalité. Non point qu’il ait été si avide de cette popularité qu’on appelle dédaigneusement et à bon droit la gloire en gros sous. Son ambition était plus haute. Il prétendait communier avec les masses populaires et faire vibrer en elles l’âme qu’il leur attribuait. Il ne leur sacrifiait rien, comme font trop volontiers les chercheurs de succès quand même. Il n’a jamais flatté la foule ; à l’occasion, il l’a bravée, il s’est mesuré avec elle sans peur, et ce n’est pas dans ses livres seulement qu’on a entendu retentir autour de lui des clameurs de colère et de menace. Ne craignez pas, messieurs, que je pousse plus loin cette allusion à l’histoire d’hier : les plaies sont à vif, nous voici en présence d’un mort, la réserve nous est commandée ; si les adversaires implacables de celui qui n’est plus ne nous ont guère, depuis six jours, donné l’exemple de cette réserve, il ne nous importe, messieurs, c’est nous qui le leur donnerons. Mais je ne sors pas de mes attributions littéraires en rappelant qu’avec une abnégation héroïque, l’écrivain, au faîte de la gloire, a fait bon marché de son repos, risqué la fortune acquise, joué sa gloire même. Le caractère ne se disjoint pas du génie. Et puisque je suis ici pour rendre l’hommage suprême au génie d’Émile Zola, son caractère m’appartient : je dois proclamer qu’il fut une conscience, une conscience entêtée, une conscience stoïque.

Il fut aussi, messieurs, un très brave homme, comme disait hier un des anciens de Médan, comme savent tous ceux qui ont eu le privilège de pénétrer dans sa vie intime. Cette bonhomie empressée un peu inquiète et nerveuse ; cette bonté qu’à certains accents soudains on devinait si profonde, qui allait des hommes aux bêtes, des êtres aux choses, qui n’épargnait personne et cependant n’était point banale ; cette timidité charmante qui faisait sa voix brève et embarrassée, son geste hâtif et court ; cette vertu domestique, qui ne s’asservissait à aucun préjugé bourgeois, mais qui ne s’affranchissait non plus d’aucune haute obligation morale ; enfin, cette simplicité qu’il ne cherchait pas, qu’il n’affectait pas, qui était simplement simple et qui me faisait toujours songer à cette boutade de Banville : « Le plus simple est d’avoir du génie » — messieurs, j’en veux rendre témoignage et me hâter ; car je crains de m’attarder aux souvenirs personnels qui m’attendriraient trop, et toute faiblesse, en présence d’un tel mort, serait lâcheté.

Rappelons-nous donc qu’à la fin d’un de ses plus beaux livres Zola décrit une cérémonie comme celle-ci — sans ce grand concours de foule, mais non moins cruelle pour les rares amis qui se serrent les uns contre les autres autour des restes d’un artiste méconnu. En s’éloignant à regret de la fosse à demi comblée, un de ses compagnons, le plus notable, et qui ressemble à Zola comme un frère, prononce une parole de devoir, de réconfort et d’espérance. Messieurs, cette parole est certainement le seul adieu que Zola veuille de nous, et je croirais manquer à une de ses volontés dernières si je partais d’ici sans vous l’avoir redite. Seulement, je ne pensais pas que ce dût être si tôt, ni surtout que je dusse avoir l’honneur de prêter à mon maître ma faible voix pour répéter en son nom, à tout le peuple qui m’environne, cette humble et magnifique devise de toute sa vie : « Travaillons ! »

Nous avons emprunté les deux textes précédents à la Petite République, numéro daté du mardi 7 octobre. Nous empruntons le texte suivant à Pages libres, numéro 94, deuxième année, du 18 octobre 1902. Anatole France a bien voulu remettre à M. Maurice Kahn, de Pages libres, un texte revu et définitif. C’est sur le même texte que M. Pelletan a établi son édition d’art.

DISCOURS D’ANATOLE FRANCE

Messieurs,

Appelé par les amis d’Émile Zola à parler sur cette tombe, j’apporterai d’abord l’hommage de leur respect et de leur douleur à celle qui fut durant quarante années la compagne de sa vie, qui partagea, allégea les fatigues des débuts, égaya les jours de gloire et le soutint de son infatigable dévouement aux heures agitées et cruelles.

Messieurs,

Rendant à Émile Zola, au nom de ses amis les honneurs qui lui sont dus, je ferai taire ma douleur et la leur. Ce n’est pas par des plaintes et des lamentations qu’il convient de célébrer ceux qui laissent une grande mémoire, c’est par de mâles louanges et par la sincère image de leur œuvre et de leur vie.

L’œuvre littéraire de Zola est immense. Vous venez d’entendre le président de la Société des Gens de lettres en définir le caractère avec une admirable précision. Vous avez entendu le ministre de l’Instruction publique en développer éloquemment le sens intellectuel et moral. Permettez qu’à mon tour je la considère un moment devant vous.

Messieurs, lorsqu’on la voyait s’élever pierre par pierre, cette œuvre, on en mesurait la grandeur avec surprise. On admirait, on s’étonnait, on louait, on blâmait. Louanges et blâmes étaient poussés avec une égale véhémence. On fit parfois au puissant écrivain — je le sais par moi-même — des reproches sincères, et pourtant injustes. Les invectives et les apologies s’entremêlaient. Et l’œuvre allait grandissant.

Aujourd’hui qu’on en découvre dans son entier la forme colossale, on reconnaît aussi l’esprit dont elle est pleine. C’est un esprit de bonté. Zola était bon. Il avait la candeur et la simplicité des grandes âmes. Il était profondément moral. Il a peint le vice d’une main rude et vertueuse. Son pessimisme apparent, une sombre humeur répandue sur plus d’une de ses pages cachent mal un optimisme réel, une foi obstinée au progrès de l’intelligence et de la justice. Dans ses romans, qui sont des études sociales, il poursuivit d’une haine vigoureuse une société oisive, frivole, une aristocratie basse et nuisible, il combattit le mal du temps : la puissance de l’argent. Démocrate, il ne flatta jamais le peuple et il s’efforça de lui montrer les servitudes de l’ignorance, les dangers de l’alcool qui le livre imbécile et sans défense à toutes les oppressions, à toutes les misères, à toutes les hontes. Il combattit le mal social partout où il le rencontra. Telles furent ses haines. Dans ses derniers livres, il montra tout entier son amour fervent de l’humanité. Il s’efforça de deviner et de prévoir une société meilleure.

Il voulait que, sur la terre, sans cesse un plus grand nombre d’hommes fussent appelés au bonheur. Il espérait en la pensée, en la science. Il attendait de la force nouvelle, de la machine, l’affranchissement progressif de l’humanité laborieuse.

Ce réaliste sincère était un ardent idéaliste. Son œuvre n’est comparable en grandeur qu’à celle de Tolstoï. Ce sont deux vastes cités idéales élevées par la lyre aux deux extrémités de la pensée européenne. Elles sont toutes deux généreuses et pacifiques. Mais celle de Tolstoï est la cité de la résignation. Celle de Zola est la cité du travail.

Zola, jeune encore, avait conquis la gloire. Tranquille et célèbre, il jouissait du fruit de son labeur, quand il s’arracha lui-même, d’un coup, à son repos, au travail qu’il aimait, aux joies paisibles de sa vie. Il ne faut prononcer sur un cercueil que des paroles graves et sereines et ne donner que des signes de calme et d’harmonie. Mais vous savez, messieurs, qu’il n’y a de calme que dans la justice, de repos que dans la vérité. Je ne parle pas de la vérité philosophique, objet de nos éternelles disputes, mais de cette vérité morale que nous pouvons tous saisir parce qu’elle est relative, sensible, conforme à notre nature et si proche de nous qu’un enfant peut la toucher de la main. Je ne trahirai pas la justice qui m’ordonne de louer ce qui est louable. Je ne cacherai pas la vérité dans un lâche silence. Et pourquoi nous taire ? Est-ce qu’il se taisent, eux, ses calomniateurs ? Je ne dirai que ce qu’il faut dire sur ce cercueil, et je dirai tout ce qu’il faut dire.

Devant rappeler la lutte entreprise par Zola pour la justice et la vérité, m’est-il possible de garder le silence sur ces hommes acharnés à la ruine d’un innocent et qui, se sentant perdus s’il était sauvé, l’accablaient avec l’audace désespérée de la peur ? Comment les écarter de votre vue alors que je dois vous montrer Zola se dressant, faible et désarmé devant eux ? Puis-je taire leurs mensonges ? Ce serait taire sa droiture héroïque. Puis-je taire leurs crimes ? Ce serait taire sa vertu. Puis-je taire les outrages et les calomnies dont ils l’ont poursuivi ? Ce serait taire sa récompense et ses honneurs. Puis-je taire leur honte ? Ce serait taire sa gloire. Non ! je parlerai.

Avec le calme et la fermeté que donne le spectacle de la mort, je rappellerai les jours obscurs où l’égoïsme et la peur étaient assis au conseil du gouvernement. L’iniquité commençait à être connue, mais on la sentait soutenue et défendue par de telles forces publiques et secrètes, que les plus fermes hésitaient. Ceux qui avaient le devoir de parler se taisaient. Les meilleurs, qui ne craignaient pas pour eux-mêmes, craignaient d’engager leur parti dans d’effroyables dangers. Égarée par de monstrueux mensonges, excitée par d’odieuses déclamations, la foule du peuple, se croyant trahie, s’exaspérait. Les chefs de l’opinion, trop souvent, caressaient l’erreur, qu’ils désespéraient de détruire. Les ténèbres s’épaississaient. Un silence sinistre régnait. C’est alors que Zola écrivit au président de la République cette lettre mesurée et terrible qui dénonçait le faux et la forfaiture.

De quelles fureurs il fut alors assailli par les criminels, par leurs défenseurs intéressés, par leurs complices involontaires, par les partis coalisés de toutes les réactions, par la foule trompée, vous le savez et vous avez vu des âmes innocentes se joindre avec une sainte simplicité aux hideux cortège des aboyeurs à gages. Vous avez entendu les hurlements de rage et les cris de mort dont il fut poursuivi jusque dans le palais de justice, durant ce long procès jugé dans l’ignorance volontaire de la cause, sur de faux témoignages, dans le cliquetis des épées.

Je vois ici quelques-uns de ceux qui, se tenant alors à son côté, partagèrent ses périls : qu’ils disent si jamais plus d’outrages furent jetés à un juste ! Qu’ils disent aussi avec quelle fermeté il les supporta ! Qu’ils disent si sa bonté robuste, sa mâle pitié, sa douceur se démentirent une seule fois et si sa constance en fut ébranlée.

En ces jours scélérats, plus d’un bon citoyen désespéra du salut de la patrie et de la fortune morale de la France. Les républicains défenseurs du régime actuel n’étaient pas seuls atterrés. On entendit un des ennemis les plus résolus de ce régime, un socialiste irréconciliable s’écrier amèrement : « Si cette société est à ce point corrompue, ses débris immondes ne pourront même pas servir de fondement à une société nouvelle. » Justice, honneur, pensée, tout semblait perdu.

Tout était sauvé. Zola n’avait pas seulement révélé une erreur judiciaire, il avait dénoncé la conjuration de toutes les forces de violence et d’oppression unies pour tuer en France la justice sociale, l’idée républicaine et la pensée libre. Sa parole courageuse avait réveillé la France.

Les conséquences de son acte sont incalculables. Elles se déroulent aujourd’hui avec une force et une majesté puissantes ; elles s’étendent indéfiniment : elles ont déterminé un mouvement d’équité sociale qui ne s’arrêtera pas. Il en sort un nouvel ordre de choses fondé sur une justice meilleure et sur une connaissance plus profonde des droits de tous.

Messieurs,

Il n’y a qu’un pays au monde dans lequel ces grandes choses pouvaient s’accomplir. Qu’il est admirable le génie de notre patrie ! Qu’elle est belle cette âme de la France, qui, dans les siècles passés, enseigna le droit à l’Europe et au monde ! La France est le pays de la raison ornée et des pensées bienveillantes, la terre des magistrats équitables et des philosophes humains, la patrie de Turgot, de Montesquieu, de Voltaire et de Malesherbes. Zola a bien mérité de la patrie, en ne désespérant pas de la justice en France.

Ne le plaignons pas d’avoir enduré et souffert. Envions-le. Dressée sur le plus prodigieux amas d’outrages que la sottise, l’ignorance et la méchanceté aient jamais élevé, sa gloire atteint une hauteur inaccessible.

Envions-le : il a honoré sa patrie et le monde par une œuvre immense et par un grand acte. Envions-le, sa destinée et son cœur lui firent le sort le plus grand : il fut un moment de la conscience humaine.

Anatole France

Il faut avoir lu, dans ce même numéro de Pages libres, vingt centimes, en vente à la librairie des cahiers, un article de M. Gabriel Trarieux : Émile Zola, homme d’action. Que l’on partage ou non la pensée de M. Trarieux, cet article, je crois, est le plus plein, le plus sage, le plus historique de tous ceux que l’on a publiés sur Zola dans les jours qui ont suivi sa mort. Nous devons en reproduire plus de la moitié, toute la fin :

Gabriel Trarieux

ÉMILE ZOLA, HOMME D’ACTION

Son œuvre est là, née de sa doctrine et — la méthode mise à part — en conformité avec elle. Elle nous promène lentement à travers les cloaques, les jardins de la vie. Étrange puissance systématique d’explorer un à un les milieux, d’évoquer un à un les décors, d’accumuler tant de documents, de faits précis, de choses mortes ! Une crudité italienne, une sombre verve satirique, une bonté, une candeur enfantine, parfois une splendide émotion humaine animent ces opulents tableaux. Le Rubens s’y mêle au Téniers. Il nous gorge de victuailles géantes. Il ne semble jamais rassasié. Et pourtant ce n’est pas l’ample amour, l’ample afflux de sang rouge et tiède qui empourpre les Titans de Balzac, ce n’est pas cette fureur sacrée « d’un Curtius qui se jette dans le gouffre » et nous y entraîne avec lui. C’est une volonté tenace, réfléchie, studieuse, un peu morne. On fait halte soudain avec délices en de charmantes oasis : la Faute de l’Abbé Mouret, une Page d’Amour font pendant aux visions sinistres de l’Assommoir et de la Débâcle. Plus souvent on ahanne avec peine. Parfois on s’arrête, rebuté. On admire, on subit, plus qu’on n’aime…

S’il faut préciser ce qui manque à cette œuvre rude et massive, ce sera sans doute un soupir, le pressentiment d’autre chose, une revanche à tant de défaites, à tant de douleurs amassées. Je ne ferai pas à Zola le reproche, pudique ou perfide, d’en avoir « trop mis » dans ses fresques. Trop osé, non. Pas assez plutôt, puisqu’il annonçait un cycle total. Après les flores du Paradou, les nourritures de Paris, les relents de l’Assommoir, les houilles de la Mine, le fumier de la Terre, le sang de la Débâcle, et quoi encore ? après ces orgies de nature épuisantes ou charmeresses, on souhaiterait une lumière, un repos, je ne sais quelle porte entr’ouverte. Il n’a pas voulu, ou il n’a pas pu. C’était contraire à son système. C’est dommage, c’eût été plus beau. Un autre a tenu la gageure. La Guerre et la Paix a des pages atroces. Il s’y trouve aussi quelques lignes qui s’appellent la mort du Prince André. De ces quelques lignes, plus tard, est sorti ce chef-d’œuvre unique : Résurrection. On les chercherait vainement dans les trente romans de Zola. Je n’indique pas un regret. Je constate une lacune immense.

C’est que la tâche de l’Artiste, c’est de dénombrer, il me semble, non point les mille reflets des choses, mais les mille forces de l’esprit. Ce n’est pas « Nature » qu’il suffit de dire. La Nature est beaucoup. L’Art est plus. Le sujet, le seul tout de l’Art, c’est l’Homme. Le plus grand art n’est pas réaliste, il est, en ce sens précis, humaniste. Car l’Homme enferme la Nature — qui est l’humanité passée — et aussi l’avenir humain, dont nul ne peut entrevoir le terme.

Je sais bien que Zola ne l’eût pas nié. Telle phrase de ses essais va étrangement loin dans ce sens. Je sais bien que ses derniers livres, les « Trois Villes », les « Trois Évangiles », s’efforcent vers des synthèses plus hautes, abordent des notions plus complexes, les conflits de la vie et de la foi, l’ébauche des rénovations sociales. Il est sans doute permis de dire qu’il s’y montre moins à son aise que dans les cyniques et fortes peintures de la bourgeoisie impériale. L’effort demeure infiniment noble, le résultat est rudimentaire. Ne nous laissons pas éblouir par l’éloge pompeux : « œuvres socialistes ». Ou le socialisme est un leurre, une fiction agréable, ou c’est un système précis. Zola, sur ce point, n’a rien qui m’éclaire. Il se contente d’édifier un paradis problématique. Nous sommes tous socialistes à ce prix. Il est dangereux, il est même improbe — je parle pour nous qui suivons — de se contenter en pareil cas de généreuses équivoques. Charles Guieysse le disait l’autre jour, avec une irrévérence qui me plaît : les rêves en prose ont du bon ; la comptabilité aussi. Et, d’abord, il faudrait s’entendre… Inutile, ici, d’insister. Mais puisque France, avec raison, rapproche Zola de Tolstoï, je veux dire que la Cité d’Amour édifiée par le vieux mystique slave — dont je ne partage pas les doctrines — me paraît tout de même autrement sublime, autrement réelle et vivante que les Évangiles fumeux et grandiloquents de Zola. Je crois qu’elle sera plus chère à la conscience de l’avenir.

Au total, et malgré ces réserves, une puissance indéniable. L’auteur de Germinal vivra… Il n’a pas connu l’art suprême de créer à son image des âmes d’hommes, secret de quelques demi-dieux. La notion de beauté est absente de son épopée matérielle. Il n’a pas suscité de héros. Mais il a aimé, célébré les aspects de la terre adorable, il a fait mouvoir en ombres tragiques les masses anonymes des foules. La Foule a été son héros, en elle il a mis tout l’espoir, toutes les chaleurs d’enthousiasme qu’il déniait à l’individu. C’est assez pour beaucoup de gloire, et pour survivre dans le temps. Enfin son effort, plus haut que son œuvre, commande la stupeur et le respect.

Et nous arrivons à son Acte. Rien de plus logique, en un sens, que cette éclosion finale. Les études quotidiennes de Zola le prédisposaient à se passionner pour tous les conflits de son temps. Ayant revécu son passé, achevé les « Rougon-Macquart », il était forcément amené à se soucier du présent. La politique l’attirait. Sa haine même pour elle en est une preuve. Paul Alexis a finement noté que Son Excellence Eugène Rougon est le portrait de Zola ministre bien plus que celui du pâle Eugène Rouher. Dans le manifeste intitulé : République et Littérature, dans les diatribes enragées d’Une Campagne, au Figaro, il avait maintes fois manifesté sa passion pour la chose publique. Un drame judiciaire, mieux que tout autre, devait captiver le romancier épris d’intrigues compliquées — se rappeler le goût de Balzac pour les aventures de police. — Ce drame, de plus, était humain, s’incarnait en une victime, une ombre d’homme torturé, et par là dépassait la politique pour atteindre, émouvoir toute pensée vivante. Enfin Zola touchait à l’âge où l’artiste le plus obstiné entend sonner un glas intime qui lui conseille une action plus humble, un dévouement plus immédiat : Byron a eu Missolonghi, Lamartine a eu 48, Victor Hugo a eu Jersey, Tolstoï a croisé Soutaieff… On dirait qu’une fatalité les pousse, pour être bien sûrs d’épuiser leur force, à tâter toutes les issues. Émile Zola écrivit J’accuse !… Ici, pour la première fois, son idéal fut réalisé. Il eut la divination géniale, la précision scientifique, et l’expérience, pour le coup, vint contrôler son hypothèse.

Je ne reviens pas sur l’histoire. Elle est trop près de nous, vit encore. Je note un point laissé dans l’ombre. Zola n’avait pas tout prévu. Il avait escompté le triomphe. Ce fut l’écrasement qui survint. Je ne dis pas qu’il n’eût point risqué même une défaite assurée. Mais ce victorieux, d’abord, ne pouvait pas croire au martyre. Il ne croyait qu’à la lutte atroce suivie de la revanche totale. Il vécut assez pour voir son erreur. Ah ! c’est ici qu’il est très grand. Je lui sais moins de gré, quant à moi, d’avoir poussé son fameux cri de guerre que d’avoir persévéré vaincu, quand l’espoir n’était plus possible, toujours plus lucide et plus affermi. À suivre la Vérité en Marche, on peut comparer les divers articles qu’il jeta au vent des tempêtes. On y constate un progrès constant, on y discerne un son qui monte et qui chante toujours plus haut. Je me rappelle, au lendemain de Rennes, l’admirable impression vécue à lire ses paroles venues d’exil. Et plus tard, après l’amnistie, quand il la vit acceptée par tous — même par Jaurès, « le grand Jaurès ! » — quelle âpre douleur d’homme libre détaché de tous les partis ! Sa dernière parole en public, dans un banquet où régnait, au dessert, la fameuse « chaleur communicative », fut : « Ne nous félicitons pas… » Voilà l’attitude de l’Artiste en face du perpétuel, du nécessaire avortement qu’est toute action politique : il maintient les droits du solitaire, la sauvagerie de l’absolu. Qu’il se soit levé de la sorte, nous en sommes tous restés debout.

Et il en reste, lui, plus grand. C’est beaucoup, c’est trop peu de dire que son œuvre impliquait un tel acte, qu’il n’a fait qu’appliquer sa méthode. Oui, certainement, c’est un signe qu’un homme uniquement épris de science et de vérité ait été, par surcroît, « un voyant », que le rôle d’apôtre ait été tenu par un écrivain libéré de tout dogme, de toute attache chrétienne, et que nul écho, à sa voix, n’ait vibré dans les sanctuaires. C’est le signe que l’idéal est une chose naturelle, qu’on y marche invinciblement dès qu’on veut essayer d’être probe, et qu’au bout de tout acte ordinaire se trouve l’immense héroïsme. Mais ne disons pas que cet homme ne s’est pas dépassé lui-même, qu’il est demeuré, après cet acte, celui qu’il était auparavant, qu’il n’est pas entré, à dater de ce jour, dans un grave royaume inconnu qu’il avait ignoré jusque-là. Chacun l’a senti, et le vide que cela faisait autour de lui. Qu’il n’ait pas trouvé de formule pour baptiser sa découverte, il n’importe : nous l’avons déjà…

Je crois qu’il n’était pas très loin d’être, après tout, de cet avis. Puisque chacun, en ce moment, évoque des souvenirs personnels, voici celui que je conserve. Je n’ai rencontré Zola — seul à seul — qu’une fois, en hiver, voici deux ans. Je le vois assis à son bureau, le soir, dans son cabinet de travail, une couverture grise sur ses genoux, le cou protégé d’un foulard blanc. Une lampe brûlait sur la table, éclairant le grand front découvert, la face tourmentée, indécise, l’intense regard d’amertume. Il me semble, à distance, que ce visage sort des ténèbres où Carrière se plaît à noyer ses portraits. Nous parlâmes littérature, théâtre. Je risquai, sur la fin, une allusion aux événements politiques. Il répondit deux mots, se tut, puis reprit de sa voix mordante : « Cette affaire m’a rendu meilleur. » Tout ce qu’on pourrait dire de plus sur les rapports mystérieux de son action et de son œuvre serait moins simple, et donc moins beau.

Il est mort, comme Balzac, en pleine force, après avoir fait sa carrière, sans avoir connu le déclin. C’est une mort enviable entre toutes. On a déploré qu’il n’ait point goûté les justes retours, la vieillesse heureuse, l’apothéose inévitable, la vaste bacchanale émue qui roula, par un soir de printemps, autour du calme cercueil d’Hugo endormi sous les claires étoiles. Petites choses, en face de la mort, que les gestes de ceux qui survivent. Je trouve que son enterrement, qui fut sa dernière bataille, avait l’allure qui convient à ce guerroyeur impénitent, trop chagrin pour faire un patriarche. Le heurt des vivats et des outrages est une apothéose aussi, la preuve qu’on est vivant encore. Hugo l’aurait connue, celle-là, au lendemain de ses Châtiments. Et chacun a sa destinée.

Il est mort debout, foudroyé soudain, dans une atmosphère irrespirable, en allant ouvrir la fenêtre qui lui eût rendu la vie, l’espace. Chute au plus haut point symbolique. Moralement aussi, il était en route, émergeant des miasmes putrides, pour ouvrir la haute fenêtre au delà de laquelle est l’air pur. C’est la mort qu’il a rencontrée. Qui oserait dire avec certitude qu’elle a terminé sa Recherche ?

Gabriel Trarieux

On me permettra de reproduire ici un article qui fut publié pour la première fois dans le Mouvement Socialiste, numéros 20, du premier novembre, et 21, du 15 novembre 1899. Sauf de très rares exceptions nous ne reproduisons pas les articles publiés dans les cahiers. Nous reproduisons cet article précédemment publié dans le Mouvement Socialiste parce que la région de nos abonnés actuels a, — malheureusement, — gardé peu d’éléments communs avec la région des socialistes qui en novembre 1899 lisaient le Mouvement.

Nous reproduisons cet article exactement tel qu’il fut publié la première fois. Puisqu’il porte sa date, je n’ai pas le droit de le modifier. D’ailleurs il vaut mieux, pour l’œuvre d’alors, s’en tenir à la critique pieuse d’alors. Nous n’avons pas à renier nos anciennes affections, même littéraires. Nous devons croire que la critique affectueuse et pieuse est plus intelligente que la critique raide. Elle est celle aussi qui doit paraître après la piété de la mort.

LES RÉCENTES ŒUVRES DE ZOLA

Je retiens parmi les récentes œuvres de Zola :

Sa Lettre au Président de la République, publiée dans l’Aurore le jeudi 13 janvier 1898, après qu’un Conseil de guerre eut acquitté Esterhazy ; sa Lettre à Monsieur le Ministre de la Guerre, publiée dans l’Aurore du 22 janvier 1898, après que le ministère eut engagé des poursuites restreintes ;

Son roman Fécondité, le premier des Quatre Évangiles, écrit dans l’exil en Angleterre, d’août 1898 à mai 1899, publié en feuilleton dans l’Aurore, du lundi 15 mai au mercredi 4 octobre 1899, et récemment paru en un volume chez Fasquelle ;

Son article de rentrée, Justice, publié dans l’Aurore du lundi 5 juin 1899 ;

Son article après l’arrêt de Rennes, Le Cinquième Acte, publié dans l’Aurore du mardi 12 septembre ;

Et enfin, après la grâce présidentielle, sa Lettre à Madame Alfred Dreyfus, publiée dans l’Aurore du vendredi 22.


Le Conseil de guerre, qui s’était réuni le 10, acquitta Esterhazy le 11 janvier. Ce fut un rude coup porté à la justice. Plusieurs se demandèrent si la justification de l’innocent serait jamais réalisée. Zola ne boug-ea pas : « Mais puisque nous avons raison ! » répétait-il assis dans les bureaux de l’Aurore. Il écrivit le lendemain sa Lettre au Président de la République. Elle parut le surlendemain jeudi matin. Ce fut la révélation du protagoniste. Il y eut un sursaut. La bataille pouvait recommencer. Toute la journée dans Paris les camelots à la voix éraillée crièrent l’Aurore, coururent avec l’Aurore en gros paquets sous le bras, distribuèrent l’Aurore aux acheteurs empressés. Ce beau nom de journal, rebelle aux enrouements, planait comme une clameur sur la fiévreuse activité des rues. Le choc donné fut si extraordinaire que Paris faillit se retourner.

Pendant plusieurs jours il y eut comme une oscillation de Paris. J’allai voir Emile Zola, non par curiosité vaine. Je le trouvai dans son hôtel, rue de Bruxelles, 21 bis, dans sa maison de bourgeois cossu, de grand bourgeois honnête. Je ne l’avais jamais vu. L’heure était redoutable et je voulais avoir, de l’homme qui prenait l’affaire sur son dos, cette impression du face à face que rien ne peut remplacer. L’homme que je trouvai n’était pas un bourgeois, mais un paysan noir, vieilli, gris, aux traits tirés, et retirés vers le dedans, un laboureur de livres, un aligneur de sillons, un solide, un robuste, un entêté, aux épaules rondes et fortes comme une voûte romaine, assez petit et peu volumineux, comme les paysans du Centre. C’était un paysan qui était sorti de sa maison parce qu’il avait entendu passer le coche. Il avait des paysans ce que sans doute ils ont de plus beau, cet air égal, cette égalité plus invincible que la perpétuité de la terre. Il était trapu. Il était fatigué. Il avait une assurance coutumière, commode. Son assurance lui était familière. Il avait une impuissance admirable à s’étonner de ce qu’il faisait, une extraordinaire fraîcheur à s’étonner de ce que l’on faisait de laid, de mal, de sale. Il trouvait tout à fait ordinaire tout ce qu’il avait fait, tout ce qu’il venait de faire, tout ce qu’il ferait. « Rien », dit Pascal, « n’est plus commun que les bonnes choses : il n’est question que de les discerner ; et il est certain qu’elles sont toutes naturelles et à notre portée, et même connues de tout le monde. »[1]

Il me dit la tristesse qu’il avait de l’abandon où les socialistes laissaient les rares défenseurs de la justice. Il pensait à la plupart des députés, des journalistes, des chefs socialistes. Il ne connaissait guère qu’eux. Je lui répondis que ceux qui l’abandonnaient ne représentaient nullement le socialisme. — « J’ai reçu », me dit-il, « beaucoup de lettres d’ouvriers de Paris, une lettre qui m’est allée au cœur. Les ouvriers sont bons. Qu’est-ce qu’on leur a donc fait boire pour les rendre ainsi ? Je ne reconnais plus mon Paris. »

Je ne l’ai plus revu. Mais je l’ai retrouvé dans ses actes et dans ses œuvres.

Cette Lettre au Président de la République ne fit scandale que parce que le public ne savait rien. À présent que nous sommes renseignés, c’est une surprise de la relire. Elle n’est pas scandaleuse. Elle est profondément révolutionnaire. Mais elle est modeste, et même un peu humble. Zola lui-même l’a fort bien jugée à son retour : « Et voilà que ma pauvre Lettre n’est plus au point, apparaît comme tout à fait enfantine, une simple berquinade, une invention de romancier timide, à côté de la superbe et farouche réalité. »[2]

Je ne veux retenir ici de cette Lettre que sa belle ordonnance classique et sa belle écriture. Zola, dès le commencement de l’Affaire, avait pris parti. Mais ses articles du Figaro, ses lettres surtout, sa Lettre à la Jeunesse et sa Lettre à la France comportaient de telles ponctuations et de telles métaphores que l’on pouvait se demander si la pensée en était toujours parfaitement ferme. Ces hésitations de la phrase et du langage figuré n’étaient que les premiers balbutiements non apprêtés d’une indignation qui éclate. Mais en face du crime évident et continué l’indignation se raifermit singulièrement. Le début de la Lettre au Président de la République est encore un peu gêné. La conclusion est sans aucun doute un des plus beaux monuments littéraires que nous ayons, et je me permets d’y insister.

Je ne connais rien, même dans les Châtiments, qui soit aussi beau que cette architecture d’accusations, que ces J’accuse alignés comme des strophes. C’était de la belle prophétie, puisque la prophétie humaine ne consiste pas à imaginer un futur, mais à se représenter le futur comme s’il était déjà le présent. C’était d’une belle ordonnance classique, d’un beau rythme classique, et l’auteur fut encore plus fidèle à ce rythme en écrivant, quelques jours après, sa Lettre à Monsieur le Ministre de la Guerre.

Cette ordonnance classique ne consiste pas, comme Hugo se l’est sans doute imaginé, à introduire dans le discours des répétitions artificielles. Au contraire elle consiste à ne pas introduire dans le discours des variations artificielles, à dire toujours la même chose, quand c’est toujours la même chose. Ainsi entendue, l’ordonnance classique est un effet de la sincérité. Je crois bien que la sincérité est le caractère le plus profond de Zola. Son entière sincérité est le fondement même de sa toujours jeune naïveté.

M. Gustave Kahn[3] a fort heureusement comparé le « principat d’ordre moral, plus encore que littéraire » qu’Émile Zola exerce parmi nous au principal « qu’avait exercé Hugo à la fin de sa vie ». Ce principat est à peu près le même en effet. Mais il n’est pas le même en esprit. Les actes et les paroles de Hugo laissent une impression ou une arrière-impression perpétuelle de formidable insincérité. Les extraits des dernières Choses vues que nous avons lus dans les périodiques ne sont pas pour effacer cette impression. Le principat de Hugo était, en outre, autoritaire. Le principat libre d’Émile Zola est fondé surtout sur sa formidable sincérité. C’est parce qu’il est sincère, parce qu’il se sent sincère, que Zola se croit réaliste, qu’il est à l’aise dans ses actes, un peu gêné dans ses œuvres, et qu’il fut ce que Hugo ne fut jamais, un protagoniste.

Ces mêmes qualités nourrissent le roman, le poème de Fécondité.


Le premier des Quatre Évangiles, le saint Évangile de Notre-Seigneur-Jésus-Christ selon saint Matthieu, comraence par le Livre de la génération de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham ;

« Abraham engendra Isaac. Isaac engendra Jacob. Et Jacob engendra Judas et ses frères.

« Et Judas engendra de Thamar Pharès et Zara. Et Pharès engendra Esron. Et Esron engendra Aram… » Ceci aussi est du classique.

Fécondité est le livre de la génération de Mathieu. Pierre Froment, le Pierre Froment de Lourdes, de Rome et de Paris, « avait eu de sa femme Marie quatre fils, Jean l’aîné, puis Mathieu, Marc et Luc ».[4]

Nous avons lu Fécondité en feuilletons dans l’Aurore. Par une harmonie merveilleuse, coname l’auteur avait écrit au loin, s’interrompant pour lire les journaux de France, ainsi nous avons lu au loin, nous interrompant pour lire les nouvelles de Rennes. Et, sans vouloir en faire un moyen d’art, les ajournements successifs du feuilleton donnèrent aux recommencements successifs du roman une singulière perspective, agrandie encore par l’importance des événements réels intercalaires. Quand nous arrivâmes à la fin, il y avait vraiment de très longs jours et de très longues années que Mathieu Froment s’était installé avec sa femme dans le petit pavillon à la lisière des bois.

De jour en jour attendant la suite au lendemain, nous donnions cours aussi au secret espoir que nous avions formé, que Mathieu deviendrait socialiste, que ce livre serait l’évangile du socialisme. Car nous n’éprouvons aucune fausse honte à constater le socialisme partout où il est en réalité, à le demander, sous son nom, partout où il doit être. Plusieurs descriptions des misères industrielles nous encouragèrent dans notre espoir. Nous fûmes finalement déçus.

Tout au commencement du livre, Mathieu est pauvre. Cela est si fortement établi que la mémoire de cette pauvreté traverse tout le roman jusqu’à la fin, masque les fortunes, et fait équilibre à la possession des richesses. Il n’y a là qu’un artifice, employé sincèrement, mais nullement probant. La pauvreté a toutes les vertus, moins une : celle de donner droit à la possession de la richesse. Mathieu et sa race finissent par exercer le droit d’us et d’abus sur un nombre incalculable de moyens de production.

Zola n’a pas manqué de sentir la difficulté. S’il ne l’avait pas sentie de lui-même, Sully-Prudhomme[5] la lui aurait enseignée :


Du plus aveugle instinct je me veux rendre maître,
Hélas ! non par vertu, mais par compassion ;
Dans Vinvisihle essaim des condamnés à naître,
Je fais grâce à celui dont je sens l’aiguillon.
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
L’homme à qui son pain blanc maudit des populaces
Pèse comme un remords des misères d’aiitrui,
À l’inégal banquet oii se serrent les places.
N’élargira jamais la sienne autour de lui !


Selon que l’on résout ou non cette difficulté, on est ou on n’est pas socialiste. Sully-Prudhomme ne l’a pas résolue, mais supprimée par l’artilice de la stérilité. Zola ne l’a pas résolue, mais tournée par l’artifice du premier occupant et de la déshérence.

On répond facilement à Sully-Prudhomme : « Il ne s’agit pas seulement d’élargir sa place à l’inégal banquet. Il s’agit aussi d’élargir sa place au travail, provisoirement inégal. Et si les nouveaux travailleurs produisent assez pour élargir le banquet lui-même, il n’y a plus aucun inconvénient à ce qu’ils occupent à ce banquet non des places empiétées, mais des places nouvelles. Que si les nouveaux travailleurs produisent plus qu’ils ne consomment, c’est tout avantage pour la cité. »

J’abandonne ici cette comparaison du banquet, toujours un peu lourde et un peu inexacte. Je dis : « Si nos enfants ne produisent pas, comme ils consommeront quand même, ils seront des parasites : mieux vaut n’en pas avoir. Si nos enfants produisent, et consomment une égale valeur, ils deviennent socialement indifférents. Si nos enfants produisent, et consomment un peu moins, s’ils produisent beaucoup et ne consomment guère, ils enrichiront le domaine commun de l’humanité. » Je donne ce raisonnement pour ce qu’il vaut : il est provisoirement, grossièrement, moyennement exact.

Si l’on admet ce raisonnement provisoire, la difficulté redoutable apparaît : l’enfantement ne se justifie socialement que par ce que les enfants seront dans la cité. Or on est rigoureusement assuré que les enfants demanderont à la cité les moyens de leur éducation, mais on ne sait pas quel travail les enfants donneront à la cité. Il y a là évidemment un crédit accordé par la cité aux générations naissantes et croissantes.

Zola n’a pas voulu, pour ainsi dire, que ce crédit fût demandé. Il n’a pas voulu que les fils de Mathieu dussent rien à la société. Mathieu ne demande rien à personne. Mathieu ne prend rien à personne. Mathieu fait pousser les moissons les plus luxuriantes dans les territoires de chasse abandonnés jusqu’à lui. « On n’avait qu’à faire comme lui, à créer les subsistances nécessaires, chaque fois qu’on mettait un enfant au monde ; et il aurait montré Chantebled, son œuvre, le blé poussant sous le soleil, à mesure que poussaient les hommes. Certes, on n’accuserait pas ses enfants d’être venus manger la part des autres, puisque chacun d’eux était né avec son pain. »[6] Nicolas, fils de Mathieu, fait pousser des moissons plus débordantes encore, non plus seulement dans des pays incultes, mais dans des pays incivilisés, aux plaines infinies du Soudan. Mathieu continue à vivre en paysan. Nicolas court avec une audace folle et froide les risques lointains de coloniser. Cela masque l’usurpation ; cela ne fait que la masquer. Marianne enfante une race de bourgeois.

Aussi longtemps que Mathieu fait sa terre et sa ferme avec ses bras, le roman peut sembler invraisemblable, il énonce un travail légitime, une production légitime, une vie légitime. Aussitôt que Mathieu réalise des bénéfices sur le travail de ses serviteurs et de ses servantes, — et cela ne manque pas d’arriver, bien que le roman soit à peu près muet là-dessus, puisque Mathieu achète une immense étendue de terres et fournit de l’argent pour acheter l’usine, — aussitôt que Mathieu devient un patron, tout ce travail devient illégitime, toute cette vie devient illégitime. On a beaucoup trop salué Fécondité comme un livre nouveau,[7] comme le livre d’une génération nouvelle, comme le Livre d’un âge nouveau. Laurent Tailhade salue cette « annonciation des temps futurs pour un monde nouveau ».[8] Hélas non ! Ce livre est un livre ancien, cet évangile est un livre conservateur, indifférent au salariat comme l’Évangile de Jésus fut indifférent à l’esclavage.

En admettant qu’il y ait un droit du premier occupant, le premier occupant n’a le droit d’occuper que sa part, il n’a pas le droit de préoccuper des plaines. Et surtout il ne peut y avoir droit du premier occupant que sur ce qui n’est pas occupé. Or cette race glorieusement envahissante occupe, — sans faire attention, — des biens qui ne sont nullement tombés en déshérence. Deux fils de Mathieu, successivement, envahissent l’usine, la maison initiale. Beauchêne, l’usinier, tombe en épaisse déliquescence. Alors les représentants de la santé s’emparent normalement de la richesse constituée par cette usine. Il ne leur vient pas un seul instant à la pensée que ce dont ils s’emparent n’était pas même à ce malheureux Beauchêne, qu’ils font l’usurpation d’une usurpation, la spoliation d’une spoliation, que tous les samedis soir, à l’heure de la paie, sous le gouvernement normal d’un Froment, les ouvriers sont aussi ponctuellement volés qu’ils étaient volés sous le gouvernement malade de Beauchêne. C’est pour n’avoir pas fait, au seuil de leur vie nouvelle, cette simple réflexion, que Mathieu et Marianne ont recommencé une ancienne humanité.

Mieux vaut sans doute une ancienne humanité saine qu’une ancienne humanité malade. Il n’en est pas moins vrai que cet Ambroise, qui dispose agréablement des surprises pour les fêtes villageoises, pour les noces de diamant, est un homme redoutable :

« La fortune d’Ambroise s’était décuplée en dix ans. À quarante-cinq ans à peine, il régnait sur le marché de Paris. La mort de l’oncle Du Hordel l’ayant fait héritier et seul maître de la maison de commission, il l’avait élargie par son esprit d’entreprise, l’avait transformée en un véritable comptoir universel, où passaient les marchandises du monde entier. Les frontières n’existaient pas pour lui, il s’enrichissait des dépouilles de la terre, il s’efforçait surtout de tirer des colonies toute la richesse prodigieuse qu’elles pouvaient donner, et cela avec une audace triomphante, une telle sûreté de coup d’œil, au loin, que ses campagnes les plus téméraires finissaient par des victoires. Ce négociant, dont l’activité féconde gagnait des batailles, devait fatalement manger les Séguin, oisifs, impuissants, frappés de stérilité. Et, dans la débâcle de leur fortune, dans la dispersion du ménage et de la famille, il s’était taillé sa part, il avait voulu l’hôtel de l’avenue d’Antin… »[9] « Maintenant, l’hôtel entier revivait, plus luxueux encore, empli l’hiver d’un bruit de fêtes, égayé du rire des quatre enfants, de l’éclat de cette fortune vivante que renouvelait sans cesse l’effort de la concpiête. »[10] Je demande simplement quelle différence il y a entre cet Ambroise et un homme de proie. Je demande combien cet Ambroise a mangé d’hommes et de maisons avant d’aller fêter le Père et la Mère à Chantebled.

Il ne suffit pas, pour être un homme nouveau, de chanter le premier né des dieux. N’oublions pas que nous sommes athées. Nous ne sommes pas athées seulement du vrai Dieu, de lahvèh, de Jésus, nous sommes athées aussi des faux dieux, des dieux hellènes. « On rêve », dit M. Laurent Tailhade,… « à l’invocation immortelle de Lucrèce proclamant Vénus Victorieuse, la Déesse qui peuple les mers chargées de nefs et les terres grosses de fruits. »… « Dans le roman de Zola, c’est aussi Vénus Victorieuse, Vénus Génitrice qui triomphe, reine des germes et de l’immortel espoir. Mais ce n’est pas le seul pullulement des êtres qu’elle suscite. La Bonté croît autour d’elle, comme une fleur sans seconde, fleur de l’humanité libre et reconquise à elle-même. »[11] Et encore : « C’est la bonne parole du travail, de la réconciliation finale et de la paix. »[11] Non ! Il faut distinguer. Fécondité est un roman d’amour, mais non pas un livre de paix et de bonté.

Ne soyons pas plus païens que les païens. Le même Lucrèce, qui invoquait Vénus au commencement de son poème : « Déesse Vénus, mère des Enéades, volupté des hommes et des dieux… » continue assez vite, et assez bien : « Alors que la vie humaine gisait salement sous les yeux, écrasée sur terre sous la lourde religion, qui des régions du ciel montrait la tête, menaçante au-dessus des mortels par l’horreur de son aspect, pour la première fois un homme grec osa lever des yeux mortels encontre, et le premier s’asseoir encontre. » Je n’ai pas à concilier Lucrèce avec Lucrèce, mais au moins soyons comme cet homme grec. Levons nos regards humains vers les dieux. Ne croyons pas qu’il suffise de chanter l’hymne de l’amour universel : « Et, de même que, le soir de la conception, toute l’ardente nuit de printemps, avec son odeur, était entrée pour que la nature entière fiit de l’étreinte féconde, de même aujourd’hui, à l’heure de la naissance, tout l’ardent soleil flambait là, faisant de la vie, chantant le poème de l’éternelle vie par l’éternel amour. »[12] « [Marianne] n’était point seule à nourrir, la sève d’avril gonflait les labours, agitait les bois d’un frisson, soulevait les herbes hautes où elle était noyée. Et, sous elle, du sein de la terre en contmuel enfantement, elle sentait bien ce flot qui la gagnait, qui l’emplissait, qui lui redonnait du lait, à mesure que le lait ruisselait de sa gorge. Et c’était là le flot de lait coulant par le monde, le flot d’éternelle vie pour l’éternelle moisson des êtres. Et, dans la gaie journée de printemps, la campagne éclatante, chantante, odorante, en était baignée, toute triomphale de cette beauté de la mère qui, le sein libre sous le soleil, aux yeux du vaste horizon, allaitait son enfant. »[13] « De toutes parts, la vie féconde charriait les germes, créait, enfantait, nourrissait. Et, pour l’éternelle œuvre de vie, l’éternel fleuve de lait coulait par le monde. »[14] Jamais sans doute un hymne aussi éclatant ne fut chanté à la gloire de Vénus perpétuelle, et près de cette ardente prière le Sacre de la Femme semblera un excellent exercice de bonne rhétorique. Pourquoi faut-il que les enfants nourris de ce lait, qui au commencement de ce livre bondissaient innocemment parmi les jeunes feuillages, deviennent à la fin des hommes aussi durs. La mémoire de leur enfance lactée, l’enfance de leurs petits frères et sœurs et de leurs enfants ne suffît pas pour innocenter toute leur vie. Mathieu s’imagine un peu facilement que la religion de la vie suffît : « Des millions de nouveaux êtres pouvaient naître, la terre était grande, plus des deux tiers restaient à défricher, à ensemencer, il y avait là une fertilité sans fin pour notre humanité sans limites. »[15] Il adopte une théorie des révolutions qui est surtout vraie des jacqueries, qui ne sera sans doute pas vraie de la révolution sociale : « Est-ce que toutes les civilisations, tous les progrès ne s’étaient pas produits sous la poussée du nombre ? Seule, l’imprévoyance des pauvres avait jeté les foules révolutionnaires à la conquête de la vérité, de la justice, du bonheur. Chaque jour encore, le torrent humain nécessiterait plus de bonté, plus d’équité, la logique répartition des richesses par de justes lois réglant le travail universel. »[15] Pourquoi faut-il que les Froment n’introduisent pas dans l’humanité des mœurs conformes à ces lois futures ?

Levons nos regards humains vers les dieux du ciel. Vénus ne fut pas une déesse de paix, de bonté. Si lahvèh fut un dieu jaloux, les dieux de l’Olympe étaient des dieux envieux. Les dieux d’en haut n’ont pas toujours aimé la fécondité humaine. La morne Niobé ne s’enorgueillit pas un long temps de ses sept filles et de ses sept fils.


Fécondité n’est pas un livre de charité. Si la maison des Froment grandit aussi rapidement, c’est en partie parce que ni Mathieu ni les siens ne laissent filtrer leurs forces dans les fissures de la charité. Il ne faut pas se laisser abuser par plusieurs démarches qu’il fait. Le nombre des personnes qu’il essaie de sauver, assez maladroitement, est infime, si on le compare à sa puissance grandissante. L’effort qu’il donne pour sauver les périclitants est infime, si on le compare à l’eff’ort qu’il donne pour fonder sa race. Or il est permis de dire que la charité est impuissante, quand on l’a essayée sérieusement ; il est permis de déclarer que tous les efforts donnés à la charité sont vains, sont perdus, mais à une condition : c’est que de la charité abandonnée on mente à une action plus efficace, à la solidarité, mais non pas que l’on redescende à la bourgeoise acquisition des richesses. Quand un bourgeois qui monte s’arrête à la charité, il s’arrête beaucoup trop tôt. Mais cela vaut assurément beaucoup mieux que de rester bourgeois simplement. Fécondité n’est pas un Hvre de bonté, d’humanité.

Fécondité n’est pas un livre de paix. Je prie qu’on le relise et que l’on n’oubhe pas de voir cette guerre incessante. Ne nous laissons pas séduire à un nouvel artifice employé sincèrement. Zola donne aux Froment, à quelques exceptions près, une victoire si facile, si écrasante, si abondante, que la pensée du lecteur ne s’attache pas à la considération de la bataille. Mais les guerres victorieuses n’en sont pas moins des guerres. Les invasions faciles n’en sont pas moins des envahissements. Les oppressions aisées n’en sont pas moins des étouffements, des écrasements.

Fécondité est le livre de la guerre. Parce qu’ils possèdent les biens de ce monde à titre de propriétaires individuels, tous ces Froment sont des hommes de guerre et non pas des hommes de paix. Ces enfants dont nous admirions la parfaite communauté de vie, quand ils sont mis hors de page, commencent des possessions individuelles, des vies individuelles. De l’abondance du lait commun, de la nourriture qu’ils semblaient partager communément avec la vie universelle, avec le monde en nourriture, voici qu’ils redescendent bourgeoisement à l’individualité de leurs nouvelles familles. Ces enfants partageaient avec les blés et l’herbe. Ces hommes ne partagent plus même avec les autres hommes. Ils prennent la part des autres hommes. Ils prennent la part des autres Froment. Voici qu’ils possèdent séparément et, bien entendu, qu’ils se chamaillent. Fécondité est si peu un livre de paix que les Froment ont déjà des guerres intérieures, des guerres civiles. Celui qui est meunier, Grégoire, fait la guerre à Gervais, celui qui est fermier. « Grégoire était, en affaires, d’une rudesse d’homme sanguin, qui s’entêtait à ne jamais rien lâcher de son droit. »[16] Marianne, au déclin de sa vie, est malade d’âme et court le danger de mort par la tristesse de cette guerre intestine. Je demande s’il n’y a pas des mères qui meurent tout à fait quand Grégoire exerce, en affaires, sa rudesse d’homme sanguin contre des hommes qui ne sont pas des Froment.

Que l’on y fasse attention : dans cette aventure de la ferme et du moulin, c’est la guerre qui est naturelle, et c’est la réconciliation qui est artificielle. De la possession, de la propriété mdividuelle des moyens de production, ce qui sort naturellement, c’est la guerre des possesseurs, des propriétaires. Ceux-ci peuvent se réconcilier dans un commun amour filial. Cette communauté des sentiments ne suffit pas. Elle n’est harmonieuse et durable que si elle se fonde sur la communauté des biens. Ces Froment vivent en bourgeois. Denis, succédant à l’usine à son frère Blaise assassiné, veut cependant que l’on prélève « sur les bénéfices une pension pour Charlotte, la veuve ».[17] Et l’auteur estime que c’est par une honnêteté délicate. Parmi les « cent cinquantohuit enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants, sans compter quelques petits derniers-nés, ceux de la quatrième génération »[18] qui figurent uniformément au grand banquet des noces de diamant, il doit y avoir, si le livre est conforme aux réalités de la ie, sous l’apparente uniformité de la fête en commun, des riches et des pauvres. Et même avant, si l’avant-dernier des fils, Nicolas, quitte le Chantebled de la métropole et va fonder un Chantebled colonial, soudanais, ce n’est pas, remarquons-le bien, qu’il manque de place pour travailler, car la ferme est grande, l’usine est grande, la maison d’Ambroise est grande : c’est qu’il manque de place pour fonder, pour commander, pour être à son tour un patriarche, un chef de dynastie. « Ses frères, ses sœurs, avant que son tour fût venu, avaient déjà pris toutes les terres environnantes, à ce point qu’il étouffait, menacé de famine, en quête du large champ rêvé, qu’il cultiverait, où il moissonnerait son pain. »[19] Or si un homme peut commander à des plaines illimitées, aucun homme ne peut labourer des plaines sans limites. C’est pour ne pas partager avec ses frères la terre labourable que Nicolas va chercher fortune au Soudan, qu’il va fonder au Soudan la deuxième dynastie. Les Froment ont soif de commander. Nicolas Froment a soif d’un commandement infini. La divine jouissance d’envahissement qu’il éprouve à satisfaire cette soif ne me fait pas oublier que les guerres coloniales sont les plus lâches des guerres, que le Soudan n’a jamais été une colonie de peuplement, qu’il ne le sera sans doute jamais, que toutes les fois que des fils de France ont tenté la conquête de ces plaines, c’est la luxuriance et la luxure de cette faune, de cette flore, de ce climat qui les a tués ou qui les a conquis. Les dangers fous que bravent Nicolas et Lisbeth ne les justifient pas, car les moyens ne justifient pas la fin. Je demande ce que c’est que cet officier blanc qui, dans le petit fort voisin, « commande à une douzaine de soldats indigènes ».[20] La famille française est « forcée parfois de faire elle-même le coup de feu ».[21] Des coups de fusil lointains sont tout de même des coups de fusil. Tirer un coup de fusil ailleurs qu’au stand est une opération grave.

Loin que Fécondité soit un livre d’humanité, de solidarité, c’est le livre de la conquête de rhumanité par les Froment. C’est, en un sens, le recommencement, beaucoup plus dangereux, parce qu’il paraît moral, de certaines histoires des Rougon-Macquart. C’est ici proprement la Fortune des Froment. Cela est masqué par le lyrisme et par un certain ton de fantaisie, mais cela n’en est pas moins réel :

« Mathieu, gaiement, donnait des ordres.

« En face de nous deux, là, mettez son couvert… Il sera seul en face de nous, tel que l’ambassadeur d’un puissant empire. »[22] Mathieu se trompe : Dominique, le fils aîné de son fils Nicolas, est bien réellement l’ambassadeur d’un puissant Empire économique institué au Soudan. Et c’est cela qui m’épouvante.

Ces Froment pouvaient fonder une cité nouvelle. Mathieu n’a fondé qu’une patriarchie, c’est-à-dire la plus naturelle des monarchies, et la plus vénérable. Mais l’ancienne humanité a éprouvé bien des patriarchies sans y trouver le bonheur final et harmonieux. Cette malheureuse Rose s’amusait de « royal couple » et de « Majestés voisines ».[23] Elle avait, hélas ! beaucoup plus profondément raison qu’elle ne se l’imaginait.

Je demande ce que deviendront les Froment quand le Père et la Mère seront morts. S’ils ne font qu’une nation de plus parmi les nations, que m’importe ? S’ils ne font qu’une jeune nation parmi les vieilles nations, que m’importe ? Auront-ils des guerres civiles, auront-ils entre eux l’horreur des guerres fraternelles ? Mais toutes les guerres ne sont-elles pas des guerres fraternelles ? Et quand les Froment seront nombreux comme les Anglais, quand leur envahissement sera barré, feront-ils des expéditions pour passer le Vaal ? Feront-ils eux-mêmes la guerre ? La feront-ils faire à des mercenaires ? Auront-ils des esclaves, comme ils ont des salariés ? Tout cela finira-t-il par du nationalisme ?

Telle fut la déception que l’Aurore nous apportait de jour en jour. Cette famille en qui nous avions mis nos espérances les plus chères tournait mal, sous nos yeux. Zola n’était pas devenu socialiste. Par quel mystère ce révolutionnaire admirablement ardent avait-il pu ne pas se fondre à son propre feu ? Comment celui qui fut le protagoniste de la Justice dans une cause individuelle n’a-t-il pas reconnu que l’injustice universelle passait tous les jours ? Comment a-t-il pu introduire l’injustice, l’injuste concurrence au plus profond d’un livre écrit en exil ? Cela déçoit l’attente et passe l’entendement. Quand des socialistes ne sont pas révolutionnaires comme Zola, c’est une grande inconséquence. Mais quand un révolutionnaire comme Zola n’est pas socialiste, c’est une grande inutilités La révolution n’étant que le moyen du socialisme, et celui-ci étant la fin, mieux vaut encore, socialement, un socialiste qui n’est pas bien révolutionnaire, qu’un révolutionnaire qui n’est pas socialiste du tout.


Ce qui accroissait la tristesse de la déception, c’était que nous reconnaissions dans ce roman, faisant valoir une cause évidemment mauvaise, les qualités de Zola que nous aimons. Nous avons retrouvé là cette ordonnance classique admirée dans la Lettre au Président de la République et dans la Lettre à Monsieur le Ministre de la Guerre. On a vu, non sans raison, des motifs conducteurs dans les admirables couplets :

« Et c’était toujours la grande œuvre, la bonne œuvre, l’œuvre de fécondité qui s’élargissait par la terre et par la femme, victorieuses de la destruction, créant des subsistances à chaque enfant nouveau, aimant, voulant, luttant, travaillant dans la souffrance, allant sans cesse à plus de vie, à plus d’espoir. »[24]

Je consens que ce soient des motifs conducteurs, pourvu que cette expression n’implique l’idée d’aucun artifice de style, mais corresponde seulement au rythme profond qui secoue toute l’œuvre. Ici encore si de distance en distance l’auteur nous redonne les mêmes mots, les mêmes phrases, les mêmes stances, les mêmes élans, c’est parce que la vie elle-même a ces mêmes recommencements. Ce n’est pas que le « bon Homère… sommeille parfois ».[25] C’est toujours la sincérité classique. Zola dit la même chose non pas toujours, mais, exactement, toutes les fois que c’est la même chose. Il a raison de ne pas fausser son œuvre. Il ne satisfait pas à la vanité de la faire partout quand même intéressante, au sens habituel du mot. Il est impassible comme la nature, patient comme elle, et, pour qui ne sait pas, ennuyeux comme elle. Plusieurs, ayant commencé le poème, se sont ennuyés de ces recommencements. J’ai peur que ceux-là ne s’ennuient aussi des inévitables recommencements de la vie. « Deux ans se passèrent. »

Profondément sincère à cet égard comme à tous les égards, l’œuvre n’est pas entièrement ni exactement réaliste. Il y a plusieurs maladresses. Au commencement du roman, Mathieu doit « passer chez le propriétaire lui dire qu’il pleut dans la chambre des enfants ».[26] Quand il est rentré le soir, après une journée de laideurs et de tentation, il se plaint : « Ça n’empêche pas que nous sommes ici dans une masure, et que, s’il pleuvait encore cette nuit, les enfants seraient mouillés. »[27] Ceci est maladroit, inexact. Chez les pauvres gens la distinction entre la chambre des parents et la chambre des enfants n’est nullement capitale, comme chez les riches. En attendant que la réparation soit faite, le papa et la maman n’ont qu’à transporter dans leur chambre les lits des petits. Mathieu, suivant comme il fait le protocole du locataire, n’est ni vraiment père, ni vraiment révolutionnaire, ni vraiment pauvre. Marianne laisse à la maison ses quatre enfants endormis pour aller le soir, très tard, au devant de Mathieu. Naturellement la vieille servante, Zoé, s’endort avec les enfants sur qui elle doit veiller.[28] Ou cela n’est pas vrai, ou cela n’est pas bien. Je crois surtout que cela n’est pas vrai. Marianne, si nous en croyons Zola, vaut beaucoup mieux. Mathieu aussi, du moins je l’espère, vaut mieux que de choisir pour un amour efficace un soir de maladie morale, de laideur et de crise mauvaise.[29] Le livre manque ici de cette raideur droite et de cette moralité ridicule, impudente, sans laquelle on ne fera rien de nouveau. Mathieu manque notablement[30] du ridicule indispensable, en morale, à sa fonction paternelle, en art à sa situation de caractère, de type, de représentant poétique.

Toute l’économie domestique du livre est fondée sur ce que Mathieu achète à vil prix à Séguin des terrains qui n’ont pour Séguin qu’une valeur de chasse et qui auront bientôt pour Mathieu une valeur de culture. Cela est faux en économie politique. Il est faux que Mathieu achète les chasses au prix qu’elles ont pour Séguin, selon une loi qui serait la loi de l’offre seule, comme il serait faux que Mathieu achetât les cultures au prix qu’elles auront pour lui, selon une loi qui serait la loi de la seule demande. Mathieu passe avec Séguin des contrats bourgeois, régis par la double loi de l’offre et de la demande. En bonne économie bourgeoise, et en bonne psychologie bourgeoise, le propriétaire ancien doit justement profiter de ce que le nouveau propriétaire a de plus en plus le désir et le besoin de nouveaux morceaux pour faire monter de plus en plus ses prix. Commercialement, les territoires de chasse non achetés encore prennent de la valeur, comme on dit, parce qu’ils sont contigus aux labours de la ferme et parce que le fermier veut y mettre la charrue. Cela n’a aucun sens. Mais cela est de la réalité bourgeoise. Or Séguin est un bourgeois, Mathieu est un bourgeois. Justement parce que Séguin a des besoins d’argent croissants, il doit faire chanter Mathieu. La théorie des mitoyennetés, des contiguïtés et des enclaves est l’a, b, c du propriétaire terrien. Séguin est un chasseur, un propriétaire terrien, et il n’est pas une bête. Pourquoi n’exerce-t-il pas l’inévitable chantage, le chantage qu’exerce, en un sens, le vieux meunier Lepailleur ?

Cette inconséquence économique et psychologique tient sans doute pour une part à la conception même que l’auteur a de la psychologie. Zola excelle à nous décrire et à nous conter le malheur et le mal. Il excelle presque autant à nous décrire et à nous conter le bonheur et le bien. Mais presque partout dans son œuvre le bien et le mal, tous les genres du mal et tous les genres du bien sont juxtaposés. Or ce qu’il y a de redoutable dans la réalité de la vie, ce n’est pas la constante juxtaposition du bien et du mal : c’est leur interpénétration, c’est leur mutuelle incorporation, leur nourriture mutuelle, et, parfois, leur étrange, leur mystérieuse parenté. La psychologie de Zola est évidemment contemporaine des théories qui voulaient expliquer toute l’àme et tout l’esprit par l’association des idées. Elle ignore les théories récentes, ou plutôt les constatations récentes, qui ont laissé voir combien ces anciennes hypothèses étaient grossières encore.[31] C’est pour cela que les volitions sont si souvent grossières dans les œuvres de Zola. Elles ne sont pas vraiment des volitions, les volitions de personnes humaines qui veulent, mais trop souvent comme des déclanchements, comme des remplacements : à un état d’esprit donné succède brusquement un nouvel état d’esprit étranger au premier. Déjà dans Paris le plus épouvantable combat de conscience avait fini par un coup de brique mal asséné :

« Et, suffoquant, tremblant de rage, Guillaume avait saisi Pierre, lui écrasait les côtes de ses muscles solides.

« … Déjà, la brique s’abattait. Mais les deux poings durent dévier, elle ne lui effleura qu’une épaule et il tomba, dans l’ombre, sur les genoux. »[32]

Ce coup de brique opère vraiment le déclanchement iînal de Paris. Dans Fécondité, c’est un embarras de voitures qui résout facilement une crise de passion bien mal engagée : « … brusquement, une autre image se dressa ».[33] Il était temps.

Je ne nie pas qu’il n’y ait une assez grande quantité de personnes dont la psychologie soit aussi grossière et pour ainsi dire aussi mécanique. Mais ces personnes sont accidentelles. On peut les choisir comme sujets d’un roman épisodique, ou bien comme les comparses d’une action essentielle, mais non pas en faire les personnages d’un roman essentiel, d’un poème, d’une épopée comme Fécondité, comme la plupart des œuvres du poète Zola. Ou bien Mathieu n’est pas un caractère, et alors il est tout à fait vrai si l’on veut. Ou bien il est un caractère, un type, et alors il n’est pas tout à fait vrai, tout à fait réussi. Ce serait diminuer la pensée de Zola, le sens, la valeur, la portée de l’œuvre, que de s’en tenir à la première hypothèse. Non. Fécondité n’est pas une œuvre moyemie absolument réussie, mais une œuvre supérieure contestable à beaucoup d’égards et qui laisse beaucoup de tristesse.

De même on ne saurait nous demander d’accorder, comme un postulat indispensable, le facile accroissement de Mathieu. À ceux qui nous diraient : « Laissons cela, laissons ces misères ; accordons cette fortune à laquelle nous devons un si beau poème », il convient de répondre non. Fécondité n’est pas seulement un beau poème que l’on admire. C’est évidemment aussi, dans la pensée de l’auteur, un livre d’enseignement. C’est un poème d’enseignement, c’est-à-dire, au beau sens de ce mot si mal employé communément, un poème didactique. Si nous consentons à en altérer la forme, à en diminuer le sens, nous n’avons plus qu’à l’admirer sans aucune réserve. Mais ce serait là une véritable trahison. À une telle œuvre de sincérité, nous devons sincèrement la vérité entière. Nous devons lui restituer tout son sens, toute sa valeur, et, dès lors, faire toutes les réserves que nous avons faites.

Paul Brulat compare[34] Zola lui-même à Mathieu : « Le bon Mathieu, c’est Zola lui-même, dont le cerveau créateur a mis au monde plus de trois cents personnages, une arche immense où s’exaltent d’une formedable intensité de vie : hommes, femmes, enfants, bêtes et plantes. » J’avoue que cette postérité de Zola ne me laisse pas moins inquiet que la race née de Mathieu.

La fortune littéraire, politique et sociale de Zola fut singulière. Sa sincérité même et une optique propre le conduisirent dans toutes ses premières œuvres et dans beaucoup des suivantes à nous montrer surtout les nombreuses laideurs de l’humanité. Je crois que l’enseignement donné par ces livres fut déplorable, comme est déplorable encore aujourd’hui l’enseignement donné par les images antialcooliques. Ce n’est point par l’horreur du laid mais par l’attrait du beau que nous devons enseigner le beau. Le beau doit ignorer le laid comme le Dieu d’Aristote ignorait le monde imparfait. Il est malsain que les enfants emportent et gardent dans leur mémoire l’image laide des ilotes ivres. Il est malsain que les enfants qui passent rue Soufflot gardent dans leur mémoire les images d’ivrognerie que la maison Delagrave exposait derrière les barreaux de ses vitrines. Les images de la laideur sont laides. Les images de la laideur sont, en un sens, plus redoutables que la laideur même, étant pour ainsi dire authentiquées par ce que l’image dessinée ou l’image écrite a de définitif, d’officiel. En ce sens un ivrogne représenté sur un tableau scolaire enlaidit plus gravement la mémoire et l’imagination des enfants qu’un ivrogne rencontré dans la rue. De même la plupart des anciens personnages de Zola sont d’une fréquentation très pernicieuse.

Le malheur fut, si nous en croyons les indications données au verso du faux-titre de Fécondité, que cette fréquentation devint très nombreuse.[35] Le romancier se fit ainsi mie clientèle considérable, puissante, mélangée. Comme il était fécond il donna un très grand nombre d’images à un très grand nombre de mémoires individuelles. Ainsi que ce médecin de petite ville dont parle Santerre,[36] il a donné, sans l’avoir voulu, ayant voulu sans doute le contraire, un très grand nombre de très pernicieux enseignements.

Ayant acquis par son enseignement mélangé la notoriété puis la gloire littéraire, Zola mit brusquement, et dans des circonstances inoubliables, toute sa gloire et toute sa personne et toute sa force révolutionnaire et toute sa force de vérité, toute sa force de sincérité au service de la justice et de la vérité en danger. Alors il se produisit un phénomène extraordinaire et peut-être sans exemple dans l’histoire. Zola changea brusquement de clientèle, ou plutôt il quitta une puissante clientèle de lecteurs pour une ardente compagnie d’hommes libres. Un très grand nombre de jeunes gens qui avaient lu passionnément les premières œuvres de Zola sont devenus de solides antisémites. La plupart des jeunes littérateurs qui se faisaient gloire de ne pas le considérer comme un maître l’ont accompagné ardemment dans la bataille civique. Tous les braves gens qui déploraient l’enseignement de ses livres sont devenus ses hommes. Ceux qui avaient conservé quelques doutes les ont vu disparaître alors. La Lettre au Président de la République a évidemment reçu son retentissement de l’œuvre précédente. Mais inversement elle a brusquement éclairé toute l’œuvre précédente, elle en a garanti la brutale sincérité. C’est à ce moment-là qu’une foule s’en est allée, qu’une armée est venue. En définitive le cercle de ceux qui ont combattu avec Zola n’avait pas beaucoup d’hommes communs avec le cercle de ceux qui, habituellement, lisaient Zola.

Charles Péguy


Les nombres indiqués dans Travail, au verso du fauxtitre, dans mon exemplaire, qui appartient lui-même au 42me niille, sont les suivants :

La Débâcle 
 202.000 exemplaires       
Nana 
 193.000                          
Lourdes 
 149.000                          
L’Assommoir 
 142.000                          
La Terre 
 129.000                          
Germinal 
 110.000 exemplaires         
Le Rêve 
 110.000                          
Rome 
 100.000                          
La Bête humaine 
 99.000                          
Une Page d’Amour 
 94.000                          
Pot-Bouille 
 92.000                          
Le Docteur Pascal 
 90.000                          
Paris 
 88.000                          
L’Argent 
 86.000                          
Au Bonheur des Dames 
 72.000                          
L’Œuvre 
 60.000                          
La Joie de Vivre 
 54.000                          
La Faute de l’abbé Mouret 
 62.000                          
La Curée 
 47.000                          
Le Ventre de Paris 
 43.000                          
La Fortune des Rougon 
 35. 000                          
La Conquête de Plassans 
 33.000                          
Son Excellence Eugène Rougon 
 32.000                          

Il est intéressant de confronter ce recensement avec le recensement précédent, de voir quels romans ont monté, de combien, quels romans n’ont pas monté ; dans cette énorme concurrence nouvelle quels romans ont gagné sur leurs camarades ; je vois des romans qui ont baissé : il faut qu’il y ait là une erreur de typographie ; comment un tirage peut-il baisser au-dessous d’un nombre qu’il a une fois atteint.

En outre mon exemplaire de Travail porte

et Fécondité 
 pour 94.000 exemplaires               
et Travail 
 pour 77.000                                

On obtient ainsi un total de :

2.283.000 exemplaires,


sans compter les exemplaires non millésimés, des autres volumes, et sans compter les traductions, qui sont, paraît-il, innombrables.

Travail a été publié en feuilleton dans l’Aurore du lundi 3 décembre 1900 au jeudi 11 avril 1901 ; puis il a paru chez Fasquelle en un volume de la Bibliothèque-Charpentier, à trois francs cinquante ; nous avons annoncé son apparition dans le onzième cahier de la deuxième série.

Vérité est en cours de publication dans l’Aurore depuis le mercredi 10 septembre 1902 ; il paraîtra ensuite chez Fasquelle en un volume de la Bibliothèque-Charpentier, à trois francs cinquante ; nous annoncerons son apparition.

Justice n’est pas fait.

Nous publierons une étude sur Travail et sur Vérité aussitôt que nous le pourrons. C’est aussi pour donner à cette étude éventuelle un départ que nous avons reproduit l’article précédent.

Dans ce même numéro 94, deuxième année, du 18 octobre 1902, Pages libres reproduit le texte de J’accuse et donne un curieux fac-similé de l’Aurore même, première page, numéro du jeudi 13 janvier 1898. Nous avons fait composer sur le texte de Pages libres. Nous avons collationné sur le texte publié dans la Vérité en marche. La présente édition est donc, si l’on veut, une édition critique.

le texte

La lettre que l’on va relire a été publiée définitivement dans le recueil intitulé la Vérité en marche, un volume de la Bibliothèque-Charpentier, chez Fasquelle, trois francs cinquante. Elle y est précédée, au verso du faux-titre, de la déclaration suivante :

Ces pages ont paru dans l’Aurore, le 13 janvier 1898.

Ce qu’on ignore, c’est qu’elles furent d’abord imprimées en une brochure, comme les deux Lettres précédentes[37]. Au moment de mettre cette brochure en vente, la pensée me vint de donner à ma Lettre une publicité plus large, plus retentissante, en la publiant dans un journal. L’Aurore avait déjà pris parti, avec une indépendance, un courage admirables, et je m’adressai naturellement à elle. Depuis ce jour, ce journal est devenu pour moi l’asile, la tribune de liberté et de vérité, où j’ai pu tout dire. J’en ai gardé au directeur, M. Ernest Vaughan, une grande reconnaissance. — Après la vente de l’Aurore à trois cent mille exemplaires, et les poursuites judiciaires qui suivirent, la brochure resta même en magasin. D’ailleurs, au lendemain de l’acte que j’avais résolu et accompli, je croyais devoir garder le silence, dans l’attente de mon procès et des conséquences que j’en espérais.

J’Accuse… !
LETTRE
AU
PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

LETTRE

à M. FÉLIX FAURE, Président de la République
Monsieur le Président,

Me permettez-vous, dans ma gratitude pour le bienveillant accueil que vous m’avez fait un jour, d’avoir le souci de votre juste gloire et de vous dire que votre étoile, si heureuse jusqu’ici, est menacée de la plus honteuse, de la plus ineffaçable des taches ?

Vous êtes sorti sain et sauf des basses calomnies, vous avez conquis les cœurs. Vous apparaissez rayonnant dans l’apothéose de cette fête patriotique que l’alliance russe a été pour la France, et vous vous préparez à présider au solennel triomphe de notre Exposition universelle, qui couronnera notre grand siècle de travail, de vérité et de liberté. Mais quelle tache de boue sur votre nom — j’allais dire sur votre règne — que cette abominable affaire Dreyfus ! Un conseil de guerre vient, par ordre, d’oser acquitter un Esterhazy, soufflet suprême à toute vérité, à toute justice. Et c’est fini, la France a sur la joue cette souillure, l’histoire écrira que c’est sous votre présidence qu’un tel crime social a pu être commis.

Puisqu’ils ont osé, j’oserai aussi, moi. La vérité, je la dirai, car j’ai promis de la dire, si la justice, régulièrement saisie, ne la faisait pas, pleine et entière. Mon devoir est de parler, je ne veux pas être complice. Mes nuits seraient hantées par le spectre de l’innocent qui expie là-bas, dans la plus affreuse des tortures, un crime qu’il n’a pas commis.

Et c’est à vous, monsieur le Président, que je la crierai, cette vérité, de toute la force de ma révolte d’honnête homme. Pour votre honneur, je suis convaincu que vous l’ignorez. Et à qui donc dénoncerai-je la tourbe malfaisante des vrais coupables, si ce n’est à vous, le premier magistrat du pays ?

La vérité d’abord sur le procès et sur la condamnation de Dreyfus.

Un homme néfaste a tout mené, a tout fait, c’est le lieutenant-colonel[38] du Paty de Clam, alors simple commandant. Il est l’affaire Dreyfus tout entière ;[39] on ne la connaîtra que lorsqu’une enquête loyale aura établi nettement ses actes et ses responsabilités. Il apparaît comme l’esprit le plus fumeux, le plus compliqué, hanté d’intrigues romanesques, se complaisant aux moyens des romans-feuilletons, les papiers volés, les lettres anonymes, les rendez-vous dans les endroits déserts, les femmes mystérieuses qui colportent, de nuit, des preuves accablantes. C’est lui qui imagina de dicter le bordereau à Dreyfus ; c’est lui qui rêva de l’étudier dans une pièce entièrement revêtue de glaces ; c’est lui que le commandant Forzinetti nous représente armé d’une lanterne sourde, voulant se faire introduire près de l’accusé endormi, pour projeter sur son visage un brusque flot de lumière et surprendre ainsi son crime, dans l’émoi du réveil. Et je n’ai pas à tout dire, qu’on cherche, on trouvera. Je déclare simplement que le commandant du Paty de Clam, chargé d’instruire l’affaire Dreyfus, comme officier judiciaire, est, dans l’ordre des dates et des responsabilités, le premier coupable de l’effroyable erreur judiciaire qui a été commise.

Le bordereau était depuis quelque temps déjà entre les mains du colonel Sandherr, directeur du bureau des renseignements, mort depuis de paralysie générale. Des « fuites » avaient lieu, des papiers disparaissaient, comme il en disparaît aujourd’hui encore ; et l’auteur du bordereau était recherché, lorsqu’un a priori se fit peu à peu que cet auteur ne pouvait être qu’un officier de l’état-major, et un officier d’artillerie : double erreur manifeste, qui montre avec quel esprit superficiel on avait étudié ce bordereau, car un examen raisonné démontre qu’il ne pouvait s’agir que d’un officier de troupe[40].

On cherchait donc dans la maison, on examinait les écritures, c’était comme une affaire de famille, un traître à surprendre dans les bureaux mêmes, pour l’en expulser. Et, sans que je veuille refaire ici une histoire connue en partie, le commandant du Paty de Clam entre en scène, dès qu’un premier soupçon tombe sur Dreyfus. À partir de ce moment, c’est lui qui a inventé Dreyfus, l’affaire devient son affaire, il se fait fort de confondre le traître, de l’amener à des aveux complets. Il y a bien le ministre de la guerre, le général Mercier, dont l’intelligence semble médiocre ; il y a bien le chef de l’état-major, le général de Boisdeffre, qui paraît avoir cédé à sa passion cléricale, et le sous-chef de l’état-major, le général Gonse, dont la conscience a pu s’accommoder de beaucoup de choses. Mais, au fond, il n’y a d’abord que le commandant du Paty de Clam, qui les mène tous, qui les hypnotise, car il s’occupe aussi de spiritisme, d’occultisme, il converse avec les esprits. On ne croira jamais[41] les expériences auxquelles il a soumis le malheureux Dreyfus, les pièges dans lesquels il a voulu le faire tomber, les enquêtes folles, les imaginations monstrueuses, toute une démence torturante.

Ah ! cette première affaire, elle est un cauchemar, pour qui la connaît dans ses détails vrais ! Le commandant du Paty de Clam arrête Dreyfus, le met au secret. Il court chez madame Dreyfus, la terrorise, lui dit que, si elle parle, son mari est perdu. Pendant ce temps, le malheureux s’arrachait la chair, hurlait son innocence. Et l’instruction a été faite ainsi, comme dans une chronique du quinzième siècle, au milieu du mystère, avec une complication d’expédients farouches, tout cela basé sur une seule charge enfantine, ce bordereau imbécile, qui n’était pas seulement une trahison vulgaire, qui était aussi la plus impudente des escroqueries, car les fameux secrets livrés se trouvaient presque tous sans valeur. Si j’insiste, c’est que l’œuf est ici, d’où va sortir plus tard le vrai crime, l’épouvantable déni de justice dont la France est malade. Je voudrais faire toucher du doigt comment l’erreur judiciaire a pu être possible, comment elle est née des machinations du commandant du Paty de Clam, comment le général Mercier, les généraux de Boisdeffre et Gonse ont pu s’y laisser prendre, engager peu à peu leur responsabilité dans cette erreur, qu’ils ont cru devoir, plus tard, imposer comme la vérité sainte, une vérité qui ne se discute même pas. Au début, il n’y a donc, de leur part,[42] que de l’incurie et de l’inintelligence. Tout au plus, les sent-on céder aux passions religieuses du milieu et aux préjugés de l’esprit de corps. Ils ont laissé faire la sottise.

Mais voici Dreyfus devant le conseil de guerre. Le huis clos le plus absolu est exigé. Un traître aurait ouvert la frontière à l’ennemi, pour conduire l’empereur allemand jusqu’à Notre-Dame, qu’on ne prendrait pas des mesures de silence et de mystère plus étroites. La nation est frappée de stupeur, on chuchote des faits terribles, de ces trahisons monstrueuses qui indignent l’Histoire ;[43] et naturellement la nation s’incline. Il n’y a pas de châtiment assez sévère, elle applaudira à la dégradation publique, elle voudra que le coupable reste sur son rocher d’infamie, dévoré par le remords. Est-ce donc vrai, les choses indicibles, les choses dangereuses, capables de mettre l’Europe en flammes, qu’on a dû enterrer soigneusement derrière ce huis clos ? Non ! il n’y a eu, derrière, que les imaginations romanesques et démentes du commandant du Paty de Clam. Tout cela n’a été fait que pour cacher le plus saugrenu des romans-feuilletons. Et il suffit, pour s’en assurer, d’étudier attentivement l’acte d’accusation,[44] lu devant le conseil de guerre.

Ah ! le néant de cet acte d’accusation ! Qu’un homme ait pu être condamné sur cet acte, c’est un prodige d’iniquité. Je défie les honnêtes gens de le lire, sans que leur cœur bondisse d’indignation et crie leur révolte, en pensant à l’expiation démesurée, là-bas, à l’île du Diable. Dreyfus sait plusieurs langues, crime ; on n’a trouvé chez lui aucun papier compromettant, crime ; il va parfois dans son pays d’origine, crime ; il est laborieux, il a le souci de tout savoir, crime ; il ne se trouble pas, crime ; il se trouble, crime. Et les naïvetés de rédaction, les formelles assertions dans le vide ! On nous avait parlé de quatorze chefs d’accusation : nous n’en trouvons qu’une seule en fin de compte, celle du bordereau ; et nous apprenons même que les experts n’étaient pas d’accord, qu’un d’eux, M. Gobert, a été bousculé militairement, parce qu’il se permettait de ne pas conclure dans le sens désiré. On parlait aussi de vingt-trois officiers qui étaient venus accabler Dreyfus de leurs témoignages. Nous ignorons encore leurs interrogatoires, mais il est certain que tous ne l’avaient pas chargé ; et il est à remarquer, en outre, que tous appartenaient aux bureaux de la guerre. C’est un procès de famille, on est là entre soi, et il faut s’en souvenir : l’état-major a voulu le procès, l’a jugé, et il vient de le juger une seconde fois.

Donc, il ne restait que le bordereau, sur lequel les experts ne s’étaient pas entendus. On raconte que, dans la chambre du conseil, les juges allaient naturellement acquitter. Et, dès lors, comme l’on comprend l’obstination désespérée avec laquelle, pour justifier la condamnation, on affirme aujourd’hui l’existence d’une pièce secrète, accablante, la pièce qu’on ne peut montrer, qui légitime tout, devant laquelle nous devons nous incliner, le bon Dieu invisible et inconnaissable ![45] Je la nie, cette pièce, je la nie de toute ma puissance ! Une pièce ridicule, oui, peut-être la pièce où il est question de petites femmes, et où il est parlé d’un certain D… qui devient trop exigeant,[46] quelque mari sans doute trouvant qu’on ne lui payait pas sa femme assez cher. Mais une pièce intéressant la défense nationale, qu’on ne saurait produire sans que la guerre fût déclarée demain, non, non ! c’est un mensonge ! Et[47] cela est d’autant plus odieux et cynique qu’ils mentent impunément sans qu’on puisse les en convaincre. Ils ameutent la France, ils se cachent derrière sa légitime émotion, ils ferment les bouches en troublant les cœurs, en pervertissant les esprits. Je ne connais pas de plus grand crime civique.

Voilà donc, monsieur le Président, les faits qui expliquent comment une erreur judiciaire a pu être commise ; et les preuves morales, la situation de fortune de Dreyfus, l’absence de motifs, son continuel cri d’innocence, achèvent de le montrer comme une victime des extraordinaires imaginations du commandant du Paty de Clam, du milieu clérical où il se trouvait, de la chasse aux « sales juifs », qui déshonore notre époque.

Et nous arrivons à l’affaire Esterhazy. Trois ans se sont passés, beaucoup de consciences restent troublées profondément, s’inquiètent, cherchent, finissent par se convaincre de l’innocence de Dreyfus.

Je ne ferai pas l’historique des doutes, puis de la conviction de M. Scheurer-Kestner. Mais, pendant qu’il fouillait de son côté, il se passait des faits graves à l’état-major même. Le colonel Sandherr était mort, et le lieutenant-colonel Picquart lui avait succédé comme chef du bureau des renseignements. Et c’est à ce titre, dans l’exercice de ses fonctions, que ce dernier eut un jour entre les mains une lettre-télégramme, adressée au commandant Esterhazy, par un agent d’une puissance étrangère. Son devoir strict était d’ouvrir une enquête. La certitude est qu’il n’a jamais agi en dehors de la volonté de ses supérieurs. Il soumit donc ses soupçons à ses supérieurs hiérarchiques, le général Gonse, puis le général de Boisdeffre, puis le général Billot, qui avait succédé au général Mercier comme ministre de la guerre. Le fameux dossier Picquart, dont il a été tant parlé, n’a jamais été que le dossier Billot, j’entends le dossier fait par un subordonné pour son ministre, le dossier qui doit exister encore au ministère de la guerre. Les recherches durèrent de mai à septembre 1896, et ce qu’il faut affirmer bien haut, c’est que le général Gonse était convaincu de la culpabilité d’Esterhazy, c’est que le général de Boisdeffre et le général Billot ne mettaient pas en doute que le fameux bordereau fût[48] de l’écriture d’Esterhazy. L’enquête du lieutenant-colonel Picquart avait abouti à cette constatation certaine. Mais l’émoi était grand, car la condamnation d’Esterhazy entraînait inévitablement la révision du procès Dreyfus ; et c’était ce que l’état-major ne voulait à aucun prix.

Il dut y avoir là une minute psychologique pleine d’angoisse. Remarquez que le général Billot n’était compromis dans rien, il arrivait tout frais, il pouvait faire la vérité. Il n’osa pas, dans la terreur sans doute de l’opinion publique, certainement aussi dans la crainte de livrer tout l’état-major, le général de Boisdeffre, le général Gonse, sans compter les sous-ordres. Puis, ce ne fut là qu’une minute de combat entre sa conscience et ce qu’il croyait être l’intérêt militaire. Quand cette minute fut passée, il était déjà trop tard. Il s’était engagé, il était compromis. Et, depuis lors, sa responsabilité n’a fait que grandir, il a pris à sa charge le crime des autres, il est aussi coupable que les autres, il est plus coupable qu’eux, car il a été le maître de faire justice, et il n’a rien fait. Comprenez-vous cela ! voici un an que le général Billot, que les généraux de Boisdeffre et Gonse savent que Dreyfus est innocent, et ils ont gardé pour eux cette effroyable chose[49]. Et ces gens-là dorment, et ils ont des femmes et des enfants qu’ils aiment !

Le colonel Picquart[50] avait rempli son devoir d’honnête homme. Il insistait auprès de ses supérieurs, au nom de la justice. Il les suppliait même, il leur disait combien leurs délais étaient impolitiques[51] devant le terrible orage qui s’amoncelait, qui devait éclater, lorsque la vérité serait connue. Ce fut, plus tard, le langage que M. Scheurer-Kestner tint également au général Billot, l’adjurant par patriotisme de prendre en main l’affaire, de ne pas la laisser s’aggraver, au point de devenir un désastre public. Non ! Le crime était commis, l’état-major ne pouvait plus avouer son crime. Et le lieutenant-colonel Picquart fut envoyé en mission, on l’éloigna de plus loin en plus loin,[52] jusqu’en Tunisie, où l’on voulut même un jour honorer sa bravoure, en le chargeant d’une mission qui l’aurait sûrement fait massacrer,[53] dans les parages où le marquis de Morès a trouvé la mort. Il n’était pas en disgrâce, le général Gonse entretenait avec lui une correspondance amicale. Seulement, il est des secrets qu’il ne fait pas bon d’avoir surpris.

À Paris, la vérité marchait, irrésistible, et l’on sait de quelle façon l’orage attendu éclata. M. Mathieu Dreyfus dénonça le commandant Esterhazy comme le véritable auteur du bordereau, au moment où M. Scheurer-Kestner allait déposer, entre les mains du garde des sceaux, une demande en révision du procès. Et c’est ici que le commandant Esterhazy paraît. Des témoignages le montrent d’abord affolé, prêt au suicide ou à la fuite. Puis, tout d’un coup, il paye d’audace, il étonne Paris par la violence de son attitude. C’est que du secours lui était venu, il avait reçu une lettre anonyme l’avertissant des menées de ses ennemis, une dame mystérieuse s’était même dérangée de nuit pour lui remettre une pièce volée à l’état-major, qui devait le sauver. Et je ne puis m’empêcher de retrouver là le lieutenant-colonel du Paty de Clam, en reconnaissant les expédients de son imagination fertile. Son œuvre, la culpabilité de Dreyfus, était en péril, et il a voulu sûrement défendre son œuvre. La révision du procès, mais c’était l’écroulement du roman-feuilleton si extravagant, si tragique, dont le dénouement abominable a lieu à l’île du Diable ! C’est ce qu’il ne pouvait permettre. Dès lors, le duel va avoir lieu entre le lieutenant-colonel Picquart et le lieutenant-colonel du Paty de Clam, l’un le visage découvert, l’autre masqué. On les retrouvera prochainement tous deux devant la justice civile. Au fond, c’est toujours l’état-major qui se défend, qui ne veut pas avouer son crime, dont l’abomination grandit d’heure en heure.

On s’est demandé avec stupeur quels étaient les protecteurs du commandant Esterhazy. C’est d’abord, dans l’ombre, le lieutenant-colonel du Paty de Clam qui a tout machiné, qui a tout conduit. Sa main se trahit aux moyens saugrenus. Puis, c’est le général de Boisdeffre, c’est le général Gonse, c’est le général Billot lui-même, qui sont bien obligés de faire acquitter le commandant, puisqu’ils ne peuvent laisser reconnaître l’innocence de Dreyfus, sans que les bureaux de la guerre croulent sous[54] le mépris public. Et le beau résultat de cette situation prodigieuse, c’est que l’honnête homme[55] là-dedans, le lieutenant-colonel Picquart, qui seul a fait son devoir, va être la victime, celui qu’on bafouera et qu’on punira. Ô justice, quelle affreuse désespérance serre le cœur ! On va jusqu’à dire que c’est lui le faussaire, qu’il a fabriqué la carte-télégramme pour perdre Esterhazy. Mais, grand Dieu ! pourquoi ? dans quel but ? Donnez un motif. Est-ce que celui-là aussi est payé par les juifs ? Le joli de l’histoire est qu’il était justement antisémite. Oui ! nous assistons à ce spectacle infâme, des hommes perdus de dettes et de crimes dont on proclame l’innocence, tandis qu’on frappe l’honneur même, un homme à la vie sans tache ! Quand une société en est là, elle tombe en décomposition.

Voilà donc, monsieur le Président, l’affaire Esterhazy : un coupable qu’il s’agissait d’innocenter. Depuis bientôt deux mois, nous pouvons suivre heure par heure la belle besogne. J’abrège, car ce n’est ici, en gros, que le résumé de l’histoire dont les brûlantes pages seront un jour écrites tout au long. Et nous avons donc vu le général de Pellieux, puis le commandant Ravary, conduire une enquête scélérate d’où les coquins sortent transfigurés et les honnêtes gens salis. Puis, on a convoqué le conseil de guerre.

Comment a-t-on pu espérer qu’un conseil de guerre déferait ce qu’un conseil de guerre avait fait ?

Je ne parle même pas du choix toujours possible des juges. L’idée supérieure de discipline, qui est dans le sang de ces soldats, ne suffit-elle à infirmer leur pouvoir même[56] d’équité ? Qui dit discipline dit obéissance. Lorsque le ministre[57] de la guerre, le grand chef, a établi publiquement, aux acclamations de la représentation nationale, l’autorité absolue[58] de la chose jugée, vous voulez qu’un conseil de guerre lui donne un formel démenti ? Hiérarchiquement, cela est impossible. Le général Billot a suggestionné les juges par sa déclaration, et ils ont jugé comme ils doivent aller au feu, sans raisonner. L’opinion préconçue qu’ils ont apportée sur leur siège[59] est évidemment celle-ci : « Dreyfus a été condamné pour crime de trahison par un conseil de guerre ; il est donc coupable,[60] et nous, conseil de guerre, nous ne pouvons le déclarer innocent ; or nous savons que reconnaître la culpabilité d’Esterhazy, ce serait proclamer l’innocence de Dreyfus. » Rien ne pouvait les faire sortir de là.

Ils ont rendu une sentence inique[61] qui à jamais pèsera sur nos conseils de guerre, qui entachera désormais de suspicion tous leurs arrêts. Le premier conseil de guerre a pu être inintelligent, le second est forcément criminel. Son excuse, je le répète, est que le chef suprême avait parlé, déclarant la chose jugée inattaquable, sainte et supérieure aux hommes, de sorte que des inférieurs ne pouvaient dire le contraire. On nous parle de l’honneur de l’armée, on veut que nous l’aimions, que nous la respections[62]. Ah ! certes, oui, l’armée qui se lèverait à la première menace, qui défendrait la terre française, elle est tout le peuple[63] et nous n’avons pour elle que tendresse et respect. Mais il ne s’agit pas d’elle, dont nous voulons justement la dignité, dans notre besoin de justice. Il s’agit du sabre, le maître qu’on nous donnera demain peut-être. Et baiser dévotement la poignée du sabre, le dieu, non !

Je l’ai démontré d’autre part : l’affaire Dreyfus était l’affaire des bureaux de la guerre, un officier de l’état-major, dénoncé par ses camarades de l’état-major, condamné sous la pression des chefs de l’état-major. Encore une fois, il ne peut revenir innocent, sans[64] que tout l’état-major soit coupable. Aussi les bureaux, par tous les moyens imaginables, par des campagnes de presse, par des communications, par des influences, n’ont-ils couvert Esterhazy que pour perdre une seconde fois Dreyfus. Ah ! quel[65] coup de balai le gouvernement républicain devrait donner dans cette jésuitière, ainsi que les appelle le général Billot lui-même ! Où est-il, le ministère vraiment fort et d’un patriotisme sage, qui osera tout y refondre et tout y renouveler ? Que de gens je connais qui, devant une guerre possible, tremblent d’angoisse, en sachant dans quelles mains est la défense nationale ! et quel nid de basses intrigues, de commérages et de dilapidations, est devenu cet asile sacré, où se décide le sort de la patrie ! On s’épouvante devant le jour terrible que vient d’y jeter l’affaire Dreyfus, ce sacrifice humain d’un malheureux, d’un « sale juif » ! Ah ! tout ce qui s’est agité là de démence et de sottise, des imaginations folles, des pratiques de basse police, des mœurs d’inquisition et de tyrannie, le bon plaisir de quelques galonnés mettant leurs bottes sur la nation, lui rentrant dans la gorge son cri de vérité et de justice, sous le prétexte menteur et sacrilège de la raison d’État !

Et c’est un crime encore que de s’être appuyé sur la presse immonde, que de s’être laissé défendre par toute la fripouille de Paris, de sorte que voilà la fripouille qui triomphe insolemment, dans la défaite du droit et de la simple probité. C’est un crime d’avoir accusé de troubler la France ceux qui la veulent généreuse, à la tête des nations libres et justes, lorsqu’on ourdit soi-même l’impudent complot d’imposer l’erreur, devant le monde entier. C’est un crime d’égarer l’opinion, d’utiliser pour une besogne de mort cette opinion qu’on a pervertie,[66] jusqu’à la faire délirer. C’est un crime d’empoisonner les petits et les humbles, d’exaspérer les passions de réaction et d’intolérance, en s’abritant derrière l’odieux antisémitisme, dont la grande France libérale des droits de l’homme mourra, si elle n’en est pas guérie. C’est un crime que d’exploiter le patriotisme pour des œuvres de haine, et c’est un crime enfin[67] que de faire du sabre le dieu moderne, lorsque toute la science humaine est au travail pour l’œuvre prochaine de vérité et de justice.

Cette vérité, cette justice, que nous avons si passionnément voulues, quelle détresse à les voir ainsi souffletées, plus méconnues et plus obscurcies ! Je me doute de l’écroulement qui doit avoir lieu dans l’âme de M. Scheurer-Kestner, et je crois bien qu’il finira par éprouver un remords, celui de n’avoir pas agi révolutionnairement, le jour de l’interpellation au Sénat, en lâchant tout le paquet, pour tout jeter à bas. Il a été le grand honnête homme, l’homme de sa vie loyale, il a cru que la vérité se suffisait à elle-même, surtout lorsqu’elle lui apparaissait éclatante comme le plein jour. À quoi bon tout bouleverser, puisque bientôt le soleil allait luire ? Et c’est de cette sérénité confiante dont il est si cruellement puni. De même pour le lieutenant-colonel Picquart, qui, par un sentiment de haute dignité, n’a pas voulu publier les lettres du général Gonse. Ces scrupules l’honorent d’autant plus, que,[68] pendant qu’il restait respectueux de la discipline, ses supérieurs le faisaient couvrir de boue, instruisaient eux-mêmes son procès, de la façon la plus inattendue et la plus outrageante. Il y a deux victimes, deux braves gens, deux cœurs simples, qui ont laissé faire Dieu, tandis que le diable agissait. Et l’on a même vu, pour le lieutenant-colonel Picquart, cette chose ignoble : un tribunal français, après avoir laissé le rapporteur charger publiquement un témoin, l’accuser de toutes les fautes, a fait le huis clos, lorsque ce témoin a été introduit pour s’expliquer et se défendre. Je dis que cela[69] est un crime de plus et que ce crime soulèvera la conscience universelle. Décidément, les tribunaux militaires se font une singulière idée de la justice.

Telle est donc la simple vérité, monsieur le Président, et elle est effroyable, elle restera pour votre présidence une souillure. Je me doute bien que vous n’avez aucun pouvoir en cette affaire, que vous êtes le prisonnier de la Constitution et de votre entourage. Vous n’en avez pas moins un devoir d’homme, auquel vous songerez, et que vous remplirez. Ce n’est pas, d’ailleurs, que je désespère le moins du monde du triomphe. Je le répète avec une certitude plus véhémente : la vérité est en marche, et rien ne l’arrêtera. C’est d’aujourd’hui seulement que l’affaire commence, puisque aujourd’hui seulement les positions sont nettes : d’une part, les coupables qui ne veulent pas que la lumière se fasse ; de l’autre, les justiciers qui donneront leur vie pour qu’elle soit faite. Quand[70] on enferme la vérité sous terre, elle s’y amasse, elle y prend une force telle d’explosion, que, le jour où elle éclate, elle fait tout sauter avec elle. On verra bien si l’on ne vient pas de préparer, pour plus tard, le plus retentissant des désastres.

Mais cette lettre est longue, monsieur le Président, et il est temps de conclure.

J’accuse le lieutenant-colonel du Paty de Clam d’avoir été l’ouvrier diabolique de l’erreur judiciaire, en inconscient, je veux le croire, et d’avoir ensuite défendu son œuvre néfaste, depuis trois ans, par les machinations les plus saugrenues et les plus coupables.

J’accuse le général Mercier de s’être rendu complice, tout au moins par faiblesse d’esprit, d’une des plus grandes iniquités du siècle.

J’accuse le général Billot d’avoir eu entre les mains les preuves certaines de l’innocence de Dreyfus et de les avoir étouffées, de s’être rendu coupable de ce crime de lèse-humanité et de lèse-justice, dans un but politique et pour sauver l’état-major compromis.

J’accuse le général de Boisdeffre et le général Gonse de s’être rendus complices du même crime, l’un sans doute par passion cléricale, l’autre peut-être par cet esprit de corps qui fait des bureaux de la guerre l’arche sainte, inattaquable.

J’accuse le général de Pellieux et le commandant Ravary d’avoir fait une enquête scélérate, j’entends par là une enquête de la plus monstrueuse partialité, dont nous avons, dans le rapport du second, un impérissable monument de naïve audace.

J’accuse les trois experts en écritures, les sieurs Belhomme, Varinard et Couard, d’avoir fait des rapports mensongers et frauduleux, à moins qu’un examen médical ne les déclare atteints d’une maladie de la vue et du jugement.

J’accuse les bureaux de la guerre d’avoir mené dans la presse, particulièrement dans l’Éclair et dans l’Écho de Paris, une campagne abominable, pour égarer l’opinion et couvrir leur faute.

J’accuse enfin le premier conseil de guerre d’avoir violé le droit, en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète, et j’accuse le second conseil de guerre d’avoir couvert cette illégalité, par ordre, en commettant à son tour le crime juridique d’acquitter sciemment un coupable.

En portant ces accusations, je n’ignore pas que je me mets sous le coup des articles 30 et 31 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui punit les délits de diffamation. Et c’est volontairement que je m’expose.

Quant aux gens que j’accuse, je ne les connais pas, je ne les ai jamais vus, je n’ai contre eux ni rancune ni haine. Ils ne sont pour moi que des entités, des esprits de malfaisance sociale. Et l’acte que j’accomplis ici n’est qu’un moyen révolutionnaire pour hâter l’explosion de la vérité et de la justice.

Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au nom de l’humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n’est que le cri de mon âme. Qu’on ose donc me traduire en cour d’assises et que l’enquête ait lieu au grand jour !

J’attends.

Veuillez agréer, monsieur le Président, l’assurance de mon profond respect.

ÉMILE ZOLA

Bernard-Lazare me prête son exemplaire de la même lettre en brochure. Cette brochure ne fut pas mise en vente. Comme la lettre à la Jeunesse et la lettre à la France, qui au contraire furent mises en vente et portaient un prix de vente, c’était une grande brochure, jaune, plate, une plaquette in octavo d’une feuille d’impression, seize pages ; comme les deux précédentes lettres elle portait en titre générique : l’affaire Dreyfus, et en exergue semi-circulaire humanité — vérité — justice.

Les leçons de la brochure, où elles diffèrent du texte que nous avons adopté, sont les suivantes :

Partout Monsieur le Président, au lieu de monsieur le Président ;

Page 67, ligne 18 : troupe. On cherchait… sans alinéa ;

Page 68, ligne 7 : On ne saurait concevoir les expériences… ;

Page 68, ligne 16 : dit que si… sans virgule ;

Page 69, ligne 17 : l’Histoire, et naturellement, la nation… ;

Page 71, ligne 6 : exigeant : quelque mari… ;

Page 72, ligne 26 : que le bordereau fût… ;

Page 73, ligne 20 : chose ! et… ;

Page 73, ligne 26 : impolitiques, devant… ;

Page 74, ligne 6 : de plus en plus loin. Jusqu’en… ;

Page 75, ligne 21 : croulent dans le mépris… ;

Page 75, ligne 22 : prodigieuse est que l’honnête homme, là-dedans,… ;

Page 76, ligne 22 : pouvoir d’équité ?

Page 77, ligne 6 : leur siège, est évidemment… ;

Page 77, ligne 8 : guerre, il est donc coupable ; et nous,… ;

Page 77, ligne 10 : or, nous savons… ;

Page 77, ligne 13 : inique, qui… ;

Page 77, ligne 24 : peuple, et nous… ;

Page 78, ligne 8 : innocent sans que… ;

Page 78, ligne 13 : Dreyfus. Quel coup… ;

Page 79, ligne 19 : crime, enfin, que… ;

Page 80, ligne 10 : d’autant plus que,….

Pour constituer la bibliographie que l’on va lire, nous avons dû commander et acheter chez Fasquelle éditeur une collection complète.

J’ai en mains le catalogue de Fasquelle, février 1902. Page 38 ce catalogue omet dans les Rougon-Macquart la Terre entre l’Œuvre et le Rêve ; même page, dans les Trois Villes, après Rome il omet Paris, ce qui donne :

LES TROIS VILLES

Lourdes (154me mille) un volume

Rome (106me mille) un volume

Les œuvres de Zola paraissaient régulièrement en volumes de la Bibliothèque-Charpentier, aujourd’hui chez Fasquelle, éditeur ; ces volumes sont uniformément à trois francs cinquante.

Émile Zola
Histoire naturelle et sociale d’une famille
sous le Second Empire

La Fortune des Rougon, édition complète en un volume, 385 pages ;

PRÉFACE

Je veux expliquer comment une famille, un petit groupe d’êtres, se comporte dans une société, en s’épanouissant pour donner naissance à dix, à vingt individus, qui paraissent, au premier coup d’œil, profondément dissemblables, mais que l’analyse montre intimement liés les uns aux autres. L’hérédité a ses lois, comme la pesanteur.

Je tâcherai de trouver et de suivre, en résolvant la double question des tempéraments et des milieux, le fil qui conduit mathématiquement d’un homme à un autre homme. Et quand je tiendrai tous les fils, quand j’aurai entre les mains tout un groupe social, je ferai voir ce groupe à l’œuvre, comme acteur d’une époque historique, je le créerai agissant dans la complexité de ses efforts, j’analyserai à la fois la somme de volonté de chacun de ses membres et la poussée générale de l’ensemble.

Les Rougon-Macquart, le groupe, la famille que je me propose d’étudier, a pour caractéristique le débordement des appétits, le large soulèvement de notre âge, qui se rue aux jouissances. Physiologiquement, ils sont la lente succession des accidents nerveux et sanguins qui se déclarent dans une race, à la suite d’une première lésion organique, et qui déterminent, selon les milieux, chez chacun des individus de cette race, les sentiments, les désirs, les passions, toutes les manifestations humaines, naturelles et instinctives, dont les produits prennent les noms convenus de vertus et de vices. Historiquement, ils partent du peuple, ils s’irradient dans toute la société contemporaine, ils montent à toutes les situations, par cette impulsion essentiellement moderne que reçoivent les basses classes en marche à travers le corps social, et ils racontent ainsi le second empire, à l’aide de leurs drames individuels, du guet-apens du coup d’État à la trahison de Sedan.

Depuis trois années, je rassemblais les documents de ce grand ouvrage et le présent volume était même écrit lorsque la chute des Bonaparte, dont j’avais besoin comme artiste, et que toujours je trouvais fatalement au bout du drame, sans oser l’espérer si prochaine, est venue me donner le dénoûment terrible et nécessaire de mon œuvre. Celle-ci est, dès aujourd’hui, complète ; elle s’agite dans un cercle fini, elle devient le tableau d’un règne mort, d’une étrange époque de folie et de honte.

Cette œuvre, qui formera plusieurs épisodes, est donc, dans ma pensée, l’Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second empire. Et le premier épisode : la Fortune des Rougon, doit s’appeler de son titre scientifique : les Origines.

Émile Zola

Paris, le premier Juillet 1871.

La Curée, édition complète en un volume, 387 pages ;

Le Ventre de Paris, édition complète en un volume, 358 pages ;

La Conquête de Plassans, édition complète en un volume, 402 pages ;

La Faute de l’abbé Mouret, édition complète en un volume, 428 pages ;

Son Excellence Eugène Rougon, édition complète en un volume, 462 pages ;

L’Assommoir, édition complète en un volume, 568 pages ;

PRÉFACE

Les Rougon-Macquart doivent se composer d’une vingtaine de romans. Depuis 1869, le plan général est arrêté, et je le suis avec une rigueur extrême. L’Assommoir est venu à son heure, je l’ai écrit, comme j’écrirai les autres, sans me déranger une seconde de ma ligne droite. C’est ce qui fait ma force. J’ai un but auquel je vais.

Lorsque l’Assommoir a paru dans un journal, il a été attaqué avec une brutalité sans exemple, dénoncé, chargé de tous les crimes. Est-il bien nécessaire d’expliquer ici, en quelques lignes, mes intentions, d’écrivain ? J’ai voulu peindre la déchéance fatale d’une famille ouvrière, dans le milieu empesté de nos faubourgs. Au bout de l’ivrognerie et de la fainéantise, il y a le relâchement des liens de la famille, les ordures de la promiscuité, l’oubli progressif des sentiments honnêtes, puis comme dénoûment, la honte et la mort. C’est de la morale en action, simplement.

L’Assommoir est à coup sûr le plus chaste de mes livres. Souvent j’ai dû toucher à des plaies autrement épouvantables. La forme seule a effaré. On s’est fâché contre les mots. Mon crime est d’avoir eu la curiosité littéraire de ramasser et de couler dans un moule très travaillé la langue du peuple. Ah ! la forme, là est le grand crime ! Des dictionnaires de cette langue existent pourtant, des lettrés l’étudient et jouissent de sa verdeur, de l’imprévu et de la force de ses images. Elle est un régal pour les grammairiens fureteurs. N’importe, personne n’a entrevu que ma volonté était de faire un travail purement philologique, que je crois d’un vif intérêt historique et social.

Je ne me défends pas, d’ailleurs. Mon œuvre me défendra. C’est une œuvre de vérité, le premier roman sur le peuple, qui ne mente pas et qui ait l’odeur du peuple. Et il ne faut point conclure que le peuple tout entier est mauvais, car mes personnages ne sont pas mauvais, ils ne sont qu’ignorants et gâtés par le milieu de rude besogne et de misère où ils vivent. Seulement, il faudrait lire mes romans, les comprendre, voir nettement leur ensemble, avant de porter les jugements tout faits, grotesques et odieux, qui circulent sur ma personne et sur mes œuvres. Ah ! si l’on savait combien mes amis s’égayent de la légende stupéfiante dont on amuse les foules ! Si l’on savait combien le buveur de sang, le romancier féroce, est un digne bourgeois, un homme d’étude et d’art, vivant sagement dans son coin, et dont l’unique ambition est de laisser une œuvre aussi large et aussi vivante qu’il pourra ! Je ne démens aucun conte, je travaille, je m’en remets au temps et à la bonne foi publique pour me découvrir enfin sous l’amas des sottises entassées.

Émile Zola

Paris, premier janvier 1877.

Une Page d’Amour, édition complète en un volume, 406 pages ;

NOTE

Je me décide à joindre à ce volume l’arbre généalogique des Rougon-Macquart. Deux raisons me déterminent.

La première est que beaucoup de personnes m’ont demandé cet arbre. Il doit, en effet, aider les lecteurs à se retrouver, parmi les membres assez nombreux de la famille dont je me suis fait l’historien.

La seconde raison est plus compliquée. Je regrette de ne pas avoir publié l’arbre dans le premier volume de la série, pour montrer tout de suite l’ensemble de mon plan. Si je tardais encore, on finirait par m’accuser de l’avoir fabriqué après coup. Il est grand temps d’établir qu’il a été dressé tel qu’il est en 1868, avant que j’eusse écrit une seule ligne ; et cela ressort clairement de la lecture du premier épisode, la Fortune des Rougon, où je ne pouvais poser les origines de la famille, sans arrêter avant tout la filiation et les âges. La difficulté était d’autant plus grande, que je mettais face à face quatre générations, et que mes personnages s’agitaient dans une période de dix-huit années seulement.

La publication de ce document sera ma réponse à ceux qui m’ont accusé de courir après l’actualité et le scandale. Depuis 1868, je remplis le cadre que je me suis imposé, l’arbre généalogique en marque pour moi les grandes lignes, sans me permettre d’aller ni à droite ni à gauche. Je dois le suivre strictement, il est en même temps ma force et mon régulateur. Les conclusions sont toutes prêtes. Voilà ce que j’ai voulu et voilà ce que j’accomplis.

Il me reste à déclarer que les circonstances seules m’ont fait publier l’arbre avec Une page d’amour, cette œuvre intime et de demi-teinte. Il devait seulement être joint au dernier volume. Huit ont paru, douze sont encore sur le chantier ; c’est pourquoi la patience m’a manqué. Plus tard, je le reporterai en tête de ce dernier volume, où il fera corps avec l’action. Dans ma pensée, il est le résultat des observations de Pascal Rougon, un médecin, membre de la famille, qui conduira le roman final, conclusion scientifique de tout l’ouvrage. Le docteur Pascal l’éclairera alors de ses analyses de savant, le complétera par des renseignements précis que j’ai du enlever, pour ne pas déflorer les épisodes futurs. Le rôle naturel et social de chaque membre sera définitivement réglé, et les commentaires enlèveront aux mots techniques ce qu’ils ont de barbare. D’ailleurs, les lecteurs peuvent déjà faire une bonne partie de ce travail. Sans indiquer ici tous les livres de physiologie que j’ai consultés, je citerai seulement l’ouvrage du docteur Lucas : l’Hérédité naturelle, où les curieux pourront aller chercher des explications sur le système physiologique qui m’a servi à établir l’arbre généalogique des Rougon-Macquart.

Aujourd’hui, j’ai simplement le désir de prouver que les romans publiés par moi depuis bientôt neuf ans, dépendent d’un vaste ensemble, dont le plan a été arrêté d’un coup et à l’avance, et que l’on doit par conséquent, tout en jugeant chaque roman à part, tenir compte de la place harmonique qu’il occupe dans cet ensemble. On se prononcera dès lors sur mon œuvre plus justement et plus largement.

Émile Zola

Paris, 2 avril 1878.

Suit l’arbre généalogique, portant 26 noms.

Nana, édition complète en un volume, 624 pages ;

Pot-Bouille, édition complète, un volume, 495 pages ;

Au Bonheur des Dames, édition complète en un volume, 521 pages ;

La Joie de Vivre, édition complète en un volume, 447 pages ;

Germinal, édition complète en un volume, 591 pages ;

L’Œuvre, édition complète en un volume, 491 pages ;

La Terre, édition complète en un volume, 519 pages ;

Le Rêve, édition complète en un volume, 310 pages ;

La Bête humaine, édition complète en un volume, 415 pages ;

L’Argent, édition complète en un volume, 445 pages ;

La Débâcle, édition complète, un volume, 636 pages ;

Le docteur Pascal, édition complète en un volume, 390 pages ;

Roman dédié

À la Mémoire
de
MA MÈRE
et à
MA CHÈRE FEMME
Je dédie ce roman
qui est le résumé et la conclusion
de toute mon œuvre

Au commencement de ce volume l’arbre généalogique, portant 32 noms.

LES TROIS VILLES

Lourdes, édition complète en un volume, 598 pages ;

Rome, édition complète en un volume, 751 pages ;

Paris, édition complète en un volume, 608 pages ;

LES QUATRE ÉVANGILES

Fécondité, édition complète en un volume, 751 pages ;

Travail, édition complète en un volume, 666 pages ;

Vérité, à paraître ;

Justice.

ROMANS ET NOUVELLES

Thérèse Raquin, édition complète en un volume, 309 pages ;

PRÉFACE DE LA DEUXIÈME ÉDITION

J’avais naïvement cru que ce roman pouvait se passer de préface. Ayant l’habitude de dire tout haut ma pensée, d’appuyer même sur les moindres détails de ce que j’écris, j’espérais être compris et jugé sans explication préalable. Il paraît que je me suis trompé.

La critique a accueilli ce livre d’une voix brutale et indignée. Certaines gens vertueux, dans des journaux non moins vertueux, ont fait une grimace de dégoût, en le prenant avec des pincettes pour le jeter au feu. Les petites feuilles littéraires elles-mêmes, ces petites feuilles qui donnent chaque soir la gazette des alcôves et des cabinets particuliers, se sont bouché le nez en parlant d’ordure et de puanteur. Je ne me plains nullement de cet accueil ; au contraire, je suis charmé de constater que mes confrères ont des nerfs sensibles de jeune fille. Il est bien évident que mon œuvre appartient à mes juges, et qu’ils peuvent la trouver nauséabonde sans que j’aie le droit de réclamer. Ce dont je me plains, c’est que pas un des pudiques journalistes qui ont rougi en lisant Thérèse Raquin ne me paraît avoir compris ce roman. S’ils l’avaient compris, peut-être auraient-ils rougi davantage, mais au moins je goûterais à cette heure l’intime satisfaction de les voir écœurés à juste titre. Rien n’est plus irritant que d’entendre d’honnêtes écrivains crier à la dépravation, lorsqu’on est intimement persuadé qu’ils crient cela sans savoir à propos de quoi ils le crient.

Donc il faut que je présente moi-même mon œuvre à mes juges. Je le ferai en quelques lignes, uniquement pour éviter à l’avenir tout malentendu.

Dans Thérèse Raquin, j’ai voulu étudier des tempéraments et non des caractères. Là est le livre entier. J’ai choisi des personnages souverainement dominés par leurs nerfs et leur sang, dépourvus de libre arbitre, entraînés à chaque acte de leur vie par les fatalités de leur chair. Thérèse et Laurent sont des brutes humaines, rien de plus. J’ai cherché à suivre pas à pas dans ces brutes le travail sourd des passions, les poussées de l’instinct, les détraquements cérébraux survenus à la suite d’une crise nerveuse. Les amours de mes deux héros sont le contentement d’un besoin ; le meurtre qu’ils commettent est une conséquence de leur adultère, conséquence qu’ils acceptent comme les loups acceptent l’assassinat des moutons ; enfin, ce que j’ai été obligé d’appeler leurs remords, consiste en un simple désordre organique, en une rébellion du système nerveux tendu à se rompre. L’âme est parfaitement absente, j’en conviens aisément, puisque je l’ai voulu ainsi.

On commence, j’espère, à comprendre que mon but a été un but scientifique avant tout. Lorsque mes deux personnages, Thérèse et Laurent, ont été créés, je me suis plu à me poser et à résoudre certains problèmes : ainsi, j’ai tenté d’expliquer l’union étrange qui peut se produire entre deux tempéraments différents, j’ai montré les troubles profonds d’une nature sanguine au contact d’une nature nerveuse. Qu’on lise le roman avec soin, on verra que chaque chapitre est l’étude d’un cas curieux de physiologie. En un mot, je n’ai eu qu’un désir : étant donné un homme puissant et une femme inassouvie, chercher en eux la bête, ne voir même que la bête, les jeter dans un drame violent, et noter scrupuleusement les sensations et les actes de ces êtres. J’ai simplement fait sur deux corps vivants le travail analytique que les chirurgiens font sur des cadavres.

Avouez qu’il est dur, quand on sort d’un pareil travail, tout entier encore aux graves jouissances de la recherche du vrai, d’entendre des gens vous accuser d’avoir eu pour unique but la peinture de tableaux obscènes. Je me suis trouvé dans le cas de ces peintres qui copient des nudités, sans qu’un seul désir les effleure, et qui restent profondément surpris lorsqu’un critique se déclare scandalisé par les chairs vivantes de leur œuvre. Tant que j’ai écrit Thérèse Raquin, j’ai oublié le monde, je me suis perdu dans la copie exacte et minutieuse de la vie, me donnant tout entier à l’analyse du mécanisme humain, et je vous assure que les amours cruelles de Thérèse et de Laurent n’avaient pour moi rien d’immoral, rien qui puisse pousser aux passions mauvaises. L’humanité des modèles disparaissait comme elle disparaît aux yeux de l’artiste qui a une femme nue vautrée devant lui, et qui songe uniquement à mettre cette femme sur sa toile dans la vérité de ses formes et de ses colorations. Aussi ma surprise a-t-elle été grande quand j’ai entendu traiter mon œuvre de flaque de boue et de sang, d’égout, d’immondice, que sais-je ? Je connais le joli jeu de la critique, je l’ai joué moi-même ; mais j’avoue que l’ensemble de l’attaque m’a un peu déconcerté. Quoi ! il ne s’est pas trouvé un seul de mes confrères pour expliquer mon livre, sinon pour le défendre ! Parmi le concert de voix qui criaient : « L’auteur de Thérèse Raquin est un misérable hystérique qui se plaît à étaler des pornographies, » j’ai vainement attendu une voix qui répondît : « Eh ! non, cet écrivain est un simple analyste, qui a pu s’oublier dans la pourriture humaine, mais qui s’y est oublié comme un médecin s’oublie dans un amphithéâtre. »

Remarquez que je ne demande nullement la sympathie de la presse pour une œuvre qui répugne, dit-elle, à ses sens délicats. Je n’ai point tant d’ambition. Je m’étonne seulement que mes confrères aient fait de moi une sorte d’égoutier littéraire, eux dont les yeux exercés devraient reconnaître en dix pages les intentions d’un romancier, et je me contente de les supplier humblement de vouloir bien à l’avenir me voir tel que je suis et me discuter pour ce que je suis.

Il était facile, cependant, de comprendre Thérèse Raquin, de se placer sur le terrain de l’observation et de l’analyse, de me montrer mes fautes véritables, sans aller ramasser une poignée de boue et me la jeter à la face au nom de la morale. Cela demandait un peu d’intelligence et quelques idées d’ensemble en vraie critique. Le reproche d’immoralité, en matière de science, ne prouve absolument rien. Je ne sais si mon roman est immoral, j’avoue que je ne me suis jamais inquiété de le rendre plus ou moins chaste. Ce que je sais, c’est que je n’ai pas songé un instant à y mettre les saletés qu’y découvrent les gens moraux ; c’est que j’en ai écrit chaque scène, même les plus fiévreuses, avec la seule curiosité du savant ; c’est que je défie mes juges d’y trouver une page réellement licencieuse, faite pour les lecteurs de ces petits livres roses, de ces indiscrétions de boudoir et de coulisses, qui se tirent à dix mille exemplaires et que recommandent chaudement les journaux auxquels les vérités de Thérèse Raquin ont donné la nausée.

Quelques injures, beaucoup de niaiseries, voilà donc tout ce que j’ai lu jusqu’à ce jour sur mon œuvre. Je le dis ici tranquillement, comme je le dirais à un ami qui me demanderait dans l’intimité ce que je pense de l’attitude de la critique à mon égard. Un écrivain de grand talent, auquel je me plaignais du peu de sympathie que je rencontre, m’a répondu cette parole profonde : « Vous avez un immense défaut qui vous fermera toutes les portes : vous ne pouvez causer deux minutes avec un imbécile sans lui faire comprendre qu’il est un imbécile. » Cela doit être, je sens le tort que je me fais auprès de la critique en l’accusant d’inintelligence, et je ne puis pourtant m’empêcher de témoigner le dédain que j’éprouve pour son horizon borné et pour les jugements qu’elle rend à l’aveuglette, sans aucun esprit de méthode. Je parle, bien entendu, de la critique courante, de celle qui juge avec tous les préjugés littéraires des sots, ne pouvant se mettre au point de vue largement humain que demande une œuvre humaine pour être comprise. Jamais je n’ai vu pareille maladresse. Les quelques coups de poing que la petite critique m’a adressés à l’occasion de Thérèse Raquin se sont perdus, comme toujours, dans le vide. Elle frappe essentiellement à faux, applaudissant les entrechats d’une actrice enfarinée et criant ensuite à l’immoralité à propos d’une étude physiologique, ne comprenant rien, ne voulant rien comprendre, et tapant toujours devant elle, si sa sottise prise de panique lui dit de taper. Il est exaspérant d’être battu pour une faute dont on n’est point coupable. Par moments, je regrette de n’avoir pas écrit des obscénités ; il me semble que je serais heureux de recevoir une bourrade méritée, au milieu de cette grêle de coups qui tombent bêtement sur ma tête, comme des tuiles, sans que je sache pourquoi.

Il n’y a guère, à notre époque, que deux ou trois hommes qui puissent lire, comprendre et juger un livre. De ceux-là je consens à recevoir des leçons, persuadé qu’ils ne parleront pas sans avoir pénétré mes intentions et apprécié les résultats de mes efforts. Ils se garderaient bien de prononcer les grands mots vides de moralité et de pudeur littéraire ; ils me reconnaîtraient le droit, en ces temps de liberté dans l’art, de choisir mes sujets où bon me semble, ne me demandant que des œuvres consciencieuses, sachant que la sottise seule nuit à la dignité des lettres. À coup sûr, l’analyse scientifique que j’ai tenté d’appliquer dans Thérèse Raquin ne les surprendrait pas ; ils y retrouveraient la méthode moderne, l’outil d’enquête universelle dont le siècle se sert avec tant de fièvre pour trouer l’avenir. Quelles que dussent être leurs conclusions, ils admettraient mon point de départ, l’étude du tempérament et des modifications profondes de l’organisme sous la pression des milieux et des circonstances. Je me trouverais en face de véritables juges, d’hommes cherchant de bonne foi la vérité, sans puérilité ni fausse honte, ne croyant pas devoir se montrer écœurés au spectacle de pièces d’anatomie nues et vivantes. L’étude sincère purifie tout, comme le feu. Certes, devant le tribunal que je me plais à rêver en ce moment, mon œuvre serait bien humble ; j’appellerais sur elle toute la sévérité des critiques, je voudrais qu’elle en sortît noire de ratures. Mais au moins j’aurais eu la joie profonde de me voir critiqué pour ce que j’ai tenté de faire, et non pour ce que je n’ai pas fait.

Il me semble que j’entends, dès maintenant, la sentence de la grande critique, de la critique méthodique et naturaliste qui a renouvelé les sciences, l’histoire et la littérature : « Thérèse Raquin est l’étude d’un cas trop exceptionnel ; le drame de la vie moderne est plus souple, moins enfermé dans l’horreur et la folie. De pareils cas se rejettent au second plan d’une œuvre. Le désir de ne rien perdre de ses observations a poussé l’auteur à mettre chaque détail en avant, ce qui a donné encore plus de tension et d’âpreté à l’ensemble. D’autre part, le style n’a pas la simplicité que demande un roman d’analyse. Il faudrait, en somme, pour que l’écrivain fît maintenant un bon roman, qu’il vît la société d’un coup d’œil plus large, qu’il la peignît sous ses aspects nombreux et variés, et surtout qu’il employât une langue nette et naturelle. »

Je voulais répondre en vingt lignes à des attaques irritantes par leur naïve mauvaise foi, et je m’aperçois que je me mets à causer avec moi-même, comme cela m’arrive toujours lorsque je garde trop longtemps une plume à la main. Je m’arrête, sachant que les lecteurs n’aiment pas cela. Si j’avais eu la volonté et le loisir d’écrire un manifeste, peut-être aurais-je essayé de défendre ce qu’un journaliste, en parlant de Thérèse Raquin, a nommé « la littérature putride ». D’ailleurs, à quoi bon ? Le groupe d’écrivains naturalistes auquel j’ai l’honneur d’appartenir a assez de courage et d’activité pour produire des œuvres fortes, portant en elles leur défense. Il faut tout le parti pris d’aveuglement d’une certaine critique pour forcer un romancier à faire une préface. Puisque, par amour de la clarté, j’ai commis la faute d’en écrire une, je réclame le pardon des gens d’intelligence, qui n’ont pas besoin, pour voir clair, qu’on leur allume une lanterne en plein jour.

Émile Zola

15 avril 1868.

Madeleine Férat, édition complète en un volume, 310 pages ;

Roman dédié

À Édouard Manet

Le jour où, d’une voix indignée, j’ai pris la défense de votre talent, je ne vous connaissais pas. Il s’est trouvé des sots qui ont osé dire alors que nous étions deux compères en quête de scandale. Puisque les sots ont mis nos mains l’une dans l’autre, que nos mains restent unies à jamais. La foule a voulu mon amitié pour vous ; cette amitié est aujourd’hui entière et durable, et je désire vous en donner un témoignage public en vous dédiant cette œuvre.

ÉMILE ZOLA

Premier septembre 1868.

La Confession de Claude, édition complète en un volume, 320 pages ;

À MES AMIS
P. CÉZANNE ET J.-B. BAILLE

Vous avez connu, mes amis, le misérable enfant dont je publie aujourd’hui les lettres. Cet enfant n’est plus. Il a voulu grandir dans la mort et l’oubli de sa jeunesse.

J’ai hésité longtemps avant de donner au public les pages qui suivent. Je doutais du droit que je pouvais avoir de montrer un corps et un cœur dans leur nudité ; je m’interrogeais, me demandant s’il m’était permis de divulguer le secret d’une confession. Puis, lorsque je relisais ces lettres haletantes et fiévreuses, vides de faits, se liant à peine les unes aux autres, je me décourageais, je me disais que les lecteurs accueilleraient sans doute fort mal une pareille publication, toute diffuse, toute folle et emportée. La douleur n’a qu’un cri : l’œuvre est une plainte sans cesse répétée. J’hésitais comme homme et comme écrivain.

Un jour, j’ai songé enfin que notre âge a besoin de leçons et que j’avais peut-être entre les mains la guérison de quelques cœurs endoloris. On veut que nous moralisions, nous les poètes et les romanciers. Je ne sais point monter en chaire, mais je possédais l’œuvre de sang et de larmes d’une pauvre âme, je pouvais à mon tour instruire et consoler. Les aveux de Claude avaient le suprême enseignement des sanglots, la morale haute et pure de la chute et de la rédemption.

Et j’ai vu alors que ces lettres étaient telles qu’elles devaient être. J’ignore encore aujourd’hui comment le public les acceptera, mais j’ai foi dans leur franchise, même dans leur emportement. Elles sont humaines.

Je me suis donc décidé, mes amis, à éditer ce livre. Je m’y suis décidé au nom de la vérité et du bien de tous. Puis, en dehors de la foule, je songeais à vous, il me plaisait de vous compter de nouveau la terrible histoire qui vous a déjà fait pleurer.

Cette histoire est nue et vraie jusqu’à la crudité. Les délicats se révolteront. Je n’ai pas pensé devoir retrancher une ligne, certain que ces pages sont l’expression complète d’un cœur dans lequel il y a plus de lumière que d’ombre.

Elles ont été écrites par un enfant nerveux et aimant qui s’est donné entier, avec les frissons de sa chair et les élans de son âme. Elles sont la manifestation maladive d’un tempérament particulier qui a l’âpre besoin du réel et les espérances menteuses et douces du rêve. Tout le livre est là, dans la lutte entre le songe et la réalité. Si les amours honteuses de Claude le font juger sévèrement, qu’on lui pardonne au dénoûment, lorsqu’il se relève plus jeune et plus fort, voyant jusqu’à Dieu.

Il y a du prêtre dans cet enfant. Il s’agenouillera peut-être un jour. Il cherche avec un désespoir immense une vérité qui le soutienne. Aujourd’hui, il nous conte sa jeunesse désolée, il nous montre ses plaies, il crie ce qu’il a souffert, afin d’éviter à ses frères de pareilles souffrances. Les temps sont mauvais pour les cœurs qui ressemblent aux siens.

Je puis d’un mot caractériser son œuvre, lui accorder le plus grand éloge que je désire comme artiste, et répondre en même temps à toutes les objections qui seront faites :

Claude a vécu tout haut.

Émile Zola

15 octobre 1865.

Naïs Micoulin, édition complète en un volume, 380 pages ;

Ce volume contient, outre Naïs Micoulin :

Nantas ;

La mort d’Olivier Bécaille ;

Madame Neigeon ;

Les Coquillages de M. Chabre ;

Jacques Damour.

Contes à Ninon, édition complète en un volume, 360 pages ;

Ce volume contient :

À Ninon, daté du premier octobre 1864 ;

Simplice ;

Le carnet de danse ;

Contes à Ninon/Celle qui m’aime ;

La Fée amoureuse ;

Le Sang ;

Les Voleurs et l’Âne ;

Sœur-des-Pauvres ;

Aventures du grand Sidoine et du petit Médéric.

Nouveaux Contes à Ninon, édition complète en un volume, 308 pages ;

Ce volume contient :

À Ninon, daté de Paris premier octobre 1874 ;

Contes. — Un Bain ;

Contes. — Les Fraises ;

Contes. — Le grand Michu ;

Contes. — Le Jeûne ;

Contes. — Les épaules de la Marquise ;

Contes. — Mon voisin Jacques ;

Contes. — Le Paradis des Chats ;

Contes. — Lili ;

Contes. — La légende du Petit Manteau bleu de l’amour ;

Contes. — Le Forgeron ;

Contes. — Le Chômage ;

Contes. — Le Petit Village ;

Souvenirs ;

Les quatre journées de Jean Gourdon. — Printemps ;

Les quatre journées de Jean Gourdon/ — Été ;

Les quatre journées de Jean Gourdon/ — Automne ;

Les quatre journées de Jean Gourdon/ — Hiver.

Le capitaine Burle, édition complète en un volume, 342 pages ;

Ce volume contient, outre le capitaine Burle :

Comment on meurt ;

Pour une nuit d’amour ;

Aux champs ;

La Fête à Coqueville ;

L’Inondation.

Les Mystères de Marseille, édition complète en un volume, 448 pages ;

Le Vœu d’une morte, édition complète en un volume, 314 pages ;

Ce volume contient, outre le Vœu d’une morte :

Esquisses parisiennes. — La Vierge au cirage ;

Esquisses parisiennes. — Les Vieilles aux yeux bleus ;

Esquisses parisiennes. — Les Repoussoirs ;

Esquisses parisiennes. — L’Amour sous les toits.

Ce roman de ma jeunesse, publié en 1867, était le seul de tous mes livres qui restait épuisé, et dont je refusais de laisser paraître une nouvelle édition.

Je me décide à le rendre au public, non pour son mérite, certes, mais pour la comparaison intéressante que les curieux de littérature pourront être tentés de faire un jour, entre ces premières pages et celles que j’ai écrites plus tard.

Émile Zola

Médan, premier septembre 1889.

ŒUVRES CRITIQUES

Mes Haines, Causeries littéraires et artistiques. — Mon Salon (1866). — Édouard Manet, étude biographique et critique, édition complète en un volume, 374 pages ;

Ce volume contient :

Mes Haines. — Mes Haines ;

Mes Haines. — L’abbé *** ;

Mes Haines. — Proudhon et Courbet ;

Mes Haines. — Le Catholique hystérique ;

Mes Haines. — La Littérature et la Gymnastique ;

Mes Haines. — Germinie Lacerteux ;

Mes Haines. — Gustave Doré ;

Mes Haines. — Les Chansons des rues et des bois ;

Mes Haines. — La Mère ;

Mes Haines. — L’Égypte il y a trois mille ans ;

Mes Haines. — La Géologie et l’Histoire ;

Mes Haines. — Les Moralistes français ;

Mes Haines. — Le Supplice d’une femme et les Deux Sœurs ;

Mes Haines. — Erckmann-Chatrian ;

Mes Haines. — M. H. Taine, artiste ;

Mes Haines. — Histoire de Jules César ;

Mon Salon. — À mon ami Paul Cézanne ;

Mon Salon. — Le Jury ;

Mon Salon. — Le moment artistique ;

Mon Salon. — M. Manet ;

Mon Salon. — Les réalistes du salon ;

Mon Salon. — Les chutes ;

Mon Salon. — Adieux d’un critique d’art ;

Édouard Manet. — L’homme et l’artiste ;

Édouard Manet. — Les œuvres ;

Édouard Manet. — Le public ;

Le Roman expérimental, édition complète en un volume, 416 pages.

Cinq de ces études ont d’abord paru, traduites en russe, dans le Messager de l’Europe, une revue de Saint-Pétersbourg. Les deux autres : Du roman et De la critique, ne sont que des recueils et des classements d’articles, publiés dans le Bien public et dans le Voltaire.

Qu’il me soit permis de témoigner publiquement toute ma gratitude à la grande nation qui a bien voulu m’accueillir et m’adopter, au moment où pas un journal, à Paris, ne m’acceptait et ne tolérait ma bataille littéraire. La Russie, dans une de mes terribles heures de gêne et de découragement, m’a rendu toute ma foi, toute ma force, en me donnant une tribune et un public, le plus lettré, le plus passionné des publics. C’est ainsi qu’elle m’a fait, en critique, ce que je suis maintenant. Je ne puis en parler sans émotion et je lui en garderai une éternelle reconnaissance.

Ce sont donc ici des articles de combat, des manifestes, si l’on veut, écrits dans la fougue même de l’idée, sans aucun raffinement de rhétorique. Ils devaient passer par une traduction, ce qui m’enlevait toute préoccupation de la forme. Ma première idée était de les récrire, avant de les publier en France. Mais, en les relisant, j’ai compris que je devais les laisser avec leurs négligences, avec le jet de leur style de géomètre, sous peine de les défigurer. Les voilà donc, tels qu’ils me sont revenus, encombrés de répétitions, lâchés souvent, ayant trop de simplicité dans l’allure et trop de sécheresse dans le raisonnement. Des doutes me prennent, peut-être trouvera-t-on là mes meilleures pages ; car je suis plein de honte, lorsque je pense à l’énorme tas de rhétorique romantique, que j’ai déjà derrière moi.

ÉMILE ZOLA

Médan, septembre 1880.

Ce volume contient :

Du roman expérimental ;

Lettre a la Jeunesse ;

Le Naturalisme au Théâtre ;

L’Argent dans la littérature ;

Du Roman. — Le sens du réel ;

Du Roman. — L’expression personnelle ;

Du Roman. — La formule critique appliquée au roman ;

Du Roman. — De la description ;

Du Roman. — Trois débuts. — I. — Léon Hennique ;

Du Roman. — Trois débuts. — II. — J.-K. Huysmans ;

Du Roman. — Trois débuts. — III. — Paul Alexis ;

Du Roman. — Les documents humains ;

Du Roman. — Les frères Zemganno. — I. La Préface ;

Du Roman. — Les frères Zemganno. — II. Le Livre ;

De la critique. — I. — À M. Charles Bigot ;

De la critique. —II. — À M. Armand Sylvestre ;

De la critique. —II. — Le Réalisme ;

De la critique. —II. — Les chroniques de Sainte-Beuve :

De la critique. — I. — Hector Berlioz ;

De la critique. —II. — Chaudes-Aigues et Balzac ;

De la critique.—III. — Jules Janin et Balzac ;

De la critique.—III. — Un Prix de Rome littéraire ;

De la critique.—III. — La haine de la littérature ;

De la critique.—III. — La littérature obscène ;

La République et la littérature.

Les Romanciers naturalistes, édition complète en un volume, 388 pages ;

Ce sont encore ici des études qui ont paru d’abord en Russie, dans le Messager de l’Europe. Seulement, je les ai écrites avec une pensée d’ensemble. Mon projet était, en les réunissant un jour en un volume, de donner une histoire du roman naturaliste, étudié dans les chefs qui en ont successivement apporté et modifié la formule.

On se souvient peut-être du vacarme que souleva mon étude sur les romanciers contemporains, qu’on trouvera à la fin de ce volume. Aujourd’hui seulement, elle y prend son vrai sens, sa valeur exacte. Elle n’est, après les autres études, qu’une suite de notes rapides, destinées à rendre mon travail complet. J’espère qu’on voudra bien comprendre.

Il me reste à m’excuser de donner sur Balzac une étude absolument indigne de lui. Ce n’est là qu’une compilation faite à l’aide de sa Correspondance. Je comptais reprendre ce travail, l’élargir en étudiant plus particulièrement en lui le romancier. Mais, comme le temps et le courage m’ont manqué, comme d’autre part je ne puis décapiter mon livre en omettant Balzac, je me décide à publier les pages que j’ai sous la main, pour qu’elles marquent au moins, à notre tête, au sommet, la glorieuse place du père de notre roman naturaliste.

Émile ZOLA

Ce volume contient :

Balzac ;

Stendhal ;

Gustave Flaubert ;

Edmond et Jules de Goncourt ;

Alphonse Daudet ;

Les romanciers contemporains.

Le Naturalisme au Théâtre, les théories et les exemples, édition complète en un volume, 408 pages ;

Durant quatre années, j’ai été chargé de la critique dramatique, d’abord au Bien public, ensuite au Voltaire. Sur ce nouveau terrain du théâtre, je ne pouvais que continuer ma campagne, commencée autrefois dans le domaine du livre et de l’œuvre d’art.

Cependant, mon attitude d’homme de méthode et d’analyse a surpris et scandalisé mes confrères. Ils ont prétendu que j’obéissais à de basses rancunes, que je salissais nos gloires pour me venger de mes chutes, parlant de tout, de mes œuvres particulièrement, à l’exception des pièces jouées.

Je n’ai qu’une façon de répondre : réunir mes articles et les publier. C’est ce que je fais. On verra, je l’espère, qu’ils se tiennent et qu’ils s’expliquent, qu’ils sont à la fois une logique et une doctrine. Avec ces fragments, bâclés à la hâte et sous le coup de l’actualité, mon ambition serait d’avoir écrit un livre. En tout cas, telles sont mes idées sur notre théâtre, j’en accepte hautement la responsabilité.

Comme mes articles étaient nombreux, j’ai dû les répartir en deux volumes. Le Naturalisme au Théâtre n’est donc qu’une première série. La seconde : Nos auteurs dramatiques, paraîtra prochainement.

E. Z.

Ce volume contient :

Les Théories. — Le Naturalisme ;

Les Théories. — Le Don ;

Les Théories. — Les Jeunes ;

Les Théories. — Les deux Morales ;

Les Théories. — La Critique et le Public ;

Les Théories. — Des Subventions ;

Les Théories. — Les Décors et les Accessoires ;

Les Théories. — Le Costume ;

Les Théories. — Les Comédiens ;

Les Théories. — Polémique ;

Les Exemples. — La Tragédie ;

Les Exemples. — Le Drame ;

Les Exemples. — Le Drame Historique ;

Les Exemples. — Le Drame Patriotique ;

Les Exemples. — Le Drame Scientifique ;

Les Exemples. — La Comédie ;

Les Exemples. — La Pantomime ;

Les Exemples. — Le Vaudeville ;

Les Exemples. — La Féérie et l’Opérette ;

Les Exemples. — Les Reprises.

Nos Auteurs dramatiques, édition complète en un volume, 418 pages ;

Voulant réunir les articles de critique dramatique publiés par moi dans le Bien public et dans le Voltaire, j’ai dû les répartir en deux volumes.

Le premier volume a paru dernièrement sous ce titre : Le Naturalisme au Théâtre. Je donne aujourd’hui le second, sous cet autre titre : Nos Auteurs dramatiques.

On y trouvera spécialement ce que j’ai écrit sur les plus célèbres des auteurs dramatiques contemporains. Une légende veut que je me sois montré à leur égard d’une brutalité de sauvage, rongé de jalousie, sans la moindre idée critique qu’une envie basse de tout détruire. Mon ambition est au contraire de les avoir étudiés en homme de méthode avec l’unique besoin de vérité qui tourmente les esprits indépendants. Si parfois j’ai manqué de justice, c’est que j’ai eu la passion du vrai, au point d’en faire une religion, en dehors de laquelle j’ai nié tout espoir de salut.

Voici mes études. On les jugera.

E. Z.

Ce volume contient :

Théâtre classique ;

Victor Hugo ;

Émile Augier ;

Alexandre Dumas fils ;

Victorien Sardou ;

Eugène Labiche ;

Meilhac et Halévy ;

Edmond Gondinet ;

Édouard Pailleron ;

Adolphe d’Ennery ;

Théodore Barrière ;

Octave Feuillet ;

George Sand ;

Théodore de Banville ;

Edmond et Jules de Goncourt ;

Alphonse Daudet ;

Erckmann-Chatrian.

Documents littéraires, études et portraits, édition complète en un volume, 422 pages ;

Les études que je réunis aujourd’hui ont toutes paru dans le Messager de l’Europe, une revue de Saint-Pétersbourg, à laquelle j’envoyais une correspondance mensuelle.

Plusieurs sont insuffisantes, entre autres l’étude sur Musset. Si je les publie en volume, c’est uniquement pour ne rien supprimer de la campagne littéraire que j’ai faite en Russie. D’ailleurs elles se tiennent, et même dans les plus lâchées au point de vue des documents et du style, j’ai trouvé, en les relisant, des pages dont je désire affirmer les idées.

E. Z.

Ce volume contient :

Chateaubriand ;

Victor Hugo ;

Alfred de Musset ;

Théophile Gautier ;

Les Poètes contemporains ;

George Sand ;

Dumas fils ;

Sainte-Beuve ;

La critique contemporaine ;

De la moralité dans la littérature.

Une campagne, 1880-1881, édition complète en un volume, 408 pages ;

PRÉFACE

Je réunis, dans ce volume, les articles que j’ai donnés au Figaro, pendant ma campagne d’une année. Pourtant, on ne les y trouvera pas tous, car j’ai cru devoir mettre à part les pures fantaisies, les airs de flûte que je jouais entre deux batailles, et que je réserve pour un autre recueil. Je publie les seuls articles de polémique.

Aujourd’hui, me voilà dans la retraite. Depuis quatre mois, j’ai quitté la presse, et je compte bien n’y point rentrer, sans vouloir toutefois m’engager à cela par un serment solennel. C’est un état de bien être profond, ce désintéressement de l’actualité, cette paix de l’esprit appliqué tout entier à une œuvre unique, surtout au sortir de seize années de journalisme militant. Il me semble qu’un peu de paix se fait déjà sur mes livres et sur mon nom, un peu de justice aussi. Sans doute, lorsqu’on ne m’apercevra plus à travers les colères de la lutte, qu’on verra simplement en moi le travailleur enfermé dans l’effort solitaire de son œuvre, la légende imbécile de mon orgueil et de ma cruauté tombera devant les faits.

En quittant la critique, j’ai voulu mettre sous les yeux du public les faits, c’est-à-dire les études de toutes sortes que j’ai écrites depuis 1865, un peu au hasard des journaux. Ce sont là les seuls documents sur lesquels on devra juger un jour le polémiste en moi, l’homme de croyance et de combat. J’ai donc recueilli ces études, je les ai groupées en volumes ; aujourd’hui, voici le dernier, qui porte à sept le nombre de ces volumes : Mes Haines, le Roman expérimental, les Romanciers naturalistes, Documents littéraires, le Naturalisme au théâtre, Nos auteurs dramatiques, Une campagne. Tout est là, je n’ai pas retranché une page, même parmi celles qui ont soulevé le plus de clameurs. Si des esprits impartiaux se décident à instruire mon procès, la besogne devient donc pour eux très facile. Qu’ils lisent et qu’ils prononcent. Les terribles pièces sont entre leurs mains : ils ont mes crimes, dont les bâcleurs de copie s’indignent ou se moquent depuis seize ans.

J’ai un orgueil, je l’avoue : c’est, depuis seize ans, d’avoir gardé les mêmes croyances littéraires, d’être allé tout droit mon chemin, en tâchant simplement de l’élargir sans cesse davantage. Jamais je ne me suis dérobé, ni à droite, ni à gauche. Je n’ai pas une ligne à effacer, pas une opinion à regretter, pas une conclusion à reprendre. On ne trouvera, dans mes sept volumes de critique, que le développement continu, et seulement de plus en plus appuyé, de la même idée. L’homme qui, l’année dernière, à quarante et un ans, publiait les articles d’Une Campagne, est encore celui qui, à vingt-cinq ans, écrivait Mes Haines. La méthode est restée la même, et le but, et la foi. Ce n’est pas à moi de décider si j’ai fait quelque lumière, mais je puis constater que j’ai toujours voulu la lumière par les mêmes moyens, et dans le même besoin de vérité.

On découvrira cela un jour. Je dors tranquille. Comme je l’ai dit ailleurs, je n’ai jamais voulu être que le soldat le plus convaincu du vrai. Sans doute, on a pu confondre le romancier et le critique ; on a vu dans mes études un plaidoyer personnel, lorsque j’étais beaucoup plus modestement le porte-drapeau d’un groupe, ou mieux encore le greffier d’une période littéraire. Mais, je le répète, avec le recul des années, tout se mettra en sa place. On séparera le critique du romancier ; on établira qu’il a cherché la vérité passionnément, à l’aide des méthodes scientifiques, souvent contre ses propres œuvres ; on le suivra dans son évolution, appliquant les mêmes formules à la littérature, à l’art, à la politique ; on le verra enfin obéir à l’impulsion du siècle, partir de l’insurrection romantique pour arriver au mouvement naturaliste, à un désir d’ordre et de paix dans les lettres, à une nouvelle période classique, retrouvant, sur le terrain de plus en plus solide des sciences, la grandeur simple du génie national.

On m’a reproché ma passion. C’est vrai, je suis un passionné, et j’ai dû être injuste souvent. Ma faute est là, même si ma passion est haute, dégagée de toutes les vilenies qu’on lui prête. Mais, je l’avoue encore, je ne donnerais pas ma passion pour la veulerie complaisante et le misérable aplatissement des autres. N’est-ce donc rien, la passion qui flambe, la passion qui tient le cœur chaud ? Ah ! vivre indigné, vivre enragé contre les talents mensongers, contre les réputations volées, contre la médiocrité universelle ! Ne pouvoir lire un journal, sans pâlir de colère ! Se sentir la continuelle et irrésistible nécessité de crier tout haut ce qu’on pense, surtout lorsqu’on est le seul à le penser, et quitte à gâter les joies de sa vie ! Voilà quelle a été ma passion, j’en suis tout ensanglanté, mais je l’aime, et si je vaux quelque chose, c’est par elle, par elle seule !

D’ailleurs, elle est la grande force. Malgré les erreurs que j’ai pu commettre, on a entendu ma voix, parce que j’étais convaincu et que j’étais passionné. Dans notre effroyable charivari contemporain, j’ai réussi à me faire écouter, parfois. Refusez-moi tout, discutez et niez : je n’en ai pas moins rendu à la littérature le service de la dégager un moment de ce tas lourd et bête de politique, sous lequel elle râle, enterrée vivante. Quand je n’aurais servi qu’à cela, quand je me serais simplement produit pour allumer des querelles littéraires, pour me faire accabler d’injures, pour tirer les lettres de leur somnolence par ma bataille, eh bien ! j’estime que tous les écrivains, les jeunes surtout, devraient m’en garder un peu de reconnaissance. On vit au moins, lorsqu’on se bat. La passion appelle la passion. Que notre querelle littéraire disparaisse, et vous verrez la masse informe de la politique retomber et s’étaler plus odieusement dans les journaux, tout boucher, tout écraser, au point qu’il faudra un jour y faire des fouilles, pour retrouver les os d’un romancier impénitent ou les cheveux du dernier poète !

Donc, je me retire égoïstement dans mon coin, un peu écœuré je le confesse, et je n’ai plus qu’un souhait à faire : c’est qu’il nous vienne des critiques passionnés, pour qu’on les injurie et qu’ils nous tiennent en haleine. Le désir de la vérité ne suffît pas, dans nos temps troublés ; il en faut la passion, qui exagère, mais qui s’impose. Allons ! où est le jeune écrivain qui nous sauvera de cette commère braillarde de la politique, qui parlera aussi haut qu’elle, qui plantera dans les décombres le drapeau noble de la littérature, si rudement, que la France oubliera au moins pour un jour les torchons sales des partis !

ÉMILE ZOLA

Médan, 15 janvier 1882.

Ce volume contient :

Un homme très fort.

Les trente-six Républiques.

Le parti de l’indignation.

L’encre et le sang.

Victor Hugo.

Impuissance de la critique.

Futur ministre.

Un bourgeois.

Une statue pour Balzac.

Gambetta.

Bêtise.

Monsieur le comte.

Le naturalisme.

La fille au théâtre.

Nana.

Comment elles poussent.

L’adultère dans la bourgeoisie.

Femmes honnêtes.

Le divorce et la littérature.

Un cadavre récalcitrant.

Edmond de Goncourt.

La République en Russie.

La politique expérimentale.

Notre École Normale.

Céard et Huysmans.

Nos hommes d’esprit.

Émile de Girardin.

Protestantisme.

Réponse aux protestants.

Hugo et Littré.

Souveraineté des lettres.

Alexis et Maupassant.

Pro domo mea.

Le suffrage universel.

Pluie de couronnes.

Esclaves ivres.

La démocratie.

Alphonse Daudet.

Adieux.

Nouvelle campagne, 1896, édition complète en un volume, 298 pages ;

Tous les articles réunis dans ce volume ont paru dans le Figaro, excepté le dernier.

E. Z.

Ce volume contient :

L’Opportunisme de Léon XIII ;

La Vertu de la République ;

Le Solitaire ;

À la Jeunesse ;

Le Crapaud ;

L’Amour des Bêtes ;

La Société des Gens de Lettres :

La Société des Ce qu’elle est ;

La Société des Gens de Lettres :

La Société des Ce qu’elle devrait être ;

La Voyante ;

La Propriété littéraire ;

Peinture ;

L’Élite et la Politique ;

Pour les Juifs ;

Dépopulation ;

Enfin couronné ;

Les Droits du Romancier ;

Auteurs et éditeurs ;

Les Droits du Critique.

L’AFFAIRE DREYFUS

La Vérité en marche, édition complète en un volume, 316 pages ;

La vérité est en marche
et rien ne l’arrêtera.
PRÉFACE

Je crois nécessaire de recueillir, dans ce volume, les quelques articles que j’ai publiés sur l’affaire Dreyfus, pendant une période de trois ans, de décembre 1897 à décembre 1900, au fur et à mesure que les événements se sont déroulés. Lorsqu’un écrivain a porté des jugements et pris des responsabilités, dans une affaire de cette gravité et de cette ampleur, le strict devoir est pour lui de mettre sous les yeux du public l’ensemble de son rôle, les documents authentiques, sur lesquels il sera permis seulement de le juger. Et, si justice ne lui est pas rendue aujourd’hui, il pourra dès lors attendre en paix, demain aura tout le dossier qui devra suffire à faire la vérité un jour.

Cependant, je ne me suis pas hâté de publier ce volume. D’abord, je voulais que le dossier fût complet, qu’une période bien nette de l’affaire se trouvât terminée ; et il m’a donc fallu attendre que la loi d’amnistie vînt clore cette période, en guise de dénouement tout au moins temporaire. Ensuite, il me répugnait beaucoup qu’on pût me croire avide d’une publicité ou d’un gain quelconque, dans une question de lutte sociale, où l’homme de lettres, l’homme de métier tenait absolument à ne toucher aucun droit. J’ai refusé toutes les offres, je n’ai écrit ni romans ni drames, et peut-être voudra-t-on bien ne pas m’accuser d’avoir battu monnaie avec cette histoire si poignante, dont l’humanité entière a été bouleversée.

Pour plus tard, mon intention est d’utiliser, en deux œuvres, les notes que j’ai prises. Je voudrais, sous le titre : « Impressions d’audiences », conter mes procès, dire toutes les monstrueuses choses et les étranges figures qui ont défilé devant moi, à Paris et à Versailles. Et je voudrais, sous le titre : « Pages d’exil », conter mes onze mois d’Angleterre, les échos tragiques qui retentissaient en moi, à chaque dépêche désastreuse de France, tout ce qui s’évoquait loin de la patrie, les faits et les personnages, dans la complète solitude où je m’étais muré. Mais ce sont des désirs, des projets simplement, et il est bien possible que ni les circonstances ni la vie ne me permettent de les réaliser.

D’ailleurs, ce ne serait pas là une histoire de l’affaire Dreyfus, car ma conviction est que cette histoire ne saurait être écrite aujourd’hui, parmi les passions actuelles, sans les documents qui nous manquent encore. Il y faudra du recul, il y faudra surtout l’étude désintéressée des pièces dont l’immense dossier se prépare. Et je voudrais uniquement apporter ma contribution à ce dossier, laisser mon témoignage, dire ce que j’ai su, ce que j’ai vu et entendu, dans le coin de l’affaire où j’ai agi.

En attendant, je me contente donc de réunir dans ce volume les articles déjà publiés. Je n’en ai naturellement pas changé un mot, les laissant avec leurs répétitions, avec leur forme dure et lâchée de pages écrites à la volée souvent, en une heure de fièvre. J’ai cru seulement devoir les accompagner, aux versos des faux titres, de petites notes, où j’ai donné les quelques explications nécessaires, pour les relier tous, en les remettant dans les circonstances qui m’ont amené à les écrire. De cette façon, l’ordre chronologique est indiqué, les articles reprennent leur place à la suite des grandes secousses de l’affaire, l’ensemble en apparaît nettement, dans sa logique, malgré les longs silences où je me suis enfermé.

Et, je le répète, ces articles ne sont eux-mêmes qu’une contribution au dossier en formation de l’affaire Dreyfus, les quelques documents de mon action personnelle, dont j’ai tenu à laisser le recueil à l’Histoire, à la Justice de demain.

Paris, le premier février 1901.

Émile ZOLA

Ce volume contient :

M. Scheurer-Kestner, article paru dans le Figaro du 25 novembre 1897 ;

Le Syndicat, dans le Figaro du premier décembre 1897 ;

Procès-Verbal, dans le Figaro du 5 décembre 1897 ;

Lettre à la Jeunesse, brochure publiée le 14 décembre 1897 ;

Lettre à la France, brochure publiée le 6 janvier 1898 ;

Lettre à M.  Félix Faure, président de la République, publiée dans l’Aurore du 13 janvier 1898 ;

Déclaration au jury, lue le 21 février 1898 devant la cour d’assises de la Seine, et publiée dans l’Aurore du lendemain 22 ;

Lettre à M.  Brisson, président du conseil des ministres, publiée dans l’Aurore du 16 juillet 1898 ;

Justice, article publié dans l’Aurore du 5 juin 1899 ;

Cinquième acte, publié dans l’Aurore du 12 septembre 1899 ;

Lettre à Madame Alfred Dreyfus, publiée dans l’Aurore du 29 septembre 1899 ;

Lettre au Sénat, publiée dans l’Aurore du 29 mai 1900 ;

Lettre à M.  Émile Loubet, président de la République, publiée dans l’Aurore du 22 décembre 1900 ;

Mon père, François Zola, quatre articles publiés dans l’Aurore du 28 mai 1898, des 23, 24 et 31 janvier 1900.

La préface du volume a été publiée dans l’Aurore du samedi 16 février 1901.

THÉÂTRE

Théâtre, édition complète en un volume, 518 pages ;

Les trois pièces que je réunis dans ce volume n’ont eu aucun succès. Thérèse Raquin a été jouée neuf fois ; les Héritiers Rabourdin, dix-sept ; le Bouton de Rose, sept. Le public de la première représentation a écouté Thérèse Raquin jusqu’au bout, dans une stupeur pleine de malaise, et, s’il n’a protesté que par deux ou trois coups de sifflet timides, c’est, m’a-t-on dit plus tard, que je l’avais rendu malade. On a laissé passer les Héritiers Rabourdin sans trop les bousculer ; pour cette fois, le mépris suffisait sans doute. Quant au Bouton de Rose, il a soulevé de telles clameurs, de telles huées, un déchaînement de fureur si tempétueux, que l’artiste, chargé de dire mon nom, a dû le lancer au petit bonheur, dans l’orage. Une partie de la salle hurlait : « Pas l’auteur ! pas l’auteur ! » Mon nom aurait été une indécence, que les honnêtes gens qui étaient là, ne se seraient pas fâchés avec une indignation de pudeur plus vigoureuse.

Et je ne parle pas de la critique. J’ai collectionné précieusement tous les articles publiés, j’ai créé pour chaque pièce un dossier, que j’ai mis à mûrir dans mon grenier. Un jour, je compte en secouer la poussière et faire un petit travail. Certaines citations, avec le temps, pourront prendre de l’intérêt.

Voilà les faits. J’ai voulu les constater et dresser moi-même le procès-verbal. Lorsque j’ai commencé à écrire mes romans, il y a eu contre eux, dans le public et dans la presse, des violences pareilles. Pendant dix années, on m’a traité en paria : ni talent d’aucune sorte, ni même de la simple honnêteté. Je me contentais de sourire, je me sentais le plus fort, parce que je travaillais et que je savais nettement où je voulais aller. On ne tue pas un livre. On peut chercher à l’enterrer sous le silence ou sous le scandale, mais il ressuscite à son heure, il a quand même le succès qu’il doit avoir. Malheureusement, au théâtre, les conditions changent. Une pièce sifflée est une pièce tuée. Il faut des circonstances extraordinaires pour qu’elle soit reprise un jour dans de bonnes conditions, et qu’un nouveau public casse le jugement du premier, s’il y a lieu. C’est pourquoi la lutte au théâtre est si difficile, si pleine de périls, lorsqu’on veut y apporter des idées neuves. La moindre blessure reçue devient mortelle. Une foule, toute une salle de quinze cents à deux mille spectateurs, vous ferme brutalement la bouche. Il n’y a qu’à s’incliner. On n’a pas à compter sur les réflexions du lendemain, la conquête lente des esprits, le mouvement de prosélytisme que détermine un livre original. Si l’on n’a pas du coup pris le public en masse, il faut renoncer à l’accoutumer, à le séduire tête par tête. Une seule protestation est possible : publier la pièce sifflée et attendre.

C’est à quoi je me décide, je publie mes pièces sifflées et j’attends. Elles sont trois, les trois premiers soldats d’une armée. Lorsqu’il y en aura une vingtaine, elles sauront se faire respecter. Ce que j’attends, c’est une évolution dans notre littérature dramatique, c’est un apaisement du public et de la critique à mon égard, c’est une appréciation plus nette et plus juste de ce que je suis et de ce que je veux. J’ai beaucoup d’entêtement et de patience. On a bien fini par lire mes romans, on finira par écouter mes pièces.

ÉMILE ZOLA

Paris, premier juin 1878.

Ce volume contient :

Thérèse Raquin, drame en quatre actes, représenté pour la première fois à Paris, sur le théâtre de la Renaissance, le 11 juillet 1873 ;

Les Héritiers Rabourdin, comédie en trois actes, représentée pour la première fois, à Paris, sur le théâtre Cluny, le 3 novembre 1874 ;

Le Bouton de rose, comédie en trois actes, représentée pour la première fois, à Paris, sur le théâtre du Palais-Royal, le 6 mai 1878.

EN COLLABORATION

Les Soirées de Médan, édition complète en un volume, 298 pages, dont 50 de Zola ;

Les nouvelles qui suivent ont été publiées, les unes en France, les autres à l’étranger. Elles nous ont paru procéder d’une idée unique, avoir une même philosophie : nous les réunissons.

Nous nous attendons à toutes les attaques, à la mauvaise foi et à l’ignorance dont la critique courante nous a déjà donné tant de preuves. Notre seul souci a été d’affirmer publiquement nos véritables amitiés et, en même temps, nos tendances littéraires.

Médan, premier mars 1880.

Ce volume contient :

Émile Zola. — L’Attaque du Moulin ;

Guy de Maupassant. — Boule de Suif ;

J.-K. Huysmans. — Sac au Dos ;

Henry Céard. — La Saignée ;

Léon Hennique. — L’affaire du Grand 7 ;

Paul Alexis. — Après la Bataille.

ŒUVRES DE ÉMILE ZOLA

Les Personnages des Rougon-Macquart, pour servir à la lecture et à l’étude de l’œuvre de Émile Zola, édition complète en un volume, 478 pages ;

PRÉFACE

En dénombrant les douze cents personnages des Rougon-Macquart, en résumant leurs faits et gestes à travers vingt volumes, l’auteur n’a pas perdu de vue que, pour avoir un intérêt véritable, son livre devait respecter, non seulement le fond, mais la forme même de l’œuvre si considérable d’Émile Zola. Aussi trouvera-t-on ici certaines tournures caractéristiques, des phrases entières, jusqu’à des alinéas complets, puisés dans le texte du grand écrivain. Mais toute pensée de plagiat doit être écartée, puisque l’unique et très mince mérite auquel prétende l’auteur consiste, non dans l’évocation de cette foule vivante et agissante, mais dans sa simple mise en ordre, dans son classement alphabétique.

Conçu il y a trois ans, alors que Zola proscrit, outragé dans les siens, presque déchu de la qualité de citoyen français, attendait dans un silence voulu et douloureux l’heure de la justice, ce travail n’était pas destiné à la publicité ; il devait être offert à l’auteur des Rougon-Macquart en un exemplaire unique, comme l’hommage tout personnel d’un passant, d’un admirateur inconnu. Mais, après examen, on a pensé que le public et le monde littéraire accueilleraient avec faveur cette sorte de table analytique, véritable annexe utile à tous ceux qui, désormais, voudront étudier rationnellement l’« Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second Empire ». Si, en effet, le Docteur Pascal est la conclusion scientifique de cette œuvre immense, s’il résume en larges traits la vie d’Adélaïde Fouque et de ses descendants jusqu’à la quatrième génération, il laisse volontairement de côté tout ce qui gravite autour d’eux, les mille autres personnages créés par Zola, véritable monde où s’agite toute l’humanité.

Qu’on lise avec soin cette nomenclature, qui commence à la petite brunisseuse Adèle pour finir à Zoé la proxénète. On y trouvera la vie contemporaine, avec ses beautés, ses hontes et ses angoisses. Des prêtres comme Faujas, des juges comme Denizet ou Delcambre, des politiciens comme Huret ou le baron Gouraud, des fonctionnaires arrivistes comme Léon Josserand ou sceptiques comme Camy-Lamotte, des militaires comme le colonel Jobelin ou le général Bourgain-Desfeuilles, justifient par leur mentalité tout le trouble où s’enlise notre époque. Si chacun d’eux n’est qu’un comparse, ils prennent dans l’ensemble un aspect redoutable, ils sont la vérité même. Du Poizat, Mélanie Correur, Gilquin, Kahn, la terrible bande d’Eugène Rougon, toujours affamée, toujours prête à mordre, expliquent chez les ministres du jour tant de contradictions et de palinodies. Et quelle saisissante enquête sociale que ce résumé où les représentants des vieilles classes, le marquis de Bohain, le comte de Beauvilliers, le marquis de Chouard, se coudoient avec le banquier-roi Gundermann, l’actionnaire Léon Grégoire, l’industriel Deneulin, l’avoué des Jésuites Théophile Venot, Son Altesse Royale le prince d’Écosse, futur souverain étranger, — tous ces dirigeants mélangés aux humbles, aux désespérés, aux vaincus de la terre et de la mine, aux révoltés aussi, le logicien Sigismond Busch, l’instituteur Lequeu et le plus résolu de tous, l’implacable ennemi des lâches d’en bas et des jouisseurs d’en haut, Souvarine.

L’édifice des Rougon-Macquart a été élevé en vingt années, et la critique, volontiers aveugle et sourde, a parfois affecté de n’apercevoir qu’un lien fragile entre les vingt ouvrages qui le composent. La publication actuelle répond à cette opinion ; elle démontre l’unité de l’ensemble. Les bourgeois provinciaux de la Conquête de Plassans et les boutiquiers parisiens de Pot-Bouille, les ouvriers de l’Assommoir et les mineurs de Germinal, les âpres paysans de la Terre et les boursiers affairés de l’Argent, les artistes inquiets de l’Œuvre et les soldats démoralisés de la Débâcle, conçus à des époques différentes, n’en ont pas moins une fraternité étroite. D’un volume à l’autre, le médecin Pascal Rougon tend une main amie au romancier Pierre Sandoz ; Albine, la libre fée du Paradou, est bien la sœur de Marie Chantegreil et de la petite brodeuse Angélique ; Pauline Quenu, Henriette Levasseur, Marcelle Maugendre, Denise Baudu, parfaites créatures de devoir, de dévouement et de sacrifice, sont les filles tendrement unies, tendrement aimées, d’un même père ; la princesse d’Orviedo, qui distribue sa fortune aux pauvres et s’enterre vivante, possède un trait commun, la pureté de l’idéal, avec la farouche Annouchka, qui meurt courageusement pour sa foi. Et si la critique est en veine de découvertes, elle doit apercevoir, à travers les rudesses des Rougon-Macquart, toute une pléiade d’adorables femmes, telles que nul auteur féministe n’en imagina jamais. Si elle veut faire une étude sur les Femmes dans l’œuvre d’Émile Zola, elle ajoutera à tous ces noms ceux de Christine Hallegrain, de madame Caroline, de Clotilde Rougon ; parmi les déshéritées, elle donnera une page à Lalie Bijard, à Palmyre Bouteroue, aux filles de la Maheude, Alzire la petite bossue et la triste Catherine, à la Maheude surtout, la mère crucifiée. Quant aux réprouvées, Renée Béraud Du Châtel, Séverine Aubry, Gervaise Macquart, victimes du milieu ou de la tare héréditaire, elle rendra justice à la sollicitude, à la tendresse pitoyable qui s’affirme chez Zola au plus vif et au plus précis de l’analyse.

Dans un livre où l’histoire des Rougon-Macquart se condense en notices individuelles, il était difficile de faire vivre ces foules en marche, galopades d’émeutes ou courses d’épopées, qui donnent à l’œuvre du maître un souffle si puissant. On a tenté cependant de les évoquer. Miette défile, échevelée, mante au vent, à la tête de la troupe insurrectionnelle qui envahit Plassans ; avec Étienne Lantier, les grévistes affamés traversent en trombe tout le pays noir ; devant tante Phasie immobile, l’éternel flot de voyageurs roule sans fin sur la ligne du Havre. Et, à l’heure où l’Empire s’effondre dans le sang, le soldat Picot nous fait revivre Wissembourg, son camarade Coutard évoque Frœschwiller et la déroute, le docteur Dalichamp et l’épicier Simonnot nous montrent les colonnes serrées de Bavarois envahissant Raucourt ; et, le lendemain de Sedan, c’est avec Silvine Morange que nous visitons le champ de bataille, plein de morts, de rôdeurs, de chevaux affolés.

Un procédé analogue a permis de mettre ici quelques figures historiques ou légendaires, dont Zola nous a dessiné la silhouette. Nous verrons donc passer Aristide Saccard, affichant madame de Jeumont, sous l’œil amusé du comte de Bismarck ; le peintre Gagnière fera défiler devant nous les maîtres de la musique, depuis Haydn et Mozart jusqu’au dieu Wagner ; Angélique ouvrira la Légende dorée, avec sa longue théorie de saintes et son envolée hors du réel ; avec le chasseur d’Afrique Prosper Sambuc, nous assisterons à la mort glorieuse du général Margueritte. Et, à plusieurs reprises, comme en un fond nécessaire au tableau colossal, l’empereur se précisera à nos yeux, d’abord dans tout l’éclat d’un bal officiel aux Tuileries avec Renée Saccard, puis à Compiègne et à Saint-Cloud avec Clorinde ; le major Bouroche nous le montrera à Reims, la face très pâle, les yeux vacillants ; et, dès lors, Napoléon III, incarnation du régime où se sont développés et satisfaits les appétits des Rougon-Macquart, nous suivra comme un fantôme. Nous le retrouverons au Chêne-Populeux, chez le notaire Desroches ; le fabricant Delaherche notera son allure silencieuse et morne à la ferme de Baybel et sur la route de Balan ; la petite Rose, fille du concierge de la sous-préfecture de Sedan, entendra pendant la nuit ses plaintes étouffées ; enfin, après l’irréparable désastre, c’est encore Delaherche qui nous fera voir le souverain, déchu et traînant sa misère, sur la route de Donchery.

Mais cet ouvrage aurait été incomplet, si « tout ce qui traîne et tout ce qui se lamente au-dessous de l’homme » n’y avait trouvé place. L’immense tendresse de Zola pour les animaux donnait à ceux-ci un droit de cité. Bataille, doyen de la mine du Voreux, et le pauvre Trompette devaient fraterniser avec Bonhomme, le vieux cheval, le vieil ami du docteur Pascal ; les bons chiens Mathieu et Bertrand méritaient de revivre ensemble, dans un même livre ; l’infortunée Pologne, l’égoïste Minouche, le joyeux Gédéon, et Alexandre, et l’autre Mathieu, toute la basse-cour de Désirée Mouret, aspiraient à se rencontrer avec César et la Coliche. Puis, au-dessous des animaux, les êtres inanimés voulaient, eux aussi, venir au rendez-vous : Jacques Lantier et Pecqueux retrouvent ici leur machine aimée, la Lison, douce et vigoureuse, capricieuse et délicate comme une femme. Tous n’apportent-ils pas leur contribution à l’enquête universelle ? Cette machine éventrée, ces bêtes souffrantes et aimantes, vieillies et sacrifiées, sont comme les ombres douloureuses de tant de vaincus de la bataille sociale, le maigre Florent, le malchanceux Henri Deloncle, et le petit François Quittard, et le père Josserand, et le remisier Massias, et le vieux Bonnemort, et Pauvre-Enfant, le pâle troupier du 5e de ligne, dont Henriette Weiss berce doucement l’agonie. C’est un lamentable concert qui adoucit de ses sanglots l’histoire des Rougon-Macquart, hymne à la vie, œuvre de science, de justice et de pitié humaine.

F.-C. Ramond

Telles sont les œuvres de Zola publiées en volumes dans la Bibliothèque-Charpentier. Je ne veux pas faire des calculs puérils, mais nous devons compter, parce que ce compte avait beaucoup d’importance dans l’esprit de Zola, parce qu’il en a eu et qu’il en a beaucoup dans l’esprit du public, dans l’esprit de son public et de ses admirateurs :

que la collection des œuvres de Zola dans la Bibliothèque-Charpentier se compose de quarante-sept volumes ;

que les quarante-six volumes parus font un total de 20.139 pages ; la page n’est d’ailleurs ici qu’une assez grossière unité, parce que dans cette collection les pages ne sont pas toujours de la même densité : les caractères ne sont pas toujours du même œil ni du même corps, ni les interlignes égales ;

que ces quarante-sept volumes, marqués uniformément à trois francs cinquante, font un prix marqué total de 164 francs 50.

Nous sommes en mesure d’envoyer les quarante-six volumes parus franco à domicile à Paris, en province ou à l’étranger pour la somme de 135 francs.

Le catalogue de Fasquelle, février 1902, outre les mille que nous avons comptés, donne les millésimations suivantes :

Théâtre 5.000 exemplaires.
Le Roman expérimental 7.000
Une Campagne (1880-1881) 4.000
Nouvelle campagne (1896) 7.000
La Vérité en marche 9.000
Les Soirées de Médan 28.000
Les Personnages des Rougon-Macquart 6.000

Si nous ajoutons ce nouveau total de

66.000 exemplaires

au premier total que nous avons obtenu de

2.283.000 exemplaires,

nous obtenons un total général de

2.349.000 exemplaires,

sans compter les exemplaires non millésimés, des autres volumes, et sans compter les traductions, qui sont, paraît-il, innombrables.

En dehors de la Bibliothèque-Charpentier, Charpentier puis Fasquelle ont édité de Zola :

THÉÂTRE

Thérèse Raquin, drame en quatre actes, représenté pour la première fois à Paris, sur le théâtre de la Renaissance, le 11 juillet 1873, un volume grand in-18 de 164 pages, dont 16 de préface, datée de Paris, 25 juillet 1873, Paris, G. Charpentier et E. Fasquelle éditeurs, 1892, deux francs

Les Héritiers Rabourdin, comédie en trois actes, représentée pour la première fois à Paris, sur le théâtre de Cluny, le 3 novembre 1874, un volume grand in-18 de 128 pages, avec une préface de xx pages, datée du premier décembre 1874, Paris, Charpentier et Compagnie, libraires-éditeurs, 28, quai du Louvre, 1874, deux francs

Renée, pièce en cinq actes, représentée pour la première fois, sur le théâtre du Vaudeville, à Paris, le 16 avril 1887, un volume grand in-18 de 138 pages, dont une préface inédite de 82 pages, datée de Médan, mai 1887, Paris, G. Charpentier et Compagnie, éditeurs, 1887, deux francs cinquante

Messidor, drame lyrique en quatre actes et cinq tableaux, poème de Émile Zola, musique de Alfred Bruneau, représenté pour la première fois à Paris, sur la scène de l’Académie Nationale de Musique, le 15 février 1897 ; le poème, un volume grand in-18 de 70 pages, Paris, Fasquelle, 1898, un franc

L’Ouragan, drame lyrique en quatre actes, poème de Émile Zola, musique de Alfred Bruneau, représenté pour la première fois sur le Théâtre National de l’Opéra-Comique, le 29 avril 1901 ; le poème, un volume grand in-18 de 54 pages, Paris, Fasquelle, 1901, un franc

EN COLLABORATION

Le Rêve, drame lyrique en quatre actes, huit tableaux, d’après le roman de Émile Zola, poème de Louis Gallet, musique de Alfred Bruneau, représenté pour la première fois à Paris, sur le Théâtre national de l’Opéra-Comique, le 18 juin 1891, direction de M.  Léon Carvalho ; le poème, un volume grand in-18 de 66 pages, Fasquelle, sans date, un franc

L’Attaque du Moulin, drame lyrique en quatre actes, d’après Émile Zola, poème de Louis Gallet, musique de Alfred Bruneau, représenté, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre national de l’Opéra-Comique, le 23 novembre 1893, direction de M.  Léon Carvalho ; le poème, un volume grand in-18 de 66 pages, Paris, Fasquelle, 1894, un franc

BROCHURES

La République et la Littérature, une plaquette in octavo de 40 pages, Paris, G. Charpentier, éditeur, 13, rue de Grenelle-Saint-Germain, 1879, un franc

Discours prononcé au Banquet de l’Association générale des Étudiants, une petite brochure de 32 pages, Paris, Charpentier et Fasquelle, éditeurs, 1893, o franc cinquante

L’AFFAIRE DREYFUS

Humanité — Vérité — Justice. — L’affaire Dreyfus. — Lettre à la Jeunesse, une plaquette in octavo de 13 pages, Paris, Fasquelle, 1897, dix centimes

Humanité — Vérité — Justice. — L’affaire Dreyfus. — Lettre à la France, une plaquette in octavo de 15 }pages, Paris, Fasquelle, 1898 dix centimes

Humanité — Vérité — Justice. — L’affaire Dreyfus.Lettre à M. Félix Faure, président de la République, une plaquette in octavo de 16 pages, Paris, Fasquelle, 1898.

Enfin le catalogue de Fasquelle, février 1902, porte les

ÉDITIONS DE LUXE

suivantes :

Fécondité, édition in octavo carré,

sur papier du Japon, les deux volumes, trente francs ;

sur papier de Hollande, les deux volumes, vingt francs ;

Travail, édition in octavo carré,

sur papier du Japon, les deux volumes, trente francs ;

sur papier de Hollande, les deux volumes, vingt francs ;

PETITE BIBLIOTHÈQUE CHARPENTIER
Format petit in-32 de poche
à quatre francs le volume

Chaque volume orné de deux ou plusieurs eaux-fortes par les principaux artistes

Reliure pleine, veau grenat, poli, tranches dorées 8 francs

Reliure demi-veau, tranches dorées 6 francs 50

Reliure empire, tête dorée 6 francs

Zola. — Contes à Ninon, avec 2 dessins de Jeanniot, un volume

Zola. — Nouveaux Contes à Ninon, avec 2 dessins de F. Fau, gravés à l’eau-forte par F. Massé, un volume

Zola. — Thérèse Raquin, avec 2 dessins de G. Alaux, gravés à l’eau-forte par Manesse, un volume

Les Soirées de Médan, un volume in octavo, illustré de 6 compositions de Jeanniot, gravées à l’eau-forte par Muller, et des portraits des six auteurs, eaux-fortes de Desmoulins, 20 francs

La Curée, illustration de G. Jeanniot, un volume in octavo, 10 francs

Lourdes, illustration par Henri Lanos, un volume in octavo, illustré en couleurs, 8 francs

La Terre, illustration de G. Ibels, un volume in-18 Jésus, 12 francs

La Fête à Coqueville, un volume in quarto raisin, avec de nombreuses aquarelles de André Devambez, reproduites en couleurs, 5 francs

Il y a une grande lithographie, un portrait de Zola, par Henry de Groux ; cette lithographie se vend vingt francs ; il y en a une réduction, qui se vend dix francs.

TABLE

(ne figure pas dans la table du document original)
Fini d’imprimer deux mille exemplaires de ce
cinquième cahier le jeudi 4 décembre 1902
à l’Imprimerie de Suresnes
(E. Payen, administrateur)
9, rue du Pont
ÉDITIONS D’ART
Édouard Pelletan, 125, boulevard Saint-Germain, Paris

Vient de paraître
ANATOLE FRANCE
de l’Académie française
LES NOCES CORINTHIENNES
Édition définitive
20 compositions d’Auguste Leroux
Gravées par Ernest Florian
in quarto et in octavo, imprimé en quatre couleurs par Lahure, tirage à la presse à bras, limité à 225 exemplaires numérotés.
in quarto, texte réimposé
Un exemplaire — numéro 1 — sur whatman, contenant tous les dessins originaux, avec une double suite d’épreuves d’artiste signées, sur japon et sur chine ;
Un exemplaire — numéro 2 — sur whatman, contenant une aquarelle sur chacun des faux-titres, — soit neuf, — avec une double suite d’épreuves d’artiste signées, sur japon et sur chine ;
20 exemplaires — numéros 3 à 22 — sur japon ancien ou sur grand vélin des papeteries du Marais, contenant une aquarelle originale de l’illustrateur, plus une suite d’épreuves d’artiste signées, sur chine, au prix net de 500 francs
in octavo
20 exemplaires — numéros 28 à 42 — sur chine fort, au prix net de 226 francs
183 exemplaires — numéros 43 à 225 — sur vélin à la cuve des papeteries du Marais, filigrane ΚΤΗΜΑ ΕΣ ΑΕΙ, au prix de 80 francs
Il a été tiré en outre :
5 collections d’épreuves d’artiste signées, de toutes les gravures, sur japon ancien, au prix net de 125 francs
20 collections d’épreuves d’artiste, de toutes les gravures, sur chine, au prix net de 100 francs

ÉDITIONS D’ART
Édouard Pelletan, 125, boulevard Saint-Germain, Paris

Pour paraître en décembre
ANATOLE FRANCE
de l’Académie française
LE PROCURATEUR DE JUDÉE
Décoré de compositions en camaïeu et noir
d’Eugène Grasset
Gravées par Ernest Florian
in quarto et in octavo, imprimé en trois couleurs, tirage limité à 350 exemplaires numérotés.
in quarto, texte réimposé
Un exemplaire — numéro 1 — sur whatman, contenant tous les dessins originaux, avec une double suite d’épreuves d’artiste signées, sur japon et sur chine ;
Un exemplaire — numéro 2 — sur whatman, contenant une double collection d’épreuves d’artiste, sur japon et sur chine ;
20 exemplaires — numéros 3 à 22 — sur japon ancien ou sur grand vélin, contenant une collection d'épreuves d'artiste, sur chine, de toutes les gravures, au prix net de 300 francs
in octavo
12 exemplaires — numéros 23 à 32 — sur chine fort, au prix net de 175 francs
316 exemplaires — numéros 33 à 350 — sur vélin à la cuve des papeteries du Marais, filigrane ΚΤΗΜΑ ΕΣ ΑΕΙ, au prix de 40 francs
Il a été tiré en outre :
20 collections d’épreuves d’artiste, de toutes les gravures, sur chine.}

Nous avons reçu de M.  Urbain Gohier, sur papier libre, la rectification suivante :

une rectification de

M.  URBAIN GOHIER

Paris, 23 novembre 1902
Monsieur le rédacteur
des Cahiers de la Quinzaine,

De retour en France après une absence de cinq mois, je prends connaissance du seizième cahier de la troisième série, où vous avez étudié l’attitude de mon loyal ami, M. Francis de Pressensé, à l’occasion de ma campagne contre le citoyen Jaurès et à l’occasion de mon départ de l’Aurore.

Sur le premier point (pages 37 et 38), vous reprochez à M. de Pressensé d’être resté muet quand j’accusais le citoyen Jaurès de trahison politique et de malpropreté financière, tous les jours, durant des semaines. Vous demandez pourquoi M. de Pressensé ne prenait pas parti et continuait ses relations amicales avec l’accusateur aussi bien qu’avec l’accusé.

Pardonnez-moi : M. de Pressensé a toujours pris parti ; je ne sais pas ce qu’il disait au citoyen Jaurès quand ils se serraient la main ; mais je sais bien que, dans les bureaux de l’Aurore, M. de Pressensé partageait mon opinion. Il n’approuvait pas la forme de mes articles, disait-il ; mais il en approuvait hautement le fond. Je ne saisissais pas bien la nuance, parce que je ne connais qu’une manière d’exprimer ma pensée. Mais l’approbation « du fond » me suffisait.

Mon loyal ami, M. de Pressensé, m’approuvait si bien qu’il me fournissait quelquefois des munitions. Par exemple, à propos des manœuvres qu’exécuta le citoyen Jaurès pour tirer d’un multi-millionnaire des subsides considérables, c’est M. de Pressensé qui me raconta la démarche du célèbre tribun. Je n’y avais pas assisté. M. de Pressensé en fut témoin. Quand le citoyen Jaurès couvrit de fange l’homme qu’il avait sollicité, pour le punir de son refus, M. de Pressensé me fit comprendre l’immoralité de cette conduite et me dit : « N’en ferez-vous pas justice ? »

Antérieurement, déjà, M. de Pressensé m’avait adressé une invitation analogue. M. le colonel de Saxcé avait réuni sur le terrain de manœuvres tout un régiment d’artillerie pour appliquer à M. du Hault de Pressensé les épithètes les plus désobligeantes. Ce fut le Temps qui nous apporta les détails de l’affaire. J’entrai aussitôt dans le cabinet de M. Clemenceau et je lui demandai, très anxieux : « Eh bien, qu’est-ce que fait Pressensé ? » M. Clemenceau me répondit, de son ton railleur : « Allez-y voir. » Je passai dans l’autre bureau et M. de Pressensé, qui lisait aussi le Temps, me dit : « J’espère que vous allez fustiger ce monsieur-là ? » Je me retirai simplement.

Je n’avais pas « marché » dans l’affaire de Saxcé, parce qu’elle était toute personnelle.

J’ai « marché » dans l’affaire Jaurès parce qu’elle est d’intérêt général.

Sur un seul point, M. de Pressensé blâmait mon argumentation. J’ai noté que le frère de M. Jaurès, qui traîne un sabre dans la marine, a reçu trois avancements successifs dans l’année même où le célèbre tribun cessa d’attaquer les états-majors. M. de Pressensé me signala qu’il avait lui-même un frère dans l’administration des Finances, et que mes procédés de discussion gêneraient l’avancement de ce fonctionnaire.

Sur tout le reste, nous étions pleinement d’accord ; M. de Pressensé me faisait encore l’honneur de m’en assurer deux jours avant mon départ pour l’Amérique.

Vous faites, d’autre part (page 55), un grief à M. de Pressensé de ce qu’il m’aurait « éliminé » de l’Aurore. Je ne puis croire qu’il ait trempé dans cette machination, pour la raison que voici.

Ma lettre de démission avait été accompagnée, dans le journal, de commentaires auxquels j’avais le devoir de répondre. J’y répondis en effet. Mais, depuis six mois, la réponse n’a pas été insérée ; je suis obligé de recourir aux voies légales pour en obtenir la publication, qui n’est pas dénuée d’intérêt pour mes anciens lecteurs.

Deux jours avant mon départ pour l’Amérique, j’eus le plaisir de dîner avec M. de Pressensé, notre ami commun M. Pierre Quillard, et l’un de nos camarades arméniens. M. de Pressensé me déclara qu’il déplorait notre séparation momentanée ; il dit à nos amis qu’il regardait comme un honneur d’avoir vécu et combattu à mes côtés dans des circonstances mémorables ; il me promit d’exprimer ces sentiments dans les colonnes mêmes de l’Aurore, en recommandant à nos lecteurs mon dernier volume À bas la caserne !… dès que j’aurais franchi l’Océan.

Je ne crois pas que ces promesses aient été tenues. Mais j’étais si loin !…

M. de Pressensé ajouta que notre séparation ne durerait pas. Il fut convenu, sur un ton moitié plaisant, moitié sérieux, que je trouverais des capitaux chez les Yankees, et que nous referions tous les deux la bonne vieille Aurore des beaux jours. Il fut convenu également que la première mesure à prendre, pour garantir le succès, serait l’expulsion du désastreux Vaughan.

— Pour sûr ! dis-je. Nous le mettrons au bagne ou, pour commencer, dans une maison centrale.

— Non, objecta Quillard. Il faudrait que la Ligue des Droits de l’Homme l’en fît sortir.

— C’est vrai, confessai-je. Comme il est coupable, le trio Reinach-Guyot-Trarieux le tirerait d’affaire.

— Pas de bagne, dit M. de Pressensé, conciliant. Nous lui ferons 100 francs par mois et nous l’enverrons f…umer sa pipe dans son village, à condition qu’on ne le revoie pas.

Nous nous quittâmes fort tard, avec des larmes dans les yeux.

Il n’est donc pas juste d’écrire que M. de Pressensé m’a éliminé de l’Aurore. Si j’avais trouvé dans les Montagnes Rocheuses, d’où j’arrive, un gisement aurifère, je rentrerais à l’Aurore par la grande porte et j’y reprendrais, avec l’approbation de mon loyal ami, l’œuvre si nécessaire du nettoyage socialiste. Est-ce la faute de mon loyal ami si je n’ai pas trouvé le filon ?

Veuillez agréer, monsieur, mes compliments les meilleurs.

Urbain Gohier
  1. De l’esprit géométrique.
  2. Justice, dans l’Aurore du lundi 5 juin 1899.
  3. La revue blanche du 15 octobre 1899.
  4. Fécondité, page 4.
  5. Vœu, dans les Vaines Tendresses (Poésies, 1872-1878), pages 108 et suivantes, petite édition Lemerre.
  6. Fécondité, pages 613 et 614.
  7. Relire dans la revue blanche l’article déjà cité de Gustave Kahn.
  8. Venus Victrix, dans la Petite République du mercredi 25 octobre.
  9. Fécondité, page 705.
  10. Fécondité, page 707.
  11. a et b Article cité.
  12. Fécondité, page 223.
  13. Fécondité, page 247.
  14. Fécondité, page 615.
  15. a et b Fécondité, page 614.
  16. Fécondité, page 698.
  17. Fécondité, page 593.
  18. Fécondité, page 721.
  19. Fécondité, page 658.
  20. Fécondité, page 742.
  21. Fécondité, page 742.
  22. Fécondité, page 734.
  23. Fécondité, pages 548 et 549.
  24. Fécondité, pages 372, 401, 427, 458, 481. Le motif est esquissé à la page 345. On peut remarquer qu’il se succède ensuite à des intervalles presque l’éguliers de 27, 29, 26, 31 et 23 pages, qu’il ne commande, sauf erreur, que 136 pages, au milieu du livre, sur 751, laissant libres les 344 premières pages, et les 270 dernières. Le motif ne consiste pas seulement en cette phrase fidèle, mais en tout un cortège de phrases ou identiques (A Chantebled, Mathieu et Marianne fondaient, créaient, enfantaient…), ou apparentées.
  25. Paul Brulat, dans les Droits de l’Homme du dimanche 22 octobre.
  26. Fécondité, page 2.
  27. Fécondité, page 96.
  28. Fécondité, page 82 et suivantes.
  29. Fécondité, page 85 et suivantes.
  30. Fécondité, pages 33, 35 et suivantes.
  31. Henri Bergson. — Essai sur les données immédiates de la conscience. — Matière et mémoire.
  32. Paris, pages 572 et 573.
  33. Fécondité, page 81.
  34. Article cité. Ou plutôt il assimile, en quoi peut-être il force un peu, car je crois qu’on doit lire Fécondité sans aucune malice, finesse, ni sj’mbole, et que « faire des enfants » y signifie simplement faire des enfants.
  35. Il est intéressant de classer les romans de Zola d’après leur tirage :
                                                                                                        
    La Débâcle a été tirée à 
     196.000
    Nana 
     182.000
    Lourdes 
     149.000
    L’Assommoir 
     139.000
    La Terre 
     123.000
    Germinal 
     105.000
    Le Rêve 
     105.000
    Rome 
     100.000
    La Bête humaine 
     94.000
    Pot-Bouille 
     92.000
    Le Docteur Pascal 
     90.000
    Une Page d’Amour 
     88.000
    Paris 
     88.000
    L’Argent 
     86.000
    Au Bonheur des Dames 
     68.000
    L’Œuvre 
     57.000
    La Joie de Vivre 
     51.000
    La Faute de l’abbé Mouret 
     49.000
    La Curée 
     47.000
    Le Ventre de Paris 
     40.000
    La Conquête de Plassans 
     37.000
    La Fortune des Bougon 
     33.000
    Son Excellence Eugène Rougon 
     32.000
  36. Fécondité, page 61.
  37. Lettre à la Jeunesse et Lettre à la France.
  38. L’Aurore portait simplement le colonel.
  39. Une virgule dans l’Aurore.
  40. Sans alinéa dans l’Aurore.
  41. La Vérité en marche porte  : On ne saurait concevoir les expériences auxquelles…
  42. donc de leur part que de… dans l’Aurore.
  43. Une virgule dans l’Aurore.
  44. Sans virgule dans l’Aurore.
  45. le bon dieu invisible et inconnaissable. Je… dans l’Aurore.
  46. exigeant : quelque… dans la Vérité en marche.
  47. non ! C’est un mensonge ; et… dans l’Aurore.
  48. le bordereau ne fût… dans la Vérité en marche.
  49. chose !… dans la Vérité en marche.
  50. Le lieutenant-colonel Picquart… dans la Vérité en marche.
  51. Une virgule, dans la Vérité en marche.
  52. de plus en plus loin,… dans la Vérité en marche.
  53. qui l’aurait fait sûrement massacrer,… dans la Vérité en marche.
  54. dans… dans la Vérité en marche.
  55. prodigieuse est que l’honnête homme, là-dedans,… dans la Vérité en marche.
  56. leur pouvoir d’équité ?… dans la Vérité en marche.
  57. ministère dans l’Aurore par coquille.
  58. l’autorité de la chose jugée,… dans la Vérité en marche.
  59. Virgule, dans la Vérité en marche.
  60. guerre, il est donc coupable ;… dans la Vérité en marche.
  61. Virgule, dans la Vérité en marche.
  62. que nous l’aimions, la respections. Ah !… dans la Vérité en marche.
  63. Virgule, dans la Vérité en marche.
  64. innocent sans que… dans la Vérité en marche.
  65. Dreyfus. Quel coup de balai… dans la Vérité en marche.
  66. Sans virgule dans la Vérité en marche.
  67. et c’est un crime, enfin, que de… dans la Vérité en marche.
  68. d’autant plus que,… dans la Vérité en marche.
  69. Je dis que ceci… dans la Vérité en marche.
  70. soit faite. Je l’ai dit ailleurs, et je le répète ici : quand… dans la Vérité en marche.