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{{journal|Jeanne d’Arc et sa mission d’après les pièces nouvelles de son procès|[[Auteur:Louis de Carné|Louis de Carné]]|[[Revue des Deux Mondes]] T.1, 1856}}
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:I. Procès de condamnation et de réhabilitation de Jeanne d'Arc'', publiés pour la première fois d'après les manuscrits de la Bibliothèque nationale, suivis de tous les documens historiques qu'on a pu réunir et accompagnés de notes et d'éclaircissemens, par M. Jules Quicherat, 6 vol. gr. in-8°. — II. ''Jeanne d'Arc d'après les chroniques contemporaines'', par M. Guido Goerres, traduit de l'allemand par M. Léon Boré.▼
▲:I. Procès de condamnation et de réhabilitation de Jeanne
Je ne connais guère dans l'histoire que l'épisode de Jeanne d'Arc où l'instrument surprenne plus que l'action accomplie, et je n'en sais aucun dans lequel les investigations de la science contraignent plus invinciblement la critique de remonter des faits de l'ordre naturel à ceux d'un ordre supérieur. Tout écrasante que soit pour l'esprit la libération d'un royaume accomplie en trois mois, contrairement à toutes les prévisions de la politique et de la stratégie, la pucelle d'Orléans est assurément un personnage plus extraordinaire que son œuvre, et il y a moins à méditer sur ses actes que sur les mobiles auxquels elle les rapporte et qui les inspirent. Que sont des batailles et des victoires devant tant de prodiges dont la grandeur n'est surpassée que par la simplicité virginale de l'enfant qui les accomplit? Que sont les pompes de Reims à côté des flammes de Rouen, et que valent les plus beaux coups d'épée en présence de ces merveilleuses réponses, dont l'évidente sincérité triomphe à quatre siècles de distance des résistances les plus obstinées et des convictions les plus rebelles?▼
▲Je ne connais guère dans
Voici à peine quelques années que Jeanne d'Arc nous est apparue dégagée des ombres accumulées autour d'elle par les passions de ses contemporains autant que par l'ignorance des âges suivans. Ce n'est que de nos jours qu'elle a pris pleine possession de sa gloire. Le type sublime deviné par une royale artiste s'est trouvé presque simultanément confirmé par les investigations de la science et par les plus sévères procédés de l'analyse. Avant la publication intégrale des deux procès et des documens originaux qui les ont suivis, la pucelle n'était pour l'Europe lettrée qu'une héroïne au caractère mal défini et presque équivoque, une sorte de personnage de l'Arioste, qui, par l'effet de certaines couleurs fantastiques et de certaines allures théâtrales à peu près convenues, touchait d'aussi près à la légende qu'à l'histoire.▼
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▲Voici à peine quelques années que Jeanne
<center>I</center>
Des causes dont
Vainement voudrait-on douter de la froideur de
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papauté à une cause ecclésiastique dans laquelle l’accusée en avait appelé au souverain pontife. Parmi tant de preuves qu’on pourrait en apporter, il suffit de citer un seul témoignage, parce qu’il appartient à l’un des plus courageux citoyens d’un temps qui en comptait peu. Dans un long mémoire adressé aux états1 tenus à Blois en 1433, Jouvenel des Ursins expose les succès miraculeux obtenus par le roi Charles VII, et les attribue à la grâce de Dieu et au courage de ses chevaliers, sans nommer la sainte martyre dont les cendres fumaient encore, et qui avait été le bras de l’un et l’inspiratrice des autres.
De telles ingratitudes ne deviennent possibles que par la fascination de
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l’instrument de la Providence ou l’instrument d’une intrigue <ref> ''Chronique'' d’Enguerrand de Monstrelet.</ref>.
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Avec le règne des princes de la maison de Bourbon commença un retour vers la reconnaissance et vers la justice. Sous Henri IV et sous Louis XIII, le nom de la vierge de Domremy fut remis en honneur ; la société de
Il était écrit
Telle était sur cette partie de notre histoire la disposition déplorable de
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et tous ont constaté la pureté d’une vie sur laquelle il n’est pas un témoignage contemporain qui ne concorde, même devant le tribunal de l’évêque de Beauvais.
Jeanne
Un étranger qui porte dignement un nom illustre a le premier de nos jours appelé
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des flots de lumière. Dans des aperçus originaux joints à sa publication, M. Quicherat a exposé avec une courageuse liberté les convictions qu’a suscitées dans son esprit ce long commerce avec une femme dont les actes, soumis à la plus rigoureuse analyse, demeureraient sans nulle explication plausible, si l’on n’en acceptait l’interprétation qu’elle en donne elle-même.
Je voudrais dire quelles impressions
<center>II</center>
La lutte ouverte entre la France et
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de Du Guesclin <ref> Voyez ''le Connétable Du Guesclin'' dans les ''Études sur les fondateurs de l’unité nationale en France'', n° de la ''Revue'' du 15 novembre 1842.</ref>, le caractère d’un véritable mouvement patriotique contre l’invasion anglaise. Lorsque Charles V mourut en 1380, le sort des armes avait prononcé, et l’on devait croire que c’était à toujours. Ce prince, qui, selon Du Tillet, ne vêtit jamais armure, avait repris la pleine possession de son royaume, et si Edouard III était demeuré le plus grand guerrier de l’Europe, Charles V, riche en finances et vainqueur de toutes les factions qui avaient menacé sa jeunesse, en était devenu le souverain le plus absolu et le plus puissant.
Toutefois, pendant que la faction
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n’ont pas dépassé l’horreur. L’anarchie fit donc incliner les intérêts, à défaut des cœurs, vers une dynastie nouvelle, acceptée par l’une des factions nationales en haine du dauphin, qui s’était jeté dans les bras de l’autre. La pensée que tant de maux ne pouvaient être conjurés par cette maison de Valois divisée contre elle-même, et où la voix de la nature était muette jusque dans le cœur d’une mère, découragea un moment la France d’une fidélité dont la déliait solennellement un roi en démence. Durant cet affaissement universel, Isabeau de Bavière et le duc de Bourgogne, réconciliés par l’espoir d’une commune vengeance, purent proclamer, sans soulever l’indignation publique, l’avènement d’une royauté représentée par un prince étranger, mais habile, qui, entre tant de factions impuissantes et décriées, promettait au moins un gouvernement à la France. Le sentiment public en était là lorsque la domination anglaise reçut une sorte de titre légal par le traité de Troyes. En vertu de ce traité, Henri V de Lancastre devenait le gendre et le successeur désigné du roi Charles VI, et prenait comme régent le gouvernement du royaume.
Cependant le troisième fils du monarque, devenu dauphin par la mort prématurée de ses deux frères, errait dans les provinces centrales en fugitif plutôt
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l’Italie et des provinces méridionales par l’influence de la maison d’Armagnac, lui enlevaient plus de force morale qu’ils ne lui prêtaient de force militaire. La vraie France de ce temps-là, celle qui s’étend des bords de la Meuse à ceux de la Seine et de la Loire, ne se sentait pas représentée dans un camp où dominaient des montagnards des Hébrides, des archers milanais et de faméliques Gascons. Elle n’avait nulle confiance dans cette cour nomade composée d’hommes obscurs qui se disputaient la faveur de leur maître sans parvenir à la fixer.
Depuis
Toutefois,
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Armagnacs avaient été conduits par l’entraînement des circonstances et des passions à opposer au dauphin un prétendant étranger, il ne leur avait pas été donné de se transformer eux-mêmes dans leurs plus intimes instincts. Des froissemens quotidiens révélaient l’incompatibilité de cette royauté importée avec le génie français, et d’autre part l’esprit britannique, rebelle à toute assimilation, abordait de front tous les obstacles que la prudence aurait commandé de tourner.
Le duc de Bedford, régent de France pour le jeune Henri VI, était un prince
Comment rétablir un lien entre le roi légitime et la nation, étrangers
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avenir. Pour sentir sa honte et retrouver la puissance de la secouer, il fallait que le peuple de Charles-Martel et de saint Louis s’incarnât dans un type héroïque, et que cette génération, abaissée par le malheur, reprît confiance en Dieu en le voyant s’incliner vers elle.
La France tenait une trop grande place dans
Je
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salut viendrait à la France d’une vierge sortie d’un bois épais, situé sur les frontières de la Lorraine, et ces prédictions, très souvent alléguées par Jeanne elle-même, exercèrent une grande influence et sur l’opinion publique à Vaucouleurs, lorsqu’elle y annonça sa mission, et sur le roi, qui ne se résolut à l’entendre que contre l’avis de la plupart de ses conseillers <ref>« Prophetisatum fuit quod Francia per mulierem deperderetur, et per unam virginem de Marchiis Lotharingiae restaurari debebat. » (''Proc. de réhabilit''., II, p. 477, III, p. 133.) — « Erant prophetiae dicentes quod ceircà nemus quod vocareturv gallicè ''le Bais-Chenu'', debebat venire quaedam. puella quae faceret minrabilia. » (''Proc. De condamn''., I, p. 68, 213.)</ref>.
<center>III</center>
Le drame
Au milieu de ces périls et des souffrances qui en étaient la suite journalière, naquit à Jacques d’Arc et à Isabelle Rommée, honnêtes cultivateurs de Domremy, une fille qui vint ajouter une charge nouvelle
Au milieu de ces périls et des souffrances qui en étaient la suite journalière, naquit à Jacques d'Arc et à Isabelle Rommée, honnêtes cultivateurs de Domremy, une fille qui vint ajouter une charge nouvelle à l'entretien d'une famille déjà nombreuse. L'enfance de Jeanne n'eut rien qui la distinguât de celle de la plupart des filles de laboureurs. Elle passait sa vie entre sa mère et ses sœurs, occupée à coudre et à filer, et n'allait que rarement aux champs garder le troupeau remis aux soins de ses frères et de ses sœurs. Il est surabondamment établi, par les déclarations d'une foule de témoins entendus lors de l'information de 1455 à Domremy et à Vaucouleurs, qu'elle n'avait pas été préparée aux violens exercices dans lesquels elle déploya tout à coup une dextérité si surprenante, car sa vie casanière ne fut interrompue que par deux excursions de quelques jours à Toul et à Neufchâteau. En présence de tels témoignages, il devient impossible d'expliquer comment Monstrelet <ref> Chronique d'Enguerrand de Monstrelet, t. II, ch. LVII. </ref> a pu transformer en hardie servante d'auberge et en une sorte de virago la plus timide des jeunes filles; il doit paraître plus étrange encore que d'autres écrivains accrédités, parmi lesquels on s'étonne d'avoir à citer Pasquier lui-même <ref> ''Recherches'', liv. V, ch. 8.</ref>, aient pu donner vingt-neuf ans à une accusée qui déclare devant ses juges, sans aucune contradiction, qu'elle en a dix-neuf.▼
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▲
Il
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de l’arbre des fées, sous lequel elle venait s’abriter quelquefois avec les autres enfans du village, elle oppose des dénégations fermes et légèrement ironiques, tirées des croyances de l’église et des enseignemens de son curé. Dans cette enquête, le cœur de la douce enfant reluit comme un miroir qu’aucun souffle n’a terni : les erreurs les plus usuelles dans son siècle n’ont pas effleuré la rectitude de son esprit, et nul sentiment exalté ne s’est encore produit dans cette âme, ignorante des vices du monde comme de ses propres vertus. Jamais il ne fut plus difficile de soupçonner l’héroïsme que chez cette fillette de douze ans, réservée sans maussaderie, grave sans tristesse, qui ne connaissait d’autre plaisir que d’ouïr la messe chaque matin et de prier avec dévotion au tintement de l’''Angelus'' du soir.
Une crise
Ses parens ne reconnaissaient plus leur Jeannette. Son cœur portait le poids d’un secret qu’elle s’efforçait de leur cacher, des soupirs
Ses parens ne reconnaissaient plus leur Jeannette. Son cœur portait le poids d'un secret qu'elle s'efforçait de leur cacher, des soupirs s'échappaient avec ses prières, et quoique la jeune fille continuât à édifier le village par une fréquentation encore plus assidue des sacremens, ils entendirent plus d'une fois dans le silence de la nuit sortir de sa bouche des mots étranges; elle parlait d'armes, de guerre et de voyage en France. Son père, troublé, rêva qu'elle était partie avec un soldat, songe affreux qui mit le vieux Jacques au désespoir, car il aurait, disait-il, noyé de sa main sa fille chérie plutôt que de la laisser consommer son déshonneur <ref> ''Proc. de condamn''., t. Ier, p. 132.</ref>. Ce secret, que l'innocente enfant n'osait pas livrer à sa mère, puisqu'il impliquait la cruelle nécessité de s'en séparer, était néanmoins trop accablant pour qu'elle n'en allégeât pas le fardeau par quelques demi-confidences. Il arriva pour Jeanne d'Arc ce qui advient toujours pour les êtres supérieurs à l'humanité. Sa mission fut d'abord reconnue par un cénacle restreint d'initiés. Ce fut la famille Laxart qui reçut les premières semences de la foi destinée à sauver la France. Jeanne annonça à son oncle et à sa tante que les maux du royaume touchaient à leur terme, car, malgré son indignité, les anges et les saints du paradis la visitaient chaque jour pour lui signifier que par sa main les Anglais seraient bientôt chassés du royaume, et qu'elle mènerait le dauphin à Reims pour l'y faire sacrer. Elle avait fait, disait-elle, de vains efforts pour repousser les pensées qui depuis plusieurs années la dévoraient comme une flamme, mais elle n'avait pu soutenir contre Dieu une lutte inégale, et devenue sous sa main comme un roseau pliant, la vierge vaincue répétait du fond de son cœur le grand mot qui précéda la délivrance de l'humanité : ''Qu'il me soit fait selon votre parole'' ! On peut inférer des déclarations des membres de la famille Laxart qu'ils furent promptement subjugués par l'ascendant de la jeune fille, et que les prophéties qui avaient alors grand cours en Lorraine, touchant une future libératrice du royaume, furent le motif principal de leur adhésion <ref> Dépositions de Durant-Laxart et de Catherine Le Royer, de Vaucouleurs, ''Procès de révision'', t. II, p. 443. Voyez aussi, sur les longues perplexités de Jeanne et sa soumission définitive aux ordres de Dieu, les interrogatoires de la pucelle, et plus spécialement ''Sexta Sessio., III martii (Proc. De ondamn''., t. Ier).</ref>.▼
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▲
De plus en plus malheureuse et agitée, Jeanne avait obtenu de ses vieux parens la permission
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déposer ; mais les témoins interrogés à Vaucouleurs sont unanimes pour attester la joviale incrédulité avec laquelle le vieux chevalier accueillit le récit du père Laxart. En entendant parler d’une jeune fille qui voulait aller en guerre et partir pour faire lever le siège d’Orléans, le capitaine fut pris d’un fou rire ; il crut avoir affaire à une folle ou à une ribaude, et conseilla à Laxart de corriger sa nièce à grands renforts de soufflets en faisant bonne garde autour d’elle. Jeanne mit cette première humiliation au pied de la croix, et fortifiée par les voix de sainte Catherine et de sainte Marguerite, avec lesquelles elle déclarait entretenir un commerce journalier, elle suivit résolument ses projets. Elle déclara au petit nombre de personnes devant lesquelles son cœur s’était ouvert qu’il lui fallait partir pour rejoindre le dauphin, dût-elle se traîner à pied jusque lui, car elle seule au monde pouvait empêcher Orléans de succomber. Son impatience dévorait le temps et l’espace, et dans ses sublimes angoisses elle ressemblait, au dire d’une villageoise que sa foi avait vaincue, à une femme en peine attendant sa délivrance <ref> « Et erat tempus sibi grave ac si esset millier preguans, eo quod non docebator ad delphinum ; et post hoc, ipsa testas et multi alii suis verbis crediderunt. » (Déposition de Catherine Le Royer, ''Procès de révision'', t. II, p. 447.)</ref>.
Trop sûre
Le bruit en était déjà arrivé
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pouvait rien touchant les intérêts et les affaires des autres princes. Il paraît toutefois qu’elle ne quitta pas Nanci sans donner au duc des conseils chrétiens et quelque peu hardis, puisque le premier fut de mieux vivre avec la princesse son épouse, qu’il avait abandonnée ; puis elle retourna à Vaucouleurs, où l’opinion lui prêtait une force sans cesse croissante, et à laquelle céda probablement Robert de Baudricourt. Les documens établissent que, dans tous les rangs de la société, beaucoup croyaient déjà à ses paroles, et que, dès son retour dans leur ville, les habitans se cotisèrent pour lui fournir un équipage convenable au début de sa grande entreprise <ref> « Et dum reversi fuerunt, aliqui habitatores dictœ villae fuerunt sibi fieri tunicam, caligam, ocreas, calcaria, ensem et similia, et habitatores emerunt sibi unum equum. » (Déposition de Catherine Le Royer.) </ref>.
Parmi les plus ardens promoteurs de la mission de Jeanne
Devant ces paroles, les hésitations des chevaliers se dissipèrent comme les nuages aux rayons
Ce fut l’heure solennelle où Jeanne, délaissant pour jamais la robe brunâtre apportée du village et bien souvent décrite dans l’enquête, revêtit l’habit d’homme qu’aucune puissance humaine ne put désormais lui faire abandonner. On sait avec quelle ténacité elle porta ce vêtement, persévérance devenue jusqu’au dernier jour du procès le principal grief de ses accusateurs. On n’ignore pas, qu’elle le défendit au prix de sa vie, comme si ses célestes conseillers lui avaient ôté
Ce fut l'heure solennelle où Jeanne, délaissant pour jamais la robe brunâtre apportée du village et bien souvent décrite dans l'enquête, revêtit l'habit d'homme qu'aucune puissance humaine ne put désormais lui faire abandonner. On sait avec quelle ténacité elle porta ce vêtement, persévérance devenue jusqu'au dernier jour du procès le principal grief de ses accusateurs. On n'ignore pas, qu'elle le défendit au prix de sa vie, comme si ses célestes conseillers lui avaient ôté toute liberté sur ce point-là, tellement que sa force semblait attachée à son costume aussi étroitement que celle de Samson à ses cheveux. Cet habit ne fut d'ailleurs le gage de sa force que parce qu'il était le bouclier de sa pudeur. Les plus minutieux détails en avaient été combinés pour protéger la vierge sans défense <ref> « Portabat caligas ligatas multis ligis fortiter colligatis. » (''Procès de réhabilitation'', t. III, p. 147.) </ref>. Si l'on en croît les témoins de l'enquête et la plupart des écrivains contemporains, une étrange puissance aurait arrêté, en présence de cette femme charmante, les plus irrésistibles entraînemens de la nature humaine. Ce vase de pureté faisait évanouir jusqu'aux désirs coupables, et Jeanne n'eut pas à contenir des passions qui ne naissaient pas en sa présence. Dispensée, selon que l'attestèrent sous serment les personnes qui vécurent dans sa plus étroite intimité, de la triste infirmité de son sexe, elle eut encore le privilège de se défendre même contre les atteintes de la pensée par un charme supérieur à celui de sa beauté <ref> Les premiers témoignages qui se rencontrent sur ce point sont ceux des deux chevaliers, alors dans toute la fougue de leur jeunesse, qui conduisirent la pucelle jusqu'au roi, après un voyage durant lequel ils reposèrent onze nuits à côté, d'elle, presque toujours sous l'abri des forêts : « Dixit etiam eundo quod ipse testis et Bertrandus qualibet nocte jacebant cum eà insimul, sed ipsa puella, juxta eumdem testem, suo gippono et caligis vaginatis induta, et quod eam item testis timebat taliter quod non ausus fuisset eam requirere; et per suum juramentum dixit quod numquâm habuit voluntatem ad eam, neque motum carnalem. » (''Proc. de réhab''., t, II, p. 436.) — Bertrand de Poulengy raconte les mêmes faits que Jean de Metz et presque dans les mêmes termes. [''Procès'', t. II, p. 457.) Le prestige qui avait protégé Jeanne dans la solitude des forêts se maintint dans la liberté des camps, au sein d'un débordement universel. Ceci est attesté par tous les compagnons d’armes de la pucelle. On lit dans la déposition du comte de Dunois : « Non crédit aliqnam mulierem plus esse castam quam ipsa puella erat. Affirmat prœtereà dictus deponens quod similiter ipse et alii, dùm erant in societatem ipsius puellae, nullam habebant voluntatem seu desiderium habendi societatem mulieris, et videtur ipsi deponenti quod erat res quasi divina. » (''Proc. de réhab''., t. III, p. 15.) — La même observation est présentée par la plupart des chevaliers entendus dans l'enquête de réhabilitation, entre autres par Rodolphe de Gaucourt et Simon de Bellecroix; mais rien n'égale, en ce qui touche les particularités les plus secrètes de la vie de la pucelle, l'intérêt que présente la déposition de Jean d'Aulon, le guerrier le plus respecté de l'armée, que Charles VII avait attaché en qualité d'intendant à la maison de la pucelle. La naïveté de cette déposition, reçue à Lyon, et qui n'a point été couverte au procès par le voile d'une langue morte, interdit d'en reproduire les termes. (''Proc. de réhab''., t. III, p. 219.) On trouve d'ailleurs un témoignage de l'opinion universelle des contemporains sur l'atmosphère de chasteté que Jeanne étendait en quelque sorte autour d'elle dans la ''Chronique de la Pucelle'', publiée par Denis Godefroy, et qui, malgré ses lacunes, est très probablement l'œuvre d'un témoin oculaire (t. IV, p. 250). — Voyez aussi la lettre écrite du camp royal, le 21 juin 1429, par Perceval de Boulainvilliers au duc de Milan, t. V, p. 114.</ref>.▼
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La lecture des documens laisse croire que tout fut spontané dans le départ de Jeanne, auquel Baudricourt se borna probablement à ne pas s’opposer. Ses deux guides, bien loin d’avoir été baillés à sa
La lecture des documens laisse croire que tout fut spontané dans le départ de Jeanne, auquel Baudricourt se borna probablement à ne pas s'opposer. Ses deux guides, bien loin d'avoir été baillés à sa garde ''moult envis'', comme le disent diverses relations du XVe siècle <ref> ''Journal du Siège d'Orléans'', t. IV, p. 125.</ref>, firent entièrement à leurs frais ce long et périlleux voyage. Ses habits, ses équipages et son cheval furent achetés par ceux qu'il est permis d'appeler ses premiers disciples. Elle se mit en route le cœur tout rempli d'une joie sereine en voyant les voies de Dieu s'aplanir devant elle. Lorsque ses compagnons éprouvaient quelque terreur en traversant trois provinces ennemies, lorsque dans leurs marches nocturnes ils se croyaient poursuivis par des partis d'Anglais ou de Bourguignons, un regard ou une parole venait raffermir ces nobles cœurs dans leur foi. Ils suivaient l'étoile de la France, et je ne sais rien de plus admirable que le naïf récit de ce voyage entrepris par six jeunes gens sur la parole d'une belle vierge dont ils respectent la pudeur, parce qu'ils attendent d'elle le salut de la patrie.▼
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Durant ce trajet de cent lieues à travers des pays hérissés de forteresses, Jeanne se tint à cheval comme un homme de guerre, aussi calme
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Cependant les choses ne se passèrent point ainsi, et Charles VII se raidit longtemps contre un secours dont il ignorait la véritable nature, et qu’il craignait de ne pouvoir employer sans ajouter à tous ses dangers celui du ridicule.
La plupart des gens de guerre éprouvaient une vive répugnance à recevoir dans leurs rangs une femme qui
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dauphin ; après que l’huile sainte eut oint son front, il devint le bras vivant de Jésus-Christ, dont relevait directement le royaume <ref> Pour comprendre cette théorie de la royauté chrétienne telle qu’elle était entendue par Jeanne d’Arc, il faut lire ses nombreux interrogatoires au procès de condamnation. Elle est d’ailleurs résumée dans les paroles suivantes du duc d’Alençon rendant compte dans l’enquête d’une conversation de Jeanne avec le roi, qu’il avait entendue lui-même : « Tune ipsa Johanna fecit régi plures requestas, et inter alias quod donaret regnum suum régi cœlorum, et quod rex cœlorum, post hujus modi donationem, sibi faceret prout fecerat suis predecessoribus, et cum reponeret in pristinum statum. » (''Procès de réhabilitation'' t. III, p. 91.)</ref>.
Cependant le monarque, pour qui Jeanne professait une sorte de culte et vers lequel elle était venue à travers tant de périls hésitait beaucoup à
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<center>IV</center>
Personne
On sait également que Jeanne répétait chaque jour à Vaucouleurs
Le mystère, dont la divulgation produisit sur Charles VII
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fortune <ref> La confidence du roi au sire de Boisy, son chambellan, fut répétée par celui-ci dans sa vieillesse à Pierre de Sala, l’auteur de l’écrit intitulé ''Hardiesses des rois et empereurs'', manuscrit de la Bibliothèque impériale, fragment publié par M. Quicherat, t. IV, p. 277.</ref>. Peu de temps s’était écoulé depuis que le monarque avait ouvert son âme devant Dieu, et l’on peut juger de son émotion en entendant Jeanne lui dire à voix basse ces propres paroles, attestées en justice par l’homme qui l’avait le mieux connue : « Je viens vous dire de la part de ''Messire'' que vous êtes vrai héritier de France et ''fils du roi'', et qu’il m’envoie pour vous conduire à Reims, où vous recevrez votre sacre <ref> Déposition du frère Jean Pasquerel, ''Proc. de réhab''., t. III, p. 103.</ref>. »
La nature de ce secret explique la persévérance avec laquelle Jeanne refusa de le divulguer à Rouen devant les juges qui auraient pu tirer un si dangereux parti des incertitudes du monarque. Poursuivie avec acharnement sur ce point-là,
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à peine compatibles avec la faiblesse de son âge et de son sexe.
Dès le moment où sa mission eut été reconnue par le roi, Jeanne apparut à tous comme un être extraordinaire, doué de facultés manifestement surnaturelles ; mais aux considérations politiques qui avaient arrêté
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de l’église, sa foi débordait en cris du cœur ; à ceux qui opposaient à ses promesses pour la délivrance d’Orléans l’extravagance d’une telle tentative, elle répondait que Dieu était plus puissant que les hommes ; à ceux qui lui citaient des textes, la sublime ignorante, l’œil au ciel et le dédain sur les lèvres, disait que « plus de choses étaient écrites au livre de Messire qu’aux livres des docteurs. »
Le procès-verbal des actes de Poitiers
Durant de longues semaines, ces impassibles docteurs, traitant cette jeune fille comme un bachelier en théologie, portèrent le scalpel dans toutes les fibres de son cœur, dans tous les replis de sa naïve intelligence, sans y découvrir autre chose que des trésors infinis de patriotisme et de pureté. Aussi déclarèrent-ils à
Quelque faveur
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il faut admettre celles-ci, sur les solennelles affirmations qui les constatent, ou il faut brûler toutes les bibliothèques et fermer tous les tribunaux.
Jeanne accomplit si visiblement une mission, elle est si manifestement soumise à une force étrangère à elle-même, que tout lui est commandé jusque dans les moindres détails de son œuvre. Elle semble lire dans un rituel dont elle accomplit les plus minutieuses prescriptions aussi aveuglément
En même temps que Jeanne reçoit de la main dont elle est
<center>V</center>
Enfin tous les mauvais vouloirs sont vaincus et tous les ajournemens épuisés. Jeanne est mise par le roi en demeure de réaliser ses
Enfin tous les mauvais vouloirs sont vaincus et tous les ajournemens épuisés. Jeanne est mise par le roi en demeure de réaliser ses promesses et de ravitailler Orléans en attendant qu'elle le délivre. Le 27 avril 1429, elle part de Blois avec une armée confondue du changement qui s'est déjà opéré dans son propre cœur. Ces affreux soudards, ivrognes, pillards et dissolus, ont, sur l'ordre d'une enfant qu'ils voient pour la première fois, éloigné d'eux toutes les femmes de mauvaise vie qui les suivaient de temps immémorial. Au lieu des blasphèmes et des cris de l'orgie, on n'entend plus s'élever dans leurs rangs que des hymnes et des prières ferventes. Jeanne n'admet auprès d'elle que des hommes retrempés par la pénitence et nourris du pain des forts; un clergé nombreux et d'étincelantes bannières précèdent l'armée qui porte à Orléans les approvisionnemens devenus si nécessaires. Au dire de tous les écrivains contemporains, depuis Jean Chartier jusqu'au chroniqueur anonyme édité par Denis Godefroy, la marche de ce grand convoi à travers les plaines de la Sologne ressemblait bien plus au mouvement d'une procession qu'à celui d'une armée. Jeanne s'avançait tenant à la main son mystérieux étendard avec une contenance ferme et sereine. Elle était heureuse comme les séraphins qui voient s'accomplir l'œuvre de Dieu; elle était confiante, et pourtant on l'avait trompée !▼
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▲
Effrayés à la pensée de traverser avec si peu de forces les lignes anglaises, aussi nombreuses que bien retranchées, les chefs avaient fait prendre par la rive gauche, malgré les prescriptions de Jeanne, qui entendait les forcer. Cependant, arrivés en vue
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Aussitôt les bateaux partirent à pleines voiles et arrivèrent malgré le canon des Anglais. À partir de ce moment, il eut bon espoir, et supplia Jeanne d’entrer dans Orléans, où sa présence était si vivement désirée… D’après toutes ces circonstances, il paraît audit déposant que ces choses-là venaient de Dieu plutôt que des hommes <ref> Déposition du comte de Dunois, ''Proc. de réhab''., t. III, p. 6.</ref>. »
Dunois constate au même interrogatoire que Jeanne refusa
Entrée dans Orléans, Jeanne
Pendant
Ces lettres à Talbot, au duc de Bedford et au duc de Bourgogne, que Jeanne multiplie comme des actes de conscience, sont curieuses
Ces lettres à Talbot, au duc de Bedford et au duc de Bourgogne, que Jeanne multiplie comme des actes de conscience, sont curieuses à plus d'un titre : elles constatent cette horreur du sang toujours professée par elle jusque dans les plus terribles extrémités de son ministère; elles établissent combien ce ministère lui-même répugnait à sa nature, combien il était en quelque sorte étranger à sa propre personnalité. Livrée à elle-même, Jeanne était la plus douce des femmes, la plus ascétique des chrétiennes. Elle passait ses jours et la plus grande partie de ses nuits dans l'oraison, le jeûne et la plus austère pratique des sacremens; Louis de Contes, son page, atteste, comme frère Pasquerel, son aumônier, qu'elle ne buvait jamais que de l'eau dans les somptueux banquets où sa présence enivrait les multitudes, qu'elle ne mangeait que du pain, et deux fois par jour seulement; ses compagnons de guerre sont unanimes pour déclarer qu'après le combat ses yeux étaient toujours pleins de larmes. Telle était la vraie Jeanne d'Arc lorsque le bras de Dieu ne la détournait pas de sa voie naturelle; mais sitôt que l'esprit soufflait et transformait cette frêle créature, la brebis devenait lionne, et du fond de son oratoire, elle s'élançait en poussant des rugissemens.▼
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Un matin, tout dormait dans la ville et autour
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envoyée pour leur humiliation plus encore que pour leur ruine <ref> Voir sur ce fait, au ''Procès de réhabilitation'', les dépositions concordantes de Dunois, de Jean d’Aulon, de Louis de Contes, d’Aignan Viole et de frère Jean Pasquerel, témoins oculaires.</ref>.
Jeanne avait emporté la bastille des Augustins ; il
Voyant leurs troupes frappées d’épouvante, ne parvenant plus, malgré une grande supériorité numérique, à les mettre en ligne contre ces bourgeois si longtemps méprisés, les chefs de l’armée
Voyant leurs troupes frappées d'épouvante, ne parvenant plus, malgré une grande supériorité numérique, à les mettre en ligne contre ces bourgeois si longtemps méprisés, les chefs de l'armée anglaise se résolurent à une retraite devenue nécessaire, puisque la prise d'Orléans était désormais manifestement impossible. Jeanne avait fait dresser un autel en plein air entre les murs et les bastilles anglaises pour y célébrer la victoire de la France. Au moment où l'ardent ''Te Deum'' montait dans les airs comme un long cri de délivrance, on aperçut les lignes épaisses des Anglais tournant le dos à Orléans et se dirigeant vers Meung. Alors chacun courut à son destrier et à sa lance; mais d'un signe Jeanne refréna cette ardeur si naturelle de poursuite et de vengeance. « Ils s'en vont, ne les poursuivons outre et ne les tuons, car c'est aujourd'hui dimanche, et allons remercier Dieu. » Alors bourgeois, paysans, soldats et prêtres, portant sur leurs bras l'enfant par qui leur étaient venus tant de biens, consommèrent l'alliance qui jusqu'à la dernière génération unira le peuple Orléanais à sa libératrice, union touchante que la France était appelée à voir se renouveler sous la bénédiction d'un prélat dont l'éloquente parole a réveillé après quatre siècles, dans la sainte basilique, le puissant écho des acclamations du grand jour <ref>Solennité du 8 mai 1855. </ref>.▼
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Orléans était délivré, et la France se sentait revivre. Jeanne avait accompli la première et certainement la plus hardie de ses promesses, car la terreur allait la précéder désormais,
Les incertitudes de Charles YII et de son conseil étaient donc fort naturelles. Ce prince avait été attéré par le secret de Chinon, et la délivrance
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rang. Égoïste et pervers, il était aussi incapable de comprendre l’enthousiasme que de l’éprouver, et ne regrettait point la prolongation d’une crise qui avait considérablement élevé sa propre fortune. Avec des préoccupations moins déshonnêtes, le sire de Trèmes et l’archevêque de Reims étaient de vieux politiques auxquels n’allaient point les aventures. Le succès d’Orléans ne les rassurait aucunement sur l’entreprise de Reims. Charles VII balançait entre les cris de l’armée et les conseils de ses ministres. Il en fut ainsi jusqu’au jour où, forçant sa ''chambre de retrait'', la pucelle apparat tout à coup devant lui en lui commandant au nom de Dieu d’aller prendre sa couronne. C’est dans la déposition même de Dunois qu’il faut lire cette scène incomparable où l’exaltation de la pythonisse est tempérée par la placidité de la vierge chrétienne <ref>« Dum rex esset in suà camarà de ''retraict'' puella percussit ad ostium, et quam cito ingressa est posuit se genibus, et amplexata est tibias régis dicens : nobilis delphinae, non teneatis ampliùs tot et tanta consilia, sed venite quam citiùs Remis ad capiendam dignam coronam… et oratione suâ factà, audiebat unam vocem dicentem sibi : ''Fille de Dé, va, va, je serai à ton aide ! va. » (Proc''., t. III, p. 12.)</ref>.
La résolution royale fut emportée
La soumission de Troyes assurait celle de Reims. La garnison anglaise évacua la ville sans la défendre, et Charles pénétra sans résistance
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dans cette terre promise de la royauté, dont un ange lui ouvrait l’entrée. Alors s’accomplirent les symboliques cérémonies qui, dans la pensée de Jeanne, étaient la consécration nécessaire du pouvoir : debout près de l’autel, sa bannière à la main et le visage inondé de larmes, elle goûta l’une de ces joies recueillies et profondes qui laissent deviner les joies du ciel.
<center>VI</center>
Sitôt après la phase de sa gloire
Dans ses plus mauvais jours, Jeanne est aussi fière et, à bien dire, aussi confiante que dans ses plus magnifiques triomphes. Pourtant les dix mois qui
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pas de décliner la responsabilité, on la dirait rejetée de Dieu et des hommes comme un instrument usé et compromis.
Le contraste si soudain de ces deux fortunes
Du mois de juillet 1429 au mois de mai 1430, la vie de Jeanne
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expéditions sans conséquences sérieuses ; L’habileté avait repris le terrain qu’elle avait dû céder à l’enthousiasme » et Jeanne, devenue une étrangère à côté de la royauté qu’elle avait faite et qu’elle adorait, commença auprès de Charles VII le supplice qui devait s’achever sur le bûcher. Ayant toutes les apparences du commandement et toutes les réalités de la servitude, ne tenant plus à la vie que par le devoir, Jeanne s’élance à Compiègne sur les bataillons ennemis, et sans croire à une trahison que toutes les vraisemblances repoussent malgré l’assertion de quelques historiens, il est impossible de douter de la lâche satisfaction avec laquelle fut accueillie jusque dans le camp royal l’annonce de la prise de l’héroïque jeune fille, tombée aux mains d’un chevalier bourguignon pour être vendue à l’Angleterre <ref> Voyez, entre mille autres preuves, la lettre de l’archevêque de Reims aux habitans de sa ville diocésaine après la catastrophe de Compiègne. ''Collect. des Procès'', t. V, p. 168. </ref>.
Le plan de cette étude nous interdit de monter avec Jeanne tous les degrés de son long calvaire, et de la suivre durant une année de forteresse en forteresse, de cachot en cachot, de juridiction en juridiction. Aucun commentaire ne suppléerait
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question débattue devant ce sombre tribunal est celle-ci : Les prodiges accomplis par l’accusée au profit du parti armagnac viennent-ils du ciel ou de l’enfer ? Or quel autre verdict qu’un verdict de condamnation les Bourguignons pouvaient-ils rendre sur ce point-là ? Ceux-ci se firent les instrumens d’une vengeance qui servait leurs propres passions, et la mort de Jeanne d’Arc ne fut pas moins le crime de l’esprit de parti que le crime de l’étranger.
La mission de Jeanne eut deux caractères principaux : elle fut grande au point
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pas vu depuis son enfance, lorsqu’il recouvrait plus tard la Normandie et la Guyenne le monarque achevait l’œuvre de la paysanne, sans laquelle Charles de Valois n’aurait été pour l’histoire qu’un prétendant et peut-être qu’un bâtard.
La mission de la pucelle fut aussi évidente que féconde, car il faut répudier toutes les règles consacrées en matière de certitude historique, ou il faut accepter les faits qui
Telle fut Jeanne d’Are dans l’histoire, telle elle devra rester dans la postérité. Cette glorieuse mémoire a eu de bien tristes fortunes, et ne paraît pas en avoir encore épuisé le cours. L’étude a ramené vers elle : l’on a regardé et l’on a été vaincu. En présence de faits aussi éclatans que la lumière, l’équivoque amazone si longtemps badigeonnée par l’ignorance a disparu sans retour ; mais au lieu des draperies du cirque, voici venir les oripeaux de l’école humanitaire.
Telle fut Jeanne d'Are dans l'histoire, telle elle devra rester dans la postérité. Cette glorieuse mémoire a eu de bien tristes fortunes, et ne paraît pas en avoir encore épuisé le cours. L'étude a ramené vers elle : l'on a regardé et l'on a été vaincu. En présence de faits aussi éclatans que la lumière, l'équivoque amazone si longtemps badigeonnée par l'ignorance a disparu sans retour; mais au lieu des draperies du cirque, voici venir les oripeaux de l'école humanitaire. L'on travaille à faire passer dans le nébuleux panthéon où la république côtoie le scepticisme la sainte qui manque au martyrologe chrétien. On va plus loin, et, par la plus bizarre des imaginations, on présente comme débordant d'enthousiasme républicain le cœur le plus ardemment royaliste qui ait jamais battu dans une poitrine; l'humble bergère catholique devient une adepte du progrès, à peu près comme si Cathelineau se transformait en Condorcet. Doué de trop de savoir, et, hâtons-nous de le dire, de trop de bonne foi pour méconnaître les faits prodigieux dont cette vie surabonde, on voudrait les expliquer par je ne sais quel don d'intuition et par la divination de la pensée démocratique, élevée chez Jeanne d'Arc à sa plus haute puissance <ref> Voyez les ''Histoires de France'' de MM. Roux, Michelet, Lavallée, Henri Martin.</ref>. Tant qu'on reste dans l'abstraction et la rhétorique, cette explication-là en vaut une autre; mais lorsqu'on aborde la vie de la pucelle jour par jour et page par page, il faut changer de terrain, sous peine de le voir se dérober sous vos pieds. Aller droit aux gens qu'on ne connaît point, pénétrer des secrets cachés au plus profond du cœur, voir dans l'obscurité de la nuit des scènes qui, par la distance, échappent aux regards les plus perçans, prédire vingt fois, avec la ponctualité d'un astronome annonçant une éclipse, les faits les plus invraisemblables et, humainement parlant, les plus absurdes, — ce sont là des actes qu'on tenterait très vainement d'expliquer par l’''extase patriotique'' ou par le ''miracle des forces morales''. Qu'on le sache bien, aucune figure n'est moins propre que celle de cette douce madone à recevoir le vernis humanitaire. Il n'y a pas de personnage plus difficile à draper dans le manteau d'hiérophante, et qui se prêtât moins au rôle de prophétesse et de révélatrice qu'on aimerait à lui attribuer. Jeanne était aussi ferme dans sa foi que scrupuleuse dans sa conduite : elle unissait en religion l'ardeur de l'aigle à la timidité de la colombe.▼
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Force est donc de se résigner ou à nier les faits, comme cela
LOUIS DE CARNE.
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