Discussion Livre:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu

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Textes en regard ?[modifier]

Existe-il un moyen permettant de présenter ce livre au lecteur (c'est à dire dans l’« espace principal ») sur deux colonnes dont la première contiendrait le texte de 1595 et la seconde celui de 1907 ? Ou, autrement dit, comment utilise-t-on Modèle:ADroite ? --Nilstilar (d) 2 avril 2011 à 20:34 (UTC)[répondre]

Hemmm... J'ai « posté » trop vite : le Scriptorium (par la voix de Wuyouyuan... merci à lui) me donne piste intéressante que je vais tenter de suivre incontinent ! --Nilstilar (d) 2 avril 2011 à 21:02 (UTC)[répondre]
Inspiré par un autre wikisourcien (je ne retrouve pas son travail, qui concernait, pensais-je avant de tenter de le retrouver, le Criton de Platon), j'ai adopté la solution, provisoire, visible ici. Provisoire, car c'est solution dont je demeure mal content : les retraits en début de paragraphe, construits un à un via quatre espaces insécables, ne sont pas réguliers. Toute suggestion sera donc bienvenue. --Nilstilar (d) 4 avril 2011 à 21:45 (UTC)[répondre]

Fac-similés[modifier]

TABLE GÉNÉRALE DES CHAPITRES ET ANNEXE ALPHABÉTIQUE _________ Nota. — Les en-tête des chapitres sont ceux du texte original ; la traduction ne suit que si elle en diffère. Les indications entre parenthèses sont celles de l’idée principale qui est traitée dans le chapitre : elle n’est mentionnée que lorsque l’en-tête même ne la fait pas ressortir suffisamment ; ces mêmes indications, classées par ordre alphabétique, sont reproduites après la présente table, dans une annexe. Les chiffres romains indiquent le volume, à la table particulière duquel il y a lieu de se reporter pour avoir la page. Volume. Av Lecteur. — L’auteur au lecteur   I LIVRE PREMIER Ch. 1. — Par diuers moyens l’on arriue à pareille fin. — (Moyens divers d’obtenir la commisération de ses ennemis)   I Ch. 2. — De la tristesse   I Ch. 3. — Nos affections s’emportent au delà de nous. — Nous prolongeons nos affections et nos haines au delà de notre propre durée (Préoccupations continues que nous avons de ce qui peut advenir, après notre mort, des choses auxquelles nous nous intéressons pendant la vie ; dans quelle mesure nous devons aux rois notre obéissance et notre estime ; du soin de nos funérailles)   I Ch. 4. — Comme l’ame descharge les passions sur les obiects faux, quand les vrais luy deffaillent. — L’âme exerce ses passions sur des objets auxquels elle s’attaque sans raison, quand ceux, cause de son délire, échappent à son action   I Ch. 5. — Si le chef d’vne place assiégée doit sortir pour parlementer. — Le commandant d’une place assiégée doit-il sortir de sa place pour parlementer ? (Sur la bonne foi et la loyauté à la guerre ; du danger que court le commandant d’une place assiégée, en sortant pour parlementer)   I Ch. 6. — L’heure des Parlements dangereuse. — Le temps durant lequel on parlemente, est un moment dangereux (Pendant qu’on traite des conditions d’une capitulation, il faut être sur ses gardes et redoubler de vigilance)   I Ch. 7. — Que l’intention iuge nos actions. — Nos actions sont à apprécier d’après nos intentions (Nos obligations s’étendent au delà de la mort)   I Ch. 8. — De l’oisiueté   I

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Ch. 9. — Des menteurs. — (Sur la mémoire et le mensonge)   I Ch. 10. — Du parler prompt ou tardif. — De ceux prompts à parler de prime saut et de ceux auxquels un certain temps est nécessaire pour s’y préparer (Sur l’éloquence)   I Ch. 11. — Des prognostications. — Des pronostics (Sur l’astrologie et la prédiction de l’avenir)   I Ch. 12. — De la constance. — (Du courage et de ses limites)   I Ch. 13. — Cérémonie de l’entreueue des Rois. — Cérémonial dans les entrevues des rois (Sur la civilité, en particulier dans les visites des souverains)   I Ch. 14. — On est puny pour s’opiniastrer à vne place sans raison. — On est punissable, quand on s’opiniâtre à défendre une place au delà de ce qui est raisonnable   I Ch. 15. — De la punition de la couardise. — Punition à infliger aux lâches   I Ch. 16. — Vn traict de quelques Ambassadeurs. — Façon de faire de quelques ambassadeurs (De l’obéissance à ses supérieurs ; utilité de se renfermer dans ses aptitudes)   I Ch. 17. — De la peur   I Ch. 18. — Qu’il ne faut iuger de nostre heur qu’après la mort. — Ce n’est qu’après la mort, qu’on peut apprécier si, durant la vie, on a été heureux ou malheureux (Sur l’inconstance de la fortune)   I Ch. 19. — Que philosopher c’est apprendre à mourir   I Ch. 20. — De la force de l’imagination. — (Des esprits forts)   I Ch. 21. — Le profit de l’vn est dommage de l’autre. — Ce qui est profit pour l’un est dommage pour l’autre (Impossibilité de concilier les intérêts de tous)   I Ch. 22. — De la coustume et de ne changer aysément une loy receue. — Des coutumes et de la circonspection à apporter dans les modifications à faire subir aux lois en vigueur (De la force de l’habitude ; inconvénients de l’instabilité des lois)   I Ch. 23. — Diuers euenemens de mesme conseil. — Une même ligne de conduite peut aboutir à des résultats dissemblables (Sur la clémence ; part du hasard dans les événements humains)   I Ch. 24. — Du pedantisme (ou faux savoir)   I Ch. 25. — De l’institution des enfans. — De l’éducation des enfants   I Ch. 26. — C’est folie de rapporter le vray et le faux à nostre suffisance. — C’est folie de juger du vrai et du faux avec notre seule raison (Degré de croyance qu’on peut accorder aux récits extraordinaires)   I Ch. 27. — De l’amitié. — (Éloge d’Etienne de la Boëtie)   I Ch. 28. — Vint neuf sonnets d’Estienne de la Boetie   I Ch. 29. — De la modération. — (De la modération dans l’exercice même de la vertu et les jouissances des plaisirs licites)   I Ch. 30. — Des Cannibales. — (Sur l’état des hommes vivant en dehors de la civilisation)   I Ch. 31. — Qu’il faut sobrement se mesler de iuger des ordonnances diuines. — Il faut beaucoup de circonspection, quand on se mêle d’émettre un jugement sur les décrets de la Providence   I

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Ch. 32. — De fuir les voluptez, au prix de la vie. — Les voluptés sont à fuir, même au prix de la vie   I Ch. 33. — La fortune se rencontre souuent au train de la raison. — La fortune marche souvent de pair avec la raison (Part de la fortune dans les événements humains)   I Ch.34 — D’vn défaut de nos polices. — Une lacune de notre administration   I Ch. 35. — De l’vsage de se vestir. — (Sur l’usage des vêtements et la force de l’habitude)   I Ch. 36. — Du ieune Caton. — Sur Caton le jeune ou d’Utique (Intérêts de nature à porter à des actes de vertu)   I Ch. 37. — Comme nous pleurons et rions d’vne mesme chose. — (Sentiments opposés qui nous portent à pleurer et à rire d’une même chose)   I Ch. 38. — De la solitude   I Ch. 39. — Considération sur Ciceron. — (Qualités qui conviennent à un homme du monde.)   I Ch. 40. — Que le goust des biens et des maux despend en bonne partie de l’opinion que nous en auons. — Le bien et le mal qui nous arrivent ne sont souvent tels que par l’idée que nous nous en faisons   I Ch. 41 — De ne communiquer sa gloire. — L’homme n’est pas porté à abandonner à d’autres la gloire qu’il a acquise   I Ch. 42. — De l’inégalité qui est entre nous. — (Inégalités résultant des conditions de l’ordre social, différences entre les qualités de chacun ; des soucis de la royauté)   I Ch. 43. — Des loix somptuaires. — (Danger des innovations dans un état)   I Ch. 44. — Du dormir. — (Sur la tranquillité d’âme dans les circonstances graves)   I Ch. 45. — De la battaille de Dreux. — (Sur la conduite d’un général dans une bataille)   I Ch. 46. — Des noms. — (De leur influence dans la vie)   I Ch. 47. — De l’incertitude de nostre iugement. — (Sur l’art de la guerre ; part de la fortune dans les événements)   I Ch. 48. — Des destriers. — Des chevaux d’armes (Sur l’équitation et l’art de la guerre)   I Ch. 49. — Des coustumes anciennes. — Des coutumes des anciens   I Ch. 50. — De Democritus et Heraclitus. — (De l’usage à faire des diverses qualités de l’esprit)   I Ch. 51. — De la vanité des parolles   I Ch. 52. — De la parsimonie des anciens   I Ch. 53. — D’vn mot de Caesar. — (Du souverain bien ; des désirs insatiables de l’homme)   I Ch. 54. — Des vaines subtilitez. — Inanité de certaines subtilités   I Ch. 55. — Des senteurs. — Des odeurs   I Ch. 56. — Des prières   I Ch. 57. — De l’aage. — (De la jeunesse, de la vieillesse ; sur l’époque de la maturité de l’esprit)   I

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LIVRE DEUXIÈME Ch. 1. — De l’inconstance de nos actions. — (Variations dans le caractère et la conduite chez un même homme)   I Ch. 2. — De l’iurongnerie. — (De l’ivrognerie et de l’enthousiasme)   I Ch. 3. — Coustume de l’Isle de Cea. — (Sur le suicide)   I Ch. 4. — À demain les affaires. — (Sur l’exactitude à apporter dans le maniement des affaires)   I Ch. 5. — De la conscience. — (De la bonne conscience ; sur le remords, la torture)   I Ch. 6. — De l’exercitation. — De l’exercice (Sur le moyen de se familiariser avec la mort ; sur la nécessité de se connaître)   I Ch. 7. — Des récompenses d’honneur. — Des récompenses honorifiques   II Ch. 8. — De l’affection des pères aux enfants. — (Conduite à tenir à leur égard; situation de fortune à leur donner; affection que nous portons aux productions de notre esprit)   II Ch. 9. — Des armes des Parthes.   II Ch. 10. — Des liures. — (Jugement ’porté sur quelques auteurs de toutes époques)   II Ch. 11. — De la cruauté. — (La difficulté est inhérente à la pratique de la vertu)   II Ch. 12. — Apologie de Raimond de Sebonde. — (Sur les fondements de la foi chrétienne ; l’instinct des animaux ; les sectes philosophiques des anciens ; la divinité; l’àme humaine ; l’incertitude des connaissances de l’homme, celle de ses sens ; tout soumettre à l’examen de la raison conduit à bien des erreurs, notamment dans les questions de religion)   II Ch. 13. — De iuger de la mort d’autruy. — (Réserve à apporter, quand nous jugeons de la mort d’autrui ; sur le suicide)   II Ch. 14. — Comme nostre esprit s’empesche soy-mesme. — (Par sa faiblesse, l’esprit humain se crée à lui-même bien des difficultés)   II Ch. 15. — Que nostre désir s’accroist par la malaisance. — (Nos désirs s’accroissent par la difficulté de les satisfaire)   II Ch. 16. — De la gloire   II Ch. 17. — De la presumption. — (Opinion de Montaigne sur lui-même ; quelques appréciations sur les autres)   II Ch. 18. — Du démentir. — Du fait de donner ou recevoir des démentis (Sur le mensonge, le point d’honneur)   II Ch. 19. — De la liberté de conscience. — (Du zèle pour la religion ; apologie de l’empereur Julien)   II Ch. 20. — Nous ne goustons rien de pur. — (Mélange constant du bien et du mal)   II Ch. 21. — Contre la fainéantise. — (Considérations sur le but de la vie ; activité nécessaire à un souverain)   II Ch. 22. — Des postes.   II Ch. 23. — Des mauuais moyens employez à bonne fin.   II Ch. 24. — De la grandeur Romaine   II Ch. 25. — De ne contrefaire le malade. — (De la force de l’imagination)   II Ch. 26. — Des poulces   II

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Ch. 27. — Couardise mère de cruauté. — La poltronnerie est mère de la cruauté (Du duel ; des sévices exercés sur les suppliciés après leur mort)   II Ch. 28. — Toutes choses ont leur saison. — Chaque chose en son temps (Sur la vieillesse)   II Ch. 29. — De la vertu   II Ch. 30. — D’vn enfant monstrueux   II Ch. 31. — De la colère   II Ch. 32. — Deffence de Seneque et de Plutarque.   II Ch. 33. — L’Histoire de Spurina. — (Le rôle essentiel de l’âme est de maîtriser les passions ; particularités afférentes à Jules César)   II Ch. 34. — Obseruations sur les moyens de faire la guerre de Iulius Cæsar   II Ch. 35. — De trois bonnes femmes. — (Sur le mariage et l’affection conjugale)   II Ch. 36. — Des plus excellents hommes. — (Sur Homère, Alexandre et Epaminondas)   III Ch. 37. — De la ressemblance des enfants aux pères. — (Sur les maux de la vieillesse, sur la médecine)   III LIVRE TROISIÈME Ch. 1. — De l’vtile et de l’honneste   III Ch. 2. — Du repentir   III Ch. 3. — De trois commerces. — (De la société des hommes, des femmes et de celle des livres)   III Ch. 4. — De la diuersion   III Ch. 5. — Sur des Vers de Virgile. — (De l’amour, de la jalousie ; en ces matières, les reproches que s’adressent réciproquement les deux sexes se valent)   III Ch. 6. — Des coches. — (Meilleur emploi à faire, par un roi, de ses richesses ; sur le peu d’étendue des connaissances humaines)   III Ch. 7. — De l’incommodité de la grandeur   III Ch. 8. — Sur l’art de conférer. — (La conversation forme le caractère, apprend à supporter la contradiction ; difficulté de juger à bon escient, de discerner chez un auteur ce qui lui appartient en propre)   III Ch. 9. — De la vanité. — (Danger des changements dans le gouvernement d’un état ; des voyages ; des soins du ménage)   III Ch. 10. — De mesnager sa volonté. — Il faut contenir sa volonté (Réserve à apporter dans les services qu’on est tenté de rendre à autrui)   III Ch. 11. — Des boyteux. — (Tendance de l’esprit humain pour le merveilleux)   III Ch. 12. — De la physionomie. — (Combien mieux que tous les enseignements de la philosophie, la nature nous porte à la résignation)   III Ch. 13. — De l’expérience. — (Sur l’obscurité et le peu d’équité des lois ; l’incertitude de la médecine ; le régime convenant le mieux à la santé ; le meilleur usage de la vie, des plaisirs ; sur la doctrine d’Épicure)   III ________________

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ANNEXE. CLASSIFICATION DES CHAPITRES D’APRÈS L’ORDRE ALPHABÉTIQUE DES PRINCIPAUX SUJETS QUI EN FONT L’OBJET. Des deux nombres entre parenthèses, le premier en chiffres romains marque le livre ; le second en chiffres arabes, le chapitre ; celui, en chiffres romains, qui suit en dehors de la parenthèse, indique le volume : Actions (De l’inconstance de nos), — (II, 1), I. Administration publique (Lacune que présente notre), — (I, 34), I. Affaires (Sur l’exactitude à apporter dans le maniement des affaires), — (II, 4), I. Affection conjugale (Sur l’), — (II, 35), II. Âge (De l’), — (I, 57), I. Aide mutuelle que les hommes se doivent, — (I, 34), I. Alexandre le Grand (Sur), — (II, 34), II. Ambassadeurs (Sur certains actes de quelques), — (I, 16), I. Âme (De l’), — (II, 12), II. — (Son rôle essentiel est de maîtriser nos passions), — (II, 33), II. Amitié (De l’), — (I, 27), I. Amour (Sur l’), — (III, 5), III. Animaux (Instinct des), — (II, 12), II. Aptitudes (De l’utilité de se renfermer dans ses), — (I, 16), I. Armes (Des) des Parthes, — (II, 9), II. Astrologie (Sur l’) et la prédiction de l’avenir, — (I, 11), I. Auteurs (Jugements portés sur quelques auteurs de toutes époques), — (II, 10), II. — (Difficulté d’apprécier ce qui leur appartient en propre), — (III, 8), III. Avarice (Sur l’), — (I, 40), I. Bien (Du) et du mal, leur mélange constant en toutes choses, — (II, 20), II. — (Sur le souverain), — (I, 53), I. Biens (Les) et les maux ne sont souvent tels que par l’opinion que nous en avons, — (I, 40), I. Boiteux (Des), — (III, 11), III. Caractère (Sur les variations dans le) chez un même homme, — (II, 1), I. Caton le jeune ou d’Utique, — (I, 36), I. Céa (Coutume de l’île de), — (II, 3), I. César (Particularités afférentes à), — (II, 33), II. — (Observations sur la manière de faire la guerre de), — (II, 34), II. — (A propos d’un mot de), — (I, 53), I. Choses (Toutes) ont leur saison, — (II, 28), II. Cicéron (Considérations sur), — (1, 39), I.

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Civilisation (Sur l’état des hommes vivant en dehors de la), — (I, 30), I. Civilité (Sur la), en particulier dans les visites de souverains, — (I, 13), I. Clémence (Sur la), — (I, 23), I. Coches (Des), — (III, 6), III. Colère (De la), — (II, 31), II. Commerces (Des trois) : les hommes, les femmes et les livres, — (III, 3), III. Commisération, moyens divers de l’obtenir de ses ennemis, — (I, 1), I. Conduite (Sur les variations dans la) chez un même homme, — (II, 1), I. Connaissances humaines (Incertitude des), — (II, 12), II. — (Sur le peu d’étendue des), — (III, 6), III. Conscience (De la), — (II, 5), I. — (De la bonne), — (II, 5), I. Contradiction. Il faut s’appliquer à savoir la supporter, — (III, 8), III. Conversation (Sur l’art de la), — (III, 8), III. Couardise (La), mère de la cruauté, — (II, 11). II. Courage (Sur le véritable) et ses limites, — (I, 12), I. Coutumes. Circonspection à apporter dans les modifications qu’on veut y introduire, — (I, 22), I. Coutumes (Des) des anciens, — (I, 49), I. Cruauté (De la), — (II, 11), II. Démentis (Des), — (II, 18), II. Démocrite (Sur) et Héraclite, — (I, 50), I. Désirs insatiables de l’homme, — (I, 53), I. — (Nos) s’accroissent par la difficulté de les satisfaire, — (II, 15), II. Destriers (Des) ou chevaux d’armes, — (I, 48), I. Diversion (De la), — (III, 4), III. Divinité (De la), — (II, 12), II. Dormir (Du), — (I, 44), I. Douleur (Sur la), — (I, 40), I. Dreux (De la bataille de), — (I, 45), I. Duel (Du), — (II, 27). II. Éducation des enfants (Sur l’), — (I, 25), I. Éloquence (Sur 1), — (I, 10), I. Enfant monstrueux (Au sujet d’un), — (II, 30), II. Enfants (De l’affection des pères pour leurs), — (II, 8), II. — (Rapports des pères avec leurs), — (II, 8), II. — (Situation de fortune à leur donner), — (H, 8), II. — (Sur la ressemblance des) aux pères, — (II, 37), III. Enthousiasme (Sur l’), — (II, 2), I. Epaminondas (Sur), — (II, 36), II. Épicure (Sur la doctrine d’), — (III, 13), III. Équitation (Sur l’), — (I, 48), I. Esprit (Affection que nous portons aux productions de notre), — (II, 8), II. — (De l’usage à faire des facultés de l’), — (I, 50), I. — (Sur l’époque de la maturité de l’), — (I, 57), I.

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Esprit humain ; par sa faiblesse, il est souvent un obstacle à lui-même, — (II, 14), II. Événements (Part du hasard dans les), — (I, 23), I. — résultats opposés de déterminations semblables, — (I, 33), I. Exercice (De l’), — (II, 6), I. Expérience (De l’), — (III, 13), III. Fainéantise (Sur la), — (I, 8), I. — (Contre la), — (II, 21), II. Faux (Du vrai et du), difficulté d’en juger, — (I, 26), I. Femmes (Trois bonnes), — (II, 35), II. Fin (Des mauvais moyens employés à bonne), — (II, 23), II. Foi chrétienne (Sur les fondements de la), — (II, 12), II. Fortune (Sur l’inconstance de la), — (I, 18 ; 33), I. — (Part de la) dans les événements, — (I, 47), I. Fréquentation (Sur la) des hommes, — (III, 3), III. — (Sur la) des femmes, — (III, 3), III. Funérailles (Du soin de nos), — (I, 3), I. Général (Sur la conduite d’un) dans une bataille, — (I, 45), I. Gloire, souci que l’on a de faire qu’elle ne soit pas partagée par autrui, — (I, 41), I. — (De la), — (II, 16), II. Gouvernement d’un état (Danger des changements dans le), — (III, 9), III. Grandeur (De l’incommodité de la), — (III, 7), III. Guerre (Sur la bonne foi et la loyauté à la), — (I, 5), I. — (Sur l’art de la), — (I, 47; 48), I. — (Sur la manière de César de faire la), — (II, 34), II. Habitude (Sur la force de l’), — (I, 22 ; 35), I. Hasard (Part du) dans les événements, — (I, 23), I. — résultats opposés de déterminations semblables, — (I, 33), I. Héraclite (Sur) et Démocrite, — (I, 50), I. Homère (Sur), — (II, 36), III. Homme du monde (Qualités convenables à un), — (I, 39), I. Hommes (Différence entre les qualités des), — (I, 42), I. — (Des plus excellents), — (II, 36), III. Honnête (De l’) et de l’utile, — (III, 1), III. Honneur (Sur le point d’), — (II, 18), II. Imagination (De la force de l’), des esprits forts, — (I, 20), I. — (De la force de l’), — (II, 25), II. Inégalités existant chez les hommes du fait des conditions de l’état social, — (I, 42), I. Innovations (Danger des) dans un état, — (I, 43), I. Intérêts particuliers de chacun, impossibilité de les concilier, — (I, 51), I. Ivrognerie (DcT), — (II, 2), I. Jalousie (Sur la), — (III, 5), III. Jeunesse (Sur la), — (I,57), I.

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Jugement (Incertitude de notre), — (I, 47), I. Julien (Apologie de l’empereur), — (II, 19), II. La Boëtie (Éloge de), — (I, 27), I. Lâcheté (Sur la), — (I, 15), I. Lecteur (Au), — (»), I. Lecture (Sur la), — (III, 3), III. Liberté de conscience (De la), — (II, 19), II. Libre arbitre (Sur le), — (II, 14), II. Livres (Des), — (II, 10), II. Lois, inconvénients de leur instabilité, — (I, 22), I. — (Obscurité et peu d’équité des), — (III, 13), III. — somptuaires (Des), — (I, 43), I. Luxe (Sur le), — (I, 43), I. Mal (Du bien et du), leur mélange constant, — (II, 20), II. Malade (De ne contrefaire le), — (II, 25), II. Mariage (Sur le), — (II, 35), II. Maux (Les biens et les) ne sont souvent tels que par l’opinion que nous en avons, — (I, 40), I. Médecine (Sur la), — (II, 37), III. — (Sur l’incertitude de la), — (III, 13), III. Mémoire (Sur la) et le mensonge, — (I, 9), I. Ménage (Sur les soins du), — (III, 9), III. Mensonge (Sur le), — (II 18), II. Menteurs (Des), — (I, 9), I. Merveilleux (Tendance de l’esprit humain pour le), — (III, 11), III. Modération (De la) dans l’exercice même de la vertu et les jouissances des plaisirs licites, — (I, 29), I. Montaigne (Opinion de) sur lui-même, — (II, 17), II. Mort (Sur nos obligations au delà de la), — (I, 7), I. — (Ce n’est qu’après notre) qu’on peut juger du degré de félicité que nous avons eu durant notre vie, — (I, 28), I. — (La) est-elle un bien ou un mal ? — (I, 40), I. — (Sur le moyen de se familiariser avec la), — (II, 6), I. — d’autrui (Réserve à apporter quand nous jugeons de la), — (II, 13), I. Moyens (Des mauvais) employés à bonne fin, — (II, 23), II. Noms (Des), de leur influence dans la vie, — (I, 46), I. Obéissance (De l’) à ses supérieurs, — (I 46), I. Oisiveté (Sur l’), — (I, 8), I ; — (II,21), II. Parcimonie (De la) des anciens, — (I, 52), I. Parlementer (Du danger que court le commandant d’une place assiégée, en sortant pour), — (I, 5), I. — est toujours un moment dangereux pour une place assiégée, - (I 6), I. Paroles (De la vanité des), — (I, 51), I. Pédantisme (Sur le), ou faux savoir, — (I, 24), I. Peur (De la), — (I, 17), I.

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Philosopher, c’est apprendre à mourir, — (I, 19), I. Philosophiques (Sectes) des anciens, — (II, 12), III. Physionomie (De la), — (III, 12), I. Place de guerre, danger pour le commandant d’une place assiégée d’en sortir pour parlementer, — (I, 5), I. — le moment où l’on traite de la capitulation d’une place assiégée est toujours un moment dangereux, — (I, 6), I. — Sur trop d’opiniâtreté dans la défense d’une place assiégée, — (I, 14), I. Plaisirs (Sur le meilleur usage des), — (III, 13), III. Plutarque (Défense de Sénèque et de), — (II, 32), II. Postes (Des), — (II, 22), II. Pouces (Des), — (II, 26), II. Prédiction de l’avenir (Sur la) et l’astrologie, — (I, 11), I. Préoccupations (Sur les) de ce qui peut survenir après nous, en ce qui touche ce qui nous intéresse notre vie durant, — (I, 3), I. Présomption (De la), — (II, 17), II. Prières (Des), — (I, 56), I. Providence (Sur la) et ses desseins, — (I, 31), I. Pur (Nous ne goûtons rien de), — (II, 20), II. Raison (Tout soumettre à l’examen de la) conduit à bien des erreurs, — (II, 12), II. Récits extraordinaires (Sur le peu de croyance qu’on peut accorder aux), — (I, 26), I. Récompenses honorifiques (Des), — (II, 7), II. Régime (Sur le) qui convient le mieux à la santé, — (III, 13), III. Religion (Erreurs auxquelles conduit le libre examen dans les questions de), — (II, 12), II. — (Du zèle pour la), — (II, 19), II. Raimond de Sebonde (Apologie de), — (II, 12), II. Remords (Sur le), — (II, 5), I. Repentir (Du), — (III, 2), III. Résignation ; la nature nous y porte, mieux que tous les enseignements philosophiques, — (III, 12), II. Roi ; du meilleur emploi à faire de ses richesses, — (III, 6), III. Rois ; dans quelle mesure nous leur devons notre obéissance et notre affection, — (I, 3), I. Romaine (De la grandeur), — (II, 24), II. Royauté (Sur les soucis de la), — (I, 42), I. Se connaître (Sur la nécessité de bien), — (II, 6), I. Sénèque (Défense de Plutarque et de), — (II, 32), II. Sens (Incertitude des) de l’homme, — (II, 12), II. Senteurs (Des) ou odeurs, — (I, 55), I. Sentiments opposés qui nous portent à pleurer et à rire tout à la fois d’une même chose, — (I, 37), II. Services (Réserve à apporter dans les) qu’on rend à autrui, — (III, 10), III. Société (Sur la manière d’être en), — (III, 8), III. Solitude (De la), — (I, 38), I. Sonnets (Vingt-neuf) de la Boëtie, — (I, 28), I. Souverain (Activité nécessaire à un), — (II, 21), II.

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Spurina (Histoire de), — (II, 33). II. Subtilités (Des vaines), — (I, 54), I. Suicide (Sur le), — (II, 3), I ; — (II, 13), II. Suppliciés ; des sévices exercés sur eux après leur mort, — (II, 27), II. Torture (Sur la), — (II, 5), I. Tranquillité d’âme (Sur la) dans les circonstances graves, — (I, 44), I. Tristesse (De la), — (I, 2), I. Utile (De l’honnête et de l’), — (III, 1), III. Vanité (De la), — (II, 17), II ; — (III, 9), III. Vertu (Intérêts de nature à porter à des actes de), — (I, 36), I. — (La difficulté est inhérente à la pratique de la), — (II, 11), II. — (De la), — (II, 29), II. Vêtements (Sur l’usage des), — (I, 35), I. Vie (Considérations sur le but de la), — (II, 21). II. — (Sur le meilleur usage de la), — (III, 13), III. Vieillesse (Sur la), — (I, 57), I; — (II, 26), II. — (Sur les maux de la), — (II, 37), III. Virgile (Sur des vers de), — (III, 5), III. Volonté (Il faut ménager sa), — (III, 10), III. Voluptés à fuir, même au prix de la vie, — (I, 32), I. Voyages (Sur les), — (III, 9), III. Vrai (Du) et du faux, difficulté d’en juger, — (I, 26), I.

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ESSAIS DE MICHEL SEIGNEVR DE MONTAIGNE — CIↃ IↃ XCV — TEXTE ET TRADUCTION

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AV LECTEUR C’est icy vn Liure de bonne foy, Lecteur. Il t’aduertit dés l’entrée, que ie ne m’y suis proposé aucune fin, que domestique et priuee : ie n’y ay eu nulle considération de ton seruice, ny de ma gloire : mes forces ne sont pas capables d’vn tel dessein. Ie l’ay voué à la commodité particulière de mes parens et amis : à ce que m’ayans perdu (ce qu’ils ont à faire bien tost) ils y puissent retrouuer aucuns traicts de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils nourrissent plus entière et plus visue la connoissance qu’ils ont eu de moy. Si c’eust esté pour rechercher la faueur du monde, ie me fusse mieus paré et me presanterois en vne marche estudiee. Ie veux qu’on m’y voye en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contantion et artifice : car c’est moy que ie peins. Mes défauts s’y liront au vif et ma forme naifue, autant que la reuerence publique me l’a permis. Que si l’eusse esté entre ces nations qu’on dit viure encore souz la douce liberté des premières loix de nature, ie t’asseure que ie m’y fusse tres-volontiers peint tout entier, et tout nud. Ainsi, Lecteur, ie suis moy-mesme la matière de mon liure, ce n’est pas raison que tu employes ton loisir en vn subiect si friuole et si vain. A Dieu donq. De Montaigne, ce premier de mars, mille cinq cens quattre vins. Nota. — Ce texte a été collationné sur l’exemplaire de l’édition de 1595 (éditée à Paris, à cette date, par Abel Langelier), appartenant à la Bibliothèque nationale, no 15 de la collection Payen. — En ce qui concerne spécialement l’avis au lecteur ci-dessus, se reporter aux Notes, I, 14,1, Liure.

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L’AUTEUR AU LECTEUR Ce livre, lecteur, est un livre de bonne foi. Il t’avertit, dès le début, que je ne l’ai écrit que pour moi et quelques intimes, sans me préoccuper qu’il pût être pour toi de quelque intérêt, ou passer à la postérité ; de si hautes visées sont au-dessus de ce dont je suis capable. Je le destine particulièrement à mes parents et à mes amis, afin que lorsque je ne serai plus, ce qui ne peut tarder, ils y retrouvent quelques traces de mon caractère et de mes idées et, par là, conservent encore plus entière et plus vive la connaissance qu’ils ont de moi. Si je m’étais proposé de rechercher la faveur du public, je me serais mieux attifé et me présenterais sous une forme étudiée pour produire meilleur effet ; je tiens, au contraire, à ce qu’on m’y voie en toute simplicité, tel que je suis d’habitude, au naturel, sans que mon maintien soit composé ou que j’use d’artifice, car c’est moi que je dépeins. Mes défauts s’y montreront au vif et l’on m’y verra dans toute mon ingénuité, tant au physique qu’au moral, autant du moins que les convenances le permettent. Si j’étais né parmi ces populations qu’on dit vivre encore sous la douce liberté des lois primitives de la nature, je me serais très volontiers, je t’assure, peint tout entier et dans la plus complète nudité. Ainsi, lecteur, c’est moi-même qui fais l’objet de mon livre ; peut-être n’est-ce pas là une raison suffisante pour que tu emploies tes loisirs à un sujet aussi peu sérieux et de si minime importance. Sur ce, à la grâce de Dieu. À Montaigne, ce 1er  mars 1580. Nota. — Cette traduction a été faite d’après l’édition de 1595, en tenant compte toutefois de quelques variantes du manuscrit de Bordeaux, complétant ou accentuant la pensée de l’auteur. — Ces variantes, dont le relevé est donné dans le quatrième volume, sont pour la plupart de très minime importance : elles portent en très grand nombre sur l’orthographe ; de-ci, de-là, constituent des additions ou des suppressions de mots ou encore des substitutions d’un mot à un autre, soit pour éviter des répétitions, soit pour préciser ; et parfois, mais rarement, de légères modifications dans la construction de membres de phrase ; dans la quantité, il n’en est pas une qui modifie sensiblement le sens. Celles dont il a été tenu compte sont signalées par un astérique (*).

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CHAPITRE I. Par diuers moyens on arrive à pareille fin. La plus commune façon d’amollir les cœurs de ceux qu’on a offencez, lors qu’ayans la vengeance en main, ils nous tiennent à leur mercy, c’est de les esmouuoir par submission, à commiseration et à pitié : toutesfois la brauerie, la constance, et la resolution, moyens tous contraires, ont quelquesfois seruy à ce mesme effect. Édouard Prince de Galles, celuy qui regenta si long temps nostre Guienne : personnage duquel les conditions et la fortune ont beaucoup de notables parties de grandeur ; ayant esté bien fort offencé par les Limosins, et prenant leur ville par force, ne peut estre arresté par les cris du peuple, et des femmes, et enfans abandonnez à la boucherie, luy criants mercy, et se iettans à ses pieds : iusqu’à ce que passant tousiours outre dans la ville, il apperçeut trois Gentilshommes François, qui d’vne hardiesse incroyable soustenoient seuls l’effort de son armee victorieuse. La consideration et le respect d’vne si notable vertu, reboucha premierement la pointe de sa cholere : et commença par ces trois, à faire misericorde à tous les autres habitans de la ville. Scanderberch, Prince de l’Épire, suyuant vn soldat des siens pour le tuer, et ce soldat ayant essayé par toute espece d’humilité et de supplication de l’appaiser, se resolut à toute extremité de l’attendre l’espee au poing : cette sienne resolution arresta sus bout la furie de son maistre, qui pour luy auoir veu prendre vn si honorable party, le reçeut en grâce. Cet exemple pourra souffrir autre interpretation de ceux qui n’auront leu la prodigieuse force et vaillance de ce Prince là. L’Empereur Conrad troisiesme, ayant

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CHAPITRE PREMIER. Divers moyens mènent à même fin. La soumission vous concilie d’ordinaire ceux que vous avez offensés ; parfois une attitude résolue produit le même résultat. — La façon la plus ordinaire d’attendrir les cœurs de ceux que nous avons offensés, quand, leur vengeance en main, nous sommes à leur merci, c’est de les émouvoir par notre soumission, en leur inspirant commisération et pitié ; toutefois la bravoure, la constance et la résolution, qui sont des moyens tout contraires, ont quelquefois produit le même résultat. Édouard, prince de Galles, celui-là même qui, si longtemps, fut régent de notre province de Guyenne, personnage dont les actes et la fortune ont maintes fois témoigné de beaucoup de grandeur d’âme, s’étant emparé de vive force de Limoges, avait ordonné le massacre de ses habitants qui l’avaient gravement offensé. Il cheminait à travers la ville, et les cris de ceux, hommes, femmes et enfants, ainsi voués à la mort, qui, prosternés à ses pieds, imploraient merci, n’avaient pu attendrir son âme ; quand s’offrirent à sa vue trois gentilshommes français, qui, avec une hardiesse incroyable, tenaient tête, à eux seuls, à son armée victorieuse. Un tel courage lui inspira une considération et un respect qui calmèrent subitement sa colère ; sur-le-champ il leur fit grâce, et cette grâce, il l’étendit à tous les autres habitants de la ville. Scanderberg, prince d’Épire, poursuivait avec l’intention de le tuer, un de ses soldats ; celui-ci, après avoir essayé en vain de l’apaiser par des protestations de toutes sortes et les plus humbles supplications, se résolut, en désespoir de cause, à l’attendre l’épée à la main. Cet acte de résolution arrêta net l’exaspération de son maître qui, en le voyant prendre un si honorable parti, lui fit grâce. Ce fait est susceptible d’être interprété autrement que je ne le fais, mais par ceux-là seulement qui ignorent la force prodigieuse et le courage dont ce prince était doué.

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assiégé Guelphe Duc de Bauieres, ne voulut condescendre à plus douces conditions, quelques viles et lasches satisfactions qu’on luy offrist, que de permettre seulement aux gentils-femmes qui estoient assiégées auec le Duc, de sortir leur honneur sauue, à pied, auec ce qu’elles pourroient emporter sur elles. Elles d’vn cœur magnanime, s’aduiserent de charger sur leurs espaules leurs maris, leurs enfans, et le Duc mesme. L’Empereur print si grand plaisir à voir la gentillesse de leur courage, qu’il en pleura d’aise, et amortit toute cette aigreur d’inimitié mortelle et capitale qu’il auoit portée contre ce Duc : et dés lors en auant traita humainement luy et les siens. L’vn et l’autre de ces deux moyens m’emporteroit aysement : car i’ay vne merueilleuse lascheté vers la miséricorde et mansuétude : tant y a, qu’à mon aduis, ie serois pour me rendre plus naturellement à la compassion, qu’à l’estimation. Si est la pitié passion vitieuse aux Stoiques : ils veulent qu’on secoure les affligez, mais non pas qu’on fléchisse et compatisse auec eux. Or ces exemples me semblent plus à propos, d’autant qu’on voit ces ames assaillies et essayées par ces deux moyens, en soustenir l’vn sans s’esbranler, et courber sous l’autre. Il se peut dire, que de rompre son cœur à la commisération, c’est l’effet de la facilité, debonnaireté, et mollesse : d’où il aduient que les natures plus foibles, comme celles des femmes, des enfans, et du vulgaire, y sont plus subiettes : mais ayant eu à desdaing les larmes et les pleurs, de se rendre à la seule reuerence de la saincte image de la vertu, que c’est l’effect d’vne ame forte et imployable, ayant en affection et en honneur vne vigueur masle, et obstinée. Toutes-fois és âmes moins généreuses, l’estonnement et l’admiration peuuent faire naistre vn pareil effect : tesmoin le peuple Thebain, lequel ayant mis en Iustice d’accusation capitale, ses Capitaines, pour auoir continué leur charge outre le temps qui leur auoit esté prescript et preordonné, absolut à toute peine Pelopidas, qui plioit sous le faix de telles obiections, et n’employoit à se garantir que requestes et supplications : et au contraire Epaminondas, qui vint à raconter magnifiquement les choses par luy faites, et à les reprocher au peuple d’vne façon fiere et arrogante, il n’eut pas le cœur de prendre seulement les balotes en main, et se départit : l’assemblée louant grandement la hautesse du courage de ce personnage. Dionysius le vieil, après des

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L’empereur Conrad III, assiégeant Guelphe, duc de Bavière, n’avait consenti à ne laisser sortir de la ville que les femmes des gentilshommes qui s’y trouvaient enfermées avec son ennemi, s’engageant à respecter leur honneur, mais ne leur accordant de sortir qu’à pied, en n’emportant que ce qu’elles pourraient porter elles-mêmes ; et il s’était refusé à adoucir ces conditions, quelques autres satisfactions qu’on lui offrît, si humiliantes qu’elles fussent. N’écoutant que leur grand cœur, ces femmes s’avisèrent alors de charger sur leurs épaules leurs maris, leurs enfants et le duc lui-même. L’empereur fut tellement saisi de cette touchante marque de courage, qu’il en pleura d’attendrissement ; la haine mortelle qu’il avait vouée au duc, dont il voulait la perte, en devint moins ardente ; et, à partir de ce moment, il le traita lui et les siens avec humanité. Comment s’explique que ces deux sentiments contraires produisent le même effet. — L’un et l’autre de ces deux moyens réussiraient aisément auprès de moi, car j’ai une grande propension à la miséricorde et à la bienveillance ; cependant j’estime que je céderais encore plus facilement à la compassion qu’à l’admiration, bien que la pitié soit considérée comme une passion condamnable par les stoïciens, qui concèdent bien qu’on secoure les affligés, mais non qu’on s’attendrisse et qu’on compatisse à leurs souffrances. Les exemples qui précèdent me semblent rentrer davantage dans la réalité des choses ; ils nous montrent l’âme aux prises avec ces deux sentiments contraires : résister à l’un sans fléchir, et céder à l’autre. Cela peut s’expliquer en admettant que se laisser gagner par la pitié, est plus facile et le propre des cœurs débonnaires et peu énergiques ; d’où il résulte que les êtres les plus faibles, comme les femmes, les enfants et les gens du commun y sont plus particulièrement portés ; tandis que ne pas se laisser attendrir par les larmes et les prières, et finir par se rendre seulement devant les signes manifestes d’un courage incontestable, est le fait d’une âme forte et bien trempée, aimant et honorant les caractères énergiques et tenaces. Et cependant, l’étonnement et l’admiration peuvent produire ces mêmes effets sur des natures moins généreuses ; témoin le peuple thébain qui, appelé à prononcer dans une accusation capitale intentée contre les capitaines de son armée, pour s’être maintenus en charge au delà du temps durant lequel ils devaient l’exercer, acquitta à grand’peine Pélopidas qui, accablé de cette mise en jugement, ne sut, pour se défendre, que gémir et supplier ; tandis qu’au contraire, à l’égard d’Epaminondas qui, après avoir exposé en termes magnifiques les actes de son commandement, la tête haute, la parole sarcastique, se mit à reprocher au peuple son ingratitude, l’assemblée, pénétrée d’admiration vis-à-vis de cet homme d’un si grand courage, se dispersa sans même oser aller au scrutin. Cruauté obstinée de Denys l’ancien, tyran de Syracuse.

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longueurs et difficultés extrêmes, ayant prins la ville de Rege, et en icelle le Capitaine Phyton, grand homme de bien, qui l’auoit si obstinéement defendue, voulut en tirer vn tragique exemple de vengeance. Il luy dict premièrement, comment le iour auant, il auoit faict noyer son fils, et tous ceux de sa parenté. À quoy Phyton respondit seulement, qu’ils en estoient d’vn iour plus heureux que luy. Apres il le fit despouiller, et saisir à des Bourreaux, et le traîner par la ville, en le fouëttant très ignominieusement et cruellement : et en outre le chargeant de félonnes parolles et contumelieuses. Mais il eut le courage tousiours constant, sans se perdre. Et d’vn visage ferme, alloit au contraire ramenteuant à haute voix, l’honorable et glorieuse cause de sa mort, pour n’auoir voulu rendre son païs entre les mains d’vn tyran : le menaçant d’vne prochaine punition des dieux. Dionysius, lisant dans les yeux de la commune de son armée, qu’au lieu de s’animer des brauades de cet ennemy vaincu, au mespris de leur chef, et de son triomphe, elle alloit s’amollissant par l’estonnement d’vne si rare vertu, et marchandoit de se mutiner, et mesmes d’arracher Phyton d’entre les mains de ses sergens, feit cesser ce martyre : et à cachettes l’enuoya noyer en la mer. Certes, c’est vn subiect merueilleusement vain, diuers, et ondoyant, que l’homme : il est malaisé d’y fonder iugement constant et vniforme. Voyla Pompeius qui pardonna à toute la ville des Mamertins, contre laquelle il estoit fort animé, en considération de la vertu et magnanimité du citoyen Zenon, qui se chargeoit seul de la faute publique, et ne requeroit autre grâce que d’en porter seul la peine. Et l’hoste de Sylla, ayant vsé en la ville de Peruse de semblable vertu, n’y gaigna rien, ny pour soy, ny pour les autres. Et directement contre mes premiers exemples, le plus hardy des hommes et si gratieux aux vaincus Alexandre, forçant apres beaucoup de grandes difficultez la ville de Gaza, rencontra Betis qui y commandoit, de la valeur duquel il auoit, pendant ce siège, senty des preuues merueilleuses, lors seul, abandonné des siens, ses armes despecees, tout couuert de sang et de playes, combatant encores au milieu de plusieurs Macedoniens, qui le chamailloient de toutes parts : et luy dit, tout piqué d’vne si chère victoire : car entre autres dommages, il auoit receu deux fresches blessures sur sa personne : Tu ne mourras pas comme tu as voulu, Betis :

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— Denys l’ancien, s’étant emparé, après un siège très long et très difficile, de la ville de Reggium, et avec elle de Phyton, homme de grande vertu, qui y commandait et avait dirigé cette défense opiniâtre, voulut en tirer une vengeance éclatante qui servît d’exemple. Tout d’abord, il lui apprit que la veille, il avait fait noyer son fils et tous ses autres parents ; à quoi Phyton se borna à répondre : « Qu’ils en étaient d’un jour plus heureux que lui. » Puis il le livra aux bourreaux qui le dépouillèrent de ses vêtements et le traînèrent à travers la ville, le fouettant ignominieusement à coups redoublés, l’accablant en outre des plus brutales et cruelles injures. Phyton, conservant toute sa présence d’esprit et son courage, ne faiblit pas ; ne cessant de se targuer à haute voix de l’honorable et glorieuse défense qu’il avait faite et qui était cause de sa mort, n’ayant pas voulu livrer sa patrie aux mains d’un tyran, le menaçant lui-même d’une prochaine punition des dieux. Lisant dans les yeux de la plupart de ses soldats qu’au lieu d’être excités par ses bravades contre cet ennemi vaincu, qui les provoquait au mépris de leur chef et dépréciait son triomphe, étonnés d’un tel courage, ils s’en laissaient attendrir et commençaient à murmurer, parlant même d’arracher Phyton des mains de ses bourreaux, Denys mit fin à ce martyr et, à la dérobée, l’envoya noyer à la mer. L’homme est ondoyant et divers ; conduite opposée de Sylla et de Pompée dans des circonstances analogues. — En vérité, l’homme est de nature bien peu définie et étrangement ondoyant et divers ; il est malaisé de porter sur lui un jugement ferme et uniforme. Ainsi, voilà Pompée qui pardonne à toute la ville des Mamertins, contre laquelle il était fort animé, en considération de la vertu et de la grandeur d’âme de Zenon l’un de leurs concitoyens qui, se donnant comme l’unique coupable de leur conduite envers lui, demandait en grâce d’en porter seul la peine ; tandis qu’à Pérouse, en semblable circonstance, un citoyen de cette ville, également distingué par ses vertus, dont Sylla avait été l’hôte, par un dévouement pareil, n’en obtient rien ni pour lui-même, ni pour les autres. Cruauté d’Alexandre le Grand envers des ennemis dont la valeur méritait mieux. — À l’encontre des premiers exemples que j’ai cités, nous voyons Alexandre, l’homme le plus hardi qui fut jamais, d’ordinaire si généreux à l’égard des vaincus, devenu maître, après de nombreuses et grandes difficultés, de la ville de Gaza, en agir tout autrement à l’égard de Bétis qui commandait cette place et qui, pendant le siège, avait donné les preuves d’une éclatante valeur. Le rencontrant seul, abandonné des siens, ses armes brisées, couvert de sang et de plaies et combattant encore au milieu d’un groupe de Macédoniens qui le harcelaient de toutes parts, Alexandre, vivement affecté d’une victoire si chèrement achetée (entre autres dommages, lui-même venait d’y recevoir deux blessures), lui dit : « Tu ne mourras pas comme tu le

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fais estat qu’il te faut souffrir toutes les sortes de tourmens qui se pourront inuenter contre vn captif. L’autre, d’vne mine non seulement asseuree, mais rogue et altiere, se tint sans mot dire à ces menaces. Lors Alexandre voyant l’obstination à se taire : A il flechy vn genouil ? luy est-il eschappé quelque voix suppliante ? Vrayement ie vainqueray ce silence : et si ie n’en puis arracher parole, l’en arracheray au moins du gémissement. Et tournant sa cholere en rage, commanda qu’on luy perçast les talons, et le fit ainsi trainer tout vif, deschirer et desmembrer au cul d’vne charrette. Seroit-ce que la force de courage luy fust si naturelle et commune, que pour ne l’admirer point, il la respectast moins ? ou qu’il l’estimast si proprement sienne, qu’en cette hauteur il ne peust souffrir de la veoir en vn autre, sans le despit d’vne passion enuieuse ? ou que l’impétuosité naturelle de sa cholere fust incapable d’opposition ? De vray, si elle eust receu bride, il est à croire, qu’en la prinse et désolation de la ville de Thebes elle l’eust receue : à veoir cruellement mettre au fil de l’espee tant de vaillans hommes, perdus, et n’ayans plus moyen de defence publique. Car il en fut tué bien six mille, desquels nul ne fut veu ny fuiant, ny demandant mercy : au rebours cerchans, qui çà, qui là, par les rues, à affronter les ennemis victorieux : les prouoquans à les faire mourir d’vne mort honorable. Nul ne fut veu, qui n’essaiast en son dernier souspir, de se venger encores : et à tout les armes du desespoir consoler sa mort en la mort de quelque ennemy. Si ne trouua l’affliction de leur vertu aucune pitié : et ne suffit la longueur d’vn iour à assouuir sa vengeance. Ce carnage dura iusques à la dernière goûte de sang espandable : et ne s’arresta qu’aux personnes désarmées, vieillards, femmes et enfants, pour en tirer trente mille esclaues. CHAPITRE II. De la tristesse. Ie suis des plus exempts de cette passion, et ne l’ayme ny l’estime : quoy que le monde ayt entrepris, comme à prix faict, de l’honorer de faueur particulière. Ils en habillent la sagesse,

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souhaites, Bétis ; sois certain qu’avant, il te faudra souffrir les plus cruels tourments qui se puissent imaginer contre un captif. » À cette menace, Bétis ne répondant rien et, au plus grand calme, joignant une attitude hautaine et pleine de défi, Alexandre, devant ce silence fier et obstiné, s’écria : « A-t-il seulement fléchi le genou ! s’est-il laissé aller à quelques supplications ! ah vraiment, je vaincrai ce mutisme ; et si je ne puis lui arracher une parole, j’arriverai bien à lui arracher quelque gémissement. » Et, passant de la colère à la rage, il lui fit percer les talons et, encore plein de vie, attacher à l’arrière d’un char et traîner ainsi jusqu’à ce que, mis en pièces, les membres rompus, il rendit le dernier soupir. Quel peut avoir été le mobile de tant de cruauté chez Alexandre ? Serait-ce qu’à lui-même, courageux au delà de toute expression, cette vertu semblait tellement naturelle, que non seulement elle ne le transportait pas d’admiration, mais encore qu’il en faisait peu de cas ; ou bien que, la considérant comme son apanage exclusif, il ne pouvait la supporter à un aussi haut degré chez les autres, sans en être jaloux ; ou enfin, est-ce qu’il était hors d’état de se modérer dans ses transports de colère ? — Certainement, s’il eût été capable de se maîtriser, il est à croire que lors de la prise et du sac de Thèbes, il se fût contenu à la vue de tant de vaillants guerriers, dont la résistance était désorganisée et qui furent passés au fil de l’épée ; car il en périt bien ainsi six mille, dont pas un ne fut vu cherchant à prendre la fuite ou demandant merci ; bien au contraire, ils allaient de ci, de là, à travers les rues, affrontant les vainqueurs, les provoquant à leur donner la mort dans des conditions honorables. On n’en vit aucun, si criblé qu’il fût de blessures, qui, jusqu’à son dernier soupir, n’essayât encore de se venger ; dans leur désespoir, ils faisaient arme de tout, se consolant de leur propre mort par celle de quelqu’un de leurs ennemis. Ce courage malheureux n’éveilla cependant chez Alexandre aucune pitié ; tout un long jour de carnage ne suffit pas pour assouvir sa vengeance ; le massacre ne prit fin que lorsque les victimes firent défaut ; seules, les personnes hors d’état de porter les armes, vieillards, femmes et enfants, furent épargnés, et, au nombre de trente mille, réduits en esclavage. CHAPITRE II. De la tristesse. La tristesse est une disposition d’esprit des plus déplaisantes. — La tristesse est une disposition d’esprit dont je suis à peu près exempt ; je ne l’aime, ni ne l’estime ; bien qu’assez généralement, comme de parti pris, on l’ait en certaine considération et qu’on en pare la sagesse, la vertu, la conscience, c’est un sot et

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vilain ornement. Les Italiens ont plus sortablement baptisé de son nom la malignité. Car c’est vne qualité tousiours nuisible tousiours folle : et comme tousiours couarde et basse, les Stoïciens en défendent le sentiment à leurs sages. Mais le conte dit que Psammenitus Roy d’Ægypte, ayant esté deffait et pris par Cambyses Roy de Perse, voyant passer deuant luy sa fille prisonnière habillée en seruante, qu’on enuoyoit puiser de l’eau, tous ses amis pleurans et lamentans autour de luy, se tint coy sans mot dire, les yeux fichez en terre : et voyant encore tantost qu’on menoit son fils à la mort, se maintint en cette mesme contenance : mais qu’ayant apperçeu vn de ses domestiques conduit entre les captifs, il se mit à battre sa teste, et mener vn dueil extrême. Cecy se pourroit apparier à ce qu’on vid dernièrement d’vn Prince des nostres, qui ayant ouy à Trente, où il estoit, nouuelles de la mort de son frère aisné, mais vn frère en qui consistoit l’appuy et l’honneur de toute sa maison, et bien tost apres d’vn puisné, sa seconde espérance, et ayant soustenu ces deux charges d’vne constance exemplaire, comme quelques iours après vn de ses gens vint à mourir, il se laissa emporter à ce dernier accident ; et quitant sa resolution, s’abandonna au dueil et aux regrets ; en manière qu’aucuns en prindrene argument, qu’il n’auoit esté touché au vif que de cette derniert secousse : mais à la vérité ce fut, qu’estant d’ailleurs plein et comblé de tristesse, la moindre sur-charge brisa les barrières de la patience. Il s’en pourroit, di-ie, autant iuger de nostre histoire, n’estoit qu’elle adiouste, que Cambyses s’enquerant à Psammenitus, pourquoy ne s’estant esmeu au malheur de son filz et de sa fille, il portoit si impatiemment celuy de ses amis : C’est, respondit-il, que ce seul dernier desplaisir se peut signifier par larmes, les deux premiers surpassans de bien loin tout moyen de se pouuoir exprimer. A l’auenture reuiendroit à ce propos l’inuention de cet ancien peintre, lequel ayant à représenter au sacrifice de Iphigenia le dueil des assistans, selon les degrez de l’interest que chacun apportoit à la mort de cette belle fille innocente, ayant espuisé les derniers efforts de son art, quand ce vint au pere de la vierge, il le peignit le visage couuert, comme si nulle contenance ne pouuoit rapporter ce degré de dueil. Voyla pourquoy les Poëtes feignent cette misérable mere Niobé, ayant perdu premièrement sept filz, et puis de suite autant de filles, sur-chargee de pertes, auoir esté en fin transmuée en rocher, diriguisse malis : pour exprimer cette morne, muette et sourde stupidité, qui nous transsit, lors que les accidens nous accablent surpassans nostre

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lain ornement. Les Italiens ont, avec plus d’à propos, appelé de ce nom la méchanceté, car elle est toujours nuisible, toujours insensée ; toujours aussi, elle est le propre d’une âme poltronne et basse ; les stoïciens l’interdisent au sage. Effet des grandes douleurs en diverses circonstances ; tout sentiment excessif ne se peut exprimer. — L’histoire rapporte que Psamménitus, roi d’Égypte, défait et pris par Cambyse, roi de Perse, voyant passer sa fille, captive comme lui, habillée en servante, qu’on envoyait puiser de l’eau, demeura sans mot dire, les yeux fixés à terre, tandis qu’autour de lui, tous ses amis pleuraient et se lamentaient. Voyant, peu après, son fils qu’on menait à la mort, il garda cette même contenance ; tandis qu’à la vue d’un de ses familiers conduit au milieu d’autres prisonniers, il se frappa la tête, témoignant d’une douleur extrême. On peut rapprocher ce trait de ce qui s’est vu récemment chez un de nos princes qui, étant à Trente, y reçut la nouvelle de la mort de son frère aîné, le soutien et l’honneur de sa maison ; bientôt après, il apprenait la perte de son frère puîné sur lequel, depuis la mort du premier, reposaient toutes ses espérances. Ces deux malheurs, il les avait supportés avec un courage exemplaire ; quand, quelques jours plus tard, un homme de sa suite vint à mourir. À ce dernier accident, il ne sut plus se contenir, sa résolution l’abandonna, il se répandit en larmes et en lamentations, au point que certains en vinrent à dire qu’il n’avait été réellement sensible qu’à cette dernière secousse. La vérité est que la mesure était comble, et qu’un rien suffit pour abattre son énergie et amener ce débordement de tristesse. On pourrait, je crois, expliquer de même l’attitude de Psamménitus, si l’histoire n’ajoutait que Cambyse, s’étant enquis auprès de lui du motif pour lequel, après s’être montré si peu touché du malheur de son fils et de sa fille, il était si affecté de celui d’un de ses amis, n’en eut reçu cette réponse : « C’est que ce dernier chagrin, seul, peut s’exprimer par les larmes ; tandis que la douleur ressentie pour les deux premiers, est de beaucoup au delà de toute expression. » À ce propos, me revient à l’idée le fait de ce peintre ancien qui, dans le sacrifice d’Iphigénie, ayant à représenter la douleur de ses divers personnages, d’après le degré d’intérêt que chacun portait à la mort de cette belle et innocente jeune fille ; ayant à cet effet, quand il en arriva au père de la vierge, déjà épuisé toutes les ressources de son art ; devant l’impossibilité de lui donner une contenance en rapport avec l’intensité de sa douleur, il le peignit le visage couvert. C’est aussi pour cela qu’à l’égard de Niobé, cette malheureuse mère, qui, après avoir perdu d’abord ses sept fils, perdit ensuite ses sept filles ; les poètes ont imaginé qu’écrasée par une telle succession de malheurs, elle finit elle-même par être métamorphosée en rocher, « pétrifiée par la douleur (Ovide) », marquant de la sorte ce morne, muet et sourd hébétement qui s’empare de nous, lorsque les accidents qui nous accablent, dépassent ce que

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portee. De vray, l’effort d’vn desplaisir, pour estre extrême, doit estonner toute l’ame, et luy empescher la liberté de ses actions : comme il nous adulent à la chaude alarme d’vne bien mauuaise nouuelle, de nous sentir saisis, transsis, et comme perclus de tous mouuemens : de façon que l’ame se relaschant après aux larmes et aux plaintes, semble se desprendre, se desmeller, et se mettre plus au large, et à son aise. Et via vix tandem voci laxata dolore est. En la guerre que le Roy Ferdinand mena contre la veufve du Roy Iean de Hongrie, autour de Bude, vn gendarme fut particulièrement remerqué de chacun, pour auoir excessiuement bien faict de sa personne, en certaine meslee : et incognu, hautement loué, et plaint y estant demeuré : mais de nul tant que de Raiscïac Seigneur Allemand, esprins d’vne si rare vertu : le corps estant rapporté, cetuicy d’vne commune curiosité, s’approcha pour voir qui c’estoit : et les armes ostees au trespassé, il reconut son fils. Cela augmenta la compassion aux assistans : luy seul, sans rien dire, sans siller les yeux, se tint debout, contemplant fixement le corps de son fils : iusques à ce que la vehemence de la tristesse, aiant accablé ses esprits vitaux, le porta roide mort par terre. Chi puo dir com’ egli arde è in picciol fuoco, disent les amoureux, qui veulent représenter vne passion insupportable.                     misera quod omnes Eripit sensus mihi. Nam simul te Lesbia aspexi, nihil est superim Quod loquar amens. Lingua sed torpet, tenuis sub artus Flamma dimanat, sonitu suopte Tinniunt aures, gemina teguntur Lumina nocte. Aussi n’est ce pas en la viue, et plus cuysante chaleur de l’accès, que nous sommes propres à desployer nos plaintes et nos persuations : l’ame est lors aggrauee de profondes pensées, et le corps abbatu et languissant d’amour : et de là s’engendre par fois la défaillance fortuite, qui surprent les amoureux si hors de saison ; et cette glace qui les saisit par la force d’vne ardeur extreme, au giron mesme de la iouïssance. Toutes passions qui se laissent gouster, et digérer, ne sont que médiocres, Curæ leues loquuntur, ingentes stupent. La surprise d’un plaisir inespéré nous estonne de mesme. Vt me conspexit venientem, et Troïa circum Arma amens vidit, magnis exterrita monstris, Diriguit visu in medio, calor ossa reliquit, Labitur, et longo vix tandem tempore fatur. Outre la femme Romaine, qui mourut surprise d’aise de voir

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nous en pouvons supporter. Et, en effet, un chagrin excessif, pour être tel, doit stupéfier l’âme au point de lui enlever toute sa liberté d’action, ainsi qu’il arrive, au premier moment, sous le coup d’une très mauvaise nouvelle : nous sommes saisis d’étonnement, pénétrés d’effroi ou d’affliction et comme perclus en tous nos mouvements, jusqu’à ce qu’à cette prostration, succède la détente ; alors les larmes et les plaintes se font jour, l’âme semble se dégager de son étreinte, renaître et peu à peu être plus au large et rentrer en possession d’elle-même : « C’est avec peine qu’enfin il recouvre la voix et peut exprimer sa douleur (Virgile). » Pendant la guerre, autour de Bude, du roi Ferdinand contre la veuve du roi Jean de Hongrie, un homme d’armes se fit particulièrement remarquer dans un des combats qui se livrèrent, par sa valeur absolument hors ligne. Nul ne l’avait reconnu, et chacun le louait à qui mieux mieux et le plaignait, car il avait succombé ; mais personne plus qu’un certain de Raïsciac, seigneur allemand, réellement enthousiasmé d’un courage aussi rare. Son corps ayant été rapporté, de Raïsciac s’approcha comme tout le monde, pour voir qui il était ; et lorsqu’on l’eut débarrassé de son armure, il reconnut son fils. L’émotion des assistants s’en accrut d’autant ; de Raïsciac, seul, demeura impassible ; sans mot dire, sans un cillement d’yeux, debout, contemplant fixement ce corps, jusqu’à ce que la violence de son chagrin atteignant le principe même de la vie, il tomba raide mort. « Qui peut dire à quel point il brûle, ne brûle que d’un petit feu (Pétrarque) », disent les amoureux qui veulent exprimer une passion qu’ils ne peuvent plus contenir : « Misérable que je suis ! l’amour trouble mes sens. À ta vue, ô Lesbie, je suis hors de moi ; il est au-dessus de mes forces de parler ; ma langue s’embarrasse, une flamme subtile court dans mes veines, mes oreilles résonnent de mille bruits confus et le voile de la nuit s’étend sur mes yeux (Catulle). » Aussi, n’est-ce pas au plus fort de nos transports, quand notre sang bouillonne dans nos veines, que nous sommes le plus à même de trouver des accents qui apitoyent et qui persuadent ; dans ces moments, l’âme est trop absorbée dans ses pensées, le corps trop abattu et languissant d’amour ; de là parfois, l’impuissance inattendue en laquelle tombent, si hors de propos, les amoureux que paralyse leur ardeur extrême, au siège même de la jouissance. Toute passion qui se raisonne, qui se peut goûter et savourer avec calme, mérite à peine ce nom ; « Les soucis légers sont loquaces, les grandes passions sont silencieuses (Sénèque). » Saisissement causé par la joie, la honte, etc. — La surprise d’un plaisir inespéré nous cause un saisissement semblable : « Dès qu’elle me voit venir, dès qu’elle aperçoit de tous côtés les armes troyennes, hors d’elle-même, frappée comme d’une vision effrayante, elle demeure immobile ; son sang se glace, elle tombe et ce n’est que longtemps après, qu’elle peut enfin parler (Virgile). » Outre cette Romaine qui mourut de joie en voyant son fils échappé à la déroute

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son fils reuenu de la routte de Cannes : Sophocles et Denis le Tyran, qui trespasserent d’aise : et Talua qui mourut en Corsegue, lisant les nouuelles des honneurs que le Sénat de Rome luy auoit décernez ; nous tenons en nostre siècle, que le Pape Léon dixiesme ayant esté aduerty de la prinse de Milan, qu’il auoit extrêmement souhaittee, entra en tel excez de ioye, que la fieure l’en print, et en mourut. Et pour vn plus notable tesmoignage de l’imbécillité humaine, il a esté remerqué par les anciens, que Diodorus le Dialecticien mourut sur le champ, espris d’vne extreme passion de honte, pour en son escole, et en public, ne se pouuoir desuelopper d’vn argument qu’on luy auoit faict. Ie suis peu en prise de ces violentes passions : i’ay l’appréhension naturellement dure ; et l’encrouste et espessis tous les iours par discours. CHAPITRE III. Nos affections s’emportent au dela de nous. Cevx qui accusent les hommes d’aller tousiours béant après les choses futures, et nous apprennent à nous saisir des biens presens, et nous rassoir en ceux-là, comme n’ayants aucune prise sur ce qui est à venir, voire assez moins que nous n’auons sur ce qui est passé, touchent la plus commune des humaines erreurs : s’ils osent appeller erreur, chose à quoy nature mesme nous achemine pour le seruice de la continuation de son ouurage, nous imprimant, comme assez d’autres, cette imagination fausse, plus ialouse de nostre action, que de nostre science. Nous ne sommes iamais chez nous, nous sommes tousiours au delà. La crainte, le désir, l’espérance, nous eslancent vers l’aduenir : et nous desrobent le sentiment et la considération de ce qui est, pour nous amuser à ce qui sera, voire quand nous ne serons plus. Calamitosus est animus futuri anxius.Ce grand précepte est souuent allégué en Platon, Fay ton faict, et te congnoy. Chascun de ces deux membres enueloppe generallement tout nostre deuoir : et semblablement enueloppe son compagnon. Qui auroit à faire son faict, verroit que sa première leçon, c’est cognoistre ce qu’il est, et ce qui luy est propre. Et qui se cognoist, ne prend plus l’estranger faict pour le sien : s’ayme, et se cultiue auant toute autre chose : refuse les occupations superflues, et les pensées, et propositions inutiles. Comme la folie

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de Cannes ; Sophocle et Denys le tyran qui, également, trépassèrent d’aise en recevant une heureuse nouvelle ; Thalna qui, de même, mourut en Corse à l’annonce des honneurs que le Sénat de Rome lui avait décernés ; n’avons-nous pas vu, en ce siècle, le pape Léon X, apprenant la prise de Milan, qu’il avait ardemment désirée, en éprouver un tel excès de joie, que la fièvre le prit et qu’il en mourut. Un témoignage encore plus probant de la faiblesse humaine, relevé par les anciens : Diodore le dialecticien s’étant, en son école et en public, trouvé à court pour développer un argument qu’on lui avait posé, en ressentit une telle honte, qu’il en mourut du coup. Pour moi, je suis peu prédisposé à ces violentes passions ; par nature, je ne m’émeus pas aisément ; et je me raisonne tous les jours, pour m’affirmer davantage en cette disposition. CHAPITRE III. Nous prolongeons nos affections et nos haines au delà de notre propre durée. L’homme se préoccupe trop de l’avenir. — Ceux qui reprochent aux hommes de toujours aller se préoccupant des choses futures, et nous engagent à jouir des biens présents et à nous en contenter, observant que nous n’avons pas prise sur ce qui est à venir, que nous en avons même moins que sur ce qui est passé, s’attaquent à la plus répandue des erreurs humaines ; si on peut appeler erreur, un penchant qui, bien que nous y soyons convié par la nature elle-même, en vue de la continuation de son œuvre, fausse, comme tant d’autres choses, notre imagination, chez laquelle l’action est un besoin, alors même que nous ne savons pas où cela nous mène. Nous ne sommes jamais en nous, nous sommes toujours au delà ; la crainte, le désir, l’espérance nous relancent constamment vers l’avenir, nous dérobant le sentiment et l’examen de ce qui est, pour nous amuser de ce qui sera ; bien qu’à ce moment nous ne serons plus : « Tout esprit inquiet de l’avenir, est malheureux (Sénèque). » Son premier devoir est de chercher à se bien connaître. — « Fais ce pourquoi tu es fait et connais-toi toi-même », est un grand précepte souvent cité dans Platon. Chacun des deux membres de cette proposition, pris séparément, nous trace notre devoir dans son entier, l’un complète l’autre. Qui s’appliquerait à faire ce pourquoi il est fait, s’apercevrait qu’il lui faut tout d’abord acquérir cette connaissance de lui-même et de ce à quoi il est propre ; et celui qui se connaît, ne fait pas erreur sur ce dont il est capable ; il s’aime, et tendant avant tout à améliorer sa condition, il écarte les occupations superflues, les pensées et les projets inutiles. De

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quand on luy octroyera ce qu’elle désire, ne sera pas contente : aussi est la sagesse contente de ce qui est présent, ne se desplait iamais de soy. Epicurus dispense son sage de la preuoyance et soucy de l’aduenir.Entre les loix qui regardent les trespassez, celle icy me semble autant solide, qui oblige les actions des Princes à estre examinees après leur mort : ils sont compagnons, sinon maistres des loix : ce que la Iustice n’a peu sur leurs testes, c’est raison qu’elle l’ayt sur leur reputation, et biens de leurs successeurs : choses que souuent nous préférons à la vie. C’est vne vsance qui apporte des commoditez singulières aux nations où elle est obseruee, et désirable à tous bons Princes : qui ont à se plaindre de ce, qu’on traitte la mémoire des meschants comme la leur. Nous deuons la subiection et obéissance également à tous Rois : car elle regarde leur office : mais l’estimation, non plus que l’affection, nous ne la deuons qu’à leur vertu. Donnons à l’ordre politique de les souffrir patiemment, indignes : de celer leurs vices : d’aider de nostre recommandation leurs actions indifferentes, pendant que leur auctorité a besoin de nostre appuy. Mais nostre commerce finy, ce n’est pas raison de refuser à la Iustice, et à nostre liberté, l’expression de noz vrays ressentiments : et nommément de refuser aux bons subiects, la gloire d’auoir reueremment et fidellement serui vn maistre, les imperfections duquel leur estoient si bien cognues : frustrant la postérité d’vn si vtile exemple. Et ceux, qui, par respect de quelque obligation priuee espousent iniquement la mémoire d’vn Prince mesloüable, font iustice particulière aux despends de la Iustice publique. Titus Liuius dict vray, que le langage des hommes nourris sous la Royauté, est tousiours plein de vaines ostentations et faux tesmoignages : chascun esleuant indifferemment son Roy, à l’extrême ligne de valeur et grandeur souueraine. On peult reprouuer la magnanimité de ces deux soldats, qui respondirent à Neron, à sa barbe, l’vn enquis de luy, pourquoy il luy vouloit mal : Ie t’aimoy quand tu le valois : mais despuis que tu es deuenu parricide, boutefeu, basteleur, cochier, ie te hay, comme tu mérites. L’autre, pourquoy il le vouloit tuer ; Par ce que ie ne trouue autre remède à tes continuels malefices. Mais les publics et vniuersels tesmoignages, qui après sa mort ont esté rendus, et le seront à tout iamais, à luy, et à tous meschans comme luy, de ses tiranniques et vilains deportements, qui de sain entendement les peut reprouuer ?Il me desplaist,

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même que la folie n’est jamais satisfaite lors même qu’on cède à ses désirs, la sagesse, toujours satisfaite du présent, n’est jamais mécontente d’elle-même ; au point qu’Épicure estime que ni la prévoyance, ni le souci de l’avenir ne sont de nécessité pour le sage. On doit obéissance aux rois, mais l’estime et l’affection ne sont dues qu’à leurs vertus. — Parmi les lois qui ont été établies, concernant l’homme après sa mort, celle qui soumettait les actions des princes à un jugement posthume, me semble des mieux fondées. Les princes sont, en effet, soumis aux lois et non au-dessus d’elles ; et, par ce fait même que la justice, de leur vivant, a été impuissante contre eux, il est équitable que, lorsqu’ils ne sont plus, elle ait action sur leur réputation et sur les biens qu’ils laissent à leurs successeurs, choses que souvent nous préférons à la vie. C’est un usage qui procure de sérieux avantages aux nations qui le pratiquent ; et les bons princes, qui ont sujet de se plaindre, quand on traite la mémoire des méchants comme la leur, doivent le désirer. — Nous devons soumission et obéissance à tous les rois, qu’ils soient bons ou mauvais, cela est indispensable pour leur permettre de remplir leur charge ; mais notre estime et notre affection, nous ne les leur devons que s’ils les méritent. Admettons que les nécessités de la politique nous obligent à les supporter patiemment, si indignes qu’ils puissent être ; à dissimuler leurs vices, à appuyer autant qu’il est en notre pouvoir, leurs actes quels qu’ils soient, quand cet appui est nécessaire à leur autorité ; mais ce devoir rempli, ce n’est pas une raison pour que nous refusions à la justice et que nous n’ayons pas la liberté d’exprimer à leur endroit nos ressentiments, si nous en avons de fondés ; et en particulier, que nous nous refusions à honorer ces bons serviteurs qui, bien que connaissant les imperfections du maître, l’ont servi avec respect et fidélité, exemple qu’il y a utilité à transmettre à la postérité. — Ceux qui, par les obligations personnelles qu’ils lui ont, défendent à tort la mémoire d’un prince qui en est indigne, font, en agissant ainsi, acte de justice privée, aux dépens de la justice publique. Tite-Live dit vrai, quand il écrit que le langage des hommes inféodés à la royauté, est toujours plein de vaines ostentations et de faux témoignages ; chacun faisant de son roi, quels que soient ses mérites, un souverain dont la valeur et la grandeur ne sauraient être dépassées. On peut désapprouver la magnanimité de ces deux soldats, répondant en pleine face à Néron, qui leur demandait : à l’un, pourquoi il lui voulait du mal : « Je t’aimais, quand tu en étais digne ; mais depuis que tu es devenu parricide, incendiaire, histrion, cocher, je te hais, comme tu le mérites » ; à l’autre, pourquoi il voulait le tuer : « Parce que je ne vois pas d’autre remède à tes continuels méfaits » ; mais quel homme de bon sens peut trouver à redire aux témoignages publics et universels qui, après sa mort, ont été portés contre ce prince, pour ses tyranniques et odieux débordements, et qui l’ont stigmatisé à tout jamais, et, avec lui, tout méchant comme lui.

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qu’en vne si saincte police que la Lacedemonienne, se fust meslée vne si feinte ceremonie à la mort des Roys. Tous les confederez et voysins, et tous les Ilotes, hommes, femmes, pesle-mesle, se descoupoient le front, pour tesmoignage de deuil : et disoient en leurs cris et lamentations, Que celuy la, quel qu’il eust esté, estoit le meilleur Roy de tous les leurs : attribuants au reng, le los qui appartenoit au merite ; et, qui appartient au premier merite, au postreme et dernier reng.Aristote, qui remue toutes choses, s’enquiert sur le mot de Solon, Que nul auant mourir ne peut estre dict heureux. Si celuy la mesme, qui a vescu, et qui est mort à souhait, peut estre dict heureux, si sa renommee va mal, si sa posterité est miserable. Pendant que nous nous remuons, nous nous portons par preoccupation où il nous plaist : mais estant hors de l’estre, nous n’auons aucune communication auec ce qui est. Et seroit meilleur de dire à Solon, que iamais homme n’est donc heureux, puis qu’il ne l’est qu’apres qu’il n’est plus. quisquam Vix radicitus è vita se tollit, et eiicit : Sed facit esse sui quiddam super inscius ipse, Nec remouet salis à proieclo corpore sese, et Vindicat. Bertrand du Glesquin mourut au siege du Chasteau de Rancon, près du Puy en Auuergne : les assiegez s’estans rendus apres, furent obligez de porter les clefs de la place sur le corps du trespassé. Barthélémy d’Aluiane, General de l’armee des Vénitiens, estant mort au seruice de leurs guerres en la Bresse, et son corps ayant esté rapporté à Venise par le Veronois, terre ennemie ; la pluspart de ceux de l’armee estoient d’aduis, qu’on demandast sauf-conduit pour le passage à ceux de Veronne : mais Theodore Triuulce y contredit ; et choisit plustost de le passer par viue force, au hazard du combat : N’estant conuenable, disoit-il, que celuy qui en sa vie n’auoit iamais eu peur de ses ennemis, estant mort fist démonstration de les craindre. De vray, en chose voisine, par les loix Grecques, celuy qui demandoit à l’ennemy vn corps pour l’inhumer, renonçoit à la victoire, et ne lui estoit plus loisible d’en dresser trophee : à celuy qui en estoit requis, c’estoit tiltre de gain. Ainsi perdit Nicias l’auantage qu’il auoit nettement gaigné sur les Corinthiens : et au rebours, Agesilaus asseura celuy qui luy estoit bien doubteusement acquis sur les Bœotiens.Ces traits se pourroient trouuer estranges, s’il n’estoit receu de tout temps, non seulement d’estendre le soing de nous, au delà cette vie, mais encore de croire, que bien souuent les faneurs celestes nous accompaignent au tombeau, et continuent à nos reliques. Dequoy il y a tant

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Je regrette que, dans les usages et coutumes si sages de Lacédémone, ait été introduite cette cérémonie si empreinte de fausseté : À la mort des rois, tous les confédérés et peuples voisins, ainsi que tous les Ilotes, hommes et femmes, allaient pêle-mêle, se tailladant le front en signe de deuil, disant dans leurs cris et lamentations que le défunt, quel qu’il eût été, était le meilleur de tous les rois qu’ils avaient eus ; donnant ainsi à la situation les louanges qui auraient dû revenir au mérite et reléguant au dernier rang ce qui le constitue et lui assigne le premier. Réflexions sur ce mot de Solon, que nul, avant sa mort, ne peut être dit heureux. — Aristote, qui traite tous les sujets, recherche à propos de ce mot de Solon : « Que nul, avant sa mort, ne peut être dit heureux », si celui-là même qui a vécu et a eu une mort telle qu’on peut la souhaiter, peut être qualifié d’heureux, s’il laisse une mauvaise renommée ou sa postérité dans le malheur. Tant que nous vivons, nous avons la faculté de faire que notre pensée se reporte où nous voulons ; quand nous avons cessé d’exister, nous n’avons plus aucune communication avec le monde vivant, c’est pourquoi Solon eût été mieux fondé à dire que jamais l’homme n’est heureux, puisqu’il ne peut l’être qu’après sa mort : « On trouve à peine un sage qui s’arrache totalement à la vie et la rejette ; ignorant de l’avenir, l’homme s’imagine qu’une partie de son être lui survit, et il ne peut s’affranchir de ce corps qui périt et tombe (Lucrèce). » Honneurs rendus et influence prêtée à certains, après leur mort. — Bertrand du Guesclin mourut au siège du château de Randon, près du Puy, en Auvergne ; les assiégés ayant capitulé après sa mort, furent contraints d’aller déposer les clefs de la place sur son cadavre. — Barthélémy d’Alviane, général de l’armée vénitienne, étant mort en guerroyant autour de Brescia, il fallait, pour ramener son corps à Venise, traverser le territoire ennemi de Vérone ; la plupart des chefs vénitiens étaient d’avis qu’on demandât un sauf-conduit aux Véronais, pour le passage dans leur état ; Théodore Trivulce s’y opposa, préférant passer de vive force, dut-on combattre : « N’étant pas convenable, dit-il, que celui qui, en sa vie, n’avait jamais eu peur de ses ennemis, semblât les redouter après sa mort. » — Les lois grecques nous présentent quelque chose d’analogue : celui qui demandait un corps à l’ennemi, pour lui rendre les honneurs de la sépulture, renonçait par cela même à la victoire, et il ne pouvait plus la consacrer par un trophée ; celui auquel la demande était faite, était réputé vainqueur. Nicias perdit ainsi l’avantage, qu’il avait cependant nettement gagné sur les Corinthiens ; et inversement, Agésilas assura de la sorte un succès des plus douteux remporté sur les Béotiens. Ces faits pourraient paraître étranges si, de tous temps, à la préoccupation de lui-même au delà de cette vie, l’homme n’avait joint la croyance que bien souvent les faveurs célestes nous accompagnent au tombeau et s’étendent à nos restes ; les exemples

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d’exemples anciens, laissant à part les nostres, qu’il n’est besoing que ie m’y estende. Edouard premier Roy d’Angleterre, ayant essayé aux longues guerres d’entre luy et Robert Roy d’Escosse, combien sa présence donnoit d’aduantage à ses affaires, rapportant tousiours la victoire de ce qu’il entreprenoit en personne ; mourant, obligea son fils par solennel serment, à ce qu’estant trespassé, il fist bouillir son corps pour desprendre sa chair d’auec les os, laquelle il fit enterrer : et quant aux os, qu’il les reseruast pour les porter auec luy, et en son armee, toutes les fois qu’il luy aduiendroit d’auoir guerre contre les Escossois : comme si la destinée auoit fatalement attaché la victoire à ses membres. Iean Zischa, qui troubla la Bohême pour la deffence des erreurs de VViclef, voulut qu’on l’escorchast après sa mort, et de sa peau qu’on fist vn tabourin à porter à la guerre contre ses ennemis : estimant que cela ayderoit à continuer les aduantages qu’il auoit eus aux guerres, par luy conduictes contre eux. Certains Indiens portoient ainsin au combat contre les Espaignols, les ossemens d’vn de leurs Capitaines, en considération de l’heur qu’il auoit eu en viuant. Et d’autres peuples en ce mesme monde, traînent à la guerre les corps des vaillans hommes, qui sont morts en leurs batailles, pour leur seruir de bonne fortune et d’encouragement. Les premiers exemples ne reseruent au tombeau, que la réputation acquise par leurs actions passées : mais ceux-cy y veulent encore mesler la puissance d’agir.Le faict du Capitaine Bayard est de meilleure composition, lequel se sentant blessé à mort d’vne harquebusade dans le corps, conseillé de se retirer de la meslee, respondit qu’il ne commenceroit point sur sa fin à tourner le dos à l’ennemy : et ayant combatu autant qu’il eut de force, se sentant défaillir, et eschapper du cheual, commanda à son maistre d’hostel, de le coucher au pied d’vn arbre : mais que ce fust en façon qu’il mourust le visage tourné vers l’ennemy : comme il fit.Il me faut adiouster cet autre exemple aussi remarquable pour cette considération, que nul des precedens. L’Empereur Maximilian bisayeul du Roy Philippes, qui est à présent, estoit Prince doué de tout plein de grandes qualitez, et entre autres d’vne beauté de corps singulière : mais parmy ces humeurs, il auoit ceste cy bien contraire à celle des Princes, qui pour despescher les plus importants affaires, font leur throsne de leur chaire percee : c’est qu’il n’eut iamais valet de chambre, si priué, à qui il permist de le voir en sa garderobbe : il se desroboit pour tomber de l’eau, aussi religieux qu’vne pucelle à ne descouurir ny à Médecin ny à qui que ce fust les parties qu’on a accoustumé de tenir cachées. Moy qui ay la bouche si effrontée, suis pourtant par complexion touché de cette

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sur ce point abondent tellement, chez les anciens comme chez nous, qu’il ne m’est pas besoin d’insister. — Édouard premier, roi d’Angleterre, ayant constaté dans ses longues guerres contre Robert, roi d’Écosse, combien sa présence contribuait à ses succès, la victoire lui demeurant partout où il se trouvait en personne ; sur le point de rendre le dernier soupir, obligea son fils, par un serment solennel, à faire, une fois mort, bouillir son corps ; pour que, les chairs se séparant des os, il enterrât celles-là et transportât ceux-ci avec lui à l’armée, chaque fois qu’il marcherait contre les Écossais ; comme si la destinée avait fatalement attaché la victoire à la présence de ses ossements. — Jean Ghiska, qui troubla la Bohême pour la défense des erreurs de Wiclef, voulut qu’après sa mort, on l’écorchât ; et que, de sa peau, on fît un tambour, que l’on emporterait, lorsqu’on prendrait les armes contre ses ennemis ; estimant aider ainsi à la continuation des avantages qu’il avait obtenus, dans les guerres qu’il avait dirigées contre eux. — Certaines tribus indiennes portaient de même au combat contre les Espagnols, les ossements d’un de leurs chefs, en raison des chances heureuses qu’il avait eues en son vivant ; d’autres peuplades, sur ce même continent, traînent avec elles, lorsqu’elles vont en guerre, les corps de ceux de leurs guerriers qui se sont distingués par leur vaillance et ont péri dans les combats, comme susceptibles de leur porter bonheur et de servir d’encouragement. — Des exemples qui précèdent, les premiers montrent le souvenir de nos hauts faits, nous suivant au tombeau ; les derniers attribuent, en outre, à ce souvenir, une action effective. Fermeté de Bayard sur le point d’expirer. — Le cas de Bayard est plus admissible : ce capitaine, se sentant blessé à mort d’une arquebusade dans le corps, pressé de se retirer du combat, répondit que ce n’était pas au moment où il touchait à sa fin, qu’il commencerait à tourner le dos à l’ennemi ; et il continua à combattre, tant que ses forces le lui permirent ; jusqu’à ce que se sentant défaillir et ne pouvant plus tenir à cheval, il commanda à son écuyer de le coucher au pied d’un arbre, mais de telle façon qu’il mourût le visage tourné vers l’ennemi ; et ainsi fut fait. Particularités afférentes à l’empereur Maximilien et à Cyrus. — J’ajouterai cet autre exemple, comme aussi remarquable en son genre que les précédents : l’empereur Maximilien, bisaïeul du roi Philippe actuellement régnant, était un prince doué de nombreuses et éminentes qualités, et remarquable entre autres par sa beauté physique. Parmi ses singularités, il avait celle-ci qui ne ressemble guère à celle de ces princes qui, trônant sur leur chaise percée, y traitent les affaires les plus importantes, c’est que jamais il n’eut de valet de chambre avec lequel il fût familier, au point de se laisser voir par lui à la garde robe ; il se cachait pour uriner, aussi pudibond qu’une pucelle, pour ne découvrir à qui que ce fût, pas même à son médecin, les parties du corps qu’on a coutume de tenir cachées. Moi, qui ai un langage si libre, je suis cependant, par

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honte : si ce n’est à vne grande suasion de la nécessité ou de la volupté, ie ne communique gueres aux yeux de personne, les membres et actions, que nostre coustume ordonne estre couuertes : i’y souffre plus de contrainte que ie n’estime bien seant à vn homme, et sur tout à vn homme de ma profession : mais luy en vint à telle superstition, qu’il ordonna par parolles expresses de son testament, qu’on luy attachast des calessons, quand il seroit mort. Il deuoit adiouster par codicille, que celuy qui les luy monteroit eust les yeux bandez. L’ordonnance que Cyrus faict à ses enfans, que ny eux, ny autre, ne voye et touche son corps, après que l’ame en sera séparée : ie l’attribue à quelque sienne deuotion : car et son Historien et luy, entre leurs grandes qualitez, ont semé par tout le cours de leur vie, vn singulier soin et reuerence à la religion.Ce conte me despleut, qu’vn grand me fit d’vn mien allié, homme assez cogneu et en paix et en guerre. C’est que mourant bien vieil en sa cour, tourmenté de douleurs extremes de la pierre, il amusa toutes ses heures dernieres auec vn soing vehement, à disposer l’honneur et la ceremonie de son enterrement : et somma toute la noblesse qui le visitoit, de luy donner parolle d’assister à son conuoy. À ce Prince mesme, qui le vid sur ces derniers traits, il fit vne instante supplication que sa maison fust commandee de s’y trouuer ; employant plusieurs exemples et raisons, à prouuer que c’estoit chose qui appartenoit à vn homme de sa sorte : et sembla expirer content ayant retiré cette promesse, et ordonné à son gré la distribution, et ordre de sa montre. Ie n’ay guère veu de vanité si perseuerante.Cette autre curiosité contraire, en laquelle ie n’ay point aussi faute d’exemple domestique, me semble germaine à ceste-cy : d’aller se soignant et passionnant à ce dernier poinct, à regler son conuoy, à quelque particulière et inusitée parsimonie, à vn seruiteur et vne lanterne. Ie voy louer cett’humeur, et l’ordonnance de Marcus Æmylius Lepidus, qui deffendit à ses héritiers d’employer pour luy les cérémonies qu’on auoit accoustumé en telles choses. Est-ce encore tempérance et frugalité, d’euiter la despence et la volupté, desquelles l’vsage et la cognoissance nous est imperceptible ? Voila vne aisée reformation et de peu de coust. S’il estoit besoin d’en ordonner, ie seroy d’aduis, qu’en celle là, comme en toutes actions de la vie, chascun en rapportast la regle, au degré de sa fortune. Et le Philosophe Lycon prescrit sagement à ses amis,

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tempérament, également enclin à semblable retenue ; et, à moins que je n’y sois amené par nécessité ou par volupté, je n’expose guère, aux yeux de personne, les parties de mon corps ou les actes intimes que nos mœurs nous font une loi de dérober à la vue ; et je m’en fais une obligation plus grande, qu’à mon sens il ne convient à un homme, surtout à un homme de ma profession. L’empereur Maximilien en était arrivé à une telle exagération, qu’il ordonna expressément dans son testament, qu’on lui mît un caleçon quand il serait mort ; il eût dû ajouter aussi, par codicille, que celui qui le lui mettrait, le ferait les yeux bandés. — La volonté qu’exprima Cyrus à ses enfants, que ni eux, ni personne ne touchât à son corps après sa mort, vient, j’imagine, de quelque pratique de dévotion qui devait lui être propre ; et, ce qui me porte à le croire, c’est que son historien et lui-même, entre autres grandes qualités, ont manifesté dans tout le cours de leur vie, un soin et un respect tout particuliers pour la religion. Nos funérailles doivent être en rapport avec notre situation, et n’être ni d’une pompe exagérée ni mesquines. — Le fait suivant ne me plaît guère ; il m’a été conté par un homme de haut rang et s’applique à une personne qui me touche de près, assez connue par les situations qu’elle a occupées pendant la paix comme durant la guerre. Cette personne, qui mourut à sa cour à un âge avancé, souffrant cruellement de la pierre, passa ses dernières heures, uniquement occupée à régler avec un soin exagéré la cérémonie de son enterrement, s’appliquant à ce qu’elle eût le plus de relief possible. Il demandait à toute la noblesse qui le visitait, d’engager sa parole d’assister à son convoi ; au prince lui-même, de qui je tiens le fait et qui le vit à ses derniers moments, il demanda avec instance d’y faire assister sa maison, citant des exemples, donnant des raisons pour prouver que cela était dû à un homme de sa condition ; et, en ayant obtenu la promesse et arrêté, selon ses idées, la distribution et l’ordre de cette parade, il sembla expirer satisfait. Je n’ai guère vu de vanité plus persistante. S’ingénier à régler son service funèbre, soit d’une façon bizarre, soit avec une parcimonie peu ordinaire ; le réduire par exemple à un serviteur se bornant à porter une lanterne est une singularité inverse de la précédente, quoique sa proche parente, et dont aussi je trouverais aisément des exemples dans ma famille. Il en est cependant qui l’approuvent ; de même qu’ils approuvent la défense que fit Marcus Lepidus à ses héritiers, d’employer à son égard le cérémonial accoutumé en pareil cas. Si en agissant ainsi, on croit faire acte de tempérance et d’austérité, en évitant une dépense et une satisfaction dont nous ne serons plus à même d’être témoin ni de jouir, c’est là une réforme aisée et peu coûteuse. S’il me fallait décider sur ce point ; je serais d’avis que dans cette circonstance, comme dans toutes les actions de la vie, chacun doit se régler sur sa situation dans la société et que le philosophe Lycon fit acte de sagesse, quand il prescrivit à ses amis de l’enterrer là où ils

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de mettre son corps où ils aduiseront pour le mieux : et quant aux funerailles, de les faire ny superflues ny mechaniques. Ie lairrois purement la coustume ordonner de cette ceremonie, et m’en remettray à la discrétion des premiers à qui ie tomberay en charge. Totiis hic locus est contemnendus in nobis, non negligendus in nostris. Et est sainctement dict à vn sainct : Curatio funeris, conditio sepulturæ, pompa exequiarum, magis sunt viuorum solatia, quàm subsidia mortuorum. Pourtant Socrates à Criton, qui sur l’heure de sa fin luy demande, comment il veut estre enterré : Comme vous voudrez, respond-il. Si i’auois à m’en empescher plus auant, ie trouuerois plus galand, d’imiter ceux qui entreprennent viuans et respirans, iouyr de l’ordre et honneur de leur sepulture : et qui se plaisent de voir en marbre leur morte contenance. Heureux qui sachent resiouyr et gratifier leur sens par l’insensibilité, et viure de leur mort !À peu, que ie n’entre en haine irréconciliable contre toute domination populaire : quoy qu’elle me semble la plus naturelle et équitable : quand il me souuient de cette inhumaine iniustice du peuple Athenien : de faire mourir sans remission, et sans les vouloir seulement ouïr en leurs défenses, ces braues Capitaines, venants de gaigner contre les Lacedemoniens la bataille naualle près les Isles Arginenses : la plus contestee, la plus forte bataille, que les Grecs aient onques donnee en mer de leurs forces : par ce qu’après la victoire, ils auoient suiuy les occasions que la loy de la guerre leur presentoit, plustost que de s’arrester à recueillir et inhumer leurs morts. Et rend cette exécution plus odieuse, le faict de Diomedon. Cettuy cy est l’vn des condamnez, homme de notable vertu, et militaire et politique : lequel se tirant auant pour parler, après auoir ouy l’arrest de leur condemnation, et trouuant seulement lors temps de paisible audience, au lieu de s’en seruir au bien de sa cause, et à descouurir l’euidente iniquité d’vne si cruelle conclusion, ne représenta qu’vn soin de la conseruation de ses iuges : priant les Dieux de tourner ce iugement à leur bien : et à fin que, par faute de rendre les vœux que luy et ses compagnons auoient voué, en recognoissance d’vne si illustre fortune, ils n’attirassent l’ire des Dieux sur eux, les aduertissant quels vœux c’estoient. Et sans dire autre chose, et sans marchander, s’achemina de ce pas courageusement au supplice.La fortune quelques

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trouveraient que ce serait pour le mieux et de lui faire des funérailles ni exagérées, ni mesquines. En ce qui me touche, qu’on se conforme simplement à ce qui sera dans les usages ; je m’en remets à la discrétion de ceux à la charge desquels je me trouverai à ce moment : « C’est un soin qu’il faut mépriser pour soi-même et ne pas négliger pour les siens (Cicéron). » Saint Augustin parle un langage digne de lui, quand il dit : « Le soin des funérailles, le choix de la sépulture, la pompe des obsèques, sont moins nécessaires à la tranquillité des morts, qu’à la consolation des vivants. » C’est dans ce même esprit que Socrates répondait à Criton lui demandant, au moment de sa mort, comment il voulait être enterré : « Comme vous voudrez. » Si j’étais amené à m’en occuper complètement, il me plairait assez d’imiter ceux qui, de leur vivant et en pleine possession d’eux-mêmes, entreprennent de jouir par avance des honneurs funèbres qui leur seront rendus et se délectent à voir leur effigie reproduite sur le marbre de leur tombeau. Heureux ceux pour lesquels voir ce qu’ils seront, quand ils ne seront plus, est une jouissance et qui vivent de leur propre mort. Cruelle et dangereuse superstition des Athéniens sur la sépulture à donner aux morts. — Bien que je tienne la souveraineté du peuple comme la plus naturelle et la plus rationnelle, peu s’en faut que je n’en devienne un adversaire irréconciliable tant j’éprouve d’aversion contre elle, lorsque je me remémore l’injustice et l’inhumanité du peuple d’Athènes, condamnant à mort, sans même vouloir les entendre dans leur défense, et ordonnant l’exécution immédiate de ces vaillants capitaines qui venaient de vaincre les Lacédémoniens, près des îles Argineuses, dans la bataille navale la plus disputée et la plus considérable que les Grecs aient jamais livrée sur mer, par l’importance des forces, entièrement composées de navires grecs, qui se trouvaient en présence. Et pourquoi cette condamnation ? Parce que ces chefs, après la victoire, s’étaient appliqués, conformément aux principes de l’art de la guerre, à poursuivre les résultats qu’elle pouvait leur procurer, au lieu de s’attarder à recueillir leurs morts et à leur rendre les derniers devoirs. L’odieux de cette exécution est encore accru par l’attitude de Diomédon, l’un des condamnés, soldat et homme politique de haut mérite. Après le prononcé de la sentence, le calme s’étant rétabli dans l’assemblée, et se trouvant seulement alors, avoir possibilité de prendre la parole, Diomédon, au lieu d’en user pour le bien de sa cause, de faire ressortir l’évidente iniquité d’un si cruel verdict, n’a souci que de ses juges ; il prie les dieux que ce jugement tourne à leur avantage, et leur fait connaître les vœux que ses compagnons et lui ont faits à la Divinité, en reconnaissance de l’éclatant succès qu’ils ont obtenu, afin que faute de les tenir, ils ne s’attirent la colère céleste ; puis, sans rien ajouter autre, sans faire entendre aucune récrimination, il marche courageusement au supplice. Quelques années après, la Fortune punit les Athéniens par là

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années après les punit de mesme pain souppe. Car Chabrias Capitaine general de leur armee de mer, ayant eu le dessus du combat contre Pollis Admiral de Sparte, en l’isle de Naxe, perdit le fruict tout net et content de sa victoire, tres-important à leurs affaires, pour n’encourir le malheur de cet exemple, et pour ne perdre peu de corps morts de ses amis, qui flottoyent en mer, laissa voguer en sauueté vn monde d’ennemis viuants, qui depuis leur feirent bien acheter cette importune superstition. Quæris, quo iaceas, post obitum, loco ? Quo non nata iacent. Cet autre redonne le sentiment du repos, à vn corps sans ame, Neque sepulcrum, quo recipiat, habeat portum corporis : Vbi, remissa humana vita, corpus requiescat à malis. Tout ainsi que nature nous faict voir, que plusieurs choses mortes ont encore des relations occultes à la vie. Le vin s’altere aux caues, selon aucunes mutations des saisons de sa vigne. Et la chair de venaison change d’estat aux saloirs et de goust, selon les loix de la chair viue, à ce qu’on dit. CHAPITRE IIII. Comme l’âme descharge ses passions sur des obiects faux, quand les vrais luy défaillent. Vn Gentil-homme des nostres merueilleusement subiect à la goutte, estant pressé par les Medecins de laisser du tout l’vsage des viandes salées, auoit accoustumé de respondre plaisamment, que sur les efforts et tourments du mal, il vouloit auoir à qui s’en prendre ; et que s’escriant et maudissant tantost le ceruelat, tantost la langue de bœuf et le iambon, il s’en sentoit d’autant allégé. Mais en bon escient, comme le bras estant haussé pour frapper, il nous deult si le coup ne rencontre, et qu’il aille au vent : aussi que pour rendre vne veuë plaisante, il ne faut pas qu’elle soit perduë et escartee dans le vague de l’air, ains qu’elle ayt butte pour la soustenir à raisonnable distance. Ventus vt amitit vires, nisi robore densæ Occurrant siluæ spatio diffusus inani. De mesme il semble que l’ame esbranlee et esmeuë se perde en

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même où ils avaient péché : Chabrias, capitaine général de leur flotte, ayant battu, près de l’île de Naxos, Pollis amiral de Sparte, perdit, par la crainte d’un sort semblable, tout le fruit immédiat d’une victoire qui était pour eux d’une importance capitale. Pour ne pas laisser sans sépulture les corps de quelques-uns des siens qui surnageaient sur les flots, il laissa échapper un nombre considérable d’ennemis qui, mis à nouveau en ligne contre lui, lui firent, depuis, payer cher l’observation si inopportune de cette superstition. — « Tu voudrais savoir où tu seras après ta mort ? Tu iras où sont les choses encore à naître (Sénèque). » Une autre école, au contraire, concède en principe le repos au corps que l’âme abandonne : « Qu’il n’ait pas de tombeau pour le recevoir et où, déchargé du poids de la vie, son corps puisse reposer en paix (Ennius). » Tout nous porte à croire que la mort n’est pas notre fin dernière ; et la nature elle-même nous fournit des exemples de relations mystérieuses entre ce qui n’est plus et ce qui vit encore : le vin ne subit-il pas dans la cave des modifications correspondant à celles que les saisons impriment à la vigne ; ne dit-on pas aussi que les viandes provenant des animaux tués à la chasse conservées dans les saloirs, se modifient et que leur goût change, comme il arrive de la chair ces mêmes animaux encore vivants. CHAPITRE IV. L’âme exerce ses passions sur des objects auxquels elle s’attaque sans raison, quand ceux, cause de son délire, échappent à son action. Il faut à l’âme en proie à une passion, des objets sur lesquels, à tort ou à raison, elle l’exerce. — Un gentilhomme de notre société, sujet à de très forts accès de goutte, avait coutume de répondre en plaisantant, à ses médecins, quand ils le pressaient de renoncer à l’usage des viandes salées, que, lorsqu’il était aux prises avec son mal, et qu’il en souffrait, il voulait avoir à qui s’en prendre ; et que c’était un soulagement à sa douleur, que de pouvoir en rejeter la cause, tantôt sur le cervelas, tantôt sur la langue de bœuf ou le jambon qu’il avait pu manger et de les vouer au diable. De fait, de même que le bras levé pour frapper, nous fait mal si le coup vient à ne pas porter et à n’atteindre que le vide ; de même que pour faire ressortir un paysage, il ne faut pas qu’il soit en quelque sorte perdu et isolé dans l’espace, mais qu’il apparaisse, à distance convenable, sur un fond approprié ; « de même que le vent, si d’épaisses forêts ne viennent lui faire obstacle, perd ses forces et se dissipe dans l’immensité (Lucain) » ; de même aussi, il semble

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soy-mesme, si on ne luy donne prinse : et faut tousiours luy fournir d’obiect où elle s’abutte et agisse. Plutarque dit à propos de ceux qui s’affectionnent aux guenons et petits chiens, que la partie amoureuse qui est en nous, à faute de prise légitime, plustost que de demeurer en vain, s’en forge ainsin vne faulce et friuole. Et nous voyons que l’ame en ses passions se pipe plustost elle mesme, se dressant vn faux subiect et fantastique, voire contre sa propre créance, que de n’agir contre quelque chose. Ainsin emporte les bestes leur rage à s’attaquer à la pierre et au fer, qui les a blessées : et à se venger à belles dents sur soy-mesmes du mal qu’elles sentent. Pannonis haud aliter post ictum sæuior vrsa Cui iaculum parua Lybis amentauit habena, Se rolat in vulnus, telumque irata receptum Impetit, et secum fugientem circuit hastam. Quelles causes n’inuentons nous des malheurs qui nous aduiennent ? a quoy ne nous prenons nous à tort ou à droit, pour auoir où nous escrimer ? Ce ne sont pas ces tresses blondes, que tu deschires, ny la blancheur de cette poictrine, que despitée tu bats si cruellement, qui ont perdu d’vn malheureux plomb ce frere bien aymé : prens t’en ailleurs. Liuius parlant de l’armée Romaine en Espaigne, après la perte des deux frères ses grands Capitaines, Flere omnes repente, et offensare capita : c’est vn vsage commun. Et le Philosophe Bion, de ce Roy, qui de dueil s’arrachoit le poil, fut plaisant, Cetuy-cy pense-il que la pelade soulage le dueil ? Qui n’a veu mascher et engloutir les cartes, se gorger d’vne bale de dez, pour auoir où se venger de la perte de son argent ? Xerxes foita la mer et escriuit vn cartel de deffi au mont Athos : et Cyrus amusa toute vne armée plusieurs iours à se venger de la riuiere de Gyndus, pour la peur qu’il auoit eu en la passant : et Caligula ruina vne tresbelle maison, pour le plaisir que sa mère y auoit eu. Le peuple disoit en ma ieunesse, qu’vn Roy de noz voysins, ayant receu de Dieu vne bastonade, iura de s’en venger : ordonnant que

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que l’âme, troublée et agitée, s’égare quand un but lui fait défaut ; dans ses transports, il lui faut toujours à qui s’en prendre et contre qui agir. Plutarque dit, à propos de personnes qui affectionnent plus particulièrement les guenons et les petits chiens, que le besoin d’aimer qui est en nous, quand il n’a pas possibilité de s’exercer légitimement, plutôt que de demeurer inassouvi, se donne carrière sur des objets illicites ou qui n’en sont pas dignes. Nous voyons pareillement l’âme, aux prises avec la passion, plutôt que de ne pas s’y abandonner, se leurrer elle-même, et, tout en ayant conscience de son erreur, s’attaquer souvent de façon étrange à ce qui n’en peut mais. C’est ainsi que les animaux blessés s’en prennent avec rage à la pierre ou au fer qui a causé leur blessure, ou encore se déchirent eux-mêmes à belles dents, pour se venger de la douleur qu’ils ressentent : « Ainsi l’ourse de Pannonie devient plus féroce, quand elle a été atteinte du javelot que retient la mince courroie de Libye ; furieuse, elle veut mordre le trait qui la déchire et poursuit le fer qui tourne avec elle (Lucain). » Souvent en pareil cas, nous nous en prenons même à des objets inanimés. — Quelles causes n’imaginons-nous pas aux malheurs qui nous adviennent ? À qui, à quoi, à tort ou à raison, ne nous en prenons-nous pas, pour avoir contre qui nous escrimer ? — « Dans ta douleur, tu arraches tes tresses blondes, tu te déchires la poitrine, au point que le sang en macule la blancheur ; sont-elles donc cause de la mort de ce frère bien-aimé, qu’une balle mortelle a si malheureusement frappé ? Non, eh bien ! prends-t’en donc à d’autres. » — À propos de l’armée romaine qui, en Espagne, venait de perdre ses deux chefs Publius et Cneius Scipion, deux frères, tous deux grands hommes de guerre, Tite Live dit : « Dans l’armée entière, chacun se mit aussitôt à verser des larmes et à se frapper la tête. » N’est-ce pas là une coutume généralement répandue ? — Le philosophe Bion n’était-il pas dans le vrai, quand, en parlant de ce roi qui, dans les transports de sa douleur, s’arrachait la barbe et les cheveux, il disait plaisamment : « Pense-t-il donc que la pelade adoucisse le chagrin que nous cause la perte des nôtres ? » — Qui n’a vu des joueurs déchirer et mâcher les cartes, avaler les dés, dans leur dépit d’avoir perdu leur argent. — Xercès fit fouetter la mer[1] de l’Hellespont, la fit charger de fers, et accabler d’insultes, et envoya un cartel de défi au mont Athos. — Cyrus se donna en spectacle à son armée, pendant plusieurs jours, par la vengeance qu’il prétendait tirer de la rivière du Gyndus, pour la peur qu’il avait eue en la franchissant. — Caligula ne détruisit-il pas un magnifique palais, pour le déplaisir qu’y avait éprouvé sa mère, qui y avait été enfermée. Folie d’un roi voulant se venger de Dieu lui-même, d’Auguste contre Neptune, des Thraces contre le ciel en temps d’orage. — Dans ma jeunesse, il se contait dans le peuple qu’un roi de nos voisins, châtié par Dieu, jura de s’en venger.

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de dix ans on ne le priast, ny parlast de luy, ny autant qu’il estoit en son auctorité, qu’on ne creust en luy. Par où on vouloit peindre non tant la sottise, que la gloire naturelle à la nation, dequoy estoit le compte. Ce sont vices tousiours conioincts : mais telles actions tiennent, à la verité, vn peu plus encore d’outrecuidance, que de bestise. Augustus Cesar ayant esté battu de la tempeste sur mer, se print à deffier le Dieu Neptunus, et en la pompe des ieux Circenses fist oster son image du reng où elle estoit parmy les autres Dieux, pour se venger de luy. Enquoy il est encore moins excusable, que les precedens, et moins qu’il ne fut depuis, lors qu’ayant perdu vne bataille sous Quintilius Varus en Allemaigne, il alloit de colère et de desespoir, choquant sa teste contre la muraille, en s’escriant, Varus rens moy mes soldats : car ceux la surpassent toute follie, d’autant que l’impieté y est ioincte, qui s’en adressent à Dieu mesmes, ou à la fortune, comme si elle auoit des oreilles subiectes à nostre batterie. À l’exemple des Thraces, qui, quand il tonne ou esclaire, se mettent à tirer contre le ciel d’vne vengeance Titanienne, pour renger Dieu à raison, à coups de flèche. Or, comme dit cet ancien Poëte chez Plutarque, Point ne se faut courroucer aux affaires. Il ne leur chaut de toutes nos choleres. Mais nous ne dirons iamais assez d’iniures au desreglement de nostre esprit. CHAPITRE V. Si le chef d’vne place assiegee, doit sortir pour parlementer. Lvcivs Marcius Legat des Romains, en la guerre contre Perseus Roy de Macedoine, voulant gaigner le temps qu’il luy falloit encore à mettre en point son armee, sema des entregets d’accord, desquels le Roy endormy accorda trefue pour quelques iours : fournissant par ce moyen son ennemy d’opportunité et loisir pour s’armer : d’où le Roy encourut sa derniere ruine. Si est-ce, que les vieux du Senat, memoratifs des mœurs de leurs Pères, accuserent cette prattique, comme ennemie de leur stile ancien : qui fut, disoient-ils, combattre de vertu, non de finesse, ny par surprinses et rencontres de nuict, ny par fuittes apostees, et recharges inopinees : n’entre-

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Pour ce faire, il ordonna que pendant dix ans, on ne le priât pas, on ne parlât pas de lui, ni même, autant qu’il pouvait l’obtenir, qu’on ne crût pas en lui. Et ce n’était pas tant la sottise de cet acte, que ce conte avait pour objet de faire ressortir, que la gloire de la nation, dont le souverain en agissait ainsi vis-à-vis de Dieu. L’outrecuidance et la bêtise vont toujours de pair ; mais de tels faits tiennent plus encore du premier de ces défauts que du second. — L’empereur Auguste, ayant éprouvé sur mer une violente tempête, se mit à défier Neptune, et, pour se venger de lui, fit, dans les jeux solennels du cirque, ôter la statue de ce dieu d’avec celles des autres divinités, extravagance encore moins excusable que les précédentes. Il le fut davantage plus tard, quand, après la défaite en Allemagne de son lieutenant Quintilius Varus, de colère et de désespoir il allait, se heurtant la tête contre les murailles, en criant : « Varus, Varus, rends-moi mes légions. » De semblables insanités sont plus que de la folie, surtout quand l’impiété s’y joint et qu’elles s’attaquent à Dieu même, ou simplement à la Fortune, comme si elle pouvait nous voir et nous entendre. C’est agir à la façon des Thraces qui, pendant les orages, quand il tonne ou qu’il fait des éclairs, à l’instar des Titans, pensent amener les dieux à composition en les intimidant, et saucent des flèches contre le ciel. — Un ancien poète, rapporte Plutarque, dit « qu’il ne faut point nous emporter contre la marche des affaires qui, elles, n’ont pas souci de nos colères » ; nous ne saurions en effet assez condamner cette sorte de dérèglement de notre esprit. CHAPITRE V. Le commandant d’une place assiégée doit-il sortir de sa place pour parlementer ? Jadis on réprouvait la ruse contre un ennemi. — Lucius Marcius qui commandait les Romains, lors de leur guerre contre Persée, roi de Macédoine, voulant gagner le temps qui lui était encore nécessaire pour que son armée fût complètement sur pied, fit au roi des propositions de paix qui endormirent sa prudence et l’amenèrent à accorder une trêve de quelques jours, dont son ennemi profita pour compléter à loisir ses armements ; ce qui fut cause de la défaite de ce prince et lui coûta le trône et la vie. À Rome, quelques vieux sénateurs, imbus des mœurs de leurs ancêtres, condamnèrent ce procédé, comme contraire à ce qui jadis était de règle. « Alors, disaient-ils, on faisait assaut de courage et non d’astuce ; on n’avait recours ni aux surprises, ni aux attaques de nuit, non plus qu’aux fuites simulées suivies de retours inopinés ; la

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prenans guerre, qu’après l’auoir dénoncée, et souuent après auoir assigné l’heure et lieu de la bataille. De cette conscience ils renuoierent à Pyrrhus son traistre Médecin, et aux Phalisques leur desloyal maistre d’escole. C’estoient les formes vrayement Romaines, non de la Grecque subtilité et astuce Punique, où le vaincre par force est moins glorieux que par fraude. Le tromper peut seruir pour le coup : mais celuy seul se tient pour surmonté, qui scait l’auoir esté ny par ruse, ny de sort, mais par vaillance de troupe à troupe, en vue franche et iuste guerre. Il appert bien par ce langage de ces bonnes gents, qu’ils n’auoient encore receu cette belle sentence, dolus an virtus quis in hoste requirat ? Les Achaïens, dit Polybe, detestoient toute voye de tromperie en leurs guerres, n’estimants victoire, sinon où les courages des ennemis sont abbatus. Eam vir sanctus et sapiens sciet veram esse victoriam, quæ salua fide, et integra dignitate parabitur, dit vn autre : Vos ne velit, an me regnare hera : quidue ferat fors Virtute experiamur. Au Royaume de Ternate, parmy ces nations que si à pleine bouche nous appelons Barbares, la coustume porte, qu’ils n’entreprennent guerre sans l’auoir dénoncée : y adioustans ample déclaration des moiens qu’ils ont à y emploier, quels, combien d’hommes, quelles munitions, quelles armes, offensiues et defensiues. Mais aussi cela faict, ils se donnent loy de se seruir à leur guerre, sans reproche, de tout ce qui aide à vaincre.Les anciens Florentins estoient si esloignés de vouloir gaigner aduantage sur leurs ennemis par surprise, qu’ils les aduertissoient vn mois auant que de mettre leur exercite aux champs, par le continuel son de la cloche qu’ils nommoient, Martinella.Quant à nous moins superstitieux, qui tenons celuy auoir l’honneur de la guerre, qui en a le profit, et qui après Lysander, disons que, Où la peau du Lyon ne peut suffire, il y faut coudre vn lopin de celle du Regnard, les plus ordinaires occasions

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guerre ne commençait qu’après avoir été déclarée, souvent même après qu’eussent été assignés le lieu et l’heure où les armées en viendraient aux mains. C’est à ce sentiment d’honnêteté que nos pères obéissaient, en livrant à Pyrrhus son médecin qui le trahissait, et aux Phalisques leur si pervers maître d’école. En cela, ils agissaient vraiment en Romains, et non comme d’astucieux Carthaginois, ou des Grecs, qui, dans leur subtilité d’esprit, attachent plus de gloire au succès acquis par des moyens frauduleux que par la force des armes. Tromper l’ennemi est un résultat du moment ; mais un adversaire n’est réellement dompté que s’il a été vaincu non par ruse, ni par un coup du sort, mais dans une guerre[2] loyale et juste, où les deux armées étant en présence, la victoire est demeurée au plus vaillant. » Les sénateurs qui tenaient ce langage honnête, ne connaissaient évidemment pas encore cette belle maxime émise plus tard par Virgile : « Ruse ou valeur, qu’importe contre un ennemi ! » L’emploi à la guerre de toute ruse ou stratagème, dit Polybe, répugnait aux Achéens ; une victoire n’était telle, suivant eux, qu’autant que toute confiance en ses forces était anéantie chez l’ennemi. « L’homme sage et vertueux, dit Florus, doit savoir que la seule véritable victoire est celle que peuvent avouer la bonne foi et l’honneur. » « Que notre valeur décide, lisons-nous dans Ennius, si c’est à vous ou à moi que la Fortune, maîtresse des événements, destine l’empire. » Chez certains peuples, de ceux même que nous qualifions de barbares, les hostilités étaient toujours précédées d’une déclaration de guerre. — Au royaume de Ternate, l’une de ces peuplades que nous qualifions sans hésitation de barbares, on a coutume de ne commencer les hostilités qu’après avoir au préalable fait une déclaration de guerre, y ajoutant l’énumération précise des moyens qu’on se propose d’employer : le nombre d’hommes qui seront mis en ligne, la nature des armes (offensives et défensives) et des munitions dont il sera fait usage ; mais, par contre, cela fait, si l’adversaire ne se décide pas à entrer en composition, ils se considèrent dès lors comme libres d’user sans scrupule, pour obtenir le succès, de tous les moyens qui peuvent y aider. Jadis, à Florence, on était si peu porté à chercher à vaincre par surprise qu’on prévenait l’ennemi, un mois avant d’entrer en campagne, sonnant continuellement à cet effet un beffroi, appelé Martinella. Aujourd’hui, nous admettons comme licite tout ce qui peut conduire au succès ; aussi est-il de principe que le gouverneur d’une place assiégée n’en doit pas sortir pour parlementer. — Quant à nous, moins scrupuleux, nous tenons comme ayant les honneurs de la guerre, celui qui en a le profit, et, après Lysandre, estimons que « là où la peau du lion ne peut suffire, il faut y coudre un morceau de celle du renard ». Or, comme

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de surprise se tirent de cette praticque : et n’est heure, disons nous, où vn chef doiue auoir plus l’œil au guet, que celle des parlemens et traités d’accord. Et pour cette cause, c’est vne règle en la bouche de tous les hommes de guerre de nostre temps, Qu’il ne faut iamais que le Gouuerneur en vne place assiégée sorte luy mesmes pour parlementer.Du temps de nos pères cela fut reproché aux Seigneurs de Montmord et de l’Assigni, deffendans Mouson contre le Comte de Nansau. Mais aussi à ce conte, cèluy la seroit excusable, qui sortiroit en telle façon, que la seureté et l’audantage demeurast de son costé : comme fit en la ville de Regge, le Comte Guy de Rangon (s’il en faut croire du Bellay, car Guicciardin dit que ce fut luy mesmes) lors que le Seigneur de l’Escut s’en approcha pour parlementer : car il abandonna de si peu son fort, qu’vn trouble s’estant esmeu pendant ce parlement, non seulement Monsieur de l’Escut et sa trouppe, qui estoit approchée auec luy, se trouua le plus foible, de façon qu’Alexandre Triuulce y fut tué, mais luy mesme fut contrainct, pour le plus seur, de suiure le Comte, et se ietter sur sa foy à l’abri des coups dans la ville.Eumenes en la ville de Nora pressé par Antigonus qui l’assiegeoit, de sortir pour luy parler, alléguant que c’estoit raison qu’il vinst deuers luy, attendu qu’il estoit le plus grand et le plus fort : après auoir faict cette noble responce : le n’estimeray iamais homme plus grand que moy, tant que i’auray mon espee en ma puissance, n’y consentit, qu’Antigonus ne luy eust donné Ptolemaeus son propre nepueu ostage, comme il demandoit.Si est ce qu’encores en y a-il, qui se sont tresbien trouuez de sortir sur la parole de l’assaillant : tesmoing Henry de Vaux, Cheualier Champenois, lequel estant assiégé dans le Chasteau de Commercy par les Anglois, et Barthélémy de Bonnes, qui commandoit au siège, ayant par dehors faict sapper la plus part du Chasteau, si qu’il ne restoit que le feu pour accabler les assiégez sous les ruines, somma ledit Henry de sortir à parlementer pour son profict, comme il fit luy quatriesme ; et son euidente ruyne luy ayant esté montrée à l’œil, il s’en sentit singulièrement obligé à l’ennemy : à la discrétion duquel après qu’il se fut rendu et sa trouppe, le feu estant mis à la mine, les estansons de bois venus à faillir, le Chasteau fut emporté de fons en comble. Ie me fie aysement à la foy d’autruy : mais mal-aysement le

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c’est pendant qu’on parlemente et qu’on semble prêts à tomber d’accord, que les surprises se pratiquent le plus ordinairement ; nous reconnaissons que c’est surtout dans ces moments, qu’un chef doit particulièrement avoir l’œil au guet ; et c’est pour cela qu’il est de règle, chez tous les hommes de guerre de notre temps, « que le gouverneur d’une place assiégée n’en sorte jamais pour parlementer ». Nos pères ont fait reproche aux seigneurs de Montmord et de l’Assigny, défendant Pont-à-Mousson contre le comte de Nassau, d’avoir contrevenu à ce principe. — Par contre, celui-là serait excusable qui sortirait de sa place pour parlementer, mais seulement après avoir pris ses mesures pour, le cas échéant, n’avoir rien à redouter, et que tout incident pouvant se produire, tourne à son avantage. — Ainsi fit le comte Guy de Rangon, qui défendait la ville de Reggium : le seigneur de l’Écut s’étant présenté pour parlementer, Guy de Rangon s’éloigna si peu de la place, qu’une échauffourée s’étant produite pendant les pourparlers, non seulement M. de l’Écut et son escorte, dont était Alexandre Trivulce qui y fut tué, eurent le dessous, mais lui-même, pour sa propre sûreté, fut dans l’obligation d’entrer en ville avec le comte qui le prit sous sa sauvegarde. Ce fait est attribué par du Bellay au comte de Rangon ; Guicciardin, qui le rapporte également, se l’attribue à lui-même. Antigone assiégeant Eumènes dans Nora et le pressant d’en sortir pour venir, en personne, parlementer avec lui, alléguant que c’était à lui, Eumènes, à venir le trouver, parce que lui, Antigone, était plus puissant et de rang plus élevé, s’attira cette noble réponse : « Je ne reconnaîtrai personne au-dessus de moi, tant que j’aurai la faculté d’user de mon épée. » Et il ne consentit à aller à lui que lorsque Antigone lui eut donné en otage Ptolémée, son propre neveu. Exemple d’un cas où le gouverneur d’une place s’est bien trouvé de se fier à son adversaire. — Et cependant, il y en a qui se sont très bien trouvés, en pareille occurrence, d’être sortis en se fiant à la parole de leur adversaire ; témoin Henry de Vaux, chevalier de Champagne, qui était assiégé par les Anglais dans le château de Commercy. Barthélémy de Bonnes, qui les commandait, ayant, de l’extérieur, réussi à saper la majeure partie du château, et n’ayant plus qu’à y mettre le feu pour accabler les assiégés sous ses ruines, manda à Henry de Vaux, qui déjà lui avait envoyé trois parlementaires, de venir de sa personne, dans son propre intérêt. Celui-ci vint, et, ayant constaté par lui-même l’imminence de la catastrophe à laquelle il ne pouvait échapper, en sut profondément gré à son ennemi et se rendit à discrétion, lui et sa troupe ; le feu ayant alors été mis à la mine, les bois qui étançonnaient les murailles cédèrent et le château croula, ruiné de fond en comble. Pour moi, j’ai assez facilement foi en autrui ; cependant je m’y

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feroi-ie, lors que ie donrois à iuger l’auoir plustost faict par désespoir et faute de cœur, que par franchise et fiance de sa loyauté. CHAPITRE VI. L’heure des parlemens dangereuse. Tovtes-fois ie vis dernierement en mon voysinage de Mussidan, que ceux qui en furent délogez à force par nostre armee, et autres de leur party, crioyent comme de trahison, de ce que pendant les entremises d’accord, et le traicté se continuant encores, on les auoit surpris et mis en pieces. Chose qui eust eu à l’auanture apparence en autre siecle ; mais, comme ie viens de dire, nos façons sont entierement esloignées de ces regles : et ne se doit attendre fiance des vns aux autres, que le dernier seau d’obligation n’y soit passé : encores y a il lors assés affaire.Et a tousiours esté conseil hazardeux, de fier à la licence d’vne armee victorieuse l’obseruation de la foy, qu’on a donnee à vne ville, qui vient de se rendre par douce et fauorable composition, et d’en laisser sur la chaude, l’entree libre aux soldats. L. Æmylius Regillus Preteur Romain, ayant perdu son temps à essayer de prendre la ville de Phocees à force, pour la singulière proüesse des habitants à se bien defendre, feit pache auec eux, de les receuoir pour amis du peuple Romain, et d’y entrer comme en ville confederee : leur ostant toute crainte d’action hostile. Mais y ayant quand et luy introduict son armee, pour s’y faire voir en plus de pompe, il ne fut en sa puissance, quelque effort qu’il y employast, de tenir la bride à ses gents : et veit deuant ses yeux fourrager bonne partie de la ville : les droicts de l’auarice et de la vengeance suppeditant ceux de son autorité et de la discipline militaire.Cleomenes disoit, Que quelque mal qu’on peust faire aux ennemis en guerre, cela estoit par-dessus la Iustice, et non subiect à icelle, tant enuers les Dieux, qu’enuers les hommes : et ayant faict treue auec les Argiens pour sept iours, la troisiesme nuict après il les alla charger tous endormis, et les défict, alleguant qu’en sa treue il n’auoit pas esté parlé des nuicts : mais les Dieux vengèrent ceste perfide subtilité.Pendant le par-

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Fichier source défectueux[modifier]

Des pages sont en désordre. Pages 51, 52, etc. --Pikinez (d) 18 janvier 2016 à 11:53 (UTC)[répondre]

En effet. J’ai corrigé l’ordre lors de la transclusion dans le chapitre 2, mais ce n’est pas très satisfaisant… 26 octobre 2016 à 08:10 (UTC)
Notification Seudo et Pikinez : J'ai inversé les pages concernées et a priori tout est ok maintenant. --Shev123 (d) 27 janvier 2019 à 15:19 (UTC)[répondre]
Merci Shev123 !Merci ! --Pikinez (d) 27 janvier 2019 à 20:06 (UTC)[répondre]

Version en texte modernisé[modifier]

Je commence une version en texte modernisé seul. Je pense que beaucoup de lecteurs n’ont pas besoin des deux versions à la fois ; de plus, la version en deux colonnes passe mal à l’export PDF.

Le résultat : Essais/édition Michaud, 1907/Texte modernisé. Seudo (d) 25 octobre 2016 à 20:38 (UTC)[répondre]

Je suis d'accord. A terme, une fois les deux textes corrigés, nous pourrons aussi faire un double sommaire, avec des transclusions séparées, plutôt que de chercher à coller à l'édition du livre en mettant systématiquement les deux textes en regard. --Consulnico (d) 25 octobre 2016 à 21:21 (UTC)[répondre]
C’est bien l’idée. Toutes les versions sont utiles (avec les deux textes, il faudrait mieux caler les pages une en face de l'autre, car l’intérêt principal est de faciliter la lecture du texte ancien). Seudo (d) 25 octobre 2016 à 21:37 (UTC)[répondre]