Les Cinq Filles de Mrs Bennet
Pride and Prejudice
Pride and Prejudice
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Ce volume a été déposé à la Bibliothèque Nationale en 1932. |
Ce volume a été déposé à la Bibliothèque Nationale en 1932. |
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Les intrigues sont simples, quoique nourries d’incidents |
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multiples et variés. Contemporaine des débuts |
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du romantisme, Jane Austen y est restée à peu près |
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étrangère. Elle ne se complaît pas dans la peinture |
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des situations tragiques ni des passions violentes. |
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Observatrice avant tout, elle cherche seulement dans |
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l’intrigue l’occasion de provoquer le jeu des sentiments, |
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de mettre en lumière l’évolution des principaux |
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caractères, et de marquer les traits saillants des autres. |
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C’est par là que ses personnages de premier plan |
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attirent, intéressent et captivent le lecteur. Elle pousse |
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le dédain du pittoresque jusqu’à ne pas nous faire |
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connaître leur aspect physique, mais elle arrive si bien |
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à nous les représenter « du dedans » qu’ils vivent |
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vraiment sous nos yeux. Ses héroïnes ne se montrent |
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ni très sentimentales, ni très passionnées, mais elles |
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ont bien du charme. Leurs natures sont très différentes : |
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Anne Elliot, plus tendre et un peu secrète, |
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Elinor Dashwood, raisonnable et mesurée, Emma |
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Woodhouse, pleine de confiance en elle-même, désireuse |
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de mener à son idée, et pour le plus grand bien |
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de tous, le petit monde qui l’entoure ; Elizabeth |
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Bennet, spontanée, spirituelle et gaie, portant partout |
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sa franchise et son indépendance de jugement. |
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Chacune a ses qualités, ses défauts, ses erreurs d’appréciation, |
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ses préventions. Ce qu’elles ont de commun |
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entre elles, c’est une intelligence fine, pénétrante, |
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et une certaine maturité d’esprit qui donne de la |
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valeur à toutes leurs réflexions. |
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Miss Austen n’a pas moins soigné ses personnages |
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secondaires, et nombreux parmi eux sont ceux qui |
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ont excité sa verve et son sens aigu du ridicule : |
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bourgeoises vulgaires, mères enragées de marier leurs |
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filles, dames de petite noblesse gonflées de leur importance |
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et flattées lourdement par leurs protégés, « baronets » |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/44|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/44]] |
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férus de leur titre, que la vue de leur arbre |
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généalogique remplit chaque jour d’une satisfaction |
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inlassable, jeunes filles hautaines et prétentieuses, |
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petites écervelées dont l’imagination ne rêve que bals, |
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flirts et enlèvements, se meuvent autour des personnages |
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principaux et forment un ensemble de types |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/50|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/50]] |
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comiques dont aucun ne nous laisse indifférents. De |
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même qu’un lecteur de ''David Copperfield'' n’oubliera |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/52|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/52]] |
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pas Mr. Micawber et Uriah Heep, celui qui a lu ''Pride'' |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/53|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/53]] |
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''and Prejudice'' conserve toujours le souvenir de lady |
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Catherine et de Mr. Collins. Au milieu de tout ce monde |
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qui s’agite, quelques observateurs, judicieux comme |
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Mr. Knightley, ou ironiques comme M. Bennet, |
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portent des jugements savoureux, incisifs, dont leur |
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entourage ne fait pas toujours son profit. |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/60|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/60]] |
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Ces récits qui se développent à loisir dans une langue |
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claire, souple et aisée, coupés de dialogues animés, |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/62|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/62]] |
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ont provoqué les éloges de plusieurs grands écrivains |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/63|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/63]] |
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anglais. Walter Scott enviait la délicatesse de touche |
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avec laquelle Jane Austen donnait de l’intérêt aux |
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incidents les plus ordinaires. Macaulay l’a comparée |
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à Shakespeare pour sa facilité à créer des caractères. |
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Thackeray reconnaissait que tous ces petits détails |
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vécus, tous ces menus faits d’observation rendent un |
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son si naturel qu’ils rappellent l’art de Swift. Lewes |
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déclarait qu’il aimerait mieux être l’auteur de ''Pride'' |
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''and Prejudice'' que d’avoir écrit tous les romans de |
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Walter Scott. Et les critiques de notre époque continuent |
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à témoigner à Jane Austen l’admiration qu’elle |
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mérite et dont elle a si peu joui de son vivant. |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/76|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/76]] |
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<br/> |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/77|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/77]] |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/78|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/78]] |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/79|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/79]] |
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<center>LES CINQ FILLES |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/82|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/82]] |
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DE MRS. BENNET |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/84|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/84]] |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/85|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/85]] |
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(PRIDE AND PREJUDICE) |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/87|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/87]] |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/89|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/89]] |
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I</center> |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/90|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/90]] |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/91|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/91]] |
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C’est une vérité universellement reconnue qu’un |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/92|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/92]] |
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célibataire pourvu d’une belle fortune doit avoir envie |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/93|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/93]] |
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de se marier, et, si peu que l’on sache de son sentiment |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/94|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/94]] |
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à cet égard, lorsqu’il arrive dans une nouvelle résidence, |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/95|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/95]] |
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cette idée est si bien fixée dans l’esprit de ses |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/96|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/96]] |
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voisins qu’ils le considèrent sur-le-champ comme la |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/97|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/97]] |
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propriété légitime de l’une ou l’autre de leurs filles. |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/98|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/98]] |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/99|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/99]] |
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— Savez-vous, mon cher ami, dit un jour Mrs. Bennet |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/100|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/100]] |
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à son mari, que Netherfield Park est enfin loué ? |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/101|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/101]] |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/102|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/102]] |
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Mr. Bennet répondit qu’il l’ignorait. |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/103|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/103]] |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/104|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/104]] |
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— Eh bien, c’est chose faite. Je le tiens de Mrs. Long |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/105|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/105]] |
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qui sort d’ici. |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/106|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/106]] |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/107|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/107]] |
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Mr. Bennet garda le silence. |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/108|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/108]] |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/109|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/109]] |
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— Vous n’avez donc pas envie de savoir qui s’y |
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installe ! s’écria sa femme impatientée. |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/111|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/111]] |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/112|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/112]] |
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— Vous brûlez de me le dire et je ne vois aucun |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/113|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/113]] |
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inconvénient à l’apprendre. |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/115|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/115]] |
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Mrs. Bennet n’en demandait pas davantage. |
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/116|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/116]] |
|||
— Eh bien, mon ami, à ce que dit Mrs. Long, le |
|||
nouveau locataire de Netherfield serait un jeune |
|||
homme très riche du nord de l’Angleterre. Il est venu |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/7== |
|||
lundi dernier en chaise de poste pour visiter la propriété |
|||
et l’a trouvée tellement à son goût qu’il s’est |
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immédiatement entendu avec Mr. Morris. Il doit s’y |
|||
installer avant la Saint-Michel et plusieurs domestiques |
|||
arrivent dès la fin de la semaine prochaine |
|||
afin de mettre la maison en état. |
|||
— Comment s’appelle-t-il ? |
|||
— Bingley. |
|||
— Marié ou célibataire ? |
|||
— Oh ! mon ami, célibataire ! célibataire et très |
|||
riche ! Quatre ou cinq mille livres de rente ! Quelle |
|||
chance pour nos filles ! |
|||
— Nos filles ? En quoi cela les touche-t-il ? |
|||
— Que vous êtes donc agaçant, mon ami ! Je pense, |
|||
vous le devinez bien, qu’il pourrait être un parti |
|||
pour l’une d’elles. |
|||
— Est-ce dans cette intention qu’il vient s’installer |
|||
ici ? |
|||
— Dans cette intention ! Quelle plaisanterie ! Comment |
|||
pouvez-vous parler ainsi ?… Tout de même, il |
|||
n’y aurait rien d’invraisemblable à ce qu’il s’éprenne |
|||
de l’une d’elles. C’est pourquoi vous ferez bien d’aller |
|||
lui rendre visite dès son arrivée. |
|||
— Je n’en vois pas l’utilité. Vous pouvez y aller |
|||
vous-même avec vos filles, ou vous pouvez les envoyer |
|||
seules, ce qui serait peut-être encore préférable, car |
|||
vous êtes si bien conservée que Mr. Bingley pourrait |
|||
se tromper et égarer sur vous sa préférence. |
|||
— Vous me flattez, mon cher. J’ai certainement eu |
|||
ma part de beauté jadis, mais aujourd’hui j’ai abdiqué |
|||
toute prétention. Lorsqu’une femme a cinq filles en |
|||
âge de se marier elle doit cesser de songer à ses propres |
|||
charmes. |
|||
— D’autant que, dans ce cas, il est rare qu’il lui |
|||
en reste beaucoup. |
|||
— Enfin, mon ami, il faut absolument que vous |
|||
alliez voir Mr. Bingley dès qu’il sera notre voisin. |
|||
— Je ne m’y engage nullement. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/8== |
|||
<br/> |
|||
— Mais pensez un peu à vos enfants, à ce que serait |
|||
pour l’une d’elles un tel établissement ! Sir William |
|||
et lady Lucas ont résolu d’y aller uniquement pour |
|||
cette raison, car vous savez que, d’ordinaire, ils ne |
|||
font jamais visite aux nouveaux venus. Je vous le |
|||
répète. Il est indispensable que vous alliez à Netherfield, |
|||
sans quoi nous ne pourrions y aller nous-mêmes. |
|||
— Vous avez vraiment trop de scrupules, ma chère. |
|||
Je suis persuadé que Mr. Bingley serait enchanté de |
|||
vous voir, et je pourrais vous confier quelques lignes |
|||
pour l’assurer de mon chaleureux consentement à |
|||
son mariage avec celle de mes filles qu’il voudra bien |
|||
choisir. Je crois, toutefois, que je mettrai un mot en |
|||
faveur de ma petite Lizzy. |
|||
— Quelle idée ! Lizzy n’a rien de plus que les autres ; |
|||
elle est beaucoup moins jolie que Jane et n’a pas la |
|||
vivacité de Lydia. |
|||
— Certes, elles n’ont pas grand’chose pour les |
|||
recommander les unes ni les autres, elles sont sottes et |
|||
ignorantes comme toutes les jeunes filles. Lizzy, pourtant, |
|||
a un peu plus d’esprit que ses sœurs. |
|||
— Oh ! Mr. Bennet, parler ainsi de ses propres |
|||
filles !… Mais vous prenez toujours plaisir à me vexer ; |
|||
vous n’avez aucune pitié pour mes pauvres nerfs ! |
|||
— Vous vous trompez, ma chère ! J’ai pour vos |
|||
nerfs le plus grand respect. Ce sont de vieux amis : |
|||
voilà plus de vingt ans que je vous entends parler |
|||
d’eux avec considération. |
|||
— Ah ! vous ne vous rendez pas compte de ce que |
|||
je souffre ! |
|||
— J’espère, cependant, que vous prendrez le dessus |
|||
et que vous vivrez assez longtemps pour voir de nombreux |
|||
jeunes gens pourvus de quatre mille livres de |
|||
rente venir s’installer dans le voisinage. |
|||
— Et quand il en viendrait vingt, à quoi cela servirait-il, |
|||
puisque vous refusez de faire leur connaissance ? |
|||
— Soyez sûre, ma chère, que lorsqu’ils atteindront |
|||
ce nombre, j’irai leur faire visite à tous. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/9== |
|||
<br/> |
|||
Mr. Bennet était un si curieux mélange de vivacité, |
|||
d’humeur sarcastique, de fantaisie et de réserve |
|||
qu’une expérience de vingt-trois années n’avait pas |
|||
suffi à sa femme pour lui faire comprendre son caractère. |
|||
Mrs. Bennet elle-même avait une nature moins |
|||
compliquée : d’intelligence médiocre, peu cultivée et |
|||
de caractère inégal, chaque fois qu’elle était de mauvaise |
|||
humeur elle s’imaginait éprouver des malaises |
|||
nerveux. Son grand souci dans l’existence était de |
|||
marier ses filles et sa distraction la plus chère, les visites |
|||
et les potins. |
|||
{{NouveauChapitre|2|from={{{from}}}|to={{{to}}}}} |
|||
<div style="text-align:center">II</div> |
|||
Mr. Bennet fut des premiers à se présenter chez |
|||
Mr. Bingley. Il avait toujours eu l’intention d’y aller, |
|||
tout en affirmant à sa femme jusqu’au dernier moment |
|||
qu’il ne s’en souciait pas, et ce fut seulement |
|||
le soir qui suivit cette visite que Mrs. Bennet en eut |
|||
connaissance. Voici comment elle l’apprit : Mr. Bennet, |
|||
qui regardait sa seconde fille occupée à garnir |
|||
un chapeau, lui dit subitement : |
|||
— J’espère, Lizzy, que Mr. Bingley le trouvera |
|||
de son goût. |
|||
— Nous ne prenons pas le chemin de connaître |
|||
les goûts de Mr. Bingley, répliqua la mère avec amertume, |
|||
puisque nous n’aurons aucune relation avec |
|||
lui. |
|||
— Vous oubliez, maman, dit Elizabeth, que nous |
|||
le rencontrerons en soirée et que Mrs. Long a promis |
|||
de nous le présenter. |
|||
— Mrs. Long n’en fera rien ; elle-même a deux |
|||
nièces à caser. C’est une femme égoïste et hypocrite. |
|||
Je n’attends rien d’elle. |
|||
— Moi non plus, dit Mr. Bennet, et je suis bien |
|||
aise de penser que vous n’aurez pas besoin de ses services. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/10== |
|||
<br/> |
|||
Mrs. Bennet ne daigna pas répondre ; mais, incapable |
|||
de se maîtriser, elle se mit à gourmander une |
|||
de ses filles : |
|||
— Kitty, pour l’amour de Dieu, ne toussez donc |
|||
pas ainsi. Ayez un peu pitié de mes nerfs. |
|||
— Kitty manque d’à-propos, dit le père, elle ne |
|||
choisit pas le bon moment pour tousser. |
|||
— Je ne tousse pas pour mon plaisir, répliqua |
|||
Kitty avec humeur. Quand doit avoir lieu votre prochain |
|||
bal, Lizzy ? |
|||
— De demain en quinze. |
|||
— Justement ! s’écria sa mère. Et Mrs. Long qui |
|||
est absente ne rentre que la veille. Il lui sera donc |
|||
impossible de nous présenter Mr. Bingley puisqu’elle-même |
|||
n’aura pas eu le temps de faire sa connaissance. |
|||
— Eh bien, chère amie, vous aurez cet avantage |
|||
sur Mrs. Long : c’est vous qui le lui présenterez. |
|||
— Impossible, Mr. Bennet, impossible, puisque je |
|||
ne le connaîtrai pas. Quel plaisir trouvez-vous à me |
|||
taquiner ainsi ? |
|||
— J’admire votre réserve ; évidemment, des relations |
|||
qui ne datent que de quinze jours sont peu de |
|||
chose, mais si nous ne prenons pas cette initiative, |
|||
d’autres la prendront à notre place. Mrs. Long sera |
|||
certainement touchée de notre amabilité et si vous ne |
|||
voulez pas faire la présentation, c’est moi qui m’en |
|||
chargerai. |
|||
Les jeunes filles regardaient leur père avec surprise. |
|||
Mrs. Bennet dit seulement : |
|||
— Sottises que tout cela. |
|||
— Quel est le sens de cette énergique exclamation ? |
|||
s’écria son mari, vise-t-elle les formes protocolaires |
|||
de la présentation ? Si oui, je ne suis pas tout à fait |
|||
de votre avis. Qu’en dites-vous, Mary ? vous qui êtes |
|||
une jeune personne réfléchie, toujours plongée dans de |
|||
gros livres ? |
|||
Mary aurait aimé faire une réflexion profonde, mais |
|||
ne trouva rien à dire. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/11== |
|||
<br/> |
|||
— Pendant que Mary rassemble ses idées, continua-t-il, |
|||
retournons à Mr. Bingley. |
|||
— Je ne veux plus entendre parler de Mr. Bingley ! |
|||
déclara Mrs. Bennet. |
|||
— J’en suis bien fâché ; pourquoi ne pas me l’avoir |
|||
dit plus tôt ? Si je l’avais su ce matin je me serais |
|||
certainement dispensé d’aller lui rendre visite. C’est |
|||
très regrettable, mais maintenant que la démarche |
|||
est faite, nous ne pouvons plus esquiver les relations. |
|||
La stupéfaction de ces dames à cette déclaration |
|||
fut aussi complète que Mr. Bennet pouvait le |
|||
souhaiter, celle de sa femme surtout, bien que, la |
|||
première explosion de joie calmée, elle assurât qu’elle |
|||
n’était nullement étonnée. |
|||
— Que vous êtes bon, mon cher ami ! Je savais |
|||
bien que je finirais par vous persuader. Vous aimez |
|||
trop vos enfants pour négliger une telle relation. |
|||
Mon Dieu, que je suis contente ! Et quelle bonne |
|||
plaisanterie aussi, d’avoir fait cette visite ce matin |
|||
et de ne nous en avoir rien dit jusqu’à présent ! |
|||
— Maintenant, Kitty, vous pouvez tousser tant |
|||
que vous voudrez, déclara Mr. Bennet. Et il se retira, |
|||
un peu fatigué des transports de sa femme. |
|||
— Quel excellent père vous avez, mes enfants ! |
|||
poursuivit celle-ci, lorsque la porte se fut refermée. — |
|||
Je ne sais comment vous pourrez jamais vous acquitter |
|||
envers lui. À notre âge, je peux bien vous l’avouer, |
|||
on ne trouve pas grand plaisir à faire sans cesse de |
|||
nouvelles connaissances. Mais pour vous, que ne |
|||
ferions-nous pas !… Lydia, ma chérie, je suis sûre |
|||
que Mr. Bingley dansera avec vous au prochain bal, |
|||
bien que vous soyez la plus jeune. |
|||
— Oh ! dit Lydia d’un ton décidé, je ne crains |
|||
rien ; je suis la plus jeune, c’est vrai, mais c’est moi |
|||
qui suis la plus grande. |
|||
Le reste de la soirée se passa en conjectures ; ces |
|||
dames se demandaient quand Mr. Bingley rendrait |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/12== |
|||
la visite de Mr. Bennet, et quel jour on pourrait l’inviter |
|||
à dîner. |
|||
{{NouveauChapitre|3|from={{{from}}}|to={{{to}}}}} |
|||
<div style="text-align:center">III</div> |
|||
Malgré toutes les questions dont Mrs. Bennet, aidée |
|||
de ses filles, accabla son mari au sujet de Mr. Bingley, |
|||
elle ne put obtenir de lui un portrait qui satisfît sa |
|||
curiosité. Ces dames livrèrent l’assaut avec une tactique |
|||
variée : questions directes, suppositions ingénieuses, |
|||
lointaines conjectures. Mais Mr. Bennet se |
|||
déroba aux manœuvres les plus habiles, et elles furent |
|||
réduites finalement à se contenter des renseignements |
|||
de seconde main fournis par leur voisine, lady Lucas. |
|||
Le rapport qu’elle leur fit était hautement favorable : |
|||
sir William, son mari, avait été enchanté du nouveau |
|||
voisin. Celui-ci était très jeune, fort joli garçon, et, |
|||
ce qui achevait de le rendre sympathique, il se proposait |
|||
d’assister au prochain bal et d’y amener tout un |
|||
groupe d’amis. Que pouvait-on rêver de mieux ? Le |
|||
goût de la danse mène tout droit à l’amour ; on pouvait |
|||
espérer beaucoup du cœur de Mr. Bingley. |
|||
— Si je pouvais voir une de mes filles heureusement |
|||
établie à Netherfield et toutes les autres aussi bien |
|||
mariées, répétait Mrs. Bennet à son mari, je n’aurais |
|||
plus rien à désirer. |
|||
Au bout de quelques jours, Mr. Bingley rendit sa |
|||
visite à Mr. Bennet, et resta avec lui une dizaine de |
|||
minutes dans la bibliothèque. Il avait espéré entrevoir |
|||
les jeunes filles dont on lui avait beaucoup vanté |
|||
le charme, mais il ne vit que le père. Ces dames furent |
|||
plus favorisées car, d’une fenêtre de l’étage supérieur, |
|||
elles eurent l’avantage de constater qu’il portait un |
|||
habit bleu et montait un cheval noir. |
|||
Une invitation à dîner lui fut envoyée peu après et, |
|||
déjà, Mrs. Bennet composait un menu qui ferait |
|||
honneur à ses qualités de maîtresse de maison quand |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/13== |
|||
la réponse de Mr. Bingley vint tout suspendre : « Il |
|||
était obligé de partir pour Londres le jour suivant, |
|||
et ne pouvait, par conséquent, avoir l’honneur d’accepter… |
|||
etc… » |
|||
Mrs. Bennet en fut toute décontenancée. Elle n’arrivait |
|||
pas à imaginer quelle affaire pouvait appeler |
|||
Mr. Bingley à Londres si tôt après son arrivée en Hertfordshire. |
|||
Allait-il, par hasard, passer son temps à se |
|||
promener d’un endroit à un autre au lieu de s’installer |
|||
convenablement à Netherfield comme c’était son |
|||
devoir ?… Lady Lucas calma un peu ses craintes en |
|||
suggérant qu’il était sans doute allé à Londres pour |
|||
chercher les amis qu’il devait amener au prochain |
|||
bal. Et bientôt se répandit la nouvelle que Mr. Bingley |
|||
amènerait avec lui douze dames et sept messieurs. |
|||
Les jeunes filles gémissaient devant un nombre |
|||
aussi exagéré de danseuses, mais, la veille du bal, |
|||
elles eurent la consolation d’apprendre que Mr. Bingley |
|||
n’avait ramené de Londres que ses cinq sœurs |
|||
et un cousin. Finalement, lorsque le contingent de |
|||
Netherfield fit son entrée dans la salle du bal, il ne |
|||
comptait en tout que cinq personnes : Mr. Bingley, ses |
|||
deux sœurs, le mari de l’aînée et un autre jeune homme. |
|||
Mr. Bingley plaisait dès l’abord par un extérieur |
|||
agréable, une allure distinguée, un air avenant et |
|||
des manières pleines d’aisance et de naturel. Ses sœurs |
|||
étaient de belles personnes d’une élégance incontestable, |
|||
et son beau-frère, Mr. Hurst, avait l’air d’un |
|||
gentleman, sans plus ; mais la haute taille, la belle |
|||
physionomie, le grand air de son ami, Mr. Darcy, |
|||
aidés de la rumeur qui cinq minutes après son arrivée, |
|||
circulait dans tous les groupes, qu’il possédait dix |
|||
mille livres de rente, attirèrent bientôt sur celui-ci |
|||
l’attention de toute la salle. |
|||
Le sexe fort le jugea très bel homme, les dames |
|||
affirmèrent qu’il était beaucoup mieux que Mr. Bingley, |
|||
et, pendant toute une partie de la soirée, on le |
|||
considéra avec la plus vive admiration. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/14== |
|||
<br/> |
|||
Peu à peu, cependant, le désappointement causé |
|||
par son attitude vint modifier cette impression favorable. |
|||
On s’aperçut bientôt qu’il était fier, qu’il regardait |
|||
tout le monde de haut et ne daignait pas exprimer |
|||
la moindre satisfaction. Du coup, toute son immense |
|||
propriété du Derbyshire ne put empêcher qu’on le |
|||
déclarât antipathique et tout le contraire de son ami. |
|||
Mr. Bingley, lui, avait eu vite fait de se mettre |
|||
en rapport avec les personnes les plus en vue de |
|||
l’assemblée. Il se montra ouvert, plein d’entiain, prit |
|||
part à toutes les danses, déplora de voir le bal se terminer |
|||
de si bonne heure, et parla d’en donner un lui-même |
|||
à Netherfield. Des manières si parfaites se |
|||
recommandent d’elles-mêmes. Quel contraste avec son |
|||
ami !… Mr. Darcy dansa seulement une fois avec |
|||
Mrs. Hurst et une fois avec miss Bingley. Il passa le |
|||
reste du temps à se promener dans la salle, n’adressant |
|||
la parole qu’aux personnes de son groupe et refusant |
|||
de se laisser présenter aux autres. Aussi fut-il vite |
|||
jugé. C’était l’homme le plus désagréable et le plus |
|||
hautain que la terre eût jamais porté, et l’on espérait |
|||
bien qu’il ne reparaîtrait à aucune autre réunion. |
|||
Parmi les personnes empressées à le condamner se |
|||
trouvait Mrs. Bennet. L’antipathie générale tournait |
|||
chez elle en rancune personnelle, Mr. Darcy ayant |
|||
fait affront à l’une de ses filles. Par suite du nombre |
|||
restreint des cavaliers, Elizabeth Bennet avait dû |
|||
rester sur sa chaise l’espace de deux danses, et, pendant |
|||
un moment, Mr. Darcy s’était tenu debout assez |
|||
près d’elle pour qu’elle pût entendre les paroles qu’il |
|||
échangeait avec Mr. Bingley venu pour le presser de |
|||
se joindre aux danseurs. |
|||
— Allons, Darcy, venez danser. Je suis agacé de |
|||
vous voir vous promener seul. C’est tout à fait ridicule. |
|||
Faites comme tout le monde et dansez. |
|||
— Non, merci ! La danse est pour moi sans charmes |
|||
à moins que je ne connaisse particulièrement une |
|||
danseuse. Je n’y prendrais aucun plaisir dans une réunion |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/15== |
|||
de ce genre. Vos sœurs ne sont pas libres et ce |
|||
serait pour moi une pénitence que d’inviter quelqu’un |
|||
d’autre. |
|||
— Vous êtes vraiment difficile ! s’écria Bingley. Je |
|||
déclare que je n’ai jamais vu dans une soirée tant de |
|||
jeunes filles aimables. Quelques-unes même, vous en |
|||
conviendrez, sont remarquablement jolies. |
|||
— Votre danseuse est la seule jolie personne de la |
|||
réunion, dit Mr. Darcy en désignant du regard l’aînée |
|||
des demoiselles Bennet. |
|||
— Oh ! c’est la plus charmante créature que j’aie |
|||
jamais rencontrée ; mais il y a une de ses sœurs assise |
|||
derrière vous qui est aussi fort agréable. Laissez-moi |
|||
demander à ma danseuse de vous présenter. |
|||
— De qui voulez-vous parler ? — Mr. Darcy se |
|||
retourna et considéra un instant Elizabeth. Rencontrant |
|||
son regard, il détourna le sien et déclara froidement. |
|||
— Elle est passable, mais pas assez jolie pour me |
|||
décider à l’inviter. Du reste je ne me sens pas en |
|||
humeur, ce soir, de m’occuper des demoiselles qui |
|||
font tapisserie. Retournez vite à votre souriante partenaire, |
|||
vous perdez votre temps avec moi. |
|||
Mr. Bingley suivit ce conseil et Mr. Darcy s’éloigna, |
|||
laissant Elizabeth animée à son égard de sentiments |
|||
très peu cordiaux. Néanmoins elle raconta l’histoire |
|||
à ses amies avec beaucoup de verve, car elle avait l’esprit |
|||
fin et un sens très vif de l’humour. |
|||
Malgré tout, ce fut, dans l’ensemble, une agréable |
|||
soirée pour tout le monde. Le cœur de Mrs. Bennet |
|||
était tout réjoui de voir sa fille aînée distinguée par |
|||
les habitants de Netherfleld. Mr. Bingley avait dansé |
|||
deux fois avec elle et ses sœurs lui avaient fait des |
|||
avances. Jane était aussi satisfaite que sa mère, mais |
|||
avec plus de calme. Elizabeth était contente du plaisir |
|||
de Jane ; Mary était fière d’avoir été présentée à |
|||
miss Bingley comme la jeune fille la plus cultivée du |
|||
pays, et Catherine et Lydia n’avaient pas manqué |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/16== |
|||
une seule danse, ce qui, à leur âge, suffisait à combler |
|||
tous leurs vœux. |
|||
Elles revinrent donc toutes de très bonne humeur à |
|||
Longbourn, le petit village dont les Bennet étaient |
|||
les principaux habitants. Mr. Bennet était encore debout ; |
|||
avec un livre il ne sentait jamais le temps |
|||
passer et, pour une fois, il était assez curieux d’entendre |
|||
le compte rendu d’une soirée qui, à l’avance, |
|||
avait fait naître tant de magnifiques espérances. Il |
|||
s’attendait un peu à voir sa femme revenir désappointée, |
|||
mais il s’aperçut vite qu’il n’en était rien. |
|||
— Oh ! mon cher Mr. Bennet, s’écria-t-elle en entrant |
|||
dans la pièce, quelle agréable soirée, quel bal |
|||
réussi ! J’aurais voulu que vous fussiez là… Jane a |
|||
eu tant de succès ! tout le monde m’en a fait compliment. |
|||
Mr. Bingley l’a trouvée tout à fait charmante. |
|||
Il a dansé deux fois avec elle ; oui, mon ami, deux fois ! |
|||
Et elle est la seule qu’il ait invitée une seconde fois. |
|||
Sa première invitation a été pour miss Lucas, — j’en |
|||
étais assez vexée, — mais il n’a point paru l’admirer |
|||
beaucoup, ce qui n’a rien de surprenant. Puis, en |
|||
voyant danser Jane, il a eu l’air charmé, a demandé |
|||
qui elle était et, s’étant fait présenter, l’a invitée |
|||
pour les deux danses suivantes. Après quoi il en a |
|||
dansé deux avec miss King, encore deux autres avec |
|||
Jane, la suivante avec Lizzy, la « boulangère » avec… |
|||
— Pour l’amour du ciel, arrêtez cette énumération, |
|||
s’écria son mari impatienté. S’il avait eu pitié |
|||
de moi il n’aurait pas dansé moitié autant. Que ne |
|||
s’est-il tordu le pied à la première danse ! |
|||
— Oh ! mon ami, continuait Mrs. Bennet, il m’a |
|||
tout à fait conquise. Physiquement, il est très bien |
|||
et ses sœurs sont des femmes charmantes. Je n’ai |
|||
rien vu d’aussi élégant que leurs toilettes. La dentelle |
|||
sur la robe de Mrs. Hurst… |
|||
Ici, nouvelle interruption, Mr. Bennet ne voulant |
|||
écouter aucune description de chiffons. Sa femme fut |
|||
donc obligée de changer de sujet et raconta avec beaucoup |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/17== |
|||
d’amertume et quelque exagération l’incident où |
|||
Mr. Darcy avait montré une si choquante grossièreté. |
|||
— Mais je vous assure, conclut-elle, qu’on ne perd |
|||
pas grand’chose à ne pas être appréciée par ce monsieur ! |
|||
C’est un homme horriblement désagréable qui |
|||
ne mérite pas qu’on cherche à lui plaire. Hautain et |
|||
dédaigneux, il se promenait de droite et de gauche |
|||
dans la salle avec l’air de se croire un personnage |
|||
extraordinaire. J’aurais aimé que vous fussiez là pour |
|||
lui dire son fait, comme vous savez le faire ! Non, |
|||
en vérité, je ne puis pas le sentir. |
|||
{{NouveauChapitre|4|from={{{from}}}|to={{{to}}}}} |
|||
<div style="text-align:center">IV</div> |
|||
Lorsque Jane et Elizabeth se trouvèrent seules, |
|||
Jane qui, jusque-là, avait mis beaucoup de réserve |
|||
dans ses louanges sur Mr. Bingley, laissa voir à sa sœur |
|||
la sympathie qu’il lui inspirait. |
|||
— Il a toutes les qualités qu’on apprécie chez un |
|||
jeune homme, dit-elle. Il est plein de sens, de bonne |
|||
humeur et d’entrain. Je n’ai jamais vu à d’autres |
|||
jeunes gens des manières aussi agréables, tant d’aisance |
|||
unie à une si bonne éducation. |
|||
— Et, de plus, ajouta Elizabeth, il est très joli |
|||
garçon, ce qui ne gâte rien. On peut donc le déclarer |
|||
parfait. |
|||
— J’ai été très flattée qu’il m’invite une seconde |
|||
fois ; je ne m’attendais pas à un tel hommage. |
|||
— Moi, je n’en ai pas été surprise. C’était très naturel. |
|||
Pouvait-il ne pas s’apeicevoir que vous étiez |
|||
infiniment plus jolie que toutes les autres danseuses ?… |
|||
Il n’y a pas lieu de lui en être reconnaissante. Ceci dit, |
|||
il est certainement très agréable et je vous autorise |
|||
à lui accorder votre sympathie. Vous l’avez donnée |
|||
à bien d’autres qui ne le valaient pas. |
|||
— Ma chère Lizzy ! |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/18== |
|||
<br/> |
|||
— La vérité c’est que vous êtes portée à juger |
|||
tout le monde avec trop de bienveillance : vous ne |
|||
voyez jamais de défaut à personne. De ma vie, je ne |
|||
vous ai entendue critiquer qui que ce soit. |
|||
— Je ne veux juger personne trop précipitamment, |
|||
mais je dis toujours ce que je pense. |
|||
— Je le sais, et c’est ce qui m’étonne. Comment, |
|||
avec votre bon sens, pouvez-vous être aussi loyalement |
|||
aveuglée sur la sottise d’autrui ? Il n’y a que |
|||
vous qui ayez assez de candeur pour ne voir jamais |
|||
chez les gens que leur bon côté… Alors, les sœurs de |
|||
ce jeune homme vous plaisent aussi ? Elles sont pourtant |
|||
beaucoup moins sympathiques que lui. |
|||
— Oui, au premier abord, mais quand on cause |
|||
avec elles on s’aperçoit qu’elles sont fort aimables. |
|||
Miss Bingley va venir habiter avec son frère, et je |
|||
serais fort surprise si nous ne trouvions en elle une |
|||
agréable voisine. |
|||
Elizabeth ne répondit pas, mais elle n’était pas |
|||
convaincue. L’attitude des sœurs de Mr. Bingley au |
|||
bal ne lui avait pas révélé chez elles le désir de se |
|||
rendre agréables à tout le monde. D’un esprit plus |
|||
observateur et d’une nature moins simple que celle |
|||
de Jane, n’étant pas, de plus, influencée par les attentions |
|||
de ces dames, Elizabeth était moins disposée à |
|||
les juger favorablement. Elle voyait en elles d’élégantes |
|||
personnes, capables de se mettre en frais pour |
|||
qui leur plaisait, mais, somme toute, fières et affectées. |
|||
Mrs. Hurst et miss Bingley étaient assez jolies , elles |
|||
avaient été élevées dans un des meilleurs pensionnats |
|||
de Londres et possédaient une fortune de vingt mille |
|||
livres, mais l’habitude de dépenser sans compter et |
|||
de fréquenter la haute société les portait à avoir |
|||
d’elles-mêmes une excellente opinion et à juger leur |
|||
prochain avec quelque dédain. Elles appartenaient à |
|||
une très bonne famille du nord de l’Angleterre, chose |
|||
dont elles se souvenaient plus volontiers que de l’origine |
|||
de leur fortune qui avait été faite dans le commerce. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/19== |
|||
<br/> |
|||
Mr. Bingley avait hérité d’environ cent mille livres |
|||
de son père. Celui-ci qui souhaitait acheter un domaine |
|||
n’avait pas vécu assez longtemps pour exécuter son |
|||
projet. Mr. Bingley avait la même intention et ses |
|||
sœurs désiraient vivement la lui voir réaliser. Bien |
|||
qu’il n’eût fait que louer Netherfield, miss Bingley était |
|||
toute prête à diriger sa maison, et Mrs. Hurst, qui |
|||
avait épousé un homme plus fashionable que fortuné, |
|||
n’était pas moins disposée à considérer la demeure |
|||
de son frère comme la sienne. Il y avait à peine deux |
|||
ans que Mr. Bingley avait atteint sa majorité, lorsque, |
|||
par un effet du hasard, il avait entendu parler du |
|||
domaine de Netherfield. Il était allé le visiter, l’avait |
|||
parcouru en une demi-heure, et, le site et la maison |
|||
lui plaisant, s’était décidé à louer sur-le-champ. |
|||
En dépit d’une grande opposition de caractères, |
|||
Bingley et Darcy étaient unis par une solide amitié. |
|||
Darcy aimait Bingley pour sa nature confiante et |
|||
docile, deux dispositions pourtant si éloignées de son |
|||
propre caractère. Bingley, de son côté, avait la plus |
|||
grande confiance dans l’amitié de Darcy et la plus |
|||
haute opinion de son jugement. Il lui était inférieur |
|||
par l’intelligence, bien que lui-même n’en fût point |
|||
dépourvu, mais Darcy était hautain, distant, d’une |
|||
courtoisie froide et décourageante, et, à cet égard, |
|||
son ami reprenait l’avantage. Partout où il paraissait, |
|||
Bingley était sûr de plaire ; les manières de Darcy |
|||
n’inspiraient trop souvent que de l’éloignement. |
|||
Il n’y avait qu’à les entendre parler du bal de |
|||
Meryton pour juger de leurs caractères : Bingley |
|||
n’avait, de sa vie, rencontré des gens plus aimables, |
|||
des jeunes filles plus jolies ; tout le monde s’était |
|||
montré plein d’attentions pour lui ; point de raideur |
|||
ni de cérémonie ; il s’était bientôt senti en pays de |
|||
connaissance : quant à miss Bennet, c’était véritablement |
|||
un ange de beauté !… Mr. Darcy, au contraire, |
|||
n’avait vu là qu’une collection de gens chez qui |
|||
il n’avait trouvé ni élégance, ni charme ; personne ne |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/20== |
|||
lui avait inspiré le moindre intérêt ; personne ne lui |
|||
avait marqué de sympathie ni procuré d’agrément. |
|||
Il reconnaissait que miss Bennet était jolie, mais elle |
|||
souriait trop. |
|||
Mrs. Hurst et sa sœur étaient de cet avis ; cependant, |
|||
Jane leur plaisait ; elles déclarèrent que c’était une |
|||
aimable personne avec laquelle on pouvait assurément |
|||
se lier. Et leur frère se sentit autorisé par ce |
|||
jugement à rêver à miss Bennet tout à sa guise. |
|||
{{NouveauChapitre|4|from={{{from}}}|to={{{to}}}}} |
|||
<div style="text-align:center">V</div> |
|||
À peu de distance de Longbourn vivait une famille |
|||
avec laquelle les Bennet étaient particulièrement liés. |
|||
Sir William Lucas avait commencé par habiter |
|||
Meryton où il se faisait une petite fortune dans les |
|||
affaires lorsqu’il s’était vu élever à la dignité de |
|||
« Knight » <ref>Chevalier.</ref> à la suite d’un discours qu’il avait |
|||
adressé au roi comme maire de la ville. Cette distinction |
|||
lui avait un peu tourné la tête en lui donnant le |
|||
dégoût du commerce et de la vie simple de sa petite |
|||
ville. Quittant l’un et l’autre, il était venu se fixer |
|||
avec sa famille dans une propriété située à un mille de |
|||
Meryton qui prit dès lors le nom de « Lucas Lodge ». |
|||
Là, délivré du joug des affaires, il pouvait à loisir |
|||
méditer sur son importance et s’appliquer à devenir |
|||
l’homme le plus courtois de l’univers. Son nouveau |
|||
titre l’enchantait, sans lui donner pour cela le moindre |
|||
soupçon d’arrogance ; il se multipliait, au contraire, |
|||
en attentions pour tout le monde. Inoffensif, bon et |
|||
serviable par nature, sa présentation à Saint-James |
|||
avait fait de lui un gentilhomme. |
|||
Lady Lucas était une très bonne personne à qui ses |
|||
facultés moyennes permettaient de voisiner agréablement |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/21== |
|||
avec Mrs. Bennet. Elle avait plusieurs enfants |
|||
et l’aînée, jeune fille de vingt-sept ans, intelligente et |
|||
pleine de bon sens, était l’amie particulière d’Elizabeth. |
|||
Les demoiselles Lucas et les demoiselles Bennet |
|||
avaient l’habitude de se réunir, après un bal, pour |
|||
échanger leurs impressions. Aussi, dès le lendemain de |
|||
la soirée de Meryton on vit arriver les demoiselles |
|||
Lucas à Longbourn. |
|||
— Vous avez bien commencé la soirée, Charlotte, |
|||
dit Mrs. Bennet à miss Lucas avec une amabilité un |
|||
peu forcée. C’est vous que Mr. Bingley a invitée la |
|||
première. |
|||
— Oui, mais il a paru de beaucoup préférer la |
|||
danseuse qu’il a invitée la seconde. |
|||
— Oh ! vous voulez parler de Jane parce qu’il l’a |
|||
fait danser deux fois. C’est vrai, il avait l’air de l’admirer |
|||
assez, et je crois même qu’il faisait plus que d’en |
|||
avoir l’air… On m’a dit là-dessus quelque chose, — |
|||
je ne sais plus trop quoi, — où il était question de |
|||
Mr. Robinson… |
|||
— Peut-être voulez-vous dire la conversation entre |
|||
Mr. Bingley et Mr. Robinson que j’ai entendue par |
|||
hasard ; ne vous l’ai-je pas répétée ? Mr. Robinson |
|||
lui demandait ce qu’il pensait de nos réunions de |
|||
Meryton, s’il ne trouvait pas qu’il y avait beaucoup |
|||
de jolies personnes parmi les danseuses et laquelle |
|||
était à son gré la plus jolie. À cette question Mr. Bingley |
|||
a répondu sans hésiter : « Oh ! l’aînée des demoiselles |
|||
Bennet ; cela ne fait pas de doute. » |
|||
— Voyez-vous ! Eh bien ! voilà qui est parler net. |
|||
Il semble en effet que… Cependant, il se peut que tout |
|||
cela ne mène à rien… |
|||
— J’ai entendu cette conversation bien à propos. |
|||
Je n’en dirai pas autant pour celle que vous avez surprise, |
|||
Eliza, dit Charlotte. Les réflexions de Mr. Darcy |
|||
sont moins gracieuses que celles de son ami. Pauvre |
|||
Eliza ! s’entendre qualifier tout juste de « passable » ! |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/22== |
|||
<br/> |
|||
— Je vous en prie, ne poussez pas Lizzy à se formaliser |
|||
de cette impertinence. Ce serait un grand |
|||
malheur de plaire à un homme aussi désagréable. |
|||
Mrs. Long me disait hier soir qu’il était resté une |
|||
demi-heure à côté d’elle sans desserrer les lèvres. |
|||
— Ne faites-vous pas erreur, maman ? dit Jane. |
|||
J’ai certainement vu Mr. Darcy lui parler. |
|||
— Eh oui, parce qu’à la fin elle lui a demandé s’il |
|||
se plaisait à Netherfield et force lui a été de répondre, |
|||
mais il paraît qu’il avait l’air très mécontent qu’on |
|||
prît la liberté de lui adresser la parole. |
|||
— Miss Bingley dit qu’il n’est jamais loquace avec |
|||
les étrangers, mais que dans l’intimité c’est le plus |
|||
aimable causeur. |
|||
— Je n’en crois pas un traître mot, mon enfant : |
|||
s’il était si aimable, il aurait causé avec Mrs. Long. |
|||
Non, je sais ce qu’il en est : Mr. Darcy, — tout le |
|||
monde en convient, — est bouffi d’orgueil. Il aura |
|||
su, je pense, que Mrs. Long n’a pas d’équipage et |
|||
que c’est dans une voiture de louage qu’elle est venue |
|||
au bal. |
|||
— Cela m’est égal qu’il n’ait pas causé avec |
|||
Mrs. Long, dit Charlotte, mais j’aurais trouvé bien |
|||
qu’il dansât avec Eliza. |
|||
— Une autre fois, Lizzy, dit la mère, à votre place, |
|||
je refuserais de danser avec lui. |
|||
— Soyez tranquille, ma mère, je crois pouvoir vous |
|||
promettre en toute sûreté que je ne danserai jamais |
|||
avec lui. |
|||
— Cet orgueil, dit miss Lucas, me choque moins |
|||
chez lui parce que j’y trouve des excuses. On ne peut |
|||
s’étonner qu’un jeune homme aussi bien physiquement |
|||
et pourvu de toutes sortes d’avantages tels que |
|||
le rang et la fortune ait de lui-même une haute opinion. |
|||
Il a, si je puis dire, un peu le droit d’avoir de |
|||
l’orgueil. |
|||
— Sans doute, fit Elizabeth, et je lui passerais |
|||
volontiers son orgueil s’il n’avait pas modifié le mien. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/23== |
|||
<br/> |
|||
— L’orgueil, observa Mary qui se piquait de psychologie, |
|||
est, je crois, un sentiment très répandu. La |
|||
nature nous y porte et bien peu parmi nous échappent |
|||
à cette complaisance que l’on nourrit pour soi-même |
|||
à cause de telles ou telles qualités souvent imaginaires. |
|||
La vanité et l’orgueil sont choses différentes, bien |
|||
qu’on emploie souvent ces deux mots l’un pour l’autre ; |
|||
on peut être orgueilleux sans être vaniteux. L’orgueil |
|||
se rapporte plus à l’opinion que nous avons de nous-mêmes, |
|||
la vanité à celle que nous voudrions que les |
|||
autres aient de nous. |
|||
— Si j’étais aussi riche que Mr. Darcy, s’écria un |
|||
jeune Lucas qui avait accompagné ses sœurs, je me moquerais |
|||
bien de tout cela ! Je commencerais par avoir |
|||
une meute pour la chasse au renard, et je boirais une |
|||
bouteille de vin fin à chacun de mes repas. |
|||
{{NouveauChapitre|4|from={{{from}}}|to={{{to}}}}} |
|||
<div style="text-align:center">VI</div> |
|||
Les dames de Longbourn ne tardèrent pas à faire |
|||
visite aux dames de Netherfield et celles-ci leur rendirent |
|||
leur politesse suivant toutes les formes. Le |
|||
charme de Jane accrut les dispositions bienveillantes |
|||
de Mrs. Hurst et de miss Bingley à son égard, et tout |
|||
en jugeant la mère ridicule et les plus jeunes sœurs |
|||
insignifiantes, elles exprimèrent aux deux aînées le |
|||
désir de faire avec elles plus ample connaissance. |
|||
Jane reçut cette marque de sympathie avec un |
|||
plaisir extrême, mais Elizabeth trouva qu’il y avait |
|||
toujours bien de la hauteur dans les manières de ces |
|||
dames, même à l’égard de sa sœur. Décidément, elle |
|||
ne les aimait point ; cependant, elle appréciait leurs |
|||
avances, voulant y voir l’effet de l’admiration que |
|||
leur frère éprouvait pour Jane. Cette admiration |
|||
devenait plus évidente à chacune de leurs rencontres |
|||
et pour Elizabeth il semblait également certain que |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/24== |
|||
Jane cédait de plus en plus à la sympathie qu’elle avait |
|||
ressentie dès le commencement pour Mr. Bingley. |
|||
Bien heureusement, pensait Elizabeth, personne ne |
|||
devait s’en apercevoir. Car, à beaucoup de sensibilité |
|||
Jane unissait une égalité d’humeur et une maîtrise |
|||
d’elle-même qui la préservait des curiosités indiscrètes. |
|||
Elizabeth fit part de ces réflexions à miss Lucas. |
|||
— Il peut être agréable en pareil cas de tromper des |
|||
indifférents, répondit Charlotte ; mais une telle réserve |
|||
ne peut-elle parfois devenir un désavantage ? Si une |
|||
jeune fille cache avec tant de soin sa préférence à |
|||
celui qui en est l’objet, elle risque de perdre l’occasion |
|||
de le fixer, et se dire ensuite que le monde n’y a rien |
|||
vu est une bien mince consolation. La gratitude et la |
|||
vanité jouent un tel rôle dans le développement d’une |
|||
inclination qu’il n’est pas prudent de l’abandonner à |
|||
elle-même. Votre sœur plaît à Bingley sans aucun |
|||
doute, mais tout peut en rester là, si elle ne l’encourage |
|||
pas. |
|||
— Votre conseil serait excellent, si le désir de faire |
|||
un beau mariage était seul en question ; mais ce |
|||
n’est pas le cas de Jane. Elle n’agit point par calcul ; |
|||
elle n’est même pas encore sûre de la profondeur du |
|||
sentiment qu’elle éprouve, et elle se demande sans |
|||
doute si ce sentiment est raisonnable. Voilà seulement |
|||
quinze jours qu’elle a fait la connaissance de Mr. Bingley : |
|||
elle a bien dansé quatre fois avec lui à Meryton, |
|||
l’a vu en visite à Netherfield un matin, et s’est trouvée |
|||
à plusieurs dîners où lui-même était invité ; mais ce |
|||
n’est pas assez pour le bien connaître. |
|||
— Allons, dit Charlotte, je fais de tout cœur des |
|||
vœux pour le bonheur de Jane ; mais je crois qu’elle |
|||
aurait tout autant de chances d’être heureuse, si elle |
|||
épousait Mr. Bingley demain que si elle se met à |
|||
étudier son caractère pendant une année entière ; car |
|||
le bonheur en ménage est pure affaire de hasard. La |
|||
félicité de deux époux ne m’apparaît pas devoir être |
|||
plus grande du fait qu’ils se connaissaient à fond |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/25== |
|||
avant leur mariage ; cela n’empêche pas les divergences |
|||
de naître ensuite et de provoquer les inévitables |
|||
déceptions. Mieux vaut, à mon avis, ignorer le plus |
|||
possible les défauts de celui qui partagera votre existence ! |
|||
— Vous m’amusez, Charlotte ; mais ce n’est pas |
|||
sérieux, n’est-ce pas ? Non, et vous-même n’agiriez |
|||
pas ainsi. |
|||
Tandis qu’elle observait ainsi Mr. Bingley, Elizabeth |
|||
était bien loin de soupçonner qu’elle commençait elle-même |
|||
à attirer l’attention de son ami. Mr. Darcy avait |
|||
refusé tout d’abord de la trouver jolie. Il l’avait regardée |
|||
avec indifférence au bal de Meryton et ne s’était |
|||
occupé d’elle ensuite que pour la critiquer. Mais à peine |
|||
avait-il convaincu son entourage du manque de beauté |
|||
de la jeune fille qu’il s’aperçut que ses grands yeux |
|||
sombres donnaient à sa physionomie une expression |
|||
singulièrement intelligente. D’autres découvertes suivirent, |
|||
aussi mortifiantes : il dut reconnaître à Elizabeth |
|||
une silhouette fine et gracieuse et, lui qui avait |
|||
déclaré que ses manières n’étaient pas celles de la |
|||
haute société, il se sentit séduit par leur charme tout |
|||
spécial fait de naturel et de gaieté. |
|||
De tout ceci Elizabeth était loin de se douter. Pour |
|||
elle, Mr. Darcy était seulement quelqu’un qui ne cherchait |
|||
jamais à se rendre agréable et qui ne l’avait pas |
|||
jugée assez jolie pour la faire danser. |
|||
Mr. Darcy éprouva bientôt le désir de la mieux connaître, |
|||
mais avant de se décider à entrer en conversation |
|||
avec elle, il commença par l’écouter lorsqu’elle |
|||
causait avec ses amies. Ce fut chez sir William Lucas |
|||
où une nombreuse société se trouvait réunie que cette |
|||
manœuvre éveilla pour la première fois l’attention |
|||
d’Elizabeth. |
|||
— Je voudrais bien savoir, dit-elle à Charlotte, |
|||
pourquoi Mr. Darcy prenait tout à l’heure un si vif |
|||
intérêt à ce que je disais au colonel Forster. |
|||
— Lui seul pourrait vous le dire. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/26== |
|||
<br/> |
|||
— S’il recommence, je lui montrerai que je m’en |
|||
aperçois. Je n’aime pas son air ironique. Si je ne lui |
|||
sers pas bientôt une impertinence de ma façon, vous |
|||
verrez qu’il finira par m’intimider ! |
|||
Et comme, peu après, Mr. Darcy s’approchait des |
|||
deux jeunes filles sans manifester l’intention de leur |
|||
adresser la parole, miss Lucas mit son amie au défi |
|||
d’exécuter sa menace. Ainsi provoquée, Elizabeth se |
|||
tourna vers le nouveau venu et dit : |
|||
— N’êtes-vous pas d’avis, Mr. Darcy, que je |
|||
m’exprimais tout à l’heure avec beaucoup d’éloquence |
|||
lorsque je tourmentais le colonel Forster pour qu’il |
|||
donne un bal à Meryton ? |
|||
— Avec une grande éloquence. Mais, c’est là un |
|||
sujet qui en donne toujours aux jeunes filles. |
|||
— Vous êtes sévère pour nous. |
|||
— Et maintenant, je vais la tourmenter à son tour, |
|||
intervint miss Lucas. Eliza, j’ouvre le piano et vous |
|||
savez ce que cela veut dire… |
|||
— Quelle singulière amie vous êtes de vouloir me |
|||
faire jouer et chanter en public ! Je vous en serais |
|||
reconnaissante si j’avais des prétentions d’artiste, |
|||
mais, pour l’instant, je préférerais me taire devant un |
|||
auditoire habitué à entendre les plus célèbres virtuoses. |
|||
Puis, comme miss Lucas insistait, elle ajouta : |
|||
— C’est bien ; puisqu’il le faut, je m’exécute. |
|||
Le talent d’Elizabeth était agréable sans plus. |
|||
Quand elle eut chanté un ou deux morceaux, avant |
|||
même qu’elle eût pu répondre aux instances de ceux |
|||
qui lui en demandaient un autre, sa sœur Mary, toujours |
|||
impatiente de se produire, la remplaça au piano. |
|||
Mary, la seule des demoiselles Bennet qui ne fût |
|||
pas jolie, se donnait beaucoup de peine pour perfectionner |
|||
son éducation. Malheureusement, la vanité qui |
|||
animait son ardeur au travail lui donnait en même |
|||
temps un air pédant et satisfait qui aurait gâté un |
|||
talent plus grand que le sien. Elizabeth jouait beaucoup |
|||
moins bien que Mary, mais, simple et naturelle, |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/27== |
|||
on l’avait écoutée avec plus de plaisir que sa sœur. À |
|||
la fin d’un interminable concerto, Mary fut heureuse |
|||
d’obtenir quelques bravos en jouant des airs écossais |
|||
réclamés par ses plus jeunes sœurs qui se mirent à |
|||
danser à l’autre bout du salon avec deux ou trois |
|||
officiers et quelques membres de la famille Lucas. |
|||
Non loin de là, Mr. Darcy regardait les danseurs |
|||
avec désapprobation, ne comprenant pas qu’on pût |
|||
ainsi passer toute une soirée sans réserver un moment |
|||
pour la conversation ; il fut soudain tiré de ses réflexions |
|||
par la voix de sir William Lucas : |
|||
— Quel joli divertissement pour la jeunesse que la |
|||
danse, Mr. Darcy ! À mon avis, c’est le plaisir le |
|||
plus raffiné des sociétés civilisées. |
|||
— Certainement, monsieur, et il a l’avantage d’être |
|||
également en faveur parmi les sociétés les moins civilisées : |
|||
tous les sauvages dansent. |
|||
Sir William se contenta de sourire. |
|||
— Votre ami danse dans la perfection, continua-t-il |
|||
au bout d’un instant en voyant Bingley se joindre |
|||
au groupe des danseurs. Je ne doute pas que vous-même, |
|||
Mr. Darcy, vous n’excelliez dans cet art. |
|||
Dansez-vous souvent à la cour ? |
|||
— Jamais, monsieur. |
|||
— Ce noble lieu mériterait pourtant cet hommage |
|||
de votre part. |
|||
— C’est un hommage que je me dispense toujours |
|||
de rendre lorsque je puis m’en dispenser. |
|||
— Vous avez un hôtel à Londres, m’a-t-on dit ? |
|||
Mr. Darcy s’inclina, mais ne répondit rien. |
|||
— J’ai eu jadis des velléités de m’y fixer moi-même |
|||
car j’aurais aimé vivre dans un monde cultivé, mais |
|||
j’ai craint que l’air de la ville ne fût contraire à la santé |
|||
de lady Lucas. |
|||
Ces confidences restèrent encore sans réponse. |
|||
Voyant alors Elizabeth qui venait de leur côté, sir |
|||
William eut une idée qui lui sembla des plus galantes. |
|||
— Comment ! ma chère miss Eliza, vous ne dansez |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/28== |
|||
pas ? s’exclama-t-il. Mr. Darcy, laissez-moi vous |
|||
présenter cette jeune fille comme une danseuse remarquable. |
|||
Devant tant de beauté et de charme, je suis |
|||
certain que vous ne vous déroberez pas. |
|||
Et, saisissant la main d’Elizabeth, il allait la placer |
|||
dans celle de Mr. Darcy qui, tout étonné, l’aurait |
|||
cependant prise volontiers, lorsque la jeune fille la |
|||
retira brusquement en disant d’un ton vif : |
|||
— En vérité, monsieur, je n’ai pas la moindre envie |
|||
de danser et je vous prie de croire que je ne venais |
|||
point de ce côté quêter un cavalier. |
|||
Avec courtoisie Mr. Darcy insista pour qu’elle consentît |
|||
à lui donner la main, mais ce fut en vain. La |
|||
décision d’Elizabeth était irrévocable et sir William |
|||
lui-même ne put l’en faire revenir. |
|||
— Vous dansez si bien, miss Eliza, qu’il est cruel de |
|||
me priver du plaisir de vous regarder, et Mr. Darcy, |
|||
bien qu’il apprécie peu ce passe-temps, était certainement |
|||
tout prêt à me donner cette satisfaction pendant |
|||
une demi-heure. |
|||
Elizabeth sourit d’un air moqueur et s’éloigna. Son |
|||
refus ne lui avait point fait tort auprès de Mr. Darcy, |
|||
et il pensait à elle avec une certaine complaisance |
|||
lorsqu’il se vit interpeller par miss Bingley. |
|||
— Je devine le sujet de vos méditations, dit-elle. |
|||
— En êtes-vous sûre ? |
|||
— Vous songez certainement qu’il vous serait bien |
|||
désagréable de passer beaucoup de soirées dans le genre |
|||
de celle-ci. C’est aussi mon avis. Dieu ! que ces gens |
|||
sont insignifiants, vulgaires et prétentieux ! Je donnerais |
|||
beaucoup pour vous entendre dire ce que vous |
|||
pensez d’eux. |
|||
— Vous vous trompez tout à fait ; mes réflexions |
|||
étaient d’une nature beaucoup plus agréable : je songeais |
|||
seulement au grand plaisir que peuvent donner |
|||
deux beaux yeux dans le visage d’une jolie femme. |
|||
Miss Bingley le regarda fixement en lui demandant |
|||
quelle personne pouvait lui inspirer ce genre de réflexion. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/29== |
|||
<br/> |
|||
— Miss Elizabeth Bennet, répondit Mr. Darcy sans |
|||
sourciller. |
|||
— Miss Elizabeth Bennet ! répéta miss Bingley. Je |
|||
n’en reviens pas. Depuis combien de temps occupe-t-elle |
|||
ainsi vos pensées, et quand faudra-t-il que je vous |
|||
présente mes vœux de bonheur ? |
|||
— Voilà bien la question que j’attendais. L’imagination |
|||
des femmes court vite et saute en un clin d’œil |
|||
de l’admiration à l’amour et de l’amour au mariage. |
|||
J’étais sûr que vous alliez m’offrir vos félicitations. |
|||
— Oh ! si vous le prenez ainsi, je considère la |
|||
chose comme faite. Vous aurez en vérité une délicieuse |
|||
belle-mère et qui vous tiendra sans doute souvent compagnie |
|||
à Pemberley. |
|||
Mr. Darcy écouta ces plaisanteries avec la plus par- |
|||
faite indifférence et, rassurée par son air impassible, |
|||
miss Bingley donna libre cours à sa verve moqueuse. |
|||
{{NouveauChapitre|7|from={{{from}}}|to={{{to}}}}} |
|||
<div style="text-align:center">VII</div> |
|||
La fortune de Mr. Bennet consistait presque tout |
|||
entière en un domaine d’un revenu de 2 000 livres |
|||
mais qui, malheureusement pour ses filles, devait, à |
|||
défaut d’héritier mâle, revenir à un cousin éloigné. |
|||
L’avoir de leur mère, bien qu’appréciable, ne pouvait |
|||
compenser une telle perte. Mrs. Bennet, qui était la |
|||
fille d’un avoué de Meryton, avait hérité de son père |
|||
4 000 livres ; elle avait une sœur mariée à un Mr. Philips<ref>WS : Plilips -> Philips</ref>, |
|||
ancien clerc et successeur de son père, et un |
|||
frère honorablement établi à Londres dans le commerce. |
|||
Le village de Longbourn n’était qu’à un mille de |
|||
Meryton, distance commode pour les jeunes filles qui, |
|||
trois ou quatre fois par semaine, éprouvaient l’envie |
|||
d’aller présenter leurs devoirs à leur tante ainsi qu’à |
|||
la modiste qui lui faisait face de l’autre côté de la rue. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/30== |
|||
Les deux benjamines, d’esprit plus frivole que leurs |
|||
aînées, mettaient à rendre ces visites un empressement |
|||
particulier. Quand il n’y avait rien de mieux à faire, |
|||
une promenade à Meryton occupait leur matinée et |
|||
fournissait un sujet de conversation pour la soirée. Si |
|||
peu fertile que fût le pays en événements extraordinaires, |
|||
elles arrivaient toujours à glaner quelques nouvelles |
|||
chez leur tante. |
|||
Actuellement elles étaient comblées de joie par la |
|||
récente arrivée dans le voisinage d’un régiment de la |
|||
milice. Il devait y cantonner tout l’hiver et Meryton |
|||
était le quartier général. Les visites à Mrs. Philips |
|||
étaient maintenant fécondes en informations du plus |
|||
haut intérêt, chaque jour ajoutait quelque chose à ce |
|||
que l’on savait sur les officiers, leurs noms, leurs |
|||
familles, et bientôt l’on fit connaissance avec les officiers |
|||
eux-mêmes. Mr. Philips leur fit visite à tous, |
|||
ouvrant ainsi à ses nièces une source de félicité inconnue |
|||
jusqu’alors. Du coup, elles ne parlèrent plus |
|||
que des officiers, et la grande fortune de Mr. Bingley |
|||
dont l’idée seule faisait vibrer l’imagination de leur |
|||
mère n’était rien pour elles, comparée à l’uniforme |
|||
rouge d’un sous-lieutenant. |
|||
Un matin, après avoir écouté leur conversation sur |
|||
cet inépuisable sujet, Mr. Bennet observa froidement : |
|||
— Tout ce que vous me dites me fait penser que |
|||
vous êtes deux des filles les plus sottes de la région. |
|||
Je m’en doutais depuis quelque temps, mais aujourd’hui, |
|||
j’en suis convaincu. |
|||
Catherine déconcertée ne souffla mot, mais Lydia, |
|||
avec une parfaite indifférence, continua d’exprimer |
|||
son admiration pour le capitaine Carter et l’espoir de |
|||
le voir le jour même car il partait le lendemain pour |
|||
Londres. |
|||
— Je suis surprise, mon ami, intervint Mrs. Bennet, |
|||
de vous entendre déprécier vos filles aussi facilement. |
|||
Si j’étais en humeur de critique, ce n’est pas à mes |
|||
propres enfants que je m’attaquerais. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/31== |
|||
<br/> |
|||
— Si mes filles sont sottes, j’espère bien être capable |
|||
de m’en rendre compte. |
|||
— Oui, mais il se trouve au contraire qu’elles sont |
|||
toutes fort intelligentes. |
|||
— Voilà le seul point, — et je m’en flatte, — sur |
|||
lequel nous sommes en désaccord. Je voulais croire |
|||
que vos sentiments et les miens coïncidaient en toute |
|||
chose mais je dois reconnaître qu’ils diffèrent en ce |
|||
qui concerne nos deux plus jeunes filles que je trouve |
|||
remarquablement niaises. |
|||
— Mon cher Mr. Bennet, vous ne pouvez vous |
|||
attendre à trouver chez ces enfants le jugement de |
|||
leur père et de leur mère. Lorsqu’elles auront notre |
|||
âge, j’ose dire qu’elles ne penseront pas plus aux militaires |
|||
que nous n’y pensons nous-mêmes. Je me rappelle |
|||
le temps où j’avais aussi l’amour de l’uniforme ; |
|||
— à dire vrai je le garde toujours au fond du cœur et si |
|||
un jeune et élégant colonel pourvu de cinq ou six |
|||
mille livres de rentes désirait la main d’une de mes |
|||
filles, ce n’est pas moi qui le découragerais. L’autre |
|||
soir, chez sir William, j’ai trouvé que le colonel Forster |
|||
avait vraiment belle mine en uniforme. |
|||
— Maman, s’écria Lydia, ma tante dit que le colonel |
|||
Forster et le capitaine Carter ne vont plus aussi |
|||
souvent chez miss Watson et qu’elle les voit maintenant |
|||
faire de fréquentes visites à la librairie Clarke. |
|||
La conversation fut interrompue par l’entrée du |
|||
valet de chambre qui apportait une lettre adressée à |
|||
Jane. Elle venait de Netherfield et un domestique |
|||
attendait la réponse. |
|||
Les yeux de Mrs. Bennet étincelèrent de plaisir et, |
|||
pendant que sa fille lisait, elle la pressait de questions : |
|||
— Eh bien ! Jane, de qui est-ce ? De quoi s’agit-il ? |
|||
Voyons, répondez vite, ma chérie. |
|||
— C’est de miss Bingley, répondit Jane, et elle lut |
|||
tout haut : « Chère amie, si vous n’avez pas la charité |
|||
de venir dîner aujourd’hui avec Louisa et moi, nous |
|||
courrons le risque de nous brouiller pour le reste de |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/32== |
|||
nos jours, car un tête-à-tête de toute une journée entre |
|||
deux femmes ne peut se terminer sans querelle. Venez |
|||
aussitôt ce mot reçu. Mon frère et ses amis doivent |
|||
dîner avec les officiers. Bien à vous. — Caroline |
|||
{{sc|Bingley}}. » |
|||
— Avec les officiers ! s’exclama Lydia. Je m’étonne |
|||
que ma tante ne nous en ait rien dit. |
|||
— Ils dînent en ville, dit Mrs. Bennet. Pas de |
|||
chance. |
|||
— Puis-je avoir la voiture ? demanda Jane. |
|||
— Non, mon enfant, vous ferez mieux d’y aller à |
|||
cheval car le temps est à la pluie ; vous ne pourrez |
|||
vraisemblablement pas revenir ce soir. |
|||
— Ce serait fort bien, dit Elizabeth, si vous étiez |
|||
sûre que les Bingley n’offriront pas de la faire reconduire. |
|||
— Oh ! pour aller à Meryton, ces messieurs ont dû |
|||
prendre le cabriolet de Mr. Bingley et les Hurst n’ont |
|||
pas d’équipage. |
|||
— J’aimerais mieux y aller en voiture. |
|||
— Ma chère enfant, votre père ne peut donner les |
|||
chevaux ; on en a besoin à la ferme, n’est-ce pas, |
|||
master Bennet ? |
|||
— On en a besoin à la ferme plus souvent que je ne |
|||
puis les donner. |
|||
— Alors, si vous les donnez aujourd’hui, dit Elizabeth, |
|||
vous servirez les projets de ma mère. |
|||
Mr. Bennet, finalement reconnut que les chevaux |
|||
étaient occupés. Jane fut donc obligée de partir à |
|||
cheval et sa mère la conduisit jusqu’à la porte en formulant |
|||
toutes sortes de joyeux pronostics sur le mauvais |
|||
temps. |
|||
Son espérance se réalisa : Jane était à peine partie |
|||
que la pluie se mit à tomber avec violence. Ses sœurs |
|||
n’étaient pas sans inquiétude à son sujet, mais sa mère |
|||
était enchantée. La pluie continua toute la soirée sans |
|||
arrêt : certainement, Jane ne pourrait pas revenir. |
|||
— J’ai eu là vraiment une excellente idée, dit |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/33== |
|||
Mrs. Bennet à plusieurs reprises, comme si c’était elle-même |
|||
qui commandait à la pluie. |
|||
Ce ne fut cependant que le lendemain matin qu’elle |
|||
apprit tout le succès de sa combinaison. Le breakfast |
|||
s’achevait lorsqu’un domestique de Netherfield arriva |
|||
porteur d’une lettre pour Elizabeth : |
|||
« Ma chère Lizzy, je me sens très souffrante ce |
|||
matin, du fait, je suppose, d’avoir été trempée jusqu’aux |
|||
os hier. Mes aimables amies ne veulent pas |
|||
entendre parler de mon retour à la maison avant que |
|||
je sois mieux. Elles insistent pour que je voie Mr. Jones. |
|||
Aussi ne vous alarmez pas si vous entendiez dire qu’il |
|||
est venu pour moi à Netherfield. Je n’ai rien de sérieux, |
|||
simplement un mal de gorge accompagné de migraine. |
|||
Tout à vous… etc… » |
|||
— Eh bien, ma chère amie, dit Mr. Bennet quand |
|||
Elizabeth eut achevé de lire la lettre à haute voix, si |
|||
l’indisposition de votre fille s’aggravait et se terminait |
|||
mal, vous auriez la consolation de penser qu’elle l’a |
|||
contractée en courant après Mr. Bingley pour vous |
|||
obéir. |
|||
— Oh ! je suis sans crainte. On ne meurt pas d’un |
|||
simple rhume. Elle est certainement bien soignée. |
|||
Tant qu’elle reste là-bas on peut être tranquille. J’irais |
|||
la voir si la voiture était libre. |
|||
Mais Elizabeth, vraiment anxieuse, décida de se |
|||
rendre elle-même à Netherfield. Comme la voiture |
|||
n’était pas disponible et que la jeune fille ne montait |
|||
pas à cheval, elle n’avait d’autre alternative que d’y |
|||
aller à pied. |
|||
— Avec une boue pareille ? À quoi pensez-vous ! |
|||
s’écria sa mère lorsqu’elle annonça son intention. Vous |
|||
ne serez pas présentable en arrivant. |
|||
— Je le serai suffisamment pour voir Jane et c’est |
|||
tout ce que je veux. |
|||
— Donnez-vous à entendre, dit le père, que je |
|||
devrais envoyer chercher les chevaux ? |
|||
— Nullement ; je ne crains pas la marche. La distance |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/34== |
|||
n’est rien quand on a un motif pressant et il n’y |
|||
a que trois milles ; je serai de retour avant le dîner. |
|||
— J’admire l’ardeur de votre dévouement fraternel, |
|||
déclara Mary. Mais toute impulsion du sentiment |
|||
devrait être réglée par la raison, et l’effort, à |
|||
mon avis, doit toujours être proportionné au but qu’on |
|||
se propose. |
|||
— Nous vous accompagnons jusqu’à Meryton, |
|||
dirent Catherine et Lydia. |
|||
Elizabeth accepta leur compagnie et les trois jeunes |
|||
filles partirent ensemble. |
|||
— Si nous nous dépêchons, dit Lydia en cours de |
|||
route, peut-être apercevrons-nous le capitaine Carter |
|||
avant son départ. |
|||
À Meryton elles se séparèrent. Les deux plus jeunes |
|||
se rendirent chez la femme d’un officier tandis qu’Elizabeth |
|||
poursuivait seule son chemin. On eût pu la |
|||
voir, dans son impatience d’arriver, aller à travers |
|||
champs, franchir les échaliers, sauter les flaques d’eau, |
|||
pour se trouver enfin devant la maison, les jambes |
|||
lasses, les bas crottés, et les joues enflammées par |
|||
l’exercice. |
|||
Elle fut introduite dans la salle à manger où tout le |
|||
monde était réuni sauf Jane. Son apparition causa |
|||
une vive surprise. Que seule, à cette heure matinale, |
|||
elle eût fait trois milles dans une boue pareille, |
|||
Mrs. Hurst et miss Bingley n’en revenaient pas et, |
|||
dans leur étonnement, Elizabeth sentit nettement de |
|||
la désapprobation. Elles lui firent toutefois un accueil |
|||
très poli. Dans les manières de leur frère il y avait |
|||
mieux que de la politesse, il y avait de la cordialité ; |
|||
Mr. Darcy dit peu de chose et Mr. Hurst rien du tout. |
|||
Le premier, tout en admirant le teint d’Elizabeth |
|||
avivé par la marche, se demandait s’il y avait réellement |
|||
motif à ce qu’elle eût fait seule une si longue |
|||
course ; le second ne pensait qu’à achever son déjeuner. |
|||
Les questions d’Elizabeth au sujet de sa sœur reçurent |
|||
une réponse peu satisfaisante. Miss Bennet |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/35== |
|||
avait mal dormi ; elle s’était levée cependant, mais se |
|||
sentait fiévreuse et n’avait pas quitté sa chambre. Elizabeth |
|||
se fit conduire immédiatement auprès d’elle et |
|||
Jane qui, par crainte d’alarmer les siens, n’avait pas |
|||
osé réclamer une visite, fut ravie de la voir entrer. |
|||
Son état ne lui permettait pas de parler beaucoup et, |
|||
quand miss Bingley les eut laissées ensemble, elle se |
|||
borna à exprimer sa reconnaissance pour l’extrême |
|||
bonté qu’on lui témoignait. |
|||
Leur déjeuner terminé, les deux sœurs vinrent les |
|||
rejoindre et Elizabeth elle-même se sentit touchée en |
|||
voyant l’affection et la sollicitude dont elles entouraient |
|||
Jane. Le médecin, arrivant à ce moment, examina |
|||
la malade et déclara comme on s’y attendait |
|||
qu’elle avait pris un gros rhume qui demandait à être |
|||
soigné sérieusement. Il lui conseilla de se remettre au |
|||
lit et promit de lui envoyer quelques potions. Jane |
|||
obéit docilement car les symptômes de fièvre augmentaient |
|||
ainsi que les douleurs de tête. |
|||
Elizabeth ne quitta pas un instant la chambre de |
|||
sa sœur et Mrs. Hurst et miss Bingley ne s’en éloignèrent |
|||
pas beaucoup non plus. Les messieurs étant |
|||
sortis elles n’avaient rien de plus intéressant à faire. |
|||
Quand l’horloge sonna trois heures, Elizabeth, bien |
|||
à contre-cœur, annonça son intention de repartir. |
|||
Miss Bingley lui offrit de la faire reconduire en voiture, |
|||
mais Jane témoigna une telle contrariété à la pensée |
|||
de voir sa sœur la quitter que miss Bingley se vit |
|||
obligée de transformer l’offre du cabriolet en une invitation |
|||
à demeurer à Netherfield qu’Elizabeth accepta |
|||
avec beaucoup de reconnaissance. Un domestique fut |
|||
donc envoyé à Longbourn pour mettre leur famille |
|||
au courant et rapporter le supplément de linge et de |
|||
vêtements dont elles avaient besoin. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/36== |
|||
<br/> |
|||
<div style="text-align:center">VIII</div> |
|||
À cinq heures, Mrs. Hurst et miss Bingley allèrent |
|||
s’habiller, et à six heures et demie, on annonçait à |
|||
Elizabeth que le dîner était servi. Quand elle entra |
|||
dans la salle à manger, elle fut assaillie de questions |
|||
parmi lesquelles elle eut le plaisir de noter la sollicitude |
|||
toute spéciale exprimée par Mr. Bingley. Comme |
|||
elle répondait que l’état de Jane ne s’améliorait pas, |
|||
les deux sœurs répétèrent trois ou quatre fois qu’elles |
|||
en étaient désolées, qu’un mauvais rhume est une |
|||
chose bien désagréable et qu’elles-mêmes avaient horreur |
|||
d’être malades ; après quoi elles s’occupèrent |
|||
d’autre chose, laissant à penser que Jane, hors de leur |
|||
présence, ne comptait plus beaucoup pour elles et cette |
|||
indifférence réveilla aussitôt l’antipathie d’Elizabeth. |
|||
Leur frère était vraiment la seule personne de la |
|||
maison qu’elle jugeât avec faveur. Son anxiété au |
|||
sujet de l’état de Jane était manifeste, et ses attentions |
|||
pour Elizabeth des plus aimables. Grâce à lui elle |
|||
avait moins l’impression d’être une intruse dans leur |
|||
cercle familial. Parmi les autres, personne ne s’occupait |
|||
beaucoup d’elle : miss Bingley n’avait d’yeux que |
|||
pour Mr. Darcy, sa sœur également ; Mr. Hurst, qui |
|||
se trouvait à côté d’Elizabeth, était un homme indolent |
|||
qui ne vivait que pour manger, boire, et jouer |
|||
aux cartes, et lorsqu’il eut découvert que sa voisine |
|||
préférait les plats simples aux mets compliqués, il |
|||
ne trouva plus rien à lui dire. |
|||
Le dîner terminé, elle remonta directement auprès |
|||
de Jane. Elle avait à peine quitté sa place que miss Bingley |
|||
se mettait à faire son procès : ses manières, mélange |
|||
de présomption et d’impertinence, furent déclarées |
|||
très déplaisantes ; elle était dépourvue de conversation |
|||
et n’avait ni élégance, ni goût, ni beauté. |
|||
Mrs. Hurst pensait de même et ajouta : |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/37== |
|||
<br/> |
|||
— Il faut lui reconnaître une qualité, celle d’être |
|||
une excellente marcheuse. Je n’oublierai jamais son |
|||
arrivée, ce matin ; son aspect était inénarrable ! |
|||
— En effet, Louisa, j’avais peine à garder mon |
|||
sérieux. Est-ce assez ridicule de courir la campagne pour |
|||
une sœur enrhumée ! Et ses cheveux tout ébouriffés ! |
|||
— Et son jupon ! Avez-vous vu son jupon ? Il avait |
|||
bien un demi-pied de boue que sa robe n’arrivait pas |
|||
à cacher. |
|||
— Votre description peut être très exacte, Louisa, |
|||
dit Bingley, mais rien de tout cela ne m’a frappé. Miss |
|||
Elizabeth Bennet m’a paru tout à fait à son avantage |
|||
quand elle est arrivée ce matin, et je n’ai pas remarqué |
|||
son jupon boueux. |
|||
— Vous, Mr. Darcy, vous l’avez remarqué, j’en |
|||
suis sûre, dit miss Bingley, et j’incline à penser que |
|||
vous n’aimeriez pas voir votre sœur s’exhiber dans |
|||
une telle tenue. |
|||
— Évidemment non. |
|||
— Faire ainsi je ne sais combien de milles dans la |
|||
boue, toute seule ! À mon avis, cela dénote un abominable |
|||
esprit d’indépendance et un mépris des convenances |
|||
des plus campagnards. |
|||
— À mes yeux, c’est une preuve très touchante de |
|||
tendresse fraternelle, dit Bingley. |
|||
— Je crains bien, Mr. Darcy, observa confidentiellement |
|||
miss Bingley, que cet incident ne fasse tort |
|||
à votre admiration pour les beaux yeux de miss Elizabeth. |
|||
— En aucune façon, répliqua Darcy : la marche |
|||
les avait rendus encore plus brillants. |
|||
Un court silence suivit ces paroles après lequel |
|||
Mrs. Hurst reprit : |
|||
— J’ai beaucoup de sympathie pour Jane Bennet |
|||
qui est vraiment charmante et je souhaite de tout |
|||
cœur lui voir faire un joli mariage, mais avec une |
|||
famille comme la sienne, je crains bien qu’elle n’ait |
|||
point cette chance. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/38== |
|||
<br/> |
|||
— Il me semble vous avoir entendu dire qu’elle |
|||
avait un oncle avoué à Meryton ? |
|||
— Oui, et un autre à Londres qui habite quelque |
|||
part du côté de Cheapside. |
|||
— Quartier des plus élégants, ajouta sa sœur, et |
|||
toutes deux se mirent à rire aux éclats. |
|||
— Et quand elles auraient des oncles à en remplir |
|||
Cheapside, s’écria Bingley, ce n’est pas cela qui les rendrait |
|||
moins aimables. |
|||
— Oui, mais cela diminuerait singulièrement leurs |
|||
chances de se marier dans la bonne société, répliqua |
|||
Darcy. |
|||
Bingley ne dit rien, mais ses sœurs approuvèrent |
|||
chaleureusement, et pendant quelque temps encore |
|||
donnèrent libre cours à leur gaieté aux dépens de la |
|||
parenté vulgaire de leur excellente amie. |
|||
Cependant, reprises par un accès de sollicitude, elles |
|||
montèrent à sa chambre en quittant la salle à manger |
|||
et restèrent auprès d’elle jusqu’à ce qu’on les appelât |
|||
pour le café. Jane souffrait toujours beaucoup et sa |
|||
sœur ne voulait pas la quitter ; cependant, tard dans |
|||
la soirée, ayant eu le soulagement de la voir s’endormir, |
|||
elle se dit qu’il serait plus correct, sinon plus |
|||
agréable, de descendre un moment. |
|||
En entrant dans le salon, elle trouva toute la société |
|||
en train de jouer à la mouche et fut immédiatement |
|||
priée de se joindre à la partie. Comme elle soupçonnait |
|||
qu’on jouait gros jeu, elle déclina l’invitation et, |
|||
donnant comme excuse son rôle de garde-malade, dit |
|||
qu’elle prendrait volontiers un livre pendant les |
|||
quelques instants où elle pouvait rester en bas. |
|||
Mr. Hurst la regarda, stupéfait. |
|||
— Préféreriez-vous la lecture aux cartes ? demanda-t-il. |
|||
Quel goût singulier ! |
|||
— Miss Elizabeth Bennet dédaigne les cartes, répondit |
|||
miss Bingley, et la lecture est son unique |
|||
passion. |
|||
— Je ne mérite ni cette louange, ni ce reproche, |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/39== |
|||
répliqua Elizabeth. Je ne sais point aussi fervente de |
|||
lecture que vous l’affirmez, et je prends plaisir à beaucoup |
|||
d’autres choses. |
|||
— Vous prenez plaisir, j’en suis sûr, à soigner votre |
|||
sœur, intervint Bingley, et j’espère que ce plaisir sera |
|||
bientôt redoublé par sa guérison. |
|||
Elizabeth. remercia cordialement, puis se dirigea |
|||
vers une table où elle voyait quelques livres. Bingley |
|||
aussitôt lui offrit d’aller en chercher d’autres. |
|||
— Pour votre agrément, comme pour ma réputation, |
|||
je souhaiterais avoir une biliothèque mieux garnie, |
|||
mais voilà, je suis très paresseux, et, bien que je possède |
|||
peu de livres, je ne les ai même pas tous lus. |
|||
— Je suis surprise, dit miss Bingley, que mon père |
|||
ait laissé si peu de livres. Mais vous, Mr. Darcy, quelle |
|||
merveilleuse bibliothèque vous avez à Pemberley ! |
|||
— Rien d’étonnant à cela, répondit-il, car elle est |
|||
l’œuvre de plusieurs générations. |
|||
— Et vous-même travaillez encore à l’enrichir. |
|||
Vous êtes toujours en train d’acheter des livres. |
|||
— Je ne comprends pas qu’on puisse négliger une |
|||
bibliothèque de famille ! |
|||
— Je suis sûre que vous ne négligez rien de ce qui |
|||
peut ajouter à la splendeur de votre belle propriété. |
|||
Charles, lorsque vous vous ferez bâtir une résidence, |
|||
je vous conseille sérieusement d’acheter le terrain aux |
|||
environs de Pemberley et de prendre le manoir de |
|||
Mr. Darcy comme modèle. Il n’y a pas en Angleterre |
|||
de plus beau comté que le Derbyshire. |
|||
— Certainement. J’achèterai même Pemberley si |
|||
Darcy veut me le vendre. |
|||
— Charles, je parle de choses réalisables. |
|||
— Ma parole, Caroline, je crois qu’il serait plus |
|||
facile d’acheter Pemberley que de le copier. |
|||
Elizabeth intéressée par la conversation se laissa |
|||
distraire de sa lecture. Elle posa bientôt son livre et, |
|||
s’approchant de la table, prit place entre Mr. Bingley |
|||
et sa sœur aînée pour suivre la partie. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/40== |
|||
<br/> |
|||
— Miss Darcy a-t-elle beaucoup changé depuis ce |
|||
printemps ? dit miss Bingley. Promet-elle d’être aussi |
|||
grande que moi ? |
|||
— Je crois que oui ; elle est maintenant à peu près |
|||
de la taille de miss Elizabeth, ou même plus grande. |
|||
— Comme je serais heureuse de la revoir ! Je n’ai |
|||
jamais rencontré personne qui me fût plus sympathique. |
|||
Elle a des manières si gracieuses, elle est si |
|||
accomplie pour son âge ! Son talent de pianiste est vraiment |
|||
remarquable. |
|||
— Je voudrais savoir, dit Bingley, comment font |
|||
les jeunes filles pour acquérir tant de talents. Toutes |
|||
savent peindre de petites tables, broder des éventails, |
|||
tricoter des bourses ; je n’en connais pas une qui ne |
|||
sache faire tout cela ; jamais je n’ai entendu parler |
|||
d’une jeune fille sans être aussitôt informé qu’elle |
|||
était « parfaitement accomplie » |
|||
— Ce n’est que trop vrai, dit Darcy. On qualifie |
|||
ainsi nombre de femmes qui ne savent en effet que |
|||
broder un écran ou tricoter une bourse, mais je ne |
|||
puis souscrire à votre jugement général sur les femmes. |
|||
Pour ma part je n’en connais pas dans mes relations plus |
|||
d’une demi-douzaine qui méritent réellement cet éloge. |
|||
— Alors, observa Elizabeth, c’est que vous faites |
|||
entrer beaucoup de choses dans l’idée que vous vous |
|||
formez d’une femme accomplie. |
|||
— Beaucoup en effet. |
|||
— Oh ! sans doute, s’écria miss Bingley, sa fidèle |
|||
alliée, pour qu’une femme soit accomplie, il faut |
|||
qu’elle ait une connaissance approfondie de la musique, |
|||
du chant, de la danse et des langues étrangères. |
|||
Mais il faut encore qu’elle ait dans l’air, la démarche, |
|||
le son de la voix, la manière de s’exprimer, un certain |
|||
quelque chose faute de quoi ce qualificatif ne serait |
|||
qu’à demi mérité. |
|||
— Et à tout ceci, ajouta Mr. Darcy, elle doit ajouter |
|||
un avantage plus essentiel en cultivant son intelligence |
|||
par de nombreuses lectures. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/41== |
|||
<br/> |
|||
— S’il en est ainsi, je ne suis pas surprise que vous |
|||
ne connaissiez pas plus d’une demi-douzaine de femmes |
|||
accomplies. Je m’étonne plutôt que vous en connaissiez |
|||
autant. |
|||
— Êtes-vous donc si sévère pour votre propre sexe ? |
|||
— Non, mais je n’ai jamais vu réunis tant de capacités, |
|||
tant de goût, d’application et d’élégance. |
|||
Mrs. Hurst et miss Bingley protestèrent en chœur |
|||
contre l’injustice d’Elizabeth, affirmant qu’elles connaissaient |
|||
beaucoup de femmes répondant à ce portrait, |
|||
lorsque Mr. Hurst les rappela à l’ordre en se plaignant |
|||
amèrement de ce que personne ne prêtait attention |
|||
au jeu. La conversation se trouvant suspendue, |
|||
Elizabeth quitta peu après le salon. |
|||
— Elizabeth Bennet, dit miss Bingley dès que la |
|||
porte fut refermée, est de ces jeunes filles qui cherchent |
|||
à se faire valoir auprès de l’autre sexe en dénigrant le |
|||
leur, et je crois que beaucoup d’hommes s’y laissent |
|||
prendre ; mais c’est à mon avis un artifice bien méprisable. |
|||
— Sans aucun doute, répliqua Darcy à qui ces |
|||
paroles s’adressaient spécialement, il y a quelque chose |
|||
de méprisable dans ''tous'' les artifices que les femmes |
|||
s’abaissent à mettre en œuvre pour nous séduire. |
|||
Miss Bingley fut trop peu satisfaite par cette réponse |
|||
pour insister davantage sur ce sujet. |
|||
Lorsque Elizabeth reparut, ce fut seulement pour |
|||
dire que sa sœur était moins bien et qu’il lui était impossible |
|||
de la quitter. Bingley insistait pour qu’on |
|||
allât chercher immédiatement Mr. Jones, tandis que |
|||
ses sœurs, dédaignant ce praticien rustique, jugeaient |
|||
qu’il vaudrait mieux envoyer un exprès à Londres |
|||
pour ramener un des meilleurs médecins. Elizabeth |
|||
écarta formellement cette idée, mais elle accepta le |
|||
conseil de Mr. Bingley et il fut convenu qu’on irait |
|||
dès le matin chercher Mr. Jones si la nuit n’apportait |
|||
aucune amélioration à l’état de miss Bennet. Bingley |
|||
avait l’air très inquiet et ses sœurs se déclaraient |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/42== |
|||
navrées, ce, qui ne les empêcha pas de chanter des duos |
|||
après le souper tandis que leur frère calmait son |
|||
anxiété en faisant à la femme de charge mille recommandations pour le bien-être de la malade et de sa |
|||
sœur. |
|||
{{NouveauChapitre|9|from={{{from}}}|to={{{to}}}}} |
|||
<div style="text-align:center">IX</div> |
|||
Elizabeth passa la plus grande partie de la nuit |
|||
auprès de Jane ; mais le matin elle eut le plaisir de |
|||
donner de meilleures nouvelles à la domestique venue |
|||
de bonne heure de la part de Mr. Bingley, puis, un peu |
|||
plus tard, aux deux élégantes caméristes attachées au |
|||
service de ses sœurs. En dépit de cette amélioration |
|||
elle demanda qu’on fît porter à Longbourn un billet où |
|||
elle priait sa mère de venir voir Jane pour juger elle-même |
|||
de son état. Le billet fut aussitôt porté et la |
|||
réponse arriva peu après le déjeuner sous la forme de |
|||
Mrs. Bennet escortée de ses deux plus jeunes filles. |
|||
Mrs. Bennet, si elle avait trouvé Jane en danger, |
|||
aurait été certainement bouleversée ; mais, constatant |
|||
que son indisposition n’avait rien d’alamant, elle ne |
|||
désirait nullement la voir se rétablir trop vite, sa guérison |
|||
devant avoir pour conséquence son départ de |
|||
Netherfield. Avec cette arrière-pensée elle refusa |
|||
d’écouter Jane qui demandait à être transportée à |
|||
Longbourn. Au reste, le médecin, arrivé à peu près |
|||
au même moment, ne jugeait pas non plus la chose |
|||
raisonnable. |
|||
Quand elles eurent passé quelques instants avec |
|||
Jane, miss Bingley emmena ses visiteuses dans le |
|||
petit salon, et Bingley vint exprimer à Mrs. Bennet |
|||
l’espoir qu’elle n’avait pas trouvé sa fille plus souffrante |
|||
qu’elle ne s’y attendait. |
|||
— En vérité si, monsieur, répondit-elle. Elle est |
|||
même beaucoup trop malade pour qu’on puisse la |
|||
transporter à la maison. Mr. Jones dit qu’il n’y faut |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/43== |
|||
pas penser. Nous voilà donc obligées d’abuser encore |
|||
de votre hospitalité. |
|||
— La transporter chez vous ! s’écria Bingley. Mais |
|||
la question ne se pose même pas ! Ma sœur s’y refuserait |
|||
absolument. |
|||
— Vous pouvez être sûre, madame, dit miss Bingley |
|||
avec une froide politesse, que miss Bennet, tant |
|||
qu’elle restera ici, recevra les soins les plus empressés. |
|||
Mrs. Bennet se confondit en remerciements. |
|||
— Si vous ne vous étiez pas montrés aussi bons, je |
|||
ne sais ce qu’elle serait devenue, car elle est vraiment |
|||
malade et souffre beaucoup, bien qu’avec une patience |
|||
angélique comme à l’ordinaire. Cette enfant a le plus |
|||
délicieux caractère qu’on puisse imaginer et je dis |
|||
souvent à mes autres filles qu’elles sont loin de valoir |
|||
leur sœur. Cette pièce est vraiment charmante, master |
|||
Bingley, et quelle jolie vue sur cette allée sablée. Je |
|||
ne connais pas dans tout le voisinage une propriété |
|||
aussi agréable que Netherfield. Vous n’êtes pas pressé |
|||
de le quitter, je pense, bien que vous n’ayez pas fait |
|||
un long bail. |
|||
— Mes résolutions, madame, sont toujours prises |
|||
rapidement, et si je décidais de quitter Netherfield |
|||
la chose serait probablement faite en un quart d’heure. |
|||
Pour l’instant, je me considère comme fixé ici définitivement. |
|||
— Voilà qui ne me surprend pas de vous, dit Elizabeth. |
|||
— Eh quoi, fit-il en se tournant vers elle, vous |
|||
commencez déjà à me connaître. |
|||
— Oui, je commence à vous connaître parfaitement. |
|||
— Je voudrais voir dans ces mots un compliment, |
|||
mais je crains qu’il ne soit pas très flatteur d’être |
|||
pénétré aussi facilement. |
|||
— Pourquoi donc ? Une âme profonde et compliquée |
|||
n’est pas nécessairement plus estimable que la vôtre. |
|||
— Lizzy, s’écria sa mère, rappelez-vous où vous |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/44== |
|||
êtes et ne discourez pas avec la liberté qu’on vous |
|||
laisse prendre à la maison. |
|||
— Je ne savais pas, poursuivait Bingley, que vous |
|||
aimiez vous livrer à l’étude des caractères. |
|||
— La campagne, dit Darcy, ne doit pas vous fournir |
|||
beaucoup de sujets d’étude. La société y est généralement |
|||
restreinte et ne change guère. |
|||
— Oui, mais les gens eux-mêmes changent tellement |
|||
qu’il y a toujours du nouveau à observer. |
|||
— Assurément, intervint Mrs. Bennet froissée de |
|||
la façon dont Darcy parlait de leur entourage, et je |
|||
vous assure que sur ce point la province ne le cède |
|||
en rien à la capitale. Quels sont après tout les grands |
|||
avantages de Londres, à part les magasins et les lieux |
|||
publics ? La campagne est beaucoup plus agréable, |
|||
n’est-ce pas, Mr. Bingley ? |
|||
— Quand je suis à la campagne je ne souhaite |
|||
point la quitter, et quand je me trouve à Londres |
|||
je suis exactement dans les mêmes dispositions. |
|||
— Eh ! c’est que vous avez un heureux caractère. |
|||
Mais ce gentleman, — et Mrs. Bennet lança un regard |
|||
dans la direction de Darcy, — semble mépriser la |
|||
province. |
|||
— En vérité, maman, s’écria Elizabeth, vous vous |
|||
méprenez sur les paroles de Mr. Darcy. Il voulait |
|||
seulement dire qu’on ne rencontre pas en province |
|||
une aussi grande variété de gens qu’à Londres et |
|||
vous devez reconnaître qu’il a raison. |
|||
— Certainement, ma chère enfant, personne ne le |
|||
conteste, mais il ne faut pas dire que nous ne voyons |
|||
pas grand monde ici. Pour notre part, nous échangeons |
|||
des invitations à dîner avec vingt-quatre familles. |
|||
La sympathie de Mr. Bingley pour Elizabeth l’aida |
|||
seule à garder son sérieux. Sa sœur, moins délicate, |
|||
regarda Mr. Darcy avec un sourire significatif. Elizabeth, |
|||
voulant changer de conversation, demanda à sa |
|||
mère si Charlotte Lucas était venue à Longbourn |
|||
depuis son départ. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/45== |
|||
<br/> |
|||
— Oui, nous l’avons vue hier ainsi que son père. |
|||
Quel homme charmant que sir William, n’est-ce pas, |
|||
Mr. Bingley ? distingué, naturel, ayant toujours un |
|||
mot aimable à dire à chacun. C’est pour moi le type |
|||
de l’homme bien élevé, au contraire de ces gens tout |
|||
gonflés de leur importance qui ne daignent même pas |
|||
ouvrir la bouche. |
|||
— Charlotte a-t-elle dîné avec vous ? |
|||
— Non. Elle a tenu à retourner chez elle où on |
|||
l’attendait, je crois, pour la confection des « mincepies ». |
|||
Quant à moi, Mr. Bingley, je m’arrange |
|||
pour avoir des domestiques capables de faire seuls |
|||
leur besogne, et mes filles ont été élevées autrement. |
|||
Mais chacun juge à sa manière et les demoiselles |
|||
Lucas sont fort gentilles. C’est dommage seulement |
|||
qu’elles ne soient pas plus jolies ; non pas que je |
|||
trouve Charlotte vraiment laide, mais aussi, c’est |
|||
une amie tellement-intime… |
|||
— Elle m’a semblé fort aimable, dit Bingley. |
|||
— Oh ! certainement, mais il faut bien reconnaître |
|||
qu’elle n’est pas jolie. Mrs. Lucas en convient elle-même |
|||
et nous envie la beauté de Jane. Certes, je |
|||
n’aime pas faire l’éloge de mes enfants, mais une |
|||
beauté comme celle de Jane se voit rarement. À peine |
|||
âgée de quinze ans, elle a rencontré à Londres, chez |
|||
mon frère Gardiner, un monsieur à qui elle plut tellement |
|||
que ma belle-sœur s’attendait à ce qu’il la |
|||
demandât en mariage. Il n’en fit rien toutefois — |
|||
sans doute la trouvait-il trop jeune, — mais il a écrit |
|||
sur elle des vers tout à fait jolis. |
|||
— Et ainsi, dit Elizabeth avec un peu d’impatience, |
|||
se termina cette grande passion. Ce n’est pas la seule |
|||
dont on ait triomphé de cette façon, et je me demande |
|||
qui, le premier, a eu l’idée de se servir de la poésie |
|||
pour se guérir de l’amour. |
|||
— J’avais toujours été habitué, dit Darcy, à considérer |
|||
la poésie comme l’aliment de l’amour. |
|||
— Oh ! d’un amour vrai, sain et vigoureux, {{tiret|peut|peut-être !}} |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/46== |
|||
{{tiret2|être !|peut-être !}} Tout fortifie ce qui est déjà fort. Mais lorsqu’il |
|||
s’agit d’une pauvre petite inclination, je suis sûre |
|||
qu’un bon sonnet peut en avoir facilement raison. |
|||
Darcy répondit par un simple sourire. Dans la |
|||
crainte d’un nouveau discours intempestif de sa mère, |
|||
Elizabeth aurait voulu continuer ; mais avant qu’elle |
|||
eût pu trouver un autre sujet de conversation, Mrs. Bennet |
|||
avait recommencé la litanie de ses remerciements |
|||
pour l’hospitalité offerte à ses deux filles. Mr. Bingley |
|||
répondit avec naturel et courtoisie, sa sœur avec |
|||
politesse, sinon avec autant de bonne grâce, et, satisfaite, |
|||
Mrs. Bennet ne tarda pas à redemander sa voiture. |
|||
À ce signal, Lydia s’avança : elle avait chuchoté |
|||
avec Kitty tout le temps de la visite et toutes deux |
|||
avaient décidé de rappeler à Mr. Bingley la promesse |
|||
qu’il avait faite à son arrivée de donner un |
|||
bal à Netherfield. Lydia était une belle fille fraîche, |
|||
joyeuse, et pleine d’entrain ; bien qu’elle n’eût que |
|||
quinze ans, sa mère dont elle était la préférée la conduisait |
|||
déjà dans le monde. Les assiduités des officiers |
|||
de la milice qu’attiraient les bons dîners de son oncle, |
|||
et qu’encourageaient sa liberté d’allures, avaient transformé |
|||
son assurance naturelle en un véritable aplomb. |
|||
Il n’y avait donc rien d’étonnant à ce qu’elle rappelât |
|||
à Mr. Bingley sa promesse, en ajoutant que ce serait |
|||
« vraiment honteux » s’il ne la tenait pas. |
|||
La réponse de Mr. Bingley à cette brusque mise |
|||
en demeure dut charmer les oreilles de Mrs. Bennet. |
|||
— Je vous assure que je suis tout prêt à tenir mes |
|||
engagements, et, dès que votre sœur sera remise, |
|||
vous fixerez vous-même le jour. Vous n’auriez pas le |
|||
cœur, je pense, de danser pendant qu’elle est malade. |
|||
Lydia se déclara satisfaite. En effet, ce serait mieux |
|||
d’attendre la guérison de Jane ; et puis, à ce moment |
|||
sans doute, le capitaine Carter serait revenu à Meryton. |
|||
— Et quand vous aurez donné votre bal, {{tiret|ajouta|ajouta-t-elle,}} |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/47== |
|||
{tiret2|t-elle,|ajouta-t-elle,}} j’insisterai auprès du colonel Forster pour que |
|||
les officiers en donnent un également. |
|||
Mrs. Bennet et ses filles prirent alors congé. Elizabeth |
|||
remonta immédiatement auprès de Jane, laissant |
|||
à ces dames et à Mr. Darcy la liberté de critiquer |
|||
à leur aise son attitude et celle de sa famille. |
|||
{{NouveauChapitre|10|from={{{from}}}|to={{{to}}}}} |
|||
<div style="text-align:center">X</div> |
|||
La journée s’écoula, assez semblable à la précédente. |
|||
Mrs. Hurst et miss Bingley passèrent quelques |
|||
heures de l’après-midi avec la malade qui continuait, |
|||
bien que lentement, à se remettre et, dans la soirée, |
|||
Elizabeth descendit rejoindre ses hôtes au salon. |
|||
La table de jeu, cette fois, n’était pas dressée. |
|||
Mr. Darcy écrivait une lettre et miss Bingley, assise |
|||
auprès de lui, l’interrompait à chaque instant pour le |
|||
charger de messages pour sa sœur. Mr. Hurst et |
|||
Mr. Bingley faisaient une partie de piquet que suivait |
|||
Mrs. Hurst. |
|||
Elizabeth prit un ouvrage mais fut bientôt distraite |
|||
par les propos échangés entre Darcy et sa voisine. |
|||
Les compliments que lui adressait constamment |
|||
celle-ci sur l’élégance et la régularité de son écriture |
|||
ou sur la longueur de sa lettre, et la parfaite indifférence |
|||
avec laquelle ces louanges étaient accueillies |
|||
formaient une amusante opposition, tout en confirmant |
|||
l’opinion qu’Elizabeth se faisait de l’un et de l’autre. |
|||
— Comme miss Darcy sera contente de recevoir |
|||
une si longue lettre ! |
|||
Point de réponse. |
|||
— Vous écrivez vraiment avec une rapidité merveilleuse. |
|||
— Erreur. J’écris plutôt lentement. |
|||
— Vous direz à votre sœur qu’il me tarde beaucoup |
|||
de la voir. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/48== |
|||
<br/> |
|||
— Je le lui ai déjà dit une fois à votre prière. |
|||
— Votre plume grince ! Passez-la-moi. J’ai un talent |
|||
spécial pour tailler les plumes. |
|||
— Je vous remercie, mais c’est une chose que je |
|||
fais toujours moi-même. |
|||
— Comment pouvez-vous écrire si régulièrement ? |
|||
— … |
|||
— Dites à votre sœur que j’ai été enchantée d’apprendre |
|||
les progrès qu’elle a faits sur la harpe. Dites-lui |
|||
aussi que son petit croquis m’a plongée dans le |
|||
ravissement : il est beaucoup plus réussi que celui de |
|||
miss Grantley. |
|||
— Me permettez-vous de réserver pour ma prochaine |
|||
lettre l’expression de votre ravissement ? Actuellement, |
|||
il ne me reste plus de place. |
|||
— Oh ! cela n’a pas d’importance. Je verrai |
|||
du reste votre sœur en janvier. Lui écrivez-vous |
|||
chaque fois d’aussi longues et charmantes missives, |
|||
Mr. Darcy ? |
|||
— Longues, oui ; charmantes, ce n’est pas à moi |
|||
de les juger telles. |
|||
— À mon avis, des lettres écrites avec autant de |
|||
facilité sont toujours agréables. |
|||
— Votre compliment tombe à faux, Caroline, |
|||
s’écria son frère. Darcy n’écrit pas avec facilité ; il |
|||
recherche trop les mots savants, les mots de quatre |
|||
syllabes, n’est-ce pas, Darcy ? |
|||
— Mon style épistolaire est évidemment très diférent |
|||
du vôtre. |
|||
— Oh ! s’écria miss Bingley, Charles écrit d’une |
|||
façon tout à fait désordonnée ; il oublie la moitié des |
|||
mots et barbouille le reste. |
|||
— Les idées se pressent sous ma plume si abondantes |
|||
que je n’ai même pas le temps de les exprimer. |
|||
C’est ce qui explique pourquoi mes lettres en sont |
|||
quelquefois totalement dépourvues. |
|||
— Votre humilité devrait désarmer la critique, |
|||
master Bingley, dit Elizabeth. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/49== |
|||
<br/> |
|||
— Humilité apparente, dit Darcy, et dont il ne |
|||
faut pas être dupe. Ce n’est souvent que dédain de |
|||
l’opinion d’autrui et parfois même prétention dissimulée. |
|||
— Lequel de ces deux termes appliquez-vous au |
|||
témoignage de modestie que je viens de vous donner ? |
|||
— Le second. Au fond, vous êtes fier des défauts |
|||
de votre style que vous attribuez à la rapidité de votre |
|||
pensée et à une insouciance d’exécution que vous |
|||
jugez originale. On est toujours fier de faire quelque |
|||
chose rapidement et l’on ne prend pas garde aux |
|||
imperfections qui en résultent. Lorsque vous avez dit |
|||
ce matin à Mrs. Bennet que vous vous décideriez |
|||
en cinq minutes à quitter Netherfield, vous entendiez |
|||
provoquer son admiration. Pourtant, qu’y a-t-il de |
|||
si louable dans une précipitation qui oblige à laisser |
|||
inachevées des affaires importantes et qui ne peut |
|||
être d’aucun avantage à soi ni à personne ? |
|||
— Allons ! Allons ! s’écria Bingley, on ne doit pas |
|||
rappeler le soir les sottises qui ont été dites le matin. |
|||
Et cependant, sur mon honneur, j’étais sincère et ne |
|||
songeais nullement à me faire valoir devant ces dames |
|||
par une précipitation aussi vaine. |
|||
— J’en suis convaincu, mais j’ai moins de certitude |
|||
quant à la promptitude de votre départ. Comme |
|||
tout le monde, vous êtes à la merci des circonstances, |
|||
et si au moment où vous montez à cheval un ami venait |
|||
vous dire : « Bingley, vous feriez mieux d’attendre |
|||
jusqu’à la semaine prochaine, » il est plus que probable |
|||
que vous ne partiriez pas. Un mot de plus, et vous |
|||
resteriez un mois. |
|||
— Vous nous prouvez par là, s’écria Elizabeth, |
|||
que Mr. Bingley s’est calomnié, et vous le faites valoir |
|||
ainsi bien plus qu’il ne l’a fait lui même. |
|||
— Je suis très touché, répondit Bingley, de voir |
|||
transformer la critique de mon ami en un éloge de |
|||
mon bon caractère. Mais je crains que vous ne trahissiez |
|||
sa pensée ; car il m’estimerait sûrement {{tiret|davan|davantage}} |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/50== |
|||
{{tiret2|tage|davantage}} si en une telle occasion je refusais tout net, |
|||
sautais à cheval et m’éloignais à bride abattue ! |
|||
— Mr. Darcy estime donc que votre entêtement |
|||
à exécuter votre décision rachèterait la légèreté avec |
|||
laquelle vous l’auriez prise ? |
|||
— J’avoue qu’il m’est difficile de vous dire au juste |
|||
ce qu’il pense : je lui passe la parole. |
|||
— Vous me donnez à défendre une opinion que |
|||
vous m’attribuez tout à fait gratuitement ! Admettons |
|||
cependant le cas en question : rappelez-vous, |
|||
miss Bennet, que l’ami qui cherche à le retenir ne |
|||
lui offre aucune raison pour le décider à rester. |
|||
— Alors, céder aimablement à la requête d’un ami |
|||
n’est pas un mérite, à vos yeux ? |
|||
— Non. Céder sans raison ne me paraît être honorable |
|||
ni pour l’un, ni pour l’autre. |
|||
— Il me semble, Mr. Darcy, que vous comptez |
|||
pour rien le pouvoir de l’affection. On cède souvent |
|||
à une demande par pure amitié sans avoir besoin |
|||
d’y être décidé par des motifs ou des raisonnements. |
|||
Laissons pour l’instant jusqu’à ce qu’il se présente |
|||
le cas que vous avez imaginé pour Mr. Bingley. D’une |
|||
façon générale, si quelqu’un sollicite un ami de modifier |
|||
une résolution, d’ailleurs peu importante, blâmerez-vous |
|||
ce dernier d’y consentir sans attendre qu’on lui |
|||
donne des arguments capables de le persuader ? |
|||
— Avant de pousser plus loin ce débat, ne conviendrait-il |
|||
pas de préciser l’importance de la question, |
|||
aussi bien que le degré d’intimité des deux amis ? |
|||
— Alors, interrompit Bingley, n’oublions aucune |
|||
des données du problème, y compris la taille et le |
|||
poids des personnages, ce qui compte plus que vous |
|||
ne croyez, miss Bennet. Je vous assure que si Darcy |
|||
n’était pas un gaillard si grand et si vigoureux je ne |
|||
lui témoignerais pas moitié autant de déférence. Vous |
|||
ne pouvez vous imaginer la crainte qu’il m’inspire |
|||
parfois ; chez lui, en particulier, le dimanche soir, |
|||
lorsqu’il n’a rien à faire. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/51== |
|||
<br/> |
|||
Mr. Darcy sourit, mais Elizabeth crut deviner qu’il |
|||
était un peu vexé et se retint de rire. Miss Bingley, |
|||
indignée, reprocha à son frère de dire tant de sottises. |
|||
— Je vois ce que vous cherchez, Bingley, lui dit |
|||
son ami. Vous n’aimez pas les discussions et voulez |
|||
mettre un terme à celle-ci. |
|||
— Je ne dis pas non. Les discussions ressemblent |
|||
trop à des querelles. Si vous et miss Bennet voulez |
|||
bien attendre que je sois hors du salon, je vous en |
|||
serai très reconnaissant, et vous pourrez dire de moi |
|||
tout ce que vous voudrez. |
|||
— Ce ne sera pas pour moi un grand sacrifice, dit |
|||
Elizabeth, et Mr. Darcy, de son côté, ferait mieux de |
|||
terminer sa lettre. |
|||
Mr. Darcy suivit ce conseil et, quand il eut fini |
|||
d’écrire, il pria miss Bingley et Elizabeth de bien |
|||
vouloir faire un peu de musique. Miss Bingley s’élança |
|||
vers le piano et après avoir poliment offert à Elizabeth |
|||
de jouer la première, — ce que celle-ci refusa avec |
|||
autant de politesse et plus de conviction, — elle s’installa |
|||
elle-même devant le clavier. |
|||
Mrs. Hurst chanta accompagnée par sa sœur. Elizabeth |
|||
qui feuilletait des partitions éparses sur le |
|||
piano ne put s’empêcher de remarquer que le regard |
|||
de Mr. Darcy se fixait souvent sur elle. Il était impossible |
|||
qu’elle inspirât un intérêt flatteur à ce hautain |
|||
personnage ! D’autre part, supposer qu’il la regardait |
|||
parce qu’elle lui déplaisait était encore moins vraisemblable. |
|||
« Sans doute, finit-elle par se dire, y a-t-il |
|||
en moi quelque chose de répréhensible qui attire son |
|||
attention. » Cette supposition ne la troubla point ; il |
|||
ne lui était pas assez sympathique pour qu’elle se |
|||
souciât de son opinion. |
|||
Après avoir joué quelques chansons italiennes, miss |
|||
Bingley, pour changer, attaqua un air écossais vif et |
|||
alerte. |
|||
— Est-ce que cela ne vous donne pas grande envie |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/52== |
|||
de danser un ''reel'' <ref>Reel : danse écossaise.</ref>, miss Bennet ? dit Darcy en |
|||
s’approchant. |
|||
Elizabeth sourit mais ne fit aucune réponse. |
|||
Un peu surpris de son silence, il répéta sa question. |
|||
— Oh ! dit-elle, je vous avais bien entendu la première |
|||
fois, mais ne savais tout d’abord que vous |
|||
répondre. Vous espériez, j’en suis sûre, que je dirais |
|||
oui, pour pouvoir ensuite railler mon mauvais goût. |
|||
Mais j’ai toujours plaisir à déjouer de tels desseins et |
|||
à priver quelqu’un de l’occasion de se moquer de moi. |
|||
Je vous répondrai donc que je n’ai aucune envie de |
|||
danser un ''reel''. Et maintenant, riez de moi si vous l’osez. |
|||
— Je ne me le permettrais certainement pas. |
|||
Elizabeth, qui pensait l’avoir vexé, fut fort étonnée |
|||
de cette aimable réponse, mais il y avait chez elle |
|||
un mélange d’espièglerie et de charme qui empêchaient |
|||
ses manières d’être blessantes, et jamais encore une |
|||
femme n’avait exercé sur Darcy une pareille séduction. |
|||
« En vérité, pensait-il, sans la vulgarité de sa |
|||
famille, je courrais quelque danger. » |
|||
Miss Bingley était assez clairvoyante pour que sa |
|||
jalousie fût en éveil et sa sollicitude pour la santé de |
|||
sa chère Jane se doublait du désir d’être débarrassée |
|||
d’Elizabeth. Elle essayait souvent de rendre la jeune |
|||
fille antipathique à Darcy en plaisantant devant lui |
|||
sur leur prochain mariage et sur le bonheur qui l’attendait |
|||
dans une telle alliance. |
|||
— J’espère, lui dit-elle le lendemain, tandis qu’ils se |
|||
promenaient dans la charmille, que, lors de cet heureux |
|||
événement, vous donnerez à votre belle-mère |
|||
quelques bons conseils sur la nécessité de tenir sa |
|||
langue, et que vous essayerez de guérir vos belles-sœurs |
|||
de leur passion pour les militaires ; et, s’il m’est |
|||
permis d’aborder un sujet aussi délicat, ne pourriez-vous |
|||
faire aussi disparaître cette pointe d’impertinence |
|||
et de suffisance qui caractérise la dame de vos pensées ? |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/53== |
|||
<br/> |
|||
— Avez-vous d’autres conseils à me donner en vue |
|||
de mon bonheur domestique ? |
|||
— Encore ceci : n’oubliez pas de mettre les portraits |
|||
de l’oncle et de la tante Philips dans votre |
|||
galerie à Pemberley et placez-les à côté de celui de |
|||
votre grand-oncle le juge. Ils sont un peu de la même |
|||
profession, n’est-ce pas ? Quant à votre Elizabeth, inutile |
|||
d’essayer de la faire peindre. Quel artiste serait |
|||
capable de rendre des yeux aussi admirables ? |
|||
À ce moment, Mrs. Hurst et Elizabeth débouchèrent |
|||
d’une allée transversale. |
|||
— Je ne savais pas que vous vous promeniez aussi, |
|||
dit miss Bingley un peu confuse à l’idée qu’on avait |
|||
pu surprendre sa conversation avec Darcy. |
|||
— C’est très mal à vous, répondit Mrs. Hurst, d’avoir |
|||
disparu ainsi sans nous dire que vous sortiez. Et, |
|||
s’emparant de l’autre bras de Mr. Darcy, elle laissa |
|||
Elizabeth seule en arrière. On ne pouvait marcher |
|||
dans le sentier qu’à trois de front. Mr. Darcy, conscient |
|||
de l’impolitesse de ses compagnes, dit aussitôt : |
|||
— Cette allée n’est pas assez large ; si nous allions |
|||
dans l’avenue ? |
|||
— Non, non, dit Elizabeth en riant, vous faites à |
|||
vous trois un groupe charmant dont ma présence |
|||
romprait l’harmonie. Adieu ! |
|||
Et elle s’enfuit gaiement, heureuse à, l’idée de se |
|||
retrouver bientôt chez elle. Jane se remettait si bien |
|||
qu’elle avait l’intention de quitter sa chambre une |
|||
heure ou deux ce soir-là. |
|||
{{NouveauChapitre|11|from={{{from}}}|to={{{to}}}}} |
|||
<div style="text-align:center">XI</div> |
|||
Lorsque les dames se levèrent de table à la fin du |
|||
dîner, Elizabeth remonta en courant chez sa sœur et, |
|||
après avoir veillé à ce qu’elle fût bien couverte, redescendit |
|||
avec elle au salon. Jane fut accueillie par ses |
|||
amies avec de grandes démonstrations de joie. Jamais |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/54== |
|||
Elizabeth ne les avait vues aussi aimables que pendant |
|||
l’heure qui suivit. Elles avaient vraiment le don |
|||
de la conversation, pouvaient faire le récit détaillé |
|||
d’une partie de plaisir, conter une anecdote avec |
|||
humour et se moquer de leurs relations avec beaucoup |
|||
d’agrément. Mais quand les messieurs rentrèrent au |
|||
salon, Jane passa soudain au second plan. |
|||
Mr. Darcy, dès son entrée, fut interpellé par miss |
|||
Bingley mais il s’adressa d’abord à miss Bennet pour |
|||
la féliciter poliment de sa guérison. Mr. Hurst lui fit |
|||
aussi un léger salut en murmurant : « Enchanté ! » |
|||
mais l’accueil de Bingley se distingua par sa chaleur |
|||
et sa cordialité ; plein de joie et de sollicitude, il passa |
|||
la première demi-heure à empiler du bois dans le feu |
|||
de crainte que Jane ne souffrît du changement de |
|||
température. Sur ses instances, elle dut se placer de |
|||
l’autre côté de la cheminée afin d’être plus loin de la |
|||
porte ; il s’assit alors auprès d’elle et se mit à l’entretenir |
|||
sans plus s’occuper des autres. Elizabeth qui |
|||
travaillait un peu plus loin observait cette petite scène |
|||
avec une extrême satisfaction. |
|||
Après le thé, Mr. Hurst réclama sans succès la table |
|||
de jeu. Sa belle-sœur avait découvert que Mr. Darcy |
|||
n’appréciait pas les cartes. Elle affirma que personne |
|||
n’avait envie de jouer et le silence général parut lui |
|||
donner raison. Mr. Hurst n’eut donc d’autre ressource |
|||
que de s’allonger sur un sofa et de s’y endormir. Darcy |
|||
prit un livre, miss Bingley en fit autant ; Mrs. Hurst, |
|||
occupée surtout à jouer avec ses bracelets et ses bagues, |
|||
plaçait un mot de temps à autre dans la conversation |
|||
de son frère et de miss Bennet. |
|||
Miss Bingley était moins absorbée par sa lecture que |
|||
par celle de Mr. Darcy et ne cessait de lui poser des |
|||
questions ou d’aller voir à quelle page il en était ; mais |
|||
ses tentatives de conversation restaient infructueuses ; |
|||
il se contentait de lui répondre brièvement sans interrompre |
|||
sa lecture. À la fin, lasse de s’intéresser à un |
|||
livre qu’elle avait pris uniquement parce que c’était |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/55== |
|||
le second volume de l’ouvrage choisi par Darcy, elle |
|||
dit en étouffant un bâillement : |
|||
— Quelle agréable manière de passer une soirée ! |
|||
Nul plaisir, vraiment, ne vaut la lecture ; on ne s’en |
|||
lasse jamais tandis qu’on se lasse du reste. Lorsque |
|||
j’aurai une maison à moi, je serai bien malheureuse |
|||
si je n’ai pas une très belle bibliothèque. |
|||
Personne n’ayant répondu, elle bâilla encore une |
|||
fois, mit son livre de côté et jeta les yeux autour d’elle |
|||
en quête d’une autre distraction. Entendant alors son |
|||
frère parler d’un bal à miss Bennet, elle se tourna soudain |
|||
de son côté en disant : |
|||
— À propos, Charles, est-ce sérieusement que vous |
|||
songez à donner un bal à Netherfield ? Vous feriez |
|||
mieux de nous consulter tous avant de rien décider. |
|||
Si je ne me trompe, pour certains d’entre nous ce bal |
|||
serait plutôt une pénitence qu’un plaisir. |
|||
— Si c’est à Darcy que vous pensez, répliqua son |
|||
frère, libre à lui d’aller se coucher à huit heures ce soir-là. |
|||
Quant au bal, c’est une affaire décidée et dès que |
|||
Nichols aura préparé assez de « blanc manger » j’enverrai |
|||
mes invitations. |
|||
— Les bals me plairaient davantage s’ils étaient |
|||
organisés d’une façon différente. Ces sortes de réunions |
|||
sont d’une insupportable monotonie. Ne serait-il pas |
|||
beaucoup plus raisonnable d’y donner la première place |
|||
à la conversation et non à la danse ? |
|||
— Ce serait beaucoup mieux, sans nul doute, ma |
|||
chère Caroline, mais ce ne serait plus un bal. |
|||
Miss Bingley ne répondit point et, se levant, se mit |
|||
à se promener à travers le salon. Elle avait une |
|||
silhouette élégante et marchait avec grâce, mais Darcy |
|||
dont elle cherchait à attirer l’attention restait inexorablement |
|||
plongé dans son livre. En désespoir de cause |
|||
elle voulut tenter un nouvel effort et, se tournant vers |
|||
Elizabeth : |
|||
— Miss Eliza Bennet, dit-elle, suivez donc mon |
|||
exemple et venez faire le tour du salon. Cet exercice |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/56== |
|||
est un délassement, je vous assure, quand on est resté |
|||
si longtemps immobile. |
|||
Elizabeth, bien que surprise, consentit, et le but |
|||
secret de miss Bingley fut atteint : Mr. Darcy leva les |
|||
yeux. Cette sollicitude nouvelle de miss Bingley à |
|||
l’égard d’Elizabeth le surprenait autant que celle-ci, |
|||
et, machinalement, il ferma son livre. Il fut aussitôt |
|||
prié de se joindre à la promenade, mais il déclina l’invitation : |
|||
il ne voyait, dit-il, que deux motifs pour les |
|||
avoir décidées à faire les cent pas ensemble et, dans |
|||
un cas comme dans l’autre, jugeait inopportun de se |
|||
joindre à elles. Que signifiaient ces paroles ? Miss Bingley |
|||
mourait d’envie de le savoir, et demanda à Elizabeth |
|||
si elle comprenait. |
|||
— Pas du tout, répondit-elle. Mais soyez sûre qu’il |
|||
y a là-dessous une méchanceté à notre adresse. Le |
|||
meilleur moyen de désappointer Mr. Darcy est donc |
|||
de ne rien lui demander. |
|||
Mais désappointer Mr. Darcy était pour miss Bingley |
|||
une chose impossible et elle insista pour avoir une |
|||
explication. |
|||
— Rien n’empêche que je vous la donne, dit-il, dès |
|||
qu’elle lui permit de placer une parole ; vous avez |
|||
choisi ce passe-temps soit parce que vous avez des |
|||
confidences à échanger, soit pour nous faire admirer |
|||
l’élégance de votre démarche. Dans le premier cas je |
|||
serais de trop entre vous et, dans le second, je suis |
|||
mieux placé pour vous contempler, assis au coin du |
|||
feu. |
|||
— Quelle abomination ! s’écria miss Bingley. A-t-on, |
|||
jamais rien entendu de pareil ? Comment pourrions-nous |
|||
le punir d’un tel discours ? |
|||
— C’est bien facile, si vous en avez réellement le |
|||
désir. Taquinez-le, moquez-vous de lui. Vous êtes assez |
|||
intimes pour savoir comment vous y prendre. |
|||
— Mais pas le moins du monde, je vous assure. Le |
|||
moyen de s’attaquer à un homme d’un calme aussi |
|||
imperturbable et d’une telle présence d’esprit. Non, |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/57== |
|||
non ; c’est être vaincu d’avance. Nous n’aurons pas |
|||
l’imprudence de rire de lui sans sujet. Mr. Darcy peut |
|||
donc triompher. |
|||
— Comment ? On ne peut pas rire de Mr. Darcy ? Il |
|||
possède là un avantage bien rare !<ref>correction : . ! -> !</ref> |
|||
— Miss Bingley, dit celui-ci, me fait trop d’honneur. |
|||
Les hommes les meilleurs et les plus sages, ou, |
|||
si vous voulez, les meilleurs et les plus sages de leurs |
|||
actes peuvent toujours être tournés en ridicule par |
|||
ceux qui ne songent qu’à plaisanter. |
|||
— J’espère, dit Elizabeth, que je ne suis pas de ce |
|||
nombre et que je ne tourne jamais en ridicule ce qui |
|||
est respectable. Les sottises, les absurdités, les caprices |
|||
d’autrui me divertissent, je l’avoue, et j’en ris chaque |
|||
fois que j’en ai l’occasion ; mais Mr. Darcy, je le suppose, |
|||
n’a rien à faire avec de telles faiblesses. |
|||
— Peut-être est-ce difficile, mais j’ai pris à tâche |
|||
d’éviter les faiblesses en question, car elles amoindrissent |
|||
les esprits les mieux équilibrés. |
|||
— La vanité et l’orgueil, par exemple ? |
|||
— Oui, la vanité est véritablement une faiblesse, |
|||
mais l’orgueil, chez un esprit supérieur, se tiendra toujours |
|||
dans de justes limites. |
|||
Elizabeth se détourna pour cacher un sourire. |
|||
— Avez-vous fini l’examen de Mr. Darcy ? demanda |
|||
miss Bingley. Pouvons-nous en savoir le résultat ? |
|||
— Certainement. Mr. Darcy n’a pas de défaut, il |
|||
l’avoue lui-même sans aucune fausse honte. |
|||
— Non, dit Darcy, je suis bien loin d’être aussi présomptueux. |
|||
J’ai bon nombre de défauts mais je me |
|||
flatte qu’ils n’affectent pas mon jugement. Je n’ose |
|||
répondre de mon caractère ; je crois qu’il manque de |
|||
souplesse — il n’en a certainement pas assez au gré |
|||
d’autrui. — J’oublie difficilement les offenses qui me |
|||
sont faites et mon humeur mériterait sans doute l’épithète |
|||
de vindicative. On ne me fait pas aisément |
|||
changer d’opinion. Quand je retire mon estime à |
|||
quelqu’un, c’est d’une façon définitive. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/58== |
|||
<br/> |
|||
— Être incapable de pardonner ! Eh bien ! voilà |
|||
qui est un défaut ! Mais vous l’avez bien choisi ; il |
|||
m’est impossible d’en rire. |
|||
— Il y a, je crois, en chacun de nous, un défaut |
|||
naturel que la meilleure éducation ne peut arriver à |
|||
faire disparaître. |
|||
— Le vôtre est une tendance à mépriser vos semblables. |
|||
— Et le vôtre, répliqua-t-il avec un sourire, est de |
|||
prendre un malin plaisir à défigurer leur pensée. |
|||
— Faisons un peu de musique, voulez-vous ? proposa |
|||
miss Bingley, fatiguée d’une conversation où elle |
|||
n’avait aucune part. Vous ne m’en voudrez pas, |
|||
Louisa, de réveiller votre mari ? |
|||
Mrs. Hurst n’ayant fait aucune objection, le piano |
|||
fut ouvert et Darey, à la réflexion, n’en fut pas fâché. |
|||
Il commençait à sentir qu’il y avait quelque danger à |
|||
trop s’occuper d’Elizabeth. |
|||
{{NouveauChapitre|12|from={{{from}}}|to={{{to}}}}} |
|||
<div style="text-align:center">XII</div> |
|||
Comme il avait été convenu entre les deux sœurs, |
|||
Elizabeth écrivit le lendemain matin à sa mère pour |
|||
lui demander de leur envoyer la voiture dans le cours |
|||
de la journée. Mais Mrs. Bennet qui avait calculé que |
|||
ses filles resteraient une semaine entière à Netherfield |
|||
envisageait sans plaisir un si prompt retour. Elle répondit |
|||
donc qu’elles ne pourraient pas avoir la voiture |
|||
avant le mardi, ajoutant en post-scriptum que si l’on |
|||
insistait pour les garder plus longtemps on pouvait |
|||
bien se passer d’elles à Longbourn. |
|||
Elizabeth repoussait l’idée de rester davantage à |
|||
Netherfield ; d’ailleurs elle ne s’attendait pas à recevoir |
|||
une invitation de ce genre et craignait, au contraire, |
|||
qu’en prolongeant sans nécessité leur séjour |
|||
elle et sa sœur ne parussent indiscrètes. Elle insista |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/59== |
|||
donc auprès de Jane pour que celle-ci priât Mr. Bingley |
|||
de leur prêter sa voiture et elles décidèrent d’annoncer |
|||
à leurs hôtes leur intention de quitter Netherfield |
|||
le jour même. |
|||
De nombreuses protestations accueillirent cette |
|||
communication et de telles instances furent faites que |
|||
Jane se laissa fléchir et consentit à rester jusqu’au |
|||
lendemain. Miss Bingley regretta alors d’avoir proposé |
|||
ce délai, car la jalousie et l’antipathie que lui inspirait |
|||
l’une des deux sœurs l’emportaient de beaucoup sur |
|||
son affection pour l’autre. |
|||
Le maître de la maison ne pouvait se résigner à les |
|||
voir partir si vite et, à plusieurs reprises, essaya de persuader |
|||
à miss Bennet qu’elle n’était pas encore assez |
|||
rétablie pour voyager sans imprudence. Mais, sûre |
|||
d’agir raisonnablement, Jane ne céda pas. |
|||
Quant à Mr. Darcy il apprit la nouvelle sans déplaisir : |
|||
Elizabeth était restée assez longtemps à |
|||
Netherfield et il se sentait attiré vers elle plus qu’il |
|||
ne l’aurait voulu. D’un autre côté, miss Bingley la |
|||
traitait avec peu de politesse et le harcelait lui-même |
|||
de ses moqueries. Il résolut sagement de ne laisser |
|||
échapper aucune marque d’admiration, aucun signe |
|||
qui pût donner à Elizabeth l’idée qu’elle possédait la |
|||
moindre influence sur sa tranquillité. Si un tel espoir |
|||
avait pu naître chez elle, il était évident que la conduite |
|||
de Darcy pendant cette dernière journée devait |
|||
agir de façon définitive, ou pour le confirmer, ou pour |
|||
le détruire. |
|||
Ferme dans sa résolution, c’est à peine s’il adressa |
|||
la parole à Elizabeth durant toute la journée du samedi |
|||
et, dans un tête-à-tête d’une demi-heure avec |
|||
elle, resta consciencieusement plongé dans son livre |
|||
sans même lui jeter un regard. |
|||
Le dimanche après l’office du matin eut lieu cette |
|||
séparation presque unanimement souhaitée. Miss Bingley, |
|||
au moment des adieux, sentit s’augmenter son |
|||
affection pour Jane et redevint polie envers Elizabeth ; |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/60== |
|||
elle embrassa l’une tendrement en l’assurant de la joie |
|||
qu’elle aurait toujours à la revoir et serra la main de |
|||
l’autre presque amicalement. Elizabeth, de son côté, |
|||
se sentait de très joyeuse humeur en prenant congé. |
|||
L’accueil qu’elles reçurent de leur mère en arrivant |
|||
à Longbourn fut moins cordial. Mrs. Bennet s’étonna |
|||
de leur retour et les blâma sévèrement d’avoir donné |
|||
à leurs hôtes l’embarras de les faire reconduire. De |
|||
plus, elle était bien sûre que Jane avait repris froid ; |
|||
mais leur père, malgré l’expression laconique de son |
|||
contentement, était très heureux de les voir de retour. |
|||
Ses filles aînées lui avaient beaucoup manqué ; il avait |
|||
senti la place qu’elles occupaient à son foyer, et les |
|||
veillées familiales, en leur absence, avaient perdu beaucoup |
|||
de leur animation et presque tout leur charme. |
|||
Elles trouvèrent Mary plongée dans ses grandes |
|||
études et, comme d’habitude, prête à leur lire les derniers |
|||
extraits de ses lectures accompagnées de réflexions |
|||
philosophiques peu originales. Catherine et |
|||
Lydia avaient des nouvelles d’un tout autre genre ; il |
|||
s’était passé beaucoup de choses au régiment depuis |
|||
le précédent mercredi : plusieurs officiers étaient venus |
|||
dîner chez leur oncle ; un soldat avait été fustigé et |
|||
le bruit du prochain mariage du colonel Forster commençait |
|||
à se répandre. |
|||
{{NouveauChapitre|13|from={{{from}}}|to={{{to}}}}} |
|||
<div style="text-align:center">XIII</div> |
|||
— J’espère, ma chère amie, que vous avez commandé |
|||
un bon dîner pour ce soir, dit Mr. Bennet à sa |
|||
femme en déjeunant le lendemain, car il est probable |
|||
que nous aurons un convive. |
|||
— Et qui donc, mon ami ? Je ne vois personne qui |
|||
soit dans le cas de venir, sauf peut-être Charlotte Lucas, |
|||
et je pense que notre ordinaire peut lui suffire. |
|||
— Le convive dont je parle est un gentleman et un |
|||
étranger. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/61== |
|||
<br/> |
|||
Les yeux de Mrs. Bermet étincelèrent. |
|||
— Un gentleman et un étranger ! Alors ce ne peut |
|||
être que Mr. Bingley ! Oh ! Jane ! petite rusée, vous |
|||
n’en aviez rien dit… Assurément je serai ravie de voir |
|||
Mr. Bingley. Mais, grand Dieu ! Comme c’est ennuyeux |
|||
qu’on ne puisse pas trouver de poisson aujourd’hui ! |
|||
Lydia, mon amour, sonnez vite ! Il faut que je parle |
|||
tout de suite à la cuisinière. |
|||
— Ce n’est pas Mr. Bingley, intervint son mari ; |
|||
c’est quelqu’un que je n’ai jamais vu. |
|||
Cette déclaration provoqua un étonnement général |
|||
suivi d’un déluge de questions que Mr. Bennet |
|||
se fit un malin plaisir de laisser quelque temps sans |
|||
réponse. |
|||
À la fin, il consentit à s’expliquer. |
|||
— J’ai reçu, il y a un mois environ, la lettre que |
|||
voici et à laquelle j’ai répondu il y a quinze jours seulement |
|||
car l’affaire dont il s’agissait était délicate |
|||
et demandait réflexion. Cette lettre est de mon cousin, |
|||
Mr. Collins, qui, à ma mort, peut vous mettre toutes |
|||
à la porte de cette maison aussitôt qu’il lui plaira. |
|||
— Ah ! mon ami, s’écria sa femme, je vous en prie, |
|||
ne nous parlez pas de cet homme odieux. C’est certainement |
|||
une calamité que votre domaine doive être |
|||
ainsi arraché à vos propres filles, et je sais qu’à votre |
|||
place je me serais arrangée d’une façon ou d’une |
|||
autre pour écarter une telle perspective. |
|||
Jane et Elizabeth s’efforcèrent, mais en vain, de |
|||
faire comprendre à leur mère ce qu’était un « entail » <ref>Disposition par laquelle un domaine, à défaut d’héritier |
|||
mâle, passe à une autre branche de la famille.</ref>. |
|||
Elles l’avaient déjà tenté plusieurs fois ; |
|||
mais c’était un sujet sur lequel Mrs. Bennet se refusait |
|||
à entendre raison, et elle n’en continua pas moins |
|||
à protester amèrement contre la cruauté qu’il y avait |
|||
à déshériter une famille de cinq filles en faveur d’un |
|||
homme dont personne ne se souciait. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/62== |
|||
<br/> |
|||
— C’est évidemment une iniquité, dit Mr. Bennet, |
|||
et rien ne peut laver Mr. Collins du crime d’être héritier |
|||
de Longbourn. Mais si vous voulez bien écouter |
|||
sa lettre, les sentiments qu’il y exprime vous adouciront |
|||
peut-être un peu. |
|||
— Ah ! pour cela non ! J’en suis certaine. Je pense |
|||
au contraire que c’est de sa part le comble de l’impertinence |
|||
et de l’hypocrisie que de vous écrire. Que |
|||
ne reste-t-il brouillé avec vous comme l’était son père ? |
|||
— Il paraît justement avoir eu, à cet égard, quelques |
|||
scrupules, ainsi que vous allez l’entendre : |
|||
:::::<small>« Hunsford, par Westerham, Kent. 15 octobre.</small> |
|||
« Cher monsieur, |
|||
« Le désaccord subsistant entre vous et mon regretté |
|||
père m’a toujours été fort pénible, et depuis |
|||
que j’ai eu l’infortune de le perdre, j’ai souvent souhaité |
|||
d’y remédier. Pendant quelque temps j’ai été retenu |
|||
par la crainte de manquer à sa mémoire en me réconciliant |
|||
avec une personne pour laquelle, toute sa vie, |
|||
il avait professé des sentiments hostiles… » — Vous |
|||
voyez, Mrs. Bennet !… « Néanmoins, j’ai fini par |
|||
prendre une décision. Ayant reçu à Pâques l’ordination, |
|||
j’ai eu le privilège d’être distingué par la Très |
|||
Honorable lady Catherine de Bourgh, veuve de sir |
|||
Lewis de Bourgh, à la bonté et à la générosité de laquelle |
|||
je dois l’excellente cure de Hunsford où mon |
|||
souci constant sera de témoigner ma respectueuse |
|||
reconnaissance à Sa Grâce, en même temps que mon |
|||
empressement à célébrer les rites et cérémonies instituées |
|||
par l’Église d’Angleterre. |
|||
« En ma qualité d’ecclésiastique, je sens qu’il est |
|||
de mon devoir de faire avancer le règne de la paix |
|||
dans toutes les familles soumises à mon influence. |
|||
Sur ce terrain j’ose me flatter que mes avances ont |
|||
un caractère hautement recommandable, et vous |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/63== |
|||
oublierez, j’en suis sûr, le fait que je suis l’héritier |
|||
du domaine de Longbourn pour accepter le rameau |
|||
d’olivier que je viens vous offrir. |
|||
« Je suis réellement peiné d’être l’involontaire instrument |
|||
du préjudice causé à vos charmantes filles. |
|||
Qu’il me soit permis de vous exprimer mes regrets |
|||
en même temps que mon vif désir de leur faire accepter |
|||
tous les dédommagements qui sont en mon |
|||
pouvoir ; mais, de ceci, nous reparlerons plus tard. |
|||
« Si vous n’avez point de raison qui vous empêche |
|||
de me recevoir je me propose de vous rendre visite |
|||
le lundi 18 novembre à quatre heures, et j’abuserai |
|||
de votre hospitalité jusqu’au samedi de la semaine |
|||
suivante — ce que je puis faire sans inconvénients, |
|||
lady Catherine ne voyant pas d’objection à ce que je |
|||
m’absente un dimanche, pourvu que je me fasse remplacer |
|||
par un de mes confrères. |
|||
« Veuillez présenter mes respectueux compliments |
|||
à ces dames et me croire votre tout dévoué serviteur |
|||
et ami. |
|||
« {{sc|William Collins}}. » |
|||
— Donc, à quatre heures, nous verrons arriver ce |
|||
pacifique gentleman. C’est, semble-t-il, un jeune |
|||
homme extrêmement consciencieux et courtois et |
|||
nous aurons sans doute d’agréables relations avec lui |
|||
pour peu que lady Catherine daigne lui permettre de |
|||
revenir nous voir. |
|||
— Ce qu’il dit à propos de nos filles est plein de |
|||
raison, et s’il est disposé à faire quelque chose en leur |
|||
faveur, ce n’est pas moi qui le découragerai. |
|||
— Bien que je ne voie pas trop comment il pourrait |
|||
s’y prendre, dit Jane, le désir qu’il en a lui fait certainement |
|||
honneur. |
|||
Elizabeth était surtout frappée de l’extraordinaire |
|||
déférence exprimée par Mr. Collins à l’égard de lady |
|||
Catherine et de la solennité avec laquelle il affirmait |
|||
son intention de baptiser, marier, ou enterrer ses |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/64== |
|||
paroissiens, chaque fois que son ministère serait requis. |
|||
— Ce doit être un singulier personnage, dit-elle. |
|||
Son style est bien emphatique ; et que signifient ces |
|||
excuses d’être l’héritier de Longbourn ? Y changerait-il |
|||
quelque chose s’il le pouvait ? Pensez-vous que ce soit |
|||
un homme de grand sens, père ? |
|||
— Non, ma chère enfant ; je suis même assuré de |
|||
découvrir le contraire. Il y a dans sa lettre un mélange |
|||
de servilité et d’importance qui m’intrigue. J’attends |
|||
sa visite avec une vive impatience. |
|||
— Au point de vue du style, dit Mary, sa lettre |
|||
ne me semble pas défectueuse. L’idée du rameau d’olivier, |
|||
pour n’être pas très neuve, est néanmoins bien |
|||
exprimée. |
|||
Pour Catherine et Lydia, la lettre ni son auteur |
|||
n’étaient le moins du monde intéressants. Il y avait |
|||
peu de chances que leur cousin apparût avec un uniforme |
|||
écarlate et, depuis quelque temps, la société des |
|||
gens vêtus d’une autre couleur ne leur procurait plus |
|||
aucun plaisir. Quant à leur mère, la lettre de Mr. Collins |
|||
avait en grande partie dissipé sa mauvaise humeur |
|||
et elle se préparait à recevoir son hôte avec un calme |
|||
qui étonnait sa famille. |
|||
Mr. Collins arriva ponctuellement à l’heure dite et |
|||
fut reçu avec beaucoup de politesse par toute la famille. |
|||
Mr. Bennet parla peu, mais ces dames ne demandaient |
|||
qu’à parler à sa place. Mr. Collins de son |
|||
côté ne paraissait ni sauvage, ni taciturne. C’était |
|||
un grand garçon un peu lourd, à l’air grave et compassé |
|||
et aux manières cérémonieuses. À peine assis, |
|||
il se mit à complimenter Mrs. Bennet sur sa charmante |
|||
famille. Il avait, dit-il, beaucoup entendu vanter la |
|||
beauté de ses cousines, mais il constatait qu’en cette |
|||
circonstance le bruit public était au-dessous de la |
|||
vérité. Il ne doutait pas, ajouta-t-il, qu’en temps |
|||
voulu leur mère n’eût la joie de les voir toutes honorablement |
|||
établies. Ces galants propos n’étaient pas |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/65== |
|||
goûtés de même façon par tous ses auditeurs, mais |
|||
Mrs. Bennet, qui n’était point difficile sur les compliments, |
|||
répondit avec empressement : |
|||
— Ce que vous me dites là est fort aimable, monsieur, |
|||
et je souhaite fort que votre prévision se réalise, |
|||
autrement mes filles se trouveraient un jour dans une |
|||
situation bien fâcheuse avec des affaires aussi singulièrement |
|||
arrangées. |
|||
— Vous faites allusion peut-être à l’ « entail » de |
|||
ce domaine. |
|||
— Naturellement, monsieur, et vous devez reconnaître |
|||
que c’est une clause bien regrettable pour mes |
|||
pauvres enfants. — Non que je vous en rende personnellement |
|||
responsable. |
|||
— Je suis très sensible, madame, au désavantage |
|||
subi par mes belles cousines et j’en dirais plus sans |
|||
la crainte de vous paraître un peu trop pressé mais je |
|||
puis affirmer à ces demoiselles que j’arrive tout prêt |
|||
à goûter leur charme. Je n’ajoute rien quant à présent. |
|||
Peut-être, quand nous aurons fait plus ample |
|||
connaissance… |
|||
Il fut interrompu par l’annonce du dîner et les |
|||
jeunes filles échangèrent un sourire. Elles n’étaient |
|||
pas seules à exciter l’admiration de Mr. Collins : le |
|||
hall, la salle à manger et son mobilier furent examinés |
|||
et hautement appréciés. Tant de louanges auraient |
|||
touché le cœur de Mrs. Bennet si elle n’avait eu la |
|||
pénible arrière-pensée que Mr. Collins passait la revue |
|||
de ses futurs biens. Le dîner à son tour fut l’objet |
|||
de ses éloges et il insista pour savoir à laquelle de ses |
|||
belles cousines revenait l’honneur de plats aussi parfaitement |
|||
réussis. Mais ici, Mrs. Bennet l’interrompit |
|||
un peu vivement pour lui dire qu’elle avait le moyen |
|||
de s’offrir une bonne cuisinière, et que ses filles ne |
|||
mettaient pas le pied à la cuisine. Mr. Collins la supplia |
|||
de ne pas lui en vouloir, à quoi elle répondit d’un ton |
|||
plus doux qu’il n’y avait point d’offense, mais il n’en |
|||
continua pas moins à s’excuser jusqu’à la fin du dîner. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/66== |
|||
<br/> |
|||
<div style="text-align:center">XIV</div> |
|||
Pendant le repas Mr. Bennet avait à peine ouvert |
|||
la bouche. Lorsque les domestiques se furent rétirés, |
|||
il pensa qu’il était temps de causer un peu avec son |
|||
hôte, et mit la conversation sur le sujet qu’il estimait |
|||
le mieux choisi pour le faire parler en félicitant son |
|||
cousin d’avoir trouvé une protectrice qui se montrait |
|||
si pleine d’attentions pour ses désirs et de sollicitude |
|||
pour son confort. |
|||
Mr. Bennet ne pouvait mieux tomber. Mr. Collins |
|||
fut éloquent dans ses éloges. De sa vie, affirma-t-il, |
|||
solennellement, il n’avait rencontré chez un membre |
|||
de l’aristocratie l’affabilité et la condescendance que |
|||
lui témoignait lady Catherine. Elle avait été assez |
|||
bonne pour apprécier les deux sermons qu’il avait eu |
|||
l’honneur de prêcher devant elle. Deux fois déjà elle |
|||
l’avait invité à dîner à Rosings, et le samedi précédent |
|||
encore l’avait envoyé chercher pour faire le quatrième |
|||
à sa partie de « quadrille ». Beaucoup de gens |
|||
lui reprochaient d’être hautaine, mais il n’avait jamais |
|||
vu chez elle que de la bienveillance. Elle le traitait |
|||
en gentleman et ne voyait aucune objection à |
|||
ce qu’il fréquentât la société du voisinage ou s’absentât |
|||
une semaine ou deux pour aller voir sa famille. |
|||
Elle avait même poussé la bonté jusqu’à lui conseiller |
|||
de se marier le plus tôt possible, pourvu qu’il fît un |
|||
choix judicieux. Elle lui avait fait visite une fois dans |
|||
son presbytère où elle avait pleinement approuvé les |
|||
améliorations qu’il y avait apportées et daigné même |
|||
en suggérer d’autres, par exemple des rayons à poser |
|||
dans les placards du premier étage. |
|||
— Voilà une intention charmante, dit Mrs. Bennet, |
|||
et je ne doute pas que lady Catherine ne soit une fort |
|||
aimable femme. C’est bien regrettable que les grandes |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/67== |
|||
dames, en général, lui ressemblent si peu. Habite-t-elle |
|||
dans votre voisinage, monsieur ? |
|||
— Le jardin qui entoure mon humble demeure |
|||
n’est séparé que par un sentier de Rosings Park, résidence |
|||
de Sa Grâce. |
|||
— Je crois vous avoir entendu dire qu’elle était |
|||
veuve. A-t-elle des enfants ? |
|||
— Elle n’a qu’une fille, héritière de Rosings et |
|||
d’une immense fortune. |
|||
— Ah ! s’écria Mrs. Bennet en soupirant. Elle est |
|||
mieux partagée que beaucoup d’autres. Et cette jeune |
|||
fille, est-elle jolie ? |
|||
— Elle est tout à fait charmante. Lady Catherine |
|||
dit elle-même que miss de Bourgh possède quelque |
|||
chose de mieux que la beauté car, dans ses traits, se |
|||
reconnaît la marque d’une haute naissance. Malheureusement |
|||
elle est d’une constitution délicate et n’a |
|||
pu se perfectionner comme elle l’aurait voulu dans |
|||
différents arts d’agrément pour lesquels elle témoignait |
|||
des dispositions remarquables. Je tiens ceci de la |
|||
dame qui a surveillé son éducation et qui continue |
|||
à vivre auprès d’elle à Rosings, mais miss de Bourgh |
|||
est parfaitement aimable et daigne souvent passer à |
|||
côté de mon humble presbytère dans le petit phaéton |
|||
attelé de poneys qu’elle conduit elle-même. |
|||
— A-t-elle été présentée ? Je ne me rappelle pas |
|||
avoir vu son nom parmi ceux des dames reçues à la |
|||
cour. |
|||
— Sa frêle santé, malheureusement, ne lui permet |
|||
pas de vivre à Londres. C’est ainsi, comme je l’ai dit |
|||
un jour à lady Catherine, que la cour d’Angleterre |
|||
se trouve privée d’un de ses plus gracieux ornements. |
|||
Lady Catherine a paru touchée de mes paroles. Vous |
|||
devinez que je suis heureux de lui adresser de ces compliments |
|||
toujours appréciés des dames chaque fois |
|||
que l’occasion s’en présente. Ces petits riens plaisent |
|||
à Sa Grâce et font partie des hommages que je considère |
|||
comme mon devoir de lui rendre. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/68== |
|||
<br/> |
|||
— Vous avez tout à fait raison, dit Mr. Bennet, et |
|||
c’est un bonheur pour vous de savoir flatter avec tant |
|||
de délicatesse. Puis-je vous demander si ces compliments |
|||
vous viennent spontanément ou si vous devez |
|||
les préparer d’avance ? |
|||
— Oh ! spontanément, en général. Je m’amuse aussi |
|||
parfois à en préparer quelques-uns d’avance, mais je |
|||
m’efforce toujours de les placer de façon aussi naturelle |
|||
que possible. |
|||
Les prévisions de Mr. Bennet avaient été justes : |
|||
son cousin était aussi parfaitement ridicule qu’il s’y |
|||
attendait. Il l’écoutait avec un vif amusement sans |
|||
communiquer ses impressions autrement que par un |
|||
coup d’œil que, de temps à autre, il lançait à Elizabeth. |
|||
Cependant, à l’heure du thé, trouvant la |
|||
mesure suffisante, il fut heureux de ramener son hôte |
|||
au salon. |
|||
Après le thé il lui demanda s’il voulait bien faire |
|||
la lecture à ces dames. Mr. Collins consentit avec |
|||
empressement. Un livre lui fut présenté, mais à la vue |
|||
du titre il eut un léger recul et s’excusa, protestant |
|||
qu’il ne lisait jamais de romans. Kitty le regarda avec |
|||
ahurissement et Lydia s’exclama de surprise. D’autres |
|||
livres furent apportés parmi lesquels il choisit, après |
|||
quelques hésitations, les sermons de Fordyce. Lydia |
|||
se mit à bâiller lorsqu’il ouvrit le volume et il n’avait |
|||
pas lu trois pages d’une voix emphatique et monotone |
|||
qu’elle l’interrompit en s’écriant : |
|||
— Maman, savez-vous que l’oncle Philips parle de |
|||
renvoyer Richard et que le colonel Forster serait prêt |
|||
à le prendre à son service ? J’irai demain à Meryton |
|||
pour en savoir davantage et demander quand le lieutenant |
|||
Denny reviendra de Londres. |
|||
Lydia fut priée par ses deux aînées de se taire, mais |
|||
Mr. Collins, froissé, referma son livre en disant : |
|||
— J’ai souvent remarqué que les jeunes filles ne |
|||
savent pas s’intéresser aux œuvres sérieuses. Cela me |
|||
confond, je l’avoue, car rien ne peut leur faire plus de |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/69== |
|||
bien qu’une lecture instructive, mais je n’ennuierai |
|||
pas plus longtemps ma jeune cousine. Et, malgré |
|||
l’insistance de Mrs. Bennet et de ses filles pour qu’il |
|||
reprît sa lecture, Mr. Collins, tout en protestant qu’il |
|||
ne gardait nullement rancune à Lydia, se tourna vers |
|||
Mr. Bennet et lui proposa une partie de trictrac. |
|||
{{NouveauChapitre|15|from={{{from}}}|to={{{to}}}}} |
|||
<div style="text-align:center">XV</div> |
|||
Mr. Collins était dépourvu d’intelligence, et ni l’éducation, |
|||
ni l’expérience ne l’avaient aidé à combler |
|||
cette lacune de la nature. Son père, sous la direction |
|||
duquel il avait passé la plus grande partie de sa jeunesse, |
|||
était un homme avare et illettré, et lui-même, |
|||
à l’Université où il n’était demeuré que le temps nécessaire |
|||
pour la préparation de sa carrière, n’avait fait |
|||
aucune relation profitable. |
|||
Le rude joug de l’autorité paternelle lui avait donné |
|||
dans les manières une grande humilité que combattait |
|||
maintenant la fatuité naturelle à un esprit médiocre |
|||
et enivré par une prospérité rapide et inattendue. |
|||
Une heureuse chance l’avait mis sur le chemin de |
|||
lady Catherine de Bourgh au moment où le bénéfice |
|||
d’Hunsford se trouvait vacant, et la vénération que |
|||
lui inspirait sa noble protectrice, jointe à la haute |
|||
opinion qu’il avait de lui-même et de son autorité |
|||
pastorale, faisaient de Mr. Collins un mélange singulier |
|||
de servilité et d’importance, d’orgueil et d’obséquiosité. |
|||
À présent qu’il se trouvait en possession d’une |
|||
maison agréable et d’un revenu suffisant il songeait |
|||
à se marier. Ce rêve n’était pas étranger à son désir |
|||
de se réconcilier avec sa famille car il avait l’intention |
|||
de choisir une de ses jeunes cousines, si elles étaient |
|||
aussi jolies et agréables qu’on le disait communément. |
|||
C’était là le plan qu’il avait formé pour les |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/70== |
|||
dédommager du tort qu’il leur ferait en héritant à |
|||
leur place de la propriété de leur père, et il le jugeait |
|||
excellent. N’était-il pas convenable et avantageux |
|||
pour les Bennet, en même temps que très généreux |
|||
et désintéressé de sa part ? |
|||
La vue de ses cousines ne changea rien à ses intentions. |
|||
Le charmant visage de Jane ainsi que sa qualité |
|||
d’aînée fixa son choix le premier soir, mais, le |
|||
lendemain matin, il lui fallut modifier ses projets. |
|||
Dans un bref entretien qu’il eut avant le déjeuner |
|||
avec Mrs. Bennet il lui laissa entrevoir ses espérances, |
|||
à quoi celle-ci répondit avec force sourires et mines |
|||
encourageantes qu’elle ne pouvait rien affirmer au |
|||
sujet de ses plus jeunes filles, mais que l’aînée, — |
|||
c’était son devoir de l’en prévenir, — serait sans doute |
|||
fiancée d’ici peu. |
|||
Mr. Collins n’avait plus qu’à passer de Jane à |
|||
Elizabeth. C’est ce qu’il fit pendant que Mrs. Bennet |
|||
tisonnait le feu. Elizabeth qui par l’âge et la beauté |
|||
venait immédiatement après Jane était toute désignée |
|||
pour lui succéder. |
|||
Cette confidence remplit de joie Mrs. Bennet qui |
|||
voyait déjà deux de ses filles établies et, de ce fait, |
|||
l’homme dont la veille encore le nom seul lui était |
|||
odieux se trouva promu très haut dans ses bonnes |
|||
grâces. |
|||
Lydia n’oubliait point son projet de se rendre à |
|||
Meryton. Ses sœurs, à l’exception de Mary, acceptèrent |
|||
de l’accompagner, et Mr. Bennet, désireux de |
|||
se débarrasser de son cousin qui depuis le déjeuner |
|||
s’était installé dans sa bibliothèque où il l’entretenait |
|||
sans répit de son presbytère et de son jardin, le pressa |
|||
vivement d’escorter ses filles, ce qu’il accepta sans se |
|||
faire prier. |
|||
Mr. Collins passa le temps du trajet à émettre solennellement |
|||
des banalités auxquelles ses cousines acquiesçaient |
|||
poliment. Mais, sitôt entrées dans la ville |
|||
les deux plus jeunes cessèrent de lui prêter le moindre |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/71== |
|||
intérêt ; elles fouillaient les rues du regard dans l’espoir |
|||
d’y découvrir un uniforme, et il ne fallait rien |
|||
moins qu’une robe nouvelle ou un élégant chapeau à |
|||
une devanture pour les distraire de leurs recherches. |
|||
Bientôt l’attention des demoiselles Bennet fut attirée |
|||
par un inconnu jeune et d’allure distinguée qui |
|||
se promenait de long en large avec un officier de l’autre |
|||
côté de la rue. L’officier était ce même Mr. Denny |
|||
dont le retour préoccupait si fort Lydia, et il les salua |
|||
au passage. |
|||
Toutes se demandaient quel pouvait être cet |
|||
étranger dont la physionomie les avait frappées. Kitty |
|||
et Lydia, bien décidées à l’apprendre, traversèrent la |
|||
rue sous prétexte de faire un achat dans un magasin |
|||
et elles arrivèrent sur le trottoir opposé pour se trouver |
|||
face à face avec les deux gens qui revenaient sur leurs |
|||
pas. Mr. Denny leur demanda la permission de leur |
|||
présenter son ami, Mr. Wickham, qui était arrivé de |
|||
Londres avec lui la veille et venait de prendre un |
|||
brevet d’officier dans son régiment. |
|||
Voilà qui était parfait : l’uniforme seul manquait |
|||
à ce jeune homme pour le rendre tout à fait séduisant. |
|||
Extérieurement tout était en sa faveur : silhouette |
|||
élégante, belle prestance, manières aimables. |
|||
Aussitôt présenté il engagea la conversation avec un |
|||
empressement qui n’excluait ni la correction, ni la |
|||
simplicité. La conversation allait son train lorsque |
|||
Mr. Bingley et Mr. Darcy apparurent à cheval au |
|||
bout de la rue. En distinguant les jeunes filles dans le |
|||
groupe, ils vinrent jusqu’à elles pour leur présenter |
|||
leurs hommages. Ce fut Bingley qui parla surtout et, |
|||
s’adressant particulièrement à Jane, dit qu’il était |
|||
en route pour Longbourn où il se proposait d’aller |
|||
prendre des nouvelles de sa santé. Mr. Darcy, confirmait |
|||
par un signe de tête lorsque ses yeux tombèrent |
|||
sur l’étranger et leurs regards se croisèrent. Elizabeth |
|||
qui les regardait à cet instant fut satisfaite de |
|||
l’effet produit par cette rencontre : tous deux {{tiret|chan|changèrent}} |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/72== |
|||
{{tiret2|gèrent|changèrent}} de couleur ; l’un pâlit, l’autre rougit. Mr. Wickham, |
|||
au bout d’un instant, toucha son chapeau et |
|||
Mr. Darcy daigna à peine lui rendre ce salut. Qu’est-ce |
|||
que tout cela signifiait ? Il était difficile de le deviner, |
|||
difficile aussi de ne pas désirer l’apprendre. |
|||
Une minute plus tard, Mr. Bingley, qui semblait ne |
|||
s’être aperçu de rien, prit congé et poursuivit sa route |
|||
avec son ami. |
|||
Mr. Denny et Mr. Wickham accompagnèrent les |
|||
demoiselles Bennet jusqu’à la maison de leur oncle ; |
|||
mais là ils les quittèrent en dépit des efforts de Lydia |
|||
pour les décider à entrer et malgré l’invitation de |
|||
Mrs. Philips elle-même qui, surgissant à la fenêtre |
|||
de son salon, appuya bruyamment les instances de sa |
|||
nièce. |
|||
Mrs. Philips accueillit Mr. Collins avec une grande |
|||
cordialité. Il y répondit par de longs discours pour |
|||
s’excuser de l’indiscrétion qu’il commettait en osant |
|||
venir chez elle sans lui avoir été préalablement présenté. |
|||
Sa parenté avec ces demoiselles Bennet justifiait |
|||
un peu, pensait-il, cette incorrection. Mrs. Philips |
|||
était émerveillée d’un tel excès de politesse, mais |
|||
elle fut vite distraite par les questions impétueuses |
|||
de ses nièces sur l’étranger qu’elles venaient de rencontrer. |
|||
Elle ne put du reste leur apprendre que ce |
|||
qu’elles savaient déjà : que Mr. Denny avait ramené |
|||
ce jeune homme de Londres et qu’il allait recevoir |
|||
un brevet de lieutenant. Cependant, quelques officiers |
|||
devant dîner chez les Philips le lendemain, la tante |
|||
promit d’envoyer son mari inviter Mr. Wickham à |
|||
condition que la famille de Longbourn vînt passer la |
|||
soirée. Mrs. Philips annonçait une bonne partie de |
|||
loto, joyeuse et bruyante, suivie d’un petit souper |
|||
chaud. La perspective de telles délices mit tout le |
|||
monde en belle humeur et l’on se sépara gaiement |
|||
de part et d’autre. Mr. Collins répéta ses excuses en |
|||
quittant les Philips et reçut une fois de plus l’aimable |
|||
assurance qu’elles étaient parfaitement inutiles. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/73== |
|||
<br/> |
|||
De retour à Longbourn il fit grand plaisir à Mrs. Bennet |
|||
en louant la politesse et les bonnes manières de |
|||
Mrs. Philips : à l’exception de lady Catherine et de sa |
|||
fille, jamais il n’avait rencontré de femme plus distinguée. |
|||
Non contente de l’avoir accueilli avec une |
|||
parfaite bonne grâce, elle l’avait compris dans son invitation |
|||
pour le lendemain, lui dont elle venait à peine |
|||
de faire la connaissance. Sans doute sa parenté avec |
|||
les Bennet y était pour quelque chose mais, tout de |
|||
même, il n’avait jamais rencontré une telle amabilité |
|||
dans tout le cours de son existence. |
|||
{{NouveauChapitre|16|from={{{from}}}|to={{{to}}}}} |
|||
<div style="text-align:center">XVI</div> |
|||
Aucune objection n’ayant été faite à la partie projetée, |
|||
la voiture emporta le lendemain soir à Meryton |
|||
Mr. Collins et ses cinq cousines. En entrant au salon, |
|||
ces demoiselles eurent le plaisir d’apprendre que |
|||
Mr. Wickham avait accepté l’invitation de leur oncle |
|||
et qu’il était déjà arrivé. Cette nouvelle donnée, tout |
|||
le monde s’assit et Mr. Collins put regarder et louer à |
|||
son aise ce qui l’entourait. Frappé par les dimensions |
|||
et le mobilier de la pièce, il déclara qu’il aurait presque |
|||
pu se croire dans la petite salle où l’on prenait le |
|||
déjeuner du matin à Rosings. Cette comparaison ne |
|||
produisit pas d’abord tout l’effet qu’il en attendait, |
|||
mais quand il expliqua ce que c’était que Rosings, |
|||
quelle en était la propriétaire, et comment la cheminée |
|||
d’un des salons avait coûté 800 livres à elle seule, |
|||
Mrs. Philips comprit l’honneur qui lui était fait et |
|||
aurait pu entendre comparer son salon à la chambre |
|||
de la femme de charge sans en être trop froissée. |
|||
Mr. Collins s’étendit sur l’importance de lady Catherine |
|||
et de son château en ajoutant quelques digressions |
|||
sur son modeste presbytère et les améliorations |
|||
qu’il tâchait d’y apporter et il ne tarit pas jusqu’à |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/74== |
|||
l’arrivée des messieurs. Mrs. Philips l’écoutait avec |
|||
une considération croissante ; quant aux jeunes filles, |
|||
qui ne s’intéressaient pas aux récits de leur cousin, |
|||
elles trouvèrent l’attente un peu longue et ce fut avec |
|||
plaisir qu’elles virent enfin les messieurs faire leur |
|||
entrée dans le salon. |
|||
En voyant paraître Mr. Wickham Elizabeth pensa |
|||
que l’admiration qu’il lui avait inspirée à leur première |
|||
rencontre n’avait rien d’exagéré. Les officiers |
|||
du régiment de Meryton étaient, pour la plupart, des |
|||
gens de bonne famille et les plus distingués d’entre |
|||
eux étaient présents ce soir-là, mais Mr. Wickham |
|||
ne leur était pas moins supérieur par l’élégance de sa |
|||
personne et de ses manièies qu’ils ne l’étaient eux-mêmes |
|||
au gros oncle Philips qui entrait à leur suite en |
|||
répandant une forte odeur de porto. |
|||
Vers Mr. Wickham, — heureux mortel, — convergeaient |
|||
presque tous les regards féminins. Elizabeth |
|||
fut l’heureuse élue auprès de laquelle il vint s’asseoir, |
|||
et la manière aisée avec laquelle il entama la conversation, |
|||
bien qu’il ne fût question que de l’humidité |
|||
de la soirée et de la prévision d’une saison pluvieuse, |
|||
lui fit sentir aussitôt que le sujet le plus banal et le |
|||
plus dénué d’intérêt peut être rendu attrayant par |
|||
la finesse et le charme de l’interlocuteur. |
|||
Avec des concurrents aussi sérieux que Mr. Wickham |
|||
et les officiers, Mr. Collins parut sombrer dans l’insignifiance. |
|||
Aux yeux des jeunes filles il ne comptait |
|||
certainement plus, mais, par intervalles, il trouvait |
|||
encore un auditeur bénévole dans la personne de |
|||
Mrs. Philips et, grâce à ses bons soins, fut abondamment |
|||
pourvu de café et de ''muffins''. Il put à son tour |
|||
faire plaisir à son hôtesse en prenant place à la table |
|||
de whist. |
|||
— Je suis encore un joueur médiocre, dit-il, mais |
|||
je serai heureux de me perfectionner. Un homme dans |
|||
ma situation… |
|||
Mais Mrs. Philips, tout en lui sachant gré de sa |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/75== |
|||
complaisance, ne prit pas le temps d’écouter ses raisons. |
|||
Mr. Wickham, qui ne jouait point au whist, fut |
|||
accueilli avec joie à l’autre table où il prit place entre |
|||
Elizabeth et Lydia. Tout d’abord on put craindre |
|||
que Lydia ne l’accaparât par son bavardage, mais elle |
|||
aimait beaucoup les cartes et son attention fut bientôt |
|||
absorbée par les paris et les enjeux. Tout en suivant |
|||
la partie, Mr. Wickham eut donc tout le loisir de causer |
|||
avec Elizabeth. Celle-ci était toute disposée à l’écouter, |
|||
bien qu’elle ne pût espérer apprendre ce qui l’intéressait |
|||
le plus, à savoir quelles étaient ses relations |
|||
avec Mr. Darcy. Elle n’osait même pas nommer ce |
|||
dernier. Sa curiosité se trouva cependant très inopinément |
|||
satisfaite car Mr. Wickham aborda lui-même |
|||
le sujet. Il s’informa de la distance qui séparait Netherfield |
|||
de Meryton et, sur la réponse d’Elizabeth, demanda |
|||
avec une légère hésitation depuis quand y |
|||
séjournait Mr. Darcy. |
|||
— Depuis un mois environ, et, pour ne pas quitter |
|||
ce sujet elle ajouta : — J’ai entendu dire qu’il y avait |
|||
de grandes propriétés dans le Derbyshire. |
|||
— En effet, répondit Wickham, son domaine est |
|||
splendide et d’un rapport net de 10 ooo livres. Personne |
|||
ne peut vous renseigner mieux que moi sur ce |
|||
chapitre, car, depuis mon enfance, je connais de fort |
|||
près la famille de Mr. Darcy. |
|||
Elizabeth ne put retenir un mouvement de surprise. |
|||
— Je comprends votre étonnement, miss Bennet, |
|||
si, comme il est probable, vous avez remarqué la |
|||
froideur de notre rencontre d’hier<ref>WS: scannille ?</ref> . Connaissez-vous |
|||
beaucoup Mr. Darcy ? |
|||
— Très suffisamment pour mon goût, dit Elizabeth |
|||
avec vivacité. J’ai passé quatre jours avec lui |
|||
dans une maison amie, et je le trouve franchement |
|||
antipathique. |
|||
— Je n’ai pas le droit de vous donner mon opinion |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/76== |
|||
sur ce point, dit Wickham ; je connais Mr. Darcy |
|||
trop bien et depuis trop longtemps pour le juger avec |
|||
impartialité. Cependant, je crois que votre sentiment |
|||
serait en général accueilli avec surprise. Du reste, |
|||
hors d’ici où vous êtes dans votre famille, vous ne |
|||
l’exprimeriez peut-être pas aussi énergiquement. |
|||
— Je vous assure que je ne parlerais pas autrement |
|||
dans n’importe quelle maison du voisinage, |
|||
sauf à Netherfield. Personne ici ne vous dira du bien |
|||
de Mr. Darcy ; son orgueil a rebuté tout le monde. |
|||
— Je ne prétends pas être affligé de voir qu’il |
|||
n’est pas estimé au delà de ses mérites, dit Wickham |
|||
après un court silence ; mais je crois que pareille chose |
|||
ne lui arrive pas souvent. Les gens sont généralement |
|||
aveuglés par sa fortune, par son rang, ou bien intimidés |
|||
par la hauteur de ses manières, et le voient tel |
|||
qu’il désire être vu. |
|||
— D’après le peu que je connais de lui, il me semble |
|||
avoir assez mauvais caractère. |
|||
Wickham hocha la tête sans répondre. |
|||
— Je me demande, reprit-il au bout d’un instant, |
|||
s’il va rester encore longtemps ici. |
|||
— Il m’est impossible de vous renseigner là-dessus, |
|||
mais il n’était pas question de son départ lorsque |
|||
j’étais à Netherfield. J’espère que vos projets en faveur |
|||
de votre garnison ne se trouveront pas modifiés du |
|||
fait de sa présence dans la région. |
|||
— Pour cela non. Ce n’est point à moi à fuir devant |
|||
Mr. Darcy. S’il ne veut pas me voir, il n’a qu’à s’en |
|||
aller. Nous ne sommes pas en bons termes, c’est vrai, |
|||
et chaque rencontre avec lui m’est pénible mais, je |
|||
puis le dire très haut, je n’ai pas d’autre raison de |
|||
l’éviter que le souvenir de mauvais procédés à mon |
|||
égard et le profond regret de voir ce qu’il est devenu. |
|||
Son père, miss Bennet, le défunt Mr. Darcy, était le |
|||
meilleur homme de l’univers et l’ami le plus sincère |
|||
que j’aie jamais eu : je ne puis me trouver en présence |
|||
de son fils sans être ému jusqu’à l’âme par mille {{tiret|sou|souvenirs}} |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/77== |
|||
{{tiret2|venirs|souvenirs}} attendrissants. Mr. Darcy s’est conduit envers |
|||
moi d’une manière scandaleuse, cependant, je crois |
|||
que je pourrais tout lui pardonner, tout, sauf d’avoir |
|||
trompé les espérances et manqué à la mémoire de |
|||
son père. |
|||
Elizabeth de plus en plus intéressée ne perdait pas |
|||
une seule de ces paroles, mais le sujet était trop délicat |
|||
pour lui permettre de poser la moindre question. |
|||
Mr. Wickham revint à des propos d’un intérêt |
|||
plus général : Meryton, les environs, la société. De |
|||
celle-ci, surtout, il paraissait enchanté et le disait |
|||
dans les termes les plus galants. |
|||
— C’est la perspective de ce milieu agréable qui |
|||
m’a poussé à choisir ce régiment. Je le connaissais déjà |
|||
de réputation et mon ami Denny a achevé de me |
|||
décider en me vantant les charmes de sa nouvelle garnison |
|||
et des agréables relations qu’on pouvait y faire. |
|||
J’avoue que la société m’est nécessaire : j’ai eu de |
|||
grands chagrins, je ne puis supporter la solitude. Il me |
|||
faut de l’occupation et de la compagnie. L’armée |
|||
n’était pas ma vocation, les circonstances seules m’y |
|||
ont poussé. Je devais entrer dans les ordres, c’est |
|||
dans ce but que j’avais été élevé et je serais actuellement |
|||
en possession d’une très belle cure si tel avait |
|||
été le bon plaisir de celui dont nous parlions tout à |
|||
l’heure. |
|||
— Vraiment ! |
|||
— Oui, le défunt Mr. Darcy m’avait désigné pour |
|||
la prochaine vacance du meilleur bénéfice de son |
|||
domaine. J’étais son filleul et il me témoignait une |
|||
grande affection. Jamais je ne pourrai trop louer sa |
|||
bonté. Il pensait avoir, de cette façon, assuré mon |
|||
avenir ; mais, quand la vacance se produisit, ce fut un |
|||
autre qui obtint le bénéfice. |
|||
— Grand Dieu ! Est-ce possible ? s’écria Elizabeth. |
|||
Comment a-t-on pu faire aussi peu de cas de ses dernières |
|||
volontés ? Pourquoi n’avez-vous pas eu recours |
|||
à la justice ? |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/78== |
|||
<br/> |
|||
— Il y avait, par malheur, dans le testament un vice |
|||
de forme qui rendait stérile tout recours. Un homme |
|||
loyal n’aurait jamais mis en doute l’intention du donateur. |
|||
Il a plu à Mr. Darcy de le faire et de considérer |
|||
cette recommandation comme une apostille conditionnelle |
|||
en affirmant que j’y avais perdu tout droit par |
|||
mes imprudences, mes extravagances, tout ce que |
|||
vous voudrez. Ce qu’il y a de certain, c’est que le |
|||
bénéfice est devenu vacant il y a deux ans exactement, |
|||
lorsque j’étais en âge d’y aspirer, et qu’il a été donné |
|||
à un autre : et il n’est pas moins sûr que je n’avais |
|||
rien fait pour mériter d’en être dépossédé. Je suis |
|||
d’une humeur assez vive et j’ai pu dire avec trop de |
|||
liberté à Mr. Darcy ce que je pensais de lui, mais la |
|||
vérité c’est que nos caractères sont radicalement |
|||
opposés et qu’il me déteste. |
|||
— C’est honteux ! Il mériterait qu’on lui dise son |
|||
fait publiquement. |
|||
— Ceci lui arrivera sans doute un jour ou l’autre, |
|||
mais ce n’est point moi qui le ferai. Il faudrait d’abord |
|||
que je puisse oublier tout ce que je dois à son père. |
|||
De tels sentiments redoublèrent l’estime d’Elizabeth, |
|||
et celui qui les exprimait ne lui en sembla que plus |
|||
séduisant. |
|||
— Mais, reprit-elle après un silence, quels motifs |
|||
ont donc pu le pousser, et le déterminer à si mal agir ? |
|||
— Une antipathie profonde et tenace à mon égard, |
|||
— une antipathie que je suis forcé, en quelque mesure, |
|||
d’attribuer à la jalousie. Si le père avait eu moins |
|||
d’affection pour moi, le fils m’aurait sans doute mieux |
|||
supporté. Mais l’amitié vraiment peu commune que |
|||
son père me témoignait l’a, je crois, toujours irrité. |
|||
Il n’était point homme à accepter l’espèce de rivalité |
|||
qui nous divisait et la préférence qui m’était souvent |
|||
manifestée. |
|||
— Je n’aurais jamais cru Mr. Darcy aussi vindicatif. |
|||
Tout en n’éprouvant aucune sympathie pour lui, |
|||
je ne le jugeais pas aussi mal. Je le supposais bien |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/79== |
|||
rempli de dédain pour ses semblables, mais je ne le |
|||
croyais pas capable de s’abaisser à une telle vengeance, |
|||
— de montrer tant d’injustice et d’inhumanité. |
|||
Elle reprit après quelques minutes de réflexion : |
|||
— Je me souviens cependant qu’un jour, à Netherfield, |
|||
il s’est vanté d’être implacable dans ses ressentiments |
|||
et de ne jamais pardonner. Quel triste caractère ! |
|||
— Je n’ose m’aventurer sur ce sujet, répliqua |
|||
Wickham. Il me serait trop difficile d’être juste à son |
|||
égard. |
|||
De nouveau, Elizabeth resta un moment silencieuse |
|||
et pensive ; puis elle s’exclama : |
|||
— Traiter ainsi le filleul, l’ami, le favori de son |
|||
père !… Elle aurait pu ajouter « un jeune homme aussi |
|||
sympathique » ! Elle se contenta de dire : — et, de plus, |
|||
un ami d’enfance ! Ne m’avez-vous pas dit que vous |
|||
aviez été élevés ensemble ? |
|||
— Nous sommes nés dans la même paroisse, dans |
|||
l’enceinte du même parc. Nous avons passé ensemble |
|||
la plus grande partie de notre jeunesse, partageant |
|||
les mêmes jeux, entourés des mêmes soins paternels. |
|||
Mon père, à ses débuts, avait exercé la profession où |
|||
votre oncle Philips semble si bien réussir, mais il |
|||
l’abandonna pour rendre service au défunt Mr. Darcy |
|||
et consacrer tout son temps à diriger le domaine de |
|||
Pemberley. Mr. Darcy avait pour lui une haute estime |
|||
et le traitait en confident et en ami. Il a souvent |
|||
reconnu tous les avantages que lui avait valus l’active |
|||
gestion de mon père. Peu de temps avant sa mort, |
|||
il lui fit la promesse de se charger de mon avenir |
|||
et je suis convaincu que ce fut autant pour acquitter |
|||
une dette de reconnaissance envers mon père que par |
|||
affection pour moi. |
|||
— Que tout cela est extraordinaire ! s’écria Elizabeth. |
|||
Je m’étonne que la fierté de Mr. Darcy ne l’ait pas |
|||
poussé à se montrer plus juste envers vous, que {{tiret|l’or|l’orgueil,}} |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/80== |
|||
{{tiret2|gueil,|l’orgueil,}} à défaut d’un autre motif, ne l’ait pas empêché |
|||
de se conduire malhonnêtement — car c’est une véritable |
|||
malhonnêteté dont il s’agit là. |
|||
— Oui, c’est étrange, répondit Wickham, car l’orgueil, |
|||
en effet, inspire la plupart de ses actions et |
|||
c’est ce sentiment, plus que tous les autres, qui le rapproche |
|||
de la vertu. Mais nous ne sommes jamais conséquents |
|||
avec nous-mêmes, et, dans sa conduite à mon |
|||
égard, il a cédé à des impulsions plus fortes encore |
|||
que son orgueil. |
|||
— Pensez-vous qu’un orgueil aussi détestable puisse |
|||
jamais le porter à bien agir ? |
|||
— Certainement ; c’est par orgueil qu’il est libéral, |
|||
généreux, hospitalier, qu’il assiste ses fermiers et |
|||
secourt les pauvres. L’orgueil familial et filial — car |
|||
il a le culte de son père — est la cause de cette conduite. |
|||
La volonté de ne pas laisser se perdre les vertus |
|||
traditionnelles et l’influence de sa maison à Pemberley |
|||
est le mobile de tous ses actes. L’orgueil fraternel |
|||
renforcé d’un peu d’affection fait de lui un |
|||
tuteur plein de bonté et de sollicitude pour sa sœur, et |
|||
vous l’entendrez généralement vanter comme le frère |
|||
le meilleur et le plus dévoué. |
|||
— Quelle sorte de personne est miss Darcy ? |
|||
Wickham hocha la tête. |
|||
— Je voudrais vous dire qu’elle est aimable, — il |
|||
m’est pénible de critiquer une Darcy, — mais vraiment |
|||
elle ressemble trop à son frère : c’est la même |
|||
excessive fierté. Enfant, elle était gentille et affectueuse, |
|||
et me témoignait beaucoup d’amitié. J’ai passé |
|||
des heures nombreuses à l’amuser, mais, aujourd’hui |
|||
je ne suis plus rien pour elle. C’est une belle fille de |
|||
quinze ou seize ans, très instruite, m’a-t-on dit. Depuis |
|||
la mort de son père elle vit a Londres avec une institutrice |
|||
qui dirige son éducation. |
|||
Elizabeth, à diverses reprises, essaya d’aborder |
|||
d’autres sujets mais elle ne put s’empêcher de revenir |
|||
au premier. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/81== |
|||
<br/> |
|||
— Je suis étonnée, dit-elle, de l’intimité de Mr. Darcy |
|||
avec Mr. Bingley. Comment Mr. Bingley, qui semble |
|||
la bonne humeur et l’amabilité personnifiées, a-t-il pu |
|||
faire son ami d’un tel homme ? Comment peuvent-ils |
|||
s’entendre ? Connaissez-vous Mr. Bingley ? |
|||
— Nullement. |
|||
— C’est un homme charmant. Il ne connaît sûrement |
|||
pas Mr. Darcy sous son vrai jour. |
|||
— C’est probable, mais Mr. Darcy peut plaire |
|||
quand il le désire. Il ne manque pas de charme ni de |
|||
talents ; c’est un fort agréable causeur quand il veut |
|||
s’en donner la peine. Avec ses égaux il peut se montrer |
|||
extrêmement différent de ce qu’il est avec ses |
|||
inférieurs. Sa fierté ne l’abandonne jamais complètement, |
|||
mais, dans la haute société, il sait se montrer |
|||
large d’idées, juste, sincère, raisonnable, estimable, et |
|||
peut-être même séduisant, en faisant la juste part due |
|||
à sa fortune et à son extérieur. |
|||
La partie de whist avait pris fin. Les joueurs se |
|||
groupèrent autour de l’autre table et Mr. Collins |
|||
s’assit entre Elizabeth et Mrs. Philips. Cette dernière |
|||
lui demanda si la chance l’avait favorisé. Non, il avait |
|||
continuellement perdu et, comme elle lui en témoignait |
|||
son regret, il l’assura avec gravité que la chose était |
|||
sans importance ; il n’attachait à l’argent aucune |
|||
valeur et il la priait de ne pas s’en affecter. |
|||
— Je sais très bien, madame, que lorsqu’on s’assied |
|||
à une table de jeu l’on doit s’en remettre au hasard, et |
|||
mes moyens, c’est heureux, me permettent de perdre |
|||
cinq shillings. Beaucoup sans doute ne peuvent en dire |
|||
autant, mais, grâce à lady Catherine de Bourgh, je |
|||
puis regarder avec indifférence de pareils détails. |
|||
Ces mots attirèrent l’attention de Mr. Wickham et, |
|||
après avoir considéré Mr. Collins un instant, il demanda |
|||
tout bas à Elizabeth si son cousin était très |
|||
intime avec la famille de Bourgh. |
|||
— Lady Catherine lui a fait donner récemment la |
|||
cure de Hunsford, répondit-elle. Je ne sais pas du tout |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/82== |
|||
comment Mr. Collins a été présenté à cette dame mais |
|||
je suis certaine qu’il ne la connaît pas depuis longtemps. |
|||
— Vous savez sans doute que lady Catherine de |
|||
Bourgh et lady Anne Darcy étaient sœurs et que, par |
|||
conséquent, lady Catherine est la tante de Mr. Darcy. |
|||
— Non vraiment ! J’ignore tout de la parenté de |
|||
lady Catherine. J’ai entendu parler d’elle avant-hier |
|||
pour la première fois. |
|||
— Sa fille, miss de Bourgh, est l’héritière d’une |
|||
énorme fortune et l’on croit généralement qu’elle et |
|||
son cousin réuniront les deux domaines. |
|||
Cette information fit sourire Elizabeth qui pensa |
|||
à la pauvre miss Bingley. À quoi serviraient tous ses |
|||
soins, l’amitié qu’elle affichait pour la sœur, l’admiration |
|||
qu’elle montrait pour le frère si celui-ci était |
|||
déjà promis à une autre ? |
|||
— Mr. Collins, remarqua-t-elle, dit beaucoup de |
|||
bien de lady Catherine et de sa fille. Mais, d’après certains |
|||
détails qu’il nous a donnés sur Sa Grâce, je le |
|||
soupçonne de se laisser aveugler par la reconnaissance, |
|||
et sa protectrice me fait l’effet d’être une personne |
|||
hautaine et arrogante. |
|||
— Je crois, répondit Wickham, qu’elle mérite largement |
|||
ces deux qualificatifs. Je ne l’ai pas revue depuis |
|||
des années mais je me rappelle que ses manières avaient |
|||
quelque chose de tyrannique et d’insolent qui ne m’a |
|||
jamais plu. On vante la fermeté de son jugement mais |
|||
je crois qu’elle doit cette réputation pour une part à |
|||
son rang et à sa fortune, pour une autre à ses manières |
|||
autoritaires, et pour le reste à la fierté de son |
|||
neveu qui a décidé que tous les membres de sa famille |
|||
étaient des êtres supérieurs. |
|||
Elizabeth convint que c’était assez vraisemblable |
|||
et la conversation continua de la sorte jusqu’à L’annonce |
|||
du souper qui, en interrompant la partie de |
|||
cartes, rendit aux autres dames leur part des attentions |
|||
de Mr. Wickham. Toute conversation était {{tiret|de|devenue}} |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/83== |
|||
{{tiret2|venue|devenue}} impossible dans le brouhaha du souper de |
|||
Mrs. Philips, mais Mr. Wickham se rendit agréable à |
|||
tout le monde. Tout ce qu’il disait était si bien exprimé, |
|||
et tout ce qu’il faisait était fait avec grâce. |
|||
Elizabeth partit l’esprit rempli de Mr. Wickham.<ref>WS : ,-> .</ref> |
|||
Pendant le trajet du retour elle ne pensa qu’à lui et à |
|||
tout ce qu’il lui avait raconté ; mais elle ne put même |
|||
pas mentionner son nom car ni Lydia, ni Mr. Collins |
|||
ne cessèrent de parler une seconde. Lydia bavardait |
|||
sur la partie de cartes, sur les fiches qu’elle avait |
|||
gagnées et celles qu’elle avait perdues et Mr. Collins |
|||
avait tant à dire de l’hospitalité de Mr. et de Mrs. Philips, |
|||
de son indifférence pour ses pertes au jeu, du |
|||
menu du souper, de la crainte qu’il avait d’être de |
|||
trop dans la voiture, qu’il n’avait pas terminé lorsqu’on |
|||
arriva à Longbourn. |
|||
{{NouveauChapitre|17|from={{{from}}}|to={{{to}}}}} |
|||
<div style="text-align:center">XVII</div> |
|||
Le lendemain Elizabeth redit à Jane la conversation |
|||
qu’elle avait eue avec Mr. Wickham. Jane l’écouta, |
|||
stupéfaite et consternée : elle ne pouvait se décider à |
|||
croire que Mr. Darcy fût indigne à ce point de l’estime |
|||
de Mr. Bingley. D’autre part, il n’était pas dans sa |
|||
nature de soupçonner la véracité d’un jeune homme |
|||
d’apparence aussi sympathique que Wickham. La |
|||
seule pensée qu’il eût pu subir une aussi grande injustice |
|||
suffisait à émouvoir son âme sensible. Ce qu’il y |
|||
avait de mieux à faire était de n’accuser personne et |
|||
de mettre sur le compte dit hasard ou d’une erreur ce |
|||
qu’on ne pouvait expliquer autrement. |
|||
— Tous deux ont sans doute été trompés, des gens |
|||
intéressés ont pu faire à chacun de faux rapports sur |
|||
le compte de l’autre ; bref, il est impossible d’imaginer |
|||
ce qui, sans tort réel d’aucun côté, a pu faire naître |
|||
une pareille inimitié. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/84== |
|||
<br/> |
|||
— Certes oui. Et maintenant, ma chère Jane, |
|||
qu’avez-vous à dire pour excuser les « gens intéressés » |
|||
qui sont sans doute les vrais coupables ? Justifiez-les |
|||
aussi, que nous n’en soyons pas réduites à les mal juger ! |
|||
— Riez tant qu’il vous plaira ; cela ne changera |
|||
point mon opinion. Ne voyez-vous point, ma chère |
|||
Lizzy, sous quel jour détestable ceci place Mr. Darcy ? |
|||
Traiter ainsi le protégé dont son père avait promis |
|||
d’assurer l’avenir ! Quel homme ayant le souci de sa |
|||
réputation serait capable d’agir ainsi ? Et ses amis, |
|||
pourraient-ils s’abuser à ce point sur son compte ? |
|||
Oh ! non ! |
|||
— Il m’est plus facile de croire que Mr. Bingley |
|||
s’est trompé à son sujet que d’imaginer que Mr. Wickham |
|||
a inventé tout ce qu’il m’a conté hier soir en |
|||
donnant les noms, les faits, tous les détails. Si c’est |
|||
faux, que Mr. Darcy le dise. |
|||
À ce moment on appela les jeunes filles qui durent |
|||
quitter le bosquet où elles s’entretenaient pour retourner |
|||
à la maison. Mr. Bingley et ses sœurs venaient |
|||
apporter eux-mêmes leur invitation pour le bal si |
|||
impatiemment attendu et qui se trouvait fixé au mardi |
|||
suivant. Mrs. Hurst et miss Bingley se montrèrent |
|||
enchantées de retrouver leur chère Jane, déclarant qu’il |
|||
y avait des siècles qu’elles ne s’étaient vues. Au reste |
|||
de la famille elles accordèrent peu d’attention : elles |
|||
évitèrent autant que possible de causer avec Mrs. Bennet, |
|||
dirent quelques mots à Elizabeth et rien du tout |
|||
aux autres. Au bout de très peu de temps elles se |
|||
levèrent avec un empressement qui déconcerta quelque |
|||
peu leur frère et firent rapidement leurs adieux comme |
|||
pour échapper aux démonstrations de Mrs. Bennet. |
|||
La perspective du bal de Netherfield causait un vif |
|||
plaisir à Longbourn. Mrs. Bennet se flattait qu’il était |
|||
donné à l’intention de sa fille aînée, et considérait |
|||
comme une faveur particulière que Mr. Bingley fût |
|||
venu faire son invitation en personne au lieu d’envoyer |
|||
la carte d’usage. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/85== |
|||
<br/> |
|||
Jane se promettait une agréable soirée où elle goûterait |
|||
la compagnie de ses deux amies et les attentions |
|||
de leur frère. Elizabeth jouissait d’avance du plaisir de |
|||
danser beaucoup avec Mr. Wickham, et d’observer la |
|||
confirmation de ce qu’il lui avait confié dans l’expression |
|||
et l’attitude de Mr. Darcy. La joie que se promettaient |
|||
Catherine et Lydia dépendait moins de telle |
|||
personne ou de telle circonstance en particulier ; bien |
|||
que, comme Elizabeth, chacune d’elles fût décidée à |
|||
danser la moitié de la soirée avec Mr. Wickham, il |
|||
n’était pas l’unique danseur qui pût les satisfaire, et |
|||
un bal, après tout, est toujours un bal. Et Mary elle-même |
|||
pouvait, sans mentir, assurer que la perspective |
|||
de cette soirée n’était pas pour lui déplaire. |
|||
Elizabeth était pleine d’entrain et de gaieté et bien |
|||
qu’elle ne recherchât point d’ordinaire la conversation |
|||
de Mr. Collins, elle lui demanda s’il comptait accepter |
|||
l’invitation de Mr. Bingley et, le cas échéant, s’il jugerait |
|||
convenable de se mêler aux divertissements de la |
|||
soirée. À son grand étonnement il lui répondit qu’il |
|||
n’éprouvait à ce sujet aucun scrupule et qu’il était sûr |
|||
de n’encourir aucun blâme de la part de son évêque ou |
|||
de lady Catherine s’il s’aventurait à danser. |
|||
— Je ne crois nullement, l’assura-t-il, qu’un bal |
|||
donné par un jeune homme de qualité à des gens respectables |
|||
puisse rien présenter de répréhensible, et je |
|||
réprouve si peu la danse que j’espère que toutes mes |
|||
charmantes cousines me feront l’honneur de m’accepter |
|||
pour cavalier dans le cours de la soirée. Je |
|||
saisis donc cette occasion, miss Elizabeth, pour vous |
|||
inviter pour les deux premières danses. J’espère que |
|||
ma cousine Jane attribuera cette préférence à sa véritable |
|||
cause et non pas à un manque d’égards pour elle. |
|||
Elizabeth se trouvait prise. Elle avait rêvé se faire |
|||
invitei pour ces mêmes danses par Wickham ! Il n’y |
|||
avait plus qu’à accepter l’invitation de son cousin |
|||
d’aussi bonne grâce que possible, mais cette galanterie |
|||
lui causait d’autant moins de plaisir qu’elle ouvrait la |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/86== |
|||
porte à une supposition nouvelle. Pour la première |
|||
fois l’idée vint à Elizabeth que, parmi ses sœurs, |
|||
c’était elle que Mr. Collins avait élue pour aller régner |
|||
au presbytère de Hundsford et faire la quatrième à la |
|||
table de whist de Rosings en l’absence de plus nobles |
|||
visiteurs. Cette supposition se changea en certitude |
|||
devant les attentions multipliées de son cousin et ses |
|||
compliments sur sa vivacité et son esprit. À sa fille, |
|||
plus étonnée que ravie de sa conquête, Mrs. Bennet |
|||
donna bientôt à entendre que la perspective de ce |
|||
mariage lui était extrêmement agréable. Elizabeth |
|||
jugea préférable d’avoir l’air de ne point comprendre |
|||
afin d’éviter une discussion. Après tout, il se pouvait |
|||
fort bien que Mr. Collins ne fît jamais la demande |
|||
de sa main et, jusqu’à ce qu’il la fît, il était bien inutile |
|||
de se quereller à son sujet. |
|||
{{NouveauChapitre|18|from={{{from}}}|to={{{to}}}}} |
|||
<div style="text-align:center">XVIII</div> |
|||
Quand elle fit son entrée dans le salon de Netherfield, |
|||
Elizabeth remarqua que Wickham ne figurait |
|||
point dans le groupe d’habits rouges qui y étaient |
|||
rassemblés. Jusque-là l’idée de cette absence n’avait |
|||
même pas effleuré son esprit ; au contraire, mettant |
|||
à sa toilette un soin tout particulier, elle s’était préparée |
|||
joyeusement à achever sa conquête, persuadée |
|||
que c’était l’affaire d’une soirée. |
|||
Alors, brusquement, surgit l’affreux soupçon que |
|||
les Bingley, par complaisance pour Mr. Darcy, avaient |
|||
omis sciemment Wickham dans l’invitation adressée |
|||
aux officiers. Bien que la supposition fût inexacte, son |
|||
absence fut bientôt confirmée par son ami, Mr. Denny ; |
|||
à Lydia qui le pressait de questions il répondit que |
|||
Wickham avait dû partir pour Londres la veille et qu’il |
|||
n’était point encore de retour, ajoutant d’un air significatif : |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/87== |
|||
<br/> |
|||
— Je ne crois pas que ses affaires l’eussent décidé à |
|||
s’absenter précisément aujourd’hui s’il n’avait eu |
|||
surtout le désir d’éviter une rencontre avec un gentleman |
|||
de cette société. |
|||
Cette allusion, perdue pour Lydia, fut saisie par |
|||
Elizabeth et lui montra que Darcy n’était pas moins |
|||
responsable de l’absence de Wickham que si sa première |
|||
supposition avait été juste. L’antipathie qu’il lui |
|||
inspirait s’en trouva tellement accrue qu’elle eut |
|||
grand’peine à lui répondre dans des termes suffisamment |
|||
polis lorsque, peu après, il vint lui-même lui |
|||
présenter ses hommages. Ne voulant avoir aucune |
|||
conversation avec lui, elle se détourna avec un mouvement |
|||
de mauvaise humeur qu’elle ne put tout de |
|||
suite surmonter, même en causant avec Mr. Bingley |
|||
dont l’aveugle partialité à l’égard de son ami la révoltait. |
|||
Mais il n’était pas dans la nature d’Elizabeth de |
|||
s’abandonner longtemps à une telle impression, et |
|||
quand elle se fut soulagée en exposant son désappointement |
|||
à Charlotte Lucas, elle fut bientôt capable de |
|||
faire dévier la conversation sur les originalités de son |
|||
cousin et de les signaler à l’attention de son amie. |
|||
Les deux premières danses, cependant, furent pour |
|||
elle un intolérable supplice : Mr. Collins, solennel et |
|||
maladroit, se répandant en excuses au lieu de faire |
|||
attention, dansant à contretemps sans même s’en |
|||
apercevoir, donnait à sa cousine tout l’ennui, toute la |
|||
mortification qu’un mauvais cavalier peut infliger à |
|||
sa danseuse. Elizabeth en retrouvant sa liberté éprouva |
|||
un soulagement indicible. Invitée ensuite par un officier, |
|||
elle eut la satisfaction de parler avec lui de |
|||
Wickham et d’entendre dire qu’il était universellement |
|||
apprécié. |
|||
Elle venait de reprendre sa conversation avec Charlotte |
|||
Lucas, lorsque Mr. Darcy s’approcha et, s’inclinant |
|||
devant elle, sollicita l’honneur d’être son cavalier. |
|||
Elle se trouva tellement prise au dépourvu qu’elle |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/88== |
|||
accepta sans trop savoir ce qu’elle faisait. Il s’éloigna |
|||
aussitôt, la laissant toute dépitée d’avoir montré si |
|||
peu de présence d’esprit. Charlotte Lucas essaya de la |
|||
réconforter : |
|||
— Après tout, vous allez peut-être le trouver très |
|||
aimable. |
|||
— Le ciel m’en préserve. Quoi ! Trouver aimable |
|||
un homme qu’on est résolu à détester ! |
|||
Mais quand la musique recommença et que Darcy |
|||
s’avança pour lui rappeler sa promesse, Charlotte |
|||
Lucas ne put s’empêcher de lui souffler à l’oreille que |
|||
son caprice pour Wickham ne devait pas lui faire |
|||
commettre la sottise de se rendre déplaisante aux |
|||
yeux d’un homme dont la situation valait dix fois |
|||
celle de l’officier. |
|||
Elizabeth prit rang parmi les danseurs, confondue |
|||
de l’honneur d’avoir Mr. Darcy pour cavalier et lisant |
|||
dans les regards de ses voisines un étonnement égal au |
|||
sien. Pendant un certain temps ils gardèrent le silence. |
|||
Elizabeth était bien décidée à ne pas le rompre la première |
|||
lorsque l’idée lui vint qu’elle infligerait une pénitence |
|||
à Mr. Darcy en l’obligeant à parler. Elle fit donc |
|||
une réflexion sur la danse. Il lui répondit, puis retomba |
|||
dans son mutisme. |
|||
Au bout de quelques instants, elle reprit : |
|||
— Maintenant, Mr. Darcy, c’est à votre tour. J’ai |
|||
déjà parlé de la danse. À vous de faire la remarque |
|||
qu’il vous plaira sur les dimensions du salon ou le |
|||
nombre des danseurs. |
|||
Il sourit et l’assura qu’il était prêt à dire tout ce |
|||
qu’elle désirait. |
|||
— Très bien. Quant à présent, cette réponse peut |
|||
suffire. Un peu plus tard j’observerai que les soirées |
|||
privées présentent plus d’agrément que les bals officiels, |
|||
mais pour l’instant, nous pouvons en rester là. |
|||
— Est-ce donc par devoir que vous causez en dansant ? |
|||
— Quelquefois. Il faut bien parler un peu. Il serait |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/89== |
|||
étrange de rester ensemble une demi-heure sans |
|||
ouvrir la bouche. Cependant, pour la commodité de |
|||
certains danseurs, il vaut mieux que la conversation |
|||
soit réglée de telle façon qu’ils n’aient à parler que le |
|||
moins possible. |
|||
— Dans le cas présent, suivez-vous vos préférences |
|||
ou cherchez-vous à vous conformer aux miennes ? |
|||
— Aux uns et aux autres tout ensemble, car j’ai |
|||
remarqué dans notre tour d’esprit une grande ressemblance. |
|||
Nous sommes tous deux de caractère taciturne |
|||
et peu sociable et nous n’aimons guère à penser, |
|||
à moins que ce ne soit pour dire une chose digne |
|||
d’étonner ceux qui nous écoutent et de passer à la |
|||
postérité avec tout ''l’éclat'' <ref>En français dans le texte.</ref> d’un proverbe. |
|||
— Ce portrait ne vous ressemble pas d’une façon |
|||
frappante selon moi, dit il. À quel point il me ressemble |
|||
c’est ce que je ne puis décider. Vous le trouvez fidèle, |
|||
sans doute ? |
|||
— Ce n’est pas à moi de juger de mon œuvre. |
|||
Mr. Darcy ne reprit la conversation qu’au début de |
|||
la deuxième danse pour demander à Elizabeth si elle |
|||
allait souvent à Meryton avec ses sœurs. Elle répondit |
|||
affirmativement et, ne pouvant résister à la tentation, |
|||
ajouta : |
|||
— Lorsque vous nous avez rencontrées l’autre jour, |
|||
nous venions justement de faire une nouvelle connaissance. |
|||
L’effet fut immédiat. Un air de hauteur plus accentuée |
|||
se répandit sur le visage de Darcy, mais il |
|||
resta un instant sans répondre. Il dit enfin d’un air |
|||
contraint : |
|||
— Mr. Wickham est doué de manières agréables |
|||
qui lui permettent de se faire facilement des amis. |
|||
Qu’il soit également capable de les conserver est une |
|||
chose moins sûre. |
|||
— Je sais qu’il a eu le malheur de perdre « votre » |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/90== |
|||
amitié, répliqua Elizabeth, et cela d’une façon telle |
|||
qu’il en souftrira probablement toute son existence. |
|||
Darcy ne répondit pas et parut désireux de changer |
|||
la conversation. À ce moment apparut près d’eux sir |
|||
William Lucas qui essayait de traverser le salon en se |
|||
faufilant entre les groupes. À la vue de Mr. Darcy |
|||
il s’arrêta pour lui faire son salut le plus courtois et |
|||
lui adresser quelques compliments sur lui et sa danseuse. |
|||
— Vous me voyez ravi, cher monsieur. On a rarement |
|||
l’avantage de voir danser avec un art aussi |
|||
consommé. Vous me permettrez d’ajouter que votre |
|||
aimable danseuse vous fait honneur. J’espère que ce |
|||
plaisir se renouvellera souvent pour moi, surtout, ma |
|||
chère Eliza, si un événement des plus souhaitables |
|||
vient à se produire, ajouta-t-il en lançant un coup |
|||
d’œil dans la direction de Jane et de Bingley. Quel |
|||
sujet de joie et de félicitations pour tout le monde ! |
|||
J’en appelle à Mr. Darcy. Mais que je ne vous retienne |
|||
pas, monsieur. Vous m’en voudriez de vous importuner |
|||
davantage et les beaux yeux de votre jeune |
|||
danseuse condamnent mon indiscrétion. |
|||
La fin de ce discours fut à peine entendue de Darcy. |
|||
L’allusion de sir William semblait l’avoir frappé, et il |
|||
dirigeait vers Bingley et Jane un regard préoccupé. |
|||
Il se ressaisit vite, cependant, et se tournant vers sa |
|||
danseuse : |
|||
— L’interruption de sir William, dit-il, m’a fait |
|||
oublier de quoi nous nous entretenions. |
|||
— Mais nous ne parlions de rien, je crois. Nous |
|||
avions essayé sans succès deux ou trois sujets de conversation |
|||
et je me demande quel pourra être le suivant. |
|||
— Si nous parlions lecture ? dit-il en souriant. |
|||
— Lecture ? oh non ! Je suis sûre que nous n’avons |
|||
pas les mêmes goûts. |
|||
— Je le regrette. Mais, quand cela serait, nous |
|||
pourrions discuter nos idées respectives. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/91== |
|||
<br/> |
|||
— Non, il m’est impossible de causer littérature |
|||
dans un bal ; mon esprit est trop occupé d’autre chose. |
|||
— Est-ce ce qui vous entoure qui vous absorbe à ce |
|||
point ? demanda-t-il d’un air de doute. |
|||
— Oui, répondit-elle machinalement, car sa pensée |
|||
était ailleurs comme elle le montra bientôt par cette |
|||
soudaine exclamation : |
|||
— Mr. Darcy, je me rappelle vous avoir entendu dire |
|||
que vous ne pardonniez jamais une offense. Je suppose |
|||
que ce n’est pas à la légère que vous concevez un |
|||
ressentiment aussi implacable. |
|||
— Non, certes, affirma-t-il avec force. |
|||
— Et vous ne vous laissez jamais aveugler par des |
|||
préventions ? |
|||
— J’espère que non. |
|||
— Ceux qui ne changent jamais d’opinion doivent |
|||
naturellement veiller à juger du premier coup sans se |
|||
tromper. |
|||
— Puis-je vous demander à quoi tendent ces questions ? |
|||
— À expliquer votre caractère, tout simplement, |
|||
dit-elle en reprenant le ton de la plaisanterie. J’essaye |
|||
en ce moment de le comprendre. |
|||
— Y réussissez-vous ? |
|||
— Guère, répondit-elle en hochant la tête ; j’entends |
|||
sur vous des jugements si contradictoires que |
|||
je m’y perds. |
|||
— Je crois en effet, répondit-il d’un ton grave, |
|||
que l’on exprime sur moi des opinions très différentes, |
|||
et ce n’est pas en ce moment, miss Bennet, que j’aurais |
|||
plaisir à vous voir essayer de faire mon portrait, |
|||
car l’œuvre, je le crains, ne ferait honneur ni à vous, |
|||
ni à moi. |
|||
Elizabeth n’ajouta rien. La danse terminée, ils se |
|||
séparèrent en silence, mécontents l’un de l’autre, mais |
|||
à un degré différent, car Darcy avait dans le cœur |
|||
un sentiment qui le poussa bientôt à pardonner à |
|||
Elizabeth et à réserver toute sa colère pour un autre. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/92== |
|||
<br/> |
|||
Presque aussitôt miss Bingley se dirigea vers Elizabeth, |
|||
et, d’un air de politesse dédaigneuse, l’accosta |
|||
ainsi. |
|||
— Il paraît, miss Elizabeth, que George Wickham |
|||
a fait, votre conquête ? Votre sœur vient de me poser |
|||
sur lui toutes sortes de questions et j’ai constaté que |
|||
ce jeune homme avait négligé de vous dire, entre |
|||
autres choses intéressantes, qu’il était le fils du vieux |
|||
Wickham, l’intendant de feu Mr. Darcy. Permettez-moi |
|||
de vous donner un conseil amical : ne recevez pas |
|||
comme parole d’Évangile tout ce qu’il vous racontera. |
|||
Il est faux que Mr. Darcy ait fait tort à Wickham : |
|||
il l’a toujours traité avec une grande générosité, alors |
|||
que Wickham, au contraire, s’est conduit fort mal |
|||
envers lui. J’ignore les détails de cette affaire, mais je |
|||
puis vous affirmer que Mr. Darcy n’a rien à se reprocher, |
|||
qu’il ne veut plus entendre parler de Wickham, |
|||
et que mon frère, n’ayant pu se dispenser d’inviter ce |
|||
dernier avec les autres officiers, a été ravi de voir que |
|||
de lui-même il s’était retiré. Je me demande comment il |
|||
a eu l’audace de venir dans ce pays-ci. Je vous plains, |
|||
miss Elizabeth, d’être mise ainsi face à face avec |
|||
l’indignité de votre favori : mais connaissant son origine, |
|||
on ne pouvait guère s’attendre à mieux ! |
|||
— En somme, répliqua Elizabeth irritée, votre accusation |
|||
la plus fondée est celle d’être le fils d’un subalterne : |
|||
et je puis vous certifier que Mr. Wickham |
|||
m’avait lui-même révélé ce détail ! |
|||
— Oh ! pardon, répondit miss Bingley en s’éloignant |
|||
avec un ricanement moqueur. Et excusez-moi |
|||
en faveur de mon intention, qui était bonne ! |
|||
— Insolente créature ! se dit Elizabeth. Croit-elle |
|||
donc m’influencer par d’aussi misérables procédés ?… |
|||
Je ne vois là qu’ignorance voulue de sa part, et méchanceté |
|||
pure du côté de Mr. Darcy. |
|||
Puis elle chercha sa sœur aînée qui avait dû entreprendre |
|||
une enquête sur le même sujet auprès de |
|||
Bingley, |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/93== |
|||
<br/> |
|||
Elle trouva Jane avec un sourire de contentement |
|||
et une flamme joyeuse dans le regard qui montraient |
|||
assez combien elle était satisfaite de sa soirée. Elizabeth |
|||
s’en aperçut tout de suite et tout autre sentiment |
|||
s’effaça en elle devant l’espoir de voir Jane |
|||
sur le chemin du bonheur. |
|||
— J’aimerais savoir, dit-elle en souriant, elle aussi, |
|||
si vous avez appris quelque chose sur Mr. Wickham. |
|||
Mais vous étiez peut-être engagée dans un entretien |
|||
trop agréable pour penser aux autres. En ce cas, vous |
|||
êtes tout excusée. |
|||
— Non, reprit Jane, je ne l’ai point oublié, mais je |
|||
n’ai rien de satisfaisant à vous dire. Mr. Bingley ne |
|||
connaît pas toute son histoire et ignore ce qui a le |
|||
plus offensé Mr. Darcy. Il répond seulement de la |
|||
probité et de l’honneur de son ami et il est convaincu |
|||
que Mr. Wickham ne mérite même pas ce que |
|||
Mr. Darcy a fait pour lui. Je regrette de dire que d’après |
|||
sa sœur comme d’après lui, Mr. Wickham ne serait |
|||
pas un jeune homme respectable. |
|||
— Mr. Bingley connaît-il lui-même Mr. Wickham ? |
|||
— Non, il l’a vu l’autre matin à Meryton pour la |
|||
première fois. |
|||
— Donc les renseignements qu’il vous a donnés |
|||
lui viennent de Mr. Darcy. Cela me suffit. Je n’éprouve |
|||
aucun doute quant à la sincérité de Mr. Bingley, mais |
|||
permettez-moi de ne pas me laisser convaincre par |
|||
de simples affirmations. Puisque Mr. Bingley ignore |
|||
une partie de l’affaire et n’en coanaît le reste que par |
|||
son ami, je préfère m’en tenir à mon sentiment personnel |
|||
sur les deux personnes en question. |
|||
Elle prit alors un sujet plus agréable pour toutes |
|||
deux et sur lequel elles ne pouvaient manquer de |
|||
s’entendre. Elizabeth se réjouit d’entendre sa sœur |
|||
lui exprimer l’espoir joyeux, bien que timide, qu’entretenait |
|||
en elle l’attitude de Mr. Bingley à son égard, |
|||
et dit ce qu’elle put pour affermir la confiance de |
|||
Jane. Puis, comme Mr. Bingley lui-même s’avançait |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/94== |
|||
de leur côté, Elizabeth se retira près de miss Lucas. |
|||
Elle avait à peine eu le temps de répondre aux questions |
|||
de son amie sur son dernier danseur que Mr. Collins |
|||
les joignit, leur annonçant d’un ton joyeux qu’il |
|||
venait de faire une importante découverte. |
|||
— Par un hasard singulier j’ai trouvé, dit-il, qu’il |
|||
y avait dans ce salon un proche parent de ma bienfaitrice. |
|||
J’ai, à son insu, entendu ce gentleman prononcer |
|||
lui-même le nom de sa cousine, miss de Bourgh, |
|||
et celui de sa mère, lady Catherine, en causant avec |
|||
la jeune dame qui fait les honneurs du bal. Que le |
|||
monde est donc petit ! et qui aurait pu penser que je |
|||
ferais dans cette réunion la rencontre d’un neveu de |
|||
lady Catherine de Bourgh ! Je suis bien heureux d’avoir |
|||
fait cette découverte à temps pour que je puisse aller |
|||
lui présenter mes respects. J’espère qu’il me pardonnera |
|||
de ne pas m’être acquitté plus tôt de ce devoir. |
|||
L’ignorance totale où j’étais de cette parenté me servira |
|||
d’excuse. |
|||
— Vous n’allez pas aborder Mr. Darcy sans lui |
|||
avoir été présenté ? |
|||
— Et pourquoi non ? C’est, si j’ai bien compris, le |
|||
propre neveu de lady Catherine. J’aurai le plaisir de |
|||
lui apprendre que Sa Grâce se portait parfaitement il |
|||
y a huit jours. |
|||
Elizabeth essaya en vain de l’arrêter et de lui faire |
|||
comprendre que s’il s’adressait à Mr. Darcy sans lui |
|||
avoir été présenté, celui-ci considérerait cette démarche |
|||
plutôt comme une incorrection que comme un |
|||
acte de déférence envers sa tante. Mr. Collins l’écouta |
|||
avec l’air d’un homme décidé à n’en faire qu’à sa |
|||
tête, et quand elle eut fini : |
|||
— Ma chère miss Elizabeth, dit-il, j’ai la plus haute |
|||
opinion de votre excellent jugement pour toutes les |
|||
matières qui sont de votre compétence. Mais permettez-moi |
|||
de vous faire observer qu’à l’égard de l’étiquette |
|||
les gens du monde et le clergé ne sont pas astreints |
|||
aux mêmes règles. Laissez-moi donc, en la {{tiret|circons|circonstance,}} |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/95== |
|||
{{tiret2|tance,|circonstance,}} suivre les ordres de ma conscience et remplir |
|||
ce que je considère comme un devoir, et pardonnez-moi |
|||
de négliger vos avis qui, en toute autre occasion, |
|||
me serviront toujours de guide. — Et, s’inclinant |
|||
profondément, il la quitta pour aller aborder Mr. Darcy. |
|||
Elizabeth le suivit des yeux, curieuse de voir l’accueil |
|||
qu’il recevrait. L’étonnement de Mr. Darcy fut |
|||
d’abord manifeste. Mr. Collins avait préludé par un |
|||
grand salut et, bien qu’elle fût trop loin pour entendre, |
|||
Elizabeth croyait tout comprendre et reconnaître, |
|||
aux mouvements des lèvres, les mots « excuses, |
|||
Hunsford, lady Catherine de Bourgh ». Il lui était |
|||
pénible de voir son cousin s’exposer ainsi à la critique |
|||
d’un tel homme ; Mr. Darcy regardait son interlocuteur |
|||
avec une surprise non dissimulée, et, lorsque |
|||
celui-ci voulut bien s’arrêter, il répondit avec un air |
|||
de politesse distante. Ceci ne parut pas décourager |
|||
Mr. Collins qui se remit à parler de plus belle, mais |
|||
l’air dédaigneux de Mr. Darcy s’accentuait à mesure |
|||
que son discours s’allongeait. Lorsqu’il eut enfin terminé, |
|||
Mr. Darcy fit simplement un léger salut et |
|||
s’éloigna. Mr. Collins revint alors près d’Elizabeth. |
|||
— Je suis très satisfait, je vous assure, de la réception |
|||
qui m’a été faite. Mr. Darcy a paru beaucoup |
|||
apprécier la délicatesse de mon intention et m’a répondu |
|||
avec la plus grande courtoisie. Il a même eu |
|||
l’amabilité de me dire qu’il connaissait assez sa tante |
|||
pour être sûr qu’elle n’accordait pas ses faveurs sans |
|||
discernement. — Voilà une belle pensée bien exprimée. |
|||
— En définitive, il me plaît beaucoup. |
|||
Elizabeth tourna ensuite toute son attention du |
|||
côté de sa sœur et de Mr. Bingley, et les réflexions |
|||
agréables que suscita cet examen la rendirent presque |
|||
aussi heureuse que sa sœur elle-même. Elle voyait |
|||
déjà Jane installée dans cette même maison et toute |
|||
au bonheur que seule peut donner dans le mariage |
|||
une véritable affection. La pensée de Mrs. Bennet |
|||
suivait visiblement le même cours. Au souper, {{tiret|Eliza|Elizabeth,}} |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/96== |
|||
{{tiret2|beth,|Elizabeth,}} qui n’était séparée d’elle que par lady Lucas, |
|||
eut la mortification d’entendre sa mère parler ouvertement |
|||
à sa voisine de ses espérances maternelles. |
|||
Entraînée par son sujet, Mrs. Bennet ne se lassait |
|||
pas d’énumérer les avantages d’une telle union : un |
|||
jeune homme si bien, si riche, n’habitant qu’à trois |
|||
milles de Longbourn ! dont les sœurs montraient tant |
|||
d’affection pour Jane et souhaitaient certainement |
|||
cette alliance autant qu’elle-même. D’autre part, quel |
|||
avantage pour les plus jeunes filles que le beau mariage |
|||
de leur aînée qui les aiderait sans doute à trouver |
|||
elles aussi des partis avantageux. Enfin Mrs. Bennet |
|||
serait très heureuse de pouvoir les confier à la garde de |
|||
leur sœur et de se dispenser ainsi de les accompagner |
|||
dans le monde. C’est là un sentiment qu’il est d’usage |
|||
d’exprimer en pareille circonstance, mais il était difficile |
|||
de se représenter Mrs. Bennet éprouvant, à |
|||
n’importe quel âge, une si grande satisfaction à rester |
|||
chez elle. |
|||
Elizabeth essayait d’arrêter ce flot de paroles ou |
|||
de persuader à sa mère de mettre une sourdine à sa |
|||
voix, car elle rougissait à la pensée que Mr. Darcy, |
|||
qui était assis en face d’elles, ne devait presque rien |
|||
perdre du chuchotement trop intelligible de Mrs. Bennet, |
|||
mais celle-ci ne répondit qu’en taxant sa fille |
|||
d’absurdité. |
|||
— Et pour quelle raison dois-je avoir si grand’peur |
|||
de Mr. Darcy, je vous prie ! L’amabilité qu’il nous |
|||
montre m’oblige-t-elle donc à ne pas prononcer une |
|||
parole qui puisse avoir le malheur de lui déplaire ? |
|||
— Pour l’amour du ciel, ma mère, parlez plus bas. |
|||
Quel avantage voyez-vous à blesser Mr. Darcy ? Cela |
|||
ne sera certainement pas une recommandation pour |
|||
vous auprès de son ami. |
|||
Tout ce que put dire Elizabeth fut absolument inutile ; |
|||
sa mère continua à parler de ses espoirs d’avenir |
|||
avec aussi peu de réserve. Rouge de honte et de contrariété, |
|||
Elizabeth ne pouvait s’empêcher de regarder |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/97== |
|||
constamment dans la direction de Mr. Darcy et |
|||
chaque coup d’œil la confirmait dans ses craintes. Il |
|||
ne regardait pas Mrs. Bennet, mais son attention |
|||
certainement était fixée sur elle et l’expression de son |
|||
visage passa graduellement de l’indignation à une |
|||
froideur dédaigneuse. À la fin, pourtant, Mrs. Bennet |
|||
n’eut plus rien à dire et lady Lucas, que ces considérations |
|||
sur un bonheur qu’elle n’était pas appelée à |
|||
partager faisaient bâiller depuis longtemps, put enfin |
|||
savourer en paix son jambon et son poulet froid. |
|||
Elizabeth commençait à respirer, mais cette tranquillité |
|||
ne fut pas de longue durée. Le souper terminé, |
|||
on proposa un peu de musique et elle eut l’ennui |
|||
de voir Mary, qu’on en avait à peine priée, se préparer |
|||
à charmer l’auditoire. Du regard, elle tenta de |
|||
l’en dissuader, mais enchantée de cette occasion de se |
|||
produire, Mary ne voulut pas comprendre et commença |
|||
une romance. Elizabeth l’écouta chanter plusieurs |
|||
strophes avec une<ref>WS : nue -> une</ref> impatience qui ne s’apaisa point à |
|||
la fin du morceau ; car quelqu’un ayant exprimé |
|||
vaguement l’espoir de l’entendre encore, Mary se |
|||
remit au piano. Son talent n’était pas à la hauteur de |
|||
la circonstance ; sa voix manquait d’ampleur et son |
|||
interprétation de naturel. Elizabeth au supplice lança |
|||
un coup d’œil à Jane pour savoir ce qu’elle en pensait, |
|||
mais Jane causait tranquillement avec Bingley. Ses |
|||
yeux se tournèrent alors vers les deux sœurs qu’elle vit |
|||
échanger des regards amusés, vers Mr. Darcy, qui gardait |
|||
le même sérieux impénétrable, vers son père, |
|||
enfin, à qui elle fit signe d’intervenir, dans la crainte |
|||
que Mary ne continuât à chanter toute la nuit. |
|||
Mr. Bennet comprit et lorsque Mary eut achevé son |
|||
second morceau, il dit à haute voix : |
|||
— C’est parfait, mon enfant. Mais vous nous avez |
|||
charmés assez longtemps. Laissez aux autres le temps |
|||
de se produire à leur tour. |
|||
Mary, bien qu’elle fît semblant de n’avoir pas entendu, |
|||
se montra quelque peu décontenancée et {{tiret|Eliza|Elizabeth,}} |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/98== |
|||
{{tiret2|beth,|Elizabeth,}} contrariée par l’apostrophe de son père, regretta |
|||
son intervention. |
|||
On invitait maintenant d’autres personnes à se |
|||
faire entendre. |
|||
— Si j’avais le bonheur de savoir chanter, dit |
|||
Mr. Collins, j’aurais grand plaisir à charmer la compagnie |
|||
car j’estime que la musique est une distraction |
|||
innocente et parfaitement compatible avec la profession |
|||
de clergyman. Je ne veux pas dire, cependant, |
|||
que nous soyons libres d’y consacrer beaucoup de |
|||
temps. Le recteur d’une paroisse est très occupé : |
|||
quand il a composé ses sermons et rempli les devoirs |
|||
de sa charge, il lui reste bien peu de loisirs pour les |
|||
soins à donner à son intérieur qu’il serait inexcusable |
|||
de ne pas rendre aussi confortable que possible. |
|||
D’autre part, il doit avoir le souci constant de se montrer |
|||
plein d’égards pour tous, et en particulier pour la |
|||
famille de laquelle il tient son bénéfice. C’est une obligation |
|||
dont il ne saurait se dispenser et, pour ma part, |
|||
je ne pourrais juger favorablement celui qui négligerait |
|||
une occasion de témoigner son respect à toute personne |
|||
apparentée à ses bienfaiteurs. |
|||
Et par un salut adressé à Mr. Darcy, il conclut ce |
|||
discours débité assez haut pour être entendu de la |
|||
moitié du salon. Plusieurs personnes le regardèrent |
|||
avec étonnement, d’autres sourirent, mais personne |
|||
ne paraissait plus amusé que Mr. Bennet tandis que |
|||
sa femme, avec un grand sérieux, félicitait Mr. Collins |
|||
de la sagesse de ses propos et observait à voix basse à |
|||
lady Lucas que ce jeune homme était fort sympathque<ref>WS : sympathque -> sympathique</ref> |
|||
et d’une intelligence remarquable. |
|||
Il semblait à Elizabeth que si sa famille avait pris |
|||
tâche, ce soir-là, de se rendre ridicule, elle n’aurait |
|||
pu le faire avec plus de succès. Heureusement qu’une |
|||
partie de cette exhibition avait échappé à Mr. Bingley ; |
|||
mais la pensée que ses deux sœurs et Mr. Darcy n’en |
|||
avaient pas perdu un détail lui était fort pénible, et |
|||
elle ne savait si elle souffrait plus du mépris silencieux |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/99== |
|||
de l’un ou des sourires moqueurs des deux autres. |
|||
Le reste de la soirée offrit peu d’agrément à Elizabeth, |
|||
agacée par la présence continuelle de Mr. Collins |
|||
à ses côtés. S’il n’obtint pas d’elle la faveur d’une nouvelle |
|||
danse, il l’empêcha du moins de danser avec |
|||
d’autres. En vain lui offrit-elle de le présenter à ses |
|||
amies ; il l’assura que la danse le laissait indifférent, |
|||
que son seul objet était de lui être agréable et qu’il se |
|||
ferait un devoir de lui tenir compagnie toute la soirée. |
|||
Il n’y avait donc rien à faire. Elizabeth dut son |
|||
unique soulagement à miss Lucas qui, en se joignant |
|||
à leur conversation, détourna sur elle-même une |
|||
partie des discours de Mr. Collins. |
|||
Du moins Elizabeth n’eut-elle plus à subir les attentions |
|||
de Mr. Darcy. Bien qu’il demeurât longtemps |
|||
seul à peu de distance de leur groupe, il ne chercha |
|||
plus à lui adresser la parole. Elizabeth vit dans cette |
|||
attitude le résultat de ses allusions à Mr. Wickham et |
|||
s’en félicita. |
|||
Les habitants de Longbourn furent des derniers à |
|||
prendre congé, et par suite d’une manœuvre de |
|||
Mrs. Bennet, ils durent attendre leur voiture un quart |
|||
d’heure de plus que les autres invités, ce qui leur laissa |
|||
le temps de voir combien leur départ était ardemment |
|||
souhaité par une partie de leurs hôtes. Mrs. Hurst et |
|||
sa sœur étaient visiblement impatientes de retrouver |
|||
leur liberté pour aller se coucher, et n’ouvraient la |
|||
bouche que pour se plaindre de la fatigue, laissant |
|||
Mrs. Bennet essayer sans succès de soutenir la conversation. |
|||
Mr. Darcy ne disait mot ; Mr. Bingley et Jane, |
|||
un peu à l’écart, causaient sans s’occuper des autres ; |
|||
Elizabeth gardait le même silence que Mrs. Hurst |
|||
et miss Bingley, et Lydia elle-même n’avait plus |
|||
la force que de s’exclamer de temps à autre avec |
|||
un large bâillement : « Dieu, que je suis lasse ! » |
|||
Quand ils se levèrent enfin pour partir, Mrs. Bennet |
|||
exprima d’une manière pressante son désir de voir |
|||
bientôt tous ses hôtes à Longbourn, et s’adressa {{tiret|parti|particulièrement }} |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/100== |
|||
{{tiret2|culièrement|particulièrement }} à Mr. Bingley pour l’assurer du plaisir |
|||
qu’il leur ferait en venant n’importe quel jour, sans |
|||
invitation, partager leur repas de famille. Avec plaisir |
|||
et reconnaissance, Mr. Bingley promit de saisir la première |
|||
occasion d’aller lui faire visite après son retour |
|||
de Londres où il devait se rendre le lendemain même |
|||
pour un bref séjour. |
|||
Mrs. Bennet était pleinement satisfaite. Elle quitta |
|||
ses hôtes avec l’agréable persuasion que, — en tenant |
|||
compte des délais nécessaires pour dresser le contrat |
|||
et commander l’équipage et les toilettes de noces, — |
|||
elle pouvait espérer voir sa fille installée à Netherfield |
|||
dans un délai de trois ou quatre mois. |
|||
{{NouveauChapitre|19|from={{{from}}}|to={{{to}}}}} |
|||
<div style="text-align:center">XIX</div> |
|||
Le lendemain amena du nouveau à Longbourn : |
|||
Mr. Collins fit sa déclaration. Il n’avait plus de temps |
|||
à perdre, son congé devant se terminer le samedi |
|||
suivant ; et comme sa modestie ne lui inspirait aucune |
|||
inquiétude qui pût l’arrêter au dernier moment, il |
|||
décida de faire sa demande dans les formes qu’il jugeait |
|||
indispensables dans cette circonstance. |
|||
Trouvant après le breakfast Mrs. Bennet en compagnie |
|||
d’Elizabeth et d’une autre de ses filles, il lui |
|||
parla ainsi : |
|||
— Puis-je, madame, solliciter votre bienveillant |
|||
appui pour obtenir de votre fille, Elizabeth, un entretien |
|||
particulier dans le cours de la matinée ? |
|||
Avant qu’Elizabeth rougissante eût eu le temps |
|||
d’ouvrir la bouche. Mrs. Bennet avait déjà répondu : |
|||
— Mais je crois bien ! Je suis sûre qu’Elizabeth ne |
|||
demande pas mieux. Venez, Kitty, j’ai besoin de vous |
|||
au premier. — Et rassemblant son ouvrage, elle se |
|||
hâtait vers la porte, lorsque Elizabeth s’écria : |
|||
— Ma mère, ne sortez pas, je vous en prie. Mr. {{tiret|Col|Collins}} |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/101== |
|||
{{tiret2|lins|Collins}} m’excusera, mais il n’a certainement rien à me |
|||
dire que tout le monde ne puisse entendre. Je vais |
|||
moi-même me retirer. |
|||
— Non, non, Lizzy ! Quelle est cette sottise ? Je |
|||
désire que vous restiez. — Et comme Elizabeth, rouge |
|||
de confusion et de colère, continuait à gagner la porte, |
|||
Mrs. Bennet ajouta : — Lizzy, j’insiste pour que vous |
|||
restiez et que vous écoutiez ce que Mr. Collins veut |
|||
vous dire. |
|||
La jeune fille ne pouvait résister à une telle injonction : |
|||
comprenant, après un instant de réflexion, que |
|||
mieux valait en finir au plus vite, elle se rassit et |
|||
reprit son ouvrage pour se donner une contenance et |
|||
dissimuler la contrariété ou l’envie de rire qui la prenaient |
|||
tour à tour. |
|||
La porte était à peine refermée sur Mrs. Bennet |
|||
et Kitty que Mr. Collins commençait : |
|||
— Croyez, chère miss Elizabeth, que votre modestie, |
|||
loin de me déplaire, ne fait à mes yeux qu’ajouter |
|||
à vos charmes. Vous m’auriez paru moins aimable |
|||
sans ce petit mouvement de retraite, mais laissez-moi |
|||
vous assurer que j’ai pour vous parler la permission de |
|||
votre respectable mère. Vous vous doutez sûrement |
|||
du but de cet entretien, bien que votre délicatesse<ref>dèlicatesse -> délicatesse</ref> vous |
|||
fasse simuler le contraire. J’ai eu pour vous trop d’attentions |
|||
pour que vous ne m’ayez pas deviné. À |
|||
peine avais-je franchi le seuil de cette maison que je |
|||
voyais en vous la compagne de mon existence ; mais |
|||
avant de me laisser emporter par le flot de mes sentiments, |
|||
peut-être serait-il plus convenable de vous |
|||
exposer les raisons qui me font songer au mariage et |
|||
le motif qui m’a conduit en Hertfordshire pour y |
|||
chercher une épouse. |
|||
L’idée du solennel Mr. Collins « se laissant emporter |
|||
par le flot de ses sentiments » parut si comique à Elizabeth |
|||
qu’elle dut faire effort pour ne pas éclater de |
|||
rire et perdit l’occasion d’interrompre cet éloquent |
|||
discours. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/102== |
|||
<br/> |
|||
— Les raisons qui me déterminent à me marier, |
|||
continua-t-il, sont les suivantes : premièrement, je |
|||
considère qu’il est du devoir de tout clergyman de |
|||
donner le bon exemple à sa paroisse en fondant un |
|||
foyer. Deuxièmement, je suis convaincu, ce faisant, |
|||
de travailler à mon bonheur. Troisièmement, — j’aurais |
|||
dû peut-être commencer par là, — je réponds |
|||
ainsi au désir exprimé par la très noble dame que j’ai |
|||
l’honneur d’appeler ma protectrice. Par deux fois, et |
|||
sans que je l’en eusse priée, elle a daigné me faire savoir |
|||
son opinion à ce sujet. Le samedi soir qui a précédé |
|||
mon départ, entre deux parties de « quadrilles », elle |
|||
m’a encore dit : « Mr. Collins, il faut vous marier. |
|||
Un clergyman comme vous doit se marier. Faites un |
|||
bon choix. Pour ma satisfaction, et pour la vôtre, |
|||
prenez une fille de bonne famille, active, travailleuse, |
|||
entendue ; non point élevée dans des idées de grandeur |
|||
mais capable de tirer un bon parti d’un petit |
|||
revenu. Trouvez une telle compagne le plus tôt possible, |
|||
amenez-la à Hunsford, et j’irai lui rendre visite. » |
|||
Permettez-moi, ma belle cousine, de vous dire en passant |
|||
que la bienveillance de lady Catherine de Bourgh |
|||
n’est pas un des moindres avantages que je puis vous |
|||
offrir. Ses qualités dépassent tout ce que je puis vous |
|||
en dire, et je crois que votre vivacité et votre esprit |
|||
lui plairont, surtout s’ils sont tempérés par la discrétion |
|||
et le respect que son rang ne peut manquer de |
|||
vous inspirer. |
|||
Tels sont les motifs qui me poussent au mariage. Il |
|||
me reste à vous dire pourquoi je suis venu choisir une |
|||
femme à Longbourn plutôt que dans mon voisinage |
|||
où, je vous assure, il ne manque pas d’aimables jeunes |
|||
filles ; mais devant hériter de ce domaine à la mort de |
|||
votre honorable père (qui, je l’espère, ne se produira |
|||
pas d’ici de longues années), je ne pourrais être complètement |
|||
satisfait si je ne choisissais une de ses filles |
|||
afin de diminuer autant que possible le tort que je leur |
|||
causerai lorsque arrivera le douloureux événement. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/103== |
|||
(Dieu veuille que ce soit le plus tard possible !) Ces |
|||
raisons, ma chère cousine, ne me feront pas, je l’espère, |
|||
baisser dans votre estime. Et maintenant il ne |
|||
me reste plus qu’à vous exprimer en termes ardents |
|||
toute la force de mes sentiments. La question de fortune |
|||
me laisse indifférent. Je sais que votre père ne |
|||
peut rien vous donner et que mille livres placées à |
|||
quatre pour cent sont tout ce que vous pouvez espérer |
|||
recueillir après la mort de votre mère. Je garderai donc |
|||
le silence le plus absolu sur ce chapitre et vous pouvez |
|||
être sûre que jamais vous n’entendrez sortir de ma |
|||
bouche un reproche dénué de générosité lorsque nous |
|||
serons mariés. |
|||
— Vous allez trop vite, monsieur, s’écria Elizabeth. |
|||
Vous oubliez que je ne vous ai pas encore répondu. |
|||
Laissez-moi le faire sans plus tarder. Je suis très sensible |
|||
à l’honneur que vous me faites par cette proposition |
|||
et je vous en remercie, mais il m’est impossible |
|||
de ne point la décliner. |
|||
— Je sais depuis longtemps, répliqua Mr. Collins |
|||
avec un geste majestueux, qu’il est d’usage parmi les |
|||
jeunes filles de repousser celui qu’elles ont au fond |
|||
l’intention d’épouser lorsqu’il se déclare pour la première |
|||
fois, et qu’il leur arrive de renouveler ce refus |
|||
une seconde et même une troisième fois ; c’est pourquoi |
|||
votre réponse ne peut me décourager, et j’ai confiance |
|||
que j’aurai avant longtemps le bonheur de vous |
|||
conduire à l’autel. |
|||
— En vérité, monsieur, cette confiance est plutôt |
|||
extraordinaire après ce que je viens de vous déclarer ! |
|||
Je vous affirme que je ne suis point de ces jeunes filles, |
|||
— si tant est qu’il en existe, — assez imprudentes pour |
|||
jouer leur bonheur sur la chance de se voir demander |
|||
une seconde fois. Mon refus est des plus sincères : |
|||
vous ne pourriez pas me rendre heureuse et je suis la |
|||
dernière femme qui pourrait faire votre bonheur. |
|||
Bien plus, si votre amie lady Catherine me connaissait, |
|||
je suis sûre qu’elle me trouverait fort mal |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/104== |
|||
qualifiée pour la situation que vous me proposez. |
|||
— Quand bien même, répondit gravement Mr. Collins, |
|||
l’avis de lady Catherine… Mais je ne puis imaginer |
|||
Sa Grâce vous regardant d’un œil défavorable et soyez |
|||
certaine que, lorsque je la reverrai, je lui vanterai avec |
|||
chaleur votre modestie, votre esprit d’ordre et vos |
|||
autres aimables qualités. |
|||
— Mr. Collins, toutes ces louanges seraient inutiles. |
|||
Veuillez m’accorder la liberté de juger pour mon |
|||
compte et me faire la grâce de croire ce que je vous dis. |
|||
Je souhaite vous voir heureux et riche et, en vous refusant |
|||
ma main, je contribue à la réalisation de ce vœu. |
|||
Les scrupules respectables que vous exprimiez au sujet |
|||
de ma famille sont sans objet maintenant que vous |
|||
m’avez proposé d’être votre femme et vous pourrez, |
|||
quand le temps viendra, entrer en possession de |
|||
Longbourn sans vous adresser aucun reproche. Cette |
|||
question est donc réglée. |
|||
Elle s’était levée en prononçant ces derniers mots |
|||
et allait quitter la pièce quand Mr. Collins l’arrêta par |
|||
ces mots : |
|||
— Lorsque j’aurai l’honneur de reprendre cette |
|||
conversation avec vous, j’espère recevoir une réponse |
|||
plus favorable ; non point que je vous accuse de cruauté |
|||
et peut-être même, en faisant la part de la réserve habituelle |
|||
à votre sexe, en avez-vous dit assez aujourd’hui |
|||
pour m’encourager à poursuivre mon projet. |
|||
— En vérité, Mr. Collins, s’écria Elizabeth avec |
|||
chaleur, vous me confondez ! Si vous considérez tout |
|||
ce que je viens de vous dire comme un encouragement, |
|||
je me demande en quels termes il me faut |
|||
exprimer mon refus pour vous convaincre que c’en |
|||
est un ! |
|||
— Laissez-moi croire, ma chère cousine, que ce |
|||
refus n’est qu’une simple formalité. Il ne me semble |
|||
pas que je sois indigne de vous, ni que l’établissement |
|||
que je vous offre ne soit pas pour vous des plus enviables. |
|||
Ma situation, mes relations avec la famille de |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/105== |
|||
Bourgh, ma parenté avec votre famille, sont autant |
|||
de conditions favorables à ma cause. En outre, vous |
|||
devriez considérer qu’en dépit de tous vos attraits |
|||
vous n’êtes nullement certaine de recevoir une autre |
|||
demande en mariage. Votre dot est malheureusement |
|||
si modeste qu’elle doit inévitablement contre-balancer |
|||
l’effet de votre charme et de vos qualités. Force m’est |
|||
donc de conclure que votre refus n’est pas sérieux, et |
|||
je préfère l’attribuer au désir d’exciter ma tendresse |
|||
en la tenant en suspens, suivant l’élégante coutume des |
|||
femmes du monde. |
|||
— Soyez sûr, monsieur, que je n’ai aucune prétention |
|||
à cette sorte d’élégance, qui consiste à faire souffrir |
|||
un honnête homme. Je préférerais qu’on me fît le compliment |
|||
de croire à ce que je dis. Je vous remercie mille |
|||
fois de votre proposition, mais il m’est impossible de |
|||
l’accepter ; mes sentiments me l’interdisent absolument. |
|||
Puis-je parler avec plus de clarté ? Ne me prenez |
|||
pas pour une coquette qui prendrait plaisir à vous |
|||
tourmenter, mais pour une personne raisonnable qui |
|||
parle en toute sincérité. |
|||
— Vous êtes vraiment délicieuse, quoi que vous |
|||
fassiez ! s’écria-t-il avec une lourde galanterie, et je suis |
|||
persuadé que ma demande, une fois sanctionnée par |
|||
la volonté expresse de vos excellents parents, ne manquera |
|||
pas de vous paraître acceptable. |
|||
Devant cette invincible persistance à vouloir |
|||
s’abuser, Elizabeth abandonna la partie et se retira |
|||
en silence. |
|||
{{NouveauChapitre|20|from={{{from}}}|to={{{to}}}}} |
|||
<div style="text-align:center">XX</div> |
|||
Mr. Collins ne resta pas longtemps seul à méditer |
|||
sur le succès de sa déclaration. Mrs. Bennet, qui rôdait |
|||
dans le vestibule en attendant la fin de l’entretien, |
|||
n’eut pas plus tôt vu sa fille ouvrir la porte et gagner |
|||
rapidement l’escalier qu’elle entra dans la salle à |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/106== |
|||
manger et félicita Mr. Collins avec chaleur en lui |
|||
exprimant la joie que lui causait la perspective de |
|||
leur alliance prochaine. Mr. Collins reçut ces félicitations |
|||
et y répondit avec autant de plaisir, après quoi |
|||
il se mit à relater les détails d’une entrevue dont il |
|||
avait tout lieu d’être satisfait puisque le refus que sa |
|||
cousine lui avait obstinément opposé n’avait d’autre |
|||
cause que sa modestie et l’extrême délicatesse de ses |
|||
sentiments. |
|||
Ce récit cependant causa quelque trouble à Mrs. Bennet. |
|||
Elle eût bien voulu partager cette belle assurance |
|||
et croire que sa fille, en repoussant Mr. Collins, avait |
|||
eu l’intention de l’encourager. Mais la chose lui paraissait |
|||
peu vraisemblable et elle ne put s’empêcher de |
|||
le dire. |
|||
— Soyez sûr, Mr. Collins, que Lizzy finira par |
|||
entendre raison. C’est une fille sotte et entêtée qui ne |
|||
connaît point son intérêt ; mais je me charge de le lui |
|||
faire comprendre. |
|||
— Permettez, madame : si votre fille est réellement |
|||
sotte et entêtée comme vous le dites, je me demande |
|||
si elle est la femme qui me convient. Un homme dans |
|||
ma situation désire naturellement trouver le bonheur |
|||
dans l’état conjugal et si ma cousine persiste à rejeter |
|||
ma demande, peut-être vaudrait-il mieux ne pas |
|||
essayer de la lui faire agréer de force ; sujette à de tels |
|||
défauts de caractère, elle ne me paraît pas faite pour |
|||
assurer ma félicité. |
|||
— Monsieur, vous interprétez mal mes paroles, |
|||
s’écria Mrs. Bennet alarmée. Lizzy ne montre d’entêtement |
|||
que dans des questions de ce genre. Autrement |
|||
c’est la meilleure nature qu’on puisse rencontrer. Je |
|||
vais de ce pas trouver Mr. Bennet et nous aurons tôt |
|||
fait, à nous deux, de régler cette affaire avec elle. |
|||
Et, sans lui donner le temps de répondre, elle se précipita |
|||
dans la bibliothèque où se trouvait son mari. |
|||
— Ah ! Mr. Bennet, s’exclama-t-elle en entrant, |
|||
j’ai besoin de vous tout de suite. Venez vite obliger |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/107== |
|||
Lizzy à accepter Mr. Collins. Elle jure ses grands dieux |
|||
qu’elle ne veut pas de lui. Si vous ne vous hâtez pas, |
|||
il va changer d’avis, et c’est lui qui ne voudra plus d’elle ! |
|||
Mr. Bennet avait levé les yeux de son livre à l’entrée |
|||
de sa femme et la fixait avec une indifférence tranquille |
|||
que l’émotion de celle-ci n’arriva pas à troubler. |
|||
— Je n’ai pas l’avantage de vous comprendre, dit-il |
|||
quand elle eut fini. De quoi parlez-vous donc ? |
|||
— Mais de Lizzy et de Mr. Collins ! Lizzy dit qu’elle |
|||
ne veut pas de Mr. Collins et Mr. Collins commence à |
|||
dire qu’il ne veut plus de Lizzy. |
|||
— Et que puis-je faire à ce propos ? Le cas me |
|||
semble plutôt désespéré. |
|||
— Parlez à Lizzy. Dites-lui que vous tenez à ce |
|||
mariage. |
|||
— Faites-la appeler. Je vais lui dire ce que j’en pense. |
|||
Mrs. Bennet sonna et donna l’ordre d’avertir miss |
|||
Elizabeth qu’on la demandait dans la bibliothèque. |
|||
— Arrivez ici, mademoiselle, lui cria son père dès |
|||
qu’elle parut. Je vous ai envoyé chercher pour une |
|||
affaire d’importance. Mr. Collins, me dit-on, vous |
|||
aurait demandée en mariage. Est-ce exact ? |
|||
— Très exact, répondit Elizabeth. |
|||
— Vous avez repoussé cette demande ? |
|||
— Oui, mon père. |
|||
— Fort bien. Votre mère insiste pour que vous |
|||
l’acceptiez. C’est bien cela, Mrs. Bennet ? |
|||
— Parfaitement ; si elle s’obstine dans son refus, |
|||
je ne la reverrai de ma vie. |
|||
— Ma pauvre enfant, vous voilà dans une cruelle |
|||
alternative. À partir de ce jour, vous allez devenir |
|||
étrangère à l’un de nous deux. Votre mère refuse de |
|||
vous revoir si vous n’épousez pas Mr. Collins, et je |
|||
vous défends de reparaître devant moi si vous l’épousez. |
|||
Elizabeth ne put s’empêcher de sourire à cette |
|||
conclusion inattendue ; mais Mrs. Bennet, qui avait |
|||
supposé que son mari partageait son sentiment, fut |
|||
excessivement désappointée. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/108== |
|||
<br/> |
|||
— Mr. Bennet ! À quoi pensez-vous de parler |
|||
ainsi ? Vous m’aviez promis d’amener votre fille à la |
|||
raison ! |
|||
— Ma chère amie, répliqua son mari, veuillez m’accorder |
|||
deux faveurs : la première, c’est de me permettre |
|||
en cette affaire le libre usage de mon jugement, et la |
|||
seconde de me laisser celui de ma bibliothèque. Je |
|||
serais heureux de m’y retrouver seul le plus tôt possible. |
|||
Malgré la défection de son mari, Mrs. Bennet ne se |
|||
résigna pas tout de suite à s’avouer battue. Elle entreprit |
|||
Elizabeth à plusieurs reprises, la suppliant et la |
|||
menaçant tour à tour. Elle essaya aussi de se faire une |
|||
alliée de Jane, mais, avec toute la douceur possible, |
|||
celle-ci refusa d’intervenir. Quant à Elizabeth, tantôt |
|||
avec énergie, tantôt avec gaieté, elle repoussa tous les |
|||
assauts, changeant de tactique, mais non de détermination. |
|||
Mr. Collins pendant ce temps méditait solitairement |
|||
sur la situation. La haute opinion qu’il avait de lui-même |
|||
l’empêchait de concevoir les motifs qui avaient |
|||
poussé sa cousine à le refuser et, bien que blessé dans |
|||
son amour-propre, il n’éprouvait pas un véritable |
|||
chagrin. Son attachement pour Elizabeth était un pur |
|||
effet d’imagination et la pensée qu’elle méritait peut-être |
|||
les reproches de sa mère éteignait en lui tout sentiment |
|||
de regret. |
|||
Pendant que toute la famille était ainsi dans le |
|||
désarroi, Charlotte Lucas vint pour passer la journée |
|||
avec ses amies. Elle fut accueillie dans le hall par |
|||
Lydia qui se précipita vers elle en chuchotant : |
|||
— Je suis contente que vous soyez venue car il se |
|||
passe ici des choses bien drôles. Devinez ce qui est |
|||
arrivé ce matin : Mr. Collins a offert sa main à Lizzy, |
|||
et elle l’a refusée ! |
|||
Charlotte n’avait pas eu le temps de répondre qu’elles |
|||
étaient rejointes par Kitty, pressée de lui annoncer |
|||
la même nouvelle. Enfin, dans la salle à manger, |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/109== |
|||
Mrs. Bennet, qu’elles y trouvèrent seule, reprit le |
|||
même sujet et réclama l’aide de miss Lucas en la |
|||
priant d’user de son influence pour décider son amie à |
|||
se plier aux vœux de tous les siens. |
|||
— Je vous en prie, chère miss Lucas, dit-elle d’une |
|||
voix plaintive, faites cela pour moi ! Personne n’est |
|||
de mon côté, personne ne me soutient, personne n’a |
|||
pitié de mes pauvres nerfs. |
|||
L’entrée de Jane et d’Elizabeth dispensa Charlotte |
|||
de répondre. |
|||
— Et justement la voici, poursuivit Mrs. Bennet, |
|||
aussi tranquille, aussi indifférente que s’il s’agissait |
|||
du shah de Perse ! Tout lui est égal, pourvu qu’elle |
|||
puisse faire ses volontés. Mais, prenez garde, miss |
|||
Lizzy, si vous vous entêtez à repousser toutes les |
|||
demandes qui vous sont adressées, vous finirez par |
|||
rester vieille fille et je ne sais pas qui vous fera vivre |
|||
lorsque votre père ne sera plus là. Ce n’est pas moi |
|||
qui le pourrai, je vous en avertis. Je vous ai dit tout |
|||
à l’heure, dans la bibliothèque, que je ne vous parlerais |
|||
plus ; vous verrez si je ne tiens point parole. Je |
|||
n’ai aucun plaisir à causer avec une fille si peu soumise. |
|||
Non que j’en aie beaucoup à causer avec personne ; |
|||
les gens qui souffrent de malaises nerveux comme |
|||
moi n’ont jamais grand goût pour la conversation. |
|||
Personne ne sait ce que j’endure ! Mais c’est toujours |
|||
la même chose, on ne plaint jamais ceux qui ne se |
|||
plaignent pas eux-mêmes. |
|||
Ses filles écoutaient en silence cette litanie, sachant |
|||
que tout effort pour raisonner leur mère ou pour la |
|||
calmer ne ferait que l’irriter davantage. Enfin les |
|||
lamentations de Mrs. Bennet furent interrompues par |
|||
l’arrivée de Mr. Collins qui entrait avec un air plus |
|||
solennel encore que d’habitude. |
|||
Sur un signe, les jeunes filles quittèrent la pièce et |
|||
Mrs. Bennet commença d’une voix douloureuse : |
|||
— Mon cher Mr. Collins… |
|||
— Ma chère madame, interrompit celui-ci, ne {{tiret|par|parlons}} |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/110== |
|||
{{tiret2|lons|parlons}} plus de cette affaire. Je suis bien loin, continua-t-il |
|||
d’une voix où perçait le mécontentement, de garder |
|||
rancune à votre fille. La résignation à ce qu’on ne peut |
|||
empêcher est un devoir pour tous, et plus spécialement |
|||
pour un homme qui a fait choix de l’état ecclésiastique. |
|||
Ce devoir, je m’y soumets d’autant plus aisément |
|||
qu’un doute m’est venu sur le bonheur qui m’attendait |
|||
si ma belle cousine m’avait fait l’honneur de |
|||
m’accorder sa main. Et j’ai souvent remarqué que la |
|||
résignation n’est jamais si parfaite que lorsque la |
|||
faveur refusée commence à perdre à nos yeux quelque |
|||
chose de sa valeur. J’espère que vous ne considérerez |
|||
pas comme un manque de respect envers vous que je |
|||
retire mes prétentions aux bonnes grâces de votre fille |
|||
sans vous avoir sollicités, vous et Mr. Bennet, d’user |
|||
de votre autorité en ma faveur. Peut-être ai-je eu tort |
|||
d’accepter un refus définitif de la bouche de votre fille |
|||
plutôt que de la vôtre, mais nous sommes tous sujets |
|||
à nous tromper. J’avais les meilleures intentions : |
|||
mon unique objet était de m’assurer une compagne |
|||
aimable, tout en servant les intérêts de votre famille. |
|||
Cependant, si vous voyez dans ma conduite quelque |
|||
chose de répréhensible, je suis tout prêt à m’en excuser. |
|||
{{NouveauChapitre|19|from={{{from}}}|to={{{to}}}}} |
|||
<div style="text-align:center">XXI</div> |
|||
La discussion provoquée par la demande de Mr. Collins |
|||
était maintenant close. Elizabeth en gardait seulement |
|||
un souvenir pénible et devait encore supporter |
|||
de temps à autre les aigres allusions de sa mère. Quant |
|||
au soupirant malheureux, ses sentiments ne s’exprimaient |
|||
point par de l’embarras ou de la tristesse, mais |
|||
par une attitude raide et un silence plein de ressentiment. |
|||
C’est à peine s’il s’adressait à Elizabeth, et les |
|||
attentions dont il la comblait auparavant se reportèrent |
|||
sur miss Lucas dont la complaisance à écouter |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/111== |
|||
ses discours fut un soulagement pour tout le monde et |
|||
en particulier pour Elizabeth. |
|||
Le lendemain, la santé et l’humeur de Mrs. Bennet |
|||
ne présentaient aucune amélioration et Mr. Collins, |
|||
de son côté, continuait à personnifier l’orgueil blessé. |
|||
Elizabeth s’était flattée de l’espoir que son mécontentement |
|||
le déciderait à abréger son séjour, mais ses |
|||
plans n’en paraissaient nullement affectés ; il s’était |
|||
toujours proposé de rester jusqu’au samedi et n’entendait |
|||
pas s’en aller un jour plus tôt. |
|||
Après le déjeuner les jeunes filles se rendirent à |
|||
Meryton pour savoir si Mr. Wickham était de retour. |
|||
Comme elles entraient dans la ville, elles le rencontrèrent |
|||
lui-même et il les accompagna jusque chez leur |
|||
tante où son regret d’avoir manqué le bal de Netherfield |
|||
et la déception que tout le monde en avait |
|||
éprouvée, furent l’objet de longs commentaires. À |
|||
Elizabeth pourtant, il ne fit aucune difficulté pour |
|||
avouer que son absence avait été volontaire. |
|||
— À mesure que la date du bal se rapprochait, dit-il, |
|||
j’avais l’impression de plus en plus nette que je |
|||
ferais mieux d’éviter une rencontre avec Mr. Darcy. |
|||
Me trouver avec lui dans la même salle, dans la même |
|||
société pendant plusieurs heures, était peut-être plus |
|||
que je ne pouvais supporter ; il aurait pu en résulter |
|||
des incidents aussi désagréables pour les autres que |
|||
pour moi-même. |
|||
Elizabeth approuva pleinement son abstention. Ils |
|||
eurent tout le loisir de s’étendre sur ce sujet, car |
|||
Wickham et un de ses camarades reconduisirent les |
|||
jeunes filles jusqu’à Longbourn et, pendant le trajet, |
|||
il s’entretint surtout avec Elizabeth. Touchée d’un |
|||
empressement aussi flatteur, elle profita de l’occasion |
|||
pour le présenter à ses parents. |
|||
Peu après leur retour, un pli apporté de Netherfield |
|||
fut remis à Jane qui l’ouvrit aussitôt. L’enveloppe |
|||
contenait une feuille d’un charmant papier satiné couverte |
|||
d’une écriture féminine élégante et déliée. {{tiret|Eli|Elizabeth}} |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/112== |
|||
{{tiret2|zabeth|Elizabeth}} vit que sa sœur changeait de couleur en lisant |
|||
et qu’elle s’arrêtait spécialement à certains passages |
|||
de la lettre. Jane, d’ailleurs, reprit vite son sang-froid |
|||
et se joignit à la conversation générale avec son entrain |
|||
habituel. Mais, dès que Wickham et son compagnon |
|||
furent partis, elle fit signe à Elizabeth de la suivre dans |
|||
leur chambre. À peine y étaient-elles qu’elle dit en lui |
|||
tendant la lettre : |
|||
— C’est de Caroline Bingley, et la nouvelle qu’elle |
|||
m’apporte n’est pas sans me surprendre. À l’heure |
|||
qu’il est ils ont tous quitté Netherfield et sont en route |
|||
pour Londres, sans idée de retour. Écoutez plutôt. |
|||
Elle lut la première phrase qui annonçait la résolution |
|||
de ces dames de rejoindre leur frère et de dîner |
|||
ce même soir à Grosvenor Street, où les Hurst avaient |
|||
leur maison. La lettre continuait ainsi : « Nous ne |
|||
regretterons pas grand’chose du Hertfordshire, à part |
|||
votre société, chère amie. Espérons cependant que |
|||
l’avenir nous réserve l’occasion de renouer nos si |
|||
agréables relations et, qu’en attendant, nous adoucirons |
|||
l’amertume de l’éloignement par une correspondance |
|||
fréquente et pleine d’abandon. » |
|||
Cette grande tendresse laissa Elizabeth très froide. |
|||
Bien que la soudaineté de ce départ la surprît, elle n’y |
|||
voyait rien qui valût la peine de s’en affliger. Le fait |
|||
que ces dames n’étaient plus à Netherfield n’empêcherait |
|||
vraisemblablement point Mr. Bingley d’y revenir |
|||
et sa présence, Elizabeth en était persuadée, |
|||
aurait vite consolé Jane de l’absence de ses sœurs. |
|||
— C’est dommage, dit-elle après un court silence, |
|||
que vous n’ayez pu les revoir avant leur départ ; |
|||
cependant il nous est peut-être permis d’espérer que |
|||
l’occasion de vous retrouver se présentera plus tôt |
|||
que miss Bingley ne le prévoit. Qui sait si ces rapports |
|||
d’amitié qu’elle a trouvés si agréables ne se renoueront |
|||
pas plus intimes encore ?… Mr. Bingley ne se laissera |
|||
pas retenir longtemps à Londres. |
|||
— Caroline déclare nettement qu’aucun d’eux ne |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/113== |
|||
reviendra à Netherfield de tout l’hiver. Voici ce qu’elle |
|||
dit : « Quand mon frère nous a quittés hier, il pensait |
|||
pouvoir conclure en trois ou quatre jours l’affaire qui |
|||
l’appelait à Londres, mais c’est certainement impossible |
|||
et comme nous sommes convaincus, d’autre part, |
|||
que Charles, une fois à Londres, ne sera nullement pressé |
|||
d’en revenir, nous avons décidé de le rejoindre afin |
|||
de lui épargner le désagrément de la vie à l’hôtel. Beaucoup |
|||
de nos amis ont déjà regagné la ville pour l’hiver. |
|||
Comme je serais heureuse d’apprendre que vous-même, |
|||
chère amie, vous proposez de faire un tour dans la |
|||
capitale ! Mais, hélas ! je n’ose y compter. Je souhaite |
|||
sincèrement que les fêtes de Noël soient chez vous des |
|||
plus joyeuses et que vos nombreux succès vous consolent |
|||
du départ des trois admirateurs que nous allons |
|||
vous enlever. » |
|||
— Ceci montre bien, conclut Jane, que Mr. Bingley |
|||
ne reviendra pas de cet hiver. |
|||
— Ceci montre seulement que miss Bingley ne |
|||
veut pas qu’il revienne. |
|||
— Qu’est-ce qui vous le fait croire ? Mr. Bingley est |
|||
maître de ses actes ; c’est de lui que vient sans doute |
|||
cette décision. Mais attendez le reste. À vous, je ne veux |
|||
rien cacher, et je vais vous lire le passage qui me peine |
|||
le plus. « Mr. Darcy est impatient de retrouver sa sœur |
|||
et, à vous dire vrai, nous ne le sommes pas moins que |
|||
lui. Il est difficile de trouver l’égale de Georgiana Darcy |
|||
sous le rapport de la beauté, de l’élégance et de l’éducation, |
|||
et la sympathie que nous avons pour elle, |
|||
Louisa et moi, est accrue par l’espérance de la voir |
|||
un jour devenir notre sœur. Je ne sais si je vous ai |
|||
jamais fait part de nos sentiments à cet égard, mais |
|||
je ne veux pas vous quitter sans vous en parler. Mon |
|||
frère admire beaucoup Georgiana ; il aura maintenant |
|||
de fréquentes occasions de la voir dans l’intimité, les |
|||
deux familles s’accordent pour désirer cette union et |
|||
je ne crois pas être aveuglée par l’affection fraternelle |
|||
en disant que Charles a tout ce qu’il faut pour se faire |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/114== |
|||
aimer. Avec tant de circonstances favorables ai-je |
|||
tort, ma chère Jane, de souhaiter la réalisation d’un |
|||
événement qui ferait tant d’heureux ? » |
|||
— Que pensez-vous de cette phrase, ma chère |
|||
Lizzy ? dit Jane en achevant sa lecture, ne dit-elle pas |
|||
clairement que Caroline n’a aucun désir de me voir |
|||
devenir sa sœur, qu’elle est tout à fait convaincue de |
|||
l’indifférence de son frère à mon égard et que, si elle |
|||
soupçonne la nature des sentiments qu’il m’inspire, elle |
|||
veut très amicalement me mettre sur mes gardes ? Peut-on |
|||
voir autre chose dans ce que je viens de vous lire ? |
|||
— Oui, certes, car mon impression est tout à fait |
|||
différente, et la voici en deux mots : miss Bingley s’est |
|||
aperçue que son frère vous aime alors qu’elle veut lui |
|||
faire épouser miss Darcy. Elle va le rejoindre afin de |
|||
le retenir à Londres, et elle essaye de vous persuader |
|||
qu’il ne pense pas à vous. |
|||
Jane secoua la tête. |
|||
— Jane, je vous dis la vérité. Tous ceux qui vous |
|||
ont vue avec Mr. Bingley ne peuvent douter de ses |
|||
sentiments pour vous, — miss Bingley pas plus que |
|||
les autres, car elle n’est point sotte. — Si elle pouvait |
|||
croire que Mr. Darcy éprouve seulement la moitié de |
|||
cette affection pour elle-même, elle aurait déjà commandé |
|||
sa robe de noce. Mais le fait est que nous ne |
|||
sommes ni assez riches, ni assez nobles pour eux, et |
|||
miss Bingley est d’autant plus désireuse de voir son |
|||
frère épouser miss Darcy qu’elle pense qu’une première |
|||
alliance entre les deux familles en facilitera une |
|||
seconde. Ce n’est pas mal combiné et pourrait après |
|||
tout réussir si miss de Bourgh n’était pas dans la coulisse. |
|||
Mais voyons, ma chère Jane, si miss Bingley vous |
|||
raconte que son frère est plein d’amiration pour miss |
|||
Darcy, ce n’est pas une raison suffisante pour croire |
|||
qu’il soit moins sensible à vos charmes que quand il |
|||
vous a quittée mardi dernier, ni qu’elle puisse lui persuader |
|||
à son gré que ce n’est pas de vous, mais de son |
|||
amie qu’il est épris. |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/115== |
|||
<br/> |
|||
— Tout ce que vous me dites là pourrait me tranquilliser |
|||
si nous nous faisions la même idée de miss |
|||
Bingley, répliqua Jane, mais je suis certaine que vous |
|||
la jugez injustement. Caroline est incapable de tromper |
|||
quelqu’un de propos délibéré. Tout ce que je puis |
|||
espérer de mieux dans le cas présent, c’est qu’elle se |
|||
trompe elle-même. |
|||
— C’est parfait. Du moment que vous ne voulez pas |
|||
de mon explication, vous ne pouviez en trouver une |
|||
meilleure. Croyez donc que miss Bingley se trompe, et |
|||
que cette supposition charitable vous redonne la tranquillité. |
|||
— Mais, ma chère Elizabeth, même en mettant |
|||
tout au mieux, pourrais-je être vraiment heureuse en |
|||
épousant un homme que ses sœurs et ses amis désirent |
|||
tant marier à une autre ? |
|||
— Cela, c’est votre affaire, et si, à la réflexion, vous |
|||
trouvez que la douleur de désobliger les deux sœurs |
|||
est plus grande que la joie d’épouser le frère, je vous |
|||
conseille vivement de ne plus penser à lui. |
|||
— Pouvez-vous parler ainsi, dit Jane avec un faible |
|||
sourire. Vous savez bien que malgré la peine que me |
|||
causerait leur désapprobation, je n’hésiterais pas. |
|||
Mais il est probable que je n’aurai pas à choisir si |
|||
Mr. Bingley ne revient pas cet hiver. Tant de choses |
|||
peuvent se produire en six mois ! |
|||
Les deux sœurs convinrent d’annoncer ce départ à |
|||
leur mère sans rien ajouter qui pût l’inquiéter sur les |
|||
intentions de Mr. Bingley. Cette communication |
|||
incomplète ne laissa pas toutefois de contrarier vivement |
|||
Mrs. Bennet, qui déplora ce départ comme |
|||
une calamité : ne survenait-il pas juste au moment |
|||
où les deux familles commençaient à se lier intimement ? |
|||
Après s’être répandue quelque temps en doléances, |
|||
l’idée que Mr. Bingley reviendrait sans doute bientôt |
|||
et dînerait à Longbourn lui apporta un peu de réconfort. |
|||
En l’invitant, elle avait parlé d’un repas de |
|||
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/116== |
|||
famille, mais elle décida que le menu n’en comporterait |
|||
pas moins deux services complets. |
|||
{{NouveauChapitre|19|from={{{from}}}|to={{{to}}}}} |
|||
<div style="text-align:center">XXII</div> |
|||
Les Bennet dînaient ce jour-là chez les Lucas et, |
|||
de nouveau, miss Lucas eut la patience de servir |
|||
d’auditrice à Mr. Collins pendant la plus grande |
|||
partie de la soirée. Elizabeth lui en rendit grâces : |
|||
— Vous le mettez ainsi de bonne humeur, dit-elle ; |
|||
je ne sais comment vous en remercier… |
|||
Charlotte répondit que le sacrifice de son temps |
|||
était largement compensé par la satisfaction d’obliger |
|||
son amie. C’était fort aimable : mais la bonté de Charlotte |
|||
visait beaucoup plus loin que ne le soupçonnait |
|||
Elizabeth, car son but était de la délivrer d’une |
|||
admiration importune en prenant tout simplement sa |
|||
place dans le cœur de Mr. Collins. Quand on se sépara, |
|||
à la fin de la soirée, l’affaire était en si bon train |
|||
que Charlotte se serait crue assurée du succès si |
|||
Mr. Collins n’avait pas été à la veille de quitter le |
|||
Hertfordshire. |
|||
Mais elle n’avait pas bien mesuré l’ardeur des sentiments |
|||
de Mr. Collins et l’indépendance de son caractère. |
|||
Car, le lendemain matin, il s’échappait de Longbourn, |
|||
en dissimulant son dessein avec une habileté |
|||
incomparable, et accourait à Lucas Lodge pour se |
|||
jeter à ses pieds. Il désirait surtout éviter d’éveiller |
|||
l’attention de ses cousines, persuadé qu’elles ne manqueraient |
|||
pas de soupçonner ses intentions car il ne |
|||
voulait pas qu’on apprît sa tentative avant qu’il pût |
|||
en annoncer l’heureux résultat. Bien que se sentant |
|||
assez tranquille, — car Charlotte avait été passablement |
|||
encourageante, — il se tenait quand même |
|||
sur ses gardes depuis son aventure du mercredi |
|||
précédent. |
JANE AUSTEN
LES
CINQ FILLES
DE
MRs. BENNET
(Pride and préjudice)
Traduit de l’anglais par V. LECONTE ET CH. PRESSOIR
PARIS LIBRAIRIE PLON
M. CM. XXXII
LES CINQ FILLES DE Mrs. BENNET
Ce volume a été déposé à la Bibliothèque Nationale en 1932.