« Les Cinq Filles de Mrs Bennet » : différence entre les versions

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Ce volume a été déposé à la Bibliothèque Nationale en 1932.
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/6|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/6]]
Les intrigues sont simples, quoique nourries d’incidents
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multiples et variés. Contemporaine des débuts
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du romantisme, Jane Austen y est restée à peu près
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étrangère. Elle ne se complaît pas dans la peinture
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des situations tragiques ni des passions violentes.
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Observatrice avant tout, elle cherche seulement dans
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l’intrigue l’occasion de provoquer le jeu des sentiments,
*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/13|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/13]]
de mettre en lumière l’évolution des principaux
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caractères, et de marquer les traits saillants des autres.
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C’est par là que ses personnages de premier plan
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attirent, intéressent et captivent le lecteur. Elle pousse
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le dédain du pittoresque jusqu’à ne pas nous faire
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connaître leur aspect physique, mais elle arrive si bien
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à nous les représenter « du dedans » qu’ils vivent
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vraiment sous nos yeux. Ses héroïnes ne se montrent
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ni très sentimentales, ni très passionnées, mais elles
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ont bien du charme. Leurs natures sont très différentes :
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Anne Elliot, plus tendre et un peu secrète,
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Elinor Dashwood, raisonnable et mesurée, Emma
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Woodhouse, pleine de confiance en elle-même, désireuse
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de mener à son idée, et pour le plus grand bien
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de tous, le petit monde qui l’entoure ; Elizabeth
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Bennet, spontanée, spirituelle et gaie, portant partout
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sa franchise et son indépendance de jugement.
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Chacune a ses qualités, ses défauts, ses erreurs d’appréciation,
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ses préventions. Ce qu’elles ont de commun
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entre elles, c’est une intelligence fine, pénétrante,
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et une certaine maturité d’esprit qui donne de la
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valeur à toutes leurs réflexions.
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Miss Austen n’a pas moins soigné ses personnages
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secondaires, et nombreux parmi eux sont ceux qui
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ont excité sa verve et son sens aigu du ridicule :
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bourgeoises vulgaires, mères enragées de marier leurs
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filles, dames de petite noblesse gonflées de leur importance
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et flattées lourdement par leurs protégés, « baronets »
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férus de leur titre, que la vue de leur arbre
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généalogique remplit chaque jour d’une satisfaction
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inlassable, jeunes filles hautaines et prétentieuses,
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petites écervelées dont l’imagination ne rêve que bals,
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flirts et enlèvements, se meuvent autour des personnages
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principaux et forment un ensemble de types
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comiques dont aucun ne nous laisse indifférents. De
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même qu’un lecteur de ''David Copperfield'' n’oubliera
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pas Mr. Micawber et Uriah Heep, celui qui a lu ''Pride''
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''and Prejudice'' conserve toujours le souvenir de lady
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Catherine et de Mr. Collins. Au milieu de tout ce monde
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qui s’agite, quelques observateurs, judicieux comme
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Mr. Knightley, ou ironiques comme M. Bennet,
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portent des jugements savoureux, incisifs, dont leur
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entourage ne fait pas toujours son profit.
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Ces récits qui se développent à loisir dans une langue
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claire, souple et aisée, coupés de dialogues animés,
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ont provoqué les éloges de plusieurs grands écrivains
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anglais. Walter Scott enviait la délicatesse de touche
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avec laquelle Jane Austen donnait de l’intérêt aux
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incidents les plus ordinaires. Macaulay l’a comparée
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à Shakespeare pour sa facilité à créer des caractères.
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Thackeray reconnaissait que tous ces petits détails
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vécus, tous ces menus faits d’observation rendent un
*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/69|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/69]]
son si naturel qu’ils rappellent l’art de Swift. Lewes
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déclarait qu’il aimerait mieux être l’auteur de ''Pride''
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''and Prejudice'' que d’avoir écrit tous les romans de
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Walter Scott. Et les critiques de notre époque continuent
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à témoigner à Jane Austen l’admiration qu’elle
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mérite et dont elle a si peu joui de son vivant.
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<br/>
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<center>LES CINQ FILLES
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/82|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/82]]
DE MRS. BENNET
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/85|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/85]]
(PRIDE AND PREJUDICE)
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/89|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/89]]
I</center>
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/91|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/91]]
C’est une vérité universellement reconnue qu’un
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célibataire pourvu d’une belle fortune doit avoir envie
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de se marier, et, si peu que l’on sache de son sentiment
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à cet égard, lorsqu’il arrive dans une nouvelle résidence,
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cette idée est si bien fixée dans l’esprit de ses
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voisins qu’ils le considèrent sur-le-champ comme la
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propriété légitime de l’une ou l’autre de leurs filles.
*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/98|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/98]]

*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/99|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/99]]
— Savez-vous, mon cher ami, dit un jour Mrs. Bennet
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à son mari, que Netherfield Park est enfin loué ?
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/102|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/102]]
Mr. Bennet répondit qu’il l’ignorait.
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/104|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/104]]
— Eh bien, c’est chose faite. Je le tiens de Mrs. Long
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qui sort d’ici.
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*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/107|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/107]]
Mr. Bennet garda le silence.
*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/108|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/108]]

*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/109|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/109]]
— Vous n’avez donc pas envie de savoir qui s’y
*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/110|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/110]]
installe ! s’écria sa femme impatientée.
*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/111|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/111]]

*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/112|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/112]]
— Vous brûlez de me le dire et je ne vois aucun
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inconvénient à l’apprendre.
*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/114|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/114]]

*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/115|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/115]]
Mrs. Bennet n’en demandait pas davantage.
*[[Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/116|Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/116]]

— Eh bien, mon ami, à ce que dit Mrs. Long, le
nouveau locataire de Netherfield serait un jeune
homme très riche du nord de l’Angleterre. Il est venu
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lundi dernier en chaise de poste pour visiter la propriété
et l’a trouvée tellement à son goût qu’il s’est
immédiatement entendu avec Mr. Morris. Il doit s’y
installer avant la Saint-Michel et plusieurs domestiques
arrivent dès la fin de la semaine prochaine
afin de mettre la maison en état.

— Comment s’appelle-t-il ?

— Bingley.

— Marié ou célibataire ?

— Oh ! mon ami, célibataire ! célibataire et très
riche ! Quatre ou cinq mille livres de rente ! Quelle
chance pour nos filles !

— Nos filles ? En quoi cela les touche-t-il ?

— Que vous êtes donc agaçant, mon ami ! Je pense,
vous le devinez bien, qu’il pourrait être un parti
pour l’une d’elles.

— Est-ce dans cette intention qu’il vient s’installer
ici ?

— Dans cette intention ! Quelle plaisanterie ! Comment
pouvez-vous parler ainsi ?… Tout de même, il
n’y aurait rien d’invraisemblable à ce qu’il s’éprenne
de l’une d’elles. C’est pourquoi vous ferez bien d’aller
lui rendre visite dès son arrivée.

— Je n’en vois pas l’utilité. Vous pouvez y aller
vous-même avec vos filles, ou vous pouvez les envoyer
seules, ce qui serait peut-être encore préférable, car
vous êtes si bien conservée que Mr. Bingley pourrait
se tromper et égarer sur vous sa préférence.

— Vous me flattez, mon cher. J’ai certainement eu
ma part de beauté jadis, mais aujourd’hui j’ai abdiqué
toute prétention. Lorsqu’une femme a cinq filles en
âge de se marier elle doit cesser de songer à ses propres
charmes.

— D’autant que, dans ce cas, il est rare qu’il lui
en reste beaucoup.

— Enfin, mon ami, il faut absolument que vous
alliez voir Mr. Bingley dès qu’il sera notre voisin.

— Je ne m’y engage nullement.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/8==
<br/>

— Mais pensez un peu à vos enfants, à ce que serait
pour l’une d’elles un tel établissement ! Sir William
et lady Lucas ont résolu d’y aller uniquement pour
cette raison, car vous savez que, d’ordinaire, ils ne
font jamais visite aux nouveaux venus. Je vous le
répète. Il est indispensable que vous alliez à Netherfield,
sans quoi nous ne pourrions y aller nous-mêmes.

— Vous avez vraiment trop de scrupules, ma chère.
Je suis persuadé que Mr. Bingley serait enchanté de
vous voir, et je pourrais vous confier quelques lignes
pour l’assurer de mon chaleureux consentement à
son mariage avec celle de mes filles qu’il voudra bien
choisir. Je crois, toutefois, que je mettrai un mot en
faveur de ma petite Lizzy.

— Quelle idée ! Lizzy n’a rien de plus que les autres ;
elle est beaucoup moins jolie que Jane et n’a pas la
vivacité de Lydia.

— Certes, elles n’ont pas grand’chose pour les
recommander les unes ni les autres, elles sont sottes et
ignorantes comme toutes les jeunes filles. Lizzy, pourtant,
a un peu plus d’esprit que ses sœurs.

— Oh ! Mr. Bennet, parler ainsi de ses propres
filles !… Mais vous prenez toujours plaisir à me vexer ;
vous n’avez aucune pitié pour mes pauvres nerfs !

— Vous vous trompez, ma chère ! J’ai pour vos
nerfs le plus grand respect. Ce sont de vieux amis :
voilà plus de vingt ans que je vous entends parler
d’eux avec considération.

— Ah ! vous ne vous rendez pas compte de ce que
je souffre !

— J’espère, cependant, que vous prendrez le dessus
et que vous vivrez assez longtemps pour voir de nombreux
jeunes gens pourvus de quatre mille livres de
rente venir s’installer dans le voisinage.

— Et quand il en viendrait vingt, à quoi cela servirait-il,
puisque vous refusez de faire leur connaissance ?

— Soyez sûre, ma chère, que lorsqu’ils atteindront
ce nombre, j’irai leur faire visite à tous.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/9==
<br/>

Mr. Bennet était un si curieux mélange de vivacité,
d’humeur sarcastique, de fantaisie et de réserve
qu’une expérience de vingt-trois années n’avait pas
suffi à sa femme pour lui faire comprendre son caractère.
Mrs. Bennet elle-même avait une nature moins
compliquée : d’intelligence médiocre, peu cultivée et
de caractère inégal, chaque fois qu’elle était de mauvaise
humeur elle s’imaginait éprouver des malaises
nerveux. Son grand souci dans l’existence était de
marier ses filles et sa distraction la plus chère, les visites
et les potins.




{{NouveauChapitre|2|from={{{from}}}|to={{{to}}}}}
<div style="text-align:center">II</div>



Mr. Bennet fut des premiers à se présenter chez
Mr. Bingley. Il avait toujours eu l’intention d’y aller,
tout en affirmant à sa femme jusqu’au dernier moment
qu’il ne s’en souciait pas, et ce fut seulement
le soir qui suivit cette visite que Mrs. Bennet en eut
connaissance. Voici comment elle l’apprit : Mr. Bennet,
qui regardait sa seconde fille occupée à garnir
un chapeau, lui dit subitement :

— J’espère, Lizzy, que Mr. Bingley le trouvera
de son goût.

— Nous ne prenons pas le chemin de connaître
les goûts de Mr. Bingley, répliqua la mère avec amertume,
puisque nous n’aurons aucune relation avec
lui.

— Vous oubliez, maman, dit Elizabeth, que nous
le rencontrerons en soirée et que Mrs. Long a promis
de nous le présenter.

— Mrs. Long n’en fera rien ; elle-même a deux
nièces à caser. C’est une femme égoïste et hypocrite.
Je n’attends rien d’elle.

— Moi non plus, dit Mr. Bennet, et je suis bien
aise de penser que vous n’aurez pas besoin de ses services.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/10==
<br/>

Mrs. Bennet ne daigna pas répondre ; mais, incapable
de se maîtriser, elle se mit à gourmander une
de ses filles :

— Kitty, pour l’amour de Dieu, ne toussez donc
pas ainsi. Ayez un peu pitié de mes nerfs.

— Kitty manque d’à-propos, dit le père, elle ne
choisit pas le bon moment pour tousser.

— Je ne tousse pas pour mon plaisir, répliqua
Kitty avec humeur. Quand doit avoir lieu votre prochain
bal, Lizzy ?

— De demain en quinze.

— Justement ! s’écria sa mère. Et Mrs. Long qui
est absente ne rentre que la veille. Il lui sera donc
impossible de nous présenter Mr. Bingley puisqu’elle-même
n’aura pas eu le temps de faire sa connaissance.

— Eh bien, chère amie, vous aurez cet avantage
sur Mrs. Long : c’est vous qui le lui présenterez.

— Impossible, Mr. Bennet, impossible, puisque je
ne le connaîtrai pas. Quel plaisir trouvez-vous à me
taquiner ainsi ?

— J’admire votre réserve ; évidemment, des relations
qui ne datent que de quinze jours sont peu de
chose, mais si nous ne prenons pas cette initiative,
d’autres la prendront à notre place. Mrs. Long sera
certainement touchée de notre amabilité et si vous ne
voulez pas faire la présentation, c’est moi qui m’en
chargerai.

Les jeunes filles regardaient leur père avec surprise.
Mrs. Bennet dit seulement :

— Sottises que tout cela.

— Quel est le sens de cette énergique exclamation ?
s’écria son mari, vise-t-elle les formes protocolaires
de la présentation ? Si oui, je ne suis pas tout à fait
de votre avis. Qu’en dites-vous, Mary ? vous qui êtes
une jeune personne réfléchie, toujours plongée dans de
gros livres ?

Mary aurait aimé faire une réflexion profonde, mais
ne trouva rien à dire.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/11==
<br/>

— Pendant que Mary rassemble ses idées, continua-t-il,
retournons à Mr. Bingley.

— Je ne veux plus entendre parler de Mr. Bingley !
déclara Mrs. Bennet.

— J’en suis bien fâché ; pourquoi ne pas me l’avoir
dit plus tôt ? Si je l’avais su ce matin je me serais
certainement dispensé d’aller lui rendre visite. C’est
très regrettable, mais maintenant que la démarche
est faite, nous ne pouvons plus esquiver les relations.

La stupéfaction de ces dames à cette déclaration
fut aussi complète que Mr. Bennet pouvait le
souhaiter, celle de sa femme surtout, bien que, la
première explosion de joie calmée, elle assurât qu’elle
n’était nullement étonnée.

— Que vous êtes bon, mon cher ami ! Je savais
bien que je finirais par vous persuader. Vous aimez
trop vos enfants pour négliger une telle relation.
Mon Dieu, que je suis contente ! Et quelle bonne
plaisanterie aussi, d’avoir fait cette visite ce matin
et de ne nous en avoir rien dit jusqu’à présent !

— Maintenant, Kitty, vous pouvez tousser tant
que vous voudrez, déclara Mr. Bennet. Et il se retira,
un peu fatigué des transports de sa femme.

— Quel excellent père vous avez, mes enfants !
poursuivit celle-ci, lorsque la porte se fut refermée. —
Je ne sais comment vous pourrez jamais vous acquitter
envers lui. À notre âge, je peux bien vous l’avouer,
on ne trouve pas grand plaisir à faire sans cesse de
nouvelles connaissances. Mais pour vous, que ne
ferions-nous pas !… Lydia, ma chérie, je suis sûre
que Mr. Bingley dansera avec vous au prochain bal,
bien que vous soyez la plus jeune.

— Oh ! dit Lydia d’un ton décidé, je ne crains
rien ; je suis la plus jeune, c’est vrai, mais c’est moi
qui suis la plus grande.

Le reste de la soirée se passa en conjectures ; ces
dames se demandaient quand Mr. Bingley rendrait
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/12==
la visite de Mr. Bennet, et quel jour on pourrait l’inviter
à dîner.




{{NouveauChapitre|3|from={{{from}}}|to={{{to}}}}}
<div style="text-align:center">III</div>



Malgré toutes les questions dont Mrs. Bennet, aidée
de ses filles, accabla son mari au sujet de Mr. Bingley,
elle ne put obtenir de lui un portrait qui satisfît sa
curiosité. Ces dames livrèrent l’assaut avec une tactique
variée : questions directes, suppositions ingénieuses,
lointaines conjectures. Mais Mr. Bennet se
déroba aux manœuvres les plus habiles, et elles furent
réduites finalement à se contenter des renseignements
de seconde main fournis par leur voisine, lady Lucas.

Le rapport qu’elle leur fit était hautement favorable :
sir William, son mari, avait été enchanté du nouveau
voisin. Celui-ci était très jeune, fort joli garçon, et,
ce qui achevait de le rendre sympathique, il se proposait
d’assister au prochain bal et d’y amener tout un
groupe d’amis. Que pouvait-on rêver de mieux ? Le
goût de la danse mène tout droit à l’amour ; on pouvait
espérer beaucoup du cœur de Mr. Bingley.

— Si je pouvais voir une de mes filles heureusement
établie à Netherfield et toutes les autres aussi bien
mariées, répétait Mrs. Bennet à son mari, je n’aurais
plus rien à désirer.

Au bout de quelques jours, Mr. Bingley rendit sa
visite à Mr. Bennet, et resta avec lui une dizaine de
minutes dans la bibliothèque. Il avait espéré entrevoir
les jeunes filles dont on lui avait beaucoup vanté
le charme, mais il ne vit que le père. Ces dames furent
plus favorisées car, d’une fenêtre de l’étage supérieur,
elles eurent l’avantage de constater qu’il portait un
habit bleu et montait un cheval noir.

Une invitation à dîner lui fut envoyée peu après et,
déjà, Mrs. Bennet composait un menu qui ferait
honneur à ses qualités de maîtresse de maison quand
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/13==
la réponse de Mr. Bingley vint tout suspendre : « Il
était obligé de partir pour Londres le jour suivant,
et ne pouvait, par conséquent, avoir l’honneur d’accepter…
etc… »

Mrs. Bennet en fut toute décontenancée. Elle n’arrivait
pas à imaginer quelle affaire pouvait appeler
Mr. Bingley à Londres si tôt après son arrivée en Hertfordshire.
Allait-il, par hasard, passer son temps à se
promener d’un endroit à un autre au lieu de s’installer
convenablement à Netherfield comme c’était son
devoir ?… Lady Lucas calma un peu ses craintes en
suggérant qu’il était sans doute allé à Londres pour
chercher les amis qu’il devait amener au prochain
bal. Et bientôt se répandit la nouvelle que Mr. Bingley
amènerait avec lui douze dames et sept messieurs.
Les jeunes filles gémissaient devant un nombre
aussi exagéré de danseuses, mais, la veille du bal,
elles eurent la consolation d’apprendre que Mr. Bingley
n’avait ramené de Londres que ses cinq sœurs
et un cousin. Finalement, lorsque le contingent de
Netherfield fit son entrée dans la salle du bal, il ne
comptait en tout que cinq personnes : Mr. Bingley, ses
deux sœurs, le mari de l’aînée et un autre jeune homme.

Mr. Bingley plaisait dès l’abord par un extérieur
agréable, une allure distinguée, un air avenant et
des manières pleines d’aisance et de naturel. Ses sœurs
étaient de belles personnes d’une élégance incontestable,
et son beau-frère, Mr. Hurst, avait l’air d’un
gentleman, sans plus ; mais la haute taille, la belle
physionomie, le grand air de son ami, Mr. Darcy,
aidés de la rumeur qui cinq minutes après son arrivée,
circulait dans tous les groupes, qu’il possédait dix
mille livres de rente, attirèrent bientôt sur celui-ci
l’attention de toute la salle.

Le sexe fort le jugea très bel homme, les dames
affirmèrent qu’il était beaucoup mieux que Mr. Bingley,
et, pendant toute une partie de la soirée, on le
considéra avec la plus vive admiration.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/14==
<br/>

Peu à peu, cependant, le désappointement causé
par son attitude vint modifier cette impression favorable.
On s’aperçut bientôt qu’il était fier, qu’il regardait
tout le monde de haut et ne daignait pas exprimer
la moindre satisfaction. Du coup, toute son immense
propriété du Derbyshire ne put empêcher qu’on le
déclarât antipathique et tout le contraire de son ami.

Mr. Bingley, lui, avait eu vite fait de se mettre
en rapport avec les personnes les plus en vue de
l’assemblée. Il se montra ouvert, plein d’entiain, prit
part à toutes les danses, déplora de voir le bal se terminer
de si bonne heure, et parla d’en donner un lui-même
à Netherfield. Des manières si parfaites se
recommandent d’elles-mêmes. Quel contraste avec son
ami !… Mr. Darcy dansa seulement une fois avec
Mrs. Hurst et une fois avec miss Bingley. Il passa le
reste du temps à se promener dans la salle, n’adressant
la parole qu’aux personnes de son groupe et refusant
de se laisser présenter aux autres. Aussi fut-il vite
jugé. C’était l’homme le plus désagréable et le plus
hautain que la terre eût jamais porté, et l’on espérait
bien qu’il ne reparaîtrait à aucune autre réunion.

Parmi les personnes empressées à le condamner se
trouvait Mrs. Bennet. L’antipathie générale tournait
chez elle en rancune personnelle, Mr. Darcy ayant
fait affront à l’une de ses filles. Par suite du nombre
restreint des cavaliers, Elizabeth Bennet avait dû
rester sur sa chaise l’espace de deux danses, et, pendant
un moment, Mr. Darcy s’était tenu debout assez
près d’elle pour qu’elle pût entendre les paroles qu’il
échangeait avec Mr. Bingley venu pour le presser de
se joindre aux danseurs.

— Allons, Darcy, venez danser. Je suis agacé de
vous voir vous promener seul. C’est tout à fait ridicule.
Faites comme tout le monde et dansez.

— Non, merci ! La danse est pour moi sans charmes
à moins que je ne connaisse particulièrement une
danseuse. Je n’y prendrais aucun plaisir dans une réunion
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/15==
de ce genre. Vos sœurs ne sont pas libres et ce
serait pour moi une pénitence que d’inviter quelqu’un
d’autre.

— Vous êtes vraiment difficile ! s’écria Bingley. Je
déclare que je n’ai jamais vu dans une soirée tant de
jeunes filles aimables. Quelques-unes même, vous en
conviendrez, sont remarquablement jolies.

— Votre danseuse est la seule jolie personne de la
réunion, dit Mr. Darcy en désignant du regard l’aînée
des demoiselles Bennet.

— Oh ! c’est la plus charmante créature que j’aie
jamais rencontrée ; mais il y a une de ses sœurs assise
derrière vous qui est aussi fort agréable. Laissez-moi
demander à ma danseuse de vous présenter.

— De qui voulez-vous parler ? — Mr. Darcy se
retourna et considéra un instant Elizabeth. Rencontrant
son regard, il détourna le sien et déclara froidement.

— Elle est passable, mais pas assez jolie pour me
décider à l’inviter. Du reste je ne me sens pas en
humeur, ce soir, de m’occuper des demoiselles qui
font tapisserie. Retournez vite à votre souriante partenaire,
vous perdez votre temps avec moi.

Mr. Bingley suivit ce conseil et Mr. Darcy s’éloigna,
laissant Elizabeth animée à son égard de sentiments
très peu cordiaux. Néanmoins elle raconta l’histoire
à ses amies avec beaucoup de verve, car elle avait l’esprit
fin et un sens très vif de l’humour.

Malgré tout, ce fut, dans l’ensemble, une agréable
soirée pour tout le monde. Le cœur de Mrs. Bennet
était tout réjoui de voir sa fille aînée distinguée par
les habitants de Netherfleld. Mr. Bingley avait dansé
deux fois avec elle et ses sœurs lui avaient fait des
avances. Jane était aussi satisfaite que sa mère, mais
avec plus de calme. Elizabeth était contente du plaisir
de Jane ; Mary était fière d’avoir été présentée à
miss Bingley comme la jeune fille la plus cultivée du
pays, et Catherine et Lydia n’avaient pas manqué
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/16==
une seule danse, ce qui, à leur âge, suffisait à combler
tous leurs vœux.

Elles revinrent donc toutes de très bonne humeur à
Longbourn, le petit village dont les Bennet étaient
les principaux habitants. Mr. Bennet était encore debout ;
avec un livre il ne sentait jamais le temps
passer et, pour une fois, il était assez curieux d’entendre
le compte rendu d’une soirée qui, à l’avance,
avait fait naître tant de magnifiques espérances. Il
s’attendait un peu à voir sa femme revenir désappointée,
mais il s’aperçut vite qu’il n’en était rien.

— Oh ! mon cher Mr. Bennet, s’écria-t-elle en entrant
dans la pièce, quelle agréable soirée, quel bal
réussi ! J’aurais voulu que vous fussiez là… Jane a
eu tant de succès ! tout le monde m’en a fait compliment.
Mr. Bingley l’a trouvée tout à fait charmante.
Il a dansé deux fois avec elle ; oui, mon ami, deux fois !
Et elle est la seule qu’il ait invitée une seconde fois.
Sa première invitation a été pour miss Lucas, — j’en
étais assez vexée, — mais il n’a point paru l’admirer
beaucoup, ce qui n’a rien de surprenant. Puis, en
voyant danser Jane, il a eu l’air charmé, a demandé
qui elle était et, s’étant fait présenter, l’a invitée
pour les deux danses suivantes. Après quoi il en a
dansé deux avec miss King, encore deux autres avec
Jane, la suivante avec Lizzy, la « boulangère » avec…

— Pour l’amour du ciel, arrêtez cette énumération,
s’écria son mari impatienté. S’il avait eu pitié
de moi il n’aurait pas dansé moitié autant. Que ne
s’est-il tordu le pied à la première danse !

— Oh ! mon ami, continuait Mrs. Bennet, il m’a
tout à fait conquise. Physiquement, il est très bien
et ses sœurs sont des femmes charmantes. Je n’ai
rien vu d’aussi élégant que leurs toilettes. La dentelle
sur la robe de Mrs. Hurst…

Ici, nouvelle interruption, Mr. Bennet ne voulant
écouter aucune description de chiffons. Sa femme fut
donc obligée de changer de sujet et raconta avec beaucoup
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/17==
d’amertume et quelque exagération l’incident où
Mr. Darcy avait montré une si choquante grossièreté.

— Mais je vous assure, conclut-elle, qu’on ne perd
pas grand’chose à ne pas être appréciée par ce monsieur !
C’est un homme horriblement désagréable qui
ne mérite pas qu’on cherche à lui plaire. Hautain et
dédaigneux, il se promenait de droite et de gauche
dans la salle avec l’air de se croire un personnage
extraordinaire. J’aurais aimé que vous fussiez là pour
lui dire son fait, comme vous savez le faire ! Non,
en vérité, je ne puis pas le sentir.




{{NouveauChapitre|4|from={{{from}}}|to={{{to}}}}}




<div style="text-align:center">IV</div>



Lorsque Jane et Elizabeth se trouvèrent seules,
Jane qui, jusque-là, avait mis beaucoup de réserve
dans ses louanges sur Mr. Bingley, laissa voir à sa sœur
la sympathie qu’il lui inspirait.

— Il a toutes les qualités qu’on apprécie chez un
jeune homme, dit-elle. Il est plein de sens, de bonne
humeur et d’entrain. Je n’ai jamais vu à d’autres
jeunes gens des manières aussi agréables, tant d’aisance
unie à une si bonne éducation.

— Et, de plus, ajouta Elizabeth, il est très joli
garçon, ce qui ne gâte rien. On peut donc le déclarer
parfait.

— J’ai été très flattée qu’il m’invite une seconde
fois ; je ne m’attendais pas à un tel hommage.

— Moi, je n’en ai pas été surprise. C’était très naturel.
Pouvait-il ne pas s’apeicevoir que vous étiez
infiniment plus jolie que toutes les autres danseuses ?…
Il n’y a pas lieu de lui en être reconnaissante. Ceci dit,
il est certainement très agréable et je vous autorise
à lui accorder votre sympathie. Vous l’avez donnée
à bien d’autres qui ne le valaient pas.

— Ma chère Lizzy !
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/18==
<br/>

— La vérité c’est que vous êtes portée à juger
tout le monde avec trop de bienveillance : vous ne
voyez jamais de défaut à personne. De ma vie, je ne
vous ai entendue critiquer qui que ce soit.

— Je ne veux juger personne trop précipitamment,
mais je dis toujours ce que je pense.

— Je le sais, et c’est ce qui m’étonne. Comment,
avec votre bon sens, pouvez-vous être aussi loyalement
aveuglée sur la sottise d’autrui ? Il n’y a que
vous qui ayez assez de candeur pour ne voir jamais
chez les gens que leur bon côté… Alors, les sœurs de
ce jeune homme vous plaisent aussi ? Elles sont pourtant
beaucoup moins sympathiques que lui.

— Oui, au premier abord, mais quand on cause
avec elles on s’aperçoit qu’elles sont fort aimables.
Miss Bingley va venir habiter avec son frère, et je
serais fort surprise si nous ne trouvions en elle une
agréable voisine.

Elizabeth ne répondit pas, mais elle n’était pas
convaincue. L’attitude des sœurs de Mr. Bingley au
bal ne lui avait pas révélé chez elles le désir de se
rendre agréables à tout le monde. D’un esprit plus
observateur et d’une nature moins simple que celle
de Jane, n’étant pas, de plus, influencée par les attentions
de ces dames, Elizabeth était moins disposée à
les juger favorablement. Elle voyait en elles d’élégantes
personnes, capables de se mettre en frais pour
qui leur plaisait, mais, somme toute, fières et affectées.

Mrs. Hurst et miss Bingley étaient assez jolies , elles
avaient été élevées dans un des meilleurs pensionnats
de Londres et possédaient une fortune de vingt mille
livres, mais l’habitude de dépenser sans compter et
de fréquenter la haute société les portait à avoir
d’elles-mêmes une excellente opinion et à juger leur
prochain avec quelque dédain. Elles appartenaient à
une très bonne famille du nord de l’Angleterre, chose
dont elles se souvenaient plus volontiers que de l’origine
de leur fortune qui avait été faite dans le commerce.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/19==
<br/>

Mr. Bingley avait hérité d’environ cent mille livres
de son père. Celui-ci qui souhaitait acheter un domaine
n’avait pas vécu assez longtemps pour exécuter son
projet. Mr. Bingley avait la même intention et ses
sœurs désiraient vivement la lui voir réaliser. Bien
qu’il n’eût fait que louer Netherfield, miss Bingley était
toute prête à diriger sa maison, et Mrs. Hurst, qui
avait épousé un homme plus fashionable que fortuné,
n’était pas moins disposée à considérer la demeure
de son frère comme la sienne. Il y avait à peine deux
ans que Mr. Bingley avait atteint sa majorité, lorsque,
par un effet du hasard, il avait entendu parler du
domaine de Netherfield. Il était allé le visiter, l’avait
parcouru en une demi-heure, et, le site et la maison
lui plaisant, s’était décidé à louer sur-le-champ.

En dépit d’une grande opposition de caractères,
Bingley et Darcy étaient unis par une solide amitié.
Darcy aimait Bingley pour sa nature confiante et
docile, deux dispositions pourtant si éloignées de son
propre caractère. Bingley, de son côté, avait la plus
grande confiance dans l’amitié de Darcy et la plus
haute opinion de son jugement. Il lui était inférieur
par l’intelligence, bien que lui-même n’en fût point
dépourvu, mais Darcy était hautain, distant, d’une
courtoisie froide et décourageante, et, à cet égard,
son ami reprenait l’avantage. Partout où il paraissait,
Bingley était sûr de plaire ; les manières de Darcy
n’inspiraient trop souvent que de l’éloignement.

Il n’y avait qu’à les entendre parler du bal de
Meryton pour juger de leurs caractères : Bingley
n’avait, de sa vie, rencontré des gens plus aimables,
des jeunes filles plus jolies ; tout le monde s’était
montré plein d’attentions pour lui ; point de raideur
ni de cérémonie ; il s’était bientôt senti en pays de
connaissance : quant à miss Bennet, c’était véritablement
un ange de beauté !… Mr. Darcy, au contraire,
n’avait vu là qu’une collection de gens chez qui
il n’avait trouvé ni élégance, ni charme ; personne ne
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/20==
lui avait inspiré le moindre intérêt ; personne ne lui
avait marqué de sympathie ni procuré d’agrément.
Il reconnaissait que miss Bennet était jolie, mais elle
souriait trop.

Mrs. Hurst et sa sœur étaient de cet avis ; cependant,
Jane leur plaisait ; elles déclarèrent que c’était une
aimable personne avec laquelle on pouvait assurément
se lier. Et leur frère se sentit autorisé par ce
jugement à rêver à miss Bennet tout à sa guise.




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<div style="text-align:center">V</div>



À peu de distance de Longbourn vivait une famille
avec laquelle les Bennet étaient particulièrement liés.

Sir William Lucas avait commencé par habiter
Meryton où il se faisait une petite fortune dans les
affaires lorsqu’il s’était vu élever à la dignité de
« Knight » <ref>Chevalier.</ref> à la suite d’un discours qu’il avait
adressé au roi comme maire de la ville. Cette distinction
lui avait un peu tourné la tête en lui donnant le
dégoût du commerce et de la vie simple de sa petite
ville. Quittant l’un et l’autre, il était venu se fixer
avec sa famille dans une propriété située à un mille de
Meryton qui prit dès lors le nom de « Lucas Lodge ».
Là, délivré du joug des affaires, il pouvait à loisir
méditer sur son importance et s’appliquer à devenir
l’homme le plus courtois de l’univers. Son nouveau
titre l’enchantait, sans lui donner pour cela le moindre
soupçon d’arrogance ; il se multipliait, au contraire,
en attentions pour tout le monde. Inoffensif, bon et
serviable par nature, sa présentation à Saint-James
avait fait de lui un gentilhomme.

Lady Lucas était une très bonne personne à qui ses
facultés moyennes permettaient de voisiner agréablement
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/21==
avec Mrs. Bennet. Elle avait plusieurs enfants
et l’aînée, jeune fille de vingt-sept ans, intelligente et
pleine de bon sens, était l’amie particulière d’Elizabeth.

Les demoiselles Lucas et les demoiselles Bennet
avaient l’habitude de se réunir, après un bal, pour
échanger leurs impressions. Aussi, dès le lendemain de
la soirée de Meryton on vit arriver les demoiselles
Lucas à Longbourn.

— Vous avez bien commencé la soirée, Charlotte,
dit Mrs. Bennet à miss Lucas avec une amabilité un
peu forcée. C’est vous que Mr. Bingley a invitée la
première.

— Oui, mais il a paru de beaucoup préférer la
danseuse qu’il a invitée la seconde.

— Oh ! vous voulez parler de Jane parce qu’il l’a
fait danser deux fois. C’est vrai, il avait l’air de l’admirer
assez, et je crois même qu’il faisait plus que d’en
avoir l’air… On m’a dit là-dessus quelque chose, —
je ne sais plus trop quoi, — où il était question de
Mr. Robinson…

— Peut-être voulez-vous dire la conversation entre
Mr. Bingley et Mr. Robinson que j’ai entendue par
hasard ; ne vous l’ai-je pas répétée ? Mr. Robinson
lui demandait ce qu’il pensait de nos réunions de
Meryton, s’il ne trouvait pas qu’il y avait beaucoup
de jolies personnes parmi les danseuses et laquelle
était à son gré la plus jolie. À cette question Mr. Bingley
a répondu sans hésiter : « Oh ! l’aînée des demoiselles
Bennet ; cela ne fait pas de doute. »

— Voyez-vous ! Eh bien ! voilà qui est parler net.
Il semble en effet que… Cependant, il se peut que tout
cela ne mène à rien…

— J’ai entendu cette conversation bien à propos.
Je n’en dirai pas autant pour celle que vous avez surprise,
Eliza, dit Charlotte. Les réflexions de Mr. Darcy
sont moins gracieuses que celles de son ami. Pauvre
Eliza ! s’entendre qualifier tout juste de « passable » !
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/22==
<br/>

— Je vous en prie, ne poussez pas Lizzy à se formaliser
de cette impertinence. Ce serait un grand
malheur de plaire à un homme aussi désagréable.
Mrs. Long me disait hier soir qu’il était resté une
demi-heure à côté d’elle sans desserrer les lèvres.

— Ne faites-vous pas erreur, maman ? dit Jane.
J’ai certainement vu Mr. Darcy lui parler.

— Eh oui, parce qu’à la fin elle lui a demandé s’il
se plaisait à Netherfield et force lui a été de répondre,
mais il paraît qu’il avait l’air très mécontent qu’on
prît la liberté de lui adresser la parole.

— Miss Bingley dit qu’il n’est jamais loquace avec
les étrangers, mais que dans l’intimité c’est le plus
aimable causeur.

— Je n’en crois pas un traître mot, mon enfant :
s’il était si aimable, il aurait causé avec Mrs. Long.
Non, je sais ce qu’il en est : Mr. Darcy, — tout le
monde en convient, — est bouffi d’orgueil. Il aura
su, je pense, que Mrs. Long n’a pas d’équipage et
que c’est dans une voiture de louage qu’elle est venue
au bal.

— Cela m’est égal qu’il n’ait pas causé avec
Mrs. Long, dit Charlotte, mais j’aurais trouvé bien
qu’il dansât avec Eliza.

— Une autre fois, Lizzy, dit la mère, à votre place,
je refuserais de danser avec lui.

— Soyez tranquille, ma mère, je crois pouvoir vous
promettre en toute sûreté que je ne danserai jamais
avec lui.

— Cet orgueil, dit miss Lucas, me choque moins
chez lui parce que j’y trouve des excuses. On ne peut
s’étonner qu’un jeune homme aussi bien physiquement
et pourvu de toutes sortes d’avantages tels que
le rang et la fortune ait de lui-même une haute opinion.
Il a, si je puis dire, un peu le droit d’avoir de
l’orgueil.

— Sans doute, fit Elizabeth, et je lui passerais
volontiers son orgueil s’il n’avait pas modifié le mien.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/23==
<br/>

— L’orgueil, observa Mary qui se piquait de psychologie,
est, je crois, un sentiment très répandu. La
nature nous y porte et bien peu parmi nous échappent
à cette complaisance que l’on nourrit pour soi-même
à cause de telles ou telles qualités souvent imaginaires.
La vanité et l’orgueil sont choses différentes, bien
qu’on emploie souvent ces deux mots l’un pour l’autre ;
on peut être orgueilleux sans être vaniteux. L’orgueil
se rapporte plus à l’opinion que nous avons de nous-mêmes,
la vanité à celle que nous voudrions que les
autres aient de nous.

— Si j’étais aussi riche que Mr. Darcy, s’écria un
jeune Lucas qui avait accompagné ses sœurs, je me moquerais
bien de tout cela ! Je commencerais par avoir
une meute pour la chasse au renard, et je boirais une
bouteille de vin fin à chacun de mes repas.




{{NouveauChapitre|4|from={{{from}}}|to={{{to}}}}}




<div style="text-align:center">VI</div>



Les dames de Longbourn ne tardèrent pas à faire
visite aux dames de Netherfield et celles-ci leur rendirent
leur politesse suivant toutes les formes. Le
charme de Jane accrut les dispositions bienveillantes
de Mrs. Hurst et de miss Bingley à son égard, et tout
en jugeant la mère ridicule et les plus jeunes sœurs
insignifiantes, elles exprimèrent aux deux aînées le
désir de faire avec elles plus ample connaissance.

Jane reçut cette marque de sympathie avec un
plaisir extrême, mais Elizabeth trouva qu’il y avait
toujours bien de la hauteur dans les manières de ces
dames, même à l’égard de sa sœur. Décidément, elle
ne les aimait point ; cependant, elle appréciait leurs
avances, voulant y voir l’effet de l’admiration que
leur frère éprouvait pour Jane. Cette admiration
devenait plus évidente à chacune de leurs rencontres
et pour Elizabeth il semblait également certain que
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/24==
Jane cédait de plus en plus à la sympathie qu’elle avait
ressentie dès le commencement pour Mr. Bingley.
Bien heureusement, pensait Elizabeth, personne ne
devait s’en apercevoir. Car, à beaucoup de sensibilité
Jane unissait une égalité d’humeur et une maîtrise
d’elle-même qui la préservait des curiosités indiscrètes.

Elizabeth fit part de ces réflexions à miss Lucas.

— Il peut être agréable en pareil cas de tromper des
indifférents, répondit Charlotte ; mais une telle réserve
ne peut-elle parfois devenir un désavantage ? Si une
jeune fille cache avec tant de soin sa préférence à
celui qui en est l’objet, elle risque de perdre l’occasion
de le fixer, et se dire ensuite que le monde n’y a rien
vu est une bien mince consolation. La gratitude et la
vanité jouent un tel rôle dans le développement d’une
inclination qu’il n’est pas prudent de l’abandonner à
elle-même. Votre sœur plaît à Bingley sans aucun
doute, mais tout peut en rester là, si elle ne l’encourage
pas.

— Votre conseil serait excellent, si le désir de faire
un beau mariage était seul en question ; mais ce
n’est pas le cas de Jane. Elle n’agit point par calcul ;
elle n’est même pas encore sûre de la profondeur du
sentiment qu’elle éprouve, et elle se demande sans
doute si ce sentiment est raisonnable. Voilà seulement
quinze jours qu’elle a fait la connaissance de Mr. Bingley :
elle a bien dansé quatre fois avec lui à Meryton,
l’a vu en visite à Netherfield un matin, et s’est trouvée
à plusieurs dîners où lui-même était invité ; mais ce
n’est pas assez pour le bien connaître.

— Allons, dit Charlotte, je fais de tout cœur des
vœux pour le bonheur de Jane ; mais je crois qu’elle
aurait tout autant de chances d’être heureuse, si elle
épousait Mr. Bingley demain que si elle se met à
étudier son caractère pendant une année entière ; car
le bonheur en ménage est pure affaire de hasard. La
félicité de deux époux ne m’apparaît pas devoir être
plus grande du fait qu’ils se connaissaient à fond
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/25==
avant leur mariage ; cela n’empêche pas les divergences
de naître ensuite et de provoquer les inévitables
déceptions. Mieux vaut, à mon avis, ignorer le plus
possible les défauts de celui qui partagera votre existence !

— Vous m’amusez, Charlotte ; mais ce n’est pas
sérieux, n’est-ce pas ? Non, et vous-même n’agiriez
pas ainsi.

Tandis qu’elle observait ainsi Mr. Bingley, Elizabeth
était bien loin de soupçonner qu’elle commençait elle-même
à attirer l’attention de son ami. Mr. Darcy avait
refusé tout d’abord de la trouver jolie. Il l’avait regardée
avec indifférence au bal de Meryton et ne s’était
occupé d’elle ensuite que pour la critiquer. Mais à peine
avait-il convaincu son entourage du manque de beauté
de la jeune fille qu’il s’aperçut que ses grands yeux
sombres donnaient à sa physionomie une expression
singulièrement intelligente. D’autres découvertes suivirent,
aussi mortifiantes : il dut reconnaître à Elizabeth
une silhouette fine et gracieuse et, lui qui avait
déclaré que ses manières n’étaient pas celles de la
haute société, il se sentit séduit par leur charme tout
spécial fait de naturel et de gaieté.

De tout ceci Elizabeth était loin de se douter. Pour
elle, Mr. Darcy était seulement quelqu’un qui ne cherchait
jamais à se rendre agréable et qui ne l’avait pas
jugée assez jolie pour la faire danser.

Mr. Darcy éprouva bientôt le désir de la mieux connaître,
mais avant de se décider à entrer en conversation
avec elle, il commença par l’écouter lorsqu’elle
causait avec ses amies. Ce fut chez sir William Lucas
où une nombreuse société se trouvait réunie que cette
manœuvre éveilla pour la première fois l’attention
d’Elizabeth.

— Je voudrais bien savoir, dit-elle à Charlotte,
pourquoi Mr. Darcy prenait tout à l’heure un si vif
intérêt à ce que je disais au colonel Forster.

— Lui seul pourrait vous le dire.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/26==

<br/>

— S’il recommence, je lui montrerai que je m’en
aperçois. Je n’aime pas son air ironique. Si je ne lui
sers pas bientôt une impertinence de ma façon, vous
verrez qu’il finira par m’intimider !

Et comme, peu après, Mr. Darcy s’approchait des
deux jeunes filles sans manifester l’intention de leur
adresser la parole, miss Lucas mit son amie au défi
d’exécuter sa menace. Ainsi provoquée, Elizabeth se
tourna vers le nouveau venu et dit :

— N’êtes-vous pas d’avis, Mr. Darcy, que je
m’exprimais tout à l’heure avec beaucoup d’éloquence
lorsque je tourmentais le colonel Forster pour qu’il
donne un bal à Meryton ?

— Avec une grande éloquence. Mais, c’est là un
sujet qui en donne toujours aux jeunes filles.

— Vous êtes sévère pour nous.

— Et maintenant, je vais la tourmenter à son tour,
intervint miss Lucas. Eliza, j’ouvre le piano et vous
savez ce que cela veut dire…

— Quelle singulière amie vous êtes de vouloir me
faire jouer et chanter en public ! Je vous en serais
reconnaissante si j’avais des prétentions d’artiste,
mais, pour l’instant, je préférerais me taire devant un
auditoire habitué à entendre les plus célèbres virtuoses.

Puis, comme miss Lucas insistait, elle ajouta :

— C’est bien ; puisqu’il le faut, je m’exécute.

Le talent d’Elizabeth était agréable sans plus.
Quand elle eut chanté un ou deux morceaux, avant
même qu’elle eût pu répondre aux instances de ceux
qui lui en demandaient un autre, sa sœur Mary, toujours
impatiente de se produire, la remplaça au piano.

Mary, la seule des demoiselles Bennet qui ne fût
pas jolie, se donnait beaucoup de peine pour perfectionner
son éducation. Malheureusement, la vanité qui
animait son ardeur au travail lui donnait en même
temps un air pédant et satisfait qui aurait gâté un
talent plus grand que le sien. Elizabeth jouait beaucoup
moins bien que Mary, mais, simple et naturelle,
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/27==
on l’avait écoutée avec plus de plaisir que sa sœur. À
la fin d’un interminable concerto, Mary fut heureuse
d’obtenir quelques bravos en jouant des airs écossais
réclamés par ses plus jeunes sœurs qui se mirent à
danser à l’autre bout du salon avec deux ou trois
officiers et quelques membres de la famille Lucas.

Non loin de là, Mr. Darcy regardait les danseurs
avec désapprobation, ne comprenant pas qu’on pût
ainsi passer toute une soirée sans réserver un moment
pour la conversation ; il fut soudain tiré de ses réflexions
par la voix de sir William Lucas :

— Quel joli divertissement pour la jeunesse que la
danse, Mr. Darcy ! À mon avis, c’est le plaisir le
plus raffiné des sociétés civilisées.

— Certainement, monsieur, et il a l’avantage d’être
également en faveur parmi les sociétés les moins civilisées :
tous les sauvages dansent.

Sir William se contenta de sourire.

— Votre ami danse dans la perfection, continua-t-il
au bout d’un instant en voyant Bingley se joindre
au groupe des danseurs. Je ne doute pas que vous-même,
Mr. Darcy, vous n’excelliez dans cet art.
Dansez-vous souvent à la cour ?

— Jamais, monsieur.

— Ce noble lieu mériterait pourtant cet hommage
de votre part.

— C’est un hommage que je me dispense toujours
de rendre lorsque je puis m’en dispenser.

— Vous avez un hôtel à Londres, m’a-t-on dit ?

Mr. Darcy s’inclina, mais ne répondit rien.

— J’ai eu jadis des velléités de m’y fixer moi-même
car j’aurais aimé vivre dans un monde cultivé, mais
j’ai craint que l’air de la ville ne fût contraire à la santé
de lady Lucas.

Ces confidences restèrent encore sans réponse.
Voyant alors Elizabeth qui venait de leur côté, sir
William eut une idée qui lui sembla des plus galantes.

— Comment ! ma chère miss Eliza, vous ne dansez
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/28==
pas ? s’exclama-t-il. Mr. Darcy, laissez-moi vous
présenter cette jeune fille comme une danseuse remarquable.
Devant tant de beauté et de charme, je suis
certain que vous ne vous déroberez pas.

Et, saisissant la main d’Elizabeth, il allait la placer
dans celle de Mr. Darcy qui, tout étonné, l’aurait
cependant prise volontiers, lorsque la jeune fille la
retira brusquement en disant d’un ton vif :

— En vérité, monsieur, je n’ai pas la moindre envie
de danser et je vous prie de croire que je ne venais
point de ce côté quêter un cavalier.

Avec courtoisie Mr. Darcy insista pour qu’elle consentît
à lui donner la main, mais ce fut en vain. La
décision d’Elizabeth était irrévocable et sir William
lui-même ne put l’en faire revenir.

— Vous dansez si bien, miss Eliza, qu’il est cruel de
me priver du plaisir de vous regarder, et Mr. Darcy,
bien qu’il apprécie peu ce passe-temps, était certainement
tout prêt à me donner cette satisfaction pendant
une demi-heure.

Elizabeth sourit d’un air moqueur et s’éloigna. Son
refus ne lui avait point fait tort auprès de Mr. Darcy,
et il pensait à elle avec une certaine complaisance
lorsqu’il se vit interpeller par miss Bingley.

— Je devine le sujet de vos méditations, dit-elle.

— En êtes-vous sûre ?

— Vous songez certainement qu’il vous serait bien
désagréable de passer beaucoup de soirées dans le genre
de celle-ci. C’est aussi mon avis. Dieu ! que ces gens
sont insignifiants, vulgaires et prétentieux ! Je donnerais
beaucoup pour vous entendre dire ce que vous
pensez d’eux.

— Vous vous trompez tout à fait ; mes réflexions
étaient d’une nature beaucoup plus agréable : je songeais
seulement au grand plaisir que peuvent donner
deux beaux yeux dans le visage d’une jolie femme.

Miss Bingley le regarda fixement en lui demandant
quelle personne pouvait lui inspirer ce genre de réflexion.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/29==
<br/>

— Miss Elizabeth Bennet, répondit Mr. Darcy sans
sourciller.

— Miss Elizabeth Bennet ! répéta miss Bingley. Je
n’en reviens pas. Depuis combien de temps occupe-t-elle
ainsi vos pensées, et quand faudra-t-il que je vous
présente mes vœux de bonheur ?

— Voilà bien la question que j’attendais. L’imagination
des femmes court vite et saute en un clin d’œil
de l’admiration à l’amour et de l’amour au mariage.
J’étais sûr que vous alliez m’offrir vos félicitations.

— Oh ! si vous le prenez ainsi, je considère la
chose comme faite. Vous aurez en vérité une délicieuse
belle-mère et qui vous tiendra sans doute souvent compagnie
à Pemberley.

Mr. Darcy écouta ces plaisanteries avec la plus par-
faite indifférence et, rassurée par son air impassible,
miss Bingley donna libre cours à sa verve moqueuse.




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<div style="text-align:center">VII</div>



La fortune de Mr. Bennet consistait presque tout
entière en un domaine d’un revenu de 2 000 livres
mais qui, malheureusement pour ses filles, devait, à
défaut d’héritier mâle, revenir à un cousin éloigné.
L’avoir de leur mère, bien qu’appréciable, ne pouvait
compenser une telle perte. Mrs. Bennet, qui était la
fille d’un avoué de Meryton, avait hérité de son père
4 000 livres ; elle avait une sœur mariée à un Mr. Philips<ref>WS : Plilips -> Philips</ref>,
ancien clerc et successeur de son père, et un
frère honorablement établi à Londres dans le commerce.

Le village de Longbourn n’était qu’à un mille de
Meryton, distance commode pour les jeunes filles qui,
trois ou quatre fois par semaine, éprouvaient l’envie
d’aller présenter leurs devoirs à leur tante ainsi qu’à
la modiste qui lui faisait face de l’autre côté de la rue.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/30==
Les deux benjamines, d’esprit plus frivole que leurs
aînées, mettaient à rendre ces visites un empressement
particulier. Quand il n’y avait rien de mieux à faire,
une promenade à Meryton occupait leur matinée et
fournissait un sujet de conversation pour la soirée. Si
peu fertile que fût le pays en événements extraordinaires,
elles arrivaient toujours à glaner quelques nouvelles
chez leur tante.

Actuellement elles étaient comblées de joie par la
récente arrivée dans le voisinage d’un régiment de la
milice. Il devait y cantonner tout l’hiver et Meryton
était le quartier général. Les visites à Mrs. Philips
étaient maintenant fécondes en informations du plus
haut intérêt, chaque jour ajoutait quelque chose à ce
que l’on savait sur les officiers, leurs noms, leurs
familles, et bientôt l’on fit connaissance avec les officiers
eux-mêmes. Mr. Philips leur fit visite à tous,
ouvrant ainsi à ses nièces une source de félicité inconnue
jusqu’alors. Du coup, elles ne parlèrent plus
que des officiers, et la grande fortune de Mr. Bingley
dont l’idée seule faisait vibrer l’imagination de leur
mère n’était rien pour elles, comparée à l’uniforme
rouge d’un sous-lieutenant.

Un matin, après avoir écouté leur conversation sur
cet inépuisable sujet, Mr. Bennet observa froidement :

— Tout ce que vous me dites me fait penser que
vous êtes deux des filles les plus sottes de la région.
Je m’en doutais depuis quelque temps, mais aujourd’hui,
j’en suis convaincu.

Catherine déconcertée ne souffla mot, mais Lydia,
avec une parfaite indifférence, continua d’exprimer
son admiration pour le capitaine Carter et l’espoir de
le voir le jour même car il partait le lendemain pour
Londres.

— Je suis surprise, mon ami, intervint Mrs. Bennet,
de vous entendre déprécier vos filles aussi facilement.
Si j’étais en humeur de critique, ce n’est pas à mes
propres enfants que je m’attaquerais.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/31==
<br/>

— Si mes filles sont sottes, j’espère bien être capable
de m’en rendre compte.

— Oui, mais il se trouve au contraire qu’elles sont
toutes fort intelligentes.

— Voilà le seul point, — et je m’en flatte, — sur
lequel nous sommes en désaccord. Je voulais croire
que vos sentiments et les miens coïncidaient en toute
chose mais je dois reconnaître qu’ils diffèrent en ce
qui concerne nos deux plus jeunes filles que je trouve
remarquablement niaises.

— Mon cher Mr. Bennet, vous ne pouvez vous
attendre à trouver chez ces enfants le jugement de
leur père et de leur mère. Lorsqu’elles auront notre
âge, j’ose dire qu’elles ne penseront pas plus aux militaires
que nous n’y pensons nous-mêmes. Je me rappelle
le temps où j’avais aussi l’amour de l’uniforme ;
— à dire vrai je le garde toujours au fond du cœur et si
un jeune et élégant colonel pourvu de cinq ou six
mille livres de rentes désirait la main d’une de mes
filles, ce n’est pas moi qui le découragerais. L’autre
soir, chez sir William, j’ai trouvé que le colonel Forster
avait vraiment belle mine en uniforme.

— Maman, s’écria Lydia, ma tante dit que le colonel
Forster et le capitaine Carter ne vont plus aussi
souvent chez miss Watson et qu’elle les voit maintenant
faire de fréquentes visites à la librairie Clarke.

La conversation fut interrompue par l’entrée du
valet de chambre qui apportait une lettre adressée à
Jane. Elle venait de Netherfield et un domestique
attendait la réponse.

Les yeux de Mrs. Bennet étincelèrent de plaisir et,
pendant que sa fille lisait, elle la pressait de questions :

— Eh bien ! Jane, de qui est-ce ? De quoi s’agit-il ?
Voyons, répondez vite, ma chérie.

— C’est de miss Bingley, répondit Jane, et elle lut
tout haut : « Chère amie, si vous n’avez pas la charité
de venir dîner aujourd’hui avec Louisa et moi, nous
courrons le risque de nous brouiller pour le reste de
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/32==
nos jours, car un tête-à-tête de toute une journée entre
deux femmes ne peut se terminer sans querelle. Venez
aussitôt ce mot reçu. Mon frère et ses amis doivent
dîner avec les officiers. Bien à vous. — Caroline
{{sc|Bingley}}. »

— Avec les officiers ! s’exclama Lydia. Je m’étonne
que ma tante ne nous en ait rien dit.

— Ils dînent en ville, dit Mrs. Bennet. Pas de
chance.

— Puis-je avoir la voiture ? demanda Jane.

— Non, mon enfant, vous ferez mieux d’y aller à
cheval car le temps est à la pluie ; vous ne pourrez
vraisemblablement pas revenir ce soir.

— Ce serait fort bien, dit Elizabeth, si vous étiez
sûre que les Bingley n’offriront pas de la faire reconduire.

— Oh ! pour aller à Meryton, ces messieurs ont dû
prendre le cabriolet de Mr. Bingley et les Hurst n’ont
pas d’équipage.

— J’aimerais mieux y aller en voiture.

— Ma chère enfant, votre père ne peut donner les
chevaux ; on en a besoin à la ferme, n’est-ce pas,
master Bennet ?

— On en a besoin à la ferme plus souvent que je ne
puis les donner.

— Alors, si vous les donnez aujourd’hui, dit Elizabeth,
vous servirez les projets de ma mère.

Mr. Bennet, finalement reconnut que les chevaux
étaient occupés. Jane fut donc obligée de partir à
cheval et sa mère la conduisit jusqu’à la porte en formulant
toutes sortes de joyeux pronostics sur le mauvais
temps.

Son espérance se réalisa : Jane était à peine partie
que la pluie se mit à tomber avec violence. Ses sœurs
n’étaient pas sans inquiétude à son sujet, mais sa mère
était enchantée. La pluie continua toute la soirée sans
arrêt : certainement, Jane ne pourrait pas revenir.

— J’ai eu là vraiment une excellente idée, dit
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/33==
Mrs. Bennet à plusieurs reprises, comme si c’était elle-même
qui commandait à la pluie.

Ce ne fut cependant que le lendemain matin qu’elle
apprit tout le succès de sa combinaison. Le breakfast
s’achevait lorsqu’un domestique de Netherfield arriva
porteur d’une lettre pour Elizabeth :

« Ma chère Lizzy, je me sens très souffrante ce
matin, du fait, je suppose, d’avoir été trempée jusqu’aux
os hier. Mes aimables amies ne veulent pas
entendre parler de mon retour à la maison avant que
je sois mieux. Elles insistent pour que je voie Mr. Jones.
Aussi ne vous alarmez pas si vous entendiez dire qu’il
est venu pour moi à Netherfield. Je n’ai rien de sérieux,
simplement un mal de gorge accompagné de migraine.
Tout à vous… etc… »

— Eh bien, ma chère amie, dit Mr. Bennet quand
Elizabeth eut achevé de lire la lettre à haute voix, si
l’indisposition de votre fille s’aggravait et se terminait
mal, vous auriez la consolation de penser qu’elle l’a
contractée en courant après Mr. Bingley pour vous
obéir.

— Oh ! je suis sans crainte. On ne meurt pas d’un
simple rhume. Elle est certainement bien soignée.
Tant qu’elle reste là-bas on peut être tranquille. J’irais
la voir si la voiture était libre.

Mais Elizabeth, vraiment anxieuse, décida de se
rendre elle-même à Netherfield. Comme la voiture
n’était pas disponible et que la jeune fille ne montait
pas à cheval, elle n’avait d’autre alternative que d’y
aller à pied.

— Avec une boue pareille ? À quoi pensez-vous !
s’écria sa mère lorsqu’elle annonça son intention. Vous
ne serez pas présentable en arrivant.

— Je le serai suffisamment pour voir Jane et c’est
tout ce que je veux.

— Donnez-vous à entendre, dit le père, que je
devrais envoyer chercher les chevaux ?

— Nullement ; je ne crains pas la marche. La distance
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/34==
n’est rien quand on a un motif pressant et il n’y
a que trois milles ; je serai de retour avant le dîner.

— J’admire l’ardeur de votre dévouement fraternel,
déclara Mary. Mais toute impulsion du sentiment
devrait être réglée par la raison, et l’effort, à
mon avis, doit toujours être proportionné au but qu’on
se propose.

— Nous vous accompagnons jusqu’à Meryton,
dirent Catherine et Lydia.

Elizabeth accepta leur compagnie et les trois jeunes
filles partirent ensemble.

— Si nous nous dépêchons, dit Lydia en cours de
route, peut-être apercevrons-nous le capitaine Carter
avant son départ.

À Meryton elles se séparèrent. Les deux plus jeunes
se rendirent chez la femme d’un officier tandis qu’Elizabeth
poursuivait seule son chemin. On eût pu la
voir, dans son impatience d’arriver, aller à travers
champs, franchir les échaliers, sauter les flaques d’eau,
pour se trouver enfin devant la maison, les jambes
lasses, les bas crottés, et les joues enflammées par
l’exercice.

Elle fut introduite dans la salle à manger où tout le
monde était réuni sauf Jane. Son apparition causa
une vive surprise. Que seule, à cette heure matinale,
elle eût fait trois milles dans une boue pareille,
Mrs. Hurst et miss Bingley n’en revenaient pas et,
dans leur étonnement, Elizabeth sentit nettement de
la désapprobation. Elles lui firent toutefois un accueil
très poli. Dans les manières de leur frère il y avait
mieux que de la politesse, il y avait de la cordialité ;
Mr. Darcy dit peu de chose et Mr. Hurst rien du tout.
Le premier, tout en admirant le teint d’Elizabeth
avivé par la marche, se demandait s’il y avait réellement
motif à ce qu’elle eût fait seule une si longue
course ; le second ne pensait qu’à achever son déjeuner.

Les questions d’Elizabeth au sujet de sa sœur reçurent
une réponse peu satisfaisante. Miss Bennet
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/35==
avait mal dormi ; elle s’était levée cependant, mais se
sentait fiévreuse et n’avait pas quitté sa chambre. Elizabeth
se fit conduire immédiatement auprès d’elle et
Jane qui, par crainte d’alarmer les siens, n’avait pas
osé réclamer une visite, fut ravie de la voir entrer.
Son état ne lui permettait pas de parler beaucoup et,
quand miss Bingley les eut laissées ensemble, elle se
borna à exprimer sa reconnaissance pour l’extrême
bonté qu’on lui témoignait.

Leur déjeuner terminé, les deux sœurs vinrent les
rejoindre et Elizabeth elle-même se sentit touchée en
voyant l’affection et la sollicitude dont elles entouraient
Jane. Le médecin, arrivant à ce moment, examina
la malade et déclara comme on s’y attendait
qu’elle avait pris un gros rhume qui demandait à être
soigné sérieusement. Il lui conseilla de se remettre au
lit et promit de lui envoyer quelques potions. Jane
obéit docilement car les symptômes de fièvre augmentaient
ainsi que les douleurs de tête.

Elizabeth ne quitta pas un instant la chambre de
sa sœur et Mrs. Hurst et miss Bingley ne s’en éloignèrent
pas beaucoup non plus. Les messieurs étant
sortis elles n’avaient rien de plus intéressant à faire.

Quand l’horloge sonna trois heures, Elizabeth, bien
à contre-cœur, annonça son intention de repartir.
Miss Bingley lui offrit de la faire reconduire en voiture,
mais Jane témoigna une telle contrariété à la pensée
de voir sa sœur la quitter que miss Bingley se vit
obligée de transformer l’offre du cabriolet en une invitation
à demeurer à Netherfield qu’Elizabeth accepta
avec beaucoup de reconnaissance. Un domestique fut
donc envoyé à Longbourn pour mettre leur famille
au courant et rapporter le supplément de linge et de
vêtements dont elles avaient besoin.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/36==
<br/>




<div style="text-align:center">VIII</div>



À cinq heures, Mrs. Hurst et miss Bingley allèrent
s’habiller, et à six heures et demie, on annonçait à
Elizabeth que le dîner était servi. Quand elle entra
dans la salle à manger, elle fut assaillie de questions
parmi lesquelles elle eut le plaisir de noter la sollicitude
toute spéciale exprimée par Mr. Bingley. Comme
elle répondait que l’état de Jane ne s’améliorait pas,
les deux sœurs répétèrent trois ou quatre fois qu’elles
en étaient désolées, qu’un mauvais rhume est une
chose bien désagréable et qu’elles-mêmes avaient horreur
d’être malades ; après quoi elles s’occupèrent
d’autre chose, laissant à penser que Jane, hors de leur
présence, ne comptait plus beaucoup pour elles et cette
indifférence réveilla aussitôt l’antipathie d’Elizabeth.

Leur frère était vraiment la seule personne de la
maison qu’elle jugeât avec faveur. Son anxiété au
sujet de l’état de Jane était manifeste, et ses attentions
pour Elizabeth des plus aimables. Grâce à lui elle
avait moins l’impression d’être une intruse dans leur
cercle familial. Parmi les autres, personne ne s’occupait
beaucoup d’elle : miss Bingley n’avait d’yeux que
pour Mr. Darcy, sa sœur également ; Mr. Hurst, qui
se trouvait à côté d’Elizabeth, était un homme indolent
qui ne vivait que pour manger, boire, et jouer
aux cartes, et lorsqu’il eut découvert que sa voisine
préférait les plats simples aux mets compliqués, il
ne trouva plus rien à lui dire.

Le dîner terminé, elle remonta directement auprès
de Jane. Elle avait à peine quitté sa place que miss Bingley
se mettait à faire son procès : ses manières, mélange
de présomption et d’impertinence, furent déclarées
très déplaisantes ; elle était dépourvue de conversation
et n’avait ni élégance, ni goût, ni beauté.
Mrs. Hurst pensait de même et ajouta :
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/37==
<br/>

— Il faut lui reconnaître une qualité, celle d’être
une excellente marcheuse. Je n’oublierai jamais son
arrivée, ce matin ; son aspect était inénarrable !

— En effet, Louisa, j’avais peine à garder mon
sérieux. Est-ce assez ridicule de courir la campagne pour
une sœur enrhumée ! Et ses cheveux tout ébouriffés !

— Et son jupon ! Avez-vous vu son jupon ? Il avait
bien un demi-pied de boue que sa robe n’arrivait pas
à cacher.

— Votre description peut être très exacte, Louisa,
dit Bingley, mais rien de tout cela ne m’a frappé. Miss
Elizabeth Bennet m’a paru tout à fait à son avantage
quand elle est arrivée ce matin, et je n’ai pas remarqué
son jupon boueux.

— Vous, Mr. Darcy, vous l’avez remarqué, j’en
suis sûre, dit miss Bingley, et j’incline à penser que
vous n’aimeriez pas voir votre sœur s’exhiber dans
une telle tenue.

— Évidemment non.

— Faire ainsi je ne sais combien de milles dans la
boue, toute seule ! À mon avis, cela dénote un abominable
esprit d’indépendance et un mépris des convenances
des plus campagnards.

— À mes yeux, c’est une preuve très touchante de
tendresse fraternelle, dit Bingley.

— Je crains bien, Mr. Darcy, observa confidentiellement
miss Bingley, que cet incident ne fasse tort
à votre admiration pour les beaux yeux de miss Elizabeth.

— En aucune façon, répliqua Darcy : la marche
les avait rendus encore plus brillants.

Un court silence suivit ces paroles après lequel
Mrs. Hurst reprit :

— J’ai beaucoup de sympathie pour Jane Bennet
qui est vraiment charmante et je souhaite de tout
cœur lui voir faire un joli mariage, mais avec une
famille comme la sienne, je crains bien qu’elle n’ait
point cette chance.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/38==
<br/>

— Il me semble vous avoir entendu dire qu’elle
avait un oncle avoué à Meryton ?

— Oui, et un autre à Londres qui habite quelque
part du côté de Cheapside.

— Quartier des plus élégants, ajouta sa sœur, et
toutes deux se mirent à rire aux éclats.

— Et quand elles auraient des oncles à en remplir
Cheapside, s’écria Bingley, ce n’est pas cela qui les rendrait
moins aimables.

— Oui, mais cela diminuerait singulièrement leurs
chances de se marier dans la bonne société, répliqua
Darcy.

Bingley ne dit rien, mais ses sœurs approuvèrent
chaleureusement, et pendant quelque temps encore
donnèrent libre cours à leur gaieté aux dépens de la
parenté vulgaire de leur excellente amie.

Cependant, reprises par un accès de sollicitude, elles
montèrent à sa chambre en quittant la salle à manger
et restèrent auprès d’elle jusqu’à ce qu’on les appelât
pour le café. Jane souffrait toujours beaucoup et sa
sœur ne voulait pas la quitter ; cependant, tard dans
la soirée, ayant eu le soulagement de la voir s’endormir,
elle se dit qu’il serait plus correct, sinon plus
agréable, de descendre un moment.

En entrant dans le salon, elle trouva toute la société
en train de jouer à la mouche et fut immédiatement
priée de se joindre à la partie. Comme elle soupçonnait
qu’on jouait gros jeu, elle déclina l’invitation et,
donnant comme excuse son rôle de garde-malade, dit
qu’elle prendrait volontiers un livre pendant les
quelques instants où elle pouvait rester en bas.
Mr. Hurst la regarda, stupéfait.

— Préféreriez-vous la lecture aux cartes ? demanda-t-il.
Quel goût singulier !

— Miss Elizabeth Bennet dédaigne les cartes, répondit
miss Bingley, et la lecture est son unique
passion.

— Je ne mérite ni cette louange, ni ce reproche,
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/39==
répliqua Elizabeth. Je ne sais point aussi fervente de
lecture que vous l’affirmez, et je prends plaisir à beaucoup
d’autres choses.

— Vous prenez plaisir, j’en suis sûr, à soigner votre
sœur, intervint Bingley, et j’espère que ce plaisir sera
bientôt redoublé par sa guérison.

Elizabeth. remercia cordialement, puis se dirigea
vers une table où elle voyait quelques livres. Bingley
aussitôt lui offrit d’aller en chercher d’autres.

— Pour votre agrément, comme pour ma réputation,
je souhaiterais avoir une biliothèque mieux garnie,
mais voilà, je suis très paresseux, et, bien que je possède
peu de livres, je ne les ai même pas tous lus.

— Je suis surprise, dit miss Bingley, que mon père
ait laissé si peu de livres. Mais vous, Mr. Darcy, quelle
merveilleuse bibliothèque vous avez à Pemberley !

— Rien d’étonnant à cela, répondit-il, car elle est
l’œuvre de plusieurs générations.

— Et vous-même travaillez encore à l’enrichir.
Vous êtes toujours en train d’acheter des livres.

— Je ne comprends pas qu’on puisse négliger une
bibliothèque de famille !

— Je suis sûre que vous ne négligez rien de ce qui
peut ajouter à la splendeur de votre belle propriété.
Charles, lorsque vous vous ferez bâtir une résidence,
je vous conseille sérieusement d’acheter le terrain aux
environs de Pemberley et de prendre le manoir de
Mr. Darcy comme modèle. Il n’y a pas en Angleterre
de plus beau comté que le Derbyshire.

— Certainement. J’achèterai même Pemberley si
Darcy veut me le vendre.

— Charles, je parle de choses réalisables.

— Ma parole, Caroline, je crois qu’il serait plus
facile d’acheter Pemberley que de le copier.

Elizabeth intéressée par la conversation se laissa
distraire de sa lecture. Elle posa bientôt son livre et,
s’approchant de la table, prit place entre Mr. Bingley
et sa sœur aînée pour suivre la partie.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/40==
<br/>

— Miss Darcy a-t-elle beaucoup changé depuis ce
printemps ? dit miss Bingley. Promet-elle d’être aussi
grande que moi ?

— Je crois que oui ; elle est maintenant à peu près
de la taille de miss Elizabeth, ou même plus grande.

— Comme je serais heureuse de la revoir ! Je n’ai
jamais rencontré personne qui me fût plus sympathique.
Elle a des manières si gracieuses, elle est si
accomplie pour son âge ! Son talent de pianiste est vraiment
remarquable.

— Je voudrais savoir, dit Bingley, comment font
les jeunes filles pour acquérir tant de talents. Toutes
savent peindre de petites tables, broder des éventails,
tricoter des bourses ; je n’en connais pas une qui ne
sache faire tout cela ; jamais je n’ai entendu parler
d’une jeune fille sans être aussitôt informé qu’elle
était « parfaitement accomplie »

— Ce n’est que trop vrai, dit Darcy. On qualifie
ainsi nombre de femmes qui ne savent en effet que
broder un écran ou tricoter une bourse, mais je ne
puis souscrire à votre jugement général sur les femmes.
Pour ma part je n’en connais pas dans mes relations plus
d’une demi-douzaine qui méritent réellement cet éloge.

— Alors, observa Elizabeth, c’est que vous faites
entrer beaucoup de choses dans l’idée que vous vous
formez d’une femme accomplie.

— Beaucoup en effet.

— Oh ! sans doute, s’écria miss Bingley, sa fidèle
alliée, pour qu’une femme soit accomplie, il faut
qu’elle ait une connaissance approfondie de la musique,
du chant, de la danse et des langues étrangères.
Mais il faut encore qu’elle ait dans l’air, la démarche,
le son de la voix, la manière de s’exprimer, un certain
quelque chose faute de quoi ce qualificatif ne serait
qu’à demi mérité.

— Et à tout ceci, ajouta Mr. Darcy, elle doit ajouter
un avantage plus essentiel en cultivant son intelligence
par de nombreuses lectures.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/41==
<br/>

— S’il en est ainsi, je ne suis pas surprise que vous
ne connaissiez pas plus d’une demi-douzaine de femmes
accomplies. Je m’étonne plutôt que vous en connaissiez
autant.

— Êtes-vous donc si sévère pour votre propre sexe ?

— Non, mais je n’ai jamais vu réunis tant de capacités,
tant de goût, d’application et d’élégance.

Mrs. Hurst et miss Bingley protestèrent en chœur
contre l’injustice d’Elizabeth, affirmant qu’elles connaissaient
beaucoup de femmes répondant à ce portrait,
lorsque Mr. Hurst les rappela à l’ordre en se plaignant
amèrement de ce que personne ne prêtait attention
au jeu. La conversation se trouvant suspendue,
Elizabeth quitta peu après le salon.

— Elizabeth Bennet, dit miss Bingley dès que la
porte fut refermée, est de ces jeunes filles qui cherchent
à se faire valoir auprès de l’autre sexe en dénigrant le
leur, et je crois que beaucoup d’hommes s’y laissent
prendre ; mais c’est à mon avis un artifice bien méprisable.

— Sans aucun doute, répliqua Darcy à qui ces
paroles s’adressaient spécialement, il y a quelque chose
de méprisable dans ''tous'' les artifices que les femmes
s’abaissent à mettre en œuvre pour nous séduire.

Miss Bingley fut trop peu satisfaite par cette réponse
pour insister davantage sur ce sujet.

Lorsque Elizabeth reparut, ce fut seulement pour
dire que sa sœur était moins bien et qu’il lui était impossible
de la quitter. Bingley insistait pour qu’on
allât chercher immédiatement Mr. Jones, tandis que
ses sœurs, dédaignant ce praticien rustique, jugeaient
qu’il vaudrait mieux envoyer un exprès à Londres
pour ramener un des meilleurs médecins. Elizabeth
écarta formellement cette idée, mais elle accepta le
conseil de Mr. Bingley et il fut convenu qu’on irait
dès le matin chercher Mr. Jones si la nuit n’apportait
aucune amélioration à l’état de miss Bennet. Bingley
avait l’air très inquiet et ses sœurs se déclaraient
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/42==
navrées, ce, qui ne les empêcha pas de chanter des duos
après le souper tandis que leur frère calmait son
anxiété en faisant à la femme de charge mille recommandations pour le bien-être de la malade et de sa
sœur.




{{NouveauChapitre|9|from={{{from}}}|to={{{to}}}}}




<div style="text-align:center">IX</div>



Elizabeth passa la plus grande partie de la nuit
auprès de Jane ; mais le matin elle eut le plaisir de
donner de meilleures nouvelles à la domestique venue
de bonne heure de la part de Mr. Bingley, puis, un peu
plus tard, aux deux élégantes caméristes attachées au
service de ses sœurs. En dépit de cette amélioration
elle demanda qu’on fît porter à Longbourn un billet où
elle priait sa mère de venir voir Jane pour juger elle-même
de son état. Le billet fut aussitôt porté et la
réponse arriva peu après le déjeuner sous la forme de
Mrs. Bennet escortée de ses deux plus jeunes filles.

Mrs. Bennet, si elle avait trouvé Jane en danger,
aurait été certainement bouleversée ; mais, constatant
que son indisposition n’avait rien d’alamant, elle ne
désirait nullement la voir se rétablir trop vite, sa guérison
devant avoir pour conséquence son départ de
Netherfield. Avec cette arrière-pensée elle refusa
d’écouter Jane qui demandait à être transportée à
Longbourn. Au reste, le médecin, arrivé à peu près
au même moment, ne jugeait pas non plus la chose
raisonnable.

Quand elles eurent passé quelques instants avec
Jane, miss Bingley emmena ses visiteuses dans le
petit salon, et Bingley vint exprimer à Mrs. Bennet
l’espoir qu’elle n’avait pas trouvé sa fille plus souffrante
qu’elle ne s’y attendait.

— En vérité si, monsieur, répondit-elle. Elle est
même beaucoup trop malade pour qu’on puisse la
transporter à la maison. Mr. Jones dit qu’il n’y faut
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/43==
pas penser. Nous voilà donc obligées d’abuser encore
de votre hospitalité.

— La transporter chez vous ! s’écria Bingley. Mais
la question ne se pose même pas ! Ma sœur s’y refuserait
absolument.

— Vous pouvez être sûre, madame, dit miss Bingley
avec une froide politesse, que miss Bennet, tant
qu’elle restera ici, recevra les soins les plus empressés.

Mrs. Bennet se confondit en remerciements.

— Si vous ne vous étiez pas montrés aussi bons, je
ne sais ce qu’elle serait devenue, car elle est vraiment
malade et souffre beaucoup, bien qu’avec une patience
angélique comme à l’ordinaire. Cette enfant a le plus
délicieux caractère qu’on puisse imaginer et je dis
souvent à mes autres filles qu’elles sont loin de valoir
leur sœur. Cette pièce est vraiment charmante, master
Bingley, et quelle jolie vue sur cette allée sablée. Je
ne connais pas dans tout le voisinage une propriété
aussi agréable que Netherfield. Vous n’êtes pas pressé
de le quitter, je pense, bien que vous n’ayez pas fait
un long bail.

— Mes résolutions, madame, sont toujours prises
rapidement, et si je décidais de quitter Netherfield
la chose serait probablement faite en un quart d’heure.
Pour l’instant, je me considère comme fixé ici définitivement.

— Voilà qui ne me surprend pas de vous, dit Elizabeth.

— Eh quoi, fit-il en se tournant vers elle, vous
commencez déjà à me connaître.

— Oui, je commence à vous connaître parfaitement.

— Je voudrais voir dans ces mots un compliment,
mais je crains qu’il ne soit pas très flatteur d’être
pénétré aussi facilement.

— Pourquoi donc ? Une âme profonde et compliquée
n’est pas nécessairement plus estimable que la vôtre.

— Lizzy, s’écria sa mère, rappelez-vous où vous
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/44==
êtes et ne discourez pas avec la liberté qu’on vous
laisse prendre à la maison.

— Je ne savais pas, poursuivait Bingley, que vous
aimiez vous livrer à l’étude des caractères.

— La campagne, dit Darcy, ne doit pas vous fournir
beaucoup de sujets d’étude. La société y est généralement
restreinte et ne change guère.

— Oui, mais les gens eux-mêmes changent tellement
qu’il y a toujours du nouveau à observer.

— Assurément, intervint Mrs. Bennet froissée de
la façon dont Darcy parlait de leur entourage, et je
vous assure que sur ce point la province ne le cède
en rien à la capitale. Quels sont après tout les grands
avantages de Londres, à part les magasins et les lieux
publics ? La campagne est beaucoup plus agréable,
n’est-ce pas, Mr. Bingley ?

— Quand je suis à la campagne je ne souhaite
point la quitter, et quand je me trouve à Londres
je suis exactement dans les mêmes dispositions.

— Eh ! c’est que vous avez un heureux caractère.
Mais ce gentleman, — et Mrs. Bennet lança un regard
dans la direction de Darcy, — semble mépriser la
province.

— En vérité, maman, s’écria Elizabeth, vous vous
méprenez sur les paroles de Mr. Darcy. Il voulait
seulement dire qu’on ne rencontre pas en province
une aussi grande variété de gens qu’à Londres et
vous devez reconnaître qu’il a raison.

— Certainement, ma chère enfant, personne ne le
conteste, mais il ne faut pas dire que nous ne voyons
pas grand monde ici. Pour notre part, nous échangeons
des invitations à dîner avec vingt-quatre familles.

La sympathie de Mr. Bingley pour Elizabeth l’aida
seule à garder son sérieux. Sa sœur, moins délicate,
regarda Mr. Darcy avec un sourire significatif. Elizabeth,
voulant changer de conversation, demanda à sa
mère si Charlotte Lucas était venue à Longbourn
depuis son départ.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/45==
<br/>

— Oui, nous l’avons vue hier ainsi que son père.
Quel homme charmant que sir William, n’est-ce pas,
Mr. Bingley ? distingué, naturel, ayant toujours un
mot aimable à dire à chacun. C’est pour moi le type
de l’homme bien élevé, au contraire de ces gens tout
gonflés de leur importance qui ne daignent même pas
ouvrir la bouche.

— Charlotte a-t-elle dîné avec vous ?


— Non. Elle a tenu à retourner chez elle où on
l’attendait, je crois, pour la confection des « mincepies ».
Quant à moi, Mr. Bingley, je m’arrange
pour avoir des domestiques capables de faire seuls
leur besogne, et mes filles ont été élevées autrement.
Mais chacun juge à sa manière et les demoiselles
Lucas sont fort gentilles. C’est dommage seulement
qu’elles ne soient pas plus jolies ; non pas que je
trouve Charlotte vraiment laide, mais aussi, c’est
une amie tellement-intime…

— Elle m’a semblé fort aimable, dit Bingley.

— Oh ! certainement, mais il faut bien reconnaître
qu’elle n’est pas jolie. Mrs. Lucas en convient elle-même
et nous envie la beauté de Jane. Certes, je
n’aime pas faire l’éloge de mes enfants, mais une
beauté comme celle de Jane se voit rarement. À peine
âgée de quinze ans, elle a rencontré à Londres, chez
mon frère Gardiner, un monsieur à qui elle plut tellement
que ma belle-sœur s’attendait à ce qu’il la
demandât en mariage. Il n’en fit rien toutefois —
sans doute la trouvait-il trop jeune, — mais il a écrit
sur elle des vers tout à fait jolis.

— Et ainsi, dit Elizabeth avec un peu d’impatience,
se termina cette grande passion. Ce n’est pas la seule
dont on ait triomphé de cette façon, et je me demande
qui, le premier, a eu l’idée de se servir de la poésie
pour se guérir de l’amour.

— J’avais toujours été habitué, dit Darcy, à considérer
la poésie comme l’aliment de l’amour.

— Oh ! d’un amour vrai, sain et vigoureux, {{tiret|peut|peut-être !}}
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/46==
{{tiret2|être !|peut-être !}} Tout fortifie ce qui est déjà fort. Mais lorsqu’il
s’agit d’une pauvre petite inclination, je suis sûre
qu’un bon sonnet peut en avoir facilement raison.

Darcy répondit par un simple sourire. Dans la
crainte d’un nouveau discours intempestif de sa mère,
Elizabeth aurait voulu continuer ; mais avant qu’elle
eût pu trouver un autre sujet de conversation, Mrs. Bennet
avait recommencé la litanie de ses remerciements
pour l’hospitalité offerte à ses deux filles. Mr. Bingley
répondit avec naturel et courtoisie, sa sœur avec
politesse, sinon avec autant de bonne grâce, et, satisfaite,
Mrs. Bennet ne tarda pas à redemander sa voiture.

À ce signal, Lydia s’avança : elle avait chuchoté
avec Kitty tout le temps de la visite et toutes deux
avaient décidé de rappeler à Mr. Bingley la promesse
qu’il avait faite à son arrivée de donner un
bal à Netherfield. Lydia était une belle fille fraîche,
joyeuse, et pleine d’entrain ; bien qu’elle n’eût que
quinze ans, sa mère dont elle était la préférée la conduisait
déjà dans le monde. Les assiduités des officiers
de la milice qu’attiraient les bons dîners de son oncle,
et qu’encourageaient sa liberté d’allures, avaient transformé
son assurance naturelle en un véritable aplomb.
Il n’y avait donc rien d’étonnant à ce qu’elle rappelât
à Mr. Bingley sa promesse, en ajoutant que ce serait
« vraiment honteux » s’il ne la tenait pas.

La réponse de Mr. Bingley à cette brusque mise
en demeure dut charmer les oreilles de Mrs. Bennet.

— Je vous assure que je suis tout prêt à tenir mes
engagements, et, dès que votre sœur sera remise,
vous fixerez vous-même le jour. Vous n’auriez pas le
cœur, je pense, de danser pendant qu’elle est malade.

Lydia se déclara satisfaite. En effet, ce serait mieux
d’attendre la guérison de Jane ; et puis, à ce moment
sans doute, le capitaine Carter serait revenu à Meryton.

— Et quand vous aurez donné votre bal, {{tiret|ajouta|ajouta-t-elle,}}
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/47==
{tiret2|t-elle,|ajouta-t-elle,}} j’insisterai auprès du colonel Forster pour que
les officiers en donnent un également.

Mrs. Bennet et ses filles prirent alors congé. Elizabeth
remonta immédiatement auprès de Jane, laissant
à ces dames et à Mr. Darcy la liberté de critiquer
à leur aise son attitude et celle de sa famille.






{{NouveauChapitre|10|from={{{from}}}|to={{{to}}}}}




<div style="text-align:center">X</div>



La journée s’écoula, assez semblable à la précédente.
Mrs. Hurst et miss Bingley passèrent quelques
heures de l’après-midi avec la malade qui continuait,
bien que lentement, à se remettre et, dans la soirée,
Elizabeth descendit rejoindre ses hôtes au salon.

La table de jeu, cette fois, n’était pas dressée.
Mr. Darcy écrivait une lettre et miss Bingley, assise
auprès de lui, l’interrompait à chaque instant pour le
charger de messages pour sa sœur. Mr. Hurst et
Mr. Bingley faisaient une partie de piquet que suivait
Mrs. Hurst.

Elizabeth prit un ouvrage mais fut bientôt distraite
par les propos échangés entre Darcy et sa voisine.
Les compliments que lui adressait constamment
celle-ci sur l’élégance et la régularité de son écriture
ou sur la longueur de sa lettre, et la parfaite indifférence
avec laquelle ces louanges étaient accueillies
formaient une amusante opposition, tout en confirmant
l’opinion qu’Elizabeth se faisait de l’un et de l’autre.

— Comme miss Darcy sera contente de recevoir
une si longue lettre !

Point de réponse.

— Vous écrivez vraiment avec une rapidité merveilleuse.

— Erreur. J’écris plutôt lentement.

— Vous direz à votre sœur qu’il me tarde beaucoup
de la voir.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/48==
<br/>

— Je le lui ai déjà dit une fois à votre prière.

— Votre plume grince ! Passez-la-moi. J’ai un talent
spécial pour tailler les plumes.

— Je vous remercie, mais c’est une chose que je
fais toujours moi-même.

— Comment pouvez-vous écrire si régulièrement ?

— …

— Dites à votre sœur que j’ai été enchantée d’apprendre
les progrès qu’elle a faits sur la harpe. Dites-lui
aussi que son petit croquis m’a plongée dans le
ravissement : il est beaucoup plus réussi que celui de
miss Grantley.

— Me permettez-vous de réserver pour ma prochaine
lettre l’expression de votre ravissement ? Actuellement,
il ne me reste plus de place.

— Oh ! cela n’a pas d’importance. Je verrai
du reste votre sœur en janvier. Lui écrivez-vous
chaque fois d’aussi longues et charmantes missives,
Mr. Darcy ?

— Longues, oui ; charmantes, ce n’est pas à moi
de les juger telles.

— À mon avis, des lettres écrites avec autant de
facilité sont toujours agréables.

— Votre compliment tombe à faux, Caroline,
s’écria son frère. Darcy n’écrit pas avec facilité ; il
recherche trop les mots savants, les mots de quatre
syllabes, n’est-ce pas, Darcy ?

— Mon style épistolaire est évidemment très diférent
du vôtre.

— Oh ! s’écria miss Bingley, Charles écrit d’une
façon tout à fait désordonnée ; il oublie la moitié des
mots et barbouille le reste.

— Les idées se pressent sous ma plume si abondantes
que je n’ai même pas le temps de les exprimer.
C’est ce qui explique pourquoi mes lettres en sont
quelquefois totalement dépourvues.

— Votre humilité devrait désarmer la critique,
master Bingley, dit Elizabeth.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/49==
<br/>

— Humilité apparente, dit Darcy, et dont il ne
faut pas être dupe. Ce n’est souvent que dédain de
l’opinion d’autrui et parfois même prétention dissimulée.

— Lequel de ces deux termes appliquez-vous au
témoignage de modestie que je viens de vous donner ?

— Le second. Au fond, vous êtes fier des défauts
de votre style que vous attribuez à la rapidité de votre
pensée et à une insouciance d’exécution que vous
jugez originale. On est toujours fier de faire quelque
chose rapidement et l’on ne prend pas garde aux
imperfections qui en résultent. Lorsque vous avez dit
ce matin à Mrs. Bennet que vous vous décideriez
en cinq minutes à quitter Netherfield, vous entendiez
provoquer son admiration. Pourtant, qu’y a-t-il de
si louable dans une précipitation qui oblige à laisser
inachevées des affaires importantes et qui ne peut
être d’aucun avantage à soi ni à personne ?

— Allons ! Allons ! s’écria Bingley, on ne doit pas
rappeler le soir les sottises qui ont été dites le matin.
Et cependant, sur mon honneur, j’étais sincère et ne
songeais nullement à me faire valoir devant ces dames
par une précipitation aussi vaine.

— J’en suis convaincu, mais j’ai moins de certitude
quant à la promptitude de votre départ. Comme
tout le monde, vous êtes à la merci des circonstances,
et si au moment où vous montez à cheval un ami venait
vous dire : « Bingley, vous feriez mieux d’attendre
jusqu’à la semaine prochaine, » il est plus que probable
que vous ne partiriez pas. Un mot de plus, et vous
resteriez un mois.

— Vous nous prouvez par là, s’écria Elizabeth,
que Mr. Bingley s’est calomnié, et vous le faites valoir
ainsi bien plus qu’il ne l’a fait lui même.

— Je suis très touché, répondit Bingley, de voir
transformer la critique de mon ami en un éloge de
mon bon caractère. Mais je crains que vous ne trahissiez
sa pensée ; car il m’estimerait sûrement {{tiret|davan|davantage}}
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/50==
{{tiret2|tage|davantage}} si en une telle occasion je refusais tout net,
sautais à cheval et m’éloignais à bride abattue !

— Mr. Darcy estime donc que votre entêtement
à exécuter votre décision rachèterait la légèreté avec
laquelle vous l’auriez prise ?

— J’avoue qu’il m’est difficile de vous dire au juste
ce qu’il pense : je lui passe la parole.

— Vous me donnez à défendre une opinion que
vous m’attribuez tout à fait gratuitement ! Admettons
cependant le cas en question : rappelez-vous,
miss Bennet, que l’ami qui cherche à le retenir ne
lui offre aucune raison pour le décider à rester.

— Alors, céder aimablement à la requête d’un ami
n’est pas un mérite, à vos yeux ?

— Non. Céder sans raison ne me paraît être honorable
ni pour l’un, ni pour l’autre.

— Il me semble, Mr. Darcy, que vous comptez
pour rien le pouvoir de l’affection. On cède souvent
à une demande par pure amitié sans avoir besoin
d’y être décidé par des motifs ou des raisonnements.
Laissons pour l’instant jusqu’à ce qu’il se présente
le cas que vous avez imaginé pour Mr. Bingley. D’une
façon générale, si quelqu’un sollicite un ami de modifier
une résolution, d’ailleurs peu importante, blâmerez-vous
ce dernier d’y consentir sans attendre qu’on lui
donne des arguments capables de le persuader ?

— Avant de pousser plus loin ce débat, ne conviendrait-il
pas de préciser l’importance de la question,
aussi bien que le degré d’intimité des deux amis ?

— Alors, interrompit Bingley, n’oublions aucune
des données du problème, y compris la taille et le
poids des personnages, ce qui compte plus que vous
ne croyez, miss Bennet. Je vous assure que si Darcy
n’était pas un gaillard si grand et si vigoureux je ne
lui témoignerais pas moitié autant de déférence. Vous
ne pouvez vous imaginer la crainte qu’il m’inspire
parfois ; chez lui, en particulier, le dimanche soir,
lorsqu’il n’a rien à faire.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/51==
<br/>

Mr. Darcy sourit, mais Elizabeth crut deviner qu’il
était un peu vexé et se retint de rire. Miss Bingley,
indignée, reprocha à son frère de dire tant de sottises.

— Je vois ce que vous cherchez, Bingley, lui dit
son ami. Vous n’aimez pas les discussions et voulez
mettre un terme à celle-ci.

— Je ne dis pas non. Les discussions ressemblent
trop à des querelles. Si vous et miss Bennet voulez
bien attendre que je sois hors du salon, je vous en
serai très reconnaissant, et vous pourrez dire de moi
tout ce que vous voudrez.

— Ce ne sera pas pour moi un grand sacrifice, dit
Elizabeth, et Mr. Darcy, de son côté, ferait mieux de
terminer sa lettre.

Mr. Darcy suivit ce conseil et, quand il eut fini
d’écrire, il pria miss Bingley et Elizabeth de bien
vouloir faire un peu de musique. Miss Bingley s’élança
vers le piano et après avoir poliment offert à Elizabeth
de jouer la première, — ce que celle-ci refusa avec
autant de politesse et plus de conviction, — elle s’installa
elle-même devant le clavier.

Mrs. Hurst chanta accompagnée par sa sœur. Elizabeth
qui feuilletait des partitions éparses sur le
piano ne put s’empêcher de remarquer que le regard
de Mr. Darcy se fixait souvent sur elle. Il était impossible
qu’elle inspirât un intérêt flatteur à ce hautain
personnage ! D’autre part, supposer qu’il la regardait
parce qu’elle lui déplaisait était encore moins vraisemblable.
« Sans doute, finit-elle par se dire, y a-t-il
en moi quelque chose de répréhensible qui attire son
attention. » Cette supposition ne la troubla point ; il
ne lui était pas assez sympathique pour qu’elle se
souciât de son opinion.

Après avoir joué quelques chansons italiennes, miss
Bingley, pour changer, attaqua un air écossais vif et
alerte.

— Est-ce que cela ne vous donne pas grande envie
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/52==
de danser un ''reel'' <ref>Reel : danse écossaise.</ref>, miss Bennet ? dit Darcy en
s’approchant.

Elizabeth sourit mais ne fit aucune réponse.

Un peu surpris de son silence, il répéta sa question.

— Oh ! dit-elle, je vous avais bien entendu la première
fois, mais ne savais tout d’abord que vous
répondre. Vous espériez, j’en suis sûre, que je dirais
oui, pour pouvoir ensuite railler mon mauvais goût.
Mais j’ai toujours plaisir à déjouer de tels desseins et
à priver quelqu’un de l’occasion de se moquer de moi.
Je vous répondrai donc que je n’ai aucune envie de
danser un ''reel''. Et maintenant, riez de moi si vous l’osez.

— Je ne me le permettrais certainement pas.

Elizabeth, qui pensait l’avoir vexé, fut fort étonnée
de cette aimable réponse, mais il y avait chez elle
un mélange d’espièglerie et de charme qui empêchaient
ses manières d’être blessantes, et jamais encore une
femme n’avait exercé sur Darcy une pareille séduction.
« En vérité, pensait-il, sans la vulgarité de sa
famille, je courrais quelque danger. »

Miss Bingley était assez clairvoyante pour que sa
jalousie fût en éveil et sa sollicitude pour la santé de
sa chère Jane se doublait du désir d’être débarrassée
d’Elizabeth. Elle essayait souvent de rendre la jeune
fille antipathique à Darcy en plaisantant devant lui
sur leur prochain mariage et sur le bonheur qui l’attendait
dans une telle alliance.

— J’espère, lui dit-elle le lendemain, tandis qu’ils se
promenaient dans la charmille, que, lors de cet heureux
événement, vous donnerez à votre belle-mère
quelques bons conseils sur la nécessité de tenir sa
langue, et que vous essayerez de guérir vos belles-sœurs
de leur passion pour les militaires ; et, s’il m’est
permis d’aborder un sujet aussi délicat, ne pourriez-vous
faire aussi disparaître cette pointe d’impertinence
et de suffisance qui caractérise la dame de vos pensées ?
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/53==
<br/>

— Avez-vous d’autres conseils à me donner en vue
de mon bonheur domestique ?

— Encore ceci : n’oubliez pas de mettre les portraits
de l’oncle et de la tante Philips dans votre
galerie à Pemberley et placez-les à côté de celui de
votre grand-oncle le juge. Ils sont un peu de la même
profession, n’est-ce pas ? Quant à votre Elizabeth, inutile
d’essayer de la faire peindre. Quel artiste serait
capable de rendre des yeux aussi admirables ?

À ce moment, Mrs. Hurst et Elizabeth débouchèrent
d’une allée transversale.

— Je ne savais pas que vous vous promeniez aussi,
dit miss Bingley un peu confuse à l’idée qu’on avait
pu surprendre sa conversation avec Darcy.

— C’est très mal à vous, répondit Mrs. Hurst, d’avoir
disparu ainsi sans nous dire que vous sortiez. Et,
s’emparant de l’autre bras de Mr. Darcy, elle laissa
Elizabeth seule en arrière. On ne pouvait marcher
dans le sentier qu’à trois de front. Mr. Darcy, conscient
de l’impolitesse de ses compagnes, dit aussitôt :

— Cette allée n’est pas assez large ; si nous allions
dans l’avenue ?

— Non, non, dit Elizabeth en riant, vous faites à
vous trois un groupe charmant dont ma présence
romprait l’harmonie. Adieu !

Et elle s’enfuit gaiement, heureuse à, l’idée de se
retrouver bientôt chez elle. Jane se remettait si bien
qu’elle avait l’intention de quitter sa chambre une
heure ou deux ce soir-là.






{{NouveauChapitre|11|from={{{from}}}|to={{{to}}}}}




<div style="text-align:center">XI</div>



Lorsque les dames se levèrent de table à la fin du
dîner, Elizabeth remonta en courant chez sa sœur et,
après avoir veillé à ce qu’elle fût bien couverte, redescendit
avec elle au salon. Jane fut accueillie par ses
amies avec de grandes démonstrations de joie. Jamais
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/54==
Elizabeth ne les avait vues aussi aimables que pendant
l’heure qui suivit. Elles avaient vraiment le don
de la conversation, pouvaient faire le récit détaillé
d’une partie de plaisir, conter une anecdote avec
humour et se moquer de leurs relations avec beaucoup
d’agrément. Mais quand les messieurs rentrèrent au
salon, Jane passa soudain au second plan.

Mr. Darcy, dès son entrée, fut interpellé par miss
Bingley mais il s’adressa d’abord à miss Bennet pour
la féliciter poliment de sa guérison. Mr. Hurst lui fit
aussi un léger salut en murmurant : « Enchanté ! »
mais l’accueil de Bingley se distingua par sa chaleur
et sa cordialité ; plein de joie et de sollicitude, il passa
la première demi-heure à empiler du bois dans le feu
de crainte que Jane ne souffrît du changement de
température. Sur ses instances, elle dut se placer de
l’autre côté de la cheminée afin d’être plus loin de la
porte ; il s’assit alors auprès d’elle et se mit à l’entretenir
sans plus s’occuper des autres. Elizabeth qui
travaillait un peu plus loin observait cette petite scène
avec une extrême satisfaction.

Après le thé, Mr. Hurst réclama sans succès la table
de jeu. Sa belle-sœur avait découvert que Mr. Darcy
n’appréciait pas les cartes. Elle affirma que personne
n’avait envie de jouer et le silence général parut lui
donner raison. Mr. Hurst n’eut donc d’autre ressource
que de s’allonger sur un sofa et de s’y endormir. Darcy
prit un livre, miss Bingley en fit autant ; Mrs. Hurst,
occupée surtout à jouer avec ses bracelets et ses bagues,
plaçait un mot de temps à autre dans la conversation
de son frère et de miss Bennet.

Miss Bingley était moins absorbée par sa lecture que
par celle de Mr. Darcy et ne cessait de lui poser des
questions ou d’aller voir à quelle page il en était ; mais
ses tentatives de conversation restaient infructueuses ;
il se contentait de lui répondre brièvement sans interrompre
sa lecture. À la fin, lasse de s’intéresser à un
livre qu’elle avait pris uniquement parce que c’était
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/55==
le second volume de l’ouvrage choisi par Darcy, elle
dit en étouffant un bâillement :

— Quelle agréable manière de passer une soirée !
Nul plaisir, vraiment, ne vaut la lecture ; on ne s’en
lasse jamais tandis qu’on se lasse du reste. Lorsque
j’aurai une maison à moi, je serai bien malheureuse
si je n’ai pas une très belle bibliothèque.

Personne n’ayant répondu, elle bâilla encore une
fois, mit son livre de côté et jeta les yeux autour d’elle
en quête d’une autre distraction. Entendant alors son
frère parler d’un bal à miss Bennet, elle se tourna soudain
de son côté en disant :

— À propos, Charles, est-ce sérieusement que vous
songez à donner un bal à Netherfield ? Vous feriez
mieux de nous consulter tous avant de rien décider.
Si je ne me trompe, pour certains d’entre nous ce bal
serait plutôt une pénitence qu’un plaisir.

— Si c’est à Darcy que vous pensez, répliqua son
frère, libre à lui d’aller se coucher à huit heures ce soir-là.
Quant au bal, c’est une affaire décidée et dès que
Nichols aura préparé assez de « blanc manger » j’enverrai
mes invitations.

— Les bals me plairaient davantage s’ils étaient
organisés d’une façon différente. Ces sortes de réunions
sont d’une insupportable monotonie. Ne serait-il pas
beaucoup plus raisonnable d’y donner la première place
à la conversation et non à la danse ?

— Ce serait beaucoup mieux, sans nul doute, ma
chère Caroline, mais ce ne serait plus un bal.

Miss Bingley ne répondit point et, se levant, se mit
à se promener à travers le salon. Elle avait une
silhouette élégante et marchait avec grâce, mais Darcy
dont elle cherchait à attirer l’attention restait inexorablement
plongé dans son livre. En désespoir de cause
elle voulut tenter un nouvel effort et, se tournant vers
Elizabeth :

— Miss Eliza Bennet, dit-elle, suivez donc mon
exemple et venez faire le tour du salon. Cet exercice
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/56==
est un délassement, je vous assure, quand on est resté
si longtemps immobile.

Elizabeth, bien que surprise, consentit, et le but
secret de miss Bingley fut atteint : Mr. Darcy leva les
yeux. Cette sollicitude nouvelle de miss Bingley à
l’égard d’Elizabeth le surprenait autant que celle-ci,
et, machinalement, il ferma son livre. Il fut aussitôt
prié de se joindre à la promenade, mais il déclina l’invitation :
il ne voyait, dit-il, que deux motifs pour les
avoir décidées à faire les cent pas ensemble et, dans
un cas comme dans l’autre, jugeait inopportun de se
joindre à elles. Que signifiaient ces paroles ? Miss Bingley
mourait d’envie de le savoir, et demanda à Elizabeth
si elle comprenait.

— Pas du tout, répondit-elle. Mais soyez sûre qu’il
y a là-dessous une méchanceté à notre adresse. Le
meilleur moyen de désappointer Mr. Darcy est donc
de ne rien lui demander.

Mais désappointer Mr. Darcy était pour miss Bingley
une chose impossible et elle insista pour avoir une
explication.

— Rien n’empêche que je vous la donne, dit-il, dès
qu’elle lui permit de placer une parole ; vous avez
choisi ce passe-temps soit parce que vous avez des
confidences à échanger, soit pour nous faire admirer
l’élégance de votre démarche. Dans le premier cas je
serais de trop entre vous et, dans le second, je suis
mieux placé pour vous contempler, assis au coin du
feu.

— Quelle abomination ! s’écria miss Bingley. A-t-on,
jamais rien entendu de pareil ? Comment pourrions-nous
le punir d’un tel discours ?

— C’est bien facile, si vous en avez réellement le
désir. Taquinez-le, moquez-vous de lui. Vous êtes assez
intimes pour savoir comment vous y prendre.

— Mais pas le moins du monde, je vous assure. Le
moyen de s’attaquer à un homme d’un calme aussi
imperturbable et d’une telle présence d’esprit. Non,
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/57==
non ; c’est être vaincu d’avance. Nous n’aurons pas
l’imprudence de rire de lui sans sujet. Mr. Darcy peut
donc triompher.

— Comment ? On ne peut pas rire de Mr. Darcy ? Il
possède là un avantage bien rare !<ref>correction : . ! -> !</ref>

— Miss Bingley, dit celui-ci, me fait trop d’honneur.
Les hommes les meilleurs et les plus sages, ou,
si vous voulez, les meilleurs et les plus sages de leurs
actes peuvent toujours être tournés en ridicule par
ceux qui ne songent qu’à plaisanter.

— J’espère, dit Elizabeth, que je ne suis pas de ce
nombre et que je ne tourne jamais en ridicule ce qui
est respectable. Les sottises, les absurdités, les caprices
d’autrui me divertissent, je l’avoue, et j’en ris chaque
fois que j’en ai l’occasion ; mais Mr. Darcy, je le suppose,
n’a rien à faire avec de telles faiblesses.

— Peut-être est-ce difficile, mais j’ai pris à tâche
d’éviter les faiblesses en question, car elles amoindrissent
les esprits les mieux équilibrés.

— La vanité et l’orgueil, par exemple ?

— Oui, la vanité est véritablement une faiblesse,
mais l’orgueil, chez un esprit supérieur, se tiendra toujours
dans de justes limites.

Elizabeth se détourna pour cacher un sourire.

— Avez-vous fini l’examen de Mr. Darcy ? demanda
miss Bingley. Pouvons-nous en savoir le résultat ?

— Certainement. Mr. Darcy n’a pas de défaut, il
l’avoue lui-même sans aucune fausse honte.

— Non, dit Darcy, je suis bien loin d’être aussi présomptueux.
J’ai bon nombre de défauts mais je me
flatte qu’ils n’affectent pas mon jugement. Je n’ose
répondre de mon caractère ; je crois qu’il manque de
souplesse — il n’en a certainement pas assez au gré
d’autrui. — J’oublie difficilement les offenses qui me
sont faites et mon humeur mériterait sans doute l’épithète
de vindicative. On ne me fait pas aisément
changer d’opinion. Quand je retire mon estime à
quelqu’un, c’est d’une façon définitive.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/58==
<br/>

— Être incapable de pardonner ! Eh bien ! voilà
qui est un défaut ! Mais vous l’avez bien choisi ; il
m’est impossible d’en rire.

— Il y a, je crois, en chacun de nous, un défaut
naturel que la meilleure éducation ne peut arriver à
faire disparaître.

— Le vôtre est une tendance à mépriser vos semblables.

— Et le vôtre, répliqua-t-il avec un sourire, est de
prendre un malin plaisir à défigurer leur pensée.

— Faisons un peu de musique, voulez-vous ? proposa
miss Bingley, fatiguée d’une conversation où elle
n’avait aucune part. Vous ne m’en voudrez pas,
Louisa, de réveiller votre mari ?

Mrs. Hurst n’ayant fait aucune objection, le piano
fut ouvert et Darey, à la réflexion, n’en fut pas fâché.
Il commençait à sentir qu’il y avait quelque danger à
trop s’occuper d’Elizabeth.






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<div style="text-align:center">XII</div>



Comme il avait été convenu entre les deux sœurs,
Elizabeth écrivit le lendemain matin à sa mère pour
lui demander de leur envoyer la voiture dans le cours
de la journée. Mais Mrs. Bennet qui avait calculé que
ses filles resteraient une semaine entière à Netherfield
envisageait sans plaisir un si prompt retour. Elle répondit
donc qu’elles ne pourraient pas avoir la voiture
avant le mardi, ajoutant en post-scriptum que si l’on
insistait pour les garder plus longtemps on pouvait
bien se passer d’elles à Longbourn.

Elizabeth repoussait l’idée de rester davantage à
Netherfield ; d’ailleurs elle ne s’attendait pas à recevoir
une invitation de ce genre et craignait, au contraire,
qu’en prolongeant sans nécessité leur séjour
elle et sa sœur ne parussent indiscrètes. Elle insista
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/59==
donc auprès de Jane pour que celle-ci priât Mr. Bingley
de leur prêter sa voiture et elles décidèrent d’annoncer
à leurs hôtes leur intention de quitter Netherfield
le jour même.

De nombreuses protestations accueillirent cette
communication et de telles instances furent faites que
Jane se laissa fléchir et consentit à rester jusqu’au
lendemain. Miss Bingley regretta alors d’avoir proposé
ce délai, car la jalousie et l’antipathie que lui inspirait
l’une des deux sœurs l’emportaient de beaucoup sur
son affection pour l’autre.

Le maître de la maison ne pouvait se résigner à les
voir partir si vite et, à plusieurs reprises, essaya de persuader
à miss Bennet qu’elle n’était pas encore assez
rétablie pour voyager sans imprudence. Mais, sûre
d’agir raisonnablement, Jane ne céda pas.

Quant à Mr. Darcy il apprit la nouvelle sans déplaisir :
Elizabeth était restée assez longtemps à
Netherfield et il se sentait attiré vers elle plus qu’il
ne l’aurait voulu. D’un autre côté, miss Bingley la
traitait avec peu de politesse et le harcelait lui-même
de ses moqueries. Il résolut sagement de ne laisser
échapper aucune marque d’admiration, aucun signe
qui pût donner à Elizabeth l’idée qu’elle possédait la
moindre influence sur sa tranquillité. Si un tel espoir
avait pu naître chez elle, il était évident que la conduite
de Darcy pendant cette dernière journée devait
agir de façon définitive, ou pour le confirmer, ou pour
le détruire.

Ferme dans sa résolution, c’est à peine s’il adressa
la parole à Elizabeth durant toute la journée du samedi
et, dans un tête-à-tête d’une demi-heure avec
elle, resta consciencieusement plongé dans son livre
sans même lui jeter un regard.

Le dimanche après l’office du matin eut lieu cette
séparation presque unanimement souhaitée. Miss Bingley,
au moment des adieux, sentit s’augmenter son
affection pour Jane et redevint polie envers Elizabeth ;
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/60==
elle embrassa l’une tendrement en l’assurant de la joie
qu’elle aurait toujours à la revoir et serra la main de
l’autre presque amicalement. Elizabeth, de son côté,
se sentait de très joyeuse humeur en prenant congé.

L’accueil qu’elles reçurent de leur mère en arrivant
à Longbourn fut moins cordial. Mrs. Bennet s’étonna
de leur retour et les blâma sévèrement d’avoir donné
à leurs hôtes l’embarras de les faire reconduire. De
plus, elle était bien sûre que Jane avait repris froid ;
mais leur père, malgré l’expression laconique de son
contentement, était très heureux de les voir de retour.
Ses filles aînées lui avaient beaucoup manqué ; il avait
senti la place qu’elles occupaient à son foyer, et les
veillées familiales, en leur absence, avaient perdu beaucoup
de leur animation et presque tout leur charme.

Elles trouvèrent Mary plongée dans ses grandes
études et, comme d’habitude, prête à leur lire les derniers
extraits de ses lectures accompagnées de réflexions
philosophiques peu originales. Catherine et
Lydia avaient des nouvelles d’un tout autre genre ; il
s’était passé beaucoup de choses au régiment depuis
le précédent mercredi : plusieurs officiers étaient venus
dîner chez leur oncle ; un soldat avait été fustigé et
le bruit du prochain mariage du colonel Forster commençait
à se répandre.






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<div style="text-align:center">XIII</div>



— J’espère, ma chère amie, que vous avez commandé
un bon dîner pour ce soir, dit Mr. Bennet à sa
femme en déjeunant le lendemain, car il est probable
que nous aurons un convive.

— Et qui donc, mon ami ? Je ne vois personne qui
soit dans le cas de venir, sauf peut-être Charlotte Lucas,
et je pense que notre ordinaire peut lui suffire.

— Le convive dont je parle est un gentleman et un
étranger.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/61==
<br/>

Les yeux de Mrs. Bermet étincelèrent.

— Un gentleman et un étranger ! Alors ce ne peut
être que Mr. Bingley ! Oh ! Jane ! petite rusée, vous
n’en aviez rien dit… Assurément je serai ravie de voir
Mr. Bingley. Mais, grand Dieu ! Comme c’est ennuyeux
qu’on ne puisse pas trouver de poisson aujourd’hui !
Lydia, mon amour, sonnez vite ! Il faut que je parle
tout de suite à la cuisinière.

— Ce n’est pas Mr. Bingley, intervint son mari ;
c’est quelqu’un que je n’ai jamais vu.

Cette déclaration provoqua un étonnement général
suivi d’un déluge de questions que Mr. Bennet
se fit un malin plaisir de laisser quelque temps sans
réponse.

À la fin, il consentit à s’expliquer.

— J’ai reçu, il y a un mois environ, la lettre que
voici et à laquelle j’ai répondu il y a quinze jours seulement
car l’affaire dont il s’agissait était délicate
et demandait réflexion. Cette lettre est de mon cousin,
Mr. Collins, qui, à ma mort, peut vous mettre toutes
à la porte de cette maison aussitôt qu’il lui plaira.

— Ah ! mon ami, s’écria sa femme, je vous en prie,
ne nous parlez pas de cet homme odieux. C’est certainement
une calamité que votre domaine doive être
ainsi arraché à vos propres filles, et je sais qu’à votre
place je me serais arrangée d’une façon ou d’une
autre pour écarter une telle perspective.

Jane et Elizabeth s’efforcèrent, mais en vain, de
faire comprendre à leur mère ce qu’était un « entail » <ref>Disposition par laquelle un domaine, à défaut d’héritier
mâle, passe à une autre branche de la famille.</ref>.
Elles l’avaient déjà tenté plusieurs fois ;
mais c’était un sujet sur lequel Mrs. Bennet se refusait
à entendre raison, et elle n’en continua pas moins
à protester amèrement contre la cruauté qu’il y avait
à déshériter une famille de cinq filles en faveur d’un
homme dont personne ne se souciait.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/62==
<br/>

— C’est évidemment une iniquité, dit Mr. Bennet,
et rien ne peut laver Mr. Collins du crime d’être héritier
de Longbourn. Mais si vous voulez bien écouter
sa lettre, les sentiments qu’il y exprime vous adouciront
peut-être un peu.

— Ah ! pour cela non ! J’en suis certaine. Je pense
au contraire que c’est de sa part le comble de l’impertinence
et de l’hypocrisie que de vous écrire. Que
ne reste-t-il brouillé avec vous comme l’était son père ?

— Il paraît justement avoir eu, à cet égard, quelques
scrupules, ainsi que vous allez l’entendre :

:::::<small>« Hunsford, par Westerham, Kent. 15 octobre.</small>

« Cher monsieur,

« Le désaccord subsistant entre vous et mon regretté
père m’a toujours été fort pénible, et depuis
que j’ai eu l’infortune de le perdre, j’ai souvent souhaité
d’y remédier. Pendant quelque temps j’ai été retenu
par la crainte de manquer à sa mémoire en me réconciliant
avec une personne pour laquelle, toute sa vie,
il avait professé des sentiments hostiles… » — Vous
voyez, Mrs. Bennet !… « Néanmoins, j’ai fini par
prendre une décision. Ayant reçu à Pâques l’ordination,
j’ai eu le privilège d’être distingué par la Très
Honorable lady Catherine de Bourgh, veuve de sir
Lewis de Bourgh, à la bonté et à la générosité de laquelle
je dois l’excellente cure de Hunsford où mon
souci constant sera de témoigner ma respectueuse
reconnaissance à Sa Grâce, en même temps que mon
empressement à célébrer les rites et cérémonies instituées
par l’Église d’Angleterre.

« En ma qualité d’ecclésiastique, je sens qu’il est
de mon devoir de faire avancer le règne de la paix
dans toutes les familles soumises à mon influence.
Sur ce terrain j’ose me flatter que mes avances ont
un caractère hautement recommandable, et vous
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/63==
oublierez, j’en suis sûr, le fait que je suis l’héritier
du domaine de Longbourn pour accepter le rameau
d’olivier que je viens vous offrir.

« Je suis réellement peiné d’être l’involontaire instrument
du préjudice causé à vos charmantes filles.
Qu’il me soit permis de vous exprimer mes regrets
en même temps que mon vif désir de leur faire accepter
tous les dédommagements qui sont en mon
pouvoir ; mais, de ceci, nous reparlerons plus tard.

« Si vous n’avez point de raison qui vous empêche
de me recevoir je me propose de vous rendre visite
le lundi 18 novembre à quatre heures, et j’abuserai
de votre hospitalité jusqu’au samedi de la semaine
suivante — ce que je puis faire sans inconvénients,
lady Catherine ne voyant pas d’objection à ce que je
m’absente un dimanche, pourvu que je me fasse remplacer
par un de mes confrères.

« Veuillez présenter mes respectueux compliments
à ces dames et me croire votre tout dévoué serviteur
et ami.

« {{sc|William Collins}}. »

— Donc, à quatre heures, nous verrons arriver ce
pacifique gentleman. C’est, semble-t-il, un jeune
homme extrêmement consciencieux et courtois et
nous aurons sans doute d’agréables relations avec lui
pour peu que lady Catherine daigne lui permettre de
revenir nous voir.

— Ce qu’il dit à propos de nos filles est plein de
raison, et s’il est disposé à faire quelque chose en leur
faveur, ce n’est pas moi qui le découragerai.

— Bien que je ne voie pas trop comment il pourrait
s’y prendre, dit Jane, le désir qu’il en a lui fait certainement
honneur.

Elizabeth était surtout frappée de l’extraordinaire
déférence exprimée par Mr. Collins à l’égard de lady
Catherine et de la solennité avec laquelle il affirmait
son intention de baptiser, marier, ou enterrer ses
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/64==
paroissiens, chaque fois que son ministère serait requis.

— Ce doit être un singulier personnage, dit-elle.
Son style est bien emphatique ; et que signifient ces
excuses d’être l’héritier de Longbourn ? Y changerait-il
quelque chose s’il le pouvait ? Pensez-vous que ce soit
un homme de grand sens, père ?

— Non, ma chère enfant ; je suis même assuré de
découvrir le contraire. Il y a dans sa lettre un mélange
de servilité et d’importance qui m’intrigue. J’attends
sa visite avec une vive impatience.

— Au point de vue du style, dit Mary, sa lettre
ne me semble pas défectueuse. L’idée du rameau d’olivier,
pour n’être pas très neuve, est néanmoins bien
exprimée.

Pour Catherine et Lydia, la lettre ni son auteur
n’étaient le moins du monde intéressants. Il y avait
peu de chances que leur cousin apparût avec un uniforme
écarlate et, depuis quelque temps, la société des
gens vêtus d’une autre couleur ne leur procurait plus
aucun plaisir. Quant à leur mère, la lettre de Mr. Collins
avait en grande partie dissipé sa mauvaise humeur
et elle se préparait à recevoir son hôte avec un calme
qui étonnait sa famille.

Mr. Collins arriva ponctuellement à l’heure dite et
fut reçu avec beaucoup de politesse par toute la famille.
Mr. Bennet parla peu, mais ces dames ne demandaient
qu’à parler à sa place. Mr. Collins de son
côté ne paraissait ni sauvage, ni taciturne. C’était
un grand garçon un peu lourd, à l’air grave et compassé
et aux manières cérémonieuses. À peine assis,
il se mit à complimenter Mrs. Bennet sur sa charmante
famille. Il avait, dit-il, beaucoup entendu vanter la
beauté de ses cousines, mais il constatait qu’en cette
circonstance le bruit public était au-dessous de la
vérité. Il ne doutait pas, ajouta-t-il, qu’en temps
voulu leur mère n’eût la joie de les voir toutes honorablement
établies. Ces galants propos n’étaient pas
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/65==
goûtés de même façon par tous ses auditeurs, mais
Mrs. Bennet, qui n’était point difficile sur les compliments,
répondit avec empressement :

— Ce que vous me dites là est fort aimable, monsieur,
et je souhaite fort que votre prévision se réalise,
autrement mes filles se trouveraient un jour dans une
situation bien fâcheuse avec des affaires aussi singulièrement
arrangées.

— Vous faites allusion peut-être à l’ « entail » de
ce domaine.

— Naturellement, monsieur, et vous devez reconnaître
que c’est une clause bien regrettable pour mes
pauvres enfants. — Non que je vous en rende personnellement
responsable.

— Je suis très sensible, madame, au désavantage
subi par mes belles cousines et j’en dirais plus sans
la crainte de vous paraître un peu trop pressé mais je
puis affirmer à ces demoiselles que j’arrive tout prêt
à goûter leur charme. Je n’ajoute rien quant à présent.
Peut-être, quand nous aurons fait plus ample
connaissance…

Il fut interrompu par l’annonce du dîner et les
jeunes filles échangèrent un sourire. Elles n’étaient
pas seules à exciter l’admiration de Mr. Collins : le
hall, la salle à manger et son mobilier furent examinés
et hautement appréciés. Tant de louanges auraient
touché le cœur de Mrs. Bennet si elle n’avait eu la
pénible arrière-pensée que Mr. Collins passait la revue
de ses futurs biens. Le dîner à son tour fut l’objet
de ses éloges et il insista pour savoir à laquelle de ses
belles cousines revenait l’honneur de plats aussi parfaitement
réussis. Mais ici, Mrs. Bennet l’interrompit
un peu vivement pour lui dire qu’elle avait le moyen
de s’offrir une bonne cuisinière, et que ses filles ne
mettaient pas le pied à la cuisine. Mr. Collins la supplia
de ne pas lui en vouloir, à quoi elle répondit d’un ton
plus doux qu’il n’y avait point d’offense, mais il n’en
continua pas moins à s’excuser jusqu’à la fin du dîner.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/66==
<br/>



<div style="text-align:center">XIV</div>



Pendant le repas Mr. Bennet avait à peine ouvert
la bouche. Lorsque les domestiques se furent rétirés,
il pensa qu’il était temps de causer un peu avec son
hôte, et mit la conversation sur le sujet qu’il estimait
le mieux choisi pour le faire parler en félicitant son
cousin d’avoir trouvé une protectrice qui se montrait
si pleine d’attentions pour ses désirs et de sollicitude
pour son confort.

Mr. Bennet ne pouvait mieux tomber. Mr. Collins
fut éloquent dans ses éloges. De sa vie, affirma-t-il,
solennellement, il n’avait rencontré chez un membre
de l’aristocratie l’affabilité et la condescendance que
lui témoignait lady Catherine. Elle avait été assez
bonne pour apprécier les deux sermons qu’il avait eu
l’honneur de prêcher devant elle. Deux fois déjà elle
l’avait invité à dîner à Rosings, et le samedi précédent
encore l’avait envoyé chercher pour faire le quatrième
à sa partie de « quadrille ». Beaucoup de gens
lui reprochaient d’être hautaine, mais il n’avait jamais
vu chez elle que de la bienveillance. Elle le traitait
en gentleman et ne voyait aucune objection à
ce qu’il fréquentât la société du voisinage ou s’absentât
une semaine ou deux pour aller voir sa famille.
Elle avait même poussé la bonté jusqu’à lui conseiller
de se marier le plus tôt possible, pourvu qu’il fît un
choix judicieux. Elle lui avait fait visite une fois dans
son presbytère où elle avait pleinement approuvé les
améliorations qu’il y avait apportées et daigné même
en suggérer d’autres, par exemple des rayons à poser
dans les placards du premier étage.

— Voilà une intention charmante, dit Mrs. Bennet,
et je ne doute pas que lady Catherine ne soit une fort
aimable femme. C’est bien regrettable que les grandes
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/67==
dames, en général, lui ressemblent si peu. Habite-t-elle
dans votre voisinage, monsieur ?

— Le jardin qui entoure mon humble demeure
n’est séparé que par un sentier de Rosings Park, résidence
de Sa Grâce.

— Je crois vous avoir entendu dire qu’elle était
veuve. A-t-elle des enfants ?

— Elle n’a qu’une fille, héritière de Rosings et
d’une immense fortune.

— Ah ! s’écria Mrs. Bennet en soupirant. Elle est
mieux partagée que beaucoup d’autres. Et cette jeune
fille, est-elle jolie ?

— Elle est tout à fait charmante. Lady Catherine
dit elle-même que miss de Bourgh possède quelque
chose de mieux que la beauté car, dans ses traits, se
reconnaît la marque d’une haute naissance. Malheureusement
elle est d’une constitution délicate et n’a
pu se perfectionner comme elle l’aurait voulu dans
différents arts d’agrément pour lesquels elle témoignait
des dispositions remarquables. Je tiens ceci de la
dame qui a surveillé son éducation et qui continue
à vivre auprès d’elle à Rosings, mais miss de Bourgh
est parfaitement aimable et daigne souvent passer à
côté de mon humble presbytère dans le petit phaéton
attelé de poneys qu’elle conduit elle-même.

— A-t-elle été présentée ? Je ne me rappelle pas
avoir vu son nom parmi ceux des dames reçues à la
cour.

— Sa frêle santé, malheureusement, ne lui permet
pas de vivre à Londres. C’est ainsi, comme je l’ai dit
un jour à lady Catherine, que la cour d’Angleterre
se trouve privée d’un de ses plus gracieux ornements.
Lady Catherine a paru touchée de mes paroles. Vous
devinez que je suis heureux de lui adresser de ces compliments
toujours appréciés des dames chaque fois
que l’occasion s’en présente. Ces petits riens plaisent
à Sa Grâce et font partie des hommages que je considère
comme mon devoir de lui rendre.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/68==
<br/>

— Vous avez tout à fait raison, dit Mr. Bennet, et
c’est un bonheur pour vous de savoir flatter avec tant
de délicatesse. Puis-je vous demander si ces compliments
vous viennent spontanément ou si vous devez
les préparer d’avance ?

— Oh ! spontanément, en général. Je m’amuse aussi
parfois à en préparer quelques-uns d’avance, mais je
m’efforce toujours de les placer de façon aussi naturelle
que possible.

Les prévisions de Mr. Bennet avaient été justes :
son cousin était aussi parfaitement ridicule qu’il s’y
attendait. Il l’écoutait avec un vif amusement sans
communiquer ses impressions autrement que par un
coup d’œil que, de temps à autre, il lançait à Elizabeth.
Cependant, à l’heure du thé, trouvant la
mesure suffisante, il fut heureux de ramener son hôte
au salon.

Après le thé il lui demanda s’il voulait bien faire
la lecture à ces dames. Mr. Collins consentit avec
empressement. Un livre lui fut présenté, mais à la vue
du titre il eut un léger recul et s’excusa, protestant
qu’il ne lisait jamais de romans. Kitty le regarda avec
ahurissement et Lydia s’exclama de surprise. D’autres
livres furent apportés parmi lesquels il choisit, après
quelques hésitations, les sermons de Fordyce. Lydia
se mit à bâiller lorsqu’il ouvrit le volume et il n’avait
pas lu trois pages d’une voix emphatique et monotone
qu’elle l’interrompit en s’écriant :

— Maman, savez-vous que l’oncle Philips parle de
renvoyer Richard et que le colonel Forster serait prêt
à le prendre à son service ? J’irai demain à Meryton
pour en savoir davantage et demander quand le lieutenant
Denny reviendra de Londres.

Lydia fut priée par ses deux aînées de se taire, mais
Mr. Collins, froissé, referma son livre en disant :

— J’ai souvent remarqué que les jeunes filles ne
savent pas s’intéresser aux œuvres sérieuses. Cela me
confond, je l’avoue, car rien ne peut leur faire plus de
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/69==
bien qu’une lecture instructive, mais je n’ennuierai
pas plus longtemps ma jeune cousine. Et, malgré
l’insistance de Mrs. Bennet et de ses filles pour qu’il
reprît sa lecture, Mr. Collins, tout en protestant qu’il
ne gardait nullement rancune à Lydia, se tourna vers
Mr. Bennet et lui proposa une partie de trictrac.






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<div style="text-align:center">XV</div>



Mr. Collins était dépourvu d’intelligence, et ni l’éducation,
ni l’expérience ne l’avaient aidé à combler
cette lacune de la nature. Son père, sous la direction
duquel il avait passé la plus grande partie de sa jeunesse,
était un homme avare et illettré, et lui-même,
à l’Université où il n’était demeuré que le temps nécessaire
pour la préparation de sa carrière, n’avait fait
aucune relation profitable.

Le rude joug de l’autorité paternelle lui avait donné
dans les manières une grande humilité que combattait
maintenant la fatuité naturelle à un esprit médiocre
et enivré par une prospérité rapide et inattendue.

Une heureuse chance l’avait mis sur le chemin de
lady Catherine de Bourgh au moment où le bénéfice
d’Hunsford se trouvait vacant, et la vénération que
lui inspirait sa noble protectrice, jointe à la haute
opinion qu’il avait de lui-même et de son autorité
pastorale, faisaient de Mr. Collins un mélange singulier
de servilité et d’importance, d’orgueil et d’obséquiosité.

À présent qu’il se trouvait en possession d’une
maison agréable et d’un revenu suffisant il songeait
à se marier. Ce rêve n’était pas étranger à son désir
de se réconcilier avec sa famille car il avait l’intention
de choisir une de ses jeunes cousines, si elles étaient
aussi jolies et agréables qu’on le disait communément.
C’était là le plan qu’il avait formé pour les
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/70==
dédommager du tort qu’il leur ferait en héritant à
leur place de la propriété de leur père, et il le jugeait
excellent. N’était-il pas convenable et avantageux
pour les Bennet, en même temps que très généreux
et désintéressé de sa part ?

La vue de ses cousines ne changea rien à ses intentions.
Le charmant visage de Jane ainsi que sa qualité
d’aînée fixa son choix le premier soir, mais, le
lendemain matin, il lui fallut modifier ses projets.
Dans un bref entretien qu’il eut avant le déjeuner
avec Mrs. Bennet il lui laissa entrevoir ses espérances,
à quoi celle-ci répondit avec force sourires et mines
encourageantes qu’elle ne pouvait rien affirmer au
sujet de ses plus jeunes filles, mais que l’aînée, —
c’était son devoir de l’en prévenir, — serait sans doute
fiancée d’ici peu.

Mr. Collins n’avait plus qu’à passer de Jane à
Elizabeth. C’est ce qu’il fit pendant que Mrs. Bennet
tisonnait le feu. Elizabeth qui par l’âge et la beauté
venait immédiatement après Jane était toute désignée
pour lui succéder.

Cette confidence remplit de joie Mrs. Bennet qui
voyait déjà deux de ses filles établies et, de ce fait,
l’homme dont la veille encore le nom seul lui était
odieux se trouva promu très haut dans ses bonnes
grâces.

Lydia n’oubliait point son projet de se rendre à
Meryton. Ses sœurs, à l’exception de Mary, acceptèrent
de l’accompagner, et Mr. Bennet, désireux de
se débarrasser de son cousin qui depuis le déjeuner
s’était installé dans sa bibliothèque où il l’entretenait
sans répit de son presbytère et de son jardin, le pressa
vivement d’escorter ses filles, ce qu’il accepta sans se
faire prier.

Mr. Collins passa le temps du trajet à émettre solennellement
des banalités auxquelles ses cousines acquiesçaient
poliment. Mais, sitôt entrées dans la ville
les deux plus jeunes cessèrent de lui prêter le moindre
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/71==
intérêt ; elles fouillaient les rues du regard dans l’espoir
d’y découvrir un uniforme, et il ne fallait rien
moins qu’une robe nouvelle ou un élégant chapeau à
une devanture pour les distraire de leurs recherches.

Bientôt l’attention des demoiselles Bennet fut attirée
par un inconnu jeune et d’allure distinguée qui
se promenait de long en large avec un officier de l’autre
côté de la rue. L’officier était ce même Mr. Denny
dont le retour préoccupait si fort Lydia, et il les salua
au passage.

Toutes se demandaient quel pouvait être cet
étranger dont la physionomie les avait frappées. Kitty
et Lydia, bien décidées à l’apprendre, traversèrent la
rue sous prétexte de faire un achat dans un magasin
et elles arrivèrent sur le trottoir opposé pour se trouver
face à face avec les deux gens qui revenaient sur leurs
pas. Mr. Denny leur demanda la permission de leur
présenter son ami, Mr. Wickham, qui était arrivé de
Londres avec lui la veille et venait de prendre un
brevet d’officier dans son régiment.

Voilà qui était parfait : l’uniforme seul manquait
à ce jeune homme pour le rendre tout à fait séduisant.
Extérieurement tout était en sa faveur : silhouette
élégante, belle prestance, manières aimables.
Aussitôt présenté il engagea la conversation avec un
empressement qui n’excluait ni la correction, ni la
simplicité. La conversation allait son train lorsque
Mr. Bingley et Mr. Darcy apparurent à cheval au
bout de la rue. En distinguant les jeunes filles dans le
groupe, ils vinrent jusqu’à elles pour leur présenter
leurs hommages. Ce fut Bingley qui parla surtout et,
s’adressant particulièrement à Jane, dit qu’il était
en route pour Longbourn où il se proposait d’aller
prendre des nouvelles de sa santé. Mr. Darcy, confirmait
par un signe de tête lorsque ses yeux tombèrent
sur l’étranger et leurs regards se croisèrent. Elizabeth
qui les regardait à cet instant fut satisfaite de
l’effet produit par cette rencontre : tous deux {{tiret|chan|changèrent}}
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/72==
{{tiret2|gèrent|changèrent}} de couleur ; l’un pâlit, l’autre rougit. Mr. Wickham,
au bout d’un instant, toucha son chapeau et
Mr. Darcy daigna à peine lui rendre ce salut. Qu’est-ce
que tout cela signifiait ? Il était difficile de le deviner,
difficile aussi de ne pas désirer l’apprendre.

Une minute plus tard, Mr. Bingley, qui semblait ne
s’être aperçu de rien, prit congé et poursuivit sa route
avec son ami.

Mr. Denny et Mr. Wickham accompagnèrent les
demoiselles Bennet jusqu’à la maison de leur oncle ;
mais là ils les quittèrent en dépit des efforts de Lydia
pour les décider à entrer et malgré l’invitation de
Mrs. Philips elle-même qui, surgissant à la fenêtre
de son salon, appuya bruyamment les instances de sa
nièce.

Mrs. Philips accueillit Mr. Collins avec une grande
cordialité. Il y répondit par de longs discours pour
s’excuser de l’indiscrétion qu’il commettait en osant
venir chez elle sans lui avoir été préalablement présenté.
Sa parenté avec ces demoiselles Bennet justifiait
un peu, pensait-il, cette incorrection. Mrs. Philips
était émerveillée d’un tel excès de politesse, mais
elle fut vite distraite par les questions impétueuses
de ses nièces sur l’étranger qu’elles venaient de rencontrer.
Elle ne put du reste leur apprendre que ce
qu’elles savaient déjà : que Mr. Denny avait ramené
ce jeune homme de Londres et qu’il allait recevoir
un brevet de lieutenant. Cependant, quelques officiers
devant dîner chez les Philips le lendemain, la tante
promit d’envoyer son mari inviter Mr. Wickham à
condition que la famille de Longbourn vînt passer la
soirée. Mrs. Philips annonçait une bonne partie de
loto, joyeuse et bruyante, suivie d’un petit souper
chaud. La perspective de telles délices mit tout le
monde en belle humeur et l’on se sépara gaiement
de part et d’autre. Mr. Collins répéta ses excuses en
quittant les Philips et reçut une fois de plus l’aimable
assurance qu’elles étaient parfaitement inutiles.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/73==
<br/>

De retour à Longbourn il fit grand plaisir à Mrs. Bennet
en louant la politesse et les bonnes manières de
Mrs. Philips : à l’exception de lady Catherine et de sa
fille, jamais il n’avait rencontré de femme plus distinguée.
Non contente de l’avoir accueilli avec une
parfaite bonne grâce, elle l’avait compris dans son invitation
pour le lendemain, lui dont elle venait à peine
de faire la connaissance. Sans doute sa parenté avec
les Bennet y était pour quelque chose mais, tout de
même, il n’avait jamais rencontré une telle amabilité
dans tout le cours de son existence.






{{NouveauChapitre|16|from={{{from}}}|to={{{to}}}}}




<div style="text-align:center">XVI</div>



Aucune objection n’ayant été faite à la partie projetée,
la voiture emporta le lendemain soir à Meryton
Mr. Collins et ses cinq cousines. En entrant au salon,
ces demoiselles eurent le plaisir d’apprendre que
Mr. Wickham avait accepté l’invitation de leur oncle
et qu’il était déjà arrivé. Cette nouvelle donnée, tout
le monde s’assit et Mr. Collins put regarder et louer à
son aise ce qui l’entourait. Frappé par les dimensions
et le mobilier de la pièce, il déclara qu’il aurait presque
pu se croire dans la petite salle où l’on prenait le
déjeuner du matin à Rosings. Cette comparaison ne
produisit pas d’abord tout l’effet qu’il en attendait,
mais quand il expliqua ce que c’était que Rosings,
quelle en était la propriétaire, et comment la cheminée
d’un des salons avait coûté 800 livres à elle seule,
Mrs. Philips comprit l’honneur qui lui était fait et
aurait pu entendre comparer son salon à la chambre
de la femme de charge sans en être trop froissée.
Mr. Collins s’étendit sur l’importance de lady Catherine
et de son château en ajoutant quelques digressions
sur son modeste presbytère et les améliorations
qu’il tâchait d’y apporter et il ne tarit pas jusqu’à
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/74==
l’arrivée des messieurs. Mrs. Philips l’écoutait avec
une considération croissante ; quant aux jeunes filles,
qui ne s’intéressaient pas aux récits de leur cousin,
elles trouvèrent l’attente un peu longue et ce fut avec
plaisir qu’elles virent enfin les messieurs faire leur
entrée dans le salon.

En voyant paraître Mr. Wickham Elizabeth pensa
que l’admiration qu’il lui avait inspirée à leur première
rencontre n’avait rien d’exagéré. Les officiers
du régiment de Meryton étaient, pour la plupart, des
gens de bonne famille et les plus distingués d’entre
eux étaient présents ce soir-là, mais Mr. Wickham
ne leur était pas moins supérieur par l’élégance de sa
personne et de ses manièies qu’ils ne l’étaient eux-mêmes
au gros oncle Philips qui entrait à leur suite en
répandant une forte odeur de porto.

Vers Mr. Wickham, — heureux mortel, — convergeaient
presque tous les regards féminins. Elizabeth
fut l’heureuse élue auprès de laquelle il vint s’asseoir,
et la manière aisée avec laquelle il entama la conversation,
bien qu’il ne fût question que de l’humidité
de la soirée et de la prévision d’une saison pluvieuse,
lui fit sentir aussitôt que le sujet le plus banal et le
plus dénué d’intérêt peut être rendu attrayant par
la finesse et le charme de l’interlocuteur.

Avec des concurrents aussi sérieux que Mr. Wickham
et les officiers, Mr. Collins parut sombrer dans l’insignifiance.
Aux yeux des jeunes filles il ne comptait
certainement plus, mais, par intervalles, il trouvait
encore un auditeur bénévole dans la personne de
Mrs. Philips et, grâce à ses bons soins, fut abondamment
pourvu de café et de ''muffins''. Il put à son tour
faire plaisir à son hôtesse en prenant place à la table
de whist.

— Je suis encore un joueur médiocre, dit-il, mais
je serai heureux de me perfectionner. Un homme dans
ma situation…

Mais Mrs. Philips, tout en lui sachant gré de sa
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/75==
complaisance, ne prit pas le temps d’écouter ses raisons.

Mr. Wickham, qui ne jouait point au whist, fut
accueilli avec joie à l’autre table où il prit place entre
Elizabeth et Lydia. Tout d’abord on put craindre
que Lydia ne l’accaparât par son bavardage, mais elle
aimait beaucoup les cartes et son attention fut bientôt
absorbée par les paris et les enjeux. Tout en suivant
la partie, Mr. Wickham eut donc tout le loisir de causer
avec Elizabeth. Celle-ci était toute disposée à l’écouter,
bien qu’elle ne pût espérer apprendre ce qui l’intéressait
le plus, à savoir quelles étaient ses relations
avec Mr. Darcy. Elle n’osait même pas nommer ce
dernier. Sa curiosité se trouva cependant très inopinément
satisfaite car Mr. Wickham aborda lui-même
le sujet. Il s’informa de la distance qui séparait Netherfield
de Meryton et, sur la réponse d’Elizabeth, demanda
avec une légère hésitation depuis quand y
séjournait Mr. Darcy.

— Depuis un mois environ, et, pour ne pas quitter
ce sujet elle ajouta : — J’ai entendu dire qu’il y avait
de grandes propriétés dans le Derbyshire.

— En effet, répondit Wickham, son domaine est
splendide et d’un rapport net de 10 ooo livres. Personne
ne peut vous renseigner mieux que moi sur ce
chapitre, car, depuis mon enfance, je connais de fort
près la famille de Mr. Darcy.

Elizabeth ne put retenir un mouvement de surprise.

— Je comprends votre étonnement, miss Bennet,
si, comme il est probable, vous avez remarqué la
froideur de notre rencontre d’hier<ref>WS: scannille ?</ref> . Connaissez-vous
beaucoup Mr. Darcy ?

— Très suffisamment pour mon goût, dit Elizabeth
avec vivacité. J’ai passé quatre jours avec lui
dans une maison amie, et je le trouve franchement
antipathique.

— Je n’ai pas le droit de vous donner mon opinion
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/76==
sur ce point, dit Wickham ; je connais Mr. Darcy
trop bien et depuis trop longtemps pour le juger avec
impartialité. Cependant, je crois que votre sentiment
serait en général accueilli avec surprise. Du reste,
hors d’ici où vous êtes dans votre famille, vous ne
l’exprimeriez peut-être pas aussi énergiquement.

— Je vous assure que je ne parlerais pas autrement
dans n’importe quelle maison du voisinage,
sauf à Netherfield. Personne ici ne vous dira du bien
de Mr. Darcy ; son orgueil a rebuté tout le monde.

— Je ne prétends pas être affligé de voir qu’il
n’est pas estimé au delà de ses mérites, dit Wickham
après un court silence ; mais je crois que pareille chose
ne lui arrive pas souvent. Les gens sont généralement
aveuglés par sa fortune, par son rang, ou bien intimidés
par la hauteur de ses manières, et le voient tel
qu’il désire être vu.

— D’après le peu que je connais de lui, il me semble
avoir assez mauvais caractère.

Wickham hocha la tête sans répondre.

— Je me demande, reprit-il au bout d’un instant,
s’il va rester encore longtemps ici.

— Il m’est impossible de vous renseigner là-dessus,
mais il n’était pas question de son départ lorsque
j’étais à Netherfield. J’espère que vos projets en faveur
de votre garnison ne se trouveront pas modifiés du
fait de sa présence dans la région.

— Pour cela non. Ce n’est point à moi à fuir devant
Mr. Darcy. S’il ne veut pas me voir, il n’a qu’à s’en
aller. Nous ne sommes pas en bons termes, c’est vrai,
et chaque rencontre avec lui m’est pénible mais, je
puis le dire très haut, je n’ai pas d’autre raison de
l’éviter que le souvenir de mauvais procédés à mon
égard et le profond regret de voir ce qu’il est devenu.
Son père, miss Bennet, le défunt Mr. Darcy, était le
meilleur homme de l’univers et l’ami le plus sincère
que j’aie jamais eu : je ne puis me trouver en présence
de son fils sans être ému jusqu’à l’âme par mille {{tiret|sou|souvenirs}}
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/77==
{{tiret2|venirs|souvenirs}} attendrissants. Mr. Darcy s’est conduit envers
moi d’une manière scandaleuse, cependant, je crois
que je pourrais tout lui pardonner, tout, sauf d’avoir
trompé les espérances et manqué à la mémoire de
son père.

Elizabeth de plus en plus intéressée ne perdait pas
une seule de ces paroles, mais le sujet était trop délicat
pour lui permettre de poser la moindre question.

Mr. Wickham revint à des propos d’un intérêt
plus général : Meryton, les environs, la société. De
celle-ci, surtout, il paraissait enchanté et le disait
dans les termes les plus galants.

— C’est la perspective de ce milieu agréable qui
m’a poussé à choisir ce régiment. Je le connaissais déjà
de réputation et mon ami Denny a achevé de me
décider en me vantant les charmes de sa nouvelle garnison
et des agréables relations qu’on pouvait y faire.
J’avoue que la société m’est nécessaire : j’ai eu de
grands chagrins, je ne puis supporter la solitude. Il me
faut de l’occupation et de la compagnie. L’armée
n’était pas ma vocation, les circonstances seules m’y
ont poussé. Je devais entrer dans les ordres, c’est
dans ce but que j’avais été élevé et je serais actuellement
en possession d’une très belle cure si tel avait
été le bon plaisir de celui dont nous parlions tout à
l’heure.

— Vraiment !

— Oui, le défunt Mr. Darcy m’avait désigné pour
la prochaine vacance du meilleur bénéfice de son
domaine. J’étais son filleul et il me témoignait une
grande affection. Jamais je ne pourrai trop louer sa
bonté. Il pensait avoir, de cette façon, assuré mon
avenir ; mais, quand la vacance se produisit, ce fut un
autre qui obtint le bénéfice.

— Grand Dieu ! Est-ce possible ? s’écria Elizabeth.
Comment a-t-on pu faire aussi peu de cas de ses dernières
volontés ? Pourquoi n’avez-vous pas eu recours
à la justice ?
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/78==
<br/>

— Il y avait, par malheur, dans le testament un vice
de forme qui rendait stérile tout recours. Un homme
loyal n’aurait jamais mis en doute l’intention du donateur.
Il a plu à Mr. Darcy de le faire et de considérer
cette recommandation comme une apostille conditionnelle
en affirmant que j’y avais perdu tout droit par
mes imprudences, mes extravagances, tout ce que
vous voudrez. Ce qu’il y a de certain, c’est que le
bénéfice est devenu vacant il y a deux ans exactement,
lorsque j’étais en âge d’y aspirer, et qu’il a été donné
à un autre : et il n’est pas moins sûr que je n’avais
rien fait pour mériter d’en être dépossédé. Je suis
d’une humeur assez vive et j’ai pu dire avec trop de
liberté à Mr. Darcy ce que je pensais de lui, mais la
vérité c’est que nos caractères sont radicalement
opposés et qu’il me déteste.

— C’est honteux ! Il mériterait qu’on lui dise son
fait publiquement.

— Ceci lui arrivera sans doute un jour ou l’autre,
mais ce n’est point moi qui le ferai. Il faudrait d’abord
que je puisse oublier tout ce que je dois à son père.

De tels sentiments redoublèrent l’estime d’Elizabeth,
et celui qui les exprimait ne lui en sembla que plus
séduisant.

— Mais, reprit-elle après un silence, quels motifs
ont donc pu le pousser, et le déterminer à si mal agir ?

— Une antipathie profonde et tenace à mon égard,
— une antipathie que je suis forcé, en quelque mesure,
d’attribuer à la jalousie. Si le père avait eu moins
d’affection pour moi, le fils m’aurait sans doute mieux
supporté. Mais l’amitié vraiment peu commune que
son père me témoignait l’a, je crois, toujours irrité.
Il n’était point homme à accepter l’espèce de rivalité
qui nous divisait et la préférence qui m’était souvent
manifestée.

— Je n’aurais jamais cru Mr. Darcy aussi vindicatif.
Tout en n’éprouvant aucune sympathie pour lui,
je ne le jugeais pas aussi mal. Je le supposais bien
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/79==
rempli de dédain pour ses semblables, mais je ne le
croyais pas capable de s’abaisser à une telle vengeance,
— de montrer tant d’injustice et d’inhumanité.

Elle reprit après quelques minutes de réflexion :

— Je me souviens cependant qu’un jour, à Netherfield,
il s’est vanté d’être implacable dans ses ressentiments
et de ne jamais pardonner. Quel triste caractère !

— Je n’ose m’aventurer sur ce sujet, répliqua
Wickham. Il me serait trop difficile d’être juste à son
égard.

De nouveau, Elizabeth resta un moment silencieuse
et pensive ; puis elle s’exclama :

— Traiter ainsi le filleul, l’ami, le favori de son
père !… Elle aurait pu ajouter « un jeune homme aussi
sympathique » ! Elle se contenta de dire : — et, de plus,
un ami d’enfance ! Ne m’avez-vous pas dit que vous
aviez été élevés ensemble ?

— Nous sommes nés dans la même paroisse, dans
l’enceinte du même parc. Nous avons passé ensemble
la plus grande partie de notre jeunesse, partageant
les mêmes jeux, entourés des mêmes soins paternels.
Mon père, à ses débuts, avait exercé la profession où
votre oncle Philips semble si bien réussir, mais il
l’abandonna pour rendre service au défunt Mr. Darcy
et consacrer tout son temps à diriger le domaine de
Pemberley. Mr. Darcy avait pour lui une haute estime
et le traitait en confident et en ami. Il a souvent
reconnu tous les avantages que lui avait valus l’active
gestion de mon père. Peu de temps avant sa mort,
il lui fit la promesse de se charger de mon avenir
et je suis convaincu que ce fut autant pour acquitter
une dette de reconnaissance envers mon père que par
affection pour moi.

— Que tout cela est extraordinaire ! s’écria Elizabeth.
Je m’étonne que la fierté de Mr. Darcy ne l’ait pas
poussé à se montrer plus juste envers vous, que {{tiret|l’or|l’orgueil,}}
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/80==
{{tiret2|gueil,|l’orgueil,}} à défaut d’un autre motif, ne l’ait pas empêché
de se conduire malhonnêtement — car c’est une véritable
malhonnêteté dont il s’agit là.

— Oui, c’est étrange, répondit Wickham, car l’orgueil,
en effet, inspire la plupart de ses actions et
c’est ce sentiment, plus que tous les autres, qui le rapproche
de la vertu. Mais nous ne sommes jamais conséquents
avec nous-mêmes, et, dans sa conduite à mon
égard, il a cédé à des impulsions plus fortes encore
que son orgueil.

— Pensez-vous qu’un orgueil aussi détestable puisse
jamais le porter à bien agir ?

— Certainement ; c’est par orgueil qu’il est libéral,
généreux, hospitalier, qu’il assiste ses fermiers et
secourt les pauvres. L’orgueil familial et filial — car
il a le culte de son père — est la cause de cette conduite.
La volonté de ne pas laisser se perdre les vertus
traditionnelles et l’influence de sa maison à Pemberley
est le mobile de tous ses actes. L’orgueil fraternel
renforcé d’un peu d’affection fait de lui un
tuteur plein de bonté et de sollicitude pour sa sœur, et
vous l’entendrez généralement vanter comme le frère
le meilleur et le plus dévoué.

— Quelle sorte de personne est miss Darcy ?

Wickham hocha la tête.

— Je voudrais vous dire qu’elle est aimable, — il
m’est pénible de critiquer une Darcy, — mais vraiment
elle ressemble trop à son frère : c’est la même
excessive fierté. Enfant, elle était gentille et affectueuse,
et me témoignait beaucoup d’amitié. J’ai passé
des heures nombreuses à l’amuser, mais, aujourd’hui
je ne suis plus rien pour elle. C’est une belle fille de
quinze ou seize ans, très instruite, m’a-t-on dit. Depuis
la mort de son père elle vit a Londres avec une institutrice
qui dirige son éducation.

Elizabeth, à diverses reprises, essaya d’aborder
d’autres sujets mais elle ne put s’empêcher de revenir
au premier.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/81==
<br/>

— Je suis étonnée, dit-elle, de l’intimité de Mr. Darcy
avec Mr. Bingley. Comment Mr. Bingley, qui semble
la bonne humeur et l’amabilité personnifiées, a-t-il pu
faire son ami d’un tel homme ? Comment peuvent-ils
s’entendre ? Connaissez-vous Mr. Bingley ?

— Nullement.

— C’est un homme charmant. Il ne connaît sûrement
pas Mr. Darcy sous son vrai jour.

— C’est probable, mais Mr. Darcy peut plaire
quand il le désire. Il ne manque pas de charme ni de
talents ; c’est un fort agréable causeur quand il veut
s’en donner la peine. Avec ses égaux il peut se montrer
extrêmement différent de ce qu’il est avec ses
inférieurs. Sa fierté ne l’abandonne jamais complètement,
mais, dans la haute société, il sait se montrer
large d’idées, juste, sincère, raisonnable, estimable, et
peut-être même séduisant, en faisant la juste part due
à sa fortune et à son extérieur.

La partie de whist avait pris fin. Les joueurs se
groupèrent autour de l’autre table et Mr. Collins
s’assit entre Elizabeth et Mrs. Philips. Cette dernière
lui demanda si la chance l’avait favorisé. Non, il avait
continuellement perdu et, comme elle lui en témoignait
son regret, il l’assura avec gravité que la chose était
sans importance ; il n’attachait à l’argent aucune
valeur et il la priait de ne pas s’en affecter.

— Je sais très bien, madame, que lorsqu’on s’assied
à une table de jeu l’on doit s’en remettre au hasard, et
mes moyens, c’est heureux, me permettent de perdre
cinq shillings. Beaucoup sans doute ne peuvent en dire
autant, mais, grâce à lady Catherine de Bourgh, je
puis regarder avec indifférence de pareils détails.

Ces mots attirèrent l’attention de Mr. Wickham et,
après avoir considéré Mr. Collins un instant, il demanda
tout bas à Elizabeth si son cousin était très
intime avec la famille de Bourgh.

— Lady Catherine lui a fait donner récemment la
cure de Hunsford, répondit-elle. Je ne sais pas du tout
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/82==
comment Mr. Collins a été présenté à cette dame mais
je suis certaine qu’il ne la connaît pas depuis longtemps.

— Vous savez sans doute que lady Catherine de
Bourgh et lady Anne Darcy étaient sœurs et que, par
conséquent, lady Catherine est la tante de Mr. Darcy.

— Non vraiment ! J’ignore tout de la parenté de
lady Catherine. J’ai entendu parler d’elle avant-hier
pour la première fois.

— Sa fille, miss de Bourgh, est l’héritière d’une
énorme fortune et l’on croit généralement qu’elle et
son cousin réuniront les deux domaines.

Cette information fit sourire Elizabeth qui pensa
à la pauvre miss Bingley. À quoi serviraient tous ses
soins, l’amitié qu’elle affichait pour la sœur, l’admiration
qu’elle montrait pour le frère si celui-ci était
déjà promis à une autre ?

— Mr. Collins, remarqua-t-elle, dit beaucoup de
bien de lady Catherine et de sa fille. Mais, d’après certains
détails qu’il nous a donnés sur Sa Grâce, je le
soupçonne de se laisser aveugler par la reconnaissance,
et sa protectrice me fait l’effet d’être une personne
hautaine et arrogante.

— Je crois, répondit Wickham, qu’elle mérite largement
ces deux qualificatifs. Je ne l’ai pas revue depuis
des années mais je me rappelle que ses manières avaient
quelque chose de tyrannique et d’insolent qui ne m’a
jamais plu. On vante la fermeté de son jugement mais
je crois qu’elle doit cette réputation pour une part à
son rang et à sa fortune, pour une autre à ses manières
autoritaires, et pour le reste à la fierté de son
neveu qui a décidé que tous les membres de sa famille
étaient des êtres supérieurs.

Elizabeth convint que c’était assez vraisemblable
et la conversation continua de la sorte jusqu’à L’annonce
du souper qui, en interrompant la partie de
cartes, rendit aux autres dames leur part des attentions
de Mr. Wickham. Toute conversation était {{tiret|de|devenue}}
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/83==
{{tiret2|venue|devenue}} impossible dans le brouhaha du souper de
Mrs. Philips, mais Mr. Wickham se rendit agréable à
tout le monde. Tout ce qu’il disait était si bien exprimé,
et tout ce qu’il faisait était fait avec grâce.

Elizabeth partit l’esprit rempli de Mr. Wickham.<ref>WS : ,-> .</ref>
Pendant le trajet du retour elle ne pensa qu’à lui et à
tout ce qu’il lui avait raconté ; mais elle ne put même
pas mentionner son nom car ni Lydia, ni Mr. Collins
ne cessèrent de parler une seconde. Lydia bavardait
sur la partie de cartes, sur les fiches qu’elle avait
gagnées et celles qu’elle avait perdues et Mr. Collins
avait tant à dire de l’hospitalité de Mr. et de Mrs. Philips,
de son indifférence pour ses pertes au jeu, du
menu du souper, de la crainte qu’il avait d’être de
trop dans la voiture, qu’il n’avait pas terminé lorsqu’on
arriva à Longbourn.





{{NouveauChapitre|17|from={{{from}}}|to={{{to}}}}}




<div style="text-align:center">XVII</div>



Le lendemain Elizabeth redit à Jane la conversation
qu’elle avait eue avec Mr. Wickham. Jane l’écouta,
stupéfaite et consternée : elle ne pouvait se décider à
croire que Mr. Darcy fût indigne à ce point de l’estime
de Mr. Bingley. D’autre part, il n’était pas dans sa
nature de soupçonner la véracité d’un jeune homme
d’apparence aussi sympathique que Wickham. La
seule pensée qu’il eût pu subir une aussi grande injustice
suffisait à émouvoir son âme sensible. Ce qu’il y
avait de mieux à faire était de n’accuser personne et
de mettre sur le compte dit hasard ou d’une erreur ce
qu’on ne pouvait expliquer autrement.

— Tous deux ont sans doute été trompés, des gens
intéressés ont pu faire à chacun de faux rapports sur
le compte de l’autre ; bref, il est impossible d’imaginer
ce qui, sans tort réel d’aucun côté, a pu faire naître
une pareille inimitié.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/84==
<br/>

— Certes oui. Et maintenant, ma chère Jane,
qu’avez-vous à dire pour excuser les « gens intéressés »
qui sont sans doute les vrais coupables ? Justifiez-les
aussi, que nous n’en soyons pas réduites à les mal juger !

— Riez tant qu’il vous plaira ; cela ne changera
point mon opinion. Ne voyez-vous point, ma chère
Lizzy, sous quel jour détestable ceci place Mr. Darcy ?
Traiter ainsi le protégé dont son père avait promis
d’assurer l’avenir ! Quel homme ayant le souci de sa
réputation serait capable d’agir ainsi ? Et ses amis,
pourraient-ils s’abuser à ce point sur son compte ?
Oh ! non !

— Il m’est plus facile de croire que Mr. Bingley
s’est trompé à son sujet que d’imaginer que Mr. Wickham
a inventé tout ce qu’il m’a conté hier soir en
donnant les noms, les faits, tous les détails. Si c’est
faux, que Mr. Darcy le dise.

À ce moment on appela les jeunes filles qui durent
quitter le bosquet où elles s’entretenaient pour retourner
à la maison. Mr. Bingley et ses sœurs venaient
apporter eux-mêmes leur invitation pour le bal si
impatiemment attendu et qui se trouvait fixé au mardi
suivant. Mrs. Hurst et miss Bingley se montrèrent
enchantées de retrouver leur chère Jane, déclarant qu’il
y avait des siècles qu’elles ne s’étaient vues. Au reste
de la famille elles accordèrent peu d’attention : elles
évitèrent autant que possible de causer avec Mrs. Bennet,
dirent quelques mots à Elizabeth et rien du tout
aux autres. Au bout de très peu de temps elles se
levèrent avec un empressement qui déconcerta quelque
peu leur frère et firent rapidement leurs adieux comme
pour échapper aux démonstrations de Mrs. Bennet.

La perspective du bal de Netherfield causait un vif
plaisir à Longbourn. Mrs. Bennet se flattait qu’il était
donné à l’intention de sa fille aînée, et considérait
comme une faveur particulière que Mr. Bingley fût
venu faire son invitation en personne au lieu d’envoyer
la carte d’usage.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/85==
<br/>

Jane se promettait une agréable soirée où elle goûterait
la compagnie de ses deux amies et les attentions
de leur frère. Elizabeth jouissait d’avance du plaisir de
danser beaucoup avec Mr. Wickham, et d’observer la
confirmation de ce qu’il lui avait confié dans l’expression
et l’attitude de Mr. Darcy. La joie que se promettaient
Catherine et Lydia dépendait moins de telle
personne ou de telle circonstance en particulier ; bien
que, comme Elizabeth, chacune d’elles fût décidée à
danser la moitié de la soirée avec Mr. Wickham, il
n’était pas l’unique danseur qui pût les satisfaire, et
un bal, après tout, est toujours un bal. Et Mary elle-même
pouvait, sans mentir, assurer que la perspective
de cette soirée n’était pas pour lui déplaire.

Elizabeth était pleine d’entrain et de gaieté et bien
qu’elle ne recherchât point d’ordinaire la conversation
de Mr. Collins, elle lui demanda s’il comptait accepter
l’invitation de Mr. Bingley et, le cas échéant, s’il jugerait
convenable de se mêler aux divertissements de la
soirée. À son grand étonnement il lui répondit qu’il
n’éprouvait à ce sujet aucun scrupule et qu’il était sûr
de n’encourir aucun blâme de la part de son évêque ou
de lady Catherine s’il s’aventurait à danser.

— Je ne crois nullement, l’assura-t-il, qu’un bal
donné par un jeune homme de qualité à des gens respectables
puisse rien présenter de répréhensible, et je
réprouve si peu la danse que j’espère que toutes mes
charmantes cousines me feront l’honneur de m’accepter
pour cavalier dans le cours de la soirée. Je
saisis donc cette occasion, miss Elizabeth, pour vous
inviter pour les deux premières danses. J’espère que
ma cousine Jane attribuera cette préférence à sa véritable
cause et non pas à un manque d’égards pour elle.

Elizabeth se trouvait prise. Elle avait rêvé se faire
invitei pour ces mêmes danses par Wickham ! Il n’y
avait plus qu’à accepter l’invitation de son cousin
d’aussi bonne grâce que possible, mais cette galanterie
lui causait d’autant moins de plaisir qu’elle ouvrait la
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/86==
porte à une supposition nouvelle. Pour la première
fois l’idée vint à Elizabeth que, parmi ses sœurs,
c’était elle que Mr. Collins avait élue pour aller régner
au presbytère de Hundsford et faire la quatrième à la
table de whist de Rosings en l’absence de plus nobles
visiteurs. Cette supposition se changea en certitude
devant les attentions multipliées de son cousin et ses
compliments sur sa vivacité et son esprit. À sa fille,
plus étonnée que ravie de sa conquête, Mrs. Bennet
donna bientôt à entendre que la perspective de ce
mariage lui était extrêmement agréable. Elizabeth
jugea préférable d’avoir l’air de ne point comprendre
afin d’éviter une discussion. Après tout, il se pouvait
fort bien que Mr. Collins ne fît jamais la demande
de sa main et, jusqu’à ce qu’il la fît, il était bien inutile
de se quereller à son sujet.





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<div style="text-align:center">XVIII</div>



Quand elle fit son entrée dans le salon de Netherfield,
Elizabeth remarqua que Wickham ne figurait
point dans le groupe d’habits rouges qui y étaient
rassemblés. Jusque-là l’idée de cette absence n’avait
même pas effleuré son esprit ; au contraire, mettant
à sa toilette un soin tout particulier, elle s’était préparée
joyeusement à achever sa conquête, persuadée
que c’était l’affaire d’une soirée.

Alors, brusquement, surgit l’affreux soupçon que
les Bingley, par complaisance pour Mr. Darcy, avaient
omis sciemment Wickham dans l’invitation adressée
aux officiers. Bien que la supposition fût inexacte, son
absence fut bientôt confirmée par son ami, Mr. Denny ;
à Lydia qui le pressait de questions il répondit que
Wickham avait dû partir pour Londres la veille et qu’il
n’était point encore de retour, ajoutant d’un air significatif :
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/87==
<br/>

— Je ne crois pas que ses affaires l’eussent décidé à
s’absenter précisément aujourd’hui s’il n’avait eu
surtout le désir d’éviter une rencontre avec un gentleman
de cette société.

Cette allusion, perdue pour Lydia, fut saisie par
Elizabeth et lui montra que Darcy n’était pas moins
responsable de l’absence de Wickham que si sa première
supposition avait été juste. L’antipathie qu’il lui
inspirait s’en trouva tellement accrue qu’elle eut
grand’peine à lui répondre dans des termes suffisamment
polis lorsque, peu après, il vint lui-même lui
présenter ses hommages. Ne voulant avoir aucune
conversation avec lui, elle se détourna avec un mouvement
de mauvaise humeur qu’elle ne put tout de
suite surmonter, même en causant avec Mr. Bingley
dont l’aveugle partialité à l’égard de son ami la révoltait.

Mais il n’était pas dans la nature d’Elizabeth de
s’abandonner longtemps à une telle impression, et
quand elle se fut soulagée en exposant son désappointement
à Charlotte Lucas, elle fut bientôt capable de
faire dévier la conversation sur les originalités de son
cousin et de les signaler à l’attention de son amie.

Les deux premières danses, cependant, furent pour
elle un intolérable supplice : Mr. Collins, solennel et
maladroit, se répandant en excuses au lieu de faire
attention, dansant à contretemps sans même s’en
apercevoir, donnait à sa cousine tout l’ennui, toute la
mortification qu’un mauvais cavalier peut infliger à
sa danseuse. Elizabeth en retrouvant sa liberté éprouva
un soulagement indicible. Invitée ensuite par un officier,
elle eut la satisfaction de parler avec lui de
Wickham et d’entendre dire qu’il était universellement
apprécié.

Elle venait de reprendre sa conversation avec Charlotte
Lucas, lorsque Mr. Darcy s’approcha et, s’inclinant
devant elle, sollicita l’honneur d’être son cavalier.
Elle se trouva tellement prise au dépourvu qu’elle
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/88==
accepta sans trop savoir ce qu’elle faisait. Il s’éloigna
aussitôt, la laissant toute dépitée d’avoir montré si
peu de présence d’esprit. Charlotte Lucas essaya de la
réconforter :

— Après tout, vous allez peut-être le trouver très
aimable.

— Le ciel m’en préserve. Quoi ! Trouver aimable
un homme qu’on est résolu à détester !

Mais quand la musique recommença et que Darcy
s’avança pour lui rappeler sa promesse, Charlotte
Lucas ne put s’empêcher de lui souffler à l’oreille que
son caprice pour Wickham ne devait pas lui faire
commettre la sottise de se rendre déplaisante aux
yeux d’un homme dont la situation valait dix fois
celle de l’officier.

Elizabeth prit rang parmi les danseurs, confondue
de l’honneur d’avoir Mr. Darcy pour cavalier et lisant
dans les regards de ses voisines un étonnement égal au
sien. Pendant un certain temps ils gardèrent le silence.
Elizabeth était bien décidée à ne pas le rompre la première
lorsque l’idée lui vint qu’elle infligerait une pénitence
à Mr. Darcy en l’obligeant à parler. Elle fit donc
une réflexion sur la danse. Il lui répondit, puis retomba
dans son mutisme.

Au bout de quelques instants, elle reprit :

— Maintenant, Mr. Darcy, c’est à votre tour. J’ai
déjà parlé de la danse. À vous de faire la remarque
qu’il vous plaira sur les dimensions du salon ou le
nombre des danseurs.

Il sourit et l’assura qu’il était prêt à dire tout ce
qu’elle désirait.

— Très bien. Quant à présent, cette réponse peut
suffire. Un peu plus tard j’observerai que les soirées
privées présentent plus d’agrément que les bals officiels,
mais pour l’instant, nous pouvons en rester là.

— Est-ce donc par devoir que vous causez en dansant ?

— Quelquefois. Il faut bien parler un peu. Il serait
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/89==
étrange de rester ensemble une demi-heure sans
ouvrir la bouche. Cependant, pour la commodité de
certains danseurs, il vaut mieux que la conversation
soit réglée de telle façon qu’ils n’aient à parler que le
moins possible.

— Dans le cas présent, suivez-vous vos préférences
ou cherchez-vous à vous conformer aux miennes ?

— Aux uns et aux autres tout ensemble, car j’ai
remarqué dans notre tour d’esprit une grande ressemblance.
Nous sommes tous deux de caractère taciturne
et peu sociable et nous n’aimons guère à penser,
à moins que ce ne soit pour dire une chose digne
d’étonner ceux qui nous écoutent et de passer à la
postérité avec tout ''l’éclat'' <ref>En français dans le texte.</ref> d’un proverbe.

— Ce portrait ne vous ressemble pas d’une façon
frappante selon moi, dit il. À quel point il me ressemble
c’est ce que je ne puis décider. Vous le trouvez fidèle,
sans doute ?

— Ce n’est pas à moi de juger de mon œuvre.

Mr. Darcy ne reprit la conversation qu’au début de
la deuxième danse pour demander à Elizabeth si elle
allait souvent à Meryton avec ses sœurs. Elle répondit
affirmativement et, ne pouvant résister à la tentation,
ajouta :

— Lorsque vous nous avez rencontrées l’autre jour,
nous venions justement de faire une nouvelle connaissance.

L’effet fut immédiat. Un air de hauteur plus accentuée
se répandit sur le visage de Darcy, mais il
resta un instant sans répondre. Il dit enfin d’un air
contraint :

— Mr. Wickham est doué de manières agréables
qui lui permettent de se faire facilement des amis.
Qu’il soit également capable de les conserver est une
chose moins sûre.

— Je sais qu’il a eu le malheur de perdre « votre »
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/90==
amitié, répliqua Elizabeth, et cela d’une façon telle
qu’il en souftrira probablement toute son existence.

Darcy ne répondit pas et parut désireux de changer
la conversation. À ce moment apparut près d’eux sir
William Lucas qui essayait de traverser le salon en se
faufilant entre les groupes. À la vue de Mr. Darcy
il s’arrêta pour lui faire son salut le plus courtois et
lui adresser quelques compliments sur lui et sa danseuse.

— Vous me voyez ravi, cher monsieur. On a rarement
l’avantage de voir danser avec un art aussi
consommé. Vous me permettrez d’ajouter que votre
aimable danseuse vous fait honneur. J’espère que ce
plaisir se renouvellera souvent pour moi, surtout, ma
chère Eliza, si un événement des plus souhaitables
vient à se produire, ajouta-t-il en lançant un coup
d’œil dans la direction de Jane et de Bingley. Quel
sujet de joie et de félicitations pour tout le monde !
J’en appelle à Mr. Darcy. Mais que je ne vous retienne
pas, monsieur. Vous m’en voudriez de vous importuner
davantage et les beaux yeux de votre jeune
danseuse condamnent mon indiscrétion.

La fin de ce discours fut à peine entendue de Darcy.
L’allusion de sir William semblait l’avoir frappé, et il
dirigeait vers Bingley et Jane un regard préoccupé.
Il se ressaisit vite, cependant, et se tournant vers sa
danseuse :

— L’interruption de sir William, dit-il, m’a fait
oublier de quoi nous nous entretenions.

— Mais nous ne parlions de rien, je crois. Nous
avions essayé sans succès deux ou trois sujets de conversation
et je me demande quel pourra être le suivant.

— Si nous parlions lecture ? dit-il en souriant.

— Lecture ? oh non ! Je suis sûre que nous n’avons
pas les mêmes goûts.

— Je le regrette. Mais, quand cela serait, nous
pourrions discuter nos idées respectives.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/91==
<br/>

— Non, il m’est impossible de causer littérature
dans un bal ; mon esprit est trop occupé d’autre chose.

— Est-ce ce qui vous entoure qui vous absorbe à ce
point ? demanda-t-il d’un air de doute.

— Oui, répondit-elle machinalement, car sa pensée
était ailleurs comme elle le montra bientôt par cette
soudaine exclamation :

— Mr. Darcy, je me rappelle vous avoir entendu dire
que vous ne pardonniez jamais une offense. Je suppose
que ce n’est pas à la légère que vous concevez un
ressentiment aussi implacable.

— Non, certes, affirma-t-il avec force.

— Et vous ne vous laissez jamais aveugler par des
préventions ?

— J’espère que non.

— Ceux qui ne changent jamais d’opinion doivent
naturellement veiller à juger du premier coup sans se
tromper.

— Puis-je vous demander à quoi tendent ces questions ?

— À expliquer votre caractère, tout simplement,
dit-elle en reprenant le ton de la plaisanterie. J’essaye
en ce moment de le comprendre.

— Y réussissez-vous ?

— Guère, répondit-elle en hochant la tête ; j’entends
sur vous des jugements si contradictoires que
je m’y perds.

— Je crois en effet, répondit-il d’un ton grave,
que l’on exprime sur moi des opinions très différentes,
et ce n’est pas en ce moment, miss Bennet, que j’aurais
plaisir à vous voir essayer de faire mon portrait,
car l’œuvre, je le crains, ne ferait honneur ni à vous,
ni à moi.

Elizabeth n’ajouta rien. La danse terminée, ils se
séparèrent en silence, mécontents l’un de l’autre, mais
à un degré différent, car Darcy avait dans le cœur
un sentiment qui le poussa bientôt à pardonner à
Elizabeth et à réserver toute sa colère pour un autre.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/92==
<br/>

Presque aussitôt miss Bingley se dirigea vers Elizabeth,
et, d’un air de politesse dédaigneuse, l’accosta
ainsi.

— Il paraît, miss Elizabeth, que George Wickham
a fait, votre conquête ? Votre sœur vient de me poser
sur lui toutes sortes de questions et j’ai constaté que
ce jeune homme avait négligé de vous dire, entre
autres choses intéressantes, qu’il était le fils du vieux
Wickham, l’intendant de feu Mr. Darcy. Permettez-moi
de vous donner un conseil amical : ne recevez pas
comme parole d’Évangile tout ce qu’il vous racontera.
Il est faux que Mr. Darcy ait fait tort à Wickham :
il l’a toujours traité avec une grande générosité, alors
que Wickham, au contraire, s’est conduit fort mal
envers lui. J’ignore les détails de cette affaire, mais je
puis vous affirmer que Mr. Darcy n’a rien à se reprocher,
qu’il ne veut plus entendre parler de Wickham,
et que mon frère, n’ayant pu se dispenser d’inviter ce
dernier avec les autres officiers, a été ravi de voir que
de lui-même il s’était retiré. Je me demande comment il
a eu l’audace de venir dans ce pays-ci. Je vous plains,
miss Elizabeth, d’être mise ainsi face à face avec
l’indignité de votre favori : mais connaissant son origine,
on ne pouvait guère s’attendre à mieux !

— En somme, répliqua Elizabeth irritée, votre accusation
la plus fondée est celle d’être le fils d’un subalterne :
et je puis vous certifier que Mr. Wickham
m’avait lui-même révélé ce détail !

— Oh ! pardon, répondit miss Bingley en s’éloignant
avec un ricanement moqueur. Et excusez-moi
en faveur de mon intention, qui était bonne !

— Insolente créature ! se dit Elizabeth. Croit-elle
donc m’influencer par d’aussi misérables procédés ?…
Je ne vois là qu’ignorance voulue de sa part, et méchanceté
pure du côté de Mr. Darcy.

Puis elle chercha sa sœur aînée qui avait dû entreprendre
une enquête sur le même sujet auprès de
Bingley,
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/93==
<br/>

Elle trouva Jane avec un sourire de contentement
et une flamme joyeuse dans le regard qui montraient
assez combien elle était satisfaite de sa soirée. Elizabeth
s’en aperçut tout de suite et tout autre sentiment
s’effaça en elle devant l’espoir de voir Jane
sur le chemin du bonheur.

— J’aimerais savoir, dit-elle en souriant, elle aussi,
si vous avez appris quelque chose sur Mr. Wickham.
Mais vous étiez peut-être engagée dans un entretien
trop agréable pour penser aux autres. En ce cas, vous
êtes tout excusée.

— Non, reprit Jane, je ne l’ai point oublié, mais je
n’ai rien de satisfaisant à vous dire. Mr. Bingley ne
connaît pas toute son histoire et ignore ce qui a le
plus offensé Mr. Darcy. Il répond seulement de la
probité et de l’honneur de son ami et il est convaincu
que Mr. Wickham ne mérite même pas ce que
Mr. Darcy a fait pour lui. Je regrette de dire que d’après
sa sœur comme d’après lui, Mr. Wickham ne serait
pas un jeune homme respectable.

— Mr. Bingley connaît-il lui-même Mr. Wickham ?

— Non, il l’a vu l’autre matin à Meryton pour la
première fois.

— Donc les renseignements qu’il vous a donnés
lui viennent de Mr. Darcy. Cela me suffit. Je n’éprouve
aucun doute quant à la sincérité de Mr. Bingley, mais
permettez-moi de ne pas me laisser convaincre par
de simples affirmations. Puisque Mr. Bingley ignore
une partie de l’affaire et n’en coanaît le reste que par
son ami, je préfère m’en tenir à mon sentiment personnel
sur les deux personnes en question.

Elle prit alors un sujet plus agréable pour toutes
deux et sur lequel elles ne pouvaient manquer de
s’entendre. Elizabeth se réjouit d’entendre sa sœur
lui exprimer l’espoir joyeux, bien que timide, qu’entretenait
en elle l’attitude de Mr. Bingley à son égard,
et dit ce qu’elle put pour affermir la confiance de
Jane. Puis, comme Mr. Bingley lui-même s’avançait
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/94==
de leur côté, Elizabeth se retira près de miss Lucas.
Elle avait à peine eu le temps de répondre aux questions
de son amie sur son dernier danseur que Mr. Collins
les joignit, leur annonçant d’un ton joyeux qu’il
venait de faire une importante découverte.

— Par un hasard singulier j’ai trouvé, dit-il, qu’il
y avait dans ce salon un proche parent de ma bienfaitrice.
J’ai, à son insu, entendu ce gentleman prononcer
lui-même le nom de sa cousine, miss de Bourgh,
et celui de sa mère, lady Catherine, en causant avec
la jeune dame qui fait les honneurs du bal. Que le
monde est donc petit ! et qui aurait pu penser que je
ferais dans cette réunion la rencontre d’un neveu de
lady Catherine de Bourgh ! Je suis bien heureux d’avoir
fait cette découverte à temps pour que je puisse aller
lui présenter mes respects. J’espère qu’il me pardonnera
de ne pas m’être acquitté plus tôt de ce devoir.
L’ignorance totale où j’étais de cette parenté me servira
d’excuse.

— Vous n’allez pas aborder Mr. Darcy sans lui
avoir été présenté ?

— Et pourquoi non ? C’est, si j’ai bien compris, le
propre neveu de lady Catherine. J’aurai le plaisir de
lui apprendre que Sa Grâce se portait parfaitement il
y a huit jours.

Elizabeth essaya en vain de l’arrêter et de lui faire
comprendre que s’il s’adressait à Mr. Darcy sans lui
avoir été présenté, celui-ci considérerait cette démarche
plutôt comme une incorrection que comme un
acte de déférence envers sa tante. Mr. Collins l’écouta
avec l’air d’un homme décidé à n’en faire qu’à sa
tête, et quand elle eut fini :

— Ma chère miss Elizabeth, dit-il, j’ai la plus haute
opinion de votre excellent jugement pour toutes les
matières qui sont de votre compétence. Mais permettez-moi
de vous faire observer qu’à l’égard de l’étiquette
les gens du monde et le clergé ne sont pas astreints
aux mêmes règles. Laissez-moi donc, en la {{tiret|circons|circonstance,}}
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/95==
{{tiret2|tance,|circonstance,}} suivre les ordres de ma conscience et remplir
ce que je considère comme un devoir, et pardonnez-moi
de négliger vos avis qui, en toute autre occasion,
me serviront toujours de guide. — Et, s’inclinant
profondément, il la quitta pour aller aborder Mr. Darcy.

Elizabeth le suivit des yeux, curieuse de voir l’accueil
qu’il recevrait. L’étonnement de Mr. Darcy fut
d’abord manifeste. Mr. Collins avait préludé par un
grand salut et, bien qu’elle fût trop loin pour entendre,
Elizabeth croyait tout comprendre et reconnaître,
aux mouvements des lèvres, les mots « excuses,
Hunsford, lady Catherine de Bourgh ». Il lui était
pénible de voir son cousin s’exposer ainsi à la critique
d’un tel homme ; Mr. Darcy regardait son interlocuteur
avec une surprise non dissimulée, et, lorsque
celui-ci voulut bien s’arrêter, il répondit avec un air
de politesse distante. Ceci ne parut pas décourager
Mr. Collins qui se remit à parler de plus belle, mais
l’air dédaigneux de Mr. Darcy s’accentuait à mesure
que son discours s’allongeait. Lorsqu’il eut enfin terminé,
Mr. Darcy fit simplement un léger salut et
s’éloigna. Mr. Collins revint alors près d’Elizabeth.

— Je suis très satisfait, je vous assure, de la réception
qui m’a été faite. Mr. Darcy a paru beaucoup
apprécier la délicatesse de mon intention et m’a répondu
avec la plus grande courtoisie. Il a même eu
l’amabilité de me dire qu’il connaissait assez sa tante
pour être sûr qu’elle n’accordait pas ses faveurs sans
discernement. — Voilà une belle pensée bien exprimée.
— En définitive, il me plaît beaucoup.

Elizabeth tourna ensuite toute son attention du
côté de sa sœur et de Mr. Bingley, et les réflexions
agréables que suscita cet examen la rendirent presque
aussi heureuse que sa sœur elle-même. Elle voyait
déjà Jane installée dans cette même maison et toute
au bonheur que seule peut donner dans le mariage
une véritable affection. La pensée de Mrs. Bennet
suivait visiblement le même cours. Au souper, {{tiret|Eliza|Elizabeth,}}
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/96==
{{tiret2|beth,|Elizabeth,}} qui n’était séparée d’elle que par lady Lucas,
eut la mortification d’entendre sa mère parler ouvertement
à sa voisine de ses espérances maternelles.
Entraînée par son sujet, Mrs. Bennet ne se lassait
pas d’énumérer les avantages d’une telle union : un
jeune homme si bien, si riche, n’habitant qu’à trois
milles de Longbourn ! dont les sœurs montraient tant
d’affection pour Jane et souhaitaient certainement
cette alliance autant qu’elle-même. D’autre part, quel
avantage pour les plus jeunes filles que le beau mariage
de leur aînée qui les aiderait sans doute à trouver
elles aussi des partis avantageux. Enfin Mrs. Bennet
serait très heureuse de pouvoir les confier à la garde de
leur sœur et de se dispenser ainsi de les accompagner
dans le monde. C’est là un sentiment qu’il est d’usage
d’exprimer en pareille circonstance, mais il était difficile
de se représenter Mrs. Bennet éprouvant, à
n’importe quel âge, une si grande satisfaction à rester
chez elle.

Elizabeth essayait d’arrêter ce flot de paroles ou
de persuader à sa mère de mettre une sourdine à sa
voix, car elle rougissait à la pensée que Mr. Darcy,
qui était assis en face d’elles, ne devait presque rien
perdre du chuchotement trop intelligible de Mrs. Bennet,
mais celle-ci ne répondit qu’en taxant sa fille
d’absurdité.

— Et pour quelle raison dois-je avoir si grand’peur
de Mr. Darcy, je vous prie ! L’amabilité qu’il nous
montre m’oblige-t-elle donc à ne pas prononcer une
parole qui puisse avoir le malheur de lui déplaire ?

— Pour l’amour du ciel, ma mère, parlez plus bas.
Quel avantage voyez-vous à blesser Mr. Darcy ? Cela
ne sera certainement pas une recommandation pour
vous auprès de son ami.

Tout ce que put dire Elizabeth fut absolument inutile ;
sa mère continua à parler de ses espoirs d’avenir
avec aussi peu de réserve. Rouge de honte et de contrariété,
Elizabeth ne pouvait s’empêcher de regarder
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/97==
constamment dans la direction de Mr. Darcy et
chaque coup d’œil la confirmait dans ses craintes. Il
ne regardait pas Mrs. Bennet, mais son attention
certainement était fixée sur elle et l’expression de son
visage passa graduellement de l’indignation à une
froideur dédaigneuse. À la fin, pourtant, Mrs. Bennet
n’eut plus rien à dire et lady Lucas, que ces considérations
sur un bonheur qu’elle n’était pas appelée à
partager faisaient bâiller depuis longtemps, put enfin
savourer en paix son jambon et son poulet froid.

Elizabeth commençait à respirer, mais cette tranquillité
ne fut pas de longue durée. Le souper terminé,
on proposa un peu de musique et elle eut l’ennui
de voir Mary, qu’on en avait à peine priée, se préparer
à charmer l’auditoire. Du regard, elle tenta de
l’en dissuader, mais enchantée de cette occasion de se
produire, Mary ne voulut pas comprendre et commença
une romance. Elizabeth l’écouta chanter plusieurs
strophes avec une<ref>WS : nue -> une</ref> impatience qui ne s’apaisa point à
la fin du morceau ; car quelqu’un ayant exprimé
vaguement l’espoir de l’entendre encore, Mary se
remit au piano. Son talent n’était pas à la hauteur de
la circonstance ; sa voix manquait d’ampleur et son
interprétation de naturel. Elizabeth au supplice lança
un coup d’œil à Jane pour savoir ce qu’elle en pensait,
mais Jane causait tranquillement avec Bingley. Ses
yeux se tournèrent alors vers les deux sœurs qu’elle vit
échanger des regards amusés, vers Mr. Darcy, qui gardait
le même sérieux impénétrable, vers son père,
enfin, à qui elle fit signe d’intervenir, dans la crainte
que Mary ne continuât à chanter toute la nuit.
Mr. Bennet comprit et lorsque Mary eut achevé son
second morceau, il dit à haute voix :

— C’est parfait, mon enfant. Mais vous nous avez
charmés assez longtemps. Laissez aux autres le temps
de se produire à leur tour.

Mary, bien qu’elle fît semblant de n’avoir pas entendu,
se montra quelque peu décontenancée et {{tiret|Eliza|Elizabeth,}}
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/98==
{{tiret2|beth,|Elizabeth,}} contrariée par l’apostrophe de son père, regretta
son intervention.

On invitait maintenant d’autres personnes à se
faire entendre.

— Si j’avais le bonheur de savoir chanter, dit
Mr. Collins, j’aurais grand plaisir à charmer la compagnie
car j’estime que la musique est une distraction
innocente et parfaitement compatible avec la profession
de clergyman. Je ne veux pas dire, cependant,
que nous soyons libres d’y consacrer beaucoup de
temps. Le recteur d’une paroisse est très occupé :
quand il a composé ses sermons et rempli les devoirs
de sa charge, il lui reste bien peu de loisirs pour les
soins à donner à son intérieur qu’il serait inexcusable
de ne pas rendre aussi confortable que possible.
D’autre part, il doit avoir le souci constant de se montrer
plein d’égards pour tous, et en particulier pour la
famille de laquelle il tient son bénéfice. C’est une obligation
dont il ne saurait se dispenser et, pour ma part,
je ne pourrais juger favorablement celui qui négligerait
une occasion de témoigner son respect à toute personne
apparentée à ses bienfaiteurs.

Et par un salut adressé à Mr. Darcy, il conclut ce
discours débité assez haut pour être entendu de la
moitié du salon. Plusieurs personnes le regardèrent
avec étonnement, d’autres sourirent, mais personne
ne paraissait plus amusé que Mr. Bennet tandis que
sa femme, avec un grand sérieux, félicitait Mr. Collins
de la sagesse de ses propos et observait à voix basse à
lady Lucas que ce jeune homme était fort sympathque<ref>WS : sympathque -> sympathique</ref>
et d’une intelligence remarquable.

Il semblait à Elizabeth que si sa famille avait pris
tâche, ce soir-là, de se rendre ridicule, elle n’aurait
pu le faire avec plus de succès. Heureusement qu’une
partie de cette exhibition avait échappé à Mr. Bingley ;
mais la pensée que ses deux sœurs et Mr. Darcy n’en
avaient pas perdu un détail lui était fort pénible, et
elle ne savait si elle souffrait plus du mépris silencieux
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/99==
de l’un ou des sourires moqueurs des deux autres.

Le reste de la soirée offrit peu d’agrément à Elizabeth,
agacée par la présence continuelle de Mr. Collins
à ses côtés. S’il n’obtint pas d’elle la faveur d’une nouvelle
danse, il l’empêcha du moins de danser avec
d’autres. En vain lui offrit-elle de le présenter à ses
amies ; il l’assura que la danse le laissait indifférent,
que son seul objet était de lui être agréable et qu’il se
ferait un devoir de lui tenir compagnie toute la soirée.
Il n’y avait donc rien à faire. Elizabeth dut son
unique soulagement à miss Lucas qui, en se joignant
à leur conversation, détourna sur elle-même une
partie des discours de Mr. Collins.

Du moins Elizabeth n’eut-elle plus à subir les attentions
de Mr. Darcy. Bien qu’il demeurât longtemps
seul à peu de distance de leur groupe, il ne chercha
plus à lui adresser la parole. Elizabeth vit dans cette
attitude le résultat de ses allusions à Mr. Wickham et
s’en félicita.

Les habitants de Longbourn furent des derniers à
prendre congé, et par suite d’une manœuvre de
Mrs. Bennet, ils durent attendre leur voiture un quart
d’heure de plus que les autres invités, ce qui leur laissa
le temps de voir combien leur départ était ardemment
souhaité par une partie de leurs hôtes. Mrs. Hurst et
sa sœur étaient visiblement impatientes de retrouver
leur liberté pour aller se coucher, et n’ouvraient la
bouche que pour se plaindre de la fatigue, laissant
Mrs. Bennet essayer sans succès de soutenir la conversation.
Mr. Darcy ne disait mot ; Mr. Bingley et Jane,
un peu à l’écart, causaient sans s’occuper des autres ;
Elizabeth gardait le même silence que Mrs. Hurst
et miss Bingley, et Lydia elle-même n’avait plus
la force que de s’exclamer de temps à autre avec
un large bâillement : « Dieu, que je suis lasse ! »

Quand ils se levèrent enfin pour partir, Mrs. Bennet
exprima d’une manière pressante son désir de voir
bientôt tous ses hôtes à Longbourn, et s’adressa {{tiret|parti|particulièrement }}
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/100==
{{tiret2|culièrement|particulièrement }} à Mr. Bingley pour l’assurer du plaisir
qu’il leur ferait en venant n’importe quel jour, sans
invitation, partager leur repas de famille. Avec plaisir
et reconnaissance, Mr. Bingley promit de saisir la première
occasion d’aller lui faire visite après son retour
de Londres où il devait se rendre le lendemain même
pour un bref séjour.

Mrs. Bennet était pleinement satisfaite. Elle quitta
ses hôtes avec l’agréable persuasion que, — en tenant
compte des délais nécessaires pour dresser le contrat
et commander l’équipage et les toilettes de noces, —
elle pouvait espérer voir sa fille installée à Netherfield
dans un délai de trois ou quatre mois.





{{NouveauChapitre|19|from={{{from}}}|to={{{to}}}}}




<div style="text-align:center">XIX</div>



Le lendemain amena du nouveau à Longbourn :
Mr. Collins fit sa déclaration. Il n’avait plus de temps
à perdre, son congé devant se terminer le samedi
suivant ; et comme sa modestie ne lui inspirait aucune
inquiétude qui pût l’arrêter au dernier moment, il
décida de faire sa demande dans les formes qu’il jugeait
indispensables dans cette circonstance.

Trouvant après le breakfast Mrs. Bennet en compagnie
d’Elizabeth et d’une autre de ses filles, il lui
parla ainsi :

— Puis-je, madame, solliciter votre bienveillant
appui pour obtenir de votre fille, Elizabeth, un entretien
particulier dans le cours de la matinée ?

Avant qu’Elizabeth rougissante eût eu le temps
d’ouvrir la bouche. Mrs. Bennet avait déjà répondu :

— Mais je crois bien ! Je suis sûre qu’Elizabeth ne
demande pas mieux. Venez, Kitty, j’ai besoin de vous
au premier. — Et rassemblant son ouvrage, elle se
hâtait vers la porte, lorsque Elizabeth s’écria :

— Ma mère, ne sortez pas, je vous en prie. Mr. {{tiret|Col|Collins}}
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/101==
{{tiret2|lins|Collins}} m’excusera, mais il n’a certainement rien à me
dire que tout le monde ne puisse entendre. Je vais
moi-même me retirer.

— Non, non, Lizzy ! Quelle est cette sottise ? Je
désire que vous restiez. — Et comme Elizabeth, rouge
de confusion et de colère, continuait à gagner la porte,
Mrs. Bennet ajouta : — Lizzy, j’insiste pour que vous
restiez et que vous écoutiez ce que Mr. Collins veut
vous dire.

La jeune fille ne pouvait résister à une telle injonction :
comprenant, après un instant de réflexion, que
mieux valait en finir au plus vite, elle se rassit et
reprit son ouvrage pour se donner une contenance et
dissimuler la contrariété ou l’envie de rire qui la prenaient
tour à tour.

La porte était à peine refermée sur Mrs. Bennet
et Kitty que Mr. Collins commençait :

— Croyez, chère miss Elizabeth, que votre modestie,
loin de me déplaire, ne fait à mes yeux qu’ajouter
à vos charmes. Vous m’auriez paru moins aimable
sans ce petit mouvement de retraite, mais laissez-moi
vous assurer que j’ai pour vous parler la permission de
votre respectable mère. Vous vous doutez sûrement
du but de cet entretien, bien que votre délicatesse<ref>dèlicatesse -> délicatesse</ref> vous
fasse simuler le contraire. J’ai eu pour vous trop d’attentions
pour que vous ne m’ayez pas deviné. À
peine avais-je franchi le seuil de cette maison que je
voyais en vous la compagne de mon existence ; mais
avant de me laisser emporter par le flot de mes sentiments,
peut-être serait-il plus convenable de vous
exposer les raisons qui me font songer au mariage et
le motif qui m’a conduit en Hertfordshire pour y
chercher une épouse.

L’idée du solennel Mr. Collins « se laissant emporter
par le flot de ses sentiments » parut si comique à Elizabeth
qu’elle dut faire effort pour ne pas éclater de
rire et perdit l’occasion d’interrompre cet éloquent
discours.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/102==
<br/>

— Les raisons qui me déterminent à me marier,
continua-t-il, sont les suivantes : premièrement, je
considère qu’il est du devoir de tout clergyman de
donner le bon exemple à sa paroisse en fondant un
foyer. Deuxièmement, je suis convaincu, ce faisant,
de travailler à mon bonheur. Troisièmement, — j’aurais
dû peut-être commencer par là, — je réponds
ainsi au désir exprimé par la très noble dame que j’ai
l’honneur d’appeler ma protectrice. Par deux fois, et
sans que je l’en eusse priée, elle a daigné me faire savoir
son opinion à ce sujet. Le samedi soir qui a précédé
mon départ, entre deux parties de « quadrilles », elle
m’a encore dit : « Mr. Collins, il faut vous marier.
Un clergyman comme vous doit se marier. Faites un
bon choix. Pour ma satisfaction, et pour la vôtre,
prenez une fille de bonne famille, active, travailleuse,
entendue ; non point élevée dans des idées de grandeur
mais capable de tirer un bon parti d’un petit
revenu. Trouvez une telle compagne le plus tôt possible,
amenez-la à Hunsford, et j’irai lui rendre visite. »
Permettez-moi, ma belle cousine, de vous dire en passant
que la bienveillance de lady Catherine de Bourgh
n’est pas un des moindres avantages que je puis vous
offrir. Ses qualités dépassent tout ce que je puis vous
en dire, et je crois que votre vivacité et votre esprit
lui plairont, surtout s’ils sont tempérés par la discrétion
et le respect que son rang ne peut manquer de
vous inspirer.

Tels sont les motifs qui me poussent au mariage. Il
me reste à vous dire pourquoi je suis venu choisir une
femme à Longbourn plutôt que dans mon voisinage
où, je vous assure, il ne manque pas d’aimables jeunes
filles ; mais devant hériter de ce domaine à la mort de
votre honorable père (qui, je l’espère, ne se produira
pas d’ici de longues années), je ne pourrais être complètement
satisfait si je ne choisissais une de ses filles
afin de diminuer autant que possible le tort que je leur
causerai lorsque arrivera le douloureux événement.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/103==
(Dieu veuille que ce soit le plus tard possible !) Ces
raisons, ma chère cousine, ne me feront pas, je l’espère,
baisser dans votre estime. Et maintenant il ne
me reste plus qu’à vous exprimer en termes ardents
toute la force de mes sentiments. La question de fortune
me laisse indifférent. Je sais que votre père ne
peut rien vous donner et que mille livres placées à
quatre pour cent sont tout ce que vous pouvez espérer
recueillir après la mort de votre mère. Je garderai donc
le silence le plus absolu sur ce chapitre et vous pouvez
être sûre que jamais vous n’entendrez sortir de ma
bouche un reproche dénué de générosité lorsque nous
serons mariés.

— Vous allez trop vite, monsieur, s’écria Elizabeth.
Vous oubliez que je ne vous ai pas encore répondu.
Laissez-moi le faire sans plus tarder. Je suis très sensible
à l’honneur que vous me faites par cette proposition
et je vous en remercie, mais il m’est impossible
de ne point la décliner.

— Je sais depuis longtemps, répliqua Mr. Collins
avec un geste majestueux, qu’il est d’usage parmi les
jeunes filles de repousser celui qu’elles ont au fond
l’intention d’épouser lorsqu’il se déclare pour la première
fois, et qu’il leur arrive de renouveler ce refus
une seconde et même une troisième fois ; c’est pourquoi
votre réponse ne peut me décourager, et j’ai confiance
que j’aurai avant longtemps le bonheur de vous
conduire à l’autel.

— En vérité, monsieur, cette confiance est plutôt
extraordinaire après ce que je viens de vous déclarer !
Je vous affirme que je ne suis point de ces jeunes filles,
— si tant est qu’il en existe, — assez imprudentes pour
jouer leur bonheur sur la chance de se voir demander
une seconde fois. Mon refus est des plus sincères :
vous ne pourriez pas me rendre heureuse et je suis la
dernière femme qui pourrait faire votre bonheur.
Bien plus, si votre amie lady Catherine me connaissait,
je suis sûre qu’elle me trouverait fort mal
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/104==
qualifiée pour la situation que vous me proposez.

— Quand bien même, répondit gravement Mr. Collins,
l’avis de lady Catherine… Mais je ne puis imaginer
Sa Grâce vous regardant d’un œil défavorable et soyez
certaine que, lorsque je la reverrai, je lui vanterai avec
chaleur votre modestie, votre esprit d’ordre et vos
autres aimables qualités.

— Mr. Collins, toutes ces louanges seraient inutiles.
Veuillez m’accorder la liberté de juger pour mon
compte et me faire la grâce de croire ce que je vous dis.
Je souhaite vous voir heureux et riche et, en vous refusant
ma main, je contribue à la réalisation de ce vœu.
Les scrupules respectables que vous exprimiez au sujet
de ma famille sont sans objet maintenant que vous
m’avez proposé d’être votre femme et vous pourrez,
quand le temps viendra, entrer en possession de
Longbourn sans vous adresser aucun reproche. Cette
question est donc réglée.

Elle s’était levée en prononçant ces derniers mots
et allait quitter la pièce quand Mr. Collins l’arrêta par
ces mots :

— Lorsque j’aurai l’honneur de reprendre cette
conversation avec vous, j’espère recevoir une réponse
plus favorable ; non point que je vous accuse de cruauté
et peut-être même, en faisant la part de la réserve habituelle
à votre sexe, en avez-vous dit assez aujourd’hui
pour m’encourager à poursuivre mon projet.

— En vérité, Mr. Collins, s’écria Elizabeth avec
chaleur, vous me confondez ! Si vous considérez tout
ce que je viens de vous dire comme un encouragement,
je me demande en quels termes il me faut
exprimer mon refus pour vous convaincre que c’en
est un !

— Laissez-moi croire, ma chère cousine, que ce
refus n’est qu’une simple formalité. Il ne me semble
pas que je sois indigne de vous, ni que l’établissement
que je vous offre ne soit pas pour vous des plus enviables.
Ma situation, mes relations avec la famille de
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/105==
Bourgh, ma parenté avec votre famille, sont autant
de conditions favorables à ma cause. En outre, vous
devriez considérer qu’en dépit de tous vos attraits
vous n’êtes nullement certaine de recevoir une autre
demande en mariage. Votre dot est malheureusement
si modeste qu’elle doit inévitablement contre-balancer
l’effet de votre charme et de vos qualités. Force m’est
donc de conclure que votre refus n’est pas sérieux, et
je préfère l’attribuer au désir d’exciter ma tendresse
en la tenant en suspens, suivant l’élégante coutume des
femmes du monde.

— Soyez sûr, monsieur, que je n’ai aucune prétention
à cette sorte d’élégance, qui consiste à faire souffrir
un honnête homme. Je préférerais qu’on me fît le compliment
de croire à ce que je dis. Je vous remercie mille
fois de votre proposition, mais il m’est impossible de
l’accepter ; mes sentiments me l’interdisent absolument.
Puis-je parler avec plus de clarté ? Ne me prenez
pas pour une coquette qui prendrait plaisir à vous
tourmenter, mais pour une personne raisonnable qui
parle en toute sincérité.

— Vous êtes vraiment délicieuse, quoi que vous
fassiez ! s’écria-t-il avec une lourde galanterie, et je suis
persuadé que ma demande, une fois sanctionnée par
la volonté expresse de vos excellents parents, ne manquera
pas de vous paraître acceptable.

Devant cette invincible persistance à vouloir
s’abuser, Elizabeth abandonna la partie et se retira
en silence.





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<div style="text-align:center">XX</div>



Mr. Collins ne resta pas longtemps seul à méditer
sur le succès de sa déclaration. Mrs. Bennet, qui rôdait
dans le vestibule en attendant la fin de l’entretien,
n’eut pas plus tôt vu sa fille ouvrir la porte et gagner
rapidement l’escalier qu’elle entra dans la salle à
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/106==
manger et félicita Mr. Collins avec chaleur en lui
exprimant la joie que lui causait la perspective de
leur alliance prochaine. Mr. Collins reçut ces félicitations
et y répondit avec autant de plaisir, après quoi
il se mit à relater les détails d’une entrevue dont il
avait tout lieu d’être satisfait puisque le refus que sa
cousine lui avait obstinément opposé n’avait d’autre
cause que sa modestie et l’extrême délicatesse de ses
sentiments.

Ce récit cependant causa quelque trouble à Mrs. Bennet.
Elle eût bien voulu partager cette belle assurance
et croire que sa fille, en repoussant Mr. Collins, avait
eu l’intention de l’encourager. Mais la chose lui paraissait
peu vraisemblable et elle ne put s’empêcher de
le dire.

— Soyez sûr, Mr. Collins, que Lizzy finira par
entendre raison. C’est une fille sotte et entêtée qui ne
connaît point son intérêt ; mais je me charge de le lui
faire comprendre.

— Permettez, madame : si votre fille est réellement
sotte et entêtée comme vous le dites, je me demande
si elle est la femme qui me convient. Un homme dans
ma situation désire naturellement trouver le bonheur
dans l’état conjugal et si ma cousine persiste à rejeter
ma demande, peut-être vaudrait-il mieux ne pas
essayer de la lui faire agréer de force ; sujette à de tels
défauts de caractère, elle ne me paraît pas faite pour
assurer ma félicité.

— Monsieur, vous interprétez mal mes paroles,
s’écria Mrs. Bennet alarmée. Lizzy ne montre d’entêtement
que dans des questions de ce genre. Autrement
c’est la meilleure nature qu’on puisse rencontrer. Je
vais de ce pas trouver Mr. Bennet et nous aurons tôt
fait, à nous deux, de régler cette affaire avec elle.

Et, sans lui donner le temps de répondre, elle se précipita
dans la bibliothèque où se trouvait son mari.

— Ah ! Mr. Bennet, s’exclama-t-elle en entrant,
j’ai besoin de vous tout de suite. Venez vite obliger
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/107==
Lizzy à accepter Mr. Collins. Elle jure ses grands dieux
qu’elle ne veut pas de lui. Si vous ne vous hâtez pas,
il va changer d’avis, et c’est lui qui ne voudra plus d’elle !

Mr. Bennet avait levé les yeux de son livre à l’entrée
de sa femme et la fixait avec une indifférence tranquille
que l’émotion de celle-ci n’arriva pas à troubler.

— Je n’ai pas l’avantage de vous comprendre, dit-il
quand elle eut fini. De quoi parlez-vous donc ?

— Mais de Lizzy et de Mr. Collins ! Lizzy dit qu’elle
ne veut pas de Mr. Collins et Mr. Collins commence à
dire qu’il ne veut plus de Lizzy.

— Et que puis-je faire à ce propos ? Le cas me
semble plutôt désespéré.

— Parlez à Lizzy. Dites-lui que vous tenez à ce
mariage.

— Faites-la appeler. Je vais lui dire ce que j’en pense.

Mrs. Bennet sonna et donna l’ordre d’avertir miss
Elizabeth qu’on la demandait dans la bibliothèque.

— Arrivez ici, mademoiselle, lui cria son père dès
qu’elle parut. Je vous ai envoyé chercher pour une
affaire d’importance. Mr. Collins, me dit-on, vous
aurait demandée en mariage. Est-ce exact ?

— Très exact, répondit Elizabeth.

— Vous avez repoussé cette demande ?

— Oui, mon père.

— Fort bien. Votre mère insiste pour que vous
l’acceptiez. C’est bien cela, Mrs. Bennet ?

— Parfaitement ; si elle s’obstine dans son refus,
je ne la reverrai de ma vie.

— Ma pauvre enfant, vous voilà dans une cruelle
alternative. À partir de ce jour, vous allez devenir
étrangère à l’un de nous deux. Votre mère refuse de
vous revoir si vous n’épousez pas Mr. Collins, et je
vous défends de reparaître devant moi si vous l’épousez.

Elizabeth ne put s’empêcher de sourire à cette
conclusion inattendue ; mais Mrs. Bennet, qui avait
supposé que son mari partageait son sentiment, fut
excessivement désappointée.
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/108==
<br/>

— Mr. Bennet ! À quoi pensez-vous de parler
ainsi ? Vous m’aviez promis d’amener votre fille à la
raison !

— Ma chère amie, répliqua son mari, veuillez m’accorder
deux faveurs : la première, c’est de me permettre
en cette affaire le libre usage de mon jugement, et la
seconde de me laisser celui de ma bibliothèque. Je
serais heureux de m’y retrouver seul le plus tôt possible.

Malgré la défection de son mari, Mrs. Bennet ne se
résigna pas tout de suite à s’avouer battue. Elle entreprit
Elizabeth à plusieurs reprises, la suppliant et la
menaçant tour à tour. Elle essaya aussi de se faire une
alliée de Jane, mais, avec toute la douceur possible,
celle-ci refusa d’intervenir. Quant à Elizabeth, tantôt
avec énergie, tantôt avec gaieté, elle repoussa tous les
assauts, changeant de tactique, mais non de détermination.

Mr. Collins pendant ce temps méditait solitairement
sur la situation. La haute opinion qu’il avait de lui-même
l’empêchait de concevoir les motifs qui avaient
poussé sa cousine à le refuser et, bien que blessé dans
son amour-propre, il n’éprouvait pas un véritable
chagrin. Son attachement pour Elizabeth était un pur
effet d’imagination et la pensée qu’elle méritait peut-être
les reproches de sa mère éteignait en lui tout sentiment
de regret.

Pendant que toute la famille était ainsi dans le
désarroi, Charlotte Lucas vint pour passer la journée
avec ses amies. Elle fut accueillie dans le hall par
Lydia qui se précipita vers elle en chuchotant :

— Je suis contente que vous soyez venue car il se
passe ici des choses bien drôles. Devinez ce qui est
arrivé ce matin : Mr. Collins a offert sa main à Lizzy,
et elle l’a refusée !

Charlotte n’avait pas eu le temps de répondre qu’elles
étaient rejointes par Kitty, pressée de lui annoncer
la même nouvelle. Enfin, dans la salle à manger,
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/109==
Mrs. Bennet, qu’elles y trouvèrent seule, reprit le
même sujet et réclama l’aide de miss Lucas en la
priant d’user de son influence pour décider son amie à
se plier aux vœux de tous les siens.

— Je vous en prie, chère miss Lucas, dit-elle d’une
voix plaintive, faites cela pour moi ! Personne n’est
de mon côté, personne ne me soutient, personne n’a
pitié de mes pauvres nerfs.

L’entrée de Jane et d’Elizabeth dispensa Charlotte
de répondre.

— Et justement la voici, poursuivit Mrs. Bennet,
aussi tranquille, aussi indifférente que s’il s’agissait
du shah de Perse ! Tout lui est égal, pourvu qu’elle
puisse faire ses volontés. Mais, prenez garde, miss
Lizzy, si vous vous entêtez à repousser toutes les
demandes qui vous sont adressées, vous finirez par
rester vieille fille et je ne sais pas qui vous fera vivre
lorsque votre père ne sera plus là. Ce n’est pas moi
qui le pourrai, je vous en avertis. Je vous ai dit tout
à l’heure, dans la bibliothèque, que je ne vous parlerais
plus ; vous verrez si je ne tiens point parole. Je
n’ai aucun plaisir à causer avec une fille si peu soumise.
Non que j’en aie beaucoup à causer avec personne ;
les gens qui souffrent de malaises nerveux comme
moi n’ont jamais grand goût pour la conversation.
Personne ne sait ce que j’endure ! Mais c’est toujours
la même chose, on ne plaint jamais ceux qui ne se
plaignent pas eux-mêmes.

Ses filles écoutaient en silence cette litanie, sachant
que tout effort pour raisonner leur mère ou pour la
calmer ne ferait que l’irriter davantage. Enfin les
lamentations de Mrs. Bennet furent interrompues par
l’arrivée de Mr. Collins qui entrait avec un air plus
solennel encore que d’habitude.

Sur un signe, les jeunes filles quittèrent la pièce et
Mrs. Bennet commença d’une voix douloureuse :

— Mon cher Mr. Collins…

— Ma chère madame, interrompit celui-ci, ne {{tiret|par|parlons}}
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/110==
{{tiret2|lons|parlons}} plus de cette affaire. Je suis bien loin, continua-t-il
d’une voix où perçait le mécontentement, de garder
rancune à votre fille. La résignation à ce qu’on ne peut
empêcher est un devoir pour tous, et plus spécialement
pour un homme qui a fait choix de l’état ecclésiastique.
Ce devoir, je m’y soumets d’autant plus aisément
qu’un doute m’est venu sur le bonheur qui m’attendait
si ma belle cousine m’avait fait l’honneur de
m’accorder sa main. Et j’ai souvent remarqué que la
résignation n’est jamais si parfaite que lorsque la
faveur refusée commence à perdre à nos yeux quelque
chose de sa valeur. J’espère que vous ne considérerez
pas comme un manque de respect envers vous que je
retire mes prétentions aux bonnes grâces de votre fille
sans vous avoir sollicités, vous et Mr. Bennet, d’user
de votre autorité en ma faveur. Peut-être ai-je eu tort
d’accepter un refus définitif de la bouche de votre fille
plutôt que de la vôtre, mais nous sommes tous sujets
à nous tromper. J’avais les meilleures intentions :
mon unique objet était de m’assurer une compagne
aimable, tout en servant les intérêts de votre famille.
Cependant, si vous voyez dans ma conduite quelque
chose de répréhensible, je suis tout prêt à m’en excuser.





{{NouveauChapitre|19|from={{{from}}}|to={{{to}}}}}




<div style="text-align:center">XXI</div>



La discussion provoquée par la demande de Mr. Collins
était maintenant close. Elizabeth en gardait seulement
un souvenir pénible et devait encore supporter
de temps à autre les aigres allusions de sa mère. Quant
au soupirant malheureux, ses sentiments ne s’exprimaient
point par de l’embarras ou de la tristesse, mais
par une attitude raide et un silence plein de ressentiment.
C’est à peine s’il s’adressait à Elizabeth, et les
attentions dont il la comblait auparavant se reportèrent
sur miss Lucas dont la complaisance à écouter
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/111==
ses discours fut un soulagement pour tout le monde et
en particulier pour Elizabeth.

Le lendemain, la santé et l’humeur de Mrs. Bennet
ne présentaient aucune amélioration et Mr. Collins,
de son côté, continuait à personnifier l’orgueil blessé.
Elizabeth s’était flattée de l’espoir que son mécontentement
le déciderait à abréger son séjour, mais ses
plans n’en paraissaient nullement affectés ; il s’était
toujours proposé de rester jusqu’au samedi et n’entendait
pas s’en aller un jour plus tôt.

Après le déjeuner les jeunes filles se rendirent à
Meryton pour savoir si Mr. Wickham était de retour.
Comme elles entraient dans la ville, elles le rencontrèrent
lui-même et il les accompagna jusque chez leur
tante où son regret d’avoir manqué le bal de Netherfield
et la déception que tout le monde en avait
éprouvée, furent l’objet de longs commentaires. À
Elizabeth pourtant, il ne fit aucune difficulté pour
avouer que son absence avait été volontaire.

— À mesure que la date du bal se rapprochait, dit-il,
j’avais l’impression de plus en plus nette que je
ferais mieux d’éviter une rencontre avec Mr. Darcy.
Me trouver avec lui dans la même salle, dans la même
société pendant plusieurs heures, était peut-être plus
que je ne pouvais supporter ; il aurait pu en résulter
des incidents aussi désagréables pour les autres que
pour moi-même.

Elizabeth approuva pleinement son abstention. Ils
eurent tout le loisir de s’étendre sur ce sujet, car
Wickham et un de ses camarades reconduisirent les
jeunes filles jusqu’à Longbourn et, pendant le trajet,
il s’entretint surtout avec Elizabeth. Touchée d’un
empressement aussi flatteur, elle profita de l’occasion
pour le présenter à ses parents.

Peu après leur retour, un pli apporté de Netherfield
fut remis à Jane qui l’ouvrit aussitôt. L’enveloppe
contenait une feuille d’un charmant papier satiné couverte
d’une écriture féminine élégante et déliée. {{tiret|Eli|Elizabeth}}
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/112==
{{tiret2|zabeth|Elizabeth}} vit que sa sœur changeait de couleur en lisant
et qu’elle s’arrêtait spécialement à certains passages
de la lettre. Jane, d’ailleurs, reprit vite son sang-froid
et se joignit à la conversation générale avec son entrain
habituel. Mais, dès que Wickham et son compagnon
furent partis, elle fit signe à Elizabeth de la suivre dans
leur chambre. À peine y étaient-elles qu’elle dit en lui
tendant la lettre :

— C’est de Caroline Bingley, et la nouvelle qu’elle
m’apporte n’est pas sans me surprendre. À l’heure
qu’il est ils ont tous quitté Netherfield et sont en route
pour Londres, sans idée de retour. Écoutez plutôt.

Elle lut la première phrase qui annonçait la résolution
de ces dames de rejoindre leur frère et de dîner
ce même soir à Grosvenor Street, où les Hurst avaient
leur maison. La lettre continuait ainsi : « Nous ne
regretterons pas grand’chose du Hertfordshire, à part
votre société, chère amie. Espérons cependant que
l’avenir nous réserve l’occasion de renouer nos si
agréables relations et, qu’en attendant, nous adoucirons
l’amertume de l’éloignement par une correspondance
fréquente et pleine d’abandon. »

Cette grande tendresse laissa Elizabeth très froide.
Bien que la soudaineté de ce départ la surprît, elle n’y
voyait rien qui valût la peine de s’en affliger. Le fait
que ces dames n’étaient plus à Netherfield n’empêcherait
vraisemblablement point Mr. Bingley d’y revenir
et sa présence, Elizabeth en était persuadée,
aurait vite consolé Jane de l’absence de ses sœurs.

— C’est dommage, dit-elle après un court silence,
que vous n’ayez pu les revoir avant leur départ ;
cependant il nous est peut-être permis d’espérer que
l’occasion de vous retrouver se présentera plus tôt
que miss Bingley ne le prévoit. Qui sait si ces rapports
d’amitié qu’elle a trouvés si agréables ne se renoueront
pas plus intimes encore ?… Mr. Bingley ne se laissera
pas retenir longtemps à Londres.

— Caroline déclare nettement qu’aucun d’eux ne
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/113==
reviendra à Netherfield de tout l’hiver. Voici ce qu’elle
dit : « Quand mon frère nous a quittés hier, il pensait
pouvoir conclure en trois ou quatre jours l’affaire qui
l’appelait à Londres, mais c’est certainement impossible
et comme nous sommes convaincus, d’autre part,
que Charles, une fois à Londres, ne sera nullement pressé
d’en revenir, nous avons décidé de le rejoindre afin
de lui épargner le désagrément de la vie à l’hôtel. Beaucoup
de nos amis ont déjà regagné la ville pour l’hiver.
Comme je serais heureuse d’apprendre que vous-même,
chère amie, vous proposez de faire un tour dans la
capitale ! Mais, hélas ! je n’ose y compter. Je souhaite
sincèrement que les fêtes de Noël soient chez vous des
plus joyeuses et que vos nombreux succès vous consolent
du départ des trois admirateurs que nous allons
vous enlever. »

— Ceci montre bien, conclut Jane, que Mr. Bingley
ne reviendra pas de cet hiver.

— Ceci montre seulement que miss Bingley ne
veut pas qu’il revienne.

— Qu’est-ce qui vous le fait croire ? Mr. Bingley est
maître de ses actes ; c’est de lui que vient sans doute
cette décision. Mais attendez le reste. À vous, je ne veux
rien cacher, et je vais vous lire le passage qui me peine
le plus. « Mr. Darcy est impatient de retrouver sa sœur
et, à vous dire vrai, nous ne le sommes pas moins que
lui. Il est difficile de trouver l’égale de Georgiana Darcy
sous le rapport de la beauté, de l’élégance et de l’éducation,
et la sympathie que nous avons pour elle,
Louisa et moi, est accrue par l’espérance de la voir
un jour devenir notre sœur. Je ne sais si je vous ai
jamais fait part de nos sentiments à cet égard, mais
je ne veux pas vous quitter sans vous en parler. Mon
frère admire beaucoup Georgiana ; il aura maintenant
de fréquentes occasions de la voir dans l’intimité, les
deux familles s’accordent pour désirer cette union et
je ne crois pas être aveuglée par l’affection fraternelle
en disant que Charles a tout ce qu’il faut pour se faire
==Page:Austen - Les Cinq filles de Mrs Bennet.djvu/114==
aimer. Avec tant de circonstances favorables ai-je
tort, ma chère Jane, de souhaiter la réalisation d’un
événement qui ferait tant d’heureux ? »

— Que pensez-vous de cette phrase, ma chère
Lizzy ? dit Jane en achevant sa lecture, ne dit-elle pas
clairement que Caroline n’a aucun désir de me voir
devenir sa sœur, qu’elle est tout à fait convaincue de
l’indifférence de son frère à mon égard et que, si elle
soupçonne la nature des sentiments qu’il m’inspire, elle
veut très amicalement me mettre sur mes gardes ? Peut-on
voir autre chose dans ce que je viens de vous lire ?

— Oui, certes, car mon impression est tout à fait
différente, et la voici en deux mots : miss Bingley s’est
aperçue que son frère vous aime alors qu’elle veut lui
faire épouser miss Darcy. Elle va le rejoindre afin de
le retenir à Londres, et elle essaye de vous persuader
qu’il ne pense pas à vous.

Jane secoua la tête.

— Jane, je vous dis la vérité. Tous ceux qui vous
ont vue avec Mr. Bingley ne peuvent douter de ses
sentiments pour vous, — miss Bingley pas plus que
les autres, car elle n’est point sotte. — Si elle pouvait
croire que Mr. Darcy éprouve seulement la moitié de
cette affection pour elle-même, elle aurait déjà commandé
sa robe de noce. Mais le fait est que nous ne
sommes ni assez riches, ni assez nobles pour eux, et
miss Bingley est d’autant plus désireuse de voir son
frère épouser miss Darcy qu’elle pense qu’une première
alliance entre les deux familles en facilitera une
seconde. Ce n’est pas mal combiné et pourrait après
tout réussir si miss de Bourgh n’était pas dans la coulisse.
Mais voyons, ma chère Jane, si miss Bingley vous
raconte que son frère est plein d’amiration pour miss
Darcy, ce n’est pas une raison suffisante pour croire
qu’il soit moins sensible à vos charmes que quand il
vous a quittée mardi dernier, ni qu’elle puisse lui persuader
à son gré que ce n’est pas de vous, mais de son
amie qu’il est épris.
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<br/>

— Tout ce que vous me dites là pourrait me tranquilliser
si nous nous faisions la même idée de miss
Bingley, répliqua Jane, mais je suis certaine que vous
la jugez injustement. Caroline est incapable de tromper
quelqu’un de propos délibéré. Tout ce que je puis
espérer de mieux dans le cas présent, c’est qu’elle se
trompe elle-même.

— C’est parfait. Du moment que vous ne voulez pas
de mon explication, vous ne pouviez en trouver une
meilleure. Croyez donc que miss Bingley se trompe, et
que cette supposition charitable vous redonne la tranquillité.

— Mais, ma chère Elizabeth, même en mettant
tout au mieux, pourrais-je être vraiment heureuse en
épousant un homme que ses sœurs et ses amis désirent
tant marier à une autre ?

— Cela, c’est votre affaire, et si, à la réflexion, vous
trouvez que la douleur de désobliger les deux sœurs
est plus grande que la joie d’épouser le frère, je vous
conseille vivement de ne plus penser à lui.

— Pouvez-vous parler ainsi, dit Jane avec un faible
sourire. Vous savez bien que malgré la peine que me
causerait leur désapprobation, je n’hésiterais pas.
Mais il est probable que je n’aurai pas à choisir si
Mr. Bingley ne revient pas cet hiver. Tant de choses
peuvent se produire en six mois !

Les deux sœurs convinrent d’annoncer ce départ à
leur mère sans rien ajouter qui pût l’inquiéter sur les
intentions de Mr. Bingley. Cette communication
incomplète ne laissa pas toutefois de contrarier vivement
Mrs. Bennet, qui déplora ce départ comme
une calamité : ne survenait-il pas juste au moment
où les deux familles commençaient à se lier intimement ?

Après s’être répandue quelque temps en doléances,
l’idée que Mr. Bingley reviendrait sans doute bientôt
et dînerait à Longbourn lui apporta un peu de réconfort.
En l’invitant, elle avait parlé d’un repas de
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famille, mais elle décida que le menu n’en comporterait
pas moins deux services complets.





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<div style="text-align:center">XXII</div>



Les Bennet dînaient ce jour-là chez les Lucas et,
de nouveau, miss Lucas eut la patience de servir
d’auditrice à Mr. Collins pendant la plus grande
partie de la soirée. Elizabeth lui en rendit grâces :

— Vous le mettez ainsi de bonne humeur, dit-elle ;
je ne sais comment vous en remercier…

Charlotte répondit que le sacrifice de son temps
était largement compensé par la satisfaction d’obliger
son amie. C’était fort aimable : mais la bonté de Charlotte
visait beaucoup plus loin que ne le soupçonnait
Elizabeth, car son but était de la délivrer d’une
admiration importune en prenant tout simplement sa
place dans le cœur de Mr. Collins. Quand on se sépara,
à la fin de la soirée, l’affaire était en si bon train
que Charlotte se serait crue assurée du succès si
Mr. Collins n’avait pas été à la veille de quitter le
Hertfordshire.

Mais elle n’avait pas bien mesuré l’ardeur des sentiments
de Mr. Collins et l’indépendance de son caractère.
Car, le lendemain matin, il s’échappait de Longbourn,
en dissimulant son dessein avec une habileté
incomparable, et accourait à Lucas Lodge pour se
jeter à ses pieds. Il désirait surtout éviter d’éveiller
l’attention de ses cousines, persuadé qu’elles ne manqueraient
pas de soupçonner ses intentions car il ne
voulait pas qu’on apprît sa tentative avant qu’il pût
en annoncer l’heureux résultat. Bien que se sentant
assez tranquille, — car Charlotte avait été passablement
encourageante, — il se tenait quand même
sur ses gardes depuis son aventure du mercredi
précédent.

Version du 1 avril 2009 à 22:36

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Les Cinq Filles de Mrs Bennet
Pride and Prejudice
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JANE AUSTEN LES

CINQ FILLES

DE

MRs. BENNET

(Pride and préjudice)


Traduit de l’anglais par V. LECONTE ET CH. PRESSOIR

PARIS LIBRAIRIE PLON

M. CM. XXXII

LES CINQ FILLES DE Mrs. BENNET

Ce volume a été déposé à la Bibliothèque Nationale en 1932.