Aller au contenu

Une voix dans la foule/Texte entier

La bibliothèque libre.
Une voix dans la foule
Une voix dans la fouleMercure de France (p. couv.-np).

STUART MERRILL

Une Voix dans la Foule
POÈMES
PARIS
MERCVRE DE FRANCE
xxvi, rve de condé, xxvi

mcmix

. . . . .

UNE VOIX DANS LA FOULE
DU MÊME AUTEUR
Poésie
poèmes, 1887-1897 ......................... 1 vol.
les quatre saisons 1900 ......................... 1 vol.
Traduction


pastels in prose, 1890.

STUART MERRILL

Une Voix dans la Foule
POÈMES
PARIS
MERCVRE DE FRANCE
xxvi, rve de condé, xxvi

mcmix

. . . . .

il a été tiré de cet ouvrage
Douze exemplaires sur papier de Hollande,
numérotés de 1 à 12
Justification du tirage

DÉDICACE
À ÉMILE VERHAEREN

Verhaeren, nom qui sonne comme un fracas d’armes
Qu’un roi barbare aurait laissé choir dans la nuit,
Verhaeren, glas qui tinte, le soir, et poursuit
Ceux qui sentent entre leurs doigts jaillir leurs larmes !

Verhaeren, tocsin dans la flamme, cris, alarmes,
Ou fanfare éclatant sur la horde qui fuit,
Verhaeren, foudre d’or dont la lande reluit,
Nom terrible où soudain tonnent tous les vacarmes !

Vous évoquez l’effroi, la bataille et la mort
Et la rage de l’homme en lutte avec le sort,
La cité qui flamboie et la forêt qui brûle.

Mais parfois, Verhaeren, votre nom devient doux
Comme un appel de cloche au fond du crépuscule :
Nous écoutons alors rêver l’amour en vous !

L’APPEL DU PASSÉ

VITA

À A.-Ferdinand Hérold.

J’ai jadis crié mon orgueil
Bien haut, par la rue et la route,
Et je riais devant le deuil
Et je chantais devant le doute.

Et s’il m’arrivait de pleurer
Comme on pleure parmi les roses,
J’étais fier de me comparer
Aux rois qu’ont lassés trop de choses.


Oui, les femmes, je les aimai,
Et je fus peut-être aimé d’elles.
Las moi ! les fleurs mortes de mai !
Ô vous, les lèvres infidèles !

J’étais tel un jeune soudard
Qui tient sa main droite crispée
À la hampe de l’étendard
Ou sur le pommeau de l’épée.

Mais voici doucement venir
Sur le pas des lentes années,
Avec la peur de l’avenir,
La vieillesse aux lèvres fanées.

Muets sont les grands clairons d’or
Qui m’annonçaient au crépuscule.
Devant tout ce silence, ô Mort,
Je sens que ma valeur recule.

Ne croyant plus aux lendemains,
Dépossédé de mon royaume,
Je regarde pâlir mes mains
Dont la paix amollit la paume.


Je voudrais me vêtir de blanc
Et dire de saintes paroles
Au frère qui suit en tremblant
La route des fous et des folles.

Mais pourquoi déplorer le sort
De nous tous que la mort dénombre
Et plaindre l’inutile effort
De ceux dont s’effacera l’ombre ?

Je sais par mes deuils et mes pleurs
Que l’aveugle Destin nous mène
Tôt ou tard, par neiges ou fleurs,
Aux portes d’ivoire et d’ébène.

Je reprendrai donc mes chemins
Vers la bataille coutumière,
Sans peur, et levant haut les mains
Hors de l’ombre, vers la lumière.

Je poursuivrai l’œuvre de Dieu
Ici, sur la terre éphémère ;
J’irai, guerrier sans feu ni lieu,
Vers où me leurre la chimère.


Je chanterai, malgré la nuit,
Sous les bois hantés de fantômes,
Au fond du val où l’ombre bruit
Et dans la caverne des gnomes.

Et lorsque, courbé sur mes pas,
Je sentirai sur moi l’haleine
De Celle qu’on ne nomme pas,
Je chanterai, mordant la plaine.

Du ciel noir entendrai-je enfin,
Au moment de l’affre suprême,
Crier vers moi le séraphin
Qui me ceindra du diadème ?

Hélas t j’ai brisé trop de croix !
Ce cri de gloire que j’annonce
Ne sera que ma propre voix,
Et non pas, ô Dieu, ta réponse.

C’ÉTAIT UN ROI…

À Henry-D. Davray.

C’était un Roi au manteau d’or
Qui s’en venait du fond du soir.
Derrière lui pleurait la Mort
Et devant lui chantait l’Espoir.

Sur ses cheveux neigeait l’hiver
Et dans ses yeux brûlait l’été.
Son diadème était de fer,
Son sceptre était de bois sculpté.


Un peu de sang souillait sa main
Que parfumait l’odeur des fleurs.
Mêlant la ronce au doux jasmin,
Il souriait parmi ses pleurs.

De tous les seuils, des vieillards fous
Le menaçaient, criant de loin,
Ou bien, ployant leurs durs genoux,
À son aumône ouvraient le poing.

Ô roi dolent, ô roi joyeux,
Marchant du soir jusqu’au matin,
Les pieds si las, les yeux aux cieux,
N’es-tu pas mon propre Destin ?

Va vers la ville ou vers les champs,
Riant le jour, pleurant la nuit :
Que font au ciel sanglots ou chants ?
L’Espoir te fuit, la Mort te suit.

LE ROI FOU

À André Salmon.

Ta demeure, ô mon âme, est un palais étrange
Où, quand tinte minuit, un fou qu’on nomme roi,
Les cheveux hérissés, hurle soudain d’effroi
En entendant glisser vers lui les pas d’un ange.

Ratatiné d’horreur sous son lourd manteau d’or,
Il griffe à gestes brefs la glace des fenêtres
Comme pour s’évader par les plaines champêtres
Vers les forêts, là-bas, où la lune s’endort.


Mais il est le captif des frêles murs de verre
Contre lesquels en vain sa terreur bat des mains.
Ah ! courir sans entrave au hasard des chemins,
N’être plus le dément que le peuple révère !

Sentant derrière lui, sans qu’il puisse le voir,
Le fantôme inconnu qui le mord à la nuque,
Il raidit ses reins las et sa taille caduque
Et glapit des appels du fond du palais noir.

Mais rien n’a répondu du gouffre des ténèbres
Aux cris désespérés de l’effroyable fou,
Sinon qu’un vent furtif, soufflant d’on ne sait où,
Froisse le long des murs les tentures funèbres.

Et voici que le fou, s’arrachant des poignets
Les bracelets gemmés qui tintent sur les dalles,
A foulé sous le fer et l’or de ses sandales
Les joyaux du royaume, inutiles jouets.

Il a déceint son front du trop lourd diadème,
Il a défait la boucle énorme du manteau,
Il a brisé le sceptre et rejeté l’anneau,
Et le voici pressant, nu comme un mort et blême,


Ses flancs sacrés de roi, sa bouche aux baisers froids
Contre le cristal vert et bleu d’une fenêtre
Par laquelle il croit voir la lune disparaître
Et l’aube se lever sur les champs et les bois.

Le peuple viendra-t-il quand sonneront les cloches
Et qu’au vent frémiront les feuilles et les blés,
Délivrer son monarque aux yeux ensorcelés
Qui gratte à chaque vitre en vain de ses mains croches ?

Nul ne le peut savoir. Car de toutes les tours
Les angelus, depuis de si longues années,
Ont cessé de sonner sur ces terres damnées,
Qu’un tel silence semble avoir duré toujours.

Et l’on n’a jamais vu d’habitants dans les villes
Qui dressent au lointain des plaines leurs débris,
Ni parmi les moissons entendu les doux cris
Des oiseaux en amour ou des filles nubiles.

Ce sera pour le fou l’angoisse d’être seul
Même pour trépasser. Ni larmes, ni prières !
Nul ami ne clora d’un doigt doux ses paupières,
Nulle amante pour lui n’ouvrira le linceul.


Aussi reste-t-il là, ployé sous les désastres,
Et la bouche collée aux carreaux d’un vitrail,
Comme s’il voulait boire à travers leur émail
La lueur de la lune et la fraîcheur des astres.

Et toujours le poursuit, d’un souffle lent et froid
Et du bruit de ses pas épouvantables, l’ange
Qui, l’ayant étranglé dans son palais étrange,
Ceindra sous l’aube d’or la couronne du roi.

LA VISION

À Georges Dwelshauvers.

Lourd de pourpre, le front chenu sous la couronne,
Le roi qu’on a fêté, las de trop d’ans subis,
Voit du haut de son trône aux éclairs de rubis,
Sans que rien de cela le distraie ou l’étonne,

Celui qui jongle avec des boules et bouffonne
Et fait dans de légers cerceaux des sauts subits,
Puis rit, la bouche rouge et les yeux ébaubis
Et, saisi d’un nouveau vertige, tourbillonne.


Mais le roi, se sachant mourir, ferme les yeux,
Et rêve aux temps lointains où, devant une reine,
Il se prosterna, lui, fils des dieux et des cieux.

Et pendant que le fou s’égosille en l’arène,
Silencieux il prie, ayant senti l’essor
Des grands anges vibrer sur ses cent palais d’or.

LA COURONNE

Avec des gestes d’apparat
Que rythmait l’orchestre des fêtes,
Il remit au prêtre castrat
La couronne de ses conquêtes.

Délaissant lors son majorat
Pour l’aventure et les tempêtes,
Il força, si loin qu’il errât,
Les peuples à prostrer leurs têtes.


Mais son astre déchut un soir
Qu’à la mort il ne put surseoir.
Son palais croula — guerre et flammes ! —

Et, reste intact de son trésor,
Sous la cendre des oriflammes
Resplendit sa couronne d’or !

LE PALAIS

Les cours de mon palais étaient pleines de fous
Jouant du bilboquet, de l’arc et de l’épée.
La reine leur riait, en ma pourpre drapée,
Et saccageait les fleurs des juillets et des aoûts.

Les cors au loin chantaient la chasse et l’épopée.
Les lourds carrosses d’or écrasaient les cailloux
Dans le parc où l’eau pleure au fond des marbres roux.
On allait voir l’armée à mes portes campée.


Une meute jappait à l’appel des varlets.
Parmi les ifs taillés les paons faisaient la roue.
Tout le soir embaumait comme un cœur qui s’avoue.

Mais tourné tristement vers mon trop beau palais
Où la reine riait toujours avec les pitres,
Je regardais mourir le soleil dans ses vitres.

LE PAON BLANC

À Tristan Klingsor.

Le paon blanc criant dans la nuit bleue
Où la brise éparpille les fleurs
Des cerisiers pâles sur sa queue,

Au fond du parc vaporeux les pleurs
De l’eau qui s’écoule des fontaines
Dans des marbres de maintes couleurs,


Exhalé des venelles lointaines
Ce vent d’amour qui frôle les fronts
D’un souffle de lèvres incertaines,

Et le parfum des orangers ronds
Qui, dans leurs jarres de terre cuite,
Bordent les balustres des perrons.

Et puis ces susurrements sans suite,
Frissons de feuilles, rêves d’oiseaux
Ou soupirs d’une amoureuse en fuite,

Tout ce qui, des rameaux aux roseaux,
Court comme une chanson sans paroles
De fileuses aux légers fuseaux,

Tout me dit que, parmi les corolles
Qui sont blanches dans le gazon noir,
Je verrai la princesse aux mains folles

Venir comme un fantôme s’asseoir
Au pied de la vétuste statue
Qui figure l’Amour et l’Espoir,


Et comme une qui se prostitue
Arracher brocarts d’or et bijoux
Dont elle s’était, ce soir, vêtue,

Pour les jeter d’un geste jaloux,
Nue au milieu de sa robe à queue
Et pâle parmi ses cheveux roux,

Au paon blanc criant dans la nuit bleue !

C’ÉTAIENT SEPT PRINCESSES

Au peintre Charles Guérin.

C’étaient sept princesses autour d’une fontaine,
Assises tristement, le menton dans la main.
Elles chantaient l’amour, et la brise incertaine
Soufflait dans leurs cheveux des parfums de jasmin.

Et l’on voyait l’une parfois mordre des roses
Et l’autre follement griffer la chair des lys.
Car elles savaient trop le sens secret des choses,
Et dans leurs voix pleuraient les beaux jours de jadis.


Le pays alentour semblait vu dans un rêve.
Au bord de bassins bleus dormaient des palais blancs.
On entendait au loin déferler sur la grève
La mer, avec un bruit de soupirs somnolents.

Des paons, rouant sur des balustrades de marbre,
Ouvraient leurs éventails d’émeraude au soleil.
Midi brûlait. L’ombre était ronde sous chaque arbre.
On se sentait les mains lourdes, comme en sommeil.

C’étaient sept princesses autour d’une fontaine.
J’ai depuis bien longtemps oublié leurs doux noms.
Ce pouvaient être Alix, Rosemonde, Maleine,
Gertrude, Mélusine et Laure aux cheveux blonds.

Je me souviens que la septième, la plus belle,
N’avait pas de nom. Claire comme le matin,
Elle ouvrait de grands yeux couleur de mirabelle.
C’est elle que j’aimai dans ce temps si lointain.

L’ombre des lauriers noirs passait sur son visage.
Elle devait suivre en elle un rêve affligeant,
Car on voyait ses petits seins de vierge sage
Soulever de sanglots son gorgerin d’argent.


Je ne sais si j’osai la baiser sur la bouche,
Tant la douce avait l’air de chérir sa douleur.
Ce pays pourtant se creusait comme une couche
Et le ciel semblait la corolle d’une fleur.

Puis voici que j’oublie. Où donc t’ai-je perdue,
Mémoire d’un temps de reines en pleurs, sinon
Dans le bruit des cités ? Et t’ai-je jamais vue,
Ô chanteuse triste qui n’avais pas de nom ?

Ah ! ne suis-je vraiment qu’un poète malade
Qui, féru d’amour pour le rêve qui le fuit,
Enchante sa peine au refrain d’une ballade
Apprise aux pages d’un ancien livre, une nuit ?

Non, mon âme à ce point ne peut être incertaine.
— Dans un lointain pays aux parfums de jasmin
C’étaient sept princesses autour d’une fontaine,
Assises tristement, le menton dans la main.

LES PAROLES DU ROI INCONNU

À André Fontainas.

J’ai régné dans les temps anciens sur un royaume
Où les hommes, amis des fleurs et des oiseaux,
Ensemençaient la terre au murmure des eaux,
Des feuilles, de la brise et des ruches de chaume.

Et comme j’étais doux et que j’aimais l’amour,
Les portes du palais étaient toujours ouvertes
Aux filles m’apportant dans des corbeilles vertes
Les pavots de la nuit et les roses du jour.


Dans les villages gais de l’espoir des récoltes
Les vieillards célébraient les bienfaits de la paix,
Et, le soir, sur les cours aux platanes épais,
Faisaient chanter mon peuple ignorant les révoltes.

Je ne sais plus le nom de ce trop beau pays ;
Mais les fleurs y semblaient plus qu’ailleurs parfumées,
Les nids plus lourds aux bois, les filles mieux aimées,
Et les secrets du cœur n’y étaient point trahis.

Pour remercier le ciel de leur béatitude,
Les mères consacraient leurs enfants au soleil
Dans des lieux où venait en paisible appareil,
Échangeant des baisers, la blanche multitude.

On ne les voyait pas, le sein gonflé de pleurs,
Pâlir au rouge appel des clairons de la guerre ;
Le sang n’arrosait pas les blés de cette terre,
La marche des soldats n’y foulait pas les fleurs.

Les amants s’endormaient sans crainte de désastres
Et leur réveil riait dans leurs regards contents ;
La vie était pour eux un long jour de printemps
Et la mort leur semblait une nuit pleine d’astres.


Tout dans ce beau royaume était ordre et clarté,
Évoluant vers Dieu sur l’égale cadence
Des tours et des retours solennels d’une danse
Ou des chœurs alternés d’un hymne bien chanté.

Et rien n’y présageait les prochaines déroutes,
Les cadavres épars dans votre paix, ô champs,
Les femmes écoutant des râles et des chants,
Les flammes sur les toits et le sang sur les routes.

Mais un soir que le vent d’été soufflait, très doux,
Des monts de l’Orient aux cimes violettes,
J’entendis comme en rêve éclater les trompettes
Des Barbares rués vers nos villes et nous.

Ce fut d’abord un bruit tremblant d’or et de cuivre
Que les petits enfants, interrompant leurs jeux
Pour soulever sur leurs oreilles leurs cheveux,
Écoutaient un instant avant de se poursuivre.

Puis, roulant un fracas de fer comme un torrent
Qui, crevant la montagne, épouvante la plaine,
Nous vîmes dévaler, hurlant à perdre haleine,
Les fauves cavaliers des hordes, rang sur rang.


Ils s’en vinrent dans le galop des chevauchées,
Casqués du mufle roux des taureaux et des ours,
Tirer leurs flèches sifflantes contre mes tours
Et brûler les hameaux dans les moissons fauchées.

Et ce furent alors les fêtes de la Mort !
Ni le sourire éclos sur d’innocentes bouches,
Ni le geste sacré des vieux offrant, farouches,
Leur vie en sacrifice aux rancunes du Sort,

Ne purent arrêter dans l’élan des conquêtes
Les Massacreurs penchés sur leurs maigres chevaux
Et mêlant, pour foncer vers des combats nouveaux,
Leurs cris de guerre au long hennissement des bêtes.

Leurs glaives flamboyaient dans le soleil couchant
Comme les ailes d’or de noirs oiseaux de proie,
Et quand mouraient au loin les clameurs de leur joie,
On voyait des pillards dans l’ombre s’approchant.

Rien ne restait debout sous les rouges nuées,
Ni l’arbre d’un enclos, ni l’huis d’une maison,
Lorsque ceux-ci, des quatre coins de l’horizon,
Surgissaient, s’appelant par de sombres huées.


Ayant donc endossé la cuirasse où l’or luit
Et coiffé le lourd casque où se déploie un aigle,
J’ai, pour imposer l’ordre et rétablir la règle,
Combattu tous les jours et saigné chaque nuit.

En vain ! Je n’étais plus le roi de ce royaume.
Dieu s’était détourné du soin de nos destins.
Les signes de ma chance au ciel s’étaient éteints.
Ma vieille épée enfin avait usé ma paume.

Je connus la défaite et la fuite au hasard,
Les carrefours de l’ombre où la peur tremble et tâte,
Les foyers refroidis qu’on abandonne en hâte
Et les chemins étroits qui ne vont nulle part.

Parfois il m’arrivait, hagard, de reconnaître
Un village où j’avais passé parmi les fleurs,
Et je m’agenouillais pour baiser, tout en pleurs,
Ce sol où j’avais vu tant de beaux enfants naître.

Puis la fuite, toujours l’âpre fuite, parmi
Les étendards baissés et les échines lasses !
Et comme on m’imputait, à moi, roi, ces disgrâces,
La révolte a souvent sous mes talons frémi.


Nous allions, souffletés par les vents et les branches.
Derrière moi mouraient mes derniers partisans
Dont je ne savais plus ni le nom, ni les ans.
La poussière et le sang souillaient ces barbes blanches !

À la fin je fus seul et je n’entendis plus
Au loin, pendant les nuits, l’éclat fou des fanfares
Ni le dur tremblement des tambours des Barbares.
Je pus dormir sans crainte au rebord des talus.

Je pus dormir. Mais quand, dévoilant mon visage,
J’ouvrais un lent regard aux rayons du soleil,
Je voyais, inclinés sur mon triste réveil,
Des inconnus parlant un inouï langage.

Je souhaitais alors d’être auprès de mes morts
Dont les pas n’ont pas fui sur la route étrangère.
La terre des aïeux doit leur être légère.
Ils n’auront pas subi cette honte où je dors.

Mais je dus me dresser sans pleurs devant l’aurore,
Sachant que, seul, le roi n’a pas droit au repos
Et qu’il lui faut, par monts glacés et sombres vaux,
Marcher aveuglement vers un but qu’il ignore.


J’allai donc en haillons vers le divin soleil,
Le suivant par-delà les bois, les champs, les villes,
Bafoué comme un gueux par les foules serviles
Qui voulaient que, vaincu, je leur fusse pareil.

Aux passants je criais, magnifique et sordide :
« Hommes, connaissez-vous la terre où je fus roi
Et dont ma volonté fut naguère la loi ? »
Ils hochaient, en riant, une tête stupide.

Et, depuis, je m’en vais par les chemins sans fin,
N’osant pas sangloter de peur qu’on ne me voie,
Et las de présenter le masque de la joie
À ceux qui railleraient ma fatigue et ma faim.

J’implore en vain l’amour charitable des femmes ;
Je n’aurai plus de mains dans les miennes, la nuit !
Le malheur me poursuit et le bonheur me fuit.
Je fais horreur, comme un lépreux, aux plus infâmes.

Et même toi, mon frère, ô vagabond qui tends
À ma pauvre pitié tes paumes décharnées,
Tu ne reconnais pas l’or vrai de mes monnaies,
Y voyant une image inconnue à ce temps.


J’ai moi-même oublié le nom de mon royaume.
Parfois je le demande à quelque enfant très pur
Dont le regard reflète encore un peu d’azur.
Mais il fuit en criant, car j’ai l’air d’un fantôme.

Le soleil peut pâlir et la lune mourir,
Chaque mois se parer de roses ou de neiges,
Je ne reverrai plus la pompe des cortèges
Dans le pays heureux que j’aimais parcourir,

Précédé de l’éclat empourpré des bannières
Et des trompettes d’or pareilles à des lys.
Tout cela se passait, hélas ! au temps jadis,
Et je ne suis qu’une ombre au mur blanc des chaumières

Ô Dieu, quand atteindrai-je au bout de mon destin
Et quand donc, à ce corps de vieillard qui succombe
S’ouvrira-t-il, le doux abîme de la tombe ?
Ô Mort, ne veux-tu pas d’un si pauvre butin ?

Pourtant, malgré mes vœux, je ne crains pas de vivre !
Je vous aime, ô soleils sur la terre assoupis !
J’ai faim quand sur les chars s’entassent les épis,
Et quand les vendangeurs dansent, je me sens ivre.


Aussi peut-on me voir, les soirs de pourpre et d’or,
Chantant comme un poète aux portes de la ville
Les chants que ne sait plus la multitude vile.
Mais les feux vont s’éteindre et le peuple s’endort.

Qu’importe à mon orgueil l’outrage du silence ?
Quoique mon front fléchisse un peu plus chaque jour,
Et que mes yeux soient morts aux flammes de l’amour,
Et que mon bras faiblisse à soulever la lance,

Je sais que devant Dieu je suis toujours le roi
Qu’on ne dépouille pas de sa puissance occulte.
Car, malgré la défaite, et la fuite et l’insulte,
Et le tocsin sonnant au plus haut du beffroi,

Je crois voir resplendir au fond des nécropoles
Mon diadème d’or, que dans les temps futurs,
Ceindra quelque héros qui, pur parmi les purs,
Aura compris le sens sacré de mes paroles !

DES CRIS DANS LA NUIT

DÉSESPOIR

Ce soir, sous le ciel d’ombre et d’or
Où des yeux semblent apparaître,
Je porte aux terres de la Mort
Les rêves auxquels je fus traître.

L’heure s’assombrit sur les bois
Où ne passera plus personne ;
Cette saison sans vents ni voix
Est celle, lourde, de l’automne.


Venu de loin, allant vers où,
Je ne sais plus en quel royaume
J’erre à pas vagues comme un fou
En pleurant l’ombre d’un fantôme.

Donnez-moi les fleurs de ce mois,
L’hélianthe et le chrysanthème,
Et celle où l’on voit une croix,
Et la rose que l’hiver aime.

Puis, frères, sans vouloir en vain
Consoler celui qui s’exile,
Rentrez, vous tenant par la main,
Vers les lumières de la ville.

J’irai seul, les yeux pleins de nuit,
Chercher, par la plaine où j’écoute
S’éteindre peu à peu tout bruit,
L’enclos sombre au bord de la route

Où je pourrai, sans cris ni pleurs,
Vous oubliant, sceptres et glaives,
Ensevelir avec les fleurs
La beauté morte de mes rêves.

VERS D’AUTOMNE

Le soleil n’est qu’un souvenir,
Les feuilles ont caché la terre,
Les derniers oiseaux vont se taire
Et les chansons d’amour finir.

Les jeunes femmes, où sont-elles,
Qui cueillirent baisers et fleurs ?
Écoute le passant en pleurs :
Amours et roses sont mortelles.


Va fermer la porte à l’hiver,
Ô pauvre que plus pauvre envie !
Ris à la mort, pleure à la vie ;
C’est l’heure où l’on ne voit plus clair.

Vers quels pays bleus va la route
Où veille, obscure, ta maison ?
Las ! tu ne vois plus l’horizon :
La pluie au bord du toit dégoutte.

Personne n’ira plus dehors.
Attends donc, seul, à la fenêtre,
Que ce long jour ait cessé d’être,
Et pense un peu, dans l’ombre, aux morts.

MOURIR

Ici, devant la fenêtre
De la chambre bleue et grise
D’où je vois l’orme et le hêtre
Se balancer sous la brise,

J’arrête un peu ma faiblesse
Qu’enfièvre le crépuscule,
Doux malade que tout blesse
Et qui devant tout recule.


C’est l’heure molle des rêves,
Des larmes et des silences,
Des souvenances trop brèves
Et des lentes somnolences.

Les fleurs, sous la moindre haleine,
S’éparpillent sur le sable.
Mais je me désole à peine
De savoir tout périssable.

La Mort même sait sourire.
Ce rideau blanc devient rose.
Je ne sais si je respire
Ni si je sens quelque chose.

Mourir serait si facile
Au bruit léger de la brise,
Mourir quand le jour vacille
Dans la chambre bleue et grise !

ÉCRIT DANS LA TRISTESSE

I

Les heures passent sous la pluie
Et dans le bruit du vent d’hiver.
Ma joie est à jamais enfuie
Sur les ailes des oiseaux d’hier.

L’été rouge et le jaune automne
Ont donné leurs fleurs et leurs fruits.
Sur mon toit la tempête tonne,
Et mes beaux jardins sont détruits.


Amour, la trace est effacée
De tes derniers pas sur mon seuil
Où naguère s’était dressée
La folle à qui je fis accueil.

Ô nuits futures, quel silence
Envahira cette maison
Si triste après la turbulence
De la danse et de la chanson ?

Entendre mon pas solitaire
Dans les chambres et les couloirs,
Ouvrir les portes et me taire
Devant le vide des miroirs,

Quelle douleur ! Puis à chaque heure
Que l’horloge ne sonne plus,
Quelle ombre accrue en la demeure
Où mon deuil oiseux s’est reclus !

Je ne vis plus qu’avec des rêves
Qui craignent le jour et le bruit.
Mon âme, est-ce que tu t’achèves
Dans la poussière de la nuit ?


Qui viendra jeter la poignée
De bois dans l’âtre désempli
Où frissonne au vent l’araignée,
Grise tisseuse de l’oubli ?

Hélas ! Il ne viendra personne.
Je suis délaissé des humains.
Sans moi l’on sème et l’on moissonne.
Mort, mon cœur, et mortes, mes mains !


II



La tempête tonne. Qu’importe
Son vacarme à ce moribond
Qui, sans pitié, laisse à sa porte
Frapper les poings du vagabond ?

J’écoute, le front dans mes paumes
Et les coudes sur mes genoux,
Le chuchotement des fantômes
Qui vont rôdant autour des fous.


Femme, ne reviens pas épandre
Ta chevelure sur mon seuil,
Ni lancer au ciel de la cendre
En murmurant des chants de deuil.

Ta voix, je l’ai bien oubliée
Comme la couleur de tes yeux.
Après t’avoir tant suppliée
Je t’abandonne au soin des dieux.

À toi, sous des cieux moins moroses,
D’autres chansons par les chemins,
D’autres danses parmi les roses,
Et d’autres lèvres sur tes mains.

Ainsi soit-il ! Moi je demande
Aux ténèbres leur réconfort,
Car les seuls baisers que j’attende
Sont ceux, maternels, de la Mort.

N’ayant plus espoir qu’en les songes
Qui font oublier, sans retour,
Tous les masques et les mensonges
Dont se leurre le pauvre amour,


Je sentirai sur moi descendre
L’ombre où nulle étoile ne luit,
Sans crainte ni désir d’entendre,
Ô toi, ton appel dans la nuit.

Car je sais que veille à ma porte
L’ange qui n’aime ni ne hait,
Celui dont la mémoire est morte
Et qui, les yeux vides, se tait.

LA REVENANTE

Ô mon Dieu, toujours cette femme
Que ce fou voulut tant avoir !
Cette bouche baisée un soir,
Et ces yeux qui m’embrasaient l’âme !

Et ces mains qui cherchaient mes mains,
Et ce cri : « Je t’aime ! je t’aime ! »
Et la fuite au moment suprême,
Et l’horreur de ces lendemains !


Vous avez manqué de courage
Et vous eûtes peur Je l’amour,
Vaine amante dont tour à tour
J’adore et blasphème l’image !

Mais est-ce vrai que je vous hais ?
Oh ! non, vous m’avez dit des choses
Qui parfument comme des roses
Ma vie et mes vers à jamais !

Ensorceleuse de mes rêves,
Votre chant me revient parfois,
Vague et lointain comme la voix
Qu’on entend, la nuit, sur les grèves.

Oh ! je vous veux avec vos mains
Qui tremblaient, chaudes, dans les miennes,
Au long des terrasses anciennes
Que jonchaient alors les jasmins.

Ô vous qui m’avez dit : « Je t’aime ! »
Il me semble entendre vos pas !
Mais non ! Je rêve, et je n’ai pas
Votre baiser sur ce poème.

DE LA CENDRE

Ce soir où j’ai senti l’âpre Peur me reprendre
Comme une amante aux yeux mauvais reprend un fou,
J’ouvris la porte et je m’enfuis je ne sais où,
Mâchant avec mes cris de l’ombre et de la cendre.

Comme si des convois de morts, par les chemins,
Montaient vers les cyprès de l’église, les cloches
Se mirent à branler dans les villages proches,
Et soudain je palpai de la cendre en mes mains.


Entendant les crapauds coasser à cœur fendre
Près des eaux où le ciel épanchait tout son sang,
J’essayai de courir vers le jour finissant ;
Mais sur mes pieds trop lourds s’amoncelait la cendre.

Je voulus au moins voir aux confins bleus des cieux
La lune se lever blanche sur les bruyères.
En vain ai-je levé de pesantes paupières :
La cendre avait empli de ténèbres mes yeux.

Croyant qu’en cette nuit Dieu seul pourrait m’entendre,
J’essayai de prier, tel l’enfant d’autrefois ;
Mais le silence seul répondit à ma voix,
Car ma bouche muette était pleine de cendre.

FOLIE

À Edmond Jaloux.

Prends-moi par la main, ô Folie,
Pour guider sûrement mes pas
Vers les maisons où l’on oublie
Que l’amour n’est pas d’ici-bas.

Mène-moi vers les lieux infâmes
Où l’on boit les eaux de la mort
Et du sang aux lèvres des femmes
Que le baiser des hommes mord.


Je suis las d’essayer de vivre
Pour celle qui trompa ma foi :
Je ne suis qu’un vagabond ivre
Brisant les tables de la Loi.

Je veux cracher au front de l’ange
Qui me montra l’étoile d’or
Et souiller de toute ma fange
Ses ailes prêtes à l’essor.

Femmes dont l’ivresse grimace,
Dansez devant les hauts miroirs
Pour m’y cacher ma pauvre face
Où la pluie a pleuré, ces soirs.

Versez le poison dans les coupes,
Souillez les roses et les lys,
Tordez vos hanches et vos croupes,
Tuez mes espoirs de jadis !

Je râle entre tes bras, Folie,
Sous l’éclat rouge des flambeaux
Qui semblent veiller l’agonie
De rêves qui furent trop beaux.


Dehors, l’ombre couvre la ville
Où s’est tu peu à peu tout bruit.
Est-ce enfin, sur cette âme vile,
La paix et l’oubli de la nuit ?

Ai-je enfin, bourreau de moi-même,
Tué de honte l’amour ? — Non !
Je m’éveillerai, toi que j’aime,
En criant au soleil ton nom !

REMORDS

Ce soir de parfums mous et d’airs de danse,
Mon cœur est triste comme un mauvais lieu :
Tous les péchés y chantent en cadence,
Ce soir de parfums mous et d’airs de danse.

Mon cœur est triste comme un mauvais lieu :
Un enfant y meurt du baiser des folles.
J’invoque en vain pour lui l’aide de Dieu.
Mon cœur est triste comme un mauvais lieu.


Un enfant y meurt du baiser des folles.
Ah ! donnez-moi de l’eau pure et des fleurs,
Et cessez ce rire ivre et ces paroles !
Un enfant y meurt du baiser des folles.

Ah ! donnez-moi de l’eau pure et des fleurs
Pour effacer sur son corps vos caresses
Et pour baigner ses yeux gonflés de pleurs !
Ah ! donnez-moi de l’eau pure et des fleurs !

Pour effacer sur son corps vos caresses,
Apportez-moi des roses et des lys,
Puis versez vos larmes, ô pécheresses,
Pour effacer sur son corps vos caresses.

Apportez-moi des roses et des lys,
Ouvrez toutes les portes à l’aurore !
Je te consacre au soleil, Adonis !
Apportez-moi des roses et des lys.

Ouvrez toutes les portes à l’aurore !
Le jour pardonne aux crimes de la nuit.
Je veux voir ses yeux à la vie éclore :
Ouvrez toutes les portes à l’aurore.


Le jour pardonne aux crimes de la nuit.
Mais s’il était mort, l’enfant de mes rêves ?
Ah ! répétez-moi, dans l’ombre qui fuit :
Le jour pardonne aux crimes de la nuit.

Car s’il était mort, l’enfant de mes rêves ?

DOUTE

C’en est-il bien fini de la vieille folie
Et d’outrager les dieux après avoir trop bu,
Et de hocher, mi-mort, une tête avilie
Entre la putain nue et l’ivrogne barbu ?

As-tu, debout, brisé sur la table la coupe
Où tu puisais l’envie affreuse de déchoir !
As-tu frappé la danseuse qui tord sa croupe
Et qui, la langue entre les dents, rit au miroir ?


T’es-tu, lâche — la fuite étant ton seul courage —
Enfui loin de la ville aux mauvaises maisons ?
As-tu, front bas, à bout de luxure et de rage,
Compris le sens secret des vieilles oraisons ?

Ah ! réponds que c’en est fini de cette orgie
Où tes pas titubants traînaient toute la nuit
Du cabaret puant à l’âcre tabagie.
Réponds qu’après cela c’est Dieu qui te conduit !

Quoi ! tu restes muet, homme aux lèvres mauvaises ?
Tu cherches le chemin du retour à la mort ?
Vois donc, l’aube renaît. Je veux que tu t’apaises.
Des enfants aux yeux frais te chantent réconfort.

Et l’on entend monter de toutes les églises
L’angelus comme un vol d’archanges vers les cieux.
Les parfums du printemps ont embaumé les brises
Qui font sourire au seuil de leurs maisons les vieux.

Sois bon, sois doux, sois sage, ô toi, mon pauvre frère.
Laisse-moi te guider, puisque ton cœur est las,
Vers l’asile de paix et de calme prière
Où viendra s’achever la trace de les pas.


Mais tu lèves les mains vers la ville maudite,
Ô mon frère, et sais-tu que j’en sangloterais ?
Sais-tu que moi, qui crois te conduire au bon gîte,
Je tournerais le dos à l’aube et te suivrais ?

Car c’est là-bas la nuit et, derrière les portes,
Le râle de l’ivresse et le cri contre Dieu.
Je voudrais comme toi dormir auprès des mortes
Qui nous consoleraient d’être sans feu ni lieu.

Ô l’ombre et la lumière ! l’espoir et le doute !
Nous voici trébuchant, ô frère, au carrefour.
Ta main est lourde, et j’ai perdu la bonne route.
Ah ! l’angelus qui sonne au plus haut de la tour !

EXHORTATION

Tant vivre pour savoir,
Si fou pour être sage !
Vois, voici que le soir
T’émeut de son présage.

Pauvre sans feu ni lieu,
Va vers la ville étrange
Où tu chercheras Dieu
Comme un lys dans la fange.


Mais avant de partir,
Jure de rester sobre,
Fidèle au repentir
Et pur de tout opprobre.

Brise, après l’oraison,
D’une main vengeresse
La coupe de poison
Où puisa ton ivresse.

Les étoiles sont loin,
Ta peur est effroyable ;
L’assassin guette au coin
Du carrefour du diable.

Cherche Dieu malgré tout !
Il dort au fond des bouges
Où ton âme est à bout
Sous les lanternes rouges.

Dieu n’est pas où l’on croit,
Dans la trop belle église
Où le cœur reste froid
Et la prière grise.


Il vit dans les maisons
Où l’on se prostitue,
Il gît dans les prisons
Où l’on pleure et l’on tue.

Va donc, ô pauvre fou,
Vers plus fou que toi-même,
Et, ployant le genou,
Dis au plus fou : je t’aime.

Et les lys fleuriront
Partout sur ton passage,
Et des mains voileront
L’éclat de ton visage.

FOI

Voici s’endormir les heures brèves
Qui frissonnent de froid et de peur.
La meute invisible de nos rêves
Poursuit la lune dont la lueur
Émeut l’âme de l’eau sur les grèves
Et fait crier l’amour dans mon cœur.

Je me trouve au tournant de la route,
Les yeux cherchant ce qu’on ne voit pas,
Les mains folles comme lorsqu’on doute,
Les pieds ne suivant plus d’autres pas.
Mais j’ai gardé confiance toute
Que l’auberge est ouverte là-bas,


Là-bas où sera douce l’aurore
Sous les arbres roses du verger
Lorsqu’à l’heure où les nids vont éclore
Je sentirai sur mon front léger
Les baisers de celle que j’ignore,
Mais qui sera bonne à l’étranger.

SUITE DE ROMANCES

I

Je ne sais ce que veut mon cœur.
Tous les arbres sont blancs ou roses ;
Une abeille est dans chaque fleur ;
Je voudrais chanter toutes choses.

Je ne trouve que d’anciens mots
Sur des airs plus anciens encore :
Car d’amour les biens et les maux
Sont vieux comme l’ombre et l’aurore.


Printemps, je me tais ! Sois vainqueur
Avec tes oiseaux et les roses.
Je ne sais ce que veut mon cœur :
Tous les arbres sont blancs ou roses.

II

Tenir ta chère tête en mes mains
Et la baiser comme une fleur
Longtemps cherchée au bord des chemins,
Oh ! que cela soit mon bonheur !

Bâtir pour toi la belle maison
Où ta voix chantera sans peur
De la claire à la sombre saison,
Oui, cela sera mon bonheur !


Attendre sans larmes le trépas
Dans tes bras et contre ton cœur,
Ô toi que je ne nommerai pas,
Cela sera-t-il mon bonheur ?

III

Si je t’aime ? — Demande à la Vie.
Les lilas sont tout tremblants d’oiseaux ;
La brise est lourde de chaude envie ;
La prairie embaume au bord des eaux.

Comment je t’aime ? — Demande à l’Ombre,
J’y cherche tes lèvres et tes mains ;
Au loin tombent des astres sans nombre.
Qu’importe l’aube des lendemains ?


Quand je t’aime ? — Demande au Silence.
Les portes du sommeil vont s’ouvrir.
C’est l’heure de douce défaillance
Où nos âmes s’écoutent mourir.

IV

Ô chansons, ô brises des nuits,
Parfums des lis et de mes rêves,
Sanglots des flots au long des grèves.
Amour blessé qui me poursuis,

Frissons, lueurs, soupirs, nuances,
Quels mots plus légers que l’esprit,
De ceux qu’on pleure ou l’on sourit
Pourraient dire vos influences ?


Mais non, ne les profère pas !
Il faut le silence et peut-être
La mort, afin de reconnaître
Les anges secrets à leurs pas.

V

Viens, cette nuit, poser tes lèvres,
Fleurs tièdes de chair, sur mes yeux.
Je croirai sentir sur mes fièvres
Des roses s’effeuiller des cieux.

Glisse tes deux mains dans les miennes,
Doucement, comme un don secret ;
Puis chante des choses anciennes
Faites d’amour et de regret.


On dirait que par la fenêtre
Le Malheur nous guette, sournois.
Mais l’aube va bientôt paraître,
Et j’ai tes baisers et ta voix.

VI

Je crains de cueillir ta beauté
Quand j’entends retentir les heures
Sur tous les toits de nos demeures.
Après le printemps c’est l’été.

Ce que jeunesse perd et donne,
Flammes du cœur et fleurs du corps,
Le prendrai-je en dépit des morts ?
Après l’été voici l’automne.


Le soleil saigne sur la mer,
Au jardin s’effeuille la rose,
C’est l’heure où l’amour se repose.
Après l’automne vient l’hiver.

VII

Le vent souffle sur la falaise,
Les fleurs tombent dans le verger.
Pourquoi donc en moi ce malaise
Et ce désir de m’affliger ?

C’est sans raison que je soupire.
La terre est comme un lit d’amour,
Toute la mer est un sourire.
Qu’es-tu plus triste que ce jour ?


Ah ! demandez au vent qui passe
Au printemps qui meurt dans les fleurs,
Et laissez à ceux que tout lasse
Le bonheur secret de leurs pleurs.

VIII

Mai, le gai mois où l’on espère,
Le mois triste où l’on se souvient,
Vient-il dans l’aube grise ou claire
Pour ce cœur que l’amour retient ?

Ô passant au visage austère,
Demande ta réponse au vent
Ou creuse de ta main la terre
Où dort tout ce qui fut vivant.


Le nouveau printemps est plein d’ailes,
Mais le mois des désirs en fleur
Et des amours qu’on crut fidèles
Ne revient jamais pour le cœur.

IX

Je voudrais, pour bercer mon ennui,
Des mots qui n’eussent pas plus de suite
Que le bruit de la brise, la nuit,
Ou de l’eau dont écume la fuite.

Je rêve à des sons indéfinis
Que n’alourdirait nulle parole,
Gazouillis qui s’éteint dans les nids,
Vol d’abeille autour d’une corolle.


Ce serait dans le monde et mon cœur
Ce rien qui fait vivre le silence,
Comme un baiser effleure un dormeur
Sans l’éveiller de sa somnolence.

X

Que les autres chantent la rose !
La fleur du cœur est le souci.
Ah ! que la vie est triste chose
Quand celle qu’on aime est sans merci !

L’Amour est mort. À qui la faute ?
Demandez à celle qui rit.
Va-t’en, pauvre amant, tête haute :
Ne reviens pas sous un faux habit.


Il est, paraît-il, par le monde
D’autres femmes, des fleurs aussi.
Mais cet amant aimait sa blonde,
Et la fleur du cœur est le souci.

XI

Un éventail près d’un gant,
Et ce parfum de verveine !
C’est tout d’un amour si grand.
Que mon cœur, que mon cœur a de peine !

Vous m’appeliez votre roi
Quand je te disais : ma reine !
Je n’ai plus force ni foi.
Que mon cœur, que mon cœur a de peine !


La lune est morte à demi,
La nuit retient son haleine.
Ah ! pleurer près d’un ami !
Que mon cœur, que mon cœur a de peine !

XII

Soupirs du vent parmi les fleurs,
Sanglots d’amour au fond des chambres,
Musique éternelle des pleurs
Des avrils comme des décembres,

Tout ce qui, des foyers aux nids
Et de nos maisons jusqu’aux astres,
Chante le deuil des jours finis
Et la peur des futurs désastres,


A roulé cette nuit sur moi
Comme la douleur de Dieu même,
Parce que j’ai perdu ma foi
En celle à qui j’ai dit : je t’aime !

XIII

Hélas ! j’ai perdu le soleil
Avec l’amour de ma compagne.
Qui me sera de bon conseil ?
— Oh ! l’orage sur la montagne !

La pluie est déjà sur mes mains,
Le vent me poursuit et me gagne ;
Je suis le fou par les chemins.
— Oh ! la foudre sur la montagne !


Qui rendra la paix à mon cœur
Et les moissons à la campagne ?
Amour, je t’appelle et j’ai peur !
— Oh ! le soleil sur la montagne !

XIV

Le vent a soufflé dans les branches,
— La folle a trompé mon amour —
L’oiseau fuit vers un nouveau jour,
Les vagues sur la mer sont blanches.

Les corbeaux suivront les colombes,
— La folle a trompé mon amour —
Fleurs et fruits vont choir tour à tour,
J’entends là-bas creuser des tombes.


C’en est fini de ma jeunesse,
— La folle a trompé mon amour —
C’est la neige sur le labour
Dont je crains que rien ne renaisse.

XV

J’ai vu ce matin trois colombes
Passer dans le ciel violet.
Beaux enfants, portez sur trois tombes
La rose, le lys et l’œillet.

Toi, qui seras le plus beau, donne
L’œillet à l’amante d’un jour,
Le lys à celle qui fut bonne
Et la rose à mon seul amour.


Puis retourne danser la ronde
Sur la route, et ne reviens pas.
Aucun bonheur ne dure au monde
Plus que la trace de tes pas.

XVI

Mes yeux ont vu trop de soleils,
Mes pas ont foulé trop de grèves !
Les astres sont partout pareils,
Et les heures d’amour sont brèves.

Je ne demande plus aux dieux
Qu’un asile au bord de la route
D’où je sourirai comme un vieux
Aux enfants qui narguent mon doute.


Laisse-moi, femme qui me plus !
J’attendrai seul dans la vêprée
Cette aube où je n’entendrai plus
Le vent gémir sur la contrée.

XVII

Pourquoi donc tes baisers rouges parmi les roses,
Ta voix m’ensorcelant de paroles d’amour,
Ton rire qui raillait mes alarmes moroses
Et tout ce grand bonheur qui ne dura qu’un jour,

Qui ne dura qu’une heure en le jardin des roses
Où je crus, comme un dieu, me consumer d’amour,
Sans avoir pris souci des automnes moroses
Qui furent la rançon de cet unique jour ?


Ah ! pourquoi, maintenant que sont mortes les roses,
Et que le souvenir même de mon amour
Est plus mort que les fleurs et les heures moroses,
Pourquoi ce grand bonheur qui ne dura qu’un jour ?

LES PAROLES DE L’AMOUR

POUR CHANTER L’AMOUR

L’Amour a passé dans ma vie
En riant comme un enfant fou.
Il rougissait de chaude envie
Et portait des chaînes au cou,

Chaînes de lilas et de roses
Qu’il allait suspendre en festons,
Du soir à l’aube, aux portes closes
Où sa main frappait à tâtons.


Il buvait à toutes les coupes
Et s’endormait dans tous les bras,
Ce prince des mauvaises troupes
D’ivrognes et de scélérats.

Mais voici qu’un matin d’automne
Le méchant vit sur le chemin
Venir à lui, belle et si bonne,
Celle dont il baisa la main.

Elle avait brune chevelure
Et les yeux couleur de la mer ;
Douce aux fleurs était son allure
Et ses lèvres embaumaient l’air.

Parmi les danses des vendanges,
L’Amour, faisant son pas léger,
La poursuivit, le cœur plein d’anges,
Du noir vignoble au clair verger.

Il la suivit jusqu’au village
Dont les toits fument dans le soir,
À l’heure où l’angelus propage
Du ciel aux champs un peu d’espoir.


Et depuis, tandis qu’elle chante
En filant le lin pur des jours,
Il cherche, pour que Dieu les tente,
Ceux qui pleurent aux carrefours ;

Et, leur prenant la main, les mène
Au seuil béni de sa maison
D’où volent, conjurant la haine,
L’hymne de joie et l’oraison.

À UNE JEUNE FILLE

Tes mains effeuillant des roses
Dans le silence bleu du soir !
Ta voix me chantant des choses
Que je croyais ne plus savoir !

Tes yeux pâles de princesse
Qu’on vient de ravir au sommeil !
Tes cheveux, cette caresse
De soie éparse en le soleil !


Ta bouche que veut déclore
D’un sourire secret l’Amour !
Tes seins offerts à l’aurore,
N’étant pas mûrs pour le grand jour !

Toi, toute grâce et jeunesse,
Vierge, âme plutôt que chair,
Je t’ai, les soirs de tendresse,
Aimée ainsi qu’un ami cher !

Des roses nous ne cueillîmes
Que les plus blanches du buisson,
Et les mots que nous nous dîmes
Furent d’innocente façon.

Notre amour fut peu de chose.
Un serrement soudain du cœur.
Ton visage à peine rose,
Ma main tremblant de quelque peur.

Si peu de chose fût-elle.
Cette amitié sans bas désir.
Que je la voudrais mortelle
Comme tout terrestre plaisir.


Je voudrais que ton nom même
S’éteignît pour la vie en moi
Et ne vînt qu’au soir suprême
Fleurir ma mémoire en émoi,

Comme une oraison qui pleure
Dans un cœur d’homme et s’y endort,
Et ne s’éveille qu’à l’heure
Du bon sommeil ou de la mort.

ÂME DE VIERGE

À Mlle C. R.

Ton âme est un verger d’avril au clair de lune.

Je croîs y voir passer de bleus cortèges d’anges
Aux airs secrets, aux doigts furtifs, aux yeux étranges,
Qui font choir autour d’eux des fleurs blanches de lune.

La mer, on peut la voir, écumant sur la grève,
Entre les pommiers tors où le vent, comme en rêve,
Fait fuir un petit bruit de baisers sous la lune.


Bientôt les premiers nids, pleins de chansons et d’ailes,
Alourdiront d’amour les ramures fidèles
Qu’on verra verdoyer à la mort de la lune.

À minuit, effleurant les corolles, la pluie,
Lente comme les pleurs d’une enfant qui s’ennuie,
À peine ternira l’éclat bleu de la lune.

Puis voici le silence où l’on croirait entendre
S’exhaler les parfums et les ombres s’étendre
À mesure qu’avant le jour décroît la lune.

Et soudain, sur la mer, quelle est donc cette voile
Et ce héros qui vient d’une lointaine étoile,
Enchantant de sa voix les flots, les fleurs, la lune ?

Tout murmure d’amour et s’émeut d’une joie
Qui court dans la lumière, et, rieuse, rougeoie
Jusqu’à l’horizon sombre où disparaît la lune.

Le ciel est une rose et chaque arbre une flamme.
C’est l’aube du matin de Pâques sur ton âme
Pure comme ua verger d’avril après la lune.

TA VOIX

J’ai poursuivi ta voix dans le jardin des roses,
Ô toi dont je rêvais de respirer l’haleine !
Oh ! la sentir tiédir sur tes lèvres écloses
Et devenir le chant du ciel et de la plaine !

Mais ton ombre me fuit, m’ayant leurré sans trêve,
Et je suis seul, ce soir, dans le jardin des roses,
Sans avoir pu surprendre — oh ! que la vie est brève ! —
Le parfum de ton cœur sur tes lèvres écloses !


Je n’entends que le vent dans le jardin des roses,
Le lointain tintement d’une fontaine, et comme
Un bruit frais de baisers sur des lèvres écloses.
L’Amour, dieu de la nuit, rit de mon désir d’homme.

Ô ma sœur dont la voix vers les astres s’élève,
Reviendras-tu jamais dans le jardin des roses ?
Tu ne me réponds pas, et je meurs et je rêve
De n’être qu’un sanglot sur tes lèvres écloses !

LE PIANO

La chambre tiède encor du parfum de sa grâce
Et qu’une main pieuse avait close au grand jour,
Je l’ai, ce soir, ouverte à la lumière lasse
Du crépuscule doux aux regrets de l’amour.

Rien n’y fut dérangé : ces roses desséchées,
La nuit de son départ, ont embaumé mon deuil ;
Ces bibelots, ce sont choses qu’elle a touchées ;
Son éventail est là, laissé sur un fauteuil.


Je crois sentir, parmi tous ces objets futiles,
Un peu de sa présence. Ô désir décevant !
Je ne réveille en moi que regrets inutiles,
Et ces bruits ne sont rien que le soupir du vent.

Aussi je veux ouvrir, sans troubler le silence
Qui sera bon comme la mort à ma douleur,
L’instrument sur lequel, les soirs de somnolence,
Elle jouait des airs pour enchanter mon cœur.

Et quoique ne soient plus miennes ses mains fluettes,
Je baiserai, rêvant à l’amour d’autrefois,
L’ivoire un peu jauni de ces touches muettes
Qui sont tièdes encor du parfum de ses doigts !

LE BAISER

I

Ce fut vers le déclin de la belle saison ;
Les raisins étaient lourds aux murs de la maison.

Sous le vent toujours doux quelques feuilles à peine
Tombaient en tournoyant sur l’eau de la fontaine.

Rien ne faisait sentir que le soleil mourait,
Sauf un peu de silence au cœur de la forêt.


L’on n’entendait plus fuir, deux à deux, par les sentes,
Les amants rendant grâce aux étoiles absentes.

Leurs baisers fleuraient mieux sur le seuil des logis
Quand le soir moins tardif voile les fronts rougis.

Toute tâche était faite, et la terre ouvrière,
Avant de s’endormir, exhalait sa prière.

Comme une ruche d’or bourdonne au temps du miel,
Seule, une cloche au loin troublait la paix du ciel.


II



Par un beau soir pareil tu vis cette contrée
Que le soleil couchant avait tout empourprée.

Ralentissant nos pas et retenant nos voix,
Nous prîmes le chemin qui mène vers les bois.


Nous ne sentions en nous — ô douce défaillance ! —
Que le désir muet d’adorer le silence.

Soudain, d’un geste lourd, levant tes bras aux cieux,
Tu laissas ruisseler ta toison sur tes yeux.

Et je cueillis, malgré que tu fusses farouche,
Sous sa blonde lueur, la rose de ta bouche.

Alors, parmi tes cris et tes rires ravis,
Je crus avoir baisé le soleil, car je vis,

Comme une cité d’or qu’un roi barbare brûle,
À travers tes cheveux flamber le crépuscule.

ADAGIO

À Mme C. M.

Viens dans le parc nocturne où dorment les fontaines,
Mon amour ! Ne crains pas ce qu’on voit dans la nuit,
Et ne frissonne plus parce qu’un vent fortuit
A troublé la forêt sous ses voûtes lointaines.

Laisse-moi te mener. Dans les miennes tes mains
Sont un fardeau plus doux que des fleurs ou des ailes.
Écoute, les taillis sont pleins de souffles frêles.
On dirait que des dieux marchent par les chemins.


Amour, c’en est fini des pleurs et des désastres !
La vie au point du jour va chanter dans les nids.
Attendons le soleil, et, l’un à l’autre unis,
Recueillons dans nos cœurs la promesse des astres.

Dans les bassins la lune est morte. Parle bas
Pour entendre, en passant par le sentier des saules,
Le bruissement obscur des feuilles que tu frôles.
Puis retenons, pour un baiser furtif, nos pas.

Pourquoi donc ai-je envie à la fois de sourire
Comme si je baisais le cœur chaud d’une fleur,
Et d’éclater en pleurs à cause d’un bonheur
Si divin que je sais à peine te le dire ?

Tes mains ! tes mains ! tes mains ! Qu’elles soient à jamais
Miennes. Et quand enfin les clartés incertaines
De l’aurore auront lui sur l’eau de ces fontaines
Et ces bois où s’attarde encore un vent mauvais,

Sœur, tu les dresseras triomphantes et fortes,
Levant le lourd fardeau des miennes, vers le jour,
Et nous saurons enfin le nom de notre amour,
Le mot secret qui fait s’ouvrir toutes les portes !

DE L’AMOUR ET DE LA MORT

Laisse-moi, puisque la mort se mêle au plaisir,
Pleurer de trop d’amour, toi qui ris de désir !
Mes larmes te seront douces comme la pluie
Sur la chaleur des fleurs en la belle saison.
Et laisse, avant que l’Amour à jamais s’enfuie
Du silence et de l’ombre de notre maison,
Une nuit où la Mort, malgré notre anathème,
S’en viendra choisir de nous deux celui qu’elle aime,
Ah ! laisse nos cœurs, tels des nids, s’emplir de chants
Qui mourront dans l’aurore où respirent les anges,
Et d’ailes qui, pour avoir fui trop loin des fanges,
Saigneront de là-haut sur les chemins des champs.


Trop tôt à notre gré, pour ne pas les maudire,
Nous entendrons tomber les corolles sur l’eau,
Les soirs où l’on se tait de peur de trop se dire.
Les miroirs ne réfléchiront plus ce tableau
D’aube, de verdure et d’eau rose dans leurs cadres,
Et les jours pencheront bientôt vers le sommeil,
Cachant sous les brouillards le trésor du soleil,
Tels, manteau serré sur leur or, des vieillards ladres.
Mais puisque, des fleurs du sol aux astres du ciel,
La Terre, frais fleurant le lilas et la menthe,
Est belle aujourd’hui comme à Pâques un autel,
Nous ne songerons plus que l’Amour est mortel
Ni que seule la Mort est la fidèle amante.

Donc, feignant de croire que tout est éternel,
Aimons-nous, malgré le glas des heures avides,
Par nos bouches en fleur se cherchant chaque soir,
Par nos yeux heureux, le matin, de se revoir,
Par nos mains qui s’étreignent de peur d’être vides,
Et pour mieux te tromper, Sournoise qui nous guides
Vers tes jardins ombreux de pins et de cyprès,
Aimons-nous par les mots magiques des poèmes,
Et les dieux nous ouvrant leurs royaumes secrets.
Et nos âmes en quête de nouveaux baptêmes.


Et lorsqu’au temps futur de deuil et de clarté,
L’un de nous, pour frayer vers Dieu la route à l’autre,
S’en ira, pleurant dans ses mains comme un apôtre,
Combien doux sera-t-il, à l’amant déserté
Qui, debout sur le seuil, regardera les heures
Du jour et de la nuit passer sur les demeures,
De sourire à la croix sanglante que le Sort
Sera venu tracer, assassin, sur sa porte,
Parce qu’il aura su t’évoquer à voix forte,
Amour qui ris encor dans les bras de la Mort !

POUR NARGUER LA MORT

La Mort, par les chemins,
Amour, est en maraude.
L’entend s-lu, là, qui rôde
En soufflant dans ses mains ?

Quelqu’un pousse la porte :
C’est comme un bruit mouvant
De cloches dans le vent.
Que Dieu nous réconforte !


Voici hurler le chien
Qui tire sur sa chaîne,
Sentant sur lui l’haleine
De la Reine du Rien.

Mais nous sommes ses maîtres !
Louche, elle peut venir
De sa bouche ternir
Les vitres des fenêtres.

N’es-tu pas sur le seuil,
Riant de sa menace,
Amour, et face à face
Narguant Celle au cercueil ?

J’entends un rat qui ronge
Quelque chose en la nuit.
La lampe à peine luit.
Une âme est là qui songe.

Et j’écoute en rêvant
L’appel lointain des cloches
Ou le bruit des pas proches,
Selon que vient le vent.


La Camarde, à voix forte,
Crie aux gens qu’elle a faim.
Va, souffle dans ta main !
L’Amour garde la porte !

POUR BERCER L’AMOUR

Amour, je veux que tu t’endormes
Dans mes bras comme un enfant mort.
Le vent murmure dans les ormes.
Entends-tu les cloches du Nord ?

C’en est déjà fini de rire
Et de jouer parmi les fleurs.
Dors ! Il me faut encore écrire
Le poème de mes douleurs.


Ferme tes yeux fous et délie
Le collier trop lourd de tes bras.
Nos coupes sont noires de lie
Et je sens mourir les lilas.

Rêve qu’il fait dehors décembre
Et que l’ombre est pleine d’effroi.
Ah ! du silence dans la chambre
Et de la solitude en moi !

Dors-tu ? Le soleil est en fuite.
Dors-tu ? Le ciel n’est plus vermeil.
— Tu réponds par des mots sans suite,
Pauvre Amour qui n’as pas sommeil !

DANS LE PARC ANCIEN

Voici le parc ancien, et sur les feuilles mortes
Le souffle de l’automne. Ô sœur, approche-toi,
Car je me sens faiblir dès que je touche aux portes
Que franchirent jadis mon espoir et ta foi.

Le jour fuit. Parlons bas. Chaque arbre nous écoute.
Gagnons à pas furtifs l’ombre du carrefour
Où le mystère enchante et le silence envoûte.
Nous sommes seuls. Osons interroger l’Amour.


Mire ta face pâle à l’onde des fontaines,
Ô sœur, dans ces jardins consacrés à la mort.
Trembles-tu, comme moi, de craintes incertaines
À cette heure où le vent dans les bosquets s’endort ?

C’est la saison du renouveau des chrysanthèmes,
Fleurs des regrets tardifs, des remords et du deuil.
J’ai presque peur, amie, en pensant que lu m’aimes
Et que bientôt l’hiver neigera sur mon seuil.

Lève tes yeux vers moi, tends tes lèvres aux miennes,
Et d’un geste secret, sœur, donne-moi tes mains.
Pitié ! Je songe trop à des douleurs anciennes
Et qu’un nouvel automne attriste les chemins.

Pitié ! Puis-je savoir combien de temps encore
Nous marcherons ainsi, l’un à l’autre liés ?
Qui de nous va mourir entre l’ombre et l’aurore ?
Ô les chants et les fleurs des printemps oubliés !

Parfois je crois sentir — effroi des bois funèbres ! —
La présence d’un dieu qui nous suit dans le soir.
Quel signe à notre amour tendra-l-il des ténèbres,
L’amarante pourprée ou l’asphodèle noir ?


Je ne sais ! et je cherche à cœur perdu ta bouche
Où je savoure un goût de larmes et de sang.
Tragique instant où rien du monde ne me touche
En dehors du baiser de ton corps frémissant !

Mais il faut maintenant délacer notre étreinte
Et retracer nos pas qu’un souffle a effacés.
Vois, la lune est levée et l’on entend la plainte
Lointaine des jardins que l’automne a blessés.

Fuyons le parc ancien et refermons ses portes
Sans bruit sur le passé, ses fleurs et nos regrets.
Rends aux miennes tes mains si faibles et si fortes
Pour attester l’Amour et ses espoirs secrets.

Et ne te penche plus sur l’onde des fontaines
Où le soupir des nuits fait choir les feuilles d’or.
Je craindrais d’y revoir, en ombres incertaines,
Ton visage s’éteindre ainsi que dans la mort.

LE SOLEIL SUR LES FLEURS

DIMANCHE D’AVRIL

À Paul Fort.

Ah ! gai, mon cœur, le beau dimanche,
Et que le ciel est doux à voir !
Les tilles sont en guimpe blanche
Et les garçons en chapeau noir.

On joue aux boules sur la route ;
Les gens ont des rires contents ;
Le village aux vieux toits écoute
S’ouvrir ses portes au printemps.


Le matin fleure la lavande,
Le thym, l’aubépine et l’iris ;
La bruyère embaume la brande ;
On rêve aux parfums de jadis.

Bientôt l’ombre des pêchers roses
Sera bleue au bord des chemins,
Les gas voudront dire des choses
Aux belles qui cachent leurs mains.

On se sent le cœur plein d’alarmes
Quand avril vient avec l’amour.
Avril du rire, avril des larmes,
Pour deuil ou danse, à qui le tour ?

Mais soyons d’humeur plus légère !
Aimer à tort est bien humain.
Laissons nos regrets à naguère,
Donnons nos espoirs à demain.

Ô les lèvres rouges ou roses,
Pourquoi dire à l’amour : attends,
Quand l’âme des premières roses
Flotte au vent tiède du printemps ?


Jeunesse, ô mie, est temps de fête ;
Chante et danse, si tu m’en crois,
Avant d’aller hochant la tête
Et faisant des signes de croix.

Laissons la cloche de l’église
Sonner en vain dans le soleil ;
Le vieux prêtre à la face grise
Nous serait de mauvais conseil.

Il fait doux. On entend les poules
Glousser tout bas, comme en secret.
Il fait chaud. Les joueurs de boules
Sont allés boire au cabaret.

Le ciel attend les hirondelles ;
La terre n’en peut plus d’amour.
Demain l’azur sera plein d’ailes,
La moisson suivra le labour.

Baisons-nous donc à bouche franche,
C’est le plaisir et le devoir.
Ah ! gai, mon cœur, le beau dimanche,
Et que le ciel est doux à voir !

L’ORAGE

À Paul Fort.

Le ciel est violet sur la campagne verte
Et le fleuve terni coule comme du plomb.
Le tonnerre, tremblant au loin, donne l’alerte
Aux piétons qui, penchés, marchent d’un pas plus long.

On n’entend plus là-haut le cri des alouettes.
Rien ne bouge. Le vent même meurt dans le soir.
Sur la route ont cessé de grincer les brouettes
Des femmes rapportant leur linge du lavoir.


Voici l’auberge. Assis près de la porte ouverte,
Je n’entends qu’une mouche au corselet cuivré
Bruire entre le rideau rouge et la vitre verte.
Mon cœur est haletant et mon front enfiévré.

Tout à coup sous le porche un roulement de roue
Vibre. C’est la patache aux chevaux pommelés
Dont le trot a claqué dans les flaques de boue
Tout au long du chemin où jaunissent les blés.

Elle vient de la ville aux luisants toits d’ardoise,
Celle dont on entend les cloches jusqu’ici.
Il en sort un soldat, un prêtre, une bourgeoise,
Des gens en blouse bleue : « Adieu ! pardon ! merci ! »

Puis l’on court, parapluie ouvert, aux maisons proches.
Il tonne. On n’entend plus les poules dans la cour.
Une servante au loin tape de ses galoches.
Voici l’averse. Il fait un jaune demi-jour.

Et je suis toujours là près de la porte ouverte,
Écoutant une mouche au corselet cuivré
Bruire entre le rideau rouge et la vitre verte.
— Ah ! qu’il sent bon, ce soir, le jardin du curé !

SOUVENIR D’AUTOMNE

Au vicomte et à la vicomtesse d’Osmoy.

Le soir efface l’heure au cadran. Le château,
Coiffé d’ardoise bleue et flanqué de tourelles,
Veille parmi les bois assombris du plateau
Où les vents de la mer apaisent leurs querelles.

Il domine, dressé par d’orgueilleuses mains,
La vallée où l’on voit, sous un ciel monotone,
La brume s’amasser, grise, aux creux des chemins.
C’est déjà le frisson de la première automne.


Un lourd silence tombe. À peine les corbeaux
Croassent-ils encore en volant vers leur gîte.
Les bœufs sont à l’étable où le bruit des sabots
A cessé, car la nuit automnale vient vite.

Les vitres peu à peu s’éclairent. Un instant,
On voit s’ouvrir une porte dans le mur sombre.
Et voici qu’on entend le rire d’un enfant
Qui chante le printemps et semble chasser l’ombre !

LE VENT SUR LA FALAISE

Les blés sont verts et les seigles sont jaunes
Sous le vent qui vient de la mer.
J’entends au loin fuir des flûtes de faunes
Parmi les épis au chant clair.

Le vent disperse en plein ciel les mouettes,
Ailes blanches dans l’Infini,
Et rompt l’essor des brunes alouettes
Qui criaillent autour du nid.


Cheveux épars, j’attends sur la falaise
La belle dont les yeux sont bleus
Comme la mer quand le grand vent s’apaise,
Ou comme, à cette heure, les cieux.

Par le chemin de la vieille chaumière,
Que nos pas, jadis, ont foulé,
Viens à moi dans le vent et la lumière,
Viens entre le seigle et le blé !

Je sais pour toi de si douces paroles
— Moitié mots et moitié baisers —
Qu’au vent du soir écloront des fleurs folles
Sur ta joue aux émois rosés.

Te cachant, pour sourire, sous ta mante
Que gonfle le souffle des vents.
Tu me diras tes doux secrets d’amante
Dans le seigle et le blé mouvants.

Mais viens avant que la lune soit pleine,
Si tes serments ne sont pas faux.
Viens dans le vent de l’été ! Par la plaine,
J’entends qu’on affile les faux.

BERGERIE

À Pierre Quillard.

Rose parmi les moutons gris,
L’enfant cueille la marguerite.
Un chien noir aux flancs amaigris
Autour de lui jappe et s’irrite.

Sur les toits lointains des hameaux
Sonnent les cloches du dimanche.
Le printemps verdit les ormeaux,
L’aubépine des bois est blanche.


Un peu de vent remue au loin
Les peupliers bordant la route.
Parmi le trèfle et le sainfoin
On entend le troupeau qui broute.

C’est presque la paix de la mort
Dans tout le ciel et sur la plaine.
Seul le chien noir fait rage et mord
Les brebis qui bêlent de peine.

Les sons des cloches se sont tus
Comme des voix désespérées,
Là-bas dans les clochers pointus
Vus entre les sauges pourprées.

Ah ! dormir un peu comme on meurt
Parmi la lavande et la menthe !
Tout oublier sans pleur ni heurt,
Même la beauté de l’amante !

Plus de souffrance ! Plus de cris !
Mais suivre d’une âme contrite
— Ô sa voix parmi les brebis ! —
L’enfant rose à la marguerite !

RONDE

À Mme Marguerite Cramer.

Dedans la clairière du bois
Des fillettes dansent la ronde,
La brune liée à la blonde
Et chantant de toutes leurs voix.

La brune, la blonde et la rousse,
Dans la ronde où luisent leurs yeux,
Se donnent des baisers joyeux
En foulant des sabots la mousse,


Se donnent, peureuses un peu,
De bouche rouge à bouche rose
Qui sentent la fraise et la rose,
Les baisers innocents du jeu.

Trébuchant en chutes soudaines,
Leurs mollets bruns et blancs à l’air
Elles chantent après l’hiver
Marguerites et marjolaines.

Petites filles de l’avril,
Savez-vous, Lise et Laure et Guitte,
Que la plus belle fleur meurt vite
D’un simple baiser puéril ?

Danseuses en robes de laine,
Mourra-t-il un jour sur le pré,
Celui que vous aurez sacré
Compagnon de la marjolaine ?

Hélas ! sans me répondre mot,
Vous faites, la blonde et la brune,
Une révérence à la lune,
Dont pâlit mon ami Pierrot.

CE PAYS

Ce pays est si doux qu’on y voudrait mourir
En écoutant bêler, dans un bruit de sonnailles,
Là-bas, près de la mer, les paisibles ouailles
Qui sentent dans le vent le printemps refleurir.

On y voudrait mourir dès les premières roses
De trop rêver, de trop pleurer, de trop aimer.
Car ils pressent, ce cœur que rien ne peut calmer,
Qu’au-delà de la vie est le secret des choses.


S’endormir à jamais dans le jardin des morts !
Ne plus entendre au loin la voix vaine des hommes !
Mais quelle est donc encor cette ombre que tu nommes ?
Quel est ce souvenir obscur comme un remords ?

Oh ! ne crois pas tuer le printemps en toi-même
Ni dérober les yeux aux lueurs du réveil !
Salue à chaque aurore, en chantant, le soleil !
Toute la Terre est là qui demande qu’on l’aime !

N’entends-tu pas bêler de désir les brebis ?
Ne vois-tu pas fleurir cette saison féconde ?
Feins alors qu’il fait clair dans ton cœur et le monde,
Et, comme pour danser, mets tes plus beaux habits !

IMPRESSION

À Mlle Béatrice Duval.

C’est au bord d’une mer si douce que l’orange,
Une fois mûre, tombe en ses flots violets
Du haut de la falaise où chanta la vendange.
Et ce matin c’est le printemps aux cris ailés
Qui passe sur les champs, les jardins et la grève
De la ville marine où s’alanguit mon rêve.

Les vieilles, à leur seuil, font bruire leurs fuseaux.
Tout n’est qu’odeurs et sons. Roses de fleurs, les arbres

Parfument la chanson naissante des oiseaux.
On entend des jets d’eau tinter parmi les marbres.
Parfois, laissant sur les lèvres un goût amer,
Un vent déjà trop chaud s’élève de la mer.

À l’ombre, les bambins et les petites filles
Ont des regards aigus sous leurs cheveux bouffants.
Une femme drapée en son châle à résilles
Crie à voix rauque et fait des signes aux enfants.
Des linges blancs, des chiffons bleus, des loques vertes
Papillotent partout aux fenêtres ouvertes.

Et je pense, couché parmi les tamarins,
Que de toi, douce ville où j’aurais voulu naître
Au chant lointain des vignerons et des marins,
Je ne me souviendrai dans l’avenir, peut-être,
Que du frémissement rouge d’un éventail
Dans l’ombre violente et froide d’un portail.

AUPRÈS DE LA FONTAINE

Fille jolie assise au bord de la fontaine.
Le menton appuyé dans le creux de ta main,
Dis-moi, ce jour d’azur, tant que l’ombre est lointaine,
Tous tes regrets d’hier et secrets de demain.

Je te ferai cadeau de lilas et de roses
Et je mettrai, mêlant ton rire à mon baiser,
Pendeloques de fleurs à tes oreilles roses.
Ne faut-il pas en mai s’aimer et s’amuser ?


Vois l’herbe des vergers se joncher de corolles
Sous les coups d’aile drus des oiseaux en amour.
Comprends-tu dans ton cœur le doux sens des paroles
Que la nuit du printemps répète après le jour ?

Ce soir les rossignols vont se plaindre à la lune ;
Tous les lilas sont lourds d’un sourd bourdonnement.
Sous ta guimpe de lin je sens ta gorge brune
Se gonfler du désir des lèvres de l’amant.

Allons donc en chantant turlurette et lanlaire,
Fille jolie, au fond du bois que je connais ;
Une fleur bleue y croît, et le soleil l’éclaire
À travers l’or épars et mouvant des genêts.

Mais voici que, pleurant d’une peine secrète,
Tu me caches tes yeux qui rirent trop souvent.
Jo ne suis qu’un passant qui te conte fleurette.
Serments d’amour ? Autant en emporte le vent !

Ainsi m’as-tu parlé, fille de la fontaine,
Et j’ai senti soudain mon désir s’apaiser ;
Car je vais sans souci vers la ville lointaine
Où j’aurai bientôt fait d’oublier ton baiser.


J’ouvrirai donc les bras. Échappe à mon étreinte,
Et dis-toi que les gens sont fous pour la plupart.
Mais puisque maintenant tu peux me voir sans crainte.
Exauce ma prière et bénis mon départ.

Puise un peu de cette eau rare et froide qui mouille,
Après les prés herbeux, les jardins de jasmins.
Et permets seulement, vois, que je m’agenouille
Pour boire dans le creux rose et blanc de tes mains.

À CELLE QUI SE MIRAIT DANS L’EAU

Sous ton chapeau de primeroses,
Chère amoureuse du printemps,
Je t’ai surprise en maintes poses
Te mirant dans l’eau des étangs

Ou bien dans celle des fontaines
Qui s’égoutte des mascarons
Grimaçant sur les vasques pleines
Où tu trempes tes poignets ronds.


Que demandes-tu donc à l’onde,
Miroir d’un fugitif décor
Où, dénouant ta toison blonde,
La brise effeuille tes fleurs d’or ?

Te souviens-tu que ces images
D’oiseaux, de verdure et d’azur,
Se flétriront sous les nuages
Et les frimas d’un temps moins pur ?

Pourtant l’automne est bien lointaine
Qui, voilant de brumes le ciel,
Viendra ternir mare et fontaine
De feuilles jaunes et de gel.

Crains plutôt de voir ton visage
S’évanouir au fond du soir
Et de comprendre le présage
De ton trop magique miroir.

Quitte, ô sœur, ce qui t’ensorcelle,
Rêve inutile du sommeil.
Et loin d’ici redeviens celle
Oui rit aux rayons du soleil.


Ailleurs c’est la belle contrée
Dont les torrents ne pourront pas
Réfléchir ta face éplorée
Sous les lauriers et les lilas.

Car il ne faut pas trop connaître,
Amoureuse des calmes eaux,
Le regard éteint de son être
Pour crier sa joie aux oiseaux.

LES CHANTS DE LA NATURE

LE BEAU PAYS

À Albert Mockel.

Pays de troupeaux lents, d’eaux vives et d’yeuses,
Me voici qui reviens, meurtri par la cité,
Te demander ta paix douce aux âmes pieuses
Et l’oubli de l’hiver et l’espoir en l’été.

Bientôt j’écouterai les abeilles sauvages
Charmer de leur labeur murmurant et serein,
Tel le bruit de la mer sur de lointains rivages,
L’heure bleue où l’on dort parmi le romarin.


Le clapotis que fait ta rivière fleurie
Entre ses aunes verts qui lui voilent le jour
Surprend mystérieusement ma rêverie
Comme un sanglot de vierge au moment de l’amour.

Dans la vallée heureuse où, le flûtet aux lèvres,
Le pâtre au grand manteau rayé module un air,
J’entends parmi les prés les brebis et les chèvres
Bêler en remuant leurs sonnailles de fer.

La brise sent le thym, la sauge et la lavande.
L’aubépine est éclose au bord blanc des chemins.
Les cueilleuses de fleurs font une ample provende
Dont restent parfumes leurs bras nus et leurs mains.

Tout est si doux qu’on rêve aux premiers jours du monde.
L’air n’est qu’haleine fraîche et légère chaleur.
L’ombre du plein midi sous les arbres est ronde.
On est loin de la ville et des cris du Malheur.

Je voudrais me jeter à genoux dans les herbes
Et, chantant le soleil qui vainc même la mort,
Te dédier aux dieux, terre des lys en gerbes,
Des roses, des iris et des mimosas d’or !


Donnant et reprenant mon âme à toutes choses,
J’adorerai, sans les cueillir, les fleurs d’amour,
Et ce sera, le soir, par leurs corolles closes
Que je m’apercevrai de la fin d’un beau jour.

Je rentrerai, pensif, à la paisible auberge
Par le sentier brumeux qui suit le bord de l’eau.
Écartant les roseaux, je verrai de la berge
La lune se lever sur l’orme et le bouleau.

Mes mains fleureront bon comme cette contrée,
Mes lèvres rediront ses anciennes chansons.
Je comprendrai la foi qu’il faut avoir, sacrée,
En l’œuvre de la vie et des quatre saisons.

Mon retour sera doux comme le printemps même.
À pas secrets j’irai m’étendre, las et fort,
Auprès du corps béni de la femme que j’aime,
Et je m’endormirai sans conjurer la mort.

RÊVERIE

À Victor Rousseau.

Voici venir le soir où mon âme, ô douceur !
Voudrait mourir sur les lèvres et dans les roses,
Et goûter tour à tour, confondant toutes choses,
Au parfum de la femme, à la chair de la fleur.

Le vent s’est fait plus doux et de désir soupire
Parmi les bois tremblant du chant des rossignols.
Vois ! les chauves-souris enchevêtrent leurs vols.
C’est, après le soleil, la lune et son empire.


Dans l’ombre on ne voit plus où finit le sentier.
Écoute, ô promeneur, malgré ta somnolence,
Les derniers bruits du jour avant le grand silence
Où l’on entendrait choir une fleur d’églantier.

L’angelus sonne. Un enfant chante. Un chien aboie.
Un fardier fait grincer les cailloux du chemin.
C’est l’heure grave où l’on voudrait lever la main
Pour te bénir, ô Terre où fermente la joie !

Mais es-tu digne, ô toi qui rêves près des blés,
De faire devant Dieu le signe saint du prêtre ?
As-tu vidé ton cœur de la vanité d’être
Autre chose qu’une ombre au long des murs croules ?

Et sauras-tu mourir sans plus vouloir te plaindre
Que les fleurs, les oiseaux, les astres et les dieux ?
Pourras-tu, sans qu’on ait à te fermer les yeux,
Sentir autour de toi la lumière s’éteindre ?

Accordes-tu ton âme à la fuite des eaux,
Au passage des vents, à la chute des feuilles ?
Chantes-tu les trois Sœurs, et quand tu te recueilles,
Entends-tu dans la nuit le bruit de leurs fuseaux ?


Frère, ne réponds rien, car tout est un mystère.
Retourne à ta maison, et sans crainte endors-toi.
Qu’il te soit épargné de connaître la loi.
N’écoute plus la voix secrète de la Terre.

CRAINTE D’AUTOMNE

À Wilhelm Cramer.

Le crépuscule éteint ses pourpres et ses ors.
Glissant à peine à pas furtifs parmi les feuilles,
La pâle Automne vient, rêveur qui te recueilles,
Te murmurer tout bas qu’il est l’heure des morts.

Iras-tu, la suivant dans les vents et la pluie,
Jusqu’au bois ténébreux où dorment les marais,
Y mirer ton visage et tes effrois secrets
Avant que l’ombre tombe et que le jour s’enfuie ?


Ou, prenant le chemin qui ramène aux maisons
Dont les carreaux rougis vont luire sur la plaine,
Écouteras-tu seul, retenant ton haleine,
Le chant qui dure encore aux lèvres des Saisons ?

Suivras-tu le conseil des roses de novembre
Dont les pétales roux jonchèrent ton jardin,
Et que tu sens mourir, en un rêve soudain,
Sur le sein de l’amie arrivant dans ta chambre ?

Ou, les bras étendus sur l’aire de ton champ
Où rien ne verdit plus, hormis la mauvaise herbe,
Prieras-tu pour les grains qui deviendront la gerbe
Dont le poids fait plier le dos d’un jeune enfant ?

Hélas ! pauvre rêveur, tu ne saurais que dire !
En la saison douteuse où frissonne le Sort,
Tout prépare à la vie et s’apprête à la mort.
Ta gaîté veut pleurer et ta tristesse rire.

Il n’est rien de certain dans le monde, sinon
Qu’il n’est pas de repos dans la vie éternelle.
Tout ce qui fut revient, comme la ritournelle
D’une chanson que chante un poète sans nom.


Voici rentrer le laboureur avec le pâtre.
On entend dans les bois se lamenter les vents.
La tempête a gonflé le fleuve aux flots moins lents.
C’est l’heure d’endormir son âme au coin de l’âtre.

Mais la semence vit qui, verte, percera
Vers le premier soleil, sous la dernière neige ;
Et même en ces mois noirs, par un doux sortilège,
La rose de Noël à ton seuil fleurira.

Accueille donc l’Automne ainsi qu’une servante
Qui t’apporte la coupe où tu boiras l’espoir ;
Puis écoute sans peur les voix sombres du soir :
Autour de ta demeure il pleut, et neige, et vente…

L’INVITATION AU BONHEUR

À Émile Despax.

Voici la mer d’azur aux îles de porphyre
Et les enclos de fleurs où, ce soir, le zéphire
Apaise le murmure enivré des abeilles,
Et les vergers où l’on dépose les corbeilles
Quand le chant du berger qui rentre, flûte aux lèvres,
Se mêle au bêlement des brebis et des chèvres,
Et voici sur le ciel la masse des montagnes
D’où les torrents glacés roulent vers les campagnes,
Baignant les noirs cyprès avant les lauriers roses,
Et les cloches qui font trembler les maisons closes
En rappelant au port les plus lointaines voiles,
Et voici la nuit bleue où tournent les étoiles.

Ô toi qui d’un pas dur foulas toutes les routes,
Reste en ces lieux et, las, laisse dormir tes doutes
En écoutant gémir sur les toits à tourelles,
Dans le hameau voisin, les rauques tourterelles.
Les flots suivant sans fin les flots sur le rivage
Berceront de leurs pleurs ton âme trop sauvage.
Croyant que tu t’endors sur le sein de ta mère,
Ne crains pas sur ta bouche une saveur amère.
La brise souffle ici du pays de la fable.
Regarde l’invisible, écoute l’ineffable.
L’âme des dieux anciens habite dans ces îles
Qui vibrèrent jadis du pipeau des idylles.
N’as-tu pas entendu le cri de la sirène
Dont la croupe a heurté quelque rude carène
Dans cette ombre, et qui saigne en pleurant sur la plage ?
Ce que tu sens frémir tout bas dans le feuillage,
C’est peut-être la joie obscure des dryades
Qui vont boire à la main de leurs sœurs les naïades,
Pan siffle au fond des bois, et la danse des faunes
Va bientôt se nouer en ronde autour des aunes.
Tout vit, et chaque fleur est l’image du monde.
Crains, en parlant trop haut, que Dieu ne te réponde,
Et va vers le bonheur comme vers le silence.

Sur la colline proche un orme se balance.
À son abri, l’auberge au toit de tuiles vertes
Abandonne au passant ses portes large ouvertes.
Mais crois-moi, reste ici parmi les bonnes herbes
Dont tu feras ta couche. Arrache-les par gerbes.
Choisis le romarin, la lavande et la menthe
Dont fleureront tes mains, comme si ton amante
Venait de leur livrer toute sa beauté nue.
La nuit sur ton sommeil sera la bienvenue.
Tes songes seront ceux des gueux et des poètes,
Et quand grisolleront au ciel les alouettes,
Tu riras au soleil, sentant jusqu’à ton âme
Sa flamme te brûler comme un baiser de femme.

L’air rêche du matin fripera tes paupières
Quand tu iras, butant un peu parmi les pierres,
Rafraîchir ton réveil à l’eau de la fontaine
Oui coule en murmurant parmi la marjolaine.
Tes cheveux seront pleins de l’or des feuilles mortes,
Et tout ton corps exhalera les odeurs fortes
De cet automne chaud qui roussit et ravage
Les étoiles du ciel et les fleurs du rivage.
À genoux, le front bas, comme un pauvre qui prie,
Lave tes yeux au clair de la source fleurie,

Et quand tu sentiras jusqu’au creux de tes paumes
Battre un sang plus vif, va par l’éteule et les chaumes,
Vers le hameau d’où, bleue à peine, la fumée
S’exhale des toits d’or vers l’aurore enflammée.

Tu seras accueilli sur le seuil des demeures
Dont l’ombre peu à peu décroît avec les heures,
Par les hommes qui vont, une rose à l’oreille,
Vers les champs, les jardins, la prairie et la treille,
Par les femmes tournant vivement la quenouille
Qui, fil par fil, sous leurs doigts prestes se dépouille
Au doux bourdonnement du rouet des grand’mères,
Par les petits enfants aux beaux yeux éphémères
Qui serreront autour de toi leur brusque ronde
Comme s’il n’était pas de souci par le monde,
Ni d’hiver à venir, ni de lourde vieillesse.

Oublie alors le nom même de la tristesse.
Laisse-toi, tout ce jour, séduire par la Vie
Qui te sourit, et chante, et danse, si ravie
Qu’on dirait qu’elle a bu tous les vins de l’automne.
Donne un peu de ta joie à chacun, comme on donne
Les fruits d’une corbeille ou les fleurs d’une gerbe,
Sans trop se soucier s’il en tombe dans l’herbe.

Avant jadis pleuré, tu peux rire sans honte.
Qu’aux baisers du bonheur ta bouche reste prompte,
Et cache à tous l’horreur secrète de tes larmes.

Trop tôt tu frapperas, voyageur qui t’alarmes,
Aux maisons de la ville où l’on souffre et l’on pleure.
Serait-elle prochaine ou lointaine, cette heure ?
N’y pense même pas. Aime cette contrée
Où la vie au beau sang de la mort se recrée.
Écoute le berger qui passe, flûte aux lèvres,
Parmi les bêlements des brebis et des chèvres,
Et le murmure épais des dernières abeilles
Dans les enclos de fleurs, les vergers et les treilles,
Et le bruit endormeur des vagues, et les cloches
Qui répondent aux voix des pêcheurs dans les roches.
Tu verras l’invisible et diras l’ineffable.
Tu ressusciteras tous les dieux de la fable,
Et délaissant alors les champs et les chaumières,
Marchant, les bras au ciel, les yeux pleins de lumières,
Parmi le sable jaune ou l’herbe qui verdoie,
Tu crieras au soleil tout l’excès de ta joie,
Comme le faune roux et le fauve satyre
Qui chantent vers la mer aux îles de porphyre !

LA TRISTE ÉGLISE

À Numa Gillet.

J’entends dans le vent tinter la cloche
De la petite éçlise des champs
Où l’on ne va, du village proche,
Que pour des enterrements d’enfants.

Son cimetière est plein d’herbes folles
Qui frémissent sur tous les tombeaux ;
Son portail est vert de mousses molles,
Dans ses deux tours gîtent des corbeaux.


Son seuil, toute l’année, est sans roses
Et son autel sans cierges la nuit.
Parfois un prêtre aux gestes moroses
Y rôde avec des clefs et s’enfuit.

À son ombre, la route où ne passe
Personne du printemps à l’hiver
Vient d’on ne sait où, là-bas, puis, lasse,
Meurt quelque part au bord de la mer.

La pluie est grise pendant l’automne
Sur le pays jaune d’alentour.
C’est la saison mortelle où frissonne,
Au cœur lourd de la terre, l’amour.

Nul bruit, sauf celui du vent des dunes
Ou des larmes autour d’un cercueil.
Que luisent les soleils ou les lunes,
La cloche n’a voix que pour le deuil.

T’ouvriras-tu jamais à la joie,
Pauvre petite église des champs,
Quand de chaque jardin qui verdoie
Monteront des ailes et des chants ?


Viendra-t-elle au tournant de la route,
Sur des airs légers de violons,
La noce aux belles toilettes, toute
Folle de rubans et de galons ?

Ou verra-t-on, lançant des dragées,
La bonne marraine et le parrain
Mener jusqu’à tes marches rongées
Les gens du baptême et tout leur train ?

Hélas ! C’en est fini. Nul n’adore
Ton pâle Christ aux jeux sépulcraux ;
Ton encens à jamais s’évapore,
La poussière ternit tes vitraux.

Les saisons peuvent mourir ou naître,
L’on ne portera plus au saint lieu,
Comme une offrande qu’on doit au maître,
Les prémices des bontés de Dieu.

L’on épandra sur l’aire des granges
Tout le blé pour notre seule faim ;
C’est pour notre soif qu’après vendanges
Dans les cuves fumera le vin.


Lance ton appel sur la contrée !
Nul, de ton clocher à l’horizon,
Ne s’arrêtera, cette vêprée,
Pour murmurer la vieille oraison.

Nous ne te porterons en cortège
Que nos enfants trépassés sans foi,
Puis, dans la poussière ou dans la neige
Nos pas s’effaceront loin de toi.

Que l’herbe voile ton cimetière
Et que les corbeaux souillent tes tours !
Meurs solitaire, pierre par pierre,
De la morsure lente des jours,

Jusqu’à ce que tu sois devenue
La ruine maudite qu’on fuit
Dans le vent obscur et sous la nue,
Demeure des morts et de la nuit !

LA BONNE MORT

Lorsque la Mort, assise au chevet de mon lit,
Posera sur mes yeux ses lèvres invisibles,
Amis, ne cherchez pas d’oraisons dans les bibles ;
Accueillez le mystère et soyez doux d’esprit.

Je puis mourir sans peur, ayant vécu sans haine.
Mais silence, silence autour de mon sommeil !
Vous ouvrirez plus tard, au déclin du soleil,
Les portes du logis à la rumeur humaine,


Vous me tendrez vos mains vivantes sans gémir ;
Je ne veux pas mourir sans des mains dans les miennes.
Je rêve un soir d’automne où des chansons anciennes
Préluderaient tout bas à l’heure de dormir.

Quand vous me fermerez les yeux au jour du monde,
Je voudrais qu’en la rue, où de l’herbe verdit,
Passassent des amants, ou bien qu’on entendît
Des enfants aux cheveux épars danser la ronde.

Vous m’accompagnerez à mon dernier séjour
Un matin que le ciel sera doux à la terre,
Puis, lents, vous laisserez à sa paix solitaire
Celui qui ne sait plus quand il fait nuit ou jour.

J’écouterai tomber les roses sur les roses,
La saison qui s’en vient sur celle qui s’enfuit,
La neige sur la neige et l’aube sur la nuit.
Quand on est mort, on doit entendre tant de choses,

Même le battement plus lent des cœurs en deuil !
Ah ! revenir un soir à la maison connue
Et troubler d’un baiser celle que j’aurai vue
Seule et se désolant, les yeux lourds, sur son seuil !


Mais parce qu’en la mort la mémoire est si brève,
Combien on doit souffrir ! De celle que j’aimai
Que me restera-t-il aux fleurs du prochain mai ?
L’ombre d’une ombre, hélas ! et le rêve d’un rêve !

Encore un peu d’émoi dans cette âme qui dort,
Et ce sera l’oubli de ce qui fut le monde,
Des parfums dans le vent, des aurores sur l’onde
Et de la voix d’amour qui supplia le Sort.

Je ne serai bientôt que cendre en les ténèbres.
Ô Mort, ainsi soit-il, puisque la loi le veut !
Je ne le maudis pas comme celui qu’émeut
La crainte de blêmir sous tes lampes funèbres.

Je sais que tout hiver prépare un renouveau,
Que la saison d’azur suivra la saison grise,
Et qu’une graine chue au hasard de la brise
Fait éclater un jour les portes du tombeau.

Je mets ma foi dans l’œuvre obscure des années.
Aussi ne priez pas, amis, autour de moi.
Aucun appel, fût-il d’espérance ou d’effroi,
N’a jamais pu fléchir les vieilles destinées.


Ai-je entendu le glas tinter au carrefour ?
Voici ma chair lassée et mon âme assouvie,
Ô toi dont les baisers sont plus doux que la vie,
Mort dont le nom se mêle à celui de l’Amour.

LA LEÇON

À Lucien Rion.

Vallée au torrent clair comme un rire d’enfant,
Prés où tintent au loin de mouvantes sonnailles
Sous l’œil mi-clos des chiens au soleil se chauffant ;
Champs éventrés par la charrue où les semailles
Brûlant déjà la terre et fendant les sillons
Vont bientôt verdoyer aux yeux heureux des hommes ;
Vergers où l’on entend, à la mort des grillons,
Sous les vents incertains d’automne choir les pommes ;
Vignobles caillouteux où la force du vin

Fermente pour l’amour et les fêtes futures ;
Et vous, coiffés de vert, monts qu’entaille un ravin
Par où tout votre sang, l’eau propice aux cultures,
Coule, roulant des rocs ou balançant des fleurs,
Vers la plaine où l’on voit, le soir, fumer les fermes ;
Ô ciel de ce pays, brises, parfums, couleurs,
Me voici qui reviens en la saison des germes
Vous demander, très las de la grande cité,
La leçon du silence et de la solitude.

Terre, ô mère en qui dort toute la vérité,
Toi seule tu nous dis, sans fin ni lassitude,
La leçon de l’effort à travers les saisons,
Depuis le doux printemps où le blé perce à peine
Jusqu’à l’hiver où le pain cuit dans les maisons.
Tu portes tour à tour, sans amour et sans haine,
Ton suaire de neige et ton voile de lys.
Tu confonds en la vie et la mort toutes choses,
Sans crainte pour demain ni regret pour jadis.
Tu caches en ton sein les effets et les causes.
De toi-même tu vis, en toi-même tu meurs,
Et tous tes éléments, l’air, les eaux et la terre,
Cette pluie à l’aurore et ce vent sur les fleurs,
Ne paraissent aux yeux du penseur solitaire

Que les formes sans fin d’une identique loi
Qui relie au soleil le sort du moindre atome.

Aussi, quoique j’aurai vécu sans dieu ni foi,
Assuré que le monde entier n’est qu’un fantôme
Qui s’évanouira quand mes yeux s’éteindront
Dans l’horreur des douleurs et la flamme des fièvres,
Je sais que la pensée enclose sous ce front,
Les gestes de ces mains, le souffle de ces lèvres
Auront un éternel écho dans l’inconnu,
Et que je revivrai, malgré ma chair dissoute,
Dans les chants d’un poète après moi survenu,
Et dans l’élan d’espoir qui lance sur la route,
En quête du bonheur, les âpres vagabonds,
Et dans la volonté du prophète qui rêve
D’arracher des moissons aux rochers inféconds,
Et qui voudrait, moisson de l’âme, que se lève
De tous les cœurs humains le blé pur de l’amour.

Car rien ne se perdra, ni la moindre parole,
Ni le moindre rayon épars au point du jour,
Ni la moindre semence au cœur de la corolle.
Tout se retrouvera pour le pire ou le mieux
Dans le charnier de deuil ou le jardin de gloire,

Dans la flaque de boue ou dans l’azur des cieux,
Dans les cris du blasphème ou l’hymne de victoire.

Et telle fut pour moi, vallée au torrent clair,
La leçon du silence et de la solitude.
Et je suis retourné vers les villes de fer,
Chantant, comme un vainqueur, sans fin ni lassitude.

LE VAGABOND

À Thomas B. Rudmose-Brown.

Je me suis étendu, ce jour, les bras en croix,
Dans le jardin de mai, parmi les arbres droits
Qui dressaient, en offrande au renouveau, leurs branches
Où brûlaient mille fleurs, flammes roses et blanches.
Tout le sol était chaud comme un doux lit d’amour
Où les amants se sont épuisés tour à tour.
Dans l’azur grisollaient, vives, les alouettes
Qui font fuir au matin les peureuses chouettes.


La Nature chantait de toutes ses voix, chœur
De la terre et des cieux dont s’éjouit le cœur
Après l’interminable hiver et son silence.
Sur un lys, goutte d’or sur l’argent d’une lance,
Une abeille immobile était posée. Au loin
L’on entendait crier ceux qui tournent le foin,
Et parfois un lézard furtif, dressant la queue,
Rayait d’un vert éclair le mur à l’ombre bleue.

Là, maternelle au bord du fleuve, la maison
Où s’abrite ma vie en la belle saison
Regardait de sa porte et de ses cinq fenêtres
La lointaine forêt de chênes et de hêtres,
Les champs d’avoine verte où l’on voit des remous,
Les saules éplorés, les trembles toujours fous,
Et près des bords vaseux dont l’homme craint les fièvres,
Tous les sombres roseaux où Pan pose ses lèvres.

J’étais sûr de la paix dans le petit enclos.
Je n’avais qu’à laisser passer, auprès des flots
Du fleuve ensoleillé, les heures sur mon âme.
Les fleurs devenaient fruits sous la croissante flamme
Du printemps, puis les gars, les bras lourds d’épis d’or,
Sur l’aire de la plaine entassaient leur trésor,

Et je ne regagnais la ville où l’on frissonne
Qu’en sentant sur mes mains le souffle de l’automne.

Mais voici : j’entendis des pas sur le chemin
Et je vis, sac au flanc et bâton à la main,
Le vagabond qui suit, malgré l’homme et ses ruses,
Le fleuve s’écoulant par-delà les écluses
Vers les cités, les ports et la plage où la mer
Déferle en écumant sur les galets de fer.
Il mordait, en chantant, une tremblante rose,
Et parfois il riait, comme un enfant, sans cause.

Il ne revenait point pour rêver sur ses pas.
Servant de l’avenir, il ne se chargeait pas
De souvenirs ni de remords, ancienne histoire
Que rabâchent les vieux à l’auberge, après boire.
Il avait l’air léger de porter trop d’espoir,
Et les plumes de coq, sur son vieux chapeau noir,
Remuaient au soleil comme un défi de joie
Aux yeux des bonnes gens qui, lorsqu’un chien aboie,
Viennent voir quelle engeance osa troubler leur paix.

Vagabond, j’ai senti soudain que tu frappais
À mon cœur. Ton appel fit bondir ma paresse.

J’ai compris le secret de la folle allégresse
Qui te faisait lancer tes refrains vers les cieux
Comme un joueur lance une balle et rit des yeux.
En toi fleurit le sang trop chaud de la Nature.
Ton nom ? C’est le désir. Ta route ? L’aventure.
On entend retentir tes pas précipités
Sur les pavés vibrants des anciennes cités
Ou, plus sourds, sur la route où dorment les villages.
N’es-tu pas, vagabond, l’enfant lointain des Mages
Qui suivirent l’étoile et découvrirent Dieu ?
Ou ne serais-tu pas, homme sans feu ni lieu,
Le prophète inconnu qui mène les peuplades
Par la terre et les temps — ô morts par myriades ! —
Vers les pays promis de vergers et de fleurs
Où chanteront un jour, après tant de douleurs,
Les amants enlacés qui se cherchent des lèvres ?

Ô vagabond, ami des renards et des lièvres,
Homme d’instincts secrets, messie ou criminel,
Attends-moi ! J’ai compris le sens de ton appel.
Me voici ! J’ai fermé sans un regret ma porte
Sur la paix et l’amour. Ô liberté, qu’importe
Cet amour qui s’est fait l’esclave de la loi
Ou cette paix qui tremble à l’abri de la foi ?


Arrière, enfant qui geins, et toi, femme qui pleures !
Ce n’est pas en dormant dans les vieilles demeures
Qu’on apprend à bâtir sur les nouveaux chemins !
Plus d’obstacle à mes pas, plus de liens à mes mains !
Je veux suivre les vents, les ondes et les ailes,
Loin des devoirs mesquins et des respects fidèles
Qui forcent les genoux trop faibles à ployer
Et fléchissent les fronts lâches vers le foyer.
Ô ma bouche, mords fort, jusqu’à faim assouvie,
Aux beaux fruits défendus de l’Arbre de la Vie !
Ravagez, ô mes poings, par le fer et le feu,
Les temples consacrés par les pleutres à Dieu,
Pour y faire hurler tous les péchés du Diable !
Et toi, mon cœur, mon cœur, sache être impitoyable
Quand la plèbe enverra, brisant chaînes et croix,
Ses prêtres, ses soldats, ses juges et ses rois
Mourir sur l’échafaud qui saigne dans l’aurore !

Ô vagabond, j’entends, dans ta chanson sonore,
L’écroulement des tours des villes de la nuit
Où l’incendie, ici et là, rougeoie et bruit,
Et l’éclat des clairons rouges de la révolte
Annonçant au soleil la nombreuse récolte
Dont se rassasieront les pauvres de jadis !

Et j’accueille, parmi les roses et les lys,
Les danses qu’on verra de beaux enfants conduire
Lorsqu’au front des maisons l’aurore pourra luire
Sans réveiller au cœur de tous le même mal,
Et les bannières d’or de ce grand jour lustral
Où les hommes, sortant des cités sacrilèges,
Dérouleront autour de leurs murs des cortèges
En criant vers la voûte éternelle des cieux
L’orgueil de vivre enfin sans tyrans et sans dieux !

Mendiant, je le suis, car mon cœur veut le monde !
Mais quoi ? Je n’entends plus ta chanson vagabonde.
S’est-elle avec la voix légère des oiseaux
Un instant confondue, ou le rire des eaux ?
Vois, je te suis ! Mais sur la poudreuse chaussée
La trace de tes pas furtifs s’est effacée,
Et j’ai beau me pencher sur les autres chemins,
Il ne reste qu’un peu de poussière à mes mains.
Fus-je ivre de soleil, et n’ai-je fait qu’un rêve ?
Ô force tôt brisée ! Ô révolte trop brève !
Suis-je vraiment de ceux qui, de leur pauvre seuil,
Voyant aller les fous d’amour, les fous d’orgueil
Vers l’étoile nouvelle ou la terre inconnue,
Ne pensent, en hochant une tête chenue,

Qu’au bonheur de mourir dans leur vieille maison,
Contents du même ciel et du même horizon ?

Non, soleil du printemps ! Non, cœur de mes ancêtres !
Je ris à tous les cieux, je vais vers tous les êtres !
Je voudrais de mes bras étreindre l’univers
Et mourir du parfum de la terre et des mers !
Ô la douceur des mains et des lèvres humaines !
À moi vos yeux et le parfum de vos haleines,
Enfants, et vos baisers dans l’ombre, doux amants,
Et les larmes des vieux accablés de tourments,
Et leurs cris quand la mort sur le seuil frappe et gronde !
Car toute ta douleur avec ta joie, ô monde,
Je voudrais l’assumer pour agrandir mon cœur !
Et s’il ne reste un jour, devant l’Amour vainqueur,
Qu’un seul homme souffrant aux confins de la terre,
Ma pitié prendra part à son mal solitaire,
Et, s’il la repoussait, pour lui seul pleurerait.

Ô vagabond, ayant compris le sens secret
De tes chants, je comprends celui de ton silence.
C’est à moi de chercher, seul et sans défaillance,
Le chemin que tu suis vers l’aube de demain.
Si tu me tais ta voix et me caches ta main,

C’est pour m’apprendre, à moi qui suis d’âme moins rude
À marcher dans l’orgueil et dans la solitude
Vers ce but qui s’éloigne à chacun de mes pas,
Le beau pays qu’hélas ! je ne connaîtrai pas !

Je ne retournerai donc plus ouvrir la porte
Que j’ai close à jamais sur l’ombre et ma foi morte.
Oui, j’irai seul vers où me mène le Destin,
Sans que tremble en mes yeux un courage incertain.
J’ébranlerai du poing les maisons des villages
D’où les vieillards assis me crieront des outrages.
Même les tout petits enfants aux yeux si beaux
Me suivront dans un bruit cliquetant de sabots
Pour cracher sur mes pas et me jeter des pierres.
Et quand, l’été, levant de pesantes paupières,
Je passerai comme un dément auprès des puits
Qui bordent les talus de la route où je fuis,
Nulle femme ne me tendra le seau d’eau fraîche
Où boit le tâcheron qui laisse choir sa bêche.

Puis j’irai vers la Ville, au centre des chemins.

Ô foule où l’on ne voit que visages et mains !
Tours, dômes et clochers dans l’or du crépuscule !

Étendards ! Multitude ivre qui me bouscule !
Sifflets d’usine à l’aube ! Orchestres de la nuit !
Passants aux yeux hagards qu’un dieu secret poursuit !
Chuchotements d’amour dans chaque maison grise
Et soupirs d’oraisons au fond de chaque église !
Accouplement des chairs dans le sang du désir
Et la Mort arrachant ses masques au Plaisir !
Ô chants épars au vent ! Chars dorés de la fête !
Tout le peuple en cortège ou l’émeute en tempête !
Dur tintement de l’or dans cent palais de fer !
Paradis pour les uns, pour les autres l’enfer !
Doigts tendus à l’aumône ou poings clos pour le crime !
Cris du génie au ciel ! Blasphèmes de l’abîme !
Ô Ville !

Ô Ville !Ô Ville !

Ô Ville ! Ô Ville ! Ô Ville, as-tu pitié de ceux
Qui vont te quémander, pèlerins malchanceux,
Un peu de gloire, un peu d’amour, un peu de vie ?
Vois ! ce valet, flattant la canaille ravie,
Gagnera la couronne et la pourpre des rois,
Tandis que le héros bataillant pour ses droits
Verra du haut du ciel où s’éteignent les astres

Saigner sur ses drapeaux l’aigle noir des désastres.
À l’amant donnes-tu le baume des baisers,
Au malheureux le doux oubli des maux passés,
Au poète l’espoir de vivre après la tombe ?
Geindras-tu de lauriers le lutteur qui succombe ?
Jetteras-tu l’ortie à l’indigne vainqueur ?
Ô Ville indifférente à l’émoi de mon cœur,
Seras-tu la bonté, la beauté, la justice ?

Hélas ! Je sais, avant que mon cri retentisse
À tes portes, que rien ne te réveillera.
Déjà je te renie, et je sais qu’il faudra
Une autre solitude à mon âme trop fière.
J’irai donc, secouant de mes pieds ta poussière,
Vers le pays lointain dont on ne revient plus !

Ses habitants sont tous aveugles et perclus.
Mais lorsque je ne sais quel rêve les embrase,
Ils marchent sans répit, soulevés par l’extase,
Vers la mer dont on sent l’odeur à l’horizon,
Ou l’arbre d’or qui croît loin de toute maison,
Ou le soleil du soir qu’à travers leurs paupières
Ils peuvent voir à peine ensanglanter les pierres.
Je suivrai, quoique las et presque moribond,

Leurs pas sacrés parmi lesquels, ô vagabond,
Je croirai de mes yeux, pleins de soleil ou d’ombre,
Reconnaître les tiens. Et quand sonnera, sombre,
L’heure où le plus vaillant a peur comme un enfant
De se sentir mourir dans le soir étouffant
Loin des mains des amis et des douces paroles
De l’amante dont les lèvres sont des corolles,
Je me consolerai — oh ! mon suprême orgueil ! —
En pensant qu’au désert où j’ai mené mon deuil
S’élèveront, dressant parmi l’azur leurs arbres,
Leurs colonnes, leurs tours, leurs palais et leurs marbres,
Les cités de ces temps que l’homme connaîtra
Où sur les fronts et dans les vents ne flottera
Que l’unique étendard d’une même patrie !

Puis j’irai vers la mer, la folle mer fleurie
D’écume et de soleil. Je m’agenouillerai,
Les bras ouverts, devant son éclat empourpré.
Je ne verrai nul pas humain sur l’or du sable.
Dans l’air je sentirai la poussière impalpable
Des vagues, et j’aurai la saveur de leur sel
Sur les lèvres. Ô mer, élément éternel,
Je veux mourir bercé par tous les frais murmures
De tes flots, plus aimés que l’ombre des ramures.

Je suis ton fils. À toi mes rêves dont le vol,
Entre l’azur de l’onde et du ciel, loin du sol
Trop pesant à mes pas, vibre vers les contrées
Où ne palpite plus le cœur de tes marées.
Assoupi par la voix monotone du vent,
Ô mer, j’écouterai l’immense mouvement
Et le tumulte et la rumeur de la colère
Oui dort toujours en toi, même lorsque t’éclaire
De ses paisibles feux le soleil d’un beau soir.

Abandonnant, ô mer, tout mon vain désespoir
Que n’apaisera pas, pendant les nuits sereines,
L’appel mélancolique et las de tes sirènes,
Puissé-je voir voguer vers moi, du fond des cieux
Et des flots confondus, la Nef des demi-dieux
Où, dressé sur la proue, un être qu’auréole
L’orbe d’or du soleil et que la lyre affole,
Élèvera la voix pour chanter les cités
Invisibles encore à mes yeux attristés,
Et les pays rêvés par les anciens poètes
Où doit finir enfin la fureur des tempêtes,
Et, douce à tous les yeux, l’aurore de ce jour
Où le maître du monde entier sera l’Amour.

La voix du vagabond !


La voix du vagabond ! C’est elle, appel au rêve,
Qui me redressera sur la dernière grève
Pour de nouveaux départs et quel nouvel espoir !
Qui parla de mourir ? Je vaincrai l’ange noir
Et mon âme, tout chants et flammes, sur cent ailes
Folles, s’envolera comme les hirondelles
Vers la lumière, et les moissons, et le bonheur,
Malgré la nuit qui vient sur les flots et l’horreur
D’être seul dans le vent futur de la tempête,
Et l’effroi de savoir que je m’enfuis en quête
D’un trop beau paradis interdit à mes pas.

Mais qu’importent les morts, les larmes et les glas,
Et même de ne rien surprendre aux destinées ?
Je suivrai les chanteurs et leurs voix obstinées
Vers les sommets d’azur et les étoiles d’or
Plus haut que n’atteignit aucun mortel essor !
Car, vagabond qui vins, ce jour de quiétude,
Ébranler de tes chants et de ton geste rude
La porte du logis où depuis trop longtemps
Je restais lâche et sourd aux cris des mécontents,
Tu m’as appris qu’il est, par les chemins du monde,
Précurseurs faisant signe à la horde qui gronde,
Quelques voyants de l’avenir, à toi pareils,

Dont le rêve poursuit la course des soleils
À travers le chaos du temps et de l’espace
Vers l’accomplissement des fins de notre race !

Vagabond, par-delà les tombes et les nuits,
Dressant mes mains noires vers l’aube, je te suis !

TABLE
TABLE
L’APPEL DU PASSÉ
 9
 19
 23
DES CRIS DANS LA NUIT
 47
 58
 61
 64
foi 
 70
SUITE DE ROMANCES
LES PAROLES DE L’AMOUR
 119
 121
 123
 126


LE SOLEIL SUR LES FLEURS
 144
 150
 152
 154
 156
LES CHANTS DE LA NATURE
 170
 189
ACHEVÉ D’IMPRIMER
le huit juin mil neuf cent neuf
par
BLAIS ET ROY
à poitiers
pour le
MERCVRE
de
FRANCE