Cours d’agriculture (Rozier)/BŒUF & VACHE

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Hôtel Serpente (Tome secondp. 314-329).


BŒUF & VACHE. Le bœuf est le taureau châtré. Il est, sans contredit, l’animal le plus estimé entre les bêtes à cornes. Il semble méconnoître sa force, pour se plier à la volonté de l’homme. Nous en voyons des troupeaux entiers, être dociles à la voix d’une femme ou d’un enfant, suivre sans s’écarter, le chemin du pâturage, paître, ruminer, s’égayer sous les yeux de leur conducteur, se désaltérer au bord d’un ruisseau limpide qui arrose la prairie, & rentrer à l’étable sans résistance. Cet animal partage encore avec l’homme les travaux pénibles de la campagne ; c’est lui qui défriche nos terres, prépare nos moissons, transporte nos grains : sans lui les pauvres & les riches auroient beaucoup de peine à vivre ; il est la base de l’opulence des États, qui ne peuvent fleurir que par la culture des terres, & par l’abondance du bétail.

Le bœuf n’est pas si lourd, ni si mal-adroit qu’il paroît au premier aspect. Il sait se tirer d’un mauvais pas, aussi-bien, & peut-être encore mieux que le cheval. L’exemple que nous allons rapporter en est une preuve. Un de ces hommes, qu’on appelle vulgairement toucheurs de bœufs, trouvant un pré dans son chemin, y fit entrer ses bœufs pour pâturer. Excédé de fatigue, il se couche en travers sur la brêche faite à la haie, & s’endort. Quelques momens après, un de ces bœufs s’approche tout doucement ; & sentant son conducteur endormi, passe adroitement par-dessus lui sans le toucher ; un second en fait autant ; ensuite un troisième, un quatrième, & ainsi tout le troupeau défila ; enfin, l’homme se réveille, regarde autour de lui, & est bien étonné de voir que ses bœufs ne sont plus dans le pré, où il les croyoit en sûreté.

Les animaux les plus pesans ne sont pas ceux qui dorment le plus profondément, ni le plus long-tems. Le bœuf dort, mais d’un sommeil court & léger ; le moindre bruit le réveille. Il se couche ordinairement sur le côté gauche ; aussi observons-nous que le rein, de ce côté, est toujours plus gros & plus chargé de graisse, que celui du côté droit.

Quoique les anciens aient prétendu que le bœuf & la vache avoient la voix plus grave que le taureau, il n’est pas moins vrai de dire que ce dernier a la voix plus forte, puisqu’il se fait entendre de plus loin. Le mugissement du taureau n’est pas un son simple, mais un son composé de plusieurs octaves, dont la plus élevée frappe le plus l’oreille ; car si l’on y fait attention, on entend en même tems un son grave, & même plus grave que celui de la vache, du bœuf & du veau, dont les mugissemens sont aussi plus courts. Le taureau ne mugit que d’amour ; mais la vache mugit plus souvent d’horreur & de peur, tandis que le veau mugit de douleur, de besoin de nourriture, & du desir de sa mère.

Comme il n’y a de différence du bœuf au taureau, que par la castration ; & à la vache, que par les parties de la génération, nous traiterons dans cet article, de ces trois animaux ensemble.


Plan du Travail.


PREMIÈRE PARTIE.


CHAP. I. Des poils du Bœuf, de ses proportions, & de sa comparaison avec le cheval.
Sect. I. Variété des poils du Bœuf.
Sect. II. Proportions du Bœuf & de la Vache.
Sect. III. Parallèle du Bœuf avec le Cheval.
CHAP. II. De la génération.
Sect. I. De l’usage principal du Taureau.
Sect. II. Des qualités du Taureau & de la Vache, destinés à la propagation de l’espèce.
Sect. III. Des pays qui fournissent les meilleures Vaches pour la production.
Sect. IV. De l’accouplement du Taureau avec la Vache, & des moyens de le faire réussir.
Sect. V. Des soins que la Vache exige lorsqu’elle est pleine. De l’accouchement.
CHAP. III. Des soins que le Veau exige depuis le moment de sa naissance, jusqu’à celui auquel on le fait servir.
Sect. I. Des soins que demande le Veau dès qu’il est né, jusqu’au tems de la castration.
Sect. II. De la castration du Veau, & des moyens à employer pour l’accoutumer à se laisser ferrer, & à être mis au joug.
CHAP. IV. Des avantages de la Vache.
Sect. I. Des Vaches qui donnent le plus de lait.
Sect. II. De la traite, & des moyens d’entretenir & d’augmenter le lait.
Sect. III. De la consistance du lait, pour qu’il soit bon.
CHAP. V. De l’âge du Bœuf, de ses qualités pour le travail, de sa nourriture, du tems qu’il faut le faire travailler, de la manière de l’engraisser, de la durée de sa vie.
Sect. I. Des dents du Bœuf, & des moyens de connaître l’âge.
Sect. II. Qualités du Bœuf propre au travail. De sa nourriture.
Sect. III. De l’heure à laquelle le Bœuf doit commencer & finir son travail.
Sect. IV. À quel âge finit-il de travailler ? Comment l’engraisse-t-on ?
Sect. V. De la durée de sa vie.
CHAP. VI. De la rumination.
Sect. I. Qu’entend-on par rumination ? Quel est le nombre des estomacs du Bœuf ?
Sect. II. Comment se fait la rumination ?
CHAP. VII. De l’influence de la nourriture & du climat.
Sect. I. De l’influence de la nourriture sur le Bœuf.
Sect. II. De l’influence du climat.


DEUXIÈME PARTIE.


Des maladies du Bœuf.

CHAP. I. Des maladies internes.
Sect. I. Des maladies de la tête.
Sect. II. Des maladies de la poitrine.
Sect. III. Des maladies du bas-ventre.
CHAP. II. Des maladies externes.
Sect. I. Des maladies de l’avant-main.
Sect. II. Des maladies du corps.
Sect. III. De celles de l’arrière-main.


PREMIÈRE PARTIE.


CHAPITRE PREMIER.

Des Poils du Bœuf, de ses proportions, et de sa comparaison avec le Cheval.


Section première.

De la variété des poils du Bœuf.

La couleur du poil la plus ordinaire au bœuf, & par conséquent la plus naturelle, est fauve. Cependant le poil roux paroît être le plus commun ; & plus il est rouge, plus il est estimé. On fait cas aussi du poil noir, & l’on prétend même que les bœufs d’un poil bai durent long-tems ; que les bruns durent moins, & se rebutent de bonne heure ; que les gris, les mouchetés ne valent rien pour le travail, & ne sont propres qu’à être engraissés. Nous sommes convaincus que de tous poils il est de bons bœufs, mais que, de quelque couleur que soit le poil, il doit être luisant, épais, doux au toucher ; s’il est rude, mal uni ou dégarni, il est à présumer que l’animal souffre, ou qu’il n’est pas d’un fort tempérament.


Section II.

Des proportions du Bœuf & de la Vache.

Un bœuf d’une taille ordinaire mesuré en ligne droite, depuis le bout du mufle ou de la partie inférieure de la tête, jusqu’à l’anus, donne environ sept pieds & demi de longueur ; quatre pieds un pouce & demi de hauteur, prise à l’endroit des jambes de devant, & quatre pieds trois pouces à l’endroit des jambes de derrière ; un pied neuf pouces dans la tête, depuis le bout des lèvres jusqu’au chignon ; un pied dans le contour de la bouche ; presque moins de la moitié de largeur dans la mâchoire postérieure, que dans la mâchoire antérieure ; deux pieds un pouce de longueur dans la colonne vertébrale qui forme le dos ; plus de longueur dans la huitième, neuvième & dixième côtes, que dans les autres ; dix pouces & demi de longueur dans l’avant-bras ; cinq pouces de circonférence à l’endroit le plus petit de cet os ; plus de largeur, que d’épaisseur dans le radius, c’est-à-dire, dans l’os antérieur qui forme l’avant-bras ; deux pouces & demi de longueur dans les rotules ; treize pouces de longueur dans le tibia ou l’os qui forme la jambe ; un pouce onze lignes de longueur dans les premières phalanges des pieds ; deux pouces de distance entre l’anus & le scrotum. Deux pieds quatre pouces de longueur dans la verge, depuis la bifurcation du canal caverneux, jusqu’à l’insertion du prépuce ; quatre pouces & demi dans les testicules.

À l’égard des parties naturelles de la vache, il y a deux pouces de distance entre l’anus & la vulve ; trois pouces de longueur dans cette dernière partie ; deux pouces de hauteur dans les mamelons, & environ trois pouces de circonférence à leur base ; une ligne de diamètre dans le canal de chaque mamelon ; dix pouces de longueur dans les mamelles, & un pied de longueur dans le vagin. On doit bien sentir que ces proportions ne sont pas les mêmes dans tous les individus.


Section III.

Parallèle du Bœuf & du Cheval.

La comparaison du bœuf avec le cheval, démontre que le premier a le poil plus doux & plus souple ; que la tête n’est pas si alongée ; qu’il y a moins de longueur dans les mâchoires, plus de largeur dans le front, plus de grandeur dans les apophises du col, plus de grosseur dans les épaules ; qu’il a le dos plus droit & plein, les reins plus larges, les côtes plus arrondies, le ventre tombant, les hanches plus longues, la croupe large & ronde, les jambes plus courtes, les genoux en dedans, la queue pendante jusqu’à terre, & que l’ongle, au lieu d’être d’une seule pièce, présente une bifurcation. La forme de son dos & de ses reins, démontre encore qu’il ne convient pas autant que le cheval, l’âne & le mulet, pour porter des fardeaux ; mais la grosseur de son col & la largeur de ses épaules, indiquent assez qu’il est propre à tirer & à porter le joug. Sa tête est très-forte, & semble avoir été faite exprès pour la charrue. La masse de son corps, la lenteur de ses mouvemens, le peu de hauteur de ses jambes, sa tranquillité & sa patience, semblent concourir à le rendre propre à la culture des champs, & plus capable qu’aucun autre animal, de vaincre la résistance constante & toujours nouvelle, que la terre oppose à ses efforts. Il n’en est pas de même du cheval : quoiqu’aussi fort que le bœuf, il est moins propre au labour, par l’élévation de ses jambes, la grandeur de ses mouvemens, leur rudesse, & par son impatience.


CHAPITRE II.

De la Génération.


Section première.

De l’usage principal du Taureau.

Le taureau sert principalement à la propagation de l’espèce, & quoiqu’il puisse être soumis au travail, on est moins sûr de son obéissance que de celle du bœuf. La nature a fait cet animal indocile & fier. Dans le tems du rut, il devient indomptable, & souvent comme furieux ; il combat généreusement pour le troupeau, & marche, le premier à la tête. S’il y a deux troupeaux de vaches dans un champ, les deux taureaux s’en détachent & s’avancent l’un vers l’autre en mugissant : lorsqu’ils sont en présence, ils s’entre-regardent de travers, en ne respirant que la vengeance & la jalousie, grattent la terre avec leurs pieds, font voler la poussière par-dessus leur dos ; enfin, se joignant bientôt avec impétuosité, ils s’attaquent avec acharnement, & ne cessent de combattre que lorsqu’on les sépare, ou que le plus foible est contraint de céder au plus fort ; pour lors le vaincu se retire triste & honteux, tandis que le vainqueur s’en retourne tête levée, triomphant & fier de sa victoire. Cet animal va au-devant de l’ennemi & ne craint ni le chien ni le loup ; enfin, nous voyons que dans les combats, soit publics, soit particuliers, qu’il a à soutenir, ou contre des hommes, ou contre d’autres animaux auxquels il est sacrifié, il fait face aux assaillans avec tant de courage, qu’il ne succombe qu’à la dernière extrémité, percé de mille coups, ou déchiré.


Section II.

Qualités du Taureau & de la Vache, destinés à la propagation de l’espèce.

Un taureau propre à servir un troupeau de vaches, doit être gros, bien-fait, & en bonne chair, ayant l’œil noir, le regard fixe, le front ouvert, la tête courte, les cornes grosses, courtes & noires, les oreilles longues & velues, le mufle grand, le nez court & droit, le col charnu & gros, les épaules & le poitrail larges, les reins forts, le dos droit, les jambes grosses & charnues, la queue longue & bien garnie de poils, le fanon pendant jusque sur les genoux, l’allure ferme & fière, le poil rouge, & de l’âge de trois ans jusqu’à neuf.

Le choix de la vache n’exige pas moins d’attention. Il faut qu’elle soit âgée de quatre ans jusqu’à neuf, docile, forte, élevée dans les montagnes fertiles en pâturages, ou dans les plaines éloignées des eaux marécageuses ; que les os du bassin soient évasés, la tête ramassée, les yeux vifs, les cornes courtes & fortes, l’espace compris entre la dernière fausse-côte, & les os du bassin, un peu long, le poitrail & les épaules charnues, les jambes grosses & tendineuses, la corne bonne, le poil rouge & uni.


Section III.

Des pays qui fournissent les meilleures Vaches pour la production.

Les vaches d’Auvergne, des Cevènes & de la Suisse, sont les meilleures. Celles de la Flandre, de la Bresse & de la Hollande, fournissent une plus grande quantité de lait, dont la nature répond à la qualité des alimens & de l’air qu’elles habitent, c’est-à-dire qu’il est plus aqueux.


Section IV.

De l’accouplement du Taureau avec la Vache, & des moyens de le faire réussir.

Un taureau destiné à servir les vaches, doit être nourri dans l’étable, avec un mélange de paille & de foin, & travailler une heure ou deux par jour, excepté dans le tems du rut, où il devient indocile ; alors il faut se contenter seulement de le laisser promener dans une basse-cour close de murs.

Le tems de la monte dure depuis le mois d’Avril jusqu’au commencement de Juillet. La vache qui est en chaleur mugit fréquemment & avec plus de force que dans les autres tems. Elle saute sur les vaches, sur les bœufs, & même sur les taureaux. La vulve est gonflée & saillante en dehors.

Le taureau le plus jeune & le plus ardent, demande beaucoup de ménagement, lorsqu’on veut le faire couvrir avec succès pendant plusieurs années : c’est particuliérement au printems qu’il a plus à faire, parce que la vache est communément en chaleur au mois d’Avril, de Mai & de Juin, quoiqu’il y en ait dont la chaleur soit plus tardive, & d’autres dont elle soit plus précoce. Quand il s’approche de la vache, on l’aide en dirigeant le membre dans le vagin, & en détournant la queue de la vache, de crainte qu’il ne se blesse. Il arrive quelquefois au taureau de sortir avant que d’avoir éjaculé l’humeur séminale, de monter plusieurs fois inutilement, de vouloir répéter l’acte de la génération, d’être dérangé par les divers mouvemens de la vache, & de dédaigner celle qu’il doit couvrir. Dans tous ces cas, il faut avoir recours aux moyens que nous indiquerons pour l’étalon, au mot Cheval, (Voyez le mot Cheval)

La vache retient plus aisément que la jument, souvent dès la première & seconde fois ; rarement faut-il que le taureau y revienne trois fois ; par conséquent un taureau qui ne couvre que de deux jours l’un, depuis le commencement d’Avril jusqu’à la mi-Juillet peut couvrir plus de trente vaches, sans risque d’être épuisé.

Il est essentiel, pour empêcher la dégénération de l’espèce, de croiser les races en les mêlant, & surtout en les renouvelant par des races étrangères. Si les campagnes sont souvent dépourvues de beaux bœufs, c’est parce qu’on apporte trop peu de précautions sur le choix, la qualité & le nombre des taureaux. Dans toutes ces circonstances, le laboureur est obligé de faire saillir ses vaches, soit par des taureaux lâches, foibles & épuisés, soit par des taureaux trop jeunes. Ces animaux s’épuisent, leur accroissement, leur force & leur courage diminuent, & les productions que l’on obtient sont peu propres à fournir de bons élèves. Il conviendroit mieux de faire venir des taureaux de Danemarck, de la Suisse, des Cevènes & de l’Angleterre, & de les distribuer dans les campagnes ; par ce moyen les habitans n’étant pas obligés de faire sauter leurs vaches par les taureaux du pays, on verroit bientôt le grand nombre & la belle espèce des bœufs se rétablir. Il n’est pas moins nécessaire aussi de choisir pour parcs des terrains secs, légers, fertiles en plantes nutritives, aromatiques, & arrosés d’une eau courante.

L’accouplement fait, on sépare le taureau de la vache, en les laissant reposer pendant demi-heure ; ensuite l’un est conduit à l’étable, & l’autre au pâturage, La vache fécondée ne mugit plus, la vulve cesse d’être gonflée, & elle répugne à l’approche du taureau, qui même refuse de la couvrir, lorsqu’elle est pleine. Cette répugnance du taureau ne doit pas engager le cultivateur à le lâcher dans le parc avec le nombre des vaches qu’il peut couvrir ; ce seroit méconnoître ses vrais intérêts, parce que cet animal se ruine plus pendant trois ou quatre mois que dure la monte, qu’il ne le feroit en trois ans de tems, & en ne couvrant, comme nous l’avons déjà dit, une vache que tous les deux jours. Il en est de même d’un taureau qui saillit à l’âge de deux ans ; il produit peu, & se trouve ruiné après trois ans de mauvais service.

Si lorsque le taureau est prêt de monter une vache, on lui substitue une jument en chaleur, ou une ânesse bien amoureuse, de cet accouplement contre-nature, naît un animal de petite taille, qui porte le nom de jumart. (Voyez Jumart)


Section V.

Des soins que la Vache exige lorsqu’elle est pleine. De son accouchement.

La vache qui est pleine demande beaucoup de soins & de précautions. Il faut la défendre des injures de l’air, telles que la pluie, le froid, les grandes chaleurs ; la faire peu travailler, lui laisser prendre haleine dans le travail, l’empêcher de courir, de sauter des haies, des fossés, & ne lui donner aucun coup. Elle risqueroit d’avorter. (Voyez Avortement) Le gras pâturage lui convient pour nourriture. Le septième mois, c’est-à-dire, deux mois avant l’accouchement, on peut augmenter la nourriture, en y ajoutant des raves, des navets, des courges, du bon foin, de la luzerne & du sainfoin. Les vaches dont le lait tarit un mois ou six semaines avant qu’elles mettent bas, ne sont pas aussi bonnes que celles dont le lait ne tarit pas même dans les derniers jours, parce que le lait annonce & est une preuve que la mère donne au fœtus une nourriture suffisante.

L’accouchement se fait au commencement du dixième mois. La vache exige alors plus d’attention que la jument, parce qu’elle est plus fatiguée & plus épuisée. On doit la séparer des autres vaches, la laisser coucher sur une bonne litière, la garantir du froid, lui donner un quart-d’heure après l’accouchement, de la farine de froment délayée dans de l’eau commune ; ensuite la nourrir pendant huit jours avec du foin de bonne qualité, de la luzerne & du sainfoin, & lui donner pendant ce tems pour boisson, de l’eau blanchie avec la farine d’orge ; après quoi on la remet par degré à sa vie ordinaire & au pâturage, ayant sur-tout le soin de la ramener trois ou quatre fois par jour à l’étable, pour donner à teter au veau.


CHAPITRE III.

Des soins que le Veau exige depuis le moment de sa naissance, jusqu’à celui auquel on le fait servir.


Section première.

Des soins qu’il faut avoir pour le Veau dès qu’il est né, jusqu’au tems de la castration.

Dès le premier moment de sa naissance, cet animal doit être tenu chaudement & commodément, & teter aussi souvent qu’il en est besoin. Ayant atteint cinq à six jours, il faut le séparer de la mère, parce qu’elle seroit bientôt épuisée, s’il restoit continuellement auprès d’elle. On ne laisse teter que trente ou quarante jours, les veaux qu’on veut livrer au boucher ; & pour les engraisser promptement, les œufs cruds, du lait bouilli avec de la mie de pain, suffisent à merveille ; mais ceux, au contraire, qui sont destinés à la charrue, doivent teter au moins trois ou quatre mois ; le premier hiver est le tems le plus dangereux de leur vie, & par conséquent celui où ils demandent le plus de soins. On les sèvre par degrés, en commençant à leur donner un peu de foin choisi, ou de la bonne herbe, afin de les accoutumer insensiblement à cette nourriture. Quand ils en mangent, c’est alors le tems de les séparer pour toujours de leur mère, & de ne plus leur permettre de teter, quoiqu’ils soient dans la même étable & au même pâturage que la vache. Aussitôt que le froid commence à se faire sentir, ils ne doivent rester au pâturage qu’une heure le matin, autant le soir, être tenus chaudement, ne sortir de l’étable que bien tard, & y entrer de bonne heure. Il ne faut pas sur-tout oublier de les caresser, de leur manier souvent les cornes, & principalement les pieds, afin de pouvoir les ferrer dans la suite ; éviter autant qu’il est possible de les irriter, de les contrarier & de leur donner des coups ; car il est prouvé que la violence & les mauvais traitemens les rendent vicieux & indociles.

Le veau conserve jusqu’à dix mois, c’est-à-dire, jusqu’au tems où la seconde dentition commence, les huit dents incisives qui se montrent à sa mâchoire postérieure huit jours après sa naissance. Son quatrième estomac contient des grumeaux de lait caillé, qui, séchés à l’air, sont la pressure dont on se sert à la campagne pour faire cailler le lait. Plus cette pressure est ancienne, meilleure elle est, & il n’en faut qu’une petite quantité pour faire un grand volume de fromage.


Section II.

De la castration du Veau, & des moyens à employer pour l’accoutumer à se laisser ferrer, & à être mis au joug.

À l’âge de deux ans & demi, on prive le veau de pouvoir se reproduire, par la castration. (Voyez Castration) Il prend alors le nom de bœuf. Parvenu à l’âge de trois ans, on l’accoutume à se laisser ferrer, si c’est dans les pays de montagnes ou pierreux, & sur-tout s’il est destiné à la charrette. (Voyez Ferrure) Il arrive souvent que lorsque cet animal est soumis pour la première fois à l’opération de la ferrure, il s’inquiète, s’agite, donne du pied, & fatigue le laboureur le plus fort & le plus vigoureux ; mais le seul moyen de l’y accoutumer insensiblement, est de le flatter, de le caresser, d’être patient, & non de le battre, ainsi que nous le voyons pratiquer par certains habitans de la campagne ; aussi sont-ils souvent la cause que leurs bœufs sont quelquefois comme furieux & qu’ils deviennent indomptables.

C’est à l’âge de trois ans, trois ans & demi, qu’il faut accoutumer insensiblement le veau ou le jeune bœuf au joug, également par la douceur, les caresses & la patience, & en lui donnant de tems en tems de l’orge bouillie, des féves concassées, & d’autres alimens semblables dont il est très-friand, en l’attelant à la charrue avec un autre bœuf de même taille, & qui soit déjà dressé, en les menant ensemble au pâturage, afin qu’ils se connoissent & s’habituent à n’avoir que des mouvemens communs. L’aiguillon est ici prohibé, parce qu’il rendroit l’animal intraitable, & qu’il exige au contraire, d’être ménagé dans le travail, de peur qu’il ne se fatigue trop. S’il est très-difficile à retenir, s’il est impétueux, s’il donne du pied, ou est sujet à heurter de ses cornes, tous ces défauts disparoissent, en attachant l’animal bien ferme à l’étable, & en l’y laissant jeûner pendant quelque tems ; s’il est peureux, la moindre chose l’effraie ; le travail & l’âge en diminuant la crainte, remédient à ce vice : s’il est comme furieux, le moyen le plus sûr de le corriger & de le rendre docile, est de l’attacher à une charrette bien chargée, au milieu de deux autres bœufs, qui soient un peu lents, & de leur donner souvent de l’aiguillon.


CHAPITRE IV.

Des avantages de la Vache.


Section première.

Des Vaches qui donnent le plus de lait.

Les vaches ne sont pas seulement utiles par les veaux & le laitage qu’elles donnent : il y a bien des pays où on les met encore au trait & à la charrue, & où on les fait travailler comme les bœufs.

Les vaches de la Flandre, de la Bresse & de la Hollande, fournissent une grande quantité de lait. Les Hollandois tirent annuellement du Dannemarck, des vaches grandes & maigres, qui donnent en Hollande beaucoup plus de lait que les vaches de France. C’est apparemment cette même race de vaches qu’on a transportée en Poitou, en Aunis & dans les marais de Charente. Elles sont appelées flandrines, parce qu’en effet elles sont plus grandes & plus maigres que les vaches communes, & qu’elles donnent une fois autant de lait, & des veaux beaucoup plus forts. Avec un taureau de cette espèce, on obtient une race bâtarde qui est beaucoup plus féconde & plus abondante en lait que la race commune. Ce sont les bonnes vaches à lait qui sont une partie des richesses de la Hollande ; elles fournissent deux fois autant de lait que les vaches de France, & six fois autant que celles de Barbarie.

Ce n’est point la grosseur du pis, ainsi que quelques-uns le prétendent, qui fait la bonté de la vache. Il y en a qui l’ont petit, & qui néanmoins donnent beaucoup de lait. Le pis n’est gros quelquefois, que parce qu’il est trop charnu. Les vaches de la Suisse fournissent aussi une quantité immense de lait. Il s’est formé depuis peu à Paris, un établissement de ces vaches, mais le lait n’est ni aussi abondant, ni aussi bon. Cette différence ne doit-elle pas être rapportée à la nature du climat & de la nourriture ?


Section II.

De la traite des Vaches, & des moyens d’entretenir & d’augmenter le lait.

En été, la traite des vaches se fait deux fois le jour, le matin & le soir ; mais en hiver, il suffit de la faire une fois seulement. La bonne façon de traire est de conduire la main depuis le haut du pis jusqu’en bas, sans interruption, ce qui produit une mousse haute dans le seau, au lieu qu’en pressant le pis, & comme par secousses, le beurre se sépare du lait.

Quand une vache donne peu de lait, on parvient à en augmenter la quantité & à l’entretenir, par l’usage des alimens succulens, tels que la bonne herbe, la paille d’avoine, le foin, le trèfle, le sainfoin & la luzerne. Ces pâturages ne donnent aucun mauvais goût au lait, à moins qu’ils ne soient dans des bas-fonds ; pour lors il participe de la mauvaise qualité des herbes de marais, & des prés fort bas. En général, de l’herbe douce, & de la bonne eau, produisent un lait excellent & toujours abondant.


Section III.

De la consistance du lait pour qu’il soit bon.

La consistance du lait, pour être bon, doit être telle, que lorsqu’on en prend une petite goutte, elle conserve sa rondeur, sans couler, & qu’elle soit d’un beau blanc. Celui qui tire sur le jaune, sur le bleu ou sur le rouge, ne vaut rien. Il faut aussi que la saveur en soit douce, sans aucune amertume, sans âcreté, de bonne odeur, ou sans odeur. Il est meilleur au mois de Mai, & en été, qu’en hiver, & il n’est parfaitement bon, que quand la vache est jeune & saine. Les différentes qualités de lait sont relatives à la quantité plus ou moins grande des parties butireuses, caséeuses & séreuses qui le composent. Le lait trop clair est celui qui abonde en parties séreuses. Le lait trop épais est celui qui en manque, & le lait trop sec n’a pas assez de parties butireuses & séreuses. Celui d’une vache en chaleur n’est pas bon, non-plus que celui d’une vache qui approche de son terme, ou qui a mis bas depuis quelque tems ; en un mot, la bonté du lait varie selon la nourriture de l’animal. Tout le monde sait de quel usage est le lait pour les besoins de l’homme, & surtout dans certaines maladies qui l’affligent, lorsqu’il est dirigé par un médecin instruit & éclairé.

CHAPITRE V.

De l’âge du Bœuf, de ses qualités pour le travail, de sa nourriture, du tems qu’il faut le faire travailler, de la manière de l’engraisser, de la durée de sa vie.


Section première.

Des dents du Bœuf, & des moyens de connoître son âge.

Les dents mâchelières du bœuf sont au nombre de vingt-quatre, disposées de façon que chaque mâchoire en a six d’un côté, & six de l’autre.

Les dents incisives sont au nombre de huit, placées sur le bord semi-circulaire de la mâchoire postérieure ; elles ont chacune le corps court, l’extrémité large & semi-circulaire ; la face antérieure de cette extrémité est concave & oblique ; elle a son bord inférieur tranchant, sa face postérieure est convexe ; la racine est courte, ronde & obtuse ; elles diffèrent les unes des autres par la largeur de l’extrémité antérieure, & la longueur de la racine. Les pinces ont l’extrémité supérieure plus large, au contraire la racine plus courte & moins grosse. Les autres dents incisives diminuent de largeur du côté de l’extrémité supérieure, & augmentent en longueur & grosseur du côté de la racine.

La mâchoire antérieure est dépourvue de dents incisives ; mais à leur place, on observe une espèce de bourrelet formé de la peau intérieure de la bouche, qui est fort épais dans cet endroit. Le bœuf se sert de sa langue quand il broute, pour ranger, pour ramasser l’herbe en forme de faisceau, & ses dents mâchelières en coupent la pointe ; aussi ne broute-t-il que celle qui est longue, & ne porte-t-il aucun préjudice aux prairies sur lesquelles il se nourrit ; il n’ébranle nullement la racine, enlève les grosses tiges, & détruit peu à peu l’herbe la plus grossière ; c’est ainsi qu’il bonifie les pâturages.

On connoît l’âge du bœuf par ses dents incisives & par les cornes. Les premières dents de devant tombent à dix mois, & sont remplacées par d’autres qui sont moins blanches & plus larges ; à seize ou dix-huit mois, les dents voisines de celles du milieu, tombent pour faire place à d’autres. Toutes les dents de lait sont renouvelées à trois ans ; elles sont pour lors égales, longues, blanches, & deviennent par la suite, inégales & noires.

Vers la quatrième année, il paroît une espèce de bourrelet vers la pointe de la corne. L’année suivante, ce bourrelet s’éloigne de la tête, poussé par un cylindre de corne qui se forme, & qui se termine aussi par un autre bourrelet, & ainsi de suite ; car tant que l’animal vit, les cornes croissent, & tous les bourrelets que l’on observe sont autant d’anneaux qui indiquent le nombre des années, en commençant à compter trois ans par la pointe de la corne, & ensuite un an pour chaque anneau. Il est à observer que les cornes du bœuf & de la vache deviennent plus grosses & plus longues que celles du taureau.

Section II.

Qualités du Bœuf propre au travail. De sa nourriture.

Un bœuf propre au travail doit avoir la tête courte & ramassée, l’oreille grande, velue, unie, la corne forte, luisante, & de moyenne grandeur ; le front large, les yeux gros & noirs, le col charnu, les épaules grosses, larges & chargées de chair ; le fanon pendant jusque sur les genoux, les côtés étendus, les reins larges & forts, le ventre spacieux & tombant, les flancs proportionnés à la grosseur du ventre, les hanches longues, la croupe épaisse & ronde, les jambes, les cuisses grosses, charnues & nerveuses, le pied ferme, l’ongle court & large ; il doit être docile, obéissant à la voix, d’un poil luisant, doux, épais, de belle taille, & de l’âge de cinq ans jusqu’à dix.

Dans les pays où les terres sont légères, on peut faire servir la vache à la charrue ; mais lorsqu’il s’agit de l’employer à cet usage, il faut avoir le soin de l’assortir avec une vache de sa force & de sa taille, afin de conserver l’égalité du trait, & de maintenir le soc en équilibre.

En hiver, le foin, la paille, un peu d’avoine & du son ; en été, l’herbe fraîche des gras pâturages, les lupins, la vesce, la luzerne, sont de très-bons alimens pour le bœuf qui travaille. La luzerne donnée en trop grande quantité & sans discrétion, lui fait gonfler le ventre, & met souvent l’animal en danger de périr. Les feuilles d’orme, de frêne, de chêne, lui donnent le pissement de sang. (Voyez Pissement de sang) Les premières herbes ne lui valent rien ; & ce n’est que vers la mi-Mai qu’il faut le laisser paître jusqu’au mois d’Octobre, en observant surtout de ne point le faire passer tout-à-coup, mais peu à peu, du vert au sec, & du sec au vert.


Section III.

De l’heure à laquelle le Bœuf doit commencer & finir son travail.

En été, le bœuf doit commencer à travailler le matin, depuis la pointe du jour jusqu’à neuf heures ; & le soir, depuis deux heures, jusqu’après le soleil couché. Au printems, en hiver & en automne, on le fait travailler sans discontinuer, depuis neuf heures du matin, jusqu’à cinq heures du soir. Cet animal va d’un pas tranquille & égal ; il ne lui faut en labourant, ni avoine, comme au cheval, ni presque point de foin dans l’intervalle du travail, & n’a pas besoin même d’être ferré, comme nous l’avons déjà dit, à moins que ce ne soit dans un pays pierreux, & qu’il soit destiné à la charrette.


Section IV.

À quel âge finit-il de travailler ? & comment l’engraisse-t-on ?

C’est à douze ans qu’on tire le bœuf de la charrue pour l’engraisser & le vendre. Cet animal peut être engraissé dans toute saison. L’été est cependant à préférer. À cet effet, on le conduit à la prairie de bon matin, & on le ramène à l’étable quand la chaleur commence à se faire sentir. La chaleur étant passée, on le remet au pâturage pour le reste du jour. Le bœuf qui est mis à l’engrais en hiver, exige d’être tenu chaudement dans l’étable, depuis le 15 Novembre jusqu’au mois de Mai ; de manger beaucoup de foin mêlé avec de la paille d’orge, de lui faire avaler des pilules faites avec de la farine de seigle, d’orge ou d’avoine, paîtrie avec de l’eau tiède & du sel ; de lui hacher de tems en tems de grosses raves, des carottes, des navets, des feuilles & des graines de maïs, & de lui donner du vin dans de l’eau chaude, contenant beaucoup de son. Dans le pays Messin, on engraisse les bœufs avec des tourtes de chenevis & du suif ; en Auvergne & dans le Limousin, avec du foin de haut-pré & du marc d’huile d’olive, mêlé avec de gros navets & de la farine de seigle. Si les bœufs que l’on veut engraisser n’ont point d’appétit, il faut laver leur langue avec du fort vinaigre & du sel, & leur jeter même une poignée de sel dans la bouche. Rien d’ailleurs ne les entretient mieux en appétit, qu’en mettant tous les jours du sel parmi leurs alimens. Un peu d’exercice contribue aussi à rendre leur chair meilleure. C’est pour cette raison, que les bœufs d’Auvergne & du Limousin, sont inférieurs dans le pays, pour le goût, à ceux que l’on amène de ces provinces à Paris, & à petites journées. Le voyage perfectionne leur engrais.


Section V.

De la durée de sa vie.

Le bœuf, après avoir parfaitement enduré toute sa vie le joug de l’esclavage & de la tyrannie, meurt ordinairement à l’âge de quatorze ou quinze ans. Rien n’est perdu dans lui après sa mort : tout, jusqu’aux cornes, aux nerfs, aux cartilages, à la peau, est mis en usage.


CHAPITRE VI.

De la Rumination.


Section première.

Qu’entend-on par Rumination ? & quel est le nombre des estomacs du Bœuf ?

Nous appelons rumination, la trituration qu’exercent les dents molaires de l’une & de l’autre mâchoire, sur les alimens transportés de la panse & du bonnet dans la bouche.

Le cheval mange nuit & jour lentement, mais presque continuellement, tandis que le bœuf, au contraire, mange vite, & prend en peu de tems toute la nourriture qu’il lui faut ; après quoi il cesse de manger, & se couche pour ruminer. D’où vient cette différence, si ce n’est celle de la conformation dans l’estomac de ces animaux ? Le bœuf a quatre estomacs. Le premier, c’est-à-dire, celui auquel l’œsophage aboutit, est le plus grand de tous. Nous l’appelons la panse, l’herbier ou la double. Le second, qui n’est, à dire vrai, qu’une continuation du premier, porte le nom de réseau, de bonnet ou chaperon. Le troisième, bien distingué des deux premiers, & qui n’y communique que par un orifice assez étroit, est nommé le feuillet, ou myre-feuillet, millet, mellier, ou meulier. Il est plus grand que le bonnet, & plus petit que la caillete, qui est le quatrième estomac, auquel nous donnons aussi le nom de franche-mule. Le bœuf, dont les deux premiers estomacs ne forment qu’un même sac d’une très-grande capacité, peut, sans inconvénient, prendre à la fois beaucoup d’herbe, & les remplir en peu de tems, pour ruminer ensuite, & digérer à loisir ; mais le cheval, qui n’a qu’un estomac, ne peut au contraire y recevoir qu’une très-petite quantité d’herbe, & le remplir successivement, à mesure qu’elle s’affaisse & qu’elle passe dans les intestins où se fait principalement la décomposition de la nourriture ; car nous remarquons dans le bœuf, que le foin de la panse est réduit dans une espèce de pâte verte semblable à des épinards hachés & bouillis ; que c’est sous cette forme qu’elle est retenue dans le troisième estomac ; que sa décomposition en est entière dans le quatrième, & que ce n’est pour ainsi dire, que le marc qui passe dans les intestins, tandis que dans le cheval, le foin ne se décompose guère ni dans l’estomac, ni dans les premiers intestins, où il devient seulement plus souple, plus flexible, relativement à la liqueur dont il est pénétré & environné ; qu’il arrive au cœcum & au colon sans grande altération ; que c’est principalement dans ces deux intestins, dont l’énorme capacité répond à celle du bœuf que se fait dans cet animal la décomposition de la nourriture, & que cette décomposition n’est jamais aussi entière que celle qui se fait dans le quatrième estomac du bœuf.


Section II.

Comment se fait la rumination.

Lorsque le bœuf veut ruminer, la panse qui contient la masse d’herbe ou de foin qu’il a mangé, se contracte ; & en comprimant cette masse, elle en fait entrer une portion dans le bonnet, c’est-à-dire, dans le second estomac. Celui-ci se contracte à son tour, enveloppe la partie d’aliment qu’il reçoit, s’arrondit, fait une pelotte par sa compression, & l’humecte avec l’eau qu’il répand dessus, en se contractant. La pelotte ainsi arrondie & humectée, est disposée à entrer dans l’œsophage ; mais pour peu qu’elle y entre, il faut encore un acte de déglutition. Cette opération se fait en peu de tems. Pour s’en assurer, on n’a qu’à jeter les yeux, par exemple, sur une chèvre, tandis qu’elle rumine. Lorsque cet animal a fait revenir une pelotte de la panse dans la bouche, il la mâche pendant une minute ; ensuite il l’avale, & l’on voit la pelotte descendre sous la peau le long du col. Alors il se passe quelques secondes, pendant lesquelles la chèvre reste tranquille, & semble, pour ainsi dire, être attentive au-dedans d’elle-même. Nous avons tout lieu de croire que pendant ce tems, la panse se contracte, & le bonnet reçoit une nouvelle pelotte ; ensuite le corps de l’animal se dilate & se resserre bientôt par un effort subit ; & enfin nous voyons la nouvelle pelotte remonter le long du col. Il paroît que le moment de la dilatation du corps est celui où la gouttière de l’œsophage s’ouvre pour recevoir la pelotte, & que l’instant où il se resserre subitement, est celui de la déglutition, qui fait entrer la pelotte dans l’œsophage, pour revenir à la bouche, & y être broyée de nouveau.


CHAPITRE VII.

De l’influence de la nourriture et du climat sur le Bœuf.


Section première.

De l’influence de la nourriture.

Les bœufs qui mangent lentement résistent plus long-tems au travail, que ceux qui mangent vîte. Ceux des pays élevés & secs sont plus vifs, plus vigoureux, plus sains, & par conséquent moins sujets aux maladies, que ceux qui sont élevés dans des pays bas & humides. Ils deviennent plus forts lorsqu’on les nourrit au sec, que lorsqu’on les nourrit au vert.


Section II.

De l’influence du climat.

Le climat change la constitution, le caractère & la structure de cet animal. En effet, quelle distance du bœuf anglois au bœuf italien ; celui-ci est petit, lâche ; il a la tête moins ramassée, les épaules moins musculeuses, la poitrine plus étroite, les cuisses & les jambes moins grosses, les pieds plus délicats & moins fermes, tandis que celui-là a le corps grand, la tête courte & ramassée, les oreilles grandes, bien velues & bien unies ; les cornes fortes & luisantes, le front large, les yeux gros & noirs, le mufle gros & camus, les épaules grosses & pesantes, les jambes & les cuisses musculeuses, les pieds ferme, l’ongle court & large.

Les pays froids conviennent mieux au bœuf que les pays chauds : voilà pourquoi les bœufs de Danemarck, de la Podolie, de l’Ukraine, sont les plus gros ; ensuite ceux d’Irlande, d’Angleterre, de la Hollande & de Hongrie ; & que ceux de Perse, de Turquie, de Grèce, d’Italie, de France & d’Espagne, sont plus petits ; voilà pourquoi aussi dans le même royaume, les provinces ne donnent pas des bœufs d’une égale beauté & d’une égale force, & que par exemple, en France, les bœufs d’Auvergne, de Bourgogne & de Limousin, sont plus gros que ceux des autres provinces méridionales ; & que par la même raison, les bœufs de cette partie de Languedoc, qu’on appelle les Cevènes, sont plus grands & plus beaux que ceux du reste de la province.

Pour l’ordinaire, lorsque ces animaux passent subitement d’un climat froid à un beaucoup plus chaud, ils éprouvent des maladies inflammatoires. L’arrangement organique, il est vrai, ne change pas, mais il faut que les solides & les liquides éprouvent une révolution qui les mette, pour ainsi dire, au ton du climat. Ce changement est plus ou moins sensible dans l’économie animale, relativement aux circonstances où le sujet se trouve ; en général, plus la différence dans le degré de chaleur est grande, plus les affections, qui en sont les suites, doivent être sensibles. Nous en avons un exemple dans les bœufs qui, en 1756, furent amenés d’Auvergne, dans les fortes chaleurs de Juillet & d’Août, dans l’île de Minorque. Obligés de boire en arrivant, d’une eau tiède & saumâtre, & par conséquent peu propre à les rafraîchir, les bœufs tomboient dans une espèce de langueur, maigrissoient à vue d’œil, avoient l’haleine brûlante, & finissoient par pisser le sang. Dans l’ouverture de leur corps, on trouvoit à presque tous les viscères du bas-ventre, des traces d’une inflammation terminée par la gangrène. Presque tous les bouviers qui eurent soin de ces animaux, furent malades ; mais ceux qui eurent l’imprudence de se nourrir de leur chair, furent attaqués d’une fièvre maligne, accompagnée de gangrène, qui se manifestoit dès le second jour, aux coudes & aux talons.


DEUXIÈME PARTIE.

Des maladies du Bœuf.


CHAPITRE PREMIER.

Des maladies internes.


Section première.

Maladies de la tête.

L’assoupissement, l’apoplexie, l’abattement.


Section II.

Maladies de la poitrine.

L’esquinancie, la toux, la péripneumonie, la courbature, la pulmonie & l’hydropisie de poitrine.


Section III.

Maladies du bas-ventre.

Les tranchées ou coliques, les indigestions, la dyssenterie, le dévoiement, le pissement de sang, la rétention d’urine, sa suppression, la constipation, la jaunisse, les vers & l’égagropile.


CHAPITRE II.

Des maladies externes.


Section première.

Maladies de l’avant-main.

Le durillon, la fracture des cornes, l’enflure des lèvres, du col, de la tête ; l’engorgement des glandes de la ganache, les aphtes, le chancre à la langue, le charbon, l’avant-cœur, l’emphysème, la loupe au coude, l’entorse & la bleime.


Section II.

Maladies du corps.

La gale, les dartres, les verrues, la fracture des côtes, l’effort des reins, l’œdème sous le ventre, & la brûlure.


Section III.

Maladies de l’arrière-main.

L’effort de cuisse, l’éparvin, la tumeur au jarret, le clou de rue, les chicots & l’ulcère.

N. B. La gravure ci-jointe (Pl. 12) indique les parties affectées par les principales maladies qui sont décrites chacune sous le mot qui les désigne, ainsi que la méthode curative qu’elles exigent. M. T.