Pauvres fleurs/Texte entier

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PAUVRES

FLEURS


par


Mme DESBORDES VALMORE.




Troisième Édition




PARIS
Dumont, Éditeur,
PALAIS-ROYAL, 88 — SALON LITTÉRAIRE.
1839.





PAUVRES FLEURS !



LA MAISON DE MA MÈRE.


Maison de la naissance, ô nid, doux coin du monde !
Ô premier univers où nos pas ont tourné !
Chambre ou ciel, dont le cœur garde la mappemonde,
Au fond du temps je vois ton seuil abandonné.
Je m’en irais aveugle et sans guide à ta porte,
Toucher le berceau nu qui daigna me nourrir ;
Si je deviens âgée et faible, qu’on m’y porte !
Je n’y pus vivre enfant ; j’y voudrais bien mourir ;

Marcher dans notre cour où croissait un peu d’herbe,
Où l’oiseau de nos toits descendait boire, et puis,
Pour coucher ses enfans, becquetait l’humble gerbe,
Entre les cailloux bleus que mouillait le grand puits !

De sa fraîcheur lointaine il lave encor mon âme,
Du présent qui me brûle il étanche la flamme,
Ce puits large et dormeur au cristal enfermé,
Où ma mère baignait son enfant bien-aimé :
Lorsqu’elle berçait l’air avec sa voix rêveuse,
Qu’elle était calme et blanche et paisible le soir,
Désaltérant le pauvre assis, comme on croit voir
Aux ruisseaux de la bible une fraîche laveuse :
Elle avait des accens d’harmonieux amour,
Que je buvais du cœur en jouant dans la cour !

Ciel ! où prend donc sa voix une mère qui chante,
Pour aider le sommeil à descendre au berceau ?
Dieu mit-il plus de grâce au souffle d’un ruisseau ?
Est-ce l’Eden rouvert à son hymne touchante,

Laissant sur l’oreiller de l’enfant qui s’endort,
Poindre tous les soleils qui lui cachent la mort ?
Et l’enfant assoupi sous cette âme voilée,
Reconnaît-il les bruits d’une vie écoulée ?
Est-ce un cantique appris à son départ du ciel,
Où l’adieu d’un jeune ange épancha quelque miel ?

Merci, mon Dieu ! merci de cette hymne profonde,
Pleurante encore en moi dans les rires du monde,
Alors que je m’assieds à quelque coin rêveur,
Pour entendre ma mère en écoutant mon cœur :
Ce lointain au revoir de son âme à mon âme,
Soutient en la grondant ma faiblesse de femme ;
Comme au jonc qui se penche une brise en son cours,
A dit : « Ne tombe pas ! j’arrive à ton secours. »

Elle a fait mes genoux souples à la prière ;
J’appris d’elle, Seigneur ! d’où vient votre lumière,
Quand j’amusais mes yeux à voir briller ses yeux,
Qui ne quittaient mon front que pour parler aux cieux.

À l’heure du travail qui coulait pleine et pure,
Je croyais que ses mains régissaient la nature,
Instruite par le Christ à sa voix incliné,
Qu’elle écoutait priante et le front prosterné ;
Vraiment, je le croyais ! et d’une foi si tendre,
Que le Christ au lambris me paraissait l’entendre :
Je voyais bien que femme, elle pliait à Dieu,
Mais ma mère, après lui, l’enseignait en tout lieu.

L’ardent soleil de juin qui riait dans la chambre ;
L’âtre dont les clartés illuminaient décembre ;
Les fruits, les blés en fleurs, ma fraîche nuit, mon jour,
Ma mère créait tout du fond de son séjour :
C’était ma mère ! ô mère ! ô Christ ! ô crainte ! ô charmes !
Laissez tremper mon cœur dans vos suaves larmes ;
Laissez ces songes d’or éclairer les vieux murs,
Des pauvres innocens nés dans les coins obscurs ;
Laissez, puisqu’ici-bas nous nous perdons sans elles,
Des mères aux enfans comme aux oiseaux des ailes.
Quand la mienne avait dit : « Vous êtes mon enfant ; »
Le ciel, c’était mon cœur à jour et triomphant !


Alors la maison était pleine
Des premiers nés forts et joyeux,
Qui m’entendant souffler à peine,
Me réchauffaient de leur haleine,
Et m’apprivoisaient à leurs jeux.

C’était mon frère, pauvre frère !
Alors si beau ! si pauvre encor !
Enfant du rempart militaire,
Me berçant sur un chant de guerre,
Avec son casque en papier d’or !

C’était… flambeau de ma mémoire,
Ciel rallumé, ne t’éteins pas !
Je veux croire : laisse-moi croire ;
Je veux vivre : laisse-moi boire
La goutte d’eau qui pend là-bas !

Là-bas, quand j’apprenais que l’on souffre, ma mère
Évoquait des enfans la plus belle chimère ;

Puis, sur mon front malade et content de brûler,
Chuchottait ces mots doux, trop doux pour les parler !

Ô vie enfant ! ô tremblante lumière,
D’ombre mêlée à ma jeune raison,
Tant que ton aile aveugla ma paupière,
Que tu la tins en riante prison !
Sous ton haleine égale et savoureuse,
Je ne savais regretter ni prévoir :
L’autre âge m’a tant dit que j’étais malheureuse,
Que j’ai fini par le savoir !

Depuis, mes jours rêveurs gardent leur blanc génie ;
Toujours quand j’ai la fièvre il balance mon sort ;
J’enferme sous mon front cet écho d’harmonie ;
J’entends chanter ma mère et je ris à la mort !

Elle se défendait de me faire savante ;
« Apprendre, c’est vieillir, disait-elle, et l’enfant
« Se nourrira trop tôt du fruit que Dieu défend ;
« Fruit fièvreux à la sève aride et décevante ;

« L’enfant sait tout qui dit à son ange gardien :
« — Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien ! —
« C’est assez demander à cette vie amère ;
« Assez de savoir suivre et regarder sa mère,
« Et nous aurons appris pour un long avenir,
« Si nous savons prier, nous soumettre et bénir ! »

Et je ne savais rien à dix ans qu’être heureuse ;
Rien, que jeter au ciel ma voix d’oiseau, mes fleurs ;
Rien, durant ma croissance aigüe et douloureuse,
Que plonger dans ses bras mon sommeil ou mes pleurs :
Je n’avais rien appris, rien lu que ma prière,
Quand mon sein se gonfla de chants mystérieux ;
J’écoutais Notre-Dame et j’épelais les cieux
Et la vague harmonie inondait ma paupière ;
Les mots seuls y manquaient ; mais je croyais qu’un jour
On m’entendrait aimer pour me répondre : amour !

Et les psaumes d’oiseau caché dans le feuillage,
Ce qu’il raconte au ciel par le ciel répondu,
Mon âme qu’on croyait indolente ou volage,
L’a toujours entendu !

Et quand là-bas, là-bas, comme on peint l’espérance,
Dieu tendait l’arc-en-ciel aux pèlerins errans,
S’il avait ruisselé sur ma vierge souffrance,
La nuit se sillonnait de songes transparans :
Et sur l’onde qui glisse et plie, et s’abandonne,
Quand j’avais amassé des parfums purs et frais,
En voyant fuir mes fleurs que n’attendait personne.
Je regardais ma mère et je les lui montrais.

Et ma mère disait : « C’est une maladie ;
Un mélange de jeux, de pleurs, de mélodie ;
C’est le cœur de mon cœur ! oui, ma fille ! plus tard,
Vous trouverez l’amour et la vie… autre part. »

Innocence ! innocence ! éternité rêvée !
Au bout des temps de pleurs serez-vous retrouvée ?
Êtes-vous ma maison que je ne peux rouvrir ?
Ma mère ! est-ce la mort ?… je voudrais bien mourir !



AU MÉDECIN DE MA MÈRE,
M. Taranget de Douay


Toi dont l’âme à la fois lumineuse et sensible,
Sur nos pâles douleurs s’use comme un flambeau,
Duelliste sublime et vainqueur du tombeau,
Laisse chanter mon cœur sous ton laurier paisible :
Laisse-le se rouvrir au rayon qu’autrefois
Ton regard attacha sur un enfant débile,
Qui n’oublia jamais dans son destin mobile,
Que ton nom a tremblé dans sa fébrile voix ;

Que ta main de mon père entr’ouvrait la demeure,
Quand Dieu sous ta figure y désaffligeait l’heure,
Alors que maladive et lourde à mon berceau,
Comme l’oiseau blessé pèse sur un roseau,
L’heure traînait son vol au toit de ma famille,
Et menaçait d’éteindre une petite fille ;
Que c’est ta volonté qui ralluma mon sort ;
Qui me reprit deux fois dans l’aile de la mort ;
Et quand je vacillais, luciole éphémère,
Me rendit toute vive aux larmes de ma mère.

Oui, tu plains de nos maux la triste profondeur,
Toi ; tu comprends tout l’homme en t’écoutant toi-même ;
Car ton étoile veuve au sein de sa splendeur,
Sait que l’on meurt déjà quand on perd ce qu’on aime ;

Ne meurs pas ! souffre encore ; aide-nous à souffrir ;
Laisse à mon doux pays ta charité savante,
À quelque humble famille une mère vivante ;
Et quelque pauvre enfant qui ne veut pas mourir !



UN NOUVEAU-NÉ.


Bien venu, mon enfant, mon jeune, mon doux hôte !
Depuis une heure au monde : oh ! que je t’attendais !
Que j’achetais ta vie ! hélas ! est-ce ta faute ?
Oh ! non, ce n’est pas toi qu’en pleurant je grondais.
Toi, ne souffrais-tu pas, même avant que de naître ?
Ne m’as-tu pas aidée enfin à nous connaître ?
Oui, tu souffrais aussi, petite ombre de moi,
Enfant né de ma vie où je reste pour toi !


Du jour, par mes regards je t’allumai la flamme ;
La nuit je descendais au fond de ta prison ;
Des mauvais souvenirs te sauvant le poison,
J’aurais voulu te faire un ciel de ma pauvre âme !
J’aurais voulu voir Dieu pour te créer plus beau ;
Pour imbiber ton cœur de sa grâce profonde
Et pour faire couler un peu de son flambeau
Sur ta raison aveugle à ton entrée au monde !

Ne va pas l’oublier : je t’ai parlé de Dieu ;
Je t’ai fait de prière, enfant ! de tendres larmes ;
J’ai formé ton oreille aux échos du saint lieu ;
Je t’ai caché vivant à toutes nos alarmes,
Et j’allais au soleil couchant sécher mes pleurs,
Pour te rendre suave et pur comme les fleurs ;
Ou dans les roseaux verts je t’emportais pensive,
Pour t’abreuver du bruit de quelque source vive,
Qui m’ouvrant son cristal comme à l’oiseau plongeur,
Sur notre double fièvre épanchait sa fraîcheur.

Souviens-toi que souvent, seuls au fond d’une église,

Nous regardions long-temps les anges aux fronts blancs
Que je t’y promenais invisible, à pas lents,
Modelant leurs beaux traits sur ta forme indécise ;
J’ai bien fait ! nul enfant n’a rapporté des cieux
Tant de ciel inondant sa profonde paupière,
Et l’on n’a vu jamais, d’un front si gracieux,
Jaillir tant de rayons de vie et de lumière.
Qu’un si petit visage enferme de portraits !
De tout ce que j’aimai tu m’offres quelques traits :
Que d’anges envolés sans pouvoir les décrire,
Dans ton sourire errant reviennent me sourire !

Et je l’avais prédit, quand je sentais ton cœur
Éclore et battre faible à mon flanc créateur !
Quand mes heures veillaient autour de ta défense,
Dans mon humble abandon qui m’eût fait une offense !
Tout, c’était toi ! Mes yeux enfermés sous ma main,
N’ont appelé personne en ce monde inhumain,
Personne ! pour calmer, pour soutenir ma tête,
Et dérober mon fruit au vent de la tempête :
Oh ! mais : lorsqu’en ton nom je regardais les cieux,
Ton sourire passait dans les pleurs de mes yeux,

Dieu se montrait au loin sous cette ondée amère ;
Dieu, dans ma pauvreté me laissait être mère ;
Et j’envoyais à Dieu mes baisers ou mes cris,
Les doux cris d’une femme à qui Dieu donne un fils.

Ton berceau, vide encor, peuplait ma solitude ;
Un ange y respirait par moi sa nuit, son jour ;
J’y couvais son destin ; j’en étais le séjour !…
On ne meurt pas d’orgueil et de sollicitude !

Aussi j’ai cru tomber faible sur mes genoux
Quand on me leva seule et comme trop légère,
Cherchant le poids aimé d’une tête si chère ;
Car si près que tu sois l’air circule entre nous,
Adieu !… je ne suis plus l’heureuse chrysalide,
Où l’âme de mon âme a palpité neuf mois ;
Mais à ta frêle fleur si j’ai servi d’égide,
Homme un jour, reviens-y t’appuyer quelquefois.
Je suis ta mère : un nœud nous a tenus ensemble ;
C’est l’aimant divisé que l’aimant cherchera ;
La terre ne rompt pas ce que le ciel assemble :
Sous la vie, hors la vie, il nous réunira !

Des femmes me l’ont dit : oui ! la femme étonnée,
Quitte d’un doux fardeau vacille consternée ;
Nous n’osons pas le dire et nous pleurons tout bas :
Que de larmes l’enfant coûte à la mère ! hélas,
D’hier nous sommes deux ! Le souffle de ta bouche
Se mêle à chaque souffle étranger qui te touche,
Et je pleure et… pardon ! mon jeune bien-venu !
Au monde pour moi seul et du monde inconnu !

Dieu d’amour ! Dieu des mères !
Dieu des petits enfans !
Sur nos routes amères,
Où volent les chimères,
Où pleurent les vivans,
Dieu ! qui seul nous défends :

La plante délaissée,
Qui te regarde ici ;
La colombe offensée
Sous son aile blessée,
Et moi qui parle ainsi,
Tu nous aimes aussi !

Ma mère était ta fille,
Et ma mère pleura ;
Mais le sort se dessille ;
Ange de la famille,
Au sort qui l’aimera,
Mon enfant sourira.

Qu’il te doive toujours, sauveur né d’une femme,
Quelque songe d’en haut pour bercer sa jeune âme !

Toi, cher petit dormeur, notre monde te plaît :
Ton âme est toute blanche et n’a bu que du lait !
Depuis si peu d’instans descendu sur la terre,
Tes yeux nagent encor dans un divin mystère ;
Tu revois la maison d’où tu viens, ton beau ciel,
Et ton baiser qui s’ouvre en a gardé du miel !



LA FLEUR D’EAU.


Fleur naine et bleue, et triste, où se cache un emblème,
Où l’absence a souvent respiré le mot : j’aime !
Où l’aile d’une fée a déteint ses couleurs,
Toi, qu’on devrait nommer le colibri des fleurs,
Traduis-moi : porte au loin ce que je n’ose écrire ;
Console un malheureux comme eût fait mon sourire ;

Enlevée au ruisseau qui délasse mes pas,
Dis à mon cher absent qu’on ne l’oubliera pas !

Dis qu’à son cœur fermé je vois ce qui se passe ;
Dis qu’entre nos douleurs je ne sens pour espace
Que ton voile charmant d’amitié ; que toujours,
Je puise dans ma foi les vœux que tu lui portes ;
Que je les lui dédie avec tes feuilles mortes,
Frêles et seuls parfums répandus sur mes jours :
Dis qu’à veiller pour lui mon âme se consume ;
Qu’elle a froid ! qu’elle attend qu’un regard la rallume !

Dis que je veux ainsi me pencher sous mes pleurs ;
Ne trouver nulle joie au monde, au jour, aux fleurs ;
Que la source d’amour est scellée en mon âme ;
Que je sais bien quelle âme y répondrait encor,
Dont je serais la vie, et qui serait ma flamme ;
Il le sait bien aussi : mais cette âme, elle dort ;
Elle dort dans l’absence où s’effeuille ma vie,
Où tu me dis pourtant que j’en serai suivie,
Et ranimée un jour. Mais qu’il nous faut encor,
Lui, brûler ; moi languir pour contenter le sort !

Va donc comme un œil d’ange éveiller son courage ;
Dis que je t’ai cueillie à la fin d’un orage ;
Que je t’envoie à lui comme un baiser d’espoir,
Et que se joindre ainsi c’est presque se revoir !



UNE ÂME.


Lasse de douleur,
D’espoir obsédée,
D’une fraîche idée,
D’un amour en fleur,
On dirait qu’une âme,
M’embrassant toujours,
De ciel et de flamme,
Me refait des jours !


Dans ton souvenir,
Toi qui me recèles,
As-tu pris des ailes
Devant l’avenir ?
Car je sens qu’une âme,
M’embrassant toujours,
De ciel et de flamme,
Me refait des jours !

N’es-tu pas dans l’air,
Quand l’air me caresse :
Ou quand il m’oppresse,
Sous l’ardent éclair ?
Car je sens qu’une âme,
M’embrassant toujours,
De ciel et de flamme,
Me refait des jours !



CROYANCE.


Souvent il m’apparut sous la forme d’un ange
Dont les ailes s’ouvraient,
Remontant de la terre au ciel où rien ne change ;
Et j’ai vu s’abaisser, pleins d’une force étrange,
Ses bras qui m’attiraient.

Je ne l’ai pas rêvé, je l’ai vu. La nuit même,
Où le cœur entend tout,
Je n’entendais que lui, dire : « C’est moi qui t’aime,
C’est moi qui t’aimerai d’une ferveur extrême,
Sur la terre et partout ! »


Ses doux yeux se fondaient en lumières humides,
Pour inonder mes yeux ;
J’étais illuminée et pâle. Et moins timides
Mes deux mains se changeaient en deux ailes rapides,
Pour l’aller voir aux cieux.

Je montais. Je sentais de ses plumes aimées,
L’attrayante chaleur ;
Nous nous parlions de l’âme et nos âmes charmées,
Comme le souffle uni de deux fleurs embaumées,
N’étaient plus qu’une fleur.

Et je tremblerai moins pour sortir de la vie :
Il saura le chemin.
J’en serai, de bien près, devancée ou suivie ;
Puis, entre Dieu qui juge et ma crainte éblouie,
Il étendra sa main.


Ce nœud, tissu par nous dans un ardent mystère,
Dont j’ai pris tout l’effroi,
Il dira que c’est lui, si la peur me fait taire.
Et s’il brûla son vol aux flammes de la terre,
Je dirai que c’est moi !

Son souffle lissera mes ailes sans poussière,
Pour les ouvrir à Dieu.
Et nous l’attendrirons de la même prière ;
Car, c’est l’éternité qu’il nous faut tout entière :
On n’y dit plus, adieu !



AVANT TOI.


L’année avait trois fois noué mon humble trame,
Et modelé ma forme en y broyant ses fleurs,
Et trois fois de ma mère acquitté les douleurs,
Quand le flanc de la tienne éclata : ma jeune âme
Eut dès-lors sa promise et l’attira toujours,
Toujours ; tant qu’à la fin elle entra dans mes jours.
Et lorsqu’à ton insu tu venais vers ma vie,
J’inventais par le monde un chemin jusqu’à toi ;

C’était loin : mais l’étoile allait, cherchait pour moi,
Et me frayait la terre où tu m’avais suivie,
Où tu me reconnus d’autre part ; oui, des cieux ;
Moi de même ; il restait tant de ciel dans tes yeux !

Mais le sais-tu ? trois fois le jour de la naissance
Baisa mon front limpide assoupi d’innocence,
Avant que ton étoile à toi, lente à venir,
Descendît marier notre double avenir.
Oh ! devions-nous ainsi naître absens de nous-mêmes ;
Toi, tu ne le sais pas en ce moment ; tu m’aimes,
Je ne suis pas l’aînée. Encor vierge au bonheur,
J’avais un pur aimant pour attirer ton cœur ;
Car le mien, fleur tardive en soi-même exilée,
N’épanouit qu’à toi sa couronne voilée,
Cœur d’attente oppressé dans un tremblant séjour
Où ma mère enferma son nom de femme : Amour.

Comme le rossignol qui meurt de mélodie,
Souffle sur son enfant sa tendre maladie,

Morte d’aimer, ma mère à son regard d’adieu,
Me raconta son âme et me souffla son Dieu :
Triste de me quitter, cette mère charmante,
Me léguant à regret la flamme qui tourmente,
Jeune, à son jeune enfant tendit long-temps sa main,
Comme pour le sauver par le même chemin.
Et je restai long-temps, long-temps sans la comprendre,
Et long-temps à pleurer son secret sans l’apprendre ;
À pleurer de sa mort le mystère inconnu,
Le portant tout scellé dans mon cœur ingénu ;
Ce cœur signé d’amour comme sa tendre proie,
Où pas un chant mortel n’éveillait une joie.
On eût dit à sentir ses faibles battemens,
Une montre cachée où s’arrêtait le temps ;
On eût dit qu’à plaisir il se retint de vivre ;
Comme un enfant dormeur qui n’ouvre pas son livre,
Je ne voulais rien lire à mon sort ; j’attendais,
Et tous les jours levés sur moi, je les perdais.
Par ma ceinture noire à la terre arrêtée,
Ma mère était partie et tout m’avait quittée :
Le monde était trop grand, trop défait, trop désert ;
Une voix seule éteinte en changeait le concert :

Je voulais me sauver de ses dures contraintes,
J’avais peur de ses lois, de ses morts, de ses craintes,
Et ne sachant où fuir ses échos durs et froids,
Je me prenais tout haut à chanter mes effrois !

Mais quand tu dis : « Je viens ! » quelle cloche de fête,
Fit bondir le sommeil attardé sur ma tête ;
Quelle rapide étreinte attacha notre sort,
Pour entre-ailer nos jours d’un fraternel essor !
Ma vie, elle avait froid, s’alluma dans la tienne,
Et ma vie a brillé, comme on voit au soleil,
Se dresser une fleur sans que rien la soutienne ;
Rien qu’un baiser de l’air ; rien qu’un rayon vermeil,
Un rayon curieux, altéré de mystère,
Cherchant sa fleur d’exil attachée à la terre,
Et si tu descendis de si haut pour me voir,
C’est que je t’attendais à genoux, mon espoir !
Sans dignité ?… que si ! mais fervente et pieuse.
À l’heure qui tombait lente, religieuse,
Comme on écoute Dieu, moi, j’écoutai l’amour,
Et tes yeux pleins d’éclairs m’ouvrirent trop de jour !

Aussi, dès qu’en entier ton âme m’eut saisie,
Tu fus ma piété ! mon ciel ! ma poésie !
Aussi, sans te parler, je te nomme souvent,
Mon frère devant Dieu ! mon âme ! ou mon enfant !
Tu ne sauras jamais comme je sais moi-même,
À quelle profondeur je t’atteins et je t’aime :
Tu serais par la mort arraché de mes vœux,
Que pour te ressaisir mon âme aurait des yeux,
Des lueurs, des accens, des larmes, des prières,
Qui forceraient la mort à rouvrir tes paupières.
Je sais de quels frissons ta mère a dû frémir,
Sur tes sommeils d’enfant ; moi, je t’ai vu dormir :
Tous ses effrois charmans ont tremblé dans mon âme ;
Tu dis vrai, tu dis vrai : je ne suis qu’une femme ;
Je ne sais qu’inventer pour te faire un bonheur ;
Une surprise à voir s’émerveiller ton cœur !

Toi, ne sois pas jaloux. Quand tu me vois penchée,
Quand tu me vois me taire, et te craindre et souffrir,
C’est que l’amour m’accable. Oh ! si j’en dois mourir,
Attends : je veux savoir si, quand tu m’as cherchée,

Tu t’es dit : « Voici l’âme où j’attache mon sort.
Et que j’épouserai dans la vie ou la mort. »
Oh ! je veux le savoir. Oh ! l’as-tu dit ?… pardonne.
On est étrange, on veut échanger ce qu’on donne :
Ainsi, pour m’acquitter de ton regard à toi,
Je voudrais être un monde et te dire : prends-moi !
Née avant toi… Douleur ! tu le verrais peut-être,
Si je vivais trop tard. Ne le fais point paraître ;
Ne dis pas que l’amour sait compter ; trompe-moi :
Je m’en ressouviendrai pour mourir avant toi !



AVEU D’UNE FEMME.


Savez-vous pourquoi, madame,
Je refusais de vous voir :
J’aime ! et je sens qu’une femme,
Des femmes craint le pouvoir.
Le vôtre est tout dans vos charmes,
Qu’il faut, par force, adorer ;
L’inquiétude a des larmes :
Je ne voulais pas pleurer.


Quelque part que je me trouve,
Mon seul ami va venir ;
Je vis de ce qu’il éprouve ;
J’en fais tout mon avenir :
Se souvient-on d’humbles flammes,
Quand on voit vos yeux brûler ?
Ils font trembler bien des âmes ;
Je ne voulais pas trembler.

Dans cette foule asservie,
Dont vous respirez l’encens,
Où j’aurais senti ma vie,
S’en aller à vos accens,
Celui qui me rend peureuse,
Moins tendre, sans repentir,
M’eut dit : « N’es-tu plus heureuse ? »
Je ne voulais pas mentir.

Sous l’éclat de vos conquêtes,
Si votre cœur s’est donné,

Triste et fier au sein des fêtes,
N’a-t-il jamais frissonné ?
La plus tendre, ou la plus belle,
Aiment-elles sans souffrir ?
On meurt pour un infidèle :
Je ne voulais pas mourir.



L’ANGE GARDIEN.


Ai-je un ange d’amour, un ange de mystère !

un jeune poète


Oui, vous avez un ange ; un jeune ange qui pleure ;
Il pleure, car il aime… et vous ne pleurez pas :
Il s’en plaint doucement dans le ciel, puis dans l’heure,
Quand elle sonne triste à ralentir vos pas.

Voyez comme il vous donne et couve sous son aile,
Des mots harmonieux tièdes d’âme et d’encens :
Et quand vous les prenez dans sa main fraternelle,
Comme ils forment aux yeux de célestes accens !

Nous avons tous notre ange, et je tiens de ma mère,
Qu’on ne marche pas seul dans une voie amère.
Le rayon de soleil qui passe et vient vous voir,
L’haleine de vos fleurs que vous buvez le soir ;
Un pauvre qui bénit votre obole furtive,
Dont la prière à Dieu s’achève moins plaintive ;
La fraîche voix d’enfant qui vous jette : Bonjour !
Comptez que c’est votre ange et votre ange d’amour !

D’autres fois, je croyais, qu’on nous coupait les ailes,
Pour nous faire oublier le chemin des oiseaux.
Puis, qu’elles renaissaient plus vives et plus belles,
Quand nous avions marché long-temps, quand les roseaux,
Ne se relevaient plus près des dormantes eaux :
Nous remontions alors raconter nos voyages,
Aux frères parcourant leurs villes de nuages ;

Et las de cette terre où tombent toutes fleurs,
Nous chantions au soleil avec des voix sans pleurs !
Rêves d’enfant pensif et bercé de prières,
Dont quelque doux cantique assoupit les paupières ;
Indigent, mais comblé de biens mystérieux,
Au foyer calme et nu qu’ornait le buis pieux !

À présent je suis femme à la terre exilée,
Descendue à l’école où vous brûlez vos jours ;
Toujours en pénitence ou d’un livre accablée,
N’apprenant rien du monde et l’épelant toujours !

Ce livre, c’est ma vie et ses mobiles pages
Où le cyprès serpente à chaque ligne. Eh ! quoi,
N’avez-vous pas des pleurs à cacher comme moi,
Sous l’Album périssable et lourd de trop d’images ?

Dans ces jours embaumés respirés par le cœur,
N’avez-vous pas aussi vu tomber bien des roses ?
N’aviez-vous pas choisi parmi ces frêles choses,
Un intime trésor qui s’appela : Malheur !


Mais je crois ! mais quelque ange à l’aveugle écolière,
Ouvre parfois son aile et sa pitié de feu :
Il me laisse à genoux ; mais il desserre un peu,
L’anneau qui loin de lui me détient prisonnière !



DORMEUSE.


Si l’enfant sommeille,
Il verra l’abeille,
Quand elle aura fait son miel,
Danser entre terre et ciel.

Si l’enfant repose,
Un ange tout rose,
Que la nuit seule on peut voir,
Viendra lui dire : « Bon soir. »


Si l’enfant est sage,
Sur son doux visage,
La vierge se penchera,
Et long-temps lui parlera.

Si mon enfant m’aime,
Dieu dira lui-même :
J’aime cet enfant qui dort ;
Qu’on lui porte un rêve d’or.

Fermez ses paupières,
Et sur ses prières,
De mes jardins pleins de fleurs,
Faites glisser les couleurs.

Ourlez-lui des langes,
Avec vos doigts d’anges,
Et laissez sur son chevet,
Pleuvoir votre blanc duvet.

Mettez-lui des ailes
Comme aux tourterelles,

Pour venir dans mon soleil,
Danser jusqu’à son réveil !

Qu’il fasse un voyage,
Aux bras d’un nuage,
Et laissez-le, s’il lui plaît,
Boire à mes ruisseaux de lait !

Donnez-lui la chambre
De perles et d’ambre,
Et qu’il partage en dormant,
Nos gâteaux de diamans !

Brodez-lui des voiles,
Avec mes étoiles,
Pour qu’il navigue en bateau,
Sur mon lac d’azur et d’eau !

Que la lune éclaire,
L’eau pour lui plus claire,
Et qu’il prenne au lac changeant,
Mes plus fins poissons d’argent !


Mais je veux qu’il dorme,
Et qu’il se conforme,
Au silence des oiseaux,
Dans leurs maisons de roseaux !

Car si l’enfant pleure,
On entendra l’heure,
Tinter partout qu’un enfant,
A fait ce que Dieu défend !

L’écho de la rue,
Au bruit accourue,
Quand l’heure aura soupiré,
Dira : l’enfant a pleuré !

Et sa tendre mère,
Dans sa nuit amère,
Pour son ingrat nourrisson,
Ne saura plus de chanson !

S’il brâme, s’il crie,
Par l’aube en furie,

Ce cher agneau révolté,
Sera peut-être emporté !

Un si petit être,
Par le toit, peut-être,
Tout en criant, s’en ira,
Et jamais ne reviendra !

Qu’il rôde en ce monde,
Sans qu’on lui réponde ;
Jamais l’enfant que je dis,
Ne verra mon paradis !

Oui ! mais s’il est sage,
Sur son doux visage,
La vierge se penchera,
Et long-temps lui parlera !



MA FILLE.


C’est beau la vie
Belle par toi,
De toi suivie
Toi devant moi !
C’est beau, ma fille,
Ce coin d’azur,
Qui rit et brille,
Sous ton front pur !


C’est beau ton âge,
D’ange et d’enfant,
Voile, ou nuage
Qui te défend
Des folles âmes,
Qui font souffrir ;
Des tristes flammes,
Qui font mourir.

Dieu fit tes charmes ;
Dieu veut ton cœur ;
Tes jours sans larmes,
Tes nuits sans peur :
Mon jeune lierre,
Monte après moi !
Dans ta prière,
Enferme-toi ;

C’est beau, petite,
L’humble chemin,
Où je ne quitte
Jamais ta main :

Car dans l’espace,
Aux prosternés
Une voix passe,
Qui dit : « venez ! »

Tout mal sommeille
Pour ta candeur ;
Tu n’as d’oreille,
Que dans ton cœur :
Quel temps ? quelle heure ?
Tu n’en sais rien :
Mais que je pleure ;
Tu l’entends bien !



UN ENFANT À SON FRÈRE.


Qui m’a couvé neuf mois dans son sein gros d’allarmes ?
Qui salua ma vie avec des pleurs joyeux ?
Qui sous ses longs baisers éparpillait mes larmes ?
C’est ma mère. Une mère en ses bras pleins de charmes,
Nous reçoit tout tremblans quand nous tombons des cieux.

Qui relevait mes pas quand je rampais à terre,
Forte de son sourire où s’arrêtaient mes pleurs ?
Sa bouche sur ma bouche, oh ! qui me faisait taire ?
C’est ma mère ! une mère avec un saint mystère,
Enveloppe nos cris dans ses chants ou ses fleurs !


Qui soutenait ma tête et retenait ma vie,
Quand mon berceau brûlait de mes fièvres d’enfans ?
Qui promettait le monde à ma rêveuse envie ?
C’est ma mère. Une mère à toute heure est suivie
D’un ange à la main pleine, au rire triomphant !

Qui, lorsque l’insomnie ouvrait mes yeux dans l’ombre,
Me faisait des tableaux plus doux que le sommeil ?
Qui m’apprenait que Dieu veille dans la nuit sombre ?
C’est ma mère. Une mère a des secrets sans nombre,
Pour délecter notre âme à l’heure du réveil.

Quand elle eut délié ma langue à la prière,
Qui battait la mesure à mes douces chansons ?
Sur mon livre muet, qui versa la lumière ?
C’est ma mère. Une mère ouvre notre paupière ;
Au feu de ses regards, moi, j’ai lu mes leçons.

Quand elle vieillira… Dieu ! n’est-ce pas un rêve ?
Elle a dit qu’elle aura bientôt des cheveux blancs ;
Qu’elle s’inclinera comme un jour qui s’achève,
Cette mère. À son cœur nous prenons tant de sève !
Dis, que ce sera triste à voir ses pas tremblans ?


Si tu veux, nous irons où l’on trouve des roses,
Pour lier une fleur à chacun de ses jours ;
Nous irons dans un bois sombre et loin si tu l’oses,
Et nous la retiendrons par tant de belles choses,
Qu’à force d’être heureuse elle vivra toujours !



HIPPOLYTE.
La Mère et l’Enfant.


Quand j’ai grondé mon fils je me cache et je pleure.
Qui suis-je, pour punir, moi, roseau devant Dieu ;
Pour devancer le temps qui nous gronde à toute heure,
Et crie à tous, prends garde ; il faudra dire adieu !

Mourir avec le poids d’une parole amère ;
D’une larme d’enfant que l’on a fait couler ;
Que l’on sent sur son cœur incessamment rouler ;
Est-ce donc pour ce droit que l’on veut être mère ?


Est-ce donc là le prix des immenses douleurs,
Dont nous avons payé leur présence adorée ?
De ce pas sur la tombe encor toute navrée,
Dieu ! laissez-nous donc vivre et respirer nos fleurs !

Laissez-nous contempler à deux genoux la tige,
Qui veut se lever seule et frémit d’obéir ;
Qui veut sa liberté, son plaisir, doux vertige.
Tout ce qui naît, mon Dieu ! tend ses bras au plaisir.

Laissez-nous seulement, ardentes sentinelles,
Écarter leurs dangers qu’ils aiment, si petits ;
Si forts à repousser nos forces maternelles,
De la fierté de l’homme innocens apprentis.

Purifiez un peu ce monde où chaque haleine,
À l’entour de nos fruits souffle un air plein de feu ;
Préservez le lait pur dont leur âme était pleine ;
Alors nous guiderons l’ange par un cheveu.


Beaux anges mutinés qui bravez nos tendresses,
Dont les jours, dont les nuits tièdes de nos caresses,
Loin de vos nids plumeux brûlent de s’envoler ;
Qui les fera plus doux pour vous en consoler ?

La mère, n’est-ce pas un long baiser de l’âme ?
Un baiser qui jamais ne dit non ni demain ?
Faut-il ses jours ? Seigneur ! les voilà dans sa main :
Prenez-les pour l’enfant de cette heureuse femme.

Enfant ! mot qui peut dire : amour ! ciel ! ou martyre !
Couronne des berceaux ! auréole d’épouse !
Saint orgueil ! nœud du sang, éternité jalouse,
Dieu vous fait trop de pleurs pour vous anéantir.

C’est notre âme en dehors, en robe d’innocence,
Hélas ! comme la vit ma mère à ma naissance :
Et si je la contemple avec d’humides yeux,
C’est que la terre est triste et que l’âme est des cieux !


Ô femmes ! aimez-vous par vos secrets de larmes ;
Par vos devoirs sans bruit où s’effeuillent vos charmes ;
Après vos jours d’encens dont j’ai bu la douceur,
Quand vous aurez souffert, appelez-moi : ma sœur !



LA MADONE DES CHAMPS.
À Mes Filles.


Toujours notre Madone,
Est là, levant sa main,
Entre le ciel qui tonne,
Et les blés du chemin :
Dans l’herbe haute assise,
Au salut des passans,
Elle n’a point d’église,
De cierges ni d’encens.


Sous le toit d’aubépines,
Qui lui sert de palais,
L’oiseau chante matines
Dans l’arbre pur et frais.
Les enfans du village,
Sont ses anges élus,
Et les bruits du feuillage
Lui sonnent l’angelus !

Son regard sans colère,
Parle au cœur repentant ;
Son doux silence éclaire,
L’aveugle qui l’entend ;
Un pauvre l’a trouvée,
Au fond du ravin creux ;
Et Dieu l’a conservée
Aux autres malheureux !

Prenez pour confidente
Sa charité sans voix ;
La voix la plus prudente,
Nous trahit quelquefois :

Dans son chaste mystère,
À l’abri des regrets,
Au-dessus de la terre,
Enfermez vos secrets !

Quand sur ses pieds de reine,
J’ai mis mon front brûlant,
Je sens veine par veine,
Couler un calme lent ;
Filles de Notre-Dame,
Dormez sur ses genoux ;
Pour élever votre âme,
Elle en sait plus que nous !



À MADAME HENRIETTE F…


Quand ma pensée oiseau s’envole et fend l’absence
Et veut, si Dieu le veut, chanter en ta présence,
D’où vient qu’en reprenant haleine dans tes fleurs,
Elle te voit toujours pensive ou tout en pleurs ?

C’est donc qu’il faut pleurer pour épurer nos âmes,
De chaque souffle amer qui fait pâlir leurs flammes ;
C’est donc, quand la voix manque aux femmes à genoux,
Femme, qu’il faut des pleurs entre le ciel et nous ?


Oui ! tes pleurs ont des mots ignorés de toi-même ;
Ému de leurs secrets, Dieu les écoute ; il aime,
À regarder tomber ces prières sans bruit,
Pour les semer au ciel et t’en garder le fruit.
Mais, attends : l’hiver gronde ; ouvre un peu ta fenêtre ;
Mes enfans sont au pied, mouillés et gracieux,
Presque anges comme toi, tu dois les reconnaître :
Ils ont des fleurs aux mains et de la joie aux yeux !

Car leur mémoire aussi, comme une fleur qui vole,
Qui traverse l’exil et parfois le console,
L’aile reprise au charme où tu sus m’arrêter,
Devant tes doux ennuis veut s’en aller chanter !
Voix d’enfans, voix d’en haut ! que l’amour les emporte ;
Que ton jeune gardien nous entr’ouvre la porte ;
Afin que tant de cœurs faits pour s’entre-charmer,
Se disent qu’il est triste et qu’il est doux d’aimer !



LA FEMME AIMÉE.
À Marie D.


Vous partez donc, Marie,
Et quelqu’un pleurera ?
Pâle de rêverie,
Quelqu’un m’en parlera !
Si vous mourez en route,
Fantôme gracieux,
Quelqu’un mourra sans doute,
Pour vous revoir aux cieux.


Avec votre couronne,
Vos printemps alentour,
Lorsqu’on vous environne,
Parlant trop haut d’amour,
De ce bruit détournée,
Revenez sans remord,
Au seul qui, détrônée,
Vous suivrait dans la mort !

Lorsqu’à travers l’absence,
Quelqu’un cherche après nous,
C’est sentir la présence
D’une âme à nos genoux :
On peut dire, je t’aime !
En étendant sa main,
Sûre que ce mot même,
Nous répond en chemin.

Sous un prisme enfermée
Aux suaves couleurs,
Tout pour la femme aimée,
Se fait encens ou fleurs !

Oh ! que c’est beau la vie,
Qui donne de tels jours ;
Devancée ou suivie
D’un chant qui dit : toujours !

Sans que personne pleure,
Moi, je peux m’en aller ;
Sans qu’un atôme meure,
Mon sort peut s’exhaler ;
Sans que rien me réponde,
Moi, je peux dire : adieu !
Marie, et seule au monde,
Je marche seule à Dieu.



NE FUIS PAS ENCORE.


Tu crois s’il fait sombre,
Qu’on ne te voit pas,
Non plus qu’une autre ombre,
Glissant sur tes pas :
Mais l’air est sonore,
Et ton pied bondit : …
Ne fuis pas encore ;
Je n’ai pas tout dit.


À qui ce gant rose,
Qui n’est pas le mien ?
Quel parfum t’arrose,
Qui n’est plus le tien ?
Tu ris : mais prends garde,
Ta lèvre pâlit…
Moi je te regarde :
Je n’ai pas tout dit !

Sur ton cœur cachées,
Des fleurs vont mourir ;
Les as-tu cherchées,
Pour me les offrir ?
Vois ! la lune éclaire,
L’enclos interdit…
Paix à ta colère,
Je n’ai pas tout dit !

Sous la noble allée,
Qui s’ouvre pour toi,
La pauvre voilée,
Ingrat. C’était moi !

Sans cris, sans prière,
Sans voix qui maudit,
Je fuis la première.
Adieu ; j’ai tout dit !



JE L’AI PROMIS.


Et quoique je ne me sente coupable de rien, encore ne puis-je me justifier pour cela,

— J.-Christ. —


Tu me reprends ton amitié ;
Je n’ai donc plus rien dans le monde,
Rien que ma tristesse profonde :
N’en souffris-tu que la moitié,
Toi, dans ta mobile amitié,
Va ! je plaindrai ta vie amère :
Que Dieu pour l’amour de sa mère,
Ou pour moi, te prenne en pitié.


On ne commande pas l’amour,
Il n’obéit pas, il se donne ;
Voilà pourquoi je te pardonne :
Mais tu m’as tant aimée un jour,
Que j’en demeurai tout amour.
Pour une autre as-tu fait de même ;
Aime donc long-temps, si l’on t’aime ;
C’est mortel quand ce n’est qu’un jour.

Et ma part de bonheur promis,
Comme aux plus humbles de la terre,
Bonheur qu’avec un saint mystère,
Entre tes mains j’avais remis,
Dans l’abandon d’un cœur soumis ;
Si j’en résigne le partage,
C’est pour l’en laisser davantage ;
Rien pour moi, rien. Je l’ai promis !



J’AVAIS FROID.


Je l’ai rêvé ! ç’eût été beau
De s’appeler ta bien-aimée ;
D’entrer sous ton aile enflammée,
Où l’on monte par le tombeau :
Il résume une vie entière,
Ce rêve lu dans un regard :
Je sais pourtant que ta paupière
En troubla mes jours par hasard.


Non, tu ne cherchais pas mes yeux,
Quand tu leur appris la tendresse ;
Ton cœur s’essayait sans ivresse,
Il avait froid, sevré des cieux :
Seule aussi dans ma paix profonde,
Vois-tu, j’avais froid comme toi,
Et ta vie en s’ouvrant au monde,
Laissa tomber du feu sur moi.

Je t’aime comme un pauvre enfant,
Soumis au ciel quand le ciel change ;
Je veux ce que tu veux, mon ange,
Je rends les fleurs qu’on me défend.
Couvre de larmes et de cendre,
Tout le ciel de mon avenir :
Tu m’élevas ; fais-moi descendre ;
Dieu n’ôte pas le souvenir !



À PAULINE DUCHAMBGE.


En ce temps-là je montais dans ta chambre,
Causer une heure et pleurer et chanter ;
Car nous chantions pour étourdir décembre :
Et puis nos pleurs coulaient de nous quitter.

Je te cherchais comme par la campagne,
Quelque hirondelle échappée aux autans,
Monte rapide au toit d’une compagne,
Lui raconter ses secrets palpitans.


Tout ce qui tient dans un sort d’hirondelle :
L’orage en haut. La moisson sans chaleur.
Un nid qui tombe. Un message infidèle.
Un rendez-vous brisé par l’oiseleur.

Nous disions tout l’une à l’autre sincère ;
Larme pour larme et le cœur dans le cœur.
Si le bonheur est de croire, ô ma chère,
Qu’un toit si simple abrita de bonheur !

Et d’où venaient nos plaintes racontées ;
Nos chants furtifs entravés de longs pleurs ;
Nos peurs d’enfant gravement écoutées ?
C’est que notre âge avait toutes ses fleurs !

Qui regardait sous mon aile blessée,
Le dard… celui qui me fait mal encor :
Qui, doucement essuyait ma pensée,
Du rêve amer qui fait aimer la mort ?


Comme aujourd’hui, c’était toi, mon autre âme,
Lueur vivante éclairant mon chemin ;
Ange gardien sous ton voile de femme
À qui Dieu dit : « Tenez-la par la main ! »

Ô jours d’hier ! ô jeunesse envolée,
Avant notre âme, autre oiseau gémissant,
Ouvrant à Dieu son aile d’exilée,
Rougie au plomb qu’on lui tire en passant !

Posée à peine aux lieux où sonne l’heure,
Sais-tu quel seuil mon pied triste a tenté ?
Tout seuil de Christ où chaque âme qui pleure,
A droit d’asile et d’hospitalité.

Le front baigné de soleil ou de bise,
Sans droit ni place au banquet étranger,
Je me sauvais dans les bras d’une église,
Seuls bras ouverts au malheur passager.


J’allais suspendre une heure à ces vieux dômes,
Où Dieu s’enferme et dit à tous : entrez !
Où le plain-chant des sonores fantômes,
Crie en tous temps : « Frères, quand vous voudrez !

J’allais verser nos humbles harmonies,
Sur le sommeil étouffé des prisons,
Berçant, calmant les âcres insomnies,
Avec l’amour qui bat dans tes chansons.

J’étais, je suis la voyageuse encore,
Lasse d’absence et de tous les séjours,
Que de ta chambre indigente et sonore,
L’écho tourmente et rappelle toujours !

Mon sort lancé vers l’étoile inconnue,
Serrait sa chaîne à chaque mouvement ;
Mes yeux rêveurs et mouillés sous la nue,
À ton rideau retournaient tristement.


Charme aimanté ! lampe qui se consume !
Cœur oppressé de chants mélodieux !
Oh ! sous ta cendre où l’ange se rallume,
M’attendras-tu pour nous enfuir aux cieux ?

J’irai te prendre, attends ! pauvre et chérie,
Dernier reflet de mon lointain doré ;
Replie encore ton aile endolorie :
Toi, si tu meurs, je crois que je mourrai !



LA DOUBLE IMAGE.


Que fais-tu dans mon rêve
Avec tes yeux sur moi,
Quand le sommeil m’enlève
Au monde, à tout, à toi :
À toi, génie austère,
Qui brûle sans amour ;
Pourquoi loin de la terre,
Cherches-tu mon séjour ?


Qu’as-tu donc à m’apprendre,
Pour me parler si bas,
Que j’ai peine à comprendre,
Si c’est comme là-bas,
Là-bas où je redoute,
Ta pensive froideur,
Là-bas où je n’écoute
Ni ton nom ni mon cœur.

Mon rêve, où tout s’altère,
Où rien ne me défend,
Te fait doux comme un frère,
Simple comme un enfant :
Par deux pouvoirs suivie,
Duquel dois-je guérir ?
C’est une double vie,
Qui m’entraîne à mourir.



SOLITUDE.


Abîme à franchir seule où personne, oh ! personne
Ne touchera ma main froide à tous après toi :
Seulement à ma porte où quelquefois Dieu sonne,
Le pauvre verra, lui, que je suis encor moi,

Si je vis ! Puis un soir, ton essor plus paisible,
S’abattra sur mon cœur immobile, brisé
Par toi ; mais tiède encore d’avoir été sensible
Et vainement désabusé !



L’HIVER.


Non, ce n’est pas l’été, dans le jardin qui brille,
Où tu t’aimes de vivre, où tu ris, cœur d’enfant !
Où tu vas demander à quelque jeune fille,
Son bouquet frais comme elle et que rien ne défend.

Ce n’est pas aux feux blancs de l’aube qui t’éveille,
Qui rouvre à ta pensée un lumineux chemin,
Quand tu crois, aux parfums retrouvés de la veille,
Saisir déjà l’objet qui t’a dit : « À demain ! »


Non ! ce n’est pas le jour, sous le soleil d’où tombent
Les roses, les senteurs, les splendides clartés,
Les terrestres amours qui naissent et succombent,
Que tu dois me rêver pleurante à tes côtés :

C’est l’hiver, c’est le soir, près d’un feu dont la flamme
Éclaire le passé dans le fond de ton âme.
Au milieu du sommeil qui plane autour de toi,
Une forme s’élève ; elle est pâle ; c’est moi ;

C’est moi qui viens poser mon nom sur ta pensée,
Sur ton cœur étonné de me revoir encor ;
Triste, comme on est triste, a-t-on dit, dans la mort,
À se voir poursuivi par quelque âme blessée,
Vous chuchottant tout bas ce qu’elle a dû souffrir,
Qui passe et dit : « C’est vous qui m’avez fait mourir ! »



ALBERTINE.
À Madame Héloïse Saudeur.


Tu sais qu’elle était sainte et mourut sans remord !
Moi, je ne suis que femme et j’ai peur de la mort.
J’ai peur de voir tomber les voiles de mon âme ;
Retenue à la terre avec des nœuds de flamme,
J’ai peur qu’elle s’en aille à la porte des cieux,
Pleurer long-temps, et nue, et devant bien des yeux !
C’est mon rêve ; ma croix triste et lourde de larmes,
Le fantôme assidu qui refait les alarmes,

Les soupirs, les frissons de mes nuits sans sommeil,
Et qui me rend si pâle au retour du soleil !

Mais, Albertine ! ô chère ! ô pure ! ô sainte femme !
Chaque pleur de mes yeux me rappelle son nom.
Quand ils ont déchiré les voiles de son âme,
Sais-tu son cri vers Dieu ? « Je meurs bien tard… pardon !
Cette âme où ne tremblait ni repentir, ni larme,
Aimait ! aimait ! et puis, comme si quelque charme,
Mis entre elle et le monde eût isolé ses pas,
Elle errait dans la foule et ne s’y mêlait pas.

Créature,
Frêle et pure,
Trop de Dieu,
Pour ce lieu,
C’était l’ange,
Sans mélange,
Qui passait
Et pensait !


Sa jeune âme,
Ciel et flamme,
Fut l’oiseau,
D’un roseau,
Et si tendre,
Qu’à l’entendre,
En secret,
On pleurait !

Son mystère,
Sur la terre,
À genoux,
Comme nous,
Fut dans l’ombre
La plus sombre :
Pardonner !
Et donner !

Thérèse[1] ainsi peureuse et prudente colombe,
Sur ce monde qui passe, et qui tremble et qui tombe,

Au jardin de son père élevait tous les jours,
Quelque nid éternel qui s’écroulait toujours ;
Toujours ses jeunes mains pieusement agiles,
Découvraient, inventaient des cimens, des argiles,
Pour abriter d’un toit qui ne s’écroule plus,
Son cœur tirant au loin ses vœux irrésolus.

Oui ! béni soit l’oiseau que le désert protège ;
Qui des oiseaux errans voit passer le cortège ;
Qui préservant ses pieds de tout ruisseau fangeux,
A pleuré sous son aile aux printemps orageux !



RÊVE D’UNE FEMME.


Veux-tu recommencer la vie ?
Femme ! dont le front va pâlir,
Veux-tu l’enfance, encor suivie
D’anges enfans pour l’embellir ?
Veux-tu les baisers de ta mère,
Échauffant tes jours au berceau ?
— « Quoi, mon doux Éden éphémère :
Oh ! oui, mon Dieu ! c’était si beau ! »


Sous la paternelle puissance,
Veux-tu reprendre un calme essor ?
Et dans des parfums d’innocence,
Laisser épanouir ton sort ?
Veux-tu remonter le bel âge,
L’aile au vent comme un jeune oiseau ?
— « Pourvu qu’il dure davantage,
Oh ! oui, mon Dieu ! c’était si beau ! »

Veux-tu rapprendre l’ignorance,
Dans un livre à peine entr’ouvert :
Veux-tu ta plus vierge espérance,
Oublieuse aussi de l’hiver :
Tes frais chemins et tes colombes
Les veux-tu jeunes comme toi ?
— « Si mes chemins n’ont plus de tombes,
Oh ! oui, mon Dieu ! rendez-les moi ! »

Reprends-donc de ta destinée,
L’encens, la musique, les fleurs !
Et reviens d’année en année,
Au temps, qui change tout en pleurs :

Va retrouver l’amour, le même !
Lampe orageuse, allume-toi ! »
« Retourner au monde où l’on aime…
Ô mon Sauveur ! éteignez-moi ! »



FLEUR D’ENFANCE.


L’haleine d’une fleur sauvage,
En passant tout près de mon cœur,
Vient de m’emporter au rivage,
Où naguère aussi j’étais fleur :
Comme au fond d’un prisme où tout change,
Où tout se relève à mes yeux,
Je vois un enfant aux yeux d’ange :
C’était mon petit amoureux !


Parfum de sa neuvième année,
Je respire encor ton pouvoir ;
Fleur à mon enfance donnée,
Je t’aime ! comme son miroir.
Nos jours ont séparé leur trame,
Mais, tu me rappelles ses yeux ;
J’y regardais flotter mon âme :
C’était mon petit amoureux !

De blonds cheveux en auréole,
Un regard tout voilé d’azur,
Une brêve et tendre parole,
Voilà son portrait jeune et pur :
Au seuil de ma pauvre chaumière,
Quand il se sauvait de ses jeux,
Que ma petite âme était fière ;
C’était mon petit amoureux !

Cette ombre qui joue à ma rive
Et se rapproche au moindre bruit,
Me suit, comme un filet d’eau vive,
À travers mon sentier détruit ;

Chaste, elle me laisse autour d’elle,
Enlacer un chant douloureux ;
Hélas ! ma seule ombre fidèle,
C’est vous ! mon petit amoureux !

Femme ! à qui ses lèvres timides,
Ont dit, ce qu’il semblait penser,
Au temps où nos lèvres humides
Se rencontraient sans se presser,
Vous ! qui fûtes son doux Messie,
L’avez-vous rendu bien heureux ?
Du cœur je vous en remercie ;
C’était mon petit amoureux !



MADAME HENRIETTE FAVIER.


De ses discours charmans mon âme sort parée ;
Elle ne touche à rien sans y laisser ses fleurs ;
Comme un peintre qui crée accorde ses couleurs,
Tout s’habille en ses mains d’une grâce ignorée ;
C’est un ange ! elle parle en mots plus gracieux,
Que les mots qu’on entend bégayer sur la terre ;

L’enfant tout nouveau-né la reconnaît des cieux,
Car, ils en ont entre eux l’accent plein de mystère.

C’est un rayon qui passe à travers nos douleurs,
Et que n’a pas éteint le monde avec ses pleurs,
Qui lui fait des regards plus beaux qu’aux autres femmes,
Qu’on revoit dans la nuit, pareils aux saintes flammes,
Brûlantes alentour de nos tristes autels,
Et qui font demander : « Ces yeux sont-ils mortels ? »



L’ENFANT GREC.
Au Tombeau de Botzaris.
(STATUE DE DAVID.)


Ce gracieux enfant, cette innocence nue
Qui se prend à rêver au marbre d’un tombeau,
Que je l’aime à genoux, curieuse ingénue,
Épelant un feuillet si profond et si beau !

Elle éveille la mort sous sa fraîche prière ;
Sa douleur juvénile est sans cris et sans pleurs :
L’éternité, jeune âme ! arrosera tes fleurs,
Car, David avec toi les sema sur la pierre !



À PAULINE DUCHAMBGE.
Elle voulait quitter le monde.


Quand tu te ferais sœur grise,
Un bandeau blanc sur les yeux ;
Quand d’une prière apprise,
Tu tourmenterais les cieux ;
Quand sur les pauvres penchée
Mouillant leurs cris de tes pleurs,
Par ta blessure cachée,
Tu sonderais leurs douleurs :


Quand tu pourrais, sœur Morave,
Silencieuse à toujours,
Sous une loi morne et grave,
Immobiliser tes jours ;
Cesserais-tu, mon pauvre ange,
D’écouter vivre et souffrir,
Ton cœur, ce malade étrange
Qui n’a peur que de guérir !

Quand sur le marbre et la pierre,
Tu verserais l’oraison,
Pour évoquer la lumière,
Qui rallume la raison ;
Quand ta voix éteinte au monde,
S’enfermerait sans retour,
Une autre voix plus profonde,
Te crierait encore : « Amour ! »

Tous les cloîtres de la terre,
Mentent à ton désespoir ;
Dans son plus chaste mystère,
Dieu n’a pas de manteau noir,

Et le reclus prêt à rendre
Ses comptes au Créateur,
Ne pourra que trop comprendre,
Qu’il manque un cœur à ton cœur !

Reste au monde ! plaide encore !
Ton procès n’est pas fini ;
Pour un crime que j’ignore,
L’amour tendre y fut banni.
Aime en vain ; donne et pardonne,
À qui ne t’a pas compris ;
Souris à qui t’abandonne ;
Va ! l’on n’aime qu’à ce prix !



AMOUR ET CHARITÉ.


Amour et charité ! quelque part qu’on vous trouve,
Dieu va venir : qu’un seul s’en souvienne et le prouve !
Qu’un seul où je m’en vais, me réclame tout bas :
Qui donc me sauverait, s’il ne me sauvait pas ?


S’il ne disait : Pitié ! c’est moi… Non ! Qu’il se taise.
Non ! qu’en frappant sur moi l’éternité s’apaise :
Moi, je veux bien pleurer, et mourir et mourir ;
Mais sans croire qu’il pleure et sans le voir souffrir !



AU REVOIR.


Vous ne me voulez plus… Qu’ils en cherchent la cause ;
Je ne chercherai pas ; vous ne me voulez plus.
Ainsi des doux romans effeuillés ; ils sont lus ;
Vous avez cru me lire, et cette page est close.

Pourtant, je l’ai marquée avec un signet noir,
Cette page éternelle où s’arrête ma vie ;
La vôtre, quelque jour, de mémoire suivie,
Tressaillera d’un mot qui s’y cache : au revoir !


Mot sans faste ; mot vrai ; lien de l’âme à l’âme ;
Rappelant tôt ou tard l’homme où pleure la femme.
Avec étonnement vous vous en souviendrez,
Et sans l’avoir prévu ni su, vous reviendrez !

Et ce ne seront plus les parfums de la terre ;
Les aveux échangés dans un tremblant mystère ;
Les sermens… Tu vois bien ce qu’ils sont, les sermens :
Je ne t’en ai point fait dans nos enchantemens.
Non ; ce ne sera plus ce rêve à deux ; le même !
Qui fait vivre ; qui vit d’un mot, d’un seul : on m’aime !
Ni les bouquets perdus, broyés sous tes genoux,
Attiédis du bonheur qui s’étendait sur nous ;
Ni ces heures sans nom dans le temps balancées,
Dont les ailes pliaient d’un tel bonheur lassées,
Alors que je laissais pour unique entretien,
Mon regard ébloui s’abriter sous le tien ;
Cherchant, ne trouvant pas les mots de mes pensées,
Pour te les faire voir, lorsqu’en moi trop pressées,
Elles voulaient passer de mon cœur à ton cœur,
Et fondre dans tes yeux quelque doute rêveur.


Toi, ton doux cri, pardon ! qui brisait ma colère,
À qui le diras-tu : qu’il sache tant lui plaire ?
Une autre, une autre, et puis une autre l’entendra ;
Mais sur des cœurs fermés ce vain cri frappera.

N’en cherche plus l’écho, c’est moi qui le recèle ;
Moi je t’aimai sans borne et de tous les amours !
Le seul que tu poursuis est le seul qui chancèle ;
Celui-là dit demain : les miens disent : toujours !

Mais attenter une heure à ton indépendance ;
Mais te créer l’effroi de ma fidélité ;
Acheter de la vie avec ta liberté ;
Demander des égards pour payer ma constance !…
Ils rêvent. Toi je t’aime : oh ! tu n’en eus jamais ;
Jamais d’un baiser faux tu ne compris l’outrage ;
Quand tu serrais ma main dans tes mains, tu m’aimais :
Et puis ce fut la mort… merci de ton courage.
Vois ! j’en ai : vois ! je dis : « Nous ne nous aimons plus ;
Ainsi des doux romans effeuillés ; ils sont lus. »


Moi, je mens ! au revoir après ce rêve étrange,
Que tu rêveras, toi, sous l’aile d’un autre ange.
De ce qui fut à nous emporte le bonheur ;
Je n’en avais besoin que quand j’avais un cœur ;
C’est là que je souffrais ; c’est là que je suis morte.
Va, nos songes vivans te serviront d’escorte…
Ces doux songes appris à travers tant d’espoir,
Ce n’est donc jamais vrai pour ce monde ! au revoir !

Tu viendras ! ce soir-là ce sera le silence ;
D’un passé mal éteint la vague ressemblance ;
Ce qu’on a ressenti d’amer et de profond,
Au jardin dévasté qui versa de l’ombrage,
Sur les jours haletans et doux du premier âge,
Jours fiévreux, pleins de bruits, que nuls bruits ne défont !

Viens, ce sera l’amour sans ses funestes charmes ;
L’amour qui ne meurt pas, si l’amour vit de larmes ;
Et mes cheveux défaits, changés, sans nœuds, sans fleurs,
Tressailleront encor d’avenir sous tes pleurs…


Tu viendras, tu verras ! nous pleurerons ensemble ;
C’est là le sort de tout ce que le temps rassemble ;
Comme l’ombre de nous, tu me regarderas,
Tu verras mieux mon âme ; alors tu pleureras !

Ma plus profonde vie, hélas ! que Dieu te garde ;
À travers mon regard que le ciel te regarde,
Comme tu regardais à travers mes cheveux,
Que je laissais déjà retomber sur mes yeux !

À deux pas de mes jours que le sort vous entraîne ;
L’invisible au revoir dans mon sort vous ramène ;
Allez ! midi n’est pas l’heure du souvenir ;
Cette heure sur vos pas vous fera revenir :
Chacun a ses douleurs et vous aurez les vôtres,
Et vous direz mon nom en cherchant dans les autres,
S’il en est un qui reste aux jours abandonnés ;
Oh ! ce sera le mien qui répondra : venez !



AVE MARIA.


Ave Maria !
Sur l’âme qui pleure,
Chante et verse l’heure,
Où l’ange pria !

Quand j’entendais le soir,
Trembler à mon oreille,
L’Angélus qui s’éveille,
Comme un germe d’espoir,

Rêveuse, sur ma porte,
Je rappelais tout bas,
Quelque espérance morte,
D’absence ou de trépas.

Ave Maria !
Sur l’âme qui pleure,
Chante et verse l’heure,
Où l’ange pria !

Tout ce que nous pleurons,
Plein d’une grâce austère,
Revient-il sur la terre,
Pour nous dire « Espérons ! »
Car à ce ciel qui sonne,
Ma tristesse a frémi,
Comme une main frissonne,
Sous la main d’un ami !

Ave Maria !
Sur l’âme qui pleure,
Chante et verse l’heure,
Où l’ange pria !


Ainsi qu’au fond des fleurs,
Passe une brise errante,
Cette cloche vibrante,
Entrait dans mes douleurs ;
Je sentais que Dieu même
À son secret d’amour,
Et j’osais dire : j’aime !
À ce bon soir du jour.

Ave Maria !
Sur l’âme qui pleure,
Chante et verse l’heure,
Où l’ange pria !

Soupirs de l’Angélus,
Vos tintemens tranquilles,
Dans les cris de nos villes,
Ne me parviennent plus :
Mais, seule et triste encore,
Quand s’en va le soleil,
Ma mémoire sonore,
Tinte dans mon sommeil :


Ave Maria !
Sur l’âme qui pleure,
Chante et verse l’heure,
Où l’ange pria !





S’il m’eût aimée, oh ! que la vie
Eût passé légère sur moi !
Si dans la mort il m’eût suivie,
Que la mort m’eût fait peu d’effroi !
J’aurais trouvé des chants de l’âme,
Comme l’oiseau chante le jour,
Pour dire aux anges qu’une femme
Était heureuse par l’amour !


Mais il écoute sans tendresse,
Ma voix toujours près de pleurer ;
Il est grave, il est sans maîtresse,
Et rien ne le fait soupirer :
Vivant seul au fond de son âme,
Rappelant quelque autre séjour,
Peut-être il rêve d’une femme,
Qu’il vit heureuse par l’amour !

Et moi je m’effeuille dans l’ombre,
Comme une fleur sur son chemin,
Jamais, même quand il est sombre,
Vers mon cœur il n’étend sa main,
Ô solitude de mon âme,
Serez-vous consolée un jour ?
Le ciel bannit-il une femme
Qui rêva le ciel dans l’amour !



AFFLICTION.


S’en aller à travers des pleurs et des sourires,
Achever par le monde un sort amer et pur ;
User sa robe blanche, et pour une d’azur,
En laisser les lambeaux aux ronces des martyres,
C’est ma vie. Un roseau semble plus fort que moi ;
Je ne m’appuie à rien que je ne tombe à terre :
Et je chante pourtant l’ineffable mystère,
Qui de mon cœur trahi fait un cœur plein de foi !


D’où vient donc que ce jour surpasse la tristesse,
De tous les jours tombés hors de ma vie ? eh ! quoi,
Sur mes heures que pousse une immobile loi,
Le pied du temps bondit de la même vitesse ;
D’où vient donc que j’étouffe au sein de l’univers ?
Ah ! c’est qu’ils m’ont blessée au milieu de la foule ;
Du grand arbre agité, feuille que le vent roule,
Ils ont soufflé loin d’eux mes mobiles revers.

Allons donc ! adieu donc, ville inhospitalière,
Ville trois fois fermée à mes humbles malheurs,
Pour d’autres si riante et si pleine de fleurs,
Où ma vie arriva, blonde et pure écolière,
À quinze ans : ville austère où j’appris à pleurer,
Où j’apportais un cœur si tendre à déchirer !

Pour la voix qui pleure,
Vallon sans écho,
Où je buvais l’heure,
Froide comme l’eau ;

Amère lustrale !
Sombre cathédrale,
Où s’est caché Dieu ;
Jardin des Olives,
Sol aux ronces vives,
Mon calvaire, adieu !

Allons ! je n’entre pas dans un désert ; la vie,
Autour de moi se meut ; j’ai mon ombre au soleil ;
Partout je trouve terre où le ciel m’a suivie ;
Partout quelque oiseau chante au fond de mon sommeil.
Naguère, quand leurs traits dans l’ombre m’ont touchée,
Je m’en allai vers Dieu : j’y retourne aujourd’hui ;
Car sa main est pour tous et je m’y sens cachée ;
Elle s’étend vers moi ; moi, je me sauve à lui !

Et sous cette main qui délivre,
J’entrerai comme tous aux cieux ;
Là, leur or ne pourra les suivre ;
Moi, je n’y porterai qu’un livre,
Fermé maintenant à leurs yeux

Ce livre, ce cœur plein d’orages,
Plein d’abîmes et plein de pleurs,
Déchiré dans toutes ses pages,
Dieu ! sauveur de tous les naufrages,
Aura la clé de ses douleurs.

Mais seule, et quand le jour se voile sous la nue,
Qu’il laisse tomber l’ombre avant la nuit venue,
Quand l’oiseau sans musique erre aux champs sans couleurs,
Je ne me sens pas vivre et je ressemble aux fleurs,
Aux pauvres fleurs baissant leurs têtes murmurantes,
Et qu’on prendrait au loin pour des âmes pleurantes.

Quand on se meurt, on plaint tout ce qui va mourir ;
On plaint tout ce qui souffre ou qui semble souffrir.

Mourir ! on ne meurt pas quand on le pense. Une âme,
Prend ses ailes long-temps avant de s’envoler ;
Une lampe long-temps s’use sans s’exhaler,
Tant qu’un peu d’huile au cœur en remonte la flamme :

J’ai des enfans ! leurs voix, leurs haleines, leurs jeux
Soufflent sur moi l’amour qui m’alimente encore ;
J’ai, pour les regarder, tant d’âme dans les yeux !
Mon étoile est si bien nouée à leur aurore !
On m’a blessée en vain, je ne peux pas mourir ;
J’ai semé leurs printemps, je dois les voir fleurir.
Au milieu de leurs jours, inoffensive et frêle,
Mort ! oublieuse mort ! je passe sous votre aile,
Et je n’allourdis pas mon vol de haine ; hélas,
S’il fallait me venger, je ne le saurais pas.

Vraiment ! le pardon calme à défaut d’espérance ;
Il détend la colère ; on pleure, on apprend Dieu ;
Dieu triste ! comme nous voyageur en ce lieu,
Et l’on courbe sa vie au pied de sa souffrance.
Ceux qui m’ont affligée en leurs dédains jaloux,
Ceux qui m’ont fait descendre et marcher dans l’orage,
Ceux qui m’ont pris ma part de soleil et d’ombrage,
Ceux qui sous mes pieds nus ont jeté leurs cailloux ;
N’ont-ils pas leurs ennuis, leurs jaloux, leurs alarmes,
Leurs pleurs, pour expier ce qu’ils m’ont fait de larmes ?

Quoi donc ? aux durs sentiers qu’on a tous à courir,
Seigneur ! ne faut-il pas mourir et voir mourir !
N’est-ce pas au tombeau que cheminent leurs peines,
Leurs enfans, leurs amours qui rachètent leurs haines ?
Oh ! qui peut se venger ? oh ! par votre abandon,
Seigneur ! par votre croix dont j’ai suivi la trace,
Par ceux qui m’ont laissé la voix pour crier grâce :
Pardon pour eux ! pour moi ! pour tous ! pardon ! pardon !



À M. DE PEYRONNET,
PRISONNIER,
Sur son œuvre : De La Femme dans l’adversité.


Quoi ! c’est d’une prison que sort cette lumière !
Incline-toi, mon âme, au pied de ce flambeau :
C’est la religion qui soulève un tombeau ;
C’est l’attente qui veille au fond de sa prière.

Nuls verroux entre l’homme et Dieu. Le prisonnier
Sait que la voix s’envole où la dirige l’âme ;
Le fer ne pèse pas sur des ailes de flamme ;
L’oiseau, près de la nue échappe au braconnier.


Qu’elle soit d’aigle ou de colombe,
Dieu prend l’âme échappée aux filets de la tombe,
Et sur son cœur de père, inondé de clarté,
Il dilate ce souffle un moment arrêté.

Un jour il verse aux rois, sous quelque blanche hostie,
Et le dégoût du sang et la soif d’être aimé ;
Puis, dans un songe assis sur leur cœur désarmé,
Des voix d’enfant criant : Amnistie ! amnistie !
Puis, s’il s’éveille au cri qui vient de l’étonner,
Ce cœur de roi, chargé d’une lourde couronne,
Tremblant sous les grandeurs dont l’effroi l’environne
Se protège une fois du droit de pardonner !

Mais d’où vient qu’un captif assiége ma pensée ?
D’où vient que de son nom je me sens oppressée ?
Ah ! c’est qu’il est captif ! c’est qu’il a dans les fers,
Le courage sans bruit et la douceur profonde,
Que voilait trop d’éclat quand il était du monde ;
Ah ! c’est qu’il a grandi des maux qu’il a soufferts !

Dieu les pèse ; moi je les pleure,
Dans son destin désert j’écoute tomber l’heure ;
Je regarde le mur qui borne son regard,
Où d’un rayon du jour s’est glissé le hasard ;
Le hasard ! est-ce là le nom froid qu’il lui donne :
Oh ! non ! c’est l’œil de Dieu qui dans sa nuit rayonne,
Qui pompe jusqu’au fond de cet homme enfermé,
Une larme invisible où l’espoir a germé :
Partout l’espoir où Dieu sent trembler une larme ;
Le tocsin le suspend à son sanglot d’alarme,
Et le banni fuyant escorté par la faim,
L’emporte infatigable aux longueurs du chemin.

Moi qui gravis mon sort sans charger ma mémoire,
Des noms dorés, perdus dans le vent de la gloire,
Insoucieuse au bruit des trônes et des rois,
Qui dans mes jours flottans roulent vides et froids,
Je me laisse entraîner où l’on entend des chaînes ;
Je juge avec mes pleurs, j’absous avec mes peines ;
J’élève mon cœur veuf au Dieu des malheureux ;
C’est mon seul droit au ciel et j’y frappe pour eux !


Je sais que c’est si triste un père
Pleurant ses fils absens ou morts ;
Si long tout ce que l’on espère
Quand l’attente, ardente vipère,
Suce l’âme comme un remords !

Que le soleil se cache ou brille,
Jamais il ne voit le soleil,
Toucher le beau front de sa fille,
Comme une fleur sous une grille,
Que colore un rayon vermeil.

Quatre portraits sont là dans l’ombre,
Comme les étoiles aux nuits ;
La mort en a rompu le nombre ;
Mais ils fixent sous le toit sombre,
Leurs yeux d’ange sur ses ennuis.

Celle-là s’appelait Colombe,
Fidèle à son père en prison.
Si de crainte qu’il n’y succombe,
La jeune ombre a forcé sa tombe,
A-t-elle changé de maison !


Ces enfans autour de ses larmes
Que nul homme n’a vu couler,
Disent : « Vos patientes armes,
Vos ennuis saturés de charmes,
Mon père ! il faut les révéler

Ce récit comblera l’espace,
Entre le prix et les douleurs.
Ce qui fut vrai jamais ne passe
Et de ce bronze, ami du Tasse[2],
Retrempez l’encre avec vos pleurs. »

Mais quand des pieds d’airain l’arrêtent dans la vie,
Qu’il doit la trouver lente ! et que souvent l’envie
Doit prendre à ce liseur d’un si morne univers,
De fermer tout à coup ses poèmes amers !

Pourtant, docile aux cris de ses jeunes cigales,
Écho trois fois profond de leurs voix inégales,

Comme l’orgue frappé par un accord plaintif,
Le prolonge et l’emporte à quelque ange attentif,
Il a prié pour tous ! Incline-toi, mon âme,
Devant l’hymne qui passe au toit d’une humble femme,
Tombé pur et sans faste à mes foyers déserts,
Pour me parler du ciel au fond de mes revers !

Que je voudrais le voir marcher libre et sans garde !
Que je voudrais dorer le point noir qu’il regarde,
L’avenir ! mais on dit qu’aux murs sans horizon,
Las, bien las d’évoquer les voix vides du monde,
On entend tout à coup comme une paix profonde,
Au silence d’une prison :
Qu’un seul juge y descend ; qu’il y voit les pensées,
Au fond des cœurs pressées,
Comme on voit d’un ruisseau,
Flotter les fleurs dans l’eau !
Que son souffle jamais n’y soulève d’orages ;
Qu’il rallume une étoile à la nuit des naufrages ;
Qu’il ramène tout l’homme à son berceau des cieux ;
Que son regard surmonte une égarante flamme,

Et lui fait oublier les yeux,
Tous les yeux sans pitié qui jugèrent son âme.

Prisonnier ! ne va pas te lasser : Dieu t’attend ;
Chaque fibre qui souffre à la terre, il l’entend !



ÉLISA MERCŒUR
à sa Mère.


En regardant briller l’auréole de rêves,
Qui de ta jeune vie agitait le flambeau.
Triste, on reconnaissait sur ton front triste et beau,
Une fleur enlevée à de lointaines grèves :
On n’aimait plus le monde où languissaient tes jours,
Tes jours chantans, nourris d’une rosée avare ;
Où la terre est si froide et le soleil si rare ;
Où sur ta frêle étoile on s’alarmait toujours !


Quoi donc ! quand près des flots Dieu sema ton enfance,
Dieu ne t’y laissait point sans joie et sans défense :
Tes longs yeux découvraient dans le désert des nuits,
Quelque astre sympathique à tes jeunes ennuis ;
Tu te chantais au ciel, à ta mère bénie,
Qui t’appelait son jour ! sa naissante harmonie !
Et le ciel et ta mère et les flots et les monts,
À tes cris : Aimez-moi ! répondaient : Nous t’aimons !

Toute sonore au bruit du mugissant rivage,
Regardant le navire enfler sa voile au vent,
Ta flottante espérance aventurait souvent
Un doux château dans l’air, un nid sur un nuage :
Libres alors, jamais tes beaux songes brisés,
Ne retombaient sur toi, pleurans et méprisés !

Mais flamme passagère et vouée à la flamme,
La cité lumineuse éblouissait ton âme,
Et livrant ta faiblesse aux dangers des chemins,
Pour enhardir ton vol on te battait des mains :


Croyant qu’il est partout des brises embaumées,
Tu vins heurter ton cœur à des portes fermées ;
Tu dis long-temps : « C’est moi ! je passe… il faut ouvrir… »
La réponse fut lente et tu viens d’en mourir !
Et l’harmonie en pleurs tremblait dans ta parole,
Enfant ! ton premier chant commence un cri d’adieu ;
Ce cri poussé, perdu dans un écho frivole,
Grave pourtant, déjà se réclamait de Dieu.
Que lui demandais-tu ? de l’air libre et des ailes :
Tu les as ! nous vois-tu traîner nos pieds sous elles,
Porter pierre sur pierre à ton doux monument,
Pour charmer ta jeune ombre en son isolement ?
Pour dire au temps : voyez ! elle était chaste, aimée,
Elle avait une voix qui survit à la mort ;
Une âme, dont la forme est vite consumée ;
Qui vient chanter sa plainte et s’en va sans remord.
Un soupir, s’il vous plaît, à la poète fille !
Une eau pure au gazon qui la couvre déjà !
Une fleur sur la fleur qui se cache et qui brille !
Un regret au roseau que le vent détacha !
Une larme à sa mère… elle vit après elle !
Sans pleurer son enfant, ne vous éloignez pas ;

Ses cyprès verseront, dans leur culte fidèle,
Un rythme à votre oreille et de l’ombre à vos pas !
Un soupir, s’il vous plaît ! l’horloge s’est trompée,
Elle a sonné la mort pour l’heure de l’hymen ;
Regardez et comptez : sa trame fut coupée,
Quand l’ange des enfans tenait encor sa main !

Moi, sans racine aussi, née aux bords des voyages,
Posant à peine un pied sur de fuyans rivages,
Y cueillant à la hâte un fruit vert, une fleur,
Pour prendre un peu d’haleine au relai du malheur.
J’écoutai, quand sa voix à mon cœur parvenue,
M’apprit le nom charmant d’une sœur inconnue ;
Sa voix, qui n’avait pas encor de souvenir,
Sa voix fraîche et nouvelle en perçant l’avenir,
Lançait l’hymne de vie et de gloire trempée,
Où sa tombe précoce était enveloppée :
Je la pris, dans l’espace où vibrait cette voix,
Pour un oiseau qui joue et qui pleure à la fois !
Dans les flots de la foule insoucieuse et vaine,
J’embrassai du regard cette âme armoricaine,

Et je n’entrevis pas sa crédule candeur,
Sans plaindre de ses yeux l’ardente profondeur !

On épuisait alors cette vivante lyre ;
Sa souffrance voilée, on la lui faisait lire ;
Car le monde veut tout quand il daigne écouter ;
Et quand il a dit : Chante ! il faut toujours chanter !
Par d’innocens flatteurs innocemment déçue,
Son âme s’écoulait victime inaperçue,
Et quand l’oiseau malade à son toit remontait,
Sous son aile traînante et fiévreuse il chantait !
Il cherchait d’autres sons pour saluer la foule,
Cette foule qui cause, et qui passe et qui roule ;
En vain, ses chants mêlés de courage et d’effroi ;
Dirent bientôt : « Je souffre et j’attends !… sauvez-moi ! »

Je ne pus que l’aimer d’une tendresse amère ;
Qu’assister, prophétique aux larmes de sa mère,
Puis, avec le transport d’une interne frayeur,
Emporter mes enfans plus serrés à mon cœur !
Ce qui résonne en nous de tendresse profonde,
Mon Dieu ! n’a pas long-temps son écho dans ce monde :

Mais, puisque vers vos cieux nous regardons toujours,
C’est donc qu’un bien s’y cache et qu’il manque à nos jours ?
Oui ! quand mes souvenirs se lèvent et gémissent,
Je sens, dans un frisson sur moi prompt à couler,
Comme des ailes qui frémissent,
Toujours prêtes à s’envoler !

Dis ! n’est-ce pas ainsi, fille mélodieuse,
Que s’élançait ton cœur pour entraîner tes pas,
Lorsque ton cœur s’ouvrit plein de sa foi pieuse,
Appelant l’avenir… qui ne répondit pas :

Car, voici ma prière envoyée à ta tombe !
Au bord de l’urne blanche où s’amassent nos fleurs,
Viendras-tu pas poser ton âme de colombe,
Pour compter les amis qui t’ont donné leurs pleurs ?
Qu’importe que la voix soit obscure ou sublime :
La douleur n’a qu’un cri qui sort du même abîme ;
Et le Christ, en mourant, n’entendit sur sa croix,
Que ceux qui lui criaient : Mon Dieu ! j’aime et je crois !



TRISTESSE DE MÈRE.


Si mes petites chéries,
Voulaient venir avec moi,
Pour nos tendres causeries,
Nous trouverions des prairies,
Toujours calmes et fleuries,
Où ne chasse pas le roi.


Nous boirions à des fontaines,
Dont l’éternelle fraîcheur
Et les sources toujours pleines,
Étanchent de nos haleines,
Les soifs ardentes et vaines,
Et nous lavent jusqu’au cœur !

Nous ne verrions plus l’aumône,
Tomber rare et lentement ;
Quand c’est Dieu qui compte et donne,
Plus d’enfans qu’on abandonne ;
L’astre qui fait sa couronne,
Les réchauffe également !

Plus de cages souterraines,
Où vient avorter le jour ;
Plus d’hommes serrés de chaînes ;
Plus d’âmes lourdes de haines,
Où, lucides et sereines,
Les âmes se font amour !


Là, plus de tête encor vive,
Coupée au tranchant du fer ;
De la terre affreux convive,
Plus de bourreau qui survive,
À cette tête plaintive,
Qu’il croit jeter à l’enfer !

Plus de charité qui pleure,
Et qui s’épuise en cherchant
Le pardon ! plus rien qui meure,
Sous l’étouffement de l’heure ;
Plus de grâce qui demeure
Clouée aux mains du méchant.

Là, plus de cœur qui s’égare,
À poursuivre un autre cœur ;
Plus d’âme triste et bizarre,
Sans se soupçonner barbare,
Qui s’isole et se sépare
De l’âme qui fut sa sœur !


Parcilles à trois mésanges,
Qui font voile dans espoir,
Quittant les terrestres langes,
Pour rejoindre nos phalanges,
Nous reverrions tous les anges,
Qui nous ont dit : Au revoir !

Mais, non, doux portraits que j’aime !
Détournez votre flambeau,
De l’autan, qui sur moi-même,
Souffle d’une hâte extrême ;
Il vous manque le baptême,
Qui nous achète un tombeau.

Que vos pleurs vous fassent belles !
Moi, j’irai seule d’abord,
Ô mes naissantes mortelles,
Et comme aux esprits fidèles,
J’irai vous chercher des ailes
Pour voler à l’autre bord !


Déjà comme la colombe,
Qui tourne dans le malheur,
Ma pensée et plane et tombe,
S’abreuve aux fleurs d’une tombe ;
Puis, sentant qu’elle succombe,
Revient mourir à mon cœur !



À MONSIEUR A. L.


Vous demandez pourquoi je suis triste : à quels yeux
Voyez-vous aujourd’hui le sourire fidèle ?
Quand la foudre a croisé le vol de l’hirondelle,
Elle a peur et s’enferme avec ses tendres œufs.

Jugez s’ils sont éclos ! jugez si son haleine
Passe dans le duvet dont se recouvre à peine,
Leur petite âme nue et leur gosier chanteur,
Pressé d’aller aux cieux saluer leur auteur !


Et quand le plomb mortel fait trembler chaque feuille,
Et les nids et l’orchestre et les hymnes d’un bois ;
Jugez comme l’oiseau dont l’instinct se recueille,
Retient avec effort ses ailes et sa voix !

Enfin, si dans son arbre on voit bouger sa tête,
Si pour ne pas mourir il chante encor son cœur,
Poète ! étonnez-vous que l’humaine tempête,
Ait trempé tout ce chant d’une étrange douleur !

Sous quelques rameaux verts, jardin de ma fenêtre,
Ma seule terre à moi qui m’ait donné des fleurs,
Rêveuse aux doux parfums qu’avril laissait renaître,
J’ai vu d’un noir tableau se broyer les couleurs :

Quand le sang inondait cette ville éperdue,
Quand la bombe et le plomb balayant chaque rue,
Excitaient les sanglots des tocsins effrayés,
Quand le rouge incendie aux longs bras déployés,

Étreignait dans ses nœuds les enfans et les pères,
Refoulés sous leurs toîts par les feux militaires,
J’étais là ! quand brisant les caveaux ébranlés,
Pressant d’un pied cruel les combles écroulés,
La mort disciplinée et savante au carnage,
Étouffait lâchement le vieillard, le jeune âge,
Et la mère en douleurs près d’un vierge berceau,
Dont les flancs refermés se changeaient en tombeau,
J’étais là : J’écoutais mourir la ville en flammes ;
J’assistais vive et morte au départ de ces âmes,
Que le plomb déchirait et séparait des corps,
Fête affreuse où tintaient de funèbres accords :
Les clochers haletans, les tambours et les balles ;
Les derniers cris du sang répandu sur les dalles ;
C’était hideux à voir : et toutefois mes yeux
Se collaient à la vitre et cherchaient par les cieux,
Si quelque âme visible en quittant sa demeure,
Planait sanglante encor sur ce monde qui pleure ;
J’écoutais si mon nom, vibrant dans quelque adieu,
N’excitait point ma vie à se sauver vers Dieu :
Mais le nid qui pleurait ! mais le soldat farouche,
Ilote, outrepassant son horrible devoir,

Tuant jusqu’à l’enfant qui regardait sans voir,
Et rougissant le lait encor chaud dans sa bouche…
Oh ! devinez pourquoi dans ces jours étouffans,
J’ai retenu mon vol aux cris de mes enfans :
Devinez ! devinez dans cette horreur suprême,
Pourquoi, libre de fuir sous le brûlant baptême,
Mon âme qui pliait dans mon corps à genoux,
Brava toutes ces morts qu’on inventait pour nous !

Savez-vous que c’est grand tout un peuple qui crie !
Savez-vous que c’est triste une ville meurtrie,
Appelant de ses sœurs la lointaine pitié,
Et cousant au linceul sa livide moitié,
Écrasée au galop de la guerre civile !
Savez-vous que c’est froid le linceul d’une ville !
Et qu’en nous revoyant debout sur quelques seuils
Nous n’avions plus d’accens pour lamenter nos deuils !

Écoutez, toutefois, le gracieux prodige,
Qui me parla de Dieu dans l’inhumain vertige ;
Écoutez ce qui reste en moi d’un chant perdu,
Succédant d’heure en heure au canon suspendu :


Lorsqu’après de longs bruits un lugubre silence,
Offrant de Pompéï la morne ressemblance,
Immobilisait l’âme aux bonds irrésolus ;
Quand Lyon semblait morte et ne respirait plus ;

Je ne sais à quel arbre, à quel mur solitaire,
Un rossignol caché, libre entre ciel et terre,
Prenant cette stupeur pour le calme d’un bois,
Exhalait sur la mort son innocente voix !

Je l’entendis sept jours au fond de ma prière ;
Seul requiem chanté sur le grand cimetière :
Puis, la bombe troua le mur mélodieux,
Et l’hymne épouvantée alla finir aux cieux !

Depuis, j’ai renfermé comme en leur chrysalide,
Mes ailes, qu’au départ il faut étendre encor,
Et l’oreille inclinée à votre hymne limpide,
Je laisse aller mon âme en ce plaintif accord.


Lyon, 1834



ADOLPHE NOURRIT
À LYON.
Après la guerre civile.


Pourtant, mon Dieu ! ce monde est plein de belles choses !
Jamais de votre amour les ailes ne sont closes ;
Attentif et penché sur vos enfans en pleurs,
Vous leur semez toujours de l’espoir et des fleurs !
Vous soufflez à leur soif ce limpide génie,
Qui porte dans son sein vos tables d’harmonie ;


Oui, mon Dieu ! vous parlez quand il chante, et souvent,
On vous écoute au fond de ces notes plaintives,
Que l’on entend rouler comme les feuilles vives,
Qu’éparpille un grand chêne en frémissant au vent !

Pareille à votre haleine au travers du feuillage,
Douce comme un parfum dans la brise des bois,
Claire comme un cri d’ange égayant son voyage,
Le soir, dans nos échos tombe sa jeune voix,

Sonore, sensible, profonde,
Plus fraîche, plus souple que l’onde,
Versant sur les vains bruits du jour,
Ses rythmes ruisselans d’amour !

Et cette hymne d’en haut, juive ou napolitaine,
C’est l’oiseau dans les fleurs, c’est l’eau d’une fontaine,
Qui perle son cristal en répandant ses flots ;
C’est du ramier brûlant les nocturnes sanglots,
C’est d’un ciel entr’ouvert la promesse lointaine ;

Des chants de liberté forts à briser des fers,
À soulever un monde, à créer des armées,
À balayer des rois les ombres alarmées,
Jusqu’aux vésuves des enfers.

Et cette belle image, indécise, inconstante,
Qui dit : « Je ris… je souffre !… et je doute… et je crois ! »
Des peuples en douleur est-ce l’ombre flottante,
Qui tourne alentour de la croix ?

Quelle femme n’a peur aux flambeaux de l’orgie,
Secoués sur ce front sublime, échevelé ?
Où prend-il de ses cris la terrible énergie,
Dont l’incrédule est ébranlé ?

Robert ! poême errant, sombre et brillante étoile,
Esquif humain, battu sous une double voile,
Âme en peine volée aux mains de son auteur,
Et criant sur l’abîme : « À moi, mon Créateur ! »


Oui ! dans sa grande voix c’est la terre qui prie,
Qui baigne ta pitié des pleurs des malheureux ;
Qui rallume sa foi pour l’épancher sur eux :
Fais-le content ! mais laisse à ses chants douloureux,
Le charme des vrais pleurs et la force attendrie,
Qui traduit l’homme triste, et porte jusqu’à toi,
Mon Dieu ! l’âme qu’il brûle et qu’il entraîne à soi !

Ainsi perdue et seule au milieu de la foule,
Que son timbre appelait comme un fleuve qui roule,
Pour ce peuple orageux dont le flot se taisait,
Je priais dans mon âme et mon âme disait :

« Pourtant, mon Dieu ! ce monde est plein de belles choses !
Jamais de votre amour les ailes ne sont closes ;
Attentif et penché sur vos enfans en pleurs,
Vous leur semez toujours de l’espoir et des fleurs ! »



CANTIQUE DES MÈRES.


Reine pieuse aux flancs de mère,
Écoutez la supplique amère,
Des veuves aux rares deniers,
Dont les fils sont vos prisonniers :
Si vous voulez que Dieu vous aime
Et pardonne au geôlier lui-même,
Priez d’un salutaire effroi
Pour tous les prisonniers du roi !


On dit que l’on a vu des larmes,
Dans vos regards doux et sans armes ;
Que Dieu fasse tomber ces pleurs,
Sur un front gros de nos malheurs.
Soulagez la terre en démence ;
Faites-y couler la clémence ;
Et priez d’un céleste effroi
Pour tous les prisonniers du roi !

Car ce sont vos enfans, madame,
Adoptés au fond de votre âme,
Quand ils se sont, libres encor,
Rangés sous votre rameau d’or ;
Rappelez aux royales haines,
Ce qu’ils font un jour de leurs chaînes ;
Et priez d’un prudent effroi,
Pour tous les prisonniers du roi !

Ne sentez-vous pas vos entrailles,
Frémir des fraîches funérailles
Dont nos pavés portent le deuil ?
Il est déjà grand le cercueil !

Personne n’a tué vos filles ;
Rendez-nous d’entières familles :
Priez d’un maternel effroi
Pour tous les prisonniers du roi !

Comme Esther s’est agenouillée,
Et saintement humiliée
Entre le peuple et le bourreau,
Rappelez le glaive au fourreau ;
Vos soldats vont la tête basse,
Le sang est lourd, la haine lasse :
Priez d’un courageux effroi,
Pour tous les prisonniers du roi !

Ne souffrez pas que vos bocages,
Se changent en lugubres cages ;
Tout travail d’homme est incomplet ;
C’est en vain qu’on tend le filet,
Devant ceux qui gardent leurs ailes.
Pour qu’un jour les vôtres soient belles,
Priez d’un angélique effroi,
Pour tous les prisonniers du roi !


Madame ! les geôles sont pleines ;
L’air y manque pour tant d’haleines ;
Nos enfans n’en sortent que morts ;
Où commence donc le remords ?
S’il est plus beau que l’innocence,
Qu’il soit en aide à la puissance,
Et priez d’un ardent effroi,
Pour tous les prisonniers du roi !

C’est la faim, croyez-en nos larmes,
Qui, fiévreuse aiguisa leurs armes.
Vous ne comprenez pas la faim :
Elle tue, ou s’insurge enfin !
Ô vous ! dont le lait coule encore,
Notre sein tari vous implore :
Priez d’un charitable effroi,
Pour tous les prisonniers du roi !

Voyez comme la Providence
Confond l’oppressive imprudence ;
Comme elle ouvre avec ses flambeaux,
Les bastilles et les tombeaux ;

La liberté, c’est son haleine,
Qui d’un rocher fait une plaine :
Priez d’un prophétique effroi,
Pour tous les prisonniers du roi !

Quand nos cris rallument la guerre,
Cœur sans pitié n’en trouve guère ;
L’homme qui n’a rien pardonné,
Se voit par l’homme abandonné ;
De noms sanglans, dans l’autre vie,
Sa terreur s’en va poursuivie ;
Priez d’un innocent effroi,
Pour tous les prisonniers du roi !

Reine ! qui dites vos prières,
Femme ! dont les chastes paupières,
Savent lire au livre de Dieu ;
Par les maux qu’il lit en ce lieu,
Par la croix qui saigne et pardonne,
Par le haut pouvoir qu’il vous donne :
Reine ! priez d’un humble effroi,
Pour tous les prisonniers du roi !


Avant la couronne qui change,
Dieu grava sur votre front d’ange,
Comme un impérissable don :
« Amour ! amour ! pardon ! pardon ! »
Colombe envoyée à l’orage,
Soufflez ces mots dans leur courage :
Et priez de tout notre effroi,
Pour tous les prisonniers du roi.

Redoublez vos divins exemples,
Madame ! le plus beau des temples,
C’est le cœur du peuple ; entrez-y !
Le roi des rois l’a bien choisi.
Vous ! qu’on aimait comme sa mère,
Pesez notre supplique amère,
Et priez d’un sublime effroi,
Pour tous les prisonniers du roi !


Lyon, 1834



HORTENSE SELIGMANN,
morte à 12 ans.


C’est… hélas ! non, c’était la lointaine colombe,
Lasse d’un peu d’argile à ses pieds gracieux ;
Et la jeune passante a cherché sous la tombe
Son chemin pour rentrer aux cieux !



CANTIQUE DES BANNIS.
À Notre-Dame de Fourvières.
— 1835. —


Notre-Dame des voyages,
Du fond des moites nuages,
Faites sur notre manteau,
Scintiller votre flambeau :
Des monts éclairez la cime ;
À nos pieds montrez l’abîme,
Et soufflez-nous quelquefois,
Pour chanter, un peu de voix !


Vierge aux palais inconnue,
Dont le trône est sur la nue,
Sentiers mobiles et blancs,
Où montent nos vœux tremblans,
Quand les pauvres de la terre,
Cherchent l’eau qui désaltère,
Vierge ! entremêlez leurs pleurs,
D’un peu de miel et de fleurs !

Soutenez la femme blonde,
Suivant par la terre et l’onde,
Sur chaque bras un enfant,
Leur père à l’exil mouvant ;
Prètez-lui l’humble auréole,
Qui perce, épure, console,
De tristes maisons du roi
Où les prisonniers ont froid !

Dans les yeux de cette femme,
Mettez une sainte flamme,
Pour éclairer les cachots,
De rayons libres et chauds ;

Quand un captif la regarde,
Que cet ange qui le garde,
Dise à chacun de ses jours :
« Les rois un temps ; Dieu toujours ! »

Notre-Dame de la vie !
Tant priée et tant suivie,
Debout sur les flots errans,
Des jours comme nous courans,
Vous, la seule souveraine,
Abaissez vos mains de reine,
Sur votre peuple à genoux,
Puis après, pensez à nous !

Ce peuple est une grande âme,
Toute nue, ô Notre-Dame !
Dont la vie est un long deuil,
Et la chair un froid linceuil.
Chassez l’autan qui le couvre ;
Car je sens mon cœur qui s’ouvre,
Stérile aux chers malheureux,
Qui n’a que des pleurs pour eux !


Notre-Dame de Fourvières,
Rallumez quelques lumières,
Dans les ateliers éteints
D’un affreux silence atteints ;
Car le soir trop redoutable,
Monte étrange et lamentable,
Une lugubre clameur,
De ce grand corps qui se meurt.

Autant qu’on l’a fait à plaindre,
Qu’il serait bientôt à craindre,
Ce courage errant le soir,
Et qui tombe sans s’asseoir,
Si dans sa course affamée,
Vierge triste et bien-aimée,
Il n’avait peur de vos yeux,
Entre la mort et les cieux !

Si ce chrétien sous sa chaîne,
Ne buvait dans son haleine,

Avec l’air qui l’a nourri,
Votre nom pur et chéri,
Terrible avant de s’étendre,
Aurait-il le temps d’attendre,
Le front voilé d’un lambeau,
Son droit d’asyle au tombeau !

Enfin, si la pauvre voile
Sans boussole, sans étoile,
Poussée à d’autres hasards,
Attire vos doux regards,
Après ces graves misères,
N’oubliez pas les prières,
De ceux qui bannis toujours,
Rament leurs ans et leurs jours !

Inclinez-vous pour entendre,
Notre hymne sauvage et tendre,
Et que les bergers des champs,
Vendent leur lait à nos chants ;

Puis, soufflez à la souffrance,
L’air où nage l’espérance,
Vierge ! et plaignez ici-bas,
Les douleurs qu’on n’y plaint pas !


Lyon, …



LE LUXEMBOURG,
Au cœur de Béranger.


Jardin si beau devenu sombre,
Tes fleurs attristent ma raison,
Qui semblable au ramier dans l’ombre,
S’abat au toît de ta prison.
Mais à rêver j’ai passé l’heure ;
Vous qui nous épiez d’en bas,
Ce n’est qu’un pauvre oiseau qui pleure :
Sentinelle ! ne tirez pas.


Au pied des barreaux formidables
Qui voilent des parens perdus,
Comme à des songes lamentables,
De longs sanglots sont entendus :
Grâce aux sanglots qui bravent l’heure !
Vous qu’ils ont irrité là-bas ;
Ce n’est qu’un faible enfant qui pleure :
Sentinelle ! ne tirez pas !

Partout les lampes sont éteintes ;
Les bruits des verroux et des fers,
Sont étouffés comme les plaintes
De ces silencieux enfers.
Plus morne et plus lente que l’heure,
À genoux, qui donc est là-bas ?
Ce n’est qu’une femme qui pleure :
Sentinelle ! ne tirez pas !

Sous l’œil rouge du réverbère,
Quel est cet objet palpitant,
Près du guichet mordant la terre,
D’âme et de pitié haletant ?

Sourd au cri de l’homme et de l’heure…
Vous qui le menacez d’en bas,
Ce n’est qu’un pauvre chien qui pleure :
Sentinelle ! ne tirez pas !

Paix ! voici qu’on ouvre une porte :
C’est la mort traînant ses couleurs ;
Et l’humble bière qu’on emporte,
Brise en passant de pâles fleurs.
Quand du rebelle a frappé l’heure,
Qui donc ose bénir tout bas ?
Ce n’est qu’un vieux prêtre qui pleure :
Sentinelle ! ne tirez pas !



AMNISTIE.


Alors que pour l’hymen un palais s’illumine,
Alors qu’un jeune espoir en déride les murs,
Qu’une vierge lointaine avec ses rêves purs,
Ouvre ses bras d’épouse à l’époux qui s’incline,
Dieu leur parle à l’oreille et sous l’encens des fleurs
A demandé combien ils vont sécher de pleurs !

Ô prince ! écoutez Dieu ! votre avenir commence :
Pesez le premier pas, car ce pas est immense ;
Pardonnez ! pardonnez ! et vous saurez un jour,
Si l’on est roi long-temps, roi sacré par l’amour :
Vous saurez si Dieu veut que l’on donne sa vie
À qui donne en retour sa douce paix ravie :
Donnez-la ! ce géant fort à tout renverser,
Le peuple est un enfant qui veut vous caresser :
Ouvrez vos jeunes mains tièdes de pure joie,
Sur des cœurs enfermés que la tristesse noie !
Dans la foule qui chante, il est à votre seuil,
Des femmes aux pieds lents qui sortent d’un long deuil ;
Elles viennent de loin demandant quelque étoile,
Qui signale à vos yeux leurs pas et l’humble voile,
Dont elles ont pris soin d’amortir leur douleur,
Pour ne pas effrayer l’hymen de leur pâleur !

Cet hymen, qui dans l’air fait errer un sourire,
Qui colore et détend leur sévère horizon ;
Qui sur leurs jours émus balance votre nom
Et desserre leur voix pour dire :

« Vraiment ! Dieu nous prend en pitié ;
« Il n’abandonne pas qui prie !
« Un qui sera roi se marie ;
« Déjà le pardon chante et crie !…
« Vraiment ! c’est revivre à moitié !

« Déjà, d’inflexibles murailles,
« S’ouvrent les combles étouffans ;
« Fruits douloureux de nos entrailles,
« Sauvés de grandes funérailles,
« Nous allons ravoir nos enfans !

« La reine a tant fait, (elle est mère !)
« Par ses larmes, par ses raisons,
« Par son incessante prière,
« Que dans sa gloire moins amère
« Elle vient d’ouvrir les prisons !

Car son fils avait dit : — « Madame !
« Je suis triste dans mon bonheur :
« Sous les traits d’une jeune femme,
« Je crois que le ciel m’ouvre l’âme,
« Et je comprends mieux la douleur !


« La douleur captive, terrible,
« Qui fait une ombre sur mon jour ;
« Clouée, immobile, invisible,
« Ma mère ! c’est la plus horrible :
« Elle manque d’air et d’amour ! »

La reine pleura. C’est une ange,
Qui prenant son fils par la main,
S’en alla d’un courage étrange,
Dire à ceux qui font que tout change :
« Faites que tout chante demain ! »

Ce fut fait. Voilà que l’on porte
De l’air à nos fils malheureux !
Mais au bruit de la triple porte,
Qu’ouvre la pitié sans escorte,
Les voilà qui doutent entre eux.

Tout à coup, ivres de tendresse,
Jetant les lambeaux de leur deuil,
Au long cri d’une pâle ivresse,
Cet essaim libre qui se presse
Ouvre l’aile et franchit le seuil !


Et nous venons, faibles de larmes,
Nous, dont rien n’a lié les pas,
Jeter les débris de leurs armes,
Devant le pardon sans alarmes ;
Car le pardon ne tremble pas !

D’une grave cité, lointaines messagères,
Humbles ambassadeurs d’hommes fiers et soumis,
Nous venons demander avec nos voix de mères,
Du pain par le travail ; Dieu nous l’avait promis !

Le pardon viendra-t-il sur nos rives souffrantes,
Où la croix étancha tant de sang et de pleurs !
Oh ! viendra-t-il semer à nos terres mourantes,
Du travail ? de l’oubli ? de l’amour et des fleurs !



SOL NATAL.
À Monsieur Henry B…


Il sera fait ainsi qu’Henry me le demande,
Dans sa tristesse écrite à sa sœur la Flamande.

Il lui sera donné cette part de mon cœur,
Où la pensée intime est toute retirée,
Toute grave, et contente, et de bruit délivrée,
Pour s’y réfugier comme en un coin rêveur ;

Afin que s’il n’a pas auprès de lui sa mère,
Pour l’aider à porter quelque surprise amère,
Étonné de ce monde et déjà moins content,
Il ne dise jamais : « Personne ne m’entend ! »

N’est-il pas de ces jours où l’on ne sait que croire ;
Où tout se lève amer au fond de la mémoire ;
Où tout fait remonter les limons amassés,
Sous la surface unie où nos ans sont passés ?

Mémoire ! étang profond couvert de fleurs légères ;
Lac aux poissons dormeurs tapis dans les fougères,
Quand la pitié du temps, quand son pied calme et sûr,
Enfoncent le passé dans ton flot teint d’azur,
Mémoire ! au moindre éclair, au moindre goût d’orage,
Tu montres tes secrets, tes débris, tes naufrages,
Et sur ton voile ouvert les souffles les plus frais,
Ne font long-temps trembler que larmes et cyprès !
Lui ! S’il a de ces jours qui font pencher la vie,
Dont la mienne est partout devancée ou suivie,

S’il achète si cher le secret des couleurs,
Qui le proclament peintre et font jaillir les pleurs ;
Si tu caches déjà ses lambeaux d’espérance,
L’illusion trahie et morte de souffrance,
Qu’il ne soulève plus que la pâleur au front,
Dans ton flot le plus sombre engloutis cet affront :
Qu’il vienne alors frapper à mon cœur solitaire,
Où l’écho du pays n’a jamais pu se taire ;
Qu’il y laisse tomber un mot du sol natal,
Pareil à l’eau du ciel sur une herbe flétrie,
Qui dans l’œil presque mort ranime la patrie,
Et mon cœur bondira comme un vivant métal !
Sur ma veille déjà son âme s’est penchée,
Et de cette âme en fleur les ailes m’ont touchée,
Et dans son jeune livre où l’on entend son cœur,
J’ai vu qu’il me disait : « Je vous parle, ma sœur ! »

Là, comme on voit dans l’eau, d’ombre et de ciel couverte,
Frissonner les vallons et les arbres mouvans,
Qui dansent avec elle au rire frais des vents,
J’ai regardé passer de notre Flandre verte,

Les doux tableaux d’église aux montantes odeurs,
Et de nos hauts remparts les calmes profondeurs ;
Car le livre est limpide et j’y suis descendue,
Comme dans une fête où j’étais attendue ;
Où toutes les clartés du maternel séjour,
Ont inondé mes yeux, tant la page est à jour !
Puis, sur nos toits en fleurs j’ai revu nos colombes,
Transfuges envolés d’un paradis perdu,
Redemandant leur ciel dans un pleur assidu ;
Puis, les petits enfans qui sautent sur les tombes,
Aux lugubres arpens bordés d’humbles maisons,
D’où l’on entend bruïr et germer les moissons ;
Ils vont, les beaux enfans ! dans ces clos sans concierge,
Ainsi que d’arbre en arbre un doux fil de la vierge,
Va, dans les jours d’été s’allongeant au soleil,
Ils vont, comme attachant la vie à ce sommeil,
Que le bruit ne rompt pas, frère ! où l’oreille éteinte,
N’entend plus ni l’enfant ni la cloche qui tinte ;
Où j’allais, comme vont ces âmes sans remord,
Respirer en jouant les parfums de la mort ;
Sans penser que jamais père, mère, famille,
La blonde sœur d’école, ange ! ou fluide fille,

Feraient un jour hausser la terre tout en croix,
Et deviendraient ces monts immobiles et froids !
Ah ! j’ai peur de crier, quand je m’entends moi-même,
Parler ainsi des morts qui me manquent ! que j’aime !
Que je veux ! que j’atteins avec mon souvenir,
Pour regarder en eux ce qu’il faut devenir !

Quand ma mémoire monte où j’ai peine à la suivre,
On dirait que je vis en attendant de vivre ;
Je crois toujours tomber hors des bras paternels,
Et ne sais où nouer mes liens éternels !

Jugez si ce fut doux pour ma vie isolée,
Au chaume de ma mère en tout temps rappelée,
Par cet instinct fervent qui demande toujours,
Frère ! un peu d’air natal ! frère ! un peu de ces jours,
De ces accens lointains qui désaltèrent l’âme,
Dont votre livre en pleurs vient d’humecter la flamme ;
Jugez si ce fut doux d’y respirer enfin,
Ces natives senteurs dont l’âme a toujours faim !

D’y trouver une voix qui chante avec des larmes,
Comme toutes les voix dont j’ai perdu les charmes !
Vous ! loin de nos ruisseaux, si frais au moissonneur,
Avez-vous jamais bu votre soif de bonheur ?
Moi, jamais. Moi, toujours j’ai langui dans ma joie :
Oui ! toujours quand la fête avait saisi ma main,
La musique en pleurant jouait : « Demain ! demain !
Et mon pied ralenti se perdait dans sa voie.

Comme un rêve passager,
Partout où terre m’emporte,
Je ne trouve pas ma porte
Et frappe au seuil étranger :

Pour la faible voyageuse,
Oh ! qu’il fait triste ici-bas !
Oh ! que d’argile fangeuse,
Y fait chanceler ses pas !
Mais son âme est plus sensible,
Plus prompte, plus accessible,

Au gémissement humain ;
Et pauvre sur cette route,
Où personne ne l’écoute,
Au pauvre elle étend sa main !
Et des feuilles qui gémissent,
En se détachant des bois,
Et des sources qui frémissent,
Elle comprend mieux les voix :
Ce mystérieux bréviaire,
Lui raconte une prière,
Qui monte de toutes parts ;
Plainte que la terre pousse,
Depuis la rampante mousse,
Jusqu’aux chênes des remparts !

C’est alors qu’elle donne une voix à ses larmes,
Puisant dans ses regrets d’inépuisables charmes ;
C’est alors qu’elle écoute et qu’elle entend son nom,
Sortir d’un cœur qui s’ouvre et qui ne dit plus : Non !
Elle chante : un grillon dans l’immense harmonie,
Jette un cri dont s’émeut la sagesse infinie ;

Puis, montant à genoux la cîme de son sort,
Elle s’en va chanter, souffrir, aimer encor !

Ainsi, venez ! et comme en un pèlerinage,
On pressent le calvaire aux croix du voisinage,
Venez où je reprends haleine quelquefois,
Où Dieu, par tant de pleurs daigne épurer ma voix.
Apportez-y la vôtre afin que j’y réponde ;
La mienne est sans écho pour la redire au monde :
Je ne suis pas du monde et mes enfans joyeux,
N’ont encor bien compris que les mots de leurs jeux.
Le temps leur apprendra ceux où vibrent les larmes ;
Moi, de leurs fronts sans plis j’écarte les alarmes,
Comme on chasse l’insecte aux belles fleurs d’été,
Qui menace de loin leur tendre velouté.
Oh ! qu’il me fût donné de prolonger leur âge,
Alors qu’avec amour ils ouvrent mes cheveux,
Pour contempler long-temps jusqu’au fond de mes yeux,
Non mes troubles célés, mais leur limpide image ;
Toujours ravis que Dieu leur ait fait un miroir,
Dans ce sombre cristal qui voit et laisse voir !


Mais, je n’éclaire pas leurs limbes que j’adore,
Je me nourris à part de maternels tourmens ;
Leurs dents, leurs jeunes dents sont trop faibles encore,
N’est-ce pas, pour broyer ces amers alimens !
Ils vous adopteront si vous cherchez leur père,
Ce maître sans rigueur de mon humble maison,
Dont les jeunes chagrins ont mûri la raison ;
Et moi, lierre qui tremble à son toit solitaire !

Dans cette ville étrange où j’arrive toujours ;
Dans ce bazar sanglant où s’entr’ouvrent leurs jours
Où la maison bourdonne et vit sans nous connaître,
Ils ont fait un jardin sous la haute fenêtre ;
Et nous avons par jour un rayon de soleil,
Qui fait l’enfant robuste et le jardin vermeil !


Lyon, 1836.



QU’EN AVEZ-VOUS FAIT ?


Vous aviez mon cœur,
Moi, j’avais le vôtre :
Un cœur pour un cœur ;
Bonheur pour bonheur !

Le vôtre est rendu ;
Je n’en ai plus d’autre,
Le vôtre est rendu
Le mien est perdu !


La feuille et la fleur
Et le fruit lui-même,
La feuille et la fleur,
L’encens, la couleur :

Qu’en avez-vous fait,
Mon maître suprême ?
Qu’en avez-vous fait,
De ce doux bienfait ?

Comme un pauvre enfant,
Quitté par sa mère,
Comme un pauvre enfant,
— Que rien ne défend :

Vous me laissez là,
Dans ma vie amère ;
Vous me laissez là,
Et Dieu voit cela !


Savez-vous qu’un jour,
L’homme est seul au monde ?
Savez-vous qu’un jour,
Il revoit l’amour ?

Vous appellerez,
Sans qu’on vous réponde,
Vous appellerez ;
Et vous songerez !…

Vous viendrez rêvant,
Sonner à ma porte ;
Ami comme avant,
Vous viendrez rêvant.

Et l’on vous dira :
« Personne !… elle est morte. »
On vous le dira :
Mais, qui vous plaindra !



L’AUMÔNE AU BAL.


L’harmonie et les fleurs,
Les doux parfums de femmes,
Le lustre aux mille flammes,
La mode aux cent couleurs ;
C’est le bal ! c’est la vie !
C’est la danse suivie,
D’espoir, d’enchantemens,
D’aveux et de sermens.


— « Une aumône ! une aumône !
Madame qui dansez, Dieu réchauffe vos pas :
Madame au collier d’or, ouvrez la main qui donne,
Sur l’hiver de la rue et les pauvres d’en bas ! »

Mais le bal est riant,
La walse est énivrante,
La course délirante
Et l’orchestre bruyant ;
La gaîté se colore,
Et tourne et passe encore
Devant l’eau du miroir,
Qui rit de la revoir.

— « Une aumône ! une aumône !
Madame qui dansez, Dieu réchauffe vos pas ;
Madame au collier d’or ! ouvrez la main qui donne,
Sur l’hiver de la rue et les pauvres d’en bas ! »

Sous les feux répandus,
L’hiver même a des charmes ;

Que d’attraits sous les armes !
Que de bouquets perdus !
Mais, suspendez la danse ;
Le pied perd la cadence ;
Et la femme et la fleur,
S’inclinent de chaleur…

— « Une aumône ! une aumône !
Madame qui dansez, Dieu protège vos pas ;
Madame au collier d’or ! ouvrez la main qui donne !
Sur l’hiver de la rue et les pauvres d’en bas ! »

Où va-t-elle en rêvant,
Cette femme aux pieds d’ange,
Dont le front rose change,
Comme l’eau sous le vent ?
— « Ouvrez cette fenêtre,
Oh ! Laissez-moi renaître !… »
Et de son front charmant,
Elle ôte un diamant.


— « C’est l’aumône ! l’aumône !…
Madame ! allez danser, Dieu réchauffe vos pas !
La dame au collier d’or ouvre sa main qui donne
Sur l’hiver de la rue et les pauvres d’en bas ! »



BOÏELDIEU.


Toujours quelque cyprès se cache dans nos fleurs ;
Toujours les noms aimés sont arrosés de pleurs !

Boïeldieu ! ton nom seul nous fut une caresse :
Qui de nous n’a chanté les chants de ta jeunesse ?
Qui ne porte avec soi dans un frais souvenir,
Tes cantates d’amour volant vers l’avenir ?
Chaque note échappée à ta lèvre suave,
Chaque songe attendri que modula ton cœur,

Bondissant de musique ou poignant de langueur,
Enchante l’homme libre ou fait pleurer l’esclave :
L’adolescent rêveurt te gémit dans les bois ;
Sur ses vœux oppressés ta romance murmure,
Car les ruisseaux n’ont pas une grâce plus pure,
Que la grâce qui coule aux hymnes de ta voix !

Aussi, ta gloire est sainte entre toutes les gloires ;
Jamais un fiel amer n’en corrompit le cours ;
Tu n’eus que des amis au monde ! et tes beaux jours
Sont encor chauds et doux au fond de leurs mémoires !

Et ta cité s’émeut ! la Normande aujourd’hui,
S’éveille et veut ton cœur et le nom de ta mère !
Qu’a-t-elle répandu sur l’indigent ennui,
Qui te rendit la gloire amère ?

Elle ! qui marchanda les traits de son enfant,
Qu’une savante main incrusta sur l’albâtre ;
Elle ! qui t’ignorait, quand la France idolâtre,
Lui jeta ton nom triomphant !


Ô richesse dormeuse, es-tu partout la même ?
Boïeldieu ! sur le sol où séchait ton laurier,
Écoute ! au toit du pauvre et dans l’humble atelier,
Écoute si c’est là qu’on te pleure et qu’on t’aime !

À ton corps qui n’a plus qu’un cercueil pour gardien,
Qui donc ose arracher le cœur qui fut si tendre ?
Couronnement hardi ! ne pouvait-on attendre,
Que le temps sous la tombe ait dissous leur lien ?

Tout mon être a pris froid devant cette œuvre étrange,
Comme si l’on brisait une fibre à mon cœur.
L’espérance est pieuse ! et voit avec terreur,
Déchirer l’enveloppe où s’enfermait un ange !

Sur tant de pleurs chantés, dans les cieux attendus,
Les encensoirs chrétiens n’ont pas brûlé leur flamme :
Mais, les sanglots poussés au départ de ton âme,
Ton âme qui montait, les a tous entendus !


Oui ! l’église d’en haut t’ouvrait une chapelle,
Sans porte ! temple immense où ton auteur t’appelle ;
Plein d’anges rougissans de tes maux d’ici-bas,
Qui tendaient à ton vol leurs ailes et leurs bras !

Alors que pour l’un d’eux l’éternité s’allume,
Qu’importe qu’à ses pieds un cierge se consume ?

Là, qui l’a demandé : « D’où viens-tu Boïeldieu ? »
Le rossignol sait-il l’arbre de sa naissance ?
Un sonore univers vibra sous sa puissance ;
Tombé du ciel, il chante et s’en retourne à Dieu !



L’ENFANT ET LE PAUVRE.


« Mère ! faut-il donner quand le pauvre est bien laid ?
Qu’il ne fait pas sa barbe et qu’elle est toute noire,
Et qu’il ne dit pas s’il vous plaît ?

Faut-il donner ?

— Mon fils, tu n’as pas de mémoire :
Le pauvre qui demande est l’envoyé de Dieu ;
Qu’importe s’il a fait sa barbe et sa parure ?
Il est beau du malheur écrit sur sa figure ;
C’est là son passeport, trop lisible en tout lieu !

Mais, s’il est malhonnête ?

Mais, s’il est malhonnête— Il ne l’est pas, s’il pleure,
Si son regard te dit : J’ai faim !
Veux-tu qu’il se prosterne en te tendant la main ?
C’est l’envoyé de Dieu qui nous guette à toute heure.
Que ses lambeaux sacrés ne te fassent pas peur ;
Il vient sonder ton âme avec son infortune ;
Le mépris pour le pauvre est la seule laideur,
Qui m’épouvante ou m’importune.

Dieu sur toi lui donne un pouvoir,
Bien au-dessus de la parole !
Le jour où l’enfant le console,
Par une colombe qui vole,
Dieu le sait bien avant le soir !

Lui qui dit aux heureux du monde :
« — Donnez pour qu’il vous soit remis ;
Et plus votre voie est profonde,
Pour que partout on vous réponde,
Prenez les pauvres pour amis ! »

Juge quand un enfant verse sa fraîche aumône,
À ce chercheur d’eau vive, et qu’il lui dit : bonjour !
Comme au Christ altéré sous son âpre couronne,
Du ciel, dont il a soif, tu lui rends le séjour.

Oh ! que ne puis-je dire à toute pauvre femme :
Prenez !
Comme l’instinct me crie à toute heure dans l’âme.
Donnez !

Oh ! que j’allègerais de ces errantes mères,
Le sort !
Si Dieu changeait mes pleurs et mes pitiés amères,
En or !

Aux petits enfans nus, chauffés de leur haleine,
Si peu !
Je ferais, comme Dieu fait aux agneaux la laine,
Du feu !


Mais je regarde en haut pour que l’aumône pleuve,
Souvent ;
Pour que toute humble barque entre au port sous l’épreuve
Du vent !

Pour que l’abandonné, lavant avec ses larmes,
Son sort,
Les plonge dans la foi, qui rend belle et sans armes,
La mort !

Je regarde la croix qui saigne et qui pardonne,
Toujours !
La croix qui crie encor : Pour mon sang donne ! donne,
Tes jours ! »
 
— Le Christ est beau ! je l’aime et je joue au Calvaire,
Où j’ai fait un jardin tout bleu de primevère ;
Mais les pauvres font peur. Mère ! si j’étais roi,
Mes pauvres, aux enfans ne feraient point d’effroi :

Ils n’auraient jamais faim de cette faim qui pleure,
Et ma colombe à Dieu l’irait dire à toute heure :
L’hiver, ils n’auraient point un âtre sans charbon ;
De longs jours sans manteaux, de longs soirs sans lumière ;
Je leur ferais des lits dans de tièdes chaumières,
Et des habits qui sentent bon !

— Cher petit perroquet ! comme tu parles vide !
Leur roi, c’est Dieu : La terre est leur froide maison.
Dieu regarde d’en haut si le plus fort avide,
Ne prend pas au plus faible un grain de sa moisson :
Un jour il pèse, il juge ! autour de sa balance,
Les semeurs dépouillés se rangent en silence ;
Le pauvre a recouvré le grain qu’il a perdu,
Et le plus fort est confondu.
N’ai-je pas lu cela dans tes leçons apprises ?

— Oui. Mais ne gronde pas ; j’ai donné tout mon pain,
Et la moitié de mes cerises !

— Viens donc que je te baise. Alors, sur le chemin,
N’as-tu pas vu passer des ailes de colombe ?
Toi si peu ! tu soutiens un homme qui succombe !

— J’ai dit, bonjour !

— J’ai dit, bonjour ! — Tu fais ce que nous avons lu :
Dieu dit : puisez l’aumône à votre superflu.

— Du superflu, ma mère, en ai-je ?
— Du superflu, ma mère, en ai-je ? — C’est possible :
Au bord de l’indigence on se sent riche, hélas !
Le superflu, tu vois, c’est pour l’être sensible,
Tout ce que les pauvres n’ont pas !



LES ROSEAUX.
À ma Sœur.


Deux roseaux, dans les airs entrelaçaient leurs jours
Et leurs nuits ; ils pliaient, ils balançaient leur tête
Ensemble ; agenouillés aux pieds de la tempête,
Ils ne se faisaient qu’un pour être à deux toujours !

L’amitié n’eut jamais de plus étroite chaîne
Au monde ; on n’a rien vu de mieux uni jamais ;
On eût dit qu’ils s’aimaient jusqu’à manquer d’haleine ;
Je ne les plaignais pas d’être roseaux, j’aimais !


Et de ce frais hymen montait une harmonie,
Qui parlait ! qui chantait ! triste, intime, infinie,
Quand leur sort haletant demandait au soleil,
De leur donner un jour, encore un jour vermeil !

Sitôt qu’apparaissaient l’aube et sa sœur l’aurore :
« Quel bonheur ! disait l’un, je vois le ciel encore,
Je vous vois ! » L’autre aussi répondait : « Quel bonheur !
Mais j’étais bien pourtant, j’étais sur votre cœur ! »

Le vieux chêne au cœur dur, vert géant du rivage,
De son calme escarpé souriait de les voir :
On ne peut contempler l’amour sans s’émouvoir,
Et tout célibataire a rêvé d’esclavage
De cette molle étreinte où tremblaient les roseaux,
Battus des mêmes vents, lavés des mêmes eaux.
Souvent d’un rossignol la nocturne prière
Descendait se mouiller dans leurs frissons charmans ;
Souvent, quelque âme veuve y pleura la dernière,
Avant de s’envoler où vont les vrais amans.


Hélas ! il est des traits d’innocence naïve
Qui font pleurer le cœur, et je crois que c’est Dieu,
Dont la main les répand comme une source vive,
Pour nous dire, aimez-moi ! je le lis en tout lieu !

Un homme passe : adieu l’union solitaire,
Adieu la pauvre amour, doux ciment de la terre !
L’homme passe et dans l’air veut souffler une voix ;
L’homme est triste ; un roseau va gémir sous ses doigts.

Leurs nœuds entrelacés dans l’eau se déchirèrent :
Du roseau qui s’en va les racines pleurèrent.
Enhardi de frayeur, l’autre voulut courir ;
Il tomba : tomber seul, c’est tomber pour mourir !



À MADAME A. TASTU.


Si vous ne dormez pas, jetez-moi vos paroles,
Ma sœur ! comme au banni les divines oboles ;
Chantez-moi de vos nuits les songes palpitans.
Et soulevez un peu le froid manteau du temps ;
C’est l’hiver, c’est l’absence et puis, toujours une âme,
Au souffle de l’orage éparpillant sa flamme ;
Étendez votre main entre elle et l’ouragan,
Vous ! dont la lampe est haute et calme sous l’autan ;
Vous ! dont l’âme relève une voix qui soupire,
Envoyez-moi votre âme afin que je respire ;

Versez un peu d’eau pure à mon sort altéré,
Vous ! qui tenez du ciel ce don frais et sacré ;
Comme une fleur sauvage a soif de l’aube humide,
Mon souffle est altéré de ce trésor limpide,
Quand votre voix l’exhale en de si purs accens,
Qu’on s’incline à l’écho de vos jours innocens :

Chantez ! tournez vers moi l’harmonieuse offrande,
C’est là votre richesse et je vous la demande ;
Non pas toute ; vraiment ! il est tant de malheurs,
Qui frappent à la porte où l’on répand des pleurs !
Des pleurs ! mélodieux comme un ange en accorde,
Qui vous font belle ! et sœur de la miséricorde !
Et Dieu vous bénira, lui, qui vous a donné
Pour votre exil de femme un cœur tout pardonné,
Que ne tourmentent pas deux ailes affaiblies,
Pour égarer l’essor de vos mélancolies.
Je suis trop buissonnière, et ce n’est pas aux champs,
Qu’il faut aller apprendre à moduler ses chants ;
Il faut, ce qui me manque, une sévère école,
Pour livrer sa pensée au vent de la parole.

Moi, seule en mon chemin et pleurante au milieu,
J’ai dit, ce que jamais femme ne dit qu’à Dieu ;
Comme un oiseau dont rien n’avait noué les ailes,
Prompte aux illusions, m’envolant après elles,
Facile à me créer des thèmes ravissans,
J’ai chanté comme vrais bien des bonheurs absens :
Ma sœur ! priez pour moi si c’est mal ; si l’étude,
N’a pu prendre au réseau ma flottante habitude ;
Si, dans mon ignorance un trait prêt à jaillir,
Sent au fond de ma voix la parole faillir :
Je n’ai pas eu le temps de consulter un livre,
Pour ciseler les cris dont mon sein se délivre ;
Mais, qu’une plume reste à l’oiseau mutilé,
Il s’en fait une rame à son port étoilé !

Aussi me l’a-t-on dit : « Restez dans vos voyages ;
Hirondelle sans nid et pliante aux orages,
Pourquoi vous obstiner à revenir toujours,
Jeter l’ancre où les flots n’ont plus ni flux ni cours ?
Vous chantez sous le ciel ; que le ciel vous réponde :
Nous avons nos jardins ; vous, vous avez le monde ;

On meurt partout, allez. « Que leur répondre ? rien ;
Doucement leur sourire, et m’en aller. » Eh ! bien :
Vos vers, du moins, vos vers ! afin que la nature,
L’haleine des ruisseaux, leur bruit dans la verdure,
Le jour douteux et blanc dont la lune a touché
Tout ce ciel que je porte en moi-même caché,
Se relèvent de joie et des sons d’une lyre,
Qui m’aide à m’oublier quand je viens de vous lire,
Et Dieu vous bénira, qui dans vos chastes yeux,
Infiltra le symbole et la teinte des cieux :
Lui ! qui vous départit cette force tranquille,
Ce courage sans bruit de vous faire un asile,
Partout, où de vos fleurs broyant les frais tableaux :
Rien ne vous a forcée à les jeter aux flots ;
Si votre livre, au temps porte une confidence,
Vous n’en redoutez pas l’amère pénitence ;
Votre vers pur n’a pas comme un tocsin tremblant ;
Votre muse est sans tache et votre voile est blanc !
Et vous avez au faible une douceur charmante !

Faible aussi sous un cœur dont le poids me tourmente,

M’écoutant vivre encor près de l’âtre désert,
N’élevant plus qu’en moi mon timide concert ;
Sur un rythme qui pleure asseyant ma pensée,
Ma tête dans mes mains lentement balancée,
Devant le bois qui s’use et qui sert de flambeau,
Seule ! à me croire encor seule comme au tombeau,
Au cher petit tombeau dont j’ai tant vu la terre,
Et la mousse et les fleurs, et la croix solitaire,
Que sa forme partout s’élève devant moi,
Et quand je veux chanter me demande pourquoi :
Pourquoi ! c’est qu’on voudrait vivre encor de la vie,
Quand on a tant pleuré sa belle fleur ravie ;
C’est qu’on voudrait se prendre à quelque autre roseau
Mais le moindre, ma sœur, ne peut croître sans eau !

Allons, votre hymne ! allons, vos vers ! doux chœur d’abeilles,
Qui revenant des fleurs bruït à mes oreilles ;
S’emporte à l’avenir et chante dans le vent ;
Vrais accords de la muse à qui je dis souvent :

Pourquoi me tentez-vous, ô belle poésie !
Je ne sais rien. Pourquoi par vos mots d’ambroisie,
Arrêtez-vous, mon âme au bord de mes travaux
Et de ma main rêveuse ôtez-vous mes fuseaux ?
Je vous aime partout : mais stérile écouteuse,
Ma raison n’eut jamais qu’une clarté douteuse ;
Et j’ai peur de répondre et de laisser vibrer
Ma plainte dans des chants qui m’ont fait tant pleurer !
Est-ce au front incliné d’une vulgaire femme
Que vous devez ainsi secouer votre flamme ?
Aux soucis du ménage, au berceau qui s’endort,
Est-ce à moi de lier ma vie à vos fils d’or ?
Laissez-moi seule et pauvre, et mère vigilante,
Me débattre avec l’heure ou faites-la plus lente ;
Laissez tomber sans voix les larmes de mes yeux,
Qui cherchent leur chemin pour arriver aux cieux !



LE LIVRE DE MA FILLE YNÉS.
Conte d’Enfant.


Dieu bénit les enfans qui vont vite à l’école ;
Peut-on sans les aimer les regarder courir !
On les croirait poussés par quelque ange qui vole,
Qui de leurs blonds cheveux leur souffle une auréole,
Frappe à la lourde porte et les aide à l’ouvrir.


J’en sais un dont la mère, humble femme, est heureuse,
Et qui chante toujours avec ses cheveux blancs :
La reine dans ses fils est moins ambitieuse,
Que cette pauvre femme agitée et joyeuse,
Qui regarde voler deux petits pieds brûlans.

« La réputation commence avec la vie.
A-t-elle dit un jour à son précoce enfant :
Cette échelle mouvante où monte aussi l’envie,
L’école grandira de mémoire suivie,
Et sera d’aujourd’hui le registre vivant.

Marche donc ! marche droit sans retourner la tête.
Qui s’amuse au présent retarde l’avenir.
Tends les mains jour par jour aux leçons qu’il t’apprête ;
Jeune, saute à pieds joints l’obstacle qui t’arrête ;
Vieux, va t’asseoir paisible au banc du souvenir.

Moi, j’y suis. Moi pourtant, j’apprends encor ; je t’aime !
Je cherche dans un coin de mon passé perdu,
Quelque fruit mis à part, stérile pour moi-même,
Car il fut, mon passé, d’une avarice extrême ;
Mais s’il te fait moins pauvre, il m’aura tout rendu ! »


Et l’on parla bientôt jusqu’au bout de la rue,
De l’enfant régulier qui savait l’heure. « Allons !
Voilà René qui passe et la nuit disparue ;
Voilà son cri de coq et l’aurore accourue ;
En route ! » et vers la ruche on poussait les frêlons.

René, c’était l’abeille, et jamais buissonnière.
Un jour, un seul, son banc le réclama long-temps :
C’est la première fois !… « Sera-ce la dernière ? »
Cria le maître aigri dans l’heure prisonnière.
Et les plus paresseux riaient, fiers et contens !

Ce jour même aux rayons d’un soleil couleur d’ambre,
On trouva deux enfans que l’on croyait perdus.
Un saule, aux bras ouverts leur a servi de chambre,
Et sur le blanc tapis que leur a fait décembre,
On dirait, de leur toit, deux ramiers descendus !

Le plus grand, c’est René. Le plus beau, c’est ma fille ;
Ange rôdeur qui boude à s’instruire avec nous ;
Qui va cacher son livre au fond de la charmille,
Qui ne veut point d’école au sein de la famille :
Qui se choisit un maître et l’écoute à genoux !


Cendrillon les absorbe ! ils ont contre la bise,
D’une haleine d’enfant l’innocente chaleur.
L’un par l’autre emportés de surprise en surprise,
René veut qu’on épèle ; et ma fille qu’on lise
Tout !… comme on veut d’un champ voir la dernière fleur !

Liberté ! tu fais peur aux rois : sois douce aux mères !
Donne un jour ta main droite à nos jeunes garçons ;
Tiens ces hommes enfans loin des molles chimères :
Nous, pour qui la nature a des lois plus amères,
Laisse-nous, de leurs sœurs enfermer les leçons !



LE RÊVE DU MOUSSE.



Un homme à la mer !
Un homme à la mer !
      Marine. —


Dans le port de Marseille,
Un courageux enfant,
Comme une humide abeille,
Fut poussé par le vent.
Tombé de la tartane,
Qui s’envole sans lui,
Il frappe à sa cabane,
Dont l’humble phare a lui ;

— « Qui m’éveille à telle heure ? »
Dit la vieille, qui pleure
Son mousse, errant sur l’eau :
— C’est moi ! moi, ma mère !… Oh !
Que le réveil est beau !

L’air était froid, ma mère ;
Oh ! comme il était froid !
La brise était amère,
Sur la flotte du roi ;
Mais au fond de mon âme,
Dans des flots de soleil,
Marseille aux yeux de flamme,
Réchauffait mon sommeil :
Lorsqu’une blanche fée,
De vos voiles coiffée,
M’appelle au fond de l’eau…
Mais, bon jour, ma mère ! Oh !
Que mon rêve était beau !

« Viens ! m’a dit votre image ;
L’eau seule est entre nous ;

Trop vite, ton jeune âge
A quitté mes genoux.
Viens ! que je berce encore
Tes rêves de printemps ;
Les flots en font éclore,
Qui nous calment long-temps ! »
Et mon âme étonnée,
Se réveille entraînée
Par les baisers de l’eau…
Mais, bon jour, ma mère ! Oh !
Que mon rêve était beau !

La flotte aux grandes ombres
En silence glissa ;
Avec ses ailes sombres,
Mon vaisseau s’effaça :
Sous sa lampe pieuse,
Sans cesser de courir,
La lune curieuse,
Me regardait mourir :
Je n’avais pas de plainte ;

Trois fois ma force éteinte
S’évanouit dans l’eau…
Mais, bon jour, ma mère ! Oh !
Que mon rêve était beau !

C’en était fait du mousse,
Mère ! sans votre voix ;
Sa clameur forte et douce,
Me réveilla trois fois :
Sous les vagues profondes,
En vain nageait la mort ;
Vos doux bras sur les ondes,
Me poussaient vers le port ;
Et votre âme en prière,
Semait une lumière
Entre le ciel et l’eau…
C’est moi ! moi, ma mère ! Oh !
Que le réveil est beau !



LA FIANCÉE DU MATELOT.
À madame Frédéric Lepeytre.
MARSEILLE.


Jardin de ma fenêtre,
Mon seul encens à moi,
Avril t’a fait renaître ;
N’est-il bon que pour toi !
Tes fleurs moins chancelantes,
Se reparlent tout bas ;
Et moi, je sais deux plantes,
Qu’il ne réunit pas !


Combien de jours de fête,
Ont regardé mes pleurs,
Sans relever ma tête,
Pensive sur tes fleurs !
Mais celui qui fait l’heure,
Pèse mon temps amer ;
Il voit l’ombre où l’on pleure
Comme il voit dans la mer.

Ce soir, une hirondelle,
Qui descendait des cieux,
A frolé de son aile
Tes volets gracieux ;
Ta fraîche palissade
A tremblé sous son cœur ;
Vient-elle en ambassade
De la part du bonheur ?

Sans lune et sans étoile,
Quand la nuit teint les flots,

J’allume sous ton voile,
Ma lampe aux matelots,
Afin que cette flamme
Qui s’épuise ardemment,
Comme un peu de mon âme,
Attire mon amant !

Dans la nuit ignorée,
Où Dieu me le rendra,
Vers ma vitre éclairée,
Son regard montera,
Bientôt si ma neuvaine,
Au bout d’un an… perdu !
Ma lampe le ramène
À ton sol suspendu.

Dans le port, si le phare
Mourait avant le jour,
Au marin qui s’égare,
Montre au loin son séjour ;

Il sait qu’à ma fenêtre,
Toujours comme aujourd’hui,
Tes fleurs qu’il a fait naître,
S’illuminent pour lui !



LA FIANCÉE ET LE CHOLÉRA.
MARSEILLE.


« Sur le navire en quarantaine,
Entendez-vous de tristes voix ?
La voix d’Arthur, grave et lointaine,
Ma mère ! soyez-en certaine,
A frappé la grève trois fois !


L’absence est presque le veuvage ;
Mais moins seul à l’heure du soir,
Il sait bien qu’au bord du rivage,
Pour saluer son esclavage,
Nous venons souvent nous asseoir,

Ma mère ! écoutez comme il chante :
On dirait qu’il pleure après moi.
Las de la chaleur desséchante,
Sous la lune rouge et méchante,
Je jurerais que je le vois !

Qu’il dorme à la cloche qui pleure
Et sonne au port le couvre-feu ;
Qu’un tableau plus riant l’effleure ;
Pour lui laisser oublier l’heure,
Je veux bien qu’il m’oublie un peu !

Que de Marseille la charmante,
Il rêve les fruits et les fleurs ;
Qu’assoupi loin de la tourmente,
Il écoute ma voix d’amante,
Mais qu’il n’entende pas nos pleurs !


Près du fanal de l’habitacle,
Il est assis ; c’est le premier !
Si Dieu voulait faire un miracle,
Pour glisser sur l’humide obstacle,
J’aurais les ailes du ramier !

Ramier ! ramier ! dont la tristesse
Jette un sanglot tout près de nous,
Nous mourons aussi de tendresse ;
Prends mon âme ! et dans ta vitesse,
Va la poser sur ses genoux !

Va toucher parmi ces fronts mâles,
Le plus jeune chargé d’ennui ;
S’il a bu les fièvres fatales,
Baise pour moi ses lèvres pâles,
Et viens me baiser après lui !

Mais le canon de la vigie,
Vainement t’a fait tressaillir :
Dans une tendre léthargie,
Ton veuvage se réfugie ;
L’isolement fait tant vieillir !


Et voilà les cris des églises,
Qui surmontent le bruit des flots ;
En pitié si nos croix sont prises,
Ma mère ! les célestes brises,
Nous rendront tous nos matelots !

Leur nautonnier, vers la chapelle,
Navigue tout chargé de vœux ;
Aux pieds du pouvoir qu’il appelle,
Moi, pauvre amoureuse mortelle,
J’ai sa bague et ses longs cheveux !

Des cierges voyez-vous les flammes,
Monter aux vitraux attiédis ?
Ô ma mère ! on dirait des âmes,
Qui viennent de rompre leurs trames,
Et veulent un de profundis !

Dans votre piété qui tremble,
Ne dites plus : « Heureux les morts ! »
C’est tenter Dieu qui nous rassemble :
S’il ne brisait trois cœurs ensemble,
Votre vœu serait un remords !


Sainte vierge ! quelle soirée !
On porte le bon Dieu partout !
La mort souffle avec la marée,
Et seul, dans Marseille éplorée,
Le fléau qui tue est debout !

Allumez toutes vos étoiles,
Patronne des mouvans séjours :
Que vos anges tissent des toiles,
Pour que le fléau dans les voiles,
S’éteigne avant quarante jours !

Arthur ! Arthur !… » Amour de femme,
N’eut jamais de cri plus fervent :
Heureux Arthur ! la voix et l’âme,
Roulèrent comme un bruit de lame,
Dans son rêve ému par le vent.

Et le ciel s’étoila paisible,
Comme si le ciel écoutait :

Mais le sort n’est jamais lisible,
Et le spectre au vol invisible
Emporta l’âme qui chantait !



LA FONTAINE.
de Thomas Moore.


L’amour, encor enfant descendait dans nos fleurs,
Travailler aux filets des jeunes oiseleurs ;
Un jour, las des oiseaux qui chantaient dans leur cage,
Ce nouveau-né tout nu s’envola du boccage.

Là-bas, une guirlande appendait aux ormeaux ;
Une eau lente et troublée en mouillait les rameaux ;
Amour dit : « Je connais cette belle couronne :
Le plaisir l’a perdue, et moi je me la donne ! »


Jamais il n’a rien vu qu’il n’ait voulu l’avoir.
Mais un Dieu si nouveau ne pouvait pas savoir,
Que la douleur pleurant sur des fleurs éphémères,
Avait fait le ruisseau de ses larmes amères.

Il saisit la guirlande en tremblant de désir,
Comme un jeune garçon quand il veut le plaisir.
Elle tomba dans l’eau, par le choc effeuillée,
Et l’enfant l’en tira toute froide et mouillée.

Pourtant, ce frais larcin qu’il porte nuit et jour,
Parce qu’il fut volé, reste cher à l’amour.
Mais le bandeau trempé de lumière et de charmes,
Retient le goût amer de la fontaine aux larmes !



UN BOUQUET DE FEMME.


Partez, Arnold ! faites un long voyage ;
Ce ciel de feu vous brûlerait le cœur ;
Déjà vos yeux surchargés de langueur,
N’enferment plus le rire de votre âge :
Vingt ans et triste : Ah ! vous me faites peur !


Partez, Arnold ! sauvez votre pensée,
Au sol natal qui pleure vos printemps ;
Votre ennemi vous laisse peu d’instans,
Si c’est d’amour que votre âme est blessée.
Est-il si doux de mourir à vingt ans !

Partez, Arnold ! détachez de votre âme,
Ce bouquet blanc au venin parfumé.
Cherchez des fleurs sous un ciel désarmé :
N’en cueillez plus sur le cœur d’une femme ;
Ce pauvre cœur où l’on grava : « Fermé ! »



UN BILLET DE FEMME.


Puisque c’est toi qui veux nouer encore
Notre lien,
Puisque c’est toi dont le regret m’implore,
Écoute bien :
Les longs sermens, rêves trempés de charmes,
Écrits et lus,
Comme Dieu veut qu’ils soient payés de larmes,
N’en écris plus !


Puisque la plaine après l’ombre ou l’orage,
Rit au soleil,
Séchons nos yeux et reprenons courage,
Le front vermeil.
Ta voix, c’est vrai ! se lève encor chérie,
Sur mon chemin ;
Mais ne dis plus, à toujours ! je t’en prie ;
Dis : à demain !

Nos jours lointains glissés purs et suaves,
Nos jours en fleurs ;
Nos jours blessés dans l’anneau des esclaves,
Pesans de pleurs ;
De ces tableaux dont la raison soupire,
Ôtons nos yeux,
Comme l’enfant qui s’oublie et respire,
La vue aux cieux !

Si c’est ainsi qu’une seconde vie,
Peut se rouvrir,
Pour s’écouler sous une autre asservie,
Sans trop souffrir,

Par ce billet, parole de mon âme,
Qui va vers toi,
Ce soir, où veille et te rêve une femme,
Viens ! et prends-moi !



AU POÈTE.


Quand chacun, tout fini, s’en alla de son bord,
Oh ! dites ! du cercueil de cette jeune femme
Ou du sentiment mort, abimé dans notre âme,
Lequel était plus mort ?

Sainte Beuve. —


Au-devant de cet hymne et si grave et si tendre,
Que les cœurs dévastés seuls ont le droit d’entendre,
Par mes enfans cachée aux dédains de mon sort,
Demandant à la vie un chant avant la mort,
Je venais me signer sur le seuil de votre âme ;
Elle est fermée ; et moi, mère, timide et femme,
Je n’appellerai pas deux fois : je frapperai,
Et si vous n’ouvrez pas, triste, je m’en irai.

Puis, seule comme vous, je fermerai ma porte :
Agenouillant mon cœur sur quelque amitié morte,
Je causerai tout bas avec votre âme encor,
Car, du plus malheureux votre âme est le trésor,
Et son livre est à moi, comme l’écho qui pleure.
Oui ! vous avez en vous, j’y rêvais tout à l’heure,
Ces mots inattendus que ne sait pas l’esprit,
Comme en ont les enfans, et que Dieu vous apprit !

Oui ! vous avez souffert de la même blessure,
Dont rien, rien, n’est-ce pas, ne ferme la morsure ?
Si bien, que je ne sais, si c’est par amitié
Pour vous, que je vous aime, ou bien, dans ma pitié
Pour moi, que j’ai tant lu ce livre empli de charmes,
Et le relis tout haut pour écouter mes larmes !



SOLITUDE.


Pour me plaindre ou m’aimer je ne cherche personne ;
J’ai planté l’arbre amer dont la sève empoisonne.
Je savais, je devais savoir quel fruit affreux,
Naît d’une ronce aride au piquant douloureux.

Je souffre, je me tais. Je regarde sans larmes,
Des yeux pour qui mes pleurs auraient de si doux charmes :
Dans le fond de mon cœur je renferme mon sort ;
Et mon étonnement et mes cris et ma mort.

Vous qui m’offrez des vœux dans vos pitiés tranquilles
Pour vos dévotions cherchez d’autres asyles ;
Portez dans l’avenir ce vœu si vrai ! si beau ;
Allez-en quelque jour insulter mon tombeau :
La pierre, sans frémir subira cette injure.
Mais je vis ! mais j’échappe à vos perfides bras ;
Mais la pitié qui ment dans une voix parjure,
Ne vaut pas une tombe à l’abri des ingrats



UN PAUVRE.
À mon Fils.


Enfant ! sois doux au pauvre, il en est d’adorables ;
Il en est de puissans sous leurs traits misérables :
Tel est celui qui monte attiré par ta voix,
Qui descend toujours humble et content quelquefois,
Selon nos jours à nous, vides, nourris d’attente,
Ou comblés de travail et de joie haletante.

Dieu lui fait, m’a-t-il dit, de longues nuits sans peur ;
Et sous un peu de paille il a chaud dans son cœur !
Le sommeil a pour lui des ailes toutes prêtes ;
C’est là qu’il illumine et qu’il donne ses fêtes ;
Là, qu’un ange vient dire à ce pauvre à genoux :
« Debout ! debout, mon frère ! et montez avec nous !
Laissez-moi relever votre âme voyageuse ;
Laver vos pieds durcis par l’argile fangeuse ;
Rendre vos pas légers puisqu’ils sont sans remord,
Et délier vos bras pour les tendre à la mort !
Ayez foi dans la mort : cette cueilleuse d’âmes,
Ne les moissonne pas pour en tuer les flammes :
Mais pour les délivrer de leur lourd vêtement,
Comme on ôte le sable où dort le diamant.

Dans votre épreuve solitaire,
Ne demandez pas le bonheur :
Sa semence est dans votre cœur ;
Il n’éclora pas sur la terre.

Si la terre en poussait les fleurs,
Voyez qu’elles n’ont qu’une aurore,

Et qu’elles laisseraient encore
Leurs épines dans vos douleurs.

Mais ce fruit couvé par votre âme,
Naîtra plus haut mûr et vermeil,
Fait d’une impérissable flamme,
Comme un rubis sous le soleil.

Le bonheur, c’est l’amour sans larmes ;
C’est la liberté sans effroi ;
Sans prisons, sans haine, sans armes,
Et les mondes roulans sans roi.

Bénissez donc vos pleurs dont l’intérêt s’amasse.
Dieu compte avec la terre ; où l’ombre règne, il passe !
Et l’éternité s’ouvre aux mots : pardon ! Amour !
« Montez ! » — Et l’indigent monte à Dieu jusqu’au jour !

Quand ce beau rêve a fui, quand la faim le réveille,
S’il tombe en soupirant du ciel où l’on sommeille,

Il reprend son fardeau plus léger ; lui, plus fort,
Et gravit patient, les affronts de son sort.

Ce pauvre est plus qu’un pauvre ! une telle indigence,
Puisque Dieu la permet, ouvre l’intelligence :
Dieu voilé parle en lui. Souvent ses vieux lambeaux,
M’ont paru lumineux, comme si de flambeaux,
Comme si des rayons d’une auréole sainte,
Sa tête blanchissante et paisible était ceinte :
Ce pauvre est plus qu’un pauvre ! enfant ! sois doux pour lui,
Comme tu fus hier, s’il revient aujourd’hui.



MILAN.


À Milan, quand on se promène,
Sur deux rangs dans la Contrada,
Quand le soir, de sa fraîche haleine,
A balayé la ville pleine
De tout le feu qui l’inonda ;
Quand l’aile de la brise apporte
Des jardins l’amoureux poison ;
C’est triste à voir sur chaque porte,
Le pauvre nain de la maison !


Quand chaque madone éclairée
De lampes brûlant au soleil,
D’enfans, de femmes entourée
Sourit dans sa gloire honorée
De bouquets à l’encens vermeil ;
Pourquoi, parmi les brunes filles,
Dont elle bénit l’oraison
Donne-t-elle à tant de familles,
Le pauvre nain de la maison !

Quand du dôme la voix immense
Roule dans l’air et dit : « Venez,
Dans mon amour, dans ma clémence,
Cacher vos peurs, votre démence,
Mes innocens ! mes pardonnés ! »
Christ ! au parvis plein de prière,
Plein d’âmes de toute saison,
Épure l’humaine poussière,
Des nains de ta grande maison !



L’AUGURE.
À une Amie que j’avais.


Qu’avais-tu ? quelle idée au milieu de leur joie,
T’a fait dire : « Mon Dieu ! tout est triste. » Quel coup
Frappait sur ta mémoire où quelque ombre tournoie ?
Dans leur nuit de lumière et d’encens et de soie,
Étais-tu donc bien seule et souffrais-tu beaucoup ?

Plus belle que pas une et suivie à la trace
Des parfums ruisselans de tes bandeaux de fleurs,
Reine par le maintien, poète par la grâce,
Enfant par la candeur, âme que l’âme embrasse,
Quel augure, en passant t’a demandé des pleurs ?

Tu te plains de la vie, et tu te sens aimée,
Folle ! à quelle douleur en as-tu ? je n’en sais
Qu’une immense, profonde, affreuse, envenimée,
Quand elle couve au cœur ses poisons amassés,
C’est le doute : oh ! le doute emprisonne une vie !
C’est le geôlier de l’âme et l’espion du sommeil ;
C’est le poignard levé qui nous frappe au réveil ;
Christ, n’en sauverait pas cette âme poursuivie !
Voilà ce que je sais de ce honteux effroi ;
Et tu te sens aimée et tu te plains… Tais-toi.

Viens ! viens épier l’aube à la lueur humide,
Quand sous ses voiles gris l’aube ouvre l’horizon.
Rien ne bruït là-bas qu’un filet d’eau limpide ;
La musique épuisée et la danse rapide,
Tout cherche le sommeil ; viens chercher la raison !


Viens ! on dirait la vie au fond des bois couchée ;
Pas une aile d’oiseau n’éveille l’air encor ;
Le rossignol se tait quand la lune est cachée :
Hors toi, sous tes parfums, fleur brûlante et penchée,
La nuit enchaîne tout dans un muet accord.

Viens ! les premiers lilas sous l’ombre et la verdure,
Soufflent au loin leur nom, leur forme, leurs couleurs :
La terre ne dort pas ; elle ouvre sa ceinture ;
Son sourire invisible encense la nature,
Et son hymne au soleil va s’élancer des fleurs !

Viens dans la haute église où de hautes lumières,
Sans insulter le jour brûlent à l’avenir ;
Leurs pensives clartés dessillent les paupières ;
Rendent vivans les murs et parlantes les pierres,
Et montrent l’autre vie au fond du souvenir !

Viens à Dieu ! viens : le monde a des peurs et des larmes ;
Moi le passé m’étreint ; toi le pressentiment

Peut-être ; et quelque ronce est vouée à tes charmes,
Comme au doux fruit le ver, comme à l’amour ses armes :
Comme un fil noir à l’or enlacé tristement !

Est-ce un adieu qui frappe à ta porte, bel ange ?
Est-ce un miroir brisé par un secret ressort ?
De rayons et de nuit indicible mélange,
D’où nous vient, que d’en haut, cette lumière étrange,
Dans les momens profonds qui nous ouvrent le sort ?

Qu’ai-je donc ? je suis folle aussi. Tu m’as troublée.
Va ! l’augure est pour moi, je l’espère : J’ai peur !
J’ai peur comme en passant une porte voilée ;
Par l’ange qui bannit je m’entends rappelée,
Et sa voix me cherchait en traversant ton cœur.

On sonne !… C’est nous deux que le malheur demande :
Ton père au loin chancèle, il veut te voir… Adieu !
De quelques pauvres fleurs amère réprimande !
Moi, l’exil me rejette au flot qui le commande ;
Et nous nous reverrons sur la terre, ou chez Dieu !


Déplions, déplions les manteaux de voyage ;
Écoute ! les chevaux frappent au seuil : Allons !
Vers l’étoile qui tremble emporte ton courage ;
Sans une étoile, moi, je retourne à l’orage…
Vous voulez bien des pleurs, mon Dieu ! nous le voulons.



AU CHRIST.


Que je vous crains ! que je vous aime !
Que mon cœur est triste et navré !
Seigneur ! suis-je un peu de vous-même,
Tombé de votre diadême :
Ou, suis-je un pauvre ange égaré ?


Du sable où coulèrent vos larmes,
Mon âme jaillit-elle un jour ?
Tout ce que j’aime a-t-il des armes,
Pour me faire trouver des charmes
Dans la mort, que but votre amour ?

Seigneur ! parlez-moi, je vous prie !
Je suis seule sans votre voix ;
Oiseau sans ailes, sans patrie,
Sur la terre dure et flétrie,
Je marche et je tombe à la fois !

Fleur d’orage et de pleurs mouillée,
Exhalant sa mourante odeur,
Au pied de la croix effeuillée,
Seigneur, ma vie agenouillée
Veut monter à votre grandeur !

Voyez : je suis comme une feuille
Qui roule et tourbillonne au vent ;

Un rêve las qui se recueille ;
Un lin desséché que l’on cueille
Et que l’on déchire souvent.

Sans savoir, d’indolence extrême,
Si l’on a marché sur mon cœur :
Brisé par une main qu’on aime,
Seigneur ! un cheveu de nous-même,
Est si vivant à la douleur !

Au chemin déjà solitaire,
Où deux êtres unis marchaient,
Les voilà séparés… mystère !
On a jeté bien de la terre
Entre deux cœurs qui se cherchaient !

Ils ne savent plus se comprendre ;
Qu’ils parlent haut, qu’ils parlent bas,
L’écho de leur voix n’est plus tendre ;
Seigneur ! on sait donc mieux s’entendre,
Alors qu’on ne se parle pas ?


L’un, dans les sillons de la plaine,
Suit son veuvage douloureux ;
L’autre, de toute son haleine,
De son jour, de son aile pleine,
Monte ! monte ! et se croit heureux !

Voyez : à deux pas de ma vie,
Sa vie est étrangère à moi,
Pauvre ombre qu’il a tant suivie,
Tant aimée et tant asservie !
Qui mis tant de foi dans sa foi !

Moi, sous l’austère mélodie,
Dont vous m’envoyez la rumeur,
Mon âme soupire agrandie ;
Mon corps se fond en maladie
Et mon souffle altéré se meurt.

Comme l’enfant qu’un rien ramène,
L’enfant, dont le cœur est à jour,

Faites-moi plier sous ma chaîne ;
Et désapprenez-moi la haîne,
Plus triste encore que l’amour !

Une fois, dans la nuit profonde,
J’ai vu passer votre lueur :
Comme alors, enfermée au monde,
Pour parler à qui me réponde,
Laissez-moi vous voir dans mon cœur !

Rendez-moi, Jésus que j’adore,
Un songe où je m’abandonnais :
Dans nos champs que la faim dévore,
J’expiais… j’attendais encore ;
Mais, j’étais riche et je donnais !

Je donnais et, surprise sainte :
On ne raillait plus ma pitié ;
Des bras du pauvre j’étais ceinte ;
Et l’on ne mêlait plus l’absinthe
Aux larmes de mon amitié !


Je donnais la vie au coupable,
Et le temps à son repentir !
Je rachetais à l’insolvable ;
Et pour payer l’irréparable,
J’offrais l’amour seul et martyr.



LA TOMBE LOINTAINE.


Ô ma charmante mère !
Morte d’âme et d’amour,
À ta vie éphémère,
J’ai donc puisé le jour !
Les fleurs de ton visage
Languissent sur le mien,
Et j’ai pour mon présage,
Un cœur qui bat du tien !


De blonds cheveux ornée,
Comme d’un voile d’or,
Pliante et prosternée,
Tu m’éblouis encor !
Notre église avait-elle,
Doux aimant du saint lieu,
Une sainte plus belle,
Pour m’attirer à Dieu !

Vers ta grâce ignorée,
Comme on va droit aux fleurs,
J’allais, tout attirée,
Où tu versais tes pleurs ;
Ta pauvreté suivie :
Versait du ciel sur moi,
Et mes parfums de vie,
Tu les portais en toi !

Par instant si je pleure,
À des sons de ma voix,
C’est qu’elle est à cette heure,
La tienne d’autrefois !

C’est qu’elle est de deux âmes,
L’impalpable ciment :
Oh ! que ces pauvres flammes,
S’appellent tristement !

Vers ta moitié mortelle,
Qu’ont ramené les mers,
Ton ombre revient-elle
Par les chemins amers ?
Ce fruit que je respire,
L’as-tu vu dans sa fleur ?
Ce chant que je soupire,
En plains-tu la douleur ?

Oui ! ton rire sonore,
Tes maternels pouvoirs,
Dieu les redit encore
Dans tes premiers miroirs ;

Oui, mère ! par tes charmes,
Moins beaux, moins triomphans,
Mais surtout par tes larmes,
Nous sommes tes enfans !



L’AGONIE DU MINEUR.


Comme aux inertes flancs de sa mère expirée,
Palpite un pauvre enfant qui demande le jour,
D’une terre en douleur lentement déchirée,
Toi qui viens de subir le lugubre séjour,
Lazare ! es-tu vivant, qui ne comptais plus l’heure,
Qu’à ton pouls ralenti dans ta sourde demeure,
Qu’aux larmes de tes yeux qui regardaient sans voir,
Le ciel, où gravissaient tes ferventes prières ;
Où ton âme montait demander de l’espoir
À Dieu, qui le laissa couler sous tes paupières.

Oui, Dieu qui te voyait te soumettre et souffrir,
Dit qu’il n’était pas temps de te laisser mourir ;
Dieu, couvrant de sa main ton aveugle agonie,
Au bord de ton sépulcre épancha des clartés,
Des âmes et des voix et les flots agités
D’hommes justifiant leur nom divin : génie !
Qui creusaient une route à tes jours ténébreux,
Versaient l’eau pure et l’air en ton sein douloureux,
Comme avec des forceps t’arrachant à la terre,
Renouvelaient ton souffle en ce travail austère !

Jusqu’à l’heure où poussé d’un courage fervent,
Un jeune et pauvre prêtre armé du Dieu qui t’aime,
Adjura ton enfer en s’y plongeant lui-même
Et sous la même croix, te rapporta vivant.




Un ouvrier de Lyon fut englouti vif, et vécut sous terre l’espace de onze jours ; le prêtre qui descendit pour l’assister du dernier sacrement, le rapporta dans ses bras à la foule rassemblée qui les croyait morts tous deux.



DEUX CHIENS.


Deux vrais amis, deux chiens arrêtés dans la rue,
Causaient, s’entreplaignaient du départ des beaux jours,
Ceux qu’on nomme l’enfance et qu’on rêve toujours,
Cette aurore si vive et sitôt disparue !

Ô jeux sans esclavage ! ô festins enchantés !
Par tout ce qui s’en va vous êtes regrettés ;

On ne connaît chez vous de maître qu’une mère ;
Et cette ambitieuse est facile à servir :
Le bonheur du plus faible est sa seule chimère ;
C’est à force d’amour qu’elle veut asservir !

Les deux chiens en pleuraient. Les chiens ont-ils une âme ?
Ce qui les fait penser, est-ce un peu de la flamme
Qui me luit ? Dieu le sait : ils pleurèrent d’abord,
Grincèrent au présent et s’attristèrent fort.
Puis, celui qui des deux aimait encore à rire,
Cria : nous sommes fous, je suis prêt à l’écrire,
Rappeler au bonheur devrait être un plaisir ;
Le bien qui fut mon frère est plus sûr qu’un désir,
Et nous le déplorons à nous rendre malade ;
Nous regardons la vie avec des yeux troublés ;
Le soleil est-il mort ? les cieux sont-ils voilés ?
Nos pieds sont-ils aux fers ? courons, mon camarade !

— « Vous m’égayez toujours ! répond le moins heureux
Le moins libre, je pense, et le moins amoureux,

Dont la condition semble seule adoucie,
Par l’honneur d’être chien d’un lord,
Et par l’anneau qui ferme avec un secret d’or
Sa cravatte en cuir de Russie.

« Oui, frère, touchez là ; nous sommes un peu fous ;
Mais je veux dès demain l’oublier avec vous :
Nous recevons demain ; je veux dire mon maître,
L’hôtel sera bruyant ; voulez-vous le connaître ?
C’est là : venez demain ! mais pour y pénétrer,
Ne vous fourvoyez pas : laissez d’abord entrer
Les parens, les amis : par un orgueil étrange,
Mon maître, pour les siens jamais ne se dérange,
Car mon maître est très-noble et ne leur doit qu’un pas.
Mais lorsque vous verrez dans ses jeunes appas,
Une belle… une fleur ! de son frêle équipage
S’élancer en oiseau sur le bras de son page,
Entrez sans vous courber, sans craindre les refus :
Quand mon maître la voit, mon maître n’y voit plus !

Et de rire, un landeau roulant vient les distraire.
« La porte s’ouvre ; adieu, je vous quitte mon frère ;

Car on siffle après moi. Quand il revient des champs,
Mon maître autour de lui veut avoir tous ses gens. »

Castor pressant le pas médite sa parure ;
Il n’avait de six mois démêlé sa fourrure,
Car son maître est si pauvre et si peu glorieux,
Et si laborieux !
L’artisan voit si tôt la fin de sa journée,
Qu’il pèse le moment comme un riche, l’année.
Du luxe leur grenier n’offrait pas le tableau,
Et Castor se baignait quand il tombait de l’eau.
Il en cherche ce soir : on ne veut pas déplaire
On égaie un festin d’une robe plus claire,
Et sans l’anneau doré de ses frères les lords,
Il lava sa misère ; elle fut belle alors !


*

Quand il sortit lavé, les chiens du voisinage,
Une blanche levrette à l’avril de son âge,
Qui déjà le voyait d’un œil humide et doux,
Accourut pour savoir ! ils accoururent tous :

Il conta sa fortune à l’amante modeste,
Et puis plus bas : « ce soir je vous dirai le reste. »
La tremblante levrette entendit ses adieux,
Le salua pensive et le suivit des yeux.

Ce jour gros d’une fête éclate d’espérance ;
Et revêt pour Castor sa plus rose apparence ;
Il va cueillir ses fruits au toit de l’amitié,
Et du bonheur qui mange apprendre la moitié !
Tous les gardiens sont hors de la cuisine ; ô joie !
La broche tourne seule ; on flaire ! on peut choisir ;
L’eau leur en vient du cœur et prêts à s’en saisir,
Ils dansent autour de leur proie !
Elle est lourde et brûlante, il faut la partager.
Ciel ! si près du plaisir pourquoi donc le danger ?
Laissez-leur ce bazard dont l’odeur les enchante ;
Point ! dans l’hôtel en vain l’on s’énivre, l’on chante,
L’orage couve et gronde : un marmiton hideux,
Et prompt comme la mort s’élance au milieu d’eux :
Il épargne Pollux qui hurle et qui se nomme ;
Et jette au vent Castor, l’indigent gastronome !

Tournoyant et troublé, mais retenant ses cris,
Castor tombe au milieu des chiens errans surpris,
Qui rassemblés en club à la porte fermée,
Mangeaient plus noblement leur pain à la fumée.

Regarde avant d’entrer par où tu peux sortir :
Malheureux, rire avec les heureux, c’est mentir !



NOËL.
Imité de Goudouli.


Quel chant divin se fait entendre ?
Quel cri d’amour frappe les airs ?
Tout s’émeut… qu’allons-nous apprendre ?
Quel Dieu s’annonce à l’univers ?
La lune argentée,
Semble être arrêtée :
Qui trouble l’univers vivant ?
C’est un enfant !


Tout se tait ; le vent souffle à peine ;
Le sombre hiver est enchaîné ;
L’autan surpris n’a plus d’haleine,
Et l’incrédule est prosterné :
Quelle est la puissance,
Qui par sa présence,
Ouvre le monde et le défend ?
C’est un enfant !

Les rois, le front dans la poussière,
Humbles pour la première fois,
Suivent l’étoile avant-courrière,
Pour adorer le roi des rois :
Ce Dieu redoutable,
Que craint le coupable,
Que le juste implore souvent,
C’est un enfant !

Quelle est cette vierge céleste,
Soumise aux terrestres douleurs !
Dans son regard pur et modeste
Brillent le sourire et les pleurs !

Oh ! qui la rend telle ?
Qui, d’une mortelle,
Couronne le front triomphant ?
C’est un enfant !

La mort jalouse est asservie ;
L’éternité vient de s’ouvrir :
Un Dieu, pour nous donner la vie,
Daigne avec nous naître et mourir.
Amour sans seconde !
Ce martyr du monde,
Qui s’abandonne en nous sauvant :
C’est un enfant !



LE PARFUM D’UN ALBUM.


Avant que ce parfum, du temps qui tout consume,
Ait subi l’avide froideur,
Que d’amitiés mourront ! que de vœux, dont l’ardeur
Autour de moi couve et s’allume,
S’éteindront, sans laisser après eux qu’un regret ;
Une larme peut-être essuyée en secret !


Parfum, dont la douceur porte à la rêverie,
Étends-toi sur des jours que je veux retenir ;
Par toi, je plongerai ma mémoire attendrie
Sur eux, quand le présent sera le souvenir !



À MADEMOISELLE A…


Jeune âme ! qui venez regarder sur la terre,
La croix signée encor de sang et de mystère,
Oh ! n’approchez pas trop du sol où nous pleurons ;
Dans le calice ouvert ne trempez pas vos ailes ;
Femme par la beauté, soyez plus forte qu’elles ;
Dites : « La femme souffre » et jamais : « Nous souffrons ! »



À QUI ME L’A DEMANDÉ.


Quoi ! vous voulez savoir le secret de mon sort ?
Ce que j’en peux livrer ne vaut pas qu’on l’envie :
Mon secret, c’est mon cœur ; ma souffrance, la vie ;
Mon effroi, l’avenir, si Dieu n’eût fait la mort !



ELLE A VOULU MOURIR.


Donnez-lui du mystère,
Au moins pour y mourir !
Donnez-lui de la terre,
Au moins pour la couvrir !
Jetez sur cette flamme
Votre froid élément ;
Puis, laissez aller l’âme
Chercher son Dieu clément !


Jetez un double voile
Sur sa nuit, sur son jour !
Priez qu’une autre étoile
S’ouvre à sa pauvre amour !
D’anathème et d’outrage,
Sauvez ses derniers pleurs ;
Laissez après l’orage
Un deuil paisible aux fleurs !

Hier encor sur sa tête
L’oiseau de juin chantait ;
De soleil et de fête
Tout son ciel éclatait ;
Et sa raison ravie
S’éteint dans un remords :
Que sait-on de la vie,
Un jour avant la mort ?

Dédain, blessure amère !
Double mort à passer !
Quand on n’a plus sa mère
Prompte à vous embrasser !

Plus rien pour vous entendre,
Plus rien, pour vous aimer ;
Plus rien, qu’un adieu tendre,
Pleurant, sans vous nommer !

Quand l’homme abjure et gronde,
Mon Dieu ! se croit-il dieu ?
Qu’elle est triste et profonde
Sa voix qui crie : « Adieu ! »
Mon Dieu ! dans leur querelle,
Tout votre enfer a lui.
Morte, pitié pour elle !
Vivant, pardon pour lui !


Paris, juin, 1838.



LA PAUVRE ORPHELINE.


« Pasteur ! est-il loin encore,
Le couvent au grand clocher ?
Je marche depuis l’aurore,
Et je n’en peux approcher.
— Le voilà sous la colline
Que tu viens de parcourir :
Mais ce n’est qu’à l’orpheline,
Que ce tombeau doit s’ouvrir.


— Pasteur ! j’ai perdu mon père,
Et ma mère est dans le ciel.
Le ciel a dit qu’on espère,
Au désert, un peu de miel !
— Ma fille ! un saint mariage
Sauve ainsi que le couvent :
Car vers le monde à ton âge,
L’âme retourne souvent !

— Pasteur ! une foi profonde
Me liait au pauvre Éloi ;
Mais il hérite, et le monde
Est entre son cœur et moi.
— Ma fille ! sous cette larme
Que tu n’as pu retenir,
Que je vois mourir de charme
Dans ton stérile avenir !

— Pasteur ! ma vie est fermée ;
Pour moi le monde est trop grand :
Femme qui n’est plus aimée,
Dans l’avenir perd son rang.

— Va donc, fleur inaperçue,
Je te bénis seule… Adieu !
Et pour n’être pas déçue,
Va te révéler à Dieu ! »



LE MARIAGE D’UNE JEUNE REINE.


Cache bien cette fleur !
C’est le don de ma vie :
Elle sera suivie,
D’absence et de douleur.
Adieu ! leur bal commence,
Sauvons-nous dans la danse.
Te regarder ce soir,
C’est le ciel, sans l’espoir !

Autour de nos adieux que la foule est nombreuse !
Quelle musique étrange a tinté dans mes pleurs !
Que notre deuil a pris de pompeuses couleurs !
C’est vrai… ne dit-on pas qu’une reine est heureuse !

Ta pâleur nous trahit ;
Je sens qu’on nous regarde ;
Que la raison te garde
Du mal qui m’éblouit.
Plaît-il ?… le bruit m’enivre ;
Je n’ai le temps de vivre,
Ni le temps de mourir.
Te parler et souffrir !

Autour de nos adieux que la foule est nombreuse !
Quelle musique étrange a tinté dans mes pleurs !
Que notre deuil a pris de pompeuses couleurs :
C’est vrai… ne dit-on pas qu’une reine est heureuse !

Sur la vitre qui luit,
Regarde cette étoile :

On dirait, sous un voile
Notre bonheur qui fuit !
Cette nuit me fait reine ;
Vers le rang qui m’entraîne,
Qu’ils sont lourds mes sermens
Couverts de diamans !

Autour de nos adieux que la foule est nombreuse !
Quelle musique étrange a tinté dans mes pleurs !
Que notre deuil a pris de pompeuses couleurs :
C’est vrai… ne dit-on pas qu’une reine est heureuse !

Sous nos pieds délirans
Sens-tu couler les heures ?
Oui ! tu pleures ! tu pleures,
Et toi seul me comprends !
Va-t-en… Dieu qui m’écoute
Sèmera sur ma route,
Nos rêves sans remord,
À mon doux lit de mort !



ANGELUS.


À genoux ! l’angelus appelle !
Le pasteur monte à la chapelle ;
L’aveugle accorde son vieux luth ;
C’est le moment de la prière
Qui veut notre âme tout entière :
Silence, amour ! silence… chut !


À genoux ! l’église promène,
Dans les airs sa fervente haleine,
Et le ciel répond au salut !
La fleur s’incline sur sa tige :
Tout s’émeut sous l’humble prodige :
Silence, amour ! silence… chut !

À genoux ! le village prie,
Et c’est demain qu’on nous marie ;
Dis un ave pour mon salut !
Hélas ! pour songer à moi-même
Je suis trop près de ce que j’aime :
Silence, amour ! silence… chut !

À genoux ! la vierge regarde !
Et la cloche nous dit : « prends garde ! »
Car c’est l’heure où l’ange apparut ;
Les cierges ont mêlé leurs flammes,
Comme tout à l’heure nos âmes :
Silence, amour ! silence… chut !



LA MEUNIÈRE ET SON SEIGNEUR,
Imité de Goëthe.


Déjà blanche meunière,
Éveillée à l’amour ?

— « Monseigneur, la chaumière
S’éveille avec le jour. »


Cette aurore est brûlante,
Comme ton teint vermeil !

— « Si votre marche est lente,
Vous aurez le soleil. »

Eh bien ! passons à l’ombre ;
Le ciel a trop d’ardeur.

— « Monseigneur ! l’ombre est sombre ;
Et j’ai froid quand j’ai peur ! »

Viens ! meunière sauvage ;
Je me perdrais sans toi.

— « Monseigneur ! c’est plus sage
De passer loin de moi. »

Fille charmante et fière !
N’ose-t-on t’approcher ?


— « L’habit d’une meunière
Ne doit pas se toucher. »

Oh ! les tiens ont la grâce
Jointe à la pureté !

— « Mais ils laissent la trace
De leur humilité. »

N’ose-t-on qu’à l’église
Chercher ta douce main ?

— « Pour une autre que Lise,
Vous prendrez ce chemin. »

Qui donc, plus que moi-même
Mérite ton retour ?

— « Un beau meunier qui m’aime,
Et que j’aime d’amour. »


Puisqu’un meunier t’approche,
Peux-tu me refuser ?

— « C’est que pas un reproche
Ne suivra son baiser. »

Un amant, à tes charmes
Doit de l’or et des fleurs…

— « Nous aurons moins d’alarmes
Sous les mêmes couleurs ! »



LE MARINIER.


Je crains Dieu, ma mère !
J’ai l’amour au cœur ;
Point de haine amère,
Partant, point de peur :
Mais à l’ange, ou femme
Que je viens de voir,
J’ai donné mon âme
Pour bien peu d’espoir !


C’est une rose en deuil, une fleur orpheline,
Que tenait par la main Marina sa cousine.
Elles venaient chercher passage à l’autre bord ;
Dieu m’aimait ce jour-là, car j’étais seul au port !

L’autre enfant m’appelle,
Et dit : « Marinier !
Sais-tu la chapelle
Où l’on va prier ?
Cette ange, à la Vierge
Qui plaint son doux sort,
Va porter un cierge
Pour son père mort. »

Ma mère ! où je vous vois, c’est là qu’elle est venue ;
Là, comme une lumière aux marins inconnue !
Là, j’ai cru que la Vierge entrait dans mon bateau,
Et que mon humble barque allait brûler dans l’eau !

Et la jeune sainte
Aux cheveux tressés,

Tenait avec crainte
Ses longs yeux baissés.
Oh ! que je devienne
Capitaine ou roi,
Elle sera mienne
Et reine par moi !



DEUX JEUNES FILLES.


MARINA.

Entends-tu le canon du fort,
Pour un vaisseau qui rentre au port ?
Mais, mon enfant ! le capitaine
Tient l’équipage en quarantaine.
Viens voir de loin le bâtiment
Qui te ramène ton amant !

LALY.

Laisse-moi reprendre mon cœur
Qui s’en va de joie et de peur !
J’avais rêvé cette nouvelle :
Mais, vois ! je suis moins forte qu’elle.
C’est ma neuvaine au roi des cieux,
Qui met de tels pleurs dans mes yeux !

MARINA.

Tu me fais rire avec tes pleurs ;
Prends plutôt dentelles et fleurs,
Prends ! et puisque Dieu te l’envoie,
Folle ! ne pleure pas ta joie ;
Car je sais que les amoureux,
N’aiment pas qu’on pleure pour eux.

LALY.

Que veux-tu ! je suis faite ainsi !
Et des hommes pleurent aussi.

LALY.

Lui ! sa voix pleure dans moi-même ;
Marina ! c’est pourquoi je l’aime ?
Une larme sauve ; autrement
On mourrait de saisissement.

MARINA.

Allons, viens, tu n’en finis pas ;
Viens ! tout le monde court là-bas.
Au salut du canon qui roule
Ton amant te croit dans la foule.
C’est la lenteur qui fait mourir ;
Moi, mes pieds brûlent de courir !

LALY.

Marina ! laisse-moi m’asseoir ;
Je serai plus forte ce soir.
Il est là ! j’ai le temps d’attendre ;
On n’est plus trop loin pour s’entendre :
Comme l’oiseau qui suit le vent,
Mon âme est allée en avant !



AU SOLEIL.
Italie.


Ami de la pâle indigence !
Sourire éternel au malheur !
D’une intarissable indulgence,
Aimante et visible chaleur :
Ta flamme, d’orage trempée,
Ne s’éteint jamais sans espoir ;
Toi ! tu ne m’as jamais trompée
Lorsque tu m’as dit, au revoir !


Tu nourris le jeune platane,
Sous ma fenêtre sans rideau,
Et de sa tête diaphane
À mes pleurs tu fais un bandeau :
Par toute la grande Italie,
Où je passe le front baissé,
De toi seul, lorsque tout m’oublie,
Notre abandon est embrassé !

Donne-nous le baiser sublime
Dardé du ciel dans tes rayons,
Phare entre l’abîme et l’abîme
Qui fait, qu’aveugles nous voyons !
À travers les monts et les nues
Où l’exil se traîne à genoux,
Dans nos épreuves inconnues,
Âme de feu, plane sur nous !

Oh ! lève-toi pur sur la France
Où m’attendent de chers absens ;
À mon fils, ma jeune espérance,
Rappelle mes yeux caressans !

De son âge éclaire les charmes ;
Et s’il me pleure devant toi,
Astre aimé ! recueille ses larmes,
Pour les faire tomber sur moi !



L’ÂME EN PEINE.
Italie.


Je suis là toute seule, immobile, cachée,
Près de l’eau, dans ma fleur comme en un lit couchée ;
Et je ne peux m’étendre ! et je voudrais souvent
Me dilater un peu sur les ailes du vent.

Mais les ailes du vent vont aux cieux, et la terre
N’a pas rompu mon ban d’exil et de mystère ;
Alors, pour expier près de qui n’en sait rien,
Je me suis dérobée à mon ange gardien.

Sans l’âme que j’attends, qui n’est pas libre encore,
Je ne veux pas monter dans l’éternelle aurore.
Si Dieu me voit cachée, il n’en fait pas semblant :
Lui, quand il faut punir, il est père ! il est lent.

Quand l’orage se lève et siffle avec colère,
Je me tais, dans l’effroi d’être prise à son vol,
Jusqu’à l’heure où la lune humide et molle, et claire,
Ramène à mon ruisseau l’altéré rossignol.
Le rossignol ce soir, a dit de tendres choses
Aux tombes que la lune illumine en ce lieu ;
Et les morts ont tenu leurs demeures moins closes,
Au doux requiescat qui s’en allait vers Dieu :

Ce long sanglot traîné dans l’ombre ;
Ce feu qui parle à la nuit sombre,
Ce souffle errant du Créateur,
Qui navre et fait pâmer le cœur :

Vraiment ! ce n’était pas pour les tombes d’argile,
Ni pour les trépassés dans leur demi sommeil,

Ni pour le monde entier, sans yeux et sans soleil,
Que tant d’amour vibrait dans ce timbre fragile :
Vraiment ! c’était pour lui ! lui, rêvant sans dormir ;
Lui, couché sur son cœur à l’écouter gémir ;
Lui, que j’ai tant aimé ! que j’aimerai, que j’aime ;
Lui, mon éternité ! lui, mes chants ! lui, moi-même !
Lui qui m’a dit un soir : « Si tu meurs avant moi,
Reviens dans cet oiseau qui pleure comme toi. »

C’était donc moi pleurant dans la plaintive haleine
De l’oiseau, dont la voix solitaire était pleine
De ma voix et du souffle attiédi de la fleur,
Où sa soif, chaque nuit, vient pomper ma douleur.
Car, en perdant ma robe et mes lèvres de femme,
Je lègue au tendre oiseau tout ce que j’ai de flamme,
Et je ne dors jamais, jalouse dans la mort :
Pitié ! je l’étais tant que je le suis encor
Comme aux jours où son cœur palpitait dans ma vie.
Beaux jours ! par lui, partout attendue ou suivie.
Beaux jours ! quand il passait, quand il jetait sur moi,
De ces saisissemens à faire ouvrir une âme !

Des apparitions, des mots prompts et de flamme,
Qui font trembler nos nuits de tendresse et d’effroi.
Ils sortent de partout ceux qui veulent nous plaire !
Où trouver de la force, où donc de la colère,
Où trouver un refuge, un mensonge, une voix,
Qui démentent ce mot… que j’ai dit tant de fois !

Si j’ai mal dit que Dieu souffle sur mes pensées,
Comme on souffle le sable alors qu’il nuit aux fleurs ;
Comme le vent détruit les feuilles dispersées,
D’un arbre maladif ; mais, qu’il regarde aux pleurs !
Les pleurs, c’est de l’amour ! et l’amour, c’est Dieu même !
Et Dieu l’a dit d’une autre et du même remord :
« Elle ne mourra pas de l’éternelle mort :
Le monde la maudit ; moi, je la sauve : elle aime. »
Et je l’aimais… pitié ! je l’aime encor… pardon !
Il a de tout charmer le désir et le don,
Lui qui m’attire, absent du fond de mon calice,
Pour m’abreuver encor de deuil et de délice ;
Lui qui, sous les rosiers ombrageant sa maison,
La seule sur la terre où l’on dise mon nom,

Ranime dans l’écho qui heurte sa fenêtre,
Ma suppliante voix qu’il reconnaît peut-être !
Sans que j’ose épier sous son rideau tremblant,
S’il n’éclaire que lui, le doux flambeau brûlant !
Je crois voir l’ombre double et m’envole éperdue.
Puis, lorsque dans ma fleur je suis redescendue,
Je n’ai ni paix ni trève et j’aspire toujours,
À qui versa tant d’ombre et de ciel sur mes jours !

Après les jours si beaux qui font les nuits si belles !
Quand l’airain ne bat plus dans le sein des chapelles,
Et qu’il passe à leur pied, j’éveille un son plaintif
Qui tombe et va prier à son cœur attentif :
Espoir ! car c’est alors qu’il m’a souvent nommée ;
Qu’il a dit : « Pauvre enfant ! je l’ai pourtant aimée ! »
Oh ! qu’avec ces mots-là prompts à tout réparer,
Je peux long-temps attendre et long-temps espérer !

Quand loin de lui mon corps dépérissait d’absence,
Quand les fleurs de mon front se séchaient en silence,

N’ai-je donc pas crié mille fois tristement,
Dans mon cœur et partout, et toujours ardemment :
« L’air respiré par lui convient seul à ma vie.
« Je ne peux me souffrir où je sens qu’il n’est pas.
« Si la tombe devait me ramener ses pas,
« La tombe me ferait envie !

« Pourquoi s’est-il lié si fort avec mon cœur
« Enfin ! que tout entier je ne puis le reprendre ?
« Pourquoi m’avoir été si tendre, ou si trompeur ?
« Si la mort voulait me l’apprendre ! »

La mort m’a tout appris. Moi, j’ai tout pardonné :
Car il est revenu sur mon corps incliné,
Pour me rendre la terre et moins froide et moins dure,
L’humecter de ses pleurs et d’un peu de verdure :
C’est assez ! c’est assez pour avoir peur des cieux,
Pour préférer la terre où j’attends… je suis mieux !

Au flanc du tournesol je me suis enfermée :
Une âme peut tenir long-temps dans une fleur.

Elle est triste, inclinée à la même douleur.
Lorsque j’étais enfant, je l’ai beaucoup aimée,
J’en ai fait mon jardin, mon linceuil, mon séjour :
Elle attend le soleil, et moi bien plus, l’amour !

Lui, s’est pour un enfant pris d’une amitié tendre :
Hélas ! toute innocence il s’arrête à l’entendre.
Jamais enfant ou fleur, il n’importe à quel lieu,
Ne passent qu’il ne dise en lui : « Je crois en Dieu ! »
Cet arrivant du ciel, fleur à tête penchée,
Fleur sommeilleuse encor dans ses feuilles cachée,
Sous ses longs cheveux d’or lui plaît tant aujourd’hui,
Que j’aide la jeune âme à causer avec lui,
À bégayer des mots d’espérance profonde,
À préparer ses yeux au jour d’un autre monde.
Consoler c’est prier ! c’est mon droit, et mon sort
Est de l’absoudre ainsi dans ma vie et ma mort.

Mais je ne peux l’aimer qu’à beaucoup de distance,
Et qu’en un grand péril lui prêter assistance :
Ainsi le regardant, pâle à travers le soir,
Comme il était venu seul et triste s’asseoir

Dans l’enclos de l’église, où des ombres errantes
Épanchaient à la Vierge un flot d’hymnes souffrantes,
Tandis que vêpre et l’orgue où se plongeait ma voix,
Lui rendaient la mémoire et nos pleurs d’autrefois :
Il était si pensif qu’il existait à peine,
Et qu’il ne voyait pas… L’amour voit-il la haine !
La haine, dont la nuit couvrait l’affreux regard.
Et que je reconnus à l’éclair d’un poignard.
L’heure sonnait le meurtre et cette lame impie,
L’atteignait, lui rêvant l’humble amour que j’expie :
Vierge toute pitié ! vous l’avez entendu
Mon cri qui vous nomma quand il était perdu !
Oui, car votre frayeur, plus saintement amère,
Cria dans ce méchant : « Par ta mère !… ta mère ! »
Oui ! car à vos flambeaux je vis de l’assassin
Les deux mains sans poignard se croiser sur son sein.

Vierge ! je crois en vous ! je crois, Vierge Marie !
Je ne peux m’en aller… mais je crois ! mais je prie !
Mais la pauvre âme en peine à genoux dans vos fleurs,
Osera nuit par nuit vous élever ses pleurs !


FIN.


TABLE.




Pages.
 23
 25
 29
 43
 49
 57
 87
 89
 91
 113
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 179
 185
 203
 249
 251
 253
 257
 259
 265
 283
 305
 319





ERRATA.


Page 16, vers 9, au lieu de : pureté, lisez : pauvreté.

Idem, vers 7, au lieu de : j’y trouvais, lisez : j’y couvais.

Idem, vers 16, au lieu de : l’appuyer, lisez : t’appuyer.

Page 58, vers 4, au lieu de : mes fleurs, lisez : nos fleurs.

Page 59, vers 9, au lieu de : mot plein de ciel, qui fait reine ou martyr, lisez mot qui peut dire : amour ! ciel ! ou martyre !

Page 60, vers 2, au lieu de : par les devoirs, lisez : par vos devoirs.

Page 61, vers 2, au lieu de : est là devant sa main, lisez : est là, levant sa main.

Page 141, au lieu de : pourtant ; grave et déjà, lisez : grave pourtant, déjà.

Page 197, vers 14, au lieu de : pr ez ! lisez : personne !

Page 204, vers 13, au lieu de : répondu, lisez : répandu.

Idem, vers 46. au lieu de : qu’une main si savante, lisez : qu’une savante main.

Page 205, vers 8, au lieu de : dissout, lisez : dissous.

  1. Sainte Thérèse. On sait que sainte Thérèse enfant, bâtissait des petits ermitages, qu’elle priait son frère de construire avec elle, pour s’y retirer du monde qui lui faisait peur, bien qu’elle l’aimât, et qu’en trouvant toujours ses asiles tombés et démolis par la pluie, elle pleurât.
  2. L’écritoire du Tasse, qui fut donné à M. de Peyronnet, dans sa captivité.