Aller au contenu

Traité sur les apparitions des esprits/II/Texte entier

La bibliothèque libre.
Traité sur les apparitions des esprits
et sur les vampires ou les revenants de Hongrie, de Moravie, etc. Avec une lettre de M. le marquis de Maffei sur la magie
2
Scipione.

PREFACE.

CHaque ſiécle, chaque nation, chaque pays a ſes préventions, ſes maladies, ſes modes, ſes penchans, qui les caractériſent, & qui paſſent & ſe ſuccedent les uns aux autres ; ſouvent ce qui a paru admirable en un tems, devient pitoyable & ridicule dans un autre. On a vû des ſiécles où tout étoit tourné à certaines dévotions, certains genres d’études, certains exercices. On ſçait que pendant plus d’un ſiécle le goût dominant de l’Europe étoit le voyage de Jéruſalem. Les Rois, les Princes, les Seigneurs, les Evêques, les Eccléſiaſtiques, les Religieux, tous y couroient en foule. Les pélerinages de Rome ont été autrefois très-fréquens & très-fameux. Tout cela eſt tombé. On a vû des Provinces inondées de Flagellans, & il n’en eſt demeuré de reſte que dans les confrairies de Pénitens qui ſubſiſtent en pluſieurs endroits.

Nous avons vû dans ces pays-ci des ſauteurs & des danſeurs, qui à chaque inſtant ſautoient & danſoient dans les rues, dans les places & juſques dans les Egliſes. Les Convulſionaires de nos jours ſemblent les avoir fait revivre ; la poſtérité s’en étonnera, comme nous nous en raillons aujourd’hui. Sur la fin du ſiecle ſeiziéme & au commencement du dix-ſeptiéme, on ne parloit en Lorraine que de Sorciers & de Sorcieres. Il n’en eſt plus queſtion depuis long-tems. Lorſque la Philoſophie de Monſieur Deſcartes parut, quelle vogue n’eut-elle pas ? On mépriſa l’ancienne Philoſophie ; on ne parla plus que d’expériences phyſiques, de nouveaux ſyſtêmes, de nouvelles découvertes. M. Newton vient de paroître : tous les Eſprits ſont tournés de ſon côté. Le ſyſtême de M. Law, les billets de Banque, les fureurs de la rue Quinquampoix, quels mouvemens n’ont-ils pas cauſés dans le Royaume ? C’eſt une eſpece de convulſion qui s’étoit emparée des François.

Dans ce ſiecle une nouvelle ſcene s’offre à nos yeux depuis environ ſoixante ans dans la Hongrie, la Moravie, la Siléſie, la Pologne : on voit, dit-on, des hommes morts depuis pluſieurs mois, revenir, parler, marcher, infeſter les villages, maltraiter les hommes & les animaux, ſucer le ſang de leurs proches, les rendre malades, & enfin leur cauſer la mort ; en ſorte qu’on ne peut ſe délivrer de leurs dangereuſes viſites & de leurs infeſtations, qu’en les exhumant, les empalant, leur coupant la tête, leur arrachant le cœur, ou les brûlant. On donne à ces Revenans le nom d’Oupires, ou Vampires, c’eſt-à-dire ſangſues, & l’on en raconte des particularités ſi ſingulieres, ſi détaillées, & revêtues de circonſtances ſi probables, & d’informations ſi juridiques, qu’on ne peut preſque pas ſe refuſer à la croyance que l’on a dans ces pays, que ces Revenans paroiſſent réellement ſortir de leurs tombeaux, & produire les effets qu’on en publie.

L’Antiquité n’a certainement rien vû ni connu de pareil. Qu’on parcoure les Hiſtoires des Hébreux, des Egyptiens, des Grecs, des Latins ; on n’y rencontrera rien qui en approche.

Il eſt vrai que l’on remarque dans l’Hiſtoire, mais rarement, que certaines perſonnes après avoir été quelque tems dans leurs tombeaux & tenues pour mortes, ſont revenues en vie. On verra même, que les Anciens ont crû que la Magie pouvoit donner la mort, & évoquer les Ames des trépaſſés. On cite quelques paſſages, qui prouvent qu’en certain tems on s’eſt imaginé que les Sorciers ſuçoient le ſang des hommes & des enfans, & les faiſoient mourir. On vit auſſi au douziéme ſiecle en Angleterre & en Dannemarck quelques Revenans ſemblables à ceux de Hongrie. Mais en nulle Hiſtoire on ne lit rien d’auſſi commun ni auſſi marqué que ce qu’on nous raconte des Vampires de Pologne, de Hongrie & de Moravie.

L’Antiquité Chrétienne fournit quelques exemples de perſonnes excommuniées, qui ſont ſorties viſiblement & à la vûe de tout le monde de leurs tombeaux & des Egliſes, lorſque le Diacre ordonnoit aux Excommuniés & à ceux qui ne communioient point aux ſaints Myſteres de ſe retirer. Depuis pluſieurs ſiecles on ne voit plus rien de ſemblable, quoiqu’on n’ignore pas que les corps de pluſieurs Excommuniés, morts dans l’Excommunication & dans les Cenſures, ſont inhumés dans les Egliſes.

La créance des nouveaux Grecs, qui veulent que les corps des Excommuniés ne pourriſſent point dans leurs tombeaux, eſt une opinion qui n’a nul fondement, ni dans l’Antiquité, ni dans la bonne Théologie, ni même dans l’Hiſtoire. Ce ſentiment paroît n’avoir été inventé par les nouveaux Grecs Schiſmatiques, que pour s’autoriſer & s’affermir dans leur ſéparation de l’Egliſe Romaine. L’Antiquité Chrétienne croyoit au contraire, que l’incorruptibilité d’un corps étoit plûtôt une marque probable de la ſainteté de la perſonne, & une preuve de la protection particuliére de Dieu ſur un corps, qui a été pendant ſa vie le Temple du ſaint Eſprit, & ſur une perſonne qui a conſervé dans la juſtice & l’innocence le caractere du Chriſtianiſme.

Les Brucolaques de la Grece & de l’Archipel ſont encore des Revenans d’une nouvelle eſpéce. On a peine à ſe perſuader, qu’une Nation auſſi ſpirituelle que la Grecque ait pû donner dans une idée auſſi extraordinaire que celle-là. Il ſaut que l’ignorance ou la prévention ſoient extrêmes parmi eux, puiſqu’il ne s’y eſt trouvé ni Eccléſiaſtique ni autre Ecrivain, qui ait entrepris de les détromper ſur cet article.

L’imagination de ceux qui croyent que les morts mâchent dans leurs tombeaux, & font un bruit à peu-près ſemblable à celui que les porcs font en mangeant, eſt ſi ridicule, qu’elle ne mérite pas d’être ſérieuſement réfutée.

J’entreprens de traiter ici la matiére des Revenans ou des Vampires de Hongrie, de Moravie, de Siléſie & de Pologne, au hazard d’être critiqué de quelque maniere que je m’y prenne : ceux qui les croyent véritables m’accuſeront de témérité & de préſomption, de les avoir révoqués en doute, ou même d’en avoir nié l’exiſtence & la réalité ; les autres me blâmeront d’avoir employé mon tems à traiter cette matiere, qui paſſe pour frivole & inutile dans l’eſprit de bien des gens de bon ſens. De quelque maniere qu’on en penſe, je me ſaurai bon gré d’avoir approfondi une queſtion, qui m’a paru importante pour la Religion : car ſi le Retour des Vampires eſt réel, il importe de le défendre & de le prouver ; & s’il eſt illuſoire, il eſt de conſéquence pour l’intérêt de la Religion de détromper ceux qui le croyent véritable, & de détruire une erreur qui peut avoir de

très-dangereuſes ſuites.

TABLE
DES CHAPITRES

Contenus dans ce ſecond Volume.


Chapitre. I. La Réſurrection d’un mort eſt l’ouvrage de Dieu ſeul, 
 I

Chap. II. Réſurrection de gens qui n’étoient pas vraiment morts, 
 7

Chap. III. Réſurrection d’un homme enterré depuis trois ans, reſſuſcité par S. Staniſlas, 
 10

Chap. IV. Un homme réellement mort peut-il paroître en ſon propre corps, 
 15

Chap. V. Réſurrection, ou Apparition d’une fille morte depuis quelques mois, 
 22

Chap. VI. Femme tirée vivante de ſon tombeau, 
 29

Chap. VII. Revenans ou Vampires de Moravie, 
 31

Chap. VIII. Morts de Hongrie qui ſucent le ſang des vivans, 
 37

Chap. IX. Récit d’un Vampire, tiré des Lettres Juives, Lettre 137, 
 39

Chap. X. Autres exemples de Revenans. Continuation du Glaneur, 
 41

Chap. XI. Raiſonnement de l’Auteur des Lettres Juives ſur Les Revenans, 
 46

Chap. XII. Suite du raiſonnement du Glaneur Hollandois, 
 54

Chap. XIII. Récit tiré du Mercure galant de 1693. & 1694. ſur les Revenans, 
 60

Chap. XIV. Conjectures du Glaneur de Hollande, 
 61

Chap. XV. Autre lettre ſur les Revenans, 
 68

Chap. XVI. Veſtiges prétendus du Vampiriſme dans l’Antiquité, 
 73

Chap. XVII. Revenans dans les pays Septentrionaux, 
 82

Chap. XVIII. Revenans en Angleterre, 
 84

Chap. XIX. Revenans au Pérou, 
 86

Chap. XX. Revenans dans la Laponie, 
 88

Chap. XXI. Retour d’un homme mort depuis quelques mois, 
 89

Chap. XXII. Excommuniés qui ſortent des Egliſes, 
 98

Chap. XXIII. Autres exemples des Excommuniés rejettés hors de la terre Sainte, 
 102

Chap. XXIV. Exemple d’un Martyr excommunié rejetté hors de la terre, 
 105

Chap. XXV. Homme rejetté hors de l’Egliſe pour avoir refuſe de payer la dîme, 
 107

Chap. XXVI. Exemples de perſonnes qui ont donné des ſignes de vie après leur mort, & qui ſe ſont retirées par reſpect pour faire place à de plus dignes, 
 109

Chap. XXVII. Gens qui vont en pélerinage après leur mort, 
 113

Chap. XXVIII. Raiſonnement ſur les Excommuniés qui ſortent des Egliſes, 
 116

Chap. XXIX. Les Excommuniés pourriſſent-ils en terre, 
 122

Chap. XXX. Exemples pour montrer que les Excommuniés ne pourriſſent point, & apparoiſſent aux vivans, 
 124

Chap. XXXI. Exemples de ces retours des Excommuniés, 
 127

Chap. XXXII. Broucolaque exhumé en préſence de Monſieur de Tournefort, 
 131

Chap. XXXIII. Le Démon a-t-il pouvoir de faire mourir, puis de rendre la vie à un mort, 
 140

Chap. XXXIV. Examen du ſentiment, qui veut que le Démon puiſſe rendre le mouvement à un corps mort, 
 144

Chap. XXXV. Exemples de Fantômes qui ont apparu vivans, & ont donné pluſieurs ſignes de vie, 
 151

Chap. XXXVI. Dévouement pour faire mourir, pratiqué par les Payens, 
 155

Chap. XXXVII. Exemples de dévouement parmi les Chrétiens, 
 161

Chap. XXXVIII. Exemples de perſonnes qui ſe ſont promis de ſe donner après leur mort des nouvelles de l’autre monde, 
 170

Chap. XXXIX. Extrait des Ouvrages politiques de M. l’Abbé de S. Pierre, 
 180

Chap. XL. Divers ſystêmes pour expliquer le retour des Revenans, 
 193

Chap. XLI. Divers exemples de perſonnes enterrées encore vivantes, 
 198

Chap. XLII. Exemples de perſonnes noyées, qui ſont revenues en ſanté, 
 203

Chap. XLIII. Exemples de femmes qu’on a crûes mortes, & qui ſont revenues, 
 207

Chap. XLIV. Peut-on faire l’application de ces exemples aux Revenans de Hongrie, 
 211

Chap. XLV. Morts qui mâchent comme des porcs dans leurs tombeaux, & qui dévorent leur propre chair, 
 213

Chap. XLVI. Exemple ſingulier d’un Revenant de Hongrie, 
 216

Chap. XLVII. Raiſonnement ſur cette matiere, 
 219

Chap. XLVIII. Les Vampires ou Revenans ſont-ils véritablement morts, 
 222

Chap. XLIX. Exemple d’un nommé Curma renvoyé au monde, 
 238

Chap. L. Exemples de perſonnes qui s’extaſient quand elles veulent, & qui demeurent ſans aucun ſentiment, 
 247

Chap. LI. Application de ces exemples aux Vampires, 
 251

Chap. LII. Examen du ſentiment, qui veut que le Demon faſcine les yeux de ceux à qui les Vampires apparoiſſent, 
 260

Chap. LIII. Exemples de Reſſuſcités, qui racontent ce qu’ils ont vû dans l’autre vie, 
 264

Chap. LIV. Les traditions des Payens ſur l’autre vie viennent des Hebreux & des Egyptiens, 
 270

Chap. LV. Exemples de Chrétiens reſſuſcités & renvoyés au monde. Viſion de Vetin Moine d’Augie, 
 276

Chap. LVI. Viſion de Bertholde rapportée par Hincmar Archevêque de Reims, 
 280

Chap. LVII. Viſion de S. Furſi, 
 283

Chap. LVIII. Viſion d’un Proteſtant d’Yorck, & autres, 
 286

Chap. LIX. Concluſion de cette Diſſertation, 
 294

Chap. LX. Impoſſibilité morale que les Revenans ſortent de leurs tombeaux, 
 299

Chap. LXI. Ce qu’on raconte des corps des Excommuniés qui ſortent de l’Egliſe, eſt ſujet à de très-grandes difficultés, 
 303

Chap. LXII. Remarques ſur la Diſſertation touchant l’Eſprit revenu à S. Maur des Foſſés, 
 316

Chap. LXIII. Diſſertation d’un Anonyme, ſur ce qu’on doit penſer de l’apparition des Eſprits, à l’occaſion de l’aventure arrivée à S. Maur en 1706, 
 333




Fin de la Table des Chapitres
du Tome ſecond.

DISSERTATION

SUR LES
REVENANS
EN CORPS,
LES EXCOMMUNIE’S,
LES OUPIRES OU VAMPIRES,
BRUCOLAQUES, &c.

CHAPITRE I.

La Réſurrection d’un Mort eſt l’ouvrage de
Dieu ſeul
.

APres avoir traité dans une Diſſertation particuliere la matiere des Apparitions des Anges, des Démons & des Ames ſéparées du corps, la connexité de la matiere m’invite à parler auſſi des Revenans, des Excommuniés, que la terre rejette, dit-on, de ſon ſein, des Vampires de Hongrie, de Siléſie, de Bohême, de Moravie, & de Pologne, & des Brucolaques de Grece. Je rapporterai d’abord ce qu’on en a dit & écrit ; puis j’en tirerai quelques conſéquences, & j’apporterai les raiſons qu’on peut produire pour & contre leur exiſtence & leur réalité.

Les Revenans de Hongrie, ou les Vampires, qui font le principal objet de cette Diſſertation, ſont des hommes morts depuis un tems conſidérable, quelquefois plus quelquefois moins long, qui ſortent de leurs tombeaux & viennent inquiéter les vivans, leur ſucent le ſang, leur apparoiſſent, font le tintamare à leurs portes & dans leurs maiſons, & enfin leur cauſent ſouvent la mort. On leur donne le nom de Vampires ou d’Oupires, qui ſignifie, dit-on, en Eſclavon une ſang-ſuë. On ne ſe délivre de leurs infeſtations, qu’en les déterrant, en leur coupant la tête, en les empalant, ou les brûlant, ou leur perçant le cœur.

On a propoſé pluſieurs ſyſtêmes pour expliquer le Retour & ces Apparitions des Vampires. Quelques-uns les ont niées & rejettées comme chimériques, & comme un effet de la prévention & de l’ignorance du Peuple de ces pays, où l’on dit qu’ils reviennent.

D’autres ont crû que ces gens n’étoient pas réellement morts, mais qu’ils avoient été enterrés tout vivans, & qu’ils revenoient d’eux-mêmes naturellement, & ſortoient de leurs tombeaux.

D’autres croyent que ces gens ſont très-réellement morts ; mais que Dieu par une permiſſion, ou un commandement particulier, leur permet ou leur ordonne de revenir & de reprendre pour un tems leur propre corps : car quand on les tire de terre, on trouve leurs corps entiers, leur ſang vermeil & fluide, & leurs membres ſouples & maniables.

D’autres ſoûtiennent que c’eſt le Démon qui ſait paroître ces Revenans, & qui fait par leur moyen tout le mal qu’ils cauſent aux hommes & aux animaux.

Dans la ſuppoſition que les Vampires reſſuſcitent véritablement, on peut former ſur leur ſujet une infinité de difficultés. Comment ſe ſait cette Réſurrection ? eſt-ce par les forces du Revenant, par le retour de ſon Ame dans ſon corps ? eſt-ce un Ange, eſt-ce un Démon qui le ranime ? eſt-ce par l’ordre ou par la permiſſion de Dieu qu’il reſſuſcite ? cette Réſurrection eſt-elle volontaire de ſa part & de ſon choix ? eſt-elle pour long-tems, comme celle des perſonnes à qui Jeſus-Chriſt a rendu la vie, ou celle des perſonnes reſſuſcitées par les Prophetes & par les Apôtres ? ou eſt-elle ſeulement momentanée, & pour peu de jours ou pour peu d’heures, comme la réſurrection que S. Staniſlas opéra ſur le Seigneur qui lui avoit vendu un champ, ou celle dont il eſt parlé dans la vie de S. Macaire d’Egypte & de S. Spiridion, qui firent parler des morts ſimplement pour rendre témoignage à la vérité, & puis les laiſſerent dormir en paix, attendant le dernier jour du Jugement ?

Je poſe d’abord pour principe indubitable, que la Réſurrection d’un mort vraiment mort eſt l’effet de la ſeule puiſſance de Dieu. Nul homme ne peut ni ſe reſſuciter, ni rendre la vie à un autre homme, ſans un miracle viſible.

Jeſus-Chriſt s’eſt reſſuſcité, comme il l’avoit promis : il l’a fait par ſa propre vertu ; il l’a fait avec des circonſtances toutes miraculeuſes. S’il s’étoit reſſuſcité auſſi-tôt qu’il fut deſcendu de la Croix, l’on auroit pû croire qu’il n’étoit pas bien mort, qu’il reſtoit encore en lui des ſemences de vie, qu’on auroit pû les réveiller en le réchauffant, ou en lui donnant des cordiaux & quelque choſe capable de faire revenir ſes eſprits.

Mais il ne reſſuſcite qu’au troiſiéme jour. Il avoit, pour ainſi dire, été tué même après ſa mort, par l’ouverture que l’on fit de ſon côté avec une lance, qui le perça juſqu’au cœur, & qui lui auroit donné la mort, s’il n’eût pas été hors d’état de la recevoir.

Lorſqu’il reſſuſcita le Lazare[1] il attendit qu’il eût été quatre jours dans le tombeau, & qu’il commençât à ſe corrompre ; ce qui eſt la marque la plus aſſurée qu’un homme eſt réellement décédé, ſans eſpérance de retour à la vie, ſinon par des voies ſurnaturelles.

La Réſurrection que Job attendoit ſi fermement[2] ; & celle de cet homme qui reſſuſcita en touchant le corps du Prophete Eliſée dans ſon tombeau[3] ; & l’enfant de la veuve de Sunam, à qui le même Eliſée rendit la vie[4] ; cette armée de ſqueletes, dont Ezechiel prédit la Réſurrection[5], & qu’il vit en eſprit s’exécuter à ſes yeux, comme une figure & un gage du retour des Hébreux de leur captivité de Babylone ; enfin toutes les Réſurrections rapportées dans les livres ſacrés de l’Ancien & du Nouveau Teſtament, ſont des effets manifeſtement miraculeux, & attribués à la ſeule Toute-Puiſſance de Dieu. Ni les Anges, ni les Démons, ni les hommes les plus ſaints & les plus favoriſés de Dieu, ne ſçauroient par leur propre puiſſance rendre la vie à un mort réellement mort. Ils ne le peuvent que par la vertu de Dieu, qui quand il le juge à propos, eſt le maître d’accorder cette grace à leurs prieres & à leur interceſſion.


CHAPITRE II.

Réſurrections de gens qui n’étoient pas
vraiment morts
.

LEs Réſurrections de quelques perſonnes qu’on avoit crûes mortes, & qui ne l’étoient pas, mais ſimplement endormies ou attaquées de létargie ; & de celles que l’on tenoit pour mortes, ayant été noyées, & qui ſont revenuës par le ſoin qu’on en a pris, par les remedes qu’on leur a donnés, ou par l’adreſſe des Médecins ; ces ſortes de gens ne doivent point paſſer pour vraiment reſſuſcités : ils n’étoient pas morts, ou ils ne l’étoient qu’en apparence.

Nous avons deſſein de parler ici d’une autre ſorte de gens reſſuſcités, qui étoient enterrés quelquefois depuis pluſieurs mois, ou même depuis pluſieurs années ; qui auroient dû être étouffés dans leurs tombeaux, quand ils auroient été enterrés tout vivans ; & dans qui l’on trouve encore des ſignes de vie, le ſang liquide, les chairs entieres, le coloris beau & vermeil, les membres flexibles & maniables. Ces gens qui reviennent ou le jour ou la nuit, inquiétent les vivans, leur ſucent le ſang, les font mourir, paroiſſent avec leurs habits dans leurs familles, s’aſſeyent à table, & ſont milles autres choſes, puis retournent dans leurs tombeaux, ſans qu’on voie comment ils y ſon rentrés. Ce ſont des eſpeces de Réſurrections momentanées : car au lieu que les autres morts dont parle l’Ecriture, ont vêcu, bû, mangé & converſé avec les autres hommes après leur Réſurrection, comme Lazare frere de Marie & de Marthe[6], & le fils de la veuve de Sunam reſſuſcité par Eliſée[7] ; ceux-ci ne paroiſſent que pendant un certain tems, en certains pays, dans certaines circonſtances, & ne paroiſſent plus dès-qu’on les a empalés ou brûlés, ou qu’on leur a coupé la tête.

Si cette derniere ſorte de Reſſuſcités n’étoient pas réellement morts, il n’y a de merveilleux dans leur retour au monde, que la maniere dont il ſe fait, & les circonſtances dont il eſt accompagné. Ces Revenans ſe réveillent-ils ſimplement de leur ſommeil, ou reprennent-ils leurs eſprits, comme ceux qui ſont tombés en ſyncope, en foibleſſe, ou en défaillance, & qui au bout d’un certain tems reviennent naturellement à eux-mêmes, lorſque le ſang & les eſprits animaux ont repris leur cours & leur mouvement naturel ?

Mais comment ſortir de leurs tombeaux ſans ouvrir la terre, & comment y rentrer ſans qu’il y paroiſſe ? A-t-on vû des létargies, ou des pamoiſons, ou des ſyncopes durer des années entieres ? Si l’on veut que ce ſoient des Réſurrections réelles, a-t-on vû des morts ſe reſſuſciter eux-mêmes & par leur propre vertu ?

S’ils ne ſont pas reſſuſcités par eux-mêmes, eſt-ce par la vertu de Dieu qu’ils ſont ſortis de leurs tombeaux ? Quelle preuve a-t-on, que Dieu s’en ſoit mêlé ? quel eſt l’objet de ces Réſurrections ? Eſt-ce pour manifeſter les œuvres de Dieu dans ces Vampires ? Quelle gloire en revient-il à la Divinité ?

Si ce n’eſt pas Dieu qui les tire de leurs tombeaux, eſt-ce un Ange, eſt-ce un Démon, eſt-ce leur propre Ame ? L’Ame ſéparée du corps peut-elle y rentrer quand elle le veut, & lui donner une nouvelle vie, ne fût-ce que pour un quart d’heure ? Un Ange ou un Démon peuvent-ils rendre la vie à un mort ? Non ſans doute, ſans l’ordre, ou du moins ſans la permiſſion de Dieu. On a examiné ailleurs cette queſtion du pouvoir naturel des Anges & des Démons ſur les corps humains, & l’on a fait voir que ni la révélation, ni la raiſon, ne nous donnent aucune lumiere certaine ſur ce ſujet.

CHAPITRE III.

Réſurrection d’un homme enterré depuis
trois ans, reſſuſcité par ſaint
Staniſlas
.

TOutes les vies des Saints ſont pleines de Réſurrections de morts ; on pourroit en compoſer de gros volumes.

Ces Réſurrections ont un rapport manifeſte à la matiere que nous traitons ici, puiſqu’il eſt queſtion de perſonnes mortes, ou tenues pour telles, qui apparoiſſent en corps & en ame aux vivans, & qui vivent après leur Réſurrection. Je me contenterai de rapporter l’Hiſtoire de S. Staniſlas Evêque de Cracovie, qui reſſuſcita un homme mort depuis trois ans, avec des circonſtances ſi ſingulieres & d’une façon ſi publique, que la choſe eſt au-deſſus de la plus ſévére critique : ſi elle eſt bien véritable, elle doit être conſidérée comme un des plus inſignes miracles qui ſe liſent dans l’Hiſtoire. On avance que la vie du Saint a été écrite ou du tems de ſon Martyre[8], ou peu de tems après, par différens Auteurs exactement informés : car le Martyre du Saint, & ſurtout la Réſurrection du mort dont nous allons parler, ont été vûs & connus d’une infinité de perſonnes, de toute la Cour du Roi Boleſlas ; & cet événement s’étant paſſé en Pologne, où les Vampires ſont fréquens encore aujourd’hui, regarde par cet endroit plus particulierement le ſujet que nous traitons.

L’Evêque S. Staniſlas ayant acheté d’un Gentilhomme nommé Pierre une terre ſituée ſur la Viſtule, dans le territoire de Lublin, au profit de ſon Egliſe de Cracovie, en donna le prix au vendeur en préſence de témoins, & avec les ſolennités requiſes dans le pays, mais ſans écritures : car alors on n’écrivoit que rarement en Pologne ces ſortes de ventés & d’achats ; on ſe contentoit de témoins. Staniſlas entra en poſſeſſion de cette terre par l’autorité du Roi ; & ſon Egliſe en jouit paiſiblement pendant environ trois ans.

Dans l’intervalle, Pierre qui l’avoit venduë, vint à mourir. Le Roi de Pologne Boleſlas, qui avoit conçu une haine implacable contre le S. Evêque,

qui l’avoit repris librement de ſes excès, cherchant l’occaſion de lui faire peine, ſuſcita les trois fils de Pierre & ſes héritiers, & leur dit de répéter la terre, que leur Pere avoit venduë, ſous prétexte qu’elle n’avoit pas été payée : il leur promit d’appuyer leur demande, & de la leur faire rendre. Ces trois Gentilshommes firent donc citer l’Evêque en la préſence du Roi, qui étoit alors à Solec occupé à rendre la juſtice ſous des tentes à la campagne, ſelon l’ancienne maniere du pays, dans l’aſſemblée générale de la Nation. L’Evêque fut cité devant le Roi, & ſoûtint qu’il avoit acheté & payé la terre en queſtion. Les témoins n’oſerent rendre témoignage à la vérité. Le lieu où ſe tenoit l’aſſemblée étoit fort près de Pietravin ; c’étoit le nom de la terre conteſtée. Le jour commencoit à baiſſer, & l’Evêque couroit grand riſque d’être condamné par le Roi & par ſes Confeillers. Tout d’un coup comme inſpiré de l’Eſprit divin, il promit au Roi de lui amener dans trois jours Pierre ſon vendeur ; la condition fut acceptée avec moquerie, comme impoſſible à exécuter.

Le ſaint Evêque ſe rend à Pietravin, demeure en prieres, & s’exerce au jeûne avec les ſiens pendant trois jours : le troiſiéme jour il va en habits Pontificaux, accompagné de ſon Clergé & d’une multitude de peuple, au tombeau de Pierre, fait lever la tombe, & creuſer juſqu’à ce que l’on trouvât le cadavre du mort tout décharné & corrompu. Le Saint lui ordonne de ſortir, & de venir rendre témoignage à la vérité devant le tribunal du Roi. Il ſe leve : on le couvre d’un manteau ; le Saint le prend par la main & le mene vivant aux pieds du Roi. Perſonne n’eut la hardieſſe de l’interroger ; mais il prit la parole, & déclara qu’il avoit vendu de bonne ſoi la terre au Prélat, & qu’il en avoit reçu le prix : après quoi il reprit ſévérement ſes fils, qui avoient ainſi malicieuſement accuſé le S. Evêque.

Staniſlas lui demanda s’il ſouhaitoit reſter en vie pour faire pénitence : il le remercia, & dit qu’il ne vouloit pas s’expoſer de nouveau au danger de pécher. Staniſlas le reconduiſit à ſon tombeau ; & y étant arrivé, il s’endormit de nouveau au Seigneur. On peut juger qu’une pareille ſcene eut une infinité de témoins, & que toute la Pologne en fut informée dans le moment. Le Roi n’en fut que plus irrité contre le Saint. Il le tua quelque tems après de ſa propre main, comme il ſortoit de l’Autel, & fit couper ſon corps en 72 parties, afin qu’on ne pût les raſſembler, pour leur rendre le culte qui leur étoit dû, comme au corps d’un Martyr de la vérité, & de la liberté paſtorale.

Venons à préſent à ce qui ſait le principal ſujet de ces recherches, qui ſont les Vampires ou Revenans de Hongrie & de Moravie, & autres pareils, qui paroiſſent ſeulement pour peu de tems dans leurs corps naturels.

CHAPITRE IV.

Un homme réellement mort peut-il apparoître
en ſon propre corps ?

SI ce qu’on raconte des Vampires étoit bien vrai, la queſtion que nous faiſons ici ſeroit frivole & inutile ; on répondroit tout de ſuite : on voit tous les jours en Hongrie, en Moravie & en Pologne des perſonnes mortes & enterrées depuis long-tems, revenir, apparoître, tourmenter les hommes & les animaux, leur ſucer le ſang, les faire mourir.

Ces perſonnes reviennent dans leurs propres corps ; on les voit, on les connoît, on les exhume, on leur fait leur procès, on les ampale, on leur coupe la tête, on les brûle. Il eſt donc non ſeulement poſſible, mais très-vrai & très-réel, qu’ils apparoiſſent dans leurs propres corps.

On pourroit ajoûter pour appuyer cette créance, que dans l’Ecriture même, on a des exemples de ces Apparitions : par exemple, à la Transfiguration du Sauveur, Elie & Moïſe apparurent ſur le Thabor[9], s’y entretenant avec Jeſus-Chriſt. Nous ſavons qu’Elie eſt encore en vie, je ne le cite pas pour l’exemple ; mais pour Moïſe, ſa mort n’eſt pas douteuſe, & toutefois il paroît avec Elie dans ſon propre corps parlant avec Jeſus-Chriſt. Les morts qui ſortirent de leurs tombeaux à la Réſurrection du Sauveur[10], & qui apparurent à pluſieurs perſonnes dans Jéruſalem, étoient dans leurs ſepulchres depuis pluſieurs années : leur mort n’étoit pas douteuſe ; & cependant ils apparurent, & rendirent témoignage à la Réſurrection du Sauveur.

Lorſque Jéremie apparut à Judas Machabée[11], & qu’il lui mit en main un glaive d’or, en lui diſant : recevez cette épée comme un don de Dieu, avec laquelle vous ſurmonterez les ennemis de mon peuple d’Iſraël ; ce fut apparemment ce Prophete en ſon propre corps, qui lui apparut, & lui fit ce préſent, puiſqu’on le reconnut à ſon air pour être le Prophete Jéremie.

Je ne parle point des perſonnes réellement reſſuſcitées par miracle, comme du fils de la veuve de Sunam reſſuſcité par Eliſée ; ni du mort qui ayant touché le cercueil du même Prophete, ſe leva ſur ſes pieds & reſſuſcita ; ni du Lazare, à qui Jeſus-Chriſt rendit la vie d’une maniere ſi miraculeuſe & ſi éclatante. Ces perſonnes vêcurent, bûrent, mangerent, converſerent parmi les hommes après, comme avant leur mort & leur Réſurrection.

Ce n’eſt pas de ces ſortes de perſonnes dont il eſt ici queſtion. Je parle, par exemple, de Pierre reſſuſcité par Staniſlas pour quelques heures, de ces perſonnes dont j’ai parlé dans le Traité ſur l’apparition des Eſprits, qui ont apparu, parlé & découvert des choſes cachées, & dont la Réſurrection n’a été que momentanée, & ſeulement pour manifeſter la puiſſance de Dieu, afin de rendre témoignage à la vérité & à l’innocence, ou de ſoûtenir la créance de l’Egliſe contre des hérétiques obſtinés, comme on en lit divers exemples.

Saint Martin étant nouvellement fait Archevêque de Tours, conçut quelque ſoupçon contre un Autel que les Evêques ſes Prédéceſſeurs avoient érigé à un prétendu Martyr, dont on ne connoiſſoit, ni le nom, ni l’Hiſtoire, & dont aucun des Prêtres, ni des Miniſtres de la Chapelle ne pouvoient rien dire de certain. Il s’abſtint pendant quelques tems d’aller en ce lieu, qui n’étoit pas éloigné de la ville. Un jour il s’y rendit accompagné d’un petit nombre de Religieux, & s’étant mis en prieres, il demanda à Dieu qu’il lui fit connoître qui étoit celui qui étoit enterré en ce lieu. Alors il apperçut à ſa gauche un Spectre hideux & ſale ; & lui ayant ordonné de lui dire qui il étoit, le Spectre lui déclara ſon nom, & lui confeſſa qu’il étoit un voleur mis à mort pour ſes crimes & ſes violences, & qu’il n’avoit rien de commun avec les Martyrs. Ceux qui étoient préſens entendirent fort bien ce qu’il diſoit, mais ne virent pas la perſonne. Saint Martin fit renverſer ſon tombeau, & guérit le peuple ſuperſtitieux de ſon ignorance.

Le Philoſophe Celſe écrivant contre les Chrétiens, ſoûtenoit que les Apparitions de Jeſus-Chriſt à ſes Apôtres n’étoient pas réelles, mais que c’étoient de ſimples ombres qui apparoiſſoient. Origenes rétorquant ſon raiſonnement[12] lui dit, que les Payens racontent diverſes Apparitions d’Eſculappe & d’Apollon, à qui ils attribuent le pouvoir de prédire l’avenir. Si l’on admet ces Apparitions comme réelles, parce qu’elles ſont atteſtées par quelques perſonnes, pourquoi ne pas reconnoître pour vraies celles de Jeſus-Chriſt, qui ſont racontées par des témoins oculaires, & qui ſont crûes par tant de millions de perſonnes ?

Il raconte enſuite cette Hiſtoire. Ariſtée qui eſt d’une des meilleures maiſons de Proconèſe, étant un jour entré dans la boutique d’un foulon, y mourut ſubitement. Le foulon ayant bien fermé ſa porte, courut incontinent avertir les parens du mort ; mais comme le bruit s’en fut auſſi-tôt répandu par la Ville, un homme de Cyzique, qui venoit d’Aſtace, aſſûra que cela ne pouvoit être, parce qu’il avoit rencontré Ariſtée ſur le chemin de Cyzique, & lui avoir parlé ; ce qu’il ſoûtint hautement devant tout le peuple de Proconèſe.

Là-deſſus les parens arrivent chez le foulon avec tout l’appareil néceſſaire pour enlever le corps ; mais étant entrés dans la maiſon, ils n’y trouverent Ariſtée ni mort ni vivant. Sept ans après il ſe fit voir dans Proconèſe même : il y fit ces vers que l’on nomme arimaſpées, & il diſparut enſuite pour la ſeconde fois. C’eſt ce qu’on en dit dans ces Villes-là.

Trois cens quarante ans après cet événement, le même Ariſtée ſe fit voir à Métaponte en Italie, & ordonna aux Métapontins de bâtir un Autel à Apollon, & d’élever tout auprès une ſtatuë à l’honneur d’Ariſtée de Proconèſe, ajoûtant qu’ils étoient les ſeuls des peuples d’Italie, qu’Apollon eût honorés de ſa préſence ; que pour lui qui leur parloit, il avoit accompagné ce Dieu ſous la figure d’un corbeau ; & leur ayant ainſi parlé, il diſparut.

Les Métapontins envoyèrent conſulter ſur cette Apparition l’Oracle de Delphes, qui leur dit de ſuivre le conſeil qu’Ariſtée leur avoit donné, & qu’ils s’en trouveroient bien. En effet ils éleverent une ſtatue à Appollon, que l’on y voyoit encore du tems d’Hérodote[13], & en même tems une autre ſtatue à Ariſtée, qui ſe voyoit dans un petit bois de lauriers, qui étoit au milieu de la place publique de Métaponte. Celſe ne faiſoit aucune difficulté de croire tout cela ſur la foi d’Hérodote & de Pindare ; & il refuſoit de croire ce que les Chrétiens enſeignoient des miracles de J C. rapportés dans l’Evangile, & ſcellés par le ſang des Martyrs. Origenes ajoûte : qu’el auroit pû être le deſſein de la Providence, en faiſant pour ce Proconéſien les miracles dont on vient de parler ? Quel fruit auroit-elle voulu que les hommes en tiraſſent ? Au lieu que ce que les Chrétiens racontent de Jeſus-Chriſt, s’eſt fait pour confirmer une doctrine ſalutaire au genre humain. Il ſaut donc ou rejetter comme fabuleux cette Hiſtoire d’Ariſtée, ou attribuer tout ce qu’on en dit à l’opération du mauvais Efprit.

CHAPITRE V.

Réſurrection ou Apparition d’une fille morte
depuis quelques mois.

PHlegon affranchi de l’Empereur Adrien[14] dans le fragment du livre qu’il avoit écrit des choſes merveilleuſes, dit qu’à Tralles en Aſie, un certain Machates hôtelier avoit habitude avec une fille nommée Philinnium, fille de Demoſtrate & de Chariton ; cette fille étant morte & miſe dans le tombeau, continua de venir la nuit pendant près de ſix mois voir ſon galant, de boire, de manger, de coucher avec lui. Un jour la nourrice de cette fille la reconnut, lorſqu’elle étoit aſſiſe auprès de Machates : elle courut en donner avis à Chariton mere de la fille, qui après avoir fait beaucoup de difficultés, vint enfin à l’hôtellerie ; mais comme il étoit fort tard, & que tout le monde étoit couché, elle ne put contenter ſa curioſité. Elle reconnut toutefois les habits de ſa fille, & crut la reconnoître couchée avec Machates. Elle revint le lendemain matin ; mais s’etant égarée en chemin, elle ne trouva plus ſa fille, qui s’étoit déja retirée. Machates lui raconta toute la choſe, comme depuis un certain tems elle venoit le trouver chaque nuit ; & pour preuve de ce qu’il diſoit, il ouvrit ſa caſſette, & lui montra l’anneau d’or que Philinnium lui avoit donné, & la bande dont elle couvroit ſon ſein, qu’elle lui avoit laiſſée la nuit précédente.

Chariton ne pouvant plus douter de la vérité du fait, s’abandonna aux cris & aux larmes ; mais comme on promit de l’avertir la nuit ſuivante, quand Philinnium reviendroit, elle s’en retourna chez elle. Le ſoir la fille revint à ſon ordinaire, & Machates envoya auſſi-tôt en avertir ſes Pere & Mere : car il commençoit à craindre que quelqu’autre fille n’eût pris les habits de Philinnium dans ſon ſépulchre pour lui faire illuſion.

Demoſtrate & Chariton étant arivés, reconnurent leur fille & coururent l’embraſſer ; mais elle s’écria : mon Pere & ma Mere, pourquoi avez-vous envié mon bonheur, en m’empêchant de demeurer encore trois jours avec cet hôtelier ſans faire mal à perſonne : car je ne ſuis pas venue ici ſans la permiſſion des Dieux, ceſt-à-dire du Démon, puiſqu’on ne peut attribuer à Dieu ni à un bon Eſprit une choſe comme celle-là. Votre curioſité vous coûtera cher. Au même tems elle tomba roide morte, & étenduë ſur le lit.

Phlegon qui avoit quelque commandement dans la Ville, arrêta la foule, & empêcha le tumulte. Le lendemain le peuple étant aſſemblé au Théatre, on convint d’aller viſiter le caveau où repoſoit Philinnium, qui étoit décedée environ ſix mois auparavant. On y trouva les morts de ſa famille rangés chacun dans ſon rang ; mais on n’y trouva pas le corps de Philinnium. Il y avoit ſeulement un anneau de fer que Machates lui avoit donné, avec une coupe dorée, qu’elle avoit auſſi reçûe de lui. Après cela on retourna au logis de Machates, où le corps de la fille étoit demeuré couché par terre.

On conſulta un Devin, qui dit qu’il falloit l’enterrer hors des limites de la Ville, appaiſer les Furies & Mercure terreſtre, faire des funérailles ſolennelles aux Dieux Manes, & ſacrifier à Jupiter l’Hoſpitalier, à Mercure & à Mars. Phlegon ajoûte en parlant à celui à qui il écrit : Si vous jugez à propos d’en informer l’Empereur, écrivez-le moi, afin que je vous envoie quelques-uns de ceux qui ont été témoins de toutes ces choſes.

Voilà un fait bien circonſtancié, & revêtu de tous les caractéres qui peuvent le faire paſſer pour véritable. Cependant combien de difficultés ne renferme-t-il pas ? Cette fille étoit-elle vraiment morte, ou n’étoit elle qu’endormie ? Sa Réſurrection ſe fit-elle par ſes propres forces, & à ſa volonté, ou étoit-ce un Démon qui lui rendit la vie ? Il ſemble qu’on ne peut douter que ce ne ſût ſon propre corps ; toutes les circonſtances du récit de Phlegon le perſuadent. Si elle n’étoit pas morte, que tout ce qu’elle faiſoit ne fût qu’un jeu & une ſcène qu’elle donnoit pour contenter ſa paſſion avec Machates, il n’y a rien dans tout ce récit de fort incroyable : on ſait de quoi l’amour déréglé eſt capable, & juſqu’à quel point il peut porter une perſonne épriſe d’une paſſion violente.

Le même Phlegon dit, qu’un ſoldat Syrien de l’armée d’Antiochus, après avoir été tué aux Termopyles, parut en plein jour dans le camp des Romains, où il parla à pluſieurs perſonnes.

Haralde ou Hrappe, Danois, qui ſe fit enterrer à l’entrée de ſa cuiſine, & qui apparoiſſant après ſa mort, fut bleſſé par un nommé Olaüs Pa, qui laiſſa le fer de ſa lance dans la plaie ; ce Danois paroiſſoit donc dans ſon propre corps. Etoit-ce ſon Ame qui le remuoit, ou un Démon, qui ſe ſervoit de ce corps mort pour inquiéter & effrayer les vivans ? le faiſoit-il par ſes propres forces ou par la permiſſion de Dieu ? & quelle gloire à Dieu, quel avantage aux hommes pouvoit-il revenir de ces Apparitions ? Niera-t-on tous ces faits racontés d’une maniere ſi circonſtanciée par des Auteurs éclairés, & qui n’ont nul intérêt, ni nulle envie de nous tromper.

Saint Auguſtin raconte, que pendant ſon ſéjour à Milan[15], un jeune homme étoit pourſuivi en juſtice par un particulier, qui lui répétoit une dette déja acquittée par ſon pere, mais dont la quittance ne ſe trouvoit point. L’Ame du pere apparut à ſon fils, & lui enſeigna où étoit la quittance, qui lui donnoit tant d’inquiétude.

Saint Macaire l’Egyptien reſſuſcita un homme mort[16], pour rendre témoignage à l’innocence d’un autre homme accuſé de l’avoir tué. Le mort diſculpa l’accuſé, mais ne voulut pas nommer l’auteur du meurtre.

Le même S. Macaire fit parler un autre mort enterré depuis quelque tems, pour découvrir un dépôt, qu’il avoit reçû & caché à l’inſçû de ſa femme. Le mort déclara que l’argent étoit enfoüi au pied de ſon lit.

Le même S. Macaire ne pouvant autrement réfuter un Hérétique Eunomien, ſelon les uns, ou Hieracite, ſelon les autres, lui dit : allons au tombeau d’un mort & demandons lui, qu’il nous inſtruiſe de la vérité dont vous ne voulez pas convenir. L’Hérétique n’oſa s’y préſenter ; mais S. Macaire s’y rendit accompagné d’une multitude de perſonnes : il interrogea le mort, qui lui répondit du fond de ſon tombeau, que ſi l’Hérétique avoit paru dans l’aſſemblée, il ſe ſeroit levé pour le convaincre, & pour rendre témoignage à la vérité. S. Macaire lui ordonna de s’endormir au Seigneur, juſqu’au tems que J. C. à la fin du monde le reſſuſciteroit en ſon rang.

Les Anciens qui ont rapporté le même fait, varient en quelques circonſtances, comme il eſt aſſez ordinaire quand on ne raconte les choſes que de mémoire.

Saint Spiridion, Evêque de Trimitonte en Egypte[17], avoit une fille nommée Iréne, qui demeura vierge juſqu’à ſa mort. Après ſon décès un particulier vint demander à S. Spiridion un dépôt qu’il avoit confié à Iréne à l’inſçû de ſon pere. On chercha par toute la maiſon ſans rien trouver : enfin Spiridion va au tombeau de ſa fille, & l’appellant par ſon nom, lui demanda où étoit le dépôt. Elle le déclara, & Spiridion le rendit.

Un ſaint Abbé nommé Erricle reſſuſcita pour un moment un homme qui avoit été tué[18], & de la mort duquel on accuſoit un Religieux, qui en étoit très-innocent. Le mort rendit juſtice à l’accuſé, & l’Abbé Erricle lui dit : dormez en paix, juſqu’à ce que le Seigneur vienne au dernier jour pour vous reſſuſciter à l’éternité.

Toutes ces Réſurrections momentanées peuvent ſervir à expliquer comment les Revenans de Hongrie ſortent de leurs tombeaux, puis y rentrent, après s’être fait voir & ſentir pendant quelque tems. Mais la difficulté ſera toujours de ſavoir : 1o. ſi la choſe eſt vraie : 2o. s’ils peuvent ſe reſſuſciter eux-mêmes : & 3o. s’ils ſont réellement morts ou ſeulement endormis. De quelque côté qu’on enviſage ce ſait, il paroît toûjours également impoſſible & incroyable.

CHAPITRE VI.

Femme tirée vivante de ſon tombeau.

ON lit dans un livre nouveau une Hiſtoire, qui a quelque rapport à celle-ci. Un Marchand, de la ruë Saint Honoré à Paris avoit promis ſa fille à un de ſes amis Marchand comme lui dans la même ruë. Un Financier s’étant préſenté pour épouſer la fille, fut préferé au jeune homme, à qui elle avoit été promiſe. Le mariage s’accomplit, & la jeune femme étant tombée malade, fut tenue pour morte, enſevelie & enterrée. Le premier amant ſe doutant qu’elle étoit tombée en léthargie ou en ſyncope, la fit tirer de terre pendant la nuit ; on la fit revenir, & il l’épouſa. Ils paſſerent en Angleterre, & y vêcurent tranquillement pendant quelques années. Au bout de dix ans ils revinrent à Paris, où le premier mari ayant reconnu ſa femme dans une promenade, la réclama en juſtice, & ce ſut la matiere d’un grand procès. La femme & ſon mari ſe défendoient ſur ce que la mort avoit rompu les liens du premier mariage. On accuſoit même le premier mari d’avoir trop précipitamment fait enterrer ſa femme. Les amans prévoyant qu’ils pourroient ſuccomber, ſe retirerent de nouveau dans une Terre étrangere, où ils finirent leurs jours. Ce ſait eſt ſi ſingulier, qu’il trouvera difficilement créance parmi les Lecteurs. Je ne le donne que pour ce qu’il eſt. C’eſt à ceux qui l’avancent, à le garantir & à le prouver.

Qui nous dira que dans l’Hiſtoire de Phlegon, la jeune Philinnium ne fût pas ainſi miſe dans le caveau ſans être bien morte, & que toutes les nuits elle ne vint voir Machatès ſon amant ? Cela étoit bien plus aiſé pour elle, que ne l’auroit été le retour de la femme de Paris qui avoit été enſevelie, enterrée, & étoit demeurée couverte de terre & enveloppée de linge pendant aſſez long-tems.

L’autre exemple rapporté dans le même ouvrage, eſt d’une fille tombée en ſyncope & tenuë pour morte, qui devint enceinte pendant cet intervalle, ſans ſavoir l’auteur de ſa groſſeſſe. C’étoit un Religieux, qui s’étant fait connoître, prétendoit faire annuller ſa profeſſion comme ayant été forcée. Il y eut ſur cela un gros procès, dont on conſerve encore aujourd’hui les factums. Le Religieux fut relevé de ſes vœux, & épouſa la fille. Cet exemple revient encore à celui de Philinnium, & à celui de la jeune femme de la ruë S. Honoré. Ces perſonnes pouvoient n’être pas mortes, ni par conſéquent reſſuſcitées.

CHAPITRE VII.

Venons à préſent à l’examen du fait des
Revenans ou Vampires de Moravie.

JAi appris de feu Monſieur de Vaſſimont, Conſeiller de la Chambre des Comtes de Bar, qu’ayant été envoyé en Moravie par feu ſon Alteſſe Royale Leopold premier Duc de Lorraine, pour les affaires de Monſeigneur le Prince Charles ſon frere, Evêque d’Olmuz & d’Oſnabruch, il fut informé par le bruit public, qu’il étoit aſſez ordinaire dans ce pays-là de voir des hommes décédés quelque tems auparavant, ſe préſenter dans les compagnies, & ſe mettre à table avec les perſonnes de leur connoiſſance ſans rien dire ; mais que faiſant un ſigne de tête à quelqu’un des aſſiſtans, il mouroit infailliblement quelques jours après. Ce fait lui fut confirmé par pluſieurs perſonnes, & entr’autres par un ancien Curé, qui diſoit en avoir vû plus d’un exemple.

Les Evêques & les Prêtres du pays conſulterent Rome ſur un fait ſi extraordinaire ; mais on ne leur fit point de réponſe, parce qu’on y regarda apparemment tout cela comme de pures viſions, ou des imaginations populaires. On s’aviſa enſuite de déterrer les corps de ceux qui revenoient ainſi, de les brûler, ou de les conſumer en quelques autres manieres. Ainſi l’on s’eſt délivré de l’importunité de ces Spectres, qui ſont aujourd’hui beaucoup moins fréquens dans ce pays qu’auparavant. C’eſt ce que diſoit ce bon Prêtre.

Ces apparitions ont donné occaſion à un petit ouvrage intitulé : Magia poſthuma, compoſé par Charles Ferdinand de Schertz, imprimé à Olmuz en 1706. dédié au Prince Charles de Lorraine Evêque d’Olmutz & d’Oſnabruch. L’Auteur raconte, qu’en un certain village une femme étant venuë à mourir munie de tous ſes Sacremens, fut enterrée dans le cimetiere à la maniere ordinaire. Quatre jours après ſon décès, les habitans du Village ouirent un grand bruit & un tumulte extraordinaire, & virent un Spectre qui paroiſſoit tantôt ſous la forme d’un chien, tantôt ſous celle d’un homme, non à une perſonne, mais à pluſieurs, & leur cauſoit de grandes douleurs, leur ſerrant la gorge, & leur comprimant l’eſtomac juſqu’à les ſuffoquer : il leur briſoit preſque tout le corps & les réduiſoit à une foibleſſe extrême, en ſorte qu’on les voyoit pâles, maigres, & exténués.

Le Spectre attaquoit même les animaux, & l’on a trouvé des vaches abbatues & demi-mortes ; quelquefois il les attachoit l’une à l’autre par la queuë. Ces animaux par leurs mugiſſemens marquoient aſſez la douleur qu’ils reſſentoient. On voyoit les chevaux comme accablés de fatigue, tout en ſueur, principalement ſur le dos, échauffés, hors d’haleine, chargés d’écume comme après une longue & pénible courſe. Ces calamités durerent pluſieurs mois.

L’Auteur que j’ai nommé, examine la choſe en Juriſconſulte ; & raiſonne beaucoup ſur le fait & ſur le droit. Il demande, ſi ſuppoſé que ces troubles, ces bruits, ces vexations viennent de cette perſonne qui en eſt ſoupçonnée, on peut la brûler, comme on fait les corps des autres Revenans qui ſont nuiſibles aux vivans. Il rapporte pluſieurs, exemples de pareilles apparitions, & des maux qui s’en ſont enſuivis ; comme d’un Pâtre du village de Blow, près de la Ville de Kadam en Bohême, qui parut pendant quelque tems, & qui appelloit certaines perſonnes, leſquelles ne manquoient pas de mourir dans la huitaine. Les payſans de Blow déterrerent le corps de ce Pâtre, & le ficherent en terre avec un pieu, qu’ils lui paſſerent à travers le corps.

Cet homme en cet état ſe moquoit de ceux qui lui faiſoient ſouffrir ce traitement, & leur diſoit qu’ils avoient bonne grace de lui donner ainſi un bâton pour ſe défendre contre les chiens. La même nuit il ſe releva, & effraya par ſa préſence pluſieurs perſonnes, & en ſuffoqua plus qu’il n’avoit fait juſqu’alors. On le livra enſuite au bourreau, qui le mit ſur une charrette pour le tranſporter hors du village & l’y brûler. Ce cadavre hurloit comme un furieux, & remuoit les pieds & les mains comme vivant ; & lorſqu’on le perça de nouveau avec des pieux, il jetta de très-grands cris, & rendit du ſang très-vermeil, & en grande quantité. Enfin on le brûla, & cette execution mit fin aux Apparitions & aux infeſtations, de ce Spectre.

On en a uſé de même dans les autres endroits, où l’on a vû de ſemblables Revenans, & quand on les a tirés de terre, ils ont paru vermeils, ayant les membres ſouples & maniables, ſans vers & ſans pourriture ; mais non ſans une très-grande puanteur. L’Auteur cite divers autres Ecrivains, qui atteſtent ce qu’il dit de ces Spectres, qui paroiſſent encore, dit-il, aſſez ſouvent dans les montagnes de Sileſie & de Moravie. On les voit & de nuit & de jour, on apperçoit les choſes qui leur ont appartenu ſe remuer & changer de place, ſans qu’il y ait perſonne qui les touche. Le ſeul reméde contre ces apparitions eſt de couper la tête & de brûler le corps de ceux qui reviennent.

Toutefois on n’y procéde pas ſans forme de juſtice : on cite & on entend les témoins ; on examine les raiſons ; on conſidere les corps exhumés, pour voir ſi l’on y trouve les marques ordinaires, qui font conjecturer que ce ſont ceux qui moleſtent les vivans, comme la mobilité, la ſoupleſſe dans les membres, la fluidité dans le ſang, l’incorruption dans les chairs. Si ces marques ſe rencontrent, on les livre au bourreau, qui les brûle. Il arrive quelquefois que les Spectres paroiſſent encore pendant trois ou quatre jours après l’exécution. Quelquefois on differe d’enterrer pendant ſix ou ſept ſemaines les corps des perſonnes ſuſpectes. Lorſqu’elles ne pourriſſent point, & que leurs membres demeurent ſouples & maniables, comme s’ils étoient vivans, alors on les brûle. On aſſure comme certain, que les habits de ces perſonnes ſe meuvent, ſans qu’aucune perſonne vivante les touche ; & l’on a vû depuis peu à Olmuz, continue toûjours notre Auteur, un Spectre qui jettoit des pierres, & cauſoit de grands troubles aux habitans.

CHAPITRE VIII.

Morts de Hongrie, qui ſucent le ſang des
Vivans.

IL y a environ quinze ans qu’un ſoldat étant en garniſon chez un payſan Haïdamaque, frontiére de Hongrie, vit entrer dans la maiſon, comme il étoit à table auprès du maître de la maiſon ſon hôte, un inconnu, qui ſe mit auſſi à table avec eux. Le maître du logis en fut étrangement effrayé, de même que le reſte de la compagnie. Le ſoldat ne ſavoit qu’en juger, ignorant de quoi il étoit queſtion. Mais le maître de la maiſon étant mort dès le lendemain, le ſoldat s’informa de ce que c’étoit. On lui dit que c’étoit le pere de ſon hôte, mort & enterré depuis plus de dix ans, qui s’étoit ainſi venu aſſeoir auprès de lui, & lui avoit annoncé & cauſé la mort.

Le ſoldat en informa d’abord le Régiment, & le Régiment en donna avis aux Officiers Généraux, qui donnerent commiſſion au Comte de Cabreras Capitaine du Régiment d’Alandetti Infanterie, de faire information de ce fait. S’étant tranſporté ſur les lieux avec d’autres Officiers, un Chirurgien & un Auditeur, ils ouirent les dépoſitions de tous les gens de la maiſon, qui atteſterent d’une maniére uniforme, que le Revenant étoit pere du maître du logis, & que tout ce que le ſoldat avoit dit & rapporté étoit dans l’exacte vérité ; ce qui fut auſſi atteſté par tous les habitans du village.

En conſéquence on fit tirer de terre le corps de ce ſpectre, & on le trouva comme un homme qui vient d’expirer, & ſon ſang comme d’un homme vivant. Le Comte de Cabreras lui fit couper la tête, puis le fit remettre dans ſon tombeau. Il fit encore information d’autres pareils Revenans, entr’autres d’un homme mort depuis plus de trente ans, qui étoit revenu par trois fois dans ſa maiſon à l’heure du repas, avoit ſucé le ſang au col, la premiére fois à ſon propre frere, la ſeconde à un de ſes fils, & la troiſiéme à un valet de la maiſon ; & tous trois en moururent ſur le champ. Sur cette dépoſition le Commiſſaire fit tirer de terre cet homme, & le trouvant comme le premier, ayant le ſang fluide, comme l’auroit un homme en vie, il ordonna qu’on lui paſſât un grand clou dans la temple, & enſuite qu’on le remît dans le tombeau.

Il en fit brûler un troiſiéme, qui étoit enterré depuis plus de ſeize ans, & avoit ſucé le ſang, & cauſé la mort à deux de ſes fils. Le Commiſſaire ayant ſait ſon rapport aux Officiers Généraux, on le députa à la Cour de l’Empereur, qui ordonna qu’on envoyât des Officiers de Guerre, de Juſtice, des Médecins & des Chirurgiens, & quelques Sçavans pour examiner les cauſes de ces évenemens ſi extraordinaires. Celui qui nous a raconté ces particularités, les avoit appriſes de Monſieur le Comte de Cabreras à Fribourg en Briſgau en 1730.


CHAPITRE IX.

Récit d’un Vampire, tiré des Lettres juives ;
Lettre 137.

VOici ce qu’on lit dans les lettres juives, nouvelle édition 1738. Lettre 137.

On vient d’avoir dans ces quartiers de Hongrie une ſcène de Vampiriſme qui eſt duement atteſtée par deux Officiers du Tribunal de Belgrade, qui ont fait deſcente ſur les lieux, & par un Officier des troupes de l’Empereur à Gradiſch, qui a été témoin oculaire des procédures.

Au commencement de Septembre mourut dans le village de Kiſilova, à trois lieues de Gradiſch, un vieillard âgé de ſoixante deux ans, &c. Trois jours après avoir été enterré, il apparut la nuit à ſon fils, & lui demanda à manger ; celui-ci lui en ayant ſervi, il mangea, & diſparut. Le lendemain le fils raconta à ſes voiſins ce qui étoit arrivé. Cette nuit le pere ne parut pas ; mais la nuit ſuivante il ſe fit voir, & demanda à manger. On ne ſait pas ſi ſon fils lui en donna ou non ; mais on trouva le lendemain celui-ci mort dans ſon lit : le même jour, cinq ou ſix perſonnes tomberent ſubitement malades dans le Village, & moururent l’un après l’autre peu de jours après.

L’Officier ou Bailli du lieu informé de ce qui étoit arrivé, en envoya une relation au Tribunal de Belgrade, qui fit venir dans le Village deux de ces Officiers avec un boureau pour examiner cette affaire. L’Officier Impérial, dont on tient cette relation, s’y rendit de Gradiſch, pour être témoin d’un fait, dont il avoit ſi ſouvent oui parler.

On ouvrit tous les tombeaux de ceux qui étoient morts depuis ſix ſemaines : quand on vint à celui du Vieillard, on le trouva les yeux ouverts, d’une couleur vermeille, ayant une reſpiration naturelle, cependant immobile comme mort ; d’où l’on conclut qu’il étoit un ſignalé Vampire. Le boureau lui enfonça un pieu dans le cœur. On fit un bûcher, & l’on réduiſit en cendres le cadavre. On ne trouva aucune marque de Vampiriſme, ni dans le cadavre du fils, ni dans celui des autres.

Graces à Dieu, nous ne ſommes rien moins que crédules. Nous avouons que toutes les lumiéres de Phyſique que nous pouvons approcher de ce fait, ne découvrent rien de ces cauſes. Cependant nous ne pouvons refuſer de croire véritable un fait atteſté juridiquement, & par des gens de probité : nous copierons ici ce qui eſt arrivé en 1732. & que nous avons inſéré alors dans le Glaneur N°. xviij.


CHAPITRE X.

Autres Exemples de Revenans. Continuation
du Glaneur.

DAns un certain canton de la Hongrie, nommé en Latin Oppida Heidonum, au de-là du Tibiſque, vulgò Teiſſe, c’eſt-à-dire, entre cette riviére qui arroſe le fortuné terroir de Tockay, & la Tranſilvanie, le peuple connu ſous le nom de Heiduque[19], croit que certains morts, qu’ils nomment Vampires, ſucent tout le ſang des vivans, enſorte que ceux-ci s’extenuent à vûe d’œil, au-lieu que les cadavres, comme des ſang-ſues, ſe rempliſſent de ſang en telle abondance, qu’on le voit ſortir par les conduits, & même par les porres. Cette opinion vient d’être confirmée par pluſieurs faits, dont il ſemble qu’on ne peut douter, vû la qualité des témoins qui les ont certifiés. Nous en rapporterons ici quelques-uns des plus conſidérables.

Il y a environ cinq ans, qu’un certain Heiduque habitant de Médreïga, nommé Arnold Paul, fut écraſé par la chûte d’un chariot de foin. Trente jours après ſa mort, quatre perſonnes moururent ſubitement, & de la maniére que meurent, ſuivant la tradition du pays, ceux qui ſont moleſtés des Vampires. On ſe reſſouvint alors, que cet Arnold Paul avoit ſouvent raconté, qu’aux environs de Caſſova & ſur les frontiéres de la Servie Turque, il avoit été tourmenté par un Vampire Turc : car ils croyent auſſi, que ceux qui ont été Vampires paſſifs pendant leur vie, les deviennent actifs après leur mort, c’eſt-à-dire, que ceux qui ont été ſucés, ſucent auſſi à leur tour ; mais qu’il avoit trouvé moyen de ſe guérir, en mangeant de la terre du ſépulchre du Vampire & en ſe frottant de ſon ſang : précaution qui ne l’empêcha pas cependant de le devenir après ſa mort, puiſqu’il fut exhumé quarante jours après ſon enterrement, & qu’on trouva ſur ſon cadavre toutes les marques d’un Archivampire. Son corps étoit vermeil, ſes cheveux, ſes ongles, ſa barbe s’étoient renouvellés, & ſes veines étoient toutes remplies d’un ſang fluide, & coulant de toutes les parties de ſon corps ſur le linceul dont il étoit environné. Le Hadnagi, ou le Bailli du lieu, en préſence de qui ſe fit l’exhumation, & qui étoit un homme expert dans le Vampiriſme, fit enfoncer, ſelon la coutume, dans le cœur du défunt Arnold Paul un pieu fort aigu, dont on lui traverſa le corps de part en part, ce qui lui fit, dit-on, jetter un cri effroyable, comme s’il étoit en vie. Cette expédition faite, on lui coupa la tête, & l’on brûla le tout. Après cela on fit la même expédition ſur les cadavres de ces quatre autres perſonnes mortes de Vampiriſme, crainte qu’ils n’en fiſſent mourir d’autres à leur tour.

Toutes ces expéditions n’ont cependant pû empêcher, que vers la fin de l’année derniére, c’eſt-à-dire au bout de cinq ans, ces funeſtes prodiges n’ayent recommencé, & que pluſieurs habitans du même village ne ſoient péris malheureuſement. Dans l’eſpace de trois mois, dix-ſept perſonnes de différent ſexe & de différent âge ſont mortes de Vampiriſme, quelques-unes-ſans être malades, & d’autres après deux ou trois jours de langueur. On rapporte entr’autres, qu’une nommée Stanoska, fille du Heiduque Jotuïtzo, qui s’étoit couchée en parfaite ſanté, ſe réveilla au milieu de la nuit toute tremblante, en faiſant des cris affreux, & diſant que le fils du Heiduque Millo mort depuis neuf ſemaines avoit manqué de l’étrangler pendant ſon ſommeil. Dès ce moment elle ne fit plus que languir, & au bout de trois jours elle mourut. Ce que cette fille avoit dit du fils de Millo le fit d’abord reconnoître pour un Vampire : on l’exhuma, & on le trouva tel. Les principaux du lieu, les Médecins, les Chirurgiens examinerent comment le Vampiriſme avoit pû renaître, après les précautions qu’on avoit priſes quelques années auparavant.

On découvrit enfin, aprés avoir bien cherché, que le défunt Arnold Paul avoit tué non ſeulement les quatre perſonnes dont nous avons parlé, mais auſſi pluſieurs beſtiaux, dont les nouveaux Vampires avoient mangé, & entr’autres le fils de Millo. Sur ces indices, on prit la réſolution de déterrer tous ceux qui étoient morts depuis un certain tems, &c. Parmi une quarantaine, on en trouva dix-ſept avec tous les ſignes les plus évidens de Vampiriſme : auſſi leur a-t’on tranſpercé le cœur & coupé la tête, & enſuite on les a brûlés & jetté leurs cendres dans la riviére.

Toutes les informations & exécutions dont nous venons de parler, ont été faites juridiquement, en bonne forme, & atteſtées par pluſieurs Officiers, qui ſont en garniſon dans le pays, par les Chirurgiens Majors des Régimens, & par les principaux habitans du lieu. Le procès-verbal en a été envoyé vers la fin de Janvier dernier au Conſeil de guerre Impérial à Vienne, qui avoit établi une commiſſion militaire, pour examiner la vérité de tous ces faits.

C’eſt ce qu’ont déclaré le Hadnagi Barriarar, & les anciens Heiduques, & ce qui a été ſigné par Battuer, premier Lieutenant du Régiment d’Alexandre de Wirtemberg, Clickſtenger, Chirurgien Major du Régiment de Fruſtemburch, trois autres Chirurgiens de la Compagnie, Guoichitz, Capitaine à Stallath.


CHAPITRE XI.

Raiſonnemens de l’Auteur des Lettres juives
ſur les Revenans.

IL y a deux différens moyens pour détruire l’opinion de ces prétendus Revenans, & montrer l’impoſſibilité des effets, qu’on fait produire à des cadavres entiérement privés de ſentiment. Le premier eſt d’expliquer par des cauſes phyſiques tous les prodiges du Vampiriſme : le ſecond eſt de nier totalement la vérité de ces Hiſtoires ; & ce dernier parti eſt ſans doute le plus certain & le plus ſage. Mais comme il y a des perſonnes à qui l’autorité d’un certificat donné par des gens en place paroît une démonſtration évidente de la réalité du conte le plus abſurde, avant de montrer combien peu on doit faire fonds ſur toutes les formalités de juſtice dans les matiéres qui regardent uniquement la Philoſophie, je ſuppoſerai pour un tems qu’il meurt réellement pluſieurs perſonnes du mal qu’on appelle le Vampiriſme.

Je poſe d’abord ce principe, qu’il ſe peut faire qu’il y ait des cadavres, qui quoique enterrés depuis pluſieurs jours, répandent un ſang fluide par les conduits de leurs corps. J’ajoûte encore qu’il eſt très-aiſé, que certaines gens ſe figurent d’être ſucés par les Vampires, & que la peur que leur cauſe cette imagination, faſſe en eux une révolution aſſez violente pour les priver de la vie. Etant occupés toute la journée de la crainte que leur inſpirent ces prétendus Revenans, eſt-il fort extraordinaire, que pendant leur ſommeil les idées de ces Fantômes ſe préſentent à leur imagination, & leur cauſent une terreur ſi violente, que quelques-uns en meurent dans l’inſtant, & quelques-autres peu après ? Combien de gens n’a-t’on point vûs, que des frayeurs ont fait expirer dans l’inſtant ? La joie même n’a-t’elle pas produit un effet auſſi funeſte ?

J’ai vû dans les Journaux de Leipſik[20] le précis d’un petit ouvrage intitulé : Philoſophicæ & Chriſtianæ cogitationes de ſampiriis, Joanne Chriſtophoro Herenbergio ; Penſées Philoſophiques & Chrétiennes ſur les Vampires, par Jean Chriſtophe Herenberg, à Gérolferliſte en 1733. in-80. L’Auteur nomme un aſſez grand nombre d’Ecrivains, qui ont déja traité cette matiere ; il parle en paſſant d’un ſpectre, qui lui apparut à lui-même en plein midi : il ſoûtient que les Vampires ne font pas mourir les vivans, & que tout ce qu’on en débite, ne doit être attribué qu’au trouble de l’imagination des malades : il prouve par diverſes expériences que l’imagination eſt capable de cauſer de très-grands dérangemens dans le corps & dans les humeurs : il montre qu’en Eſclavonie on empaloit les meurtriers, & qu’on y perçoit le cœur du coupable par un pieu qu’on lui enfonçoit dans la poitrine ; qu’on a exercé le même châtiment envers les Vampires, les ſuppoſant auteurs de la mort de ceux, dont on dit qu’ils ſucent le ſang. Il donne quelques exemples de ce ſupplice exercé contr’eux, l’un de l’an 1337. & l’autre de 1347. Il parle de l’opinion de ceux qui croyent, que les morts mangent dans leurs tombeaux ; ſentiment dont il tâche de prouver l’antiquité par Tertullien au commencement de ſon livre de la Réſurrection, & par S. Auguſtin l. 8. c. 27. de la Cité de Dieu, & au ſermon 15. des Saints.

Voilà à peu près le précis de l’ouvrage de M. Herenberg ſur les Vampires. Le paſſage de Tertullien[21] qu’il cite, prouve fort bien que les Payens offroient de la nourriture à leurs morts, même à ceux dont ils avoient brûlé les corps, dans la croyance que leurs ames s’en repaiſſoient : defunctis parentant, & quidem impenſiſſimo ſtudio, pro moribus eorum, pro temporibus eſculentorum, ut quos ſentire quicquam negant, eſcam deſiderare prœſamant ; ceci ne regarde que les Payens.

Mais S. Auguſtin en pluſieurs endroits parle de la coûtume des Chrétiens, ſurtout de ceux d’Afrique, de porter ſur les tombeaux de la viande & du vin, dont on faiſoit des repas de dévotion, & où l’on invitoit les pauvres, en faveur deſquels ces offrandes étoient principalement inſtituées. Cette pratique eſt fondée ſur le paſſage du livre de Tobie[22] : mettez, votre pain & votre vin ſur la ſepulture du juſte, & gardez-vous d’en manger, ni d’en boire avec les pécheurs. Sainte Monique, mere de S. Auguſtin[23] ayant voulu faire à Milan ce qu’elle avoit accoutumé de faire en Afrique, S. Ambroiſe Evêque de Milan témoigna qu’il n’approuvoit pas cette pratique qui n’étoit pas connue dans ſon Egliſe : la Sainte s’abſtint d’y porter un panier plein de fruits, & du vin, dont elle goûtoit trés-ſobrement avec celles qui l’accompagnoient, abandonnant le reſte aux pauvres. S. Auguſtin remarque au même endroit, que quelques Chrétiens intempérans abuſoient de ces offrandes pour prendre du vin avec excès : ne ulla occaſio ſe ingurgitandi daretur ebrioſis.

Saint Auguſtin[24] fit tant néanmoins par ſes remontrances & ſes prédications, qu’il déracina entiérement cette coutume qui étoit commune dans toute l’Afrique, & dont l’abus n’étoit que trop général. Dans ſes livres de la Cité de Dieu[25] il reconnoît, que cet uſage n’eſt ni général ni approuvé dans l’Egliſe ; & que ceux qui le font, ſe contentent d’offrir cette nourriture ſur les tombeaux des Martyrs, afin que par leurs mérites ces offrandes ſoient ſanctifiées, après quoi ils les emportent, & s’en ſervent pour leur nourriture, & pour celle des pauvres : quicumque ſuis epulas eò deferunt, quod quidem à melioribus Chriſtianis non fit, & in pleriſque terrarum nulla talis eſt conſuetudo ; tamen quicumque id faciunt, quas cùm appoſuerint, orant, & auferunt, ut veſcantur, vel ex eis etiam indigentibus largiantur. Il paroît par deux Sermons qui ont été attribués à S. Auguſtin[26] qu’autrefois cette coûtume s’étoit gliſſée à Rome ; mais elle n’y a guére ſubſiſté, & y a été blâmée & condamnée.

Or s’il étoit vrai que les morts mangeaſſent dans leurs tombeaux, & qu’ils euſſent envie ou beſoin de manger, comme le croyoient ceux dont parle Tertullien, & comme il ſemble qu’on peut l’inférer de la pratique de porter de la viande, des fruits & du vin ſur les tombeaux des Martyrs & des Chrétiens : je crois même avoir des preuves certaines, qu’en certains endroits l’on mettoit auprès du corps des morts en terre dans les cimetiéres, ou dans les Egliſes, de la viande, du vin, & d’autres liqueurs. J’ai dans notre cabinet pluſieurs vaſes d’argile & de verre, même des aſſiétes, où l’on voit des oſſelets de cochon & de volailles, le tout trouvé bien avant ſous la terre dans l’Egliſe de l’Abbaye de S. Manſuy près la ville de Toul.

On m’a fait remarquer que ces monumens trouvés dans la terre étoient enfonçés dans une terre vierge, qui n’avoit jamais été remuée, & auprès de certains vaſes ou urnes remplies de cendres, & contenant quelques petits os, qui n’avoient pû être conſumés par les flammes ; & comme on ſait que les Chrétiens ne brûloient pas leurs morts, & que ces vaſes dont nous parlons, ſont placés au-deſſous du terrain remué dans lequel on trouve les tombeaux des Chrétiens, on en a inféré avec aſſez de probabilité, que ces vaſes, la nourriture & la boiſſon qu’on enterroit auprès d’eux, étoient deſtinés, non pour des Chrétiens, mais pour des Payens. Ceux-ci au moins croyoient donc que les morts mangeoient dans l’autre vie. On ne peut douter que les anciens Gaulois[27] ne fuſſent dans cette perſuaſion : ils ſont ſouvent repréſentés ſur leurs tombeaux avec des bouteilles à la main & des paniers pleins de fruits & d’autres choſes comeſtibles, ou des vaſes à boire & des gobelets[28]. Ils emportoient même les contrats & obligations de ce qui leur étoit dû, pour s’en faire payer dans les Enfers. Negotiorum ratio, etiam exactio crediti deferebatur ad inferos.

Or s’ils croyoient que les morts mangeoient dans leurs tombeaux, qu’ils pouvoient revenir, viſiter, conſoler, inſtruire, inquiéter les vivans, & leur prédire leur mort prochaine ; le retour des Vampires n’eſt donc ni impoſſible, ni incroyable dans l’idée de ces Anciens.

Mais comme tout ce qu’on dit des morts, qui mangent dans leurs tombeaux ou hors de leurs tombeaux, eſt chimérique, & hors de toute vraiſemblance, que la choſe eſt même impoſſible & incroyable, quel que ſoit le nombre & la qualité de ceux qui l’ont crû, ou qui ont paru le croire, je dirai toujours que le retour des Vampires eſt inſoûtenable & impratiquable.

CHAPITRE XII.

Suite du raiſonnement du glaneur Hollandais.

EN examinant le récit de la mort des prétendus Martyrs du Vampiriſme, je découvre les ſymptômes d’un fanatiſme épidémique, & je vois clairement que l’impreſſion que la crainte fait ſur eux, eſt la vraie cauſe de leur perte. Une nommée Stanoska fille, dit-on, du Heiduque Sovitzo, qui s’étoit couchée en parfaite ſanté, ſe réveilla au milieu de la nuit toute tremblante & faiſant des cris affreux, diſant que le fils du Heiduque Millo, mort depuis neuf ſemaines, avoit manqué de l’étrangler pendant ſon ſommeil. Dès ce moment elle ne fit que languir, & au bout de trois jours elle mourut.

Pour quiconque a des yeux tant ſoit peu philoſophiques, ce ſeul récit ne doit-il pas lui montrer, que ce prétendu vampiriſme n’eſt qu’une imagination frappée. Voilà une fille qui s’éveille, qui dit qu’on a voulu l’étrangler, & qui cependant n’a point été ſucée, puiſque ſes cris ont empêché le Vampire de faire ſon repas. Elle ne l’a pas été apparemment dans la ſuite, puiſqu’on ne la quitta pas ſans doute pendant les autres nuits, & que ſi le Vampire l’eût voulu moleſter, ſes plaintes en euſſent averti les aſſiſtans. Elle meurt pourtant trois jours après. Sa frayeur & ſon abattement, ſa triſteſſe & ſa langueur marquent évidemment combien ſon imagination étoit frappée.

Ceux qui ſe ſont trouvés dans les villes affligées de la peſte, ſavent par expérience à combien de gens la crainte coûte la vie. Dès qu’un homme ſe ſent attaqué du moindre mal, il ſe figure qu’il eſt atteint de la maladie épidémique, & il ſe ſait en lui un ſi grand mouvement, qu’il eſt preſque impoſſible qu’il réſiſte à cette révolution. Le Chevalier de Maiſin m’a aſſûré, lorſque j’étois à Paris, que ſe trouvant à Marſeille pendant la contagion qui régnoit dans cette Ville, il avoit vû mourir une femme de la peur qu’elle eut d’une maladie aſſez légére de ſa ſervante, qu’elle croyoit atteinte de la peſte ; la fille de cette femme ſut malade à la mort.

D’autres perſonnes qui étoient dans la même maiſon, ſe mirent au lit, envoyerent chercher un Médecin, & aſſuroient qu’elles avoient la peſte. Le Médecin arrivé viſita d’abord la ſervante & les autres malades, & aucun d’eux n’avoit la maladie épidémique : il tâcha de rendre le calme à leurs eſprits, & leur ordonna de ſe lever & de vivre à leur ordinaire ; mais tous ſes ſoins furent inutiles auprès de la Maîtreſſe de la maiſon, qui mourut deux jours après de la ſeule frayeur.

Conſidérez le ſecond récit de la mort d’un Vampire paſſif, & vous verrez les preuves les plus évidentes des terribles effets de la crainte & des préjugés ; voyez ci-devant Chapitre XI. Cet homme trois jours après avoir été enterré apparoît la nuit à ſon fils, demande à manger, mange & diſparoît. Le lendemain le fils raconte à ſes voiſins ce qui lui étoit arrivé. Cette nuit le Pere ne parut pas ; mais la nuit ſuivante on trouva le fils mort dans ſon lit. Qui peut ne pas voir dans ces paroles les marques les plus certaines de la prévention & de la peur ? La première fois qu’elles agiſſent ſur l’imagination du prétendu moleſté du Vampiriſme, elles ne produiſent point leur entier effet, & ne font que diſpoſer ſon eſprit à être plus ſuſceptible d’en être vivement frappé ; auſſi cela ne manqua-t’il pas d’arriver, & de produire l’effet qui naturellement devoit ſuivre. Prenez-garde que le mort ne revint point la nuit du jour que ſon fils communiqua ſon ſonge à ſes amis, parce que, ſelon toutes les apparences, ceux-ci veillerent avec lui, & l’empêcherent de ſe livrer à la crainte.

Je viens à préſent à ces cadavres pleins d’un ſang fluide, dont la barbe, les cheveux & les ongles ſe renouvellent. L’on peut rabattre les trois quarts de ces prodiges : encore a-t’on bien de la complaiſance d’en admettre une petite partie. Tous les Philoſophes connoiſſent aſſez, combien le peuple, & même certains Hiſtoriens groſſiſſent les choſes qui paroiſſent tant ſoit peu extraordinaires. Cependant il n’eſt pas impoſſible d’en expliquer phyſiquement la cauſe.

L’expérience nous apprend qu’il y a certains terrains, qui ſont propres à conſerver les corps dans toute leur fraîcheur. Les raiſons en ont été ſouvent expliquées, ſans que je me donne la peine d’en faire un récit particulier. Il ſe trouve à Toulouſe un caveau dans une Egliſe de Moines, où les corps reſtent ſi parfaitement dans leur entier, qu’il y en a qui y ſont depuis près de deux ſiécles, qui paroiſſent vivans.

On les a rangés de bout contre la muraille, & ils ont leurs habillemens ordinaires. Ce qu’il y a de plus particulier, eſt que les corps qu’on met de l’autre côté de ce même caveau, deviennent deux ou trois jours après la pâture des vers.

Quant à l’acroiſſement des ongles, des cheveux & de la barbe, on l’apperçoit très-ſouvent dans pluſieurs cadavres. Tandis qu’il reſte encore beaucoup d’humidité dans les corps, il n’y a rien de ſurprenant que pendant quelque tems on voie quelques augmentations dans des parties, qui n’exigent point les eſprits vitaux.

Le ſang fluide, coulant par les canaux du corps, ſemble former une plus grande difficulté ; mais on peut donner des raiſons phyſiques de cet écoulement. Il pourroit fort bien arriver, que la chaleur du ſoleil venant à échauffer les parties nitreuſes & ſulfureuſes, qui ſe trouvent dans les terres propres à conſerver les corps, ces parties s’étant incorporées dans les cadavres nouvellement enterrés, viennent à fermenter, décoagulent & défigent le ſang caillé, le rendent liquide, & lui donnent le moyen de s’écouler peu à peu par les canaux.

Ce ſentiment eſt d’autant plus probable, qu’il eſt confirmé par une expérience. Si l’on fait bouillir dans un vaiſſeau de verre ou de terre une partie de chile ou de lait mêlée avec deux parties d’huile de tartre faite par défaillance, la liqueur de blanche qu’elle étoit deviendra rouge, parce que le ſel de tartre aura raréfié & entiérement diſſous la partie du lait la plus huileuſe, & l’aura convertie en une eſpéce de ſang. Celui qui ſe forme dans les vaiſſeaux du corps eſt un peu plus rouge ; mais il n’eſt pas plus épais. Il n’eſt donc pas impoſſible que la chaleur cauſe une fermentation, qui produiſe à peu près les mêmes effets que cette expérience ; & l’on trouvera cela beaucoup plus aiſé, ſi l’on conſidére, que les ſucs des chairs & des os reſſemblent beaucoup à du chile, & que les graiſſes & les moëlles ſont les parties les plus huileuſes du chile. Or toutes ces parties, en fermentant, doivent par la régle de l’expérience ſe changer en une eſpéce de ſang. Ainſi outre celui qui ſeroit décoagulé & défigé, les prétendus Vampires répandroient encore celui qui ſe formeroit de la fonte des graiſſes.


CHAPITRE XIII.

Récit tiré du Mercure galant de 1693.
& 1694. ſur les Revenans.

LEs mémoires publics des années 1693 & 1694. parlent des Oupires, Vampires ou Revenans, qui ſe voient en Pologne, & ſur-tout en Ruſſie. Ils paroiſſent depuis midi juſqu’à minuit, & viennent ſucer le ſang des hommes ou des animaux vivans en ſi grande abondance, que quelquefois il leur ſort par la bouche, par le nez, & principalement par les oreilles, & que quelquefois le cadavre nage dans ſon ſang répandu dans ſon cercueil[29]. On dit que le Vampire a une eſpéce de faim, qui lui fait manger le linge qu’il trouve autour de lui. Ce rédivive ou Oupire ſorti de ſon tombeau, ou un Démon ſous ſa figure, va la nuit embraſſer & ſerrer violemment ſes proches ou ſes amis, & leur ſuce le ſang, juſqu’à les affoiblir, les exténuer & leur cauſer enfin la mort. Cette perſécution ne s’arrête pas à une ſeule perſonne ; elle s’étend juſqu’à la derniére perſonne de la famille, à moins qu’on n’en interrompe le cours en coupant la tête, ou en ouvrant le cœur du Revenant, dont on trouve le cadavre dans ſon cercueil mol, fléxible, enflé & rubicond, quoiqu’il ſoit mort depuis long-tems. Il ſort de ſon corps une grande quantité de ſang, que quelques-uns mêlent avec de la farine pour faire du pain ; & ce pain mangé à l’ordinaire, les garantit de la vexation de l’Eſprit, qui ne revient plus.

CHAPITRE XIV.

Conjectures du glaneur de Hollande en
1733. No. ix.

LE glaneur Hollandois, eſprit peu crédule, ſuppoſe la vérité de ces faits comme certains, n’ayant aucune bonne raiſon pour la conteſter ; il en raiſonne d’une maniére peu ſérieuſe, & prétend que les peuples chez qui l’on voit des Vampires, ſont très-ignorans & très-crédules, en ſorte que les apparitions dont on parle ne ſont que des effets de leur imagination frappée. Le tout eſt occaſionné & augmenté par la mauvaiſe nourriture de ces peuples, qui la plûpart du tems ne mangent que du pain fait d’avoine, de racines, & d’écorce d’arbre, alimens qui ne peuvent engendrer qu’un ſang groſſier, & par conſéquent très-diſpoſé à la corruption, & à produire dans l’imagination des idées ſombres & fâcheuſes.

Il compare ce mal à celui de la morſure d’un chien enragé, qui communique ſon venin à la perſonne qui eſt mordue. Ainſi ceux qui ſont infectés du Vampiriſme, communiquent ce dangereux poiſon à ceux qu’ils fréquentent. De-là les inſomnies, les rêves & les prétendues apparitions des Vampires.

Il conjecture que ce poiſon n’eſt autre choſe qu’un ver qui ſe nourrit de la plus pure ſubſtance de l’homme, qui ronge inceſſamment ſon cœur, qui fait mourir le corps, & qui ne l’abandonne pas même au fond du tombeau. Il eſt certain que les corps de ceux qui ont été empoiſonnés, ou qui meurent de contagion, ne deviennent point roides après leur mort, parce que le ſang ne ſe congéle point dans les veines ; au contraire il ſe raréfie, & bouillonne à peu près de même que dans les Vampires, à qui la barbe, les cheveux & les ongles croiſſent, dont la peau eſt vermeille, qui paroiſſent engraiſſés, à cauſe du ſang qui ſe gonfle & abonde de toutes parts.

Quant au cri que les Vampires font lorſqu’on leur enfonce le pieu dans le cœur, rien n’eſt plus naturel : l’air qui s’y trouve renfermé & que l’on en fait ſortir avec violence, produit néceſſairement ce bruit en paſſant par la gorge. Souvent les corps morts en font bien ſans qu’on les touche. Il conclut qu’il n’y a que l’imagination dérangée par la mélancolie ou la ſuperſtition, qui puiſſe ſe figurer que la maladie dont on vient de parler, ſoit produite par des cadavres Vampires, qui viennent ſucer juſqu’à la derniére goutte de ſang.

Un peu auparavant il dit qu’en 1732. on découvrit encore des Vampires dans la Hongrie, la Moravie, & la Servie Turque ; que ce phénoméne eſt trop bien avéré pour qu’on en puiſſe douter ; que pluſieurs Phyſiciens Allemands ont compoſé d’aſſez gros volumes en Latin & en Allemand ſur cette matiére ; que les Académies & les Univerſités Germaniques retentiſſent encore aujourd’hui des noms d’Arnold Paul, de Stanoske fille de Sovitzo & du Heiduque Millo, tous fameux Vampires du quartier de Médreïga en Hongrie.

Voici une lettre qui a été écrite à un de mes amis pour m’être communiquée au ſujet des Revenans de Hongrie[30] ; l’Auteur penſe bien autrement que le glaneur au ſujet des Vampires.

Pour ſatisfaire aux demandes de Monſieur l’Abbé Dom Calmet concernant les Vampires, le ſouſſigné a l’honneur de l’aſſûrer, qu’il n’eſt rien de plus vrai & de ſi certain, que ce qu’il en aura ſans doute lû dans les actes publics & imprimés, qui ont été inſérés dans les Gazettes par toute l’Europe ; mais à tous ces Actes publics qui ont paru, Monſieur l’Abbé doit s’attacher pour un fait véridique & notoire à celui de la députation de Belgrade ordonnée par feu S. M. Imp. Charles VI. de glorieuſe mémoire, & exécutée par feu ſon Alteſſe Séréniſſime le Duc Charles Alexandre de Wurtemberg, pour lors Vice-Roi, ou Gouverneur du Royaume de Servie ; mais je ne puis pour le préſent citer l’année, ni le mois, ni le jour, faute de mes papiers, que je n’ai point préſentement près de mot.

Ce Prince fit partir une députation de Belgrade moitié d’Officiers militaires, & moitié du Civil, avec l’Auditeur Général du Royaume, pour ſe tranſporter dans un village, où un fameux Vampire décédé depuis pluſieurs années faiſoit un ravage exceſſif parmi les ſiens : car notez que ce n’eſt que dans leur famille & parmi leur propre parenté, que ces ſuceurs de ſang ſe plaiſent à détruire notre eſpéce. Cette députation fut compoſée de gens & de ſujets reconnus par leurs mœurs, & même par leur ſavoir, irréprochables & même ſavans parmi les deux ordres : ils furent ſermentés, & accompagnés d’un Lieutenant des Grenadiers du Régiment du Prince Alexandre de Wurtemberg, & de 24 Grenadiers dudit Régiment.

Tout ce qu’il y eut d’honnêtes gens, le Duc lui même qui ſe trouverent à Belgrade, ſe joignirent à cette députation, pour être ſpectateurs oculaires de la preuve véridique qu’on alloit faire.

Arrivé ſur les lieux, l’on trouva que dans l’eſpace de quinze jours le Vampire oncle de cinq tant neveus que niéces, en avoit déja expédié trois & un de ſes propres freres. Il en étoit au cinquiéme, belle jeune fille ſa niece, & l’avoit déja ſucéé deux fois, lorſque l’on mit fin à cette triſte tragédie par les opérations ſuivantes.

On ſe rendit avec les Commiſſaires députés pas loin de Belgrade, dans un village, & cela en public, à l’entrée de la nuit, à ſa ſépulture. Ce Monſieur n’a pû me dire les circonſtances du tems auquel les précédens morts avoient été ſucés, ni les particularités à ce ſujet. La perſonne après avoir été ſucée, ſe trouva dans un état pitoyable de langueur, de foibleſſe, de laſſitude, tant le tourment eſt violent. Il y avoit environ trois ans qu’il étoit enterré ; l’on vit ſur ſon tombeau une lueur ſemblable à celle d’une lampe, mais moins vive.

On fit l’ouverture du tombeau, & l’on y trouva un homme auſſi entier, & paroiſſant auſſi ſain qu’aucun de nous aſſiſtans ; les cheveux, & les poils de ſon corps, les ongles, les dents, & les yeux, (ceux-ci demi-fermés) auſſi fermement attachés après lui, qu’ils le ſont actuellement après nous qui avons vie, & qui exiſtons, & ſon cœur palpitant.

Enſuite l’on procéda à le tirer hors de ſon tombeau, le corps n’étant pas à la vérité flexible, mais n’y manquant nulle partie, ni de chair, ni d’os ; enſuite on lui perça le cœur avec une eſpéce de lance de fer rond & pointu : il en ſortit une matiere blanchâtre & fluide avec du ſang, mais le ſang dominant ſur la matiere, le tout n’ayant aucune mauvaiſe odeur ; enſuite de quoi on lui trancha la tête avec une hache ſemblable à celle dont l’on ſe ſert en Angleterre pour les exécutions : il en ſortit auſſi une matiere & du ſang ſemblable à celle que je viens de dépeindre, mais plus abondamment à proportion de ce qui ſortit du cœur.

Au ſurplus on le rejetta dans ſa foſſe, avec force chaux vive pour le conſommer plus promptement ; & dès-lors ſa Niece qui avoir été ſucée deux ſois, ſe porta mieux. A l’endroit où ces perſonnes ſont ſucées, il ſe forme une tache très-bleuatre ; l’endroit du ſucement n’eſt pas déterminé, tantôt c’eſt en un endroit, tantôt c’eſt en un autre. C’eſt un fait notoire atteſté par les Actes les plus autentiques, & paſſé à la vûe de plus de 1300 perſonnes toutes dignes de foi.

Mais je me réſerve pour ſatisfaire plus en plein la curioſité du ſavant Abbé Dom Calmet, de lui détailler plus en plein ce que j’ai vû à ce ſujet de mes propres yeux, & le remettrai à Monſieur le Chevalier de ſaint Urbain pour le lui envoyer, trop charmé en cela, comme en toute autre choſe, de trouver des occasſions à lui prouver, que perſonne n’eſt avec une ſi parfaite vénération & reſpect que

Son très-humble & très-obéiſſant Serviteur L. de Beloz, ci-devant Capitaine dans le Régiment de feu S. A. S. le Prince Alexandre de Wurtemberg, & ſon Aide de camp, & actuellement premier Capitaine des Grenadiers dans le Régiment de Monſieur le Baron

de la Trenck.


CHAPITRE XV.

Autre lettre ſur les Revenans.

POur ne rien omettre de tout ce qui peut éclaircir cette matiere, je mettrai encore ici la lettre d’un fort honnête homme & fort inſtruit de ce qui regarde les Revenans, écrite à ſon parent.

Vous ſouhaitez, mon cher couſin, être informé au juſte de ce qui ſe paſſe en Hongrie au ſujet de certains Revenans, qui donnent la mort à bien des gens en ce pays-là. Je puis vous en parler ſavamment : car j’ai été pluſieurs années dans ces quartiers-là, & je ſuis naturellement curieux. J’ai oui en ma vie raconter une infinité d’Hiſtoires, ou prétenduës telles, ſur les Eſprits & Sortileges ; mais de mille à peine ai-je ajoûté foi à une ſeule : on ne peut être trop circonſpect ſur cet article ſans courir riſque d’en être la dupe. Cependant il y a certains faits ſi avérés, qu’on ne peut ſe diſpenſer de les croire. Quant aux Revenans de Hongrie, voici comme la choſe s’y paſſe. Une perſonne ſe trouve attaquée de langueur, perd l’appétit, maigrit à vûe d’œil, & au bout de huit ou dix jours, quelquefois quinze, meurt ſans fiévre ni aucun autre ſymptôme, que la maigreur & le deſſéchement.

On dit en ce pays-là que c’eſt un Revenant qui s’attache à elle & lui ſuce le ſang. De ceux qui ſont attaqués de cette maladie, la plûpart croyent voir un Spectre blanc, qui les ſuit par tout comme l’ombre fait le corps. Lorſque nous étions en quartier chez les Valaques dans le Bannat de Temeſwar, deux Cavaliers de la Compagnie dont j’étois Cornette, moururent de cette maladie, & pluſieurs autres qui en étoient encore attaqués, en ſeroient morts de même, ſi un Caporal de notre Compagnie n’avoit fait ceſſer la maladie, en exécutant le remede que les gens du pays emploient pour cela. Il eſt des plus particuliers, & quoiqu’infaillible, je ne l’ai jamais lû dans aucun rituel. Le voici.

On choſit un jeune garçon qui eſt d’âge à n’avoir jamais fait œuvre de ſon corps, c’eſt-à-dire, qu’on croit vierge. On le fait monter à poil ſur un cheval entier qui n’a jamais ſailli, & abſolument noir ; on le fait promener dans le cimetiere, & paſſer ſur toutes les foſſes : celle où l’animal refuſe de paſſer malgré force coups de corvache qu’on lui délivre, eſt réputée remplie d’un Vampire ; on ouvre cette foſſe, & l’on y trouve un cadavre auſſi gras & auſſi beau, que ſi c’étoit un homme heureuſement & tranquillement endormi : on coupe le col à ce cadavre d’un coup de bêche, dont il ſort un ſang des plus beaux & de plus vermeils, & en quantité. On jureroit que c’eſt un homme des plus ſains, & des plus vivans qu’on égorge. Cela fait, on comble la foſſe, & on peut compter que la maladie ceſſe, & que tous ceux qui en étoient attaqués, recouvrent leurs forces petit à petit, comme gens qui échapent d’une longue maladie, & qui ont été exténués de longue-main. C’eſt ce qui arriva à nos Cavaliers qui en étoient attaqués. J’étois pour lors Commandant de la Compagnie, mon Capitaine & mon Lieutenant étant abſens ; je fus très-piqué que ce Caporal eût ſait faire cette expérience ſans moi. J’eus toutes les peines du monde de me vaincre, & de ne le pas régaler d’une volée de coups de bâton, marchandiſe qui ſe donne à bon prix dans les troupes de l’Empereur. J’aurois voulu pour toutes choſes au monde être préſent à cette opération ; mais enfin il fallut en paſſer par-là.

Un parent de ce même Officier m’a fait écrire le 17 Octobre 1746. que ſon frere qui a ſervi pendant 20 ans en Hongrie, & qui a très-curieuſement examiné tout ce qu’on y dit des Revenans, reconnoît que les peuples de ce pays ſont plus crédules & plus ſuperſtitieux que les autres peuples, & qu’ils attribuent les maladies qui leur arrivent à des Sortileges. Que d’abord qu’ils ſoupçonnent une perſonne morte de leur avoir envoyé cette incommodité, ils la déferent au Magiſtrat, qui ſur la dépoſition de quelques témoins fait exhumer le mort ; on lui coupe la tête avec une bêche, & s’il en ſort quelque goute de ſang, ils en concluent que c’eſt le ſang qu’il a ſucé à la perſonne malade. Mais celui qui m’écrit paroît fort éloigné de croire ce que l’on en penſe dans ce pays là.

A Warſovie un Prêtre ayant commandé à un Sellier de lui faire une bride pour ſon cheval, mourut auparavant que la bride fût faite ; & comme il étoit de ceux que l’on nomme Vampires en Pologne, il ſortit de ſon tombeau habillé comme on a coutume d’inhumer les Eccléſiaſtiques, prit ſon cheval à l’écurie, monta deſſus, & fut à la vûe de tout Warſovie à la boutique du Sellier, où d’abord il ne trouva que la femme qui fut effrayée, & appella ſon mari qui vint ; & ce Prêtre lui ayant demandé ſa bride, il lui répondit : Mais vous êtes mort, Mr. le Curé ; à quoi il répondit : je te vas faire voir que non, & en même tems le frappa de telle ſorte, que le pauvre Sellier mourut quelques jours après, & le Prêtre retourna à ſon tombeau.

L’intendant du Comte Simon Labienski, Staroſte de Poſnanie, étant mort, la Comteſſe Douairiere de Labienski voulut par reconnoiſſance de ſes ſervices qu’il fût inhumé dans le caveau des Seigneurs de cette famille ; ce qui fut exécuté. Quelque tems après le Sacriſtain qui avoit ſoin du caveau, s’apperçût qu’il y avoit du dérangement, & en avertit la Comteſſe, qui ordonna ſuivant l’uſage reçû en Pologne, qu’on lui coupât la tête ; ce qui fut fait en préſence de pluſieurs perſonnes, & entr’autres du ſieur Jouvinski, Officier Polonois & Gouverneur du jeune Comte Simon Labienski, qui vit que lorſque le Sacriſtain tira ce cadavre de ſa tombe pour lui couper la tête, il grinça les dents, & le ſang en ſortit auſſi fluide que d’une perſonne qui mourroit d’une mort violente, ce qui fit dreſſer les cheveux à tous les aſſiſtans, & l’on trempa un mouchoir blanc dans le ſang de ce cadavre, dont on fit boire à tous ceux de la maiſon pour n’être point tourmentés.

CHAPITRE XVI.

Veſtiges prétendus du Vampiriſme dans
l’Antiquité.

QUelques Savans ont crû trouver des veſtiges du Vampiriſme dans la plus haute Antiquité ; mais tout ce qu’ils en ont dit n’approche point de ce qu’on raconte des Vampires. Les Lamies, les Striges, les Sorciers qu’on accuſoit de ſucer le ſang des vivans & de les faire mourir, les Magiciennes qu’on diſoit faire périr les enfans nouveaux nés par des charmes & des maléfices, ne ſont rien moins que ce que nous entendons ſous le nom de Vampires ; quand on avoueroit que ces ſortes de Lamies & de Striges ont réellement exiſté, ce que nous ne croyons pas que l’on puiſſe jamais bien prouver.

J’avoue que ces termes ſe trouvent dans les verſions de la Sainte Ecriture. Par exemple, Iſaïe décrivant l’état où devoit être réduite Babylone après ſa ruine, dit qu’elle deviendra la demeure des Satyres, des Lamies, des Striges (en Hebreu Lilith) ; ce dernier terme, ſelon les Hebreux, ſignifie la même choſe que les Grecs & les Latins expriment par Strix & Lamia, qui ſont des Sorcieres ou Magiciennes, qui cherchent à faire périr les enfans nouveaux nés. D’où vient que les Juifs pour les écarter, ont coûtume d’écrire aux quatre coins de la chambre d’une femme nouvellement accouchée, Adam, Eve, hors d’ici Lilith.

Les anciens Grecs connoiſſoient ces dangereuſes Sorcieres ſous le nom de Lamiæ, & ils croyoient qu’elles dévoroient les enfans, ou leur ſuçoient tout le ſang juſqu’à les faire mourir. Horace[31] : Neu pranſe Lamiæ vivum puerum extrahat alvo.

Les Septante dans Iſaïe traduiſent l’Hébreu Lilith par Lamia. Euripide & le Scholiaſte d’Ariſtophane en font auſſi mention, comme d’un monſtre funeſte & ennemi des mortels. Ovide parlant des Striges, les décrit comme des oiſeaux dangereux, qui volent la nuit & cherchent les enfans, pour les dévorer & ſe nourrir de leur ſang.

Carpere dicuntur lactentia viſcera roſtris,
Et plenum poto ſanguine guttur habent.
Eſt illis Strigibus nomen
.

Ces préjugés avoient jetté de ſi profondes racines dans l’eſprit des peuples barbares, qu’ils mettoient à mort les perſonnes ſoupçonnées d’être Striges, ou Sorcieres, & de manger les hommes vivans. Charle-magne dans ſes Capitulaires, qu’il a compoſés pour les Saxons ſes nouveaux ſujets[32], condamne à mort ceux qui croiront, qu’un homme ou une femme ſont Sorciers (Striges eſſe) & mangent les hommes vivans ; il condamne de même ceux qui les feront brûler, ou donneront leur chair à manger, ou la mangeront eux-mêmes.

Où l’on peut remarquer, premierement, qu’on croyoit qu’il y avoit des gens qui mangeoient les hommes vivans, qu’on les faiſoit mourir & brûler, qu’on mangeoit quelquefois leurs chairs, comme nous avons vû qu’en Ruſſie on mange du pain pêtri avec le ſang des Vampires, & que d’autres fois on expoſoit leurs cadavres aux bêtes carnacieres, comme on fait encore dans les lieux où ſe trouvent de ces Revenans, après les avoir empalés, ou leur avoir coupé la tête.

Les Loix des Lombards défendent de même de faire mourir la ſervante d’une autre comme Sorciere, Strix ou maſca. Ce dernier mot maſca, d’où vient maſque, a la même ſignification que le Latin Larva, un Eſprit, un Fantôme, un Spectre.

On peut ranger au nombre des Revenans celui dont il eſt parlé dans la Chronique de Sigebert ſous l’an 858.

Théodore de Gaze[33] avoit dans la Campanie une petite ferme qu’il faiſoit cultiver par un laboureur : comme il travailloit à labourer la terre, il découvrit un vaſe rond, où étoient enfermées les cendres d’un mort ; auſſi-tôt il lui apparut un ſpectre, qui lui commanda de remettre en terre le même vaſe avec ce qu’il contenoit, ſinon qu’il feroit mourir ſon fils aîné. Le laboureur ne tint compte de ces menaces, & peu de jours après ſon fils aîné ſut trouvé mort dans ſon lit. Peu de tems après le même ſpectre lui apparut, lui réitérant le même commandement, & le menaça de faire mourir ſon ſecond fils. Le laboureur avertit de tout ceci ſon maître Théodore de Gaze, qui vint lui-même en ſa Métairie, & fit remettre le tout en ſa place. Ce ſpectre étoit apparemment un Démon, ou l’ame d’un Payen enterré en cet endroit.

Michel Glycas[34] raconte que l’Empereur Baſile ayant perdu ſon fils bien-aimé, obtint par le moyen d’un Moine noir de Santabaren de voir ſondit fils, qui étoit mort peu auparavant ; il le vit, & le tint embraſſé aſſez long-tems, juſqu’à ce qu’il diſparut entre ſes bras. Ce n’étoit donc qu’un fantôme, qui parut ſous la forme de ſon fils.

Dans le Diocèſe de Mayence on vit cette année un Eſprit, qui ſe manifeſta d’abord en jettant des pierres, frappant les murailles des maiſons, comme à grands coups de maillets, puis parlant & découvrant des choſes inconnuës, les Auteurs de certains larcins, & d’autres choſes propres à répandre l’eſprit de diſcorde parmi les voiſins. A la fin il porta ſa fureur contre un particulier, qu’il affecta de perſécuter & de rendre odieux à tout le voiſinage, publiant que c’étoit lui qui excitoit la colere de Dieu contre tout le village. Il le pourſuivoit en tout lieu, ſans lui donner le moindre relâche ; il brûla ſes moiſſons ramaſſées dans ſa maiſon, & mit le feu dans tous les lieux où il entroit.

Les Prêtres l’exorciſerent, firent des prieres, jetterent de l’eau bénite ; l’Eſprit leur jetta des pierres, & bleſſa pluſieurs perſonnes. Après que les Prêtres ſe furent retirés, on l’entendit comme ſe lamentant, & diſant qu’il s’étoit caché ſous la chappe d’un Prêtre qu’il nomma, & qu’il accuſa d’avoir corrompu la fille d’un homme d’affaires du lieu : il continua ſes infeſtations pendant trois ans, & ne ceſſa point qu’il n’eût brûlé toutes les maiſons du village.

Voici un exemple qui peut ſe rapporter à ce qu’on raconte des Revenans de Hongrie, qui viennent annoncer la mort à leurs proches. Evode Evêque d’Upzale en Afrique écrit à S. Auguſtin en 415.[35] qu’un jeune homme qu’il avoit auprès de lui, qui lui ſervoit d’Ecrivain, & étoit d’une innocence & d’une pureté extraordinaire, étant venu à mourir à l’âge de vingt-deux ans, une vertueuſe Veuve vit en ſonge un certain Diacre, qui avec d’autres Serviteurs & Servantes de Dieu ornoit un Palais qui paroiſſoit brillant, comme s’il eût été tout d’argent. Elle demanda pour qui on le préparoit : on lui dit, que c’étoit pour ce jeune homme qui étoit mort la veille. Elle vit enſuite dans le même Palais un Vieillard vêtu de blanc, qui ordonna à deux perſonnes de tirer ce jeune homme du tombeau, & de le conduire au Ciel.

Dans la même maiſon, où ce jeune homme étoit mort, un Vieillard à demi-endormi vit un homme avec une branche de laurier à la main, ſur laquelle il y avoit quelque choſe d’écrit.

Trois jours après la mort du jeune homme, ſon pere qui étoit Prêtre, & ſe nommoit Armene, s’étant rétiré dans un Monaſtére, pour ſe conſoler avec le Saint vieillard Theaſe Evêque de Manbloſe, le fils trépaſſé apparut à un Moine de ce Monaſtére, & lui dit que Dieu l’avoit reçû au nombre des bien-heureux, & qu’il l’avoit envoyé pour querir ſon Pere. En effet quatre jours après ſon pere ſentit un peu de fiévre, mais ſi légere que le Medecin aſſûroit qu’il n’y avoit rien à craindre. Il ne laiſſa pas de ſe mettre au lit ; & en même tems, comme il parloit encore, il expira.

Ce n’eſt pas de la frayeur dont il fut ſaiſi : car il ne paroît pas qu’il ait rien ſû de ce que le Moine avoit vû en ſonge.

Le même Evêque Evode raconte, qu’on a vû pluſieurs perſonnes après leur mort aller & venir dans leurs maiſons, comme auparavant, ou la nuit, ou même en plein jour. On dit auſſi, ajoûte-t-il que dans les lieux où il y a des corps enterrés, & ſur-tout dans les Egliſes, on entend ſouvent du bruit à une certaine heure de la nuit, comme de perſonnes qui prient à haute voix. Je me ſouviens, dit toûjours Evode, de l’avoir entendu dire à pluſieurs, & entr’autres à un S. Prêtre, qui eſt témoin de ces Apparitions, pour avoir vû ſortir du baptiſtere un grand nombre de ces Ames avec des corps éclatans de lumiere, & les avoir enſuite entendu prier au milieu de l’Egliſe. Le même Evode dit de plus, que Profuture, Privat & Servile, qui avoient vêcu avec beaucoup de pieté dans le Monaſtére, lui avoient parlé à lui même depuis leur mort, & que ce qu’ils lui avoient dit étoit arrivé.

Saint Auguſtin après avoir rapporté ce que diſoit Evode, reconnoît qu’il y a beaucoup de diſtinction à faire entre les viſions vraies & les fauſſes, & témoigne qu’il voudroit bien avoir un moyen ſûr pour en faire le juſte diſcernement.

Mais qui nous donnera les lumieres néceſſaires pour faire ce diſcernement ſi difficile, & néanmoins ſi néceſſaire, puiſque nous n’avons pas même de caracteres certains & démonſtratiſs, pour diſcerner infailliblement les vrais miracles d’avec les faux, ni pour faire la diſtinction des œuvres du Tout-Puiſſant des illuſions de l’Ange de ténébres ?


CHAPITRE XVII.

Revenans dans les pays Septentrionnaux.

THomas Bartholin le fils dans ſon traité intitulé : des cauſes du mépris que les anciens Danois encore gentils faiſoient de la mort, remarque[36] qu’un certain Hordus Iſlandois voyoit les Spectres des yeux du corps, ſe battoit contre eux & leur réſiſtoit. Ces peuples ne doutoient pas, que les Ames des morts ne revinſſent avec leurs corps, qu’ils abandonnoient enſuite, & retournoient dans leurs tombeaux. Bartholin raconte en particulier, qu’un nommé Aſmond fils d’Alfus s’étant fait mettre tout vif dans le même ſépulcre avec ſon ami Aſvite, & y ayant fait porter à manger, en fut tiré quelque tems après tout en ſang, enſuite d’un combat qu’il avoit eu à ſoûtenir contre Aſvite, qui étoit revenu, & l’avoit cruellement aſſailli.

Il rapporte après cela ce que les Poëtes enſeignent de l’évocation des Ames par les forces de la Magie, & du retour de ces Ames dans les corps qui ne ſont pas corrompus, quoique morts depuis long-tems. Il montre que les Juifs ont crû de même, que les Ames revenoient de tems en tems viſiter leurs corps morts pendant la premiere année de leur décès. Il fait voir que les anciens Peuples Septentrionnaux étoient perſuadés que les perſonnes nouvellement décédées apparoiſſoient ſouvent avec leurs corps ; & il en rapporte quelques exemples : il ajoûte qu’on attaquoit ces Spectres dangereux, qui infeſtoient & maltraitoient tous ceux qui avoient des champs aux environs de leurs tombeaux ; qu’on coupa la tête à un nommé Gretter, qui revenoit ainſi. D’autres fois on leur paſſoit un pieu au travers du corps, & on les fichoit ainſi en terre.

Nam ferro ſecui mox caput ejus,
Perfodíque nocens ſtipite corpus
.

D’autres fois on tiroit le corps du tombeau, & on le réduiſoit en cendres ; on en uſa ainſi envers un Spectre nommé Gardus, qu’on croyoit Auteur de toutes les funeſtes Apparitions qui s’étoient faites pendant l’hiver.

CHAPITRE XVIII.

Revenans en Angleterre.

GUillaume de Malmesburi dit[37] qu’en Angleterre on croyoit que les méchans revenoient après leur mort, & étoient ramenés dans leurs propres corps par le Démon, qui les gouvernoit & les faiſoit agir : nequam hominis cadaver poſt mortem Dæmone agente diſcurrere.

Guillaume de Neubrige, qui fleuriſſoit après le milieu du douziéme ſiécle, raconte que de ſon tems on vit en Angleterre dans le territoire de Bukingham un homme, qui apparut en corps comme vivant à ſa femme trois nuits conſécutives, & enſuite à ſes proches. On ne ſe défendoit de ſes viſites effrayantes qu’en veillant, & faiſant du bruit quand on s’appercevoit qu’il vouloit venir. Il ſe fit même voir à quelques perſonnes pendant le jour. L’Evêque de Lincoln aſſembla ſur cela ſon Conſeil, qui lui dit que pareilles choſes étoient ſouvent arrivées en Angleterre, & que le ſeul remede que l’on connût à ce mal, étoit de brûler le corps du Revenant. L’Evêque ne put goûter cet avis, qui lui parut cruel : il écrivit d’abord une cédule d’abſolution, qui ſut miſe ſur le corps du défunt, qu’on trouva au même état que s’il avoit été enterré le même jour ; & depuis ce tems on n’en entendit plus parler.

L’Auteur de ce récit ajoûte, que ces ſortes d’Apparitions paroîtroient incroyables, ſi l’on n’en avoit vû pluſieurs exemples de ſon tems, & ſi l’on ne connoiſſoit pluſieurs perſonnes qui en faiſoient foi.

Le même de Neubrige dit au Chapitre ſuivant, qu’un homme qui avoit été enterré à Bervik, ſortoit toutes les nuits de ſon tombeau, & cauſoit de grands troubles dans tout le voiſinage. On diſoit même qu’il s’étoit vanté, qu’il ne ceſſeroit point d’inquiéter les vivans, qu’on ne l’eût réduit en cendres. On choiſit donc dix jeunes hommes hardis & vigoureux, qui le tirerent de terre, couperent ſon corps en pieces, & le mirent ſur un bûcher, où il fut réduit en cendres ; mais auparavant quelqu’un d’entre eux ayant dit, qu’il ne pourroit être conſumé par le feu, qu’on ne lui eût arraché le cœur, on lui perça le côté avec un pieu, & quand on lui eut tiré le cœur par cette ouverture, on mit le feu au bûcher : il fut conſumé par les flammes, & ne parut pas davantage.

Les Payens croyoient de même que les corps des défunts n’étoient point en repos, ni à couvert des évocations de la Magie, tandis qu’ils n’étoient pas conſumés par le feu, ou pourris ſous la terre :

Tali tua membra ſepulchro,
Talibus exuram Stygio cum carmine Sylvis,
Ut nullos cantata Magos exaudiat umbra ;

diſoit une Magicienne dans Lucain à une Ame qu’elle évoquoit.

CHAPITRE XIX.

Revenans au Pérou.

LExemple que nous allons rapporter eſt arrivé au Pérou dans le Pays des Ititans. Une fille nommée Catherine mourut âgée de ſeize ans, d’une mort malheureuſe, & coupable de pluſieurs Sacrileges. Son corps immédiatement après ſon décès ſe trouva tellement infecté, qu’il fallut le mettre hors du logis en plein air, pour ſe délivrer de la mauvaiſe odeur qui en exhaloit. On entendit en même tems des hurlemens comme de chiens ; & un cheval auparavant fort doux commença à ruer, à s’agiter, à frapper des pieds, à rompre ſes liens. Un jeune homme qui étoit couché, fut tiré du lit par le bras avec violence ; une ſervante reçut un coup de pied ſur l’épaule, dont elle porta les marques pendant pluſieurs jours. Tout ceci arriva avant que le corps de Catherine fût inhumé. Quelque tems après pluſieurs habitans du lieu virent une grande quantité de tuiles & de briques renverſées avec grand fracas dans la maiſon où elle étoit décédée. La ſervante du logis fut traînée par le pied, ſans qu’il parût perſonne qui la touchât, & cela en préſence de ſa Maîtreſſe & de dix ou douze autres femmes.

La même ſervante entrant dans une chambre pour prendre quelques habits, apperçut Catherine qui s’élevoit pour ſaiſir un vaiſſeau de terre : la fille ſe ſauva auſſi-tôt ; mais le Spectre prit le vaſe, le jetta contre le mur, & le mit en mille pieces. La Maîtreſſe étant accourue au bruit, vit qu’on jettoit avec violence contre la muraille un quartier de briques. Le lendemain une image du Crucifix colée contre le mur fut tout d’un coup arrachée en préſence de tout le monde, & briſée en trois pieces.

CHAPITRE XX.

Revenans dans la Laponie.

ON trouve encore des veſtiges de ces Revenans dans la Laponie, où l’on dit que l’on voit grand nombre de Spectres, qui apparoiſſent parmi ces peuples, leur parlent, mangent avec eux, ſans qu’on puiſſe s’en défaire ; & comme ils ſe perſuadent, que ce ſont les manes de leurs parens qui les inquiétent, ils n’ont point de moyens plus efficaces pour ſe garantir de leurs vexations, que d’enterrer les corps de leurs proches ſous l’âtre du feu, afin apparemment qu’ils y ſoient plûtôt conſumés. En général ils croyent, que les manes ou les Ames ſorties du corps ſont ordinairement malfaiſantes, juſqu’à ce qu’elles ſoient rentrées en d’autres corps. Ils rendent quelque reſpect aux Spectres ou Démons, qu’ils croyent roder autour des rochers, des montagnes, des lacs & des rivières, à peu près comme autrefois les Romains rendoient des honneurs aux Faunes, aux Dieux des bois, aux Nimphes, aux Tritons.

André Alciat[38] dit, qu’il fut conſulté ſur certaines femmes, que l’Inquiſition avoit fait brûler comme Sorcières, pour avoir fait mourir des enfans par leurs Sortilèges, & avoir menacé les Meres d’autres enſans de les faire auſſi mourir, leſquels en effet étoient morts la nuit ſuivante de maladies inconnues aux Médecins. Voilà encore de ces Striges ou Sorcieres, qui en veulent à la vie des Enfans.

Mais tout cela ne revient à notre ſujet que très-indirectement. Les Vampires dont nous traitons ici, ſont différens de tout cela.

CHAPITRE XXI.

Retour d’un homme mort depuis quelques
mois.

PIerre le Vénérable[39], Abbé de Cluni, rapporte l’entretien qu’il eut en préſence des Evêques d’Oleron & d’Oſma en Eſpagne, & de pluſieurs Religieux, avec un ancien Religieux nommé Pierre d’Engelbert, qui après avoir vêcu long-tems dans le ſiecle où il étoit en réputation de valeur & d’honneur, s’étoit retiré après la mort de ſa femme dans l’Ordre de Cluni. Pierre le Vénérable l’étant venu voir, Pierre d’Engelbert lui raconta qu’un jour étant dans ſon lit bien éveillé, il vit dans ſa chambre pendant un grand clair de Lune un nommé Sanche, qu’il avoit quelques années auparavant envoyé à ſes frais au ſecours d’Alphonſe Roi d’Arragon, qui faiſoit la guerre en Caſtille. Sanche étoit retourné de cette expédition ſain & ſauf. Quelques tems après il tomba malade, & mourut dans ſa maiſon.

Quatre mois après ſa mort Sanche ſe fit voir à Pierre d’Engelbert, comme nous l’avons dit. Sanche étoit tout nud, n’ayant qu’un haillon qui couvroit ce que la pudeur veut qu’on tienne caché. Il ſe mit à découvrir les charbons du feu, comme pour ſe chaufer, ou pour ſe faire mieux diſtinguer. Pierre lui demanda qui il étoit. Je ſuis, répondit-il d’une voix caſſée & enrouée, Sanche votre Serviteur. Et que viens-tu faire ici ? Je vais, dit-il, en Caſtille avec quantité d’autres, afin d’expier le mal que nous avons fait pendant la guerre derniere, au même lieu où il a été commis : en mon particulier j’ai pillé les ornemens d’une Egliſe, & je ſuis condamné pour cela à faire ce voyage. Vous pouvez beaucoup m’aider par vos bonnes œuvres ; & Madame votre Epouſe qui me doit encore huit ſols du reſte de mon ſalaire, m’obligera infiniment de les donner aux pauvres en mon nom.

Pierre lui demanda des nouvelles d’un nommé Pierre de Fais ſon ami, mort depuis peu : Sanche lui dit qu’il étoit ſauvé. Et Bernier notre Concitoyen, qu’eſt-il devenu ? Il eſt damné, dit-il, pour s’être mal acquitté de ſon Office de Juge, & pour avoir vexé & pillé la veuve & l’innocent. Pierre ajoûta : pourriez-vous me dire des nouvelles d’Alphonſe, Roi d’Arragon, mort depuis quelques années ? Alors un autre Spectre, que Pierre n’avoit pas encore vû, & qu’il remarqua diſtinctement au clair de la Lune aſſis dans l’embraſure de la fenêtre, lui dit : Ne lui demandez pas des nouvelles du Roi Alphonſe, il ne peut pas vous en dire ; il n’y a pas aſſez long-tems qu’il eſt avec nous, pour en ſçavoir quelque choſe. Pour moi qui ſuis mort il y a cinq ans, je puis vous en apprendre des nouvelles. Alphonſe a été avec nous quelque tems ; mais les Moines de Cluni l’en ont tiré : je ne ſais où il eſt à préſent. En même-tems adreſſant la parole à Sanche ſon compagnon : Allons, lui dit il, ſuivons nos compagnons, il eſt tems de partir. Sanche réitera ſes inſtances à Pierre ſon Seigneur, & ſortit de la maiſon.

Pierre éveilla ſa femme qui étoit couchée auprès de lui, & qui n’avoit rien vû, ni rien oui de tout ce dialogue, & lui demanda : ne devez-vous rien à Sanche ce domeſtique qui nous a ſervis, & qui eſt mort depuis peu ? Je lui dois encore huit ſols, répondit-elle ; à ces marques Pierre ne douta plus de la vérité de ce que Sanche lui avoit dit, donna aux pauvres ces huit ſols, y en ajoûta beaucoup du ſien, & fit dire des Meſſes & des prieres pour l’ame de ce défunt. Pierre étoit alors marié dans le monde ; mais quand il raconta ceci à Pierre le Vénérable, il étoit Moine de Cluni.

Saint Auguſtin raconte que Sylla[40] étant arrivé à Tarente, y offrit des ſacrifices à ſes Dieux, c’eſt-à-dire aux Démons ; & ayant remarqué au haut du foye de la victime une eſpece de couronne d’or, l’Aruſpice l’aſſura que cette couronne étoit le préſage d’une victoire aſſurée, & lui dit de manger ſeul ce foye, où il avoit vû la couronne.

Preſqu’au même moment, un ſerviteur de Lucius Pontius vint lui dire : Sylla, je viens ici de la part de la Déeſſe Bellone ; la victoire eſt à vous, & pour preuve de ma prédiction, je vous annonce, que bientôt le Capitole ſera réduit en cendres. En même tems cet homme ſortit du Camp en diligence ; & le lendemain il revint avec encore plus d’empreſſement, & aſſura que le Capitole avoit été brûlé ; ce qui ſe trouva vrai.

Saint Auguſtin ne doute pas, que le Démon, qui avoit fait paroître la couronne d’or ſur le foye de la victime, n’ait inſpiré ce Devin, & que ce même mauvais Eſprit ayant prévû l’incendie du Capitole, ne l’ait fait annoncer après l’évenement par ce même homme.

Le même ſaint Docteur rapporte[41] après Julius Obſequens dans ſon Livre des prodiges, que dans les campagnes de Campanie, où quelque tems après les armées Romaines durant la guerre civile combattirent avec tant d’animoſité, on ouit d’abord de grands bruits comme de Soldats qui combattent ; & enſuite pluſieurs perſonnes aſſurerent avoir vû pendant quelques jours comme deux armées qui s’entre-choquoient ; après quoi on remarqua dans la même campagne comme les veſtiges des combattans, & l’impreſſion des pieds des chevaux, comme ſi réellement le combat s’y étoit donné. Saint Auguſtin ne doute pas, que tout cela ne ſoit l’ouvrage du Démon, qui vouloit raſſurer les hommes contre les horreurs de la guerre civile, en leur faiſant croire que leurs Dieux étant en guerre entr’eux, les hommes ne devoient pas être plus modérés, ni plus touchés des maux que la guerre entraîne avec ſoi.

L’Abbé d’Urſperg dans ſa Chronique ; ſous l’an 1123. dit que dans le territoire de Vorms on vit pendant pluſieurs jours une multitude de gens armés à pied & à cheval, allant & venant avec grand bruit, comme gens qui vont à une aſſemblée ſolennelle. Ils marchoient tous les jours vers l’heure de None à une montagne, qui paroiſſoit être le lieu de leur rendez-vous. Quelqu’un du voiſinage plus hardi que les autres s’étant muni du ſigne de la croix, s’approcha d’un de ces gens armés, en le conjurant au nom de Dieu de lui déclarer ce que vouloit dire cette armée, & quel étoit leur deſſein. Le ſoldat ou le Fantôme répondit : nous ne ſommes pas ce que vous vous imaginez, ni de vains Fantômes, ni de vrais ſoldats ; mais nous ſommes les Ames de ceux qui ont été tués en cet endroit il y a long-tems. Les armes & les chevaux que vous voyez, ſont les inſtrumens de notre ſupplice, comme ils l’ont été de nos péchés. Nous ſommes tout en feu, quoique vous ne voyez rien en nous qui paroiſſe enflammé. On dit que l’on remarqua en leur compagnie le Comte Emico, tué depuis peu d’années, qui déclara qu’on pourroit le tirer de cet état par des aumônes & par des prieres.

Trithême, dans ſa chronique d’Hirſauge ſur l’an 1013.[42] avance qu’on vit en plein jour, & en certain jour de l’année, une armée de Cavalerie & d’Infanterie, qui deſcendoit d’une montagne & ſe rangeoit dans la plaine voiſine. On leur parla, & on les conjura ; ils déclarerent, qu’ils étoient les ames de ceux qui peu d’années auparavant avoient été tués les armes à la main dans cette même campagne.

Le même Trithême raconte ailleurs[43] l’apparition du Comte de Spanheim décédé depuis quelque tems, qui ſe fit voir dans les champs avec ſa meute de chiens. Ce Comte parla à ſon Curé, & lui demanda des prieres.

Vipert Archiacre de l’Egliſe de Toul, Auteur contemporain de la vie du Saint Pape Leon IX. mort en 1059. raconte[44] que quelques années avant la mort de ce ſaint Pape, on vit paſſer par la Ville de Narni une multitude infinie de perſonnes vêtues de blanc, & qui s’avançoient du côté de l’Orient. Cette troupe défila depuis le matin juſqu’à trois-heures après midi ; mais ſur le ſoir elle diminua notablement. A ce ſpectacle toute la ville de Narni monta ſur les murailles, craignant que ce ne fuſſent des troupes ennemies, & les vit défiler avec une extrême ſurpriſe.

Un Bourgeois plus réſolu que les autres ſortit de la ville, & ayant remarqué dans la foule un homme de ſa connoiſſance, l’appella par ſon nom, & lui demanda ce que vouloit dire cette multitude de Voyageurs ; il lui répondit : Nous ſommes des ames, qui n’ayant pas expié tous nos péchés, & n’étant pas encore aſſez pures pour entrer au Royaume des Cieux, allons ainſi dans les ſaints lieux dans un eſprit de pénitence ; nous venons actuellement de viſiter le tombeau de Saint Martin, & nous allons de ce pas à Nôtre-Dame de Farfe. Cet homme fut tellement effrayé de cette viſion, qu’il en demeura malade pendant un an entier. C’eſt lui-même qui raconta la choſe au Pape Leon IX. Toute la ville de Narni fut témoin de cette proceſſion, qui ſe fit en plein jour.

La nuit qui précéda la bataille, qui ſe donna en Egypte entre Marc-Antoine[45] & Céſar, pendant que toute la ville d’Alexandrie étoit en une extrême inquiétude dans l’attente de cette action, on vit dans la ville comme une multitude de gens, qui crioient & hurloient comme aux Bacchanales, & l’on ouit le ſon confus de toutes ſortes d’inſtrumens en l’honneur de Bacchus, comme Marc-Antoine avoit accoutumé de célébrer ces ſortes de fêtes. Cette troupe après avoir parcouru une grande partie de la ville, en ſortit par la porte qui conduiſoit à l’Ennemi, puis diſparut.

C’eſt-là tout ce qui eſt venu à ma connoiſſance ſur le fait des Vampires & des Revenans de Hongrie, de Moravie, de Siléſie & de Pologne, & ſur les autres Revenans de France & d’Allemagne. Nous nous expliquerons ci-après ſur la réalité & les autres circonſtances de ces ſortes de Redivives ou de Reſſuſcités.

En voici une autre eſpece, qui n’eſt pas moins merveilleuſe ; ce ſont des excommuniés, qui ſortent de l’Egliſe & de leurs tombeaux avec leurs corps, & n’y rentrent qu’après le Sacrifice achevé.


CHAPITRE XXII.

Excommuniés qui ſortent des Egliſes.

SAint Grégoire le Grand raconte[46] que S. Benoît ayant menacé d’excommunier deux Religieuſes, ces Religieuſes moururent en cet état. Quelques tems après, leur nourrice les voyoit ſortir de l’Egliſe dès que le Diacre avoit crié : que ceux qui ne communient pas ſe retirent. La nourrice ayant fait ſavoir la choſe à S. Benoît, ce Saint envoya une oblation, ou un pain, afin qu’on l’offrît pour elles en ſigne de réconciliation ; & depuis ce tems-là les deux Religieuſes demeurerent en repos dans leurs ſépulcres.

Saint Auguſtin dit[47] que l’on récitoit dans les dyptiques les noms des Martyrs, non pour prier pour eux, & les noms des Vierges Religieuſes décédées pour prier pour elles. Perhibet prœclariſſimum teſt monium EccLeſiaſtica auctoritas, in quâ fidelibus notum eſt, quo loco Martyres, & quo defunctœ Sanctimoniales ad Altaris Sacramenta recitantur. C’étoit donc peut-être lorſqu’on les nommoit à l’Autel, qu’elles ſortoient de l’Egliſe. Mais S. Grégoire dit expreſſément, que ce fut lorſque le Diacre Cria à haute voix : que ceux qui ne communient pas ſe retirent.

Le même S. Grégoire raconte, qu’un jeune Religieux du même S. Benoît[48] étant ſorti du Monaſtere ſans aucune permiſſion, & ſans recevoir la bénédiction du ſaint Abbé, mourut dans ſa déſobéiſſance, & fut enterré en terre ſainte. Le lendemain on trouva ſon corps hors du tombeau. Les parens en avertirent S. Benoit, qui leur donna une hoſtie conſacrée, & leur dit de la mettre avec le reſpect convenable ſur la poitrine du jeune Religieux. On l’y mit, & la terre ne le rejetta plus de ſon ſein.

Cet uſage, ou plûtôt cet abus de mettre la Sainte Euchariſtie dans le tombeau avec les morts, eſt fort ſingulier ; mais il n’eſt pas inconnu dans l’Antiquité. L’Auteur de la vie de S. Baſile[49] le Grand donnée ſous le nom de S. Amphiloque, dit que ce Saint réſerva la troiſieme partie d’une Hoſtie conſacrée, pour être enterrée avec lui. Il la reçut, & expira l’ayant encore dans la bouche ; mais quelques Conciles avoient déja condamné cette pratique, & d’autres l’ont encore proſcrite depuis, comme contraire à l’inſtitution de Jeſus-Chriſt[50].

On n’a pas laiſſé en quelques endroits de mettre des Hoſties dans les tombeaux de quelques perſonnes recommandables par leur ſainteté, comme dans le tombeau de ſaint Othmare Abbé de ſaint Gal[51], où l’on trouva ſous ſa tête pluſieurs petits pains ronds, que l’on ne douta pas qui ne fuſſent des Hoſties.

Dans la vie de ſaint Cutbert Evêque de Lindisfarne[52], on lit qu’on trouva ſur ſa poitrine quantité d’Hoſties. Amalaire cite du Vénérable Bede, que l’on mit une Hoſtie ſur la poitrine de ce Saint avant que de l’inhumer : oblatâ ſuper Sanctum pectus poſitâ[53]. Cette particularité ne ſe lit point dans l’Hiſtoire de Bede, mais dans la ſeconde vie de ſaint Cutbert. Amalaire remarque que cet uſage vient ſans doute de l’Egliſe Romaine, qui l’avoit communiqué aux Anglois ; & le R. P. Ménard[54] ſoûtient que ce n’eſt pas cette pratique, que les Conciles dont nous avons parlé condamnent, mais celle de donner la Communion aux morts, en leur inſinuant l’Hoſtie dans la bouche. Quoi qu’il en ſoit de cette pratique, nous ſavons que le Cardinal Humbert[55] dans ſa réponſe aux objections du Patriarche Michel Cérularius, reproche aux Grecs d’enterrer la Sainte Euchariſtie, lorſqu’il en reſtoit quelque choſe après la Communion des Fideles.

CHAPITRE XXIII.

Autres Exemples des Excommuniés rejettés
hors de la terre ſainte.

ON voit encore dans l’Hiſtoire pluſieurs autres exemples de corps morts des Excommuniés rejettés hors de la terre ſainte ; par exemple, dans la vie de ſaint Gothard Evêque d’Hildesheim[56], il eſt rapporté que ce Saint ayant excommunié certaines perſonnes pour leur rebellion & leurs péchés, elles ne laiſſerent pas malgré ſes Excommunications d’entrer dans l’Egliſe, & d’y demeurer contre la défenſe du Saint, pendant que les morts mêmes, qui y étoient enterrés depuis pluſieurs années, & qui y avoient été mis ſans qu’on ſût leur Excommunication, lui obéiſſoient, ſe levoient de leurs tombeaux, & ſortoient de l’Egliſe. Après la Meſſe, le Saint s’adreſſant à ces rébelles, leur reprocha leur endurciſſement, & leur dit, que ces morts s’éleveroient contre eux au jugement de Dieu. En même tems ſortant de l’Egliſe, il donna l’abſolution à ces morts excommuniés, & leur permit d’y rentrer, & de ſe repoſer dans leurs tombeaux comme auparavant. La vie de ſaint Gothard a été écrite par un de ſes Diſciples, Chanoine de ſa Cathédrale ; & ce Saint eſt mort le 4 Mai 938.

Dans le ſecond Concile tenu à Limoges[57] en 1031. où ſe trouverent grand nombre d’Evêques, d’Abbés, de Prêtres & de Diacres, on rapporta les exemples que nous venons de citer de S. Benoît, pour montrer le reſpect que l’on doit avoir pour les ſentences d’Excommunication prononcées par les Supérieurs Eccléſiaſtiques. Alors l’Evêque de Cahors qui étoit préſent, raconta une choſe qui lui étoit arrivée peu de tems auparavant. Un Chevalier de mon Diocèſe ayant été tué dans l’Excommunication, je ne voulus pas acquieſcer aux prieres de ſes amis, qui me ſollicitoient vivement de lui donner l’abſolution ; je voulois en faire un exemple, afin que les autres fuſſent touchés de crainte. Mais il fut enterré par des Soldats, ou des Gentils-hommes (milites) ſans ma permiſſion, hors la préſence des Prêtres, dans une Egliſe dédiée à ſaint Pierre. Le lendemain matin on trouva ſon corps hors de terre, & jetté nud loin de-là, ſon tombeau demeurant entier, & ſans aucune marque qu’on y eût touché. Les Soldats ou les Gentils-hommes (milites) qui l’avoient enterré, ayant ouvert la foſſe, n’y trouverent que les linges dont il avoit été enveloppé ; ils l’enterrerent donc de nouveau, & couvrirent la foſſe d’une énorme quantité de terre & de pierres. Le lendemain ils trouverent de nouveau le corps hors du tombeau, ſans qu’il parût qu’on y eût travaillé. La même choſe arriva juſqu’à cinq fois : à la fin ils l’enterrerent comme ils purent, loin du cimetiere, dans une terre profane ; ce qui remplit les Seigneurs voiſins d’une ſi grande terreur, qu’ils me vinrent tous demander la paix. Voilà un fait revêtu de toutes les circonſtances qui le peuvent rendre inconteſtable.


CHAPITRE XXIV.

Exemple d’un Martyr excommunié rejetté
hors de la terre.

ON lit dans les Menées des Grecs au 15 d’Octobre, qu’un Religieux du déſert de Sheti ayant été excommunié par celui qui avoit ſoin de ſa conduite pour quelque déſobéiſſance, ſortit du déſert, & vint à Alexandrie, où il fut arrêté par le Gouverneur de la ville, & dépoüillé du Saint habit, puis vivement ſollicité de ſacrifier aux faux Dieux. Le Solitaire réſiſta génereuſement, & fut tourmenté en diverſes manieres, juſqu’à ce qu’enfin on lui trancha la tête, & l’on jetta ſon corps hors de la ville pour être déchiré par les chiens. Les Chrétiens l’enleverent pendant la nuit, & l’ayant embaumé & enveloppé de linges précieux, ils l’enterrerent dans l’Egliſe comme Martyr, en un lieu honorable ; mais pendant le ſaint Sacrifice, le Diacre ayant crié tout haut à l’ordinaire : que les Cathécumenes & ceux qui ne communient pas ſe retirent, on vit tout à coup ſon tombeau s’ouvrir de lui même, ; & le corps du Martyr ſe retirer dans le veſtibule de l’Egliſe : après la Meſſe, il rentra dans ſon ſepulcre.

Une perſonne de pieté ayant prié pendant trois jours, apprit par la voix d’un Ange, que ce Religieux avoit encouru l’Excommunication pour avoir déſobéi à ſon Supérieur, & qu’il demeureroit lié, juſqu’à ce que ce même Supérieur lui eût donné l’abſolution. On alla donc auſſitôt au déſert, & l’on amena le ſaint Vieillard, qui fit ouvrir le cercueil du Martyr, & lui donna l’abſolution ; après quoi il demeura en paix dans ſon tombeau.

Cet Exemple me paroit fort ſuſpect. I. Du tems que le déſert de Sheti étoit peuplé de Solitaires, il n’y avoit plus de perſécuteurs à Alexandrie. On n’y inquiétoit perſonne, ni ſur la profeſſion du Chriſtianiſme, ni ſur la profeſſion Religieuſe ; on y auroit bien plûtôt perſécuté les Idolâtres & les Payens. La Religion Chrétienne étoit alors dominante & honorée dans toute l’Egypte, ſur-tout à Alexandrie. 2. Les Religieux de Sheti étoient plûtôt Hermites que Cénobites ; & un Religieux n’y avoit pas l’autorité d’excommunier ſon Confrere. 3. Il ne paroît pas que celui dont il s’agit, ait mérité l’Excommunication, du moins l’Excommunication majeure, qui prive le Fidele de l’entrée de l’Egliſe, & de la participation des ſaints myſteres. Le texte Grec porte ſimplement qu’il demeura obéiſſant pendant quelque tems à ſon Pere ſpirituel ; mais qu’enſuite étant tombé dans la déſobéiſſance, il ſe retira des mains du Vieillard ſans cauſe légitime, & s’en alla à Alexandrie. Tout cela mérite ſans doute l’Excommunication même majeure, ſi ce Religieux quitta ſon état, & ſe retira du Monaſtere pour vivre en ſéculier ; mais alors les Religieux n’étoient pas comme aujourd’hui liés par les vœux de ſtabilité & d’obéiſſance à leurs Supérieurs réguliers, qui n’avoient pas droit de les excommunier de la grande Excommunication. Nous en parlerons encore ci-après.

CHAPITRE XXV.

Homme rejetté hors de l’Egliſe, pour avoir
refuſé de payer la dîme.

JEan Bromton Abbé de Sornat en Angleterre[58] dit qu’on lit dans de très-anciennes Hiſtoires, que ſaint Auguſtin Apôtre d’Angleterre voulant perſuader à un Gentil-homme de payer la dîme, Dieu permit que ce Saint ayant dit devant tout le peuple avant de commencer la Meſſe : que nul Excommunié n’aſſiſte au ſaint Sacrifice, l’on vit auſſi-tôt un homme enterré depuis environ 150 ans ſortir de l’Egliſe.

Après la Meſſe, ſaint Auguſtin, précédé de la croix, alla demander à ce mort pourquoi il étoit ſorti ; le mort répondit, que c’étoit pour être mort dans l’Excommunication. Le Saint lui demanda où étoit le ſepulcre du Prêtre, qui avoit porté contre lui la ſentence d’Excommunication. On s’y tranſporta : ſaint Auguſtin lui ordonna de ſe lever ; il revint en vie, & déclara qu’il avoit excommunié cet homme pour ſes crimes, & en particulier pour ſon obſtination à refuſer de payer la dîme. Puis par ordre de ſaint Auguſtin, il lui donna l’abſolution, & le mort retourna en ſon tombeau. Le Prêtre pria le Saint de le laiſſer auſſi rentrer dans ſon ſepulcre, ce qui lui fut accordé. Cette Hiſtoire me paroît encore plus ſuſpecte que la précédente. Du tems de ſaint Auguſtin Apôtre de l’Angleterre, l’obligation de payer la dîme n’étoit pas commandée ſous peine d’Excommunication, & beaucoup moins 150 ans auparavant, ſurtout en Angleterre.

CHAPITRE XXVI.

Exemples de perſonnes qui ont donné des ſignes
de vie après leur mort, & qui ſe ſont
retirées par reſpect pour faire place à de
plus dignes.

TErtullien rapporte[59] un exemple dont il avoit été témoin : de meo didici. Une femme qui appartenoit à l’Egliſe, à qui elle avoit été donnée pour eſclave, étant morte à la fleur de ſon âge, après un ſeul mariage & fort court, fut apportée à l’Egliſe. Avant qu’on la mît en terre, le Prêtre offrant le Sacrifice, & élevant les mains dans la priere, cette femme qui avoit ſes mains étendues ſur ſes côtés, les leva en même tems, & les joignit en forme de ſuppliante, puis après la paix donnée, ſe remit en ſon premier état.

Tertullien ajoûte, qu’un autre corps mort & enterre dans un cimetiere, ſe retira à côté pour donner place à un autre corps mort, qu’on vouloit enterrer auprès de lui. Il rapporte ces exemples à la ſuite de ce que Platon & Démocrite diſoient, que les Ames demeuroient quelque tems auprès de leurs corps morts, qu’elles préſervoient quelquefois de corruption, & faiſoient encore croître leurs cheveux, la barbe & les ongles dans leurs tombeaux. Tertullien n’approuve pas le ſentiment de ces Philoſophes : il les réfute même aſſez bien ; mais il avoue que les exemples dont je viens de parler, ſont aſſez favorables à cette opinion, qui eſt auſſi celle des Hébreux, comme nous l’avons vû ci-devant.

On dit qu’après la mort du fameux Abélard[60], qui avoit été enterré au Monaſtere du Paraclet, l’Abbeſſe Eloïſe ſon Epouſe étant auſſi décédée, & ayant demandé d’être enterrée dans le même tombeau, Abélard à ſon approche étendit les bras, & la reçut dans ſon ſein : elevatis brachiis illam recepit, & ita eam amplexatus brachia ſua ſtrinxit. Ce fait n’eſt certainement, ni prouvé, ni vrai-ſemblable. La Chronique dont il eſt tiré, l’avoir apparemment pris de quelque bruit populaire.

L’Auteur de la vie[61] de ſaint Jean l’Aumônier, qui fut écrite incontinent après ſa mort par Leonce Evêque de Naples, ville de l’Iſle de Cypre, raconte que ſaint Jean l’Aumônier étant mort à Amathunte dans la même Iſle, ſon corps fut mis entre ceux de deux Evêques, qui ſe retirerent par reſpect de part & d’autre pour lui faire place, à la vûe de tous les aſſiſtans : non unus, neque decem, neque centum viderunt, ſed omnis turbha, quœ convenit ad ejus ſepulturam, dit l’Auteur cité. Métaphraſte qui avoit lû la vie du Saint en Grec, rapporte le même fait.

Evagre de Pont[62] dit qu’un ſaint Solitaire nommé Thomas, & ſurnommé Salus, parce qu’il contrefaiſoit l’inſenſé, étant mort dans l’Hôpital de Daphné près la ville d’Antioche, fut enterré dans le cimetiere des étrangers ; mais tous les jours on le trouvoit hors de terre éloigné des autres corps morts, qu’il évitoit. Les habitans du lieu en informerent Ephrem Evêque d’Antioche, qui le fit tranſporter dans la ville en ſolennité, & l’enterra avec honneur dans le cimetiere ; & depuis ce tems-là le peuple d’Antioche fait tous les ans la fête de ſa tranſlation.

Jean Moſch[63] rapporte la même hiſtoire ; mais il dit que ce furent des femmes enterrées près de Thomas Salus, qui ſortirent de leurs tombeaux par reſpect pour le Saint.

Les Hébreux croyent ridiculement, que les Juifs qui ſont enterrés hors de la Judée, rouleront ſous terre au dernier jour pour ſe rendre dans la terre de promiſſion, ne pouvant reſſuſciter ailleurs que dans la Judée.

Les Perſes reconnoiſſent auſſi un Ange de tranſport, qui a ſoin de donner aux corps morts la place & le rang à proportion de leurs mérites ; ſi un homme de bien eſt enterré dans un pays infidèle, l’Ange de tranſport le conduit ſous terre auprès d’un homme fidéle, & jette à la voirie le corps de l’infidéle enterré dans une terre ſainte. Les Mahométans ſont dans la même prévention : ils croyent que l’Ange de tranſport plaça le corps de Noë, & enſuite celui d’Ali, dans le tombeau d’Adam. Je ne rapporte ces rêveries que pour en faire voir le ridicule. Quant aux Hiſtoires racontées dans ce même Chapitre, on ne doit pas les recevoir ſans examen : car elles demandent confirmation.

CHAPITRE XXVII.

Gens qui vont en pélerinage après leur mort.

UN Ecolier de la ville de Saint-Pons près Narbonne[64] étant décédé dans l’Excommunication, apparut à un de ſes amis, & le pria d’aller dans la ville de Rhodès demander ſon abſolution à l’Evêque. Il ſe mit en chemin pendant un tems de neiges ; l’Eſprit qui l’accompagnoit ſans en être vû, lui montroit le chemin, & ôtoit la neige. Etant arrivé à Rhodès, & ayant obtenu l’abſolution qu’il demandoit pour ſon ami, l’Eſprit le ramena à Saint-Pons, lui rendit graces de ce ſervice, & prit congé de lui, promettant de lui en témoigner ſa reconnoiſſance.

Voici une lettre qu’on m’écrit le 5 Avril 1745. qui a quelque rapport à ce qu’on vient de voir. Il s’eſt paſſé une choſe ici ces jours derniers relative à votre Diſſertation ſur les Revenans, que je crois devoir vous écrire. Un homme de Létraye, village à quelques lieuës de Remi- remont, perdit ſa femme au commencement de Fevrier dernier, & s’eſt remarié la ſemaine avant le Carême. A onze heures du ſoir du jour de ſes Nôces, ſa femme apparut & parla à la nouvelle Epouſe ; le réſultat de l’entretien fut d’obliger la nouvelle mariée d’acquitter pour la défunte ſept pélerinages. Depuis ce jour, & toûjours à la même heure, la défunte apparut, & parla en préſence du Curé du lieu & de pluſieurs perſonnes ; le 15 de Mars, au moment que cette femme ſe diſpoſoit à partir pour ſe rendre à ſaint Nicolas, elle eut la viſite de la défunte, qui lui dit de ſe hâter, & de ne pas s’effrayer des peines qu’elle eſſuyeroit dans ſon voyage.

Cette femme avec ſon mari, ſon beau-frere & ſa belle-ſœur, ſe mit en route, ſans s’attendre que la morte ſeroit de la compagnie : elle ne l’a pas quittée juſqu’à la porte de l’Egliſe de ſaint Nicolas. Ces bonnes gens arrivés à deux lieuës de ſaint Nicolas furent obligés de loger dans un cabaret qu’on appelle les Baraques. Là cette femme ſe trouva ſi mal, que les deux hommes furent obligés de la porter juſqu’au bourg de S. Nicolas. Auſſi-tôt qu’elle fut ſous la porte de l’Egliſe, elle marcha ſans peine, & ne reſſentit plus aucune douleur. Ce fait m’a été rapporté, & à notre Pere Sacriſtain, par les quatre perſonnes ; la derniere choſe que la défunte dit à la nouvelle mariée, c’eſt qu’elle ne lui parleroit & ne la verroit plus, que lorſque la moitié de ſes pélerinages ſeroit acquittée. La maniere ſimple & naturelle avec laquelle ces bonnes gens nous ont raconté ce fait, me fait croire qu’il eſt certain.

On ne dit pas que cette jeune femme ait encouru l’Excommunication ; mais apparemment elle étoit liée par le vœu ou la promeſſe qu’elle avoit faite d’accomplir ces pélerinages, dont elle chargea l’autre jeune femme qui lui ſuccéda : auſſi voit-on qu’elle n’entra pas dans l’Egliſe de ſaint Nicolas ; elle accompagna ſeulement les pélerins juſqu’à la porte de l’Egliſe.

On peut ajoûter ici l’exemple de cette foule de pélerins, qui du tems du Pape Leon IX. paſſerent aux pieds des murs de Narni, comme je l’ai rapporté plus haut, & qui faiſoient leur Purgatoire allant de pélerinage en pélerinage.


CHAPITRE XXVIII.

Raiſonnement ſur les Excommuniés qui ſortent
des Egliſes.

TOut ce que nous venons de rapporter des corps de perſonnes excommuniées qu’on voyoit ſortir de leurs tombeaux pendant la Meſſe, & y rentrer après le Sacrifice, mérite une attention particuliere. Il ſemble qu’on ne peut nier ni conteſter une choſe, qui ſe paſſoit aux yeux de tout un peuple, en plein jour, au milieu des plus redoutables Myſteres. Cependant on peut demander comment ces corps ſortoient ? Etoient-ils entiers ou en pourriture, nuds ou vêtus, avec leurs propres habits, ou avec les linges qui les avoient enveloppés dans le tombeau ? Où alloient-ils ?

La cauſe de leur ſortie eſt bien marquée ; c’étoit l’Excommunication majeure. Cette peine ne ſe décerne que pour le péché mortel[65] ; ces perſonnes étoient donc mortes en péché mortel, par conſéquent damnées & en Enfer : car s’il n’eſt queſtion que d’une Excommunication mineure & réguliere, pourquoi ſortir de l’Egliſe après la mort avec des circonſtances ſi terribles & ſi extraordinaires, puiſque cette Excommunication Eccléſiaſtique ne prive pas abſolument de la communion des Fideles, ni de l’entrée de l’Egliſe ?

Si l’on dit que la coulpe étoit remiſe ; mais non pas la peine d’Excommunication, & que les perſonnes demeuroient exclues de la communion de l’Egliſe juſqu’après leur abſolution donnée par le Juge Eccléſiaſtique ; on demande ſi l’on peut abſoudre un mort & lui rendre la communion de l’Egliſe, à moins que l’on n’ait des preuves non équivoques de ſa pénitence & de ſa converſion, qui ayent précédé ſa mort ?

Deplus les perſonnes dont nous venons de rapporter les exemples, ne paroiſſent pas avoir été déliées de la coulpe, comme on pourroit le ſuppoſer. Les textes que nous avons cités, marquent aſſez, qu’elles étoient mortes dans leurs péchés ; & ce que dit ſaint Grégoire le Grand dans l’endroit cité de ſes Dialogues, répondant à Pierre ſon Interlocuteur, ſuppoſe que ces Religieuſes étoient décédées ſans avoir fait pénitence.

D’ailleurs c’eſt une regle conſtante de l’Egliſe, qu’on ne peut communiquer, ou avoir de communion avec un mort, quand on n’a point eu de communion avec lui pendant ſa vie. Quibus viventibus non communicavimus, mortuis communicare non poſſumus, dit le Pape ſaint Leon[66]. On convient toutefois qu’une perſonne excommuniée, qui a donné des marques d’une ſincere pénitence, quoiqu’elle n’ait pas eu le tems de ſe confeſſer, peut être réconciliée à l’Egliſe[67], & recevoir la ſépulture eccléſiaſtique après ſa mort. Mais en général avant de recevoir l’abſolution des péchés, il faut avoir reçu l’abſolution des cenſures & de l’excommunication, ſi on l’a encourue : abſolutio ab excommunicatione debet præcedere excommunicationem à peccatis ; quia quandiu aliquis eſt excommunicatus, non poteſt recipere aliquod Ecclefiæ Sacramentum, dit S. Thomas[68].

Suivant cette déciſion, il auroit donc fallu abſoudre de l’Excommunication ces perſonnes, avant qu’elles puſſent recevoir l’abſolution de la coulpe de leurs péchés. Ici au contraire on les ſuppoſe abſoutes de leurs péchés quant à la coulpe, pour pouvoir recevoir l’abſolution des Cenſures.

Je ne vois pas comment on peut réſoudre ces difficultés, I. Comment abſoudre un mort ? 2. Comment l’abſoudre de l’Excommunication, avant qu’il ait reçû l’abſolution du péché ? 3. Comment l’abſoudre ſans qu’il demande l’abſolution, ni qu’il paroiſſe qu’il l’a demandée ? 4. Comment abſoudre des perſonnes qui meurent en péché mortel, & ſans avoir fait pénitence ? 5. Pourquoi ces perſonnes excommuniées retournent-elles en leur tombeaux après la Meſſe ? 6. Si elles n’oſoient reſter dans l’Egliſe pendant la Meſſe, en étoient-elles plus dignes avant qu’après le Sacrifice ?

Il paroît certain que les Religieuſes & le jeune Religieux dont parle ſaint Gregoire Pape, étoient mortes dans leurs péchés, & ſans en avoir reçû l’abſolution. Saint Benoît probablement n’étoit pas Prêtre, & ne les avoit pas abſous quant à la coulpe.

On pourra dire que l’excommunication dont parle ſaint Grégoire, n’étoit pas majeure, & en ce cas le ſaint Abbé pouvoit les abſoudre ; mais cette excommunication mineure & réguliere méritoit-elle qu’ils ſortiſſent ainſi d’une maniere ſi miraculeuſe & ſi éclatante de l’Egliſe ? Les excommuniés par ſaint Gothard & le Gentilhomme mentionné au Concile de Limoges en 1031. étoient morts dans l’impénitence & dans l’excommunication, par conſéquent dans le péché mortel, & cependant on leur accorde la paix & l’abſolution, même après leur mort, à la ſimple priere de leurs amis.

Le jeune Solitaire dont parlent les Menées des Grecs, qui après avoir quitté ſa cellule par inconſtance & par déſobéiſſance, avoit encouru l’excommunication, a-t-il pû recevoir la couronne du Martyre en cet état ? & s’il l’a reçûe, n’a-t-il pas été en même tems réconcilié à l’Egliſe ? n’a-t-il pas lavé ſa faute dans ſon ſang ? & ſi ſon excommunication n’étoit que réguliere & mineure, méritoit-il nonobſtant ſon Martyre, d’être encore exclus après ſa mort de la préſence des ſaints myſteres ?

Je ne vois point d’autre moyen, ſi ces faits ſont tels qu’on les raconte, de les expliquer, qu’en diſant que l’hiſtoire ne nous a pas conſervé les circonſtances qui ont pû mériter l’abſolution à ces perſonnes, & l’on doit préſumer que les Saints, ſur-tout les Evêques qui les avoient abſous, connoiſſoient les regles de l’Egliſe, & n’ont rien fait en cela que de juſte & de conforme aux Canons.

Mais il réſulte de tout ce qu’on vient de dire, que comme les corps des méchans ſe retirent de la compagnie des Saints par un principe de vénération, & par le ſentiment de leur indignité : auſſi les corps des Saints ſe ſéparent de ceux des méchans par des motifs oppoſés, pour ne paroître pas avoir de liaiſon avec eux, même après la mort, ni approuver leur mauvaiſe vie. Enfin ſi ce qu’on vient de raconter eſt vrai, les juſtes mêmes & les Saints ont des déférences les uns pour les autres & ſe font honneur dans l’autre vie, ce qui eſt aſſez probable.

Nous allons voir des exemples qui ſemblent rendre équivoque & incertaine la preuve que l’on tire de l’incorruption du corps d’un homme de bien pour juger de la ſainteté, puiſqu’on ſoutient que les corps des Excommuniés ne pourriſſent point dans la terre, juſqu’à ce qu’on ait levé l’excommunication portée contre eux.


CHAPITRE XXIX.

Les Excommuniés pourriſſent-ils en terre ?.

CEſt une très-ancienne opinion, que les corps des Excommuniés ne pourriſſent point ; cela paroît dans la vie de S. Libentius, Archevêque de Breme, mort le 4 de Janvier 1013. Ce S. Prélat ayant excommunié des Pirates, l’un d’eux mourut, & fut enterré en Norwege : au bout de 70 ans on trouva ſon corps entier & ſans pourriture, & il ne fut réduit en cendres qu’après avoir reçû l’abſolution de l’Evêque Alvarede.

Les Grecs modernes pour s’autoriſer dans leur Schiſme, & pour prouver que le don des miracles & l’autorité Epiſcopale de lier & de délier ſubſiſte dans leur Egliſe, plus viſiblement même & plus certainement que dans l’Egliſe Latine & Romaine, ſoutiennent que parmi eux les corps de ceux qui ſont excommuniés ne pourriſſent point, mais deviennent enflés extraordinairement, comme des tambours, & ne peuvent être corrompus ni réduits en cendres, qu’après avoir reçû l’abſolution de leurs Evêques ou de leurs Prêtres. Ils rapportent divers exemples de ces ſortes de morts ainſi trouvés dans leurs tombeaux ſans corruption, & enſuite réduits en pourriture, dès qu’on a levé l’excommunication. Ils ne nient pas toutefois, que l’incorruption d’un corps ne ſoit quelquefois une marque de ſainteté[69] ; mais ils demandent qu’un corps ainſi conſervé exhale une bonne odeur, qu’il ſoit blanc ou vermeil, & non pas noir, puant, enflé & tendu comme un tambour, ainſi que le ſont ceux des excommuniés.

On aſſûre que ceux qui ont été frappés de la foudre ne pourriſſent point, & que c’eſt par cette raiſon que les Anciens ne les brûloient & ne les enterroient pas. C’eſt le ſentiment du Médecin Zachias ; mais Paré après Comines croit, que la raiſon pourquoi ils ne ſont pas ſujets à la corruption, eſt qu’ils ſont comme embaumés avec le ſouffre de la foudre qui leur tient lieu de ſel. En 1727. on découvrit dans un caveau près l’hôpital de Québec les cadavres entiers de 5 Religieuſes mortes depuis 20 ans, qui quoique couvertes de chaux vive, rendoient encore du ſang.


CHAPITRE XXX.

Exemples pour montrer que les Excommuniés
ne pourriſſent point, & apparoiſſent
aux Vivans.

LEs Grecs racontent[70] que ſous le Patriarche de Conſtantinople Manuel, ou Maxime, qui vivoit au quinziéme ſiécle, l’Empereur Turc de Conſtantinople voulut ſçavoir la vérité de ce que les Grecs avançoient touchant l’incorruption des hommes morts dans l’excommunication. Le Patriarche fit ouvrir le tombeau d’une femme qui avoit eu un commerce criminel avec un Archevêque de Conſtantinople. On trouva ſon corps entier, noir & très-enflé ; les Turcs l’en- fermerent dans un coffre ſous le ſçeau de l’Empereur. Le Patriarche fit ſa priere, donna l’abſolution à la morte, & au bout de trois jours le coffre ayant été ouvert, l’on vit le corps réduit en pouſſiere.

Dans cela je ne vois point de miracle : tout le monde ſçait, que les corps que l’on trouve quelquefois bien entiers dans leurs tombeaux, tombent en pouſſiere, dès qu’ils ſont expoſés à l’air. J’en excepte ceux qui ont été bien embaumés, comme les Momies d’Egypte, & les corps enterrés dans les lieux extrêmement ſecs, ou dans un terrain rempli de nitre & de ſel, qui diſſipe en peu de tems tout ce qu’il y a d’humide dans les cadavres, tant des hommes que des animaux ; mais je ne comprends pas que l’Archevêque de Conſtantinople ait pû validement abſoudre après la mort une perſonne décédée dans le péché mortel, & liée par l’excommunication.

Ils croient auſſi que les corps de ces Excommuniés paroiſſent ſouvent aux vivans, tant de jour que de nuit, leur parlent, les appellent, les moleſtent. Leon Allatius entre ſur cela dans un grand détail : il dit que dans l’Iſle de Chio, les habitans ne répondent pas à la premiere voix qui les appelle, de peur que ce ne ſoit un Eſprit ou un Revenant ; mais ſi on les appelle deux fois, ce n’eſt point un Broucolaque[71] : c’eſt le nom qu’ils donnent à ces Spectres. Si quelqu’un leur répond à la premiere voix, le Spectre diſparoît, mais celui qui lui a parlé meurt infailliblement.

Pour ſe garantir de ces mauvais Génies, il n’y a point d’autre voie que de déterrer le corps de la perſonne qui a apparu & de le brûler, après avoir récité ſur lui certaines prieres ; alors ſon corps ſe réduit en cendres & ne paroît plus. On ne doute donc point que ce ne ſoient les corps de ces hommes criminels & malfaiſans, qui ſortent de leurs tombeaux, & cauſent la mort à ceux qui les voient & qui leur répondent, ou que ce ne ſoit le Démon, qui ſe ſert de leurs corps pour effrayer les mortels & leur cauſer la mort.

On ne connoît point de moyen plus certain pour ſe délivrer de leur infeſtation & de leurs dangereuſes apparitions, que de brûler & de mettre en pieces ces corps qui ſervent d’inſtrument à leur malice, ou de leur arracher le cœur, ou de les laiſſer pourrir avant que de les enterrer, ou de leur couper la tête, ou de leur percer les temples avec un gros clou.

CHAPITRE XXXI.

Exemple de ces retours des Excommuniés.

RIcaut dans l’Hiſtoire qu’il a donnée de l’état préſent de l’Egliſe Grecque, reconnoît que ce ſentiment qui veut que les corps des Excommuniés ne pourriſſent point, eſt général, non ſeulement parmi les Grecs d’à préſent, mais auſſi parmi les Turcs. Il raconte un fait qu’il tenoit d’un Caloyer Candiot, qui lui avoit aſſûré la choſe avec ſerment ; il ſe nommoit Sophrone, fort connu & fort eſtimé à Smirne. Un homme étant mort en l’Iſle de Milo excommunié pour une faute qu’il avoit commiſe dans la Morée, fut enterré ſans cérémonie dans un lieu écarté, & non en terre ſainte. Ses parens & ſes amis étoient infiniment touchés de le voir en cet état, & les habitans de l’iſle étoient toutes les nuits effrayés par des apparitions funeſtes qu’ils attribuoient à ce malheureux.

Ils ouvrirent ſon tombeau, & trouverent ſon corps entier, & ayant les veines gonflées de ſang. Après avoir délibéré ſur cela, les Caloyers furent d’avis de démembrer le corps, de le mettre en pieces, & de le faire bouillir dans le vin : car c’eſt ainſi qu’ils en uſent envers les corps des Revenans.

Mais les parens du mort obtinrent à force de prieres qu’on différât cette exécution, & cependant envoyerent en diligence à Conſtantinople, pour obtenir du Patriarche l’abſolution du jeune homme. En attendant, le corps fut mis dans l’Egliſe, où l’on diſoit tous les jours des Meſſes, & où l’on faiſoit tous les jours des prieres pour ſon repos. Un jour que le Caloyer Sophrone dont on a parlé, faiſoit le divin ſervice, on entendit tout d’un coup dans le cercueil un grand bruit ; on l’ouvrit, & l’on trouva qu’il étoit diſſous comme un mort depuis ſept ans : on remarqua le moment où le bruit s’étoit fait entendre, & il ſe trouva préciſément à l’heure que l’abſolution accordée par le Patriarche avoit été ſignée.

M. le Chevalier Ricaut de qui nous tenons ce récit, n’étoit ni Grec, ni Catholique Romain, mais bon Anglican : il remarque à cette occaſion, que les Grecs eſtiment qu’un mauvais Eſprit entre dans le corps des Excommuniés qui ſont morts en cet état, & qu’il les préſerve de la corruption, en les animant & en les faiſant agir, à peu près comme l’ame anime & fait agir le corps.

Ils s’imaginent de plus que ces cadavres mangent pendant la nuit, ſe promenent, font la digeſtion de ce qu’ils ont mangé, & ſe nourriſſent réellement ; qu’on en a trouvé qui étoient d’un coloris vermeil, & dont les veines encore tendues par la quantité de ſang, quoique quarante jours après leur mort, ont jetté lorſqu’on les a ouvertes un ruiſſeau de ſang auſſi bouillant & auſſi frais, que ſeroit celui d’un jeune homme d’un tempérament ſanguin ; & cette créance eſt ſi généralement répandue, que tout le monde en raconte des faits circonſtanciés.

Le Pere Théophile Raynaud, qui a écrit ſur cette matiere un traité particulier, ſoûtient que ce retour des morts eſt une choſe indubitable, & qu’on en a des preuves & des expériences très-certaines ; mais que de prétendre que ces Revenans qui viennent inquiéter les vivans, ſoient toujours des Excommuniés, & que ce ſoit là un privilege de l’Egliſe Grecque Schiſmatique, de préſerver de pourriture ceux qui ont encouru l’excommunication, & qui ſont morts dans les cenſures de leur Egliſe, c’eſt une prétention inſoûtenable, puiſqu’il eſt certain que les corps des Excommuniés pourriſſent comme les autres, & qu’il y en a qui ſont morts dans la communion de l’Egliſe, tant Grecque que Latine, qui ne laiſſent pas de demeurer ſans corruption. On en voit même des exemples parmi les Payens & parmi les animaux, dont on trouve quelque fois les cadavres ſans corruption dans la terre & dans les ruines d’anciens bâtimens. On peut voir ſur les corps des Excommuniés qu’on prétend qui ne pourriſſent pas, le Pere Goar, Rituel des Grecs, p. 687. 688. Matthieu Paris, Hiſtoire d’Angleterre, t. 2. p. 687. Adam de Brême, c. 75. Albert de Stade, ſur l’an 1050. & Monſieur du Cange, Gloſſar. latinit. au mot Imblocatus.

CHAPITRE XXXII.

Broucolaque exhumé en préſence de Monſieur
de Tournefort.

MOnſieur Pitton de Tournefort raconte la maniere dont on exhuma un prétendu Broucolaque dans l’Iſle de Micon, où il étoit au premier Janvier 1701. Voici ſes paroles. Nous vîmes une ſcène bien différente (dans la même Iſle de Micon) à l’occaſion d’un de ces morts que l’on croit revenir après leur enterrement. Celui dont on va donner l’Hiſtoire, étoit un payſan de Micon, naturellement chagrin & querelleux ; c’eſt une circonſtance à remarquer par rapport à de pareils ſujets : il fut tué à la campagne, on ne ſait par qui, ni comment. Deux jours après qu’on l’eut inhumé dans une Chapelle de la ville, le bruit courut qu’on le voyoit la nuit ſe promener à grands pas ; qu’il venoit dans les maiſons renverſer les meubles, éteindre les lampes, embraſſer les gens par derriere, & faire mille petits tours d’eſpiegle.

On ne fit qu’en rire d’abord ; mais l’affaire devint ſérieuſe, lorſque les plus honnêtes gens commencerent à ſe plaindre : les Papas mêmes convenoient du ſait, & ſans doute qu’ils avoient leurs raiſons. On ne manqua pas de faire dire des Meſſes : cependant le payſan continuoit la même vie ſans ſe corriger. Après pluſieurs aſſemblées des principaux de la ville, des Prêtres & des Religieux, on conclut qu’il falloit, ſuivant je ne ſais quel ancien Cérémonial, attendre les neuf jours après l’enterrement.

Le dixieme jour on dit une Meſſe dans la chapelle où étoit le corps, afin de chaſſer le Démon que l’on croyoit s’y être renfermé. Ce corps fut déterré après la Meſſe, & l’on ſe mit en devoir de lui arracher le cœur : le boucher de la ville aſſez vieux, & fort mal adroit, commença à ouvrir le ventre au lieu de la poitrine ; il fouilla long-tems dans les entrailles, ſans y trouver ce qu’il cherchoit. Enfin quelqu’un l’avertit qu’il falloit percer le diaphragme, le cœur fut arraché avec l’admiration des aſſiſtans : le cadavre cependant ſentoit ſi mal, qu’on fut obligé de brûler de l’encens ; mais la fumée confonduë avec les exhalaiſons de cette charogne ne fit qu’en augmenter la puanteur, & commença d’échauffer la cervelle de ces pauvres gens.

Leur imagination frappée du ſpectacle ſe remplit de viſions : on s’aviſa de dire qu’il ſortoit une fumée épaiſſe de ce corps. Nous n’oſions pas dire que c’étoit celle de l’encens. On ne crioit que Vroucolacas dans la Chapelle & dans la place qui eſt au devant. (C’eſt le nom qu’on donne à ces prétendus Revenans.) Le bruit ſe répandoit dans les ruës comme par mugiſſemens, & ce nom ſembloit être fait pour ébranler la voute de la Chapelle. Pluſieurs des aſſiſtans aſſûroient que le ſang de ce malheureux étoit bien vermeil : le Boucher juroit que le corps étoit encore tout chaud ; d’où l’on concluoit que le mort avoit grand tort de n’être pas bien mort, ou pour mieux dire, de s’être laiſſé ranimer par le Diable. C’eſt-là préciſement l’idée d’un Vroucolacas ; on faiſoit alors retentir ce nom d’une maniere étonnante. Il entra dans ce tems une foule de gens, qui proteſterent tout haut, qu’ils s’étoient bien apperçus que ce corps n’étoit pas roide, lorſqu’on le porta de la campagne à l’Egliſe pour l’enterrer, & que par conſéquent c’étoit un vrai Vroucolacas ; c’étoit-là le refrein.

Je ne doute pas qu’on n’eût ſoûtenu qu’il ne puoit pas, ſi nous n’euſſions été préſens, tant ces pauvres gens étoient étourdis du coup & infatués du retour des morts. Pour nous qui nous étions placés auprès du cadavre pour faire nos obſervations plus exactement, nous faillîmes à crever de la grande puanteur qui en ſortoit. Quand on nous demanda ce que nous croyons de ce mort, nous répondîmes que nous le croyons très-bien mort ; mais comme nous voulions guérir, ou au moins ne pas aigrir leur imagination frappée, nous leur repréſentâmes qu’il n’étoit pas ſurprenant que le Boucher ſe fût apperçû de quelque chaleur en fouillant dans des entrailles qui ſe pourriſſoient ; qu’il n’étoit pas extraordinaire qu’il en fût ſorti quelques vapeurs, puiſqu’il en ſort d’un fumier que l’on remuë ; que pour ce prétendu ſang vermeil, il paroiſſoit encore ſur les mains du Boucher, que ce n’étoit qu’une bourbe fort puante.

Après tous ces raiſonnemens, on fut d’avis d’aller à la marine, & de brûler le cœur du mort, qui malgré cette exécution fut moins docile, & fit plus de bruit qu’auparavant. On l’accuſa de battre les gens la nuit, d’enfoncer les portes, & même les terraſſes, de briſer les fenêtres, de déchirer les habits, de vuider les cruches & les bouteilles. C’étoit un mort bien altéré : je crois qu’il n’épargna que la maiſon du Conſul chez qui nous logions. Cependant je n’ai rien vû de ſi pitoyable, que l’état où étoit cette Iſle.

Tout le monde avoit l’imagination renverſée. Les gens du meilleur eſprit paroiſſoient frappés comme les autres ; c’étoit une véritable maladie du cerveau, auſſi dangereuſe que la manie & que la rage. On voioit des familles entieres abandonner leurs maiſons, & venir des extrémités de la ville porter leurs grabats à la place, pour y paſſer la nuit. Chacun ſe plaignoit de quelque nouvelle inſulte. Ce n’étoient que gémiſſemens à l’entrée de la nuit ; les plus ſenſés ſe retiroient à la campagne.

Dans une prévention ſi générale nous prîmes le parti de ne rien dire ; non ſeulement on nous auroit traités de ridicules, mais d’infidéles. Comment faire revenir tout un peuple ? Ceux qui croyoient dans leur ame que nous doutions de la vérité du fait, venoient à nous comme pour nous reprocher notre incrédulité, & prétendoient prouver qu’il y avoit des Vroucolacas par quelques autorités tirées du P. Richard Miſſionnaire Jéſuite. Il eſt Latin, diſoient ils, & par conſéquent vous le devez croire. Nous n’aurions rien avancé de nier la conſequence ; on nous donnoit tous les matins la Comédie par un fidele récit des nouvelles folies qu’avoit fait cet oiſeau de nuit : on l’accuſoit même d’avoir commis les péchés les plus abominables.

Les Citoyens les plus zelés pour le bien public croyoient qu’on avoit manqué au point le plus eſſentiel de la céremonie. Il ne falloit, ſelon eux, célébrer la Meſſe qu’après avoir arraché le cœur de ce malheureux : ils prétendoient qu’avec cette précaution, on n’auroit pas manqué de ſurprendre le Diable, & ſans doute il n’auroit eu garde d’y revenir, au lieu qu’ayant commencé par la Meſſe, il avoit eu, diſoient-ils, tout le tems de s’enfuir, & d’y revenir enſuite à ſon aiſe.

Après tous ces raiſonnemens on ſe trouva dans le même embarras que le premier jour ; on s’aſſemble ſoir & matin, on raiſonne, on fait des proceſſions pendant trois jours & trois nuits, on oblige les Papas de jeûner : on les voyoit courir dans les maiſons le goupillon à la main, jetter de l’eau bénite & en laver les portes ; ils en rempliſſoient même la bouche de ce pauvre Vroucolacas. Nous dîmes ſi ſouvent aux Adminiſtrateurs de la ville, que dans un pareil cas on ne manqueroit pas en Chrétienté de faire le guet la nuit, pour obſerver ce qui ſe paſſeroit dans la ville, qu’enfin on arrêta quelques vagabonds, qui aſſûrément avoient part à tous ces déſordres. Apparemment ce n’en étoient pas les principaux auteurs, ou bien on les relâcha trop-tôt : car deux jours après pour ſe dédommager du jeûne qu’ils avoient fait en priſon, ils recommencerent à vuider les cruches de vin de ceux qui étoient aſſez ſots pour abandonner leurs maiſons dans la nuit ; on fut donc obligé d’en revenir aux prieres.

Un jour comme on récitoit certaines oraiſons, après avoir planté je ne ſais combien d’épées nuës ſur la foſſe de ce cadavre, que l’on déterroit trois ou quatre fois par jour, ſuivant le caprice du premier venu, un Albanois qui par occaſion ſe trouva à Micon, s’aviſa de dire d’un ton de Docteur, qu’il étoit fort ridicule en pareil cas de ſe ſervir des épées des Chrétiens. Ne voyez-vous pas, pauvres aveugles, diſoit-il, que la garde de ces épées faiſant une croix avec la poignée, empêche le Diable de ſortir de ce corps ? que ne vous ſervez-vous plûtôt des ſabres des Turcs ? L’avis de cet habile homme ne ſervit de rien : le Vroucolacas ne parut pas plus traitable, & tout le monde étoit dans une étrange conſternation ; on ne ſçavoit plus à quel Saint ſe vouer, lorſque tout d’une voix, comme ſi l’on s’étoit donné le mot, on ſe mit à crier par toute la ville que c’étoit trop attendre ; qu’il falloit brûler le Vroucolacas tout entier ; qu’après cela ils défioient le Diable de revenir s’y nicher ; qu’il valoit mieux recourir à cette extrémité, que de laiſſer déſerter l’Iſle. En effet il y avoit des familles entieres qui plioient bagage, dans le deſſein de ſe retirer à Sira ou à Tine.

On porta donc le Vroucolacas par ordre des Adminiſtrateurs à la pointe de l’Iſle de S. George, où l’on avoit préparé un grand bûcher avec du godron, de peur que le bois, quelque ſec qu’il fût, ne brûlât pas aſſez vite par lui même. Les reſtes de ce malheureux cadavre y furent jettés, & conſumés dans peu de tems : c’étoit le premier jour de Janvier 1701. Nous vîmes ce feu en revenant de Delos : on pouvoit bien l’appeller un vrai feu de joie, puiſqu’on n’entendit plus de plaintes contre le Vroucolacas ; on ſe contenta de dire que le Diable avoit été bien attrapé cette fois-là, & l’on fit quelque chanſon pour le tourner en ridicule.

Dans tout l’Archipel on eſt perſuadé qu’il n’y a que les Grecs du rit Grec, dont le Diable ranime le cadavre. Les habitans de l’Iſle de Santorin appréhendent fort ces ſortes de loup-garous : ceux de Micon, après que leurs viſions furent diſſipées, craignoient également les pourſuites des Turcs & celles de l’Evêque de Tine. Aucun Papas ne voulut ſe trouver à Saint George, quand on brûla ce corps, de peur que l’Evêque n’exigeât une ſomme d’argent, pour avoir fait déterrer & brûler le mort ſans ſa permiſſion. Pour les Turcs, il eſt Certain qu’à la premiere viſite ils ne manquerent pas de faire payer à la communauté de Micon le ſang de ce pauvre Diable, qui devint en toute maniere l’abomination & l’horreur de ſon pays. Après cela ne faut-il pas avoüer, que les Grecs d’aujourd’hui ne ſont pas de grands Grecs, & qu’il n’y a chez eux qu’ignorance & ſuperſtitions ? C’eſt ce que dit Monſieur de Tournefort.

CHAPITRE XXXIII.

Le Démon a-t-il pouvoir de faire mourir,
puis de rendre la vie à un mort.

EN ſuppoſant le principe que nous avons établi comme indubitable au commencement de cette Diſſertation, que Dieu ſeul eſt arbitre ſouverain de la vie & de la mort ; que lui ſeul peut donner la vie aux hommes, & la leur rendre après la leur avoir otée, la queſtion que nous propoſons ici, paroît hors de ſaiſon & abſolument frivole, puiſqu’elle regarde une ſuppoſition notoirement impoſſible.

Cependant comme il y a quelques Savans qui ont crû que le Démon a le pouvoir de rendre la vie & de conſerver de corruption pour un certain tems quelques corps, dont il ſe ſert pour faire illuſion aux hommes & leur cauſer de la frayeur, comme il arrive aux Revenans de Hongrie ; nous la traiterons ici, & nous en rapporterons un exemple remarquable fourni par Monſieur Nicolas Remy Procureur général de Lorraine[72] & arrivé de ſon tems, c’eſt-à-dire en 1581. à Dalhem, village ſitué entre la Moſelle & la Sâre. Un nommé Pierron pâtre de ſon village, homme marié, ayant un jeune garçon, conçut un amour violent pour une jeune fille de ſon village ; un jour qu’il étoit occupé de la penſée de cette jeune fille, elle lui apparut dans la campagne, ou le Démon ſous ſa figure. Pierron lui découvrit ſa paſſion ; elle promit d’y répondre à condition qu’il ſe livreroit à elle, & lui obéiroit en toutes choſes. Pierron y conſentit, & conſomma ſon abominable paſſion avec ce Spectre. Quelque tems après Abrahel, c’eſt le nom que prenoit le Démon, lui demanda pour gage de ſon amour, qu’il lui ſacrifiât ſon fils unique ; & elle lui donna une pomme pour la faire manger à cet enfant, qui en ayant goûté, tomba roide mort. Le pere & la mere au déſeſpoir de ce funeſte accident, ſe lamentent & ſont inconſolables.

Abrahel paroît de nouveau au Paſteur, & promet de rendre la vie à l’enfant, ſi le pere vouloit lui demander cette grace, en lui rendant le culte d’adoration, qui n’eſt dû qu’a Dieu. Le payſan ſe met à génoux, adore Abrahel, & auſſitôt l’enfant commence à revivre. Il ouvre les yeux, on le réchauffe, on lui frotte les membres, & enfin il commence à marcher & à parler ; il étoit le même qu’auparavant, mais plus maigre, plus have, plus défait, les yeux battus & enfoncés, ſes mouvemens étoient plus lents & plus embarraſſés, ſon eſprit plus peſant & plus ſtupide. Au bout d’un an le Démon qui l’animoit, l’abandonna avec un grand bruit : le jeune homme tomba à la renverſe, & ſon corps infecté, & d’une puanteur inſupportable, eſt tiré avec un croc hors de la maiſon de ſon pere, & enterré ſans cérémonie dans un champ.

Cet événement fut rapporté à Nancy, & examiné par les Magiſtrats, qui informerent exactement du fait, entendirent les témoins, & trouverent que la choſe étoit telle qu’on vient de le dire. Du reſte l’Hiſtoire ne dit point comment ce payſan fut puni, ni s’il le fut. Peut-être ne put-on conſtater ſon crime avec le Démon incube ; il n’y avoit probablement point de témoin. A l’égard de la mort de ſon fils, il étoit difficile de prouver qu’il en fût l’auteur.

Procope dans ſon hiſtoire ſecrette de l’Empereur Juſtinien avance ſérieuſement, qu’il eſt perſuadé ainſi que pluſieurs autres, que cet Empereur étoit un Démon incarné. Il dit la même choſe de l’Impératrice Théodore ſon Epouſe. Joſeph l’Hiſtorien Juif dit, que ce ſont les ames des impies & des méchans qui entrent dans les corps des poſſédés, qui les tourmentent, les font agir & parler.

On voit par ſaint Chryſoſtome, que de ſon tems pluſieurs Chrétiens croyoient que les ames des perſonnes mortes de mort violente étoient changées en Démons, & que les Magiciens ſe ſervoient de l’ame d’un enfant qu’ils avoient mis à mort, pour leurs opérations magiques & pour découvrir l’avenir. S. Philaſtre met au nombre des Hérétiques ceux qui croyoient que les ames des ſcélerats étoient changées en Démons.

Selon le ſyſtême de ces Auteurs, le Démon a pû entrer dans le corps de l’enfant du Paſteur Pierre, le remuer & le ſoûtenir dans une eſpéce de vie, tandis que ſon corps n’a pas été corrompu, ni ſes organes dérangés ; ce n’étoit pas l’ame de l’enfant qui l’animoit, mais le Démon qui lui tenoit lieu d’ame.

Philon croyoit que comme il y a de bons & de mauvais Anges, il y a auſſi de bonnes & de mauvaiſes ames, & que les ames qui deſcendent dans les corps ; y apportent leurs bonnes ou mauvaiſes qualités.

On voit par l’Evangile, que les Juifs du tems de notre Seigneur croyoient qu’un homme pouvoit être animé de pluſieurs ames. Herode s’imaginoit que l’ame de Jean Baptiſte, qu’il avoit fait décapiter, étoit entrée dans Jeſus-Chriſt[73] & opéroit des miracles en lui. D’autres s’imaginoient que J. C. étoit animé de l’ame d’Elie[74], ou de Jeremie, ou de quelqu’autre des anciens Prophêtes.


CHAPITRE XXXIV.

Examen du ſentiment qui veut, que le Démon
puiſſe rendre le mouvement à un
corps mort.

NOus ne pouvons approuver ces ſentimens des Juifs, que nous venons de propoſer. Ils ſont contraires à notre ſainte Religion & aux dogmes de nos écoles. Mais nous croyons que l’eſprit qui a animé Elie, par exemple, s’eſt repoſé ſur Eliſée ſon diſciple ; & que l’eſprit ſaint qui animoit le premier, anima auſſi le ſecond, & même S. Jean-Baptiſte, qui ſelon la parole de J. C. eſt venu dans la vertu d’Elie pour préparer les voies au Meſſie. Ainſi dans les prieres de l’Egliſe, on prie Dieu de remplir ſes fideles de l’eſprit des Saints ; & de leur inſpirer l’amour de ce qu’ils ont aimé, & l’horreur de ce qu’ils ont haï.

Que le Démon, & même un bon Ange, par la permiſſion ou le commandement de Dieu, puiſſent ôter la vie à un homme ; la choſe paroît indubitable. L’Ange qui apparut à Sephora[75] comme Moïſe revenoit de Madian en Egypte, & qui menaça de mettre à mort ſes deux fils, parce qu’ils n’étoient par circoncis, de même que celui qui mit à mort les premiers nés des Egyptiens[76], & celui qui eſt nommé dans les Ecritures, l’Ange exterminateur, & qui frappa de mort les Hébreux murmurateurs dans le déſert[77], & celui qui voulut mettre à mort Balaam & ſon âneſſe[78] ; enfin celui qui mit à mort les ſoldats de l’armée de Sennacherib, & celui qui frappa les ſept premiers maris de Sara fille de Raguel[79], & enfin celui dont le Pſalmiſte menace ſes ennemis[80] : & Angelus Domini perſequens eos.

S. Paul parlant aux Corinthiens de ceux qui communioient indignement[81], ne dit-il pas que le Démon leur cauſoit des maladies dangereuſes, dont pluſieurs en mouroient ? Ideò inter vos multi infirmi & imbecilles, & dormiunt multi. Croira-t’on que ceux que le même Apôtre livra à Satan[82], ne ſouffrirent rien dans leur corps ; & que Judas ayant reçu du Fils de Dieu un morceau trempé dans la fauſſe[83], & Satan ayant entré dans ſon corps, ce mauvais Eſprit ne troubla pas ſes ſens, ſon imagination, ſon cœur, & ne le conduiſit point enfin à ſe détruire, & à ſe pendre de déſeſpoir ?

On peut croire que tous ces Anges étoient de mauvais Anges ; quoi qu’on ne puiſſe nier, que Dieu n’emploie auſſi quelquefois les bons Anges pour exercer ſa vengeance contre les méchans, & même pour châtier, corriger & punir ceux à qui Dieu veut faire miſéricorde, comme il envoie ſes Prophêtes, pour annoncer de bonnes & de mauvaiſes nouvelles, pour menacer & pour exciter à la pénitence.

Mais nous ne liſons nulle part, que ni les bons ni les mauvais Anges ayent jamais de leur autorité ni donné ni rendu la vie à perſonne. Ce pouvoir eſt réſervé à Dieu ſeul[84] : Dominus mortificat & vivificat, deducit ad inferos & reducit ; le Démon, ſelon l’Evangile[85], dans les derniers tems, & avant le jugement dernier, fera par lui-même, ou par l’Ante-Chriſt & par ſes ſuppôts, des prodiges capables d’induire à erreur, s’il étoit poſſible, même les Elus. Dès le tems de Jeſus-Chriſt & de ſes Apôtres, Satan ſuſcita de faux Chriſts & de faux Apôtres, qui firent pluſieurs miracles apparens, qui reſſuſciterent même des morts ; du moins on ſoûtenoit qu’ils en avoient reſſuſcité. Saint Clément d’Alexandrie & Hegeſippe font mention de quelques réſurrections opérées par Simon le Magicien[86] ; on dit qu’Apollonius de Thyane reſſuſcita une fille qu’on portoit en terre. Si l’on en croit Apulée[87], Aſclepiade rencontrant un convoi, reſſuſcita le corps que l’on portoit au bûcher. On aſſûre qu’Eſculape rendit la vie à Hippolyte, fils de Theſée, à Glaucus fils de Minos, à Capanée tué à l’aſſaut de Thebes, à Admete Roi de Pheres en Theſſalie. Elien atteſte[88] que le même Eſculape rejoignit la tête d’une femme à ſon cadavre, & lui rendit la vie.

Mais quand on auroit des certitudes pour tous les faits que nous venons de citer, je veux dire, quand ils ſeroient atteſtés par des témoins oculaires, bien inſtruits, déſintereſſés, ce qui n’eſt point, il faudroit ſçavoir les circonſtances de ces événemens, & alors on ſeroit plus en état de les conteſter, ou d’y donner ſon conſentement : car il y a toute apparence que les morts reſſuſcités par Eſculape ne ſont que des perſonnes dangereuſement malades, auxquelles cet habile Médecin a rendu la ſanté. La fille reſſuſcitée par Apollonius de Thyane n’étoit pas réellement morte ; ceux mêmes qui la portoient au bûcher doutoient qu’elle fût décédée. Ce qu’on dit de Simon le Magicien, n’eſt rien moins que certain ; & quand cet Impoſteur par les ſecrets de la Magie auroit fait quelques prodiges ſur des perſonnes mortes, ou réputées telles, il faudroit les imputer à ſes preſtiges, & à quelque ſubtilité qui aura ſubſtitué des corps vivans ou des Fantômes aux corps morts, à qui il ſe vantoit d’avoir rendu la vie. En un mot nous tenons pour indubitable, qu’il n’y a que Dieu ſeul qui puiſſe donner la vie à une perſonne réellement morte, ſoit immédiatement par lui-même, ou par le moyen des Anges, ou des Démons exécuteurs de ſes volontés.

J’avoue que l’exemple de cet enfant de Dalhem eſt embarraſſant. Que ce ſoit l’ame de l’enfant qui ſoit retournée dans ſon corps pour l’animer de nouveau, ou le Démon qui lui ait ſervi d’ame, l’embarras me paroît égal : on ne voit dans tout cet événement que l’ouvrage du mauvais Eſprit. Dieu ne paroît pas y avoir aucune part. Or ſi le Démon peut prendre la place d’une ame dans un corps nouvellement décédé, ou s’il peut y faire rentrer l’ame qui l’animoit avant ſon décès, on ne pourra plus lui conteſter la puiſſance de rendre à un mort une eſpéce de vie ; ce qui ſeroit une terrible tentation pour nous, qui ſerions portés à croire, que le Démon a un pouvoir, que la Religion ne nous permet pas de penſer que Dieu partage avec aucun Etre créé.

Je voudrois donc dire, ſuppoſé la vérité du fait, dont je ne vois aucun lieu de douter, que Dieu pour punir le crime abominable du pere, & pour donner aux hommes un exemple de ſa juſte vengeance, a permis au Démon de faire dans cette occaſion ce qu’il n’a peut-être jamais fait, & ne fera jamais, de poſſéder un corps, & de lui ſervir en quelque ſorte d’ame, pour lui donner l’action & le mouvement pendant qu’il a pû conſerver ce corps ſans une trop grande corruption.

Et cet exemple peut admirablement s’appliquer aux Revenans de Hongrie & de Moravie, que le Démon remuera & animera, fera paroître & inquiéter les vivans, juſqu’à leur donner la mort. Je dis tout ceci dans la ſuppoſition que ce qu’on dit des Vampires ſoit veritable : car ſi tout cela eſt faux & fabuleux, c’eſt perdre le tems que de chercher les moyens de l’expliquer.

Au reſte pluſieurs Anciens, comme Tertullien & Lactance[89], ont crû que les Démons étoient les ſeuls auteurs de ce que ſont les Magiciens en évoquant les ames des morts. Ils ſont, diſent-ils, paroître des Fantômes ou des corps empruntés, & faſcinent les yeux des aſſiſtans, pour leur faire prendre pour vrai ce qui n’eſt qu’apparent.


CHAPITRE XXXV.

Exemples de Fantômes qui ont apparû vivans,
& ont donné pluſieurs ſignes
de vie.

LE Loyer, dans ſon livre des Spectres, ſoûtient[90] que le Démon peut faire faire des mouvemens extraordinaires & involontaires aux poſſédés. Il peut donc auſſi, avec la permiſſion de Dieu, donner le mouvement à un homme mort & inſenſible.

Il rapporte l’exemple de Polycrite Magiſtrat d’Etolie, qui apparut au peuple de Locres neuf ou dix mois après ſa mort, & leur dit de lui montrer ſon enfant qui étoit monſtrueux, & qu’on vouloit brûler avec ſa mere. Les Locriens malgré les remontrances du Spectre de Polycrite, perſiſtant dans leur réſolution, Polycrite prit ſon enfant, le mit en pieces & le dévora, ne laiſſant que la tête, ſans que le peuple le pût chaſſer ni empêcher ; après cela il diſparut. Les Etoliens vouloient envoyer conſulter l’oracle de Delphes ; mais la tête de l’enfant commença à parler, & à leur prédire les malheurs qui devoient arriver à leur patrie & à ſa propre mere.

Après la bataille donnée entre le Roi Antiochus & les Romains, un Officier nommé Buptage, demeuré mort ſur le champ de bataille, bleſſé de douze plaies mortelles, ſe leva tout d’un coup, & commença à menacer les Romains des maux qui leur devoient arriver de la part des peuples étrangers, qui devoient détruire l’Empire Romain. Il déſigna en particulier, que des armées ſortiroient de l’Aſie & viendroient déſoler l’Europe ; ce qui peut marquer l’irruption des Turcs ſur les terres de l’Empire Romain.

Après cela Buptage monta ſur un chêne, & prédit qu’il alloit être dévoré par un loup ; ce qui arriva. Après que le loup eut dévoré le corps, la tête parla encore aux Romains, & leur deffendit de lui donner la ſépulture. Tout cela paroît très-incroyable, & ne fut pas ſuivi de l’effet. Ce ne furent pas les peuples d’Aſie, mais ceux du Nord qui renverſerent l’Empire Romain.

Dans la guerre d’Auguſte contre Sextus Pompée, fils du grand Pompée[91], un ſoldat d’Auguſte nommé Gabinius eut la tête coupée par ordre du jeune Pompée, enſorte toutefois que la tête tenoit au coû par un petit filet. Sur le ſoir on ouit Gabinius qui ſe plaignoit. On accourut ; il dit qu’il étoit retourné des enfers pour découvrir à Pompée des choſes très-importantes. Pompée ne jugea pas à propos de venir ; il y envoya quelqu’un de ſes gens, auquel Gabinius déclara que les Dieux d’en haut avoient exaucé les deſtins de Pompée ; qu’il réuſſirait dans ſes deſſeins. Auſſitôt qu’il eut ainſi parlé, il tomba roide mort. Cette prétenduë prédiction fut démentie par les effets. Pompée fut vaincu, & Céſar remporta tout l’avantage dans cette guerre.

Une certaine Charlatane étant morte, un Magicien de la bande lui mit ſous les aiſſelles un charme qui lui rendit le mouvement ; mais un autre Magicien l’ayant enviſagée, s’écria que ce n’étoit qu’une vile charogne, & auſſi-tôt elle tomba roide morte, & parut ce qu’elle étoit en effet.

Nicole Aubri native de Vervins étant poſſédée de pluſieurs Diables, un de ces Diables nommé Baltazo prit à la potence le corps d’un pendu près la plaine d’Arlon, & avec ce corps vint trouver le mari de Nicole Aubri, auquel il promit de délivrer ſa femme de ſa poſſeſſion, s’il vouloit lui laiſſer paſſer la nuit avec elle. Le mari conſulta le maître d’école qui ſe mêloit d’exorciſer, & qui lui dit de ſe bien garder d’accorder ce qu’on lui demandoit. Le mari & Baltazo étant entrés en l’Egliſe, la femme poſſédée l’appella par ſon nom, & auſſitôt ce Baltazo diſparut. Le maître d’école conjurant la poſſédée, Belzebut un des Démons découvrit ce qu’avoit fait Baltazo, & que ſi le mari avoit accordé ce qu’il demandoit, il auroit emporté Nicole Aubri en corps & en ame.

Le Loyer rapporte encore[92] quatre autres exemples de perſonnes à qui le Démon a paru rendre la vie, pour ſatisfaire la paſſion brutale de deux amants.


CHAPITRE XXXVI.

Dévouement pour faire mourir, pratiqué
par les Payens.

LEs anciens Payens Grecs & Romains attribuoient à la Magie & au Démon la puiſſance de faire mourir les hommes par une maniere de dévouement, qui conſiſtoit à former une image de cire, qu’on faiſoit la plus reſſemblante qu’il étoit poſſible à la perſonne à qui on vouloit ôter la vie ; on la dévouoit à la mort par les ſecrets de la Magie, puis on brûloit la ſtatuë de cire, & à meſure qu’elle ſe conſumoit, la perſonne dévouée tomboit en langueur & enfin mouroit. Théocrite[93] fait parler une femme tranſportée d’amour ; elle invoque la bergeronette, & prie que le cœur de Daphnis ſon bien-aimé ſe fonde comme l’image de cire qui le repréſente.

Horace[94] fait paroître deux Magiciennes qui veulent évoquer les Manes, pour leur faire annoncer les choſes à venir.

D’abord elles déchirent avec les dents une jeune brebis dont elles répandent le ſang dans une foſſe, afin de faire venir les ames dont elles prétendent tirer réponſe. Puis elles placent auprès d’elles deux ſtatues, l’une de cire, l’autre de laine : celle-ci eſt la plus grande & la maîtreſſe de l’autre ; celle de cire eſt à ſes pieds comme ſuppliante, & n’attendant que la mort. Après diverſes cérémonies magiques, l’image de cire fut embraſée & conſumée.

Lanea & effigies erat, altera cerea : major
Lanea, quœ pænis compeſceret inferiorem.
Cerea ſuppliciter ſtabat, ſervilibus ut quœ
Jam peritura modis……

Et imagine cereâ
Largior arſerit ignis.

Il en parle encore ailleurs ; & après avoir d’un ris moqueur fait ſes plaintes à la Magicienne Canidia, diſant qu’il eſt prêt à lui faire réparation d’honneur, il avoue qu’il reſſent tous les effets de ſon art trop puiſſant, comme lui-même l’a expérimenté, pour donner le mouvement aux figures de cire, & pour faire deſcendre la lune du haut du Ciel.

Anque movere cereas imagines,
Ut ipſe nôſti curioſus, & polo
Deripere lunam.

Virgile parle[95] auſſi de ces opérations diaboliques, & de ces images de cire, dévouées par l’art magique.

Limus ut hic dureſcit, & hœc ut cera liqueſcit
Uno eodemque igni ; ſic noſtro Daphnis amore.

Il y a lieu de croire que ces Poëtes ne rapportent ces choſes, que pour montrer le ridicule des prétendus ſecrets de la magie & les cérémonies vaines & impuiſſantes des Sorciers.

Mais on ne peut diſconvenir, que ces pratiques toutes vaines qu’elles ſont, n’ayent été uſitées dans l’Antiquité, & que bien des gens n’y ayent ajoûté foi, & n’en ayent follement redouté les efforts.

Lucien raconte les effets[96] de la magie d’un certain Hyperboréen, qui ayant formé un Cupidon, avec de la terre, lui donna la vie, & l’envoya quérir une fille nommée Chryſéis, dont un jeune homme étoit devenu amoureux. Le petit Cupidon l’amena, & le lendemain au point du jour la Lune que le Magicien avoit fait deſcendre du Ciel, y retourna. Hécate qu’il avoit évoquée du fond de l’enfer, s’y enfuit, & tout le reſte de cette ſcene diſparus. Lucien ſe moque avec raiſon de tout cela, & remarque que ces Magiciens, qui ſe vantent d’avoir tant de pouvoir, ne l’exercent pour l’ordinaire qu’envers des gueux, & le ſont eux-mêmes.

Les plus anciens exemples de dévouement ſont ceux qui ſont marqués dans l’Ancien Teſtament : Dieu ordonne à Moïſe de dévouer à l’anathême les Cananéens du Royaume d’Arad[97]. Il dévoue auſſi à l’anathême tous les peuples du pays de Chanaan[98]. Balac Roi de Moab[99] envoie vers le Devin Balaam pour l’engager à maudire & à dévouer le peuple d’Iſraël. Venez, lui dit-il par ſes députés, & maudiſſez Iſraël : car je ſai que celui que vous aurez maudit & dévoué ſera maudit, & que celui que vous aurez beni, ſera comblé de bénédictions.

Nous avons dans l’Hiſtoire des exemples de ces malédictions, de ces dévouemens, & des évocations des Dieux tutelaires des villes par l’art magique. Les Anciens tenoient fort ſecrets les noms propres des villes[100], de peur que venant à la connoiſſance des ennemis, ils ne s’en ſerviſſent dans les évocations leſquelles, à leur ſens, n’avoient aucune force à moins que le nom propre de la ville n’y fût exprimé. Les noms ordinaires de Rome, de Tyr & Carthage, n’étoient pas leur nom véritable & ſecret. Rome, par exemple, s’appelloit Valentia, d’un nom connu de très-peu de perſonnes ; & l’on punit ſéverement Valerius Soranus, pour l’avoir révélé.

Macrobe[101] nous a conſervé la formule d’un dévouement ſolennel d’une ville & des imprécations qu’on faiſoit contre elle, en la dévouant à quelque Démon nuiſible & dangereux. On trouve dans les Poëtes payens un grand nombre de ces invocations & de ces dévouemens magiques pour inſpirer une paſſion dangereuſe, ou pour cauſer des maladies. Il eſt ſurprenant, que ces ſuperſtitieuſes & abominables pratiques ſoient paſſées juſques dans le Chriſtianiſme, & ayent été redoutées par des perſonnes, qui en devoient reconnoître la vanité & l’impuiſſance.

Tacite raconte[102] qu’à la mort de Germanicus, qu’on diſoit avoir été empoiſonné par Piſon & par Plautine, on trouva dans la terre & dans les murailles des os de corps humains, des dévouemens, & des charmes ou vers magiques, avec le nom de Germanicus gravé ſur des lames de plomb enduites de ſang corrompu, des cendres à demi-brûlées, & d’autres maléfices, par la vertu deſquels on croit que les ames peuvent être évoquées.

CHAPITRE XXXVII.

Exemple de dévouement parmi les Chrétiens.

HEctor Boëthius[103] dans ſon hiſtoire d’Ecoſſe raconte, que Duffus Roi de ce pays étant tombé malade d’une maladie inconnuë aux Médecins, étoit conſumé par une fievre lente, paſſoit les nuits ſans dormir, ſe deſſéchoit inſenſiblement : ſon corps ſe fondoit en ſueur toutes les nuits ; il devenoit foible, languiſſant, moribond, ſans néanmoins qu’il parût dans ſon pouls aucune altération. On mit tout en uſage pour le ſoulager, mais inutilement. On déſefpere de ſa vie, on ſoupçonne qu’il y a du maléfice. Cependant les peuples de Murray, canton de l’Ecoſſe, ſe mutinerent ne doutant pas que le Roi ne dût bien-tôt ſuccomber à ſa maladie.

Il ſe répandit un bruit ſourd, que le Roi avoit été enſorcelé par des Magiciennes, qui demeuroient à Forrés petite ville de l’Ecoſſe ſeptentrionale. On y envoya du monde pour les arrêter ; on les ſurprit dans leurs maiſons, où l’une d’elles arroſoit la figure de cire du Roi Duffus paſſeé dans une broche de bois devant un grand feu, devant lequel elle récitoit certaines prieres magiques, & aſſuroit, qu’à meſure que la figure ſe fondoit le Roi perdroit ſes forces, & qu’enfin il mourroit lorſque la figure ſeroit entierement fondue : ces femmes déclarerent qu’elles avoient été engagées à faire ces maléfices par les principaux du pays de Murray, qui n’attendoient que le décès du Roi pour faire éclater leur révolte.

Auſſi tôt on arrête ces Magiciennes, & on les fait mourir dans les flammes. Le Roi ſe porta beaucoup mieux, & en peu de jours il recouvra une parfaite ſanté. Ce récit ſe trouve auſſi dans l’hiſtoire d’Ecoſſe de Bucanan, qui dit l’avoir appriſe de ſes anciens.

Il fait vivre le Roi Duffus en 960. & celui qui a ajoûté des notes au texte de ces Hiſtoriens, reconnoît que cet uſage de faire fondre par art magique des images de cire pour faire mourir des perſonnes, n’étoit point inconnu aux Romains, comme il paroît par Virgile & par Ovide, & nous en avons rapporté aſſez d’exemples. Mais il faut avouer, que tout ce qu’on raconte ſur cela eſt fort ſuſpect, non qu’ils ne ſe ſoit trouvé des Magiciens & des Magiciennes, qui ont tenté de faire mourir des perſonnes de conſidération par ces ſortes de moyens, & qui en attribuoient l’effet au Démon ; mais il n’y a guére d’apparence qu’ils y ayent jamais réuſſi. Si les Magiciens avoient le ſecret de faire ainſi périr tous ceux qu’ils voudroient, qui eſt le Prince, le Prélat, le Seigneur, qui ſeroit en ſûreté ? S’ils pouvoient les faire mourir à petit feu, pourquoi ne les pas exterminer tout d’un coup en jettant au feu la figure de cire ? Qui peut avoir donné ce pouvoir au Démon ? Eſt-ce le Tout-Puiſſant pour ſatisfaire la vengeance d’une femmelette, ou la jalouſie d’un amant ou d’une amante ?

Monſieur de S. André Médecin du Roi dans ſes lettres ſur les maléfices, voudroit expliquer les effets de ces dévouemens, ſuppoſé qu’ils ſoient vrais, par l’écoulement des eſprits, qui ſortent des corps des Magiciens ou des Magiciennes, & qui s’uniſſant aux petites parties qui ſe détachent de la cire, & aux atômes du feu qui les rendent encore plus actifs, ſe porteroient vers la perſonne qu’ils voudroient maléficier, & lui cauſeroient des ſentimens de chaleur ou de douleur, plus ou moins forte, ſelon que l’action du feu ſeroit plus ou moins violente. Mais je ne crois pas que cet habile homme trouve beaucoup d’approbateurs de ſon ſentiment. Le plus court ſeroit, à mon ſens, de nier les effets de ces maléfices : car ſi ces effets ſont réels, ils ſont inexplicables à la Phyſique, & ne peuvent être attribués qu’au Démon.

Nous liſons dans l’hiſtoire des Archevêques de Treves, qu’Eberard Archevêque de cette Egliſe, qui mourut en 1067. ayant menacé les Juifs de les chaſſer de ſa ville, ſi dans un certain tems ils n’embraſſoient le Chriſtianiſme, ces malheureux réduits au déſeſpoir ſubornerent un Eccléſiaſtique, qui pour de l’argent leur bâtiſa du nom de l’Evêque une ſtatuë de cire, à laquelle ils attacherent des mêches ou des bougies, & les allumerent le ſamedi Saint, comme le Prélat alloit donner ſolennellement le Baptême.

Pendant qu’il étoit occupé à cette ſainte fonction, la ſtatuë étant à moitié conſumée, Eberard ſe ſentit extrêmement mal ; on le conduiſit dans la ſacriſtie, où il expira bientôt après.

Le Pape Jean xxij. en 1317. ſe plaignit par des lettres publiques, que des ſcélerats avoient attenté à ſa vie par de pareilles opérations ; & il paroît perſuadé de leur efficacité, & qu’il n’a été préſervé de la mort que par une protection particuliere de Dieu. Nous vous faiſons ſavoir, dit-il, que quelques traîtres ont conſpiré contre nous, & contre quelques-uns de nos freres les Cardinaux, & ont préparé des breuvages & des images pour nous faire périr, dont ils ont ſouvent cherché les occaſions ; mais Dieu nous a toujours conſervés. La lettre eſt du 27 de Juillet.

Dès le 27 de Février, le Pape avoit donné commiſſion d’informer contre ces empoiſonneurs ; ſa lettre eſt adreſſée à Barthelemi Evêque de Fréjus, qui fut ſucceſſeur du Pape en ce Siége, & à Pierre Teſſier Docteur en Décret, depuis Cardinal. Le Pape y dit en ſubſtance : Nous avons appris, que Jean de Limoges, Jacques dit Crabançon, Jean d’Amant Médecin, & quelques autres s’appliquent par une damnable curioſité à la Nécromancie, & autres arts magiques, dont ils ont des livres ; qu’ils ſe ſont ſouvent ſervis de miroirs & d’images conſacrées à leur maniere ; que ſe mettant dans des cercles ; ils ont ſouvent invoqué les malins Eſprits, pour faire périr les hommes par la violence des enchantemens, ou ont envoyé des maladies qui abrègent leurs jours. Quelquefois ils ont enfermé des Démons dans des miroirs, des cercles ou des anneaux, pour les interroger, non ſeulement ſur le paſſé, mais ſur l’avenir, & faire des prédictions. Ils prétendent avoir fait pluſieurs expériences en ces matieres, & ne craignent pas d’aſſurer qu’ils peuvent non ſeulement par certains breuvages ou certaines viandes, mais par de ſimples paroles, abréger ou allonger la vie, ou l’ôter entierement, & guérir toutes ſortes de maladies.

Le Pape donna une pareille commiſſion le 22 d’Avril 1317. à l’Evêque de Riès, au même Pierre Teſſier, à Pierre Deſprés & à deux autres, pour informer de la conjuration formée contre lui & contre les Cardinaux, & dans cette commiſſion il dit : Ils ont préparé des breuvages pour nous empoiſonner, nous & quelques Cardinaux, & n’ayant pas eu la commodité de nous les faire prendre, ils ont fait faire des images de cire ſous nos noms, pour attaquer notre vie, en piquant ces images avec des enchantemens magiques & des invocations de Démons ; mais Dieu nous a préſervés, & a fait tomber entre nos mains trois de ces images.

On voit la deſcription de ſemblables maléfices dans une lettre écrite trois ans après à l’Inquiſiteur de Carcaſſone par Guillaume de Godin, Cardinal Evêque de Sabine, où il dit : Le Pape vous ordonne d’informer & de procéder contre ceux qui ſacrifient aux Démons, les adorent, ou leur font hommage, en leur donnant pour marque un papier écrit, ou quelqu’autre choſe, pour lier le Démon, ou pour faire quelque maléfice en l’invoquant ; qui abuſant du Sacrement de Baptême, batiſent des images de cire ou d’autres matieres avec invocation des Démons ; qui abuſent de l’Euchariſtie ou de l’Hoſtie conſacrée, ou des autres Sacremens, en exerçant leurs maléfices. Vous procéderez contre eux avec les Prélats comme vous faites en matiere d’Héréſie : car le Pape vous en donne le pouvoir. La lettre eſt dattée d’Avignon le 22 d’Août 1320.

En faiſant le procès à Enguerrand de Marigni, on produiſit un Magicien, qu’on avoit ſurpris faiſant des images de cire repréſentant le Roi Louis Hutin & Charles de Valois, & prétendant les faire mourir en piquant ou en faiſant fondre ces images.

On raconte auſſi que Come Rugieri Florentin, grand Athée & prétendu Magicien, avoit une chambre ſecrette, où il s’enfermoit ſeul, & où il perçoit d’une aiguille une image de cire qui repréſentoit le Roi, après l’avoir chargé de malédictions & dévoué par des enchantemens horribles, eſpérant de faire mourir ce Prince de langueur.

Que ces conjurations, ces images de cire, ces paroles magiques ayent produit ou non leurs effets, cela prouve toûjours l’opinion qu’on en avoit, la mauvaiſe volonté des Magiciens, la crainte dont on en étoit frappé. Quoique leurs enchantemens & leurs imprécations ne fuſſent point ſuivies de l’effet, on croit apparemment avoir ſur cela quelque expérience, qui les faiſoit redouter à tort, ou avec raiſon.

L’ignorance de la Phyſique faiſoit prendre alors pour ſurnaturels pluſieurs effets de la nature ; & comme il eſt certain par la foi, que Dieu a ſouvent permis aux Démons de tromper les hommes par des prodiges, & de leur nuire par des moyens extraordinaires, on ſuppoſoit ſans l’examiner qu’il y avoit un art magique & des regles ſûres pour découvrir certains ſecrets, ou faire certains maux par le moyen des Démons, comme ſi Dieu n’eût pas toûjours été le Maître de les permettre ou de les empêcher, ou qu’il eût ratifié les pactes faits avec les malins Eſprits.

Mais en examinant de près la prétendue Magie, on a ſeulement trouvé des empoiſonnemens accompagnés de ſuperſtitions & d’impoſtures. Tout ce que nous venons de rapporter des effets de la magie, des enchantemens, de la ſorcellerie, qu’on prétendoit cauſer de ſi terribles effets ſur les corps & ſur les biens des hommes, & tout ce qu’on raconte des dévouemens, des évocations, des figures magiques, qui étant conſumées par le feu, cauſoient la mort aux perſonnes dévouées & enchantées ; tout cela n’a rapport que très-imparfaitement à la matiere des Vampires, que nous traitons ici : à moins qu’on ne diſe, que les Revenans font ſuſcités & évoqués par l’art magique, & que les perſonnes qui ſe croyent ſuffoquées, & enfin frappées de mort par les Vampires, ne ſouffrent ces peines que par la malice du Démon, qui fait apparoître leurs parens morts, & leur fait produire tous ces effets ; ou ſimplement frappe l’imagination des perſonnes à qui cela arrive, & leur fait croire que ce ſont leurs parens décédés qui viennent les tourmenter & les faire mourir, quoiqu’il n’y ait dans tout cela qu’une imagination fortement frappée qui agiſſe.

On peut auſſi rapporter aux hiſtoires des Revenans, ce qu’on raconte de certaines perſonnes qui ſe font promis de revenir après leur mort, & de ſe donner des nouvelles de ce qui ſe paſſe en l’autre vie, & de l’état où elles s’y trouvent.


CHAPITRE XXXVIII.

Exemples des perſonnes qui ſe ſont promis
de ſe donner après leur mort des nouvelles
de l’autre monde.

LHiſtoire du Marquis de Rambouillet, qui apparut après ſa mort au Marquis de Précy, eſt fameuſe. Ces deux Seigneurs s’entretenant des choſes de l’autre vie, comme gens qui n’étoient pas fort perſuadés de tout ce qu’on en dit, ſe promirent l’un à l’autre que le premier des deux qui mourroit, en viendroit dire des nouvelles à l’autre. Le Marquis de Rambouillet partit pour la Flandre, où la guerre étoit alors, & le Marquis de Précy demeura à Paris arrêté par une groſſe fiévre. Six ſemaines après en plein jour il entendit tirer les rideaux de ſon lit, & ſe tournant pour voir qui c’étoit, il apperçut le Marquis de Rambouillet en buſte & en bottes. Il ſortit de ſon lit pour embraſſer ſon ami ; mais Rambouillet reculant de quelques pas, lui dit qu’il étoit venu pour s’acquitter de la parole qu’il lui avoit donnée ; que tout ce qu’on diſoit de l’autre vie étoit très-certain, qu’il devoit changer de conduite, & que dans la premiere occaſion où il ſe trouveroit, il perdroit la vie.

Précy fit de nouveaux efforts pour embraſſer ſon ami, mais il n’embraſſa que du vent ; alors Rambouilet voyant qu’il étoit incrédule à ce qu’il lui diſoit, lui montra l’endroit où il avoit reçu le coup dans les reins, d’où le ſang paroiſſoit encore couler. Précy reçut bientôt après par la poſte la confirmation de la mort du Marquis de Rambouillet, & lui-même s’étant trouvé quelque tems après dans les guerres civiles à la bataille du faux-bourg ſaint Antoine, y fut tué.

Pierre le Vénérable Abbé de Cluny[104] raconte une Hiſtoire à peu près ſemblable à celle que nous venons de voir. Un Gentilhomme nommé Humbert, fils d’un Seigneur nommé Guichard de Belioc, dans le Diocèſe de Mâcon, ayant un jour déclaré la guerre à d’autres Seigneurs de ſon voiſinage, un Gentilhomme nommé Geofroi d’Iden reçut dans la mêlée une bleſſure dont il mourut ſur le champ.

Environ deux mois après, ce même Geofroi apparut à un Gentilhomme nommé Milon d’Anſa, & le pria de dire à Humbert de Belioc, au ſervice duquel il avoit perdu la vie, qu’il étoit dans les tourmens, pour l’avoir aidé dans une guerre injuſte, & pour n’avoir pas expié avant ſa mort ſes péchés par la pénitence ; qu’il le prioit d’avoir compaſſion de lui, & de ſon propre pere Guichard, qui lui avoit laiſſé de grands biens, dont il abuſoit, & dont une partie étoit mal acquiſe ; qu’à la vérité Guichard pere de Humbert avoit embraſſé la vie Religieuſe à Cluny ; mais qu’il n’avoit pas eu le tems de ſatisfaire à la Juſtice de Dieu pour les péchés de ſa vie paſſée ; qu’il le conjuroit donc de faire offrir pour lui & pour ſon pere le Sacrifice de la Meſſe, de faire des aumônes, & d’employer les prieres des gens de bien pour leur procurer à l’un & à l’autre une prompte délivrance des peines qu’ils enduroient. Il ajoûta : Dites-lui que s’il ne vous écoute pas, je ſerai contraint d’aller moi-même lui annoncer ce que je viens de vous dire.

Milon d’Anſa s’acquitta fidélement de ſa commiſſion : Humbert en fut effrayé ; mais il n’en devint pas meilleur. Toutefois craignant que Guichard ſon pere ou Geoſroi d’Iden ne vinſſent l’inquiéter, il n’oſoit demeurer ſeul, & ſur-tout pendant la nuit, il vouloit toujours avoir auprès de lui quelqu’un de ſes gens. Un matin donc qu’il étoit couché & éveillé dans ſon lit en plein jour, il vit paroître en ſa préſence Geoſroi, armé comme à un jour de bataille, qui lui montroit la bleſſure mortelle qu’il y avoit reçue, & qui paroiſſoit encore toute fraîche. Il lui fit de vifs reproches de ſon peu de pitié envers lui & envers ſon propre pere, qui gémiſſoit dans les tourmens : prenez garde, ajoûta-t-il, que Dieu ne vous traite dans ſa rigueur, & ne vous refuſe la miſéricorde que vous nous refuſez ; & ſur-tout gardez-vous bien d’exécuter la réſolution que vous avez priſe d’aller à la guerre avec le Comte Amedée : ſi vous y allez, vous y perdrez la vie & les biens.

Il parloit, & Humbert ſe diſpoſoit à lui répondre, lorſque l’Ecuyer Vichard de Marzcy, Conſeiller de Humbert, arriva venant de la Meſſe, & auſſi-tôt le mort diſparut. Dès ce moment Humbert travailla ſérieuſement à ſoulager ſon pere Geoſroi, & réſolut de faire le voyage de Jéruſalem, pour expier ſes péchés. Pierre le Vénérable avoit été très-bien inſtruit de tout le détail de cette Hiſtoire, qui s’étoit paſſée l’année qu’il fit le voyage d’Eſpagne, & qui avoit fait grand bruit dans le pays.

Le Cardinal Baronius[105] homme très-grave & très-ſage, dit qu’il a appris de pluſieurs perſonnes très-ſenfées, & qui l’ont ſouvent oui prêcher aux peuples, & en particulier de Michel Mercati, Protonotaire du S. Siége, homme d’une probité reconnue & fort habile, ſur-tout dans la Philoſophie de Platon, à laquelle il s’appliquoit ſans relâche avec Marſile Ficin ſon ami intime, auſſi zélé que lui pour la doctrine de Platon.

Un jour ces deux grands Philoſophes s’entretenant de l’immortalité de l’Ame, & ſi elle demeuroit & exiſtoit après la mort du corps, après avoir beaucoup diſcouru ſur cette matiere, ils ſe promirent l’un à l’autre, & ſe donnerent les mains que le premier d’entr’eux qui partiroit de ce monde viendroit donner à l’autre des nouvelles de l’état de l’autre vie.

S’étant ainſi ſéparés, il arriva quelque tems après, que le même Michel Mercati étant bien éveillé, & étudiant de grand matin les mêmes matieres de Philoſophie, il entendit tout d’un coup comme le bruit d’un Cavalier qui venoit en grande hâte à ſa porte, & en même tems il entendit la voix de ſon ami Marſile Ficin, qui lui crioit : Michel, Michel, rien n’eſt plus vrai que ce qu’on dit de l’autre vie. En même tems Michel ouvrit la fenêtre, & vit Marſile monté ſur un cheval blanc, qui ſe retiroit en courant. Michel lui cria de s’arrêter ; mais il continua ſa courſe juſqu’à ce qu’il ne le vit plus.

Marſile Ficin demeuroit alors à Florence, & y étoit mort à l’heure même qu’il étoit apparu, & avoit parlé à ſon ami. Celui-ci écrivit auſſi-tôt à Florence pour s’informer de la vérité du fait, & on lui répondit, que Marſile étoit décédé au même moment que Michel avoit oui ſa voix, & le bruit de ſon cheval à ſa porte. Depuis cette avanture Michel Mercati, quoique fort reglé auparavant dans ſa conduite, fut changé en un autre homme, & vêcut d’une maniere tout-à-fait exemplaire, & comme un parfait modéle de la vie Chrétienne. On trouve grand nombre de pareils exemples dans Henri Morus, & Joſué Grand-ville dans ſon ouvrage intitulé : le Saducéiſme combattu.

En voici un tiré de la vie du B. Joſeph de Lioniſſe Capucin Millionnaire, l. I. p. 64. & ſuivantes. Un jour qu’il s’entretenoit avec ſon compagnon des devoirs de la Religion, de la fidélité que Dieu demande de ceux qui s’y ſont conſacrés, de la récompenſe qu’il a réſervée aux parfaits Religieux, & de la ſévere juſtice qu’il exercera contre les ſerviteurs infidéles, Frere Joſeph lui dit : Je veux que nous nous promettions mutuellement que celui de nous qui mourra le premier, apparoiſſe à l’autre, ſi Dieu le permet ainſi, pour l’inſtruire de ce qui ſe paſſe en l’autre, & de l’état où il ſe trouvera. Je le veux, répartit le ſaint Compagnon, je vous en donne ma parole : je vous engage auſſi la mienne, répliqua le Frere Joſeph.

Quelques jours après, le pieux Compagnon fut attaqué d’une maladie qui le réduiſit au tombeau. Frere Joſeph y fut d’autant plus ſenſible, qu’il connoiſſoit mieux que les autres la vertu du ſaint Religieux ; il ne douta pas que leur accord ne fût exécuté, ni que le mort ne lui apparût, lorſqu’il y penſeroit le moins, pour s’acquitter de ſa promeſſe.

En effet un jour que Frere Joſeph s’étoit retiré dans ſa chambre, l’après-midi il vit entrer un jeune Capucin, horriblement défait, d’un viſage pâle & décharné, qui le ſalua d’une voix grêle & tremblante. Comme à la vûe de ce Spectre Joſeph parut un peu troublé, ne vous effrayez pas, lui dit-il ; je viens ici comme Dieu l’a permis, pour m’acquitter de ma promeſſe, & pour vous dire que j’ai le bonheur d’être du nombre des élus par la miſéricorde du Seigneur. Mais apprenez qu’il eſt encore plus difficile d’être ſauvé qu’on ne le croit dans le monde ; que Dieu, dont la ſageſſe découvre les plus ſecrets replis des conſciences, peſe exactement toutes les actions qu’on a faites durant la vie, les penſées, les déſirs, & les motifs qu’on ſe propoſe en agiſſant ; & qu’autant qu’il eſt inexorable à l’égard des pécheurs, autant eſt-il bon, indulgent, & riche en miſéricorde envers les Ames juſtes qui l’ont ſervi dans la vie ; à ces mots le Fantôme diſparut.

Voici un exemple d’une ame qui vient après ſa mort viſiter ſon ami, ſans en être convenu avec lui[106]. Pierre Gamrate, Evêque de Cracovie, fut transféré à l’Archevêché de Gneſne en 1548. & obtint diſpenſe du Pape Paul III. de conſerver encore ſon Evêché de Cracovie. Ce Prélat après avoir mené une vie déreglée pendant ſa jeuneſſe, ſe mit ſur la fin de ſa vie à pratiquer pluſieurs actions de charité, donnant tous les jours à manger à cent pauvres, à qui il envoyoit des mets de ſa table. Et lorſqu’il alloit en voyage, il ſe faiſoit ſuivre par deux chariots chargés d’habits & de chemiſes, qu’il faiſoit diſtribuer aux pauvres ſelon leur beſoin.

Un jour qu’il ſe diſpoſoit à aller à l’Egliſe ſur le ſoir, la veille d’une bonne fête, & qu’il étoit demeuré ſeul dans ſon cabinet, il vit tout d’un coup paroître en ſa préſence un Gentilhomme nommé Curoſius mort depuis aſſez long-tems, avec lequel il avoit été autrefois dans ſa jeuneſſe trop uni pour faire le mal.

L’Archevêque Gamrate en ſut d’abord effrayé ; mais le mort le raſſura, & lui dit qu’il étoit du nombre des bienheureux. Quoi ! lui dit le Prélat, après une vie telle que tu as menée : car tu ſais à quels excès nous nous ſommes portés toi & moi dans notre jeuneſſe. Je le ſçai, dit le mort ; mais voici ce qui m’a ſauvé. Un jour étant en Allemagne, je me trouvai avec un homme qui proféroit des diſcours blaſphématoires & injurieux à la Sainte Vierge. J’en fus irrité, je lui donnai un ſoufflet ; nous mettons l’épée à la main, je le tue, & de peur d’être arrêté & puni comme homicide, je prens la fuite ſans beaucoup réfléchir ſur l’action que j’avois faite. A l’heure de ma mort, je me trouvai dans de terribles inquiétudes par le remors de ma vie paſſée, & je ne m’attendois qu’à une perte certaine, lorſque la Sainte Vierge vint à mon ſecours, & intercéda ſi puiſſamment pour moi auprès de ſon fils, qu’elle m’obtint le pardon de mes péchés ; & j’ai le bonheur de jouir de la Béatitude.

Pour vous, vous n’avez plus que ſix mois à vivre ; & je ſuis envoyé pour vous avertir, que Dieu en conſidération de vos aumônes, & de votre charité envers les pauvres, veut vous faire miſéricorde, & vous attend à pénitence. Profitez du tems, & expiez vos péchés paſſés. Après ces mots le mort diſparut, & l’Archevêque fondant en larmes, commença à vivre d’une maniere ſi Chrétienne, qu’il fut l’édification de tous ceux qui en eurent connoiſſance. Il raconta la choſe à ſes plus intimes amis, & mourut en 1545. après avoir gouverné l’Egliſe de Gneſne pendant environ cinq ans.

La fille de Dumoulin, fameux Juriſconſulte, ayant été inhumainement maſſacrée, dans ſon logis[107], apparut de nuit à ſon mari bien éveillé, & lui déclara par nom & par ſurnom ceux qui l’avoient tuée elle & ſes enfans, le conjurant d’en tirer vengeance.


CHAPITRE XXXIX.

Extrait des Ouvrages politiques de M. l’Abbé
de S. Pierre, tome 4. pag. 57.

ON me dit derniérement à Valogne, qu’un bon Prêtre de la Ville qui apprend à lire aux enfans, nommé M. Bezuel, avoit eu une apparition en plein jour, il y a dix ou douze ans ; comme cela avoit fait d’abord beaucoup de bruit à cauſe de ſa réputation de probité & de ſincérité, j’eus la curioſité de l’en- tendre conter lui-même ſon avanture. Une Dame de mes parentes qui le connoiſſoit, l’envoya prier à diner hier 7 Janvier 1708. & comme d’un côté je lui marquai du déſir de ſavoir la choſe de lui-même, & que de l’autre c’étoit pour lui une ſorte de diſtinction honorable, d’avoir eu en plein jour une apparition d’un de ſes camarades, il nous la conta avant diner ſans ſe faire prier, & d’une maniére aſſez naïve.


FAIT.

En 1695. nous dit M. Bezuel, étant jeune Ecolier d’environ 15 ans, je fis connoiſſance avec les deux enfans d’Abaquene Procureur, Ecoliers comme moi. L’aîné étoit de mon âge, le cadet avoit dix-huit mois de moins ; il s’appelloit Desfontaines : nous faiſions nos promenades & toutes nos parties de plaiſir enſemble, & ſoit que Desfontaines eût plus d’amitié pour moi, ſoit qu’il fût plus gai, plus complaiſant, plus ſpirituel que ſon frere, je l’aimois auſſi davantage.

En 1696. nous promenants tous deux dans le cloître des Capucins, il me conta qu’il avoit lû depuis peu une hiſtoire de deux amis qui s’étoient promis, que celui qui mourroit le premier viendroit dire des nouvelles de ſon état au vivant ; que le mort revint, & lui dit des choſes ſurprenantes. Sur cela Desfontaines me dit qu’il avoit une grace à me demander, qu’il me la demandoit inſtamment : c’étoit de lui faire une pareille promeſſe, & que de ſon côté il me la feroit ; je lui dis que je ne voulois point. Il fut pluſieurs mois à m’en parler ſouvent & très ſérieuſement ; je réſiſtois toujours. Enfin vers le mois d’Août 1696. comme il devoit partir pour aller étudier à Caen, il me preſſa tant les larmes aux yeux, que j’y conſentis : il tira dans le moment deux petits papiers qu’il avoit écrits tout prêts, l’un ſigné de ſon ſang, où il me promettoit en cas de mort de me venir dire des nouvelles de ſon état, l’autre où je lui promettois pareille choſe. Je me piquai au doigt, il en ſortit une goutte de ſang, avec lequel je ſignai mon nom ; il fut ravi d’avoir mon billet, & en m’embraſſant il me fit mille remercimens.

Quelque tems après il partit avec ſon frere. Notre ſéparation nous cauſa bien du chagrin : nous nous écrivions de tems en tems de nos nouvelles, & il n’y avoit que ſix ſemaines que j’avois reçu de ſes lettres, lorſqu’il m’arriva ce que je m’en vais vous conter.

Le 31 Juillet 1697. un Jeudi, il m’en ſouviendra toute ma vie, feu M. de Sortoville, auprès de qui je logeois & qui avoit eu de la bonté pour moi, me pria d’aller à un pré, près des Cordeliers, & d’aider à preſſer ſes gens qui faiſoient du foin ; je n’y fus pas un quart d’heure, que vers les deux heures & demie je me ſentis tout d’un coup étourdi, & pris d’une foibleſſe : je m’appuyai envain ſur ma fourche à foin, il fallut que je me miſſe ſur un peu de foin, où je fus environ une demi-heure à reprendre mes eſprits. Cela ſe paſſa ; mais comme jamais rien de ſemblable ne m’étoit arrivé, j’en fus ſurpris, & je craignis le commencement d’une maladie : il ne m’en reſta cependant que peu d’impreſſion le reſte du jour ; il eſt vrai que la nuit je dormis moins qu’à l’ordinaire.

Le lendemain à pareille heure, comme je menois au pré M. de S. Simon petit fils de M. de Sortoville, qui avoit alors dix ans, je me trouvai en chemin attaqué d’une pareille foibleſſe ; je m’aſſis ſur une pierre à l’ombre. Cela ſe paſſa, & nous, continuames notre chemin : il ne m’arriva rien de plus ce jour là ; & la nuit je ne dormis guére.

Enfin le lendemain deuxiéme jour d’Août, étant dans le grenier où on ſerroit le foin que l’on apportoit du pré, préciſément à la même heure, je fus pris d’un pareil étourdiſſement & d’une pareille foibleſſe, mais plus grande que les autres : je m’évanouis & perdis connoiſſance ; un des laquais s’en apperçut : on m’a dit qu’on me demanda alors qu’eſt-ce que j’avois, & que je répondis : J’ai vû ce que je n’aurois jamais crû ; mais il ne me ſouvient ni de la demande ni de la réponſe : cela cependant s’accorde à ce qu’il me ſouvient avoir vû alors comme une perſonne nue à mi-corps, mais que je ne reconnus cependant point. On m’aida à deſcendre de l’échelle : je me tenois bien aux échelons ; mais comme je vis Desfontaines mon camarade au bas de l’échelle, la foibleſſe me reprit, ma tête s’en alla entre deux échelons, & je perdis encore connoiſſance : on me deſcendit, & on me mit ſur une groſſe poutre, qui ſervoit de ſiége dans la grande place des Capucins ; je m’y aſſis : je n’y vis plus alors M. de Sortoville, ni ſes Domeſtiques, quoique préſens ; mais appercevant Desfontaines vers le pied de l’échelle, qui me faiſoit ſigne de venir à lui, je me reculai ſur mon ſiége comme pour lui faire place, & ceux qui me voyoient & que je ne voyois point, quoique j’euſſe les yeux ouverts, remarquerent ce mouvement.

Comme il ne venoit point, je me levai pour aller à lui : il s’avança vers moi, me prit le bras gauche de ſon bras droit, & me conduiſit à trente pas de-là dans une rue écartée, me tenant ainſi accroché. Les domeſtiques croyant que mon étourdiſſement étoit paſſé, & que j’allois à quelques néceſſités, s’en allerent chacun à leur beſogne, excepté un petit laquais qui vint dire à M. de Sortoville que je parlois tout ſeul. M. de Sortoville crut que j’étois ivre ; il s’approcha, & m’entendit faire quelques queſtions & quelques réponſes qu’il m’a dit depuis.

Je fus là près de trois quarts d’heure à cauſer avec Desfontaines. Je vous ai promis, me dit-il, que ſi je mourois avant vous, je viendrois vous le dire. Je me noyai avant-hier à la riviére de Caen, à peu près à cette heure ci : j’étois à la promenade avec tels & tels, il faiſoit grand chaud, il nous prit envie de nous baigner, il me vint une foibleſſe dans la riviére, & je tombai au fond. L’Abbé de Menil-Jean mon camarade plongea pour me reprendre, je ſaiſis ſon pied ; mais ſoit qu’il eût peur que ce ne fût un Saumon, par ce que je le ſerrois bien fort, ſoit qu’il voulût promptement remonter ſur l’eau, il ſecoua ſi rudement le jaret, qu’il me donna un grand coup ſur la poitrine, & me jetta au fond de la riviére, qui eſt là fort profonde.

Desfontaines me conta enſuite tout ce qui leur étoit arrivé dans la promenade, & de quoi ils s’étoient entretenus. J’avois beau lui faire des queſtions s’il étoit ſauvé, s’il étoit damné, s’il étoit en purgatoire, ſi j’étois en état de grace, & ſi je le ſuivrois de près, il continua ſon diſcours comme s’il ne m’avoit point entendu, & comme s’il n’eût point voulu m’entendre.

Je m’approchai pluſieurs fois pour l’embraſſer ; mais il me parut que je n’embraſſois rien : je ſentois pourtant bien qu’il me tenoit fortement par le bras, & que lorſque je tâchois de détourner ma tête pour ne le plus voir, parce que je ne le voyois qu’en m’affligeant, il me ſecouoit le bras, comme pour m’obliger à le regarder & à l’écouter.

Il me parut toujours plus grand que je ne l’avois vû, & plus grand même qu’il n’étoit lors de ſa mort, quoiqu’il eût grandi depuis 18 mois que nous ne nous étions vûs : je le vis toujours à mi-corps & nud, la tête nue avec ſes beaux cheveux blonds, & un écriteau blanc entortillé dans ſes cheveux ſur ſon front, ſur lequel il y avoit de l’écriture, où je ne pus lire que ces mots, In &c.

C’étoit ſon même ſon de voix : il ne me parut ni gai ni triſte ; mais, dans une ſituation calme & tranquille ; il me pria quand ſon frere ſeroit revenu, de lui dire certaines choſes pour dire à ſon pere & à ſa mere ; il me pria de dire les ſept pſeaumes qu’il avoit eu en pénitence le Dimanche précédent, qu’il n’avoit pas encore récités ; enſuite il me recommanda encore de parler à ſon frere, & puis me dit adieu, s’éloigna de moi en me diſant, juſques, juſques, qui étoit le terme ordinaire dont il ſe ſervoit quand nous nous quittions à la promenade pour aller chacun chez nous.

Il me dit que lorſqu’il ſe noyoit, ſon frere en écrivant une traduction, s’étoit repenti de l’avoir laiſſé aller ſans l’accompagner, craignant quelques accidens ; il me peignit ſi bien où il s’étoit noyé, & l’arbre de l’avenue de Louvigni où il avoit écrit quelques mots, que deux ans après me trouvant avec le feu Chevalier de Gotot, un de ceux qui étoient avec lui lorſqu’il ſe noya, je lui marquai l’endroit même, & qu’en comptant les arbres d’un certain côté que Desfontaines m’avoit ſpécifié, j’allois droit à l’arbre, & je trouvois ſon écriture : il me dit auſſi que l’article des ſept pſeaumes étoit vrai, & qu’au ſortir de confeſſion ils s’étoient dit leur pénitence ; ſon frere me dit depuis qu’il étoit vrai qu’à cette heure là il écrivoit ſa verſion, & qu’il ſe reprocha de n’avoir pas accompagné ſon frere.

Comme je paſſai près d’un mois ſans pouvoir faire ce que m’avoit dit Deſfontaines à l’égard de ſon frere, il m’apparut encore deux ſois avant diner, à une maiſon de campagne où j’étois allé dîner à une lieuë d’ici. Je me trouvai mal ; je dis qu’on me laiſſât, que ce n’étoit rien, que j’allois revenir : j’allai dans le coin du jardin. Desfontaines m’ayant apparu, il me fit des reproches de ce que je n’avois pas encore parlé à ſon frere, & m’entretint encore un quart d’heure ſans vouloir répondre à mes queſtions.

En allant le matin à Notre-Dame de la Victoire, il m’apparut encore, mais pour moins de tems, & me preſſa toujours de parler à ſon frere, & me quitta en me diſant toujours juſques, juſques, & ſans vouloir répondre à mes queſtions.

C’eſt une choſe remarquable, que j’eus toujours une douleur à l’endroit du bras qu’il m’avoit ſaiſi la premiére fois, juſqu’à ce que j’euſſe parlé à ſon frere ; je fus trois jours que je ne dormois pas de l’étonnement où j’étois. Au ſortir de la premiére converſation, je dis à M. de Varouville mon voiſin & mon camarade d’école, que Desfontaines avoit été noyé, qu’il venoit lui-même de m’apparoître & de me le dire : il s’en alla toujours courant chez les parens pour ſçavoir ſi cela étoit vrai ; on en venoit de recevoir la nouvelle, mais par un mal entendu il comprit que c’étoit l’aîné. Il m’aſſura qu’il avoit lû la lettre de Desfontaines, & il le croyoit ainſi ; je lui ſoutins toujours que cela ne pouvoit pas être, & que Desfontaines lui-même m’étoit apparu : il retourna, revint, & me dit en pleurant, cela n’eſt que trop vrai.

Il ne m’eſt rien arrivé depuis, & voilà mon avanture au naturel : on l’a contée diverſement ; mais je ne l’ai contée que comme je viens de vous le dire. Le feu Chevalier de Gotot m’a dit que Desfontaines eſt auſſi apparu à M. de Menil-Jean. Mais je ne le connois point ; il demeure à vingt lieues d’ici du côté d’Argentan, & je ne puis en rien dire de plus.

Voilà un récit bien ſingulier & bien circonſtancié rapporté par M. l’Abbé de S. Pierre, qui n’eſt nullement crédule, & qui met tout ſon eſprit & toute ſa philoſophie à expliquer les évenemens les plus extraordinaires par des raiſonnemens phyſiques, par le concours des atômes, des corpuſcules, les écoulemens des eſprits inſenſibles & de la tranſpiration. Mais tout cela eſt tiré de ſi loin, & fait une violence ſi ſenſible aux ſujets & à leurs circonſtances, que les plus crédules ne ſauroient s’y rendre.

Il eſt ſurprenant que ces Meſſieurs qui ſe piquent de force d’eſprit, & qui rejettent avec tant de hauteur tout ce qui paroît ſurnaturel, ſoient ſi faciles à admettre des ſyſtêmes philoſophiques beaucoup plus incroyables, que les faits mêmes qu’ils combattent. Ils ſe forment des doutes ſouvent très-mal fondés, & les attaquent par des principes encore plus incertains. Cela s’appelle réfuter une difficulté par une autre, réſoudre un doute par des principes encore plus douteux.

Mais, dira-t-on, d’où vient que tant d’autres perſonnes, qui s’étoient engagées de venir dire des nouvelles de l’immortalité de l’Ame après leur mort, ne ſont pas revenues ? Sénéque parle d’un Philoſophe Stoïcien, nommé Julius Canus, qui ayant été condamné à mort par Jules-Céſar, dit hautement, qu’il alloit apprendre la vérité de cette queſtion qui les partageoit, ſçavoir ſi l’Ame étoit immortelle ou non. Et on ne lit pas qu’il ſoit revenu. La Motte le Vayer étoit convenu avec ſon ami Baranzan Barnabite, que le premier d’entr’eux qui mourroit, avertiroit l’autre de l’état où il ſe trouveroit. Baranzan mourut, & ne revint point.

De ce que les morts reviennent quelquefois, il ſeroit imprudent de conclure qu’ils reviennent toujours. Et de même ce ſeroit mal raiſonner que de dire qu’ils ne reviennent jamais, parce qu’ayant promis de revenir, ils ne ſont pas revenus. Il faudroit pour cela ſuppoſer, qu’il eſt au pouvoir des Ames de revenir & d’apparoître quand elles veulent, & ſi elles veulent ; mais il paroît indubitable au contraire que cela n’eſt point en leur pouvoir, & que ce n’eſt que par une permiſſion très-particuliére de Dieu, que les Ames ſéparées du corps paroiſſent quelquefois aux vivans.

On voit dans l’Hiſtoire du mauvais Riche, que Dieu ne voulut pas lui accorder la grace qu’il lui demandoit de renvoyer ſur la terre quelques-uns de ceux qui étoient avec lui dans l’Enfer. De pareilles raiſons tirées de l’endurciſſement ou de l’incrédulité des mortels, ont pû empêcher de même le retour de Julius Canus, ou de Baranzan. Le retour des Ames & leur apparition n’eſt pas une choſe naturelle, ni qui ſoit du choix des Trépaſſés. C’eſt un effet ſurnaturel & qui tient du miracle.

Saint Auguſtin[108], dit à ce ſujet, que ſi les morts s’intéreſſent à ce qui regarde les vivans, & s’il eſt en leur pouvoir de revenir viſiter les vivans, ſainte Monique ſa Mere qui l’aimoit ſi tendrement, & qui le ſuivoit par mer & par terre pendant ſa vie, ne manqueroit pas de le viſiter toutes les nuits, & de le venir conſoler dans ſes peines ; car il ne faut pas s’imaginer qu’elle ſoit devenue moins compatiſſante depuis qu’elle eſt devenue bienheureuſe : abſit ut facta ſit vitâ feliciore crudelis.

Le Retour des Ames, leurs apparitions, l’exécution des promeſſes que quelques perſonnes ſe ſont faites de venir dire à leurs amis des nouvelles de ce qui ſe paſſe en l’autre monde, n’eſt pas en leur pouvoir. Tout cela eſt entre les mains de Dieu.


CHAPITRE XL.

Divers ſyſtêmes pour expliquer le retour des
Revenans.

LA matiére des Revenans ayant fait dans le monde autant de bruit qu’elle en a fait, il n’eſt pas ſurprenant que l’on ait formé tant de divers ſyſtêmes, & qu’on ait propoſé tant de maniéres pour expliquer leur retour & leurs opérations.

Les uns ont crû que c’étoit une réſurrection momentanée cauſée par l’Ame du défunt qui rentroit dans ſon corps, ou par le Démon qui le ranimoit & le faiſoit agir pendant quelque tems, tandis que ſon ſang gardoit ſa conſiſtance & ſa fluidité, & que ſes organes n’étoient point entiérement corrompus & dérangés.

D’autres frappés des ſuites de ce principe & des conſéquences qu’on en pourroit tirer, ont mieux aimé ſuppoſer, que ces Vampires n’étoient pas vraiment morts ; qu’ils conſervoient encore certaines ſemences de vie, & que leurs Ames pouvoient de tems en tems les ranimer & les faire ſortir de leurs tombeaux, pour paroître parmi les hommes ; y prendre quelque nourriture, ſe rafraîchir, y renouveller leur ſuc nourricier & leurs eſprits animaux, en ſuçant le ſang de leurs proches.

On a imprimé depuis peu une Diſſertation ſur l’incertitude des ſignes de la mort, & l’abus des enterremens précipités, par Monſieur Jacques Benigne Vinſlow, Docteur Régent de la Faculté de Médecine de Paris, traduite & commentée par Jacques Jean Bruhier, Docteur en Médecine à Paris, 1742. in-8o. Cet ouvrage peut ſervir à expliquer, comment des perfonnes qu’on a crûes mortes & qu’on a enterrées comme telles, ſe ſont néanmoins trouvées vivantes aſſez long-tems après leurs obſéques & leur enterrement. Cela rendra peut-être le Vampiriſme moins incroyable.

M. Vinſlow, Docteur & Régent de la Faculté de Médecine de Paris, ſoûtint au mois d’Avril 1740. une Théſe, où il demande, ſi les expériences de Chirurgie ſont plus propres que toutes autres à découvrir des marques moins incertaines d’une mort douteuſe. Il y ſoûtint qu’il y a pluſieurs rencontres, où les marques de la mort ſont très douteuſes ; & il produit pluſieurs exemples de perſonnes qu’on a crûes mortes, & qu’on a enterrées comme telles, qui néanmoins ſe ſont enſuite trouvées vivantes.

M. Bruhier Docteur en Médecine a traduit cette Théſe en François, & y a fait des additions ſçavantes, fort propres à fortifier le ſentiment de Monſieur Vinſlow. L’ouvrage eſt très-intéreſſant pour la matiére dont il traite, & fort agréable à lire, par la maniére dont il eſt écrit. Je vais en extraire ce qui peut ſervir à mon ſujet. Je m’attacherai principalement aux faits les plus certains & les plus ſinguliers : car pour les rapporter tous, il faudroit tranſcrire tout le livre.

On ſait que Jean Duns, ſurnommé Scot ou le Docteur ſubtil, eut le malheur d’être enterré vivant à Cologne, & que quand on ouvrit ſon tombeau quelque tems après, on trouva qu’il s’étoit rongé le bras[109]. On raconte la même choſe de l’Empereur Zenon, qui ſe fit entendre du fond de ſon tombeau par des cris réitérés à ceux qui le veilloient. Lanciſi célébre Médecin du Pape Clément XI. raconte, qu’à Rome il a été témoin d’une perſonne de diſtinction qui étoit encore vivante lorſqu’il écrivoit, qui reprit le mouvement & le ſentiment, pendant qu’on chantoit ſon ſervice à l’Egliſe.

Pierre Zacchias, autre célébre Médecin de Rome, dit que dans l’Hôpital du Saint-Eſprit, un jeune homme étant attaqué de peſte, tomba dans une ſyncope ſi entiére, qu’on le crut abſolument mort. Dans le tems qu’on tranſportoit ſon cadavre avec beaucoup d’autres au de-là du Tibre, le jeune homme donna quelques ſignes de vie. On le reporta à l’Hôpital où il guérit. Deux jours après il tomba dans une pareille ſyncope. Pour cette ſois il fut réputé mort ſans

retour : on le mit parmi les autres deſtinés à la ſépulture ; il revint une ſeconde fois, & vivoit encore quand Zacchias écrivoit.

On raconte qu’un nommé Guillaume Foxlei âgé de 40 ans[110], s’étant endormi le 27 Avril 1546. demeura plongé dans ſon ſommeil quatorze jours & quatorze nuits, ſans aucune maladie précédente. Il ne pouvoit ſe perſuader qu’il eût dormi plus d’une nuit ; il ne fut convaincu de ſon long ſommeil, que quand on lui fit voir un bâtiment commencé quelques jours avant ſon aſſoupiſſement, & qu’il vit achever à ſon réveil. On dit que ſous le Pape Gregoire II. un Ecolier dormit ſept ans de ſuite à Lubec. Lilius Giraldus[111] rapporte qu’un payſan dormit toute l’Automne & l’Hyver entier.


CHAPITRE XLI.

Divers exemples de perſonnes enterrées encore
vivantes.

PLutarque raconte, qu’un homme étant tombé de haut ſur ſon col, on le crut mort, ſans qu’il eût la moindre apparence de bleſſure. Comme on le portoit en terre au bout de trois jours, il reprit tout-à-coup ſes forces & revint à lui. Aſclepiade[112] ayant rencontré un grand convoi d’une perſonne qu’on portoit en terre, obtint de voir & de toucher le mort : il y trouva des ſignes de vie, & par le moyen de quelques remédes il le rappella ſur le champ & le rendit ſain à ſes parens.

Il y a pluſieurs exemples de perſonnes qui ayant été enterrées, ſont revenues enſuite, & ont encore vêcu long-tems en parfaite ſanté. On raconte en particulier[113], qu’une femme d’Orléans enterrée dans le cimetiére avec une ba- gue à ſon doigt, qu’on n’avoit pû tirer en la mettant dans le cercueil ; la nuit ſuivante un Domeſtique attiré par l’eſpoir du gain, ouvrit le tombeau, rompit le cercueil, & ne pouvant arracher la bague, voulut couper le doigt de la perſonne, qui jetta un grand cri : le valet prit la fuite, la femme ſe débarraſſa comme elle put de ſon drap mortuaire, revint chez elle, & ſurvêquit à ſon mari.

M. Benard Maître Chirurgien à Paris atteſte, qu’étant avec ſon pere à la Paroiſſe de Réal, on tira du tombeau, vivant & reſpirant, un Religieux de ſaint François qui y étoit renfermé depuis trois ou quatre jours, & qui s’étoit rongé les mains autour de la ligature qui les lui aſſujetiſſoit ; mais il mourut preſque dans le moment qu’il eut pris l’air.

Pluſieurs perſonnes ont parlé de cette femme d’un Conſeiller de Cologne[114], qui ayant été enterrée en 1571. avec une bague de prix, le foſſoyeur ouvrit le tombeau la nuit ſuivante, pour voler la bague. Mais la bonne Dame l’empoigna, & le força de la tirer du cercueil. Il ſe dégagea néanmoins de ſes mains, & s’enfuit. La reſſuſcitée alla frapper à la porte de ſa maiſon ; on crut que c’étoit un Fantôme, & on la laiſſa aſſez long-tems languir à la porte : enfin on lui ouvrit, on la réchauffa, & elle revint en parfaite ſanté, & eut depuis trois fils qui furent gens d’Egliſe. Cet évenement eſt repréſenté ſur le ſépulcre de la perſonne dans un tableau, où l’Hiſtoire eſt repréſentée, & de plus écrite en vers Allemands.

On ajoute que cette Dame, pour convaincre ceux du logis que c’étoit elle-même, dit au valet qui vint à la porte, que les chevaux étoient montés au grenier, ce qui ſe trouva vrai ; & on voit encore aux fenêtres du grenier de cette maiſon des têtes des chevaux en bois en ſigne de la vérité de la choſe.

François de Civile, Gentilhomme Normand[115] étoit Capitaine de cent hommes dans la ville de Rouen, lorſqu’elle fut aſſiégée par Charles IX. & avoit alors 26 ans : il fut bleſſé à mort à la fin d’un aſſaut ; & étant tombé dans le foſſé, quelques pionniers le mirent dans une foſſe avec un autre corps, & le couvrirent d’un peu de terre. Il y reſta depuis onze heures du matin juſqu’à ſix heures & demie du ſoir, que ſon valet l’alla déterrer. Ce Domeſtique lui ayant remarqué quelques ſignes de vie, le mit dans un lit, où il demeura cinq jours & cinq nuits ſans parler, ni ſans donner aucun ſigne de ſentiment, mais auſſi ardent de fiévre, qu’il avoit été froid dans la foſſe. La ville ayant été priſe d’aſſaut, les valets d’un Officier de l’Armée victorieuſe, qui devoient loger dans la maiſon où étoit Civile, le jetterent ſur une paillaſſe dans une chambre de derriére, d’où les ennemis de ſon frere le jetterent par la fenêtre ſur un tas de fumier, où il demeura plus de trois fois vingt-quatre heures en chemiſe. Au bout de ce tems, un de ſes parens, ſurpris de le trouver vivant, l’envoya à une lieue de Rouen[116], où il fut traité, & ſe trouva enfin parfaitement guéri.

Dans une grande peſte, qui attaqua la ville de Dijon en 1558. une Dame nommée Nicole Lentillet étant réputée morte de la maladie épidémique, fut jettée dans une grande foſſe, où l’on enterroit les morts. Le lendemain de ſon enterrement au matin elle revint à elle, & fit de vains efforts pour ſortir ; mais ſa foibleſſe & le poids des autres corps dont elle étoit couverte l’en empêcherent. Elle demeura dans cette horrible ſituation pendant quatre jours, que les enterreurs l’en tirerent, & la ramenerent chez elle, où elle ſe rétablit parfaitement.

Une Demoiſelle d’Auſbourg étant tombée[117] en ſyncope, ſon corps fut mis ſous une voûte profonde, ſans être couvert de terre ; mais l’entrée de ce ſoûterrain fut murée exactement. Quelques années après quelqu’un de la même famille mourut : on ouvrit le caveau, & l’on trouva le corps de la Demoiſelle tout à l’entrée de la clôture n’ayant point de doigts à la main droite, qu’elle s’étoit dévorée de déſeſpoir.

Le 25 de Juillet 1688. mourut à Metz un garçon perruquier d’une attaque d’apoplexie, ſur le ſoir après avoir ſoupé. Le 28 du même mois on l’entendit encore ſe plaindre pluſieurs fois. On le déterra ; il fut viſité par les Médecins & Chirurgiens. Le Médecin a ſoûtenu après qu’il a été ouvert, qu’il n’y avoit que deux heures qu’il étoit mort. Ceci eſt tiré d’un manuſcrit d’un Bourgeois contemporain à Metz.


CHAPITRE XLII.

Exemples de perſonnes noyées, qui ſont revenue
en ſanté.

VOici des exemples de perſonnes noyées[118], & qui ſont revenues pluſieurs jours après qu’on les avoit crûes mortes. Peclin raconte l’hiſtoire d’un Jardinier de Troninghalm en Suede, qui étoit encore vivant & âgé de ſoixante cinq ans, lorſque l’Auteur écrivoit. Cet homme étant ſur la glace pour ſecourir un autre homme qui étoit tombé dans l’eau, la glace ſe rompit ſous lui, & il enfonça dans l’eau à la profondeur de dix-huit aunes ; ſes pieds s’étant attachés au limon, il y demeura pendant ſeize heures avant qu’on le tirât hors de l’eau. En cet état il perdit tout ſentiment, ſi ce n’eſt qu’il crut entendre les cloches qu’on ſonnoit à Stokolm ; il ſentit l’eau qui lui entroit non par la bouche, mais par les oreilles : après l’avoir cherché pendant ſeize heures, on l’accrocha par la tête avec un croc, & on le tira de l’eau ; on le mit dans des draps, on l’approcha du feu, on le frotta, on l’agita, enfin on le fit revenir. Le Roi & la Reine voulurent le voir & l’entendre, & lui firent une penſion.

Une femme dans le même pays après avoir été trois jours dans l’eau, fut de même rappellée à la vie par les mêmes moyens que le Jardinier. Un autre nommé Janas s’étant noyé à l’âge de dix-ſept ans, fut tiré de l’eau ſept ſemaines après ; on le réchauffa, & on lui fit revenir les eſprits.

Mr. d’Egly de l’Académie Royale des Inſcriptions & des Belles-lettres de Paris, raconte qu’un Suiſſe habile plongeur s’étant enfoncé dans un creux de la riviere où il eſpéroit trouver de beaux poiſſons, y demeura environ neuf heures : on le tira de l’eau après l’avoir bleſſé en pluſieurs endroits avec des crocs. Mr. d’Egly voyant que l’eau bouillonnoit ſortant de ſa bouche, ſoûtint qu’il n’étoit pas mort. On lui fit rendre de l’eau tant qu’on put pendant trois quarts-d’heures, on l’enveloppa de linges chauds, on le mit dans le lit, on le ſaigna, & on le ſauva.

On en a vû qui ſont revenus après avoir été ſept ſemaines dans l’eau, d’autres moins long-tems : par exemple, Gocellin, neveu d’un Archevêque de Cologne, étant tombé dans le Rhin, y demeura quinze heures avant qu’on pût le retrouver. Au bout de ce tems on le porta au tombeau de ſaint Suitbert, & il revint en ſanté[119].

Le même S. Suitbert reſſuſcita encore un autre jeune homme noyé depuis pluſieurs heures. Mais l’Auteur qui raconte ces miracles n’eſt pas d’une grande autorité.

On rapporte pluſieurs exemples de perſonnes noyées, qui ont demeuré pendant quelques jours ſous les eaux, & qui enſuite ſont revenues en ſanté. Dans la ſeconde partie de la Diſſertation ſur l’incertitude des ſignes de la mort, par M. Bruhier Docteur en Médecine, imprimée à Paris en 174.4. pages 102. 103. & ſsuiv, on montre qu’on en a vû qui ont été 48 heures ſous les eaux, d’autres pendant trois jours, d’autres pendant huit jours. Il y ajoûte l’exemple des chryſalides inſectes, qui paſſent tout l’hyver ſans donner le moindre ſigne de vie, & les inſectes aquatiques, qui demeurent tout l’hyver dans le limon ſans mouvement ; ce qui arrive auſſi aux grenouilles, & aux crapaux : les fourmis mêmes, contre l’opinion commune, ſont pendant l’hyver dans un état de mort, qui ne ceſſe qu’au printems. Les hirondelles dans les pays Septentrionnaux s’enfoncent par pelotons dans les lacs & dans les étangs, même dans les rivières, dans la mer, dans le ſable, dans des troux de murailles, dans le creux des arbres, le fond des cavernes pendant que d’autres hirondelles paſſent la mer pour chercher des climats plus chauds & plus tempérés.

Ce qu’on vient de dire des hirondelles, qui ſe trouvent au fond des lacs, des étangs & des rivières, ſe remarque tout communément dans la Siléſie, la Pologne, la Boheme, & la Moravie. On pêche même quelquefois des cicognes comme mortes, qui ont le bec fiché dans l’anus les unes des autres ; on en a vû beaucoup de cette ſorte aux environs de Genéve, & même aux environs de Metz en l’année 1467.

On y peut joindre les cailles & les hérons : on a trouvé des moineaux & des coucoux pendant l’hyver dans des creux d’arbres ſans mouvement & ſans apparence de vie, leſquels étant réchauffés ont repris leurs eſprits & leur vol. On ſait que les hériſſons, la marmotte, les loirs & les ſerpens vivent ſous la terre ſans reſpirer, & que la circulation du ſang ne ſe ſait en eux que très-ſoiblement pendant tout l’hyver. On dit même que l’ours dort preſque pendant tout ce tems.


CHAPITRE XLIII.

Exemples de femmes qu’on a crûes mortes,
& qui ſont revenues.

DE fort habiles Médecins prétendent[120], que dans la ſuffocation de matrice, une femme peut vivre trente jours ſans reſpirer. Je ſais qu’une fort honnête femme fut pendant trente-ſix heures ſans donner aucun ſigne de vie. Tout le monde la croyoit morte ; & on vouloit l’enſévelir : ſon mari s’y oppoſa toûjours. Au bout de trente-ſix heures elle revint, & a vêcu long-tems depuis : elle racontoit qu’elle entendoit fort bien tout ce qu’on diſoit d’elle, & ſçavoit qu’on vouloit l’enſévelir ; mais ſon engourdiſſement étoit tel, qu’elle ne pouvoit le ſurmonter, & auroit laiſſé faire tout ce qu’on auroit voulu ſans la moindre réſiſtance.

Ceci revient à ce que dit ſaint Auguſtin du Prêtre Prétextat, qui dans ſes abſences d’eſprit & ſes ſyncopes entendoit comme de loin ce qu’on diſoit, & cependant ſe ſeroit laiſſé brûler & couper les chairs ſans oppoſition & ſans aucun ſentiment.

Corneille le Bruyn[121] dans ſes voyages raconte qu’il vit à Damiette en Egypte un Turc qu’on appelloit l’Enfant mort, parce que ſa mere étant groſſe de lui, tomba malade, & comme on la crut morte, on l’enterra aſſez promptement, ſuivant la coûtume du pays, où l’on ne laiſſe que peu de tems les morts ſans les enterrer, ſur-tout en tems de peſte. Elle fut miſe dans un caveau que ce Turc avoit pour la ſépulture de ſa famille.

Sur le ſoir, quelques heures après l’enterrement de cette femme, il vint dans l’eſprit du Turc ſon mari, que l’enfant dont elle étoit enceinte pourroit bien être encore vivant ; il fit donc ouvrir le caveau, & trouva que ſa femme s’étoit délivrée, & que ſon enfant étoit vivant, mais la mere étoit morte. Quelques-uns diſoient qu’on avoit entendu crier l’enfant, & que ce fut ſur l’avis qu’on en donna au pere, qu’il fit ouvrir le tombeau. Cet homme ſurnommé l’Enfant mort, vivoit encore en 1677. Le Bruyn croit que la femme étoit morte lorſqu’elle l’enfanta. Mais il n’auroit pas été poſſible qu’étant morte, elle mit ſon enfant au monde. On doit ſe ſouvenir qu’en Egypte, où ceci eſt arrivé, les femmes ont une facilité extraordinaire d’accoucher, comme le témoignent les Anciens & les Modernes, & que cette femme étoit ſimplement enfermée dans un caveau, ſans être couverte de terre.

Une femme groſſe de Strasbourg réputée morte, fut enterrée dans un ſouterrain[122]. Au bout de quelque tems ce caveau ayant été ouvert pour y mettre un autre corps, on trouva la femme hors de ſon cercueil couchée par terre, ayant entre les mains un enfant dont elle s’étoit délivrée, & dont elle tenoit le bras dans la bouche, comme ſi elle eût voulu le manger.

Une autre femme Eſpagnole, Epouſe de François Arevallos de Suaſſe[123], étant morte, ou réputée telle dans les derniers mois de ſa groſſeſſe, fut miſe en terre : ſon mari qu’on avoit envoyé chercher a la campagne, où il étoit pour affaire, voulut voir ſa femme à l’Egliſe, & la fit exhumer ; à peine eut-on ouvert le cercueil qu’on ouit le cri d’un enfant, qui faiſoit effort pour ſortir du ſein de ſa mere.

On l’en tira vivant, & il a vêcu long-tems depuis ſous le nom d’enfant de la terre. On l’a vû depuis Lieutenant Général de la ville de Xerez de la frontiere en Eſpagne. On pourroit multiplier à l’infini les exemples de perſonnes enterrées toutes vivantes, & d’autres qui ſont revenues comme on les portoit au tombeau, ou qui ont été tirées du tombeau par des cas fortuits.

On peut conſulter ſur cela le nouvel ouvrage de Meſſieurs Vinſlow & Bruyer, & les Auteurs qui ont traité cette matiere exprès[124]. Ces Meſſieurs les Médecins tirent de-là une conſéquence fort ſage & fort judicieuſe, qui eſt qu’on ne doit enterrer les hommes que quand on eſt bien aſſuré de leur mort, ſur-tout dans les tems de peſte, & dans certaines maladies qui font perdre tout-à-coup le mouvement & le ſentiment.


CHAPITRE XLIV.

Peut-on faire l’application de ces exemples
aux Revenans de Hongrie.

ON peut tirer avantage de ces exemples & de ces raiſonnemens en faveur du Vampiriſme, en diſant que les Revenans de Hongrie, de Moravie, de Pologne, &c. ne ſont pas réellement morts ; qu’ils vivent dans leurs tombeaux, quoique ſans mouvement & ſans reſpiration : le ſang qu’on leur trouve beau & vermeil, la flexibilité de leurs membres, les cris qu’ils pouſſent lorſqu’on leur perce le cœur, ou qu’on leur coupe la tête, prouvent qu’ils vivent encore.

Ce n’eſt pas là la principale difficulté qui m’arrête ; c’eſt de ſavoir, comment ils ſortent de leurs tombeaux : comment ils y rentrent, ſans qu’il paroiſſe qu’ils ont remué la terre, & qu’ils l’ont remiſe en ſon premier état : comment ils paroiſſent revêtus de leurs habits, qu’ils vont, qu’ils viennent, qu’ils mangent. Si cela eſt, pourquoi retourner dans leur tombeaux ? que ne demeurent-ils parmi les vivans ? pourquoi ſucer le ſang de leurs parens ? pourquoi infeſter & fatiguer des perſonnes, qui doivent leur être cheres, & qui ne les ont pas offenſés ? Si tout cela n’eſt qu’imagination de la part de ceux qui ſont moleſtés, d’où vient que ces Vampires ſe trouvent dans leurs tombeaux ſans corruption, pleins de ſang, ſouples & maniables ; qu’on leur trouve les pieds crotés le lendemain du jour qu’ils ont couru & effrayé les gens du voiſinage, & qu’on ne remarque rien de pareil dans les autres cadavres enterrés dans le même tems dans le même cimetiere ? D’où vient qu’ils ne reviennent plus, & n’infeſtent plus, quand on les a brûlés ou empalés ? ſera-ce encore l’imagination des vivans & leurs préjugés, qui les raſſureront après ces exécutions faites ? D’où vient que ces ſcènes ſe renouvellent ſi ſouvent dans ces pays, qu’on ne revient point de ces préjugés, & que l’expérience journaliere au lieu de les détruire, ne fait que les augmenter & les fortifier ?

CHAPITRE XLV.

Morts qui mâchent comme des porcs dans
leurs tombeaux, & qui dévorent
leur propre chair.

CEſt une opinion fort répandue dans l’Allemagne, que certains morts mâchent dans leurs tombeaux, & dévorent ce qui ſe trouve autour d’eux ; qu’on les entend même manger comme des porcs, avec un certain cri ſourd & comme grondant & gruniſſant.

Un Auteur Allemand[125] nommé Michel Rauff a compoſé un ouvrage intitulé : de maſticatione mortuorum in tumulis, des morts qui mâchent dans leurs tombeaux. Il ſuppoſe comme une choſe prouvée & certaine, qu’il y a certains morts qui ont dévoré les linges, & tout ce qui étoit à portée de leur bouche, & même qui ont dévoré leur propre chair dans leurs tombeaux. Il remarque[126] que quelques endroits d’Allemagne, pour empêcher les morts de mâcher, on leur met ſous le menton dans le cercueil une motte de terre ; qu’ailleurs on leur met dans la bouche une petite piece d’argent & une pierre ; ailleurs on leur ſerre fortement la gorge avec un mouchoir. L’Auteur cite quelques Ecrivains Allemands, qui font mention de cet uſage ridicule ; & il en rapporte pluſieurs autres, qui parlent des morts, qui ont dévoré leur propre chair dans leur ſépulchre. Cet ouvrage a été imprimé à Leipſic en 1728. Il parle d’un Auteur nommé Philippe Rehrius, qui imprima en 1679. un traité ſur le même titre : de maſticatione mortuorum.

Il auroit pu y ajoûter le fait de Henri Comte de Salm[127], qui ayant été crû mort, fut inhumé tout vivant : l’on ouit pendant la nuit dans l’Egliſe de l’Abbaye de Haute-Seille, où il étoit enterré, de grands cris, & le lendemain ſon tombeau ayant été ouvert, on le trouva renverſé & le viſage en bas, au lieu qu’il avoit été enterré ſur ſon dos, & le viſage en haut.

Il y a quelques années qu’à Bar-le-Duc un homme ayant été inhumé dans le cimetiere, on ouit du bruit dans ſa foſſe : le lendemain on le déterra, & on trouva qu’il s’étoit mangé les chairs des bras ; ce que nous avons appris de témoins oculaires. Cet homme avoit bû de l’eau de vie, & avoit été enterré comme mort. Rauff parle d’une femme de Boheme[128] qui en 1355. avoit mangé dans ſa foſſe la moitié de ſon linceul ſépulchral. Du tems de Luther un homme mort & enterré, & une femme de même, ſe rongerent les entrailles. Un autre mort en Moravie dévora les linges d’une femme enterrée auprès de lui.

Tout cela eſt fort poſſible ; mais que les vrais morts dans leurs tombeaux remuent les mâchoires, & ſe divertiſſent à mâcher ce qui ſe trouve autour d’eux, c’eſt une imagination puérile, ſemblable à ce que les anciens Romains diſoient de leur Manducus, qui étoit une figure groteſque d’homme ayant une bouche énorme, avec des dents proportionnées, que l’on faiſoit mouvoir par reſſorts & craquer les dents les unes contre les autres, comme ſi cette figure famélique eût demandé à manger. On en faiſoit peur aux enfans, & on les menaçoit des Manducus :

Tandemque venit ad pulpita noſtrum
Exodium, cùm perſonæ pallentis hiatum
In gremio matris faſtidit ruſticus infans
.
[129]

On voit quelques reſtes de cet ancien uſage dans certaines proceſſions, où l’on porte une eſpece de ſerpent, qui ouvre & ferme par intervalles une vaſte gueule armée de dents, dans laquelle on jette quelques gâteaux, comme pour le raſſaſier.


CHAPITRE XLVI.

Exemple ſingulier d’un Revenant de
Hongrie.

LExemple le plus remarquable que Rauff cite[130] eſt celui d’un nommé Pierre Plogojovits, enterré depuis dix ſemaines dans un village de Hongrie nommé Kiſolova. Cet homme apparut la nuit à quelques-uns des habitans du village pendant leur ſommeil, & leur ſerra tellement le goſier, qu’en 24 heures ils en moururent. Il périt ainſi neuf perſonnes, tant vieilles que jeunes, dans l’eſpace de huit jours.

La veuve du même Plogojovits déclara, que ſon mari depuis ſa mort lui étoit venu demander ſes ſouliers ; ce qui l’effraya tellement, qu’elle quitta le lieu de Kiſolova pour ſe retirer ailleurs.

Ces circonſtances déterminerent les habitans du village à tirer de terre le corps de Plogojovits & à le brûler, pour ſe délivrer de ces infeſtations. Ils s’adreſſerent à l’Officier de l’Empereur, qui commandoit dans le territoire de Gradiſca en Hongrie, & au Curé du même lieu, pour obtenir la permiſſion d’exhumer le corps de Pierre Plogojovits. L’Officier & le Curé firent beaucoup de difficultés d’accorder cette permiſſion ; mais les payſans déclarerent que ſi on leur refuſoit de déterrer le corps de cet homme, qu’ils ne doutoient point qui ne fût un vrai Vampire (c’eſt ainſi qu’ils appellent les Revenans ou Rédivives) ils ſeroient obligés d’abandonner le village, & de ſe retirer où ils pourroient.

L’Officier de l’Empereur qui a écrit cette relation, voyant qu’il ne pouvoit les arrêter, ni par menaces, ni par promeſſes, ſe tranſporta avec le Curé de Gradiſca au village de Kiſolova, & ayant fait exhumer Pierre Plogojovits, ils trouverent que ſon corps n’exhaloit aucune mauvaiſe odeur ; qu’il étoit entier & comme vivant, à l’exception du bout du nez, qui paroiſſoit un peu flêtri & deſſéché ; que ſes cheveux & ſa barbe étoient crûs, & qu’à la place de ſes ongles, qui étoient tombés, il lui en étoit venu de nouveaux ; que ſous ſa premiere peau, qui paroiſſoit comme morte & blanchâtre, il en paroiſſoit une nouvelle, ſaine & de couleur naturelle : ſes pieds & ſes mains étoient auſſi entiers qu’on les pouvoit ſouhaiter dans un homme bien vivant. Ils remarquerent auſſi dans ſa bouche du ſang tout frais, que ce peuple croyoit que ce Vampire avoit ſucé aux hommes qu’il avoit fait mourir.

L’Officier de l’Empereur & le Curé ayant diligemment examiné toutes ces choſes, & le peuple qui étoit préſent, en ayant conçû une nouvelle indignation, & s’étant de plus en plus perſuadé qu’il étoit la vraie cauſe de la mort de leurs Compatriotes, accoururent auſſi-tôt chercher un pieu bien pointu, qu’ils lui enfoncerent dans la poitrine, d’où il ſortit quantité de ſang frais & vermeil, de même que par le nez & par la bouche ; il rendit auſſi quelque choſe par la partie de ſon corps que la pudeur ne permet pas de nommer. Enſuite les payſans mirent le corps ſur un bûcher, & le réduiſirent en cendres.

M. Rauff[131] de qui nous tenons ces particularités, cite pluſieurs Auteurs, qui ont écrit ſur la même matiere, & ont rapporté des exemples de ces morts, qui ont mangé dans leurs tombeaux. Il cite en particulier Gabriel Rzaczinoki dans ſon Hiſtoire des Curioſités naturelles du Royaume de Pologne, imprimée en 1721. à Sandomir.


CHAPITRE XLVII.

Raiſonnement ſur cette matiere.

CEs Auteurs ont beaucoup raiſonné ſur ces événemens. I. Les uns les ont crûs miraculeux. 2. Les autres les ont regardés comme de purs effets d’une imagination vivement frappée, ou d’une forte prévention. 3. D’autres ont crû qu’il n’y avoit en cela rien que de très-naturel & de très-ſimple, ces perſonnes n’étant pas mortes, & agiſſant naturellement ſur les autres corps. 4. D’autres ont prétendu, que c’étoit l’ouvrage du Démon même. Entre ceux-ci quelques-uns ont avancé[132], qu’il y avoit certains Démons benins, différens des Démons malfaiſans & ennemis des hommes, à qui ils ont attribué des opérations badines & indifférentes, à la diſtinction des mauvais Démons qui inſpirent aux hommes le crime & le péché, les maltraitent, les font mourir, & qui leur cauſent une infinité de maux. Mais quels plus grands maux peut-on avoir à craindre des vrais Démons & des Eſprits les plus malins, que ceux que les Revenans de Hongrie cauſent aux perſonnes qu’ils ſucent & qu’ils font mourir ? 5. D’autres veulent, que ce ne ſoient pas les morts qui mangent leurs propres chairs, ou leurs habits, mais ou des ſerpens, ou des rats, des taupes, des loups cerviers, ou d’autres animaux voraces, ou même ce que les Payens nommoient Striges[133], qui ſont des oiſeaux qui dévorent les animaux & les hommes, & en ſucent le ſang. Quelques-uns ont avancé, que ces exemples ſe remarquoient principalement dans les femmes, & ſur-tout en tems de peſte ; mais on a des exemples de Revenans de tout ſexe, & principalement des hommes ; quoique ceux qui ſont morts de peſte, de poiſon, de rage, d’ivreſſe & de maladie épidémique, ſoient plus ſujets à revenir, apparemment parceque leur ſang ſe coagule plus difficilement, & que quelquefois on en enterre qui ne ſont pas bien morts, à cauſe du danger qu’il y a de les laiſſer long-tems ſans ſépulture, de peur de l’infection qu’ils cauſeroient.

On ajoûte que ces Vampires ne ſont connus que dans certains pays, comme la Hongrie, la Moravie, la Siléſie, ou ces maladies ſont plus communes, & où les peuples étant mal nourris, ſont ſujets à certaines incommodités cauſées ou occaſionnées par le climat & la nourriture, & augmentées par le préjugé, l’imagination & la frayeur, capables de produire ou d’accroître les maladies les plus dangereuſes, comme l’expérience journaliere ne le prouve que trop. Quant à ce que quelques-uns avancent qu’on entend ces morts manger & mâcher comme des porcs dans leurs tombeaux, cela eſt manifeſtement fabuleux, & ne peut être fondé que ſur des préventions ridicules.


CHAPITRE XLVIII.

Les Vampires ou Revenans ſont-ils véritablemente
morts ?

LE ſentiment de ceux qui tiennent que tout ce qu’on raconte des Vampires eſt un pur effet de l’imagination, de la faſcination, ou de cette maladie que les Grecs nomment Phreneſis ou Coribantiſme, & qui prétendent par-là expliquer tous les Phénomènes du Vampiriſme, ne perſuaderont jamais, que ces maladies du cerveau puiſſent produire des effets auſſi réels que ceux que nous avons racontés. Il eſt impoſſible, que tout à coup pluſieurs perſonnes croyent voir ce qui n’eſt point, & qu’elles meurent en ſi peu de tems d’une maladie de pure imagination. Et qui leur a révelé, qu’un tel Vampire eſt entier dans ſon tombeau, qu’il eſt plein de ſang, qu’il y vit en quelque ſorte après ſa mort ? N’y aura-t-il pas un homme de bon ſens dans tout un peuple, qui ſoit exempt de cette fantaiſie, ou qui ſe ſoit mis au-deſſus des effets de cette faſcination, de ces Sympathies & Antipathies, & de cette Magie naturelle ? Et puis qui nous expliquera clairement & diſtinctement ce que ces grands termes ſignifient, & la maniére de ces opérations ſi occultes & ſi miſtérieuſes ? C’eſt vouloir expliquer une choſe obſcure & douteuſe, par une autre plus incertaine & plus incompréhenſible.

Si ces perſonnes ne croyent rien de tout ce qu’on raconte des Apparitions, du retour, des actions des Vampires, ils perdent bien inutilement leur tems en propoſant des ſyſtêmes, & formant des raiſonnemens pour expliquer ce qui ne ſubſiſte que dans l’imagination de certaines perſonnes prévenues & frappées ; mais ſi tout ce qu’on en raconte ou du moins une partie eſt vrai, ces ſyſtêmes & ces raiſonnemens ne ſatisferont pas aiſément les eſprits qui veulent des preuves d’une autre valeur que celles-là.

Voyons donc ſi le ſyſtême qui veut que ces Vampires ne ſoient pas vraiment morts, eſt bien fondé. Il eſt certain que la mort conſiſte dans la ſéparation de l’ame & du corps, & que ni l’un ni l’autre ne périt, ni n’eſt anéanti par la mort ; que l’ame eſt immortelle, & que le corps deftitué de ſon ame demeure encore quelque tems en ſon entier, & ne ſe corrompt que par parties, quelquefois en peu de jours, & quelquefois dans un plus long eſpace de tems : quelquefois même il demeure ſans corruption pendant pluſieurs années, ou même pluſieurs ſiécles, ſoit par un effet de ſon bon tempérament, comme dans Hector & dans Alexandre le grand, qui demeurerent pluſieurs jours ſans corruption[134], ou par le moyen de l’art de l’embaumement, ou enfin par la qualité du terrain où ils ſont enterrés, qui a la faculté de deſſécher l’humidité radicale, & les principes de la corruption. Je ne m’arrête pas à prouver toutes ces choſes qui ſont aſſez connues d’ailleurs.

Quelquefois le corps ſans être mort, & ſans être abandonné de ſon ame raiſonnable, demeure comme mort & ſans mouvement, du moins avec un mouvement ſi lent, & une reſpiration ſi foible, qu’elle eſt preſque imperceptible, comme il arrive dans la pamoiſon, dans la ſyncope, dans certaines maladies aſſez communes aux femmes, dans l’extaſe ; comme nous l’avons remarqué dans l’exemple de Prétextat Prêtre de Calame : nous avons auſſi rapporté plus d’un exemple de perſonnes tenues pour mortes & enterrées ; j’y puis ajouter celui de M. l’Abbé Salin, Prieur de S. Chriſtophe[135] en Lorraine, qui étant dans le cercueil, & prêt à être porté en terre, fut reſſuſcité par un de ſes amis, qui lui fit avaller un verre de vin de Champagne.

On raconte pluſieurs exemples de même nature. On peut voir[136] dans les Cauſes célébres celui d’une fille qui devint enceinte pendant une longue ſyncope ou pamoiſon ; nous en avons déja parlé. Pline cite[137] un grand nombre d’exemples de perſonnes qu’on a crûes mortes, & qui ſont revenues, & ont vêcu encore long-tems. Il parle d’un jeune homme qui s’étant endormi dans une caverne, y demeura quarante ans ſans s’éveiller. Nos Hiſtoriens[138] parlent des ſept dormans, qui dormirent de même pendant cent cinquante années, depuis l’an de Jeſus-Chriſt 253. juſqu’en 403. On dit que le Philoſophe Epimenides dormit dans une caverne pendant cinquante-ſept ans, ou ſelon d’autres, pendant quarante-ſept ou ſeulement quarante ans : car les Anciens ne ſont pas d’accord ſur le nombre d’années. On aſſûre même, que ce Philoſophe étoit le maître de faire abſenter ſon ame, & de la rappeller quand il vouloit.

On raconte la même choſe d’Ariſtée de Proconéſe. Je veux bien avouer que cela eſt fabuleux ; mais on ne peut conteſter la vérité de pluſieurs autres hiſtoires de perſonnes, qui ſont revenues en vie après avoir paru mortes pendant des 3. 4. 5. 6. & 7 jours. Pline reconnoît, qu’il y a pluſieurs exemples de perſonnes mortes, qui ont apparu après avoir été enterrées ; mais il n’en veut point parler, parce que, dit-il, il ne rapporte que des œuvres naturelles, & non des prodiges : poſt ſepulturam quoque viſorum exempla ſunt, niſi quòd naturæ opera, non prodigia ſectamur. Nous croyons qu’Hénoch & Elie ſont encore vivans ; pluſieurs ont crû que ſaint Jean l’Evangeliſte n’étoit pas mort[139], mais qu’il vivoit encore dans ſon tombeau. Platon & ſaint Clément d’Alexandrie[140] racontent, que le fils de Zoroaſtre étoit reſſuſcité douze jours après ſa mort, & lorſque ſon corps eut été porté ſur le bûcher. Phlegon dit[141] qu’un Soldat Syrien de l’armée d’Antiochus, après avoir été tué aux Thermopyles, parut en plein jour au camp des Romains, & parla à pluſieurs perſonnes ; & Plutarque rapporte[142], qu’un nommé Theſpeſius tombé d’un toît, reſſuſcita le troiſiéme jour après qu’il fut mort de ſa chûte.

Saint Paul écrivant aux Corinthiens[143] ſemble ſuppoſer, que quelquefois l’Ame ſe tranſporte hors du corps, pour ſe rendre où elle eſt en eſprit : par exemple, il dit qu’il a été tranſporté juſqu’au troiſiéme Ciel, & y a entendu des choſes ineffables ; mais il ajoûte qu’il ne ſait, ſi c’eſt en corps, ou ſeulement en eſprit, ſive in corpore, ſive extra corpus, neſcio, Deus ſcit. Nous avons déja cité S. Auguſtin[144] qui parle d’un Prêtre de Calame nommé Prétextat, qui au ſon de la voix de quelques perſonnes qui ſe lamentoient, s’extaſoit de telle ſorte, qu’il ne reſpiroit plus, & ne ſentoit plus rien, & qu’on lui auroit brûlé & coupé les chairs, ſans qu’il s’en fût apperçu ; ſon ame étoit abſente, ou tellement occupée de ces lamentations, que la douleur ne lui étoit plus ſenſible. Dans la pamoiſon, dans la ſyncope, l’ame ne fait plus ſes fonctions ordinaires : elle eſt cependant dans le corps, & continue de l’animer ; mais elle ne s’apperçoit pas de ſa propre action.

Un Curé du Diocèſe de Conſtance, nommé Bayer, m’écrit qu’en 1728. ayant été pourvû de la Cure de Rutheim, il fut inquiété un mois après par un ſpectre, ou un mauvais Génie ſous la forme d’un payſan mal-fait, mal vêtu, de mauvaiſe mine, d’une puanteur inſupportable, qui vint frapper à ſa porte d’une maniere inſolente, & étant entré dans ſon poële, lui dit qu’il étoit envoyé de la part d’un Officier du Prince de Conſtance ſon Evêque, pour certaine commiſſion qui ſe trouva abſolument fauſſe. Il demanda enſuite à manger. On lui ſervit de la viande, du pain & du vin. Il prit la viande à deux mains & la dévora avec les os, diſant : voyez comme je mange la chair & les os. Faites-en de même. Puis il prit le vaſe où étoit le vin, & l’avala tout d’un trait ; puis il en demanda d’autre, qu’il but de même. Après cela il ſe retira ſans dire adieu au Curé ; & la ſervante qui le conduiſoit à la porte, lui ayant demandé ſon nom, il répondit : Je ſuis né à Rutſingue, & mon nom eſt George Raulin, ce qui étoit faux. En deſcendant l’eſcalier, il dit en menaçant le Curé en Allemand : Je te ferai voir qui je ſuis.

Il paſſa tout le reſte du jour dans le village, ſe faiſant voir à tout le monde. Vers minuit il revint à la porte du Curé, criant trois fois d’une voix terrible : Monſieur Bayer ; & ajoûtant : je vous apprendrai qui je ſuis. En effet pendant trois ans il revint tous les jours vers quatre heures après midi, & pendant toutes les nuits juſqu’au point du jour.

Il paroiſſoit ſous diverſes formes, tantôt ſous la figure d’un chien barbet, tantôt ſous celle d’un lion, ou d’un autre animal terrible ; tantôt ſous la forme d’un homme, tantôt ſous celle d’une femme ou d’une fille pendant que le Curé étoit à table ou au lit, le ſollicitant à l’impudicité. Quelquefois il faiſoit dans toute la maiſon un fracas, comme d’un Tonnelier qui relie des tonneaux. Quelquefois on auroit dit qu’il vouloit renverſer tout le logis par le grand bruit qu’il y cauſoit. Pour avoir des témoins de tout ceci, le Curé fit ſouvent venir le Marguillier & d’autres perſonnes du Village pour en rendre témoignage. Le Spectre répandoit par tout où il étoit une puanteur inſupportable.

Enfin le Curé eut recours aux Exorciſmes ; mais ils ne produiſirent aucun effet. Et comme on déſeſpéroit preſque d’être délivré de ces véxations, il fut conſeillé ſur la fin de la troiſiéme année de ſe munir d’une branche bénite le jour des Palmes, & d’une épée auſſi bénite à cet effet, & de s’en ſervir contre le Spectre. Il le fit une & deux fois, & depuis ce tems il ne fut plus moleſté. Ceci eſt atteſté par un Religieux Capucin, témoin de la plûpart de ces choſes, le 29 Août 1749.

Je ne garantis pas toutes ces circonſtances. Le Lecteur judicieux en tirera les inductions qu’il jugera à propos. Si elles ſont vraies, voilà un vrai Revenant, qui boit, qui mange, qui parle, qui donne des marques de ſa préſence pendant trois ans entiers, ſans aucune apparence de Religion. Voici un autre exemple d’un Revenant, qui ne ſe manifeſta que par des faits.

On m’écrit de Conſtance du 8 Août 1748. que ſur la fin de l’année 1746. on entendit comme des ſoupirs, qui partoient du coin de l’imprimerie du ſieur Lahart, un des Conſeillers de la ville de Conſtance. Les garçons de l’imprimerie n’en firent que rire au commencement ; mais l’année ſuivante 1747. dans les premiers jours de Janvier on entendit plus de bruit qu’auparavant. On frappoit rudement contre la muraille vers le même coin, où l’on avoit d’abord entendu quelques ſoupirs ; on en vint même juſqu’à donner des ſoufflets aux imprimeurs, & à jetter leurs chapeaux par terre. Ils eurent recours aux Capucins, qui vinrent avec les Livres propres à exorciſer l’Eſprit. L’exorciſme achevé, ils s’en retournerent, & le bruit ceſſa pendant trois jours.

Au bout de ce terme, le bruit recommença plus fort qu’auparavant : l’Eſprit jetta les caracteres de l’imprimerie contre les fenêtres. On fit venir de dehors un Exorciſte fameux, qui exorciſa l’Eſprit pendant huit jours. Un jour l’Eſprit donna un ſoufflet à un jeune garçon, & on vit de nouveau les caracteres de l’imprimerie jettés contre les vitres ; l’Exorciſte étranger n’ayant pû rien faire par ſes exorciſmes, s’en retourna chez lui.

L’Eſprit continua ſon manége, donnant des ſoufflets aux uns, jettant des pierres & d’autres choſes aux autres, enſorte que les Compoſiteurs furent obligés d’abandonner ce coin de l’imprimerie. Ils ſe rangerent au milieu de la chambre, & n’y furent pas plus en repos.

On fit donc venir d’autres Exorciſtes, dont l’un avoit une particule de la vraie Croix, qu’il mit ſur la table. L’Eſprit ne laiſſa pas d’inquiéter à l’ordinaire les ouvriers de l’imprimerie, & de ſouffleter ſi violemment le frere Capucin, qui accompagnoit l’Exorciſte, qu’ils furent tous deux contraints de ſe retirer dans leur Couvent. Il en vint d’autres qui ayant mêlé beaucoup de fable & de cendres dans un ſceau d’eau, bénirent l’eau, & en jetterent par aſperſion dans toute l’imprimerie. Ils répandirent auſſi le ſable & la cendre ſur le pavé, & s’étant munis d’épées, tous les aſſiſtans commencerent à frapper en l’air à droite & à gauche par toute la chambre pour voir s’ils pourroient atteindre le Revenant, & pour remarquer s’il laiſſeroit quelque veſtige de ſes pieds ſur le ſable ou ſur la cendre qui couvroit le pavé. On s’apperçut enfin qu’il s’étoit guindé ſur le haut du fourneau, & on y remarqua ſur les angles des veſtiges de ſes pieds & de ſes mains imprimés ſur la cendre & ſur le ſable béni.

On vint à bout de le dénicher de-là, & bientôt on s’apperçut qu’il s’étoit gliſſé ſous la table, & avoit laiſſé ſur le pavé des marques de ſes pieds & de ſes mains. La grande pouſſiere qui s’étoit élevée parmi tous ces mouvemens dans la boutique, fit que chacun ſe diſperſa, & qu’on ceſſa de le pourſuivre. Mais le principal Exorciſte ayant arraché un aix de l’angle où le bruit s’étoit d’abord fait entendre, trouva dans un trou de la muraille des plumes, trois os enveloppés dans un linge ſale, des pieces de verre & une aiguille de tête. Il bénit un feu qu’on alluma, & y fit jetter tout cela. Mais ce Religieux étoit à peine rentré dans ſon Couvent, qu’un garçon de l’Imprimeur vint lui dire que l’aiguille de tête s’étoit d’elle-même tirée des flâmes juſqu’à trois fois, & qu’un garçon qui tenoit une pincette & qui remettoit cette aiguille au feu, fut violemment frappé ſur la joue. Les reſtes de ce qu’on avoit trouvé ayant été apportés au Couvent des Capucins, y fut brûlé ſans aucune réſiſtance. Mais le garçon qui les avoit apportés vit une femme toute nue dans la place publique, & on ouit ce jour-là, & les jours ſuivans, comme de grands gémiſſemens dans la place de Conſtance.

Quelques jours après les infeſtations recommencerent dans la maiſon de l’Imprimeur, le Revenant donnant des ſoufflets, jettant des pierres, & moleſtant les Domeſtiques en diverſes manieres. Le ſieur Lahart maître de la maiſon reçut une bleſſure conſidérable à la tête : deux garçons qui étoient couchés dans le même lit, furent renverſés par terre ; de maniere que la maiſon fut entierement abandonnée pendant la nuit. Un jour de Dimanche une ſervante emportant quelques linges de la maiſon, fut attaquée à coups de pierres. Une autre fois deux garçons furent jettés à bas d’une échelle.

Il y avoit dans la ville de Conſtance un Bourreau qui paſſoit pour ſorcier. Le Religieux qui m’écrit, le ſoupçonna d’avoir quelque part dans tout ce manége ; il commença à exhorter ceux qui veilloient avec lui dans la maiſon à mettre leur confiance en Dieu, & à s’affermir dans la foi. Il leur fit entendre à mots couverts, que le Bourreau pourroit bien être de la partie. On paſſa ainſi la nuit dans la maiſon, & ſur les dix heures du ſoir un des compagnons de l’Exorciſte ſe jetta à ſes pieds fondant en larmes, & lui découvrit que cette même nuit, lui & un de ſes compagnons avoient été envoyés pour conſulter des Bourreaux dans le Turgau, &. cela par l’ordre du ſieur Lahart Imprimeur, dans la maiſon duquel tout ceci ſe paſſoit.

Cet aveu ſurprit étrangement le bon Pere, & il déclara qu’il ne continueroit point à exorciſer, s’ils ne l’aſſuroient qu’ils n’avoient point parlé aux Bourreaux pour faire ceſſer l’infeſtation. Ils proteſterent qu’ils ne leur avoient pas parlé. Le P. Capucin fit ramaſſer tout ce qu’il trouva dans la maiſon de choſes enveloppées & empaquetées, & les rapporta dans ſon Couvent.

La nuit ſuivante deux Domeſtiques eſſayerent de paſſer la nuit dans la maiſon de l’Imprimeur ; mais ils furent renverſés de leurs lits & contraints d’aller coucher ailleurs. On fit enſuite venir un payſan du village d’Ahnauſtorf qui paſſoit pour bon Exorciſte. Il paſſa la nuit dans la maiſon infeſtée, buvant, chantant & criant. Il reçut des coups de bâton & des ſoufflets, & fut obligé d’avouer qu’il ne pouvoit rien contre cet Eſprit.

La veuve d’un Bourreau ſe préſenta enſuite pour faire les Exorciſmes ; elle commença à uſer de fumigations dans tout le logis, pour en chaſſer les mauvais Eſprits. Mais avant qu’elle les eût achevées, voyant que le maître du logis étoit frappé ſur le viſage & ſur le corps par l’Eſprit, elle ſe ſauva dans ſa maiſon ſans demander ſon ſalaire.

On appella enſuite le Curé de Valburg, qui paſſoit pour habile Exorciſte. Il vint avec quatre autres Curés ſéculiers, & continua les exorciſmes pendant trois jours ſans aucun ſuccès. Il ſe retira dans ſa Paroiſſe, imputant au peu de foi des aſſiſtans l’inutilité de ſes prieres.

Pendant ce tems un des quatre Prêtres fut frappé d’un couteau, puis d’une fourchette ; mais il n’en fut pas bleſſé. Le fils du ſieur Lahart maître du logis reçut ſur la mâchoire un coup d’un cierge Paſcal, qui ne lui fit aucun mal ; tout cela n’ayant ſervi de rien, on fit venir les Bourreaux du voiſinage. Deux de ceux qui les alloient quérir, furent bien battus & accablés de pierres. Un autre ſe ſentit la cuiſſe extrêmement ſerrée ; enſorte qu’il en fut incommodé aſſez long-tems. Les Bourreaux ramaſſerent avec ſoin tous les paquets & tout ce qu’ils trouverent d’enveloppé dans la maiſon, & en mirent d’autres en la place ; mais l’Eſprit les enleva, & les jetta ſur la place publique. Après cela les Bourreaux perſuaderent au Sr Lahart de rentrer hardiment avec ſes gens dans ſa maiſon. Il le fit ; mais la premiere nuit comme ils étoient à ſouper, un de ſes ouvriers nommé Salomon fut bleſſé au pied avec grande effuſion de ſang. On renvoya donc chercher le Bourreau, qui parut fort ſurpris que la maiſon ne fût pas encore entierement délivrée ; mais lui même dans le moment fut attaqué d’une grêle de pierres, de ſoufflets & d’autres coups, qui le contraignirent de ſe ſauver promptement.

Quelques hérétiques du voiſinage informés de tout ceci, vinrent un jour à la boutique du Libraire, & ayant voulu lire dans une Bible Catholique qui étoit-là, furent bien battus & ſouffletés ; mais ayant pris la Bible Calviniſte, ils n’en ſouffrirent aucun mal. Deux hommes de Conſtance étant entrés dans la boutique du Libraire par pure curioſité, l’un fut auſſi-tôt renverſé par terre, & l’autre ſe ſauva au plus vîte. Un autre y étant entré de même par curioſité, fut puni de ſa préſomption par une quantité d’eau qu’on lui jetta ſur le corps. Une fille d’Auſbourg parente du Sr Lahart Imprimeur en fut chaſſée à grands coups, & pourſuivie juſques dans la maiſon voiſine, où elle entra.

Enfin les infeſtations ceſſerent le 8e. jour de Février. Ce jour-là le Spectre ouvrit la porte de la boutique, y entra, y fit quelques dérangemens, en ſortit, ferma la porte, & depuis ce tems on n’y a rien entendu.


CHAPITRE XLIX.

Exemple d’un nommé Curma renvoyé
au monde.

SAint Auguſtin raconte à ce ſujet[145], qu’un payſan nommé Curma, qui avoit un petit emploi dans le village de Tullié proche d’Hippone, étant tombé malade, fut quelques jours ſans ſentiment & ſans paroles, n’ayant qu’un petit reſte de ſouffle & de reſpiration, qui empêcherent qu’on ne l’enterrât. Au bout de pluſieurs jours il commença à ouvrir les yeux, & envoya demander ce qu’on faiſoit chez un autre payſan du même lieu, nommé Curma comme lui. On lui rapporta, qu’il venoit d’expirer au même inſtant que lui même étoit revenu & reſſuſcité de ſon profond aſſoupiſſement.

Alors il commença à parler, & à raconter ce qu’il avoit vû & oui ; que ce n’étoit pas Curma le Curial[146], mais Curma le maréchal, qui devoit être amené : il ajoutoit que parmi ceux qu’il avoit vû traiter en différentes maniéres, il en avoit reconnu quelques-uns de ſa connoiſſance qui étoient décédés, & d’autres Eccléſiaſtiques encore vivans, qui lui avoient conſeillé de venir à Hippone, & de ſe faire batiſer par l’Evêque Auguſtin ; que ſuivant leurs avis, il avoit reçu le Baptême en viſion ; qu’après cela il avoit été introduit dans le Paradis, mais qu’il n’y étoit pas demeuré long-tems, & qu’on lui avoit dit, que s’il y vouloit demeurer, il falloit qu’il ſe fit baptiſer. Il répondit : je le ſuis ; mais on lui dit qu’il ne l’avoit été qu’en viſion, & qu’il falloit aller à Hippone, pour recevoir réellement ce Sacrement. Il y vint dès qu’il fut guéri, & fut baptiſé avec les autres Cathécumènes.

Saint Auguſtin ne fut informé de cette avanture qu’environ deux ans après. Il envoya querir Curma, & apprit de ſa bouche ce que je viens de raconter. Or il eſt certain, que Curma ne vit rien par les yeux corporels de tout ce qui lui fut repréſenté en viſion ; ni la ville d’Hippone, ni l’Evêque Auguſtin, ni les Eccléſiaſtiques qui lui conſeillerent de ſe faire baptiſer, ni ces perſonnes vivantes & mortes qu’il vit & qu’il reconnut. On peut donc croire que ce ſont-là des effets de la puiſſance de Dieu, qui ſe ſert du miniſtére des Anges pour avertir, pour conſoler, pour effrayer les mortels, ſelon la profondeur de ſes jugemens.

Saint Auguſtin demande enſuite, ſi les morts ont connoiſſance de ce qui ſe paſſe en cette vie ? Il en doute, & montre qu’au moins ils n’en ont aucune connoiſſance par des voies ordinaires & naturelles. Il remarque qu’on dit que Dieu a retiré du monde, par exemple, Joſias[147], afin qu’il ne fût pas témoin des maux qui devoient arriver à ſa Nation ; & que nous diſons tous les jours, qu’un tel eſt heureux d’être ſorti du monde pour ne pas reſſentir les maux qui ſont arrivés à ſa famille, ou à ſa patrie. Or ſi les morts ne ſavent pas ce qui ſe paſſe en ce monde, comment font-ils en peine, ſi leurs corps ſont enterrés ou non ? Comment les Saints entendent-ils nos priéres, & pourquoi demandons-nous leur interceſſion ?

Il eſt donc vrai, que les morts peuvent apprendre ce qui ſe paſſe ſur la terre, ou par le miniſtére des Anges, ou par celui des morts qui arrivent en l’autre monde, ou par la révélation de l’Eſprit de Dieu, qui leur découvre ce qu’il juge à propos, & ce qu’il eſt expédient qu’ils apprennent. Dieu peut auſſi quelquefois envoyer des hommes morts depuis long-tems aux hommes vivans, comme il permit que Moïſe & Elie paruſſent à la Transfiguration du Seigneur, & comme une infinité de Saints ont apparu aux vivans. L’invocation des Saints a toujours été enſeignée & pratiquée dans l’Egliſe, ce qui ſuppoſe qu’ils entendent nos priéres, qu’ils ſont touchés de nos beſoins, qu’ils peuvent nous aider par leur interceſſion. Mais la maniére dont tout cela ſe fait n’eſt pas diſtinctement connue ; ni la raiſon, ni la révélation ne nous fourniſſent rien de certain ſur les moyens dont il plaît à Dieu ſe ſervir, pour leur découvrir nos beſoins.

Lucien dans ſon Dialogue intitulé : Philopſeudès, ou l’amateur du menſonge, raconte[148] quelque choſe de ſemblable. Un nommé Eucratès ayant été conduit dans les Enfers, fut préſenté à Pluton, qui ſe fâcha contre celui qui le lui préſentoit, lui diſant : Celui-là n’a pas encore achevé ſa courſe, ſon tour n’eſt pas encore venu. Qu’on faſſe venir Démile : car le fil de ſa vie eſt achevé. On renvoya donc Eucratès au monde, où il annonça que Démile mourroit bientôt, Démile demeuroit au voiſinage déja un peu malade.

Mais un moment après on ouit le bruit de ceux & celles qui pleuroient ſa mort. Lucien ſe raille de tout ce qu’on diſoit ſur cette matiére ; mais il convient que c’étoit l’opinion commune de ſon tems. Il dit au même endroit qu’on a vû un homme retourner à la vie après avoir été tenu pour mort pendant vingt jours.

L’Hiſtoire de Çurma que nous venons de voir, me fait ſouvenir d’une autre preſque ſemblable, rapportée par Plutarque dans ſon livre de l’ame[149] d’un certain Enarque, qui étant mort, reſſuſcita peu après, & raconta que les Démons qui emmenoient ſon ame, furent ſévérement réprimandés par leur Chef, qui leur dit qu’ils s’étoient mépris, & que c’étoit Nicandre, & non Enarque qu’ils devoient emmener. Il les envoya à Nicandre, qui fut auſſi-tôt ſaiſi de la fiévre, & mourut dans la journée. Plutarque tenoit ce récit d’Enarque même, qui pour confirmer ce qu’il avançoit, lui dit : Vous guérirez certainement & bientôt de la maladie dont vous êtes attaqué.

Saint Grégoire le Grand raconte[150] une choſe à peu-près ſemblable à celle que nous venons de voir. Un homme illuſtre & qualifié nommé Etienne, bien connu de S. Grégoire & de Pierre ſon interlocuteur, avoit coutume de lui raconter, qu’étant allé pour affaires à Conſtantinople, il y mourut ; & comme le Médecin qui devoit l’embaumer, ne ſe trouva pas ce jour-là dans la ville, il fallut laiſſer le corps toute la nuit ſans l’enterrer. Pendant cet intervalle Etienne fut conduit devant le juge qui préſidoit aux Enfers, où il vit bien des choſes dont-il avoit entendu parler, mais qu’il ne croyoit point. Comme on l’eut préſenté au juge, celui-ci refuſa de le recevoir, diſant : Ce n’eſt pas celui-là que j’ai ordonné d’amener ici, mais Etienne le Maréchal. En conſéquence de cet ordre, l’ame du mort ſut auſſi-tôt ramenée dans ſon corps, & au même inſtant Etienne l’ouvrier en fer expira ; ce qui confirma tout ce que le premier racontoit de l’autre vie.

La peſte ravageant la ville de Rome dans le tems que Narsès étoit Gouverneur de l’Italie, un jeune Liburnien berger de profeſſion, & d’un caractére bon & tranquille, fut attaqué de la peſte dans la maiſon de l’Avocat Valerien ſon Maître. Comme on le croyoit preſque mort, il revint à lui tout à coup, & raconta qu’il avoit été tranſporté au Ciel, où il avoit appris les noms de ceux qui devoient mourir de la peſte dans la maiſon de ſon Maître : les lui ayant nommés, il prédit à Valérien qu’il les ſurvivroit ; & pour le convaincre qu’il diſoit vrai, il lui fit voir, qu’il avoit acquis par infuſion la connoiſſance de pluſieurs ſortes de langues : en effet lui qui n’avoit jamais ni ſû ni parlé que l’Italien, parla Grec à ſon Maître, & d’autres langues à ceux qui les ſavoient.

Après avoir vécu en cet état pendant deux jours, il tomba dans une eſpéce d’accès de rage, & s’étant pris les mains entre les dents, il mourut une ſeconde fois, & fut ſuivi de ceux qu’il avoit nommés. Son Maître qui ſurvêcut, juſtifia pleinement ſa prédiction. Les hommes & les femmes extaſiés & extaſiées demeurent quelquefois pendant pluſieurs jours ſans aliment, ſans reſpiration, & ſans mouvement du cœur, comme s’ils étoient morts. Thauler fameux contemplatif ſoûtient, qu’un homme peut demeurer en extaſe pendant une ſemaine, un mois, ou même une année. On a vû une Abbeſſe, qui dans l’extaſe, où elle tomboit ſouvent, perdoit l’uſage des fonctions naturelles, & paſſoit trente jours conſécutifs en extaſe, ſans prendre aucune nourriture, & ſans avoir aucun ſentiment. Les exemples de ces extaſes ne ſont pas rares dans les vies des Saints, quoiqu’elles ne ſoient pas toutes de même qualité ni de même durée.

Les femmes dans les paſſions hyſtériques demeurent de même quelquefois pluſieurs jours comme mortes, ſans voix, ſans ſentiment, ſans pouls. Galien parle d’une femme, qui fut pendant ſix jours en cet état. Voyez le Traité de l’incertitude des ſignes de la mort, T. 2. p. 404. 407. & ſuiv. Quelques-unes paſſent dix jours entiers ſans mouvement, ſans ſentiment, ſans reſpiration, ſans prendre aucune nourriture.

On a vû de ces perſonnes qui étoient comme mortes & ſans mouvement, qui avoient pourtant l’uſage de l’ouie fort bon, entendoient ce qu’on diſoit autour d’elles, faiſoient effort pour parler, & pour témoigner qu’elles n’étoient pas mortes, mais qui ne pouvoient ni parler, ni donner aucuns ſignes de vie[151].

Je pourrois ajouter ici une infinité d’extaſes de ſaints perſonnages de tout ſexe, qui dans leurs raviſſemens en Dieu dans l’oraiſon demeuroient immobiles, ſans ſentiment, preſque ſans reſpiration, & qui ne ſentoient rien de ce que l’on faiſoit ſur eux, ni autour d’eux.


CHAPITRE L.

Exemples de perſonnes qui s’extaſient quand
elles veulent, & qui demeurent ſans
aucun ſentiment.

JErôme Cardan dit[152] qu’il tomboit extaſié quand il vouloit : il avoue qu’il ignore ſi, comme le Prêtre Prétextat, il ne ſentiroit pas de grandes bleſſures ; mais il ne ſentoit ni la douleur de la goutte, ni les tiraillemens qu’on lui faiſoit. Il ajoute : le Prêtre de Calame entendoit la voix de ceux qui crioient autour de lui, mais comme de fort loin. Pour moi, dit Cardan, j’entends la voix, mais légerement & ſans comprendre ce que l’on dit. Et quand je veux m’extaſier, je ſens autour du cœur comme une ſéparation de l’ame du reſte de mon corps, & cela ſe communique comme par une petite porte à toute la machine, principalement par la tête & par le cervelet. Alors je n’ai point de ſentiment, ſinon que je ſuis hors de moi-même.

On pourroit rapporter ici ce qu’on raconte des peuples de la Laponie[153], qui lorſqu’ils veulent apprendre ce qui ſe paſſe fort loin du lieu où ils ſont, envoient leurs Démons ou leurs ames par le moyen de certaines cérémonies magiques, & par le ſon d’un tambour ſur lequel on frappe, ou ſur un bouclier peint d’une certaine maniére ; puis tout d’un coup le Lapon tombe en extaſe, & demeure comme ſans vie & ſans mouvement, quelquefois pendant vingt-quatre heures. Mais il faut qu’il demeure pendant tout ce tems quelqu’un auprès de lui pour empêcher qu’on ne le touche, qu’on ne l’appelle, & qu’on ne l’éveille : le mouvement même d’une mouche le réveilleroit, & alors on dit qu’il mourroit auſſi-tôt, ou ſeroit emporté par le Démon. Nous en avons déja parlé ci-devant, dans la Diſſertation ſur les apparitions.

Nous avons auſſi remarqué que les ſerpens, les vers, les mouches, les eſcargots, les marmottes, les loirs demeurent comme morts pendant tout l’Hiver ; qu’on a trouvé dans des blocs de pierre des crapaux, des ſerpens & des huitres vivantes qui y étoient enfermés depuis pluſieurs années, & peut-être depuis plus d’un ſiécle. Le Cardinal de Retz dans ſes Mémoires raconte[154], qu’étant à Minorque, le Gouverneur de l’Iſle fit tirer du fond de la mer à force de bras & de cables, des rochers, qui étant rompus à grands coups de maſſes, renfermoient des huitres vivantes qu’on lui ſervit à table, & qui furent trouvées très-bonnes.

On trouve ſur les côtes de Sicile, de Malthe, de Sardaigne, d’Italie, &c. des poiſſons nommés Dactiles, ou Dattes, ou Dales, parce qu’ils ont la forme de dattes de palmiers ; ce poiſſon s’inſinue dans la pierre par un trou, qui n’eſt pas plus grand que le trou que fait une aiguille. Lorſqu’il y eſt entré, il ſe nourrit de la pierre, y groſſit de ſorte qu’il n’en peut plus ſortir, à moins que l’on ne caſſe la pierre, & qu’on ne l’en tire. Alors on le lave, on le nettoie, & on le fait cuire pour le ſervir à table. Il a toute la figure d’une datte de palmier, ou du doigt de la main, d’où lui vient le nom de Dactylos, qui en Grec ſignifie doigt.

Je ſuppoſe encore que dans pluſieurs perſonnes la mort eſt cauſée par la coagulation du ſang, qui ſe géle & ſe fige dans leurs veines, comme il arrive dans ceux qui ont mangé de la ciguë, ou qui ont été mordus par certains ſerpens. Mais il y en a d’autres, dont la mort eſt cauſée par une trop grande ébullition de ſang, comme dans les maladies aiguës, & dans certains poiſons, & même, dit-on, dans certaines eſpéces de peſtes, & quand on eſt mort d’une mort violente, ou qu’on a été étouffé dans les eaux.

Ces premiers morts ne peuvent revenir à la vie ſans un miracle évident ; il faudroit pour cela rétablir la fluidité du ſang, & rendre au cœur ſon mouvement périſtaltique. Mais dans le ſecond genre de mort, on peut quelquefois les faire revivre ſans miracle, en levant l’empêchement qui retarde le mouvement du cœur, ou qui le ſuſpend, comme nous voyons dans les pendules à qui l’on rend le mouvement en ôtant un corps étranger, un cheveu, un bout de fil, un atôme, un corps preſqu’imperceptible qui les arrête.

CHAPITRE LI.

Application de ces Exemples aux Vampires.

EN ſuppoſant ces faits, que je crois inconteſtables, ne pourra-t-on pas croire, que les Vampires de Hongrie, de Siléſie & de Moravie, ſont de ces hommes qui ſont morts de maladies chaudes, & qui ont conſervé dans leurs tombeaux un reſte de vie à peu près comme ces animaux dont nous avons parlé, & comme ces oiſeaux qui s’enfoncent pendant l’hiver dans les lacs ou les marais de la Pologne & des pays Septentrionnaux ? Ils ſont ſans reſpiration & ſans mouvement, mais non toutefois ſans vie. Ils reprennent leur mouvement & leur activité, lorſqu’au retour du printems le Soleil échauffe les eaux, ou lorſqu’on les approche d’un feu modéré, ou qu’on les apporte dans un poële échauffé d’une chaleur temperée : alors on les voit revivre & faire leurs fonctions ordinaires, que le froid avoit ſuſpendues.

Ainſi les Vampires dans leurs tombeaux reprennent la vie après un certain tems, & leur ame ne les abandonne abſolument qu’après l’entiere diſſolution & la décompoſition des parties de leur corps, & lorſque les organes étant abſolument briſés, corrompus & dérangés, elle ne peut plus faire par leur moyen aucunes fonctions vitales ; d’où vient que les peuples des pays dont nous avons parlé, les empalent, leur coupent la tête, les brûlent, pour ôter à leurs ames toute eſpérance de les animer de nouveau, & de s’en ſervir pour moleſter les vivans.

Pline parlant[155] de l’ame d’Hermotime de Clazoméne, qui s’abſentoit de ſon corps, & racontoit diverſes choſes éloignées, qu’elle diſoit avoir vûes, & qui en effet ne pouvoient être connues que d’une perſonne qui y avoit été préſente, dit que les ennemis d’Hermotime nommés Cantandes, brûlerent ce corps, qui ne donnoit preſqu’aucun ſigne de vie, & ôterent ainſi à l’ame le moyen de revenir loger dans ſon étui : donec cremato corpore interim ſemianimi, remeanti animæ velut vaginam ademerint.

Origene avoit ſans doute puiſé dans les Anciens ce qu’il enſeigne[156] que les Ames qui de leur nature ſont ſpirituelles, prennent au ſortir de leur corps terreſtre un autre corps ſubtil, d’une forme toute ſemblable au corps groſſier qu’elles viennent de quitter, qui eſt à leur égard comme une eſpéce de fourreau ou d’étui, & que c’eſt avec ce corps ſubtil qu’elles apparoiſſent quelquefois autour de leur tombeau. Il fonde ſon ſentiment ſur ce qui eſt dit dans l’Evangile du Lazare & du mauvais Riche[157], qui ont tous deux des corps, puiſqu’ils ſe parlent, & ſe voient, & que le mauvais Riche demande une goute d’eau pour rafraichir ſa langue.

Je ne défends pas ce raiſonnement d’Origene ; mais ce qu’il dit d’un corps ſubtil, qui a la forme du corps terreſtre dont l’ame étoit revêtue avant ſa mort, eſt tout-à-fait ſemblable au ſentiment des Anciens dont nous avons parlé art. IV.

Que les corps qui ſont morts de maladie violente, ou qui ont été exécutés pleins de ſanté, ou qui ſont ſimplement évanouis, végetent ſous la terre & dans leurs tombeaux ; que leurs barbes, leurs cheveux & leurs ongles croiſſent ; qu’ils rendent du ſang ; qu’ils ſoient ſouples & maniables ; qu’ils ne ſentent point mauvais ; qu’ils rendent des excremens, ou choſes ſemblables, ce n’eſt pas ce qui nous embarraſſe : la végétation du corps humain peut produire tous ces effets ; qu’ils mangent même & qu’ils dévorent ce qui eſt autour d’eux : la rage dont un homme enterré tout vivant eſt tranſporté, lorſqu’il ſe reveille de ſon engourdiſſement, ou de ſa ſyncope, doit naturellement le porter à ces excès de violence. Mais la grande difficulté eſt d’expliquer comment les Vampires ſortent de leurs tombeaux pour venir infeſter les vivans, & comment ils y rentrent : car toutes les relations que nous voyons, ſuppoſent la choſe comme certaine, ſans nous en raconter ni la maniere, ni les circonſtances, qui ſeroient pourtant ce qu’il y auroit de plus intéreſſant dans ce récit.

Comment un corps couvert de quatre ou cinq pieds de terre, n’ayant aucun jeu pour ſe mouvoir & ſe débarraſſer, enveloppé de linges, couvert d’ais, peut-il ſe faire jour & revenir ſur la terre, & y cauſer les effets que l’on en raconte ; & comment après cela retourne-t-il en ſon premier état, & rentre-t-il ſous la terre, où on le trouve ſain, entier, plein de ſang & dans la ſituation d’un corps vivant ? Dira-t-on que ces corps pénétrent les terres ſans les ouvrir, comme l’eau & les vapeurs qui entrent dans la terre, ou qui en ſortent, ſans en déranger ſenſiblement les parties ? Il ſeroit à ſouhaiter que les relations que l’on nous a données du Retour des Vampires, ſe fuſſent mieux expliquées ſur ce ſujet.

En ſuppoſant que leurs corps ne bougent de leurs tombeaux, que ce ſont ſeulement leurs Fantômes qui apparoiſſent aux vivans, qu’elle ſera la cauſe qui produira ces Fantômes, qui les animera ? Sera-ce l’ame de ces défunts, qui ne les a pas encore abandonnés, ou quelque Démon, qui les fera paroitre ſous un corps emprunté & fantaſtique ; & ſi ce ſont des corps fantaſtiques, comment viennent-ils ſucer le ſang des vivans ? Nous retombons toujours dans l’embarras, ſavoir ſi ces apparitions ſont naturelles ou miraculeuſes.

Un Prêtre de bon eſprit m’a raconté il y a peu de tems, que voyageant dans la Moravie, il fut invité par M. Jeanin Chanoine de la Cathédrale d’Olmuz de l’accompagner à leur village nommé Liebava, où il étoit nommé Commiſſaire par le Conſiſtoire de l’Evêché, pour informer ſur le fait d’un certain fameux Vampire, qui avoit cauſé beaucoup de déſordre dans ce village de Liebava quelques années auparavant.

L’on procéda, l’on ouit des témoins, on obſerva les regles ordinaires de Droit : les témoins dépoſerent qu’un certain habitant notable du lieu de Liebava avoit ſouvent inquiété les vivans dudit lieu pendant la nuit ; qu’il étoit ſorti du cimetiere, & avoit paru dans pluſieurs maiſons il y avoit environ trois ou quatre ans ; que ſes viſites importunes étoient ceſſées, parce qu’un étranger Hongrois paſſant par le village dans le tems de ces bruits, s’étoit vanté de les faire paſſer, & de faire diſparoître le Vampire. Pour ſatisfaire à ſa promeſſe, il monta ſur le clocher de l’Egliſe, & obſerva le moment auquel le Vampire ſortoit de ſon tombeau, laiſſant auprès de la foſſe les linges dans leſquels il étoit enſéveli, puis alloit par le village inquiéter les habitans.

Le Hongrois l’ayant donc vû ſortir de ſa foſſe, deſcend promptement du clocher, enleve les linges du Vampire, & les emporte avec lui ſur la tour. Le Vampire étant revenu de faire ſes tours, & ne trouvant plus ſes habits, crie beaucoup contre le Hongrois, qui lui fait ſigne du haut de la tour, s’il veut ravoir ſes habits, qu’il vienne les chercher : le Vampire ſe met en devoir de monter au clocher ; mais le Hongrois le renverſe de l’échelle, & lui coupe la tête avec une bêche : telle fut la fin de cette tragédie.

Celui qui m’a raconté cette hiſtoire, n’a rien vû, ni lui, ni ce Seigneur qui étoit envoyé pour Commiſſaire : ils ouirent ſeulement le rapport des payſans du lieu, gens fort ignorans, fort ſuperſtitieux, fort crédules, & infiniment prévenus ſur le fait du Vampiriſme.

Comme nous tenons tout ce qu’on dit ſur ce fait pour vain & frivole, plus il y a d’abſurdité & de contradiction dans les différens récits qu’on en fait, plus il y aura de preuves pour nous confirmer dans le jugement que nous en portons.

Mais ſuppoſant qu’il y ait quelque réalité dans le fait de ces Apparitions des Vampires, les attribuera-t-on à Dieu, aux Anges, aux Ames de ces Revenans, ou au Démon ? Dans cette derniere ſuppoſition, dira-t-on que le Démon ſubtiliſera ces corps, & leur donnera la puiſſance de pénétrer les terres ſans les déranger ; de ſe gliſſer à travers les fentes & les joints d’une porte, de paſſer par le trou d’une ſerrure, de s’allonger, de s’appetiſſer, de ſe réduire à la nature de l’air ou de l’eau pour pénétrer les terres ; enfin de les mettre en l’état où nous croyons que ſeront les corps des Bienheureux après la réſurrection, & où étoit celui de notre Sauveur après ſa réſurrection, qui ne ſe laiſſoit voir qu’à ceux à qui il jugeoit à propos, & qui ſans ouvrir les portes[158] parut tout à coup au milieu de ſes Diſciples : Jeſus venit januis clauſis.

Mais quand on avoueroit que le Démon pourroit ranimer ces corps, & leur donner le mouvement pour quelque tems, pourroit-il auſſi allonger, diminuer, raréfier, ſubtiliſer les corps de ces Revenans, & leur donner la faculté de pénétrer la terre, les portes, les fenêtres ? Il n’y a nulle apparence qu’il ait reçu de Dieu ce pouvoir, & l’on ne conçoit pas même qu’un corps terreſtre, matériel & groſſier puiſſe être réduit en cet état de ſubtilité & de ſpiritualité ſans détruire la configuration de ſes parties, & ſans ruiner l’œconomie de ſa ſtructure ; ce qui ſeroit contre l’intention du Démon, & mettroit ce corps hors d’état d’apparoître, de ſe faire voir, d’agir & de parler, & enfin d’être mis en pieces & brûlé, comme il ſe voit & ſe pratique communément dans la Moravie, dans la Pologne, & dans la Siléſie. Ces difficultés ſubſiſtent envers ceux dont nous avons parlé, qui étant excommuniés, ſe levoient de leurs tombeaux, & ſortoient de l’Egliſe à la vûe de tout le monde.

Il faut donc demeurer dans le ſilence ſur cet article, puiſqu’il n’a pas plû à Dieu de nous révéler, ni quelle eſt l’étendue du pouvoir du Démon, ni la maniere dont ces choſes ſe peuvent faire. Il y a même beaucoup d’apparence, que tout ce qu’on en dit n’eſt qu’une illuſion ; & quand il y auroit en cela quelque réalité, nous pourrions bien nous conſoler de notre ignorance à cet égard, puiſqu’il y a tant de choſes naturelles, qui ſe paſſent dans nos corps & autour de nous, dont la cauſe & la maniere nous ſont inconnues.


CHAPITRE LII.

Examen du ſentiment qui veut, que le Démon
faſcine les yeux de ceux à qui les
Vampires apparoiſſent.

CEux qui ont recours à la faſcination des ſens pour expliquer ce qu’on raconte des Apparitions des Vampires, ſe jettent dans un plus grand embarras, que ceux qui reconnoiſſent de bonne foi la réalité de ces événemens : car la faſcination conſiſte ou dans la ſuſpenſion des ſens, qui ne peuvent voir ce qui ſe paſſe à leur vûe, comme celle dont furent frappés ceux de Sodôme[159], qui ne pouvoient découvrir la porte de Loth, quoiqu’elle fût devant leurs yeux ; ou celle des Diſciples d’Emaüs, dont il eſt dit[160] que leurs yeux étoient retenus pour ne pas reconnoître Jeſus-Chriſt, qui leur parloit en chemin, & qu’ils ne reconnurent qu’a la fraction du pain : ou elle conſiſte dans un objet repréſenté aux ſens d’une façon différente de ce qu’il eſt en lui-même, comme celle des Moabites[161] qui crurent voir les eaux teintes du ſang des Iſraélites, quoiqu’il n’y eût que de ſimples eaux, ſur leſquelles les rayons du Soleil étoient réfléchis, & les faiſoient paroître rougeâtres ; ou celle des Soldats Syriens envoyés pour prendre Eliſée[162] que ce Prophéte conduiſit juſques dans Samarie, ſans qu’ils reconnuſſent, ni le Prophéte, ni cette ville.

Cette faſcination de quelque maniere qu’on la conçoive, eſt certainement au deſſus des forces ordinaires & connues des hommes : par conſéquent aucun homme ne peut naturellement la produire ; mais eſt-elle au-deſſus des forces naturelles d’un Ange ou d’un Démon ? C’eſt ce qui nous eſt inconnu, & qui nous oblige de ſuſpendre notre jugement ſur cette queſtion.

Il y a une autre ſorte de faſcination, qui conſiſte en ce que la vûe d’une perſonne, ou d’une choſe, la louange qu’on lui donne, l’envie qu’on lui porte, produiſent dans l’objet cerains mauvais effets, contre leſquels les Anciens avoient grand ſoin de ſe prémunir, & de précautionner leurs enfans, en leur faiſant porter au col des préſervatifs, ou amulétes.

On pourroit ſur cela apporter un grand nombre de paſſages des Grecs & des Latins, & j’apprends qu’encore aujourd’hui en pluſieurs endroits de la Chrétienté, l’on eſt dans la perſuaſion de l’efficace de ces faſcinations. Mais il faut avouer trois choſes : la premiere, que l’effet de ces faſcinations prétendues eſt très-douteux : la ſeconde, que quand il ſeroit certain, il eſt très-difficile, pour ne pas dire impoſſible de l’expliquer ; & la troiſiéme enfin, qu’il ne peut raiſonnablement s’appliquer à la matiere des Apparitions, ni des Vampires.

Si les Vampires ou les Revenans ne ſont pas réellement reſſuſcités, ni leurs corps ſpiritualiſés & ſubtiliſés, comme nous croyons l’avoir prouvé, & ſi nos ſens ne ſont pas trompés par la faſcination, comme nous venons de le voir ; je doute qu’il y ait d’autre parti à prendre dans cette queſtion que de nier abſolument le Retour de ces Vampires, ou de croire qu’ils ne ſont qu’endormis, ou engourdis : car s’ils ſont véritablement reſſuſcités, & ſi tout ce qu’on nous raconte de leur Retour eſt véritable ; s’ils parlent, s’ils agiſſent, s’ils raiſonnent, s’ils ſucent le ſang des vivans, ils doivent ſavoir ce qui ſe paſſe en l’autre vie, & ils devroient en inſtruire leurs parens & leurs amis ; ce qu’ils ne font pas. Au contraire ils les traitent en ennemis ; ils les tourmentent, leur ôtent la vie, leur ſucent le ſang, les font périr de langueur.

Si ce ſont des prédeſtinés & des bienheureux, d’où vient qu’ils inquiétent & tourmentent les vivans, leurs plus proches parens, leurs enfans, & cela à propos de rien, & ſimplement pour mal faire ? Si ce ſont des perſonnes à qui il reſte quelque choſe à expier dans le Purgatoire, & qui ayent beſoin des prieres des vivans, que ne s’expliquent-ils ſur leur état ? Si ce ſont des réprouvés & des damnés, que viennent-ils faire ſur la terre ? Peut-on comprendre que Dieu leur permette de venir ainſi ſans raiſon, ſans néceſſité moleſter leurs familles, & leur cauſer la mort ?

Si ces Revenans ſont réellement morts, en quelque état qu’ils ſoient dans l’autre monde, ils jouent un fort mauvais perſonnage, & le ſoutiennent encore plus mal.


CHAPITRE LIII.

Exemples de Reſſuſcités, qui racontent ce
qu’ils ont vû dans l’autre vie.

NOus venons de voir que les Vampires ou Revenans ne parlent jamais de l’autre vie, ne demandent ni Meſſes ni prieres, ne donnent aucun avis aux vivans pour les porter à la correction de leurs mœurs, ni pour les amener à une meilleure vie. C’eſt aſſûrément un grand préjugé contre la réalité de leur retour de l’autre monde ; mais leur ſilence ſur cet article peut favoriſer l’opinion, qui veut qu’ils ne ſoient pas véritablement morts.

Il eſt vrai, que nous ne liſons pas non plus que Lazare reſſuſcité par Jeſus-Chriſt[163], ni le Fils de la Veuve de Naïm[164], ni celui de la femme de Sunam reſſuſcité par Eliſée[165], ni cet Iſraélite qui reçut la vie par l’attouchement du corps du même Prophéte Eliſée[166], ayent après leur réſurrection rien décou- vert aux hommes de l’état des Ames en l’autre monde.

Mais nous voyons dans l’Evangile[167], que le mauvais Riche ayant prié Abraham de lui permettre d’envoyer quelqu’un dans le monde, pour avertir ſes freres de mieux vivre, & prendre garde de ne pas tomber dans le malheureux état où il ſe trouvoit lui-même, il lui fut répondu : Ils ont la Loi & les Prophétes ; ils peuvent les écouter & ſuivre leurs inſtructions. Et comme le mauvais Riche inſiſtoit, en diſant : Si quelqu’un revenoit de l’autre vie, ils en ſeroient plus touchés ; Abraham répondit : s’ils n’ont pas voulu écouter ni Moïſe ni les Prophétes, ils n’écouteront pas davantage un homme qui reviendroit de l’autre monde. Le mort reſſuſcité par ſaint Staniſlas répondit de même à ceux qui lui demandoient des nouvelles de l’autre vie : vous avez la Loi, les Prophétes & l’Evangile ; écoutez-les.

Les Payens décédés qui ſont revenus en vie, & quelques Chrétiens qui ſont de même retournés au monde par une eſpece de réſurrection, & qui ont vû ce qui ſe paſſoit hors de ce monde, ne ſont pas demeurés dans le ſilence ; ils ont raconté au long ce qu’ils ont vû & entendu au ſortir de leurs corps.

Nous avons déja touché l’Hiſtoire d’un nommé Eros Armenien, du pays de Pamphilie[168], qui ayant été bleſſé dans une bataille, fut trouvé dix jours après parmi les morts. On le porta dans ſa maiſon ſans connoiſſance & ſans mouvement. Deux jours après, quand on voulut le mettre ſur le bûcher pour le brûler, il reſſuſcita, commença à parler, & à raconter de quelle maniere les hommes étoient jugés après leur mort, & comment les bons étoient récompenſés, & les méchans punis & tourmentés.

Il dit que ſon ame étant ſéparée du corps, ſe rendit en grande compagnie dans un lieu agréable, où ils virent comme deux grandes ouvertures, qui donnoient entrée à ceux qui venoient de deſſus la terre, & deux autres ouvertures pour aller au Ciel. Il vit en cet endroit des Juges qui examinoient ceux qui venoient de ce monde, & envoyoient en haut à la droite ceux qui avoient bien vêcu, & renvoyoient en bas à la gauche ceux qui ſe trouvoient coupables de crimes ; chacun d’eux portoit derriere ſoi un écriteau, où étoit marqué ce qu’il avoit fait de bien ou de mal, la cauſe de ſa condamnation, ou de ſon abſolution.

Quand le tour d’Eros fut venu, les Juges lui dirent, qu’il falloit qu’il retournât ſur la terre, pour annoncer aux hommes ce qui ſe paſſoit dans l’autre vie, & qu’il eût à bien obſerver toutes choſes pour en rendre un compte fidéle aux vivans. Il fut donc témoin de l’état malheureux des méchans, qui devoit durer pendant mille ans, & des délices dont jouiſſoient les juſtes ; que tant les bons que les méchans recevoient ou la récompenſe, ou la peine de leurs bonnes ou mauvaiſes actions, dix fois plus grande que n’étoit la meſure de leurs crimes, ou de toutes leurs vertus.

Il remarqua, entr’autres, que les Juges demandoient, où étoit un nommé Andée, homme célébre dans la Pamphilie pour ſes crimes & ſa tyrannie. On leur répondit, qu’il n’étoit pas encore venu, & qu’il ne viendroit pas ; en effet s’étant préſenté à grande peine & par de grands efforts ſur la grande ouverture dont on a parlé, il fut repouſſé & renvoyé en bas avec d’autres ſcélérats comme lui, que l’on tourmentoit de mille manieres différentes, & que l’on repouſſoit toujours avec violence, lorſqu’ils s’efforçoient de remonter.

Il vit de plus les trois Parques, filles de la Néceſſité ou du Deſtin. Ces filles ſont Lachéſis, Clotho & Atropos. Lachéſis aunonçoit les choſes paſſées, Clotho les préſentes, & Atropos les futures. Les Ames étoient obligées de comparoître devant ces trois Déeſſes. Lachéſis jettoit les ſorts en l’air, & chaque Ame ſaiſiſſoit celui qu’elle pouvoit atteindre ; ce qui n’empêchoit pas que chacun ne pût encore choiſir le genre de vie, qui étoit le plus conforme à la juſtice & à la raiſon.

Eros ajoutoit, qu’il avoit remarqué des Ames qui cherchoient à entrer dans des animaux ; par exemple, Orphée en haine du ſexe féminin, qui l’avoit fait mourir, entra dans un cygne, & Thamiris dans un roſſignol. Ajax fils de Telamon choiſit le corps d’un lion, en haine de l’injuſtice des Grecs, qui lui avoient refuſé les armes d’Hector, qu’il prétendoit lui être dûes. Agamemnon par chagrin des traverſes qu’il avoit eſſuyées dans la vie, choiſit le corps de l’aigle. Atalante choiſit la vie des Athlétes, charmée des honneurs dont ils ſont comblés ; Therſite le plus laid des mortels, celle d’un ſinge. Ulyſſe ennuyé des maux qu’il avoit ſoufferts ſur la terre, demanda de vivre en homme privé & ſans embarras. Il eut peine à trouver un ſort pour ce genre de vie ; il le rencontra enfin jetté par terre & négligé, & le ramaſſa avec joie.

Eros aſſuroit auſſi qu’il y avoit des Ames de bêtes, qui entroient dans les corps des hommes ; & au contraire que les Ames des méchans entroient dans des animaux farouches & cruels, & les Ames des hommes juſtes dans des animaux doux, apprivoiſés & domeſtiques.

Après ces diverſes métempſycoſes, Lachéſis donnoit à chacun ſon gardien ou ſon défenſeur, qui le conduiſoit & le gardoit pendant le cours de ſa vie. Eros fut enſuite conduit au fleuve d’oubli, qui ôte la mémoire de toutes choſes ; mais on l’empêcha d’en boire : enfin il diſoit qu’il ne ſauroit dire, comment il étoit revenu en vie.

Platon après avoir rapporté cette fable, comme il l’appelle ou cet apologue, en conclut, que l’Ame eſt donc immortelle, & que pour arriver à la vie bien-heureuſe, nous devons vivre dans la juſtice, qui nous conduit aux Cieux, où nous jouirons de cette béatitude de mille ans qui nous eſt promiſe.

On voit ici 1. Qu’un homme peut vivre aſſez long-tems ſans donner aucun ſigne de vie, ſans manger, ſans reſpirer. 2. Que les Grecs croyoient la métempſycoſe, la béatitude pour les juſtes, & les peines de mille ans pour les méchans. 3. Que le deſtin n’empêchoit pas que l’homme ne pût faire le bien ou le mal. 4. Qu’il avoit un Génie, ou un Ange qui le gardoit & le conduiſoit. Ils croyoient un jugement après la mort, & que les Ames des juſtes étoient reçues dans ce qu’ils appelloient les champs Eliſées.


CHAPITRE LIV.

Les Traditions des Payens ſur l’autre vie
viennent des Hébreux & des Egyptiens.

TOutes ces Traditions ſe voient clairement dans Homere & dans Virgile, & dans les autres Auteurs Grecs & Latins : elles venoient ſans doute originairement des Hébreux, ou plutôt des Egyptiens, dont les Grecs avoient pris leur Religion, qu’ils avoient ajuſtéé à leur goût. Les Hébreux parlent des Réphaïms[169] des Géans impies qui gémiſſent ſous les eaux. Salomon dit[170] que les méchans deſcendront dans l’abîme avec les Réphaïms, Iſaïe décrivant l’arrivée du Roi de Babilone dans les Enfers, dit[171] que les Géans ſe ſont levés pour venir par honneur au devant de lui, & lui ont dit : Tu as donc été percé de plaies auſſi bien que nous ? ton orgueil a été précipité dans l’Enfer ; ton lit ſera la pourriture, & ta couverture ſeront les vers.

Ezéchiel décrit[172] de même la deſcente du Roi d’Aſſyrie dans les Enfers : le jour qu’Aſſuerus eſt deſcendu dans l’Enfer, j’ai ordonné un deuil genéral, j’ai fermé ſur lui l’abîme, j’ai arrêté le cours de ſes fleuves. Vous voilà enfin réduit au fond de la terre avec les arbres d’Eden ; vous y dormirez avec tous ceux qui ont été tués par l’épée : là ſe trouve Pharaon avec toute ſon armée, &c. Dans l’Evangile[173], il y a un grand abîme entre le ſein d’Abraham & le ſéjour du mauvais Riche, & de ceux qui lui reſſemblent.

Les Egyptiens nommoient Amenthés, c’eſt-à dire celui qui reçoit & qui donne, ce que les Grecs nommoient Adès ou l’Enfer, ou le Royaume d’Adès, de Pluton. Ils croyoient qu’Amenthés recevoit les Ames des hommes lorſqu’ils mouroient, & les leur rendoit lorſqu’ils revenoient au monde ; qu’à la mort de l’homme, ſon Ame paſſe dans les corps de quelqu’autre animal par la métempſycoſe, premiérement dans un animal terreſtre, puis dans un animal aquatique, enſuite dans un oiſeau ; & enfin après avoir animé toutes les ſortes d’animaux, il rentre au bout de trois mille ans dans le corps d’un homme.

C’eſt des Egyptiens qu’Orphée, Homere & les autres Grecs ont pris le ſentiment de l’immortalité de l’Ame, ainſi que l’antre des Nymphes décrit par Homere, qui dit qu’il a deux portes, l’une au Nord, par laquelle les Ames entrent dans le creux, & l’autre au Midi, par où elles ſortent de l’antre des Nymphes.

Un certain Theſpeſius natif de Solos en Cilicie, fort connu de Plutarque[174], ayant paſſé une grande partie de ſa vie dans la débauche, s’étant entierement ruiné, ſe mit pour vivre à exercer toutes ſortes de mauvais métiers, & fit ſi bien qu’il amaſſa quelque choſe ; mais il perdit abſolument ſa réputation. Ayant envoyé conſulter l’Oracle d’Amphiloque, il lui fut répondu, que ſes affaires iroient mieux après ſa mort. Peu de tems après il tomba du haut de ſa maiſon, ſe rompit le col & mourut. Trois jours après, comme on étoit prêt de faire ſes funérailles, il reſſuſcita, & changea tellement de vie, que l’on ne connoiſſoit perſonne en Cilicie ni plus pieux, ni plus homme de bien que lui.

Comme on lui demandoit la raiſon d’un tel changement, il diſoit qu’au moment de ſa chûte il reſſentit la même choſe, qu’un pilote qui eſt renverſé du haut du tillac dans la mer ; qu’après cela ſon Ame ſe ſentit élevée juſqu’aux Etoiles dont il admira la grandeur immenſe & l’éclat admirable ; que les Ames ſorties du corps ſe guindent dans l’air, & ſont enfermées dans une eſpece de globe ou de tourbillon enflammé, d’où s’étant échappées, les unes s’élevent en haut avec une rapidité incroyable, les autres pirouétent dans l’air, & ſont mues en divers ſens, tantôt en haut & tantôt en bas. La plûpart lui paroiſſoient très-embarraſſées, & pouſſoient des gémiſſemens & des cris affreux ; les autres en moindre nombre s’élevoient & ſe réjouiſſoient avec leurs ſemblables. Enfin il apprit qu’Adraſtée, fille de Jupiter & de la Néceſſité, ne laiſſoit rien impuni, & qu’elle traitoit chacun ſelon ſon mérite. Il entre ſur tout cela dans un grand détail, & raconte les divers ſupplices, dont les ſcélérats ſont tourmentés dans l’autre vie.

Il ajoute qu’un homme de ſa connoiſſance lui avoit dit : Vous n’êtes pas mort ; mais par la permiſſion de Dieu votre Ame eſt venue en ce lieu, & a laiſſé dans votre corps toutes ſes facultés : à la fin il fut renvoyé dans ſon corps comme par un canal, & pouſſé comme par un ſouffle impétueux.

On peut faire ſur ce récit deux réflexions : la premiere, ſur cette Ame qui quitta ſon corps pour trois jours, puis y revint pour continuer à l’animer ; la ſeconde ſur la certitude de l’Oracle, qui promettoit à Theſpeſius une vie plus heureuſe quand il ſeroit mort.

Dans la guerre de Sicile[175] entre Céſar & Pompée, Gabienus Commandant de la flotte de Céſar ayant été pris, fut décapité par ordre de Pompée. Il demeura tout le jour ſur le bord de la mer, ſa tête ne tenant plus au corps que par un filet. Sur le ſoir il pria qu’on fit venir Pompée, ou quelqu’un des ſiens, parce-qu’il venoit des Enfers, & qu’il avoit des choſes de conſéquence à lui communiquer. Pompée y envoya pluſieurs de ſes amis, auxquels Gabienus déclara que la cauſe & le parti de Pompée étoient agréables aux Dieux des Enfers, & qu’il réuſſiroit ſelon ſes déſirs ; qu’il avoit ordre de lui annoncer cela, & pour preuve de la vérité de ce que je dis, je dois mourir auſſitôt ; ce qui arriva. Mais on ne voit pas que le parti de Pompée ait réuſſi ; on ſait au contraire qu’il ſuccomba, & que Céſar fut victorieux. Mais le Dieu des Enfers, c’eſt-à-dire le Démon, le trouvoit fort bon pour lui, puiſqu’il lui envoyoit tant de malheureuſes victimes de la vengeance & de l’ambition.


CHAPITRE LV.

Exemples de Chrétiens reſſuſcités renvoyés
au monde. Viſion de Vetin
Moine d’Augie.

ON lit dans un ancien ouvrage écrit du tems de ſaint Auguſtin[176], qu’un homme ayant été écraſé dans la ville d’Upzal en Afrique ſous une muraille qui tomba ſur lui, ſa femme courut à l’Egliſe pour invoquer S. Etienne, pendant qu’on diſpoſoit tout pour enterrer l’homme qui paſſoit pour mort. Tout d’un coup on le vit qui ouvroit les yeux, & faiſoit quelque mouvement du corps ; & après un certain tems il ſe leva en ſon ſéant, & raconta que ſon ame ayant quitté ſon corps, avoit rencontré une foule d’autres Ames de morts, dont il connoiſſoit les uns, & non pas les autres ; qu’un jeune homme en habit de Diacre étant entré dans la chambre où il étoit, avoit écarté tous ces morts, & lui avoit dit juſqu’à trois fois : Rendez ce que vous avez reçû. Il comprit enfin qu’il vouloit parler du Symbole, qu’il récita ſur le champ : il récita encore l’oraiſon Dominicale ; puis le Diacre (ſaint Etienne) lui fit le ſigne de la croix ſur le cœur, & lui dit de ſe lever en pleine ſanté.

Un jeune homme[177] Cathécumene, qui étoit mort depuis trois jours, ayant été reſſuſcité par les prieres de S. Martin, racontoit qu’après ſa mort il avoit été préſenté devant le Tribunal du Souverain Juge qui l’avoit condamné, & envoyé avec une grande troupe dans des lieux ténébreux ; qu’alors deux Anges ayant repréſenté au Juge que c’étoit un homme pour qui ſaint Martin avoit intercédé, le Juge ordonna aux Anges de le renvoyer au monde, & de le rendre à Martin ; ce qui fut exécuté. Il fut baptiſé, & vécut depuis aſſez long-tems.

Saint Salvi Evêque d’Albi[178] ayant été attaqué d’une groſſe fiévre, paſſa pour mort. On le lava, on le revêtit, on le mit ſur un brancard, & l’on paſſa la nuit en prieres auprès de lui : le lendemain matin on le vit remuer ; il parut s’éveiller d’un profond ſommeil ; il ouvrit les yeux, & levant la main au Ciel, il dit : Ah Seigneur, pourquoi m’avez-vous renvoyé en ce ſéjour ténébreux ? Il ſe leva entierement guéri, mais ſans vouloi parler.

Quelques jours après il raconta comme deux Anges l’avoient enlevé au Ciel, où il avoit vû la gloire du Paradis, & avoit été renvoyé malgré lui, pour vivre encore ſur la terre. Saint Grégoire de Tours prend Dieu à témoin, qu’il avoit appris cette Hiſtoire de la propre bouche de ſaint Salvi.

Un Moine d’Augie la Riche, nommé Vetin ou Guetin, qui vivoit en 824. étant tombé malade, étoit couché ſur ſon lit les yeux fermés ; mais n’étant pas encore endormi, il vit entrer un Démon ſous la forme d’un Clerc d’une horrible difformité, qui lui montrant des inſtrumens de ſupplice qu’il tenoit en main, le menaçoit de lui en faire bientôt reſſentir les rigoureux effets. En même tems il vit entrer dans ſa chambre une multitude de mauvais Eſprits, portant des inſtrumens comme pour lui bâtir un tombeau, ou un cercueil, & l’y enfermer.

Auſſitôt il parut des perſonnages ſérieux & d’un air grave en habit Religieux, qui firent ſortir ces Démons. Puis Vetin vit un Ange environné de lumiere, qui vint ſe préſenter au pied de ſon lit, & le conduiſit par un chemin très-agréable entre des montagnes d’une hauteur extraordinaire, au pied deſquelles couloit un grand fleuve, dans lequel étoit une grande multitude de damnés, qui ſouffroient des tourmens divers, ſelon la qualité & l’énormité de leurs crimes. Il y en vit pluſieurs de ſa connoiſſance, entr’autres des Prélats, des Prêtres coupables d’incontinence, qui étoient attachés par le dos à des pieux, & brûlés par un feu allumé au deſſous d’eux ; les femmes leurs complices ſouffroient le même tourment vis-à-vis d’eux.

Il y vit auſſi un Moine qui s’étoit laiſſé aller à l’avarice, & qui avoit poſſédé de l’argent en propre, qui devoit expier ſon crime dans un cercueil de plomb juſqu’au jour du jugement. Il y remarqua des Abbés, des Evêques & même l’Empereur Charlemagne, qui expioient leurs fautes par le feu ; mais qui en devoient être délivrés dans un certains tems. Il y remarqua auſſi la demeure des bien-heureux dans le Ciel, chacun dans ſon rang & ſelon ſes mérites, L’Ange du Seigneur lui déclara enſuite les crimes qui étoient ſes plus communs, & les plus odieux aux yeux de Dieu. II nomma en particulier la Sodomie comme le crime le plus abominable.

Après l’office de la nuit, l’Abbé vint viſiter le malade, qui lui raconta tout au long toute cette viſion, & l’Abbé la fit écrire aussi-tôt. Vetin vêcut encore deux jours, & ayant prédit qu’il n’avoit plus que le troiſiéme jour à vivre, il ſe recommanda aux priéres des Réligieux, reçut le ſaint Viatique, & mourut en paix le 31 d’Octobre 824.



CHAPITRE LVI.

Viſion de Bertholde rapportée par Hincmar
Archevêque de Reims.

LE fameux Hincmar[179] Archevêque de Reims, dans une lettre circulaire qu’il écrivit aux Evêques ſes Suffragans & aux Fidéles de ſon Diocèſe, raconte qu’un homme appellé Bertholde qui étoit de ſa connoiſſance étant tombé malade, & ayant reçû tous ſes Sacremens, fut pendant quatre jours ſans pren- dre aucune nourriture. Le quatriéme jour il demeura ſi foible, qu’à peine lui trouvoit-on un peu de palpitation & de reſpiration. Sur le minuit il appella ſa femme, & lui dit de faire venir promptement ſon Confeſſeur.

Le Prêtre n’étoit encore que dans la cour de devant le logis, lorſque Bertholde dit : mettez ici un ſiége, car le Prêtre va venir. Il entra & dit quelques prieres, auxquelles Bertholde répondit ; puis il lui raconta la viſion qu’il avoit eue. Au ſortir de ce monde, dit-il, j’ai vû quarante & un Evêques entre leſquels étoit Ebbon, Leopardelle, & Enée, qui étoient couverts de mauvais habits noirs, ſales & brûlés par les flammes. Pour eux, ils étoient tantôt brûlés par les flammes, & tantôt gelés d’un froid inſupportable. Ebbon lui dit : allez vers mes Clercs & mes amis, & dites-leur d’offrir pour nous le ſaint Sacrifice. Bertholde obéit, & retournant où il avoit vû les Evêques, il les trouva bien vêtus, raſés, baignés & pleins de joie.

Un peu plus loin il vit le Roi Charles[180], qui étoit comme rongé de vers. Ce Prince le pria d’aller dire à Hincmar de le ſoulager dans ſes maux. Hincmar dit la Meſſe pour lui, & le Roi Charles ſe trouva ſoulagé. Il vit enſuite l’Evêque Jeſſé (d’Orléans) qui étoit ſur un puits, & quatre Démons qui le plongeoient dans la poix bouillante, puis le jettoient dans une eau glacée. On pria pour lui, & il fut ſoulagé. Il vit enſuite le Comte Othaire, qui étoit de même dans les tourmens. Bertholde pria la femme d’Othaire, ſes vaſſaux & ſes amis, de faire pour lui des prieres & des aumônes, & il fut délivré de ſes tourmens. Bertholde reçut après cela la ſainte Communion, & commença à ſe mieux porter, avec eſpérance de vivre encore quatorze ans, comme le lui avoit promis celui qui l’avoit conduit, & qui lui avoit montré ce que nous venons de raconter.


CHAPITRE LVII.

Viſion de ſaint Furſi.

LA vie de S. Furſi[181], qui a été écrite peu après ſa mort arrivée vers l’an 653. rapporte pluſieurs viſions de ce ſaint Homme. Etant tombé griévement malade, & ne pouvant plus ſe remuer, il ſe vit au milieu des ténébres comme ſoulevé par les mains de trois Anges, qui l’enleverent hors du monde, puis l’y ramenerent, & firent rentrer ſon ame dans ſon corps pour y achever ce à quoi Dieu le deſtinoit. Alors il ſe trouva au milieu de pluſieurs perſonnes, qui le pleuroient comme mort, & lui raconterent comment la veille tout d’un coup il étoit tombé en défaillance, en ſorte qu’on le crut décédé. Il auroit ſouhaité avoir quelques perſonnes intelligentes pour leur raconter ce qu’il avoit vû. Mais n’ayant perſonne auprès de lui que des gens ruſtiques, il demanda & reçut la Communion du Corps & du Sang du Sauveur, & vécut encore trois jours.

Le Mardi ſuivant il tomba dans une pareille défaillance au milieu de la nuit : ſes pieds devinrent froids, & élévant les mains pour prier, il reçut la mort avec joie ; puis il vit deſcendre les mêmes trois Anges, qui l’avoient déja conduit. Ils l’éleverent comme la premiére fois ; mais au lieu des chants mélodieux & agréables qu’il avoit ouis, il n’entendit que des hurlemens effroyables des Démons, qui commencerent à combattre contre lui, & à lui lancer des traits enflammés. L’Ange du Seigneur les recevoit ſur ſon bouclier, & les éteignoit. Le Démon reprocha à Furſi quelques mauvaiſes penſées & quelques foibleſſes humaines ; mais les Anges le défendirent, diſant : s’il n’a point commis de péchés capitaux, il ne périra point.

Le Démon ne pouvant rien lui reprocher qui fût digne de la mort éternelle, il vit deux Saints de ſon pays, ſaint Béan & ſaint Médan, qui le conſolerent, & lui annoncerent les maux dont Dieu devoit punir les hommes, à cauſe principalement des péchés des Docteurs qui ſont dans l’Egliſe, & des Princes qui gouvernent les peuples ; les Docteurs pour leur négligence à annoncer la parole de Dieu, & les Princes pour les mauvais exemples qu’ils donnent à leurs peuples. Après quoi ils le renvoyerent dans ſon corps.

Il y rentra avec répugnance, & commença à raconter tout ce qu’il avoit vû. On lui verſa de l’eau vive ſur le corps, & il ſentit une grande chaleur entre les deux épaules. Après cela il ſe mit à prêcher par toute l’Hibernie ; & Bede le Vénérable[182] dit, qu’il y avoit dans ſon Monaſtére un ancien Moine, qui diſoit avoir appris d’une perſonne très-grave & très-digne de foi, qu’elle avoit oui raconter ces viſions par ſaint Furſi lui-même. Ce Saint ne doutoit pas que ſon ame ne fût ſéparée de ſon corps, lorſqu’il fut ravi en extaſe.

CHAPITRE LVIII.

Viſion d’un Proteſtant d’York, & autres.

VOici un autre exemple arrivé en 1698. à un Prétendu Réformé[183]. Un Miniſtre de la Province d’York, du lieu nommé Hipley, & qui s’appelloit Henri Vatz, étant tombé le 15 d’Août en apoplexie, fut mis le 17. dans un cercueil pour être enterré. Mais comme on alloit le mettre dans la foſſe, il jetta un grand cri, qui effraya tous les gens du convoi ; on le tira promptement hors du cercueil, & dès-qu’il fut revenu à lui, il raconta pluſieurs choſes ſurprenantes, qu’il diſoit lui avoir été révélées pendant ſon extaſe, qui dura quarante huit heures. Le 24 du même mois, il fit un diſcours fort touchant à ceux qui l’avoient accompagné le jour qu’on le portoit au tombeau.

On traitera, ſi l’on veut, tout ce que nous venons de raconter de viſions & de contes ; mais on ne peut nier, qu’on ne reconnoiſſe dans ces réſurrections & dans ces récits des hommes revenus après leur mort vraie ou apparente, la créance de l’Egliſe ſur l’Enfer, ſur le Paradis, le Purgatoire, l’efficace des priéres pour les morts, & les apparitions des Anges & des Démons, qui tourmentent les damnés, & les ames à qui il reſte quelque choſe à expier dans l’autre vie.

On y voit auſſi ce qui a un rapport viſible à la matiére que nous traitons ici, des perſonnes réellement mortes, & d’autres tenues pour mortes, qui reviennent en ſanté, & vivent encore aſſez long-tems. Enfin on y remarque les ſentimens ſur l’état des ames après cette vie, à peu près les mêmes chez les Hébreux, les Egyptiens, les Grecs, les Romains, les Peuples barbares, & les Chrétiens. Si les Revenans de Hongrie ne parlent pas de ce qu’ils ont vû en l’autre vie, c’eſt ou qu’ils ne ſont pas vraiment morts, ou plutôt que tout ce qu’on raconte des Revenans eſt fabuleux & chimérique. J’ajouterai encore ici quelques exemples, qui ſerviront à conſtater la croyance de la primitive Egliſe au ſujet des Apparitions.

Sainte Perpétue, qui ſouffrit le Martyre en Afrique en 202, ou 203. étant en priſon pour la foi, vit ſon frere nommé Dinocrate, qui étoit mort âgé d’environ ſept ans d’un cancer à la joue : elle le vit comme dans un fort grand éloignement ; enſorte qu’ils ne pouvoient s’approcher. Il étoit comme dans un réſervoir d’eau, mais dont les bords étoient plus élevés que lui, enſorte qu’il ne pouvoit atteindre à l’eau dont il paroiſſoit fort altéré. Perpétue en fut très-ſenſiblement touchée, & commença à prier Dieu avec beaucoup de larmes & de gémiſſemens pour ſon ſoulagement. Quelques jours après elle vit en eſprit le même Dinocrate bien vêtu, lavé, & rafraîchi, & l’eau de la piſcine où il étoit, qui ne lui venoit plus que juſqu’au nombril, & au bord une coupe dans laquelle il buvoit, ſans que l’eau en diminuât, & la peau du cancer de ſa joue bien guérie, en ſorte qu’il n’en reſtoit que la cicatrice. Elle comprit parlà que Dinocrate étoit hors de peine.

Dinocrate étoit-là apparemment[184] pour expier quelques fautes qu’il avoit commiſes depuis ſon Baptême : car Perpetue dit un peu plus haut, qu’il n’y avoit que ſon pere qui fût demeuré dans l’infidélité.

La même ſainte Perpétue étant dans la priſon quelques jours avant ſon Martyre[185], eut une viſion du Diacre Pomponius, qui avoit ſouffert le Martyre quelque tems auparavant, & qui lui dit : Venez, nous vous attendons. Il la mena par un chemin fort tortueux & fort difficile, juſques dans l’amphithéâtre, où elle eut à combattre contre un Egyptien fort laid, accompagné de quelques autres hommes comme lui. Perpétue ſe trouva changée en homme, & commença à combattre nuë, aidée de quelques jeunes hommes fort bien faits, qui étoient venus à ſon ſervice & à ſon ſecours.

Alors elle vit paroître un homme d’une taille extraordinaire, qui cria à haute voix : ſi l’Egyptien remporte la victoire ſur celle-ci, il la tuera de ſon épée ; mais ſi elle le ſurmonte, elle aura pour récompenſe cette branche ornée de pommes d’or. Perpétue commença à le combattre, & l’ayant terraſſé, lui marche ſur la tête. Le peuple lui cria victoire, & Perpétue s’approchant de celui qui tenoit la branche dont on a parlé, il la lui mit en main, & lui dit : La paix ſoit avec vous. Alors Perpétue s’éveilla, & comprit qu’elle auroit à combattre non contre les bêtes, mais contre le Démon.

Sature, un des compagnons du Martyre de ſainte Perpétue, eut auſſi une viſion qu’il raconta ainſi. Nous avions ſouffert le Martyre, & nous étions dégagés de cette chair mortelle. Quatre Anges nous porterent vers l’Orient, ſans nous toucher. Nous arrivâmes en un lieu où brilloit une clarté immenſe. Perpétue étoit à mon côté ; je lui dis : Voilà ce que le Seigneur nous promettoit.

Nous entrâmes dans un grand jardin rempli d’arbres & de fleurs ; les quatre Anges qui nous avoient portés, nous mirent entre les mains d’autres Anges, qui nous menerent par un chemin fort ſpatieux dans un lieu, où nous trouvâmes Joconde, Saturnin, & Artaze, qui avoient ſouffert avant nous, & qui nous inviterent à venir ſaluer le Seigneur. Nous les ſuivîmes, & vîmes au milieu de ce lieu le Tout-Puiſſant environné d’une lumiére immenſe, & nous ouimes qu’on diſoit ſans ceſſe autour de lui : Saint, Saint, Saint. On nous éléva vers lui : nous nous arrêtâmes devant ſon Trône, nous lui donnâmes le baiſer, il nous paſſa la main ſur le viſage. Nous ſortîmes, & nous vîmes devant la porte l’Evêque Optat, & le Prêtre Aſpaſe, qui ſe jetterent à nos pieds : nous les relevâmes, nous nous embraſſâmes ; nous reconnûmes en ce lieu pluſieurs de nos freres & quelques Martyrs. Telle fut la viſion de Sature.

Voilà des viſions de toutes ſortes ; de Saints Martyrs, & de Saints Anges. On raconte de S. Exupere Evêque de Toulouſe[186], qu’ayant conçu le deſſein de tranſférer les Reliques de ſaint Saturnin ancien Evêque de cette Egliſe, pour les placer dans une nouvelle Egliſe bâtie en ſon honneur, il avoit peine à ſe réſoudre à tirer ce ſaint corps du tombeau, craignant de déplaire au Saint, ou de diminuer l’honneur, qui lui étoit dû. Mais dans ce doute il eut une viſion, qui lui fit entendre que cette tranſlation ne pouvoit ni nuire au reſpect qui étoit dû aux cendres du ſaint Martyr, ni préjudicier à ſon honneur ; qu’au contraire elle contribueroit au ſalut des Fidéles & à la plus grande gloire de Dieu.

Quelques jours avant[187] que S. Cyprien Evêque de Carthage ſouffrit le Martyre en 258. il eut une viſion n’étant pas encore entiérement endormi, dans laquelle un jeune homme d’une taille extraordinairement grande ſembla le conduire au Prétoire devant le Proconſul aſſis ſur ſon tribunal. Ce Magiſtrat ayant apperçu Cyprien, commença à écrire ſa ſentence, avant qu’il l’eût interrogé à l’ordinaire. Cyprien ne ſavoit ce que portoit la ſentence. Mais le jeune homme dont on a parlé, & qui étoit derriére le juge, fit ſigne à Cyprien en ouvrant la main & l’étendant en forme d’épée, qu’il étoit condamné à avoir la tête tranchée.

Cyprien comprit aiſément ce qu’il vouloit dire par ce ſigne, & ayant demandé avec beaucoup d’inſtance qu’on lui accordât un jour de délai pour mettre ordre à ſes affaires, le juge lui ayant accordé ſa demande, écrivit de nouveau ſur ſes tablettes, & le jeune homme par le mouvement de ſa main lui fit connoître qu’on lui avoit accordé un jour de délai. Ces prédictions furent exactement ſuivies de l’effet. On en voit beaucoup d’autres dans les ouvrages de S. Cyprien.

Saint Fructueux, Evêque de Tarragone[188], qui ſouffrit le Martyre en 259. fut vû après ſa mort montant au Ciel, avec ſes Diacres qui avoient ſouffert avec lui ; ils apparurent comme étant encore attachés aux pieux après leſquels ils avoient été brûlés. Ils furent vûs par deux Chrétiens qui les montrerent à la femme & à la fille d’Emilien, qui les avoit condamnés. Le Saint ſe fit voir à Emilien lui-même & aux Chrétiens, qui avoient enlevé leurs cendres, & leur ordonna de les raſſembler toutes en un même lieu.

On voit de pareilles apparitions[189] dans les Actes de S. Jacques, de S. Marien Martyrs & de quelques autres, qui ſouffrirent dans la Numidie en 259. On en remarque de pareilles[190] dans les Actes des ſaints Montan, Lucius & autres Martyrs d’Afrique en 259. ou 260. & dans ceux de ſaint Vincent Martyr en Eſpagne en 304. & dans la vie de S. Théodore Martyr en 306. dont S. Grégoire de Niſſe a écrit la paſſion. Tout le monde ſait ce qui arriva à Sebaſte en Arménie dans le Martyre des fameux quarante Martyrs dont S. Baſile le Grand a écrit l’éloge. L’un des 40. vaincu par l’excès du froid qui étoit extrême, ſe jetta dans un bain chaud qui étoit préparé là auprès. Alors celui qui les gardoit ayant apperçu des Anges qui apportoient des couronnes aux 39. qui avoient perſévéré dans leurs ſouffrances, ſe dépouilla, ſe joignit à eux & ſe déclara Chrétien.

Tous ces exemples prouvent invinciblement au moins que dans les premiers ſiécles de l’Egliſe, les plus grands & les plus ſavans Evêques, les Saints Martyrs, & le commun des Fidéles, étoient très-perſuadés de la poſſibilité & de la réalité des apparitions.

CHAPITRE LIX.

Concluſion de cette Diſſertation.

POur reprendre en peu de mots tout ce que nous avons rapporté dans cette Diſſertation, nous y avons montré, qu’une réſurrection proprement dite d’une perſonne morte depuis un tems conſidérable, & dont le corps étoit ou corrom- pu, ou puant, ou prêt à ſe corrompre, comme celui de Pierre enterré depuis trois ans, & reſſuſcité par ſaint Staniſlas, ou celui de Lazare, qui étoit depuis quatre jours dans le tombeau, & déja ſentant une odeur cadavéreuſe, qu’une telle réſurrection eſt un ouvrage de la ſeule toute-puiſſance de Dieu.

Que des perſonnes noyées, tombées en ſyncope, en léthargie, ou extaſiées, ou tenues pour mortes, de quelque maniere que ce ſoit, peuvent être guéries & rappellées à la vie, à leur premiere ſanté ſans aucun miracle, mais par les ſeules forces de la Médecine, ou par une induſtrie naturelle, ou par la patience, attendant que la nature ſe rétabliſſe d’elle-même en ſon premier état, que le cœur reprenne ſon mouvement, & que le ſang coule librement de nouveau dans les artères, les veines, & les eſprits vitaux & animaux dans les nerfs.

Que les Oupires, ou Vampires, ou Revenans de Moravie, de Hongrie, de Pologne, &c. dont on raconte des choſes ſi extraordinaires, ſi détaillées, ſi circonſtanciées, revêtues de toutes les formalités capables de les faire croire, & de les prouver même juridiquement par devant les Juges, & dans les Tribunaux les plus ſévéres & les plus exacts ; que tout ce qu’on dit de leur retour à la vie, de leurs Apparitions, du trouble qu’elles cauſent dans les villes & dans les campagnes, de la mort qu’ils donnent aux perſonnes en leur ſuçant le ſang, ou en leur faiſant ſigne de les ſuivre, que tout cela n’eſt qu’illuſion, & une ſuite de l’imagination frappée & fortement prévenue. L’on ne peut citer aucun témoin ſenſé, ſérieux, non prévenu, qui puiſſe témoigner avoir vû, touché, interrogé, ſenti, examiné de ſang froid ces Revenans, qui puiſſe aſſurer la réalité de leur retour, & des effets qu’on leur attribue.

Je ne nierai point, que des perſonnes ne ſoient mortes de frayeur, s’imaginant voir leurs proches qui les appelloient au tombeau ; que d’autres n’ayent crû ouir frapper à leurs portes, les harceler, les inquiéter, en un mot leur cauſer des maladies mortelles ; & que ces perſonnes interrogées juridiquement, n’ayent répondu qu’elles avoient vû & oui ce que leur imagination frappée leur avoit repréſenté. Mais je demande des témoins non préoccupés, ſans frayeur, ſans intérêt, ſans paſſion, qui aſſurent après de ſérieuſes réflexions, qu’ils ont vû, oui, interrogé ces Vampires, & qu’ils ont été témoins de leurs opérations ; & je ſuis perſuadé qu’on n’en trouvera aucun de cette ſorte.

J’ai en main une lettre, qui m’a été écrite de Varſovie le 3 Février 1745. par M. Sliviski, Viſiteur de la Province des Prêtres de la Miſſion de Pologne. Il me mande qu’ayant étudié avec grand ſoin cette matiere, & s’étant propoſé de compoſer ſur ce ſujet une Diſſertation Théologique & Phyſique, il avoit ramaſſé des Mémoires dans cette vûe ; mais que les occupations de Viſiteur & de Supérieur de la maiſon de ſa Congrégation de Varſovie ne lui avoient pas permis d’exécuter ſon projet. Qu’il a depuis recherché inutilement ces Mémoires, qui probablement ſont demeurés entre les mains de quelques-uns de ceux à qui il les avoit communiqués. Qu’il y avoit parmi ces Mémoires deux réſolutions de Sorbonne, qui défendoient l’une & l’autre de couper la tête, & de ſévir contre les corps des prétendus Oupires. Il ajoûte qu’on pourroit trouver ces déciſions dans les Regiſtres de Sorbonne, depuis l’an 1700. juſqu’en 1710. Je rapporterai ci-après une déciſion de Sorbonne ſur ce ſujet de l’an 1693.

Il dit de plus, qu’en Pologne on eſt ſi perſuadé de l’exiſtence des Oupires, qu’on regarderoit preſque comme Hérétiques ceux qui penſeroient autrement. Il y a pluſieurs faits ſur cette matiere qu’on regarde comme inconteſtables, & l’on cite pour cela une infinité de témoins. Je me ſuis, dit-il, donné la peine d’aller juſqu’à la ſource, & d’examiner ceux qu’on citoit pour témoins oculaires ; il s’eſt trouvé, qu’il n’y a eu perſonne qui osât affirmer d’avoir vû les faits dont il s’agiſſoit, & que ce n’étoient que des rêveries & des imaginations cauſées par la peur, & par des diſcours mal fondés. C’eſt ce que m’écrit ce ſage & judicieux Prêtre.

J’ai encore depuis reçu une autre lettre de Vienne en Autriche écrite le 3 Août 1746 par un Baron Lorrain[191], qui a toujours ſuivi ſon Prince. Il me dit qu’en 1732. ſa Majeſté Impériale, alors ſon Alteſſe Royale de Lorraine, ſe fit donner pluſieurs procès-verbaux ſur des cas arrivés en Moravie : je les ai encore, les ai lûs & relûs, & à dire vrai, je n’y ai pas trouvé l’ombre de vérité, ni même de probabilité de ce qui étoit avancé. Ce ſont cependant ces actes que l’on regarde

en ce pays-ci comme l’Evangile.


CHAPITRE LX.

Impoſſibilité morale, que les Revenans
ſortent de leurs tombeaux.


JAi déja propoſé l’objection formée ſur l’impoſſibilité que ces Vampires ſortent de leurs tombeaux, & y rentrent, ſans qu’il y paroiſſe qu’ils ont remué la terre en ſortant, ou en rentrant ; on n’a jamais pû répondre à cette difficulté, & l’on n’y répondra jamais. Dire que le Démon ſubtiliſe & ſpiritualiſe les corps des Vampires, c’eſt une choſe avancée ſans preuve & ſans vraiſemblance.

La fluidité du ſang, la couleur vermeille, la ſoupleſſe des Vampires ne doivent pas ſurprendre, non plus que les ongles & les cheveux qui leur croiſſent, & leur corps qui demeure ſans corruption. On voit tous les jours des corps qui n’éprouvent point la corruption, & qui conſervent une couleur vermeille après leur mort. Cela ne doit pas paroître étrange dans ceux qui meurent ſans maladie & de mort ſubite, ou de certaines maladies connues aux Médécins, qui n’ôtent pas la fluidité du ſang, ni la ſoupleſſe des membres.

A l’égard de l’accroiſſement des cheveux & des ongles dans les corps qui ne ſont point corrompus, la choſe eſt toute naturelle. Il demeure dans ces corps une certaine circulation lente & imperceptible des humeurs, qui cauſe cet accroiſſement des ongles & des cheveux, de même que nous voyons tous les jours les oignons ordinaires & les cayeux croître & pouſſer, quoique ſans aucune nourriture ni humidité tirée de la terre.

On en peut dire autant des fleurs, & en général de tout ce qui dépend, de la végétation dans les animaux & dans les plantes.

La perſuaſion où ſont les Peuples de la Gréce du retour des Broucolaques, n’eſt pas mieux fondée que celle des Vampires & des Revenans. Ce n’eſt que l’ignorance, la prévention, la terreur des Grecs, qui ont donné naiſſance à cette vaine & ridicule créance, & qui l’ont entretenue juſqu’aujourd’hui. La relation que nous avons rapportée d’après M. Tournefort, témoin oculaire & bon Philoſophe, peut ſuffire pour détromper ceux qui voudroient s’intéreſſer à les ſoutenir.

L’incorruption ou l’incorruptibilité des corps des décédés dans l’excommunication eſt encore moins fondée, que le retour des Vampires, & les vexations des vivans cauſées par les Broucolaques ; l’Antiquité n’a rien cru de ſemblable : les Grecs Schiſmatiques & les Hérétiques ſéparés de l’Egliſe Romaine, qui ſont certainement morts dans l’excommunication, devroient donc, ſuivant ce principe demeurer, ſans corruption, ce qui eſt contre l’expérience & répugne au bon ſens ; & ſi les Grecs prétendent être la vraie Egliſe, tous les Catholiques Romains qui ſont ſéparés de communion d’avec eux, devroient donc demeurer auſſi incorruptibles. Les exemples cités par les Grecs, ou ne prouvent rien, ou prouvent trop. Ces corps qui n’ont pas été corrompus étoient réellement excommuniés ou non ? S’ils n’étoient pas nommément & réellement excommuniés, leur incorruption ne prouve rien ; & quand ils auroient été vraiment & réellement excommuniés, encore faudroit-il prouver, qu’il n’y avoit point d’autre cauſe de leur incorruption, ce qu’on ne prouvera jamais.

De plus une choſe auſſi équivoque que l’incorruption ne peut pas être employée en preuve dans une matiere auſſi ſérieuſe que celle-ci. L’on convient que ſouvent les corps des Saints ſont préſervés de corruption : cela paſſe pour certain chez les Grecs comme chez les Latins ; l’on ne peut donc pas conclure que cette même incorruption ſoit une preuve, qu’une perſonne eſt excommuniée.

Enfin cette preuve eſt univoque & générale, ou ſeulement particuliere : je veux dire, tous les Excommuniés demeurent ſans corruption, ou ſeulement quelques-uns. On ne peut pas ſoutenir que tous ceux qui meurent dans l’excommunication ſont incorruptibles. Il faudroit pour cela que tous les Latins envers les Grecs, & les Grecs envers les Latins fuſſent incorruptibles, ce qui n’eſt pas. Cette preuve eſt donc frivole, & ne conclut rien. Je me défie beaucoup de toutes ces Hiſtoires que l’on rapporte pour prouver cette prétendue incorruption des perſonnes excommuniées. Si on les examinoit de près, on y trouveroit ſans doute bien du faux.

CHAPITRE LXI.

Ce qu’on raconte des corps des Excommuniés
qui ſortent de l’Egliſe, eſt ſujet
à de très-grandes difficultés.

QUelque reſpect que j’aye pour ſaint Grégoire le Grand, qui rapporte des exemples de perſonnes mortes excommuniées, qui ſortoient de l’Egliſe à la vûe de tout le monde ; & quelque conſidération que méritent les autres Auteurs que j’ai cités, & qui racontent d’autres faits ſemblables, & même plus incroyables : je ne puis me perſuader, que nous ayons ces Hiſtoires avec toutes leurs circonſtances ; & après les raiſons de douter que j’ai rapportées à la ſuite de ces Hiſtoires, je crois pouvoir dire encore, que Dieu pour inſpirer aux peuples une plus grande terreur des Excommunications, & un plus grand reſpect pour les Sentences & les Cenſures de l’Egliſe, a voulu dans ces occaſions pour des raiſons qui ne nous ſont pas bien connues, faire éclater ſa puiſſance, opérer des miracles à la vûe des Fidéles : car comment expliquer tout cela ſans recourir au miracle ?

Tout ce qu’on dit des perſonnes mortes, qui mâchent ſous la terre dans leurs tombeaux, eſt ſi pitoyable & ſi puérile, qu’il ne mérite pas une réfutation ſérieuſe. Tout le monde convient qu’il n’arrive que trop ſouvent, qu’on enterre des perſonnes qui ne ſont pas bien mortes. On n’en a que trop d’exemples dans toutes les Hiſtoires anciennes & modernes. La Thèſe de M. Vinſlow, & les notes que M. Bruyer y a ajoûtées, ſont très-propres pour prouver qu’il y a peu de ſignes certains d’une véritable mort, hors la puanteur & la putréfaction d’un corps au moins commencée. On a une infinité d’exemples de perſonnes qu’on a crûes mortes, & qui ſont revenues, même après avoir été miſes en terre. Il y a je ne ſçai combien de maladies où le malade demeure long-tems ſans parole, ſans mouvement, ſans reſpiration ſenſible. Il y a des noyés qu’on a crû morts, & qu’on a fait revenir en les ſaignant & les ſoulageant.

Tout cela eſt connu, & peut ſervir a expliquer comment on a pû tirer du tombeau quelques Vampires, qui ont parlé, crié, hurlé, jetté du ſang ; tout cela, parce qu’ils n’étoient pas encore morts. On les a fait mourir en les décapitant, en leur perçant le cœur, en les brûlant, & en cela on a eu très-grand tort : car le prétexte qu’on a pris de leur prétendu retour pour inquiéter les vivans, les faire mourir, les maltraiter, n’eſt pas une raiſon ſuffiſante pour les traiter comme l’on fait. D’ailleurs leur prétendu retour n’a jamais été prouvé ni conſtaté d’une maniere qui puiſſe autoriſer perſonne à uſer d’une pareille inhumanité, ni à deshonorer, faire mourir ignominieuſement ſur des accuſations vagues, frivoles, non prouvées, des perſonnes certainement innocentes de la choſe dont on les charge.

Car rien n’eſt plus mal fondé que ce qu’on dit des Apparitions, des véxations, des troubles cauſés par les prétendus Vampires & par les Brucolaques. Je ne ſuis pas ſurpris que la Sorbonne ait condamné les exécutions ſanglantes & violentes, que l’on exerce ſur ces ſortes de corps morts ; mais il eſt étonnant que les Puiſſances ſéculieres & les Magiſtrats n’emploient pas leur autorité & la ſéverité des Loix, pour les réprimer.

Les dévouemens magiques, les faſcinations, les évocations dont nous avons parlé, ſont des œuvres de ténébres, des opérations de Satan, ſi elles ont quelque réalité, ce que j’ai peine à croire pour les dévouemens & les évocations des Manes, ou des Ames des perſonnes mortes : car pour les faſcinations ou les illuſions des ſens, il ſemble qu’il eſt malaiſé de n’en pas admettre quelques-unes, comme lorſqu’on croit voir ce qui n’eſt pas, ou qu’on ne voit pas ce qui eſt préſent à nos yeux, ou qu’on croit entendre ce qui ne frappe pas nos oreilles, ou au contraire. Mais dire que le Démon peut donner la mort à une perſonne, parce qu’on a formé ſa ſtatue en cire, ou qu’on lui a donné ſon nom avec quelques cérémonies ſuperſtitieuſes, & qu’on l’a dévouée, enſorte que la perſonne ſe fente mourir à meſure que la figure de cire ſe conſume ; c’eſt donner au Démon trop de pouvoir, & à la Magie trop d’efficace. Dieu peut, quand il veut lâcher la bride à l’ennemi du genre humain, & lui permettre de nous cauſer le mal, que lui-même ou ſes ſuppôts cherchent à nous faire ; mais il ſeroit ridicule de croire que la Magie puiſſe déterminer le ſouverain Maître de la nature à permettre au Démon de nous nuire, ou de s’imaginer que le Magicien ait le pouvoir de faire agir contre nous le Démon, indépendamment de Dieu.

L’exemple de ce payſan de Delme, qui donna ſon enfant au Diable, & à qui le Diable ôta la vie, & puis la lui rendit, eſt un de ces faits extraordinaires & preſqu’incroyables que l’on rencontre quelquefois dans l’Hiſtoire, & que ni la Théologie, ni la Philoſophie ne ſavent comment expliquer. Etoit-ce un Démon qui animoit le corps de cet enfant, ou étoit-ce l’ame de cet enfant qui étoit rentrée dans ſon corps par la permiſſion de Dieu ? Par quelle autorité le Démon a-t-il pû ôter la vie à cet enfant, puis la lui rendre ? Dieu l’a pû permettre pour punir l’impiété du malheureux Pere, qui s’étoit donné au Démon pour contenter une paſſion honteuſe & criminelle. Et encore comment l’a-t-il pû contenter avec un Démon, qui lui parut ſous la forme d’une fille qu’il aimoit ? Dans tout cela je ne vois que ténébres & difficultés, que je laiſſe à réſoudre à de plus habiles & plus hardis que moi.

Extractum ex Epiſtolâ quâdam è Poloniâ
Pariſios miſſâ 9 Januarij 1693.
CASUS.

QUædam Puella non pridem affligebatur à tali Spiritu, & ex dolore quem ſenſit expergefacta, clamans auxilium petiit, & dixit, quòd hic Spiritus repræſentaret ei figuram Matris jam pri- dem demortuæ. Hæc Puella perceptibiliter attenuabatur, & macie conficiebatur. Conventum eſt ad ſepulchrum Matris, & inventum eſt cadaver molle, flexibile, inflatum & rubicundum ; amputato capite, & corde aperto, effluxit ingens copia ſanguinis, & Puella convaluit à ſuâ infirmitate & languore, & benè nunc valet.

Sacerdotes fide digni fuerunt in hâc executione, & viderunt Puellam, quæ eis narravit omnem hiſtoriam.

Quaeritur, quid Confeſſarius facere debeat, & quomodò ſe gerere, tum erga illos qui faciunt has executiones, quàm erga illos qui petunt aperiri ſepulchrum, ad amputandum caput cadaveri, quandò erit tale ut ſuprà.

Reſolutio Doctorum Sorbonœ.

NOs infrà ſcripti æſtimamus, tam hos qui faciunt has executiones, quàm illos qui petunt viſitari ſepulchra ad eum finem, peccare graviſſimè, & quòd Confeſſarii debeant admonere ſimiles perſonas, & explicare eis malum, quod faciunt in his occaſionbus, & eis denegare abſolutionem, ſi perſeverent in perverſâ hâc praxi : hoc fundatur in dua- bus rationibus ; una deſumitur ex honore debito corporibus defunctorum, alia ex facto particulari, de quo agitur.

Primò magnus ſemper delatus eſt honor & reſpectus corporibus defunctorum, ita ut religioni ducatur eos ſemper haberi in honore, & velle ut ſepulchra eorum ſint inviolabilia. Cod. de ſepulchra violato, lib. 9. t. 19. ubi affignatur poena contra violatores ſanctitatis ſepulchrorum, diciturque, eos eſſe Sacrilegos, & procedendum eſſe contra illos ut tales, quandò audent invertere & aſportare aliquid ex monumentis, ubi corpora fidelium requieſcunt. Pergit audacia, (ſunt verba Codicis) ad buſta defunctorum & aggeres conſecratos cùm & lapidem hinc movere, & terram evertere, & ceſpitem evellere, proximum ſacrilegio majores noſtri ſemper habuerint. Quibus primò conſulentes, ne in piaculum incidat contaminata religio defunctorum, hoc fieri prohibemus pœnâ ſacrilegii cohibentes. Major eſt audacia, & ſecundùm vim Legis totius meretur majorem pœnam, quandò viſitantur ſepulchra, non ad illa deſtruenda, vel ad auferendum aliquod ornamentum, fed ad amputandum caput defunctorum jacentium in illo ſepulchro.

In jure Canonico, qui amputant par- tem unam vel plures corporis defuncti, ſunt excommunicati ipſo facto ; & Papa Bonifacius VIII. qui fecit hanc legem c. deteſtanda, Excrav. de ſepult. vult, ut abſolutio ejus ſit reſervata S. Sedi Apoſtolicæ, dicitque eſſe impietatem & crudelitatem fic tractare corpora defunctorum. Defunctorum corpora ſic impiè ac crudeliter non tractentur.

Verum eſt, quòd hoc capitulum loquatur de iis qui in fruſta concidunt corpora defunctorum extra Patriam, ut faciliùs ea transferantur ; certum quoque eſt, quòd caſus propoſitus non habeat prætextum tam favorabilem, & conſequenter meretur, ut majori juſtitiâ condemnetur. Et certè hujus Canonis motivum non eſt aliud, quàm hæc ratio generalis, quòd oporteat reſpectum deferre corporibus defunctorum. Et gloſſa ſic nos docet : Catholicæ fidei humana natura eſt erubeſcenda, & ideò étiam poſt mortem corpus humanum non recipit æſtimationem.

In authentico ut defunct. tit. 15. collat. 5. ſic erat priùs his verbis : qui enim hominis naturam non érubuit, dignus eſt & pecuniis, & gloriâ, & aliis omnibus condemnari. Dicitur de illis, qui mortuo injuriam inſerunt. Poſſunt videri ſupra eandem materiam plures alii Canones quos Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/333 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/334 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/335 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/336 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/337

CHAPITRE LXII.

Remarques ſur la Diſſertation touchant
l’Eſprit revenu à S. Maur des Foſſés.

LA Diſſertation ſuivante ſur l’Apparition arrivée à S. Maur près Paris en 1706. m’étoit entiérement inconnue. Un ami qui prenoit quelque part à mon ouvrage ſur les Apparitions, me fit demander par lettres, ſi je trouverois bon qu’on la fit imprimer à la ſuite de mon écrit ; j’y conſentis ſans peine, ſur le témoignage qu’il me rendit que c’étoit l’ouvrage d’une main habile, & qui méritoit qu’on le préſervât de l’oubli où il étoit tombé. J’ai appris depuis qu’elle étoit imprimée au quatriéme tome du Traité des ſuperſtitions du R. P. le Brun de l’Oratoire.

Après l’impreſſion, un Religieux habile[192] m’écrit d’Amiens en Picardie, qu’il a remarqué dans cette Diſſertation cinq ou ſix propoſitions qui lui paroiſſoient fauſſes.

1o. Ce que dit l’Auteur, que tous les ſaints Docteurs conviennent qu’il ne reſte aux Démons aucun moyen de nous tromper que la ſuggeſtion, que Dieu leur a laiſſée pour exercer notre vertu.

2o. A l’égard de tous ces prodiges & de ces maléfices ſi ordinaires, que le Peuple attribue au ſortilege & au commerce avec le Démon, il eſt conſtant qu’on ne peut les opérer que par la Magie naturelle : c’eſt le ſentiment de la plûpart des Peres de l’Egliſe qui en ont parlé.

3o. Toute la part qu’ont les Démons dans les pratiques criminelles de ceux qu’on nomme communément Sorciers, eſt la ſuggeſtion, par laquelle ils les invitent à la recherche abominable de toutes les cauſes naturelles, qui peuvent nuire au prochain.

4o. Quoique ceux qui ont voulu ſoûtenir cette erreur populaire du retour des Ames du Purgatoire, ayent fait leurs efforts pour s’appuyer ſur différens paſſages tirés de S. Auguſtin, de S. Jérôme, de S. Thomas, &c. il eſt conſtant que tous ces Peres ne parlent que du retour des ames bienheureuſes, pour manifeſter la gloire de Dieu.

5o. De quoi ne peut-on pas croire l’imagination capable, après une ſi forte preuve de ſon pouvoir ? Peut-on douter, que parmi toutes les Apparitions prétendues qu’on raconte, elle n’opére ſeule toutes celles qui ne viennent pas des Anges & des ames bienheureuſes, & qui ne ſont pas de la malice des hommes ?

6o. Après avoir ſuffiſamment établi, que toutes les Apparitions qui ne peuvent pas être attribuées à des Anges ou à des ames bienheureuſes, ne ſont produites que par l’une de ces trois cauſes : premiérement, la force de l’imagination ; ſecondement, l’extrême ſubtilité des ſens ; & troiſiément, la dépravation des organes, tels qu’ils ſont dans la folie & dans les fiévres chaudes.

Le Religieux qui m’écrit, ſoûtient que la première propoſition eſt fauſſe ; que les anciens Peres de l’Egliſe attribuent au Démon la plûpart des effets extraordinaires qui ſe font par certains tons de voix, par des figures, des Fantômes ; que les Exorciſtes dans la primitive Egliſe chaſſoient les Démons, de l’aveu même des Payens ; que les Anges & les Démons ont ſouvent apparu aux hommes ; que perſonne n’a parlé plus fortement des Apparitions, des Obſeſſions & du pouvoir du Démon que les anciens Peres ; que l’Egliſe a toujours employé les Exorciſmes ſur les enfans préſentés au Baptême, & contre les Obſédés & Poſſédés du Démon : ajoutez que l’Auteur de la Diſſertation ne cite aucun Pere, pour appuyer ſa propoſition générale[193].

La ſeconde propoſition eſt encore fauſſe : car ſi l’on doit attribuer à la Magie naturelle tout ce qu’on attribue aux Sorciers, il n’eſt donc plus de Sorciers proprement dits, & l’Egliſe ſe trompe dans les priéres qu’elle fait contr’eux.

La troiſiéme propoſition eſt fauſſe par la même raiſon.

La quatriéme eſt encore plus fauſſe, & abſolument contraire à ſaint Thomas, qui parlant des morts en général qui apparoiſſent, dit que cela arrive, ou par miracle, ou par une permiſſion toute particuliére de Dieu, ou par l’opération des bons ou des mauvais Anges, I. Partie, q. 89. articl. 8. ad 2.

La cinquiéme propoſition eſt encore fauſſe & contraire aux Peres, au ſentiment du commun des Fidéles & aux uſages de l’Egliſe. Si toutes les Apparitions qui ne viennent pas des Anges ou des Bienheureux, ou de la malice des hommes, ne viennent que de l’imagination, que deviennent toutes les Apparitions des Démons racontées par les Saints, & arrivées aux Saints ? Que deviennent en particulier les Hiſtoires des Saints Solitaires, de S. Antoine, de S. Hilarion[194], &c. Que deviennent les priéres & les cérémonies de l’Egliſe contre les Démons, qui obſédent, qui poſſédent, qui infeſtent qui apparoiſſent ſouvent dans les Obſeſſions, les Poſſeſſions & infeſtations ?

La ſixiéme propoſition eſt fauſſe par les mêmes raiſons, & par beaucoup d’autres qu’on pourroit ajouter.

Voilà, ajoute le R. P. qui m’écrit, ce qui me fait douter ſi la troiſiéme Diſſertation a été ajoutée aux deux autres de votre aveu. J’ai ſoupçonné que l’Imprimeur de ſon chef, ou perſuadé par des gens mal-intentionnés, auroit bien pû l’avoir ajoutée de lui-même, & ſans votre participation, quoique ſous votre nom : car, me diſois-je à moi même, ou le R. P. approuve cette Diſſertation, ou il ne l’approuve pas ; il paroît qu’il l’approuve, puiſqu’il dit qu’elle vient d’une main habile, & qu’il veut la préſerver de l’oubli.

Or comment approuve-t-il une Diſſertation fauſſe en elle-même, contraire à lui-même ? Quand il ne l’approuveroit pas, n’eſt-ce pas trop que d’unir à ſon ouvrage une méchante piéce remplie de menſonges, de déguiſemens, de raiſonnemens faux & foibles, oppoſée à la créance commune, aux uſages & aux priéres de l’Egliſe, dangereuſe par conſéquent, & tout-à-fait favorable aux Eſprits forts & incrédules, dont le ſiécle eſt rempli ? Ne devoit-il pas plutôt la combattre, & en montrer la foibleſſe, la fauſſeté, les dangers ? Voilà, mon R. P. toute ma difficulté.

D’autres perſonnes m’ont fait dire, qu’ils auroient ſouhaité que je traitaſſe la matiére des Apparitions dans le goût de l’Auteur de cette Diſſertation, c’eſt-à-dire, en pur Philoſophe, & dans la vûe d’en détruire la créance & la réalité, plutôt que dans le deſſein d’appuyer la créance des Apparitions ſi bien marquées dans les Ecritures de l’Ancien & du Nouveau Teſtament, dans les Peres, & dans les uſages & priéres de l’Egliſe. L’Auteur dont nous parlons a cité les Peres, mais en général, & ſans en marquer les témoignages & les paſſages exprès & formels, je ne ſçai s’il en fait grand cas, & s’il eſt fort verſé dans leur lecture : cela ne paroit guére par ſon ouvrage.

Le grand principe ſur lequel roule toute cette troiſiéme Diſſertation, eſt que depuis la venuë & la mort de Jeſus-Chriſt, tout le pouvoir du Démon eſt borné à ſéduire, à inſpirer & à perſuader le mal ; mais que pour le reſte, il eſt lié comme un lion ou un chien dans ſa priſon : il peut aboyer, il peut menacer ; mais il ne peut pas mordre, à moins qu’on ne veuille s’approcher de lui, & ſe livrer à lui, comme l’a dit véritablement ſaint Auguſtin[195], mordere omninò non poteſt niſi volentem.

Mais prétendre que Satan ne peut pas nuire, ni à la ſanté de l’homme & des animaux, ni aux fruits de la terre, ni nous attaquer par ſes ruſes, ſa malice, ſa fureur contre nous, ni tourmenter les perſonnes qu’il obſéde, ou qu’il poſſéde ; que les Magiciens & les Sorciers ne peuvent uſer de ſortiléges & de charmes, pour cauſer aux hommes & aux animaux des maladies mortelles, & la mort même : c’eſt attaquer directement la Foi de l’Egliſe, les ſaintes Ecritures, les Pratiques les plus ſacrées, & les ſenttimens non ſeulement des Saints Peres & des meilleurs Théologiens, mais auſſi les Loix & les Ordonnances des Princes, & les Arrêts des Parlemens les plus reſpectables.

Je ne citerai point ici les exemples tirés de l’Ancien Teſtament, l’Auteur s’étant borné à ce qui s’eſt paſſé depuis la mort & la réſurrection du Sauveur, parce que, dit-il, Jeſus-Chriſt a détruit le Royaume de Satan, & que le Prince du monde eſt déja jugé : Princeps hujus mundi jam judicatus eſt[196].

S. Pierre, S. Paul, S. Jean & les Evangéliſtes bien inſtruits des paroles du Fils de Dieu, & du ſens qu’on leur doit donner, nous enſeignent que Satan a demandé les Apôtres de Jeſus-Chriſt, pour les cribler comme on crible le froment[197], c’eſt-à-dire, pour les éprouver par les perſécutions, & les faire renoncer à la Foi. S. Paul ne ſe plaint-il pas de l’Ange de Satan qui lui donna des ſoufflets[198] ? Ceux qu’il livra à Satan pour leurs crimes[199] ne ſouffrirent-ils rien dans leurs corps ? Ceux qui communioient indignement, & qui étoient frappés de maladies ou même de mort, ne ſouffroient-ils pas ces châtimens par l’opération du Démon[200] ? L’Apôtre avertit les Corinthiens de ne ſe pas laiſſer ſurprendre par Satan, qui ſe tranſfigure quelquefois en Ange de lumiére[201]. Le même Apôtre parlant aux Theſſaloniciens, leur dit, que l’Antechriſt paroîtra avant le dernier jour[202] ſelon l’opération de Satan, par un pouvoir extraordinaire, par des prodiges & des ſignes trompeurs. Dans l’Apocalypſe, le Démon eſt l’inſtrument dont Dien ſe ſert pour punir les mortels, & pour leur faire boire le calice de ſa colére. S. Pierre[203] ne nous dit-il pas, que le Démon rode autour de nous comme un lion rugiſſant, toujours prêt à nous dévorer ; & S. Paul aux Ephéſiens[204], que nous avons à combattre, non contre des hommes de chair & de ſang, mais contre les Principautés, & contre les Puiſſances, contre les Princes du monde, c’eſt-à-dire, de ce ſiécle ténébreux, contre les Eſprits de malice répandus en l’air ?

Les Peres des premiers ſiécles parlent ſouvent du pouvoir que les Chrétiens exerçoient contre les Démons, contre ceux qui ſe diſoient remplis de l’Eſprit de Python, contre les Magiciens & les autres ſuppôts du Démon, principalement contre les Poſſédés qui étoient alors aſſez fréquens, & que l’on a vûs encore de tems en tems dans l’Egliſe & hors de l’Egliſe ; on a toujours employé contr’eux, & avec ſuccès, les Exorciſmes & les autres priéres de l’Egliſe. Les Empereurs & les Rois ont employé leur autorité & la rigueur des Loix contre ceux qui ſe ſont dévoués aux Démons, & qui ont uſé de ſortiléges, de charmes, & des autres moyens que le Démon emploie pour ſéduire, pour faire périr les hommes, les animaux, ou les fruits de la campagne.

On pourroit ajouter aux remarques du R. P. Dominicain diverſes autres propoſitions tirées du même ouvrage ; par exemple, ce que dit l’Auteur, « que les Anges connoiſſent toutes les choſes d’ici-bas : car ſi c’eſt par le moyen des eſpéces que Dieu leur communique tous les jours, comme le croit S. Auguſtin, il n’y a pas lieu de croire qu’ils ne connoiſſent tous les beſoins des hommes, & qu’ils ne puiſſent pour les conſoler & les fortifier, ſe rendre ſenſibles à eux par la permiſſion de Dieu, ſans en recevoir toujours un ordre exprès «.

Cette propoſition eſt hazardée ; il n’eſt pas certain que les Anges connoiſſent toutes les choſes d’ici-bas. Jeſus-Chriſt dans S. Matthieu xxiv. 36. dit, que les Anges ne ſavent pas le jour de ſon avenement. Il eſt encore plus douteux que les Anges puiſſent apparoître ſans un ordre exprès de Dieu, & que ſaint Auguſtin l’ait ainſi enſeigné.

Il dit un peu après, » que les Démons ont ſouvent apparu avant J. C. ſous des figures phantaſtiques, qu’ils prenoient de la même maniére que les prennent les Anges, c’eſt-à-dire, ſous des corps aëriens qu’ils organiſoient ; au-lieu qu’a préſent, & depuis la venue de Jeſus-Chriſt, les prodiges & les maléfices ſi ordinaires, que le Peuple attribuoit au ſortilége & au commerce avec les Démons, il eſt conſtant, qu’ils ne peuvent être, opérés que par la Magie naturelle, qui eſt la connoiſſance des effets ſecrets par des cauſes naturelles, & pluſieurs par la ſeule ſubtilité de l’art : c’eſt le ſentiment de la plûpart des Peres qui en ont parlé.

Cette propoſition eſt fauſſe, & contraire à la doctrine & à la pratique de l’Egliſe ; & il n’eſt pas vrai que ce ſoit le ſentiment de la plûpart des Peres, il auroit dû en citer quelques-uns[205].

Il dit que le livre de Job & le ” Cantique d’Ezéchias ſont remplis de témoignages, que le Saint-Eſprit ſemble nous avoir voulu donner, que nos Ames ne peuvent revenir ſur la terre après notre mort, juſqu’à ce que Dieu en ait fait des Anges.”

Il eſt vrai que les ſaintes Ecritures parlent de la réſurrection & du retour des Ames dans leurs corps comme d’une choſe impoſſible ſelon le cours naturel. L’homme ne peut ni ſe reſſuſciter, ni reſſuſciter ſon ſemblable, ſans un effet de la Toute-Puiſſance de Dieu. Les Ames des Trépaſſés ne peuvent pas non plus apparoître aux vivans ſans l’ordre ou la permiſſion de Dieu. Mais il eſt faux de dire, que Dieu faſſe de nos Ames des Anges, & qu’alors elles pourront apparoître aux vivans. Nos Ames ne deviendront jamais Anges ; mais J. C. nous dit qu’après notre mort nos Ames ſeront comme les Anges de Dieu, Matth. XXII. 30. c’eſt-à-dire, ſpirituelles, incorporelles, immortelles, & exemptes de toutes les foibleſſes & des beſoins de la vie préſente ; mais il ne dit pas, que nos Ames doivent devenir Anges.

» Il avance que ce qu’a dit J. C. que les Eſprits n’ont ni chair, ni os, loin de faire croire que les Eſprits puiſſent revenir, prouve au contraire évidemment qu’ils ne peuvent ſans miracle ſe rendre ſenſibles aux hommes ; puiſqu’il ſaut abſolument une ſubſtance corporelle & des organes pour ſe faire entendre, ce qui ne convient pas aux Ames qui ne peuvent naturellement être ſoumiſes à nos ſens «.

Cela n’eſt pas plus impoſſible, que ce qu’il a dit ci-devant des Apparitions des Anges, puiſque nos Ames après la mort du corps ſont ſemblables aux Anges, ſelon l’Evangile : il reconnoît lui-même avec S. Jérôme contre Vigilance, que les Saints qui ſont dans le Ciel apparoiſſent quelquefois viſiblement aux hommes.

D’où vient que les animaux ont auſſi » bien que nous la mémoire, mais non pas les réflexions qui l’accompagnent, qui ne partent que de l’Ame qu’ils n’ont pas ?

La mémoire n’eſt-elle pas la réflexion ſur ce que l’on a vû, fait, ou oui ; & dans les animaux la mémoire n’eſt-elle pas ſuivie de la réflexion[206], puiſqu’ils ſe vengent de ceux qui leur ont fait du mal, qu’ils évitent ce qui les a incommodés, qu’ils prévoient ce qui peut leur en arriver, s’ils tombent dans les mêmes fautes, &c.

Après avoir parlé de la Palingénéſie naturelle, il conclut : « Ainſi l’on voit combien il y a peu de raiſon de les attribuer au retour des Ames, ou aux Démons, comme ont fait quelques ignorans «.

Si ceux qui opérent les merveilles de la Palingénéſie naturelle. & qui admettent le retour naturel des Fantômes dans les cimetieres & dans les champs de bataille, ce que je ne crois point qui arrive naturellement, montroient que ces Fantômes parlent, agiſſent, ſe meuvent, annoncent l’avenir, & font ce qu’on rapporte du retour des Ames ou des autres Apparitions, ſoit des bons, ſoit des mauvais Anges, on pourroit conclure qu’il n’y a point de raiſon de les attritribuer aux Ames, aux Anges, & aux Démons ; mais 1o. on n’a jamais pû faire paroître le Fantôme d’un homme mort par aucun ſecret de l’art. 2o. Quand on auroit pû ſuſciter ſon ombre, on ne lui auroit jamais inſpiré la penſée, ni le raiſonnement, comme on voit que les Ames, les Anges & les Démons qui apparoiſſent, raiſonnent & agiſſent, comme intelligens & doués de connoiſſance du paſſé, du préſent, & quelquefois de l’avenir.

Il nie que les Ames du Purgatoire reviennent : car ſi elles pouvoient revenir « il n’y auroit perſonne qui ne reçût de pareilles viſites de la part de ſes parens & ſes amis, puiſque toutes les Ames ſeroient dans la même diſpoſition. Il y a bien de l’apparence, dit-il, que Dieu leur accorderoit la même permiſſion ; & ſi elles avoient cette permiſſion, toutes les perſonnes de bon ſens ne comprennent pas pourquoi elles accompagneroient toutes leurs Apparitions de toutes les folies, dont on les circonſtancie dans les Hiſtoires. »

On peut répondre, que le retour des Ames ne peut dépendre ni de leur diſpoſition, ni de leur volonté, mais de la volonté de Dieu, qui accorde cette permiſſion à qui il veut, quand il veut, & comme il veut.

Le mauvais Riche demanda le retour de Lazare au monde[207] pour avertir ſes freres de ne pas tomber dans le même malheur que lui ; mais il ne put l’obtenir. Il y a une infinité d’Ames dans le même cas & dans la même diſpoſition, qui ne peuvent obtenir la permiſſion de revenir, ni par elles-mêmes, ni par d’autres[208].

Si l’on a accompagné certains récits du retour des Ames de quelques circonſtances peu ſérieuſes, cela ne fait rien contre la vérité de la choſe ; pour une relation imprudemment embellie par des circonſtances peu certaines, il y en a mille d’écrites très-ſenſément, très-ſérieuſement, & d’une manière très-conforme à la verité.

Il ſoûtient que toutes les Apparitions qui ne peuvent pas être attribuées à des Anges ou à des Ames bienheureuſes, ne ſont produites que par l’une de ces trois cauſes ; la force de l’imagination, l’extrême ſubtilité des ſens, & la dépravation des organes, tels qu’ils ſont dans la folie & dans les fiévres chaudes.

Cette propoſition eſt téméraire, & a été réfutée ci-devant par le R. P. Richard.

L’Auteur raconte tout ce qu’il a dit de l’Eſprit de S. Maur, en réduiſant le mouvement du lit fait en préſence des trois perſonnes bien éveillées, les cris redoublés d’une perſonne qu’on ne voyoit pas, d’une porte bien vérouillée, des coups redoublés donnés ſur les murailles des vitres pouſſées avec violence en préſence de trois perſonnes ſans qu’on vît l’auteur de ce mouvement ; il réduit tout cela au dérangement de l’imagination, à la ſubtilité de l’air, aux vapeurs cauſées dans le cerveau d’un malade. Que ne nioit-il tous ces faits ? Pourquoi ſe donnoit-il la peine de compoſer avec tant de ſoin une Diſſertation pour expliquer un Phénoméne qui, ſelon lui, n’a ni vérité ni réalité ?

Pour moi, je ſuis bien aiſe d’avertir le Public, que je n’adopte ni n’approuve la Diſſertation de l’Anonyme, que je ne l’ai jamais vûe que depuis l’impreſſion, que je n’en connois point l’Auteur, que je n’y prends nulle part, & n’ai nul intérêt à la défendre. Si la matiére des Apparitions étoit purement philoſophique, & qu’on pût ſans donner atteinte à la religion la réduire en problême, je m’y ſerois pris autrement pour la détruire, & j’aurois donné eſſor à mon raiſonnement & à mon imagination.


CHAPITRE LXIII.

DISSERTATION
d’un Anonyme,
Sur ce qu’on doit penſer de l’Apparition
des Eſprits, à l’occaſion de l’aventure
arrivée à S. Maur en 1706.

VOus m’avez prévenu, Monſieur, au ſujet de l’Eſprit de S. Maur qui fait tant de bruit à Paris : car j’étois dans la réſolution de vous envoyer un petit détail de cet évenemens, afin que vous me fiſſiez part de vos réflexions ſur une matiére ſi délicate, & qui intéreſſe ſi fort tout le Public. Mais puiſque vous avez lû la relation, je ne puis comprendre que vous ayez héſité un moment à vous déterminer ſur ce que vous en deviez penſer. Ce que vous me faites l’honneur de me dire, que vous avez ſuſpendu votre jugement juſqu’à ce que je vous euſſe fait part du mien, m’eſt trop glorieux pour que je puiſſe me le perſuader, & je trouve plus d’apparence à croire, que c’eſt un tour que vous me voulez jouer, pour voir de quelle maniére je me tirerai d’un pas ſi gliſſant. Cependant je ne puis réſiſter aux priéres ou plutôt aux ordres dont eſt remplie votre lettre ; & j’aime mieux m’expoſer aux plaiſanteries des Eſprits forts, ou aux reproches des crédules, qu’à la colére des perſonnes dont vous me menacez.

Vous demandez ſi je crois qu’il revienne des Eſprits, & ſi le fait arrivé à S. Maur peut être attribué à quelqu’une de ces ſubſtances incorporelles.

Pour répondre à vos deux queſtions dans le même ordre que vous me les propoſez, je vous dirai d’abord, que les anciens Payens reconnoiſſoient pluſieurs ſortes d’Eſprits, qu’ils nommoient Lares, Lamies, Larves, Lemures, Genies, Manes.

Pour nous, ſans nous arrêter à la folie de nos Philoſophes cabaliſtes, qui imaginent des Eſprits dans tous les Elemens, appellant Sylphes ceux qu’ils prétendent habiter dans l’air, Gnômes ceux qu’ils feignent être dans la terre, On- dains ceux de l’eau, & Salamandres ceux du feu ; nous ne reconnoiſſons que trois ſortes d’Eſprits créés, ſavoir les Anges, les Démons, & les Ames que Dieu a unies à nos corps, & qui en ſont ſéparées par la mort.

L’Ecriture ſainte parle en trop d’endroits des Apparitions des Anges à Abraham, à Jacob, à Tobie, & à pluſieurs autres ſaints Patriarches & Prophétes, pour que nous en puiſſions douter. D’ailleurs comme leur nom ſignifie leur miniſtére, étant créés de Dieu pour être ſes Meſſagers & les Exécuteurs de ſes ordres, il eſt aiſé de croire qu’ils ont ſouvent apparu viſiblement aux hommes, pour leur annoncer les volontés du Tout-Puiſſant. Preſque tous les Théologiens conviennent, que les Anges apparoiſſent ſous des corps aëriens dont ils ſe revêtiſſent.

Pour faire comprendre de quelle maniére ils prennent & ſe pétriſſent ces corps pour ſe rendre viſibles aux hommes, & s’en faire entendre, il ſaut d’abord expliquer comment ſe fait la viſion, qui n’eſt que le rapport de l’eſpéce dans l’organe de la vûe. Cette eſpéce eſt le rayon de la lumiére rompu & modifié ſur un corps, ſur lequel formant différens angles, cette lumiére ſe convertit en couleurs. Car un angle de certaine maniére fait du rouge, un autre du verd, du bleu ou du jaune, & ainſi de toutes les couleurs, comme nous les appercevons dans le verre triangulaire, ſur lequel le rayon du Soleil réfléchi forme les différentes couleurs de l’Arc-en-Ciel ; l’eſpéce viſible n’eſt donc autre choſe que le rayon de la lumiére, qui rejaillit depuis l’objet ſur lequel il s’eſt rompu juſques dans l’œil.

Or la lumiére ne tombe, que ſur trois ſortes d’objets ou de corps, dont les uns ſont diaphanes, les autres opaques, & les autres participent des deux qualités, étant en partie diaphanes, & en partie opaques. Lorſque la lumiére tombe ſur un corps diaphane qui eſt rempli d’une infinité de petits pores, comme l’air, elle paſſe au travers, & ne fait point de réflexion. Lorſque la lumiére tombe ſur un corps entiérement opaque, comme eſt une fleur, ne pouvant le pénétrer, ſon rayon ſe réfléchit deſſus & retourne de la fleur à l’œil, où elle porte l’eſpéce, & fait diſtinguer les couleurs, ſelon les angles formés par cette réflexion. Si le corps ſur lequel tombe la lumiére eſt en partie opaque & en partie diaphane, comme eſt le verre, elle paſſe au travers par le diaphane, c’eſt-à-dire, par les pores du verre qu’elle pénétre, & fait reflexion ſur les parties opaques, c’eſt-à-dire qui ne ſont pas poreuſes. Ainſi l’air eſt inviſible, parce qu’il eſt abſolument pénétré par la lumiére. La fleur renvoie à l’œil une couleur, parce qu’étant impénétrable à la lumiére, elle l’oblige de réfléchir ; & le verre n’eſt viſible, que parce qu’il contient quelques parties opaques, qui ſelon la diverſité des angles que forme le rayon de la lumiére qui donne deſſus, réfléchit différentes couleurs.

Voilà la manière dont ſe forme la viſion, deſorte que l’air étant inviſible à cauſe de ſa grande diaphanéité, un Ange ne peut s’en revêtir & ſe faire voir, qu’en épaiſſiſſant tellement l’air, que de diaphane il le rende opaque, & capable de réfléchir le rayon de la lumiére juſqu’à l’œil de celui qui l’apperçoit. Or comme les Anges ont des connoiſſances & des puiſſances bien au-delà de ce que nous pouvons imaginer, il ne faut pas s’étonner s’ils peuvent ſe former des corps aëriens, qui ſeront viſibles par l’opacité qu’ils leur donneront. A l’égard des organes néceſſaires à ces corps aëriens pour former des ſons, & ſe faire entendre, ſans avoir recours à la diſpoſition de la matiére, il les faut attribuer entiérement au miracle.

C’eſt ainſi que les Anges ont apparu aux ſaints Patriarches. C’eſt ainſi que les Ames glorieuſes qui participent à la nature des Anges, ſe peuvent revêtir d’un corps aërien pour ſe rendre viſibles, & que les Démons mêmes peuvent en épaiſſiſſant & condenſant l’air, s’en former des corps pour ſe rendre viſibles aux hommes par une permiſſion toute particuliére de Dieu, & pour accomplir les ſecrets de ſa Providence ; comme on dit qu’ils ont apparu à S. Antoine le ſolitaire, & à d’autres Saints pour les tenter.

Pardonnez-moi, Monſieur, cette petite digreſſion phyſique, dont je n’ai pû me diſpenſer pour faire comprendre la maniére dont les Anges, qui ſont des ſubſtances purement ſpirituelles, peuvent tomber ſous nos ſens charnels.

La ſeule choſe dont les ſaints Docteurs ne ſont point d’accord ſur ce ſujet, c’eſt de ſçavoir ſi les Anges apparoiſſent aux hommes de leur propre mouvement, ou ils ne le peuvent faire que par un ordre exprès de Dieu ? Il me ſemble que rien ne peut contribuer à décider cette difficulté, que de déterminer la maniére dont les Anges connoiſſent toutes les choſes d’ici-bas : car ſi c’eſt par le moyen des eſpéces que Dieu leur communique tous les jours, comme le croit S. Auguſtin, il n’y a pas lieu de douter qu’ils ne connoiſſent tous les beſoins des hommes, & qu’ils ne puiſſent pour les conſoler & les fortifier ſe rendre ſenſibles à eux par la permiſſion de Dieu, ſans en recevoir toujours un ordre exprès : ce qu’on peut conclure de ce que dit S. Ambroiſe au ſujet de l’Apparition des Anges, que leur nature les rend inviſibles, & que leur volonté les rend viſibles ; hujus naturæ eſt non videri, voluntatis, videri[209].

Pour ce qui eſt des Démons, il eſt certain que leur pouvoir étoit bien grand avant la venue de J. C. puiſqu’il les nomme lui-même les Puiſſances des ténèbres, & les Princes du monde. On ne peut douter qu’ils n’ayent long-tems trompé les hommes par les prodiges qu’ils faiſoient opérer à ceux qui ſe dévouoient plus particuliérement à eux ; que pluſieurs Oracles n’ayent été un effet de leur puiſſance & de leurs connoiſſances, quoi qu’une partie ſe doive attribuer à la ſubtilité des hommes ; & qu’ils n’ayent apparu ſous des figures phantaſtiques, qu’ils prenoient de la même maniére que les prennent les Anges, c’eſt-à-dire, ſous des corps aëriens qu’ils organiſoient. L’Ecriture ſainte nous aſſure même, qu’ils s’emparoient des corps de perſonnes vivantes. Mais J. C. dit trop préciſément, qu’il a détruit l’empire des Démons & nous a affranchis de leur tyrannie, pour qu’on puiſſe raiſonnablement penſer qu’ils ayent encore ſur nous la puiſſance qu’ils avoient autrefois, juſqu’à opérer des choſes qui paroiſſoient miraculeuſes ; comme on le raconte de cette Veſtale, qui porta de l’eau dans un crible pour prouver ſa virginité, & de celle qui avec ſa ſimple ceinture fit remonter ſur le Tibre un bateau qui étoit tellement engravé, que toute la force humaine ne le pouvoit ébranler : preſque tous les Saints Docteurs conviennent, qu’il ne leur reſte d’autre moyen de nous tromper, que par la ſuggeſtion que Dieu leur a voulu laiſſer pour exercer notre vertu.

Je ne m’amuſerai point à combattre toutes les impoſtures qu’on a publiées des Démons incubes & ſuccubes, dont quelques Auteurs ont ſali leurs écrits, non plus qu’à répondre aux prétendues Poſſeſſions des filles de Loudun, & de Marthe Broſſier[210], qui ont fait tant de bruit à Paris au commencement du dernier ſiécle, parce que pluſieurs Savans qui nous ont donné leurs réflexions ſur ces aventures, ont aſſez fait voir que les Démons n’y ont eu aucune part ; & la derniére ſur tout eſt parfaitement détruite par le rapport de Mareſcot célébre Médecin, qui fut député par la Faculté de Théologie, pour examiner cette fille qui faiſoit tant de merveilles. Voici ſes propres paroles, qui peuvent ſervir d’une réponſe générale à toutes ces ſortes d’aventures : à naturâ multa, plura ficta, à Dœmone nulla. C’eſt-à-dire que le tempérament de Marthe Broſſier qui étoit apparemment fort mélancolique & hypocondriaque, contribuoit beaucoup à ſes Enthouſiaſmes, qu’elle en feignoit encore plus, & que le Démon n’y avoit aucune part.

Si quelques Peres, comme S. Thomas, croyent que les Démons opérent quelquefois des effets ſenſibles, ils ajoutent toujours que ce ne peut être que par une permiſſion toute particuliére de Dieu, pour ſa gloire & le ſalut des Hommes.

A l’égard de tous ces prodiges & de ces maléfices ſi ordinaires, que le Peuple attribue aux Sortileges ou au commerce avec les Démons, il eſt conſtant qu’ils ne peuvent être opérés que par la Magie naturelle qui eſt la connoiſſance des effets ſecrets des cauſes naturelles, & pluſieurs par la ſeule ſubtilité de l’art. C’eſt le ſentiment de la plûpart des Peres de l’Egliſe qui en ont parlé ; & ſans en chercher des témoignages dans les Auteurs du Paganiſme, comme Xenophon, Athénée & Pline, dont les ouvrages ſont remplis d’une infinité de merveilles toutes naturelles, nous voyons de notre tems des effets ſi ſurprenans de la nature, comme ceux de l’aiman, de l’acier, du mercure, que nous les attribuerions aux Sortiléges comme ont fait les Anciens, ſi nous n’en avions des démonſtrations toutes ſenſibles. Nous voyons auſſi des bâteleurs & joueurs de gibeciere faire des choſes ſi extraordinaires, & qui ſemPage:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/365 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/366 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/367 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/368 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/369 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/370 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/371 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/372 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/373 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/374 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/375 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/376 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/377 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/378 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/379 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/380 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/381 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/382 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/383 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/384 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/385 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/386 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/387 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/388 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/389 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/390 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/391 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/392 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/393 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/394 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/395 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/396 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/397 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/398 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/399 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/400 de vous rapporter les paroles d’une Princeſſe[211] qui n’eſt pas moins diſtinguée à la Cour par la délicateſſe de ſon eſprit, que par la grandeur de ſon rang & par les charmes de ſa perſonne. Comme on s’entretenoit en ſa préſence de la ſingularité de l’aventure qui ſe paſſoit à S. Maur : pourquoi vous étonner ſi fort, dit-elle, avec cet air gracieux qui lui eſt ſi naturel ? Eſt-il ſurprenant que le fils ait commerce avec des Eſprits, puiſque la Mere voit trois fois toutes les ſemaines le Pere éternel ? Cette femme eſt bienheureuſe, ajoûta cette ſpirituelle Princeſſe ; pour moi je ne demanderois d’autre faveur, que de le voir une ſeule fois en ma vie.

Riez avec vos amis de cette agréable réflexion ; mais ſur-tout gardez-vous bien, Monſieur, de rendre ma lettre publique : c’eſt la ſeule récompenſe que je vous demande de l’exactitude avec laquelle je vous ai obéi dans une occaſion ſi délicate. Je ſuis, Monſieur, votre très-humble, &c.

A Saint Maur ce 8 Mai 1706.
FIN.

APPROBATION

J’Ai lû par ordre de Monſeigneur le Chancelier cette Diſſertation ſur ce qu’on doit penſer des Eſprits en général, & de celui de S. Maur en particulier ; & je n’y ai rien trouvé qui en doive empêcher l’impreſſion. Fait à Paris le 17 Octobre 1706. Signé,

LA MARQUE TILLADET.


Le Privilége du Roi eſt du 21 Novembre 1706.
LETTRE
DE M. LE MARQUIS
MAFFEI,
SUR LA MAGIE ;
Adreſſée au R. P. Innocent Ansaldi,
de l’Ordre de Saint Dominique,
traduite de l’Italien de l’Auteur.

LETTRE

DE M. LE MARQUIS
MAFFEI,
SUR LA MAGIE.

MON REVEREND PERE,

C’eſt aux bontés de votre Révérence à mon égard, que je dois attribuer la curioſité qu’elle paroît avoir de ſçavoir ce que je penſe au ſujet du livre, que le ſieur Jérôme Tartarotti vient de mettre au jour ſur les Aſſemblées nocturnes des Sorciers. J’y réponds avec le plus grand plaiſir ; & je vais vous en dire mon avis dans le plus grand détail, à condition que vous examinerez ce que je vous en écrirai avec votre pénétration ordinaire, & que vous me direz franchement ce que vous y remarquerez de bien ou de mal, & ce qui vous paroîtra mériter votre approbation ou votre cenſure. J’avois déja lû ce livre, & j’en avois fait l’éloge, tant pour la grande érudition que l’Auteur y fait paroître, que parce qu’il y réfute très-ſenſément quelques opinions ridicules, dont on eſt infatué au ſujet des Sorciers & de quelques autres abus auſſi dangereux. Mais, à dire la vérité, j’avoue qu’à cela près, je ſuis très-peu porté à l’approuver ; ſi M. Muratori l’a fait par ſa lettre qui a été vûe de pluſieurs perſonnes, ou bien il n’a pas lû l’Ouvrage en entier, ou nous ſommes en cela lui & moi d’un ſentiment tout différent. A l’égard du mien, votre Révérence va voir par ce que je lui dirai, qu’il ne s’éloigne point de celui qu’elle a elle même ſur cette matiere, tel qu’elle m’a fait la grace de me le marquer par ſa lettre.

I. Dans cet Ouvrage on ſuppoſe d’abord comme un principe certain & indubitable l’exiſtence & la réalité de la Magie, & la vérité des effets qu’elle produit, ſupérieurs, dit-on, à toutes les forces naturelles : on lui donne le nom de Magie diabolique ; & on la définit, la connoiſſance de certaines pratique ſuperſtitieuſes, telles que des paroles, des vers, des caracteres, des images, des ſignes ; &c. par le moyen deſquelles les Magiciens viennent à tout de leurs deſſeins. Pour moi, je ſuis fort porté à croire que toute la ſcience des prétendus Magiciens n’aboutit qu’à tromper les autres, & à les tromper peut-être eux-mêmes ; & que cette Magie aujourd’hui tant vantée n’eſt autre choſe qu’une pure chimere. Peut-être même ſeroit-ce ſe donner aujourd’hui une peine fort inutile, d’entreprendre de montrer que tout ce qu’on raconte de ces Hipogryphes[212] nocturnes, de ces prétendus voyages au travers des airs, de ces aſſemblées & de ces feſtins des Sorciers, n’eſt que vanité & pure imagination ; parce que ces fables détruites n’empêcheront point qu’il n’en reſte encore une infinité d’autres, qu’on a débitées & qui ſe ſont répandues ſur le même ſujet, & qui quoique plus folles & plus ridicules que tout ce que nous liſons d’extravagant dans les Romans, ſont d’autant plus dangereuſes, qu’elles ſe font croire plus facilement. Ce ſeroit, au ſentiment de bien des gens, faire trop d’honneur à ces ſortes de contes, de s’attacher à les réfuter ſérieuſément ; n’y ayant aujourd’hui perſonne, du moins en Italie, même parmi le peuple, pour peu qu’il ait de ſens commun, qui ne ſe moque de tout ce qui ſe dit du Sabbat, & de ces troupes de Sorciers qui vont la nuit par les airs s’aſſembler dans des lieux écartés pour y danſer. Il eſt vrai que malgré cela pour peu qu’un homme accrédité, ſoit parmi les Sçavans, ſoit parmi les perſonnes conſtituées en dignité, ſoutienne un ſentiment, quel qu’extravagant qu’il ſoit, il trouvera auſſitôt des partiſans : on aura beau écrire ou parler au contraire, il n’en ſera pas moins ſuivi ; & il n’eſt gueres poſſible que les choſes ſoient autrement, tant il y a de têtes & de manieres de penſer différentes. Mais il ne s’agit ici que de l’opinion commune, & de ce que l’on croit le plus univerſellement. Mon deſſein n’eſt point de compoſer un Ouvrage exprès ſur la Magie, ni de m’étendre fort au long ſur cette matiére ; j’expoſerai ſeulement ici en peu de mots les raiſons qui m’obligent à m’en mocquer, & qui me font grandement pencher vers le ſentiment de ceux qui ne la regardent que comme une pure illuſion & une vraie chimere. Je ſuis bien-aiſe d’avertir d’abord, qu’on ne doit pas ſe laiſſer éblouir par la vérité des opérations magiques rapportées dans l’Ancien Teſtament, comme ſi de-là on pouvoit tirer un argument concluant pour prouver la réalité de la prétendue Magie de notre tems.

C’eſt ce que je montrerai clairement dans la ſuite de ce diſcours, où j’eſpere faire voir, que mon opinion à ce ſujet eſt conforme à l’Ecriture, & fondée ſur la tradition des Peres. Parlons donc à préſent des Magiciens modernes.

II. S’il y a quelque réalité dans cet Art auquel on attribue tant de merveilles, il doit être l’effet ou d’un ſçavoir acquis par l’étude, ou de l’impiété de quiconque renonce à ce qu’il doit à Dieu pour ſe donner au Démon & pour l’invoquer. Il ſemble en effet qu’on veuille quelquefois l’attribuer à une connoiſſance acquiſe, puiſque dans le Livre que je combats, on parle ſouvent des vrais myſteres de l’Art magique, & qu’on y aſſure que peu de gens ſont parfaitement inſtruits des principes ſecrets & difficiles de cette ſcience ; ce qui n’eſt pas ſurprenant, dit-on, puiſque la vie de l’homme ſuffiroit à peine, pour lire tous les livres qui en ont traité. On l’appelle quelquefois la ſcience magique, ou la Philoſophie magique : on en fait remonter l’origine juſqu’au Philoſophe Pythagore ; on regarde l’ignorance de l’Art Magique, comme une des raiſons du petit nombre de Magiciens qu’on voit de nos jours. On ne parle que de l’échelle myſtérieuſe renfermée par Orphée dans l’unité, dans les nombres de deux & de douze ; de l’harmonie de la nature, compoſée des parties proportionnelles, qui font l’octave ou la double, & la quinte ou l’une & demie ; de noms étranges & barbares qui ne ſignifient rien, & auxquels on attribue des vertus ſurnaturelles ; du concert des parties inférieures & ſupérieures de cet univers, qui quand on le comprend, fait par le moyen de certaines paroles ou de certaines pierres entretenir commerce avec les ſubſtances inviſibles ; de nombres & de ſignes, qui répondent aux Eſprits leſquels préfident aux différens jours, ou aux diverſes parties du corps ; de cercles, de triangles & de pentagones, qui ont le pouvoir de lier les Eſprits ; & de pluſieurs autres ſecrets de même nature, fort ridicules, à dire le vrai, maistrès-propres à en impoſer à ceux qui admirent tout ce qu’ils n’entendent point.

III. Mais de quelqu’épaiſſes ténebres, que la nature ſoit pour nous couverte & quoique nous ne connoiſſions que fort imparfaitement les principes & les propriétés eſſentielles des choſes, qui ne voit cependant qu’il ne peut y avoir aucune proportion, aucun rapport, entre des cercles & des triangles que nous traçons, ou de grands mots qui ne ſignifient rien, & les Eſprits immatériels ? Peut-on ne pas concevoir que c’eſt une folie de croire que par le moyen de quelques herbes, de certaines pierres, de certains ſignes ou caracteres, on ſe fera obéir des ſubſtances inviſibles qui nous ſont inconnues ? Que l’homme étudie tant qu’il voudra la prétendue ame du monde, l’harmonie de la nature, le concert & l’influence de toutes les parties qui la compoſent, n’eſt-il pas évident qu’il ne retirera de ſon travail que des termes & des mots, & jamais aucuns effets qui ſoient au deſſus des forces naturelles de l’homme ? Pour ſe convaincre de cette vérité, il ſuffit d’obſerver que les prétendus Magiciens ne ſont & n’ont jamais été rien moins que des gens ſçavans, mais au contraire des hommes fort ignorans & ſans lettres. Eſt-il croyable que tant de gens célebres, anciens & modernes, tant d’hommes fameux & verſés en tout genre de littérature, n’euſſent jamais pû ou voulu ſonder les ſecrets myſteres de cet art & les pénétrer ; & que de tant de Philoſophes dont parle Diogene Laërce, ni Platon, ni Ariſtote, ni aucun autre ne nous en eût pas laiſſé quelque traité ? Il ſeroit inutile de vouloir ſe rejetter ſur ce que le monde en penſoit alors. Ne ſçait-on pas de combien d’erreurs il a été infatué dans tous les tems, & qui pour être communes n’en étoient pas moins des erreurs ? Ne croyoit-on pas généralement autrefois qu’il n’y avoit point d’antipodes ; que ſelon que les poulets ſacrés avoient mangé ou non, il étoit permis ou défendu d’en venir aux mains avec l’ennemi ; que les ſtatues des Dieux avoient parlé, ou changé de ſituation ? Que l’on joigne à tout cela toutes les fourberies & les ſubtilités, que les charlatans mettoient en uſage pour tromper les peuples & leur faire illuſion : après cela ſera-t’on ſurpris qu’ils ayent réuſſi à leur en impoſer & à leur en faire accroire ? Mais qu’on ne s’imagine pas pourtant que tout le monde ait été leur dupe, & que parmi tant de gens crédules & aveugles il ne ſe ſoit pas toujours trouvé des hommes ſenſés & clairvoyans, qui ayent apperçu la vérité.

IV. Pour nous en convaincre, conſidérens ſeulement ce qu’en a penſé un Ancien des plus ſçavans, & l’on peut dire un des plus curieux & des plus attentifs obſervateurs des merveilles de la nature. Je parle de Pline, qui s’exprime ainſi au commencement de ſon trentieme livre[213] : juſqu’ici j’ai fait voir dans cet ouvrage toutes les fois qu’il a été néceſſaire & que l’occaſion s’en eſt préſentée, combien il y a peu de réalité dans tout ce qui ſe dit de la Magie ; & je continuerai à le faire encore dans la ſuite. Mais parce que pendant pluſieurs ſiecles cet art de tous le plus trompeur a été en grand crédit chez pluſieurs peuples, je penſe qu’il eſt à propos d’en parler plus au long. Il avoit déja dit ailleurs[214] : Il n’y a point d’hommes plus habiles que les Magiciens à cacher leurs fourberies ; & dans ſept à huit autres endroits[215] il s’attache à relever leurs menſonges, leurs Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/414 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/415 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/416 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/417 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/418 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/419 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/420 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/421 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/422 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/423 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/424 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/425 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/426 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/427 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/428 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/429 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/430 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/431 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/432 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/433 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/434 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/435 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/436 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/437 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/438 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/439 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/440 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/441 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/442 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/443 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/444 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/445 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/446 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/447 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/448 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/449 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/450 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/451 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/452 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/453 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/454 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/455 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/456 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/457 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/458 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/459 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/460 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/461 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/462 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/463 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/464 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/465 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/466 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/467 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/468 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/469 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/470 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/471 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/472 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/473 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/474 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/475 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/476 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/477 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/478 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/479 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/480 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/481 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/482 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/483 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/484 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/485 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/486 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/487 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/488 Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/489 ſans la percer. Il me ſemble qu’il ſe trouve quelque choſe de ſemblable dans les Expériences naturelles de Redi, que je n’ai pas pour le moment ſous la main. Combien d’autres maniéres ingénieuſes de faire illuſion ne pourrois-je pas rapporter ici ? On pourra conſulter à ce ſujet Jean-Baptiſte Porta & autres. Il ne faudroit pourtant pas mettre au nombre de ces eſpeces de Magie ce que me marquoit un ami en badinant : dans une lettre très polie qu’il m’écrivit il y a deux mois. Une exhalaiſon bruyante s’étant enflammée dans une maiſon, & n’ayant point été apperçue de lui qui étoit dans la place voiſine, non plus que de tout autre endroit, il me mandoit que ceux qui, ſelon le préjugé vulgaire, perſiſtoient à croire que ces ſortes de feux venoient du Ciel & des nuées, étoient néceſſairement obligés d’attribuer cet effet à une vraie Magie. J’ajoûterai encore au ſujet des Phénomènes de l’Electricité, que ceux qui croyent pouvoir les expliquer par le moyen de deux fluides électriques, l’un caché dans les corps, l’autre qui circule autour d’eux, diroient peut-être quelque choſe de moins étonnant & de moins étrange ; s’ils les attribuoient à la Magie. J’ai tâché dans la derniere lettre qui eſt jointe à celle que j’ai écrite ſur les exhalaiſons, de donner quelque explication de ces merveilles, & je l’ai fait du moins ſans être obligé d’inventer de ma tête & ſans fondement deux matiéres électriques univerſelles, qui circulent au dedans des corps & au dehors. Certes les Philoſophes Anciens, qui ont tant raiſonné ſur l’Aiman, ſe ſeroient épargné bien de la peine, s’ils euſſent crû pouvoir attribuer ſes propriétés admirables à un eſprit magnétique qui en ſortît. Mais le plaiſir que je trouverois à raiſonner avec eux, m’engageroit peut-être dans d’autres matiéres : c’eſt pourquoi je finis.


FIN.
Page:Calmet - Traité sur les apparitions des esprits, tome 2, 1751.djvu/492 la cauſe Morale du même Phénoméne. Lettre

ſur la Magie traduite de l’italien de M. le Marquis Maffei ; s’il Nous plaiſoit de lui accorder nos Lettres de Permiſſion pour ce néceſſaires. A ces cauſes, voulant favorablement traiter l’Expoſant, Nous lui avons permis & permettons par ces Préſentes, de faire imprimer ledit ouvrage en un ou pluſieurs volumes, & autant de fois que bon lui ſemblera, & de le faire vendre & débiter par tout notre Royaume, pendant le tems de trois années conſécutives, à compter du jour de la date des Préſentes. Faiſons défenſes à tous Imprimeurs, Libraires & autres perſonnes de quelque qualité & condition qu’elles ſoient, d’en introduire d’impreſſion étrangére dans aucun lieu de notre obéiſſance ; à la charge que ces Préſentes ſeront enregiſtrées tout au long ſur le Regiſtre de la Communauté des Imprimeurs & Libraires de Paris, dans trois mois de la date d’icelles ; que l’impreſſion deſdits ouvrages ſera faite dans notre Royaume, & non ailleurs, en bon papier & beaux caracteres, conformément à la feuille imprimée attachée pour modele ſous le contre-ſcel des Préſentes ; que l’impétrant ſe conformera en tout aux Reglemens de la Librairie, & notamment à celui du 10 Avril 1725. qu’avant de les expoſer en vente, le manuſcrit ou imprimé qui aura ſervi de copie à l’impreſſion deſdits Ouvrages, ſeront remis dans le même état où l’Approbation y aura été donnée, ès mains de notre très cher & féal Chevalier Chancelier de France le Sieur Delamoignon, & qu’il en ſera enſuite remis deux Exemplaires de chacun dans notre Bibliotheque publique, un dans celle de notre Château du Louvre, un dans celle de notredit très-cher & féal Chevalier, Chancelier de France, le Sieur Delamoignon, & un dans celle de notre très-cher & féal Chevalier Garde des ſceaux de France, le ſieur Demachault, Commandeur de nos Ordres ; le tout à peine de nullité des Préſentes ; du contenu deſquelles vous mandons & enjoignons de faire jouir ledit Expoſant & ſes ayans cauſe pleinement & paiſiblement, ſans ſouffrir qu’il leur ſoit fait aucun trouble ou empêchement. Voulons qu’a la copie des Préſentes qui ſera imprimée tout au long au commencement ou à la fin deſdits ouvrages, foi ſoit ajoutée comme à l’original. Commandons au premier Huiſſier ou Sergent ſur ce requis de faire pour l’éxécution dicelles tous Actes requis ou néceſſaires, ſans demander autre permiſſion, & nonobſtant Clameur de Haro, Charte Normande, & Lettres à ce contraires ; Car tel eſt notre plaiſir. Donné à Arnouville le vingt-cinquiéme jour du mois de Juin, l’an de grace mil ſept cens cinquante un, & de notre Regne le trente-ſixiéme. Par le Roi en ſon Conſeil.

Signé, SAINSON.

Regiſtré ſur le Regiſtre XII. de la Chambre Royale des Libraires & Imprimeurs de Paris, Numero 623. fol. 426. conformément aux anciens Reglement confirmer pat celui du 28 Février 1723. A Paris le 9 Juin 1751.

LE GRAS, Syndic.

LETTRE DU REVEREND PERE

Dom Augustin Calmet, Abbé de Sénones, à M. de Bure l’aîné, Libraire à Paris.

MONSIEUR,

J’ai reçu le Traité Hiſtorique & Dogmatique ſur les Apparitions, les Viſions & les Révélations particulieres, avec les Obſervations ſur les Diſſertations du Révérend Pere Dom Calmet, Abbé de Senones, ſur les Apparitions & les Revenans. A Avignon 1751. par M. l’Abbé Lenglet du Frenoy.

J’ai parcouru cet Ouvrage avec plaiſir. M. Du Frenoy a voulu y mettre à profit ce qu’il avoit écrit il y a cinquante-cinq ans, comme il le dit lui-même, au ſujet des viſions & de la vie de Marie d’Agreda dont on parloit alors, & dont on parle encore à préſent d’une maniére ſi indéciſe. M. Du Frenoy avoit entrepris alors d’examiner la choſe à fond, & d’en faire voir les illuſions ; il eſt encore tems d’en donner ſon ſentiment, puiſque l’Egliſe ne s’eſt point déclarée ſur l’Ou- vrage, ſur la vie & ſur les viſions de cette fameuſe Abbeſſe Eſpagnole.

Ce n’eſt que par occaſion qu’il a compoſé ſes Remarques ſur mes Diſſertations, ſur les Apparitions & ſur les Vampires. Je n’ai pas lieu de m’en plaindre ; il a gardé envers moi les régles de la politeſſe & de la bienſéance, & je tâcherai de l’imiter dans ce que je dirai pour ma défenſe. Mais s’il avoit lû la ſeconde édition de mon Ouvrage fait à Einſidlen en Suiſſe en 1749. la troiſiéme faite en Allemand à Auſbourg en 1750. & la quatriéme à laquelle vous travaillez actuellement, il ſe ſeroit épargné la peine de cenſurer pluſieurs paſſages, que j’ai corrigés, réformés, ſupprimés ou expliqués moi-même.

Si j’avois voulu groſſir mon Ouvrage, j’aurois pû y ajoûter des régles, des remarques & des réflexions, & une infinité de faits. Mais je ſerois par-là tombé dans l’inconvénient qu’il ſemble avoir reconnu lui-même, lorſqu’il dit qu’il a peut être mis dans ſon Ouvrage trop de ces régles & de ces remarques ; & je ſuis perſuadé que c’eſt en effet ce que l’on lira le moins, & dont on fera le moins d’uſage[216]. On ſera bien plus frappé des hiſtoires tirées avec affectation de Thomas de Cantimpré & de Ceſarius, dont les Ouvrages ſont décriés par tout, & qu’on n’oſe plus citer ſans les expoſer à la riſée. On ne lira que trop avec plaiſir ce qu’il rapporte des Apparitions de Jeſus-Chriſt à S. François d’Afſiſe ſur l’Indulgence de la Partioncule, & des particularités de l’établiſſement des Peres Carmes & de la Confrairie du Scapulaire par Simon Stock, à qui la Sainte Vierge donna elle-même le Scapulaire de l’Ordre. On verra dans ſon Ouvrage qu’il y a peu d’établiſſement & de ſociété Religieuſe, qui ne ſoit fondée ſur quelques viſions & révélations. Il ſembloit même que la choſe étoit néceſſaire pour la propagation de certains Ordres & de certaines Congrégations ; en ſorte qu’on faiſoit aſſaut de ces ſortes de Révélations, & que c’étoit à qui en produiroit en plus grand nombre & de plus extraordinaires, pour les accréditer.

Je ne me ſçaurois perſuader qu’il ait rapporté ſérieuſement la prétendue Apparition de S. François à Eraſme. On comprend fort bien que c’eſt là une badinerie d’Eraſme, qui a voulu ſe divertir aux dépens des Peres Cordeliers. Mais on ne peut lire ſans peine la maniére dont il traite pluſieurs Peres de l’Egliſe, comme S. Grégoire le Grand, S. Grégoire de Tours, S. Sulpice Sévére, Pierre le Vénérable Abbé de Cluny, S. Anſelme, le Cardinal Pierre Damien, S. Athanaſe même & S. Ambroiſe[217], par rapport à leur crédulité, & au récit qu’ils nous ont donné de pluſieurs apparitions & viſions, dont on fait peu de cas aujourd’hui ; j’en dis de même de ce qu’il raconte des viſions de ſainte Eliſabeth de Schonaw, de ſainte Hildegrade, de ſainte Gertrude, de ſainte Mecthilde, de ſainte Brigide, de ſainte Catherine de Sienne, &c. à peine fait-il grace à celles de ſainte Théréſe.

N’auroit-il pas mieux valu laiſſer le monde à cet égard comme il eſt[218], que de remuer les cendres de tant de ſaints Perſonnages & de ſaintes Religieuſes, dont la vie eſt en bénédiction dans l’Egliſe, & dont les écrits & les révélations ont ſi peu d’influence ſur le ſalut & ſur les mœurs du commun des Fideles ? De qu’elle utilité pour l’Egliſe que l’on reléve les œuvres des Contemplatifs, des Thaulers, des Ruſbrocs, des Barthelemis de Piſe, de S. Vincent Ferrier, de S. Bernardin de Sienne, de Henri Harphius, de Pierre de Natalibus, de Bernardin de Buſtis, de Ludolphe le Chartreux, & d’autres Auteurs de ce genre, dont les écrits ſont ſi peu lûs & ſi peu connus, dont les ſectateurs ſont en ſi petit nombre, & ont ſi peu de crédit dans le monde & même dans l’Egliſe ?

M. l’Abbé du Frenoy reconnoit les viſions & les révélations qui ſont clairement marquées dans l’Ecriture ; mais n’y a-t’il pas lieu de craindre, que certaine gens n’y appliquent les regles de critique qu’il emploie contre les viſions des Saints & Saintes dont il parle dans ſon Ouvrage, & qu’on ne diſe, par exemple, que Jéremie s’eſt laiſſé aller à ſon humeur chagrine, & Ezéchiel à ſon tempérament cauſtique & mordant, pour prédire des choſes triſtes & déſagréables au peuple Juif[219] ?

On ſçait combien de contradictions les Prophetes ont eſſuyées de la part des Juifs, & qu’en particulier[220] ceux d’Anathon avoient réſolu de faire mourir Jérémie leur compatriote, pour l’empêcher de prophétiſer au nom du Seigneur. A qu’elles perſécutions n’a-t’il pas été expoſé lui & Baruch ſon Diſciple, pour avoir parlé au nom du Seigneur ? Le Roi Joakim fils de Joſias ne jetta-t’il pis au feu le livre de Baruch[221], après l’avoir percé d’un canif en haine des vérités qu’il lui annonçoit ?

Les Juifs alloient quelquefois juſqu’à les inſulter dans leurs maiſons, juſqu’à leur dire[222] : Ubi eſt verbum Domini ? Veniat ; & ailleurs : formons des deſſeins contre Jérémie ; car les Prêtres ne manqueront point de citer la loi, & les Prophetes ne manqueront point d’alleguer les paroles du Seigneur : venez ; attaquons-le à coups de langue, & n’ayons aucun égard à ſes diſcours.

Iſaïe n’a point eſſuyé de moindres contradictions, ni de moindres inſultes, les Juifs libertins étant allés juſqu’en ſa maiſon lui dire avec inſolence[223] : Manda, remanda, expecta, reexpecta modicum i i & medicum ibi ; comme pour ſe railler de ſes menaces.

Mais tout cela n’a pas prévalû, & ne prévaudra jamais contre la vérité & la parole de Dieu ; la fidéle & exacte exécution des menaces du Seigneur a juſtifié & juſtifiera toujours les prédictions & les viſions des Prophétes. Les portes de l’Enfer ne prévaudront pas contre l’Egliſe Chrétienne, & la parole de Dieu triomphera de la malice de l’Enfer, de l’artifice des hommes corrompus, des libertins, & de toute la ſubtilité des prétendus eſprits forts ; les vraies & réelles viſions, révélations & apparitions porteront toujours en elles-mêmes le caractére de verité, & ſerviront à détruire celles qui ſont faufſes, & qui viennent de l’eſprit d’erreur & de ſéduction.

Pour venir à préſent à ce qui me regarde en particulier, M. Du Frenoy dit[224] que le Public a été frappé, de ce que, au lieu de faire précéder mes preuves ſur le fait des apparitions, je les ai miſes à la ſuite de ces mêmes apparitions, & que je ne me ſuis pas aſſez étendu ſur l’article de ces preuves.

Je vais rendre compte au Public de ma méthode & de mon deſſein. M’étant propoſé de prouver la vérité, la réalité, & par conſéquent la poſſibilité des apparitions, j’en ai rapporté un grand nombre d’exemples authentiques tirés de l’Ancien & du Nouveau Teſtament ; ce qui forme une preuve complette de mon ſentiment : car la certitude des faits emporte ici la certitude du dogme.

Après cela j’ai rapporté des exemples & des ſentimens tirés des Hébreux, des Muſulmans, des Grecs & des Latins, pour aſſurer la même vérité. Je n’ai garde de mettre en parallele ces témoignages avec ceux de l’Ecriture qui ont précédé. Mon objet en cela a été de montrer, que de tout tems, & parmi toutes les nations policées, le ſentiment de l’immortalité de l’ame, de ſon exiſtence après la mort, de ſon retour & de ſes apparitions, eſt une de ces vérités que la longueur des ſiécles n’a pû effacer de l’eſprit des peuples.

Je tire la même conſéquence des exemples que j’ai rapportés, & dont je ne prétends pas garantir la vérité ni la certitude. J’abandonne volontiers tous les faits qui ne ſont pas révélés, à la cenſure & à la critique ; je ne tiens pour vrai que ce qui l’eſt en effet.

M. Du Frenoy trouve que la preuve que je tire pour l’immortalité de l’ame de l’apparition des Ames après la mort du corps, que cette preuve n’eſt pas aſſez ſolide ; mais elle eſt certainement des plus ſenſibles & des plus à portée de la plûpart des hommes : elle fera plus d’impreſſion ſur eux, que les raiſons tirées de la Philoſophie & de la Métaphyſique. Je ne prétends pas pour cela donner atteinte aux autres preuves de la même vérité, ni afſoiblir un dogme ſi eſſentiel à la Religion.

Il s’étend à prouver[225] que le ſalut de l’Empereur Trajan n’eſt pas une choſe que la Religion Chrétienne puiſſe approuver. J’en conviens avec lui ; & il étoit aſſez inutile de ſe mettre en frais pour le démontrer[226].

Il parle du jeune homme de Delme, qui étant tombé en ſyncope y demeura quelques jours ; on l’en fit revenir, & il lui en reſta une langueur qui le conduiſit enfin à la mort au bout de l’année. C’eſt ainſi qu’il tourne cette hiſtoire.

M. Du Frenoy déguiſe un peu la choſe ; & quoique je ne croie point que le Diable ait pû rendre la vie à ce jeune homme, cependant les Auteurs originaux & contemporains que j’ai cités, ſoutiennent que le Démon a eu beaucoup de part à cet évenement[227].

Ce qui m’a principalement détourné de donner des regles & de preſcrire une méthode pour diſcerner les vraies des fauſſes apparitions, c’eſt que je ſuis très-perſuadé que la maniére dont elles arrivent, nous eſt abſolument inconnue ; qu’elle enferme des difficultés inſurmontables ; & qu’à ne conſulter que la raiſon & les regles de la Philoſophie, je ſerois plus porté à les croire impoſſibles qu’à en aſſurer la vérité & la poſſibilité. Mais je ſuis retenu par le reſpect des Saintes Ecritures, par le témoignage de toute l’Antiquité & par la tradition de l’Egliſe.

Je ſuis très-parfaitement, Monſieur, votre très-humble & très-obéiſſant ſerviteur, D. A. Calmet, Abbé de Sénones.


PERMISSION
Du Préſident Supérieur Général de la
Congrégation de S. Vanne & de
S. Hidulphe.

NOus, Dom Sebaſtien Guillemin, Préſident & Supérieur Général de la Congrégation de S. Vanne & S. Hidulphe, Ordre de S. Benoît ; ſur la communication que le très-Révérend Pere Dom Auguſtin Calmet Abbé de Sénones nous a faite du deſſein qu’il avoit de donner au Public deux Diſſertations qu’il a compoſées, l’une ſur les Apparitions des Eſprits, l’autre touchant les Vampires ou Revenans de Hongrie, perſuadés que rien ne pouvoit ſortir de la plume de ce célebre Auteur, que de très-recherché & très-inſtructif, avons permis, & par ces préſentes permettons audit très-Révérend Pere Abbé de faire imprimer lesdites Diſſertations, après néanmoins en avoir obtenu les Approbations & Permiſſions ordinaires. Donné en notre Abbaye de S. Manſuy lez-Toul le 18 Janvier 1746. ſous le ſcel ordinaire de notre Office, de notre Sein manuel, & de celui de notre Chancelier.

D. Sebaſtien Guillemin, Préſident.

Par ordonnance du très-R. P. Préſident. D. Jean Magron, Chancelier.


APPROBATION

J’Ai lû par ordre de Monſeigneur le Chancelier un manuſcrit qui a pour titre : Diſſertations ſur les Apparitions des Anges, des Démons & des Eſprits, & ſur les Revenans & Vampires. Cette matiére demandoit de la recherche & de la critique : l’Auteur ſi connu dans la République des Lettres paroît n’avoir épargné aucun travail pour ſe mettre au fait de ce qui concerne le ſujet qu’il traite ; ſes ſages réflexions prouveront également ſa judicieuſe critique. Elle mettra ſans doute le Lecteur à l’abri d’une vaine crédulité, qui porte à tout croire, & d’un Pyrrhoniſme dangereux, qui porte à douter de tout.

En Sorbonne, le 16 Décembre
1745. De Marcilly.


APPROBATION.

J’Ai lû par ordre de Monſeigneur le Chancelier les Diſſertations ſur les Apparitions des Anges, des Démons, des Eſprits & ſur les Vampires, avec des augmentations, par D. Auguſtin Calmet ; je n’y ai rien trouvé qui doive en empêcher l’impreſſion. Fait à Paris ce 23 Janvier 1751.

GEINOZ.

PRIVILEGE DU ROI.

LOUIS, par la Grace de Dieu, Roi de France & de Navarre, à nos Amés & féaux Conſeillers les Gens tenans nos Cours de Parlement, Maîtres des Requêtes ordinaires de notre Hôtel, Grand-Conſeil, Prevôt de Paris, Baillifs, Sénéchaux, leurs Lieutenans-Civils & autres nos Juſticiers qu’il appartiendra, Salut. Notre Amé Jean de Bure l’aîné, Libraire, ancien Adjoint de ſa Communauté, Nous a fait expoſer qu’il déſireroit faire imprimer & donner au Public un Ouvrage qui a pour titre : Diſſertation du Pere Calmet, ſur les Apparitions des Anges, des Démons, & des Eſprits, & ſur certains effets qui paroiſſent ſurnaturels ; s’il nous plaiſoit lui accorder nos Lettres de Privilege ſur ce néceſſaires. A ces cauſes, voulant favorablement traiter l’Expoſant, Nous lui avons permis & permettons par ces Préſentes, de faire imprimer ledit Ouvrage en un ou pluſieurs volumes, & autant de fois que bon lui ſemblera, & de le vendre, ſaire vendre & débiter par tout notre Royaume pendant le tems de ſix années conſécutives, à compter du jour de la datte deſdites Préſentes : Faiſons défenſes à tous Libraires, Imprimeurs & autres perſonnes de quelque qualité & condition qu’elles ſoient, d’en introduire d’impreſſion étrangere dans aucun lieu de notre obéiſſance ; comme auſſi d’imprimer, faire imprimer, vendre, faire vendre, débiter, ni contrefaire ledit Ouvrage, ni d’en faire aucun extrait, ſous quelque prétexte que ce ſoit, d’augmentation, correction, changement ou autres, ſans la permiſſion expreſſe, & par écrit, dudit Expoſant ou de ceux qui auront droit de lui, à peine de confiſcation des Exemplaires contrefaits, de trois mille livres d’amende contre chacun des contrevenans, dont un tiers à Nous, un tiers à l’Hôtel-Dieu de Paris, l’autre tiers audit Expoſant, ou à celui qui aura droit de lui, & de tous dépens, dommages & intérêts ; A la charge que ces Préſentes ſeront enregiſtrées tout au long ſur le Regiſtre de la Communauté des Libraires & Imprimeurs de Paris, dans trois mois de la date d’icelles ; que l’impreſſion deſdits Ouvrages ſera faite dans notre Royaume & non ailleurs, en bon papier, & en beaux caracteres, conformément à la feuille imprimée attachée pour modele ſous le contre-ſcel deſdites Préſentes ; que l’Impétrant ſe conformera en tout aux Reglemens de la Librairie, & notamment à celui du 10 Avril 1725. qu’avant de les expoſer en vente, le manuſcrit qui aura ſervi de copie à l’impreſſion deſdits Ouvrages, ſera remis dans le même état où l’Approbation y aura été donnée, ès mains de notre très-cher & féal Chevalier, le ſieur Dagueſſeau, Chancelier de France, Commandeur de nos Ordres ; & qu’il en ſera enſuite remis deux Exemplaires dans notre Bibliotheque publique, un dans celle de notre Château du Louvre, & un dans celle de notre très-cher & féal Chevalier le ſieur Dagueſſeau Chancelier de France ; le tout à peine de nullité des Préſentes : du contenu deſquelles vous mandons & enjoignons de faire jouir ledit Expoſant, & ſes Ayans cauſe, pleinement & paiſiblement, fans ſouffrir qu’il leur ſoit fait aucun trouble ou empêchement. Voulons que la copie des Préſentes, qui ſera imprimée tout au long au commencement ou à la fin deſdits Ouvrages, ſoit tenue pour duement ſignifiée, & qu’aux copies collationnées par l’un de nos amés & féaux Conſeillers & Secretaires, foi ſoit ajoutée comme à l’Original. Commandons au premier notre Huiſſier ou sergent ſur ce requis, de faire pour l’exécution d’icelles tous actes requis & néceſſaires, ſans demander autre permiſſion, & nonobſtant clameur de Haro, Charte Normande, & Lettres à ce contraires ; Car tel eſt notre plaiſir. Donné à Paris le dix-huitiéme jour du mois de Janvier, l’an de grace mil ſept-cens quarante-ſix, & de notre Régne le trente-uniéme. Par le Roi en ſon Conſeil.

SAINSON.

Régiſtré ſur le Régiſtre 12 de la Chambre Royale des Libraires & Imprimeurs de Paris, N°. 563. fol. 402. conformément aux anciens Réglemens, confirmés par celui du 18 Février 1724. A Paris ce 22 Janvier 1746.


Signé VINCENT, Syndic.
  1. Joan. xj. 39.
  2. Job. xxj. 25.
  3. III. Reg. xiij. 21. 22.
  4. IV. Reg. iv.
  5. Ezech. xxxvij. 1.2. 3.
  6. Joan. xij. 2.
  7. IV. Reg. viij. 5.
  8. Les RR. PP. Bollandiſtes ont crû, que la vie de S. Staniſlas qu’ils ont fait impfrimer, étoait ancienne & à peu près du tems du Martyre du Saint, ou du moins quelle étoit priſe ſur une vie d’un Auteur preſque contemporain & original. Mais on m’a ſait remarquer depuis la premiere Edition de cette Diſſertation, que la choſe n’étoit nullement certaine ; que Mr. Baillet ſur le 7 Mai, dans la table critique des Auteurs, avance que la vie de S. Staniſlas n’a été écrite que 400 ans après ſa mort, ſur des mémoires peu certains & mutilés. Et dans la vie du Saint, il avoue qu’il n’y a que la tradition des Ecrivains du pays, qui puiſſe rendre croyable celle de la Réſurrection de Pierre. Monſieur l’Abbé Fleuri tom. xiij. de l’Hiſtoire Eccleſ. L. 62. ſous l’an 1079. ne convient pas non plus de ce qui eſt écrit dans cette vie, ni de ce qui l’a ſuivi ; toutesfois le miracle, de la Réſurrection de Pierre eſt rapporté comme certain dans un diſcours de Jean de Polemac, prononcé au Concile de Conſtance l’an 1433. tom. xij. Concil. pag. 1397.
  9. Matth. ix. 34.
  10. Matth. xxvij. 53.
  11. II. Mach. xiv. 14. 15.
  12. Origen. contra Celſum, lib. I. pag. 123. 124.
  13. Herodot. lib. 4.
  14. Phlegon, de mirabilib. t. 8. Gronov. Antiq. Græc. pag. 2694.
  15. Aug. de curâé pro mortuis.
  16. Roſweid. vit. P. P. l. 2. pag. 480.
  17. Sozomen. Hiſt. Eccl. lib. I. c. xj.
  18. Vit. P. P. lib. 2. pag. 650.
  19. Cette Hiſtoire eſt apparemment la même, que nous avons rapportée ci-devant ſous le nom de Haïdamaque, arrivée en 1729. ou 1730.
  20. Supplem. ad viſa Erudi. Lipſ. an 1738. t. 2.
  21. Tertull. de Reſurrect. initio..
  22. Tob. iv.
  23. Aug. Confeſſie. l. 6. c. 2.
  24. Idem, Epiſt. 22. ad Aurel. Carthag. Et Epiſt. 29. ad Alipi. Item de moribus. Eccl. c. 34.
  25. Idem, lib. 8. de Civit. Dei, c. 27.
  26. Aug. Serm. 35. de Sanctis. nunc in dice, c. 5. Serm. cxc. cxcj. p. 318.
  27. Antiquité expliquée, t. 4. pag. 86.
  28. Mela, lib. 2. c. 4.x
  29. V. Moréri ſur le mot. Stryges.
  30. Il y a lieu de croire que ceci n’eſt qu’une répétition de ce qui a déja été dit ci-deſſus, ch. x.
  31. Horat. Art. Poët. v. 340.
  32. Capitul. Caroli magni pro partibus Saxonie, I. 6. Siquis à Diabolo deceptus crediderit ſecundùm morem Pagarorum, virum aliquem aut fœminam Strigem eſſe, & homines comedere, & propter hoc ipſum incenderit, vel carnem ejus ad comedendum dederit, vel ipſam comederit, capitis ſententiá puniatur.
  33. Le Loyer, des Spectres, l. 2. p. 427.
  34. Mich. Glycas, part. 4. annal.
  35. Aug. Epiſt. 658. & Epiſt. 258. pag. 361.
  36. Thomas Bartholin, de cauſis contemptûs mortis à Danis, lib. 2. c. 2.
  37. Guillaume de Malmes. lib. 2. c. 4.
  38. Andr. Alciat. Parergon juris. 8. c. 22.
  39. Petrus Venerab. Abb. Cluniac. de miratacul. lib. I. c. 28. pag. 1293.
  40. L. 2. de Civ. Dei, cap. 24.
  41. Idem, cap. 25.
  42. Trith. Chron. Hirſ. pag. 155. ad an. 1013.
  43. Idem, Tom. 2. Chron. Hirſ. pag. 227.
  44. Vita S. Leonis Pape.
  45. Plutarch. in Anton.
  46. Greg. magn. lib. 2. Dialog. c. 23.
  47. Aug de St. Virgin, c. xlv. pag. 364.
  48. Greg. lib. 2. Dialog. c. 24.
  49. Amphilo. in vit. S. Baſilii.
  50. Vide Balſamon. ad Canon. 83. Concil. in Trullo, & Concil. Carthagin. iij. c. 6. Hipon. c. 5. Antiſſiod, c. 12.
  51. Vit S. Othmari. c. 3.
  52. Vit. S. Cutberti, lib. 4. c. 2. Apud Bolland. 26. Martii.
  53. Amalar. de Offic. Eccl. lib. 4. c. 41.
  54. Menard, not. in Sacrament. S. Greg. magn. pag. 484. 485.
  55. Humbert. Card. Bibliot. P. P. lib. 18. & Tom. iv. Concil.
  56. Vit. S. Gothârdi, ſæcul. 6. Bened. parte. I. pag. 434.
  57. Tom. ix. Concil. An. 1031. pag. 702.
  58. Joan. Bromton, Chronic. vide ex Bolland. 26. Maii pag. 396.
  59. Tertull. de animâ, c. 5. pag. 597. Edit. Bamelii.
  60. Chronic. Turon. inter opera Abælardi, pag. 1195.
  61. Bolland. t.2. pag. 315. 13. Janur.
  62. Evagrius Pont. lib. 4. c. 53.
  63. Jean Moſch. prat. ſpirit. c. 88.
  64. Melchior, l. de ſtatu mortuorum.
  65. Concil. Meld. in Ca. nemo. 41. n. 43. D. Thom. iv. diſtinct. 18. q. 2. art. 1. quœlliunculâ in corpore, &c.
  66. S. Leo Canone Commun. I. a. 4. q. 2. Et Clemens III. in Capit. ſacris. 12. de ſepult. Eccl.
  67. Eveillon, traité des excommunicat. & monitoires, c. 4.
  68. D Thom. in 4. ſentent. diſt. I. qu. I. art. 3. quæſtiunc. 2. ad 2.
  69. Goar, not. in Eucholog. pag. 688.
  70. Vide Malva. lib. I. Turco-græcia, pag. 26. 27.
  71. Vide Bolland. menſe Auguſto, t. 2. pag. 201. 202. 203. & Allati. Epiſt. ad Zachiam, n. 12.
  72. Art. II. pag. 14.
  73. Marc. vj. 16. 17.
  74. Matth. xvj. 14.
  75. Exod. iv. 24. 25.
  76. Exod. xij. 12.
  77. I. Cor. x. 10. Judith. viij. 25.
  78. Num. xxij.
  79. Tob. iij. 7.
  80. Pſ. xxxiv. 5. 6.
  81. I. Cor. II. 30.
  82. I. Tim. I. 20.
  83. Joan. cap. 13.
  84. I. Reg. ij. 6.
  85. Matth. xxiv. 24.
  86. Clem. Alex. Itinerario. Hegeſippus de Excidio Jeruſalem, c. 2.
  87. Apulei Flondo. lib. 2.
  88. Ælian. de animalib. lib. 9. c. 77.
  89. Tertull. de anim. c. 22.
  90. Le Loyer, des Spectres, L. 2. pg. 376. 392. 393.
  91. Pline l. 7. c. 52.
  92. P. 412. 413. & 414.
  93. Theocrit. Idyl. 2.
  94. Horat. ſerm. lib. I. Sat. 81.
  95. Virgil. Eclog.
  96. Lucian. in Philopſ.
  97. Num. xiv. 49. xxj. 3.
  98. Deut. vij. 2. 3. Deut. xij. 1. 2. 3. &c.
  99. Num. xxij. 5. & ſeq.
  100. Plin. l. 3. c. 5. & lib. 28. c. 2.
  101. Macrobius, lib. 3. c. 9.
  102. Taoit. Ann. l. 2. Art. 69.
  103. Hector Boëthius, Hiſt. Scot. lib. xj c. 218. 219.
  104. Biblioth. Cluniac. de miraculis l. 1. c. 7. pag. 1290.
  105. Baronius ad an. Chriſti 401. tom. 5. Annal.
  106. Stephani Damalevini Hiſtoria, pag. 291. apud Rainald. continuat. Baronii, ad an. 1545. t. 21. art. 62.
  107. Le Loyer, l. 3. p. 46. & 47.
  108. Aug. de curâ gerend. pro mortuis, c. 13. pag. 526.
  109. Ce fait eſt plus que douteux Bzovius pour l’avoir avancé d’après quelques autres, fut traité de Bovius, c’eſt-à-dire, gros bœuf. Il vaut donc mieux s’en tenir à ce que Moreri en a penſé, « Les ennemis de Scot ont publié, dit-il, qu’ayant été attaqué d’apoplexie, il fut d’abord enterré, & que quelque tems après cet accident étant paſſé, il mourut déſeſpéré, ſe rongeant les mains… Mais on a ſi bien réfuté cette calomnie autoriſée par Paul Jove, Latome & Bzovius, qu’il ne ſe trouve plus perſonne qui veuille y ajouter foi. « 
  110. Larrey, dans Henri VIII. Roi d’Angleterre, p. 536.
  111. Lilius Giraldus, Hiſt. Poët. Dialog. 8.
  112. Celſ. lib. 2. c. 6.
  113. Le P. le Clerc ci-devant Procureur des Penſionnaires du Collége de Louis le Grand.
  114. Miſſon, voyage d’Italie, tom. I. lettre 5. Goulart, des Hiſt. admirables & mémorables, imprimé à Genéve, en 1678.
  115. Miſſon, voyage, tom. 3.
  116. Goulart, loco citato.
  117. M. Graſſe, Epître à Guil. Frabri, Centurie 2. obſerv. Chirurg. 516.
  118. Guill. Derham, Extrait. Peclin, c. x. de aêre. & alim. def.
  119. Vita S. Suitberti apud Surium. I. Martii.
  120. Le Clerc, Hiſt. de la Médecine.
  121. Corneille le Bruyn. t. I. pag. 579.
  122. Cronſtaud, Philoſoph. veter. reſtit.
  123. Gaſpard Reïes, campus Elyſius jucund.
  124. Page 167. des additions de M. Bruhier.
  125. Mich. Rauff, alterâ Diſſert. art. lvij. page 98. 99. & art. lix. pag. 100.
  126. De Nummis in ore defunctorum repertis art. ix. à Beyermuller, &c.
  127. Richer. Senon. tom. 3. ſpicileg. Dacherij, pag. 392.
  128. Rauff, art. 42. pag. 43.
  129. Juvenal, Sat. 3. v. 174.
  130. Rauff, art 12. p. 15.
  131. Rauff, art. 21. pag. 14.
  132. Rudiger, Phyſio. Div. l. I. c. 4. Theophraſt. Paracelſ. Georg. Agricola, de anim. ſubterran. pag. 76.
  133. Ovid. l. 6. Vide Delrio, diſquifit. magic. l. I. p. 6 & l. 3. p. 355.
  134. Homer. de Hectore, Iliad. 24. v. 411. Plutarch. de Alexandro in ejus vitâ.
  135. Vers l’an 1680. Il mourut après l’an 1694.
  136. Cauſes célebres, t. 8. pag. 585.
  137. Plin. Hiſt. natur. lib. 7. c. 52.
  138. S. Gregor. Turon. de gloriâ Martyr. c. 95.
  139. J’ai traité cette matiére dans une Diſſert. particul. à la tête de l’Evangile de. S. Jean.
  140. Plato, de Republ. lib. 10. Clement Alexandr. lib. 5. ſtromat.
  141. Phleg. de mirabil. c. 3.
  142. Plutarch. de ſerâ Numinis vindictâ.
  143. I. Cor xiij. 2.
  144. Aug. lib. 14. de Civit. Dei c. 24.
  145. Auguſt. lib. de curâ pro mortuis, c. 12. page 514.
  146. Curialis, ce mot ſignifie un petit emplo dans un village.
  147. IV. Reg. 18. & ſeq.
  148. Lucian. in Philopſeud. p. 830.
  149. Plutarch. de animâ, apud Euſeb. de præp. Evan. lib. II. c. 18.
  150. Gregor. Dial. l. 4. cap. 36.
  151. Incertitude des ſignes de la mort, T. 2. pag. 504. 505. 506. 514.
  152. Hieron. Cardanus, l. 8. de varietate rerum, c. 34.
  153. Olaus mag. l. 3. Epitom, Hiſt. ſeptent. Perecer de variis divinat. generib. pag. 282.
  154. Mémoires du Cardinal de Retz, tom. 3. l. 4. p. 297.
  155. Plin. Hiſt natur. lib. 7. c. 52.
  156. Orig. de Reſurrect. fragment lib. I. p. 35. nov. Edit. Et contra Celſum, lib. 7. pag. 679.
  157. Luc. xvj. 22. 23.
  158. Joan. xx. 26.
  159. Geneſ. xix ij.
  160. Luc. xxiv. 16.
  161. III. Reg. iij. 23.
  162. IV. Reg. iv. 19. 20.
  163. Joan. 11. 14.
  164. Luc. vij. 11. 12.
  165. IV. Reg. iv. 25.
  166. IV. Reg. xiij. 21.
  167. Luc. xvj. 24.
  168. Plato, lib. 10. de Rep. pag. 614.
  169. Job. xxvj. 5.
  170. Prov. ix. 18.
  171. Iſa. xiv. 9. & ſeq.
  172. Ezech. xxxj. 15.
  173. Luc. xvj. 26.
  174. Plutar. dehis quiſerò à Numine puniuntur.
  175. Plin. Hiſt. natur. lib. 7. c. 52.
  176. Lib. I. de miracul. ſancti Stephani, cap. 4. pag. 28. lib. 7. oper. S. Aug. in appendice.
  177. Sulpit. Sever. in vitâ S. Martini, n. 3.
  178. Gregor, Turon. lib. 7. c. I.
  179. Hincmar. lib. 2. pag. 805.
  180. Apparemment Charles le chauve, mort en 875.
  181. Vita Sti. Furſci, apud Bolland. 16. Januarii. pag. 37. 38. Item pag. 47. 78. ſæcul. xj. Bened. pag. 299.
  182. Beda, lib. 3. Hiſt. c. 19.
  183. Larrey, Hiſt. de Louis xiv. an 1698. p. 68.
  184. Aug. l. I. de origine animæ.
  185. Ibid. pag. 97.
  186. Ibid. pag. 132.
  187. Acta Martyr. Sincera, p. 212. Vita & paſſio. S. Cypriani, p. 268.
  188. Ibid. p. 219. & 221.
  189. Ibid. p. 226.
  190. Item, p. 231. 232. 233. 237.
  191. M. le Baron Touſſaint.
  192. Lettre du R. P. Richard, Dominicain d’Amiens, au 29 Juill. 1746.
  193. Voyez à ce ſujet la lettre de M. le Marquis Maffei, qui ſuit.
  194. L’Auteur a prévenu cette objection dès le commencement de ſa Diſſertation.
  195. Aug. Serm. de temp. 197.
  196. Joan. xvj. II.
  197. Luc. xxij. 31.
  198. II. Cor. xj. 7.
  199. I. Tim. j. 2.
  200. I. Cor. xj. 30.
  201. II. Cor. II. II. & xj. 14.
  202. II. ad Theſſ. II.
  203. I. Pet. v. 8.
  204. Epheſ. vj. 12.
  205. Ils ſont cités dans la Lettre de M. le Marquis Maffei.
  206. L’Auteur, comme on le voit, n’eſt pas Cartéſien, puiſqu’il donne aux animaux même de la réflexion. Mais s’ils réfléchiſſent, ils choiſiſſent ; d’où il ſuit conſéquemment qu’ils ſont libres.
  207. Luc xiij. 13. 14.
  208. D’où l’Auteur l’a t’il appris ?
  209. S. Ambroiſe, Com. ſur S. Luc. I. c. I.
  210. Marthe Broſſier fille d’un Tiſſerand de Romorantin fut produite comme Démoniaque en 1578. Voyez à ce ſujet l’Hiſtoire de M. de Thou livre cxxiii. & le tom V. du Journal de Henri III. Edition de 1744. page 206. &c. L’affaire de Loudun parut ſous Louis XIII. & l’on accuſa le Cardinal de Richelieu d’avoir fait jouer cette Tragédie pour perdre Urbain Grandier Curé de Loudun, pour avoir écrit une Satyre ſanglante contre lui.
  211. Madame la Ducheſſe Mere, fille du feu Roi Louis XIV. & mere de M. le Duc dernier mort, de M. le Comte de Charolois, & de M. le Comte de Clermont.
  212. L’Auteur fait ici alluſion à l’Hipogryphe, cheval aîlé de l’invention de l’Arioſte, qui portoit les Paladins au travers des airs.
  213. Magicas vanitates fæpiùs quidem antecedentis operis parte, ubicunque cauſæ locuſque poſcebant, coarguimus, detegemuſque etiamnùm : in paucis tamen digna res eſt, de quâ plura dicantur, vel eo ipſo quòd fraudulentiſſima artium plurimùm in toto terrarum orbe, plurimiſque ſeculis valuit.
  214. Ut eſt Magorum ſolertia occultandis ſraudibus ſagax. l. 29. c. 3.
  215. l. 26. c. 4. l. 27. c. 8. l. 28. c. 13. l. 29. c. 4. l. 37. c. 9. &c.
  216. Dom Calmet a bien mauvaiſe opinion du Public, de croire qu’il faſſe ſi peu de cas de ce qu’il y a peut-être de meilleur & de plus ſenſé dans ce livre. Les gens ſages en penſent tout autrement que lui.
  217. Ni Grégoire de Tours, ni Sulpice Sévere, ni Pierre le Vénérable ou Pierre Damien, n’ont jamais été mis en parallele avec les Peres de l’Egliſe. A l’égard de ceux-ci, il a toujours été permis, ſans manquer au reſpect qui leur eſt dû, de relever dans leurs écrits certaines foibleſſes, quelquefois même des erreurs, comme l’Egliſe l’a fait en condamnant les Millénaires, &c.
  218. Excellente maxime pour fomenter la crédulité, & nourrir la ſuperſtition.
  219. Quel parallele ! Pourroit-on le faire ſans renoncer au ſens commun ?
  220. Jérémie, XXL. 21.
  221. Jérémie, XXXVI.
  222. Jérémie, XVII. 15.
  223. Iſaï. XXVIII. 10.
  224. Tome 2. pag. 92, & ſuivantes.
  225. Page 55.
  226. Il eſt vrai que ce que Dom Calmet en avoit dit dans ſa premiere édition, qui eſt la ſeule que M. Lenglet a vûe, a été corrigé dans les ſuivantes.
  227. Mauvais fondement ; Auteurs crédules, ou intéreſſés.