Utilisateur:Мишоко/Match001 L’habit vert
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LE COMTE HUBERT DE LATOUR-LATOUR, 40 ans
LE DUC DE MAULÉVRIER, 58 ans
PARMELINE
PINCHET
MONSIEUR DURAND
LE BARON BENIN
LE VICOMTE DE SAINT-GOBAIN
LAUREL
MICHEL, Maître d’hôtel
LA DUCHESSE DE MAULÉVRIER
BRIGITTE TOUCHARD, 26 ans
MADAME JEANVRE, 20 ans
COMTESSE DE JARGEAU
VICOMTESSE DE SAINT-GOBAIN
MELANIE
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Un manoir aux environs de Deauville. Salon donnant sur une terrasse. Au-delà, un parc. Audelà, la mer. Piano. Au-dessus de la cheminée, un grand portrait en pied du duc de Maulévrier en une pose noble et satisfaite et en tenue d’académicien. Armoiries ducales dans le coin du tableau.
Au lever du rideau, un laquais, en grande tenue, culotte de panne, bas de soie, habit à la française, galonné, remet deux fauteuils en place, puis regarde si tout est en ordre en sifflotant très légèrement. LE DUC, entre et l’entend.
.
Vous vous permettez de siffloter ici !
.
Que monsieur le duc veuille bien m’excuser.
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Je croyais qu’il n’y avait personne dans cette pièce.
Il y avait mon portrait. Vous n’êtes plus de ma maison. Allez…
(LE LAQUAIS sort. LE DUC va se placer sous son portrait, dans la même pose ; un temps.)
Le secrétaire de monsieur le duc est là.
Qu’il entre !
(MICHEL s’efface. LAUREL entre.)
Bonjour, monsieur Laurel. Je me porte bien.
Je venais vous rendre compte du courrier, monsieur le duc. Il est arrivé aujourd’hui à Deauville avec un peu de retard à cause de l’accident survenu à Lisieux. Monsieur le duc a dû voir cela dans les journaux ?
Une fois de plus, monsieur Laurel, je vous le répète, je ne lis jamais aucun journal.
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C’est vrai, monsieur le duc. Mais il me semble toujours que pour savoir ce qui se passe…
Monsieur Laurel, il ne se passe rien. Il ne s’est rien passé en France depuis quatre-vingts ans, j’entends depuis la chute de la monarchie légitime. Je vous écoute.
Voici, monsieur le duc : M. Schelton, le beau-père de monsieur le duc, envoie de New York le chèque de vingt mille dollars qui représente la rente trimestrielle de Mme la duchesse.
C’est sans importance. Vous préparerez un accusé de réception que je signerai. Vous le terminerez par un mot aimable à l’adresse de M. Schelton.
Lequel ?
Celui-ci : je me porte bien.
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Autre chose ! Femina désirerait vous interviewer.
Quel est ce mot ?
Ce magazine demande à tous les membres de l’Académie Française et par conséquent, à vous, monsieur le duc, leur sentiment sur l’adultère. C’est pour un numéro spécial destiné aux jeunes filles.
Vous écrirez à cette impertinente gazette que la famille de Maulévrier n’ayant jamais compté d’époux infidèles, je laisse à l’autres le soin de répondre.
Bien, monsieur le duc. Voici maintenant un mot de M. Durand, notre député, vice-président de la Chambre. Il viendra vous voir à cinq heures pour vous présenter un secrétaire archiviste.
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Je lui avais demandé en effet de m’en procurer un.
Enfin, le sous-préfet de Bernay vous avise, monsieur le duc, en votre qualité de sénateur du département que toutes les verreries sont en grève, les usines assiégées et qu’il a failli être lapidé hier par la population ouvrière.
Vous lui enverrez ma carte avec ces mots : Je me porte bien. C’est tout ?
C’est tout, monsieur le duc.
Vous voyez bien, monsieur Laurel, qu’il ne se passe rien.
(On entend un coup de timbre.)
Une visite ?
C’est M. le baron Bénin, votre collègue de l’Académie Française.
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Fort bien… Vous m’apporterez les lettres à signer ce soir.
Bien, monsieur le duc.
(Il sort.)
Bonjour, mon cher ami.
Merci. Je me porte bien.
Devinez qui je vous amène.
Je ne devine jamais rien.
Il est vrai… Eh bien, je vous amène M. Pinchet, secrétaire général de l’Institut, qu’à ma très grande stupeur, je viens de rencontrer
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sur la plage en chapeau haut de forme et en redingote.
Monsieur le duc…
Comment, mon bon Pinchet, est-il possible ?… Vous, à Deauville !
Oh ! non, monsieur le duc, non pas à Deauville, je ne me permettrais pas. Je suis venu passer quelques jours à Dives, avec Mme Pinchet, M. le baron Bénin m’ayant dit que vous étiez ici, monsieur le duc, je me suis permis…
Vous avez fort bien fait, mon cher Pinchet, je vous tiens en grande estime… Vous avez le sens de la tradition. Nous ne sommes plus guère aujourd’hui à en goûter la noblesse et la beauté.
C’est pour moi que vous dites ça, mon cher duc ?
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Mon dieu, mon cher ami, vous apportez dans vos propos et d’ailleurs parfois dans vos ouvrages un ton de frivolité dont je m’offusque.
Ne me faites pas rougir devant Pinchet, mon ami !
Oh ! Monsieur le baron.
Mais je ne vous ai pas demandé des nouvelles de Mme Pinchet. Se plaît-elle ici ?
Vous êtes trop bon, monsieur le duc. Mme Pinchet aime la mer. Quoique devenue très forte avec l’âge, elle est restée rêveuse. Mme Pinchet est toujours pour les poètes dans nos élections académiques.
Et jusqu’à quand restez-vous sur la côte ?
Jusques à lundi au plus tard. Voyez-vous,
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monsieur le duc, mon père et mon grand-père qui furent avant moi secrétaires généraux de l’Institut ne s’en sont pas éloignés un seul jour durant trente-sept ans. Depuis vingt ans, je ne l’avais jamais quitté non plus… J’ai essayé, j’ai eu tort.
C’est fort touchant.
Non, monsieur le baron, non… c’est de l’égoïsme et aussi un peu d’orgueil. Il me semble que je manque là-bas, qu’en mon absence, il y a de la poussière qui n’est pas à sa place.
Vous avez le mal du pays, Pinchet !
Exactement, monsieur le duc. Ah ! quand je pense que dimanche — car je repartirai dimanche —, au moment où le petit omnibus de la gare passera le pont des Saints-Pères, j’apercevrai la coupole, le quai, la petite place en hémicycle, modeste et si glorieuse pourtant…
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Les deux braves petits lions de pierre endormis sur notre seuil d’un sommeil de collègues.
Nos voisins les bouquinistes qui vendent des livres qu’ils ont lus à des gens qui ne les liront pas… Ah ! on pourra dire tout ce qu’on voudra, c’est un bel endroit.
A propos, Pinchet, comment va notre collègue Bretonneau ? Il était fort mal quand j’ai quitté Paris.
Oh ! il n’y a plus d’espoir, monsieur, il est tout à fait guéri. En revanche, on croit que M. JarletBrézin ne passera pas l’été. Du reste, je vous tiendrai au courant des nouvelles, monsieur le duc, car mon fils me renseignera par dépêche.
C’est lui qui vous remplace en votre absence ?
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Oui, je l’ai formé ; je lui ai appris, comme mon père me les avait appris autrefois, les noms de tous les académiciens dont les bustes ornent nos couloirs, nos greniers et nos caves. Il y en a beaucoup.
Ah ! il y en a énormément.
Enormément.
Enormément. Ils sont immortels et pourtant personne ne connaît plus rien d’eux. Si bien que ces hommes illustres n’existeraient plus du tout, s’il n’y avait pas toujours un Pinchet pour savoir leur nom.
J’espère que ce pauvre jeune homme a d’autres distractions !
Mon Dieu, c’est un garçon très sérieux. Pourtant, monsieur le baron, je lui crois une petite maîtresse.
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Ah !
Mais elle habite quai Conti.
Alors !…
Oui, n’est-ce pas… Mais, je m’excuse, messieurs, d’avoir abusé de vos instants. Mme Pinchet m’attend sur la plage. Elle espérait un peu vous y rencontrer, monsieur le duc.
Je ne vais jamais sur la plage. Mon nom et ma situation ne me permettent pas de fréquenter les endroits où je suis exposé à me voir salué par le premier venu.
Je comprends, monsieur le duc. Si vous avez quelques commissions pour Paris, messieurs, je suis tout à vos ordres.
Je vous remercie vous. Je rentre dans trois jours comme vous.
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Oh ! moi, mon Dieu, cette conversation m’a beaucoup troublé… beaucoup ému Je crois bien que je repartirai demain matin. A cette heure-ci… je serai à l’Institut… Messieurs.
(Il salue.)
Très bien, mon cher Pinchet, très bien. Plus je vous connais, plus je vous estime : Nous ne sommes que de l’Académie. Vous, vous êtes : l’Académie !
Monsieur le duc, je pleure.
Je vous accompagne jusqu’à la grille. Venez-vous, Bénin ?
Non ! j’attends la duchesse pour lui présenter mes devoirs.
(LE DUC et PINCHET sortent.)
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Madame Jeanvré, je crois ?
Oui, monsieur.
Voulez-vous me permettre, madame, de me présenter moi-même ? La baron Bénin.
De l’A. F. !… Oh ! Je vous demande pardon. Je voulais dire de l’Académie Française.
Dites de l’A. F., madame. Les groupements désignés par des initiales sont aujourd’hui les seuls auxquels le public témoigne quelque intérêt.
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Mme la duchesse n’est pas là ? C’est la première fois que j’ai l’honneur de lui rendre visite.
Vous avez eu raison de venir aujourd’hui, madame… C’est bien.
Ah !
(Mme de Jargeau entre…)
Cher monsieur… madame.
Comment est la duchesse ?
Très courageuse… M. de Jargeau se porte bien ?
Oui, merci. Il a été désolé de ne pouvoir m’accompagner… mais il est en banque et en veine.
Alors ! Ah ! voilà les Saint-Gobain.
Chère madame… Baron.
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Je pensais bien vous trouver chez la duchesse, c’est en de tels moments que ses amis lui doivent toute leur affection.
Oui… n’est-ce pas ?
Ah ?… (Petit froid.) Quel beau concert nous avons eu hier au Casino. J’avais espéré y rencontrer madame la duchesse.
Oh ! que dites-vous là, madame ?
La duchesse ne pouvait pas paraître hier au Casino !
C’était impossible !
Impossible !
Je la plains de tout mon cœur de femme.
Moi aussi !
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Ah !
Mme la duchesse s’excuse auprès de ces dames ! Mme la duchesse descendra dans un instant.
(Il sort.)
Voulez-vous, en attendant, faire un tour dans le jardin, mesdames ?
Volontiers.
La vue est si belle… Quelle situation merveilleuse !
(Tous remontent, sauf Mme JEANVRE. Celle-ci retient BENIN au moment où il va sortir. Les autres disparaissent par la terrasse.)
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JEANVREMonsieur… Monsieur…
Madame…
Vous avez l’air si gentil que…
Vous me comblez, madame…
Je voudrais vous demander…
Quoi donc ?
Voilà… Je ne sais pas… J’ai l’impression d’avoir fait une gaffe…
Mon Dieu !
Je ne comprends pas. Il y a ici comme une atmosphère de condoléances. On n’a pourtant perdu personne dans la maison ?
Mais si, madame.
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Oh ! mon Dieu ! qui donc ?
On a perdu l’amant.
Quoi ?
On a perdu l’amant… M. de Vaujours… qui depuis cinq ans était pour la duchesse… vous comprenez ?
Oh ! la pauvre femme ! Alors, il est mort, ce monsieur ?
Si ce n’était que cela ! Il s’est marié, avant-hier, à Sainte-Clotilde.
Avant-hier ! Et moi qui… Oh ! Et alors, toutes ces personnes qui étaient là, venaient pour…
Pour prendre discrètement part à sa douleur.
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Ça, c’est inouï, par exemple !
Vous n’habitez pas Paris, madame ?
Non, monsieur. Mon mari est officier de dragons. Nous avons habité Lunéville et Chambéry.
Voilà !
Tout de même, je n’en reviens pas.
C’est sans doute que vous ignoriez combien nos mœurs ont changé.
A ce point-là ?
A ce point-là. La liaison a remplacé le mariage qui, lui, est devenu une sorte de parenté.
C’est vrai qu’à côté d’une femme élégante,
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le mari a bien souvent l’air d’un parent pauvre !
Vous voyez.
Le plus fort c’est que je croyais la duchesse une très honnête femme !
Mais c’est une très honnête femme. Elle a toujours été parfaitement fidèle à ses amants, à Parmeline d’abord.
Le grand pianiste ?
Lui-même.
Et après lui ?
Après lui ? A quelques jeunes gens distingués et bien portants qu’elle rendit également heureux. Elle a été pour eux une transition très douce, entre la mère à qui elle les prenait et la fiancée à qui elle les rendait.
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En somme, c’est une providence que cette bonne duchesse, seulement une providence à qui est survenu ce petit ennui d’avoir un peu trop de tempérament.
Et le duc ?
(montrant le portrait au-dessus de la cheminée)
Le duc ? Regardez-le. Vous voyez bien qu’il ne sait rien.
C’est vrai !
Il ne sait rien de son intérieur, rien de son pays, rien de son temps, rien du reste d’aucun autre temps. Il est sénateur et académicien !
C’est drôle !
Mais non. Songez qu’il porte l’un des plus beaux noms de France et que suivant une pieuse coutume de sa race, il a épousé en Amérique une dot de 400.000 livres de rente.
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Vous n’avez plus rien à me demander, madame ?
Non.
Alors. Allons rejoindre ces dames.
Allons. Mais comme c’est compliqué la vie de famille !
Elle ne l’était pas moins du temps de Salomon qui épousa mille femmes auxquelles il resta d’ailleurs parfaitement fidèle.
Dame, à ce chiffre-là !
(Ils sont remontés.)
Regardez cette vue… Est-ce beau ?
(Ils sortent.)
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MICHEL entre, l'air attristé, il porte des coussins, une corbeille à ouvrage et un réticule qu'il dépose près d'une bergère. MELANIE entre à son tour également mélancolique. Elle porte un petit chien havanais, puis paraît LA DUCHESSE. Elle marche à pas lents, languissante et brisée, poussant des soupirs à fendre l'âme. LA DUCHESSE a conservé un accent américain assez prononcé.
Vous avez mis là tous les bibelotages ?
Oui, madame la duchesse.
Merci, attentif domestique. M. le duc est-il sorti ?
Il y a un quart d’heure, madame la duchesse.
Pauvre cher duc si grandiose… En allez-vous dire à toutes ces personnes du jardin que je suis vacante pour les recevoir.
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Bien, madame la duchesse.
(Il sort.)
Mélanie, procurez-moi Bobby. (MELANIE lui donne le petit chien.) O vous Bobby… auriez-vous cru une si cruelle chose elle puisse arriver ? Non vous n’auriez pas, ô Bobby en vérité, chère petite boule.
Madame la duchesse ne veut rien prendre ? Madame la duchesse n’a pas déjeuné !
Non, merci. Vous êtes une sensible femme de chambre. Retournez… prenez le pauvre cher Bobby et emportez-le dans le soleil.
Comment ?
Dans le soleil !
Dans le soleil ?
Oui, là où il y a par terre de la soleil.
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Bien, madame la duchesse.
(Elle sort.)
Chère amie, j’ai voulu venir vous présenter aujourd’hui, mes sympathies respectueuses.
Merci, amical Bénin, merci.
Je tiens beaucoup, madame la duchesse à y joindre les miennes.
Merci, pauvre chère comtesse de Jargeau, merci. Oh ! vous, les Saint-Gobain, vous êtes des personnes tellement affectives.
Croyez bien que nous aussi…
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…nous prenons une grande part…
Je me suis permis également, madame la duchesse…
Je suis touchée, chère petite Jeanvré, presque inconnue.
C’était bien naturel.
Votre cœur est grand.
Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
Oh ! ma santé est encore bien souffrante mais je suis si soulagée que vous m’environnez, que vous me compatissez…
Vous vous remettrez peu à peu.
Cette saison est si belle
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!
Le ciel était merveilleux ce matin.
Oh ! il y avait sur les planches un monde fou.
Evidemment, s’il n’était pas fou, il ne serait pas sur les planches !
(Petit rire général. LA DUCHESSE ramène la conversation à son ton normal par un soupir prolongé.)
Oui…
Pardon…
(MICHEL entre.)
C’est un télégramme pour madame la duchesse.
(l’ouvrant)
Vous permettez ! Oh ! Michel… Il faut vite précipiter l’auto dans la gare. Le cher grand maître Parmeline, il arrive tout de suite de Paris.
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Ce cher ami ! Je le croyais absent.
Oui, il vient de faire un grand voyage dans le pays de l’Italie… Michel, dites au mécanicien, puisqu’il est tout neuf qu’il reconnaîtra M. Parmeline sur le quai.
Mais à quoi le reconnaîtra-t-il, chère Madame ?
Oh ! à la beauté de son cœur… Il a un cœur tellement beau… et un front si inspirationné…
(MICHEL sort.)
J’ai vu souvent le portrait de M. Parmeline. Il est très curieux, en effet.
Il est toujours dans les transports… Il ne vit pas sur la terre… C’est un chef-d’œuvre d’homme.
Il a été, je crois, votre maître, madame la duchesse ?
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Oui. Il a mis en moi l’harmonie et une grande quantité de talent musical.
Ah ! vous lui faites honneur. Votre dernière mélodie est d’une grâce, d’un moelleux dans le sentiment !
Oui, elle est excessivement moelleux.
Oh ! j’en suis folle… Et puis le titre est si joli : « Les Fils de la Vierge. »
(Elle prononce fils, dans le sens d’enfant.)
(rectifiant)
Les fils… les fils… de la Vierge…
Oh !
Plus que jamais vous allez vous donner à votre art… C’est le grand consolateur.
Oui, je pense aussi… J’ai déjà commencé à constituer un grand opéra très douloureux et
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si poétique… J’ai fait le parole avec mon cervelle et la musique avec ma cœur.
Ce sera sûrement une merveille !
Je pense aussi…
Et peut-on savoir le sujet ?
Ah ! donnez-nous un aperçu ?
Eh bien voilà. N’est-ce pas, c’est de l’amour, je voulus qu’il y a de l’amour partout… l’amour c’est une chose si idéale et si pratique, n’est-ce pas… Alors j’ai enfanté une chose sur Napoléon… C’est très joli… c’est une grande frasque.
Hein ?
Oui, vous savez comme les grandes frasques que les peintres ont peintes sur les murs du pays de l’Italie.
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Ah ! vraiment !
Et quel épisode avez-vous choisi dans la vie de Napoléon ?
Je vais vous le dire… C’est très beau, c’est au moment où il est à la campagne, en Egypte et il se bat comme empereur sur les grandes choses pointues… les pyramides. Alors, il est reçu chez un Pacha qui a deux filles… l’une s’appelle Fatima et l’autre Ernestine… C’est très joli… et toutes les deux, elles sont amoureuses de Napoléon. Mais lui il préfère Ernestine qui est plus excitante. Alors ils s’aiment tous le temps sur les bords du Nil… Un soir, Fatima les surprend… et elle se jette sur Napoléon avec un poignard et elle le tue… Il est mort… (Sensation.) Et c’est fini… C’est une très belle histoire… et puis, n’est-ce pas, ce n’est pas très connu.
En effet !
C’est d’un inattendu !
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Une pareille œuvre va vous accaparer, madame la duchesse, et je me demande si je vais oser vous présenter ma requête.
Quoi ?… Dites quoi ?
Eh bien, mon mari vous a apporté quelques vers, madame la duchesse… et il serait au comble de ses vœux si ce petit poème pouvait vous inspirer une mélodie.
Y a-t-il de l’amour dans l’intérieur ?
Jugez-en. Voici le refrain :
(Il met son lorgnon et lit.)
« Oh ! donne-moi tes lèvres. Ah ! ne comprends-tu pas, Eh bien ne comprends pas, Mais donne-moi tes lèvres. »
Charmant !… délicieux !… exquis !…
Et comme c’est humain !
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Il entre en coup de vent. Tenue de voyage très élégante. Belle tête d’artiste, abondante chevelure à mèches blanches. Il donne une impression de génie, de folie et de magnificence.
(il tient son chapeau d’une main, un bouquet de fleurs de l’autre)
Le voilà. Le voilà ! C’est lui ! C’est Parmeline ! Il arrive tout couvert des lauriers de gloire et de la poussière des routes. Ne vous dérangez pas… C’est lui ! C’est lui !
(à Mme Jeanvré)
Comme il est simple !
Voici, madame la duchesse qui vous prouvera que j’ai pensé à vous.
(Il pose son bouquet sur une chaise et tend son chapeau à LA DUCHESSE.)
Pourquoi ce gris chapeau ?
Oh ! Excusez-moi.
(Il lui donne le bouquet et reprend le chapeau.)
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Ah ! cher désiré maître, comme vous êtes bon d’être venu.
Parmeline vient toujours quand sa duchesse l’appelle.
(Il lui baise la main.)
(sonne)
Pourquoi ne sert-on pas le thé du maestro ? D’abord, je vais vous introduire : Mme la comtesse de Jargeau, la femme du Conseil d’Etat. Mme Jeanvré, de l’armée de la province. Le vicomte de Saint-Gobain, ancien diplomatique et sa vicomtesse.
(avec un sourire très aimable) Ciel ! dans quel guêpier me suis-je fourré ?
(Rire général.)
Mais c’est un fou !
Non, c’est un musicien !
Et vous avez fait bonne route depuis Paris, cher maître ?
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Oh ! atroce !… chère Madame… atroce. Je me suis trouvé d’abord dans un wagon encombré. Des âmes épaisses… des visages fermés. J’ai senti que ces gens-là n’aimaient pas ce que je fais… Cette pensée m’a été intolérable… J’ai passé dans un autre compartiment : deux voyageurs seulement ; à côté de moi, un homme jeune, distingué, très bien, enfin un de ces hommes dont on sent qu’ils ont fait leur première communion et qu’ils savent monter à cheval. En face de moi… une dame…
Jolie ?
Laide. Ah ! qu’elle était laide cette dame !… elle était laide… si laide que cela me devint une torture. La laideur a toujours été pour moi une injure personnelle. Je me penchai donc vers mon voisin et je lui dis tout bas : « Je ne peux plus, je ne peux plus… cette dame est trop laide. Tirez la sonnette d’alarme !… » « Mais, Monsieur, me répondit-il, on s’expose à une amende de trois cents francs et à un emprisonnement de quinze jours à trois mois. »
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« Je le sais, répliquai-je, et c’est pour ça que je ne veux pas la tirer moi-même. » Je regardai de nouveau la dame et je m’aperçus d’une chose prodigieuse ! Sa laideur s’accentuait de station en station. A un instant précis, elle devint tellement affreuse… que soudain je compris…
Quoi ?…
Je compris que c’était une fée !
Oh !… quel grand artiste…
Oui… Cette idée m’envahit tout entier sous sa forme la plus musicale. Des rythmes s’éveillèrent, des mélodies s’épanouirent et j’entendis distinctement une admirable voix de ténor qui chantait… en moi : « Seul… un baiser lui rendra sa beauté… » Brusquement, je m’approchai d’elle et je posai mes lèvres sur les siennes en lui disant : « Sois belle ! » A ma grande surprise, un torrent d’injures accueillit cette injonction. Le croiriez-vous, ce n’était pas une fée !
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Ah ! quel dommage !
C’est ma destinée. Mon malheur est de ne jamais pouvoir rencontrer sur ma route, des gens de bon sens, des gens équilibrés.
Voilà…
(MICHEL entre portant un plateau avec une tasse et un sucrier.)
Prenez votre thé ! Et le distingué monsieur, votre compagnon, qu’a-t-il pensé ?
Il n’a pas cessé d’être distingué. Il m’a approuvé par un silence très correct, nous nous sommes liés, il m’a remis sa carte. (Il tire la carte de sa poche.) Le comte Hubert de Latour-Latour.
(MICHEL s’approche avec le plateau à thé. PARMELINE prend le sucrier dans ses mains.)
Rien qu’un morceau. (Il plonge ses doigts dans la tasse et pousse un cri.) Ah ! je me suis cruellement brûlé.
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DUCHESSEOh !
(désespéré)
Les choses elles-mêmes me sont hostiles. Elles n’aiment pas ce que je fais.
Oh ! que dites-vous ?
Tout le monde vous admire !
Pas assez… pas assez… Et puis, Parmeline ne tient pas à ce qu’on l’admire… Il veut qu’on l’aime… Il a besoin d’être aimé… On ne l’aime pas… Je suis un malheureux, mesdames, je suis un écorché.
(Il remonte.)
Que dites-vous là, cher Monsieur ?
Mais vous avez été acclamé à Naples.
(épanoui)
Oui. J’ai plu, beaucoup !… beaucoup, enfin vraiment beaucoup…
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Oh ! vous deviez rester quelques jours seulement, et vous vous êtes allongé jusqu’à un mois…
Oui…
Ce séjour ne vous a pas paru trop monotone ?
(suffisant)
Non… non… non… (Un temps.) Elle s’appelait la comtesse Camerino !
Ah !
Mais je vous supplie de ne jamais dire son nom… soyez discrets.
Nous, oui… mais vous ?…
Ah ! moi, je ne peux pas… Alors, comment me le reprocher ? Mais vous ce serait très mal.
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Comptez sur notre silence.
(à BENIN)
Moi je commence à l’aimer !
D’ailleurs, je faillis préférer à Bianca — c’est la comtesse Camerino — Angelica, — c’est la comtesse Andrioli. — En Italie, les femmes qui vous aiment sont toujours comtesses.
C’est un miracle de l’amour !
Peut-on vous demander quelle était la plus belle de ces deux dames ?
On peut tout me demander… je dis tout, moi… je ne suis pas un ingrat… Certainement Bianca était plus… elle avait… ce… enfin cette… Voilà… je ne peux pas… je ne peux pas..
Qu’est-ce que vous avez ?
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J’ai… que je ne peux pas m’exprimer avec des mots… les mots, ce sont des pauvres gens, ils sont trop vieux, trop usés… Je voudrais cependant vous montrer… Bianca. (Il fait le geste de jouer du piano dans le vide.) Tenez, vous allez comprendre, la voilà. (Il se jette au piano et joue quelques mesures très ardentes.) Angelica, au contraire, c’était… c’était… Tenez, regardez-la… (Il joue quelques mesures très langoureuses.) Alors, moi, n’est-ce pas… (Il joue quelques notes.) l’hésitation… la perplexité… enfin, j’ai préféré… (Il rejoue les quelques mesures ardentes.)
Vous avez préféré Bianca !
Voilà !… Eh bien ! je n’aurais jamais pu vous faire comprendre ça avec des mots ! Ah ! cette nuit, à Sorrente, où, pour la première fois, elle tomba dans mes bras !… Quelle atmosphère… émouvante… embaumée… Comment vous dire, cette ambiance… cette troublance… Tenez., tenez… (Il se met à jouer une musique lascive.) Une symphonie de parfums… les orangers… les tubéreuses… les verveines… (Il insiste
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sur une petite note grêle.) Et le jasmin… Sentez-vous le jasmin ?…
Quel charme sensuel !…
Et partout les étoiles… (Série de notes tendres.) Dont quelques-unes… (Il fait un arpège rapide.) Filantes !
C’est inouï !… C’est d’une vérité… On y est… Exquis !… Admirable !…
Et ce fut notre première nuit d’amour… (Il joue un hymne triomphal.) Excusez-moi, Mesdames, ces trois dernières mesures étaient d’une indécence !…
(baissant les yeux)
Oui. Vous n’auriez pas dû les jouer devant elles.
Mais non… mais non… continuez… c’est délicieux !…
Et après… après…
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Je ne la revis que huit jours plus tard car la carrière de son mari ne laissait à la comtesse qu’une nuit de liberté par semaine.
Que fait donc le comte Camerino ?
Il est employé à l’octroi… Et ce fut notre seconde nuit d’amour.
(Il joue le même hymne, mais moins triomphal.)
Tiens… Tiens…
Evidemment : n’est-ce pas, il y avait moins de surprise.
… Moins de jasmin…
Et le samedi suivant ce fut notre troisième nuit d’amour.
(Il attaque l’hymne triomphal mais d’une façon de plus en plus languissante, les notes s’espacent… deux ou trois fausses notes… il n’achève pas.)
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Hein ?
Le lendemain, la comtesse me témoigna quelque mauvaise humeur. Froideur de sa part… irritation de la mienne… On en vint à des mots. Elle me dit : (Musique.) Je lui répondis : (Musique.) Elle ajouta : (Musique.) Je lui jetai au visage : (Musique.) Je pris mon chapeau. (Musique.) Je pris la porte… et je sortis en la faisant claquer. (Il ferme violemment le piano.) Et je n’ai jamais revu ni la porte, ni la comtesse… Je revins à Paris il y a trois jours. J’y trouvai une dépêche de la duchesse m’appelant auprès d’elle et voilà pourquoi, mesdames, Parmeline est au milieu de vous, très simple, très modeste, inaperçu… (Coup de canon, au dehors.) Le canon ! Je me trompais. On sait mon arrivée…
(entrant)
Madame la duchesse a entendu… On vient de donner le signal du départ pour les régates du Havre.
(déçu)
Ah !… soit…
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Cela intéresserait peut-être ces dames de regarder la course ?…
Oh ! il faut aller… chères petites mesdames… Au bout de la grande allée, on voit très bien…
Oui, ce serait très amusant.
(Elles remontent toutes. — PARMELINE retenant BENIN.)
Mon cher baron, un mot. Je voudrais aller faire un tour au Casino. Je suis arrivé sans argent. Voulez-vous me prêter vingt-cinq louis ?
Mais je crois bien… les voilà.
Vraiment, madame la duchesse, vous ne voulez pas venir avec nous ?
Non… Je ne suis pas possible. Rien que de voir les bateaux, ça me rend malade à cause
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du roulage et du tangui. Et puis j’ai besoin de parler avec Parmeline.
revenant
Mon cher maître… très heureuse de vous avoir rencontré… Vous me permettez de vous demander votre concours pour la matinée du 18 au profit des naufragés ?
Je ne puis, chère Madame : naufragé moi-même, je ne serai sans doute plus ici… Mais je tiens à contribuer pour une modeste part. Voici cinq cents francs. (Il lui donne le billet que vient de lui remettre BENIN.)
Oh ! comment vous remercier. (Elle se tourne vers BENIN.} Voilà qui doit vous faire honte, baron… vous qui ne m’avez donné que quarante francs !
(à BENIN)
Oh ! cher ami… mesquinerie… oh !… fi, fi.
Oh ! ça !…
Baron, il faut aller mener ces dames dans la régate…
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Voilà… je suis à vous, mesdames, je suis à vous… A tout à l’heure, duchesse.
(Ils sortent.)
Enfin, je suis solitaire avec vous… Oh ! cher maître aimé… je vais vous dire enfin pourquoi je vous ai fait venir. C’est un affreux secret.
Je le connais.
Est-il possible ?
Il est. Depuis un certain nombre d’années, c’est la troisième fois que vous m’envoyez cette même dépêche : « Considérable chagrin. Je suis dans le calice. Venez. »
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Cela est véridique.
Alors, j’ai compris tout de suite, j’ai ouvert le Figaro, j’ai été tout droit à la rubrique « Mariages », et j’y ai vu que Monseigneur de Persépolis avait béni la veille l’union de M. de Vaujours et de mademoiselle Iscariote.
Oui, j’ai une grande peine.
Moi aussi… Et pourtant…
Pourtant ?
Pourtant, vous m’avez causé la même peine, à moi… à Parmeline ! Quand la plus belle aventure de ma vie a été brisée… quand nous nous sommes quittés… Comment a-t-elle pu quitter Parmeline !… C’était il y a…
(l’interrompant)
Oui, il y a…
Exactement.
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Et vous êtes resté mon ami.
Votre grand ami.
Le seul. Et il y en a qui disent qu’on ne peut pas faire de l’amitié avec les résidus de l’amour !…
Ceux qui disent ça ne sont pas des artistes… Ce sont des gens qui ne savent pas transposer.
Vous, vous avez su si bien.
J’ai su. Et depuis ce jour-là, j’ai été de tous vos chagrins… Quel métier ! Chaque fois que vous avez aimé quelqu’un, je m’attachais à lui, et quand vous le quittiez… il ne me plaisait plus. Je le quittais aussi. J’ai eu ainsi deux ou trois amitiés charmantes brisées du jour au lendemain.
C’est très beau de votre part.
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Oui, c’est beau… c’est musical…
Ah ! cher !… (Avec désespoir.) Mais, dites-moi, pourquoi se marient-ils toujours ?
Toujours !
C’est comme une sorte de fatalité.
Oui. Et ce n’est pas la seule. Pourquoi, après chaque rupture, est-ce l’infortuné Parmeline qui vous a toujours présenté celui qui devait être le… le… le suivant ? Il y a là une malchance, qui revient dans ma vie avec la cruauté d’un leitmotiv.
C’est vrai, cher dévoué…
Bien plus : j’ai toujours su, avant vous-même, ce qui allait arriver. Il est un signe auquel je ne me suis jamais trompé.
Quel ?…
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Votre voix… votre accent…
Mais je n’ai plus d’accent !…
Presque plus ; mais, toutes les fois que vous vous trouvez en présence d’un homme que vous allez aimer, il revient, cet accent, il grandit, il devient prodigieux, vous passez insensiblement du français à l’anglais et de l’anglais à une sorte de dialecte inarticulé qui est chez vous le langage de la passion naissante.
Est-ce possible ?
Oh ! je l’ai entendu trop de fois, j’en ai trop souffert. Je ne veux plus en être la cause et désormais, je vous jure que j’aimerais mieux être roué vif, j’aimerais mieux être joué à l’Opéra que de vous présenter qui que ce soit.
N’ayez plus de la panique. Tout cela est envolé, emballé… Mon âme n’aura plus de la
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frisson que dans l’art… Tout de suite, je me suis donnée à lui.
C’est bien, ma duchesse. L’art, c’est grand ; l’art, c’est beau ; l’art, c’est tout ; l’art, c’est moi.
(entrant)
La chambre de monsieur Parmeline est prête.
Eh bien, allez le lui dire, mon ami.
Mais je le dis à Monsieur.
(se frappant le front)
Ah ! Parmeline !… Quelle chambre est-ce ?
C’est la chambre Louis XV, monsieur.
Je m’en contenterai… (Il remonte.) Non lamento, ma duchesse allegretto !
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(pousse un long soupir)
Oui, il faut que je projette en moi de l’oubli et que je m’évapore dans la musique.
(Elle prend la poésie de Saint-Gobain et, d’un air inspiré, la relit.)
« Ah ! donne-moi tes lèvres !… (Bis.) Ah ! ne comprends-tu pas ?… Eh bien ! ne comprends pas, Mais donne-moi tes lèvres !… Donne-les moi ! » (Avec âme.) C’est confortable, l’amour !… Voyons… (Elle se met au piano et commence à chercher une mélodie qui s’adapte à ces paroles dont elle répète plusieurs fois chaque vers en s’accompagnant au piano et en chantonnant.) « Ah ! donne-moi tes lèvres !… Ah ! donne-moi tes lèvres !… »
(Successivement elle essaie les paroles sur un rythme de gigue, sur un boléro et sur une valse lente.)
J’aimerais quelque chose d’un peu plus chaud. Non, je ne suis pas inspirationnée…
(Elle joue de nouveau mais sans chanter. MICHEL introduit le comte HUBERT de LATOUR LATOUR qui lui remet sa carte en
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disant : « Pour M. PARMELINE. » LA DUCHESSE, assise au piano, lui tourne le dos. — MICHEL sort. — HUBERT salue LA DUCHESSE qui ne le voit pas, puis s’assied et écoute la musique avec plaisir.)
(cessant de jouer)
Ah ! il faut que je me pénètre avec les paroles.
(Elle relit d’une voix passionnée.)
« Ah ! donne-moi tes lèvres !… Ah ! donne-moi tes lèvres !…
(HUBERT est fort surpris.)
Ah ! donne-moi tes lèvres !…. Ah ! ne comprends-tu pas ?… Eh bien ! ne comprends pas, Mais donne-moi tes lèvres. Donne-les moi ?… (Bis.) »
(HUBERT, stupéfait, puis flatté, se demande, par un geste, si c’est bien à lui que cette phrase s’adresse ; mais, comme LA DUCHESSE continue à la répéter, il s’approche vivement d’elle et l’embrasse sur la bouche.)
(se lève, indignée, et le gifle)
Oh !
Madame… je…
(entrant et apercevant HUBERT)
Ah ! mon compagnon de voyage… Permet-
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tez-moi de vous présenter : M. le comte de LatourLatour… Madame la duchesse de Maulévrier…
, (à part)
Nom d’un chien !
(Grande gêne, LA DUCHESSE gagne l’extrême gauche.)
Mais que faites-vous ici, cher monsieur ?
(effaré)
Mon Dieu, je me suis permis de venir pour une chose… oh ! sans grande importance…
(, à part)
Oh !
Par distraction, sans doute, vous avez laissé dans le wagon tout ce qui vous appartenait : un sac, un violon, un rouleau de manuscrits.
Ah ! je reconnais bien là Parmeline !
Rassurez-vous. Tout cela est dans l’antichambre… Vous m’aviez donné votre adresse et j’ai cru pouvoir…
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Je suis confus… Merci… de tout cœur, merci.
Du tout, du tout… Et maintenant, je me retire.
Non, non. Prenez la peine de vous asseoir.
Mais…
Mais si… mais si… madame la duchesse ne vous le pardonnerait pas.
(Il le fait asseoir.)
Mon Dieu, je vous l’avoue… je suis un peu timide…
(à part, indignée)
Oh !
Moi aussi, je suis toujours gêné quand j’entre dans un salon.
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Oui, n’est-ce pas ?… On ne sait que faire…
Oh !
Et le salon de madame la duchesse est le plus fermé qui soit. Je sais quel honneur c’est d’y être admis et que les plus beaux noms de France y donnent le bras à la littérature.
(Il se lève.)
Vous vous exprimez parfaitement bien.
(Il force HUBERT à se rasseoir. — Un temps.)
Vous êtes à Deauville pour quelques jours ?
Pour la grande semaine de golf… Je suis de très bonne classe… Je bats généralement la moyenne d’un trou…
Ah ! d’un trou ?
Oui, d’un trou
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!…
Quel trou ?
Mais… un trou !… J’adore les sports… le grand air, la chasse, le polo, la boxe…
(radoucie, à part) Ah !
( avec force)
Enfin, tout ce qui développe l’âme et le muscle et porte la nature de l’homme à son complet épanouissement.
(émue)
Ah !
(se levant) Je crois être en ce moment dans le plein de ma forme.
(langoureuse)
Voulez-vous avoir une tasse de thé ?
(refusant) Oh ! merci…
Alors, voulez-vous prendre cette petite peine de vous asseoir ?
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Merci, madame la duchesse.
(Très gêné, il obéit et s’assied à côté de LA DUCHESSE.)
Vous habitez Paris ?
J’y fais de courts séjours. Malgré une belle fortune et un grand nom, l’occasion ne s’est pas encore offerte à moi d’y prendre la place que je me dois d’y tenir. Je vis donc, pendant la plus grande partie de l’année, dans ma terre.
(avec intérêt)
Oh ! vous vivez dans la terre ?…
Ma mère aussi…
Comment ?
Oui, je vis auprès de ma mère, la comtesse de Latour-Latour.
(dont l’émotion commence à paraître)
Cela est très bien.
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Et où est votre résidence ?
Au château de Latour-Latour.
Près de quelle ville ?
Près de la ville de Latour-Latour.
Et vous vous y reconnaissez dans tout ça ?
C’est une affaire d’habitude… D’ailleurs, s’il y a en France plusieurs Latour-Maubourg, plusieurs Latour-du-Pin et quelques Latour-d’Auvergne… (Il se lève.) Il n’y a qu’un seul Latour-Latour, c’est moi.
(très agitée)
Cela est touchant. Mais, je le crois bien, j’ai vu votre nom récemment imprimé dans le journal…
En effet, je viens de publier le second volume
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des souvenirs de mon bisaïeul, qui fut grand écuyer du roi Charles X.
Ah ! que cela doit être difficile de publier les souvenirs de l’écuyer !…
Oui, il faut tout recopier…
Quel travail !
(avec une volubilité et un accent qui vont s’accroissant)
Moi aussi, je suis très bien disposée à accueillir les souvenirs de la famille… parce que moi, j’ai une famille — dear family — so dear family…
(étonné)
Evidemment… Evidemment…
(PARMELINE commence à regarder LA DUCHESSE avec inquiétude.)
Je ne peux pas dire dans le détail… I cant say a word… parce que moi, je suis naquis dans l’autre côté de l’eau, et dans l’autre côté de l’eau, il n’y a pas l’ancienneté de la famille dans le château.
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PARMELINE(avec épouvante)
Ça recommence !
(bafouillant complètement)
C’était un petit home dans l’Etat de Virginie, avec le dear papa, le dear maman et les petits enfants qui jouaient avec la bille ou le cerceau et qui n’étaient pas du tout grands… parce qu’ils étaient tout petits… so little boys, so little girls… Et alors, j’ai de la grande dreadful émotion dans le souvenir de la Virginie qui me remplit tout le cœur de l’émotion de la Virginie…
(sanglotant)
Madame la duchesse, je vous demande la permission de me retirer…
(affolé)
Qu’est-ce que vous avez ?
(lui serrant la main avec effusion)
Je ne vous en veux pas… Nous serons amis… Ça recommence ! Fatalité ! Fatalité !
(Il sort.)
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Qu’est-ce qu’il a ce monsieur ?
(le retenant vigoureusement)
Laissez… laissez… le pauvre cher maître… elle est malade…
Il est malade ?
Oui, mais ça ne fait rien ! Vous, vous n’êtes pas malade.
Je me porte très bien.
Il faut même que vous ayez un véritable santé pour avoir été avec moi aussi familial.
Mais…
Eh bien ! laissez-moi vous dire que quand on
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n’a pas été présenté à une personne, cela est très méchant.
J’ai pourtant une excuse : j’ignorais qui vous étiez. Je n’ai donc pas manqué de respect à la duchesse de Maulévrier, mais j’ai été un peu trop empressé auprès d’une femme charmante qui jouait du piano… et dont les paroles…
Je composais…
Je n’avais pas compris… Je suis un homme du monde.
Ça, j’ai senti tout de suite. Mais après cette toupet, nous ne pouvons plus, je crois, nous rencontrer.
Vous êtes sévère.
Non ! je ne suis pas sévère… mais j’ai envisagé cette chose : si vous recommencez sur moi ce que vous avez fait tout à l’heure, vous vous conduisez comme un grossier…
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(protestant) Oh ! soyez assurée…
(vivement)
Et si vous ne recommencez pas, vous vous conduisez comme une goujate !
(navré)
C’est vrai…
(se levant)
Vous voyez… on ne peut pas sortir de cet embrouillage.
Je n’y avais pas songé… Il y a là pour un gentleman une situation… tout à fait nouvelle… Je dirai même angoissante.
Alors, il faut partir… il faut vous évanouir pour toujours.
(avec émotion, se levant)
Je vous obéirai si vous l’exigez, madame la duchesse. Mais je suis profondément affligé. Car enfin, pourquoi vous cacher combien l’honneur de vous approcher m’avait été sensible ? Votre nom, si souvent lu dans les comptes
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rendus mondains, toujours à la première ligne, tout de suite après les altesses royales !
(souriant)
C’est vrai.
… Votre charme… votre grâce… votre prestige… Je ne puis songer à tout cela sans être véritablement troublé…
Oh !
(s’emballant)
Et puis, il me semble, à présent, que nous devions nous rencontrer, qu’une Maulévrier et un Latour-Latour face à face, — n’ayons pas peur des grands mots — c’est épatant !…
Oui, c’est une chose épatante…
(romantique)
Et en nous voyant ici tous les deux, si près l’un de l’autre, madame la duchesse, dans ce paysage délicieux, près de la mer, à l’heure où le soleil va tomber dans les flots, savez-vous à quoi je pense ?…
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(rougissante et un peu choquée)
Oh ! voyons…
(avec éclat)
Je pense que votre aïeul, Odet-Pierre de Maulévrier, entra à Jérusalem avec Godefroy de Bouillon, que son fils fut amiral des galères du roi, qu’Odet-Hyacinthe de Maulévrier fut grandveneur et maréchal de France… Et je pense que pour ma part, j’apporte Sifrain de Latour-Latour, lieutenant-général qui pilla et brûla la Franche-Comté ; Hugues de Latour-Latour qui fut gouverneur de Guyenne et rédigea les règles du jeu de billard, et par-dessus tous, le cardinal Cyprien Gaspard de Latour-Latour qui faillit être pape !…
(défaillante)
Oh ! comme vous êtes polisson !
Et dire que sans ce malheureux incident, je ne vous aurais peut-être pas déplu…
Je crois aussi…
… que peut-être, même, je vous aurais plu…
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Je crois aussi…
Et un jour, qui sait, si touchée par mon dévouement, par mon admiration, vous n’auriez pas consenti à réaliser le rêve de toute ma jeunesse, celui que ma mère a si souvent prié Dieu d’exaucer : une grande liaison mondaine !
(minaudant)
Mais comme vous êtes entrepreneur !
Je ne vous ai pas offensée ?
Si. Mais ce n’est pas détestable.
Oh ! Madame la duchesse… Madame la duchesse… Ainsi, vous ne m’en voulez plus ?
(souriant)
Je suis occupée à ne plus être fâchée.
Vous ne pensez pas trop de mal de moi ?…
Je pense que vous êtes un charmant homme
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du monde… seulement un peu inopiné…
(voulant lui prendre la main)
Oh ! merci, madame la duchesse, merci… Comment vous dire… vous exprimer.
N’exprimez pas… Il faut que vous saviez que je suis avant tout une femme idéale. Je recherche exclusivement la poésie de l’amour… Jamais je ne pourrai être attendrie que pour un monsieur délicat qui aurait fait la cour avec moi d’une façon consécutive.
C’est bien naturel !
Mais vous, polo, chasse, boxe, vous ne sauriez pas piétiner si longtemps !
Vous vous trompez, madame la duchesse !
(soupirant)
Oh ! que dit-il ?
(fiévreusement)
Oui, pourquoi ce jour ne serait-il pas le
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premier du temps d’épreuve que vous réclamez si noblement ?
Oui, pourquoi ne serait-il pas ?
Alors ?
(lui abandonnant sa main)
Alors… peut-être !
Ah ! madame la duchesse, merci ! Vous avez un grand cœur !
(faiblissant)
Oui, j’ai un grand cœur. J’ai aussi un grand parc… Tous les jours, je me promène au bord de la mer. Cette soir, j’y serai aussi, après le dîner. Venez au bout de la grande allée, et nous parlerons de la poésie de l’amour sur le banc des clématites.
Oh ! madame la duchesse, quel honneur vous me faites ! Quel honneur et quelle joie… Une fois de plus n’ayons pas peur des grands mots : ce qui m’arrive est fantastique.
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Taisez-vous… Le duc.
Mon ami… j’introduis M. le comte Hubert de Latour…
(s’incline froidement)
Je me porte bien.
(bas, à LA DUCHESSE)
Latour… Latour.
J’ai dit…
Non, deux fois.
Oh ! oui, double… M. le comte Hubert de Latour-Latour…
(souriant)
Ah ! c’est bien différent. Enchanté, mon-
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sieur, de faire votre connaissance… Je sais votre lignée…
Et moi, monsieur, j’admire la vôtre…
(Ils se serrent la main.)
(à part)
Ça va très bien, très bien… je suis très contente…
( annonçant)
M. Durand, vice-président de la Chambre des Députés.
(entrant)
Mon cher duc…
Je me porte bien. (Poignée de main.) Vous connaissez la duchesse…
J’ai cet honneur…
(Il salue. MICHEL apporte au-dehors, sur la terrasse, une table anglaise avec des rafraîchissements.)
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(présentant)
M. le comte de Latour-Latour, M. Durand, vice-président de la Chambre, député du Calvados, mon collègue au Conseil général. Je ne partage pas ses opinions, mais comme je ne suis pas sûr qu’il les partage lui-même… je fais de lui le plus grand cas… et je ne lui reproche qu’une chose : son goût pour le peuple.
(souriant)
Dites au moins pour la démocratie !
Quelle est la différence des mots ?
Mon Dieu, madame la duchesse, la démocratie est le nom que nous donnons au peuple toutes les fois que nous avons besoin de lui…
On ne saurait mieux dire.
Voulez-vous avoir un rafraîchissoir, cher monsieur Durand ?
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Non, merci, madame la duchesse.
Et vous, cher comte Hubert de Latour-Latour ?
Volontiers.
Moi aussi, je vous prie…
(LA DUCHESSE et HUBERT remontent à la table que MICHEL a placée au fond. LE DUC et DURAND sont au premier plan.)
Vous savez, mon cher duc, ce qui m’amène…
J’ai reçu votre mot… et je vous en remercie…
Je crois que j’ai trouvé exactement ce qu’il vous fallait. C’était assez difficile…
En effet… Je vous l’ai dit, je veux une personne instruite, discrète, de tenue parfaite, capable d’étudier des documents, de les classer,
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de les résumer et qui puisse au besoin faire à la duchesse des lectures qu’elle aime et qui sont généralement d’un caractère romanesque et puéril…
Ma protégée répond absolument à votre désir.
A merveille. Son nom ?
Brigitte Touchard… C’est la fille d’un de mes vieux camarades, l’archiviste départemental de Caen et ma filleule. C’est vous dire combien je m’intéresse à elle.
Cela va de soi. Son âge ?
Vingt-six ans.
Sa moralité ?
Oh ! irréprochable,..
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Quand la verrai-je ?
Tout de suite, elle est dans la galerie.
(sonne, MICHEL paraît)
Michel, faites entrer la jeune fille qui attend…
Seulement, je vous préviens qu’elle ne paye pas de mine… Elle est un peu fruste d’aspect, un peu gauche, affreusement timide… Sa couturière est en même temps concierge de la gendarmerie… Vous voyez ça d’ici.
Je vois…
Viens, mon enfant, n’aie pas peur.
(BRIGITTE entre, elle est un peu ridicule. Elle a les pommettes rouges, un chapeau démodé avec une malheureuse petite fleur, une robe prune, un corset mal fait, une jupe trop courte, de gros souliers. Elle a les cheveux très tirés, des gants de fil et un parapluie. Au moment où elle entre, HUBERT descend apportant au duc un lemon-squach. BRIGITTE le heurte. Le verre se renverse à demi.)
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Oh !
(furieux)
Ah !
Oh ! Brigitte, petite maladroite, va !
(BRIGITTE, sans rien répondre, suit HUBERT des yeux.)
Veuillez excuser, monsieur, cette enfant… Elle n’était jamais entrée dans un salon.
(s’épongeant) Ça n’a aucune importance !…
Aucune !…
(Pendant ce temps, BRIGITTE a dévisagé HUBERT.)
Monsieur le duc, je vous présente mademoiselle Brigitte Touchard.
(BRIGITTE fait une révérence et laisse tomber son parapluie.)
Je vous salue, mademoiselle… Veuillez prendre la peine de vous asseoir.
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(qui pendant toute la scène répond par des petits ricanements niais et gênés)
Heu… heu…
Votre parrain, mademoiselle, m’a dit votre mérite.
Heu… heu…
Brigitte a son brevet supérieur et elle a été souvent pour son père une collaboratrice très utile.
Vraiment, mademoiselle ?
Heu… heu…
Il va donc vous falloir quitter cette bonne ville de Caen…
Heu… heu…
Vous ne la regretterez pas trop ?
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(riant)
Oh ! oh !
Je suis sûr que l’idée d’habiter Paris doit lui faire plaisir.
(approuvant)
Oh ! oh !
(à part)
C’est une idiote. (Haut.) Appartenant à ma maison, vous y mènerez une existence qui, sans être mondaine, exigera un peu de toilette…
(contente)
Oh ! oh !
La duchesse vous aidera de ses conseils.
(confuse)
Oh ! oh !
Quant aux travaux que je vous confierai et qui touchent à la statistique et à l’économie politique, j’espère qu’ils sauront vous intéresser.
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Oh ! oh !
(Elle fait une grimace sous cape.)
Je suis ravi, mon cher duc, car pour l’avenir de cette enfant, c’est une chose inappréciable que de vivre dans un milieu tel que le vôtre, où elle se polira, où elle s’affinera…
Je n’en doute pas…
Et qui sait… peut-être habitant Paris, rencontrera-t-elle un jour, un brave garçon modeste et sincère, qui sera un mari possible.
(faisant signe que non)
Oh ! oh !
Quoi, mon enfant, vous n’avez jamais pensé à vous marier.
(faisant signe que si) Oh ! oh !
Comment ?… Alors tu as donc une idée en tête.
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(faisant signe que oui)
Oh ! oh !
C’est parfait, pourvu que l’idée soit bonne…
(paraissant au fond) Mon ami… les messieurs et les dames de visite s’en vont…
(LE DUC remonte vers BENIN, MADAME DE JARGEAU et MADAME JEANVRE qui sont arrivées sur la terrasse quelques répliques plus tôt et auxquelles LA DUCHESSE a présenté HUBERT.)
(à BRIGITTE) Ah çà ? qu’est-ce que ça veut dire… tu penses réellement à quelqu’un ? (BRIGITTE fait signe que oui.) Quelqu’un que tu aimes ? (BRIGITTE fait signe que oui.) Depuis longtemps ? (BRIGITTE fait signe que non.) Que tu veux épouser ? (BRIGITTE fait signe que oui.) Et je le connais ? (BRIGITTE fait signe que non.) Qui est-ce ? Je veux absolument savoir qui c’est… (HUBERT descend au premier plan pour prendre son chapeau.)
(le montrant du doigt)
C’est celui-là !
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Une bibliothèque dans la propriété du duc de Maulévrier, à Louveciennes. Décor donnant sur un très beau parc qu’on aperçoit à travers les deux portes du fond séparées par un corps de bibliothèque. Tout le mur de gauche est couvert de livres et comporte une petite porte dissimulée sous de fausses reliures.
(Muette)
Au lever du rideau, LE DUC, BENIN et PARMELINE lisent les journaux ou fument. HUBERT et LA DUCHESSE sont assis près l’un de l’autre. Elle le regarde avec langueur en soupirant. HUBERT sourit bêtement. Ennuyé par le regard insistant de LA DUCHESSE, il tire un Figaro de sa poche droite et se met à lire. LA DUCHESSE le lui retire avec des mines de victime. Un temps. HUBERT tire un second Figaro de sa poche gauche. Même jeu. Coup de timbre au-dehors. Tous se lèvent brusquement et se précipitent au-dehors par toutes les portes. La scène reste vide.
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Entrez, général… Personne ?
Ils ont tous foutu le camp, ma parole !…
Ne vous en offensez pas… C’est toujours comme ça, dans les châteaux : quand on arrive, les maîtres de la maison…
… Foutent le camp !…
Mais ils reviennent, un instant après, vous dire les choses les plus charmantes…
(LE DUC et LA DUCHESSE rentrent.)
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(au général)
Comme c’est aimable à vous de venir nous voir !…
(à DURAND)
Comme c’est aimable à vous de venir nous voir !…
Voilà !
(à DURAND)
Mon cher voisin, je me porte bien… Mais au fait, chère amie, je crois que vous ne connaissez pas encore le général Roussy des Charmilles, notre confrère de l’Académie Française.
Ah ! c’est vous, monsieur, le général de l’Académie… En vérité, je suis très excitée de vous connaître.
(surpris)
Ah ! moi aussi, madame la duchesse…
J’ai rencontré souvent votre charmante fille qui a marié avec l’officier. Elle va bien ?
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A merveille !
Et leur ravissant baby ?
Mais ils n’en ont pas encore, madame la duchesse !…
Oh ! j’espère donc que l’officier fécondera bientôt votre charmante fille.
(estomaqué)
Je le lui dirai, madame la duchesse.
Le général déjeunait dans mon ermitage de Marly, et comme il tenait à causer un peu avec vous de la situation académique…
L’élection du successeur de Jarlet-Brézin me préoccupe beaucoup !
Et moi aussi ! J’attends justement tout à l’heure Pinchet qui nous donnera des nouvelles. Notre confrère Bénin est allé au-devant de lui.
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Parfait !
(Pendant ces répliques, PARMELINE et HUBERT sont entrés et ont serré la main de DURAND.)
Mais je veux vous introduire, monsieur le général de l’Académie… Monsieur Parmeline…
(lui serrant la main)
Je connais de nom… l’illustre maestro…
Illustre ! Pourquoi cette restriction ?
Quoi…
Je vois… vous n’aimez pas ce que je fais…
(Il s’éloigne et va serrer la main à DURAND.)
(à part)
J’ai horreur des musiciens !
(qui est allée chercher HUBERT)
Maintenant, le général, voici M. Hubert de Latour-Latour… depuis hier membre du JockeyClub…
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Je l’avais appris par le Figaro de ce matin, monsieur.
Il y a une colonne sur vous, mon cher !
Oh ! lisez, lisez…
(trop surpris)
Je ne savais pas du tout…
(qui a pris le Figaro sur la table)
Tenez…
(tire un autre Figaro de sa poche intérieure et lit)
« Le duc et la duchesse de Maulévrier, installés dans leur belle propriété de Louveciennes depuis leur retour de Trouville, ont en ce moment pour hôte le comte de Latour-Latour, qui fut élu hier au Jockey-Club et qui a fait récemment paraître le troisième volume de son remarquable ouvrage : Histoire d'une très grande famille... Le comte de Latour-Latour qui, jusqu'ici, vivait surtout dans ses terres va se fixer à Paris... (HUBERT quitte peu à peu des yeux le journal, les lève au ciel, laisse tomber le journal sur ses genoux et continue en récitant par cœur.) Il occupera dans la
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plus haute société la place la plus brillante. Qu'il conduise un cotillon ou un mail-coach, qu'il fasse œuvre d'historien ou de maître d'équipage, on peut dire que le nouveau membre du Jockey possède un joli brin de plume au bout de sa trompe de chasse... »
(PARMELINE et DURAND se sont avancés un peu et ont vu qu’HUBERT récitait.)
(à part)
Ah !
Quelle beauté !…
Je suis confus… et surpris… (Qui a repris le journal.} Comme je vais demain à Paris, j’en profiterai pour aller remercier ce journaliste.
(bas, venant à lui)
Non, vous n’irez pas demain à Paris.
Mais…
Non, vous n’irez pas demain à Paris !
(à part)
C’est embêtant !… Qu’est-ce qu’elle a ?…
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(à HUBERT)
Je suis ravi, cher monsieur, de ce que monsieur le duc m’apprend ! Ma petite filleule vous aide dans vos recherches ?…
Oui, le duc a bien voulu l’y autoriser et nous travaillons ensemble chaque après-midi dans cette bibliothèque.
Elle est intelligente, instruite…
Elle adore ce que je fais !…
Et d’une discrétion, d’une éducation parfaite.
Je suis enchanté de ce que vous me dites car j’ai une grande affection pour cette petite.
Eh bien ! vous la marierez à quelque sous-préfet de province, quand vous serez Président de la République…
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Quelle plaisanterie !
Mais, mon cher, n’en rougissez pas… on parle beaucoup de vous pour ce petit poste…
Je vous ai pris l’autre jour à cinq contre un.
Vous perdrez. Je sais bien que des amis ont mis mon nom en avant… Certaines choses m’ont valu des sympathies… Ainsi, j’ai été très souffrant, il y a quelques années, d’une maladie de la volonté, ce n’est pas mauvais.
C’est excellent ! J’espère, mon cher Durand, que vous restez dîner avec nous.
A la richesse du pot. Vous aussi, général ?
(s’inclinant)
Madame la duchesse…
Très volontiers.
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Avant, nous avons un petit tournoi de bridge au profit de l’œuvre de la propagation de la foi dans l’aristocratie.
Vous attendez beaucoup d’invités ?
Trois douzaines.
(Coup de timbre au-dehors.)
Ah ! voici notre excellent Pinchet !
(Il remonte et sort un instant, restant en vue. LE GENERAL et DURAND remontent un peu.)
(s’approchant d’HUBERT)
Pourquoi, depuis tout à l’heure, vous faites cette méchante figure ?
Mais, madame la duchesse, parce que, vraiment… vous me couvez… J’ai l’impression d’être couvé… Quelle raison avez-vous de m’empêcher d’aller à Paris demain ?
Vous allez trop souvent. J’ai peur que vous allez y faire libertinage.
(Elle
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remonte.)
(à PARMELINE)
Qu’est-ce qu’elle a ?
Je vous parlerai tout à l’heure.
(LE DUC reparaît au fond et entre avec PINCHET et BENIN.)
Bonjour, monsieur Pinchet.
Madame la duchesse…
Il faut laisser conciliabuler ces messieurs… Voulez-vous, mon cher vice-président des députés, avoir une petite marche dans le parc ?
Avec grand plaisir !…
Je vous suis… Je suis hanté de la cantate que je rêve pour votre sacre.
(venant à HUBERT qui se repose dans un fauteuil et lui saisissant violemment le bras)
Certainement… Vous pouvez venir aussi, Hubert de Latour-Latour.
(à part, sortant derrière eux)
Je suis couvé
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!
Eh bien, Pinchet… quoi de nouveau à l’Académie ?
Hélas ! rien, monsieur le duc ! Les cinq candidats que vous connaissez déjà — les habitués — restent seuls en ligne pour le fauteuil de M. Jarlet-Brézin.
Et aucun de ceux-là, messieurs, je vous le rappelle, ne saurait agréer au parti bien pensant, à notre parti, qu’il est pourtant indispensable de renforcer.
N’avait-on pas parlé du général Baringer ?
Ah ! non, pas de général ! Un général à l’Académie, c’est bien : Deux, de quoi ça a-t-il l’air ?
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Evidemment, mes chers amis, cette situation est, ne nous y trompons pas, très sérieuse.
Elle est plus que cela, messieurs, elle est grave.
Comme vous dites cela !
Expliquez-vous !
Qu’y a-t-il ?…
Messieurs, puisque vous me faites l’honneur de m’interroger… Mais, non, je n’ose pas…
Dites, dites.
Permettez-moi donc de vous le dire, messieurs, depuis quelque temps, je ne suis pas content de l’Académie.
Pourquoi donc ?
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Mon Dieu, messieurs, l’esprit qui y règne, certains petits détails, certaines innovations… Un autre ne les remarquerait pas sans doute, mais moi qui sers votre compagnie depuis trois générations, je suis inquiet.
Précisez… Asseyez-vous et précisez !
Hélas, c’est facile… Tenez, le dernier jeudi de janvier fut une date dans notre histoire. Vous n’assistiez pas, messieurs, à la séance. Elle était consacrée au dictionnaire… Les trois académiciens présents discutaient d’une façon très intéressante… très approfondie, le mot camomille… A ce moment, votre collègue, M. Rébeillard est arrivé. Ah ! dans quel état !
Quoi ? Il était saoul ?
Si ce n’était que ça, il y a des précédents ! Non, messieurs, il est entré dans la salle avec des bottines jaunes.
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Des bottines jaunes !
Oui, monsieur le duc, des bottines jaunes !
Je connais Rébeillard. Il devait aller en soirée.
Voilà un petit indice. Hélas ! il y en a tant d’autres.
Allez, allez…
Savez-vous, monsieur, ce que vous réserve M. Poudrier, professeur d’histoire religieuse au Collège de France, M. Poudrier qui occupe le fauteuil de M. de Viel-Castel ?
Dites !
Il va avoir un enfant !
(Un temps.)
Eh bien ?
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Eh bien, c’est un désastre ! Autrefois, messieurs, quand on était entré à l’Académie, on n’avait plus d’enfants. On ne s’amusait pas à des niaiseries pareilles.
En effet, c’est indécent !
Moi je trouve ça plutôt gentil.
Et vous ?
Moi, c’est bien simple : Pas de général !
Autre symptôme ; celui-ci, tout à fait confidentiel. Un de ces messieurs, un élu déjà ancien, a surpris récemment sa femme en flagrant délit.
Tiens, tiens…
Oh !…
Et ce qu’il y a d’abominable, c’est qu’il l’a
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surprise un lundi… oui, messieurs, un lundi…
Eh bien ?
Eh bien, messieurs, voilà encore un fait nouveau, un fait unique. Depuis trois siècles, lorsqu’il arrivait qu’un membre de l’Académie Française fût… trompé par sa femme, il ne l’était que le jeudi, de même que, les membres de l’Académie des Sciences ne l’étaient que le samedi… Enfin le jour de la séance… Et, tout de même, il faut le reconnaître, cette régularité dans la faute gardait je ne sais quoi d’assez respectable. C’était une tradition.
Et elle s’en va ! Triste époque.
Enfin, mon cher Pinchet, à quoi attribuez-vous ce relâchement des mœurs académiques ?
Oh ! à bien des choses, monsieur, à bien des causes.
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Le scepticisme !
L’irréligion !
La lecture !
Et tenez, messieurs, au sein même de votre compagnie, j’aperçois un danger qu’hélas, je ne saurais trop vous signaler.
Lequel ?
Eh bien, messieurs, ce sont les auteurs dramatiques ! Il vous en faut bien quelques-uns, évidemment, mais croyez-moi, messieurs, le moins possible… Ah ! si vous les connaissiez comme moi… Ils sont exagérés, nerveux, susceptibles, lascifs. Ils sont pleins de petits secrets qu’ils confient à tout le monde. Ils racontent des histoires inconvenantes devant les bustes ! J’en sais même qui donnent aux plus respectés d’entre vous des adresses de jeunes personnes. Oh ! messieurs,
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prenez garde aux auteurs dramatiques : ce sont des gens épouvantables !
Vous avez raison, Pinchet, il vaut encore mieux accueillir les romanciers.
Mais, monsieur le duc, maintenant les romanciers font tout de suite du théâtre !
Rejetons-nous donc sur les historiens.
Mais, monsieur le baron, aujourd’hui, les historiens ne font plus que des espèces de romans…
Alors, les hommes du monde ?
Mais, monsieur le duc, les hommes du monde font tous de l’histoire !
C’est effrayant !
Mais enfin, quel est pour vous le candidat idéal ?
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Le candidat idéal, messieurs, c’est celui qui n’a rien fait, qui n’a pas cédé à cette manie d’écrire, qui perd tant d’hommes remarquables. C’est celui que personne ne connaît et qui, en entrant à l’Académie, lui doit tout, car sans elle, il ne serait rien. Ça, c’est beau, ça, ça a de la grandeur !
Pinchet, voilà qui est parler.
Messieurs, j’ai rempli mon modeste devoir. A vous d’aviser. Je vous demande la permission de prendre congé.
(Il se lève.)
A jeudi, Pinchet. D’ici là, nous chercherons. (Il lui serre la main.) Merci.
Messieurs…
(Il salue.)
Au revoir, Minerve.
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Vous êtes trop bon, monsieur le baron.
(Ils remontent.)
(lui serrant la main sur le pas de la porte)
Pas de général !
(PINCHET sort à droite, PARMELINE qui vient d’entrer à gauche, descend en scène.)
Messieurs, la duchesse m’envoie sur vous du fond de l’horizon. Elle va montrer la forêt à M. Durand, et j’ajouterai assez drôlement, qu’elle va par la même occasion montrer M. Durand à la forêt. (Il attend un rire. On ne rit pas.) Soit ! Et elle vous offre, messieurs, de l’accompagner.
Vous nous suivez, mon cher artiste ?
Non. Je reste avec Parmeline.
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(Ils sortent.)
(seul. Il prend un cigare et l’allume. HUBERT entre.)
Tiens, vous voilà, vous ?
Oui, c’est l’heure de mon travail avec mademoiselle Brigitte qui doit me rapporter des documents de Paris. Elle est en retard.
Tant mieux. J’ai à vous parler.
Ah !
Mais d’abord un mot ! Prêtez-moi donc cinquante louis.
Mais…
Ça ne vous gêne pas ?… Non, non, évidemment. C’est ce que je me suis dit. Pourquoi ça le
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gênerait-il de me les donner, puisque ça ne me gêne pas de les lui demander.
Les voici.
Merci.
N’en parlons plus…
Oui, c’est ça ! N’en parlons plus… n’en parlons plus et venons au fait… Encore une question cependant.
J’écoute.
M’aimez-vous ?
Quoi ?
J’ai peur que vous ne m’aimiez pas… pas follement, enfin, qu’il y ait des jours où vous ne pensez pas à moi.
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Mais si, mais si, après ?
Eh bien… Oh ! c’est délicat ! Parmeline hésite, il balance. C’est une démarche toujours gênante pour un galant homme…
Voyons !
Eh bien, mon ami, pouvez-vous me prêter mille francs ?
Comment… encore ?
Pourquoi dites-vous encore ?
Parce que je viens de vous les donner.
A moi ? Quand ça ?
A l’instant !
Où sont-ils ?
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Dans votre poche.
Dans ma poche !… (Il y porte la main.) C’est vrai… C’est vrai… Ah ! vous ne m’aimez pas !
Quoi ?
Non, non, vous ne m’aimez pas. Si vous m’aimiez vous auriez compris que ce n’était pas le même homme qui vous demandait ces deux sommes d’ailleurs insignifiantes. Elles n’ont entre elles aucun rapport. Voyons, cinquante louis, c’est l’homme de plaisir, c’est pour une femme ! Et mille francs, c’est l’artiste, c’est pour un fournisseur…
Ah ! oui…
Mais, bien entendu, si vous avez la moindre arrière-pensée j’aime mieux reposer là ce billet. (Il fait mine de le mettre sur la table et le remet dans sa poche.) Et m’en aller d’un pas rapide. (Il remonte.)
Mais non… Je vais vous faire un chèque.
(Il se met à écrire.)
(épanoui)
C’est ça !
HUBERT, (écrivant)
Alors, mon cher maître, les concerts ne vont pas bien, en ce moment ?…
Comment ne vont pas ?… c’est-à-dire, mon pauvre ami, que je ne sais plus où donner de la tête… Je n’en peux plus… Je suis demandé de tous les côtés.. !.
Mais alors…
Tenez, j’ai reçu, ce matin même, une lettre d’un imprésario qui m’offre cent mille francs pour trois mois en Australie.
C’est vrai ?… Vous avez accepté, je pense ?…
Non, j’ai refusé !…
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Vous avez eu tort !
Pourquoi ?… Je suis très heureux ici. Je vis d’une façon très large, très agréable… J’ai tout ce qu’il me faut… je n’ai besoin de rien… ni de personne… je ne vois pas pourquoi j’irais m’éreinter à jouer chez des nègres… (HUBERT lui tend le chèque.) Et maintenant, comme un service en vaut un autre, j’arrive à l’objet de cet entretien.
Oh !… Eh bien ?
Mon cher ami, il est des sujets que deux hommes d’honneur tels que nous, ne peuvent qu’effleurer. Il faut en parler comme d’une aile de papillon. Comprenez-moi à demi-mot. J’ai été autrefois l’amant de la duchesse et elle est aujourd’hui votre maîtresse..
(vivement)
Monsieur !…
Chut !… Toute allusion plus directe serait
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déplaisante… Mais ce lien me permet de vous dire avec une autorité affectueuse : « Mon ami, prenez garde ! »
A quoi donc ?
Soyez prudent, Hubert, et Dieu fasse que la duchesse ne soupçonne jamais les petits séjours que vous faites dans les bras de Mlle Ariette Mareuil !
C’est faux !
Allons donc !… Il paraît qu’elle est gentille ?
(après une hésitation)
Eh bien ! oui… Elle est très gentille… Elle se destine à l’Opéra-Comique, vous savez ?… et, en attendant, elle a un triomphe dans la revue des Folies-Bergère… Elle joue le « désarmement » c’est assez drôle, et puis, il y a vraiment une idée… Tenez, elle chante :
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(Il fredonne.) Qu’on m’prenn’mon fusil qui tire, Mon quart, mon sac, mon polochon, Mais moi, j’veux pas qu’on m’le r’tire Mon p’tit bibi, mon p’tit bibi ! Ah ! mon petit bidon ! Evidemment, ça n’est pas du Lamartine…
Non…
Mais, si vous voyiez Ariette là-dedans ! Elle est ravissante !
(attendri)
Oh ! vous me rappelez Parmeline ! Comme il a été aimé celui-là… Ah ! le bougre !… Tenez, je voudrais vous raconter des choses confidentielles…
(Il cherche des yeux et des doigts le piano. HUBERT l’arrête.)
Non, ça m’amuse plus de parler de moi… Vous comprenez… ma vie s’arrange merveilleusement comme ça… Ariette d’un côté, la duchesse de l’autre… le théâtre… le monde…
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enfin, l’équilibre… Il ne me manque rien… rien !…
(La petite porte de gauche s’ouvre. BRIGITTE entre.)
Oh ! pardon, messieurs…
Ah ! voici mademoiselle Brigitte… je vous laisse travailler. Moi, je vais essayer de vibrer un peu au fond du parc. J’ai besoin de ce que recherchent par-dessus tout les grands musiciens, le silence ! Et je ne le trouve jamais, car, dès que je l’ai trouvé, je le trouble par mes cris. Ah ! c’est affreux d’être artiste à ce point-là !… Oh ! le silence ! le silence !…
(Il sort et on entend au-dehors les éclats de sa voix.)
BRIGITTE a une serviette de cuir sous le bras. Elle a perdu sa rusticité du premier acte. Elle est habillée très modestement d’un petit tailleur foncé. Son aspect est celui d’une institutrice bien tenue. Elle se sert d’un lorgnon pour travailler.
Puis-je m’installer, monsieur ?
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Certainement.
Bien, monsieur.
(Elle se met à la table de travail, ouvre sa serviette, met des petites manches de satinette et s’installe.)
Vous venez des archives ?
Oui, monsieur.
(prenant une cigarette, s’installe dans un fauteuil)
Travaillons.
Oui, monsieur. (Elle ouvre un manuscrit.) Ah ! Monsieur, voici une lettre personnelle — sur papier mauve — que vous avez oubliée dans ces notes et qui n’a aucun rapport avec nos travaux.
(Elle lui tend du bout des doigts une enveloppe.)
(très gêné)
Ah !… Je sais… merci… Vous avez trouvé quelque chose d’intéressant ?
Oh ! oui, monsieur, grâce à M. Pellisson, le
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directeur, je me suis présentée à lui de votre part.
Mais je ne le connais pas.
Si, monsieur.
Non, mademoiselle.
Si, monsieur ; vous avez dîné avec lui chez M. le duc le 3 septembre.
(étonné)
Fichtre, vous avez une bonne mémoire.
Oh ! ça dépend, monsieur… Grâce à ces documents, je vais pouvoir finir l’introduction de votre quatrième volume qui comprendra votre arbre généalogique.
Ah ! oui, mon arbre !,.. Montrez-le-moi donc… Ça m’intéresse toujours.
Bien, monsieur.
(Elle déploie un grand dessin qui représente l’arbre généalogique
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des Latour-Latour. Elle le fixe avec deux épingles au dossier d’un grand fauteuil.)
(l’admirant)
Plus haut !… encore !… encore !… J’aime beaucoup mon arbre… C’est un très joli arbre. Ça fait plaisir à voir… Tous mes compliments !…
Vous êtes bien bon, monsieur… (Elle tire de sa serviette des épreuves d’imprimerie sur papier rose.) Voici tout un dossier… Ah ! non, ça, ce sont des épreuves pour M. le duc… (Elle tire d’autres papiers.) Voici tout un dossier sur Thibaut de Latour-Latour — 1649-1720 — qui fut nommé archevêque de Bordeaux à vingt-quatre ans.
C’est magnifique !
(souriant)
Oui, monsieur.
Pourquoi souriez-vous ?
Parce qu’il le devint d’une façon si curieuse…
Ah ! Comment ?
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Eh bien, un jour, ce devait même être un soir, dans un bosquet de Versailles, l’abbé de Latour-Latour qui avait servi au Royal-Anjou et ne portait le petit collet que depuis deux ans, fut surpris aux pieds de Mme de Montespan par le Roi…
Quel Roi ?
Mais… Louis XIV…
Naturellement !
Celui-ci allait faire un éclat, mais Mme de Montespan qui à aucun moment ne perdait son sang- froid, se leva aussitôt : « Sire, dit-elle, l’abbé de Latour-Latour me suppliait d’intercéder auprès de Votre Majesté, pour qu’elle daignât lui accorder l’archevêché de Bordeaux. » Et le roi qui avait eu peur que le petit abbé fût sur le point d’obtenir bien davantage, lui accorda aussitôt la mitre avec une bonne humeur qu’il n’avait pas tous les jours…
Tiens, tiens… Et où avez-vous déniché cette histoire-là ?…
Dans le journal de Danjeau, monsieur.
Ah ! dans le journal de… c’est inouï tout de même, la presse !
N’est-ce pas, monsieur, que c’est une jolie anecdote ?…
Oui… certainement… mais, n’est-ce pas, je viens d’entrer au Jockey… alors, cette femme, cet archevêque, non… non… nous couperons ça !
Bien, monsieur… Je le regrette un peu…
Pourquoi ?
Oh ! parce que… oh ! c’est une chose un peu puérile…
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Dites…
J’ai trouvé le portrait de ce Thibaut de Latour-Latour, gravé par Drevet, et il me semble qu’il vous ressemble un peu.
A moi ?
Oui !… Regardez, monsieur.
(Elle lui tend le portrait.)
C’est vrai qu’il est très bien…
(avec admiration)
Oh ! bien sûr, vous avez le front moins large… les yeux plus ronds… plus en boule… et la figure plus… plus étonnée… mais tout de même… il y a… quelque chose… Enfin, je trouve…
(Un temps.)
(entrant)
C’est une dépêche, monsieur le comte.
Tiens ?… Donnez… (BRIGITTE se met à remuer ses
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feuillets avec une grande agitation. HUBERT lit.) Ah ! ça, c’est extraordinaire, par exemple ! (Il lit.) « Très touchée, mon fils, du télégramme si affectueux m’annonçant ta réception au Jockey-Club. Je remercie Dieu. » C’est incroyable, je n’ai pas du tout télégraphié à ma mère ! Je lui ai écrit seulement ce matin… qui diable a pu… Ah ! parbleu ! c’est la duchesse, c’est cette excellente duchesse.
(vivement se levant)
Oh ! non !
(Elle se replonge dans ses manuscrits.)
(surpris)
Pourquoi dites-vous : non ?
(même jeu)
Parce que c’est moi, monsieur.
Vous !
Enfin, oui, je me suis permis…
Ça, c’est inouï, par exemple !…
J’ai pensé que vous n’auriez peut-être pas
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le temps de télégraphier vous-même hier soir… Alors…
C’est possible !… Mais je regrette d’avoir à vous dire que vous vous êtes mêlée là de choses qui ne vous regardaient pas. Vous avez étrangement dépassé vos attributions, mademoiselle !
(très nerveuse, se levant)
Vous avez raison, monsieur.
(Elle se met à retirer ses manchettes.)
Qu’est-ce que vous faites ?
Monsieur j’ôte mes petites manches de satinette.
Pourquoi ôtez-vous vos petites manches de satinette ?
Parce que… Monsieur, après ce que vous venez de me dire, je ne resterai pas une minute de plus… (Avec des larmes dans la voix.) Vous m’avez outragée !
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Mais non, mademoiselle, je ne vous ai pas outragée… J’ai peut-être été un peu vif… J’ai eu tort, là… (Gentiment.) Remettez vos petites manches de satinette, je vous en prie… Remettez vos petites manches de satinette !…
(Elle hésite un instant, puis les remet.)
Soit, monsieur, je vais remettre mes petites manches de satinette.
A la bonne heure. Qu’est-ce que vous voulez ? Je ne me doutais pas que vous me fussiez aussi attachée…
(vivement)
Mais, monsieur, ce n’est pas à vous !
A qui donc, alors ?
Je ne sais pas… à vos aïeux… Je les aime tant, vos aïeux…
Vraiment !
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Oui, il y en a pas mal que j’ai retrouvés… Alors, ce sont vos ancêtres à vous, mais c’est un peu mes enfants à moi… Et j’en suis très fière ! Ils sont si chics !… Ah ! ce ne sont pas des hommes… (Un grand geste.) Oh ! non, bien sûr !… Mais ils ont une allure… une carrure… Et puis surtout, une chose qui me plaît… une chose épatante… comme vous dites.
Laquelle ?
Ils ont de la chance… c’est joli d’avoir de la chance !
Oui, c’est bien…
Tout leur a réussi… Ils ont eu de grands emplois, de grandes épées, de beaux châteaux, de beaux costumes. Leurs femmes ont été fidèles.
Pas toutes.
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Presque. Et quand je pense que pendant des siècles, ils ont gagné des batailles, conquis des provinces, emporté des places fortes, pressuré des populations, tout ça pour aboutir à vous… à vous tout seul qui ne faites rien et qui êtes là dans un grand fauteuil, en train de fumer une toute petite cigarette… Eh bien, voyez-vous, monsieur… je trouve ça extraordinaire et assez émouvant.
Vous êtes vraiment très gentille… Je ne suis pas sûr que ce que vous venez de me dire soit tout à fait agréable, mais enfin…
Oh ! monsieur, comment pouvez-vous douter… Je ne souhaite que de vous servir, que de vous être utile… Evidemment, ce que je peux pour vous, moi, c’est bien peu de chose… Mais si j’étais une fée, ah ! vous n’auriez rien à désirer.
Mais, mademoiselle, qu’est-ce que je peux avoir à désirer ?
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Mais tout, monsieur, tout. Toutes les ambitions vous sont permises, sociales, mondaines, littéraires. Votre ouvrage a partout le plus grand succès et même auprès des gens les plus ennuyeux. Votre éditeur m’a demandé de le traduire en anglais. Malheureusement, je ne sais pas l’anglais. Il y a des gens à l’Institut qui n’en ont pas fait tant que vous.
Oh !
Tenez : M. Pertuiset n’a publié que deux volumes. Tandis que vous, je suis en train de vous finir votre quatrième. Eh bien ! M. Pertuiset est de l’Académie Française !
Oh ! voyons, mademoiselle, vous m’achetez… Pas de folies.
Mais non, monsieur, je ne vous achète pas… Il se peut très bien qu’un jour… Oh ! ça, j’aimerais.
Vous êtes trop bienveillante, mademoiselle, mais
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ça ne me déplaît pas. On est vraiment bien tous les deux. La vie est quelquefois si compliquée…
Ah !…
Ici, on est calme… On est bien tous les deux… (Un temps.) Aussi, remarquez-le, quand nous travaillons ensemble, je m’arrange toujours pour être là…
C’est vrai !
Allons ! à l’ouvrage !… Pourvu qu’on ne nous dérange pas !
Oh ! oui, pourvu ! Je reprends, monsieur. En 1722, le chevalier Sifrain de Latour-Latour… (Le téléphone sonne. BRIGITTE se lève.) Vous permettez, monsieur ? (Elle prend l’appareil.) Oui, madame — Oui, madame — Non, madame — Non, madame — Bien, madame — Oui, madame — Non, madame — Bien, madame — Oui, madame — Oh ! ma-
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dame, je vous défends de parler comme ça ! Eh bien, je le lui dirai ! Bon voyage, madame ! (Elle raccroche avec colère.)
Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce qui se passe ? C’était pour le duc ?
Non, monsieur, c’était pour vous.
(bondissant)
Comment pour moi ? C’est moi qu’on demandait ?
Oui, monsieur.
Qui ça ?
Mlle Ariette Mareuil.
(avec éclat)
Et vous ne m’avez pas prévenu ? Vous ne m’avez pas passé l’appareil ?
Vous venez de me dire que vous ne vouliez pas qu’on vous dérange.
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Mais non, mais non ! C’est fantastique. Qu’est-ce qu’elle vous a dit ?
Elle a demandé si vous étiez là.
Et qu’est-ce que vous avez répondu ?
Je lui ai répondu : Oui, madame.
Et qu’est-ce qu’elle a dit ?
Elle a demandé que vous veniez vous-même à l’appareil.
Et qu’est-ce que vous avez répondu ?
Je lui ai répondu : Non, madame.
Et qu’est-ce qu’elle vous a dit ?
Qu’elle ne pouvait pas vous voir demain.
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Et qu’est-ce que vous avez répondu ?
J’ai répondu : Bien madame.
Et qu’est-ce qu’elle a dit ?
Elle a dit qu’il fallait que vous y alliez absolument aujourd’hui.
Qu’est-ce que vous avez répondu ?
J’ai répondu : Non, madame.
Oh ! Et qu’est-ce qu’elle vous a dit ?
Elle a dit que si vous ne veniez pas elle ne vous reverrait de sa vie.
(affolé)
Et qu’est-ce que vous avez répondu ?
J’ai répondu : Bien, madame.
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(furieux)
Qu’est-ce que vous avez fait là !… C’est effrayant ? Et qu’est-ce qu’elle a dit, à la fin, cette pauvre petite ?
La pauvre petite, elle a dit qu’elle se foutait de vous, que dans ces conditions, elle partait dans une heure, pour Biarritz avec l’Argentin et que, du reste, sa mère lui avait toujours dit que vous étiez un pignouf…
(indigné)
Ah !… et j’étais là, à côté de vous, je pouvais tout arranger d’un mot ! Et vous, vous parliez pour moi, devant moi, sans que je le sache. Quel toupet ! Mais pourquoi avez-vous fait ça ? Enfin, pourquoi ?
Pour simplifier votre vie !
Est-ce que vous la connaissez ma vie ?
Très bien.
Hein ?… Mais c’est à se taper la tête contre
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les fauteuils ! Je croyais avoir affaire à une personne modeste, effacée. Et elle a fourré son nez partout. Elle télégraphie pour moi. Elle téléphone pour moi… mes secrets se baladent… Je suis mis à nu… et par qui ? Par une jeune fille de Caen !
(se levant, outrée)
Jeune fille de Caen ! Oh !
Quoi ? Vous n’êtes pas de Caen ?
Si, mais vous l’avez pris dans un sens péjoratif !
Ah ! pas de gros mots !
(qui a arraché ses manchettes)
Je vous les rends, mes petites manches de satinette !
(Elle les arrache et les lui jette.)
Tant mieux ! J’en ai plein le dos de vous et de vos petites manches de satinette !
(Il les jette par terre.)
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(bondissant)
Oh ! Et moi, j’en ai par-dessus les yeux de vous et de vos aïeux !…
Mes aïeux ?
(vidant sa serviette et lui lançant les dossiers)
Ah ! une jolie société !… Un tas de pillards, de brigands, de généraux félons, de diplomates gaffeurs, de chanoinesses dévergondées, sans compter votre archevêque qui a eu quatre enfants, qui n’étaient même pas de lui ! Dire que je me suis donné tant de mal pour retaper cette galerie de fripouilles !… Ah ! oui, je vous les donne !
(chargé de papiers)
Ah ! si je n’avais pas toute ma famille sur les bras, je la tuerais !
Quant à votre arbre généalogique, voilà ce que j’en fais !…
(Elle se précipite vers le dessin et veut le déchirer.)
(s’élançant sur elle)
Oh !… Voulez-vous laisser ça ! Voulez-vous laisser ça ! Rendez-moi mon arbre !…
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Non ! non !
Rendez-moi mon arbre !
(Ils se battent. Elle pousse un grand cri.)
Oh !… Vous m’avez cassé le bras gauche !
Oh ! (Il la lâche. Elle brandit la feuille de la main gauche et la déchire.) Elle a déchiré mon arbre ! Elle a déchiré mon arbre !
(Il ramasse les lambeaux. Elle va reprendre sa serviette et la retourne.)
Et maintenant, je n’ai plus rien à vous… (Une photographie tombe de la serviette.) Ah !… si !… j’oubliais la photographie de votre bonne amie, Mlle Ariette Mareuil… Elle m’a coûté vingt sous… Je ne vous les réclame pas… assassin !
(Elle s’élance dehors. LA DUCHESSE est entrée à temps pour
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entendre le nom de Mlle Ariette Mareuil… Elle reste au fond.)
(sans la voir, au public)
Non, non !… Croyez-vous !… (Il se retourne pour reposer les dossiers.) Croyez-vous !… (Il voit LA DUCHESSE.) Croyez-vous !…
(continuant)
Oh ! cette petite ! Elle peut finir mon livre toute seule, si elle veut, quant à moi, je n’y remettrai plus les pieds !
Vous préférez mettre les pieds dans Mlle Ariette Mareuil ?…
C’est faux !
Hubert, vous êtes chipé.
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Oh !
Vous m’avez trahite ! moi une femme si élevée, moi qui l’autre jour vous écrivais encore… « Vous êtes mon idéal coco ! » O Hubert, je dis : « Vous êtes vraiment de la camelote ! »
Ecoutez-moi ! C’est une calomnie abominable.
Vous osez démentir ?
Je suis un gentilhomme. Ce que vous savez, je l’avoue, mais le reste, je le nie absolument !
Alors, allez, débitez. Quelles preuves donnez-vous pour votre chasteté ?…
Mais toutes… toutes… C’est un flirt, sans conséquences… Ma parole, si vous n’étiez pas au courant, je n’aurais même pas eu l’idée de vous en parler le premier.
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Voulez-vous me laisser gober que vous n’avez pas fait volupté avec cette dame ?
Mais certainement !… Si vous saviez comment ça s’est fait ? Un jour, j’avais besoin de voir le directeur de la Bibliothèque Nationale. On me dit : « Il est aux Folies-Bergère. » J’y vais : Je tombe sur cette petite… car elle est toute petite, vous savez… mais là, toute petite ! rien du tout ! Etre jalouse d’une femme si petite que ça !… c’est fantastique !
Alors pourquoi cette intimité ?
Eh bien, parce que j’ai été ému, ma foi oui, ému un instant… Elle chantait un couplet sur le désarmement… un couplet très bien fait. Ecoutez plutôt : « Qu’on me prenne mon fusil qui tire… »
Oh ! cessez cette poésie insultante !
C’est dommage !… parce qu’il y a une idée…
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bref, j’ai tenu à la féliciter… J’étais très ému… une grande émotion artistique. Et c’est cela que vous me reprochez ? Ah ! Madame la duchesse, vous me faites beaucoup de peine !
Hubert, ne dites pas cette chose !…
(avec gravité)
Beaucoup de peine.
(désolée)
Hubert !…
(avec dignité)
Si…
Hélas ! si seulement vous pouviez me faire croire que vous êtes un peu innocent… et que vous ne reverrez jamais cette dame patriotique.
Mais, la revoir ! Vous ne savez pas ce qui s’est passé tout à l’heure ?
Quoi ?
Mlle Ariette Mareuil a téléphoné.
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Quelle indécence !
C’est ce que j’ai trouvé ! Aussi, savez-vous ce que j’ai fait, moi ?
Non ?
Je ne suis pas allé à l’appareil. J’ai repoussé le récepteur. Oui, malgré ses cris, malgré sa pâleur… Et désespérée, elle quitte Paris ce soir même avec un Argentin de mes amis que j’ai chargé de veiller sur elle.
Cela est donc véridique ?
Et ce n’est pas tout. Sachez encore…
Non, ne dites pas plus… Ne dites pas trop. Je veux vous croire. Vous êtes de votre pays. Vous autres, on ne peut jamais vous aimer sur les deux oreilles. D’ailleurs, j’ai remarqué cette chose : Quand une Américaine et un Français sont en rapports d’amour, toujours
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c’est l’Américaine qui est l’homme et le Français qui est la femme. Il faut être indulgent pour les femmes… Alors, je vous pardonne…
Et vous n’êtes plus fâchée ?
Mettez-vous d’abord à genoux comme dans les romans anglais. (Il s'agenouille) C’est poétique. Prenez ma main et jurez que vous ne serez plus jamais un homme aussi friable.
(lui baisant la main et restant à genoux)
Je le jure.
(pâmée)
Ah ! ce sont là des minutes vraiment consécutives ?
LE DUC entre suivi de BRIGITTE qui porte un paquet d’épreuves. Il allume l’électricité et aperçoit HUBERT aux pieds de LA DUCHESSE.
Oh !
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Oh !
Oh !
(se relevant précipitamment)
Monsieur le duc… comment allez-vous ?
(avec violence)
Je ne me porte pas bien, monsieur. Quant à vous, madame, vous allez me dire, je pense, ce que signifie cette posture indécente ?
(en anglais)
Oh ! I cant answer. (D’une voix aiguë.) I am awfully frightened. You have such a voice and such a face ! What a dreadful thing : this man seems to be quite out of temper. Oh dear me, dear me, dear me…
J’espère, monsieur le duc, que cette explication vous suffit.
(exaspéré)
Non, monsieur, car je ne sais pas l’anglais.
(avec dignité)
Moi non plus !
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(menaçant)
Alors monsieur…
(s’élançant entre eux)
Je vais traduire, monsieur le duc, je vais traduire !
Allez ! Allez !…
Eh bien voilà !… voilà !… Quand vous êtes entré, M. le comte de Latour était aux pieds de Mme la duchesse, car vous avez bien vu n’est-ce pas qu’il était aux pieds de Mme la duchesse ?
Mais oui ! Après ? après ?
Eh bien voilà ! Et il la suppliait, car vous avez bien vu qu’il la suppliait ?
Mais oui ! De quoi ?
Il la suppliait d’obtenir de vous…
Quoi ?
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(hésitant encore)
Que vous posiez sa candidature…
Où ça ?
(avec éclat)
A l’Académie Française.
A l’Académie Française ?
(mourante)
A l’Académie Française !
Il serait vrai, monsieur ?
(que LA DUCHESSE supplie du geste)
Il est vrai.
(s’inclinant)
Mais alors pourquoi ne m’avoir pas dit tout de suite ?…
Parce que vous êtes entré d’une façon si exubérante que je suis restée figée. Oh !
(à LA DUCHESSE)
Excusez-moi, ma chère, mais convenez qu’en apercevant un homme à vos pieds…
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(avec noblesse)
Je comprends votre surprise, monsieur le duc, et je la partage. Mais je suis d’une race où depuis huit cents ans, on n’a jamais rien demandé à une femme sans plier le genou devant elle.
Voilà qui est bien parlé, monsieur ! Depuis dix siècles aussi, tous ceux de mon sang ont eu le genou facile : l’habitude de la prière… Votre main ?
La voici !
(à part)
Ils sont ridicules !
(les regardant)
Quelle beauté !
Je vous demande la permission de me retirer, madame la duchesse. Il faut que je m’habille tout de suite pour pouvoir m’occuper des tables !…
Oui, allez Brigitte… chère petite Brigitte.
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Monsieur le comte n’a plus besoin de moi ?
Non, merci ! merci !
(sortant)
Ce sont des enfants !
(se frottant les mains et souriant)
Ah ! ah ! Et maintenant nous allons causer un peu de votre projet académique.
(vivement)
Oh ! je vous en prie, monsieur le duc !… Oui, j’avais fait ce rêve dans un moment d'exaltation,mais je comprends maintenant combien il est exagéré… audacieux… j’y renonce, je suis enchanté d’y renoncer et je vous promets qu’il n’en sera plus jamais, jamais question… jamais !
Halte-là ! Vous ne pouvez imaginer combien cette candidature imprévue surgit à propos…
Que dit-il ?
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Nous constations tout à l’heure ici même, ma chère, que nous n’avions pas pour succéder à Jarlet-Brézin l’homme qu’il nous fallait.
Eh bien ?
Je m’en inquiétais, je m’en affligeais, je ne me doutais pas que la candidature rêvée se préparait dans l’ombre et qu’une fois de plus la Providence allait me marquer sa bonne grâce !
Oh ! oui, sa grâce si bonne.
Tout vous désigne, parbleu ! Votre attachement aux bonnes idées, votre obscurité, l’insignifiance de votre bagage, le caractère un peu terne de votre personnalité…
Mais…
(au duc)
Oh ! je suis contente. Vous lui parlez déjà comme si vous le receviez sous la coupole.
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Bref, vous êtes notre homme !
(protestant)
Cependant…
(l’interrompant)
Laissez-moi faire. Je vais me concerter avec Bénin et le général. A tout à l’heure. (Il sort en répétant) Intéressant, tout à fait intéressant…
Oh, cher Hubert de Latour-Latour ! nous sommes sauvés !
Vous, oui. Mais moi, je suis dans les choux…
Quels choux ?
Enfin, je veux dire que me voilà lancé dans une aventure inouïe, stupide…
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Comment ?…
Moi à l’Académie !… Cette candidature qui tombe du ciel, à laquelle personne ne pouvait s’attendre, moi surtout : c’est une histoire à me faire fiche de moi par tout Paris. Et au Jockey je n’oserai pas y reparaître ! Ils vont me prendre pour un homme de lettres… C’est extrêmement désagréable. Ah ! je suis joli… je suis joli…
Ne soyez pas énervé.
Je serai blackboulé comme à mon baccalauréat.
Que dites-vous ? Ce n’est pas pareil. Pour le baccalauréat on demande de savoir certaines choses…
Voyons, je n’ai pas l’ombre d’une chance.
Vous avez. Je connais cette commerce. Je
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sais si bien comment se dévideront les choses…
Vous savez ?…
Sitôt votre nom jeté, les gens s’habitueront très vite, et vous encore plus vite… Alors, vous mettrez vos gants, et vous commencerez les courses… les visites. Partout, vous serez accueilli très bien.
(s’adoucissant)
Vous croyez ?…
Oui, parce que vous avez une bon figure. Cela est très rare, un candidat qui a une bon figure… Vous, vous sourirez dès le concierge… dès le valet qui ouvrira la porte… Vous aurez tout de suite les domestiques dans votre parti, cela est important.
Et après… après…
(souriant)
Hubert, je sens : vous êtes mordu !
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Je ne suis pas mordu, mais enfin… continuez, continuez…
Après, on vous fera entrer dans le cabinet de l’Académicien…
Et qu’est-ce que je lui dirai à l’Académicien ?…
Rien du tout… Je vous connais, Hubert ! Vous ne lui direz aucune chose… aucun mot… Alors, il parlera constamment de lui, et quand vous quitterez, il pensera : « Quel charmant causeur ! »
(modestement)
Oh ! Il est trop gentil !
Ainsi, à force de visites, de bons figures et de silence vos chances feront des petits. Le soir, nous marquerons des pointages et alors vous commencerez de penser à votre bel habit vert.
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(très ému)
L’habit !
Au chapeau avec ses petites plumages frisés.
Le chapeau !
Et à la poignée de l’épée !
L’épée !
Enfin, un jeudi, vers une heure, vous serez dans un coin d’un petit café sur la rive gauche, blotti dans l’anxiété, attendant les résultats… A la table, à côté, je suis sûre, il y aura des petits bourgeois du quartier qui joueront les dominos et vous les regarderez, stupéfait… que des gens puissent jouer les dominos dans un tel jour… Des amis feront navette pour vous… Ils porteront les nouvelles. Premier tour : huit voix. Deuxième tour : dix voix.
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(qui prend part)
Oui…
Troisième tour : neuf voix.
Pourquoi ?
Parce que toujours il y a un ami qui vous lâche.
(indigné)
Je saurai qui c’est !…
Quatrième tour, treize voix. Cinquième tour, dix-sept. Elu !…
Eh !…
Tout bêtement… Et, en cette moment-là, vous aurez beau faire le superbe, vous ne sourirez plus et vous penserez tout d’un coup à des choses très simples, très touchantes, un peu rococo, à votre enfance, à votre vieux maison… à votre vieux maman… et vous serez très émute… Moi, je suis déjà !
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(entrant)
M. le duc fait dire à Mme la duchesse que M. Champlain est là !
(remontant)
Oh ! M. Champlain ! Je vais vite…
Qui est-ce donc ?
C’est le secrétaire continuel de l’Académie française.
Oh ! alors, allez !… allez !…
Oh ! Hubert, mon idéal coco !…
(Elle sort.)
(seul)
C’est trop beau ! C’est trop beau ! Je sens en moi une espèce d’ovation, d’apothéose ! Et dire
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que c’est à cause de cette petite, c’est admirable !
(BRIGITTE entre par la porte du second plan à gauche, elle est suivie de trois domestiques qui portent des tables de bridge.)
(sans écouter)
Mettez cette table, là… l’autre ici, plus loin…
Mademoiselle…
(elle se retourne vers lui, très dégagée)
Je vous demande pardon… Je suis occupée.
(remarquant sa robe, qui est simple mais très élégante et un peu décolletée)
Oh !…
Qu’est-ce qu’il y a ? Ça ne va pas ?
(Deux domestiques sont sortis.)
Je ne vous avais jamais vue comme ça ?
C’est tout ?
Non, ce n’est pas tout. Oh ! Mademoiselle…
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Mademoiselle, il faut que je vous dise. Vous venez de me rendre là, tout à l’heure, un service inouï.
Oh ! cher monsieur, il n’y avait pas moyen de faire autrement. Il suffisait de regarder votre tête.
Ma tête !
Elle était navrante ! Je me disais, c’est pas possible, il va trouver quelque chose. Ce ne sera pas de premier ordre, mais ce sera tout de même quelque chose. Mais non, rien ! Vous étiez là, les pieds en dedans. Vous aviez l’air d’un orphelin sous la pluie. On ne pouvait pas vous laisser comme ça… Je me suis rappelé votre aïeul… aux pieds de Mme de Montespan. Et voilà, monsieur ! (Elle s’évente.)
Oui, , mais ce n’est pas tout… Car enfin… si je suis élu à… je ne veux pas dire le mot. (Il va toucher du bois.) C’est à vous que je le devrai ! Je vous ai une reconnaissance infinie.
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(sèchement)
Vous ne me devez aucune reconnaissance.
Comment après une telle preuve d’amitié ?
Je n’ai pour vous aucune amitié.
Allons donc !
Aucune !
Alors pourquoi auriez-vous fait tout ça ? Je ne comprends pas !
N’essayez pas… il y a une petite chose que vous ne comprendrez jamais.
Laquelle ?
L’ensemble, la vie.
Tout ça c’est des mots. Mais vous voyez bien : vous ne pouvez pas répondre !
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Ça serait facile !
Je vous en défie !
(outrée)
Vous m’en défiez ?…
Oui…
Vous voulez le savoir ?
Oui, je veux le savoir.
Vous n’avez pas peur ?
Non, je n’ai pas peur.
Et bien, tout ce que j’en ai fait, je l’ai fait par amour !
Quoi ! qu’est-ce que ça veut dire ? par amour pour qui… par amour pour quoi…
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(avec fureur)
Par amour pour vous !
(médusé)
Pour moi !
Oh ! tenez, vous êtes l’homme le plus bête que j’aie jamais vu ! (Un temps.)
(à mi-voix)
Par amour pour moi ?
(changeant de ton)
Adieu, monsieur.
Quoi ?
(avec gentillesse)
Je vous ai dit tout à l’heure un mot qu’il ne fallait pas dire… ou bien c’était le dernier.
Mais pourquoi ne l’avez-vous pas dit plus tôt ?
Je ne sais pas… si je sais… c’est parce
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que je n’avais jamais eu la robe qu’il fallait pour ça.
Mais ça ne faisait rien…
Oh ! que si… alors, je vais partir.
Quand ?
Tout à l’heure.
Pour longtemps ?
Pour tout à fait…
Où allez-vous ?
Très loin, dans de la province.
(très ému)
Alors je ne vous reverrai plus ?
Non… mais moi je vous reverrai une fois…
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Une fois ?
Une seule… le jour… où vous…
Quel jour ?…
Non… ça c’est mon affaire. Seulement, avant de partir, je voudrais vous demander quelque chose.
Quoi donc ?
C’est une idée que j’ai eue tout de suite en vous voyant pour la première fois à Trouville. Oh bien sûr, ce n’est pas une idée extraordinaire, ça ne casse rien…
Dites… dites ?
(d’une voix qui tremble un peu)
Eh bien, je voudrais vous demander la permission de vous embrasser…
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M’embrasser ?
Oui, si ça ne vous dérange pas ?
Pas du tout… C’est une très bonne idée. (Un temps très long.)
Est-ce que vous venez ou aimez-vous mieux que je vienne ?
Je crois que c’est plus convenable que ce soit moi… (Il s’approche d’elle.)
Je peux !
Oui !… (Elle se dresse sur la pointe des pieds et va l’embrasser sur les joues, mais il tourne la tête vers elle et brusquement leurs lèvres se rencontrent.)
(s’enfuyant brusquement)
Adieu !
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(voulant la rattraper)
Brigitte !… Brigitte !…
La porte du fond s’ouvre ; arrivent LA DUCHESSE, LE DUC, LE GENERAL, BENIN, M. CHAMPLAIN
(entrant, suivie du DUC, de CHAMPLAIN et du GENERAL)
Hubert ! Stoppez !
Mais…
(s’avançant, gravement)
Mon cher ami, au nom de mes collègues et de notre parti, au nom de M. Champlain, secrétaire perpétuel de l’Académie Française, ce m’est une profonde satisfaction de vous annoncer que vous être notre candidat ! Dans un mois, peut-être, vous serez Immortel.
Immortel… pour toute ma vie
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!
LA DUCHESSE, (défaillant)
Ah !… Ah !…
Qu’avez-vous ?… (Mouvement général.)
LA DUCHESSE
Ce n’est rien… l’émotion, la joie… Je suis dans un état complet de prostitution. (Emotion générale.)
(avec dignité)
La duchesse est étrangère…
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La salle des séances de l’Académie, le jour où l’on reçoit HUBERT de LATOUR-LATOUR. — Pendant toute la première partie de l’acte jusqu’au roulement de tambours qui annoncera le bureau, le public entre continuellement par les premiers plans droite et gauche et par les deux portes du fond droite placées derrière le bureau du président. Des membres de l’Institut arrivent également, s’asseyent, causent. Murmure léger qui s’accentue pour certaines entrées. Des huissiers à chaîne se tiennent à droite, à gauche et au fond. — Au lever du rideau, un certain nombre d’assistants sont installés déjà. Des membres de l’Institut sont à leurs places, des invités au centre et sur les gradins. PINCHET est à l’entrée de gauche, en habit. Il reçoit les arrivants. — Il fait très chaud. Les femmes s’éventent. Un rayon de soleil violent tombe de la coupole.
(à plusieurs arrivants)
Par ici, non, madame, c’est une carte de tribune ! Escalier B. Par ici, monsieur et madame. (Entrée de M. et de Mme de Saint-Gobain.)
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Bonjour, monsieur le baron, madame la baronne…
(Entrée de Mme de Jargeau et de Mme Jeanvrê. Le secrétaire du duc va à elles.)
Mesdames, madame la duchesse m’a prié de vous retenir ces deux places…
Mille fois merci, monsieur.
Quel est ce jeune homme ?
C’est M. Laurel, l’ancien secrétaire du duc… qui l’a repris après le départ de mademoiselle Brigitte.
Qu’est-ce qu’elle est devenue, cette petite Brigitte ?
Elle a quitté les Maulévrier brusquement il y a huit mois. Depuis, on n’a plus entendu parler d’elle… (Les Saint-Gobain s’approchent.) Bonjour, mon cher baron… chère amie…
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Quelle température !… C’est épouvantable !…
On étouffe, monsieur Pinochet !
C’est effrayant ! Si on ouvrait des fenêtres ?…
(avec dignité)
Madame, il n’y a pas de fenêtres à l’Académie.
Mais alors, comment fait-on pour changer l’air ?
On ne l’a jamais changé, madame.
Ah !… (A Saint-Gobain.) Cher monsieur, qu’est-ce que c’est que ces deux petites loges, là-haut ?
Celle-ci, à droite, est réservée à la famille du défunt. Celle-ci, à gauche, est celle du Président de la République.
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Alors, c’est là que monsieur Durand va venir ?
Non, madame, le chef de l’Etat ne vient jamais à l’Académie et je ne pense pas que notre nouveau Président, M. Durand, change cette coutume.
Ah ! voilà la duchesse !
(Tous vont au-devant d’elle. Vif mouvement de curiosité dans l’assistance.)
(à LA DUCHESSE)
Madame la duchesse…
Chère amie…
C’est un grand jour pour nous.
Madame la duchesse, je vous présente mes respects…
(répondant aux saluts)
Merci… merci… Oh ! oui, si contente !… Je suis dans les anges !…
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Quel succès pour M. de Latour-Latour !
Etre élu ainsi à la première fois qu’il se présente !…
M. Victor Hugo ne l’a été qu’à la quatrième.
Il fait si torridement chaud !… Oh ! Dites-moi, n’avez-vous pas déjà vu M. Parmeline ?
Non.
Si vous l’apercevez, jetez-le vers moi ; j’ai si besoin de lui parler…
Que je vous suis reconnaissante, madame la duchesse, de m’avoir envoyé cette place !…
N’est-ce pas la première fois que vous supportez une réception académique ?
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Mais oui… et je suis très heureuse… Quels sont ces messieurs… là, sur ces bancs ?
Ce sont des académiciens de l’Institut.
Et qui est cet évêque ?
Monseigneur de Tarentaise, un de nos derniers élus.
Il cause avec une bien jolie femme.
C’est mademoiselle Maréchal de la Comédie-Française.
De quoi peuvent-ils parler ?… De Marie-Madeleine ?
Mademoiselle Maréchal est des fidèles de l’Académie. Elle a bien voulu nous pardonner Molière et elle ne manque pas une de nos séances de réception.
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C’est sa meilleure rôle.
Où se placera M. de Latour-Latour ?
Là, entre ses deux parrains.
Il n’y a pas de marraine ?
Il y en a toujours, mais on ne les nomme pas. (LA DUCHESSE s’élance vers PARMELINE qui vient d’entrer.) Ah ! c’est Parmeline !… Oh ! vite, approchez. (Elle l’entraîne à droite.)
Madame la duchesse, j’arrive plein d’enjouement, et…
Qu’avez-vous fait avec la lettre ?
(sans comprendre)
La lettre ?
Ma lettre, que je vous ai confiée hier d’une façon clandestin ?
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A moi ? Vous êtes sûre ?
Oh ! rappelez-vous !… Après dîner, dans le boudoir… Vous étiez à côté de moi, lisant le propre discours que le cher duc va prononcer tout à l’heure. Moi, à la veille de ce jour grandiose, j’ai eu le besoin d’écrire à Hubert, puisque je le vois si peu maintenant. Alors, j’ai écrit sur mon grand papier bleu.
Ah ! un papier bleu…
Oui, bleu ! Et ma lettre commençait par « Mon coco, my dear Hubert coco ». Et après, je récapitulais tout mon amour…
(se frappant le front)
Attendez…
A cette moment, le duc est entré, inopiné…
Et vous m’avez brusquement passé la lettre.
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Oui, pour le dissimuler. Et ce matin seulement, je me suis souvenue… Où l’avez-vous mis ? Qu’avez-vous fait avec ?
Mais… voyons… voyons… J’ai dû la jeter dans la cheminée, dans le feu.
Il n’y avait pas de cheminée dans le feu !
Alors, je ne sais plus… C’est affreux !
Oh ! quelle angoisse !
Rassurez-vous ! Elle ne peut être que chez moi… chez Parmeline…
Alors, courez vérifier… courez brusquement !…
J’y vais, j’y vais !…
(PARMELINE s’élance vers la sortie de gauche, au milieu des protestations des gens qu’il bouscule. La salle est complètement
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pleine. Brouhaha confus, puis on entend au-dehors, à droite, un roulement de tambours… Deux huissiers se placent aux portes, derrière la tribune. On entend le commandement « Présentez… armes ! », le choc des crosses.)
Qu’est-ce que c’est ?
Ce sont eux ! (Un huissier entre suivi des académiciens, LE DUC, HUBERT, etc.) Voilà les secrétaires… et ça, c’est le bureau…
Le voilà !
Comme elle est pâle !
(Tous vont s’asseoir à leurs places. Murmure sympathique.)
(tousse et prononce les paroles sacramentelles)
La séance est ouverte. La parole est à M. le comte de Latour-Latour.
(se lève, nouveau murmure. Il prend son manuscrit à la main et commence d’abord d’une voix émue et bientôt raffermie, lisant :)
« Messieurs, tout pénétré de gratitude et
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tout ému encore de la bienveillance que vous m’avez témoignée en m’accueillant dans votre compagnie, je ne crois pouvoir mieux le reconnaître que par une franchise qui a son élégance. Je vous l’avouerai donc tout d’abord, messieurs : c’est la première fois que j’assiste à une réception académique. Il est vrai de dire que celle-ci n’aurait pu que malaisément se passer de ma présence. Pardonnez-moi ce trait d’esprit échappé à mon émotion. En vérité, messieurs, à la vue de cette réunion illustre et choisie où la grâce tend une main à la gloire et l’autre à la postérité, je cherche vainement à dépeindre l’impression distinguée que je ressens. Et pour l’exprimer, je ne puis mieux faire que de reprendre le mot si fin et si spirituel que mon aïeul, le lieutenant-général de Latour-Latour répondit au roi Charles X qui lui faisait visiter les jardins de Saint-Cioud : « C’est charmant ! » Admirable compagnie que la vôtre, messieurs. En jetant les yeux autour de moi, je discerne avec quel art vous l’avez compo-
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sée. Ne semble-t-il pas que vous ayez voulu tout y prévoir ? Avec quelle sérénité je considère désormais l’existence : Suis-je inquiet de ma santé ? J’aperçois parmi vous un savant physiologiste. Souhaitai-je d’obtenir un sursis pour l’un de mes serviteurs ? Voici un général. Rêvai-je d’une croisière en yacht, au cours de l’été ? Voici un amiral. Ai-je des difficultés d’argent ? Voici un économiste. Suis-je aimé ? Voici un poète. Suis-je trompé ? Voici un philosophe. Ai-je commis un acte délictueux ? Voici un grand avocat. Ai-je besoin de scepticisme ? Voici un homme politique. Ai-je le désir de me venger d’un ennemi ? Voici un célèbre philanthrope. Ai-je envie de me confesser ? Voici un évêque ! Cette conception assez neuve, mais assez profonde, je pense, du rôle de l’Académie Française, fut, je le crois fermement, celle du cardinal de Richelieu, lorsqu’il eut l’idée, de derrière la pourpre, de fonder votre compagnie. C’est en méditant sur ce thème, messieurs, que j’ai été amené à découvrir les raisons qui vous ont déterminés à m’accueillir. Vous avez voulu, une fois de plus,
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appeler à vous une personnalité représentative de toute une classe sociale. Oui, messieurs, je le proclame avec un piquant mélange de modestie et de fierté, ce que vous avez élu en moi, c’est l’homme du monde ! Qu’est-ce qu’un homme du monde ? (Petit frémissement dans le public.) Que représentent ces deux mots : homme et monde, qui, considérés séparément, n’offrent aucun intérêt et qui prennent tant de profondeur et de noblesse lorsqu’ils s’associent dans cette expression : un homme du monde ? L’homme du monde, messieurs, c’est l’être choisi, formé lentement, par le travail des siècles. Les âges préhistoriques l’ignorent. En fouillant les terrains quaternaires, les savants ont pu retrouver des fragments de mammouths et d’aurochs. Mais aucun fragment d’homme du monde. Il n’apparaît que dans les civilisations raffinées. Alors il se nomme Alcibiade dans Athènes, il s’appelle Pétrone dans Rome. Mais les invasions barbares le submergent et c’est justement parce qu’il a disparu qu’elles sont barbares. Imaginez, messieurs, ce qu’eût
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pu faire Attila, si, au lieu de n’être qu’un guerrier redoutable, il eut été en outre un parfait homme du monde ? Il reparaît au temps de la Renaissance, avec les lettres et les arts, la grâce et l’infidélité. Il reçoit le coup de soleil du dix-septième siècle, le coup de poudre du dix-huitième, pour atteindre enfin le maximum de sa forme dans la société moderne qui le porte, si j’ose ainsi parler, comme une orchidée à sa boutonnière. Pardonnez-moi ce trait d’observation dont la justesse m’a charmé ! L’homme du monde ne fréquente que peu de gens et peu d’idées. C’est sa faiblesse aux yeux de certains, aux miens, c’est son honneur. Brummel disait que l’homme parfaitement bien habillé est celui dont nul ne peut remarquer qu’il est bien habillé. De même, l’homme parfaitement spirituel est à mes yeux celui dont personne ne peut apercevoir qu’il est spirituel. Tel a été l’idéal où j’ai sans cesse tâché d’atteindre. Y ai-je réussi ? (Applaudissements.)
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J’en arrive, messieurs, puisqu’il faut vous parler de lui, à l’éminent polygraphe auquel je succède ici. C’est à moi qu’échoit l’honneur de vous entretenir de M. Jarlet-Brézin. Cela est, à vrai dire, d’autant plus singulier que vous l’avez tous connu, tandis que je ne l’ai jamais rencontré. C’est là une des bizarreries les plus respectables de vos illustres usages. Jarlet-Brézin naquit à Lille. Le journalisme, le roman, le théâtre l’attirèrent mais ne le retinrent pas. Je crois avoir démêlé les raisons profondes de ces échecs répétés qui appelèrent sur lui votre attention bienveillante. Dans son œuvre comme dans sa vie, Jarlet-Brézin ignora la femme ! »
(interrompant)
Pauvre homme !
« Ah ! plaignons-le, messieurs ! La femme, je ne crains pas de le dire, c’est la grâce, c’est la pitié, c’est l’harmonie, c’est la tendresse de l’amour, et l’amour de la tendresse. Et admirez combien elle est diverse ! La femme ! c’est l’épouse, c’est l’amante,
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c’est la mère, c’est la fille, c’est la sœur, c’est la grand-mère, c’est la petite-fille, c’est la tante, c’est la belle-sœur, c’est la belle-mère, c’est la belle-fille, c’est la cousine à la mode de Bretagne !… La femme, elle est partout : Regardons vers le peuple. C’est l’ouvrière, c’est la paysanne, c’est la servante, c’est la modiste, c’est la cantinière, c’est la fleuriste. Levons les yeux. C’est la reine, c’est la princesse, c’est la duchesse, c’est la marquise, c’est la comtesse, c’est la baronne ! Messieurs, au nom de la France, je salue la femme et au nom de la femme, je salue la France. Jusqu’à l’âge de cinquante ans, messieurs, la vocation de Jarlet-Brézin est incertaine. Il avait échoué comme chroniqueur, il avait échoué comme romancier, il avait échoué comme auteur dramatique. Il avait échoué partout. En lui, s’était accumulée une force peu commune d’amertume et de sévérité. Il songea alors que de telles qualités ne pouvaient rester sans emploi, et il entra dans la critique.
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Ah ! la critique, messieurs. Jamais nous ne ferons assez son éloge ! Combien d’écrivains qui ne trouveraient rien à écrire s’ils n’avaient pu se donner à la critique ? Combien d’excellents esprits qui auraient dû, si cette carrière ne s’était ouverte à eux, borner leur mérite aux soins d’un petit commerce, ou aux plus minces emplois de l’administration ? Jarlet-Brézin fut l’honneur de ce genre éminent. Pendant vingt ans il jugea les œuvres littéraires et dramatiques. Il jugea passionnément, évitant de comprendre pour être mieux compris, fidèle à sa mission qui était d’abattre des talents et d’en décourager d’autres. C’était au demeurant le meilleur et le plus doux des hommes ! » (Attendrissements de l’auditoire. Bravos. HUBERT boit. Pendant cette petite pause, PARMELINE est entré en dérangeant plusieurs personnes qui protestent. Il va s’asseoir à côté de LA DUCHESSE.)
Eh bien ?
J’ai tout fouillé chez moi… Rien.
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Peut-être dans l’auto, vite… allez voir.
(PARMELINE sort de nouveau en dérangeant les mêmes personnes, qui commencent à être exaspérées.)
(reprenant son discours)
« Tel est l’écrivain considérable, messieurs, dont je suis appelé à tenir parmi vous la place. Certains folliculaires s’en sont montrés surpris. Pour moi, je ne l’ai pas été. La destinée semblait avoir, dès longtemps, préparé le choix que vous avez fait. Permettez-moi, à ce propos, d’évoquer un souvenir puéril, mais gracieux. Et ce sera l’anecdote inutile et touchante qu’il est coutume de placer en tout discours de réception académique. Vous n’ignorez point, messieurs, que l’on offre souvent aux petits garçons des panoplies de cuirassiers, d’artilleurs ou de garde-chasse. Ils en conçoivent une juste fierté. Or, lorsque j’atteignis six ans, mon grand-oncle qui peut-être avait rêvé l’honneur qui m’échoit aujourd’hui, eut l’idée de faire exécuter pour ma fête, une petite panoplie d’académicien. Quelle ne fut pas mon
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ivresse, messieurs, en revêtant le petit habit vert, en coiffant le petit chapeau à plumes, en ceignant la petite épée. Je m’élançais dans le jardin, désireux d’éblouir une petite cousine dont j’étais éperdûment épris. Mais elle me regarda sans admiration et s’éloigna en disant simplement « J’aime mieux les zouaves. » Et le soir de ce jour, le jardinier de ma famille eut la stupéfaction de trouver sous les groseilliers du potager un tout petit académicien qui pleurait. »
(L’auditoire applaudit. Petits murmures. Charmant ! Ravissant ! HUBERT boit. PARMELINE rentre, même jeu. Il fait de grands gestes à LA DUCHESSE par-dessus le public qui les sépare.)
Rien…
Oh !
(continuant)
« Voilà, messieurs, comment naquit en moi la haute ambition de siéger un jour parmi vous. Le prestige et la vertu de votre compagnie sont tels qu’ils transfigurent tous ceux
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que vous y admettez. Déjà je distingue en moi des symptômes inconnus. Il me semble éprouver les premières atteintes de l’immortalité ! Je ne sais quoi de nouveau s’éveille en moi : Depuis que je suis académicien. J’ai envie d’écrire ! » (Il s’assied. Bravos prolongés. Tout le monde s’évente et s’éponge. Petit remue-ménage. Les parrains serrent la main d’HUBERT. On félicite LA DUCHESSE.)
Quelle température !
Il paraît que le discours que va prononcer le duc est admirable aussi.
Admirable ! dans le grand style… du Louis XIV.
Oui. Tout à fait un pistache du XVIIe siècle.
(Sonnette à la tribune. LE DUC se lève. Mouvement général. LE DUC tousse et commence à lire son discours.)
« Monsieur… Après m’être mêlé aux approbations
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qui ont accueilli votre harangue, je me plais à songer que ce jour est proprement pour moi de ceux dont on peut dire qu’ils sont marqués d’une pierre blanche. Comment ne me plairai-je pas, monsieur, à voir l’amitié que je vous porte s’accorder si parfaitement avec l’estime où je vous tiens, à rappeler en cet instant les liens affectueux qui nous unissent, et à vous dire comme Epictète à ses disciples préférés : « Mon coco… My dear Hubert coco… »
(Il vient de tourner une page et on aperçoit entre ses mains une grande feuille bleue. Sensation. LE DUC tient à la main la feuille trouvée dans son discours. Il répète avec fureur : « Mon coco… My dear Hubert coco… » Mouvement général. Cris divers. On se lève. LE DUC lâche son discours, passe la main sur son front. Le chancelier et le secrétaire perpétuel se lèvent. Brouhaha général. PARMELINE s’élance vers LA DUCHESSE.)
Ma lettre !…
Catastrophe ! Cinq bémols.
Qu’est-ce qui se passe ?
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De l’air ! de l’air !… Mon coco !…
Il est malade. C’est cette température… Qu’est-ce qu’on va faire ?
(se débattant et retenu par ses deux collègues qui essaient de couvrir sa voix)
Laissez-moi !… Laissez-moi ! Ça ne se passera pas comme ça !
(qui a regardé la lettre)
Messieurs… notre collègue est subitement souffrant… la chaleur… La séance est suspendue pour quelques instants.
Huissiers, faites évacuer la salle.
(désespéré)
C’est sans précédent !,.. Par ici, messieurs… par ici mesdames.
(Les huissiers font évacuer la salle.)
(frappant le sol du pied)
Je suis un misérable ! Terre ! ouvre-toi ! Elle ne s’ouvre pas !
(Pendant ces dernières répliques et le tumulte général, LE DUC est descendu de la tribune suivi par LE GENERAL et CHAMPLAIN.
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PARMELINE s’efforce de réconforter LA DUCHESSE qui s’est effondrée sur une chaise. PINCHET revient également vers elle.)
(allant à LA DUCHESSE, brandissant la lettre bleue)
Madame…
Odet !
Madame !…
Cher Odet, ne m’écrasez pas. Je suis saccagée !
Monsieur Parmeline, je vous prie d’offrir votre bras à madame la duchesse, de lui prodiguer vos soins respectueux et de ne la point quitter. Allez.
(offre son bras à LA DUCHESSE. LA DUCHESSE a un mouvement de recul)
Oh ! vous pouvez accepter, madame la duchesse. C’est un cadavre qui vous tend la main. Je me tuerai dès demain matin, dès mon réveil. (Ils sortent.)
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, (qui a été retenu un instant au fond de la scène par les derniers sortants, descend près du duc)
Monsieur LE DUC…
Vous, monsieur !
Je tiens à dire bien haut tout ce qu’un homme du monde doit dire en pareil cas.
Vous l’avez dit. Sortez.
Mais…
Sortez !
Venez ! Venez ! (Il l’emmène.)
(en sortant)
Eh bien ! c’est amusant les réceptions à l’Académie !…
Ce n’est pas toujours comme ça ! (Ils sortent, mais entendent encore les trois répliques suivantes.)
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Mon manteau, ma voiture ! immédiatement !
Que dites-vous, monsieur le duc ? Et la séance ?
Elle ne reprendra pas !
Mais ce serait un scandale sans exemple depuis que l’Académie existe !
Alors, vous vous imaginez que je vais, pendant une heure, couvrir ce monsieur de compliments et d’éloges, le féliciter devant cinq cents personnes… Moi, lui !… Ah ! non ! Vous êtes extraordinaire !… Je m’en vais.
Je vous en supplie, monsieur le duc, songez à notre fondateur, songez au cardinal de Richelieu !…
Monsieur Pinchet, au moment où l’on vient d’apprendre que l’on est cocu, le cardinal de
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Richelieu est la dernière personne à qui l’on pense !
Jamais je n’ai souffert comme ça, monsieur le duc… ne dites pas des choses pareilles ici… Souvenez-vous de l’endroit où nous sommes… cette salle, ces bancs… Voici la place où s’asseyait M. de Lamartine ! Et ces statues qui nous contemplent : Fénelon, Bossuet, demandez-vous ce que ces grands hommes auraient fait dans la situation où vous vous trouvez ?
Ils s’en fichaient bien. C’étaient des évêques. Ma résolution est inébranlable : je ne lirai pas mon discours !
(BENIN rentre, suivi du général et du doyen,)
Mon cher ami, dans cette situation désespérée, nous avons cru devoir faire appel à la plus haute autorité qui soit ici… Voici monsieur le doyen des cinq académies.
(à PINCHET)
Veuillez bien mettre monsieur le doyen au courant.
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Ah ! il ne sait pas !… Voici ce qui se passe, monsieur le doyen.
(tend l’oreille. Il est très âgé et un peu croulant)
Quoi ?
Un peu plus fort !
Ah ! oui… Votre confrère… a cru s’apercevoir tout à l’heure que madame la duchesse…
(furieux)
Comme c’est agréable !
Et votre nouvel élu.
Heu ! Heu ! Heu ! Heu !
… Entretenaient des rapports injurieux pour son hon...
Heu ! Heu ! Heu ! Heu ! Cocu ! Cocu !
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(outré)
Oh ! Emmenez-le, emmenez-le !… Emmenez-le !…
Oui… oui… évidemment… Le doyen était inutile….
(LE GENERAL et BENIN emmènent LE DOYEN dont le rire aigu exaspère LE DUC.)
(barrant le chemin au duc qui veut sortir aussi)
Non, monsieur le duc… non… non… jamais, jamais.
Monsieur Pinchet !
Oh ! monsieur le duc, je sais que c’est bien de l’audace de ma part d’intervenir auprès de si hautes personnalités. Excusez-moi.
Je vous excuse… parce que vous ne pouvez pas comprendre.
Si… très bien.
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Non, monsieur Pinchet, pour cela, il faudrait avoir été à ma place.
J’y ai été, monsieur le duc.
Vous !
Oui, c’est des choses qui arrivent aussi aux petites gens. Je ne croyais pas que je révélerais jamais cela à personne mais il me semble que je le dois en ce moment… Il y a quinze ans, monsieur le duc, c’était un jour de réception comme celui-ci. Madame Pinchet venait à peine d’entrer dans sa maturité… Elle avait une assez jolie taille, elle luttait encore… La séance avait été plus courte qu’on ne le pensait, enfin je remontai plus tôt qu’on ne m’attendait dans le petit appartement que j’habite à l’Institut. J’y trouvai dans une attitude qui ne permettait aucun doute sur leurs sentiments, madame Pinchet et un jeune homme de province dont j’appuyais moi-même la candidature pour un prix de vertu. Oh ! je
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vous jure, monsieur le duc que je fus sur le point de faire un éclat et de chasser l’épouse infidèle. Heureusement, j’étais placé près de la fenêtre, dans le jour qui tombait j’aperçus… la Coupole !… Alors, j’eus une lueur, je compris que je n’étais pas seul en cause ; que le fait s’était passé à l’Institut, qu’un scandale, même modeste, rejaillirait un peu sur la grande maison à laquelle j’avais l’honneur d’appartenir. Oh ! ce fut dur, mais je me maîtrisai… et je dis à ma femme : « Madame Pinchet, je te pardonne. » Ça n’était pas vrai, je ne lui ai pardonné que plusieurs années après. Eh bien, monsieur le duc, je crois que j’ai eu raison, et il me semble, permettez-moi de vous le dire bien respectueusement, que ce qu’un pauvre homme a fait pour l’honneur de l’Académie Française, le duc de Maulévrier ne peut pas ne pas le faire !
(très ému)
Pinchet, vous êtes un brave homme. Votre main…
Oh !… Alors ?
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(se maîtrisant)
Alors… Alors… je vais reprendre mon discours. (BENIN, le secrétaire perpétuel et LE GENERAL rentrent de gauche.)
(avec ivresse)
Messieurs, la séance continue !
(Il s’élance vers la tribune, prend la sonnette et l’agite. Le public commence aussitôt de rentrer par les quatre entrées dans un brouhaha général.)
(au duc)
C’est bien ce que vous faites.
C’est beau, c’est très beau !
C’est superbe.
(LE DUC remonte vers la tribune tandis que la salle continue à se remplir. Plusieurs académiciens s’informent de sa santé. Au second plan viennent reprendre place M. et madame SAINT-GOBAIN, MADAME DE JARGEAU. Les répliques suivantes s’échangent pendant que la salle achève de se remplir.)
Mesdames, messieurs, monsieur le directeur de l’Académie remis d’un malaise passager va reprendre son discours.
(LE DUC se lève. Applaudissements.)
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(reprenant son discours. Il se contient, mais ses yeux menaçants et ses gestes violents contrastent avec ses paroles.)
« Comment ne me plairai-je pas, monsieur, à voir l’amitié que je vous porte, s’accorder si parfaitement avec l’estime où je vous tiens, et à vous dire comme Epictète à l’un de ses disciples préférés : Vous êtes aimé des Dieux. Vous êtes chéri des Muses ! Vous êtes un homme heureux ! Et ma main vous couronnera de fleurs ! »
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(Un huissier apporte des papiers, puis MOURIER entre.)
(entrant)
Monsieur le Président de la République n’est pas encore là ?
Non, monsieur le secrétaire général.
(regardant sa montre, avec une nuance de blâme)
Dix heures… Ah !…
(LE COMMANDANT du palais entre.)
Mon cher secrétaire général…
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(L’HUISSIER sort.)
Bonjour, monsieur le commandant du Palais… (Poignée de mains.)
Je suis un peu en retard. J’attendais le rapport de la commission chargée de l’achat de deux foxterriers pour les écuries.
A quoi conclut-elle ?
A une enquête.
(annonçant)
Monsieur le Président de la République.
(entrant)
Bonjour, colonel, bonjour, Mourier. (A L’HUISSIER.) Dites-moi, Louis, ma filleule n’est pas encore descendue de sa chambre ?
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Monsieur le président, mademoiselle Touchard est sortie depuis longtemps déjà. Elle a dit qu’elle viendrait voir M. le président à onze heures, et elle a demandé qu’on descende ses valises.
Ah !
Seulement, nous n’avons personne pour ça. Ça ne rentre pas dans le service du personnel de l’Elysée… et comme il est syndiqué…
C’est effrayant… Ah ! nous ne sommes pas gouvernés !
Alors, j’ai référé au directeur du matériel.
Et qu’a-t-il décidé ?
Il a envoyé un garde municipal à cheval à Auteuil pour demander un homme de peine qui a été recommandé par M. le rapporteur du budget.
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Cela va nécessiter une ouverture de crédit.
Inutile, vous direz qu’on laisse les valises de mademoiselle BRIGITTE où elles sont. Si on les descendait, j’ai l’impression qu’il faudrait les remonter.
Bien, monsieur le président. (Il sort)
Eh bien, colonel, quoi de nouveau ?
Je venais vous demander, monsieur le président, quel est le service du jour pour la maison militaire ?
Vous prierez le commandant Montagnac de me représenter au mariage de mademoiselle Isaac Lévi, la fille du sénateur socialiste unifié.
Où a lieu le mariage ?
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A Saint-Thomas d’Aquin.
Et le capitaine Froment ?
Vous l’enverrez au banquet annuel des fils des amis de Gambetta.
Bien, monsieur le président, et l’attaché naval ?
Ah diable… ah oui… l’attaché naval. C’est curieux, je ne sais jamais qu’en faire de l’attaché naval. C’est un garçon très gentil. Ah ! eh bien ! qu’il aille assister à la séance d’ouverture de la Société de musique symphonique.
Bien, monsieur le président. (Il sort.)
Et nous, Mourier, qu’est-ce que nous avons ?
Voici, monsieur le président, le rapport de
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police de la journée d’hier. Ah ! puis, j’ai à vous soumettre le texte de la dépêche officielle que vous devez adresser à Sa Majesté le Tzar en l’honneur de son anniversaire. (Il lui tend un papier.)
(parcourant des yeux)
« Au nom du Gouvernement, j’ai l’honneur d’exprimer à Votre Majesté… » Très bien. Dites au chef du protocole que j’approuve la rédaction et qu’il peut envoyer la dépêche.
Oh ! Elle est déjà partie, monsieur le président.
(étonné mais résigné)
Ah ! bien ! bien ! Y a-t-il des audiences, ce matin ?
Rien de particulier, monsieur le président, mais je vous rappelle qu’à midi le nouvel académicien, M. de Latour-Latour dont la réception a eu lieu hier, sera présenté à votre agrément par le directeur de l’Académie et ses parrains.
A propos, on m’a dit que le duc de Maulé-
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vrier s’était trouvé un peu souffrant au cours de la séance ?
Un très léger malaise… la chaleur… cela n’a eu aucune suite.
Tant mieux. J’ai prié ces messieurs, ainsi que madame la duchesse de Maulévrier, de déjeuner à l’Elysée après la présentation, je les plains !
Pourquoi, monsieur le président ?
Mais, mon ami, parce que la cuisine de l’Elysée est infâme. Il faut absolument changer le chef.
Oh ! Monsieur le président, ce serait une grosse affaire politique…
Politique ?
Le cuisinier chef de l’Elysée fait partie de
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la loge maçonnique « Les Inséparables de l’Arc-en-ciel ». Il y est 33e Honneur, c’est-à-dire qu’il a un grade supérieur à celui du ministre actuel de la Justice.
Alors, je ne vais pas pouvoir mettre à pied ce gargotier avant sept ans ! C’est charmant !
(entrant)
Monsieur le président, on téléphone des Affaires étrangères pour savoir si vous avez signé le décret de mise en disponibilité de l’Ambassadeur de France à Stockholm.
Oui, oui, voilà. (Il signe. A MOURIER :) C’est plus facile que pour le cuisinier ! (Il lui donne un papier) A propos, est-ce qu’on vous a donné les renseignements que j’ai demandés sur les affaires de Perse ?
Monsieur le président, le ministre a répondu qu’il ne pouvait rien vous dire.
Ah ! bien… bien !… (Le secrétaire particulier sort.) Et
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vous, Mourier, avez-vous demandé à l’Intérieur où en étaient les grèves du Nord ?
J’ai demandé, monsieur le président, mais le ministre a fait répondre qu’il valait mieux que vous ne vous en occupiez pas.
Ah ! bien ! bien ! Dites-moi, vous me ferez envoyer les journaux que je sache un peu ce qui se passe ?
Bien, monsieur le président. (Il remonte.)
(seul, s’enfonce dans son fauteuil et réfléchit)
Déjà dix heures et demie. Cette petite Brigitte…
(L’HUISSIER entre.)
(L’HUISSIER apporte une carte qu’il présente.)
Ce monsieur demande à être reçu, monsieur le président.
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Oh ! comment donc !
(remonte, s’efface et annonce)
M. le duc de Maulévrier !
(entrant)
Monsieur le président !…
Très heureux, mon cher duc, de vous voir… et de vous voir ici.
Je vous entends. Le duc de Maulévrier chez le premier magistrat du régime, c’est en effet une chose assez immense. Soyez assuré que je ne m’y fusse point risqué si tout autre que vous eût occupé les fonctions de Président de la République.
Très touché, mon cher duc.
Vous plaisent-elles toujours ?
Mais oui…
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Tant mieux, elles sont, en somme, des plus honorables. Malheureusement, aucun avenir…
(souriant)
Oh ! aucun ! mais asseyez-vous, je vous prie.
Merci. Si j’ai ce matin devancé l’heure où vous m’avez convié, c’est que j’y ai été incité par une circonstance de quelque intérêt que je dois vous communiquer. (Il s’assied.)
Je vous écoute.
Mon cher Président, voici : Je suis cocu.
(sursautant)
Voyons, c’est une plaisanterie.
N’en croyez rien…
C’est que vous prenez la chose d’une telle façon.
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Mon cher, Chamfort s’est plaint fort justement jadis qu’on eût laissé tomber l’état de cocu. Il regrettait avec bon sens de le voir désormais accessible aux plus petites gens. J’ai formé le dessein de le relever.
Voilà une idée charmante. D’ailleurs, mon cher duc, n’estimez-vous pas qu’un homme de votre qualité est au-dessus de tout ce qui peut lui arriver ?
Je l’estime, en effet, et considère qu’il y aurait de ma part une condescendance vraiment excessive à me mettre de niveau avec les événements… Celui-ci n’apportera donc aucun trouble à mon foyer.
A la bonne heure !
Je compte n’en marquer nul dépit, ni à la duchesse que je n’ai point cessé d’estimer, ni même à celui par qui je suis ce que je viens de dire.
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Mon cher duc, vous avez beaucoup d’allure.
Je l’ai toujours pensé, néanmoins comme il convient de garder quelque mesure dans la grandeur d’âme, j’assisterai au déjeuner auquel vous m’avez convié, mais prendrai congé sitôt levé de table. C’est pour que vous ne vous en étonniez point que je suis venu vous faire ma confidence.
Je m’incline devant votre désir, mon cher duc, mais croyez bien que je suis désolé…
Ne vous montrez point plus affecté que moi-même, ce serait indiscret… (Il se lève.} Sur ce, je vous quitte pour revenir tout à l’heure. On aura vu deux fois, en une seule journée, le duc de Maulévrier chez le premier magistrat de ce régime. C’est une chose immense.
Et dont je sens tout le prix.
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(remontant)
Palsembleu ! Vous êtes fort bien logé à l’Elysée-Bourbon.
Bourbon ?
N’est-ce point le nom de ce palais ? Monseigneur le duc de Berry qui y résidait l’appelait ainsi.
En effet, mais maintenant nous disons tout simplement l’Elysée. Le mot Bourbon a disparu… à l’usage.
(avisant le buste de la République)
Ah, ah ! Sur ma foi, vous avez là un beau buste. Quelle est cette personne ?
C’est la République.
Ah ! connais pas ! Elle n’est pas laide ! Ressemblante ?
(souriant)
Un peu rajeunie.
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Souffrez qu’en amateur, je vous signale ici une légère fissure qui pourrait s’aggraver.
Sans doute, mais j’ai consulté un spécialiste ! Rien à craindre avant sept ans…
Je comprends votre sentiment. Ah ! pas un mot de cette visite, n’est-ce pas ?
Entendu. A tout à l’heure, mon cher duc.
(s’inclinant)
Monsieur le président ! (Il remonte. A part.) Ce régime est badin ! (LE DUC sort.)
(entrant avec une carte)
Cette dame attend depuis un moment, monsieur le président.
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Tiens, tiens… Faites entrer !…
(annonçant)
Mme la duchesse de Maulévrier !
Madame la duchesse ! !
(très agitée)
Oh ! Monsieur le Chef du Gouvernement de la République, je me présente ici comme une femme tout à fait confidentielle pour vous demander un service très grand.
A vos ordres.
Mais avant il faut que je vous fasse comprendre.
Asseyez-vous donc, je vous en prie.
Voilà… Monsieur le président… Je suis bigame.
(sursautant)
Hein !… Je vous demande pardon, Madame
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la duchesse, mais j’ai vraiment aujourd’hui une matinée extraordinaire !… Enfin, expliquez-vous, je vous en prie…
Oui. Je ne parle pas tout à fait juste… Je veux dire que deux hommes à la fois m’ont appartenu.
Oh ! oui ! oui !
Par malheur, je suis une femme d’une si grande sensibilité que lorsque je suis sur le bord de l’amour, tout de suite je tombe dedans. Alors il est arrivé que j’ai été particulièrement sensible avec M. de Latour-Latour qui est un gentleman tellement confortable.
Je n’en doute pas.
Et c’est la cause de la tragédie d’hier à l’Académie.
Une tragédie, mais j’ignore tout à fait ?
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Vous ne savez pas… Oh ! cela me gêne de vous détailler…
Je comprends, madame la duchesse. Mais j’ai là le rapport de police qui me renseigne fort exactement chaque jour et qui va me mettre au courant. (Il prend le rapport de police.)
Alors… lisez…
Voyons !… (Il feuillette le rapport de police.) Ah !… Académie Française… Voilà… « La séance est ouverte… le récipiendaire… à deux heures un quart… M. le Directeur de l’Académie a dû s’interrompre à la suite d’une légère syncope. On a attribué ce malaise à la chaleur, mais je suis parvenu à en connaître la cause exacte. Le duc qui depuis quelque temps s’adonne à la boisson… »
(se levant)
Oh !
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Je vous demande pardon… (Il poursuit.) « Venait d’apercevoir aux places du centre le fils naturel qu’il eut autrefois de la femme d’un garde-chasse. »
Oh ! qu’est-ce que c’est que ça ?
(souriant)
C’est un rapport de police.
Oh ! indignité ! le boisson est faux et l’enfant aussi. Le duc n’a rien fait, je jure, avec le garde-chasse. Car il est stérile, je sais.
Je n’en doute pas, je n’en doute pas.
Et s’il a fait cette petite évanouissement, c’est qu’il a trouvé subitement dans son discours, une lettre… de moi, adressée à…
Ah !… j’ai compris !
Merci. Et après cet incident, le cher duc a eu avec moi une attitude vraiment héraldi-
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que. Alors, vous comprenez combien j’ai été touchée. Je ne pense plus qu’à lui. Déjà, je suis tremblante en songeant qu’ils se rencontreront ici tout à l’heure, figure à figure. Surtout qu’ils seront en uniforme avec les épées. Oh ! monsieur le gouvernement, quelle frayeur !
Soyez tranquille, madame la duchesse, je serai là…
Oui, mais pas toujours… Eh bien, je ne veux pas que ce cher Odet soit moqué. Je ne veux pas qu’on le quolibète… Alors, c’est pour cela que je suis venue vous voir.
Mais que puis-je ?
Il faut me faire l’amitié de supprimer M. de Latour-Latour.
Hein ?
Oui, pendant quelque temps. Comme Président de la République, vous avez le droit de l’exiler ?
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Mon Dieu, vous savez… Madame la duchesse, ça ne se fait plus beaucoup.
Alors, vous ne pouvez rien !
Mais je ne vois pas… Oh ! à moins que je ne le fasse déléguer à un congrès. Il y en a un à Bucarest.
Qu’est-ce que c’est « congrès » ?
Ce sont des réunions que les gouvernements organisent pour faire voyager gratuitement leurs amis et pour éloigner leurs adversaires. C’est très utile.
Oh ! c’est un parfait stratagème.
Oui, mais M. de Latour-Latour consentira-t-il ?
Ça, je me charge… Je suis un peu rasséré-
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née, mon cher gouvernement. Comme vous avez gentiment écouté toutes ces choses intimes.
Mais vous m’avez ravi, madame la duchesse ! Songez donc, notre constitution présente cette particularité qu’on ne dit jamais rien au Président de la République. On ne le consulte jamais sur rien. Alors, aujourd’hui, pour la première fois, j’ai l’impression d’être mêlé à quelque chose, d’avoir un peu d’influence… Oh ! je suis bien content.
(entrant)
Monsieur le président, il y a là M. le directeur des douanes et M. le Préfet de la Seine.
Ah !
Il y a aussi M. le comte de Latour-Latour de l’Académie.
Déjà…
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Hubert !
(à L’HUISSIER)
Faites passer mes visiteurs officiels dans la bibliothèque, je les y recevrai. Vous ferez ensuite entrer ici, M. de Latour-Latour… Allez ! (L’HUISSIER sort. LA DUCHESSE fait un mouvement pour sortir.) Restez, madame la duchesse… Vous allez pouvoir décider tout de suite M. de Latour-Latour… et je dirais même si je n’étais pas président de la République que c’est le bon Dieu qui l’envoie !
Vous avez raison… Comme vous êtes bon et inoffensif !
(lui montrant un fauteuil)
Mettez-vous là… et bonne chance. (Il sort.)
(entre et ne voit tout d’abord pas LA DUCHESSE)
Monsieur le Président. (LA DUCHESSE se lève.) Vous ici
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!…
Oui, vous saurez pourquoi tout à l’heure !…
(très ému)
Oh ! je suis bien heureux de vous voir. Oh ! quelles heures j’ai passées. Heureusement, le mot que vous m’avez envoyé hier soir m’a rassuré. Le duc a été vraiment d’une mansuétude…
Oui, il a été tout à fait mansuet.
Quelle journée ! Et encore vous ne savez pas tout.
Quoi ?
Oh ! c’est à n’y pas croire !
Mais quoi ?
(avec éclat)
Mlle Brigitte assistait hier à ma réception.
(après un temps)
Ah ! Eh bien ?
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(gêné)
Eh bien… voilà… c’est tout… Mais vous-même, madame la duchesse ?
Vous allez connaître pourquoi je suis ici en ce moment, Hubert, il est arrivé depuis hier une chose épouvantable.
(terrifié)
Pour moi ?
Non.
(rasséréné)
Pour vous alors ?
Non, pour notre amour.
Comment ?
Il est fini.
Que dites-vous ?
Oui… ce pauvre enfant, il est terminé. Il
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n’a plus rien à faire avec nous… Il peut se croiser les ailes.
Mais non. Non.
Mais si… Il faut m’écouter. Vouyez-vous Hubert, notre sentiment mutuel aurait pu continuer encore si nous avions éprouvé l’un par l’autre une grande douleur, mais nous avons eu seulement un grand embêtement… Ça, l’amour ne comporte pas… Alors, nous allons nous disloquer…
Mais…
(avec un peu de mélancolie)
Ne protestez pas. Depuis quelque temps, vous n’êtes plus pareil. Vous aviez pour moi cette gentillesse d’un homme qui n’est plus tout à fait à vous. Mais il ne faut rien regretter à cause des bonnes petites heures que nous avons eues ensemble. Je vous ai connu avec un bleu costume, je vous quitte avec un vert habit. Je vous ai conduit par la main du banc des clématites jusqu’au bois des lauriers… Et pourtant, et cela est très gentil, vous avez
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gardé vos yeux tout ronds et votre figure étonnée…
Ah ! on m’a déjà dit ces mots-là.
Qui ?
(ému)
Une personne…
(avec intention)
Peut-être, je devine !… Maintenant, écoutez : Le cher Président, sur ma prière, il va vous supprimer…
(effrayé)
Quoi ?
Oui, il va vous envoyer pour quelque temps à l’étranger faire une commission… et je vous prie d’accepter.
Mais…
Il faut, à cause du cher duc…
Alors, je m’incline.
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Et quand vous reviendrez, je suis sûre que vous vous marierez…
Oh !
Si… D’abord, ils se marient toujours…
(étonné)
Qui ça ?
Ne vous occupez pas. A présent, il faut se dire adieu…
Oui, mais pas ce mot-là…
Si… parce que quand on l’a dit, plus tard on se souvient toujours de l’accent avec laquelle on l’a dit… et c’est la dernière chose agréable… Dites-le…
Adieu !
Adieu… Vous penserez à moi un peu…
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Oh !
Oui… il faudra… comme à une personne bonne… oui, très bonne, qui avait de la tendresse à donner beaucoup et qui, à cause de cela, était un tout petit peu ridicule.
Oh ! Madame la duchesse…
Si… si… Je sais. (Un temps. LE PRESIDENT entre.) Oh ! cher monsieur, j’ai parlé à M. de Latour Latour.
Cher monsieur, Mme la duchesse m’a appris que vous désiriez représenter la France au Congrès des langues romanes.
Ah ! oui… oui !… Oui… Monsieur le Président… c’était en effet le rêve de toute ma vie…
C’est entendu. (Il sonne. — L’HUISSIER entre.)
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Je vais vous faire conduire au secrétariat général où l’on vous remettra la lettre qui vous accrédite, et où l’on vous demandera quelques renseignements officiels, c’est-à-dire insignifiants. Je vous attends ici.
Mais qu’est-ce que c’est les langues romanes ?
M. de Latour-Latour va vous le dire…
Vous êtes trop aimable… Je vais au secrétariat… (Il sort précédé par L’HUISSIER.)
Merci de tout mon cœur, cher ami présidentiel ! Je viendrai tout à l’heure avec le duc. Il faut qu’on nous voie ensemble. (Elle remonte un peu.) Mais, dites-moi… J’ai entendu que votre filleule, cette petite Brigitte, est revenue à Paris hier pour l’Académie.
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En effet, madame la duchesse… mais comment savez-vous ?…
Par M. de Latour-Latour. Il me l’a dit avec de l’émotion.
Ah !…
Avec beaucoup de l’émotion.
(avec intention)
Ah !…
Elle est gentille…
Oui.
(très affectueusement)
Elle est excessivement gentille.
Et vous, madame la duchesse, vous êtes délicieuse. (Il lui baise la main.)
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(remontant) Oh ! c’est tout naturel… Voyez-vous, monsieur le Président, je remarque qu’en France, il vous manque un ministère.
Lequel ?
Le ministère de l’amour.
Je vous l’offre.
(souriant)
Oh ! moi, je viens de donner ma démission.
(lui baisant la main)
Vous êtes charmante ! (LA DUCHESSE sort.)
Monsieur le président, voici quelques décrets à signer.
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Mettez ça là.
(MOURIER sort, BRIGITTE entre.)
Ah ! te voilà enfin, toi ?
Oui, mon parrain. (Elle lui tend le front. — Il l’embrasse et la regarde dans les yeux.)
Tu n’as pas changé d’avis depuis notre grande conversation d’hier soir ?…
Oh ! non ! Vous comprenez, je croyais ne plus aimer du tout ce monsieur ; il a suffi que je le revoie en laurier, pour être de nouveau toute… toute barbouillée… alors, non, j’en ai assez ! Je ne veux plus le revoir !
Soit… Mais, ma petite fille, est-ce que tu es bien fixée sur les sentiments de « ce monsieur » pour toi ?
Oh ! parrain, je vous en prie… Vous êtes
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chimérique comme tous les hommes d’Etat. Où ça me mènerait-il ? pas à un mariage, bien sûr. Alors, l’autre chose ? Evidemment, l’autre chose, c’est toujours plus facile… Mais une liaison avec un homme aussi en vue… pas possible à cause de vous ! Voyez-vous cette manchette dans les journaux du soir : « La chute de la filleule du Président de la République ! ! ? » Quelle histoire !
Alors ?
Alors, je retourne à La Rochelle. Je viens d’y passer huit mois très acceptables… Mon patron, votre ami, M. Barbotte, armateur, est très gentil…
Mais tu n’as là aucun avenir, ma pauvre petite !…
Ça ne dépend que de moi. M. Barbotte, votre ami, m’a proposé de m’installer, de me donner une petite maison de campagne, une petite voiture, une petite femme de chambre…
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Hein ?
C’est un homme très bien, marié, considéré, protestant… et si craintif !… Quand il me fait la cour, on dirait qu’il pense à la Saint-Barthélémy. Ça m’a touchée. Alors, je verrai.
Ah çà ! tu es folle !
Mais parrain, vous ne vous rendez pas compte… Etre cocotte à La Rochelle, c’est très convenable. C’est à peu près aussi convenable que d’être honnête femme à Paris.
(regardant sa montre)
Oui… Oui… Ce projet est en effet respectable et… (Sonnerie au petit téléphone de table. Il prend le récepteur.) Les décrets ?… Oui… oui… Je vais les apporter moi-même… J’ai à vous parler… (Il se met à signer.) Je te demande pardon.
(s’approche et le regarde)
Oh ! c’est drôle ; vous ne lisez pas ce que vous signez.
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Mais, ma petite fille, si je lisais, peut-être que je ne signerais pas… Là, c’est fini… Attends-moi un instant…
(allant pour sortir)
Mais je vais…
Non, non, reste là, j’ai mes raisons, des raisons d’Etat. Je reviens. (Il sort. BRIGITTE reste seule et s’assied dans le fauteuil.)
(entre en tenant une grande enveloppe blanche à la main) Monsieur le Président…
(se levant)
Oh !
Vous !… C’est tout de même curieux l’Elysée !…
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Ah ! ça, c’est trop fort !… Oh ! par exemple !…
C’est vous !…
Vous entrez comme ça sans vous gêner…
(d’une voix brisée)
Mais c’est bien naturel. Je croyais ne trouver là que le président de la République…
Oh !… Tout de même…
Mademoiselle, vous ne pouvez pas vous figurer avec quelle émotion je vous revois.
(d’une voix tremblante)
Moi, monsieur… je ne suis pas émue du tout…
Vous avez de la chance… J’ai tant de choses à vous dire, et je suis là… je cherche mes mots… je cherche mes mots… dans ce costume
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!…
Il vous va bien…
Il a été fait à Londres.
Et puis, il y a l’épée, c’est joli.
Oui, c’est gênant mais c’est joli. Oh ! Brigitte, si vous saviez depuis huit mois comme j’ai pensé à cette petite figure-là… Et c’était pas commode, allez, au milieu de toutes ces démarches…
Ah ! oui ! vous avez ramé !…
Bien sûr… vous, vous étiez à l’écart, tranquille… vous pouviez penser à moi… tout à votre aise, tout le temps.
Mais je ne pensais pas à vous !
Allons donc !
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Ah ! vous n’avez pas changé !
Non. Peu à peu, j’ai compris que tout ce qui m’était arrivé d’heureux c’était vous qui m’y aviez conduit par la main… Brigitte. (Elle lève la tête vers lui.)
Quoi ?
(lui prenant la main)
Laissez-la-moi.
(sursautant et retirant sa main)
Qu’est-ce que vous dites ?
Vous comprenez, je ne peux plus me passer de vous, moi ! Comment est-ce que je ferais sans vous pour tenir mon personnage ? Tout le monde me croit un homme épatant, moi aussi je le crois un peu. Il n’y a que vous qui sachiez que je suis un pauvre type… Si vous m’abandonnez tout le monde le saura… Brigitte, il faut que vous soyez ma femme…
Je vous défends de dire des choses pareilles !
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C’est imbécile de dire des choses pareilles. Et puis d’abord, je refuse !
Vous n’en avez pas le droit.
Et pourquoi ça ?
Parce que vous m’aimez ! Oh ! et puis ne dites pas non ! Vous savez… J’en suis sûr, pas parce que vous me l’avez dit mais à cause de ce qui s’est passé à Louveciennes au moment où nous nous sommes quittés. Rappelez-vous ?
Je ne sais pas du tout à quoi vous faites allusion.
A quoi ? à quoi ? je fais allusion à… à ça ! (Il la prend brusquement dans ses bras et l’embrasse longuement sur les lèvres.)
(se dégageant lentement)
Oh !… je me souvenais bien que c’était agréable… mais je ne me souvenais pas que ça l’était tant que ça !
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Moi non plus…
( baissant la tête)
C’est épatant !
Oui !
Eh bien, nous voilà jolis !…
Et dire que je pars demain pour Bucarest !…
(inquiète)
Vous partez ?
Oui… on m’envoie au Congrès des langues romanes.
Seul ?
Non, avec un secrétaire.
Qui est-ce ?
Je ne l’ai pas encore choisi.
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Emmenez-moi.
Vous !… Oh ! oui !… Mais non, ça n’est pas possible… Vous comprenez… un académicien… un délégué officiel arrivant avec une jeune fille.
Oui. Vous avez raison. Le congrès ne s’occuperait plus que de ça. Il ne s’occuperait plus du tout des langues romanes !
Ah ! s’il y avait une façon d’éviter les potins… Je vous en prie, trouvez quelque chose… vous avez trouvé plus difficile !
Hum !… (Elle réfléchit longuement.) Mon Dieu ! à la rigueur, il y aurait peut-être un moyen…
Dites !…
Eh bien ! ce serait, le jour même de notre arrivée — dans le cas où nous arriverions là-
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-bas ensemble — d’aller faire tout de suite un petit tour dans la ville…
Vous croyez que ça suffira ?
Non… Attendez… Forcément, vous ferez quelques visites.
Forcément.
Vous irez voir le Consul de France ?
Oui.
Eh bien ! je pourrais vous accompagner…
Bien sûr…
Vous causeriez un moment avec lui… Il pourrait nous lire deux ou trois formules très banales, nous demander de signer un bout de papier, et, vraiment, nous n’aurions au-
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cune raison de le lui refuser… jusque-là, c’est assez simple…
Oui, mais je ne vois pas…
Attendez !… Après, nous irions nous promener, visiter les monuments… ça se fait toujours… il est très probable que nous tomberions sur une petite église… vous savez une de ces petites églises en bois peint, avec un de ces clochers découpés qui ont l’air de joujoux…
Oui…
Nous entrerions… nous nous trouverions nez à nez avec un brave homme de prêtre, barbu, marié, père de famille, pas tout à fait de notre religion, mais quoi ? le bon Dieu est très indulgent pour les Français à l’étranger… Il y en a si peu !… Nous ferions une petite prière, nous recevrions une petite bénédiction… et puis nous continuerions notre promenade… et personne ne pourrait plus rien nous dire.
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Pourquoi ?
(baissant les yeux)
Parce que nous serions mariés !
(épanoui)
Oh !… mais alors… vous voulez bien ?
Oui… je veux bien, mais comme ça… très loin… dans un pays à costumes… où ça n’a presque pas l’air vrai… comme ça, je veux bien.
(la prenant dans ses bras)
Oh ! ma petite… ma petite… vous êtes mon bonheur, vous êtes ma chance… Vous verrez !… je ferai de vous une vraie femme du monde !…
Une vraie femme du monde ?… Oh ! non, je veux vous rester fidèle ! (Il lui prend les mains qu’il couvre de baisers.)
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(entre, les voit. Ils se séparent brusquement)
Je vous demande pardon…
(il s’éloigne de BRIGITTE)
Oh ! Monsieur le Président…
Mais non… restez tout près l’un de l’autre, n’ayez pas honte, la République en a vu bien d’autres !… Quant à moi mes fonctions m’obligeant à ne prononcer que des paroles insignifiantes, je vous dirai comme dans les contes de fées : « Mariez-vous, soyez heureux et ayez beaucoup d’enfants ! »
Oh ! oui, ils auront des petites figures étonnées.
(annonçant)
Monsieur le président, les parrains sont là…
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(épouvantée)
Déjà !
(à HUBERT)
Allez vite… faites le tour… (HUBERT sort. A BRIGITTE :) Et toi, veux-tu te sauver !…
(très tranquille)
Non. Je reste là.
(annonçant)
M. le duc de Maulévrier, directeur de l’Académie Française… M. le Baron Bénin, de l’Académie Française… M. le Général Roussy des Charmilles, de l’Académie Française… M. le comte de Latour-Latour, de l’Académie Française ! (LA DUCHESSE entre à la suite des académiciens sans être annoncée. HUBERT qui a couru pour faire le tour est entré très essoufflé.)
Madame la duchesse !…
Monsieur le Président de la République, j’ai l’honneur de présenter à votre agrément, M. le comte de Latour-Latour qui prit séance hier dans notre compagnie.
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(à HUBERT)
Je suis charmé, monsieur, de faire votre connaissance.
(avec noblesse)
Je me félicite d’autant plus de la mission qui m’incombe que M. de Latour-Latour est de mes amis.
Je soumets le décret, monsieur le Président, à votre signature…
(s’approchant du duc)
Oh ! cher Odet, vous avez été un magnifique homme, je suis fascinée !…
Je ne vous comprends pas.
( bafouillant, puis passant à l’anglais)
Oh ! je vois véritablement dans cette confection de l’événement… la noblesse du sang… de la grandeur qui… really oh ! yes, truly… tout entière… I can’t explain. So sorry so… You are a beautiful man !
Nelly, y pensez-vous !…
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(bas, baissant les yeux)
Je le médite.
Permettez-moi, monsieur le duc, et vous, madame la duchesse de vous annoncer une nouvelle qui m’emplit de joie : Ma chère petite Brigitte se marie.
Mes compliments !
Oh ! je suis très pénétrée de satisfaction, car je sais très bien avec qui vous allez faire matrimonio…
Qui est-ce donc ?
(désignant HUBERT comme au premier acte)
Celui-là !
Je vous félicite avec toute ma cœur !
Aucune nouvelle ne pourrait me réjouir davantage.
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Mais je suis bien plus heureux encore que vous tous !
Pourquoi ?
Parce que enfin, il vient de se passer quelque chose à l’Elysée !…
Ce régime est badin !
(ouvrant les portes)
Monsieur le Président est servi !