Chants populaires de la Basse-Bretagne/Texte entier vol 1

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CHANTS POPULAIRES

DE LA

BASSE-BRETAGNE





LORIENT. — TYPOGRAPHIE ÉDOUARD CORFMAT.




DOCUMENTS

pour servir

A L’ÉTUDE DE L’HISTOIRE ET DE LA LANGUE BRETONNES.


GWERZIOU BREIZ-IZEL


CHANTS POPULAIRES

DE LA

BASSE-BRETAGNE

RECUEILLIS ET TRADUITS

PAR

F. M. LUZEL


GWERZIOU

PREMIER VOLUME


LORIENT

ÉDOUARD CORFMAT, LIBRAIRE-ÉDITEUR

Rue du Port, 68.

France, rue Richelieu, 67, à Paris.
Th. Clairet, à Quimperlé.
MMe  Ve Le Goffic, à Lannion.

Francisque Guyon, à Saint-Brieuc.
J. Salaun, à Quimper.
J. Haslé, à Morlaix.


1868


PRÉFACE


Personne ne conteste aujourd’hui l’utilité et le charme de l’étude des poésies populaires. C’est une science nouvelle et qu’on étudie avec le plus grand et le plus légitime intérêt. L’histoire, la poésie, la philologie et même l’ethnographie ont toutes quelque secret à demander aux chants traditionnels du peuple, surtout quand il s’agit d’un rameau sorti du grand tronc aryen, d’un dialecte de cette grande langue antique venue de l’Asie, dans des temps reculés que l’histoire n’atteint que très-imparfaitement, et qui se répandit dans presque toute l’Europe. Le breton-armoricain, trop dédaigné de nos savants, peut, il me semble, aider beaucoup à éclairer plus d’un problème dont on a l’habitude de chercher bien loin la solution, tant il est vrai que : … Non proxima semper Nota magis

Je ne m’arrêterai donc pas à démontrer l’utilité ou l’opportunité d’un recueil de chants populaires bretons. Je me bornerai à exposer brièvement la méthode que j’ai suivie dans mes recherches et ma publication ; j’y ajouterai quelques explications indispensables.

Ce recueil est le second qui a été publié jusqu’à ce jour sur la poésie populaire des bretons-armoricains (1)[1]. Le premier, tout le monde le sait, c’est le Barsaz-Breiz, de M. de la Villemarqué. Mais ce livre si répandu et connu dans toute l’Europe, est insuffisant pour donner une idée complète et bien exacte de notre poésie vraiment populaire. D’ailleurs, l’auteur n’a jamais eu la prétention d’y renfermer tous les Gwerz et les Sônes nés sur notre poétique terre de Breiz-Izel, et dont la plupart s’y chantent encore. On peut dire, sans exagération, des chants du peuple, en Basse Bretagne, ce que La Fontaine disait de l’Apologue :

Mais ce champ ne se peut tellement moissonner,
Que les derniers venus n’y trouvent à glaner.

Le recueil de Gwerziou Breiz-Izel ne vient donc pas faire double emploi avec le Barzaz-Breiz, ni même le compléter. Cela tient, en grande partie, à ce que la méthode que j’ai suivie diffère essentiellement de celle de M. de la Villemarqué. Le savant éditeur du Barzaz Breiz a fait, de l’aveu de tout le monde, un livre charmant, plein d’intérêt et de poésie, et qui est déjà classique ; mais, il faut bien le dire aussi, c’est une œuvre plus littéraire qu’historique, où l’auteur ne s’est pas assujéti à toutes les exigences de la critique et de la philologie envisagées comme des sciences exactes. Pour moi, c’est un but tout opposé que je me suis proposé d’atteindre, partant de ce principe, que la poésie populaire est véritablement de l’histoire, de l’histoire littéraire, intellectuelle et morale, tout au moins, et qu’à ce titre, il n’est permis d’en modifier, en aucune façon, ni l’esprit ni la lettre.

Cette publication, que je prépare depuis plus de vingt ans, contiendra donc les chants populaires de la Basse Bretagne, tels absolument que je les ai trouvés dans nos campagnes armoricaines , et qu’on peut les y retrouver encore ; souvent incomplets, altérés, interpolés, irréguliers, bizarres ; mélange singulier de beautés et de trivialités, de fautes de goût, de grossièretés qui sentent un peu leur barbarie, et de poésie simple et naturelle, tendre et sentimentale, humaine toujours, et qui va droit au cœur, qui nous intéresse et nous émeut, par je ne sais quels secrets, quel mystère, bien mieux que la poésie d’art. C’est réellement le cœur du peuple breton qui bat en ces chants spontanés.

Qu’on ne s’étonne pas trop de ces irrégularités de toute sorte et de ces inégalités, car c’est là un des caractères distinctifs et comme la nature même de la poésie populaire. Il ne faut jamais perdre de vue que ces chants du peuple sont généralement, sinon toujours, lorsqu’il s’agit des Bas Bretons surtout, l’œuvre de gens illettrés, qui ne savaient ni lire ni écrire, et qui ne connaissaient d’autre règle que leur inspiration, d’autres modèles que les vieux gwerz légués par leurs pères, lesquels furent aussi ignorants que leurs fils des préceptes d’Horace et de Boileau.

Je ne sais si mon avis sera partagé par tout le monde ; je trouve à nos chants bretons une inspiration plus élevée, un sentiment poétique, un accent de sincérité et d’honnêteté supérieur à ce qu’on rencontre ordinairement dans les autres provinces de la France. Dans les chansons les moins remarquables, il y a presque toujours quelque fleur de poésie et de sentiment qui répand son charme et son parfum sur toute la pièce et lui donne un attrait irrésistible ! peut-être aussi suis-je dans des conditions exceptionnelles pour comprendre et aimer ces chants qui ont bercé mon enfance, ces chants écrits dans une langue qui est la première que j’ai parlée et qui expriment des idées morales que j’ai, pour ainsi dire, sucées avec le lait de ma nourrice.

A ceux qui me reprocheraient d’avoir donné des pièces incomplètes, irrégulières, ayant toutes sortes d’imperfections, je ne pourrais que répondre : J’ai donné ce que j’ai trouvé, ce qui existe réellement dans le peuple, de la véritable poésie populaire enfin. À la critique maintenant à noter les erreurs, les lacunes, les interpolations, les noms altérés, de manière à me mettre en mesure de perfectionner mon livre, si toutefois il se réimprime jamais. Quant à ceux qui voudraient faire œuvre de littérature et s’exercer à composer des ballades régulières et d’un goût épuré à l’aide de ces thèmes primitifs, libre à eux ; la poétique du genre est suffisamment connue aujourd’hui. Macpherson, Walter Scott, l’auteur de la Guzla, d’autres encore, ont prouvé qu’on peut parfaitement réussir dans ce genre de pastiche. Ce travail lui-même a aussi son mérite ; le Roi des Aulnes et la ballade de Lénore, les morts vont vite, deux vieux chants populaires, seraient sans doute restés complètement ignorés, si Goethe et Bûrger, par le privilège du génie, ne les eussent rendus immortels.

Mon livre renferme peu de chants très-anciens, ou se rattachant à l’histoire générale du pays. Comme l’a très-bien dit un savant critique : (1)[2] « Les célébrités du peuple sont rarement celles de l’histoire, et, quand les bruits des siècles reculés nous sont arrivées par deux canaux, l’un populaire, l’autre historique, il est rare que ces deux formes de la tradition soient pleinement d’accord l’une avec l’autre. »

J’ai conservé scrupuleusement la langue telle que me la donnaient nos rustiques rapsodes, sans l’épurer, ni la vieillir, ce qui m’eut été pourtant assez facile ; j’ai pensé que la langue est aussi un document historique, qu’on ne saurait traiter avec trop de respect. On remarquera que cette langue n’a pas beaucoup varié depuis le XVe et le XVIe siècle, en ce sens du moins que la proportion des mots français n’y est guère plus considérable que dans les documents écrits que nous possédons de ces époques. J’ai aussi conservé dans mes textes bretons un grand nombre de vers irréguliers, en fait de quantité ou de rime. J’aurais pu les rectifier sans peine ; mais il aurait fallu pour cela parfois ajouter et souvent retrancher des mots, des membres de phrases, ce qui ne pouvait se faire, sans altérer ou modifier quelque peu le sens. J’ai préféré des vers incorrects. — Quant à mon orthographe bretonne, j’avoue qu’elle est parfois indécise et flottante. Je suis presque toujours Le Gonidec ; cependant, comme sur certains points il est incomplet ou défectueux, j’adopte alors d’autres modèles ; j’innove même quelquefois, ou du moins je crois le faire. —

Enfin dans la traduction, j’ai fait tous mes efforts pour serrer le texte breton d’aussi près que j’ai pu, sans chercher l’élégance de la phrase, tout en parlant français, autant que possible, et en rendant chaque vers breton par une ligne correspondante de français. J’ai voulu que le lecteur pût ainsi contrôler plus facilement l’exactitude scrupuleuse de ma traduction, et même, — ce qui ne m’a pas semblé indifférent, — trouver dans mon livre d’utiles exercices pour étudier et apprendre la langue.

J’ai divisé ma publication en deux parties, les Gwerziou et les Soniou. Cette division était naturellement indiquée ; elle renferme, à l’exception des cantiques, tout ce qui se chante en breton dans nos campagnes armoricaines. Les Gwerziou comprennent les chansons épiques, qui peuvent se subdiviser en : chansons historique, chansons légendaires, chansons merveilleuses ou fantastiques, et chansons anecdotiques. — Les Soniou, c’est la poésie lyrique. On comprend sous cette dénomination : les chansons d’amour, les chansons de Kloers ou clercs, qui tiennent une si large place dans la poésie bretonne, — Les chansons satiriques et comiques, les chansons de noces et de coutumes, etc. — il faut y ajouter les chansons d’enfants, les chansons de danse, rondes, jabadaos, passe-pieds etc. . . .

Ce premier volume n’a pas épuisé ma collection de Gwerziou, comme on peut le voir par la liste que j’ai placée à la fin du livre. Je vais reprendre mes recherches, avec plus d’ardeur que jamais, et, si ma publication est bien accueillie du public, j’espère être en mesure de donner l’année prochaine un second volume de Gwerziou, avant d’arriver aux Soniou. — Tous les chanteurs populaires ne sont pas encore morts en Breiz-Izel, et je sais où les trouver. Le vers du cher poëte Brizeux sera vrai longtemps encore :

Les chansons d’autrefois, toujours nous les chantons !

F.-M. LUZEL.

Lorient, le 15 Juillet 1868.


PREMIÈRE PARTIE


_____


GWERZ


CHANTS ÉPIQUES, HISTORIQUES, ANECDOTIQUES,

FANTASTIQUES, LÉGENDAIRES.

_____






LE SEIGNEUR COMTE.
PREMIÈRE VERSION.
________


I

  Le seigneur comte et sa femme
Bien jeunes sont mariés ;

  L’une a douze, l’autre treize ans.
Au bout de neuf mois, la dame est accouchée.

  Le seigneur comte demandait
Un jour à sa femme :

  — Ma femme, dites-moi
Ce que de moi vous désirez ? —

  — Un peu de chair de perdrix ou de lièvre,
Provenant du bois, me ferait plaisir. —

  Le seigneur comte, dès qu’il a entendu,
A pris son fusil ;

  Il a pris son fusil,
Et il est allé faire une promenade.

  Dans le bois quand il est entré.
Une fée à lui s’est présentée :

  — Bonjour à vous, seigneur comte,
Depuis longtemps je vous cherchais;

  Maintenant que je vous ai rencontré,
Il vous faudra vous marier avec moi. —

  — Me marier avec vous, je ne le ferai point.
Car je suis nouvellement marié ;

  Car je suis nouvellement marié,
Et ma femme est accouchée la nuit dernière. —

  — Choisissez ou de mourir dans trois jours.
Ou de rester sept ans sur votre lit ;

  Ou mourir dans trois jours d’ici,
Ou rester sept ans malade sur votre lit. —

  — J’aime mieux mourir dans trois jours.
Que rester sept ans sur mon lit ;

  Car ma petite femme est bien jeune.
Et elle aurait avec moi beaucoup de chagrin. -


II

  Le seigneur comte disait
A sa mère, en arrivant à la maison :


  — Ma mère, faites-moi mon lit,
Jamais plus je ne m’en relèverai ! —

  — Mon fils chéri, dites-moi,
Que vous est-il arrivé ? —

  — J’ai été chasser dans le bois,
Et j’ai rencontré, une fée

  Et elle m’a dit
Qu’il faudrait l’épouser. —

  — Mon fils chéri, dites-moi,
Que lui avez-vous répondu ? —

  — Et je lui ai répondu :
Vous épouser, je ne le ferai point,

  Car je suis nouvellement marié ;
Ma femme est accouchée la nuit dernière.

  Et la fée, en m’entendant,
M’a répondu : —

  — Choisissez ou de mourir dans trois jours,
Ou de rester sept ans malade sur votre lit. —

  — J’aime mieux mourir dans trois jours,
Que rester sept ans sur mon lit,

  Car ma petite femme est bien jeune,
Et elle aurait avec moi beaucoup de chagrin.

  Ma pauvre mère, si vous m’aimez,
Vous n’avouerez pas à ma femme ;

  Vous n’avouerez pas à ma femme,
Jusqu’à ce qu’elle ait quitté son lit. —


III

  La dame comtesse demandait
À sa belle-mère, ce jour-là :

  — Qu’est-il arrivé à mon mari,
Puisqu’il ne vient pas me voir ? —

  — Il est allé chasser, au bois,
Et il n’est pas encore de retour ;

  Il est allé chasser, au bois,
Pour vous chercher quelque petite chose. —

  La dame comtesse demandait
À ses servantes, ce jour-là :

  — Mes servantes, dites-moi,
Qu’est-il arrivé aux domestiques ?

  Que leur est-il donc arrivé,
Pour les faire pleurer si abondamment ? (1)[3]

  — Ils ont été baigner les chevaux,
Et ils en ont noyé le plus beau. —

  — Dites-leur de ne pas pleurer,
Quand je serai guérie, on en achètera d’autres. -

  La dame comtesse demandait
A ses servantes, ce jour-là :

  — Mes servantes, dites-moi,
Que vous est-il arrivé ?

  Que vous est-il arrivé,
Pour pleurer si abondamment ? —

  — Nous avons été faire la lessive,
Et l’eau a emporté des draps de lit. —

  — Mes servantes, ne pleurez pas,
Quand je serai guérie, on en fera d’autres. —

  La dame comtesse demandait
A ses servantes, ce jour-là :

  — Qu’y a-t-il de nouveau dans cette maison,
Que les prêtres chantent ainsi ? —

  — Un pauvre avait été logé ici,
Et il est mort dans la nuit ;

  Et il est mort dans la nuit,
Et aujourd’hui il sera enterré. —

  La dame comtesse demandait
A sa belle-mère, ce jour-là :

  — Quels habits convient il de mettre,
Pour aller à l’église, aujourd’hui ? —

  — La coutume est aux jeunes femmes
De s’habiller de noir, pour aller à l’église. (2)[4] — .

  La dame comtesse demandait,
En arrivant à l’église :

  — Qui a été enterré sous mon banc ?
La terre a été nouvellement remuée ! —

— Jusqu’à présent je vous ai caché (la vérité)
Le faire plus longtemps je ne puis :

  Le faire plus longtemps je ne puis :
C’est votre mari qui a été enterré là ! —


  La dame comtesse, à ces mots,
Est tombée à terre sans connaissance ;
 
  Elle est tombée à terre sans connaissance,
Et est morte sur la place !


Chanté par le mendiant aveugle GARANDEL
dit Compagnon-l’Aveugle.
Plouaret, 1844
________



LE SEIGNEUR NANN.

SECONDE VERSION.

______



I

  Le seigneur Nann et sa femme
Tout jeunes ont été mariés ;

  Tout jeunes ils ont été mariés,
L’une a douze ans, et l’autre treize.

  Tout jeunes ils ont été mariés,
Tout jeunes aussi ils ont été séparés.


II

  Le seigneur comte disait
Un jour à sa femme :

  — Maintenant que vous êtes accouchée,
Que désirez-vous, ma femme ?

  De la chair de bécasse ou de poule.
Ou bien encore de perdrix ? —

  — De la chair de bécasse, si vous le voulez bien ;
Mais je crains votre peine, mon mari. —

  Le seigneur comte, à ces mots,
A pris son fusil ;

  Il a pris son fusil,
Et est allé chasser au bois.
 
  En entrant dans le bois.
Il a rencontré une fée :

  — Bonjour à vous, seigneur comte,
Il y a longtemps que je désire vous rencontrer ;

  Maintenant que je vous ai rencontré,
Il vous faudra m’épouser ;

  Il vous faudra m’épouser sur le champ,
Ou me donner mon poids d’argent ;
 
  Ou bien encore mourir dans trois jours,
Ou rester sept ans malade sur votre lit ;

  Ou rester sept ans malade sur votre lit,
Et cependant mourir ensuite ! —

  — Pour vous épouser, je ne le ferai point,
Car je suis fiancé et même marié ;

  Je suis fiancé et même marié,
Et ma femme a donné le jour à un jeune fils.

  J’aime mieux mourir au bout de trois jours,
Que rester sept ans sur mon lit ;
 
  Que rester sept ans sur mon lit,
Et cependant mourir ensuite ! —


III

  Le seigneur comte disait
À sa mère, en arrivant à la maison.
 
  — Ma pauvre mère, faites-moi mon lit bien à l’aise,
Car j’ai fait une mauvaise journée :

  J’ai été chasser au bois.
Et j’ai rencontré une fée ;
 
  J’ai rencontré une fée,
Et elle m’a parlé de la sorte :

  Ou l’épouser sur le champ,
Ou lui donner son poids d’argent ;
 
  Ou bien encore mourir au bout de trois jours,
Ou rester sept ans malade sur mon lit ;

  Ou rester sept ans malade sur mon lit,
Et mourir après, cependant.

  Je serai mort dans trois jours,
Et le quatrième je serai enterré.

  Ma pauvre mère, si vous m’aimez,
Vous n’avouerez pas à ma femme ;

  Vous n’avouerez pas à ma femme,
Jusqu’à ce qu’elle ait été purifiée. —




IV

  La jeune comtesse demandait
Un jour à sa belle-mère :
 
  — Qu’y a-t-il de nouveau dans cette maison,
J’entends les domestiques pleurer ? —

  — Le plus beau cheval de l’écurie
A été mangé par les loups. —

  — Dites-leur de ne pas pleurer,
J’arrangerai l’affaire avec mon mari. —

  La jeune comtesse demandait
A ses servantes, ce jour-là :

  — Pourquoi vos coiffes sont-elles pendantes ? (1)[5]
Ce n’est pas qu’il vous manque des épingles ;

  De la grande foire de Tréguier,
Je vous en avais apporté à chacune un millier ? —

  — Un mendiant avait été logé dans la maison,
Et il est mort cette nuit ;

  Il est mort cette nuit,
Et il convient de porter son deuil. —
 
  La jeune comtesse demandait
Encore à sa belle-mère, ce jour-là :

  — Qu’y a-t-il de nouveau dans cette maison ?
J’entends les prêtres chanter. —

  — Un mendiant avait été logé dans la maison,
Et il est mort dans la nuit ;

  Il est mort dans la nuit,
Et il faudra à présent l’enterrer. —

  — Dites-leur de chanter gaiment,
J’ai de l’argent, et je leur en donnerai. —

  La jeune comtesse demandait
Encore à sa belle-mère, ce jour-là :
 
  — Où donc est resté mon mari ?
Il ne vient plus me voir ;

  Il ne vient plus me voir,
Comme il en avait l’habitude. —

  — Vos paroles m’étonnent, ma fille ;
Vous n’êtes pas encore purifiée. —


  La jeune comtesse demandait
Encore à sa belle-mère, ce jour-là :

  — Quels habits mettrai-je aujourd’hui,
Pour aller me faire purifier ?

  Une robe blanche, ou .... (1)[6]
Ou mon cotillon violet ? —

  — Une robe noire, votre plus belle,
Ma fille, pour aller vous purifier. —

  La jeune comtesse disait,
En s’agenouillant dans son banc :

  — Qu’est-il donc arrivé de nouveau,
Mon banc est habillé de noir ?

  Mon banc est habillé de noir,
Je crains que mon mari soit mort ! —

  — Je ne puis vous le cacher plus longtemps,
Votre mari a été enterré là. —

  — Prenez, belle-mère, mes clefs,
Et veillez sur mes biens ;

  Ayez bien soin de mon fils ;
Moi je resterai ici avec son père !


Chanté par ma mère,
Rosalie LE GAC.
Keramborgne, 1848.


_________



LE SEIGNEUR COMTE.

TROISIÈME VERSION.

_____



I

  Le seigneur comte et sa femme
Sont tout jeunes mariés ;

  Tout jeunes ils sont mariés,
L’une a douze ans et l’autre treize ;
 
  L’une a douze ans et l’autre treize,
A quatorze ans un fils leur est né.

  Le seigneur comte demandait
Un jour à sa femme :

  — Ma femme chérie, dites-moi
Que désirez-vous de votre mari ;
 
  Que souhaitez-vous de moi,
Puisque vous m’avez donné un fils ?
 
  Choisissez entre la chair de lièvre,
Ou la chair de perdrix… —

  — J’aimerais mieux de la chair de bécasse,
Si je ne craignais votre peine, mon mari. —

  Le seigneur comte, à ces mots,
A saisi promptement son fusil ;

  Il a saisi promptement son fusil,
Et a pris le chemin du bois.

  En entrant dans le bois,
Il a rencontré une fée :

  — Salut à toi, seigneur comte,
Depuis longtemps je te cherchais ;

  Maintenant que je t’ai rencontré,
Il te faudra te marier avec moi.

  Choisis ou de te marier avec moi,
Ou de rester sept ans sur ton lit… —

  — Me marier avec vous, je ne le puis,
Ma femme est nouvellement accouchée. —

  — Ou rester sept ans sur ton lit,
Ou encore mourir dans trois jours. —

  — J’aime mieux mourir dans trois jours,
Que rester sept ans sur mon lit ;

  Car ma femme est jeune
Pour rester pendant sept ans en peine ! —


II

  Le seigneur comte disait
À sa mère, en arrivant à la maison :

  — Ma pauvre mère, si vous m’aimez,
Vous me préparerez mon lit ;

  Et si vous le faites, faites-le bien,
Car mon pauvre cœur est bien mal à l’aise :

  Je vais malade dans mon lit,
Et jamais plus je ne m’en relèverai ;


  Jamais plus je ne m’en relèverai,
Si ce n’est une fois, pour prendre mon suaire ! —

  — Mon fils, ne pleurez pas de la sorte,
Tous les malades ne meurent point. —

  — Quand je suis entré dans le bois,
J’ai rencontré une fée ;

  Et elle m’a dit
Qu’il faudrait la prendre (l’épouser)
 
  Ou rester sept ans sur mon lit,
Ou encore mourir dans trois jours :
 
  Ma femme est bien jeune
Pour rester sept ans en peine !

  Ma pauvre mère, si vous m’aimez,
Vous n’avouerez pas à ma femme. —


III

  La jeune comtesse demandait
Uu jour à sa mère :

  — Qu’y a-t-il de nouveau dans cette maison,
Pour que les servantes pleurent de la sorte ? —

  — Elles ont été faire la lessive,
Et elles ont perdu un drap de toile fine. —
 
  — Dites-leur de ne pas pleurer,
On trouvera des draps à souhait ;

  J’ai de l’or, j’ai de l’argent,
Et j’aurai des draps quand je voudrai :
 
  Le seigneur comte est plein de bonté,
Je lui parlerai avec douceur. —

  La jeune comtesse demandait
Encore à sa mère, ce jour-là :

  — Qu’y a-t-il de nouveau dans cette maison,
Pour que les domestiques pleurent de la sorte ? —

  — Le plus beau cheval qu’il y eut à la maison
S’est cassé le cou, aujourd’hui. —

  — Dites-leur de ne pas pleurer,
On trouvera des chevaux à souhait :

  J’ai de l’or et j’ai de l’argent,
Et j’aurai des chevaux quand je voudrai ;
 
  Le seigneur comte est plein de bonté,
Je lui parlerai avec douceur. —

  La jeune comtesse demandait
Encore à sa belle-mère, ce jour-là :


  — Ma mère chérie, dites-moi.
Où donc est resté mon mari ?

  Où donc est resté mon mari,
Puisqu’il ne vient plus me voir ? —

  — Il est allé là-bas, à Paris ;
Il reviendra, quand il sera mandé. —

  La jeune comtesse demandait
Encore à sa belle-mère, ce jour-là :

  — Qu’y a-t-il de nouveau dans cette maison,
Pour que les prêtres chantent ainsi ? —

  — Nous avions logé un petit mendiant.
Qui est mort dans la nuit. —
 
  — Dites-leur de chanter toujours,
Il ne leur manquera pas d’argent ;

  J’ai de l’argent et j’ai de l’or,
Assez pour faire enterrer un mendiant ! —

  La jeune comtesse demandait
Encore à sa belle-mère, ce jour-là :

  — Qu’y a-t-il de nouveau dans cette maison,
Pour qu’on m’habille ainsi de noir ? —

  — Par ici, ma fille, la coutume existe,
Pour les jeunes femmes, d’aller en noir à l’église ; (1)[7]

  Elles y vont en noir ou en blanc,
Pour faire bénir leur tête. —

  La jeune comtesse demandait
Encore à sa belle-mère, ce jour-là :

  — Qu’y a-t-il de nouveau dans ce bourg,
Pour que l’escabeau de mon mari soit ici ? —

  — Je vous ai caché (la vérité) aussi longtemps que j’ai pu ;
Votre pauvre mari est mort ! —
 
  — Tenez, belle-mère, prenez mes clefs,
Et administrez mes biens ;

  Et prenez soin de mon fils,
Moi je resterai ici avec son père ! —


Chanté par Marie RAHER.
Commune de Duault.


_________



NOTE.


Cette ballade doit être très-ancienne. On la trouve, non-seulement dans la Bretagne, où elle est connue partout, je crois, mais encore dans presque toute la France, et dans plusieurs contrées de l’Europe, fort éloignées les unes des autres. En Danemarck, le héros s’appelle sire Olaf, en Italie, le comte Angiolino, ailleurs, chef Magnus, en France, Jean Renaud, qu’on désigne tour à tour sous les titres de roi, prince ou seigneur, et qui finit même, dans certaines localités, par devenir tout simplement le fils d’un riche bourgeois. Les chanteurs bretons l’appellent aussi tantôt comte (ann aotro ar c’hont ; tantôt seigneur (ann aotro Nann). M. de La Villemarqué[8] a fait remarquer le premier que le nom breton Nann n’est qu’une abréviation de Reunann ou Ronann, qui signifie homme velu, et qu’il ne serait peut-être pas téméraire de penser que le nom français Renaud en dérive.

Mais quelle doit être la version primitive ? Les critiques ne sont pas d’accord à ce sujet. M. Rathery réclame la priorité pour la version française, s’appuyant sur un texte recueilli par M. Boucher d’Argis, à Orléans, mais qui proviendrait de la Bretagne ; tandis que M. Gaston Paris prend fait et cause pour les versions bretonne et danoise, et ses raisons me paraissent excellentes : « Je persiste, dit-il, à penser que la rencontre avec une fée était l’introduction de la plus ancienne forme, antérieure sans doute à toute version française. Ce trait mythologique étant tombé, on lui a substitué des explications diverses : Renaud est blessé à la guerre dans plusieurs versions ; décousu par un sanglier, dans celle de M. Argis ; mordu par un chien enragé, dans la chanson vicentine ; ailleurs, condamné à mort. La fée (Elfe, Korrigan) ne subsiste qu’en danois et en breton. » Dans la finale, j’ai souvent entendu les chanteurs faire alterner les couplets bretons avec ceux de la ballade française : Ah ! dites-moi, ma mère ma mie, etc. ...

MM. de La Villemarqué, Ampère, Gérard de Nerval, Buchon, Tarbé, Brachet, Rathery, J. Bujaud, De Puymaigre, Ad. Wolff, Nigra, presque tous ceux, enfin, qui se sont occupés de poésie populaire, ont donné des versions de cette ballade.

Quoique ces trois versions ne différent pas entre elles d’une manière bien essentielle, j’ai cru devoir les donner in extenso, a cause de l’importance de la pièce. J’en ai d’autres, mais elles ne contiennent aucun détail qui ne soit compris dans une de celles que j’ai données.

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JANET AR WERN


______



JEANNE LE GUERN.
PREMIÈRE VERSION.
________


I

  — Voilà trois nuits que je n’ai dormi goutte,
Et cette nuit je ne le ferai pas encore,

  En entendant la Vipère
Qui siffle au bord de la rivière.

  Et elle disait par son sifflement
Qu’il n’y a de (bonnes) fiançailles qu’une seule fois :

  Celui qui est fiancé de bon gré
Et qui rompt par caprice ;

  Et qui rompt par caprice,
Fait contrat avec le démon :

  Il est détaché net de Dieu,
Comme la branche de l’arbre ;

  Détaché net du paradis,
Comme le grain de la paille ! —

II

  Comme Jeanne Le Guern allait à Guingamp,
Pour désavouer le sacrement.

  Et danser devant une croix d’argent,
Elle rencontra un jeune gentilhomme ;

  Elle rencontra un jeune gentilhomme,
Mais il était vêtu comme un paysan ;

  Un jeune gentilhomme qui était assez bien,
Si ce n’est qu’il avait des pieds de cheval.

  — Jeanne Le Guern, dites-moi,
A combien de jeunes gens avez-vous fait promesse ?

  — J’ai promis à dix-huit,
Mais je n’ai tenu parole à aucun ;

  Mais je n’ai tenu parole a aucun,
Vous serez mon mari, si vous voulez.

  Il y a dix-huit tailleurs chez moi,
A me faire des habits neufs ;

  A me faire des habits neufs,
Pour me fiancer demain. —

  Et quand les habits neufs furent faits.
Ils ne plaisaient pas à Jeanne Le Guern ;


  Ils ne plaisaient pas à Jeanne Le Guern,
Et elle les a foulés aux pieds.

III

  Le Démon disait
En arrivant chez le vieux Le Guern :

  — Donnez-moi un escabeau, pour m’asseoir,
Si je dois être le gendre dans cette maison. —

  — Le gendre dans cette maison vous ne serez point,
Car vos yeux n’ont pas de blancs ;

  Vos yeux n’ont pas de blancs,
Et vos pieds ressemblent à ceux d’un cheval ! —

  — Le trouve bon ou mauvais qui voudra,
Je serai gendre dans cette maison ;

  Et quand mes pieds ressembleraient à ceux d’un chien,
Votre fille Jeanne m’appartient ! —

  — Ma fille Jeanne ne vous appartiendra pas,
Car il faudra avoir mon congé. —

— Avec une goutte de sang de mon petit doigt
J’ai fait contrat avec elle pour l’éternité ! —

IV

  Dur eut été le cœur de celui qui n’eut pleuré,
Chez le vieux Le Guern,

  En voyant les gens de la noce portés (sur des chevaux)
Et la jeune fiancée allant à pied ;

  Et la jeune fiancée allant à pied,
Sa haquenée ne la supportait pas.

  — Jetez-la moi sur la croupe de mon cheval,
Celui-ci la supportera bien ! —

  A partir de ce moment on ne la vit plus,
Jusqu’au moment d’entrer dans le cimetière.

  A mesure qu’elle approchait de l’église,
Elle était belle comme la fleur de lys ;

  Quand elle tourne son visage vers l’autel,
Elle est belle comme la fleur du poirier ;

  Quand elle tournait le dos à l’autel,
Elle devenait noire comme Lucifer !

  Monsieur le curé disait
A Jeanne Le Guern, en voyant cela :

  — Jeanne Le Guern, dites-moi,
Vous avez nié quelque péché ? —


  — Je n’ai nié aucun péché,
Mais j’ai fait sept promesses ;

  Oui, sept promesses, pour mon malheur,
Sans me marier à aucun ! —

  — Jeanne Le Guern, dites-moi,
A qui fites-Yous la première promesse ? —

  — A Yves Le Bail, de Bourbriac,
Oui, à celui-là je promis le premier. —

  Le prêtre, à ces mots,
Est monté sur sa haquenée ;

  Il est monté sur sa haquenée,
Et est allé à Bourbriac.

  — Yves Le Bail, dites-moi,
Voulez-vous délivrer une âme damnée ;

  Voulez-vous délivrer une âme damnée,
En prenant Jeanne Le Guern pour femme ?

  — J’irai avec vous où vous voudrez,
Et ferai ce que vous me direz ;

  Je ferai ce que vous me direz,
Je prendrai Jeanne Le Guern pour femme.

  Jeanne Le Guern dit
Qu’elle ne connaissait pas cet homme ;

  Qu’elle ne connaissait pas cet homme,
Et qu’elle était avec celui qu’elle aimait.

. . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . .

  — Otez-moi mon manteau de dessus les épaules,
Il me brûle comme la braise !

  Enlevez-moi ma ceinture,
Ma ceinture de noces et mon anneau ;

  Ma ceinture de noces et mon anneau,
Ils me brûlent comme le feu de l’enfer ! —

V

  Le Démon disait
Alors aux sonneurs de la noce :

  — Sonneurs de la noce, dites-moi,
Y a-t-il eu beau jeu au banquet ? —

  — Il n’y a pas eu beau jeu au banquet,
Car Jeanne Le Guern est perdue ! —

  — Sonneurs de la noce, dites-moi.
Désirez-vous la revoir ? —


  — Oui, je voudrais bien la revoir,
Mais à la condition qu’il ne m’arrivera aucun mal ;

  A la condition qu’il ne m’arrivera aucun mal,
Et que je serai ramené dans le porche. —

  Alors il le prend par la tête
Et l’enlève pas-dessus les hautes maisons....
 

VI

  Arrivé dans l’enfer,
Il a vu Jeanne Le Guern ;

  Il a vu Jeanne Le Guern,
Assise dans un siège de feu ;

  Assise dans un siège de feu,
Devant elle un bassin rempli de plomb fondu !

  Jeanne Le Guern dit
Alors au sonneur de ses noces :

  — Prenez mon petit chapelet,
Qui me brûle ici comme le feu !

  Dites à Nicolas, mon père,
Que son contrat est dans enfer ;

  Dites à Jeanne Le Guern (sa mère),
Que son siège est dans l’enfer !

  Prenez mon chapelet de noces,
Et donnez-le à celui qui sera dans le porche ... —

. . . . . . . . . . . . . . .

  Dès qu’elle s’est dessaisie de son chapelet,
Elle est tombée au fond du puits de l’enfer,

  En criant : — douleur ! hélas !
Les peines de l’enfer sont grandes ! —


Dicté par Marie CLECH, sabotière de la forêt de Beffou.
Loguivi-Plougras, 1857.


JEANNE LE GUERN.
SECONDE VERSION.
_____


I

— Voilà trois nuits que je n’ai dormi goutte,
Et cette nuit je ne le ferai pas encore,

En entendant la Vipère
Qui siffle au bord de la rivière.

Et elle disait par son sifflement
Qu’il n’y a de [bonnes] fiançailles qu’une seule fois;

Celui qui se fiance à deux, à trois.
Va brûler dans l’enfer ;

Celui qui se fiance à cinq, à six,
Est damné éternellement ;

Celui qui se fiance à six, à sept,
Est complètement détaché de Dieu ;

Est détaché de Dieu aussi net.
Que l’est la branche de l’arbre. —

II

Jeanne Le Guern est encore fiancée :
Elle est allée choisir ses habits de noces ;

Elle est allée choisir ses habits de noces.
Tout ce qu’on trouvera de plus beau dans la boutique.

Comme elle s’en retournait de la ville de Guingamp,
Elle rencontra un jeune homme ;

Elle rencontra un jeune homme,
Qui avait au doigt un anneau d’argent.

Le jeune homme demanda
A Jeanne Le Guern, quand il la rencontra :

— Jeanne Le Guern, dites-moi.
Où avez-vous été, où allez-vous ? —

— Je reviens de la ville de Guingamp,
Où j’ai été choisir mes habits de noces ;

J’ai été choisir mes habits de noces.
Tout ce que j’ai trouvé de plus beau dans la boutique. —

— Si vous m’aviez invité.
J’irais aussi à votre noce. —


   — Si vous n’avez pas été invité,
Venez demain matin et vous le serez. —

   Elle lui plut si bien,
Qu’il la conduisit jusqu’à sa maison ;

   Il l’a accompagnée jusqu’à sa maison;
Hélas elle ne savait pas qui il était !
 
   Le jeune homme lui disait,
En la reconduisant :

   — Jeanne Le Guern, si c’était votre bon plaisir.
Nous serions fiancés ensemble, tous les deux. —

   — Ce n’est pas sur les chemins
Que doivent se faire les fiançailles ;

   Moi j’ai mon père et ma mère vivants,
Et ils seront sur les lieux avant que je m’engage. —
 
   — Et les miens aussi sont vivants.
Mais je ne demande pas leur permission. —
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
   Le jeune homme disait,
En arrivant dans un carrefour :
 
   — Jeanne Le Guern, voulez-vous
Que nous soyons fiancés ensemble, tous les deux ? —

   — Ce n’est pas dans les carrefours
Que doivent se faire les fiançailles ;

   Moi j’ai mon père et ma mère qui vivent encore,
Et il faut qu’ils assistent au contrat. —

   — Les miens aussi vivent encore.
Mais je ne demande pas leur consentement. —
 

III

   Le jeune homme souhaitait le bonjour.
En arrivant chez Jeanne Le Guern :

   — Donnez-moi un escabeau pour m’asseoir.
Et une serviette pour essuyer la sueur ;

   Et une serviette pour essuyer la sueur.
Si je dois être gendre dans cette maison ;
 
   Je vous plairai à souhait.
Car je vous donnerai de l’or et de l’argent ;

   Je vous donnerai de l’or et de l’argent,
Et des biens autant que vous en désirerez ;

   Je vous plairai à souhait.
Car vous aurez de l’or et de l’argent à discrétion —


   — Vous seriez assez à mon gré,
Si vos yeux avaient des blancs ;

   Vos yeux n’ont pas de blancs,
Et vos pieds ressemblent à ceux des chevaux ! —

IV

   Monsieur le curé demanda
Au jeune homme, quand il le vit :

   — Que cherches-tu autour de ma maison ?
Moi je ne vais jamais à la tienne. —

   — Je suis d’un pays qui est bien loin d’ici,
Et tous mes frères me ressemblent ;

   Je suis d’un pays qui est bien loin d’ici,
En mon nom est fils de Lucifer. —

   Monsieur le curé demandait
A Jeanne Le Guern, en ce moment :

   — Jeanne Le Guern, dites-moi.
Quel est le péché que vous avez nié ? —

   — Je n’ai nié aucun péché,
Mais j’ai été fiancée sept fois ;

   J’ai été fiancée sept fois,
Sans jamais tenir ma parole ;

   Sans passer contrat avec aucun,
Mais cette fois, hélas ! il faudra le faire ! —
. . . . . . . . . . . . . . .

V

   Quand Jeanne descend dans le bas de l’église,
Elle est belle comme la fleur de lys ;

   Quand elle monte vers l’autel,
Elle devient noire comme Lucifer !
. . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . .

VI

. . . . . . . . . . . . . . .
   — Le banquet a été assez beau,
Mais la jeune mariée est perdue ! —

   La Vipère disait
Aux sonneurs de la noce, en ce moment :

   — Si vous voulez voir Jeanne Le Guern,
Venez avec moi au fond de l’enfer ! —


   La Vipère disait
A Jeanne Le Guern, en arrivant :

   — Que donnerez-vous à vos sonneurs de noces,
Jeanne Le Guern, dites-le moi ? —

   — Et que puis-je leur donner,
Si ce n’est mon anneau et mon chapelet ;

   Mon anneau et mon chapelet,
Pour les porter à mon époux ?

   Pour les porter à mon époux,
Le premier à qui j’avais fait promesse ? —

   De son anneau et son chapelet
Aussitôt qu’elle s’est dessaisie.

   Elle a poussé un cri,
Et est tombée au fond du puits de l’enfer,

   En disant : — O douleur ! hélas !
Les peines de l’enfer sont grandes ! —


Keramborgne, 1849


________


NOTES ET VARIANTES.


Une autre version donne ainsi la finale de cette ballade :

Pa oant gant ann hent o vonel,
Ar gompagnonez ’n euz laret :
— Jannet ar Wern, em diouallet,
Ur gwall briet gavfann ’G*h euz bet !
N’eo ket henvel euz ur c’hristenn,
Daoulagad diaoul ’zo ’n he benn ! —
Dre m’ tosta Janet d’ann iliz,
Ili a oa kaer ’vel fourdeliz ;
Dre ma tostaê d’ann aoter,
Hi a ice du ’vel Lusufer !
— Ganl-oc’h, Guern-koz, ’on saouezel.
O welet petra oc’h euz grel,
Roèt ho merc’h da Lusufer,
Laket ’nn ez-hi ’n ker braz mizer !

. . . . . . . . . . . . . . .
Pa lak’ hi gwalen war hi biz,
Saoueze kement oa ’n iliz.
Ober eure ur iouc’hadenn
A oa spontuz, war houez hi fenn !
Menz ann iliz p’eo sortiet,
Komanz da grial a deuz gret :
— Dewi a rann kig hag-eskern,
Me ’zo un’ ’vemprou ann ifern ! —
Ann douar a zo digoret.
En punz ann ifern co kouezet !
— Seiz promese faoz am boa gret.
Hep beza hini eureujet ;
Ann eizvet am euz eureujet,
D’ ’nn ifern gant-han renkann monet !
Me ia gant ’nn eizvet d’ann ifern,
Ewit dewi kig-hag-eskern ! —


Kanet gant Mari-Job KADO.
Kerarborn, 1849.


Comme ils allaient par le chemin,
La compagnie disait :
— Jeanne Le Guern, prenez garde à vous,
Je trouve que vous avez là un singulier mari !
Il ne ressemble pas à un chrétien.
Il a des yeux de démon dans la tête !
Quand Jeanne approchait de l’église ;
Elle était belle comme la fleur de lys,
Mais à mesure qu’elle approchait de l’autel.
Elle devenait noire comme Lucifer !
— Je suis bien surpris avec vous, vieux Le Guern,
En voyant ce que vous avez fait ;
Avoir donné votre fille à Lucifer,
Et l’avoir mise en si grande infortune ! —

. . . . . . . . . . . . . . .
Quand elle mit son anneau à son doigt,
Tous ceux qui étaient dans l’église furent effrayés ;
Elle poussa un cri,
Un cri épouvantable, de toutes ses forces !
Et quand elle sortit de l’église.
Elle se mit encore à crier :
— Le feu consume ma chair et mes os,
Je suis un membre de l’enfer ! —
La terre s’est entr’ouverte,
Et elle est tombée dans le puits de l’enfer !
— J’ai fait sept fausses promesses,
Sans épouser aucun :
Mais le huitième, je l’ai épousé.
Et il faut aller avec lui en enfer
Je vais avec le huitième, en enfer.
Pour y brûler chair et os ! —


Chanté par Mari-Job KADO.
Keramborgne, 1849.


Une autre version débute ainsi :

Jannedik ar Wern a lare
D’ar belek iaouank un dez oê :
— Ter noz ’zo takenn n’ ’meuz kousket, etc.


ce qui donne à croire que c’est en confession qu’elle lui parle. Dans cette même version, le premier a qui elle a fait promesse s’appelle : Ervoan ar Bihan, de Saint-Brieuc.

Rapprocher cette ballade de celle contenue dans le Barzaz-Breiz sous le titre de la Fiancée de Satan, p. 156 (sixième édition).

ANN HINI OA ET DA WELET


HE VESTREZ D’ANN IFERN.
________



CELUI QUI ALLA VOIR SA MAITRESSE
EN ENFER.
________


J’implore la lumière du ciel
Et l’assistance de la Sainte-Vierge, pour pouvoir exposer

Un fait digne de pitié, parmi les jeunes gens.
Un exemple patent pour tous ceux qui sont dans ce monde.

________


Ils se fréquentaient dès leur enfance.
Et à mesure qu’ils avançaient en âge, ils le faisaient encore davantage.

Ils se fréquentaient la nuit comme le jour,
Sans montrer aucune crainte de la puissance de Dieu.

Mais une chose cruelle vint les séparer,
La fille vient à mourir, jeune et sans souci.
 
Quand le jeune homme vit son amie morte.
Il se jeta dans un couvent, parmi les hommes saints ;
 
Et là il priait Dieu nuit et jour,
Dans l’espoir de revoir son amie, comme quand elle était en vie.
 
Un jour que le kloarek était en prière, dans sa chambre,
Le Démon lui apparut, sous la forme d’un jeune homme.

— Combien, lui dit-il, me donnerais-tu
Pour voir ton amie, comme quand elle était en vie ? —
 
— Je ne suis qu’un pauvre homme et je n’ai pas de biens ;
Je n’ai qu’une patène soufflée en or jaune ;

Celui qui me fera voir mon amie, sans qu’il m’arrive de mal,
Aura ma patène, ô oui, en assurance. —

Il le prend, comme un enfant.
Et s’envole avec lui par-dessus les hautes maisons.
 
Ils arrivèrent dans une avenue très-grande,
Avec une grande porte garnie de fer, à l’extrémité.

Quand il arriva près de la porte, elle lui fut ouverte,
Parce qu’il était un diable incarné de l’enfer ;

Il le conduisit dans une chambre, à l’écart,
Où il vit son amie, comme quand elle était en vie ;
 
Le kloarek fut mis dans une chambre, à l’écart,
Où il voit son amie sur un siège de feu !
 
— Dites-moi, mon amie, souffrez-vous dans ce lieu,
Car il me semble vous voir au milieu du feu ? —


— Oh ! oui, certes, dit-elle, vous pouvez bien le croire,
Je n’ai pas un seul instant de repos, ni la nuit, ni le jour. —

— Qu’est-ce que ces choses repoussantes qui sont à vos oreilles,
Et qui souillent votre visage et vos pieds et vos mains ? —

— Tous les serpents de l’enfer me dévorent, jour et nuit.
Sans me laisser un seul moment de repos ;

Mes pieds, mes mains, tous mes membres
Sont comme le fer qui sort de îa fournaise ! —

— Dites-moi, mon amie, n’y aurait-il pas moyen
De vous racheter des supplices de l’enfer,

Par des jeûnes, des oraisons, de bonnes prières,
L’aumône aux pauvres, et la sainte messe ? —

— Les jeûnes, les oraisons, les bonnes prières
Ne font qu’accroître les peines d’une âme damnée. —

— Adieu donc, mon amie, puisqu’il faut partir,
Je voudrais bien vous embrasser une dernière fois ? —

— Sauf votre grâce, mon serviteur, vous ne ferez point cela.
Car vous seriez brûlé par le feu de l’enfer. —

— Adieu donc, mon amie, puisqu’il faut partir ;
Je donnerai de vos nouvelles à votre jeune sœur. —

— Oh ! oui, mon serviteur, oh ! oui, n’y manquez pas.
Donnez-lui de mes nouvelles, et lui dites de ma part

De n’être pas trop familière avec les galants,
De crainte, hélas ! Marie, d’être aussi damnée ! —


Chanté par Marie-Job KADO, vieille mendiante
Keramborgne 1844.

NOTE.


J’ai plusieurs versions de cette ballade, mais elles concordent toutes, ou les différences sont si légères, que je crois inutile de donner des variantes. — Rapprocher du sombre gwerz de Katell gollet (Catherine la damnée) qui a été imprimé à Morlaix, chez Lédan.

M. le comte de Puymaigre dans son intéressant recueil de Chants populaires du pays Messin, a donné, sous le titre de la Damnée, un chant français qui ressemble d’une manière frappante à notre gwerz breton. Voici ce chant :

 
C’est d’une fille et d’un garçon,
D’un garçon qui l’a bien aimée.
Mais bientôt sur le vert gazon
La belle fille est enterrée.

Le garçon fit une prière
À la bonne vierge Marie,
Pour qu’elle lui fasse voir encore
La belle qu’il a tant chérie.
 
Il n’a pas fini sa prière.
Et voilà la belle arrivée.
— Oh ! la belle, la belle, où avez-vous été,
Que vos fraîches couleurs ont si fort changé —

Ce sont les diables et les enfers
Qui ont ainsi rongé mes membres,
Et cela pour un maudit péché
Que nous avons commis ensemble. —

— Oh ! dites-moi, dites, ma mie,
Ne peut-on pas vous soulager.
Avec quelques messes à dire.
Ou quelques vigiles à chanter ? —

— Oh ! non, mon bel ami, oh ! non.
Oh ! non, ne m’en faites point dire,
Tant plus prieras ton Dieu pour moi,
Et tant plus souffrirai martyre.

— Oh ! adieu donc, adieu, ma mie,
Puisqu’il faut ainsi vous quitter.
À votre sœur Marguerite,
N’avez-vous rien à envoyer ? —

— Tu diras à ma sœur Marguerite
Qu’elle ne fasse pas comme moi.
Que jamais elle ne se promène.
Sur le soir, dans les grands bois. —


Voir encore dans le livre de M. de Beaurepaire, Etude sur la poésie populaire en Normandie, deux chants normands qui ont quelque analogie avec le nôtre.

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JANEDIK AR ZORSERES
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JEANNE LA SORCIERE.
PREMIÈRE VERSION.
________


I

   — Allons tous les deux, Jeanne, au pardon du Guéodet,
Il y a longtemps que j’ai promis, d’y aller. —

   Jeanne disait, quand elle fut près du Guéodet :
— Voici, par exemple, un beau champ de blé !

   Voici, par exemple, un beau champ de seigle.
Et quand nous retournerons, il n’y aura que de l’ivraie !

   Il a fallu pour l’ensemencer dix-huit boisseaux,
Et quand il sera mûr à couper, il n’en restera pas un quart !

   Quand il sera mûr à couper, il n’en restera pas un quart ;
Et quand il sera vanné, il n’y en aura pas une écuellée ! —

   — Gâtez-en là la largeur d’une nappe à vanner,
Et je verrai alors si vous êtes sorcière. —

   — Sauf votre grâce, dit-elle, mon père, je ne puis faire cela,
Car je ruinerais le pays tout entier. —

   — Retournons à la maison, Jeanne, retournons tous les deux.
Et disons de bon cœur adieu aux pardons. —

II

   Jean, le chef de ménage, disait à sa femme, en arrivant à la maison :
— Nous avons nourri une fille qui sait gâter le blé (1)[9] ;

   Je vais la recommander au procureur fiscal. —
Jean, le chef de ménage, disait au procureur fiscal :

   — Nous avons nourri une fille qui sait gâter le blé.
Faites votre possible à son endroit, pour nous, nous l’avons fait. —

   — Amenez-moi votre fille, pour être interrogée
Et condamnée devant le tribunal, si elle l’a mérité. —

III

   — Dites-moi, Jeanne, maintenant que vous êtes condamnée.
Comment avez-vous appris le secret pour gâter le blé ? —

   — Un gardeur de moutons qui était chez mon père.
M’emmenait chaque nuit au sabbat,


 
   Où étaient les sorciers et les sorcières,
Et c’est lui qui m’apprit le secret pour gâter le blé.

   Quand il arriva chez mon père,
Je ne savais rien au monde que mon chapelet :

   A présent je sais le latin, je sais écrire et lire,
Et empêcher le prêtre de dire sa messe ;

   Empêcher le prêtre de dire la grande messe, le dimanche.
Et consacrer l’hostie, si cela m’était permis ! —

   — Dites-moi, Jeanne, à présent que vous êtes condamnée.
Que faut-il avoir pour gâter le blé ? —

   — Il faut avoir le cœur d’un crapaud, l’œil gauche d’un corbeau mâle
Et de la graine de fougère, ramassée la nuit du feu de la St Jean.

   Avec un plat d’argent que j’avais j’en ramassais une poignée.
Oui, entre onze heures et le coup de minuit.

   Il y a encore une autre herbe, que je ne nommerai pas.
Et sans celle-là, les autres n’ont aucune vertu.

   J’ai un petit coffre-bahut à la maison, chez mon père.
Et celui qui l’ouvrira en éprouvera crève-cœur !

   Celui qui l’ouvrira devra avoir un cœur intrépide,
Car il y a là trois vipères qui couvent un serpent.

   Et si mes trois petites couleuvres viennent à bien.
Il faudra les nourrir avec des mets délicats ;

   Il faudra les nourrir avec des mets délicats.
Comme de la chair de perdrix et de bécasse.

   Et aussi le sang royal des innocents.
Quand on les porte au porche, pour être baptisés ;

   Et avant que je manque de les bien traiter,
Je leur donnerai le sang de ma mère et celui de mon père ! —

   — Dites-moi, Jeanne, maintenant que vous êtes condamnée,
Que faut-il faire pour qu’ils ne produisent pas ? —

   — Les mettre au milieu d’une plaine, faire du feu autour ;
La terre s’entr’ouvrira pour les engloutir !

   Mais, je vous prie, si vous faites du feu, ne l’épargnez pas.
Car s’il s en échappe un seul, il incendiera le firmament !

   Si j’étais restée encore une année en vie.
J’aurais renversé ce monde ! —



Chanté par Compagnon-l’Aveugle.
Keramborgne, 1849.


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JEANNE LA SORCIÈRE.
SECONDE VERSION.
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. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
   — Quand j’allai premièrement à Paris, pour apprendre le français,
Je ne savais, mon Dieu, que mon chapelet.

   — Mais à présent je suis savante, je sais écrire et lire,
Et, aussi bien que le prêtre, je sais dire la messe ;

   Je sais chanter l’épitre, à la grande messe.
Et consacrer l’hostie, si cela m’était permis. —

   — Dites-moi, jeune fille, avec qui vous avez appris
Le secret pour jeter un sort sur le blé ! —

   — C’est avec un jeune kloarek qui était chez mon père,
Et qui m’emmenait toutes les nuits au sabbat ;

   Il m’emmenait toutes les nuits au sabbat,
Et j’ai appris le mal au lieu d’apprendre le bien.

   Et quand j’arrivais là, je n’entendais rien autre chose
Que la conversation des sorciers et des sorcières ;

   Que la conversation des sorciers et des sorcières.
Et au lieu d’apprendre le bien, j’ai appris le mal ! —

   — Dites-moi, jeune fille, avec qui vous avez appris
Le secret pour jeter un sort sur le blé ?

   Sept lieues à la ronde, il n’a germé aucun grain.
Et aucun enfant nouveau-né n’a reçu le baptême ? —

   — Dites-moi, jeune fille, ce qu’il faut avoir,
Ce qu’il est nécessaire d’avoir pour gâter le blé ? —

   — L’œil gauche d’un corbeau mâle et le cœur d’un crapaud.
Avec de la graine de fougère ramassée la nuit de la St-Jean.

   La première fois que j’employai mon sortilège, pour l’éprouver,
Ce fut dans un champ de seigle ensemencé par mon père ;

   Ce fut dans un champ de seigle ensemencé par mon père,
Et où l’on avait mis dix-huit demi-boisseaux ;

   On l’avait ensemencé avec dix-huit demi-boisseaux.
Et il ne donna pas dix-huit bonnes écuellées !

   J’ai chez mon père un petit coffre-bahut.
Et le premier qui l’ouvrira en aura du crève-cœur !


   Il y a là trois vipères qui couvent un serpent
Destiné à incendier le monde entier.

   Et si mes chères petites bêtes viennent à bien,
Il faudra les nourrir avec une nourriture délicate :

   Ce n’est pas avec du lait de femme qu’ils seront nourris,
Mais avec le sang royal des innocents ;

   Ce sera avec le sang royal des innocents,
avant d’aller à l’église pour recevoir le baptême.

   Je savais tuer l’enfant dans un coin du porche,
Au moment d’être baptisé, et le prêtre déjà habillé... —

   — Or ça, Jeanne, à présent que vous êtes condamnée.
Que faut-il faire pour qu’ils ne produisent pas ? —

   — Les mettre au milieu d’un champ, faire du feu tout au tour,
La terre s’entr’ouvrira pour les engloutir !

   Mais je vous prie de faire un feu d’enfer,
Car s’il s’en échappe un seul, il incendiera le firmament !

   Si j’étais restée encore une année en vie,
J’aurais renversé ce monde !...


Chanté par Marie-Job KADO. — 1849.


________

NOTES ET VARIANTES.

Comme l’indique le vers suivant, plusieurs fois répété :


Arsa eta Jannedik, brema pa’z oc’h barnet,

— Or ça, Jeanne, à présent que tous êtes condamnée,


il s’agit très-probablement ici d’une condamnation au bûcher, sur soupçon de sorcellerie, cas très-commun aux quinzième et seizième siècles. Cette ballade est très-répandue dans le pays de Lannion, où j’en ai recueilli plusieurs versions qui toutes concordent assez pour ne pas présenter de différences importantes. Je noterai seulement les suivantes :

Le chef de la famille (ann ozac’h iann), après la conversation curieuse qu’il a eue avec sa fille, en traversant le champ de seigle, dit dans une autre version :

— Arsa eta, Janedik, poent eo monet d’ar ger.
Ha larel, a wir galon, adieu d’ar pardoniou.
Me wel arru awell, glao, dared ha kurunou ! —


— Or ça ! donc, Jeanne, il est temps de retourner à la maison.
Et de dire, de bon cœur, adieu aux pardons.
Je vois venir vent, pluie, éclairs et tonnerres !

Puis, devant le procureur fiscal (les chanteurs disent iskar) il s’exprime ainsi :

— Me’m euz maget ur bugel a oar gwalla ann ed.
Me ho ped, tud ar justiz. da oont d’hi c’homerret.
Me am euz gret ma dever, grit ho hini, mar karet,
Mar karet e profitfet, ha kement’zo er bet. —


— J’ai nourri une enfant qui sait gâter le blé ;
Je vous prie, gens de la justice, de venir la prendre.
J’ai fait mon devoir, faites le vôtre, si vous voulez ;
Profitez, si vous voulez, vous et tous ceux qui sont au monde ! —

Le procureur fiscal fait venir la jeune fille devant lui, et lui dit :

— Demad d’ac’h, plac’hik iaouank, oalet a dric’houec’h vloa.
Gant piou oc’h euz disket ar zorseraj kenta ? —
— Ma oa gant ur paotr denved a oa en ti ma zad ;
Wit beza ur paotr denved, hennés’oa disket mad.
Am c’hasse gant-han bepnoz da welet ar zabbad.
Allas ! me a oa iaouauk, hag am euz profitad !
Pa iz kenta da Baris da deskl ar gallek… etc.


— Bonjour à vous, jeune fille âgée de dix-huit ans.
De qui avez-vous appris premièrement la sorcellerie ? —
— D’un pâtre de moutons qui était chez mon père ;
Et pour être pâtre, celui-là était bien instruit.
Il m’emmenait toutes les nuits au sabbat ;
Hélas ! j’étais jeune, et j’y ai profité.
Quand j’allai d’abord à Paris pour apprendre le français… etc.


Rapprocher cette ballade de celle contenue dans le Barzaz-Breiz (6e édition), p. 135, sous le titre de Héloïse et Aheilard.

AR PLAC’HIK HAG INE HI MAMM
________


LA JEUNE FILLE ET L’AME
DE SA MÈRE.
PREMIÈRE VERSION.
________


I

  Une jeune fille de la commune de Blan[10]
A demandé à revoir sa mère (après sa mort) ;

  À revoir sa mère et à lui parler,
Tant elle la regrettait.

  Elle va trouver le curé
Pour lui conter son cas ;

  — Oui, ma fille, vous lui parlerez,
Si vous faites comme on vous dira :

  Pendant trois nuits, après votre souper,
Vous irez à l’église, seule.

  Et vous emporterez trois tabliers à votre mère,
Pour mettre sur sa tombe, pour prier,

II

  Quand elle voit allumer une lumière bleue,
Du côté droit du grand autel.

  Elle entre dans un confessionnal,
D’après la recommandation du curé.

  Pour de là voir les âmes
Faisant la procession.

  Elles étaient partagées en trois groupes,
Des noires, des grises et des blanches.

  Parmi les noires était sa mère ;
Oh ! Dieu que sa frayeur fut grande !

  Quand elles (les âmes) eurent fini leur procession,
Elle (sa mère) va à son tablier ;

  Elle va au tablier
Et le met en neuf morceaux.

  La nuit suivante, après souper,
Elle se rend encore seule à l’église ;

  Elle emporte un second tablier,
Pour mettre sur la tombe pour prier.

  Quand elle voit allumer une lumière bleue,
Du côté droit du grand autel,

  Elle entre dans un confessionnal,
D’après la recommandation du curé,

  Pour de là voir les âmes
Faisant la procession.

  Elles étaient partagées en trois groupes,
Des noires, des grises et des blanches.

  Parmi les grises était sa mère ;
Sa frayeur ne fut pas aussi grande.

  Quand elles eurent fini leur procession,
Elle va à son tablier ;

  Elle va à son tablier,
Et le met en six morceaux.

  La jeune fille avait une sœur mariée
Qui eut un enfant cette nuit-là :

  Elle fut demandée pour nommer l’enfant,
Et elle promit vite d’aller.

  Au moment de baptiser l’enfant,
Elle a demandé au prêtre,

  Elle a demandé au prêtre
De lui donner le nom de sa mère :

  — Toutes les fois que je le verrai,
Il me rappellera ma mère. —

  Lorsque l’enfant eut été baptisé,
Il mourut aussitôt ;

  Il mourut aussitôt,
Et elle passa la nuit à le veiller.

  Quand l’enfant eut été enterré,
Elle alla trouver le curé ;-

  Elle alla trouver le curé,
Pour lui conter son cas :

  — Oui, ma fille, vous lui parlerez,
À la condition de faire comme on vous dira. —

  Quand la jeune fille eut soupé,
Elle se rendit, seule, au cimetière.

  Et emporta un troisième tablier,
Pour mettre sur la tombe, pour prier.

  Quand elle voit allumer une lumière bleue
Du côté droit du grand autel,

  Elle se retire dans un confessionnal,
D’après la recommandation du curé.


  Pour de là voir les âmes
Faire la procession,

  Partagées en trois groupes,
Des noires, des grises et des blanches.

  Parmi les blanches était sa mère,
Et sa frayeur fut changée en joie !

  Quand elles eurent fini leur procession,
Elle va à son tablier ;

  Elle va à son tablier,
Et le met en trois morceaux.

  La mère va alors trouver sa fille
Et lui parle de la sorte :

  — Tu as eu du bonheur
Que je ne t’aie mise toi-même en morceaux !

  Que je ne t'aie mise en pièces, toute vivante,
Comme je le faisais à mes tabliers !

  Tu augmentais mes peines, chaque jour,
Par la douleur que tu me témoignais !

  Tu as tenu un enfant (sur les fonts baptismaux],
Et tu lui as donné mon nom ;

  Tu lui as donné mon nom,
Et c’est ce qui m’a sauvée !

  Je vais maintenant voir Dieu,
Et toi, tu viendras aussi sans tarder ! —


Anna SALIC, 75 ans.
Plouaret, 1864.



LA PETITE MINEURE
DU BAS DE LA LANDE.
SECONDE VERSION.
________


  La petite mineure du bas de la lande
Est désolée de la mort de sa mère;

  Nuit et jour elle se lamente
Et son confesseur a. bien de la peine avec elle.

  Comme elle était en prière sur la tombe de sa mère,
Elle entendit sonner minuit ;


  Elle entendit sonner minuit,
C’était l’heure de la procession.

  Elles (les âmes) viennent en trois groupes,
Des noires, des grises et des blanches.

  Parmi les noires elle voit sa mère,
Oh ! Dieu, quelle frayeur !

  La nuit suivante elle va encore
Prier Dieu, sur la tombe de sa mère.

  Comme elle était sur la tombe, en prière,
Elle entendit sonner minuit ;

  Elle entendit sonner minuit,
C’était l’heure de la procession.

  Elles viennent en trois groupes,
Des noires, des grises et des blanches.

  Parmi les grises elle voit sa mère ;
Sa frayeur ne fut pas aussi grande.

  La nuit suivante elle va encore
Prier Dieu sur la tombe de sa mère.

  Comme elle était sur la tombe, en prière,
Elle entendit sonner minuit ;

  Elle entendit sonner minuit,
C’était l’heure de la procession.

  Elles viennent en trois bandes,
Des noires, des grises et des blanches.

  Parmi les blanches était sa mère ;
Alors elle n’eut plus de frayeur.

  Elle a pris son tablier
Et l’a mis en quatre morceaux.

  Et sa mère a parlé ainsi :
— Si tu n’avais été en la grâce de Dieu,

  Je t’aurais mise en pièces,
Comme tu le fais à tes tabliers !

  Tu as tenu un enfant sur les fonts-baptismaux,
Tu lui as donné mon nom,

  Et c’est celui-là qui m’a sauvée ! —
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Chanté par Marie HULO.
Keramborgne, 1855.



________


TROGADEC.
________


  Depuis que Trogadec est mort,
Personne n’a pu habiter sa maison.

  Un jeune prêtre de Léon,
Un homme intrépide et dur de cœur,

  S’était rendu un jour dans sa maison,
Exprès pour le conjurer.

  Le jeune prêtre demandait
A Trogadec, en le conjurant :

  — Trogadec, dites-moi,
Quels sont les crimes que vous avez commis ? —

  — Voilà dix-huit ans, s’il n’y a davantage,
Que je suis dans l’enfer, brûlée cuit ! —

  — Vous mentez, Trogadec,
Car il n’y a pas plus de trois semaines ;

  Les tréteaux funèbres sont encore sur votre tombe,
Depuis le service de huitaine (l’octave). —

  — Si les tréteaux funèbres sont encore sur ma tombe,
Je vous en prie, faites-les enlever ;

  Ne me donnez pas d’eau bénite,
Car vous ne faites qu’augmenter mon supplice ! —

  — Trogadec, dites-moi
Ce qui est cause que vous êtes damné ? —

  — Aussi long qu’il y a entre Brest et Lesneven
J’ai volé avec mon aune ;

  J’ai volé de la serge de Paris,
En retirant mon aune en arrière.

  Quand j’avais vendu trois aunes,
Je n’en coupais que deux et demie ;,

  Je n’en coupais que deux et demie,
Et je vendais cinq écus l’aune.

  J’ai fait bâtir une maison neuve
Avec de l’argent mal acquis ;

  Avec de l’argent mal acquis :
Je voudrais en voir le comble sur le foyer !

  La pierre le plus haut, le plus bas ! ....
Hélas ! c’est trop tard à présent !


  Allez chez moi, et dites à ma femme
De venir me voir dans l’enfer ;

  De venir me voir dans l’enfer,
Quand elle y sera, elle ne s’en ira pas.

  Si elle avait voulu, à mon insçu,
Donner l’aumône dans ma maison,

  Un de nous deux aurait été sauvé,
A présent nous sommes perdus tous les deux ! —

  — Et comment donner à votre insçu ?
Le pain était toujours sous clef ;

  Le pain était toujours sous clef,
Et la farine était marquée dans le pétrin. —

  — Et quand le pain aurait été sous clef,
Et la farine marquée dans le pétrin ;

  Et la farine marquée dans le pétrin,
Je ne visitais pas le blé, dans l’arche ! —


Chanté par Marie-Yvonne LE ROI, 70 ans.
Plouaret, 1867.


________


LES LOUPS DE MER.
________


______Aiguisons nos épées,
____Sur le haut des montagnes,
____Pour aller aux combats !

   Voici venir les navires des loups de mer,
Qui apportent la guerre en Armorique !
Ils ont pris le Gueodet,
Et en ont incendié l’église.

______Aiguisons, etc.

   Le vieil évêque, les larmes aux yeux,
A été forcé de quitter sa patrie ;
Il est allé chercher un autre pays
Où ne viendront pas les méchants.

   Personne n’ose plus rester en Armorique,
Tant on a en horreur les hommes de mer ;
Moissons, maisons, animaux et gens,
Ils détruisent tout, grands et petits[11].

   Mais le roi, dès qu’il en a été instruit,
A grincé des dents avec rage,
Et vite il s’est mis en route,
Avec tous ses gens et ses parents.

   Une grande armée a été levée,
Et nous sommes descendus en Armorique ;
Dans une grande plaine, au pays d’Arvor.
Nous avons rencontré les loups de mer.

   Pendant trois jours nous avons résisté,
Pendant trois jours nous nous sommes battus;
Pendant trois nuits, sans reprendre haleine,
Nous n’avons fait que tuer:

   Tuer, a faire ruisseler le sang rouge,
Des deux côtés, comme deux grands ruisseaux ;
Tuer, comme on bat la paille,
La paille de seigle, quand il est mûr !


   Et nos coups d’épée retentissaient,
Comme les coups de masse sur l’enclume,
Et fracassaient les cranes des hommes de la mer,
Comme des huîtres entr’ouvertes !

   Pendant que dura le combat,
Les corbeaux voltigeaient sur nos têtes ;
Et quand ce fut fini, en croassant,
Ils s’abattirent pour le festin !

______Aiguisons nos épées,
____Sur le haut des montagnes,
____Pour aller aux combats !


Tiré de la collection de M. J.-M. de PENGUERN.

NOTE.


Ce beau gwerz, qui a un cachet d’antiquité barbare et de rudesse sauvage qui rappelle un peu le chant célèbre de Ragnar Lodbrog, est extrait de la riche et très-importante eollection bretonne de feu M. J.-M. de Penguern. Il doit se rapporter à quelque descente des hommes du Nord, Normands ou Saxons, sur les cotes armoricaines, au IXe siècle. S’agit il ici de la destruction du Koz-Guéodet par Hasting, vers l’an 836 ? Je crois qu’il n’est pas trop téméraire de le penser, sans rien affirmer pourtant. « Hasleing, » dit Albert Le Grand, « capitaine des Danois qui escumaient la mer océane, vint cette année (836) avec une grosse armée navale au Bec-Lêguer. Ils assiégèrent et emportèrent d’assaut la ville de Lexobie (Koz-Icodet) massacrèrent le clergé et le peuple et pillèrent les trésors de l’église. » Le Baud dit aussi : « Haston, duc des Danois, persécutant les régions maritimes des Gaules, print Lexovium, et la disrompit. » Et Albert Le Grand ajoute : « Puis les barbares, passant outre, entrèrent dans l’embouchure de la rivière du Jaudy, et posèrent les ancres devant le monastère de Trécor, lequel ils pillèrent et ruinèrent. » L’armée des Bretons les atteignit à peu de distance de là, dans la grande lande de Plourivo, près de Paimpol, et c’est sans doute là que se livra la terrible bataille que le chant breton décrit avec une énergie si féroce : Bars ur blenenn, en bro Arvor.

Ce chant avait sa place naturelle en tête des Chants historiques qui suivront, et non parmi les gwerz un peu fantastiques et merveilleux où je l’insère. J’ai cependant eu mes raisons pour agir ainsi, et je veux les faire connaître.

Je suis devenu tout dernièrement, et conjointement avec M. Hippolyle Du Cleuziou, acquéreur de la collection des manuscrits bretons de M. J.-M. de Penguern, poésies populaires, incantations, conjurations, proverbes, mystères. Lorsque cette bonne fortune m’est arrivée, d’une façon assez inattendue, le plan de ma publication était déjà arrêté, mon manuscrit terminé, ou à peu près, et l’impression allait commencer. J’aurais pu, néanmoins, ou fondre les deux collections en une seule, de manière à ne former qu’un même ouvrage, ou me borner à compléter et à éclairer mes textes avec l’aide de ceux de M. de Penguern ; mon recueil y aurait certainement gagné en intérêt et en valeur. Mais, pour le bien des études bretonnes, qui commencent enfin à prendre faveur dans le monde savant, j’ai cru devoir suivre une autre marche. J’ai dit à M. Du Cleuziou : « Je désire publier ma collection à part ; c’est le résultat de mes recherches depuis vingt-trois ans ; presque tout a été recueilli ou par moi-même, ou par ma sœur, qui m’a beaucoup aidé dans ce travail, souvent assez ingrat[12] ; je suis là sur un terrain connu ; je puis désigner les localités et les personnes, dont je retrouverais encore le plus grand nombre, au besoin. Si ma collection est inférieure à celle de M. de Penguern, en chants anciens, elle a aussi sa valeur très-réelle, et je puis au moins dire avec le poête :

« Mon verre n’est pas grand, mais je bois dans mon verre. »

« La collection de M. de Penguern sera, à son tour, l’objet d’une publication spéciale, et de la sorte nous aurons trois textes différents, le Barzaz-Breiz, le recueil de M. de Penguern et le mien, qui pourront fournir à la critique tous les éléments et les conditions désirables pour une étude comparée. De cette confrontation des textes jailliront sans doute des lumières inattendues, sortiront des résultats précis et arrêtés ; la critique et l’histoire y trouveront également leur profit, et la vérité, qui doit être l’objet constant et désintéressé de nos recherches et de nos etudes, s’en dégagera peut-être sous un jour nouveau mais non moins éclatant. Enfin, pour rendre le contrôle facile et mettre notre conscience d’éditeurs à l’abri de tout soupçon fâcheux, une fois les publications terminées, je propose de déposer les manuscrits, les miens comme ceux de M. de Penguern, dans une bibliothèque publique, à Paris ou à Saint Brieuc, où chacun pourra les consulter a loisir. »

Donc le chant ar Bleizdi-mor sera le seul emprunt que je ferai pour cette publication à la collection de M. de Penguern, que je n’ai jamais vue, et dont je ne parle que sur oui-dire, et c’est en grande partie pour trouver l’occasion de faire cette déclaration, que j’ai cru devoir publier ce beau gwerz.

Lorient, 6 février 1868.



LA FAMINE.
________


I

Esprit saint, esprit léger,
Donnez-moi pouvoir et lumière,
Pour composer un gwerz nouveau.
Un gwerz sur la famine.

II

Le pauvre arriva dans la maison,
Demandant, au nom de Dieu,
Un morceau de pain, pour se soulager.
Un petit morceau, pour ne pas mourir.

Et le mari dit à sa femme,
Touché de compassion à sa vue :
— J’ai grand’pitié de lui.
Donnez-lui quelque chose. —
 
— A quoi te sert d’avoir femme ?
Tu veux donc que nous régalions tout le monde ?
Que les pauvres restent dans leurs cantons ;
En faisant ainsi, tu seras misérable toi-même ! —
 
— Tu sais bien que le blé est cher,
Et on ne trouve pas de travail ;
La journée du pauvre n’est rien,
Et le blé est si cher, pour avoir du pain ! —

— J’ai dix-huit bigodes[13] de blé,
Et ce n’est pas pour fes fainéants ;
Si c’est moi qui commande ici,
Du diable s’il a rien ! —

Le mari, étonné de l’entendre.
Dit encore une fois :
— Donnez un morceau au pauvre, pour vivre.
J’ai grand’pitié de lui ! —

— Si c’est moi qui commande ici.
Du diable s’il a le moindre morceau ! —
Le pauvre sent son cœur défaillir.
Et il meurt de faim !


Le mari était allé travailler (aux champs),
Et vous pouvez croire que sa douleur fut grande
De voir mourir le pauvre,
Tué par la misérable !

Mais, par la justice de Dieu,
Sa femme meurt aussi subitement !
Un voisin court
Au champ, pour en avertir son mari.

— Ne vous fâchez pas de la nouvelle,
Votre femme est morte sur le seuil de sa porte ! —
— Mon ami, je vous remercie,
Allons à la maison, pour l’ensevelir. —

III

A minuit devait se faire l’enterrement,
Et ils se préparèrent en toute hâte.
On attela trois chevaux à la charrette,
Pour la porter en terre.

Mais ils avaient beau tirer de leur mieux,
Ils ne pouvaient la déplacer.
Au lieu de trois, on en attela six.
Et la charrette ne bougeait toujours pas.

On en attela sept.
Et elle ne bougeait pas encore !
Les prêtres arrivèrent,
Et ils dirent qu’il fallait voir.

On ouvre le cercueil,
Et on n’y trouve rien ;
On n’y trouve rien.
Si ce n’est un barbet noir et un chat !

Alors un coup de tonnerre se fit entendre
Au-dessus de la charrette, qui la fit trembler
Et réduisit tout en cendres.
Sans faire de mal aux gens ni aux chevaux !

Il a renversé des églises
Et des navires, sur la grande mer.
Si bien qu’ils ont perdu la vie
Tous les chrétiens qui s’y trouvaient.

Je vous prie, vous tous qui mettez du blé,
De réfléchir à ce que vous avez entendu :
Ce n’était pas Dieu qui punissait,
Mais c’était le diable qui emportait son âme !


Chanté par une vieille mendiante
de Gurunhuël.


LA VEUVE PAUVRE
________


S’il vous plaît, vous écouterez
Un gwerz nouvellement composé ;
Il a été fait à une jeune veuve,
Dont le mari est mort dernièrement.

Le mari est mort dernièrement,
Et sa veuve va mendier par le pays ;
Il lui faut aller mendier son pain, cette année,
Et elle va chez son propriétaire.

— Au nom de Dieu, un morceau de pain ;
Je n’ai rien mangé de la journée,
Et j’ai à la maison trois enfants,
Et rien à leur donner ! —

— Si tu as trois enfants,
Retourne à la maison et tues-en un ;
Retourne à la maison et tue un des trois,
Pour donner aux autres à manger ! —

La pauvre veuve s’en retourne chez elle,
Comme une femme désespérée ;
La pauvre veuve s’en retourne chez elle,
Dans l’intention de tuer son enfant.

— Au nom de Dieu, mère, un peu de pain !
Nous n’avons rien eu de la journée ;
Nous n’avons rien eu de la journée.
Et notre cœur est prêt de défaillir ! —

— Et d’où pourrais-ie vous donner du pain ?
Il n’y en a pas le moindre morceau dans la maison !
Il n’y en a pas le moindre morceau dans la maison.
Je vais vous tuer avec mon couteau ! —

Un jeune enfant était dans la maison.
Agé de deux mois, pas encore trois.
Et il a sauté de son berceau,
Et s’est mis à genoux devant sa mère.

Miracle ! et il s’est mis à parler :
— Au nom de Dieu, mère, ne nous tuez point.
J’irai dans l’année chercher mon pain.
Là où jamais vous ne me verrez ! —

La pauvre veuve se met au lit,
Etonnée de le voir parler ainsi ;
Elle s’endort dans son lit,
Et la Sainte-Vierge entre dans la maison :


La Sainte-Vierge entre dans la maison,
Précédée de sept cierges :
Elle place les cierges sur la table,
Et se rend près du berceau :

La pauvre veuve demandait,
Appuyée sur son coude, dans son lit :
— Qu’y a-t-il là, à cette heure de la nuit.
Quand je repose dans mon lit ? —

— C’est moi, veuve, la Sainte-Vierge,
Qui viens de la part de Dieu, mon fils,
Pour vous empêcher de tuer vos enfants.
Car vous aurez du pain à leur donner ;

Vous aurez du pain à leur donner,
Et vous en aurez aussi pour vous-même.
Le blé que votre propriétaire ensemença ce matin.
Sera mûr avant le jour. —

— Du seigle mûr à Noël !
Jamais personne n’a vu pareille chose. —
— Allez au champ et coupez-le.
Puis vous rapporterez sur l’aire et le battrez.

Portez-le ensuite au four, pour cuire ;
Et quand le pain sera cuit.
Portez-en un morceau au propriétaire, pour goûter,
Mais ne lui en portez pas beaucoup ;

Ne lui en portez pas beaucoup.
Car ce sera la son dernier morceau ! —
— Tenez, maître, un morceau de pain,
Fait avec du seigle nouveau de cette année ! —

— Et quand tu me le dirais éternellement,
Que c’est du pain nouveau que tu m’offres ;
Que tu m’offres du pain nouveau.
Non, jamais je ne te croirai.

Page, page, mon petit page,
Toi qui es alerte et vif.
Prépare moi ma haquenée,
Je veux savoir la vérité. —

Arrivé sur l’aire de la veuve
Il a vu le blé en meules
La terre s’est entr’ouverte sous ses pieds,
Et il est tombé au milieu du puits de l’enfer !

Dur eut été le cœur de celui
Qui n’eut pleuré, sur l’aire de la veuve,
En voyant encore l’homme brutal
Levant la tête hors de la terre ;


Levant la tête hors de la terre
fit disant avec douleur :
— Mes pauvres gens, si vous m’en croyez,
Vou donnerez l’aumône au pauvre ! —


Chanté par une vieille mendiante,
de Plounevez Moëdec, 1854.
_________


LES TROIS FEMMES COUPABLES.
_________


I

Les trois jeunes femmes ingrates
S’en vont à Rome, de bon cœur,
Pour demander l’absolution du Pape,
Pour implorer le pardon de leurs péchés.

Comme elles étaient en route,
Elles rencontrèrent un homme de grande sagesse ;
— Monsieur, au nom de la Passion,
Nous vous demandons l’aumône ;

Nous vous demandons l’aumône,
Car nos provisions sont presque épuisées. —
— Tenez, femmes, chacune sept sols.
Pour vous aider un peu dans votre voyage.

Quand vous arriverez dans la ville de Rome,
Vous direz chacune un pater pour moi,
Devant l’autel des Jacobins,
Qui est à droite, en entrant. —

II

Arrivées dans la ville de Rome,
Elles ont dit : — bonjour et joie !
Bonjour et joie à tous dans cette ville.
Où est le Pape de Rome ? —

— Si c’est le Pape de Rome que vous cherchez,
Allez à la grande église et vous le trouverez ;
Il est à dire la grande messe,
A l’autel des Jacobins ;

A l’autel des Jacobins,
Qui est du côté gauche, en entrant. —
En arrivant dans l’église.
Elles ont pris de l’eau bénite ;


Elles ont pris de l’eau bénite,
Et se sont jetées aux pieds du Pape,
Et lui ont demandé pardon.
— Quels sont les crimes que vous avez commis ? —

la première.

— Moi, j’ai été assez barbare
Pour tuer mon enfant ;
J’ai tué mon innocent,
Sans qu’il ait reçu le chrême du baptême ! —

la seconde.

— Et moi, pour mon malheur, j’ai tué
La mère qui me donna le jour ;
Puis je l’ai cachée sous un tas de feuilles.
Où elle n’a reçu la visite d’aucun prêtre ! —

la troisième.

— Depuis que je suis dans ce monde.
J’ai fait bien des confessions ;
Mais toutes étaient fausses.
Et j’ai grand’peur d’être damnée ! —

Le Saint-Père dit
Aux trois jeunes femmes, après les avoir entendues :
— Jeunes femmes, consolez-vous.
Puisque vous avez confessé tous vos péchés.

J’ai donné pouvoir à mes évêques
Pour absoudre tous les pécheurs ;
Ainsi, si vous avouez.
Eh faisant pénitence, vous serez sauvées.

Voici une baguette blanche
Qui vous rendra dans la chambre de la pénitence…
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Trois ans après,
Le secrétaire du Pape leur rendait visite :
— Trois jeunes femmes, si vous êtes encore en vie,
Venez à moi, et je vous absoudrai. —

Miracle de la part de Dieu !
Les trois jeunes femmes vivaient encore.
Monsieur le secrétaire dit alors
Aux trois jeunes femmes :

— Quand vous arriverez chez vous,
Vous vous mettrez à genoux devant vos maris ;
Vous vous mettrez à genoux devant vos maris,
Et vous leur demanderez pardon. —


III

Quand elles arrivèrent à la maison,
Leurs maris ne les connaissaient plus,
À cause de la peine, de la dure pénitence,
Et aussi de la longue route qu’elles avaient faite.

Et leurs enfants ne les connaissaient pas davantage,
À cause des trois cents lieues qu’elles avaient faites ;
Et quand ils se sont enfin reconnus,
Leurs cœurs se sont brisés ;

Et ils sont morts tous les six.
Et sont allés aussitôt au ciel :
Les six époux sont allés au ciel,
Puisssions-nous y aller aussi !


Chanté par Marie-Job Kado. — 1846.
________



MARIE QUELEN.
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I

Ecoutez tous et vous entendrez
Un gwerz nouvellement composé ;

Un gwerz composé nouvellement.
C’est à Marie Quelen qu’il est fait.

Il est fait à Marie Quelen,
Qui a perdu sa pauvre mère :

Son père l’a débauchée
Pour aller coucher avec lui.

Pendant sept ans elle a couché avec lui,
Et elle a donné le jour a sept enfants.

II

Le vieux Quelenn disait
Un jour a sa fille Marie :

— Au bourg de Burtulot il y a une retraite.
Et je vous prie, Marie, d’y aller ;

Je vous prie, Marie, d’y aller.
Peut-être serez-vous sauvée ;


Peut-être serez-vous sauvée,
Car pour moi, je ne le serai point ! —

Marie Quelen, sur ces mots,
Alla s’habiller ;

Elle est allée s’habiller,
Pour se rendre à la retraite, à Burtulot.

Marie Quelen disait,
En arrivant au bourg de Burtulot :

— Je vais me mettre à genoux
Devant Jésus, mon divin maître ;

Et avant de me confesser.
Je veux lui demander le pardon de mon père. —

Marie Quelen va maintenant
Se confesser au plus gai (des prêtres).

Elle s’est confessée à sept prêtres,
Sans recevoir l’absolution ;

Aucun ne voulait l’absoudre,
Parce qu’elle disait la vérité.

Comme elle était en route pour s’en retourner.
Elle a rencontré un jeune prêtre :

— Marie Quelen, dites-moi.
D’où revenez-vous ainsi ?

Car vous avez été quelque part,
Puisque vous avez encore les larmes aux yeux ? —

— J’ai été au bourg de Burtulot, à la retraite.
Et je me suis confessée à sept prêtres ;

Je me suis confessée à sept prêtres,
Mais sans avoir l’absolution. —

— Marie Quelen, retournez avec moi.
Et allons tous les deux à l’église. —

Celui-ci est un jeune prêtre
Qui a avec elle souci et peine.

En arrivant dans l’église.
Il a dit à Marie Quelen :

— Marie Quelen, confessez-vous,
Et ne cachez aucun péché. —

— Le premier enfant à qui je donnai le jour,
Je le cachai dans la cendre[14] du foyer ;

Je le cachai dans la cendre du foyer,
Et c’est mon père qui en fut la cause.


Le second enfant à qui je donnai le jour, .
Je le plantai sous la pierre du foyer ;

Et c’est mon père qui en fut la cause,
Disposez de moi à votre gré ;

Disposez de moi à votre gré,
Dussiez-vous me condamner au feu ! —

— Marie Quelen, attendez encore,
Laissez-moi essuyer la sueur de mon visage ;

Laissez-moi essuyer la sueur de mon visage.
Car mon cœur est prêt de défaillir ! —

— Le quatrième enfant à qui je donnai le jour.
Je le plantai dans l’aire de la maison ;

Dans l’aire de la maison je l’ai planté.
Et c’est mon père qui en fut la cause.

Le cinquième enfant à qui je donnai le jour.
Je le plantai sous le pied de la table.

Le sixème enfant à qui je donnai le jour,
Je le plantai sous le seuil de la porte.

Et le septième, je le portai dans le jardin.
Sans que jamais personne en sût rien. —

— Au nom de Dieu, arrêtez-vous encore.
Pour que j’essuye la sueur de mon visage ;

Pour que j’essuye la sueur de mon visage.
Car mon cœur est prêt de défaillir. —

— Disposez de moi à votre gré.
Car ma confession est faite. —

— Marie Quelen, dites-moi,
Avez-vous une arche fermant à clef ? —

— Oui, il y a la maison une arche fermant à clef.
— Vous entrerez dans cette arche, Marie ;

Vous entrerez dans cette arche,
Et n’en direz rien à personne au monde.

Au bout d’une année j’arriverai,
Et alors, Marie, je vous absoudrai. —

III

Celui-ci est un jeune prêtre
Qui a avec elle inquiétude et tourment d’esprit ;

Et quand l’année fut terminée,
Il se rendit chez elle.


NOTE.


Cet épisode du corbeau et de la colombe blanche qui se disputent une âme, est très-commun dans les vieux contes bretons. Voici comment les choses se passent. On place le cercueil qui renferme la dépouille mortelle sur le mur du cimetière. Alors arrivent, de deux points opposés de l’horizon, un corbeau noir et une colombe blanche, qui se mettent aussitôt à le battre à coups d’ailes : la colombe fait son possible pour l’envoyer dans le cimetière, et le corbeau travaille de son mieux à le faire tomber du côté opposé. Si la colombe l’emporte, l’âme est sauvée ; si, au contraire, c’est le corbeau, l’enfer possède une âme de plus !

M. G. Milin, m’a dit avoir recueilli une version de ce gwerz, qui offre une variante curieuse : au moment de l’ouverture de l’arche, le prêtre y trouve sept petits pourceaux !

Burtulot est un petit bourg dans un pays aride et désolé entre Plougonver et Kergrist-Moëlou (Côtes-du-Nord).


Quand l’arche fut ouverte,
On n’y trouva rien,

Si ce n’est un petit morceau de son cœur,
Grand peut-être comme le cœur d’une noisette ;

Grand peut-être comme le cœur d’une noisette,
Chose effrayante à penser !

Il le mit dans son mouchoir,
Et le porta au bourg de Burtulot :

Il le porta au bourg de Burtulot,
Et le déposa sur le mur du cimetière ;

Il le déposa sur le mur du cimetière,
Puis il alla célébrer la messe!

Le prêtre de Burtulot disait
A monsieur Lafleur, ce jour-là :

— Si le corbeau mâle l’emporte sur la colombe blanche,
Marie et vous vous irez en enfer ! —

Grâce à Dieu et à la Sainte-Trinité
C’est la colombe blanche qui l’a emporté ;

La colombe blanche l’a emporté.
Et monsieur Lafleur est sauvé !

Monsieur Lafleur est sauvé,
Et ils sont allés tous les deux en Paradis.

Ils sont allés tous les deux devant Dieu,
Et puissions-nous y aller tous !


Chanté par Marie-Anne Lenoan, vieille mendiante,
commune de Duault.
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GARAN LE BRIZ.


I

S’il vous plait, vous écouterez
Un gwerz nouvellement composé ;

Un gwerz nouvellement composé,
C’est à Garan Le Briz qu’il a été fait.

Le mandat est encore arrivé,
Mandat rigoureux de la part du roi,

Pour faire tirer au sort
Et choisir les plus beaux corps parmi les hommes,

Depuis l’âge de dix-huit ans,
Jusqu’à l’âge de soixante ans.

Le curé de Cavan disait.
Monté dans sa chaire à prêcher :

— Habitants de Cavan, pour vous tous
Voici une bien triste nouvelle !

Nos corps et nos biens appartiennent au roi.
Et notre âme est à Dieu.

Demain vous vous trouverez tous ici,
Et je dirai la messe à votre intention ;

Je dirai la messe à votre intention à tous.
Puis j’irai avec vous à Lannion. —

II

Dur eut été le cœur de celui qui n’eut pleuré
Dans la ville de Lannion,

En voyant Cavan et Ploubezre
Descendant ensemble dans la ville.

Au coup de dix heures,
La commune de Ploubezre a été appelée ;

La commune de Ploubezre a été appelée,
Et aucun n’est tombé au sort.

La commune de Cavan a ensuite tiré.
Et Garan Le Briz a été désigné par le sort.

Garan Le Briz pleurait,
Et personne ne le consolait ;

Et personne ne le consolait.
Si ce n’est son parrain, celui-là le faisait.


— Consolez-vous, Garan, ne pleurez pas,
Il faut bien que quelqu’un parte. —

— Peu m’importerait de partir,
N’était ma pauvre mère, qui est malade ;

Voilà sept mois qu’elle est sur son lit,
Et elle n’a chrétien que moi (pour la soigner). —

III

Garan Le Briz disait
A sa mère, en arrivant à la maison :

— Ma pauvre mère, levez-vous,
Pour que je fasse encore une fois votre lit.

— Etes-vous fatigué de ma maladie.
Ou êtes-vous las de me voir ? —

— J’ai été tirer au sort,
Et je suis tombé soldat pour Cavan ! —

La pauvre femme disait
A son fils Garan, en ce moment :

— Mon pauvre fils, consolez-vous,
Il faut bien que quelqu’un parte. —

Pendant qu’ils se désolaient tous les deux,
Le capitaine entra dans la maison :

— Préparez-vous vite, Garan,
Il faut aller à Guingamp ce soir ! —

Garan Le Briz, à ces mots.
Est sorti de la maison ;

Il a fermé la porte à clef sur sa mère,
Et est allé chez le curé :

— Tenez, gouvernante, voici la clef de ma mère,
Ayez-en bien soin, je vous prie,

Et dites à monsieur le curé
De la recommander dans son prône ;

De la recommander à la grande messe
Pour que les habitants aillent la visiter. —

— Mettez votre clef où vous voudrez.
Où vous l’aurez mise vous la retrouverez. —

Il a fait ses adieux au presbvtère,
Et s’est rendu aussitôt dans l’église.

— Monsieur saint Garan, mon patron,
Accordez-moi une faveur ;

Faites que vos cloches sonnent le deuil
De ma pauvre mère, quand elle sera morte :


Deuil le soir et le matin,
Et carillon à midi ;

Et faites aussi que je les entende,
Dussé-je en être éloigné de cinq cents lieues ! —

IV

Garan Le Briz disait
Un jour, au milieu de l’armée :

— Arrêtez, mon capitaine, arrêtez un peu.
J’ai entendu les cloches de Cavan ! —

— Et comment pourrais-tu les entendre,
Puisque tu en es à cinq cents lieues ? —

— Mettez votre pied sur le mien,
Et vous les entendrez comme moi. —

Il a mis son pied sur le sien.
Et a entendu les cloches de Cavan.

Son capitaine disait
A Garan Le Briz, sur la place :

— Je te signe ton congé, Garan,
Pour aller faire un tour chez toi. —

V

Garan Le Briz disait
En arrivant près des fontaines de Cavan :

— Qu’y a-t-il de nouveau ici,
Que les cloches sonnent ainsi ? —

— Voilà trois jours et trois nuits
Qu’elles sonnent le deuil, jour et nuit ;

Elles sonnent le deuil, jour et nuit.
Sans qu’il y ait chrétien né autour d’elles !

Deuil le soir et le matin.
Et carillon à midi ! —

Garan Le Briz disait.
En passant sous la fenêtre du lit de sa mère :

— Dieu ! ma mère est morte.
Puisque je ne vois sa tête à la fenêtre de son lit ;

Puisque je ne la vois à la fenêtre de son lit.
Pour voir de quel côté j’arriverai ! —

Garan Le Briz disait.
En arrivant au presbytère de Cavan :

— Donnez-moi mes clefs. —
— Où vous les aviez mises, vous les retrouverez.


Garan Le Briz, à ces mots,
A pris ses clefs :

Il a pris ses clefs,
Et a ouvert la porte de sa mère.

Sa pauvre mère était sur l’aire de la maison»
Et quatre vierges l’ensevelissaient ;

Quatre vierges l’ensevelissaient,
Quatre cierges allumés devant elle.

Il a donné deux baisers à sa mère
Puis il est mort sur la place.

Ils sont tous les deux sur les tréteaux funèbres.
Que Dieu pardonne à leurs âmes !

Ils sont tous les deux dans le palais de la Trinité,
Et puissions-nous y aller les rejoindre !


Chanté par Marie-Josèphe Kerival, domestique
à Keramborgne, — 1848.


________


NOTE.


Saint Garan, dont le héros de notre gwerz porte le nom, est un personnage peu connu des hagiographes bretons, et pas du tout, je crois, des autres. Quoiqu’il en soit, la commune de Cavan, dans les environs de Lannion, le vénère comme son patron, et l’on croit que Cavan n’est qu’une altération de Garan. Je possède un vieux manuscrit breton où sa vie est exposée sous forme de Mystère, On m’assure qu’il s’en trouve aussi une copie, ou une autre version, avec quelques différences, sans doute, dans la collection des manuscrits bretons de M. de Penguern. D’après mon Mystère, Garan était fils d’un patricien Romain. Sa jeunesse fut orageuse. Après avoir commandé les armées, il se convertit au christianisme, à la veille de se marier à la fille d’un sénateur, fut baptisé par saint Denis et ordonné prêtre par saint Clément. Jeté par a ne tempête sur les côtes de la Basse-Bretagne, alors pleine d’idolâtres, il prit terre en la commune de Plestin, au lieu encore nommé aujourd’hui Trégaran, y convertit les habitants et vint ensuite prêcher la foi au pays où se trouve maintenant la commune de Cavan, entre Lannion et Bégar. Là encore il signala son séjour par des miracles et de nombreuse conversions.

Cette pièce, fort longue, ne manque pas d’un certain mérite littéraire. Voici une jolie comparaison de saint Garan instruisant ses disciples :

" ... Voyez, quand vient le mois de mai, comme tout est gai et riant dans un verger ! Tous les arbres se couvrent de fleurs, selon leur nature, et tous sont si beaux à voir !... Mais survient un mauvais vent, qui souille et flétrit les belles fleurs, et trouble le ciel ! Ainsi le démon flétrit et dévaste nuit et jour le verger de Dieu ! »

On aura remarqué dans ce gwerz et quelques autres, et on aura souvent occasion de remarquer encore dans la suite, beaucoup d’irrégularité dans le métré des vers bretons. Est-ce de la faute des chanteurs, ou des auteurs ? Je ne saurais le dire. Les élisions, les contractions, les syncopes fréquentes auxquelles je suis forcé de recourir par suite de ces irrégularités, rendront la lecture de mes textes assez difficile, surtout aux personnes à qui notre vieil idiome n’est pas très-familier. Mais la méthode de rigoureuse fidélité à laquelle je me suis condamné m’oblige à user de ces moyens, qui n’ont même pas été toujours suffisants pour éviter quelques vers excédant la mesure. En procédant autrement, en redressant les vers boiteux, en les remettant sur leurs pieds, prosodiquement, — chose assez facile en général, — il pourrait m’arriver parfois de substituer ma propre pensée à celle du poète populaire, et dans tous les cas, je ne donnerais plus un texte parfaitement authentique. C’est du reste un inconvénient commun à toutes les poésies du peuple, dans tous les pays, et il faut en prendre son parti. Je constate aussi que la méthode que je pratique a été généralement celle des éditeurs de poésies populaires, tant français qu’étrangers. On se tromperait cependant en croyant que ces irrégularités sont une grande difficulté pour nos chanteurs. Quelques syllabes de plus ou de moins dans un vers ne les embarrassent nullement, et ils y adaptent facilement leurs airs. « Les mots de plusieurs syllabes, » comme le dit très-bien M. Champfleury dans son recueil des Chansons populaires des provinces de France, glissent sur une note comme par enchantement ; un vers tout entier saute le pas, s’il le faut ; et, en d'autres occasions, une phrase musicale de plusieurs mesures n'est pas trop longue pour un mot. C'est une poésie impossible à régulariser, ce qui n'enlève rien, au contraire, au charme de la mélodie. »

La prosodie du peuple existe plus dans sa tête, dans sa voix surtout, que dans les caractères typographiques et la mesure matérielle des mots et des vers. D’ailleurs, dans l’intention de ces poètes inconnus, et qui le plus souvent, sinon toujours, ne savaient pas lire, ces chants n’étaient pas destinés à l’impression.

AR VINOREZIK
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LA PETITE MINEURE.
PREMIÈRE VERSION.
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I

J’étais une enfant toute jeune encore.
Quand moururent mon père et ma mère.

Je fus obligée de mendier mon pain,
Car je n’étais pas capable de le gagner.

On m’abandonna sur le grand chemin,
Sur le grand chemin, pour chercher ma vie.

Comme je marchais dans un chemin creux,
Je rencontrai des gens de bonne mine ;

Je rencontrai un monsieur et une dame,
Etant descendue dans un chemin creux ;

Et le monsieur dit à la dame :
— Voilà une enfant qui a bonne mine ;

Prenons-là avec nous dans notre maison.
Et traitons-la comme notre propre enfant. —

II

Quand j’eus été dix-huit mois dans leur maison.
On me fit un habit neuf :

J’étais entretenue, habillée
Et nourrie comme chacun d’eux.

Quand j’eus été dix-huit ans dans leur maison,
(J’avais alors vingt-trois ans)

Mon maître dit à ma maîtresse :
— Il est temps de marier la mineure.

Lui donner la noblesse des Fontaines,
La plus belle noblesse du pays ;

La plus belle noblesse du pays.
Avec une partie de nos biens. —

Et ma maîtresse dit alors :
— La mineure ne sera pas mariée ;

La mineure ne sera pas mariée.
Jusqu’à ce qu’elle ait été avec nous au pardon de Sainte-Agnès ;

Chaque année elle vient avec nous au pardon,
Parce qu’elle est une honnête fille —

En arrivant dans le bois,
Ma maîtresse fut prise de sommeil :


Je m’assis sur le gazon,
Et elle appuya la tête sur mes genoux ;

Elle appuya la tête sur mes genoux,
Et s’endormit aussitôt.

Quelque chose vint alors qui me dit :
— Obéis-moi et tue ta maîtresse ;

Crois-moi, tue ta maîtresse,
Et tu seras dame à sa place ! —

J’ai obéi à cette voix,
Et j’ai tué ma bonne maîtresse ;

J’ai tué ma bonne maîtresse,
Je lui ai donné sept coups de couteau !

Quand j’eus tué ma bonne maîtresse.
Je ne savais où la cacher.

Vint alors une chose qui me dit.
En voyant mon embarras :

— Porte-là au trou à charbon,
Et la couvre avec des feuilles de noisetier. —

J’allai alors au pardon,
Dieu seul connaissait ma pensée.

Je rencontrai mon bon maître,
Qui chantait et qui sifflait ;

Il chantait et il sifflait.
Et moi je lui navrai le cœur !

— Ma bonne maîtresse a été tuée.
Dans le bois, par les brigands !

Moi aussi je l’aurais été.
Si je n’avais couru hors du bois. —

— Si vous lui aviez été fidèle,
Vous eussiez été tuée comme elle ! —

Mon bon maître, à cette nouvelle.
Est tombé trois fois à terre ;

Il est tombé trois fois à terre.
Et à chaque fois je l’ai relevé :

— Mon bon maître, ne pleurez pas.
Je vous servirai comme toujours ;

Mais je n’irai pas coucher avec vous.
Jusqu’à ce que nous soyons fiancés et mariés.

III

Bientôt des propos s’élèvent entre eux,
Au sujet de mariage.

   Quand ils furent fiancés et mariés,
Prêts de se mettre au lit,

   Voilà que le corps mort entre dans la maison,
Précédé de sept cierges allumés ;

   Sept cierges allumés précédaient.
Et sur chaque blessure il y en avait un autre.

   — Levez-vous de là, mineure.
Vous avez tué votre maîtresse ;

   Vous avez tué votre bonne maîtresse,
Et vous en avez accusé les brigands du bois ! —

   À ces mots, son mari
A quitté son lit ;

   Il a saisi son fusil,
Avec l’intention de la tuer :

   Mais le corps mort a dit :
— Mon pauvre mari, ne la tuez pas.

   Mais laissez-la chercher son pain
Entre Gavan et Tonquédec,

   Là où personne ne la connaîtra,
Afin que son corps expie son crime ! —


Chanté par Jeanne Le Gall.
Plouaret, 1853.
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LA PETITE MINEURE.
SECONDE VERSION.
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I

   — J’étais bien jeune d’âge ,
Quand moururent ma mère et mon père ;

   Et je me mis à courir le monde,
Cherchant quelqu’un pour me prendre chez lui.

   Comme je cheminais sur la grande route,
Je rencontrai deux jeunes gens ;

   Une jeune fille, mise comme une dame,
Et un gentilhomme, comme un baron.


Et ils se dirent l’un à l’autre :
— Emmenons cette enfant ;

Elle nous divertira maintenant,
Puis nous servira plus tard. —

II

Le maître disait à la maîtresse :
— Marions le domestique à la servante. —

— Mariez votre domestique quand il vous plaira,
Quant à ma servante, elle ne se mariera pas.

Avant de marier ma servante,
Je veux la pourvoir d’un ménage ;

Je veux la pourvoir d’un menace.
Quatre bœufs et quatre vaches à lait,

Deux mesures de chaque sorte de grain ;
Chez sa mère vous ne les trouveriez pas. —

III

Quand ma maîtresse va au pardon.
Je vais avec elle, comme de raison ;

Je vais avec elle, comme de raison.
Parce que j’étais une honnête fille.

Comme nous passions dans le bois,
Nous nous reposâmes à l’ombre ;

Je m’assis sur le gazon,
Et elle appuya la tête sur mes genoux.

Une chose vint alors qui me dit :
— Prends ton couteau, et tue-la.

Tu seras mise à sa place
Et tu seras la femme du ménage ;

Cache-là parmi les feuilles.
Mais ne cache pas sa chaussure et ses bas —

IV

La mineure disait
A son maître, en arrivant à la maison :

— Sainte-Vierge de la Trinité !
Ma pauvre maîtresse a été tuée.

Ma pauvre maîtresse a été tuée,
Par les brigands, dans le bois ! —

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


— Consolez-vous, mon bon maître, ne pleurez pas,
Je vous servirai comme devant ;

Je vous servirai comme devant,
Mais je ne coucherai pas avec vous;

Je ne coucherai pas avec vous.
Et pourtant, je le ferai aussi, s’il le faut. —

V

Quand ils furent fiancés et mariés.
Que l’heure de se coucher fut arrivée

Une femme entra dans la maison,
Précédée de sept cierges ;

Quatre cierges étaient devant elle,
Et un autre sur chaque blessure !

— Vous avez donc épousé
Celle qui m’a tuée ?

Elle m’a ensuite cachée sous les feuilles,
A l’exception de ma chaussure et mes bas ! —

— Et que faut-il lui faire ? —
— Amenez quatre chevaux pour l’écarteler !

Amenez quatre chevaux pour l’écarteler,
Et faites chauffer le four, pour la brûler ;

Et quand elle sera consumée par le feu.
Ses cendres seront jetées au vent ! —


Une vieille mendiante de la commune de Plougonver. — 1855.


LA PETITE SERVANTE.
________


I

Ecoutez, et vous entendrez chanter,
Un gwers nouveau composé cette année.
Au sujet d’une petite servante qui était au service
D’un seigneur, dans une gentilhommière ; comprenez bien ceci.

Le seigneur avait un fermier qui lui devait cent écus,
Et il lui envoya le sergent.
Le fermier, en voyant arriver le sergent,
A pris son bâton, et s’est rendu chez son seigneur.

Il lui a demandé un délai de huit jours.
— Au lieu de huit jours, je t’en donne quinze, fermier.
Moi je ne serai pas à la maison, mais ma petite servante y sera ;
La quittance sera dans l’armoire, et je la signerai. —

II

Après avoir compté son argent et serré ses deniers.
Le fermier prit son bâton, pour aller payer son seigneur.
Après avoir compté son argent et pris assurance[15],
Il ne songea pas à demander quittance.

Comme il s’en revenait et qu’il était déjà assez loin :
— Seigneur Dieu, se dit-il, j ai commis une faute !
Oui, en ne demandant pas de quittance,
Et si la fille vient à nier, me voilà dans la désolation ! —

Le seigneur, en arrivant à la maison, a demandé aussitôt :
— Mon fermier n’est-il pas venu vous trouver ? —
— Non certainement, dit-elle, je ne l’ai pas vu.
Et votre quittance est dans l’armoire, où vous l’aviez mise ; —

Alors il s’est mis à jurer, à offenser Dieu,
Et il a encore envoyé le sergent au fermier.
Le fermier, en voyant arriver le sergent,
Est tombé sans connaissance à terre.

Le sergent, qui était un homme bon, l’a relevé ;
Il l’a relevé et lui a dit :
— Venez avec moi, pauvre fermier, venez avec moi au manoir
Et je vous ferai avoir ou l’argent ou la quittance. —
 
— Pourquoi donc, seigneur, ne donnez-vous pas quittance
______________________________________ à cet homme,
Puisqu’il a déposé l’argent et pris assurance ? —
— Et comment le ferais-je, dit le seigneur.
Puisque je n’ai jamais vu un liard de son argent ? —



On a prié la petite servante de monter dans la chambre.
Pour voir si elle avouera ou la quittance, ou l’argent.
— Pourquoi donc, petite servante, ne donnez-vous pas
________________________________quittance à cet homme,
Puisqu’il a déposé son argent, et pris assurance ? —

— Et comment pourrais-je le faire, dit-elle,
Puisque je n’ai jamais vu un liard de son argent ? —
Le fermier, en entendant leurs propos.
Est descendu en pleurant.

III

Comme il s’en revenait, un peu avancé sur la voûte,
Voilà qu’il rencontre un jeune gentilhomme :
— Dis-moi, pauvre fermier, quel sujet tu as de pleurer,
Et pourquoi tu es si triste en revenant de chez ton seigneur ? —

— Seigneur Dieu, répondit-il, à quoi me servirait de le nier?
Je viens de perdre cinq cents écus avec une fille ! —
— Viens avec moi, pauvre fermier, retourne sur tes pas,
Et je te ferai avoir ton argent, ou ta quittance.

Pourquoi, dit-il, seigneur, ne donnez-vous pas
________________________________quittance à cet homme,
Puisqu’il a déposé son argent, et pris assurance ? —
— Et comment, dit le seigneur, pourrais-je faire cela,
Puisque je n’ai jamais vu un liard de son argent ! —

— Faites monter votre petite servante,
Pour voir si elle avouera ou la quittance ou l’argent.
Et pourquoi donc, petite servante, ne donnez-vous pas
________________________________quittance à cet homme,
Puisqu’il a déposé son argent, et pris assurance ? —

— Je demande que le feu me consume, que le diable m’emporte,
Si j’ai jamais vu un liard de son argent ! —
— Tu mens, petite servante, au milieu de ton âme !
Car son argent est dans une bourse dans la paillasse de ton lit !

L’argent est dans une bourse, dans la paillasse de ton lit.
Et beaucoup d’autres choses volées s’y trouvent encore.
Si trois premiers valets ont été tués dans votre maison, seigneur,
C’est votre petite servante qui en est la cause ! —

Le Seigneur, en entendant parler de ses trois premiers valets.
Tomba trois fois à terre, sans connaissance ;
Trois fois il est tombé à terre, sans connaissance.
Et le diable, qui était dans la chambre, l’a relevé.

— Or ça, dit le seigneur, si cette fille vous appartient.
Ou par le feu ou par le vent voulez-vous qu’elle vous soit enlevée ?
Si je l’emporte par le feu, le manoir sera incendié ;
Si je l’emporte par le vent, le dommage ne sera pas aussi grand ! —

Aussitôt vint un tourbillon d’une violence extrême,
Et la fille a été lancée au milieu de l’étang du moulin !....
Un jeune meunier, qui était à serrer l’eau,
Lui a tendu la main, pour lui venir en aide.


Mais la chaleur de l’argent et le contact de la fille maudite,
Lui ont brûlé le bras, jusqu’à l’épaule ;
Lui ont brûlé le bras, jusqu’à l’épaule,
Et voilà l’honneur et le profit qu’on retire des femmes ! —


________



DOM JEAN DERRIEN
________


I

— Dom Jean Derrien, vous dormez
Mollement sur la plume, moi je ne le fais point. —

— Qu’est-ce donc à cette heure de la nuit,
Qui fait du bruit à ma porte ? —

— C’est moi, votre mère, Dom Jean Derrien,
Qui suis ici à faire pénitence ;

Qui suis à faire dure pénitence,
Dom Jean Derrien, depuis l’heure de ma mort ! —

— Ma pauvre mère, dites-moi.
Que vous manque-t-il ? —

— Autrefois, quand j’étais dans ce monde-là,
J’avais fait un vœu

D’aller à Saint-Jacques de Turquie ;[16]
La route est longue et c’est bien loin d’ici ! —

— Ma pauvre mère, dites-moi.
Servirait-il d’y aller moi-même ? —

— Oui, cela servirait.
Comme si j’y étais allée moi-même. —

Dom Jean Derrien disait
A son père et à sa sœur, ce jour-là :

— Mon père, ma sœur, si vous m’aimez.
Donnez-moi deux ou trois cents écus ;

Donnez-moi deux ou trois cents écus.
Car j’ai un long voyage à faire. —

— Maintenant donc, que vous êtes prêtre,
Maintenant, mon frère, vous nous quitterez ? —


Je vais à Saint-Jacques de Turquie,
Pour ma mère et la vôtre. —

II

Comme il était en route,
Il rencontra un Turc :

— Choisis ou de renoncer à ta loi,
Ou d’aller dans la mer, la tête la première ! —

— Je ne renoncerai pas à ma loi,
Dussé-je aller dans la mer, la tête la première ! —

Dom Jean Derrien disait,
Au milieu de la grande mer, couché sur le côté :

— Monsieur saint Jean le bienheureux,
Je voulais aller à votre maison :

Je vous ferai un présent.
Qui sera beau, le jour de votre pardon.

Je vous donnerai une ceinture de cire.
Qui fera le tour de toute votre terre ;

Le tour de votre maison et du cimetière,
Et de toute votre terre bénite ;

Qui fera une ou deux fois le tour de votre maison.
Et viendra se nouer au crucifix ! —

A peine avait-il fini de parler.
Qu’il fut rendu dans l’église (àe Saint-Jacques}.

III

Dom Jean Derrien disait,
En arrivant à Saint-Jacques :

— Si j’avais du vin et un calice,
Et quelqu’un pour me répondre la messe ! —

Il n’avait pas fini de parler,
Que vin et calice lui sont arrivés ;

Que vin et calice lui sont arrivés.
Avec un ange pour servir la messe !

Sa messe n’était pas encore terminée.
Que sa mère lui est apparue :

— Courage, mon fils, courage !
Tu as délivré l’âme de ta mère !

Tu as délivré l’âme de ta mère,
Et sauvé la tienne propre ! —

Dom Jean Derrien disait
Ce jour-là, à saint Jacques :


— Monsieur saint Jacques le bienheureux,
Faites encore un miracle en ma faveur :

Qu’il vous plaise que je retourne chez moi,
Et je vous ferai un beau présent.

Je vous donnerai une bannière blanche,
Avec sept clochettes d’argent à ses extrémités ;

Avec sept clochettes d’argent à ses extrémités,
Et une tige de genêt (ou de baleine] pour le porter ;

Je vous donnerai une lampe d’or fin,
La plus belle qui sera à la foire de Quintin ;

Et des garnitures pour vos sept autels,
Avec une messe chaque vendredi ! —

Il n’avait pas fini de parler,
Qu’il se trouva au seuil de la maison de son père !

Il fut transporté chez son père.
Suant l’eau et le sang !

Dès que sa sœur le vit.
Elle accourut pour l’essuyer.

Elle prit aussitôt un linge blanc,
Pour l’essuyer complètement.

— Ma pauvre sœur, ne m’essuyez point,
Jusqu’à ce que j’aie ma sueur de noces[17].

J’ai délivré l’âme de ma mère
Et sauvé la mienne propre ! —

Que Dieu pardonne à toutes les pauvres âmes.
Son pauvre corps est sur les tréteaux funèbres ;

Il est maintenant devant Dieu,
Et puissions-nous tous y aller aussi !


Chanté par Marie-Anne Lenoan, vieille mendiante,
commune de Duault.


________


SAINT MATHURIN DE MONCONTOUR.
________


I

— Mon père et ma mère, je vous demande congé
Pour aller au pardon ;

Pour aller au grand pardon de Tréguier,
Mon frère nourricier m’accompagnera ;

Mon frère nourricier m’accompagnera,
Avec tous les jeunes gens du quartier.

— Vous n’irez pas au grand pardon.
Car le vent souffle du côté du Guéodet.

De grands malheurs sont arrivés.
Une embarcation pleine de monde s’est perdue ;

Une embarcation pleine de jeunes gens,
Il y en avait cent-sept !

Ils ont péri sans le sacrement de l’extrême-onction,
Et pourtant il y avait des prêtres présents !

Ce qui excitait le plus ma compassion,
C’était une jeune femme qui se trouvait parmi eux ;

Une jeune femme qui était parmi eux,
Et qui était enceinte !

Quand l’embarcation descendait au fond de l’eau,
Elle priait Dieu de la secourir ;

Elle priait Dieu de lui venir en aide,
Avec saint Mathurin de Moncontour. —

— Monsieur saint Mathurin de Moncontour,
Vous qui êtes le maître du vent et de l’eau,

Préservez-moi mon innocent.
Qui est au fond de l’eau, sans baptême ;

Et je vous ferai un présent,
Qui sera beau te jour de votre pardon :

Je vous donnerai en présent
Un calice d’or et un ostensoir ;

Je vous donnerai une bannière blanche,
Avec sept clochettes d’argent à chaque extrémité ;

Avec sept clochettes d’argent à chaque extrémité,
Et une tige de baleine pour la portai.

Je vous donnerai une bannière rouge.
Qui sera dorée des deux côtés ;


  Je vous donnerai une ceinture de cire,
Qui fera trois fois le tour de votre terre ;

  Qui fera trois fois le tour de votre cimetière et de
__________________________________ votre chapelle,
Et trois tours à la tige du crucifix ;

  Trois tours à la tige du crucifix,
Et viendra allumer sur l’autel ! —

  Elle avait à peine fini de parler,
Qu’elle fut transportée sur le rivage de Saint-Jean[18] ;

  Avec son enfant sur ses genoux,
Au rivage de Saint-Jean, sur la grève.

  L’enfant tenait à la main une branche de varech vert,
Pour montrer qu’il était né dans la grande mer.

  Elle l’a caché dans son sein,
Et l’a emporté chez elle.

  Et, en arrivant à la maison,
Elle l’a mis dans son lit :

  — Reste-là, mon enfant,
Moi, je vais encore à Moncontour,

  A pied, sans chaussure et sans bas,
Et sur mes genoux, si je puis résister ! —

II

  En arrivant à Moncontour,
Elle a fait trois fois le tour de l’église ;

  Elle a fait trois fois le tour de l’église,
Et on aurait pu la suivre aux traces de son sang ;

  De ses genoux coulait le sang,
Et de ses yeux tombaient les larmes !

  — Monsieur saint Mathurin le bienheureux,
Je ne puis entrer dans votre maison,

  Car bien closes sont vos portes,
Et vos fenêtres aussi —

  Elle avait à peine fini de parler,
Que les cloches se sont mises à sonner ;

  Et tout le monde disait dans le pays :
— Encore quelque nouveau miracle !

  Encore quelque nouveau miracle,
Saint Mathurin en fait tous les jours ! —

  La porte principale a été ouverte,
Et la procession est venue la prendre ;


 
  La procession est venue la prendre,
Et son cœur s’est brisé !

  Que Dieu pardonne à son âme,
Son pauvre corps est sur les tréteaux funèbres [1][19] !

  Elle est ensevelie et mise au tombeau,
Et la bénédiction de Dieu soit sur son âme[20] !


Chanté par François Le Roy, laboureur, 70 ans.
Plouaret, 1847.


________



MATHURINE TROADEC.
________


I

  Mathurine Troadec disait
A son père et à sa mère, un jour :

  — Mon père, et ma mère, si vous m’aimez,
Vous ne m’enverrez pas au pardon de Saint-Jean ;

  Mon esprit me donne à croire
Que si je vais sur la mer, je serai noyée. —

  — Le trouve mauvais qui voudra,
Vous irez au pardon de Saint-Jean ;

  Vous irez au pardon de Saint-Jean du Doigt,
Pour faire voir son fils au marquis. —

  — Viens, mon enfant, que je t’habille,
Car jamais plus je ne te déshabillerai !

  Je vais mettre mon corset,
Et le lacer avec un ruban ;

  Je vais mettre ma robe blanche,
Et mon tablier de taffetas jaune ;

  Mon tablier de taffetas jaune,
Jamais plus je ne l’oterai !

  Adieu, mon mari, et tous les gens de la maison,
Car jamais plus je ne vous reverrai ! —


II

  Mathurine Troadec disait
En mettant le pied sur l’embarcation neuve :

  — Adieu à vous tous, gens de mon pays,
Je vais entrer dans ma mort ! —

  Mathurine Troadec disait,
Quand l’embarcation penchait sur le côté :

  — Récitez tous vos chapelets,
Et moi, je vais réciter les vêpres ;

  Moi je vais réciter les vêpres,
Car l’embarcation va chavirer !

  Je vois ma mère dans son jardin,
Qui coupe des choux pour son souper ;

  Si Dieu exauce ma prière,
Jamais plus elle ne coupera de choux ;

  Jamais plus elle ne coupera de choux,
Car c’est elle la cause que je perds la vie !

  Monsieur saint Mathurin de Moncontour,
Vous êtes le maître du vent et de l’eau ;

  Monsieur saint Mathurin de Moncontour,
Tenez mon enfant au-dessus de l’eau ;

  Sauvez la vie à mon enfant,
Et conduisez le au rivage ! —

III

  Dur eut été le cœur de celui qui n’eut pleuré
Sur le rivage de Saint-Jean,

  En voyant un enfant de dix-huit mois
Sur une planche dans la grève de Saint-Jean du Doigt ;

  Il portait une robe de satin blanc,
Pour montrer qu’il était le fils d’un marquis (1)

IV

  Mathurine Troadec a été retrouvée
A dix-huit brasses, au fond de la mer ;

  Elle tenait à la main une branche de varech vert ;
Elle voulait encore sauver sa vie !


Chanté par une fileuse du bourg de Guérande. — Mai 1863.


[1] S’agirait-il ici du fameux marquis de Lomaria, dont le château de Guérande n’est pas bien loin de Saint-Jean du Doigt, et qui est le sujet d’un grand nombre de chants et de traditions populaires dans le pays ?

Je crois qu’il n’y a aucune corrélation entre celle pièce et la précédente.

Saint-Mathurin de Moncontour est encore un des lieux de pèlerinage les plus fréquentés de la Bretagne.

LE TAILLEUR & LES NAINS.
________


  Paskou Le Long, le tailleur,
Re ke ke, la, la, lira, la, la !

  Paskou Le Long, le tailleur,
S’est mis à faire le voleur.

  Il s’est mis à faire le voleur, re ke ke, etc,
Dans la soirée de vendredi.

  Il est allé à la grotte des nains, re ke ke,
Avec sa vieille pelle, pour creuser ;

  Avec sa vieille pelle pour creuser, re ke ke, etc.
Et rechercher le trésor caché.

  Il a trouvé le trésor, re ke ke, etc.
Et de courir à la maison !

  Et de courir à la maison, re ke ke ke, etc.
Et de se mettre au lit.

  — Fermez la porte, fermez-la bien ! re ke ke, etc.
Voici les petite duz de la nuit !

  Lundi, mardi, mercredi, re ke ke, etc.
Jeudi et vendredi !

  Fermez la porte, mes amis, re ke ke, etc.
Voici venir les nains !

  Ils entrent dans la cour, re ke ke, etc.
Ils y dansent avec frénésie !

  Voilà qu’ils grimpent sur la maison, re ke ke, etc.
Et qui se mettent à défaire le toit !

  Tu es pris, mon ami, re ke ke, etc.
Jette vite, jette dehors le trésor !

  Pauvre Paskou, tu es perdu, re ke ke, etc.
Asperge-toi d’eau bénite !

  Jette ton drap sur ta tête, re ke ke, etc.
Et ne fais pas un mouvement !

  Malheur à moi ! ils rient, re ke ke, etc.
Bien fin serait qui saurait échapper !

  Seigneur Dieu! en voici un, re ke ke, etc.
Qui avance la tête par le trou !

  Ses yeux sont rouges comme la braise, re ke ke, etc.
Il glisse le long du pilier !

  Seigneur Dieu ! un, deux, trois ! re ke ke, etc.
Les voilà qui dansent sur l’aire de la maison !


 
  Ils bondissent comme des enragés, re ke ke, etc.
Vierge Marie ! je suis étranglé ! —

  — Deux, trois, quatre, cinq ! re ke ke, etc.
Lundi, mardi, mercredi !

  Tailleur, petit tailleur, re ke ke, etc.
Tu ronfles la, voleur !

  Tailleur, petit tailleur, re ke ke, etc.
Montre un peu ton nez !

  Viens faire un tour de danse, re ke ke etc.
Nous t’apprendrons la mesure.

  Tailleur, petit tailleur, re ke ke, etc.
Lundi, mardi, mercredi !

  Cher petit tailleur, tu es un voleur, re ke ke, etc.
Lundi, mardi, mercredi !

  Viens-t’en nous voler encore, re ke ke, etc.
Viens, méchant petit tailleur !

  Nous t’apprendrons une danse, re ke ke, etc.
Qui fera craquer ton dos ;

  Qui fera craquer ton dos, re ke ke, etc.
Argent de nain ne vaut rien !

  Chez Iannik Le Trévou, re ke ke, etc.
Nous avons rôti nos pieds fourchus ;

  Nous avons rôti nos pieds fourchus, re ke ke, etc.
Et mis en pièces tous ses pots ! —


________

SAINT -JULIEN.


I

  Julien est un homme vaillant,
De lignée noble et puissante,
Qui va un jour, cela est certain,
Chasser au bas de la forêt.

  En arrivant au bas de la forêt,
Il rencontra une bête rousse ;
Une bête rousse, avec quatre pattes blanches,
Et deux cornes sur la tête.

  — Julien, dis-moi
Pourquoi tu me poursuis ?
Pourquoi me poursuis-tu,
Si ce n’est pour m’ôter la vie ?

  Si tu me tues, tu tueras toi-même
Ton père et ta mère ensemble ;
Tu tueras ton père et ta mère,
Tous les deux dans le même lit ! —

  — Je quitterai mon pays,
Plutôt que de m’exposer à les tuer ;
Je quitterai mon pays et mon quartier,
Et j’irai servir chez un prince ! —

II

  Il y avait un prince qui l’aimait,
Comme un de ses enfants,
Et ce prince-là le maria
À une demoiselle de grande maison.

  Il le fit gouverneur de sa maison,
Et lui donna le commandement de son armée
Alors le père et la mère de Julien,
Depuis longtemps dans la désolation et le chagrin,

  Fatigués de courir du pays,
Cherchant partout de ses nouvelles,
Arrivèrent a la porte de la cour (du palais],
Et saluèrent une belle dame.

  — Vieillards respectables,
D’où revenez-vous, si tard ? —
— Nous cherchons notre fils, que nous avons perdu ;
Il se nomme Julien. —


  — Arrétez-vous, entrez dans la maison,
Car vous logerez chez moi aujourd’hui ;
Mon mari n’est pas à la maison,
Il est allé à une petite affaire. —

  Après leur avoir fait servir à souper,
Elle les fit coucher dans un lit excellent. ...
Quand Julien arriva à la maison,
Il était possédé par Lucifer ;

  On lui avait donné à croire
Que sa femme lui était infidèle.
En entrant dans sa chambre,
Il vit deux personnes dans son lit.

  Il saisit aussitôt une épée,
Et les tua tous les deux dans le lit !
Puis il descendit sur le pavé,
Et rencontra sa femme.

  — Ma pauvre femme, dites-moi,
Qui avez-vous mis dans votre lit ?
Qui avez-yous mis dans votre lit,
Je croyais vous avoir tuée ? —

  — Votre père et votre mère, Julien,
Depuis longtemps dans la désolation et le chagrin,
Et fatigués de courir du pays,
Cherchant partout de vos nouvelles ! —

  — Notre-Dame du Folgoat !
La bête m’avait bien dit
Que je tuerais mon père et ma mère,
Tous les deux dans le même lit !

  Tenez, prenez les clefs,
Et administrez nos biens ;
Moi, Je vais maintenant à la rivière du Jourdain,
Pour faire pénitence de mon crime, —

  — Mon pauvre mari, entrez dans la maison.
Et faisons-les enterrer ;
Où ira un de nous, nous irons tous les deux,
Comme nous sommes de vrais époux !


Recueilli sur la lisière de la forêt de Koat ann noz

L’ENFANT DE CIRE.
PREMIÈRE VERSION.
________


I

  Si voulaient les habitants de Tréguier
Tenir bien close la porte de leur église,
Un enfant de cire n’y aurait pas
Eté baptisé au clair de la lune.

II

  La nourrice demandait,
Un jour à monsieur de Penfeunteun :
— Dites-moi, s’il vous plaît.
D’où vous revenez ! —

  — Je reviens de la grande rue,
Je reviens d’acheter une robe de satin bleu,
Brodée tout autour avec du fil d’argent,
Pour ma penhérès[21], la charmante fille. —

  — Si vous entendiez ce que je sais, moi,
Jamais elle ne mettrait cette robe ;
Jamais elle ne mettrait cette robe,
Ni vos yeux ne la reverraient.

  Votre fille a fait un enfont de cire.
Pour vous faire partir de dessus la terre ;
Elle a fait un enfant de cire,
Pour vous envoyer promptement au cimetière !

   Elle l’a porté neuf mois entiers
Entre sa chemise et sa jupe ;
Elle l’a porté pendant neuf mois
Entre sa jupe et sa chemise. —

  Le vieux monsieur, entendant cela.
Est accouru vite à la maison :
— Ma fille, donnez-moi vos clefs.
Pour que les mauvaises langues soient confondues ! -

  La penhérès, à ces mots.
Est tombée trois fois à terre ;
Trois fois à terre elle est tombée,
Et sa marUtre l’a relevée ;

  Sa marâtre l’a relevée
Et lui a parlé ainsi : ~
— Donnez vos clefs à votre père,
Pour que les mauvaises langues soient confondues. -


  — La clef de mon armoire, je l’ai perdue,
La clef de l’arche, je l’ai cassée ;
La clef de l’arche, je l’ai cassée.
Et je n’ai aucune autre clef. —

  Monsieur de Penfeunten , courroucé,
A saisi une hache ;
Il a mis l’arche en pièces.
Et l’enfant de cire a été découvert.

  Il était enveloppé de langes.
Et avec lui était une bourse de cent écus.
Pour donner au prêtre sacrilège
Qui avait baptisé l’enfant.

  Trois fois par jour elle le levait,
Et trois fois par jour elle le piquait ;
Quand elle y enfonçait des épingles,
Monsieur avait des points de côté ;

  Quand elle y enfonçait de grandes épingles,
Il éprouvait une douleur au cœur ;
Et quand elle le chauffait au feu,
Monsieur maigrissait, maigrissait !

III

  Monsieur de Penfeunteun disait
A sa fille unique, peu après :
— Dimanche, après la grand’messe,
Penhérès, vous serez brûlée ! —

  — Oui, mon père, je serai brûlée.
Et je porterai moi-méme le bois —
— Non, vous ne porterez-pas le bois.
Car vous serez conduite sur une charrette. —

IV

  L’enfant de cire, la penhérès.
Le parrain et la marraine,
Tous les quatre ont été brûlés.
Devant tout le peuple assemblé :

  Devant tout le peuple assemblé,
Tous les quatre ont été brûlés ;
Le jeune prêtre a été désacré.
Puis aussitôt il a eu la tête coupée.

  Le vieux monsieur pleurait dru,
Et s’arrachait les cheveux blancs,
En voyant brûler sa fille,
Car il n’avait d’autre enfant qu’elle !


L’ENFANT DE CIRE.
SECONDE VERSION.
________


I

  Poularfeunteun disait,
Un jour, à monsieur Bistigo :
— D’où revenez-vous, où allez-vous,
Où espérez-vous aller ? —

  — Je vais là-bas, à la boutique,
Pour choisir de l’étoffe écarlate.
Avec de la dentelle d’or et d’argent.
Pour ma penhérès, la charmante fille. —

  — Si vous saviez ce que je sais, moi,
Jamais plus vous ne lui achetteriez d’habit :
Celle-là a fait un enfant de cire.
Pour vous ôter de dessus la terre !

  Trois fois par jour on le réchauffe,
Trois fois par jour on le pique ;
Et chaque fois qu’on y enfonce des épingles.
Monsieur, vos jours diminuent ! —

  — Poularfeunteun, dites-moi,
Où l’enfant a-t-il été baptisé ? —
— Il a été baptisé, l’enfant de cire.
Dans la grande église de Tréguier ;

  Dans la grande église de Tréguier,
Au soleil et à la lumière de la lune ! —
Poularfeunteun, dites-moi,
Qui ont été les compères ? (le parrain et la marraine).

  — Votre premier valet est le compère,
La petite servante est la commère. —
— Poularfeunteun, dites moi,
Qui a baptisé l’enfant ? —

  — C’est un jeune prêtre,
Pour avoir une somme d’argent.
Quatre cents écus en argent blanc.
Et autant en or jaune.

  Quatre cents écus, en argent blanc,
Et autant en or jaune,
A eu le jeune prêtre
Pour faire le baptême. —

II

  Monsieur Bistigo, à ces mots,
S’en retourna à la maison ;
Il s’en est retourné à la maison,
Et a dit à sa penhérès :

  — Ma fille, donnez-moi vos clefs,
Les gens ont des langues de diables. —
— La clef de mon armoire, je l’ai perdue,
La clef de mon coffre est cassée,

  Et la clef de mon petit bahut.
Je voudrais la voir au milieu du feu ! —
Monsieur Bistigo, entendant cela,
Saisit une petite hache ;

  Il a saisi une hache à tête.
Et a mis en morceaux le petit bahut ;
Il a mis en morceaux le petit bahut,
Et l’enfant de cire a été découvert.

  Et aussitôt de retourner en ville.
Chercher les gendarmes pour prendre sa fille.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

III


Dur eut été le cœur de celui qui n’eut pleuré,
Etant dans la ville de Tréguier,
En voyant quatre corps brûler dans le feu.
Pendant que les cloches sonnaient d’elles-mêmes !

Monsieur Bistigo pleurait dru.
Et s’arrachait les cheveux,
En voyant brûler sa penhérès,
Car il n’avait d’autre enfant qu’elle ! —

IV

Si voulaient les habitants de Tréguier
Tenir bien closes les portes de leur église.
Un enfant de cire n’y aurait pas
Eté baptisé au clair de la lune ! (1)


Chanté par Marguerite Philippe, mendiante estropiée
de la commune de Pluzunet — 1867.


{1} Il s’agit dans ces deux ballades, assez difficiles à trouver aujourd’hui, d’un envoûtement, superstition très-répandue dans le moyen-âge. La première version m’a été communiquée par mon ami M. Prosper Proux, l’auteur si original de l’excellent recueil Bombard Kerne, populaire daas nos campagnes. Il l’a recueillie à Plouigneau, dans les environs de Morlaix. On remarquera que les rôles sont en partie changés dans la seconde version. La nourrice disparaît pour faire place à monsieur Poularfeunteun, et monsieur Penfeuteun, de la première version, devient monsieur Bistigo.

JEAN SCOLAN.
________


  Jean Scolan et son parrain
Sont venus tous les deux demander pardon ;
Demander le pardon de Dieu,
Et rémission pour leurs âmes.

  En arrivant chez sa mère,
Il lui a dit :
— Bonne nuit et joie à tous dans cette maison ;
Est-on allé se coucher ici ? —

  — Qui est là, à cette heure de la nuit.
Quand je repose dans mon lit ? —
— Levez-vous, ma mère, pour souffler le feu.
Et vous verrez deux, au lieu d’un. —

  Quand elle eut allumé la chandelle.
Elle tomba trois fois à terre.
— Calmez-vous, ma mère, ne vous effrayez points
En voyant le fils que vous avez mis au monde.

  Je viens du feu du purgatoire.
Et je vais au feu de l’enfer ;
Je vais brûler dans le feu de l’enfer,
Si vous ne voulez me pardonner.

  Je suis venu demander le pardon de Dieu,
Et la rédemption de mon âme —
— Et comment te pardonner, mon fils ?
Songe à tout le mal que tu m’as fait !.

  Tu as tué ton père, pendant qu’il dormait
Et violé trois de tes soeurs ! —
— Puisque Dieu m’a pardonné,
Ma mère, pardonne-moi aussi !

  Ma mère, je sais bien que je l’ai fait,
Hélas ! par malheur et par méchanceté ;
Mais puisque Dieu m’a pardonné.
Ma mère, pardonnez-moi aussi ! —

  — Et comment, mon fils, te pardonner ?
Songe à tout le mal que tu m’as fait !
Mettre le feu à neuf meules de blé,
Et me forcer à aller mendier mon pain ! —

  — Ma mère, je sais bien que je l’ai fait.
Hélas ! par malheur et par méchanceté ;
Mais puisque Dieu m’a pardonné.
Ma mère, pardonnez-moi aussi ! —


  — Et comment, mon fils, te pardonner ?
Songe à tout le mal que tu m’as fait :
Tu as mis le feu au fournil,
Et brûlé sept bêtes à cornes ! —

  — Ha mère, je sais bien que je l’ai fait,
Hélas ! par malheur et par méchanceté !
Mais puisque Dieu m’a pardonné,
Manière, pardonnez-moi aussi. —

  — Comment, mon fils, te pardonner ?
Songe à tout le mal que tu m’as fait :
Tu as volé la ceinture à Guingamp,
Le chapelet et la croix d’argent ! —

  — Ma mère, je sais bien que je l’ai fait.
Hélas ! par malheur et par méchanceté ;
Mais puisque Dieu m’a pardonné.
Ma mère, pardonnez-moi aussi ! —

  — Comment, mon fils, te pardonner ?
Songe à tout le mal que tu m’as fait :
Songe à tout le mal que tu m’as fait,
Tu m’as perdu mon petit livre !

  Ce n’est pas encore mon livre que je regrette le plus.
Mais mon chapelet, qui s’y trouvait ! —
— Consolez-vous, ma mère, ne pleurez pas.
Votre petit livre n’est pas perdu !

  Votre petit livre n’est pas perdu,
Ouvrez votre armoire et vous le verrez ;
Allez à votre armoire et vous le verrez,
Avec trois feuilles effacées ;

  Une par l’eau, une autre par le sang.
Et la troisième par les larmes de mes yeux ! —
Elle a ouvert son armoire,
Et se retournant vers son fils Jean :

  — Retire-toi loin de moi,
Va-t’en brûler dans les feux de l’enfer ! —
— Puisque Dieu m’a pardonné,
Ma mère, pardonnez-moi aussi ! —


Chanté par Marie Audern du bourg de Pluzunet. — 1867.

LES TROIS MARIE.
________


I

  Pendant que les trois Marie étaient à coudre
Dans le grand jardin de Pradennec,

  Monsieur saint Jean vint les trouver,
Pour leur annoncer une nouvelle.

  — Bonjour à tous, ma tante,
N’avez-vous pas vu le Sauveur du monde ! —

  — Monsieur saint Jean, tous étiez avec lui,
Et tous devez savoir où il est. —

  — Depuis jeudi, à midi,
Je n’ai pas eu de ses nouvelles. —

  Quand la Sainte-Vierge entendit cela,
Elle tomba trois fois à terre :

  — Consolez-vous, ma tante, ne pleurez pas,
J’irai le chercher, s’il le faut ;

  Je marcherai, nuit et jour,
Jusqu’à ce que j’aie retrouvé mon Dieu. —

II

  Comme les trois Marie étaient en route,
Elles rencontrèrent un jeune homme :

  — Bonjour à vous, dit le jeune homme,
Le salut est toujours une bonne chose ;

  Le salut est toujours une bonne chose.
Pour les vieux comme pour les jeunes.

  Où allez-vous, ou avez-vous été,
Où comptez-vous aller ?

  Moi, je reviens de la montagne,
Où j’ai été voir dresser un nouveau calvaire ;

  J’ai été voir dresser un calvaire nouveau,
Pour crucifier Dieu le fils. —

  La Sainte-Vierge, en entendant cela,
Est tombée trois fois à terre ;

  Elle est tombée trois fois à terre,
Et le jeune homme l’a relevée.

  — Voulez-vous plaisanter, ou vous moquer,
Ou navrer le cœur de Marie ! —


  — Je ne plaisante, ni me moque.
Ni ne veux navrer le cœur de Marie. —

III

  — Dites-moi, vous Pilate,
Lequel de ces trois est mon fils ? —

  — Celui qui est devant, avec la plus grande croix,
Et qui montera le premier sur la montagne ;

  Il a été arrêté la nuit dernière,
Avec de la lumière dans des lanternes closes. —

................

  — Eloignez de là cette femme.
Car elle augmente mes peines. —

  — Pourquoi appelles-tu ta mère femme ?
Fort est mon cœur, puisqu’il ne se brise !

  Fort est mon cœur, puisqu’il ne se brise.
En entendant mon fils appeler sa mère femme !

  Descendez mon fils de la croix,
Pour que je l’emmaillotte une fois encore. —

  — Donnez-moi un mouchoir.
Pour essuyer mon sang qui ruisselle.

  Tenez, ma mère, prenez ce mouchoir,
Qui contient le sang du Sauveur ;

  Et n’allez pas le laver à l’étang.
Car il contient le sang du Sauveur ;

  Il contient le baptême,
Et le sacrement de l’extrême-onction ;

  Il contient le sacrement de l’extrême-onction,
Tout prêt pour qui le demandera ! —

IV

  Quand les trois Marie étaient en chemin,
Elles rencontrèrent une jeune fille.

  — Tenez, jeune fille, prenez ce mouchoir,
Qui contient le sang de notre Sauveur ;

  Qui contient le baptême
Et le sacrement de l’extrême-onction ;

  Il contient le sacrement de l’extrême-onction,
Tout prêt pour qui le demandera.

  Mais n’allez pas avec lui à l’étang.
Car il contient le sang de notre Sauveur !


  La jeune fille n’a pas obéi
(Beaucoup d’autres ne le font pas),

  Elle est allée à l’étang avec le mouchoir,
Et l’étang s’est desséché !

  L’étang s’est desséché.
Et notre Sauveur lui est apparu ;

  Notre Sauveur lui est apparu
Et lui a repris le mouchoir :

  — Donnez, jeune fille, ce mouchoir
Qui contient le sang de votre Sauveur.

  Quand ce mouchoir vous fut donné,
Vous aviez fermé la porte de l’enfer sous vous ;

  Vous aviez fermé la porte de l’enfer sous vous,
Et ouvert la porte du paradis sur votre tête :

  Maintenant que le mouchoir vous est enlevé,
La porte de l’enfer s’ouvre sous vos pieds ;

La porte de l’enfer s’ouvre sous vos pieds,
Et celle du paradis se referme sur votre tête !

  Adieu, jeune fille, au revoir.
Dans la joie du paradis, ou aux environs ! —


Chanté par Marie Audern, du bourg de Pluzunet. — 1867


SAINTE HENORI.
________


I

  Ecoutez tous, et vous entendrez
Un gwerz nouvellement composé ;
Un gwerz nouvellement composé,
C’est à sainte Henori qu’il est fait.

  Jamais son père ne l’a supportée.
Jamais il ne lui a désiré de bien ;
Il n’a fait que la chasser de son pays,
Et la priver de ses biens.

  Mais hélas ! il est tombé malade.
Et la maladie le malmène ;
Et les prophètes lui disent
Que s’il tette un sein vierge, il sera guéri ;

  S’il tette un sein vierge, il sera guéri,
S’il appartient à une de ses filles ...

II

  Le roi de Brest disait
Un matin :

  — Je vais trouver ma fille ainée,
C’est celle-là que j’aimais la première :
— Bonjour à vous, ma fille aînée.
C’est vous que j’aimais la première.

  Je suis en proie à une maladie.
Et les prophètes me disent
Que si j’avais le lait d’un sein vierge, je serais guéri.
S’il appartenait à une de mes filles. —

  — En cela, mon père, je ne puis vous secourir ;
En autre chose, je ne dis pas ;
En toute autre chose je vous secourrai.
Sans nuire à mon corps ni à mes biens. —

  Je vais trouver ma fille cadette.
C’est celle-là que j’aimais le plus :
Bonjour, ma fille cadette.
C’est vous que j’aimais le plus.

  Je suis en proie à une maladie,
Et les prophètes me disait
Que si j’avais le lait d’un sein vierge, je serais guéri ;
S’il appartenait à une de mes filles. —

  — En cela, mon père, je ne puis vous secourir,
En autre chose, je ne dis pas ;
En toute autre chose je vous secourrai.
Sans nuire à mon corps ni à mes biens. —

  — Je vais trouver ma fille Henori,
Jamais je ne lui ai désiré de bien ;
Je n’ai fait que la chasser de son pays,
Et la priver de ses biens. —

  Le roi de Brest disait.
En arrivant chez Henori :
— Bonjour à vous, ma fille de Dieu. —
— Et à vous aussi, mon père roi ! —

  — Je suis en proie à une maladie.
Et les prophètes me disent
Que si j’avais du. lait d’un sein vierge, je serais guéri,
S’il appartenait à une de mes filles. —

  — Que le Seigneur Dieu soit béni.
Puisque vous êtes obligé de recourir à moi, mon père
Mettez-vous à genoux,
Je vais délacer ma poitrine. —

  Aussitôt qu’elle eut délacé sa poitrine,
Son sein a été mordu par un serpent ;
Son sein a été mordu par un serpent,
Et elle a poussé un cri.

  Henori est sur son lit,
Et personne ne la console !
Et personne ne la console.
Si ce n’est son père le roi, celui-là le fait.

  — Consolez-vous, Henori, ne pleurez pas.
Quand vous serez guérie, vous serez mariée ;
Quand vous serez guérie, je vous marierai
Au plus beau fils de baron du pays. —

III

  Quand elle fut fiancée et mariée,
Après avoir été quelque temps avec son mari ;
Après avoir été quelque temps avec son mari,
Sa mère lui a dit[22] :

  — Sur ma foi, dit-elle, mon fils clerc,
Comme vous portez bien le bonnet !
J’ai vu votre femme dans le grenier.
Faisant le mal avec un prêtre ! —

  — Taisez-vous, ma mère, vous péchez,
Car ma femme est une honnête femme ;

J’ai épousé une honnête femme,
Et je l’aime de tout mon cœur.

  Taisez-vous, ma mère, vous péchez,
C’est mon valet de chambre que vous avez vu. —
— Votre valet de chambre ne porte pas
Ni soutane, ni bonnet de prêtre. —

  — Si je savais que cela fût vrai.
Je serais allé trouver mon père roi
Salut à vous, mon père roi !
— Et à vous aussi, mon fils de Dieu. —

  — Quelle punition est due
A une pauvre femme mal mariée ! —[23]
— Si son mari est honnête homme,
Il faudra la juger sévèrement ;

  La condamner à l’épée ou au bûcher,
Ou à la potence : une mort prompte. —
— Que Dieu soit loué,
C’est votre fille Henori que vous avez jugée ! —

  — Si c’est Henori que j’ai jugée,
Je lui ferai un autre jugement :
On lui construira un tonneau neuf.
Pour l’exposer sur la mer, à la garde de Dieu ! —

IV

  Son époux disait alors
A Henori, en arrivant à la maison :
— Henori, habillez-vous,
Pour m’accompagner au bal, chez votre père. —

  — Jamais je n’ai refusé
D’aller où vous me disiez.
Et surtout chez mon père,
Car là est tout mon bonheur :

  Bonjour à vous, mon père roi ! —
— A vous pareillement, ma fille de Dieu. —
— Et comment ai-je pu vous manquer,
Pour m’avoir condamnée à la potence ? —

  — Consolez-vous, Henori, ne pleurez pas,
Un autre jugement a été fait pour vous :
On vous a construit un tonneau neuf,
Pour être exposée sur la mer, à la garde de Dieu.

  A peine eut-il prononcé ces mots,
Qu’elle fut placée dans le tonneau ;
Elle a été placée dans le tonneau
Et exposée sur la mer.


  La voilà dans un tonneau neuf,
Exposée sur la mer, à la garde de Dieu !
Son mari demandait,
Un jour aux matelots :

  — Matelots, dites-moi,
N’avez-vous pas vu un tonneau ? —
— Nous n’avons pas vu de tonneau ;
Que celui qui a perdu, cherche ;

  Si ce n’est celui de sainte Henori,
Qui a abordé en Hibernie ;
Qui a abordé en Hibernie,
Tous les jours nous allons la saluer.

  Du corps de son innocent (enfant),
Sortent deux roses charmantes ;
Sortent deux roses charmantes,
S’il n’est roi, il sera certainement saint ! —

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  — Ma pauvre femme, dites-moi,
Voulez-vous retourner avec moi à la maison ? —
— Jamais je n’ai refusé
D’aller où vous me disiez.

  Votre mère vous avait dit
Que j’étais la femme d’un prêtre ;
Que j’étais la femme d’un prêtre.
Maintenant vous connaissez la vérité. —

  — Ma pauvre femme, dites-moi,
Quelle punition lui souhaitez-vous ?
Je possède dix-sept métairies.
Et je voudrais les voir toutes en feu ;

  Je voudrais voir le feu à la plus basse,
Aussi bien qu’à la plus haute.
Car si j’ai été dans la douleur.
C’est ma mère qui en est cause ! —


Chanté par Anne Salic, vieille mendiante.
Plouaret, 1863.



VARIANTES.


Une autre version, qui m’a été chantée au mois de septembre 1867, dans la petite presqu’île de Loquirec, par une vieille mendiante nommée Barba Lucas, présente les variantes qui suivent :



SANTES MARC’HARIT
________



SAINTE MARGUERITE.
________


I

  Je vous prie, chrétiens, de me prêter votre silence
Et d’écouter un cantique qui est de conséquence ;
C’est la vie d’une femme que j’ai entrepris
D’exposer ici en breton. [1][24]

  Considérez tous les grenouilles d’eau douce,
Chantant tous les jours avec leurs voix triomphantes,
Et disant à tous, dans le monde entier,
De se convertir, que le jugement arrive !

  Celle-ci est une femme de haute lignée,
Oui a quitté noblesse et qualité ;
Elle a quitté noblesse et qualité,
Pour venir chez sa tante garder les moutons.

  Celle-ci est une femme de haute lignée,
Qui chaque jour chantait à ses moutons, dans la montagne :
Chaque jour elle chantait à ses moutons, dans la montagne,
Des cantiques en l’honneur de Dieu et de la Sainte- Vierge.

  Un jeune cavalier qui revenait de l’armée,
A entendu sa voix chantant dans la montagne,
Et il a dit a son garçon d’aller lui parler,
Pour savoir qui chantait de la sorte.

  — Bonjour, jeune fille, qui chantez si gaiment !
Ce n’est pas vous qui devriez être avec ces moutons.
Là-bas, sur la grande route, il y a un jeune cavalier,
Qui a entendu votre voix, si belle, si ravissante ;

  Et il m’a dit de venir jusqu’ici.
Car il désire beaucoup que vous veniez lui parler.
Mon maître est un bel homme, qui a de l’or et de l’argent.
Et il sait rendre contents ceus qui lui plaisent. —

  — Sauf votre grâce, monsieur, votre adresse est bonne,
Et pourtant elle ne ressemble pas à vos habits ;
Vos habits sont beaux, magnifiquement dorés,
Et vous, vous semblez être un enjôleur de filles.

  Pour être sur la lande à garder les moutons,
Je ne vais pas ainsi à la suite des Français ;
Pour être sur la lande à chanter,
Je ne vais pas ainsi à la suite des passants. —


— Salut, à vous, mon maître, ma démarche a été
Un peu désagréable, j’ai été promptement repoussé :
C’est une honnête fille, et avec une seule parole
Elle a su me contenter et me faire retourner sur mes pas : —

— Pour être sur la lande à garder mes moutons,
Je ne vais pas, dit-elle, à la suite des Français !
Pour être sur la lande à chanter,
Je ne vais pas ainsi à la suite des passants. —

— Les Français ont des jambes et les passants aussi.
Et je vais moi-même lui parler. —
— Bonjour, jeune fille ; vous parlez de façon fort arrogante,
Pour une fille qui garde les moutons sur la lande !

J’avais envoyé quelqu’un pour vous parler.
Et vous lui avez répondu impertinemment, vous l’avez congédié ;
Rappelez-vous bien, jeune fille, le jour d’aujourd’hui.
Vous me reverrez, quand vous y songerez le moins ! —

II

— Je vois venir par la lande deux cavaliers ;
Depuis longtemps mon cœur était dans l’appréhension ;
Je vois venir l’heure où je serai mise à mort :
Mais sur ma pauvre âme ils n’ont aucun pouvoir !

Je vais me mettre à genoux
Pour réciter mon chapelet, le plus dévotement que je pourrai ;
J’ai choisi Jésus pour mon rédempteur,
J’ai choisi Jésus pour mon protecteur. —

— Détournez-vous, jeune fille, détournez vous de bon cœur,
Quelqu’attentive que vous soyez à votre prière. —
— J’ai choisi Dieu pour mon rédempteur,
J’ai choisi Dieu pour mon protecteur. —

Elle fut conduite à la cour, pour être interrogée,
Pour savoir d’où elle était et d’où elle était venue.
Elle leur dit, sans hésiter,
Comment on l’appelait, sur le champ :

— Je suis fille d’un grand ministre, maître de la loi.
Son nom était Elizac, quand il vivait :
Oui, je suis la fille d’Elizac, je ne le cache point.
Et je l’ai quitté pour servir Dieu —

Elle fut plongée dans un étang, jusqu’aux hanches ;
Elle y chantait comme une reine.
Mais un jour on vit descendre.
Visible au peuple, une colombe blanche vers elle

Quand le seigneur vit qu’elle ne mourait point.
Il donna l’ordre de dessécher l’étang ;
Il donna l’ordre de dessécher l’étang.
Et on la jeta dans la caverne d’un serpent, pour être dévorée !


Elle fut jetée dans une caverne, noire comme du charbon,
Où elle ne voyait aucune lumière
Il fallait voir Marguerite courant d’un bout à l’autre de la prison,
Pour essayer d’éviter le dragon !

Mais cette nuit il l’a dévorée, au milieu du feu.
Et, par la volonté de Dieu, ses entrailles ont été déchirées !
Il se trouva du monde à passer par là.
Au moment où Marguerite embrassait sa croix.

Et, vite, ils allèrent annoncer la nouvelle
Au village de Brelidi (1), où demeurait le seigneur.
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . .

Mais ce seigneur, qui n’y croyait pas,
Envoya deux hommes de sa maison pour s’en assurer.
Quand le seigneur vit qu’elle ne mourait pas,
Il donna l’ordre de la décapiter.

Arrivée sur l’échafaud, pour être décapitée.
Elle a demandé une demi-heure de temps ;
Elle demande une demi-heure de temps.
Pour implorer pardon pour ses trois juges.

— Oh ! oui certainement, Marguerite, pardonnez-moi, je vous prie,
Car pour moi, je ne vous décapiterai pas ! —
— Sauf votre grâce, artisan, ne manquez pas de le faire,
Car vous êtes la porte entre Dieu et moi ! —

À peine avait-elle prononcé ces mots.
Que deux anges sont descendus du ciel sur l’échafaud :
— Allons ! Marguerite, Marguerite, courage !
Car voici l’heure où vous devez être couronnée ! —

Et à peine l’ange avait prononcé ces mots,
Que sa couronne (celle de Marguerite) est tombée sur son épaule ;
Sa couronne descendit sur son épaule,
Signe visible pour le peuple qu’elle allait jouir de la joie !


Chanté par une servante, au bourg de Pleubihan. — 1864.


(1) Il existe une commune de Brelidi entre Bégar et Pontrieux. On y voit les ruines d’un vieux château nommé Kastell -Brelidi, fameux dans les traditions locales. Je ne sais s’il existe quelque corrélation entre ce château et ce chant légendaire, qui ne paraît ancien.

Il y a des lacunes et des obscurités dans cette pièce et la précédente, je n’ai pas essayé de les faire disparaître.

________


VARIANTES


Une autre version, recueillie par-delà la forêt de Koat-an-noz, donne ainsi la seconde partie de ce gwerz :


  On l’a prise et on l’a jetée dans l’étang…
Mais elle y chante comme dans un couvent.
Les petits oiseaux du ciel, en passant.
Ont entendu Marguerite qui chantait :

  Et ils vont dire au seigneur
Que Marguerite n’est pas encore morte,
Et qu’en passant dans la montagne verte,
Ils l’ont vue qui saluait la croix.

  Et ils vont dire au seigneur
Que Marguerite n’est pas encore morte,
Et le seigneur, voyant qu’elle ne mourait pas,
Ordonna de dessécher l’étang.

  Il ordonna de dessécher l’étang,
Et on jette Marguerite dans la caverne du serpent.
Et le serpent, aussitôt qu’on la lui a jetée,
A avalé Marguerite !

  Mais un jour, le bruit s’en répandit, et le serpent creva.
Et Marguerite en sortit par son dos :
Marguerite en sortit par son dos,
En chantant gaiment, et sans avoir éprouvé de mal.

  Et le seigneur, voyant qu’elle ne mourait pas,
Donna alors l’ordre de la décapiter…
Elle a demandé une demi-heure de temps,
Et un ange est descendu du ciel.

  — Persévérez, Marguerite, persévérez toujours,
Votre couronne est toute prête dans le paradis ! —
On lui fit son procès, pour être décapitée,
Mais aucun d’eux n’a osé…

  — Descendez, Marguerite, descendez de là quand vous voudrez,
Car pour moi, Marguerite, je ne vous décollerai point ! —
— Il ne faut pas, dit-elle, manquer de le faire,
Car vous êtes maintenant la porte entre Jésus et moi ! —


________


Dans plusieurs églises de nos campagnes bretonnes on voit sainte Marguerite figurée sur un serpent ou un dragon.

LE ROI DE ROMANI[25]
PREMIÈRE VERSION.
________


I

  Quand le roi de Romani était à se promener,
Il vit une petite colombe blanche ;
Une petite colombe blanche descendue du ciel,
Qui lui parla ainsi de la part de Dieu :

  — Roi de Romani, quitte ta maison.
Et va demeurer en Normandie ;
Il te faudra quitter ton royaume,
Avant d’entrer dans la chrétienté ! —

  Le roi de Romani, ayant entendu cela,
A dit à sa femme :
— Ayez bien soin de nos enfants,
Moi, je vais faire un voyage. —

  — Si vous partez, mon mari, moi je partirai aussi ;
Mais que ferons-nous de nos enfants ? —
— Vous en porterez un, et moi deux ;
Quand nous serons fatigués, nous nous reposerons ;

  Quand nous serons fatigués, nous nous reposerons,
Et le temps passera toujours ;
Et le temps passera toujours,
Et notre vie diminuera. —

II

  Ils ont tant marché.
Qu’ils sont arrivés près d’une chapelle ;
Et étant entrés dans cette chapelle,
Ils se sont mis à genoux.

  Et ils aperçurent visiblement
Le corps de Jésus, dans un calice d’argent ;
Le corps de Jésus dans un calice d’argent
Pour leur donner à tous les cinq le baptême.

  Et ayant reçu le baptême.
Ils se remirent en route :
Ils se remirent en route.
Et arrivèrent au bord de la mer.


  Et en arrivant au bord de la mer.
Ils saluèrent le passager :
— Cher passager, si vous m’aimez,
Passez-nous dans votre barque. —

  — Donnez-moi la main de cette demoiselle,
Et je la conduirai de l’autre côté. —
— Notre bande n’est pas si grande,
Que nous ne puissions aller tous les cinq dans votre barque. -

  — Donnez-moi la main de cette demoiselle,
Et je reviendrai ensuite vous prendre. —
Ils n’étaient pas rendus au milieu de la mer,
Qu’il lui a fait affront.

  — Notre-Dame de la Trinité !
Préservez-moi pour mon mari ;
Préservez-moi pour mon mari,
Jamais je n’ai eu pareille pensée! —

  Elle n’avait pas fini de parler,
Quela foudre est tombée du ciel ;
La foudre est tombée du ciel,
Et a mis la barque en deux !

  La barque a été mise en deux,
Et le passager a été noyé ;
Le passager a été noyé
Et la reine a été conduite à l’autre bord :

  — Notre-Dame de la Trinité,
Me voici maintenant abandonnée !
Séparée de mon mari et de mes enfants,
Jamais plus je ne les reverrai ! —

III

  La reine de Romani disait,
En arrivant à l’auberge :
— Donnez-moi de la nourriture et des vêtements,
Et je resterai travailler dans votre maison ;

  Je resterai travailler dans votre maison,
Je ferai de la dentelle et de la passementerie —
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . .

IV

  Le roi de Romani disait
A ses petits enfants, en ce moment :
— Montez sur mon dos, mon fils aîné,
Venez dans mes bras, mon plus jeune fils ;


  Et vous, mon fils cadet, restez-ici,
Je reviendrai vous prendre après... —
Et comme il passait la mer,
Son fils aîné tomba dans l’eau.

  Et quand il vint prendre son fils cadet,
Un lion était à l’étrangler ;
Et quand il revint vers son plus jeune fils.
Un loup de mer le mettait en morceaux !

  Le roi de Romani disait.
Assis sur le rivage de la mer :
— Notre-Dame du Folgoat,
Me voici abandonné !

  J’ai perdu femme et enfants.
Et jamais plus je ne les reverrai !
Jamais plus je ne les reverrai.
Et que ferai-je maintenant ? —

V

  Le roi de Romani disait.
En arrivant chez le riche :
— Au nom de Dieu, un peu de nourriture.
Depuis trois jours je n’ai rien mangé !

  Sans la grâce de Dieu, qui est grande.
Je ne sais comment je pourrais marcher.
Donnez-moi de la nourriture et des vêtements,
St je resterai travailler dans votre maison ;

  Je resterai travailler dans votre maison.
Je ferai de la dentelle et de la passementerie ... —
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . .

  Dur eut été le cœur de celui qui n’eut pleuré,
En voyant un roi gardant les moutons.
Avec un morceau de pain moisi dans la main.
Les chiens du riche ne le mangeraient pas !

VI

  Le berger du roi saluait
Le roi de Romani, en le voyant :
— Gardeur de moutons, dites-moi,
N’avez-vous pas vu un roi ? —

  — Voilà sept ans que je garde ces moutons,
Et je n’ai pas vu de roi passer par ici. —
— Vous êtes mon roi,
Et je vous reconnais à vos fleurs de lys.


  Reconduisons ses moutons au riche ;
Celui-là pourra dire
Que ses moutons ont été
Gardés par un grand roi ! —

VII

  Le roi de Romani saluait,
En arrivant à l’auberge :
— Hôtesse, dites-moi
S’il y a moyen d’être logé ?

  Etes-vous en mesure de loger un roi,
Et son berger comme lui,
Et une jolie fille pour les servir,
Je n’ai jamais vu personne

  Qui fut aussi jolie qu’elle[26],
Si ce n’est la reine de Romani. —
— Oui certainement ; entrez dans la maison,
Il y a tout ce qu’il faut pour vous servir

  Ma femme de chambre, si vous m’aimez.
Vous viendrez servir la table :
Voilà sept ans que vous êtes dans ma maison
Sans que je vous aie jamais priée de servir ;

  Et je ne vous en aurais pas encore priée,
S’il n était arrivé un roi —
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . .

VIII

  — Jeune fille, dites-moi.
Voulez-vous manger un morceau dans mon plat ? -
Quand elle alla pour prendre un morceau au plat.
Il a vu son anneau d’or :

  — Notre-Dame de la Trinité,
Serait-il possible que vous fussiez ma femme ! —
— Si vous êtes roi, comme vous le dites.
Où sont donc vos enfants ? —

  — Comme je traversais la grande mer,
Mon fils aîné tomba dans l’eau ;
Quand j’arrivai pour prendre le second,
Je trouvai un lion qui l’étranglait ;


  Et quand je revins vers mon plus jeune fils,
Un loup le mettait en pièces ! —
Il n’avait pas fini de parler,
Que la reine tomba a terre ;

  La reine tomba à terre,
Et le page du roi la releva ;
Le page du roi l’a relevée,
Et ses trois fils sont entrés dans la chambre.

  — Mes enfants, dites-moi
Qui vous a emmaillottés ? —
~ Une demoiselle blanche du fond de la mer,
Qui venait chaque jour nous instruire ;

  Chaque jour elle venait nous instruire.
Et démêler nos cheveux blonds —
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . .

XI

  Monsieur saint Loup et saint Gili,
Et le plus jeune, saint Bernardi,
Sont trois fils du roi de Romani,
Qui est allé demeurer en Normandie.


Chanté par Jeanne Le Rolland, au bourg de Pluzunet, — 1867.
________


ROUE AR MANI[27]
SECONDE VERSION.
________


I

  Dimanche soir, après souper,
Je me suis habillé pour partir :
Vint alors un éclair au-dessus de ma tête,
Qui éclaira tout autour la plaine !

  — Roue ar Mani, il est temps d’aller
Chercher le baptême pour tes innocents ;
Chercher le baptême pour tes innocents,
Pour toi-même et pour ta femme ! —

  Roue ar Mani disait
À sa femme, en arrivant à la maison :
— Ma femme, je vais me promener (en voyage),
Quand j’aurai été, vous irez aussi. —

  — Mon mari, si vous allez en voyage,
Moi, j’irai avec vous aussi. —
— Si nous allons tous les deux en voyage.
Où iront nos chers petits enfants ? —

  — Vous en porterez un, et moi, deux,
Dieu et la Vierge nous protégeront … —
Dieu et la Vierge les ont protégés,
Et ils ont pris le bon chemin.

II

  Près d’une chapelle ils sont arrivés,
Et ils ont demandé le baptême.
Monsieur saint Jean les a baptisés,
Dieu et la Vierge les ont tenus (sur les fonts-baptismaux}.

  Ils ont pris le bon chemin,
Et près de la grande mer sont arrivés ;
Près de la grande mer ils sont arrivés,
Et ont demandé à la passer.

  — Passager, dis-moi,
Nous passerais-tu de l’autre côté ?
Si tu me passes, passe-moi gratis,
Car je n’ai rien à te donner.

  Je suis venu ici d’un pays éloigné.
Et j’ai donné tous mes biens. —
— Laissez-moi prendre la main de cette femme.
Et je la conduirai de l’autre côté. —

  Arrivé au milieu du passage,
Il a voulu lui faire violence ;
La barque a été chavirée.
Et le passager noyé ! …

III

  La jolie femme demandait,
En arrivant chez le riche :
— Au nom de Dieu, un morceau de pain !
Il y a trois jours que je n’ai rien mangé !

  Gardez-moi dans votre maison pour travailler,
Riche, je vous servirai bien ;
Je ferai l’école à vos enfants,
Et les instruirai à servir Dieu,


  Comme j’aurais fait aux miens,
Hélas ! si j’étais restée avec eux. —
— Allez là-bas à l’auberge,
Là vous trouverez à servir. —

  La pauvre femme demandait,
En arrivant près de l’auberge :
— Gardez-moi dans votre maison pour travailler,
Hôtesse, je vous servirai bien ;

  Je ferai l’école à vos enfants,
Comme j’aurais fait aux miens ;
Comme j’aurais fait aux miens,
Si j’étais restée avec eux. —

  — Entrez dans la maison et asseyez-vous,
Jusqu’à ce que j’aie consulté mon mari ;
Jusqu’à ce que j’aie consulté mon mari.
Car je ne puis vous donner de réponse ... —

IV

  Roue ar Mani disait,
En arrivant chez le riche :
— Au nom de Dieu un morceau de pain,
Il y a bien longtemps que je n’ai rien mangé !

  Gardez-moi dans votre maison, pour travailler.
Riche, et je vous servirai bien ... —
On lui donna une pioche pour ouvrir les guérets,
Mais hélas ! il ne savait rien.

  On lui donna un morceau de pain moisi,
Pour aller sur la lande, garder les moutons ...
Il a été sept ans dans la lande avec ses moutons,
N’ayant qu’un peu de croûte de pain moisi.

  Quand les sept ans furent accomplis,
Des barons sont arrivés sur la lande :
— Pâtre, dis-nous,
N’as-tu pas vu roue ar Mani ? —

  — Si c’est roue ar Mani que vous cherchez,
Je crois que c’est à lui que vous parlez :
Je suis ici depuis sept ans à garder les moutons,
Avec un petit morceau de croûte de pain moisi. —

  — Reconduisez ses moutons au riche.
Et rendez-lui son morceau de croûte de pain moisi ... —
Ce baron demandait
En arrivant auprès de l’auberge :

  — Y a-t-il dans cette auberge
De quoi souper, pour mes barons et moi ;
De quoi souper, pour mes barons et moi,
et une jolie fille pour nous servir ? —


  — Il y a une fille depuis sept ans dans ma maison,
Et jamais elle n’a servi personne ;
Jamais elle n’a servi personne,
Je l’aime plus que mes propres filles. —

  — Si nous soupons ce soir dans votre maison,
La jolie fille viendra nous servir ;
La jolie fille viendra nous servir.
Nous n’avons pas de mal à lui faire. —

  Quand le souper fut prêt,
Et que les plats étaient sur la table :
— Jeune fille, dites-moi.
Voudriez-vous manger dans mon plat avec moi ? —

  — Notre-Dame de la Trinité !
Et pourquoi ne le ferais-je pas ?
Pourquoi ne le ferais-je pas ?
Je l’ai fait souvent, il me semble ! —


Chanté par Marie-Anne Lenoan, vieille mendiante,
commune de Duault.
________


LE CAVALIER & LA BERGÈRE.
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I

  — Dites-moi, bergère, que faites-vous là, seule ? —
— Je fais un bouquet de fleurs de genêt. —

  — Dites-moi, bergère, pour qui vous le faites ? —
— Pour Yves Le Henan, mon plus aimé. —

  — Si c’est Yves Le Henan qu’on appelle votre mari,
Il est mort depuis sept ans, et enterré en terre d’avoine[28]. —

  — Si mon mari est mort, que Dieu lui pardonne !
Et s’il est en vie, que Dieu le console !

  Et s’il est en vie, que Dieu le console.
Car je suis bien sa femme, que Dieu me soutienne ! —

  — Venez avec moi, bergère, sous un buisson vert,
Je vous choisirai un cotillon d’écarlate, —

  — Sauf votre grâce, cavalier, sauf votre grâce, je n’irai pas.
Un cotillon de grosse toile c’est ce qu’il me convient d’avoir :

  Un cotillon de grosse toile, quand il est lavé bien blanc.
Sied à une bergère, pour aller à la messe. —

  — Venez avec moi, bergère, sous un buisson vert.
Car le temps est dur, et le vent est fort. —

  — Sauf votre grâce, cavalier, sauf votre grâce, je n’irai pas,
De crainte d’offenser mon honneur et de manquer de respect à mon mari.

  — Dites-moi, bergère,comment le nomme-ton ? —
— Merci de la demande, c’est Yves le Henan. —

  — Si c’est Yves Le Henan que se nomme votre mari.
Voilà sept ans qu’il est mort, et enterré en terre d’avoine ! —

  — Si mon mari est mort, que Dieu lui pardonne !
Et s’il est encore en vie, que Dieu le soutienne ! —

  Son cœur était si las de deviser avec elle.
Qu’il ota ses gants, pour lui parler.

  — Si mon mari est mort, comme vous le dites,
Certes mon diamant est à un de vos doigts. —

  — Dites-moi, bergère, si je serai logé
A l’auberge où vous êtes gardeuse de moutons ? —

  — Oh ! oui, dit-elle, cavalier, vous serez bien logé.
Il y a des écuries pour mettre vos chevaux ;


  Il y a des écuries pour mettre vos chevaux,
Et de bons lits de plume, pour tous coucher.

II

  Le cavalier va demander à loger,
Et il demande aussi la bergère, pour le servir.

  — Sauf votre grâce, dit l’hotesse, sauf votre grâce, elle n’ira pas ;
Voilà sept ans qu’elle est dans la maison, et elle n’a jamais servi personne. —

  Le cavalier lui offre à boire,
Et la bergère accepte.

  La bergère vient à accepter.
Et l’hotesse vient pour la souffleter.

  — Hôtesse, dit-il, je vous trouve terriblement effrontée
De vouloir souffleter ma femme sous mes yeux !

  Dites-moi, bergère, où sont vos habits,
Car, quand je partis de la maison, vous étiez bien habillée ? —

  — En vérité, dit-elle, cavalier, j’en ai habillé mon fils.
Qui est depuis sept ans à l’école, un enfant bien appris ;

  Il est depuis sept ans à l’école, un enfant bien appris.
Mais si ce que vous dites est vrai, il ne reverra pas son père !....
. . . . . . . . . . . . . . . . . .

Chanté par Jeanne Le Gall. — Keramborgne, 1849.
________



LES DEUX FRÈRES.
________


I

  — Si je vais à l’armée, comme je dois y aller,
Où mettrai-je ma femme, pour la garder ? —

  — Envoyez-la chez moi, mon cher frère, si vous voulez,
Je la mettrai en chambre avec mes demoiselles ;

  Je la mettrai en chambre, avec mes demoiselles,
Et quand vous reviendrez, mon frère chéri, vous la reverrez.

II

  Mais ses deux pieds étaient à peine sortis de la maison,
Qu’on lui dit : — A présent vous sortirez aussi !


  Quittez votre robe rouge et mettez votre robe blanche,
Pour aller sur la lande garder les moutons ![29]

  Pendant sept ans, environ, elle ne fit que pleurer ;
Les sept ans accomplis, elle commença à chanter.

  Un jeune gentilhomme, qui revenait de l’armée,
Entend sa voix qui chantait gaiment sur la lande :

  — Arrête, mon petit page, tiens la tête de mon cheval,
Pour que j’écoute la voix qui chante sur la lande ;

  Pour que j’écoute la voix qui chante sur la lande,
Voici sept ans que je n’entendis cette voix ! —

  — Bonjour à vous, bergère, gardeuse de moutons,
Je ne sais comment vous pouvez conserver là votre virginité ? —

  — Si, certainement, dit-elle, grâce à Dieu,
(Je la conserve) à un jeune gentilhomme, qui est à l’armée ;

  A un jeune gentilhomme, qui est à l’armée,
Et qui a des cheveux blonds, semblables aux vôtres. —

  — S’il a des cheveux blonds, semblables aux miens.
Prenez garde, bergère, que ce ne soit moi-même. —

  — Pour être dans la lande, à garder les moutons,
Je suis la grande dame du manoir du Faouet. —

  — Si vous êtes la grande dame du manoir du Faouet,
Dites-moi, bergère, si j’y serai logé ? —

  — Oui certainement, dit-elle, vous serez bien logé,
Et (vous aurez) une belle écurie pour mettre vos chevaux :

  Une belle écurie pour mettre vos chevaux.
Et un bon lit de plume pour vous coucher.

  Moi, je couche à l’étable, avec mes moutons.
Et c’est dans l’auge aux pourceaux qu’on me donne à manger[30].


III

  — Bonjour à vous, mon frère, je vous souhaite le bonjour !
Où est ma femme, que je ne la vois ? —

  — Elle est dans la chambre, avec mes demoiselles,
Quand elle descendra pour souper, alors vous la verrez , mon frère. —

  — Tu mens, mon frère, au milieu de tes yeux !
Ma femme est sur la lande, à garder les moutons !

  Approchez-vous, bergère, venez vous chauffer,
Car à votre pâleur, je crois que vous êtes malade. —

  — Sauf votre grâce, dit-elle, sauf votre grâce, je n’irai point,
Voilà sept ans que je ne me suis chauffée dans cette maison ;

  Je passais toutes mes nuits à l’étable, avec mes moutons,
Et c’est dans l’auge aux pourceaux qu’on me donnait à manger! —

  — Quand je partis pour l’armée, tu m’avais dit
Que tu la mettrais en chambre avec tes demoiselles ;

  Que tu la mettrais en chambre avec tes demoiselles,
Et tu l’as envoyée garder tes moutons sur la lande !

  N’était le respect que j’ai pour la maison de ma mère et de mon père,
J’aurais à l’instant lavé mon épée dans ton sang ! —


Chanté par Jeanne Le Gall, servante à Keramborgne. — 1849.
________

LE FRÈRE & LA SŒUR.
PREMIÈRE VERSION.
________


Écoutez tous, et vous entendrez
Une chanson nouvellement composée ;
Elle a été faite à un jeune soldat,
Qui était parti pour l’armée.

Il était parti pour l’armée.
Et son père s’est remarié…
Quand son temps fut achevé,
Il retourna à la maison.

— Bonjour et joie dans cette maison,
Où est la fille aînée ;
La fille aînée de cette maison,
Qui avait nom Marianne ? —

— Elle est allée là-bas à l’étang,
Allez la rejoindre, jeune soldat ;
C’est la fille aux deux liards (1)[31],
Demandez, vous ne serez pas refusé —

— Mais comment aller à l’étang,
Car jamais je n’y ai été ? —
— Descendez l’avenue verte,
Et vous entendrez le bruit de son battoir :

Descendez la large avenue,
Elle vous conduira près de l’étang. —
— Bonjour à vous, jeune fille qui lavez !
Vous lavez blanc, il me semble ?

Vous lavez blanc, vous tordez roide,
Voudriez-vous me laver mon gilet ? —
— Je ne lave pas blanc, je ne tords pas roide,
Je ne vous laverai point votre gilet. —

— Charmante jeune fille, dites-moi,
Voulez-vous me prêter des deux liards ?
— Oh ! sauf votre grâce, excusez-moi,
Je ne suis pas la fille aux deux liards ;

Je ne suis pas la fille aux deux liards,
Pas davantage la fille aux sols :
J’ai un frère chéri en pays lointain,
Et s’il entendait vos raisons,


  Oh ! oui, s’il entendait vos paroles,
Il vous broierait tous les membres ! —
— Jeune fille, dites-moi,
Avez-vous connu votre frère ? —

  — Sauf votre grâce, hélas ! je ne l’ai pas connu.
Car j’étais trop jeune quand il partit ;
J’étais trop jeune, dans mon toutou (berceau),
Quand mon frère quitta le pays.

  J’étais toute jeune, dans mon berceau.
Quand mon frère chéri alla à la guerre ;
J’étais encore bien jeune,
Quand mon frère quitta la maison de mon père. —

  — Jeune fille, dites-moi,
Voudriez-vous le revoir ? —
— De tout mon cœur, je le demande.
Je voudrais qu’il fût ici ! —

  — Laissez aller votre battoir sur l’eau.
Et votre savon au courant ; [1][32]
Laissez votre savon aller à sa suite,
Et venez dans les bras de votre frère !

  Votre marâtre m’avait dit
Que vous étiez fille à deux liards ;
Que vous étiez fille à deux liards.
Et je vois clair à présent que vous ne l’êtes pas ! —

  Dur eut été le cœur de celui qui n’eut pleuré,
Etant auprès de l’étang,
En voyant le frère et la sœur
S’embrasser avec douleur (avec bonheur) ;

  S’embrasser avec bonheur,
Et tomber ensemble à terre !


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LE FRÈRE & LA SŒUR.
SECONDE VERSION.
________


  Le fils du Roi disait,
En arrivant à Coadelez : (1)[33]
— Bonjour et joie à tous dans cette maison,
Où est la fille du Roi ? — [1][34]

  — Elle est là-haut dans la chambre blanche,
A peigner ses blonds cheveux ;
Elle est à peigner ses blonds cheveux,
Et à détirer le linge blanc. —

  Le fils du Roi, à ces mots.
Monta l’escalier tournant ;
Il monta l’escalier tournant,
Et le redescendit aussitôt.

  — Ce n’est pas là celle que je cherche :
La fille du Roi, sa fille aînée,
La fille du Roi, de Coadelez,
Qui était restée ici, mineure. —

  — Si c’est là celle que vous cherchez,
C’est la plus mauvaise fille que vous puissiez trouver.
Elle est allée depuis ce matin, de bonne heure,
Pour laver quelque peu de linge

  — Si je connaissais le chemin de l’étang,
J’irais éprouver la femelle. —
— Suivez l’avenue tout au long.
Vous vous trouverez dans un bois ;

  Et quand vous serez dans ce bois.
Vous entendrez le bruit de son battoir ;
Vous entendrez le bruit de son battoir,
Avec lequel elle bat son linge. —

  — Bonjour, jeune fille sur l’étang,
Vous lavez blanc et tordez roide ;
Vous lavez blanc et tordez roide,
Voudriez-vous me savonner ma chemisette ? —

  Je ne lave pas blanc, je ne tords pas roide.
Je ne vous savonnerai pas votre chemisette. —
— Voyez mon manteau rouge.
Qui est doré des deux côtés. —


  Je ne fais cas de votre manteau rouge,
Plus que ne fais d’une tige de digitale ! —
— Voyez ma haquenée blanche,
Avec une bride d’argent en tête ! —

  — Je ne fais cas de votre haquenée blanche,
Plus que ne fais de son maître ! —
— Venez avec moi dans le bois,
Et vous gagnerez un bon gage. —

  — Bien que je sois lavandière.
Mon père habite un palais. ...
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  J’ai un frère chéri en pays lointain,
Monsieur, et s’il entendait vos paroles,
Il vous mettrait en pièces,
Qu’il disperserait dans les carrefours ! —

  — C’est moi votre frère chéri de pays lointain,
Qui suis venu ici pour vous éprouver :
Votre marâtre m’avait dit
Que vous étiez une fille perdue, et vous ne l’êtes point ! —

  Dur eut été le cœur de celui qui n’eut pleuré,
S’il eut été auprès de l’étang,
En voyant le frère et la sœur
S’embrasser avec douleur (bonheur).


Chanté par Jeanne Le Gall.Keramborgne, 1849.

MARGUERITE LAURENT.
PREMIÈRE VERSION.
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I

Approchez, jeunes et vieux, tous nous sommes les obligés
De madame sainte Anne, et aussi du Folgoat,
À cause d’une jeune fille qui, ayant été trois jours à la potence,
Grâce à sainte Anne, n’a pas eu de mal !

À cause d’une jeune fille qui a été trois jours à la potence
Et, grâce à sainte Anne, n’a pas eu d’offense.
Le jeune clerc disait, en arrivant auprès de la potence :
— Comment est ton cœur, Marguerite Laurent ? —

— Tu n’as pas besoin, cher clerc, de prier pour mon âme,
Je suis aussi à l’aise ici que tu l’es là ;
Je suis ici aussi à l’aise que toi là.
Excepté, clerc chéri, que je n’ai pas ma liberté.

Mon cœur est dispos, toujours en adoration,
Grâce à sainte Anne et à la Vierge Marie :
Cependant va, cher clerc, vas au manoir,
Pour me faire détacher de la potence. —

II

Le jeune clerc disait, en arrivant au manoir :
— Je viens de faire la conversation auprès de la potence ;
Je viens de faire la conversation auprès de la potence,
Avec ma bien-aimée, Marguerite Laurent. —

— Tais-toi, tais-toi, clerc menteur.
Je ne saurais jamais te croire, oh ! non, jamais au monde !
Si chantait le chapon rôti que voilà sur ce plat,
Alors je te croirais peut-être, ô clerc menteur ! —

Il n’avait pas encore tout à fait prononcé ces mots,
Que le chapon rôti chanta, d’une voix claire, sur le plat ;
Que le chapon rôti chanta sur le plat d’une voix claire ;
Et alors on crut le clerc aux mensonges.

Le Sénéchal disait à son garçon d’écurie ;
— Selle-moi ma haquenée et donne-lui de l’avoine à manger ;
Selle-moi ma haquenée, et selle-là sur le champ.
Que j’aille chasser, faire un tour au bois ! —


III

Le Sénéchal disait, en arrivant près de la potence :
— Comment est votre cœur, Marguerite Laurent ? —
— Mon cœur à moi est dispos, toujours en adoration,
Grâce à sainte Anne et à la Vierge Marie. —

— Descendez, Marguerite, et venez avec moi dans ma maison,
Je vous ferai préparer à déjeuner par mon cuisinier ;
Pendant que vous serez en vie, je vous prie de rester avec moi.
Et je vous ferai de plus gouvernante dans ma maison. —

— Pour aujourd’hui, je ne mangerai ni ne boirai,
Jusqu’à ce que j’aie été au Folgoat et à Sainte-Anne. —
— Venez avec moi, Marguerite, sur la croupe de ma haquenée,
Je vous conduirai au Folgoat et aussi à Sainte-Anne. —

— Je n’irai ni sur haquenée, ni aussi sur mes deux pieds,
Mais sur mes genoux nus, si mon cœur peut résister. —
Aussi vite qu’une haquenée aux pieds légers,
Va Marguerite vers le Folgoat.

Et quand Marguerite arriva dans le cimetière du Folgoat,
On voyait les traces de ses genoux sur les pierres tombales et dans le bois ;
On voyait les traces de ses genoux dans le bois et sur les pierres tombales,
Heureuse la femme qui y ira après elle !

Marguerite disait, dans l’église du Folgoat :
— J’ai été à Sainte-Anne, me voici à présnt au Folgoat ;
J’ai été à Sainte-Anne, me voici à présent au Folgoat,
Ma pénitence est finie, je n’ai pas été ingrate ! —

Entre la chapelle de saint Laurent et celle de saint Nicolas,
Marguerite Laurent a terminé sa vie !


Marie-Anne Le Noan, vieille mendiante, commune de Duault.


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MARGUERITE LAURENT.
SECONDE VERSION.
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I

  Ecoutez, et vous entendrez, et vous entendrez chanter
Un gwerz nouvellement composé l’année présente,
A Marguerite Laurent, qui a été attachée à la potence,
Pour un couvert d’argent, volé au manoir.

II

  Le jeune clerc disait, en passant près de la potence :
— La bénédiction de Dieu soit sur ton âme, Marguerite Laure
La bénédiction de Dieu soit sur ton âme, Marguerite Laure
Nous avons fait ensemble bien des tours de danse ! —

  — Vous n’avez pas besoin, clerc, de prier sur mon âme,
Je suis aussi heureuse ici que vous l’êtes là ;
Voilà trois jours et trois nuits que je suis pendue ici,
Mais, grâce à sainte Anne, je n’ai pas eu de mal !

  Allez à présent, clerc, allez au manoir,
Pour me faire détacher de la potence. —

III

  Le jeune clerc disait, en arrivant au manoir :
— Je suis envoyé ici de la part de Marguerite Laurent,
Qui est depuis trois jours et trois nuits là-bas à la potence,
Mais, grâce à sainte Anne, elle n’a pas eu de mal. —

  Le Sénéchal disait au clerc, ce jour-là :
— Je ne te croirai pas, jeune clerc, quand tu parles ainsi,
Jusqu’à ce qu’ait chanté le chapon rôti que voilà sur ce plat
Non, je ne te croirai pas, je le jure, ô jeune clerc menteur !

  Il n’avait pas encore fini de parler,
Quand chanta le chapon rôti qui était là sur un plat ! —
Le Sénéchal disait à son garçon d’écurie :
— Selle moi ma haquenée, que j’aille faire un tour ! —
. . . . . . . . . . . . . . . . . .

  — En vérité, Marguerite Laurent, me direz-vous
Qui vous a préservée, puisque vous n’êtes pas morte ? —
— Je m’étais vouée à Notre-Dame du Folgoat,
Et elle m’a mis un escabeau sous mes pieds !


  Je m’étais vouée à Notre-Dame de Goulven,
Et elle a préservé mon cou contre la corde.
J’ai encore promis d’aller aux pardons
Du Guéodet, du Folgoat et de Sainte-Anne ;

  J’ai promis d’aller au Guéodet, au Folgoat, à Sainte-Anne,
Et j’ai aussi promis à monsieur saint Mathurin (de Moncontour) —
— Venez avec moi, Marguerite, venez sur ma haquenée,
Je vous conduirai à ces lieux, s’il plaît à Dieu ! —

  — Oh ! je ne serai pas portée, je n’irai même à pied.
Mais sur mes genoux, si mon cœur peut résister. —
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . .

  Dur eut été le cœur de celui qui n’eut pleuré
En voyant Marguerite Laurent aller au pardon,
Sur ses genoux nus, suivant une haquenée
Oui, dur eut été, bien dur, le cœur de celui qui n’eut pleuré ! (1)
. . . . . . . . . . . . . . . . . .


Chanté par le Petit Tailleur, au bourg de Plouaret, 1863.



(1) Une autre version se termine ainsi :

  Le jeune clerc disait, en arrivant au Folgoat :
— Marguerite est arrivée, dit-il, au Folgoat ;
Marguerite est arrivée, dit-il, au Folgoat,
Je vois les traces de ses genoux sur les pierres tombales et dans le bois !

  Sans clef, ni personne pour les ouvrir, s’ouvraient les portes,
Et les cloches sonnaient d’elles-mêmes ! ~
Marguerite disait, auprès du grand autel :
— J’ai fait tous mes tours (pêlerinages), si ce n’est à Saint-Gildas ;

  J’ai fait tous mes tours, si ce n’est à Saint-Gildas,
Où j’ai promis d’aller encore avant de mourir …



avoir obtenu préalablement de son père et de sa mère qu’ils continueront leur pèlerinage, ce qu’ils font en effet. Mais à leur retour, ils retrouvent leur fis encore vivant, et qui les console, en leur disant, d’un air content, qu’il les attendait patiemment depuis six semaines. Quoique je ne puisse pas me plaindre, dit-il, d’être fatigué, et que mon cou ne me fasse pas le moindre mal, allez trouver l’alcade, ce juge si prompt à juger injustement, et dites-lui que saint Jacques de Compostelle m’a sauvé, et qu’il faut enfin me descendre du gibet. Or, l’alcade venait de s’asseoir à table, et commençait son dîner. Il levait déjà le couteau sur le plat de rôti. Dans ce plat étaient deux volailles, un coq et sa poule fidèle, qui le matin encore chantaient dans sa basse-cour. L’alcade refuse de croire que Santiago fasse ainsi des miracles en faveur d’un Français et d’un voleur. « Je croirais aussi aisément, dit-il, que ce coq et cette poule pourraient revenir à la vie ! » Soudain le coq se lève, et chante, et sort du plat, suivi de sa poule !

Dans le Barzaz-Breiz, cet épisode se trouve dans la pièce qui a pour titre Notre-Dame du Folgoat (p. 272, 6e édit.), et qui correspond aux trois pièces qui vont suivre, Annaik Kozik, Fransesa Kozik et Ann aotro ar Gerwenn.

ANNE COZIC.
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I

  Dur eut été le cœur de celui qui n’eut pleuré,
S’il avait été en la ville de Rennes,
En voyant Anne Cozic
Allant en prison entre trois.

  Allant en prison entre trois,
Précédée d’un enfant dans un panier,
Et elle disait, tout en marchant :
— Cet enfant n’est pas à moi ! —

II

  Anne Cozic disait
Un jour à sa mère, auprès de la rivière :
— Ma pauvre mère, dites-moi,
Vous êtes à laver vos vêtements ! —

  — A laver mes vêtements, blancs comme la neige,
Que vous est-il arrivé de nouveau, ma fille ? —
— Ma pauvre mère, si vous m’en croyez,
Vous laisserez là vos vêtements ;

  Je suis venue vous prier, ma mère et mon père.
D’aller pour moi au Folgoat,
Sans chaussure, sans bas et à pied,
Pour que la Vierge exauce votre prière ;

  Au retour, vous reviendrez par Rennes,
Et vous verrez réduit en charbon et en cendres ;
Tous verrez réduit en charbon et en cendres,
Le petit cœur que vous avez mis au monde ! —

  — Et quel crime avez-vous commis.
Si je dois voir réduit en charbon et en cendres ;
Si je dois voir réduit en charbon et en cendres,
Le petit cœur que j’ai mis au monde ? —

  — La gouvernante de la maison
Où j’étais à servir ;
De la maison où j’étais à servir.
Était l’amie du maître ;

  Et pendant que je dormais dans mon lit,
Elle donna le jour à un enfant ;
Elle le mit avec moi dans mon lit,
Et fit chercher la justice, pour me prendre ;

  Elle fit chercher la justice pour me prendre,
Et on m’a renfermée dans la prison de Rennes. —
— Comment pouvez-vous être renfermée dans la prison de Rennes
Puisque vous êtes venue ici me voir ? —


  — C’est grâce à la Sainte-Vierge,
Ma mère, que j’ai pu venir ici ;
Par la grâce de la Sainte- Vierge,
Qui s’est mise en ma place ! —

  — Ma fille, j’irai au Folgoat,
Sans chaussure, sans bas et à pied ;
Sans chaussure, sans bas et à pied,
Pour que la Vierge écoute votre demande ! —

III

  Le bourreau de Rennes disait,
Un jour, du haut de l’échafaud :
— Gens de la justice, arrêtez-vous,
Car vous ou moi nous nous sommes trompés ;

  Vous ou moi nous nous sommes trompés.
Car cette femme ne meurt pas !
J’ai été trois fois sur ses épaules.
Et elle ne fait que me sourire !

  Elle ne fait que me dire : encore une fois,
Pour faire plaisir aux spectateurs !
— Anne Cozic, dites-moi,
Qu’est-ce qui est cause que vous ne mourez pas ? —

  — Une petite colombe blanche est au-dessus de ma tête
Qui empêche la corde de m’étrangler ;
Notre dame du Folgoat
Me sert d’escabeau sous mes pieds !

  Anne fut otée de là.
Et on lui revêtit une chemise enduite de résine,
Puis on la jeta au milieu d’un grand feu :
Le feu s’est fendu en deux, en s’écartant d’elle !

  Anne Cozic disait
Ce jour là, entre deux hommes :
— Je vois venir la gouvernante,
Belle comme une princesse !

  Mettez-la à ma place et vous verrez
Si c’est elle ou moi qui a commis le péché ! —
Quand la gouvernante arriva dans la plaine,
Le feu s’élança dans son sein !

  — Notre dame de la Trinité,
Je ne suis pas punie la moitié assez ;
Je ne suis pas punie la moitié assez,
Et charger une autre de ma faute ! —
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Chanté par Garandel, surnommé compagnon l’aveugle,
Keramborgne, 1847.


FRANÇOISE COZIC.
________


I

  Monsieur du Bourblanc disait
Un jour à madame du Bourblanc :
— Levez-vous, Madame, sortez de votre lit,
Pour faire de la soupe au lait à votre filleule !

  Pour faire de la soupe au lait à votre filleule,
Qui a été meurtrière cette nuit :
Un petit enfant est dans son lit,
Avec un couteau nu dans le côté ! —

  Madame du Bourblanc, dès qu’elle entendit,
Sauta hors de son lit ;
Elle a sauté hors de son lit.
Et est allée trouver sa filleule.

II

  Madame du Bourblanc disait,
En arrivant chez sa filleule :
— Comment, dit-elle, ma filleule.
Vous avez commis un meurtre !

  Si vous m’aviez fait l’aveu,
J’aurais élevé votre enfant ;
J’aurais élevé votre enfant.
Et jamais personne n’aurait rien su. —

  Soyez tranquille, marraine, n’ayez pas d’inquiétude,
Ce n’est pas moi qui ai commis le crime :
Un jour on m’a changé mes draps de lit.
Et l’on a mis un enfant dans mon lit ;

  L’on a mis un enfant dans mon lit.
Avec un couteau nu dans le côté !
Je fus roulée en tous sens dans le bois,
Hélas ! mon Dieu, je dormais bien ! (1)[35]

  Pendant qu’elles étaient toutes les deux en conversation,
Les archers entrèrent dans la maison ;
Les archers entrèrent dans la maison,
Et Françoise Cozic fut arrêtée.

  Françoise Cozic disait
Aux archers en ce moment-là :
— Je vous suivrai où vous voudrez,
Mais il faut que je passe par chez ma mère. —


III

  Quand Françoise arriva auprès de l’étang de sa mère,
Elle trouva sa mère qui était à laver :
— Ma pauvre mère, dites-moi,
Vous êtes à faire votre lessive ! —

  — Oui, une lessive blanche comme la neige ;
Que vous faut-il, ma fille ? —
— Ma mère chérie, si vous m’aimez,
Vous laisserez couler votre lessive ;

  Vous laisserez couler votre lessive,
Jusqu’à jeudi prochain ;
Alors vous verrez réduite en charbon et en cendres
Votre fille Françoise, que vous aimez ! —

  Sa pauvre mère, à ces mots,
Tomba à terre et s’évanouit ;
Elle tomba à terre et s’évanouit,
Et les archers la relevèrent.

  — Quel crime as-tu donc commis,
Pour avoir mérité d’être brûlée ? —
— Consolez-vous, ma pauvre mère, ne pleurez pas,
Ce c’est pas moi qui ai commis le crime.

  Mes draps ont été échangés contre d’autres.
Et l’on m’a mis un enfant dans mon lit.
Je fus roulée en tous sens par le bois.
Hélas ! mon Dieu, je dormais bien !

  Ha mère chérie, si vous m’aimez,
Vous irez pour moi au Folgoat ;
La meilleure vache à lait qui soit chez mon père.
Vous la conduirez pour moi au Folgoat ! —

IV

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Monsieur du Bourblanc a donné l’ordre
De la faire pendre.

Françoise Cozic disait
Un jour aux bourreaux :
— Pesez, bourreaux, pesez encore,
Vous rendrez le peuple content ! —

Les bourreaux disaient
A monsieur du Bourblanc, ce jour-là :
— Qui a failli, de vous ou de nous ?
Françoise Cozic ne meurt pas !


  J’ai été trois fois sur ses épaules,
Et elle ne fait que sourire,
Et me dire d’aller une quatrième fois,
Pour contenter le peuple ! —

  Monsieur du Bourblanc a donné l’ordre alors
De la détacher du gibet ;
De la détacher du gibet,
Et de la faire monter sur l’échafaud.

  On l’a détachée du gibet,
Et on l’a fait monter sur l’échafaud :
La hache est descendue sur elle,
Et s’est brisée en deux morceaux !

  Les bourreaux demandaient
Alors à monsieur du Bourblanc :
— Qui de nous ou de vous a failli ?
Françoise Cozic ne meurt pas !

  Quand la hache est descendue sur elle,
Elle s’est brisée en deux morceaux ! —
Monsieur du Bourblanc disait
Alors aux bourreaux :

  — Conduisez-la au bûcher,
Et revêtez-lui une chemise de résine ;
Revêtez-lui une chemise de résine,
Et enduisez-la de soufre et d’alun ! —

  Quand on a allumé le feu sur elle,
Il s’est fendu en deux !
— Françoise Cozic, dites-moi,
Qu’est-ce qui est cause que vous ne mourez pas ? -

  — Et comment pourrais-je mourir, dit-elle,
Puisque le Saint-Esprit est avec moi !
Une petite colombe blanche est au-dessus de ma tête
Qui écarte le feu de mes seins ;

  Et Notre-Dame Marie du Folgoat
Tient un escabeau sous mes pieds ! —
Les prêtres du Bourblanc, entendant cela.
Levèrent une procession.

  Et la bannière et la croix
Vont reconduire Françoise à la maison.
— Allons chercher la gouvernante,
C’est celle-là qui a commis le crime ! —

  La gouvernante disait,
À la fenêtre de la table, ce jour-là :
— Je voit venir la bannière et la croix,
Ramenant Françoise à la maison. —


  Quand Françoise Cozic entra dans la maison,
La gouvernante se mit à genoux devant elle :
— Françoise Cozic, pardonnez-moi,
Je vous ai grandement offensée ! —

  — Gouvernante, relevez-vous.
Et demandez pardon à Dieu ;
Demandez pardon à Dieu,
Gouvernante, pour moi je vous pardonne ! —

V

  La gouvernante est allée au bûcher.
Et celle-là, ils sont venus à bout d’elle :
À la distance de deux journaux de terre,
Le feu s’élançait pour la consumer !


Plouaret, décembre 1854
________


MONSIEUR DE LA VILLEBLANCHE
ET LA PETITE SERVANTE.
________


I

  A la Villeblanche il y a de la douleur,
S’il en est quelque part au monde,
À cause de la gouvernante,
Qui s’est trouvée enceinte.

  La gouvernante disait
Un jour à monsieur de La Villeblancbe :
— La petite servante est dans son lit.
Avec un petit enfant à son côté ;

  Avec un petit enfant à son côté,
Et un couteau nu à la tête du lit ! —
Par une finesse de femme,
Elle (la gouvernante] a changé ses draps de lit ;

  Elle a changé ses draps de lit,
Et les a mis à la petite servante.
Monsieur de La Villeblanche, en entendant cela,
Alla trouver la justice.


  Monsieur de La Villeblanche disait
Un jour aux gens de la justice :
— Gens de la justice, préparez-vous,
Il vous faut venir avec moi, ce soir —

II

  Les gens de la justice disaient,
En arrivant dans la maison :
— Petite servante, préparez-vous,
Il vous faut venir avec nous, ce soir. —

  — Notre-Dame Marie de la Trinité,
Quel crime ai-je donc commis ;
Quel crime ai-je donc commis,
S’il me faut aller avec vous ! —
 
  La petite servante demandait,
En passant devant la porte de sa mère :
— Votre cœur est gai, puisque vous chantez,
Hélas ! celui de votre fille ne l’est pas. —

  — Ma fille chérie, dites-moi,
Qu’est-ce qui vous cause de la tristesse ! —
— Hélas ! ma mère, je ne le dirai pas,
Mais avant la fin on le saura.

  Je vous prie, ma mère et mon père,
D’aller pour moi au Folgoat,
Sans chaussure, sans bas, à pied,
Sur vos genoux nus, si vous pouvez résister. —

  — Et comment aller jusque-là ?
Je ne connais ni chemin ni sentier. —
— J’ai voué le prix d’une génisse d’un an,
Et vous serez conduite jusqu’à l’entrée du porche :

  Et en revenant, passez par Rennes,
Et votre cœur sera navré,
En voyant réduit en charbon et en cendres
Le petit cœur que vous avez mis au monde !

  Laissez votre lessive, jusqu’à jeudi,
Vous trouverez du charbon et de la cendre ;
Vous trouviez réduit en charbon et en cendres
Le cœur que vous avez mis au monde ! —

  — Ma fille, quel crime avez-vous commis,
Pour avoir été condamnée au feu ? —
— Hélas ! ma mère, je ne dirai rien,
Mais pour la fin on verra. —


III

  Dur eut été le cœur de celui qui n’eut pleuré,
Etant dans la ville de Rennes,
En voyant la petite servante au milieu des flammes,
Sans que son cœur éprouvât de frayeur !

  Les gens de la justice demandaient
A Jeanne, en ce moment :
— Jeanne, dites-nous,
Ce qui est cause que vous ne brûlez point. —

  Et le bourreau disait
Aux gens de la justice, en les entendant :
— J’ai été trois fois sur son épaule,
Et elle ne fait que me sourire ! —

  — Notre-Dame Marie de Goulven
Noue ses bras autour de mon cou ;
Notre-Dame Marie du Folgoat
Me sert d’escabeau sous mes pieds. —

  — Conduisons-la au bûcher,
Et l’enduisons de soufre et d’alun ;
Enduisons-là de soufre et d’alun,
Et alors nous en viendrons à bout. —

  Dur eut été le cœur de celui qui n’eût pleuré,
Etant auprès du bûcher,
En voyant Jeanne au milieu des flammes,
sans que son cœur éprouvât de frayeur !

  — Jeanne, dites-moi
Ce qui est cause que vous ne mourez point ? —
— Monsieur de La Villeblanche, je mourrais facilement
Si je voyais votre gouvernante ! -—

  Elle eut à peine dit ces mots,
Qu’il se dirigea vers la maison :
— Gouvernante, préparez-vous.
Car il vous faut venir avec moi.

  La petite servante ne veut pas mourir
Avant de vous avoir vue. —
— Nous ne sommes pas tellement amies
Qu’elle ne puisse mourir sans me voir ! —

  Quand elle arriva auprès du bûcher,
Oui, à la distance d’un journal de terre,
Une étincelle a jailli.
Et la gouvernante a été brûlée.

  Monsieur de La Villeblanche, en voyant cela,
Se jeta à genoux ;
Il se jeta a genoux
Pour demander à Jeanne pardon et grâce.


  — Pour ce qui est de la potence, je vous pardonne,
Mais pour ce qui est du feu, je ne vous pardonnerai jamais,
A moins que la croix et la bannière
Ne viennent me chercher, pour me conduire à la maison. (1)


Chanté par Marie-Anne Le Noan.
Duault.



FRANÇOISE PICART.
PREMIÈRE VERSION.
________


I

  Le seigneur de Leshildri disait,
Un jour, à la dame de Leshildri :
— J’ai été chasser au bois,
Et j’ai rencontré une levrette ;

  J’ai rencontré une levrette,
Qui portait un petit enfant dans sa bouche ;
Qui portait dans sa bouche un petit enfant,
Qui ressemble à la Picard. —

  La dame de Leshildri, entendant cela.
Dit à son petit page :
— Sellez-moi ma haquenée blanche,
Pour aller voir mes fermiers. —

II

  La dame de Leshildri disait.
En arrivant chez le vieux Picard :
— Bonjour et joie à tous dans cette maison,
Où sont vos filles, que je ne les vois pas ? —

  — Deux d’entre elles sont à laver,
Et deux autres sont à tordre le linge,
Et deux autres à préparer le lin,
Et deux autres à le peigner.

Deux autres sont à filer,
Et deux autres à dévider ;
Deux autres sont à repasser,
Et deux autres à empeser ;


[1] Il y a quelque chose de semblable dans la pièce du Barzaz Breiz qui a pour titre : Notre-Dame du Folgoat (page 272, 6e édition).

(1) Ces trois pièces, Annaïk Kozic, Franseza Kozik et Ann Aotrou ar Gerwenn, ne sont, sous des titres différents, qu’autant de versions du même gwerz.


  Et une autre est dans la chambre blanche,
A peigner et à lisser ses cheveux blonds :
Françoise est malade sur son lit.
Elle tremble la fièvre deux fois par jour. —

  — Celle qui est malade sur son lit,
C’est là celle que je cherche …
Comment, dit-elle, ma filleule,
Avez-vous pu devenir meurtrière !

  Si vous aviez voulu m’avoir avoué,
J’aurais élevé votre enfant ;
J’aurais élevé votre enfant,
Et personne n’en aurait jamais rien su. —

  — Je crains bien, ma marraine.
Que vous ne soyez montée sur le cheval de Hamon. —[36]
— Si je suis la dame de Leshildri,
Je te ferai payer cette parole ! —

III

  Pour le mercredi-matin,
Françoise Picard eut de ses nouvelles ;
Des archers arrivèrent de Rennes,
Pour emmener Françoise en prison.

  Françoise Picard disait,
Un jour, du haut de l’échafaud :
— Je vois d’ici le manoir de Leshildry,
Et je voudrais que le feu y fût !

Je voudrais le voir consumé par le feu,
Car c’est le seigneur de là qui est cause (de ma mort). —


Renan le Sabotier, de Trégrom, — 1854.


________


FRANÇOISE PICART.
SECONDE VERSION.
________


I

  La dame de Leshildri, la bonne dame,
Se leva un jour, de bon matin ;
Elle se leva un jour, de bon matin,
Et fit une trouvaille.

  Sa levrette blanche arriva à la maison,
Portant une petite fille à travers dans sa bouche ;
Une petite fille emmaillottée dans un linge.
Sur lequel se trouvait le nom de Françoise Picart.

  La dame de Leshildri disait,
Ce jour-là, à son garçon d’écurie :
— Sellez-moi ma haquenée,
Pour aller me promener à mes métairies ;

  Sellez-moi ma haquenée blanche,
Mettez-lui sa bride d’argent en tête,
Je veux aller à ma métairie de Leshildri,
Il y a longtemps que je n’y suis allée. —

II

  La dame de Leshildri disait,
En arrivant chez le vieux Picart :
— Dites-moi, compère,
Où sont allées vos filles ! —

  — Deux sont sur l’étang, A laver.
Deux autres font sécher le linge ;
Deux autres font sécher le linge,
Et deux autres sont occupées à le tordre ;

  Mais celle-là, votre filleule,
Est malade dans son lit. —
La dame de Leshidri disait
À Françoise Picart, en ce moment :

  — Depuis quand, ma filleule,
Vous êtes-vous trouvée mal ? —
— Depuis ce matin, ma marraine,
Je suis restée malade. —

  — Ma filleule, dites-moi.
Où est le mal dont vous souffrez ! —
— Je souffre beaucoup de la tête,
Hélas ! et le mal descend jusqu’à mon cœur. —


  La dame de Leshildri disait
Alors à Françoise Picart :
— Prenez garde, ma filleule,
Que vous n'ayez commis un meurtre ! —

  — Ma marraine, que dites-vous ?
Et moi qui n’ai que seize ans !
Vous êtes encore montée sur le bidet,
Et vous n’en avez pas de raison ;

  Vous n’avez pas de raison de le monter.
Car votre mari est un honnête homme. —
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  La dame de Leshildri disait.
En sortant de la maison de Picart ;
— Dût-il m’en coûter cinq cents écus,
Françoise Picart sera pendue ! —

III

Françoise Picart disait,
Arrivée au dernier degré de l’échelle ;
— Je vois d’ici le manoir de Leshildri,
Et je voudrais que le feu le consumât !

Je voudrais y voir le feu,
Et le seigneur brûler au milieu ;
Le seigneur brûler au milieu.
Car c’est lui qui est cause (de ma mort) !

Quand on m’envoyait à la grand’-messe,
C’est à Leshildri qu’on m’aurait trouvée ;
C’est à Leshildri que j’étais,
Dans les chambres ou dans la maison ;

A jouer aux dés et aux cartes,
Avec les fils du seigneur ;
Et quand nous avions assez de ce jeu,
Nous couchions ensemble dans le même lit ! —


Chanté par Marie-Josèphe Kerival, domestique
à Keramborgne, — 1849.


L’ENFANT DU LÉPREUX.
________


I

  Celui qui veut avoir de la pitié,
Qu’il aille lundi à Châteauneuf,

  Et il verra pendre et brûler
La plus belle jeune femme qui y soit ;

  La plus belle jeune femme qui y soit,
La fille du fermier de Leshildri, (1)[37]

  Dans le lit de laquelle on a trouvé un enfant,
Avec un couteau nu dans le côté ;

  Et on lui a attribué le crime,
Et pourtant elle dit qu’elle n’est pas coupable.

II

  L’enfant de cinq ans disait,
En sortant de la maison :

  — Il n’y a pas d’enfant sur la terre
Qui ait autant que moi de chagrin !

  Ma mère sera pendue et brûlée,
Et mon pauvre père est lépreux ! —

  La pauvre enfant disait
Au grand Sénéchal, ce jour-là :

  — Monsieur le Sénéchal, si vous m’aimez,
Vous me rendrez ma mère chérie ;

  Vous me rendrez ma mère chérie.
Je mourrai pour elle, s’il le faut. —

  Le grand Sénéchal disait
A l’enfant de cinq ans, en ce moment ;

  — Ce temps-là n’est pas encore venu,
Où l’un meurt pour l’autre. —

  La pauvre femme disait
Alors à son enfant de cinq ans :

  — Ma pauvre enfant, retire-toi,
Je me retrouverai à la maison dans trois jours ! —


  L’enfant de cinq ans disait.
En arrivant à la maison :

  — Il n’y a pas d’enfant sur la terre
Qui ait autant que moi de chagrin ;

  Ma mère a été pendue et brûlée.
Et mon pauvre père est lépreux !

  J’ai un petit frère sur la montagne
A qui l’on a bâti une maison neuve ;

  Une maison neuve, peinte en blanc,
Comme celles que l’on bâtit aux lépreux.

III

  L’enfant de cinq ans disait,
En sortant de la maison :

  — Je vais laver sa chemise à mon père,
Il y a trois ans qu’elle n’a été lavée ;

  Il y a trois ans qu’elle n’a été lavée.
Je crains qu’elle ne soit pourrie sur lui ! —

  L’enfant de cinq ans disait,
En arrivant à la porte de son père :

  — Mon père chéri, dites-moi,
Voulez-vous que je vous lave votre chemise ?

  Voilà trois ans qu’elle n’a été lavée,
Je crains qu’elle ne soit pourrie sur vous. —

  Son pauvre père demandait
Alors à l’enfant de cinq ans :

  — Que vous est-il donc arrivé,
Que vous êtes venue si jeune me voir ? —

  — Il n’y a pas d’enfant sur la terre
Qui ait autant que moi de chagrin ;

  Ma mère a été pendue et brûlée,
Et vous, mon père, vous êtes lépreux ! —

  — Et quel crime a-t-elle donc commis,
Pour avoir été pendue et brûlée ? —

  — Un petit enfant a été trouvé dans son lit,
Avec un couteau tout nu dans le côté ;

  Et on le lui a attribué,
Et pourtant elle dit qu’elle n’est pas coupable, —

  Son pauvre père disait
Alors à l’enfant de cinq ans ;

  — Mon enfant chérie, retire-toi.
De peur d’attraper la lèpre, par le trou de la serrure !


  L’enfant de cinq ans, en entendant cela,
A mis la tête à la fenêtre ;

  Elle a mis la tête à la fenêtre.
Et leurs cœurs à tous les deux se sont brisés !

  La bénédiction de Dieu soit sur leurs âmes,
Ils sont allés tous les deux devant Dieu !


Chanté par le Petit-Tailleur
Plouaret, 1863.


________


MARIE LE CAPITAINE.
________


I

  Ecoutez tous, et vous entendrez
Un gwerz nouvellement composé ;

Un gwerz nouvellement composé,
C’est à Marie Le Capitaine qu’il a été fait ;

  A son frère le clerc comme à elle,
Car il a eu la même mort qu’elle.

II

  Marie Le Capitaine disait,
En quittant la maison :

  — Chère penherès, restez-là,
Moi, je vais faire une promenade ;

  Moi, je vais faire une promenade,
Je serai de retour dans trois jours. —

  Marie Le Capitaine disait,
En arrivant chez son frère le clerc :

  Bonjour et joie à tous, dans cette maison,
Où est mon frère le clerc ? —

  La petite servante répondit
A Marie Le Capitaine, en l’entendant :

  — Votre frère le clerc n’est pas à la maison,
Il est sorti depuis ce matin. —

Marie Le Capitaine ayant entendu cela,
Alla aussitôt au jardin ;


  Elle alla aussitôt au jardin,
Et donna le jour à un petit enfant ;

Elle donna le jour à un petit enfant,
Et le planta dans la terre …
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

III

  La penherès sanglotait
Et ne trouvait personne pour la consoler ;

  Et ne trouvait personne pour la consoler.
Si ce n’est sa marraine, celle-là le faisait :

  — Consolez-vous, ma filleule, ne pleurez pas,
Vous viendrez avec moi à Lanwenn[38] ;

  Vous viendrez avec moi à Lanwenn,
Et je vous mettrai en chambre avec mes demoiselles.

  — Taisez-vous, marraine, il fait beau dire,
Jusqu’à ce qu’il s’agit de voir.

  Je vais maintenant à la lande de Plounevez,
Pour savoir si ma mère est encore en vie ! —

  À chaque pas qu’elle disait,
Elle s’affaissait à terre.

  En arrivant à la lande de Plounevez,
Elle s’est agenouillée au pied de la potence ;

  Elle s’est agenouillée au pied de la potence
Et a demande pardon pour sa mère.

  — Monsieur le Sénéchal, laissez ma mère en vie,
J’irai à la mort à sa place ! —

  — Le jour n’est pas encore venu
Où l’un peut mourir pour l’autre. —

  — J’ai dix-huit mille francs de revenus,
Et autant en terre neuve ;

  Autant en terre neuve,
Et je vous donnerai tout cela. —
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

IV

  Marie Le Capitaine disait
En mettant le pied sur le plus haut degré de l’échelle :


  — Mon frère le clerc se sera pas pendu,
Car celui-là n’est pas coupable ! —

  — Le trouve mauvais qui voudra,
Le clerc Le Capitaine sera pendu ! —

  Le clerc Le Capitaine disait,
En mettant le pied sur le plus haut degré de l’échelle :

  — Si c’était la volonté de Dieu
Qu’un arbre s’élevât au bout de trois jours

  Sur le pont de Châteauneuf,
Afin de manifester la vérité ! —

V

  La petite mineure de cinq ans disait.
En revenant de la lande de Plounevez :

  — Il n’y a pas d’enfant sur la terre
Qui ait autant que moi de chagrin !

  Ma mère a été pendue et brûlée,
Et mon pauvre père est lépreux ! —

  La petite mineure de cinq ans disait,
En arrivant sur le pont de Châteauneuf :

  — Gens de la justice, vous avez failli,
En pendant mon oncle le clerc !

  Je vois un arbre de trois jours
Sur le pont de Châteauneuf ! —

  La petite mineure de cinq ans disait,
En arrivant à la porte de son père :

  — Ouvrez-moi votre porte, mon père,
Pour que je vous change votre chemise ;

  Pour que je vous change votre chemise,
Il y a dix-huit mois que vous n’en avez changé. —

  — Chère penherès, retirez-vous de là,
Car si le vent change de côté,

  Si le vent change de côté,
Vous attraperez la lèpre par le trou de la serrure !

  Je suis ici mangé par les vers,
Bientôt ils m’entameront le cœur ! —

  — Que le vent souffle du côté qu’il voudra,
Je voudrais être morte !

Il n’y a pas d’enfant sur la terre
Qui ait autant de chagrin que moi !


  Ma mère a été pendue et brûlée,
Et ses cendres ont été jetées au vent ! —

  — Quel crime a-t-elle donc commis,
Pour avoir mérité d’être brûlée ? —

  — Elle était allée chez mon oncle le clerc,
Hélas ! il n’était pas à la maison ;

  Elle donna le jour à un petit enfant,
Et le planta en terre, —

  — Et pourquoi a-t-elle fait cela ?
Elle pouvait rejeter la faute sur moi —
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Chanté par Marie-Job Kado,
Plouaret, 1849.


________


IANNIK COQUART.
PREMIÈRE VERSION.
________


I

  Iannik Coquart, de Ploumilliau,
Est le plus beau fils de paysan qui soit dans le pays ;
C’est la fleur des jeunes gens, (1)[39]
Le petit cœur des demoiselles.

  Quand Ervoanik Coquart allait à la lieue de grève, [1][40]
Les jolies filles accouraient sur le seuil de leurs maisons.
En se disant l’une à l’autre :
— C’est Ervoanik Coquart qui passe ! —

  Ervoanik Coquart a dit
A ses parents, en arrivant à la maison :
— Mon père et ma mère, si vous êtes contents,
J’épouserai une jolie fille ;

  J’épouserai Marie Tili,
On donne avec elle une dot considérable :
On lui donne sept métairies,
Et plein un boisseau d’argent,


  Plein la grande jatte de fil blanc,
Une charrette ferrée et un attelage ! —
Le vieux Goauart répondit
Alors à son fils Iannik :

  — Vous n’épouserez pas Marie Tili,
Car on la reprocherait à vous et à nous ;
On la reprocherait à nous et à vous,
Car vous épouseriez une lépreuse ! —

  — Mon père et ma mère, au moins,
Laissez-moi aller au pardon ;
Laissez-moi aller au pardon,
Au Folgoat ou à Sainte-Anne, —

  — Si vous allez au pardon au Folgoat,
Que Dieu vous donne bon voyage ;
Que Dieu vous donne bon voyage,
Et de bonnes nouvelles à vos parents, à la maison !

II

  Comme il passait par Morlaix,
Il rencontra sa Lépreuse.
— Iannik Coquart, mon bien-aimé,
Où allez-vous ainsi ? —

  — Je vais au pardon du Folgoat,
Sans chaussure, sans bas et à pied. —
— Iannik Coquart, mon bien-aimé,
Permettez-moi de vous accompagner,

  Pour demander à Dieu la grâce
De coucher tous les deux dans le même lit ;
Coucher dans le même lit,
Et manger dans la même écuelle. —

  De Morlaix à Plouvorn,
Ils sont allés en se tenant par la main.
Marie Tili disait,
En passant devant la porte de son père :

  — Cher Iannik, attendez un peu
Que j’entre pour parler à ma mère,
Pour lui demander si elle a de quoi
Pour nous donner à souper à tous les deux. —

. . . . . . . . . . . . . . . . . .

  — Ma fille chérie, j’ai entendu dire
Que Iannik Coquart est marié ;
Quand il sera à table, à souper,
Ma fille, demandez-le lui ;


  Et suivant ce qu’il dira, s’il est chrétien,
Donnez-lui sa croix d’extrême-onction ;
Donnez-lui sa croix d’extrême-onction,
Avec un cerceuil de quatre planches ! —

  — Iannik Coquart, mon bien-aimé,
Avouez-moi la vérité ;
Avouez-moi la vérité,
Avez-vous femme et enfants ? —

  — Oui, j’ai femme et enfants, [1][41]
Et je voudrais être auprès d’eux. —
— Iannik Coquart, mon bien-aimé,
Acceptez à boire de moi ;

  Je ne vous donnerai pas de vin blanc.
De crainte qu’il ne vous monte à la tête ;
Je vous verserai du vin clairet,
Qui vous donnera des forces pour marcher. —

III

  Quand Iannik Coquart allait chercher de l’eau,
Il ne savait pas qu’il était malade ;
Il ne savait pas qu’il était malade,
Jusqu’à ce qu’il eut regardé dans l’eau.

  Quand il regarda dans la fontaine,
(Il vit) qu’il était pourri de lèpre ! (1)[42]
Iannik Coquart disait
A son père et à sa mère, en arrivant :

  — Mon père et ma mère, si vous m’aimez,
Vous me bâtirez une maison neuve ;
Bâtissez-moi une maison neuve sur le bord de la lande,
Près du chemin qui mène à Saint-Jean ;

  Et faites une fenêtre dans le pignon,
Pour que je puisse voir la procession,
Avec la grande bannière de Ploumilliau,
Allant vers saint Cado.

  La grande bannière autour du cimetière,
Que de fois ne l’ai-je pas portée !
Oui, je l’ai portée bien souvent,
Mais je ne la porterai plus, hélas ! —

Son père et sa mère disaient
A Iannik Coquart, en ce moment :
— Iannik Coquart, dites-nous,
Qu’est-ce qui vous a donné la lèpre ? —


  — C’est en buvant du vin, à plein verre,
Versé par une jeune fille que j’aimais ;
En buvant du vin empoisonné
Par une lépreuse maudite ! —

IV

  Marie Tili disait,
En arrivant à Morlaix :
— J’ai aimé dix-huit clercs,
Et je leur ai donné la lèpre à tous ;

  Mais Iannik Coquart, le dernier,
Me brise le cœur !
Une goutte de sang de mon petit doigt,
Donnerait la lèpre à cent, comme à un seul ! —


Recueilli par P. Proux, en la commune de Plouigneau,
près Morlaix. — 1863.
________



IANNIK COQUARD.


SECONDS VERSION.
________


I

  Iannik Coquart, de Ploumilliau,
Est le plus beau paysan du pays ;
Il est le roi des paysans
Et le petit cœur des demoiselles.

  Iannik Coquart disait
Un jour, à son père et à sa mère :
— Je vous demande votre congé pour me marier,
Pour me marier avec Marie Tili ;

  Pour me marier avec Marie Tili,
On lui donne une dot considérable :
On donne avec elle quatre vaches à lait,
Bon commencement de ménage ;

  Avec une au choix de trois fermes
Et plein un boisseau d’argent —
On donne une charrette avec son attelage,
Et plein un tonneau de fil blanc. —

  Son père et sa mère disaient
À leur fils Iannik, en ce moment :
— Sauf votre grâce, mon fils, vous ne l’aurez pas,
Ni elle ni aucune autre fille de lépreux. —


II

  Marie Tili disait,
En arrivant chez le vieux Coquart :
— Donnez-moi escabeau pour m’asseoir,
Si je dois être belle-fille dans cette maison. —

  — Belle-fille dans cette maison vous ne serez,
Ni vous, ni aucune autre fille de lépreux. —
— Jamais vous n’éprouverez de plus grande douleur
Que pour avoir appelé mon père lépreux ! —

III

  Iannik Coquart disait
Un jour, à son père et à sa mère :
— Votre congé, ma mère et mon père,
Pour aller au pardon du Folgoat. —

  — Allez, mon fils, allez au Folgoat,
Et allez-y en bonne compagnie —
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  Comme il était en route, pour s’y rendre,
Il rencontra Marie Tili :
— Iannik Coquart, dites-moi,
Où allez-vous, où avez-vous été ? —

  — Je vais au pardon du Folgoat,
Que Dieu me donne bon pardon ;
Que Dieu me donne bon pardon,
Et à mes parents, à la maison, bonne nouvelle !
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  Marie Tili disait,
En arrivant à Plouvorn :
— Versez-moi du vin à boire,
Versez-moi de votre meilleur vin :

  Versez-moi du vin clairet,
Le vin qui plaît au cœur des femmes ! —
Ils burent dans le même verre
Et couchèrent dans le même lit.....
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

IV

  Quand Iannik Coquart allait prendre de l’eau,
Il ne savait pas qu’il était malade,
Jusqu’à ce qu’il vint à regarder dans l’eau,
Et qu’il vit qu’il se dépeçait par la maladie !

  Iannik Coquart disait
A sa mère, en arrivant à la maison :
— Voici, ma mère, l’eau que j’ai été vous prendre,
Mais, au nom de Dieu, n’en buvez pas.


  Si je voulais le dire,
Je sais où j’ai été empoisonné :
C’est en buvant du vin dans le même verre
Qu’une jeune fille que j’aimais ;

  En buvant du vin dans le verre
D’une fille qui était lépreuse !
Et si voulaient mon père et ma mère
Me donner cent écus et un bon cheval,

  J’irais à la rivière du Jourdain,
Où les lépreux recouvrent la santé ;
Là où notre Sauveur fut baptisé,
Il y a remède contre toutes les maladies.

  Si vous vouliez, ma mère et mon père,
Me donner cent écus et un bon cheval,
J’irais à la rivière du Jourdain,
Où les lépreux recouvrent la santé ? —

  — Vous n’irez pas à la rivière du Jourdain,
Mais vous serez conduit au Klandi ;
Vous serez conduit à la lande du malade,
Sur le bord du chemin qui mène à Saint-Jean. —

  — Si vous me faites bâtir une maison neuve,
Faites-la bâtir sur la lande du Klandi,
Pour que je puisse voir les pèlerins
Qui si rendent au mois de mai au Guéodet.

  Et qu’il y ait une fenêtre dans le pignon,
Pour que je puisse voir la procession ;
Pour que je puisse voir la procession
A Ploumilliau, le jour du pardon.

  Pour que je voie la grande bannière de Ploumilliau ,
(Je l’ai portée plus d’une fois ! )
Mettez aussi une fenêtre sur le côté,
Pour que je puisse voir la Villeneuve ;

  Pour que je puisse voir la Villeneuve,
Car c’est là qu’est mon amour ! —

V

  Marie Tili disait
A son père, en arrivant à la maison :
— J’ai donné la lèpre à dix-huit jeunes gens,
Et Iannik Coquart est le dix-neuvième ;

Iannik Coquart, le dernier,
M’a brisé le cœur !
Avec une goutte de sang de mon petit doigt,
Je donnerais la lèpre à cent, comme à un seul ! —


Chanté par Marie Clech, sabotière de la forêt
de Beffou. — 1863.

  Iannik Coquart disait,
Un jour, à son père et à sa mère :
— Men père, ma mère, si vous m’aimez,
Vous ne m’enverrez pas aux marchés,

  A cause de Marie Tili ;
Je ne passe jamais devant sa maison,
Je ne passe jamais devant sa maison
Sans obtenir d’elle an compliment :

  Sur la table il y a une nappe blanche,
Un vase rempli de beurre jaune,
El une tourte de pain de miche (pain blanc},
Et elle tient à la main deux verres ;

  Elle tient à la main deux verres,
L’un de vin rouge, l’autre de vin blanc —
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  Marie Tili disait,
En arrivant chez Jean Coquart :
— Bonjour et joie à tous dans cette maison,
Donnez-moi un escabeau pour m’asseoir ;

  Donnez-moi un escabeau pour m’asseoir,
Si je dois être belle-fille dans cette maison. —
Le vieux Coquart répondit
À Marie Tili, quand il l’entendit :

  — Belle-fille dans cette maison vous ne serez,
Ni vous, ni aucune fille de lépreux ! —
— Jamais vous n’aurez eu de crève-cœur,
Comme pour avoir appelé mon père lépreux ! —
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  Jamais je ne vis de plus belle maison,
Qu’une léproserie ;
Il y a là petite cour et grande cour,
Comme chez le seigneur de Roc’hlaz ;

  Il y a là grande cour et petite cour,
Comme chez le seigneur de Coat-Hooan
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  Dur eut été le cœur de celui qui n’eut pleuré,
Etant à Ploumilliau,
En voyant la croix et la bannière,
Et les prêtres et les clercs,
Conduisant Iannik à sa maison neuve ! …



Michel-en-Grève. Roc’hlaz, dans cette même commune, était un château dont il ne reste plus aujourd’hui que quelques ruines sans importance. Coat-Ronan était aussi un manoir noble d’une commune avoisinante. La Villeneuve (ar Gernewez) est à cinq cents mètres, environ, du bourg de Ploumilliau, sur le bord de la route de Saint-Michel-en-Gréve. Quant au bourg de Plouvorn, dans le Finistère, il est bien sur la route que devaient suivre les pèlerins des Côtes-du-Nord, pour se rendre au Folgoat.

LA FEMME AUX DEUX MARIS.
PREMIÈRE VERSION.
________


I

  Quand j’allais prendre de l’eau à la fontaine de Gwashalec,
Je rencontrai un homme vêtu d’écarlate rouge.

  Et lui de me demander : — Femme, êtes-vous mariée ? —
Hélas ! j’étais jeune, et je lui dis que je ne l’étais pas.

  Et lui de me conduire près d’un buisson de saule,
Et de me garder là quelque temps pour me conter fleurettes

  — J’ai une marâtre, la plus méchante femme qui ait vu le jour,
Et quand j’arriverai à la maison, je serai gourmandée. —

  — Dites à votre marâtre, la plus méchante femme qui ait vu le jour :
La fontaine est loin, et l’eau était troublée ;

La fontaine est loin, et l’eau était troublée
Par le cheval d’un cavalier, qui revenait de Nantes —

II

  Quand j’étais à Keridon, à Keridon, revenant,
J’entendais une voix qui était (1)[43] .........

  Et les sonneurs qui sonnaient, sonnaient aux gens de la noce,
Et moi de presser mon cheval, pensant arriver de bonne heure ;

  Et moi de presser mon cheval, pensant arriver de bonne heure,
Hélas ! quand j’arrivai, on allait se coucher.

  — Ouvrez-moi votre porte, jeune femme deux fois mariée,
Le vent est cruel, et mes deux mains sont engourdies ;

  Le vent est cruel, et mes deux mains sont engourdies
A tenir la bride de mon cheval, et mon épée dorée. —

  — Allez à Keridon, là vous serez logé,
Demain, quand il fera jour, j’irai vous voir là,

  Et je vous porterai votre part de mon festin de noces,
Un quartier de mouton et un autre de bécasse ;

  Un quartier de mouton et un autre de bécasse,
Et un peu de vin d’Espagne, pour vous désaltérer. —


  — Ce n’est pas là ce que je veux, femme deux fois mariée ;
Ouvrez-moi votre porte, mes deux mains sont engourdies ;

  Ouvrez-moi votre porte, mes deux mains sont engourdies,
A tenir la bride de mon cheval, et mon épée dorée.

  Je vous ai apporté ce que je vous avais promis,
Une quenouillée de laine d’Espagne, dorée aux deux bouts.

  Ouvrez-moi votre porte, femme deux fois mariée,
C’est moi qui vous avais acheté votre premier anneau de noces ;

  Regardez votre petit doigt, celui de la main gauche,
Et vous me croirez, quand je dis des vérités. —

  Quand elle regarde son petit doigt, et qu’elle réfléchit :
— Oh ! oui, c’est bien vous, entrez vite dans la maison !... —
. . . . . . . . . . . . . . . . . .


Chanté par Marie Maho. — 1867.

(1) La pièce est sans doute incomplète. Les villages qui portent le nom de Gwazhalec (Ruisseau des Saules) sont nombreux en Basse-Bretagne. Il y en a un dans la commune de Plounevez-Moëdec, auprès de la charmante chapelle de Keranmanac’h, ancienne aumônerie aux Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, dont la construction remonte au XVe siècle. J’ai recueilli cette version non loin de là, d’une jeune fille nommée Marie Maho.

LA FEMME AUX DEUX MARIS.
SECONDE VERSION.
________


I

  J’ai la fièvre, et elle m’a fort malmenée.
— Si vous vouliez manger après l’avoir tremblée ;

  Si vous vouliez manger après l'avoir tremblée,
Votre cœur aurait plus de force pour résister au mal. —

  J’ai une marâtre qui est bien dure,
Deux, trois heures avant le jour, hélas ! je suis levée :

  Deux, trois heures avant le jour, hélas ! je suis levée,
Pour aller chercher de l’eau à la fontaine de Gwashalec.

  La nuit était bien noire et l’eau était troublée,
Par le cheval d’un cavalier qui revenait de Nantes :

  Et lui de me demander : — Jeune fille, êtes-vous mariée ? —
Et moi, je fus assez sotte pour lui dire que je ne l’étais pas.

  Et lui de me prendre par la main et de me conduire dans une genêtaie,
Et de me mettre sur les genoux deux ou trois cents écus ;

  Et de me mettre sur les genoux deux ou trois cents écus,
Avec un mouchoir de coton et un anneau doré :

  — Retournez à la maison, jeune fille, et dites que vous êtes mariée ;
Au bout de sept ans, je reviendrai vous voir. —

II

  — Comme j’étais à Keridon, ma maîtresse, revenant vous voir,
J’entendais clairement les sonneurs de votre noce.

  Ouvrez-moi votre porte, jeune femme nouvellement mariée,
La bride de mon cheval est rompue et mon page s’est égaré. —

  — Je n’ouvrirai ma porte ni à vous, ni à nul autre,
Je suis ici couchée à côté de mon mari ;

  Je suis ici couchée à côté de mon mari,
Et si je le réveille, il m’en voudra —

  Quand la porte fut ouverte et la lumière allumée,
Leurs cœurs à tous les deux se brisèrent aussitôt ! (1)


Chanté par Marie-Louise Loyer.


(1) Rapprocher cette pièce et la précédente de celle du Barzaz Breiz : le frère de lait (page 163, 6e édition).

LES DEUX MOINES


ET LA JEUNE FILLE.


PREMIÈRE VERSION.
________


I

  Dans la ville de Rudon sur la route qui mène à Rome,
On a bâti un couvent neuf, où des moines demeurent ;

  On a bâti un couvent neuf, où demeurent de jeunes moines,
Qui ne cessent, ni la nuit ni le jour, de débaucher les jolies filles.

  Il y avait une petite mineure, qui était très-dévote,
Et qui allait tous les jours prier Dieu au couvent de St-François.

  Vint un des moines, qui lui dit :
— Venez avec moi, jeune mineure, venez avec moi à la maison ;

  Venez avec moi, jeune mineure, venez avec moi dans ma chambre,
Je vous montrerai les tableaux, les mystères excellents. —

  Quand elle entra dans la chambre du moine,
Les portes furent aussitôt fermées sur elle ;

  Et pendant l’espace de sept mois, l’espace de sept mois entiers,
Fut la jeune mineure, sans voir ni le jour ni la nuit ;

  Fut la jeune mineure, sans voir ni le jour ni la nuit,
(Nul autre) que les deux jeunes jacobins qui la visitaient chaque nuit.

  Et au bout de huit mois, elle se trouva enceinte,
Et les deux jeunes jacobins furent alors fort inquiets.

  Vint un des deux qui lui dit :
— Hélas ! jeune mineure, que faire ?

  Hélas! jeune mineure, que faire,
Il est arrivé un nouveau vicaire général, et nous serons tous visités

  — De grâce, père Ollivier, conduisez-moi dans la salle d’étude,
Il n’est m vicaire ni évêque qui vienne me chercher là. —

  Vint un des moines, qui lui dit :
— Ecoutez, jeune mineure, et obéissez-nous :

  Dépéchez-vous, mineure, de mettre vos pantoufles.
Pour venir à l’église dire vos vêpres ;

  Pour venir à l’église dire vos vêpres,
Si vous ne pouvez les dire à la lumière du jour, vous les direz à la chandelle. —

Un jeune clerc, harrassé de fatigue,
Vint demander à loger au couvent des Franciscains.


  Vint un des moines, qui lui dit :
— Retirez-vous, mon ami, ici on ne loge personne. —

  Et lui de s’en retourner alors, de revenir sur ses pas,
Et de se mettre dans un confessionnal, au bas de l’église.

  Environ trois heures avant le jour, il eut une grande frayeur,
En voyant allumer de la chandelle sur l’angle du maitre-autel.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  Et la pauvre mineure, saisie d’épouvante,
Demandait du fond du cœur le sacrement de l’extrême-onction ;

  Elle demandait du fond du cœur le sacrement de l’extrême-onction,
Et pour l’enfant qu’elle portait, elle demandait le baptême.

  — Taisez-vous, jeune mineure, taisez-vous et ne pleurez pas,
Car vous n’êtes pas la première, la dernière je ne dis pas :

  Il y a là neuf filles, créature en chacune d’elles,
En vérité, Françoise, cela fait dix-huit !

  Nos cœurs à nous sont devenus comme le fer ou le chêne ;
Voilà, Françoise, l’endroit où repose votre cousine ! —

II

  Le jeune clerc disait, saisi d’épouvante,
En arrivant, le lendemain matin chez l’hôtesse :

  — Apportez-moi, hôtesse, du vin rouge de votre meilleur,
Pour que je retrouve ma mémoire, que j’ai perdue cette nuit ;

  Pour que je retrouve ma mémoire que j’ai perdue cette nuit,
Car j’ai vu cette nuit ce que personne au monde ne voudrait faire ;

  J’ai vu tuer une femme, la plus jolie que jamais je vis,
Et, sur ma foi d’honnête homme, je crois qu’elle était enceinte ! —

  Et l’hôte demandait au clerc, en l’entendant :
— Reconnaîtriez-vous ces gens-là, si vous les voyiez sur pied ? —

  — Faites sonner les cloches et sortir la procession,
S’ils marchent sur le pavé, je les reconnaîtrai certainement... —

  — Celui qui porte l’ostensoir, est l’homme aux couteaux, (1)[44]
Celui qui porte le ciboire, tenait la chandelle !

  Saisissez-les, archers, saisissez-les sur le champ,
Car ceux-là ont commis un meurtre que nul au monde n’aurait commis ;

  Ils ont tué une femme, la plus jolie que jamais je vis :
Sur ma foi d’honnête homme, grande devait être leur méchanceté !

.

III

  Son parâtre disait, agenouillé sur sa tombe :
— Est-il possible, Françoise, que tu sois là !

  J’ai été sept mois en prison, condamné à être pendu,
À cause de toi, Françoise, que l’on me reprochait ! —


Chanté par Marie-Josèphe Kerival. Keramborgne, 1849.


VARIANTE.


  Celui de devant, qui encensait, tenait la chandelle ;
Celui qui portait l’ostensoir, était l’homme aux couteaux,

  — Approchez, monsieur le recteur, venez vite
Arracher le Seigneur Dieu d’entre les mains du méchant ! —

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


  Sous dix-sept jours leur procès fut fait.
Ils furent condamnés par le Parlement à être décapités.

  On leur lut la sentence rigoureuse,
Et ils furent conduits par le bourreau jusqu’à la potence ;

  Ils furent conduits par lui jusqu’au dernier degré de l’échelle,
Et là ils durent mourir jusqu’au jugement dernier !


________


LES DEUX MOINES


ET LA JEUNE FILLE.


SECONDE VERSION.
________


I

  Entre la vallée de Rudono[45] et le chemin qui mène à Rome,
On a bâti un couvent neuf, où des moines demeurent ;

  On a bâti un couvent neuf, où demeurent de jeunes moines
Qui ne cessent, ni la nuit ni le jour, de débaucher les jolies filles.

  Il y a dans la ville une mineure qui est très-dévote ;
Elle va tous les dimanches à la messe, et souvent sur la semaine :

  Elle va tous les dimanches à la messe, sur la semaine, quelquefois,
A l’église de Saint-François, pour réciter ses heures.

  Et deux jeunes jacobins d’aller lui parler :
— Venez avec nous, mineure, venez avec nous dans notre maison ;

  Venez avec nous, mineure, venez avec nous dans notre chambre,
Nous vous expliquerons les tableaux, les mystères excellents. —

II

  Quand elle y eut été neuf mois, ils lui dirent :
— Mon Dieu, petite mineure, que ferons-nous ?

  Mon Dieu, petite mineure, que faire ?
Le vicaire-général est arrivé au couvent, pour nous visiter. —

  Et ils demandèrent conseil. Lucifer leur conseilla
De la tuer et de l’enterrer au coin du maître-autel

  Un mendiant, logé dans l’église, fut saisi de frayeur.
De voir ce qui arriva cette nuit-là à la pauvre fille.

  Le moine Le Cardinal lui dit :[46]
— Récite ton in manus quand tu voudras, car voici l’heure où tu mourras ! —

  Et elle de demander grâce pour sa vie,
Et le baptême pour le fruit qu’elle portait.

  Pour son petit enfant elle implorait le baptême,
Et pour elle-même le sacrement de l’extrême-onction.

  Mais le grand moine alors saisit une pelle,
En frappa la mineure et l’étendit par terre.


  Il lui a donné sept coups de pelle, sans faillir,
Et l’enfant et la mineure, il les a tués tous les deux !

  Alors ils rentrèrent dans le couvent et cachèrent leurs vêtements,
Par crainte de la recherche, car il y avait du sang !

  Le lendemain matin, quand le jour eut jailli,
Un des deux moines ouvrit la porte (de l’église).

  Le mendiant sortit aussitôt de l’église
Et entra dans une auberge :

  — Donnez-moi un morceau à manger et une goutte à boire,
Pour que je recouvre la mémoire, que j’ai perdue cette nuit :

  J’ai vu tuer cette nuit une mineure,
Et je crains bien, mon Dieu, qu’elle ne fut enceinte.

  Car je crois avoir entendu la voix de son enfant ;
Mais il avait beau crier, on l’a tué quand même ! —

  Des gens qui étaient dans l’auberge sortirent,
Pour faire leur déclaration, dès qu’ils entendirent cela.

  Le vicaire (général) disait au mendiant, en l’interrogeant :
— Prenez bien garde, mendiant, à ce que vous dites !

  Prenez bien garde, mendiant, à ce que vous dites,
Et que vous ne chargiez mes ministres, sans raison ! —

  — Vraiment, monsieur le vicaire, si vous ne me croyez pas,
Faites une procession, et alors on verra ;

  Ordonnez une procession, faites-les défiler,
Ils ne ressemblent pas aux autres, ils ont du sang sur leurs chaussures. —
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  On creusa la terre a l’endroit où elle avait été mise,
Et on trouva son corps là où le mendiant avait dit.

  Les deux moines ont été arrêtés alors et conduits en prison ;
C’est à Paris qu’ils reçurent leur condamnation.

  Il leur a fallu faire trois fois le tour de l’église,
Pour leur pénitence, les hommes indignes et cruels !

  On leur revêtit a chacun une chemise enduite de résine,
Puis leurs corps furent consumés sur un grand bûcher ;

  Puis leurs corps furent consumés sur un grand bûcher,
Pour faire un exemple pour ceux qui devaient les remplacer.

  Le grand moine disait, en entrant dans le feu :
— Donnez-moi force et courage pour pouvoir résister,

  Et faire pénitence de ma méchanceté !
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  Hélas ! ma mémoire, pourquoi n’avais-je jamais pensé
Que je serais condamné à mourir à cause d’une fille !

  Beaucoup de jeunes filles pourront dire, à présent,
Que j’ai couché avec elles, et pris leur virginité ... —


  Maintenant que le moine est mort, les maris pourront
Porter son deuil (s’en réjouir) parce qu’ils seront délivrés de lui.

  Et pourtant les femmes sont, dit-on, désolées,
Et regrettent l’heure où fut consumé le moine, le paillard.

  Il finit sa vie avec beaucoup d’angoisse,
En laissant dans ce monde beaucoup dans la pénitence.

  Et depuis qu’il est mort, on n’a jamais entendu dire,
Comme il disait, quand il était en vie, qu’il soit revenu :

  Mais depuis qu’il est mort et mis en terre,
Il n’a pas obtenu de plus grand privilège que les autres !

  Mais laissons le moine, parce qu’il était un homme redoutable !
Pendant qu’il a été dans ce monde, il a mené joyeuse vie !

  Il disait encore, l’homme indigne, le méchant,
Qu’il n’avait aucun scrupule en allant de l’autre côté !


Chanté par une servante d’auberge du bourg de Pleubihan.
Avril 1864.


________


Une autre version présente les variantes qui suivent :

  — Celui-là qui est sur le marchepied (à l’autel), tenait la chandelle,
Son camarade, le père Ollivier, était l’homme aux couteaux. —

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  Dur eut été le cœur, bien dur, de celui qui n’eut pleuré
Dans l’église de Saint-François, un dimanche, à midi ;

  Dans l’église de Saint -François, un dimanche, à midi,
En voyant le père de la jeune fille, en voyant comme il criait :

  Mon procès était fait, j’étais condamné à être mis en morceaux,
A cause de toi, chère mineure, de toi qu’on me reprochait ;

  A cause de toi, chère mineure, de toi qu’on me reprochait,
Vive ou morte, il me fallait te retrouver ! —


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plus d’ardeur, j’interrogeais les aveugles, les fileuses, les tailleurs, les sabotiers dans leurs huttes, les vieillards ; je leur citais les couplets, les beaux vers que j’avais retenus à les entendre réciter à mon ami, ou pour les avoir lus dans un livre auquel j’avais voué une grande admiration, le Barzaz-Breiz, et tous me répondaient invariablement, et en secouant la tête d’un air de doute : « Nous n’avons jamais entendu rien de semblable. » J’en venais alors à douter du mérite et de l’utilité de mes recherches et j’y renonçais parfois : mais j’y revenais toujours, pour mon propre plaisir, et sans aucune idée bien arrêtée de publicité, du moins dans les premiers temps. Les pauvres gwerz et sônes, trop souvent incomplets, incohérents, bizarres, naïfs, que je copiais sous la dictée de nos paysans me semblaient si pâles, si mal tournés, si rustiques, à côté des belles ballades toujours si régulières, si poétiques, si parfaites de mon ami et du Barzaz-Breiz. Et pourtant j’y trouvais un charme inexprimable ; j’avais toujours sur moi du papier blanc et un crayon, et je ne manquais jamais une occasion de recueillir un gwerz ou un sône que je n’avais pas encore, ou une version différant sur quelque point de celles que je possédais déjà. Aussi puis-je dire en toute sincérité que mon livre est un livre de bonne foi, ce qui en sera sans doute le principal mérite. Toutes les pièces qui s’y trouvent, sans exception, peuvent se recueillir encore dans le pays. Si on ne les trouve pas toujours dans les communes, et dans la bouche des personnes que j’ai indiquées (car quelques-unes sont mortes), on les trouvera certainement dans quelqu’autre commune voisine. Chez nous, nul n’emporte dans la tombe le secret d’une tradition orale ou d’un chant populaire légué par les aïeux de génération en génération, et venu avec eux, peut-être, des pays lointains où fut leur berceau. C’est là un patrimoine commun, et il est assez riche pour que chacun de nous y ait une part aussi large qu’il le peut désirer.


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LES AUBRAYS.
PREMIÈRE VERSION. [1][47]
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I

  Entre Koat-ar-Skevel et Lezobre
S’est élevé un combat nouveau ;

  Ceux-là ont élevé un combat,
Que Dieu leur donne bon combat !

  Que Dieu leur donne bon combat,
Et à leurs parents, à la maison, bonne nouvelle !

  Le marquis de Lezobre disait,
Un jour, à son petit page :

  — Selle-moi ma haquenée,
Que j’aille faire une promenade ;

  Mets-lui une bride d’argent en tète,
Et une selle dorée sur le dos ;

  Et une selle dorée sur le dos,
Aux deux pieds des fers d’or jaune ;

  Elle sera ferrée d’or jaune,
Pour aller à Sainte-Anne de Vannes. (1)[48]

II

  Le seigneur Lezobre disait,
En arrivant à Sainte-Anne :

  — Bonjour, madame sainte Anne,
Je suis venu bien jeune vous voir ;

  Je n’ai pas dix-huit ans accomplis
Et pourtant j’ai pris part à dix-huit combats ;

  Et je les ai tous gagnés,
Grâces à vous, sainte Anne de Vannes ;

Faites-moi encore gagner le dix-neuvième,
Et je vous donnerai cinquante écus ;

  Oui, cinquante écus, en argent blanc,
Et autant en or jaune ;

  Je vous ferai de plus un présent,
Qui sera beau le jour de votre pardon ;


  Je vous donnerai une croix d’or fin,
La plus belle qui sera à la foire de Quintin ;

  Je vous donnerai un tabernacle (un dai),
Et un sacrement (ostensoir) tout d’or ;

  Je vous donnerai encore une croix d’argent,
Avec un encensoir et une lampe ;

  Je vous donnerai encore une bannière blanche,
Avec sept clochettes d’argent à son extrémité ;

  Avec sept clochettes d’argent à son extrémité,
Et une tige de baleine pour la porter ;

  Garnitures pour vos sept autels,
Et une grande messe chaque vendredi :

  Je vous donnerai encore une ceinture de cire
Qui fera trois tours à votre muraille ;

  Qui fera trois fois le tour de votre maison,
Et viendra se nouer sur le marchepied (de l’autel). —

  Il n’avait pas fini de parler,
Que sainte Anne de Vannes prit la parole :

  — Vas au combat, dit-elle, Les Aubrays,
Je serai là aussitôt que toi ! —

III

  Le seigneur de Koat-ar-Skevel demandait,
Un jour, à Les Aubrays :

  — Je te souhaite le bonjour, Les Aubrays ;
Es-tu venu seul au combat ? —

  — Il n’est venu que moi pour combattre,
Il n’est venu que mon petit page et moi ;

  Il n’est venu que mon petit page et moi,
Et Dieu et la Vierge Marie ;

  La Vierge Marie bénie,
Et madame sainte Anne de Vannes ! —

  — J’ai des lettres de la part du roi,
Pour te tuer, Les Aubrays. —

  — Si vous avez des lettres de la part du roi,
Donnez-les moi, pour que je les lise. —

  — Le moindre soldat de ma troupe
Ne les donnerait pas à un âne comme toi ! —

  — Si je suis âne, bien certainement.
Je ne suis pas âne de nature ;

  Je ne suis pas âne de nature,
Mon père était, dit-on, un homme sage. —


  — Avant que tu t’en ailles de là,
je saurai si cela est vrai. —

  Il n’avait pas fini de parler,
Qu’il a étendu Koat-ar-Skevel à terre ;

  Il a étendu Koat-ar-Skevel à terre,
Ainsi que cinquante de ses soldats.

  Son petit page est de l’autre côté,
Et en fait autant, ou davantage.

  Koat-ar-Skevel disait
Au marquis de Les Aubrays, en ce moment :

  — Voudrais-tu m’écrire une lettre,
Pour l’envoyer à ma femme, qui est à la maison ?

  Pour l’envoyer à ma femme et à mes enfants,
Pour leur dire que leur père sera mort à l’armée ?

  Car mes enfants seraient déshonorés,
S’ils apprenaient que c’est contre toi que j’ai combattu ;

  S’ils apprenaient que c’est contre toi que j’ai combattu,
Puisque j’ai perdu le combat ! —


Chanté par Marie Daniel, commune de Duault.


________


LES AUBRAYS
ET LE MORE DU ROI.


SECONDE VERSION.
________


I

  Koat-ar-Ster et Les Aubrays
Se sont entendus au sujet d’un combat.

  Que Dieu leur donne bon voyage,
Et à ceux qui resteront à la maison, bonne nouvelle !

  Le seigneur Koat-ar-Ster disait,
En arrivant sur le pavé de Tréguier :

  — Bonjour et joie à vous tous dans cette ville,
Où est le seigneur Les Aubrays ? —

  — Si c’est Les Aubrays que vous demandez,
Seigneur Koat-ar-Ster, c’est à lui-même que vous parlez.

  — Tiens, voilà une lettre, Les Aubrays,
Qui t’est envoyée de la part du roi. —

  — Si elle m’est écrite par le roi,
Donnez-la moi alors, pour que je la lise. —


  — Le moindre soldat qui est dans ma troupe,
Ne te tendrait pas la main, âne ! —

  — Si je suis âne, bien certainement,
Je ne suis pas âne de nature ;

  Je ne suis pas âne de nature,
Car mon père avait la réputation d’être sage ;

  Si vous n’avez pas connu mon père,
Bientôt vous connaîtrez son fils ! ...

  Sellez, mon page, ma haquenée blanche,
Et mettez-lui une bride d’argent en tête,

  Et une selle dorée sur le dos,
Pour qu’elle soit belle pour porter un âne !

Et quand mon cheval tomberait à chaque pas,
Il faut que j’aille cette nuit à Vannes. —

II

  Le seigneur Les Aubrays disait,
En arrivant à Sainte-Anne :

  — J’ai pris part à dix-huit combats,
Et celui-ci sera le dix- neuvième ;

  Ce sera mon dix-neuvième, le dernier,
Car il me brisera le cœur.

  Je vous donnerai, ô Vierge, ma mère chérie,
Sept parures, pour vos sept autels. —

  Il n’avait pas fini de parler.
Que la Vierge lui a répondu :

  — Oh ! oui, tu es toujours mon fils,
Retourne, vite, à la maison, Les Aubrays ;

  Les Aubrays, retourne, vite, à la maison,
Et n’emmène personne avec toi au combat ;

  N’emmène personne avec toi à ce combat,
A moins que ce ne soit ton petit page. —

III

  Le seigneur Koat-ar-Ster dit
Au seigneur Les Aubrays, quand il l’entendit :

  — Vous n’êtes pas un homme aimé dans votre pays,
Puisque vous n’êtes pas venu avec des soldats. —

  A peine avait-il dit ces mots,
Que Koat-ar-Ster était couché à terre,

  Avec cinquante de ses soldats,
Et cinquante autres avaient pris la fuite !


  Mais huit jours après cela,
Une lettre était arrivée à Les Aubrays.

  — Les Aubrays, voilà une lettre,
Qui vous est envoyée de la part du roi. —

  — Si elle m’a été écrite par le roi,
Donnez-moi la, pour que je la lise. —

  — Il vous commande, dit le petit page,
D’aller jouer contre son More. —

  — Apprenez-moi donc, petit page,
Les manières et les ruses de guerre du More. —

  — Je ne vous apprendrai pas cela,
De crainte d’être dénoncé. —

  — Aussi vrai que j’ai la mort à passer,
Petit page, je n’en dirai jamais rien. —

  — Le More, sitôt qu’il sera entré dans la salle,
Mettra bas ses habits ;

  Faites comme lui, et quand il fera un bond en l’air,
Présentez votre épée pour le recevoir :

  Dès que vous le verrez dégainer,
Lancez-lui de l’eau bénite :

  Quand il vous demandera de le laisser se reposer,
Ne lui accordez pas de répit ;

  Car celui-là a sur lui des herbes,
Qui ne sont pas longtemps à guérir les blessures. —

  Cependant le More disait
Au seigneur Les Aubrays qui le serrait de près :

  — Seigneur Les Aubrays, si vous m’aimez,
Vous m’accorderez un peu de repos ? —

  — Ho ! ce n’est pas pour nous reposer
Que nous sommes venus tous les deux à ce jeu ! —
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  Plus tard le roi, tout désolé,
Dit à Les Aubrays :

  — Tu as tué le défenseur de ma vie,
Veux-tu rester avec moi dans mon palais ? —

  — Je ne resterai pas avec vous dans votre palais,
Car ma mère est veuve depuis peu de temps ! —


________


LES AUBRAYS
ET LE MORE DU ROI.


TROISIÈME VERSION.
________


I

  Entre Koat-ar-Skin [1][49]et Les Aubrays
A été arrêtée une armée (une rencontre) ;

  A été arrêté un combat ;
Que Dieu leur donne bon combat !

  Que Dieu leur donne bon combat,
Et à leurs parents, à la maison, bonne nouvelle ! ...

  Le seigneur Les Aubrays disait,
Un jour, à son petit page :

  — Selle-moi, vite, ma haquenée blanche,
Et mets-lui sa bride d’argent en tête ;

  Mets-lui sa bride d’argent en tête,
Et son collier d’or au cou ;

  Apprête aussi ton cheval Rouen (1)[50]
Pour que nous allions à Sainte-Anne de Vannes.

II

  Le seigneur Les Aubrays disait,
En arrivant à Sainte-Anne :

  — J’ai assisté à dix-huit combats,
Et j’ai gagné les dix-huit ;

  Et j’ai gagné les dix-huit,
Grâces à vous, sainte Anne de Vannes ;

  Faites-moi gagner le dix-neuvième,
Et je serai couronné dans la Trinité. (2)[51]

  Et je vous achèterai une ceinture de cire,
Qui fera le tour de toutes vos terres ;

  Fera le tour de votre église et du cimetière,
Et de toute votre terre bénite ;

  Je vous achèterai une bannière rouge,
Qui sera dorée des deux côtés.


III

  Le seigneur de Koat-ar-Skin disait,
Ce jour-là, à son petit page :

  — Je vois venir un âne,
Monté sur une haquenée blanche ! —

  — Le seigneur Les Aubrays dit
A Koat-ar-Skin, sitôt qu’il l’entendit :

  — Si je suis un âne, bien certainement,
Je ne suis pas âne de nature ;

  Je ne suis pas âne de nature,
Mon père était, dit-on, un homme sage ;

  Si tu n’as pas connu mon père,
Moi, je te ferai connaître son fils ! —

  Alors ils sont allés combattre,
Et le seigneur Les Aubrays a gagné.

  Le seigneur de Koat-ar-Skin disait
A Les Aubrays, voyant qu’il gagnait :

  — Au nom de Dieu, Les Aubrays,
Au nom de Dieu, donne-moi quartier ! —

  — Je ne te donnerai pas de quartier,
Car toi, tu ne m’en aurais pas donné. —

  Au nom de Dieu, Les Aubrays,
Laisse-moi la vie ! —

  — Je ne te laisserai pas la vie,
Car toi, tu ne m’aurais pas laissé la mienne. —

  — Au nom de Dieu, Les Aubrays,
Charge-toi de mes enfants. —

  — Je ne me chargerai pas de tes enfants,
Mais je les laisserai aller en liberté ! —

  A peine eut-il dit ces mots,
Que Koat-ar-Skin fut tué par lui.

IV

  Des lettres furent envoyées au roi,
Pour lui annoncer que Koat-ar-Skin avait été tué.

  Et le roi de France disait,
Un jour, à son petit page :

  — Page, page, mon petit page,
Toi qui es diligent et alerte,

  Va-t-en dire à Les Aubrays
De venir combattre contre mon More ...


  Et le petit page disait,
En arrivant à Lannion :

  — Bonjour et joie à tous dans cette ville,
Où est le Seigneur Les Aubrays ? —

  Le seigneur Les Aubrays, en entendant cela,
A mis la tête à la fenêtre ;

  Et a mis la tête à la fenêtre,
Et a salué le page du roi.

  — Bonjour à vous, seigneur Les Aubrays ! -
— Et à vous aussi, page du roi !

  Et à vous aussi, page du roi,
Qu’est-il arrivé de nouveau. —

  — Il vous est ordonné, Les Aubrays,
De venir combattre contre le More du roi. —

  — Au nom de Dieu, page du roi,
Apprends-moi le secret de ce More-là.

  Et je te donnerai un bouquet,
Au milieu duquel il y aura quatre mille écus. -

  — Je vous dirai bien son secret,
Mais vous n’en parlerez jamais à personne :

  Quand commencera ce combat,
Jetez vite vos habits sur les siens ;

  Et lancez-lui de l’eau bénite,
Aussitôt qu’il aura dégainé :

  Alors il fera un bond en l’air :
Mettez votre épée pour le recevoir :

  Aimez mieux perdre votre épée,
Les Aubrays, que perdre votre vie ! —

  Le seigneur Les Aubrays, ayant entendu,
A mis la main dans sa poche ;

  Il lui a donné son bouquet,
Avec quatre mille écus au milieu.

V

  Le seigneur Les Aubrays disait,
En arrivant à Sainte-Anne :

  — J’ai pris part à dix-neuf combats,
Et j’ai gagné les dix-neuf ;

  Et j’ai gagné les dix-neuf,
Grâces à vous, sainte Anne de Vannes ;

  Faites-moi encore gagner le vingtième,
Et je serai couronné au Guéodet.

  Je vous achèterai une bannière blanche,
Qui aura sept clochettes à chaque extrémité ;

  Qui aura sept clochettes d’argent à chaque extrémité,
Et une tige de baleine, pour la porter ;

  Je vous achèterai en présent
Un calice d’or et un sacrement (ostensoir),

  Et qui sera beau pour vous faire honneur,
Car vous aurez fait un grand miracle en ma faveur. —

VI

  Le seigneur Les Aubrays disait,
En arrivant dans le palais du roi :

  — Bonjour à vous, sire, et même roi,
Qu’avez-vous de nouveau ? —

  — Il t’a été ordonné, Les Aubrays,
De venir combattre contre mon More ;

  Tu as tué Koat-ar-Skin,
Qui était un de mes plus grands amis ;

  Mais si tu as tué Koat-ar-Skin,
Tu ne tueras pas mon More. —

. . . . . . . . . . . . . . . . . .

  Quand il entra sur lui dans la grande salle,
Il lui lança de l’eau bénite.

  Quand le More jette ses habits à terre,
Les Aubrays jette les siens dessus ;

  Quand le More fait un bond en l’air,
Il présente son épée, pour le recevoir.

  — Au nom de mon Dieu, Les Aubrays,
Retire ton épée ! —

  — Je ne retirerai pas mon épée,
Car toi, tu n’aurais pas retiré la tienne. —

  — Au nom de mon Dieu, Les Aubrays,
Laisse-moi la vie ! —

  — Je ne te laisserai pas la vie,
Car toi, tu ne m’aurais pas laissé la mienne ! —

  Il n’avait pas fini de parler,
Que le More noir a été tué.

  Le More noir a été tué,
Et Les Aubrays est sorti.

  Il a rencontré le petit page du roi,
Et lui a donné un second bouquet ;

  Il lui a donné un second bouquet,
Avec quatre mille écus au milieu.

  Le roi disait alors à Les Aubrays,
Au moment où il sortait :

  — Mon Dieu, serait-il possible
Que tu as tué mon More ? —

  — Oui, j’ai tué votre More,
Et je vous tuerai aussi, si vous voulez ! —

  — Au nom de Dieu, Les Aubrays,
Laisse-moi la vie,

  Et reste avec moi dans mon palais,
Je te ferai roi après moi ! —

  — Je ne resterai pas avec vous dans votre palais,
Car ma pauvre mère est veuve ;

  Car ma pauvre mère est veuve,
Et cela lui ferait de la peine ! —

VII

  Le seigneur Les Aubrays disait,
En arrivant dans la ville de Lannion :

  — J’ai pris part à vingt combats,
Et je les ai tous gagnés,

  Grâces à vous, sainte Anne de Vannes,
Je serai couronné au Guéodet ;

  Je serai couronné à Saint-Louis,
Et je n’ai pas encore vingt ans accomplis ! —


Chanté par le Petit-Tailleur,
au bourg de Plouaret, 1863.


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ROZMELCHON
________



ROZMELCHON.
PREMIÈRE VERSION.
________


I

  — Mon père et ma mère, si vous m’aimez,
Ne m’envoyez pas à l’écobue ;

  Ne m’envoyez pas à l’écobue,
Je suis convoitée par Rozmelchon. —

  — Vous irez demain, de bon matin,
Quand Rozmelchon sera dans son lit. —

  La petite Anne Le Manchon ne savait pas
Qu’il était auprès de la fenêtre à l’écouter.

II

  Le premier homme qu’elle rencontra,
C’est Rozmelchon, en bras de chemise ;

  C’est Rozmelchon, au bout de son avenue,
Levé de bon matin.

  — Petite Anne, vous êtes levée de bien bonne heure,
Où allez-vous, où avez-vous été ?

  Venez avec moi dans ma maison,
Afin que nous déjeunions ensemble. —

  — J’ai déjeuné déjà,
Et c’est à Kervezennec que je dînerai, [1][52]

  A la table du seigneur et de la dame,
Ceux-là m’aiment dans leur cœur. —

  — Petite Anne, venez avec moi dans mes jardins,
Pour choisir les plus belles fleurs ;

  Pour choisir les plus belles fleurs,
Pour les jeunes gens qui seront là. —

  — A Kervezennec il y a du deuil,
Pour le fils aîné, qui est mort. —

  — Si le fils aîné du seigneur est mort,
Ce n’est pas vous qui porterez le deuil. —

  — Retirez-vous, seigneur, que je passe,
C’est péché à vous, à cause de moi ;


  Le jour est bien avancé,
Et il fera tard quand j’arriverai. —

  Il l’a prise à bras le corps,
Et le pot est tombé de dessus sa tête ;

  Le pot est tombé de dessus sa tête,
Et le lait a été répandu.

  — Si Kervezennec le lion (1)[53] savait
Que j’ai été arrêtée par Rozmelchon,

  Celui-là, certainement, viendrait me chercher,
Et quand il fatiguerait neuf chevaux à chaque pas.

  — Je ne fais pas plus de cas de ton lion,
Que je n’en fais de toi-même ! —

  Alors il l’a saisie,
Et l’a emmenée au château

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  — Petite Anne, venez avec moi dans les chambres,
Pour choisir des poires et des pommes. —

  — Pour manger des poires et des pommes,
Il me faudra avoir des couteaux. —

  Elle n’avait pas fini de parler,
Qu’il lui présenta trois couteaux ;

  Un à manche noir, un à manche blanc, [1][54]
Et un autre en or jaune.

  Elle a demandé à son Dieu :
— Mon Dieu, dites-moi

  Si je dois me tuer, ou si je ne dois ? —
Au milieu de son cœur elle l’a planté !

  Quand Rozmelchon se détourna,
La petite Anne était couchée sur la bouche :

  — Si je ne craignais de damner mon âme,
Tu ne serais pas allée vierge devant Dieu ! —

III

  Kervezennec souhaitait le bonjour,
En arrivant chez Rozmelchon :

  — Bonjour et joie dans cette maison,
Où est le seigneur de Rozmelchon ? —

  — Le seigneur n’est pas à la maison,
Il est allé à une petite affaire. —


  — Tu mens sur ton âme !
Car Rozmelchon est dans son lit.

  Rozmelchon est à la maison,
Et je mettrai le feu à son château ;

  Je brûlerai son château complètement,
Et lui dedans comme une chandelle !

IV

  Et voilà le château incendié,
Et Rozmelchon à la broche ![55]


Chanté par une fileuse, au bourg
de Plouegat-Guerrand. — 1863.


________


ROZMELCHON.
SECONDE VERSION.
________


I

  Au grand Lezker il y a une écobue,
Tout le monde est prié d’y aller ;

  Tout le monde est prié d’y aller,
La petite Marguerite a été priée en dessous.

  La petite Marguerite disait
A son père et à sa mère, une nuit :

  — Moi, je n’irai pas à l’écobue,
Ma sœur Marie doit y aller ;

  Ma sœur Marie doit y aller,
On lui mettra mon bel habit. —

  — Votre sœur Marie n’ira pas à l’écobue,
C’est vous qui êtes priée, et il vous faut y aller.

  La petite Marguerite, quand elle a entendu,
S’est mise à pleurer.

  Dès que son père a vu cela,
Il a dit à la petite Marguerite :

  — Ma fille Marguerite, ne pleurez pas,
Car c’est vous qui irez à l’écobue ! —

  La petite Marguerite disait,
En se levant de son lit :

  — Je te dis adieu, ô mon lit,
Jamais plus je ne dormirai en toi ! —

  Son père, l’ayant entendue,
A dit à la petite Marguerite :

  — Ma fille Marguerite, ne pleurez pas,
Car c’est vous qui irez à l’écobue. —

  La petite Marguerite disait
A sa petite armoire, en l’ouvrant :

  — Je te dis adieu, ma pauvre armoire,
Et à mes beaux habits qui sont en lui (toi) ! —

  Son père, l’ayant entendue,
A dit à la petite Marguerite :

  — Petite Marguerite, ne pleurez pas,
Car c’est vous qui irez à l’écobue. —

  La petite Marguerite disait,
En sortant de la maison :

  — Adieu, ma pauvre mère et mon père,
Adieu, frères et sœurs ! —

  Son père, l’ayant entendue,
A dit à la petite Marguerite :

  — Petite Marguerite, ne pleurez pas,
Car c’est vous qui irez à l’écobue ! —

  La petite Marguerite disait
A sa haquenée, en montant dessus :

  — Je te dis adieu, mon pauvre cheval,
Jamais plus je ne te monterai ! —

II

  Quand elle arriva au haut de la colline,
Rozmelchon était à l’attendre :

  — Je vous souhaite le bonjour, Marguerite,
Je vous trouve une jeune fille bien matinale ! —

  — Et vous, vous l’êtes aussi, seigneur,
Vous devriez être maintenant dans votre lit ! —

  — Gentille petite Marguerite, descendez (de cheval),
Vous viendrez déjeuner avec moi. —


  — Avant de sortir de la maison de mon père,
J’ai bien déjeuné. —

  — Petite Marguerite, venez avec moi dans mon jardin,
Pour choisir un bouquet de fines fleurs ;

  Ou bien encore une guirlande,
Pour mettre sur votre pot à lait. —

  — Sauf votre grâce, dit-elle, seigneur,
Je ne songe pas à des bouquets ;

  A Kervezennec il y a du deuil,
Le fils aîné du seigneur est mort. —

  — Et quand même le fils du seigneur serait mort,
Ce n’est pas vous qui porterez son deuil ;

  Ce n’est pas vous qui porterez son deuil,
Mais ceux qui hériteront ses biens. —

  Il n’avait pas fini de parler,
Qu’il l’a prise à bras le corps.

  Une heure et demie, sans mentir,
Ils ont été à lutter tous les deux.

  La dame disait, à la fenêtre de sa chambre :
— Du courage ! du courage ! jeune fille ! —

  — Avoir courage plus longtemps je ne puis,
Mon pauvre cœur ne résistera pas ;

  Mon pauvre cœur ne résistera pas,
Ma ceinture me serre trop :

  J’aime mieux perdre la vie,
Que perdre ma virginité !

  Madame, jetez-moi un couteau,
Pour couper ma ceinture, qui me serre trop ! —

  Un poignard lui a été lancé,
Et elle se l’est plongé dans le cœur ;

  Elle se l’est plongé dans le cœur,
Et elle est morte sur la place !


Chanté par Marie-Anne Le Noan, vieille mendiante
de la commune de Duault.


________


ROZMELCHON.
TROISIEME VERSION.
________


I

  — Petite Marguerite, mettez-vous au lit, o rei tra la la, dirala
Afin de vous lever demain matin ;

  Afin de vous lever demain de bon matin, o rei tra la la, dirala.,
Pour porter du lait à l’écobue.

  La petite Marguerite Joss [1][56] disait
A sa mère, le lendemain matin :

  — Ma pauvre petite mère, si vous m’aimez,
Vous ne m’enverrez pas à Kervezelec ;

  Ne m’envoyez pas à Kervezelec,
Je suis menacée par Rozmelchon. —

  — Vous irez sur le matin,
Quand Rozmelchon sera encore au lit ;

  Et sur votre tête une potée de lait,
Entourée d’une guirlande. —

II

  Le valet d’écurie disait
A Rozmelchon, un matin :

  — Mon maître, mon maitre, levez-vous vite,
Je vois une fille sur pied ;

  Mon maître, levez-vous de votre lit,
Je vois une fille au bout de l’avenue ;

  Je vois la plus jolie fille,
Qui jamais porta coiffe de lin ;

  Sur sa tête est une potée de lait,
Avec une guirlande autour.

  Elle a aux pieds des chaussures
Qui sont garnies de rubans. —

  Rozmelchon, quand il entendit,
Se rendit au bout de l’avenue ;

  Il s’est rendu au bout de l’avenue,
Et a salué la petite Marguerite Joss :

  — Petite Marguerite, obéissez-moi,
Et venez avec moi déjeuner. —


  — Merci, seigneur, dit-elle,
Car j’ai déjà déjeuné ;

  J’ai déjà bien déjeuné,
Avant de quitter la maison de mon père ;

  Seigneur, j’ai déjà déjeuné,
Et c’est à Kervezelec que je dînerai ;

  C’est à Kervezelec que je dînerai.
Et je m’asseoirai à la table du seigneur ;

  A la table du seigneur et de la dame,
Ceux-là m’aiment du milieu de leur cœur ! —

  — Petite Marguerite, obéissez-moi,
Et venez avec moi au jardin ;

  Venez avec moi au jardin,
Pour choisir un bouquet de fines fleurs ;

  Pour choisir un bouquet de fines fleurs
De marjolaine et de thym ;

  De marjolaine et de thym,
Pour mettre sur votre poitrine, [à votre corset.) —

  — Je ne suis plus la fille aux bouquets,
Le fils aîné du seigneur est mort. —

  — Si le fils aîné du seigneur est mort,
Ce n’est pas à vous de porter son deuil. —

  — Nous sommes enfants du frère et de la soeur,
Songez, seigneur, quelle proche parenté ! —

  — Petite Marguerite, obéissez-moi,
Et venez avec moi dans les chambres ;

  Venez avec moi dans les chambres,
pour choisir des poires et des pommes ;

  Pour choisir des poires et des pommes,
Vous en aurez autant que vous voudrez. —

  — Retirez-vous, seigneur, que je passe,
C’est péché à vous à cause de moi.

  Si mon frère, dit-elle, le savait bien,
Il vous mettrait en pièces, chair et sang ;

  Si mon frère nourricier Kerninon le savait,
Il ferait refroidir votre sang ! (Il vous tuerait.} —

— Je me moque autant du fils de Kerverzino[57],
Comme de la boue de mes souliers ! —


  — Depuis ce matin nous sommes ici,
Et le soleil est près de se coucher ! —

  — Je voudrais qu’il fit nuit close,
Et avoir la petite Marguerite pour la nuit !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  La petite Marguerite disait
À la gouvernante, cette nuit-là :

  — Gouvernante, si vous m’aimez,
Faites que j’aille coucher avec vous ! —

  La gouvernante [1][58] répondit
À la petite Marguerite, quand elle entendit :

  — C’est à la table du seigneur que vous souperez,
Et c’est dans son lit que vous coucherez. — (1)[59]


  La petite Marguerite disait,
En arrivant dans la chambre :

  — Je vois là-bas une pomme jaune,
Si j’avais un couteau, je la pèlerais. —

  Rozmelchon, ayant entendu,
Lui donna le choix de trois (couteaux).

  Un à manche noir, un à manche blanc,
Et un autre en or jaune soufflé.

  C’est celui à manche noir qu’elle a pris,
Et elle se l’est enfoncée dans le cœur !

  Quand Rozmelchon se détourna,
La jeune fille était sur la bouche :

  — Si je ne craignais de damner mon âme,
Tu ne serais pas allée vierge devant Dieu ! —


Chanté par Marguerite Philippe.
Pluzunet, 1867.


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JEANNE LE ROUX [1][60]
PREMIÈRE VERSION.
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I

  Ecoutez tous, et vous entendrez
Un gwerz nouvellement composé,
Qui a été fait à Jeanne Le Roux,
La plus jolie fille qui marche dans sa paroisse.

  Jeanne Le Roux disait
A son père et à sa mère, un dimanche matin :
— Il faut dire que vous n’êtes pas sages.
De fixer pour le jour de ma noce un dimanche ;

  Et pourtant vous entendez dire depuis longtemps
Que le sieur La Tremblaie (1) est dans le pays ;
Et pourtant vous entendez dire et vous voyez
Que le sieur La Tremblaie cherche à m’avoir ! —

  Son père et sa mère dirent
A Jeanne Le Roux, sitôt qu’elle parla :
— Le trouve mauvais qui voudra.
Votre noce sera faite le dimanche ;

  Votre noce sera au point du jour,
La Tremblaie ne sera pas encore levé —
………………. .

II

  Jeanne Le Roux disait
A monsieur le recteur, le dimanche matin :
— Hâtez-vous, monsieur, faites diligence.
J’entends mettre le feu à la mèche ! —

  Elle n’avait pas fini de parler,
Que l’église et le porche étaient pleins ;
Que l’église et le porche étaient pleins
Des soldats de La Tremblaie.


Le sieur La Tremblaie dont il est question dans cette chanson était un des plus célèbres capitaines tenant pour le roi, en Bretagne, sous la ligue. Il défendit vaillamment Moncontour contre les entreprises du duc de Mercœur. En l’année 1591, secondé par un corps de troupes anglaises, envoyé par la reine d’Angleterre, sur la demande des États de Nantes, il enleva l’île de Bréhat aux Ligueurs. La tradition locale veut que la scène qui a fourni le sujet de notre gwerz se soit passée a Paimpol, où séjourna à cette époque le capitaine La Tremblaie. Du reste les deux premiers vers de la seconde version le disent clairement :

Les plus jolies filles qui soient sous le soleil,
Sont les filles de Le Roux, de Paimpol.


  Le sieur La Tremblaie disait
A monsieur le recteur, ce jour-là :
— Monsieur le recteur, dites-moi,
Ou est la femme de noce ! (la nouvelle mariée) —

  Monsieur le recteur répondit
Au sieur La Tremblaie, quand il l’entendit :
— Monsieur La Tremblaie, excusez-moi,
Je ne marie pas le dimanche ;

  Je ne marie pas le dimanche,
C’est un baptême que j’ai fait. —
— Monsieur le recteur, vous mentez,
Vous avez marié Jeanne Le Roux ;

  Rendez-moi ici Jeanne Le Roux,
Ou je vous tuerai d’abord ;
Ou je vous tuerai d’abord.
Car elle est ici avec son père et sa mère. —

  Jeanne Le Roux disait
Au sieur La Tremblaie, là, en ce moment :
— Monsieur La Tremblaie, si vous m’aimez,
laissez-moi aller sur le mur du cimetière ;

  Laissez-moi aller sur le mur du cimetière,
Pour dire adieu à mon mari. —
— Sur le mur du cimetière vous n’irez pas,
Vous ferez vos adieux de dessus la croupe de mon cheval !

  Jeanne Le Roux disait
Au sieur La Tremblaie, là, en ce moment :
— Laissez-moi aller encore dans l’église,
Pour faire mes adieux à mes compatriotes. —

  — Dans l’église vous n’entrerez pas,
Vous ferez vos adieux de dessus la croupe de mon cheval ;
Vous viendrez avec moi sur la croupe de mon cheval.
Criez, sanglotez, pleurez à satiété ! —

  Jeanne Le Roux disait
Au sieur La Tremblaie, là, en ce moment :
— Monsieur La Tremblaie, si vous m’aimez,
Vous me donnerez un couteau ;

  Vous me donnerez un couteau,
Pour couper ma ceinture de noce ;
Pour couper ma ceinture de noce.
Qu’on a trop serrée sur moi. —

  Le sieur La Tremblaie, quand il a entendu,
Lui a montré trois couteaux,
Un à manche noir, un à manche blanc,
Un autre en or jaune soufflé :


  C’est celui à manche noir qu’elle a pris,
Et elle se l’est plongé dans le cœur !
Quand le sieur La Tremblaie se détourna,
La pauvre Jeanne était couchée sur la bouche !

  Le sieur La Tremblaie disait,
A Jeanne Le Roux, en ce moment :
— J’ai enlevé dix-huit [1][61] jeunes mariées,
Jeanne Le Roux est la dix-neuvième ;

  Jeanne Le Roux, la dernière,
Me brise le cœur ! —


Chanté par Jeanne Le Gall. Keramborgne, 1848.


________


JEANNE LE ROUX.
SECONDE VERSION.
________


I

  Les plus jolies filles qui soient sous le soleil,
Sont les filles de Le Roux, de Paimpol :
La petite Jeanne est jolie comme une rose,
Les deux autres sont rousses.

  Jeanne Le Roux disait,
Un jour, à son père et à sa mère :
— Mon père, ma mère, vous n’êtes pas sages,
De mettre mon mariage un dimanche.

  Et pourtant vous entendez dire depuis longtemps
Que le capitaine La Tremblaie est dans le pays ;
Vous savez et vous entendez dire
Comme il cherche à m’avoir ! —

  Son père dit alors
A Jeanne Le Roux, quand il l’entendit :
— Vous serez mariée avant le jour,
Quand le sieur La Tremblaie sera dans son lit. —


II

  Le capitaine La Tremblaie disait
A son petit page, cette nuit-là :
— Lève-toi demain de bon matin,
Pour que nous allions chasser au bois ;

  Il nous faudra aller à la chasse,
Jeanne Le Roux sera mariée demain
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

III

  Jeanne Le Roux disait
A monsieur le recteur, ce jour-là :
— Dépêchez-vous de dire votre grand’messe,
J’ai senti mettre le feu à la poudre !

  J’ai senti mettre le feu à la poudre,
Le sieur La Tremblaie arrive. —
Monsieur le recteur disait
Alors à Jeanne Le Roux :

  — Si je ne craignais de salir tes habits,
Je t’aurais cachée dans un cerceuil de bois.
Et je t’aurais mise dans la sacristie,
Sur laquelle il y a sept clefs. —

  — Serait-il Dieu possible
Que vous craigniez de salir mes habits !
Je voudrais les voir tous dans un feu de joie,
Et être à la maison, sur le foyer de mon père ! —

  Elle n’avait pas fini de parler,
Que l’église et le porche étaient pleins ;
Qu’église et porche étaient remplis
De La Tremblaie et de ses soldats.

  Le capitaine La Tremblaie demandait
Au recteur, ce jour-là :
— Monsieur le recteur, dites-moi
Où est la fille de noce (la nouvelle mariée) ? —

  — Monsieur La Tremblaie, excusez-moi,
Ce n’est pas une noce que j’ai faite ;
Ce n’est pas une noce que j’ai faite,
C’est un enfant que j’ai baptisé. —

  — Ce n’est pas une noce que vous avez faite ?
Où donc est l’enfant que vous avez baptisé ? —
— la nourrice l’a emporté,
Pour le réchauffer sur la pierre du foyer. —


  — Ce n’est pas pour des baptêmes
Que je vois les boucles d’argent sur les chaussures ;
Que je vois les boucles d’argent sur les chaussures,
Et la dentelle aux manches ;

  Vous avez marié Jeanne Le Roux,
Et c’est celle-là qu’il me faut ! —
— Elle est dans la sacristie,
Renfermée sous sept clefs. —

  Le capitaine La Tremblaie disait
A Jeanne Le Roux, en ce moment :
— Ne te rappelles-tu pas bien
Que quand tu étais dans la maison de ton père,

  Tu me dis
Que tu ne coucherais pas avec moi la nuit de ta noce ? ...
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  Jeanne Le Roux disait
Au sieur La Tremblaie, ce jour-là :
— Laissez-moi monter sur le mur du cimetière.
Pour dire adieu à mon mari ? —

  — Montez quand vous voudrez sur le mur,
Et dites-lui au revoir. —
Jeanne Le Roux disait
En montant sur le mur du cimetière :

  — Mon pauvre mari, dites-moi,
Si je retourne, me reprendrez-vous ? —
— Si vous revenez, vous serez la bien venue,
Puisque ce n’est pas de votre plein gré. —

  Jeanne Le Roux demandait
Alors au capitaine La Tremblaie :
— Monsieur La Tremblaie, dites-moi,
Serai-je obligée à d’autres que vous ? —

  — A moi et à mon valet de chambre,
Et à mes soldats quand ils le désireront ;
Et à mes soldats, quand ils le désireront,
Il y en a cent dix ! —

  Jeanne Le Roux disait
Au sieur La Tremblaie, ce jour-là :
— Monsieur La Tremblaie, si vous m’aimez,
Vous me prêterez un couteau ;

  Vous me prêterez un couteau.
Pour couper ma ceinture de noce,
Qui a été trop serrée,
Par la mère qui m’a donné le jour ? —


________

  — Quant à des couteaux, je n’en porte pas,
Prenez mon poignard doré,
Pour couper votre ceinture de noce,
Et laissez-la à votre mari ! —

  Il lui a donné son poignard,
Et elle se l’est enfoncé dans le cœur ;
Dans le cœur elle se l’est enfoncé
Et en tombant, elle a dit :

  Qu’elle ne servirait pas de monture à des soldats,
Pas davantage au sieur La Tremblaie.
Le capitaine La Tremblaie disait
À la pauvre Jeanne, en ce moment :

  — Tu meurs dans une mauvaise intention ;
Que Dieu t’accorde le pardon :
Si je ne craignais de damner mon âme.
Tu ne serais pas allée vierge devant Dieu ! (1)[62]

  J’ai enlevé dix-huit jeunes mariées,
Et toi, tu fais la dix-neuvième ;
Toi, la dix-neuvième, la dernière,
Tu me brises le cœur ! —

IV

  Jeanne Le Roux disait
Aux gens de la noce, ce jour-là :
— De plus sottes que moi on eut trouvées,
C’est dans mon corset [1][63] que je l’ai enfoncé (le poignard) ! —


Chanté par Marie Daniel commune de Duault.



Ce sujet a été très-souvent traité, et est devenu, pour ainsi dire, un lieu commun de poésie populaire. Parmi les pièces qui se rapprochent le plus de la nôtre, ou des nôtres, je citerai : La fille des Sables d’Olonne, dans le recueil de M. Bujeaud, tome II, page 177. La fille du pâtissier, dans le recueil de M. de Puymaigre ; puis l’Anneau d’or et le beau Marinier, dans l’Etude de M. de Beaurepaire sur la poésie populaire en Normandie, pages 148-151, et enfin une canzone piémontaise recueillie par le chevalier Nigra, sous le titre de el Corsaro.


________


LE MARQUIS DE COATREDREZ.
________


I

  Ecoutez tous, et vous entendrez
Un gwerz nouvellement levé (composé);
Un gwerz nouvellement composé,
C’est à une jeune fille qu’il a été fait :

  A une jeune fille qui a été enlevée,
Sur le chemin de Léon, en allant au Guéodet ;
Enlevée par le marquis de Coatredrez,
De dessus le chemin, sur sa haquenée.

II

  Le seigneur dé Coatredrez demandait
A la jeune fille, en la rencontrant :
— Jeune fille, dites-moi,
Où allez-vous, où avez-vous été ? —

  — Je vais au pardon du Guéodet,
Pour me confesser et communier ;
Pour me confessa et communier,
Gagner le pardon si je puis. —

  Le seigneur de Coatredrez répondit
A la jeune fille, sitôt qu’il l’entendit :
— Quant au pardon, vous n’y irez point,
Vous viendra avec moi à Coatredrez ;

  Jeune fille, je vous apprendrai
A aller toute seule par les chemins ! —
— Sauf votre grâce, seigneur, excusez-moi,
Je ne suis pas toute seule par les chemins ;

  Je ne suis pas toute seule par les chemins,
J’étais restée a boire de l’eau de fontaine ;
J’étais restée à boire de l’eau de fontaine,
Et les miens sont allés devant. —

  Le seigneur de Coatredrez disait ,
A son valet d’écurie, en ce moment :
— Jette-la moi sur mon cheval,
De là elle discourra à satiété ! —

  — Sauf votre grâce, mon maître, je ne le ferai point,
Je ne veux pas désoler la fille ;
Je ne veux pas navrer son cœur,
C’est une fille sage, une honnête fille ! —


  Le seigneur de Coatredrez, dès qu’il entendit,
Descendit de cheval ;
Il descendit de cheval,
Et donna un soufflet à son valet.

  Il a donné un soufflet à son valet
Et a pris la jeune fille à bras le corps ;
Il a pris la jeune fille à bras le corps,
Et l’a mise sur son cheval.

  Un mouchoir blanc empesé
Il lui a mis sur la bouche,
Pour qu’elle ne fût pas reconnue
Par les gens qui allaient au Guéodet.

  La pauvre jeune fille disait,
En passant auprès des siens (de sa société) :
— Au nom de Dieu, si vous m’aimez,
Ma société, secourez-moi ! —

  — Hélas ! nous ne pouvons vous secourir,
Puisque c’est le seigneur de Coatredrez qui vous a désirée ! —
Le valet disait
Au seigneur de Coatredrez, en ce moment :

  — Otez le mouchoir de dessus sa bouche,
Elle rejette le sang à pleine bouche ! —
— Laisse-la en rejeter tant qu’elle voudra,
Les femmes sont pleines d’artifices ! ... (1)[64]

III

  Le seigneur de Coatredrez disait
A sa gouvernante, en arrivant :
— Mettez la broche au feu.
Pour le souper de la jeune fille et le mien. —

  La pauvre jeune fille disait
Au seigneur de Coatredrez, en l’entendant :
— Mangez et buvez tant qu’il vous plaira,
Pour moi, je ne souperai point. —

  La pauvre jeune fille disait
A la gouvernante, cette nuit-là :
— Gouvernante, si vous m’aimez.
Faites que j’aille coucher avec vous. —


  — Pour avec moi vous ne coucherez pas,
Votre lit est fait dans la chambre haute ;
Votre lit est fait dans la chambre haute,
Pour coucher avec le seigneur de Coatredrez. —

  Le seigneur de Coatredrez disait
A la pauvre jeune fille, ce soir-là :
— Venez avec moi au jardin,
Pour cueillir un bouquet de fines fleurs :

  Pour cueillir un bouquet de fines fleurs,
De marjolaine et de thym ;
De marjolaine et de lavande,
— Qui vous sied, fillette jolie. —

  La pauvre jeune fille disait,
En arrivant auprès du jardin :
— Adieu, ma mère, adieu, mon père,
Jamais ne vous reverront mes yeux !

  Seigneur, prêtez-moi des couteaux,
Pour couper les tiges de mes fleurs ;
Pour couper les tiges de mes fleurs,
Qui sont trop longues des tiges. —

  Le seigneur de Coatredrez, quand il entendit.
Mit la main dans sa poche ;
Il a mis la main dans sa poche,
Et en a retiré trois couteaux pour elle :

  Un à manche noir, un à manche blanc,
Un autre en or jaune soufflé :
C’est celui à manche noir qu’elle a pris,
Et elle se l’est plongé au milieu du cœur !

  Quand le seigneur se détourna,
La jeune fille était sur la bouche ;
La jeune fille était au milieu du jardin,
La tête auprès de ses genoux.

  Et il disait encore, le méchant,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
— Si je ne craignais de damner mon âme,
Tu ne serais pas allée vierge devant Dieu ! —

IV

  Le seigneur de Coatredrez disait,
A tous les gens de sa maison, cette nuit-là :
— La nuit est fort avancée,
Il est temps à chacun d’aller reposer. —

  La gouvernante disait
Au seigneur de Coatredrez, cette nuit-là :
— Je vous avais souvent averti
Au sujet du vin et des femmes ;


  Mais surtout au sujet de celle-ci,
Qui est sœur de lait de Kerninon :
Il n’est pas de serviteur en votre maison
Qui ne connaisse votre nuit aussi bien que vous.

  — Si vous voulez ne pas me trahir,
Je vous donnerai à chacun cent écus ;
Nous l’ensevelirons et la mettrons au cercueil,
Et lui sonnerons un glas mince (peu bruyant)! —

V

  Le coq n’avait pas encore chanté le jour,
Que le portail de Coatredrez était brisé ;
Le portail de Coatredrez était brisé
Par Kerninon et ses gens.

  Le seigneur de Kerninon disait,
En arrivant au manoir de Coatredrez :
— Bonjour et joie à tous dans cette maison,
Le seigneur de Coatredrez, où est-il ? —

  Le palefrenier répondit
Au seigneur de Kerninon, en l’entendant :
— Il est allé à une petite affaire,
Il ne reviendra pas cette nuit à la maison. —

  — Tu mens, palefrenier !
Ton maître est à la maison,
Car tu as l’habitude d’aller avec lui
Sur les chemins arrêter les filles. —

  Le seigneur de Coatredrez, dès qu’il entendit,
Descendit par l’escalier tournant ;
Il est descendu par l’escalier tournant,
Et a reçu un bien mauvais salut.

  Seigneur de Coatredrez, dites-moi
Qu’avez-vous fait de ma sœur de lait ? —
— Elle est là-bas dans le jardin,
Sa tête auprès de ses genoux ! —

  Tu as tué ma sœur de lait,
Et il faut que je la venge ! —
— Kerninon, laisse-moi la vie,
Et je te donnerai toutes mes rentes ! —

  — Ce n’est pas des biens que je demande,
Vie pour vie, voilà ce qu’il me faut :
Tu as tué ma sœur de lait,
Et il faut que je la venge ! —

  Alors ils sont allés dans la grande salle,
Pour jouer de l’épée et du fleuret :
Le marquis de Coatredrez a perdu,
Kerninon l’a traversé (de son épée).


  Dur eut été le oœur de celui qui n’eut pleuré,
S’il avait été à Coatredrez,
En voyant la grande salle qui rougissait
Par le sang du marquis, qui coulait !

  Le seigneur de Kerninon disait
Au manoir de Coatredrez, en ce moment :
— Mettez votre main sous sa tête,
Pour qu’on lui donne l’absolution ! —


Renan, le sabotier, commune de Trégrom. — 1854.


________


VARIANTE.


J'ai recueilli six versions de cette chanson, dans différentes localités ; mais aucune d'elles ne présente des différences assez marquées avec celle que je donne, pour que je croie devoir la reproduire, si ce n'est une cependant, dont voici la seconde partie, qui me parait contenir des détails intéressants.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . .

IV

  Le marquis de Coatredrez disait
A la jeune fille, cette nuit-là :
— Allons maintenant nous coucher,
La nuit est avancée, il est temps d’aller. —

  La jeune fille répondit
An marquis de Coatredrez, quand elle l’entendit :
— Allez vous coucher quand vous voudrez,
Moi, j’ai mes prières à dire.

  La jeune fille disait
Au manoir de Coatredrez, cette nuit-là :
— Sainte Vierge du Koz-Gueodet,
Faites que j’aille cette nuit vous voir ! —

  Quand le marquis de Coatredrez vit
Que la jeune fille ne se couchait pas,
Il a sauté hors de son lit,
Et ils se sont mis tous les deux à causer.

  Le marquis de Coatredrez disait
A la jeune fille, cette nuit-là :
— Venez avec moi au jardin,
Pour choisir un bouquet de fines fleurs —

  Marquis de Coatredrez, si vous m’aimez,
Vous me donnerez un couteau.
Pour raccourcir les tiges de mon bouquet,
Que j’ai cueilli trop long ! —

  — Je ne vous donnerai pas de couteaux,
Vous aurez un poignard d’or, si vous voulez. —
Ayant pris le poignard d’or,
Elle demanda à la Vierge :


  — Madame Marie du Rosaire,
Me tuerai-je, ou ne le ferai-je ?
A cause de vous, Vierge Marie,
Je ne veux pas vous offenser. —

  Elle n’avait pas fini de parler,
Qu’elle le plongea au milieu de son cœur :
Quand le marquis se détourna,
La pauvre jeune fille était sur la bouche !

  Le marquis de Coatredrez disait
A la jeune fille, en ce moment :
— Si je ne craignais de damner mon âme,
Tu ne serais pas allée vierge devant Dieu ! —

  Le marquis de Coatredrez disait
A tous ses valets, cette nuit-là ;
— Mes gens, allez vous coucher,
La nuit est avancée, il est temps d’aller. —

  La gouvernante dit
Au marquis de Coatredrez, quand elle l’entendit
— Il n’est personne dans votre maison
Qui ne connaisse votre crime comme vous.

  Je vous ai souvent averti
Au sujet du vin et des femmes,
Mais surtout au sujet de celle-ci,
La sœur de lait du seigneur de Kerninon ! —

V

  Le coq n’avait pas encore chanté le jour,
Que le portail était brisé à Coatredrez ;
Le portail était brisé à Coatredrez,
Par Kerninon et ses gens.

  Le seigneur de Kerninon disait,
En arrivant au manoir de Coatredrez :
— Bonjour et joie dans cette maison,
Le marquis de Coatredrez où est-il ? —

  Le palefrenier dit
Au seigneur de Kerninon, quand il l’entendit :
— Mon maître n’est pas à la maison,
Et il n’y a été depuis vendredi. —

  — Tu mens, palefrenier !
Ton maître est à la maison, puisque tu y es toi-même ;
Tu as l’habitude d’aller avec lui
Arrêter les jeunes filles sur les chemins ! —

  Le marquis de Coatredrez, dès qu’il entendit,
Descendit l’escalier tournant ;
Il a descendu l’escalier tournant,
Et a salué le seigneur de Kerninon.

  — Laisse-moi la vie,
Et je te donnerai toutes mes rentes,
Mon beau manoir de Coatredrez,
Et j’irai servir le roi ! —


  — Ce n’est pas tes rentes que je cherche,
C’est la vengeance de ma sœur de lait que je demande ;
Il me faut la vengeance de ma sœur de lait,
Qui a été élevée dans ma maison ! —

  — Elle est là-bas dans le jardin
Sous la tige de l’if ;
Enterrée sous le tronc de l’arbre,
Si vous ne croyez, allez-y voir ! —

  Il n’avait pas fini de parler
Qu’il l’a passé au fil de son épée :
— Marquis de Coatredrez, je vous apprendrai
A enlever les jeunes filles sur les chemins ! —

  Dur eut été le cœur de celui qui n’eut pleuré,
S’il eut été au manoir de Goatredrez,
En voyant rougir le plancher
Par le sang du marquis, qui coulait !


Chanté par Marie-Josèphe Kerival.
Keramborgne, 1848.


________

MARIVONNIC.
________


  Le premier jour du mois noir (novembre),
Descendirent les Anglais dans le Dourduff[65].

  Dans le Dourduff quand ils sont descendus,
Ils ont enlevé une jeune fille :

  Ils ont enlevé une jolie jeune fille,
Pour l’emmener sur leur bâtiment.

  Marivonnic est son nom,
Elle est native de Plougasnou.

  Marivonnic disait,
En passant devant la cour de son père :

  — Adieu, ma mère, adieu, mon père,
Jamais ne vous reverront mes yeux !

  Adieu, mon frère, adieu, ma sœur,
Jamais je ne vous reverrai sur la terre !

  Adieu, parents et amis,
Jamais je ne vous reverrai dans ce monde !…. —

  La petite Marie-Yvonne pleurait,
Et ne trouvait personne qui la consolât ;

  Et ne trouvait personne oui la consolât,
Si ce n’est le grand Anglais (le capitaine), celui-là le faisait :

  — Petite Marie-Yvonne, ne pleurez pas,
Pour ce qui est de votre vie, vous ne la perdrez pas :

  Pour ce qui est de votre vie, vous ne la perdrez pas,
Mais votre honneur, je ne dis pas ! —

  — Je préfère mon honneur
À tous les navires qui sont sur la mer.

  Seigneur Anglais, dites-moi,
Ne serai-je obligée qu’à vous ? —

  — À moi-même, à mon valet de chambre,
Et à mes matelots, quand ils voudront :

  À mes matelots, quand ils voudront,
Il y en a cent-et-un ! —

  — Seigneur Anglais, dites-moi,
Me laisserez-vous me promener sur le pont ? —


  — Oui, promenez-vous sur le pont du navire,
Mais prenez garde de vous noyer. —

  La petite Marie-Yvonne disait,
En se promenant sur le pont du navire :

  — Vierge Marie, dites-moi,
Me noierai-je ou ne le ferai-je ?

  A cause de vous, Vierge Marie,
Je ne veux pas vous offenser.

  Si je vais dans la mer, je serai noyée,
Et si je reste, je serai tuée ! —

  Elle a obéi à la Vierge
Et s’est jetée sur la tête dans la mer.

  Un petit poisson du fond de la mer
Porte Marivonnic à la surface de l’eau.

  Le seigneur Anglais disait
A ses matelots, en ce moment :

  — Matelots, matelots, dépêchez-vous,
Je vous donnerai cinq cents écus ! —

  Le seigneur Anglais disait
A Marivonnic, ce jour-là :

  — Petite Marivonne, vous avez eu tort,
Si vous aviez voulu, vous seriez ma femme ! —


Chanté par Jeanne Le Gall. — Keramborgne, 1849.



VARIANTE.


Une autre version donne ainsi la fin de cette chanson, dont l’air est charmant :

  Un petit poisson du fond de la mer
Amène Marivonne à la surface de l’eau.

  Un coup de vent s’est élevé
Qui l’a poussée au seuil de la cour de son père.

  — Père chéri, ouvrez votre porte,
C’est la petite Marivonne qui demande ouverture —

  — Est-il donc possible, mon Dieu,
Que la petite Marivonne soit là ? —

  Elle a fait trois fois le tour de la maison,
Puis elle est morte aussitôt !


IANNIK LE BON-GARÇON.
________


I

  Marchands de Paris, marchands de Rouen,
Quand vous irez à Carhaix, à la foire de la Toussaint,
N’allez pas loger dans la grande maison de Rohan. (1)[66]

  Iannik le Bon-Garçon n’a pas suivi ce conseil,
A la grande maison de Rohan il est allé loger.

  — Dites-moi, hôtesse, serai-je logé,
Et (trouverai-je) une belle écurie pour mettre mes chevaux ? —

  — Descendez, marchand, descendez et entrez dans la maison,
  Et mettez vos chevaux à l’écurie ;

  Mettez vos chevaux à l’écurie,
Mon premier valet va les abreuver.

  Approchez, marchand, approchez du feu,
Pour prendre une goutte, en attendant votre souper.

  Vous aurez à souper des poissons d’eau douce,
Quand mon mari sera revenu de la foire de la Toussaint,

  Petite servante Marguerite, dépêchez-vous vite
D’allumer la chandelle et de souffler le feu ;

  D’allumer la chandelle et de souffler le feu,
Et d’aller faire le lit du petit marchand. —

II

  Quand entra le marchand, quand il entra dans sa chambre,
Il tirait des sons clairs de son fifre d’argent ;

  Il tirait des sons clairs de son fifre d’argent,
Et réjouissait le cœur de la jeune fille.

  Quand la servante Marguerite alla faire le lit,
Iannik le Bon-Garçon badinait avec elle ;

  Iannik le Bon-Garçon badinait avec elle,
La servante Marguerite soupirait en le regardant.


  — Petite servante Marguerite, dites-moi,
Quand vous me regardez, pourquoi soupirez-vous ? —

  — Monsieur le marchand, dites-moi,
Avez-vous fait promesse à quelque jeune fille ? —

  — Petite servante Marguerite, je ne vous tromperai pas,
Il y a aujourd’hui trois semaines que c’était le jour de ma noce. —

  — Que Dieu vous console, vous et votre femme,
Car vous êtes ici dans le lieu où vous serez tué ! (1)[67]

  Regardez sous votre lit, vous verrez une épée nue,
Depuis qu’elle a tué trois autres, elle n’a pas encore été lavée ;

  Il y a là trois corps morts qui attendent l’occasion (pour être enlevés),
Vous Iannik le Bon-Garçon, vous serez le quatrième. —

  — Quand ma haquenée et ma selle dorée,
Et ma valise pleine d’argent seraient perdues,

  Et moi (si j’étais) dans la ville de Rouen auprès de mon épouse Marie,
Petite servante Marguerite, je n’en aurais nul souci.

  Petite servante Marguerite, sauve-moi la vie,
Tu auras, petite Marguerite, le choix de mes frères ;

  Tu auras, petite Marguerite, le choix de mes frères,
Garçons des mieux bâtis, et marchands comme moi —

  Et quand sonna l’heure, l’heure de minuit,
La servante Marguerite ne pouvait plus reposer :

  — Petit marchand, lève-toi de là,
Si tu veux sauver ta vie ! —

  Et ils se sont échappés par la porte du jardin ;
Le beau-frère de l’hôtesse les a entendus.

III

  Et quand le coq chanta, au point du jour,
L’hôtesse n’avait pas de repos dans son lit :

  — Petite servante Marguerite, levez-vous, levez-vous vite,
Pour allumer la chandelle et souffler le feu ;

  Pour allumer la chandelle et souffler le feu,
Pour que nous tuions toutes les deux le petit marchand ! —

  Le beau-frère de l’hotesse lui disait :
— Votre servante, la petite Marguerite, sur ma foi, n’est pas là :

  Votre servante la petite Marguerite, sur ma foi, n’est pas là,
Elle est partie avec le marchand, en croupe sur sa haquenée ! —


  — Sur ma foi, j’ai tué dix-huit marchands,
Et si j’avais su, il eut fait le dix-neuvième ! —
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

IV

  Il fallait voir la petite Marguerite sur le pavé de Rouen,
Aux pieds des souliers légers, avec des bas de laine ;

  Aux pieds des souliers légers, avec des bas de laine,
Et mariée à un petit marchand !


Chanté par Marie-Josèphe Kado.
Plouaret, 1845.


Dans une autre version le dénouement est tout différent :

  Arrivé dans la grande lande, oh ! oui, bien loin de là,
Il jeta la petite Marguerite de dessus son cheval !


Voir dans le Barzaz-Breiz, page 221, la pièce qui correspond à celle-ci, sous le titre de : le Vassal de Duguesclin.

Voir aussi dans la Revue critique d’histoire et de littérature, année 1867, livraison du 23 novembre, page 321, un article de M. D’Arbois de Jubainville où il est question de cette chanson.


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SYLVESTRIK.
PREMIERE VERSION.


I

  J’ai un fils Sylvestre, et je n’ai que lui,
Et il a eu la hardiesse de venir m’affliger ;

  Il a eu la hardiesse d’aller au-devant de sa tête, (1)[68]
Il est soldat dans l’armée, devant son capitaine.

  J’ai eu la bonté d’aller le demander.
Devant beaucoup de gens honorables, à son capitaine.

  Le capitaine, quand il me vit, resta étonné;
— Par vous, vieillard (dit-il), je suis étonné :

  Vous pensez enlever au roi ses soldats ?
Il a touché son payement, (2)[69] il faut qu’il s’embarque.

  — Dites-moi, capitaine, combien il a coûté,
Et si j’ai assez d’argent, il sera remboursé. —


  — Vous auriez cinq cents écus, que vous ne l’auriez pas,
Car il n’y a pas dans la compagnie de soldat qui me plaise autant que lui. —

II

  Quand j’étais à Roz-Julou, dans mon lit, bien couché,
J’entendais les filles du Roudour chanter la chanson de mon fils.

  Et moi de me tourner du côté du mur et de commencer à pleurer :
Seigneur Dieu ! Sylvestre chéri, où es- tu à présent  ?

  Peut-être es-tu mort à cinq cents lieues de moi,
Tes chers os jetés aux poissons à manger !

  Tes chers os jetés à manger aux poissons,
Si je les avais maintenant, je les embrasserais.

  J’ai un petit oiseau, ici, près le seuil de ma porte,
Entre deux pierres, dans un trou du mur ;

  Entre deux pierres, dans un trou du mur,
Et je me trompe s’il n’est pas à couver.

  Si mon oiseau vient à lever (faire éclore), à faire bonne année,
Je ferai que mon oiseau chéri aille voir mon fils.

  — Oh ! oui, écrivez-lui votre lettre, cher vieillard, quand vous voudrez,
Je suis prêt à la porter tout de suite, à votre requête. —

  Quand la lettre fut écrite, mise à l’oiseau dans le bec.
Vers Metz en Lorraine avec lui elle partit

  — Arrêtez-vous, cher Sylvestre, lisez cette lettre-ci,
Qui vous est envoyée par votre père, qui est chez nous. —

  — Descendez, petit oiseau, au bord de mon navire (?)[1][70]
Que je vous écrive une lettre à porter à mon père à la maison ;

  Que je vous écrive une lettre pour lui dire
Que dans quinze jours, à partir d’aujourd’hui, je me trouverai auprès de lui —

III

  — Bonjour à vous, petit oiseau, à présent que vous êtes revenu ;
  Mon cher Sylvestre est-il bien portant, si vous l’avez vu ? —

  — Oui, Sylvestre se porte bien, je lui ai parlé,
Dans quinze jours, à partir d’aujourd’hui, il se trouvera ici... —

  Pendant que le père affligé se lamentait,
Son fils chéri Sylvestre était au seuil de la porte à l’écouter.


  — Taisez-vous, taisez-vous, dit-il, père de bonne volonté,
Ne versez plus de larmes, voici votre fils.

  Ne versez plus de larmes, voici votre fils,
Qui revient de l’armée ; pardonnez-moi, mon père.

  Prenez ma pipe et mes deux pistolets ;
Je vous les donne, pour votre pénitence.

  Afin que vous ne puissiez dire que vous avez nourri un fils
Pour vous affliger. Pardonnez-moi, mon père ! —


Recueilli en la commune de Duault Côtes-du-Nord).


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SYLVESTRIK.
SECONDE VERSION.
________


I

  Entre la chapelle de St-Efflam (l)[71] et la colline de Menez-Bré,
Il y a un jeune capitaine qui lève une armée ;

  Il y a un jeune capitaine qui lève une armée,
J’ai un fils Sylvestrik qui parle d’y aller aussi :

  J’ai un fils Sylvestrik, et je n’ai que lui,
Il n’y a pas dans la compagnie de soldat qu’on aime comme lui.

  J’aurai la bonté d’aller le demander.
Avec beaucoup de gens honorables, à son capitaine

  Le capitaine, quand il entendit, s’arrêta pour écouter :
— Par vous, petit vieillard, je suis étonné :

  Vous voulez tromper le roi, et avoir ses soldats ?
Il a touché l’argent, il faut qu’il aille à l’armée ;

  Quand vous me donneriez cinq cents écus, vous ne l’auriez pas,
Il n’y a pas de soldat dans la compagnie qui me plaise autant que lui. —

  — Adieu donc, cher Sylvestre, comme un enfant prodigue !
Si vous étiez resté à la maison, nous serions riches.

  J’ai un petit oiseau auprès du seuil de ma porte,
Dans un petit trou du mur ; je crois qu’il couve.


  O toi, mon petit oiseau, tu as deux ailes,
(Voudrais-tu) voler par-delà la grande mer ; oh ! oui, par-delà la mer, loin ;

  (Voudrais-tu) voler pour moi jusqu’à la tête de l’armée,
Pour savoir si mon cher Sylvestre est en vie ? —

II

  — Bonjour à vous, Sylyestrik, je vous souhaite le bonjour. —
— Et à toi aussi, petit oiseau, puisque tu es venu jusqu’ici. —

  — Je suis envoyé ici par votre père désolé,
Qui dit, Sylvestrik, que c’est vous qui en êtes cause. —

  — Descendez, petit oiseau, descendez sur vos deux pieds,
Que je vous écrive une lettre, pour lui porter, à la maison ;

  Que je vous écrive une lettre, pour lui porter, à la maison,
Dans deux ans, à partir d’aujourd’hui, je serai arrivé auprès de lui —

  — Quand j’étais dans mon lit, dans mon lit, bien couché,
J’entendais les filles du Roudour qui chantaient la chanson de mon fils —

  Quand le père désolé était à faire ses gémissements.
Son fils Sylvestrik était à l’écouter, sur le seuil de la porte.

  — Cessez, père désolé, cessez de pleurer,
Voyez votre fils Sylvestrik qui est de retour ! .... —


Plouaret (Côtes-du-Nord).


Cette pièce correspond à celle du Barzaz-Breiz (page 141, 6e édition), connue sous le nom de : Le Retour d Angleterre. — Voir dans la Revue Archéologique, livraison de mars 1868, page 227, un article très-intéressant où M. D’Arbois de Jubainville compare ces deux versions avec celle du Barzaz-Breiz.

LE SEIGNEUR DE ROSMADEC.
PREMIÈRE VERSION.
________


I

  Entre Rosmadec et le Baron[72]
S’est élevé un petit désaccord,
Au sujet d’une avenue d’arbres
Qui leur appartenait de compte-à-demi.

  Le seigneur de Rosmadec disait
Qu’il voulait avoir le choix des arbres ;
Qu’il voulait avoir le choix des arbres,
Et ses héritiers après lui.

  — Avant d’avoir le choix des arbres,
Il te faudra les gagner ! —
Le seigneur de Rosmadec disait
Au seigneur Baron, ce jour-là :

  — Allons tous les deux au Pré-Neuf
Pour jouer un coup d’épée. —
— Moi, je n’irai pas jouer de l’épée,
Il faut que j’aille à la messe :

  — Allons tous les deux à la messe.
Pour conjurer le mauvais sort ;
Allons à la grand’messe et aux vêpres,
Qui conjurent beaucoup de mauvais sorts. —

  Nous n’irons pas à la grand’messe,
Il faut aller jouer de l’épée ;
Allons tous les deux au Pré-Neuf,
Pour jouer un coup d’épée. —

II

  Arrivés au Pré-Neuf,
Ils se sont mis à jouer de l’épée ;
Et quand ils eurent commencé à jouer de l’épée,
Le seigneur Baron gagnait (avait l’avantage).

  Le seigneur Rosmadec dit
Au seigneur Baron, qui avait l’avantage :
— Baron, ramasse tes boucles,
Si je marche dessus je les briserai. —


  Il s’est baissé pour ramasser ses boucles (de souliers).
Le traître l’a traversé (de son épée) !....
Le seigneur Baron disait
A son petit page, en ce moment :

  — Guillaume Le Bélec, mon bon serviteur,
Va quérir un prêtre, pour me confesser,
Un médecin pour arrêter mon sang,
Pour que j’aie la vie de Rosmadec ! —

  Guillaume Le Bélec dit
A son maître le Baron, quand il l’entendit :
— Mieux vaudrait faire votre testament,
Pendant que vous avez votre entendement. —

  Le premier testament qu’il fit,
Ce fut d’offrir son âme à Dieu :
— Guillaume Le Bélec, mon bon ami,
Vous allez à la maison, moi je n’y vais pas :

  Faites mes compliments à ma femme,
Mais ne lui dites pas que j’ai été tué ;
Mais dites lui que je serai allé à Paris,
Pour saluer le roi Louis ;

  Dites que je serai allé à Paris,
Pour saluer le roi Louis,
Et que j’ai acheté un nouveau cheval,
Le petit cœur de mon cheval était trop gai. —

III

  La baronne demandait
A Guillaume Le Bélec, ce jour-là :
— Guillaume Le Bélec, dites-moi,
Où est allé votre maître le Baron ? —

  — Mon maître est allé à Paris,
Pour saluer le roi Louis,
Et il a acheté un nouveau cheval,
Le petit cœur de son cheval était trop gai. —

  Guillaume Le Bélec disait,
Quand il était à souper, cette nuit-là :
— Savoir qui aura la hardiesse
D’annoncer la nouvelle à Madame ?

  D’annoncer la nouvelle à Madame,
Que notre maître le Baron a été tué ?
Quand il s’est baissé pour ramasser ses boucles,
Rosmadec le traître l’a traversé de son épée ! —

  La petite servante, quand elle entendit,
Monta aussitôt par l’escalier tournant ;
Elle est montée par l’escalier tournant,
Et a dit à la Baronne :


  — Seigneur Dieu, que faire ?
Notre maître le Baron a été tué !
Quand il s’est baissé pour ramasser ses boucles,
Rosmadec le traître l’a traversé de son épée ! —

  Quand la Baronne a entendu,
Elle est tombée trois fois à terre ;
Elle est tombée trois fois à terre,
La petite servante l’a relevée.

  Quand le jeune Baron a appris,
Il a dit à sa mère la Baronne :
— Ma mère chérie, ne pleurez pas,
Moi, j’aurai la vie de Rosmadec ! —

IV

  Et quand il fut arrivé à l’âge de quinze ans,
Il a dit à sa mère la Baronne :
— Ma mère la Baronne, si vous m'aimez,
Vous me donnerez l’épée de mon père ;

  Vous me donnerez l’épée de mon père,
Pour aller trouver Rosmadec ;
Pour aller trouver Rosmadec,
Car il faut que j’aie sa vie ! —

  Le jeune Baron disait.
En arrivant chez Rosmadec :
— Bonjour et joie à tous dans cette maison,
Rosmadec, où est-il ? —

  La gouvernante répondit
Au jeune Baron quand elle l’entendit :
— Il est là-haut, dans sa chambre,
Allez le trouver, si vous voulez. —

  — Je n’irai pas le trouver dans la chambre,
Mais il descendra quand il en sera prié. —
Quand Rosmadec entendit cela.
Il mit la tête à la fenêtre ;

  Il a mis la tête à la fenêtre
Et a dit au jeune Baron :
— Jeune Baron, retire-toi de là.
Car j’ai pitié de ton sang ! —

  — N’ayez nulle pitié de mon sang,
Puisque vous n’en aviez pas de celui de mon père :
Et hâtez-vous de descendre,
Ou je mettrai le feu à tous vos biens !

  Hâtez-vous de venir jouer (de l’épée) avec moi,
Ou je mettrai le feu à votre maison ;
Ou je mettrai le feu à votre maison,
Et vous laisserai brûler au milieu ! —


  Le seigneur de Rosmadec disait,
En faisant ses adieux aux gens de sa maison :
— Je vais en ce moment au Pré-Neuf,
Et je suis sûr que j’y perdrai la vie ! —

  Quand ils sont allés jouer de l’épée,
Le jeune Baron gagnait :
Le seigneur de Rosmadec disait
Au jeune Baron, voyant qu’il avait l’avantage :

  — Baron, ramasse tes boucles,
Si je marche dessus, je les briserai. —
— Et quand mes boucles seraient brisées,
J’ai de l’argent assez dans mes poches ;

  J’ai de l’argent assez dans mes poches,
Pour en avoir d’autres qui les remplaceront ;
Ne t’inquiète pas de cela,
Et joue hardiment ton coup d’épée ! —

  Le seigneur de Rosmadec disait,
Au seigneur Baron qui avait l’avantage :
— Baron, ramasse tes mouchoirs,
Si je marche dessus, je les souillerai. —

  — Et quand mes mouchoirs seraient souillés,
J’ai de l’argent assez dans mes poches ;
J’ai de l’argent assez dans mes poches,
Il y a des filles dans le pays qui les laveront :

  Ne t’inquiète donc point de cela,
Et joue hardiment ton coup d’épée ;
Joue ton coup d’épée quand tu voudras,
Car voici l’heure où tu mourras ! —

  Il n’avait pas fini de parler,
Qu’il lui trancha la tête de dessus le corps,
Et la jeta sur la rue,
Aux enfants, pour jouer à la crosse !

  Et les gentilshommes disaient,
Se disaient l’un à l’autre :
— Voici le jeune Baron qui passe.
Portant la tête de Rosmadec !

  Et ils se disaient l’un à l’autre :
— Celui-là sait jouer de l’épée ! —

V

  Sa mère la Baronne demandait
Au jeune Baron, quand il arriva :
— Mon fils le Baron, dites-moi,
Avez-vous eu la vie de Rosmadec ? —


  Le jeune Baron répondit,
A sa mère la Baronne, quand il l’entendit :
— Ma mère, sa tête est sur la rue,
Servant aux enfants à jouer à la crosse ! — (1)


Renan, le sabotier, commune de Trégrom. — 1854.


(1) Variante :

— J’ai mis sa tête sur le pavé
Pour leur servir de boule a jouer aux quilles ! —


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ROSMADEC
ET LE BARON HUET.
SECONDE VERSION.
________


I

  Le baron Huët disait
Un jour à Rosmadec :
— Allons tous les deux à la messe,
Pour conjurer le mauvais sort. —

  Le seigneur de Rosmadec disait
Au baron Huët, ce jour-là :
— Aille à la messe qui voudra,
Pour nous, allons jouer de l’épée!

  Pour nous, allons jouer de l’épée,
Et celui qui perdra, perdra ;
Celui qui perdra, perdra,
Et celui qui gagnera, gagnera ! —

  Trois heures et demie ils ont été
A jouer de l’épée et du fleuret ;
Et quand sonnèrent les quatre heures,
Le baron Huët était tué.

  Le baron Huët disait
A Guillaume Le Bélec, ce jour-là :
— Retournez à la maison, Guillaume Le Bélec,
Et emmenez mes chevaux :

  Et dites que je suis allé à Paris,
Pour saluer le roi Louis,
Et que j’ai acheté une nouvelle haquenée
Le petit cœur de mon cheval était trop gai. —


II

  La Baronne disait,
A la fenêtre de sa chambre, ce jour-là ;
— Qu’y a-t-il de nouveau dans cette maison,
Que le château tremble de la sorte ? —

  Quelles nouvelles dans la maison,
Que le château tremble de fond en comble ? —
Une petite servante était dans la maison,
Et y servait depuis longtemps,

  Et elle dit à sa maîtresse :
— Il y a quelque chose de nouveau,
Je vois revenir Guillaume Le Bélec,
Et je ne vois pas le Baron mon maître. —

  La Baronne, dès qu’elle l’entendit,
Descendit l’escalier tournant ;
Elle est descendue par l’escalier tournant
Et a dit à Guillaume Le Bélec :

  — Guillaume Le Bélec, dites-moi,
Votre maître le Baron, où est-il allé ? —
Guillaume Le Bélec répondit
A la Baronne, sitôt qu’il l’entendit :

  — Mon maître est allé à Paris,
Pour saluer le roi Louis,
Et il a acheté une haquenée,
Le petit cœur de son cheval était trop gai. —

  La Baronne répondit
A Guillaume Le Bélec, quand elle l’entendit :
— Guillaume Le Bélec, si vous m’aimez,
Vous me direz la vérité ;

  Dites-moi la vérité,
Et je vous achèterai un habit neuf,
Un habit neuf, avec passements,
Qui sera beau pour un jeune homme. —

  Guillaume Le Bélec répondit
A la Baronne, sitôt qu’il l’entendit :
— Notre-Dame Marie de la Trinité,
Je ne puis pas vous le nier !

  Je ne puis pas vous le nier,
Le Baron mon maître a été tué ;
Le Baron mon maître a été tué
Par le traître Rosmadec ! —

  Quand la Baronne entendit cela,
Elle tomba trois fois à terre ;
Trois fois à terre elle est tombée,
Le jeune Baron l’a relevée :


  — Consolez-vous, ma mère, ne pleurez pas,
La vengeance de mon père ne sera pas perdue ;
Si je vis, quand je serai en âge,
Moi, je vengerai la mort de mon père ! —

III

  Le jeune Baron disait
Ce jour-là à Guillaume Le Bélec :
— Sortez mes chevaux de l’écurie,
Et mettez dessus des tapis ;

  Mettez dessus des tapis,
Car je veux aller sans retard,
Je veux aller sans retard
Rendre visite à Rosmadec, chez lui. —

  Le jeune Baron disait,
En arrivant au manoir de Derleu :
— Bonjour et joie à tous dans cette maison,
Rosmadec où est-il ? —

  Rosmadec, sitôt qu’il entendit,
Mit la tête à la fenêtre ;
Il a mis la tête à la fenêtre,
Et a dit au jeune baron :

  — Retournez à la maison, mon bon Baron,
Jusqu’à ce que vous soyez venu en âge,
Car je trouve que ce serait grande pitié
De vous oter la vie à présent ! —

  Le jeune Baron répondit
A Rosmadec, sitôt qu’il l’entendit :
— Allons jouer de l’épée,
Ou je mettrai le feu à tous tes biens,

  Et tu verras tout brûler,
Et toi-même tu seras rôti en même temps ! —
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  Rosmadec, à ces mots,
Descendit l’escalier tournant ;
Il descendit l’escalier tournant,
Et ils allèrent jouer de l’épée.

  Deux heures et demie ils ont été
A jouer de l’épée et du fleuret ;
A jouer de l’épée et du fleuret,
Rosmadec a été tué.

IV

  Quand le Baron allait par la rue,
Les gens tremblaient des deux côtés ;
Les gens tremblaient des deux côtés :
— C’est celui-ci qui sait jouer de l’épée ! —


  Le jeune baron disait
A sa mère, en arrivant à la maison :
— Tenez, ma mère, voici l’épée de mon père,
Je l’ai lavée dans son sang !

  J’ai mis sa tête à bas,
Pour servir aux enfants de boule à jouer aux quilles !
Je vous avais dit et assuré
Que je vengerais la mort de mon père ! —


Chanté par Garandel, surnommé compagnon l’aveugle,
Keramborgne, 1847.


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PONTPLANCOAT.
PREMIÈRE VERSION.
________


I

  — Petite Marguerite, ma fille gentille,
Je veux vous parler de vous marier,
De vous marier à Pontplancoat,
Qui est, à mon avis, un bon veuf. —

  — Si vous me mariez à Pontplancoat,
Adieu à la danse et aux ébats ;
Adieu aux ébats et à la danse,
Adieu à tous les plaisirs ! —

II

  Trois mois entiers ont duré
Les solennités de la noce ;
Solennités, bals, danses,
Des visites tous les jours à la noblesse. ...

  Une lettre est arrivée au seigneur,
Pour se rendre aux états, à Rennes ;
Pour se rendre aux états, à Rennes,
Et abandonner tout, femme et biens.

III

  Le seigneur de Pontplancoat disait,
Une nuit, à son petit page :
— J’ai fait un songe cette nuit
Qui m’inquiète, je pense ;

  (J’ai rêvé) que Madame est en couches,
Depuis trois jours et trois nuits ! —
Le petit page répondit
A Pontplancoat, quand il l’entendit :

  — Mon bon maître, dormons tous les deux,
Et ne croyons pas aux songes ;
Ne croyons pas aux songes,
Les songes sont tous menteurs ! —

  Le seigneur de Pontplancoat disait
A son petit page, cette nuit-là ;
— Attelez le cheval à mon carrosse,
Il faut que j’aille à Pontplancoat, cette nuit. —


IV

  Le seigneur de Pontplancoat disait,
En arrivant à Pontplancoat :
— Bonjour et joie à tous, dans cette maison,
Qu’y a-t-il de nouveau ici ? —

  La petite servante répondit
Au seigneur de Pontplancoat, quand elle entendit :
— Il y a du nouveau assez,
Madame est en peine d’enfant !

  La Baronne est en peine d’enfant,
Depuis trois jours et trois nuits. —
Le seigneur de Pontplancoat disait
A la Baronne, en la saluant :

  — Ma pauvre femme, du courage!
Voici la noblesse qui vient vous faire visite ;
Voici l’empereur qui vient,
Et la fille du roi pour marraine !

  — Il n’y a ni seigneur ni dame
Qui puisse rendre mon cœur joyeux,
Si vous ne le faites, mon seigneur Baron,
Ou bien encore mon frère, l’évéque de Léon.

  Seigneur Baron, si vous étiez content,
Je ferais à présent mon testament ? —
— Faites le testament que vous voudrez,
Il y a de l’argent et on payera. —

  — Ma robe de noce, la meilleure,
Je la donne à madame sainte Anne ;
Ma robe de satin blanc, à sainte Catherine,
Pour que je meure trois jours après avoir enfanté. —

  Elle n’avait pas fini de parler,
Que la sainte Vierge entra dans la maison ;
La sainte Vierge entra dans la maison,
Pour la voir ouvrir. —

  — Arrête, arrête, chirurgien,
Tu vas un peu vite en besogne :
Mets-lui une cuillère d’argent dans la bouche
Et fais une incision au côté droit.

  Fais-lui une incision au côté droit,
Mieux vaut perdre une que perdre deux ! —
Le chirurgien disait
A Monsieur le Baron, en ce moment :

  — Voici un petit fils,
Dont j’ai plein les bras ;
J’en ai plein les bras,
Il ne lui manque que le baptême ! —


  — Je voudrais voir mon fils baptisé,
Et qu’il fût a dix-huit brasses sous terre ;
Et qu’il fût sous terre à dix-huit brasses,
Et sa mère bien portante au monde !

  J’ai trois fils à Pontplancoet,
Aux cheveux blonds et aux yeux bleus,
Et ils peuvent dire avec raison
Que jamais mère ne les mit au monde ;

  Jamais mère ne les mit au monde,
Car tous en ont été tirés par le côté.
J’ai eu trois femmes du nom de Marguerite,
Et toutes les trois sont mortes :

  J’ai eu trois femmes du nom de Marguerite,
Hélas ! je les ai perdues toutes les trois ;
Marguerite Rohan, la dernière,
Celle-là me brise le cœur ! —


Chanté par Marie-Josèphe Kerival.
Keramborgne, 1848.


Il y a des maisons nobles du nom de Pontplancoet dans les communes de Plougoulm et de Plougasnou (Finistère).


________


PONTPLANCOET.
SECONDE VERSION.
________


I

  — Petite Marguerite, ma gentille enfant,
Je veux vous parler de vous marier,
De vous marier à Pontplancoet,
Qui, à mon avis, est un bon veuf. —

  — Ma mère, il est juste que je vous écoute,
Et je vous dois obéissance ;
Mais si je me marie à Pontplancoet,
Adieu aux joies de ce monde !

  Il a eu quatre femmes du nom de Marguerite,
Toutes les quatre elles ont été ouvertes ;
Toutes les quatre elles ont été ouvertes,
Hélas ! je serai la cinquième. —

II

  Les voilà fiancés et mariés,
Et trois mois et demi ont duré,

  Et trois mois et demi ont dure
Les solennités de la noce.

  Quand Pontplancoet était aux Etats,
Il recevait des lettres ;
Il recevait des lettres
(Pour lui dire) « que sa femme était en couches :

  » Que sa femme était en couches,
» ( Que sainte Marguerite la délivre ! )
» Cherchant à donner le jour à un petit fils,
» J’ai mille peurs qu’elle ne le mette pas au monde ! »

  Son petit page disait,
Un jour, au seigneur de Pontplancoet :
— Il tombe de la pluie à torrent, la nuit est noire,
Mon maître chéri, allons reposer. —

  — De la nuit je ne me coucherai dans mon lit,
Ni ne me reposerai nulle part ;
Ni ne me reposerai nulle part,
Que je n’aie vu celle que j’aime :

  Dussé-je crever un cheval à chaque pas,
Il faut que je voie ma femme ;
Il faut que je voie ma femme,
Je ne sais quoi tourmente mon esprit ! —

III

  Et Pontplancoet disait,
En arrivant auprès de la cour (de son manoir) :
— Qu’y a-t-îl de nouveau dans ma maison,
Que personne ne vient m’ouvrir ? —

  La gouvernante disait
A Pontplancoet en ce moment,
— Il y a du nouveau assez dans le pays,
Et dans les paroisses environnantes ;

  Il y a du nouveau assez dans le pays,
La Baronne est en couches !
La Baronne est en couches,
Que sainte Marguerite la délivre !

  Voici trois jours et trois nuits
Qu’elle est en peine,
Cherchant à donner le jour à un petit fils,
J’ai mille peurs qu’elle ne le mette jamais au monde !

  — Bonjour, dit-elle, mon époux,
Il y a bien longtemps que je ne vous ai vu ;
Depuis que vous êtes parti de cette maison,
J’ai éprouvé bien de la peine ! —


  — Ma femme chérie, si vous m’aimez,
Envoyez votre valet à Saint-Brieuc,
De là, il viendra à Saint-Yves, [1][73]
C’est celui-là qui me tirera de peine ! —

IV

  — Page, page, mon petit page.
Et qu’a dit saint Yves ? —
— Saint Yves m’a dit
Qu’il faudrait l’ouvrir ;

  Mettez-lui une bille d’argent dans la bouche,
Et le couteau dans le côté droit ;
Et le couteau dans le côté droit,
Vous trouverez un petit enfant en vie. —

  — Nul ne mettra mon esprit content,
Puisque vous ne le faites, mon époux ;
Nul ne rendra mon cœur content,
Si ce n’est mon frère, l’évêque de Léon.

  Mon mari, écrivez une lettre
à l’évêque de Léon (pour le prier) de venir à la maison ;
Mettez-y en même temps,
D’amener un médecin pour me voir ;

  D’amener un médecin pour me voir,
Mieux vaudrait perdre un que perdre deux ;
Mieux vaudrait perdre un qui est baptisé,
Qu’un autre qui ne le serait pas !

  Mon pauvre mari, si vous m’aimez,
Vous viendrez avec moi à la tonnelle ;
Vous viendrez avec moi à la tonnelle,
Pour que je fasse mon testament. —

  Arrivée dans la tonnelle,
Elle lui a donné un bouquet,
Un bouquet fait de trois sortes de plantes,
Chagrin, mélancolie et tourment.

  — Mon cher époux, si vous vous remariez,
Ne prenez pas une demoiselle,
Prenez la fille d’un bon père de famille,
Qui sera habituée au travail.

  La meilleure vache à lait qui est dans ma maison,
Donnez-la à ma petite servante ;
Donnez-la à ma petite servante,
Qui a eu beaucoup de mal avec moi ;


  Aux autres serviteurs, vous donnerez à chacun un louis d'or,
Pour qu’ils se souviennent de la pauvre Baronne ! —
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  — Du courage, du courage, ma femme,
Voici la noblesse qui vient vous voir ;
Voici mon frère l’empereur,
Et la fille du roi pour marraine ! —

  — Ouvrez toutes les portes,
Pour que je voie venir la Mort ;
Ouvrez à deux battants la porte de la cuisine,
Que je voie venir le médecin !

  Une robe blanche des plus belles
J’offre à sainte Anne,
Et une autre à sainte Catherine,
Pour que je vive trois jours après avoir enfanté. —

V

  Au moment où l’on s’apprêtait à l’ouvrir,
Deux vierges entrèrent dans la maison,
Deux vierges des plus belles,
La Sainte-Vierge et sainte Anne.

  Deux vierges entrèrent dans la maison,
Qui donnèrent des conseils pour l’ouvrir :
— Mettez-lui la bille d’argent dans la bouche,
Et le couteau dans le côté droit ;

  Le couteau dans le côté droit,
Vous y trouverez un petit enfant en vie ;
Faites-lui trois coutures d’aiguille dans le côté,
Elle viendra avec nous au bout de trois jours ! —

VI

  — Baron, quittez votre lit,
Vous avez un fils beau comme le jour ;
Vous avez un fils beau comme le jour,
Et votre femme est bien portante dans son lit. —

  — Je voudrais voir mon fils baptisé,
Et qu’il fut sous terre à trente brasses ;
Qu’a fut sous terre à trente brasses,
Et la mère qui le porta sur pied !

  J’ai quatre fils à l’armée,
Et ils peuvent dire en toute vérité ;
Ils peuvent dire en toute vérité
Qu’ils n’ont pas été mis au monde par leurs mères ! —


Chanté par Anna Salic.
Plouaret, 1865.


RENÉE LE GLAZ.
PREMIÈRE VERSION.
________


I

  Renée Le Glaz disait,
Assise auprès de la Chapelle-Neuve :
— Si j’étais ou je voudrais être,
Ce n’est pas ici que je serais ;

  Mais à Kerversault, avec le fils ainé,
Celui que j’aime le plus dans ce monde ;
Mon plus aimé après Dieu,
Et qui le sera aussi longtemps que je serai en vie !

II

  Renée Le Glaz disait,
En arrivant à la maison :
— Qu’y a-t-il de nouveau dans cette maison,
Que la broche est au feu ?

  Que la broche est au feu,
Avec la grande marmite et les deux petites ? —
— Je suis fort étonnée, Renée, de vous entendre,
Puisque c’est demain prochain votre mariage ? —

  — Si c’est demain mon mariage,
Comment appelle-t-on celui que j’ai eu ?
— Je suis fort étonnée, Renée, de vous entendre,
Vous qui avez eu un si bel homme !

  Vous qui avez eu un si bel homme,
Yves Gelard, pour époux ! —
Renée Le Glaz disait
A sa petite servante, ce jour-là :

  — Prenez, servante, cette lettre,
Et allez avec elle (portez-la) à Kerversault ;
Allez avec elle à Kerversault,
Et donnez-la au fils aîné. —

  La petite servante disait,
En arrivant à Kerversault :
— Bonjour et joie à tous dans cette maison,
Où est le fils aîné ? —

  — Pourquoi avez-vous besoin du fils aîné,
Puisque sa douce Renée est mariée ? —
— Le trouve mauvais qui voudra,
Je parlerai au fils aîné ! —


  — Il est la-bas malade, sur son lit,
Du regret de sa douce Renée. —
La petite servante disait,
En arrivant auprès du fils ainé :

  — Prenez, fils aîné, cette lettre,
De la part de votre douce Renée ;
De la part de votre douce Renée,
C’est là sa dernière lettre. —

  La lettre était à peine ouverte,
Qu’il avait les larmes aux yeux :
— Si cette lettre dit vrai,
Je n’ai plus bien longtemps à vivre ;

  Je n’ai plus bien longtemps à vivre,
Et elle a moins encore, je crois ! —

III

  Renée Le Glaz disait
A la fenêtre de sa chambre, ce jour là :
 
  — Je vois Yves Gélard qui vient ici,
Une belle compagnie est avec lui :
Je demande à mon Jésus
Qu’il se casse le cou en venant ! —

  Yves Gélard disait,
En arrivant chez le vieux Le Glaz :
— Bonjour et joie à tous dans cette maison,
Où est ma douce Renée ? —

  — Elle est dans le cabinet au bas de la maison,
Yves, allez la voir ;
Yves, allez la voir,
Et, au nom de Dieu, consolez-la. —

  — Bonjour à vous, Renée jolie. —
— A vous pareillement, jeune veuf ! —
— Notre-Dame Marie de la Trinité,
Me prenez-vous donc pour un veuf ? —

  — Pour un veuf je ne vous prends pas,
Mais vous le serez sans tarder ! —
Renée Le Glaz disait
Dans la cour de son père, ce jour-là :

  — Je donne ma malédiction, de bon cœur,
Aussi bien à ma mère qu’à mon père,
Et à tous ceux qui élèvent des enfants
Et les marient malgré eux ;

  A tous ceux qui élèvent des jeunes gens,
Et ne les laissent choisir à leur gré ! —
Renée Le Glaz disait,
En passant devant Kerversault :


  — Yves Gélard, dites-moi,
Me laisserez-vous entrer dans la maison ;
Me laisserez-vous entrer dans ce manoir,
Pour faire mes adieux au fils aîné ? —

  — Pour à présent, vous n’irez pas,
En retournant à la maison, je ne dis pas. —
— Le trouve mauvais qui voudra,
Je descendrai à Kerversault ! —

  Quand Renée entra dans la maison,
Son cœur fut brisé ;
Le pauvre corps était sur les tréteaux funèbres,
Que Dieu pardonne à son âme !

  Elle met sa tête sur ses genoux,
Et meurt auprès de lui !
On cherche des linceuls pour les ensevelir,
On allume de la lumière, pour les veiller.

  Tous les gens de la maison dirent
Qu’il fallait les mettre tous les deux dans la même fosse ;
Qu’il fallait les mettre tous les deux dans le même tombeau,
Puisqu’ils n’ont pas été dans le même lit !


Chanté par ma mère, Rosalie Le Gac.
Keramborgne, 1845.


________


RENÉE LE GLAZ.
SECONDE VERSION.
________


I

  Renée Le Glaz demandait
A sa mère, un lundi matin :
— Qu’y a-t-il de nouveau dans cette maison,
Que la broche est au feu ?

  Que la broche est au feu,
Ainsi que le grand pot de fer, et le petit ? —
— Je suis étonnée, ma fille, de vous entendre,
Puisque c’est demain le jour de votre noce ! —

  — Comment, demain le jour de ma noce,
Et moi qui ne suis pas fiancée ! —
— Vous étiez dans votre lit, bien endormie,
Quand vous avez été fiancée par votre père. —


  — Si c’est demain le jour de ma noce,
Je vais me mettre au lit, pour dormir,
Afin de me lever demain de bonne heure,
Ma mère, pour m’habiller ;

  Ma mère, pour me préparer
A accompagner Yves Gélard, pour nous marier. —
Renée Le Glaz disait
A sa petite servante, ce jour-là :

  Petite servante, si vous m’aimez,
Vous porterez une lettre pour moi ;
Vous porterez une lettre pour moi
A Kerversault, à mon doux Kloarek. —

II

  La petite servante disait
En arrivant à Kerversault :
Bonjour et joie à tous dans cette maison,
Le jeune Kloarek, où est-il ? —

  — Il est malade sur son lit,
Du regret de sa douce jolie Renée ;
Du regret de sa douce jolie Renée,
Petite servante, consolez-le. —

  — Kloarek, prenez cette lettre
De votre douce jolie Renée. —
Le pauvre Kloarek disait,
En lisant la lettre :

  — D’après ce que dit cette lettre,
Elle n’a pas trois jours à vivre ;
Elle n’a pas trois jours à vivre,
Et moi, je n’ai pas trois heures, je pense !

  Prenez, petite servante, une pièce de deux écus,
Pour la peine que vous avez prise. —

III

  Renée Le Glaz disait,
A la fenêtre de sa chambre, ce jour-là :

  — Je vois venir la compagnie,
Ils passent par le bois de Dizes ; (1)[74]
Yves Gélard est en tête,
Et je lui donne ma malédiction ;

  Je lui donne ma malédiction
Pour être venu chercher femme dans ce pays ;
Assez de filles étaient dans sa contrée,
Pour ne pas vouloir en avoir d’autres malgré elles !


  Yves Gélard disait,
En arrivant chez le vieux Le Glaz :
— Bonjour et joie à tous dans cette maison,
Où est ma douce Renée ? —

  — Elle est dans la chambre, au-dessus de la cuisine,
Yves Gélard, consolez-la. —
— Bonjour à vous, Renée la jolie. —
— A vous de même, jeune veuf ! —

  — Notre-Dame Marie de la Trinité !
Me prenez-vous pour un veuf ? —
— Je ne vous prends pas pour un veuf,
Mais vous le serez dans trois jours ! —

IV

  Renée Le Glaz disait,
En passant auprès de Kerversault : (1)[75]
— Laissez-moi entrer ici.
Pour que je voie le fils aîné :

  Pour que je voie le fils aîné,
J’ai entendu dire qu’il est malade sur son lit ;
J’ai entendu dire qu’il est malade sur son lit,
Et même à son heure dernière. —

  — Pour aujourd’hui, nous n’entrerons pas,
Nous le ferons demain, si vous voulez. —
— Si nous n’entrons pas aujourd’hui,
Demain nous ne le ferons pas non plus —

  Pendant la messe de noce,
Les coups de la mort ont frappé ; [1][76]
Les coups de la mort ont frappé,
Le pauvre Kloarec est mort !

  Renée Le Glaz disait
A monsieur le recteur, ce jour-là :
— Hâtez-vous de dire cette messe,
Mon cœur est près de défaillir ! —

  Monsieur le recteur disait
A Renée Le Glaz, ce jour-là :
— Je suis surpris, Renée, de vous entendre,
Vous avez eu un honnête homme ;

  Il possède de l’argent et de l’or,
Et avec votre doux Kloarec vous seriez pauvre ! —
— Cela ne regarde personne au monde.
Et quand je serais avec lui à chercher mon pain ! —


  Renée Le Glaz disait,
En arrivant chez sa belle-mère :
— Donnez-moi siège pour m’asseoir,
Serviette, pour essuyer la sueur ;

  Serviette, pour essuyer la sueur,
Mon cœur est près de se briser ! —
Mais sa belle-mère répondit
A Renée, sitôt qu’elle l’entendit :

  — Je suis étonnée, Renée, de vous entendre,
Vous qui étiez portée sur un cheval ! —
— Si j’étais venue de mon plein gré,
Je serais venue à pied ! —

  Renée Le Glaz disait
Aux gens de la noce, ce jour-là !
— Mangez, buvez, compagnie,
C’en est fini pour la maîtresse de la journée ! (1)[77]

  Renée Le Glaz demandait
A sa belle-mère, cette nuit-là :
— Ma belle-mère, dites-moi,
Où irons-nous coucher ? —

  — Votre lit est fait dans le cabinet,
Là où rien ne vous gênéra. —
Arrivée dans le cabinet,
Elle a pris deux chaises ;

  Elle a pris deux chaises,
Une pour elle, l’autre pour son époux :
— Mon pauvre époux, si vous étiez content,
Je ferais à présent mon testament ? —

  — Faites le testament que vous voudrez,
Dût-il aller à quatre mille écus ;
Et quand il irait à quatre mille écus,
Comme vous direz il sera fait. —

  — Mon pauvre époux, dites-moi,
Combien y a-t-il de serviteurs dans votre maison ! —
— Il y en a dix-huit ou dix-neuf,
Vous l’apprendrez plus tard de ma mère. —

  — Mon pauvre époux, si vous m’aimez,
Vous leur achèterez à chacun un habit noir,
Pour que les habitants du pays disent :
— Ce sont les porteurs de deuil de la jeune femme !


  Elle mit alors la tête sur ses genoux,
Et mourut presqu’aussitôt !
Que Dieu pardonne à leurs âmes,
Ils sont tous les deux sur les tréteaux funèbres ! (1)[78]

  Ils sont allés tous les deux dans la même fosse,
Puisqu’ils n’ont pas été dans le même lit :
Ils sont tous les deux dans la même tombe,
La bénédiction de Dieu soit sur leurs âmes !


Chanté par Garandel, surnommé Compagnon-l’Aveugle.
Keramborgne, 1847.


Voir dans le Barzaz-Breiz (p. 242) la pièce qui correspond à celle-ci, sous le titre de : Azenor la pâle.


________


JEANNE LE IUDEC.
PREMIÈRE VERSION.
________


I

  Jeanne Le Iudec est demoiselle,
Et ne daigne pas filer sa quenouille,
Si son fuseau n’est pas d’argent,
Sa quenouille, de corne ou d’ivoire.

  — Petite Jeanne Le Iudec, vous l’entendez,
Aussi blonds que l’or sont vos cheveux ;
Mais fussent-ils plus blonds de moitié,
Vous n’aurez pas Philippe Olivier.

  Il est allé à Guingamp, depuis jeudi,
Pour recevoir les Ordres.
Et comme il s’en retournait avec les Ordres,
La petite Jeanne était sur le seuil de sa maison ;

  La petite Jeanne était sur le seuil,
Occupée à ourler des mouchoirs ;
Et avec elle dix-huit mouchoirs,
Dont six pour Philippe Olivier.

II

  Philippe Olivier disait.
En arrivant chez le vieux Le Iudec :
— Bonjour et joie à tous dans cette maison.
Le vieux Le Iudec, où est-il ? —


  — Le vieux Le Iudec répondit
A Philippe Olivier, quand il l’entendit :
— Que cherches-tu autour de ma maison.
Si tu ne veux pas te marier ? —

  — Vieux Le Iudec, je vous prie
De venir à ma première messe,
Et de venir le plus possible,
Si ce n’est votre fille Jeanne, qui ne viendra pas. —

  Jeanne Le Iudec répondit
A Philippe Olivier, quand elle l’entendit :
— Le trouve mauvais qui voudra,
J’assisterai à votre première messe ;

  J’assisterai à votre première messe,
Et je ferai mon offrande de quatre pistoles ;
Je ferai mon offrande de quatre pistoles.
Et une douzaine de mouchoirs. —

III

  La petite Jeanne Le Iudec disait.
En arrivant dans le cimetière du Mur : (1)[79]
— Dites-moi, compagnie,
Si la messe nouvelle est dite ? —

  — La messe nouvelle n’a pas eu lieu,
Le prêtre ne peut pas la dire,
Avec le regret de la plus jolie fille du pays,
Et c'est vous, petite Jeanne, si je ne me trompe. —

  Quand Philippe Olivier faisait le tour de l’asperges,
Jeanne le saisit par son surplis :
— Philippe Olivier, détournez-vous vers moi,
C’est péché à vous, à cause de moi ! —

  La mère de Philippe Olivier disait
A Jeanne Le Iudec, ce jour-là :
— Jeanne Le Iudec, levez la tête,
Vous verrez Jésus dans la messe ;

  Vous verrez Jésus présenté
Entre les mains de votre bien-aimé ! —
Depuis l’autel jusqu’à la porte principale,
On entendait le cœur de Jeanne qui éclatait !

  Un des vicaires demandait :
— Est-ce la charpente de l’église qui craque ainsi ? —
— Sauf votre grâce, seigneur, ce n’est pas.
Mais c’est Jeanne Le Iudec, qui s’est évanouie ! —


IV

  La petite Jeanne Le Iudec disait
A son père, en arrivant à la maison :
— Je vais me mettre au lit, car je suis malade,
Et jamais je ne m’en relèverai ;

  Jamais je ne m’en relèverai,
Si ce n’est une fois, pour être mise dans un linceul.
J’ai eu dix-huit amoureux clercs,
Philippe Olivier est le dix-neuvième ;

  Philippe Olivier, le dernier,
Celui-là me brise le cœur ! —
Philippe Olivier disait
A sa mère, en arrivant à la maison :

  — Je vais me mettre au lit, car je suis malade,
Et jamais plus je ne m’en relèverai :
Si je savais être la cause de la mort de Jeanne,
Je voudrais n’avoir jamais célébré la messe ! —

  Leurs corps sont sur les tréteaux funèbres,
Que Dieu pardonne à leurs âmes !
Ils sont allés tous les deux dans le même tombeau.
Puisqu’ils n’ont pas été dans le même lit !


Chanté par Marie-Josèphe Kerival,
Keramborgne — 1848.


________


JEANNE LE IUDEK.
SECONDE VERSION.
________


I

  Jeanne Le Iudec est demoiselle
Et ne daigne pas filer sa quenouille,
A moins que son fuseau ne soit d’argent,
Sa quenouille de corne ou d’ivoire.

  La petite Jeanne est sur le seuil de sa porte,
Occupée à ourler des mouchoirs,
A les ourler avec du fil d’argent ;
Pour couvrir le calice ils seront charmants.


II

  Jeanne Le Iudec disait,
En arrivant chez le vieux Olivier :
— Donnez-moi escabeau pour m’asseoir,
Et serviette pour essuyer la sueur ; (1)[80]

  Serviette pour essuyer la sueur,
Si je dois être belle-fille dans cette maison. —
— Belle-fille dans cette maison vous ne serez,
Il est allé étudier à Paris. —

  Quand Philippe Olivier allait recevoir les Ordres,
Jeanne le suivait à travers champs :
— Philippe Olivier, retourne à la maison,
Assez de prêtres sont en Tréguier ! —

III

  Jeanne Le Iudec disait,
Un jour, à la fenêtre de sa chambre :
— Je vois les jeunes clercs qui reviennent à la maison,
(Avec eux) Philippe Olivier, fait prêtre !

  J’ai eu dix-huit amoureux clercs,
Philippe Olivier est le dix-neuvième ;
Philippe Olivier, le dernier,
Me brisera le cœur ! —

  Philippe Olivier disait
A Jeanne Le Iudec, en passant :
— Jeanne Le Iudec, si vous m’aimez,
Vous ne viendrez pas à ma première messe ;

  Vous ne viendrez pas à ma première messe,
Car vous me feriez faillir. —
— Le trouve mauvais qui voudra,
J’irai à votre première messe ;

  J’irai à votre première messe,
Et je ferai offrande de quatre pistoles,
Afin que mes compatriotes ne disent pas :
Jeanne Le Iudec est mal-avisée. —

  — Si vous voulez, Jeanne, ne pas venir.
Je vous donnerai quatre cents écus ;
Mon père lui-même vous en donnera cent,
Un bon gage pour une jeune fille ! —


  — Ce n’est ni votre or ni votre argent,
Mais c’est vous-même, Olivier, que je désire,
Dans l’espoir de me trouver mieux
De votre amitié, avant de mourir. —

  De mon amitié, aussi longtemps que je vivrai,
Je puis vous donner l’assurance,
Mais non de vous épouser,
Et c’est ma mère qui en est la cause. —

IV

  Quand Philippe Olivier allait à l’église,
Jeanne le tirait par son surplis :
—- Philippe Olivier, retourne à la maison,
Assez de prêtres sont en Tréguier ! —

  Quand le prêtre disait : Dominus vobiscum !
Jeanne se levait tout droit debout.
Hélas ! quand on fut à l’élévation,
Jeanne tomba sur la bouche !

  Depuis les balustres (le chœur) jusqu’à la porte principale,
On entendit son cœur éclater,
Si bien que le vicaire demandait
Si c’était la charpente de l’église qui craquait ? —

  — Jeanne Le Iudec, levez la tête,
Vous verrez Jésus dans la messe ;
Vous verrez Jésus glorifié
Entre les mains de votre bien-aimé ! —

  On la porta dans la chambre de la tour,
Et elle resta là mourir.
La mère de Philippe Olivier disait
A son fils prêtre, en ce moment :

  Pressez-vous d’y aller,
Et au nom de Dieu, consolez-la. —
Philippe Olivier disait
A sa mère, en l’entendant parler de la sorte :

  — Taisez-vous, ma mère, ne me plaisantez pas,
Vous n’aurez pas longtemps un fils prêtre ;
Vous célébrez aujourd’hui mon ordination.
Et demain vous serez à m’enterrer ! —

  Philippe Olivier disait,
En arrivant dans la chambre de la tour :
— Bonjour à vous, ma plus aimée,
Vous allez sortir de ce monde ! —

  — Si j’étais votre plus aimée,
Vous ne m’auriez pas traitée comme vous l’avez fait !
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


  Il appuya sa tête sur ses genoux,
Et mourut là, presqu’aussitôt !
Que Dieu pardonne à leurs âmes,
Ils sont tous les deux sur les tréteaux funèbres !

  Ils sont allés dans le même tombeau,
Puisqu’ils n’ont pas été dans un même lit :
Ceux-là étaient choisis par Dieu
Pour vivre (ensemble) comme deux époux !


Chanté par Marie-Josèphe Kado.
Keramborgne, 1844.


________


JEANNE LE MAREC.
________


I

  Le prêtre Le Bihan disait,
En arrivant chez le vieux Le Marec :
— Je suis venu ici aujourd’hui
Pour vous prier d’assister à ma première messe ;

  Et je vous prie de venir tous,
A l’exception de celle-là, ma douce Jeanne ;
A l’exception de celle-là, ma douce Jeanne,
Que je prie de ne pas venir. —

  Jeanne Le Marec disait
Au prêtre Le Bihan, en ce moment :
— Le trouve mauvais qui voudra,
A votre première messe j’irai ;

  A votre première messe j’irai,
Et s’il y a des offrandes, j’en ferai ;
Je mettrai (dans le plat) une pièce d’un écu.
Avec l’anneau que vous m’avez donné :

  Mes sœurs feront aussi leur offrande,
Pour que nous n’ayons pas honte d’elles. ...
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


II

  Jeanne Le Marec disait,
En arrivant dans le cimetière de Gaudri : (1)[81]
— Femmes et jeunes filles, dites-moi,
La messe est-elle commencée ? —

  — Elle n’est ni commencée ni terminée,
Le prêtre ne peut pas la dire ;
Le prêtre ne peut pas la dire,
Quand il pense à Jeanne Le Marec. —

  Jeanne Le Marec, quand elle a entendu,
Est entrée dans l’église ;
Elle est entrée dans l’église,
Et s’est agenouillée contre les balustres (du chœur)

  Quand le prêtre était à faire le tour de l’église,
Jeanne tirait sur son surplis,
Pour voir s’il se détournerait,
Pour dire adieu à son amour.

  Du marchepied (de l’autel) à la porte principale,
On entendait leurs cœurs éclater,
Si bien que le vicaire demandait
Si c’était la charpente de l’église qui craquait ?

  Si c’était la charpente de l’église qui craquait,
Et c’était le cœur de Jeanne qui le faisait !
Si bien que tous ses compatriotes disaient
Qu’elle était une jeune fille bien mal-avisée ;

  Qu’elle était une jeune fille bien mal-avisée
D’être folle d’un homme d’église !
Le prêtre Le Bihan disait
Au sacristain de Gaudri, ce jour-là :

  — Faites sortir Jeanne de l’église,
Pour que j’offre le sacrifice,
Car je ne puis pas l’offrir,
Quand je regarde Jeanne Le Marec. —

  Le prêtre Le Bihan disait
A Jeanne Le Marec, ce jour-là :
— Consolez-vous, Jeanne, ne pleurez pas,
Un beau banquet a été préparé :

  Un beau banquet a été préparé.
Comme un banquet de noces ;
Comme un banquet de noces
Et vous serez au haut bout (de la table). —


III

  Jeanne Le Marec disait,
En arrivant chez le vieux Le Bihan :
— Donnez-moi escabeau pour m’asseoir,
Si je dois être cuisinière ici ;

  Si je dois être cuisinière ici,
Où je devrais être la maîtresse ! —
La sœur du prêtre répondit
A Jeanne, quand elle l’entendit :

  — Cuisinière ici vous ne serez,
Mais vous serez au haut bout de la table ;
Vous serez au haut bout de la table,
Vis-à-vis de mon frère prêtre. —

  La première goutte qu’il versa,
Il dit à la petite Jeanne :
— A votre santé, jeune fille mal-avisée
D’aimer un homme d’église ! —

  La seconde goutte qu’il versa,
Il lui dit la même chose ;
Il lui a dit la même chose,
Jeanne Le Marec s’est évanouie.

  Jeanne Le Marec disait à la compagnie.
Quand elle revint à elle :
— Compagnie, excusez-moi,
Je suis venue faire la honte du banquet !

  Excusez-moi, compagnie,
Je suis venue faire la honte de la fête.
J’ai eu sept serviteurs clercs,
Le prêtre Le Bihan est le huitième :

  Le prêtre Le Bihan, le dernier.
Me brise le cœur ! ... —
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

IV

  Jeanne Le Marec disait,
Un jour, au sacristain de Gaudri :
— Dites au prêtre Le Bihan de venir ici,
Et de venir avec l’extrême-onction ;

  De venir avec l’extrême-onction,
Car je suis sur le point de passer (mourir) !
Le sacristain de Gaudri n’a pas obéi,
Il n’a pas dit au prêtre Le Bihan ;

  Il n’a pas dit au prêtre Le Bihan,
Et Jeanne Le Marec est morte ! ....
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


V

  Le prêtre Le Bihan disait,
En se promenant dans le cimetière de Gaudri :
— Qui a été enterré dans cette tombe,
Sans qu’on m’en ait demandé la permission ? —

  Le sacristain de Gaudri répondit
Au prêtre Le Bihan, quand il l’entendit :
Je ne puis vous le cacher plus longtemps,
C’est Jeanne Le Marec qui est là ! —

  Le prêtre Le Bihan ayant entendu cela,
A pris de l’eau bénite,
Puis il s’est agenouillé sur la tombe
Et a demandé une faveur :

  Il a demandé à Dieu
De mourir aussi sous trois jours ;
De mourir aussi sous trois jours,
Et d’être enterré le quatrième.

  Dieu l’a exaucé,
Et il est mort au bout de trois jours ;
Il est mort au bout de trois jours,
Et a été enterré le quatrième.

VI

  Au bourg de Gaudri, dans le cimetière,
Une belle fleur de lys s’est élevée (de terre) ;
Une belle fleur de lys s’est élevée,
Sur la tombe d’une jeune fille et d’un prêtre ;

  Et on a beau la cueillir,
Elle continue de fleurir !....
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Chanté par ma mère, Rosalie Le Gac. — 1853.


Rapprocher cette pièce ainsi que la précédente de celle qui leur correspond dans le Barzaz-Breiz (page 286, 6e édition) sous le titre de Geneviève Rustéfan.


________


L’ÉVÊQUE DE PENANSTANK.
PREMIÈRE VERSION.
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I

  — Petite Aliette, ma gentille enfant,
Il faudra aller à Penanstank ;
Il faudra aller à Penanstank,
Ou perdre nos droits sur le convenant. (1)[82]

  — Si vivait encore celle qui me donna le jour,
Comme vit celui qui m’éleva,
Je n’irais pas à Penanstank,
Et quand vous perdriez vos droits sur le convenant. —

  — Mais hélas ! ma pauvre enfant, puisqu’elle n’est plus,
Il faut obéir à votre marâtre ;
Il faut obéir à votre marâtre,
Il faudra aller à Penanstank. —

  — J’aime mieux, pour mon honneur,
Que vous me mettiez sous le seuil de votre porte !
Prenez une pioche et une pelle
Et mettez-moi vivante en terre !

II

  Le seigneur de Penanstank disait,
Un jour, à son valet de chambre :
— Je vois la petite Aliette Lemad
Qui vient à travers le bois.

  Deux yeux sont dans sa tête
Qui brillent comme deux étoiles du matin,
Son front aussi et ses deux joues
Sont blancs comme le lait dans le ribot. —

  En arrivant à Penanstank,
Elle s’est assise sur le seuil de la porte ;
Elle s’est assise sur le seuil de la porte,
Et a pleuré à noyer son cœur ! ...

  — Petite Aliette, il vous est commandé,
Par Monseigneur de monter dans sa chambre,
Pour lui tenir la chandelle,
Pendant qu’il chantera ses vêpres. —

  — Si vous êtes messager à ses ordres,
Montez et dites-lui
Qu’il y a des chandeliers d’or et d’argent,
Charmants objets pour tenir la chandelle. —


  — Petite Aliette, il vous est commandé,
Par Monseigneur, de monter dans sa chambre ;
Par Monseigneur de monter dans sa chambre,
Pour qu’il vous donne de l’or et de l’argent. —

  — Si vous êtes messager à ses ordres,
Montez et dites-lui
De garder son or et son argent,
Je suis contente dans ma pauvreté ;

  Si vous êtes messager à ses ordres,
Montez et dites-lui
De garder son argent et son or,
Mon devoir à moi est d’être pauvre ! —

  — Petite Aliette, il vous est commandé,
Par Monseigneur, de monter dans sa chambre ;
Par Monseigneur de monter dans sa chambre,
Pour qu’il vous donne de belles bagues. —

  — Si vous êtes messager à ses ordres,
Montez et dites-lui
Qu’il ne convient pas à une journalière
d’avoir des bagues d’argent à ses doigts. —

  Petite Aliette, il vous est commandé
Par Monseigneur de monter dans sa chambre,
Pour aller avec lui dans son cellier,
Déguster du vin doux comme le miel. —

  — Si vous êtes messager à ses ordres,
Montez et dites-lui
Que quand j’aurai soif, je boirai de l’eau,
Et prierai Dieu de m’être en aide. —

  — Petite Aliette il vous est commandé,
Par Monseigneur, de monter dans sa chambre,
Pour aller avec lui dans les greniers,
Choisir les poires et les pommes gâtées. —

  — Si vous êtes messager à ses ordres,
Montez et dites-lui
De donner les bonnes au pauvre, qui les mangera,
Et les mauvaises, aux pourceaux, qui les dépourriront.

  — Petite Aliette, il vous est commandé,
Par Monseigneur, de monter dans sa chambre ;
Par Monseigneur de monter dans sa chambre,
Pour lui faire son lit. —

  — Si vous êtes messager à ses ordres,
Montez et dites-lui
De descendre et je monterai ,
Et je lui ferai son lit ;


  Et s’il allonge trop ses pas,
A me poursuivre dans les escaliers ;
A me poursuivre dans les escaliers,
Je le jetterai en bas sur la bouche ! —

III

  — De dix-sept filles qui ont été dans ma maison,
Aucune n’en est sortie comme vous ;
Mais vous, petite Aliette Lemad,
Vous avez été conseillée par votre père.

  Jamais il n’a existé de jeune fille
Que je ne pusse débaucher, quand il me plaisait,
Si ce n’est vous, Aliette Lemad,
Qui avez été conseillée par votre père. —

  — Je n’ai pas été conseillée par mon père,
Mais par les saints et les saintes ;
Mais par les saints et les saintes,
Qui ont été mes avocats.

  Mettez-moi mon argent sur la table,
Pour que je m’en aille avec mon honneur,
Avec mon honneur et mon respect,
Voici dix-huit ans qu’aucune n’est partie ainsi ! —

  — Petite Aliette, je vous verrai
Un jour dans la ville, ou aux environs,
Avec votre ventre jusqu’à votre œil,
Enceinte de quelque coquin ! —

  — J’aimerais mieux être enceinte
D’un porcher, que j’aimerais,
Etre enceinte d’un porcher,
Monseigneur, que de l’être de vous !

  Ce ne serait pas un si grand déshonneur pour mon père,
Que si je l’étais d’un homme consacré (à Dieu) ;
Que si je l’étais d’un prêtre
Qui n’a plus ni honneur ni estime ! —


Recueilli dans la commune de Plougonven, — 1863.


évêque peu exemplaire, dans le catalogue des évêques de Cornouailles, qu’il a annexé à ses Vies des Saints de Bretagne : : « Frère François de La Tour, fils d’escuyer Guillaume de La Tour, et Jeanne de Goaz-riant, sieur et dame de Penn-ar-Stanq, fut moyne profès de l’ordre de Cysteaux, en l’abbaye du Relec, diocèse de Léon, et sacré évesque de Cornouaille, le jour des Rois, l’an 1574, sous le pape Grégoire, le roy très-chrétien et fut transféré à Tréguier, l’an 1585, ou il mourut l’an 1593, au manoir épiscopal de Pennarstanq, gist en la paroisse de Plougonvenn, sans enfeu ny epitaphe. »

LE SEIGNEUR DE PENANSTANK.
SECONDE VERSION.
________


I

  — Petite Aliette, ma gentille enfant, (1)[83]
Il faudra aller à Penanstank ;
Il faudra aller à Penanstank,
Ou perdre nos droits sur le convenant. —

  — Si celle qui me mit au monde était encore en vie,
Comme l’est celui qui m’éleva,
Elle ne m’enverrait pas à Penanstank,
Dût-elle perdre dix-huit convenants !

  Assez de convenants sont dans le pays,
Quand nous aurons de l’argent, nous en achèterons,
Et mon honneur, une fois perdu,
Avec tous les biens (du monde) je ne pourrais le racheter ! —

II

  Le seigneur de Penanstank disait,
Un jour, à la petite Aliette :
— Petite Aliette ma petite sœur fine,
Venez avec moi au jardin ;

  Venez avec moi au jardin,
Cueillir un bouquet de fines herbes ;
Pour que je vous montre les herbes
Qui entrent dans ma soupe. —

  — Allez dire votre grand’messe,
Et pour lors je l’aurai faite, (la soupe)
Et si elle vous plaît, vous la mangerez,
Et si elle ne vous plaît pas, vous la laisserez. —

  — Petite Aliette, ma gentille petite sœur,
Venez avec moi dans ma chambre,
Pour choisir des poires et des pommes pourries, [1][84]
Qui sont là depuis longtemps. —

  — Si vos pommes sont pourries,
Ce n’est pas moi qui les mangerai, Monseigneur ;
Jetez-les aux pourceaux, qui les mangeront,
Et ainsi vos pommes seront dépourries !


  — Petite Aliettte, ma chère petite sœur,
Venez avec moi au cellier ;
Venez avec moi au cellier,
Pour boire du vin doux comme le miel, —

  — Sauf votre grâce, Monseigneur, je n’irai pas,
Le vin ne convient pas aux jeunes filles ;
Quand j’aurai soif, je boirai de l’eau,
Et je prierai Dieu de m’assister ! —

III

  Le seigneur de Penanstank disait
Un jour à Aliette Lemad :
— Petite Aliette, si vous m’aimez,
Vous resterez encore une année avec moi ? —

  — Vous m’aviez demandée pour un an,
Et je vous ai servi un an ;
Je vous ai servi un an,
Et je ne resterai pas plus longtemps ;

  Et le convenant est à moi,
Seigneur de Penanstank, en dépit de votre nez !
Je sors vierge de votre maison,
Voilà sept ans qu’aucune autre n’en est sortie ! —

  Petite Aliette, dites-moi,
Où avez-vous été au couvent ? —
— Au coin du feu, chez mon père,
J’ai entendu mainte bonne parole ;

  — Au coin du feu, chez mon père,
J’ai entendu mainte bonne parole,
Pendant que je te berçais
Quel frère de lait pour moi ! —

  — Petite Aliette, je vous verrai,
Dans la ville de Tréguier, ou aux environs,
Avec votre ventre jusqu’à votre œil,
Enceinte de quelque fripon !

  — Si c’est d’un fripon,
Crois-le bien dans ton cœur, je l’épouserai,
S’il n’est marié,
Ou un homme consacré à Dieu.

  Toi, tu es marié à l’église,
Tu es marié au saint sacrifice :
Si tu réfléchissais, Penanstank, à ton péché,
Certainement tu y renoncerais ! —


Chanté par Marguerite Rio, domestique à Keramborgne. 1847.

L’HÉRITIÈRE DE CREC’HGOURÉ.
________


I

 Cent écus d’or il m’a coûté
D’attendre ma maîtresse pour nous marier :

  Cent écus viennent, cent écus s’en vont,
Cent écus d’or ce n’est rien ;

  Cent écus d’or ce n’est rien,
À un jeune homme pour mener joyeuse vie.

  Quand j’allais à l’étude et à l’école,
Je saluais ma douce sur le seuil de sa porte ;

  Je la saluais de loin :
— Bonjour, ma douce demoiselle ;

  Je vous salue de loin,
Si j’étais près de vous, je ferais mieux !

  — Descendez, Kloarec, venez dans la maison,
Pour me parler de vos études. —

  Je ne descendrai ni n’entrerai dans la maison,
Ni ne vous parlerai de mes études ;

  Mais je vais à Tréguier,
Pour recevoir mes derniers Ordres. —

  — Descendez, Kloarec, venez dans la maison,
Et parlez-moi de vos études. —

  — S’il vous faut des nouvelles de mes études,
Je vous en conterai tout-à-l’heure :

  Dix-huit tailleurs sont dans ma maison,
Occupés à me faire des habits neufs ;

  À me faire des habits de satin gris,
Pour aller à l’étude à Paris. —

  — Mon doux Kloarec, dites-moi,
Pourquoi allez-vous à l’étude :

  Pourquoi allez-vous à l’étude,
Si vous avez dans l’esprit de vous marier ;

  De vous marier et prendre femme,
Vous moquez-vous donc de moi ? —

  — Je ne me moque pas de vous,
Ni ne voudrais le faire ;

  Je ne voudrais pas le faire,
Ni me trouver où on le ferait :


  Bien plus, je voudrais
Défendre votre cause et la mienne. —

  — Dites au marquis de Coatanhai
De venir me demander à Crec’hgouré ;

  De venir me demander à Crec’hgouré,
Il est gentilhomme comme moi.

  Si Coatanhai est refusé ?
Mais il ne le sera pas, grâce à Dieu ! —

II

  Le jeune Kloarec souhaitait le bonjour,
En arrivant à Coatanhai :

  — Bonjour et joie à tous dans cette maison,
Où est le Marquis, que je ne le vois ?

  Où est le Marquis, que je ne le vois,
J’ai besoin de lui parler. —

  — Il est dans sa chambre, à dîner,
Qu’avez-vous besoin de lui ? —

  — Dites-lui de descendre,
Pour que je lui dise un mot ou deux.

  Bonjour à vous, seigneur de Coatanhai ! —
— À vous de même, mon frère de lait !

  Vous venez rarement me voir,
Et moi qui vous aime tant !

  Vous venez rarement à ma maison,
Quoique vous me plaisiez beaucoup !

  Qu’est-il arrivé de nouveau,
Que vous êtes venu me voir aujourd’hui ?

  Que vous êtes venu me voir aujourd’hui,
Vous n’êtes pas habitué à venir. —

  — Je suis venu pour un motif
Que j’ai honte de dire. —

  — Qu’as-tu fait de nouveau,
Que tu aies honte à avouer ?

  Si tu n’as ni incendié, ni volé,
Ni violé aucune jolie jeune fille ;

  Ni violé aucune jolie jeune fille,
Que tu ne veuilles pas épouser ensuite ?

  Et quand tu aurais fait l’un et l’autre,
Pendant que le marquis de Coatanhai sera en vie,

  Pendant que le marquis de Coatanhai sera en vie,
Jamais il ne t’en arrivera de mal. —

  — Je n’ai ni incendié, ni volé,
Ni violé aucune jolie jeune fille :

  Venez avec moi à Crec’hgouré,
Pour demander l’héritière de là. —

  — Mon frère de lait, tu le sais bien,
Cela ne serait pas convenable,

  Que celle qui possède cinq mille écus de rente
Epousât le fils d’un paysan ;

  Épousât le fils d’un laboureur,
Fille de maison noble et demoiselle. —

  — Marquis de Coatanhai, je le sais bien,
Cela ne serait pas convenable ;

  J’aimerais mieux être prêtre,
Mais la fille ne le permettrait pas. —

  Etre prêtre, c’est lourd,
Aussi bien qu’être religieux (moine) ;

  Si la fille est de ton côté,
J’irai avec toi à Crec’hgouré ;

  Et je te l’aurai de là,
Avec ma lance et mon épée ! —

III

  Le marquis de Coatanhai demandait,
En arrivant à Crec’hgouré :

  — Bonjour et joie à tous dans cette maison,
Le marquis de Crec’hgouré, où est-il ? —

  Le marquis de Crec’hgouré répondit
À Coatanhai sitôt qu’il l’entendit :

  — Descendez, Marquis, entrez dans la maison,
Pour que vos chevaux aillent à l’écurie :

  Mettez sur eux des tapis,
Pour que nous allions nous promener tous les deux :

  Pour que nous allions nous promener tous les deux,
En attendant que le dîner soit prêt. —

  Je ne descendrai ni n’entrerai dans la maison,
Avant que je n’aie dit mon message ;

  Avant que je n’aie dit mon message,
De peur qu’il ne s’élève entre nous quelque fâcherie —

  — Il ne s’élèvera pas entre nous de fâcherie,
Si ce que vous demandez est dans ma maison. —

  — C’est votre jeune héritière qu’il me faut,
Pour se marier avec mon frère de lait ;


  Votre héritière pour mon frère de lait,
Fils de bonne maison et écrivain ;

  Ecrivain aux ordres du roi,
Frère de lait du seigneur de Coatanhai. —

  — Et quand il aurait dix-huit titres,
Cela ne serait pas convenable,

  Qu’il eût une demoiselle
De noble lignée et de haut sang ;

  Si c’était pour vous que vous la demandiez,
Coatanhai, je vous la donnerais. —

  Le marquis de Coatanhai disait,
A son petit page, en ce moment :

  — Va-t-en trouver l’héritière,
Pour que nous sachions si elle est moqueuse. —

  Le petit page disait,
En arrivant dans la cuisine :

  — Bonjour à vous, cuisinière,
Où est l’héritière ? —

  — Elle est dans la chambre au-dessus de la cuisine,
Avez-vous besoin de lui parler ? —

  Dès que le petit page entendit,
Il monta par l’escalier tournant ;

  Il est monté par l’escalier tournant,
Et a salué l’héritière :

  — Bonjour à vous, héritière,
A vous et a toute votre société :

  On vous prie de venir en bas,
Pour parler à mon maître, un mot ou deux. —

  La petite servante disait,
A l’héritière, en ce moment :

  — Chère héritière, ne descendez pas,
Car Coatanhai est bien en colère ;

  Il est là-bas dans la cuisine,
Aussi bleu (de colère) que le bluet ;

  Il est aussi bleu que le bluet,
Et menace de tuer votre père ! —

  Quand l’héritière entendit,
Elle descendit par l’escalier tournant ;

  Elle descendit par l’escalier tournant,
Et entra dans la cuisine.

  — Bonjour à vous, héritière de Crec’hgouré ! —
— A vous pareillement, marquis de Coatanhai ;


  A vous pareillement, marquis de Coatanhai ;
Où est mon amour ? —

  — Votre amour est allé à Paris,
Pour recevoir les Ordres, m’est avis ;

  Pour recevoir les derniers Ordres ; (1)[85]
Dimanche sera sa première messe.

  Quand l’héritière a entendu,
Elle a dit à son garçon d’écurie :

  — Sellez-moi ma haquenée,
Pour que j’aille encore à Paris. —

  — Et qu’iriez-vous faire à Paris ?
Il n’y a pas plus de trois mois,

  Il n’y a pas plus de trois mois
Que vous êtes revenue de Paris. —

  — N’importe, et quand il n’y aurait pas trois jours,
Il faut que j’y retourne ;

  Et si j’y arrive avant lui,
Jamais il ne recevra les Ordres —

  Son père dit alors
A l’héritière, quand il l’entendit :

  — A Crec’hgouré il y a des chaînes,
Petite héritière, qui vous retiendront. —

  — Gardez vos chaînes, mon père,
Vous les trouverez pour attacher vos chiens,

  Et donnez-moi mes rentes,
Que vous recevez depuis dix-huit ans ! —

  Le marquis de Coatanhai disait
A l’héritière, en ce moment :

  — Petite héritière, ne vous fâchez pas,
Votre bien-aimé est à vous écouter ;

  Il est là-bas, à la porte de la cour,
Qui vous attend avec une haquenée ;

  Il vous attend avec une haquenée blanche
Qui a une bride d’argent en tête ;

  Ayant une bride d’argent en tête,
Et capable, héritière, de vous porter. —

  Son père disait alors
A l’héritière, en entendant cela :

  — Si vous avez été choisis par Dieu,
Petite héritière, je ne vous retiendrai pas.


IV

  Les voilà fiancés et mariés,
Puisqu’ils étaient choisis par Dieu.

  — Mon frère de lait, tu as eu
Une chance que tu ne méritais pas :

  Tu as eu celle qui possède cinq mille écus de rente,
Et toi tu n’as pas un sou vaillant !

  Voilà l’héritière,
Grâce à ma lance et à mon épée ;

  S’il lui arrive autre chose que du bien,
Je tremperai mon épée dans ton sang ! —


Chanté par Jeanne-Yvonne Le Merle, femme de 75 ans,
et écrit par mon oncle, J. M. Le Huerou,
à Kernigoual, dans la commune de Prat. — 1836.


________


LA CROIX D’OR DE PLOUARET.
________


I

  Les trois trésors les plus beaux qui soient au monde,
Sont tous les trois à Plouaret :
La lampe d’argent, la maîtresse-vitre
Et la croix d’argent, qui est plus belle encore.

  La première fois que j’allai à Plouaret,
Ce fut un dimanche, à la grand’messe :
Pendant que j’étais à la procession.
Un remords (1)[86] me frappa au cœur.

  Un remords me frappa au cœur,
En voyant devant moi une belle croix :
Voilà une bien belle croix,
Et qui serait bonne pour Le Cozannet !

  Qui serait bonne pour Le Cozannet
Pour faire des pièces de cinq réaux ! (2)[87]
Qui serait bonne à Iannik Le Cozannet,
Qui a été domestique au Prat-Ledan. [1][88]

II

  J’ai été cinquante nuits
A coucher à Sainte-Barbe, [2][89]
Cherchant à voler la croix d’or de Plouaret,
Dussé-je mourir, je n’aurais pu le faire ;

  N’était celle-là, la femme de Le Dantec,
Qui me donna les clefs ;
Qui me donna les clefs,
A l’heure où les habitants étaient dans leurs lits.

  Quand je fus entré dans le cimetière.
Je rencontrai un chien barbet ;
Je rencontrai un chien barbet,
Qui me dit :

  — Si tu voles la croix, je te sauverai,
Et si tu ne le fais pas, je te damnerai ! —
Au moment où j’ouvrais la première porte,
Les cloches commencèrent a sonner à pleine volée ;


  Les cierges (commencèrent) à s’allumer,
Et les yeux des saints à briller ;
Et le crucifix de me dire :
— Laisse ses trésors à Marie ! —

  Au moment où je fermais la dernière porte,
Le recteur disait dans son presbytère :
— Seigneur Dieu, habitants de Plouaret,
Notre église est volée ! —

  Quand je fus arrivé au pont des Anglais,
Le tonnerre commença à gronder :
— Du courage, du courage, camarades,
Nous approchons de Lanvellec ! —

  — Marie Garan, ouvrez votre porte,
Jamais vous n’aurez eu pareille ouverture ;
Jamais pareille ouverture vous n’aurez eue,
Voilà la croix d’or de Plouaret ! —

  Dès que Marie Garan entendit cela,
Elle laissa couler son vin ;
Elle a laissé couler son vin,
De joie (en voyant) la croix d’or de Plouaret !

  J’ai brûlé neuf charretées de fagots,
J’ai fondu neuf bassines d’airain,
En cherchant à fondre la croix d’or de Plouaret,
Et quand on m’eût tué, je n’aurais pu le faire !

  Et quand on m’eût tué je n’aurais pu y réussir,
A cause de notre divin Sauveur ;
A cause de notre divin Sauveur,
Qui fut crucifié sur la croix !

  Dans un coffre plein d’étoupes, en Lanvellec,
Est à présent la croix d’or de Plouaret,
Qui n’a pas sa pareille sur la terre,
Mais à Langoat se trouve sa sœur !


Chanté par Barbe Tassel au bourg de Plouaret. — 1867.


La tradition de ce vol, dont je ne puis fixer la date, est encore très-vivante dans la commune de Plouaret. Ar werenn-vraz qui était, suivant la chanson, une des trois merveilles du monde, dont les deux autres étaient la lampe et la croix d’or de la même église, c’est la maîtresse vitre dont est percé le chevet, et qui est réellement remarquable par sa dimension et la légèreté de ses meneaux flamboyants.

Une autre version, que j’ai recueillie dans la commune de Prat, d’une fenme nommée Kato Prigent, se termine ainsi :

. . . . . . . . . . . . . . . .
Pa deuz gwelet na fonte ket,
Bars ar mor a deuz-hi taolet ;
Bars ar mor adeuz-hi taolet,
Ar mor gant-hi a zo rannet !


LOGDU.
________


I

  Cinquante nuits j’ai été
A coucher dans le cimetière de Maudès ;

  A coucher dans le cimetière de Maudès,
Cherchant à prendre des mineures :

  Et je ne regrette pas ma peine,
Puisque j’ai pu en prendre une. ....

II

  — Seigneur de Logdu, attendez-moi,
Je vais à la maison, je ne tarderai pas.

  Pour revêtir une jupe,
Et prendre ma flottante, — [1][90]

  — Ho ! sauf votre grâce, vous n’irez pas,
Vous viendrez avec moi à ma maison.

  Quand vous arriverez à ma maison,
J’ai de quoi vous habiller :

  Je vous achèterai une jupe.
Et vous revêtirai d’une flottante ;

  Et vous révêtirai d’une flottante,
Qui coûtera cinq écus l’aune. —

III

  Quand ils eurent été quelque temps ainsi,
Il leur arriva du nouveau ;

  Arriva Kerdalouarn dans sa maison,
Pour faire visite à la jeune fille ;

  Pour lui faire visite
Et lui causer douleur et crêve-cœur. —

  — Bonjour à vous, seigneur Président,
Juge et homme vaillant ;

  Juge et homme vaillant,
Et receveur du Parlement.


  Quel jugement feriez-vous à un homme
Qui viendrait dans votre maison avec des armes ;

  Qui viendrait dans votre maison avec des armes,
Pour prendre vos gens et vos biens ? —

  — S’il était paysan, le pendre,
S’il était gentilhomme, le faire détruire ; (1)[91]

  S’il était gentilhomme, le faire détruire ;
Voilà comme je le jugerais —

  Naïk Gwazarc’hant disait
Au seigneur de Logdu, en ce moment,

  — Seigneur de Logdu, si vous m’en croyez,
Vous n’irez pas à la ville de Rennes ;

  Vous n’irez pas à la ville de Rennes,
Car il y a eu quelque trahison,

  Et si vous êtes pris à Rennes,
Votre tête paiera votre rançon. —

  — Le trouve bon ou mauvais qui voudra.
J’irai à la ville de Rennes ! —

  Logdu est allé à Rennes,
Monté sur une haquenée mignonne ;

  Monté sur une haquenée mignonne,
Qui est ferrée de laiton ;

  Qui est ferrée de laiton blanc,
Et qui a une bride d’argent en tête.

  Comme il allait sur le grand chemin,
Il rencontra le valet du baron :

  — Seigneur Logdu, si vous m’en croyez,
Vous n’irez pas à la ville de Rennes,

  Car vous serez certainement pris,
Et vous vous êtes condamné vous-même :

  Et si vous êtes pris à Rennes,
Votre tête paiera votre rançon. —

  — J’ai été cent fois à Rennes,
Et je ne pense pas que le valet du baron,

  Je ne pense pas que le valet du baron
Puisse me détourner d’aller à Rennes ! —


IV

  Le seigneur de Logdu disait,
Bn arrivant dans la ville de Rennes :

  — Ne trouverai-je pas un habit de prêtre
Pour aller écouter à la cour ? —

  Et lui de choisir un habit de velours noir,
Et aussitôt d’aller ainsi vêtu à la cour ;

  D’aller aussitôt ainsi vêtu à la cour,
Si bien que Logdu a été pris. —

  — Puisque vous êtes venu de vous-même à Rennes,
Nous vous avons pris ;

  Quant à aller vous chercher, nous ne l’aurions pas fait ;
Vous vous êtes condamné vous-même.

  Vous avez enlevé une jeune fille,
Dont vous avez fait votre femme ;

  Vous avez fait d’elle votre femme,
Mais la cour ne l’a pas approuvé —

V

  Le seigneur de Logdu disait,
En montant le dernier degré de l’échelle :

  — Je vois venir ma femme,
Tenant un plat d’argent doré,

  Tenant un plat d’argent doré,
Pour mettre ma tête, quand elle sera coupée.

  Elle porte (dans son sein) un fils ou une fille,
Qui jamais ne connaîtra son père ! —

  Naïk Gwazarc’hant, quand elle a vu,
S’est évanouie sur le lieu.

  Naïk Gwazarc’hant a été portée
Dans les faubourgs, où elle est revenue à elle.

  Et quand elle revint, elle dit :
— Donnez- moi une épée nue !

  Donnez-moi une épée nue,
Et s’il y a malheur, j’en causerai davantage encore.

  Si je trouve ma mère à Rennes,
Je lui plongerai mon épée dans le cœur !

  C’est elle qui est cause de la mort de mon mari,
Le plus beau gentilhomme qui fût au monde :

  Je n’étais pas digne de lui,
Ni par mes biens, ni par ma beauté.


  Si Kermorvan (1)[92] était encore en vie.
Il te ferait, Kerdalouarn,

  Oui, Kerdalouarn, il te ferait
Manger l’acier et le fer,

  Et la chair sur tes os
Mais tu es damné dans l’enfer ! —


Chanté par une bûcheronne, en Loguivi-Plougras, — 1861.


________


LE COMTE DES CHAPELLES.
________

I

  Le comte Des Chapelles, frère du Marquis,
Est en prison à Paris.

  — Et quel crime a-t-il donc commis,
Le comte Des Chapelles, pour être mis en prison ? —

  — Il a commis un assez grand crime,
Il a tué le page du roi !

  Il a tué le page du roi,
En sa présence, d’un coup d’épée !

II

  — Notre-Dame Marie-du-Kreiz-ker,
Ne trouverais-je pas un messager,

  Qui me portât une lettre,
Pour dire au Marquis de venir à la maison ? —

  La geôlière répondit
Au comte Des Chapelles, quand elle l’entendit :

  — Ecrivez votre lettre quand vous voudrez,
On trouvera bien un messager ;

  On trouvera bien un messager.
On enverra le messager de la poste. —


III

  Quand arriva la lettre a Botilio, [1][93]
Les danses allaient en rond.

  — Bonjour dans ce manoir,
Monsieur le Marquis, où est-il ? —

  — Le Marquis est allé à l’armée,
Et la Marquise est au lit ;

  Marchez doucement par la maison,
De peur de la réveiller ;

  De peur que vous la réveilliez,
Voici trois nuits qu’elle n’a dormi goutte. —

  — Puisqu’elle est couchée depuis trois nuits,
Tout-à-l’heure je la réveillerai. —

  — Prenez, Marquise, une lettre
Qui vous est envoyée par votre beau-frère ;

  Par votre beau-frère, le frère du Marquis,
Qui est en prison à Paris. —

  — Et quel crime a-t-il commis,
Le comte Des Chapelles, pour être mis en prison ?

  — Il a commis un assez grand crime,
Il a tué le page du roi ;

  Il a tué le page du roi,
En sa présence, d’un coup d’épée !

  Le plus grand ami qu’eût le roi de France,
Il l’a tué en sa présence ! —

  La Marquise disait
A ses cochers, cette nuit-là :

  — Attelez mon carrosse,
Pour que nous allions à Paris cette nuit !

  Cent vingt lieues, ou environ,
Sont entre Paris et Botilio ;

  Quand je fatiguerais dix chevaux à chaque pas,
Il faut que j’aille à Paris, cette nuit ! —

IV

  Le comte Des Chapelles demandait
Un jour, dans la prison de Paris :


  — Qu’y a-t-il de nouveau dans cette ville,
Que le pavé tremble de la sorte ?

  La geôlière répondit
Au comte Des Chapelles, quand elle l’entendit :

  — Un beau carrosse passe par ici,
Attelé de douze chevaux de lice ;

  Les goupilles (1)[94] en sont d’argent blanc,
Les fenêtres d’or jaune ;

  Et dedans est une demoiselle,
La plus belle princesse qui soit en Basse-Bretagne ! —

  La Marquise disait,
En arrivant à la cour du roi :

  — Bonjour, ma cousine la reine,
Je suis venue jeune à votre cour,

  Pour réclamer mon beau-frère, le comte Des Chapelles,
Pour son poids d’argent blanc ;

  Pour son poids d’argent blanc,
Et autant en or jaune ! —

  La reine répondit
A sa cousine, quand elle l’entendit :

  — Vous avez parlé un peu tard,
Mon mari a signé sa mort ;

  Mon mari a signé sa mort,
Et il ne peut pas aller contre sa signature. —
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  L’homme de loi répondit
A la Marquise, quand il l’entendit :

  — Demain, à dix heures, dans cette ville,
Vous verrez, l’exécuter ! —

  — Notre-Dame Marie-du-Folgoat,
Comment mon cœur pourrait-il résister ?

  Comment mon cœur pourrait-il résister
A voir la tête de mon beau-frère sur un plat ?

  A voir la tête de mon frère chéri, si beau,
Roulant sur un plat d’argent !

  Mais pendant que je serai en vie,
Il ne manquera pas de guerre au roi ;

  Je vais retourner à la maison,
Pour chercher un feu d’artifice,


  Qui incendiera le palais du roi,
Et de plus la moitié de la ville ! —

  Pour le lendemain matin,
Le Marquis était arrivé avec son armée :

  — Si vous faites mourir mon frère chéri,
Je mettrai le feu à votre palais !.... —

  Le Marquis était de ce côté-ci,
Et la Marquise du côté opposé.

  Quand l’homme de loi vit cela,
Il dit à la Marquise :

  — Emmenez votre beau-frère à la maison,
Je ne me mêle plus de l’affaire ! —


Chanté par Garandel, surnommé compagnon l’aveugle,
Keramborgne, 1844.


ERVOANIK PRIGENT.
PREMIÈRE VERSION.
________


I

  Ervoanik Prigent est allé à la mine d’or, (1)[95]
Jamais Tréguier ne sera pauvre ;
A moins qu’à son retour il ne soit pillé
Par La Villaudry et ses gens.

  Une petite vieille femme est à La Villaudry,
Qui monte tous les jours sur le colombier,
Et elle voit sept lieues autour d’elle,
Avec une longuevue qu’elle a.

  La petite vieille femme disait
Un jour au vieux La Villaudry :
— Je vois venir Ervoanik Prigent,
Avec les charretiers de Guingamp ;

  Sur le cheval de devant est un perroquet,
Qui sait le latin et le français ;
Qui sait le latin et le français,
Aussi bien que le breton. —

  Quand La Villaudry entendit cela,
Il se rendit à l’extrémité de son avenue ;
Il prit la tête du cheval de devant,
Et salua Ervoanik Prigent :

  — Descendez, Ervoanik, entrez à la maison,
Et mettez vos chevaux à l’écurie. —
Ervoanik Prigent répondit
A La Villaudry, en ce moment :

  — Je ne descendrai ni entrerai dans votre maison,
Et mes chevaux n’iront pas à l’écurie ;
Je ne déchargerai pas mon cheval blanc,
Que je ne sois arrivé à Tréguîer, pour dîner.

  Que je ne sois arrivé à Tréguier, pour dîner,
En la société de ma sœur aînée. —
Le vieux La Villaudry répondit
Alors à Ervoanik Prigent :

  — Entre Saint-Malo et Tréguier,
Etaient les brigands, hier ;
Se trouvaient les brigands, hier à midi,
Ervoanik, prenez garde à eux ! —


  Quand Ervoanik Prigent entendit cela,
Il sauta à bas de son cheval ;
Il sauta à bas de son cheval,
Et suivit La Villaudry.

  Il rencontra la gouvernante,
Et lui donna son perroquet ;
Il lui donna son perroquet,
Car il la prit pour la dame.

  La fille de La Villaudry disait
Au vieux La Villaudry, cette nuit-là :
— Il témoigne plus de respect (déférence) aux gens de la maison,
Qu’à vous-même et à moi —

  Celui qui aurait entendu Ervoanik Prigent
Jouant de sa flûte d’argent !
Les personnes âgées prenaient leurs ébats en haut (dans les chambres),
Et les jeunes le faisaient aussi en bas.

  Il jouait de son instrument si vaillamment,
Qu’il séduisit le cœur de la jeune fille ;
Qu’il séduisit le cœur de la jeune fille ;
Elle veut l’avoir pour époux.

  Le vieux La Villaudry demandait,
A Ervoanik Prigent, cette nuit-là :
— Ervoanik Prigent, dites-moi,
Avez-vous jamais été marié ? —

  Si Ervoanik avait voulu dire
Qu’il n’avait jamais été marié,
Il eut sauvé sa vie,
Et aussi ses richesses.

  Mais il dit tout le contraire,
Il dit qu’il était marié :
— Il y a aujourd’hui trois ans que je fus marié,
Je n’ai été que trois jours avec ma femme ! —

  Le vieux La Villaudry répondit
Alors à Ervoanik Prigent :
— Si vous aviez voulu, Ervoanik, avoir dit
Que vous n’avez jamais été marié,

  Vous auriez sauvé votre vie,
Ainsi que vos richesses ! —
Les valets de La Villaudry sont alors arrivés,
Et ont arrêté Ervoanik ;

  Ils ont arrêté Ervoanik,
Et l’ont renversé sur l’aire de la salle.
Ervoanik Prigent disait
A La Villaudry, en ce moment :


  — Seigneur de La Villaudry, si vous m’aimez,
Vous ne me tuerez pas sur l’aire de votre salle ;
Vous ne me tuerez pas sur l’aire de votre salle,
La moitié de mon sang est sang royal. —

  Le vieux La Villaudry répondit
A Ervoanik Prigent, en ce moment :
— J’ai des chiens et des lévriers,
Qui lécheront ton sang à mesure que tu le verseras ! —

  — Seigneur de La Villaudry, si vous m’en croyez,
Vous ne me tuerez pas dans votre maison ;
Conduisez-moi au seuil de l’écurie,
Pour que je voie mon cheval avant de mourir ! —

  Ervoanik Prigent disait,
En arrivant au seuil de l’écurie :
— Seigneur Dieu, mon cheval chéri,
C’est donc ici que nous perdrons la vie ! —

  Quand le cheval blanc l’a entendu,
Il a rompu son attache ;
Il a rompu quatre chaînes,
Et s’est précipité sur le vieux La Villaudry.

  Il a tué sept La Villaudry,
Avant d’arriver au huitième ;
Mais quand il est arrivé au huitième,
Hélas ! celui-là l’a tué !

  Celui-là a tué le cheval,
Parce qu’il avait revêtu une cuirasse.
Ervoanik Prigent et ses richesses,
Tout resta là ! (1)


Chanté par le Petit Tailleur,
au bourg de Plouaret, 1863.


(1) Je ne puis donner aucun éclaircissement historique sur cette étrange ballade, qui est répandue dans tout le pays de Tréguier. J’ignore complètement quel peut être le fait qui lui a donné naissance. Le nom de Prigent est très-commun dans les environs de Lannion : quant à la Villaudry (?) , je ne connais ni famille, ni village, ni manoir de ce nom ; à moins pourtant que La Villaudry ne soit la traduction française de Keraudry. On peut rapprocher Ervoanik Prigent de Iannik ar Bon-Garçon, page 354 de notre recueil : il y a quelque analogie dans la situation générale, et dans quelques détails.

ERVOANIK PRIGENT.
SECONDE VERSION.
________


I

  Ervoanik Prigent est allé à la mine d’or,
Jamais Tréguier ne sera pauvre ;
Jamais Tréguier pauvre ne sera,
A moins que La Villaudry ne l’attaque.

  La vieille sorcière de La Villaudry
Montait tous les jours sur le sommet du colombier ;
Elle montait tous les jours sur le sommet du colombier,
Et voyait sept lieues à la ronde autour d’elle.

  — Je vois venir Ervoanik Prigent,
Et avec lui dix-huit charretées d’argent ;
Dix-huit charrettes chargées d’argent et d’or,
Jamais La Villaudry ne sera pauvre.

  Sur le cheval de devant est un perroquet,
Qui sait le latin et le français ;
Qui sait le latin et le français,
Aussi bien qu’il sait le breton.

  La vieille sorcière disait
Un jour, au seigneur de La Villaudry :
— Seigneur de La Villaudry, préparez-vous,
Je vois venir Ervoanik Prigent ;

  Je vois venir Ervoanik Prigent,
Et avec lui dix-huit charretées d’argent ;
Dix-huit charrettes pleines d’argent et d’or,
Jamais La Villaudry ne sera pauvre. ... —

  Ervoanik Prigent disait
A ses charretiers, ce jour-là :
— Conduisez légèrement et sans bruit,
Car c’est ici La Villaudry ! —

  Il n’avait pas fini de parler,
Qu’il a pris la tête du cheval de devant ;
Il a pris la tête du cheval de devant,
Et La Villaudry l’a salué :

  — Ervoanik Prigent, restez passer la nuit,
Les brigands sont à Koat-ann-noz. —
— Autant vaut que je meure dans un bois,
Que dans votre maison, je le sais bien. ... —

I

  En entrant dans la maison,
Il a rencontré une belle demoiselle ;
Il a rencontré une belle demoiselle,
Et lui a offert son perroquet. …

  Il fallait voir Ervoanik Prigent,
Jouant d’un flageolet d’argent ; [1][96]
Si bien que la mie disait à son père
Qu’elle voulait l’avoir pour époux !

  — Ervoanik Prigent, dites-moi,
Etes-vous marié ou ne l’étes-vous pas ? —
— J’ai sept enfants,
Et je voudrais être auprès d’eux, à la maison ! —

  Et quand ils eurent fini de souper,
Ils se mirent à jouer aux cartes ;
À jouer aux dés et aux cartes,
Et Ervoanik gagnait à chaque coup.

  — Gagne, Ervoanik, tant que tu voudras,
Mais voici l’heure où tu mourras ! —
— Seigneur de La Villaudry, si vous m’aimez,
Vous ne me tuerez pas sur l’aire de votre maison ;

  Conduisez-moi dans un coin de votre écurie
Que je voie mon cheval avant de mourir ;
Que je voie mon cheval avant de mourir,
Il m’a coûté cinq cents écus d’or. —

  La vieille sorcière, du coin du feu,
Dit aussitôt :
— Ne le conduisez pas à l’écurie,
Vous n’êtes pas capables, trois à trois, de maîtriser son cheval. —

  Ervoanik Prigent, en entendant cela,
Poussa trois cris, de toutes ses forces ;
Il a poussé trois cris, de toutes ses forces,
Et son cheval a brisé trois portes.

  Bien dur de cœur eut été celui qui n’eut pleuré,
Etant à La Villaudry,
En voyant les charretiers morts.
Pendus avec leurs guides ! (1)[97]

  Le petit page s’est échappé,
Il s’est sauvé par la porte du jardin ;
Il s’est sauvé par la porte du jardin,
Et est allé porter la nouvelle à Tréguier.


I

  Le jeune archer saluait,
En arrivant à La Villaudry :
— Bonjour et joie à tous dans cette maison,
La vieille sorcière, où est-elle ?

  La vieille sorcière où est-elle,
Pour que nous ayons d’abord sa vie ?.... —
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  Le seigneur de La Villaudry a été pendu,
Et la vieille sorcière a été brûlée ;
La vieille sorcière a été brûlée,
Et ses cendres ont été jetées au vent !


Chanté par Marguerite Philippe, commune de Pluzunet. — 1867.


________


DE KERDADRAON & DE LA VILLENEUVE
PREMIÈRE VERSION.
________


I

  Kerdadraon et de La Villeneuve,
Les deux plus beaux gentilshommes qui existent,
Sont bons amis tous les deux,
En fait de vin et de femmes.

  Le seigneur de Kerdadraon disait
A son frère, le seigneur de La Villeneuve :
— Allez, mon frère, à Morlaix,
Pour faire la cour à l’héritière ;

  A l’héritière de Mezarnou,
Qui, si je le puis, sera dame de Kerdadraon,
Et dites-lui, pour voir (pour l’éprouver),
De me délaisser et de vous prendre. —

  Le seigneur de La Villeneuve disait,
En arrivant à Morlaix :
— Salut à vous, fleur de lys,
Vous êtes jolie comme une rose ! —

  — Si je suis jolie comme une rose,
C’est l’or et l’argent qui me font blanche ;
L’or et l’argent qui sont autour de moi,
De La Villeneuve, me font jolie. —


  — Héritière, marions-nous tous les deux ensemble,
Et délaissez mon frère de Kerdadraon. —
— Je ne dis pas que vous n’êtes pas mon ami,
Mais à Kerdadraon est mon cœur.

  Et quand je serais déshabillée en chemise,
Et Kerdadraon aussi en chemise,
Le poignard nu prêt de m’entrer dans le cœur,
Kerdadraon est mon véritable ami ! —

II

  La jeune héritière demandait,
Un jour, à sa nourrice :
— Ma nourrice, dites-moi,
Si le temps est venu pour moi de me marier ? —

  — Héritière, mariez-vous quand vous voudrez,
Vous n’avez que dix-sept ans ;
Mais avant de vous marier.
Une lettre sera envoyée à votre père. —

  — Ma nourrice, si vous m’aimez,
Vous n’enverrez pas de lettre à mon père ;
Vous n’enverrez pas de lettre à mon père,
Jusqu’à ce que je sois fiancée et mariée ;

  Jusqu’à ce que je sois fiancée et mariée,
Et partie pour Kerdadraon avec mon mari. —
La nourrice répondit
A l’héritière, ce jour-là :

  — Le trouve mauvais qui voudra,
J’enverrai lettre à Mezarnou,
Car je sais bien que j’ai failli,
Et que je risque de perdre la vie. —
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

III

  Mezarnou est allé à Paris,
Pour chercher un feu d’artifice,
Pour incendier le Kerdadraon,
Et l’héritière de Mezarnou. ...

  La jeune héritière disait,
Un jour, à la fenêtre de sa chambre :
— Je vois le lévrier de mon père dans l’avenue,
Cette fois, nous perdrons la vie !

  Mon pauvre époux, cachez-vous,
C’est assez que je sois tuée moi-même ! —
La jeune héritière disait,
Ce jour-là, à son père Mezarnou


  — Mon pauvre petit père, si vous m’aimez,
Vous me tuerez avant mon enfant ;
Tuez-moi avant mon enfant,
Il ne me faudra pas mourir deux fois !

  Mais, mon pauvre petit père, si vous me tuez,
Vous prendrez d’abord mon enfant (dans vos bras) ;
Puis, disposez de moi comme vous voudrez,
Comme fait un bon père de ses enfants! —

  Le vieux Mezarnou disait,
En prenant le pauvre enfant :
— Ou mes yeux me mentent tous les deux,
Ou tu ressembles à Mezarnou ! —

  Il n’avait pas fini de parler,
Que le feu d’artifice a éclaté ;
Le feu d’artifice a éclaté,
Et le Kerdadraon a été incendié !

  L’héritière disait,
Ce jour-là, à son père Mezarnou :
— Seigneur Dieu, que faire ?
Le Kerdadraon est incendié ! —

  — Consolez-vous, ma fille, ne pleurez pas,
Le Kerdadraon sera relevé ;
Le Kerdadraon sera relevé
Et couvert en ardoises gorge-de-pigeon ;

  Et quand le soleil luira,
Il brillera comme l’argent ;
Comme l’argent il brillera,
Sous le soleil clair qui éclatera. —

  Le seigneur de Kerdadraon répondit
A son beau-père Mezarnou, quand il l’entendit :
— Le Kerdadraon sera rebâti,
Seigneur de Mezarnou, sans votre aide.

  Mieux que votre fille de Mezarnou,
A été dame de Kerdadraon :
La fille aînée de Kerouspi
Y a été dame avant elle ! —


Chanté par Garandel, surnommé Compagnon-l’Aveugle.
Kerarborn, 1845.


________


DE KERDADRAON & DE LA VILLENEUVE
SECONDE VERSION.
________


I

  A Kerdadraon il y a sept fils,
Aux cheveux blonds et aux yeux bleus ;
A Kerdadraon il y a sept fils,
Les plus beaux enfants qui portent habits.

  Le seigneur de Kerdadraon disait,
Un jour, à son frère Coat-ar-Skinn :
— Venez avec moi à Morlaix,
Demander l’héritière en mariage. —

  Le seigneur de Coat-ar-Skinn disait,
En arrivant à Morlaix :
— Bonjour et joie à tous dans cette ville,
Où est le manoir noble de Lezarmo ? [1][98]

  Et le portier répondit
A Coat-ar-Skinn dès qu’il entendit :
— Si c’est le manoir noble de Lezarmo que vous cherchez.
Vous parlez au seuil de la cour. —

  Et Coat-ar-Skinn disait,
En entrant dans la maison noble :
— Bonjour et joie dans ce manoir,
L’héritière où est-elle ? —

  Sa nourrice, qui était dans la maison,
Répondit pour elle :
— Elle est dans la salle, à déjeuner,
Nombre de gentilshommes sont avec elle. —

  Le seigneur de Coat-ar-Skinn disait,
En entrant dans la salle :
— Bonjour à vous, héritière,
A vous et à votre compagnie.

  Jeune héritière, dites-moi,
Ai-je fait un voyage inutile ? —
— Oh ! non, dit-elle, Coat-ar-Skinn,
Car j’aime toujours Kerdadraon ; (1)[99]


  Et quand l’épée nue serait dans mon cœur,
(Je dirais) : Kerdadraon est mon ami !
Je vais trouver ma nourrice,
Qui est aussi ma gouvernante :

  Ma nourrice, dites-moi,
Le temps n’est-il pas venu de me marier ? —
— Vous n’avez que douze (ans), prenant treize,
C’est un peu tôt pour vous marier :

  Il faudra avoir la permission de votre père,
Et celle de vos parents, jusqu’à l’âge de quinze ans ;
Et votre père est allé à Paris,
Et il n’en reviendra pas avant onze mois ;

  Mais je vais écrire des lettres,
Pour envoyer au seigneur votre père. —
— Ma nourrice, ne faites point cela,
Je me marierai sans sa permission ! —

II

  La nourrice demandait.
Un matin, de son lit :
— Qu’y a-t-ii donc de nouveau en ville,
Que tous les pavés tremblent ? —

  — Ce sont les carrosses de Kerdadraon,
Ma chère nourrice, qui viennent me prendre ! —
L’héritière disait
Au seigneur de Kerdadraon, en ce moment :

  — Vous n’avez pas cherché de demoiselles (d’honneur),
Je n’irai pas avec vous à Kerdadraon ! —
— J’ai cherché des demoiselles assez,
Ma cousine et ma tante. —

  L’héritière disait,
À sa nourrice, en la quittant :
— Nourrice chérie, si vous m’aimez.
Vous ferez mes excuses à mon père. —

III

  Le seigneur de Lezarmo disait,
En arrivant à la maison :
— Mon héritière, où donc est-elle ?
Elle n’est pas venue me recevoir. —

  La nourrice répondit
Au seigneur, quand elle entendit :
— Votre héritière est à Kerdadraon,
Il y aura demain dix mois pleins. —


  — Je ne crois pas cela,
Qu’elle se soit mariée sans ma permission :
Si mon héritière est mariée,
Nourrice, vous avez failli ! —

  — Je lui avais offert d’écrire des lettres,
Pour vous envoyer, mon seigneur —
Le seigneur, dès qu’il a entendu,
A dit a son petit page :

  — Va-t-en tout de suite à Paris,
Chercher un feu d’artifice,
Pour incendier Le Kerdadraon,
Avec l’héritière de Lezarmo ! —

IV

  Le seigneur de Lezarmo disait,
En arrivant à Kerdadraon :
— Bonjour et joie à tous dans cette maison,
L’héritière de Lezarmo où est-elle ? —

  — Elle est là-bas, dans son lit,
Avec un petit fils à ses côtés.
Et il n’est pas encore baptisé,
Jusqu’à ce que vous lui ayez donné un nom.

  — Aussitôt que Kerdadraon entendit,
Il descendit vite l’escalier tournant ;
Il descendit vite l’escalier tournant,
Et salua son beau-père :

  — Bonjour à vous, mon père Lezarmo ! -
— A vous aussi, seigneur de Kerdadraon !
Il n’était pas digne, Kerdadraon,
D’avoir l’héritière de Lezarmo ! —

  — Aussi bien que votre fille, Lezarmo,
A été dame de Kerdadraon !
La fille aînée de Kerouspy
Y a vécu exempte de soucis ! —

  Quand l’héritière a entendu cela,
Elle a sauté hors de son lit :
— Mon pauvre petit père, pardonnez-moi.
Je sais bien que j’ai failli ! —

  — Ma fille, retirez-vous de là,
Ma fille, retournez, vite, à votre lit :
Un messager est allé à Paris,
Chercher un feu d’artifice,

  Pour incendier le Kerdadraon,
Et aussi l’héritière de Lezarmo ! —
L’héritière en entendant cela,
Présenta son enfant à son père :


  — Mon pauvre petit père si vous m’aimez,
Vous ne ferez point de mal à mon enfant ! —
Le seigneur de Lezarmo disait,
En prenant le pauvre enfant :

  — Mon petit enfant, viens avec moi,
Tu seras héritier de Lezarmo,
Et je te bâtirai un château,
Le plus beau de toute la Basse-Bretagne ;

  Les portes en seront d’or jaune,
Les fenêtres d’argent blanc
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  Il n'avait pas fini de parler,
Que le page est entré dans la maison ;
Le page est entré dans la maison,
Et a mis le feu au château !

  Et voilà l’héritière de Lezarmo brûlée,
Et Kerdadraon et tous ses biens !


Chanté par Anne Prigent,
de Pommerit-Jaudi.


________


YVONNE HAMON.
PREMIÈRE VERSION.
________


I

  — Petit page, petit page, dis-moi,
Qui est cette jeune fille que voilà ? —
— Seigneur, c’est Yvonne Hamon,
La plus jolie jeune fille qui soit en Léon. —

  — Mon petit page, viens avec moi,
Allons tous les deux la saluer :
Bonjour à vous, Yvonne Hamon,
Voudriez-vous passer une nuit avec le Baron ? —

  — Sauf votre grâce, pour cela je ne le ferai pas ;
Ma mère est veuve depuis peu de temps,
Et elle a assez de chagrin,
Sans lui en causer davantage. —


  — Petite Yvonne, venez avec moi,
J’enverrai votre mère au couvent ;
Je ferai de votre mère une nonne,
Et vous, Yvonne, vous serez baronne. —

  Il la pria tant et tant,
Qu’elle l’accompagna à sa maison ;
Qu’elle l’accompagna à Goazhamon, (1)[100]
Hélas ! pour l’affliction de son cœur !

  Le jeune baron disait
A sa gouvernante, en arrivant :
— Mettez la broche au feu,
Pour le souper de la petite Yvonne et le mien.

  Le jeune Baron disait
A son petit page, cette nuit-là :
— Descendez, et dites à Yvonne
De venir souper avec moi. —

  — On vous dit, Yvonne,
De venir souper avec le Baron. —
— Je souperai avec les domestiques,
Et je coucherai avec la cuisinière. —

  — Mon Seigneur, Yvonne a répondu
Qu’elle ne viendra pas souper avec vous ;
Elle soupera avec les domestiques,
Et couchera avec la cuisinière. —

  — Descendez, et dites à Yvonne
De venir, vite, souper avec moi ;
Et quand elle serait la fille d’un marquis,
Elle ne ferait pas plus de façons ! —

  — On vous dit, Yvonne,
De venir souper avec le Baron,
De venir vite, de vous dépêcher,
Car la soupe refroidit. —

  Le jeune Baron disait,
Cette nuit-là, à Yvonne Hamon :
— Et quand vous seriez la fille d’un marquis,
Vous ne feriez pas plus de façons ! —

  — Mon honneur, que j’aime parfaitement,
Etait cause que je ne voulais pas venir. —
Yvonne Hamon disait,
En s’asseyant à la table du Baron :


  — Si je savais, mon seigneur le Baron,
Que vous songiez à faire affront à la fille de Hamon,
Je casserais pinte et verre aussi,
Et me jetterais par la fenêtre ! —

  — Je suis étonné de vous entendre, Yvonne,
Vous ne jouissez pas de votre raison ! —
Yvonne Hamon disait,
En se couchant dans le lit du Baron :

  — Si je savais, mon seigneur le Baron,
Que vous songiez à faire affront à la fille de Hamon,
Si je savais cela, seigneur Baron,
Je me plongerais un couteau dans le cœur ! —

  Le jeune Baron disait
A Yvonne, en l’entendant :
— Je suis étonné de vous entendre, Yvonne,
Vous ne jouissez pas de votre raison ! —

II

  Le jeune Baron disait,
A la cuisinière, le matin :
— Faites bien déjeuner Yvonne,
Pour la remercier —

  Yvonne Hamon disait,
A mesure qu’elle approchait de chez elle :
— Seigneur Dieu, que dirai-je,
Quand j’arriverai à la maison ?

  Que j’ai passé la nuit en ville.
Parce que j’ai été tourmentée par la fièvre ?...
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

III

  La pauvre veuve disait.
En arrivant chez le médecin :
— Voudriez-vous examiner les eaux d’une fille,
Qui est malade depuis huit mois de la fièvre ? —

  Le médecin répondit
A la pauvre veuve, ce jour-là ;
— Celle a qui appartient cette eau,
Est enceinte de huit mois ;

  Elle est enceinte de huit mois et demi ;
Oui, enceinte de huit mois et demi,
Et quand vous arriverez à la maison,
Son terme sera venu.


IV

  La pauvre veuve disait,
En arrivant à la maison :
— Ma fille ne sera pas ensevelie,
Ni davantage mise dans le cercueil ;

  Ni davantage mise dans le cercueil,
Il faudra (auparavant) consulter le docteur. ...
Le docteur médecin disait
A la pauvre veuve, ce jour-là :

  — Qui est la mère, nous le savons bien,
Mais nous ne savons pas qui est le père. —
Le baron Dubois, qui était dans la maison,
Venu pour la voir ouvrir :

  — Qui est la mère, vous le savez bien,
Et moi, je sais aussi qui est le père.
Jamais femme je n’épouserai,
A cause de vous, Yvonne ! -


Chanté par Marie-Josèphe Kerival,
Keramborgne — 1848.


________


LE BARON DUBOIS & YVONNE HAMON
SECONDE VERSION.
________


I

  Le baron Dubois demandait.
En se promenant dans sa chambre :
— Qui est cette paysanne.
Qui passe si proprette sur le pavé ?

  Je voudrais, pour une double pistole,
L’avoir à coucher avec moi ! —
— Mon maître, à moi votre double pistole,
Et j’irai lui parler :

  Bonjour à vous, petite Yvonne ! —
— A vous pareillement, dit-elle, petit page. —
— On vous dit, Yvonne jolie,
De venir trouver mon Seigneur, dans sa chambre. —


  — Dites à votre maître, petit page,
De venir à la messe à Guimgamp ;
De venir à Guingamp à la grand’messe,
Nous causerons sur le mur du cimetière. —

  Le baron Dubois disait,
Sur le mur du cimetière, le dimanche, à midi :
— Femmes et jeunes filles, retirez-vous,
Pour que je dise un mot en secret. —

  Petite Yvonne, si vous m’aimez,
Vous viendrez avec moi à Goazhamon. —
— Je n’irai pas aujourd’hui à Goazhamon,
Jusqu’à ce que j’aie donné à dîner, à midi. —

  La petite Yvonne disait,
Après avoir donné à dîner, à midi :
— Je vais me promener au jardin,
Pour faire un bouquet de fines herbes ;

  Pour faire un bouquet de fines herbes (fleurs),
De marjolaine et de thym ;
Si Goazhamon arrive ici,
Au nom de Dieu, dites que je suis absente. —

  Le baron de Goazhamon disait,
En arrivant chez la petite Yvonne :
— Bonjour et joie à tous dans cette maison,
La petite Yvonne, où est-elle ? —

  — Depuis qu’elle a dîné,
Je ne sais pas où elle est allée. —
— Si elle est à la maison, ne le niez pas,
Je n’ai pas de mal à lui faire. —

  — Elle est allée la-bas, au jardin,
Pour faire un bouquet de fines herbes (fleurs) ;
Pour faire un bouquet de fines herbes,
De marjolaine et de thym. —

  — Petite Yvonne, si vous m’aimez,
Vous viendrez avec moi à Goazhamon. —
— Je n’irai pas avec vous à Goashamon,
Car mon honneur serait perdu !.... —


Ce fragment a été recueilli dans la commune de Prat, en 1836,
par J. M. Lehuérou, mon oncle.


________


LA PESTE D’ELLIANT.
________


  — Cinquante nuits j’ai été
Dans un petit champ de genêts ;

  Dans un petit champ de genêts,
Cherchant à voler les cloches de la Trinité.

  Les cloches sonnaient toutes les trois :
— Pauvre Olivier, tu seras pendu !

  La Peste blanche est au pignon de ta maison. —
— Quand il plaira à Dieu, elle entrera.

  Quand elle entrera, moi je sortirai,
Que de cœurs elle met en peine !

  Cœur de veuf et de veuve,
Cœur d’orphelin et d’orpheline ! ..... —

II

  La Peste est partie d’Elliant,
Elle a emporté sept mille et cent !

  Cruel eut été le cœur de celui qui n’eut pleuré,
S’il eut été au bourg d’Elliant,

  En voyant sept fils d’une même maison.
Allant en terre dans une même charrette !

  La pauvre mère les traînait,
Le père suivait en sifflant ;

  Le père suivait en sifflant,
Il avait perdu la raison ! ....
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  Il fallait interrompre la grand’messe,
A cause du bruit des charrettes ferrées. ...

  — Seigneur saint Gily, disait-elle.
Logez mes enfants dans votre maison ! —

  — Comment pourrais-je les loger ?
Mon église est pleine, jusqu’aux seuils ;

  Mon église est pleine, jusqu’aux seuils,
Et mon cimetière, jusqu’aux murs ! —


  Il faut bénir les champs,
Pour mettre une partie des cadavres ;

  Il faut bénir les croix,
Pour arrêter la Mort ! —

III

  Au bourg de Gourin, sur une nappe blanche,
Fut écrit le gwerz de la Peste ;

  Une jeune demoiselle le chantait,
Un jeune clerc écrivait.


Chanté par Marguerite, femme de 70 ans,
dans la commune de Plomeur (Finistère) au mois de juin 1868.



le pays de Léon, que cette paroisse fut cruellement éprouvée par le fléau en 1626 et 1627. M. Miorcec de Kerdanet a inséré à la page 166 de son édition des Vies des Saints de Bretagne, d’Albert Le Grand, imprimée en 1837, deux ans avant le Barzaz-Breiz, quelques extraits d’un gwerz qui fut composé à cette occasion. En voici une copie littérale :

  E Plouescat er plaç marc’hat,
E cafet a yaod da falc’hat,
  Nemet en entre bian d’ar c’har,
Da gaç ar c’horfiou d’an douar.
  Leun an ilis beteg au treusiou,
Hag ar veret beteg ar muriou.
  Red eo benissien ar parc bras,
Da lacat oll bian ba braz.
  E Plouescat ne ve cavet
Eur paotric da sivoal an deved,
  Nemet eur paot trivac’h vloaz,
Goret ar vossen en e skoaz.


  A Plouescat, sur la place du marché.
On trouve de l’herbe à faucher,
  Si ce n’est dans l’étroite ornière de la charrette
Qui porte les cadavres en terre.
  L’église est pleine jusqu’aux seuils,
Et le cimetière, jusqu’aux murs.
  Il faut bénir le grand champ,
Pour mettre tout le monde, grands et petits.
  A Plouescat on ne trouverait
Un jeune garçon, pour garder les moutons.
  Si ce n’est un jeune garçon de dix-huit ans,
Qui a la peste apostumée dans l’épaule.


Le gwerz de la Peste d’Elliant me parait être contemporain de celui de la Peste de Plouescat. C’est la même langue, la même inspiration. Je ne vois aucune bonne raison qui puisse autoriser à lui assigner une date plus ancienne. Ce chant est inconnu dans la paroisse d’Elliant, où la tradition d’une peste qui aurait ravagé la contrée est cependant bien vivante. En revanche il est très-répandu dans les Montagnes-Noires, à Chateauneuf, Laz, Ploanevez-du-Faou, etc., et aussi dans les montagnes d’Aré, où je l’ai retrouvé, notamment dans la paroisse de Berrien.

LA MARQUISE DÉGANGÉ.[101]
PREMIÈRE VERSION.
________


I

  S’il vous plaît, vous écouterez
Un gwerz nouvellement composé,
Un gwerz rempli de pitié,
Fait à la marquise Dégangé.

  Elle était fille du duc de Rohan,
Et il n’y avait qu’elle (d’enfant) ;
Elle était penhérès, puisqu’il n’y avait pas d’autre enfant,
Héritière de tous ses biens.

  Ses parents décidèrent
Qu’il fallait l’instruire,
Dans la cadence et l’académie, [1][102]
Pour pouvoir parler avec un chacun ;

  Dans l’académie et la cadence,
Pour discourir avec la noblesse,
Entre douze et treize ans,
On conclut à Rohan

  De la mariera un marquis puissant,
Le marquis d’I, un homme vaillant ;
La marier au marquis d’I,
Son amour et toute son espérance.

  Trois mois entiers ont duré
Les solennités de la noce,
Les musiciens, le bal, la danse,
Des visites tous les jours à la noblesse.

  Quand les trois mois furent finis,
La guerre a été déclarée,
Si bien que le marquis est obligé de se rendre à l’armée,
Hélas! sa charge l’exigeait.

  Les deux armées se rencontrent,
Et un combat s’élève entr'elles :
Les deux ennemis sont aux prises,
Mais hélas ! ils tombent dans l’eau !....



II

  Radegonde priait Dieu
Pour son mari nuit et jour,
Afin qu’il fut épargné. ...
Mais hélas ! il ne le fut pas !

  Un jour qu’elle était en prière,
Dieu envoie un ange blanc,
Qui lui parle de la sorte :
— Radegonde, changez de prière ;

  Priez pour le délivrer,
Il est dans le feu du purgatoire !
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . .

  Dès que Radegonde entendit,
Elle tomba à terre et perdit connaissance ;
Elle est tombée à terre et a perdu connaissance,
L’ange blanc l’a relevée.

  Alors elle prend congé
De sa mère et de son père ;
De sa mère et de son père,
Dans l’intérêt de son fils.

  Elle retourne à Rohan,
(Comme elle était restée seule),
Pour porter modestement le deuil,
Et donner cours à ses larmes.

  Une année entière elle a été,
Sans jamais cesser de pleurer ;
Jamais elle ne cessa de pleurer
Et de regretter son mari.

  Vinrent à la fréquenter encore
De grands gentilshommes, des gens de qualité,
Puissant homme le marquis Dégangé,
Un homme redouté dans le pays.

  Et elle, de peur de le désobliger,
Dit être contente de lui ;
De peur d’avoir sa fâcherie,
Elle consent encore à se marier.

  On célébra la noce
Avec beaucoup de joie et de respect ;
On la conduisit au château Dégangé,
Là où elle perdra la vie,

  À cette époque-là,
On était en guerre continuelle,
Si bien qu’il est obligé d’aller encore à l’armée,
Car hélas ! sa charge l’exigeait. ...


  Arrive le temps où la Marquise
Devait ou enfanter, ou mourir,
Enfanter le fruit qu’elle avait conçu
Au temps du Marquis son époux.

  Elle enfante, avec beaucoup de peine,
Elle met au monde deux petites créatures,
Deux enfants blancs comme la neige,
Un était fils, l’autre était fille.

  La Marquise écrit une lettre,
Pour porter à son mari, qui est à la guerre,
(Le priant) de venir faire baptiser ses deux enfants,
De peur qu’ils ne viennent à mourir.

  Quand la lettre lui arriva,
Il était dans un combat des plus terribles ;
Il met sur le coin de la lettre
Qu’il faut faire baptiser les deux enfants.

III

  Quand la guerre fut finie,
Le Marquis retourna à la maison ;
Le Marquis retourna à la maison,
Avec une grande joie dans l’esprit.

  En arrivant chez lui,
Il saluait tous les gens de sa maison,
Sa femme et ses enfants ;
Il les revoyait tous avec joie. ...

  Il était aussi gouverneur
Du grand pont de Pontgleïer (?),
Si bien qu’il lui faut retourner à l’armée,
Hélas ! sa charge l’exigeait.

  En sortant de chez lui,
Il donne charge de sa femme ;
Il donne charge de sa femme
A un faux curateur, pour la garder,

  En lui recommandant de bien veiller sur elle,
Comme il le ferait lui-même, s’il était auprès d’elle ;
(De veiller) sur sa femme et ses enfants,
Jusqu'au jour où il reviendrait.

IV

  Le faux curateur était alors,
En vérité, nuit et jour,
En la compagnie de Madame,
En dépit de son opinion (malgré elle).


  Un jour il fut assez effronté
Pour aller la trouver dans sa chambre ;
Pour aller la trouver dans sa chambre,
(C’est le démon qui le conseillait).

  Il alla la trouver dans sa chambre,
Et lui parla de la sorte :
— Vous n’avez pas votre contentement,
Puisque le Marquis n’est pas présent. —

  Quand Radegonde entendit,
Elle lui donna un soufflet :
— Retire-toi d’ici, tison maudit,
Tu as mérité l’enfer !

  Si entendait le Marquis mon mari
Que tu as été si effronté,
S’il connaissait ton insolence,
Il te broierait tous les membres ! —

  Il répand le bruit dans le pays
Que le Marquis portait des cornes ;
Le bruit s’élève ainsi :
Que la Marquise faisait des nuits blanches.

  Le faux curateur écrit une lettre
Pour être portée au Marquis, à la guerre,
Et il y met ceci :
« La Marquise fait des nuits blanches !

  » Vos garçons d’écurie sont friands,
» Et votre femme est jeune ;
» Et votre femme est jeune,
» Et elle est même inconstante ! »

V

  La guerre terminée,
Le Marquis retourne chez lui.
En arrivant chez lui,
Il maltraitait tous les gens de sa maison ;

  Principalement les garçons d’écurie,
Il les chassait à coups de pieds de la maison.
La Marquise écrit une lettre
Pour sa mère qui est à Tréguier ;

  Et elle l’écrit avec son sang,
(Pour la prier) de venir apaiser la colère de son fils,
La pauvre mère disait
A son fils le Baron [1][103] en arrivant :


  — Mon pauvre fils chéri, contenez-vous,
Vous maltraitez tous les gens de votre maison ;
Vous maltraitez tous les gens de votre maison,
Et vous causez beaucoup de douleur à votre femme ! —

  — Ma mère, dit-il, retirez-vous,
Car je ne veux pas vous frapper ;
C’est moi, je pense, qui suis celui
Qui doit mettre de l’ordre dans ma maison ! —

  — Mon fils, je vous ai mis au monde,
Je vous ai porté entre mes deux côtés,
Et jamais vous ne m’aviez causé autant de peine,
Mon fils, que vous m’en causez à présent ! —

  — Ma mère, dit-il, retirez-vous,
Car je ne veux pas vous frapper ;
C’est moi, je pense, qui suis celui
Qui doit mettre de l’ordre dans ma maison :

  Mes valets d’écurie sont friands,
Et ma femme est encore jeune ;
Radegonde est jeune,
On dit même qu’elle est inconstante. —

VI

  Et le Marquis disait
A sa femme, cette nuit-là :
— Ma femme, préparez-vous
A aller coucher dans la chambre de la tourelle ;

  A aller coucher dans la chambre de la tourelle blanche,
Moi, j’irai aussi, dans un moment. —
Quand la Marquise a entendu
(Qu’il fallait) aller coucher dans la chambre de la tourelle,

  (Elle n’avait pas l’habitude d’y aller),
Elle s’est mise à faire ses adieux :
— Adieu à vous tous, dit-elle, gens de ma maison,
Adieu, les valets d’écurie ;

  Adieu à vous, mes enfants chéris,
Adieu à vous, mes deux nourrices !
Tenez, gouvernante, voilà mes clefs,
Veillez sur mes biens ;

  Veillez sur mes biens,
Mais surtout sur mes enfants ;
Faites qu’on traite bien mes enfants
Qui seront orphelins avant le jour ! ...

  Le seigneur Marquis disait
A sa femme, cette nuit-là :
— Ma femme, déshabillez-vous,
Je veux vous voir toute nue. —


  — Mon mari, il n’est pas décent de voir
Une personne deshabillée toute nue ;
Mais je ne vous ai jamais résisté,
Ni refusé de vous obéir. —

  Quand Radegonde entendit cela,
Elle se prosterna à genoux ;
Elle s’est prosternée à genoux,
Puis elle s’est déshabillée :

  Elle s’est déshabillée
Et a invoqué sa patronne :
— Radegonde, ma marraine,
Soyez ma protectrice !

  Ma protectrice devant Dieu,
Pour mon corps et pour mon âme ;
Pour mon corps et pour mon âme,
Et faites que j’aille vous voir au ciel ! —

  Quand elle se fut déshabillée toute nue,
Il plongea son épée dans son corps, jusqu’à la croix (la garde) ;
Il plongea son épée dans son corps, jusqu’à la croix :
— Aïe ! mon mari, vous me faites souffrir ! —

  Et lui, quand il eut commis le crime,
Se mit à lui demander pardon ;
Il se mit à lui demander pardon,
Mais il ne le demandait pas à Dieu !

  — Ma pauvre femme, pardonnez-moi,
Car j’ai agi injustement,
J’étais possédé par le démon ! —
Mais elle était déjà morte !

  Mais elle était déjà morte,
Sans avoir pu lui répondre ;
Elle n’a pas pu lui répondre,
Mais sa patronne l’a fait :

  — Retire-toi de là, homme maudit.
Tu as mérité l’enfer ;
Tu as mérité dans l’enfer
D’aller brûler, chair et os ! —

  Quand la Marquise allait au ciel,
Les autres étaient emportés par les diables ;
Les autres étaient emportés par les diables,
Et voilà mauvaise fin aux deux époux.


Chanté par Pierre Kourio, tisserand.
Keramborgne, 1855.
________


LA MARQUISE DÉGANGÉ.
SECONDE VERSION,
________


I

  Ecoutez tous, et vous entendrez
Un gwerz nouvellement composé ;
Un gwerz nouvellement composé,
C’est à une Marquise qu’il a été fait.

  Elle était fille du duc de Rohan,
Fille unique, puisqu’elle était seule ;
Elle était fille unique, puisqu’il n’y avait pas d’autre enfant,
Héritière de tous ses biens.

  Elle fut envoyée à Paris, pour apprendre
La Cadence et l’Académie ;
L’Académie et la Cadence,
Afin de discourir avec la noblesse.

  Et au retour de là,
De grands gentilshommes la fréquentaient ;
De grands gentilshommes la fréquentaient,
Gens de haut rang, du sang royal.

  De tous ceux qui la fréquentaient,
Aucun ne lui plaisait,
Jusqu’à ce que vint le marquis Dégangé,[104]
A celui-là elle donna son amour. —

II

  Un mois et demi ont duré
Les solennités de la noce ;
Mais tout cela ne dure pas longtemps,
Il faut que le Marquis aille à la guerre.

  Quand il embarqua sur la grande mer,
Il rencontra son ennemi ;
Il a rencontré son ennemi,
Et il a demandé à lutter contre lui.


  Ils tombèrent dans l’eau, en se tenant l’un l’autre,
Tous les deux, comme deux ennemis.
Voilà Radegonde veuve,
Et certes elle ne le savait pas.

  Radegonde avait un oratoire,
Dans son jardin, au bord de la mer,
Et elle y venait tous les jours,
Tous les jours, pour prier Dieu.

  Pour prier le seigneur Dieu,
Pour que le marquis vainquit à l’armée ;
Pour que vainquit le marquis son mari,
Dans le combat contre ses ennemis.

  Un jour qu’elle était en prière,
Descend un ange auprès d’elle :
— Radegonde, laissez cette prière-là,
Votre mari a été noyé, en se rendant à l’armée ;

  Il est dans le feu du purgatoire,
Priez Dieu de le délivrer ;
Priez Dieu de le délivrer,
Et faites dire des messes pour lui ! —

III

  Pendant deux ans et demi elle a été
A porter le deuil de son mari ;
A porter le deuil de son mari.
Avec beaucoup d’honneur et de respect,[105]

  Un jour qu’elle était en prière,
Un ange descend auprès d’elle :
— Radegonde, laissez cette prière-là,
Votre mari est monté parmi les anges ! —

  Quand Radegonde entendit cela,
Elle se releva aussitôt ;
Elle se releva de là, et de nouveau,
Se rendit au château de sa mère.

  Quand elle eut été quelque temps ainsi,
Des gentilshommes la fréquentaient ;
De grands gentilshommes la fréquentaient,
Du haut sang royal.

  Mais de tous ceux qui venaient,
Aucun ne plaisait à son cœur,
Jusqu’à ce que vint le marquis Deganvi,
Celui-là, il fallut qu’il l’eût.


  Comme c’était un homme redouté,
Elle n’osait pas le refuser ;
Elle n’osait pas le refuser,
Parce que c’était un homme puissant.

  Deux mois et demi ont duré
Les solennités de la noce,
Musiciens, bals, danses,
Des visites tous les jours à la noblesse.

  Mais tout cela ne dure pas longtemps,
Il faut que le Marquis aille à la guerre ;
Une lettre arrive de la part du roi,
(Commandant) à Deganvi de se rendre à l’armée. —

IV

  Quelque temps après,
Elle met au monde deux enfants, beaux comme le jour ;
Elle met au monde deux enfants, beaux comme le jour,
L’un était fils, et l’autre fille.

  La Dame écrivit une lettre
Au Seigneur (pour le prier) de venir à la maison,
Pour faire baptiser les deux innocents,
De peur qu’ils ne mourussent sans baptême.

  Quand la lettre lui arriva,
Il était dans un combat des plus terribles :
Alors il se retire à l’écart,
Pour lire ce morceau papier.

  Il écrit sur le coin de la lettre
De faire baptiser les deux enfants ;
De faire baptiser les deux innocents,
De peur qu’ils ne mourussent sans baptême.

  Et quand ce combat fut terminé,
Il retourna à la maison ;
Il retourna à la maison,
Pressé de revoir son épouse chérie.

  A mesure qu’il rencontrait les gens de sa maison,
Il les serrait dans ses bras avec grande joie ;
Avec une grande joie dans son cœur,
Il entre dans la chambre de sa Dame.

  — Or ça donc, mon épouse chérie,
Vous n’êtes pas là à votre aise. —
— Je n’ai plus souci de rien,
Mon pauvre mari, puisque vous voilà ! —

V

  A peine était-il arrivé à la maison,
Qu’il lui vint une lettre ;

Qu’il lui arriva une lettre,
(Commandant) d’aller encore à la guerre.

  Le jeune Marquis pleurait,
En faisant ses adieux à sa femme :
— Adieu donc, ma femme chérie,
Je ne vous reverrai plus en vie ! —

  Le jeune marquis pleurait,
Quand il descendit dans la chambre de la nourrice : —
— Adieu donc, mes enfants,
Jamais je ne vous reverrai en vie ! —

  Le jeune Marquis pleurait,
En embrassant ses petits enfants :
En embrassant ses petits enfants,
Et il dit à la nourrice :

  — Adieu à vous, nourrice,
Prenez soin de mes enfants ;
Prenez soin d’eux,
Si je reviens à la maison, je vous récompenserai.

  A toi, mon frère prêtre, je donne la charge
De veiller sur ma femme,
Et prends bien soin d’eux.
Si je reviens à la maison, je te récompenserai. —[106]

VI

  Il n’était pas bien sorti de la maison. ... [1][107]
. . . . . . . . . . . . . . . . . .

  Le Démon est toujours subtil,
Pour tenter celui qui le croit,
Et il lui mit dans le cœur (l’esprit,)
De descendre dans la chambre de la Dame.

  — Bonjour à vous, ma chère sœur ;
Vous n’êtes pas là à votre aise ;
Vous n’êtes pas dans votre contentement,
Puisque vous n’êtes avec le Marquis, qui est si beau.

  Si vous vouliez, ma chère belle-sœur,
Me prendre pour deux ou trois nuits,
Je vous aimerais de tout mon cœur,
Oh ! oui, jusqu’à la fin de ma vie ! —

  Quand la Marquise entendit,
Elle lui donna un soufflet ;

Elle lui donna un soufflet,
Et le noya dans son sang :

  — Est-ce donc là la loyauté
Que vous aviez jurée à mon mari !
Si le Marquis mon époux savait
Que vous avez été si effronté ;

  Que vous avez eu l’insolence
De me tenir de tels propos,
Il vous broierait tous les membres,
Et mettrait votre tête à jouer aux quilles ! —

  Le prêtre entre en colère,
Et monte aussitôt à sa chambre :
Il écrit alors des lettres,
(Disant) que le marquis portais les cornes.

  Elle se donne aux gens de sa maison,
Jusqu’aux valets d’écurie ! ...,.
. . . . . . . . . . . . . . . . . .

  Quand la lettre lui arriva,
Il était dans un combat des plus terribles ;
Il se retire un peu à l’écart
Pour lire ce papier.

  A mesure qu’il lisait les papiers,
Il en effaçait les lettres ;
Il en effaçait les lettres,
Tant il versait de larmes !

  Et quand ce combat fut terminé,
Il retourna encore à la maison,
Et à mesure qu’il rencontrait les gens de sa maison,
Il les renversait à terre en les souffletant.

  Quand la Dame a vu
Son mari si en colère,
Elle a envoyé sa femme de chambre
Pour l’apaiser.

  La femme de chambre, en arrivant,
S’est jetée à ses genoux ;
Elle s’est jetée à ses genoux,
Et lui a demandé pardon.

— Mon pauvre maître, dites-moi.
Pourquoi êtes-vous tant en colère ?
Vous avez entendu quelque mauvaise langue,
Au sujet de la Marquise, votre femme ? —

  Le jeune Marquis l’ayant entendue,
Lui donna un soufflet ;
Il lui donna un soufflet,
Et la noya dans son sang.


  Quand la Dame vit
Sa femme de chambre en cet état,
Elle écrivit une lettre, avec son sang,
A sa belle-mère, qui était à Huelgoat ;

  A sa belle-mère, qui était à Huelgoat,
(Pour la prier) de venir apaiser la colère de son fils ;
De venir promptement l’apaiser,
Car il maltraitait tous les gens de sa maison.

  Sa belle mère, quand elle fut arrivée,
Se jeta à ses genoux ;
Elle se jeta à ses genoux
Et demanda pardon à son fils.

  — Mon pauvre fils, dites-moi,
Quel mauvais propos vous avez entendu,
Au sujet de la Marquise votre femme,
Pour être à ce point en colère ? —

  — Ma pauvre mère, si vous m’aimez,
Au nom de Dieu, éloignez-vous de moi ;
Je ne voudrais pas vous frapper,
Et, si vous ne vous retirez, vous m’y forcerez. —

  Il descendit dans la chambre de sa femme,
Et lui dit aussitôt :
— Mettez votre habit de noce.
Pour que nous allions coucher à la chambre nuptiale !

  — Mon pauvre mari, dites-moi,
Quel méchant propos vous avez entendu ;
Quel méchant propos vous avez entendu,
Pour être à ce point en colère ? —

  — Avant le jour vous saurez
Quelle nuit vous aurez passée ! ...
. . . . . . . . . . . . . . . . . .

  La jeune Marquise pleurait,
En mettant son habit de noce ;
En mettant son habit de noce.
Et disait à sa belle-mère :

  — Ma belle-mère, si vous m’aimez,
Vous aurez souci de mes enfants ;
Vous prendrez soin d’eux,
Ils seront mineurs (orphelins) avant qu’il soit jour ! —

  Elle monta alors à la chambre de la tourelle,
Et le Marquis lui dit :
— Otez votre habit de noce,
Et mettez-vous comme quand vous êtes venue au monde:
 
  Quittez tous vos vêtements, jusqu’à votre chemise,
Je veux vous voir absolument nue ! —

— Mon pauvre mari, cela n’est pas convenable,
Mais puisque vous dites, ce sera fait. —

  Entre son cœur et sa tête,
Elle a reçu sept coups de coutelas :
A chaque coup qu’il frappait,
Sa femme lui demandait :

  — Mon mari, dites-moi,
Pourquoi me coutelassez-vous ainsi ?
Pourquoi me coutelassez-vous ainsi ?
Je sens la mort de votre part ! —

  Ce qui le mettait le plus en colère,
C’est qu’il ne pouvait pas la tuer ;
Il la prit alors par les cheveux,
Et la jeta hors de la chambre de la tourelle.

  Quand elle fut tombée à terre,
Son beau-frère le prêtre arriva ;
Son beau-frère le prêtre arriva,
Et lui parla de la sorte :

  — Bonjour à vous, ma chère belle-sœur,
C’est moi qui suis cause que vous perdez la vie !
J’ai damné mon âme,
Et j’ai sauvé la vôtre ! —

Quand le jeune Marquis apprit
Qu’il avait tué sa femme injustement,
Il alla, cela est bien certain,
Faire pénitence le reste de sa vie ! [1][108]


Chanté par une femme, dans l’ile de Batz
Au mois d’octobre, 1854.




VARIANTE.


En ce temps-là, les nouvelles accouchées restaient trois mois
Sans se présenter à l’église.


ce qui ferait supposer ou que le poëte n’était pas contemporain de l’événement qu’il raconte, ou que c’est une interpolation introduite par les chanteurs.

J’ai voulu essayer de faire une traduction rigoureusement littérale, un mot-a-mot absolu de cette variante, afin de donner au lecteur, autant que cela est possible, une idée de quelques inversions et particularités propres à notre langue. Cela pourra présenter quelque intérêt aux personnes qui étudient le breton armoricain au point de vue de la grammaire et de la philologie.


. . . . . . . . . . . . . . . . . .

IV

  A la époque là était les femmes trois mois
Avant que aller à la église.
Quand était à venir de la église,
Trouve son frère-beau frère (de) la Marquise :

  — Marquise, vous ne êtes pas contente,
Puisque ne est le Marquis présent ;
Si aimez vous me permettre,
Jamais que dans votre gré ne mourrai ! —

  — Celle-là est la fidélité,
(Que) promites à votre frère quand alla à la armée ?
Si était mon mari à toi entendre,
Tes tous membres serait à toi cassés !

  Cassés serait tes tous membres,
Jetés dans mer profonde à noyer ! —
Aller lit à écrire une lettre
A porter à son frère, était dans armée ;

  Mettre sur le lui, en langage bon,
Que était cocu, assuré bien ;
(Qu’il) portait les cornes sur sa tête,
Faisait la Dame nuitées blanches.

  Venir fit le Marquis à la maison,
Et lui transporté par colère ;
A mesure que rencontrait gens (de) sa maison,
Eux renversait un à un.

  Envoyer fait la Marquise sa Demoiselle,
Dans espoir casser sa colère :
— Demoiselle, dit lui, vous retirez,
Garder vous frapper ne pourrais pas.

  Ecrire fait le Seigneur une lettre,
A porter à sa mère belle, à Bretagne Basse,
Pour dire à elle venir vite,
Pour apaiser colère son fils

  La Marquise disait
Dans Dugangé quand arrivait :
— Mon fils, moi avais été (eu) beaucoup de peine
A vous nourrir, quand étiez petit ;

  Et à présent vous donne douleur à moi,
A venir à maltraiter gens (de) votre maison. —
— Ma mère, dit lui, vous retirez,
Car garder vous frapper ne pourrais pas.


  — Ne sait aucun le sujet ce,
Si ce n’est marquise Dugangé ;
Si ce n’est marquise Dugangé,
Celle-là perdra sa vie ! —

  Marquis Dugangé disait
A la Marquise et en nuit-là ;
— Allez vous à coucher à la chambre blanche,
Moi irai aussi maintenant bientôt. —

  La Marquise disait
A sa servante petite, dans nuit cette :
— Faites vous dans bien à mes enfants,
Sera mineurs (orphelins) avant le jour !

  Sainte Radegonde, ma marraine,
Moi recommandez à Dieu ;
Moi recommandez à Dieu,
Moi serai morte avant le jour ! —

  Marquis Dugangé disait,
Dans la chambre blanche quand arrivait :
— Marquise, dit lui, mon épouse,
En nu je ai envie à vous voir. —

  Quand était elle déshabillée en nu,
Plante son épée dans elle, jusqu’à la croix !
Sept coups lui a à elle donnés,
Avant que elle est à la terre tombée ;

  Chaque coup demandait d’avec lui
Quoi était le sujet à elle tuer ?
— A cause de la jalousie
Etait entrée dans mon cœur ! —

  — Si aviez contre moi avoué,
Moi je aurais votre colère cassée ;
Moi je aurais votre colère cassée,
Par faux témoins (de) votre frère prêtre. —

  — Marquise pauvre, mon épouse,
Médecins il sera cherché ;
Médecins il sera cherché,
Et vos blessures (il sera) guéri. —

  — Sauf votre grâce, dit-elle, mon époux,
Mourir à présent il sera nécessaire :
Dans Paradis, ou sur son tour (aux environs)
Si faites le bien, nous nous trouverons ! —

  Là fut entendu force et cris,
Avec les serviteurs de la maison ;
Avec les serviteurs à pleurer,
La Marquise à faire ses adieux !


Quand descendait le corps à en bas,
Allait son frère beau avec les diables ;
Quand était elle mise dans la charette,
(Il) allait devant tous avec la rage ! —


Chanté par une femme de la paroisse de Ploulec’h,
prés du Koz-Guéodet. — 1849.


__________



ERVOANIK LE LINTIER.
PREMIÈRE VERSION.
______


I

La malédiction des étoiles et de la lune.
Celle du soleil, quand il brille sur la terre,
La malédiction de la rosée qui tombe en bas,
Je les donne aux marâtres !
 
Je les donne aux marâtres,
Elles sont pires dans le pays que la mort :
La mort ne fait que tuer,
Et celles-là font détruire !

II

J’étais un petit enfant bien élevé,
Quand arriva une marâtre dans la maison de mon père ;
Quand arriva une marâtre dans la maison de mon père,
Et depuis, je n’ai pas eu bonne vie.

Quand mon père et ma mère étaient à leur repas,
J’étais à la fenêtre à les regarder ;
J’étais à la fenêtre à les regarder.
Ou derrière eux, quelque part.

Quand ils avaient fini leur repas.
On me disait d’entrer dans la maison ;
On me disait d’entrer dans la maison.
Et on me jetait quelque os.

Et l’on me jetait quelque os.
Ou un morceau de croûte à manger.
Alors j’allais, en pleurant,
(j’allais) manger chez ma nourrice.


— Ouvrez-moi votre porte, ma nourrice,
Vous me l’avez ouverte souvent ;
Tous me l’avez ouverte souvent,
J’ai fait chez vous maints repas à l’aise ! —

III

La baronne Le Lintier disait,
Au Baron, quand il arrivait à la maison :
— Votre fils Ervoan (Yves) a été ici.
Et il menace fort de vous tuer ;

Et il menace fort de vous oter la vie.
Parce que vous touchez ses rentes. —
Le baron Le Lintier répondit
A la Baronne, sitôt qu’il l’entendit :

— Il vous faudrait me le dire longtemps,
Avant que je puisse vous croire,
Car mon fils i ves m’aimait
Plus qu’ancun de vos enfants. —

— Si vous ne me croyez pas, dit-elle,
Demandez-le à tous les gens de votre maison ;
Demandez-le à tous les gens de votre maison.
Qui l’ont entendu comme moi. —

Il les a tous interrogés,
Et ils ont tous dit comme elle :
De plus, comme ils étaient à son service.
Ils ont porté faux témoignage.

Le vieux Le Lintier disait
A son garçon d’écurie, ee jour-là :
— Attelez le cheval au coche,
Il me faut aller à Rennes cette nuit ;

Il me faut aller à Rennes cette nuit.
Et quand le cheval tomberait à chaque pas ;
Et quand le cheval tomberait a chaque pas.
Il faut que j’aille à Rennes ! —

IV

Le baron Le Lintier disait,
En arrivant dans la ville de Rennes :
— Bonjour et joie à tous dans cette ville,
Où sont les archers ici ?

Où sont les archers de Rennes,
Pour conduire Ervoanik Le Linter en prison
Que diriez-vous d’un fils
Qui menacerait de tuer son père ;


  Qui menacerait de lui ôter la vie,
Parce qu’il touche ses rentes ! —
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . .

  Le jeune archer disait,
En arrivant chez Yves Le Lintier :
— Bonjour et joie à tous dans cette maison,
Ërvoanik Le Lintier où est-il ? —

  Sa nourrice répondit
Au jeune archer, quand elle l’entendit :
— Il est couché dans son lit,
Parlez bas, ne le réveillez pas.

  Le jeune archer disait,
En montant l’escalier tournant :
— Yves Le Lintier, ne vous effrayez pas,
Je viens pour vous arrêter ;

  Je suis venu ici pour vous arrêter,
C’est votre père qui en a donné l’ordre. —
— Madame Marie du Folgoat,
Qu’ai-je donc fait à mon père ?

  Qu’ai-je donc fait à mon père,
Pour lui donner sujet de m’arrêter ?
Mais puisque mon père commande.
Je vais me lever, pour vous suivre

  Madame Marie du Kreiz-ker,
Ne trouverai-je pas un messager ?
Ne trouverai-je pas un messager,
Qui porterait une lettre pour moi ;

  Qui porterait une lettre pour moi,
Pour dire à mon parrain de venir en ville ? —
Le jeune archer répondit
À Yves Le Lintier, quand il l’entendit :

  — Écrivez votre lettre quand vous voudrez,
Il ne manquera pas de messager pour la porter ;
Il ne manquera pas de messager pour la porter ;
J’irai moi-même s’il le faut. —

V

  Le jeune archer disait,
En arrivant chez le seigneur de Lomaria
— Prenez un escabeau, et asseyez-vous,
Prenez cette lettre, et lisez-la, —

  Le seigneur de Lomaria répondit,
Au jeune archer, quand il l’entendit :
— J’ai lu maintes fois des lettres.
Sans que j’eusse besoin d’escabeau, —


  A peine avait-il ouvert la lettre,
Que les larmes tombaient de ses yeux ;
Il ne pouvait pas la lire à moitié,
Avec les larmes qui la mouillaient :

  — Madame Marie du Folgoat,
Qu’à donc fait mon filleul à son père ?
Ou’a-t-il donc fait à son père,
Un enfant de douze ans, pas encore treize ? —

IV

  Le seigneur de Lomaria disait,
En arrivant à Rennes :
— Qu’y a-t-il ici de nouveau,
Que vous êtes de si bon matin sur pied ? —

  La Baronne Dégangé (Du Gage?) répondit
Au seigneur de Lomaria, quand elle l’entendit :
— Il y a du nouveau assez,
Notre filleul va à la mort ! —

  — Madame Marie du Folgoat,
Qu’a fait notre filleul à son père ?
Qu’a-t-il fait à son père,
Pour qu’il ait sujet de le faire arrêter ? —

VII

  Le seigneur de Lomaria disait
Aux bourreaux, ce jour-là :
— Mettez mon filleul dans la balance,
Je vous donnerai son poids de chevance. —

  — Et quand vous en donneriez le poids de cette ville,
Seigneur, vous ne l’auriez pas ;
Je ne vous le donnerais pas,
Car je serais mis à mort a sa place. - -

  La baronne Dégangé disait
Aux bourreaux, ce jour-là :
— Mettez mon filleul dans la balance,
Je vous donnerai son poids de chevance ;

  Je vous donnerai chevance à discrétion,
Une fois, deux fois, trois fois son poids :
Si cela ne suffit pas,
Je donnerai encore le poids de ma haquenée. —

  — Et quand vous en donneriez le poids de cette ville,
Baronne, je ne vous le donnerais pas ;
Je ne vous le donnerais pas,
Car je serais mis à mort a sa place.


  Ervoanik Le Lintier disait
A sa marraine, ce jour-là :
— Ma marraine, retournez à la maison,
Laissez la justice faire son devoir ! —

VIII

  Ervoanik Le Lintier disait,
Assis sur la potence :
— Je vois ma nourrice qui vient,
Et elle s’affaisse à terre à chaque pas.

  Ma nourrice, je vous prie
De me donner mon dernier maillot ;
Vous m’aviez donné le premier,
Je vous prie de me donner le dernier ! —

  — Comment, dit-elle, mon enfant chéri,
Mon cœur ne pourrait y résister ;
Mon cœur ne pourrait résister, absolument,
A emmaillotter un corps sans sa tête ! —

  Ervoanik le Lintier disait,
Assis sur la potence :
— J’ai dix-huit châteaux et dix-huit maisons,
Avec tourrelle et moulin à chacun ;

  Je donne le tout à ma sœur de lait,
Pour qu’elle se souvienne de Ervoanik Le Lintier !
La baronne disait,
A Ervoanik Le Lintier, en l’entendant :

  — Ervoanik Le Lintier, que faites-vous ?
Vous avez des frères et des sœurs. —
Ervoanik Le Lintier répondit
A sa marâtre, sitôt qu’il l’entendit :

  — Si c’est pour avoir mes biens
Que vous m’avez fait condamner à mort,
Je vais signer avec mon sang
Que jamais vous n’aurez rien à y prétendre ! —

IX

  Trois jours après avoir été enterré,
Ervoanik revenait, et parlait.
Il s’est rendu dans la maison de la justice.
Et voici ce qu’il a dit :

  — Dans l’enfer sont préparés
De beaux sièges dorés,
De beaux sièges bien dorés,
Gens de la justice, pour vous mettre :


  Gens de la justice, pour vous mettre,
Si vous ne rendez pas bonne justice :
Donnez à ma marâtre une mort terrible,
Et faites payer les frais à mon père ! —

X

  Le seigneur de Lomaria disait
Au baron Le Lintier, ce jour-là :
— Belle avance pour votre lignée,
Que de faire mettre à mort vos enfants ! —

  Le vieux Le Lintier répondit
A Lomaria, quand il l’entendit :
— Un jardin sarclé n’en vaut que mieux,
Quand les mauvaises herbes y ont poussé ! —

XI

  Le jeune archer disait,
En arrivant chez le vieux Le Lintier :
— Bonjour et joie à tous en cette maison,
Où est la baronne Le Lintier, que je ne la vois ?

  Où est la baronne Le Lintier, que je ne la vois,
Car je suis venu la chercher ici :
Il y a un banquet à Rennes,
Et vous êtes priée d’en faire les honneurs. —

  Quand la baronne entendit,
Elle mit son plus bel habit ;
Elle mit son plus bel habit,
Pour aller au banquet à Rennes.

  La baronne Le Lintier disait,
Assise sur la potence (l’échafaud ?) :
— Si j’avais su que je venais ici à la mort,
Je n’aurais pas mis mon plus bel habit ;

  Je n’aurais pas mis mon plus bel habit.
Pour le laisser au bourreau à user ! — (1)


Chanté par Marie-Josèphe Kerival.Keramborgne, 1848.


(1) VARIANTE.


  Ervoanik Le Lintier disait,
En arrivant sur la potence :
— Je vois d’ici la maison de ma mère et de mon père,
Je voudrais la voir en feu et en sang !

  Je vois ma marâtre dans ses chambres,
Qui joue du biniou ;
Elle joue du violon,
Peur apprendre à ses filles la cadence ! ... —

________


ERVOANIK LE LINTIER.
SECONDE VERSION.
________


I

  La malédiction du ciel et de la terre,
La malédiction des étoiles et de la lune,
La malédiction de la rosée qui tombe en bas
Je donne aux marâtres !

  J’étais un petit enfant tout jeune,
Quand mourut ma mère ;
Depuis qu’il y a marâtre en la maison de mon père,
Je n’ai pas bonne vie.

  Quand mon père chéri est à son repas,
Moi, je suis à la fenêtre à le regarder ;
Je suis à la fenêtre a le regarder,
Ou derrière son dos quelque part.

  Quand ma marâtre sera sortie de la maison,
Mon père me jettera un os,
Et il me dira de me dépêcher,
De peur d’être vu par ma marâtre.

  Alors je vais en pleurant,
Je vais manger chez ma nourrice ;
Dans la maison de mon père nourricier et de ma nourrice,
J’ai fait bien des repas à mon aise !

II

  Ervoanik Le Lintier disait,
Un jour à sa marâtre traîtresse :
— Salut et joie dans cette maison,
Mon père chéri où est-il ? —

  La marâtre traîtresse répondit
A Ervoanik Le Lintier, quand elle l’entendit :
— Votre père n’est pas à la maison,
Il est allé à une petite affaire. —

  — Ma mère chérie, si vous m’aimez,
Vous lui ferez mes compliments;
Faites lui mes compliments.
Et dites-lui que je l’aime. —

  La marâtre traîtresse dit
Au baron Le Lintier, quand il arriva :
— Nous ne serons pas à l’aise ici
Que vous n’ayez fait périr votre fils aîné.

  Votre fils Yves a été ici,
Et il a menacé de vous tuer ;
Il nous menace de nous oter la vie,
Parce que vous touchez ses rentes. —

  — Il vous faudrait me le jurer souvent,
Avant que je puisse vous croire ;
Mon fils Yves certes m’aimait
Plus qu’aucun de vos enfants. —

  — Si je ne suis pas digne de foi,
Demandez-le à vos domestiques ;
Demandez-le à vos serviteurs,
A vos valets, à vos servantes. —

III

  Le seigneur Baron, dès qu’il entendit.
Monta sur sa haquenée ;
Il monta sur sa haquenée,
Et prit le chemin de Rennes.

  Comme il allait sur le grand chemin,
Il rencontra le grand prévôt ;
Il rencontra le grand prévôt,
Et lui donna son nom (celui d’Ervoanik).

  — Envoyez qui vous voudrez pour l’arrêter,
C’est Yves Le Lintier qu’on l’appelle,
Et partout où il portera ses pas,
Son nom sera Yves Le Lintier. —

  Quand Yves Le Lintier dormait,
Et qu’il ne songeait pas à mal,
Arrivèrent dix-huit archers,
Pour le lier avec une corde.

  Les dix-huit archers demandaient
A sa nourrice, ce jour-là :
— Chère nourrice, dites-nous,
Yves Le Lintier où est-il allé ? —

  — Il est couché dans son lit,
Que lui voulez-vous ? —
— Nous sommes dix-huit archers de Rennes
Venus pour emmener Ervoanik en prison. —

  La pauvre nourrice, quand elle entendit,
S’affaissa par trois fois à terre ;
Elle s’affaissa trois fois à terre,
Les gens de la justice la relevèrent.


  — Notre-Dame Marie de la Trinité,
Quel malheur as-tu commis ?
Quel malheur as-tu commis,
Toi qui n’as encore que douze ans ! —

  Les gens de la justice demandaient,
A la porte du cabinet, ce jour-là :
— Ouvrez la porte du cabinet,
Que nous allions là vous voir. —

  Ervoanik Le Lintier répondit
Aux gens de la justice, quand il les entendit :
— Je n’ouvrirai pas mon cabinet,
Que je n’aie entendu votre requête. —

  — Nous sommes dix-huit archers de Rennes,
Venus pour vous conduire en prison.
Ervoanik Le Lintier, consolez-vous,
Car pour votre père, il ne vous console pas. —

  Dès que Ervoanik Le Lintier entendit cela,
Il sauta sur l’aire de la maison ;
Trois fois il tomba à terre,
Les gens de la justice le relevèrent.

  — Notre-Dame Marie de la Trinité,
Quel malheur ai-je donc commis ?
Quel malheur ai-je donc commis,
Que mon père me fait arrêter ! —

  Ervoanik Le Lintier disait
Aux gens de la justice, en ce moment :
— Je vous suivrai où vous voudrez,
Mais, au nom de Dieu, ne me liez pas !

  Je suis son fils, il est mon père,
Et il est bon de lui obéir. ... —

IV

  Ervoanik Le Lintier disait,
En arrivant dans la ville de Rennes :
— Où est la prison ici
Où le pauvre orphelin doit aller ? —

  La geôlière répondit
Au jeune Baron, quand elle l’entendit :
— Hélas ! on trouvera facilement une prison.
Puisqu’il n’y a ni sujet ni raison (de vous enfermer) !

  Le jeune Baron disait,
Un jour, dans sa prison :
— Notre-Dame Marie du Kreiz-ker,
Ne trouverais-je pas un messager ?


  Ne trouverais-je pas un messager,
Qui porterait pour moi une lettre
A Lomaria, mon parrain,
Dont le cœur sera navré ? —

  La geôlière répondit
Au jeune Baron, quand elle l’entendit :
— Préparez votre lettre quand vous voudrez,
On trouvera un messager ;

  On trouvera un messager,
Pour porter des lettres à votre requête ;
Hâtez-vous de les écrire,
J’irai moi-même, s’il le faut. —

  Quand la lettre lui arriva,
Il était dans une salle à prendre ses ébats ;
Nombre de gentilshommes étaient avec lui,
Et tous dans la plus grande gaîté.

  — Salut et joie dans cette salle,
Au marquis de Lomaria le premier ;
Au marquis de Lomaria le premier,
Je lui apporte des nouvelles.

  Prenez un siège et asseyez-vous,
Prenez cette lettre et lisez. —
— Je n’ai pas besoin de siège,
Pour lire un morceau de papier. —

  A peine avait-il pris la lettre,
Que des larmes tombaient sur le papier :
Il n’en avait pas lu la moitié,
Qu’il prit un siège pour s’asseoir :

  Qu’il prit un siège pour s’asseoir,
Son cœur était près de se briser :
— Notre-Dame Marie de la Trinité,
Quel malheur as-tu donc commis ?

  Quel malheur as-tu donc commis,
Toi qui n’as encore que douze ans ? —
Le marquis de Lomaria disait
A ses cochers, cette nuit-là :

  — Attelez mon carrosse,
Pour que nous allions en route cette nuit ;
Pour que nous allions en route cette nuit,
Le temps paraîtra long à nous attendre ! —

V

  Comme il allait par la rue, dans la ville,
Il rencontra la marquise Dégangé,

Il rencontra la marquise Dégangé,
Accompagnée de la marquise de La Rivière ;

  Accompagnée de la marquise de La Rivière,
Qui était aussi sa marraine.
Dès que la marquise le vit,
Elle lui parla de la sorte :
 
  — Bonjour à vous, mon compère. —
— Et à vous aussi, dit-il, ma commère. —
— Et qu’avez-vous de nouveau,
Pour être de si bonne heure sur pied ? —
 
  — Nous avons du nouveau assez, tous les deux,
Si notre filleul va à la mort ! —
— Notre filleul n’ira pas à la mort,
Si on le donne pour des richesses. —

VI

  Le marquis de Lomaria disait,
En arrivant au palais :
— Mettez mon filleul dans la balance.
Je vous donnerai pour lui son poids de chevance ;

  Mettez-le deux, mettez-le trois fois,
Je vous donnerai son poids à chaque fois,
Et si ce n’est pas encore assez,
Je vous donnerai le poids de ma haquenée par-dessus ! —

  Les gens de la justice, quand ils entendirent,
Mirent le chapeau à la main ;
Ils mirent le chapeau à la main,
Et lui demandèrent excuse :

  — Et quand vous donneriez le poids de cette ville,
Nous ne pouvons le mettre en liberté ;
Nous ne pouvons le mettre en liberté,
Puisque son père est contre lui. —

  Le marquis de Lomaria disait,
En arrivant auprès de la prison :
— Si je trouvais son père ici, sur la rue,
Je laverais mon épée dans son sang ! —

  Quand le jeune baron entendit cela,
Il se jeta à genoux ;
Il se jeta à genoux,
Et demanda la vie de son père :

  — Mon parrain chéri, retournez à la maison,
Et laissez la justice faire son devoir :
Mon père ne connait pas la vérité,
Mais il la connaîtra, s’il plait à Dieu ! —


VII

  Le jeune Baron disait,
Un jour, du haut de l’échafaud :
— Gens de la justice, arrêtez-vous,
Je vois ma nourrice qui vient ;

  Je vois ma nourrice qui vient,
Et elle s’affaisse à chaque pas ;
Elle s’affaisse à chaque pas,
Par regret de l’enfant qu’elle a nourri.

  Approchez-vous, ma mère nourrice,
Que je vous embrasse avant de mourir,
Que je vous donne mon dernier baiser,
Avant de m’en aller de la vie de ce monde.

  J’ai dix-huit châteaux et dix-huit maisons, [1][109]
Avec moulin et enclume attenant à chacun,
Et je vous les donne tous, ma sœur de lait,
Pour que vous vous souveniez d’Yves Le Lintier. —

  La marâtre traîtresse répondit
A Yves Le Lintier, quand elle l’entendit :
— Comment peux-tu tout donner à ta sœur de lait ?
Tu as d’autres sœurs à la maison.

  — Ces biens m’appartiennent du chef de ma mère,
Ils m’appartiennent pour les donner à qui je voudrai.
Approchez-vous de moi, ma nourrice,
Pour que je vous embrasse encore une fois ;

  Pour que je vous donne mon dernier baiser,
Avant de m’en aller de la vie de ce monde ;
Vous m’aviez donné mon premier maillot,
Vous me donnerez mon second, le dernier ! —

  — Votre premier maillot, je vous j’ai donné,
Mais pour votre dernier, je ne dis pas ;
Mon cœur ne pourrait pas résister, absolument,
A ensevelir votre corps sans votre tête ! —

VIII

  Au bout de trois jours après cela,
Ervoanik était sur le pavé :
— Mettez ma marâtre à mort,
Et faites payer les amendes à mon père ;


  Faites payer les amendes à mon père,
Pour qu’il dépense tous ses biens ;
Pour qu’il dépense tous ses biens,
Et qu’il soit pauvre avant de mourir !

  Dans l’enfer, j’ai préparé
À ma marâtre un siège doré,
Et à vous, mon père, comme à elle,
Puisque vous êtes d’accord avec elle ! —

IX

  La marâtre traîtresse disait,
Assise sur l’échafaud :
— La malédiction du ciel et de la terre,
La malédiction des étoiles et de la lune,

  La malédiction de la rosée, qui tombe en bas,
À toutes celles qui deviennent marâtres !
Moi, j’ai été marâtre, pour mon malheur,
Et c’est ce qui est cause de ma mort ! — (1)


Chanté par Garandel, surnommé Compagnon-l’Aveugle.
Plouaret, 1845.


VARIANTE.


(1) Une autre version se termine ainsi :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
  Ervoanik Le Lintier disait,
En montant sur le troisième degré :
— Je vois ma belle-mère qui vient,
Accompagnée de ses demoiselles ;

  Elle a un ruban de velours noir au cou,
Là où devrait être une corde ! —
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  La baronne Le Lintier disait,
Aux gens de la justice, quand elle arriva :
— Elevez la potence en l’air,
Pour que nous voyions Ervoanik mourir ! —

  Ervoanik Le Lintier disait,
En montant sur le dernier degré de l’échelle :
— J’ai dix-huit moulins sur la rivière,
Ayant chacun sa tourelle ;

  Ayant chacun sa tourelle,
Et je les donne tous à ma sœur de lait ! —
La baronne Le Lintier disait,
À Ervoanik Le Lintier, en ce moment :

  — Comment serais-tu un homme selon Dieu,
Toi qui donnes tes rentes à ta sœur de lait ;
Toi qui donnes tes rentes à ta sœur de lait,
Pendant que ton père est encore en vie ! —


TABLE DES MATIÈRES.

 69
 77
 219
 351
 451


J’ai cru devoir donner à la fin de ce premier volume les titres des Gwerziou que je n’ai pu y faire entrer et que je me propose de publier ultérieurement.


GWERZIOU BRETONS

non compris dans ce volume, et dont j’ai des versions.

Le siège de Guingamp.
La Fontenelle.
Le comte de Coatélouri.
Traonlavané.
Le seigneur de Pénanger.
Annaïk Lucas.
Le Cadet de Lezveur.
Claudine Cabon.
Kervégan et Des Tourelles.
L’héritière de Keroulaz.
L’héritière de Kernénan.
Le Marquis du Cludon.
Perinaïk Le Mignon.
L’héritière de Penanec’h.
Le seigneur de Kersaozon.
Maria Charles.
Robart Euret.
Marguerite Guillard.
Henriette Le Rolland.
Belek Maugwenn.
Isabelle Le Cam.
Annaïk Le Bail.
Claudine Le Gac.
Aliette Le Palefrer.
Mauricette L’Aufredour.
Janedik ann Titro.
Perrodik.
Le fils du sacristain de Ploubezre.
Kloarek ar Chevans.

Kloarek ar Glaouiar.
Kloarek al Laoudour.
Kloarek Lampaul.
Kloarek ar Gallic.
Kloarek Javré.
Kloarek ann Naonet.
Belek Guegan.
Abad Plounevez.
Saint Jorand.
Le Marquis de Guerrand.
La Marquise de Guerrand.
Fiecca Calvez.
Janet Derrien.
Annaïk ar Gardien.
Aliettik Longeart.
Janet Helari.
Ar plac’h libertinn.
Mari ar Masson.
Mari ar C’hoz.
Olier Hamon.
Margodik ar C’helennek.
Ar verjerenn lazet.
Mari Flouri.
Ann danserrienn.
Guyon Kere.
Ar Merdedi.
Belek ann Ageat ha belek ar Gall.
Katell gollet.




  1. (1) Je n’ignore pas que Cambry et surtout E. Souvestre ont aussi inséré des poésies populaires dans leurs publications ; mais ils n’ont pas donné les textes bretons, et d’ailleurs nos anciennes chansons se trouvent chez eux tellement arrangées et remaniées, qu’on ne peut les considérer comme de véritables poésies populaires.
  2. (1) M. Renan, dans la Poésie des races celtiques.
  3. (1) Dourek, mot à mot : si en eau.
  4. (2) Pour les relevailles.
  5. (1) Dans les campagnes du pays de Tréguier et de Lannion, les femmes
    qui sont en deuil laissent flotter sur leurs épaules les deux ailes de leurs coiffes blanches.
  6. (1) Je ne traduis pas le mot broget, que je ne connais pas.
  7. (1) Pour la cérémonie des relevailles.
  8. Note Wikisource : Lire en ligne Le Seigneur Nann et la Fée dans le Barzaz Breiz de M. de La Villemarqué.
  9. (1) Gwalla, gâter au moyen d’un sortilège.
  10. (1) Je ne connais pas de commune de ce nom en Bretagne.
  11. « Nul orage, dit Dargentré, nul tourbillon ne fut jamais tel : villes, châteaux, églises, monastères, maisons, allèrent par terre sans nul respect : tout fut massacré a souhait. »
  12. (1) Je ne dois pas non plus oublier les obligations que j’ai à mon compatriote et ami J -M. Le Jean.
  13. (1) Mesure dont je ne connais pas la capacité.
  14. Je ne connais pas le mot krafenn que je traduis par cendre.
  15. (1) Assurance de jouissance accordée au fermier à chaque payement.
  16. (1) Ce saint Jacques de Turquie, ne serait-ce pas saint Jacques de Compostelle ?
  17. (1) Ce vers est sans doute altéré. Je ne comprends pas ce que peut signifier cette sueur de noces, à moins que ce ne soit la sueur de la mort.
  18. (1) Saint-Jean du Doigt, arrondissement de Morlaix.
  19. [1] Ce mot est composé de maro et de skaonv, mortis scamnum, mot à mot : escabeau de la mort, tréteaux funèbres.
  20. (1) Ces quatre derniers vers sont une formule qu’on rencontre fréquemment dans nos chants populaires, et que le chanteur ajoute souvent de sa propre
    autorité. L’auditoire y répond ordinairement : Amen !
  21. (1) Penn-hérès, fille unique.
  22. (1) La mère du mari.
  23. (1) Qui trompe son mari.
  24. [1] Ce premier couplet m'a tout l’air d'une formule moderne appliquée à une vieille chanson, un de ces lieux communs qu'on rencontre fréquemment dans les productions contemporaines.
  25. (1) Je ne sais comment traduire ce titre, car il est vraiment difficile de qui il est question ici. Les chanteurs prononcent tantôt ar Romani, ar Mani et d’autres fois ar Mang et même ar Manac’h.
  26. (1) Il y a ici une altération évidente, ou une lacune de quelques vers, car
    le texte n’est guère intelligible tel que je l’ai recueilli.
  27. (l) Ne sachant comment traduire ce titre, évidemment altéré, je me décide à le laisser tel que je l’ai recueilli en breton.
  28. (1) Cette expression équivaut à terre labourable, où l’on peut mettre de l’avoine.
  29. (1) Variante.

    — Si vous n’avez pas l’habitude, vous la prendrez ;
    J’ai ici un fouet de cuir, qui vous fera marcher ;

    J’ai ici un fouet de cuir, tressé en trois branches.
    Et qui vous fera marcher, malgré vous ! —

  30. (2) variante.

    — Or ça, bergère, rassemblez vos moutons,
    Pour aller tous les deux ensemble au manoir du Faouet. —

    — Sauf votre grâce, gentilhomme, je ne ferai pas cela.
    Car le soleil est encore haut et je serais blâmée ;

    Le soleil est encore haut, et je serais blâmée,
    Et vous seriez cause que je serais battue.

    C’est dans l’étable aux moutons que je couche.
    C’est dans l’écuelle du chien qu’on me trempe ma nourriture !

  31. (1) Fille de mauvaise vie.
  32. [1] Les chanteurs prononcent presque tous dinamour ou diamour ; mais
    ces mots sont une corruption évidente pour dinaoudour, composé de dinaou,
    pente, et de doûr, eau, courant de l’eau.
  33. (1) Il existait un manoir noble de Coadelez en la commune de Drenec.
  34. [1]Ar Roue, Le Roi, doit être ici un nom propre.
  35. (1) Ces deux vers doivent être une interpolation, car je ne sais comment les expliquer ici.
  36. (1) Dicton breton pour exprimer la jalousie, comme on dit en français
    monter sur le bidet. Quelle en peut être l’origine ?
  37. (1) Je ne sais s’il y a quelque corrélation entre ce gwerz et celui de Fantik Pikart ; l’introduction de la fille du fermier de Leshildry dans ce début m’a tout l’air d’une interpolation.
  38. Mot-à-mot la Lande-Blanche, correspondant aux Vurvenn et Gerwen des pièces précédentes.
  39. (1) Mot-à-mot : le chardonneret des jeunes gens, cet oiseau étant le plus beau de nos campagnes, par l’éclat et la richesse de son plumage.
  40. [1] C’est St-Michel-en-Grève, à deux kilomètres du bourg de Ploumilliau.
  41. [1] Cet aveu semble en contradiction avec la demande que Iannik fait au commencement à sa mère, de le laisser épouser Marie Tili, à moins qu’il ne se soit marié dans l’intervalle.
  42. (1) Mot-à-mot : qu’il se dépeçait, que ses chairs tombaient par lambeaux.
  43. (1) Je ne traduis pas la fin du vers, car je ne comprends pas ce que peut signifier dili a bec’het. Y a-t-il altération, ou aurai-je mal entendu ? Je me rappelle cependant avoir interrogé la chanteuse qui me répondit : Je ne sais pas ; c’est comme cela que j’ai entendu dire. Peut-être faudrait-il : oa didu da glewet, — qui faisait plaisir à entendre.
  44. (1) Voir la variante, page 277.
  45. Toutes les versions que j’ai recueillies de ce chant portent Rudon ou Ruduno, ou Rudonou, Faut-il y voir une altération de Redon ?
  46. S’agit-il ici d’un moine nommé Le Cardinal, ou bien du grand moine,
    comme il est dit ailleurs, l’abbé ?
  47. (1) Les Aubrays, nom d’une seigneurie de la maison de Retz, apportée en mariage, en 1455, à Rolland de Lannion, par Guyonne de Grézy, dame des Aubrays.
  48. (1) Sainte-Anne d’Auray.
  49. (1) Les chanteurs disent tantôt Koat-ar-Skinn, tantôt Koat-ar-Skevel, et d’autres fois Koat-ar-Ster. Je trouve le nom de Koat-ar’-Skinn dans un autre gwerz, Ann aotro Kerdadraon, que l’on lira plus loin.
  50. (1) J’ignore si cette expression sigifie un cheval normand, du pays de Rouen ; mais je sais qu’on désigne aussi par ces mots, en parlant de chevaux, une nuance particulière, d’un bai tirant sur le jaune.
  51. (2) Ne serait-ce pas plutôt au Guéodet, comme il est dit plus loin ?
  52. (1) D’autres versions portent Kergwezennec et Kervezelec. Kervezennec et Kergwezennec ne sont que le même nom, et ils sont tous les deux très-communs en Basse-Bretagne.
  53. (1) Ce mot de Lion est le seul dans la pièce qui puisse faire songer à
    Duguesclin qui est le héros de la pièce correspondante du Barzaz-Breiz, page 212.
  54. (1) Il y a sans doute une lacune de deux vers, ici, pour dire qu’elle a pris le couteau à manche noir.
  55. Variante :

    Il fallait voir Rozmelchon
    A la broche, comme un cochon !
  56. (1) D’autres versions portent Jord et d’autres Saoz.
  57. (1) C’est à tort que le nom de Kernenan ou Kerninon se trouve ici. Ces deux vers sont une interpolation. Kerverzino doit être pour Kerninon, par suite d’une confusion entre deux pièces différentes.
  58. (1) Le mot gouarneres, gouvernante, signifie souvent cuisinière dans nos poésies populaires.
  59. (1) Tout ce passage est une interpolation, empruntée au gwerz de Markis Trede (Coatredrez) qu’on trouvera plus loin, et où il y a une situation semblable. Nos poètes populaires ne se font pas scrupule d’emprunter 10, 15, 20 vers, pour rendre une situation déjà traitée par un poëte antérieur. Peut-être aussi l’interpolation est-elle du fait de la chanteuse qui me paraît avoir constamment confondu et mélangé ce » deux poèmes, qui offrent beaucoup d’analogie, il est vrai, mais dont les personnages sont cependant tout différents.
  60. (1) Une version de cette chanson, extraite de la collection de M. de Penguern, a été publiée dans l’Athenaeum français, en 1855. Elle diffère peu de la nôtre.
  61. (1) On aura bien certainement remarqué déjà comme le mot tric’houec’h, dix-huit, mot-à-mot trois six, revient souvent dans nos chants populaires
    bretons.
  62. (1) Ces deux vers se trouvent dans trois pièces de notre recueil, où se reproduit la situation d’une jeune fille qui se donne la mort pour échapper au déshonneur. Ces trois pièces sont, avec celle-ci, Rozmelchon et Markiz Trede ou Coatredrez.
  63. (1) Le mot korf-balan, corset, me semble tirer son origine d’un vieil usage de notre pays de Lannion, qui consistait à faire les corsets des paysannes avec de la toile de lin trempée dans une décoction d’écorce de genêt (bulan) qui la teignait en rouge tirant sur le jaune. Cet usage, aujourd’hui disparu, existait encore il y a trente ans.
  64. (1) Variante :

    La jeune fille se lamentait,
    Et personne ne la consolait,
    Si ce n’est parfois le valet,
    Qui avait grande pitié de sa douleur :
    — Consolez-vous, pauvre enfant, ne pleurez pas,
    Je veillerai qu’il ne vous arrive pas de mal ! —
  65. Le Dourduff (eau noire) est le nom d’une petite anse à l’embouchure de la rivière de Morlaix.
  66. (1) Une autre version connue sous le titre de : Ar Marc’hadour bihan, Le petit Marchand, débute ainsi :

      Un petit marchand de la ville de Rouen
    Est allé à Carhaix, à la foire de la Toussaint,

      Pour acheter deux couples de vaches et une couple de bœufs,
    Et gagner dessus à la foire neuve.
  67. (1) Variante :

    Iannik le Bon-Garçon, que tu es un bel homme,
    Et avant qu’il soit jour, tu auras perdu la vie !
  68. (1) Faire un coup de tête.
  69. (2) Sa prime.
  70. (1) La chanteuse prononçait ablest, mot inintelligible ; elle devait peut-être dire ma lestr, mon navire. Peut-être aussi le mot ablestr désigne-t-il quelque partie d’un navire, puisque, comme nous l’avons vu au vers 10, Sylvestrik était marin, quoique son père lui envoyât son petit oiseau à Metz en Lorraine.
  71. (1) La chapelle de Saînt-Efflam au nord-ouest sur la baie de Saint-Michel-en-Grève (Côtes-du-Nord).
  72. Variante :

      En l’année mil sept cent quatorze,
    Quand les états furent tenus a Nantes :
    — Allons tous aux messes,
    Ensuite nous nous battrons ! —
  73. (1) D’autres versions portent : saint Diboan le saint qui guérit de tous les maux. C’est, m’a-t-on dit, saint Alibon, qui a une chapelle à Plévin, commune de Maël-Carhaix (Côtes-du-Nord).
  74. (1) Une autre version porte koad ar Varones, bois de la Baronne.
  75. (1) Les villages du nom de Kerversault ou Kerverzot, ne sont pas rares en Basse-Bretagne ; il s’en trouve, entr’autres, dans les communes de Ploubezre et de Quemperven, arrondissement de Lannion.
  76. (1) Glas funèbre qu’on sonne dans nos campagnes au clocher de la commune et à la chapelle la plus voisine de l’habitation où quelqu’un vient de mourir.
  77. (1) La nouvelle mariée.
  78. (1) Tous les deux doit s’entendre ici de Renée et de son amoureux, Yves Gélard.
  79. (1) S’agit-il ici de la commune de Mur, ou de l’ancienne église du Mur, à Morlaix ?
  80. (1) On aura déjà remarqué plusieurs fois cette formule, et on la remarquera encore plus d’une fois dans la suite. C’est là un lieu commun dont nos chanteurs populaires font souvent usage.
  81. (1) Je ne connais pas de commune de ce nom en Bretagne.
  82. (1) Ferme à domaine congéable.
  83. (1) Dans la version précédente et généralement dans les autres, le nom est mieux précisé : Aliellik ar Vad, Aliette Le Mad ou Le Bon.
  84. [1] D’zivreina per hag avalou — pour dépourrir des poires et des pommes. Il s’agit de poires et de pommes mises en réserve et qu’on visite de temps en temps ; on emporte celles qui sont gâtées on les dépourrit, c’est-à-dire qu’on enlève la partie qui est corrompue, puis on mange le reste.
  85. (1) Pour être ordonné prêtre.
  86. (1) Le mot remorz, qui n’est pas breton, signifie ici voix secrète, voix intérieure.
  87. (2) Nos paysans comptent encore par réaux ; un réal chez eux vaut 25 centimes ; les pièces de cinq réaux représentaient donc 1 franc 25 centimes de notre monnaie actuelle.
  88. (1) Le Prat-Ledan est un village à moins d’un kilomètre du bourg de Plouaret.
  89. (2) Sainte-Barbe est une chapelle du 16e siècle, dans le bourg même de Plouaret.
  90. (1) Le mot zemizettenn, signifie une jupe de dessous ; quant au mot flottantenn, je ne sais pas bien quelle partie des vêtements de la femme il pourrait désigner. C’est sans doute un manteau, ou un cotillon ample et flottant ?
  91. (1) Le mot distruja, détruire, indique un genre de mort moins déshonorant que la pendaison, comme la mort sur l’échafaud, par le feu, ou par les armes.
  92. (1) Guermorvan ou Kermorvan, était la principale maison noble de la commune de Louargat, au pied de la montagne de Bré ; Le manoir noble de Logdu se trouve aussi dans la même commune. Je ne sais à quel fait historique rattacher cette ballade, dont l’imprécation de la fin me parait bien énergique et bien belle.
  93. (1) D’après M. de La Villemarqué, et ses raisons me paraissent bonnes, ce serait Bodigneau, maison noble des environs de Quimper ; mais mon chanteur tenait pour Bodinio, en Pestivien (Côtes-du-Nord).
  94. (1) Goupille, esse, cheville ou crochet de fer en forme d’S, que l’on met au bout de l’essieu, pour maintenir les roues.
  95. (1) Ervoanik est un diminutif de Ervoan, Ewenn, Iouenn, qui tous signifient Yves. C’est le Owenn gallois et irlandais.
  96. (1) Je traduis le mot kanjolenn par flageolet, quoique je ne le trouve ni dans Lagadeuc, ni dans Le Gonidec ; c’est un mot tombé en désuétude, mais que je me rappelle avoir entendu dans d’autres chants populaires.
  97. (1) Landon, Landoniou, au pluriel, cordes, guides, au moyen desquelles les charretiers dirigent leurs chevaux.
  98. (1) Les chanteurs disent, les uns Mézarnou, et les autres Lezarmo. Je ne suis pas en mesure d’établir, avec preuves à l’appui, lequel de ces deux noms il faut préférer, quoique je penche pour Mezarnou. Il y a un manoir noble de ce nom en la commune de Plouneventer, dans le Finistère. C’est sans doute celui que pilla La Fontenelle, le fameux Ligueur. Il ne se contenta
    pas de ce butin, estimé quarante mille écus; il enleva aussi l’héritière, fille de Vincent de Parcevaux, et l’épousa. — Il y a un manoir de Kerdadraon, à deux kilomètres de Saint-Pol-de-Léon.
  99. (1) Peut-être faudrait-il écrire Kerandraon ? En l’année 1590, le château de Kerouzéré, en Siberil, ayant été pris par les Ligueurs, Kerandraon qui y commandait pour le roi, fut tué par les soldats. Du reste, je crois que Kerdadraon et Kerandraon ne sont que le même nom.
  100. (1) Il y a un manoir de Goazhamon en la commune de Plouisy, arrondissement de Guingamp.
  101. (1) Je laisse ce nom tel que le prononcent nos chanteurs populaires, n’étant pas bien sûr de la manière dont il faudrait l’écrire, quoique je le soupçonne fort d’être une altération pour Du Gage (Du Cieux du Gage). — Souvent nos paysans désignent aussi cette ballade sous le titre de Gwerz Santa Radegonda. Ils ont fait une sainte de l’infortunée marquise.
  102. (1) Ces mots cadence et académie, employés par un paysan illettré qui n’en connaissait saus doute pas la signification, doivent s’entendrt dans le sens de les belles manières, les manières de la cour.
  103. (1) Ne faudrait-il pas markiz ?
  104. (1) Variante :

      Son père vient à supposer
    Qu’il serait bon de la marier,
    Et de la donner à un Marquis puissant,
    Castelleny, un homme vaillant.
  105. (1) Gant enor ha respect, est une phrase consacrée, un lieu commun qui se présente souvent dans nos poésies populaires, et qui revient à peu près à l’expression française avec convenance, avec religion.
  106. (1) Dans aucune des nombreuses versions que j’ai recueillies de cette ballade, je n’ai trouvé ces adieux tels que les donne la pièce correspondante du Barzaz Breiz (page 175, 6e édition) où ils rappellent si bien les adieux célèbres d’Andromaque et d’Hector, dans Homère. — Le petit Astyanax s’y trouve aussi.
  107. (1) Il doit y avoir ici une lacune d’un vers au moins.
  108. (1) Variante :

    Je vais maintenant à la rivière du Jourdain.
    Pour y faire pénitence ;
    Je vais faire pénitence
    Là où personne ne me verra jamais !
  109. [1] Le vers, qui jusqu’ici a été presque constamment de huit syllabes, en a maintenant presque toujours neuf et même quelquefois dix.