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Les Pleurs
Les PleursMadame Goullet, libraire (p. np-TdM).
LES
PLEURS


Poésies Nouvelles


PAR MADAME DESBORDES VALMORE.


DEUXIÈME ÉDITION.

PARIS,
CHEZ MADAME GOULLET, LIBRAIRE,
PALAIS-ROYAL, No 7.

M DCCC XXXIV.


Si vous avez voyagé en Écosse, il a dû vous arriver ceci :

Après une journée longue et fatigante, comme l’est une journée dans les montagnes, vous êtes sorti au soleil couchant de quelque gorge sombre, et les derniers rayons du jour vous ont permis d’embrasser de la vue la longue plaine de bruyères arides qui s’étendait devant vous, et au-delà de laquelle vous attendait votre gîte. À peine, en jetant les yeux à droite et à gauche, avez-vous remarqué vers l’horizon, situé à un quart de lieue à peu près du chemin, un de ces châteaux écossais perdus dans un massif de sapins et de mélèzes, et dont les cheminées seules dépassant la cime des arbres se découpent sur le fond rougeâtre du ciel ; vous ne l’avez pas remarqué, car ce n’était point là que tendait votre course, et, fatigué que vous étiez d’un paysage monotone, brisé par le trot court et saccadé de votre petit cheval de montagnes, menacé peut-être par un orage qui s’amoncelait, vous n’aviez qu’un désir, celui d’arriver vite où vous attendait le repos. Bientôt alors vous êtes tombé dans cette disposition où l’esprit, fixé sur une seule pensée, ne permet aux yeux de s’arrêter que sur un seul objet : vous voyiez se dérouler devant vous la route étroite, tortueuse et sans fin, qui semblait se prolonger à plaisir ; vos regards se fatiguaient à percer cet horizon où vous la suiviez s’amincissant toujours, et peu à peu toute la partie animiste de votre organisation, tout ce qui pensait enfin en vous, cédant à la fatigue, s’engourdissait vaincu par la partie matérielle. Vous n’aviez plus une pensée distincte de vos autres pensées ; vos yeux continuaient de voir, mais ne distinguaient plus ; vous n’auriez pu dire si le mouvement de votre monture était le trot d’un cheval ou le balancement d’un bateau, et si ce sable dans lequel il enfonçait jusqu’aux genoux, et qu’il faisait voler à chaque pas en poussière, n’était pas une vague et son écume ; les arbustes amaigris et tortueux qui garnissaient la route vous semblaient des figures fantastiques qui vous regardaient passer dans différentes postures, les unes debout, les autres accroupies, celles-ci vous menaçant et semblant vous poursuivre, celles-là immobiles et se raillant de vous ; c’était un songe sans sommeil, un engourdissement qui eût été la mort, s’il se fût étendu jusqu’au cœur, une atonie dont un coup de tonnerre ou une blessure ne vous eussent peut-être pas tiré. Et cependant vous avez tressailli tout à coup, et tout à coup vous avez retrouvé vos facultés les plus ardentes pour écouter.

Un son venait de traverser l’espace.

Ce son était si faible qu’il sembla se perdre à quelques pas du chemin ; mais il était en même temps si pur, si suave, qu’il avait été chercher tout ce qui restait de vivant en vous, et qu’au fond du corps engourdi il avait trouvé l’ame.

À Kachemyr ou à Bagdad, vous eussiez cru entendre le chant d’une péri ;

Aux pieds du Carmel ou du Gelboé, les plaintes d’un ange ;

Dans les forêts d’Underwald ou de Glaris, les soupirs d’une fée.

Alors tout a disparu pour vous, faim, fatigue et sommeil ; vous vous êtes arrêté, la tête inclinée, la bouche entr’ouverte, l’œil fixé sur ce massif noir, duquel semblaient sortir ces souffles d’harmonie qui se mêlaient à l’air du soir et venaient à vous dans l’ombre ; et pendant que vous étiez là, immobile et en extase, les sons se sont succédé ; vous avez pu les suivre, les analyser, et bientôt, désenchanté comme d’un premier amour, vous vous êtes dit, en piquant des deux votre cheval et en reprenant votre route :

— Ce n’est que la vibration d’une harpe dans laquelle passe le vent. —

Cependant, dédaigneux que vous fûtes alors, combien de fois depuis, soit dans un bal, soit au théâtre, dans votre veille ou dans votre sommeil, combien de fois, dites, quoique votre esprit fût alors et tout entier attaché aux choses qui en étaient les plus éloignées, combien de fois n’avez-vous pas tressailli tout à coup, croyant encore entendre ces sons éoliens qui vous avaient frappé au soir sur une route d’Édimbourg ou de Dumfries, et dont votre ame avait gardé le souvenir ?

Ce n’était cependant que la vibration d’une harpe dans laquelle passait le vent.

Mais cette harpe, c’était celle d’Ossian ; ce vent, c’était le vent d’Écosse.

Eh bien, moi aussi, comme ce voyageur, j’ai ma harpe éolienne ; j’ai des sons qui, quelque part que je sois, quelque pensée qui préoccupe mon esprit, quelque amour qui me tienne le cœur, retentissent tout à coup au fond de mon ame ; j’ai une voix qui me parle dans le tumulte ou dans le silence, dans le jour ou dans l’ombre, et me fait frissonner, comme lorsque les cheveux d’une femme que j’aime me passent sur le visage. Harpe inconnue, sons mystérieux, voix divine !…

La première fois qu’elle me parla, j’étais enfant ; la voix était douce et naïve ; je la pris presque pour celle de ma mère. Elle me dit :

Quoi ! Daniel, à six ans vous faites le faux brave,
Vous insultez le chien qui dort,
Vous lui tirez l’oreille, et, raillant votre esclave
Sous ses pas endormis vous dressez une entrave.
L’esclave qui sommeille, ô Daniel ! n’est pas mort !…
Son réveil s’armera d’une dent meurtrière ;
La preuve en a rougi votre linge en lambeaux…
Oui, vous voilà blessé, mais blessé par derrière !
Malgré la nuit, j’y vois ; sauvons-nous des flambeaux ;
Sauvons-nous des témoins… Moi, je suis votre mère ;
Je cacherai ta honte, enfant, dans mon amour.

Viens ! j’ai pitié de toi, car ta honte est amère.
Bénis Dieu, sa bonté vient d’éteindre le jour !
Personne ne t’a vu, lâche et méchant !… Écoute :
Pour t’appeler méchant, sais-tu ce qu’il m’en coûte ?
C’est ton nom pour ce soir ; subis-le devant moi.
Va ! personne jamais ne l’entendra que toi.
Personne ne t’a vu d’une bête innocente
Tourmenter l’indolent sommeil,
Et, pour irriter son sommeil,
Lui simuler sa chaîne absente.
...............
...............

Plus tard, à l’âge où l’homme commence à se sentir vivre, où des souffles brûlans lui passent sur le cœur à l’aspect d’une femme, où tout le langage mystérieux de la création ne murmure à son oreille qu’un mot : Amour ! et où son cœur le répète comme un écho à chacun de ses battemens, j’entendis de nouveau cette voix éolienne, tendre et mélancolique, tendre comme celle d’une amante ; cette voix qui disait :

LE PRINTEMPS.

Le printemps est si beau ! sa chaleur embaumée
Descend au fond des cœurs réveillés et surpris ;
Une voix qui dormait, une ombre accoutumée,
Redemande l’amour à nos sens attendris.
La raison vainement à ce danger s’oppose ;

L’image inattendue enivre la raison.
Tel un insecte ailé s’élance sur la rose
Et la brûle d’un doux poison.
Des jeunes souvenirs la foule caressante
Accourt, brave la crainte, et l’espace et le temps ;
Qui n’a cru respirer, dans la fleur renaissante,
Les parfums regrettés de ses premiers printemps ?

Et moi, dans un accent qui trouble et qui captive,
Naguère un charme triste est venu m’attendrir.
L’écouterai-je encor, curieuse et craintive,
Ce doux accent qui fait mourir ?
Ce nom… j’allais le dire ; il m’est donc cher encore ?
Ma frayeur n’a donc plus de force contre lui ?
Toi, qui ne m’entends pas, d’où vient que je t’implore ?
N’es-tu pas loin ? n’ai-je pas fui ?
Reverrai-je tes yeux, dont l’ardente prière
Obtiendrait tout des cieux ?
Oui, pour ne plus les voir, j’abaisse ma paupière ;
Je m’enfuis dans mon ame, et j’ai revu tes yeux !
.......................
.......................

Et maintenant que, plus avant dans la vie, après avoir laissé à chaque pas de cette rude montagne que nous gravissions une espérance, une illusion, un bonheur ; maintenant qu’arrivé haletant et fatigué au sommet de la jeunesse, je détourne les yeux des débris qui jonchent ma route pour étendre ma vue vers le côté grave de l’existence ; maintenant qu’il me faut dire adieu aux folles joies et aux jeunes amours, aux longues rêveries, avant que je ne m’engage dans le sentier aride, ô ma harpe éolienne ! un dernier son ; ô ma voix inconnue ! un dernier chant, un son mélancolique, un chant de souvenir. J’écoute.

Ondine, enfant joyeux qui bondis sur la terre,
Mobile comme l’eau qui te donne son nom,
Es-tu d’un séraphin le miroir solitaire ?
Sous ta grâce mortelle orne-t-il ma maison ?

Quand je t’y vois glisser, dansante et gracieuse,
Je sens flotter mon ame errante autour de toi ;
Je me regarde vivre, ombre silencieuse ;
Mes jours purs, sous tes traits, repassent devant moi.

Car, toujours ramenés vers nos jeunes annales,
Nous retrempons nos yeux dans leurs fraîches couleurs ;
Midi n’a plus le goût des heures matinales
Où l’on a respiré tant de sauvages fleurs ;
Le champ, le plus beau champ que renfermât la terre,
Furent les blés bordant la maison de mon père,
Où je dansais, volage, en poursuivant du cœur
Un rêve qui criait : Bonheur ! bonheur ! bonheur !

.......................
.......................

Ô ma voix amie ! merci ; car votre dernier chant est le plus doux de vos chants.

Alex. Dumas.


LES PLEURS.

RÉVÉLATION.

I.

Vois-tu, d’un cœur de femme il faut avoir pitié ;
Quelque chose d’enfant s’y mêle à tous les âges ;
Quand elles diraient non, je dis oui. Les plus sages
Ne peuvent sans transport se prendre d’amitié :
Juge d’amour ! Ce mot nous rappelle nos mères ;
Le berceau balancé dans leurs douces prières ;
L’ange gardien qui veille et plane autour de nous,
Qu’une petite fille écoute à deux genoux ;

Dieu qui parle et se plaît dans une ame ingénue,
Que l’on a vu passer avec l’errante nue,
Dont on buvait l’haleine au fond des jeunes fleurs,
Qu’on regardait dans l’ombre et qui séchait nos pleurs ;
Et le pardon qui vint un jour de pénitence,
Dans un baiser furtif redorer l’existence !

Ce suave lointain reparaît dans l’amour ;
Il redonne à nos yeux l’étonnement du jour ;
Sous ses deux ailes d’or qu’il abat sur notre âme,
Des prismes mal éteints il rallume la flamme ;
Tout s’illumine encor de lumière et d’encens ;
Et le rire d’alors roule avec nos accens !

Des pompes de Noël la native harmonie
Verse encor sur l’hiver sa grâce indéfinie ;
La cloche bondissante avec sa grande voix,
Bouge l’air en vibrant : Noël ! comme autrefois ;
Et ce ciel qui s’emplit d’accords et de louanges,
C’est le Salutaris et le souffle des anges !
Et puis, comme une lampe aux rayons blancs et doux,
La lune, d’un feu pur inondant sa carrière,
Semble ouvrir sur le monde une immense paupière,
Pour chercher son Dieu jeune, égaré parmi nous.

« Oh ! qu’elle soit heureuse entre toutes les femmes ! »
Dit une femme heureuse et choisie à son tour ;
« Oh ! qu’elle règne aux cieux ; j’ai mon ciel, j’ai l’amour !
Par lui, l’éternité sauve toutes nos ames ! »

La pitié fend la nue, et fait pleuvoir ses dons
Sur l’indigent qui court vers le divin baptême.
Regarde ! son flambeau repousse l’anathême ;
Et son manteau qui s’ouvre est chargé de pardons :
Noël ! Noël ! l’enfant lève sa tête blonde,
Car il sait qu’à minuit les anges font la ronde !
Quel bonheur de t’attendre à travers ce bonheur,
Dis ! d’attirer ta vie à mon foyer rêveur !
Répands-y de tes yeux la lumière chérie ;
Viens ! J’ai besoin d’entendre et de baiser ta voix.
C’est avec ta voix que je prie,
C’est avec tes yeux que je vois !

Quand l’orgue exhale aux cieux les soupirs de l’église,
Ce qui se passe en moi, viens ! que je te le dise ;
Viens ! Et salut à toi, culte enfant, pur trésor !
Par toi, la neige brûle et la nuit étincelle ;
Par toi, la vie est riche ; elle a chaud sous ton aile ;
Le reste est pour le pauvre ; et ce n’est qu’un peu d’or !
Mon Dieu ! qu’il est facile et doux d’être prodigue,
Quand on vit d’avenir, de prière, d’espoir ;

Quand le monde fait peur ; quand la foule fatigue ;
Quand le cœur n’a qu’un cri : — Te voir, te voir, te voir !

Et quand le silence
Adore à son tour,
La foi qui s’élance,
Aux cieux se balance
Et pleure d’amour !

Vivre ! toujours vivre,
D’un feu sans remords !
Nous sauver et suivre
Un Dieu qui se livre,
Pour tuer la mort !

Aimer ce que j’aime,
Une éternité,
Et dans ton baptême,
M’abreuver moi-même
D’immortalité ;

Quelle immense voie !
Que d’ans, que de jours !
Viens, que je te voie !
Je tremble de joie ;
Tu vivras toujours !

L’été, le monde ému frémit comme une fête ;
La terre en fleurs palpite et parfume sa tête ;
Les cailloux plus clémens, loin d’offenser nos pas,
Nous font un doux chemin : on vole, on dit tout bas :
« Voyez ! tout m’obéit, tout m’appartient, tout m’aime !
» Que j’ai bien fait de naître ! et Dieu, car c’est Dieu même
» Est-il assez clément de protéger nos jours,
» Sous une image ardente à me suivre toujours ! »

Que de portraits de toi j’ai vu dans les nuages !
Que j’ai dans tes bouquets respiré de présages !
Que de fois j’ai senti par un nœud doux et fort,
Ton ame s’enlacer à l’entour de mon sort !
Quand tu me couronnais d’une seconde vie,
Que de fois sur ton sein je m’en allais ravie,
Et reportée aux champs que mon père habitait,
Quand j’étais blonde et frêle, et que l’on me portait !
Que de fois dans tes yeux j’ai reconnu ma mère !
Oui ! toute femme aimée a sa jeune chimère,
Sois en sûr ; elle prie, elle chante : et c’est toi
Qui gardais ces tableaux long-temps voilés pour moi.
Oui ! si quelque musique en mon ame cachée,
Frappe sur mon sommeil et m’inspire d’amour,
C’est pour ta douce image à ma vie attachée,
Caressante chaleur sur mon sort épanchée,
Comme sur un mur sombre un sourire du jour !

Mais par un mot changé troubles-tu ma tendresse,
Oh ! de quel paradis tu fais tomber mon cœur !
D’une larme versée au fond de mon ivresse,
Si tu savais le poids, ému de ta rigueur,
Penché sur mon regard qui tremble et qui t’adore,
Comme on baise les pleurs dont l’enfant nous implore,
À ton plus faible enfant, tu viendrais, et tout bas :
« J’ai voulu t’éprouver, grâce ! ne pleure pas ! »

Parle-moi doucement ! sans voix, parle à mon âme ;
Le souffle appelle un souffle, et la flamme une flamme.
Entre deux cœurs charmés il faut peu de discours,
Comme à deux filets d’eau peu de bruit dans leur cours.
Ils vont ! aux vents d’été parfument leur voyage :
Altérés l’un de l’autre et contens de frémir,
Ce n’est que de bonheur qu’on les entend gémir.
Quand l’hiver les cimente et fixe leur image,
Ils dorment suspendus sous le même pouvoir,
Et si bien emmêlés qu’ils ne font qu’un miroir.

On a si peu de temps à s’aimer sur la terre !
Oh ! qu’il faut se hâter de dépenser son cœur !
Grondé par le remords, prends garde ! il est grondeur,
L’un des deux, mon amour, pleurera solitaire.
Parle-moi doucement ! afin que dans la mort
Tu scelles nos adieux d’un baiser sans remord,

Et qu’en entrant aux cieux, toi calme, moi légère,
Nous soyons reconnus pour amans de la terre.
Que si l’ombre d’un mot t’accusait devant moi,
À Dieu, sans le tromper, je réponde pour toi :
« Il m’a beaucoup aimée ! il a bu de mes larmes ;
» Son ame a regardé dans toutes mes douleurs ;
» Il a dit qu’avec moi l’exil aurait des charmes,
» La prison du soleil, la vieillesse des fleurs ! »

Et Dieu nous unira d’éternité ; prends garde !
Fais-moi belle de joie ! et quand je te regarde,
Regarde-moi ; jamais ne rencontre ma main,
Sans la presser : cruel ! on peut mourir demain,
Songe donc ! Crains surtout qu’en moi-même enfermée,
Ne me souvenant plus que je fus trop aimée,
Je ne dise, pauvre ame, oublieuse des cieux,
Pleurant sous mes deux mains et me cachant les yeux :
« Dans tous mes souvenirs je sens couler mes larmes ;
Tout ce qui fit ma joie enfermait mes douleurs :
Mes jeunes amitiés sont empreintes des charmes
Et des parfums mourans qui survivent aux fleurs. »

Je dis cela, jalouse ; et je sens ma pensée
Sortir en cris plaintifs de mon ame oppressée.
Quand tu ne réponds pas, j’ai honte à tant d’amour,
Je gronde mes sanglots, je m’évite à mon tour,

Je m’en retourne à Dieu, je lui demande un père,
Je lui montre mon cœur gonflé de ta colère,
Je lui dis, ce qu’il sait, que je suis son enfant,
Que je veux espérer et qu’on me le défend !

Ne me le défends plus ! laisse brûler ma vie.
Si tu sais le doux mal où je suis asservie,
Oh ! ne me dis jamais qu’il faudra se guérir ;
Car, tu me vois dans l’ame : approche, tu peux lire ;
Voilà notre secret : est-ce mal de le dire ?
Non ! rien ne meurt. Pieux d’amour ou d’amitié,
Vois-tu, d’un cœur de femme il faut avoir pitié !

LA VIE ET LA MORT
DU RAMIER.

Hélas ! Nous n’avons pas juré de vivre ensemble,
Mais nous avons promis de nous aimer toujours !

— JULES DE RESSÉGUIER. —

II.

De la colombe au bois c’est le ramier fidèle ;
S’il vole sans repos, c’est qu’il vole auprès d’elle ;
Il ne peut s’appuyer qu’au nid de ses amours,
Car des ailes de feu l’y réchauffent toujours !

Laissez battre et brûler deux cœurs si bien ensemble ;
Leur vie est un fil d’or qu’un nœud secret assemble,

Il traverse le monde et ce qu’il fait souffrir :
Ne le déliez pas ! vous les feriez mourir.

Ils ne veulent à deux qu’un peu d’air, un peu d’ombre ;
Une place au ruisseau qui rafraîchit le cœur ;
Seuls, entre ciel et terre, un nid suave et sombre,
Pour s’entre-aider à vivre, ou cacher leur bonheur !

Quand vous ne verrez plus passer par ce rivage
Cette blanche moitié de la colombe aux bois,
N’allez pas croire au moins que l’un d’eux soit volage ;
Bien qu’ils aiment toujours, ils n’aiment qu’une fois !

Laissez-vous entraîner sur leurs traces perdues,
Vers le nid, doux sépulcre alors silencieux,
Et vous y trouverez quatre ailes détendues
Sur deux cœurs mal éteints rallumés dans les cieux !

L’ATTENTE.

III.

Quand je ne te vois pas, le temps m’accable ; et l’heure
A je ne sais quel poids impossible à porter :
Je sens languir mon cœur, qui cherche à me quitter ;
Et ma tête se penche, et je souffre et je pleure.

Quand ta voix saisissante atteint mon souvenir,
Je tressaille, j’écoute… et j’espère immobile ;

Et l’on dirait que Dieu touche un roseau débile ;
Et moi, tout moi répond : Dieu ! faites-le venir !

Quand sur tes traits charmans j’arrête ma pensée,
Tous mes traits sont empreints de crainte et de bonheur ;
J’ai froid dans mes cheveux ; ma vie est oppressée,
Et ton nom, tout à coup, s’échappe de mon cœur.

Quand c’est toi-même, enfin ! quand j’ai cessé d’attendre,
Tremblante, je me sauve en te tendant les bras ;
Je n’ose te parler, et j’ai peur de t’entendre ;
Mais tu cherches mon ame, et toi seul l’obtiendras !

Suis-je une sœur tardive à tes vœux accordée ?
Es-tu l’ombre promise à mes timides pas ?
Mais je me sens frémir. Moi, ta sœur ! quelle idée !
Toi, mon frère !… ô terreur ! Dis que tu ne l’es pas !

DORS-TU ?

IV.

Et toi ! dors-tu quand la nuit est si belle,
Quand l’eau me cherche et me fuit comme toi ;
Quand je te donne un cœur long-temps rebelle ?
Dors-tu, ma vie ! ou rêves-tu de moi ?

Démêles-tu, dans ton ame confuse,
Les doux secrets qui brûlent entre nous ?

Ces longs secrets dont l’amour nous accuse,
Viens-tu les rompre en songe à mes genoux ?

As-tu livré ta voix tendre et hardie
Aux fraîches voix qui font trembler les fleurs ?
Non ! c’est du soir la vague mélodie ;
Ton souffle encor n’a pas séché mes pleurs !

Garde toujours ce douloureux empire
Sur notre amour qui cherche à nous trahir :
Mais garde aussi son mal dont je soupire ;
Son mal est doux, bien qu’il fasse mourir !

AMOUR.

Trop faibles que nous sommes ;
C’est toujours cet amour qui tourmente les hommes.

— ANDRÉ CHÉNIER. —

V.

Ce que j’ai dans le cœur, brûlant comme notre âge,
Si j’ose t’en parler, comment le définir ?
Est-ce un miroir ardent frappé de ton image ?
Un portrait palpitant né de ton souvenir ?

Vois ! je crois que c’est toi, même dans ton absence,
Dans le sommeil ; eh quoi ! peut-on veiller toujours ?

Ce bonheur accablant que donne ta présence,
Trop vite épuiserait la flamme de mes jours.

Le même ange peut-être a regardé nos mères ;
Peut-être une seule ame a formé deux enfans.
Oui ! la moitié qui manque à tes jours éphémères,
Elle bat dans mon sein où tes traits sont vivans !

Sous ce voile de feu j’emprisonne ta vie :
Là, je t’aime, innocente, et tu n’aimes que moi :
Ah ! si d’un tel repos l’existence est suivie,
Je voudrais mourir jeune, et mourir avec toi !

LE
JUMEAU PLEURÉ.

À sa Mère,
MADAME HENRIETTE DUTHILLŒIL,
À Douay

VI.

Petit ange, dernier venu,
Dans ce triste monde inconnu,
Tu n’avais pas mué tes ailes !
Semblable aux jeunes hirondelles,
Qui disent : « Ne nous touchez pas ;
» Nos plumes grandiront là-bas :
» Mal éclos sous vos toits d’argile,
» Suspendus à des nids fragiles,

» Au bruit de la terre endormis,
» Nous couvons nos songes amis :
» Gardez les songes, doux présages !
» Et nous, prophètes de passage,
» Vers notre Dieu laissez-nous fuir :
» Oh ! nous ne souffrons point de cages ;
» Notre aile veut s’épanouir,
» Pour nager au sein des nuages !
» De notre fluide destin,
» Flottant dans l’air pur du matin,
» Vous aurez souvent des nouvelles ;
» Toujours de jeunes hirondelles
» Au printemps descendront des cieux,
» Faisant passer devant vos yeux
» Des souvenirs vivans, des charmes
» Trempés d’espérance et de larmes,
» Qui portent bonheur à l’exil ;
» Toujours quelque invisible fil
» Nous ramènera l’un vers l’autre ;
» Et quand vous n’aurez plus de pleurs
» Pour nos nids cachés dans vos fleurs,
» Notre monde sera le vôtre ! »

Et toi, dont un même rameau
Balança l’œuf frêle et jumeau,
Ange né d’un double mystère,
Sans poser tes pieds à la terre,

En effleurant d’un souffle pur
Le sein qui te servit de voile,
Tu t’en retournes dans l’azur
Te poser au front d’une étoile ;
Et puis, tu laisseras tomber
Des rayons, des mots, des sourires,
Des baisers, de chastes délires,
Au nid que ton poids fit courber,
Tiède de ta première aurore,
Et que ton adieu trouble encore,
Petit ange, dernier venu
Dans ce triste monde inconnu !

LES
MOTS TRISTES.

Quoi ! je mourrai ! quoi ! le temps à sa suite
Amènera l’irrévocable jour,
Le jour muet et sombre, où sans retour
S’arrêtera ce cœur qui bat si vite !

— MADAME AMABLE TASTU. —

VII.

Souvent toute plongée au fond de ma tendresse,
Expiant, Dieu le veut ! le nom de ta maîtresse,
Je pense que je souffre (aimer tant, c’est souffrir),
Qu’un jour je t’ai vu pâle, et que l’on peut mourir
Jeune, entends-tu ! Je meurs pour mourir la première,
Pour braver avant toi la nuit ou la lumière :
J’entends des mots affreux tinter autour de moi,
Ces mots que dans l’enfance on apprend sans les croire,

Roulant, sans la troubler, au fond de la mémoire,
Inécoutés long-temps, long-temps vides d’effroi,
Tout à coup pleins d’accent, pleins de deuil, pleins de larmes,
Bondissant sur le cœur comme un tocsin d’alarmes !
C’est la cloche effrayée au cri sinistre et prompt,
Dont le pouls bat rapide et fiévreux dans l’espace,
Redoublant son frisson avec la mort qui passe ;
De pâleur et de crainte elle cerne mon front ;
Sous mes cheveux levés une eau froide circule :
Ah ! ne t’étonne pas. J’aime ! je suis crédule ;
Ou plutôt j’ai des yeux qui plongent sous les fleurs ;
Au fond de nos baisers je sens rouler des pleurs !

L’avenir sonne ; arrête ! Oh ! que nous marchons vite !
Qu’une heure a peu de poids sur un cœur qui palpite !
Ne peut-on lentement respirer le bonheur ?
Vivre sans éveiller le temps et le malheur ?
Embrasse-moi : plus près de ta moitié qui tremble,
Laisse passer la vie ; elle nous aime ensemble !
Quand tu m’as dit adieu, je me donne à rêver,
Et les mots qui font peur reviennent me trouver :
Ils disent que l’on meurt en sortant d’une fête,
Et je t’y vois courir, et je cache ma tête,
Et leurs sons plus aigus sifflent entre mes doigts :
« On meurt ! on meurt ! on meurt ! on se quitte une fois ! »
Puis ton nom !… Ah ! ce nom m’éveille, il me rassure,
Ton baiser presse encore mes lèvres, j’en suis sûre !

Et je m’appelle folle en me sentant frémir.
Vois ! qu’un portrait de toi serait doux sous mes larmes :
Et je n’ai que ton nom ! ton nom ! pas d’autres armes.
Si je chantais, ma voix sortirait pour gémir ;
À mon ame qui pense elle reste attachée ;
Dans mes pâles tourmens je demeure cachée :
Alors je rêve un monde où dureront toujours
Les caresses du cœur et les libres amours !
Prends mes ailes, viens ! viens où jamais la pensée
N’est un poignard armé contre une ame oppressée.
Songes-y ! plus d’absence, et personne entre nous :
Là, nos trames d’amour n’ont plus de nœuds jaloux ;
Là, jamais un fil noir ne traverse la joie
Des fuseaux toujours pleins d’or et de pure soie !

Avant de t’avoir vu, devines-tu comment
J’entrevoyais du ciel le vague enchantement ?
Je regardais toujours, comme à travers un voile
On s’amuse à chercher la forme d’une étoile :
Sous l’immense rideau je ne pouvais saisir
Que des objets sans traits pour mes yeux sans désir :
Trop faible à m’élancer au-delà de mon être,
Je rentrais dans ma vie, en te cherchant peut-être ;
Car, toujours comme toi brûlante avec langueur,
Sans t’avoir vu des yeux, je te cherchais du cœur !

Et je disais le soir aux vives étincelles
Qui dans l’ombre éclairaient mes doutes à genoux :
« Dieu jette-t-il aux nuits de si douces parcelles,
» Pour écrire son nom entre le ciel et nous ! »

Et je rêvais le bruit de feuilles immortelles
Qui ne s’envolent plus sous l’haleine de l’air,
Sans nuit, sans froid, sans peur d’expier par l’hiver
De longs jours transparens comme les cœurs fidèles !
Et puis, en frissonnant, j’osais rêver encor
Je ne sais quel appui qui manquait à mon sort !

Là, du moins, je voyais les pauvres sans alarmes,
Sortis de leurs lambeaux que Dieu n’a pas perdus,
Rassasiés d’un pain qui ne s’épuise plus,
À l’immense festin payé de tant de larmes !

Un roi, de l’homme nu devinant les douleurs,
Sans sceptre, sans couronne, à la pitié sensible,
Agenouillé devant sa victime paisible,
Pesant ses fers tombés et les mouillant de pleurs !

Du riche repentant l’ame enfin éclairée,
Versant un doux breuvage à quelque ame altérée :

C’était beau ! c’était tout. Quand ta voix me parla,
Le rideau s’entr’ouvrit, l’éternité brûla !
Le ciel illuminé s’emplit de ta présence ;
Dieu te mit devant moi, je compris sa puissance :
En passant par tes yeux mon ame a tout prévu :
Dieu, c’est toi pour mon cœur ; j’ai vu Dieu, je t’ai vu !

Mais pour te retrouver dans cette joie immense,
Il faut franchir l’espace, et la mort le commence.
Horreur ! il faut passer par un étroit cercueil,
Quitter ta main qui brûle, et ta voix toujours tendre ;
Ah ! dans le désespoir d’être un jour sans l’entendre,
Tout mon ciel se referme… En tremblant, sur le seuil
Où la cloche qui pleure est encore entendue,
Pour nous éteindre à deux je suis redescendue.

Où ces signaux de mort envoyés devant moi,
S’allument, et long-temps tremblent comme des lampes
Qu’on voit glisser au loin sur les gothiques rampes
D’une église où je vais le soir prier pour toi,
Dis ! cette ombre qui passe auprès de la chapelle,
Est-ce ton ame en peine, en quête de mon sort,
Sous une aile traînante et paresseuse encor,
Dont le doux bruit de plume et m’effleure et m’appelle ?
Heureux qui s’abandonne, « oh ! tu l’as dit souvent,
» Et qui s’envole à Dieu comme la plume au vent ! »


Mais, tiens ! pour remonter, intrépide hirondelle,
Le chemin lumineux qui ramène au soleil,
Pour partir en aveugle, en joie ! en tire-d’aile,
Et ne voir devant soi que l’horison vermeil,
Il faut mourir enfant ! Il faut, doux somnambule,
S’élançant par la tombe aux jardins sans hivers,
Ne pas se réveiller à la voix des pervers,
Et du sein maternel s’en retourner, crédule
Comme un doux rossignol sort du fond d’une fleur,
Sans avoir répandu sa voix sur la vallée,
Et va frapper aux cieux pour son hymne exilée
Qui ne veut pas apprendre à chanter la douleur.
Beaux enfans ! tout pétris de baisers ! de prières !
Faibles cygnes tombés des célestes bruyères,
Au duvet encor chaud de la main du seigneur,
Et qui ne voulez pas ramper vers le malheur,
Vous faites bien ! Restez à l’alphabet d’un ange,
Dont chaque lettre sainte est un signe d’amour ;
Solfége harmonieux où nul accord ne change,
Et dont la clé sonore ouvre un autre séjour !
Mais, quand dieu nous reprend vos ailes et vos charmes,
Que dit-il de les voir humides de nos larmes ?

Et toi ! viens-tu ? Viens donc ! car au bruit de tes pas
Ma peur s’envolerait : je ne les entends pas !
J’étends mes mains au jour, et je le trouve sombre ;
Je cherche à m’appuyer comme un enfant dans l’ombre ;

Je lis, ou je crois lire ; et les lugubres mots,
En oracles rangés décrivent deux tombeaux
Qui, retenant sur eux ma frayeur arrêtée,
Sortent en traits de plomb de la page irritée :
Il faut fermer le livre et tomber à genoux ;
Il faut dire : Mon Dieu ! priez pour lui… pour nous !

Et me voilà ! voilà comme tu m’as rendue ;
À deux pas de tes pas, je suis, seule, perdue ;
Je dépends d’un nuage ou du vol d’un oiseau,
Et j’ai semé ma joie au sommet d’un roseau !

TOI ! ME HAIS-TU ?

VIII.

Quand tu souris en homme à ces tendres orages
Qui troublent dans l’amour de plus faibles courages,
Que j’aime, de ta voix démentant la gaieté,
Ce nuage qui passe à ton front attristé !

Après que je t’ai dit ma plainte tout entière,
Calmée à ton silence éloquent et rêveur,

Quand je sens tes doux yeux brûler sur ma paupière,
Dis ! n’est-ce pas ton cœur qui regarde mon cœur ?

Il m’éblouit de joie ! il endort mes alarmes.
Sais-tu de quel espoir il relève mon sort ?
J’y vois toute une vie, et je la vois sans larmes,
Et je n’ai plus peur de la mort !

Toi qui m’as seule aimée, écoute : si tu changes,
Je te pardonnerai sans t’imiter jamais ;
Car de cet amour vrai dont s’adorent les anges
Je sens que je t’aimais.

Et sans ton cœur, mon cœur comme un poids inutile,
Tel qu’en ce froid cadran palpite un plomb mobile,
De la nuit à l’aurore et de l’aurore au soir,
Battra jusqu’au tombeau, sans joie et sans espoir.

Et, j’en demande à Dieu pardon plus qu’à toi-même,
Je ne veux pas revivre où l’on dit que l’on aime,
Si l’on t’y donne un bien qui ne sera plus moi,
Et si Dieu m’y destine un autre ange que toi.


Le néant me plaît mieux ; son horreur me soulage :
Jamais je ne t’ai vu sans t’aimer davantage ;
Et jamais, plus rêveuse en te quittant le soir,
Sans pâlir dans l’effroi de ne te plus revoir !

C’est que Dieu pour nos jours n’alluma point deux flammes ;
C’est qu’un même baiser fit éclore deux âmes ;
Que partout où je passe en appelant ta main,
Le doux poids de tes pieds a creusé mon chemin.

Enfin, que ma pensée, orageuse ou calmée,
Se dévoile riante, ou s’enferme alarmée,
Comme on voit la cigale au front tremblant des blés,
Craintive, au moindre bruit tarir ses chants troublés,
Toujours teinte de ton image,
C’est l’eau sous le soleil, quand j’y sens ton amour ;
Et si pour d’autres yeux tes yeux ont un langage,
C’est l’eau, miroir éteint d’où s’efface le jour.

Toi ! me hais-tu, dis vrai ! t’ai-je offensé, mon âme ?
Dis : quelque mot amer dans un pli de ton cœur,
Parle-t-il contre moi, ta sœur, ta faible femme ?
Oh ! parle : as-tu jamais compris une autre sœur ?

Non ! j’ai froid d’y penser. Tendresse inexprimable !
Ignores-en toujours les effrois douloureux :
Ne prends de mon amour que ce qu’il a d’aimable,
Et ne garde du tien que ce qui rend heureux !

Mais, laisse-moi t’aimer ! laisse-moi vivre encore !
Laisse ton nom sur moi comme un rayon d’espoir !
Mais, dans le mot demain laisse-moi t’entrevoir,
Et si j’ai d’autres jours, viens me les faire éclore !

MINUIT.

Je veux vivre dans l’air qu’a respiré ta bouche.
— CHARLES NODIER. —

IX.

Quand je sens entre nous la cité tout entière,
Ses ténèbres, ses feux, ses jardins, et le port,
Et le fleuve, et l’église, et le froid cimetière,
Je ne respire plus. Un douloureux transport
Entraîne loin de moi sur ta trace perdue,
Ma faiblesse qui pleure et qui cherche, assidue,
Ta vie et ton courage imprudent : car jamais

L’heure qui dit : silence ! et qui défend qu’on veille,
Ne jette loin de moi sa voix dans ton oreille ;
Et tu ris quand j’écoute, ou que, d’un doigt prudent,
Je te montre minuit qui passe en nous grondant :
Tu ris ! tu ne crois pas, et moi, je veux y croire
À ces contes mêlés d’une tragique histoire ;
J’en sais mille ! et le soir j’en invente ; et ma peur
Les sème sur ta route où mon âme regarde,
Où je vais dans mon rêve, élan doux et trompeur,
T’enlacer de mes bras et te crier : Prends garde !

Vois-tu, mon bien-aimé, l’ombre qui te poursuit,
Qui tremble, qui t’arrête où l’onde est dangereuse,
Qui rend tes pas moins sûrs et l’eau plus ténébreuse ?
C’est moi, triste ! Ah ! tu sais, tout est triste la nuit :
Ses astres sont voilés, son silence a des plaintes,
L’eau ressemble à des pleurs ;
Elle rend la mémoire ou l’effroi des malheurs ;
Et l’amour isolé marche sur mille craintes !

Juge quand un orage éclate au haut des airs,
Quand j’entends l’hirondelle affronter les éclairs,
Quand le chien prophétique hurle son noir présage,
Et que sur ta maison s’arrête un lourd nuage ;
Plains-moi : l’air qui te manque affaisse mes genoux ;
Sous l’effroi qui m’étouffe, et m’enchaîne, et me glace,

Je présente mon cœur au coup qui te menace ;
Je prie avec ton nom, je le jette entre nous ;
Je signale ta vie à quelque ange qui m’aime ;
Il t’a vu dans mon âme, il te prend pour moi-même ;
Si je pleure, il te cherche en tremblant pour mes jours.

Sauve-les ! sauve-toi sous ses ailes humides ;
Il n’éteint que la foudre, et, tendre aux feux timides,
S’il garde mon bonheur, il te suivra toujours !

ADIEU !

Ce soleil un instant voilera son visage,
Et sans la rallumer laissera son image
S’éteindre au fond de l’eau.

— JOSEPH DE LORME. —

X.

Partir ! tu veux partir ! ta voix chère et cruelle,
Qui m’atteint dans le cœur, m’a dit : Je vais partir !
Sais-tu… Non. Pour me plaindre il faut me ressentir,
Et tu doutes souvent, et toi seul es fidèle,
Et je ne t’aime pas ! tu le sauras un jour :
Crains de le trop apprendre : avance ton retour.

Ton retour ! Tu pars donc ? Oui, tu veux voir ton père :
Fais-lui de ma tristesse au moins un jour prospère ;

Les larmes ont un prix ; offre-les-lui pour moi ;
Va, j’attendrai ma vie… et tu sais que c’est toi !

Va dans tous les baisers d’un enfant qu’il adore,
Lui porter les baisers de l’enfant qu’il ignore ;
Mets sur son cœur mon cœur, mon respect, mon amour ;
Il est aussi mon père, il t’a donné le jour !

Partir !… que je voudrais, invisible et hardie,
M’asseoir sur tes genoux, près de ses cheveux blancs !
Les toucher de mes mains, et, sous tes bras tremblans.
Contempler le mortel à qui je dois ta vie !

Et la sienne sans toi s’effeuille… Quittons-nous !
Porte de frais parfums à sa saison austère,
Toi, la plus belle fleur qu’il sema sur la terre !
Mais, pour le demander, ne sois plus à genoux ;
Car, mon cœur est trop près de ton cœur qui soupire,
Et ce mot qui sépare… il faut enfin le dire !

MALHEUR À MOI !

Ah ! ce n’est pas aimer que prendre sur soi-même
De pouvoir vivre ainsi loin de l’objet qu’on aime.

— ANDRÉ CHÉNIER. —

XI.

Malheur à moi ! je ne sais plus lui plaire ;
Je ne suis plus le charme de ses yeux ;
Ma voix n’a plus l’accent qui vient des cieux,
Pour attendrir sa jalouse colère ;
Il ne vient plus, saisi d’un vague effroi,
Me demander des sermens ou des larmes :
Il veille en paix, il s’endort sans alarmes :
Malheur à moi !

Las de bonheur, sans trembler pour ma vie,
Insoucieux, il parle de sa mort !
De ma tristesse il n’a plus le remord,
Et je n’ai pas tous les biens qu’il envie !
Hier, sur mon sein, sans accuser ma foi,
Sans les frayeurs que j’ai tant pardonnées,
Il vit des fleurs qu’il n’avait pas données :
Malheur à moi !

Distrait d’aimer, sans écouter mon père,
Il l’entendit me parler d’avenir :
Je n’en ai plus, s’il n’y veut pas venir ;
Par lui je crois, sans lui je désespère ;
Sans lui, mon Dieu ! comment vivrai-je en toi ?
Je n’ai qu’une ame, et c’est par lui qu’elle aime :
Et lui, mon Dieu, si ce n’est pas toi-même,
Malheur à moi !

LA JALOUSE.

Pour la dernière fois je veux tromper mon cœur,
L’enivrer d’espérance, hélas ! et de mensonges !

— CHARLES NODIER. —

XII.

Sans signer ma tristesse, un jour, au seul que j’aime
J’écrivis en secret : « Elle attend : cherche-la !
Devine qui t’appelle, et réponds : « Me voilà ! »
Et quand il accourut, quand je venais moi-même,
Quand je retins le cri d’un bonheur plein d’effroi,
Il n’a pas dit : « C’est elle ! » il n’a pas dit : « C’est toi ! »

Sans me nommer, craintive en livrant mes alarmes,
J’écrivis : « J’ai pleuré. Je pleure… C’est pour vous !
» Que l’amour vous éclaire et demeure entre nous ! »
Et quand il vit mes yeux encor voilés de larmes,
Quand il toucha ma main qui lui rendait ma foi,
Il n’a pas dit : « C’est elle ! » il n’a pas dit : « C’est toi ! »

Sans dire : « C’était moi ! » je m’enfuis, je succombe.
Bientôt je n’aurai plus de secret à cacher :
S’il rêve alors au nom qui courut le chercher,
Il le devinera peut-être sur ma tombe ;
Et soulevant enfin ma vie avec effroi,
Qu’il dise au moins : « C’est elle ! ô pitié ! c’était toi ! »

LE SONGE.

Oui, l’amour vit d’erreurs et de pressentimens.
Eh ! qui ne lui connaît, dans ses vagues tourmens,
Pour irriter sa fièvre ou calmer ses alarmes,
Des superstitions, des augures, des charmes ?
On dirait qu’immortel, ce tyran passager,
À son frêle avenir ne voit rien d’étranger.

— M. H. DE LATOUCHE. —

XIII.

C’était un songe : il me parlait.
Que sa voix était douloureuse !
« Adieu ! disait-il ; sois heureuse ! »
Et cependant il s’en allait !

Seul au fond d’une vaste plaine,
De loin il me montrait des fleurs ;

Et mes pieds me portaient à peine ;
Et ma voix s’écoulait en pleurs.

Mon cœur s’épuisait à l’attendre ;
Les chemins se changeaient en flots ;
J’exhalais son nom sans m’entendre ;
Je ne criais que des sanglots.

Il regarde, il pleure, il s’arrête.
« Tu le veux, dit-il, me voilà ! »
Des ailes planaient sur ma tête ;
Il était ange… et s’envola !

NE VIENS PAS TROP TARD !

À tout ce qu’elle entend, de vous seule occupée,
De chaque bruit lointain mon oreille frappée,
Écoute, et croit souvent reconnaître vos pas ;
Je m’élance, je cours, et vous ne venez pas !

— ANDRÉ CHÉNIER. —

Combien le feu tient douce compagnie
Au prisonnier, dans les longs soirs d’hiver !

— BÉRANGER. —

XIV.

Sais-tu qu’une part de ma vie
Me manque et retourne vers toi ?
Où la tienne languit sans moi,
Dis, sais-tu qu’elle t’a suivie ?
Pour qui te voit, béni soit Dieu !
Pour qui te perd, bonheur, adieu !


Quand de ta demeure isolée
Tu franchis lentement le seuil,
De moi si ta vie est en deuil,
Crois-tu la mienne consolée ?
Pour qui te voit, béni soit Dieu !
Pour qui te perd, bonheur, adieu !

Le soir, quand ton foyer s’allume.
Dans ses ondoyantes lueurs
Vois-tu, comme à travers des pleurs,
Que mon ame ainsi se consume ?
Pour qui te voit, béni soit Dieu !
Pour qui te perd, bonheur, adieu !

Si quelque étincelle plus vive
Échappe au flambeau vacillant,
Comprends-tu l’avis consolant,
Que vers toi ce message arrive ?
Pour qui te voit, béni soit Dieu !
Pour qui te perd, bonheur, adieu !

Le voilà : c’est mon ame entière ;
Accueille-la d’un doux regard ;

Viens aussi… ne viens pas trop tard,
Rendre le jour à ma paupière.
Pour qui te voit, béni soit Dieu !
Pour qui te perd, bonheur, adieu !

SERAIS-TU SEUL ?

Je veux revoir l’espace où plongea ta pensée,
Et les sentiers de fleurs que tes pieds ont touchés.

— CHARLES NODIER. —

XV.

Oh ! si j’avais de grandes ailes,
Que je traverserais de lieux !
J’irais, sous mes plumes fidèles,
Dans leurs pleurs essuyer tes yeux :
Je m’abattrais sur ta fenêtre,
Ou près de ton cœur endormi ;

Toi, quand tu me verrais paraître,
T’enfuirais-tu, mon seul ami ?

Non : tu subirais le prodige
Qui rouvrirait les cieux pour nous ;
Et, comme une fleur sur sa tige,
Je tremblerais sur tes genoux ;
Puis, craintive comme une femme,
Si je t’entraînais à demi,
Pour ne plus déchirer notre ame,
Me suivrais-tu, mon seul ami ?

À minuit la lune rayonne,
Et ma trace aurait un flambeau :
Vers tes pas, dont mon cœur frissonne,
Dieu, que le chemin serait beau !
Sous nos fleurs où, pleine de larmes,
Ta voix dans ma voix a gémi,
Comme au temps dont j’ai fait les charmes,
Serais-tu seul, mon seul ami ?

Mais le jour luit, mon rêve tombe ;
Au soleil les rêves ont peur ;
Et les ailes de ma colombe
Vont seules te porter mon cœur ;

Elle a respiré l’air où j’aime ;
Dans mes bras son vol a frémi :
Triste, comme un peu de moi-même,
Caresse-la, mon seul ami !

PARDON !

XVI.

Et toi, crois-tu comme eux le ciel inexorable ?
Es-tu triste en songeant qu’il est fermé sur moi,
Que mon éternité coulera misérable,
Et qu’à force d’amour je l’oubliai pour toi ?

Le savais-tu déjà, lorsque tu m’as charmée,
Que de plaire est un crime et d’entendre une erreur ?

Pour l’oublier aussi tu m’as donc bien aimée ?
Et le ciel, tout le ciel, n’était-ce pas ton cœur ?

Mais si Dieu n’a rien fait pour défendre qu’on aime,
S’il n’a pas dit l’enfer au monde épouvanté,
S’il n’est pas descendu pour l’annoncer lui-même,
L’homme est donc bien méchant de l’avoir inventé !

Ne crains pas : j’ai langui dans un feu qui dévore ;
J’ai porté ma couronne, et ma croix, et mes pleurs.
Je mourrai loin de toi… que puis-je craindre encore ?
Va, pour tous les tombeaux la nature a des fleurs.

Dieu n’a pas dit : « Brisez son fragile courage. »
Dieu fit le roseau faible, et l’air est son appui.
L’espérance, c’est Dieu, même au sein de l’orage ;
Je suis roseau, je tremble… et je cherche après lui !

LES
AILES D’ANGE.

XVII.

Vous aussi, vous m’avez trompée,
Avec vos traits d’ange et vos pleurs ;
Sous le charme de vos douleurs,
Mon ame reste enveloppée.
De vos jours long-temps accablés,
J’écartai les ombres cruelles ;

Mais l’air pur fait frémir vos ailes,
Bel ange ! et vous vous envolez.

Quand vos ailes alors tremblantes
Viennent se reposer sur moi ;
Quand, à travers un peu d’effroi,
J’accueillis vos peines brûlantes ;
Entre vous et les cieux troublés
J’étendis mes deux mains fidèles ;
Sur mon cœur j’ai séché vos ailes,
Bel ange ! et vous vous envolez.

Saviez-vous qu’une voix plaintive
Pût toucher un cœur à la mort ?
Étiez-vous triste du remord
D’y rendre ma vie attentive ?
Où fuir, hélas ! quand vous parlez
De pleurs, d’amitiés éternelles ?
J’écoutais ; j’oubliais vos ailes,
Bel ange ! et vous vous envolez.

Charmez votre exil sur la terre,
Sous d’autres cieux, par d’autres fleurs ;
Allez ! Dieu comptera vos pleurs
Au fond d’une ame solitaire :

Peut-être un jour vous reviendrez
Y cacher des douleurs nouvelles :
Mais vous aurez toujours des ailes ;
Toujours vous vous envolerez.

SEULE AU RENDEZ-VOUS.

Mais aux lieux inconnus, où mon ame a pris terre,
Je n’ai pas retrouvé l’amitié sur le bord.

— JEAN POLONIUS. —

XVIII.

Ô menteur ! qui disait sa vie
Nouée au fuseau de mon sort,
Jurant au ciel que son envie
Était de mourir de ma mort !
Éclos sous le feu de mon ame,
Tremblant de s’y brûler un jour,

Il jeta des pleurs sur la flamme :
Ô menteur ! ô menteur d’amour !

« Je n’ai fait qu’essayer de vivre, »
Criait l’ange aux légers sermens :
« J’apprends tout ! j’ai trouvé mon livre
» Imprimé dans tes yeux charmans.
» Entre mon cœur et ta présence
» Je ne peux plus porter un jour !… »
Entre nous il a mis l’absence :
Ô menteur ! ô menteur d’amour !

Ivres d’un bonheur solitaire,
Nos ames ont touché les cieux ;
Mais il est enfant de la terre ;
Il s’y retarde, curieux !
Pour mon cœur plein de ses traits d’ange
Le monde est voilé sans retour ;
Et sans lui, comme le ciel change !
Ô menteur ! ô menteur d’amour !

Je sais qu’une invisible chaîne
Jette son aimant entre nous :
Je sais où finira ma peine ;
Mais je vais seule au rendez-vous !

La route sans fleurs et sans charmes
Fuira… Pour se rejoindre un jour,
Doit-on passer par tant de larmes !
Ô menteur ! ô menteur d’amour !

L’ADIEU TOUT BAS.

Quoi ! chanter ! quand l’amour, quand la douleur déchire,
Chanter, la mort dans l’ame, et les pleurs dans les yeux

— JEAN POLONIUS. —

XIX.

Autant que moi-même,
En quittant ces lieux,
Cherchez qui vous aime
Et vous plaise mieux !

Éloignez la flamme
Qui nourrit mes pleurs,

Car je n’ai qu’une ame
Pour tant de douleurs !

La raison regarde
À trop d’amitié ;
J’en pris, par mégarde,
Plus de la moitié !

Dormez à ma plainte,
Quand j’écris tout bas
Ces mots que ma crainte
N’exhalera pas !

La femme qui pleure
Trahit son pouvoir ;
Il faut qu’elle meure
Sans le laisser voir !

Quand le cœur sommeille,
Frappé de langueur,
Ce n’est pas l’oreille
Qui comprend un cœur.

Il est un langage
Appris par les yeux ;

Nos yeux, page à page,
Y trouvent les cieux !

C’est un livre d’ange,
Quand on est aimé ;
Si l’un des deux change,
Le livre est fermé !

NE ME PLAINS PAS !

Playzir ne l’est qu’autant qu’on le partage.
— CLOTILDE. —

XX.

Sois libre, je t’oublie ;
Ne me plains pas toujours !
De ma mélancolie
Je détache tes jours.
L’amour charme, il entraîne ;
Mais il faut aimer deux ;
Qu’une autre te l’apprenne :
Sois libre, sois heureux !


Changer est donc possible !
Oui, je change à mon tour.
De me rendre insensible
J’ai tant prié l’amour !
Il défait son ouvrage ;
Cet effort fut affreux…
Ah ! pour tant de courage,
Sois libre, sois heureux !

Si ton nom, dont la gloire
Me parla tant de fois,
Rapporte à ma mémoire
Et tes traits et ta voix,
Il aura mon sourire,
Peut-être douloureux ;
Qu’importe !… il voudra dire :
Sois libre, sois heureux !

JE NE CROIS PLUS.

Fuir est aussi la mort !
— M. H. DE LATOUCHE. —

XXI.

Allez, pensers d’amour, vers de nouvelles ames,
Comme autour d’un flambeau, voltiger et mourir :
Papillons immortels, vivez à d’autres flammes ;
Tout le feu de mon cœur ne peut plus vous nourrir.

Ma trame était trop faible, et, déjà consumée,
Elle résiste à peine au poids de quelques jours ;

En vain de votre dieu je suis encore aimée,
En vain ! je ne crois plus que l’on aime toujours !

En vain pour arrêter votre riant cortége,
Éphémères, sur vous il jette ses réseaux ;
La Parque est diligente ; et bien qu’il me protége,
Je sens près de mon cœur la pointe des ciseaux !

SOLITUDE.

Et l’haleine de l’onde, à l’oranger mêlée,
De ses fleurs qu’elle effeuille embaume mes cheveux.

— M. ALPHONSE DE LAMARTINE. —

XXIII.

La vois-tu comme moi cette étoile brillante ?
Ressens-tu ma tristesse en regardant les cieux ?
Non, la nuit pour moi seule est rêveuse et brûlante,
Et seule j’y revois la douceur de tes yeux.

J’emportai vainement la fleur mystérieuse
Qui dut lier nos cœurs l’un de l’autre jaloux ;

Son emblème, ignoré de la foule envieuse,
Laissait en vain l’espoir et l’amour entre nous.

Cette fleur qui suivit ma tendresse exilée,
Console-t-elle encor ma fièvre et ma langueur ?
Non : ton ombre qui fuit mobile et consolée,
Pour un front plus brillant l’arrache de mon cœur !

RÉVEIL.

Avoir aimé, ce n’est plus vivre.
— PARNY. —

XXIV.

C’est qu’ils parlaient de toi, quand, loin du cercle assise,
Mon livre trop pesant tomba sur mes genoux ;
C’est qu’ils me regardaient, quand mon ame indécise
Osa braver ton nom qui passait entre nous !

Et puis leurs voix riaient ! j’ai pu rester sans crainte.
On disait ton bonheur et tes belles amours :

À mon livre fermé moi je lisais toujours ;
Car sur mon front baissé toute une ame était peinte !

Te voilà donc heureux ! je sais donc tout prévoir !
Je ne crains donc plus rien… rien, que de te revoir :
Heureux par tant d’objets, je respire moi-même ;
Sur deux cœurs à la fois je n’ai plus à gémir ;
Je dirai : Quel bonheur ! ce n’est plus moi qu’il aime ;
D’autres ont pris mes pleurs… et je pourrai dormir !

Reste à ce doux éclat qui rayonne autour d’elles ;
Leur front se baigne encor dans l’air pur du matin,
Et je leur sais gré d’être belles.
Si ces fleurs d’un moment consolent ton destin :
Mais le voir ! ah ! c’est trop. N’attends pas l’impossible ;
Laisse au ruisseau désert son cours triste et paisible ;
Ne viens pas me surprendre, et, d’un regard glacé,
Me défendre de vivre au moins dans le passé !
Ne viens pas dans mes traits qu’au tourment décolore,
Plus voilés, plus rêveurs encore,
Oh ! ne viens pas compter, malgré moi découverts,
Les pleurs que j’ai versés, les jours que j’ai soufferts !
Laisse-moi m’isoler dans l’oubli de mes peines ;
D’un esclave qui dort ne heurte pas les chaînes ;
Si je dois au passé quelques éclairs heureux,
Il est temps de mourir à ce qu’il eut d’affreux :

Ne fais plus fermenter dans mon ame troublée
Tous ces germes amers où s’éteint la raison ;
Laisse tomber en paix une fleur accablée,
Atteinte dans le cœur d’un tranquille poison.

Tu le sais, comme on voit un calme et frais breuvage
Tourner pendant l’orage,
Tu le sais ! quand l’amour gronde et fait tant souffrir,
La douce humeur de l’ame est facile à s’aigrir.
J’ai senti… (le dirais-je ? oui, s’accuser soi-même
Est peut-être un besoin d’absoudre ce qu’on aime) :
J’ai senti tout mon cœur s’élever contre toi ;
J’ai supplié la mort d’éteindre ma mémoire ;
Oui, j’ai haï ton nom ! oui, j’ai haï ta gloire !
Ah ! c’est que je t’aimais alors ; pardonne-moi !

PITIÉ !

...... Ciel ! où donc êtes-vous ?
À tout ce qu’elle entend, de vous seule occupée,
De chaque bruit lointain mon oreille frappée,
Écoute, et croit souvent reconnaître vos pas ;
Je m’élance, je cours, et vous ne venez pas !

— ANDRÉ CHÉNIER. —

XXV.

Eh ! pourquoi ces clameurs, cet effroi, ces prières ?
Va-t-il, pour me troubler, franchir quelques barrières ?
Songe-t-il si par lui mon sort fut triste… et doux ?
Si mon cœur est paisible, ou volage, ou jaloux ?
Jamais de sa couronne une feuille légère
Cherche-t-elle ma vie à sa vie étrangère ?
Son nom seul fugitif et parfois caressant,
Porté vers l’avenir, me salue en passant :

De lui, rien ! peine affreuse et jamais exprimée !
Douleur toujours profonde et toujours renfermée !
Rapprochement cruel des jours purs et dorés,
Par ses regards, bien plus que des cieux éclairés,
Avec ces jours d’exil, d’abandon, d’amertume,
De regret qui déchire, et d’espoir qui consume !

Oh ! qu’il n’apprenne pas ces tourmens infinis
Dont les cœurs trop naïfs sont raillés et punis !
Et puis, ce n’est pas lui, c’est l’amour qui me tue.
Il détacha son sort de ma vie abattue ;
À présent, je descends un rapide chemin,
Dans une sombre nuit où j’ai perdu sa main.
Il ne viendra jamais ; pourquoi le lui défendre ?
Je l’ai haï : qu’importe ? A-t-il voulu l’apprendre ?
S’occupe-t-on toujours d’un danger qui n’est plus ?
Vers des échos muets que de cris superflus !
Ah ! je me fais pitié, je pleure sur moi-même ;
Et je dis bien souvent : Ce n’est plus lui que j’aime !

DÉTACHEMENT.

Yet, are there souls with whom my own would rest, whom I might bless, with whom I might be blessed !
Combien il faut avoir souffert pour être fatigué même de l’espérance !
— PAULINE. —

XXVI.

Il est des maux sans nom, dont la morne amertume
Change en affreuses nuits nos jours qu’elle consume.
Se plaindre est impossible ; on ne sait plus parler ;
Les pleurs même du cœur refusent de couler.
On ne se souvient pas, perdu dans le naufrage,
De quel astre inclément s’est échappé l’orage

Qu’importe ? Le malheur s’est étendu partout ;
Le passé n’est qu’une ombre, et l’attente un dégoût.

C’est quand on a perdu tout appui de soi-même ;
C’est quand on n’aime plus, que plus rien ne nous aime ;
C’est quand on sent mourir son regard attaché
Sur un bonheur lointain qu’on a long-temps cherché,
Créé pour nous peut-être ! et qu’indigne d’atteindre,
On voit comme un rayon trembler, fuir… et s’éteindre.

TRISTESSE.

Une fille est née dans la classe du peuple, et malgré le triste avenir qui lui est réservé, sa naissance a été accueillie comme un joyeux événement.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Elle est heureuse, car le soleil brille ; la pluie tombe, l’arc-en-ciel étend ses couleurs, et les oiseaux chantent pour elle. Son sommeil est profond et doux, ses jeux gais et vifs, son pain délicieux ! Elle ne sait pas le secret d’être mécontente de ce qu’elle possède.
Un auteur anglais. —

XXVII.

N’irai-je plus courir dans l’enclos de ma mère ?
N’irai-je plus m’asseoir sur les tombes en fleurs ?
D’où vient que des beaux ans la mémoire est amère ?
D’où vient qu’on aime tant une joie éphémère ?
D’où vient que d’en parler ma voix se fond en pleurs ?


C’est que, pour retourner à ces fraîches prémices,
À ces fruits veloutés qui pendent au berceau,
Prête à se replonger aux limpides calices
De la source fuyante et des vierges délices,
L’ame hésite à troubler la fange du ruisseau.

Quel effroi de ramper au fond de sa mémoire,
D’ensanglanter son cœur aux dards qui l’ont blessé,
De rapprendre un affront que l’on crut effacé,
Que le temps… que le ciel a dit de ne plus croire,
Et qui siffle aux lieux même où la flèche a passé !

Qui n’a senti son front rougir, brûler encore,
Sous le flambeau moqueur d’un amer souvenir ?
Qui n’a pas un écho cruellement sonore,
Jetant par intervalle un nom que l’ame abhorre,
Et la fait s’envoler au fond de l’avenir ?

Vous aussi, ma natale, on vous a bien changée !
Oui ! quand mon cœur remonte à vos gothiques tours,
Qu’il traverse, rêveur, notre absence affligée,
Il ne reconnaît plus la grâce négligée
Qui donne tant de charme au maternel séjour !


Il voit rire un jardin sur l’étroit cimetière,
Où la lune souvent me prenait à genoux ;
L’ironie embaumée a remplacé la pierre
Où j’allais, d’une tombe indigente héritière,
Relire ma croyance au dernier rendez-vous !

Tristesse ! après long-temps revenir isolée,
Rapporter de sa vie un compte douloureux,
La renouer malade à quelque mausolée,
Chercher un cœur à soi sous la croix violée,
Et ne plus oser dire : « Il est là ! » c’est affreux !

Mais cet enfant qui joue et qui dort sur la vie,
Qui s’habille de fleurs, qui n’en sent pas l’effroi ;
Ce pauvre enfant heureux que personne n’envie,
Qui, né pour le malheur, l’ignore et s’y confie,
Je le regrette encor, cet enfant ; c’était moi.

Au livre de mon sort si je cherche un sourire,
Dans sa blanche préface, oh ! je l’obtiens toujours
À des mots commencés que je ne peux écrire,
Éclatans d’innocence et charmans à relire,
Parmi les feuillets noirs où s’inscrivent mes jours !


Un bouquet de cerise, une pomme encor verte,
C’étaient là des festins savourés jusqu’au cœur !
À tant de volupté l’ame neuve est ouverte,
Quand l’âpre affliction, de miel encore couverte,
N’a pas trempé nos sens d’une amère saveur !

Parmi les biens perdus dont je soupire encore,
Quel nom portait la fleur… la fleur d’un bleu si beau,
Que je vis poindre au jour, puis frémir puis éclore,
Puis, que je ne vis plus à la suivante aurore ?
Ne devrait-elle pas renaître à mon tombeau !

Douce église ! sans pompe, et sans culte et sans prêtre,
Où je faisais dans l’air jouer ma faible voix,
Où la ronce montait fière à chaque fenêtre,
Près du Christ mutilé qui m’écoutait peut-être,
N’irai-je plus rêver du ciel comme autrefois ?

Oh ! n’a-t-on pas détruit cette vigne oubliée,
Balançant au vieux mur son fragile réseau ?
Comme l’aile d’un ange, aimante et dépliée,
L’humble pampre embrassait l’église humiliée
De sa pâle verdure où tremblait un oiseau !


L’oiseau chantait, piquait le fruit mûr, et ses ailes
Frappaient l’ogive sombre avec un bruit joyeux ;
Et le soleil couchant dardait ses étincelles
Aux vitraux rallumés de rougeâtres parcelles
Qui me restaient long-temps ardentes dans les yeux.

Notre-Dame[1] ! aujourd’hui belle et retentissante,
Triste alors, quel secret m’avez-vous dit tout bas ?
Et quand mon timbre pur remplaçait l’orgue absente,
Pour répondre à l’écho de la nef gémissante,
Mon frêle et doux Ave, ne l’écoutiez-vous pas ?

Et ne jamais revoir ce mur où la lumière
Dessinait Dieu visible à ma jeune raison !
Ne plus mettre à ses pieds mon pain et ma prière !
Ne plus suivre mon ombre au bord de la rivière,
Jusqu’au chaume enlierré que j’appelais maison !

Ni le puits solitaire, urne sourde et profonde,
Crédule, où j’allais voir descendre le soleil,

Qui faisait aux enfans un miroir de son onde ;
Elle est tarie… Hélas ! tout se tarit au monde ;
Hélas ! la vie et l’onde ont un destin pareil !

Ne plus passer devant l’école bourdonnante,
Cage en fleurs où couvaient, où fermentaient nos jours ;
Où j’entendis, captive, une voix résonnante
Et chère ! à ma prison m’enlever frissonnante :
Voix de mon père, ô voix ! m’appelez-vous toujours ?

Où libre je pâlis de tendresse éperdue ;
Où je crus voir le ciel descendre, et l’humble lieu
S’ouvrir ! Mon père au loin m’avait donc entendue ?
Fière, en tenant sa main, je traversai la rue ;
Il la remplissait toute ; il ressemblait à Dieu !

Albertine ! et là bas flottait ta jeune tête,
Sous le calvaire en fleurs ; et c’était loin du soir !
Et ma voix bondissante avait dit : Est-ce fête !
Ô joie ! est-ce demain que Dieu passe et s’arrête ?
Et tu m’avais crié : « Tu vas voir ! tu vas voir ! »

Oui ! c’était une fête, une heure parfumée ;
On moissonnait nos fleurs, on les jetait dans l’air :

Albertine riait sous la pluie embaumée ;
Elle vivait encor ; j’étais encore aimée !
C’est un parfum de rose… il n’atteint pas l’hiver.

Du moins, n’irai-je plus dans l’enclos de ma mère ?
N’irai-je plus m’asseoir sur les tombes en fleurs ?
D’où vient que des beaux ans la mémoire est amère ?
D’où vient qu’on aime tant une joie éphémère ?
D’où vient que d’en parler ma voix se fond en pleurs ?

ABNÉGATION.

Qui sait si vivre n’est pas mourir, et si là-bas on ne croit pas que mourir c’est vivre ?
— EURIPIDE. —

XXVIII.

Si solitaire, hélas ! et puis si peu bruyante,
Tenant si peu d’espace, on me l’envie encor !
Cette pensée est triste, elle entraîne à la mort ;
Et, pour s’en reposer, la tombe est attrayante !
C’est la première fois qu’elle a navré mon sein ;
À tous les flots amers de ma vie écoulée,
Cette goutte de fiel ne s’était pas mêlée ;
Personne n’avait dit : « S’en ira-t-elle enfin ! »

Oh ! personne ! À présent je suis de trop au monde,
Et j’ai hâte, et j’ai peur d’amasser mes instans ;
Je trompe une espérance !… En vain je la seconde ;
Importune et mourante, on peut vivre long-temps !

Oui, je me presse en vain d’avancer et de vivre.
Quelque anneau tient encor mon cœur ; il se rompra.
Tout ce que j’aime est frêle et meurt ; et pour vous suivre,
Mes chers anneaux brisés, mon cœur se brisera !

LE
MAL DU PAYS.

Ce front facile à se rider, ces joues légèrement creusées, gardaient l’empreinte du sceau dont le malheur marque ses sujets, comme pour leur laisser la consolation de se reconnaître d’un regard fraternel, et de s’unir pour lui résister.
— MADAME DE BALZAC. —

Clémentine adorée, ame céleste et pure,
Qui, parmi les rigueurs d’une injuste maison,
Ne perd point l’innocence en perdant la raison.

XXIX.

Je veux aller mourir aux lieux où je suis née ;
Le tombeau d’Albertine est près de mon berceau ;
Je veux aller trouver son ombre abandonnée ;
Je veux un même lit près du même ruisseau.

Je veux dormir. J’ai soif de sommeil, d’innocence,
D’amour ! d’un long silence écouté sans effroi,

De l’air pur qui soufflait au jour de ma naissance,
Doux pour l’enfant du pauvre et pour l’enfant du roi.

J’ai soif d’un frais oubli, d’une voix qui pardonne.
Qu’on me rende Albertine ! elle avait cette voix
Qu’un souvenir du ciel à quelques femmes donne ;
Elle a béni mon nom… autre part… autrefois !

Autrefois !… qu’il est loin le jour de son baptême !
Nous entrâmes au monde un jour qu’il était beau :
Le sel qui l’ondoya fut dissous sur moi-même,
Et le prêtre pour nous n’alluma qu’un flambeau.

D’où vient-on quand on frappe aux portes de la terre ?
Sans clarté dans la vie, où s’adressent nos pas ?
Inconnus aux mortels qui nous tendent leurs bras,
Pleurans, comme effrayés d’un sort involontaire.

Où va-t-on quand, lassé d’un chemin sans bonheur.
On tourne vers le ciel un regard chargé d’ombre ?
Quand on ferme sur nous l’autre porte, si sombre !
Et qu’un ami n’a plus que nos traits dans son cœur ?


Ah ! quand je descendrai rapide, palpitante,
L’invisible sentier qu’on ne remonte pas,
Reconnaîtrai-je enfin la seule ame constante
Qui m’aimait imparfaite, et me grondait si bas !

Te verrai-je, Albertine ! ombre jeune et craintive ;
Jeune, tu t’envolas peureuse des autans :
Dénouant pour mourir ta robe de printemps,
Tu dis : « Semez ces fleurs sur ma cendre captive. »

Oui ! je reconnaîtrai tes traits pâles, charmans !
Miroir de la pitié qui marchait sur tes traces.
Qui pleurait dans ta voix, angélisait tes grâces,
Et qui s’enveloppait dans tes doux vêtemens !

Oui, tu ne m’es qu’absente, et la mort n’est qu’un voile,
Albertine ! et tu sais l’autre vie avant moi.
Un soir, j’ai vu ton ame aux feux blancs d’une étoile ;
Elle a baisé mon front, et j’ai dit : C’est donc toi !

Viens encor ; viens ! j’ai tant de choses à te dire !
Ce qu’on t’a fait souffrir, je le sais ! j’ai souffert.

Ô ma plus que sœur ! viens : ce que je n’ose écrire,
Viens le voir palpiter dans mon cœur entr’ouvert !

LA CRAINTE.

Non, tout n’est pas perdu quand une chose arrive contre votre attente. C’est moi qui connais les peines cachées ; quand vous vous croyez éloigné de moi, souvent je suis le plus près de vous.
Imitation de J.-C.

XXX.

Ouvre-toi, cœur malade ! et vous, lèvres amères,
Ouvrez-vous ! plaignez-moi ! Dieu m’oublie ou me hait ;
Sa pitié n’entend plus mon désespoir muet ;
Sa main jette au hasard mes heures éphémères ;
Comme des oiseaux noirs dans les vents dispersés,
Lasses avant d’éclore, et sans bonheur perdues,
Elles traînent sur moi leurs ailes détendues ;
Et Dieu ne dit jamais : « C’est assez ! c’est assez ! »

J’ai pleuré ; mais des pleurs blessent-ils sa puissance ?
Faible, où trouver des cris pour les jeter aux cieux ?
Enfant, quand je pleurais, sans le voir de mes yeux,
D’un ange autour de moi je sentais la présence :
Il était sous les fleurs que relevait ma main ;
Il me parlait souvent dans la voix de ma mère ;
Et si je soupirais d’une joie éphémère,
Penché sur moi, le soir il me disait : « Demain ! »

Et je ne l’entends plus. J’entends toujours mon ame ;
Toujours elle se plaint ; jamais elle ne dort !
Et cette ame où passa tant de pleurs, tant de flamme,
Le ciel qui la sait toute en voudra-t-il encor ?

Ciel ! un peu de bonheur ! ciel ! un peu d’espérance !
Un peu d’air dans l’orage où s’éteignent mes jours !
Un souffle à ma faiblesse, un songe à ma souffrance,
Ou ce sommeil sans rêve et qui dure toujours !

Mais si quelque trésor germe dans nos alarmes,
Laissez aux pieds souffrans leurs sentiers douloureux ;
Dieu ! tirez un bienfait du fond de tant de larmes,
Et laissez-moi l’offrir à quelque malheureux !

SOUS UNE CROIX BELGE.

Deux enfans égarés des phalanges divines
Qui, le soir, oublieux de leurs saintes collines.
Dans un vallon du siècle égarant leurs ébats,
Causaient tranquillement des choses d’ici-bas !

— AUGUSTE BARBIER. —

XXXI.

Ni du furtif oiseau la voix mélodieuse
Qui viendra de la tombe humer les tièdes fleurs ;
Ni de ton frère enfant la prière de pleurs ;
Ni, dans l’écho grinçant, la fanfare odieuse
Du despote glacé qui te pousse au tombeau,
Jeune homme ! et de tes jours renverse le flambeau ;
Ni les plombs courtisans qui moissonnent vos têtes,
À vous ! sanglantes fleurs des royales tempêtes ;

Ni les rayons vivans de notre beau soleil,
Ne réveilleront plus ton précoce sommeil !

Et la tonnante voix de leurs canons parjures,
Dont chaque bond proclame et signe les injures,
Et ma plainte de femme à ton astre tremblant,
Qui tombe détaché dans l’orage sanglant ;
Et cette voix d’amour en prière épuisée,
Ce sanglot de mère brisée,
Qui dans le champ des morts cherchant son jeune lis,
A crié d’un long cri : « Terre ! rends-moi mon fils ! »

Rien ne t’éveillera ; car ta couche est profonde.
Ah ! sur trop de cyprès la liberté se fonde !
Ah ! mon Dieu ! trop de sang trempe un généreux fer :
Dans vos rêves éteints dormez, belles victimes ;
Laissez-nous l’esclavage, et laissez-leur les crimes ;
Le roi le plus dévot ne croit pas à l’enfer !

L’ÉTONNEMENT.

Amour ! tu es le seul bonheur de la vie ; et cependant tu
es le bonheur sans repos !
— ANCILLON. —

XXXII.

D’où sait-il que je l’aime encore ?
Je ne le dis pas… je l’ignore.
Je ne descends plus dans mon cœur ;
Je crains d’y rapprendre un malheur :
Et de l’absence que j’abhorre
Lui qui prolongea la froideur,

D’où sait-il que je l’aime encore ?
Que sa mémoire me fait peur !

Il dit que l’amour sait attendre,
Et deux cœurs mariés s’entendre !
Et ce lien défait par lui,
Il vient le reprendre aujourd’hui,
Il dit nous ! comme à l’aube tendre
D’un jour heureux qui n’a pas lui ;
Il dit que l’amour sait attendre :
J’écoutais… et je n’ai pas fui !

Je n’ai trouvé rien à répondre ;
Dans sa voix qui sait me confondre
Le passé vient de retentir ;
Et ma voix ne pouvait sortir.
J’ai senti mon ame se fondre ;
Tout près d’un nouveau repentir,
Je n’ai trouvé rien à répondre ;
Non ! je n’ai pas osé mentir !

Dieu ! sera-t-il encor mon maître ?
Sa tristesse dit qu’il veut l’être ;
Sans cris, sans pleurs, sans vains débats,
Comme il veut ce qu’il veut tout bas.

Oui ! je viens de le reconnaître,
Rêveur, attaché sur mes pas.
Dieu ! sera-t-il encor mon maître ?
Mais, absent, ne l’était-il pas ?

LA SINCÈRE.

Hernani ! Doña Sol ! Ah ! c’est vous que je vois
Enfin ! et cette voix qui parle est votre voix !
Pourquoi le sort mit-il mes jours si loin des vôtres ?
J’ai tant besoin de vous pour oublier les autres !

— VICTOR HUGO. —

XXXIII.

Veux-tu l’acheter ?
Mon cœur est à vendre.
Veux-tu l’acheter,
Sans nous disputer ?

Dieu l’a fait d’aimant ;
Tu le feras tendre ;

Dieu l’a fait d’aimant
Pour un seul amant !

Moi, j’en fais le prix ;
Veux-tu le connaître ?
Moi, j’en fais le prix ;
N’en sois pas surpris.

As-tu tout le tien ?
Donne ! et sois mon maître.
As-tu tout le tien,
Pour payer le mien ?

S’il n’est plus à toi,
Je n’ai qu’une envie ;
S’il n’est plus à toi,
Tout est dit pour moi.

Le mien glissera,
Fermé dans la vie ;
Le mien glissera,
Et Dieu seul l’aura !

Car, pour nos amours,
La vie est rapide ;
Car, pour nos amours,
Elle a peu de jours.

L’ame doit courir
Comme une eau limpide ;
L’ame doit courir,
Aimer ! et mourir.

UNE FLEUR.

L’odeur d’une simple violette suffit pour rappeler le souvenir des jouissances de plusieurs printemps.
— RAMOND. —
Que ne parlais-tu, quand il était temps de me sauver ?
— CLÉMENT XIV ET CARLO. —

XXXIV.

Elle était belle encor ! tu me l’avais donnée ;
Tu m’avais dit : « Tiens-la, cette nuit, sur ton cœur ! »
Et puis le soir, ta main, railleuse à l’humble fleur,
Dispersa dans les airs sa cendre infortunée.

Et tu me regardais à travers le flambeau
Qui vacillait du poids de ce doux incendie ;

Et tu la suspendais sur le brûlant tombeau,
Symbole de l’ardente et folle maladie !

Je te trouvai cruel. Le rire de tes yeux
Fit rouler dans les miens des pleurs silencieux :
Car j’aimais cette fleur qui m’avait dit : « Il t’aime ! »
Et j’ai vu tout un sort dans ce rapide emblème.

Ne m’offre plus de fleur. Le faible doit prévoir.
Faible, sans la sauver, j’épouse son offense ;
Une femme, une fleur, s’effeuillent sans défense :
Tu riais d’elle… et moi je ne veux plus te voir !

NADÉGE.

Au ciel elle a rendu sa vie,
Et doucement s’est endormie,
Sans murmurer contre ses lois.
Ainsi le sourire s’efface ;
Ainsi meurt, sans laisser de trace,
Le chant d’un oiseau dans les bois.

— PARNY. —

XXXV.

Elle est aux cieux la douce fleur des neiges ;
Elle se fond au bord de son printemps.
Voit-on mourir de si jeunes instans !
Mais ils souffraient, mon Dieu ! tu les abréges.

Son sort a mis des pleurs dans tous les yeux !
C’était, on croit, l’auréole d’un ange,

Tombée à l’ombre et regrettée aux cieux ;
D’un peu de vie, oh ! que la mort te venge,
Fleur dérobée au front d’un séraphin !
Reprends ton rang avec un saint mystère ;
Et ce fil d’or, dont nous pleurons la fin,
Va l’attacher autre part qu’à la terre !

SUR SA TOMBE.

Sous les frimas du nord tendre fleur enfermée,
Dans la neige et le sang a germé ton destin,
Lorsqu’aux plis du drapeau de notre vieille armée,
Dieu lui-même abrita ton orageux matin.
L’incendie épura leur vieille et sainte gloire ;
Toi, ton jeune parfum s’exhale vers les cieux.
Nadége ! il restera frais à notre mémoire.
Comme le doux regard où tremblaient tes adieux
À vingt ans.
À vingt ans !

LE
ROSSIGNOL AVEUGLE.

À Madame Caroline Branchu.
Nous ne saurions nous attendrir sur la destinée d’autrui, ou même sur la nôtre, sans valoir quelque chose ; car il y a une grande intensité de vie dans la douleur. — Hélas ! souffrir, c’est encore vivre fortement, puisque c’est vivre avec lutte et violence
— KÉRATRY. —

XXXVI.

Pauvre exilé de l’air ! sans ailes, sans lumière,
Oh ! comme on t’a fait malheureux !
Quelle ombre impénétrable inonde ta paupière !
Quel deuil est étendu sur tes chants douloureux !
Innocent Bélisaire ! une empreinte brûlante
Du jour sur ta prunelle a séché les couleurs ;

Et ta mémoire y roule incessamment des pleurs ;
Et tu ne sais pourquoi Dieu fait la nuit si lente !

Et Dieu nous verse encor la nuit égale au jour.
Non ! ta nuit sans rayons n’est pas son triste ouvrage ;
Il ouvrit tout un ciel à ton vol plein d’amour ;
Et ton vol mutilé l’outrage !

Par lui ton cœur éteint s’illumine d’espoir ;
Un éclair qu’il allume à ton horizon noir
Te fait rêver de l’aube, ou des étoiles blanches.
Ou d’un reflet de l’eau qui glisse entre les branches
Des bois que tu ne peux plus voir !

Et tu chantes les bois, puisque tu vis encore ;
Tu chantes : pour l’oiseau respirer, c’est chanter.
Mais quoi ! pour moduler l’ennui qui te dévore,
Sous le voile vivant qui t’usurpe l’aurore,
Combien d’autres accens te faut-il inventer !

Un cœur d’oiseau sait-il tant de notes plaintives ?
Ah ! quand la liberté soufflait dans tes chansons,

Qu’avec ravissement tes ailes incaptives
Dans l’azur sans barrière emportaient ses leçons !

Douce horloge du soir aux saules suspendue,
Ton timbre jetait l’heure aux pâtres dispersés ;
Mais le timbre égaré dans ta clarté perdue
Sonne toujours minuit sur tes chants oppressés :
Tes chants n’éveillent plus la pâle primevère
Qui meurt sans recevoir les baisers du soleil,
Ni le souci fermé sous le doigt du sommeil,
Qui se rouvre baigné d’une rosée amère.
Tu ne sais plus quel astre éclaire tes instans ;
Tu bois, sans les compter, tes heures de souffrance ;
Car la veille sans espérance
Ne sent pas la fuite du temps !

Tu ne vas plus verser ton hymne sur la rose.
Ni retremper ta voix dans le feu qui l’arrose :
Cette haleine d’encens, ce parfum tant aimé,
C’est l’amour qui fermente au fond d’un cœur fermé ;
Et ton cœur contre ta cage
Se jette avec désespoir ;
Et l’on rit du vain courage
Qui heurte ton esclavage
Sur un barreau sanglant que tu ne peux mouvoir.

Du fond de ton sépulcre, un cri lent et sonore
Dénonce tes malheurs autre part entendus ;
Ton œil vide s’ouvre encore
Pour saluer une aurore
Que l’homme n’éteindra plus !

Ce jour que l’esclave envie,
Du moins changera son sort,
Et je sais trop de la vie,
Pour médire de la mort !

Chante la liberté, prisonnier ! Dieu t’écoute.
Allons ! nous voici deux à chanter devant lui.
J’ai su dire ma joie, et je sais aujourd’hui
Ce qu’un son douloureux te coûte !

Chante pour tes bourreaux qui daignent te nourrir,
Qui t’ont ravi des cieux la flamme épanouie ;
Tes cris font des accords, ton deuil les désennuie ;
Si ta douleur s’enferme, ils te feront mourir.

Chante donc ta douleur profonde,
Ton désert au milieu du monde,

Ton veuvage, ton abandon ;
Dis, dis quelle amertume affreuse
Rend la liberté douloureuse
Pour qui n’en sait plus que le nom !

Dis qu’il fait froid dans ta pensée,
Comme quand une voix glacée
Souffla sur le feu de mon cœur,
Pour éteindre aussi la lumière
D’une espérance, — la première
Que je prenais pour le bonheur !

Laisse ton hymne désolée,
Comme l’eau dans une vallée,
S’épancher sur tes sombres jours ;
Et que l’espoir filtre toujours
Au fond de ta joie écoulée.

LA
DERNIÈRE FLEUR.

La vie m’est devenue ennuyeuse ; je m’abandonnerai aux plaintes, et je m’entretiendrai dans l’amertume de mon cœur.

Daignez me considérer. Considérez-vous vous-mêmes, et voyez si je mens.

C’est pourquoi j’aime mieux expirer.
— JOB. —

XXXVII.

Que ton cœur prenne ma défense,
Passant de mon dernier séjour ;
Je mourus sans rendre une offense ;
Mon sort fut une longue enfance,
Et ma pensée un long amour !


Sur moi lentement éveillée,
Femme, je n’ai pas fui mon sort ;
Et sous mes larmes effeuillée,
Dans mes doux sentimens raillée,
Je pleurais, et j’aimais encor !

Auprès de cette cendre éteinte
Demeure un instant par pitié !
Sous l’urne tiède et sans empreinte,
Que je rêve un moment la plainte
De l’amour ou de l’amitié.

Car on dit que long-temps encore
L’ame retourne au monument,
Glissant du ciel à chaque aurore,
Pour épier ce qu’elle adore…
Et que parfois c’est vainement !

Si l’attente, effroi de ma vie,
Doit aussi tourmenter ma mort,
Si pas un cœur ne m’a suivie,
Parle-moi, toi ! je t’en supplie ;
Dis mon nom et pleure mon sort.


Bon passant ! si ta voix est tendre,
Jamais je n’oublîrai ta voix ;
Parle-moi ! guéris-moi d’attendre ;
Dis mon nom : je croirai l’entendre
Comme on me l’a dit une fois !

Si tu vois une fleur sauvage
Croître et trembler sur mon tombeau,
Cueille à la mort son pâle hommage ;
Emporte cette frêle image
D’un être plus aimant que beau.

Prends-moi, sous ce fragile emblème,
Comme un talisman pour tes jours ;
S’il recèle un peu de moi-même,
Cache-le sur un cœur qui t’aime ;
Et ce cœur t’aimera toujours !

Jamais une main qui sépare
N’osera s’étendre entre vous ;
L’amour ne sera plus avare :
Et si tout l’enfer ne t’égare,
Toi ! tu ne seras point jaloux !


J’ai porté bonheur sur la terre
À ceux qui pleuraient devant moi :
Une larme est un saint mystère.
Va ! de ta pitié solitaire
Cette fleur m’acquitte envers toi !

À Monsieur
ALPHONSE DE LAMARTINE.

Réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent, et pleurez avec ceux qui pleurent.
Imitation de J.-C.
Dieu, dit l’Écriture, entend la fleur s’ouvrir, et il distingue dans les bois le dernier souffle de l’oiseau.
— M. H. DE LATOUCHE. Lettre de Carlin

XXXVIII.

Triste et morne sur le rivage
Où l’espoir oublia mes jours,
J’enviais à l’oiseau sauvage
Les cris qu’il pousse dans l’orage
Et que je renferme toujours !


Et quand l’eau s’enfuyait, semée
De tant d’heures, de tant de mois,
Sous ma voile sombre et fermée,
D’une vie autrefois aimée
Je ne traînais plus que le poids !

J’osais, au fond de ma misère,
Rêvant sous mes genoux pliés,
Sans haleine pour ma prière,
Murmurer à Dieu : « Dieu, mon père !
Mon père ! vous nous oubliez ! »

« Vous ne donnez repos ni trève,
Ni calme à notre errant esquif
Tantôt échoué sur la grève,
Tantôt emporté comme un rêve,
Perdu dans l’orage ou captif !

» Partout où le malheur l’égare,
Une mère a peur de mourir ;
J’ai peur : j’ose nommer barbare

Le destin mobile et bizarre
Qui fit mes enfans pour souffrir !

» Qui prendra la rame affligée,
Quand la barque, sans mouvement,
De mon faible poids allégée,
Leur paraîtra vide, changée,
Et sur un plus morne élément ?

» Sans char, sans prêtre, au cimetière
Leur piété me conduira ;
Puis, d’un peu de buis ou de lierre,
Doux monument de sa prière.
Le plus tendre me couvrira !… »

Tout passe ! Et je vis disparaître
L’orage avec l’oiseau plongeur ;
Et sur mon étroite fenêtre
La lune, qui venait de naître,
Répandit sa douce blancheur.

J’étendis mes bras devant elle,
Comme pour atteindre un ami

Dont le pas vivant et fidèle
Tout à coup au cœur se révèle
Sur le seuil long-temps endormi.

Je ne sais quelle voix puissante
Retint mon souffle suspendu ;
Voix d’en haut, brise ravissante,
Qui me relevait languissante,
Comme si Dieu m’eût répondu !

Mais pour trop d’espoir affaiblie,
Et voilant mes pleurs sous ma main,
J’ai dit dans ma mélancolie :
« Lorsque tout m’ignore ou m’oublie,
Quel ange est donc sur mon chemin ? »

C’était vous ! j’entendis des ailes
Battre au milieu d’un ciel plus doux ;
Et sur le sentier d’étincelles
Que formaient d’ardentes parcelles,
L’ange qui venait, c’était vous !

Oui, du haut de son vol sublime,
Lamartine jetait mon nom,

Comme d’une invisible cime,
À la barque, au bord de l’abîme,
Le ciel ému jette un rayon !

Doux comme une voix qui pardonne,
Depuis que ton souffle a passé
Sur mon front pâle et sans couronne,
Une sainte pitié résonne
Autour de mon sort délaissé !

Jamais, dans son errante alarme,
La Péri, pour porter aux cieux,
Ne puisa de plus humble larme
Que le pleur plein d’un triste charme
Dont tes chants ont mouillé mes yeux !

Mais dans ces chants que ma mémoire
Et mon cœur s’apprennent tout bas,
Doux à lire, plus doux à croire,
Oh ! n’as-tu pas dit le mot gloire ?
Et ce mot, je ne l’entends pas ;

Car je suis une faible femme ;
Je n’ai su qu’aimer et souffrir ;

Ma pauvre lyre, c’est mon ame,
Et toi seul découvres la flamme
D’une lampe qui va mourir.

Devant tes hymnes de poète,
D’ange, hélas ! et d’homme à la fois,
Cette lyre inculte, incomplette,
Long-temps détendue et muette,
Ose à peine prendre une voix.

Je suis l’indigente glaneuse
Qui d’un peu d’épis oubliés
A paré sa gerbe épineuse,
Quand ta charité lumineuse
Verse du blé pur à mes pieds.

Oui ! toi seul auras dit : — Vit-elle ? —
Tant mon nom est mort avant moi !
Et sur ma tombe, l’hirondelle
Frappera seule d’un coup d’aile
L’air harmonieux comme toi !

Mais toi ! dont la gloire est entière
Sous sa belle égide de fleurs,

Poète ! au bord de ta paupière,
Dis vrai, sa puissante lumière
A-t-elle arrêté bien des pleurs ?

Nous faisons suivre cette pièce de madame Desbordes-Valmore des beaux vers qui lui avaient été adressés par M. de Lamartine. Nos lecteurs nous sauront gré de les trouver ici.

À Madame
DESBORDES-VALMORE.

Souvent sur les mers où se joue
La tempête aux ailes de feu,
Je voyais passer sur ma proue
Le haut mât que le vent secoue,
Et pour qui la vague est un jeu !

Ses voiles ouvertes et pleines
Aspiraient le souffle des flots,

Et ses vigoureuses antennes
Balançaient, sur les vertes plaines,
Ses ponts chargés de matelots.

La lame en vain dans la carrière,
Battait en grondant ses sabords.
Il la renvoyait en poussière,
Comme un coursier sème en arrière
blanche écume de son mors !

Longue course à l’heureux navire,
Disais-je ; en trois bonds il a fui !
La vaste mer est son empire,
Son horizon n’a que sourire,
Et l’univers est devant lui !

Mais, d’une humble voile sur l’onde,
Si je distinguais la blancheur,
Esquif que chaque lame inonde,
Seule demeure qu’ait au monde
Le foyer flottant du pêcheur ;

Lorsqu’au soir sur la vague brune,
La suivant du cœur et de l’œil,
Je m’attachais à sa fortune,
Et priais les vents et la lune
De la défendre de l’écueil ;


Sous une voile dont l’orage
En lambeaux déroulait les plis,
Je voyais le frêle équipage
Disputer son mât qui surnage
Aux coups des vents et du roulis.

Debout, le père de famille
Labourait les flots divisés ;
Le fils manœuvrait, et la fille
Recousait avec son aiguille
La voile ou les filets usés.

Des enfans acroupis sur l’âtre,
Soufflaient la cendre du matin ;
Et déjà la flamme bleuâtre
Égayait le couple folâtre
De l’espoir d’un frugal festin.

Appuyée au mât qui chancelle,
Et que sa main tient embrassé,
La mère les couvait de l’aile,
Et suspendait à sa mamelle
Le plus jeune à son cou bercé.

Ils n’ont, disais-je, dans la vie
Que cette tente et ces trésors ;

Ces trois planches sont leur patrie ;
Et cette terre en vain chérie
Les repousse de tous ses bords !

En vain de palais et d’ombrage
Ce golfe immense est couronné.
Ils n’ont pour tenir au rivage
Que l’anneau, rongé par l’orage,
De quelque môle abandonné !

Ils n’ont pour fortune et pour joie
Que les refrains de leurs couplets,
L’ombre que la voile déploie,
La brise que Dieu leur envoie,
Et ce qui tombe des filets !

Cette pauvre barque, ô Valmore,
Est l’image de ton destin.
La vague, d’aurore en aurore,
Comme elle te ballotte encore
Sur un océan incertain !

Tu ne bâtis ton nid d’argile
Que sous le toit du passager,
Et comme l’oiseau sans asile,
Tu vas glanant de ville en ville
Les miettes du pain étranger.


Ta voix enseigne avec tristesse
Des airs de fête à tes petits,
Pour qu’attendri de leur faiblesse,
L’oiseleur les épargne, et laisse
Grandir leurs plumes dans les nids !

Mais l’oiseau que ta voix imite
T’a prêté sa plainte et ses chants,
Et plus le vent du nord agite
La branche où ton malheur s’abrite,
Plus ton ame a des cris touchans !

Du poète c’est le mystère :
Le luthier qui crée une voix,
Jette son instrument à terre,
Foule aux pieds, brise comme un verre
L’œuvre chantante de ses doigts ;

Puis, d’une main que l’art inspire,
Rajustant ces fragmens meurtris,
Réveille le son et l’admire,
Et trouve une voix à sa lyre
Plus sonore dans ses débris !…

Ainsi le cœur n’a de murmures
Que brisé sous les pieds du sort !

L’ame chante dans les tortures ;
Et chacune de ses blessures
Lui donne un plus sublime accord !

Sur la lyre où ton front s’appuie
Laisse donc résonner tes pleurs !
L’avenir du barde est la vie
Et les pleurs que la gloire essuie
Sont le seul baume à ses douleurs !

MA FILLE.

T’is very strange, my little dove,
That all I ever loved, or Love,
In wondrous visions still I trace
While gazing on thy guiltles’s face.

— ROBERT BURNS. —

XXXIX.

Ondine ! enfant joyeux qui bondis sur la terre,
Mobile comme l’eau qui t’a donné son nom,
Es-tu d’un séraphin le miroir solitaire ?
Sous ta grâce mortelle orne-t-il ma maison ?

Quand je t’y vois glisser dansante et gracieuse,
Je sens flotter mon ame errante autour de toi :

Je me regarde vivre, ombre silencieuse ;
Mes jours purs, sous tes traits, repassent devant moi !

Car toujours ramenés vers nos jeunes annales,
Nous retrempons nos yeux dans leurs fraîches couleurs ;
Midi n’a plus le goût des heures matinales
Où l’on a respiré tant de sauvages fleurs !
Le champ, le plus beau champ que renfermât la terre,
Furent les blés bordant la maison de mon père,
Où je dansais, volage, en poursuivant du cœur
Un rêve qui criait : « Bonheur ! bonheur ! bonheur ! »

C’est toi ! mes yeux blessés par le temps et les larmes,
Redevenus miroirs, se rallument d’amour !
N’es-tu pas tout ce monde infini, plein de charmes,
Que j’encerclais d’espoir, en essayant le jour ?

Viens donc, ma vie enfant ! et si tu la prolonges,
Ondine ! aux mêmes flots ne l’abandonne pas.
Que les ruisseaux, les bois, les fleurs où tu te plonges,
Gardent leur fraîche amorce au penchant de tes pas ;
Viens ! mon âme sur toi pleure et se désaltère.
Ma fille, ils m’ont fait mal… ! Mets tes mains sur mes yeux.
Montre-moi l’espérance et cache-moi la terre ;
Ange ! retiens mon vol, ou suis-moi dans les cieux.


Mais tu n’entendras pas mes plaintes interdites.
Dit-on au passereau de haïr, d’avoir peur ?
Tes oreilles encor sont tendres et petites,
Enfant ! je ne veux pas méchantiser ton cœur.

Garde-le plein d’écho de ma voix maternelle :
Dieu qui t’écoute encore ainsi m’écoutera.
Ô ma blanche colombe ! entr’ouvre-moi ton aile ;
Mon cœur a fait le tien ; il s’y renfermera ;
Car ce serait affreux et pitié de t’apprendre,
Quand tu baises mes pleurs, ce qui les fait couler ;
Va les porter à Dieu, sans chercher à comprendre
Ce qu’une larme pèse et coûte à révéler !

Tout pleure ! et l’innocent que le torrent entraîne,
Et ceux qui, pour prier, n’ont que leurs repentirs ;
Peut-être en ce moment les soupirs d’une reine,
Sur la route du ciel, rencontrent mes soupirs.

Mais que l’oiseau des nuits t’effleure en sa tristesse :
Il passe, mon Ondine, il passe avec vitesse :
Sur tes traits veloutés j’aime à boire tes pleurs ;
C’est l’ondée en avril qui roule sur les fleurs.


Que tes cheveux sont doux ! étends-les sur mes larmes,
Comme un voile doré sur un noir souvenir.
Embrassons-nous… ! Sais-tu qu’il reste bien des charmes
À ce monde pour moi plein de ton avenir ?
Et le monde est en nous : demeure avec toi-même ;
L’oiseau pour ses concerts goûte un sauvage lieu ;
L’innocence a partout un confident qui l’aime.
Oh ! ne livre ta voix qu’à cet écho : c’est Dieu !

À MONSIEUR A. DE L.

Quand je suis seul en voyage, et que sur ma route, près d’un village, au carrefour d’un bois, je rencontre une chapelle, une croix, une madone, j’y dépose un bouquet, ou bien une prière pour toi : je demande tout ce que tu désires.
— M. DE LATOUCHE. —

XL.

Nacelle abandonnée,
Errante comme moi,
Avec ta destinée !
Tu n’entraînes que toi :
Que t’importe l’orage,
Libre jouet des vents ?

Moi je crains le naufrage ;
J’emporte mes enfans !

J’ai vu la voile sombre
Qui t’enlève du port ;
Et j’ai pleuré de l’ombre
Où s’enferme ton sort ;
Mais aux vents déchirée,
Elle s’égare en vain ;
Cette voile est sacrée,
Et son but est divin !

Sur la route attristée
Où s’envolaient mes jours,
Par un charme arrêtée,
Je crus l’être toujours :
Du sort la folle envie,
Vers de lointaines mers
Pousse encor de ma vie
Les flots toujours amers !

Doucement captivée
Au bord d’un nid de fleurs,
Sur ma jeune couvée
J’ai ri de mes douleurs ;

Et l’on trouvait des charmes
À mes chants d’autrefois ;
Mais ma voix a des larmes,
Et j’ai peur de ma voix !

Nacelle fugitive
Échappée à ce bord,
Une immuable rive
Doit nous rejoindre encor :
Là, les voiles amies,
Calmes dans leurs débris,
Reposent endormies
Sous d’immortels abris !

LA MÉMOIRE.

Hélas ! qu’est-ce que l’amour, si ce n’est une douleur ?
— BYRON. —

XLI.

Tais-toi, ma sœur ! le passé brûle.
Son nom, c’est lui ; ne le dis plus :
Se reprendre à des biens perdus,
C’est marcher au flot qui recule.
Empreint d’une ardente douceur,
À peine effleure-t-il ma bouche,

Comme une flamme qui me touche,
Ce nom brûle… Tais-toi, ma sœur.

Femme, tu vois un cœur de femme
Au fond de nos yeux consternés,
Lorsqu’à s’éteindre condamnés,
Trop de fièvre en usa la flamme.
Au mal qui fait long-temps souffrir,
Crois-moi, l’homme est plus inflexible ;
Il nous défend d’être sensible ;
Il ne défend pas d’en mourir !

Ce qu’il sait de science amère
Pour mentir à son propre amour ;
Ce qu’il peut inventer un jour
Contre son idole éphémère ;
Ce que j’ai ressenti tout bas
De sa haine… ou de son délire,
Tout haut je ne veux pas le dire,
Pour que Dieu ne me venge pas !

Car j’ai là comme une prière
Qui pleure pour lui nuit et jour ;
C’est la charité dans l’amour,
Ou c’est sa parole première.

Qu’elle enfermait d’ame et de foi,
Sa voix jeune et si tôt parjure !
J’en parle à Dieu sans son injure,
Pour que Dieu l’aime autant que moi.

Je garde au cœur la fraîche empreinte
De ce qu’il fut dans sa candeur ;
Et, quand Dieu pèsera mon cœur,
Crois-tu qu’il en brise l’étreinte ?
Lui n’est plus lui, même à ses yeux ;
D’autres n’ont que son faux hommage :
Je le plains ; mais sa belle image,
Je ne la lui rendrai qu’aux cieux !

LOUISE LABÉ.

Tant que mes yeux pourront larmes espandre
À l’heur passé auec toy regretter ;
Et qu’aus sanglots et soupirs résister,
Pourra ma vois, et un peu faire entendre ;
Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignart lut, pour tes grâces chanter ;
Tant que l’esprit se voudra contenter
De ne vouloir rien fors que toi comprendre ;
Je ne souhaitte encore point mourir,
Mais quand mes yeux je sentiray tarir,
Ma voix cassée, et ma main impuissante,
Et mon esprit en ce mortel séjour
Ne pouvant plus montrer sygne d’amante,
Priray la mort noircir mon plus cler jour.

— LOUISE LABÉ. —

Quand vous lirez, ô dames lionnoises !
Ces miens écrits pleins d’amoureuses noises ;
Quand mes regrets, ennuis, dépits et larmes
M’orrez chanter en pitoyables carmes,
Ne veuillez point condamner ma simplesse,
Et jeune erreur de ma folle jeunesse,
Si c’est erreur !

XLII.

Quoi ! c’est là ton berceau, poétique Louise !
Mélodieux enfant, fait d’amour et d’amour,
Et d’ame, et d’ame encore, et de mollesse exquise ;
Quoi ! c’est là que ta vie a pris l’air et le jour !

Quoi ! les murs étouffans de cette étroite rue
Ont laissé, sans l’éteindre, éclore ta raison ?

Quoi ! c’est là qu’a brillé ta lampe disparue ?
La jeune perle ainsi colore sa prison !

Où posais-tu tes pieds délicats et sensibles,
Sur le sol irrité que j’effleure en tremblant ?
Quel ange, aplanissant ces sentiers impossibles,
A soutenu ton vol sur leur pavé brûlant ?
Oh ! les cailloux aigus font chanceler la grâce ;
Ici l’enfance, lente et craintive à souffrir.
Pour s’élancer aux fleurs, pour en chercher la trace,
En sortant du berceau, n’apprend pas à courir :
Paresseuse, elle marche ; et sa timide joie
Ressemble au papillon sur l’épine arrêté :
À son instinct rôdeur il boude tout l’été.
As-tu vu ce radeau, longue et mouvante rue,
Qui s’enfuit sur le dos du fleuve voyageur ?
Osais-tu regarder, de mille ondes accrue,
Cette onde qui mugit comme un fléau vengeur !

Non, ce n’est pas ainsi que je rêvais ta cage,
Fauvette à tête blonde, au chant libre et joyeux ;
Je suspendais ton aile à quelque frais bocage,
Plein d’encens et de jour aussi doux que tes yeux !
Et le Rhône en colère, et la Saône dormante,
N’avaient point baptisé tes beaux jours tramés d’or ;
Dans un cercle de feu tourmentée et charmante,

J’ai cru qu’avec des fleurs tu décrivais ton sort,
Et que ton aile au vent n’était point arrêtée :
Sous ces réseaux de fer aux rigides couleurs ;
Et que tu respirais la tristesse enchantée
Que la paix du désert imprime aux jeunes fleurs ;
Que tu livrais aux flots tes amoureuses larmes,
Miroir pur et profond qu’interrogeaient tes charmes ;
Et que tes vers émus, nés d’un frais souvenir,
S’en allaient sans efforts chanter dans l’avenir !

Mais tu vivais d’une flamme
Raillée en ce froid séjour ;
Et tu pleurais de ton ame,
Ô Salamandre d’amour !

Quand sur les feuilles parlantes
Que ton cœur sut embraser,
Tu laisses dans un baiser
Courir tes larmes brûlantes,

Ô Louise ! on croit voir l’éphémère éternel
Filer dans les parfums sa soyeuse industrie,
Lorsque, tombé du ciel, son ardente patrie,
Il en retient dans l’ombre un rayon paternel ;
Fiévreux, loin du soleil, l’insecte se consume ;

D’un fil d’or sur lui-même ourdissant la beauté,
Inaperçu dans l’arbre où le vent l’a jeté,
Sous un linceul de feu son ame se rallume !

Oui ! ce sublime atome est le rêve des arts ;
Oui ! les arts dédaignés meurent en chrysalides.
Quand la douce chaleur de caressans regards
Fait pousser par degrés leurs ailes invalides.
Telle, étonnée et triste au bord de son réveil.
Quelque jeune Louise, ignorant sa couronne,
N’ose encor révéler à l’air qui l’environne
Qu’une ame chante et pleure autour de son sommeil.
Car tu l’as dit : long-temps un silence invincible,
Étendu sur ta voix qui s’éveillait sensible,
Fit mourir dans ton sein des accens tout amour,
Que tu tremblais d’entendre et de livrer au jour.

Mais l’amour ! oh ! l’amour se venge d’être esclave.
Fièvre des jeunes cœurs, orage des beaux jours,
Qui consume la vie et la promet toujours,
Indompté sous les nœuds qui lui servent d’entrave,
Oh ! l’invisible amour circule dans les airs,
Dans les flots, dans les fleurs, dans les songes de l’ame,
Dans le jour qui languit trop chargé de sa flamme,
Et dans les nocturnes concerts !

Et tu chantas l’amour ; ce fut ta destinée ;
Belle ! et femme ! et naïve, et du monde étonnée,
De la foule qui passe évitant la faveur,
Inclinant sur ton fleuve un front tendre et rêveur,
Louise ! tu chantas. À peine de l’enfance
Ta jeunesse hâtive eut perdu les liens,
L’amour te prit sans peur, sans débats, sans défense ;
Il fit tes jours, tes nuits, tes tourmens et tes biens !

Et toujours par ta chaîne au rivage attachée,
Comme une nymphe triste au milieu des roseaux,
Des roseaux à demi cachée,
Louise ! tu chantas dans les fleurs et les eaux.

De cette cité sourde, oh ! que l’ame est changée !
Autrefois tu charmais l’oreille des pasteurs ;
Autrefois, en passant, d’humbles navigateurs
Suspendaient à ta voix la rame négligée,
Et recueillant dans l’air ton rire harmonieux,
Comme un écho fuyant on les entendait rire ;
Car, sous tes doigts ingénieux,
Le luth ému disait tout ce qu’il voulait dire !

Tout ce que tu voyais de beau dans l’univers,
N’est-ce pas ? comme au fond de quelque glace pure,

Coulait dans ta mémoire et s’y gravait en vers ?
Oui ! l’ame poétique est une chambre obscure
Où s’enferme le monde et ses aspects divers !

AGAR.

Fragment.
— Elle jeta de grands cris et se mit à pleurer.
— Or, Dieu écouta la voix de l’enfant ; et un ange de Dieu appela Agar du ciel, et lui dit : Agar, qu’avez-vous ? ne craignez point, car Dieu a écouté la voix de l’enfant du lieu où il est.

XLIII.

Quelle mère un moment ne fut ambitieuse ?
Quelle mère, en plongeant son ame curieuse
Dans les jours où son fils ira chercher ses droits,
N’a dit : Voilà mon fils ! Que sont les fils des rois ?

« Vents ! portez dans les cieux la voix de ma prière :
Dieu ! versez le pardon sur l’orgueil à genoux :

Oui, l’orgueil m’a saisie, ô mon Dieu ! j’étais mère ;
Et la mère et l’enfant tendent les bras vers vous !

« Enfant, ne pleure pas. Voici des fleurs. Je t’aime.
Nous trouverons là bas, peut-être, un frais ruisseau ;
Tu dormiras content sous un jeune arbrisseau ;
Et peut-être avec toi j’y dormirai moi-même ! »

Ainsi la triste Agar, un enfant par la main,
De son cœur oppressé brise le long silence.
L’enfant rit à sa mère ; et, plein d’obéissance,
Cueille une fleur mourante et poursuit son chemin.
Ce chemin est brûlant ; le soleil le dévore :
L’enfant poursuit en vain, de chaleur obsédé,
L’arbre vert, l’ombre et l’eau ! Triste, il a demandé :
« Ce frais ruisseau, ma mère, est-il bien loin encore ? »

— « Là bas ! » répond Agar. — « Oh ! que c’est loin là bas,
Ma mère ! » — Elle se tait, détourne son visage ;
Du voile qui la couvre elle forme un nuage,
Comme un linceul mouvant où se traînent leurs pas.

Ses premiers pas, à lui, l’éloignent de son père !
Ô Sarah ! de ton fils le sort est plus prospère.

Ô Sarah ! Cet enfant pâle, nu, sans soutien,
C’est le fils d’Abraham… Non, mon Dieu ! c’est le tien !
Sauve-le ! sauve-nous. Un peu d’air ! un peu d’ombre !
Dieu ! ta main devant le soleil !
Le bruit frais de l’eau vive, un arbre au rideau sombre,
Une pierre mouillée, un fruit, et du sommeil ! »

Et l’enfant tout à coup s’arrête. Elle s’arrête.
Du voile qui l’étouffe il dégage sa tête ;
De ses cheveux touffus lent à se découvrir,
Il tremble. Il jette enfin d’une lèvre altérée :
« J’ai soif ! » — Et dans le ciel l’espérance est rentrée…
................
................
................
................
................

LUCRETIA DAVIDSON.

Non, je ne veux plus vivre en ce séjour servile,
— ANDRÉ CHÉNIER. —

XLIV.

Muse à la voix d’enfant ! quelle route épineuse
Déchira tes pieds d’ange égarés loin des cieux ?
Quels épis indigens, fugitive glaneuse,
Nourrirent tes destins frêles et gracieux ?
Fleur étrangère ! en vain l’eau roule entre ta rive
Et mon rivage ; un flot m’attire aux malheureux.

Je suis leur écho triste où leur plainte m’arrive :
Près de moi, loin de moi, j’ai des larmes pour eux !

Oh ! que d’êtres charmans étonnés de la terre,
Ne sachant où porter leur ame solitaire,
Malades de la vie, altérés d’en guérir,
Au milieu de leurs jours s’arrêtent pour mourir !

Tu pleurais de l’entrave attachée à tes ailes,
Toi ! replongeant ton vol dans le ciel étoilé,
Sur ton astre tremblant aux pâles étincelles,
Tu consolais tes yeux d’un sommeil envolé.

Eh bien ! ton front brûlant est voilé sous l’argile ;
Ton ame est échappée à sa prison fragile ;
Un tissu délicat se brise sans effort ;
Ainsi l’œuf au soleil éclate après l’orage :
L’ange qu’il enfermait a ressaisi l’essor,
Et ton dernier soupir fut un cri de courage !
Ne demandais-tu pas ce repos virginal ?
Sur ta tombe innocente un oiseau matinal
Ne va-t-il pas verser quelque suave plainte,
Douce comme ta voix, ta douce voix éteinte ?
La rosée, en tombant de ton jeune cyprès,
Ne baigne-t-elle pas ton sommeil calme et frais ?

Dis ! ne souris-tu pas quand ta rêveuse étoile,
Le soir, dans ses rayons humides et flottans
Glisse un chaste baiser sous la pudique toile,
Où le ciel, qui t’aimait ! plongea tes beaux printemps ?

Non ! tu ne voudrais plus cueillir nos fleurs avares
Dont les âcres parfums tourmentaient ta raison :
De nos rangs consternés, libre, tu te sépares,
Et tu ne bois plus l’air où roule le poison.
Le monde t’a fait peur : de ses bruits alarmée,
Tu te penchas, soumise et vierge, sous la mort ;
Et tu t’envolas, fleur fermée,
T’épanouir aux feux qui n’ont pas de remord.

Tu ne vins pas, d’un jour prolongeant ton voyage,
Tenter de nos climats l’air tiède et transparent ;
Sous le voile d’encens où brûle leur bel âge,
Regarder tes sœurs en mourant !

De celle dont le cœur s’enferme et bat si vite[2],
Toi ! tu pouvais prétendre à rencontrer la main :
L’ange blessé l’attire au bord de son chemin,
Et sa grâce peut-être eût enchaîné ta fuite.

À ta pure souffrance elle eût jeté ses fleurs ;
De sa lyre voilée elle eût touché ta lyre ;
Et dans ses vers brillans, que de loin j’ose lire,
Ton nom jeune eût vécu, baptisé de ses pleurs !

Tu n’as pas vu Delphine à son adolescence,
Muse qui prit son vol si près de ta naissance,
Que l’on eût dit vos jours nés de la même fleur ;
Sur son front imprégné de gloire et d’innocence,
Tu n’as pu, jeune sainte, apaiser ta douleur.
Non ! l’étoile fuyait. Ton oreille enfantine,
Doucement rappelée au mouvement des flots,
N’aura pas entendu rouler la brigantine
D’une exilée aussi qui chante ses sanglots[3].

Et tu laissas tomber tes larmes poétiques,
Comme un cygne qui meurt, ses sons mélodieux ;
Cris d’ame ! ils font vibrer les feuilles prophétiques
Où s’épanchaient tout bas tes précoces adieux :
Car tu tremblais de vivre, et tu cherchais ta tombe,
Seule, sous un rameau qui n’a pas vu l’hiver ;
D’une vie effleurée, inquiète colombe,
Tu laissas le livre entr’ouvert.

Que de chants étouffés ! que de pages perdues !
Que d’hymnes au silence avec toi descendues !
Tu sortais d’être enfant, Lucretia… Tu meurs,
Et tu le voulus bien ! Pardonne à nos clameurs.

Non ! je n’ose pleurer dans ma pensée amère ;
Non, je ne te plains pas ; mais que je plains ta mère !


Lucretia Davidson, morte à dix-sept ans, née le 27 septembre 1808, à Platts-Burgh, sur le lac Champlain.

Il sera difficile de lire sans émotion cette courte vie, insérée dans le Quarterly Review, et traduite par M. Amédée Pichot.

Il ne m’est pas possible d’y penser sans que mon cœur ne s’emplisse de larmes. Si je savais peindre, je ferais le portrait de Lucretia. On la devine dans ces stances qu’elle écrivit à l’âge de quinze ans.

« Étoile du soir ! astre étincelant ; diamant de la couronne du ciel, ah ! si mon ame était libre, comme elle prendrait son essor vers toi !

» Que tu es calme et belle ! Semblable à la clarté pure d’une lampe allumée sur l’autel de la vertu ! Ah ! sans doute le monde brillant que tu es fière de contenir ne fut jamais ni perdu, ni racheté !

» Là, des êtres purs comme l’aile des cieux mêlent en commun leurs espérances et leur félicité, pendant que les anges font vibrer leurs lyres, et que les séraphins forment un dais avec leurs ailes étendues.

» Là, des jours sans nuages, des nuits brillantes sont éclairées par le reflet des clartés célestes. Là se succèdent rapidement les saisons et les années inaperçues, et sans laisser de regrets à l’ame.

» Petite étoile étincelante du soir, diamant posé sur le bandeau bleu du ciel, avec quelle ivresse je volerai vers toi, dès que mon ame sera libre ! »

Elle est libre !

ÉCRIVEZ-MOI !

Je volerais vite, vite, vite
Si j’étais petit oiseau !

— BÉRANGER. —

XLV.

Pour Dieu ! mon amie,
Vivez-vous encor ?
Ou, fleur endormie
Au jardin de mort,
Faites-vous un rêve
Doux comme vos yeux ?

Qu’un ange l’achève,
Et vous porte aux cieux !

Car cette vallée
Est sombre pour nous ;
Notre ame exilée
Y rampe à genoux ;
On coupe nos ailes,
Dans ce lieu d’effroi ;
Je pleure après elles,
Et l’on rit de moi !

Et vous ! si charmante,
Belle au triste accent,
Voyageuse amante
De quelque ange absent ;
Quand vos traits de femme
Dans l’ombre ont passé,
« C’est, dis-je en mon ame,
Un ange blessé ! »

Car votre auréole
Se montrait un peu ;
Dans votre parole
Languissait un feu ;

Vos grâces brûlantes
De divins amours,
Vous rendaient trop lentes
Les nuits de nos jours !

Si, frêle et chérie.
Vous quittez ce lieu,
De votre patrie,
Criez-nous adieu !
Pour moi, désolée
De l’oubli du temps,
Moi, l’autre exilée,
Je prie, et j’attends !

Aux Mânes
D’EDMOND GÉRAUD.

« Mon fils ! » lui répond l’ermite,
« De Notre-Dame-des-Bois
Le pouvoir est sans limite,
Et le ciel s’ouvre à sa voix :
Mais, hélas ! sur cette terre
Où l’homme ne vit qu’un jour,
Il n’est ni croix ni rosaire
Qui guérisse de l’amour ! »

— EDMOND GÉRAUD. L’Ermite de Sainte-Avelle. —

XLVI.

Comme tout change vite ! Arbres de Belle-Allée,
Quoi ? vos ombres déjà couvrent un mausolée !
Une ceinture noire endeuille un jeune enfant ;
Son âge y veut chanter ; la mort le lui défend.

Le rossignol ému, l’hirondelle hardie,
Revenus au printemps sous l’ardoise ou les fleurs,

Ont demandé peut-être à la frêle Élodie
Pourquoi son doux visage est tout pâle de pleurs.

Elle a dit : « Taisez-vous : laissez dormir mon père.
Il ne chante plus avec nous.
Ne couvrez point ma voix ; car tout ce que j’espère,
C’est qu’il la reconnaît quand je prie à genoux.

» Mais ne vous sauvez pas : c’est encor sa demeure ;
Il aimait à nourrir vos nids et vos chansons ;
Ma mère sait par cœur ses pieuses leçons.
Et Dieu ne veut pas qu’elle meure !

» Taisez-vous : elle est veuve, et tout la fait pleurer.
Ne lui rappelez pas votre chant le plus tendre ;
Une lyre est brisée ; elle croirait l’entendre ;
Laissez-lui du silence et le temps d’espérer !

» Écoutez : car l’enfant du Barde et du poète
Sait épeler la vie en mots harmonieux,
Et mon père a versé sur ma bouche muette
Des paroles d’amour qu’il allait prendre aux cieux.


» Et je les retiendrai : Je veux avec ma mère
Parler comme il parlait aux pèlerins troublés ;
Je sais comme il rendait leur route moins amère,
Quand ils s’éloignaient consolés !

» C’est lui qui me portait, pour enhardir mon âge,
Où germent les oiseaux dans leurs œufs renfermés,
Quand je plongeais mon cœur dans votre frais ménage,
Pour compter des petits comme moi tant aimés !

» Regarde ! disait-il : oh ! regarde, ma fille !
C’est ainsi que ta mère a couvé notre enfant ;
L’ame du rossignol s’use pour sa famille !…
Et puis il me berçait sur son cœur triomphant.

» Puis, un soir dans ses yeux tremblait une lumière,
Pareille à cette étoile. — Hélas ! je l’aime bien ! —
Et de sa bouche encor sortit une prière
Mélodieuse… et puis je n’entendis plus rien.

» Le lendemain ma mère était seule et couchée ;
Une parure affreuse enveloppait ses pleurs ;

Et sous la noire étreinte à mon corps attachée,
Moi ! je passe un printemps sans baisers et sans fleurs ! »

Mais l’enfant n’a pas dit, Barde de Sainte-Avelle,
Ton cortége de gloire au dernier de tes jours ;
Et nos bouquets lointains vers une ombre nouvelle,
Qui s’en retourne jeune où l’on aime toujours !

Oui ! le dernier adieu d’une lyre expirée
Sonne le rendez-vous pour un autre avenir ;
Il tinte une prière ! une plainte sacrée,
Qui roule avec tristesse au fond du souvenir !

*

Edmond Géraud est mort, il y a environ deux ans, dans un âge peu avancé, à sa maison de Belle-Allée, près Bordeaux. Il venait de mettre la dernière main à une nouvelle édition de ses poésies considérablement augmentée. Nous avons l’espérance que ce nouveau recueil sera bientôt livré à l’impression.

Note de l’Éditeur. —

LES FLEURS.

Il est si beau de mourir jeune ! et de rendre au Dieu qui nous juge, une vie encore pleine d’illusions !
— M. H. DE LATOUCHE. —

XLVII.

Oh ! de l’air ! des parfums ! des fleurs pour me nourrir !
Il semble que les fleurs alimentent ma vie ;
Mais elles vont mourir… Ah ! je leur porte envie,
Mourir jeune, au soleil, Dieu ! que c’est bien mourir !

Pour éteindre une fleur il faut moins qu’un orage :
Moi, je sais qu’une larme effeuille le bonheur.

À la fleur qu’on va fuir qu’importe un long courage ?
Heureuse ! elle succombe à son premier malheur !

Roseaux moins fortunés, les vents, dans leur furie,
Vous outragent long-temps sans briser votre sort ;
Ainsi, roseau qui marche en sa gloire flétrie,
L’homme achète long-temps le bienfait de la mort !

Et moi, je veux des fleurs pour appuyer ma vie ;
À leurs frêles parfums j’ai de quoi me nourrir.
Mais elles vont mourir… Ah ! je leur porte envie ;
Mourir jeune, au soleil, Dieu ! que c’est bien mourir !

L’IMPOSSIBLE.

On ne jette point l’ancre dans le fleuve de la vie. Il emporte également celui qui lutte contre son cours et celui qui s’y abandonne.
— BERNARDIN DE SAINT-PIERRE. —

XLVIII.

Qui me rendra ce jour où la vie a des ailes
Et vole, vole ainsi que l’alouette aux cieux,
Lorsque tant de clarté passe devant ses yeux,
Qu’elle tombe éblouie au fond des fleurs, de celles
Qui parfument son nid, son ame, son sommeil,
Et lustrent son plumage ardé par le soleil !


Ciel ! un de ces fils d’or pour ourdir ma journée,
Un débris de ce prisme aux brillantes couleurs !
Au fond de ces beaux jours et de ces belles fleurs,
Un rêve ! où je sois libre, enfant, à peine née,

Quand l’amour de ma mère était mon avenir,
Quand on ne mourait pas encor dans ma famille,
Quand tout vivait pour moi, vaine petite fille !
Quand vivre était le ciel, ou s’en ressouvenir,

Quand j’aimais sans savoir ce que j’aimais, quand l’ame
Me palpitait heureuse, et de quoi ? Je ne sais ;
Quand toute la nature était parfum et flamme,
Quand mes deux bras s’ouvraient devant ces jours… passés.

L’AME DE PAGANINI.

On dirait sous sa corde et sans frein et sans règle
Un nid de rossignols couvé par des yeux d’aigle.

— PROSPER VALMORE. —

Doux comme le soupir d’un enfant qui sommeille,
Un son vague et plaintif se répand dans les airs.
Est-ce un écho du ciel qui charme notre oreille ?
Est-ce un soupir d’amour de la terre et des mers ?
...............
...............
Jamais aucune main sur la corde sonore
Ne guida dans ses jeux sa main novice encore.
L’homme n’enseigne pas ce qu’inspire le ciel ;
Le ruisseau n’apprend pas à couler dans sa pente,
L’aigle à fendre les airs d’une aile indépendante,
L’abeille à composer son miel.

— M. ALPHONSE DE LAMARTINE. —

XLIX.

Oui, d’une flamme à part cette ame fut formée !
Oui, Dieu la soupira, ce fut sa bien-aimée !
Oui, mille oiseaux d’amour murmurent dans son sein ;
Leur souffle le parcourt, ils chantent sous sa main ;
Lorsqu’on entend glisser sa vie
Aux cordes où son cœur dit ses pulsations,

Doux nom ! tu vas tintant d’allégresse et d’envie
Autour de ses créations !

Lorsqu’il va les cueillir comme les fleurs aux plaines,
Imitant la cigale à travers le bouleau,
Ou le frissonnement des nocturnes phalènes
Frôlant le narcisse dans l’eau ;
Lorsque sa gloire solitaire,
Au milieu du monde attentif,
Force tous les bruits à se taire,
Pour écouter le dieu plaintif ;

Lorsqu’il monte, léger comme un rêve dans l’ombre,
Qu’il attache à ses doigts les ailes d’un oiseau,
Et se balance ainsi que le rossignol sombre
Désaltérant sa voix au sommet d’un roseau ;
Parmi ses suaves haleines
Qui bruissent comme les fleurs,
Roule un miel pour toutes les peines,
Et des larmes pour tous les pleurs !

Un roi qui plaint et qui pardonne
Relève moins d’infortunés :
Pensif et seul sous sa couronne,

Roi sans armée, il donne ! il donne
Tous les biens qui lui sont donnés !

Attiré dans sa pitié tendre,
On ne sait plus rien des méchans ;
En est-il où l’on peut l’entendre ?
Non, le mal est forcé d’attendre
Que son ame enferme ses chants !

Il porte au malheur qui succombe
Un secret qu’il va prendre au ciel,
Et relevant la foi qui tombe,
Qui doute et qui cherchait la tombe,
Il dit : « L’espoir est immortel ! »

À cette ame qu’il a cherchée,
Il dit : « Ma sœur ! écoute-moi :
Je parle à la douleur cachée ;
Dans la mienne au monde attachée
Je souffre !… et j’attends comme toi. »

Car, on dit que naguère un cœur de jeune femme,
À force de l’aimer, mourut ! et s’enferma

Sous l’érable sonore où palpite sa flamme,
Pour répondre toujours à celui qu’elle aima !
C’est sur ce cœur voilé qu’il frappe ses prodiges,
Et ses sanglots d’amour, et sa prière aux cieux,
Et tous ses cris délicieux !
Ils sont deux ! toujours deux au fond de leurs prestiges :
Elle ! à lui demander de toujours la chérir,
À lui reprocher, lui ! d’avoir voulu mourir.

Oh ! comme ils s’isolent ensemble
Pour causer de ciel et d’amour !
L’heure sans nom qui les rassemble
N’a plus de nuit, n’a plus de jour :
Leur chaste et brûlante souffrance
S’abreuve en tremblant d’espérance ;
Car, dans un profond souvenir,
Que de croyance et d’avenir !

Mais quand il faut enfin retomber sur la terre,
Recueilli tout entier dans son double mystère,
Savourant pour sa soif encore un peu de miel,
Avant d’abandonner le ciel,
Son génie altéré s’y plonge et s’y replonge,
Comme un baiser qui se prolonge
S’attache à des lèvres de feu,
Pour suspendre long-temps un impossible adieu !


Voilà pourquoi son front d’artiste
S’empreint de charme et de pâleur,
Et pourquoi l’on écoute, triste,
Ce talent baigné de douleur !

Dieu ! protégez dans ses voyages
L’écho vivant de votre voix,
Qui suspend la voix des orages,
Ou les fait gémir sous ses doigts.

À cette errante mélodie
Fermez les sentiers douloureux ;
Car sa sublime maladie
Guérit bien des cœurs malheureux !

JAMAIS ADIEU.

Et vers le ciel se frayant un chemin,
Ils sont partis en se donnant la main.

— DE BÉRANGER. —

L.

Ne t’en va pas, reste au rivage ;
L’amour le veut, crois-en l’amour.
La mort sépare tout un jour :
Tu fais comme elle ; ah ! quel courage !

Vivre et mourir au même lieu ;
Dire : au revoir ; jamais adieu.


Quitter l’amour pour l’opulence !
Que faire seul avec de l’or ?
Si tu reviens, vivrai-je encor ?
Entendras-tu dans mon silence ?

Vivre et mourir au même lieu ;
Dire : au revoir ; jamais adieu.

Leur diras-tu : Je suis fidèle ?
Ils répondront : Cris superflus ;
Elle repose, et n’entend plus.
Le ciel du moins eut pitié d’elle !

Vivre et mourir au même lieu ;
Dire : au revoir ; jamais adieu.

LE
RETOUR DU MARIN.

Pour qui s’épuise à travailler
La mort est un doux oreiller.

— DE BÉRANGER. —

LI.

— « Petits enfans, vos jeunes yeux,
Entre l’eau qui gronde et les cieux,
Ont-ils vu blanchir une voile ?
Celle dont j’ai filé la toile,
Si mon rêve dit l’avenir,
Avant l’hiver doit revenir. »


— « Oui ! tantôt sur la roche nue,
En regardant l’errante nue,
Nous avons vu là bas, là bas,
Rouler une voile sans mâts. »

— « Enfans des pauvres matelots,
Dont les pères sont sur les flots,
Votre voix peut percer l’orage ;
Criez de tout votre courage !
Dans l’éclair aux sombres couleurs,
Voit-on flotter nos trois couleurs ? »

— « Non ! du haut de la roche nue,
Quand l’éclair déchire la nue,
Sur ce pont qui flotte vers nous,
On ne voit qu’un homme à genoux. »

— « C’est lui ! fidèle et courageux,
Au fond de mon rêve orageux,
Cette nuit je l’ai vu paraître :
Descendez pour le reconnaître !
Moi j’ai tant pleuré que mes yeux
Ne verront plus Jame qu’aux cieux ! »


— « Quoi ! la foudre en crevant la nue,
L’a jeté sur la roche nue ;
S’il n’a pas cessé de souffrir,
Descendons l’aider à mourir. »

Et les enfans des matelots
Retirèrent Jame des flots.
C’était Jame ! et la fiancée,
Vint toucher à sa main glacée,
Son doux lien, son anneau d’or ;
Car Jame le portait encor !

Qu’ils sont bien sous la roche nue,
À l’abri de l’errante nue,
Oublieux de leurs mauvais jours,
Morts… et mariés pour toujours !

L’ENFANT AU RAMEAU.

Un cœur simple, encore qu’il puisse être trompé, ne trompe jamais.
— BERNARDIN DE SAINT-PIERRE. —

LII.

Prends ce rameau, jeune fille,
Pour voiler tes frêles fleurs ;
Porte-le dans ta famille ;
Une eau sainte y roule et brille ;
Il est trempé de vrais pleurs.


Sous l’oreiller de ton père,
Glisse ce charme béni ;
Par lui, tout songe est prospère ;
Soit qu’on tremble ou qu’on espère,
Par lui, tout mal est fini.

Dis-lui qu’une pauvre femme
De loin l’apporte aujourd’hui ;
Qu’elle est triste ! et que son ame
Prie avec des vœux de flamme,
Pour toi, sa fille ! et pour lui.

Dis-lui que jamais l’orage
N’atteindra son jeune enfant,
Et que les flots d’un autre âge
Le berceront sans naufrage ;
Car le rameau le défend !

Dis-lui de garder la cendre
D’une moitié du rameau,
Et que s’il peut y descendre,
Il vienne un jour la répandre
Sur la paix de mon tombeau.


Y joindras-tu, jeune fille,
Une de tes frêles fleurs,
Pour que Dieu dans ta famille
Où ta candeur chante et brille,
Verse le prix de mes pleurs ?

LA
FIANCÉE POLONAISE.

Et de tous leurs bienfaits écartant la mémoire,
Vont demander à Dieu le pardon de leur gloire.

— DELPHINE GAY (DE GIRARDIN). —

LIII.

« Ouvrez ! » — Qui frappe à l’heure
Où l’homme dort souvent ?
Est-ce un blessé qui pleure
De revenir vivant ?
— « Ouvrez ! je vous en prie ;
De mon lointain hameau,

J’apporte à la patrie
Ce que j’ai de plus beau.

» Des anges sentinelles,
Envolés sans remords,
J’ai vu les blanches ailes
Envelopper vos morts !
Regardez ! nulles toiles
Ne doublent leurs cercueils ;
Pitié, jette tes voiles !
Ils n’ont pas de linceuls ! »

Et la femme au front d’ange,
Aux yeux tristes sans pleurs,
De la terre où tout change
Essayant les douleurs,
Au nom du Dieu qui donne,
Sur de chastes autels
Apporte une humble aumône
À ses frères mortels !

« Je suis… je fus promise
À qui défend vos dieux ;
Mais la noce est remise ;
On se retrouve aux cieux !

Cet anneau qui me lie
Entraînera mon cœur :
C’est le don de ma vie !…
Qu’il vous porte bonheur. »

Et, comme la colombe
Vient d’un autre séjour,
Jeter sur une tombe
Quelque secret d’amour,
Fidèle à son épreuve,
Sur un drapeau sanglant
La jeune vierge veuve
Posa l’anneau tremblant.

Ces dons que le cœur sème
Aux blessés du chemin,
Dieu les voit, Dieu les aime,
Dieu les pèse en sa main :
Et de vieux prêtres d’armes,
En baisant l’anneau d’or,
L’enrichirent de larmes :
Rois, craignez ce trésor !

LE
VIEUX PÂTRE.

J’ai encore d’autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie ; il faut aussi que je les amène, elles écouteront ma voix ; et il n’y aura qu’un troupeau et qu’un pasteur.
— JÉSUS-CHRIST. —

LIV.

« Ô mes enfans ! ne dansez pas.
J’apporte une triste nouvelle :
Tous vos frères meurent là bas,
Et notre honte se revèle :
Ils sont chrétiens et malheureux,
Mes enfans ! que Dieu nous pardonne.

Pleurons sur nous, prions pour eux ;
Notre bon roi les abandonne ! »

« On dit que vers nous, tous les jours,
Ils tendent leurs mains suppliantes,
Et qu’ils appellent au secours,
Avec des bannières sanglantes :
Courez à leurs cris douloureux ;
Que Dieu vous guide et nous pardonne.
S’il est temps, combattez pour eux ;
Notre bon roi les abandonne ! »

« Mes filles ! écartez ces fleurs ;
Leurs enfans veulent des prières ;
Tout baignés de sang et de pleurs,
Ils tombent du sein de leurs mères.
Donnez vos croix ; qu’un or pieux
Les sauve ! et que Dieu nous pardonne.
Priez ! pleurez ! donnez pour eux :
Notre bon roi les abandonne ! »

« Mais le fer seul va délivrant ;
Portez-en dans leurs nobles plaines,
Puisque ce n’est plus qu’en mourant
Que les peuples brisent leurs chaînes !

Si le fer rend victorieux,
Eh bien : pour que Dieu nous pardonne,
Tout ce fer, donnons-le pour eux ;
Notre bon roi les abandonne ! »

« Débile et sombre, un vieux roi franc,
Aux enfançons portait envie,
Et des flots de leur jeune sang
Prolongeait sa hideuse vie :
Sous un maître non moins affreux
Ce peuple expire… et nous pardonne.
Dieu des rois ! descendez sur eux ;
Notre bon roi les abandonne ! »

« Mes fils, confiez vos troupeaux
Aux femmes qui n’ont que des larmes ;
Dieu soufflera dans vos drapeaux ;
Son courroux bénira vos armes :
Si le voyage est malheureux,
Allez, et que Dieu nous pardonne.
Allez, mes fils ! mourez pour eux ;
Notre bon roi les abandonne ! »

Ainsi parle aux jeunes bergers
Un vieillard qui rentre au village ;

Et le plaisir aux pieds légers,
Fuit avec la danse volage :
Des échos enfin généreux
Ont crié : « Que Dieu nous pardonne !
Priez pour nous ; mourons pour eux ;
Notre bon roi les abandonne ! »

BÉRANGER.

Mes chansons, c’est moi.
Le bonheur de l’humanité a été le songe de ma vie.

— P. J. BÉRANGER. —

LV.

Ange ou prophète ! oh ! que je te revoie,
Grave, sublime, et profond dans tes pleurs,
Insoucieux aux heures de la joie,
Toujours nouveau sous tes nouvelles fleurs,
Toujours toi-même ! Ingénu camarade,
Du La Fontaine inventeur de tableaux,

Tu dors long-temps ; mais tu n’es pas malade,
Et ton réveil a triplé ses grelots.

Je baise au front cette muse fidèle ;
Son vol frémit, tout l’univers l’entend :
Que d’astres froids elle éteint d’un coup d’aile !
Sa plume brûle ! — écris : le pauvre attend.
Sauvage encor, libre, candide, nue,
Elle a monté par les mêmes chemins :
L’aigle sans peur la soutint dans la nue ;
Oh ! qu’elle est noble ! ô les beaux parchemins !

Sans la trahir, toi, tu l’as épousée ;
L’eau des prisons baptisa vos sermens :
Par l’ouragan la flamme est aiguisée,
Et tu sors pur de ses embrassemens.
Glissant partout où le pouvoir te veille,
Qu’elle a trompé de gardes endormis !
Qu’elle t’a dit de secrets à l’oreille !
Et ces secrets, Dieu ! qu’ils t’ont fait d’amis !

On rit, on pleure en feuilletant ton ame ;
À chaque page elle brûle nos doigts ;
Dans ces sons pleins de larmes et de flamme,
Qu’on aime Dieu ! mais aime-t-on les rois ?

Des malheureux ta chanson lumineuse
Traduit les pleurs que le ciel entendra ;
Ah ! sur leur route encor trop épineuse
Sème tes fruits : le temps les mûrira.

Oh ! ne crois pas qu’exilé de la foule,
Tu fus jamais tiède en son souvenir ;
Toujours ton nom, comme un écho qui roule.
Chantait dans l’air, échauffant l’avenir :
Va : l’amour libre est toujours la plus forte !
Et quand nos vœux soulevaient ton lien.
Nos cœurs serrés battaient contre ta porte
Pour écouter les battemens du tien.

Triste, toujours ton immense famille,
Je dis la France, avait soif de tes vers,
En te voyant radieux sous la grille,
Elle a maudit tes juges et tes fers,
Quand tout mourra, leur marbre cinéraire
Sera scellé par le pied du remord :
Toi, si l’on frappe à ta tombe légère,
Tu répondras : « Liberté dans la mort. »

LE
CRIEUR DE NUIT.

Éveillez-vous, gens qui dormez,
Priez Dieu pour les trépassés.

Cri de minuit, ancienne coutume. —

LVI.

Éveillez-vous, gens qui dormez ;
Sur vos toits minuit passe et pleure :
Priez Dieu, s’il vous plaît ! c’est l’heure,
Pour les morts qui vous ont aimés ;
Éveillez-vous ! gens qui dormez.


« Toi qui ne pleures rien encore,
Ô mon ange ! ne tremble pas !
Viens verser un secret, tout bas,
Dans un cœur vivant qui t’adore,
Toi qui ne pleures rien encore. »

Éveillez-vous, gens qui dormez ;
Sur vos toits minuit passe et pleure :
Priez Dieu, s’il vous plaît ! c’est l’heure,
Pour les morts qui vous ont aimés ;
Éveillez-vous ! gens qui dormez.

« Sous les jasmins de ta fenêtre,
Nul passant ce soir ne me nuit :
J’ai gagné le crieur de nuit ;
Descends donc pour me reconnaître
Sous les jasmins de ta fenêtre ! »

Éveillez-vous, gens qui dormez ;
Sur vos toits minuit passe et pleure :
Priez Dieu, s’il vous plaît ! c’est l’heure,
Pour les morts qui vous ont aimés ;
Éveillez-vous ! gens qui dormez.


« Sans laisser tomber une rose
Sur le front de ton fiancé,
Minuit s’en va triste et lassé ;
Et ta blanche fenêtre est close,
Sans laisser tomber une rose ! »

Éveillez-vous, gens qui dormez ;
Sur vos toits minuit passe et pleure :
Priez Dieu, s’il vous plaît ! c’est l’heure,
Pour les morts qui vous ont aimés ;
Éveillez-vous ! gens qui dormez.

« Minuit fera lever l’aurore ! »
Dit l’ange qui se dévoila.
« Ô mon fiancé, me voilà :
Si vous sonnez long-temps encore,
Minuit fera lever l’aurore ! »

Éveillez-vous, gens qui dormez ;
Sur vos toits minuit passe et pleure ;
Priez Dieu, s’il vous plaît ! c’est l’heure,
Pour les morts qui vous ont aimés ;
Éveillez-vous ! gens qui dormez.


« Dieu ! dit la mère de famille,
Jamais pour les morts mécontens
Minuit n’a pleuré si long-temps ;
Il aura fait peur à ma fille :
Paix dans les cieux à ma famille ! »

Éveillez-vous, gens qui dormez ;
Sur vos toits minuit passe et pleure ;
Priez Dieu, s’il vous plaît ! c’est l’heure,
Pour les morts qui vous ont aimés ;
Éveillez-vous ! gens qui dormez.

Des petits enfans et des mères,
Racontèrent, le lendemain,
À l’ange riant sous sa main,
Qu’un mort prolongeait les prières
Des petits enfans et des mères !

UNE ONDINE.

L’onde murmure, la vague s’élève.
La sirène l’attire par ses paroles ; elle le charme par ses chants.

— GOETHE. —

Reine de ces collines vertes,
Du sein des vagues entr’ouvertes
Une jeune ondine apparaît.
..........
..........
..........

— M. H. DE LATOUCHE. —

LVII.

La rivière est amoureuse,
Enfant ! n’y viens pas le soir ;
Près d’Angèle la peureuse
Va plutôt rire et t’asseoir.
Si l’eau jalouse en soupire,
Ferme l’oreille à sa voix ;

Car elle roule un empire
Doux et mortel à la fois.

Chaque soir, ses bras humides
Attirent quelque imprudent
Qui, sous ses perles liquides,
Vient plonger son cœur ardent :
Un miroir à la surface
Sourit, trempé de fraîcheur ;
Le pied glisse ; l’onde efface
Le sourire et le plongeur !

Et la vierge fiancée
Pleure au pied de l’élément
Qui, dans la couche glacée,
Berce à jamais son amant,
Cet amant, dont sa jeune ame
Croit entendre les sanglots
Murmurer : « Venez, ma femme,
Dormir aussi sous les flots. »

Par le doux pater d’Angèle,
Par ses yeux fervens d’amour.
Par la croix ! par la chapelle
Qui doit vous unir un jour,

Enfant ! l’onde est molle et pure ;
Mais elle a soif de nos pleurs ;
La rive ombreuse est plus sûre ;
N’en dépasse pas les fleurs !

IMITATION DE MOORE.

TROIS NOCTURNES.

LVIII.

I.

Oh! come to me when daylight sets;
Sweet! then come to me,
When smoothly go our gondolets
O’er the moolight sea;
When mirth’s awake, and love begins,
Beneath that glancing ray,
With sound of lutes and mandolins,
To steal young hearts away.

Irish Melodies.

Entends-tu les gondoles
S’égarer sur les flots ;
Les tendres barcarolles
Des jeunes matelots ?

Le frais désir
Éveille partout le plaisir.

Oh ! viens à moi,
Belle ! je rame ici vers toi !

La mer est éclairée
D’une lune d’amour ;
Et toi, belle adorée,
Préfères-tu le jour ?

Le frais désir
Éveille partout le plaisir.
Oh ! viens à moi,
Belle ! je rame ici vers toi !

Au son des mandolines,
Que de cœurs palpitans !
Là-bas sur les collines,
Que de couples contens !

Le frais désir
Éveille partout le plaisir.
Oh ! viens à moi,
Belle ! je rame ici vers toi !

Tout s’unit, tout s’adore
Sur la terre et les eaux ;

Et je suis seul encore
Au milieu des roseaux !

Le frais désir
Éveille partout le plaisir.
Oh ! viens à moi,
Belle ! je rame ici vers toi !

Voici l’heure charmante
Où l’on chante plus bas ;
Et de ma jeune amante
Je sens frémir les pas !

Le frais désir
Éveille partout le plaisir.
Oh ! viens à moi,
Belle ! je rame ici vers toi !

II.

Gaily sounds the castanet
Beating time to bounding feet,
When, after daylight’s golden set,
Maids and youths by moonlight meet.
Oh! then, how sweet to move
Through all that maze of mirth,
Lighted by those eyes we love
Beyond all eyes on earth.

Irish Melodies.

Quand le soleil couchant sur les flots se balance,
Quand la mandore au loin conduit gaîment la danse,
Et du pied bondissant mesure chaque pas,
Que la danse du soir a de grâce et d’appas !
Oh ! qu’il est doux alors d’errer avec mystère
Sous cette ombre embaumée où s’égare l’amour,
Éclairé seulement par les yeux qu’on préfère

À tous les jeunes yeux que le plaisir éclaire,
Pour remplacer le jour !

Quand sur les mêmes fleurs dont se parent leurs têtes,
À la lueur des feux qui brillent dans nos fêtes,
Des anges de la nuit la foule se répand,
Et qu’un objet aimé nous cherche et nous attend ;
Qu’il est doux de verser dans l’ame inquiétée
De cet objet charmant qui se penche vers nous,
Les aveux renfermés dans notre ame agitée,
Et nourris tant de jours pour la fête enchantée
Dont l’espoir fut si doux !

Quand la fête, et le luth, et la danse amoureuse,
S’endorment sur les fleurs du gazon parfumé ;
En se tenant la main loin de la foule heureuse,
Quand on s’égare seul avec l’objet aimé ;
Qu’il est triste de voir déjà le jour descendre
Sur un front qui rougit, plus touchant désormais !
Qu’il est triste l’adieu qui nous suivra si tendre
Dans un songe où le cœur se berce et croit entendre :
Ne nous quittons jamais !

III.

Row gently here, my gondolier. So softly wake the tide,
That not an ear on earth may hear, but hers to whom we glide.
Had heaven but tongues to speak, as well
As starry eyes to see,
Oh! think what tales ’t would have to tell
Of wand’ring youths like me!

Irish Melodies.

Sur l’eau qui nous balance
Glisse et vogue en silence ;
Poursuis, mon gondolier,
Ton chemin familier ;
Dans le flot qui sommeille
Frappe si doucement,

Que l’attentive oreille
D’une amante qui veille,
Devine seule, en ce moment,
Que la barque porte un amant !

Vois ! si le ciel parlait aussi bien qu’il regarde,
Quand ses yeux étoilés brillent au sein des nuits,
Que raconterait-il de tout ce que hasarde
Une errante jeunesse en ses tendres ennuis ?

Sur l’eau qui nous balance
Glisse et vogue en silence ;
Poursuis, mon gondolier,
Ton chemin familier ;
Dans le flot qui sommeille
Frappe si doucement,
Que l’attentive oreille
D’une amante qui veille,
Devine seule, en ce moment,
Que la barque porte un amant !

Au pied de ce balcon, tourne et suspends la rame ;
J’y suis… je monte… Ô Dieu ! si nous prenions pour vous
Les soins que nous prenons pour l’amour d’une femme,
Quels anges nous serions ! Mais l’amour est si doux !


Sur l’eau qui te balance,
Reste seul en silence ;
Garde, mon gondolier,
Ton poste familier ;
Que la craintive oreille
D’une amante qui veille,
Devine seule, en ce moment,
Que la barque attend un amant !

LES
TROIS BARQUES
DE MOORE.

At morne, beside yon summer sea,
Young hope and love reclined;
But scarce had noon-tide, when he
Into his bark leap’d smilingly,
And left poor hope behind.

Irish Melodies.

LIX.

Sur les bords d’une source où fermente la vie,
L’espérance et l’amour se penchaient en riant :
La source était limpide, et l’amour prit envie
De se livrer sans guide au rapide courant.
L’espérance sur la rive,
S’arrêta toute pensive.


Ma voile, dit l’amour, a besoin de s’étendre
Sur les flots scintillans d’écume et de clarté !
Et son regard d’adieu se prolongea si tendre,
Qu’elle dit : au revoir ! avec sécurité.
Hélas ! la jeune espérance
Ne connaissait pas l’absence !

Son repos dura peu. Triste, errante, peureuse,
Jusqu’à l’heure où le soir descendant sur les eaux,
Elle chercha des yeux la barque aventureuse ;
Et sa main sur le sable envahi par les flots
Traça le nom qu’elle adore :
Et l’eau l’effaçait encore !

Une voile apparaît enfin ! le vent l’apporte ;
La crédule immortelle a cessé de gémir.
Mais quoi ! c’est l’opulence et sa froide cohorte.
Dans sa nacelle d’or elle semble dormir :
Oh ! celle où l’amour voyage,
Illumine davantage !

Une autre voile encor s’enfle plus gracieuse ;
C’est l’amitié paisible au milieu du torrent :
La lueur de sa lampe est calme et radieuse ;

Mais l’amour !… ah ! l’amour brûlait en éclairant !
D’où vient donc que sa lumière
Ne revient pas la première ?

Sur les monts, sur les bois, sur l’eau, sur le rivage,
La nuit jette sa chaîne et ses pavots pesans ;
Chaque voile s’endort sous un pâle nuage ;
Des larmes ont noyé les songes séduisans :
L’amour laissa passer l’heure ;
Il ne vient plus quand on pleure !

Aux petits Enfans.

Seigneur ! préservez-moi, préservez ceux que j’aime :
Frères, parens, amis, et mes ennemis même.
Dans le mal triomphans,
De jamais voir, Seigneur ! l’été sans fleurs vermeilles,
La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,
La maison sans enfans.

Les Feuilles d’Automne. —

ADIEU D’UNE PETITE FILLE
À L’ÉCOLE.

Les plus beaux jours de nos vertes années
Semblent les fleurs d’un printemps gracieux,
Pressé d’orage et de vents pluvieux
Par qui soudain leurs couleurs sont fanées.

— MADELEINE DESROCHES. —

LX.

Mon cœur battait à peine et vous l’avez formé ;
Vos mains ont dénoué le fil de ma pensée,
Madame ! et votre image est à jamais tracée
Sur les jours de l’enfant que vous avez aimé !


Si le bonheur m’attend, ce sera votre ouvrage ;
Vos soins l’auront semé sur mon doux avenir :
Et si, pour m’éprouver, mon sort couve un orage,
Votre jeune roseau cherchera du courage,
Madame ! en s’appuyant sur votre souvenir !

LE
PETIT RIEUR.

Vous avez appris qu’il a été dit ;

Œil pour œil, dent pour dent.


Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés.
Évangile.

LXI.

« Laissez entrer ce chien qui soupire à la porte ;
Je souffre quand j’entends souffrir autour de moi :
Fût-il aveugle et vieux, il pleure, qu’on l’apporte,
Mon feu lui sera doux… Quoi ! petit Paul, c’est toi ? »

C’était le petit Paul. Sous un brouillard d’automne,
Pensif et tout mouillé depuis un long moment,

Sans l’ouvrir, à la porte il grattait doucement.
Pourquoi n’entrait-il pas ? On l’entoure, on s’étonne.
Il entre. Il reste là sans avoir dit : bonsoir,
Bonsoir, petite mère ! et sans oser s’asseoir.

Mais Paul tenait en vain sa paupière baissée ;
Les mères ont des yeux qui percent la pensée.

« De l’école avant l’heure on vous a fait sortir ;
Pourquoi ? Ne mentez pas.


Pourquoi ? Ne mentez pas. — Je ne sais plus mentir,
Mère. Pour presque rien.


Mère. Pour presque rien. — Presque dit quelque chose :
Votre maître est si bon qu’il ne fait rien sans cause.


— On ne peut jamais rire, et c’est bien malheureux !
Moi, quand je ne ris pas, je suis tout las de vivre.


— Vous avez donc ri, Paul ?


— Vous avez donc ri, Paul ? — Oui, mère, sous mon livre.


— Qui vous rendait si gai ?


— Qui vous rendait si gai ? — Christophe. Il est affreux,
Christophe ! Il a l’œil trouble et la tête enfoncée.
Ses bras vont jusqu’à terre, et sa jambe est torsée,
Comme cela !


Comme cela ! — C’est triste.


Comme cela ! — C’est triste. — Oui, si je l’avais su :
Mais je n’avais jamais vu d’écolier bossu ;
J’ai cru que les bossus venaient tout vieux au monde,
Comme Ésope à mon livre.


Comme Ésope à mon livre. — Ésope fut enfant,
Et sa mère pleura. Pitié douce et profonde,
La laideur s’embellit quand ta voix la défend.
L’homme apporte des maux dont rien ne le console !


— Mais Christophe, ma mère, est un rude garçon ;
Ce n’est qu’un paysan, le dernier dans l’école.
Et comme on riait trop pour suivre la leçon,
J’ai dit : Ésope ! Ésope ! en regardant Christophe ;
Et j’ai fait le portrait du crochu philosophe :
Voyez ! Messieurs, voyez le divin animal !


— Et que disait Christophe ?


— Et que disait Christophe ? — Il détournait la vue ;
Il cachait dans ses mains sa rougeur imprévue,
Et je crois qu’il pleurait.


Et je crois qu’il pleurait. — Tais-toi ! tu me fais mal.
Il pleurait !… Ô railleurs, que vous êtes à craindre !
Un être a donc souffert, et souffert sans se plaindre :
Tout ce qui pleure est beau. Je l’aime en ce moment ;
Oui, j’aime mieux Christophe et sa jambe tournée,

Que ta langue épineuse à blesser destinée ;
Je l’embrasse de l’ame et je le vois charmant.
Viens, que je te corrige. Écoute-moi : tu m’aimes ?


— Oh oui !


— Oh oui ! — Souvent nos dards retombent sur nous-mêmes.
Regarde-moi long-temps : et que ton avenir
S’épure d’un amer et tendre souvenir ;
Comment me trouves-tu ?


Comment me trouves-tu ?— Belle comme une mère !
Ô ma mère ! vos traits ont la douceur du ciel.
La vierge des enfans, que l’on prie à Noël,
Est comme vous tendre et sévère :
Oui, vous lui ressemblez. J’y pense en vous voyant,
Et c’est vous que je vois, ma mère, en la priant !
À l’église une fois vous êtes apparue,
Et la foule indigente en joie est accourue ;
Vos habits étaient gais ; vous étiez blanche ; et moi
Je disais : C’est ma mère ! et l’on disait : « Hé ! quoi !
C’est sa mère ! » Ah ! maman ! quel bonheur !


C’est sa mère ! » Ah ! maman ! quel bonheur ! — Je t’écoute.
Et je plains ton doux rêve ; il me touche. Il m’en coûte
D’attrister le miroir attaché sur ton cœur,
Où tu me trouves belle, où je me vois aimée ;
Mais, regarde, et gémis d’être un enfant moqueur :
Je suis laide.


Je suis laide. — Ma mère !…


Je suis laide. — Ma mère !… — Enfant ! je vous afflige ?
Je vous ôte un bandeau. Je suis laide, vous dis-je ;
Un jour, un petit Paul aussi rira de moi.


— Je le tuerai, ma mère ! oh ! quand il serait roi.
Dieu ! rire de ma mère !


Dieu ! rire de ma mère ! — Et l’enfant qu’elle adore,
L’enfant que son malheur lui rend plus sien encore,
Penses-tu qu’une mère, au fond de ses douleurs,
Ne se lèvera pas pour revenger ses pleurs ?
Et toi, mon fol enfant, fier de tes belles armes,
Lançant ton rire ingrat sur l’objet de ses larmes,
Prends garde ! si ta langue allait faire mourir !
Dieu dit : « Tu souffriras ce que tu fais souffrir. »

LE
PREMIER CHAGRIN
D’UN ENFANT.

Oh ! would I could weep, as I wept when a child.
— Z. Z. —

Au temps heureux de ma saison passée
J’avais bien l’aile unie à mon côté ;
Mais en prenant ma jeune liberté,
Avant le vol ma plume fut cassée.

— MADELEINE DESROCHES. —

LXII.

Le chagrin t’a touché, mon beau garçon. Tu pleures ;
Ta lèvre tremble ; allons ! te voilà dans nos rangs ;
Tu viens d’apprendre. Oui, nous naissons expirans ;
Oui, la vie est malade avant que tu l’effleures.

Que veux-tu ? tes épis pleins de lait, verts encor,
Pour tes jeunes larcins plus attrayans que l’or,

N’iront pas égayer sous ce treillage vide
Le ramier, de tes dons si tendrement avide.
Tu courais dans ta joie : et puis, un dard moqueur
T’a frappé sous le sein. Pauvre enfant ! c’est le cœur ;
On ne peut te l’ôter ; la vie est là. Des larmes
Baignent à ton insu ta pâleur et tes charmes ;
Tu ne te sauves point dans ton premier effroi :
Un instinct te l’a dit ; la mort est devant toi.

Oui, le Pylade ailé de ta coureuse enfance,
Doux et muet témoin de tes ébats naïfs,
Qui se laissait aimer ou gronder sans défense,
Qui savait te répondre en murmures plaintifs,
Ton camarade est mort. Cette idole livide
Grave le premier deuil sur la page encore vide
De ta mémoire vierge. Oh ! que tu souffriras !
Ce que tu dois aimer, oh ! que tu l’aimeras !
Car nul cri ne t’échappe, et d’un muet courage,
Sous ta petite main tu contiens tout l’orage :
Mais je te sens souffrir de ce qui souffre en moi ;
Ce qu’on aime est si triste ainsi gisant et froid !

Nul chagrin n’entrera plus au fond de ton être ;
Nul amour ne sera plus vrai pour toi, peut-être.
Là bas, dans l’avenir où couvent tes beaux jours,
À ton beau ramier bleu tu penseras toujours :

Et plus tard, abattu sous les vents du voyage,
Seul, au bord d’un sentier dépeuplé, sans fraîcheur,
Sans soleil, et navré de quelque adieu railleur,
Tes yeux retourneront tristes vers l’humble cage
Où t’attendait l’ami par ton souffle éveillé,
Qui, vivant sur ton cœur, ne l’a jamais raillé !
Oui, tu regretteras cet amour sans mélange,
Et tes pleurs innocens où se mire un jeune ange !
Tu diras dans ton sort, plein d’échos du passé,
Par des amis ingrats amèrement blessé :

Oh ! je voudrais, mon Dieu, pleurer de douces larmes,
Comme l’enfant candide et sans haine, l’enfant
Qui pleurait son ramier mort dans ses jeunes charmes ;
Oh ! pleurer comme alors !… Qui donc me le défend ?

LE COUCHER
D’UN PETIT GARÇON.

Regarde : plus de feux, plus de bruit. Tout se tait.
La lune tout-à-l’heure à l’horizon montait,
Tandis que tu parlais.

— VICTOR HUGO. —

LXIII.

Couchez-vous, petit Paul ! il pleut. C’est nuit : c’est l’heure.
Les loups sont au rempart, le chien vient d’aboyer.
La cloche a dit : « Dormez ! » et l’ange gardien pleure,
Quand les enfants si tard font du bruit au foyer.

« Je ne veux pas toujours aller dormir, et j’aime
À faire étinceler mon sabre au feu du soir ;

Et je tuerai les loups ! je les tuerai moi-même ! »
Et le petit méchant, tout nu ! vint se rasseoir.

Où sommes-nous ? mon Dieu ! donnez-nous patience ;
Et surtout soyez Dieu ! soyez lent à punir :
L’ame qui vient d’éclore a si peu de science !
Attendez sa raison, mon Dieu ! dans l’avenir.

L’oiseau qui brise l’œuf est moins près de la terre ;
Il vous obéit mieux : au coucher du soleil,
Un par un descendus dans l’arbre solitaire,
Sous le rideau qui tremble ils plongent leur sommeil.

Au colombier fermé nul pigeon ne roucoule ;
Sous le cygne endormi l’eau du lac bleu s’écoule,
Paul ! trois fois la couveuse a compté ses enfans ;
Son aile les enferme ; et moi, je vous défends !

La lune qui s’enfuit, toute pâle et fâchée,
Dit : « Quel est cet enfant qui ne dort pas encor ? »
Sous son lit de nuage elle est déjà couchée ;
Au fond d’un cercle noir la voilà qui s’endort.


Le petit mendiant, perdu seul à cette heure,
Rôdant avec ses pieds las et froids, doux martyr !
Dans la rue isolée où sa misère pleure,
Mon Dieu ! qu’il aimerait un lit pour s’y blottir ! »

Et Paul, qui regardait encor sa belle épée,
Se coucha doucement en pliant ses habits :
Et sa mère bientôt ne fut plus occupée
Qu’à baiser ses yeux clos par un ange assoupis !

L’OREILLER
D’UNE PETITE FILLE.

Aux petits des oiseaux il donne la pâture,
Et sa bonté s’étend sur toute la nature.

Athalie. —

LXIV.

Cher petit oreiller, doux et chaud sous ma tête,
Plein de plume choisie, et blanc ! et fait pour moi !
Quand on a peur du vent, des loups, de la tempête,
Cher petit oreiller, que je dors bien sur toi !

Beaucoup, beaucoup d’enfans pauvres et nus, sans mère,
Sans maison, n’ont jamais d’oreiller pour dormir ;

Ils ont toujours sommeil. Ô destinée amère !
Maman ! douce maman ! cela me fait gémir.

Et quand j’ai prié Dieu pour tous ces petits anges
Qui n’ont pas d’oreiller, moi j’embrasse le mien.
Seule, dans mon doux nid qu’à tes pieds tu m’arranges,
Je te bénis, ma mère, et je touche le tien !

Je ne m’éveillerai qu’à la lueur première
De l’aube ; au rideau bleu c’est si gai de la voir !
Je vais dire tout bas ma plus tendre prière :
Donne encore un baiser, douce maman ! Bonsoir !


PRIÈRE.


Dieu des enfans ! le cœur d’une petite fille,
Plein de prière, (écoute !) est ici sous mes mains ;

On me parle toujours d’orphelins sans famille :
Dans l’avenir, mon Dieu, ne fais plus d’orphelins !

Laisse descendre au soir un ange qui pardonne,
Pour répondre à des voix que l’on entend gémir.
Mets, sous l’enfant perdu que la mère abandonne,
Un petit oreiller qui le fera dormir !

L’ÉPHÉMÈRE.

Je suis trop délicat, trop faible et trop petit,
Pour porter vos fruits mûrs et porter vos corbeilles,
Dépouiller les tilleuls du trésor des abeilles,
Courber de vos moissons la féconde épaisseur ;
Mais je vous enverrai l’Automne ; c’est ma sœur.

— M. H. DE LATOUCHE. —

LXV.

Frêle création de la fuyante aurore,
Ouvre-toi comme un prisme au soleil qui le dore ;
Va dire ta naissance au liseron d’un jour ;
Va, tu n’as que le temps de deviner l’amour !

Et c’est mieux, c’est bien mieux que de le trop connaître ;
Mieux de ne pas survivre au jour qui le vit naître.

Happe sa douce amorce, et que ton aile, enfant,
Joue avec ce flambeau ; rien ne te le défend.
Né dans le feu, ton vol en cercles s’y déploie,
Et sème des anneaux de lumière et de joie.
Le fil de tes hasards est court, mais il est d’or !
Nul regret ne pendra lugubre sur ton sort ;
Nul adieu ne viendra gémir dans l’harmonie
De ton jour de musique et d’ivresse infinie ;
Ce que tu vas aimer durera tes instans ;
Tu ne verras le deuil ni les rides du temps.
Les feuillets de ton sort sont des feuilles de rose
Fiévreuse de soleil et d’encens, quel destin !
Atome délecté dans le miel qui l’arrose,
Sonne ta bien-venue au banquet du matin.

Je t’envie ! et Dieu t’aime, innocent éphémère ;
Tu nais sans déchirer le beau flanc de ta mère ;
Ce penser triste et doux ne te fait point de pleurs :
Il ne t’impose pas comme un remords de vivre.
Tu n’as point à traîner ton cœur lourd comme un livre.
Heureux rien ! ta carrière est au bout de ces fleurs.
Bois ta vie à leur ame, et que ta prompte haleine
Goûte à tous les parfums dont s’abreuve la plaine.
Hâte-toi : si le ciel commence à se couvrir,
Une goutte de pluie inondera tes ailes :
Avant d’avoir vécu, tu ne veux pas mourir,
Toi ! Les fleurs vont au soir : ne tombe qu’après elles.

Bonjour ! bonheur ! adieu ! Trois mots pour ton soleil.
Et pour nous, que de nuits jusqu’au dernier sommeil !
Le long vivre n’apprend que des fables railleuses.
Tristement recueillis sous nos ailes frileuses,
Nous épions l’espoir, qui n’ourdit qu’un regret :
Et l’espoir n’ouvre pas sa belle chrysalide ;
Et c’est un fruit coulé sous son écorce vide ;
Et le vrai, c’est la mort ! — et j’attends son secret.

Oh ! ce sera la vie ; oh ! ce sera vous-même,
Rêve, à qui ma prière a tant dit : Je vous aime.
Ce sera, pleur par pleur, et tourment par tourment,
Des ames en douleurs le chaste enfantement !

LE
CONVOI D’UN ANGE.

À ma Mère qui n’est plus.

L’esprit céleste, ému d’une sainte tristesse,
Consulte, l’œil aux cieux, l’éternelle sagesse ;
Le Tout-Puissant fait signe, et, d’un facile effort,
Soulevant dans ses bras l’innocent qui sommeille,
Il presse sa paupière et sa lèvre vermeille :
« Sois heureux ! » lui dit-il ; et l’enfant était mort.

— FEU CH. LOYSON. —

LXVI.

Mon Dieu ! ce que j’entends si suave en moi-même,
Qui s’éveille, qui chante au milieu de mon cœur,
Sonore tremblement qui m’attriste et que j’aime,
Est-ce un timbre dans l’âme ? est-ce un oiseau moqueur,
Qui fait ces voix d’enfant autre part entendues ?
Douces voix que la terre a pour jamais perdues.
Dieu ! Quel écho profond pour de si faibles voix !


Quand j’ignorais la mort, je pense qu’une fois
On me fit blanche et belle, et qu’on serra ma tête
D’une tresse de fleurs comme pour une fête ;
Qu’une gaze tombait sur mes souliers plus beaux ;
Et qu’à travers le jour nous portions des flambeaux :
Et puis, qu’un long ruban nous tenait, jeunes filles
Prises pour le cortége au sein de nos familles.

Oui, de mes jours pleurés je vois sortir ce jour
Tout soleil ! ruisselant sur la fraîche chapelle
Où je voudrais prier quand je me la rappelle.
Enfans, nous emportions à son dernier séjour
Un enfant plus léger, plus peureux de la terre,
Et qui s’en retournait habillé de mystère,
Furtif comme l’oiseau sur nos toits entrevu,
Posé pour nous chanter son passage imprévu,
Dont la flèche invisible a détendu les ailes,
Et qui se traîne aux fleurs, et disparaît sous elles !

Je souriais pourtant, car je ne savais pas
Si l’église tintait la vie ou le trépas.
Ma mère était plus tendre et me pressait contre elle.
« Dieu ! » disait-elle, « ô Dieu ! cachez-la dans votre aile ! »
Et puis en me baisant : « Tu laisseras tomber
» Tes fleurs en saluant l’autel de la madone ;

» Dans l’eau sainte, petite, il faut les imbiber ;
» Mets ton flambeau dans l’ombre ; elle sait bien qui donne.
» Regarde si la flamme a monté vers les cieux,
» Ma fille ; et ne va pas en détourner les yeux !
» Tiens, voilà pour le pauvre : il faut l’aider ; il prie
» Celle qui va te voir et qu’on nomme Marie. »
Émue elle ajouta : « Toi ! tu vivras toujours ! »
Et je trouvai ce jour plus beau que d’autres jours.

Bel âge somnambule ! enchanté d’ignorance,
Qui ne sait pas qu’on meurt, et qui vit d’espérance !
Qui croit que le malheur est pour le méchant… Mais
Où sont-ils les méchans ? en a-t-on vu jamais ?
Ô tissu d’harmonie ! ô premières années,
Où les ames sans peur s’envolent pardonnées,
Où pas un chant n’est faux, pas un écho défait,
Où chaque bruit nouveau frappe un accord parfait !

Nous entrâmes sans bruit dans la chapelle ouverte,
Étrangère au soleil sous sa coupole verte ;
Là, comme une eau qui coule au milieu de l’été,
On entendait tout bas courir l’éternité ;
Quelque chose de tendre y languissait : du lierre
Y tenait doucement la vierge prisonnière ;
Parmi le jour douteux qui flottait dans le chœur,
On voyait s’abaisser et s’élever son cœur.

Je le croirai toujours : c’était comme une femme
Sur ses genoux émus tenant son premier-né,
Chaste et nu, doux et fort, humble et prédestiné,
Déjà si plein d’amour qu’il nous attirait l’ame !

La mort passait sans pleurs. Hélas ! on n’avait pu
Porter la mère au seuil où la blanche volée,
Sur la petite boîte odorante et voilée,
Reprenait l’hymne frêle aux vents interrompu :
Et le deuil n’était pas dans notre frais cortége ;
Car le prêtre avait dit ; « Enfant, Dieu te protége ;
Dieu t’enlève au banquet mortel qui t’appelait,
Encor gonflé pour toi de larmes et de lait ! »

Et quand je ne vis plus ce doux fardeau de roses
Trembler au fond du voile au soleil étendu,
On dit : « Regarde au ciel ! » Et je vis tant de choses,
Que je l’y crus porté par le vent, ou perdu,
Fait ange dans l’azur inondé de lumière ;
Car l’or du ciel fondait en fils étincelans,
Et tant de jour coulait sur nos vêtemens blancs,
Qu’il fallut curieuse en ôter ma paupière.

Long-temps tout fut mobile et rouge sous ma main,
Et je ne pus compter les arbres du chemin :

Sous le toit sans bonheur on nous reçut encore ;
Le jardin nous offrit ce que l’enfance adore,
Et nous trouvâmes bons les fruits de l’ange. Hélas !
Une chambre était triste : elle ne s’ouvrit pas ;
Et nous fîmes un feu des églantines mortes,
Dont l’enfant qui s’en va fait arroser les portes.

L’enfant aimé de Dieu n’est jamais revenu ;
Sage, il trouva son nid assez grand pour sa tombe :
Oui, vous l’aimiez, mon Dieu ! car la jeune colombe
N’emporta point de terre à son pied rose et nu !

— FIN. —



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Agar (fragment). 
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Trois Nocturnes (Imitation de Moore). 
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  1. Une église de Douai abandonnée pendant la révolution.
  2. Madame Tastu.
  3. Madame Pauline Duchambge.