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Histoire maccaronique/Texte entier

La bibliothèque libre.
(sous le pseudonyme de Merlin Coccaie)
Adolphe Delahays (p. ).


HISTOIRE MACCARONIQUE
de
MERLIN COCCAIE



paris. — imp. simon façon et comp., rue d’erfurth, 1.


HISTOIRE MACCARONIQUE
de
MERLIN COCCAIE
PROTOTYPE DE RABELAIS
ou est traicté
les ruses de cingar, les tours de boccal
les adventures de leonard
les forces de fracasse, les enchantemens de gelfore et pandrague
et les rencontres heureuses de balde
AVEC DES NOTES ET UNE NOTICE
PAR G. BRUNET
de bordeaux
nouvelle édition revue et corrigée sur l’édition de 1606
par
P. L. JACOB
bibliophile

PARIS
ADOLPHE DELAHAYS, LIBRAIRE-ÉDITEUR
4-6, RUE VOLTAIRE, 4-6

1859


PRÉFACE DE L’ÉDITEUR


Lancienne traduction du poëme macaronique de Théophile Folengo nous a paru digne de faire entrer ce poëme dans notre Bibliothèque gauloise quoique l’original soit écrit en latin mêlé d’italien et de patois mantouan. Cette traduction, dont l’auteur est resté inconnu, appartient certainement a un des écrivains les plus facétieux et les plus drolatiques de la fin du seizième siècle. C’est à ce titre, surtout, qu’elle mérite de figurer dans une collection de nos vieux poëtes, de nos vieux conteurs et de nos vieilles facéties ; car Merlin Coccaie a été, pour ainsi dire, naturalisé Français, ou plutôt Gaulois, par le fait de son traducteur anonyme.

Nous nous sommes demandé quel pouvait être ce traducteur, qui, sans écrire toujours correctement, manie la langue française avec aisance et y trouve une variété presque inépuisable de tours de phrase, de locutions burlesques et de mots nouveaux, pour rendre les idées et les images bouffonnes du créateur de la poésie macaronique. Nous avons pensé d’abord à Gabriel Chappuis, traducteur des Mondes célestes, terrestres et infernaux de Doni ; à Roland Brisset, sieur Du Jardin, traducteur de la Dieromène, de Grotto, et de l’Alcée, d’Ongaro ; à Jacques de Fonteny, traducteur des Bravacheries du capitaine Spavente, de Francois Andreini ; à Pierre de Larivey, traducteur des Nuicts de Straparole, enfin, à Noël du Fail, etc. ; mais il nous a été impossible d’asseoir nos suppositions errantes sur la moindre preuve.

Le privilége du roi, daté du 5 août 1605, lequel manque dans la plupart des exemplaires de l’édition de 1606, est accordé à Gilles Robinot, marchand libraire à Paris, avec permission d’imprimer ou faire imprimer l’Histoire macaronique de Merlin Coccaie. Mais Gilles Robinot céda ce privilége à Pierre Pautonnier, libraire et imprimeur du roi, et à Toussaint du Bray, et le livre fut imprime sans doute par Pierre Pautonnier. Au reste, tous les exemplaires que nous avons vus portent l’un ou l’autre nom de libraire, Pautonnier ou du Bray ; il n’y en a aucun qui ait le nom de Gilles Robinot, quoique ce libraire ait exercé jusqu’en 1627 ; on est donc autorisé à conclure de ce fait que Gilles Robinot n’a pas voulu mettre son nom au livre qu’il devait publier et qu’il laissa exploiter à ses deux cessionnaires.

Ce livre est intitulé : Histoire macaronique de Merlin Coccaie, prototype de Rablais (sic) où est traicté les ruses de Cingar, les tours de Boccal, les adventures de Leonard, les forces de Fracasse, enchantemens de Gelfore et Pandrague, et les rencontres heureuses de Balde, etc. Plus l’horrible Bataille advenue entre les Mousches et les Fourmis. C’est un volume petit in-12, de six feuilles préliminaires, y compris le privilége, et de 901 pages ; les deux derniers feuillets, chiffrés 899, 900 et 901, sont en plus gros caractères que le reste du volume, et paraissent avoir été réimprimés comme cartons. Il y a aussi, dans le volume, plusieurs autres feuillets, (voyez les pages 502 et 503,) qui sont évidemment des cartons destinés à supprimer quelques passages du texte après l’impression. Cette traduction, dont les exemplaires bien conservés sont fort rares et se trouvent presque tous divisés en deux volumes, a été réimprimée une seule fois, sans notes et sans préface, en 1755, à Paris, 2 volumes in-12. Une partie des exemplaires porte la date de 1606, comme l’édition originale. Nous croyons que l’édition de 1734 a été faite par Urbain Coustelier, avec privilége tacite.

« L’auteur de cette traduction n’est pas connu, dit Viollet-Leduc dans la deuxieme partie de sa Bibliothèque poétique ; elle m’a paru fort peu exacte, autant que j’en ai pu juger ; d’ailleurs, le patois de Mantoue est très-difficile à comprendre. Cependant l’original contient une petite pièce pastorale, intitulée Zanitonella, qui m’a paru un véritable chef-d’œuvre de naïveté et de grâce : le traducteur l’a entièrement passée sous silence. » Sans doute, cette traduction n’est pas scrupuleusement littérale, mais elle se recommande aux études des philologues, comme nous l’avons dit plus haut, par une prodigieuse abondance de phrases, de proverbes et de mots qui appartiennent à la langue comique et facétieuse. On doit s’étonner que Philibert-Joseph Leroux n’ait pas mis à contribution cet ouvrage singulier dans son Dictionnaire comique, satyrique, critique, burlesque, libre et proverbial.

S’il nous est permis de hasarder une conjecture sur l’auteur de cette traduction, nous rappellerons que Gilles Robinot imprimait vers la même époque le Prélude poétique de Robert Angot, sieur de l’Esperonnière, et que ce poëte normand, qui s’inspirait à la fois des poëtes classiques de l’antiquité et des poëtes italiens, a mis dans ses poésies quelque chose de l’originalité de Merlin Coccaie, et surtout un grand nombre des expressions pittoresques qu’on remarque dans l’Histoire macaronique. On pourra, d’ailleurs, apprécier ce que vaut notre conjecture en lisant les Nouveaux Satires et exercices gaillards du temps, que le sieur de l’Esperonnière a publiés dans sa vieillesse, en 1657, dix ans après la mort de son premier éditeur, Gilles Robinot.

Nous avons réimprimé cette traduction en corrigeant le texte sur l’édition de 1606, qui n’est pas exempte de fautes grossières. Nous nous sommes borné à reproduire l’Histoire macaronique, qu’on peut regarder comme une des sources principales où Rabelais a puisé non-seulement bien des détails de son roman satirique, mais encore bien des inspirations de son génie. Quant à la Bataille des Mousches et des Fourmis, nous n’avons pas juge utile de l’admettre dans cette nouvelle édition, qui n’est pas destinée à réunir tous les ouvrages macaroniques de Folengo ; ce petit poëme, imité de la Batrachomyomachie d’Homère, n’offre pas d’ailleurs le même intérêt philologique et littéraire que la célèbre macaronnée dont Balde est le héros, comme Gargantua et le Pantagruel sont les héros du chef-d’œuvre de Rabelais. Ce qui distinguera notre édition de celles qui l’ont précédée, c’est la scrupuleuse révision du texte, ce sont les savantes notes de M. Gustave Brunet, de Bordeaux, c’est surtout l’excellente notice que ce bibliographe a consacrée à l’histoire de la poésie macaronique et à l’examen des écrits de Théophile Folengo.

P. L. Jacob,
Bibliophile.






NOTICE
sur la vie et les ouvrages
DE THÉOPHILE FOLENGO
ET SUR LA POÉSIE MACARONIQUE EN GÉNÉRAL




Lart de la poésie macaronique consiste, on le sait, à entremêler au latin des mots de l’idiome vulgairo plaisamment latinisés, et à donner ainsi au style une tournure facétieuse ou grotesque. C’est ce qu’a su faire, avec un rare bonheur, le poëte dont nous allons nous occuper. Nous parlerons brièvement de sa vie, de ses écrits et des auteurs appartenant à diverses nations qui se sont exercés dans cette langue factice, constamment étrangère à tout sujet sérieux[1].

§ 1er. vie de folengo.

Théophile Folengo descendait d’une famille ancienne et distinguée qui habitait à Cipada, village de la banlieue de Mantoue. Dans un de ses écrits, il nous apprend qu’il naquit le 8 novembre 1491. Après avoir commencé ses études à Ferrare, il alla les continuer à Bologne, sous la direction du célèbre Pierre Pomponace, qui professait la philosophie d’Aristote ; mais, trop ami des plaisirs et trop enclin à la poésie, le jeune Mantouan se livra fort peu à des lectures sérieuses. Des espiègleries un peu vives le brouillèrent avec la justice et l’obligèrent à quitter Bologne ; il revint dans sa famille, et fut assez mal accueilli par son père, qui n’avait pas sujet d’être très-satisfait de lui. Il voulut alors embrasser la profession des armes ; mais, promptement rebuté à l’idée des fatigues et des périls auxquels il s’exposait, il préféra entrer dans un convent de Bénédictins, et, après un noviciat de deux années, il fit profession, le 28 juin 1509, dans le couvent de Sainte-Euphémie, à Brescia ; il n’avait pas encore dix-huit ans accomplis. Ce fut alors que, quittant le nom de Jérôme qu’il avait reçu à sa naissance, il prit celui de Théophile.

À cette époque, la discipline était fort relâchée dans les monastères, et les conteurs italiens, qui donnent une si mauvaise idée de la conduite des moines, n’ont peut-être pas extrêmement charge le tableau qu’ils avaient sous les yeux. Folengo n’était pas homme à résister à l’influence des mauvais exemples, surtout depuis que son monastère avait perdu un chef, Jean Cornelius, qui l’avait dirigé avec habileté, mais qui avait été remplacé par un ambitieux sans principe, Ignace Squaccialupi[2]. Jetant le froc aux orties, Folengo s’enfuit en compagnie d’une femme, Giroloma Dedia, dont il était éperdument épris, et il se mit à parcourir l’Italie.

On ne saurait le suivre dans la vie errante qu’il mena durant quelques années. En 1522, il était à Venise ; il y revint en 1526, après avoir séjourné à Rome. Ce fut pendant cette période agitée qu’il composa son épopée macaronique, accueillie par le public avec un vif empressement, et qu’il écrivit un poëme badin sur l’enfance de Roland, qui eut moins de succès.

Fatigué de courir le monde et d’être livré à la misère, qui l’avait forcé momentanément à se faire soldat, il rentra dans son couvent en 1527 ; mais son humeur inquiète ne s’accommodait pas de la solitude du cloître, et il se remit à voyager, toutefois d’une manière conforme à la décence.

En 1555, il se trouvait à Naples, et bientôt il se rendit en Sicile, où un des princes de la maison de Mantoue, Ferrante de Gonzaga, gouvernait cette ile en qualité de vice-roi et protégea notre poëte. Se repentant de ses erreurs passées, il revit ses ouvrages ; il en effaça les hardiesses, et il en supprima ce qui était le plus propre à scandaliser ses lecteurs ; malheureusement ces éditions corrigées sont précisément celles dont le public ne veut pas.

Après avoir séjourné quelque temps auprès de Palerme, Folengo, arrivé à l’âge mûr et ayant des fautes nombreuses à déplorer, entra définitivement dans un couvent, où il voulut terminer sa vie. Il ne fit pas un long séjour à Santa-Croce di Campese, car, l’année suivante, une fièvre maligne l’emporta, le 9 décembre 1544[3].

Il a trouvé un panégyriste fervent dans l’auteur d’un Elogiodi T. Folengo, imprimé à Venise en 1803, lequel n’hésite pas à dire que Mantoue doit être aussi fière d’avoir produit le poëte macaronique que le chantre d’Énée, et que celui-ci, grand philosophe, grand poëte et grand homme, sera honoré tant que les lettres et le mérite recevront les hommages qui leur sont dus[4].

Folengo s’était d’abord livré à la composition d’un poëme latin, dans lequel il se proposait de surpasser Virgile ; mais, reconnaissant que cette prétention était excessive, il aima mieux occuper la première place dans le genre badin qu’être réduit à un rang inférieur dans le genre sérieux, et il écrivit ses poésies macaroniques, qu’il mit au jour sous le nom de Merlin Coccaie[5]. Soit conviction de son propre mérite, soit par une de ces plaisanteries qui fourmillent chez lui, Folengo se décerne à lui-même des éloges éclatants :

Magna suo veniat Merlino parva Cipada,
Atque Cocajorum crescat casa hassa meorum ;
Mantua Virgilio gaudet, Verona Catullo,
Dante suo florens urbs tusca, Cipada Cocajo.
Dicor ego superans alios levitate poetas,
Ut Maro medesimos superat gravitate poeta.

Et ailleurs il s’écrie :

Nec Merlinus ego, laus, gloria, fama Cipada.

C’est à son épopée macaronique que Folengo doit la réputation qu’il a conservée, et c’est elle qui doit nous occuper en ce moment, lorsque nous aurons d’abord fait connaître ce qui distingue la langue factice dont notre poëte ne fut pas l’inventeur, mais que personne, avant lui, n’avait maniée avec autant de bonheur et appliquée à des productions d’aussi longue haleine. Ch. Nodier a eu raison de dire qu’il y avait dans les délicieuses macaronées de Folengo tout ce qu’il faut d’imagination et d’esprit pour dérider le lecteur le plus morose.

§ 2. de la langue macaronique.

La véritable diction macaronique consiste à ce que l’auteur prend les mots dans sa langue maternelle, et qu’il y ajoute des terminaisons et des flexions latines. Faute de s’être bien rendu compte de cette particularité, des auteurs, fort estimables d’ailleurs, sont tombés dans des erreurs complètes en confondant avec le macaronique le latin corrompu à plaisir et des langages hybrides, enfants du caprice. Le pédantesque, qui amusa un instant l’Italie, a été aussi l’objet d’une confusion semblable, tandis qu’il est l’inverse du macaronique, puisqu’il soumet le mot latin aux formes du langage vulgaire ; la macaronée, au contraire, assujettit le mot vulgaire à la phraséologie et à la syntaxe latine.

Ces distinctions sont nécessaires à préciser, car pendant longtemps on a employé, dans presque toute l’Europe, un genre de comique qui consistait à créer un mélange hybride dépourvu de règles et fort éloigné de la véritable macaronée. « Dans celle-ci, (ainsi que l’a judicieusement observé Ch. Nodier), c’est la langue vulgaire qui fournit le radical, et la langue latine qui fournit les flexions, pour former une phrase latine avec des expressions qui ne le sont pas, au contraire des langues néo-latines usuelles, et c’est l’expression qui est latine dans une phrase qui ne l’est point. L’italien et donc du latin soumis à la syntaxe vulgaire ou aborigène, est la langue factice de Merlin Coccaie, est de l’italien latinisé. »

L’origine du mot macaronique a donné lieu à des explications plus ou moins ingénieuses et nécessairement contradictoires. Folengo, qui devait savoir à quoi s’en tenir, donne à cet égard une explication fort nette dans son Apologetica in sui excusationem, morceau placé à la tête de plusieurs éditions de ses œuvres : Ars ista poetica nuncupatur macaronica, a macaronibus derivata, qui macarones sunt quodam pulmentum farina, caseo, botiro compaginalum, grossum, rude et Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/22 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/23 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/24 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/25 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/26 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/27 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/28 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/29 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/30 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/31 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/32 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/33 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/34 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/35 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/36 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/37 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/38 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/39 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/40 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/41 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/42 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/43 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/44 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/45 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/46 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/47 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/48 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/49 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/50 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/51 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/52 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/53 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/54 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/55 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/56 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/57 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/58 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/59 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/60 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/61


AVERTISSEMENT


Ce n’est point aux cerveaux esventez que ceste Histoire est voüée, elle est de trop long-temps promise à ceux qui, non moins doctes que curieux, ont peu cognoistre par effect ce que je monstre par apparence. Je sçay que c’est de se precipiter aujourd’huy devant ces esprits bigeares, qui se faschent autant de vous relever, comme ils sont joyeux de vostre cheute : et ne fais difficulté de croire qu’ils iront plustost après une umbre imaginaire, que de courir au-devant du corps. Telles gens mesprisent seulement ce qu’ils ne peuvent comprendre ; et n’approuvent que ce que leur jugement pueril pent penetrer. Je sçay bien qu’un langage pointu et affecté les pourroit peut-estre arrester à la superficie ; mais j’aurois peur qu’après ils en gastassent le fonds, et fissent accroire à ce Livre autre chose qu’il ne dit. On a fait dire plusieurs fois à Homere ce qu’il n’a pas voulu, à Platon ce qu’il n’a pas sçeu, et à Aristote ce qu’il n a pas entendu. Car, entre ce qui est attaché à la suitte de chasque sens, nous tirons une infinité d’argumens, de consequences et de conclusions, à une explication fausse, par la comparaison d’un point à l’autre, pour nous esloigner de l’intention d’un Autheur : et bien que nostre jugement nous trompe, nous soustenons plustost ces fantastiques interpretations que d’advoüer nostre ignorance. Je dis cela, pour ce que le subject que je traicte semble autant esloigne de la verité, qu’il est difficille de croire ; et n’estoit que je me fie a l’aage de ce Livre, je craindrois qu’il fust souvent desmenty. Aussi, pour ceste consideration, sera-t-il tonsjours espargne, et en excusera-t-on le discours, qui n’a voulu changer le ramage de son temps ; d’ailleurs que l’antique réputation de ce grand cavalier Balde, vivant encore en la bouche de ce Livre, estonnera ces Correcteurs nouvellement erigez. Je ne veux pas dire qu’il n’y ait quelque chose de fabuleux en la suitte de ceste Histoire ; mais aussi ne veux-je pas nier qu’il n’y ayt de la verité, et que ce ne soit une chose approuvée de la representer sous la Fable, de laquelle nos Anciens se sont servis si à propos. J’en demanderois volontiers queique chose à ce grand docteur Me François, et ce qu’il a voulu dire, et qu’il a voulu traicter sous le couvert d’une infinité de plats maccaronesques. Il me respondra : « Ceux que vous traictez sous les ruses et subtilitez de Cingar ; sous les tours facetieux de Boccal ; sous les revelations de Seraphe ; sous la conversion de Guy ; sous les adventures de Leonard ; sous la force de Fracasse ; sous les enchantemens de Pandrague et de Gelfore ; sous les rencontres et galantises de Balde ; et bref, sons tant de pays de fourmage, montagnes de soupes grasses, que ces guerriers inimitables onL passez… » Car il ne peut estre que, par le moyen de leurs voyages, ils ne l’ayent rencontré dans le ciel, sur la terre, dans la mer, et aux enfers, et ne luy ayent faict cognoistre une partie de leurs adventures. Mais c’est tout un, je m’en rapporte à ce qui en est, et me persuade n’estre pas tant obscur, qu’il faille faire de cest Ouvrage, comme fist S. Hierosme des Escripts de Perse :

Intellecturis ignibus elle dedit ;


attendu que les histoires nous font foy (et peu de personnes l’ignorent) que ce grand personnage, dont il est traicté, est descendu de Guy, et du Paladin Renaud, jadis tant renommé. Que si on ne veut prendre pied à la suitte, j’advertis les Lecteurs d’en considérer les despenses, et s’arrester sur ce qu’ils cognoistront digne d’explication ; ce pendant que la trompette fera sortir en champ de bataille les Mousches et les Fourmis, qui sont sur les termes de s’assaillir. Adieu.





L’IMPRIMEUR AU LECTEUR


Lecteur, voicy un Prototype de Rabelais (Merlin Coccaie), histoire de belle invention, autant diversifiée d’allegorie et d’heureux rencontre, que les esprits et les gouts les plus differens sçauroient desirer. Ainsi qu’en une table bien couverte, chascun pourroit rechercher des viandes à son appetit ; le subjet est universel. C’est une Satyre Françoise, si bien tissuë, qu’elle ne cede rien à l’antiquité. Son offense licentiée, et sa picquante mordacité a souvente fois aussi esté retenuë : mais ceste-cy, plus douce et plus industrieuse, ne sert que d’aiguillon pour esveiller les plus rares esprits à denoncer ses plaisantes énigmes. Si tu la touches du bord des levres seulement, la lecture ne t’en sera moins utile que facetieuse : et si tu y prens plaisir, ce sera le contentement et le salaire que j’espere de mon travail. Adieu.





HISTOIRE MACCARONIQUE
de
MERLIN COCCAIE
PROTOTYPE DE RABELAIS

LIVRE PREMIER.


Une fantasie plus que fantastique m’a prins d’escrire en mots moins polis qu’un autre subjet requeroit, l’histoire de Balde ; la haute renommée et le nom vertueux duquel font trembler toute la Terre, et contraignent l’Enfer de se conchier de peur. Mais, avant que commencer, il est premierement besoing d’invocquer vostre aide (ô Muses) qui estes authrices de l’art Maccaronesque, sans lequel il ne seroit possible à ma gondole de passer les escueils de la mer. Je ne veux point que Melpomene, ou ceste foible Thalie, ny Phœbus grattant son cythre, me viennent fournir d’aucuns mots dorez[6]. Car, quand je pense aux victuailles du ventre, toute ceste merdaillerie de Parnasse ne peut apporter aucun secours à ma pause. Que les Muses, et doctes sœurs pansefiques, Berte, Gose, Comine, Mafeline, Togne et Pedralle viennent emboucher maccaronesquement leur nourrisson, et me donnent cinq ou huict poisles de bouillie ! Voilà les divines Nymphes grasses et coulantes ; la demeure, la region, et propre terroir desquelles est clos, et enferme en certain canton de ce monde reculé des autres, auquel les Caravelles d’Espagne ne sont encore parvenues. En ce lieu y a une grande montaigne, laquelle s’esleve jusques aux patins de la Lune, et laquelle si vous vouliez parangonner au mont Olympe, iceluy seroit plustost estimé colline que mont. En icelles ne se voient des cornes sterilles de Caucase, ni l’eschine maigre de Marroch, ni des embrasemens sulphurez du mont d’Ætna. Là la montaigne de Bergame ne donne des pierres rondes, lesquelles servent de meules pour faire mouldre le bled. Mais, nous allans en ce lieu, nous avons passe des Alpes faites defromage mol, dur et moien. Croiez, je vous prie, ce que je jure ; car je ne pourrois, ni ne voudrois dire une fourbe pour tous les thresors que la Terre tient enclos. Là courent en bas certains fleuves de broüet, lesquels font un lac de souppes et une mer de jus gras, et savouré. Sur ces eaux on void mille bateaux, barques, et gondoles latines, fabriquées de la matiere de tourtes, par le moyen desquelles les Muses exercent, et mettent en usage leurs laqs et rets, lesquels sont faits et cousus de saulcisses et saulcissons, peschans avec iceux des rissoles et goudiveaux, et cervellats[7]. La chose toutesfois est obscure, quand le lac est esmeu, et arrouse le plan du ciel avec ses ondes grandement agilées. Le lac de Menas, ou de la Garde, ne fait tant de bruit quand les vents s’esclatent contre les maisons de Catulle. On void encore en ce lieu des cousteaux fraiz, esquels se voient cent chaudrons fumans jusques aux nuës, pleins de caillotins, pastez et jonchées. Ces Nymphes demeurent à la pointe de la montaigne, et grattent le fromage avec des rappes percées : les unes se travaillent à former des tendres goudiveaux ; autres avec le fromage rappe frigolent et s’esbatent ensemble ; et, se laissant couler du haut de la montaigne à bas, paroissent comme grosses mottes avec l’enfleure de leur ventre. O combien est necessaire d’estendre et eslargir ses jouës, quand on veut remplir son ventre de tels goudiveaux ! Autres, maniant la paste, emplissent cinquante bassins de gras baignetz et crespes, et les autres, voians la poisle boüillir par trop, s’occupent à tirer hors les tisons, et souflent dedans ; car le trop grand feu fait jetter le brouët hors le pot. En somme, toutes s’efforcent de venir à bout de leur gallimafrée, tellement que vous y verrez mille cheminées fumantes, et mille chauldrons attachez et pendus à des chesnes. En ce lieu, j’ay pesché premierement l’art Maccaronique, et Mafeline m’a rendu son poëte pansefique.

Moult a le païs de délices…
Par les rues vont rostissant
Les crasses oies et tornant.

Il y a un lieu en France, prez les confins d’Espagne, nommé Montauban, lequel a grand renom par le monde. Ce n’est point ville ou cité, mais un chasteau très-fort, lequel est enfermé de triples murailles, construites et baties de pierres vives, lesquelles ne redoutent la batterie des grosses bombardes, non plus qu’un asne se soucie des mouches, ou une vieille vache des taons. Ce chasteau est basti sur le plus haut dos de la montagne, et en tel endroit que les chevres barbues n’y peuvent monter. Ce Duc Renaud[8], ce paladin de France, ce dompteur de Magance, cousin de Sguergi, la plus franche lance qui fust au monde, l’a autresfois possedé, et tenoit tousjours en iceluy sept cens bannis, lesquels il entretenoit en ceste forteresse à ses despens. Après longues années, vint de sa race ce grand guerrier Guy, doüé d’une proüesse merveilleuse. Guy estoit très-valeureux, et ne s’en trouvoit de plus genereux que luy, soit en paix, soit en guerre. Le Roy de France l’aimoit par sus toutes choses, et le tenoit tousjours auprès de soy, comme fisché à son costé, pour l’insigne beauté d’iceluy, et pour son regard gentil. La fille de ce roy, laquelle on nommoit Balduine, fut prinse au piege, et receut le dard du Dieu Amour, fils bastard de Venus. Il n’y avoit au reste du monde aucune qui fut plus belle qu’elle, et estoit très-agreable à son pere et à tout le royaume, estant venue en l’aage nubile. Sa beauté nonpareille la faisoit juger n’estre sortie d’aucun humain lignage, et la croioit-on porter une face angelique. C’estoit une Pallas pour son entendement, et son visage representoit une autre Venus, et estoit fort gratieuse à un chacun, et liberale à tous les sujets de son pere. Mais enfin elle se sentit si fort embrasée du feu amoureux de son Guy, qu’elle ne pouvoit prendre aucun repos. D’autre costé, Guy estoit ignorant d’une fureur si cbaude, et sans aucun soupçon tournoit le dos à l’Amour, et s’estoit tousjours mocqué de son arc. Cependant le Roy sert publier par tout son royaume un tournoy et jouste solemnelle, laquelle se debvoit faire en plaine campagne. Ceste nouvelle s’espand par toutes les provinces lointaines, et le bruit d’icelle convie de loing force compagnies. Les Hirlandois, Escossois et Anglois se preparent d’y venir, comme aussi plusieurs de la Picardie et de Baviere. Ce mesme bruict, passant en Italie, excite à s’y acheminer les Liguriens, Genevois, Savoysiens et Lombards, les plus courageux de l’une et l’autre Sicile, de la Toscane, de la Romagne, de l’une et l’autre Marque : des Senois, Romains, de la Pouille et de l’Abbruzzie, se mettent en chemin, ayans entendu qu’en la ville de Paris se debvoit faire un si magnifique tournoy. Ceste ville est le lieu du siege principal du Roy des François, et qui se vante par tout estre si glorieuse, que depuis la naissance de Ninus ne s’est veu ville pareille à elle en toutes les parts du monde. Celle est fort recommandée pour les sciences, et encore plus illustre pour les armes. Le peuple d’icelle s’addonne à l’escrime, ou à disputer en l’une et l’autre part de toutes sortes de disciplines, on à faire bonne chere et reverer Bacchus. Aucuns s’emploient aux armes ; autres à fueilleter et apprendre les subtilitez de S. Thomas d’Aquin ; voulant chascun, par tels moyens, faire preuve de sa valeur. Or des-ja les Chevaliers, la lance sur la cuisse, venoient de toutes parts en ceste grande ville, et de tous costez on voioit trouppes arriver, lesquelles faisoit beau voir pour estre diversifiées selon l’usance ancienne, de plusieurs et diverses livrées, ainsi que chascun vouloit faire paroistre sa passion, ou son contentement. Mille charpentiers estoient en ce lieu travaillans à faire et dresser barrieres en une grande place, pour enclorre le camp, et dressoient des eschaffaulx pour donner commodité aux Seigneurs et aux Dames, de veoir plus à leur aise, du haut d’iceux, les gentils combattans. On voioit d’autre part, çà et là, les enseignes voleter au-dessus des tours et les Palais et maisons magnifiques espiées de longues banderolles, et guidons de toutes sortes de couleurs.

Chascun fait dresser son pavillon et ses tentes, et s’employe à donner habilement ordre à son faict. Toutes les rues sont pleines de peuple. Les uns preparent et accommodent leurs armes : autres font ferrer leurs chevaux : autres se donnent du bon temps, rient, chantent, dansent. On n’oit que fiffres et tabourins resonner par tout ; mesmes les cloches ne sont espargnées pour par leur son et carillonnement rendre ceste feste plus gaillarde. Jour et nuict les portes de la ville sont ouvertes, entrans par icelle continuellement des bandes de gendarmes. Enfin en peu de temps l’amas se faict bien grand de toutes les parties de l’Europe, remplissant tous les environs de Paris. On y void grand’bande d’Allemans, d’Espagnols, et d’Italiens. Il ne peut avoir au monde tant de canaille qu’il y avoit lors à Paris, de Seigneurs et Barons ; et estoit chose merveilleuse de veoir ensemble tant de chevaux. Les Palais, les escuries, hosteleries et tavernes, estoient pleines. Les uns, gargoüillant à table, s’esclatoient de rire ; autres, en leurs bouticques et maisons, martelloient, aiguisoient, fourbissoient, et accommodoient armes. Pendant qu’un chascun s’occupoit ainsi, Balduine, pour l’amour qu’elle portoit à son ami Guy, attendoit de grande affection ceste journée, ainsi que follement la Synagogue des Juifs attend encore le Messias : car elle desiroit fort de veoir comme cet homme briseroit ses lances ; combien d’hommes il jetteroit par terre. Icelle, estant accompagnée d’une belle et grande. troupe de filles, de cent dames, et cent Duchesses, se presenta sur son eschaffaut, vestue d’une robbe brochée d’or, qui rehaussoit merveilleusement la beauté des tapisseries riches, dont estoit tendu l’eschaffaut. Chascun soudain jette sa veue sur elle, et admiroit la beauté de sa face, laquelle, ressemblant en sa couleur naturelle le ait et le vin meslez ensemble, n’estoit fardée d’aucun blanchet, ni sa couleur augmentée d’aucun rouget. Et comme Diane entre les claires estoilles resplendit, ainsi celle-cy paroissoit excellente entre toutes les jeunes filles. Si elle estoit bien regardée, icelle ne regardoit pas moins çà et là, promenant ses yeux le long et à travers la place du camp, pour veoir si elle pourroit point d’avanture apercevoir son amoureux. Incontinent Cupido, voletant legierement devant elle, luy representa son Baron. Iceluy estoit monte sur un fort cheval ; et ne paroissoit en sa personne moins robuste que son grand pere Renaud. Maniant les resnes de son cheval, la part qu’il voulut, luy fait faire quatre bonds en l’air, remplissant le contour de sablon. Ce cheval estoit d’Espagne, couvert d’un poil plus noir que charbon, ayant la teste petite, les oreilles courtes tousjours mouvantes, au milieu du front une estoille, et maschant tousjours avec la dent son mords, en faisant sortir de sa bouche une escume blanche, et tenant les naseaux ouverts, souflant et boursouflant sans cesse avec iceux ; de son meufle touchoit souvent son estomach. Il estoit court, et quelques fois se ramassoit en si peu de place comme si il eust voulu passer par le trou d’une coquille. Il estoit marque de blanc aux trois pieds, portoit sa queue serrée entre les fesses unies, estant tousjours tremblant. Sa crouppe étoit ronde : il couroit tant peu qu’on vouloit, galoppoit et se tenoit soudain en arrest. Son harnois estoit tout couvert d’estoilles d’or ; les estriez estoient aussi d’or, la testiere et chauffrain : toutes les boucles estoient de mesme metail. Balduine, apercevant son ami, s’estonne, s’echauffe, et comme un feu s’enflambe : la pauvre fortunée lance ses yeux sur luy, et ses sens se trouvent prins et attachez en luy. Celle loüe son visage plein d’amour, et sa belle contenance, et enfin desire de s’acoster avec un tel personnage. Iceluy peu à peu s’aproche du lieu où elle estoit, marchant devant luy cent estafiers vestus de velours ras : et, haussant sa face, salüe les Dames, et sans y penser et à l’improviste jette sa veue sur Balduine et les yeux se rencontrans les uns les autres, chascun tombe en la trappe, laschant Cupido ses fleches tant sur l’un que sur l’autre : et alors l’eschec et mat fut donné à Guy, lequel, à l’instant devenu comme estourdi, s’en retourna tout droit en son logis, emportant avec soy un grand dueil. Il descend de cheval, entre en sa chambre, et se jette sur un lict, se donne trois et quatre coups de la main sur la poitrine, et avec une voix plaintive fait une telle lamentation : « Ah, jeune enfant, où me menes-tu ! Ah, combien de pertes et dommages je veoy menacer ma teste ! Ha, malheureux et infortuné Guy ! Voicy un enfant qui te desrobe l’honneur autant que tu en pouvois avoir acquis par tous les tournois où tu t’estois trouvé, et qui comme un bufle te conduit par les nazeaux. Il y a bien de l’apparence que, comme victorieux, tu puisses maintenant rompre tant de lances ainsi qu’il le seroit besoin, et que tu peusses à la verité surmonter tant de braves Cavalliers, toy qui ores est vaincu si laschement par un enfant aveugle ! Ha ! miserable, esteins ou amortis au moins la flambe de ce boutefeu, avant que tu brusles comme une fournaise, sans y pouvoir plus donner aucun remede, n’estant aucunement extinguible par un million d’eaux de la riviere de Brente. Ta race n’est de si grand lieu venue qu’une seule fille d’un Roy luy doibve donner une seule miette de son amour. O quel visage elle a ! O de quelle contenance asseurée elle m’a frappé ! O de quels yeux ce nouveau basilique m’a œilladé ! Il ne faut point que je jette la coulpe de ce mien mal sur moy : mais c’est elle qui seule en est cause. Elle devoit lancer autre part son ribaut regard. Car à bon droict on doibt appeller les yeux ribauts, puis qu’ils sont si hardis d’ainsi en un chemin et passage assassiner un homme, et le laisser au moins touché de plusieurs playes. En vain, à ce que je voy, les dards d’Amour avoient rebouché cy-devant sur moy, et pour neant jusques à present j’avois soustenu la force de son arc, Mais iceluy s’advisant que la pointure de ses flesches ne pouvoit percer ma poitrine d’acier, qui estoit aussi ferme contre les filles, que se monstre asseurée la forteresse de Milan contre le canon, de la trousse de la mort il a tiré un fer mortel, et m’en ayant atteint, a ouvert la porte, et soudain toute ma liberté a été ravie par ce Diable. Car Amour n’est-il Diable ? mais plustost huict Diables, qui contraint les hommes sages tomber en tant de folies. Nostre cuirasse n’a eu aucun pouvoir contre une telle blessure : jaçoit que souventefois elle soit demeurée entiere contre les balles d’arquebuze. Si, pour y resister, Jupiter eust opposé ces montagnes que la trouppe des Geants meit les unes sur les autres, il eust follement perdu l’huille et son travail. » Pendant que ce Chevalier avec ces folles parolles troubloit ainsi son entendement, le bruit des armes et les fanfares des trompettes commencerent à se faire ouïr. Car, s’estant un chascun farci d’un bon repas, soubdain on monta à cheval, et enfin les joustes commencerent. Les trompettes et clairons sonnent leur fariraram[9], et encouragent les plus vertueux. Les chevaux, à ce son, grattans d’un pied la terre, ne peuvent se contenir, se manient à voltes, hennissent, et du pied font voler le sable jusques au ciel. Le fariran des trompettes[10] et le pon pon des tambours estoit si violent, que l’on ne se pouvoit entendre l’un l’autre ; encore qu’on s’escriast le plus qu’on pouvoit. Des-ja les Chevaliers, ayans couché leurs lances en l’arrest, se choquent rudement, et void-on plus de cent selles vuides de leurs chevaucheurs dès le premier assaut. Plus de mille lances sont brisées dont les tronçons volent jusques aux nuës, et les cris des combattans excitent. de plus en plus leurs courages. Le Roy se delectoit fort à veoir un si beau spectacle, la jouste se maniant avec un plaisant et agreable succez. De dessus son eschaffaut, il notoit les plus vaillans combattans, estant vestu d’une robe enrichie de pierres precieuses, et ayant sur la cheveleure bien peignée une couronne d’or. Le seul Guy demeure couché en son logis : luy seul, et seulet estendu sur un lict jouste contre soy-mesme. Enfin il oit les Lennissemens des chevaux, qui retentissoient par l’air : cecy le fait devenir fol, et fantasiant divers discours en son esprit troublé, maintenant veut marcher, s’appelant soy-mesme couard, tantost il se ravise grattant sa teste. Et pendant qu’il se veautre parmi tels et tels pensemens, voicy venir vers luy Sinibalde, qui estoit le plus grand amy qu’il oust. Iceluy, le trouvant au lict malade : « Hola, dit-il, que fais-tu icy, compagnon ? Pourquoy pleures-tu ? ô chose nouvelle ! ô Guy, quelle chere non accoustumée me monstres-tu en ta face ? Le Roy desireux de sçavoir l’occasion de ton retardement, et qui t’empesche de venir aux joustes, m’a envoyé vers toy. Chascun t’y appelle, tous t’y invitent, et te prient de venir au tournoy, lequel sans toy ne sçauroit rien valoir, et sera une chose tenuë à l’advenir pour goffre et sans aucune grace, si tu n’y compares. Tu souspires encore, et de ces soupirs et de tant d’ennuy que je remarque en toy en penses-tu celer la cause ? Tu sçais la faveur que j’ai du Roy, et comme il fait cas de moy ? Partant, si tu penses que je puisse quelque chose envers sa Majesté, qui est plus suffisant que moy pour te delivrer de ces peines ? » Guy, soupirant, jette une œillade vers son amy, comme fait un pierreux ou graveleux estant en tourment, pour ne pouvoir jetter son urine obstant quelque pierre, qui bouche le conduict, quand il void le medecin, avec lequel il se reconforte un peu. « O moy, dit-il, par-dessus tous les autres miserables, poussé çà et là par un mauvais sort, et dont la fortune n’est encore contente ! » Guy, s’escriant en ceste façon, declare enfin toute son alfaire à son fidele Sinibalde ; et pendant qu’il en fait le discours, cent sortes de couleurs luy montent au visage. Sinibalde, d’apprehension, et de fascherie qu’il prenoit de son amy, se ride tout le front, comme coustumierement il nous advient pour quelque merveille inopinée ; ne parle aucunement, et se contient ainsi presque une heure. Enfin toutefois, tirant hors du poulmon quelque voix, il commence à parler, et s’efforce de luy tirer dehors telle bizarrerie, luy mettant au-devant. plusieurs propos de raison. Il luy remonstre la droite voye, et celle qui est oblique et tortueuse, et comme la vie est tousjours accompagnée de cent perils. Il luy propose en après mille beaux exemples, lesquels estoient suffisans pour attendrir l’ame du cruel Neron. Mais, avec ces raisons, Sinibalde pile de l’eau en un mortier, et escrit sur la glace pendant la chaleur d’Apollon. « Ha, frere, mon amy, dit-il, ne te tue point toy-mesme, ne te casse point les jambes, ni te romps le col ! Où est allée ta grande vertu ? Où est ta renommée gaillarde ? Où est la grandeur de ton courage, pour laquelle on te dit par le monde estre le champion de justice, la lumiere de la guerre, le bouclier le de la raison ? Veux-tu en un moment perdre des choses si rares, lesquelles Charlemagne n’a acquises en si peu d’années ? Tu pourrois meurement gouverner tout le monde, et maintenant tu souffres qu’une seule femmielette te gouverne ! O quelle sale et vilaine vergongne efface ta splendeur ! Laisse, je te prie, cet ennuy, et reprens la propre prudence. Pendant que la nouvelle playe s’enfle, il la faut entamer avec le rasoir de raison. Aye devant tes yeux l’embrasement de la miserable Troye, laquelle a esté abismée par les guerres de Grece, de laquelle on ne pourroit veoir une seule bricque restée. Ce cheval a-il esté cause de sa ruine, au ventre duquel estoient cachez des soldats ? Tant s’en faut : mais ç’a esté un visage lascif d’une putain[11], au laz de laquelle ce putacier chevretier, ce Paris, prins, par les jambes et les aisles, comme s’arreste l’oyseau sur la perche, apasté par l’art et industrie d’un pippeur, a faict ce bel essay, que d’une guerre de fuzeaux il s’est rendu la foudre et la tempeste de son pays. » Par telles remonstrances Sinibalde pressoit son compagnon, quand en la mesme chambre vint entrer un autre compagnon de Guy, nommé Franc, armé de belles et luisantes armes, auquel le Roy avait aussi commandé de venir veoir quels empeschemens retenoient Guy au logis. Alors la honte n’a peu retenir davantage Guy au lict : et se jettant iceluy en pieds, demande ses armes. Ses serviteurs hastivement les luy apportent, et arment leur maistre : et par-dessus le vestent d’une casacque, sur laquelle estoit portraict un lyon barré : sa salade estoit couverte d’un grand pennache, et au plus haut estoit enlevé un petit vieillard, lequel avec le doigt monstroit ces vers qui estoient gravez sur icelle :

Rien ne court plustost que le temps,
Les heures ressemblent aux ans :
Si tost que voyons l’enfant naistre,
Aussi-tost se vieillist son estre.

Puis il monte tout armé sur un grand coursier, et prend une forte lance faite d’un chesne verd ; et, comme fasché en soy-mesme, donne des esperons à son cheval, et se presente au tournoy où les lances se brisoient à outrance. Il ne faut de donner la premiere œillade là où estoit Balduine : ce qui luy enflamba davantage sou feu amoureux, et afin qu’il luy peut plaire luy quadrupla sa force, la rendant pareille à celle de Samson, avec laquelle, n’ayant en main qu’une machoire d’asne, il renversa tant de milliers d’hommes. Il avance son cheval, et outrepasse de grand vistesse les barrieres, et s’arrestant un petit pour remarquer l’estour des combattans, soudain lasche les resnes, et tenant la lance ferme en l’arrest, faict voler le sablon en l’air, et, courant d’une course legiere, fait trembler tout le camp. Il fait monstrer au soleil les semelles du premier ; le second fut par luy desarçonné ; le troisiesme fut jetté au bas, donnant du cul en terre ; le quatriesme comme les autres fut renversé sur terre, le cinquiesme, portant envie aux autres, les accompagna de mesme ; le sixiesme, qui estoit de cheval, se veit incontinent homme de pied ; le septiesme estendit ses fesses sur le sablon ; le huictiesme s’apperceut incontinent estre desmonté ; le neufviesme fut contrainct ouvrir les genoux et quitter la selle ; le soleil se voulut cacher, quand le dixiesme, malgré luy, luy monstra le talon à l’envers. Guy en jetta par ordre ainsi plusieurs autres, et, courant ainsi çà et là, toujours se souvenoit de Madame, et à chasque coup qu’il donnoit, avoit ce mot en la bouche, le prononçant toutefois d’une basse voix. Le Roy fut grandement estonné pour les faicts merveilleux que faisoit Guy, et dit ces mots : « Voilà Guy la gloire de toute la nation Françoise ! O combien il represente les chevaleureux faits de nos ayeulx, à sçavoir du grand Roland, et du fort Renaud ! Il est sans doubte qu’il remportera chez soy la palme, et l’honneur de ce tournoy. » Balduine aussi quelquefois disoit à ses Damoiselles : « Si je ne me trompe, ce brave Baron, qui ainsi desmonte les autres, est cet insigne Guy ? O qu’il est vaillant ! O comme il porte bien sa lance ! Voyez-vous comme fort à propos il manie les resnes de son coursier, et avec quelle dexterité il assene ses coups sur le heaulme des autres ? » Elle n’avoit pas plustost achevé ces mots, monstrant, en parlant et en riant d’aise, ses perles blanches avec son rouge coural, qu’incontinent le son des trompettes fut ouy, comme on a accoustumé de faire quand on veut finir la jouste, et faire la retraicte. Guy demeura seul au millieu du camp, regardant autour de soy, ainsi que fait un superbe victorieux. Mais toutefois n’est-il pas victorieux seul, estant le vaincu d’Amour, portant les fers aux pieds, le carquant au col, et les manottes aux poings. Le Roy, accompagné de tout son conseil, va au-devant de luy : mais Guy, l’appercevant, soudain descend de dessus son coursier, et, haussant sa visiere, fait paroistre son visage tout baigné de sueur, et baise le genouil du Roy. La majesté, luy commandant de remonter à cheval, tire de son doigt un très-riche anneau, auquel estoit un très-grand rubi luisant comme une estoille, et le donne à Guy pour prix de la victoire, estant peut-estre comme arrhes des espouzailles de sa fille. Et toutefois sa pensée ne tendoit aucunement à telle chose, combien que tel present fut un advancement de nopces : nopces, dis-je, malheureuses, et qui seront suivies d’une vilaine ruyne. Guy, humiliant sa face, receut ce beau present, digne certes du travail qu’il avoit prins ; et, en le prenant, baisa la main du Roy en s’inclinant fort bas. Puis marchent vers le Palais, estans suivis d’une grand’trouppe de personnes, les trompettes et les fiffres sonnans tousjours devant. Or le soleil, las de son chemin journal, se cachoit des-ja soubs les ondes pour se reposer, et laissoit sa sœur enceinte de son amy ; et cependant on donne ordre au soupper Royal. On oit, par les cuisines, des deschiquetis, des cliquetis de cousteaux, des tintamarres des chaudrons, et poisles. Les entrées d’icelles, couvertes de portiques, se voyent rendre la fumée en dehors, et sont souillées tousjours d’eaux, et de graisses. De là sortent plusieurs odeurs de chairs rosties, et houillies, lesquelles aiguisent l’appetit de ceux, qui les sentent. Il y a en icelles plus de cent serviteurs obeissans aux cuisiniers : une partie d’iceux portent le bois, autres esgorgelent, autres font bouillir les poisles et chauderons l’un tue un cochon, l’autre des poulets, cestuy-cy estrippe, l’autre escorche, un autre plume en eau chaude des chappons ; cestuy faict bouillir testes de veau avec la peau ; autre embroche des petits cochonnez, tirez encore quasi du ventre de la truye, après estre lardez. Celuy qui commandoit en qualité de maistre cuisinier, se nommoit Chambo, lequel estoit subtil et inventif à trouver friandises de gueule, et plaisantes au palais. Iceluy, presidant en une chaire, commandoit entierement à tous les cuisiniers, et quelques fois battoit la canelle et pilloit l’espice sur le dos des marmittons et souillons de cuisine. Il y en avoit un, qui fricassoit avec du land les foyes des poulailles : un autre, sur les fricassées, asperge du gyngembre et du poivre : un autre fait une saulse jaune aux oyscaux de riviere. Un autre tire destremement les faisans, après avoir tasté du bout du doigt, s’ils sont bien cuits. Cinq autres ne font que tourner le moulage de cuisine, d’où coulent les amandes et saulses poivrées. Autres tirent du four des pastez en pot, sur lesquels on jette de la canelle de Venise : un autre tire de la marmite des chappons bouillis, lesquels il met en un grand plat, et espand dessus des gouttes d’eau rose avec du sucre broyé et le couvre d’un test plein de brasier. Mais à quoy m’amuse-je à remplir ce discours de telles fadeseries ! Enfin le soupper s’appreste, lequel par sa delicatesse estoit assez suffisant pour ressusciter les morts. On commence à apporter grande quantité de salades tant cuites que crues, que cent serviteurs et autant de pages apportent, lesquels sont vestus d’une mesme couleur, à sçavoir d’un drap d’Angleterre teint en bleu azuré semé de blanches fleurs de lys, par derriere et par devant. Leur habillement est si proprement joint à l’Allemande, qu’à grand peine se peut veoir la cousture de tels juppons. Arrivans prez la table, font de grandes reverances, plians les jambes l’une après l’autre fort legerement çà et là. Le Roy s’assied le mier, tenant le plus haut lieu de la table, estant vestu d’un accoustrement broché d’or. A sa dextre estoit assise la Royne, et à son costé gauche Guy, par le commandement du Roy. Balduine, esprise d’Amour et aveuglée par cet enfant aveugle, s’advance ; et, ne se souciant de donner quelque tache à son honneur sans aucun commandement, se sied promptement à costé de Guy, et la pauvrette jette du bois dedans le feu ardent. Après, par un long ordre, tous les Seigneurs et Barons prennent place. Chascun estoit affamé, et desiroit de bien manier les jouës. Le travail et l’exercice de la jouste avait fait digerer tous les precedens repas. Les pages, par une longue suite, apportent les mets sur la table. Des gentils-hommes servans marchent devant la viande, et avec un grand silence mettent les plats sur la table, faisans aussi marcher les laquays, comme est la belle usance d’une famille Royalle, et comme on a accoustumé de faire devant les grands Seigneurs. On n’oit aucune parolle sortir de leur bouche, s’il n’en est besoing, et ne se frict aucun bruit, si ce n’est d’aventure, quand quelqu’un de ces gentils-hommes servans donne un soufflet à un page, ou quelque coup de pied à un chien. Il y a trente escuyers, qui ne cessent de frencher les viandes, desmembrer des oyes, oysons, chappons, pieces de veau : decouppent les saucissons, et mettent par rouelles, les tenans d’une main avec la fourchette. Iceux toutesfois, en decouppant, retiennent pour eux les meilleurs morceaux, et gardent pour eux les croppions des chapons. L’Abruze avoit envoyé à ce festin ses jambons fumez ; Naples, ses goudiveaux ; Milan, ses souppes jaunes, et ses cervelats, qui contraignent les biberons François de vuider souvent les bouteilles. Après avoir mangé le bouilli, les gentils-hommes servans font commandement d’apporter le rosti. Et aussi-tost jambons, faisans, francolins, chevreaux, levraux sont apportez, tout autre espece d’oyseaux, que le faucon et l’esprevier peuvent arrester avec leurs serres, et que le gerfaut a accoustumé d’étriper. On appose pour entremets des amandes, de la saulse verte, du jus de citron et d’orange, de la moustarde. On presente après des tourtes, du blanc manger, composé avec laict de vache, et des plats plains de rissoles toutes couvertes de sucre et de canelle. Après s’estre un chacun bien repeu de ces viandes grasses, et tant que leurs panses estoient pleines jusques au gosier, qui contraignoit de lascher la ceinture ; au seul signal des gentils-hommes servans, promptement fut levé le reste de la mangeaille de dessus la table.

Puis, on apporta une grande quantité de tasses d’or et d’argent, et enrichies de perles : dedans icelles estoient diverses confitures toutes dignes d’un Roy, et la table en estoit si chargée, qu’il sembloit qu’elle en plioit. On apporta morseletz, amandes, pignons, maschepains, et cent autres deguisemens de fruicts conficts ; enfin on presente en des grands vases la boisson fumante ; et de tous les vins, la gloire est donnée à la malvoisie, pour laquelle nos anciens disoient le feu s’amortir par le feu. Il n’y avoit pas faulte de raisins de Somme, qui est l’honneur du Royaume de Naples, et la friandise de Rome, ce sont les montagnes d’Orphée, et là se procrée le vin qu’on surnomme grec, lequel fait descendre les compagnons soubs les treteaux. Les vins Mangiaguerre et Vernacquie y furent entremeslez, et aussi ceux, desquels la Bresse se vante, le vin Triboan, de Modene, ne fut pas mis en dernier rang, ni le muscat de Peruse, qui en la teste des Allemans engendra cent sortes de chimeres. Tant de sortes de vins ne se passerent pas sans celuy de la belle vallée de Cesenne, ny sans les douces urines que Corse pisse : un nombre infini de flaccons et bouteilles estoient. pleines de tels vins excedans en bonté tous les autres. Desjà toute ceste brigade, ayant la fumée du vin montée en teste, commençoit fort begayer, avec propos et parolles mal liées ensemble. Chacun parle, et nul ne se taist, force baveries, bourdes, menteries, mille propos de fusées, sans aucun arrest, ny mesure, comme bien souvent il arrive apres une longue et continuelle beuverie. Par entr’eux y avoit personnes de tous pays : et, pour ceste cause, le vin les poussoit à parler leur langage tous ensemble, en sorte que le ciel n’ouit pas plus de diverses clameurs, lors qu’avec la tour Babel on pensoit surmonter les estoilles. Les Italiens contrefont les François ; les François veulent imiter les Allemans, tant est divine la matiere et la forme qui est dedans le tonneau. Sur ces plaisans devis viennent les chantres, qui estoient Flamens, et excellens en leur art. Iceux, après avoir bien beu du bon piot, se mettent à chanter avec voix tremblantes, lesquelles la gorge facilement envoye dehors, ayans tous une poitrine ferme et robuste. A l’accord de telles voix, et à telle melodie, tous ces causeurs se taisent, et toutes choses estans en repos, ny pied, ny bane, ny rien quelconque entrerompt un si doux plaisir que recevoit l’oreille. Après ces chantres, entrerent en la salle cinq joueurs de flustes, tres-experts, lesquels après avoir joué de leurs flustes, s’esleverent avec un grand retentissement des joueurs de hautboys, et avec leurs tons merveilleux se font cognoistre par toute la ville de Paris. En souflant en leurs instrumens, vous leur verriez les joües grandement enflées, et iceux ne faillir jamais à boucher dextrement les trous avec leurs doigts, les maniant legerement haut et bas, avec une grande asseurance et leur musique se diminue si melodieusement, que, de huict personnes qu’ils estoient, vous eussiez estimé iceux estre cinquante. Ces melodies servoient de fournaise pour enflamber de plus en plus le cœur de Balduine. Guy en ses entrailles n’estoit pas moins eschauffé. La prinse de tant de sortes de viandes, de tant de sortes de vins avallez, qui entretiennent les uns et les autres le regne de Venus et de Cupido ; les chansons musicales, les doux luthz, les harpes, les lyres, et autres instrumens de musique, avoient attaché ces deux jeunes personnes à des lacz malaisez à rompre, les brulloient au dedans, et les avoient despouillez de raison. Amour avoit lasché sur eux tant de flesches, qu’il en avoit vuidé cent carquoys, ensorte qu’il ne leur restoit en leur corps aucune partie entiere, sur laquelle ce bourreau d’Amour eust peu lancer encore aucun dard. Desjà Diane commençoit avec un peu de clarté à se faire paroistre, montée sur son rosaique pallefroy. Les chantres, les hautboys, les dances, le bal, à dieu s’en vont, ne retournans jamais les heures vers nous. C’est assez joué, c’est assez caquetté. On donne aux bouffons les livrées. La salle se vuide, et s’en va-on dormir : chacun reprend son logis, et son hostelerie, et expose en proye son corps à l’obscur sommeil. Le seul Guy, esmeu comme la vache picquée d’un taon, allant çà et là, ne peut tenir aucun droict chemin. Hà, comme l’Amour contrainct les sages de se matter eux-mesmes ! Qui est celuy, qui pourroit prendre un tel oyseau, contre lequel nul filet, ny aucun tresbuchet a puissance ? Cæsar, qui subjugua le monde, estoit si vertueux ; une femme vilaine le rangea soubs le joug de l’Amour, Alcide, qui dessus ses fortes espaules relevoit, en façon de pilastre, le plancher du ciel prest à tomber, se vestit d’une chemise de femme, ayant quitté pour icelle sa peau de lyon ; et, mettant bas sa massuë, print entre ses mains le fuseau. Une vile putain a rasé le poil au fort Sanson, lequel souloit à belles mains escarteler les machoires d’un sanglier, d’un tygre, et d’un lyon. Voicy aussi Guy, lequel, rejettant son honneur et celuy du Roy, et prestant l’oreille aux blandices d’une tendre sienne fille, la ravit, et le pont du chasteau abbaissé, s’eschappe, emportant comme un facquin sur son eschine une pesante charge, laquelle il ne voulut jamais oster de dessus ses espaules, jusques à ce qu’ils eussent, eux deux, passé les limites du Royaume de France. Mais nostre Comine a desjà soif, et demande le verre, et ce premier livre a vuidé mon cornet d’ancre.





LIVRE SECOND.


Phebus avoit jà lasché hors de l’escuirie de l’Ocean ses chevaux, et, tenant en main les resnes, les faisoit monter vers le Ciel : les habitans de la ville commencent lors à se lever, n’estans encore bien delivrez du vin du soir. La plus part à leur lever baaillent, estant leur estomach chargé de la crapule. Toutefois peu à peu chacun selon la coustume se range à son affaire. La cloche appelle les Escholiers à l’étude : le Courtisan, monté sur sa hacquenée, va au Palais du Roy : l’Advocat court à l’Auditoire : le Medecin, trottant par la ville, va contempler les urines[12] : le Notaire prend la plume pour escrire choses Maccaronesques : les Boulangiers se rangent à leur four : les Mareschaux à leurs forges : le Barbier commence à esguiser ses rasoirs. Mais le Roy avec sa Court s’achemine vers l’Eglise, et fait ses prieres envers les saincts et sainctes pour soy, et pour les siens, pendant qu’en peu d’heure la Messe se dit. Icelle achevée, et s’en retournant au Palais, on luy vint dire et annoncer cette triste nouvelle, et de laquelle il n’avoit eu aucun soupçon premierement, et par dessus laquelle il n’eut scen recevoir un plus grand ennuy, en l’asseurant que Guy avoit emmené sa douce fille. Sur quoy sa face soudain se tourna en semblance de marbre blanc, et demeura en place. comme une souche, si grande fut la force de son estonnement. Quand toutefois il eut reprins son entendement. il jugea bien que tel acte estoit lasche et vilain, commis sans aucune occasion par un sien vassal plein d’ingratitude. Et, pensant à une si enorme faute, l’ire et la cholere s’amassent en luy, et la douleur qui luy pressoit le cœur ne faut à lui donner la volonté de se venger. Incontinent done il fait mettre aux champs huict bandes d’hommes armez, pour par diverses voyes s’aller mettre aux passages, et aux frontieres, et visiter les ports. Puis, par toutes les Villes, Chasteaux, Bourgs, Bourgades, et par toute la France, faict publier des Edits rigoureux, dont un chacun s’estone, et mesmes les amis de Guy, ausquels n’eust pas fallu beaucoup d’estoupes pour leur boucher le cul. Mais enfin tout le soing, tout le travail, et toute la diligence qu’on y peut apporter, fut pour neant, et les uns et les autres s’en reviennent rapportans la cornemuse au sac, comme dit le proverbe ; car Guy ne se peut retrouver. Il ne faut point dire comme le Roy mordoit sa chaine, et rongeoit ses ongles avec les dents. Il envoye en Italie (soubs pretexte d’autre chose) des espions, par l’Allemagne, par la Poulongne, par le pays d’Hongrie, et par l’Espagne. Il commande aussi d’aller en Angleterre. Mais tous enfin reviennent vers le Roy, sans avoir fait aucune rencontre de ce qu’ils cherchoient. Sa Majesté, tombant en un desespoir, se vouloit tuer, ou se couper la gorge, ou s’estrangler avec un lacz. La Fortune guidoit ces malheureux amans, et voulut bien les porter couverts de son vestement. Iceux avoyent jà oultrepassé les Alpes, sans estre retenus par aucune lassitude. Y a-il aucun travail, qui puisse lasser Amour ? Enfin ils entrent en l’heureux pays d’Italie, estant fort mal vestus en façon de vestemens de gueux, de peur qu’un espion descouvrit ces pauvres gens pour gagner le salaire promis à celuy qui les descouvriroit, qui estoit de sept mille escus. Balduine, qui n’agueres estoit portée en litiere dorée entre des Comtesses, Marquises, et Duchesses, maintenant miserable, chemine de ses pieds delicats sur les pierres et cailloux, ayant desjà sous la tendre plante de ses pieds des empoules. En cet habit ils descendent en la plaine de Lombardie : passent Milan, Parme, et la petite contrée le Resane, et entrent dans la courtoise ville de Mantoüe : Mantoüe, dis-je, qui autrefois a esté bastie par les Diables Mantois. Icelle pour lors estoit languissante sous l’inique tyran Gaïoffe, extraict et conchié d’une lasche famille. L’entrée de cette ville est la porte qu’on surnomme de Lyonne. En icelle se tenoit lors Sordelle, Prince le Goit, et Baron de Volte, et qui possedoit tout le territoire de Caprian. Cestuy-cy avoit autrefois gagné en duel et en plusieurs tournois mille prix, tant par les Gaules, par les Allemagnes, par les Espagnes, que par tous les Royaumes des tyrans, depuis le Rhin jusques à l’Empire. du Sophi. Mais iceluy, pour lors estant parvenu en un aage fort caduc pour le grand nombre d’années qu’il avoit, et estant chastré, ne faisoit plus que donner conseil aux autres. Guy, entrant avec sa pauvre femme, apperçoit Sordelle estant encor fort membru, et se tenant lors debout devant la porte de son beau et haut Palais, auquel autresfois les descendans de l’ancien Grignan avoient fait leur demeure. Incontinent Guy recogneut son compagnon d’armes ayans esté ensemble en plusieurs batailles contre les Tures et les Mores : mais toutefois, ne voulant se faire cognoistre à luy, se destourne, et, baissant le visage, prend soudain la rue, qui tire à la porte de S. George, et par icelle sort de la ville. N’ayans faict gueres plus d’un mille, ils se trouvent d’aventure près d’une grande ville, presque en grandeur pareille au Cathay, et, pour le trafic des deniers et marchandises, ressemblant à Milan ; laquelle on appelle Cipade, pour estre située au delà du Pade, autrement dit Po. Icelle, à l’occasion de ses grands Paladins, fait retentir sa renommée jusques au ciel, traverse tout le monde, et descend jusques au Royaume des Diables. Mais, combien que d’icelle fussent sortis mille vaillans personnages, soit pour gaigner le prix des tournois, soit pour combattre à cheval, ou à pied, Cipade neanmoins a tousjours esté douée de meschans. Veronne donne grande quantité de laine de ses brebis et moutons ; Bresse tire force fer de ses montagnes ; Bergame engendre des hommes avec la gorge grosse et pendante ; Pavie assouvist Milan de porreaux et de choux ; Plaisance fournit tous les pays de ses formages ; Parme produit des grosses citrouilles et gros melons ; Resan nourrit de bons courtaux ; Mantoue nourrit des bonnetiers, des car pes limoneuses. Si tu veux manger des poids et faseols, va à Cremone ; va à Cresme, si tu veux employer la fausse monnoye ; Boulongne engraisse les bœufs ; Ferrare grossit les jambes ; il n’y a Modenois, à qui la teste ne soit fantasque ; autant qu’il y a de mouches en la Poüille, autant Venise a de barques et gondoles ; le Piedmont brusle tous les ans mille sorcieres ; le Padouan engendre des paysans pires que les diables ; la belliqueuse Vincenze nous donne des chats allegres et dispos à sauter et grimper ; le Chiogeos est plus apte au gibet qu’au navire ; Ravenne a en soy des maisons vieilles, et anciennes murailles ; et Cervie sale par le monde un nombre infini de pores : et toy, Cesonne, tu ne fais pas peu de proffit avec ton soulphre ; nulle peinture se peut esgaler aux escuelles de Fayence ; la vallée de Commachie fournit de très-bonnes salades confites ; entre les Ceretans Florence porte ses vanteries ; Rome ne cherche que les morceaux frians, et qui facent lecher les plats ; autant qu’on voit de Barons par le Royaume de Naples safraniers, autant la larronnesse Calabre luy fournit de larrons ; autant d’enfans que Gennes procrée, autant de testes aiguës façonne la sage-femme ; Sienne a tousjours eslevé de belles filles Milan n’est jamais sans bruit en toutes les rues pour le martelage des artisans, pendant qu’ils forgent des boucles pour des sangles, et qu’ils percent des esguilles ; ceux qui mettent des clous aux souliers, et rabillent des savattes ; ceux qui couvrent les maisons de chaume ou ramonnent les cheminées sont Commaschiens ou Novarois : mais la très-renommée Cipade, de laquelle à présent j’escris, a tousjours eu en abondance de la riche marchandise de meschante canaille. En ce lieu donc Fortune guida les pauvres amans, et ne voulut les conduire vers de semblables larrons ; mais la premiere rencontre qu’ils feirent, pour se loger en entrant, fut la maison de Berthe, comme on dit surnommé Panade. Ce Berthe estoit un paysant et venu d’un cuisinier, et estoit tant courtois, tant guay, et gaillard, qu’il n’y avoit aucun qui fut si gay, si courtois, et gaillard que luy ; et combien qu’il fut citoyen de ville, il n’avoit eu femme, et n’en voit, et ne se soucioit pour lors d’en avoir, de peur que chassant les mouches de sa teste il ne rencontrast des cornes, et qu’il luy fallut porter et endurer un taon soubs sa queuë, qui, le tourmentant par trop, lui feit rompre le col. Toutes ses delices, et tous ses joyaux n’estoient que son jardin, et neuf brebis, avec sept chevres, une vache, un asne, un porc, une chatte, et une poule ; de là dépendoit toute la substance de son labeur, avec laquelle il cherissoit tous les bons compagnons et les passagiers, d’une face tousjours riante. Guy voyant le soleil s’aller coucher soubs les eaux, et loger ses chariots avec les grenouilles, une honte de demander à loger gratis luy rougist soudain le visage. Mais cet ennay luy apporta moins de douleur, d’autant qu’Apollo s’esvanouissant luy couvroit ceste honte par l’obscurité suivante. S’encourageant ainsi soubs la brune, il entre hardiment en la court, qui estoit fermée tout autour de murailles faites de terre et gazons meslez avec de la paille. Le mastin du logis commence à abbayer, et avec son baubau appelle son maistre, lequel avoit desjà fermé l’huis de sa petite chaulmine, Iceluy sort dehors à l’abboy de son chien, tenant en sa main droite une cuillere, et de la lumiere en la gauche ; car lors il escumoit le potage, qu’il preparoit pour son souper. « Ne voulez-vous pas, dit-il, ce soir loger avec moy ? Entrez, je vous prie, ce que j’ay est commun à un chacun. » En disant ces mots, il les emmene au-dedans de son logis, et referme la porte, et approche du feu deux sieges faits en forme de trepié, sur lesquels il fait asseoir Guy et sa femme, les voyant fort las. Pour lors il parle peu à eux ; car le temps n’estoit pas de parler beaucoup, et quand il voioit son hoste avoir faim au baailler, il avoit accoustumé entre autres propos de luy dire : Mangez quand vous avez faim, ou dormez quand vous baaillez : après que aurez remply votre panse, ce sera à vous à causer, et quand vos yeux seront saouls de dormir, estendez la peau ; ce sont les preceptes que les asnes ont meslé parmi leurs statuts. Ainsi Berthe, comme s’il eut esté muet, sans tenir autres propos à ses hostes, donne ordre à leur preparer à soupper, et faire tant qu’il en ait au moins pour trois. Il y avoit pendu à un clou un panier à son bas plancher contre un soliveau. D’iceluy il prend six œufs, desquels il y en avoit trois, qui estoient frais. Il en met trois sur la cendre près le feu, pour, après avoir iceux sué, les tirer encore mollets, afin de les humer. Il casse les trois autres pour en faire une omelette : ce fait, il sort, et ouvre une despense secrette, en laquelle la chatte avoit accoustumé de se cacher, et se tenir là à l’aguet, pour lecher et fripper quelque escuelle ; de là il prend une poignée de petits poissons, qui sont fort communs en la riviere de Mince, laquelle environne la ville de Mantouë. Toutefois les grandes annales de Cipade contiennent que Berthe n’avoit pas pour lors des ables et verons, mais que c’estoient des gardons : avec iceux il mesle des grenouilles qu’il avoit peschées avec un apast. Balduine considerant que Berthe ne pourroit accoustrer ensemble tant de viande, si elle ne luy aidoit, estant de son naturel fort courtoise, elle se leve de devant le feu, et non desdaigneuse de mettre la main à la paste, toute gentille, prend ces petits poissons, œilladant joyeusement son Guy, comme si elle parloit à lay par un seul signe, et lui disoit tels propos : « Et moi, qui suis fille de Roy, que manie-je maintenant ? » Elle se desgante, et rebrasse ses blancs et delicats bras ; elle prend le cousteau, et escaille ces poissons, les vuide, et jette la panse ; puis, escorche les grenouilles, comme si elle deschaussoit des brayes. Guy, la voyant ainsi embesongnée, ne se peut tenir de rire, considerant une femme si illustre avoir si bon cœur, et se monstrer si joyeuse contre la Fortune. Iceluy aussi, se levant de son siege, fait pareille demonstration d’estre guay et gaillard : et quittant tous les ennuis de si grands marrissons, qu’il pouvoit avoir, Il s’employe comme Balduine à donner ordre au soupper.

Il amasse de la paille, qui çà et là dedans et dehors la maison estoit espandue, et rastelle quelques petits bouts le bois et esclats, qui estoient soubs le cul du four, et les met au feu faisant une grande flambe : de peur toutefois qu’un si grand feu ne se consomme trop tost, il met dessus une poisle, et fait bouillir de l’huille pour fricasser le poisson. Balduine ceillade avec une veüe basse son homme, et, estant delivrée de melancholie, se prend à souzrire de tout ce qu’elle luy voyoit faire, ne pouvant quasi retenir sa rate. Car, contemplant cet homme, elle remarque combien il est mal propre à remuer telle poisle de cuisine, lequel, malgré qu’il en eust, la fumée, la saleté de la cheminée, le feu petillant ; contraignoient de pleurer ses pechez. Tantost il touche de sa main à son front, tantost à ses cuisses, et autrefois il frotte ses yeux : car, pour l’ardeur du feu, le front luy suoit à bon escient ; il cache ses jambes l’une sur l’autre, y sentant le feu trop aspre ; et la fumée lui bouchoit les yeux ; il mouche aussi son nez, et est contraint maudire le bois verd, qui causoit telle fumée. Balduine, riant davantage, voyant telle patience en son homme, y prenoit grand plaisir. Guy, la voyant ainsi rire, luy dit ces mots : Le sage Socrates disoit qu’il y avoit trois choses qui chassoient l’homme et le contraignoient sortir hors la maison : à sçavoir, le feu, la fumée et la femme maligne. Balduine soudain luy respond : « Ho, tu ne te soucies toutefois d’oster ceste controverse ? » Pendant telles joyeuses risées, ils se brocardent l’un l’autre sans se mordre : Berthe se resjoüit aussi, et approche du feu un petit banc à quatre pieds ; il estend sur iceluy une touaille ou nappe faite de chanvre et d’estouppe, laquelle, selon le parler de Cipade en matiere de toile, on appelle trilise ; sur icelle pour une saliere il met une boëtte, en laquelle y avoit eu autrefois de l’onguent pour la rongne, et pour chandelier, il accommode une rave creusée par un bout, dedans laquelle il met une demie chandelle, qui en bruslant perdoit une partie de son suif, se fondant et coulant le long d’icelle. Il avoit aussi preparé une salade composée de plusieurs sortes d’herbes, y jettant un peu de sel dessus et du vinaigre, et quelques gouttes d’huille tirées du crezieu, lequel il reservoit pour seulement rendre ses salades plus honorables pour ceux qui le venoient voir. Le lict n’estoit pas loing de la table, et contre iceluy estoit un poinsson de bon vin, qui ne sentoit aucunement le moisi. Il tire d’iceluy, et en emplit une grosse bouteille, et la met sur la nappe et, de peur qu’icelle devint tachée de la rougeur du vin, il nettoye le cul de la bouteille, et met dessoubs un tranchoir de bois. Puis il apporte du pain, des noix, et un fromage frais, et met le tout sur la table. Enfin, icelle se trouve garnie, et la barque est preste à sortir du port. Il ne faut plus que mettre la main aux rames, prendre des cuillieres. Cela dit, il fait un saut vers la cruche, avec laquelle un chacun lave ses mains, et les essuyent avec le panneau d’un vieil rets et filet ; et chassant et envoyant à tous les diables leurs ennuys et soucis que ces amans pouvoient avoir, ils s’assient eux trois à table, se gaudissant, et raillant ensemble, et mangent promptement la salade ; puis un chacun boit dedans un escuelle, la vuidant entierement : car qu’y a-t-il plus plaisant, qu’après voir depesché une salade, exposer à la veuë des estoiles le cul du verre ? Cela expedié, dès la premiere rencontre, ces vaillans hommes ruinent le reste en long et à travers : soudain à trois coups les ceufs sont humez. On ne sçait que deviennent les huit rosties qui estoient en une escuelle ; ils mettent en pieces cruellement les dards ou gardons, et n’en veulent laisser un seul au plat, qui puisse en renouveller la trace. Mais, avans desjà le ventre mieux farci, pour venir à l’omelette, ils laschent la boucle, et commencent à redoubler leurs propos. Berthe enfin, avec une douce et amoureuse parolle, commence et dit ces mots : « Tout ce que vostre Berthe a de bien en ce monde, il l’employe tousjours à la volonté des bons compagnons. J’incague les Roys, les Empereurs, les Papes, et Cardinaux, moyennant que je puisse manger en paix mes petits appetits, et ciboules, et qu’il me soit permis de donner à desjeuner du revenu de mes chevres à mes compagnons. Je ne sçay qui vous estes, ny où vous allez, ny d’où vous estes arrivez en ce gras et ample territoire de Cipade. Je ne veux point m’enquerir, ny sçavoir les affaires d’autruy : Neantmoins vos habits, vostre face, et votre langage, et ces parolles, ony, tant bien, ma foy, et autres semblables me demonstrent que vous estes estrangers. Mais, si n’avez aucun bien, aucune maison, aucun fond, et si ne sçavez aucun mestier, et n’avez aucune bouticque, et que Fortune vous aye rendu si denuez de tous biens, tout ce que j’ay est à vous : vivez icy avec moi ; ma vache, mon asne seront à nous trois. Qui voudra manger, si mange : qui voudra tirer du laict, si en tire. J’ay cinq journaux de bonne terre, desquels tous les ans je recueille quantité de divers fruicts, des naveaux, des raves, des choux, des concombres, des citrouilles, des porreaux, des febves nouvelles, des oignons, des aulx, des ciboules, et, par sur tout, grande quantité de melons, dont je reçoy grand proflit, aussi bien que de ma vache et de mon asne. Tout cela est au commandement de vostre Berthe, mais partionnez au mal parler de ma langue, je voulois dire au commandement des bons compagnons, comme c’est raison. Entre les gens de ce monde, il y a six mille sortes de volonté : l’un a peu de bien, et encore ce qu’il en peut avoir, il l’abandonne à un chacun. Un autre est avaricieux, ayant autant de revenu que Cosme de Medicis, ayant aussi grand nombre d’escus que Augustin Ghisi. Il ne despend rien, il ne donne rien, il espargne tout ; mais, estant miserable et malotru, il rapine, et vole ce qui appartient à autruy.

« Si j’eusse esté Roy, si Prince, si Duc, si Pape, quel contentement d’esprit, quelle paix, et quel repos la Fortune m’eust-elle pu donner plus grand que celuy que j’ay à present ? Que pauvre homme est celuy, qui estime le Turc, le Sophi, le Prete-Jan, le Soldan, Barberousse, le Pape, le Roy, les Ducs, et telles riches personnes, estre plus alegres, plus joyeux que moy, ny que les miens, ny que vous autres, et tels mandians ! Je mange en plus grande patience une gousse d’ail, que les Papes, ou autres grands Seigneurs n’avallent leur coulis, et pressis de perdrix, ou de chappons. Vous repaissez votre ventre affamé en plus grand repos d’esprit d’un pain mendié, et beuvez d’un meilleur goust, par les huys, mille restats de vin, que ne font aucuns, lesquels en esté, soubs leurs bonnets de velours, et soubs leurs rouges chapeaux, boivent leurs bons vins rafreschis en temps d’esté avec de la glace. La Caguesangue les puisse emporter[13], le cancre les tuer, la foire les puisse tourmenter de peur, et, doutans mourir pour avoir avalé de la poudre de diamant, n’ayent le loisir et espace d’entrer dedans le ventre. d’une mule fenduë ! Croyez que, si vous ne m’accordez ce contentement que je jouysse de vous, comme de mon frere, et de vous, comme de ma sœur, je ne seray aucunement content, et confesserez, qu’il n’y a aussi contentement plus doux que cestuy-cy. » Guy fut long-temps. estonné de voir une telle et si grande courtoisie en cet homme ; et à grande peine pouvoit-il croire ce qu’il oyoit, et ne se peut persuader qu’iceluy fut descendu d’un paysan ; mais pense à ce qu’il doit faire, et gratte les resveries et pensées de son suc ; car, si la honte a souffert tant de belles offres, où pense-t-il mieux pouvoir conduire son charriage ? car Balduine estoit par luy menée, comme une charrette, non seulement pour estre lassée d’un long voyage, mais pour estre devenue un gros et lourd bagage, estant desjà icelle grosse d’enfant. S’il les accepte malgré luy, quelle plus grande lascheté ? Quelle tache plus noire, et qui par aucun savon ne se peut effacer, que l’on voye le premier Baron de France, chef de tous honneurs, et la gloire de tant de beaux-faicts, qui est le plus grand Paladin du monde, prenne maintenant une trenche au lieu d’une espée, un soc pour une masse ? Pendant donc qu’il remue en son cerveau tels discours, et qu’il ramasse, de-çà, de-là, plusieurs, et diverses fantasies ; enfin ce qu’il jugea meilleur pour luy, et plus honeste, fut par luy resolu, et arresté en son entendement. Sa volonté done fut d’aller seul chercher quelques pays à conquerir, ou par guerre, ou par force, ou bien par quelques doux et paisibles moyens, et les gouverner en telle sorte qu’il y peut establir seurement un Royaume pour soy, et qu’alors il feroit à bon droit Balduine Marquise ou Duchesse, estant jà née de sang Royal. Ayant aussi resvé après telles deliberations une demie heure, il commença à parler ainsi : « Je suis, à la verité, tout honteux, ô Berthe, et n’ay point l’esprit tel que je puisse trouver aucuns propos propres pour vous declarer au moins la volonté bonne, que j’ay de vous paver tant et si belle marchandise que vous m’offrez. Regardez-nous, je vous prie, comme nous sommes mal chaussez, combien deschirez, quels vous nous voyez à present, tels nous peignez ; et ne veuillez penser, que nous ayons autre terroir, que celuy que nous trainons après nous attaché à nos souliers : et, toy, toutefois, qui surpasses autant que Nature a créé d’hommes benings et courtois, et qui as apporté du ventre de ta mere autant de gentillesse que d’amitié envers les pauvres, tu chasses la faim d’avec nous, nous saoullant de ton pain et de ton vin, et nous donnes tout ce que tu as, à nous, dis-je, pauvres et miserables tout ensemble, qui n’avons pas un liard ni denier, prests à nous voir mangez des poulx, et encore nous consoles par tes douces parolles, si nous voulons demeurer maistres et de ta personne et de ton bien. Que les Dieux, si aucun esgard ils ont envers ceux qui donnent telles commoditez aux pauvres mendians, te veuillent recompenser pour nous autres pauvretz ! Pendant que le Pole menera autour du ciel les huict spheres, et que Titan illuminera le monde empreignant les estoilles, et sa sœur, pendant que la Mer engoulera tant d’ondes, et que par ses vagues elle touchera an chariot de la Lune, la renommée de Berthe Panade sera notoire à tout le monde. Partant, maintenant je te jure, par tous les morceaux de pain, que les mendians ont mendié, ausquels nous devons tous nos biens et Royaumes ; que ainsi nous puissions oublier quelquefois Berthe Panade, comme le Soleil oublie de nous presenter tous les matins ses chevaux journaliers. Ces parolles courtoises et autres tels propos achevez, il se couche avec sa femme en un lict de plume, et Berthe se va coucher au grenier au foin, ne faillant aussi-tost de ronfler la bouche ouverte. Le jour jà approchoit, et la lueur du matin, ensemble le coq desjuché chantoit par la place son quo quo quo, et la poulle luy respondoit par son que que que, lors Guy se leve, s’habille, et puis embrasse sa femme, jettant abondance de larmes, et avec belles prieres la recommande à Berthe, jusques à ce qu’il fut de retour par la grace de Dieu. Il veult, disoit-il, aller visiter le S. Sepulchre, suivant un certain veu qu’il avoit fait : et, ayant prins son mantean, son bourdon, et son chapeau, desloge. Ayant à grande peine ouvert l’huys de la maison, Balduine tombe à l’envers esvanouye, et devenue tout en glace, pour l’extremité de sa douleur, semble comme morte, et vouloir jetter son ame dehors : Berthe soudain lui deslasse le sein, mouille son visage avec de l’eau, et la remet en vie, et peu à peu appaise son marrisson avec douces et gratieuses remonstrances, et ne cesse de luy proferer aux oreilles mille parolles, aussi douces que sucre. Balduine, estendue sur le lict, le remercie gratieusement, et le prie, et supplie ne luy vouloir desnier une seule grace, s’il desire la conservation de son honneur, à sçavoir qu’il veuille l’espouser, et qu’il ne desdaigne de recevoir d’elle un anneau. « Ce sera le repos, dit-elle, de tous deux, et un doux soulagement ; m’espousant propre à enfanter des enfans, vous cognoistrez, que je ne soüillerai point vostre honneur. » Les propos de ceste chaste Damoiselle ne despleurent à Berthe, et s’y accorda, et pronicit faire tout ce qu’elle voudroit. Mais, voulant embarcquer une telle marchandise, il pensoit en soy mesme qu’il avoit besoing d’y employer premierement huict jours au moins, et que c’estoit une matiere, laquelle meritoit estre balancée et marquée au poids, et à laquelle il falloit s’acheminer par posades, et avec pieds de plomb. Une chatte soudaine produit souvent des chatons maigres et moribonds ; qu’icelle, disoit-il, se repose cependant cachée en la chambre ; car, dit-il, il ne veut estre du nombre de ces cornus, qui cherchent à engloutir de grands biens, la gueule bée ; plustost que de cognoistre les meurs de celle, qu’on leur veut donner pour espouse, et lesquels ne se soucient aucunement, et ne font aucun estat s’ils se lient par un neud marital à quelque diablesse, qui, par ses bruits et clameurs, renverse sens dessus dessoubs toute la famille ; ou si, comme un autre Acteon, ils portent en teste un bonnet cornu. Là-dessus il sort de la chambre, et va à l’estable, et deslie ses chevres, son pourceau, son asne, sa vache, et ses brebis, et les meine tous ensen ble aux champs pasturer. Balduine demeure seule à la maison, et ne peut appaiser ses larmes, son mary estant party, et soustenant avec sa main sa teste toute pensive ; voici arriver, que soudainement ses boyaux commencent à se broüiller en son ventre avec une grande douleur : car un accouchement la presse, et est contrainte de jetter hors de haults cris ; et Balde, non encore nay, luy tire, et jette de grands espoinçonnemens, et eslancemens. Elle tremble fort, malgré qu’elle en aye ; tantost la pauvrette se jette d’un costé, tantost de l’autre, chose qui estoit pitoyable à veoir. Elle n’a point de sage-femme qui la puisse secourir, comme est la coustume. Elle appelle pour neant ses servantes, ausquelles elle souloit auparavant commander, ainsi que peut une fille de Roi : mais elle les appelle en vain, et le chat veut bien respondre gnao, mais non pas donner secours. Elle n’est point enfin tourmentée sans raison, pendant que d’icelle veut naistre toute la force et puissance des Barons. Tout ce qui doibt estre illustre, ou par lettres et sciences, ou par Mars et par la guerre, ne sort pas aisement du ventre de la mere : et, outre la coustume, vient au monde avec penible tourment. Enfin naist de Balduine la force de toute proüesse, la fleur de toute gentillesse, Balde, la foudre des batailles, la droicture de l’espée, la vigueur du bouclier parmi les armes, parmi les batailles briseur de lances, le hrandon, et boutefeu cruel contre ses ennemis, et une vraye bombarde poussée à travers plusieurs escadrons. La dureté d’aucun rocher, ny l’acier, ny aucun grand rempart, ny aucun fossé d’une grosse et forte muraille ne se pourront tenir fermes et asseurez contre le marteau pesant de sa valeur. Ce Balde naist ainsi sans secours d’aucune sage-femme, et, au contraire des petits enfans, ne feit aucun cri. Balduine, jaçoit qu’elle eust tous les membres lasches, comme sont les cercles d’un vieil tonneau, se leve, et, se soustenant d’un baston, marche lentement, et fait chauffer de l’eau : puis lave son enfant, et l’enveloppe de panneaux : se remet au lict, repose, donne la tette à son fils, le baise souvent, et ne peut saouller son envie, luy leche. les yeux, le front, et la bouche. Cet enfant ne pleure aucunement, mais guigne sa mere d’un regard joyeux : et pendant qu’il s’efforce de parler, la langue encore debile ne peut satisfaire à la volonté, mais seulement barbotte ces mots, tatta, mamam, et pappa, combien que desjà il eust grande cognoissance des choses, avant un si petit enfançon une estoille à sa naissance fort benigne. Cependant on oit le gaillard Berthe approcher de sa maison, guidant ses chevres, et son trouppeau avec un flageolet, ou avec quelques belles chansons, le ramenant d’abreuver du fleuve de Mince, et le range à l’estable : puis, entre en la chambre, et avec une face joyeuse salue ainsi Balduine Qu’y a-t-il ? bon jour : est-il pas heure de boire ? Mais, ce disant, il advise que sa famille est accrue. « O, dit-il, nos affaires commencent à se bien porter à ce que je voy : tu as esté sage-femme à toy-mesme, tu t’es servie de chambriere : cet enfant est-il masle ? Tu ris : est-ce une fille ? » Icelle tenant la veuë basse, et estant un peu rougie : C’est un fils, dit-elle, lequel je vous prie recognoistre pour vostre nepveu. » Berthe luy dit alors : Je suis donc ton frere, et oncle de ton fils ; mais je suis à present la sage-femme et nourrice de l’enfant. Cependant il lave ses mains ordes de fumier, et s’en retourne au tect, où, prenant la chevre par les cornes, et la tirant en arriere, et luy faisant eslargir les cuisses, luy prend le pys, et en tire une pleine coupe de laict, en laquelle il jette un morceau de pain ; et pendant qu’iceluy trempe dedans ce laict, il fait cuire des œufs prins au nid encore. tout chaud. Avec cela il se refait avec l’accouchée, remplit les veines, qui estoient vuides de sang, et redonne la force aux os. Mais c’est assez pour ceste heure, reserrez votre cornemuse, estuyez la sourdine, ô Muses, remplissez le flaccon : si la teste est seche, donnez à boire à la teste seche.


LIVRE TROISIEME.


Balde, nonobstant les langes et les couches, avoit tiré ses bras dehors, et avoit deslié toutes ses bandes : appeloit sa mere Mamam, et Berthe Tatta : et commence à se tenir en place : et, s’essayant de marcher, n’attend aucun soutien, ny secours de sa mere, et ne se veut ayder de ces petits roulleaux qu’on baille aux enfans de son aage. Luy mestne s’achemine où il luy plaist, allant çà et là. Mais, n’ayant encor les jambes bien fortes ny les pieds bien asseurez, pendant qu’il s’efforce de courir et de vouloir voler comme l’Oyseau, tout halebrené, tombe souvent en terre, et gaigne de bonnes beignes au front, et fait souvent emplastrer ses yeux pochez au beurre noir. Toutefois, pour cela, on ne luy en void pas sortir une larme des yeux : combien qu’il voye son sang sur la place, et soudain se leve, et, se tenant droit, va encor trotter çà et là. Sans qu’aucun luy enseignast, il se fit un cheval d’une canne creuse, et un autre d’un baston de saule et d’un roseau. Ce petit diablotin court deçà delà, ne peut s’arrester en un lieu. Il n’aime se tenir sur la robbe ny reposer sur les genoux de sa mere. Il prend un esclat de bois qu’il attache à son costé en forme d’une espée, et d’une longue canne il fait une lance ; et autant qu’il en peut sçavoir avec son espée il donne coups en l’air à droicte, à gauche, estocades, estramassons, avec tous les coups d’escrimerie. Il court après les mouches, lesquelles il feint estre ses ennemis. Contre les murailles il poursuit les petites lesardes, et prend un grand plaisir, les voyans escourtées de queue, et neantmoins vivre encor et courir. Il commence injurier pere et mere, suivant la nourriture du vulgaire. Estant parvenu à six ans, qui consideroit sa force, ses ossemens, ses membres gros et bien fournis, pouvoit juger qu’il en avoit douze. Mars luy avoit donné les espaules larges, et les reins de mesme, pour soustenir la jouste, et les jambes propres pour sauter, et en somme toute telle dexterité, qui pourroit estre requise en un homme, soit à cheval ou à pied. Tantost il pique des talons son cheval de bois, court tant qu’il peut, l’arreste soudain, il rompt sa lance contre la muraille, ou la fiche dans le ventre d’un chaumier. Tantost il ferre le baston qui lui servoit de coursier, et contrefaict la Pie, le Chat, et le Chien. Que diray-je de la peau de son corps, qui estoit comme une escorce contre les injures du temps ? Les pluyes, la tempeste, la violence, et bourrasque des vents, les neiges froides, les chaleurs brulantes, ne l’eussent sceu retenir une demie heure à couvert. Comme il se couche, il s’endort, et ne dort gueres ; et le plus souvent son dormir est le jour sous le porche de la maisou, on la nuit soubs le plancher des estoilles, et rarement se couche avec sa mere. Pendant qu’elle dort quelques fois, il luy tire et desrobbe sa quenouille, et met le feu à sa pouppée, ne pensant pas que cette besongne soit pour luy, car sa mere lui filoit des chemises. La plume ne luy est pas plus agreable pour se coucher que la terre. Il endurcit ses costez sur la pierre, et change en nerfs forts et robustes sa chair delicate, se couchant ainsi sur la dure. Berthe craint (mais ceste crainte est meslée de joye) que trente boutiques de chausses, ny une milliasse de souliers, puissent fournir à cet enfant ; tant il trottoit de tous costez sans cesse. L’Hyver, le Printemps, l’Esté, et l’Automne ne luy estoient non plus qu’à une pierre ou à un arbre. Quand il avoit faim, il avaloit tout ce qu’il trouvoit devant luy, cuict, ou non cuict, ou-chair, ou oignons, du gland, des fraises, des noix, des chastaignes, des nefles, des meures, des pommes, des cornies, des prunelles, et des grateculs. Il devore tout, et son estomach comme celuy d’une Austruche consommeroit l’acier. Tout ce qu’il beuvoit estoit ou l’eau d’un baing, ou de quelque fosse, ou du vin doux, ou rude, selon qu’il le rencontroit. Berthe avoit cependant espousé une femme nommée Dine, de laquelle, l’ayant promptement engrossée, il avoit un fils nommé Zambelle. Mais, l’an d’après son accouchement, à grand peine estoit-il accomply, qu’icelle mourut de maladie. Ce qui apporta à Balduine un grand ennui. Ainsi Berthe demoura sans espouse, lequel Balde reconnoissoit tousjours pour son pere, et Zambelle pour son frere. Berthe les envoioit tous deux ordinairement aux champs avec sa vache et ses chevres : mais le sang, dont estoit sorti Balde, ne pouvoit porter tels empeschemens. La conduite des chevres, ny la hantise du village, ne luy plaisent point, et, au lieu de s’employer à tel exercice, dès le matin il s’en alloit en la ville de Bianorée, laquelle luy plaisoit tant, qu’il n’en pouvoit sortir. Bien souvent ne revenoit à la maison que sur le soir, rapportant quelquesfois ses habillemens deschirez, et des coups à la teste. Ce petit maling, ainsi qu’est la coustume des enfans, maintenant à coups de pierre, maintenant à coups de poing, se combattoit avec ses pareils, voire contre plus grands que soy, taschoit d’en emporter l’honneur, et desiroit et s’efforçoit de se monstrer devant un chacun estre le premier avant tous compagnons. Et ne faut pas que vous pensiez qu’il fut le dernier à aller au combat ; mais avec sa voix puerile s’escrioit comme brave et hardi par dessus tous les autres, les provoquant. Il avoit la dexterité de se guarantir de plus de cent coups de pierre, et ne failloit gueres d’en donner autant sur la teste de ses ennemis. Balduine cependant avoit acheté un petit livret pour luy apprendre son A, B, C ; mais avec iceluy Balde n’alloit jamais à l’eschole que malgré soy, et ne falloit pas penser que la mere, ou autre maistre d’eschole peust forcer un tel enfant. Ce neantmoins, en trois ans on le veid tant avancé aux lettres, qu’il retenoit par cœur tous les livres qu’il lisoit, et recita en un jour tout l’Æneide de Virgile devant son maistre par cœur, tant les guerres descrites par cet autheur luy plaisoient. Mais, après qu’il eut mis le nez dedans les gestes de Roland, il quitte là incontinent les regles du Compost : il ne se soucia plus les especes, des nombres, des cas, ny des figures : et ne feit plus d’estat d’apprendre le Doctrinal[14], ni ces differences de hinc, illinc, hoc, illoc, et autres telles sophistiqueries, ou fanfrelucheries des Pedans. Il fait des torcheculs de son Donat[15], et de son Perot, et de la couverture en fait cuire des saucisses sur le gril. Rien ne luy plaist que les beaux gestes de Roland, de Renaud, par la lecture desquels il eslevoit son courage à choses grandes. Il avoit leu Ancroye, Trebisonde, les faits d’ Ogier le Danois, Automine, Bayard, Antiforre, et les Actes Royaux de France[16], l’amourachement de Carlon et d’ Aspremont, l’Espagne, Altobelle, les guerres et combats de Morgant le Geant, les espreuves de Meschin[17], les entreprises du Chevalier de l’Ours[18], le livre de celuy qui sans grand’louange a voulu chanter la belle Leandre[19]. Il print plaisir à lire comme Roland fut amoureux de la belle Angelique : comme estant ou feignant estre devenu fol, il tiroit après soy une jument morte : comme il touchoit devant soy un Asne chargé de bois, et comme il s’envola en l’air ainsi qu’une Corneille. Par telles lecture Balde s’excitoit grandement aux armes, mais se faschoit d’estre encore de si petit corsage. Il portoit une petite espée attachée à sa ceinture, de laquelle il faisoit peur aux plus braves ; et jamais ne voulut endurer un coup de foüet : et, pour se faire craindre à l’eschole, rompoi tables avec ses livres, et la teste à son maistre. C’est une usance quasi par toutes villes, que les jeunes enfans se font la guerre les uns contre les autres à coups de pierre ; et de là bien souvent naissent des envies les uns contre les autres, qui enfin engendrent de longues inimitiez. Comme un paysan n’abbat point avec une gaule tant de gland pour le faire paistre et manger à ses pourceaux, afin de les engraisser ; ainsi un jour voyoit-on autant ou plus de pierres tomber de part et d’autre, s’estant des enfans bandez en deux handes l’une contre l’autre, lesquelles ils jettoient pour lors, bruiant ces pierres en l’air, tant elles estoient poussées roidement, par grand force, et la multitude d’icelles obscurcissoit quasi le Soleil. Avec ce sillement de pierres le bruit de voix de ces enfans estoit aussi merveilleux, tellement qu’un tonnerre n’eust scen faire un plus grand tintamarre. Là Balde ne faillit à se trouver, et estre de l’une des parties, et s’advance fort avant devant ses compagnons, et avec une fronde fait ronfler ses cailloux, donne courage aux siens, et la meslée se fait si aspre, que la poussiere obscurcit tout l’air ; et, se mettant trop avant dedans ses ennemis, il reçoit un mauvais coup sur la feste, comme il advient aux vaillans Capitaines. Mais, pour cela, il ne se retire point, et prend davantage courage, ayant veu son sang, et lait comme le poivre, qui tant plus est pilé, plus renforce son odeur, ou comme la palme, laquelle s’estere, plus elle est chargée. Aussi, desire-il estre plustost enfouy dedans un monceau de pierres, que tourner le dos à la semblance d’un couard. Enfin, teile bataille finie, il s’en retourne au logis, tout baigné de sang, se ruë sur les premiers œufs qu’il trouve, d’une partie desquels il fait un retraintif sur sa playe, et de l’autre il appaise sa faim. Mais sa mere, le voyant en tel equipage, s’attriste fort, et l’amitié qu’elle luy portoit la fait desesperer de luy. Mon fils, mon fils, dit-elle, je te prie pourquoy te tourmentes-tu tant ? Ha, pour l’amour de Dieu, arreste-toy : laisse là ces pierres : quitte ces batteries ! Il semble à te voir que tu aves une face de Diable, tant tu es deschiré, et as la face toute plombée de coups. » Balde luy respond : « Voulez-vous, ma mere, que je souffre qu’on me die que je suis bastard, un mulet, un souillon de cuisine, un fils de putain ? Perdray-je ainsi nostre commune renommée ? Y a-il un outrage pire que celuy-cy ? Vous vous souciez trop peu, ma mere, de l’honneur de nostre maison. Je me veux bien vanter que je ne suis seulement si outrageux, que je n’aye bien aussi la phissance de ronger le cœur à tous ceux, qui me voudront appeller bastard, ou dire que vous estes putain. Mon pere Berthe est-il connu, pour l’honneur duquel j’exposeray tousjours cent vies. Appaisez-vous, ma mere, je vous prie : que vous sert de tant pleurer ? Permettez que je m’exerce en ces combats de fronde, afin que par cy après je m’encourage à choses plus grandes. J’abbats autant de garçons, et les mets à l’envers, qu’il s’en presente devant moy, n’ayant aucune force ny aucune reigle d’escrimerie comme j’ay, et desjà on m’appelle Paladin, aucuns un Geant : car pas un ne se peut parangonner à moy en la façon de guerroyer. Avant tous les autres, je lance plus de mille cailloux et neantmoins, ma mere, me voilà sain et gaillard. Il se presente à moy des honnestes personnes, qui prennent plaisir à m’apprendre, comme il faut que je me gouverne en telles guerres, quand ils me voyent deliberé, et que je m’appreste de me trouver à telles meslées pour faire à coup de pierres, de baston, ou de poing. Et nous nous devons resjouir de cette bonne fortune plus que de me voir mener des chevres aux champs, et vous, des oyes. D Balde parloit à sa mere avec si bonne asseurance, qu’icelle pleuroit et rioit tout ensemble.

Cependant un jour vint que la ville de Mantoüe estoit toute confite en joye. Ce jour fut le premier de May, auquel dès le matin chacun fait planter devant sa maison de hauts arbres et rameaux, lesquels on nomme May, à cause du moys. Le peuple suit les charettes par les rues, chargées de tels rameaux, lesquels sont tirez çà et là par des bœufs couronnez, et ornez de longs festons de roses. Au dessus d’icelles on fait un haut amas de feuilles d’oranges, de myrthe, de lauriers, de brins de marjolaine, de rosmarin. On y void toute espece de peupliers, d’ormeaux, de chesnes, de lierre. Du haut pendent mille petits floquets, et autres petites gentillesses faites de papier, qui au vent sont poussées çà et là. Au dessus de ceste mommerie on void Cupidon ailé, qui est un enfant bandé par devant les yeux, lequel detache de son arc plusieurs flesches d’un costé et d’autre. Une troupe de filles suivent après, portans leurs cheveux tressez et couronnez de fleurs. Icelles portent en des paniers des œufs, et vont chantant par la ville.

Balde, se meslant parmy telles handes, chante comine les autres, et, voyant qu’on partageoit ces rameaux, en voulut avoir sa part jusques à un brin de fenoüil, et crie tout haut : « Vous me devez les premiers honneurs ; je veux estre de la premiere partie. » Et, après icelle, il voulut encore estre de la seconde. Mais, arrivant de fortune près de Sainct-Leonard, il entend plusieurs garçons faire un grand bruit pour divers jeux à quoy ils s’esbattoient. Les uns avec des noix taschoient à abattre une piece d’argent, qui estoit assise sur le bout du manche d’un cousteau fiché en terre : les autres jouoyent à la balle : aucuns avec un fouet faisoyent tourner et promener le sabot : autres avec la course sautoyent à trois pas et un saut. Balder jette incontinent son casaquin à bas, et, estant en chemise, commence comme les autres à sauter. Mais il feint ne pouvoir franchir la marque, et fait semblant de ne pouvoir tenir son pied en l’air ; et, ayant un peu serré la boucle de sa ceinture, et osté ses souliers, et quitté son bonnet, ayant retenu le cordon, lequel en façon de bande lui reserroit ses cheveux, commence à prendre sa course. si legerement, qu’à grand peine pouvoit-on voir sur le sablon aucun vestige de la plante de ses pieds ; et asseurant fernement le pied droict, et courbant le gauche, sembloit estre eslevé en l’air comine un petit aigneau, ou comme un chevreau, qui à la sortie de l’estable court, et fait mille bonds sur l’herbe. Du premier saut, il s’advance de six brassées : le second est plus court, mais plus ferme : et au troisiéme, joignant les deux pieds ensemble, se lance en l’air et outrepasse bien loing la marque. Les autres, voiant la marque advancée si loin, ne veulent plus s’y efforcer : et les hommes, qui estoyent là presens, admirerent fort la force de cet enfant, jugeant qu’en luy estoit la dexterité et adresse d’un Paladin.

Autres, qui estoient plus grands, le defient au jeu de la bale, de ceste bale, dis-je, qu’on a accoustumé d’enfler avec une seryngue. Balde assez par force se met de la partie. On luy donne un brassart, il l’accommode à son bras droict, et sur la main : il se presente à jouër : on fait partie avec telles et telles pactions et pour la victoire on accorde une couronne de fleurs, qui seroit adjugée aux victorieux par le peuple, qui estoit là present.

Toutesfois, chacun tend à tromper Balde, lequel de sa part y alloit d’un grand courage et d’un cœur royal, et jamais ne trahit aucun. Car tous les enfans de la parroisse de Sainct-Leonard ne pouvoient endurer qu’un petit villageois et poltron de Cipade eust la victoire, et emportast l’honneur du jeu par dessus les jeunes enfans de la ville, fils des meilleures maisons, comme sont les Passarins, Arlotes, et Bonacourssi. Alors un plus hardi que les autres luy dit : « Je faits ce marché, que tu ne pourras, Balde, rechasser la bale, si premierement tu ne mets argent sur le jeu. » Balde estoit pauvre, et de honte la rougeur luy montoit au front ; car il n’avoit pas en sa bourse trente. deniers. Il se resolut de vendre sur l’heure à un Juif tout ce qu’il avoit sur le dos. Il jette sa veuë sur tout ce peuple, pour veoir, si, entre des bonnets rouges et noirs, il n’en apercevroit pas de jaunes. Il n’en veid pas seulement un, mais cinq, mais huict, mais plusieurs teints en ceste couleur. Car Mantouë n’est point sans des Badanages et Patarins. A iceux il offre son saye, sa cappe, et sa chemise. Plusieurs donnent à ces Juifs asseurance pour luy. Balde commence le premier à joüer : il estend la main gauche, et avec la droite serrant fort son brassard, en se mocquant, crie : « Jouez ! » Puis, courant au devant de son compagnon, qui rechassoit la bale, et la recevant, la rejette en haut d’une telle force et adresse, qu’on la voyoit pirouëter en l’air. Toutefois il la jette, ny trop haut, ny trop bas, et ne la jette, comme on dit, au dessus du clocher. Ainsi cette bale est poussée çà et là, et Balde la considere de l’ail venir à soy ; et se plante pour la recevoir, et la rechasse dextrement, gaignant la premiere chasse, et aussi la seconde et plus on la lui envoyoit plus fort, et plus loing la renvoyoit, et sans cesse, et sans aucune relasche ne failloit d’outrepasser le but prefix : et avant que Phœbus se fut aller coucher en la mer, Balde. meit de gaing en son escarcelle huict carlins de cuivre et reprint son manteau, son bonnet, et s’en alloit gaillard pour dire à son pere Berthe et à sa mere le gain qu’il avoit fait. Mais un jeune garçon de bonne maison, qui estoit du pont d’Arlote, ou du pont de Macere, estant impatient d’avoir perdu la meilleure partie de ses deniers, se leve, et, prenant sept ou huit de ses compagnons, court après Balde, et luy jure, en maugreant, qu’il luy ostera sa bourse ; ou que, s’il ne peut l’avoir, il luy enlevera son manteau ; ou que, s’il ne peut avoir ne l’un ne l’autre, il luy rompra le col et l’assommiera à coups de pierre. Balde avoit jà passé l’Hospital, et estoit prez la porte de l’Evesché, qui est tousjours ouverte, et estoit desjà en la grand’place de Sainct-Pierre pour de la le long du Pont gagner Cipade.

Là, cet enfant d’Arlote attrappe Balde, et le prenant de la gauche par la gorge, et tirant de la main droite unc. daguette : « Rends-moy, dit-il, mes carlins que tu m’as prins frauduleusement ? » En disant ces mots, il presente devant ses yeux la pointe de sa dague. Mais Balde soudain se demesle d’avec luy, et d’une mesme vistesse prend la poignée de sa daguette, et la luy arrache, et luy donne un si grand souflet sur la joue, que la main y estoit toute marquée.

Incontinent les autres garçons se tiennent ensemble, et amassent soubs leurs habillemens de gros cailloux ronds. Balde, pour se garantir de tels coups, tourne à l’entour du bras son manteau au lieu d’un bouclier. Les pierres, les cailloux volent, et morceaux de tuilles sont jettez, bruyans aussi fort comme si c’estoient harquebuzades.

Balde se retire, en combattant, soubs le porche de Saincte-Agnés, de peur que ses ennemis le veinssent assaillir par derriere. Puis, il se range en un coing d’où avec cent piques on ne l’eust sceu tirer. On luy jetta là une gresle de pierre ; mais, estant agile, tantost il saute à gauche, tantost à droite, evitant par ce moyen avec son agilité toutes ces pierres, comme le pilotte expert en son art en faisant son voyage sur mer, voyant devant luy les ondes eslevées ainsi que montagnes, n’abandonne pour cela le timon, ne perd son entendement ; mais eguise son esprit, et donne ordre par son art à fendre les ondes, faire tenir son vaisseau ferme sur icelles : ou les eviter. Ainsi Balde, voyant ces pierres venir droict à luy ou par haut, ou par bas, maintenant baisse la teste à gauche, et à droite, maintenant ouvre les jambes, ou en leve l’une, on la met sur l’autre. Et, par ce moyen, il evite quelquesfois en un instant plus de cent coups de pierre. Ce combat dura plus de trois heures, et le peuple, qui voyoit cette querelle, s’en emerveilloit fort.

Or le Capitaine, et le chef de ces assaillans, ayant le cœur despit, vouloit faire la sepulture de Balde entre ces tuilles et tuilleaux, qu’on luy jettoit, et s’advance fort sur luy. Balde luy crie : « Arreste-toy : si je te romps la teste, que sera-ce ? Ce sera à ton dam, je t’en avertis. » Mais ce poursuivant ne se soucie de ce qu’on luy dit, et ne prend garde s’il estoit suivi de ses compagnons.

Alors Balde ne l’advertit plus de prendre garde à soy : et, sans se soucier du saye et du bonnet de velours qu’avoit l’autre, prend une grosse pierre, et luy lançant en l’estomach d’une violence aussi grande que si elle eust esté jettée avec une fronde, le met par terre, et pense-l’on soudain, qu’il soit mort ; dont les autres garçons estonnez monstrent aussi tost les talons.

Balde n’arreste gueres non plus en place, et se de- traque par cy par là jusques à ce qu’il se veid seul, et maistre de la campagne, où lors il reprint haleine, et, marchant plus à loisir, tiroit droit à Cipade. Il advint qu’un certain vassal, et subject de cet enfant qui avoit été ainsi griefvement blessé, ouit ce bruit et clameur : ces vaultneans de sergens l’appeloient Lancelot ; mais ceux qui ont eu meilleure connoissance de ce faict, le nomment Slandegnoque, qui veult dire lancebeignets. Cet homme estoit d’une corpulence fort difforme et ressemhloit à Manbrin le geant, n’ayant qu’une petite teste de linotie sur de grosses epaules : et eust-on dit que ce n’estoit point la sienne propre, mais une qu’il eust emportée au gibet. Ce compagnon estonnoit tout le monde par parolles, estoit un bravache, un mastin, un taille-tout, lorgnant tout de tort et de travers. Il monstre le poing, puis desgaine sa dague, et entourne son manteau au bras. Cestuy-cy avec ses braveries poursuit Balde, et en courant crie : « Prenez le larron, qu’il n’eschappe ! Prenez ce pendart, qui a rompu et cassé la teste au conte Janorse ! » A cette rumeur, le peuple, qui se trouvoit à la rencontre, tasche à arrester Balde. Il est prins incontinent. Mais aussi tost il se desveloppe d’eux, comme fait l’anguille qu’on ne peut pas retenir aisement. Lancelot toutefois court tousjours après, comme fait un mastin après un gentil lievre, ou comme un asne après un chevreuil, on hien comme un gras bœuf, qui tasche à course d’abatre le cerf. Balde, estant sorti les portes de la ville, à un traict d’arc d’icelles, rengaine son espée, et s’efforce de gagner le logis. Lancelot, deplaisant au possible, à force de courir, met la main sur le dos de Balde, comme le mastin, qui se jette laschement sur un petit chien. Balde, se representant soudain les chevalereux faicts de Roland, roule sa cappe à l’entour du bras gauche, et de la droite tire son estoc, et en fourre la pointe dedans le nombril de Lancelot. J’ay veu autrefois abbatre par le pied un grand arbre pour raison de son ombre, qui nuisoit par trop aux bleds qu’on semoit auprès : mais iceluy ne faisoit pas plus de bruict en tombant, comme feit cet homme grand debrideur de pain en son vivant. A grand’peine Balder avoit-il peu tirer son espée du ventre de Lancelot, qu’il void une bande de sergens accourir vers luy. Ce qui luy fait redoubler le pas, et en galoppant gaigne enfin la maison de sa mere. Balduine, voyant son enfant tout en sueur, et estant tousjours en crainte et en peur de son fils, autant que peut estre le lievre, une couleur plombée luy venant au visage, s’escrie : « Où fuy-tu ? D’où viens-tu ? Qui t’a fait ainsi courir ? Di-moy, gentil danseur, dy, jeune poulain ? Pourquoy, malheureux, me fais-tu tous les jours mourir ? » Balde luy respond : « Voulez-vous que tousjours j’endure mille torts, qu’on me fait ? que je boive mille hontes, mille travaux, qu’on me donne ? Suis-je un asne pour ainsi exposer mon eschine à estre grattée par des poltrons et maroufles ? Je ne me soucie gueres de parolles frivoles : parlent qui voudront parler, je n’endureray jamais une seule chiquenaude, ny qu’on me touche du seul ongle. Du dict au faict il n’y a pas grande distance pour moy : que les hommes causent, babillent, fiantent, je ne les estime pas plus que pulces : je ne crains pas les chiens, qui jappent et abbayent de loing. La peau ne se deschire point par seules baveries. » La mere luy dit derechef : « Mon fils, tu ne sçais pas le proverbe, tu ne sçais pas que le grand poisson engloutit le petit. Ne va plus à la ville, et ne vueille delaisser ta mere : car je t’asseure que si tu ne laisses ces querelles, ces combats, ces batteries, que tu vivras peu. » Balde luy respond : « On ne peut mourir qu’une fois, et n’y a moyen de resister au destin : on n’y peut rien apposer au devant. Que sert de nous. rompre icy la teste après tant de raisons, puis qu’un chacun a son heure bornée ? Mais, je vous prie, ma mere, ne vous tourmentez tant : le Diable n’est si laid comme on le figure. » Pendant ces propos, il regardoit souvent derriere soy, dont la mere entre en soupçon de son faict, et se travaille grandement en son ame. Voicy le Prevost accompagné de ses sergens, qui entre en la court de Berthe, et commande de prendre Balde, et le lier avec cordes pour le mener devant le Juge, s’esmerveillant grandement, et tenant à grand miracle qu’un aussi petit enfant avoit peu tuer un geant. Berthe pour lors estoit absent de la maison, il y avoit desjà un long-temps. Balde, ne se voulant laisser ainsi prendre, donne de son espée en l’aine d’un sergent, coupe le bras gauche d’un autre ; et voulant un d’iceux s’advancer sur luy pour le saisir, il luy donna un vilain revers. Ho ! pensez quelle estoit sa pauvre et craintive mere, le voyant entre tant de sergens, entre tant d’espées nues ! Elle le jugeoit mort, et taillé en pieces ; mais cette femme miserable et malheureuse saisie de si grandes douleurs, le cœur luy refroidit si fort, qu’il estoit en glace. « Ha ! » s’escria-elle, par quatre fois, et appela à haute voix Guy, donnant un suject de descrire sa fortune par une histoire tragicque : laquelle, estant descendue d’une si grande race, perd ainsi miserablement la vie, sortant pour lors, de duëil et d’ennuy, son ame hors de son corps : et voilà quelle fin donna l’Amour à une telle Princesse. Cependant toute la bande de ces sergens, s’estant jettée ensemble sur cet enfant, l’arresterent ; et estant bien garotté, l’un d’entr’eux le portoit sur son dos : mais ce garçon se secoue, se demene, taschant à rompre, ou desnouer ses cordes, se travaillant en vain : car les cordes, qui pouvoyent arrester un taureau, estoient celles avec lesquelles ils avoient lié cet enfant de sept ans. Or, estant la cholere naturelle grande en luy, il prenoit avec les dents le col et les oreilles de celuy qui le portoit. De fortune, à l’heure mesme, arriva là le joyeux Sordelle, qui de Motelle revenoit à la ville. Iceluy, ses gens marchant devant, estoit à cheval, estant desjà d’aage, non toutefois encor debile pour sa vieillesse. Il n’avoit encor perdu aucune dent, il ne crachoit point des huitres, ny ne jettoit des cailles par derriere. Il advise cet enfant lié par les pieds et par les mains, lequel avec tant de tumulte on menoit devant le Juge, en la forme et maniere que ces malotrus de Troyens au temps passé trainoient Sinon au Roi Priam. Iceluy arreste sa haquenée, et fait commandement à ceste trouppe de demeurer, et à ces sergens, s’estonnant fort d’en voir d’iceux blessez, et s’enquiert d’eux l’occasion, s’esmerveillant comme un enfant, à grand’peine pouvant encor parler et cheminer, fut ainsi lié comme un larron, et comme un meurtrier. Le Prevost luy compte tout le faict : mais cet enfant, ayant tousjoure un hardy courage et bonne parolle, parla à Sordelle en cette sorte : « Mon gentilhomme, je vous prie, que vos oreilles daignent ouyr en peu de mots la cause d’un pauvre orphelin. Nostre differend ne sçauroit estre vuidé par devant un meilleur Juge. La renommée de Sordelle est notoire à tout le monde, qui pour le zele de la justice mesprise tout or et argent.

« Dictes-moy, Seigneur Baron, premierement si contre- tout droit aucun vous voulut enlever la bourse ou la cappe, la lairriez-vous ainsi aller ? Il y a bien plus fort, si aucun vous assailloit en pleine rue, vous menaçast, et, qui plus est, voulut vous mettre l’ame hors du corps, voudriez-vous endurer ce faict, et retenir vos mains jointes ensemblement par courtoisie, et faire d’icelles, comme moy enfant je fais, quand je benis la table avant disner ? Seriez-vous tel, qu’on vous feit ainsi une barbe de foin ? Il y avoit un facquin, auquel je n’avois fait aucun desplaisir, et vous prie m’en croire, et ne luy en eusse fait, s’il ne m’en eust donné le premier. Il n’a pas eu honte de me poursuivre plus de trois mille pas, en intention de m’oster la teste de dessus mes espaules. Pourquoy Nature donne-t-elle des pieds à l’homme, un cœur, une main ? Je m’eschappois de luy à courir ; car les pieds ne sont que pour cela. Mais, voyant que je ne pouvois eviter par ma course sa rage, je m’asseure le courage, ainsi qu’avec iceluy nous surmontons tout peril. La main, qui sert de ministre au cœur, que feroit-elle alors en une necessité si urgente ? Perdroit-elle le temps, sans gratter sa rongne, et chercher au soleil des poulx en teste ? Donnez-en jugement selon vostre bonne equité : vous sçavez les ordonnances et statuts de la Table Ronde. Si j’ay tort, qu’on me donne la peine : si aussi j’ay raison, vous m’adjugerez le droit comme equitable Paladin. » Ce Baron fut fort emerveillé des propos de ce jeune enfant, et soudain pourpensa en luy-mesme qu’il seroit un jour un vaillant personnage. Puis, dit à ces sergens : « Il n’y a soubs le ciel personne qui soit de moindre valeur que vous. Quelle honte est-ce cy ? Tost, à qui est-ce que je parle ? Ostez ces cordes à cet enfant, et ne vous en faites point dire deux fois la cause, alin que n’appreniez, qui est Sordelle. » Le Prevost lui dit : « C’est nostre charge d’obeyr au Senat, et ne faisons ne plus ne moins que porte ses commandemens. » Pendant ceste controverse, au bruit d’icelle, le peuple s’amasse de toutes parts. Sordelle voulant bien conserver son honneur, et ne s’attaquer autrement avec cette canaille de sergens, il se tourne vers aucuns citoyens là presens, et avec soubriz dedaigneux tint ce langage : Ces sergens-cy sont grands poltrons, et rien que pouilleux : ce sont gens dignes de mourir avant que naistre, afin qu’ils ne mangeassent point aussi le pain, et avallassent aussi le vin sans l’avoir merité.

« La coustume de ces sergens n’est pas de combatre contre quelqu’un, s’ils ne le voyent sans espée. Car, si aucun leur fait teste se preparant à tirer l’espée, incontinent ces coquins se retirent comme font les poulets voyant le Faulcon. Mais, si un pauvre homme va de nuict par la ville, et porte avec soy, ainsi qu’est la coustume, quelque peu de lumiere, que font ces larrons, et avaleurs de merde ? Ils envoyent un des leurs devant, pour tuer la lumiere de cet homme, et luy arracher sa lanterne. Ce fait, ces vautneans tirent leurs espées de plomb, et faisant sonner leurs boucliers, environnent ce pauvre homme degarni d’armes, le despouillent, le volent, et luy lient les mains : mais, s’il leur donne en tapinois ce qu’il a peu embourser de monnoye pour sa journée, ils laissent aller ce miserable garni seulement de cholere, ne luy demeurant aucun denier qu’il avoit gaigné tout le jour à battre la laine, ou tirer de l’estain, pour se sustenter, et sa petite famille. Le Prevost, pour luy faire perdre manteau, chausses, et chemise, le menace de le mettre entre les mains du bourreau. Telle faute vient des Juges, lesquels doivent envoyer au gibet tels larrons, nettoyer les chemins des assassinateurs, faire mourir et exposer par quartiers les voleurs et guetteurs de chemins, y estant excitez par la voye de justice, et non pour farcir leurs ventres et amasser de l’or.

« O combien voyons nous de pauvres personnes qui n’avoyent rien, et qui n’avoyent un sol en bourse estre pendus au gibet ! Nos ministres de Justice n’ont point toutesfois à present cet esgard : car, pendant qu’ils succent leurs bourses et espuisent les escarcelles, ils secondent les malheureux deportemens de leurs ministres. Ils ostent l’espée à la Justice, brisent ses balances, chient sur le Droict, et tournent le cul aux loix. Ha ! combien ceste canaille de sergens meriteroit mieux estre menée au gibet, que ceux-là qu’ils y menent ! He ! pourquoy donne-on permission à tels chiens de porter espée, estant defendu aux autres d’en porter à leurs ceintures ? Le Prevost, les sergens, portent seuls des armes pour desgager et voler les personnes. Aussi, les vaillans hommes, et ceux qui sont de honne maison, ne veulent aujourd’huy porter espée à leur costé, de peur qu’on les estime sergens. S’ils vont prendre quelque malfaicteur, ce ne leu est assez de l’arrester, mais soudain le volent : l’un prend le manteau, l’autre se saisit du bonnet, un autre le casaquin, leur estant d’avis qu’à eux seuls le vol est permis. Il n’y a au monde impieté plus cruelle. Ils sont instituez pour chastier les meschans : mais, estant insatiables, ils tuent les hommes soubs le manteau de justice ; et avec le sang et la vie emportent le bien. Au contraire, ceste canaille avaleuse de pain, quand la jeunesse courageuse s’esbat de nuit allant çà et là cherchant compagnie, ou donnant quelques aubades à leurs amoureuses avec le luth ; ces sergens-cy, oyant le son des cordes, et avec le chant un frit frit de leurs armes ; et voyant à une petite lumiere reluire leurs jacques, ou cuirasses, ou rondaches, incontinent ils se retirent à quartier, et courent comme beaux diables, disans en eux-mesmes : Il n’y a rien ici à gagner pour nous. »

Sordelle, ayant fait ce discours, commanda derechef à ces satellites de lascher Balde. Le Prevost soudain luy obeist, fait destascher les cordes, et ne se le fait dire trois fois. Et puis se retire, n’aiant jamais eu la hardiesse de faire recit au Senat de cet acte, de peur d’en estre reprins. Balde ayant un gentil naturel, un cœur doux, et un bel esprit, un courage asseuré, une bouche diserte, remercia ce Baron fort courtoisement et autant qu’il proferoit de parolles, c’estoient autant de pierres precieuses. Sordelle le print en tres grande amitié, et eust promptement envers luy telle affection que sans s’en enquerir d’avantage, il tourne le derriere de sa hacquenée, et commande à ses varlets de le monter en croupe derriere luy pour l’emmener chez soy. Mais Balde, prenant pour un courage vil qu’on le montast ainsi en croupe avec l’ayde d’autruy, incontinent avec un saut, en ouvrant les jambes, se jette assis sur ceste croupe, dont ce Baron fut encor plus esmeu d’affection envers luy. Il l’emmene en sa maison, et le fait habiller proprement, se servant de luy au lieu de page. Il n’en trouva point de plus diligent, fut pour nettoyer de bonne heure au matin les robbes de son maistre, ou pour verser à boire, ou aller par la ville faire mille affaires. Or le soleil, pour se coucher, se laissant devaler du haut du ciel, la nuit commençoit à apporter ses tenebres sur la terre, et Gose endormie ronfle à bouche ouverte.


LIVRE QUATRIEME.


Desja la corpulence de Balde commençoit fort à s’accroistre, et ses membres s’estendoyent grandement, tellement qu’il avoit cinq brasses de haut, les espaules larges, et la poitrine relevée, le foye du corps serré, les jambes nerveuses, le pied petit, les reins fermes, et estoit droit au marcher ; le pas si legier, qu’il n’eust pas esté bien aisé d’en remarquer le vestige sur du sablon. Il avoit l’œil vif, et tousjours prompt à regarder çà et là, brillant comme fait le soleil quand il donne sur un miroir. Il n’avoit encores gueres de barbe, et n’en avoit le poil rude ; mais seulement avoit une moustache sur la levre de dessus d’environ trente petits poils ressemblant à de la laine, ayant ceste levre un peu plus eslevée que celle de dessoubs, qui le denotoit devoir estre quelque jour plus sage. Or, parce qu’il n’avoit point en cet aage aucun maistre pour l’instruire, il n’avoit pour compagnons que des ruffiens, des bravaches, des coureurs, des guetteurs de chemins, et certains bons vautneans, qu’on appelloit fendeurs de nazeaux, et machefers. Avec telles gens Balde vivoit plus aise qu’un pourceau à l’auge, l’aage transportant ceste jeunesse hors les bornes de raison, comme un poulain qui n’a encore gousté en l’estable que c’est d’un licol. Car ces poulains-cy desbauchez, pendant Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/123 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/124 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/125 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/126 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/127 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/128 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/129 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/130 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/131 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/132 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/133 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/134 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/135 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/136 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/137 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/138 leur fierté domptée par le chartier. Tousjours seroit indompté le poulain, s’il n’avoit un escuyer, qui le domptast. L’espervier s’apprend à revenir sur le poing, avec un petit poulet. Ainsi seroit de Balde, lequel est venu d’une très-noble lignée. Mais j’en voy plusieurs de vous autres secouer la teste, et tourner le nez de costé. Je cognois bien maintenant les pensées, qui sont en vostre courage. Je ne veux point jetter davantage mes paroles au vent. Ha ! que suis marry de ce que comme à vieil bœuf le pennon me pend si bas maintenant pour l’aage que j’ay ! Je n’ay point faute de courage, je le confesse : mais ma force s’en est volée. Ayant mis fin ainsi à son dire, il se retira tout furieux en sa maison, et au bout de trois jours, estant outré de trop ennuy, rendit l’esprit. Aucuns ont eu soupçon que, par menée de Gaioffe, il fut empoisonné par le Médecin, qui le medicamentoit. Or reposons-nous un peu, ma Gose, avant que ce qui s’ensuit me fasse suer. en chemise.


LIVRE CINQUIEME.


Cependant Gaioffe assemble en une Chambre du Palais ceux qui se laissoient aller à sa devotion, et lesquels il estimoit estre les plus advisez. Là, chacun prestant le serment de ne rien reveler de ce qui seroit resolu par entr’eux, la conclusion fut de prendre ce Balde, si on peut, par force, ou par quelque ruse et finesse. Ils n’y veulent employer la bande des Sergens Prevostaires : car ils sçavoient bien, et le tenoient pour certain, et l’avoyent souvent esprouvé, que Balde, en trois coups, les tailleroit Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/140 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/141 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/142 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/143 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/144 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/145 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/146 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/147 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/148 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/149 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/150 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/151 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/152 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/153 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/154


LIVRE SIXIEME.


Or voicy Comine, qui sc prescnte pour vous declarer unc entreprinse merveilleuse, et vient donner secours et aide à son Merlin. Gose, qui est sçavante à bien preparer des trippes Milanoises, a assez chanté dès son commencement l’origine de Balde, sa naissance, son enfance, et sa jeunesse. Holà ! cà, icy, vous, Berthuzze, mere de Gonelle, qui sçauriez bien faire à un diable subtil, une sausse maligne ; Cingar le delié vous servira d’une matiere ample. Commencez à reciter les larrecins, les voleries, les piperies, et toutes sortes de tromperies de Cingar, et les déchifrez au long à toute la compngnie. Je vous en prie, par la teste de veau cuite avec sa peau, qu’autrefois vous desrobastes subtilement à Follet soubs son lict, quand luy seul se preparoit pour aller soupper avec Morgane[20] la Fée, et remplir à profit de mesnage ses flancs de bon rosti. Et, en recompense, je desire, que la scellee de mon mulet te soit agreable, quand les jeudis tu galloppes dessus Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/156 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/157 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/158 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/159 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/160 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/161 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/162 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/163 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/164 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/165 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/166 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/167 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/168 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/169 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/170 retenir sa ratte d’esclatter. « A dire verité, dit-il, ô Tognazze, c’est un grand crevecueur pour tes affaires d’avoir perdu une telle femme. Car ta maison, tes biens, vont sans dessus dessous, depuis que tu l’as perdue, elle qui estoit Dame et gouvernante de toutes tes affaires ; mais elle est morte, qu’as-tu besoin de tant t’en soucier ? Prens-en une autre jeune, mon bon homme, qui te puisse eschauffer ? Ne doute point que tu n’en trouves. Nous demeurons tous deux en un endroit où il y a abondance de tel bestial : à la mienne volonté que la cherté fust compensée en autant d’abondance de pain, qu’il y a de femmes par le monde. » Et, en disant cecy, il feit signe de l’œil à Berthe à ce qu’elle eust à se retirer, parce qu’il vouloit seul demeurer avec Tognazze. Berthe, fine, sachant ce que Cingar trainoit, prend congé de Tognazze en luy faisant une grande reverence, et luy donnant une œillade aspre et picquante. Et, toy, Comine, tu as assez chanté. Voicy Gose, qui a preparé le gouster pour toy et pour moy. Il y a desjà long-temps que le pot bout, plein de bon potage.


LIVRE SEPTIEME.


Que la presence et grande authorité de nos peres se repose icy presentement, lesquels pensent avoir seuls mangé Minerve, et neantmoins sont plus fols que cent mille poulains : je prie iceux ne vouloir desdaigner d’escouter nostre Comine ; laquelle, jurant avoir eu un vieil mary, et l’avoir de jaloux rendu tout capricieux, ayant Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/172 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/173 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/174 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/175 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/176 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/177 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/178 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/179 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/180 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/181 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/182 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/183 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/184 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/185 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/186 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/187 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/188 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/189 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/190 n’avoir pas achepté de Zambelle ceste merde dont il se plaint, pourquoy done Zambelle est-il prisonnier ? Penses-tu, traistre, ainsi prandre au trebuchet un bon homme ? Penses-tu ainsi vendre ton fenoüil à tes citoyens ? Mais j’ay trop tenu couvertes tes meschancetez. Ne sçais-je pas bien (et en ay des tesmoings assez) que tu as falsifié tes poids et mesures, et que tes balances ne sont justes ? Ne vends-tu pas, meschant, des crottes de chien, et de chevre, au lieu de diaculon, et au lieu de pillule de tribus ? Au lieu de bonnes drogues, tu n’en vends que de meschantes. Je m’en vais au Palais, je te feray soudain adjourner, et te prepare de respondre à plus de cent tesmoings, qui meritent aussi bien que moy qu’on leur adjouste foy. Corps D…, mais je ne veux pas blasphemer. Enfin je feray saccager ta boutique, poltron, et maroufle que tu es ! As-tu ainsi pensé à t’enrichir aux despens d’un pauvre homme ? » Pendant que Cingar tenoit tels propos, tout le monde s’assembloit autour d’eux, et puis feint de s’en aller droit au Palais. Mais une peur chiarde prend incontinent l’Apoticaire, et plus viste que sa scammonée n’opere en un paysan, il ne sçait ce qu’il doit faire, il se voit perdu s’il n’y donne ordre de bonne heure. Il s’asseure bien n’avoir jamais eu de fausses balances ; toutesfois, il est en grand esmoy, et le soucy luy ouvre l’entendement. Il va après Cingar et l’appelle ainsi : « Attends un peu, je te prie, ô compagnon ! » Mais Cingar fait l’oreille de marchant. L’Apoticaire crie plus fort : « Hola, frere, demeure, que je te die seulement, je te prie, trois mots ! » Cingar se tourne et luy demande ce qu’il veut. L’autre, faisant la chattemite, le prie, et supplie et luy dit : Hé quoy ! mon compagnon, mon amy, que pensez-vous gaigner, quand vous m’aurez fait perdre mon bien et ma vie ? Ha ! pour l’amour de Dieu, et que la Fortune vous sauve et garde, ne veuillez m’accuser de telles choses, et principalement en ce temps, auquel vous voyez tant de loups, ayans la gueule ouverte pour devorer un chacun miserablement. Je te donneray quelque argent, et ne poursuivray plus le paysant touchant sa merde couverte de miel ; au contraire, je te jure et promets que je le feray sortir de prison. » Cingar luy respond : « Certes, tu t’es eschappé d’un grand peril ; car, de droit, tu eusses perdu toute ta boutique, et peut-estre que le juge t’eust condamné à la mort. Je te remets toutesfois ceste faute, moyennant que tu gardes ta promesse que tu me viens de faire, et qu’à tes despens tu tires le bon homme hors de prison. — J’en suis content, dit l’Apoticaire. » Et là-dessus, ce pauvre lourdeau met la main à la bourse, et la vuide de tout ce qu’estoit dedans, le baillant à Cingar, qui le prend très-bien, en le refusant quelque peu, après l’avoir en sa main, à la façon des medecins[21] ; et s’en vont ensemble à la prison commune, et non celle de la tour. Zambelle, advisant Cingar, soudain accourt, et tout joyeux s’en vient aux grilles de la fenestre, et l’appelle, le priant le vouloir aider. Cingar lui dit : « Tais toy, tais toy, parle bas, fol, et te tiens joyeux. Car, tout à ceste heure, moy seul, te feray sortir de là, et je ne crains point de despendre mon argent pour toy, et en ay desjà beaucoup deboursé. Cet homme qui est icy venu avec moy, et qui t’a battu à tort, affermera et jurera devant le monde avoir usé d’une menterie, quand il a dit que des bouges de vache, qu’il avoit achetées pour quelque peu de deniers, estoient de la fiante humaine. — Mais, dit Zambelle, telle purgation intestinale nous apporte bien de l’incommodité ; toutefois je voudrois estre payé de celle qu’il m’a fait perdre. Dis-moy, Cingar, porteray-je encore cette grand’perte ? » Cingar lui respond : « Repose-toy sur moy pour telle chose ; je te promets que tu en auras quatre barils bien pleins. Adieu, je m’en vais, tu sortiras maintenant. O, Apoticaire, allons à l’auditoire ! » Ainsi s’en vont, et ayant eu audience, Cingar prouve tout ce qu’il veut, jure, afferme et allegue cent mille menteries, et fait tant qu’il fait sortir Zambelle, et le rameine à sa maison, emportant en sa bourse l’argent que Lene luy avoit baillé, et ensemble ce qu’il avoit receu du miserable Apoticaire. Mais, pour telle drogue puante, je voy que la compagnie est en cholere, pendant que mes Muses m’ont tenu le nez bouché. Pardonnez-moy si nous avons remply vos oreilles de choses si grandes. Il vaut mieux en ouyr parler que d’en taster. Je me recommande.


LIVRE HUITIEME.


Ja la bonne femme de Zambelle avoit receu son mary de retour de la prison et le caressoit d’estranges manieres. Comment ? Estoit-ce avec baisers ? Estoit-ce avec embrassemens joyeux, comme fait la femme finette, quand elle veut tirer quelque chose de son mary ? tant s’en faut. Mais le receut avec un gros baston, avec lequel elle luy affermissoit les coustures de son casaquin. Voilà le repos qu’on donnoit à Zambelle après une prison. Et, trois jours après, Lene veut employer son mary en quelques affaires, afin que la pauvrette peut recouvrer ce qu’elle avoit perdu ; car Cingar avoit entierement espuisé sa bourse, et ces miserables n’avoient un morceau de Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/194 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/195 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/196 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/197 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/198 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/199 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/200 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/201 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/202 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/203 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/204 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/205 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/206 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/207 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/208 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/209 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/210 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/211 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/212 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/213 avoit prinse. Alors Cingar, en riant, se faict bailler un sac, lequel il emplit des ossemens, qui estoient soubs la table, et, le chargeant sur l’espaule de Zambelle, luy dit: « Allons-nous-en; car en ce sac tu portes Chiarine: Zambelle, vien; nous l’enterrerons nous deux. » Et prenant congé de tous ces bons compagnons, se met en chemin, et Zambelle le suivoit, assez chargé des os de sa Chiarine. Quand ils furent près la fosse de Cipade où les grenouilles chantent ordinairement, là mettent en repos les reliques de Chiarine, laquelle en son temps a esté digne d’estre celebrée par le grand Coccaie. Là se trouverent les Satyres, et filles Dryades, lesquelles laissant flotter leurs cheveux espars çà et là, pleurerent Chiarine et le pere Seraphin, s’y trouvant aussi, grava en un arbre ces vers:

De ce que j’ay esté venduë par deux fois
Par le malin Cingar avec fraude et astuce;
De ce que de ma chair se sont pour une fois
Saoullez jusqu’à crever des Moines sans capuzze :
Point du tout ne me deuls, mais seulement me plains
D’avoir en vie esté par un sot gouvernée.
Ainsi quand par malheur vous vous voyez contrains
Suivre un fol gouverneur, que votre âme bien née
Pleure plustost cela, ô vous pauvres humains,
Que pour se voir soudain de son corps, separée !


LIVRE NEUVIEME.


C’estoit la feste de sainct Brancat et sainct Ombre[22], lesquels, à la priere et requeste de Buffamalque et de Nole, Beltrazze, Evesque de Cipade, avoit canonisez, lors que les paysans s’assembloient desjà au quarroi. Il n’y avoit aucun qui se souciast de sa besche : chacun avoit quitté la charrue, et tous ne songeoient qu’à complaire à leurs amoureuses. Ils prennent leurs beaux chapeaux de paille, s’accoustrent proprement, se peignent, se bandent le front d’une bande bien blanche, chaussent des chausses, ou des braies bien faites, lesquelles, espargnées, pouvoient durer mille ans. Les jeunes gens plus et grands du village, qui se sentoient plus fiers à cause de leur bien, et plus audacieux pour l’abondance de la recolte ordinaire de leurs fruicts, portoient, à tels jours de feste, de belles chausses attachées tout autour d’esguillettes, y pouvans ranger commodement leurs chemises delicates, lesquelles leurs maistresses et amoureuses ont faites et cousues. Mais, avant, on sonne la cloche pour chauter la Messe ; et maistre Jacob s’appreste pour la dire. Cingar avoit prins le gaviot d’un mouton, et l’ayant remply de sang, l’avoit accommodé subtilement contre la gorge de Berthe, le couvrant si proprement de son collet blanc, selon la coustume, que vous eussiez juré qu’il n’y avoit aucune pipperie, et font leur complot ensemble de s’entendre l’un l’autre avec leurs parolles.

Cependant maistre Jacob, après avoir amassé tous les autres prebstres de la paroisse, commençoit à gorge desployée à chanter la Messe, et les autres le suivoient, et à grands cris ; ils despeschent incontinent l’Introit, tellement quellement, et viennent aux Kyrie, lesquels, avec un bon ordre, ils contre-pointent autant, et aussi dextrement que si Adrian[23], Constans[24], et Jacquet y estoient. Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/216 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/217 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/218 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/219 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/220 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/221 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/222 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/223 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/224 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/225 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/226 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/227 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/228 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/229 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/230 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/231


LIVRE DIXIEME.


Cingar, aymant de tout son cœur Balde, toute la nuict ne fait que resver après luy, et, ayant bon courage, remuë tous les moyens en sa cervelle pour tirer hors de prison celuy qui estoit fils de Mars ; et dit à Berthe : « Je tireray Balde hors de prison ; ou bien je me feray tailler en plus de mille quartiers. » Et puis, la laissant fournie et garnie de ce qu’elle pouvoit avoir besoing, il s’en va par les bois, n’osant se monstrer, pour voler ce qu’il pourroit trouver, et proposant en soy-mesme mille inventions et subtilitez, pour mettre Balde hors du lieu où il estoit.

Cheminant par une forest, il rencontre d’adventure et void de loing venir vers luy en son chemin deux Cordeliers, lesquels se faisoient assez entendre par le tic toc de leurs galoches, qui coustumierement leur mangent le dessus du pied lequel ils tiennent nud. Iceux tiroient par le licol après eux un asne chargé de pain, et ne se pouvoit bien juger qui estoit d’entr’eux l’asne ; parce que l’asne et le Cordelier sont couverts de mesme poil. Cingar, les voyant près de soy, soudain prend avec les deux mains son voulge, avec telle contenance, comme s’il vouloit les tailler en quatre. Iceux promptement se laissent tomber sur leurs genoulx, crians pardon, et faisans mille croix. Cingar leur fait quitter l’habillement, ne leur laissant que le haut de chausses et le breviaire pour dire leurs vespres ; et, leur commandant de se retirer, il demeure seul avec ces habits et l’asne. Que fait-il ? En premier, il se couppe la barbe avec des ciseaux, et par suite Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/233 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/234 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/235 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/236 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/237 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/238 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/239 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/240 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/241 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/242 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/243 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/244 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/245 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/246

Cependant Cingar peu à peu dérobboit de ces armes, et les apportoit en sa chambre. Puis, ils se depoüillent de leurs habits de fratres, et s’arment depuis les pieds jusques à la teste, comnie un jeune cheval que nous appellons poulain, après avoir esté nourry de son et d’orge, voudroit bien sortir hors de sa triste estable en rompant son licol, ne pouvant plus se contenir en icelle ; ainsi estoit Balde, lequel, sorti nagueres de prison, et se voyant à present armé de toutes pieces, petilloit d’envie qu’il avoit pour sortir hors, et se fourrer à bon escient par la ville, et, mettant par terre testes et boyaux, aller jetter Jupiter hors de son siege, ruiner le pays infernal, et renverser la maison Stygiale ; mais, pour le respect de Cingar, il reprime la puissance de son courage, et l’ardeur de sa cholere. Or le retentissement de l’horrible bataille, qui se feit cy-après, n’est pas une charge propre pour tes espaules, ô Comine : il faut un plus grand secours ; ferme le flascon ; car tes vins me sentent le moisi.


LIVRE ONZIEME.


Il nous faut lever les voiles plus haut, et un mystere plus pesant nous contrainct de roidir l’eschine plus fort. Jusques icy ma barque a vogué seulement sur les eaux de Cipade, lesquelles ne se font entendre que par la voix des grenouilles, qui y font ordinairement leur demeure, et, par leur mauvaise odeur, qui rien ne sent qu’un pur lavage de pourceaux ; maintenant je veux passer la mer Pietole, laquelle est plus dangereuse qu’aucune autre. Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/248 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/249 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/250 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/251 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/252 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/253 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/254 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/255 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/256 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/257 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/258 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/259 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/260 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/261 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/262 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/263 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/264 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/265 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/266 par tout, tu te leveras au matin, ayant les yeux plus rouges que brezil[25] ou qu’une escrevisse cuicte. Tu vas en l’escuyrie voir ton cheval affamé, car on luy aura desrobbé lès le soir son avoine, et du rastelier on aura retiré le foin ou la paille ; enfin, avec jurement et blasphesmes, tu t’en vas, et, en t’en allant, tu trouves, miserable, que tu as esté desrobbé par un tel hoste. » Pendant que Cingar tenoit ce beau discours, qui est veritable, et pendant qu’il veut reprendre le fait d’autruy, il en fait de mesme.

O, Mafeline, apporte-moy ce chappon rosty ? Il y a moyen en toutes choses, disoit le docteur Pizzanfare. En tirant trop la corde, l’are se rompt. Il y a temps de feüilleter les livres, et temps de manier l’espieu. Nous pouvons maintenant nous aider de l’un et de l’autre, s’il me souvient bien des enseignemens de l’escholier Scarpelle, lequel faisoit cuire ses saucisses avec les cartes de Paul le Venitien, au temps que l’estude florissoit à Cipade.


LIVRE DOUZIEME.


C’estoit lors quand le Soleil eschauffe les cornes du Toreau, lequel porte sur son dos Europe parmy les senteurs odoriferantes du ciel, et quand la terre, empreinte de la rosée, reçoit tout autour de soy sa nouvelle cotte bordée de fleurs, les arbres recevans aussi un plaisant ombrage par leurs feuilles nouvelles, faisans peu à peu les forests monter leurs brins et scions jusques au ciel. Le Rossignol, qui n’est jamais las de chanter à Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/268 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/269 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/270 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/271 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/272 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/273 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/274 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/275 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/276 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/277 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/278 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/279 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/280 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/281 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/282 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/283 mauvaise teste. Ho ! qu’ai-je dit ? Mafeline l’a entendu, et ne veut plus m’en conter ; toutesfois nous l’apaiserons.


LIVRE TREIZIÈME.


Neptune estoit assis en un haut siege, lequel au fond de la mer gouverne son royaume, et au centre d’icelle a ses villes, chasteaux et palais. Il tient là une court ouverte à tous ses peuples. Les uns vont et viennent en ses palais, esquels logent les Nymphes et les Dieux humides, les fleuves et lacs, venans tous au commandement de ce Roy. Là, dis-je, estoit ce Dieu entre ces honorables Barons, ordonnant avec le conseil de plusieurs affaires, quand Triton, fils de Neptune et d’Amphitrite, monté sur un poisson, arrive en haste, donnant de l’esperon à sa monture. Chacun luy fait place ; on ne sait la cause de son voyage : chacun s’approche pour sçavoir la nouvelle. Incontinent il descend de dessus le dos courbé de son Dauphin, et, prenant son chappeau, faict d’une dure coquille, se presente devant les pieds de Neptune, luy faisant du genouil grande reverence, et parla à luy ainsi : « O Roy du profond de la mer, d’où vient ce nouveau tumulte ? D’où est venu ce grand orgueil ? Une si grande presomption prend-elle telle audace soubs un cœur si vil ? Veu donc que tu es frere de Jupiter, et gouverneur de ceste haute mer, et que tu as l’Empire sur tous les fleuves, endureras-tu que tes Royaumes soient gastez et perdus par un faitneant, souillon et bourreau pouilleux, et indigne, pour te dire vray, de lescher ton derriere ? C’est cest Æole mesme, duquel je vous parle, Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/285 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/286 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/287 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/288 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/289 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/290 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/291 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/292 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/293 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/294 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/295 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/296 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/297 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/298 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/299


LIVRE QUATORZIEME.


Mennon, expedié de par sa mere Aurore, chassoit avec son fouet devant soy le Chien, le Bouc et une infinité d’autres estoilles hors du chemin, par lequel devoit passer le chariot de son pere. Et la Nuict jà s’eschappoit, ayant apperceu la splendeur et lueur de l’Aube. Balde, voyant les chevaux du Soleil sortir hors l’horison et tirer son char enflambé, considerant cecy, dit lors à Cingar : « O ! Cingar, je m’esmerveille grandement de ce que je voy, et ne sçay comment ces choses-cy peuvent estre ! Ne voy-je pas le soleil, quand il naist, estre plus large et plus rond, que quand nous le voyons au plus haut du ciel ? Et aussi je luy vois à present un visage si rouge, qu’il semble avoir bien beu au baril. » Cingar luy respond : « Vous me demandez, ô Balde ! de grandes choses, pour lesquelles nous donner à entendre les Astrologues se travaillent fort, car icelles excedent les sens humains. Un Grec, grand personnage, qui se nomme Platon, si bien m’en souvient, et un autre Astrologue qu’on appelle Ptolomée, et Jonas le Prophete, Solon, Aristote, Melchisedech, Og et Magog en ont traicté amplement en leurs livres. » Quand Leonard eut entendu Cingar user de ces gros mots d’Og et Magog pour Philosophes, il se print si fort à rire, qu’estant couché à terre, il sembloit qu’il deust crever. Balde, qui sçavoit par experience les bonnes coustumes de Cingar, n’en feit que sourire, et luy dit : « Cingar, es-tu Astrologue ? Comptes-tu quelquefois les astres ? Si j’eusse sçeu que tu eusses estudié en telles choses, tu m’eusses rendu Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/301 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/302 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/303 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/304 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/305 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/306 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/307 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/308 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/309 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/310 agreables aux escholiers, ayant par le moyen d’icelles plus grand repos durant si longues nuicts.

« La famille du Soleil s’exerce par ces quatre maisons, esquelles se fait tous les ans grande despence pour tant de bouches qu’il faut contenter.

« Mais, ô Leonard ! je voy, par tes yeux, que le sommeil te veut venir : tu as mal dormy ces trois nuicts ; et toy, Balde, il semble que tu ayes une teste de plomb ? Reposons donc ; je voy Boccal desjà ronfler. »


LIVRE QUINZIEME.


Chascun avoit jà donné repos à son corps, lequel commençoit à estre plus affamé qu’endormi, quand Boccal, par le commandement de Balde, accoustroit la cuisine et preparoit un grand poisson, y faisant une sausse d’Alleman et lors Gilbert tire du sac sa viole, et accorde les cordes d’icelle en tons propres. Car ce gentil personnage ne taschoit qu’à complaire à ses compagnons, à fin qu’on luy donnast siege pour ouyr les leçons de maistre Cingar preschant en chaire, et, après avoir revisité toutes sortes d’Almanachs, devenir expert à dire les choses passées. Davantage le naturel du plaisant Gilbert n’estoit point comme aucuns chantres de ce temps, lesquels, estans bien inusquez, peignez et jolis, ne veulent chanter s’ils ne sont près d’un Roy ou grand Seigneur. Nostre Gilbert, nostre nouveau Apollo, ne faisoit pas ainsi ; car, si une petite femmelette luy eust dit : « Chante ! » il eust incontinent chanté, et ne l’eust aucunement refusée. Ayant donc tendu ses Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/312 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/313 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/314 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/315 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/316 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/317 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/318 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/319 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/320 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/321 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/322 gabie : « Fustes ! » Ce sont fustes. Aussi-tost on court aux armes : l’Astrologue Cingar dit : Il faut autrement astrologuer à present, et ne s’amuser à contempler de nuict le Chariot. » Et toy, Mafeline, tu as assez chanté, avec ton alouette aux Astrologues, les estoilles à eux longtemps cachées. Icelles maintenant pourront mieux tromper la compagnie.


LIVRE SEIZIEME.


Pendant que Togne, chef du monde, et la lumiere de Cipade, veut chanter combien maintenant elle est grande, et quelle elle a esté, et quelle elle sera à l’advenir, comme on peut voir par la perte et ruine qu’elle a fait de ses crespes et beignets, et pendant qu’elle se prepare à sonner les horribles batailles, la voicy venir en furie, la voicy venir, et boira tout à l’Allemande. Gardez-vous, bouteilles ? Escampez, harils, flascons ? Estans en cholere, elle vous brisera, et mettra en pieces. Or oyez donc, Messieurs, laissant là le discours que je pourrois faire des premieres et secondes causes.

Voicy Cingar, qui void de loing trois fustes voguer bien roides, et les monstroit du doigt à ses compagnons. Quand un chien a fait partir une oye sauvage, le Faucon ne se jette point dessus si roide (tombant à plomb) sur sa proye, que ces fustes sembloient voler contre le vaisseau de Balde, n’ayans leurs petits vaisseaux que des rameurs volontaires. En iceux estoient des pirates corsaires et voleurs, lesquels, ne croyans en Jesus-Christ, ou l’ayant renié, crioient de loing : « Ho, ho ! tost baissez les voiles ! Vous estes nos prisonniers, descendez du navire : il est Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/324 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/325 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/326 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/327 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/328 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/329 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/330 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/331 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/332 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/333 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/334 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/335 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/336 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/337 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/338 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/339 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/340 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/341 et que reprennes le chemin que tu as laissé ; nous avons assez et trop parlé de ces vaches. La chambriere m’a desjà appellé de mon estude : « O maistre, laisses soudain ta plume, ton escritoire, et ton papier ; le soupper est prest, la souppe se refroidist ; les compagnons ont jà mangé la salade. « Ce livre-cy prendra fin avec vous, Messieurs, et le soupper commencera pour moy.


LIVRE DIX-SEPTIÈME.


Leonard, qui estoit le de toute honnesteté, cheminoit par le sejour et demeure des bestes sauvages, où la mort violente le portoit. Iceluy, estant entré dans le plus espais de la forest, avoit, mal-heureux, perdu les marques de son droit chemin. Il appelle souvent ses compagnons, et double, et redouble ho, ho, laquelle voix la ribaude Fortune espandoit par l’air ; et, tracassant ainsi, il arrive en un pré couvert de belles et diverses fleurs, lesquelles estoient esbranlées par un doux et petit vent. Au milieu d’iceluy y avoit une fontaine, sortant d’une petite roche, laquelle abreuvoit par ses ondelettes l’herbe du pré. Autour d’icelle sont lauriers et myrthes verds, des limoniers et orangiers. Les oyseaux se voyent volettans par les arbres, et chantans melodieusement, invitans tous les passans, par la douceur de leurs chants, à arrester leurs pas, ou pour boire de ceste eau claire et fresche, ou pour jouir en dormant de la frescheur de si beaux ombrages, lesquels agreent merveilleusement aux passans, n’estant jamais outre-percez des rayons du Soleil.

Estant donc Leonard, d’avanture, arrivé en ce beau lieu, il se tourne droict vers ce ruisseau cristalin, et se couche Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/343 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/344 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/345 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/346 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/347 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/348 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/349 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/350 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/351 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/352 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/353 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/354 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/355 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/356 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/357 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/358 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/359 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/360 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/361 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/362 de toutes douleurs, le Phlegethon des peines, le fleuve et la mer de pleurs ! Ha, Dieux ! quel personnage vous avez voulu perdre ! Ha, quel, ô Destin, vous avez tué ! Ha, douleur ! ha, douleur ! ha, quel ennuy ! » Et là-dessus Balde, ce faisant, avoit mis contre son estomac la pointe de son espée. Mais Cingar, le prenant par les deux espaules, luy arrache soudain l’espée d’entre les mains, et cependant iceluy tombe par terre, luy venant au visage une soudaine couleur pasle, ressemblant à la mort : mais, s’endormant, son esprit print quelque repos.


LIVRE DIX-HUITIÈME.


L’esprit de Balde, abbreuvé de la douce liqueur endormante, s’estoit retiré là à part, où son bel astre clair et radieux l’avoit tiré, s’estant joinct au beau Juppiter et à la benigne Venus, et l’avoit posé au jardin secret de la Destinée. En ce lieu il apprint, entre autres choses, combien estoit un travail inutile de s’attacher et appuyer à une colonne branlante, qui est à dire, de fonder son espérance sur choses caducques et transitoires. Pendant qu’il estoit ainsi endormi, il avoit sa teste au giron de Cingar soubs un chesne, l’un veillant, l’autre dormant. Cependant le Centaure, ayant bonne volonté d’exposer sa vie à tous les perils pour l’amour de Cingar, chemine doucement et le plus quoyement qu’il peut, pas à pas, vers la demeure de Pandrague, de peur qu’elle entende sa venuë, et qu’elle s’enfuie pour éviter la mort qu’on luy preparoit à cause du decez de Leonard. Comme nous voyons quelquefois un chat alonger tout le corps, et se trainer Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/364 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/365 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/366 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/367 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/368 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/369 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/370 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/371 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/372 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/373 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/374 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/375 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/376 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/377 lieu commença à trembler derechef, et ces ombres, et ces sieges s’en vont soudain en fumée, emportans avec eux Balde, pour leur Roy esleu, et creé, mais en image seulement ; car le vray Balde demeure entier au corps de Balde, n’estant qu’un Balde feint, qui s’envole soubs l’image de Balde, lequel s’en revint à ses compagnons, et leur feit recit de tout ce qu’il avoit veu, et se vantoit avoir veu les faces luisantes de tant de braves Seigneurs et Chevaliers, et avoir porté par entr’eux le sceptre.


LIVRE DIX-NEUVIEME.


Pendant que moy courronné de laurier en Bergame, et en la bonne ville de Cipade, je me prepare pour chanter au son du gril, les Diables, les proüesses de Fracasse et les horribles faicts de la Baleine, donnez secours, ô Muses, à votre Coccaye. Je ne veux point pescher en ces eaux froides de Parnasse, comme ce badaut de Maro, qui n’eust jamais en badauderie son pareil, pendant qu’il fourre en son corps ces eaux gelées de Helicon, avec lesquelles il refroidist et glace son estomach en refusant l’usage du vin : dont une douleur le prend en la teste, et se rompt les veines de la poitrine. Et pour quoy ? pour quatre sols seulement, pendant qu’en l’ombre il chante : Dis-moy, Damete, et sa brague tomboit. Que de la malvoisie vienne m’abreuver ! il n’y a point meilleure manne, ny meilleure Ambrosie, ny autre plus plaisant Nectar.

Apollo avoit esveillé ses chevaux, et amenoit avec soy un jour si beau et si luisant, que de long-temps il n’en Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/379 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/380 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/381 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/382 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/383 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/384 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/385 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/386 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/387 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/388 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/389 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/390 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/391 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/392 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/393 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/394 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/395 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/396 porte Pophe ; le dernier est Dragamas, lequel foüette à bon escient son crocodile qu’il chevauchoit. Ainsi tous s’enfuient à grand haste ; et ces pauvres malheureux aimeroyent plutost endurer tous les tourmens, que de veoir Jesus-Christ. Boccal, les voyant ainsi bien fuir, ne cesse de courir après, jusques à ce qu’ils arrivent au champ de bataille, auquel on voyoit desjà de grands ruisseaux couler de sang noir. Mais les diables, voyans de loing le Crucifix, aussi-tost et en un moment crians et hurlans, s’en vont en fumée à plus de mille mil de là, et après eux demeura une si grande puanteur, que rien ne servoit de boucher son nez. Tous s’en vont à la mal-heure, et ne fut plus veu là aucun malin esprit, par le bienfait de Boccal. Vive donc Boccal, vive la bouteille, et vive l’insigne maison de l’ancienne Folengue !


LIVRE VINGTIÈME.


Après que les Diables furent ainsi deschassez par le seul signe, et par la seule presentation qui leur fut faite du Crucifix, et que Balde eust proferé beaucoup de choses en la loiange de Boccal, et qu’il cut mis son Pere au tombeau que le Centaure avoit trouvé, et avec luy mis aussi le corps de Leonard, ils engraverent au devant ces vers :

Icy gist Guy, Pere de Balde grand :
Leur beau renom le reste vous aprend.

Cest Epitaphe fut brief : mais, après que les armes de Leonard furent posées sur le tombeau, et autour d’ iceluy, en signe d'un trophée, Gilbert, à la priere de Balde chanta ces vers, lesquels aussi-tost il grava en la pierre :

Les armes que tu vois icy haut attachées,
Je te prie, ô Passant, les vouloir admirer,
D'un pitoyable pleur les vouloir honorer,
Et qu'au fond de ton coeur tu les tiennes fichées.
Leonard, le nompareil d'honneur, les a chargées;
Elles luy ont donné dequoy son los parer:
Ensemble on les a veu en vigueur s'asseurer;
Ore ensemble en ce lieu à repos sont couchées.
Que Rome martiale, à ses fils belliqueux
Se rende gratieuse, et s'employe pour ceux
Qui ornent d'un costé de grands tours sa richesse,
Par colonnes d'ailleurs appuient sa hautesse.

Toutes telles ceremonies lugubres et funebres s'acheverent par ces barons au mieux qu'il leur fut pour lors possible. Autrement, je vous prie, quelle convenance y a-il entre des tarantatare de trompettes et des sons de cloches? Et des Kyrie eleisons entre le maniement de picques? ou la brave assiette de beaux bataillons, avec Requiem eternam, Miserere, et De profundis? Vous suffise qu'au moins faisant en grande devotion leurs prieres, chascun dit à genoux son chapelet.

Or Pandrague restoit à estre payée de ses bien-faits, laquelle estoit encor attachée à un arbre. Ils feirent un petit taudis de bois sec couvert de coppeaux et autres buchetes pour brusler en iceluy ceste sorciere comme en une cage. Toutesfois Balde, qui avoit le cœur genereux, se recula loing d'un tel office, ne voulant veoir un spectacle si miserable. Ce fut là la fin de ceste putain. Ainsi puissent finir toutes les courratieres, et villaines louves, qui sont parmi le monde.

Ceste meschante ne fut pas plutost descenduë aux enfers, qu'incontinent ceste isle commença à flotter sur l'eau, estonnant les esprits des plus asseurez. Ils remettent en memoire ce que Guy avoit recité à Balde et aux autres, Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/399 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/400 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/401 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/402 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/403 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/404 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/405 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/406 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/407 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/408 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/409 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/410 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/411 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/412 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/413 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/414 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/415 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/416 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/417 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/418 Cingar le talonnoit et luy bailloit de l’esperon, de se reserrer le ventre, et mettre la teste entre les jambes en levant le derriere, en sorte que Cingar, en faisant rire la compagnie, estoit contraint mettre main à terre, et tomber plus rudement que s’il fut cheut de dessus un cheval.

Avec ce passe temps, tous ces compagnons arrivent au pied d’une haute montagne : montagne, dis-je, si extremement haute, qu’elle sembloit servir d’une colonne au pole, estant sa cime en la plus haute region de l’air. Icelle est surnommée de la Lune ; et au pied d’icelle, ils rencontrent une grande caverne, laquelle, par plusieurs destours, s’estend partout. Le Centaure y remarque les pas de Fracasse, dont un chascun se resjoüit, et tous se deliberent de suivre ce train. Balde met pied à terre : aussi, font Lyron et Hippolyte. Cingar, qui venoit après, dit : « Qui demeurera derriere, ferme la porte, comme dit le proverbe. »


LIVRE VINGT-UNIEME.


Nous venons enfin au port redoutable de Malamocque, lequel, au milieu de la mer, a en soy cent mille diables, et menace d’engloutir ma petite nacelle. C’est une grande folie de vouloir faire voguer sur mer son esquif, quand il y a du bruit entre les ondes. Que feray-je done ? Il vaut mieux abbattre la voile, et asseurer l’ancre avec plus fortes cordes. Nous n’avons pas le courage d’outrepasser ce pas : ce pas, dis-je, qui est si rude, si horrible, et si meschant, auquel souvent plusieurs barques, plusieurs Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/420 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/421 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/422 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/423 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/424 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/425 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/426 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/427 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/428 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/429 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/430 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/431 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/432


LIVRE VINGT-DEUX.


Il est besoin, ô ma mule, de charger maintenant ton bast d’un lourd fardeau, lequel te fera suer et fienter, et en le portant te fera perdre l’haleine et le poil. O Grugne, monte avec moy, afin que nous chevauchions ensemble sur une mesme emble ; car il faut que nous achevions le voyage que nous avons encommencé. Encore que la corne des pieds de devant de ma monture soit mal ferrée, si faut-il haster le pas pour attrapper un Poëte, ce barbasse, ce vieillard, et ce gros et gras Poëte, que tu nous as dit tantost s’estre presenté devant Balde et ses compagnons. Mais, afin que d’un si excellent poëte, on aye pleine et entiere cognoissance, nous repeterons son histoire dès son commencement.

Il y a un lac en Italie, surnommé de la Garde, lequel fut chanté et celebré par ma sœur Gose, au temps que Gardon faisoit le degast sur le royaume de Monigue, et que le Pape Stinale presidoit à Rivoltelle. Du milieu de ce lac sourd un fleuve, lequel, vers la forteresse de Pesquiere, court viste par des pasturages et prez. Iceluy se nomme Minze ; et, abreuvant les murailles de Gode, vient puis après enclore les murs de Mantouë, et ressemble lors à l’Ocean, tant il se brave avec ses grosses ondes. Passant ainsi autour et par le dedans de ceste ville, il emmeine quant à soy les immondices et ordures de la ville : puis, au-dessous, il se resserre, et de là s’encourt pour rencontrer la grande forteresse de Governol. Avant toutesfois que de mer il se reduise en forme de fleuve, il Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/434 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/435 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/436 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/437 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/438 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/439 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/440 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/441 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/442 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/443 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/444 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/445 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/446 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/447 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/448 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/449 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/450


LIVRE VINGT-TROISIÈME.


Ils avoyent desjà cheminé en ces ombres obscures et tenebreuses, par l’espace de cinq journées, quand ils se veirent au bout et à l’extremité de la caverne, et ne peurent passer plus avant, obstant une pierre de demesurée grandeur et qui traversoit le chemin, tellement qu’ils furent contraints retourner sur leurs pas, et refaire le chemin qu’ils avoyent jà fait avec grand travail. Ils se trouvent, par ce moyen, aussi estonnez que sont les fourmis, quand, cheminans par leur route l’un après l’autre, avec une longue suitte, sur une muraille, ou contremont un vieil noyer, se baisans l’un l’autre, à la rencontre qu’ils font montant et descendant, ils trouvent une ligne noire qu’on aura faicte de charbon à travers leur chemin : car lors ils s’arrestent tout court et s’amassent en une trouppe reculans en arriere, et retournans sur leurs pas. Balde advise sous ses pieds une pierre, laquelle il fait lever par Fracasse. Iceluy, affermissant la plante de ses pieds contre terre et roidissant les reins, l’enleve et trouve dessous un puits profond. Ils prestent l’oreille pour sçavoir s’ils oiroyent quelque bruit venant du fond d’iceluy. Ils entendent un bruit d’une eau coulant entre des pierres. Mais ils n’y peuvent rien veoir. Cingar s’offre de descendre à bas, comme de faict il y descend se tenant des mains et des pieds aux pierres d’iceluy, et estant au bas, il trouve un lac ondoyant et entend un ruisseau s’escouler à travers les feintes et fentes de la montagne. Il appelle de là ses compagnons, tant qu’il peut crier, disant : O compagnons, descendez par ceste eschelle d’enfer ? Tous Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/452 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/453 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/454 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/455 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/456 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/457 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/458 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/459 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/460 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/461 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/462 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/463 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/464 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/465 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/466 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/467 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/468 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/469 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/470 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/471 prestiges et fascinations, et que, reprenans leurs vrayes formes, ils se representent à leur naturel, et se monstrent tels qu’ils sont à la verité. Cingar, en moins de rien, se descharge de la figure de singe ; Fracasse quitte sa forme de bœuf ; Lyron n’est plus linx ; le sanglier devient Hippolyte ; le Centaure, qui estoit tout cheval, en perd la moité ; Falcquet reprend sa forme humaine, en se despoüillant de celle de renard ; Boccal se trouve devestu de sa peau grise d’asne. Ils changerent tous le poil ; mais quant aux coustumes, je ne sçay.

Or, parce que la chandelle est bruslée jusques au bout, et que la lampe vuide d’huile a consommé toute sa meche, j’en ay assez dit jusques icy ; à demain le demeurant.


LIVRE VINGT-QUATRIEME.


Gelfore avoit entendu le grand meurtre qui avoit esté Gfait des siens, et en avoit veu une partie de ses propres yeux : dont elle estoit fort estonnée ; et, se voulant informer plus à plein d’où estoit procedée ceste desconvenuë, ceste vieille arriva vers elle, estant encor toute nuë, laquelle s’estoit eschappée des pattes de Balde, comme une vieille renarde que les païsans auroyent poursuivie plus de six cens pas, crians après elle : « Au renard, prenez, arrestez, courez, devant, à vous, icy, là, de là ! » laquelle ainsi mal menée fuit la queue levée, fientant de rage de peur villaines ordures, et pense avoir beaucoup fait pour elle de pouvoir remporter sa peau entiere : elle s’escoule, tirant la langue dehors un pied de long. Ainsi estoit de ceste vieille, de toutes les vieilles la vraye ordure, la Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/473 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/474 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/475 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/476 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/477 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/478 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/479 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/480 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/481 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/482 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/483 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/484 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/485 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/486 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/487 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/488 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/489 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/490 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/491 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/492 disoit à ses compagnons : « Voyez, freres, comme Cingar est habile à ce mestier de battelier ? Certainement, et de forme, et de dexterité, il n’est gueres esloigné de Charon : voyez ses yeux terribles et sa face maigre. Qui le regarderoit, et ne jugeroit qu’il fust un diable ? — Il est ainsi, dit Boccal, c’est le visage d’un Chiozois, par lequel si vouliez envoyer argent à Venise, ô combien il seroit prest et diligent à recevoir ceste charge ! » Cingar respond : « Et toy, Boccal, en touchant des beufs, tu ne ferois pas bien le mestier de bouvier, en desrobant le lard et le salé gras, pour mettre en ta gorge, pendant que tu ferois semblant d’en frotter et oindre le fust de tes roues ? » Balde les oyant, leur dit : « Ho ! vous estes tous deux la saincte Aumosne. Baisez ceste rive : puisque le fleuve est passé. le sort est jetté, c’en est fait. » Mais, toy, Sorciere, laisse un peu ce travail en repos.


LIVRE VINGT-CINQUIEME.


Les Compagnons s’acheminoient le long du fleuve d’Acheron, vers la ville de Pluton, par des champs sabloneux et steriles, quand ils ouirent de loing un jeune adolescent, criant avec une voix pleine de larmes. Une vieille le suivoit, et le picquoit avec esguillons pointus. Comme une jeune tore, picquée par un cruel taon soubs la queue, se jette çà et là, court d’un costé et d’autre à travers les buissons, et est quelquefois secourue par son bouvier : ainsi ce jeune enfant court tantost deçà, tantost delà, sentant ceste vieille courir après ses espaules. Icelle a ses cheveux espars au vent, qui ne sont point cheveux, Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/494 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/495 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/496 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/497 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/498 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/499 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/500 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/501 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/502 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/503 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/504 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/505 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/506 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/507 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/508 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/509 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/510 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/511 Page:Folengo - Histoire maccaronique de Merlin Coccaie, 1859.djvu/512


TABLE DES MATIÈRES

histoire macaronique de merlin coccaie.
  1. Nous avons souvent fait usage dans notre travail de deux ouvrages spéciaux relatifs à la littérature macaronique : Histoire (en allemand) de la poésie macaronique, par le docteur Genthe, (Leipzig, 1829), et Macaronéana, par M. O. Delepierre (Paris, 1852, in-8). Ce savant littérateur, revenant sur le même sujet, a donné quelques détails nouveaux dans un mémoire imprimé à très-petit nombre parmi les travaux d’une association d’amateurs à Londres, la Philobiblon Society (1855, in-8°, 79 pages). N’oublions pas quelquues pages spirituelles de l’académicien Ch. Nodier : Du langage factice appllé macaronique, insérées dans le Bulletin du bibliophile (Paris, Techener, 1854).
  2. Dans un de ses ouvrages, le Chaos del Tri per Uno, Folengo fait le plus grand éloge de Cornelius, qu’il désigne sous le nom à peine déguisé de Cornegianus. Par contre, dans son Orlandino, l’abbé qu’il nomme Griffarosti, et qu’il dépeint sous de noires couleurs, est sans doute le portrait de Squaccialupi.
  3. On plaça sur sa tombe une inscription ainsi conçue :
    « llic eineres Theophili Monachi tantisper, dum reviviscat, asservantur, et in Domino quievit felicissime die nona decembris 1544. »
    Plus tard on lui érigea un autre mausolée sur lequel on plaça des épitaphes en vers et en prose latine, en espagnol, en italien. (Voir Genthe, p. 115.) Nous nous bornerons à citer deux distiques :

    Mantua me genuit : Veneti rapuere : tenet nunc.
    Campesium ; cecini ludicra, sacra, sales.
    Hospes, siste gradum : manes venerare sepultos
    Merlini. Corpus conditur hoc tumulo.

  4. M. Delepierre, qui parle avec quelques détails de cet éloge, p. 99 et suiv., n’a pas connu l’auteur ; il est appelé Angelo Dalmistro dans un catalogue imprimé à Paris. (E. P., 1850, no 124.)
  5. Le nom de Merlin a été emprunté au célèbre enchanteur anglais qui joue un si grand rôle dans ces romans de chevalerie dont Folengo était le lecteur assidu, et qu’il imite en s’amusant. Un autre Anglais, Geddes, signa du nom de Jodocus Coccaius, Merlini Coccaii pronepos, une ode ironique pindarico-saphico-macaronica in Guglielmi Pitti laudem, qu’il publia en 1795. Ajoutons que Merlin Coccaie a été mis sur le théâtre et qu’il fait usage de sa diction macaronique dans une comédie de G. Ricci : I Poeti rivali, drama piacevole. Roma, 1652. Quant au nom de Coccaie, on croit que notre poëte le prit à un des maîtres qui avaient instruit son enfance, Visago Coccaie.
  6. Cette expression rappelle l’ouvrage plusieurs fois réimprimé dans la première moitié du seizième siècle, et qui, sous le titre des Motz dorez du grant et saige Cathon, offrent une traduction ou plutôt une imitation des Disticha moralia.
  7. Le pays de Cocagne, tel qu’il est décrit dans un fabliau du treizième siècle, renferme des rivières où coulent les meilleurs vins de France ; il s’y fait quatre vendanges par an ; tous les jours fêtes et dimanches. Citons quelques vers d’après le texte que donne le Recueil des Fabliaux, publié par Méon, t. IV, p. 175 :

    De bars, de saumons et d’aloses
    Sont toutes les mesons encloses ;
    Li chevrons i sont d’esturjons,
    Les couvertures de bacons,
    Et les lattes sont de saussices ;

  8. Renaud de Montauban, un des douze pairs de Charlemagne, joue un grand rôle dans plusieurs romans du cycle carlovingien. Il était neveu de Charlemagne. Les plus anciennes épopées italiennes gardent le silence sur son compte ; en revanche, il est un des héros de plusieurs poëmes français, tels que les Quatre fils Aymon et Maugis d’Aigremont.
    Son histoire a été racontée fort au long dans un volume espagnol intitulé : Libro del noble y esforçado cavallero Renaldos de Montalvan ; mais ce livre, qui a fait partie de la bibliothèque de Don Quichotte, est devenu aujourd’hui d’une rareté excessive, bien qu’il ait eu diverses éditions et continuations signalées dans le Manuel du Libraire, de M. J. Ch. Brunet, t. IV, p. 59.
  9. Onomatopée assez expressive. Il y en a d’autres et de nombreuses dans Merlin Coccaie. Elles méritent d’être recueillies lorsqu’on fera pour les onomatopées latines et macaroniques un travail analogue au curieux volume publié par Charles Nodier. (Dictionnaire raisonné des onomatopées françaises, deuxième édition, Paris, 1828, in-8.)
  10. Trombette frifolant tararan.
  11. Ce mot, qui choque avec raison le lecteur du dix-neuvième siècle, n’éveillait nullement la susceptibilité de nos ancêtres.
    On le retrouve dans une foule de pièces de théâtre de la première moitié du dix-septième siècle. La tragédie de François Perrin, Sichem ravisseur ou la Circoncision des incirconcis, Rouen, 1606, se termine par ces deux vers :

    Quoi ! voulez-vous laisser impuni le vilain,
    Abusant de ma sœur comme d’une putain ?

    Il était même alors admis en chaire, et des prédicateurs réimprimant leurs sermons avec approbation et privilége ne se croyaient nullement tenus de l’effacer. On peut s’en convaincre en parcourant les Sermons du Père Bosquet, publiés à Arras aut commencement du règne de Louis XIII.
    L’Italie offre dans ses poëmes et dans son théâtre maint exemples analogues. Dans l’Orlando innamorato de Berni, Charlemagne, irrité contre Roland, promet de pendre de ses propres mains ce figlinol d’una puttana rinegato.
    Une comédie de Fedini, I due Penilie, Florence, 1583, représentée solennellement en présence de la grande-duchesse de Toscane, nous fait entendre cette exclamation :

    O puttana de mi, ha gran potenza l’amor,

    Un auteur comique assez fécond, François Loredano, plaçait, dès le commencement de sa comédie de la Malandrina, Venise, 1587, in-8, ces paroles mal sonnantes : Voler che s’insegni l’arte del puttanezzo à puttane avezze al bordello.

  12. A l’époque où Folengo écrivait sa burlesque épopée, l’examen des urines jouait un grand rôle dans la science médicale ; de nombreux et longs traités étaient composés à cet égard. Leurs titres rempliraient ici un ou deux feuillets qu’on se dispenserait de lire.
    Bornons-nous à mentionner le traité grec de Théophile, de Urinis, dont il existe diverses éditions ; les vers latins de Gilles de Corbeil, Carmina de urinaram jadicis, publiés pour la première fois en 1483, souvent réimprimés avec commentaires, et qu’un savant docteur allemand a fait reparaître à Leipzig en 1826 avec préface et notes nouvelles.
    M. Daremberg, dans ses Notices et Extraits des manuscrits médicaux, 1843, signale comme inédits les ouvrages de Magnus, de Tzetzes et de divers autres écrivains sur le même sujet.
    Ajoutons que le Fasciculus medicinæ, de Jean de Ketham, plusieurs fois réimprimé à la fin du quinzième siècle, renferme un traité intitulé Judicia urinaram, et parmi les gravures en bois qui décorent ce volume et qui sont dignes d’attention comme étant les premières qui aient représenté des sujets d’anatomie, on en trouve d’abord une qui montre une foule de verres remplis d’urine.
  13. Rabelais s’est sans doute souvenu de ce passage lorsqu’il a écrit : « Que le maulubec vous trousque. » (Prologue de Gargantua.) Ajoutons que semblables imprécations ne sont point rares dans les écrits facétieux. L’auteur d’un livret fort singulier, imprimé en 1608 (Premier acte du synode nocturne), a imité ce passage et l’a mis en dialecte languedocien : Mal sainct Anthony bous rape, mal de terre bous bire, lou maulaucis de Biterne bons trigosse. »
  14. Ce titre fut donné à divers ouvrages fort goûtés à cette époque. Le Doctrinal de Sapience, de Guy de Boy, jouit longtemps d’une grande réputation. On vit paraitre en vers français le Doctrinal des bons serviteurs, des femmes, des filles, des femmes mariées. Michault composa le Doctrinal du temps. Un poëte resté ignoré composa le Doctrinal sautvaige.
  15. Ælius Donatus, grammairien romain, vivait vers le milieu du quatrième siècle. Il eut saint Jérôme pour éléve. Il est l’auteur de divers ouvrages de grammaire ; l’un d’eux devint une petite. syntaxe latine à l’usage des écoliers, intitulée de Octo partibus arationis, et réimprimée maintes fois au quinzième et au seizième siècle. Le nom de Donat finit par signifier toutes sortes de leçons et en général un traité élémentaire quelconque. Quant à Nicolas Perot, né en 1450, il fut l’auteur des Redimenta grammatices dont les éditions furent des plus nombreuses depuis l’origine de l’imprimerie jusque vers l’an 1510, où l’on eut recours à des ouvrages mieux rédigés.
  16. Il faut reconnaître sous ce nom un célèbre roman de chevalerie en italien, Li Reali de Franza, dont la première édition parut à Modène en 1491 ; elle fut suivie de plusieurs autres ; le Manuel du Libraire en énumère dix-sept ; les deux dernières sont celles de Venise, 1094 et 1821 ; celle-ci est due aux soins de l’habile bibliographe Gamba. Ginguené, dans son Histoire littéraire d’Italie, t. IV, p. 165 et suiv., donne l’analyse de cette composition.
    Deux mots au sujet des autres romans signalés dans le même passage :
    L’Ancroie est le poëme intitulé Libro della regina Ancroja, dont l’auteur n’est pas bien connu, et qui, de 1479 à 1589, a été réimprimé au moins douze fois. Les premières éditions sont extrêmement rares. Cette épopée a été appréciée par Ginguené, Histoire littéraire d’Italie, t. IV, p. 200 ; il la trouve ennuyeuse et d’une longueur excessive.
    La Trabisonde est le poëme de la Trabisonda, attribué peut-être à tort à Fr. Tromba, et dont la première édition vit le jour en 1183 ; on en connaît quinze autres ; la dernière porte la date de 1682.
    Ogier le Danois est trop connu pour que nous nous y arrêtions ; le roman en prose qui raconte ses exploits et dont la première édition vit le jour à Paris, vers 1498, est tiré de deux poèmes français des douzième et treizième siècles, lesquels avaient été précédés par une relation latine. Le fond de ces récits est historique, mais l’imagination des trouvéres y a beaucoup ajouté. Voir l’Histoire littéraire de la France, t. XXII, p. 645-659 ; les Recherches de M. Paulin Paris, sur Ogier, dans la Bibliothèque de l’Ecole des Charles, t. III, p. 512, etc.
    Au lieu de Bayard, nous lisons Boiardo, nom de l’auteur de cet Orlando innamorato, si souvent réimprimé, et dont le savant conservateur des imprimés du Musée britanique, M. A. Panizzi, a donné, à Londres, une excellente édition à la suite du Roland de l’Arioste, 1830-1834, 7 vol. in-8.
    On attend encore une bonne traduction française de ce poème. Celles de Le Sage et de Tressan ne sont que des extraits où l’on ne s’est nullement piqué de fidélité.
    Quant à l’Antiforre, c’est le nom d’un géant qui fut mis à mort par Roland lorsque ce chevalier était banni de la cour de Charlemagne. L’histoire d’Antifor ou Antafor de Barosio et des exploits de son vainqueur, forme le sujet d’un poëme qui a été porté à quarante-deux chants. La plus ancienne édition connue est celle de Milan, 1498 ; la dernière porte la date de Venise, 1650 ; entre es deux dates on peut placer une dizaine de réimpressions.
  17. On reconnaîtra sous ce nom le célébre roman de Guerin Meshin (Guerino Meschino), appartenant, comme ceux dont il est ici question, à l’histoire de Charlemagne et de ses paladins. La première édition est de l’arme, 1473 ; les réimpressions sont en très-grand nombre ; plusieurs ont vu le jour au dix-neuvième siècle. Cette production a été traduite en espagnol et en français ; la Bibliothèque des Romans, janvier 1777, t. II, p. 5-52, en présente analyse.
    L’Amourochement de Carlon et d’Aspremont signifie le poëme italien connu sous le nom d’Innamoramento di Carlo Magno, publié pour la première fois en 1481, et divisé en soixante-dix-sept chants, heureusement assez courts ; sept autres éditions attestèrent, jusqu’à 1856, le succès de cette épopée, nel quale (selon les promesses du titre) si contiene varie e diverse battaglie d’arme e amore d’Orlando, Rinaldo, etc.
    Aspremont est un autre poëme de chevalerie où il s’agit surtout de Roland et des paladins français ; publié vers 1488, il a été réimprimé sous le titre d’Aspramonte huit ou dix fois, et en dernier lieu à Venise en 1620. Ginguené (Histoire littéraire d’Italie, t. IV, p. 550) en a fait connaître le sujet.
    L’Espagne ou la Spagna jouit longtemps en Italie d’une grande popularité, quoique ce soit une œuvre au-dessous du médiocre. Composé au quatorzième siècle, mais retouché depuis, ce poëme loit son titre à ce qu’il se propose de raconter les guerres de Charlemagne en Espagne ; il a été réimprimé au moins dix-huit fois et même en 1785. Ginguené l’a analysé. (Histoire littéraire d’Italie, t. IV, p. 86.)
    L’Altobelle est un autre poëme qui raconte le battaglie delli baroni di Francia sollo il nome de l’ardito el gagliardo giovene Altobelio. Imprimé en 1476, cet ouvrage obtint, jusqu’à 1021, les honneurs d’une vingtaine d’éditions différentes.
    Nous n’avons pas besoin de dire que Morgant le géant est le héros du fameux poëme de Pulci, maintes et maintes fois réimprimé depuis 1478, et dont plusieurs éditions ont été mutilées.
  18. On doit voir dans cet ouvrage l’Historia dei due nobilissimi el valorosi fratelli Valentino et Orsone, figliuoli del magno imperatore di Constantinopoli el nepoti del re Pipino. Plusieurs fois réimprimée en Italie dans le cours du seizième siècle, cette historia est une traduction du roman français de Valentin et Orson, publié pour la première fois à Lyon en 1489 et souvent réimprimé depuis. Il ne faut d’ailleurs voir dans ce récit, traduit également en anglais et en allemand, qu’une contrefaçon peu ingénieuse du poëme de Cleomades, composé au douzième siècle par Adenes. Le livre français a été analysé dans la Bibliothèque des Romans, mai 1777, p. 160 à 215, et apprécié par M. Saint-Marc Girardin, Cours de littérature dramatique, t. III, p. 215.
  19. Folengo désigne ici Pier Durante da Cocaldo, auteur resté ignoré d’un poëme sans mérite intitulé : Libro d’arme et d’amore chiamato Leandra, nel quale se tratta delle battaglie et gran fatti delli baroni di Francia el principalmente di Orlando et di Rinaldo. Malgré sa médiocrité, cet ouvrage en vingt-cing chants, publié en 1508, fut souvent réimprimé pendant le seizième siècle. Le titre l’indique comme extrait de la véridique chronique de Turpin, archevêque de Paris, et comme opera bellissima et delettevole quanto alcuna altra di battaglia con molti dignissimi detti el elucidiss me sententie. Un littérateur français, tombé dans l’oubli, de Nerveze, donna à Paris, en 1608, les Aventures guerrieres et amoureuses de Léandre ; c’est une imitation en prose du poëme italien.
  20. Cette fée est une de celles qui jouent un grand rôle dans les romans de chevalerie. Rabelais en fait mention sous le nom de Morgue au chap. xxiii de son second livre, et ce passage présente, dans les éditions originales, une variante remarquable que nous avons, ce nous semble, signalée les premiers en 1844 (Notice sur une édition inconnue du Pantagruel). Au lieu de la leçon donnée dans toutes les éditions connues jusqu’alors : « Pantagruel ouyt nouvelles que son père Gargantua avoit esté translaté au pays des phées par Morgue comme feut jadis Ogier et Artus, » maître François avait d’abord écrit : « Comme feut jadis Enoch et Elie, » mais cette saillie, d’une témérité irréligieuse, disparut aussitôt dans toutes les réimpressions.
  21. Rabelais s’est inspiré de ce passage lorsque, au troisième livre de Pantagruel, chap. xxxv, il montre Panurge s’approchant du docteur Rondibilis et lui mettant en main, sans mot dire, quatre nobles à la rose. « Rondibilis les print très-bien, puys luy dit en effroy comme indigné : Hé, hé, hé, monsieu, il ne failloyt rien. » Nous n’avons pas besoin de rappeler que Molière prête un trait semblable à Sganarelle dans le Médecin malgré lui (scène viii).
  22. Ces deux saints sont de la famille de saint Gobelin, de saint Quenet et autres bienheureux dont les noms se trouvent dans les écrits de Rabelais et d’autres écrivains facétieux, mais qu’on chercherait en vain sur le calendrier.
  23. Serait-ce Adrian Villart, mentionné parmi les musiciens dont parle Rabelais (nouveau prologue du livre IV) ?
  24. Constantio Testi, nommé dans Rabelais ainsi que Jacquet Bercan.
  25. Bois de teinture importé du Brésil.