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LeDeuxiemeTexte
Correspondance, X (1762-1763)GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 1-416).

CORRESPONDANCE




4794. — À M. DE CHENEVIÈRES[1].
Aux Délices, 4 janvier.

Vous m’avez écrit des vers charmants, mon cher confrère en Apollon. Je ne compte pas sur la gloire dont vous me bercez, mais bien sur les plaisirs, puisque j’ai tous ceux qui conviennent à mon âge. Je bénis la vieillesse et la retraite ; elles m’ont rendu heureux.


Cette gloire, que vainement
Dans ses écrits on se propose,
On sait très-bien que c’est du vent ;
Mais les plaisirs sont quelque chose.


C’en est un très-grand surtout d’étre un peu aimé de vous. Pourquoi ne m’avez-vous rien dit de l’honneur que nous avons d’être Castillans, Napolitains, Parmesans ?

Il me semble que ce traité peut faire honneur à M. le duc de Choiseul. Vous savez combien je suis attaché à tout ce qui porte ce nom.


4795. — À MADAME DE FONTAINE.
4 janvier 1762.

Enfin donc, ma chère nièce, je reçois une lettre de vous ; mais je vois que vous n’êtes pas dévote, et je tremble pour votre salut. J’avais cru qu’une religieuse, un confesseur, un pénitent, une tourière, pourraient toucher des âmes timorées. Les mystères sacrés sont en grande partie l’origine de notre sainte religion : les âmes dévotes se prêtent volontiers à ces beaux usages. Il n’y a ni religieuse, ni femme, ni fille à marier, qui ne se plaise à voir un amant se purifier pour être plus digne de sa maîtresse.

Vous me dites que la confession et la communion ne sont pas suivies ici d’événements terribles ; mais n’est-ce rien qu’une fille qui se brûle, et qu’un amant qui se poignarde ?

Où avez-vous péché que Cassandre est un coupable, entraîné au crime par les motifs les plus bas ? 1° Il n’a point cru empoisonner Alexandre ; 2° on n’a jamais appelé la plus grande ambition un motif bas ; 3° il n’a pas même cette ambition ; il n’a donné autrefois à Statira un coup d’épée qu’en défendant son père ; 4° il n’a de violents remords que parce qu’il aime la fille de Statira éperdument, et il se regarde comme plus criminel qu’il ne l’est en effet : c’est l’excès de son amour qui grossit le crime à ses yeux.

Pourquoi ne voulez-vous pas que Statira expire de douleur ? Lusignan ne meurt que de vieillesse : c’était cela qui pouvait être tourné en ridicule par les méchantes gens. Corneille fait bien mourir la maîtresse de Suréna sur le théâtre :


Non, je ne pleure point, madame, mais je meurs[2].


Vous êtes tout étonnée que, dans l’église, deux princes respectent leur curé ; mais les mystères sacrés ne pouvaient être souillés, et c’est une chose assez connue.

Au reste, nous ne comptons point jouer sitôt Cassandre ; M. d’Argental n’en a qu’une copie très-informe. Si vous aviez lu la véritable, vous auriez vu que Statira, par exemple, ne meurt pas subitement. Ces vers vous auraient peut-être désarmée :


Cassandre à cette reine est fatal en tout temps.
Elle tourne sur lui ses regards expirants ;
Et croyant voir encore un ennemi funeste
Qui venait de sa vie arracher ce qui reste,
Faible, et ne pouvant plus soutenir sa terreur,
Dans les bras de sa fille expire avec horreur ;
Soit que de tant de maux la pénible carrière
Précipitât l’instant de son heure dernière,
Ou soit que, des poisons empruntant le secours,
Elle-même ait tranché la trame de ses jours[3].


Si vous aviez vu, encore une fois, mon manuscrit, vous auriez vu tout le contraire de ce que vous me reprochez. J’ai cru . d’ailleurs m’apercevoir que les remords et la religion faisaient toujours un très-grand effet sur le public ; j’ai cru que la singularité du spectacle produirait encore quelque sensation. Je me suis pressé d’envoyer à M. et à Mme  d’Argental la première esquisse. Je n’ai pas imaginé assurément qu’une pièce faite en six jours n’exigeât pas un très-long temps pour la corriger. J’y ai travaillé depuis avec beaucoup de soin ; elle a fait pleurer et frémir tous ceux à qui je l’ai lue, et il s’en faut bien encore que je sois content.

Vous voyez, par tout ce long détail, que je fais cas de votre estime, et que vos critiques font autant d’impression sur moi que les louanges de votre sœur. Elle est aussi enthousiasmée de Cassandre que vous en êtes mécontente ; mais c’est qu’elle a vu une autre pièce que vous, et qu’une différence de soixante à quatre-vingts vers, répandus à propos, change prodigieusement l’espèce.

Je ne sais ce qu’est devenu un gros paquet d’amusements de campagne que j’avais envoyé à Hornoy, et que j’avais adressé à un intendant des postes. Il y avait un petit livre relié, avec une lettre pour vous, et quelques manuscrits : tout cela était très-indifférent ; mais apparemment le livre relié fit retenir le paquet. J’ai appris depuis qu’il ne fallait envoyer par la poste aucun livre relié : on apprend toujours quelque chose en ce monde.

Vous ne m’avez pas dit un mot de l’alliance avec l’Espagne. Je vois que vous et moi nous sommes Napolitains, Siciliens, Catalans ; mais je ne vois pas que l’on donne encore sur les oreilles aux Anglais, et c’est là le grand point.

Revenons au tripot. Vous allez donc bientôt voir Zulime ? Je vous avoue que je fais plus de cas d’une scène de Cassandre que de tout Zulime. Elle peut réussir, parce qu’on y parle continuellement d’une chose qui plaît assez généralement ; mais il n’y a ni invention, ni caractères, ni situations extraordinaires : on y aime à la rage ; Clairon joue, et puis c’est tout.

Bonsoir, ma chère nièce ; je vous regrette, vous aime et vous aimerai tant que je vivrai.

On dit que nous aurons Florian au printemps : il verra mon église et mon théâtre. Je voudrais vous voir à la messe et à la comédie.
4796. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
4 janvier.

Mes divins anges, songez donc que je ne peux pas faire copier toutes les semaines un Cassandre. Ne serait-il pas amusant que je vous renvoyasse l’ouvrage cartonné, que vous mêle renvoyassiez apostillé, et que toutes les semaines vous vissiez les changements en bien ou en mal ? Rien ne serait plus aisé. Si vous pensez avoir la pièce telle qu’elle est, vous êtes loin de votre compte. Dépêchez-moi un exemplaire, et sitôt qu’il sera arrivé, vite des cartons, et mes raisons en marge ; et le lendemain le paquet repart, et la poste est toujours chargée de rimes. Cela est juste, puisque j’ai fait Cassandre en poste.

Mme  de Fontaine n’aime pas Cassandre ; Mme  Denis l’aime beaucoup ; Mlle  Corneille n’y comprend pas grand’chose : ce qui est sûr, c’est que cet ouvrage nous amusera.

Mme  Denis m’a fait entendre qu’elle avait écrit à mes anges des choses que je désavoue formellement. Je ne suis pas si pressé d’imprimer. Il est vrai que je ne pourrai guère me dispenser de donner Cassandre dans quelques mois, parce qu’il y a une personne au bout du monde[4] qui a la rage d’avoir une dédicace, et qu’il est bon d’avoir des amis partout ; mais je ne me presserai point.

Crébillon me fait lever les épaules ; c’est un vieux fou à qui il faut pardonner.

L’alliance, le pacte de famille[5], le plaisir de me voir tout d’un coup Catalan, Napolitain, Sicilien, Parmesan, m’a d’abord transporté ; mais si l’Espagne n’attaque pas les Anglais avec cinquante vaisseaux de ligne, je regarde le traité comme des compliments du jour de l’an. Je veux qu’on batte les Anglais et Luc, et qu’on ne siffle ni Zulime ni Cassandre.

Mes anges, je baise le bout des ailes.


4797. — À M. TRONCHIN, DE LYON[6].
Délices, 6 janvier.

Je suis très-aise de la prise de Colberg et des six bataillons, attendu que l’impératrice de Russie a envoyé huit mille livres pour l’édition de Corneille, et que le roi de Prusse n’a pas envoyé un sou.

Voulez-vous, monsieur, me faire un petit plaisir ? Ce serait d’envoyer de ma part à un nommé M. Garnier, ci-devant acteur de la comédie de Lyon, et qui demeure à Lyon, je ne sais où, quatre louis d’or neufs.


4798. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
8 janvier.

Eh, mon Dieu ! il y a cinq ou six jours que Cassandre clôt votre quatrième acte, et que ce quatre est tout changé. Il faut que l’idée soit bien naturelle, puisqu’elle est venue à l’auteur et à l’acteur. Mes divins anges, envoyez-moi donc mon brouillon, que je vous le rebrouillonne. Je vous jure que vous n’aurez plus d’autels souterrains ; mais vous aurez des autels que je vous dresserai.

Il y a toujours des gens qui, comme dit Cicéron, cherchent midi à quatorze heures à une pièce nouvelle ; il est aisé de dire qu’un sabre est trop grand ; il n’y a qu’à le raccourcir. Mme  Denis avait une bonne pique : on ne trouva point du tout mauvais que la forcenée, dans sa rage d’amour, allât se battre contre le premier venu. Elle rencontre son père, et jette ses armes ; cela faisait chez nous un beau coup de théâtre. Nous avons beaucoup d’esprit et de jugement, et votre Paris n’a pas le sens d’une oie. Quand vous faites des opérations de finances, nous vous redressons ; je parle de Genève, car pour moi je suis modeste. Faites comme vous l’entendez ; mais, à votre place, je laisserais crier les critiques.

Duchesne, Gui[7] Duchesne, m’écrit qu’il veut imprimer Zulime. Pourquoi l’imprimer ? quelle nécessité ? Mon avis est qu’elle reste dans le dépôt du tripot : qu’en pensent mes anges ?

Je soutiens toujours que deux scènes de Statira valent mieux que tout Zulime et que toute l’eau rose possible. Mais vous croyez connaître Cassandre (car c’est Cassandre) : non, vous ne le connaissez pas. Quatrième acte nouveau et presque tout entier nouveau, et beaucoup de mailles reprises. Je vous dis que ma nièce Fontaine est folle ; elle ne sait ce qu’elle dit. Mon Dieu, que j’aime Cassandre et le Droit du Seigneur !

Clairon Statira ! c’était ma première pensée. Mes premières idées sont excellentes.

Monsieur le comte de Choiseul, quand tous n’aurez rien à faire, daignez donc vous informer si le roi mon maître a été proposé jadis à Élisabeth l’autocratrice.

Le roi de Prusse a une descente : les flatteurs disent que c’est la descente de Mars ; mais elle n’est que de boyaux, et il ne peut plus monter acheval. Il est comme nous ; il n’a plus de Colbert[8], à ce que disent les mauvais plaisants.

Mais, monsieur le comte de Choiseul, dites donc à l’Espagne qu’elle envoie cinquante vaisseaux à notre secours. Que voulez-vous que nous fassions avec des compliments ?

Gardez-vous d’avoir jamais affaire aux Russes.

Je n’ai point entendu parler de Lekain ; mais son affaire est faite[9].

Je baise bien tendrement le bout de vos ailes.


4799. — À M.  DAMILAVILLE.
9 janvier.

Vraiment, mes chers frères, j’apprends de belles nouvelles ! Frère Thieriot reste indolemment au coin de son feu, et on va jouer le Droit du Seigneur tout mutilé, tout altéré, et ce qui était plaisant ne le sera plus ; et la pièce sera froide, et elle sera sifflée ; et frère Thieriot en sera pour sa mine de fèves. Un autre inconvénient qui n’est pas moins à craindre, c’est qu’on ne prenne votre frère pour le sieur Picardec, de l’Académie de Dijon ; alors il n’y aurait plus d’espérance, et tout serait perdu sans ressource. Je demande deux choses très-importantes : la première, c’est qu’on m’envoie la pièce telle qu’on la jouera ; la seconde, qu’on jure à tort et à travers que je n’ai nulle part à cet ouvrage : mon nom est trop dangereux, il réveille les cabales. Il n’y en a point encore de formée contre M. Picardec, et M. Picardec doit répondre de tout.

Mes chers frères, intérim estote fortes in Lucretio[10] et in philosophia.

J’espère que je contribuerai, avec les états de Bourgogne (dont nous avons l’honneur d’être), à donner un vaisseau au roi ; mais si les Anglais me le prennent, je ferai contre eux une violente satire.

Frère V. est tout ébahi de recevoir, dans l’instant, une pancarte du roi, adressée aux gardes de son trésor royal, avec un bon rétablissant une pension que frère V. croyait anéantie depuis douze ans. Que dira à cela Catherin Fréron ? que dira Lefranc de Pompignan ? V. embrasse les frères.

Qu’est-ce donc que Zarukma[11] ? Quel diable de nom ! J’aimerais mieux Childebrand.

Je vous prie de me dire où demeure ce pédant de Crévier. Est-il recteur, professeur ? Je lui dois mille tendres remerciements.


4800. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
10 janvier.

Il faut que je fasse part à mes anges gardiens de ce qui m’arrive sur terre. Pourquoi M. Ménard, premier commis, m’écrit-il ? Pourquoi m’envoie-t-il une pancarte du roi ? Garde de mon trésor royal, payez comptant à V…… Bon, Louis. Il est vrai qu’il y a douze ans que j’avais une pension ; mais je l’avais oubliée, et je n’avais pas l’impudence de la demander : je la croyais anéantie. Que veut dire cette plaisanterie ? ne serait-ce pas un tour de nosseigneurs de Choiseul ? Je ne sais à qui m’en prendre ; mes anges, ne seriez-vous point dans la bouteille ?

Cependant renvoyez-moi donc Cassandre.

1° Il ne faut pas qu’il ait été complice de l’empoisonnement d’Alexandre.

2° S’il a donné un coup d’épée à la veuve, c’est dans la chaleur du combat ; et il en est encore plus contrit que ci-devant.

3° Il aime, et est encore plus aimé qu’il n’était, et il en parle davantage dès le premier acte.

4° Antigone a encore plus de raison qu’il n’en avait de soupçonner Olympie d’être la fille de sa mère.

5° Antigone traitait trop Cassandre en petit garçon, et cela rendait Cassandre bien moins intéressant.

6° Les lois touchant le mariage semblaient trop faites pour le besoin présent, et il faut les préparer de plus loin.

7° L’acte quatrième, finissant par Cassandre et non par Antigone, est bien plus touchant.

8° L’aspect de Cassandre augmentant les maux de nerfs de Statira rend sa mort bien plus vraisemblable.

9° Bien des gens croient que Statira, voyant que sa fille aime Cassandre, s’est aidée d’un peu de sublimé.

10° Des détails plus forts et plus tendres sont quelque chose.

Enfin on ne peut faire qu’en faisant.

Mais renvoyez-moi donc ma guenille, si vous voulez que je baise le bout de vos ailes.


4801. — À M.  LE PRÉSIDENT DE RUFFEY[12].
Aux Délices, 13 janvier.

Mon cher président, je ne suis point paresseux, mais je suis accablé de vers et de prose. Perrin Dandin avait moins de sacs. Mon cœur vous a écrit mille fois, mais ma main n’a pu encore faire un mot de lettre. Pardonnez-moi, je vous en prie.

J’ai été très-sensible à la mort de Mme  de Brosses[13]. Elle était fille d’un homme que j’avais aimé depuis l’âge de sept ans (et qui ne m’eût jamais fait un procès pour six voies de bois). J’aurais même écrit au veuf, si le veuf pouvait recevoir mes compliments sans rechigner. J’ai été très-fâché contre lui, mais je n’ai point de rancune[14]. Je n’en aurai pas même contre ce président Lefranc de Pompignan s’il veut promettre de ne plus ennuyer le public.

Le parlement de Bourgogne ne doit plus songer à son procès contre les états[15]. Il s’unira avec eux pour donner au roi un beau vaisseau. Je me flatte que mon petit pays de Gex y contribuera pour un cordage. Mais j’aime encore mieux un bon carrosse pour aller vous voir, si Corneille m’en laisse le temps, et si je peux avoir la consolation de vous embrasser.
4802. — À M.  JEAN SCHOUVALOW.
Aux Délices, près de Genève, 14 janvier.

Monsieur, il me semble que je vous avais fait mon compliment sur la conquête de Colberg un peu avant que cette place fût prise par vos armes victorieuses[16]. Si on me reproche quelques méprises sur les événements passés, vous voyez que je ne prédis pas mal l’avenir, et que mon vrai métier est d’être prophète. Je vous prophétise donc de plus grandes choses qui mettront le comble à la gloire de votre nation, et qui seront une belle réponse à celui qui prétendait que le mot honneur ne se trouvait pas dans votre langue. Il me semble que vous avez l’honneur de la victoire, de la conduite, de la magnanimité, de la probité ; et je doute que celui qui vous a outragé ait un dictionnaire pareil à son usage. J’ignore quel est cet écrivain ; mais c’est à lui à corriger son livre. Pour le premier tome de Pierre le Grand, soyez sûr, monsieur, qu’il sera conforme à toutes vos vues, après mes petites représentations.

Je n’ai de place que pour vous assurer du tendre respect que je conserverai toute ma vie pour Votre Excellence, etc.


4803. — À M.  LE MARQUIS DE CHAUVELIN.
Aux Délices, 19 janvier.

Il faut absolument que Votre Excellence soit du métier ; vous ne pouvez en parler si bien sans en avoir un peu tâté. Pourceaugnac[17], à qui d’ailleurs vous ne ressemblez point, a beau dire qu’il a pris dans les romans qu’il doit être reçu à ses faits justificatifs, on voit bien qu’il a étudié le droit. Ce n’est ni en Corse ni à Turin qu’on apprend toutes les finesses de l’art du théâtre. Vous avez mis la main à la pâte ; avouez-le. Tout l’esprit que vous avez ne suffit pas pour entrer dans la profondeur de nos mystères : vos réflexions sont une excellente poétique. Soyez persuadé qu’il n’y a point d’ambassadeur ni de lieutenant général qui en puisse faire autant. Je suis fort aise à présent de ne vous avoir pas envoyé la bonne copie, puisque le brouillon m’a valu une si bonne leçon.

Vous avez très-grande raison, monsieur, de vouloir que Cassandre puisse n’avoir rien à se reprocher auprès d’Olympie, En toute tragédie, comme en toute affaire, il y a un point principal, un centre où toutes les lignes doivent aboutir. Ce centre est ici l’amour de Cassandre et d’Olympie ; j’avais été assez heureux pour remplir votre objet. Ce n’est point Cassandre qui a enlevé Olympie à Babylone, c’est Antipatre son père, Antipatre vient de mourir ; et le premier devoir dont s’acquitte Cassandre est de restituer à la fille d’Alexandre le royaume de son père, dont il se trouve en possession. Il est à la fois innocent devant Dieu, et coupable devant Statira et devant Olympie. Il est vrai qu’il a présenté la coupe empoisonnée à Alexandre, mais il n’était pas dans le secret de la conspiration ; il est vrai qu’il a répandu le sang de Statira, mais c’est dans la fureur d’un combat, c’est en défendant son père. Il se trouve enfin dans la situation la plus tragique, amoureux à l’excès d’une fille dont il est l’unique bienfaiteur, meurtrier de la mère, empoisonneur du père, adoré de la fille, exécrable à Statira, odieux à Olympie, qui l’aime, pénétré de remords et de désespoir. Il n’y a personne qui ne souhaite ardemment qu’Olympie lui pardonne, et Olympie n’ose lui pardonner. Voilà le fond, voilà le sujet de la pièce. Elle est bien autrement traitée que dans la malheureuse minute qu’on vous a envoyée par méprise. Je suis tout glorieux d’avoir prévenu presque toutes vos objections.

Il s’en faut bien, par exemple, que mon grand prêtre puisse être soupçonné de prendre aucun parti : car lorsque Cassandre lui dit :


Du parti d’Antigone êtes-vous contre moi ?

(Acte III, scène ii.)


il répond :


Me préservent les cieux de passer les limites
Que mon culte paisible à mon zèle a prescrites !
Les intrigues des cours, les cris des factions,
Des humains que je fuis les tristes passions,
Seigneur, ne troublent point nos retraites obscures.
Au Dieu que nous servons nous levons des mains pures :
Les débats des grands rois, prompts à se diviser,
Ne sont connus de nous que pour les apaiser ;
Et nous ignorerions leurs grandeurs passagères,
Sans le fatal besoin qu’ils ont de nos prières.


Enfin il y a, de compte fait, quatre cents vers dans la pièce qui la changent entièrement, et que vous ne connaissez pas. Encore une fois, j’en bénis Dieu, puisque le quiproquo m’a valu vos bontés et vos lumières ; vous m’enchantez et vous m’éclairez. Venez donc voir jouer la pièce ; madame l’ambassadrice, embellissez donc Olympie. Je vais tâcher de rendre son rôle plus touchant, pour le rendre moins indigne de vous. Je suis un bon diable d’hiérophante, pénétré, reconnaissant, attaché pour ma pauvre vie à Vos Excellences.


4804. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 20 janvier.

Mes anges sont terriblement importunés de leur créature. Leur créature considère qu’il faut toujours plus de six semaines pour rapetasser ce qu’on a fait en six jours (comme on l’a déjà confessé).

En toute tragédie, comme en toute affaire, il y a un point principal d’où dépend le succès, et auquel tout doit être subordonné. Ce point principal, dans l’affaire de Cassandre, est qu’il ne soit pas odieux au public, et qu’il le soit horriblement à Statira. Il faut que son amour intéresse ; et, pour qu’il intéresse, il ne faut pas qu’on ait le plus léger soupçon que ce soit un lâche qui ait empoisonné Alexandre. Quelque soin que j’aie pris d’écarter cette idée, je vois qu’elle se loge dans beaucoup de têtes. Mes anges verront le soin que j’ai pris pour prévenir cette fausse opinion par les deux scènes ci-jointes. Il me semble que ces deux scènes écartent toutes les objections qu’on pourrait faire au rôle de Cassandre. Il n’y a plus de reproches à faire qu’à Antipatre son père ; c’est lui qui fit périr son maître, c’est lui qui emmena Olympie en esclavage ; et Cassandre a élevé avec des soins paternels la prisonnière de son père. Rien ne peut plus s’opposer à l’intérêt qu’on doit prendre à lui : il a tout réparé, il a tout fait pour mériter Olympie ; et c’est, à mon sens, un coup de l’art assez singulier que l’empoisonneur du père d’Olympie, et le meurtrier de sa mère, mérite d’être aimé de la fille.

Voici une autre affaire bien importante et bien délicate. Lekain se plaint amèrement de ce qu’un nommé Brizard veut s’appeler Marc-Tulle-Cicéron[18] ; Lekain prétend que c’est lui qui doit être Cicéron, mais il ne lui ressemble point du tout. Ce Cicéron avait un grand cou, un grand nez, des yeux perçants, une voix sonore, pleine, harmonieuse ; toutes ses phrases avaient quatre parties, dont la dernière était la plus longue ; il se faisait entendre, du haut de la tribune, jusque dans les derniers rangs des marmitons romains. Ce n’est point là du tout le caractère de mon ami Lekain ; mais où sont les gens qui se rendent justice ? Ce singe[19] de Lanoue ne me déclarait-il pas une haine mortelle, parce que je lui avais dit que Dufresne avait une face plus propre que la sienne à représenter Orosmane ?

Je ne puis donc flatter Lekain dans son goût cicéronien ; je m’en remets à la décision de mes anges : c’est aux premiers gentilshommes de la chambre à donner les rôles ; un pauvre auteur ne doit jamais se mêler de rien que d’être sifflé.

Autre requête à mes anges, concernant le Droit du Seigneur. On dit qu’on a tout mutilé, tout bouleversé. La pièce sera huée, je vous en avertis. J’écris à frère Damilaville[20] ; je le prie de m’envoyer la pièce telle qu’on la doit jouer : ce qu’il y a encore de très-important, c’est qu’il faut jurer toujours qu’on ne connaît point l’auteur. Le public cherche à me deviner, pour se moquer de moi ; je vois cela de cent lieues.

Mes divins anges, ce n’est pas tout. Renvoyez-moi, je vous prie, tous mes chiffons, c’est-à-dire les deux leçons de cette œuvre de six jours, que je mets plus de six fois six autres jours à reprendre en sous-œuvre. Ou je suis un sot, ou cela sera déchirant, et vous en viendrez à votre honneur. Vous pouvez être sûrs que si je reçois le matin votre paquet, un autre partira le soir pour aller se mettre à l’ombre de vos ailes. Ah ! que vous m’avez fait aimer le tripot ! Je relisais tout à l’heure une première scène d’une drame commencé et abandonné. Cette première scène me réchauffe ; je reprendrai ce drame, mais il faut songer sérieusement à Pierre Ier[21] ?

La vie est courte ; il n’y a pas un moment à perdre à l’âge où je suis. La vie des talents est encore plus courte. Travaillons tandis que nous avons encore du feu dans les veines.

Je suis content de l’Espagne[22] : il vaut mieux tard que jamais.

Il y a longtemps que je dis : Gare à vous, Joseph ! Je dis aussi : Gare à vous, Luc !

Aux pieds des anges.
4805. — À M.  COLINI.
Aux Délices, 20 janvier.

Mon cher Colini, le paquet que j’ai adressé à Son Altesse électorale[23] était si gros que je n’ai pas osé y mettre un autre nom que le sien, de peur que la poste refusât de s’en charger. Au reste, cette pièce dont vous parlez n’est qu’une simple esquisse, et je travaille à rendre l’ouvrage[24] plus digne de lui.

Je suis bien vieux et bien cassé ; ma vue s’affaiblit ; mes oreilles deviennent bien dures ; cependant je ne perds jamais de vue l’affaire de Francfort, et je ne désespère pas d’obtenir justice : j’espère beaucoup des Russes. Il faudra bien qu’à la fin les Schmith et les Freytag connaissent qu’il y a une Providence. J’aiderai un peu cette Providence, si j’ai la force de faire un voyage ; et comme on espère toujours, j’espère faire un voyage, et vous embrasser, dès que je serai quitte de mon Pierre Corneille.

Addio, caro ! V.


4806. — À. M.  DUCLOS.
Aux Délices, 20 janvier.

Ni le petit Mémoire[25], monsieur, que vous avez eu la bonté de communiquer à l’Académie, ni aucun des commentaires qu’elle a bien voulu examiner, ne sont destinés à l’impression : ce ne sont, je le répète encore, que des doutes et des consultations. Je demande les avis de l’Académie, pour pressentir le jugement du public éclairé, et pour avoir un guide sûr qui me conduise dans un travail très-épineux et très-pénible. Non-seulement je consulte l’Académie en corps, mais je m’adresse à des membres qui ne peuvent assister aux assemblées.

M. le cardinal de Bernis, par exemple, a présentement entre les mains mes doutes sur Rodogune, et je vous les enverrai dès qu’il me les aura rendus. Encore une fois, il s’agit d’avoir toujours raison, et je ne peux demander trop de conseils.

Je tâche d’égayer et de varier l’ouvrage par tous les objets de comparaison que je trouve sous ma main ; voilà pourquoi je rapporte la chanson des sorcières de Shakespeare[26], qui arrivent sur un manche à balai, et qui jettent un crapaud dans leur chaudron. Il n’est pas mal de rabattre un peu l’orgueil des Anglais, qui se croient souverains du théâtre comme des mers, et qui mettent sans façon Shakespeare au-dessus de Corneille.

J’ai une chose particulière à vous mander, dont peut-être l’Académie ne sera pas fâchée pour l’honneur des lettres. Vous savez que j’avais autrefois une pension : je l’avais oubliée depuis douze ans, non-seulement parce que je n’en ai pas besoin, mais parce que, étant retiré et inutile, je n’y avais aucun droit. Sa Majesté, de son propre mouvement, et sans que je pusse m’y attendre, ni que personne au monde l’eût sollicitée, a daigné me faire envoyer un brevet et une ordonnance. Peut-être est-il bon que cette nouvelle parvienne aux ennemis de la littérature et de la philosophie. Je me recommande toujours aux bontés de l’Académie, et je vous prie de me conserver les vôtres.


4807. — À MADAME DE FONTAINE[27].

Est-il vrai que la Dubois récite le rôle d’Atide[28] comme une petite fille qui ânonne sa leçon ?

Les Étrennes du chevalier de Molmire[29] ne paraissent pas vous être dédiées. Ne montrez le Sermon du bon rabbin Akib qu’à d’honnêtes gens dignes d’entendre la parole de Dieu. Savez-vous que j’avais autrefois une pension que je perdis en perdant la place d’historiographe ? Le roi vient de m’en donner une autre, sans qu’assurément j’aie osé la demander ; et M. le comte de Saint-Florentin m’envoie l’ordonnance pour être payé la première année. La façon est infiniment agréable. Je soupçonne que c’est un tour de Mme  de Pompadour et de M. le duc de Choiseul.


4808. — À M.  THIERIOT.
Aux Délices, 26 janvier.

Le frère ermite embrasse tendrement les frères de Paris. Il a un peu de fièvre, mais il espère que Dieu le conservera pour être le fléau des fanatiques et des barbares. Ni lui ni M. Picardet ne sont contents de l’altération du texte du Droit du Seigneur ; et il espère que, quand il s’agira d’imprimer, le texte sacré sera rétabli dans toute sa pureté.

Je suis enthousiasmé du petit livre de l’Inquisition ; jamais l’abbé Mords-les n’a mieux mordu, et la préface est un des meilleurs coups de dent qu’ait jamais donnés Protagoras[30].

Je suis d’ailleurs très-mécontent de frère Thieriot, dont les lettres sont toujours instructives, et qui écrit une fois en six mois. Ce frère aura pourtant, dans six mois, un ouvrage d’un de nos frères de la propagande qui pourra lui être utile[31], et faire prospérer la vigne du Seigneur.

Allons donc, paresseux, écrivez-moi donc comment on a reçu la réplique foudroyante de l’abbé de Chauvelin aux jésuites[32].

Quelles nouvelles du tripot de la Comédie ? quelle tragédie jouera-t-on ? quelles sottises fait-on ? Envoyez-moi donc celles de Piron[33], puisque j’ai lu celles de Gresset[34].


4809. — À M.  DAMILAVILLE.
26 janvier.

Mes chers frères, je vous remercie, au nom de l’humanité, du Manuel de l’Inquisition. C’est bien dommage que les philosophes ne soient encore ni assez nombreux, ni assez zélés, ni assez riches, pour aller détruire, par le fer et par la flamme, ces ennemis du genre humain, et la secte abominable qui a produit tant d’horreurs.

M. Picardin me mande qu’il est assez content du succès du Droit du Seigneur : on dit qu’on l’a gâté encore après la première représentation. Il faudrait avoir un peu plus de fermeté, et savoir résister à la première fougue des critiques, qui fait du bruit les premiers jours, et qui se tait à la longue. On ne peut que corriger très-mal quand on corrige sur-le-champ, et sans consulter l’esprit de l’auteur : cela même enhardit les censeurs ; ils critiquent ces corrections faites à la hâte, et la pièce n’en va pas mieux.

Je vais écrire aux frères Cramer, et j’enverrai, par la poste suivante, les deux exemplaires qu’on demande concernant le Despotisme oriental[35]. Ce livre, très-médiocre, n’est point fait pour notre heureux gouvernement occidental. Il prend très-mal son temps, lorsque la nation bénit son roi et applaudit au ministère. Nous n’avons de monstres à étouffer que les jésuites et les convulsionnaires.

M. Picardin demande absolument la préface[36] du Droit du Seigneur : cela est de la dernière conséquence ; il y a quelque chose d’essentiel à y changer. Je supplie donc qu’on me l’envoie par la première poste, et M. Picardin la renverra incontinent.

On n’a point reçu de lettre de frère Thieriot ; cela n’a pas trop bon air ; il devait, ce me semble, montrer un peu plus de sensibilité.

J’embrasse tendrement tous les frères. S’ils ne dessillent pas les yeux de tous les honnêtes gens, ils en répondront devant Dieu. Jamais le temps de cultiver la vigne du Seigneur n’a été plus propice. Nos infâmes ennemis se déchirent les uns les autres ; c’est à nous à tirer sur ces bêtes féroces pendant qu’elles se mordent, et que nous pouvons les mirer à notre aise.

Soyez persévérants, mes chers frères, et priez Dieu pour moi, qui ne me porte pas trop bien.

Élevons nos cœurs à l’Éternel. Amen.


4810. — À M.  LE MARQUIS DE THIBOUVILLE.
Aux Délices, 26 janvier.

Je voud jure, mon cher marquis, que le Droit du Seigneur, qu’on intitule sottement l’Écueil du Sage, est une pièce meilleure sur le papier qu’au théâtre de Paris : car, à ce théâtre, on a retranché et mutilé les meilleures plaisanteries. Votre nation est légère et gaie, je l’avoue ; mais pour plaisante, elle ne l’est point du tout. Vous n’avez pas, depuis le Grondeur, un seul auteur qui ait su seulement faire parler un valet de comédie. Je conviens que l’intérêt et le pathétique ne gâtent rien ; mais sans comique point de salut. Une comédie où il n’y a rien de plaisant n’est qu’un sot monstre. J’aime cent fois mieux un opéra-comique que toutes vos fades pièces de La Chaussée. J’étranglerais Mlle  Dufresne pour avoir introduit ce misérable goût des tragédies bourgeoises, qui est le recours des auteurs sans génie. C’est à ce pitoyable goût qu’on doit le retranchement des plaisanteries du Droit du Seigneur. Je m’intéresse fort à cette pièce ; je sais qu’on me l’attribue, mais je vous jure qu’elle est d’un académicien de Dijon. Regardez-moi comme un malhonnête homme si je vous mens[37]. Je vous prie, vous et vos amis, de le dire à tout le monde : nous jouerons incessamment cette pièce sur un théâtre charmant, que vous devriez bien venir embellir de vos talents admirables.

On dit que Mlle  Dubois n’a pas joué Atide en fille desprit, et que Brizard est à la glace : ce n’est pas ainsi que nous jouons la comédie chez nous. Comptez qu’à tout prendre notre tripot vaut bien le vôtre. Mlle  Corneille joue Colette comme si elle était l’élève de Mlle  Dangeville : c’est une laideron très-jolie et très-bonne enfant ; j’ai fait en elle la meilleure acquisition du monde. Monsieur son oncle me fatigue un peu : il est bien bavard, bien rhéteur, bien entortillé, et vous présente toujours sa pensée comme une tarte des quatre façons ; cependant il faut le commenter. Vous êtes sans doute sur la liste ; ce sont les Cramer qui sont chargés des détails. Pour moi, je ne me mêle que d’être un très-petit commentateur, beaucoup moins pour le service de l’oncle que pour celui de la nièce. Entre nous, vive Racine ! malgré sa faiblesse.


4811. — À M.  LE CARDINAL DE BERNIS.
Aux Délices, 20 janvier.

Avez-vous, monseigneur, daigné recommencer Rodogune, que j’eus l’honneur d’envoyer à Votre Éminence il y a un mois ? Vous avez pu faire lire les Commentaires en tenant la pièce, c’est un amusement ; dites-moi donc quand j’ai raison et quand j’ai tort : c’est encore un amusement.

En voici un autre : c’est mon œuvre de six jours, qui est devenu un œuvre de six semaines. Vous verrez que j’ai profité des avis que vous avez bien voulu me donner. Il n’y a que ce poignard qu’on jette toujours au nez ; mais je vvvous promets de vous le sacrifier. J’aime passionnément à consulter ; et à qui puis-je mieux m’adresser qu’à vous ? Aimez toujours les belles-lettres, je vous en conjure : c’est un plaisir de tous les temps, et, per Deos immortales, il n’y a de bon que le plaisir, le reste est fumée ; vanitas vanitatum[38], et afflictio spiritus[39]. Quand vous aurez lu ma drogue, Votre Éminence veut-elle avoir la bonté de l’envoyer à M. le duc de Villars, à Aix ? Il a vu naître l’enfant ; il est juste qu’il le voie sevré, en attendant qu’il devienne adulte.

Je fus tout ébahi, ces jours passés, quand le roi m’envoya la pancarte du rétablissement d’une pension que j’avais autrefois, avec une belle ordonnance. Cela est fort plaisant, car il y aura des gens qui en seront fâchés. Ce ne sera pas vous, monseigneur, qui daignez m’aimer un peu, et à qui je suis bien tendrement attaché avec bien du respect.

P. S. Je me flatte que votre santé est bonne ; il n’en est pas de même de celle du roi de Prusse, ni même de la mienne ; je m’affaiblis beaucoup.


4812. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 26 janvier.

Ô mes anges ! je vous remercie d’abord, vous et M. le comte de Choiseul, de l’éclaircissement que je reçois sur les propositions de mariage faites, en 1725, entre deux têtes couronnées[40]. Je vous prie de dire à M. le comte de Choiseul qu’un jour le maréchal Keith me disait : « Ah ! monsieur, on ment dans cette cour-là encore plus que dans la cour de Rome. »

Mais vous m’avouerez que si les Scythes savent mentir, ils savent encore mieux se battre, et qu’ils deviennent un peuple bien redoutable. Je suis leur serviteur, comme vous savez, et un peu le favori du favori ; mais j’avoue qu’ils mentent beaucoup, et je ne l’avoue qu’à mes anges.

Il est fort difficile de trouver à présent les Sermons du rabbin Akib ; on tâchera d’en faire venir de Smyrne incessamment.

À l’égard du capitaine de chevaux[41], si fiançailles ne sont pas épousailles, désir passager n’est pas fiançailles ; on attendra tranquillement que Dieu et le hasard mettent fin à cette belle aventure.

Je vais tâcher, tout malingre que je suis, d’écrire un mot à M. le président de La Marche, et le remercier de son beau zèle pour mon nom. Vous devriez bien le détourner du malheureux penchant qu’il semble avoir encore pour cette secte abominable[42], contre laquelle le rabbin Akib[43] semble porter de si justes plaintes.

Les jésuites et les jansénistes continuent à se déchirer à belles dents ; il faudrait tirer à balle sur eux tandis qu’ils se mordent, et les aider eux-mêmes à purger la terre de ces monstres. Vous me trouverez peut-être un peu sévère dans ce moment, mais c’est que la fièvre me prend, et je vais me coucher pour adoucir mon humeur.

Je vous demande en grâce, mes divins anges, de me renvoyer mes deux Cassandre ; et si la fièvre me quitte, vous aurez bientôt un Cassandre selon vos désirs. Mille tendres respects.

Encore un mot, tandis que j’ai le sang en mouvement. Je suis douloureusement affligé qu’on ait retranché l’homme qui paye noblement quand il perd une gageure[44], et la réponse délicieuse à mon gré : Ai-je perdu ? A’ous nous gardons bien, sur notre petit théâtre, de supprimer ce qui est si fort dans la nature, car nous n’avons point le goût sophistiqué comme on l’a dans Paris, et nos lumières ne sont point obscurcies par la rage de critiquer mal à propos, comme c’est la mode chez vous, à une première représentation. Il faut avoir le courage de résister à ces premières critiques, qui s’évanouissent bientôt.

Je crois que ce qui me donne la fièvre est qu’on ait retranché dans Zulime le J’en suis indigne[45] du cinquième acte, qui fait chez nous le plus grand effet, et qui vaut mieux que Eh bien ! mon père ! dans Tancrède[46]. Puisqu’on m’a ôté ce trait de la pièce, qui est le meilleur, je n’ai plus qu’à mourir, et je meurs (du moins je me couche). Adieu.


4813, — À M.  L’ABBÉ D’OLIVET.
Aux Délices, 26 janvier.

Mon cher doyen, il arrive toujours quelque contre-temps dans le monde. M. d’Argental confesse avoir égaré votre lettre du 29 de décembre, pendant près d’un mois. Je la reçois aujourd’hui, et je vous souhaite la bonne année, quoique ce soit un peu tard. Vivamus, Olivete, et amenus[47]. J’en dis autant à mes anciens camarades MM. de La Marche et de Pelot. Je vous assure que j’aurais voulu être de votre dîner, eussiez-vous dit du bien de moi à mon nez ; mais, après cette orgie, je serais reparti au plus vite pour les bords de mon beau lac. Je vous avoue que la vie que j’y mène est délicieuse ; c’est au bonheur dont je jouis que je dois la conservation de ma frêle machine. Il est vrai que j’ai actuellement un petit accès de fièvre qui m’empêche de vous écrire de ma main ; mais, malgré ma fièvre, je me crois le plus heureux des hommes.

Vous avez donc présenté votre Dictionnaire[48] au roi, qui ne manquera pas de le lire d’un bout à l’autre. Je me flatte que mes confrères auront la bonté de lire mes remarques sur Héraclius, et de m’en dire leur avis. Rien ne m’est plus utile que ces consultations ; elles me mettent en garde contre moi-même, elles m’ouvrent les yeux sur bien des choses, et elles pourront enfin me faire composer un ouvrage utile.

On m’a parlé d’une comédie intitulée le Droit du Seigneur, ou l’Écueil du Sage ; on prétend qu’elle est d’un académicien de Dijon, et qu’il y a du comique et de l’intérêt. Notre ami La Chaussée tâchait d’être intéressant pour se sauver ; mais le pauvre homme était bien loin d’être né plaisant.

Comme dit César d’un homme[49] qui valait mieux que La Chaussée :


· · · · · · · · · · Atque utinam adjuncta foret vis
Comica ! · · · · · · · · · ·


Avez-vous remarqué que, depuis Regnard, il n’y a pas eu un seul auteur comique qui ait su faire parler un valet comme il faut ? Comment notre nation, qui croit être gaie, a-t-elle rendu la comédie si triste ?

Ce qui n’est pas comique, c’est la réplique de l’abbé Chauvelin à vos anciens confrères. Per Deos immortales, c’est une philippique.

Le petit livre sur l’Inquisition[50] est un chef-d’œuvre. Vive, carissime et dulcissime rerum.
4814. — À M.  LEKAIN.
Aux Délices, 26 janvier.

Il est arrivé un singulier inconvénient au paquet de M. Lekain : comme nous avions déclaré que nous ne recevrions aucun gros paquet qui ne fût contre-signé, il était demeuré à la poste ; nous ne l’avons reçu qu’aujourd’hui. J’ai donné à Mme  Denis le paquet qui la regardait ; elle ne l’a pas encore lu, parce que nous avons beaucoup de monde : pour moi, mon cher grand acteur, j’ai lu la lettre qui me regarde ; je suis très-sensible aux marques d’amitié que vous me donnez. J’espère avoir le plaisir de vous embrasser au saint temps de Pâques. On me mande qu’on ne jouera pas Rome sauvée ; ainsi voilà la tracasserie finie ; nous en dirons davantage dans la semaine sainte. Je ne me porte pas trop bien : un travail forcé m’a tué.

Adieu. Je vous embrasse tendrement. V.


4815. — À M.  LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
Aux Délices, 27 janvier.

Il y a, monseigneur, une prodigieuse différence, comme vous savez, entre vous et votre chétif ancien serviteur. Vous êtes frais, brillant, vous avez une santé de général d’armée, et je suis un pauvre diable d’ermite, accablé de maux, et surchargé d’un travail ingrat et pénible : c’est ce qui fait que votre serviteur vous écrit si rarement. Je me flatte bien que notre doyen[51] a fait l’honneur à l’Académie de lui présenter notre Dictionnaire. Je le crois fort bon : ce n’est pas parce que j’y ai travaillé, mais c’est qu’il est fait par mes confrères.

Je vous exhorte à voir le Droit du Seigneur, qu’on a follement appelé l’Ècueil du Sage. On dit qu’on en a retranché beaucoup de bonnes plaisanteries, mais qu’il en reste assez pour amuser le seigneur de France qui a le plus usé de ce beau droit. Si vous veniez dans nos déserts, vous me verriez jouer le bailli, et je vous assure que vous recevriez Mme  Denis et moi dans la troupe de Sa Majesté. On dit qu’on a donné des Étrennes aux sots. Assurément ces étrennes-là ne vous sont pas dédiées ; mais s’il fallait envoyer ce petit présent à tous ceux pour qui il est fait, il n’y aurait pas assez de papier en France. Je vous avertis que Mlle  Corneille est une laideron extrêmement piquante, et que si vous voulez jouir du droit du seigneur avant qu’on la marie, il faut faire un petit tour aux Délices ; mais malheureusement les Délices ne sont pas sur le chemin du Bec d’Ambez.

Je crois Luc extrêmement embarrassé. Vous savez qui est Luc[52] : cependant il fait toujours de mauvais vers, et moi aussi.

Agréez mon éternel et tendre respect.


4816. — DE M. D’ALEMBERT.
Paris, ce 27 janvier.

Vous avez dû, mon cher et illustre confrère, recevoir il y a peu de temps, par M. Damilaville, le Manuel des Inquisiteurs[53], que j’étais chargé de vous faire parvenir. Que dites-vous de ce monument d’atrocité et de ridicule qui rend tout à la fois l’humanité si odieuse et si à plaindre ? Il n’y a, je crois, de terme dans aucune langue pour exprimer le sentiment que cette lecture fait naître.


On ne peut s’empêcher d’en frémir et d’en rire[54].


L’auteur ou plutôt le traducteur et l’éditeur utile de cette abomination, qu’il était si bon de faire connaître, m’a prié de vous présenter son ouvrage de sa part, en vous assurant des sentiments qu’il vous a voués, et qui vous sont dus par tous les amateurs de la raison et des lettres. Cet auteur est le même abbé Morellet, ou Morlet, ou Mords-les, qui fut mis, il y a dix-huit mois, non à la grande inquisition aragonaise, mais à la petite inquisition de France[55], pour avoir dit, dans une Vision meilleure que celle d’Ézéchiel, qu’une méchante femme, qu’il ne nommait pas était bien malade. Dieu ne tarda pas à venger son prophète, car, avant qu’il fût sorti de prison, la méchante femme était morte : ce qui prouve qu’en effet elle ne se portait pas bien, et qu’il avait eu raison de jeter quelques doutes sur sa santé.

Admirez, mon cher philosophe, combien la raison gagne de terrain : cet ennemi de la persécution, qui travaille si bien à la rendre ridicule, est un prêtre ci-devant théologien ou théologal de l’Encyclopédie, qui nous a donné pour cet ouvrage l’article Figure, où vous verrez entre autres que saint Ambroise ou saint Augustin (je ne sais plus lequel) compare les dimensions de l’arche à celles du corps de l’homme, et la petite porte de l’arche au trou de derrière ; c’est un beau passage qui vous a échappé dans votre chapitre sur les Allégories.

Comme il faut encourager les gens de bien, écrivez-moi, je vous prie, un mot d’honnêteté pour cet honnête ecclésiastique : il le mérite par son zèle pour la bonne cause, et par son respect pour vous.

Je ne sais si je vous ai prié de remercier M. le chevalier de Molmire de ses Étrennes aux sots[56] et M. le rabbin Akib de son Sermon[57]. Je vous prie de leur dire à l’un et à l’autre que si l’un s’avise encore de prêcher et l’autre de donner des étrennes, ils n’oublient pas de m’en faire part.

Nous continuons à lire vos remarques sur Corneille, et nous venons de finir Héraclius. Je prends la liberté de vous répéter à ce sujet ce que vous m’avez déjà permis de vous dire : Ne critiquez Corneille que lorsque vous aurez deux fois raison ; il a un nom très-respecté, il est mort : voilà déjà une raison bien forte (je ne dis pas bien bonne) en sa faveur. Vous savez mieux que moi que, dans un genre tel que celui du théâtre, dont les règles renferment beaucoup d’arbitraire, on peut condamner et justifier presque tout ; et pour peu que Corneille soit justifiable par des raisons telles quelles dans les endroits où vous l’attaquez, vous êtes sûr d’avoir contre vous les pédants et les sots, qui déchireraient Corneille s’il n’était pas mort, et qui seront bien aises de vous déchirer parce que vous êtes vivant. Attendez-vous, par exemple, au mal qu’ils diront de Zulime. Je ne ferai pas chorus avec eux, car cette pièce m’a fait beaucoup de plaisir, au moins dans le rôle principal ; j’y trouve la passion bien ressentie, bien exprimée, et bien différente de cet amour de ruelle qui affadit notre théâtre.

Si par hasard vous connaissez l’auteur de l’Écueil du Sage[58], dites-lui aussi, je vous prie, que son ouvrage m’a fait plaisir ; qu’il est surtout très-moral, et, par cette raison, digne de rester au théâtre ; que le troisième et le quatrième acte sont excellents ; qu’il y a dans les autres des scènes fort agréables, et des détails très-intéressants. J’y voudrais un autre cinquième acte ; la pièce eût été meilleure en quatre, ou même en trois ; mais voilà ce que fait la superstition des règles. Il me semble que les auteurs dramatiques font pour les règles comme les Français pour les impôts ; ils y obéissent en murmurant.

Que dites-vous de l’état fâcheux de votre ancien disciple ? Il y a longtemps que je n’en ai reçu de nouvelles : vous écrit-il toujours ? Je le crois aux abois, et c’est grand dommage ; la philosophie ne retrouvera pas aisément un prince tolérant comme lui par indifférence (ce qui est la bonne manière de l’être], et l’ennemi de la superstition et du fanatisme.

On dit que vos bons amis et les miens vont avoir un vicaire général en France : on ajoute qu’ils en sont très-mécontents. Leur principale raison pour se plaindre est que, si on leur donne ce vicaire, ils ne seront plus rien ; c’est précisément ce qu’il faut qu’ils soient.

Je fais mon compliment, non à vous, mais au gouvernement, sur la pension qu’on vient de vous rendre. Si on n’en donnait qu’à des gens comme vous, l’État donnerait beaucoup moins, et encouragerait beaucoup plus.

Adieu, mon cher philosophe ; portez-vous bien, écrivez-moi quelquefois, et surtout moquez-vous de tout : car il n’y a que cela de solide.

Le vicaire général des jésuites fait dire qu’au moyen de cet arrangement il va y avoir en France un vice-général de plus : voilà de quoi vivent les Parisiens.


4817. — À M.  DE CHENEVIÈRES[59].
Aux Délices, 29 janvier.

Mon cher confrère en Apollon, je suis très-sensible aux soins que vous avez pris de faire parvenir mes lettres à ma nièce[60]. Il n’importe qu’elles soient contre-signées ou qu’elles ne le soient pas. C’est toujours un bon office que vous avez la bonté de nous rendre.

On dit beaucoup dans Paris que le roi de Prusse a la goutte dans la poitrine et dans la tête ; il est vrai qu’il a eu souvent dans la tête et dans le cœur des choses plus dangereuses que la goutte, j’entends plus dangereuses pour le prochain.

On dit que l’impératrice de Russie, de son côté, est tombée en apoplexie. Voilà les nouvelles du Nord et de l’Orient ; vous ne me mandez jamais celles de l’Occident.

Avez-vous été voir le Droit du Seigneur, ou l’Écueil du Sage ? Cette pièce est d’un académicien de Dijon, à qui je m’intéresse beaucoup. Je vous prie de me mander si elle a eu quelque succès, car il faut toujours encourager les jeunes gens.


4818. — À M.  DAMILAVILLE.
30 janvier.

Je m’étais trompé, mon frère ; ce n’était point le Despotisme oriental que j’avais lu en manuscrit. Je viens de lire votre imprimé ; il y a de l’érudition et du génie. Il est vrai que ce système ressemble un peu à tous les autres : il n’est pas prouvé ; on y parle trop affirmativement quand on doit douter, et c’est malheureusement ce qu’on reproche à nos frères.

D’ailleurs je suis très-fâché du titre ; il indisposera beaucoup le gouvernement, s’il vient à sa connaissance. On dira que l’auteur veut qu’on ne soit gouverné ni par Dieu ni par les hommes ; on sera irrité contre Helvétius, à qui le livre est dédié[61]. Il semble que l’auteur ait tâché de réunir les princes et les prêtres contre lui ; il faut tâcher de faire voir au contraire que les prêtres ont toujours été les ennemis des rois. Les prêtres, il est vrai, sont odieux dans ce livre, mais les rois le sont aussi. Ce n’est pas le but de l’auteur ; mais c’est malheureusement le résultat de son ouvrage. Rien n’est plus dangereux ni plus maladroit. Je souhaite que le livre ne fasse pas l’effet que je crains ; les frères doivent toujours respecter la morale et le trône. La morale est trop blessée dans le livre d’Helvétius, et le trône est trop peu respecté dans ce livre qui lui est dédié.

Les frères seraient bien abandonnés de Dieu s’ils ne profitaient pas des heureuses circonstances où ils se trouvent. Les jansénistes et les molinistes se déchirent, et découvrent leurs plaies honteuses : il faut les écraser les uns par les autres, et que leur ruine soit le marchepied du trône de la vérité.

J’embrasse tendrement les frères en Lucrèce, en Cicéron, en Socrate, en Marc-Antonin, en Julien, et en la communion de tous nos saints patriarches.


4819. — À. M.  DUCLOS.
Aux Délices, 30 janvier.

Toutes mes lettres, monsieur, doivent être des remerciements pour l’Académie et pour vous. J’espère profiter beaucoup des remarques sur Héraclius. J’ai l’honneur de vous envoyer le Menteur, et je ne pourrai soumettre le commentaire de Rodogune au jugement de l’Académie que lorsqu’il me sera revenu des mains de M. le cardinal de Bernis et de M. le duc de Villars, vos confrères.

L’édition est commencée d’aujourd’hui. Je me flatte que, malgré ma mauvaise santé, l’ouvrage pourra être présenté à l’Académie au bout de l’année.

J’ai l’honneur d’être, avec autant d’attachement que de reconnaissance, etc.
4820. — DU CARDINAL DE BERNIS.
À Montélimart, le 30 janvier.

Je suis persuadé, mon cher confrère, que Corneille, s’il vivait, serait assez grand homme pour se soumettre à l’examen que vous avez fait de Rodogune, et pour adopter vos critiques. Pour moi, après une comparaison exacte de la pièce avec les remarques, je vous avoue que je n’ai rien à changer à vos observations. Toutes les fautes que vous avez relevées, soit dans ce qui concerne l’art du théâtre, la diction ou les règles grammaticales, sont saisies avec autant de justesse que d’équité. Je ne vous trouve pas trop sévère ; vous auriez pu l’être davantage sur ce qui appartient au goût et à la diction ; mais malgré l’équité de vos arrêts, Rodogune restera au théâtre, et il n’y a qu’un homme de génie qui puisse imaginer, créer, et qui osât hasarder le cinquième acte de cette tragédie. Vous me ferez le plus grand plaisir du monde de m’envoyer encore quelques arrêts de votre parlement : ils m’intéressent plus que les décrets de prise de corps contre les vicaires de Saint-Leu, ou les confesseurs des religieuses de Saint-Cloud. Donnez-moi aussi des nouvelles de Cassandre. Vous avez tous les caractères d’un homme supérieur ; vous faites bien, vous faites vite, et vous êtes docile.

Nous parlerons quelque jour du grelot[62] que vous dites que j’ai attaché, et des marmitons qu’on a voulu employer malgré moi. J’ai connu un architecte à qui on a dit : « Vous ferez le plan de cette maison ; mais bien entendu que, l’ouvrage commencé, les piqueurs, ni les maçons, ni les manœuvres, ne seront point sous votre direction, et s’écarteront de votre plan autant qu’il leur conviendra de le faire. » Le pauvre architecte jeta là son plan, et s’en alla planter ses choux. Riez dans votre barbe, quand vous ne pourrez pas rire tout haut ; mais riez toujours, car cela est fort sain pour vous et fort agréable pour moi. Je serai ici jusqu’au 15 de mai, après quoi j’irai passer le reste de l’été chez ma sœur, dans les montagnes, et je regagnerai tout doucement le Soissonnais, à moins que ma santé, qui s’est bien trouvée du climat méridional, ne s’y opposât.

Adieu, mon cher confrère ; je ne conçois pas de plus grand plaisir que celui que j’aurais de vous revoir, de causer avec vous, et de vous embrasser aussi tendrement que je vous aime.


4821. — À M.  CAPPERONNIER[63].
Aux Délices, 30 janvier.

J’ai l’honneur de vous renvoyer, monsieur, les petits livres de la Bibliothèque du roi que vous avez bien voulu me prêter pour l’édition des œuvres de Corneille. Je me flatte qu’à la fin de l’année nous présenterons à cette bibliothèque le père de notre théâtre avec des commentaires.

J’aurais bien souhaité que vous eussiez été, monsieur, un des juges de l’Académie à qui j’ai envoyé mon ouvrage : vous m’auriez éclairé dans les comparaisons que je fais quelquefois du théâtre grec et du théâtre français. Je me flatte, du moins, que j’aurai l’honneur de vous compter un jour au nombre de mes confrères.

En attendant, j’ai l’honneur d’être, avec toute l’estime et toute la reconnaissance que je vous dois, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


4822. — À M.  LEKAIN[64].
Aux Délices, 30 janvier.

Le libraire Duchesne m’a écrit pour me demander la permission d’imprimer la tragédie de Zulime. Je lui ai fait répondre que je le voulais bien, mais qu’il n’était pas temps. J’ai bien voulu, en effet, que Mlle  Clairon et M.  Lekain le choisissent pour imprimer cette pièce, dont je leur ai fait présent et qui leur appartient. Duchesne a abusé de ma lettre, qui n’était point du tout une permission formelle. Il s’est fait donner furtivement une copie de la pièce par le souffleur de la Comédie. Je laisse Mlle  Clairon et M.  Lekain les maîtres absolus de cette affaire.


4823. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[65].
Janvier.

Madame, je perds beaucoup à la mort de l’impératrice de Russie[66]. Mais je suis consolé si Votre Altesse sérénissime est heureuse, si elle est en parfaite santé, si ses États ne se ressentent point des suites de cette funeste guerre, qui désole presque toute l’Europe. Je dis au premier coup de canon : « En voilà pour sept ans au moins ; » et j’ai eu le malheur d’être prophète. Cela est un peu loin de la paix perpétuelle que Jean-Jacques Rousseau a si généreusement proposée, d’après le vertueux visionnaire l’abbé de Saint-Pierre. Les hommes seront toujours fous ; et ceux qui croient les guérir sont les plus fous de la bande. Ce qu’il y a de bon, c’est que toutes les espérances des politiques sont toujours trompées, et que cette expérience ne les détrompe jamais. Ceux qui se contentent de prévoir que les nations deviendront très-malheureuses par les fautes de cette politique sont les seuls qui aient raison.


4824. — À MADAME DE FONTAINE.

Ma chère nièce, sans doute j’irai vous voir, si vous ne venez pas chez moi ; mais il faut conduire l’édition de Corneille, qui est commencée. En voilà pour un an. Je vous renverrai Cassandre dès que ceux à qui je l’ai confié me l’auront rendu : il est juste que vous l’ayez entre les mains. Vous verrez si chaque acte ne forme pas un tableau que Vanloo pourrait dessiner.

On a mutilé, estropié trois actes du Droit du Seigneur, ou l’Écueil du Sage, à la police ; c’est le bonhomme Crébillon qui a fait ce carnage, croyant que ces gens-là étaient mes sujets. Il faut permettre à Crébillon le radotage et l’envie : le bonhomme est un peu fâché qu’on se soit enfin aperçu qu’une partie carrée ne sied point du tout dans Électre.

Je voudrais, pour la rareté du fait, que vous eussiez lu ou que vous lussiez son Catilina, que Mme  de Pompadour protégea tant, par lequel on voulait m’écraser, et dont on se servit pour me faire avaler des couleuvres dont on n’aurait pas régalé Pradon. C’est ce qui me fit aller en Prusse, et ce qui me tient encore éloigné de ma patrie. J’ai connu parfaitement de quel prix sont les éloges et les censures de la multitude, et je finis par tout mépriser.

Le Droit du Seigneur n’a été livré aux comédiens que pour procurer quelque argent à Thieriot, qui n’en dira pas moins du mal de moi à la première occasion, quand mes ennemis voudront se donner ce plaisir-là ? Il doit avoir la moitié du profit, et un jeune homme qui m’a bien servi doit avoir l’autre.

Mon impératrice de Russie est morte[67], et, par la singularité de mon étoile, supposé que j’aie une étoile, il se trouve que je fais une très-grande perte.

Je vous embrasse le plus tendrement du monde, et votre gros garçon.
4825. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
1er février.

Quels diables d’anges ! Je reçois le paquet avec ma romancine. Vraiment comme on me lave la tête ! La poste va partir : je dicte à la fois ma réponse et j’écris ma justification dans mon lit, où je suis assez malade.

Mes divins anges, vous ne savez ce que vous dites. Faites-vous représenter la lettre à Duchesne[68] et vous verrez que je n’ai pas tort, et le cœur vous saignera de m’avoir grondé.

Plus j’y pense, plus je crois ne lui avoir point donné positivement permission d’imprimer Zulime ; ou ma vieillesse et mes travaux m’ont fait perdre la mémoire, ou il y a dans la lettre ces propres mots :

« M.  de V. vous donnera volontiers la permission que vous demandez ; mais il croit qu’il faudrait y ajouter quelques morceaux de littérature, etc. »

La lettre, ce me semble, n’était qu’un compliment, une recommandation auprès de ceux qui sont les dépositaires de l’ouvrage. Je ne doute pas que vous ne vous soyez fait représenter la lettre, et que vous n’ayez jugé selon votre grande prudence et équité ordinaire. Au reste, c’est un bien mince présent pour Lekain et Mlle  Clairon ; et, en effet, la pièce ne se vendra guère sans quelques morceaux de littérature intéressants qui piquent un peu la curiosité. Comment d’ailleurs la donner au public ? sera-ce avec les coupures qu’on y a faites ? ces coupures font toujours du dialogue un propos interrompu. Ces nuances délicates échappent aux spectateurs, et sont remarquées avec dégoût par les yeux sévères du lecteur ; d’où il arrive que le pauvre auteur est justement vilipendé par les Fréron, sans que personne prenne le parti du pauvre diable.

Le métier est rude, mes anges ; je mets à vos pieds Cassandre. Voilà comme nous jouerons la pièce sur notre théâtre de Ferney, et le grand prêtre aura plus d’onction que Brizard.

Ce qui me fâche, c’est que voilà la czarine morte. J’y perds un peu ; mais je me console : les têtes couronnées et les libraires m’ont toujours joué quelques tours. Nous verrons quelle sera la face du Nord, cela m’intéresse beaucoup ; d’ailleurs, en qualité de faiseur de tragédies, j’aime beaucoup les péripéties.

Vous allez donc ressusciter Rome sauvée ? Que dira notre bonhomme Crébillon ? Il demandera qu’on joue son Catilina, qui a fait assassiner Nonnius cette nuit[69], et qui veut qu’un chef de parti soit bien imprudent, et débite surtout des vers à la diable. Il est plaisant que ce galimatias ait réussi en son temps. Notre nation est folle ; mais je lui pardonne : on ne faisait semblant d’aimer Catilina que pour me faire enrager. Mme  de Pompadour et le bonhomme Tournemine appelaient Crébillon Sophocle, et moi on m’accablait de lardons.


le bon temps que c’était[70] !


Je reprends la plume pour vous dire que je ne sais plus comment faire avec Don Pèdre. Du grand, du noble, du furieux, j’en trouve ; du pathétique qui arrache des larmes, je n’en trouve point. Il faut ou déchirer le cœur, ou se taire. Je n’aime, sur le théâtre, ni les églogues, ni la politique. Cinq actes demandent cinq grands tableaux : ils sont dans Cassandre. Croyez-moi, faites jouer Cassandre quand vous n’aurez rien à faire, cela vous amusera.

Mes chers anges, je n’en peux plus ; ne me tuez pas. Je ne sais ce que je deviendrai. J’ai sur les bras l’édition de Corneille, qu’on commença hier, et toujours un peu de fièvre. J’ai bien, peur que les dernières pièces de Pierre Corneille ne se passent de commentaire et du commentateur. Vivez, mes anges, et réjouissez-vous.


4826. — À M.  LE MARQUIS ALBERGATI CAPACELLI.
Aux Délices, 2 février.

Vous envoyez, monsieur, une paire de lunettes à un aveugle, et un violon à un manchot. Je sens tout le prix de vos bontés et de votre souvenir, tout indigne que j’en suis. Heureux ceux qui ont æs triplex[71] à l’estomac, et qui pourront manger de vos excellentes mortadelles, qui ressemnlent au phallum des Égyptiens ! heureux les intrépides gosiers qui avaleront votre rossolis ! Je vais déclarer au grand médecin Tronchin qu’il faut absolument qu’il me guérisse, et que j’aie ma part du plaisir de mes convives. Ils s’écrient tous : « Ah ! la bonne chose que ce saucisson ! donnez-moi encore un petit coup de ce rossolis. » Et moi, je suis là comme l’eunuque du sérail[72], qui voit faire et qui ne fait rien. J’ai donné votre recette au cuisinier. Vous dites très-agréablement que le docteur Bianchi n’en a pas de meilleure. Ah ! monsieur, je vous crois, et je crois même que tous les médecins du monde sont dans le cas de M. Bianchi.

Si je peux guérir, je viendrai à votre beau théâtre. Il est bien triste pour moi de n’être pas témoin de l’honneur que vous faites aux lettres.

Quand notre peintre de la nature honorera mes petits pénates de sa présence, il verra mon théâtre achevé, et nous pourrons jouer devant lui ; mais il faudrait jouer ses pièces. Je pourrais tout au plus faire le vieux Pantalon Bisognosi. J’ai quelquefois deux ou trois heures de bon dans la journée, c’est-à-dire deux ou trois heures où je ne souffre pas beaucoup. Je les consacrerai à M. Goldoni ; et si j’avais de la santé, je le mènerais à Paris avant de faire mon voyage plus long.

Je ne laisse pas de travailler, tout malade que je suis ; je broche des comédies dans mon lit ; et quand j’ai fait quelque scène dans ma tête, je la dicte, j’envoie la pièce à Paris, on la joue ; les comédiens gagnent beaucoup d’argent et ne me remercient seulement pas. On en joue une actuellement[73] dont le sujet est le droit qu’avaient autrefois les seigneurs de coucher avec les nouvelles mariées le premier jour de leurs noces. On dit qu’il y a du comique et de l’intérêt dans cette pièce : elle réussit beaucoup ; mais je n’en suis pas juge, parce que c’est moi qui l’ai faite. J’aurai l’honneur de vous l’envoyer dès qu’elle aura été imprimée.


Intanto l’amo, l’onoro, la riverisco, la ringrazio.

4827. — À M.  DAMILAVILLE.
4 février.

Mon cher frère saura que je lui ai écrit toutes les postes, que j’ai déterré les deux exemplaires de l’Oriental[74] avec les Sentiments du curé[75], dont j’ai fait trois envois à trois postes différentes. Je suis frère fidèle, et frère exact.

M. Picardin, de l’Académie de Dijon, attend toujours avec grande impatience le Droit du Seigneur, tel qu’on l’a châtré et mutilé. Il me le prêtera, et nous le jouerons incontinent à Ferney sur un très-joli théâtre. Et si jamais frère Thieriot, qui n’est pas retenu par le vingtième, et qui n’a rien à faire, vient voir nos petites drôleries, il trouvera peut-être que Mlle  Clairon ne désavouerait pas Mme  Denis pour son élève, et que Mlle  Corneille pourrait passer pour celle de Mme  Dangeville.

M. Picardin vous prie très-instamment, mon cher frère, de continuer vos bontés à cet Écueil du Sage. Il ne serait peut-être pas mal de faire mettre dans l’Avant-Coureur[76] qu’on s’est trompé quand on m’a attribué cet ouvrage, et qu’on n’est point du tout sûr qu’il soit de moi. Cela servirait à dérouter le public, que les grands politiques doivent toujours tromper.

M. Picardin vous supplie de faire deux lots du produit de l’histrionage : l’un sera pour le cher frère Thieriot, le plus grand paresseux de la cité ; l’autre sera en dépôt chez M. Delaleu, notaire, pour être perçu par celui à qui il est promis.

M. Picardin, qui a du goût, a été fort irrité que les histrions aient retranché à la fin Ai-je perdu la gageure[77] ? Ce n’est pas la peine de faire une gageure pour n’en pas parler ; c’est la discrétion qu’il faut que le marquis paye. On s’est mis depuis quelque temps à proscrire le comique de la comédie ; c’est là le sceau de la décadence du génie. Le goût est égaré dans tous les genres, et il n’appartient qu’à un siècle ridicule de ne vouloir pas qu’on rie.

Je lis toujours avec édification le Manuel de l’Inquisition, et je suis très-fâché que Candide n’ait tué qu’un inquisiteur.

Mandez-moi, je vous prie, mon cher frère, si vous avez reçu tous mes paquets, et engagez tous mes frères à poursuivre l’inf… de vive voix et par écrit, sans lui donner un moment de relâche.

Votre passionné frère. V.


4828. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[78].
Aux Délices, par Genève, 4 février 1762.

Madame, je crains d’envoyer par la poste à Votre Altesse sérénissime une tragédie[79] où elle ne verra, du moins, que les malheurs du temps passé. Si elle l’ordonne, je tenterai cette voie. Heureux si elle peut se plaire quelques moments à voir dans les infortunes de l’antiquité un faible crayon des calamités qui affligent aujourd’hui la terre ! Puisse le nouveau gouvernement de la Russie contribuer à faire cesser les douleurs et les alarmes publiques[80] !

Je m’occupe actuellement à l’édition de Pierre Corneille. J’espère mettre cet ouvrage à vos pieds à la fin de cette année. Si elle daigne faire parvenir à Mlle  Corneille les témoignages de sa bonté, elle peut me les faire adresser par son banquier de Francfort. Elle fait ses respectueux remerciements à Votre Altesse sérénissime. Je me mets aux pieds de son auguste famille avec le plus profond respect.


Le Suisse V.

4829. — DU CARDINAL DE BERNIS.
Du 4 février.

Je m’empresse, mon cher confrère, de vous faire mon compliment bien sincère sur le rétablissement de votre pension. J’en suis encore plus aise pour l’honneur des lettres que pour vous-même, quoiqu’il soit fort agréable d’éprouver les bontés de son maître et de faire un peu enrager ses ennemis.

Vous devez avoir reçu les remarques sur Rodogune, avec une lettre d’entière approbation. Toutes vos observations m’ont paru aussi justes que judicieuses.

Je viens de relire Cassandre[81]. Vos six semaines ont été bien emplovées. Il règne dans cette pièce une chaleur et un intérêt que je désirais à la première lecture. Voici une véritable tragédie où l’amour et l’ambition causent de grands malheurs. Si vous voulez bien passer encore une journée à donner à quelques parties de ce grand tableau des coups de force et de lumière, et à substituer des expressions plus propres ou plus animées à un petit nombre d’expressions trop vagues et trop faibles, je suis assuré que les gens d’esprit et de goût seront fort contents de cet ouvrage. Je voudrais cependant qu’il fût dit plus clairement comment Statira a été tuée au milieu des combats par Cassandre : est-ce dans une bataille, ou dans le sac de Babylone ? Statira commandait-elle une armée, ou l’a-t-on assiégée dans son palais ? Je voudrais que Cassandre dît aussi un peu plus franchement à son confident, ou dans un monologue, que l’ambition l’a porté au meurtre de Statira. Il doit rejeter cette horreur sur le hasard des combats et la fatalité de la guerre, lorsqu’il parle à la mère et à la fille. On ne comprend pas comment Cassandre a pu se méprendre au point de tuer une femme pour un homme ; ou, si c’est une femme qu’il a voulu tuer, qu’il n’ait pas reconnu la veuve d’Alexandre. Statira lui reproche deux fois qu’après l’avoir poignardée il l’a trainée sur la poussière ; je retrancherais cette circonstance atroce, qui rend Cassandre encore plus dégoûtant qu’odieux. Celui-ci doit affaiblir son crime, autant qu’il le peut, aux yeux d’Olympie et de sa mère ; mais il en doit instruire le spectateur, et lui avouer que la politique et l’ambition l’ont poussé à cet excès : cet aveu en diminuerait l’horreur. Voilà mon petit avis, que je soumets au vôtre. Je suis bien fâché que vous ne soyez pas content de votre santé ; il me semble cependant qu’une belle tragédie annonce qu’on se porte bien. J’ai prié le duc de Villars de me renvoyer Cassandre quand il l’aurait lu, parce que je vous ferais passer cette pièce sous mon contre-seing.

Adieu, mon cher confrère ; aimez-moi toujours, et ne vous lassez pas de m’enrichir.


4830. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL
Au. Délices, 6 février.

Mes anges grondeurs doivent à présent avoir examiné et jugé mon délit. On a écrit à Gui Duchesne[82], qui demeure pourtant au Temple du Goût[83], et on l’a traité comme si sa demeure était dans la maison de maître Gonin. En eflet, il avait attrapé la pièce du souffleur, moyennant quelques écus et quelques bouteilles. Encore une fois, je me trompe fort, ou ma lettre n’était qu’un compliment.

Ou je me trompe encore, ou Zulime produira peu à Lekain et à Mlle  Clairon ; et je ne crois pas qu’ils trouvent un libraire qui leur en donne plus de 800 livres, attendu que c’est un ouvrage déjà livré à l’impression, et rapetassé au théâtre.

Si M. Picardin ou Picardet a fait le Droit du Seigneur, ou l’Ècueil du sage, j’ai fait Cassandre, moi, et ce sont cinq tableaux pour le salon :

Coup de théâtre du mariage, premier tableau.

Statira reconnue et reconnaissant sa fille, second tableau.

Le grand prêtre mettant les holà ; Statira levant son voile, et pétrifiant Cassandre ; troisième tableau.

Statira mourante, sa fille à ses pieds, et Cassandre effaré ; quatrième tableau.

Le bûcher, cinquième tableau.

Le tout avec des notes instructives au bas des pages, sur les personnages, sur les initiés, sur les sacrés mystères, sur la prière d’Orphée :


· · · · · Être unique, éternel, etc. ;

(Olympie, acte I, scène iv.)


sur les bûchers, sur l’usage où les dames étaient alors de se brûler. Voilà de quoi faire une jolie édition avec estampes.

Mes divins anges doivent se tenir pour dit que je suis tiré au sec, qu’il ne me reste pas une goutte de sang dans la veine poétique, pas un esprit animal.

Pourquoi ne pas donner cinq ou six représentations de Cassandre à la mi-carême, et reprendre après Pâques ? On pourrait me rouvrir la veine pendant la quinzaine où le théâtre est fermé. Je laisse le tout à la discrétion de mes anges.

On a commencé l’édition de Pierre ; c’est une rude et appesantissante besogne d’être commentateur et éditeur ; cela ne m’arrivera plus.

Vous n’êtes pas assez fâché de la mort de mon impératrice[84].

Si j’ai fait une sottise avec Gui Duchesne,


Dieu fit du repentir la vertu des rimeurs[85].


Mille tendres respects aux anges.


4831. — À M.  ABEILLE.
Aux Délices, par Genève, 7 février.

Vous ne devez douter, monsieur, ni du plaisir que vous m’avez fait, ni de ma reconnaissance. Je suis le moindre des agriculteurs, et dans un pays qui peut se vanter d’être le plus mauvais de France, quoiqu’il soit des plus jolis ; mais quiconque fait croître deux brins d’herbe où il n’en venait qu’un rend au moins un petit service à sa patrie. J’ai trouvé de la misère et des ronces sur de la terre à pot. J’ai dit aux possesseurs des ronces : Voulez-vous me permettre de vous défricher ? Ils me l’ont permis, en se moquant de moi. J’ai défriché, j’ai brûlé, j’ai fait porter de la terre légère ; on a cessé de me siffler, et on me remercie. On peut toujours faire un peu de bien partout où l’on est. Le livre[86] que vous m’avez fait l’honneur de m’envoyer, monsieur, en doit faire beaucoup. Je le lis avec attention. Corneille ne me fait point oublier Triptolème. Agréez mes sincères remerciements, et tous les sentiments avec lesquels j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


4832. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
8 février.

Non, mes anges, non, jamais monsieur l’ambassadeur Chauvelin ne réussira dans sa négociation auprès du roi Cassandre mon maître. Il veut que Cassandre ignore qui est Olympie. Alors ressemblance avec Zaïre, alors plus de ce mélange heureux et terrible de remords et d’amour, alors le coup de théâtre du mariage est affaibli, etc., etc. Je ne proposerai jamais ce traité au roi mon maître ; il me répondrait qu’on le prendrait pour un imbécile s’il ignorait la naissance de sa captive, tandis qu’un étranger en est informé. Monsieur l’ambassadeur doit savoir qu’il n’en est pas de sa cour comme de la mienne ; que nous serrons nos filles ; que les étrangers les aperçoivent rarement, et que ce n’est qu’en qualité d’ami de la maison qu’Antigone a pu se douter de quelque chose.

N. B. Quiconque lit Cassandre frémit et pleure.

Mais, quand je la lis, je transporte, je fais fondre.

Il faut se donner le plaisir de faire jouer trois pièces nouvelles en trois mois.

Vraiment Mme  Scaliger ne borne pas son goût au théâtre ; son vaisseau pour les verres[87] est malheureusement le plus beau vaisseau qui soit en France.

Les Espagnols ne se pressent pas, à ce que je vois. Ah ! quels lambins !

Je baise le bout de vos ailes.


4833. — À MADAME DE FONTAINE,
à paris.
8 février.

Ma chère nièce, voilà Cassandre tel que je l’ai fait lire à M. le cardinal de Bernis, à M. le duc de Villars, à M. de Chauvelin, à des connaisseurs, à ceux qui n’ont que l’instinct. Tous l’ont également approuvé.

Je voudrais que vous donnassiez un jour à dîner à d’Alembert et à Diderot ; il y a aussi un Damilaville, premier commis du vingtième ; c’est la meilleure âme du monde, c’est mon correspondant, c’est l’intime ami de tous les philosophes. Vous pourriez mettre Mlle Clairon de la fête. Je ne sais pas si on la récitera jamais comme je l’ai lue ; j’ai toujours fait frémir et fondre en larmes ; mais comme je me défie de l’illusion que peut faire un auteur, je l’ai toujours soumise au jugement des yeux, qui sont plus difficiles que les oreilles.

Je ne vois pas ce qui empêcherait de jouer Cassandre vers la mi-carême. On ne risquerait rien ; et, en cas de succès, on le reprendrait à la rentrée ; en cas de sifflets, on ferait ses pâques. Je vous avoue que je me meurs d’envie de voir sur le théâtre un prêtre bon homme, qui sera le contraire du fanatique Joad, qui me fait chérir la personne d’Athalie.

Mais non, je change d’avis, j’abandonne Paris à la Comédie-Italienne réunie avec l’Opéra-Comique contre Cinna et contre Phèdre. Je crois Cassandre très-singulier, très-théâtral, très-neuf ; c’est précisément pour cela que je ne veux pas qu’on le joue.

Je me suis avisé de mettre des notes à la fin de la pièce ; ces notes seront pour les philosophes. J’y révèle les secrets des anciens mystères : l’hiérophante me fournit le prétexte d’apprendre aux prêtres à prier Dieu pour les princes, et à ne pas se mêler des affaires d’État. Je prends vigoureusement le parti d’Athalie contre Joad : tout cela m’amuse beaucoup plus qu’une représentation que je ne verrais pas, qui n’est pas faite pour les partisans d’Arlequin.

Nous ne perdons point notre temps, comme vous voyez ; mais le plus agréable emploi que j’en puisse faire est de vous écrire.
4834. — À M.  DAMILAVILLE.
8 février.

Cher frère que le Dieu de nos pères m’a donné, lisez cette lettre[88] à cachet volant, et envoyez-la.

Puisqu’il n’y a eu que neuf représentations, il faut, mon cher frère, en donner tout le profit à frère Thieriot ; je trouverai d’ailleurs le moyen de récompenser la personne qui devait partager. Je ne vois pas sur quoi l’on s’obstine à me croire l’auteur de l’Ècueil du Sage, puisque j’ai toujours mandé que je ne le suis pas. Si les comédiens avaient une certitude que cette pièce est de moi, ils seraient très-fâchés que j’en eusse abandonné le profit à d’autres qu’à eux. Au reste, Nanine n’eut pas tant de représentations, et le Droit du Seigneur vaut mieux que Nanine.

Ô le bon livre que le Manuel[89] des monstres inquisitoriaux ! ut, ut, est. Mon frère aura un Meslier[90] dès que j’aurai reçu l’ordre : il paraît que mon frère n’est pas au fait. Il y a quinze à vingt ans qu’on vendait le manuscrit de cet ouvrage huit louis d’or. C’était un très-gros in-4o ; il y en a plus de cent exemplaires dans Paris. Frère Thieriot est très au fait. On ne sait qui a fait l’Extrait ; mais il est tiré tout entier, mot pour mot, de l’original. Il y a encore beaucoup de personnes qui ont vu le curé Meslier : il serait très-utile qu’on fît une édition nouvelle de ce petit ouvrage à Paris ; on peut la faire aisément en trois ou quatre jours. On dit, mes chers frères, qu’on y a imprimé une petite feuille intitulée le Sermon du rabbin Akib[91]. M. le duc de La Vallière, qui est ramasseur de rogatons, me prie de chercher cette feuille, que je ne peux trouver. Il est expédient que mes frères l’envoient à Versailles, à M. le duc de La Vallière. Au reste, il est bien à désirer que le nom du frère ermite ne soit jamais prôné quand il s’agit de petits envois aux frères.

Les frères Cramer supprimeront soigneusement la préface de l’Oriental[92]. Helvétius est véhémentement soupçonné d’avoir fait cet ouvrage. Est-il à Paris, frère Helvétius ?

Je voudrais savoir quel est l’auteur d’un libelle de l’année passée, oublié cette année-ci, intitulé le Citoyen de Montmartre[93].

Que Socrate, Platon, Lucrèce, Épictète, Marc-Antonin, Julien, Bayle, Shaftesbury, Bolingbroke, Middleton, aient tous mes chers frères en leur sainte et digne garde !


4835. — DU PRINCE HENRI DE PRUSSE.
8 février.

Monsieur, lorsque je lis un ouvrage qui m’intéresse et m’enlève, je m’écrie : C’est du Voltaire ! Voilà le sentiment que vous m’inspirez : c’est mon guide ; je n’en connais point d’autre.

Les grands peintres peuvent apprécier un tableau ; mais combien y en a-t-il qui peuvent dire avec le Corrège : Je suis peintre ? C’est un droit qui vous appartient. Quant à moi, je n’ose être dans les ouvrages de goût esclave de mon jugement.

Après cet aveu, je puis vous dire que l’ode[94] que vous réclamez en faveur d’un autre m’a plu. J’y ai trouvé un cœur pénétré des maux de l’humanité, de la hardiesse dans les expressions, et plusieurs vérités. Ces sentiments sont dignes de vous.

Puissiez-vous jouir longtemps de l’heureux avantage d’éclairer les hommes ! et puissé-je avoir celui de vous donner des preuves de l’estime avec laquelle je suis, monsieur, votre très-affectionné ami et serviteur !


Henri, prince de Prusse.

4836. — À M.  LE MARQUIS DE CHAUVELIN.
Aux Délices, 9 février.

Je présente au roi Cassandre mon maître, dans sa maison de campagne d’Éphèse, ce projet de négociation[95] de Votre Excellence. Le roi mon maître est prévenu pour vous de la plus haute estime ; il connaît votre esprit conciliant, fécond, juste, aussi estimable qu’aimable. Il m’a assuré qu’il sent tout le prix de vos conseils, et qu’il en a profité ; mais comme tous les princes ont leurs défauts, je vous avouerai qu’il y a des articles sur lesquels le roi mon maître est têtu comme un mulet. Il dit qu’on le regarderait en Macédoine comme un imbécile, s’il ignorait la naissance d’Olympie élevée dans sa cour, tandis qu’Antigone étranger est instruit de cette naissance ; que ses remords alors n’auraient aucun fondement, qu’ils seraient ridicules, au lieu d’être terribles ; que, de plus, cette ignorance de la naissance d’Olympie rentrerait dans les intrigues vulgaires de cent tragédies où un prince reconnaît dans sa maîtresse un ennemi ; et qu’enfin ce que vous croyez capable de soutenir l’intérêt serait capable de le détruire. Il m’a ajouté que les éclaircissements, les préparations, les longues histoires que cet arrangement exigerait, jetteraient un froid mortel sur un sujet qui marche avec rapidité, et qui est plein de chaleur. Je lui ai représenté toutes vos raisons, rien n’a pu le faire changer de sentiment. « Assurez, me dit-il, monsieur l’ambassadeur d’Athènes qu’en tout le reste je défère à ses avis ; que je suis pénétré pour lui de la plus vive reconnaissance ; que je lui présenterai Olympie, si jamais il passe par la Macédoine pour aller en Asie. »

Je vous confierai qu’il est infiniment touché des charmes de madame l’ambassadrice ; mais comme il n’a que soixante et neuf ans, il attend qu’il en ait soixante et douze pour faire sa déclaration. Pour moi, monsieur, il y a longtemps que je vous ai fait la mienne, et que je vous suis attaché bien respectueusement avec la plus tendre reconnaissance.

Savez-vous que je perds infiniment dans l’impératrice de Russie ? Vous ne m’en soupçonneriez pas.


4837. — À M.  GEORGE KEATE[96].
Aux Délices, 10 février 1762.

Un travail forcé, monsieur, et une santé bien languissante, m’ont empêché longtemps de vous écrire ; mais vous n’en avez pas été moins présent à mon esprit et à mon cœur. J’ai toujours été indigné contre ceux qui n’ont pas souffert l’honneur que vous leur avez fait, et qu’ils ne méritaient pas. Un jour un grand seigneur, passant par un village avec d’excellent vin de Tokai, en donna à boire à des paysans, qui le trouvèrent amer, et qui crurent qu’on se moquait d’eux.

J’ai commencé l’édition de Corneille. Je suis obligé de dicter presque tout, ne pouvant guère écrire de ma main, et je tâche de faire la paix entre Corneille et Shakespeare, en attendant que nos rois daignent rendre la paix à l’Europe.

Votre Shakespeare était bien heureux, il pouvait faire des tragédies moitié prose, moitié vers, et quels vers encore ! Ils ne sont certainement pas élégants et châtiés, comme ceux de Pope, et comme le Caton d’Addison ; il se donnait la liberté de changer de lieu presque à chaque scène, d’entasser trente à quarante actions les unes sur les autres, de faire durer une pièce vingt-cinq ans, de mêler les bouffonneries au tragique. Son grand mérite, à mon avis, consiste dans des peintures fortes et naïves de la vie humaine.

Corneille avait assurément une carrière plus difficile à remplir ; il fallait vaincre continuellement la difficulté de la rime, ce qui est un travail prodigieux ; il fallait s’asservir à l’unité de temps, de lieu, d’action, ne faire jamais entrer ni sortir un acteur, sans une raison intéressante ; lier toujours une intrigue avec art, et la dénouer avec vraisemblance ; faire parler tous ses héros avec une éloquence noble, et ne rien dire qui pût choquer les oreilles délicates d’une cour pleine d’esprit, et d’une académie composée de gens très-savants et très-difficiles.

Vous m’avouerez que Shakespeare avait un peu plus ses coudées franches que Corneille. Au reste, vous savez combien j’estime votre nation ; je ne perds aucune occasion de lui rendre justice dans mon commentaire.

Vous me feriez un grand plaisir, monsieur, si vous vouliez bien me dire quel est l’auteur de la petite histoire de David, intitulée the Man after God’s own Heart, et quel est l’évêché qu’on a donné à ce Warburton, qui a prouvé que Moïse ne connaissait ni paradis, ni enfer, ni l’immortalité de l’âme, et qui de là conclut qu’il était inspiré de Dieu. Apparemment que cet évêque a pris le fils de Spinosa pour son chapelain.

I will be for ever, dear sir, your most faithfull and tender servant and friend.


Voltaire.

4838. — À M.  LE CARDINAL DE BERNIS.
Aux Délices, le 10 février.

Puisque vous êtes si bon, monseigneur, puisque les beaux-arts vous sont toujours chers. Votre Éminence permettra que je lui envoie mon Commentaire sur Cinna ; elle me trouvera très-impudent ; mais il faut dire la vérité : ce n’est pas pour les neuf lettres qui composent le nom de Corneille que je travaille, c’est pour ceux qui veulent s instruire.


La critique est aisée, et l’art est difficile[97].

Et je sens plus que personne cette énorme difficulté. Je reprendrai sans doute un certain Cassandre en sous-œuvre tant que je pourrai. Je suis trop heureux que vous ayez daigné m’encourager un peu. Vous trouvez dans le fond que je ressemble à ces vieux débauchés qui ont des maîtresses à soixante-dix ans ; mais qu’a-t-on de mieux à faire ? Ne faut-il pas jouer avec la vie jusqu’au dernier moment ? n’est-ce pas un enfant qu’il faut bercer jusqu’à ce qu’il s’endorme ? Vous êtes encore dans la fleur de votre âge ; que ferez-vous de votre génie, de vos connaissances acquises, de tous vos talents ? Cela m’embarrasse. Quand vous aurez bâti à Vic, vous trouverez que Vic laisse dans l’âme un

grand vide, qu’il faut remplir par quelque chose de mieux. Vous possédez le feu sacré ; mais avec quels aromates le nourrirez-vous ? Je vous avoue que je suis infiniment curieux de savoir ce que devient une âme comme la vôtre. On dit que vous donnez tous les jours de grands dîners. Eh ! mon Dieu, à qui ? J’ai du moins des philosophes dans mon canton. Pour que la vie soit agréable, il faut fari quæ sentias[98]. Contrainte et ennui sont synonymes.

Vous ne vous douteriez pas que j’ai fait une perte dans l’impératrice de Russie[99] : la chose est pourtant ainsi ; mais il faut se consoler de tout. La vie est un songe ; rêvons donc le plus gaiement que nous pourrons. Ce n’est pas un rêve quand je vous dis que je suis enchanté des bontés de Votre Éminence, que je suis son plus passionné partisan, plein d’un tendre respect pour elle.


4839. — À M.  COLINI.
Aux Délices, 12 février.

Mon cher Colini, avez-vous autant de vent et de neige que nous en avons ici ? Plus je vis, moins je m’accoutume à ces maudits climats septentrionaux ; je m’en irais en Égypte, comme le bonhomme Joseph, si je n’avais pas ici famille et affaires.

J’ai envoyé à Son Altesse électorale une tragédie que j’avais faite en six jours, pour la rareté du fait ; mais je la supplie de la jeter au feu. Je l’ai corrigée avec le plus grand soin, et je la crois à présent moins indigne de lui être présentée.

Algarotli et Goldoni me flattent qu’ils seront à Ferney au printemps. Je voudrais bien que vous pussiez y être aussi. Je vous embrasse de tout mon cœur.


4840. — À M.  D’ALEMBERT.
Février.

Si j’ai lu la belle jurisprudence de l’Inquisition[100] ! Et oui, mordieu, je l’ai lue, et elle a fait sur moi la même impression que fit le corps sanglant de César sur les Romains. Les hommes ne méritent pas de vivre, puisqu’il y a encore du bois et du feu, et qu’on ne s’en sert pas pour brûler ces monstres dans leurs infâmes repaires. Mon cher frère, embrassez en mon nom le digne frère qui a fait cet ouvrage excellent : puisse-t-il être traduit en portugais et en castillan ! Plus nous sommes attachés à la sainte religion de notre Sauveur Jésus-Christ, plus nous devons abhorrer l’abominable usage qu’on fait tous les jours de sa divine loi.

Il est bien à souhaiter que vos frères et vous donniez tous les mois quelque ouvrage édifiant qui achève d’établir le royaume du Christ, et de détruire les abus. Le trou du cul est quelque chose ; je voudrais qu’on mît en sentinelle un jésuite à cette porte de l’arche[101].

On a imprimé en Hollande le Testament de Jean Meslier ; ce n’est qu’un très petit Extrait du Testament de ce curé[102]. J’ai frémi d’horreur à la lecture. Le témoignage d’un curé qui, en mourant, demande pardon à Dieu d’avoir enseigné le christianisme peut mettre un grand poids dans la balance des libertins. Je vous enverrai un exemplaire de ce Testament de l’antechrist, puisque vous voulez le réfuter. Vous n’avez qu’à me mander par quelle voie vous voulez qu’il vous parvienne : il est écrit avec une simplicité grossière qui, par malheur, ressemble à la candeur. Vraiment il s’agit bien de Zulime et du Droit du Seigneur ou de l’Écueil du Sage, que le philosophe Crébillon a mutilé et estropié, croyant qu’il égorgeait un de mes enfants ! Jurez bien que cette petite bagatelle est d’un académicien de Dijon[103], et soyez sûr que vous direz la vérité. Mais ces misères ne doivent pas vous occuper ; il faut venir au secours de la sainte vérité, qu’on attaque de toutes parts. Engagez vos frères à prêter continuellement leur plume et leur voix à la défense du dépôt sacré.

Vous m’avez envoyé un beau livre de musique[104] à moi qui sais à peine solfier ; je l’ai vite mis es mains de notre nièce la virtuose.

Je suis le coq qui trouva une perle dans son fumier, et qui la porta au lapidaire. Mlle  Corneille a une jolie voix ; mais elle ne peut comprendre ce que c’est qu’un dièse.

Pour son oncle le rabâcheur et le déclamateur, le cardinal de Bernis dit que je suis trop bon, et que je l’épargne trop.

J’ai fait très-sérieusement une très-grande perte dans l’impératrice de toutes les Russies.

On a assassiné Luc, et on l’a manqué ; on prétend qu’on sera plus heureux une autre fois. C’est un maître fou que ce Luc, un dangereux fou : il fera une mauvaise fin ; je vous l’ai toujours dit. Intérim, vale : te saluto in Christo Salvatore nostro.


4841. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
Aux Délices, 14 février.

J’apprends, madame, par les nouvelles publiques, une nouvelle que je ne veux pas croire : les gazettes sont souvent très-mal informées ; mais s’il y a quelque fondement à ce funeste bruit, souffrez, madame, que je mêle ma douleur à la vôtre[105]. Je suis encore très-incertain. Je ne peux que me borner à vous dire combien je m’intéresse à vos peines, si vous en avez, et à la douceur de votre vie, si elle n’est point troublée. Votre expérience et votre bon esprit vous ont appris que la vie est bien peu de chose, et qu’il faut au moins en jouir, puisque ce peu est tout ce que nous avons. Quelque malheur qui nous arrive, et quelque perte qu’on fasse, la philosophie doit venir à notre secours, et la sensibilité de nos amis est de quelque consolation. Si la nouvelle est malheureusement vraie, je voudrais être près de vous dans le nombre de ceux dont l’amitié vous console. Vivez, madame, et continuez de devoir votre santé à votre régime. Nous avons dans mon voisinage de Genève une femme qui a cent quatre ans passés[106] et qui gouverne très-bien toute sa famille. Ses règles lui sont revenues à cent deux ans. Mais elle n’a pas voulu se remarier. Voilà l’exemple que je vous propose. Adieu, madame. Daignez agréer le tendre intérêt que je prends à vous, mon attachement, et mon respect.


4842. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
Aux Délices, 14 février.

Il y a longtemps, madame, que le pédant commentateur de Pierre Corneille n’a eu l’honneur de vous écrire ; il faut que je vous dise une chose très-consolante pour les femmes.

Il y a dans mon voisinage de Genève une petite femme qui a toujours été d’un tempérament faible : elle a eu hier cent quatre ans, très-régulièrement, et vous jugez bien que les plaisants lui ont proposé de se remarier ; mais elle aime trop sa famille pour donner des frères à ses enfants. La partie par où l’on pense ne s’est point affaiblie en elle : elle marche, elle digère, elle écrit, gouverne très-bien les affaires de sa maison. Je vous propose cet exemple à suivre un jour.

Pour des hommes de ce caractère, je n’en connais point : Bernard de Fontenelle[107] n’était qu’un petit garçon auprès de ma Genevoise. Je souhaite à M. le président Hénault la centaine au moins de Fontenelle, mais je crois que Moncrif nous enterrera tous. On dit que sa perruque est mieux arrangée et mieux poudrée que jamais. Tout ce qui me fâche, c’est qu’il ne fasse plus de petits vers ; c’est grand dommage.

À propos de Moncrif, j’ai fait une perte considérable dans l’impératrice russe ; mais sur-le-champ j’ai pris l’impératrice-reine, et elle a souscrit pour Mlle  Corneille, tout comme le roi de France. Il faut toujours avoir quelques têtes couronnées dans sa manche. Mlle  Corneille, d’ailleurs, joue très-joliment les soubrettes.

Si j’avais de plus grandes nouvelles, madame, je vous en dirais pour vous amuser ; mais vous avez la meilleure compagnie de Paris chez vous, et vous n’avez pas besoin de ce qui se passe au pied des Alpes.

Vivez, madame ; digérez, pensez, et même riez de toutes les sottises de ce monde, depuis l’Inquisition de Lisbonne jusqu’aux pauvretés de Paris, et agréez mon tendre respect.


4843. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
16 février.

La créature du pied des Alpes reçoit la lettre de ses anges, du 9 du courant. Je réponds d’abord à l’article de M.  de La Marche : il s’y est pris trop tard ; j’ai le vol des présidents. Un M.  d’Albertas, d’Aix en Provence, vient de me prendre tout ce qui me restait ; M.  de La Marche, huit jours plus tôt, aurait eu certainement la préférence ; et, dès que j’aurai quelques fonds, ils seront à lui. Voilà pour le temporel.

Le spirituel m’abasourdit. Vous devenez durs et impitoyables ; vous abusez de la bonté que j’ai eue d’avertir, à la tête des scènes de Cassandre, que le temple est tantôt ouvert, tantôt fermé, et vous avez la cruauté de me dire en face que, quand le temple sera ouvert, les acteurs viendront jusque dans le péristyle. Est-ce ma faute, à moi malheureux, si vos acteurs n’ont point de voix, s’il faut qu’ils viennent sur le bord du théâtre pour se faire entendre ? De plus, quand le temple est ouvert, ne suppose-t-on pas toujours les personnages dans l’endroit où ils doivent être ? Et nommez-moi donc la pièce où quatre scènes de suite peuvent naturellement se passer dans la même chambre. Les acteurs ne sont-ils pas tacitement supposés, par le spectateur bénévole, passer d’une chambre à l’autre ? Mais vous n’êtes point bénévoles, et vous avez juré de m’exterminer. Eh bien ! je vous sacrifie la place publique : on se battra dans le parvis ; et cela même peut produire quelques vers vigoureux sur le sacrilège. Ensuite vous m’accablez toujours de reproches au sujet d’une fille qui veut servir sa mère, et vous savez en votre conscience que j’ai changé ce passage[108].

Je ne vous entends point, ou plutôt vous ne m’avez pas entendu, quand vous m’écriviez que « c’est une énigme inconcevable, dans Olympie, de dire à Cassandre :


De ce temple surtout garde-toi de sortir[109]. »

Quoi ! sa mère vient de lui dire que Cassandre doit être assassiné au sortir du temple, et Olympie, qui aime Cassandre, ne l’avertira-t-elle

pas malgré elle ? et ce n’est pas là une belle situation ? Je présume que vous avez lu trop rapidement la scène du quatrième acte entre la mère et la fille ; je soupçonne qu’il faut appuyer davantage sur cet assassinat, qui doit se commettre au sortir du temple, afin que vous n’ayez plus de prétexte de me persécuter. Vous avez encore la barbarie de ne pas vouloir que Cassandre, le fils de la maison, eût eu mille attentions pour l’esclave de son père. Où est donc la contradiction ?

D’ailleurs chaque jour on colle un petit papier ; je vous en ai envoyé trois ou quatre, et j’en ai dix ou douze. Je travaille sans relâche, et pour qui ? Pour un peuple ignorant, égaré, volage, qui s’ennuiera aux scènes de Catilina et de César, et qui courra en foule à la Fatale Union d’Arlequin et de la Foire[110].

Voilà ce qui devrait allumer en vous une sainte et courageuse haine.

Hélas ! j’avais renoncé au tripot ; vous m’avez rembâté, vous m’avez renquinaudé, et je suis dans l’amertume.

De vous accabler encore de petits papiers à coller, cela vous serait très-incommode à la longue ; il vaut mieux reprendre la louable coutume de renvoyer l’exemplaire, d’autant plus que, pendant qu’il sera en route, on aura fait encore peut-être force changements nouveaux pour plaire à mes anges.

Mais ils ne m’ont rien dit du livre infernal de ce curé Jean Meslier, ouvrage très-nécessaire aux anges de ténèbres, excellent catéchisme de Belzébuth. Sachez que ce livre est très-rare, c’est un trésor. Faites tant que vous pourrez les plus sages efforts contre l’inf…, vous rendrez service au genre humain. Mille tendres respects.


4844. — À MADAME DE FONTAINE.
16 février.

J’ai encore changé d’avis, ma chère nièce, attendu que volonté est ambulatoire. Mon dernier avis est que vous me renvoyiez Cassandre. J’y ai fait cent changements ; je vous la redépêcherai toute musquée, mais la toilette n’est pas encore faite. Je me repens bien de vous avoir priée de la faire lire.

Si heureusement vous n’avez point encore fait cette assemblée dont je vous parlais, ne la faites point, je vous en prie. Cassandre serait un mauvais plat dans l’état où il est.

Je crois vous avoir mandé[111] que j’avais fait une grande perte dans l’impératrice de Russie ; mais que j’avais mis à sa place l’impératrice-reine. Il faut toujours, comme Moncrif[112], avoir quelque reine pour soi.


4845. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
HUMBLE RÉPONSE À L’ÉDIT DE MES ANGES,
donné rue de la sourdière, 16 février.
À Ferney, 24 février.

La créature V. fera ponctuellement tout ce que ses anges lui ont signifié.

Il enverra lettres, déclarations conformes à leur sage et bénigne volonté, et ne fera pas comme le parlement de Bourgogne, qui cesse ses fonctions parce qu’il croit qu’on lui a dit des injures.

Il n’attend que la pièce pour la faire repartir sur-le-champ avec force corrections ; il avise ses divins anges qu’on a plus étendu, plus circonstancié le meurtre de Cassandre, qui doit s’exécuter au sortir du temple, afin que nul ne soit surpris de voir que la pauvre Olympie, après avoir précédemment prié Cassandre de vider le temple, lui dise tout effarée de n’en pas sortir. Si mes anges s’y sont mépris, bien d’autres s’y méprendraient.

Quant au local, je ne vous entends point, ou vous ne m’entendez pas, et, dans l’un et l’autre cas, c’est ma faute. Peut-être a-t-on oublié dans la copie de marquer que le temple est fermé à la première scène du quatrième acte, et ouvert ensuite. C’est au pied d’un autel, et près d’une colonne, que Cassandre trouve Olympie ; ils se parlent vers cet autel, qui est dans le temple. Si les acteurs n’ont pas la voix assez forte pour se faire entendre de l’intérieur de ce temple, ce n’est pas ma faute ; s’ils avancent un peu dans le parvis, le public suppose toujours qu’ils sont dans l’intérieur, et, tant qu’il voit le temple ouvert, il est assez sous-entendu que la scène est dans ce temple. Jamais l’unité du lieu n’a été plus rigoureusement observée. Il serait à souhaiter que la façade du temple ne laissât que huit pieds pour le vestibule ; que, les portes du temple étant ouvertes, les acteurs ne s’avançassent jamais jusque dans ce vestibule ouvert, jusque dans ce parvis. Mais, encore une fois, si leur voix alors ne faisait pas assez d’effet, il faudrait bien leur passer de s’avancer deux ou trois pas dans ce parvis. Je soupçonne que vous avez cru que la porte du temple devait être, comme à l’ordinaire, dans le fond du théâtre ; mais non, elle est sur le devant. Imaginez qu’au premier acte la toile se lève ; on voit sur le bord du théâtre la façade d’un temple fermé ; Sostène est à la porte du temple ; cette porte s’ouvre. Dès que la toile est levée, Cassandre sort du temple pour parler à Sostène, et la porte se referme incontinent, après avoir laissé voir au spectateur deux longues files de prêtres et de prêtresses couronnés de fleurs, et une décoration magnifiquement illuminée au fond du sanctuaire. L’œil, toujours curieux et avide, est fâché de ne voir qu’un instant ce beau spectacle ; mais il est ravi lorsqu’à la troisième scène il voit la pompe de la cérémonie du mariage dans ce temple, et Antigone qui frémit de colère à la porte.

Il ne s’agit donc que de marquer en marge expressément les endroits où les acteurs doivent être.

Il serait à souhaiter qu’on pût représenter une place, un parvis, un temple ; mais, puisque dans nos petits tripots parisiens nous ne pouvons imiter la magnificence du théâtre de Lyon, il faut suppléer comme on peut à notre mesquinerie. On fermera donc le temple au commencement du quatrième acte, et Cassandre et Antigone, qui étaient dans l’intérieur à la fin du troisième, seront dans le vestibule ou parvis au commencement du quatrième ; ils seront prêts à fondre l’un sur l’autre, partant chacun de la première coulisse, le grand prêtre et sa suite au milieu. Cela doit faire un très-beau spectacle. Tout parle aux yeux dans cette pièce, tout y forme des tableaux, tantôt attendrissants, tantôt terribles.

Ce genre un peu nouveau demande le plus grand concert de tous les acteurs et du décorateur, et ce n’est peut-être pas l’ouvrage de six jours.

Un des tableaux les plus difficiles à exécuter est celui où Statira est mourante entre les mains d’Olympie, qui, embrassant sa mère et repoussant Cassandre, appelant du secours, et craignant en même temps pour son amant et pour sa mère, doit exprimer un mélange de mouvements et de passions qui ne peut être rendu que par une actrice consommée. Le tableau du cinquième acte est d’une exécution encore plus difficile ; ainsi j’avoue avec mes anges qu’il n’y a que Mlle  Clairon qui puisse jouer Olympie[113]. Il me semble qu’elle a pour elle le premier acte, le quatre et le cinq ; Statira n’en a que deux où elle efface sa fille. De plus, on peut donner à la pièce le nom d’Olympie, afin que Mlle  Clairon ait encore plus d’avantages, et paraisse jouer le premier rôle.

J’avouerai encore, après y avoir bien pensé, qu’il vaut mieux ne point donner la pièce au théâtre que de la hasarder entre des mains qui ne soient pas exercées et accoutumées à faire approcher celles du parterre l’une de l’autre.


4846. — À M.  D’ALEMBERT.
À Ferney, 25 février.

Mon cher et universel, vous avez le nez fin, et c’est pour cela que j’ai voulu que vous lussiez Olympie ; mais, après avoir mandé à Mme  de Fontaine de vous donner cette corvée[114], je lui mandai de n’en rien faire, attendu que j’ai le nez fin aussi, et que je m’étais très-bien aperçu que Cassandre et Olympie ne remuaient pas comme ils doivent remuer. J’avais, Dieu et le duc de Villars m’en sont témoins, j’avais broché en six jours cette besogne. Il n’appartient qu’au dieu de Moïse de créer en six jours un monde. J’avais fait le chaos ; j’ai débrouillé beaucoup, et voilà pourquoi je ne voulais plus que vous vissiez mon ours avant que je l’eusse léché. Toutes vos critiques me paraissent assez justes ; ce n’est point peu pour un auteur d’en convenir : il n’y en a qu’une qui me paraît mauvaise. Vous voulez qu’un homme qui est à la porte d’une église interrompe une cérémonie qu’on fait dans le sanctuaire, et à laquelle il n’a nul droit, nul prétexte de s’opposer.

On voit bien que vous n’allez jamais à la messe. Je suppose que vous vissiez Fréron et Chaumeix, etc., communier à Notre-Dame : iriez-vous leur donner des coups de bâton à l’autel ? N’attendriez-vous pas qu’ils allassent de l’église au b… ? Vous ne savez pas combien les cérémonies de l’église sont respectables.

Il y a encore d’autres remarques sur lesquelles je pourrais disputer ; mais le grand point est d’intéresser, tout le reste vient ensuite. J’ai choisi ce sujet moins pour faire une tragédie que pour faire un livre de notes à la fin de la pièce, notes sur les mystères, sur la conformité des expiations anciennes et des nôtres, sur les devoirs des prêtres, sur l’unité d’un dieu prêchée dans tous les mystères, sur Alexandre et ses consorts, sur le suicide, sur les bûchers où les femmes se jetaient dans la moitié de l’Asie ; cela m’a paru curieux, et susceptible d’une hardiesse honnête : Meslier est curieux aussi, il part un exemplaire pour vous ; le bon grain était étouffé dans l’ivraie de son in-folio. Un bon Suisse a fait l’extrait très-fidèlement, et cet extrait peut faire beaucoup de bien. Quelle réponse aux insolents fanatiques qui traitent les sages de libertins ! Quelle réponse, misérables que vous êtes, que le testament d’un prêtre qui demande pardon à Dieu d’avoir été chrétien ! Le livre de Mords-les sur l’Inquisition[115] me met toujours en fureur. Si j’étais Candide, un inquisiteur ne mourrait que de ma main[116].

Mlle  Corneille est bien élevée ; il faut remercier Dieu d’avoir arraché cette âme à l’horreur d’un couvent.

Je fais un peu de bien dans la mission que le ciel m’a confiée. Ô mes frères ! travaillez sans relâche, semez le bon grain, profitez du temps pendant que nos ennemis s’égorgent. Mme  Denis est très-contente de votre musique.

Quoi ! Meslier, en mourant, aura dit ce qu’il pense de Jésus, et je ne dirai pas la vérité sur vingt détestables pièces de Pierre, et sur les défauts sensibles des bonnes ? Oh ! pardieu, je parlerai ; le bon goût est préférable au préjugé, salva reverentia. Écrasez l’inf…, je vous en conjure.


4847. — À M.  LE MARQUIS DE THIBOUVILLE.
25 février.

Non, cela n’est pas vrai, avec le respect que je vous dois : vous n’avez point lu Cassandre ; vous avez lu, monsieur le marquis, une esquisse de Cassandre, à laquelle il manque cent coups de pinceau, et dont quelques figures sont estropiées. Dieu seul peut créer le monde en huit jours ; mais moi, je n’ai pu créer que le chaos. Ce n’est pas sans peine que je crois enfin l’avoir débrouillé. Cassandre et Olympie n’intéressaient pas assez, et toutes les critiques qu’on peut faire n’approchent pas de celle-là. C’est l’intérêt de ces deux amants qui doit être le pivot de la pièce, sans préjudice de vingt autres détails. La première chose qu’il faut faire est donc que M. d’Argental ait la bonté de me renvoyer l’original, sur lequel on recollera proprement une soixantaine de vers absolument nécessaires ; ensuite Mlle  Clairon verra peut-être que le rôle d’Olympie est plus intéressant que celui d’Électre, qu’elle a joué quand Mlle  Dumesnil a joué Clytemnestre.

Au reste, j’ai très-peu d’empressement pour donner cette pièce au théâtre : nous allons la jouer à Ferney ; il est juste que je travaille un peu pour mon plaisir et pour celui de Mme  Denis. Si je livrais cette pièce aux comédiens, je ne voudrais pas leur abandonner la part d’auteur, comme j’ai fait dans les pièces précédentes. Je voudrais que cette part fût pour Mlle  Clairon, Mlle  Dumesnil, et Lekain. Mais nous n’en sommes pas là. Il faudrait que je fusse à Paris pour diriger cette pièce, qui est toute d’appareil et de spectacle, et qui d’ailleurs n’est guère du ton ordinaire. Le ridicule est fort à craindre dans tout ce qui est hasardé. Mais il est impossible que j’aille à Paris : ni mon goût, ni mon âge, ni ma santé, ni Corneille, ne le permettent. Je me vois avec douleur privé de la consolation de vous revoir : car vous ne quitterez point le théâtre de Paris pour celui de Ferney. Conservez-moi vos bontés, et soyez sûr que j’en sens tout le prix.


4848. — DU CARDINAL DE BERNIS.
De Montélimart, le 25 février.

J’ai l’honneur de vous renvoyer, mon cher confrère, Cassandre, que le duc de Villars m’a adressé, ainsi que vos remarques sur Cinna. Je crois qu’en revoyant votre tragédie, vous ferez bien de fonder encore davantage l’amour d’Olympie pour Cassandre ; il faut que cet amour soit d’une bonne constitution pour résister à la révélation de tant de crimes. Ainsi, je crois nécessaire d’établir que Cassandre a sauvé la vie à Olympie au péril de la sienne, dans un âge où elle ait pu en conserver la mémoire ; qu’elle se rappelle cet événement avec reconnaissance, qu’elle le raconte à sa mère ; que Cassandre insiste sur ce service, quand il n’a plus d’autres droits à faire valoir, et que tout cela soit peint avec les traits vifs et piquants dont vos poches sont pleines : on pardonnera à Olympie d’aimer un homme à qui elle doit la vie, et de se tuer quand l’honneur lui défend de l’épouser. En un mot, elle sera plus intéressante.

À l’égard de vos remarques sur Cinna, je les adopte toutes ; vous pouviez même pousser la sévérité plus loin : en disant que Cinna « est plutôt un bel ouvrage qu’une belle tragédie[117] », vous avez tout dit. Qu’Auguste pardonne à Maxime par clémence ou par mépris, à la bonne heure ; mais on est révolté qu’il le conserve au rang de ses amis. Je crois que cette observation mérite d’être faite.

Vous êtes en peine de mon âme, dans le vide de l’oisiveté à laquelle je suis condamné à l’avenir. Avouez que vous me croyez ambitieux comme tous mes pareils ; si vous me connaissiez davantage, vous sauriez que je suis arrivé en place philosophe, que j’en suis sorti plus philosophe encore, et que trois ans de retraite ont affermi cette façon de penser au point de la rendre inébranlable. Je sais m’occuper ; mais je suis assez sage pour ne pas faire part au public de mes occupations ; je n’avais besoin pour être heureux que de cette liberté dont parle Virgile, quæ sera tamen respexit inertem[118]. Je la possède en partie ; avec le temps je la posséderai tout entière. Une main invisible m’a conduit des montagnes du Vivarais au faîte des honneurs ; laissons-la faire, elle saura me conduire à un état honorable et tranquille ; et puis, pour mes menus plaisirs, je dois, selon l’ordre de la nature, être l’électeur de trois ou quatre papes[119], et revoir souvent cette partie du monde qui a été le berceau de tous les arts. N’en voilà-t-il pas assez pour bercer cet enfant que vous appelez la vie ? Ne me souhaitez que de la santé, mon cher confrère ; j’ai ou j’aurai tout le reste. Quand je désire une longue vie, je suppose votre existence et celle de quelques amis : car je suis comme Mlle  Scudéri, je ne voudrais pas vivre éternellement si mes amis n’étaient éternels comme moi. Adieu, mon cher confrère ; je ris comme un fou quand je songe que vous êtes destiné à vivre en Suisse, et moi à habiter un village.



4849. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
Ferney[120].

Ô anges ! tous connaissez les faibles mortels, ils se traînent à pas lents. Quatre vers le matin, six le soir, dix ou douze le lendemain, toujours rentrayant, toujours rapetassant, et ayant bien de la peine pour peu de chose. Renvoyez-moi donc ma guenille, afin que sur-le-champ elle reparte avec pièces et morceaux, et que la hideuse créature se présente devant votre face, toute recousue et toute recrépie.

Mais, ô mes divins anges ! le drame de Cassandre est plus mystérieux que vous ne pensez. Vous ne songez qu’au brillant théâtre de la petite ville de Paris, et le grave auteur de Cassandre a de plus longues vues. Cet ouvrage est un emblème. Que veut-il dire ? Que la confession, la communion, la profession de foi, etc., etc., sont visiblement prises des anciens. Un des plus profonds pédants de ce monde (et c’est moi) a fait une douzaine de commentaires par A et par B à la suite de cet ouvrage mystique, et je vous assure que cela est édifiant et curieux. Le tout ensemble fera un singulier recueil pour les âmes dévotes.

J’ai lu la belle lettre de Mme  Scaliger à la nièce. Nous sommes dans un furieux embarras : si Mlle  Dumesnil est ivre, adieu le rôle de Statira. Si elle n’est pas ivre, elle sera sublime. Mademoiselle Clairon, vous refusez Olympie ! mais vraiment vous n’êtes pas trop faite pour Olympie, et cependant il n’y a que vous, car on dit que cette Dubois est une grande marionnette, et que Mlle  Hus n’est qu’une grande catin. Tirez-vous de là, mes anges ; vous serez bien habiles avec ces demoiselles de coulisses.

Et ma tracasserie avec cet animal de Gui Duchesne ? Vous ne me l’avez jamais mise au net. Encore une fois, je ne crois pas avoir fait un don positif à Gui Duchesne ; et je voudrais savoir précisément de quel degré est ma sottise. Sot homme est celui qui se laisse duper. Oh ! oh ! mes anges, mon cœur n’est accessible à l’amitié que pour vous seuls ; il est dur comme le pot de fer pour tout le reste ; il n’y a que pour vous qu’il sache s’attendrir.

Mon plus grand malheur, vous dis-je, est la mort d’Élisabeth. Je crois mon Schouvalow disgracié. On dit la paix faite entre Pierre III et Frédéric III. Ma chère Élisabeth détestait Luc, et je n’y avais pas peu contribué, et je riais dans ma barbe, car je suis un drôle de corps ; mais je ne ris plus, Mlle  Clairon m’embarrasse,


4850. — À M.  LE MARQUIS DE CHAUVELIN.
À Éphèse[121], 26 février.

Votre Excellence est bien persuadée de tous les sentiments que le roi mon maître[122] a pour elle. Il s’intéresse à votre santé ; il m’en a parlé avec une sensibilité qui est bien rare dans les personnes occupées de grandes affaires. C’est un exemple que vous lui avez donné ; il sait que, dans la guerre et dans les négociations, vous avez toujours cultivé l’amitié, et que vous paraissez toujours occupé de vos amis comme si vous aviez du temps de reste. Votre caractère l’enchante. Il a été lui-même assez malade ; mais, dès que Sa Majesté macédonienne a été en état de raisonner, je lui ai fait part de vos remontrances. Il admire toujours la sagacité de votre génie et la facilité de vos moyens ; il dit qu’il n’a jamais connu d’esprit plus conciliant. J’ai pris ce temps pour lui dire : « Faites donc ce qu’il vous propose ; » il m’a répondu que cela lui était impossible. « Mettez-vous à ma place, m’a-t-il dit. Que m’importe d’avoir autrefois donné un coup de sabre à une Persane ? Quels si grands remords pourrais-je en avoir, si je n’étais pas éperdument amoureux de sa fille ? N’ai-je pas dit exprès à mon maître de la garde-robe :


Ces expiations, ces mystères cachés,
Indifférents aux rois, et par moi recherchés,
Elle en était l’objet ; mon âme criminelle
N’osait parler aux dieux que pour approcher d’elle.

(Acte IV, scène iv.)

« Vous savez, a-t-il ajouté, qu’on ne s’intéresse guère qu’à nos passions, et très-peu à nos dévotions ; si je me suis confessé, et si j’ai communié, on sent bien que c’est pour Olympie. J’insiste encore sur les ridicules qu’on me donnerait si mon père et moi avions eu pendant treize ans la fille d’Alexandre entre nos mains, après l’avoir prise dans son palais, et que nous n’en sussions rien. »

Je ne vois d’autre réponse à cet argument que de bâtir un roman à la façon de Calprenède[123], et de supposer un tas d’aventures improbables, d’amener quelque vieillard, quelque nourrice qu’il faudrait interroger ; et ce nouveau fil romprait infailliblement le fil de la pièce. L’esprit partagé entre tant d’événements perdrait de vue le principal intérêt. « Il y a bien plus, dit-il ; une reconnaissance est touchante quand elle se fait entre deux personnes qui ont intérêt de se reconnaître : mais Cassandre, en apprenant que sa maîtresse est la fille de Statira, n’apprendrait qu’une très-fâcheuse nouvelle. De plus, il faudrait deux reconnaissances au lieu d’une, celle d’Oljmpie et celle de Statira ; l’une ferait tort à l’autre. »

Je vous avoue que j’ai été fort ébranlé de toutes ces raisons, que le roi mon maître m’a déduites fort au long, et dont je communique le faible précis à Votre Excellence. Je l’en fais juge, et je la supplie de considérer dans quel embarras elle nous jetterait, s’il fallait refondre toute la pièce uniquement pour faire apprendre par Antigone ce qu’on peut très-bien savoir sans lui.

On m’a envoyé du petit royaume des Gaules, situé au bout de l’Occident, un petit écrit[124] concernant des prêtres des idoles, qu’on appelle jésuites ; je ne sais ce que c’est que cette affaire ; on ne s’en soucie guère à Éphèse. J’en fais part, à tout hasard, à Votre Excellence. Statira, Olympie et l’hiérophante, font mille vœux pour vous et madame l’ambassadrice.


4851. — À M.  LE MARQUIS D’ARGENCE DE DIRAC.
À Ferney, 26 février.

Je ne savais où vous prendre, monsieur ; vous ne m’avez point informé de votre demeure à Paris ; je ne pouvais vous remercier ni de votre souvenir ni de votre excellent pâté. Je vous crois actuellement dans votre château ; le mien est un peu entouré de neiges. Je crois le climat d’Angoulême plus tempéré que le nôtre, et je vous avoue que si je m’applaudis en été d’avoir fixé mon séjour entre les Alpes et le mont Jura, je m’en repens beaucoup pendant l’hiver. Si on pouvait être Périgourdin en janvier et Suisse en mai, ce serait une assez jolie vie. Est-il vrai que vous avez des fleurs au mois de février ? Pour moi, je n’ai que des glaces et des rhumatismes.

Je reçois dans ce moment, monsieur, votre lettre du 13 février ; je vois que je ne me suis pas trompé. Je vous tiens très-heureux d’être loin de toutes les tracasseries qui affligent Paris, la cour, et le royaume. Je n’ai point encore vu le Mémoire de M. le maréchal de Broglie[125], mais j’augure mal de cette division. Voici un petit Mémoire en faveur des jésuites ; j’ai cru qu’il vous amuserait.

On me mande que Mme  de Pompadour est attaquée d’une goutte sereine qui lui a déjà fait perdre un œil, et qui menace l’autre. L’Amour était aveugle, mais il ne faut pas que Vénus le soit. Il y a un autre dieu aveugle, c’est Plutus ; celui-là a non-seulement perdu les yeux, mais les mains ; j’entends les mains avec lesquelles on donne : car pour celles avec lesquelles on prend, il en a plus que Briarée. J’ai fait une très-grande perte dans l’impératrice de Russie, et je ne la réparerai pas ; elle m’accablait de bontés. Elle venait de souscrire pour deux cents exemplaires en faveur de Mlle  Corneille. La philosophie console de tout ; et il n’y a de philosophie que dans la retraite. Jouissez de la vôtre, jouissez de vous-même, et conservez-moi vos bontés.


4852. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
À Ferney, 2 mars.

Ô mes anges, vous aurez incessamment Acanthe[126] conforme à la prud’homie de la police[127] et aux volontés du parterre, volontés qui sont souvent des caprices auxquels il ne faut pas se rendre aveuglément, mais qu’il ne faut pas choquer avec trop d’obstination.

À l’égard de Cassandre, nous avons du temps ; et si mon ours de six jours demande six mois pour être léché, nous lécherons six mois entiers sans plaindre notre peine, puisque vous ne la plaignez pas. Vous êtes, vous dis-je, d’impitoyables anges ; vous ne faites pas seulement attention que j’ai tout Pierre Corneille sur les bras, et encore l’Histoire générale des sottises des hommes depuis Charlemagne jusqu’à notre temps[128] ; que je suis vieux et malade, et que je me tue pour une nation un peu ingrate ; mais mes anges me tiennent lieu de ma nation.

Vous ne m’avez rien dit de la façon dont le public a appliqué certains vers d’Aménaïde[129] au maréchal de Broglie.

Vous ne daignez pas me rassurer sur la prétendue intelligence de Pierre III et de Frédéric III ; j’y suis pourtant très-intéressé en qualité d’historiographe russe ; mais vous ne me croyez que citoyen des faubourgs d’Éphèse. Vous savez que ma chère impératrice Élisabeth avait souscrit deux cents exemplaires pour Marie Corneille.

Vous ne me dites rien non plus du parlement de Bourgogne, qui s’est avisé aussi de cesser de rendre justice pour faire dépit au roi, qui sans doute est fort affligé qu’on ne juge point mes procès. Le monde est bien fou, mes chers anges. Pour le parlement de Toulouse, il juge ; il vient de condamner un ministre de mes amis à être pendu[130], trois gentilshommes à être décapités, et cinq ou six bourgeois aux galères, le tout pour avoir chanté des chansons de David. Ce parlement de Toulouse n’aime pas les mauvais vers.

Je baise vos ailes avec componction.


4853. — À M.  LEKAIN.
À Ferney, 2 mars.

Mon cher grand acteur, est-il vrai que nous aurons le bonheur de vous voir devers Pâques ? Nous communierons ensemble, et nous prendrons des mesures pour faire de Zulime, de Cassandre, etc., etc., quelque chose qui puisse vous être agréable et utile. J’interromps une répétition pour vous dire que toute notre troupe, et surtout Mme  Denis et moi, nous vous faisons les plus tendres et les plus sincères compliments. V.


4854. — À M.  LE CARDINAL DE BERNIS.
À Ferney, ce 5 mars.

Oui, monseigneur, ceux qui disaient, quand vous fûtes ministre pour trop peu de temps : Celui-là du moins sait lire et écrire, avaient bien raison. Votre Éminence daigne se souvenir de Cassandre, et me donne un excellent conseil, que je vais sur-le-champ mettre en pratique. Vous jugez encore mieux Cinna ; rien n’est mieux dit : C’est plutôt un bel ouvrage qu’une bonne tragédie. Je souscris à ce jugement. Nous n’avons guère de tragédies qui arrachent le cœur ; c’est pourtant ce qu’il faudrait.

Vous savez peut-être ce qui arriva à Tancrède, il y a huit ou dix jours ; je ne dis pas que ce Tancrède arrache l’âme, ce n’est pas cela dont il s’agit ; il y a des vers ainsi tournés :


On dépouille Tancrède, on l’exile, on l’outrage ;
C’est le sort d’un héros d’être persécuté.

(Acte I, scène VI.)

Tout le monde battit des mains, on cria Broglie ! Broglie ! et les battements recommencèrent ; ce fut un bruit, un tapage, dont les échos retentirent jusqu’au château où les deux frères vont faire du cidre[131]. Si les voix des gens qui pensent étaient entendues, les échos de Montélimart feraient aussi bien du bruit. Je fais une réflexion en qualité d’historiographe : c’est que pendant quarante ans, depuis l’aventure du marquis de Vardes[132], Louis XIV n’exila aucun homme de sa cour.

Pour vous, monseigneur, vous avez un grand ombrello[133] d’écarlate qui vous mettra toujours à couvert de la pluie, vous aurez toujours la plus grande considération personnelle. Une chose encore qui met votre âme bien à son aise, c’est que tous les hasards sont pour vous, et qu’il n’y en a point contre ; votre jeu, au fond, est donc très-beau.

À propos de hasards, la ville de Genève, qui est celle des nouvellistes, dit que la Martinique est prise, et que Pierre III est d’accord avec Frédéric III ; et moi, je ne dis rien, parce que je ne sais rien, sinon qu’il fait très-froid dans l’enceinte de nos montagnes, et que je suis actuellement en Sibérie. Mon pays est pendant l’été le paradis terrestre ; ainsi je lui pardonne d’avoir un hiver. Je dis mon pays, car je n’en ai point d’autre. Je n’ai pas un bouge à Paris, et on aime son nid quand on l’a bâti. La retraite m’est nécessaire, comme le vêtement. J’y vis libre, mes terres le sont, je ne dois rien au roi. J’ai un pied en France, l’autre en Suisse ; je ne pouvais pas imaginer sur la terre une situation plus selon mon goût. On arrive au bonheur par de plaisants chemins. Ce bonheur serait bien complet si je pouvais faire ma cour à Votre Éminence. Je la quitte pour aller faire une répétition sur notre théâtre, et très-joli théâtre, d’une comédie de ma façon. Ah ! si vous étiez là, comme nous vous ferions une belle harangue, recreati sacra præsentia ! J’ai le cœur serré de vous présenter de loin mon très-tendre et profond respect.


4855. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
Ferney, 8 mars.

Paire d’anges, Mme  Scaliger[134] est plus que Scaliger ; elle a du génie : je suis plein de reconnaissance et de vénération. C’est encore peu que du génie, elle est bon génie. Assez de dames disent leurs dégoûts, assez disent, en tournant la tête : Ah ! l’horreur ! et puis vont jouer et souper ; mais trouver le mal et le remède, cela n’est pas du train ordinaire. Je ne peux encore prendre un parti sur ce qu’elle propose ; j’avais fait ce Cassandre ou cette Olympie uniquement pour le cinquième acte. Je voulais hasarder de faire voir une femme mourant de douleur ; je me disais : Le président Hénault, dans son petit livre[135], fait mourir vingt ministres de chagrin ; pourquoi Statira n’en mourrait-elle pas ? En la peignant, surtout dès le second acte, accablée de ses douleurs, et languissante, et invoquant la mort, et n’attendant que ce moment, cela n’était-il pas cent fois plus touchant, cent fois plus naturel que de faire expirer de douleur, en un seul verset d’une seule bouchée, une sotte princesse, dans Suréna ? Ah ! que cela est beau ! disaient les cornéliens que j’ai vus dans ma jeunesse.


Non, je ne pleure point, madame ; mais je meurs.

(Corneille, Suréna, acte V, scène v.)

Et moi je dis : Que cela est froid ! que cela est pauvre ! Ah ! ce que je commente ne me plaît guère. Enfin pourquoi un bûcher ne vaudrait-il pas le pont aux ânes du coup de poignard ?

Pourquoi, avant-hier[136], un acteur qui lisait la pièce aux autres acteurs qui vont la jouer chez moi, dans huit jours, nous fit-il tous fondre en larmes ? Attendons ces huit jours ; laissez-moi jouer la pièce telle que je l’ai achevée, laissez-moi reprendre mes esprits ; je n’en peux plus, je sors du bal, ma tête n’est point à moi, — Un bal, vieux fou ? un bal dans tes montagnes ? et à qui l’as-tu donné ? aux blaireaux ? — Non, s’il vous plaît ; à très-bonne compagnie, car voici le fait : nous jouâmes hier le Droit du Seigneur, et cela sur un théâtre qui est plus joli, plus brillant que le vôtre assurément. Notre théâtre est favorable aux cinquièmes actes ; la fin du quatrième fut reçue très-froidement, comme elle mérite de l’être ; mais à ces vers : Je vais partir… Je ne partirai plus ; Avouez donc la gageure perdue… J’aime… Eh bien donc, régnez ; à ces vers si vrais, si naturels, si indignement retranchés, il partait des applaudissements des mains et du cœur. J’avoue que la pièce est bien arrondie ;  ; mais enfin c’est notre cinquième acte qui a plu. — À des Allobroges, direz-vous. — Non ; à des gens d’un goût très-sûr, et dont l’esprit n’est ni frelaté ni jaloux, qui ne cherchent que leur plaisir, qui ne connaissent pas celui de critiquer à tort et à travers, comme il arrive toujours à Paris à une première représentation, comme il arriva à l’Enfant prodigue, à Nanine, à Sémiramis, à Mahomet, à Zaïre ; oui, à Zaïre. On est assez lâche pour céder quelquefois à d’impertinentes critiques ; on sacrifie des traits noblement hasardés, auxquels le public s’accoutumerait en quatre jours. Il y a un beau milieu à tenir entre l’obstination contre les critiques des sages, et l’esclavage de la critique des fous. Vous êtes mes sages, mais soyez fermes. Oui, le Droit du Seigneur a enchanté trois cents personnes de tout état et de tout âge, seigneurs et fermiers, dévotes et galantes. On y est venu de Lyon, de Dijon, de Turin. Croiriez-vous que Mlle  Corneille a enlevé tous les suffrages ? Comme elle était naturelle, vive, gaie ! comme elle était maîtresse du théâtre, tapant du pied quand on la sifflait mal à propos ! Il y a un endroit où le public l’a forcée de répéter. J’ai fait le bailli, et, ne vous déplaise, à faire pouffer de rire. Mais que faire de trois cents personnes au milieu des neiges, à minuit que le spectacle a fini ? Il a fallu leur donner à souper à toutes, ensuite il a fallu les faire danser : c’était une fête rrassez bien troussée[137]. Je ne comptais que sur cinquante personnes ; mais passons, c’est trop me vanter.

Nous jouons Cassandre dans huit ou dix jours ; je vous dirai l’effet. Comptez que nous sommes très-bons juges, parce que nous sommes la nature pure et éclairée ; fiez-vous à nous.

Je reviens de Cassandre à mon impératrice. Je savais bien qu’Ivan Schouvalow, mon favori et celui d’Élisabeth, avait raccommodé la princesse impériale avec la mourante ; mais on me dit que dans le fond il est fort mal avec l’empereur germanico-russe, aujourd’hui buvant et régnant. C’est son cousin de l’artillerie qui était en grâce, il n’y est plus ; il vient de mourir[138].

Cet empire russe deviendra l’arbitre du Nord ; je vous en avertis, messieurs les Français.

Faut-il que les Anglais se moquent partout de vous ? Il y a là un keate[139] qui sait boire, qui a captivé l’empereur ; et votre Breteuil n’a captivé personne. Ah ! pauvres Français, avec vos vaisseaux de province[140], vous êtes dans le temps de la décadence, et vous y serez longtemps ! Faites votre provision de cale et de sucre ; vous le payerez cher avant qu’il soit peu.

Mes anges, neige-t-il à Paris ?

Mille tendres respects.


V., la créature,

4856. — À M.  DAMILAVILLE.
8 mars.
à mes frères en belzébuth.

Mes frères, vous avez le diable au corps. Un peintre fait en six jours l’esquisse d’un tableau, et, avant d’y mettre des couleurs et d’en arrêter toute l’ordonnance, il le fait voir à des amateurs. Comment peuvent-ils s’étonner que le tableau n’ait pas été achevé ? comment peuvent-ils critiquer des couleurs qui ne sont pas encore sur la toile ? comment mes frères ont-ils pu imaginer que la pièce était faite ? Est-ce parce que ce léger croquis a été dessiné en vers, au lieu de l’être en prose ? Mais ne savez-vous pas que je fais toujours toutes mes esquisses en vers, parce que la prose me glace ? N’en parlons plus, et attendez ; mais songez, comme dit Rabelais, qu’il y a des choses profondes sous cette écorce. On a voulu mettre au théâtre la religion des prétendus païens, faire voir, dans des notes, que notre sainte religion a tout pris de l’ancienne, jusqu’à la confession et à la communion, à laquelle nous avons seulement ajouté, avec le temps, la transsubstantiation, qui est le dernier effort de l’esprit. Je crois rendre, par ces notes, un très-grand service au christianisme, que les impies attaquent de tous côtés. Ainsi, mes frères, priez Dieu que la pièce réussisse, pour l’édification publique.

On joua, samedi dernier[141], le Droit du Seigneur sur un théâtre un peu mieux entendu et mieux décoré que celui de la Comédie française. Tous les gens qui se piquent d’avoir de l’esprit, depuis Dijon jusqu’à Turin, vinrent à cette fête. La pièce fut très-bien jouée. Nous avions un excellent Mathurin ; Mlle  Corneille était Colette elle-même ; c’était la nature pure. Je doute que Mlle  Dangevihe ait plus de talent ; elle ne peut avoir que plus d’art.

Tout ce qu’on a ridiculement retranché à la police de Paris a été rétabli à la notre : aussi n’a-t-on jamais tant ri ; et Acanthe, de son côté, n’a jamais tant intéressé. Le bailli conduisait la noce sur le théâtre ; six femmes jolies, habillées en bergères, six jeunes gens très-galants, précédés de violons, se présentaient avec les acteurs devant monseigneur : c’était un tableau de Téniers.

Nous jouons, dans dix jours, Cassandre, qui commence à être colorié ; nous verrons l’effet qu’il fera, avant que nous terminions l’ouvrage. La nature est la même partout : ce qui aura touché les bons esprits de ce pays-ci (et il y en a beaucoup) touchera sans doute à Paris ; ce qui aura déplu aura dû déplaire, et sera réformé. On ne peut pas prendre un parti plus sûr. Jouez une pièce en société, vous n’avez que des flatteurs ; jouez-la devant quatre cents personnes, vous avez des critiques ; et quatre cents personnes assemblées sont comme quatre mille. Les juges de ce pays-ci valent bien ceux de Paris.

N. B. Frère Thieriot me dit qu’il m’envoie le Discours de l’avocat général La Chalotais[142] : et, au lieu de ce discours intéressant, il m’envoie des chiffons hebdomadaires. Je le prie de ne plus se tromper à ce point.

Valete, fratres ; estote fortes contra fanaticos.


4857. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
10 mars.

Ô mes anges ! daignez recevoir, pour vos œufs de Pâques, ce Droit du Seigneur, que je crois dans son cadre. Je vous demande en grâce qu’il soit joué tel qu’il est. J’ai, malgré toute ma modestie, la sincérité insolente de vous dire que je le crois très-bon : tâchez de penser comme moi, car, depuis l’effet que cette pièce a fait sur mes Suisses et sur mes Savoyards, j’aurai bien mauvaise opinion de vos pauvres Français s’ils ne rient pas, et s’ils ne sont pas touchés. Je veux qu’une comédie soit intéressante ; mais je la tiens un monstre si elle ne fait pas rire.

Je ne mets pas encore Olympie à vos pieds : j’attends que nous l’ayons jouée, et que je puisse vous rendre compte du jugement de nos Allobroges, et de la manière admirable dont nous disposons notre vestibule, notre temple, nos autels, et notre bûcher. Ce bûcher servira à jeter la pièce au feu, si elle n’est pas reçue avec transport par nos montagnards. Vous êtes bien à plaindre de ne pas voir mes fêtes ; mais pourquoi êtes-vous condamnés à demeurer dans votre vilaine ville de Paris ?

Au lieu d’Olympie, je vous supplie d’agréer le présent Mémoire. Pouvez-vous, mes divins anges, avoir la bonté de le faire recommander par M.  le comte de Choiseul ? Le frère du capitaine[143] qui veut tirer du canon contre les Hanovriens et Prussiens est connu de M. le comte de Choiseul, et reçoit quelquefois des ordres de lui pour nos limites.

On ne demande qu’un mot ; ce mot est juste. L’officier qui a la rage de servir est très-bon ; enfin je vous demande instamment cette grâce.

Je ne sais plus que penser de mon Schouvalow : on n’a rien fait pour lui ; il voulait voyager, et il reste à sa cour. Je suis encore très-incertain sur le traité des Borusses avec les Russes. Qui vous eût dit, quand nous étions petits, qu’un jour ces Scythes tiendraient la balance de l’Europe ? Pauvres petits Français, ce n’est pas vous encore qui la tenez. Il faut espérer que nous ne serons pas toujours dans la boue ; mais jusqu’ici nous jouons un triste rôle, malgré le prodigieux succès de la farce italienne[144].

Divins anges, continuez vos bontés à la marmotte des Alpes.


4858. — À M.  LE MARQUIS DE THIBOUVILLE.
Ferney, 14 mars.

Mon cher Catilina, vous êtes trop bon et moi trop vif : cela est honteux à mon âge. De quoi me suis-je avisé d’envoyer une esquisse où les couleurs et les attitudes manquaient entièrement ? Mais je voulais consulter ; je voulais voir si de cette esquisse on pouvait faire un tableau. L’ouvrage enfin est près d’être terminé : le rôle d’Olympie est sans contredit le plus beau, et son amour nous paraît si touchant que nous craignons que Statira ne révolte, et qu’on ne la regarde comme une mauvaise religieuse, comme une dévote implacable qui meurt de rage de ce que sa fille aime un très-bon mari, très-repentant de ses fautes de jeunesse. Nous répétons la pièce ; nous la jouons incessamment sur le théâtre le mieux décoré, le mieux éclairé, avec les plus beaux habits, les plus jolies prêtresses, la plus grande illusion ; la pompe, la décence, la magnificence, rien ne nous manquera, qu’une bonne tragédie. Les anges, ni vous, ni moi, ne connaissions la pièce il y a quinze jours. Je ne réponds de rien : si elle ne fait pas d’effet telle qu’elle est à présent, elle n’en fera jamais. On a bien de l’esprit dans notre voisinage, et on a l’esprit de se laisser aller à l’impression que les choses doivent faire. Si on n’est pas ému, je tiens la pièce perdue sans ressource, et je la condamne au portefeuille.


Voilà, mon cher marquis, à quel point nous en sommes.

(Corneille, Cinna, acte I, scène iii.)

Je ne vois pas pourquoi je ne donnerais pas le profit à des acteurs choisis, puisque M. Picardin, de l’Académie de Dijon, a donné le revenant-bon du Droit du Seigneur à Thieriot. Il me semble que les deux cas sont absolument semblables ; mais c’est à mes amis à me conduire dans tous les cas. Mme  Denis vous fait les plus tendres compliments ; elle joue Statira supérieurement : nous avons une assez bonne Olympie, un bon Cassandre, un bon hiérophante, un bon Antigone ; Mlle  Corneille dit des vers comme son oncle les faisait ; mais, par une singularité malheureuse, elle n’aime guère les vers de Pierre ; elle dit qu’elle n’entend point le raisonner, et qu’elle ne peut jouer que le sentiment ; elle est née actrice comique, tragique ; c’est un naturel étonnant. Dieu nous la devait : elle a joué Colette dans le Droit du Seigneur à faire mourir de rire. Je suis trop heureux sur mes vieux jours ; mais il me manque le bonheur de vous revoir.


4859. — À M.  JEAN SCHOUVALOW.
À Ferney, 15 mars.

Monsieur, je reçois la lettre dont vous m’honorez, en date du 14-25 janvier. J’avais eu l’honneur d’écrire à Votre Excellence par la voie de M. le comte de Kaunitz, qui eut la bonté de se charger de mon paquet. Je vous écrivis trois lettres[145], dès que je sus la triste nouvelle qui m’a fait verser des larmes. Je crois que, des trois lettres, vous en avez reçu deux ; la troisième, qui accompagnait un gros paquet, a eu un sort funeste ; le maître de poste de Nuremberg, à qui il était adressé, m’a mandé que le courrier qui le portait a été assassiné par des inconnus qui ont pris l’argent dont il était chargé, un paquet destiné pour Vienne, et un autre pour la Suède. J’en rends compte à M. le comte de Kaunitz, qui sans doute en est déjà informé. Je vois, monsieur, par votre lettre, que vous prenez un parti bien digne d’un philosophe ; vous voulez vous borner à cultiver les lettres. Vous serez l’Anacharsis moderne. Mais, puisque vous avez une intention si sage et si noble, pourquoi ne feriez-vous pas comme Anacharsis ? pourquoi ne voyageriez-vous point ? Je parle un peu pour mon intérêt ; je me trouverais peut-être sur votre route, j’aurais le bonheur de voir et d’entretenir celui dont les lettres m’ont fait tant de plaisir. Il serait difficile qu’en passant d’Allemagne en France ou en Italie, vous ne vous trouvassiez pas à portée de mon ermitage ; je vous en ferais les honneurs de mon mieux, et ce serait le cœur qui les ferait. Je suis trop vieux pour venir vous trouver ; vous êtes jeune, et si votre santé est un peu altérée, ce voyage, dans des climats plus doux que le vôtre, la raffermirait. Je vois avec douleur que si la nature donne à vos compatriotes une constitution robuste, elle leur accorde rarement une longue vie. Voyez à quel âge meurent tous vos souverains ; aucun n’atteint à une heureuse vieillesse. Je souhaite que l’empereur régnant[146], dont vous faites un si bel éloge, ait ce nombre de jours que je souhaitais à l’impératrice, que je pleure. Il mérite de vivre longtemps, lui et son auguste épouse, puisqu’ils ne vivent que pour le bonheur des hommes. Sans doute, monsieur, ils vous attachent l’un et l’autre à Pétersbourg ; et d’ailleurs je sens bien que vous ne voulez pas quitter une patrie qui vous aime et que vous illustrez. Si vous êtes toujours, monsieur, dans le dessein d’achever le monument auquel vous avez bien voulu que je travaillasse, je vous prierai de faire adresser les gros paquets à M. Czernichef, à Vienne, qui les remettra à notre ambassadeur, M. le comte du Châtelet ; il aura la bonté de me les faire tenir.

Je suis charmé que vous daigniez, monsieur, accepter le témoignage public que je veux vous donner de ma très-respectueuse et très-tendre estime. Si le petit ouvrage dont il est question est reçu favorablement du public, je vous le présenterai avec plus de confiance. Il me faut les suffrages de ma nation pour mériter le vôtre. Votre Excellence sait combien je lui suis dévoué pour jamais.
4860. — À MADAME DE FONTAINE.
Ferney, 19 mars.

Ma chère nièce, je n’ai qu’un moment pour vous dire combien je vous approuve et je vous félicite. Il n’y a rien de si doux ni de si sage que d’épouser son ami intime. Vos arrangements, dont vous voulez bien me faire part, me paraissent très-convenables pour toutes les parties intéressées ; Hornoy y gagnera, votre château s’embellira, la vie y sera plus animée : tout le mal est dans cette horrible distance de votre château au mien.

Je vous prierai de m’instruire du jour de votre départ ; il faut qu’un oncle s’arrange pour un petit présent de noces. Je voudrais bien être de la cérémonie, et signer au contrat. Je vais annoncer dans l’instant cette nouvelle à Mme  Denis, qui répète actuellement son rôle de Statira, et qui le jouera bientôt sur un théâtre mieux entendu, mieux orné, mieux éclairé que celui de Paris.

Je suis très-fâché de ne vous pas marier dans mon église, en présence du grand Jésus, doré comme un calice, qui a l’air d’un empereur romain, et à qui j’ai ôté sa physionomie niaise. Nous vous donnerions vraiment une belle fête, car nous sommes en train, et la tête m’en tourne.

Mme  Denis arrive : elle pense comme moi. Nous vous embrassons tendrement, vous et le grand écuyer de Cyrus[147] devenu mon neveu.


4861. — À M.  LE MARQUIS DE FLORIAN[148].
19 mars.

Le grand écuyer de Cyrus va donc devenir Picard. J’en fais mon compliment à ma nièce ; je vous en remercie, et je m’en félicite. Tout mon chagrin, monsieur, est que la noce ne se fasse pas chez moi. Vous auriez la comédie et l’opéra-comique : car nous jouons tout cela. Je ferais votre épithalame. Tout ce que je peux faire à présent, c’est de m’enorgueillir de me trouver votre oncle, et de vous dire combien cet oncle vous aime et vous aimera toujours.

Vivez heureux, neveu et nièce.
4862. — DU CARDINAL DE BERNIS.
À Montélimart, le 20 mars.

Il n’y a que vos lettres, mon cher confrère, que je lise avec plaisir, et que j’attende avec impatience. Les hommes et les femmes n’ont aujourd’hui dans la tête que de gouverner l’État. C’est une dissertation continuelle et ennuyeuse ; rien n’est plus plat qu’une politique superficielle. Vous êtes aujourd’hui le seul homme en France qui voyez les choses avec esprit et gaieté. Rien n’est plus ridicule que cette foule de petits Atlas qui croient porter le monde sur leurs épaules, et qui se chargent de toutes les sollicitudes d’un ministre principal. À propos de ministre, ajoutez à vos réflexions d’historiographe que depuis la disgrâce de M. Fouquet, au commencement du règne de Louis XIV, ce prince n’a renvoyé que le seul marquis de Pomponne, qu’il rappela peu de temps après dans son conseil.

Ce que vous me dites du grand umbrello d’écarlale m’a fait rire, et m’a rappelé un propos que je tins le jour que je reçus la barrette en cérémonie. Ce jour fut marqué par les circonstances les plus flatteuses : une foule de courtisans de tout ordre m’accompagnait chez moi ; l’un d’eux me dit : « Monsieur le cardinal, voilà un beau jour ! — Dites plutôt, lui répondis-je en riant, que voilà un bon parapluie. » Ce mot fut trouvé bon quelques jours après. Faites des comédies sur les comédies de ce monde ; jouez-les sur votre joli théâtre ; entretenez la vigueur de votre esprit ; conservez votre gaieté comme la prunelle de l’œil ; elle est le signe de la santé et de la sagesse ; aimez-moi toujours, et écrivez-moi, quand vous n’aurez rien de mieux à faire.


4863. — À M.  COLINI.
Ferney, 22 mars.

Vous voilà donc marié ! Je voudrais vous venir porter mon présent de noce. Je vous embrasse, vous, madame votre femme, et le petit garçon palatin que vous aurez dans un an. Evviva ! Voici une lettre pour Son Altesse sérénissime. Voulez-vous bien aussi vous charger de celle pour M. de Beckers[149], ministre des finances ? V.


4864. — À M.  LE PRÉSIDENT DE RUFFEY[150].
À Ferney, 22 mars 1762.

Beaucoup de comédies à jouer et à faire, Corneille à commenter, mes terres à labourer, etc., etc., m’ont empéché, mon cher président, de vous remercier aussi vite que je l’aurais voulu. M. de Virey n’est-il pas conseiller de votre parlement non séant ? N’est-ce pas lui qui est venu à Ferney un jour que nous avions trois cents spectateurs et soupeurs. Il arriva tout harassé au milieu de la cohue.

Moi, aller à Paris ! Quelle idée ! J’ai cherché le repos, je l’ai trouvé. Je ne le hasarderai pas ; et d’ailleurs puis-je m’absenter de ma charrue et de Corneille ?

Vous m’avez fait présent d’un sac de navets dont je fais plus de cas que de tous les sacs de procès qui pendent au croc des juges. Il me semble qu’on ménage votre parlement plus qu’on n’a ménagé celui de Besançon[151]. Pour les frères jésuites, je crois qu’ils seront conservés et réformés, et en voici la raison dans le papier honnête et modéré qui m’est venu de Paris.

Je vous embrasse tendrement ; je vous aime et regrette.


4865. — À M.  LE CONSEILLER LE BAULT[152].
À Ferney, 22 mars 1762.

Je crois, monsieur, que les voyageurs que vous avez eu la bonté de m’adresser auront été un peu étonnés de la cohue qu’ils trouvèrent dans un ermitage qui devait être consacré au repos. Nous leur donnâmes la comédie et le bal, mais monsieur votre parent eut bien de la peine à trouver un lit. Ils furent si effarouchés de notre désordre que je n’ai plus entendu parler d’eux ; j’en suis très-fâché. Votre parent, monsieur, me parut infiniment aimable, dans la presse ; et j’entrevis que dans la société il doit être de la meilleure compagnie du monde. Vous ne voulez donc pas que je boive du vin de Mme  Le Bault, vous m’avez abandonné, vous ne me jugez ni ne m’abreuvez. Je n’ai plus, je crois, de procès avec M. le président de Brosses, mais aussi je n’ai plus de son vin de Tournay ; j’ai abandonné le tout à un fermier pour éviter toute noise.

Vous avez entendu parler peut-être d’un bon huguenot que le parlement de Toulouse a fait rouer pour avoir étranglé son fils ; cependant ce saint réformé croyait avoir fait une bonne action, attendu que son fils voulait se faire catholique, et que c’était prévenir une apostasie : il avait immolé son fils à Dieu, et pensait être fort supérieur à Abraham, car Abraham n’avait fait qu’obéir, mais notre calviniste avait pendu son fils de son propre mouvement, et pour l’acquit de sa conscience. Nous ne valons pas grand’chose, mais les huguenots sont pires que nous, et de plus ils déclament contre la comédie

J’ai l’honneur d’être avec bien du respect, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire.

4866. — À M.  FYOT DE LA MARCHE[153].
À Ferney, 25 mars.

Il y a longtemps que je n’ai eu l’honneur d’écrire à celui qui sera toujours mon premier président. J’ai bien des choses à lui dire. Premièrement, son parlement m’afflige. Le roi se soucie fort peu qu’on juge ou non les procès auxquels je m’intéresse ; mais moi, je m’en soucie. Voilà une plaisante vengeance d’écolier de dire : Je ne ferai pas mon thème parce que je suis mécontent de mon régent[154]. C’est pour cela au contraire qu’il faut bien faire son thème. J’apprends que vous faites tous vos efforts pour parvenir à une conciliation. Qui peut y réussir mieux que vous ? Vous serez le bienfaiteur de votre compagnie, c’est un rôle que vous êtes accoutumé à jouer.

Je vous demande pardon de donner des fêtes quand la province souffre, mais il est bon d’égayer les affligés. Il y en a de plus d’une sorte : il vient de se passer au parlement de Toulouse une scène qui fait dresser les cheveux à la tête ; on l’ignore peut-être à Paris ; mais si on en est informé, je défie Paris, tout frivole, tout opéra-comique qu’il est, de n’être pas pénétré d’horreur. Il n’est pas vraisemblable que vous n’ayez appris qu’un vieux huguenot de Toulouse, nommé Calas, père de cinq enfants, ayant averti la justice que son fils aîné, garçon très-mélancolique, s’était pendu, a été accusé de l’avoir pendu lui-même en haine du papisme, pour lequel ce malheureux avait, dit-on, quelque penchant secret. Enfin le père a été roué, et le pendu, tout huguenot qu’il était, a été regardé comme un martyr, et le parlement a assisté pieds nus à des processions en l’honneur du nouveau saint. Trois juges ont protesté contre l’arrêt ; le père a pris Dieu à témoin de son innocence en expirant, a cité ses juges au jugement de Dieu, et a pleuré son fils sur la roue. Il y a deux de ses enfants dans mon voisinage qui remplissent le pays de leurs cris ; j’en suis hors de moi : je m’y intéresse comme homme, un peu même comme philosophe. Je veux savoir de quel côté est l’horreur du fanatisme. L’intendant de Languedoc est à Paris ; je vous conjure de lui parler ou de lui faire parler : il est au fait de cette aventure épouvantable. Ayez la bonté, je vous en supplie, de me faire savoir ce que j’en dois penser. Voilà un abominable siècle : des Calas, des Malagrida, des Damiens, la perte de toutes nos colonies, des billets de confession et l’opéra-comique.

Mon cher et respectable ami, ayez pitié de ma juste curiosité. Je soupçonne que c’est vous qui m’avez écrit il y a environ deux mois ; mais les écritures quelquefois ressemblent à d’autres. Quand vous aurez la bonté de m’écrire, mettez un M au bas de la lettre, cela avertit. Je devrais vous reconnaître à votre style et à vos bontés ; mais mettez un M, car, quand je vous renouvelle mon tendre et respectueux attachement, je mets un V.


4867. — À M.  LE DUC DE VILLARS.
25 mars.
relation de ma petite drôlerie.

Hier mercredi, 24 de mars, nous essayâmes Cassandre. Notre salle est sur le modèle de celle de Lyon ; le même peintre a fait nos décorations ; la perspective en est étonnante : on n’imagine pas d’abord qu’on puisse entendre les acteurs qui sont au milieu du théâtre : ils paraissent éloignés de cinq cents toises. Ce milieu était occupé par un autel ; un péristyle régnait jusqu’aux portes du temple. La scène s’est toujours passée dans ce péristyle ; mais quand les portes de l’intérieur étaient ouvertes, alors les personnages paraissaient être dans le temple, qui, par son ordre d’architecture, se confondait avec le vestibule ; de sorte que, sans aucun embarras, cette différence essentielle de position a toujours été très-bien marquée.

Le grand intérêt commença dès la première scène, grâce aux conseils d’un de nos confrères de l’Académie[155], qui daigna me suggérer l’idée de supposer d’abord que Cassandre avait sauvé la vie d’Olympie.


Seul je pris pitié d’elle, et je fléchis mon père ;
Seul je sauvai la fille, ayant frappé la mère.

(Olympie, acte I, scène i.)

Dès ce moment, je sentis que Cassandre devenait le personnage le plus intéressant.

Le mariage, la cérémonie, la procession des initiés, des prêtres, et des prêtresses couronnées de fleurs, etc., les serments faits sur l’autel, tout cela forma un spectacle auguste.

Au second acte, Statira enfermée dans le temple, obscure, inconnue, accablée de ses infortunes, et n’attendant que la fin d’une vie usée par le malheur, reconnue enfin dans cette assemblée, l’hiérophante à ses genoux, les prêtresses courbées vers elle, ensuite Olympie présentée à sa mère, leur reconnaissance, firent le plus grand effet.

Cassandre, au troisième acte, venant prendre sa femme des mains de la prêtresse qui doit la lui remettre, et trouvant Statira dans cette prêtresse, fit un effet beaucoup plus grand encore. Tout le monde sentit par ce seul vers :


Bienfaits trop dangereux, pourquoi m’a-t-il aimée ?

(Acte III, scène iv.)


qu’Olympie aimerait toujours le meurtrier de sa mère ; de sorte qu’on ne savait qui on devait plaindre davantage, ou Cassandre, ou Olympie, ou la veuve d’Alexandre.

Au quatrième, les deux rivaux, Antigone et Cassandre, ont déjà fondu l’un sur l’autre, dans le péristyle même ; les initiés, les Éphésiens les ont séparés. Ils sont tous dans les coulisses du péristyle ; ils en sortent tous à la fois, divisés en deux bandes ; les portes du temple s’ouvrent au même instant, l’hiérophante et les prêtres remplissent le milieu du théâtre, Antigone et Cassandre sont encore l’épée à la main. C’est par cet appareil que commence le quatrième acte. L’hiérophante, après avoir dit aux deux rois :


Qu’osiez-vous attenter, inhumains que vous êtes ? etc.[156],


continue ainsi :


Rendez-vous à la loi, respectez sa justice, etc.

(Acte IV, scène iii.)

Alors Cassandre prend la résolution d’enlever son épouse dans le temple même. Il la trouve au pied d’un autel. Cette scène a été très-attendrissante ; et à ces mots :


Ma haine est-elle juste, et l’as-tu méritée ?
Cassandre, si ta main féroce, ensanglantée,
Ta main, qui de ma mère a déchiré le flanc.
N’eût frappé que moi seule, et versé que mon sang.
Je te pardonnerais, je t’aimerais… barbare.

<divvp>(Acte IV, scène v.)


les deux acteurs pleuraient, et tous les spectateurs étaient en larmes.

Cet amour d’Olympie attendrissait d’autant plus qu’elle avait voulu se le cacher à elle-même, qu’elle ne s’était point laissée aller à ces lieux communs des combats entre l’amour et le devoir, et que sa passion avait été plutôt devinée que déployée.

Immédiatement après cette scène, Statira, qui a su qu’on allait enlever sa fille, vient lui apprendre qu’Antigone va la secourir, que son hymen était réprouvé par les lois ; elle la donne à son vengeur. Alors Olympie avoue à sa mère qu’elle a le malheur d’aimer Cassandre. Statira évanouie de douleur entre ses bras, Cassandre qui accourt, les divers mouvements dont ils sont agités, forment un tableau supérieur aux trois premiers actes.

Au cinquième, Antigone arrivant pour soutenir ses droits, pour venger Olympie du meurtrier d’Alexandre et de Statira, apprend que Statira vient d’expirer entre les bras de sa fille ; elle a conjuré Olympie, en mourant, d’épouser Antigone. Les voilà donc tous deux dans le temple, forcés d’attendre la décision d’Olympie, et elle obligée de choisir : elle promet qu’elle se déclarera quand elle aura rendu les derniers devoirs au bûcher de sa mère. Le bûcher paraît, elle parle aux deux rivaux, et, n’avouant son amour qu’au dernier vers, elle se jette dans le bûcher.

La scène a été tellement disposée que tout a été exécuté avec la précision nécessaire. Deux fermes, sur lesquelles on avait peint des charbons ardents, des flammes véritables qui s’élançaient à travers les découpements de la première ferme, percée de plusieurs trous : cette première ferme s’ouvrant pour recevoir Olympie, et se refermant en un clin d’œil ; tout cet artifice enfin a été si bien ménagé que la pitié et la terreur étaient au comble.

Les larmes ont coulé pendant toute la pièce. Les larmes viennent du cœur. Trois cents personnes, de tout rang et de tout âge, ne s’attendrissent pas, à moins que la nature ne s’en mêle ; mais pour produire cet effet, il fallait des acteurs et de l’action : tout a été tableau, tout a été animé. Mme  Denis a joué Statira comme Mlle  Dumesnil joue Mérope. Mme  d’Hermenches, qui faisait Olympie, a la voix de Mlle  Gaussin, avec des inflexions et de l’âme ; mais ce qui m’a le plus surpris, c’est notre ami Gabriel Cramer. Je n’exagère point ; je n’ai jamais vu d’acteur, à commencer par Baron, qui eût pu jouer Cassandre comme lui ; il a attendri et effrayé pendant toute la pièce. Je ne lui connaissais pas ce talent supérieur. M. Rilliet a joué le grand prêtre, comme j’aurais voulu que Sarrazin l’eût représenté. Antigone a été rendu par M. d’Hermenches avec la plus grande noblesse. Je ne reviens point de mon étonnement, et je ne me console point de n’avoir pas vu ce spectacle honoré de la présence des deux illustres académiciens[157] qui m’ont daigné aider de leurs conseils pour finir mon œuvre des six jours. Eux, et deux respectables amis[158] à qui je dois tout, et que je consulte à Paris, ont fait mon ouvrage : car malheur à qui ne consulte pas !


4868. — À M.  LE CARDINAL DE BERNIS.
À Ferney, le 25 mars.

Permettez, monseigneur, que ce vieux barbouilleur vous remercie bien sincèrement du plaisir qu’il a eu. Sans vos bontés, sans vos conseils, mon œuvre de six jours eût toujours été le chaos : permettez que je fasse lire à Votre Éminence la petite relation historique que j’envoie à M. le duc de Villars[159]. Quand elle l’aura lue, si tant est qu’elle daigne lire un tel chiffon, un peu de cire mis proprement sous le cachet par un de vos secrétaires rendra le paquet digne de la poste. Voilà de plaisantes négociations que je vous confie.

Je profite de tous vos conseils ; je me donne du bon temps, peut-être un peu trop, car il ne m’appartient pas de donner à souper à deux cents personnes. J’ai eu cette insolence. Nota bene que nous avions deux belles loges grillées. Nous avons combattu à Arques : où était le brave Crillon[160] ? pourquoi était-il à Montélimart ?

Voulez-vous, quand vous voudrez vous amuser, que je vous envoie le Droit du Seigneur ? Cela est gai et honnête ; on peut envoyer cette misère à un cardinal. Je ne dis pas à tous les cardinaux, Dieu m’en garde !


· · · · · Pauci, quos æquus amavit
Juppiter · · · · · · · · · ·

(VirgÆneid., lib. VI, v. 129.)

J’ai encore à vous dire que je suis très-soumis à la leçon que vous me donnez de ne point lire, ou de ne lire guère, tous ces livres où des marquis[161] et des bourgeois gouvernent l’État. Connaissez-vous, monseigneur, la comédie danoise du Potier d’étain[162] ? C’est un potier qui laisse sa roue pour faire tourner celle de la fortune, et pour régler l’Europe : on lui vole son argent, sa femme, sa fille, et il se remet à faire des pots.

Oserai-je, sans abandonner mes pots, supplier Votre Éminence de vouloir bien me dire ce que je dois penser de l’aventure affreuse de ce Calas, roué à Toulouse pour avoir pendu son fils ? C’est qu’on prétend ici qu’il est très-innocent, et qu’il en a pris Dieu à témoin en expirant. On prétend que trois juges ont protesté contre l’arrêt ; cette aventure me tient au cœur ; elle m’attriste dans mes plaisirs, elle les corrompt. Il faut regarder le parlement de Toulouse ou les protestants avec des yeux d’horreur. J’aime mieux pourtant rejouer Cassandre, et labourer mes champs. Ô le bon parti que j’ai pris !

Le rat retiré dans son fromage[163] de Gruyère souhaite à Votre très-aimable Éminence toutes les satisfactions de toutes les espèces qui lui plairont ; il est pénétré pour elle du plus tendre et du plus profond respect.


4869. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
À Ferney, 27 mars.

Vous me demanderez peut-être, mes divins anges, pourquoi je m’intéresse si fort à ce Calas, qu’on a roué : c’est que je suis homme, c’est que je vois tous les étrangers indignés, c’est que tous vos officiers suisses protestants disent qu’ils ne combattront pas de grand cœur pour une nation qui fait rouer leurs frères sans aucune preuve.

Je me suis trompé sur le nombre des juges, dans ma lettre à M. de La Marche. Ils étaient treize, cinq ont constamment déclaré Calas innocent. S’il avait eu une voix de plus en sa faveur, il était absous. À quoi tient donc la vie des hommes ? à quoi tiennent les plus horribles supplices ? Quoi ! parce qu’il ne s’est pas trouvé un sixième juge raisonnable, on aura fait rouer un père de famille ! on l’aura accusé d’avoir pendu son propre fils, tandis que ses quatre autres enfants crient qu’il était le meilleur des pères ! Le témoignage de la conscience de cet infortuné ne prévaut-il pas sur l’illusion de huit juges, animés par une confrérie de pénitents blancs qui a soulevé les esprits de Toulouse contre un calviniste ? Ce pauvre homme criait sur la roue qu’il était innocent ; il pardonnait à ses juges, il pleurait son fils auquel on prétendait qu’il avait donné la mort. Un dominicain, qui l’assistait d’office sur l’échafaud, dit qu’il voudrait mourir aussi saintement qu’il est mort. Il ne m’appartient pas de condamner le parlement de Toulouse[164] ; mais enfin il n’y a eu aucun témoin oculaire ; le fanatisme du peuple a pu passer jusqu’à des juges prévenus. Plusieurs d’entre eux étaient pénitents blancs[165] ; ils peuvent s’être trompés. N’est-il pas de la justice du roi et de sa prudence de se faire au moins représenter les motifs de l’arrêt ? Cette seule démarche consolerait tous les protestants de l’Europe, et apaiserait leurs clameurs. Avons-nous besoin de nous rendre odieux ? Ne pourriez-vous pas engager M. le comte de Choiseul à s’informer de cette horrible aventure, qui déshonore la nature humaine, soit que Calas soit coupable, soit qu’il soit innocent ? Il y a certainement, d’un côté ou d’un autre, un fanatisme horrible ; et il est utile d’approfondir la vérité. Mille tendres respects à mes anges.


4870. — À M.  LE MARQUIS DE THIBOUVILLE.
28 mars.

Vous mandez, mon cher marquis, à ma nièce que ma lettre était bien extraordinaire ; mais comme dans ce temps-là il se passait des choses beaucoup plus extraordinaires dans votre infâme ville de Paris, ma lettre était très-sage. Certain discours prononcé contre les encyclopédistes[166], certaines cabales, certaines persécutions, sont des orages auxquels un homme de mon âge ne doit pas s’exposer. La personne dont vous parlez dans votre lettre à Mme  Denis ne peut pas, ou du moins ne doit pas, dire qu’elle a vu ce qu’elle n’a jamais vu. Ce serait une très-grande infidélité et un crime dans la société d’accuser un homme dont on doit être très-content, et de l’accuser après avoir eu sa confiance. Mais ce serait dans ce cas-ci un mensonge affreux, Ce que je vous dis est très-exact, très-vrai, et la personne en question n’a rien vu ni rien pu voir.

Au reste, les modes changent en France : c’était autrefois la mode de faire des campagnes glorieuses, d’être le modèle des autres nations, d’exceller dans les beaux-arts ; aujourd’hui, on ne connaît plus que des querelles pour un hôpital[167], des cabriolets, des fêtes de catins sur les remparts[168], et des persécutions contre des hommes sages et retirés. Si je ne suis pas sage, je suis au moins très-retiré, et je ne veux pas donner lieu à des pédants de troubler ma retraite. Croyez que je suis instruit de bien des choses, et que j’ai dû écrire de façon à dérouter les curieux qui se trouvent sur les chemins ; mais croyez surtout que je vous aimerai toujours. Mme  Denis vous en dira davantage ; mais elle ne vous est pas plus attachée que moi.


4871. — DE BACULARD D’ARNAUD,

en envoyant à voltaire son « poëme à la nation »[169].

Le 29 mars.

Monsieur, je vous ai aimé comme mon père, et je vous ai admiré comme un grand homme ; j’ai cru avoir à me plaindre du premier, il me fut bien cher, mais le grand homme m’est toujours précieux ; c’est à lui que j’ai l’honneur d’envoyer un poëme dont le sentiment fait tout le mérite ; il est d’un citoyen qui désirerait, pour éterniser son âme, s’élever à cet art enchanteur dont vous possédez seul l’heureuse magie. Il y a longtemps que vous devez être convaincu de ma vénération décidée pour vos talents. Vous avez cependant eu la faiblesse, vous qui vous élevez avec tant de force contre la calomnie, de céder aux impostures absurdes et grossières de quelques écrivains obscurs qui se sont efforcés de me défigurer à vos yeux, vous m’avez condamné sur la foi de ces messieurs, et même vous leur avez écrit sur mon compte des choses très-mortifiantes pour moi, et d’autant plus cruelles que je ne les mérite point. Si vous eussiez daigné jeter les yeux sur mon poëme de la France sauvée, vous auriez vu que malgré notre refroidissement l’écolier est toujours juste, et qu’il goûte toujours un nouveau plaisir à rendre hommage à son maître[170]. Si vous me faisiez le tort d’en douter, je pourrais vous en donner des témoins plus faits pour être crus d’un homme comme vous et d’une trempe plus noble que celle de ces reptiles qui s’enorgueillissent de vos politesses et qui ont la bêtise de les prendre pour des suffrages. Si le métier de délateur n’était pas au-dessous de tout être qui pense, je vous apprendrais des choses qui vous feraient regretter d’avoir pu prostituer votre plume à répondre à de telles espèces, mais je ne suis pas fait pour récriminer ; je ne veux que vous assurer des sentiments éternels d’estime et d’admiration avec lesquels je serai toute ma vie, etc.


4872. — À M.  D’ALEMBERT[171].
À Ferney, 29 mars.

Mon cher et grand philosophe, vous avez donc lu cet impertinent petit libelle d’un impertinent petit prêtre qui était venu souvent aux Délices, et à qui nous avions daigné faire trop bonne chère. Le sot libelle de ce misérable[172] était si méprisé, si inconnu à Genève, que je ne vous en avais point parlé. Je viens de lire dans le Journal encyclopédique un article[173] où l’on fait l’honneur à ce croquant de relever son infamie. Vous voyez que les presbytériens ne valent pas mieux que les jésuites, et que ceux-ci ne sont pas plus dignes du carcan que les jansénistes.

Vous aviez fait à la ville de Genève un honneur qu’elle ne méritait pas ; je ne me suis vengé qu’en amusant ses citoyens. On joua Cassandre ces jours passés sur mon théâtre de Ferney, non le Cassandre que vous avez vu croqué, mais celui dont j’ai fait un tableau suivant votre goût. Les ministres n’ont osé y aller, mais ils y ont envoyé leurs filles. J’ai vu pleurer Genevois et Genevoises pendant cinq actes, et je n’ai jamais vu une pièce si bien jouée, et puis un souper pour deux cents spectateurs, et puis le bal : c’est ainsi que je me suis vengé.

On venait de pendre un de leurs prédicants[174] à Toulouse, cela les rendait plus doux ; mais on vient de rouer un de leurs frères[175], accusé d’avoir pendu son fils en haine de notre sainte religion, pour laquelle ce bon père soupçonnait dans son fils un secret penchant, La ville de Toulouse, beaucoup plus sotte et plus fanatique que Genève, prit ce jeune pendu pour un martyr. On ne s’avisa pas d’examiner s’il s’était pendu lui-même, comme cela est très-vraisemblable. On l’enterra pompeusement dans la cathédrale ; une partie du parlement assista pieds nus à la cérémonie ; on invoqua le nouveau saint ; après quoi la chambre criminelle fit rouer le père à la pluralité de huit voix contre cinq. Ce jugement était d’autant plus chrétien qu’il n’y avait aucune preuve contre le roué. Ce roué était un bon bourgeois, un bon père de famille, ayant cinq enfants, en comptant le pendu ; il a pleuré son fils en mourant, il a protesté de son innocence sous les coups de barre. Il a cité le parlement au jugement de Dieu. Tous nos cantons hérétiques jettent les hauts cris ; tous disent que nous sommes une nation aussi barbare que frivole, qui sait rouer et qui ne sait pas combattre, et qui passe de la Saint-Barthélémy à l’Opéra-Comique. Nous devenons l’horreur et le mépris de l’Europe ; j’en suis fâché, car nous étions faits pour être aimables.

Je vous promets de n’aller ni à Genève ni à Toulouse ; on n’est bien que chez soi.

Pour l’amour de Dieu, rendez aussi exécrable que vous le pourrez le fanatisme qui a fait pendre un fils par son père, ou qui a fait rouer un innocent par huit conseillers du roi.

Mandez-moi, je vous prie, quel est le corps que vous méprisez le plus ; je suis empêché à résoudre ce problème.

Intérim, vous savez combien je vous aime, estime, et révère.

4873. — DE M.  D’ALEMBERT.
À Paris, ce 31 mars.

Un malentendu a été cause, mon cher philosophe, que je n’ai reçu que depuis peu de jours l’ouvrage de Jean Meslier, que vous m’aviez adressé il y a près d’un mois ; j’attendais que je l’eusse pour vous écrire. Il me semble qu’on pourrait mettre sur la tombe de ce curé : « Ci-gît un fort honnête prêtre, curé de village, en Champagne, qui, en mourant, a demandé pardon à Dieu d’avoir été chrétien, et qui a prouvé par là que quatre-vingtdix-neuf moutons et un Champenois ne font pas cent bêtes. » Je soupçonne que l’extrait de son ouvrage est d’un Suisse qui entend fort bien le français, quoiqu’il affecte de le parler mal. Cela est net, pressant, et serré, et je bénis l’auteur de l’extrait, quel qu’il puisse être.


C’est du Seigneur la vigne travailler.

(J. -B. Rousseau, épigr. obsc.)

Après tout, mon cher philosophe, encore un peu de temps, et je ne sais si tous ces livres seront nécessaires, et si le genre humain n’aura pas assez d’esprit pour comprendre par lui-même que trois ne font pas un, et que du pain n’est pas Dieu. Les ennemis de la raison font dans ce moment assez sotte figure, et je crois qu’on pourrait dire comme dans la chanson :


Pour détruire tous ces gens-là,
Tu n’avais qu’à les laisser faire[176].


Je ne sais ce que deviendra la religion de Jésus, mais sa Compagnie est dans de mauvais draps. Ce que Pascal, Nicole, et Arnauld, n’ont pu faire, il y a apparence que trois ou quatre fanatiques absurdes et ignorés en viendront à bout : la nation fera ce coup de vigueur au dedans, dans le temps où elle en fait si peu au dehors ; et on mettra dans les abrégés chronologiques futurs, à l’année 1762 : « Cette année, la France a perdu toutes ses colonies, et chassé les jésuites. » Je ne connais que la poudre à canon qui, avec si peu de force apparente, produise d’aussi grands effets.

Il s’en faut beaucoup, j’en conviens, que les fanatiques d’un certain rang tiennent, contre les fanatiques de Loyola et les fanatiques de Saint-Médard, la balance aussi égale[177] qu’un certain philosophe de vos amis ; mais laissons les pandours détruire les troupes régulières. Quand la raison n’aura plus que les pandours à combattre, elle en aura bon marché.

À propos de pandours, savez-vous qu’ils ne laissent pas de faire encore quelques incursions par-ci par-là sur nos terres ? Un curé de Saint-Herbland, de Rouen, nommé Le Roi (ce n’est pas le roi des orateurs), qui prêche à Saint-Eustache, vous a honoré, il y a environ quinze jours, d’une sortie apostolique dans laquelle il a pris la liberté de vous mettre en accolade avec Bayle. N’oubliez pas cet honnête homme à la première bonne digestion que vous aurez ; son sermon mérite qu’il soit recommandé au prône.

En voilà assez sur les sots et les sottises. Tout cela ne serait rien si nous n’avions pas perdu la Martinique, et si tout, jusqu’aux Russes, ne se moquait pas de nous. Eh bien ! que dites-vous de votre ancien disciple ? Je ne crois pas qu’il regrette autant que vous Élisabeth Petrowna. Par ma foi, il avait besoin de cette mort, et il en a bien promptement tiré parti. Je me souviens de ce que vous me disiez il y a six ans : Il a plus d’esprit qu’eux tous. Dieu veuille que nous profitions de l’exemple ou du prétexte que les Russes nous donnent pour nous débarrasser de cette maudite alliance autrichienne, qui nous coûtera plus que l’Espagne n’a coûté à Louis XIV !

Laissons les rois s’égorger, ainsi que les parlements et les jésuites, et parlons un peu de votre tragédie. Je suis charmé des corrections que vous y faites ; il faut qu’Olympie et Cassandre intéressent, et c’est là la grande affaire. À l’égard de la figure que fait Antigone au premier acte pendant la bénédiction nuptiale de Cassandre et d’Olympie, je ne prétends point du tout qu’Antigone doive troubler cette bénédiction. Je suis trop bon chrétien pour exiger qu’on donne dans l’église des coups de pied dans le cul à un prêtre qui fait ses fonctions ; mais, pour s’épargner cette incartade, quand on n’est pas sûr de soi, il faut faire comme vous, mon cher maître, il ne faut point aller à l’église : et pourquoi Antigone y reste-t-il pour y faire une si sotte figure ? que ne se tient-il chez lui pendant ce temps-là ? Il me paraît que sa présence et son silence le rendent en cette occasion un personnage de comédie. Tout cela soit dit, mon cher maître, sauf votre meilleur avis, comme de raison ; je suis aussi flatté de votre confiance que peu attaché à mes opinions.

Où en est l’édition de Corneille ? Il y a bien longtemps que nous n’avons reçu de vos notes. Au nom de Dieu, soyez sur vos gardes ; ayez raison autant qu’il vous plaira, mais soyez poli ; c’est où vos ennemis vous attendent ; ils vous déchireront pour peu que vous maltraitiez Corneille, et quand vous n’y serez plus, il ne leur en coûtera rien pour dire que vous aviez raison : ne serez-vous pas bien avancé ?

Vous ne me dites rien du mémoire[178] de M. de La Chalotais. C’est, à mon avis, un terrible livre contre les jésuites, d’autant plus qu’il est fait avec modération. C’est le seul ouvrage philosophique qui ait été fait jusqu’ici contre cette canaille. Il s’en faut bien que cet esprit de philosophie règne dans les parlements. Vous savez sans doute ce que le parlement de Toulouse vient de faire en condamnant à la corde un pauvre ministre[179], dont tout le crime était d’avoir fait au désert des baptêmes et des mariages ; et en faisant rouer vif un pauvre vieillard protestant[180] de soixante-dix ans, accusé faussement d’avoir pendu son fils. Tous les inquisiteurs ne sont pas à Lisbonne.

Adieu, mon cher philosophe. Quel atroce et ridicule monde que ce meilleur des mondes possibles ! encore s’il n’était que ridicule sans être atroce, il n’y aurait que demi-mal ; les impertinences jésuitiques, et médardiques, et parlementaires, seraient les menus plaisirs de la philosopliie ; mais, peut-on avoir le courage de rire quand on voit tant d’hommes s’égorger pour les sottises des prêtres et pour celles des rois ? Tâchons, mon cher maître, de ne nous laisser égorger ni par personne ni pour personne. Je ne sais, mais cette année 1762 me paraît grosse de grands événements politiques et civils. Les bavards auront de quoi parler, les fanatiques de quoi crier, et les philosophes de quoi réfléchir. Adieu ; je suis charmé que Mlle  Corneille croisse, comme Jésus-Christ, en sagesse et en grâce, devant Dieu et devant les hommes[181].


4874. — À M.  BECCARIA[182].

Monsieur, j’aurais dû vous remercier plus tôt ; mais je n’ai pas voulu vous faire un vain compliment ; j’ai voulu connaître toute l’étendue du bienfait, et vous rendre mes très-humbles actions de grâces en connaissance de cause. Ce n’est donc qu’après avoir lu votre livre avec la plus grande attention que j’ai l’honneur de vous dire qu’on n’a jamais rien écrit de plus vrai, de plus sage et de plus clair. Il n’y a qu’un homme de qualité, appelé aux premières fonctions, qui puisse traiter ainsi ce qui regarde le bien public. C’est ce qui est arrivé en Espagne au seul don Ustariz ; en France, au duc de Sully ; en Angleterre, à plusieurs membres du parlement.

Ce que vous dites, monsieur, de l’intérêt de l’argent comprend toute cette question en peu de mots. L’intcresse è sempre in ragione diretta delle ricerce, ed in inversa delle offerte. Les théologiens, qui ont tant embarrassé cette matière, auraient mieux fait de ne point parler de ce qu’ils n’entendaient pas.

Je vois, par votre livre, que le Milanais prend une face nouvelle. Il ne faut qu’un ministre pour changer tout un pays. Vous avez chez vous un grand homme[183], digne d’être secondé par vous. Je gémis que mon grand âge et mes maladies ne me permettent pas de vous admirer de plus près.

J’ai l’honneur d’être, avec l’estime la plus respectueuse, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


4875. — À M.  MOULTOU[184].

Venez, mon cher monsieur, m’éclairer et m’échauffer, ou plutôt me modérer, car je vous avoue que l’horreur de l’arrêt de Toulouse m’a un peu allumé le sang, et il faut être doux en prêchant la tolérance. Pourriez-vous venir coucher mercredi auprès d’une église qui est dédiée à Dieu seul en grosses lettres, et dans un petit château où l’on sent tout votre mérite ?

Si votre frère l’antiathanasien Vernes veut être de la partie, nous ne dirons pas grand bien des évêques d’Alexandrie, et encore moins des juges de Toulouse.


4876. — À M.  LE CONSEILLER LE BAULT[185].
Au château de Ferney, 2 avril 1762.

Puisque vous avez la bonté, monsieur, d’abreuver notre troupe du Roman comique, je vous supplie de vouloir bien m’envoyer tout ce que pourra contenir la plus énorme charrette. Le vin d’ordinaire des vignes de Mme  Le Bault sera pour les assistants, et le meilleur s’il vous plaît sera pour moi. Une petite futaille de ce meilleur, contenant environ deux cent quarante pintes, sera mon affaire.


Imbecilla volet tractari moUius ætas.


Je ne crois pas que le curé de Moëns tâte de votre bon vin. Ce n’est pas qu’il ne l’aime infiniment, mais il ne mérite que de l’eau du Styx. Et il devrait bien en aller boire avec votre fripon de curé, qui m’a vendu un tonneau de mauvais vinaigre.

L’affaire du roué de Toulouse devient très-problématique. On prétend que le fanatisme est du côté de huit juges qui étaient de la confrérie des pénitents blancs. Cinq conseillers qui n’étaient pas pénitents ont absous entièrement l’accusé ; les autres ont voulu sacrifier un hérétique. Voilà ce que l’on écrit. Il est après tout fort étrange qu’un père, accusé d’avoir pendu son propre fils, soit condamné sur des preuves si légères que de treize juges il y en ait cinq qui le déclarent innocent. Le testament de mort de l’accusé vaut encore pour le moins trois juges. Enfin cette affaire est épouvantable de part ou d’autre. Je souhaite que votre petite tracasserie avec le roi[186] finisse bientôt, et que vous réprimandiez au moins le curé de Moëns, car il n’y a pas moyen de le rouer.

Si Calas et les huit pénitents blancs avaient été philosophes, notre siècle ne serait pas déshonoré par ces horreurs.

Je ne crois pas que nos philosophes veuillent empêcher nos vignerons et nos laboureurs d’aller à la messe, mais je crois qu’ils voudraient empêcher les honnêtes gens d’être les victimes d’une superstition aussi absurde qu’abominable, qui ne sert qu’à enrichir des fripons oisifs et à pervertir des âmes faibles. Ceux qui veulent que leurs amis pensent comme Cicéron, Platon, Lucrèce, Marc Antonin, etc., n’ont pas tant de tort… Pour la canaille il n’y faut pas penser.

J’ai l’honneur d’être avec bien du respect, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire.

4877. — À M.  DAMILAVILLE.
4 avril.

Mes chers frères, il est avéré que les juges toulousains ont roué le plus innocent des hommes. Presque tout le Languedoc en gémit avec horreur. Les nations étrangères, qui nous haïssent et qui nous battent, sont saisies d’indignation. Jamais, depuis le jour de la Saint-Barthélémy, rien n’a tant déshonoré la nature humaine. Criez, et qu’on crie.

Voici un petit ouvrage[187] auquel je n’ai d’autre part que d’en avoir retranché une page de louanges injustes que l’on m’y donnait. Je serais très-fâché qu’on crût que j’en aie eu la moindre connaissance ; mais je serais très-aise qu’il parût, parce qu’il est, d’un bout à l’autre, de la vérité la plus exacte, et que j’aime la vérité. Il faut qu’on la connaisse jusque dans les plus petites choses. Il n’y a qu’à donner cette brochure à imprimer à Grangé ou à Duchesne.

J’ai envoyé à mes frères cette petite relation[188], adressée à M. le duc de Villars, qui me vit esquisser Cassandre si vite, lorsqu’il était chez moi. Je prie mon cher frère de dire au frère Platon[189] que ce qu’il appelle pantomime je l’ai toujours appelé action. Je n’aime point le terme de pantomime pour la tragédie. J’ai toujours songé, autant que je l’ai pu, à rendre les scènes tragiques pittoresques. Elles le sont dans Mahomet, dans Mérope, dans l’Orphelin de la Chine, surtout dans Tancrède. Mais ici toute la pièce est un tableau continuel. Aussi a-t-elle fait le plus prodigieux effet. Mérope n’en approche pas quant à l’appareil et à l’action ; et cette action est toujours nécessaire, elle est toujours annoncée par les acteurs mêmes. Je voudrais qu’on perfectionnât ce genre, qui est le seul tragique : car les conversations sont à la glace, et les conversations amoureuses sont à l’eau rose.

Je suis affligé de la Martinique et de mon roué. Nous sommes bien sots et bien fanatiques ; mais l’Opéra-Comique répare tout.

Je bénis Dieu de m’avoir donné un frère tel que vous.


4878. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
4 avril.

Mes anges, mes anges, rit-on encore à Paris ? Va-t-on en foule au savetier Blaise et au Maréchal[190] ? Pour moi, je pleure. Vos Parisiens ne voient que des Parisiens, et moi, je vois des étrangers, des gens de tous les pays ; et je vous réponds que toutes les nations nous insultent et nous méprisent. Voilà un commencement bien douloureux pour MM. de Choiseul[191]. Ce n’est certainement pas la faute de monsieur le comte si Pierre s’unit avec Luc ; ce n’est pas la faute de monsieur le duc si les Anglais nous ont pris la Martinique, et s’ils vont peut-être détruire la seule flotte qui nous restait ; mais ces événements funestes doivent percer le cœur des deux ministres que vous aimez, et à qui je suis attaché. Que faire ? jouer le Droit du Seigneur. Il n’y a pas d’autre parti à prendre après le saint temps de Pâques. Les Anglais auront dépouillé le vieil homme[192] ; on aura oublié la Martinique ; il ne sera plus question de rien. Je ne crains que Blaise et les Amours de Blaise. Le Droit du Seigneur, en d’autres temps, devrait plaire à une nation qui ne laisse pas d’avoir du bon, et qui avait autrefois du goût.

Nous avons Lekain ; il a l’air d’un gros chanoine :


Et son corps, ramassé dans sa courte grosseur,
Fait gémir les coussins sous sa molle épaisseur.

(Boileau, le Lutrin, ch. I, v. 67.)

Faites comme il vous plaira, messieurs ; mais allons nous réjouir pour oublier vos tribulations. Nous allons jouer Cassandre, le droit du Seigneur, Sémiramis, et l’Écossaise. Notre ami Lekain nous dit que le tripot ne va pas mieux que le reste de la France ; que les quatre premiers gentilshommes ont la grandeur d’âme d’entrer à la Comédie pour rien, eux, leurs parents, leurs laquais, et les commères de leurs laquais. Cela est tout à fait noble. Les grands seigneurs d’Angleterre sont d’une pâte un peu différente. Ils ont de leur côté la gloire, et nous avons la petite vanité.

Pendant que nous sommes la chiasse du genre humain, on parle français à Moscou et à Yassy ; mais à qui doît-on ce petit honneur ? à une douzaine de citoyens qu’on persécute dans la patrie.

Mes chers anges, je vous remercie très-humblement, très-tendrement pour notre artilleur[193]. J’aurai l’honneur d’écrire à M. le comte de Choiseul[194] ; mais, dans la crise où je le crois, je lui épargne mes importunités pour le présent.

Je crois qu’on est si occupé des désastres publics qu’on ne songe pas à mon roué.

Nous sommes tous à vos pieds et à vos ailes.


4879. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
Ferney, 5 avril.

Comme monsieur votre fils[195], madame, n’avait servi ni sous César ni sous Auguste, il ne faut pas d’épitaphe latine. C’est une pédanterie ridicule. Il faut pour un Français une épitaphe française, d’autant plus que les Romains n’ayant point dans leurs armées de grades qui répondent précisément aux nôtres, il est impossible, en ce cas, d’exprimer ce qu’on veut dire. Il est d’ailleurs de l’honneur de la langue française qu’on l’emploie dans les monuments. Elle est entendue plus généralement que la latine. Je suis fâché, madame, de vous parler d’une chose qui renouvelle vos douleurs ; mais aussi c’est une consolation que vous vous donnez et que je me donne à moi-même. Sans une occupation qui me tiendra ici une année entière, je viendrais pleurer avec vous. On ne m’a rien mandé de l’œil de Mme  de Pompadour, ni des deux de M. d’Argenson. Je les plains l’un et l’autre ; mais je suis obligé de plaindre M. d’Argenson au double.

Adieu, madame ; conservez vos yeux. Ni vous ni moi ne portons encore de lunettes. Remercions la nature.

Mille tendres respects.


4880. — À MADEMOISELLE ***.
Aux Délices, le 15 avril.

Il est vrai, mademoiselle, que, dans une réponse que j’ai faite à M. de Chazelles[196], je lui ai demandé des éclaircissements sur l’aventure horrible de Calas, dont le fils a excité ma douleur autant que ma curiosité. J’ai rendu compte à M. de Chazelles des sentiments et des clameurs de tous les étrangers dont je suis environné ; mais je ne peux lui avoir parlé de mon opinion sur cette affaire cruelle, puisque je n’en ai aucune. Je ne connais que les factums faits en faveur des Calas, et ce n’est pas assez pour oser prendre parti.

J’ai voulu m’instruire en qualité d’historien. Un événement aussi épouvantable que celui d’une famille entière accusée d’un parricide commis par esprit de religion ; un père expirant sur la roue pour avoir étranglé de ses mains son propre fils, sur le simple soupçon que ce fils voulait quitter les opinions de Jean Calvin ; un frère violemment chargé d’avoir aidé à étrangler son frère ; la mère accusée ; un jeune avocat[197] soupçonné d’avoir servi de bourreau dans cette exécution inouïe ; cet événement, dis-je, appartient essentiellement à l’histoire de l’esprit humain et au vaste tableau de nos fureurs et de nos faiblesses, dont j’ai déjà donné une esquisse.

Je demandais donc à M. de Chazelles des instructions, mais je n’attendais pas qu’il dût montrer ma lettre. Quoi qu’il en soit, je persiste à souhaiter que le parlement de Toulouse daigne rendre public le procès de Calas, comme on a publié celui de Damiens. On se met au-dessus des usages dans des cas aussi extraordinaires. Ces deux procès intéressent le genre humain ; et si quelque chose peut arrêter chez les hommes la rage du fanatisme, c’est la publicité et la preuve du parricide et du sacrilège qui ont conduit Calas sur la roue, et qui laissent la famille entière en proie aux plus violents soupçons. Tel est mon sentiment.


4881. — À M.  P***,
qui n’avait adressé à voltaire divers fragments de poëtes anglais, traduits en vers français[198].
Ferney, 15 avril 1762.

J’ai reçu, monsieur, avec autant de plaisir que de reconnaissance, vos essais de traduction de quelques poètes anglais. L’ancienne dureté de leur langue semblait peu favorable à la poésie, mais peu à peu elle s’est changée en force et en énergie. Sa richesse et les différentes inversions qu’elle a adoptées la rendraient propre à tout exprimer.

D’ailleurs, les expressions vigoureuses de cette langue se sont considérablement accrues par la nature du gouvernement, qui permet aux Anglais de parler en public, et par la liberté de conscience, qui familiarise toutes les sectes avec le langage des écrivains sacrés, dont elles font une étude particulière. Aussi la poésie anglaise approche souvent de ce sublime oriental qui paraît presque surnaturel aux autres peuples. Du temps de Cromwell, toutes les harangues du parlement étaient pleines de termes tirés des écrivains hébreux.

La langue française n’ayant pas eu les mêmes secours n’est pas aussi riche qu’elle pourrait l’être. De plus, nous avons abandonné une foule d’anciennes expressions fort énergiques, et cette perte a un peu affaibli notre poésie. Les Anglais, au contraire, ont nationalisé plusieurs de nos vieux mots, comme, dans le temps de la révocation de l’édit de Nantes, ils ont naturalisé plusieurs de nos compatriotes. Ils ont ainsi augmenté à nos dépens et leur langue et leur population.

Mais moins le français offre de ressources, plus je suis reconnaissant de vos imitations de différents morceaux de quelques poésies anglaises. Elles me paraissent fidèles et bien versifiées. Vous ne vous en tiendrez pas probablement à ce premier essai, et le public, ainsi que moi, vous aura des obligations.

J’ai l’honneur, etc.


4882. — À M.  DAMILAVILLE.
17 avril.

J’ai l’honneur de vous envoyer, monsieur, de la part de M. Friche-Baume, libraire, la brochure ci-jointe[199]. Vous êtes assez affermi dans notre sainte religion pour lire sans danger ces impiétés ; mais je ne voudrais pas que cet ouvrage tombât entre les mains de jeunes gens qu’il pourrait séduire.

On est toujours indigné ici de l’absurde et abominable jugement de Toulouse. On ne s’en soucie guère à Paris, où l’on ne songe qu’à son plaisir, et où la Saint-Barthélémy ferait à peine une sensation. Damions, Calas, Malagrida, une guerre de sept années sans savoir pourquoi, des convulsions, des billets de confession, des jésuites, le discours et le réquisitoire de Joly de Fleury, la perte de nos colonies, de nos vaisseaux, de notre argent ; voilà donc notre siècle ! Ajoutez-y l’Opéra-Comique, et vous aurez le tableau complet.

On m’a donné cette lettre pour M. Saurin ; je vous supplie de vouloir bien la lui faire parvenir.

J’ai l’honneur d’être, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Ribienbotte.

4883. — À M.  SAURIN.
À Ferney, 17 avril.

J’ai cru, monsieur, que vous ne seriez pas fâché d’apprendre que Mlle  Corneille vient de jouer votre rôle de Julie[200] avec un applaudissement unanime. Vous n’aurez jamais d’actrice d’un si beau nom. Je ne peux lui donner une meilleure éducation qu’en lui faisant connaître le monde comme vous l’avez peint.

Votre pièce, d’ailleurs, a été très-bien jouée, et Lekain, qui était au nombre des spectateurs, en a été extrêmement content.

Je vous prie de dire à M.  Duclos que j’ai cessé l’envoi des Commentaires sur Corneille, parce que je me suis remis à l’espagnol. J’ai voulu donner une traduction de l’Hèraclius de Calderon ; elle est d’un bizarre, d’un sauvage, d’un comique, et, en certains endroits, d’un sublime, qui méritent d’être connus : c’est la nature pure ; rien ne ressemble plus à Shakespeare.

Si vous écrivez à frère Helvétius, je vous supplie de ne lui pas laisser ignorer ma tendre amitié pour lui. Je n’écris guère, parce que je n’en ai pas le temps ; et si je ne vous écris pas de ma main, c’est que j’ai la fièvre. Adieu, mon très-cher confrère.


4884. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
17 avril.

Mes divins anges, je ne voulais vous écrire qu’après que Lekain aurait vu Statira ; mais je commence toujours par vous remercier de la bonté que vous avez eue pour mon capitaine d’artillerie, qui voudrait bien pointer quelques canons contre Pierre III, qui n’est pas Pierre le Grand.

Il est vrai que M. le comte de Saxe ne fit que monter dans le vaisseau à Dunkerque, et que, grâce au ciel, nous ne mîmes point en mer ; mais je ne prends aucun intérêt à cette misérable histoire, dont on a imprimé des fragments très-incorrects, qu’on m’a volés[201].

À l’égard de Conculix[202], c’est autre chose. Il faut que j’aie été abandonné de Dieu pour laisser cet animal-là en si bonne compagnie.

Nous avons déjà joué Tancrède. Lekain m’a paru admirable ; je lui ai même trouvé une belle figure. J’étais le bonhomme Argire ; je ne m’en suis pas mal tiré ; mais ni lui ni moi ne jouons dans Olympie ; nous serons tous deux spectateurs bénévoles. Je devais naturellement jouer le grand prêtre : ce sont mes triomphes, vu le goût que j’ai pour l’Église ; mais je suis honoré du même catarrhe qui a osé souffler sur mes anges : j’ai la fièvre. Je continuerai ma lettre quand on aura joué Olympie ou Cassandre, et je vous en rendrai compte, en oubliant la petite part que je peux y avoir.

18 avril.

Mes anges sauront qu’hier Lekain nous joua Zamore ; il était encore plus beau que je n’avais cru. Il joua le second acte de manière à me faire rougir d’avoir loué autrefois Baron et Dufresne. Je ne croyais pas qu’on pût pousser aussi loin l’art tragique. Il est vrai qu’il ne fut pas si brillant dans les autres actes. Il a quelquefois des silences trop longs ; il en faut, comme en musique, mais il ne faut pas les prodiguer ; ils gâtent tout quand ils n’embellissent pas. Il fut bien mal secondé, ma nièce ne jouait point. Cramer, qui avait joué Cassandre supérieurement, joua Alvarès précisément comme le bonhomme Cassandre. Mais enfin nous voulions voir Lekain, et nous l’avons vu.

En attendant qu’on répète Cassandre ou Olympie, il faut que je vous dise un mot de la Jamaïque, qu’un de nos acteurs, armateur de son métier, prétend que vous avez prise à la suite des Espagnols : car vous êtes à présent à la suite sur mer et sur terre. Votre rôle n’est pas beau. Puisse mon armateur comique avoir raison ! Mais pourquoi dit-on que Mme  de Pompadour est borgne, et M. d’Argenson aveugle ? Est-il vrai qu’en effet l’un ait perdu un œil ; l’autre, deux ? Vous voyez toutes les mauvaises plaisanteries que font sur cette aventure ceux qui ne savent pas que les railleries sur les malheureux sont odieuses. Il faut que cette nouvelle ait un fondement. Il y a longtemps qu’on m’a mandé que l’un et l’autre avaient une violente fluxion sur les yeux.

Parlons un peu de mon roué. Il s’en faut bien qu’on ait découvert l’auteur de l’assassinat attribué au père ; il s’en faut bien qu’on songe à réhabiliter la mémoire du supplicié. Tout le Languedoc est divisé en deux factions : l’une soutient que Calas père avait pendu lui-même un de ses fils, parce que ce fils devait abjurer le calvinisme[203] ; l’autre crie que l’esprit de parti, et surtout celui des pénitents blancs, a fait expirer un homme innocent et vertueux sur la roue.

Je crois vous avoir dit que Calas père était âgé de soixante et neuf ans[204], et que le fils qu’on prétend qu’il a pendu, nommé Marc-Antoine, garçon de vingt-huit ans, était haut de cinq pieds cinq pouces, le plus robuste et le plus adroit de la province ; j’ajoute que le père avait les jambes très-affaiblies depuis deux ans, ce que je sais d’un de ses enfants. Il était possible à toute force que le fils pendît le père ; mais il n’était nullement possible que le père pendît le fils. Il faut qu’il ait été aidé par sa femme, par un de ses autres fils, par un jeune homme de dix-neuf ans qui soupait avec eux : encore auraient-ils eu bien de la peine à en venir à bout. Un jeune homme vigoureux ne se laisse pas pendre ainsi. Vous savez sans doute que la plupart des juges voulaient rouer toute la famille, supposant toujours que Marc-Antoine Calas n’avait été étranglé et pendu de leurs mains que pour prévenir l’abjuration du calvinisme qu’il devait faire le lendemain. Or j’ai des preuves certaines que ce malheureux n’avait nulle envie de se faire catholique. Enfin les juges prévenus ayant ordonné l’enterrement de Marc-Antoine dans une église, les pénitents blancs lui ayant fait un service solennel, et l’ayant invoqué comme un martyr, n’ont point voulu se détacher de leur opinion. Ils ont condamné d’abord le père seul à mourir sur la roue, se flattant qu’en mourant il accuserait sa famille. Le condamné est mort en appelant à Dieu, et les juges ont été confondus. Voilà en deux pages la substance de quatre factums. Ajoutez à cette aventure abominable la persuasion où ces juges (au moins quelques-uns) sont encore que l’on avait résolu, dans une assemblée de réformés, de faire étrangler sans miséricorde celui de leurs frères qui voudrait abjurer, et que ce jeune homne de dix-neuf ans, nommé Lavaysse, qui avait soupé avec les accusés, était le bourreau nommé par les protestants. Vous remarquerez que ce Lavaysse est le fils d’un avocat soupçonné, il est vrai, d’être calviniste, mais de mœurs douces et irréprochables.

Lorsque nous avons joué Tancrède, il y a eu un terrible battement de mains, accompagné de cris et de hurlements, à ces vers :


juges malheureux, qui dans vos faibles mains, etc.

(Acte IV, scène vi.)

Mais voilà toute la réparation qu’on a faite à la mémoire du plus malheureux des pères. Je ne connais point, après la Saint-Barlhélemy, et les autres excès du fanatisme commis par tout un peuple, une aventure particulière plus effrayante.

Voilà bien écrire pour un homme qui a la fièvre. Je continuerai après Cassandre.

20 avril.

Je n’ai rien écrit hier 19, parce que j’avais une fièvre violente. Nous sommes accablés de contre-temps dans notre tripot. Un oncle d’un acteur s’est avisé de mourir ; nous voilà tout dérangés. Notre spectacle se démanche comme le vôtre : vous perdez Grandval[205] ; on dit que Mlle  Dumesnil va se retirer[206] ; il faut que tout finisse. Le théâtre de France avait de la réputation dans l’Europe, et c’était presque le seul de nos beaux-arts qui fût estimé ; il va tomber. On dit que M. le maréchal de Richelieu n’aura pas eu peu de part à cette révolution.

Je suis fâché que les autres comédiens, nommés jésuites, tombent aussi. C’est une grande perte pour mes menus plaisirs. Les universités, jointes au parlement, vont établir un terrible pédantisme. Je n’aime pas les mœurs pédantes.

Nous devions jouer aujourd’hui Cassandre-Olympie et le Français à Londres[207]. Figurez-vous que milord Craff était joué par un Anglais qui s’appelle Craff ; mais, comme je vous l’ai dit, un maudit oncle nous dérange. Tout ce que nous pourrons faire, ce sera de répéter devant Lekain en habits pontificaux, afin qu’il juge. En attendant qu’on joue, il faut que je vous dise que je sais un gré infini à Collé d’avoir mis Henri IV sur le théâtre[208]. Son nom seul attirera tout Paris pendant six mois, et l’Opéra-Comique trouvera à qui parler.

Voici la nuit ; on va jouer Cassandre et le Français à Londres, malgré tous les contre-temps : je vais juger.

Parlons d’abord de milord Houzey. Il est si plaisant de voir un Anglais du même nom jouer ce rôle que j’en ris encore, quoique je sois bien malade. Pour Cassandre, le porteur vous pourra dire si cela fait un beau spectacle, s’il y a de l’intérêt, si la fin est terrible, et si tout n’est pas hors du train ordinaire, depuis le commencement jusqu’à la fin. Je voulais lui donner la pièce pour vous l’apporter ; mais j’ai senti à la représentation qu’il y avait plus d’une nuance à donner encore au tableau. Tout ce que je vous peux dire, c’est qu’il ne faut pas qu’il y ait dans cet ouvrage un seul trait qui ressemble aux tragédies auxquelles on est accoutumé. C’est assurément un spectacle d’un genre nouveau, aussi difficile peut-être à bien représenter qu’à bien traiter.

Je vous l’enverrai, mes divins anges, avant qu’il soit un mois. Laissez-moi me guérir ; la tête me fend et me tourne.

Finie à deux heures après minuit.


4885. — À M.  LE PRÉSIDENT DE RUFFEY[209].
18 avril.

Ce n’est pas fatigue de plaisir qui m’a rendu paresseux avec vous, mon cher président. C’est pour moi un très-grand plaisir de vous écrire. Mais au milieu des fêtes (je ne dis pas des fêtes de Pâques, je dis de celles que je donne à Ferney), au milieu des spectacles dont Lekain est venu faire l’ornement, j’ai été très-malade et je le suis encore. Pour vous, êtes-vous à Dijon ou dans vos terres ? Aidez-vous votre ami M. de La Marche à terminer les tracasseries parlementaires ? Voilà donc un conseiller à la Bastille[210]. Vous m’avouerez que ma vie est un peu plus agréable. Votre académie me paraît plus tranquille que votre parlement : je vous remercie de vos beaux discours. Je m’étonne que vous ayez fait étudier vos enfants à Paris plutôt qu’à Dijon. Y a-t-il une meilleure éducation que celle qu’ils pourraient recevoir auprès de vous ? De mon temps, on n’apprenait que des sottises au collège dit de Louis le Grand.

Les jésuites seront bientôt réduits à la Lorraine (comme ils le furent après l’aventure de Jean Châtel) ; ils applaudiront à la belle traduction de la Bible en vers polonais, dont le roi Stanislas a fait présent à M. le premier président de La Marche. Entend-il le polonais assez pour sentir la beauté des vers ? En tout cas c’est, comme vous savez, un bon livre de bibliothèque, un magnifique présent.

Je ne vous envoie point de livres ; mais voici une gazette[211] qui m’a paru curieuse. Gardez le secret à ma lettre et à ma gazette, et aimez le malade. V.

4886. — À M.  DU CLOS.
À Ferney, 23 avril.

Il faut vous avouer, monsieur, que le théâtre de Ferney a fait un peu de tort à nos commentaires, et que nous avons, pendant quelques jours, abandonné Corneille pour Lekain. Nous avons fait de Mlle  Corneille une assez bonne actrice, au lieu de travailler à l’édition de son oncle. Le commentateur, les libraires, la nièce de Corneille, la nièce du commentateur, tout cela a joué la comédie. Cela n’a pas pourtant interrompu notre entreprise ; mais il y a eu du relâchement. Une autre raison encore qui a arrêté le cours de mes consultations, c’est que je me suis mis à traduire l’Hèraclius espagnol, imprimé à Madrid en 1643, sous ce titre : La Famosa Comedia : En esta vida todo es verdad, y todo es mentira : Fiesta que se représento à sus Magestades, en el salon Real del palacio. Le savant[212] qui m’a déterré cette édition, prodigieusement rare, prétend que sus Magestades veut dire Philippe et Élisabeth, fille de Henri IV, qui aimait passionnément la comédie, et qui y menait son grave mari. Elle s’en repentit, car Philippe IV devint amoureux d’une comédienne[213], et en eut don Juan d’Autriche. Il devint dévot, et n’alla plus au spectacle après la mort d’Élisabeth. Or Élisabeth mourut en 1644, et mon savant prétend que la Famosa Comedia, jouée en 1640, fut imprimée en 1643 ; mais comme mon exemplaire est sans date, il faut en croire mon savant sur sa parole. Le fait est que cette tragédie est à faire mourir de rire d’un bout à l’autre ; les Mille et une Nuits sont beaucoup moins merveilleuses. Si quelque chose dans le monde a jamais eu l’air original, c’est assurément cette extravagance, dont aucun roman n’approche. Il suffit d’en lire deux pages pour être convaincu que l’auteur a tout pris dans sa tête. Je la ferai imprimer, afin qu’on puisse aisément apercevoir la petite différence qui se trouve entre notre Héraclius et la Comedia famosa.

Je dois vous donner avis que le premier volume, contenant seulement Médée et le Cid, est déjà si énorme que je serai obligé de rejeter à la fin du dernier tome la Vie de l’auteur, et les anecdotes et réflexions que je mettrai dans mon Épître dédicatoire à l’Académie. L’épître ne pourra plus contenir qu’un simple témoignage de ma respectueuse reconnaissance, et une note avertira que la Vie de Pierre Corneille se trouvera au dernier volume, avec quelques pièces curieuses. Cette Vie, rejetée à ce dernier tome, fera au moins ouvrir quelquefois un tome que sans cela on n’ouvrirait jamais : car qui peut lire la Galerie du Palais et la Place-Royale ? Ce dernier tome sera uniquement destiné à la comédie, avec un discours sur la comédie espagnole, anglaise, et italienne ; mais il faut se bien porter, et je suis un peu sur le côté.

Je tâcherai de vous envoyer dans peu les remarques sur Rodogune et sur Sertorius.

J’ai repris cette lettre cinq ou six fois ; je n’en peux plus. J’ai bien peur de ne pas achever cette édition, et dire :


· · · · · Médium solvar et inter opus[214].


4887. — À M.  COLINI.
À Ferney, 23 avril.

Mon cher Colini, j’ai différé longtemps à vous répondre sur le Cassandre. J’ai voulu auparavant connaître moi-même mon ouvrage, et, pour le connaître, il a fallu le faire jouer. J’ai fait venir Lekain à Ferney ; il a eu cette complaisance. J’ai vu l’effet de la pièce : c’est un très-beau coup d’œil, ce sont des tableaux continuels ; mais aussi ils demandent des comédiens qui soient autant de grands peintres, et qui sachent se transformer en peintures vivantes. Le moment du bûcher fut terrible ; les flammes s’élevaient quatre pieds au-dessus des acteurs. Enfin c’est une tragédie d’une espèce toute nouvelle. Les trois derniers actes sont absolument différents de la première esquisse que je pris la liberté d’envoyer à Son Altesse électorale ; mais il s’en faut bien encore que je sois content. J’ai senti à la représentation qu’il manquait beaucoup de nuances à ce tableau ; j’y travaille encore.

Je vous prie de me mettre aux pieds de Son Altesse électorale, moi et Cassandre. Si elle voulait me renvoyer mon ancien manuscrit, je lui serais infiniment obligé : il n’y aurait qu’à l’adresser à Mme  de Fresney, à Strasbourg, elle me le ferait tenir avec sûreté.

4888. — À M.  FYOT DE LA MARCHE[215].
25 avril 1762, au château de Ferney.

Il y a quinze jours, monsieur, que je suis attaqué d’une fluxion de poitrine. La chair est faible, l’esprit n’est plus prompt, mais le cœur est tendre, il sent toutes vos boutés. Mille remerciements à votre graveur[216] pour son estampe, que je crois destinée à la Toison d’or[217]. Ce n’est pas que cette Toison soit digne d’une taille-douce ; mais il en faut aux pièces qu’on ne jouera jamais, comme à celles qu’on jouera. Nous traitons de même tous les enfants de Corneille, et les bossus comme les mieux faits.

Il n’est pas juste de vous priver de vos artistes pour Pertharite, Agésilas et Suréna. C’est trop abuser de votre bonne volonté et de votre patience. Qu’ils se réduisent à six estampes et qu’ils choisissent ; autrement vous seriez privé un an entier de ceux qui doivent travailler pour vous par préférence. Il y aurait à moi une indiscrétion impardonnable de le souffrir. Lorsque j’ai eu l’honneur de vous écrire sur l’abomination de Toulouse, je vous croyais encore à Paris et à portée de faire causer M. de Saint-Priest ; cette affaire, ou je suis fort trompé, est un reste de l’esprit des croisades contre les Albigeois.

Si mon mal de poitrine me joue un mauvais tour, je partirai ayant vu honnêtement d’horreurs dans ce monde. L’aventure des jésuites pourrait être consolante[218], mais on va être livré aux jansénistes, qui ne valent pas mieux ; je ne sais quel est le plus grand fléau, du fanatisme, de la guerre, de la peste et de la famine.

Je vous crois un peu empêché avec des têtes échauffées[219] ; la chaleur ne va pas trop avec la raison. Vous ferez sans doute comme Perrin Dandin, qui attendait qu’on fût fatigué et calme. En voilà beaucoup pour un homme qui a la fièvre, mais pas assez pour l’homme qui vous est attaché avec le plus tendre respect. V.

4889. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
27 avril.

Mme  la duchesse d’Enville[220], mes anges, fait bien de l’honneur aux Délices. Elle peut arriver quand il lui plaira ; il y aura de quoi loger quatre maîtres de plain-pied, même cinq ; mais que monsieur l’archevêque de Rouen ne s’imagine pas être à Gaillon[221]. Que toute cette illustre compagnie pense être aux eaux, et s’attende à être un peu à l’étroit. Tout le monde sera bien couché ; c’est la seule chose dont je réponds. On y trouvera de la batterie de cuisine ; mais comme la moitié de notre linge a été brûlée dans nos fêtes de Ferney, nous ne pouvons en fournir. Je sens combien il est désagréable de ne pas faire la galanterie complète ; mais il est bon d’avertir de ce qu’on peut et de ce qu’on ne peut pas.

Je suppose que Mme  la duchesse d’Enville enverra à l’avance quelque fourrier, quelque maréchal de ses logis qui viendra préparer les lieux. Tous les secours possibles se trouvent à Genève sous la main. Il ne sera pas mal de me faire avertir du jour de l’arrivée du maréchal de ses logis. Mme  Denis arrangera tout avec lui : car, pour moi, il n’y a pas d’apparence que je puisse sitôt sortir de Ferney. Je suis toujours malade ; je n’ai point porté santé depuis les journées de Tancrède et de Cassandre, et Mme  la duchesse d’Enville aura en moi un courtisan très-peu assidu ; elle sera maîtresse absolue de la maison, et ne sera point gênée par son hôte. Voilà, mes divins anges, tout ce que je puis faire en conscience. Je ne doute pas que mes anges ne fassent mes très-humbles excuses aux personnes que je voudrais mieux recevoir. Après tout, elles seront infiniment mieux qu’en aucune maison de Genève. Elles jouiront d’un assez joli jardin, d’un très-beau paysage ; elles seront à l’abri de tout bruit et de toute importunité. Je crois que je dois au moins réparer par une lettre la mince réception que je fais à Mme  d’Enville ; permettez donc que j’insère ici ce petit billet, et que je prenne la liberté de vous l’adresser.

Voulez-vous à présent un petit mot pour Cassandre ? Je persiste à croire que cette pièce ne souffre aucun moyen ordinaire. Lekain a dû le sentir à la représentation. Les choses sont tellement amenées qu’il n’est ni décent ni possible que les deux rivaux agissent.

Cassandre, au quatrième acte, vient enlever sa femme ; mais il trouve la belle-mère expirante. Antigone dispose tout pour tuer Cassandre aux portes du temple ; mais il n’en sort pas. Au cinquième, il n’y a pas moyen de troubler la cérémonie du bûcher : les deux princes ne peuvent se douter qu’Olympie va se jeter dedans, puisqu’ils voient les offrandes qu’on apporte à Olympie sur un autel, et qu’elle doit présenter à sa mère avec ses voiles et ses cheveux. Croyez que le tout fait le spectacle le plus singulier, et le plus grand tableau qu’on ait jamais vu au théâtre ; mais encore une fois il faut des nuances, et je ne peux travailler dans l’état où je suis ; à peine puis-je suffire à Pierre Corneille.

Nous avons ici le père de la petite, qui vient d’arriver de Cassel pour voir sa fille. Celui-ci ne sera jamais commenté, ou je suis le plus trompé du monde.

Eh bien ! on vient encore de vous prendre Sainte-Lucie et le dernier de vos vaisseaux qui revenait de l’île Bourbon.

Pauvres Français ! vous n’aviez autre chose à faire qu’à vous réjouir : de quoi vous êtes-vous avisés de faire la guerre ?

Mes anges, vivez heureux. Je baise le bout de vos ailes plus que jamais.

J’ai une fluxion de poitrine, et je cesse tout travail.


4890. — DE M. D’ALEMBERT.
À Paris, 4 mai.

Oui, mon cher et illustre maître, j’ai lu ou plutôt parcouru en bâillant l’impertinente diatribe de ce petit socinien honteux[222], qui mériterait bien d’être catholique, et qui m’a fait l’honneur de m’associer avec vous pour être l’objet de sa plate satire. Il me serait bien aisé de le couvrir de ridicules, mais c’est un honneur que je ne juge pas à propos de lui faire. Peut-être cependant trouverai-je occasion de lui donner quelque jour une légère marque de reconnaissance : ces variations plaisantes sur la révélation, dont il a d’abord fait valoir la nécessité, qu’il a bornée à de l’utilité dans une édition suivante, et qu’apparemment il assurera dans la troisième être une chose tout à fait commode, et, comme on dit, bien gracieuse ; ces sottises et d’autres donneraient beau jeu à la plaisanterie ; mais l’auteur et le sujet sont trop plats pour qu’on soit tenté d’en plaisanter.

Je pourrais bien en effet mériter un peu les reproches que vous me faites d’avoir fait trop d’honneur à vos prédicants, en les peignant comme des hommes raisonnables ; ce sera, si vous voulez, une fable morale que je voulais faire servir d’instruction à nos prêtres fanatiques ; mais si vos Genevois sont offensés du bien que j’ai dit d’eux, ils n’ont qu’à parler, et je les tiendrai pour aussi sots qu’ils veulent l’être. Nos jésuites de Paris se défendent à tort ou à droit d’être des assassins, des voleurs, des fourbes, des sodomites ; et encore cela en vaut-il la peine. Vos jésuites presbytériens se défendent de toutes leurs forces d’avoir le sens commun ; ils sont bien plus avancés que les nôtres.

Est-ce que les Genevois osent aller à vos comédies ? On m’avait pourtant assuré que la sérénissime ou obscurissime république avait rendu un décret portant que tout cordonnier, tailleur, barbier, gadouard, ou autre, qui serait atteint et convaincu d’avoir assisté à cette œuvre du démon ne pourrait jamais devenir magistrat. Vous n’avez que votre théâtre dans la tête, et vous ne vous souciez guère, à ce que je vois, que les États de ce monde soient bien gouvernés.

Quant à nous, malheureuse et drôle de nation, les Anglais nous font jouer la tragédie au dehors, et les jésuites, la comédie au dedans. L’évacuation du collège de Clermont[223] nous occupe beaucoup plus que celle de la Martinique. Par ma foi, ceci est très-sérieux, et les classes du parlement n’y vont pas de main morte. Ce sont des fanatiques qui en égorgent d’autres, mais il faut les laisser faire : tous ces imbéciles, qui croient servir la religion, servent la raison sans s’en douter : ce sont des exécuteurs de la haute-justice pour la philosophie, dont ils prennent les ordres sans le savoir ; et les jésuites pourraient dire à saint Ignace : « Mon père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font[224]. » Ce qui me paraît singulier, c’est que la destruction de ces fantômes, qu’on croyait si redoutables, se fasse avec aussi peu de bruit. La prise du château d’Arensberg n’a pas plus coûté aux Hanovriens que la prise des biens des jésuites à nosseigneurs du parlement. On se contente, à l’ordinaire, d’en plaisanter. On dit que Jésus-Christ est un pauvre capitaine réformé qui a perdu sa compagnie[225]. Il n’y a pas jusqu’aux sulpiciens qui ne s’avisent aussi d’être plaisants. Le curé de Saint-Sulpice, qui n’est pourtant pas un homme à bons mots, dit qu’il n’ose demander pour son petit séminaire la maison du noviciat des jésuites, parce qu’il a peur des revenants. Quant au Père de La Tour[226], il se croit pour le moins Caton et Socrate : « Il en arrivera, dit-il, tout ce qu’il plaira à Dieu ; je n’en serai pas moins l’être le plus vertueux qui existe. » Cela me fait souvenir de l’abbé de Dangeau, qui disait, dans le temps de nos malheurs à Hochstedt et à Ramillies : « Il en arrivera ce qu’il pourra ; j’ai là dedans, en montrant son bureau, trois mille verbes bien conjugués. »

Votre ; parlement de Toulouse, qui ne se presse pas de chasser les jésuites, comme il ne s’en pressa pas du temps de l’assassinat de Henri IV, et qui en attendant fait rouer des innocents, ressemble, s’il est permis de rire en matière si triste, à ce capitaine suisse qui faisait enterrer les blessés pour morts, et qui s’écriait sur leurs plaintes : « Bon ! bon ! si on voulait en croire tous ces gens-là, il n’y en aurait pas un de mort. »

Écrasez l’inf…, me répétez-vous sans cesse : eh ! mon Dieu ! laissez-la se précipiter elle-même ; elle y court plus vite que vous ne pensez. Savez-vous ce que dit Astruc ? « Ce ne sont point les jansénistes qui tuent les jésuites, c’est l’Encyclopédie, mordieu, c’est l’Encyclopédie. » Il pourrait bien en être quelque chose, et ce maroufle d’Astruc[227] est comme Pasquin, il parle quelquefois d’assez bon sens[228]. Pour moi, qui vois tout en ce moment couleur de rose, je vois d’ici les jansénistes mourant l’année prochaine de leur belle mort, après avoir fait périr cette année-ci les jésuites de mort violente, la tolérance s’établir, les protestants rappelés, les prêtres mariés, la confession abolie, et l’infâme écrasée sans qu’on s’en aperçoive.

À propos, vous ne me parlez plus de votre ancien disciple[229], qui doit offrir une si belle chandelle à Dieu, et dire un si beau De profundis pour la czarine. Que dites-vous de sa position actuelle ? je ne doute point qu’il n’ait déjà fait des vers pour le czar ; assurément la chose en vaut bien la peine. Quant à moi, le papier m’avertit de finir ma prose, en vous embrassant mille fois[230].


4891. — À M.  DEBRUS[231].
Aux Délices, à midi.

Plus je réfléchis, monsieur, sur l’épouvantable destinée des Calas, plus mon esprit est étonné et plus mon cœur saigne. Je vois évidemment que l’affaire traînera à Paris, et qu’elle s’évanouira dans les délais. Le chancelier est vieux[232]. La cour est toujours bien tiède sur les malheurs des particuliers. Il faut de puissants ressorts pour émouvoir les hommes, occupés de leurs propres intérêts. Nous sommes perdus si l’infortunée veuve n’est pas portée au roi sur les bras du public attendri, et si le cri des nations n’éveille pas la négligence.

Il faut absolument que je vous parle aujourd’hui. Je vous prie que Donat Calas soit à portée, que M. l’avocat de Gobre (j’écris mal son nom[233]) soit de notre conférence. Appelez-y qui vous voudrez, M. Martin ou un autre. Plût à Dieu que M. Tronchin le professeur y fût ! Donnez-moi votre heure, je me rendrai chez vous ou chez M. Tronchin à l’heure que vous prescrirez[234].


4892. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 15 mai[235].

Je vous écris enfin, mes divins anges, je ressuscite, et il est bon que vous sachiez que c’est vous qui m’aviez tué ; c’est le tripot, c’est un travail forcé, c’est la rage de vous plaire qui m’avait allumé le sang. J’avais, depuis trois mois, une fièvre lente, et je voulais toujours travailler et toujours me réjouir ; j’ai succombé, je le mérite bien. Je n’ai pas encore assez de tête pour vous parler d’Olympie ; mais j’entrevois que, de toutes les pièces du théâtre, ce sera la plus pittoresque, et que les marionnettes que Servandoni[236] donne au Louvre n’en approcheront jamais. Il me faudra une Statira malade, et une Olympie innocente ; Dieu y pourvoira peut-être.

Mandez-moi, je vous prie, des nouvelles du tripot, cela m’égayera dans ma convalescence. Avez-vous quelqu’un qui remplace Grandval ? Reprendra-t-on le Droit du Seigneur ?

Mais parlez-moi donc, je vous en prie, de l’œil de Mme  de Pompadour. Il est bien singulier qu’une femme sur qui tous les yeux sont fixés en perde un incognito. On parle encore fort mal des deux de M. d’Argenson.

M. le maréchal de Richelieu m’a écrit une grande lettre sur les Calas, mais il n’est pas plus au fait que moi. Le parlement de Toulouse, qui voit qu’il a fait un horrible pas de clerc, empêche que la vérité ne soit connue. Il a toujours été dans l’idée que toute la famille de Calas, assistée de ses amis, avait pendu le jeune Calas pour empêcher qu’il ne se fît catholique. Dans cette idée, il avait fait rouer le père par provision, espérant que ce bonhomme, âgé de soixante-neuf ans, avouerait le tout sur la roue. Le bonhomme, au lieu d’avouer, a pris Dieu à témoin de son innocence. Les juges, qui l’avaient fait rouer sur de simples conjectures, manquant absolument de preuves juridiques, mais persistant toujours dans leur opinion, ont condamné au bannissement un des fils de Calas soupçonné d’avoir aidé à étrangler son frère ; ils l’ont fait conduire la corde au cou, par le bourreau, à une porte de la ville, et l’ont fait ensuite rentrer par une autre, l’ont enfermé dans un couvent, et l’ont obligé de changer de religion.

Tout cela est si illégal, et l’esprit de parti se fait tellement sentir dans cette horrible aventure, les étrangers en sont si scandalisés, qu’il est inconcevable que monsieur le chancelier ne se fasse pas représenter cet étrange arrêt. Si jamais la vérité a dû être éclaircie, c’est, ce me semble, dans une telle occasion.

Je passe à d’autres objets plus intéressants. Vous me paraissez, vous autres, mépriser le nouveau czar ; mais prenez garde à vous : un homme qui vient d’ôter tout d’un coup cent mille esclaves aux moines, et qui met tous ces moines dans sa dépendance, en ne les faisant subsister que de pensions de la cour, est bien loin d’être un homme méprisable. Le voilà uni avec les Anglais et les Prussiens, gens moins méprisables encore. Prenez garde à vous, vous dis-je ; comptez que vous ne voyez point les choses à Paris et à Versailles comme on les voit au milieu des étrangers. Je suis dans le point de perspective ; je vois les choses comme elles sont, et c’est avec la plus grande douleur.

Parlons maintenant de Mme  la duchesse d’Enville. À peine vous eus-je envoyé, mes divins anges, la lettre par laquelle je lui offrais les Délices, que je fus attaqué d’une fièvre violente et d’une inflammation de poitrine ; Tronchin me fit transporter sur-le-champ aux Délices ; il ne me quitta presque point ; la nature et lui m’ont sauvé ; je suis encore dans la plus grande faiblesse, et je ne puis ni marcher ni écrire.

J’apprends que, pendant ma maladie, on a loué assez indiscrètement un simple appartement à Genève pour Mme  la duchesse d’Enville et sa compagnie, à raison de 4,800 livres pour trois mois, sans compter les écuries, les remises et les chambres pour les principaux domestiques, qu’il faudra encore louer très-cher. Ajoutez à cela qu’à Genève toutes les commodités, toutes les choses de recherche se vendent au poids de l’or ; qu’il faut faire cent vingt-cinq lieues pour arriver, et cent vingt-cinq pour s’en retourner ; et qu’une malade qui a la force de faire deux cent cinquante lieues n’est pas excessivement malade. Le paysage est charmant, je l’avoue ; il n’y a rien de si agréable dans la nature ; mais nous avons des ouragans, formés dans des montagnes couvertes de neiges éternelles, qui viennent contrister la nature dans ses plus beaux jours, et qui n’ont pas peu contribué à me mettre dans le bel état où je suis. Ces vents cruels font beaucoup plus de mal que Tronchin ne peut faire de bien.

Adieu, mes divins anges ; je n’ai plus ni voix pour dicter, ni main pour écrire, ni tête pour penser ; mais j’espère que tout cela reviendra.

Je crois ne pouvoir mieux remercier Dieu de mon retour à la vie qu’en vous envoyant cet ouvrage édifiant[237]. On devrait bien l’imprimer à Paris.


4893. — À M.  LE CARDINAL DE BERNIS.
Aux Délices, le 15 mai.

J’étais à la mort, monseigneur, quand Votre Éminence eut la bonté de me donner part de la perte cruelle que vous avez faite[238]. Je reprends toute ma sensibilité pour vous et pour tout ce qui vous touche, en revenant un peu à la vie. Je vois quelle a dû être votre affliction ; je la partage ; je voudrais avoir la force de me transporter auprès de vous pour chercher à vous consoler.

Tronchin et la nature m’ont guéri d’une inflammation de poitrine et d’une fièvre continue ; mais je suis toujours dans la plus grande faiblesse.

J’ai la passion de vous voir avant ma mort ; faudra-t-il que ce soit une passion malheureuse ? Je vous avais supplié de vouloir bien vous faire informer de l’horrible aventure des Calas : M. le maréchal de Richelieu n’a pu avoir aucun éclaircissement satisfaisant sur cette affaire. Il est bien étrange qu’on s’efforce de cacher une chose qu’on devrait s’efforcer de rendre publique. Je prends intérêt à cette catastrophe, parce que je vois souvent les enfants de ce malheureux Calas[239] qu’on a fait expirer sur la roue. Si vous pouviez, sans vous compromettre, vous informer de la vérité, ma curiosité et mon humanité vous auraient une bien grande obligation. Votre Éminence pourrait me faire parvenir le mémoire qu’on lui aurait envoyé de Toulouse, et assurément je ne dirai pas qu’il m’est venu par vous.

Toutes les lettres que j’ai du Languedoc sur cette affaire se contredisent ; c’est un chaos qu’il est impossible de débrouiller ; mais peut-être Votre Éminence n’est-elle déjà plus à Montélimart, peut-être êtes-vous à Vic-sur-Aisne, où vous embellissez votre retraite, et où vous oubliez les malheurs publics et particuliers.


(Et puis de sa main :)

Il faut absolument que je me serve de ma trop faible main, monseigneur, pour vous dire combien mon cœur est à vous. Que ne puis-je vous entendre une heure ou deux ! Il me semble qu’à travers toute votre circonspection, vous me feriez sentir avec quelle douleur on doit envisager l’état présent de la France. Je vous tiens heureux de n’être plus dans un poste où l’on ne peut empêcher les malheurs, et où l’on répond au public de tous les désastres inévitables. Jouissez de votre repos, de vos lumières supérieures, de toutes les espérances pour l’avenir, et surtout du présent. Votre philosophie apportera de la consolation à la douleur de la perte de madame votre nièce. Agréez ma sensibilité et mon tendre respect.


4894. — À M.  DE LA CHALOTAIS,
procureur général du parlement de bretagne.
Aux Délices, 17 mai.

J’étais à la mort, monsieur, lorsque j’ai reçu la lettre dont vous m’avez honoré ; je souhaite de vivre pour voir les effets de votre excellent Compte rendu[240]. Je ne savais pas que vous m’eussiez fait l’honneur de me l’envoyer, et que j’avais deux remerciements à vous faire : celui d’avoir éclairé la France, et celui de vous être ressouvenu de moi.

Votre réquisitoire a été imprimé à Genève, et répandu dans toute l’Europe avec le succès que mérite le seul ouvrage philosophique qui soit jamais sorti du barreau. Il faut espérer qu’après avoir purgé la France des jésuites, on sentira combien il est honteux d’être soumis à la puissance ridicule qui les a établis. Vous avez fait sentir bien finement l’absurdité d’être soumis à cette puissance, et le danger, ou du moins l’inutilité de tous les autres moines, qui sont perdus pour l’État, et qui en dévorent la substance.

Je vous avoue, monsieur, que c’est une grande consolation pour moi de voir mes sentiments justifiés par un magistrat tel que vous. Il faut que je me vante d’avoir le premier attaqué les jésuites en France. J’ai une terre dans le pays de Gex, tout auprès d’un domaine que les jésuites ont usurpé. À force de distinctions, ils avaient ajouté à l’usurpation de ce domaine le bien de six gentilshommes[241], tous frères, tous pauvres, et tous au service. Ils avaient obtenu des lettres patentes qui leur permettaient d’acquérir ce bien. Ces lettres avaient été enregistrées au parlement de Dijon ; et vous noterez qu’ils s’étaient associés avec un huguenot dans cette manœuvre. Ils se fondaient uniquement sur l’espérance que ces six gentilshommes n’auraient jamais le moyen de rentrer dans leurs biens. Je prêtai de l’argent aux orphelins dépouillés ; ils sommèrent les jésuites et le huguenot de leur rendre leur patrimoine. Les jésuites consultèrent leur général, le Père Ricci, qui fut cette fois assez sage pour leur ordonner de se désister. Les pauvres gentilshommes sont rentrés dans leur domaine ; et j’espère des excommunications dans ce monde-ci, et le paradis dans l’autre, pour cette bonne œuvre.

Je vous envoie cette plaisanterie[242] qui m’est tombée entre les mains. Le bâtiment d’un million sept cent mille livres est une chose vraie, et qui excite l’indignation de tout le monde.


4895. — À M.  DUCLOS.
Aux Délices, 17 mai.

J’étais très-malade, monsieur, lorsque j’eus l’honneur de vous écrire touchant l’édition de Corneille. J’ai été depuis a la mort, et je suis encore assez mal. J’ose me flatter que l’édition n’en souffrira pas beaucoup, les meilleures pièces étant commentées, et les autres ne méritant pas de l’être. Ce qui m’afflige, c’est l’obstacle que mettent les libraires de Paris à cette édition, que j’ai été obligé de diriger moi-même, et qui ne pouvait commencer que sous mes yeux. On a arrêté tous les prospectus chargés des noms des souscripteurs, à la chambre syndicale, sous prétexte qu’il y a des libraires de Paris qui ont le privilège des Œuvres de Corneille ; mais ce privilège doit être expiré, et appartient naturellement à la famille. D’ailleurs Mlle  Corneille ne pourrait-elle pas demander le privilège d’un livre intitulé Commentaires sur plusieurs tragédies de Pierre Corneille, et sur quelques autres pièces françaises et espagnoles ? On ne pourrait, ce me semble, refuser cette justice, et le livre serait imprimé sous le nom de la veuve Brunet, qui pourrait s’accommoder avec Mlle  Corneille, d’une manière avantageuse pour l’une et pour l’autre.

Ayez la bonté de me mander, monsieur, si vous approuvez cette idée, et si vous pouvez contribuer à la faire réussir. Il y a déjà deux volumes d’imprimés ; si la nature veut que je vive encore quelque temps, l’édition sera achevée dans dix-huit mois.


4896. — À M.  CATHALA[243].

J’envoie à M. Cathala la requête au roi que je viens de composer. Elle suffit ; s’il est vrai que la veuve Calas, son fils, et Lavaysse, et le malheureux père, ne se sont point quittés depuis ce souper funeste, ce fait seul dit tout. Il ne faut entrer dans aucun détail. Il ne faut que toucher le roi. Ce mémoire peut faire verser des larmes et effrayer les lecteurs. Si. Mme  Calas ose le signer, elle est innocente, elle, et son mari, et Pierre, et Lavaysse, Sinon ils sont tous coupables[244].

M. Cathala peut envoyer ce mémoire par la poste à M. Damilaville, premier commis du vingtième. Ne cachetez point le mémoire. Avertissez-le seulement de la demeure de la personne à laquelle il faut le rendre.

Il n’y a qu’à mettre sur un carré de papier : « M. Damilaville est prié d’envoyer ce mémoire à … »

Encore une fois, tout dépend de cette grande vérité : la compagnie est-elle demeurée ensemble dans la même chambre depuis le souper, ou non ?

J’ajoute à mon billet que je crois les Calas innocents, et que les juges ont jugé selon les lois. Calas avait menacé son fils, ce fils est trouvé mort chez le père, des chirurgiens déposent qu’il n’a pu se pendre ; l’arrêt peut n’être point injuste. Voilà pourquoi il est très-important de ne point accuser les juges.


4897. — AU SIEUR FEZ[245],
libraire d’avignon.
Aux Délices, 17 mai.

Vous me proposez, par votre lettre datée d’Avignon, du 30 d’avril, de me vendre pour mille écus l’édition entière d’un recueil de mes Erreurs sur les faits historiques et dogmatiques, que vous avez, dites-vous, imprimé en terre papale. Je suis obligé, en conscience, de vous avertir qu’en relisant, en dernier lieu, une nouvelle édition de mes ouvrages, j’ai découvert dans la précédente pour plus de deux mille écus d’erreurs ; et comme en qualité d’auteur je me suis probablement trompé de moitié à mon avantage, en voilà au moins pour 12,000 livres. Il est donc clair que je vous ferais tort de 9,000 francs si j’acceptais votre marché.

De plus, voyez ce que vous gagnerez au débit du Dogmatique ; c’est une chose qui intéresse particulièrement toutes les puissances qui sont en guerre, depuis la mer Baltique jusqu’à Gibraltar. Ainsi je ne suis pas étonné que vous me mandiez que l’ouvrage est désiré, universellement.


M. le général Laudon, et toute l’armée impériale, ne manqueront pas d’en prendre au moins trente mille exemplaires, que vous vendez, dites-vous, 2 livres pièce, ci.. 60,000 liv.
Le roi de Prusse, qui aime passionnément le Dogmatique, et qui en est occupé plus que jamais, en fera débiter à peu près la même quantité, ci. 60,000
Vous devez aussi compter beaucoup sur monseigneur le prince Ferdinand[246] ; car j’ai toujours remarqué, quand j’avais l’honneur de lui faire ma cour, qu’il était enchanté qu’on relevât mes erreurs dogmatiques ; ainsi vous pouvez lui on envoyer vingt mille exemplaires, ci 40,000
À l’égard de l’armée française, où l’on parle encore plus français que dans les armées autrichiennes et prussiennes, vous y en enverrez au moins cent mille exemplaires, qui, à 40 sous la pièce, font 200,000
Vous avez sans doute écrit à M. l’amiral Anson, qui vous procurera, en Angleterre et dans les colonies, le débit de cent mille de vos recueils, ci 200,000
Quant aux moines et aux théologiens, que le Dogmatique regarde plus particulièrement, vous ne pouvez en débiter auprès d’eux moins de trois cent mille dans toute l’Europe, ce qui forme tout d’un coup un objet de 600,000
Joignez à cette liste environ cent mille amateurs du Dogmatique parmi les séculiers, pose 200,000
_____________
Somme totale 1,360,000 liv.


Sur quoi il y aura peut-être quelques frais, mais le produit net sera au moins d’un million pour vous. Je ne puis donc assez admirer votre désintéressement de me sacrifier de si grands intérêts pour la somme de 3,000 livres une fois payée.

Ce qui pourrait m’empêcher d’accepter votre proposition, ce serait la crainte de déplaire à monsieur l’inquisiteur de la foi, ou pour la foi, qui a sans doute approuvé votre édition. Son approbation une fois donnée ne doit point être vaine ; il faut que les fidèles en jouissent ; et je craindrais d’être excommunié si je supprimais une édition si utile, approuvée par un jacobin, et imprimée dans Avignon.

À l’égard de votre auteur anonyme[247] qui a consacré ses veilles à cet important ouvrage, j’admire sa modestie : je vous prie de lui faire mes tendres compliments, aussi bien qu’à votre marchand d’encre.


4898. — À M.  LE CONSEILLER LE BAULT[248].
Aux Délices, 17 mai 1762.

J’ai été sur le point, monsieur, de boire de l’eau du Styx, qui ne vaut pas votre vin de Bourgogne ; et je crois que pour le peu de temps que j’ai encore à ramper sur ce globule, appelé globe, le vin me sera interdit ; mais du moins j’aurai le plaisir d’en faire boire : ainsi votre charrette sera la très-bien venue. Je voudrais bien que vous vous remissiez à juger ; je vous prépare une affaire singulière qui a été un an entier sur le tapis du bailliage de Gex, supposé que ce bailliage ait un tapis.

Six gentilshommes du pays, tous frères, tous pauvres, tous au service du roi dans le même régiment, et la plupart mineurs, ont trouvé leur bien engagé par antichrèse à un huguenot. Ce huguenot a vendu leur patrimoine aux jésuites, et les bons jésuites, se flattant que ces gentilhommes n’auraient jamais de quoi rentrer dans leur bien, l’ont acheté pour la plus grande gloire de Dieu.

Ils ont obtenu du roi des lettres patentes pour s’emparer ainsi du bien d’autrui, et vous avez eu la bonté d’entériner ces lettres patentes, parce qu’alors personne ne réclamait contre.

Enfin les six frères ont trouvé de l’argent[249], ils ont consigné ; les jésuites ont été forcés de se désister ; le huguenot avec lequel ils avaient manœuvré a été sommé de rendre le bien et de compter des intérêts reçus, et des dégradations ; il a été condamné tout d’une voix ; il en a appelé au parlement pour gagner du temps ; le procès vaut la peine d’être jugé. Partant, je prie Dieu qu’il vous inspire la digne résolution de ne plus laisser languir les pauvres plaideurs. Pour moi, je n’ai de procès qu’avec la nature, je sais bien que je finirai par le perdre, mais en attendant je voudrais bien voir vos tracasseries finies. Est-il possible que toute une province soit assez malheureuse pour être forcée de ne se plus ruiner à plaider ?

Vous nous mettez tous dans le cas de la comtesse de Pimbêche.

J’ai l’honneur d’être avec le plus sincère et le plus tendre respect, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire.

4899. — DU CARDINAL DE BERNIS.
Le 18 mai.

Votre dernière lettre m’a fait sentir, mon cher confrère, à quel point je vous aimais, et combien votre conservation importe au bonheur de ma vie. Hèlas ! vous êtes le seul homme aujourd’hui qui conserviez à votre patrie l’idée de supériorité sur les autres nations ; je sens avec vous combien il est heureux pour moi de n’être plus en place ; je n’ai pas la capacité nécessaire pour tout rétablir, et je serais trop sensible aux malheurs de mon pays. Mon cœur est encore flétri de la perte que je viens de faire ; ma nièce était mon amie ; sa sœur, qui seule peut me consoler, a été pendant trois semaines dans le plus grand danger, et ce n’est que depuis quelques jours que j’ai l’espoir de la conserver. Je pars jeudi avec elle pour aller respirer le bon air des environs de Montpellier. Dès que sa santé sera rétablie, je regagnerai ma paisible retraite. Vos lettres y ranimeront mon âme. Il n’est pas nécessaire de vous observer qu’elles passent par Paris pour aller à Soissons, et qu’il faut être plus prudent avec moi qu’avec tout autre. Mon frère, qui est à Toulouse, n’a pu approfondir l’aventure des Calas. Je ne crois pas un protestant plus capable d’un crime atroce qu’un catholique ; mais je ne crois pas aussi (sans des preuves démonstratives) que des magistrats s’entendent pour faire une horrible injustice. Je puis encore recevoir de vos nouvelles avant mon départ pour Vic-sur-Aisne ; adressez-les à Montélimart. Soyez sûr que rien dans le monde ne me satisferait davantage que de vous voir un moment, de vous embrasser, de causer avec vous ; mais je suis obligé de retenir jusqu’à ma respiration pour éviter les tracasseries. Mes pareils n’ont cherché dans ma position que les moyens d’en sortir et de faire parler d’eux. Plus philosophe et moins ambitieux, je ne cherche que le repos et l’obscurité. Dès que je n’ai pu faire le bonheur et la gloire de la France, il ne me reste qu’à rendre ma famille heureuse, et à adoucir le sort de mes

vassaux. La lecture, des réflexions sur le passé et sur l’avenir, un oubli volonlaire du présent, des promenades, un peu de conversation, une vie frugale : voilà tout ce qui entre dans le plan de ma vie ; vos lettres en feront l’agrément. Je ne suis pas assez heureux pour me refuser ce secours, et le prix que j’y attache vous fait une loi de me l’accorder.

4900. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
19 mai.

Mes divins anges, je suis un peu retombé, mais Tronchin dit toujours que je me relèverai. Je voudrais qu’on pût en dire autant de la France et de la comédie ; je les crois pour le moins aussi malades que moi ; je crois Lekain furieusement occupé. Il était naturel qu’il écrivît un petit mot à Mme  Denis, qui ne l’a pas mal reçu ; mais les héros négligent volontiers les campagnards.

Me permettrez-vous de vous adresser cette lettre d’un Anglais pour M. le comte de Choiseul ? Il demande un passe-port pour s’en retourner en Angleterre par la France ; je ne sais si cela s’accorde, et si vous permettez à vos vainqueurs d’être témoins de votre misère. Au reste, le suppliant ne vous a jamais battus ; c’est un jeune homme qui aime tous les arts, et qui jouait parfaitement du violon dans notre orchestre. Je doute, malgré tout cela, qu’il lui soit permis de passer par Calais. Je serais bien fâché de demander à M. le comte de Choiseul quelque chose qui ne fût pas convenable.

Je vous supplie d’ailleurs de lui dire combien, je suis touché de la bonté qu’il a eue de s’intéresser pour mon triste état.

Vous ne me répondez jamais sur l’œil de Mme  de Pompadour ; cependant je m’y intéresse : j’ai vu, il y a quinze ans, cet œil fort beau, et je serais fâché de sa perte. Dites-moi donc aussi quelque chose de la comédie de Henri IV[250] ; il me semble qu’elle doit tourner la tête à la nation.

Je me flatte de voir M. Pont-de-Veyle à la Marche au mois de juillet ; mais si ma mauvaise santé et Pierre Corneille me privent de ce plaisir, je lui conseillerai de passer par Ferney en s’en retournant par Lyon, et je lui donnerai la comédie.

Adieu, mes adorables anges. Tronchin nous quitte probablement au mois d’octobre pour M. le duc d’Orléans[251], et il fait fort bien ; et moi je veux prendre le prétexte un jour de l’aller consulter, afin de n’avoir pas à me reprocher de mourir sans avoir eu la consolation de vous revoir.

4901. — À M.  LE DOCTEUR TRONCHIN[252].

Mon cher Esculape, j’ai reçu vos ordres en revenant de Ferney. Vous croyez bien que je les ai exécutés sur-le-champ. J’ai envoyé le passe-port à M. le duc de Choiseul, avec les plus humbles prières et les plus pressantes. Vous savez que je ne réponds jamais du succès. Il n’appartiendrait qu’à vous d’en répondre.

La paix ne paraît pas prochaine ; cependant elle peut arriver comme une apoplexie, tout d’un coup. Tuus for ever.


4902. — À MADAME DE FLORIAN[253],
à hornoy.
Aux Délices, 20 mai.

Je suis encore assez mal, mais tous mes maux sont adoucis par l’idée que M. et Mme  de Florian sont heureux. Je les félicite de vivre ensemble, et surtout de vivre à la campagne dans un temps aussi malheureux, où les plaisirs sont aussi dérangés que les affaires.

Je ne sais si M. de Florian a entendu parler de l’horrible aventure de la famille des Calas en Languedoc. Il s’agit de savoir si un père et une mère ont pendu leur fils par tendresse pour la secte de Calvin, et si un frère a aidé à pendre son frère ; ou si les juges ont fait expirer sur la roue un père innocent par amitié pour la religion romaine. L’un ou l’autre cas est digne des siècles les plus barbares, et n’est pas indigne du siècle des Malagrida, des Damiens, et des billets de confession. Heureux les philosophes qui passent leur vie loin des fous et des fanatiques !

Je suppose que M. l’abbé Mignot est dans votre beau château d’Hornoy, et qu’il partage votre bonheur. N’avez-vous pas aussi un oncle de M. de Florian ? Voilà un heureux oncle. Ceux qui sont malades, et surtout à cent cinquante lieues de vous, ne sont pas si heureux. Je sens très-bien qu’un beau lac, un paysage de Claude Lorrain, un château d’une architecture charmante, un théâtre des plus jolis de l’Europe, ne font pas la félicité, et qu’il vaudrait mieux achever sa vie avec toute sa famille.

Ma chère nièce, il est triste d’être loin de vous. Lisez et relisez Jean Meslier ; c’est un bon curé.


4903. — À M.  LE MARQUIS D’ARGENCE DE DIRAC.
Aux Délices, 20 mai.

Non-seulement je suis paresseux[254], monsieur, mais il s’est joint à ce vice une maladie qui a passé quelque temps pour mortelle ; je suis encore très-faible. Je ne peux avoir l’honneur de vous écrire de ma main. On a trouvé vos saucissons excellents ; pour moi, j’ai été bien loin d’en pouvoir manger, mais je vous en remercie au nom de tout ce qui est aux Délices.

Que vous êtes sage et heureux, monsieur, d’habiter dans vos terres, et de ne point voir de près tous les malheurs de la France ! Notre seule félicité consiste à chasser des jésuites, et à conserver environ quatre-vingt mille autres moines qui dévorent le peu de substance qui nous reste. Il est bien ridicule d’avoir tant de moines et si peu de matelots. Adieu, monsieur ; un malade ne peut faire de longues lettres. Je regrette toujours que les Délices et Ferney soient si loin d’Angoulême, et je vous regretterai toute ma vie. Comptez que vous n’avez point de serviteur plus inviolablement attaché que V.


4904. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[255].
Le 21 mai, aux Délices.

Madame, j’ai été sur le point d’aller voir si l’on fait autant de sottises dans l’autre monde que dans celui-ci. Tronchin et la nature m’ont fait différer le voyage. Voilà ce qui m’a privé de l’honneur d’écrire à Votre Altesse sérénissime. Je la suppose actuellement entourée d’officiers français qui lui font la cour, en attendant que des Prussiens viennent se présenter à son audience : car il me parait que toutes les nations font ce qu’elles peuvent pour venir vous faire leur révérence, et que vous n’avez pas toujours le choix. Les Russes pourront bien venir aussi à Gotha prendre des leçons de politesse.

Sérieusement, madame, j’aime mieux le temps où j’étais si paisible dans votre palais, et où il n’y avait dans vos États d’autres troupes que les vôtres. Votre Altesse sérénissime permettra-t-elle que je prenne la liberté de lui adresser ma réponse à Mme  la comtesse de Bassevitz[256] ? Je ne sais où la prendre, et j’ignore à quelle armée appartient actuellement son château. Dieu veuille renvoyer bientôt à la culture de la terre tant de gens qui la désolent et qui l’ensanglantent sans savoir pourquoi ! On dit que si nous avions la paix, j’aurais le bonheur de voir à Genève les princes vos fils. Ce serait pour moi la plus grande des consolations dans la douleur où je suis de sentir que je suis privé, probablement pour jamais, de la présence de leur adorable mère. Cette paix me paraît encore bien éloignée. Le feu a pris aux deux bouts de l’Europe. On bat le tambour depuis Gibraltar jusqu’à Archangel : cela prouve que les hommes sont fous du midi au nord. Que votre auguste famille soit tranquille au milieu de tant d’orages ! que la grande maîtresse des cœurs se souvienne du pauvre malade ! que Votre Altesse sérénissime reçoive avec sa bonté ordinaire mon profond respect, etc.


4905. — À M.  JEAN SCHOUVALOW.
Aux Délices, près Genève, 21 mai.

Monsieur, j’ai reçu la lettre dont vous m’honorez du 17 mars (v. s.). Je suppose que toutes celles que je vous ai écrites vous sont parvenues. J’ai été à la mort depuis que je n’ai eu l’honneur de vous écrire, et j’ai perdu une partie de ma fortune par le contre-coup de nos malheurs publics ; mais j’oublie cette dernière disgrâce, et dès que j’aurai un peu réparé l’autre en reprenant un peu de santé, je me remettrai avec courage et avec plaisir à l’Histoire de Pierre le Grand.

J’avoue, monsieur, que je serais bien encouragé si je pouvais en effet me flatter d’avoir l’honneur de vous voir et de vous posséder dans mes petites retraites. Il est digne de vous d’imiter Pierre le Grand, en voyageant comme lui. Vous devez bien sentir que vous seriez accueilli partout comme vous devez l’être ; votre voyage serait un triomphe continuel ; et on respecterait encore plus votre patrie quand on verrait un homme de votre mérite, orné des plus belles connaissances, et fait pour réussir dans toutes les cours. J’aurais souhaité que vous eussiez pris le parti d’être ambassadeur : cela m’aurait du moins rapproché de Votre Excellence ; et, tout malade que je suis, j’aurais volé tôt ou tard pour avoir la consolation de vous voir. Je suis mortifié de n’avoir aucune nouvelle de M. de Soltikof depuis son départ : je l’aimais véritablement, et j’avais eu pour lui toutes les attentions qu’il mérite. Vous ne m’avez point dit, monsieur, si vous aviez reçu la lettre[257] que je vous avais adressée par monsieur le grand-maître d’artillerie ; il est triste d’avoir toujours à craindre que les paquets ne soient perdus. Je crois que le meilleur parti est d’écrire tout simplement par la poste. On doit savoir d’ailleurs que je ne vous parle point d’affaires d’État ; on ne fait point la guerre à la littérature. Adieu, monsieur ; j’ai l’honneur d’être avec les sentiments les plus respectueux et les plus tendres, etc.


4906. — À M.  LE CONSEILLER LE BAULT[258].
Aux Délices, 24 mai 1762.

Il est arrivé, monsieur, huit tonneaux à Nyon ; ne pourriez-vous point avoir la bonté de me dire si le tonneau de Corton est de la bande ? J’ai fait rester ces huit tonneaux dans la cave du commissionnaire. Je vous supplie de vouloir bien me donner quelques instructions sur cette cargaison. Faudra-t-il laisser le vin en tonneau, faut-il le tirer en bouteilles ? Quand sera-t-il potable ? Quis, quid, ubi, quibus auxiliis, quomodo, quando. Tout ce que je vous demande est très-désintéressé, car je ne boirai guère de votre bon vin, mais je boirai à la santé du parlement quand vous aurez accommodé toute cette malheureuse affaire.

Je présente mes respects à la propriétaire des neuf tonneaux, et à celui du dixième.

Pardonnez si je me sers d’une main étrangère, je suis encore bien faible.

Avec bien du respect votre très-humble obéissant serviteur[259].


Voltaire.

4907. — À M.  DE CIDEVILLE.
Aux Délices, le 24 mai.

Mon cher et ancien ami, nous commençons l’un et l’autre à être dans l’âge où il faut s’occuper soigneusement de conserver les restes de sa machine. Nous avons vu mourir notre cher abbé du Resnel[260] ; vous avez été malade, mais vous êtes né heureusement. Vous êtes un chêne, et je suis un arbuste ; je me sens encore de la tempête que j’ai essuyée ; je parie que vous buvez du vin de Champagne quand je bois du lait, et que vous mangez des perdrix et des turbots quand je suis réduit à une aile de poularde. Vous allez chez de belles dames, vous courez de Paris à votre terre, et moi je suis confiné.

Le travail, qui était ma consolation, m’est interdit. Je ne peux plus me moquer de frère Berthier, de Pompignan, et de Fréron. Je baisse sensiblement. L’édition de Corneille ira pourtant toujours son train.

Il y avait une grande dispute pour savoir si Corneille avait pris Hèraclius de Calderon. Pour terminer la dispute, j’ai traduit cette farce espagnole, qu’on appelle tragédie. Il a fallu me remettre à l’espagnol, que j’avais presque oublié : cela m’a coûté quelques peines ; mais je vous assure que j’en ai été bien payé. Il est bon de voir ce que c’était que ce Calderon tant vanté : c’est le fou le plus extravagant et le plus absurde qui se soit jamais mêlé d’écrire. Je ferai imprimer sa drôlerie à côté de l’Héraclius de Corneille, et toutes les nations de l’Europe, qui souscrivent pour cet ouvrage, pourront juger que le bon goût n’est qu’en France. Ce n’est pas qu’il n’y ait des étincelles de génie dans Calderon, mais c’est le génie des petites-maisons.

Au reste, je suis bien sûr que vous ne pensez pas que mon Commentaire soit à la Dacier. Je critique avec sévérité, et je loue avec transport. Je crois que l’ouvrage sera utile, parce que je ne cherche jamais que la vérité. Mlle  Corneille n’entendra point mon Commentaire : elle récite assez joliment des vers ; nous en avons fait une actrice ; mais il se passera encore bien du temps avant qu’elle puisse lire son oncle.

Voilà son père réformé avec M. de Chamousset[261], son protecteur. Il est déjà venu chez nous, il y revient encore ; nous lui avons donné quelque petite avance sur l’édition. Il va à Paris. Qu’y deviendra-t-il quand il n’aura que son nom ?

Adieu, mon cher ami ; j’espère que ma lettre vous trouvera ou à Paris ou à Launay[262]. Mme  Denis doit vous écrire. Nous sommes deux ici à qui vous coûtez bien des regrets. Je vous embrasse tendrement. V.

P. S. Pardon si je ne vous écris pas de ma main ; je suis d’une faiblesse extrême.


4908. — À M.  FYOT DE LA MARCHE[263].
Aux Délices, 26 mai.

Mon respectable et digne magistrat, je fais un effort pour écrire ; l’attachement donne des forces ; permettez qu’en vous renouvelant mes remerciements sur vos estampes, je vous envoie une planche de Paris à laquelle je prie vos aimables artistes de se conformer, en faisant les corps des figures un peu moins gros.

Je voudrais bien avoir le mémoire du parlement ; j’ai celui des élus[264] : il faut entendre les deux partis. J’apprends que les contrebandiers délivrent avec leurs marchandises force coups de fusil dans la province, tot bella per orbem.

Je vois avec une extrême douleur que les états et le parlement enveniment leur querelle. Vous prenez le bon parti d’attendre à la Marche que le temps apaise ce que l’animosité produit. Heureusement il ne s’agit pas de religion, ainsi cette guerre finira.

Conservez vos bontés pour l’homme de France qui vous aime et qui vous respecte le plus. V.

4909. — À M.  LE PRÉSIDENT DE RUFFEY[265].
Aux Délices, 26 mai 1762.

Comme on se flatte toujours, monsieur, j’espère manger de vos navets. Je les fais planter dans une terre aussi sèche que le devient mon imagination. La maladie détruit toutes les facultés à mon âge, et je vous réponds bien que je ne ferai plus de tragédie en six jours. Je vous remercie bien sincèrement de vos graines et de vos règlements académiques[266]. Que n’ai-je la force de faire le voyage ! Que ne puis-je assister à vos séances avec le président fétiche ! Il est vrai qu’il ne serait pas mon fétiche, mais il pourrait bien être mon serpent, et surtout serpent gardien des trésors. Je crois pourtant notre noise apaisée. Je voudrais en pouvoir dire autant des états et du parlement.

Pourriez-vous avoir la bonté, mon cher monsieur, de m’envoyer le mémoire du parlement et celui pour lequel votre pauvre parent est en pénitence[267] ? Je le trouve bien bon de n’avoir pas voyagé, et de s’être laissé embastiller ; il me semble qu’il a pris là un bien mauvais parti. Tout ce qui se passe dans ce monde me fait bénir ma retraite ; elle serait plus heureuse si je pouvais vous y posséder. L’état où je suis ne me permettra pas vraisemblablement la consolation de vous voir à la Marche. Tenez, voilà une Gazette de Londres, vous pouvez la montrer, et même à l’abbé de Cîteaux, pourvu que vous ne disiez point de qui vous la tenez, de peur que je ne sois excommunié et que je meure déconfès.

Je vous embrasse tendrement et vous regrette toujours.


4910. — À M.  LE CARDINAL DE BERNIS.
Aux Délices, le 26 mai.

Je ne savais pas, monseigneur, qu’ayant perdu madame votre nièce, vous aviez été encore sur le point de perdre sa sœur. Il y a deux mois que je n’éprouve, que je n’entends, et que je ne vois que des choses tristes. Permettez-moi de compter vos douleurs parmi les miennes. Je vous avais marqué qu’un de mes chagrins était de ne pouvoir jouir de la consolation de m’entretenir avec Votre Éminence. Ce chagrin est d’autant plus fort que je n’ai aucune espérance de vous revoir ; il m’est impossible de me transplanter. Tout ce que me permet mon état de langueur est d’aller de Ferney aux Délices, et des Délices à Ferney, c’est-à-dire de faire deux lieues. Certainement vous ne viendrez pas à Genève ; aussi je n’ai que trop senti que je ne vous reverrais jamais. Je ne vous en serai pas moins tendrement attaché ; vos lettres charmantes, où se peint une très-belle âme, et une âme vraiment philosophe, m’ont sensiblement touché. Je prendrai l’intérêt le plus vif à tout ce qui vous regarde jusqu’au dernier moment de ma vie. Je vous exhorte toujours à joindre à votre philosophie l’amour des lettres. Vous me paraissez faire trop peu de cas du génie aimable avec lequel vous êtes né. N’ayez jamais cette ingratitude. Vous joignez à ce génie un goût fin et cultivé qui est presque aussi rare que le génie même ; c’est une grande ressource pour tous les temps de la vie ; et je sens que les lettres font la plus grande consolation de la vieillesse, après celle qu’on reçoit de l’amitié. Je vous avouerai qu’elles sont chez moi une passion. Vous allez vous moquer de moi ; mais je vous demande la permission de vous envoyer mon ouvrage de six jours, auquel vous m’aviez bien dit[268] qu’il fallait travailler six mois.

J’ai grande envie que cette pièce soit ce que j’ai fait de moins mal, et je ne vois d’autre façon d’en venir à bout que de vous consulter. Vous n’avez vu que les matériaux ; vous verrez l’édifice : ce sera pour vous un amusement, et pour moi une instruction. Ayez la bonté de me faire savoir s’il faudra que j’envoie le paquet à Soissons. Je sais bien que les paquets passent par Paris ; mais une tragédie n’effarouchera pas votre ami Janel. Auriez-vous lu une réponse d’un jésuite de Lyon ou de Toulouse à l’abbé Chauvelin, intitulée Acceptation du défi[269] ? Il y a de la déclamation de collège, mais elle ne manque pas de raisons très-fortes ; cette affaire est une des plus singulières de ce siècle singulier.

On n’est pas content de notre Dictionnaire ; on le trouve sec, décharné, incomplet, en comparaison de ceux de Madrid et de Florence. Oserai-je vous prier de me dire si vous approuvez cette expression : Donner de la croyance a quelque chose ? Le papier me manque pour vous dire à quel point j’aime et je respecte Votre Éminence.

Puis-je vous dire que le roi m’a conservé la charge de gentilhomme ordinaire, et m’a fait payer d’une pension ? Je ne me croyais pas si bien en cour.


4911. — À M.  DAMILAVILLE.
28 mai.

Mon cher frère, je suis bien languissant : je serai bien charmé de revoir frère Thieriot avant de mourir, et très-fâché de ne vous avoir jamais vu ; mais, en vérité, je ne vous en aime pas moins.

Nous vous avons adressé en dernier lieu une lettre ouverte pour M. de La Chalotais[270], procureur général du parlement de Bretagne : quand je dis nous, j’entends celui qui tient la plume, et moi. Je vous envoie un livre exécrable[271] ; mais votre ami veut l’avoir, et j’obéis à ses ordres.

Je voudrais savoir comment réussit la nouvelle édition du Dictionnaire de notre Académie. Les étrangers se plaignent qu’il est sec et décharné, et qu’aucun des doutes qui embarrassent tous ceux qui veulent écrire n’y est éclairci. Il est triste que nous ne puissions parvenir à donner un dictionnaire tel que ceux de la Crusca et de Madrid.

Je suis enchanté que Zelmire[272] réussisse. Je m’intéresse à l’auteur, et je m’intéresserai toujours au succès de la scène française ; mais je m’intéresse bien davantage aux frères et à la destruction de l’inf…, qu’il ne faut jamais perdre de vue. Valete, fratres.


4912. — À M. MOULTOU[273].
Dimanche (mai 1762).

Voici à peu près, monsieur, comme je voudrais finir le petit ouvrage en question[274]. Ensuite, j’en enverrai des exemplaires aux ministres d’État, sur la protection et sur la prudence de qui je puis compter ; à Mme  la marquise de Pompadour, à quelques conseillers d’État, et à quelques amis discrets qui pensent comme vous et moi.

J’accompagnerai l’envoi d’une lettre circulaire par laquelle je les supplierai de ne laisser lire l’ouvrage qu’à des personnes sages, et d’empêcher que leur exemplaire ne tombât entre les mains d’un libraire.

J’en enverrai un au roi de Prusse et à quelques princes d’Allemagne, et je les supplierai de se joindre à ceux qui ont secouru la famille Calas, plongée dans l’indigence par l’arrêt absurde et barbare du parlement de Toulouse.

Le reste des exemplaires demeurerait enfermé sous la clef en attendant le moment favorable de le rendre public. Voyez, monsieur, si ce plan est de votre goût, et ce qu’on doit ajouter et retrancher à la feuille que j’ai l’honneur de vous soumettre.

J’attends avec impatience la lettre de Rousseau à l’archevêque de Paris. Mais j’ai bien peur qu’elle ne soit préjudiciable à la cause de la raison. J’ai été extrêmement affligé des inconséquences de votre ami. J’aurais souhaité qu’il eût été le mien. Pourquoi s’est-il brouillé de gaieté de cœur avec tous les siens ?


4913. — À M. DEBRUS[275].

M. de V. fait mille compliments à M. de B[276]. Il ne se porte pas trop bien ; mais il n’en sera ni moins zélé, ni moins ardent ; M. de B. peut entièrement disposer de lui.


4914. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 31 mai.

Mes divins anges, je suis pénétré de vos bontés, et je vous dois celles de M. le comte de Choiseul. Je vais tacher de lui écrire deux lignes de ma faible main : elles seront bien reçues en passant par les vôtres.

Je trouve que M. de Chavigny fait fort bien de se retirer dans ses terres ; j’approuve tous ceux qui prennent ce parti : il faut savoir mettre un temps entre les affaires et la mort, et n’imiter ni le cardinal de Fleury ni le maréchal de Belle-Isle.

Mme  la duchesse d’Enville[277] a fait un triste voyage, à mon gré. Elle désirait passionnément une maison de campagne ; Mme  la duchesse de Grafton en a une pour cent louis, jusqu’à l’hiver ; et Mme  d’Enville paye deux cents louis un simple appartement pour trois mois. Pour comble de désagrément, elle est logée tout auprès d’un temple où elle entend détonner des chansons hébraïques, mises en vers français détestables[278]. De plus, toute la bonne compagnie est à la campagne, et il ne reste à la ville que des pédants.

Je voudrais pouvoir lui céder les Délices ; mais j’ai trop besoin de Tronchin, et malheureusement on vernit actuellement tous les dedans de Ferney. Tout ce que je peux faire est de lui donner une représentation de Cassandre. Je n’y jouerai pas mon rôle de grand prêtre ; je suis obligé de renoncer au théâtre, comme Grandval[279] ; mais la pièce ne sera pas mal représentée, et je vous assure que c’est l’appareil le plus imposant qui soit au théâtre.

Pour le Droit du Seigneur, vous êtes maître absolu de le faire jouer par qui il vous plaira, et quand vous voudrez ; c’est un service que vous rendrez à Thieriot. Il prétend qu’il vient me voir après les fêtes de la Pentecôte ; mais c’est de quoi je doute très-fort.

Il est juste de vous envoyer un exemplaire de la seconde édition de Meslier ; on avait oublié, dans la première, son Avant-propos[280], qui est très-curieux. Vous avez des amis sages qui ne seront pas fâchés d’avoir ce livre dans leur arrière-cabinet ; il est tout propre d’ailleurs à former la jeunesse. L’in-folio, qu’on vendait en manuscrit huit louis d’or, est inlisible ; ce petit extrait est très-édifiant. Remercions les bonnes âmes qui le donnent pour rien, et prions Dieu qu’il répande ses bénédictions sur cette lecture utile.

Je crois que monsieur l’abbé le coadjuteur[281] sera bien étonné d’avoir été comparé à la fois à Ésope et à Goliath. J’espère, Dieu aidant, que le libelle du jésuite rendra les parlements irréconciliables, et qu’avec le temps on tombera sur tous les autres moines. Je n’en serai pas témoin, mais je mourrai dans cette douce espérance.

Je ne compte pas non plus voir la fin de la guerre. On disait hier Dresde pris par le prince Heuri, immédiatement après la déconfiture de l’armée des Cercles ; cette nouvelle, qui n’est pas encore vraie, pourra l’être dans quelque temps : vous verrez, avant la fin de la campagne, seize mille Russes rendre visite à M. le maréchal d’Estrées. La flotte anglaise est actuellement dans Lisbonne ; il n’y a qu’un nouveau tremblement de terre qui puisse faire dénicher cette flotte. Tant de malheurs publics influent sur la fortune des particuliers, excepté de ceux qui pillent les autres : je m’en ressens autant que personne. Mlle  Corneille en sentira aussi le contre-coup ; la guerre fait tort aux souscriptions. La chambre syndicale des libraires de Paris nous fait plus de tort encore ; elle arrête, depuis quatre mois, le ballot des annonces de Cramer, où se trouvent les noms des souscripteurs. M. de Malesherbes souffre cette injustice, laquelle est une insulte au public. Il me semble que les affaires particulières vont à peu près comme les générales.

Le parlement de Dijon continue dans son obstination.

J’admire toujours qu’on ne veuille point rendre la justice au peuple, pour faire de la peine au roi. Les classes du parlement feront un peu de mal ; et j’ai bien peur que les classes des matelots ne rendent pas de grands services, Je conclus que tout ceci est un naufrage universel, et je dis toujours : Sauve qui peut !

Mille tendres respects.


4915. — À M.  LEKAIN.
Aux Délices, 2 juin.

Mon cher et grand acteur, je vous fais mon compliment sur le succès de Zelmire ; je vous prie de dire à l’auteur combien j’avais été content de son Titus, et à quel point je suis charmé que le public ait rendu plus de justice à sa seconde pièce. J’espère que Zelmire durera assez longtemps pour que vous ne soyez pas obligé de donner Cassandre. Nous nous en amuserons encore quelquefois sur mon théâtre de Ferney avant de le livrer au public.

Je crois qu’on ne doit imprimer Zelmire que quand on l’aura reprise, et qu’il ne faut pas la reprendre sitôt. Il n’en est pas de même du Droit du Seigneur ; je crois que, s’il est bien joué, il pourra procurer quelque avantage à vos camarades ; je m’intéresserai toujours à eux, et particulièrement à vous, pour qui j’aurai toujours autant d’amitié que d’estime. V.

4916. — À M.  LE MARQUIS ALBERGATI CAPACELLI[282].
Au Délices, 4 juin.

J’ai bien de la peine à revenir, monsieur, de la maladie qui m’a accablé. C’aurait été une grande consolation pour moi de voir M. Goldoni ; il m’aurait parlé de vous, il aurait trouvé chez moi des amis qui l’auraient pu servir à Paris, et je lui aurais fourni des voitures qui lui auraient épargné vingt lieues de chemin. Je le défie, d’ailleurs, de trouver dans Paris des hommes qui soient plus sensibles que moi à son mérite.

L’état où j’ai été et où je suis encore ne m’a pas permis de mettre la dernière main à la tragédie que j’ai fait essayer sur mon théâtre. Je compte d’avoir l’honneur de vous l’envoyer, dès que j’aurai pu y travailler.

Il a fallu m’occuper des commentaires sur Corneille. J’y ai joint une traduction en vers blancs de la tragédie de Shakespeare, intitulée la Mort de César[283], que je compare avec le Cinna de Corneille, parce que dans l’une et l’autre pièce le sujet est une conspiration. J’ai traduit Shakespeare vers pour vers. Je peux vous assurer que c’est l’extravagance la plus grossière qu’on puisse lire. Gilles et Scaramouche sont beaucoup plus raisonnables.

J’ai traduit aussi l’Héraclius de Calderon pour le comparer à l’Héraclius de Corneille. Calderon est aussi barbare que Shakespeare. En vérité, il n’y a que les Italiens et les Français, leurs disciples, qui aient connu le théâtre. Que ne puis-je en raisonner avec vous, monsieur ! Mes plaisirs en augmenteraient avec mes lumières.

Je vous souhaite une santé meilleure que la mienne, et des jours aussi heureux que vous le méritez. Je serai toute ma vie, avec le plus tendre respect, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


4917. — À M.  DAMILAVILLE[284].
4 juin.

Mon cher frère, je n’ai point encore cette Éducation de l’homme[285] le plus mal élevé qui soit au monde. Je l’aurai incessamment.

Je sais, en attendant, que l’auteur est un monstre d’insolence et d’ingratitude[286]. Le chien qui suivait Diogène était moins méprisable que lui.

Permettez que je vous adresse un exemplaire d’une brochure[287] plus abominable que tous les livres de Jean-Jacques Rousseau ; elle est pour M. le marquis d’Argence. Ce n’est pas le prétendu marquis d’Argens, compilateur fort plat des Lettres juives, qui est à Berlin ; c’est le marquis d’Argence, maréchal de camp, en son château, près d’Angoulême. C’est un homme très-instruit qui veut réfuter ce détestable ouvrage : il est prodigieusement rare, et, Dieu merci, il ne fera nul mal.

On ne veut donc pas imprimer l’Èloge de Crébillon[288] ? J’étais curieux de le voir.

Je crois frère Thieriot en chemin ; je voudrais bien que vous pussiez en faire autant. Vale.


4918. — À M.  JEAN SCHOUVALOW.
Aux Délices, près Genève, 4 juin.

Monsieur, j’ai reçu par M. le prince de Galitzin la lettre du 19-30 avril, dont vous m’honorez. J’avais déjà eu l’honneur de vous mander plusieurs fois[289] que M. de Soltikof était parti pour l’Angleterre ; qu’il avait écrit à Votre Excellence, et que je n’avais aucune de ses nouvelles. Je viens d’apprendre dans le moment que la sœur de l’hôte chez qui il demeurait à Genève a reçu des lettres de lui, datées de Hambourg, il y a environ deux mois. Il lui mandait qu’il allait s’embarquer pour la Russie. Il faut qu’il n’ait demeuré que très-peu de temps en Angleterre, et qu’il se soit hâté de revenir auprès de vous. Je suppose qu’à présent il est à Pétersbourg, Vous le trouverez instruit dans presque toutes les langues de l’Europe, et je suis persuadé encore que Votre Excellence n’aura pas perdu le fruit de ses bienfaits.

Il n’en est pas de même de M. de Pouschkin ; on prétend qu’il en prison à Paris pour ses dettes. Je ne regrette point les deux mille ducats qu’il m’apportait ; mais je regrette infiniment les médailles qui faisaient une suite complète, et qui servaient à l’Histoire de Pierre le Grand.

Je vvous réitère, monsieur, les assurances de l’envie extrême que j’ai de finir l’Histoire de Pierre le Grand à votre satisfaction. Tout malade que je suis, tout surchargé du fardeau des Commentaires sur Pierre Corneille, je me livrerai à Pierre le Grand[290]. Plût à Dieu que je pusse voir l’architecte dont je ne suis que le maçon !

Je serai toute ma vie, avec les sentiments les plus respectueux et les plus tendres, etc. V.


4919. — DU CARDINAL DE BERNIS.
Gallargues, le 4 juin.

Vous pouvez, mon cher confrère, m’adresser à Soissons l’ouvrage des six jours. Je compte arriver à Vic-sur-Aisne vers le 25. La santé de ma nièce est rétablie ; mon âme agitée et déchirée commence à se calmer. Pourquoi renoncez-vous au plaisir de nous revoir ? Vous écrirez encore longtemps, et moi aussi ; vous éclairerez encore longtemps notre siècle, et moi je l’édifierai par mon courage. Je suis très-aise que le roi ait repris pour son gentilhomme le sujet qui fait le plus d’honneur à son règne ; votre crédit à la cour m’intéresse et me divertit. Rien n’est si plaisant aux yeux d’un philosophe que la tragi-comédie de ce monde. Vous regrettez mes petits talents : pour moi, je vous avoue que je ne les aurais pas abandonnés, si l’opinion de la cour et du monde ne les avait pas rendus incompatibles avec les emplois que j’ai exercés et l’état auquel je suis attaché. J’ai connu de bonne heure l’empire du ridicule, et j’ai toujours craint le pouvoir qu’il a en France. Dans les pays étrangers où j’ai vécu, on trouvait un mérite de plus à un ministre de savoir écrire des vers faciles. À Paris et à Versailles, j’ai rencontré à chaque pas comme des obstacles les amusements de ma jeunesse ; cette pédanterie ridicule m’a enfin dégoûté d’un genre qui m’avait amusé, délassé, et quelquefois consolé. Puisque vous faites cas de mon amitié, et que vous ne méprisez pas mon goût, envoyez-moi vos ouvrages ; je vous dirai mon sentiment sans craindre de vous blesser, parce que vous savez que je vous aime, et que je ne vous compare à aucun auteur vivant. Votre gloire m’est aussi chère que ma réputation ; c’est beaucoup dire, car je lui ai sacrifié sans hésiter ce que la fortune a de plus brillant. Ce commerce entre nous sera agréable, sans pouvoir paraître suspect. Je n’aime point du tout la phrase donner de la croyance à quelque chose. Notre Académie ne fera en corps que des ouvrages médiocres. Dieu veuille que nos confrères présents et futurs soutiennent sa réputation, ou plutôt sa considération, par leurs travaux particuliers ! Cette académie n’est utile que par l’émulation qu’elle excite parmi les gens de lettres. Adieu, mon cher confrère ; aimez-moi toujours, et voyagez encore trente ans de Ferney aux Délices, comme Philippe II faisait de l’Escurial au Pardo. Je n’ai point vu le Défi. Je ne crois pas que la destruction des jésuites soit utile à la France ; il me semble qu’on aurait pu les bien gouverner sans les détruire.


4920. — À M.  RIBOTTE[291],
à montauban.
5 juin 1762.

La personne à qui M. Ribotte écrit a fait pendant deux mois les plus grands efforts, auprès des premières personnes du royaume, en faveur de cette malheureuse famille, qu’il a crue innocente. Mais on les croit tous très-coupables. On tient que le parlement a fait justice et miséricorde. M. Ribotte devrait aller à Toulouse s’éclaircir de cette horrible aventure. Il faut qu’il sache et qu’il mande la vérité. On se conduira en conséquence. On lui fait mille compliments.


4921. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
5 juin.

Mes divins anges, je suis aussi honteux que pénétré de toutes vos bontés ; je vous remercie de celles de M. le comte de Choiseul. M. Duclos me mande qu’on a rendu les annonces des Cramer, si ridiculement saisies. Mes Commentaires sont très-sévères, et doivent l’être, parce qu’il faut qu’ils soient utiles ; mais après avoir critiqué en détail, je prodigue les éloges en gros, j’encense Corneille en général, et je dis la vérité à chaque ligne de l’examen de ses pièces.

Je donne au public beaucoup plus que je n’avais promis. Vous aurez bientôt le Jules César de Shakespeare[292], traduit en vers blancs, imprimé à la suite de Cinna, et la comparaison de la conspiration contre César avec celle contre Auguste ; vous verrez si je loue Corneille, et Shakespeare vous fera bien rire.

La Place n’a pas traduit un mot de Shakespeare.

Vous aurez aussi la traduction de l’Héraclius de Calderon[293], et vous rirez bien davantage. Que les Français ne sont-ils dans la tactique ce qu’ils sont dans le dramatique !

Tronchin ne sait ce qu’il dit ; le lait d’ânesse m’a fait mal. J’ai eu le malheur de travailler ; mais il est trop affreux de ne rien faire.

J’apprends dans l’instant qu’on vient d’enfermer dans des couvents séparés la veuve Calas et ses deux filles. La famille entière des Calas serait-elle coupable, comme on l’assure, d’un parricide horrible ? M. de Saint-Florentin est entièrement au fait ; je vous demande à genoux de vous en informer. Parlez-en à M. le comte de Choiseul : il est très-aisé de savoir de M. de Saint-Florentin la vérité ; et, à mon avis, cette vérité importe au genre humain.

La poste part ; je vous adore.


4922. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
7 juin.

Mes divins anges, vous ne me disiez pas que. M. le chevalier de Solar négociait la paix avec l’Angleterre ; cela est si intéressant pour mille particuliers menacés d’une ruine entière que vous pardonnerez, à moi particulier, de vous parler de mes espérances et de ma joie.

M. le comte de Choiseul ne sera-t-il point curieux de savoir de M. de Saint-Florentin la vérité touchant l’horrible aventure des Calas, supposé que M. de Saint-Florentin en soit instruit ? Peut-être ne sait-il autre chose sinon qu’il a signé des lettres de cachet.

On croit à Paris que c’est une bagatelle de rouer un père de famille, et de tenir tous les enfants dans les prisons d’un couvent, sans forme de procès ; on ne sait pas quel effet cela produit dans l’Europe.

Permettez-vous que Mlle  Corneille prenne la liberté de vous adresser cette lettre ? M. le comte de La Tour-du-Pin a pris l’occasion de la mort de son père pour écrire enfin à Mlle  Corneille, conjointement avec l’abbé de La Tour-du-Pin. Ils la félicitent, ils l’approuvent d’être chez moi ; ils me remercient ; ils lui témoignent beaucoup d’amitié. Elle leur répond comme elle le doit ; mais elle ne sait point la demeure de M. de La Tour-du-Pin. On s’adresse à mes anges dans tous ses embarras.

La petite poste est d’une commodité extrême pour ces envois. Je vous demande pardon des extrêmes libertés que nous prenons.

Il est clair qu’on n’a pas voulu souffrir à la tête des hôpitaux des hommes vertueux. M. de Fontanieu veut donc qu’on pille les vivants, les mourants, et les morts.

Lekain nous a enfin écrit, et j’ai répondu[294].


4923. — À M.  DUCLOS.
Aux Délices, 7 juin.

Mlle  Corneille, les frères Cramer, et moi, monsieur, nous vous devons des remerciements. Vous trouverez sans doute les commentaires sur Rodogune un peu sévères ; mais il faut dire la vérité. J’ai soin de mettre à la tête et à la fin de chaque commentaire une demi-once d’encens pour Corneille ; mais, dans les remarques, je ne connais personne, je ne songe qu’à être utile. On dira, de mon vivant, que je suis fort insolent ; mais, après ma mort, on dira que je suis très-juste : et comme je mourrai bientôt, je n’ai rien à craindre.

Voici une petite annonce que je vous prie de montrer à l’Académie ; je la ferai insérer dans les papiers publics : on verra que je donne beaucoup plus que je n’ai promis. Je compte vous envoyer dans un mois la traduction de la conspiration contre Auguste ; vous verrez ce que c’est que Shakespeare, qu’on oppose à Corneille : c’est Mlle  Gigogne qu’on met à côté de Mlle  Clairon.

l’Hèraclius de Calderon est encore pis. Il est bon de faire connaître le génie des nations. La question de savoir si Corneille a pris une demi-douzaine de vers de Calderon, comme il en a pris deux mille des autres auteurs espagnols, est une question très-frivole.

Ce qui est important, c’est de faire connaître combien Corneille, malgré tous ses défauts, était sublime et sage dans le temps qu’on ne représentait sur les autres théâtres de l’Europe que des rêves extravagants.

Le Père Tournemine, qu’on cite, et qu’on a tort de citer, était connu chez les jésuites par ces deux petits vers :


C’est notre Père Tournemine
Qui croit tout ce qu’il imagine.


Le confesseur du roi d’Espagne, qu’il avait consulté, n’en savait pas plus que lui ; et l’ancien bibliothécaire[295] du roi d’Espagne, qui m’a envoyé la première édition de l’Héraclius de Calderon, en sait beaucoup plus que le confesseur et le Père Tournemine. Ce que dit Corneille dans l’examen d’Hèraclius, loin d’être une preuve que l’Héraclius espagnol est une imitation du français, semble prouver tout le contraire. Car, premièrement, il n’y a pas d’imitation ; l’Héraclius espagnol ne ressemble pas plus à celui de Corneille que les Mille et une Nuits ne ressemblent à l’Énéide ; et il ne s’agit, encore une fois, que d’une douzaine de vers. Secondement, Corneille dit[296] que sa pièce est un original dont il s’est fait plusieurs belles copies ; or certainement la pièce de Calderon n’est pas une belle copie, c’est un monstre ridicule.

Remarquez de plus que si Corneille avait eu un Espagnol en vue, si un Espagnol avait pu prendre deux lignes d’un Français, ce qui n’est jamais arrivé, Corneille n’eût pas manqué de dire que Calderon avait fait le même honneur à notre théâtre que Corneille avait fait au théâtre de Madrid, en imitant le Cid, le Menteur, la Suite du Menteur, et Don Sanche d’Aragon. Corneille, en parlant de ces prétendues belles copies, entend plusieurs tragédies, soit de son frère, soit d’autres poètes, dans lesquelles les héros sont méconnus et pris pour d’autres jusqu’à la fin de la pièce.

Enfin il n’y a qu’à lire l’Héraclius de Calderon ; cela seul terminera le procès. Vous pouvez lire, monsieur, ma lettre à l’Académie, ne fût-ce que pour l’amuser ; mais je me flatte qu’elle voudra bien peser mes raisons. Vous aimez le vrai plus que personne : il y a tant de préjugés dans ce monde qu’il faut au moins n’en point avoir en littérature.


4924. — À M.  DAMILAVILLE[297].
7 juin.

Mon cher frère sait que je lui ai envoyé pendant six mois des paquets concernant Corneille pour l’Académie française. Je crois que messieurs les fermiers des postes n’ont point désapprouvé ce petit commerce ; mais je n’ai pas été si heureux dans ma correspondance avec M. d’Argental, à qui j’envoyais des paquets pour le secrétaire perpétuel de l’Académie sous l’enveloppe de M. de Courteilles. Ils ont décacheté l’enveloppe en dernier lieu, et fait payer à M. d’Argental des sommes assez considérables. Cela m’inquiète, et je crains qu’il ne soit arrivé quelque malheur à mes derniers paquets envoyés à mon cher frère. Le dernier partit le 5 juin, et contenait deux exemplaires d’Étrépigny et de But[298].

Voilà deux petits avertissements qu’il faudrait faire mettre dans les ""Petites Affiches et dans le Mercure. Mon cher frère verra que les malades ne perdent pas toujours leur temps.

Du reste, j’écris à messieurs des postes pour les prier de recevoir de moi l’argent qu’ils lui ont fait payer, et de le lui rendre. Leur procédé avec un homme tel que lui me fait de la peine.

Je suppose frère Thieriot parti. Il doit descendre chez M. Camp, associé de M. Tronchin, à Lyon, qui aura soin de son voyage.


4925. — À M.  DE VOSGE.
Juin[299].

Je prie M. de Vosge d’être persuadé de mon estime et de ma reconnaissance.

Il a rectifié avec beaucoup de goût l’estampe pitoyable qui était à la tête l’Œdipe.

Il pourrait dessiner et graver, s’il le veut bien :

Sophonisbe à qui on présente la coupe de poison ;

Pompée qui, dans Sertorius, brûle les lettres, etc. ;

Don Sanche d’Aragon qu’on veut empêcher de s’asseoir ;

Nicomède qui apaise une sédition ;

Œdipe, suivant le dessin ci-joint ;

La Toison d’or, un dragon et deux taureaux menaçants ;

Othon qu’on proclame empereur, et Galba qu’on tue dans un coin ;

Agèsilas, — Attila, — Surèna, — Pulchèrie, — Tite et Bérénice : supposé qu’on puisse dessiner quelque moment heureux de ces pièces malheureuses.

J’ai l’honneur, etc.


Voltaire.

4926. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
11 juin.

Mes divins anges, je me jette réellement à vos pieds et à ceux de M. le comte de Choiseul. La veuve Calas est à Paris[300], dans le dessein de demander justice ; l’oserait-elle si son mari eût été coupable ? Elle est de l’ancienne maison de Montesquieu, par sa mère (ces Montesquieu sont de Languedoc) ; elle a des sentiments dignes de sa naissance, et au-dessus de son horrible malheur. Elle a vu son fils renoncer à la vie, et se pendre de désespoir ; son mari, accusé d’avoir étranglé son fils, condamné à la roue, et attestant Dieu de son innocence en expirant ; un second fils, accusé d’être complice d’un parricide, banni, conduit à une porte de la ville, et reconduit par une autre porte dans un couvent ; ses deux filles enlevées ; elle-même enfin interrogée sur la sellette, accusée d’avoir tué son fils, élargie, déclarée innocente, et cependant privée de sa dot. Les gens les plus instruits me jurent que la famille est aussi innocente qu’infortunée. Enfin si, malgré toutes les preuves que j’ai, malgré les serments qu’on m’a faits, cette femme avait quelque chose à se reprocher, qu’on la punisse ; mais si c’est, comme je le crois, la plus vertueuse et la plus malheureuse femme du monde, au nom du genre humain, protégez-la. Que M. le comte de Choiseul daigne l’écouter ! Je lui fais tenir un petit papier qui sera son passe-port pour être admise chez vous ; ce papier contient ces mots : « La personne en question vient se présenter chez M. d’Argental, conseiller d’honneur du parlement, envoyé de Parme, rue de la Sourdière. »

Mes anges, cette bonne œuvre est digne de votre cœur.


4927. — À M.  RIBOTTE[301].
11 juin 1762.

La personne à qui M. Ribotte a écrit est informée du départ de cette malheureuse mère. Il lui rend tous les services possibles, mais malheureusement nous sommes très-peu informés du fond de l’affaire. Ceux qui pourraient nous donner le plus de lumières gardent un silence bien lâche, et qui même est suspect.

Il y a près de deux mois qu’on attend un mémoire détaillé, et on ne nous l’envoie point. Cette nonchalance dans une affaire qui demande les soins les plus pressants n’est pas pardonnable. Il faudrait engager ceux qui sont instruits à nous instruire dans le plus grand détail ; il n’y a qu’à adresser les paquets chez M. Debrus, négociant à Genève, ou chez M. Cathala. On se donnera tous les mouvements possibles pour faire rendre justice à l’innocence ; mais il faut savoir pleinement la vérité.


4928. — À M. ÉLIE DE BEAUMONT[302].
Aux Délices, ce 11 juin.

Je vous adresse, monsieur, la plus infortunée de toutes les femmes[303], qui demande la chose du monde la plus juste. Mandez-moi, je vous prie, sur-le-champ, quelles mesures on peut prendre ; je me chargerai de la reconnaissance : je suis trop heureux de l’exercer envers un talent aussi beau qu’est le vôtre. Ce procès, d’ailleurs si étrange et si capital, peut vous faire un honneur infini ; et l’honneur, dans votre noble profession, amène tôt ou tard la fortune. Cette affaire, à laquelle je prends le plus vif intérêt, est si extraordinaire qu’il faudra aussi des moyens extraordinaires. Soyez sûr que le parlement de Toulouse ne donnera point des armes contre lui ; il a défendu que l’on communiquât les pièces à personne, et même l’extrait de l’arrêt. Il n’y a qu’une grande protection qui puisse obtenir de monsieur le chancelier ou du roi un ordre d’envoyer copie des registres. Nous cherchons cette protection : le cri du public, ému et attendri, devrait l’obtenir. Il est de l’intérêt de l’État qu’on découvre de quel côté est le plus horrible fanatisme. Je ne doute pas que cette entreprise ne vous paraisse très-importante ; je vous supplie d’en parler aux magistrats et aux jurisconsultes de votre connaissance, et défaire en sorte qu’on parle à monsieur le chancelier. Tâchons d’exciter sa compassion et sa justice, après quoi vous aurez la gloire d’avoir été le vengeur de l’innocence, et d’avoir appris aux juges à ne se pas jouer impunément du sang des hommes. Les cruels ! ils ont oublié qu’ils étaient hommes. Ah, les barbares !

Monsieur, j’ai l’honneur d’être avec tous les sentiments que je vous dois, etc.

4929. — À M.  LE MARQUIS D’ARGENCE DE DIRAC[304].
Aux Délices, 11 juin.

Vous avez dû recevoir, monsieur, un ouvrage[305] fort curieux et qui peut servir de commentaire à celui[306] que vous lisez actuellement, ou plutôt que vous ne lisez plus. Car tout admirable qu’est ce livre, il lasse un peu à la fin, et l’uniformité des beautés ennuie.

J’ai rattrapé un peu de santé, et j’en ai grand besoin pour porter le fardeau insupportable des dernières pièces de Corneille. Je ne peux encore vous envoyer celle que nous avons jouée ; nous n’avons fait que l’essayer. C’est une pièce presque toute de spectacle, et qui exige une vingtaine d’acteurs. Notre théâtre est si joliment entendu qu’on y pourrait jouer l’opéra.

Voici une petite lettre assez curieuse[307] qui ne grossira pas trop le paquet, et qui pourra vous amuser. Il y a une affaire horrible à Toulouse produite par le plus affreux fanatisme. Vous en entendrez bientôt parler, si vous ne la savez déjà.

Adieu, monsieur, conservez-moi vos bontés, dont je sens tout le prix.


4930. — À M.  DAMILAVILLE[308].
14 juin.

Le frère Thieriot m’a montré la pancarte de mon frère. J’ai trouvé ses idées très-justes ; il faut que le capitaine qui a bien servi soit colonel. Je n’ai malheureusement nul crédit auprès de monsieur le contrôleur général : mais M. Tronchin, des fermes, en a, du moins à ce qu’on m’assure. Je lui écris, je lui envoie le précis de votre mémoire, en suppliant mon frère de ne point se décourager. Si M. Bertin[309] donne à l’amitié la place qu’il doit aux services, ce passe-droit qu’on ferait pourrait vous servir, mon cher monsieur, à obtenir une place plus importante. On sent le besoin qu’on a des hommes de mérite, et tôt ou tard on les récompense. Je ne doute pas que M. d’Argental ne se donne les plus grands mouvements en faveur de mon frère.

Thieriot m’apprend que Crébillon n’est pas mort ; il l’était dans les gazettes. On a défendu à Genève les livres de Jean-Jacques. Je ne sais ce qu’on en fait à Paris. J’ai eu son Éducation. C’est un fatras d’une sotte nourrice en quatre tomes, avec une quarantaine de pages contre le christianisme, des plus hardies qu’on ait jamais écrites ; et par une inconséquence digne de cette tête sans cervelle et de ce Diogène sans cœur, il dit autant d’injures aux philosophes qu’à Jésus-Christ ; mais les philosophes seront plus indulgents que les prêtres.

J’embrasse mon frère cordialement.


4931. — À M.  MAYANS Y SISCAR[310],
ancien bibliothécaire du roi d’espagne, à valence.
Aux Délices, 15 juin.

Monsieur, je ne vous écris point en chaldéen, parce que je ne le sais pas ; ni en latin, quoique je ne l’aie pas oublié ; ni en espagnol, quoique je l’aie appris pour vous plaire ; mais en français, que vous entendez très-bien, parce que je suis obligé de dicter ma lettre, étant très-malade.

J’ai renoncé à la cour comme vous ; ne m’appelez plus aulicus. Mais vous êtes trop generosus, de toutes les façons, puisque vous avez la générosité de me fournir les instructions que je vous ai demandées. Je ne savais pas que vos auteurs eussent jamais rien pris, même des Italiens ; je les croyais autochthones en fait de littérature ; mais je sais bien qu’ils n’ont jamais rien pris de nous, et que nous avons beaucoup pris d’eux.

Entre nous, je pense que Corneille a puisé tout le sujet d’Héraclius dans Calderon. Ce Calderon me paraît une tête si chaude (sauf respect), si extravagante, et quelquefois si sublime, qu’il est impossible que ce ne soit pas la nature pure. Corneille a mis dans les règles ce que l’autre avait inventé hors des règles. Le point important est de savoir en quelle année la Famosa Comedia fut jouée devant ambas Magestades ; c’est ce que je vous ai demandé, et je vois qu’il est impossible de le savoir.

Je ne sais pas pourquoi vous vous êtes donné la peine de transcrire les vers de Lope de Vega, que vous avez autrefois rapportés dans la Vie de Cervantes ; vous imaginez-vous donc que je ne vous aie pas lu ? Sachez, monsieur, que je vous ai lu avec grande attention, et que vous m’avez beaucoup éclairé. Non-seulement je savais ces vers, mais je les ai traduits en vers français, et je les fais imprimer au devant[311] de la Famosa Comedia, que j’ai traduite aussi.

Je crois qu’il suffit de mettre sous les yeux la Famosa Comedia, pour faire voir que Calderon ne l’a pas volée.

Vous me permettrez de faire usage du passage de maître Emmanuel de Guerra[312] ; je n’omettrai pas les Actes sacramentaux du pieux Calderon. Tout ce qui me fâche, c’est que ces Actes sacramentaux n’aient pas fait partie des pièces amoureuses et ordurières dont le bonhomme régalait son auditoire.

Votre lettre est aussi pleine de grâces que d’érudition. Si vous voulez faire passer quelque instruction de votre voisinage de l’Afrique à mon voisinage des Alpes, je vous aurai beaucoup d’obligation.

Soyez très persuadé qu’on ne trouve point de seigneur d’Oliva en Savoie.


4932. — À M.  DEBRUS[313].
À Ferney, 15 juin.

Lamarque a beau dire, il ne se justifiera jamais d’avoir assuré que Marc-Antoine n’avait pas mangé depuis quatre heures. Mais c’est beaucoup qu’il assure n’avoir trouvé aucune meurtrissure sur le corps[314].

Le procureur général de Toulouse ne vaut pas assurément le procureur général de Genève[315]. Les affaires de finance ne retarderont pas d’un moment celles de notre veuve. Cela n’a rien de commun. Ce ne sont pas les mêmes ministres qui se mêlent des rentes et de la justice.

M. le marquis de Nicolaï, fils de monsieur le premier président[316], qui est venu à Ferney, m’a promis de parler et de faire parler fortement monsieur son père à monsieur le chancelier. Je lui ai donné un petit mémoire pour que nous soyons renvoyés au grand conseil. Si nous obtenons ce renvoi, je vous réponds que messieurs les roueurs toulousains seront bien menés.

J’embrasse tendrement le généreux et vertueux M. Debrus et son digne ami M. de Végobre, aussi bien que M. Cathala, La Serre, et tous ceux qui s’intéressent si noblement à une famille infortunée.


4933. — À M.  DAMILAVILLE[317].
15 juin.

Mon cher frère a probablement reçu une requête que la pauvre infortunée Calas doit présenter au roi, après l’avoir fait apostiller et après avoir fait éclaircir et constater les faits. Elle renverra probablement cette requête à M. Damilaville pour nous être remise et pour lui donner la dernière forme ; après quoi nous la renverrons une seconde fois. Mon cher frère est tout fait pour entrer dans cette bonne œuvre. Il sait sans doute que cette dame n’est point à Paris sous le nom malheureux qu’elle porte.

Est-il vrai qu’on poursuit Jean-Jacques ?

Avez-vous reçu un Meslier de la nouvelle édition ? Avez-vous reçu le Petit Avis ? Il est imprimé à Lyon. Si on joue le Droit du Seigneur, je prie mon cher frère de me mander quels sont les endroits scabreux qu’il faut retrancher ou adoucir dans la scène du bailli et de Colette. Mais prenons garde que la prétendue décence ne fasse grand tort au plaisant.

Frère Thieriot vous a écrit ; il paraît qu’il s’accommode assez de notre vie philosophique. C’est bien dommage que vos affaires ne vous permettent pas de venir philosopher avec vos frères.


4934. — À M.  ROMAN.
Aux Délices, 16 juin.

Il y a longtemps, monsieur, que je vous dois des remerciements ; une maladie assez longue et assez fâcheuse ne m’a pas permis de remplir ce devoir.

Vous faites voir qu’on peut tout traduire, puisque vous traduisez les poëtes allemands. L’auteur d’Adam[318] n’est pas, comme son héros, le premier homme du monde ; je suis d’ailleurs un peu fâché pour notre mangeur de pomme qu’à l’âge de neuf cent trente ans il fasse tant de façons pour mourir. Si Dieu daigne m’accorder les trois vingtièmes des années de notre père, je vous donne ma parole de mourir très-gaiement ; et je vous prie de vouloir bien alors m’aider à passer, en traduisant tout doucement quelque ouvrage plus plaisant que les lamentations du mari d’Ève, qui devait savoir que tout ce qui est né est fait pour mourir, puisqu’il avait la science infuse.

Au reste, vous écrivez si bien que je vous exhorte à vous faire traduire, au lieu de traduire des tragédies allemandes. Je fais mes compliments à votre pupille, et je vous en fais à tous deux de vivre l’un avec l’autre. Je serai très-fâché quand Mme  d’Albertas[319] quittera notre petit pays, où elle est adorée.


4935. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
21 juin.

Mes divins anges, je suis persuadé plus que jamais de l’innocence des Calas, et de la cruelle bonne foi du parlement de Toulouse, qui a rendu le jugement le plus inique sur les indices les plus trompeurs. Il y a quelques mois que le conseil cassa un arrêt de ce même parlement, qui condamnait des créanciers légitimes à faire réparation à des banqueroutiers frauduleux. L’affaire présente est d’une tout autre conséquence ; elle intéresse des nations entières, et elle fait frémir d’horreur. On cherche toutes les protections possibles auprès de M. le comte de Saint-Florentin ; on a imaginé que La Popelinière pourrait faire présenter à ce ministre la veuve Calas par André ou La Guerche.

Probablement La Popelinière m’écrira une lettre qu’il adressera chez vous ; je vous supplie de l’ouvrir. La veuve Calas, qui doit venir vous demander votre protection, lira cette lettre de La Popelinière, et se conduira en conséquence.

Daignez, mes anges, mettre toute votre humanité, toute votre vertu, toutes vos bontés, à faire connaître la vérité dans une affaire aussi essentielle. La poste va partir ; je n’ai ni le temps ni la force de vous parler d’autre chose que de l’innocence opprimée qui trouvera des protecteurs tels que vous.

Mille tendres respects.


4936. — À M.  DEBRUS[320],
pour madame la veuve calas.

Par les lettres que je reçois du Languedoc, on est animé plus que jamais contre les Calas. Certainement on refusera les pièces jusqu’à ce que le conseil du roi ordonne qu’elles soient envoyées à la cour.

Il faut donc présenter requête pour que ces pièces soient remises.

On pense qu’il est nécessaire que les deux pièces originales, c’est-à-dire les lettres de la mère et du fils, soient imprimées à Paris : elles disposeront le public : elles l’animeront, et la cour, déjà instruite, ne pourra s’empêcher de faire venir la procédure de Toulouse.

Il est nécessaire que la veuve aille chez M. Tronchin, rue Neuve-Saint-Augustin. Il l’attend ; il lui donnera la protection de M. Chaban[321], l’homme du monde le plus capable de la servir.

M. de La Popelinière hait plus l’injustice qu’il n’aime le parlement de Toulouse ; mais on peut se passer de lui. Il n’en est pas ainsi de M. Tronchin. Il faut absolument aller chez lui.

Mon avis est qu’on touche le public par l’impression de la lettre de la mère et du fils, auxquels on ne peut répondre, et que le cri public force le chancelier à interposer l’autorité royale.

M. et Mme  d’Argental protégeront vivement cette famille infortunée.


4937. — À M.  LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
À Genève, le 22 juin.

Ma misérable santé, monseigneur, me confine à présent auprès du docteur Tronchin. Je me joins à la foule de ses dévots qui vont au temple d’Épidaure. Je vous assure que, quoique je sois dans la patrie de J.-J. Rousseau, je trouve que vous avez très-grande raison, et je ne suis point du tout de son avis.

Je me flatte que vous distinguez les gens de lettres de Paris de ce philosophe des petites-maisons ; mais vous savez que, dans la littérature comme dans les autres états, il y a un peu de jalousie. On accusait Corneille d’avoir favorisé le duel, et d’avoir violé toutes les bienséances dans le Cid ; on reprochait à Racine d’avoir mis les principes du jansénisme dans le rôle de Phèdre ; Descartes fut accusé d’athéisme, et Gassendi d’épicuréisme : la mode aujourd’hui est de prétendre que les géomètres et les métaphysiciens inspirent à la nation le dégoût des armes, et que si on a été battu sur terre et sur mer, c’est évidemment la faute des philosophes. Mais vous savez que les Anglais sont bien plus philosophes que nous, et que cela ne les a pas empêchés de nous battre.

Vous vous doutez bien, dans le fond de votre cœur, qu’il y a eu d’autres causes de nos malheurs, lesquelles ne ressemblent en rien à la philosophie. Vous êtes trop clairvoyant et trop juste pour vous laisser séduire par les cris de quelques envieux qui, ne pouvant atteindre au mérite de quelques génies que vous avez encore en France, tâchent de les décrier, afin qu’il ne reste plus à la nation aucune gloire. Vous êtes fait pour protéger le mérite ; c’est là, dans tous les temps, le partage des hommes supérieurs.

Les bontés mêmes que vous avez toujours eues pour moi me font croire que vous en aurez pour ceux qui valent mieux que moi. Si la calomnie m’impute quelquefois des ouvrages que je n’ai point faits, elle empoisonne ceux dont ils sont les auteurs. Voyez comme on a traité ce pauvre Helvétius pour un livre[322] qui n’est qu’une paraphrase des Pensées du duc de La Rochefoucauld !

Il n’y a qu’heur et malheur en ce monde. Mon heur est de vous être attaché jusqu’au dernier moment de ma vie, avec le plus tendre et le plus profond respect.


4938. — À M.  DEBRUS[323].

Je renvoie les lettres en question.

Je ne crois pas qu’on réussisse de longtemps par les voies ordinaires. Il n’y a d’autre secret à présent que d’exciter le cri public et de porter ceci aux oreilles du roi. J’aurai incessamment réponse sur la tentative faite auprès de Mme  de Pompadour[324]. Disposons les esprits, et ensuite on verra comment la requête en forme sera présentée. Je peux assurer que les ministres sont très-bien intentionnés.


4939. — À M.  DAMILAVILLE.
Le 25 juin.

Les frères des Délices ont reçu les lettres du 19 juin de leur cher frère. Ils chercheront le Contrat social : ce petit livre a été brûlé à Genève dans le même bûcher que le fade roman d’Émile ; et Jean-Jacques a été décrété de prise de corps comme à Paris. Ce Contrat social ou insocial n’est remarquable que par quelques injures dites grossièrement aux roiss par le citoyen du bourg de Genève, et par quatre pages insipides contre la religion chrétienne. Ces quatre pages ne sont que des centons de Bayle. Ce n’était pas la peine d’être plagiaire. L’orgueilleux Jean-Jacques est à Amsterdam, où l’on fait plus de cas d’une cargaison de poivre que de ses paradoxes.

L’affaire de mon frère[325] m’intéresse bien davantage ; mais si monsieur le contrôleur général a promis à un ancien ami, personne ne pourra s’y opposer, ni être bien reçu à le solliciter. Tout ce qu’on doit faire, à mon avis, c’est de remontrer fortement qu’il est de son intérêt et de son honneur d’employer utilement un homme qui a été quinze ans utile ; et je suis persuadé que par cette voie on pourra obtenir un poste avantageux.

Je suis toujours en peine d’un Meslier envoyé à mon frère pour le marquis d’Argence, en son château de Dirac, près d’Angoulême : je prie mon frère de m’en donner des nouvelles. Je répète que le Despotisme oriental pourrait bien avoir été pincé, pour avoir été indiscrètement envoyé en forme de livre.

La Mort de Socrate[326] est un beau sujet dans une république où l’on peut mettre sur le théâtre l’injustice, l’ignorance, la sottise, et la cruauté des juges. Je souhaite que ce sujet réussisse en France.

Voulez-vous des Meslier et autres drogues ? j’en pourrai découvrir dans les greniers du pays.


4940. — À M.  DEBRUS[327].

M. de Court[328] n’a certainement écrit qu’avec les meilleures intentions du monde. Je crois qu’on aurait tort de l’affliger et de le décourager. Il aurait encore plus de tort de faire publier son livre en France, avant que le parlement de Toulouse ait envoyé ses procédures et ses motifs ; mais, après cet envoi, je ne pense pas qu’il y ait le moindre risque. Il faudrait le consoler par un petit présent pour le dédommager du retardement et des cartons que l’on demande ; je suis prêt d’y contribuer. M. Debrus peut voir avec ses amis à peu près ce qu’il faudra. Soyons bien tranquilles. Ayez grand soin de votre santé, monsieur ; je vous renvoie la lettre de M. Dumas[329], qui m’a fait un extrême plaisir, et celle de ce pauvre M. de Court, qui me rend sensible à son chagrin.


4941. — À M.  JEAN SCHOUVALOW.
Aux Délices, près Genève, 25 juin.

Monsieur, M. le prince Galitzin a eu la bonté de me faire tenir le paquet contenant les chapitres du second tome de Pierre le Grand, accompagné de vos judicieuses remarques. Soyez bien persuadé que je me conformerai en tout à vos idées, et que j’aurai la plus grande attention à ne vous point compromettre. L’ouvrage ne pourra paraître que dans l’année 1763, parce que les arrangements pris avec le public pour l’édition de Pierre Corneille ne souffrent aucun délai. J’eus l’honneur de répondre, il y a près d’un mois[330], par duplicata, aux ordres que vous me donnâtes touchant M. de Soltikof. Je vous mandai qu’on avait reçu de ses lettres datées de Hambourg, au mois de mars. Il notifiait par cette lettre qu’il retournait eu Russie, et je me flattais, comme je me flatte encore, que ce jeune homme est auprès de vous, aussi digne de vos bontés que je l’en ai vu pénétré.

Pour moi, je n’ai point de ses nouvelles ; et j’en ai été d’autant plus affligé que nous le regardions dans notre maison comme notre fils.

Ce que vous me dites, monsieur, dans votre lettre du 1er mai, me fait concevoir l’espérance de vous voir. Il est naturel de faire voyager monsieur votre neveu[331], à qui vous tenez lieu de père : vous voyagerez avec lui. Il n’y a point de nation qui ne s’empressât à vous témoigner l’estime qu’on a pour votre personne. Le Mécène de la Russie sera partout reçu comme l’eût été le Mécène de Rome.

Je serai toute ma vie avec le plus tendre respect, etc. V.


4942. — À M.  DEBRUS[332].
(Juin 1762.)

Je crois qu’on se trompe, que toute cette aventure n’est pas de l’année 1762, mais du temps de la Saint-Barthélemy. Dieu soit béni de ce que les deux lettres de la mère et du fils ont effrayé et attendri les hommes sur ces horreurs, et donnent des protecteurs à l’innocence ! J’apprends qu’il y en a deux éditions à Paris[333]. Cela sera joint au procès, qui sera publié un jour. Donat Calas nous sera d’une grande ressource. Puissions-nous avoir ici Pierre[334] ?

On ne dégoûtera certainement pas M. Crommelin[335]. On s’unira à lui. Il faut que tous les moyens s’entr’aident, que toutes les voix soient à l’unisson. J’ai toujours pensé qu’il ne fallait pas sitôt parler des filles[336]. Quiconque a donné une lettre de cachet veut la soutenir. Ne nous brouillons avec personne : nous avons besoin d’amis.


4943. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
25 juin.

Mes divins anges, Jean-Jacques est un fou à lier, qui a manqué à tous ses amis, et qui n’avait pas encore manqué à Mme  de Luxembourg[337]. S’il s’était contenté d’attaquer l’infâme, il aurait trouvé partout des défenseurs, car l’infâme est bien décriée. Il a trouvé le secret d’offenser le gouvernement de la bourgade de Genève, en se tuant de l’exalter. On a brûlé ses rêveries dans la bourgade, et on l’a décrété de prise de corps comme à Paris ; heureusement pour lui, son petit corps est difficile à prendre. Il est, dit-on, à Amsterdam. Je suis fâché de tout cela, Eh ! que deviendra la philosophie ?

Mes divins anges, ces messieurs de la poste sont plus rétifs que leurs chevaux.

On va donc jouer Socrate ; Dieu veuille que Socrate ne soit pas aussi froid que la ciguë !

Verra-t-on Henri IV à la Comédie, ou se contentera-t-on de le voir sur le Pont-Neuf ?

Le Droit du Seigneur est-il oublié ? C’est pourtant un beau droit ; et il y avait une drôle de dédicace[338] pour M. de Choiseul.

J’ai accablé mes anges d’importunités et de mémoires pour des Suisses ; je leur en demande bien pardon. Mais je les conjure plus que jamais de protéger de toutes leurs ailes la veuve du roué et la mère du pendu. Comptez que ces gens-là sont innocents comme vous et moi : je ne doute pas que la veuve infortunée ne soit venue vous implorer. Ah ! quel plaisir pour des âmes comme les vôtres, quand vous aurez retiré de l’abîme une famille entière ! Il ne vous en coûtera que de parler : vous serez comme les enchanteurs qui faisaient fuir les démons avec quatre mots.

Més anges, c’est une étrange pièce que cette Zelmire[339], et le parterre est un étrange parterre.

Est-il vrai que M. le duc et Mme  la duchesse de Choiseul étaient en grande loge au triomphe de Palissot, et que ce Palissot avait donné à Bellecour un discours à prononcer quand on demanderait l’auteur, l’auteur, l’auteur ?

Et que dites-vous de cet autre Polissot de Fleury, qui crie tant contre la tolérance, et qui dit que Jean-Jacques écrit contre l’existence de la religion chrétienne[340] ? Quel est le plus fin de Jean ou d’Omer ?

Ah ! quel siècle, quel siècle !

4944. — À M. DEBRUS[341].
(Reçu le 30 juin.)

J’ai à peu près vingt-quatre louis, mon cher monsieur, dont il faut disposer en faveur de la famille Calas[342]. Je m’en rapporterai à votre prudence pour savoir si on peut aider les enfants qui sont ici en même temps qu’on secourra la mère. Je crois qu’à présent elle n’est pas dans le besoin. Je distribuerai cet argent de la manière dont vous l’ordonnerez. Nous aurons encore quelques autres secours en temps et lieu. J’embrasse MM. de Végobre et Cathala, et tous vos amis. Je vous trouvai sorti hier. Je vous fais mon compliment sur votre santé ; nous avons le soleil de Languedoc, c’est la seule bénédiction de ce pays-là. V.


4945. — À M.  LE CARDINAL DE BERNIS.
Aux Délices, 26 juin.

Vivent les lettres ! vivent les arts ! vivent ceux qui ont un peu de goût pour eux, et même un peu de passion ! Monseigneur, plus je vieillis, plus je crois, Dieu me le pardonne, que je deviens sage : car je ne connais plus que littérature et agriculture. Cela donne de la santé au corps et à l’âme ; et Dieu sait alors comme on rit de ses folies passées, et de toutes celles de nos confrères les humains ! Je vous crois à présent dans votre retraite, que vous embellissez ; et je m’imagine que Votre Éminence y est très-éminente en réflexions solides, en amusements agréables, en supériorité de raison et de goût, en toutes choses dignes de votre esprit. Ne bâtissez-vous point ? n’avez-vous pas une bibliothèque ? ne rassemblez-vous pas quelques personnes dignes de vous entendre ? Si vous en trouvez, voilà le grand point : il est bien rare de trouver des penseurs en province, et surtout des gens de goût. Je croyais autrefois, en lisant nos bons auteurs, que toute la nation avait de l’esprit, car, disais-je, tout le monde les lit : donc toute la nation est formée par eux. J’ai été bien attrapé quand j’ai vu que la terre est couverte de gens qui ne méritent pas qu’on leur parle.

C’est un grand malheur pour moi de parler de loin à Votre Éminence. Ma consolation est de vous consulter. Je vous conjure de juger sévèrement l’ouvrage que vous permettez que je vous envoie. Je voudrais bien faire de cette pièce quelque chose de bon. Je suis déjà sûr qu’elle forme un très-beau spectacle. Je l’ai fait exécuter trois fois sur mon théâtre à Ferney : en vérité, rien n’était plus auguste ; mais une tragédie ne doit pas plaire seulement aux yeux : je m’adresse à votre cœur et à vos oreilles, aurium superbissimum judicium ; voyez surtout si vous êtes touché ; amusez-vous, je vous en supplie, à me dire mes fautes. Si la pièce est froide, la faute est irréparable ; mais si elle ne manque que par les détails, je vous promets d’être bien docile.

Recevez, monseigneur, mon très-tendre respect.


4946. — À M.  DEBRUS[343].

Si la personne qui a parlé au jeune Lavaysse d’une façon si étrange n’a pas eu dessein de l’éprouver, si elle a parlé sérieusement, elle est bien condamnable, et rien ne peut excuser un pareil discours. Il y a grande apparence que le parlement de Toulouse lui a donné cette prévention[344]. Je sais déjà que plusieurs conseillers d’État pensent autrement.

Je parlerai fortement à M. le maréchal de Richelieu, quand il sera chez moi. Mais pour l’autre personne à qui on veut que je parle, comme elle n’influera en rien sur les juges, dont elle ne connaît aucun, ce n’est point du tout la peine.

Ne songeons qu’aux juges, et laissons là tout le reste.

J’écris à M. Mariette. Je ne crois point du tout que sa bonne volonté se ralentisse. Les erreurs dans lesquelles M. de Lavaysse a laissé tomber M. de Beaumont ne préjudicieront en rien à la cause, et seront aisément rectifiées par M. Mariette.

Je fais mille compliments à M. Debrus, à M. de Végobre et à M. Cathala.


4947. — À M.  DE LA MOTTE-GEFRARD[345].
Aux Délices, 26 juin.

Tout ce qui est de la main de Henri IV, monsieur, est bien précieux. C’était un homme adorable avec ses ennemis et avec ses maîtresses. Des lettres d’amour de ce grand roi valent mieux que tous les édits de ses prédécesseurs. Je ne sais comment reconnaître le plaisir que vous me faites ; j’attends votre bienfait avec autant d’impatience que de reconnaissance. J’ai des lettres de lui à la reine Élisabeth, dans lesquelles il paraît plus embarrassé qu’il ne l’est avec ses maîtresses. S’il avait pu coucher avec cette reine, il n’aurait pas fait le saut périlleux, et il n’aurait point rappelé les jésuites, que nos parlements chassent comme les Anglais ont autrefois chassé les loups. Je ne sais pas combien on donne à présent de la tête d’un jésuite ; celle du cardinal Mazarin fut autrefois à cinquante mille écus ; c’est beaucoup trop payer.


4948. — À M.  LE PRÉSIDENT DE RUFFEY[346].
Aux Délires, 27 juin 1762.

Je vous dois bien des remerciements, monsieur, pour les pièces d’un procès que je voudrais voir fini[347]. Quand vous pourrez m’envoyer le petit mémoire que vous m’avez promis[348] je vous garderai secret et fidélité. Vous aurez en revanche des pièces bien singulières et bien intéressantes d’un autre procès.

J’ai commencé par faire travailler votre dentiste sur les belles dents de Mlle  Corneille. Pourquoi parlez-vous aujourd’hui des opuscules du philosophe de Sans-Souci, dont on ne parle plus ? Vous voilà bien scandalisé de ce qu’il écrit au maréchal Keith, comme Lucrèce parlait à Memmius, et comme Cicéron et César s’expliquaient en plein sénat. Si vous voulez être scandalisé, soyez-le de ce que ce prétendu philosophe a immolé plus de quatre cent mille hommes à sa petite ambition d’acquérir une petite province.

Il y a un décret de prise de corps contre Jean-Jacques, à Genève comme à Paris. Il est puni pour les seules choses bien écrites qui soient dans ses mauvais livres. Ce polisson s’est avisé d’écrire sur l’éducation ; mais auparavant il eût fallu qu’il eût eu de l’éducation lui-même.

Une chose plus importante que j’ai à vous dire, c’est qu’il y a de bonnes raisons d’espérer la paix en Allemagne ; mais,


Belle Philis, on désespère,
Alors qu’on espère toujours.


De quoi s’avise le président de Brosses de montrer mes lettres ! Oui, je crie contre les fêtes, je fais travailler les fêtes. Il est abominable d’avoir soixante jours consacrés à l’ivrognerie. C’est une affaire de police dont tous les parlements devraient se saisir. L’agriculture est plus agréable à Dieu que la taverne. Les sauvages en cela sont mieux policés que nous. Mille respects à madame la présidente, et vale, dulcissime rerum.


4949. — À M.  DEBRUS[349].
(Reçu le 4 juillet.)

Je crois, monsieur, qu’il est convenable de garder un fonds pour les frais du procès, car les frais seront immenses. J’ai donné dix louis d’or aux deux frères[350]. Gardons le reste pour les pressants besoins.

Je vous embrasse, vous et vos amis. Faites mes compliments, je vous prie, à Mme  Calas et à ses deux filles, et recevez les miens du fond de mon cœur.


Au dos : 4 juillet 62.

4950. — À M.  DE VOSGE.
Aux Délices, 3 juillet[351].

J’ai reçu, monsieur, vos trois beaux dessins d’Attila, de Sophonisbe, et de la Toison d’or. Vous relevez par votre art des pièces où Corneille oublia un peu le sien.

Je crois avoir envoyé à M. de La Marche le dessin de Pompée : il me semble que Cornélie baissait les yeux, et que vous avez envie de la représenter les levant au ciel, et tenant l’urne à la main. Jamais la passion ne peut se peindre dans des yeux baissés : cela est modeste, mais cela n’est pas tragique. Je suis sûr que, avec ce changement, vous ferez un chef-d’œuvre de votre Cornélie.

Dès que nous aurons six dessins, les libraires les donneront aux graveurs. On aura soin, monsieur, de vous envoyer leurs premières esquisses, sur lesquelles vous donnerez vos ordres.

Je suis très-sensible à l’honneur que vous me faites, et suis parfaitement, monsieur, votre très-humble, etc.


4951. — À M.  LAVAYSSE PÈRE.
4 juillet.

Les personnes qui protègent à Paris la famille Calas sont très-étonnées que le sieur Gobert-Lavaysse[352] ne fasse pas cause commune avec elles. Non-seulement il a son honneur à soutenir, ses fers à venger, le rapporteur, qui conclut au bannissement, à confondre ; mais il doit la vérité au public, et son secours à l’innocence. Le père se couvrirait d’une gloire immortelle s’il quittait une ville superstitieuse et un tribunal ignorant et barbare.

Un avocat savant et estimé est certainement au-dessus de ceux qui ont acheté pour un peu d’argent le droit d’être injustes ; un tel avocat serait un excellent conseiller ; mais où est le conseiller qui serait un bon avocat ?

M. Lavaysse peut être sûr que s’il perd quelque chose à son déplacement, il le retrouvera au décuple. On répand que plusieurs princes d’Allemagne, plusieurs personnes de France, d’Angleterre, et de Hollande, vont faire un fonds très-considérable. Voilà de ces occasions où il serait beau de prendre un parti ferme, M. Lavaysse, en élevant la voix, n’a rien à craindre ; il fait rougir le parlement de Toulouse en quittant cette ville pour Paris ; et s’il veut aller ailleurs, il sera partout respecté.

Quoi qu’il arrive, son fils se rendrait très-suspect dans l’esprit des protecteurs des Calas, et ferait très-grand tort à la cause, s’il ne faisait pas son devoir, tandis que tant de personnes indifférentes font au delà de leur devoir.

Je prie la personne qui peut faire rendre cette lettre à M. Lavaysse père de l’envoyer promptement par une voie sûre.


4952. — À CHARLES-THÉODORE.
électeur palatin.
Aux Délices, le 5 juillet.

Monseigneur, je voudrais bien que mon bon hiérophante trouvât grâce devant Votre Altesse électorale. Il n’est ni janséniste ni moliniste ; c’est le meilleur prêtre que je connaisse. Si les jésuites lui avaient ressemblé, ils seraient encore en Portugal, et ne seraient point honnis en France. Toute la famille d’Alexandre, que j’ai mise à vos pieds il y a un mois[353], attend ce que vous pensez d’elle pour savoir si elle doit se montrer.

Me sera-t-il permis d’avoir recours à votre protection pour le temporel[354], après avoir soumis le spirituel à vos lumières ? Votre Altesse électorale voit que l’âme et le corps du petit Suisse dépendent d’elle. La petite-fille de Corneille et son édition languissent. J’espère que M. de Beckers nous ranimera. C’est auprès de M. de Beckers que je vous implore ; je crois qu’il n’y a point auprès de lui de meilleure protection que la vôtre. Daignez donc souffrir, monseigneur, que j’adresse à Votre Altesse électorale le triste et discourtois placet que je présente à votre contrôleur général. Il y a de fins courtisans italiens qui prétendent qu’il faut toujours aller au prince par les ministres ; et moi, monseigneur, je tiens que dans votre cour il faut aller au ministre par le prince, et c’est toujours à votre belle âme qu’il faut avoir recours.

Que Votre Altesse électorale daigne agréer, avec sa bonté ordinaire, l’attacbement, la reconnaissance, et le profond respect, etc.

4953. — À M.  COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 5 juillet.

Mes divins anges, cette malheureuse veuve a donc eu la consolation de paraître en votre présence ; vous avez bien voulu l’assurer de votre protection. Vous avez lu sans doute les Pièces originales[355] que je vous ai envoyées par M. de Courteilles[356] ; comment peut-on tenir contre les faits avérés que ces pièces contiennent ? et que demandons-nous ? rien autre chose sinon que la justice ne soit pas muette comme elle est aveugle, qu’elle parle ; qu’elle dise pourquoi elle a condamné Calas. Quelle horreur qu’un jugement secret, une condamnation sans motifs ! y a-t-il une plus exécrable tyrannie que celle de verser le sang à son gré, sans en rendre la moindre raison ? Ce n’est pas l’usage, disent les juges. Eh ! monstres ! il faut que cela devienne l’usage : vous devez compte aux hommes du sang des hommes. Le chancelier serait-il assez … pour ne pas faire venir la procédure ?

Pour moi, je persiste à ne vouloir autre chose que la production publique de cette procédure. On imagine qu’il faut préalablement que cette pauvre femme fasse venir des pièces de Toulouse. Où les trouvera-t-elle ? qui lui ouvrira l’antre du greffe ? où la renvoie-t-on, si elle est réduite à faire elle-même ce que le chancelier ou le conseil seul peut faire ? Je ne conçois pas l’idée de ceux qui conseillent cette pauvre infortunée. D’ailleurs ce n’est pas elle seulement qui m’intéresse, c’est le public, c’est l’humanité. Il importe à tout le monde qu’on motive de tels arrêts. Le parlement de Toulouse doit sentir qu’on le regardera comme coupable tant qu’il ne daignera pas montrer que les Calas le sont ; il peut s’assurer qu’il sera l’exécration d’une grande partie de l’Europe.

Cette tragédie me fait oublier toutes les autres, jusqu’aux miennes. Puisse celle qu’on joue en Allemagne finir bientôt !

Mes charmants anges, je remercie encore une fois votre belle âme de votre belle action.

4954. — À M.  DEBRUS[357].

J’obtiendrai aussi aisément un ordre du conseil sur la requête du fils que sur celle de la mère.

C’est le seul parti qu’il y ait à prendre. On conduira la pauvre veuve à Paris comme on voudra ; on attendra vainement des poursuites inutiles.

Ce n’est point à Mme  Calas à faire venir ces procédures ; c’est au roi de les demander.

La mère et le fils doivent supplier le roi de se les faire représenter en vertu de la contradiction évidente des deux arrêts de Toulouse.

Je prie M. Debrus de faire signer à Donat Calas la requête ci-jointe, du 6 juillet 1762, à Châtelaine[358].

Je l’enverrai demain à l’avocat au conseil, qui seul est en droit de la signer et de la présenter, ce ministère n’étant point du tout du ressort des avocats du parlement.

J’enverrai copie de la requête à tous les amis du chancelier.

Il faut absolument tirer la vérité du puits toulousain. Il faut soulever l’Europe entière, et que ses cris tonnent aux oreilles des juges. Je n’abandonnerai cette affaire qu’en mourant.


4955. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 7 juillet.

Mes divins anges, nous ne demandons autre chose au conseil sinon que, sur le simple exposé des jugements contradictoires du parlement de Toulouse, et sur l’impossibilité physique qu’un vieillard faible, de soixante-huit ans[359], ait pendu un jeune homme de vingt-huit ans, le plus robuste de la province, sans le secours de personne, on se fasse représenter la procédure.

À cet effet, un des fils de Calas, qui est chez moi, envoie sa requête à M. Mariette, avocat au conseil, lequel la rédigera ; et nous espérons qu’elle sera signée de la mère.

Nous craignons que le parti fanatique qui accable cette famille infortunée à Toulouse, et qui a eu le crédit de faire enfermer les deux filles dans un couvent, n’ait encore celui de faire enfermer la mère, pour lui fermer toutes les avenues au conseil du roi.

Mais le fils, qui est en sûreté, remplira l’Europe de ses cris, et soulèvera le ciel et la terre contre cette iniquité horrible.

Je répète qu’il est peu vraisemblable que la veuve Calas puisse tirer les pièces de l’antre du greffe de Toulouse, puisqu’il y a des défenses sévères de les communiquer à personne.

Cette seule défense prouve assez que les juges sentent leur faute.

Si, par impossible, les juges ont eu des convictions que les accusés étaient coupables, s’ils n’ont puni que le père, et si, contre les lois, ils ont élargi les autres, en ce cas il est toujours très-important de découvrir la vérité. Il y a d’un côté ou d’un autre le plus abominable fanatisme, et il faut le découvrir.

J’implore M. de Courteilles, uniquement pour que la vérité soit connue ; la justice viendra ensuite.

Tous les étrangers frémissent de cette aventure. Il est important pour l’honneur de la France que le jugement de Toulouse soit ou confirmé ou condamné.

Je présente mon respect à M. et à Mme  de Courteilles, à M. et à Mme  d’Argental. Cette affaire est digne de toute leur bonté.


4956. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
8 juillet.

Nous ne pouvons, dans notre éloignement de Paris, que procurer des protections à cette famille infortunée ; c’est à messieurs les avocats, soit du conseil, soit du parlement, à régler la forme. Les Pièces originales[360] imprimées intéressent quiconque les a lues ; tout le monde plaint la veuve Calas ; le cri public s’élève, ce cri peut frapper les oreilles du roi. J’ignore si cette affaire sera portée au conseil privé ou au conseil des parties : tout ce que je sais, c’est qu’elle est juste.

On m’assure que le parlement de Toulouse ne veut pas seulement communiquer l’énoncé de l’arrêt.

Il me paraît qu’on peut commencer par présenter requête pour obtenir la communication de cet arrêt et des motifs ; il y a cent exemples que le roi s’est fait rendre compte d’affaires bien moins intéressantes. N’avons-nous pas des raisons assez fortes pour demander et pour obtenir que les pièces soient communiquées par ordre de la cour ?

La contradiction évidente des deux jugements, dont l’un condamne à la roue un accusé, et dont l’autre met hors de cour des complices qui n’ont point quitté cet accusé ; le bannissement du fils, et sa détention dans un couvent de Toulouse après ce bannissement ; l’impossibilité physique qu’un vieillard de soixante-huit ans ait étranglé seul un jeune homme de vingt-huit ans ; enfin l’esprit de parti qui domine dans Toulouse : tout cela ne forme-t-il pas des présomptions assez fortes pour forcer le conseil du roi à se faire représenter l’arrêt ?

Je demande encore si un fils de l’infortuné Jean Calas, qui est en France, retiré dans un village de Bourgogne, ne peut pas se joindre à sa mère, et envoyer une procuration quand il s’agira de présenter requête ? Ce jeune homme, il est vrai, n’était point à Toulouse dans le temps de cette horrible catastrophe ; mais il a le même intérêt que sa mère, et leurs noms réunis ne peuvent-ils pas faire un grand effet ?

Plus je réfléchis sur le jugement de Toulouse, moins je le comprends : je ne vois aucun temps dans lequel le crime prétendu puisse avoir été commis ; je ne vois pas qu’il y ait jamais eu de condamnation plus horrible et plus absurde, et je pense qu’il suffit d’être homme pour prendre le parti de l’innocence cruellement opprimée. J’attends tout de la bonté et des lumières de ceux qui protègent la veuve Calas.

Il est certain qu’elle ne quitta pas son mari d’un moment dans le temps qu’on suppose que son mari commettait un parricide. Si son mari eût été coupable, elle aurait donc été complice : or comment, ayant été complice, ferait-elle deux cents lieues pour venir demander qu’on revît le procès, et qu’on la condamnât à la mort ? Tout cela fait saigner le cœur et lever les épaules. Toute cette aventure est une complication d’événements incroyables, de démence, et de cruauté. Je suis témoin qu’elle nous rend odieux dans les pays étrangers, et je suis sûr qu’on bénira la justice du roi, s’il daigne ordonner que la vérité paraisse.

On a écrit à M. le premier président Nicolaï, à M. le premier président d’Auriac, qui ont tous deux un grand crédit sur l’esprit de monsieur le chancelier. Mme  la duchesse d’Enville, M. le maréchal de Richelieu, M. le duc de Villars, doivent avoir écrit à M. de Saint-Florentin. On a écrit à M. de Chaban, en qui M. de Saint-Florentin à beaucoup de confiance ; et M. Tronchin, le fermier général, peut tout auprès de M, de Chaban.

Donat Calas, retiré en Bourgogne, a, de son côté, pris la liberté d’écrire à monsieur le chancelier[361], et a envoyé une requête au conseil ; le tout a été adressé à M. Héron, premier commis du conseil, qui fera rendre les pièces selon qu’il trouvera la chose convenable. Je vous en envoie une copie, parce qu’il me paraît nécessaire que vous soyez informés de tout.

J’ai écrit aussi à M. Ménard, premier commis de M. de Saint-Florentin ; je pense qu’il faut frapper à toutes les portes, et tenter tous les moyens qui pourraient s’entr’aider, sans pouvoir s’entrenuire.

Depuis ce mémoire écrit, j’ai reçu une lettre de M. Mariette, avocat au conseil, qui a vu la pauvre Calas, et qui dit ne pouvoir rien sans un extrait des pièces. Mais quoi donc ! ne pourrait-on demander justice sans avoir les armes que nos ennemis nous refusent ? On pourra donc verser le sang innocent impunément, et en être quitte pour dire : « Je ne veux pas dire pourquoi on l’a versé ? » Ah ! quelle horreur ! quelle abominable justice ! y a-t-il dans le monde une tyrannie pareille ? et les organes des lois sont-ils faits pour être des Busiris ?

Voici une lettre que j’écris à M. Mariette ; j’y joins un exemplaire des Pièces originales[362], ne sachant point s’il les a vues. Je supplie M. et Mme  d’Argental, nos protecteurs, de vouloir bien ajouter à toutes leurs bontés celle de vouloir bien faire rendre cette lettre et ces pièces à M. Mariette. Ils peuvent, je crois, se servir de l’enveloppe de M. de Courteilles. Je leur présente mes respects.


4957. — À M.  DEBRUS[363].

J’envoie le mémoire ci-joint à M. Debrus, et je le prie de n’écrire qu’en conformité. L’avocat Élie de Beaumont est ardent. Il nous faut de tels amis. D’ailleurs il s’est acquis depuis peu de la considération. Ne troublons point une pauvre infortunée, incapable d’affaires. Ménageons sa douleur, sa faiblesse et son embarras. Laissons agir les amis à Paris, Écrivons de tous côtés en sa faveur. Soulevons le ciel et la terre.

Voilà ce que j’écrivais à quatre heures après midi, 8 juillet. Je reçois la lettre de M. Mariette avec la lettre de Mme  Calas, que je renvoie à M. Debrus. Je vais écrire à M. Mariette de demander si, dans une affaire aussi extraordinaire, on ne peut pas, avec de la protection, agir d’une manière extraordinaire, et demander que le chancelier se fasse représenter les pièces du procès. Nous agissons fortement auprès de monsieur le chancelier.

J’insiste toujours sur la protection de M. de Chaban.

J’écris et je vais faire écrire à M. Tronchin.

Dès que Mme  Calas aura besoin d’argent, je lui en ferai tenir.

Il importe peu à Paris de quelle religion sera le jeune Lavaysse[364] ; il peut être mahométan ou juif, sans que personne s’en soucie : ce n’est pas comme à Toulouse. Il importe absolument qu’il aille avec Mme  Calas chez ses protecteurs. Je vais écrire à M. le duc de La Vallière et lui demander s’il peut présenter la veuve à Mme  la marquise de Pompadour.

Soulevons toujours le ciel et la terre, c’est là mon refrain.

À cinq heures du soir, 8 juillet. On peut envoyer ces deux papiers à Mme  Calas.


4958. — À M.  DAMILAVILLE.
8 juillet.

Vous savez, mon cher frère, que la place sur laquelle vous avez des vues est promise depuis longtemps, et que vous déplairiez si vous insistiez. Toutes les raisons de justice et de convenance sont pour vous ; mais elles doivent céder à l’autorité de monsieur le contrôleur général, et à son amitié pour M. de Morinval. S’il vous avait connu, ce serait vous qu’il aimerait sans doute. Faites-vous un mérite auprès de lui de votre sacrifice, afin qu’il vous aime à votre tour. Tâchez de lui parler ; donnez-lui des éloges sur ce que l’amitié lui fait faire ; remettez votre sort entre ses mains. Cette conduite, la seule que vous deviez tenir, peut contribuer à votre fortune. Mon cher frère, je vous prierai toujours de prendre votre parti en philosophe sur l’affaire de cette direction. Plût à Dieu que vous pussiez demander et obtenir celle de Lyon ! Il y a déjà un philosophe[365] dans cette ville ; vvous seriez deux, et l’archevêque, s’il osait, serait le troisième.

Vous devez avoir reçu un paquet contenant les Pièces originales[366] imprimées ; je vous prie d’en envoyer un exemplaire à M. Mignot, conseiller au grand-conseil, et un chez MM. Dufour et Mallet, banquiers ; c’est chez eux que demeure cette veuve si à plaindre.

Il est bien à souhaiter qu’on puisse imprimer à son profit ces Pièces, qui me paraissent convaincantes, et qu’elles puissent être portées au pied du trône par le public soulevé en faveur de l’innocence. Faites-les imprimer ; criez, je vous en prie, et faites crier. Il n’y a que le cri public qui puisse nous obtenir justice. Les formes ont été inventées pour perdre les innocents.

Mon frère Thieriot vous embrasse ; mon frère d’Alembert me néglige positivement.


4959. — À M.  FYOT DE LA MARCHE[367].
9 juillet, aux Délices.

Votre dessinateur me mande, mon grand magistrat, que vous êtes à Dijon ; puissiez-vous y être le conciliateur de la cour et du parlement ! Je n’ai point reçu le paquet que vous aviez eu la bonté de me promettre. Je l’attends ; il s’agit de vos intérêts et de votre repos, qui me sont également chers.

Je suis au quatrième tome de Corneille, c’est une occupation bien douce ; mais elle cesse de l’être puisqu’elle me coûte le bonheur de vous faire ma cour à la Marche. Je ne puis quitter un instant, il faut corriger deux feuilles par jour ; il faut souvent comparer l’espagnol et l’anglais au français dans les sujets qui ont été traités chez ces trois nations ; il faut avoir toujours raison : c’est là une terrible tâche. Laissez-moi, respectable ami, à mon atelier cette année, et je vous réponds que, si M. Trouchin me fait vivre, je suis à vos ordres en 1763.

Permettez-vous que je joigne ici une lettre pour M. de Vosge ? Je commence à douter que je vous aie adressé un de ses dessins que je vous renvoyais. Il aime les grosses figures ; à la bonne heure. Il me paraît qu’il y a du gran’gusto dans sa manière. Je vous remercie encore une fois de m’avoir prêté cet artiste.

Vous venez de perdre le boursouflé Crébillon[368].

Dum flueret lululentus, erat quod tollere velles[369] ?

Adieu, monsieur ; conservez vos bontés à l’homme du monde qui vous est attaché avec le plus tendre respect. V.


4960. — À M. AUDIBERT[370],
négociant à marseille, et de l’académie de la même ville[371].
Aux Délices, le 9 juillet.

Vous avez pu voir, monsieur, les lettres de la veuve Calas et de son fils. J’ai examiné cette affaire pendant trois mois ; je peux me tromper, mais il me paraît clair comme le jour que la fureur de la faction et la singularité de la destinée ont concouru à faire assassiner juridiquement sur la roue le plus innocent et le plus malheureux des hommes, à disperser sa famille, et à la réduire à la mendicité. J’ai bien peur qu’à Paris on songe peu à cette horrible affaire[372]. On aurait beau rouer cent innocents, on ne parlera à Paris que d’une pièce nouvelle, et on ne songera qu’à un bon souper.

Cependant, à force d’élever la voix, on se fait entendre des oreilles les plus dures ; et quelquefois même les cris des infortunés parviennent jusqu’à la cour. La veuve Calas est à Paris chez MM. Dufour et Mallet, rue Montmartre ; le jeune Lavaysse y est aussi. Je crois qu’il a changé de nom ; mais la pauvre veuve pourra vous faire parler à lui. Je vous demande en grâce d’avoir la curiosité de les voir l’un et l’autre ; c’est une tragédie dont le dénoûment est horrible et absurde, mais dont le nœud n’est pas encore bien débrouillé.

Je vous demande en grâce de faire parler ces deux acteurs, de tirer d’eux tous les éclaircissements possibles, et de vouloir bien m’instruire des particularités principales que vous aurez apprises.

Mandez-moi aussi, monsieur, je vous en conjure, si la veuve Calas est dans le besoin ; je ne doute pas qu’en ce cas MM. Tourton et Baur ne se joignent à vous pour la soulager. Je me suis chargé de payer les frais du procès qu’elle doit intenter au conseil du roi. Je l’ai adressée à M. Mariette, avocat au conseil, qui demande pour agir l’extrait de la procédure de Toulouse. Le parlement, qui paraît honteux de son jugement, a défendu qu’on donnât communication des pièces, et même de l’arrêt. Il n’y a qu’une extrême protection auprès du roi qui puisse forcer ce parlement à mettre au jour la vérité. Nous faisons l’impossible pour avoir cette protection, et nous croyons que le cri public est le meilleur moyen pour y parvenir.

Il me parait qu’il est de l’intérêt de tous les hommes d’approfondir cette affaire, qui, d’une part ou d’une autre, est le comble du plus horrible fanatisme. C’est renoncer à l’humanité que de traiter une telle aventure avec indifférence. Je suis sûr de votre zèle : il échauffera celui des autres, sans vous compromettre.

Je vous embrasse tendrement, mon cher camarade, et suis, avec tous les sentiments que vous méritez, etc.


4961. — À M. DE VOSGE[373].

Je n’ai, monsieur, que des grâces à vous rendre et des éloges à vous donner : il est vrai que quelques curieux murmurent de voir que les estampes ne sont pas d’une grandeur uniforme ; mais je ne hais pas cette variété ; et j’aime mieux les grandes figures que les petites. Ces objets de comparaison piqueront même la curiosité des connaisseurs.

Vous pouvez m’envoyer tous vos dessins, je les ferai graver. Je vous enverrai les ébauches sur lesquelles vous donnerez vos ordres.

Je vous prie de compter sur mon estime et sur ma reconnaissance. J’ai l’honneur d’être, monsieur, etc.


4962. — DU CARDINAL DE BERNIS.
À Vic-sur-Aisne, le 10 juillet.

Je n’ai lu Cassandre que depuis quelques jours, mon cher confrère ; à peine arrivé ici, j’ai appris qu’un de mes neveux, colonel aux grenadiers de France, a été tué dans la dernière affaire ; c’est le seul officier de son grade qui ait péri. Ce second malheur a rouvert les plaies du premier. Mon courage est exercé depuis longtemps, il faut espérer que j’en aurai moins besoin à l’avenir. J’ai trouvé votre tragédie si fort changée en bien que je ne l’ai presque pas reconnue. Le rôle de Statira est admirable et bien soutenu ; il ne s’agit que de jeter une nuance de fierté dans les discours qu’elle tient à Antigone. Celui du grand prêtre est, dans son genre, tout aussi beau. Je voudrais bien que nos archevêques parlassent avec cette dignité, cette force, et cette modération. Le rôle d’Olympie est plus noble qu’il n’était, et plus intéressant ; Cassandre lui-même m’a paru plus digne de vous. J’ai été ému, j’ai pleuré, et mon esprit a été perpétuellement rempli d’idées nobles, de sentiments douloureux et tendres ; en un mot, je crois qu’il s’en faut bien peu que ce ne soit une des plus belles de vos pièces. J’ai dicté à chaque acte quelques réflexions[374] dont vous ferez sûrement bon usage. Je ne connais pas de docilité plus grande que la vôtre, ni de talent plus rare. Il y a quelques rimes faibles que vous ferez bien de laisser, s’il vous en coûtait trop pour les changer. Il faut toujours jeter quelques petits os à ronger à ses ennemis.

Me voilà revenu chez moi. Je n’y ai point bâti, mais j’ai réparé toutes les vieilleries de l’abbé de Pomponne[375]. Je n’ai pas le logement d’un fermier général, mais une assez jolie gentilhommière. Les cardinaux de Lorraine, d’Este, et de Mazarin, s’en sont bien contentés. Je suis et dois être moins difficile. Je n’ai point de bibliothèque, mais un simple cabinet de livres que je lis ou que je consulte. Je n’aime point ce qui est plus de représentation que d’usage. Je plante beaucoup d’arbres ; j’arrose mes prairies ; je soigne beaucoup mes potagers, qui sont devenus mes nourrices, depuis que je ne mange plus de viande. Voilà le fond de mes occupations. J’ai quelques amis qui viennent me voir ; tous sont estimables, et plusieurs sont aimables. Vous voyez qu’il en est de plus malheureux. Écrivez-moi de temps en temps ; une lettre de vous embellit toute la journée, et je connais le prix d’un jour. Adieu, mon cher confrère ; vivez aussi longtemps que Crébillon ; je suis bien sûr que vos ouvrages dureront plus que les siens, quoiqu’il ait mérité une place honorable parmi nos auteurs tragiques. Ce que je vous demande de préférence à tout, c’est de m’écrire quand vous serez de bonne humeur. J’ai éprouvé que votre gaieté m’est plus salutaire que le bon régime que j’observe.


Observations du cardinal de Bernis sur la tragédie d’Olympie.

acte I, Scène ii.

Comme il est essentiel de diminuer l’horreur du meurtre de Statira, il paraît nécessaire qu’Antigone s’étende un peu davantage sur l’entreprise de Statira contre Antipatre, en sorte que le lecteur ou le spectateur comprenne aisément, et soit convaincu que Cassandre, en frappant Statira, qui s’était mise à la tête du peuple de Babylone, ne fit que sauver son père par une légitime défense. Cassandre aura toujours à se reprocher d’avoir tué une femme veuve d’Alexandre, sa souveraine, et mère d’Olympie. Rien n’est plus adroit que d’établir ce fait par Antigone lui-même ; et lorsque ce même fait sera clairement expliqué au commencement de la pièce, les esprits ne seront plus révoltés, et Cassandre, plus intéressant, pourra mieux se disculper d’un crime presque involontaire, et que le salut d’Antipatre pouvait autoriser ou du moins excuser.


Ne doit point nous coûter de regrets et de larmes[376].


Ni de larmes paraîtrait plus exact.


Que jamais entre nous la discorde introduite
Ne nous expose en proie à ces tyrans nouveaux.


Je n’aime point la discorde introduite entre nous ; parmi nous serait plus exact[377]. J’aime encore moins cette expression, ne nous expose en proie[378].


scène v

Cassandre est-il le seul accusé de faiblesse[379] ?


Ce vers ne rend point ce qu’Antigone veut ou doit dire.


acte II, scène ii.

Statira rend Cassandre trop odieux, en disant au grand prêtre que Cassandre, après l’avoir percée de coups, la traîne sur le tombeau d’Alexandre[380]. Cette remarque avait déjà été faite, et mérite attention.

Ces vers :


Une retraite heureuse amène au fond des cœurs
L’oubli des ennemis et l’oubli des malheurs,


seront gravés sur une colonne dans mon jardin de Vic-sur-Aisne.

Il vaut mieux qu’Olympie entende le bruit du tonnerre qui ébranle le temple[381], que si elle sentait un véritable tremblement de terre, parce que, dans ce dernier cas, il serait singulier que sa mère et elle s’en fussent seules aperçues. Il n’est point question dans toute la pièce de ce tremblement de terre, événement rare, qui n’aurait pas manqué de faire une vive impression sur les prêtres et sur les prêtresses.

On dit trancher la vie et retrancher de la vie, et non pas retrancher la vie[382].


acte III, scène i.

Cassandre est amoureux et ambitieux ; l’amour doit le porter à rendre justice a Olympie, et à lui déclarer qu’elle est fille de Statira et d’Alexandre. Mais l’ambition aurait dû l’empêcher de révéler ce mystère avant l’accomplissement de son mariage ; il parait donc nécessaire qu’il excuse cette imprudence par quelques motifs raisonnables et relatifs à ses intérêts ; il peut faire entendre que le parti d’Antigone grossissant, il était nécessaire d’annoncer au peuple que son sort était lié à l’héritière légitime du trône d’Alexandre ; par là, le caractère de l’amant et de l’ambitieux sera mieux soutenu et mieux rempli.


scène III.

Ô tonnerres du ciel · · · · ·


Cette fin de vers paraît trop faite pour la rime.

Je n’aime point que ma fureur adore[383].


scène V.

Il me semble que Statira jette un peu trop Olympie à la tête d’Antigone, et que, pour l’exciter à la vengeance, elle perd ce ton de dignité et de fierté qui ennoblit son rôle, et le rend si intéressant ; elle peut faire espérer sa fille à un sujet d’Alexandre, mais sans jamais prendre avec lui le ton de l’égalité[384].


acte IV, scène i.

On ne manquera pas de trouver extraordinaire que Cassandre et Antigone, étant convenus de se battre seuls sans exposer la vie de leurs sujets,

choisissent le temple d’Éphèse pour le théâtre de ce combat singulier.


scène v.

Mais je meurs en t’aimant[385]


Je ne sais s’il ne serait pas mieux, de supprimer cette expression de tendresse, dans un moment où Statira doit être pleine d’indignation et de douleur de l’amour de sa fille pour Cassandre. Du moins ce mot m’a toujours refroidi en lisant cette scène.


acte V.

En général, cet acte est écrit avec moins de force et de chaleur que les autres ; il est vraisemblable qu’à la représentation ce défaut se fait moins sentir qu’à la lecture. Mais il est bien aisé à M. de Voltaire d’y répandre quelques étincelles du feu de son génie, et quelques-uns de ces vers heureux dont cette pièce est remplie.


4963. — À M.  DE LA CHALOTAIS.
Aux Délices, 11 juillet.

Monsieur, je suis presque aveugle, et cependant j’écris ; mais c’est que les passions donnent de la force, et les sentiments que vos bontés m’inspirent sont une passion. Vous confondez les jésuites, et vous instruisez les historiens. Le mémoire que vous avez daigné m’envoyer est très-plausible : si vous étiez procureur général de quelque parlement de mon voisinage, je volerais pour venir vous remercier, quoique je ne sorte plus de ma chaumière ; je viendrais vous prier de guérir les scrupules qui me restent. Si la chose était comme vous le dites, le parlement de Paris, capitale de l’ancienne France, aurait été l’assemblée des états généraux. Pourquoi, dans les états du XIVe siècle, les parlements n’y eurent-ils pas de séance ? pourquoi le banc du roi en Angleterre est-il différent des états nommés parlement ? pourquoi le gouvernement anglais, ayant en tout imité nos usages et les ayant conservés, a-t-il encore ses états généraux, qui sont abolis en France ? pourquoi le procureur général du roi d’Angleterre conclut-il à ce banc royal, et non au parlement de la nation ? Ce qu’on appelle le grand banc en France est encore le grand banc à Londres ; la formule ancienne de vos sessions s’y est conservée, le procureur général n’agit qu’à ce banc. Ce qu’on appelle parlement en France est donc le banc du roi, ainsi que ce qu’on nomme parlement en Angleterre représente nos états généraux.

Pourquoi, le gouvernement goth, tudesque et vandale, ayant été partout le même, serions-nous les seuls chez qui une cour suprême de justice aurait été substituée aux représentants des chefs de la nation ? Les audiences d’Espagne ne sont point las cartes, et n’y ont aucun rapport ; la chambre impériale de Vetzlar, quoique toujours présidée par un prince, n’a aucune analogie avec la dicte de l’Empire.

Aucune cour supérieure ne représente la nation dans aucun pays de l’Europe. Comment la France seule aurait-elle établi ce droit public ? et si elle l’avait établi, comment ne serait-il pas authentique ? Si chaque parlement tient lieu des états généraux pendant la vacance de ces états, il est clair qu’il est à leur place : que devient donc alors le conseil du roi ?

Vous sentez bien que cela est embarrassant. Mettez la main sur la conscience. Au reste, je suis sans intérêt, ne descendant, que je sache, d’aucun Franc qui ait ravagé les Gaules avec Ildovic nommé Clovis, ni d’aucun seigneur qui ait trahi Louis V et Charles de Lorraine ; n’étant d’aucun corps, n’étant ni tonsuré ni maître ès arts ; ayant un pied en France et l’autre en Suisse, et les deux sur le bord de la fosse. Je suis assez de l’avis d’un Anglais qui disait que toutes les origines, tous les droits, tous les établissements, ressemblent au plum-pudding ; le premier n’y mit que de la farine, un second y ajouta des œufs, un troisième du sucre, un quatrième des raisins, et ainsi se forma le plum-pudding.

Voyez ce qu’étaient Lin et Clet, supposé qu’il y ait eu des Clet et des Lin[386] : reconnaîtraient-ils aujourd’hui leurs successeurs ? Le fils de Marie même reconnaîtrait-il sa religion ? Tout dans l’univers est fait de pièces et de morceaux. La société humaine me paraît ressembler à un grand naufrage : Sauve qui peut ! est la devise des pauvres diables comme moi. Pour vous, monsieur, qui avez une belle place dans le vaisseau, c’est tout autre chose. Vous avez jeté Loyola à la mer, et votre vaisseau n’en va que mieux. Il y a une chose dont on doit s’apercevoir à Paris, supposé qu’on réfléchisse : c’est que la vraie éloquence n’est plus qu’en province. Les Comptes rendus en Bretagne et en Provence[387] sont des chefs-d’œuvre ; Paris n’a rien à leur opposer, il s’en faut beaucoup.

Cependant il y a toujours une douzaine de jésuites à la cour ; ils triomphent à Strasbourg, à Nancy ; le pape donne en Bretagne, chez vous, oui, chez vous, des bénéfices quatre mois de l’année ; vos évêques, proh pudor ! s’intitulent évêques par la grâce du Saint-Siège, etc., etc.

Monsieur, vous me remplissez de respect et d’espérance.


4964. — À M.  D’ALEMBERT.
Aux Délices, 12 juillet.

Le nom de Zoïle me pique, mon cher philosophe : il est très-injuste. Je vais au delà des bornes quand je loue Corneille, et en deçà quand je le critique. Je crois d’ailleurs faire un ouvrage très-utile, et que la comparaison des pièces de Shakespeare et Calderon avec Corneille sur des sujets à peu près semblables est un grand éloge de Pierre, et un service à la littérature. Je ne me relâcherai en rien, parce que je suis sûr que j’ai raison : j’en suis sûr, parce que j’ai cinquante ans d’expérience, parce que je me connais au théâtre, parce que je consulte toujours des gens qui s’y connaissent, et qui sont entièrement de mon avis. Est-ce à vous à vouloir des ménagements, et à conseiller la faiblesse ? Que m’importe que le préjugé crie, quand j’ai pour moi la raison ? Je ne songe qu’au vrai et à l’utile. La Bérénice de Corneille est détestable ; je fais imprimer à côté celle de Racine avec des remarques[388].

Attila est au-dessous des pièces de Danchet. Je m’en tiens au holà de Boileau[389]. Je le loue de l’avoir dit, et je ne l’approuve pas de l’avoir imprimé, parce que cela n’en valait pas la peine. Mon cher philosophe, prenez le parti de la vérité, et point de faiblesse humaine.

Sans doute il faut se réjouir que Jean-Jacques ait osé dire ce que tous les honnêtes gens pensent, et ce qu’ils devraient dire tous les jours ; mais ce misérable n’en est que plus coupable d’avoir insulté ses amis, ses bienfaiteurs. Sa conduite fait honte à la philosophie. Ce petit monstre n’écrivit contre vous et contre les spectacles que pour plaire aux prédicants de Genève ; et voilà ces prédicants qui obtiennent qu’on brûle son livre[390], et qu’on décrète l’auteur de prise de corps. Vous m’avouerez que le magot s’est conduit comme un fou. Pour une trentaine de pages qui se trouvent dans un livre inlisible, qui sera oublié dans un mois, je ne vois pas qu’il nous ait fait grand bien. Il s’est borné à dire que les hommes ont pu nous tromper ; et les fripons répondent toujours que Dieu a parlé par la bouche de ces hommes ; et les sots croiront les fripons. Il paraît que le Testament de Jean Meslier[391] fait un plus grand effet : tous ceux qui le lisent demeurent convaincus ; cet homme discute et prouve. Il parle au moment de la mort, au moment où les menteurs disent vrai : voilà le plus fort de tous les arguments. Jean Meslier doit convertir la terre. Pourquoi son évangile est-il en si peu de mains ? Que vous êtes tièdes à Paris ! vous laissez la lumière sous le boisseau[392].

Je ne veux point croire que Palissot ait vingt mille livres de rente ; mais il en a certainement trop ; de pareils exemples découragent. Il ma envoyé sa comédie[393] ; elle est curieuse par la préface et par les notes.

Je suis actuellement occupé d’une tragédie plus importante, d’un pendu, d’un roué, d’une famille ruinée et dispersée, le tout pour la sainte religion. Vous êtes sans doute instruit de l’horrible aventure des Calas à Toulouse. Je vous conjure de crier et de faire crier. Voyez-vous Mme  du Deffant et Mme  de Luxembourg ? Pouvez-vous les animer ? Adieu, mon grand philosophe. Écrasez l’inf…


4965. — MÉMOIRE DE M. DE VOLTAIRE[394]
du 14 juillet 1762.

Lecture faite des lettres de M. Crommelin du 8 juillet, de celle de Mme  Calas du 9 juillet à M. Cathala, et des autres pièces, mon avis est qu’on cherche tous les moyens qui peuvent s’entr’aider sans pouvoir s’entre-nuire. Je pense, comme M. Crommelin, qu’on peut tenter de présenter une requête au roi par Mme  de Pompadour. Cette tentative peut faire un bon effet, et n’en peut faire un mauvais. Si elle ne réussit pas, on sera toujours bien reçu à poursuivre l’affaire en forme. Le grand point est de préparer les esprits, d’avoir des protecteurs et de toucher tous les cœurs en faveur de cette famille infortunée. La publication des lettres de la mère et du fils a produit déjà un prodigieux effet ; j’espère qu’on en fera une édition à Paris, Le libraire Duchêne s’en est chargé ; il faut envoyer chez lui une personne intelligente[395] qui lui dise que le public désire ces pièces, M. Damilaville, premier commis des vingtièmes, quai Saint-Bernard, se charge de son côté de pousser cette édition. Ces pièces ont entièrement convaincu M. de Nicolaï, premier président de la chambre des comptes ; il l’a mandé à M. le docteur Tronchin et à moi, M. d’Auriac, premier président du grand conseil, gendre de monsieur le chancelier, agit de même. Mme  Calas peut les aller remercier l’un et l’autre. Elle peut aussi aller chez M. de Saint-Florentin, quand il donne ses audiences à Paris. Ce ministre est très-bien disposé en sa faveur[396]. Je souhaite qu’elle puisse lui être présentêe par M. Chaban, intendant des postes. M. Chaban demeure avec M. Tronchin, rue Saint-Augustin. Il est surtout important qu’elle puisse se présenter à M. Ménard, premier commis de M. de Saint-Florentin, homme de beaucoup de mérite, qui a un très-grand crédit, et qui la protégera.

Elle peut aller aussi chez M. Héron, premier commis du conseil, rue Taranne, à qui j’ai envoyé des lettres imprimées.

J’attends une réponse de M. le duc de La Vallière pour savoir s’il peut présenter notre malheureuse veuve à Mme  la marquise de Pompadour[397]. Je vais écrire avant de me coucher à M. le duc de Choiseul pour la seconde fois. — Pour épargner à Mme  Calas beaucoup de démarches et d’embarras, je me charge de faire une nouvelle requête où toutes les erreurs minutieuses de la première seront corrigées. M. le duc de La Vallière portera cette requête à Mme  de Pompadour pour la présenter au roi. Cette requête peut toucher Sa Majesté, et je ne serais point du tout étonné que le roi se charge (sic) lui-même d’approfondir l’affaire. Cette démarche n’empêchera point que M. Mariette n’agisse individuellement, et que l’on ne tâche d’obtenir de Toulouse les pièces nécessaires. Mais quel huissier osera porter une sommation au greffier du parlement, si ce parlement a défendu, comme on le dit, la communication des pièces du procès ?

Quoi qu’il arrive, je servirai cette dame de tout mon pouvoir. Je la supplierai de vouloir bien accepter une somme de cent écus pour continuer l’affaire dès qu’elle sera en train. V.

N. B. Elle ne ferait point mal d’aller voir M. Audibert, chez MM. Tourton et Baur, fameux banquiers, vers la place Vendôme.


4966. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
14 juillet.

Mes chers anges, votre vertu courageuse n’abandonnera pas l’innocence opprimée, qui attend tout de votre protection ; vous achèverez ce que vous avez si noblement commencé. Mais, avant de mettre la chose en règle, il est d’une nécessité absolue d’avoir des réponses positives à la colonne des questions que je prends la liberté de vous envoyer. Je vous conjure de vouloir bien envoyer chercher la veuve Calas ; elle demeure chez MM. Dufour et Mallet, rue Montmartre.

Le fils de l’avocat Lavaysse est caché à Paris. Son malheureux père, qui craint de se compromettre avec le parlement de Toulouse, tremble que son fils n’éclate contre ce même parlement. Joignez à toutes vos bontés celle d’encourager ce jeune homme contre une crainte si infâme. Donnez-vous du moins la satisfaction de le faire venir chez vous. Daignez l’interroger ; ce sera une conviction de plus que vous aurez de l’abomination toulousaine. Daignez faire écrire tout ce que la veuve Calas et Lavaysse vous auront répondu ; faites-nous-en part, je vous en supplie.

Tous ceux qui prennent part à cette affaire espèrent qu’enfin on rendra justice. Vous savez sans doute que M. de Saint-Florentin a écrit à Toulouse, et est très-bien disposé. Monsieur le chancelier est déjà instruit par M. de Nicolaï et par M. d’Auriac. S’il y a autant de fermeté que de bienveillance, tout ira bien. Mme  de Pompadour parlera. Nous comptons, grâce à vos bontés, sur la vertu éclairée de M. le comte de Choiseul.

Je sens bien, après tout, que nous n’obtiendrons qu’une pitié impuissante, si nous n’avons pas la plus grande faveur ; mais du moins la mémoire de Galas sera rétablie dans l’esprit du public, et c’est la vraie réhabilitation ; le public condamnera les juges, et un arrêt du public vaut un arrêt du conseil.

Mes anges, je n’abandonnerai cette affaire qu’en mourant. J’ai vu et j’ai essuyé des injustices pendant soixante années ; je veux me donner le plaisir de confondre celle-ci. J’abandonnerai jusqu’à Cassandre, pourvu que je vienne à bout de mes pauvres roués. Je ne connais point de pièce plus intéressante. Au nom de Dieu, faites réussir la tragédie de Calas, malgré la cabale des dévots et des Gascons. Je baise plus que jamais le bout des ailes de mes anges.

N. B. Mme  Calas sait où demeure Lavaysse ; vous pourrez le faire triompher de sa timidité.


4967. — À M. PALISSOT.
Aux Délices, 16 juillet.

Je vous dois beaucoup de remerciements, monsieur, de la bonté que vous avez eue de m’envoyer votre dernière pièce. Vous savez que votre style me plaît beaucoup ; il est coulant, pur, facile ; il ne court point après les saillies et les expressions bizarres, et c’est un très-grand mérite dans ce siècle. J’aurais peut-être désiré que vous n’eussiez point choisi un sujet si semblable à celui des Ménechmes[398], et qui n’en a pas le comique. Peut-être même, si vous vous étiez donné le temps de vous refroidir sur votre ouvrage, vous auriez supprimé quelques notes qui peuvent vous faire des ennemis. J’ai toujours été affligé que vous ayez attaqué mes chers philosophes, d’autant plus que vous prîtes le temps où ils étaient persécutés ; j’avoue que j’ai pris les mêmes libertés, mais c’est avec des persécuteurs, avec des ennemis de

la littérature, avec des tyrans. Les gens de lettres devraient sans doute être unis : ils pensent tous au fond de la même façon. Pourquoi déchirer ses frères, tandis que les persécuteurs les fouettent ? Cela me chagrine dans ma retraite, où je ne voulais que rire. Comptez toujours, monsieur, sur les sentiments, etc.

4968. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
17 juillet.

Mes divins anges, vous voyez que la tragédie de Calas m’occupe toujours. Daignez faire réussir cette pièce, et je vous promets des tragédies pour le tripot. Permettez-vous que je vous adresse ce petit paquet pour l’abbé du grand conseil ?

Avez-vous daigné lire la préface et les notes de ce M. Palissot[399] ? Mais comment M. le duc de Choiseul a-t-il pu protéger cela, et faire le pacte de famille ? Hélas ! le cardinal de Richelieu protégeait Scudéri ; mais Scudéri valait mieux.

Je n’ai point assez remercié Mme  d’Argental, qui a eu la bonté d’ordonner un petit bateau[400] pour Tronchin.

Je baise plus que jamais le bout des ailes de mes anges.

Élie de Beaumont ne pourrait-il pas soulever le corps ou l’ordre des avocats en faveur de mon roué ? Je crois que ce Beaumont-là[401] vaut mieux que le Beaumont votre archevêque. Cet archevêque et ses billets de confession m’occupent à présent ; je rapporte son procès[402]. Ces temps-là sont aussi absurdes que ceux de la Fronde, et bien plus plats. Mes contemporains n’ont qu’à se bien tenir.


4969. — À M.  DAMILAVILLE[403].
18 juillet.

Est-il bien vrai que l’archevêque de Paris ait puni le curé de Saint-Jean-de-Latran[404] d’avoir prié Dieu pour les trépassés ? Il ne se contente donc pas d’avoir persécuté les mourants, il en veut encore aux morts ! Mais il paraît qu’il se brouille toujours avec les vivants. Au reste, qu’on ait mis ou non le curé de Saint-Jean-de-Latran au séminaire, en tout cas voici ce qu’un tolérant écrit sur cette matière :

« Il paraît bien injuste de refuser des De profundis à Crébillon, tandis que toutes ses pièces en méritent, hors Rhadamiste ; et l’on ne voit pas en quoi a péché ce pauvre curé quand il a fait un service pour l’âme poétique de M. de Crébillon. En effet, quoique cet auteur ait traité le sujet d’Atrée, il était chrétien, et son Rhadamiste durera peut-être aussi longtemps que les mandements de monsieur l’archevêque. Si le curé a été suspendu pour avoir fait ce service aux dépens des comédiens du roi, le service n’est-il pas toujours fort bon ? et l’argent des comédiens n’a-t-il pas de cours ? Il faudrait donc excommunier monsieur l’archevêque pour recevoir tous les ans environ trois cent mille livres que lui fournissent les spectacles de Paris, et qui sont le plus fort revenu de l’Hôtel-Dieu.

« L’abbé Grizel, qui sait ce que vaut l’argent, et à quoi il faut l’employer, vous dira que le prélat risque beaucoup : car, si les comédiens fermaient leurs spectacles, l’Église serait privée d’un secours considérable. Il est vrai qu’on peut persuader aux comédiens de continuer toujours à jouer, malgré la persécution, parce que la crainte d’une excommunication injuste ne doit empêcher personne de faire son devoir[405] ; mais cette proposition ayant été condamnée par les frères jésuites et par le pape, il se pourrait bien faire qu’on manquât de spectacles à Paris, dans la crainte d’être excommunié par monsieur l’archevêque.

« Si un Turc vient en cette ville, comme en effet un fils[406] circoncis de M. le bacha de Bonneval y viendra dans quelque temps ; s’il fait célébrer un service pour l’âme de quelque chrétien de sa maison, son argent sera reçu sans difficulté ; et tandis qu’il criera Allah ! Allah ! on chantera des De profundis. « Pourquoi traiter des comédiens plus mal que les Turcs ? Ils sont baptisés ; ils n’ont point renoncé à leur baptême. Leur sort est bien à plaindre. Ils sont gagés par le roi et excommuniés par les curés. Le roi leur ordonne de jouer tous les jours, et le rituel de Paris le leur défend. S’ils ne jouent pas, on les met en prison ; s’ils font leur devoir, on les jette à la voirie. Ils sont défendus dans l’ordre des lois, dans l’ordre des mœurs, dans l’ordre des raisonnements, par maître Huerne, de l’ordre des avocats ; et ils sont condamnés par l’avocat Le Dain. On les traite chrétiennement pendant leur vie et après leur mort en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne, tandis qu’à Paris, où ils réussissent le mieux, on cherche à les couvrir d’opprobre. Tout le monde veut entrer pour rien chez eux, et on leur ferme la porte du paradis ; on se fait un plaisir de vivre avec eux, et on ne veut pas y être enterré ; nous les admettons à nos tables, et nous leur fermons nos cimetières. Il faut avouer que nous sommes des gens bien raisonnables et bien conséquents. »

Mon cher frère, vous nous faites espérer qu’on pourra enfin demander justice pour les Calas. Il est plaisant qu’il faille s’adresser à l’abbé de Chauvelin pour imprimer en sûreté une lettre de Donat Calas. Votre zèle et votre prudence n’ont rien négligé. Nous vous avons, mon cher frère, plus d’obligation qu’à personne.

Est-il possible qu’il soit si aisé d’être roué, et si difficile d’obtenir la permission de s’en plaindre !


4970 — À M.  LE CARDINAL DE BERNIS.
Aux Délices, le 19 juillet.

Ce n’est pas sans raison, monseigneur, et non sine numine Divum[407], que l’effigie de ma maigre physionomie est au Louvre, précisément au-dessous de votre rond et resplendissant et très-aimable visage ; c’est, comme disent les docteurs, un vrai type. Cela signifie que mon âme reçoit d’en haut les rayons de la vôtre. Vous avez bien voulu m’illuminer plus d’une fois sur mon œuvre des six jours ; vous ne vous êtes point rebuté. Comptez que je sens le prix de vos bontés comme celui de votre esprit et de votre goût. Que Votre Éminence a bien raison de dire[408] que Statira ne parle pas à Antigone d’une manière assez imposante ! J’ai changé sur-le-champ la chose ainsi :


La majesté peut-être, ou l’orgueil de mon trône,
N’avait pas destiné, dans mes premiers projets,
La fille d’Alexandre à l’un de mes sujets :
Mais vous la méritez en voulant la défendre ;
C’est vous qu’en expirant désignait Alexandre ;
Il nomma le plus digne, et vous le devenez :
Son trône est votre bien quand vous le soutenez.
Allez, et que des dieux la faveur vous seconde,
Que la vertu vous guide à l’empire du monde ;
Combattez, et régnez, etc.

(Acte III, scène v.)

Je profiterai de toutes vos remarques. Il faut tâcher de bien faire ce qu’on fait, fût-ce un bout-rimé ou une antienne. Recevez, avec mes tendres remerciements, les témoignages de ma juste sensibilité pour tout ce qui touche Votre Éminence. Vous essuyez donc encore des pertes particulières dans des malheurs publics, et votre courage est à toutes les épreuves :


Durate, et vosmet rebus servate secundis.

(Virg.,. Æn., lib. I, v. 267.)

Je suis bien édifié de votre goût pour les potagers ; je ne savais point que vous fussiez frugivore, je vous croyais seulement virum frugi. Je vous parlais de votre belle mine rebondie ; elle est heureuse, et vous serez heureux. Ne serez-vous pas riche comme un puits, quand vous aurez nettoyé vos dettes ? ne serez-vous pas le plus aimable du sacré collège ? ne vivrez-vous pas comme il vous plaira ? ne ferez-vous pas le charme de la société ? On dit que vous voulez être archevêque : à la bonne heure ; mais ce n’est qu’une gêne ; un cardinal n’a pas besoin d’une charge d’âmes, et c’est une triste charge. Je vous voudrais à Paris, à la tête du bon goût et de la bonne compagnie, avec cent mille écus de rente ; mais on dit que ce n’est pas assez pour le cœur humain, et qu’il faut autre chose ; je m’en rapporte…

Je suis enfoncé dans l’histoire du temps présent ; je suis émerveillé de nos sottises. Quelles misères !

Tendre attachement, profond respect.

4971. — DE M.  AUDIBERT[409].
réponse aux deux lettres de voltaire,
du 30 juin et du 9 juillet 1762[410].
Paris, le 20 juillet 1762.

Monsieur, ce n’est que depuis hier matin que je suis parvenu à l’entière consommation de l’affaire dont vous m’avez fait la grâce de me charger. Vous trouverez ci-inclus les pièces suivantes, qui vous instruiront de tout ce qui y a rapport : 1o  l’expédition de la quittance que j’ai signée dans les registres du notaire Mathis, en vertu de votre procuration en blanc, que j’ai remplie en mon nom ; 2o  le bordereau raisonné de toutes les sommes reçues et de tous les frais pavés, montant, toute déduction faite, à 43,237 l. 18 s. 8 d., que je vous remets ci-joint en une lettre de change a votre ordre, payable à douze jours de date, sur MM. Gabriel Lullin et Rilliet de Genève ; de 7,696 l. 9 s. 5 d. argent courant faisant par appoint au change de 172 cette même somme ; vous aurez soin d’en procurer le payement et de m’accuser la réception et le bien-être de toutes ces pièces, en y joignant une quittance que vous aurez la bonté de m’envoyer pour mon entière décharge. Cette remise m’a paru la plus sûre et la plus avantageuse pour vous faire tenir promplement vos fonds.

Vous observerez, monsieur, que j’ai exigé en entier et sans aucune remise la somme qui vous était due ; cela m’a paru d’autant plus juste qu’elle vous était retenue depuis assez longtemps sans intérêt, et que j’ai présumé de votre silence que la demande de M. de Saint-Tropez vous paraissait déplacée.

M. le marquis de Saint-Tropez, qui se trouve à présent en Bretagne, a consenti à me faire passer dorénavant à Marseille la rente viagère de 540 liv., que j’aurai soin de vous faire tenir exactement à Genève. Puissiez-vous la recevoir aussi longtemps que je le désire. Et pour combler les vœux de toute la nation, que ne vous est-il aussi facile d’éterniser votre vie comme d’immortaliser votre nom !

J’ai lu, monsieur, les lettres de la veuve Calas et de son fils ; j’y ai reconnu cette touchante humanité, cet esprit de philosophie et de tolérance que l’on admire dans vos procédés, vos discours et vos écrits. Il est impossible de lire ces lettres sans être vivement ému, sans prendre partie contre les juges, et sans se pénétrer des mêmes sentiments qui vous animent. Rien n’est plus propre à exciter l’attention publique sur cette malheureuse affaire, oubliée et presque ignorée à Paris et à la cour, que de répandre un grand nombre de ces Pièces originales ; il en naîtra une fermentation dans les esprits qui peut produire d’heureux effets. Il est fâcheux que ceux des sujets du roi qui, par leur religion, auraient un intérêt pressant et personnel de lever la voix contre un jugement si atroce, soient forcés par ménagement de rester dans le silence pour ne pas compromettre leur état.

J’ai voulu connaître et voir de près cette femme si digne de pitié, je n’ai pu que gémir avec elle ; elle est continuellement accablée par les souvenirs cruels qui la déchirent. Son mari, à qui elle était unie depuis trente ans, expirant dans un affreux supplice ; son fils aîné se donnant une mort qui le couvre d’ignominie ; ses deux autres fils errants ; ses deux filles enfermées de force dans des couvents ; toute sa famille dispersée ; tous ses biens en séquestre ; son honneur attaqué ; les horreurs de la prison, enfin tous les malheurs possibles rassemblés sur elle, la plongent dans un abattement dont rien au monde ne peut la faire sortir. Elle demande la mort ou la réparation qui lui est due.

Voici les deux particularités les plus intéressantes que j’ai pu recueillir de ce premier entretien :

1° Dans la recherche des motifs secrets qui peuvent avoir déterminé Calas fils à se tuer, sa mère n’en présume pas d’autre que celui d’une ambition mécontente. Il était d’un caractère indépendant, mélancolique ; ses goûts et ses talents le portaient à la méditation et à l’étude. Il s’était distingué dans des examens. Il avait pris le grade de bachelier. On ne voulut pas le recevoir avocat à cause de sa religion ; ce fut pour lui une grande mortification. Il voyait avec envie des amis, plus riches et moins habiles que lui, posséder des charges ou remplir des emplois dont il avait la douleur de se voir exclu.

2° Ce ne fut que quatre jours après l’exécution de Calas que des prêtres l’annoncèrent à sa pauvre veuve, et depuis cet instant ils la tourmentèrent pendant onze jours de suite pour la préparer à la mort et la forcer à changer de religion, dans l’espoir d’obtenir sa grâce. Les conséquences de ce fait sont aisées à déduire.

On prévoit bien des difficultés pour obtenir la communication des pièces ; il est cependant essentiel de ne point la regarder comme impossible, et de la poursuivre comme absolument nécessaire ; c’est déjà beaucoup que d’avoir préparé les personnes qui ont de l’autorité à ne point s’opposer aux démarches qu’on fait en faveur de ces opprimés.

Pour attaquer directement les preuves de la procédure, il serait important de se procurer le rapport du chirurgien sur le corps du délit ; cette pièce n’est point secrète, et elle doit être répréhensible en plusieurs points.

Je n’ai pu parler encore au jeune Lavaysse ; il a changé de nom et on le tient caché ; j’ai insisté fortement pour qu’il fît cause commune avec la veuve, leurs sollicitations en auraient plus de force. Leur conseil est composé de gens éclairés, remplis de zèle et dignes du choix que vous avez fait d’eux. Les protections puissantes que vous procurez chaque jour à ces infortunés achèveront, sans doute, un ouvrage qu’il vous est si glorieux d’avoir entrepris. Mais quand même les hommes qui sont ou trompeurs ou trompés refuseraient de les croire innocents, il est bien consolant pour eux qu’un aussi grand homme ait pris leur défense. Bientôt la réparation qui leur serait accordée passerait avec le bruit du crime qu’on a osé leur imputer ; mais leur malheur, immortalisé par votre nom, s’il ne touche pas leurs contemporains, sera du moins plaint par la postérité.

Je ne sais quelle main bienfaisante soutient cette pauvre veuve ; on m’a assuré qu’elle ne souffrait d’aucun besoin, elle-même me l’a confirmé. Je lui ai offert mes secours et ceux de plusieurs amis dans diverses villes du royaume dont je connais les intentions. Je la presserai davantage de les accepter lorsque je serai mieux en état de juger de ce qui pourrait lui manquer. Il me sera bien doux de lui rendre tous les services qui seront en mon pouvoir, et d’y faire concourir tous ceux qui, en admirant vos bontés et vos généreux soins pour cette famille infortunée, s’honoreront de pouvoir imiter tant de vertus.

Je suis avec le plus profond respect, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur. A.


Paris, ce 20 juillet 1762.

J’ai eu occasion de faire remettre à M. le comte de Choiseul un exemplaire des Lettres originales par une personne qu’il honore de sa confiance, et qui s’est chargée d’obtenir sa protection en faveur de la pauvre veuve.


4972. — À M.  DE LA CHALOTAIS.
Aux Délices, le 21 juillet.

Je crois, monsieur, que c’est à vos bontés que je dois la réception de votre nouveau chef-d’œuvre[411]. Tous les deux sont d’autant plus forts qu’ils sont ou paraissent être plus modérés. Les jésuites diront : Hæc est ærugo mera[412]. Tous les bons Français vous doivent des remerciements de ces mots : En un mot, des maximes ultramondaines.

Ces deux ouvrages sont la voix de la patrie, qui s’explique par l’organe de l’éloquence et de l’érudition. Vous avez jeté des germes qui produiront un jour plus qu’on ne pense. Et quand la France n’aura plus un maître italien qu’il faut payer, elle dira : C’est à M. de La Chalotais que nous en sommes redevables.

Vous m’avez donné tant d’enthousiasme, monsieur, que je m’emporte jusqu’à prendre la liberté de recommander à votre justice l’affaire de M. Cathala, négociant à Genève. Il implore le parlement pour être payé d’une dette. C’est un très-honnête homme, très-exact, incapable de redemander ce qui ne lui est pas dû. Je sais bien qu’en qualité d’huguenot, il sera damné ; mais, en attendant, il faut qu’il ait son argent en ce monde.

Pardonnez-moi, monsieur, la démarche que je fais auprès de vous. Je sais qu’il est très-inutile de vous solliciter, mais je n’ai pu m’empêcher de vous dire combien j’estime la probité de mon huguenot. Je ne suis point suspect de favoriser les mécréants, puisque je viens de faire bâtir une église.

Je n’ai point d’expressions pour vous dire avec quel respect j’ai l’honneur d’être, etc.


4973. — À M.  LE PRÉSIDENT DE RUFFEY[413].
21 juillet 1762, aux Délices.

J’ai l’honneur de vous renvoyer, monsieur, votre numéro seize. Tout ce que j’ai lu sur cette affaire achève de me prouver que toutes nos lois ont, comme Janus, deux visages, ou plutôt que nous n’avons point de lois, et qu’aucun État en France n’a de bornes reconnues.

Le numéro seize m’a fait bâiller ; mais je crois que les pièces que je vous envoie vous feront pleurer et frémir. Vous verrez combien l’esprit de fanatisme est plus funeste que l’esprit de corps. Cette affaire[414] commence à faire à la cour le bruit qu’elle mérite, et peut-être ne fera-t-elle que du bruit.

Encore une fois, plus je vois tout ce qui se passe dans le monde, et plus j’aime ma retraite. Il est vrai que Jean-Jacques, brûlé à Genève, et banni de Berne, est retiré dans une vallée inconnue de Neuchâtel ; mais je doute que ses paradoxes et ses contradictions politiques plaisent au roi de Prusse. Ce petit bonhomme a voulu être singulier, et ne sera jamais que singulier. On dit qu’un jour le chien de Diogène rencontra la chienne d’Érostrate et lui fit des petits dont Jean-Jacques est descendu. Adieu, monsieur, les tracasseries de votre parlement finiront, parce qu’il faut que tout finisse. Je vous embrasse tendrement.


4974. — À M.  DE CIDEVILLE.
Aux Délices, le 21 juillet.

Mon cher et ancien ami, nous oublions donc tous deux ce monde frivole et méchant, à cent cinquante lieues l’un de l’autre. Il vaudrait mieux l’oublier ensemble ; mais la destinée a arrangé les choses autrement. Cette destinée, qui m’a fait tantôt goguenard, tantôt sérieux, qui m’a rendu maçon et laboureur, me force à présent de soutenir un roué contre un parlement. Le fils du roué m’avait fait verser des larmes ; je me suis trouvé enchaîné insensiblement à cette épouvantable affaire, qui commence à émouvoir tout Paris. Nous ne réussirons peut-être qu’à faire redire :


Tantum relligio potuit suadere malorum !

(Lucrèce, liv. I, v. 102.)


mais il est important qu’on le redise souvent, et que les hommes puissent apprendre enfin que la religion ne doit pas faire des tigres.

Jean-Jacques, qui a écrit à la fois contre les prêtres et contre les philosophes, a été brûlé à Genève dans la personne de son plat Émile, et banni du canton de Berne, où il s’était réfugié. Il est à présent entre deux rochers, dans le pays de Neuchâtel, croyant toujours avoir raison, et regardant les humains en pitié. Je crois que la chienne d’Érostrate, ayant rencontré le chien de Diogène, fit des petits dont Jean-Jacques est descendu en droite ligne.

Pour moi, je crois que je suis devenu dévot. J’ai dans certaine tragédie de Cassandre un grand prêtre qui est aussi modéré que Joad est brutal et fanatique ; j’ai une veuve d’Alexandre religieuse dans un couvent ; les initiés s’y confessent et communient. Je veux que vous assistiez à cette œuvre pie, quand vous serez à Paris. Jouissez, en attendant, des agréments de la campagne ; cultivez votre aimable esprit, et souvenez-vous que vous avez au pied des Alpes des amis qui vous chérissent tendrement. V.


4975. — À M.  LE CARDINAL DE BERNIS.
Aux Délices, le 21 juillet.

Lisez cela[415], monseigneur, je vous en conjure, et voyez s’il est possible que les Calas soient coupables. L’affaire commence à étonner et à attendrir Paris, et peut-être s’en tiendra-t-on là. Il y a d’horribles malheurs qu’on plaint un moment, et qu’on oublie ensuite. Cette aventure s’est passée dans votre province ; Votre Éminence s’y intéressera plus qu’un autre. Je peux vous répondre que tous les faits sont vrais ; leur singularité mérite d’être mise sous vos yeux.

Cette tragédie ne m’empêche pas de faire à Cassandre toutes les corrections que vous m’avez bien voulu indiquer : malheur à qui ne se corrige pas, soi et ses œuvres ! En relisant une tragédie de Mariamne[416], que j’avais faite il y a quelque quarante ans, je l’ai trouvée plate et le sujet beau ; je l’ai entièrement changée ; il faut se corriger, eût-on quatre-vingts ans. Je n’aime point les vieillards qui disent : J’ai pris mon pli. — Eh ! vieux fou, prends-en un autre ; rabote tes vers, si tu en as fait, et ton humeur, si tu en as. Combattons contre nous-mêmes jusqu’au dernier moment ; chaque victoire est douce. Que vous êtes heureux, monseigneur ! vous êtes encore jeune, et vous n’avez point à combattre.


Natales grate numeras, ignoscis amicis.

(Hor., lib., II, ép. ii, v. 210.)

E per fine baccio il lembo della sua sacra porpora.


4976. — À M.  PINTO[417],
juif portugais, à paris.
Aux Délices, 21 juillet.

Les lignes dont vous vous plaignez, monsieur, sont violentes et injustes. Il y a parmi vous des hommes très-instruits et très-respectables ; votre lettre m’en convainc assez. J’aurai soin de faire un carton dans la nouvelle édition[418]. Quand on a un tort, il faut le réparer ; et j’ai eu tort d’attribuer à toute une nation les vices de plusieurs particuliers.

Je vous dirai, avec la même franchise, que bien des gens ne peuvent souffrir ni vos lois, ni vos livres, ni vos superstitions. Ils disent que votre nation s’est fait de tout temps beaucoup de mal à elle-même, et en a fait au genre humain. Si vous êtes philosophe, comme vous paraissez l’être, vous pensez comme ces messieurs, mais vous ne le direz pas. La superstition est le plus abominable fléau de la terre ; c’est elle qui, de tous les temps, a fait égorger tant de juifs et tant de chrétiens ; c’est elle qui vous envoie encore au bûcher chez des peuples d’ailleurs estimables. Il y a des aspects sous lesquels la nature humaine est la nature infernale. On sécherait d’horreur si on la regardait toujours par ces côtés ; mais les honnêtes gens, en passant par la Grève, où l’on roue, ordonnent à leur cocher d’aller vite, et vont se distraire à l’Opéra du spectacle affreux qu’ils ont vu sur leur chemin.

Je pourrais disputer avec vous sur les sciences que vous attribuez aux anciens Juifs, et vous montrer qu’ils n’en savaient pas plus que les Français du temps de Chilpéric ; je pourrais vous faire convenir que le jargon d’une petite province, mêlé de chaldéen, de phénicien, et d’arabe, était une langue aussi indigente et aussi rude que notre ancien gaulois ; mais je vous fâcherais peut-être, et vous me paraissez trop galant homme pour que je veuille vous déplaire. Restez juif, puisque vous l’êtes ; vous n’égorgerez point quarante-deux mille hommes pour n’avoir pas bien prononcé shiboleth[419], ni vingt-quatre mille pour avoir couché avec des Madianites[420] ; mais soyez philosophe, c’est tout ce que je peux vous souhaiter de mieux dans cette courte vie.

J’ai l’honneur d’être, monsieur, avec tous les sentiments qui vous sont dus, votre très-humble, etc.

Voltaire , chrétien,
et gentilhomme ordinaire de la chambre du roi très-chrétien.

4977. — À M.  LE DOCTEUR TRONCHIN[421].
1762.

Voici, mon cher grand homme, le mémoire tel qu’il est fait pour les catholiques[422]. Nous nous faisons tout à tous avec l’apôtre. Il m’a paru qu’un protestant ne devait pas désavouer sa religion, mais qu’il devait en parler avec modestie et commencer par désarmer, s’il est possible, les préjugés qu’on a en France contre le calvinisme, et qui pourraient faire un très-grand tort à l’affaire des Calas. Comptez qu’il y a des gens capables de dire : Qu’importe qu’on ait roué ou non un calviniste ? C’est toujours un ennemi de moins dans l’État.

Soyez très-sûr que c’est ainsi que pensent plusieurs honnêtes ecclésiastiques. Il faut donc prévenir leurs cris par une exposition modeste de ce que la religion protestante peut avoir de plus raisonnable. Il faut que cette petite profession honnête et serrée laisse aux convertisseurs une espérance de succès. La chose était délicate ; mais je crois avoir observé les nuances. Nous avons une viande plus crue pour les étrangers. Ce mémoire est pour la France, et il est au bain-marie. Je crois que je serai obligé de mettre en marge, à la main, la déposition qui fait parler Calas après être étranglé, comme dans le Maure de Venise.

Je vous prie de considérer que Pierre Calas, à la fin de sa déclaration, insiste sur la raison qui doit déterminer le conseil à se faire représenter les pièces. Cette raison n’est pas l’intérêt de Pierre Calas, ni la mémoire de Jean Calas, dont le conseil se soucie fort peu ; c’est le bien public, c’est le genre humain que le conseil doit avoir en vue, et c’est surtout la dernière idée qui doit rester dans l’âme du lecteur.

Je doute fort que je puisse venir chez vous de bonne heure ; faites-moi savoir, je vous prie, par le porteur, jusqu’à quelle heure vous garderez la maison.

4978. — À M.  DE LA MOTTE-GEFRARD.
Aux Délices, le 25 juillet.

Vous m’avez envoyé un trésor, monsieur, j’en ferai bientôt usage ; il y a des mots de Henri IV qui pénètrent l’âme. Il y a des anecdotes curieuses, mais les paroles de ce grand roi sont plus curieuses encore. Il aimerait mieux, dit-il, être turc que catholique[423]. Mais dans quel temps s’exprime-t-il ainsi ? C’est lorsque les prédicateurs canonisaient en chaire l’empoisonneur du prince de Condé, et qu’ils excitaient les bons catholiques à empoisonner ou à assassiner le grand Henri. Dieu préserve son successeur des billets de confession, et des Damiens, et de la guerre avec les Anglais ! Je vous souhaite, monsieur, l’avancement que vous méritez ; et au roi, beaucoup d’officiers qui pensent comme vous.

Recevez les très-humbles et très-respectueux remerciements de votre obligé serviteur.


4979. — À M.  CATHALA,
pour madame calas[424].
26 juillet 1762.

M. Héron, premier commis du grand conseil, me mande qu’il est très-instruit de l’horrible arrêt de Toulouse. Il est d’avis qu’on porte à M. de Saint-Florentin la requête au roi signée de la veuve Calas, afin que l’affaire soit portée au conseil des dépêches. J’avais toujours été de cet avis ; cette voie m’a paru, comme à M. Héron, la plus sûre et la plus prompte. Je crois que Mme  Calas ou quelqu’un de ses amis bien instruits doit aller sur-le-champ chez M. Héron lui parler avec l’attendrissement le plus touchant et la plus entière confiance. C’est l’homme du monde le plus capable de donner les meilleurs conseils et de rendre les plus grands services. Il demeure rue Taranne, faubourg Saint-Germain.

J’insiste toujours pour que cette affaire, qui doit intéresser le genre humain, soit suivie avec une chaleur que rien ne ralentisse.

Je suis d’avis qu’on fasse venir, de Toulouse, une attestation du chirurgien qui soit favorable. Il sera aisé de l’avoir, et ce sera une pièce sur laquelle on pourra commencer le procès.

Depuis cette lettre écrite, j’ai vu celle de M. Lavaysse père et les lettres de Mme  Calas, du 21 juillet.

Je conjure cette veuve infortunée de ne pas se désespérer, et je supplie tous ses amis de ne se pas effrayer des lenteurs inévitables dans une telle affaire.

Si M. Mariette est occupé d’autres procès, M. d’Argental pourra choisir un autre avocat au conseil.

Mme  la marquise de Pompadour est très-touchée, et on en verra les effets avant qu’il soit un mois. L’Europe entière aura le jugement et les juges en horreur, et cet arrêt de tout le public vaut bien un arrêt du conseil. Il faudra bien que le conseil rende enfin justice quand le public l’aura rendue.

Encore une fois, qu’on voie M. Chaban et M. Héron.


4980. — À M.  DAMILAVILLE.
26 juillet.

Je suis actuellement si occupé de l’affaire épouvantable des Calas que je suis bien loin de penser à Mathurin et à Colette[425] ; je m’intéresse plus à cette tragédie qu’à toutes les comédies du monde.

Les comédiens de Saint-Sulpice, et le chef de troupe[426] qui a défendu la pièce aux cordeliers, ont-ils prétendu envelopper le sieur Crébillon dans l’anathème ? En ce cas, voilà tous les auteurs dramatiques obligés en conscience de se déclarer contre leurs ennemis. Mais l’horreur de Toulouse m’occupe plus que l’impertinence sulpicienne. Je vous demande en grâce de faire imprimer les Pièces originales[427]. M. Diderot peut aisément engager quelque libraire à faire cette bonne œuvre. Il nous paraît que ces pièces nous ont déjà attiré quelques partisans. Que votre bon cœur, mon cher frère, rende ce service à la famille la plus infortunée ! Voilà la véritable philosophie, et non pas celle de Jean-Jacques. Ce pauvre chien de Diogène n’a pu trouver de loge dans le pays de Berne ; il s’est retiré dans celui de Neuchâtel : c’était bien la peine d’aboyer contre les philosophes et contre les spectacles.

Palissot m’a envoyé une étrange pièce[428], avec sa préface et ses notes plus étranges. Cette pièce est imprimée aussi mal qu’elle le mérite. J’espère que l’Éloge de Crèbillon le sera mieux[429].

J’ai reçu le troisième tome, que vous avez eu la bonté de m’envoyer, des Remarques du petit Racine sur le grand Racine, et je me suis aperçu que c’est un ouvrage différent de celui que j’ai. Je vois qu’il y a trois tomes de ce dernier ouvrage, et que le troisième est intitulé Traité de la Poésie dramatique ancienne et moderne. Il me manque les deux premiers. Voulez-vous avoir la bonté de me les faire tenir ? Ils pourront m’être utiles pour les Commentaires de Corneille.

Frère Thieriot vous embrasse. Je finis toutes mes lettres par dire : Écr. l’inf…, comme Caton disait toujours : Tel est mon avis, et qu’on ruine Carthage[430].


4981. — À M.  AUDIBERT[431].
chez mm. tourton et baur, banquiers à paris.
Aux Délices, 26 juillet.

Je n’ai que le temps de vous remercier, monsieur, de toutes vos bontés ; je ne sais comment les reconnaître. Je vois que vous n’avez pas voulu faire à M. de Saint-Tropez la remise dont je vous avais fait l’arbitre. Vous voulez apparemment que cet argent serve pour les pauvres Calas, et vous avez raison. Je ne conçois pas comment on n’a point encore imprimé à Paris les lettres de la mère et du fils, qui montrent la vérité dans tout son jour[432]. Je me flatte qu’à la fin on permettra qu’elles soient publiées. Je passe les jours et les nuits à écrire à tous ceux qui peuvent se servir de leur crédit pour obtenir une justice qui intéresse le genre humain, et qui me parait nécessaire à l’honneur de la France.

Nous avons ici Pierre Calas ; je l’ai interrogé pendant quatre heures ; je frémis et je pleure ; mais il faut agir.

Je vous embrasse tendrement. Votre très-humble obéissant serviteur.


4982. — DU CARDINAL DE BERNIS.
À Vic-sur-Aisne, le 26 juillet.

Vous ferez de moi la mouche du coche ; vous voulez bien déférer à mes conseils, et vous me prouvez qu’ils sont bons, par les corrections heureuses que vous faites. Le nouveau langage de Statira met dans son rôle toute la dignité et la convenance nécessaires ; d’ailleurs les vers sont beaux, et s’imprimeront aisément dans la mémoire du lecteur et du spectateur ; en un mot, vous êtes admirable par la grandeur du talent et la facilité du génie. Mais ce que j’aime encore mieux, vous êtes aimable, et je suis tout glorieux d’être votre confrère, et le confident de vos ouvrages. Qui est-ce qui vous a dit que je voulais être archevêque ? Mes amis du clergé le désirent ; en général on pense que cela serait convenable : pour moi, je n’aspire qu’à me bien porter et à vivre avec mes amis. Depuis que j’ai pris le cuisinier de Pythagore, ma santé se rétablit, et ce visage rond dont vous parlez reprend son coloris naturel. À l’égard de Paris, je ne désire d’y habiter que lorsque la conversation y sera meilleure, moins passionnée, moins politique. Vous avez vu, de notre temps, que toutes les femmes avaient leur bel esprit, ensuite leur géomètre, puis leur abbé Nollet ; aujourd’hui, on prétend qu’elles ont toutes leur homme d’État, leur politique, leur agriculteur, leur duc de Sully. Vous sentez combien tout cela est ennuyeux et inutile : ainsi, j’attends sans impatience que la bonne compagnie reprenne ses anciens droits, car je me trouverais fort déplacé au milieu de tous ces petits Machiavels modernes. À l’égard de mes revenus, n’en croyez pas à l’Almanach royal, lequel, dans le passage de 1758 à 1759, augmenta mes revenus de quarante mille francs. Mes dettes payées, j’aurai quatre-vingt mille livres de rente : c’est beaucoup pour un cadet de Languedoc ; ce n’est pas trop pour un cardinal, qui est obligé d’avoir un état. Voilà la vérité exacte. Au reste je suis content et fort heureux quand je me porte bien, et que je reçois vos jolies lettres ; elles me consolent des malheurs et des platitudes. Adieu, mon cher confrère ; vous sentez bien qu’il est impossible que je me défende de vous aimer de tout mon cœur.


4983. — DE CHARLES-THÉODORE,
électeur palatin.
Schwetzingen, ce 28 juillet.

Je ne puis vous exprimer combien votre famille d’Alexandre m’a fait plaisir, monsieur ; j’aurais voulu attendre la représentation pour vous marquer les éloges qu’elle mérite ; mais la paresse des comédiens, qui d’ailleurs étaient déjà occupés à l’étude de Tancrède, m’en a empêché. Lenoble, que vous avez vu ici dans le rôle de Lusignan, fera cet honnête homme de prêtre qui a si peu d’imitateurs ; Olympie sera représentée par la Denesle, jeune actrice qui tâche d’imiter la Clairon, et qui a étudié deux ans avec elle. Lekain la connaît. La pièce, telle qu’elle est, me paraît de toute beauté, et ressemble à vos autres productions.

Je crois que vous aurez été content de la réponse du baron de Beckers. Je sais fort bien qu’après avoir pensé au spirituel il ne faut pas oublier le temporel. Je vous prie de ne pas oublier tout à fait Schwetzingen, malgré votre faible santé ; et soyez persuadé de la sincère estime que j’aurai toujours pour le petit Suisse.


Charles-Théodore, électeur.

4984. — À M. DEBRUS[433].
29 juillet.

Nous ne pouvons d’ici que recommander, prier, presser.

C’est à M. d’Argental et à mon neveu[434], qui protègent la [veuve] Calas, et qui sont sur les lieux, à voir ce qui convient. Je donne de loin des ouvertures. Je soulève tous les esprits en faveur des Calas, Tout le monde est très-bien disposé.

Mme  Calas peut être tranquille. M. de Beaumont et un autre avocat travaillent à force. Je me charge de les remercier.

M. Crommelin peut et doit aider, seulement par voie de recommandation, en parlant avec zèle.

J’espère que nous réussirons.


4985. — À M.  DEBRUS[435].

Je remercie Dieu, qui a rendu la santé au généreux M. Debrus. Je prie encore une fois Mme  Calas de rester tranquille ; Mme  de Pompadour, toute la cour sera pour elle ; elle sera bien servie. Qu’elle voie seulement ses amis, et surtout M. Héron, premier commis du conseil, et M. Tronchin. Qu’elle ne craigne point les prêtres de Toulouse ; on n’a que faire à présent de sa servante ; on sait assez que cette servante a déposé en faveur de son maître[436]. On n’a besoin de personne. Il ne s’agira que de faire valoir la loi qui ordonne que le témoignage des témoins nécessaires soit reçu en faveur des accusés, quoique ces témoins aient été accusés eux-mêmes.

Il ne tiendra donc qu’à impliquer dans une accusation tous les témoins favorables pour perdre un innocent ! Cela est affreux et absurde.

C’est aux avocats à faire triompher ces raisons, et c’est à Mme  Calas, qui a tout le public pour elle, j’ose dire toute l’Europe, à conserver son repos et sa fermeté.

Au dos :29 juillet.

4986. — DE M. D’ALEMBERT.
À Paris, le 31 juillet.

Comment avez-vous pu imaginer, mon cher et illustre maître, que j’aie eu intention de vous comparer à Zoïle ? Je ne suis ni injuste ni sot à ce point-là ; j’ai seulement cru devoir vous représenter que vos ennemis, qui vous ont déjà dit tant d’autres injures plus graves et aussi peu méritées, ne vous épargneraient pas cette nouvelle qualification, pour peu que vous laissiez subsister, dans vos remarques sur Corneille, ce ton sévère qui se montre surtout dans celles sur Rodogune, et qui a paru blesser quelques-uns de nos confrères. Il pourrait nuire même à vos critiques les plus justes, et il ne faut pas donner cet avantage à vos ennemis. Il s’en faut de beaucoup, en mon particulier, que je trouve Rodogune une bonne pièce, soit pour le fond, soit pour le style ; mais si j’avais des coups de bâton à lui donner, ce serait comme Alcidas à Sganarelle dans le Mariage forcé[437], avec de grandes protestations de respect et de désespoir d’y être obligé. « On me fait haïr, dit Montaigne[438], les choses les plus évidentes quand on me les plante pour infaillibles. J’aime ces mots qui adoucissent la témérité de nos propositions : Il me semble, par adventure, il pourroit estre, etc. »

Vous trouvez si mauvais dans votre critique de Polyeucte qu’il aille briser à grands coups les autels et les idoles ; ne faites donc pas comme lui ; faites remarquer tout doucement au peuple que cette idole, qu’il croyait d’or pur, est farcie d’alliage : vous serez pour lors très-utile, sans vous nuire à vous-même. Les adoucissements que je vous propose sont d’ailleurs d’autant plus nécessaires qu’en matière de pièces de théâtre (vous le savez mieux que moi) l’opinion peut jouer un grand rôle. Telle critique qui sera trouvée excellente dans une pièce médiocre trouvera des contradicteurs dans une pièce consacrée (à tort ou à droit) par l’estime publique. Et que ne justifie-t-on pas quand on le veut ? combien y a-t-il dans Homère d’absurdités qui ne sont encore des absurdités que pour très-peu de gens ? Je suis convaincu que la plupart des pièces de Corneille n’auraient aujourd’hui qu’un médiocre succès ; qu’elles sont froides, boursouflées, peu théâtrales, et mal écrites ; mais je me garderai bien de le dire, et encore moins de l’imprimer, à moins que je ne veuille être banni à perpétuité du royaume, comme les prêtres de paroisse qui refusent les sacrements aux jansénistes. Le public est un animal à longues oreilles, qui se rassasie de chardons, qui s’en dégoûte peu à peu, mais qui brait quand on veut les lui ôter de force ; ses opinions moutonnières, et le respect qu’il veut qu’on leur porte, me paraissent dire aux auteurs : « Il se peut faire que je ne sois qu’un sot ; mais je ne veux pas qu’on me le dise. »

Voyez un peu ce pauvre diable de Jean-Jacques ; le voilà bien avancé de s’être brouillé avec les dieux, les prêtres, les rois, et les auteurs ! On dit qu’il est actuellement dans les États du roi de Prusse, près de Neuchâtel. Je ne voudrais pas répondre qu’il y restât, car le roi de Prusse, tout roi de Prusse qu’il est, n’est pas le maître à Neuchâtel comme à Berlin ; et les vénérables pasteurs de ce pays-là n’entendent point raillerie sur l’affaire de la religion : c’est une vieille … pour laquelle ils ont d’autant plus d’égards qu’ils s’en soucient moins.

On dit que son livre cause de la rumeur parmi le peuple à Genève ; que ce peuple trouve la religion de Jean-Jacques meilleure que celle qu’on lui prêche, et qu’il le dit assez haut pour embarrasser ses dignes pasteurs. La grande utilité ou commodité que le ministre Vernot trouve à la révélation est pourtant bien agréable. Il serait fâcheux d’être obligé de renoncer ainsi aux commodités de ce monde. On prétend que Rousseau fait actuellement trois partis dans la sérénissime république : les ministres, pour l’auteur et contre le livre ; le conseil, pour le livre et contre l’auteur ; et le peuple, pour le livre et pour l’auteur. Vous y ajouterez, sans doute, un quatrième parti, contre le livre et contre l’auteur, et j’avoue que ce parti-là peut avoir aussi ses raisons ; mais voilà encore ce qu’il ne faudrait pas dire trop haut, surtout à Paris, car Jean-Jacques y est un peu le roi des halles.

Vous nous reprochez de la tiédeur ; mais, je crois vous l’avoir déjà dit, la crainte des fagots est très-rafraîchissante. Vous voudriez que nous fissions imprimer le Testament de Jean Meslier, et que nous en distribuassions quatre ou cinq mille exemplaires ; l’infâme, puisque infâme il y a, n’y perdrait rien ou peu de chose, et nous serions traités de fous par ceux mêmes que nous aurions convertis. Le genre humain n’est aujourd’hui plus éclairé que parce qu’on a eu la précaution ou le bonheur de ne l’éclairer que peu à peu. Si le soleil se montrait tout à coup dans une cave, les habitants ne s’apercevraient que du mal qu’il leur ferait aux yeux ; l’excès de lumière ne serait bon qu’à les aveugler sans ressource. Ce que vous savez[439] doit être attaqué, comme Pierre Corneille, avec ménagement.

Ce qui n’en mérite point, c’est le parlement de Toulouse, si en effet, comme il y a toute apparence, les Calas sont innocents. Il est très-important que tout le public soit au fait de cette horrible aventure. Vous n’avez pas donné assez d’exemplaires des Pièces justificatives : à peine les connaît-on ici, et tout Paris devrait en être inondé. Je vous réponds bien de ne pas me taire, et de faire crier tous ceux qui m’écouteront ; jésuites, parlements, janspnistes, prédicants de Genève, franche canaille que tout cela, et, par malheur, canaille méchante et dangereuse. Enfin le 6 du mois prochain la canaille parlementaire nous délivrera de la canaille jésuitique[440] ; mais la raison en sera-t-elle mieux, et l’inf… plus mal ?

Mme  du Deffant me charge de vous faire mille compliments, et de vous dire que si elle ne vous importune point de ses lettres, c’est par attention pour vous et par respect pour votre temps ; qu’elle a pris beaucoup de part au rétablissement de votre santé ; qu’elle est toujours de la bonne doctrine, et n’encense point les faux dieux ; c’est ce qu’elle m’a expressément recommandé de vous dire.

Adieu, mon cher et grand philosophe ; portez-vous bien ; moquez-vous de la sottise des hommes ; j’en fais autant que vous ; mais je n’ai pas la sottise de m’en moquer trop haut ni trop fort ; il ne faut point faire son tourment de ce qui ne doit servir qu’aux menus plaisirs.


4987. — À M.  DEBRUS OU À M.  CATHALA[441].
31 juillet.

Ayant lu la lettre du 26 juillet de Mme  Calas, les lettres de M. Lavaysse des 14 et 15 juillet, je suis toujours d’avis que l’on consulte M. Héron, premier commis du conseil.

Je ne crois pas que monsieur le chancelier puisse trouver mauvais qu’on présente une requête au roi en son conseil, puisque c’est à monsieur le chancelier même qu’on donne cette requête. Je pense qu’il faut en ce cas donner copie de cette requête à chaque membre du conseil des dépêches.

C’est probablement dans ce conseil des dépêches que l’on décidera à quel tribunal on renverra l’affaire. Il se pourra très-bien faire que le conseil des dépêches la jugera lui-même. Il ne faut pas croire que ce conseil ignore les affaires, puisque monsieur le chancelier, monsieur le garde des sceaux, M. le comte de Saint-Florentin, monsieur le contrôleur général, etc., sont de ce conseil. J’ajoute même qu’ils sont très-bien disposés en faveur des plaignants.

Si le roi renvoie l’affaire à un autre tribunal, je souhaite qu’elle soit portée au grand conseil, parce que mon neveu, qui est membre de ce tribunal, agira avec autant de zèle que moi-même.

Voilà tout ce que je peux dire de si loin.

À l’égard des sieurs Lavaysse père et fils, si j’étais à leur place, j’élèverais ma voix toute ma vie contre le parlement de Toulouse. Je vendrais tout ce que je pourrais vendre de mon bien, je mettrais à l’abri tout ce que je pourrais, et je quitterais une ville superstitieuse où des bateleurs blancs, bleus, gris et noirs, avec un masque sur le visage, percé de deux trous, font mettre aux fers et sur la roue l’innocence la plus avérée. Je ne doute pas qu’on ne puisse faire en Angleterre, en Hollande, et dans quelques pays de l’Allemagne, une souscription qui vaudrait à MM. Lavaysse et Calas beaucoup plus qu’ils n’auront perdu à Toulouse.

Si on veut prendre ce parti, il n’y a rien que je ne tente pour le faire réussir,


4988. — À M.  DAMILAVILLE.
31 juillet.

Est-il vrai que nous pourrons posséder notre frère, au mois de septembre, dans le pays de parpaillots ? Il est juste que les initiés communient ensemble. Frère Diderot ne peut quitter l’Encyclopédie ; mais frère d’Alembert ne pourrait-il pas venir se moquer des sociniens honteux de Genève ?

On ne trouve plus ici aucun Contrat insocial de Jean-Jacques, et sa personne est cachée entre deux rochers de Neuchâtel. Ô comme nous aurions chéri ce fou, s’il n’avait pas été faux frère ! et qu’il a été un grand sot d’injurier les seuls hommes qui pouvaient lui pardonner !

Est-il possible qu’on n’imprime pas à Paris les Mémoires de Calas ? Eh bien ! en voilà d’autres[442] ; lisez et frémissez, mon frère. On a imprimé ces lettres à la Haye et à Lyon. Tous les étrangers parlent de cette aventure avec un attendrissement mêlé d’horreur. Il faut espérer que la cour sauvera l’honneur de la France, en cassant l’indigne arrêt qui révolte l’Europe. Mon Dieu, mes frères, que la vérité est forte ! Un parlement a beau employer les bras de ses bourreaux, a beau fermer son greffe, a beau ordonner le silence, la vérité s’élève de toutes paris contre lui, et le force à rougir de lui-même.

Espérez-vous la paix ? Tout le monde en parle ; mais j’ai bien peur qu’il n’en soit comme de la pluie que nous demandons, et que Dieu nous refuse. Tout est tari dans notre pays, excepté notre lac.

Ne vous livrez pas, mon frère, au dégoût et au dépit ; et tâchez de tirer parti du passe-droit que vous essuyez.

Thieriot et moi, nous embrassons notre frère.


4989. — À M.  DEBRUS[443].

Je vous renvoie, mon cher monsieur, toutes les lettres que vous avez bien voulu me confier, avec la pièce concernant le malheureux accusé d’avoir tué son père. Vous sentez combien il importe de ne point mêler à notre juste cause une cause si étrangère et si mauvaise. Gardons-nous de présenter aux juges la cruelle idée que les parricides sont communs en Languedoc, et que le parlement est aussi sévère envers les catholiques qu’envers les réformés[444].

Laissons aussi dans les anciens recueils de la Ligue l’arrêt rendu contre Henri IV. Le parlement de Paris en fit tout autant. Ne réveillons point ces anciennes horreurs. Il vaut encore mieux songer à rendre notre veuve intéressante qu’à rendre le tribunal de Toulouse odieux. Il le sera assez quand on aura démontré l’innocence de la famille.

Bénissons Dieu des démarches indignes et absurdes qu’on fait faire aux filles de M. Calas. On leur dicte des lettres pour engager leur mère à trahir son devoir et la mémoire de son mari. On veut l’intimider. Il est bien clair que les juges qui ont rendu l’horrible arrêt sont intimidés eux-mêmes. Remercions-les des armes qu’ils donnent contre eux.

J’ai toujours pensé que M. de Saint-Florentin ne rendrait les filles à la mère qu’après le jugement en révision.

Il faudrait tâcher de calmer l’esprit de la mère sur cet article. Elle parle dans toutes ses lettres du couvent où ses filles sont bien traitées et bien nourries. Elle ne prononce jamais le nom de son mari ; jamais elle ne rappelle son horrible mort, l’iniquité affreuse des juges, leur fanatisme, son innocence. Il me semble que si on avait roué mon père, je crierais un peu plus fort[445].

Voici une lettre de M. le procureur général de Bretagne, concernant MM. Cathala et La Serre. Elle pourra vous amuser. Renvoyez-la-moi, je vous prie, dès que M. Cathala l’aura lue sans en prendre copie. Ce point est essentiel. Dieu vous conserve la santé, et que votre belle et bonne âme habite longtemps son étui.


4990. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[446].
2 auguste 1762, aux Délices, par Genève.

Madame, Dieu préserve Votre Altesse sérénissime de faire jamais élever un des princes vos enfants par ce fou de Jean-Jacques Rousseau. Il faut commencer par avoir reçu une bonne éducation pour en donner une. Ce livre d’Émile est méprisé généralement. Mais il y a une cinquantaine de pages au troisième volume, contre la religion chrétienne, qui ont fait rechercher l’ouvrage et bannir l’auteur. On débite sourdement plusieurs ouvrages[447] dans le goût de ces cinquante pages. On les attribue tantôt à La Mettrie, tantôt au philosophe de Sans-Souci. Mais il est certain qu’il y en a un d’un curé de Champagne auprès de Rocroi, qui est plus approfondi que le troisième tome d’Émile. C’est un testament que fit ce curé nommé Meslier, et dont il envoya une copie, avant sa mort, au garde des sceaux Chauvelin. Si Votre Altesse sérénissime était curieuse de cet ouvrage, je le chercherais et je le confierais à votre prudence ; il est d’une rareté extrême.

J’ai l’honneur, madame, de vous envoyer un des mémoires qui commencent à courir sur une affaire qui intéresse tous les honnêtes gens. Je ne crois pas que depuis la Saint-Barthélemy il y ait eu une aventure plus abominable. Le cœur de Votre Altesse sérénissime saignera en lisant cette histoire des fureurs catholiques de Toulouse. Les mémoires ci-joints supposent des pièces antérieures ; je ne les ai pas sous la main, et votre discernement verra aisément ce qui peut avoir précédé. Il se pourrait bien faire qu’une si horrible aventure causât une seconde émigration, et vous procurât quelques nouveaux sujets qui seraient plus sobres que la légion royale. On dit que le nouveau Pierre s’est brouillé avec les barbes de ses prêtres[448], et que les esprits sont fort animés. Je le crois bien ; le sujet en vaut la peine.

Agréez, madame, mon profond respect et mon attachement inviolable[449].


4991. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
4 auguste.

Mes divins anges, voici ce que je dis à votre lettre du 27 juillet : C’est une lettre descendue du ciel ; mes anges sont les protecteurs de l’innocence, et les ennemis du fanatisme. Ils font le bien, et ils le font sagement. J’envoie au hasard des mémoires, des projets, des idées. Mes anges rectifient tout ; il faudra bien qu’ils viennent à bout de réprimer des juges de sang, et de venger l’honneur de la France. J’ai toujours mandé qu’on ne trouverait jamais d’huissier qui osât faire une sommation au greffier du parlement toulousain, après que ce parlement a défendu si sévèrement la communication des pièces, c’est-à-dire de sa honte. Comment trouverait-on un huissier à Toulouse qui signifiât au parlement son opprobre, puisque je n’en ai point trouvé en Bourgogne qui osât présenter un arrêt du conseil au sieur de Brosses, président à mortier ? J’en aurais trouvé dans le siècle de Louis XIV.

Mes anges sont adroits ; ils ont gagné le coadjuteur. Hélas ! il est bien triste qu’on soit obligé de prendre des précautions pour faire paraître deux lettres[450] où l’on parle respectueusement des moins respectables des hommes, et où la vertu la plus opprimée s’exprime en termes si modestes !

Enfin nous sommes environ cent mille hommes qui nous remettons de tout aux deux anges.

Les Anglais commencent une magnifique souscription dont les Calas ont déjà ressenti les effets.

On a écrit à Lavaysse père une lettre[451] qui doit le faire rentrer en lui-même, ou plutôt l’élever au-dessus de lui-même.

Il faut qu’il abandonne une ville superstitieuse et barbare, aussi ridicule par ses recueils des jeux floraux que par ses pénitents des quatre couleurs. Il trouvera des secours honorables qui l’empêcheront de regretter son barreau. Je supplie mes anges de vouloir bien envoyer le paquet ci-joint à M. le maréchal de Richelieu.

Je me jette aux pieds de Mme  d’Argental, et je la remercie du bateau[452] qui parera la table de Tronchin. Elle est trop bonne. C’est de Mme  d’Argental dont je parle, et non de la table du docteur.

J’ai lu un factum d’Élie pour des Bourguignons contre un médecin irlandais. Depuis ma maladie, j’aime assez les médecins ; mais ce factum ne me fait pas aimer les Irlandais. Je prie mes anges de vouloir bien dire à Élie le moderne[453] que je le préfère à Élie l’évêque de Jérusalem l’infâme, et à l’Élie évêque de Paris la folle.

Mais est-il bien vrai que l’Élie de Paris, ce Beaumont à billets de confession, ait osé mettre au séminaire, pour deux ans[454], le curé de Saint-Jean-de-Latran, pour avoir prié Dieu ? Quoi ! il ne sera pas même permis aux acteurs pensionnés du roi de faire dire des psaumes pour un homme qui les a fait vivre ? Eh ! que deviendrai-je donc ? Quoi ! il n’y aura point pour moi de Libéra ? Oh ! je crierai pendant ma vie, si on ne veut pas brailler pour moi après ma mort.

Mes divins anges, je ne vous parle ni de Cassandre ni du Droit du Seigneur ; il fait trop chaud.

J’ai Crébillon sur le cœur. Ses vers étaient durs ; mais Beaumont l’archevêque l’est davantage.


4992. — DE M.  PICTET[455].
Saint-Pétersbourg, 4 août 1762.

Je me persuade que tous ceux qui ont connu le caractère de Pierre III, son peu de génie, la manière dont il s’est conduit et ses projets, tous ceux-là, dis-je, ne pourront qu’approuver la nation russe d’avoir expulsé un tel homme pour mettre sur le trône la plus digne et la plus grande impératrice qui ait jamais régné dans l’univers… Soyez sur, monsieur, que ce n’est point l’impératrice qui a cherché le trône, qu’en y montant elle n’a fait que céder au mouvement général de la nation… Ce qui a produit la révolution est uniquement la différence des caractères de Pierre III et de Catherine II ; que devait, en effet, penser le peuple russe quand il a vu Pierre III, après avoir passé sa jeunesse à s’amuser avec des bouffons, monter sur le trône, donner, il est vrai, de grandes espérances pendant les premières semaines, temps pendant lequel il consulta l’impératrice et suivit ses avis, mais bientôt oublier la promesse qu’il avait faite de s’appliquer aux affaires, pour se livrer entièrement à la débauche et à la crapule la plus honteuse ? … Que devait-il penser, lorsqu’il voyait son empereur passer les jours et les nuits à table, paraître communément ivre aux yeux de tout le monde ? …


4993. — À M.  CATHALA[456].

Tout ce que je peux dire, c’est que Mme  Calas ne peut jamais se trouver en meilleures mains que dans celles qui conduisent son affaire à Paris. Je vais travailler à faire une souscription en Angleterre et en Hollande.

J’ai toujours espéré que le jugement de Toulouse serait en exécration à l’Europe, et je vois que je ne me suis pas trompé dans mes espérances. Il y a longtemps que je sais que Mme  de Pompadour est très-touchée de cette abominable injustice ; c’est un grand point. Il faudra que l’innocence triomphe. La guérison de M. Debrus est une de nos plus grandes satisfactions. Je fais mille compliments à M. Cathala et à M. de Végobre, et je suis entièrement à leur disposition, etc. (sic).


4994. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
7 auguste.

Mes divins anges, mon cœur est bien gros. Je suis atterré de la piété du bailli de Froulai[457], et j’aime cent fois mieux le bailli du Droit du Seigneur. Est-il possible qu’il se soit déclaré contre les comédiens et contre ce bon curé de Saint-Jean-de-Latran ? Il n’aurait jamais fait pareille infamie du temps de Mlle  Lecouvreur et du chevalier d’Aidie.

Mon second tourment est l’inquiétude que j’ai pour dame Catherine[458] ; j’ai bien peur que ce vieux héros de comte de Munich n’ait pris le parti de l’ivrogne Pierre Ulric. Il est généralissime. Il aime peu les dames depuis qu’une d’elles l’a envoyé en Sibérie ; il est un peu Prussien : tout cela me donne beaucoup d’embarras.

Ma troisième douleur est l’affaire des Calas. Je crains toujours que monsieur le chancelier ne prenne le prétexte d’un défaut de formalités pour ne pas choquer le parlement de Toulouse. Je voudrais que quelque bonne âme pût dire au roi : « Sire, voyez à quel point vous devez aimer ce parlement : ce fut lui qui, le premier, remercia Dieu de l’assassinat de Henri III, et ordonna une procession annuelle pour célébrer la mémoire de saint Jacques Clément, en ajoutant la clause qu’on pendrait, sans forme de procès, quiconque parlerait jamais de reconnaître pour roi votre aïeul Henri IV. »

Henri IV gagna enfin son procès ; mais je ne sais si les Calas seront aussi heureux. Je n’ai d’espoir que dans mes chers anges, et dans le cri public. Je crois qu’il faut que MM. de Beaumont et Mallard fassent brailler en notre faveur tout l’ordre des avocats, et que, de bouche en bouche, on fasse tinter les oreilles du chancelier ; qu’on ne lui donne ni repos ni trêve ; qu’on lui crie toujours : Calas ! Calas !

Ma quatrième inquiétude vient de la famille d’Alexandre[459]. Je l’ai envoyée à l’électeur palatin, en lui disant qu’il ne fallait point la faire jouer, et sur-le-champ il a distribué les rôles. Je vais lui écrire pour le prier de ne la point imprimer, et il l’imprimera. Je crois que, pour me dépiquer, je serai obligé d’en faire autant. Je suis presque aussi content de Cassandre qu’un palatin ; mais il se pourrait faire que mon extrême dévotion dans cet ouvrage, ma confession, ma communion, ma Statira mourant de mort subite, mon bûcher, etc., donnassent quelque prise à mes bons amis les Fréron et consorts. J’ai écrit la pièce de mon mieux ; mais je crois qu’il faut accoutumer le public, par la voie de l’impression, à toutes ces singularités théâtrales : c’est, à mon sens, le meilleur parti, d’autant plus qu’étant dans le goût des commentaires, j’en ai fait un sur cette pièce qui est extrêmement profond et merveilleux. M. Joly de Fleury pourrait en être tout ébouriffé.

Je vous enverrai Hérode et Mariamne incessamment ; vous y verrez une espèce de janséniste[460], essénien de son métier, que j’ai substitué à Varus, comme je crois vous l’avoir déjà dit. Ce Varus m’avait paru prodigieusement fade. Je baise toujours du meilleur de mon cœur le bout de vos ailes, et présente mes respects et remerciements à Mme  d’Argental.


4995. — À M.  DEBRUS[461].

Je bénis, monsieur, le maître de la vie et de la mort qui vous rend votre santé ; je m’y intéresse tendrement, et j’espère bientôt venir vous le dire.

Je suis fort de votre avis que Mme  Calas aille trouver M. Quesnay[462], mais je ne sais si elle se doit trouver sur le passage du roi, à moins qu’il y ait quelqu’un qui la fasse remarquer à Sa Majesté, et qui lui en ait déjà parlé, sans quoi cette démarche sera tout à fait inutile. D’ailleurs ne croyez pas que sa présence et son deuil puissent avoir la moindre influence sur l’événement du procès. Ce n’est point ici une affaire de faveur et de grâce, on ne demande que la justice la plus exacte ; tout dépend de l’opinion des juges, et cette opinion dépend beaucoup de celle du public, qui a pris avec chaleur le parti de cette famille infortunée. Laissons, je vous en conjure, commencer le procès ; ce sera alors que nous redoublerons nos batteries. Il faudra bien que l’on mène Mme  Galas chez les juges : il faudra surtout que ce soit un homme intelligent qui la conduise chez eux en grand deuil, et plût à Dieu qu’elle fût même accompagnée d’un de ses enfants ! Leur présence seule vaudra cent pages d’écritures.

Si Mme  Calas était une femme éloquente dont la figure, les discours et les larmes, fissent une profonde impression sur les esprits, si elle savait dire de ces choses qui ébranlent l’imagination des hommes et qui pénètrent le cœur, je lui dirais : Montrez-vous partout, parlez à tout le monde. Mais ce n’est pas là son caractère, M. Crommelin en est convenu avec moi. Il pense que dans le moment présent il faut qu’elle se montre peu, et qu’on agisse beaucoup pour elle. Je vous réponds que nous agissons bien, que tout ira bien, et je parierais cent contre un pour le gain de son procès.

Tranquillisez-vous donc, mon cher monsieur, et que votre vertu soit moins inquiète. L’homme du monde le mieux disposé est monsieur le contrôleur général[463], j’en ai des preuves certaines ; et je ne désespère pas de faire obtenir une petite pension à cette veuve, dès que l’infâme arrêt de Toulouse sera cassé.

Je vous embrasse du meilleur de mon cœur, et je suis entièrement à vos ordres. V.


Août 1762. (Date écrite au dos.)

4996. — DU CARDINAL DE BERNIS.
À Vic-sur-Aisne, le 7 août.

J’ai lu, mon cher confrère, la lamentable histoire des Calas, dont j’avais beaucoup entendu parler dans ma province. Il y a du louche des deux côtés ; le jugement est incompréhensible, mais le fait ne paraît pas éclairci. J’en vois assez pour être fort mécontent et même fort scandalisé. Est-il possible que l’honneur et la vie soient si fort exposés aux passions, aux caprices, et à l’ignorance des hommes ! Je voudrais que le dénoûment des affaires des hommes ne fût jamais précipité ; le temps seul peut découvrir de certaines vérités ; il faut savoir l’attendre. J’espère que je reverrai Cassandre au sortir de sa toilette. Je prends à cette pièce un intérêt plus fort que celui de l’amitié que j’ai pour vous. Je suis bien aise que vous ayez retouché Mariamne. Ne m’ôtez pas le rôle de confident que vous m’avez donné dans vos tragédies : soit justice, soit amour-propre, de tout ce qui se fait aujourd’hui, je ne puis lire que vos ouvrages. Avez-vous vu l’Éloge de Crébillon ? Son panégyriste n’est pas fade, il le censure avec justice, mais il le loue un peu trop sobrement. Notre confrère l’archevêque de Lyon a passé ici quelques jours ; nous avons parlé de vous. C’est un des évêques les plus éclairés et les plus aimables. Ma santé va fort bien, et ma philosophie, selon le système de l’abbé de Chaulieu, s’en ressent[464]. Il faut toute la force d’une raison supérieure pour voir en beau ou en gai les choses de ce monde, quand on se porte mal. Adieu, mon cher confrère ; je vous aime presque autant que vous êtes aimable.


4997. — À M.  DEBRUS[465].

Il serait fort triste et dangereux que les Lettres toulousaines[466] parussent en France avant la décision du procès ; il y a des choses trop violentes contre le parlement de Toulouse ; on accuserait ces lettres d’être séditieuses ; elles fourniraient des armes contre nous. On y a joint très-mal à propos l’affaire de Sirven[467] à celle des Calas : c’est ce que je craignais le plus, et ce que j’ai bien recommandé à nos avocats d’éviter. M. de Saint-Florentin n’est pas trop pour nous ; si ces lettres lui parviennent il pourra représenter au roi les protestants comme des factieux. Et le parlement de Toulouse ne manquera pas de dire que tous les trois mois il y a un père de famille protestant accusé d’avoir tué son fils ou sa fille en haine de la religion catholique ; il dira qu’il a fallu un exemple. Les amis qu’on s’est procurés avec beaucoup de peine se refroidiront ; ce n’est pas ainsi qu’on doit conduire une affaire aussi grave et aussi importante. Il faut que M. de Végobre fasse les plus grands efforts pour empêcher ce livre de pénétrer en France. J’écris de mon côté et je fais écrire à Lausanne. L’auteur doit absolument supprimer le débit de son livre jusqu’à ce que nous ayons un arrêt qui condamne entièrement celui du parlement de Toulouse.

Est-il possible qu’on veuille gâter une affaire qui est en si bon train, et rendre toutes nos peines inutiles ?

Voici une petite réponse que je fais à Mme  Calas.

Je prie M. Debrus d’avoir grand soin de sa santé.

Je crois que M. de Gouvernet est rarement chez lui, et qu’on ne peut le trouver que chez sa femme, qui loge dans la rue Condé ou dans la rue voisine qui conduit au Luxembourg ; elle n’est connue que sous le nom de Mme  de Livry, attendu que nous ne marions point les maudits huguenots, en face de l’Église, avec les bénits catholiques[468].


4998. — À M.  LE DOCTEUR TRONCHIN[469].

On voit bien que notre Esculape est le fils aîné d’Apollon. Toutes ses réflexions me paraissent très-justes.

Je suppose qu’il a lu le savant exposé de révérend Donat Calas, théologien très-profond, tel qu’il était d’abord. Je l’ai extrêmement adouci ; je fais parler Donat en homme qui répète avec timidité ce que ses maîtres ont appris, et qui ne demande qu’à être mieux instruit. Ce tour me paraît très-naturel ; il faut qu’un protestant parle en protestant, mais qu’il ne révolte pas les catholiques.

Il me paraît que, loin d’animer les dévots contre lui, il les invite à le convertir ; d’ailleurs ce n’est point le principal acteur de la pièce qui parle. Donat Calas, qui n’était pas de cette horrible tragédie, remplit seulement le devoir d’un fils. Ensuite vient Pierre, principal personnage qui rapporte en effet le procès ; il met sous les yeux tout ce qu’il a fait, tout ce qu’il a vu, et tout ce qui est consigné au greffe : il montre la vérité dans tout son jour.

Tout cela ayant été fait très à la hâte, parce que le temps pressait, le 13 mars a été pris pour le 13 octobre, et a été corrigé à la marge.

J’avoue, mon cher maître, qu’un homme qui se plaint d’avoir été étranglé est une ironie ; mais le fait est tel. Un témoin a déposé cette absurdité, et je ne sais s’il est mal de mêler cette seule ironie aux vérités touchantes et terribles qui sont dans le mémoire. Cependant, s’il est encore temps et si vous le jugez à propos, nous corrigerons cet endroit et tous ceux que vous indiquerez. Je verrai si tout est imprimé, et ce qu’on peut faire. Je tâcherai d’aller chez vous avant ou après dîner.

J’ai encore un mot à dire touchant l’archevêque de Paris. Je crois que Mme  la marquise de Pompadour se mêlera plus que lui de cette affaire ; et, entre nous, je ne sais s’il est mal d’exposer en une seule page tout ce qui peut rendre la religion des Calas excusable aux yeux des jansénistes, qui, dans le fond, pensent assez comme Claude, évêque de Turin. Il me paraît que tous les parlements de France, excepté celui de Toulouse, marchent à grands pas vers un protestantisme mitigé.

Je soumets le tout à vos lumières et à votre humanité, et vous embrasse tendrement.


4999. — À M.  DEBRUS[470].
9 auguste, à Ferney.

M. Mariette travaille à un nouveau mémoire : il me mande qu’il est à désirer que l’affaire ne soit jugée que cet hiver, parce que tout le monde est à la campagne, et que nous avons besoin de rassembler toutes nos troupes.

J’embrasse tendrement M. Debrus et ses amis.

5000. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL[471].
13 auguste.

Les mémoires, mes divins anges, que j’ai envoyés à des personnes choisies ont fait un très-bon effet ; je crois qu’ils persuaderont le public, et qu’ils n’effaroucheront point les prêtres, quand on aura retranché le catéchisme des Calas. Cette dernière leçon me parait la meilleure ; je la soumets à mes anges, qui doivent décider. J’y joins un nouveau mémoire pour les amuser ; leur prudence en pourra retrancher ce qu’ils voudront.

Bientôt je leur soumettrai Cassandre ; mais on ne peut faire qu’en faisant ; je n’ai pas beaucoup de temps à moi. Mes anges savent que je ne suis pas oisif ; qu’ils méjugent souverainement en prose et en vers, et qu’ils retranchent ou adoucissent ce qu’ils voudront.


5001. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
Aux Délices, 13 auguste.

Ma santé, madame, ne me permet guère d’écrire ; je suis réduit à dicter, et à me plaindre de ne pouvoir jouir de la consolation de vous voir. On passe son temps à former des projets, et on n’en exécute guère. L’épitaphe latine que vous m’avez envoyée est pleine de solécismes, mais il n’y a pas grand mal ; on dira seulement que le prêtre allemand qui l’a composée ne savait pas le latin ; ce petit inconvénient n’est pas à considérer dans une si grande perte. Je vois que madame votre belle-fille aggrave encore vos douleurs ; c’est une peine de plus que je partage avec vous. Je me flatte du moins que vous n’aurez pas de procès ; ce serait éprouver à la fois de trop grands chagrins.

Vous savez qu’on parle beaucoup de paix. Plût à Dieu qu’on n’eût jamais fait cette guerre qui vous a été si funeste ! Les nouvelles de Russie ont bien dû vous étonner[472], madame ; peut-être mettront-elles des obstacles à cette paix tant désirée. Je vois de bien loin toutes ces révolutions dans mon heureuse retraite.

J’y serais encore plus heureux si Ferney n’était pas à cent lieues de l’Ile Jard. Je regretterai toujours les charmes de votre commerce ; je m’intéresserai toujours tendrement à votre conservation et à votre bonheur. Conservez-moi des bontés qui font ma plus chère consolation. Recevez les tendres respects de V.


5002. — À M.  LE MARQUIS ALBERGATI CAPACELLI.
Aux Délices, 13 auguste.

Je suis presque toujours réduit, monsieur, à vous écrire d’une main étrangère ; cela gêne beaucoup mon cœur et mon impatience. Vous êtes sans doute actuellement dans votre beau château, l’asile des Muses et surtout de Melpomène. Le favori de Thalie a donc pris une autre route que Genève ? Je ne saurais me consoler qu’il ait donné la préférence à Lyon ; nous lui aurions fait l’accueil qu’on faisait ou qu’on devait faire à Ménandre. Je ne sais pas s’il sera fort content de Paris ; il trouvera la Comédie-Italienne réunie avec la Foire, et ne donnant plus que des opéras-comiques. D’ailleurs la malheureuse guerre dans laquelle nous sommes engagés depuis sept ans n’est guère favorable aux beaux-arts. Je suis sûr que les connaisseurs rendront ce qu’ils doivent au mérite de M. Goldoni ; mais je voudrais que son voyage lui fût utile.

Voilà, monsieur, bien des sujets de tragédies dans ce siècle. L’empereur de Russie, détrôné par sa femme, est mort, dit-on, d’une colique violente ; le prince Ivan[473], empereur légitime, enfermé depuis plus de vingt ans dans une île de la mer Glaciale, où sa mère est morte ; la reine de Pologne expirant de douleur sur les ruines de sa capitale ; le prince Édouard, héritier du trône de la Grande-Bretagne, traînant sa misère obscure dans les Ardennes ; les rois de France et de Portugal assassinés[474]. Vous m’avouerez qu’on aurait tort de ne pas convenir que notre siècle est fertile en sujets de théâtre. Heureux ceux qui voient du port tant d’orages ! Il n’y a point de retraite qui ne soit préférable à des trônes élevés au milieu de tant d’écueils.

Jouissez, monsieur, des douceurs de la paix, de votre considération, de votre tranquillité, des beaux-arts, que vous protégez. Je m’intéresse vivement à vos succès et à vos plaisirs. Conservez-moi vos bontés ; vous savez combien elles me sont chères, et combien je vous respecte.


5003. — À M.  HELVÉTIUS.
13 auguste.

J’ai lu deux fois votre lettre, mon cher philosophe, avec une extrême sensibilité ; c’est ma destinée de relire ce que vous écrivez. Mandez-moi, je vous prie, le nom du libraire qui a imprimé votre ouvrage en anglais, et comment il est intitulé : car le mot esprit, qui est équivoque chez nous, et qui peut signifier l’âme, l’entendement, n’a pas ce sens louche dans la langue anglaise. Wit signifie esprit dans le sens où nous disons avoir de l’esprit, et understanding signifie esprit dans le sens que vous l’entendez.

Certainement votre livre ne vous eût point attiré d’ennemis en Angleterre ; il n’y a ni fanatiques ni hypocrites dans ce pays-là ; les Anglais n’ont que des philosophes qui nous instruisent, et des marins qui nous donnent sur les oreilles. Si nous n’avons point de marins en France, nous commençons à avoir des philosophes ; leur nombre augmente par la persécution même. Ils n’ont qu’à être sages, et surtout être unis : comptez qu’ils triompheront ; les sots redouteront leur mépris, les gens d’esprit seront leurs disciples. La lumière se répandra en France comme en Angleterre, en Prusse, en Hollande, en Suisse, en Italie même ; oui, en Italie. Vous seriez édifié de la multitude des philosophes qui s’élèvent sourdement dans le pays de la superstition. Nous ne nous soucions pas que nos laboureurs et nos manœuvres soient éclairés, mais nous voulons que les gens du monde le soient, et ils le seront : c’est le plus grand bien que nous puissions faire à la société ; c’est le seul moyen d’adoucir les mœurs, que la superstition rend toujours atroces.

Je ne me console point que vous ayez donné votre livre sous votre nom ; mais il faut partir d’où l’on est.

Comptez que la grande dame[475] a lu les choses comme elles sont imprimées ; qu’elle n’a point lu le mot abominable, et qu’elle a lu le Repentir du grand Fénelon. Soyez sûr encore que ce mot a fait un très-bon effet ; soyez sûr que je suis très-instruit de ce qui se passe.

Je n’ai lu dans Palissot aucune critique des propositions dont vous me parlez : il faut que ces critiques malhonnêtes soient dans quelques feuilles ou suppléments de feuilles qui ne me sont pas encore parvenus.

Vous pouvez m’écrire, mon cher philosophe, très-hardiment. Le roi doit savoir que les philosophes aiment sa personne et sa couronne, qu’ils ne formeront jamais de cabale contre lui, que le petit-fils de Henri IV leur est cher, et que les Damiens n’ont jamais écouté des discours affreux dans nos antichambres. Nous donnerions tous la moitié de nos biens pour fournir au roi des flottes contre l’Angleterre ; je ne sais si ses tuteurs[476] en feraient autant. Pour moi, je défriche des terres abandonnées, je dessèche des marais, je bâtis une église, je soulage comme vous les pauvres, et je dis hardiment par la poste que le discours de maître Joly de Fleury[477] est un très-mauvais discours. Je prends tout le reste fort gaiement, et j’ai un peu les rieurs de mon côté.

J’ai trouvé de très-beaux vers dans le poëme[478] que vous m’avez envoyé ; je souhaite passionnément d’avoir tout l’ouvrage ; adressez-le à M. Le Normand, ou à quelque autre contre-signeur. Vivez, pensez, écrivez librement, parce que la liberté est un don de Dieu, et n’est point licence.

Il y a des choses que tout le monde sait, et qu’il ne faut jamais dire, à moins qu’on ne les dise en plaisantant. Il est permis à La Fontaine[479] de dire que cocuage n’est point un mal ; mais il n’est pas permis à un philosophe de démontrer qu’il est du droit naturel[480] de coucher avec la femme de son prochain. Il en est ainsi, ne vous déplaise, de quelques petites propositions de votre livre. L’auteur de la Fable des Abeilles[481] vous a induit dans le piège.

Au reste, il ne faut jamais rien donner sous son nom. Je n’ai pas même fait la Pucelle ; maître Joly de Fleury aura beau faire un réquisitoire, je lui dirai qu’il est un calomniateur, que c’est lui qui a fait la Pucelle, qu’il veut méchamment mettre sur mon compte.

Adieu, mon cher philosophe ; je vous salue en Platon, en Confucius, vous, madame votre femme, vos enfants : élevez-les dans la crainte de Dieu, dans l’amour du roi, et dans l’horreur des fanatiques, qui n’aiment ni Dieu, ni le roi, ni les philosophes.


5004. — À M.  JEAN SCHOUVALOW.
Aux Délices, 13 auguste.

Vous connaissez donc aussi, monsieur, le prix de la santé par les maladies ! Vous avez donc souffert comme moi ! Il y a quelque cinquante ans que je fais le métier, et je n’y suis pas encore entièrement accoutumé.

Je vous crois bien persuadé que les rois et les représentants des rois n’ont rien de mieux à faire que de se bien porter. On parle d’une colique violente qui a délivré Pierre Ulric du petit désagrément d’avoir perdu un empire de deux mille lieues. Il ne manquera plus qu’un Ninias à votre Sémiramis pour rendre la ressemblance parfaite. J’avoue que je crains d’avoir le cœur assez corrompu pour n’être pas aussi scandalisé de cette scène qu’un bon chrétien devrait l’être. Il peut résulter un très-grand bien de ce petit mal. La Providence est comme étaient autrefois les jésuites : elle se sert de tout. Et d’ailleurs, quand un ivrogne meurt de la colique, cela nous apprend à être sobres.

Si vous n’avez pas les Mémoires des Calas, ordonnez par quelle voie vous voulez qu’on vous en adresse. Cette aventure est bien mince en comparaison de tout ce qui se passe chez les grands de la terre, Mais enfin c’est quelque chose qu’un vieillard, qu’un père de famille, accusé d’avoir pendu son fils par dévotion, et roué sans aucune preuve.


Tantum relligio potuit suadere malorum !

(Lucrèce, lib. I, v. 102.)

Voici, en attendant, deux petites relations[482] qui pourront vous amuser quelques moments ; elles supposent des mémoires précédents, mais ces mémoires enfleraient trop le paquet.


5005. — À M.  LE MARQUIS DE CHAUVELIN[483].

La tragédie des Calas, et celle qui se joue depuis Pétersbourg jusqu’en Portugal, ne m’ont pas fait abandonner la famille d’Alexandre[484]. Je n’ai pas cru devoir laisser imparfait un ouvrage sur lequel vous avez daigné m’honorer de vos conseils : vous m’avez rendu chère cette pièce à laquelle vous avez bien voulu vous intéresser. Si jamais il vous prend envie de la relire, vous n’avez qu’à commander. Pierre Corneille m’occupe encore plus que Pierre Ulric. C’est une terrible tâche que d’être obligé d’avoir toujours raison dans quatorze tomes[485].

Il faut donc renoncer à l’espérance de voir Vos Excellences dans nos jolis déserts. Cependant le théâtre est tout prêt ; et quand madame l’ambassadrice voudra faire pleurer des Allobroges, il ne tiendra qu’à elle. Il faudra que mademoiselle votre fille joue Joas dans Athalie, et moi, si l’on veut, je serai le confident de Mathan,


Qui ne sert ni Baal ni le dieu d’Israël.

(Racine, Athalie, acte III, scène iii.)

Ma piété en sera effarouchée ; mais il faut se faire tout à tous.

Que Votre Excellence me conserve ses bontés ; j’en dis autant à madame l’ambassadrice, à qui ma nièce présente la même requête.


5006. — POUR MADAME CALAS[486].

Je suppose que Mme  Calas a fait rendre à Mme  la marquise de Pompadour la lettre que M. le professeur Tronchin avait écrite à cette dame, il y a plus d’un mois, en faveur de Mme  Calas ; je crois qu’il y en a une aussi pour M. Quesnay. Ces deux lettres sont importantes.

Si Mme  Calas ne les avait pas encore fait rendre, il faudrait qu’elle ne différât plus ; elle n’aurait qu’à écrire à M. Quesnay, à Versailles, et mettre la lettre pour Mme  de Pompadour dans le paquet de M. Quesnay.

Ceux qui dirigent Mme  Calas à Paris lui dicteraient une lettre courte et attendrissante pour M. Quesnay ; cette démarche ferait un très-bon effet. Il serait aussi fort utile qu’elle écrivît un petit mot de remerciement à M. le duc de La Vallière, grand fauconnier de France, à Versailles. Elle pourrait lui dire en deux mots : « Monseigneur, je sais tout ce que vous avez daigné faire en faveur d’une famille malheureuse, et de la justice. Je serais aussi ingrate que je suis infortunée si je ne remplissais pas le devoir de vous remercier de tant de bontés, etc. »

Ces lettres que je conseille à Mme  Calas d’écrire lui seront très-utiles : en remerciant ses protecteurs, on les encourage à continuer ces protections.

S’il y a quelque difficulté sur la requête, et que ces difficultés viennent de monsieur le chancelier, il est essentiel que Mme  Calas et son conseil aillent chez M. de Nicolaï, premier président de la chambre des comptes, parent et intime ami de monsieur le chancelier. Cette démarche, que je conseille, est la plus importante de toutes.


Au dos :16 août 1762.

5007. — DE MADAME LA MARGRAVE DE BADE-DOURLACH.
À Carlsruhe, le 17 auguste.

Monsieur, votre souvenir est la chose du monde qui me flatte le plus. Vous pouvez ainsi juger avec quelle joie et reconnaissance je reçois les marques que vous voulez bien m’en donner. Le Mémoire[487] que vous m’envoyez, monsieur, ne serait pas sorti de votre plume s’il ne touchait et n’intéressait autant qu’il le fait. Ces infortunés sont heureux, dans leur malheur, que vous vouliez bien prendre leur défense. Personne n’est plus en état que vous, monsieur, de faire percer la vérité au travers des voiles dont la cabale et l’autorité chercheront à la couvrir. Il est bien louable à vous de donner sujet à votre cœur de se signaler autant que votre génie. L’un et l’autre est si parfait que non-seulement nous, mais la postérité la plus reculée ne cessera de vous chérir et de vous admirer. Conservez-moi votre amitié, je vous en conjure, monsieur ; j’ose y prétendre par l’estime très-distinguée avec laquelle j’ai l’honneur d’être, pour toute la vie, monsieur, votre, etc.


Caroline, margrave de Bade-Dourlach.

5008. — À M.  DE VOSGE.
Aux Délices, 18 auguste[488].

J’ai toujours, monsieur, de nouveaux remerciements à vous faire des trois dessins que vous avez eu la bonté de m’envoyer dans votre dernier paquet. Deux sont entre les mains de MM. Cramer, qui les enverront à leurs graveurs.

Le troisième est la ceinture de chasteté que vous mettez à cette Pulchérie : je trouve cette idée allégorique très-pittoresque. D’ailleurs c’est tout ce que fournit le sujet de cette pièce. Pulchérie déclare à son vieux Martian qu’il ne couchera point avec elle, et qu’il ne sera que son maître d’hôtel : c’est là tout le nœud et tout le dénoûment.

Plus les dernières pièces de Corneille sont indignes de lui, plus on doit vous savoir gré de les embellir par vos dessins.

Vous trouverez ci-joint le dessin de l’estampe de Pulchérie, que vous comptez mettre dans la forme ordinaire. Je ne sais pas trop ce que signifie la personne enchaînée, mais je m’en rapporte à vous sur les attitudes que vous donnerez aux figures, comme sur tout le reste.

J’ai l’honneur d’être bien véritablement, etc.


Voltaire.

5009. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
18 auguste.

Divins anges, le bout de vos ailes m’est plus sacré que jamais. Je vous remercie du bateau : voilà ce qu’on peut donner de plus agréable à M. Tronchin[489]. Je vous prie de joindre à toutes vos bontés celle d’ordonner à l’orfèvre d’envoyer par la diligence son bateau à M. Camp, banquier à Lyon, lequel M. Camp me le dépêchera sur-le-champ.

J’espère que je vous aurai bientôt une obligation encore plus grande, et que votre protection fera réformer l’abominable arrêt de Toulouse.

En vérité, si le roi connaissait les conséquences funestes de cette horrible extravagance, il prendrait l’affaire des Calas plus à cœur que moi. Voilà déjà sept familles qui sont sorties de France. Avons-nous donc trop de manufacturiers et de cultivateurs ? Je soumets ce petit article à la considération de M. le comte de Choiseul. La France le bénit de travailler à la paix ; mais Marie-Thérèse poursuivra toujours Luc.

Catherine se joindra à Marie-Thérèse ; don Carlos voudra délivrer don Joseph du soin de régir la Lusitanie.

Cette pièce vraiment n’est pas aisée à faire ; et l’auteur y aura assurément bien de l’honneur. On lui battra des mains sur les bords de mon lac, comme sur les bords de la Seine. Il daigne donc aussi protéger le tripot et les curés ! Dieu le bénira. Il faut que nous lui ayons l’obligation, à lui et à M. le maréchal de Richelieu, d’être débarbarisés.

J’entends Mme  de Scaliger à demi-mot ; elle veut un Cassandre : vous l’aurez, madame ; mais je doute que vous et mon autre ange vouliez l’exposer au théâtre et à la dent des malins, qui se moqueront de père Voltaire, et du curé d’Éphèse, et de ma religieuse, et de mon Cassandre dûment confessé. Cependant je vous jure que le tout fait un effet auguste et terrible. J’en ai pour garants des huguenots, qui se moquent des sacrements, et à qui pourtant ma confession a fait grand plaisir : enfin vous en jugerez. Je vous soumets tout ce que j’ai de sacré et de profane.

M. le maréchal de Richelieu vient-il ? Nous lui jouerons Cassandre. Mille tendres respects.


5010. — À M.  PIERRE ROUSSEAU.
Aux Délices, 20 auguste.

Pour répondre, monsieur, à votre lettre du 14 auguste, dont je vous suis très-obligé, je vous dirai que M. le duc de Grafton, qui était dans mon voisinage il y a quelque temps, me montra dans le Saint-James Chronicle du 17 juillet, n° 211, une prétendue lettre[490] de moi, tirée apparemment des archives de Grub-street ou des charniers Saints-Innocents.

Il fallut tout mon respect et toute ma reconnaissance pour m’engager à désavouer dans les papiers anglais cette rapsodie impertinente. Les honnêtes gens éclairés savent bien à quoi s’en tenir sur ces sottises dont on est inondé et dont on est las.

Au reste, monsieur, vous ferez fort bien, et je vous remercierai de faire imprimer dans votre journal la critique allemande de l’Histoire de Pierre le Grand[491]. Ce qu’il y aura de vrai et de judicieux dans cette critique servira pour le second volume. Je peux fort bien m’être trompé, quoique j’aie suivi, aussi exactement que j’ai pu, les mémoires qu’on m’avait envoyés de Pétersbourg.

Il y avait une lourde méprise, dans le manuscrit, concernant la religion. On avait pris le patriarche Nicolas pour le patriarche Photius, qui vivait cent ans auparavant. Cette erreur a été corrigée dans un grand nombre d’exemplaires. On avait mis aussi en un autre endroit Apraxin pour Nariskin.

D’ailleurs, si on conteste les faits, c’est aux archives de Pétersbourg à répondre pour moi. L’Histoire de Charles XII' a essuyé plus de critiques : ces critiques ont passé, et l’histoire est demeurée.

J’ai l’honneur d’être, etc.


Voltaire.

5011. — À M.  LE MARQUIS D’ARGENCE DE DIRAC.
Aux Délices, 21 auguste.

Le vieux paresseux malade a rarement la consolation d’écrire à son philosophe d’Angoulême. Vous avez dû recevoir un petit imprimé[492] qu’on dit assez curieux, et qui est dans votre goût. Je pense qu’il vous fut envoyé par votre libraire de Genève, avant votre voyage de Paris. Le libraire m’a dit que vous ne lui en aviez point accusé la réception. Il prétend que c’est un ouvrage très-rare, et qu’il a eu beaucoup de peine à vous trouver. Si vous aviez quelque envie de voir les Mémoires de Calas, il faudrait donner une adresse par laquelle on pût vous épargner un port considérable ; ce qui n’est pas à présent trop aisé. Ces Calas sont, comme peut-être vous l’avez déjà ouï dire, des protestants imbéciles que des catholiques un peu fanatiques ont fait rouer à Toulouse. Si notre siècle a des moments de raison, il en a de folies bien atroces.

Les Turcs prétendent que leur Alcoran a tantôt un visage d’ange, et tantôt un visage de bête. Cette définition de l’Alcoran convient assez au temps où nous vivons : il y a quelques philosophes, voilà les visages d’anges ; tout ce qui se fait ailleurs ressemble fort à des visages de bêtes.

Je crois que nous aurons bientôt ici le gouverneur de votre Guienne[493] ; il fait, comme vous, un petit pèlerinage chez le vieux gymnosophiste ; mais de tous les sages qui sont venus dans cet ermitage, vous serez toujours celui que je regretterai et que j’aimerai le plus.

Nous n’avons point eu de nouvelles intéressantes depuis la dernière colique du czar. Il n’y a eu ni roi détrôné, ni moines abolis, ni batailles données la semaine dernière.


5012. — À M.  DEBRUS[494].
Mercredi.

Je renvoie à M. Debrus les lettres qu’il a eu la bonté de me confier. Les trois avocats de Mme  Calas et de ses enfants demandent au conseil qu’il soit ordonné que toutes les minutes du malheureux procès soient apportées à Paris, parce qu’on craint qu’à Toulouse les copies ne soient falsifiées. Il paraît qu’en effet ce serait la seule ressource des assassins en robe noire.

Nous n’avons, encore une fois, aucun besoin de l’ambassadeur d’Angleterre ; on doit s’être assemblé chez M. d’Argental. Le rapporteur[495] est aussi bien disposé qu’il peut l’être, et le cri public est si violent que les juges n’oseraient, je crois, refuser la révision. Espérons tout. J’embrasse de tout mon cœur M. Debrus.


5013. — À M.  DUCLOS.
Aux Délices, 23 auguste.

Je prie l’Académie de considérer que je n’ai pu employer d’autre méthode que celle de lui envoyer les premières idées des Commentaires sur Corneille, afin qu’elle eût la bonté de les rectifier ; je les travaille avec soin quand elle a eu la bonté de me les renvoyer.

Il arrive quelquefois que, dans les ébauches que je soumets, je m’exprime trop naïvement, parce que alors il ne s’agit que de chercher la vérité, et non de ménager les convenances. Je ne donne pas aussi toute l’étendue nécessaire à mes remarques, bien sûr que l’Académie m’entendra.

Je découvre souvent à la révision une centaine de vers dont j’avais négligé l’examen. Les fautes sont innombrables dans les pièces qui suivent Polyeucte ; le travail est souvent désagréable et ingrat. Cependant je suis beaucoup plus prodigue d’éloges que de critiques ; et on s’en convaincra aisément, si on veut bien jeter les yeux sur les remarques pages 318 et 319[496].

J’ajoute à cet envoi la traduction de la conspiration de Brutus et de Cassius, ou de la Mort de César, que les Anglais préfèrent à Cinna. Je mets en parallèle cette pièce de Shakespeare et celle de Corneille. On sera peut-être étonné, et je crois que les nations verront qu’il y a quelque différence entre le théâtre français et le théâtre anglais.

J’espère que l’Académie et le public ne me sauront pas mauvais gré d’avoir exposé ces deux pièces de comparaison.

P. S. Je vous supplie, monsieur, de vouloir bien communiquer à l’Académie ces petites réflexions, et de me dire ce qu’elle pense de cette entreprise.


5014. — DE MADAME LA MARGRAVE DE BADE-DOURLACH.
À Carlsruhe, le 24 auguste.

Monsieur, je viens de recevoir l’Histoire d’Élisabeth Canning et de Jean Calas[497], que vous m’avez fait l’honneur de m’envoyer. Permettez, monsieur, que je vous en marque toute ma reconnaissance. Je prie le baron de Hahn, qui vous remettra cette lettre, de vous dire avec quel enthousiasme je vous estime, et combien je languis après le moment de vous revoir ici.

Je vous le répète[498], monsieur, la malheureuse famille de Calas est bien heureuse d’avoir trouvé un avocat tel que vous. Les choses que vous écrivez pour elle sont autant de pièces d’éloquence qui font honneur et à votre plume et à vos sentiments. Le public les recevra, comme moi, avec mille applaudissements, et votre gloire en recevra un nouveau lustre.

J’ai l’honneur d’être avec la considération la plus vraie et la plus parfaite, monsieur, votre, etc.


Caroline, margrave de Bade-Dourlach.

5015. — POUR MADAME CALAS[499].
Du 25 août.

On se trompe beaucoup quand on dit que Mme  de Pompadour ne s’intéresse pas à l’affaire. Il est vrai qu’elle ne peut ni ne doit agir ouvertement ; mais il est certain qu’elle est très-touchée d’une si horrible injustice, qu’elle rendra tous les services possibles sans se compromettre. Voilà sur quoi Mme  Calas peut compter. Il ne faut pas s’étonner si M. de Saint-Florentin a reçu le placet sans le lire. On ne lit guère de placets à l’audience ; il faudrait que l’audience tînt vingt-quatre heures pour les lire tous.

Il ne faudrait pas s’étonner qu’on ne rendît à Mme  Calas ses filles qu’après le procès.

Le gain de ce procès me paraît sûr. M. le premier président de Nicolaï est celui qui a agi le plus fortement auprès de monsieur le chancelier : il serait bon que Mme  Calas allât le remercier quand il sera à Paris.

Tout ce qu’on a fait jusqu’à présent a consisté à disposer favorablement les esprits, à émouvoir la compassion publique et à exciter l’indignation. Tout le reste se fera bien facilement ; Mme  Calas peut être tranquille. Elle sera très-bien servie par MM. Mariette et de Beaumont, et on prend de tous côtés les meilleures mesures en sa faveur.

Quant au jeune Lavaysse, c’est assez qu’il rende justice à la vérité dans le cours du procès, mais il ne doit pas négliger de faire connaître cette vérité à tous les particuliers auxquels il pourra parler. C’est un devoir dont il ne peut se dispenser, et dont sans doute il s’acquittera.

En un mot, que Mme  Calas se repose sur son innocence, et sur le zèle inaltérable de ceux qui s’intéressent à son affaire.


5016. — À M.  FYOT DE LA MARCHE[500].
25 auguste, aux Délices.

Vous voilà donc, mon illustre magistrat, le protecteur de Pertharite, d’Agéslias, d’Attila, de Surèna, de Pulchérie, etc. Vous étiez fait pour ne protéger que les Cinna et les Polyeucte. La meilleure part n’est pas tombée à votre dessinateur. Je lui sais bon gré de mettre du génie dans ses dessins, puisque ce Corneille en a mis si peu dans la moitié de ses pièces ; il eût fallu plutôt les supprimer que les décorer par des estampes ; mais le public, qui n’a jamais entendu ses intérêts, veut avoir toutes les sottises d’un grand homme. J’ai pris le parti depuis quelque temps de faire relier ce que je trouve de bien dans les livres nouveaux et de brûler le reste. S’il fallait tout lire, Mathusalem n’aurait pas le temps.

Je me flatte toujours que Pierre Corneille me donnera le temps de venir cultiver auprès de vous la vraie philosophie, qui vaut mieux que la poésie. Nous allons, en attendant, jouer des tragédies nouvelles que les comédiens ne défigureront pas. Mlle  Corneille commence à réciter des vers, comme son oncle en faisait quand il était inspiré. Nous attendons M. le maréchal de Richelieu et M. le duc de Villars, à qui nous donnerons la comédie.

J’ai l’honneur de vous envoyer encore par M. de Villeneuve[501] un Mémoire sur les Calas. Cette affaire va être portée au conseil : c’est un grand préjugé eu faveur de cette malheureuse famille que vous ayez de la compassion pour elle. Agréez mes tendres respects. V.


5017. — À M.  LE MARQUIS ALBERGATI CAPACELLI.
Aux Délices, 25 auguste.

il caro Goldoni, il figlio della Natura veut donc, monsieur, me laisser mourir sans me donner la consolation de le voir. Il m’a écrit de Lyon qu’il n’avait pu passer chez moi parce qu’il a sa femme ; mais certainement je ne lui aurais pas pris sa femme, et je les aurais reçus tous deux avec autant d’empressement qu’il le sera partout ailleurs. Il m’a mandé que de Lyon il allait à Paris, mais il ne m’a pas donné d’adresse ; ainsi je ne sais où lui répondre.

Je suis tout à fait angustiato. Vous m’étonnez, monsieur, de m’apprendre que vous voulez ressusciter en Italie la tragédie d’Idoménée[502], qui est morte à Paris dès sa naissance, il y a quelque soixante ans. C’est un des plus insipides ouvrages qu’on ait jamais donnés au théâtre, et aussi mal écrit que mal conduit. Assurément Phèdre et Polyeucte seraient bien étonnés de se trouver en pareille compagnie. Non, vous ne serez pas comme ceux qui tiennent table ouverte, et qui reçoivent également les gens aimables et les importuns.

Dieu a béni votre théâtre, et n’a pas accordé au mien beaucoup de faveur cette année. J’ai été si malade qu’il m’a fallu quitter le château de Ferney pour aller aux Délices près de Genève, et pour être longtemps entre les mains des médecins. Pendant ce temps-là, vous donniez de belles fêtes ; et il vous est plus aisé de trouver des acteurs à Bologne, qu’à moi d’en trouver à Genève. Bologna la dotta vaut mieux que Genève la pédante, où il n’y a que des prédicants, des marchands, et des truites. Je ne m’accommode pas tout à fait de cela, moi qui aime la bonne tragédie. Ce que nous avons de plus agréable dans ce pays-ci, c’est que nous sommes instruits les premiers de toutes les sottises sanguinaires qui se passent dans le Nord. Nous sommes tout juste entre la France, l’Allemagne, et l’Italie ; et on ne tue personne vers Dresde que nous ne le sachions les premiers. Avec tout cela j’aimerais beaucoup mieux avoir bâti un château vers Bologna que vers les Allobroges, et être votre voisin que celui des Savoyards ; mais Dieu n’a pas voulu que je visse la belle Italie. Il faut que je vive et que je meure où je suis ; j’y vivrai et j’y mourrai plein d’estime et de respect pour vous.


5018. — À M.  GOLDONI.
Aux Délices, près de Genève, 28 auguste.

Adasio un poco, caro sior : cosa che avete ditto che avete una moglie al lato, vol dir che siete un contade perfetto. Basta che il sior e la siora moglie sarebbero stati ricevuti con ogni rispetto, e col più gran zelo nelle mie capanne, e che la via di Ginevra è cosi bella come quella di Lione ; e che mi dispiace che la sia disgustada, e che non abbia avù la volontà di vegnir, e xe un pezzo che l’aspettava, e che io vo mi ramaricando ; vardé, che cosa fa di non aver preso la via di Ginevra ; vardé, che bisogna che diga tutto, e po vedrà se le cose van ben.

Volete dunque, mio caro sior, sanar la piaga che mi fate, coll’ onore della vostra dedicazione[503], ma se questa gloria innalza il mio spirito, e lusinga la vanità mia, il dolor di non avervi tenuto nelle mie braccia non è meno acerbo nel mio cuore. Leggero le vostre vezzose commedie fino al giorno che potrô riverire l’autore.

Non so dove siete adesso. Non so come indirizzare la mia lettera. Ma il vostro nome basta ; c mi confido che siete già conosciuto à Parigi come à Venezia. Non ho ancora ricevuto il regalo che mi accennate. Ma non posso differire i miei ringrazianienti.

Giacchè siete, o sarete ben presto cittadino di Parigi, vorrei farvi una visita, ma il Corneille non lo permetterà. Mi ritrovo fra il Corneille e il Goldoni. Stampero l’uno, e aspettero l’altro quando egli ritornerà a rivedere la sua bella Italia. Ma di grazia non mi deludete più colle illusioni della speranza.

Addio ; vi stimo, vi onoro, vi amo senza illusione veruna ; e saro sempre il vostro ammiratore, amico, et servitore[504].


5019. — À M.  DEBRUS[505].

Je prie instamment M. Debrus de se modérer. Je suis aussi vif, aussi empressé, aussi sensible que lui dans l’affaire des Calas. Mais ne gâtons point par des contradictions ce qu’on fait à Paris en faveur de cette malheureuse famille.

Le premier commis de M. de Saint-Florentin me mande qu’il faut absolument commencer par une requête à monsieur le chancelier. Laissons donc M. d’Argental, et les avocats Beaumont et Mallard[506] travailler en conséquence ; j’ai proposé des requêtes pour faire venir la procédure. Nous verrons si on tentera cette voie, ou si on attendra une copie de l’arrêt.

Ne craignons point que le parlement de Toulouse écrive ou fasse écrire à Mme  de Pompadour, il ne fera jamais cette démarche. Elle serait ridicule dans un parlement.

Si M. Debrus voyait les lettres que M. d’Argental et mon neveu m’écrivent, il serait content. Encore une fois, nous préparons les esprits, nous mettons tout en mouvement, et j’espère beaucoup. Il sera nécessaire que M. Debrus ait la bonté de m’instruire de tout ce qu’il saura de nouveau, afin que j’en avertisse sur-le-champ M. d’Argental et nos autres amis.

M. Tronchin le fermier général pense, comme M. d’Argental, qu’il faut laisser agir les deux avocats Beaumont et Mallard, d’autant plus que ces messieurs soulèvent tout le corps des avocats en faveur des Calas.

De deux choses l’une : ou le parlement de Toulouse verra son arrêt cassé, ou il sera déshonoré s’il est vrai qu’il ait aussi mal jugé qu’il le paraît.


5020. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
29 auguste.

Divins anges, je m’aperçois pourtant qu’il est difficile de faire à la fois une tragédie, l’Histoire du czar, l’Histoire générale[507], les Remarques sur Corneille, et de défricher le tout avec un procès[508] pour un cimetière.

J’apprends que vous n’êtes plus chez vous, et que la petite vérole vous en a chassés : voilà ce que c’est que de ne pas faire inoculer tous les petits garçons et toutes les petites filles d’un pays à l’âge de sept ans ; mais j’ai peur que Tronchin et La Condamine n’aient décrédité l’inoculation, l’un en excitant trop d’envie, et l’autre en y mêlant un peu de ridicule.

Je vous envoie Mariamne pour vous amuser dans votre exil ; vous avez dû recevoir le Jules César de Shakespeare. Je crois que vous serez convaincus que La Place est fort loin d’avoir fait connaître le théâtre anglais[509] ; avouez que l’excès énorme de son extravagance était pourtant bon à connaître.

J’ai vu la requête de Mariette pour les Calas ; j’ai vu l’arrêt. La jurisprudence de Toulouse est bien étrange ; cet arrêt ne dit pas seulement de quoi Jean Calas était accusé. Je ne regarde ce jugement que comme un assassinat fait en robe et en bonnet carré. Je me flatte qu’enfin votre protection fera rendre justice à l’innocence. Je sais bien que les lois ne permettent pas les dédommagements que l’équité exigerait ; les juges devraient au moins demander pardon à la famille, et la nourrir. Que pourra faire le conseil ? Il dira que Calas n’a point pendu son fils : nous le savions bien ; et quand le conseil se laisserait séduire par le parlement de Toulouse, l’Europe ne croira pas moins Calas innocent. Le cri public l’emporte sur tous les arrêts ; mais enfin c’est toujours beaucoup que le conseil réprime un peu le fanatisme.

Mes chers anges, je ne ferai point imprimer Cassandre[510] : que votre volonté soit faite dans la terre comme aux cieux ; mais il arrivera sûrement quelque malheur dans le Palatinat[511].

L’électeur fait une belle dépense pour cette représentation : nous jouerons la pièce à Ferney ; mais, quoique ce ne soit pas en électeurs, le spectacle ne laissera pas que d’être beau. J’espère que nous en régalerons M. le maréchal de Richelieu. Nous verrons, à cette représentation, s’il y a encore quelque chose à changer, et ensuite nous l’enverrons à nos juges en dernier ressort.

Mes divins anges, nous avons des fluxions qui ne permettent pas trop d’écrire. Mille tendres respects.


5021. — À M.  DAMILAVILLE.
Aux Délices, 29 auguste.

Mon cher frère, il y a deux pièces dont je suis fort content : l’une est l’arrêt du parlement[512] qui nous débarrasse des jésuites, l’autre est la requête de M. Mariette contre le parlement de Toulouse. Je me flatte qu’à la fin nous viendrons à bout de faire rendre justice à l’innocence. Mais quelle justice ! elle se bornera à déclarer que Jean Calas a été roué mal à propos. Le sang innocent, dans d’autres pays, obtiendrait une autre vengeance. Je regarde le supplice de Calas comme un assassinat revêtu des formes de la justice. Les assassins devraient bien être condamnés au moins à demander pardon à la famille, et à la nourrir.

Vous ne vous souvenez peut-être pas d’une lettre qui est, je crois, la première que je vous écrivis sur cette affaire, et qui était adressée à M. d’Alembert[513]. Je vous l’envoyai, afin que tous les frères fussent instruits de cet horrible exemple de fanatisme. Je ne sais quel exécrable polisson a pris cette lettre pour son texte, et y a ajouté tout ce qu’on peut dire de plus extravagant, de plus offensant, et de plus punissable contre le gouvernement. L’auteur a poussé la sottise jusqu’à dire du mal du roi, et du bien du poëme du Balai ; le tout, écrit dans les charniers Saints-Innocents, a été mis dans les papiers publics d’Angleterre.

Il se trouve encore que le Journal encyclopédique, qui est le seul journal que j’aime, est attaqué violemment dans ce bel écrit qu’on m’attribue. Les auteurs de ce journal s’en sont plaints à moi ; enfin j’ai été obligé d’avoir la condescendance de désavouer publiquement cette impertinence[514], par la raison qu’il y a bien plus de gens qui se connaissent en méchancetés qu’il n’y en a qui se connaissent en style. Il faut avouer que la lettre est si insolente, que M. d’Alembert serait presque aussi coupable de l’avoir reçue que moi de l’avoir écrite.

Quand vous verrez M. d’Alembert, je vous prie de l’instruire de tout cela.

Mon frère Thieriot a trouvé ici de la santé, et moi, je perds la mienne. Je suis accablé de fluxions, je deviens sourd. Les tempéraments faibles, à mon âge, s’en vont pièce à pièce. Nous allons jouer ici la comédie : je ne pourrai être tout au plus que spectateur ; c’est bien dommage, je ne faisais pas mal mes rôles de vieillard.

Ne pensez-vous pas qu’il faut attendre, pour reprendre à Paris le Droit du Seigneur, que la Comédie française soit sur un autre pied et sur un autre ton ? Je crois que vous avez à Paris Goldoni. Vous me ferez plaisir de me dire comment il réussira. Je ne parle pas de ses pièces ; je crois la chose décidée. On dit l’auteur très bon homme et fort naturel.

J’embrasse tendrement mon cher frère.


5022. — À M.  DEBRUS[515].

Je suis bien consolé, mon cher monsieur, par votre convalescence, et je souffre mon mal plus patiemment puisque le vôtre diminue.

J’ose vous prier de ménager un peu la sensibilité et la faiblesse de cette pauvre Mme  Calas. Il paraît qu’elle fait tout ce qu’elle peut. Jouissons de la satisfaction que nous devons attendre de voir bientôt l’infâme arrêt de Toulouse réformé, et ne troublons point une espérance si bien fondée, par de vaines craintes. M. d’Argental a la bonté de me rendre compte de tout ce qui se passe ; en vérité, les choses vont beaucoup mieux que je n’osais l’espérer.

Je vous dirai bien des choses dès que je pourrai sortir.


Au dos :1762, août.

5023. — À M.  COLINI.
Aux Délices, 30 auguste.

Vous allez donc, mon cher ami, être l’inspecteur des jeux[516]. Si la trappe réussit, je suis pour la trappe. Je ne me servis de coulisses pour brûler Olympie que parce que je ne pouvais avoir de trappe. Je faisais apporter un autel haut d’environ trois pieds ; on portait sur cet autel les offrandes qu’Olympie devait faire ; elle montait sur un petit gradin derrière cet autel. Les flammes cependant s’élançaient à droite et à gauche fort au-dessus des deux coulisses fermées, sur lesquelles étaient peints des tisons enflammés. Olympie descendait rapidement de son petit marchepied, elle passait comme un trait, en se baissant un peu, entre les deux coulisses ouvertes, qui se refermaient sur-le-champ ; elle se mettait en sûreté, et alors les flammes redoublaient.

Au reste, s’il en est encore temps, vous trouverez ci-joint un petit changement, au cinquième acte, qui m’a paru nécessaire. Nous allons jouer aussi Cassandre à Ferney ; mais à peine pourrai-je l’entendre, car, en vérité, je deviens sourd et aveugle. Le pays de Gex est charmant, mais il est entouré de montagnes de neige que je crois fort malsaines.

On dit que la tragédie de Russie recommence ; qu’on est sur le point de voir une seconde révolution. Je ne crois pas cette nouvelle fondée ; mais enfin, dans ce monde, il faut s’attendre à tout. Ma fluxion m’empêche de vous écrire de ma main ; je suis dans un état désagréable : c’est le partage de la vieillesse.

Je vous prie très-instamment d’empêcher l’impression de la pièce ; de ne la donner au souffleur qu’au moment de la représentation, et de retirer les rôles dès qu’elle aura été jouée.

Je vous embrasse de tout mon cœur.


5024. — À M.  LE CARDINAL DE BERNIS.
Aux Délices, 3 septembre.

Je suis affligé en mon étui, monseigneur, mes sens me quittent l’un après l’autre, en dépit de Tronchin. La nature est plus forte que lui dans une machine frêle qu’elle mine de tous les côtés. Une fluxion diabolique m’a privé de l’ouïe, et presque de la vue. La famille d’Alexandre s’en est mal trouvée ; je l’ai abandonnée jusqu’à ce que je souffre moins ; mais je n’ai pas abandonné la famille des Calas, qui est aussi malheureuse que celle d’Alexandre. Je prends la liberté d’envoyer à Votre Éminence un petit Mémoire assez curieux sur cette cruelle affaire ; la première partie pourra vous amuser, la seconde pourra vous attendrir et vous indigner. Le conseil enfin est saisi des pièces, et l’on va revoir le jugement de Toulouse. Vous me demanderez pourquoi je me suis chargé de ce procès ; c’est parce que personne ne s’en chargeait, et qu’il m’a paru que les hommes étaient trop indifférents sur les malheurs d’autrui. Si Pierre III n’avait pas été un ivrogne, son aventure serait un beau sujet de tragédie. Deux rivales, une femme près d’être répudiée, une révolution subite ; l’étoffe ne manque pas. L’amour encore a fait assassiner le roi de Portugal[517] ; et puis qu’on aille dire que nous avons tort de mettre de l’amour dans nos pièces !

En voilà trop pour un sourd presque aveugle. Nous répétons Cassandre. Mlle  Corneille ne jouera pas mal Olympie ; mais elle jouera mieux Chimène, comme de raison.

Je vous réitère mes très-tendres respects.


5025. — À MADAME CALAS[518].

Madame, tous ceux qui ont le bonheur de vous servir dans une affaire si juste doivent se féliciter également. Vous savez que je n’ai jamais douté de l’événement de votre procès. Il me paraît que le conseil du roi s’est engagé à vous donner une satisfaction entière en obligeant les juges de Toulouse d’envoyer la procédure et les motifs de l’arrêt. Jouissez maintenant du repos ; je vous fais les plus tendres et les plus sincères compliments, ainsi qu’à mesdemoiselles vos filles. Vous vous êtes conduite en digne mère, en digne épouse ; on vous doit louer autant qu’on doit abhorrer le jugement de Toulouse. Soyez pourtant consolée que l’Europe entière réhabilite la mémoire de votre mari ; vous êtes un grand exemple au monde. Je serai toujours, avec les sentiments qui vous sont dus, madame, votre, etc.


5026. — À M.  COLINI.
Aux Délices, 4 septembre.

Voici tout ce que peut répondre un pauvre homme qui perd l’ouïe et la vue, et qui perdra bientôt le reste.

Il y a toujours quelque chose à refaire à une tragédie. Je me suis aperçu que, dans la troisième scène du quatrième acte, l’hiérophante ne donne nulle raison de cette loi qui n’accorde qu’un seul jour à Olympie pour renoncer à son époux, et pour faire un nouveau choix. La voici, cette raison :


· · · · · · · · · ·
Son épouse en un jour peut former d’autres nœuds ;
Elle le peut sans honte, à moins que sa clémence,
À l’exemple des dieux, ne pardonne l’offense.
La loi donne un seul jour : elle accourcit les temps
Des chagrins attachés à ces grands changements.

Mais surtout attendez les ordres d’une mère ;
Elle a repris ses droits, ce sacré caractère[519], etc.


M. Colini est prié de faire ce petit changement sur le rôle de l’hiérophante. La pièce aurait encore besoin de quelques autres changements ; mais comme le temps presse, on ne veut pas fatiguer les acteurs.

On a déjà dit, dans la dernière lettre, comment la scène du bûcher fut exécutée au château de Ferney. On prendra sur le théâtre de Schwetzingen le parti que l’on voudra ; mais il est essentiel que les prêtresses apportent un autel sur le devant du bûcher, et qu’Olympie monte sur ce petit gradin à l’autel.

Ce qu’il y a de plus nécessaire, c’est que l’actrice chargée du rôle d’Olympie soit très-attendrissante, qu’elle soupire, qu’elle sanglote ; que dans la scène avec sa mère elle observe de longues pauses, de longs silences, qui sont le caractère de la modestie, de la douleur, et de l’embarras.

Il faut, au dernier acte, un air recueilli et plein d’un sombre désespoir ; c’est là surtout qu’il est nécessaire de mettre de longs silences entre les vers. Il faut au moins deux ou trois secondes en récitant :


Apprends… que je t’adore… et que je m’en punis.


Un silence après apprends, un silence après que je t’adore. Le rôle de Cassandre doit être joué avec la plus grande chaleur, et celui de l’hiérophante avec une dignité attendrissante.

M. Colini est instamment prié de ne point faire imprimer la pièce avant qu’on y ait donné la dernière main.

Le malade lui fait mille compliments.


5027. — À M.  DEBRUS[520].
4 (septembre).

On trouve le mémoire de M. Mariette trop long[521], trop minutieux, trop peu intéressant, trop peu éloquent ; mais, tel qu’il est, il sera instructif pour les juges, et cela suffit. On attend beaucoup de celui de M. de Beaumont, il sera signé des plus fameux avocats de Paris ; cette signature fera un effet prodigieux.

M. d’Argental se donne tous les mouvements possibles ; mon neveu agit de son côté avec beaucoup de succès. Je vois évidemment par la disposition des esprits que le parlement de Toulouse sera confondu. Cet exemple pourra servir à inspirer la tolérance que les hommes se doivent les uns aux autres, et qu’ils pratiquent si peu.

M. le duc de Nivernois part aujourd’hui pour l’Angleterre ; il paraît qu’on peut compter sur la paix.


5028. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[522].
5 septembre.

Madame, voilà donc la paix presque faite. Votre Altesse sérénissime s’en réjouit, et il y a grande apparence que Votre Altesse ne fera plus les honneurs de chez elle qu’à ceux qui viendront uniquement pour lui faire leur cour. On y venait en trop grande compagnie, et sans être prié, ce qui est assurément contre les règles de la civilité. Le grand fléau qui désolait l’Europe va donc cesser, jusqu’à la première fantaisie d’un roi et d’un ministre qui voudront faire parler d’eux. Il ne nous reste plus que les petits fléaux ordinaires. L’aventure de Calas est de ce nombre, et j’espère qu’on réformera ce détestable arrêt d’assassins en robe. J’y travaille du fond de ma retraite, et malgré mes infirmités. Je ne veux point mourir que je n’aie vu la fin de cette affaire.

Je crois celle de Russie finie ; la czarine a fait une plaisante oraison funèbre de monsieur son mari[523].

Votre Altesse sérénissime veut un Meslier ; le voilà, accompagné d’un petit sermon qu’on a imputé au roi de Prusse, quoique à tort. Je ne vous envoie, madame, ces deux ouvrages extrêmement rares que parce qu’ils ne sont empoisonnés d’aucun levain d’athéisme. On y déteste les erreurs humaines, et l’infâme charlatanisme qui donne encore aujourd’hui tant d’honneurs et tant d’argent aux corrupteurs de la raison. Les fanatiques ont commencé par l’humilité et par la douceur, et ont tous fini par l’orgueil et par le carnage. Tous sont également les ennemis de Dieu, du père de tous les hommes, les ennemis du sens commun que Dieu nous a donné, les ennemis de notre liberté et de notre repos. Enfin ils sont infaillibles, car ils ont trente millions de rente. On peut certainement adorer un Dieu sans adorer ces messieurs-là.

Ce qui est adorable après Dieu, si on peut user de ce terme, c’est la vertu aimable ; donc, mille profonds respects.


5029. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
6 septembre.

Mes divins anges, je prends donc la liberté de faire mon compliment à M. le comte de Choiseul[524]. Ce compliment est court, mais il part du cœur ; et malheur aux compliments quand ils sont longs ! D’ailleurs ma fluxion ne me permet pas une éloquence bien prolixe. Je joins à mon paquet un Canning-Calas[525] qui me reste : on peut toujours le placer. J’attends avec bien de l’impatience le mémoire instructif de Mariette, et la philippique d’Élie. J’espère que cette philippique fera un très-grand effet, et qu’elle sera signée d’un grand nombre d’avocats. C’est un point important. Ces témoignages réunis tiennent lieu d’un arrêt, et dirigent celui des juges. Ah ! mes anges, que vos louanges seront chantées, quand vous aurez consommé votre bonne action !

Je vous prie de faire mes compliments à frère Berthier (quand vous le verrez) sur sa résurrection, et sur sa place de sous-précepteur[526]. Il faut espérer qu’il sera un jour un petit cardinal de Fleury.

Eh bien ! ce Henri IV[527], dont j’espérais tant, n’a pas même réussi à Bagnolet. Lekain m’en avait dit merveilles ; il m’a dit aussi miracle d’Èponine[528]. Je n’ai pas grande foi au goût de Lekain.

Les Délices sont aux pieds de mes anges.

5030. — À M.  LE COMTE DE CHOISEUL.
Aux Délices, 6 septembre.

Si je ne voulais faire entendre ma voix, cher seigneur, je me tairais dans la crise des affaires où vous êtes ; mais j’entends la voix de beaucoup d’étrangers : tous disent qu’on doit vous bénir si vous faites la paix, à quelque prix que ce soit. Permettez-moi donc, monseigneur, de vous en faire mon compliment. Je suis comme le public, j’aime beaucoup mieux la paix que le Canada ; et je crois que la France peut être heureuse sans Québec. Vous nous donnez précisément ce dont nous avons besoin. Nous vous devons des actions de grâces. Recevez en attendant, avec votre bonté ordinaire, le profond respect de


Voltaire.

5031. — À M.  LE CONSEILLER LE BAULT[529].
Aux Délices, 8 septembre 1762.

Monsieur, on dit que votre parlement va reprendre ses séances ; je vous prie d’agréer mes très-sincères compliments ; la paix va enfin être partout, et tout le monde en avait besoin ; pour moi, je suis en guerre avec les dix tonneaux dont je comptais boire ma part à votre santé. Le tempérament de votre vin est trop différent du mien ; vous savez que je suis trop maigre, et il s’est mis à être trop gras, il file. Je vous demande conseil. Vous devez, monsieur, être le Tronchin du vin ; dites-moi, je vous prie, s’il y a du remède, et quel remède vous apportez en pareil cas.

Je suis plus malade encore que mon vin, et c’est ce qui fait, monsieur, que je n’ai pas l’honneur de vous écrire de ma main ; je renonce à engraisser, mais si vous pouvez dégraisser mes dix tonneaux, je vous aurai une extrême obligation.

Je comptais avoir l’honneur de vous voir cet automne, et d’aller à la Marche ; il faudra que je me borne à vous renouveler de loin le respect et l’attachement avec lequel j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

Oserai-je prendre la liberté de présenter mes respects à monsieur le premier président et à monsieur le procureur général ?


Voltaire.

5032. — À M.  FYOT DE LA MARCHE[530].
Aux Délices, 8 septembre 1762.

Voilà le mois de septembre venu, monsieur, et je voudrais déjà être à la Marche ; mais une descente de pairs du royaume et une fluxion sur les yeux et sur les oreilles me retiendront aux Délices probablement jusqu’à la fin du mois. M. le duc de Villars est ici ; nous attendons M. le duc de Richelieu ; Mme  Denis et Mlle  Corneille répètent leurs rôles, et moi, je ne joue que celui de malade. Dieu me fasse la grâce de pouvoir, à la fin du mois, venir me réjouir avec vous de la paix que nous allons avoir avec les Anglais et de celle que probablement votre parlement aura avec le conseil !

Je suis fort content, malgré les critiques de l’estampe d’Othon que M. Le Monier[531] m’envoie. Je vous renouvelle mes remerciements, et je vous prie de permettre que j’insère ce petit billet dans ce paquet. Pardonnez à un pauvre homme, moitié sourd, moitié aveugle, s’il vous écrit si laconiquement ; vous savez combien il serait bavard s’il vous disait à quel point il est pénétré pour vous d’attachement et de respect. V.


5033. — DE M.  D’ALEMBERT.
À Paris, 8 septembre.

L’Académie m’a chargé, mon cher confrère, en l’absence de M. Duclos, de vous remercier de la traduction que vous lui avez envoyée du Jules César de Shakespeare. Elle l’a lue avec plaisir, et elle pense que vous avez très-bien fait de relever par ce parallèle le mérite de notre théâtre. Elle s’en rapporte à vous pour la fidélité de la traduction, n’ayant pas eu d’ailleurs l’original sous les yeux. Elle est étonnée qu’une nation qui n’est pas barbare puisse applaudir à des rapsodies si grossières ; et rien ne lui paraît plus propre, comme vous l’avez très-bien pensé, à assurer la gloire de Corneille.

Après m’être acquitté des ordres de l’Académie, voici maintenant pour mon compte. Quelque absurde que me paraisse la pièce de Shakespeare, quelque grossiers que soient réellement les personnages, quelque fidélité que je pense que vous ayez mise dans votre traduction, j’ai peine à croire qu’en certains endroits l’original soit aussi mauvais qu’il le paraît dans cette traduction. Il y a un endroit, par exemple, où vous faites dire à un des acteurs, mes braves gentilshommes ; il y a apparence que l’anglais porte gentlemen ou peut-être worthy gentlemen, expression qui ne renferme pas l’idée de familiarité qui est attachée dans notre langue à celle-ci, mes braves gentilhommes[532]. Vous savez d’ailleurs mieux que moi que gentleman, en anglais, ne signifie pas ce que nous entendons par gentilhomme. Vous faites dire à un des conjurés, après l’assassinat de César : L’ambition vient de payer ses dettes[533] ; cela est ridicule en français, et je ne doute point que cela ne soit fidèlement traduit ; mais cette façon de parler est-elle ridicule en anglais ? je m’en rapporte à vous pour le savoir. Si je disais de quelqu’un qui est mort : Il a payé ses dettes à la nature, je m’exprimerais ridiculement ; cependant la phrase latine correspondante, Naturæ solvit debitum, n’aurait rien de répréhensible. Vous sentez bien, mon cher maître, que je ne fais en tout ceci que vous proposer mes doutes ; je sais très-médiocrement l’anglais ; je n’ai point l’original sous les yeux ; la présomption est pour vous à tous égards, et moi-même tout le premier je parierais pour vous contre moi ; mais comme l’anglais et le français sont deux langues vivantes, et dans lesquelles par conséquent on connaît parfaitement ce qui est bas ou noble, propre ou impropre, sérieux ou familier, il est très-important que dans votre traduction vous ayez conservé partout le caractère de l’original dans chaque phrase, afin que les Anglais ne vous reprochent pas ou d’ignorer la valeur des expressions dans leur langue, ou d’avoir défiguré leur idole, pour ne pas dire leur magot.

J’ai lu aussi dans l’imprimé la fin des notes sur Cinna. Le ton m’en paraît convenable, et beaucoup mieux que dans les notes manuscrites. Vous pouvez tout dire, et vous ferez même très-bien ; il ne s’agit que de la manière.

J’ai lu à l’Académie française, le jour de la Saint-Louis, un morceau sur la poésie[534], et principalement sur l’ode : les partisans de Rousseau (qui n’en a plus guère) ne seront pas trop contents de moi, car j’ai osé dire que ce poète pensait peu, et que chez lui la partie du sentiment est nulle. Comme rien n’est plus vrai, les clameurs que cette décision pourra exciter ne m’inquiètent guère, d’autant que Rousseau n’a pas encore, comme Corneille, les honneurs de l’apothéose. J’ai trouvé occasion, dans le même écrit, de vous rendre la justice que vous méritez, à l’occasion de l’usage de la philosophie dans la poésie, genre de mérite rare et précieux que vous seul avez eu parmi nous.

Qu’est-ce qu’un Éloge de Crébillon[535], ou plutôt une satire sous le nom d’éloge, qu’on vous attribue ? Quoique je pense absolument comme l’auteur de cette brochure sur le mérite de Crébillon, je suis très-fâché qu’on ait choisi le moment de sa mort pour jeter des pierres sur son cadavre ; il fallait le laisser pourrir de lui-même, et cela n’eut pas été long.

Les amis de Rousseau (non plus de Rousseau le poëte, mais de Rousseau de Genève) répandent ici que vous le persécutez, que vous l’avez fait chasser de Berne, et que vous travaillez à le faire chasser de Neuchâtel. Je suis persuadé qu’il n’en est rien, et que, malgré les torts que Rousseau peut avoir avec vous, vous ne voudriez pas l’écraser à terre. Je me souviens d’un beau vers de Sémiramis[536] :


· · · · · La pitié, dont la voix,
Alors qu’on est vengé, fait entendre ses lois.


Souvenez-vous d’ailleurs que si Rousseau est persécuté, c’est pour avoir jeté des pierres, et d’assez bonnes pierres, à cette infâme que vous voudriez voir écrasée, et qui fait le refrain de toutes vos lettres, comme la destruction de Carthage était le refrain de tous les discours de Caton au sénat. Rousseau ressemble à cet homme des Fables d’Ésope, qui donnait des soufflets aux passants, et à qui on conseilla, pour son malheur, d’aller souffleter aussi un sot accrédité qui se trouva sur son chemin, et qui lui fit payer les soufflets pour lui et pour les autres passants. Mais il ne faut pas que la philosophie, tout insultée qu’elle est par lui, puisse être accusée d’avoir contribué ou même d’insulter à son malheur. L’archevêque vient de faire contre lui un grand diable de mandement qui donnera envie de lire sa Profession de foi[537] à ceux qui ne la connaissent pas. Un mandement d’archevêque n’est qu’un titre de plus pour la célébrité ; cela s’appelle sortir avec les honneurs de la guerre.

On dit que le parlement est assemblé dans ce moment pour défendre aux jésuites de prêcher :


C’est ainsi qu’en partant il leur fait ses adieux[538].


Je n’aurais jamais cru que la destruction de cette vermine dût faire un si petit événement. À peine en a-t-on parlé deux jours, et ces jésuites si orgueilleux périssent comme des capucins, sans faire de sensation ; on dit pourtant qu’il y a des personnes très-considérables à Versailles qui ne prennent pas la chose si fort en patience, qui en maigrissent à vue d’œil, et dont les joues rentrent en dedans à mesure que les jésuites sont poussés dehors. À propos de cela, savez-vous que frère Berthier a pensé être instituteur des Enfants de France ? Heureusement ce ridicule choix n’a pas eu lieu ; voilà en effet un plaisant instituteur qu’un capelan sans philosophie, sans goût, sans connaissance des hommes ! Si on le faisait balayeur de la Bibliothèque du roi, je le trouverais mieux placé.

Que dites-vous de la révolution de Russie, et de votre ancien disciple, dont vous vous obstinez à ne me point parler ? Vous avez toujours cru qu’il périrait : il s’en tirera pourtant, si je ne me trompe, grâce à son activité et à son courage. Je me flatte qu’après la paix, qu’on nous fait espérer bientôt, il redeviendra notre ami, et que tout rentrera dans l’ordre accoutumé[539].

Adieu, mon cher et illustre philosophe ; vous me négligez un peu ; je ne reçois plus de vos nouvelles que de loin à loin, et je trouve cela très-mauvais.


5034. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
Au château de Ferney, par Genève, 14 septembre.

Je reçois la lettre de mes divins anges du 7 de septembre, avec les plus tendres remerciements. Mme  Scaliger a donc aussi une fluxion ; je la plains bien, non pas à cause de ma triste expérience, mais par extrême sensibilité. Cependant il y a fluxion et fluxion ; j’en connais qui rendent sourd et borgne vers les soixante-neuf ans, et qui glacent ce génie que vous prétendez qui me reste. Je ne suis pas trop actuellement en état de raboter des vers ; j’attends quelques petits moments favorables pour obéir à tout ce que mes anges m’ordonnent ; mais si malheureusement mon imbécillité présente se prolongeait, ne pourrait-on pas toujours jouer Mariamne à Fontainebleau, en attendant que le sens commun de la poésie me fût revenu ?

La barque à Tronchin[540] est extrêmement jolie ; elle semble convenir très-fort à celui qui sauve les gens de la barque à Caron. J’ai écrit à l’électeur palatin[541] pour lui demander en grâce qu’il empêche, par son autorité électorale, que Cassandre ne soit livré au bras séculier, et imprimé. Il m’a déjà promis d’avoir cette attention, et je me flatte qu’il tiendra sa parole.

Il a fait, en dernier lieu, exécuter Tancrède d’une façon qui ne laisse pas soupçonner qu’on viole la terrible unité de lieu. On voit la maison d’Argire, un temple, l’hôtel des chevaliers, et deux rues : voilà le goût antique dans toute sa régularité.

Je relis la lettre de mes anges. Je soupçonne qu’il y a quelque malentendu dans la copie de Mariamne que j’ai envoyée ; et, dès que j’aurai la tête moins emmitouflée, je reverrai ce procès avec attention.

Celui des Calas me paraît en bon train, grâce à votre protection.

Je ne connais ni le nom du rapporteur ni celui des juges, tant la veuve a pris soin de me bien informer. J’attendrai patiemment le mémoire de Mariette ; mais je vous avoue que j’attends avec impatience celui d’Élie.

Ne faudrait-il pas, quand les juges seront nommés, les faire solliciter fort et longtemps, soir et matin, par leurs amis, leurs parents, leurs confesseurs, leurs maîtresses ? Ceci est la cause du bon sens contre l’absurdité, et de l’humanité contre la barbarie fanatique. Il sera bien doux de gagner ce procès contre les pénitents blancs. Est-il possible qu’il y ait encore de pareils masques en France ?

Mes anges, il y a longtemps que j’ai envie de vous écrire sur le philosopbe qui veut épouser[542]. Voici l’état des choses. Quand l’extrême protection, et la grande considération qu’on me prodiguait, força ma modestie à quitter la France, j’avais des rentes viagères et de l’argent comptant. Je me suis défait de ce dernier embarras en assurant à Mme  Denis seize mille livres de rente ; j’en ai donné trois à Mme  de Fontaine ; j’en ai assuré quinze cents ou environ à Mlle  Corneille : le reste a été englouti en maisons, châteaux, meubles, et théâtre. Je ne sais pas encore ce qui reviendra à Mlle  Corneille de l’édition de Pierre, mais je crois que cela lui formera un fonds d’environ quarante mille livres. Je lui donnerai une petite rente pour ma souscription. Il ne faut pas se flatter que je puisse davantage. Ne comptons même l’édition de Corneille que pour trente mille livres, afin de ne pas porter nos espérances trop haut, et de n’être pas obligé de décompter.

Si le philosophe est vraiment philosophe, et veut demeurer avec nous jusqu’à ce que son père lui cède son château, il jouira d’une assez bonne maison ; mais qu’il ne croie pas épouser une philosophe formée. Nous commençons à écrire un peu, nous lisons avec quelque peine, nous apprenons aisément des vers par cœur, et nous ne les récitons pas mal : la santé est très-faible, le caractère est doux, gai, caressant ; le mot de bonne enfant semble avoir été fait pour elle. J’ai rendu un compte fidèle du spirituel et du temporel, du physique et du moral, et je m’en tiens là, en me remettant à la Providence,

Voilà les juges nommés pour la révision du procès des Calas. On est instruit du nom des juges ; on espère que nos anges protecteurs les feront bien solliciter, et on se flatte que la cause elle-même les sollicite.

Mille tendres respects.

5035 — DE WAGNIÈRE À MADAME CALAS[543].
Au château de Ferney, par Genève, 14 septembre 1762[544].

M. de Voltaire a reçu la lettre de Mme  Calas ; il ne peut se donner la satisfaction de lui écrire lui-même, étant un peu malade. Il s’attendait bien à la réception que M. le duc de La Vallière ferait à Mme  Calas ; il a fait tout ce qu’il a promis, et fera encore au delà.

Mme  Calas peut compter que ses meilleurs protecteurs seront toujours le duc de La Vallière et M. le premier président de Nicolaï. M. d’Argental rend des services encore plus essentiels et ne cessera de les rendre ; c’est à lui que Mme  Calas aura la principale obligation du gain de son procès.

Nous n’avons pas moins d’obligation à M. Crommelin.

Mme  Calas est priée de nous faire avoir les noms du rapporteur et des juges. M. d’Argental et les autres correspondants n’ont point encore envoyé cette liste, mais ils n’en agissent pas avec moins de zèle.

On exhorte Mme  Calas à être très-tranquille, et à se reposer sur l’activité de ceux qui la servent. Elle n’a plus rien à faire, on fera tout pour elle ; les mémoires préparatoires qu’on a imprimés sont traduits actuellement en allemand, en anglais et en hollandais ; le public a prononcé en faveur de l’innocence, le conseil la vengera[545].

On lui fait les plus sincères compliments.


Wagnière,
secrétaire de M. de Voltaire, gentilhomme ordinaire de
la chambre du roi, comte de Tournay.

5036. — À M.  D’ALEMBERT.
Au château de Ferney, par Genève, 15 septembre.

Mon très-aimable et très-grand philosophe, je suis emmitouflé. Je vise à être sourd et aveugle. Si je n’étais qu’aveugle, je reviendrais voir Mme  du Deffant ; mais étant sourd, il n’y a pas moyen.

Je vous prie de dire à l’Académie que je la régalerai incessamment de l’Héraclius de Calderon, qui pourra réjouir autant que le César de Shakespeare. Soyez très-persuadé que j’ai traduit Gilles Shakespeare selon l’esprit[546] et selon la lettre. L’ambition qui paye ses dettes[547] est tout aussi familier en anglais qu’en français, et le dimitte nobis débita nostra[548] n’en est pas plus noble pour être dans le Pater.

On a bien de la peine avec les Calas ; on n’a été instruit que petit à petit, et ce n’est qu’avec des difficultés extrêmes qu’on a fait venir les enfants à Genève l’un après l’autre, et la mère à Paris. Les mémoires ont été faits successivement, à mesure qu’on a été instruit. Ces mémoires ne sont faits que pour préparer les esprits, pour acquérir des protecteurs, et pour avoir le plaisir de rendre un parlement et des pénitents blancs exécrables et ridicules.

Comment peut-on imaginer que j’aie persécuté Jean-Jacques ? voilà une étrange idée ; cela est absurde. Je me suis moqué de son Émile, qui est assurément un plat personnage ; son livre m’a ennuyé ; mais il y a cinquante pages que je veux faire relier en maroquin. En vérité, ai-je le nez tourné à la persécution ? Croit-on que j’aie un grand crédit auprès des prêtres de Berne ? Je vous assure que la prêtraille de Genève aurait fait retomber sur moi, si elle avait pu, la petite correction qu’on a faite à Jean-Jacques, et j’aurais pu dire :


· · · · · · · · · · Jam proximus ardet
Ucalegon[549] · · · · · · · · · ·


si je n’avais pas des terres en France, avec un peu de protection. Quelques cuistres de calvinistes ont été fort ébahis et fort scandalisés que l’illustre république me permît d’avoir une maison dans son territoire, dans le temps qu’on brûle et qu’on décrète de prise de corps Jean-Jacques le citoyen ; mais comme je suis fort insolent, j’en impose un peu, et cela contient les sots. Il y a d’ailleurs plus de Jean Meslier et de Sermon des cinquante[550] dans l’enceinte des montagnes qu’il n’y en a à Paris. Ma mission va bien, et la moisson est assez abondante. Tâchez de votre côté d’éclairer la jeunesse autant que vous le pourrez.

J’ai envoyé à frère Damilaville un[551] long détail d’une bêtise imprimée dans les journaux d’Angleterre ; c’est une lettre qu’on prétend que je vous ai écrite : vous auriez un bien plat correspondant si je vous avais en effet écrit de ce style.

Le factum de l’archevêque de Paris contre Jean-Jacques me paraît plus plat que l’éducation d’Émile ; mais il n’approche pas du réquisitoire d’Omer[552]. Quand un homme public est bête, il faut l’être comme Omer, ou ne point s’en mêler. Je suis très-sûr qu’on a proposé Berthier pour la place de maître Éditue[553]. Il faut avouer qu’il y a certaines familles où l’on élève bien les enfants ; mais, Dieu merci, nous n’avons eu qu’une fausse alarme.

Je vous parle rarement de Luc, parce que je ne pense plus à lui : cependant s’il était capable de vivre tranquille et en philosophe, et de mettre à écraser l’inf… la centième partie de ce qu’il lui en a coûté pour faire égorger du monde, je sens que je pourrais lui pardonner.

Vous avez vu, sans doute, la belle lettre que Jean-Jacques a écrite à son pasteur[554] pour être reçu à la sainte table : je l’ai envoyée à frère Damilaville. Vous voyez bien que ce pauvre homme est fou : pour peu qu’il eût eu un reste de sens commun, il serait venu au château de Tournay, que je lui offrais. C’est une terre entièrement libre : il y eût bravé également et les prêtres ariens, et l’imbécile Omer, et tous les fanatiques ; mais son orgueil ne lui a pas permis d’accepter les bienfaits d’un homme qu’il avait outragé.

Criez partout, je vous en prie, pour les Calas et contre le fanatisme, car c’est l’inf… qui a fait leur malheur. Vous devriez bien venir un jour à Ferney avec quelque bon cacouac. Je voudrais vous embrasser avant que de mourir, cela me ferait grand plaisir.


5037. — À M.  DAMILAVILLE.
18 septembre.

Ah ! ah ! mon frère, on croit donc que je veux immoler Corneille sur l’autel que je lui dresse ! Il est vrai que je respecte la vérité beaucoup plus que Pierre ; mais lisez, et renvoyez-moi ces cahiers, après les avoir fait lire à frère Platon.

J’attends la prophétie d’Élie Beaumont, qui fera condamner les juges iniques, comme l’autre Élie fit condamner les prêtres de Baal. Nous prions mon cher frère de dire au second Élie que cent mille hommes le loueront, le béniront, et le remercieront.

Nous envoyons au cher frère la belle lettre de J. -J. Rousseau au cuistre de Motiers-Travers[555]. On peut juger de la conduite noble et conséquente de ce Jean-Jacques. Ne trouvez-vous pas que voilà une belle fin ? Je mourrai avec le chagrin d’avoir vu la philosophie trahie par les philosophes et des hommes qui pouvaient éclairer le monde s’ils avaient été réunis. Mais, mon cher frère, malgré la trahison de Judas, les apôtres persévérèrent.

On cherche à connaître quel est l’auteur d’un libelle intitulé les Erreurs de Voltaire, imprimé à Avignon : on prétend que c’est un jésuite[556]. Son livre contient en effet beaucoup d’erreurs, mais ce sont les siennes : cela est tout à fait jésuitique. C’est un tissu de sottises et d’injures, le tout pour la plus grande gloire de Dieu. Il est bon de lui donner sur les oreilles, M. Diderot est prié de savoir le nom du porteur d’oreilles.

Les farceurs de Paris joueront le Droit du Seigneur quand ils voudront ; mais ils n’auront Cassandre que quand ils auront satisfait à ce devoir.

Je désire chrétiennement que le Testament du curé[557] se multiplie comme les cinq pains, et nourrisse les âmes de quatre à cinq mille hommes, car j’ai plus que jamais l’inf… en horreur, et j’aime plus que jamais mon frère.


5038 — À M.  FYOT DE LA MARCHE[558].
À Ferney, 20 septembre.

J’ai besoin plus que jamais de la tranquillité de la retraite ; me voilà aux prises avec des ducs, des acteurs, des décorateurs : tout cela ne convient pas trop à mon âge. J’imagine qu’on est plus à soi dans le beau château de la Marche. Rien n’est plus triste que les plaisirs quand on n’a point de santé et qu’on perd ses oreilles.


Sincerum est nisi vas, quodcumque infundis acescit.


J’ai reçu une nouvelle estampe dessinée par M. de Vosge : nouveaux remerciements à vous faire ; mais il faut qu’il en ait sa part. Je vous prie de permettre qu’il trouve dans cette lettre les expressions de ma reconnaissance. Je suis trop languissant, trop misérable, pour écrire à d’autres qu’à vous. Nous verrons si, avant votre départ pour Paris, je serai assez heureux pour venir vous dire que vous n’aurez jamais de serviteur plus tendrement attache que V.


5039. — À M.  LE COMTE DE LA TOURAILLE.
Genève, 20 septembre[559].

Je vous félicite, monsieur, sur les deux dernières victoires que M. le prince de Condé vient de remporter[560]. Les héros de cette maison se sont tous fait une habitude de vaincre ; ils ont été successivement la terreur et la gloire de leurs souverains.

Quand reviendrez-vous à Paris ? Je vous aimerais tout autant à l’hôtel de Condé qu’à la poursuite du prince héréditaire.

Vous m’avez l’air, monsieur, de penser un jour comme un de vos précurseurs, homme de qualité, attaché à un autre grand Condé qu’il se lassa d’accompagner dans ses dernières campagnes.

Autant que je m’en souviens, voici de petits vers qu’il fit en se retirant dans ses terres. Je les tiens d’un intime ami de feu Son Altesse sérénissime M. le Duc. Ces vers sont très-bons pour un militaire : le héros, tout héros qu’il était, en connaissait le prix. Cela prouve du moins que l’âge amène quelquefois la sagesse.


Je laisse mon illustre maître,
Insatiable de lauriers ;
Philosophe autant qu’on peut l’être,
Je vais mourir dans mes foyers,
Où, traînant ma faible vieillesse,
Dont je sens déjà le fardeau,
J’irai, conduit par la Paresse,
Occuper mon petit tombeau.
Je suis las du bruit que vous faites,

Dieu des combats, terrible Mars ;
Et, sans tambours et sans trompettes,
Je vais quitter vos étendards
Pour aller dans ma solitude,
Au lieu de foudres entouré,
Commencer ma béatitude
Près de mon paisible curé,
Qui, s’en tenant à son bréviaire,
Doux, charitable, et point cafard,
Ne recommande, à tout hasard,
Que l’aumône et que la prière, etc., etc.


Vous vous plaignez de votre santé, monsieur ; c’est bien à vous d’en parler à un homme qui attend la mort dans son lit de douleur, tandis que vous courez la chercher sur des champs de bataille ! Dans tous les cas, monsieur, appelez à votre secours la bonne philosophie, qui soutient le faible et qui console le malade.

Mais j’ose à peine prononcer ce mot de philosophie. Tant de gens sont payés pour la craindre et pour la combattre qu’on ne sait à qui l’on parle. Vous me paraissez, monsieur, digue d’en sentir et d’en prouver les avantages. Recevez avec vos bontés ordinaires le sincère hommage du vieux malade.


5040. — À M.  RIBOTTE[561].
20 septembre 1762.

On doit savoir à présent à Toulouse que la requête de la veuve a été admise, que le rapporteur est nommé, que les quinze premiers avocats de Paris ont tous signé la consultation qui demande vengeance, que cette consultation et le mémoire de l’avocat au conseil sont imprimés, que cette veuve aussi respectable qu’infortunée ne manque d’aucun secours, qu’il y a encore des esprits raisonnables et des cœurs bienfaisants qui n’abandonneront point cette famille.

On a traduit en anglais, en allemand, en hollandais, les petits écrits préliminaires qui ont inspiré au public la pitié pour l’innocence et l’indignation contre l’injustice. On espère que cette famille obtiendra une satisfaction proportionnée à son malheur.

5041. — À M.  COLINI.
À Ferney, 20 septembre.

Si le désir extrême de revoir Schwetzingen pouvait recevoir d’autre motif que celui de faire ma cour à Leurs Altesses électorales, je sens que l’envie de voir votre beau théâtre pourrait entrer pour quelque chose dans mes idées. Votre bûcher, mon cher intendant du temple, est bien au-dessus de mon bûcher ; mais aussi je n’ai pas un théâtre aussi étendu que le vôtre. Il n’appartient pas au philosophe de Ferney d’avoir le théâtre d’un électeur. J’ai été obligé de me servir de coulisses, parce que la place me manquait. J’ai fait percer ces coulisses à jour ; les flammes qui s’élevaient derrière ces coulisses jetaient des étincelles à travers ces ouvertures : tout était enflammé ; mais ma petite invention n’approche pas de celle dont vous m’envoyez le plan. Présentez, je vous prie, à Son Altesse électorale mes remerciements et mon respect.

Je ne doute pas que vous n’ayez donné à l’actrice qui représente Olympie l’intelligence de son rôle. Elle doit en général dire Je vous hais avec la plus douloureuse tendresse[562] ; elle doit varier ses tons, être pénétrée. Tout doit être animé dans cette pièce, sans quoi la magnificence du spectacle ne servirait qu’à faire remarquer davantage la froideur des acteurs.

J’attends votre Précis de l’Histoire du palatinat du Rhin[563] ; et si je n’ai pas le bonheur de revoir ce beau pays, j’aurai la consolation de le voir dans votre ouvrage.

Je vous embrasse du meilleur de mon cœur.


5042. — À M.  LE MARQUIS DE CHAUVELIN.
À Ferney, 21 septembre.

Dieu m’a rendu une oreille et un œil ; Votre Excellence m’avouera que je ne peux pas chanter la chanson de l’aveugle :


Dieu, qui fait tout pour le mieux,
M’a fait une grande grâce ;

Il m’a crevé les deux yeux,
Et réduit à la besace[564].


J’ai lu très-aisément la lettre dont vous m’avez honoré ; mais c’est que le plaisir rend la visière plus nette. Je ne sais, monsieur, si vous en aurez beaucoup en relisant Cassandre : elle est mieux qu’elle n’était ; mais je crois qu’elle a encore grand besoin de vos lumières et de vos bontés. Un moine, très-honnête homme, doit vous l’avoir remise : vous le connaissez déjà sans doute ; c’est le bibliothécaire de l’infant, qui accompagne M. le prince Lanti. Je l’aurais bien chargé d’un paquet de Calas ; mais j’étais à Ferney ; je n’avais plus d’exemplaires de ces mémoires ; Cramer n’était point à Genève. J’ai manqué l’occasion ; je vous en demande pardon. J’envoie chez M. de Montpéroux un petit ballot de ces écritures ou écrits : il pourra aisément vous le faire tenir : il y a toujours quelqu’un qui va à Turin ; mais je vous avertis que ces mémoires ne sont que de faibles escarmouches, la vraie bataille se donne actuellement par seize avocats de Paris, qui ont signé une consultation. Cet ouvrage me parait un chef-d’œuvre de raison, de jurisprudence, et d’éloquence. Cette affaire devient bien importante ; elle intéresse les nations et les religions. Quelle satisfaction le parlement de Toulouse pourra-t-il jamais faire à une veuve dont il a roué le mari, et qu’il a réduite à la mendicité, avec deux filles et trois garçons qui ne peuvent plus avoir d’état ? Pour moi, je ne connais point d’assassinat plus horrible et plus punissable que celui qui est commis avec le glaive de la loi.

Je ne crois pas que Catherine II jouisse longtemps de la mort de son mari. Vous savez quel désordre agite à présent la Russie.

Dieu veuille que le duc de Bedford ne vienne pas jouer à Paris le rôle de M. Stanley[565] !

Mille profonds respects à Vos Excellences.


5043. — À M.  ÉLIE DE BEAUMONT.
À Ferney, ce 22 septembre.

Jusqu’à présent il ne s’était trouvé qu’une voix dans le désert qui avait crié : Parate vias Domini[566]. Votre Mémoire est assurément l’ouvrage du maître : je ne sais rien de si convaincant et de si touchant. Mon indignation contre l’arrêt de Toulouse en a redoublé, et mes larmes ont recommencé à couler.

Je suis, convaincu que vous parviendrez à faire réformer l’arrêt de Toulouse. Votre conduite généreuse est digne de votre éloquence. Cette cruelle affaire, qui doit vous faire un honneur infini, achève de me prouver ce que j’ai toujours pensé, que nos lois sont bien imparfaites. Presque tout me paraît abandonné au sentiment arbitraire des juges. Il est bien étrange que l’ordonnance criminelle de Louis XIV ait si peu pourvu à la sûreté de la vie des hommes, et qu’on soit obligé de recourir aux Capitulaires de Charlemagne.

Votre Mémoire[567] doit désormais servir de règle dans des cas pareils. Le fanatisme en fournit quelquefois. J’ai lu trois fois votre ouvrage ; j’ai été aussi touché à la troisième lecture qu’à la première.

J’ajoute aux trois impossibilités que vous mettez dans un si beau jour, une quatrième : c’est celle de résister à vos raisons. Je joins ma reconnaissance à celle que les Calas vous doivent. J’ose dire que les juges de Toulouse vous en doivent aussi, vous les avez éclairés sur leurs fautes. Si j’avais le malheur d’être de leur corps, je leur proposerais, sur la seule lecture de votre factum, de demander pardon à la famille qu’ils ont perdue, et de lui faire une pension. Je les tiens indignes de leur place s’ils ne prennent pas ce parti.

L’estime que vous m’inspirez, monsieur, me met presque en droit de vous demander instamment votre amitié. Vous avez une femme digne de vous ; agréez mes respects l’un et l’autre, et tous les sentiments avec lesquels je serai toute ma vie, monsieur, votre, etc.


5044. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL[568].
Au château de Ferney, par Genève, 23 septembre.

Quand j’ai un moment de santé, mes divins anges, j’écris de ma main. Voici par exemple une longue lettre ci-jointe[569], sur laquelle je m’en remets à votre sagesse, et sur laquelle je vous supplie de me faire réponse le plus tôt que vous pourrez.

Je rabote encore un peu Olympie : on n’a jamais fait avec une tragédie. Point de nouvelles encore du factum de Mariette.

Je vous assure qu’Olympie forme un beau spectacle. Tenez, voilà le plan des décorations et du bûcber de Manheim ; amusez-vous de cela, et conservez-moi vos bontés. Pour peu que j’aie de tête et de loisir, je reprendrai Œdipe en sous-œuvre.


5045. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
Au château de Ferney, 23 septembre.

Mes divins anges, je dois d’abord vous dire combien j’ai été frappé du Mémoire de M. de Beaumont. Il me semble que chaque ligne porte la conviction avec elle. Je lui en ai fait mon compliment. Je crois qu’il est impossible que les juges résistent à la vérité et à l’éloquence.

Voici une autre affaire dont les objets peuvent être plus importants, quoique moins tragiques. C’est à M. le comte de Choiseul à voir s’il trouvera mon idée praticable ; je la soumets à ses lumières et à sa prudence. Le secrétaire de l’ambassade anglaise est, comme vous savez, l’âme unique de cette négociation, et elle peut avoir quelques épines. Ce secrétaire a un beau-frère et un ami dans un homme de la famille des Tronchin.

Vous n’ignorez pas combien cette famille est attachée à la France. Celui dont je vous parle y a tout son bien ; il est fils d’un premier syndic de Genève, homme d’esprit et de probité, comme tous les Tronchin le sont ; très-capable de rendre des services avec autant d’honneur que de zèle. Son beau-frère a en lui une entière confiance. Peut-être n’y a-t-il pas de moyen plus sûr et plus honnête d’aplanir les difficultés qui pourront survenir, et de faire agréer les insinuations contre lesquelles on serait en garde si elles venaient de la part du ministère de France, et qu’on recevrait avec moins de défiance si elles étaient inspirées par un parent et par un ami. Je peux vous répondre que M. Tronchin servira la France avec le plus grand empressement, sans manquer en rien à ce qu’il doit à son beau-frère. Je n’imagine pas que M. le comte de Choiseul puisse jamais trouver une personne plus capable de répondre à ses vues pacifiques et généreuses, et plus digne de toute sa confiance dans une négociation si importante.

C’est une idée qui m’est venue, et qui peut-être mérite d’être approfondie et suivie. Mon suffrage est bien peu de chose ; mais soyez bien persuadé que je ne ferais pas une telle proposition si je n’étais sûr de la probité et du zèle de M. Tronchin. Si on ne trouve pas mon offre déraisonnable, que M. le comte de Choiseul me donne ses ordres, ou par lui-même ou par vous, c’est la même chose ; et que Dieu nous donne la paix. Je ne sais s’il est bien vrai qu’il y ait une guerre commencée en Russie, mais je suis sûr qu’il y a des nuages.

Je n’ai point encore eu de nouvelles de M. le maréchal de Richelieu ; je le crois à Lyon avec Mme  la comtesse de Lauraguais. Sils viennent tous deux chez Baucis et Philémon, Ferney sera bien étonné d’être la cour des pairs.

Nous avons joué aujourd’hui Olympie, devant MM. de La Rocheguyon et de Villars. Cela n’a pas été trop mal ; mais cela pourrait être mieux. Il n’y avait que moi qui ne savais pas mon rôle, tant je songeais à ceux des autres. Mille tendres respects.


5046. — À M.  LE DOCTEUR TRONCHIN[570].

Mon cher Esculape, je sais bien qu’il faut recevoir sans murmure tous les petits agréments que la nature a bien voulu attacher à la vieillesse. Cependant, si on peut les adoucir et les prévenir, c’est encore le mieux. Il y a plus de six mois que ma tête murmure et bourdonne : les doctes distinguent entre le bourdonnement et le sifflement ; mais le fait est que je deviens sourd de jour en jour et d’heure en heure ; je suis le surdus loquens ; faites-moi, s’il vous plaît, le surdus audiens, afin qu’on puisse me dire : À bon entendeur, salut !

N’avez-vous point quelque tour dans votre sac dont vous puissiez m’aider ? sinon, je suis résigné à être de la confrérie des sourds. S’il y a obstruction dans le nerf auditif, je crois qu’il n’y a point de salut pour moi à mon âge ; mais si c’est uniquement tension et sécheresse, j’espère dans ce bel axiome : Contraria contrariis curantur.


5047. — À M.  LE DOCTEUR TRONCHIN.
Dimanche matin…

Le sourdaud avise Esculape que M. le duc de Villars l’attend à dîner aujourd’hui dimanche. On enverra un carrosse à mon cher Esculape à l’heure qu’il ordonnera. Je l’ai déjà supplié de me mettre aux pieds de Mme  la duchesse d’Enville, en qualité de sourdaud qui n’ose et ne peut se montrer ; je lui serai très-obligé.

J’ai toujours le bruit d’un moulin dans la tête et les sentiments les plus nets dans le cœur pour mon cher philosophe.


5048. — À M.  JEAN SCHOUVALOW.
À Ferney, 25 septembre.

Monsieur, j’ai reçu votre lettre à table, et nous avons tous pris la liberté de boire à la santé de Sa Majesté impériale, et de lui souhaiter une vie aussi longue et aussi heureuse qu’elle le mérite. M. le duc de Villars, fils de l’illustre maréchal dont le nom a pénétré sans doute dans votre cour, était à la tête de nos buveurs. Nous avions quelques philosophes qui s’intéressent à l’Encyclopédie. Nous avons tous senti les transports que la magnanimité de votre auguste souveraine doit inspirer. Nous vous avons béni, monsieur ; et, sans manquer au respect que nous avons pour Sa Majesté, nous avons joint votre nom au sien, comme on joignait autrefois celui de Mécène à celui d’Auguste. Je doute que les savants qui ont entrepris l’Encyclopédie puissent profiter des bontés de Sa Majesté impériale, attendu les engagements qu’ils ont pris en France ; mais sûrement l’offre que Votre Excellence leur fait sera regardée par eux comme la plus digne récompense de leurs travaux, et votre nom sera célébré par eux comme il doit l’être. Il faut avouer qu’il y a beaucoup d’articles, dans ce Dictionnaire utile, qui ne sont pas dignes de MM. d’Alembert et Diderot, parce qu’ils ne sont pas de leur main. Il faudra absolument les refondre dans une seconde édition, et mon avis serait que cette seconde édition se fît dans votre empire. Rien ne serait plus honorable aux lettres : j’ose dire que la gloire de votre illustre souveraine n’en serait pas diminuée. Il n’y a jamais eu que les grands hommes qui aient fait fleurir les arts. L’impératrice sera regardée comme un grand homme. J’écris fortement à M. Diderot pour lui persuader, s’il est possible, d’achever la première édition sous vos auspices. Votre Excellence a dû recevoir, par la poste de Strasbourg, ma réponse aux nouvelles heureuses dont vous m’avez honoré. Je vous réitère mes hommages, ma reconnaissance, et tous les sentiments que je vous dois. On commencera l’Histoire de Pierre le Grand dans peu de mois : on fait fondre de nouveaux caractères. Il y a déjà six volumes imprimés du Corneille, et il n’est pas possible d’imprimer à la fois deux ouvrages, dont chacun demande la plus grande attention. Puisse bientôt la paix, rendue à l’Europe, laisser aux esprits la liberté de cultiver les arts, et de vous imiter ! J’ai écrit à M. Boris de Soltikof[571]. Je serais bien fâché qu’un homme de son mérite, et d’un mérite formé par vous, ne conservât pas pour moi un peu d’amitié.

Agréez le tendre respect avec lequel je serai toute ma vie, etc.


5049. — DE M. D’ALEMBERT.
À Paris, ce 25 septembre.

Ce que vous me mandez de votre santé, mon cher et illustre maître, m’inquiète et m’afflige. Votre conversation et la lecture de vos ouvrages m’ont tant fait remercier Dieu de n’être ni sourd ni aveugle que je le trouverais bien injuste s’il vous punissait par deux sens que vous avez rendus si précieux à tous ceux qui savent penser. J’espère que vous conserverez vos yeux en les ménageant, et c’est de quoi je vous prie bien fort. À l’égard des oreilles, je n’y sais point d’autre remède que d’entendre le moins de sottises que vous pourrez ; par malheur, ce remède n’est pas d’une observation facile.

J’ai annoncé à l’Académie l’Héraclius de Calderon, et je ne doute point qu’elle ne le lise avec plaisir, comme elle a lu l’arlequinade de Gilles Shakespeare. Ce que je vous marquais sur votre traduction n’était qu’un doute ; et je suis convaincu, puisque vous m’en assurez[572], que vous avez conservé dans cette traduction le génie des deux langues ; personne n’est plus à portée de cela que vous.

Grâce à vous, j’espère que les Calas viendront à bout de prouver leur innocence ; mais savez-vous ce qu’il y a de plus fort à objecter à leurs mémoires ? C’est qu’il n’est pas possible d’imaginer, je ne dis pas que des magistrats, mais que des hommes qui ne marchent pas à quatre pattes aient condamné sur de pareilles preuves un père de famille à la roue. Il est absolument nécessaire (et je le leur ai dit) qu’ils préviennent dans leurs mémoires cette objection, en demandant que les pièces du procès soient mises sous les yeux du public. Cela est d’autant plus important qu’il y a ici des émissaires du parlement de Toulouse qui répandent que Calas le père a été justement condamné, que toute la ville de Toulouse en est convaincue, et que c’est par commisération qu’on n’a pas fait mourir les trois autres, qui le méritaient aussi. La justification est bien ridicule, puisque de façon ou d’autre il s’ensuivrait que les juges auraient prévariqué ; mais n’importe, il y a des sots qui se payent de pareilles raisons, et ces sots-là en entraînent d’autres, et de sots en sots l’innocence et la vérité restent opprimées.

Je ne suis pas plus édifié que vous de la profession de foi de Jean-Jacques, d’autant que je ne crois pas cette momerie fort nécessaire pour dîner et souper tranquillement, et dormir de même, dans les États de votre ancien disciple, où Jean-Jacques s’est réfugié après avoir dit assez de mal du maître. Je plains le malheur que sa bile et ses persécuteurs lui causent ; mais s’il a besoin pour être heureux d’approcher de la sainte table, et d’appeler sainte comme il le fait, une religion qu’il a vilipendée, j’avoue que je rabats beaucoup de l’intérêt. Au reste, je ne suis surpris ni que vous lui ayez offert un asile, ni qu’il l’ait refusé ; il eût été trop inconséquent d’aller demeurer chez le corrupteur de son pays, car c’est ainsi que vous m’avez mandé qu’il vous appelait. Mais enfin il a travaillé sans le vouloir, et beaucoup mieux qu’il ne pensait, pour la vigne du Seigneur, et, pour ma part, je lui en tiens beaucoup de compte.

Je ne sais ce que c’est que cette bêtise qu’on a imprimée, sous votre nom et sous le mien, dans les journaux d’Angleterre[573]. Si vous voulez me la faire parvenir, je suis prêt à donner tous les désaveux que vous jugerez nécessaires.

Frère Berthier avait envie, à ce qu’il disait, d’aller à la Trappe, et il a fini par vouloir être à Versailles. Il y a actuellement dans ce pays-là dix-sept ou dix-huit ci-devant soi-disant jésuites, comme les classes du parlement les appellent ; ils se sont réfugiés là ; jamais il n’y en a tant eu, et ils ont dit en quittant Paris, à frère Berthier, comme Strabon au paysan son pourvoyeur :


Nous allons à la cour, on t’a mis du voyage[574].


On dit qu’il se mêlera de l’éducation sans avoir de titre ; il se contentera d’être appelé sans être élu.

À propos de cela, savez-vous qu’on m’a proposé, à moi qui n’ai pas l’honneur d’être jésuite, l’éducation du grand-duc de Russie ? Mais je suis trop sujet aux hémorroïdes[575], elles sont trop dangereuses en ce pays-là, et je veux avoir mal au derrière en toute sûreté.

Savez-vous ce qu’on me dit hier de vous ? que les jésuites commençaient à vous faire pitié, et que vous seriez presque tenté d’écrire en leur faveur, s’il était possible de rendre intéressants des gens que vous avez rendus si ridicules. Croyez-moi, point de faiblesse humaine ; laissez la canaille janséniste et parlementaire nous défaire tranquillement de la canaille jésuitique et n’empêchez point ces araignées de se dévorer les unes les autres.

Je ne puis être fâché ni pour la France ni pour la philosophie de voir votre ancien disciple remonté sur sa bête. Il m’a envoyé, il y a un mois, trois pages de vers contre la géométrie. J’attends pour lui répondre qu’il ait fini le siège de Schweidnitz ; ce serait trop d’avoir à la fois la maison d’Autriche et la géométrie sur les bras.

Adieu, mon cher et illustre philosophe ; conservez votre santé, vos yeux, vos oreilles, votre gaieté, et surtout votre amitié pour moi. Mille respects à Mme  Denis, et mille compliments à frère Thieriot. S’il plaît aux rois de faire la paix, je ne désespère pas d’avoir encore le plaisir de vous embrasser.


5050. — À M.  D’ALEMBERT.
25 septembre.

Avez-vous répondu, mon cher philosophe, à M. de Schouvalow[576] ? Vous voilà entre Frédéric et Catherine. Voyez de laquelle de ces deux planètes vous voulez grêler sur le persil d’Omer. Vous resterez en France ; mais il est bon de faire connaître que si la superstition et la sottise contristent la face de votre beau pays, les Vandales et les Scythes se disputent l’honneur de venger les Socrate des Anitus.

Ce misérable Omer et ses impertinents consorts doivent être bien humiliés, et moi bien joyeux. Voulez-vous m’adresser votre réponse à M. de Schouvalow, et la donner à notre frère Damilaville ?


5051. — À M.  DIDEROT.
25 septembre.

Eh bien ! illustre philosophe, que dites-vous de l’impératrice de Russie ? Ne trouvez-vous pas que sa proposition est le plus énorme soufflet qu’on pût appliquer sur la joue d’un Omer ? En quel temps sommes-nous ! c’est la France qui persécute la philosophie, et ce sont les Scythes qui la favorisent ! M. de Schouvalow me charge d’obtenir de vous que la Russie soit honorée de l’impression de votre Encyclopédie. M. de Schouvalow est fort au-dessus d’Anacharsis, et il a toute la ferveur de ce zèle que donnent les arts naissants, et que nous avions sous François Ier.

Je doute que vos engagements pris à Paris vous permettent de faire à Riga la faveur qu’on demande ; mais goûtez la consolation et l’honneur d’être recherché par une héroïne, tandis que des Chaumeix, des Berthier, et des Omer, osent vous persécuter. Quelque parti que vous preniez, je vous recommande l’inf… ; il faut la détruire chez les honnêtes gens, et la laisser à la canaille grande ou petite, pour laquelle elle est faite.

Je vous révère autant que je le dois. Voulez-vous m’envoyer votre réponse à M. de Schouvalow ? Il n’y a qu’à la donner à notre frère.


5052. — À M.  GOLDONI[577].
Au château de Ferney, par Genève, 25 septembre.

J’ai hasardé, monsieur, une lettre que j’ai adressée[578] à Paris, sans savoir si vous y étiez arrivé. Je hasarde encore celle-ci sans savoir où vous demeurez. J’espère que votre nom suffira pour que ma lettre vous soit rendue. C’est seulement pour vous dire que j’ai reçu le paquet dont vous m’avez honoré, et que je manque de termes, soit en français, soit en italien, pour vous dire à quel point je vous estime et je vous honore. Vous devez être excédé de compliments et d’empressement. Je ne veux pas joindre à la fatigue des plaisirs de Paris celle d’une plus longue lettre.

Agréez les tendres sentiments du plus grand admirateur que vous ayez dans le voisinage des Alpes.

Il povero ammalato non puote scrivere.


5053. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
28 septembre.

Je réponds, ô mes anges gardiens ! à votre béatifique lettre dont Roscius a été le scribe, et je vous envoie la façon dont nous jouons toujours Zulime. Je peux vous répondre que cette fin est déchirante, et que si on suit notre leçon, on ne s’en trouvera pas mal.

Ce n’est pas que j’aie jamais regardé Zulime comme une tragédie du premier ordre. Vous savez combien j’ai résisté à ceux qui avaient le malheur de la préférer à Tancrède, qui est, à mon gré, un ouvrage très-théâtral, un véritable spectacle, et qui a de plus le mérite de l’invention et de la singularité, mérite que n’a point Zulime.

Je vous supplie très-instamment de vous opposer à cette fureur d’écourter toutes les fins des pièces : il vaut bien mieux ne les point jouer. Quel est le père qui voulût qu’on coupât les pieds à son fils ?

Lekain m’a envoyé la façon dont il dit qu’on joue Zaïre ; cela est abominable. Pourquoi estropier ma pièce au bout de vingt ans ? Il me semble qu’il se prépare un siècle d’un goût bien dépravé. Je n’ai pas mal fait de renoncer au monde : je ne regrette que vous dans Paris.

Je n’aurai M. le maréchal de Richelieu que dans quelques jours. Notre tripot ne laisse pas de nous donner de la peine. Ce n’est pas toujours une chose aisée de rassembler une quinzaine d’acteurs au pied du mont Jura, et il est encore plus difficile de conserver ses yeux et ses oreilles à soixante-huit ans passés, avec un corps des plus minces et des plus frêles.

Je vous ai écrit sur les Calas[579]. Je vous ai adressé mon petit compliment à M. le comte de Choiseul. Vous ne m’avez point dit s’il en est bien mécontent.

Je vous ai adressé un petit mémoire très-politique[580] qui ne me regarde pas.

Je suis un peu en peine de mon impératrice Catherine. Vous savez qu’elle m’avait engagé à obtenir des encyclopédistes, persécutés par cet Omer, de venir imprimer leur Dictionnaire chez elle. Ce soufflet, donné aux sots et aux fripons, du fond de la Scythie, était pour moi une grande consolation, et devait vous plaire ; mais je crains bien qu’Ivan ne détrône notre bienfaitrice, et que ce jeune Russe, élevé en Russe chez des moines russes, ne soit point du tout philosophe.

Je vous conjure, mes divins anges, de me dire ce que vous savez de ma Catherine.

Je baise le bout de vos ailes plus que jamais.


5054. — DE M.  DIDEROT[581].
29 septembre 1762.

Non, très-cher et très-illustre frère, nous n’irons ni à Berlin ni à Pétersbourg achever l’Encyclopédie, et la raison, c’est qu’au moment où je vous parle on l’imprime ici, et que j’en ai des épreuves sous mes yeux. Mais, chut ! Assurément c’est un énorme soufflet pour mes ennemis que la proposition de l’impératrice de Russie ; mais croyez-vous que ce soit le premier de cette espèce que les maroufles aient reçu ? Oh ! que non. Il y a plus de deux ans que ce roi de Prusse, qui pense comme nous, qui pense aux plus petites choses en en exécutant de grandes, leur en avait appliqué un tout pareil. Si vous avez la bonté d’écrire en mon nom un mot à M. de Schouvalow, comme je vous en supplie, vous ne manquerez pas de faire valoir cette conformité de vues entre la princesse régnante et le plus grand monarque qui soit. L’un et l’autre n’ont pas dédaigné de nous tendre la main, et cela dans ces circonstances où l’on ne s’occupe d’une entreprise de littérature que quand on a reçu une de ces têtes rares qui embrassent tout à la fois. Par les offres qu’on nous fait, je vois qu’on ignore que le manuscrit de l’Encyclopédie ne nous appartient pas ; qu’il est en la possession des libraires qui l’ont acquis à des frais exorbitants, et que nous n’en pouvons distraire un feuillet sans infidélité. Quoi qu’il en soit, ne croyez pas que le péril que je cours en travaillant au milieu des barbares me rende pusillanime. Notre devise est : sans quartier pour les superstitieux, pour les fanatiques, pour les ignorants, pour les fous, pour les méchants et pour les tyrans, et j’espère que vous le reconnaîtrez en plus d’un endroit. Est-ce qu’on s’appelle philosophe pour rien ? Quoi ! le mensonge aura ses martyrs, et la vérité ne sera prêchée que par des lâches ? Ce qui me plaît des frères, c’est de les voir presque tous moins unis encore par la haine et le mépris de celle que vous avez appelée l’infâme que par l’amour de la vérité, par le sentiment de la bienfaisance, et par le goût du vrai, du bon et du beau, espèce de trinité qui vaut un peu mieux que la leur. Ce n’est pas assez que d’en savoir plus qu’eux, il faut leur montrer que nous sommes meilleurs, et que la philosophie fait plus de gens de bien que la grâce suffisante ou efficace. L’ami Damilaville vous dira que ma porte et ma bourse sont ouvertes à toute heure et à tous les malheureux que mon bon destin m’envoie ; qu’ils disposent de mon temps et de mon talent, et que je les secoure de mes conseils et de mon argent : c’est ainsi que je sers la cause commune, et les fanatiques qui m’environnent le voient et en frémissent de rage. Ils voudraient bien, les pervers qu’ils sont, que je les autorisasse par quelque mauvaise action à décrier nos sentiments ; mais, ventrebleu ! il n’en sera rien. Ils en sont réduits à dire que Dieu ne permettra pas que je meure dans mon incrédulité, et qu’un ange descendra sans faute pour me ramener, dans mes derniers moments ; et moi, je leur promets de revenir à leur absurdité si l’ange descend. Cette manie de n’accorder de la probité qu’à ses sectateurs n’est-elle pas particulière au christianisme ? Adieu, grand frère, portez-vous bien, conservez-vous pour vos amis, pour la philosophie, pour les lettres, pour l’honneur de la nation qui n’a plus que vous, et pour le bien de l’humanité, à laquelle vous êtes plus essentiel que cinq cents monarques fondus ensemble !

Damilaville m’a communiqué vos remarques sur Cinna. Le rival de Corneille devenu son commentateur ! Mais laissons cela ; votre motif est trop honnête pour oser vous gronder. Au demeurant, toutes vos critiques sont justes. Je vous trouve seulement bien plus d’indulgence que je n’en aurais : cela vient sans doute de ce que la difficulté de l’art vous est mieux connue. Convenez que c’est un homme bien extraordinaire que Shakespeare[582]. Il n’y a pas une de ces scènes dont, avec un peu de talent, on ne fit une grande chose. Est-ce qu’une tragédie ne commencerait pas bien par deux sénateurs qui reprocheraient à un peuple avili les applaudissements qu’il vient de prodiguer à son tyran ? Et puis, quelle rapidité et quel nombre !

Adieu, encore une fois. M. Thieriot, votre ami et le nôtre, vous aura dit combien je vous suis attaché, combien je vous admire et vous respecte. N’en rabattez pas un mot, s’il vous plait. Quelque temps avant son départ, nous bûmes à votre convalescence ; buvez ensemble à notre santé.

Ah ! grand frère, vous ne savez pas combien ces gueux qui, faisant sans cesse le mal, se sont imaginé qu’il était réservé à eux seuls de faire le bien, souffrent de vous voir l’ami des hommes, le père des orphelins, et le défenseur des opprimés. Continuez de faire de grands ouvrages et de bonnes œuvres, et qu’ils en crèvent de dépit. Adieu, sublime, honnête et cher antechrist.


5055. — DE M.  D’ALEMBERT.
À Paris, 2 octobre.

Oui, mon cher et illustre maître, j’ai reçu l’invitation de M. de Schouvalow, et j’y ai répondu comme vous vous y attendiez.


Scipion, accusé sur des prétextes vains,
Remercia les dieux et quitta les Romains.
Je puis en quelque chose imiter ce grand homme :
Je rendrai grâce au ciel, et resterai dans Rome[583].


Quand je dis que je rendrai grâce au ciel, je crois que cela est bien honnête à moi, que je n’en ai pas trop de sujet, et que le ciel pourrait répondre à mes remerciements : Il n’y a pas de quoi. Je mettrais bien plus volontiers à la tête de l’Encyclopédie, si jamais nous la finissons :


Faites rougir ces dieux qui vous ont condamnée.

(Racine, Iphigénie, acte IV, scène iv.)

Vous mettriez peut-être ces sots au lieu de ces dieux, et vous auriez raison.

Mais demandez à ces sots s’ils ne se croient pas les dieux de la France, ses dieux tutélaires, ses dieux vengeurs, ses dieux lares', surtout depuis qu’ils ont chassé les dieux lares des jésuites.

L’air doux qu’on respire en France me fait supporter l’air du fanatisme dont on voudrait l’infecter, et je pardonne au moral en faveur du physique. Il faut faire dans ce pays-ci comme en temps de peste, prendre les précautions raisonnables, et ensuite aller son chemin, et s’abandonner à la Providence, si Providence il y a. Voilà, mon cher et grand philosophe, mes dispositions ; je ne désire, même dans mon propre pays, ni places ni honneurs : jugez si j’en irai chercher à huit cent lieues ; mais je suis d’ailleurs de votre avis. Il faut faire servir les offres qu’on nous fait à l’humiliation de la superstition et de la sottise ; il faut que toute l’Europe sache que la vérité, persécutée par les bourgeois de Paris, trouve un asile chez des souverains qui auraient dû l’y venir chercher ; et que la lumière, chassée par le vent du midi, est prête à se réfugier dans le nord de l’Europe, pour venir ensuite refluer de là contre ses persécuteurs, soit en les éclairant, soit en les écrasant.

Avouez pourtant, mon cher philosophe, malgré vos plaintes continuelles, que vous ne devez pas être trop mécontent de votre mission ; vous voyez que la philosophie commence déjà très-sensiblement à gagner les trônes, et adieu l’infâme, pour peu qu’elle en perde encore quelques-uns. Votre illustre et ancien disciple a commencé le branle ; la reine, de Suède a continué ; Catherine les imite tous deux, et fera peut-être mieux encore ; quelques autres, à ce qu’on dit, branlent au manche ; et je rirais bien de voir le chapelet se défiler de mon vivant, pourvu néanmoins que le chapelet, avant de se défiler, ne nous donne pas encore quelque coup sur les oreilles.

Il n’y a point ici de sottises nouvelles qui méritent que je vous en parle. On dit du bien d’une lettre adressée à Jean-Jacques sur son Émile[584] ; je ne l’ai point encore lue : j’entends dire qu’elle est gaie et de bon goût, à l’exception de la réfutation du Savoyard, qui est plate et ennuyeuse. Si la czarine avait proposé à Jean-Jacques l’éducation de son fils, j’imagine que sa première question aurait été : « Madame, quel métier voulez-vous que je lui fasse apprendre ? » Il y a aussi une grosse et longue réfutation de Rousseau[585] par quelque prêtre de paroisse : on pourrait l’intituler Refutation du Vicaire savoyard par un décroteur.

Un homme d’esprit, qui par malheur a besoin d’être théologien ou de le contrefaire, vient de donner, en deux gros volumes in-12, un Dictionnaire des hérésies[586] qui mérite d’être parcouru ; il y a mis, avec beaucoup de bonne foi, les objections d’un côté et les réponses de l’autre, et on peut bien dire, pour le coup, que la foi ne trouve pas son compte avec la bonne foi. Par ma foi, c’est un terrible livre, à mon avis, contre l’inf…, que vous haïssez tant. Ce que l’auteur dit entre autres choses, pour expliquer la transsubstantiation (voilà un cruel mot à concevoir et à prononcer) est tout à fait comique : Il prétend qu’au moyen d’une vitesse infinie un corps peut être en plusieurs lieux à la fois, et que moyennant un million de fois plus d’agilité qu’un lévrier, le corps de Jésus-Christ peut se trouver à la fois dans les gaufres de Paris et dans celles de Goa.

Avouez que tous les matins ce pauvre corps-là ne sait à qui entendre, et qu’il doit avoir besoin de repos l’après-midi. Pauvre espèce humaine ! Je serais tenté de dire à l’auteur :


C’est trop peu si c’est raillerie ;
C’en est trop si c’est tout de bon.


Adieu, mon très-cher et très-illustre maître. Comment vont les oreilles et les yeux ?


5056. — À M.  LE CARDINAL DE BERNIS.
À ferney, le 7 octobre.

Vous n’avez peut-être pas été content, monseigneur, des derniers mémoires que j’ai envoyés à Votre Éminence sur les Calas. Vous avez pu croire que toutes ces brochures étaient des pièces inutiles. Cependant j’ai tant fait que l’affaire est au conseil d’État. Nous avons une consultation de quinze avocats[587]. C’est un grand préjugé en faveur de la cause. La voix impartiale de quinze avocats doit diriger celle des juges.

Je ne vous ai point envoyé Olympie, parce que je l’ai fait jouer, et que, l’ayant vue, je n’ai point du tout été content. J’ai trouvé que Statira s’évanouissait mal à propos. J’ai senti que l’amour d’Olympie n’était pas assez développé, et que les passions doivent être un peu plus babillardes pour toucher le cœur. Je refais donc les trois derniers actes, car je veux mériter votre suffrage, et je persiste à croire qu’il faut se corriger, jusqu’à ce que la mort nous empêche de mieux faire. Nous avons eu dans mon trou une demi-douzaine de pairs, soit Anglais, soit Français. C’est la monnaie d’un cardinal ; mais je ne me console point que vous n’ayez pas eu quelque bonne maladie en Jésus-Christ qui vous ait mené consulter Tronchin. C’est un malheur pour moi que votre bonne santé ; mais je pardonne à Votre Éminence.

Permettra-t-elle que je mette dans cette enveloppe un petit paquet pour notre secrétaire perpétuel[588] ? Car je soupçonne qu’ayant été auprès de vous, il y est encore. Assurément j’en aurais usé ainsi. Agréez toujours le tendre respect du vieillard des Alpes, qui n’est pas le Vieux de la montagne[589].


5057. — À M.  DUCLOS.
À Ferney, 7 octobre.

Je présume, monsieur, que vous êtes encore à Vic-sur-Aisne. Je me doute qu’on ne peut pas quitter aisément le maître du château[590]. J’attendrai que je sois sûr de votre retour à Paris pour amuser l’Académie d’un Hèraclius traduit de l’espagnol, qui est à peu près à l’Héraclius de Corneille ce que le César de Shakespeare est à Cinna.

Je vous prie, en attendant, de vouloir bien faire passer ma réponse[591] et nos remerciements à monsieur le secrétaire du bureau d’agriculture de Bretagne, supposé que ce soit là son titre. Je n’ai ici ni son livre ni sa lettre, qui sont aux Délices, sous un tas de paperasses qu’on a transportées à la hâte pour faire place à ceux à qui j’ai prêté cette maison. Ayez la bonté, je vous prie, de faire mettre le dessus.

Le Corneille avance : Hèraclius et Rodogune sont imprimés. Le reste demandera moins de peine. Je compte toujours sur les bontés de l’Académie et sur les vôtres.

Vous avez dû recevoir des mémoires pour les Calas. Je demande votre suffrage pour cette famille si infortunée et si innocente. La voix des gens d’esprit dirige quelquefois celle des juges.


5058. — À M.  COLINI.
7 octobre.

Voici ce qui m’est arrivé, mon cher secrétaire de la famille d’Alexandre et de Son Altesse électorale palatine. On a représenté Olympie chez moi. Mme  Denis y a joué comme Mlle  Clairon, et Mlle  Corneille s’est surpassée. Mais la mort de Statira, son évanouissement sur le théâtre, m’ont glacé, et l’amour d’Olympie ne m’a pas paru assez développé. Je deviens très-difficile quand il faut plaire à Leurs Altesses électorales. J’ai tout changé ; et la nouvelle leçon que je vous envoie me paraît infiniment mieux ou infiniment moins mal. Si la pièce n’est pas encore jouée à Schwetzingen, je demande en grâce qu’on diffère jusqu’à ce que les acteurs sachent les trois derniers actes tels que je les ai corrigés. Il s’agit de mériter le suffrage de monseigneur l’électeur ; il ne serait certainement pas content de l’évanouissement de Statira. Il vaut mieux tard que mal, et cela en tout genre.

Je vous supplie instamment de présenter mes très-humbles obéissances au chambellan qui dirige les spectacles[592], et à son ami, dont j’ignore le nom[593], mais dont je connais le mérite par des lettres qu’il a écrites à M. de Chenevières, premier commis de la guerre à Versailles. Vous trouverez aisément à débrouiller tout cela. En vvérité, je n’ai pas un moment à moi ; je suis surchargé de tous côtés. Aimez-moi toujours un peu.


5059. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[594].
À Ferney, 8 octobre 1762.

Madame, ce n’est pas ma faute si le curé Jean Meslier et le prédicateur des Cinquante[595] ont été de même avis à deux cents lieues l’un de l’autre. Il faut que la vérité soit bien forte pour se faire sentir avec tant d’uniformité à deux personnes si différentes. Plût à Dieu que le genre humain eût toujours pensé de même ! le sang humain n’aurait pas coulé depuis le concile de Nicée jusqu’à nos jours pour des absurdités qui font frémir le sens commun. C’est cet abominable fanatisme qui a fait rouer en dernier lieu, à Toulouse, un père de famille innocent ; qui a mis toute sa famille à la mendicité, et qui a été tout prêt à faire périr cette famille vertueuse dans des supplices. S’il n’y avait point eu de confrérie de pénitents blancs à Toulouse, cette catastrophe affreuse ne serait pas arrivée. La guerre est bien funeste, mais le fanatisme l’est encore davantage.

Le conseil d’État du roi est à présent saisi de l’affaire. Ce n’a pas été sans peine que je suis parvenu à faire porter des plaintes contre un parlement ; mais il faut secourir hardiment l’innocence et ne rien craindre. Il va paraître un mémoire pour les Calas, signé de quinze avocats de Paris. Il va paraître aussi un plaidoyer d’un avocat[596] au conseil ; ce sont des ouvrages assez longs : comment pourrai-je les envoyer à Votre Altesse ? J’attendrai ses ordres.

Je m’attendais que d’aussi belles âmes que la sienne, et celle de la grande maîtresse des cœurs, seraient touchées de cette horrihle aventure. Je me mets aux pieds de Votre Altesse sérénissime et de toute votre auguste famille, avec le plus profond respect.

Grande maîtresse des cœurs, conservez-moi vos bontés.


5060. — À M.  TRONCHIN, DE LYON[597].
Ferney.

Joyar a pu vous dire qu’il n’a point de nièce qui fasse bâtir des théâtres, habille les acteurs, et donne à souper à cent cinquante personnes. Que voulez-vous que je fasse ? Il faut bien souffrir mon plaisir et le payer.

Je me flatte qu’enfin nous ferons obtenir justice aux Calas contre les roueurs de Toulouse. Je ne plaindrai pour cette affaire ni l’argent ni les soins.

Mon frère Thieriot s’en retourne, et va philosopher à Paris. Je vous supplie de lui continuer vos bontés, et de lui donner six louis d’or pour l’aider à payer sa diligence : car frère Thieriot n’est pas aussi riche que votre archevêque.

M. le maréchal de Richelieu est arrivé au moment qu’il l’avait dit, et n’a pas été mécontent de la manière dont nous l’avons reçu. Il va aujourd’hui à Genève et revient à vous mardi matin, c’est-à-dire que demain il se met dans sa dormeuse.

Le séjour de M. le maréchal de Richelieu a été assez gai : Genève a quelquefois besoin de seigneurs d’humeur gaillarde.


5061. — À M.  DAMILAVILLE.
10 octobre.

Mes frères et maîtres ont donc envoyé leur réponse à M. de Schouvalow. Il est plaisant qu’un Russe favorise des philosophes français, et il est bien horrible que des Français persécutent ces philosophes. J’avais déjà assuré la cour russe de la reconnaissance et des refus de nos sages.

Mes chers frères, continuez à éclairer le monde, que vous devez tant mépriser. Que de biens on ferait si on s’entendait ! Jean-Jacques eût été un Paul, s’il n’avait pas mieux aimé être un Judas. Helvétius a eu le malheur d’avouer un livre[598] qui l’empêchera d’en faire d’utiles ; mais j’en reviens toujours à Jean Meslier. Je ne crois pas que rien puisse jamais faire plus d’effet que le testament d’un prêtre qui demande pardon à Dieu, en mourant, d’avoir trompé les hommes. Son écrit est trop long, trop ennuyeux, et même trop révoltant ; mais l’Extrait[599] est court, et contient tout ce qui mérite d’être lu dans l’original.

Le Sermon des Cinquante[600], attribué à La Mettrie, à Dumarsais, à un grand prince[601], est tout à fait édifiant. Il y a vingt exemplaires de ces deux opuscules dans le coin du monde que j’habite. Ils ont fait beaucoup de fruit. Les sages prêtent l’Évangile aux sages ; les jeunes gens se forment, les esprits s’éclairent. Quatre ou cinq personnes à Versailles ont de ces exemplaires sacrés. J’en ai attrapé deux pour ma part, et j’en suis tout à fait édifié. Pourquoi la lampe reste-t-elle sous le boisseau[602] à Paris ? Mes frères, in hoc non laudo. Le brave libraire qui imprime des factums en faveur de l’innocence[603] ne pourrait-il pas aussi imprimer en faveur de la vérité ?

Quoi ! la Gazette ecclésiastique s’imprimera hardiment, et on ne trouvera personne qui se charge de Meslier ? J’ai vu Woolston, à Londres, vendre chez lui vingt mille exemplaires de son livre contre les miracles. Les Anglais, vainqueurs dans les quatre parties du monde, sont encore les vainqueurs des préjugés ; et nous, nous ne chassons que des jésuites, et ne chassons point les erreurs. Qu’importe d’être empoisonné par frère Berthier ou par un janséniste ? Mes frères, écrasez cette canaille. Nous n’avons pas la marine des Anglais, ayons du moins leur raison. Mes chers frères, c’est à vous à donner cette raison à nos pauvres Français.

Thieriot est parti pour embrasser nos frères. Ne pourrais-je pas rendre quelque service à ce bon libraire Marlin ou Merlin ? car je n’ai pu lire son nom.

J’embrasse mes frères en Confucius, en Platon, etc. — Ah ! l’inf… !

Je voudrais que mon frère me fit avoir le livre de l’abbé Houteville, avec les lettres de l’abbé Desfontaines contre l’auteur[604].

Il est plaisant de voir le Mercure du fermier général Laugeois et du cardinal Dubois écrire pour notre sainte religion, et un b… comme Desfontaines écrire contre. Mais enfin la grâce tire parti de tout.


5062. — À M.  PIERRE ROUSSEAU.
Au château de Ferney, 10 octobre.

Vous m’écrivîtes il y a quelque temps, monsieur, au sujet d’une lettre aussi absurde que criminelle qu’on imprima sous mon nom, au mois de juin, dans le Monthley, journal de Londres[605].

Je vous marquai[606] mon indignation et mon mépris pour cette plate imposture. Mais comme les noms les plus respectables sont indignement compromis dans cette lettre, il est important d’en connaître l’auteur. Je m’engage de donner cinquante louis à quiconque fournira des preuves convaincantes.

J’ai l’honneur d’être, etc.


Voltaire.

5063. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
À Ferney, 10 octobre.

Mes divins anges, j’ai bien des tribulations :

La première, c’est de ne point recevoir de vos nouvelles ;

La seconde, c’est d’avoir vu jouer Cassandre, d’avoir été glacé de l’évanouissement de Statira, et d’avoir été obligé de refaire la valeur de deux actes ;

La troisième, c’est d’être malade ;

La quatrième, c’est la belle lettre qu’on m’impute[607], et que je vous envoie. Je voudrais qu’on en connût l’auteur, et qu’il fût pendu. Il y a, dit-on, des personnes à Versailles qui croient ce bel ouvrage de moi, et c’est de Versailles qu’on me l’envoie. Il y a apparemment peu de goût dans ce pays-là ; mais je n’imagine pas qu’on puisse m’attribuer longtemps de si énormes bêtises et de si grandes absurdités. Pour peu qu’on réfléchisse, l’impossibilité saute aux yeux. D’ailleurs, je suis accoutumé à la calomnie.

Vous ne m’avez jamais dit si vous aviez présenté ma petite félicitation[608] à M. le comte de Choiseul. J’attends votre réponse sur le Tronchin, qui peut lui être utile, et qui a assez de mérite et de bien pour se passer d’être utile.

Vous pensez bien qu’en refaisant Olympie n’ai pu songer ni à Mariamne ni à Œdipe. Je ne me porte pas assez bien pour avoir à la fois trois tragédies sur le métier, et une calomnie sur les bras.

Je vous renouvelle mes tendres respects.


5064. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
11 octobre.

Je reçois la lettre, du 4 d’octobre, de mes divins anges. Tant mieux que M. le comte de Choiseul n’ait besoin de personne ; tant mieux que la prise de la Havane (que nous savions il y a huit jours) ne nuise point aux négociations de la paix ; tant mieux que les malheurs de la France et de l’Espagne, qui, réunies à la maison d’Autriche, auraient dû donner la loi à l’Europe, contribuent à cette paix devenue si nécessaire.

Pour revenir au tripot, M. le maréchal de Richelieu m’a montré un projet de déclaration du roi, enregistrable au parlement, en faveur des comédiens[609]. J’ai pris la liberté d’y mettre quelques mots qu’il a approuvés.

Il faut que mes anges n’aient pas reçu en leur temps les vers qui terminent la tragédie de Zulime tels qu’ils ont été en dernier lieu récités dans notre tripot, et tels qu’ils doivent faire effet à Paris, à moins qu’on n’ait le diable au corps.

J’ai mandé que nous avions joué Olympie ; j’étais souffleur : j’ai jugé, j’ai condamné, j’ai refait, et tout va bien. Le rôle d’Olympie est devenu le rôle principal ; cela était absolument nécessaire.

J’ai fait part à mes anges de l’infâme tracasserie qu’on me fait : je leur ai envoyé la lettre qu’on m’impute[610]. Je serais bien fâché, pour M. le duc de Choiseul, qu’il m’eût soupçonné un moment. Comment, avec le goût et l’esprit qu’il a, pourrait-il avoir eu un si abominable moment de distraction ? J’avoue que je voudrais qu’on pût trouver et punir l’auteur de cette coupable impertinence.

Mes anges ne m’ont jamais dit s’ils avaient donné mon petit compliment à M. le comte de Choiseul.


5065. — À M.  FYOT DE LA MARCHE[611].
À Ferney, 12 octobre.

Nous n’avons plus de maréchaux de France, nous avons encore un pair[612] ; mais si mon cher et respectable M. de La Marche avait été là, j’aurais bien dit : Cédant arma togæ. Allez-vous à Paris ? Quand partez-vous ? Instruisez-moi un peu de votre marche… Vous allez revoir ce que vous avez de plus cher dans votre famille ; vos amis vous retrouveront. Je ne vous pardonne de quitter votre retraite que pour revoir ceux qui vous aiment. Si vous n’aviez pas cette raison, vous seriez inexcusable. Vous savez qu’on n’est bien que chez soi et avec soi. Vous possédez à la Marche le plus bel empire, celui de vous-même. Que n’ai-je pu y être un de vos sujets ! Je vous demande en grâce, mon grand magistrat, de vous faire donner, quand vous serez à Paris, le Mémoire à consulter des Calas, signé par quinze avocats. M. d’Argental vous le procurera facilement. Vous n’êtes pas homme à croire qu’un parlement aie toujours raison. Je m’en rapporte à votre jugement sur cette affaire comme sur bien d’autres. Vous aimez la justice et la vérité encore plus que l’intérêt des classes.

Conservez votre santé, votre gaieté, et vos bontés pour moi. V.

5066. — À M.  DAMILAVILLE.
15 octobre.

Je vous ai déjà, mon cher frère, envoyé une lettre importante pour M. d’Alembert[613] ; en voici une seconde : la chose presse, c’est une blessure qui demande un prompt appareil. Mais comment se peut-il faire qu’un billet innocent, à vous envoyé il y a près de cinq mois, ait pu produire une pareille horreur ? Tâchez, mes frères, de remonter à la source. Vous voyez quels coups on veut porter aux bons citoyens, qu’on appelle par dérision philosophes, et qu’on ne doit nommer ainsi que par respect. La calomnie sera confondue.

M. le duc de Choiseul m’a écrit quatre pages sur cette horreur dont il m’a cru coupable. Mais comment m’a-t-il pu soupçonner d’une telle bêtise, d’une telle folie, de telles expressions, d’un tel style, lui qui a de l’esprit et du goût ? Le poids des affaires publiques empêche qu’on ne voie avec attention les affaires des particuliers ; on juge rapidement, on juge au hasard, on n’examine rien ; on avale la calomnie comme du vin de Champagne, et on rend son vin sur le visage du calomnié. Je suis pénétré de colère et de douleur. J’envoie à M. le duc de Choiseul le duplicata de ma lettre à M. d’Alembert ; je crierai jusqu’à ce que je sois mort.

Je crois que j’envoyai à mon frère le billet qui a causé tant de fracas et produit tant de calomnies ; c’était au mois de mai[614], ou je suis fort trompé. À qui l’a-t-on montré ? Ce billet, autant qu’il m’en souvient, était très-vif et très-innocent ; on l’a brodé d’infamies et d’horreurs.

Recherche et vengeance.


5067. — À M.  DEBRUS[615].
17 octobre.

Je suis toujours persuadé que les erreurs reprochées au mémoire de M. de Beaumont ne sont nullement préjudiciables.

J’avoue qu’il est inconcevable que Mme  Calas et le jeune Lavaysse aient laissé subsister ces erreurs quand M. de Beaumont leur lut son manuscrit, mais elles ne m’ont jamais paru d’aucune conséquence pour le fond de l’affaire.

Un marchand peut avoir été réduit à faire un accommodement avec ses créanciers, sans que pour cela il soit convaincu d’avoir étranglé son fils pour cause de religion ; une banqueroute ne s’accorde point d’ailleurs avec le fanatisme.

Je suis d’avis que M. de Beaumont fasse seulement un petit errata ; son mémoire d’ailleurs est excellent, et fera un prodigieux effet dans le public. Je regarde cette consultation de M. de Beaumont et de quinze avocats comme un préliminaire qui doit disposer les esprits des juges.

Il me paraît essentiel que ce mémoire soit envoyé à Fontainebleau, à Mme  la marquise de Pompadour, à M.  le duc de Choiseul, à M.  le duc de La Vallière, à Mme  la duchesse de Grammont ; M.  le duc de Choiseul et Mme  de Pompadour surtout ont besoin d’être persuadés.

On leur a mis dans la tête que le père de famille Calas a été condamné à la roue par vingt-cinq juges qui étaient tous du même avis[616]. Ils n’ont pu croire que vingt-cinq juges, qui étaient sans aucun intérêt dans cette affaire, aient condamné pour leur plaisir un innocent.

Voilà pourquoi Mme  la marquise de Pompadour n’a fait aucune réponse à M.  le docteur Tronchin ; et c’est aussi la raison pour laquelle M.  de Saint-Florentin n’a pas même déféré à la recommandation de M.  de Maurepas.

J’ai moi-même reçu quelques reproches d’avoir entamé cette affaire, et de m’être déclaré contre le parlement de Toulouse ; j’ai essuyé de plus une calomnie abominable ; mais je m’en tirerai bien, et cette nouvelle horreur ne servira qu’à faire mieux connaître la vérité.

On ne doit point être surpris qu’on se soit ainsi trompé à la cour, et qu’on y ait eu de si fausses notions du jugement du tribunal de Toulouse. Le torrent des affaires publiques empêche qu’on ne fasse attention aux affaires des particuliers, et quand on rouerait cent pères de famille dans le Languedoc, Versailles n’y prendrait que très-peu de part.

Il est donc de la dernière importance que la consultation de M.  de Beaumont soit connue à la cour, et que le mémoire juridique de M.  Mariette paraisse immédiatement après.

La déclaration du jeune M, Lavaysse me paraît d’une nécessité absolue ; il la mettra sans doute au net, et la finira d’une manière touchante qui portera dans le cœur des juges l’indignation et la pitié.

Je peux répondre de la bonne volonté du rapporteur ; il est instruit et échauffé par un de mes parents en qui il a la plus grande confiance.

Que Mme  Calas, encore une fois, soit tranquille, qu’elle mette sa confiance, et toute son espérance dans M. et Mme  d’Argental et dans M. l’abbé Mignot, conseiller au grand conseil, d’autant plus qu’il est fort probable que quand il s’agira de la cassation ce sera au grand conseil que l’affaire sera portée.

Toutes les lettres et toutes les vaines sollicitations dont on cherche à faire usage sont des secours inutiles qui ne produiront rien du tout ; il ne s’agit uniquement à présent que d’éclairer les juges et de les échauffer, et de détruire en même temps auprès de M.  le duc de Choiseul et de Mme  de Pompadour les impressions très-fausses qu’on leur a données.

La consultation de quinze avocats du parlement de Paris fera immanquablement cet effet, et le mémoire juridique de M. Mariette, venant immédiatement après, convaincra le public, la cour et les juges.

Je suis très-persuadé qu’il faut que ces mémoires paraissent incessamment ; il est important de répandre dans tous les esprits une conviction à laquelle les juges ne pourront résister.

Je prie qu’on envoie ce petit mémoire à Mme  Calas, et qu’elle le montre à M. d’Argental et à M. l’abbé Mignot.


5068. — À M.  LE MARQUIS DE CHAUVELIN.
17 octobre.

Vous me donnez une furieuse vanité. Que Votre Excellence m’écoute. Je fis jouer cette famille d’Alexandre le jour que je vous envoyai le quatrième acte ; je m’aperçus que Statira, en s’évanouissant sur le théâtre, tuait la pièce : car pourquoi mourir quand votre fille vous dit qu’elle aime son mari, et qu’elle l’abandonne pour vous ? Je vis encore clairement que le duel proposé à la fin du troisième devenait ridicule au commencement du quatrième. Je confiai ma critique à M. le maréchal de Richelieu, qui me dit que ces défauts lui avaient fait la même impression, et qu’il me faudrait six mois pour les corriger. Je fus piqué des six mois : cette lenteur ne s’accorde pas avec ma manière d’être : je corrigeai en deux jours. Plus de duel à la fin du troisième acte, mais une scène attendrissante entre la mère et la fille. Olympie, en pleurant, avoue son amour.

olympie.

Hélas ! écoutez-moi.

statira.

Hélas ! écoutez-moi.Que veux-tu ?

olympie.

Hélas ! écoutez-moi. Que veux-tuJe vous jure
Par les dieux, par mon nom, par vous, par la nature,
Que je m’en punirai ; qu’Olympie aujourd’hui
Répandra tout son sang plutôt que d’être à lui.
Mon cœur vous est connu ; je vous ai dit que j’aime.
Jugez par ma faiblesse, et par mon aveu même.
Si ce cœur est à vous, et si vous l’emportez
Sur mes sens éperdus, que l’amour a domptés !
Ne considérez point ma faiblesse et mon âge ;
Du sang dont je naquis je me sens le courage.
J’ai pu vous offenser, je ne peux vous trahir,
Et vous me connaîtrez en me voyant mourir.

(Acte iii, scène vi.)

Remarquons que l’amour d’Olympie avait besoin d’être plus développé pour être plus touchant.

N’oublions pas que Cassandre, en revenant, pour la seconde fois, pour enlever sa femme, faisait un mauvais effet, parce qu’on supposait alors qu’il était vainqueur d’Antigone, et qu’effectivement il ne l’était pas. Il a donc fallu supprimer tout cela, et mettre en récit son irruption dans le temple, l’effroi, l’évanouissement, et la mort de Statira : moyennant ces arrangements, tout est plus naturel, et rien ne me choque.

Vous voyez que je vous avais deviné ; et voilà ce qui me rend si vain. Reste à rendre Cassandre moins odieux, en lui faisant frapper Statira uniquement pour sauver son père. Je ne l’ai pas assez dit, et votre critique est excellente.

Pour l’amour emporté de Cassandre, qui jure d’enlever sa femme au troisième acte, et de l’arracher aux dieux et à sa mère, ce morceau a enlevé tous les suffrages, et même le mien : il est dans la nature, dans la passion, dans le caractère de Cassandre. Je ne diffère donc de vous que dans ce seul point : mais je suis bien moins échauffé sur une pièce que sur la reconnaissance que je vous dois. Votre goût m’enchante : vous ne vous êtes pas rouillé à Turin. Mon Dieu ! que je voudrais vous jouer Olympie ! Madame l’ambassadrice daignerait-elle prendre ce rôle ? elle ferait fondre en larmes. Pourquoi ne pas venir passer huit jours à Ferney ? il n’y a qu’à dire qu’on est malade. Venez, venez ; nous donnerons de belles audiences à Vos Excellences. Venez, vous serez reçus comme il faut. La vie est courte ; pourquoi se gêner ? Vous m’avez enthousiasmé.

Mille tendres respects.


5069. — À M.  DEBRUS[617].

Je pense, mon cher malade, comme M. Mariette. Soyez tranquille, et que Mme  Calas le soit aussi. Songez à votre santé. Dès que je pourrai sortir je viendrai chez vous. Il faut que M. Cathala envoie plusieurs exemplaires de l’histoire Canning-Calas par la voie dont M. Fournier est convenu avec lui.


5070. — À M.  D’ALEMBERT.
Ferney, 17 octobre.

Mon cher confrère, mon cher et vrai philosophe, je vous ai envoyé la traduction de cette infâme lettre anglaise[618] insérée dans les papiers de Londres du mois de juin. C’est la même que M. le duc de Choiseul a eu la bonté de me faire parvenir. Si je vous avais écrit une pareille lettre, il faudrait me pendre à la porte des petites-maisons ; et il serait très-triste pour vous d’être en correspondance avec un malhonnête homme si insensé.

Après y avoir bien rêvé, je crois que vous n’avez autre chose à faire qu’à m’envoyer, sous l’enveloppe de M. le duc de Choiseul, la lettre que je vous écrivis au mois de mai ou d’avril[619], sur laquelle on a mis cette abominable broderie. Je crois que c’était un billet en petit papier ; que ce billet était ouvert, et que je l’avais adressé chez M. d’Argental, ou chez M. Damilaville, ou chez M. Thieriot. Je me souviens que je vous instruisais de l’affaire des Calas, et que je vous disais très-librement mon avis sur les huit juges de Toulouse qui, malgré les remontrances de cinq autres, ont fait un service solennel à un jeune protestant comme à un martyr, et ont roué un père innocent comme un parricide. J’ai pu vous dire ce que je pensais de ces juges, ainsi que quinze avocats de Paris et un avocat du conseil l’ont dit et imprimé dans leurs mémoires. J’ai pris, comme je le devais, le parti d’un vieillard que je connaissais, et dont les enfants sont chez moi. J’ai pu vous parler avec peu de respect pour les juges, comme je leur parlerais à eux-mêmes ; mais il me paraît essentiel que M. le duc de Choiseul voie si le roi et les ministres sont mêlés si indignement et si mal à propos dans ma lettre, et si j’ai écrit les bêtises, les absurdités, et les horreurs qu’on a si charitablement ajoutées à mon billet. Cherchez-le, je vous en conjure ; vous devez, à vous et à moi, la preuve de la vérité qu’on demande ; c’est la seule manière de confondre une telle imposture, et il est bon que le ministère voie combien on calomnie les gens de lettres. Il y a soixante ans que j’y suis accoutumé ; mais je n’y suis pas encore entièrement fait. Tâchez, encore une fois, de retrouver mon billet ; envoyez, je vous en supplie, l’original de ma main à M. le duc de Choiseul, et à moi copie. S’il y a quelque chose de trop fort dans ce billet, je veux bien en porter la peine : je n’ai point d’ailleurs fait serment de fidélité aux juges de Toulouse, je l’ai fait au roi ; je me crois un de ses plus fidèles sujets, et je pense que quiconque a écrit ce qui se trouve dans la lettre anglaise mérite une punition exemplaire.

Pour une cour de judicature, c’est autre chose ; je ne lui dois rien que des épices quand j’ai des procès. En un mot, je vous supplie de chercher ce billet, et de l’envoyer à M. le duc de Choiseul, à mes risques, périls, et fortunes.

Il y a un Méhégan[620], place Sainte-Geneviève, Anglais ou Irlandais d’origine, travaillant au Journal encyclopédique ; il est à portée de découvrir l’auteur de la sotte et coupable lettre, d’autant plus que le Journal encyclopédique y est maltraité, et qu’il doit connaître ses ennemis. Je le récompenserai bien s’il en vient à bout. Joignez-vous à moi, je vous en supplie ; vous en voyez l’importance.

Je ne vous écris pas de ma main ; je suis malade, j’ai peur d’être assez sot pour être malade de chagrin ; mais que mes ennemis ne le sachent pas.

5071. — À M.  DEBRUS[621].
Dimanche, aux Délices.

Il y a trois mois, monsieur, que je répète qu’il faut être tranquille, que l’affaire est indubitable, La famille Calas obtiendra justice.

Je crois que pour les galériens il faudra un peu plus de temps et d’adresse : il y a des affaires qu’il suffit de présenter à l’équité des hommes ; nous n’avions en vérité besoin que d’avocats pour obtenir la révision du conseil ; mais pour faire cesser la persécution, il faudra la protection la plus secrète et la plus puissante ; j’ose l’espérer pour l’honneur de la France. Je fais des vœux tous les jours pour la liberté du commerce et de la conscience ; ce sont deux choses, à mon avis, qu’il ne faut jamais gêner.

Faites-moi savoir, je vous prie, des nouvelles de votre santé. Si la mienne était meilleure, je viendrais au coin de votre feu raisonner avec vous.


5072. — DU CARDINAL DE BERNIS.
À Vic-sur-Aisne, le 17 octobre.

J’ai eu tort, mon cher confrère, de ne pas vous dire que le dernier mémoire des Calas m’a fait mal à force de me faire impression. Je vous loue beaucoup d’avoir tendu la main à une famille malheureuse. L’oppression de l’innocence est le plus grand des crimes ; il devrait donc être le plus rare. Je savais que vous aviez chez vous l’assemblée des pairs ; ce n’était pas pour juger les hospitalières, ou telle autre cause de cette importance, mais pour savoir si la famille de Darius ou d’Alexandre et leurs successeurs parlent et agissent comme ils doivent. Je vous avoue que j’aurais été fort aise d’assister à ce jugement, et d’applaudir de ma loge grillée à une tragédie pour laquelle je me sens des entrailles de nourrice. Vous faites bien de la corriger, et de vous corriger sans fin et sans cesse. La modestie est l’attribut distinctif des grands génies, comme la vanité est l’enseigne des petits esprits. Vous êtes le premier homme de l’Europe par les talents, et le seul aujourd’hui, parmi les Français, qui ayez la représentation d’un grand seigneur. Je loue fort cet emploi de votre temps et de votre argent. Je ne vous défends que cet excès de travail auquel j’ai vu que vous vous abandonniez autrefois. L’esprit est le même, mais le corps n’a plus les mêmes ressources, il ne manque à votre réputation que celle de la santé. Je veux absolument que vous viviez autant que Fontenelle, puisque vos ouvrages vivront plus longtemps que les siens. Pour moi, qui n’ai de droit à une longue vie que la couleur de mon chapeau, je vous promets que je n’oublierai rien pour devenir doyen du sacré-collége ; et si ma santé se dérangeait à un certain point, j’irais chercher chez vous le remède. Je doute que l’art de guérir soit aussi sûr que l’art de plaire. Adieu, mon cher confrère ; aimez-moi toujours un peu.

J’ai fait passer votre paquet à notre secrétaire perpétuel[622].


5073. — À M.  COLINI.
18 octobre.

Mon cher confident de Statira[623], je vous ai assassiné inutilement d’une petite partie des corrections faites à la famille d’Alexandre. Une tragédie ne se jette pas au moule : cela demande un temps prodigieux.

Je ne veux plus en faire, mais je veux vous aimer toujours. V.


5074. — DE M.  D’ALEMBERT.
À Paris, 26 octobre.

Je crois, mon cher et illustre confrère, avoir fait encore mieux que vous ne me paraissez désirer. Vous me demandiez, il y a huit jours, copie de la lettre que vous m’avez écrite le 29 de mars, et je vous ai envoyé l’original même. Vous me priez aujourd’hui d’envoyer l’original à M. le duc de Choiseul ; vous êtes à portée de le lui faire parvenir, si vous le jugez à propos. Quant à moi, comme il ne m’est rien revenu de sa part sur cette ridicule et atroce imputation qu’on nous fait à tous deux, j’ai supposé qu’il en avait fait le cas qu’elle mérite ; je me suis tenu et me tiendrai tranquille ; et j’ai trop bonne opinion, comme je vous l’ai déjà dit, de l’équité du gouvernement, pour croire qu’il ajoute foi si légèrement à de pareilles infamies. Il faudrait avoir aussi peu de lumière que de goût, et se connaître aussi mal en style qu’en hommes, pour vous croire capable d’écrire une aussi plate et aussi indigne lettre, et moi de la faire courir, de quelque part que je l’eusse reçue ; pour imaginer que vous donniez des éloges à un aussi mauvais poëme que celui du Balai[624], que vous vous déchaîniez indignement contre la majesté royale, dont vous n’avez jamais parlé ni écrit qu’avec le respect qui lui est dû, et que vous vouliez manquer grossièrement et bêtement à des ministres dont vous avez tout lieu de vous louer. Il vous est trop facile, mon cher et illustre maître, de confondre la calomnie, pour être aussi affecté que vous me le paraissez de l’impression qu’elle peut faire. Quant à moi, je fais comme Horace, je m’enveloppe de ma vertu[625] ; je ne crains ni n’attends rien de personne ; ma conduite et mes écrits parlent pour moi à ceux qui voudront les écouter. Je défie la calomnie, et je la mets à pis faire.

Nous sommes fort heureux, vous et moi, que l’imbécile et impudent faussaire ait conservé quelques phrases de votre lettre du 29 mars ; il vous a fourni les moyens, en produisant l’original, de mettre l’imposture à découvert. Il est certain, mon cher confrère, qu’il a couru des copies de ce véritable original ; j’en ai vu une, il y a trois ou quatre mois, entre les mains de l’abbé Trublet. On les vendait manuscrites, à ce qu’il m’a dit lui-même, à la porte des Tuileries, où il avait acheté la sienne. De vous dire comment ces copies ont couru, c’est ce que j’ignore : ce qu’il y a de certain, c’est que je n’en ai donné ni laissé prendre à personne ; mais d’ailleurs il n’y a pas grand mal à cela, puisqu’il y a une différence énorme entre l’original et la lettre infame qu’on vous impute, et que l’on vous met à portée de vous justifier pleinement de l’autre. Si vous avez traité messieurs de Toulouse comme le méritent des pénitents blancs, je n’imagine pas que Versailles puisse vous en faire un crime ; la canaille fanatique, tant jésuitique que parlementaire, est ici-bas pour le menu plaisir des sages ; il faut s’en amuser comme de chiens qui se battent.

Il me paraît bien difficile, pour ne pas dire impossible, de remonter jusqu’au fabricateur de la lettre en question : on pourrait savoir de l’auteur du journal anglais où elle a été imprimée, de qui il l’a reçue. Pour moi, j’imagine que c’est l’ouvrage de quelque maraud de Français réfugié à Londres, qui me paraît avoir eu principalement en vue de rendre la religion catholique et la nation française odieuses à toute l’Europe. Je lui abandonne de tout mon cœur la religion catholique, et même une grande partie de la nation, comme qui dirait la classe du parlement et la hiérarchie ecclésiastique, aussi méprisables l’une que l’autre ; mais je respecte le roi et j’aime ma patrie, et je crois l’avoir prouvé aux dépens de ma fortune. La Prusse et la Russie peuvent me rendre ce témoignage[626], et méritent bien autant d’en être crues qu’un faussaire obscur, sans esprit et sans pudeur.

Adieu, mon cher et illustre philosophe ; vous ne mériteriez pas ce dernier nom, si une plate calomnie, facile à confondre, avait pu vous rendre malade : j’aime mieux en accuser le travail et le changement de saison que la bêtise et l’imposture. Je me garderai vraiment bien de convenir qu’une pareille cause ait pu altérer votre santé ; ce serait bien le cas de dire :


Et vous, heureux Romains, quel triomphe pour vous !

(Racine, Mithridate, acte I, scène v.)

Adieu ; le ciel vous tienne en paix et en joie ! Quand aurons-nous Corneille, la suite du Czar[627], Olympie, etc. ? Voilà ce qui mérite de vous occuper, et non pas des atrocités absurdes.


5075. — À M.  DEBRUS[628].
Mardi soir.

Qu’importe, monsieur, qu’un Anglais parle ou ne parle pas au roi d’un jugement inique d’un parlement français ? Soyez persuadé qu’on ne parle pas au roi si aisément, et que d’ailleurs Sa Majesté est l’homme du royaume qui influe le moins sur cette affaire ; il ne s’en mêle ni ne s’en mêlera ; il laissera agir la commission du conseil, et dira seulement un mot comme les autres. Nous dépendons absolument des juges, et nous les aurons pour nous, soyez-en sûr.

C’est alors que tout retentira auprès du roi de ce qu’on doit à l’innocence persécutée. Je vous dirai plus : cette affaire est très-capable de faire obtenir à vous autres huguenots une tolérance que vous n’avez point eue depuis la révocation de l’édit de Nantes. Je sais bien que vous serez damnés dans l’autre monde, mais il n’est pas juste que vous soyez persécutés dans celui-ci.


5076. — À M.  LE MARQUIS ALBERGATI CAPACELLI.
À Ferney, 27 octobre.

Je craindrais, monsieur, de vous écrire de l’autre monde, si je différais plus longtemps. La journée n’a que vingt-quatre heures ; j’en souffre dix-huit, et je ne me porte pas trop bien pendant les six autres, malgré le docteur Tronchin et le régime le plus sévère.

Je fais comme les anciens Romains, qui donnèrent la comédie pour guérir de la peste[629]. Mais apparemment que les spectacles ne sont bons que contre la peste, et ne valent rien contre l’accablement d’un homme de soixante et neuf ans : aussi tout mon plaisir se bornera à jouir de celui des autres. J’ai pourtant fait un effort pour écrire deux lettres à notre cher ami M. Goldoni. Je ne sais où le prendre, je ne sais où il loge à Paris ; il ne m’a point envoyé son adresse. Le voilà englouti dans le tourbillon de cette grande ville ; chacun sans doute le veut avoir, et je suis persuadé qu’il n’a pas un moment à lui.

Je voudrais bien que son voyage lui fût aussi utile qu’agréable, et que ma patrie eût la gloire de rendre solidement justice à son mérite.

Pour moi, je ne lui pardonnerai pas s’il ne revient point par Ferney. Je veux absolument avoir la consolation de m’entretenir de vous avec lui avant que je meure. On dit qu’il est aussi aimable par la douceur et la facilité de ses mœurs que par ses talents.

Je suis toujours émerveillé de la bonté qu’ont vos virtuoses de traduire la malheureuse pièce d’Idoménée[630] ; c’est bien pis que d’admettre à sa table un ennuyeux parmi des gens d’esprit : c’est aller soi-même choisir dans sa cuisine tout ce qu’il y a de plus mauvais, et se donner la peine de préparer de ses mains un fort méchant dîner.

Je n’ai pu, monsieur, vous envoyer la tragédie que je vous ai promise ; mes souffrances continuelles ne m’ont pas permis d’y mettre la dernière main, et j’ai bien peur qu’elle ne soit qu’une espèce d’Idoménèe. Si M. Goldoni passe par chez moi, je la lui donnerai pour vous. Je vous jure que j’aurai la plus vive tentation d’accompagner M. Goldoni à Bologne ; et si j’étais un peu moins vieux et un peu moins malade, je ne résisterais pas à la tentation. Je suis né avec la passion des voyages ; vous l’augmentez furieusement en moi, et cependant il y a huit ans que je ne suis sorti de l’enceinte de mes montagnes.

Il faut que je sois un mauvais physicien, car j’avais imaginé que la ceinture des Alpes et du mont Jura serait une barrière contre les vents ; mais nous en avons ici d’épouvantables, et la faiblesse de mon tempérament ne s’en accommode guère. J’avais désiré de finir ma vie dans une entière liberté et dans un beau climat ; je n’ai que la moitié de ce que je désirais : cela est encore bien honnête. Je crois que Bologna la grassa vaut mieux que le pays de Gex, mais je crois surtout que vous l’embellissez. Votre goût pour la littérature, vos spectacles, vos fêtes, doivent attirer chez vous la meilleure compagnie d’Italie. Vous êtes à la fois auteur et protecteur : Mécène n’avait qu’un de vos avantages. Vous ne sauriez croire, monsieur, à quel point je vous révère ; j’ose encore ajouter que je prends la liberté de vous aimer de tout mon cœur.

Jouissez longtemps de votre considération, de votre fortune, de votre mérite, et de vos plaisirs ; ce sont les vœux de votre serviteur le plus sincère et le plus tendre.


5077. — À M.  DAMILAVILLE.
Octobre.

Il est heureux que M. Mariette n’ait pas encore imprimé sa requête au conseil. C’est sur cette requête qu’on jugera. Les erreurs où M. de Beaumont peut être tombé seront rectifiées dans le mémoire juridique de M. Mariette.

La plus importante de ces erreurs, et peut-être la seule importante, est celle où M. de Beaumont, page 11, dit qu’à l’hôtel de ville il n’y eut point de serment prêté[631]. Il ne faut pas, sans doute, donner lieu aux juges de Toulouse de demander raison d’une fausse imputation, et de faire voir que les accusés, ayant prêté serment, se sont parjurés, et surtout de dire que ce parjure est une des choses qui peuvent justifier leur arrêt rigoureux.

Il faut avouer que ce concert, cette unanimité des Calas à dire sous serment que Marc-Antoine a été trouvé étendu sur le plancher, tandis qu’en effet Marc-Antoine a été étranglé, est l’unique prétexte qui puisse en quelque sorte excuser l’arrêt du parlement de Toulouse. C’est ce mensonge qui a fait croire que Marc-Antoine avait été étranglé par sa famille ; c’est ce mensonge qui a fait passer le mort pour un martyr, et qui lui a fait décerner trois pompes funèbres. Voilà ce qui a mené Jean Calas au supplice. Il ne faut donc pas à ce mensonge funeste en ajouter un nouveau, qui pourrait faire succomber l’innocence dans la révision du procès.

M. Mariette est prié de consulter le Mémoire de Donat Calas, et la Déclaration de Pierre Calas, page 23 : « Mon père, dans l’excès de sa douleur, me dit : « Ne va pas répandre le bruit que ton frère s’est défait lui-même ; sauve au moins l’honneur de ta misérable famille. »

Il est essentiel de rapporter ces paroles ; il l’est de faire voir que le mensonge, en ce cas, est une piété paternelle ; que nul homme n’est obligé de s’accuser soi-même, ni d’accuser son fils ; que l’on n’est point censé faire un faux serment quand, après avoir prêté serment en justice, on n’avoue pas d’abord ce qu’on avoue ensuite ; que jamais on n’a fait un crime à un accusé de ne pas faire au premier moment les aveux nécessaires ; qu’enfin les Calas n’ont fait que ce qu’ils ont dû faire. Ils ont commencé par vouloir défendre la mémoire du mort, et ils ont fini par se défendre eux-mêmes. Il n’y a dans ce procédé rien que de naturel et d’équitable. Les autres erreurs sont peu de chose, mais il est toujours bon que M. Mariette en soit instruit, afin qu’il n’y ait rien dans sa requête juridique qui ne soit dans l’exacte vérité.

Au reste, il est fort étrange que Mme  Calas et M. Lavaysse aient laissé subsister, dans le factum de M. de Beaumont, une méprise si préjudiciable.


5078. — À M.  DE CHENEVIÈRES[632].
Aux Délices, 30 octobre.

Mon cher correspondant, nous avons toujours les nouvelles d’Allemagne quatre jours avant vous ; nous avons rarement des détails sûrs. Vous ferez un sensible plaisir à ma nièce et à moi de vouloir bien nous instruire plus particulièrement.

Votre souvenir et votre amitié sont bien plus précieux que tout ce qui se passe aujourd’hui dans l’Europe, et c’est de vos nouvelles surtout que nous voulons. Nous nous soucions fort peu des mauvaises pièces de théâtre et des mauvais livres ; mais nous voudrions savoir, par exemple, s’il est vrai que le pape ait écrit un bref en faveur de l’archevêque de Paris. Peut-être n’en savez-vous rien ; mais continuez toujours, mon ami, à écrire à des gens qui vous aiment.


5079. — À M.  DEBRUS[633].

Ce malheureux Louis Calas fait soulever le cœur. Mais le biais de lui faire écrire par un des avocats de sa mère, et l’espérance d’être récompensé s’il rend gloire à la vérité et s’il écoute la nature, ne pourront-ils rien sur lui ?

Le voyage de M. de Lasalle[634] à Paris me comble d’espérance et de joie. J’ai été tenté cent fois de lui écrire. Je lui écrirai dès qu’il sera à Paris. Je veux qu’il soit en liaison avec M. d’Argental, cela est important. Qu’on nous envoie vite la pauvre servante. On trouvera bien quelqu’un à Genève qui entendra son jargon[635]. On la fera déposer juridiquement à Gex, et on pourra tirer un très-grand parti de cette bonne créature.

Toute cette abominable affaire m’intéresse tous les jours de plus en plus. J’embrasse de tout mon cœur M. Debrus. V.


5080. — À M.  D’ALEMBERT.
Aux Délices, 1e novembre.

Mon très-digne philosophe, n’est-ce pas Mécène[636] qui disait : Non omnibus dormio ? et moi, chétif, je vous dis : Non omnibus ægroto. J’étais du moins fort aise que M. le duc de Choiseul sût à quel point il m’avait chagriné : il avait pu me soupçonner d’être ingrat. Je lui ai les plus grandes obligations ; c’est à lui seul que je dois les privilèges de ma terre. Toutes les grâces que je lui ai demandées pour mes amis, il me les a accordées sur-le-champ : je suis d’ailleurs attaché depuis vingt ans à M. le comte de Choiseul. Il faudrait que je fusse un monstre pour parler mal du ministère dans de telles circonstances. Vous avez parfaitement senti combien cette infâme accusation retombait sur vous. On voulait nous faire regarder, nous et nos amis, comme de mauvais citoyens, et rendre notre correspondance criminelle ; cette abominable manœuvre a dû m’être infiniment sensible. Mon cœur en a été d’autant plus pénétré que, dans le temps même que M. le duc de Choiseul me faisait des reproches, il daignait accorder, à ma recommandation, le grade de lieutenant-colonel à un de mes amis : c’était Auguste qui comblait Cinna de faveurs. J’en ai le cœur percé, et je ne lui pardonne pas encore de nous avoir pris pour des conjurés. Je ne conçois pas comment il a pu imaginer un moment que cette infâme et sotte lettre fût de moi. Je lui ai envoyé la véritable avec votre petit billet. Il verra à qui il a affaire, et que nous sommes dignes de son estime et de ses bontés.

Je persiste à croire que le parlement de Toulouse doit réparation à la famille des Calas, qu’Omer doit faire amende honorable à la philosophie, et que ce n’est pas assez d’abolir les jésuites quand on a tant d’autres moines.

Nous sommes au sixième tome de Corneille le sublime et le rabâcheur. Sa nièce joue la comédie très-joliment, et me fait plus de plaisir que son oncle. Nous avons à Ferney des spectacles toutes les semaines, et en vérité d’excellents acteurs. Il y a beaucoup à travailler à l’Olympie ; l’ouvrage des six jours était fait pour que l’auteur se repentît. Il m’a fallu mettre un an à polir ce qu’une semaine avait ébauché. Les difficultés ont été grandes ; nous verrons si j’en serai venu à bout. Au bout du compte, il est assez plaisant de faire les pièces, le théâtre, les acteurs, les spectateurs. Les déserts du pays de Gex sont fort étonnés. L’infâme commence à y être fort bafouée. Rendez-lui toujours le petit service de la montrer dans tout son ridicule et dans toute sa laideur. Le curé d’Étrépigny[637] fait de merveilleux effets en Allemagne. J’ai lu le Dictionnaire des hérésies[638] : je connais quelque chose d’un peu plus fort[639]. Dieu nous aidera.

Adieu ; je vous embrasse tendrement.


5081. — À M.  LE MARQUIS DE CHAUVELIN.
Aux Délices, 1er novembre.

Puisque Votre Excellence aime notre tripot à ce point, puisqu’elle se prête avec tant de bonté à nos tragiques bagatelles, voici la scène qui finit l’acte troisième, et voici tout le quatrième acte. Il n’y a plus, à la vérité, tant de fracas à la fin de cet acte quatrième. C’est un beau sujet de tableau qu’une femme mourante, sa fille à ses pieds, un amant furieux venant enlever cette fille qui le repousse, l’amant saisi d’horreur et de pitié, tous les assistants empressés, etc. C’est même pour parvenir à produire ce tableau sur la scène que j’avais arrangé toute la pièce ; mais il est impossible que cette situation subsiste. Je me suis aperçu que Statira n’était là qu’un trouble-fête. Elle venait après une scène intéressante de deux amants, on souhaitait qu’elle pardonnât ; mais au contraire elle se réjouissait avec sa fille de ce qu’on allait tuer son amant ; elle s’évanouissait quand sa fille lui représentait qu’une religieuse ne devait pas être si vindicative ; alors Statira devenait presque odieuse, et sa mort était très-froide. Ainsi tout ce spectacle préparé pour émouvoir ne faisait qu’un effet ridicule. De plus, le retour de Cassandre auprès d’Olympie n’était pas vraisemblable. Pourquoi quitter le combat ? comment Antigone ne le suivait-il pas ? Mille raisons enfin concouraient pour faire supprimer une situation qui, belle en elle-même, était très-mal placée.

Nous venons de jouer le Droit du Seigneur avec un prodigieux succès pour le pays de Gex. Mais quel pays au mois de novembre ! et que mes montagnes sont vilaines en hiver, quand on ne joue pas la comédie !

Je ne renverrai à mes anges d’Argental notre Olympie (vos bontés la font nôtre) que quand vous et moi serons contents. Je trouve que cette pièce est comme la paix ; elle me paraissait faite, et à mesure qu’on avance elle est difficile à faire. Je supputais hier avec des Anglais qu’ils doivent plus de livres tournois qu’il n’y a de minutes depuis la création du monde, et je crois que nous autres Français nous ne nous éloignons pas trop de ce compte.

Notre troupe se prosterne devant Vos Excellences, et moi, je joins la plus tendre reconnaissance à mon respect.


5082. — À M.  DAMILAVILLE.
3 novembre.

Mon cher frère, je suis toujours émerveillé que trois vingtièmes ne vous dérobent ni à la philosophie ni à la littérature. Il me semble que cela fait honneur à l’esprit humain. Sera-t-il dit que je mourrai sans vous avoir vu dans ma retraite avec le cher frère Thieriot et l’illustre frère Diderot ?

Voici une lettre pour un digne frère[640] ; ce n’est pas un Omer : je vous supplie de la faire tenir. Que Dieu nous donne des procureurs généraux qui ressemblent à celui-là !

Notre cher frère saura qu’on est honteux sur cette méprise de cette belle lettre anglaise[641]. J’ai bien crié, et je le devais. Il n’est pas mal de mettre une bonne fois le ministère en garde contre les calomnies dont on affuble les gens de lettres.

Je ne sais point encore les conditions de la paix ; mais qu’importent les conditions ? On ne peut trop l’acheter.

L’affaire des Calas n’avance point ; elle est comme la paix. Puissions-nous avoir pour nos étrennes de 1763 un bon arrêt et un bon traité ! Mais tout cela est fort rare.

Poursuivez l’inf… ; je ne fais point de traité avec elle.

Et frère Thieriot, où dort-il ?

Valete, fratres.


5083. — À M. DEBRUS[642].

Pierre et Donat devraient avoir écrit à Élie de Beaumont depuis longtemps. Si leur lettre n’est pas encore partie, il faut la mettre sous l’enveloppe de M. Damilaville, directeur des vingtièmes, quai Saint-Bernard.

Il y a trois mois que je dis qu’on ne rendra à Mme  Calas ses filles qu’après la révision du procès. Je crains même que des sollicitations trop réitérées n’indisposent M. le comte de Saint-Florentin ; je souhaite de me tromper.

On ne fait que des démarches inutiles. Il faut attendre patiemment le jugement du conseil. Je réponds qu’il sera favorable. Ne soyons point fâchés que ce jugement soit différé. Nous en aurons plus de temps d’instruire les juges et de les solliciter. Ne parlons point surtout de l’affaire de Sirven[643] ; tenons-nous-en à la nôtre. Si nos avocats peuvent avoir une lettre de Louis [Calas], telle que je l’ai désirée, rien ne servira mieux notre cause.

Mille compliments à M. Debrus et à tous ses amis.

5084. — À M.  DE LA CHALOTAIS.
Le 3 novembre.

Vous donnerez sans doute, monsieur, un plan d’éducation[644] digne de vos excellents mémoires, qui ont servi à détruire ceux qui donnaient une assez méchante éducation à notre jeunesse. Plût à Dieu que vous voulussiez y mêler quelques leçons pour ceux qui se croient hommes faits ! Ce sont de terribles enfants que des gens qui, avec de la barbe au menton, payent à un prêtre italien la première année du revenu des terres que le roi leur donne en France, et qui, avec cela, disent qu’on leur fait tort quand on ne les laisse pas les maîtres absolus de tout. Vous êtes procureur général d’une province où un Italien donne encore des bénéfices. Les Anglais ont été longtemps plus imbéciles que nous, il est vrai ; mais voyez comme ils se sont corrigés. Ils n’ont plus de moines ni de couvents, mais ils ont des flottes victorieuses ; leur clergé fait de bons livres et des enfants, leurs paysans ont rendu fertiles des terres qui ne l’étaient pas ; leur commerce embrasse le monde, et leurs philosophes nous ont appris des vérités dont nous ne nous doutions pas. J’avoue que je suis jaloux quand je jette les yeux sur l’Angleterre.

Vous avez rendu, monsieur, à la nation un service essentiel, en l’éclairant sur les jésuites. Vous avez démontré que des émissaires du pape, étrangers dans leur patrie, n’étaient pas faits pour instruire notre jeunesse. Vous pensez qu’il vaut mieux qu’un jeune homme apprenne de bonne heure les quatre maximes fondamentales de l’année 1682 que de savoir par cœur des vers de Jean Despautère. En un mot, je suis persuadé que vous saurez mêler, avec votre habileté ordinaire, dans votre plan d’éducation, bien des choses qui serviront à l’instruction de l’âge mûr. Le siècle du gland est passé ; vous donnerez du pain aux hommes. Quelques superstitieux regretteront encore le gland qui leur convient si bien ; et le reste de la nation sera nourri par vous.

C’est une belle époque que l’abolissement des jésuites ; j’oserais dire avec Horace :


Quid te exempta juvat spinis e pluribus una ?

(Lib. II, ep. ii, 212.)

On me répondra que, de toutes les épines, c’était la plus pointue et la plus embarrassante, et qu’il faut commencer par l’arracher ; je répliquerai :


Perge quo cœpisti pede.


La raison fait de grands progrès parmi nous ; mais gare qu’un jour le jansénisme ne fasse autant de mal que les jésuites en ont fait ! Que me servirait d’être délivré des renards, si on me livrait aux loups ? Dieu nous donne beaucoup de procureurs généraux qui aient, s’il est possible, votre éloquence et votre philosophie ! Je remarque que la philosophie est presque toujours venue à Paris des contrées septentrionales ; en récompense, Paris leur a toujours envoyé des modes.

J’oubliais de vous parler, monsieur, du procès de mes huguenots. Fussent-ils mahométans, vous leur donneriez gain de cause s’ils avaient raison.

Permettez, monsieur, que je vous renouvelle les sincères protestations de mon estime et de mon respect.


5085. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
À Ferney, novembre.

Mon cher ange, il est bien juste que M. le comte de Choiseul ait la consolation de vous tenir à Fontainebleau. Je m’imagine que votre esprit conciliant ne nuira pas à l’œuvre de la paix. Je vois bien des Anglais qui n’en veulent point, mais ils ne songent point que leur gouvernement doit plus de livres tournois qu’il n’y a de minutes depuis la création. J’en faisais le compte avec eux ces jours-ci, et il s’est trouvé juste.

Que M. le comte de Choiseul se garde bien de perdre un temps précieux à écrire à une marmotte des Alpes ; c’est bien assez qu’il soit content de mes sentiments, et qu’il ait la bonté de m’en assurer par vous.

Je ne sais plus où j’en suis pour Mariamne ; je n’ai point ici votre lettre où vous me parliez de quelques changements ; je me souviens seulement que vous me disiez que le second acte n’était pas fini. Cependant Mariamne sort pour aller


… consulter Dieu, l’honneur, et le devoir.

(Acte II, scène v.)

N’est-ce pas une raison de sortir quand on a de telles consultations à faire ? et ne voilà-t-il pas l’acte fini ? Vous parliez, mon divin ange, de distributions de rôles ; je ne m’en souviens plus : tous mes papiers sont entassés aux Délices, que M. le duc de Villars occupe ; mais voici mon blanc-seing tragique que vous ferez remplir comme il vous plaira, et que vous appuierez de votre protection.

Nous ne faisons pas comme vous ; nous allons rejouer le Droit du Seigneur. Je vous avertis que je joue le bailli, et le grand prêtre dans Sémiramis, et que je suis fort claqué.

Pour Olympie, vous l’aurez quand vous voudrez : mon ouvrage de six jours est devenu un ouvrage d’un an. Cette maudite opiniâtreté de vouloir faire évanouir Statira sur le théâtre m’avait écarté de la bonne voie. J’y ai mis tous mes soins et mon petit savoir-faire.

Je ne me console point de ce que Zulime n’a point dit : J’en suis indigne[645] ; mais ce qui fait ma vraie tribulation, c’est que M. le duc de Choiseul m’a cru l’auteur de cette belle rapsodie anglaise[646], c’est qu’il me l’a écrit, avec bonté, il est vrai ; mais cette bonté est affreuse. J’en ai été outré, et je lui ai dit bien des injures qu’il mérite[647]. Il faut absolument que M. le comte de Choiseul le gronde.

Il est vrai que M. le duc de Richelieu se porte fort bien, et qu’il en a donné de belles preuves ; mais, de moi, ce n’est pas de même : de vingt-quatre heures j’en souffre dix-liuit, je griffonne les six autres, et je vous aime tous les moments de ma vie.


5086. — À M.  LE COMTE DE CHOISEUL[648].
Ferney, 10 novembre.

Monseigneur, comme tout ce que je pourrais avoir l’honneur de vous dire se trouve dans la lettre ci-jointe, qu’il ne faut pas plus multiplier les importunités que les êtres sans nécessité, et qu’à grand seigneur peu de paroles, daignez permettre que je vous supplie de lire ma lettre à mes anges.

M. et Mme  d’Argental m’apprennent que vous avez bien voulu vous intéresser au rétablissement d’un ancien officier d’artillerie[649], qui a grande envie de tirer sur les Russes, Anglais, Hanovriens, Hessois, et Prussiens ; je n’ai pas osé vous solliciter, mais j’ose vous remercier : la reconnaissance enhardit.

Je jette avec douleur les yeux sur la terre et sur la mer, et sur le théâtre de Paris ; je vois que les Russes et l’Opéra-Comique feront du mal : je lève les yeux au ciel dans ma douleur profonde.

Je souhaite que nos grenadiers et nos marins vous donnent de beaux sujets d’ultimatum : car quand il s’agit d’un traité de paix, ce sont leurs sabres qui taillent vos plumes.

Vous connaissez, monseigneur, le respect infini du Suisse V., et sa discrétion qui l’empêche de vous fatiguer de ses inutiles lettres.

Ah ! j’apprends dans le moment que tout le monde vous bénit, monseigneur ; et moi, je vous remercie de m’avoir fait achever une Histoire générale qui finit par le bien que vous faites aux hommes.


Le vieil Ermite des Alpes.



5087. — À M.  DEBRUS[650].

Il faut, mon cher monsieur, oublier cette sottise. Votre quaker est un polisson qu’on m’avait annoncé comme un grand négociant de Pensylvanie, et il se trouve que c’est un gueux fugitif du Lyonnais. On aurait bien dû ne pas présenter chez moi une pareille espèce.

Au reste, je n’ai rien de nouveau, ni sur les Calas ni sur les choses auxquelles vous vous intéressez, depuis ma dernière lettre à M. de Végobre. Je vous souhaite une santé constante, et je vous prie d’être persuadé de tous les sentiments que je vous ai voués.


5087 bis. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
À Ferney, 10 novembre.
Vivent le roi et monsieur le duc de Praslin[651] !

Mon divin ange, quoique nos Suisses vendent leur sang à qui veut le payer[652], quoique les Genevois n’aiment pas la France passionnément, quoique notre petit pays de Gex soit séparé du reste du monde, cependant je ne vois que des gens enthousiasmés de la paix, et je n’entends que des cris de joie.

Je vous prie de vouloir bien donner à M. le duc de Praslin ces trois mots[653], que je prends la liberté de lui écrire. Il y a soixante et quatre ans qu’un marquis de Praslin, que je peindrais, avait beaucoup de bonté pour moi ; cela m’a été d’un bon augure.

Voici le temps des plaisirs et des spectacles. Il y avait une plaisante dédicace[654] à deux seigneurs de Praslin qu’on devait mettre à la tête du Droit du Seigneur, comédie de Jodelle, du temps de Henri II, rajustée depuis peu au théâtre par un quidam.

Nous avons joué depuis peu le Droit du Seigneur, avec tout le succès possible, à Ferney. Mlle  Corneille a joué Colette supérieurement ; elle avait une cabale contre elle ; la cabale a été forcée de battre des mains.

Je soupçonne que M. de Chauvelin vous a envoyé, de Turin, une fin du troisième acte de Cassandre, et le quatrième tout entier : je ne voulais pas vous envoyer la pièce par morceaux ; j’attendais vos ordres angéliques pour vous faire parvenir la pièce entière ; mais ce que M. de Chauvelin aura fait sera bien fait.

Il y a un conseiller au parlement de Toulouse[655] qui vient, je crois, à Paris, pour rendre justice à l’innocence des Calas, et gloire à la vérité. Il y a de belles âmes ; celle-là sera bien digne de connaître la vôtre.

Je vous embrasse avec les plus tendres respects, et je me mets aux pieds de Mme  d’Argental.


5088. — DE M.  D’ALEMBERT.
À Paris, le 17 novembre.

Vous auriez eu très-grand tort, mon cher et illustre maître, de faire une satire contre un ministre à qui vous avez, dites-vous, de si grandes obligations ; vous auriez même eu tort de l’outrager, quand vous eussiez été intéressé dans la comédie des Philosophes, dont il a procuré et favorisé la représentation. Il ne faut jamais attaquer plus fort que soi. D’ailleurs c’est peine perdue que l’éloge ou la satire d’un homme en place, parce que toutes ses actions étant pour ainsi dire au soleil, il n’y a personne qui ne sache par soi-même ce qu’il peut mériter de louanges ou de blâme ; et j’ai toujours remarqué qu’à cet égard le public était très-juste, et sait bien mettre à leur place les auteurs ou les objets de l’éloge ou de la critique. Quant à moi, qui par bonheur ou par malheur (comme il vous plaira) n’ai pas la plus petite obligation à aucun de ceux qui gouvernent aujourd’hui, et à qui ils n’ont fait proprement ni bien ni mal, j’ai pris pour devise, à leur égard, ce beau passage de Tacite[656] : « Mihi Galba, Olho, Vitellius, nec beneficio, nec injuria cogniti … sed incorruptam fidem professis, nec amore quisquam, et sine odio dicendus est. » J’aurais été très-fâché que l’on m’eût soupçonné d’être le bureau d’adresse des satires qu’on s’avise de faire contre le gouvernement, dont je n’ai ni à me louer ni à me plaindre, et dont je ne voudrais d’ailleurs me venger, si j’en étais persécuté, que par une conduite qui fit rougir les persécuteurs. Mais de quoi je suis bien étonné, c’est qu’on ait pu vous attribuer un moment une rapsodie où il n’y a ni goût, ni style, ni finesse, et où on a même eu l’esprit de défigurer le peu qu’on a conservé de votre véritable lettre. Je crois en effet que M. de Choiseul doit voir à présent que nous sommes dignes de son estime ; à l’égard de ses bontés, je vous en souhaite la continuation. Vous devriez l’engager, puisqu’il vous écoute et vous aime, à accorder quelque protection aux pauvres roués de Toulouse. La veuve vint me voir il y a quelques jours, et m’apporter son mémoire ; ce spectacle me fit grande pitié. Il ne faut pas se plaindre d’être malheureux quand on voit une famille qui l’est à ce point-là. Je parlerai et crierai même en leur faveur, c’est tout ce que je puis faire ; mais s’ils sont innocents, comme j’en suis persuadé, et qu’on ne force pas le parlement de Toulouse à leur faire réparation, je ne pourrai m’empêcher de dire : Dans quel pays sommes-nous ?

Pour la philosophie, je ne crois pas qu’Omer et Palissot lui fassent réparation sitôt ; mais, en attendant, on fait justice de ses ennemis. Cependant il y a, dit-on, vingt-quatre jésuites retirés à Versailles ; ce sont les vingt-quatre vieillards des Provinciales[657] ou de l’Apocalypse[658], comme il vous plaira. Le parlement ne les y voit pas de bon œil, et se propose, dit-on, dès qu’il sera rentré, d’enfumer le terrier où se sont accroupis ces renards, ou plutôt ces vieux lapins, car ils ne sont plus guère renards. L’abbé de Chauvelin sera dans cette chasse le basset à jambes torses.

Eh bien ! que dites-vous de la paix ? et croyez-vous pour le coup que votre ancien disciple s’en tire ? Ce serait un grand malheur pour la philosophie que la maison d’Autriche, encore superstitieuse, fut la maîtresse de l’Allemagne, où la vigne du Seigneur ne laisse pas de fructifier. On dit que pour dédommager la maison de Saxe, qui a bien l’air de payer les frais, on donnera un evêché en France ou en Allemagne au prince Clément ; ce sera une maison crossée et mitrée. À propos de ceux qui la crossent, avez-vous des nouvelles de la czarine ? On a mis dans le Journal encyclopédique[659] une lettre où on parle des propositions qu’elle a eu la bonté de me faire ; les journalistes ont ajouté une note où ils disent, assez mal à propos, que je suis aussi cher à la France qu’à la Russie. Je crois bien être cher à quelques Français qui me le sont aussi ; mais cher à la France, tout me prouve que je n’ai pas l’honneur de l’être.

Je vois, par ce que vous me mandez, que nous ne tarderons pas à avoir le Corneille. N’oubliez pas de le louer beaucoup quand il est sublime ; et quand il est rabâcheur, faites-le sentir sans le dire : vous y gagnerez, et l’art y gagnera, parce que vous direz vrai, et ne blesserez personne. Je vous félicite au surplus de tous les plaisirs dont vous jouissez ; je ne doute point sur ce que vous m’en dites, de la bonté de vos acteurs ; je crois pourtant que vous aimeriez bien autant Clairon et Préville, si vous les aviez. On vient de m’apporter le billet d’enterrement du pauvre Sarrazin[660], que vous m’avez entendu si bien contrefaire. Vous pourriez me dire comme Phèdre :


Seigneur, il n’est point mort, puisqu’il respire en vous[661].


À l’égard de l’infame, si les dégoûts qu’on lui donne continuent, il ne sera pas nécessaire de lui arracher le masque, il tombera de lui-même ; en tout cas je crois trop dangereux de l’arracher, mais très-bien fait de le décoller peu à peu.


Plus fait douceur que violence.

(La Fontaine, liv. VI, fab. iii.)

Adieu, mon cher et illustre philosophe ; portez-vous bien, moquez-vous de tout, et même des méchancetés qu’on veut vous faire, et aimez-moi

comme je vous aime. Je vous embrasse de tout mon cœur. Je serai bien content de voir Olympie régénérée ; je crois qu’elle en avait besoin : il n’y a que Candide au monde qui puisse trouver que tout soit bien dans l’ouvrage des six jours. J’ai bien entendu parler de ce Dictionnaire des hérésies[662] dont vous ne me dites qu’un mot, et j’ai grande envie de le voir ; la mine est précieuse et abondante.

5089. — DE M.  PICTET[663].
Moscou, le 19-30 novembre 1762.

Monsieur, j’ai reçu hier la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, et je me hâte de répondre, quoique je ne sache point encore le jour que partira le courrier de M. le baron de Breteuil. Me serait-il permis de vous gronder ; j’en ai bien envie, mais je n’ose prendre cette liberté. Je vous ai écrit une longue lettre ; quoi que je vous aie dit, vous avez compris parfaitement que j’aurais trouvé le secret de la faire voir ; elle avait été vue en effet, et on attendait avec impatience une réponse. Cette réponse arrive ; mais si sèche, si nue, si décharnée, que je n’ai pas voulu la faire voir.

Il y a près de six mois que je n’écris pas une lettre à Genève sans persécuter pour qu’on vous prie de me confier vos deux nouvelles pièces, et les autres nouveautés qui peuvent être sorties de votre plume depuis mon départ. Je ne sais de quels termes me servir pour vous conjurer d’avoir cette bonté pour moi.

Vous dire que ma fortune dépend de votre complaisance à cet égard est certainement avancer beaucoup ; ce n’est cependant point trop dire : on a la bonté d’imaginer ici que je suis homme de lettres, et ce que vous avez eu la bonté d’écrire sur mon compte à M. de Schouvalow, et dont il a enfin parlé depuis quinze jours, a contribué à persuader que vous aviez quelque estime pour ma personne et pour mes talents.

On en conclut que vous ne devez pas me refuser copie de vos productions, et Sa Majesté, qui les sait presque toutes par cœur, ne cesse de me demander que je lui fasse avoir vos nouvelles pièces et tout ce que vous avez fait et ferez qui n’est pas imprimé dans l’édition de vos œuvres : vous devez être certain que personne que Sa Majesté ne verra ce que vous voudrez qui reste secret. Elle m’a permis de vous en donner sa parole ; seulement, elle m’a chargé de savoir si vous permettrez qu’on jouât à la cour vos nouvelles pièces, quand nous les aurons ; quand je dis jouer à la cour, ce n’est pas par les comédiens, que nous n’aurons que cet été, mais par les dames et les seigneurs de la cour ; en attendant, nous apprenons pour cet hiver : Zaïre, Alzire et Gengis-kan.


5090. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
21 novembre.

Ô mes anges ! n’avez-vous jamais vu un ministre donner audience, écouter cent affaires, et ne se soucier d’aucune ? N’avez-vous jamais vu un avocat plaider trois ou quatre causes sans s’en mettre en peine, et les juges prononcer sans les entendre ? Vous croyez donc qu’il en est de même de votre créature des Alpes ? Il me faut à la fois faire imprimer, revoir, corriger une Histoire générale, une Histoire de Pierre le Grand ou le Cruel, et Corneille avec ses Commentaires, et passer de cet abîme à une tragédie. Le tripot, le tripot doit l’emporter, j’en conviens ; mais, encore une fois, je n’ai qu’une âme logée dans un chétif corps usé, sec, et souffrant. J’avais mis votre Olympie en séquestre, afin de la revoir avec un œil sain et frais. Il était nécessaire de laisser tomber les grosses taies que l’enthousiasme étend sur les prunelles d’un auteur, dans la première ivresse d’une composition rapide. Je vous donnerai votre Olympie pour votre carême : c’est un temps tout à fait sacerdotal, et digne d’une pièce dont l’action se passe dans un couvent. L’Opéra-Comique célébrera gaiement, au commencement de l’hiver, les plaisirs de la paix, et Paris aura mon grave hiérophante pour sa quadragésime. Ne trouvez-vous pas cet arrangement tout à fait convenable ? Puisque je suis à présent enfoncé dans l’historique, permettez-moi de vous demander simplement le secret de l’État, qui est le secret de la comédie. Les Espagnols cèdent-ils bien réellement la Floride ? La chose m’intéresse. Une famille suisse, qui m’est très-recommandée, veut aller s’établir dans ce pays-là, et ne veut point vendre son petit fonds helvétique sans être sûre de son fait. Ne négligez pas, je vous en prie, ma question ; elle peut être hasardée, mais elle est charitable, et vous êtes anges du temporel comme du spirituel. Avez-vous à Paris M. de La Marche ? C’est encore un point dont je vous supplie de m’instruire.

Le philosophe épouseur[664] arrivera donc. Nous requinquerons Cornélie-Chiffon, nous la parerons. Elle prétend qu’elle pourra savoir un peu d’orthographe : c’est déjà quelque chose pour un philosophe. Enfin nous ferons comme nous pourrons ; ces aventures-là s’arrangent toujours d’elles-mêmes : il y a une Providence pour les filles.

J’avais bien deviné que M. de Chauvelin m’avait trahi. Vous vous entendez comme larrons en foire. Il a sans doute beaucoup d’esprit et de goût. Plus vous en avez, mes chers anges, plus vous sentez combien une tragédie est une œuvre difficile, surtout quand le goût du public est usé.

Je voudrais bien que M. le duc de Bedford vît Tancrède, et qu’il souscrivît pour Mlle  Corneille.

Zulime est de mediocribus.

Mille tendres respects.


5091. — À M.  LE MARQUIS DE CHAUVELIN.
À Ferney, 22 novembre.

Bénies soient Vos Excellences, qui aiment notre tripot, et qui l’aiment au point de vouloir bien payer un port exorbitant pour une pièce médiocre[665] ! Le titre en est beau, je l’avoue ; mais je tiens avec vous, monsieur l’ambassadeur, qu’il vaut mieux être possesseur de Mme  de Chauvelin que d’avoir le droit des prémices de toutes les filles de village.

Quand vous serez bien las de cette comédie, ne pourriez-vous pas l’envoyer à M.  d’Argental, sous l’enveloppe de M.  le duc de Praslin ? Il pourra, en qualité d’amateur du tripot, se donner l’amusement de la faire jouer, pour divertir les Anglais qui sont à Paris.

Vous êtes un vrai ministre. Vous avez vite envoyé à M.  d’Argental certain quatrième acte tragique sans m’en rien dire ; mais je m’en suis bien douté, et je vous jure que je vous ai pardonné ce tour de tout mon cœur. Je sens bien qu’il serait bon que ce quatrième acte fût aussi plein de fracas que les autres ; je veux laisser reposer quelque temps la pièce et moi. Les choses ont souvent besoin d’être quittées pour être senties. Vous avez un goût infini ; je suis aussi charmé de vos judicieuses réflexions que de vos bontés. Si j’avais autant de génie que vous avez de lumières, je vous assure qu’on verrait beau jeu. Mais avouez que le rôle d’Olympie ferait un effet merveilleux dans la bouche de madame l’ambassadrice, à Ferney. Vous m’avez promis de revenir à la paix ; la voilà faite. Quand ferons-nous venir les violons pour l’orchestre ? Passerez-vous votre vie à Turin ? Vos amis de Paris n’auront point de repos s’il ne vous revoient. La société de ce pays-là a besoin de vous ; vous en faites le charme, et il faut surtout que vous aidiez au bon goût à se maintenir : on dit qu’il va un peu en décadence. Vous me réchaufferez en passant. Je crois que je suis à présent le seul vieillard qui fasse des tragédies et qui plante. Je vous donne rendez-vous au printemps, moi, mes arbres, et mon théâtre. S’il me vient quelques idées bien tragiques cet hiver, je vous consulterai sur-le-champ ; mais à présent c’est le quartier de l’histoire. Je m’amuse à peindre les sottises des hommes, et je vais jusqu’à l’année présente ; la matière est abondante. Adieu, monsieur ; conservez-moi des bontés qui font la consolation de ma vieillesse dans ma retraite, et de mes travaux. Je me mets aux pieds de madame l’ambassadrice.


5092. — À M.  DEBRUS[666].
23 (novembre.)

J’envoie à M.  Debrus ce paquet de factums avec une lettre de Mme  Calas[667]. Ce mémoire fait un grand effet sur le public ; ceux de MM. Mariette et Beaumont n’en font pas moins sur l’esprit des juges. Les demoiselles Calas ne sont point encore relâchées, malgré la promesse de M.  de Saint-Florentin ; je n’en suis fâché que pour la mère. Il faudra bien qu’elle triomphe, et alors ses filles sortiront de prison par une belle porte.

Mille compliments à MM. de Végobre. V.


5093. — À M.  DAMILAVILLE.
28 (novembre).

Salut à mes frères en Dieu et en la nature. Je prie mon frère Thieriot de m’aider dans mes besoins, et de m’envoyer la meilleure Histoire du Languedoc ; cela ne sera peut-être pas inutile aux Calas, et pourra produire un écrit intéressante[668].

On a fini par se moquer de moi de ce que j’avais pris tant à cœur la tracasserie de la lettre[669] ; mais si je n’avais pas tant crié, on aurait peut-être crié contre moi. Il n’est pas mal de couper une tête de l’hydre de la calomnie dès qu’on en trouve une qui remue.

Je vous remercie, mon cher frère, de l’ouvrage odieux que je vous avais demandé, et dont j’ai reçu le premier volume. Je ne l’avais parcouru autrefois qu’avec mépris, je ne le lis aujourd’hui qu’avec horreur. Ce scélérat hypocrite[670] appelle, dans sa préface, la tolérance système monstrueux. Je ne connais de monstrueux que le livre de ce misérable, et sa conduite digne de son livre. Notre frère Thieriot l’a vu autrefois m… chez Laugeois : je l’ai vu depuis secrétaire d’un athée, et il a fini par être l’avocat bavard de la superstition. On m’a dit que son détestable livre avait du crédit en Sorbonne ; c’est de quoi je ne suis pas surpris. Je me flatte au moins que ceux de mes frères qui travaillent à éclairer le genre humain, dans l’Encyclopédie, nous donneront des antidotes contre tous les poisons assoupissants que tant de charlatans ne cessent de nous présenter. J’achèverai ma vie dans la douce espérance qu’un jour un de nos dignes frères écrasera l’hydre. C’est le plus grand service qu’il puisse rendre au genre humain : tous les êtres pensants le béniront.

Continuez, mon cher frère, à égayer la tristesse de votre emploi, et à vous soutenir par la solidité de la philosophie.


Félix qui potuit rerum cognoscere causas !

(Virg., Georg., II, 490.)

Quoique je ne m’intéresse guère aux choses de ce monde, je serais pourtant curieux de savoir ce qu’est devenu le procès criminel du sieur Bigot[671]. On disait que le peuple aurait la consolation de voir pendre un intendant ; mais je n’en crois rien.

Il me paraît que frère Thieriot a renoncé à la philosophie active. Il a raison de faire grand cas du dîner et du dormir : ce sont deux fort bonnes choses ; mais il faut trouver à son réveil quelques quarts d’heure pour ses amis.

J’envoie à Esculape-Tronchin le mémoire à consulter ; mais songez que j’ai chez moi un parent de vingt et un ans[672], auquel Esculape fit ouvrir la cuisse il y a deux ans, et qui suppure depuis ce temps-là sans pouvoir se remuer. Il est difficile de guérir de loin quand on estropie de près. Tronchin est assurément un grand médecin, mais la médecine est souvent bien dangereuse.

Voulez-vous bien faire parvenir ces deux saintes épîtres à nos frères d’Alembert et Saurin ? J’embrasse en Platon, en Diagoras, notre grand frère Diderot.


5094. — À M.  D’ALEMBERT.
28 novembre.

Mon cher confrère, mon grand philosophe, vous ne me paraissez pas trop compter sur l’amitié des grands ; n’avez-vous jamais éprouvé que les petits n’aiment guère mieux ? Pour moi, qui ai le bonheur d’être petit, je vous avertis que je vous aime de tout mon cœur. À l’égard du duc de Choiseul, convenez que je lui ai une très-grande obligation, puisque je lui dois d’être libre chez moi, et de ne pas dépendre d’un intendant. Vous ne savez pas ce que c’est qu’un intendant de province. Le frère d’Omer[673] me manda un jour qu’il n’était en place que pour faire du mal : aussi voulut-il m’en faire, et j’eus la franchise de ma terre malgré lui. Vous voyez que je me suis toujours moqué de la famille d’Omer. C’est à M. le duc de Choiseul que je dois tout cela. S’il a eu le malheur de croire, sur une lecture rapide, que j’avais écrit une sotte lettre, il a bien réparé son erreur ; il a noblement avoué son tort : autrefois les ministres ne faisaient jamais de tels aveux.

Pour Luc, quoique je doive être fâché contre lui, je vous avoue qu’en qualité d’être pensant et de Français je suis fort aise qu’une très-dévote maison n’ait pas englouti l’Allemagne, et que les jésuites ne confessent pas à Berlin. La superstition est bien puissante vers le Danube. Vous me dites qu’elle perd son crédit vers la Seine, je le souhaite ; mais songez qu’il y a trois cent mille hommes gagés pour soutenir ce colosse affreux, c’est-à-dire plus de combattants pour la superstition que la France n’a de soldats. Tout ce que peuvent faire les honnêtes gens, c’est de gémir entre eux quand cette infâme est persécutante, et de rire quand elle n’est qu’absurde ; d’éclairer le plus d’esprits bien nés qu’on peut, et de former insensiblement dans l’esprit des hommes destinés aux places une barrière contre ce fléau abominable. Ils doivent savoir que, sans les disputes sur la transsubstantiation et sur la bullo, Henri III, Henri IV, et Louis XV n’auraient pas été assassinés. C’est un bon arbre, disent les scélérats dévots, qui a produit de mauvais fruits. Mais puisqu’il en a tant produit, ne mérite-t-il pas qu’on le jette au feu ? Chauffez-vous-en donc tant que vous pourrez, vous et vos amis. Vous pensez bien que je ne parle que de la superstition[674] : car, pour la religion chrétienne, je la respecte et l’aime comme vous.

Courage, mes frères ! Prêchez avec force, et écrivez avec adresse : Dieu vous bénira.

Protégez, mon frère, tant que vous pourrez, la veuve Calas : c’est une huguenote imbécile, mais son mari a été la victime des pénitents blancs. Il importe au genre humain que les fanatiques de Toulouse soient confondus.

Un autre fanatique de Patouillet, aidé de Caveyrac, a écrit deux volumes[675] contre l’Histoire générale. Tant mieux si on lit leurs livres : cela fera naître des éclaircissements. J’avais levé un coin du voile dans la première édition ; je le déchire un peu dans la seconde. Vous y trouverez de quoi vous édifier.

En attendant, j’enverrai à l’Académie l’Héradius de Calderon : il fera connaître le génie espagnol. En vérité, ils sont dignes d’avoir chez eux l’Inquisition.

Que faites-vous à présent ? travaillez-vous en géométrie, en histoire, en littérature ? Quoi que vous fassiez, écrasez l’infâme, et aimez qui vous aime.


5095. — À M.  SAURIN.
À Ferney, 28 novembre.

Je vous sais très-bon gré, mon cher confrère, d’avoir fait un Saurin, et je vous remercie tendrement de me l’avoir appris dans une si jolie lettre. Je suis de votre avis ; c’était un garçon qu’il vous fallait.


J’aime le sexe assurément,
Je l’estime, je sais qu’il brille
Par les grâces, par l’enjouement ;
Que souvent d’esprit il pétille,
Qu’en ses défauts il est charmant ;
Mais j’aime mieux garçon que fille.

Cela ne veut pas dire que je sois du goût de Socrate ou des jésuites ; j’entends seulement que je vous souhaitais un garçon.


Nous avons besoin de Saurins
Qui vengent la philosophie
De ces fanatiques gredins
Ergotants en théologie.
En vain depuis peu la Raison
Vient d’ouvrir en secret son temple ;
L’infâme Superstition,
Qu’un vulgaire hébété contemple,
Monte toujours sur ses tréteaux.
Elle nous vend son mithridate :
Chaumeix la suit, Omer la flatte ;
Et des fripons et des cagots
En violet, en écarlate,
Sont ses gilles et ses bedeaux.


Votre enfant, mon cher confrère, apprendra de vous à penser. Je fais mes compliments à la mère de donner à son fils ses beaux tétons : c’est encore là une sorte de philosophie qui n’est pas à la mode.

Vous devriez bien, avant que je meure, passer quelque temps à Ferney avec la mère et le fils. Les philosophes sont trop dispersés, et les ennemis de la raison trop réunis.

C’est une bonne acquisition que celle de l’abbé de Voisenon[676], tant qu’il se portera bien ; mais c’est un saint dès qu’il est malade.

J’ai ouï dire en effet beaucoup de bien d’une tragédie d’Éponine[677]. Il faut au moins que la France brille par le théâtre ; c’est toute la supériorité qui lui reste. Je crois que vous avez assisté aux assemblées où l’on a lu le Jules César de Gilles Shakespeare. J’enverrai incessamment l’Héraclius de Scaramouche Calderon ; cela vous amusera.

Je vous embrasse, mon cher confrère, de tout mon cœur.

5096. — À M.  PIERRE ROUSSEAU[678],
à bouillon.
Au château de Ferney en Bourgogne, par Genève,
28 novembre.

Ce que vous m’apprenez, monsieur, me surprend beaucoup, si pourtant quelque chose dans ce monde doit nous surprendre. Je vous croyais à l’abri de tout dans le pays des Ardennes, et au milieu des rochers.

Je m’imaginais que M.  le duc de Bouillon y était absolument le maître, et en état de vous favoriser. Vous me paraissiez avoir sa protection ; je ne vois pas ce qui a pu vous l’ôter. Si vous m’aviez averti plus tôt, j’aurais tâché de vous être utile ; il aurait été peut-être plus convenable à vos intérêts que vous eussiez accepté le château que je vous offrais dans le voisinage de Genève. Vous y auriez joui de la plus grande indépendance, et vous auriez eu les débouchés les plus sûrs pour le débit de votre Journal[679] ; mais votre dernier naufrage vous a conduit dans un port qui est bien au-dessus de tout ce que je pouvais vous offrir : vous n’auriez eu chez moi que de la liberté, et vous avez à Manheim la protection d’un prince aussi éclairé que bienfaisant. Heureusement pour vous il n’y a dans le Palatinat que des jésuites allemands qui n’entendent pas le français, et qui ne savent que boire. Ne doutez pas que je n’aie l’honneur d’écrire à Son Altesse électorale tout ce que je pense de vous et de votre journal. Je n’ai point ici la tragédie d’Olympie ; je l’ai envoyée à un de mes amis, dans le dessein de la corriger encore. Elle a servi aux amusements de monseigneur l’électeur palatin ; elle a même servi aux miens. Je l’ai fait jouer sur mon petit théâtre de Ferney ; mais ce n’est pas assez de s’amuser, il faut tâcher de bien faire, et cela est prodigieusement difficile. Je suis fâché qu’un autre prince[680] dont vous parlez vous ait pris pour un whig, et qu’il ait cassé vos vitres ; on s’attendait autrefois qu’il casserait celles de Londres. Il paraît que les temps sont bien changés, et qu’il l’est encore davantage. Les horribles malheurs qu’il a essuyés doivent, ce me semble, consoler les particuliers qui ont à se plaindre de la fortune. Je m’intéresse extrêmement, monsieur, à tous les chagrins que vous avez essuyés ; et si mon faible suffrage peut contribuer à votre félicité à la cour de Manheim, vous pouvez y compter, comme sur mon estime et mon attachement.

Vous me ferez plaisir de me dire quel est l’honnête homme qui aime tant la messe et si peu la vertu. Il est bon de connaître son monde. Je m’intéresse assez à vous pour souhaiter des détails de toutes les injustices que vous avez essuyées[681].


5097. — À M.  DAMILAVILLE.
Le 30 novembre.

Mon frère, j’ai aussi prouvé par les faits[682], et j’espère que ces faits, rapportés avec fidélité dans l’Essai sur l’Histoire générale, feront plus d’impression sur les esprits bien faits que les détestables sophismes du m… Houteville, de l’Académie française. Ces faits font deviner au lecteur bien des vérités qu’on n’oserait lui dire. Les hommes s’attachent plus aux vérités qu’ils croient avoir découvertes qu’à celles qu’on leur a enseignées. Cette seconde édition pourra faire du bien ; elle est augmentée de plus d’un tiers, et elle est de deux tiers plus hardie. Je vous l’enverrai dès qu’elle sera finie.

Voici, en attendant, un petit article[683] de la lettre M d’un Dictionnaire que j’avais fait pour mon usage ; je le soumets au grand frère Diderot. Ne pourrai-je point avoir quelque article manuscrit du Dictionnaire encyclopédique ?


Nardi parvus onyx eliciat cadum !

(Hor., lib. IV, od. xii, v. 17.)

Je fus bien indigné des articles Âme et Enfer du premier volume ; et c’est cet article Âme, cet article sottement théologique, qu’un Omer accuse de matérialisme. Que ces absurdités me mettent en colère ! Mais, patience ; il faut que la raison soit paisible.

Frère Thieriot m’avait promis de me faire avoir les Dialogues de cet imbécile saint Grégoire le Grand ; c’est un monument de bêtise que je veux avoir dans ma bibliothèque. Thieriot m’abandonne.

J’embrasse mes frères. Renvoyez-moi M, quand les frères l’auront lu.


5098. — M.  LE MARQUIS D’ARGENCE DE DIRAC.
Ferney, 2 décembre.

Pardonnez à un ami qui écrit si rarement. La philosophie et l’amitié en murmurent, mais elles n’en sont point altérées, et la mauvaise santé et l’âge ne sont que des excuses trop valables. Aimez toujours, monsieur, un solitaire que votre sagesse et les folies des hommes vous attachent pour jamais. Une espèce de colporteur suisse m’a dit qu’il vous avait envoyé, il y a un mois, une brochure. Je soupçonne, par le titre, que vous n’en serez pas trop content. C’est, dit-il, l’ouvrage d’un curé ; et ce n’est pas un prône[684]. Vous lisez tout, bon ou mauvais, et vous pensez que, dans les plus méchants livres, il y a toujours quelque chose dont on peut faire son profit.

La paix[685] va nous rendre les plaisirs, et ne fera pas de tort à la philosophie ; il vaut mieux cultiver sa raison que se battre. Je viens de détruire des maisons comme on faisait en Vestphalie ; mais je les ai changées en jardins, et à la guerre on ne les change qu’en déserts. Je vous souhaite, dans votre agréable retraite, des journées remplies et heureuses, des amis qui pensent, l’exclusion des sots, et une bonne santé. Je m’imagine que cela est votre lot ; il ne manque au mien que d’être avec vous.


5099. — À M.  DE CHENEVIÈRES[686].
Ferney, 3 décembre.

Mon cher ami, vous savez que je suis un mauvais correspondant ; mais je n’en suis pas moins un véritable ami, et je vous aime comme si je vous écrivais tous les jours.

Dieu merci, vous n’avez plus tant d’hôpitaux militaires à diriger ; on coupera moins de bras et de cuisses, on ne nous battra plus, et nos campagnes auront plus de cultivateurs ; c’est à quoi je m’intéresse plus particulièrement, parce que je suis un bon laboureur, et que je serais un fort mauvais soldat.

Je me fais à présent une espèce de parc d’environ une lieue de circuit, et je découvre de ma terrasse plus de vingt lieues. Vous m’avouerez que vous n’en voyez pas tant de votre appartement de Versailles. Voyez donc comme j’irai à Paris au printemps prochain ! Je me croirais le plus malheureux de tous les hommes si je voyais le printemps ailleurs que chez moi. Je plains ceux qui ne jouissent pas de la nature et qui vivent sans la voir. Chacun vante la retraite ; peu savent y rester. Moi, qui ne suis heureux et qui ne compte ma vie que du jour où je vis à la campagne, j’y demeurerai probablement jusqu’à ma mort, et ce sera le terme de mon amitié pour vous.


5100. — À M.  DAMILAVILLE.
6 décembre.

Mes frères, les Pensées tirées des objections diverses, etc., sont un excellent ouvrage. Il faut en tirer quelques exemplaires pour les sages ; mais je crois que rien ne fera jamais plus d’impression que le livre de Meslier. Songez de quel poids est le témoignage d’un mourant et d’un prêtre homme de bien. On dit qu’il paraîtra quelque chose[687] à l’occasion des Calas et des pénitents blancs, mais qu’on attendra que la révision ait été jugée.

Le docteur Tronchin m’a enfin mandé qu’il n’y avait point de guérison pour le petit enfant[688] à qui mon frère s’intéresse ; je souhaite que le docteur se trompe.

Qu’est-ce donc que ce drôle de fou qui traite le public comme Ajax traitait ses moutons[689] et qui tombe sur lui en furieux ? Il a donc fait une tragédie d’Ajax ? l’a-t-on mis aux petites-maisons ? comment se nomme-t-il ?

Est-il vrai qu’Élie de Beaumont est très-courroucé de voir la famille de Loyseau dans sa moisson[690] ? Mon cher frère, s’il est vrai, calmez ses douleurs ; représentez-lui que dans une affaire telle que celle des Calas, il est bon que plusieurs voix s’élèvent ; c’est un concert d’âmes vertueuses. Il s’agit de venger l’humanité, et non de disputer un peu de renommée. Il y aura place pour Beaumont et pour Loyseau dans le temple de la gloire et de la vertu, et aucun d’eux n’entrera dans la caverne de l’envie.

J’embrasse mon frère et mes frères.

P. S. Il y a un enfant qui se dit petit-neveu de Corneille. Il demeure chez M. Noël, maître de pension, faubourg Saint-Marceau. Son nom est Vannier. Il demande un exemplaire de Corneille ; cela est assurément bien juste. Je prie très-instamment mon frère de lui faire passer ce petit billet[691].


5101. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
10 décembre.

Mes divins anges, vous avez beau faire, on ne commande point au diable ; les sorciers seuls ont ce privilège, et c’est le diable qui me commande. Il s’empara de moi il y a bientôt dix-huit mois, et me fit faire en six jours la sottise que vous savez[692]. J’étais ivre de mon ouvrage au septième ; mais l’âge m’a rendu un peu défiant, et surtout je me défie de moi-même. Mes chers anges, je vous parlais d’attendre au carême ; à présent je vous supplie de remettre à Pâques. Plus on attend, plus valent les tragédies. Vous ne chômerez point cet hiver. Vous avez Éponine, dont on dit beaucoup de bien. Il y a force tragédies, force comédies ; vous aurez le plaisir de voir des succès et des chutes. Souffrez que, cet hiver, je me donne tout entier à mon paradis de Ferney, au Czar Pierre, à Corneille, à l’Histoire générale ; quand j’aurai fait tout cela, et que ma tête sera libre, alors vous aurez tant de vers qu’il vous plaira. Sachez de plus, ô anges ! qu’il y a sur le métier un ouvrage à l’occasion des Calas[693] qui pourrait être de quelque utilité, à ce que disent les bons cœurs, et pour lequel on vous demandera votre suffrage et votre protection.

Je vous remercie historiquement de m’avoir confirmé la cession de la Floride, Quelle honte ! quelle guerre ! les ministères de Philippe III et de Philippe IV ne se conduisirent pas plus misérablement que les Espagnols d’aujourd’hui.

Ô que votre aimable duc de Praslin a bien fait de finir tant de pauvretés ! il a rendu service au genre humain, et surtout aux Français. Je me soucie très-peu du Canada, je ne l’ai jamais aimé ; mais la paix nous devenait nécessaire comme le manger et le dormir. Je l’en remercie encore, et je suis enchanté que ce soit votre ami qui ait fait une si bonne œuvre.

Vous me dites toujours que je ne réponds point aux chefs d’accusation que je me fais sur Zulime, sur Mariamne. Je reverrai Mariamne et Zulime quand je retrouverai ma tête, j’entends ma tête poétique. À présent, je suis tout prose ; me voilà cunctateur. Attendons : Zulime, Mariamne, Olympie, tout cela viendra si je vis. Savez-vous que je suis bien vieux ? Le duc de Villars, quoique plus jeune, est plus vieux que moi ; il a des convulsions de Saint-Médard à le faire canoniser par les jansénistes. Il souffre héroïquement ; il a dans les maux plus de courage que son père. Il y a bien des sortes de courage.


5102. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
Ferney, 13 décembre.

Ô mes anges ! l’épouseur[694] est arrivé : c’est un demi-philosophe. Il n’a rien pour le présent, mais il y a quelque apparence qu’il aura Mlle  Corneille, et que Mlle  Corneille aura plus que je ne vous avais dit. La terre qui doit revenir au philosophe est dans la Bresse, dans mon voisinage ; tout cadre à merveille. Le père ne donnera probablement à son fils que son approbation, et peu d’argent ; on y suppléera comme on pourra. Il est assez plaisant que je marie une nièce de Corneille ; c’est une plaisanterie que j’aime beaucoup.

Le demi-philosophe n’est point effarouché que la future ait fait peu de progrès dans la musique, dans la danse et autres beaux-arts ; il ne danse, ni ne chante, ni ne joue : il est pour la conversation, et il veut penser.

Je pense qu’il conviendrait que M.  le duc de Choiseul ne réformât pas la compagnie du futur ; il ne faut pas donner ce dégoût à Cinna, ce serait un triste présent de noces ; il est bon d’ailleurs de conserver des officiers qui ne sont pas des petits-maîtres.

Ma famille suisse, dont je vous avais parlé, va partir pour la Floride. C’est le plus beau des climats ; l’Inquisition va en être bannie[695]. Si je n’étais pas à Ferney, il me semble que j’irais à la Floride.

Conservez vos bontés à qui vous adore.


5103. — À M.  DAMILAVILLE.
13 décembre.

Ô mon cher frère ! vous faites une action digue des beaux siècles de la philosophie. Je vous remercie au nom de la vérité et au mien. J’ai fait sur-le-champ transcrire votre écrit[696], qui m’enchante autant qu’il m’honore ; je vous renvoie le mien, qui sera bien honoré d’être à côté du vôtre : il est mieux qu’il n’était, parce qu’il est conforme à vos remarques autant que je l’ai pu. On m’assure que l’impertinent ouvrage que vous daignez réfuter, et qui peut en imposer aux ignorants, est de la façon de Patouillet et de Caveyrac ; j’ai cru y reconnaître le style de l’abominable auteur de l’Apologie de la Saint-Barthélémy. Il est juste que, de mon côté, je serve un peu la philosophie et les frères. Je vais insérer, dans l’Histoire générale, un chapitre[697] sur les gens de lettres et sur l’Encyclopédie ; il sera fait de façon qu’Omer Fleury en rougira, et ne pourra ni se fâcher ni nuire.

Le mémoire de Loyseau[698] vient fort bien après les autres : ce sont trois batteries de canon qui battent la persécution en brèche. Je crois vous avoir déjà mandé[699] qu’il paraîtrait en son temps, à l’occasion des Calas, un écrit sur la tolérance prouvée par les faits. Ô mes frères ! combattons l’inf… jusqu’au dernier soupir. Frère Thieriot est du nombre des tièdes ; il faut secouer son âme. Je n’ai reçu que douze lignes de lui depuis qu’il dort à Paris.

Joue-t-on encore Éponine ? L’Opéra-Comique soutient-il toujours la gloire de la France ? Écr. l’inf…

5104. — À M.  DEBRUS[700].

Mille tendres amitiés. J’espère plus que jamais que tout ira bien ; mais je présume, quoi qu’on dise, qu’il faudra encore des secours ; je me flatte que nous en aurons.

Vous me feriez grand plaisir de faire présenter mes respects à Mme  de Haran[701]. On dit qu’elle a signalé sa générosité dans cette affaire, qui sera la honte de la nation si on ne fait pas une entière justice.


5105. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
16 décembre.

Ô mes anges ! vous avez entrepris d’affubler Mlle  Corneille du sacrement de mariage, seul sacrement que vous devez aimer. Mon demi-philosophe, que vous m’avez dépêché, n’est pas demi-pauvre, il l’est complètement. Son père n’est pas demi-dur, c’est une barre de fer. Il veut bien donner à son fils mille livres de pension ; mais, en récompense, il demande que je fasse de très-grands avantages : de sorte que je ne suis pas demi-embarrassé. Je n’ai presque à donner à Mlle  Corneille que les vingt mille francs que j’ai prêtés à M.  de La Marche, qui devraient être hypothéqués sur la terre de la Marche, et sur lesquels M.  de La Marche devrait s’être mis en règle depuis un an ; au lieu que je n’ai pas même de lui un billet qui soit valable. Cela s’est fait amicalement, et les affaires doivent se traiter régulièrement.

Ces vingt mille francs donc, quatorze cents livres de rente déjà assurées, environ quarante mille livres de souscription, le marié et la mariée nourris, chauffés, désaltérés, portés[702] pendant notre vie, c’est là une raison qui n’est pas la raison sans dot[703] ; et si un père qui ne donne rien à son fils le philosophe trouve que je ne donne pas assez, vous sentez, mes anges, que ce père n’est pas un homme accommodant.

Cependant il faut tâcher de faire réussir une affaire que vous m’avez rendue chère en me la proposant.

Notre futur a fait noblement son métier de meurtrier, tout comme un autre : puis il me parait trop philosophe pour aimer beaucoup l’emploi de tuer du monde pour de l’argent et pour une croix de Saint-Louis. Je le crois très-propre aux importantes négociations que nous avons avec la petitissime et très-pédantissime république de Genève. Voici un temps favorable pour employer ailleurs M.  de Montpéroux, résident à Genève. Il y a bien des places dont M.  le duc de Praslin dispose. Il me semble que si vous vouliez placer à Genève notre futur, vous obtiendriez aisément cette grâce de M.  le duc de Praslin : rien ne serait plus convenable pour les Genevois et pour moi, et surtout pour Mme  Denis, qui commence à trouver les hivers rudes à la campagne au milieu des neiges. Mlle  Corneille vous devrait son établissement, Mme  Denis et moi nous vous devrions la santé, M.  de Vaugrenant vous devrait tout. Voyez, anges bienfaisants, si vous pouvez faire tant de bien, si M.  le duc de Praslin veut s’y prêter. Vous pouvez faire quatre heureux, et c’est la seule manière de célébrer ce beau sacrement de mariage sous vos auspices ; sans cela, l’inflexible père ne donnera point son consentement, et voici comment il raisonne : l’argent des souscriptions est peut-être peu de chose, et l’on ne saura que dans dix-huit mois à quoi s’en tenir. On ne veut guère articuler, dans un contrat de mariage, l’espérance d’un produit de souscription pour un livre imprimé par des Genevois. Les quatorze cents livres de rente qui appartiendront à Mlle  Corneille ne sont que viagères ; elle n’aura donc que mille livres de rente à stipuler réellement.

Il pourra même pousser plus loin ses scrupules, s’il sait que le premier président actuel de Dijon dispute à son père jusqu’à la propriété de la terre de la Marche. Notre sacrement est donc hérissé de difficultés, et toutes seraient aplanies par l’arrangement que j’imagine. Le sort de Mlle  Corneille est donc entre les mains de mes anges.

Je baise le bout de leurs ailes avec plus de ferveur que jamais : il est vrai que je ne leur envoie point de tragédie pour les séduire. Je suis occupé à présent à faire un parc d’une lieue de circuit, qui a pour point de vue, en vingt endroits, dix, quinze, vingt, trente lieues de paysage. Si je peux trouver d’aussi belles situations au théâtre, vous aurez des drames ; mais laissons passer les plus pressés, et faisons-nous un peu désirer. Je sais bien que M. de Marigny[704] ne m’élèvera point de mausolée ; mais mes anges diront : Il avait quelque talent, il nous aimait.

Au reste, je n’ai confié à personne qu’à vous mes propositions politiques. Tâchez de faire notre affaire : si vous voulez que M. de Vaugrenant et Mlle  Corneille fassent des philosophes et des faiseurs de tragédies, donnez-nous la résidence de Genève. Mes anges, faites comme vous voudrez, comme vous pourrez ; pour moi, je suis à vos ordres, à vos pieds, à vos ailes jusqu’au dernier moment de ma vie.


N. B. Mme  Denis et Mlle  Corneille ne sont pas si contentes que moi du demi-philosophe ; elles le trouvent sombre, duriuscule, peu poli, peu complaisant, marchandant, et marchandant mal ; mais si la résidence genevoise était attachée à ce mariage, nos dames pourraient être plus contentes. Enfin ordonnez.


5106. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
18 décembre.

Autres considérations présentées à mes anges au sujet du futur. Nos dames sont aujourd’hui beaucoup plus contentes : je l’avais bien prévu. Il avait fait un traité sur le mariage, que Mme  Denis prétendait ressembler au catéchisme d’Arnolphe dans l’École des femmes[705]. Il s’est bien donné de garde de me lire ce rabâchage ; mais s’il épouse notre petite, nous lui ferons abjurer son catéchisme par une clause expresse du contrat, et il le brûlera en notre présence. Je crois que de notre demi-philosophe on pourra faire un philosophe complet, en rabotant un peu.

Je persiste à croire qu’on peut en toute sûreté l’employer aux grandes négociations avec la république de Genève. Mes anges, mon idée est divine ! mes anges, il plaira beaucoup aux Genevois, car il est sérieux, et il raisonne. Figurez-vous, encore une fois, combien cette place nous ajusterait. Allons, monsieur le duc de Praslin, faites quelque chose en faveur de Cinna, et des belles scènes d’Horace et de Pompée. Mes anges, regardez cette affaire comme la plus digne de vos soins angéliques.

Vous y réussirez, n’est-il pas vrai ? Mon Dieu, quel plaisir !

5107. — À M.  FYOT DE LA MARCHE[706].
À Ferney, 18 décembre 1762.

Mon digne magistrat, mon philosophe humain, où êtes-vous ? que faites-vous ? Est-ce le malin peuple de Dijon, ou le tranquille séjour de la Marche, ou le fracas de Paris qui vous possède ? Je suis bien malheureux que nous ne soyons si voisins que pour ne point nous voir. Faudra-t-il que je meure sans avoir eu encore la consolation de philosopher un peu avec vous ?

Il y a une terrible tracasserie à l’Académie de peinture de Paris au sujet de votre dessinateur. Je lui avais bien dit qu’il fallait que toutes les estampes fussent de la même dimension ; on ne veut point de cette bigarrure. On a soulevé des souscripteurs ; on prétend que les figures de M.  de Vosge sont trop grandes ; qu’elles doivent être de la même proportion que celles de Paris. Enfin c’est un schisme : vous sentez bien que je suis pour la tolérance. Je crois qu’il importe peu que les Attila, les Pertharite, les Pulchérie, les Suréna, les Agésilas, les don Sanche d’Aragon, soient grands ou petits ; mais j’ai affaire à des gens têtus, et me voilà, si parva licet componere magnis, comme le roi entre les jansénistes et les molinistes.

Voilà une affaire plus importante que je confie à votre amitié et à vos bontés. Je suis sur le point de marier la nièce de ce Corneille dont je suis le commentateur, et je ne la marie pas avec la raison sans dot : outre ce que je lui ai déjà assuré, il faut lui donner vingt mille francs, et je n’ai presque point de bien libre. J’ai compté que ces vingt mille francs seraient hypothéqués sur la terre de la Marche. Vous deviendrez avec moi le bienfaiteur de Mlle  Corneille ; vous me ferez donc un plaisir extrême, mon digne magistrat, de m’envoyer une procuration en blanc par laquelle vous donnerez commission et pouvoir de stipuler en votre nom la reconnaissance d’une somme de 20, 000 livres à vous prêtée par moi, au pays de Gex, le 13 septembre 1761, portant intérêts de 1, 000 livres, et hypothéquée sur la terre libre de la Marche.

C’est dommage qu’on ne puisse marier des filles sans passer par ces tristes formalités.


Mène à préHymen, qui marchait seul,
Mène à présent à sa suite un notaire.

Rien ne s’éloigne plus de l’âge d’or que les contrats de mariage. Il me semble que si quelqu’un était fait pour ramener ce bel âge sur la terre, c’était vous. Je l’ai trouvé jusqu’à présent dans ma retraite ; mais la mauvaise santé m’en ferait un siècle de fer sans un peu de philosophie. Votre amitié est un baume plus souverain pour mes maux que tous les philosophes présents et passés. Quand pourrai-je vous dire chez vous combien je vous aime et à quel point je vous respecte ? V.


5108. — À M.  ÉLIE DE BEAUMONT.
À Ferney, 19 décembre.

C’est une belle époque, monsieur, dans les courtes archives de la raison humaine, que votre empressement généreux et celui de vos confrères à protéger l’innocence opprimée par le fanatisme. Personne ne s’est plus signalé que vous. Non-seulement vous êtes le premier qui ayez écrit en faveur des Calas, mais votre mémoire étant signé de quatorze avocats devient une espèce de jugement authentique dont l’arrêt du conseil ne pourra guère s’écarter. M. Mariette a travaillé judiciairement pour le conseil, et M. Loyseau, en s’exerçant sur la même matière, rend un nouveau témoignage à la bonté de la cause et à votre générosité. Tout ce que j’ai lu de vous me rend déjà précieux tout ce que vous voudrez bien m’envoyer. Vous joignez la philosophie à la jurisprudence, et vous ne plaiderez jamais que pour la raison.

Je suis enchanté que vous soyez lié avec M. de Cideville ; son ancienne amitié pour moi me donnera de nouveaux droits sur la vôtre. Je présente mes respects à Mme  de Beaumont, et je vous jure que je vous donne toujours la préférence sur les autres Beaumont[707], fussent-ils papes.


5109. — À M.  JEAN SCHOUVALOW.
À Ferney, le 19 décembre.

Enfin donc, monsieur, j’aurai la consolation de ne point mourir sans avoir eu l’honneur de vous voir. J’étais fort malade quand j’ai reçu par M.  le prince Gallitzin les douces espérances que vvous m’avez données. Je vous ai déjà dit, je crois, du moins j’ai dû vous dire[708] que vous êtes, pour les arts de l’esprit et de l’agrément, ce que Pierre le Grand a été pour la police de son empire : la différence sera que vous voyagerez chez les nations étrangères avec plus de connaissance et de goût que vous n’en trouverez peut-être dans la plupart des pays que vous verrez. Je me flatte, monsieur, que vous aurez la bonté de m’informer du temps de votre départ. Vous passerez sans doute par l’Allemagne et par Genève pour aller en France : vous verrez tantôt des cours brillantes, et tantôt des ermitages rustiques. Je suis dans le dernier cas : vous ne verrez en moi qu’un philosophe champêtre ; vous passerez de la magnificence à la simplicité, mais songez que c’est dans cette simplicité champêtre que se trouvent la vérité et l’effusion du cœur. La vanité vous donnera ailleurs des fêtes ; mais la cordialité vous fera les honneurs de Ferney et des Délices. Si vous venez en hiver, vous trouverez autant de neige que chez vous : si vous venez au printemps, vous trouverez des fleurs.

Comme je suis précisément entre la France et l’Allemagne, je me flatte d’avoir l’honneur de vous voir à votre passage et à votre retour. Ce seront deux époques bien agréables dans ma vie. Cette espérance adoucit tous les maux auxquels la nature m’a livré ; je les souffre patiemment, et je vous désire ardemment. Votre Excellence doit être bien persuadée des sentiments tendres et respectueux de votre, etc.


5110. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
À Ferney, 23 décembre.

Je ne peux rien ajouter, mes favorables anges, à tout ce que je vous ai dit sur le futur[709], sinon que je suis content de lui de plus en plus. Les bons caractères sont, dit-on, comme les bons ouvrages : on en est moins frappé d’abord qu’on ne les goûte à la longue ; mais comme il n’a rien, et que de longtemps il n’aura rien, il est difficile de le marier sans la protection de M. le duc de Praslin, et c’est sur quoi nous attendons vos ordres.

En attendant, il faut que je vous parle de Mlle  d’Épinay ou de l’Épinay[710] ; ce n’est pas pour la marier. M.  le maréchal de Richelieu paraît avoir usé de ses droits de premier gentilhomme de la chambre avec cette infante ; il veut la payer en partie par les rôles qu’avait Mlle  Gaussin dans les pièces de votre serviteur ; il me demande une déclaration en faveur de la demoiselle, et même au détriment de l’infante Hus. Dites-moi, mes souverains, ce que je dois faire. Jamais je n’ai été moins au fait du tripot, et moins en état d’y travailler. Il faut finir mes tâches prosaïques, et attendre l’inspiration. Je crois que, s’il arrivait malheur aux pièces nouvelles, les comédiens pourraient trouver quelque ressource dans le Droit du Seigneur et dans Mariamne, telle qu’elle est : car je vous avoue que je trouve très-bon que la Salomé dise à Mariamne qu’elle ne la regarde plus que comme une rivale[711]. C’est précisément cette rivalité dont il s’agit, c’est de quoi Salomé est piquée ; et une femme à qui on joue ce tour dit volontiers à son adverse partie ce qu’elle a sur le cœur.

À l’égard de Zulime, pourquoi l’imprimer, si elle ne peut rester au théâtre ? et il me semble qu’elle ne peut y rester si on ne laisse la fin telle que je l’envoyai, et telle que nous l’avons jouée sur le théâtre de Ferney. Vous m’avouerez qu’il est dur pour un pauvre auteur qu’on change malgré lui ce qu’il croit avoir bien fait. Il peut se tromper, cela n’arrive que trop souvent ; mais vous savez qu’il n’en est pas moins sensible, et surtout quand il a vu l’effet heureux des choses qu’on veut rayer dans son ouvrage, et qu’on y substitue des corrections dont il est mécontent. Il a quelque droit d’être affligé.

Quant au duc de Foix rechangé en un autre personnage[712], n’est-ce pas un peu trop d’inconstance ? Souffrira-t-on plus aujourd’hui une méchante action dans un prince du sang qu’on ne la supporta autrefois ? N’y a-t-il pas des choses qu’il faut placer dans des temps éloignés, et qui révoltent quand elles sont présentées dans des temps plus récents ? Ne vaut-il pas mieux mettre une proposition sanguinaire et barbare dans la bouche des Maures que dans celle des Anglais ? Ce sont les Maures qui demandent le sang du héros de la pièce ; ce sont eux qui exigent qu’un prince français leur sacrifie son frère. En vérité, je ne vois pas comment on pourrait supposer que des Anglais (qui se piquent aujourd’hui d’être une nation généreuse) pussent faire une telle proposition à un prince de la race qui est à présent sur le trône. Assurément le moment n’est pas propre ; ce n’est pas le temps d’insulter les Anglais. Je crois que nos princes du sang et le duc de Bedford seraient également indignés, et que le public le serait comme eux.

Si cette idée insoutenable est tombée dans la tête de Lekain, vous lui ferez comprendre sans doute à quel excès il se trompe. Cela lui arrive bien souvent. Je confierai volontiers des rôles aux Lekain et aux Clairon, mais je ne les consulterai jamais.

Croyez-moi, encore une fois ; qu’ils jouent le droit du Seigneur et Mariamne, s’ils n’ont rien de nouveau ce carême. Je tâche d’oublier Olympie, afin d’en mieux juger, et de vous l’envoyer plus digne de vous. J’ai presque achevé l’Histoire générale, que j’ai conduite jusqu’à la paix pour ce qui regarde les événements politiques, et jusqu’à l’arrêt singulier du parlement contre l’Encyclopédie pour ce qui concerne l’histoire de l’esprit humain. On finit d’imprimer Pierre le Grand. Je serai bientôt libre, et je me rendrai au tripot : car, entre nous, je l’aime autant que vous l’aimez.

Puissé-je, en attendant, faire un épithalame[713] ! Mais cela dépend de M. le duc de Praslin. Voilà bientôt ce qu’on appelle le jour de l’an : je souhaite à mes anges toutes les félicités terrestres, car, pour les célestes, n’y comptons pas.


5111. — À M.  DEBRUS[714].
Lundi au soir (déc. 25. 1762)[715].

Je fais mon tendre compliment à M.  Debrus et à tous nos amis de la liberté que Mlles  Calas viennent d’obtenir du roi, par les généreuses sollicitations de Mme  la duchesse d’Enville[716].

Voici le mémoire de M. Loyseau. Je n’ai pu l’envoyer plus tôt, parce que tout le monde chez moi l’a voulu lire. Je prie M. Debrus de me le renvoyer, en cas qu’il en ait déjà reçu des exemplaires de Paris. Je tiens le succès de notre cause infaillible : je dis de notre cause, car tous ceux qui aiment Dieu et leur prochain sont de la même religion.


5112. — À M.  DAMILAVILLE.
26 décembre.

Mon frère, renvoyez-moi, je vous prie, mon Moïse[717] et mon canevas de chapitre pour l’histoire, dûment revu par les frères.

Il me paraît que l’afTaire des Calas prend un bon tour dans les esprits. L’élargissement des demoiselles Calas prouve bien que le ministère ne croit point Calas coupable ; c’est beaucoup. Il me paraît impossible à présent que le conseil n’ordonne pas la révision : ce sera un grand coup porté au fanatisme. Ne pourrat-on pas en profiter ? Ne coupera-t-on pas à la fin les têtes de cette hydre ?

Je certifie toujours que je n’ai reçu de frère Thieriot qu’un petit billet du 1er de novembre. Je lui avais demandé la meilleure histoire du Languedoc[718] : car ce Languedoc est un peu le pays du fanatisme, et on pourrait y trouver de bons mémoires. Dieu merci, ce monstre fournit toujours des armes contre lui-même.

Mon cher frère voudrait-il me faire avoir presto, presto, un petit Dictionnaire des Conciles[719], qui a paru, je crois, l’année passée ? Cela cadrerait fort bien avec mon Dictionnaire d’Hérèsies[720]. La théologie m’amuse, la folie de l’esprit humain y est dans toute sa plénitude.

Je voudrais savoir ce que frère Thieriot a fait d’un sermon[721] dont il avait trois exemplaires ; il doit au moins avoir converti trois personnes.

Aimez-moi, mes chers frères ; écr. l’inf…


5113. — À. MADAME DE FLORIAN[722].
29 décembre.

J’ai tort, ma chère nièce ; je n’ai pas rempli mon devoir ; mais si vous saviez tout ce qui m’est arrivé, vous me pardonneriez. Je vous souhaite, à vous et au grand écuyer de Cyrus, toute la félicité que vous méritez tous deux. On dit que d’Hornoy a le ventre d’un président, et qu’il ne sera pourtant pas conseiller au grand conseil. L’abbé[723] est donc en retraite, dans son abbaye, avec une fille et des livres ? Je suis fort content de son Irène, et je le trouve très-avisé, étant sous-diacre, de n’avoir pas donné au concile de Nicée tous les ridicules qu’il mérite. Pour moi, qui n’ai pas l’honneur d’être dans les ordres sacrés, je n’épargne pas les impertinences de l’Église quand je les rencontre dans mon chemin. Je me suis fait un petit tribunal assez libre, où je fais comparaître la superstition, le fanatisme, l’extravagance, et la tyrannie. Je vous enverrai quelque jour Olympie, qui est dans un autre goût. Vous la verrez à peu près telle que nous l’avons jouée devant notre premier gentilhomme de la chambre, M. le maréchal de Richelieu.

Je m’occupe à présent de la tragédie des Calas, et je crois que le dénoûment en sera heureux. Le ministère a déjà élargi ses filles. Ce mot d’élargir ne convient guère, mais cela veut dire qu’on les a tirées de la prison appelée couvent, où on les avait renfermées. C’est un gage infaillible du gain du procès : car si le ministère ne croyait pas Calas innocent, il n’aurait pas rendu les filles à la mère. Il est honteux que cette affaire traîne au conseil si longtemps : des juges ne doivent pas aller à la campagne quand il s’agit d’une cause qui intéresse le genre humain.

Je vous pardonne de tout mon cœur, ma chère nièce, de ne m’avoir point écrit quand vous étiez dans vos terres, car il faut que les lettres aient un objet ; et quand on a mandé qu’on a achevé son salon et meublé un appartement, on a tout dit. Mais à Paris, les nouvelles publiques, les pièces nouvelles, les nouvelles folies, les sottises nouvelles, sont un champ assez vaste, et vous peignez tout cela très-joliment.

Il n’y a pas d’apparence que je puisse aller dans votre bruyante ville ; ni ma mauvaise santé, ni l’édition de Pierre Corneille, ni mes bâtiments, ni un parc d’une lieue de circuit, que je m’avise de faire, ne me permettent de me transplanter sitôt. Il faut au moins remettre ce voyage à une année, si la nature m’accorde une année de vie. Soyez sûre que toutes celles qui me pourront être réservées seront employées à vous aimer. Votre sœur vous embrasse aussi de tout son cœur.


5114. — DE M.  MOULTOU[724].

Je viens de lire, monsieur, le mémoire de Loyseau : il m’a mis hors de moi. Cet homme semble animé de votre esprit et agité par votre puissant génie. Je croyais presque lire une de vos tragédies.

Oui, monsieur, c’est le moment de frapper de grands coups. Je n’en puis douter après l’impression que m’a faite cette lecture. Mais ces coups, vous pouvez seul les porter. Et je m’obstine à penser que celui-là seul peut faire une révolution dans le gouvernement qui en a fait une si prompte et si étonnante dans les esprits.

Ce n’est donc pas assez d’avoir attaqué le fanatisme et l’intolérance, il faut les proscrire ; après nous avoir appris à ne plus nous haïr, apprenez-nous à nous aimer, et qui sait mieux que vous parler à nos cœurs ?

Il me tarde de m’entretenir avec vous de ces grands objets ; vos conversations élèvent mon âme ; vous lui communiquez cette précieuse chaleur d’humanité qui fait la vie de la vôtre. Dites-moi quel jour je pourrai vous voir à Ferney sans vous être importun.

Si j’étais fanatique, monsieur, ce ne serait pas sans un violent effort que je pourrais vous haïr. Je suis homme, jugez si je vous respecte et si je vous aime.


5115. — À M.  LE CONSEILLER LE BAULT[725].
À Ferney, par Genève, 31 décembre 1762.

Monsieur, premièrement, j’ai l’honneur de vous demander un tonneau de votre meilleur vin, et pour celui qui s’est tourné en huile, comme ce n’est point oleum lætitiæ, permettez que je n’en demande pas. Voulez-vous avoir la bonté d’envoyer votre bon tonneau avec double futaille à M. Camp, à Lyon, lequel me le dépêchera. Les rouliers ordinaires feront cette besogne sans envoyer un roulier exprès passer à grands frais la Faucille.

Secondement, puis-je implorer votre protection pour avoir quatre mille plantons des meilleures vignes de Bourgogne. Je sais bien qu’il est ridicule de planter à mon âge ; mais quelqu’un boira un jour le vin de mes vignes, et cela me suffit : homo sum, et vini nihil a me alienum puto. Dites-moi du moins à qui je dois m’adresser en bien payant : on m’enverra les plants en mars, et je les planterai en avril ; et si le temps est beau, on me les enverra en février, et je les planterai en mars.

Troisièmement, n’êtes-vous pas arbitre entre messieurs les premiers présidents de La Marche ? Du moins vous connaissez ces affaires malheureuses que je voudrais voir terminées. Je prêtai, il y a plus d’un an, vingt mille livres à monsieur l’ancien premier président. On me dit que la terre de la Marche répond de la dot de mesdames ses filles et des biens maternels de monsieur le premier président son fils. Il se présente un parti pour Mlle  Corneille, et je lui donne ces 20,000 francs pour dot, si l’affaire réussit. Mais je dois craindre de lui assigner une dot litigieuse, et je voudrais des affaires nettes ; je voudrais surtout ne déplaire ni au père ni au fils. J’espère qu’ils seront bientôt d’intelligence ; mais en attendant puis-je vous demander la vérité ? Je vous demande le secret et je vous le garderai. Pardonnez la liberté que je prends, et ne l’imputez qu’à ma confiance respectueuse.

Le rapporteur de l’affaire du parlement au conseil vint chez moi au commencement de l’automne ; j’ai lu tous les mémoires, il ne m’appartient que de vous témoigner ma vénération pour votre corps. Vous êtes les pères du peuple ; et je suis peuple, je fais des vœux pour que tout rentre dans l’ordre accoutumé.

Puis-je prendre la liberté de vous supplier, monsieur, de présenter mes respects à monsieur le premier président et à monsieur le procureur général ? Pardon de mes libertés et de mes trois numéros.

Si le vin de Mme  Le Bault n’est pas comme les lis, qui ne filent point, ce n’est pas sa faute. Ce n’est pas non plus la vôtre, qui ne pouvez aller juger vos tonneaux dans vos terres.

J’ai l’honneur d’être avec les sentiments les plus respectueux, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire.

5116. — À M.  DEBRUS[726].

J’avais oublié cette lettre dans mes papiers ; j’en demande mille pardons à M.  Debrus. Je n’ai eu aucune nouvelle de Paris ces jours-ci touchant cette importante affaire. Je persiste toujours à croire le succès infaillible. Dès que je pourrai sortir, j’irai embrasser M.  Debrus à tâtons, car je deviens aveugle.


5117. — À M.  ***[727].

Je vois bien, monsieur, que les gens de lettres de Paris sont peu au fait des intrigues de la poste. Je reçus avant-hier deux lettres de vous, l’une du 6 décembre, et l’autre du 6 février. Je réponds à l’une et à l’autre.

Je vous dirai d’abord que vos vers sont fort jolis, et qu’il n’appartient pas à un malade comme moi d’y répondre. Vous me direz que j’ai répondu au prétendu abbé Culture ; c’est précisément ce qui me glace l’imagination : rien n’est si triste que de discuter des points d’histoire. Il faut relire cent fatras ; je crois que c’est cette belle occupation qui m’a rendu aveugle. Il a fallu réfuter ce polisson de théologien ; il faut toujours défendre la vérité, et jamais ne défendre son goût.

Je ne connais ni cet Examen de Crébillon, ni la platitude périodique dont vous me parlez. À l’égard des tragédies, je suis très-fâché d’en avoir fait. Racine devrait décourager tout le monde ; je ne connais que lui de parfait, et quand je lis ses pièces, je jette au feu les miennes. L’obligation où j’ai été de commenter Corneille n’a servi qu’à me faire admirer Racine davantage.

Vous m’étonnez beaucoup d’aimer l’article Femme dans l’Encyclopédie. Cet article n’est fait que pour déshonorer un ouvrage sérieux. Il est écrit dans le goût d’un petit-maître de la rue Saint-IIonoré. Il est impertinent d’être petit-maître, mais encore plus de l’être si mal à propos.

Vous me dites, monsieur, dans votre lettre du 6 décembre, que le roi m’a donné une pension de six mille livres. C’est un l’hnneur qu’il ne m’a point fait, et que je ne mérite pas. Il m’a conservé ma charge de gentilhomme ordinaire de sa chambre, quoiqu’il m’eût permis de la vendre, et y a ajouté une pension de deux mille livres ; cela est bien honnête, et je serais trop condamnable si j’en voulais davantage.

L’état où je suis ne me permet pas de longues lettres ; mais les sentiments que j’ai pour vous n’y perdent rien.

J’ai l’honneur d’être, monsieur, avec toute l’estime que vous méritez, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire.

5118. — À MADAME LA COMTESSE D’ARGENTAL.
À Ferney, 2 janvier 1763.

Madame l’ange, le bonhomme V. répond à la belle lettre, bien éloquente, bien pensée, bien agréable, que vous avez adressée à ma nièce, en attendant qu’elle vous remercie elle-même.

1° Il est vrai que j’ai toujours pensé que mes deux anges favorisaient beaucoup mon demi-philosophe. Comment ne l’aurais-je pas cru, puisque mes deux anges me l’ont proposé ? Ils savent à présent de quoi il est question, mais notre demi-philosophe n’en sait rien, et n’en saura rien, si la chose ne se fait pas.

Ce qui nous peut intriguer un peu, c’est que votre capitaine a fait confidence de son dessein coquet[728] à M. Micault, aide-major de l’armée d’Estrées, son compatriote, neveu de Montmartel, qui est à Genève au nombre des patients de Tronchin. M. Micault en a parlé en secret à une dame qui se porte bien, laquelle l’a redit en secret à une autre dame discrète, de sorte que notre secret est public, et que si le mariage manque, la longue cohabitation dans le même château pourra faire grand tort à notre enfant, qui est bien loin de mériter ce tort, et qui est digne assurément de l’estime et de l’amitié de tous ceux qui la connaissent. Elle raisonne sur tout cela fort sensément ; elle se conduit avec sagesse. Je n’ai point connu de plus aimable naturel, et de plus digne de votre protection.

Le futur, comme j’ai déjà dit, n’a rien. Je me trompe, il a des dettes, et ces dettes étaient inévitables à l’armée. Je le crois honnête homme ; j’espère qu’il se conduira très-bien. Mais, encore une fois, il n’a que des dettes, une compagnie qui probablement sera réformée, un père et une mère qui ont l’air de ne laisser de longtemps leur mort à pleurer à leur philosophe, qui se sont donné mutuellement leur bien par contrat de mariage, et qui ont une fille qu’ils aiment.


Voilà, belle Émilie, à quel point nous en sommes.

(Corneille, Cinna, acte I, scène iii.)

2° Vous pensez bien que je souhaite que l’édition de Pierre vaille beaucoup à Marie. Mais, si nous avons compté sur tous les beaux seigneurs français qui ont donné leurs noms, nous sommes un peu loin de compte : la plupart n’ont rien payé ; quelques-uns ont payé pour un exemplaire, après avoir souscrit pour cinq ou six.

Monsieur le contrôleur général[729] a fait pis : il a écrit qu’il fallait que les frères Cramer lui envoyassent deux cents exemplaires pour lesquels le roi a souscrit ; qu’il les payerait en papiers royaux, à quarante francs l’exemplaire, tandis qu’on les paye, argent comptant, quarante-huit livres. Si ce ministre fait toujours d’aussi bonnes affaires pour le roi, Sa Majesté sera très à son aise.

Philibert Cramer, très-beau garçon, quoique un peu bossu, devait solliciter les payements à Paris ; mais c’est un seigneur aussi paresseux qu’aimable, et plus attaché à l’hôtel de La Rochefoucauld qu’aux vers de Corneille. Il a de l’esprit, du goût ; il n’aime ni Hèraclius ni Rodogune, et a renoncé à la dignité de libraire. Leurs Sacrées Majestés l’empereur et l’impératrice ont souscrit pour deux cents exemplaires, et la caisse impériale n’a pas donné un denier. J’ai pressé les Cramer d’agir, mais il n’y a eu de souscriptions que celles que j’ai procurées. Cependant je sue sang et eau depuis un an ; je sacrifie tout mon temps. Il me faut commenter trente-trois pièces, traduire de l’espagnol et de l’anglais, rechercher des anecdotes, revoir et corriger toutes les feuilles, finir l’Histoire générale et celle du Czar Pierre, travailler pour les Calas, faire des tragédies, en retoucher, planter et bâtir, recevoir cent étrangers, le tout avec une santé déplorable. Vous m’avouerez que je n’ai guère le temps d’écrire à des souscripteurs, que c’est aux Cramer à s’en charger. Je leur ai donné des modèles d’avertissement ; ils ne s’en sont pas encore servis ; il faut prendre patience.

3° J’ai toujours bien entendu qu’on ferait, sur le produit, une pension au père et à la mère, et cette pension sera plus ou moins forte, selon la recette. Si Mlle  Corneille a quarante mille francs de cette affaire, il faudra remercier sa destinée ; si la somme est plus forte, il faudra bénir Dieu encore davantage. Nous avons déjà donné soixante louis au père et à la mère. Les frais sont grands, la recette médiocre. Les Cramer nous donneront un compte en règle.

Je baise bien humblement le bout des ailes de mes anges. Je suis leur créature attachée jusqu’au dernier moment de ma drôle de vie.


5119. — À M.  RIBOTTE[730],
à montauban.
2 janvier 1763.

Le benêt qui allait prier sur la tombe de Marc-Antoine n’est pas le seul fou de Toulouse ; mais ceux qui ont poursuivi la mort de Jean sont des fous bien dangereux. Ceux qui disent que la veuve ne réussira jamais se trompent fort. Ceux qui se fâchent contre un citoyen qui a pris le parti de l’innocence ne sont pas au bout. Les jeux floraux et la basoche peuvent amuser, mais il faut s’en tenir là, et ne pas faire rouer un homme de bien.

L’affaire de la Calas sera jugée ce mois-ci, et il y a grande apparence que les juges penseront comme tout Paris, et le citoyen tolérant qui a mis cette affaire en train sera assez payé de ses peines s’il réussit, comme il l’espère, à faire rendre justice.

On ne manquera pas d’envoyer à Montauban les volumes qu’on demande, mais ils ne pourront être prêts que dans un an.

Jean-Jacques est un grand fou d’avoir écrit contre les philosophes tandis qu’il prétendait l’être ; ce pauvre original est bien malheureux.


5120. — À M.  MOULTOU[731].
Ferney, second janvier 1763.

J’ai l’honneur de vous envoyer, monsieur, l’esquisse sur la Tolérance, c’est-à-dire, à mon gré, sur un des droits les plus sacrés du genre humain[732].

Vous devriez bien rendre cet ouvrage supportable en y ajoutant quelques-unes de vos réflexions, que je vous supplierai de mettre sur un papier séparé. Il est essentiel que l’ouvrage paraisse incessamment, parce que l’affaire des Calas va être jugée ce mois-ci. C’est ce que me mande leur avocat M. Mariette.

Puis-je vous demander ce que c’est qu’un Accord parfait[733], etc., composé par un prétendu capitaine de cavalerie, cité à la page 474 du détestable livre de ce fripon d’abbé de Caveyrac, plus ennemi encore du genre humain que le vôtre ?

Je me défie des livres qui annoncent quelque chose de parfait. Cela n’est bon que pour le Parfait Maréchal et pour le Parfait Confiturier.

Cependant faites-moi l’amitié de m’envoyer toujours cet Accord parfait.

J’ai l’honneur de vous renvoyer les livres que vous avez eu la bonté de me prêter.

Je vous souhaite, monsieur, au commencement de cette année, toute la félicité que vous méritez.


5121. — À M.  DAMILAVILLE.
À Ferney, 2 janvier.

J’ai reçu, mon très-cher frère, le petit chapitre concernant l’Encyclopédie ; et j’ai retranché[734] sur-le-champ le petit article où je combattais les droits du parlement, quoique je sois bien persuadé que le parlement n’a aucun droit sur les privilèges du sceau ; mais je ne veux point compromettre mes frères. Je sais fort bien que quand on s’avise de prendre le parti de l’autorité royale contre messieurs, messieurs vous brûlent, et le roi en rit. D’ailleurs, dans le petit chapitre des billets de confession et des querelles parlementaires et épiscopales[735], j’ai dit assez rondement la vérité. J’ai peint les uns et les autres tout aussi ridicules qu’ils étaient, sans pourtant y mettre de caricature.

J’ai une envie extrême de lire un mémoire que M. Loyseau fit, il y a quelques années, pour Mlle  Allyot de Lorraine. J’ai connu cette demoiselle à Lunéville, et le style de M. Loyseau augmente ma curiosité. Je demande en grâce à mon frère de m’obtenir cette grâce de M. Loyseau.

J’attends la Population[736] de M. de Beaumont. Ce livre sera sans doute ma condamnation. Je n’ai point peuplé, et j’en demande pardon à Dieu. Mais aussi la vie est-elle toujours quelque chose de si plaisant qu’il faille se repentir de ne l’avoir pas donnée à d’autres ?

Nous touchons, je crois, à la décision du conseil sur l’affaire des Calas, Est-il vrai qu’il faudra préalablement faire venir les pièces de Toulouse ? Ne sera-ce pas plutôt après la révision ordonnée que le parlement de Toulouse sera obligé d’envoyer la procédure ?

Au reste, mes frères, gardez-vous bien de m’imputer le petit livre sur la Tolérance[737], quand il paraîtra. Il ne sera point de moi, il ne doit point en être. Il est de quelque bonne âme qui aime la persécution comme la colique.

Si l’Histoire du Languedoc[738] arrive à temps, elle pourra servir aux Calas, en fournissant un petit résumé des horreurs visigothes languedociennes.

Frère Thieriot se tue à écrire ; dites-lui qu’il se ménage. Cependant, raillerie à part, je lui pardonne s’il mange bien, s’il dort bien, et surtout si son frère m’écrit.

J’embrasse tous les frères. Ma santé est pitoyable. Écr. l’inf…

P. S. Il y a un petit mémoire incendié d’un président au mortier ou à mortier[739] frère peu sensé de l’insensé d’Argens. Je ne hais pas à voir les classes du parlement se brûler les unes les autres en cérémonie : cela me paraît fort plaisant, et digne de notre profonde nation ; mais vous me feriez surtout un plaisir extrême de m’envoyer par la première poste le mémoire du président au mortier.


5122. — À M.  DEBRUS[740].
3 janvier.

J’ai l’honneur, monsieur, de vous renvoyer la lettre de Mme  Calas. M. Mariette m’écrit que sa cause sera décidée infailliblement avant la fin du mois. Je ne doute pas du succès et je n’en ai jamais douté, parce que je crois qu’il y a encore de l’équité et du bon sens dans le monde ; mais si le conseil n’était pas pour nous, le public ne serait pas pour lui. Le public a porté son arrêt, et les juges de Toulouse seront à jamais en exécration aux honnêtes gens.

5123. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
À Ferney, 5 janvier.

Ô mes anges ! ce n’est pas ma faute si nous avons cru, Mme  Denis et moi, que vous vous intéressiez au demi-philosophe qui est arrivé sous vos auspices, qui nous a dit venir de votre part, et qu’il fallait conclure subito, allegro, presto ; qu’il n’attendait qu’une lettre de son père, et que cette lettre viendrait dans trois jours.

Ce père est l’homme du monde qui dépense le moins en papier et en encre ; il y a un an qu’il n’a écrit à monsieur son fils. Il lui faisait une pension de mille livres avant d’avoir payé sa compagnie, et, depuis ce temps, il lui retranche sa pension. Ce fils n’a donc que sa compagnie, qu’on va réformer, trois chevaux, que nous nourrissons, et des dettes. La philosophie est quelque chose, je l’avoue ; mais cette philosophie est celle de M. de Valbelle[741] et de Mlle  Clairon, qui ont imaginé d’envoyer le capitaine faire main-basse sur la recette des souscriptions, recette qui n’est pas prête, comme je l’ai mandé à mes anges. Je ne crois donc pas que je puisse lui dire :


Mettez-vous là, mon gendre, et dinez avec moi.


Tout cela ne laisse pas d’être triste, parce qu’on sait tout, et que cette aventure peut aisément être tournée en ridicule par les malins, dont le nombre est grand.

Vous croyez donc que je vais aux Délices, et que je suis assidu auprès de M. le duc de Villars ? Je suis assiégé par quatre pieds de neige, à perte de vue, et je la fais ranger pour transporter des pierres. Je me console d’ailleurs de mes quatre pieds autour de moi, en considérant les délices de la Suisse, qui consistent, comme vous savez, en quarante lieues de montagnes de glace qui forment mon horizon hyperboréen. Le duc de Villars a quitté les Délices :


Tout auprès de son juge il s’est venu loger[742],

(Racine, les Plaideurs, acte I, scène v.)


dans une maison assez convenable à un valet de chambre retiré du monde. Il vient quelquefois dîner à Ferney ; mais tant que j’aurai mes neiges, je n’irai point chez lui. Je suis d’ailleurs très-malingre, et assurément plus que lui, malgré ses convulsions de Saint-Médard ; et observez qu’il n’a que soixante ans, et que j’en ai bientôt septante, quoi qu’on die[743].

Ô mes anges ! tant que mon vieux sang circulera dans mes vieilles veines, mon cœur sera à vous. Mais, à présent, comment renvoyer notre jeune soudard au milieu des glaces et des neiges ? Savez-vous bien que cela est embarrassant ? Tout ce qui m’arrive est comique ; Dieu soit béni ! Je remercie M. de Parcieux[744] et je n’ai que faire de lui pour savoir que la vie est courte.

Pour ce nigaud de Laugeois, neveu de Laugeois, vous pouvez avoir la bonté de m’envoyer son rabâchage davidique[745], en deux envois, contre-signes duc de Praslin. Je mettrai sa prose à côté des chansons hébraïques de Lefranc de Pompignan.

Mes chers anges, seriez-vous assez bons pour m’envoyer ce mémoire d’un président au mortier[746], incendié par vos présidents au mortier ? Cela doit être divertissant.

Portez-vous bien, mes anges ; c’est là le grand point.

Respect et tendresse.


5124. — À M.  LE MARQUIS DE CHAUVELIN.
Dans les neiges, 5 janvier.

Ma main n’a pas suivi mon cœur ; tout ce que je souhaite, c’est que Votre Excellence daigne être fâchée de ma paresse. J’ai été malade, j’ai travaillé, j’ai voulu vous écrire de jour en jour, et je ne l’ai point fait. Je suis très-coupable envers moi, car je me suis privé d’un très-grand plaisir. Si vous étiez à Paris, j’aurais bien plus d’amitié pour Olympie et pour le Droit du Seigneur. Les entrailles paternelles s’émouvraient bien davantage pour mes enfants quand vous en seriez le parrain. Tout ce que je crains, c’est d’acquérir de l’indifférence avec l’âge : l’indifférence glace les talents. Qui voit les choses de sang-froid n’est bon que pour votre illustre métier.


Le ministère, à ce qu’on dit,
Veut une âme tranquille et sage,

Tandis que mon métier maudit
En veut une ardente et volage.
Vous n’employez que des raisons
Quand il faut vous ouvrir ou feindre ;
Je ne peins que des passions :
Il faut les sentir pour les peindre.


Eh ! des passions ! il y a longtemps que je n’en ai plus. Vous, monsieur, qui en avez une si belle, et que la plus charmante ambassadrice du monde doit inspirer, c’est à vous de faire des vers.


Malgré mon âge décrépit,
J’en ferais bien aussi pour elle,
Si vous me donniez votre esprit
Et votre grâce naturelle.


J’aurai quelque chose à vous envoyer le mois prochain ; mais comment m’y prendrai-je ? Ce mois-ci, vous n’aurez rien. Je n’ai que des neiges ; j’en suis entouré, et elles passent dans ma tête. Peut-être en avez-vous autant à Turin ; et je ne sais si vous direz de la neige du Piémont ce que le cardinal de Polignac disait de la pluie de Marly[747]. M. et Mme  d’Argental ont cru que je plaisantais en vous suppliant de leur envoyer le Droit du Seigneur. Ils l’avaient en effet, mais ils n’avaient pas une si bonne copie que la vôtre. Mes anges d’ailleurs me rendent la vie bien dure ; ils me donnent des commissions comme on en donnerait au diable de Papefiguière[748] : et des corrections pour cette pièce-ci, et des changements pour cette pièce-là, et des additions, et des retranchements. Mes anges, je ne suis pas de fer ; ayez pitié de moi.

Je demande à Votre Excellence sa protection envers mes anges.

Je vous souhaite force années heureuses, et je vous présente mon très-tendre respect.

5125. — À M.  DEBRUS[749].
7 janvier 1763, à Ferney.

Je doute fort, monsieur, que ce soit M.  le duc de Bedford qui ait obtenu la relaxation de Mme  Calas ; mais je ne doute point que le parlement de Toulouse ne soutienne que Calas et toute la famille est coupable, et qu’il n’a prévariqué qu’en ne faisant pas rouer la famille entière. Il n’a que cette honteuse et abominable ressource ; soyez [sûr] qu’elle ne servira qu’à le couvrir d’opprobre.

Il se pourrait bien faire que le Père Bourges fût un fripon[750] ; je [le] soupçonne un peu, parce qu’il n’a point répondu à la lettre que Donat Calas lui avait écrite ; quoi qu’il en soit, on ne peut refuser la révision, ou bien il faudrait qu’il n’y eût ni pudeur, ni justice, ni honneur sur la terre. C’est sur quoi nous serons éclaircis ce mois-ci. On jugera sur le mémoire très-judicieux de M. Mariette ; il porte la conviction dans les esprits, et la vue d’une mère et de deux filles en crêpe et en larmes redemandant le sang d’un époux et d’un père porteront (sic) la pitié dans tous les cœurs.

Cette affaire devient de jour en jour plus intéressante ; j’ai l’honneur de vous renvoyer vos lettres.


5126. — À M.  LE MARQUIS ALBERGATI CAPACELLI[751].
Ferney, 7 janvier.

Je voudrais sans doute, monsieur, voir un homme de votre mérite et quitter mes neiges pour les vôtres, ou bien avoir le bonheur de vous voir quitter les vôtres pour les miennes ; mais vous êtes attaché à la dotta e grassa Bologna, et moi, je ne peux, à l’âge de soixante et dix ans, passer le mont Cenis pendant l’hiver. Je suis dans mon lit depuis les premiers froids. Ma consolation est de lire notre cher Goldoni, et de m’amuser à des ouvrages qui ne valent pas les siens. Je suis obligé de dicter toujours ; je ne peux écrire. Voilà pourquoi j’ai tardé si longtemps à vous dire, monsieur, combien je suis sensible à vos offres obligeantes, et quel est mon regret de ne pouvoir les accepter.

Je compte dans quelque temps vous faire un petit envoi ; mais ce ne sera, je crois, que dans le mois de mars. J’ai été si malade, si faible, si paresseux, que je n’ai pu écrire depuis longtemps à M. Goldoni. D’ailleurs, que lui mander du fond de ma retraite ? Il m’a écrit qu’il serait longtemps à Paris ; je ne doute pas que ses ouvrages ne lui fassent des admirateurs, et son caractère, des amis. La paix, le concours des étrangers, le nombre de ceux qui seront touchés de son mérite, lui pourront être utiles ; c’est ce que je souhaite passionnément.

Pour vous, monsieur, je ne vous souhaite que la continuation de votre félicité ; vous avez tout le reste.

On ne peut être plus pénétré que je le suis de tout ce que vous valez et de l’amitié dont vous m’honorez. Comptez, je vous en conjure, sur mon très-tendre attachement pour le temps qui me reste à vivre.


5127. — À M.  MOULTOU[752].
Ferney, 8 janvier 1763.

J’ai lu avec attention, monsieur, une grande partie de l’Accord parfait. C’est un livre où je dirais qu’il y a de fort bonnes choses, si je ne m’étais pas rencontré avec lui dans quelques endroits où il parle de la tolérance. Il y a, ce me semble, un grand défaut dans ce livre, et qui peut nuire à votre cause, c’est qu’il dit continuellement que les catholiques ont toujours eu tort et les protestants toujours raison ; que tous les chefs des catholiques étaient des monstres, et les chefs des protestants des saints ; il va même jusqu’à mettre Spifame, évêque de Nevers, au rang de vos apôtres irréprochables[753]. C’est trop donner d’armes contre soi-même.

Il est permis d’injurier le genre humain, parce que personne ne prend les injures pour lui ; mais quand on attaque violemment une secte en demandant grâce, on obtient la haine, et point de grâce.

Je vous répète qu’il est infiniment à désirer qu’un homme comme vous veuille écrire ; vous seriez lu, et l’Accord parfait ne le sera point. Il est beaucoup trop long et trop déclamateur, comme tous les livres de cette espèce. Il faut être très-court et un peu salé, sans quoi les ministres et Mme  de Pompadour, les commis et les femmes de chambre, font des papillotes du livre.

Sous un autre gouvernement je n’aurais pas osé hasarder quelques petites notes, dont il est très-aisé de tirer d’étranges conséquences ; mais je connais assez ceux qui gouvernent pour être sûr que ces conséquences ne leur déplairont pas. Je pense même qu’il n’y a d’autre moyen d’obtenir la tolérance que d’inspirer beaucoup d’indifférence pour les préjugés, en montrant pourtant pour ces préjugés mêmes un respect qu’ils ne méritent pas.

Je pense enfin que l’aventure des Calas peut servir à relâcher beaucoup les chaînes de vos frères qui prient Dieu en fort mauvais vers. Je suis convaincu que, si d’ailleurs on a quelque protection à la cour, on verra clairement que des ignorants qui portent une étole ne gagnent rien à faire pendre des savants à manteau noir, et que c’est le comble de l’absurdité comme de l’horreur.

Je vous supplie, monsieur, de vouloir bien envoyer chez MM. Souchay et Lefort le commentaire de Bayle sur le Contrainstes d’entrer, et la lettre de l’évêque d’Agen, par laquelle cet animal veut contraindre d’entrer[754]. On a mandé de Toulouse qu’un jeune homme qui allait prier tous les jours à Saint-Étienne, sur le tombeau du saint martyr Marc-Antoinc Calas, est devenu fou pour n’avoir pas obtenu de lui le miracle qu’il demandait ; et ce miracle, c’était de l’argent.

On ne peut rien ajouter, monsieur, ni à ma compassion pour les fanatiques, ni à ma sincère estime pour vous.


5128. — DE LOUIS-EUGÈNE,
prince de wurtenberg
Renan, 8 janvier.

Le marquis de Genti, monsieur, s’est acquitté à son retour de Ferney de la commission dont vous m’avez fait l’honneur de le charger, avec cette politesse qui lui paraît naturelle, et avec toute la chaleur de l’amitié que vous avez su lui inspirer.

Je sens tout le prix des offres qu’il vous a plu de me faire faire par lui. J’y suis sensible comme je le dois, monsieur ; mais certes je n’en abuserai pas, et parce que je serais au désespoir de paraître importun à une personne que j’aime tant que vous, et parce que les engagements que j’ai pris m’ont déjà fixé ailleurs. Mais je profiterai avec empressement du bonheur que j’ai d’être dans votre voisinage, et je compte, si vous voulez bien l’agréer, rendre mardi prochain mes devoirs à mon ancien maître et ami.

Je me réjouis d’avance du plaisir que j’aurai de vous renouveler de bouche les assurances sincères de la tendre amitié et de la haute estime avec lesquelles je n’ai jamais cessé d’être, monsieur, votre, etc.


Louis-Eugène, duc de Wurtemberg.

5129. — À M.  DE CIDEVILLE.
Au château de Ferney, par Genève, 9 janvier.

Oui, mon cher contemporain, mon cher confrère en Apollon, je compte sur votre amitié ; elle vous fascine les yeux en ma faveur, et je lui en sais le meilleur gré du monde. Plus vos lettres sont aimables, plus nous devons nous plaindre de leur rareté, Mme  Denis et moi. Vous êtes, à Paris, à la source de tout, et nous ne sommes, dans les Alpes, qu’à la source des neiges.

Vous me feriez grand plaisir de me mander si l’on a donné quelque pièce de Goldoni, et comment elle aura réussi. Je suis persuadé que l’évêque de Montrouge[755] fera un discours fort salé, et tout plein d’épigrammes, à l’Académie. Pour M. le duc de Saint-Aignan, je n’ai pas l’honneur de connaître son style[756].

Vous voyez donc quelquefois frère Thieriot ? Il me paraît qu’il fait plus d’usage d’une table à manger que d’une table à écrire. S’il fait jamais un ouvrage, ce sera en faveur de la paresse. Pour moi, quand je n’écris point, ce n’est pas à la paresse qu’il faut s’en prendre, c’est aux fardeaux dont je suis surchargé. Nous avons bientôt sept volumes de Corneille imprimés, et il y en aura peut-être quatorze ; il faut, avec cela, achever l’édition d’une Histoire générale, continuée jusqu’à ce temps-ci ; il faut achever celle du Czar, mettre la dernière main à cette Olympie, répondre à cent lettres dont aucune ne vaut les vôtres ; en voilà bien assez pour un vieux malade.

Vous m’aviez bien dit que la plupart de nos grands seigneurs ne donneraient que leur nom pour la souscription de Corneille. Les Anglais n’en ont pas usé ainsi, et vous saurez encore que ce sont les Anglais qui ont le plus puissamment secouru la veuve Calas. Le roi a rendu à cette infortunée ses deux filles, qu’on avait enfermées dans un couvent ; elles iront bientôt toutes trois montrer leur habit de deuil et leurs larmes à messieurs du conseil d’État, que M. de Beaumont a si bien prévenus en faveur de l’innocence. Je soupire après le jugement, comme si j’étais parent du mort.

Je ne crois pas que je prenne fait et cause avec tant de chaleur que ce fou de Verberie[757], qu’on a pendu : on prétend que c’est un jésuite. Et que dites-vous, je vous prie, du fou à mortier, digne frère d’Argens ? ne vaut-il pas mieux travailler pour l’Opéra-Comique, comme mon confrère l’abbé de Voisenon[758] ?

Mon cher ami, écrivez-moi tout ce que vous savez, et tout ce que vous pensez. Vous nous direz que ce monde est fort ridicule ; mais un peu de détails, je vous prie, pour égayer nos neiges.

Je vais vous dire une nouvelle, moi ; c’est que nous avons été sur le point de marier Mlle  Corneille. Si vous avez quelque parent de Racine, envoyez-le-nous ; cela produira peut-être quelque bonne pièce de théâtre, dont on dit que vous avez grand besoin dans votre capitale.

Adieu, mon cher ami ; je suis réduit à dicter, comme vous voyez : car, quoique je sois aussi jeune que vous, je n’ai pas votre vigueur.

Je vous embrasse de tout mon cœur. V.


5130. — POUR MADAME CALAS[759].

Il faut calmer les alarmes de Mme  Calas. L’article de la procession abominable dans laquelle on se vante à Dieu tous les ans d’avoir égorgé, il y a deux siècles, quatre mille de ses concitoyens, est une chose qu’il faudrait graver en lettres d’or à toutes les portes des églises de Toulouse[760].

Cet article peut déplaire aux bedeaux et aux moines, et même aux marchands de cire qui vendent des cierges pour cette procession, mais tous les honnêtes gens de Paris en sont très-contents. Cette procession doit révolter l’esprit des juges. Il est d’ailleurs très-essentiel à la cause de faire voir l’excès du fanatisme qui règne dans la ville des jeux floraux, et de montrer que c’est ce fanatisme qui s’est emparé de la tête des huit juges qui ont rendu cet arrêt infernal.

Mme  Calas doit s’apercevoir qu’on ne pense point du tout dans la capitale de la France comme dans celle des Visigoths.

Louis Calas ne sait ce qu’il dit ; il peut aller à la procession tant qu’il voudra, mais je pense que cette cérémonie d’Iroquois ne subsistera pas encore longtemps.

On peut envoyer à Mme  Calas ce petit billet d’édification, qui est d’un bon catholique romain.


5131. — À M.  MOULTOU[761].
9 janvier 1763.

Voici, monsieur, un mémoire qu’on m’envoie ; il avait été fait à Toulouse il y a très-longtemps[762]. Je suis bien fâché que les avocats de Paris ne l’aient pas connu. Il y a des choses bien essentielles dont ils auraient fait usage. Votre indignation et votre pitié redoubleront s’il se peut à la lecture de ce mémoire. On est tenté de se faire débaptiser quand on lit les Saint-Barthélemy, les massacres d’Irlande, et l’histoire des Calas[763]. On aurait du moins grande raison de se décatholiciser.

Je vous renvoie la lettre de votre ami, qui me paraît faire peu de cas de l’arithmétique. Je vous supplie, monsieur, de vouloir bien envoyer le mémoire Calas à M. Debrus, quand vous l’aurez lu.

Vous savez que l’affaire ne sera rapportée que le 8 février. Je ne dormirai point la nuit du 7 au 8.

Mon Dieu, que d’abominations !

Je prends la liberté de vous embrasser de tout mon cœur.


5132. — À M.  BERTRAND.
Au château de Ferney, 9 janvier.

Votre Dictionnaire[764] doit faire fortune, mon cher philosophe : il est neuf, il est utile, et il me paraît très-bien fait. Je crois qu’il faudra dorénavant tout mettre en dictionnaires. La vie est trop courte pour lire de suite tant de gros livres. Malheur aux longues dissertations ! Un dictionnaire vous met sous la main, et dans le moment, la chose dont vous avez besoin. Ils sont utiles surtout aux personnes déjà instruites qui cherchent à se rappeler ce qu’elles ont su.

Je vous suis infiniment obligé de votre très-bon livre. Vous pouvez ajouter dans une seconde édition, à l’article Fer, que tous ceux qui ont voulu entreprendre des fabriques de fer fondu avec M. de Réaumur se sont ruinés. Dès qu’il était instruit d’une découverte faite dans les pays étrangers, il l’inventait sur-le-champ. Il avait même inventé jusqu’à la porcelaine. Il faut avouer d’ailleurs que c’était un fort bon observateur.

Vous êtes bien bon de dire que vous ajoutez peu de foi à la baguette divinatoire. Est-ce qu’il y aurait des gens qui y crussent, à Berne ? Pour moi, j’ai beaucoup de foi à toutes vos observations ; j’y ajoute l’espérance de vous revoir quelque jour, et la charité, c’est-à-dire l’amitié qui unit les philosophes : voilà mes trois vertus théologales.

Ne m’oubliez pas, je vous en prie, auprès de M. et de Mme  de Freudenreich.

Votre très-attaché et très-fidèle serviteur.


5133. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
10 janvier.

Mes divins anges, si les mariages sont écrits dans le ciel, celui de M. de Cormont[765] et de notre marmotte a été rayé. Encore une fois, comment pouvions-nous ne pas croire que vous vous intéresseriez vivement à ce mariage ? Le futur était venu avec une copie d’une de mes lettres ; il s’était annoncé de votre part ; il se disait sûr du consentement de ses parents ; il avait débuté par demander si la souscription du Corneille n’allait pas déjà à quarante mille livres ; et la première confidence qu’il fit était que son dessein était de voyager en Italie avec cet argent. Il nous avoua qu’il avait cru que Mlle  Corneille était élevée dans notre maison comme une personne qu’on a prise par charité. Il lui parla comme Arnolphe[766], à cela près qu’Arnolphe aimait, et que le futur n’aimait point. Il fut un peu surpris de voir que Mlle  Corneille était élevée, et mise, et considérée chez nous, comme le serait une fille de la première distinction qu’on nous aurait confiée. Nous rectifiâmes, Mme  Denis et moi, les idées de notre homme. Cependant l’affaire s’ébruitait, comme je vous l’ai mandé ; il fallait prendre un parti. M. de Cormont[767] nous apprit lui-même que ses parents n’étaient ni si vieux ni si riches qu’on nous l’avait dit ; mais il attendait toujours le consentement. M. Micault nous assurait qu’il était honnête homme, quoique un peu dur, entier, et bizarre. Il devait avoir un jour cinq mille livres de rente ; mais en attendant, il n’avait rien du tout. Dans cette perplexité, et surtout dans l’idée que vous vouliez bien vous intéresser à sa personne, nous crûmes ne pouvoir mieux faire que de tâcher de lui procurer par votre protection la place que vous savez. Cet emploi était précisément à notre porte ; les terres de son père sont assez voisines des nôtres ; rien ne nous paraissait plus convenable pour notre situation. Nous savions que cette place dépend absolument de votre ami, qu’on la donne à qui l’on veut, que ce n’est point d’ordinaire une récompense de secrétaire d’ambassade, puisque ni le présent titulaire (qu’on aurait pu placer ailleurs), ni Champot son prédécesseur, ni Closure, ni aucun de ceux qui ont eu cet emploi, n’ont été secrétaires d’ambassade. Nous vous représentons tout cela, non pas pour désapprouver les arrangements que M. le duc de Praslin a pris, et que nous trouvons très-justes, mais seulement pour justifier notre démarche auprès de vous ; démarche qui n’a été fondée que sur la persuasion où nous devions être, par les discours du prétendu, et par la copie de mes lettres dont il était armé, que vous souhaitiez ce mariage. La seule manière d’y parvenir était d’obtenir la place que nous demandions : car le père ne voulant absolument rien donner, le fils n’ayant que des dettes, et n’ayant précisément pas de quoi vivre à la réforme de sa compagnie, quel autre moyen pouvions-nous imaginer ? Nous n’avons pas laissé d’avoir quelque peine à faire partir ce jeune homme, qui, sans avoir le moindre goût pour Mme  Corneille, voulait absolument rester chez nous, uniquement pour avoir un asile. Toute cette aventure a été assez triste. Il est vraisemblable que M. de Cormont a toujours caché à M. de Valbelle et à Mlle  Clairon l’état de ses affaires, sans quoi nous serions en droit de penser que ni l’un ni l’autre n’ont eu pour nous beaucoup d’égards. Nous serions d’autant plus autorisés dans nos soupçons, que Mlle  Clairon ayant dit qu’elle allait marier Mlle  Corneille, Lekain nous écrivit qu’elle épouserait un comédien, et nous en félicitait. J’estime les comédiens quand ils sont bons, et je veux qu’ils ne soient ni infâmes dans ce monde, ni damnés dans l’autre ; mais l’idée de donner la cousine de M. de La Tour-du-Pin à un comédien est un peu révoltante, et cela paraissait tout simple à Lekain. En voilà beaucoup, mes anges, sur cette triste aventure : nous nous en sommes tirés très-honorablement ; et la conduite de Mlle  Corneille n’a donné aucune prise à la malignité des Genevois ni des Français qui sont à Genève, car il y a des malins partout.

Mais est-il vrai que le fou de Verberie[768] qu’on a pendu était un jésuite ? Aurez-vous la bonté de me faire lire le discours du fou au mortier ? M. de Lasalle, ce M. de Lasalle, conseiller de Toulouse, qui était si persuadé de l’innocence des Calas, et qui les a fait rouer en se récusant[769], est-il à Paris ? est-il venu chez vous ?

Le beau Cramer, qui sait par ouï-dire qu’il imprime le Corneille, est-il venu s’entretenir avec vous des intérêts des princes ? Savez-vous à présent à quoi vous en tenir sur les souscriptions ? Savez-vous que ni Mme  de Pompadour, ni prince, ni seigneur, n’ont donné un écu ? N’êtes-vous pas fatigué de mes longues lettres ? Ne pardonnez-vous pas à votre créature V. ?


5134. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[770].
À Ferney, 10 janvier.

Madame, les bontés de Votre Altesse sérénissime me raniment au milieu des neiges. J’en ai de deux façons, celles de mon âge de près de soixante-dix ans, et celles des Alpes. Ces deux ennemis ne m’ont pas empêché d’avoir l’honneur de vous écrire ; mais d’autres ennemis du genre humain, à pied et à cheval, qui inondaient votre Allemagne, pourraient bien avoir intercepté mes hommages. Dieu merci, madame, nous allons être défaits de la guerre et des jésuites. Il ne restera plus guère de fléaux. Je crois en effet le roi de Prusse un peu hâlé des fatigues de ses campagnes, et son esprit toujours brillant. Il a plus de gloire que d’années. Je n’ai plus l’honneur de lui écrire depuis longtemps. Je souhaiterais seulement n’être pas au nombre de ceux qui, en admirant son mérite, ont un peu à se plaindre de sa personne.

Il me paraît, madame, que, malgré cette paix commencée, il y a encore des orages en Allemagne. C’est la mer qui gronde encore après une violente tempête. J’attends ce soir, madame, dans mon ermitage paisible, un prince qui a été un peu ballotté dans toutes ces secousses : c’est le frère du duc régnant de Wurtemberg, et ce n’est pas le Prussien : aussi n’a-t-il pas épousé la nièce d’un roi, mais une demoiselle de Saxe fort jolie. Je crois qu’il l’amènera. On dit que ce mariage n’est approuvé que de ceux qui savent aimer, et que le baron de Thunder-ten-tronckh[771] en serait fort mécontent. Les nouveaux mariés ont loué une maison dans le pays de Vaud, Ces aventures ne sont pas si funestes que celles de Russie.

Jouissez, madame, au milieu des horreurs et des folies de ce monde, de votre destinée glorieuse et tranquille que vous méritez si bien.

Recevez avec votre bonté ordinaire, vous et votre auguste famille, le profond respect et l’attachement inviolable que j’ai pour Votre Altesse sérénissime, sans oublier assurément la grande maîtresse des cœurs.


5135. — À M.  COLINI.
Ferney, 11 janvier.

Voici enfin Olympie telle que j’ai pu la faire après bien des soins ; elle n’était encore digne ni de Son Altesse électorale ni de l’impression, quand je vous l’envoyai. Je souhaite, mon cher Colini, que l’édition par vous projetée vous procure quelque avantage[772]. Les remarques à la fin de l’ouvrage sont assez curieuses.

Je vous embrasse, et vous prie de me mettre aux pieds de Leurs Altesses électorales. V.


5136. — À M.  L’ABBÉ D’OLIVET.
À Ferney, à quelques lieues de votre patrie, 12 janvier.

Mon cher et gros et respectable sous-doyen, soyez très-sûr que je mets en pratique vos belles et bonnes leçons. Je n’ai pas votre santé, je n’en ai jamais eu ; mais mon régime est la gaieté. Votre doyen[773] peut me rendre témoignage : c’est lui qui donnerait des leçons de gaieté à vous et à moi. Je l’ai trouvé plus jeune que je l’avais laissé. Vivez cent ans, messieurs les doyens, et donnez-moi votre recette. Vos séances académiques vont être plus agréables que jamais avec l’abbé de Voisenon, qui est très-aimable et très-gai. Je vous réjouirai, dès que les grands froids seront passés, par l’envoi de l’Héraclius espagnol ; il est bien plus plaisant que le César anglais. Qui croirait que deux nations si graves furent si bouffonnes dans la tragédie ? Nous sommes au septième tome de Pierre Corneille, et il y en aura probablement douze ou treize. J’ai été sur le point de faire un ouvrage qui m’aurait plu autant que Cinna, c’était le mariage de Mlle  Corneille ; mais comme le futur ne fait point de vers, le mariage a été rompu. Si vous connaissez quelque neveu de Racine, envoyez-le-moi au plus vite, et nous conclurons l’affaire. Mais je veux que vous soyez de noces ; et comme je vous crois prêtre, vous ferez la célébration. Je vous avertis que notre petit jardin est la plus jolie chose du monde. Tout le monde y vient, tout le monde s’y établit. Le prince de Wurtemberg a tout quitté pour venir s’établir dans le voisinage ; vous n’êtes pas assez courageux pour revoir votre patrie. Fi ! que cela est peu philosophe ! C’est avec douleur que je vous embrasse de si loin ; seriez-vous assez aimable pour présenter mes respects à l’Académie ?


5137. — À M.  MOULTOU[774].
Janvier 1763.

Vous partagez, monsieur, mes craintes et ma douleur. Les Lettres toulousaines s’étendent beaucoup sur l’aventure de Sirven et de sa fille. Voilà ce qui nous perdra. L’affaire de Sirven n’a point été jugée. Le parlement de Toulouse joindra au conseil ces deux affaires ensemble, et justifiera l’une par l’autre. Il soutiendra que les protestants sont en droit d’assassiner leurs fils et leurs filles quand ils veulent changer de religion. Ils[775] feront voir en trois mois de temps deux pères de famille accusés par la voix publique de ce crime épouvantable. Ils diront qu’ils ont cru absolument nécessaire de faire un exemple. J’avais recommandé expressément à nos trois avocats de ne jamais parler de l’affaire de Sirven ; ils m’ont tenu parole.

Vous écrivez sans doute à Lausanne et à Vevey. Si vous pouvez obtenir que l’auteur supprime le débit du livre jusqu’à la fin du procès, nous sommes sauvés ; sinon, tout est perdu. L’auteur ne risque rien en différant ; il détruit tout notre ouvrage en se pressant. Qu’il attende la fin de notre procès, il aura de quoi faire un second volume intéressant. Je lui fournirai plusieurs pièces et plusieurs anecdotes.

J’espère beaucoup du pouvoir que votre aimable éloquence doit avoir sur tous les esprits.


Lundi soir.

5138. — DE M.  D’ALEMBERT.
À Paris, 12 janvier.

Il est vrai, mon cher et illustre maître, que je n’aime les grands que quand ils le sont comme vous, c’est-à-dire par eux-mêmes, et qu’on peut vraiment se tenir pour honoré de leur amitié et de leur estime ; pour les autres, je les salue de loin, je les respecte comme je dois, et je les estime comme je peux. Je ne dis pas cependant que si j’avais, comme vous, le bonheur d’avoir des terres et le malheur d’avoir affaire à des intendants, je ne fusse très-reconnaissant envers le ministre qui me délivrerait de l’intendant et qui affranchirait mes terres ;


Mais pour moi, Dieu merci, qui n’ai ni feu ni lieu,
Je me loge où je puis, et comme il plaît à Dieu[776],


dit Despréaux. J’ajoute : Et je ne dis ni bien ni mal des gens en place, pourvu que je conserve la mienne, qui est trop petite pour incommoder personne et pour faire envie aux intendants.

S’il est vrai que le duc de Choiseul ait protégé la comédie des Philosophes, et qu’en même temps il rende à la philosophie (peut-être sans le vouloir) le bon service de la délivrer des jésuites, la philosophie pourra dire de lui ce que Corneille disait du cardinal de Richelieu :


Il m’a trop fait de bien pour en dire du mal,
Il m’a trop fait de mal pour en dire du bien.

(Quatrain, Poésies diverses.)

Au surplus, si vous voulez savoir mon tarif, je trouve qu’un philosophe vaut mieux qu’un roi, un roi qu’un ministre, un ministre qu’un intendant, un intendant qu’un conseiller, un conseiller qu’un jésuite, et un jésuite qu’un janséniste ; et qu’un ami comme vous vaut mieux que tout cela pris ensemble.

En vérité, on a eu bien de la bonté à Versailles de juger enfin, à force de discernement, que vous n’aviez pas écrit une lettre insolente et absurde ; il est vrai que dans ce pays-là on dit, à toutes les sottises qui se font : C’est la philosophie, comme Crispin dit : C’est votre léthargie[777]. Savez-vous que c’est à la philosophie que ces messieurs imputent nos disgrâces ? Il est vrai, leur a-t-on répondu, que les Anglais et le roi de Prusse ne sont pas philosophes.

À propos de ce roi de Prusse, le voilà pourtant qui surnage ; et je pense bien comme vous, en qualité de Français et d’être pensant, que c’est un grand bonheur pour la France et pour la philosophie. Ces Autrichiens sont des capucins insolents qui nous haïssent et nous méprisent, et que je voudrais voir anéantis avec la superstition qu’ils protègent : je parle, comme vous, de la superstition, et non pas de la religion chrétienne, que j’honore comme les sociniens honteux de Genève honorent son divin fondateur. Voilà encore le socinien Vernet qui vient d’imprimer deux lettres[778] contre vous et contre moi ; il ne m’a pas été possible de les achever : cela est d’un style et d’un goût exécrables. Ne pourrait-on pas pourtant donner sur les oreilles à ce prestolet ? Mais il faudrait avoir pour cela ce qui a été écrit contre lui en Hollande et ailleurs au sujet de son catéchisme ; et puis il faudrait avoir du temps de reste pour lire toutes ces rapsodies, et pour en écrire d’autres sur celles-là ; et ni vous ni moi n’avons de temps à perdre.

Avez-vous entendu parler d’une nouvelle feuille périodique intitulée la Renommée littéraire[779], où on dit que vous êtes assez maltraité ? Que de chenilles qui rongent la littérature ! Par malheur ces chenilles durent toute l’année, et celles des bois n’ont qu’une saison. On dit que l’auteur de cette infamie, que je n’ai pas eu le temps ni le courage de lire, est un certain Le Brun, à qui vous avez eu la bonté d’écrire une lettre de remerciement sur une mauvaise ode qu’il vous avait adressée. Je me souviens que, dans cette ode, il y avait un vers qui finissait par les lauriers touffus[780]. Une femme avec qui je lisais cette ode trouva l’épithète singulière. « Je la trouve comme vous, lui dis-je ; je ne crois pourtant pas que ce soit une faute d’impression. Les lauriers de M. Le Brun se contentent de rimer à touffus, mais ne le sont pas. »

Laissons là toutes ces vilenies, et dites-moi où vous en êtes de Corneille, du Czar, et d’Olympie. À propos, on dit que vous serez obligé de changer le titre de cette dernière pièce, à cause de l’équivoque Ô l’impie ! Et puis dites que nous ne sommes pas plaisants.

Il parait que l’affaire des Calas prend une tournure assez favorable ; cependant ces pauvres gens-là ont bien des ennemis, et on écrit de Toulouse que les absous sont coupables, mais que le roué n’était pas innocent. Pour moi, je suis persuadé, comme vous, que cette malheureuse famille a été la victime des pénitents blancs. Croiriez-vous qu’un conseiller au parlement disait, il y a quelques jours, à un des avocats de la veuve Calas, que sa requête ne serait point admise parce qu’il y avait en France plus de magistrats que de Calas ? Voilà où en sont ces pères de la patrie.

En attendant que vous répondiez à Caveyrac, qui n’en vaut pas la peine, le Châtelet vient de décréter ce Caveyrac de prise de corps pour avoir fait l’Appel à la raison, en faveur des jésuites. Tous ces fanatiques en appellent de part et d’autre à la raison ; mais la raison fait pour eux comme la Mort :


La cruelle qu’elle est se bouche les oreilles,
La cruellEt les laisse crier.

(Malherbe, Ode à Du Perrier.)

On dit que frère Griffet pourrait bien se trouver impliqué dans l’affaire de Caveyrac, qui très-sagement a pris la fuite. Notez que ledit Caveyrac est l’auteur de l’Apologie de la Saint-Barthélemy, pour laquelle on ne lui a pas dit plus haut que son nom ; mais on veut le pendre pour l’apologie des jésuites. Au surplus, pourvu qu’il soit pendu, n’importe le pourquoi. Le parlement vient déjà de faire pendre un prêtre pour quelques mauvais propos[781] : cela affriande ces messieurs, et l’appétit leur vient en mangeant. Adieu, mon cher et illustre maître.

P. S. Damilaville, qui sort d’ici, m’a dit qu’il vous enverrait la Renommée littéraire. On dit qu’il y en a une seconde feuille ; on dit aussi que Le Brun a pour associé un abbé Aubry, qui est apparemment un descendant d’un bâtard d’Aubry le boucher.

Nous n’avons point encore reçu à l’Académie l’Héraclius de Calderon : je le crois sans peine digne d’être placé à côté du César de Shakespeare. À propos de Calderon et de Shakespeare, que dites-vous du mausolée qu’on fait élever à Crébillon ? Je crois que vous pouvez être tranquille ; ce mausolée-là sera bien son tombeau, et ne sera pas le vôtre. Voilà le premier monument que le ministère élève aux lettres ; il me semble qu’on aurait pu commencer plus tôt et commencer mieux. Adieu, mon cher philosophe ; je suis actuellement absorbé dans la géométrie : on m’a reproché que je n’en faisais plus, et de rage j’ai donné deux volumes de diablerie l’an passé[782], et j’en vais encore donner deux. Damilaville m’a montré ce que vous dites de l’Encyclopédie dans l’Histoire générale ; vous avez bien lait de retrancher ce qui regarde le parlement ; vous avez pourtant toute raison, mais ces messieurs ne l’entendent pas. Adieu, encore une fois.


5139. — DE MADAME LA MARGRAVE DE BADE-DOURLACH.
À Carlsruhe, le 14 janvier.

Monsieur, vous, qui devez connaître le cas que je fais de votre souvenir, et le prix dont m’est chaque trait de votre plume, pourrez mieux comprendre que personne ma douleur d’avoir été privée jusqu’à cette heure, par une maladie, du plaisir de vous remercier de la lettre charmante[783] qu’il vous a plu m’écrire. J’en fus transportée, et le marquis de Bellegarde ne pouvait se charger de rien qui me fît plus de plaisir. Je vous consacre donc ici, monsieur, les premiers moments où je puis écrire, trop heureuse de pouvoir enfin vous témoigner une reconnaissance dont je suis vivement pénétrée. J’ai bien envié au marquis le bonheur de vous avoir vu à Babylone. Si je dépendais de moi, j’irais avec bien de la joie vous trouver dans cette capitale, vous y porter mes hommages, vous y vénérer, vous y admirer, ce qui me siérait beaucoup mieux que de vous faire ici mon aumônier, comme vous dites bien agréablement. Enfin, monsieur, le désir de vous revoir m’occupe tout entièrement. Il n’est pas raisonnable d’exiger que vous quittiez un pays de délices, et d’une philosophie si séduisante, pour vous jeter dans une solitude ; mais comme les choses dont on se prive un temps acquièrent de nouveaux charmes, vous devriez vous en arracher, venir vous ennuyer un peu avec nous, emporter nos cœurs et nos regrets, puis rentrer dans tous les agréments que vous seul savez si bien procurer à tous ceux qui vous entourent. Je me flatte, monsieur, que votre santé vous permettra un jour cette petite échappade, et que j’aurai la satisfaction de vous renouveler de bouche ces sentiments de la plus haute estime avec laquelle j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre, etc.


Caroline, margrave de Bade-Dourlach.

5140. — À M.  LE MARQUIS D’ARGENCE DE DIRAC.
À Ferney, 14 janvier.

Mon cher philosophe, vous m’envoyez toujours des pâtés farcis de truffes, Vous êtes un philosophe faisant bonne chère, et voulant qu’on la fasse : vous jugez avec raison que nous avons besoin, dans notre pays de glaces, du souvenir des seigneurs de vos beaux climats.

Savez-vous que j’ai reçu une lettre de quatre dames d’Angoulême ? Je n’ai pas l’honneur de les connaître ; mais je n’en suis que plus flatté de leurs bontés : elles ne signent point leurs noms ; elles m’ordonnent d’adresser ma réponse à Mme  la marquise de Théobon. Que puis-je leur répondre ? C’est jouer à colin-maillard.


Quatre beautés font tout mon embarras ;
De faire un choix mon âme est occupée :
Qu’eût fait Pâris en un semblable cas ?
En quatre parts la pomme il eut coupée.


Si vous voulez leur donner cette réponse ou cette excuse, c’est assez pour un vieux malade qui ne ressemble point du tout à Pâris.

On va juger à Paris le procès de Calas : cela intéresse l’humanité tout entière. On a pendu un ex-jésuite[784] pour avoir dit des sottises ; cela n’intéresse que la pauvre Société de Jésus.

Bonsoir, monsieur ; sans les neiges et votre absence, mon château, l’œuvre de mes mains, serait un charmant séjour.

Je suis à vous bien tendrement pour jamais.


5141. — À M.  LE PRÉSIDENT DE RUFFEY.
À Ferney, 14 janvier.

Je ne vous écris point de ma main, mon cher président, parce que je suis malingre, à mon ordinaire ; mais mon cœur vous écrit : il est pénétré de vos bontés. Je vois qu’il vous est dû quelque argent que vous avez bien voulu avancer pour moi. J’ai mandé à mon banquier de Lyon, M. Camp, de vous le faire rembourser par son correspondant de Dijon. Pour moi, je vous le rembourse[785] par mille remerciements.

Vous m’avouerez qu’il est plaisant qu’un parlement dise à un autre parlement : Nous chasserons les jésuites si vous prenez notre parti. Ne trouvez-vous pas que c’est là rendre une justice impartiale ? Si les jésuites sont intolérables par leur constitution, leurs maximes et leur conduite, faut-il faire son marché pour les juger ?

Je suis très-instruit de la conduite de David et d’Absalon[786]. Je trouve le jugement des arbitres assez raisonnable, quoiqu’il ait un peu passé les bornes de son pouvoir. Je conseille très-fort à notre ami de s’en tenir à ce jugement, et de finir pour jamais une chose si désagréable. Je vous prie même de l’engager à ce léger acquiescement, qui fera son repos. Il sera honorable pour lui de céder un peu de ses droits, et de ne pas paraître traiter son fils à la rigueur. Écrivez-lui, je vous en conjure, la lettre la plus forte. Les meilleurs magistrats doivent faire, dans leurs intérêts personnels, ce que les meilleurs médecins font dans leurs maladies : ils consultent d’autres médecins[787].

Je me mêle peu du temporel de Corneille : je ne suis que pour le spirituel. Je crois qu’il y a dans votre capitale de Bourgogne un libraire correspondant des Cramer pour les souscriptions ; c’est tout ce que j’en sais.

Je vous remercie de votre nouvelle liste : je vois avec grand plaisir que le nombre et le mérite de vos académiciens augmentent tous les jours ; c’est votre ouvrage, et je n’en suis pas étonné.

Malgré les neiges qui me gèlent, et une bonne fluxion sur les deux yeux, je vous dirai que celui qui se proposait pour épouser Mlle  Corneille était M. de Cormont, capitaine de cavalerie, fils du commissaire des guerres de Châlons. Je donnais une dot honnête, mais le commissaire ne donnait rien du tout ; et la raison sans dot[788] n’a pas réussi.

Je vous embrasse bien tendrement. V.


5142. — À M.  LE CONSEILLER LE BAULT[789].
Au château de Ferney, 14 janvier 1763.

Monsieur, j’ai les yeux rouges comme un ivrogne, et je n’ai pourtant pas l’honneur de l’être. Ma fluxion et quelques autres bagatelles de cette espèce me privent de l’honneur de vous écrire de ma main.

Quand je prends la liberté de vous demander du vin de Corton, ce n’est point par sensualité, c’est par régime ; c’est ce qui fait que je vous en demande peu cette année.

À l’égard de l’autre vin, j’avoue qu’il ne ressemble pas aux lis de France, qui ne travaillent ni ne filent ; mais je crois que c’est ma faute de l’avoir laissé trop longtemps un peu exposé dans la petite ville de Nyon, au pays de Vaud, où on me l’avait adressé. Je fais réparation d’honneur à Mme  Le Bault, et je crois que son vin est, comme elle, très-agréable et bienfaisant.

Je conviens, monsieur, que les arbitres ont passé un peu leur pouvoir[790] ; mais il me semble qu’ils ne pouvaient le passer d’une manière plus raisonnable. Je conseille au père d’acquiescer et d’ensevelir dans l’oubli tous ces petits différends qui troublent le repos de deux hommes respectables.

Je vous rends, monsieur, de très-humbles actions de grâces de tout ce que vous avez bien voulu me mander.

Revenons, s’il vous plaît, au vin de Corton ; je ne le demande ni nouveau, ni vieux, ni en tonneau, ni en bouteilles, je le demande tout comme vous voudrez me l’envoyer ; tout m’est égal, pourvu qu’il soit bon ; faites comme il vous plaira, vous êtes le maître.

Je présente mon respect à Mme  Le Bault, et j’ai l’honneur d’être avec le même sentiment, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire.

Ferney, 14 janvier 1763.

Vraiment, monsieur, j’oubliais de vous remercier des plants de vigne que vous voulez bien m’offrir. J’aurais l’air d’être un ingrat, et je ne le suis pas. Je vous aurai la plus grande obligation.


5143. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
17 janvier.

Voyez, mes anges, si ceci vous amusera, et s’il amusera M. le duc de Praslin. Les laquais des Français et des Anglais, ou bien des Anglais et des Français, qui sont à Genève, ont voulu donner un bal aux filles en l’honneur de la paix. Les maîtres ont prodigué l’argent ; on a fait des habits magnifiques, des cartouches aux armes de France et d’Angleterre, des fusées, des confitures : on a fait venir des gelinottes et des violons de vingt lieues à la ronde, des rubans, des nœuds d’épaules, et Vivent MM. le duc de Praslin et de Bedford ! dessinés dans l’illumination d’un beau feu d’artifice. Les perruques carrées de Genève ont trouvé cela mauvais ; elles ont dit que Calvin défendait le bal expressément ; qu’ils savaient mieux l’Écriture que M. le duc de Praslin ; que d’ailleurs pendant la guerre ils vendaient plus cher leurs marchandises de contrebande : en un mot, toutes les dépenses étant faites, ils ont empêché la cérémonie.

Alors la bande joyeuse a pris un parti fort sage : vous allez croire que c’est de mettre le feu à la ville de Genève ; point du tout ; les deux partis sont allés célébrer leur orgie sur le territoire de France (il n’y a pas bien loin). Rien n’a été plus gai, plus splendide et plus plaisant. Cela ne vous paraîtra peut-être pas si agréable qu’à nous ; mais nous sommes de ces gens sérieux que les moindres choses amusent.

Je me flatte que mes anges ont reçu mon testament en faveur de Mlle  d’Épinay[791], par lequel je lui donne et lègue les rôles d’Acanthe et de Nanine. Si elle veut encore celui de Lise, dans l’Enfant prodigue, je le lui donne par un codicille, révoquant à cet effet tous les testaments antérieurs.

Qu’est-ce que c’est que le vieux Dupuis[792] ? On dit que la pièce est de Collé. Si cela est, elle doit être extrêmement gaie, comme toute honnête comédie doit l’être : car, pour les comédies où il n’y a pas le mot pour rire, c’est une infamie que je ne pardonnerai jamais à cette folle de Quinault[793], qui mit à la mode ce monstre si opposé à son caractère.

Dieu vous ait, mes bons anges, en sa sainte et digne garde ! Respect et tendresse.


5144. — À M.  LE COMTE ALGAROTTI.
À Ferney, 17 janvier.

Mon cher cygne de Padoue, si le climat de Bologne est aussi dur et aussi froid que le mien pendant l’hiver, vous avez très-bien fait de le quitter pour aller je ne sais où : car je n’ai pu lire l’endroit d’où vous datez, et je vous écris à Venise, ne doutant pas que ma lettre ne vous soit rendue où vous êtes. Pour moi, je reste dans mon lit comme Charles XII, en attendant le printemps. Je ne suis pas étonné que vous ayez des lauriers dans la campagne où vous êtes ; vous en feriez naître à Pétersbourg.

En relisant votre lettre, et en tâchant de la déchiffrer, je vois que vous êtes à Pise, ou du moins je crois le voir. C’est donc un beau pays que Pise ? Je voudrais bien vous y aller trouver ; mais j’ai bâti et planté en Laponie ; je me suis fait Lapon, et je mourrai Lapon.

Je vous enverrai incessamment le deuxième tome du Czar Pierre[794]. Je me suis d’ailleurs amusé à pousser l’Histoire générale jusqu’à cette paix dont nous avions tant besoin[795]. Vous sentez bien que je n’entre pas dans le détail des opérations militaires ; je n’ai jamais pu supporter ces minuties de carnage. Toutes les guerres se resemblent à peu près : c’est comme si on faisait l’histoire de la chasse, et que l’on supputât le nombre des chiens mangés par les loups. J’aime bien mieux vos lettres militaires, où il s’agit des principes de l’art. Cet art est, à la vérité, fort vilain ; mais il est nécessaire. Le prince Louis de Wurtemberg, que vous avez vu à Berlin, a renoncé à cet art comme au roi de Prusse, et est venu s’établir dans mon voisinage. Nous avons des neiges, j’en conviens ; mais nous ne manquons pas de bois. On a des théâtres chez soi, si on en manque à Genève ; on fait bonne chère ; on est le maître de son château ; on ne paye de tribut à personne : cela ne laisse pas de faire une position assez agréable. Vous, qui aimez à courir, je voudrais que vous allassiez de Pise à Gênes, de Gênes à Turin, et de Turin dans mon ermitage ; mais je ne suis pas assez heureux pour m’en flatter.

Buona notte, caro cigno di Pisa !


5145. — À M.  DEBRUS[796].
18 janvier 1763.

J’ai l’honneur de vous adresser, monsieur, une petite réponse que je dois à Mlles  Calas, qui ont bien voulu m’écrire. J’attends tout de l’intégrité des juges du conseil, et surtout du cri public.

Nous avons des ennemis. Un conseiller au parlement de Paris disait ces jours passés à un de nos avocats que notre requête ne serait point admise, parce qu’il y a plus de magistrats que de Calas. J’espère qu’un discours si insolent, si tyrannique et si absurde, sera aussi vain qu’il est condamnable, et je voudrais qu’il fût public, afin de forcer les juges du conseil à faire voir à la France indignée qu’ils n’immolent pas l’innocence au faux honneur de quelques magistrats indignes de l’être.


5146. — À MESDEMOISELLES CALAS[797].

Je vous réponds, mesdemoiselles, sur du papier orné de fleurs[798], parce que le temps des épines est passé, et qu’on rendra justice à votre respectable mère et à vous. Je vous félicite d’être auprès d’elle. Je me flatte que votre présence a touché tous les juges, et qu’on réparera l’abomination de Toulouse. Je vois avec un extrême plaisir que le public s’intéresse à vous aussi vivement que moi. Je fais mes plus sincères compliments à madame votre mère, et suis avec beaucoup de zèle, mesdemoiselles, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire,
gentilhomme ordinaire du roi.

5147. — À M.  D’ALEMBERT.
18 janvier.

Mon cher philosophe, si vous faites de la géométrie pour votre plaisir, vous faites bien ; s’il s’agit de vérités utiles, encore mieux ; mais s’il ne s’agit que de difficultés surmontées, je vous plains un peu de prendre tant de peine. J’aimerais bien mieux, pour ma satisfaction, que vous donnassiez de nouveaux mémoires de littérature[799], qui amusent et qui instruisent tout le monde ; mais l’esprit souffle où il veut[800].

Dès qu’il ne fera plus si froid, j’enverrai à monsieur le secrétaire l’Héraclius espagnol, et j’espère qu’il vous fera rire.

Nous ne connaissons point du tout ici les deux lettres de ce pauvre Vernet. Vous savez que le père du cardinal Mazarin étant mort à Rome, on mit dans la Gazette de Rome : « Nous apprenons de Paris que le seigneur Pierre Mazarin, père du cardinal, est mort ici ; » de même nous apprenons de Paris qu’il y a à Genève un nommé Vernet qui a écrit deux lettres.

La philosophie a fait de si merveilleux progrès depuis cinq ou six ans dans ce pays-ci qu’on ignore parfaitement tout ce que font ces cuistres-là. Cette philosophie n’a pourtant pas empêché qu’on ait incendié le livre de Jean-Jacques ; mais ç’a été une affaire de parti dans la petitissime république. Jean-Jacques fait des lacets dans son village avec les montagnards ; il faut espérer qu’il ne se servira pas de ces lacets pour se pendre. C’est un étrange original, et il est triste qu’il y ait de pareils fous parmi les philosophes. Les jésuites ne sont pas encore détruits ; ils sont conservés en Alsace ; ils prêchent à Dijon, à Grenoble, à Besançon ; il y en a onze à Versailles, et un autre qui me dit la messe[801].

Je suis vraiment très-édifié du discours sage et mesuré de votre conseiller au parlement, qui s’adresse à l’avocat des Calas pour lui dire qu’ils n’obtiendront point justice, parce qu’ils plaident contre messieurs, et qu’il y a plus de messieurs que de roués. Je crois pourtant que nous avons affaire à des juges intègres, qui ont une autre jurisprudence.

Ô l’impie ! n’est pas juste, car rien n’est plus pie que cette pièce ; et j’ai grand’peur qu’elle ne soit bonne qu’à être jouée dans un couvent de nonnes le jour de la fête de l’abbesse.

Comment donc, ce Le Brun, sous les lauriers touffus, me pique de ses épines ! Lui qui m’a fait une si belle ode pour m’engager à prendre la nièce à Pierre ! On ne sait plus à qui se fier dans le monde.

Il est difficile de plaindre l’abbé Caveyrac, quoique persécuté. Cet aumônier de la Saint-Barthélémy est, dit-on, un des plus grands fripons du royaume, et employé par plusieurs évêques pour soutenir la bonne cause.

Pour l’autre prêtre[802], qu’on a pendu pour avoir parlé, il me semble qu’il a l’honneur d’être unique en son genre : c’est, je crois, le premier, depuis la fondation de la monarchie, qu’on se soit avisé d’étrangler pour avoir dit son mot ; mais aussi on prétend qu’à souper, chez les mathurins, il s’était un peu lâché sur l’abbé de Chauvelin : cela rend le cas plus grave, et il est bon que messieurs[803] apprennent aux gens à parler.

Depuis quelque temps les folies de Paris ne sont pas trop gaies. Il n’y a que l’Opéra-Comique qui soutienne l’honneur de la nation. Nos laquais pourtant le soutiennent ici, car ils ont donné un bal avec un feu d’artifice, en l’honneur de la paix, avec les laquais anglais. Un scélérat de Genevois a dit qu’il n’y avait que les laquais qui pussent se réjouir de cette paix : il se trompe, tous les honnêtes gens s’en réjouissent. J’espère que l’auguste maison d’Autriche fera aussi la sienne, et que les révérends frères jésuites de Prague et de Vienne ne seront pas despotiques dans le Saint-Empire romain.

Mon cher philosophe, je dicte, parce que je perds les yeux au milieu des neiges. Je vous embrasse de tout mon cœur, et je vous serai attaché tant que je végéterai et que je souffrirai sur notre globule terraqué.

N. B. On a lu le Sermon des cinquante[804] publiquement pendant la messe de minuit, dans une province de ce royaume[805], à plus de cent lieus de Genève ; la raison va grand train. Écrasez l’Infâme.


5148. — À M.  DEBRUS[806].
Jeudi soir.

M. de Moultou, monsieur, vous donnera probablement demain un mémoire de Toulouse, que M. de Lavaysse m’a envoyé, et dont il est triste que les avocats de Paris n’aient pu faire usage.

Je vous supplie de me dire qui sont ces deux gros négociants de Toulouse[807], qui ont abandonné cette ville sainte et l’ont privée de deux millions ; puisse la ville être forcée de jeûner pour faire pénitence !

Quand vous aurez lu le mémoire, ayez la bonté de me le renvoyer chez. M. Souchay.


5149. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
À Ferney, 20 janvier.

J’envoie à mes anges la copie d’une lettre d’une brave et honnête religieuse de Toulouse. Cette lettre me paraît bien favorable pour nos pauvres Calas ; et quoique la religieuse avoue que Mme  Calas sera damnée dans l’autre monde, elle avoue quelle et toute sa famille méritent beaucoup de protection dans celui-ci.

Il y a longtemps que mes anges ne m’ont parlé de cette importante affaire ; j’ose espérer que la révision sera incessamment accordée. Si mes anges veulent avoir la bonté de m’envoyer les chansons du roi David, traduites par ce Laugeois[808], ci-devant directeur des fermes, je lirai avec componction les psaumes pénitentiaux, attendu que je suis malade.

Je ne sais point de nouvelles du tripot ; j’ignore s’il y a des tragédies, des comédies nouvelles : mes anges m’abandonnent. Peut-être aurai-je demain la consolation de recevoir une de leurs lettres. En attendant, je baise le bout de leurs ailes avec toute l’humilité possible, et j’ai toujours pour eux le culte de dulie[809]. Savez-vous ce que c’est que le culte de dulie, mes anges ?

5150. — À M.  DE BRUS[810].
20 janvier.

Je voudrais bien baiser des deux côtés cette bonne religieuse Mme  Julie Fraisse[811]. Voilà un beau contraste avec la barbarie des assassins en robe noire. J’aime encore passionnément ce M.  Dumas, le brave homme ! le digne homme[812] ! Dites-lui, je vous en prie, monsieur, combien je lui ai d’obligations. Je ne doute pas qu’on ne fasse courir dans Paris la lettre de la bonne Mme  Fraisse à M. d’Auriac. Elle doit faire un très-grand effet, j’en envoie copie à mes amis. Mais pour l’archevêque de Toulouse et frère Bourges, je les tiens pour fort suspects. Je crois que le discours révoltant du conseiller au parlement de Paris nous servira plutôt que de nous nuire ; les juges du conseil se croiront intéressés à repousser loin d’eux ce reproche infâme qu’on a plus de soins de l’honneur de la magistrature que de l’équité, qui en fait le véritable honneur.

Mes compliments, je vous prie, à M. de Végobre, et puisse le procès aller au grand conseil !


5151. — À M.  DAMILAVILLE[813].
21 janvier.

J’envoie à mes frères la copie de la lettre d’une bonne religieuse ; je crois cette lettre bien essentielle à notre affaire. Il me semble que la simplicité, la vertueuse indulgence de cette nonne de la Visitation, condamnent terriblement le fanatisme sanguinaire des assassins en robe de Toulouse.

Je demande pardon à mon frère de m’être trompé sur une brochure qu’il avait eu la bonté de m’envoyer[814]. Il ne m’annonçait par le titre qu’un discours d’un M.  Rouxelin. Je n’eus pas le temps de le lire, et je ne m’aperçus pas qu’il était suivi du discours de M.  de Beaumont. Je répare ma faute, je le lis, et je vais remercier l’auteur.

5152. — À M.  ÉLIE DE BEAUMONT.
À Ferney. 21 janvier.

Notre ami commun M.  Damilaville m’avait envoyé, monsieur, votre très-beau et très-solide discours, et je ne croyais pas l’avoir. Le titre m’avait trompé ; je viens enfin de m’apercevoir de mon erreur. J’ai vu votre nom à la trente-cinquième page, et je vous ai lu avec un plaisir extrême. Tout célibataire que je suis, j’avoue que vous faites très-bien de prêcher le mariage ; je suis aussi fort de votre avis sur les défrichements. Je me suis avisé de défricher, ne m’étant pas avisé de peupler ; mais voici comme je m’y suis pris. J’ai assemblé les propriétaires des terres abandonnées, et je leur ai dit : Mes amis, je vais défricher à mes frais, et quand la terre sera en valeur, nous partagerons.

Je n’ai point fait de citoyens, mais j’ai fait de la terre.

Je me flatte, monsieur, que vous serez célèbre pour avoir fait une bien meilleure action, pour avoir fait rendre justice à l’innocence opprimée et rouée[815]. Vous avez vu, sans doute, la lettre de la religieuse de Toulouse ; elle me paraît importante, et je vois avec plaisir que les sœurs de la Visitation n’ont pas le cœur si dur que messieurs. J’espère que le conseil pensera comme la dame de la Visitation.

Si vous voyez M. de Cideville, je vous prie de lui dire combien je l’aime. C’est un sentiment que vos ouvrages m’inspirent pour vous, qui se joint bien naturellement à l’estime infinie avec laquelle j’ai l’honneur d’être, etc.


5153. — À M.  COLINI.
21 janvier.

J’ai reçu votre Palatinat[816], mon cher historiographe ; me voilà au fait, grâce à vos recherches, de bien des choses que j’ignorais. Les palatins vous auront obligation.

Nous sommes ici dans les neiges jusqu’au cou ; cela gèle l’imagination d’un pauvre malade d’environ soixante-dix ans, et je n’ose écrire à monseigneur l’électeur, de peur de l’ennuyer.

Vous avez probablement reçu le petit paquet que je vous ai adressé. Je vous embrasse de tout mon cœur.

P. S. Voudriez-vous bien, à ces vers de la troisième scène du quatrième acte :


La loi donne un seul jour, elle accourcit les temps
Des chagrins attachés à ces grands changements ;
Mais surtout attendez les ordres d’une mère :
Elle a repris ses droits, ce sacré caractère[817], etc.,


substituer ceux-ci :


Statira vit encore, et vous devez penser
Que du sort de sa fille elle peut disposer.
Respectez les malheurs et les droits d’une mère,
Les lois des nations, le sacré caractère
Que la nature donne, et que rien n’affaiblit[818].


Vous voyez que je me contente difficilement. Je fais vite, et je corrige longtemps. Je vous embrasse.


5154. — À M.  DEBRUS[819].
22 au soir, Ferney.

Voici ce que M.  d’Argental me mande, du 15 janvier :

« Le vent du bureau est très-favorable ; M. le duc de Praslin[820] veut aller au conseil le jour qu’on jugera l’affaire ; il fait cette démarche, et pour cette affaire dont il sent l’importance, et par rapport à vous, qui y prenez le plus grand intérêt. »

Tout cela me donne les espérances les mieux fondées. J’ai écrit aux Cramer[821] pour les exemplaires des factums.

Après tout, ne soyons en peine de rien ; nous aurons assez d’autres ressources. Je vous avoue que je ne dormirai guère jusqu’à la décision du conseil.

Bonsoir, monsieur, tâchez de dormir si vous pouvez, car vous êtes aussi vif que moi, attendu que vous êtes Languedochien[822].

5155. — À M.  FYOT DE LA MARCHE[823].
À Ferney. 23 janvier.

Je reçois dans le moment une lettre de M. Tronchin, le fermier général, par laquelle il me demande le billet et le double du billet pour vous les remettre lui-même. J’écris à Lyon, mon respectable et aimable magistrat ; je mande à l’associé de M. Tronchin qu’il envoie sur-le-champ ces billets que je comptais vous faire parvenir en droiture. À leur défaut, je vous renvoie la procuration, qui n’aura plus lieu moyennant l’arrangement que vous prenez : les vingt mille livres serviront toujours de dot à Mlle  Corneille. Nous la marions, selon toutes les apparences, à un autre Bourguignon, au fils d’un maître des comptes de Dôle, notre voisin, jeune officier très-aimable[824]. On dit que vous n’étiez pas trop content de la famille Cormont[825]. Je ne veux point d’un gendre qui vous déplaise. Si vous étiez à la Marche, la noce viendrait danser dans votre parc. Les yeux me font mal, les neiges m’aveuglent. Je ne peux écrire longtemps ; sans cela je vous écrirais huit pages. V.


5156. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
23 janvier.

Divins anges, vous peignez les seigneurs genevois[826] du pinceau de Rigault : nous verrons si le prince[827] fera donner de bons ordres pour les souscriptions.

Je me hâte de justifier Mlle  Corneille, que vous accusez avec toutes les apparences de raison. Or vous savez qu’il ne faut pas toujours condamner les filles sur les apparences. Il est vrai qu’elle a fait plus de progrès dans la comète et le trictrac que dans l’orthographe, et qu’elle met la comète pour neuf plus aisément qu’elle n’écrit une lettre ; mais le fait est qu’à l’aide de Mme  Denis, qui lui sert en tout de mère, elle est venue à bout d’écrire à son père, à sa mère, et à Mlle  Félix et de Vilgenou[828]. Nous avons chargé du paquet, il y a longtemps, un citoyen de Genève ; c’est M. Miqueli, breveté de colonel suisse, qui s’en allait à Paris à petites journées. Elle ne sait point la demeure de son père ; je crois aussi que Mlle  Félix et de Vilgenou ont changé d’habitation : en un mot, on a écrit, cela est certain.

À présent, disons un petit mot du tripot.

Des préfaces à Zulime, vous en aurez, mes anges, et c’est à mon grand regret : car, sans me flatter, Zulime est un Bajazet tout pur, sans qu’il y ait un Acomat. Je suis plus difficile que vous ne pensez. Figurez-vous que quand j’envoyai Olympie pour être jouée à Manheim, je faisais correction sur correction, changement sur changement, carton sur carton, vers sur vers, précisément comme autrefois j’allais donner à Mlle  Desmares des corrections par le trou de la serrure[829].

Donnez-moi quelques jours de délai encore, car je n’ai pas le temps de me reconnaître : je vous l’ai déjà dit, vous ne me plaignez point. Je suis vieux comme le temps, faible comme un roseau, accablé d’une douzaine de fardeaux. Figurez-vous un ver à soie qui s’enterre dans sa coque en filant ; voilà mon état : un peu de pitié, je vous prie.

Voilà un bien digne homme que M.  le duc de Praslin ! Je suis à ses pieds : je vois que son bon esprit a été convaincu par les raisons des avocats, et que son cœur a été touché. Mais quoi ! cette affaire sera donc portée à tout le conseil, après avoir été jugée au bureau de M.  d’Aguesseau ? Je n’entends rien aux rubriques du conseil. À propos de conseil, savez-vous que je crois le mémoire de Mariette le meilleur de tous pour instruire les juges ? Les autres ont plus d’ithos et de pathos[830], mais celui-là va au fait plus judiciairement : en un mot, tous les trois sont fort bons. Il y en a encore un quatrième que je n’ai pas vu[831].

Voici bien autre chose. Je marie Mlle  Corneille, non pas à un demi-philosophe dégoûté du service, mal avec ses parents, avec lui-même, et chargé de dettes, mais à un jeune cornette de dragons, gentilliomme très-aimable, de mœurs charmantes, d’une très-jolie figure, amoureux, aimé, assez riche. Nous sommes d’accord, et en un moment, et sans discussion, comme on arrange une partie de souper. Je garderai chez moi futur et future ; je serai patriarche, si vous nous approuvez. Mes bons anges, vous savez qu’il faut, je ne sais comment, le consentement des père et mère Corneille. Seriez-vous assez adorables pour les envoyer chercher, et leur faire signer : « Nous consentons au mariage de Marie avec M. Dupuits[832] cornette dans la Colonelle-Générale ; » et tout est dit.

Que dira M.  le duc de Praslin de cette négociation si promptement entamée et conclue ? Il m’a donné de l’ardeur. Je pense qu’il conviendrait que Sa Majesté permît qu’on mît dans le contrat qu’elle donne huit mille livres à Marie, en forme de dot, et pour payement de ses souscriptions. Je tournerais cette clause ; elle me paraît agréable ; cela fait un terrible effet en province : le nom du roi dans un contrat de mariage au mont Jura ! figurez-vous ! et puis cette clause réparerait la petite vilenie de monsieur le contrôleur général. J’en écris deux mots à M.  le duc de Choiseul[833] et à Mme  la duchesse de Grammont[834], La petite est charmée, et le dit tout naïvement : elle ne pouvait pas souffrir notre demi-philosophe[835].

Au reste, vous sentez bien que mariage arrêté n’est pas mariage fait, qu’il peut arriver des obstacles, comme mort subite ou autre accident ; mais je crois l’affaire au rang des plus grandes probabilités équivalentes à certitude.

Mes divins anges, mettez tout cela à l’ombre de vos ailes.

N. B. Hier il parut que les deux partis s’aimaient.

Depuis ma lettre écrite, j’ai signé les articles. Si nous avions le consentement de la petite poste[836], je ferais le mariage demain ; ce n’est pas la peine de traîner, la vie est trop courte.


5157. — À M.  DEBRUS[837].
23 janvier 1763.

Je vous remercie, monsieur, de la communication de la lettre de Mme  Calas, du 18 janvier. J’en suis très-content, mais je suis bien indigné que ce frère Bourges et ce curé de Saint-Étienne[838] ne répondent pas à un avocat au conseil. Dieu veuille que ce Bourges ne soit pas un fripon et que ce curé ne soit pas un lâche !

Je tremble pour la santé de M.  Gilbert de Voisins ; il est vieux et infirme. Pour M.  de Crosne, son mariage[839] ne fera que rendre son cœur plus tendre encore envers une mère et deux filles dont le sort est entre ses mains. C’est proprement du rapporteur que tout dépend.

Je ne me console point que mon neveu, qui est son ami et son allié, soit à son abbaye ; mais je peux vous répondre qu’il l’a laissé aussi bien disposé que nous pouvons le désirer.

Je vous prie de ne donner communication du petit mot touchant M.  le duc de Praslin[840] qu’à des personnes très-discrètes ; les ministres n’aiment point que leurs démarches soient pressenties.

Je vous embrasse de tout mon cœur, vous et vos amis.


5158. — À M.  DAMILAVILLE.
24 janvier.

Mon cher frère, on ne peut empêcher, à la vérité, que Jean Calas ne soit roué ; mais on peut rendre les juges exécrables, et c’est ce que je leur souhaite. Je me suis avisé de mettre par écrit toutes les raisons qui pourraient justifier ces juges ; je me suis distillé la tête pour trouver de quoi les excuser, et je n’ai trouvé que de quoi les décimer.

Gardez-vous bien d’imputer aux laïques un petit ouvrage sur la tolérance qui va bientôt paraître[841]. Il est, dit-on, d’un bon prêtre ; il y a des endroits qui font frémir, et d’autres qui font pouffer de rire ; car, Dieu merci, l’intolérance est aussi absurde qu’horrible.

Mon cher frère m’enverra donc la petite feuille qu’on attribue à M.  Le Brun[842]. Mais est-il possible que Le Brun, qui m’adressait de si belles odes pour m’engager à prendre Mlle  Corneille, et m’envoie souvent de si jolis vers, ne soit qu’un petit perfide ?

Nous marions Mlle  Corneille à un gentilhomme du voisinage, officier de dragons, sage, doux, brave, d’une jolie figure, aimant le service du roi et sa femme, possédant dix mille livres de rente, à peu près, à la porte de Ferney. Je les loge tous deux. Nous sommes tous heureux. Je finis en patriarche. Je voudrais à présent marier Mme  Calas à deux conseillers au parlement de Toulouse.

On dit la comédie de M.  Dupuis fort jolie[843] ; cela est heureux. Le nom de notre futur est Dupuits. Frère Thieriot doit être fort aise de la fortune de Mlle  Corneille ; elle la mérite. Savez-vous bien que cette enfant a nourri longtemps son père et sa mère du travail de ses petites mains ? La voilà récompensée. Sa vie est un roman.

Je vous embrasse tendrement, mon cher frère. Écr. l’inf…, vous dis-je.


5159. — À MADAME DE FLORIAN.
À Ferney, 26 janvier.

Je perds les yeux, ma chère nièce, mais j’entrevois encore assez pour vous dire que j’aime presque autant votre petit Dupuits qu’il aime Mlle  Corneille. Voilà tous les dragons mariés : Dieu soit béni ! Il est plaisant qu’on joue à la Comédie le mariage d’un Dupuis. On dit la pièce très-jolie ; Dupuits l’est aussi : tout cela va le mieux du monde. Ô destinée ! voilà Mlle  Corneille heureuse. Daumart est couché sur le dos depuis deux ans et demi, toujours suppurant, sans pouvoir remuer ; il faut lui donner à manger comme à un enfant : quel contraste ! Soyez heureuse, vous et le grand écuyer de Cyrus. Le nombre des gens qui remercient Dieu est petit ; ceux qui se donnent au diable composent la grande partie de ce monde. Pour moi, je jouis du bonheur d’autrui, mais surtout du vôtre. Si vous écrivez à votre sœur, fourrez dans votre lettre un petit mot pour l’oncle, qui vous aimera tant qu’il respirera. Pourvu que nous sachions que vous vous portez bien, que vous vous réjouissez, nous sommes contents. Il faut aussi que les Calas gagnent leur procès. Bonsoir, bonsoir ; je n’en peux plus, et je vous embrasse tous deux.

5160. — À M.  DE CIDEVILLE.
À Ferney, le 26 janvier.

Mon ancien ami, votre jolie relation du mariage du jeune Dupuis nous vient comme de cire : car figurez-vous que nous marions Mlle  Corneille, dans quelques jours, à un jeune Dupuits[844] d’environ vingt-trois ans et demi, cornette de dragons, possédant environ huit mille livres de rente en fonds de terre à la porte de notre château, d’une figure très-agréable, de mœurs charmantes qui n’ont rien du dragon, La différence entre ce Dupuits et celui de la Comédie, c’est que le nôtre n’a point de père qui fasse des niches à ses enfants ; c’est un orphelin. Nous logeons chez nous l’orphelin et l’orpheline. Ils s’aiment passionnément ; cela me ragaillardit, et n’empêche pourtant pas que je n’aie une grosse fluxion sur les yeux, et que je ne sois menacé de perdre la vue comme Lamotte.

Avouez, mon ancien ami, que la destinée de ce chiffon d’enfant est singulière. Je voudrais que le bonhomme Pierre revînt au monde pour être témoin de tout cela, et qu’il vît le bonhomme Voltaire menant à l’église la seule personne qui reste de son nom. Je commente l’oncle, je marie la nièce ; ce mariage est venu tout à propos pour me consoler de n’avoir plus à travailler sur des Cid, des Horaces, des Cinna, des Pompée, des Polyeucte. J’en suis à Pertharite, ne vous déplaise. La commission est triste, et ce qui suit n’est pas trop ragoûtant. Il fallait que Pierre eût le diable au corps pour faire imprimer tous ces détestables fatras. Mlle  Corneille, avec sa petite mine, a deux yeux noirs qui valent cent fois mieux que les douze dernières pièces de l’oncle Pierre. L’avez-vous vue ? la connaissez-vous ? c’est une enfant gaie, sensible, honnête, douce, le meilleur petit caractère du monde. Il est vrai qu’elle n’est pas encore parvenue à lire les pièces de son oncle, mais elle a déjà lu quelques romans ; et puis vous savez comment l’esprit vient aux filles[845].

Adieu, mon cher et ancien ami ; je vous embrasse le plus tendrement du monde. V.

5161. — À M.  LE BRUN.
Ferney, 26 janvier.

Puisque à la réception de ma lettre, monsieur, vous ne m’avez pas envoyé un parent de Racine pour épouser Mlle  Corneille, nous avons pris un jeune cornette de dragons, de vingt-trois ans, d’une très-jolie figure, de mœurs charmantes, bon gentilhomme, mon voisin, possédant à ma porte environ dix mille livres de rente en terres. J’arrange ses affaires, je donne une dot honnête, je garde chez moi les mariés. Il est juste que vous ayez la première nouvelle de cet arrangement, puisque c’est à vous que je dois Mlle  Corneille. Il faut que votre nom soit au bas du contrat. Envoyez-moi un ordre par lequel vous me commettrez pour signer en votre nom.

Je ne sais pas où Mlles  Félix et de Vilgenou[846] demeurent. Je leur dois la même attention ; je vous supplie de leur faire rendre mes lettres, et de vouloir bien envoyer le paquet contenant leur réponse et la vôtre à M.  Damilaville, premier commis du vingtième, quai Saint-Bernard. Je quitte la plume pour la donner à une main plus agréable que la mienne.

« Vous êtes, monsieur, le premier auteur de mon bonheur, il m’en est plus précieux. Je me joins à M.  de Voltaire pour vous dire que je serai toute ma vie, avec la plus sensible reconnaissance, monsieur, votre très-humble et très-obéissante servante.


Corneille.

« Je présente mes obéissances à madame votre femme, que je n’oublierai jamais. »

Je ne sais où prendre M. Dumolard ; si vous le voyez, monsieur, je vous prie de vouloir bien l’assurer de mes sentiments. Mais soyez surtout persuadé de ceux que je vous ai voués bien sincèrement.

Il est plaisant que le nom de notre mari soit Dupuits, tandis qu’on donne le mariage de M. Dupuis à la Comédie. Cela est d’un bon augure : on dit que la pièce est très-jolie ; notre Dupuits l’est aussi.

Avouez, monsieur, que Mlle  Corneille a eu une étoile bien singulière, si tant est qu’on ait une étoile.

De tout mon cœur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire.

Mes respects à Mme  Le Brun.


5162. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
Ferney, 20 janvier.

Mes divins anges, nous marions donc Mlle  Corneille ! Il est très-juste de faire un petit présent au père et à la mère ; mais dès que ce père a un louis, il ne l’a plus ; il jette l’argent comme Pierre faisait des vers, très à la hâte. Vous protégez cette famille ; pourriez vous charger quelqu’un de vos gens de donner à Pierre le trotteur vingt-cinq louis à plusieurs fois, afin qu’il ne jetât pas tout en un jour ? Je vous demande bien pardon ; je sais à quel point j’abuse de votre bonté, mais on n’est pas ange pour rien.

Nota bene qu’on pourrait confier cet argent à la mère, qui le ferait durer.

Il y a plus. Vous sentez combien il doit être désagréable à un gentilhomme, à un officier, d’avoir un beau-père facteur de la petite poste dans les rues de Paris, Il serait convenable qu’il se retirât à Évreux avec sa femme, et qu’on lui donnât un entrepôt de tabac, ou quelque autre dignité semblable qui n’exigeât ni une belle écriture ni l’esprit de Cinna. Je vous soumets ma lettre[847] aux fermiers généraux : si vous la trouvez bien, je vous supplie de vouloir bien ordonner qu’elle soit envoyée. Peut-être même on trouverait quelque membre de la compagnie pour l’appuyer.

Cet emploi n’aurait lieu, si on voulait, que jusqu’à ce qu’on vît clair dans les souscriptions, et qu’on put assurer une subsistance honnête au père et à la mère. Je crois aussi qu’il est convenable que j’écrive à M.  de La Tour-du-Pin, et que Marie écrive aussi un petit mot, quoiqu’elle dise à Mme  Denis : « Maman, je n’ai pas de génie pour la composition. »

« Il est vrai que, pour la composition, ce n’est pas mon fort ; mais pour les sentiments du cœur, je le dispute aux héros de mon oncle : je conserverai toute ma vie la reconnaissance que je dois aux anges de M.  de Voltaire, qui sont les miens. Je vous prie, monsieur et madame, d’agréer, avec votre bonté ordinaire, mon attachement inviolable, mon respect, et, si vous le permettez, la tendresse avec laquelle je serai toute ma vie votre très-humble et très-obéissante et très-obligée servante.


« Corneille. »

D’ordinaire, elle forme mieux ses caractères ; mais aujourd’hui la main lui tremble. Mes anges lui pardonneront sans doute.

J’ai cru aussi qu’il était bon qu’elle écrivît à M.  le comte de La Tour-du-Pin, son parent. Il y a un petit mot pour son frère ; il ne le mérite guère, après la manière indigne dont il s’est conduit si chrétiennement[848] à l’aide de Fréron ; mais cet abbé avait mis deux lignes au bas d’une lettre du comte, à la mort de leur père ; ainsi on peut faire ici mention de lui, et cela est honnête.

P. S. On n’a eu la lettre, pour père et mère, qu’après avoir fermé le gros paquet. Mes anges auront donc toute l’endosse. Personne ne sait ici où demeure le cousin issu de germain des Horaces et de Cinna. Mes anges ont du crédit ; ils protègent Marie, et ils feront trouver père et mère ; ils remettront entre les mains de nos anges l’extrait baptistaire demandé, supposé qu’il y en ait un. S’il n’y en a point, nous nous en passerons très-bien. Le sacrement du baptême est peu de chose en comparaison de celui du mariage.


5163. — À M.  LEKAIN.
À Ferney, 27 janvier.

En attendant, mon grand acteur, que j’érige un monument à Corneille, Racine, et Molière, je fais une œuvre plus plaisante : je marie la nièce de Corneille ; et ce qu’il y a de bon, c’est que, tandis qu’on joue Dupuis à la Comédie, je la marie à un Dupuits. Ce n’est pas le vieux Dupuis, c’est un jeune gentilhomme, officier de dragons, dont les terres touchent précisément les miennes. Je garde chez moi futur et future ; et, quand vous viendrez nous voir, nous jouerons tous la comédie. Je ferai l’aveugle à merveille, car je le suis ; mais je ne dirai pas :


Dieu, qui fait tout pour le mieux,
M’a fait une grande grâce

De m’avoir crevé les yeux,
Et réduit à la besace.


Je vous embrasse de tout mon cœur.


5164. — À M.  DEBRUS[849].
R[eçue] le 30 janvier (1763).

Je regarde, monsieur, la saisie faite à Montpellier comme une insolence punissable[850]. Des mémoires juridiques, signés de quinze avocats, présentés au conseil, sont assurément plus respectables que l’arrêt du parlement de Toulouse. C’est intervertir l’ordre de la justice que de supprimer des factums d’avocats qui demandent justice. Le parlement de Toulouse n’en a pas le droit. Mais il veut éloigner les coups qu’on lui porte, et par cela même il fait voir qu’il les mérite. Celle démarche, Dieu merci, le rendra odieux au conseil ; il pense sauver son malheureux honneur, et il se couvre de honte. Laissez faire, nous aurons justice.


5165. — À M.  DEBRUS[851].
R[eçue] le 30 janvier (?) 1763.

Il faut que je vous dise, monsieur, ce que vous savez peut-être, que M. de Beaumont ayant travaillé deux heures tête à tête avec le rapporteur[852], ils ont été si contents l’un de l’autre qu’ils se sont embrassés. Ce M. de Beaumont est une belle âme. Il a fait une petite collecte, et l’a portée à Mme  Calas. Cet exemple a été suivi de quelques personnes. Jugez à présent si nous devons craindre les fanatiques. Comptez que vous viendrez glorieusement à bout de ce que vous avez si généreusement entrepris. Ce sera un beau jour que celui où nous apprendrons la décision du conseil ! V.


Vendredi soir.

5166. — À. M.  DAMILAVILLE.
30 janvier.

M.  de Beaumont, mon cher frère, est donc aussi un de nos frères. Il n’y a qu’un philosophe qui puisse faire tant de bien. Il se trouvera que Mme  Calas aura beaucoup plus d’argent qu’elle n’en aurait eu en reprenant tranquillement sa dot et son douaire. Tout cela est d’un bien bon augure pour la révision. Nous sommes dans un étrange temps, où il faut craindre qu’un parlement ne falsifie les pièces !

Aurai-je l’Appel à la Raison[853], pour lequel on dit que Kroust et Griffet, et feu Berner, sont décrétés ? Toute cette aventure de jésuites fait rire les philosophes, car il est permis au sage de rire. Il y a un grand malheur pour la Poule à ma tante[854] : c’est qu’il n’y a jamais eu de tante qui voulût que sa poule ne pondît point. Ce qui n’est pas dans la nature ne peut jamais plaire. Le conte est trop long et trop faible ; cette poulaille-là ne doit pas faire fortune.

Je prie mon cher frère de faire parvenir cette lettre à frère Protagoras[855]. Frère Helvétius est-il à Paris ? Il faudrait l’engager à faire quelque chose d’honnête, à condition qu’il ne demanderait point de privilège[856].

Frère Platon est occupé à son Encyclopédie ; mais n’y a-t-il point quelque bon frère qui puisse rendre service ? Écr. l’inf…, vous dis-je.


5167. — À M.  LE PRÉSIDENT DE RUFFEY[857],
Ferney, 30 janvier 1763.

En qualité de quinze-vingt, je ne vous écrirai point de ma main, mon cher monsieur ; je bénis Dieu des rigueurs de M. de Colmont le père : il s’est trouvé sur-le-champ un jeune gentilhomme, mon voisin, n’ayant ni père ni mère, et dont les terres touchent précisément les miennes[858]. Il n’est, à la vérité, que cornette de dragons, mais il l’a emporté sur le capitaine, et je fais dans quelques jours le mariage de Mlle  Corneille. Je n’ai point d’enfants, et je m’en suis fait ; je suis heureux du bonheur des autres, et c’est la consolation de ma vieillesse.

Je souhaite passionnément que M. de La Marche rende la sienne heureuse en finissant pour jamais toute discussion avec monsieur son fils. L’un et l’autre perdraient de leur considération à disputer davantage. C’est à eux à être arbitres, et non à avoir besoin d’arbitres.

En vous remerciant de l’épigramme sur le cocu du parlement de Toulouse. Je souhaite que ce soit un des juges des Calas ; mais des cornes et des chansons sont une punition trop légère de l’abominable jugement qu’ils ont rendu.

J’espère que, dans huit jours, nous obtiendrons la révision au conseil ; mille accidents nous ont retardés.

Pour les jésuites, je les trouve des fous ; il faut avoir bien peu de raison pour se plaindre de retrouver sa liberté avec un justaucorps et une pension ; mais l’esprit de corps et l’esprit de parti seront toujours plus forts que la philosophie. Ils ont imprimé une grande déclamation, intitulée Apologie générale, qui ne leur fera pas de nouveaux amis : ils y disent tant de bien d’eux et tant de mal de leurs adversaires ; ils sont si fiers dans ce qu’ils appellent leur malheur ; ils se regardent comme des gens si considérables et si nécessaires au monde, qu’on serait tenté de les humilier encore davantage. Ce n’est pas le tout d’être chassé, il faut encore être modeste.

Je voudrais bien que votre parlement se remît un peu à être Perrin Dandin[859]. J’ai une cause à lui mettre ès mains, non pas pour moi, mais pour gens dont on a pris le bien, et qui ne peuvent mais des querelles du parlement avec les élus[860].

Adieu, monsieur ; mes respects très-humbles à madame votre femme. Comptez sur la tendre amitié de votre très-humble obéissant serviteur. V.

5168. — À M.  DEBRUS[861].

C’est apparemment, monsieur, quelqu’un de la Salle, village des Cévennes, et non M. de Lasalle, conseiller au parlement, qui a écrit la lettre dont vous m’avez envoyé l’extrait[862]. La réflexion sur la servante me paraît décisive, et je vais écrire sur-le-champ qu’on insiste beaucoup sur cette preuve, qui doit faire impression sur les juges, quoiqu’elle ne soit pas à la rigueur dans l’ordre judiciaire.

Au reste, je voudrais qu’on se tînt tranquille jusqu’au jour de la décision ; il n’y a plus rien à faire qu’à attendre le jugement, et j’ose encore une fois être certain qu’il sera favorable. Je vais écrire aux avocats pour les engager à présenter requête contre l’insolence des juges languedochiens qui font saisir un mémoire d’avocats comme un libelle. Cette tyrannie n’est pas tolérable, et tout ce qui est tyrannie me déplaît terriblement. Je vous embrasse de tout mon cœur.

P. S. L’embrassade[863] a été faite dans une audience particulière donnée à M. de Beaumont.

Au dos : Fin de janvier 1763.

5169. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
30 janvier.

Vraiment, mes anges, j’avais oublié de vous supplier d’empêcher François Corneille, père, de venir à la noce. Si c’était l’oncle Pierre, ou même l’oncle Thomas, je le prierais en grande cérémonie ; mais pour François, il n’y a pas moyen. Il est singulier qu’un père soit un trouble-fête dans une noce ; mais la chose est ainsi, comme vous savez. On prétend que la première chose que fera le père, dès qu’il aura reçu quelque argent, ce sera de venir vite à Ferney : Dieu nous en préserve ! Nous nous jetons aux ailes de nos anges pour qu’ils l’empêchent d’être de la noce. Sa personne, ses propos, son emploi, ne réussiraient pas auprès de la famille dans laquelle entre Mlle  Corneille. M.  le duc de Villars, et les autres Français qui seront de la cérémonie, feraient quelques mauvaises plaisanteries. Si je ne consultais que moi, je n’aurais assurément aucune répugnance ; mais tout le monde n’est pas aussi philosophe que votre serviteur, et, patriarcalement parlant, je serais fort aise de rendre le père et la mère témoins du bonheur de leur fille.

C’est bien de la faute du père de M.  Cormont, si un autre que lui épouse Mlle  Corneille ; il a été un mois sans lui répondre, et enfin sa mère a écrit à M.  Micault quand il n’était plus temps. Il faut avouer aussi que ce Cormont s’est conduit de la manière la plus gauche. Enfin il n’était point aimé, et notre petit Dupuits l’est ; il n’y a pas à répondre à cela.

Je ne cesse d’importuner mes anges, et de leur demander pardon de mes importunités : c’est ma destinée ; mais que M.  d’Argental me parle donc de ses yeux ! car, comme je suis en train de perdre les miens, je voudrais savoir en quel état les siens se trouvent. Il ne m’en dit jamais mot ; cela vaut pourtant la peine qu’on en parle.

5170. — À M.  THIROUX DE CROSNE[864],
maitre des requêtes, etc.
À Ferney, le 30 janvier.

Monsieur, je me crois autorisé à prendre la liberté de vous écrire ; l’amour de la vérité me l’ordonne.

Pierre Calas accusé d’un fratricide, et qui en serait indubitablement coupable si son père l’eût été, demeure auprès de mes terres : je l’ai vu souvent. Je fus d’abord en défiance ; j’ai fait épier, pendant quatre mois, sa conduite et ses paroles ; elles sont de l’innocence la plus pure et de la douleur la plus vraie. Il est près d’aller à Paris, ainsi que sa mère, qui n’a pu ignorer le crime, supposé qu’il ait été commis, qui, dans ce cas, en serait complice, et dont vous connaissez la candeur et la vertu.

Je dois, monsieur, avoir l’honneur de vous parler d’un fait dont les avocats n’étaient point instruits ; vous jugerez de son importance.

La servante catholique, et qui a élevé tous les enfants de Calas, est encore en Languedoc ; elle se confesse et communie tous les huit jours[865] ; elle a été témoin que le père, la mère, les enfants, et Lavaysse, ne se quittèrent point dans le temps qu’on suppose le parricide commis. Si elle a fait un faux serment en justice pour sauver ses maîtres, elle s’en est accusée dans la confession ; on lui aurait refusé l’absolution ; elle ne communierait pas. Ce n’est pas une preuve juridique ; mais elle peut servir à fortifier toutes les autres ; et j’ai cru qu’il était de mon devoir de vous en parler.

L’affaire commence à intéresser toute l’Europe. Ou le fanatisme a rendu une famille entière coupable d’un parricide, ou il a fasciné les yeux des juges jusqu’à faire rouer un père de famille innocent : il n’y a pas de milieu. Tout le monde s’en rapportera à vos lumières et à votre équité.

J’ai l’honneur d’être avec respect, etc.

5171. — À M.  DEBRUS[866].

Je pense qu’il est absolument nécessaire que la servante de Mme  Calas vienne chez moi. Elle y sera très-bien, on lui donnera des gages plus forts qu’à Toulouse. On les lui assurera pour sa vie. On aura soin d’elle si elle tombe malade.

Elle pourra répondre devant mon juge, que je ferai déléguer par le conseil pour recevoir ses dépositions[867].

Alors on pourra, en vertu de ses dépositions, faire un nouveau mémoire qui, résumant tous les autres, achèvera de convaincre le conseil et le public.


5172. — À M.  DE CHEINEVIÈRES.
Janvier.

Je vous donne avis, mon cher ami, que je marie Mlle  Corneille. Je deviens aveugle ; mais ce ne sera pas moi qui jouerai dans cette affaire le rôle de l’Amour : c’est un jeune gentilhomme de mon voisinage[868], dont les terres touchent les miennes ; il a environ huit mille livres de rente ; il est sage et doux, fort aimable, fort amoureux, et fort aimé. Je me flatte qu’ils seront tous deux heureux chez moi ; leur bonheur fera le mien : je finis ma vie en vrai patriarche. Que dites-vous de la destinée de Mlle  Corneille ? Ne la trouvez-vous pas singulière ? Une nouvelle singularité, c’est que l’on joue Dupuis à la Comédie française, et que mon gendre s’appelle Dupuits. Je crois que vous et la sœur du pot[869] vous vous intéressez à cette nouvelle. Voilà l’occasion de faire de ces jolis vers dont vous me favorisez quelquefois. Pour moi, je peux faire des mariages, mais je ne puis plus faire d’épithalames.

Je vous embrasse du meilleur de mon cœur.

5173. — DE LOUIS-EUGÈNE,
duc de wurtemberg.
À Renan, ce 1er février.

Je préfère, monsieur, les marques que vous voulez bien me donner de votre amitié aux faveurs des héros et des rois. Celles-ci sont intéressées et trompeuses, tandis que j’ose regarder vos sentiments pour moi comme une sorte de récompense due au tendre attachement que je vous ai voué depuis si longtemps. Ce n’est pas d’aujourd’hui seulement que vous daignez m’aimer, et que je vous chéris et vous admire avec tout l’enthousiasme que vous savez si bien inspirer.

Je n’ai garde, monsieur, de charger mes épaules de l’orgueil d’un manteau ; son poids m’accablerait. D’ailleurs, c’est pour pouvoir être en veste que je suis venu habiter la Suisse. Cependant, comme la véritable philosophie consiste principalement dans la jouissance du bonheur, je me crois, lorsque je suis à Ferney, plus philosophe que Socrate et que vous-même : car j’ose penser que vous ne fûtes jamais aussi heureux que je le suis alors.

Encore suis-je heureux quand je me trouve auprès de la tendre épouse qui a su fixer mon cœur. Elle est simple, ingénue, pleine de douceur, de sens, et de vertus. Nous nous aimons avec une ardeur égale ; le jour elle est mon amie, la nuit je suis son amant, et nous ne nous souvenons du titre d’époux que parce qu’il constate notre bonheur, et que nous chérissons également tous les liens qui nous unissent davantage. Vous voyez bien, monsieur, que, dans ce sens, il m’est facile d’être un peu philosophe.

Les regards de ses deux grands yeux noirs pleins de feu vous exprimeraient bien plus vivement que ma faible plume la reconnaissance qu’elle vous porte de l’intérêt que vous daignez prendre à notre situation. Aussi espère-t-elle, quand sa santé le lui permettra, de venir à Ferney vous rendre cette espèce d’hommage, qui certes ne vous déplaira pas. Voilà, mon cher maître, les nouvelles les plus fraîches de mon cœur, sur lequel vous vous êtes acquis tant de droits. Elles ne ressemblent pas à celles de la gazette, car elles sont toutes bien vraies.

J’oubliais de vous dire que j’ai renoncé à toutes mes starosties. Je ne suis plus aujourd’hui que ce que j’ai toujours été, votre ami et votre admirateur ; et ces titres me sont bien plus chers que tous ceux que la vanité accorde.

C’est du fond de Renan et de nos brouillards que j’ose présenter mes hommages aux heureux habitants de Ferney. Sensible à l’honneur de leur souvenir et de leurs bontés, je me hâterai de venir les joindre, et de grossir votre cour le plus tôt qu’il me sera possible.

Que le papa daigne se charger de mes vœux pour son aimable fille[870]. Je désire que le nouvel état qu’elle va embrasser la rende aussi heureuse que je le suis. C’est tout ce que je peux lui souhaiter de plus agréable et de plus doux. Je l’aime, puisqu’elle paraît ajouter à votre gloire la réputation de bienfaisance que vos actions respirent autant que vos écrits immortels.

Recevez les assurances de l’amitié la plus sincère et la plus invariable.


5174. — À M.  COLINI.
À Ferney, 1er février.

Je fais un effort pour tous écrire, mon cher Colini : car je vois à peine mon papier. Je deviens aveugle ; et si jamais je fais ma cour à Leurs Altesses électorales, je me ferai conduire par un petit chien. Si vous êtes dans l’intention d’imprimer Olympie, je vous prie de faire une petite préface par laquelle il paraisse, et comme il est vrai, que je n’ai nulle part à l’impression. Si mes amis de Paris pouvaient s’imaginer que je fais imprimer cette pièce en pays étranger, au lieu de la donner en France, ils m’en sauraient mauvais gré avec raison. Je vous assure d’ailleurs que l’ouvrage acquerra un nouveau prix, s’il en a quelqu’un, par une préface de votre main. Je vous serai plus obligé que vous ne me l’êtes. Addio, caro !


5175. — À M.  DAMILAVILLE.
1er février.

J’ai pris la liberté, mon cher frère, d’écrire à M.  d’Aguesseau et à M.  de Crosne[871] la lettre dont je vous envoie copie. Je ne sais si MM. de Beaumont, Mariette et Loyseau, ne feraient pas bien de présenter requête contre l’insolence du présidial de Montpellier, qui a fait saisir leurs factums. Il me semble que c’est outrager à la fois le conseil à qui on les a présentés, et les avocats qui les ont faits. Si les avocats n’ont pas le droit de plaider, il n’y aura donc plus ni droit ni loi en France. Je m’imagine que ces trois messieurs ne souffriront pas un tel outrage. Il n’appartient qu’aux juges devant qui l’on plaide de supprimer un factum, en le déclarant injurieux et abusif ; mais ce n’est pas assurément aux parties à se faire justice elles-mêmes. J’espère surtout que cette démarche du présidial de Montpellier, commandée par le parlement de Toulouse, sera une excellente pièce en faveur des Calas. On ne doit plus regarder les juges du Languedoc que comme des criminels qui cherchent à écarter les preuves de leur crime des yeux de leur province.

Je serais bien fâché, mon cher frère, que le libraire Cramer eût apporté un exemplaire de l’Essai sur les Mœurs à Paris, s’il l’avait déposé en d’autres mains que les vôtres : non-seulement il y manque les cartons nécessaires pour les fautes d’impression, mais pour les miennes. Nous étions convenus, malgré la loi de l’histoire, de supprimer des vérités, et surtout celles dont vous me parlez ; les corrections sont faites, mais elles ne sont pas placées dans les quatre tomes qui sont entre vos mains. Donnez-vous, à votre loisir, mon cher frère, le plaisir ou le dégoût de les parcourir ; et si vous y trouvez quelque vérité qu’il faille encore immoler aux convenances, ayez la bonté de m’en avertir.

Que cette édition soit munie ou non d’une permission, qu’elle entre ou non dans le royaume, c’est l’affaire des Cramer, et non la mienne ; je leur ai fait présent du manuscrit : ils entendent assez bien leurs intérêts pour débiter leur marchandise.

Catherine s’immortalise par sa lettre[872], et frère d’Alembert par ses refus. Ainsi donc on avertit de mille lieues notre ministère que nous avons dans notre patrie des hommes d’un génie supérieur.

C’est une aventure assez comique que celle que j’ai eue avec Pindare[873] Le Brun, en vous envoyant un paquet pour lui[874], dans le temps que vous me dépêchiez ses rabâchages contre moi. Je lui fais part, dans ce paquet, du mariage de Mlle  Corneille, qui est le fruit de sa belle ode ; je lui envoie des lettres pour Mlle  de Vilgenou et Félix, nièces de M.  du Tillet, qui, les premières, tirèrent Mlle  Corneille de son état malheureux, et auxquelles elle doit une reconnaissance éternelle. Je l’accable de politesses qui doivent lui tenir lieu de châtiment.

Je vous embrasse bien cordialement, mon cher frère. Écr. l’inf…

Je rouvre ma lettre pour supplier mon frère de faire parvenir mon certificat de vie à Delaleu, notaire : car enfin je suis en vie encore, et c’est assurément pour vous aimer.

5176. — À MADAME LA MARGRAVE DE BADE-DOURLACH.
Au château de Ferney, par Genève, 4 février.

Madame, j’aime mieux avoir l’honneur d’écrire à Votre Altesse sérénissime d’une main étrangère que de ne vous point écrire du tout. Je deviens presque aveugle, et il ne faut pas l’être quand on veut faire sa cour à Carlsruhe. J’apprends avec bien de la douleur que Votre Altesse sérénissime a été malade tout comme une autre ; la beauté et le mérite ne guérissent de rien ; les médecins ne guérissent pas davantage ; il n’y a que le régime qui rétablisse la santé.

Je ne suis point en état, madame, de venir me mettre à vos pieds : que feriez-vous d’un vieil aveugle ? Mais si quelqu’un de mes enfants peut trouver grâce devant vos yeux, ils viendront demander votre protection.

Je marie dans quelques jours la nièce de Pierre Corneille à un jeune gentilhomme de mon voisinage ; la consolation de la vieillesse est de rendre la jeunesse heureuse. S’il faisait plus beau, et si j’étais moins décrépit, je mènerais la noce danser devant votre château, comme faisaient les anciens troubadours ; nous y chanterions les plaisirs de la paix, dont l’Allemagne avait besoin comme nous.

J’espère dans quelques semaines envoyer à vos pieds le second tome de la Vie de Pierre le Grand, ne pouvant le porter moi-même. Votre Altesse sérénissime y verra des choses assez curieuses ; mais ma plume ne vaut pas vos crayons, et mes peintures ne valent pas vos pastels.

La czarine régnante a grande envie d’imiter la reine Christine, non pas en abdiquant, mais en cultivant les arts et les sciences ; on la dit fort belle et fort aimable ; voilà quatre impératrices tout de suite : cela tourne un peu la loi salique en ridicule. Pour moi, madame, depuis que j’ai eu l’honneur de vous faire ma cour, j’ai toujours souhaité que les femmes gouvernassent.

Agréez le profond respect avec lequel je serai toute ma vie, madame, de Votre Altesse sérénissime, etc.


5177. — À M.  D’ALEMBERT.
4 février.

Mon cher et illustre confrère, il semble que si quelques pédants ont attaqué en France la philosophie, ils ne s’en sont pas bien trouvés, et qu’elle a fait une alliance avec les puissances du Nord. Cette belle lettre de l’impératrice de Russie[875] vous venge bien ; elle ressemble à la lettre que Philippe écrivit à Aristote le jour de la naissance d’Alexandre.

Je me souviens que, dans mon enfance, je n’aurais pas imaginé qu’on écrirait un jour de pareilles lettres de Moscou à un académicien de Paris. Je suis du temps de la création, et voilà quatre femmes de suite[876] qui ont perfectionné en Russie ce qu’un grand homme y avait commencé. Votre galanterie française doit quelques compliments au sexe féminin sur cette singularité dont l’histoire ne fournit aucun exemple. La belle lettre que celle de Catherine ! Ni sainte Catherine de Sienne, ni sainte Catherine de Bologne, ni sainte Catherine d’Alexandrie, n’en auraient jamais écrit de pareilles. Si les princesses se mettent ainsi à cultiver leur esprit, la loi salique n’aura pas beau jeu. Ne remarquez-vous pas que les grands exemples et les grandes leçons nous viennent du Nord ? Les Newton, les Locke, les Gustave, les Pierre le Grand, et gens de cette espèce, ne furent point élevés à Rome dans le collège de la Propagande.

J’ai parcouru, ces jours derniers, une grosse apologie des jésuites pleine d’ithos et de pathos[877]. On y fait le dénombrement des grands génies qui illustrent notre siècle ; ils sont tous jésuites. C’est, dit l’auteur, un Perusseau, un Neuville, un Griffet, un Chapelain, un Baudori, un Buffier, un Desbillons, un Castel, un La Borde, un Briet, un Pezenas, un Garnier, un Simonet, un Huth, et enfin ce Berthier, ajoute-t-on, qui a été si longtemps l’oracle des gens de lettres[878].

Je suis assez comme M.  Chicaneau[879], je ne connais pas un de ces gens-là, excepté frère Berthier, que je croyais mort sur le chemin de Versailles[880] ; mais enfin je suis ravi que la France ait encore tant de grands hommes.

On dit aussi que l’on compte parmi ces sublimes génies un M.  Le Roi, prédicateur de Saint-Eustache, qui prêche contre les philosophes avec l’éloquence du révérend père Garasse[881].

À vous parler sérieusement, je trouve que si quelque chose fait honneur à notre siècle, ce sont les trois factums de MM. Mariette, Élie de Ceaumont, et Loyseau, en faveur de la famille infortunée des Calas.

Employer ainsi son temps, sa peine, son éloquence, son crédit, et, loin de recevoir aucun salaire, procurer des secours à des opprimés : c’est là ce qui est véritablement grand, et ce qui ressemble plus au temps des Cicéron et des Hortensius qu’à celui de Briet, de Huth, et de frère Berthier. Je m’embarrasse fort peu du jugement qu’on rendra, car, Dieu merci, l’Europe a déjà jugé, et je ne connais de tribunal infaillible que celui des honnêtes gens de différents pays, qui pensent de même, et composent, sans le savoir, un corps qui ne peut errer, parce qu’ils n’ont pas l’esprit de corps.

Je ne sais ce que c’est que le petit libelle[882] dont vous me parlez[883], où l’on me dit des injures à propos d’un examen de quelques pièces de Crébillon.

Je ne connais ni cet examen ni ces injures ; j’aurais trop à faire s’il fallait lire tous ces rogatons. Pierre le Grand et le grand Corneille m’occupent assez : j’en suis malheureusement à Pertharite, et je marie sa nièce pour me consoler. Nous mettrons dans le contrat de mariage qu’elle est cousine germaine de Chimène, et qu’elle ne reconnaît pour ses parents ni Grimoald ni Unulphe[884].

Elle pourra bien avoir fait un enfant avant que l’édition soit achevée. Beaucoup de grands seigneurs ont souscrit très-généreusement ; les graveurs disent que leurs noms ne sont pas des lettres de change.

J’envoie à l’Académie l’Hèraclius espagnol, que j’ai traduit de Calderon, et qui est imprimé avec l’Hèraclius français. Vous jugerez quel est l’original de Calderon ou de Corneille ; vous pâmerez de rire. Cependant vous verrez qu’il y a de temps en temps dans le Calderon de bien brillantes étincelles de génie. Vous recevrez aussi bientôt une certaine Histoire générale. Le genre humain y est peint cette fois de trois quarts ; il ne l’était que de profil aux autres éditions. Quoique je sois bien vieux, j’apprends tous les jours à le connaître.

Adieu, mon illustre philosophe ; je suis obligé de dicter, je deviens aveugle comme Lamotte ; quand l’abbé Trublet le saura[885], il trouvera mes vers meilleurs[886].


5178. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
À Ferney, 6 février.

Nous commençons par dire que nos anges sont toujours aussi injustes qu’adorables. Ils ont condamné Marie Corneille pour n’avoir point écrit depuis longtemps à père et mère, à Mlles  de Vilgenou et de Félix, et même à l’étonnant Le Brun ; et cependant Marie avait rempli tous ses devoirs, sans oublier même ce Le Brun.

Nos anges gardiens condamnent ladite Marie pour n’avoir point demandé le consentement de père et mère à son mariage ; et nos anges doivent avoir entre leurs mains la lettre de Marie à père et mère, accompagnée de la mienne[887].

Nos anges ont condamné M. Dupuits pour n’avoir point écrit au beau-père et à la belle-mère futurs ; et la lettre de M. Dupuits doit avoir été adressée à nos anges mêmes : M. Dupuits m’assure qu’il a pris cette liberté.

Il ne nous manque que de savoir la demeure du père Corneille : car, jusqu’à ce que nous soyons instruits, nous ne pouvons mettre qu’à monsieur, monsieur Corneille, dans les rues.

Vous demandez les noms et qualités du gendre et de ses père et mère, et vous devez les avoir reçus avec une lettre de Mme  Denis et une de M.  Dupuits. Il ne me reste qu’à vous demander pardon pour Mme  Denis, qui oublia d’envoyer le paquet à l’adresse de M. de Courteilles.

Vous voyez donc, mes chers anges, que nous avons rempli tous nos devoirs dans la plus grande exactitude. Je vous confie que Mme  Denis craint beaucoup que la tête de François Corneille ne ressemble à Pertharite, Agèsilas, Surèna, et ne soit fort mal timbrée. Je n’ai su que depuis quelques jours que, dans le voyage que fît chez moi François Corneille lorsque j’étais très-malade, François dit à Marie : « Gardez-vous surtout de vous marier jamais ; je n’y consentirai point : fuyez le mariage comme la peste ; ma fille, point de mariage, je vous en prie. »

Je vous confie encore une autre douleur de Mme  Denis ; elle tremble que les réponses ne viennent pas assez tôt, qu’elle ne soit obligée de marier Marie en carême, qu’il faille demander une permission à l’évêque d’Annecy, difficile à obtenir ; que ses perdrix de Valais, ses coqs de bruyère, ne soient inutiles, et qu’on ne soit réduit à manger des carpes et des truites un jour de noce, attendu que M. le comte d’Harcourt et compagnie, qui seront de la noce, sont d’excellents catholiques. Pour moi, qui ne suis ni papiste ni huguenot, et qui depuis un mois ne me mets point à table, j’avoue ingénument que je suis de la plus grande indifférence sur le gras et sur le maigre :


Je ne sers ni Baal, ni le Dieu d’Israël[888] ;


et je ne mange ni coq de bruyère ni truite.

Je suis profondément affligé que Son Altesse Philibert Cramer se soit mêlée de la négociation entre monsieur le contrôleur général et M. Tronchin, pour la souscription du roi ; je l’avais priée, par son frère le libraire, de n’en rien faire, parce qu’il ne tenait qu’à moi de toucher huit mille livres du roi pour Mlle  Corneille par les mains de M. de La Borde, et qui s’en serait bien fait rembourser. Il aurait donné même dix mille livres.

Vous avez très-grande raison, mes divins anges, de dire que les rentes viagères ne conviennent point. Je vois que Philibert veut avoir pour lui les rentes viagères, et payer les dix mille livres ; je suis bien aise qu’il soit en état de faire ces virements de parties, et qu’il ait fait avec moi cette petite fortune.

À l’égard de Sa Majesté, si nous pouvions obtenir qu’il fût permis de mettre dans le contrat qu’elle daigne donner huit ou dix mille livres, cela n’empêcherait pas de lui envoyer tant d’exemplaires de Corneille qu’elle en voudrait ; ce serait seulement une chose très-honorable pour Mlle  Corneille, pour les lettres, et pour nous. J’en ai écrit à M. le duc de Choiseul[889]. Si la chose se fait, tant mieux ; sinon il faudra se consoler comme de toutes les choses de ce monde, et assurément le malheur est léger.

Toutes ces terribles affaires, mes divins anges, n’empêcheront point que vous n’ayez l’amoureuse Zulime, le bon Bénassar, et le froid Ramire, avec la manière absolument nécessaire dont il faut jouer la dernière scène. Cela sera joint à une petite préface, en forme de lettre[890], à la demoiselle Clairon, attendu que la pièce est tout amour, et que nous disserterons beaucoup sur cette passion agréable et honnête. Daignez donc me mander quand vous voudrez jouer Zulime, et alors tous vos ordres seront exécutés.

Je reviens, avec votre permission, mes anges, à notre mariage, qui m’intéresse plus que celui d’Atide et de Ramire. En voilà déjà un de rompu[891] ; il ne faut pas qu’il arrive la même chose à l’autre. Est-il vrai que François Corneille soit aussi têtu qu’imbécile, et diamétralement opposé à l’hymen de Marie ? En ce cas, il faudrait lui détacher Mlle  Félix, qui sait comme il faut le conduire, et le mettre à la charrue sans qu’il regimbe ; mais je ne sais point la demeure de Mlle  Félix. Quand nous lui avons écrit[892], c’était par le canal du pindarique LeBrun. Nous ne savons encore si nos lettres ont été reçues, et il me paraît difficile que j’aie un commerce bien régulier avec cet élève de Pindare. Le mieux serait de ne point lâcher les vingt-cinq louis à François qu’il n’eût signé ; et si, par une impertinence imprévue, François refusait d’écrire tout ce qu’il sait, c’est-à-dire d’écrire son nom, alors François de Voltaire, qui est la justice même, le laisserait mourir de faim, et il ne tâterait jamais des souscriptions. Marie Corneille est majeure dans deux mois, nous la marierions malgré François, et nous abandonnerions le père à son sens réprouvé.

Calmez-vous, mes chers anges, sur la fatale feuille qui déplairait tant à messieurs[893]. Cette feuille n’a point été tirée, je l’ai bien empêché. Philibert Cramer a très-mal fait de la coudre à son exemplaire. Je sentis bien que ces mots : « Cent quatre-vingts membres se démirent de leurs charges ; les murmures furent grands dans la ville, et le roi fut assassiné[894] etc. ; » que ces mots, dis-je, pourraient faire soupçonner à des grammairiens que cet assassinat fut le fruit immédiat du lit de justice, comme en effet Damiens l’avoua dans ses interrogatoires à Versailles et à Paris. Je sais bien qu’il est permis de dire une vérité que le parlement a fait imprimer lui-même ; mais j’ai bien senti aussi que le parlement serait fâché qu’on vît dans l’histoire ce qu’on voit dans le procès-verbal. Cette seule particule et est un coup mortel. Un mot peut quelquefois causer un grand mal. Cette même particule, très-mal expliquée par M. de Silhouette dans le traité d’Utrecht, a causé la dernière guerre, dans laquelle nous avons perdu le Canada. Je ne perdrais pas même Ferney, car je l’ai donné à ma nièce ; mais malgré mon juste ressentiment contre l’infâme condamnation de la Loi naturelle[895] je fis jeter au feu cette feuille ; je mis à la place : « Ces émotions furent bientôt ensevelies dans une consternation générale, par l’accident le plus imprévu et le plus effroyable : le roi fut assassiné, le 5 de janvier, dans la cour de Versailles, etc. »

J’ai inséré même des choses trop flatteuses pour le parlement dans la même feuille ; et je dis expressément : « Le parlement faisait voir qu’il n’avait en vue que le bien de l’État, et qu’il croyait que son devoir n’était pas de plaire, mais de servir. » En un mot, j’ai tourné les choses de manière que, sans blesser la vérité, j’ai tâché de ne déplaire à personne. D’ailleurs, dans toute l’histoire de Damiens, je me borne uniquement à citer les interrogatoires. Au reste, l’ouvrage n’est pas encore achevé d’imprimer.

Ce dimanche 6, Sexagésime, nous venons de fiancer nos futurs ; de là je conclus qu’il faut que François se presse.

Voici, mes anges, une lettre de M. Dupuits, par laquelle il vous remercie de toutes vos bontés.

Je me prosterne devant mes deux anges gardiens.


5179. — À M.  DEBRUS[896].

J’ai l’honneur de renvoyer à M.  Debrus la lettre à M. Dumas, et j’ai pris la liberté d’ajouter quelques mots. Je ne sais point la demeure du fils de M. Lavaysse. Je supplie M. Debrus de lui faire parvenir ma réponse.

Une personne très-instruite m’a mandé qu’elle ne doutait pas que l’affaire ne fût renvoyée au conseil. Nous avons, en ce cas, tout lieu d’espérer que le sieur David sera au moins réprimandé, et peut-être condamné à payer les frais du procès si on l’attaque personnellement.

On me mande qu’il sera indispensable de faire paraître Pierre Calas, Lavaysse et la servante, et qu’il ne faudrait pas que cette servante eût demeuré chez moi, parce que malheureusement on ne sait que trop l’intérêt que j’ai pris à cette affaire ; nos ennemis auraient lieu de présumer que j’ai fait venir cette fille dans ma maison pour concerter ses réponses avec celles de Calas Pierre. J’ai trop de monde chez moi pour qu’elle y fût secrètement ; il est impossible que son séjour ne fût public. On sait de plus que je passe une partie de l’année dans le territoire de Genève ; les Senaux, les Labordes et Cassan[897], ne manqueraient pas de dire que cette servante est une huguenote déguisée qui a communié pendant trente ans pour se moquer de Dieu et des hommes.

Ces considérations me paraissent fortes et m’arrêtent ; je m’en rapporte à l’avis de M.  Debrus, que j’embrasse de tout mon cœur.


5180. — À MADAME LA COMTESSE D’ARGENTAL.
9 février.

Madame ange, nos lettres se croisent comme les conversations de Paris. Celle-ci est une action de grâces de la part de Mme  Denis, qui a un érésipèle, un point de côté, la fièvre, etc. ; de la part de mon cornette de dragons, qui se jette à vos pieds, et qui baise le bas de votre robe avec transport ; de la part de Marie Corneille, qui vous écrirait un volume si elle savait l’orthographe ; et enfin de la part de moi, aveugle, qui réunis tous leurs sentiments de respect et de reconnaissance. Il n’y a rien que vous n’ayez fait : vous échauffez les abbés de La Tour-du-Pin, vous allez exciter la générosité des fermiers généraux. Il n’y a qu’un point sur lequel j’ose me plaindre de vous : c’est que vous avez omis la permission de la signature d’honneur de mes deux anges. Je vous avertis que j’irai en avant, et que le contrat de Marie sera honoré de votre nom ; vous me désavouerez après si vous voulez.

J’ai reçu aujourd’hui une lettre de Mme  de Cormont. Elle demande pardon pour son dur mari ; elle me conjure de donner Mlle  Corneille à son fils ; je lui réponds que la chose est difficile, attendu que Mlle  Corneille est fiancée à un autre. Il y a de la destinée dans tout cela, et je crois fermement à la destinée, moi qui vous parle. Celle de M. Lefranc de Pompignan est de me faire toujours pouffer de rire (moi et le public, s’entend). Ô la plaisante chose que son sermon et la relation de sa dédicace[898] ! On est trop heureux qu’il y ait de pareilles gens dans le monde.

J’insiste pour que mon neveu d’Hornoy soit conseiller au parlement. Il ne fera jamais tant de bruit que l’abbé de Chauvelin ; mais enfin il sera tuteur des rois, et fera brûler son oncle tout comme un autre. En vérité, messieurs sont bien tendres aux mouches. S’ils criaient pour une particule conjonctive, je leur dirais : Messieurs, vous avez oublié la grammaire que les jésuites vous avaient enseignée.

Tout le public murmura, et le roi fut assassiné[899]. Quel rapport cette phrase peut-elle avoir avec le parlement de Paris ? Je présenterais requête au roi et à son conseil, comme les Calas, mais ce serait avant d’être roué ; et je ferais l’Europe juge entre le parlement et la grammaire. Je vous parle ainsi, mes anges, parce que je vous crois plutôt ministres d’un petit-fils de Louis XIV que partisans de la Fronde. Il est doux de dire ce qu’on pense à ses anges. Je vous avoue que je suis comme Platon ; je n’aime pas la tyrannie de plusieurs. Je sais que le parlement ne m’aime guère, parce que j’ai dit dans le Siècle de Louis XIV des vérités que je ne pouvais taire. Ce motif d’animosité n’est pas trop honorable. Je vous ai dit tout ce que j’avais sur le cœur ; cela me pesait. Mais que vos bontés pour moi ne s’alarment point ; je vous réponds qu’il ne subsiste aucune particule qui puisse déplaire.

Parlons du tripot pour vous égayer.

On dit que la très-sublime Clairon ne veut pas ôter le rôle de Mariamne à la très-dépenaillée Gaussin. Que voulez-vous ? ce n’est pas ma faute ; je ne peux rendre ni les hommes ni les filles raisonnables. Qui est-ce qui se rend justice ? Quel est le prédicateur de Saint-Roch qui ne croie surpasser Massillon ?

Je me rends justice, mes anges, en disant que mon cœur vous adore.


5181. — À M.  MOULTOU[900].

J’envoie à mon cher frère en un seul Dieu les deux petits chapitres que je viens de faire copier pour lui.

C’est aujourd’hui[901] que tout le conseil d’État décide entre les Calas et les huit juges toulousains. La décision n’est pas douteuse.

Mille tendres respects.

Je n’ai pas reçu la lettre à frère Le Tellier.


5182. — À M.  DAMILAVILLE.
Février.

Mais, mon Dieu, pourquoi un libraire est-il assez imbécile pour avoir son magasin chez lui ? Il était si aisé de dérober une petite brochure[902] aux yeux des infidèles et des fripons !

Voici pour amuser nos frères. Si cela n’est pas bon, du moins cela est gai. Je présume qu’on en donnera à frère d’Alembert. L’hymne est assez plaisant à chanter avec des accompagnements[903].

J’ai actuellement une bibliothèque sur l’abolition de la Société de Jésus. Avant-hier il y avait deux jésuites[904] chez moi avec une nombreuse compagnie ; nous jouâmes une parade, et la voici : j’étais monsieur le premier président, j’interrogeai mes deux moines ; je leur dis : « Renoncez-vous à tous les privilèges, à toutes les bulles, à toutes les opinions, ou ridicules ou dangereuses, que les lois de l’État réprouvent ? Jurez-vous de ne jamais obéir à votre général ni au pape, quand cette obéissance sera contraire aux intérêts et aux ordres du roi ? Jurez-vous que vous êtes citoyens avant d’être jésuites ? Jurez-vous sans restriction mentale ? » À tout cela ils répondirent : « Oui. » Et je prononçai : « La cour vous donne acte de votre innocence présente, et, faisant droit sur vos délits passés et futurs, vous condamne à être lapidés sur le tombeau d’Arnauld avec les pierres de Port-Royal, »

Je salue tous les frères : cependant écr. l’inf…

5183. — À M.  FYOT DE LA MARCHE[905].
À Ferney, 12 février 1763.

Comme je deviens un tant soit peu aveugle, monsieur, permettez que j’aie l’honneur de vous écrire par mon clerc. Nous marions demain Mlle  Corneille à un Bourguignon fort joli, officier de dragons de son métier, et fils d’un maître des comptes. Mes anges, M.  et Mme  d’Argental, ont si bien fait par toutes leurs bontés, ont tellement suppléé à notre ignorance d’une publication de ban qui devait se faire à Paris, que rien ne nous retarde plus. Un enfant qu’on dit plus aveugle que moi, et qui est beaucoup plus puissant, se mêle de la cérémonie ; nous avons signé le contrat de mariage ; j’ai usé de la permission que vous m’avez donnée d’assigner à Mlle  Corneille, désormais Mme  Dupuits, vingt mille livres sur la plus belle terre de Bourgogne. Comme il faut que je fasse apparoir et que j’annexe au contrat que ces vingt mille livres m’appartiennent, j’ai recours à vos bontés.

On nous flatte dans nos déserts que nous pourrons avoir incessamment le plaisir de nous ruiner à votre parlement. Si Mme  la comtesse de Pimbêche avait été Bourguignonne, elle serait morte de chagrin ces deux années-ci.

Je crois qu’on débusquera à la fin les jésuites nos voisins que vous connaissez[906]. Il y en a un pourtant[907] qui fait notre mariage demain à minuit. Je pense qu’il ne leur restera bientôt pour tout bien que des sacrements. On les lapide au bout de soixante et dix ans avec les pierres de Port-Boyal.

Conservez-moi vos bontés et agréez mon tendre respect. V.


5184. — À M.  DUCLOS.
Au château de Ferney, 12 février.

Je croirais, monsieur, manquer à mon devoir si je ne donnais part à l’Académie du mariage de l’unique héritière du nom de Corneille avec M. Dupuits, jeune gentilhomme plein de mérite, cornette de dragons dans le régiment de M. le duc de Chevreuse, gouverneur de Paris. Ses terres touchent aux miennes ; rien n’était plus convenable. C’est un établissement avantageux. Mlle  Corneille en est en partie redevable à la protection de l’Académie, qui a honoré en elle le nom du grand Corneille, et qui a favorisé les souscriptions de l’édition, à laquelle je travaille continuellement, en faveur de sa nièce.

Je crois qu’il serait honorable pour la littérature que l’Académie daignât m’autoriser à signer pour elle au contrat de mariage. Le nom de Corneille peut mériter cette distinction. Vous me donneriez permission, monsieur, de mettre le nom du secrétaire perpétuel, de la part de l’Académie[908] ; ou bien vous auriez la bonté de m’envoyer les noms de messieurs les académiciens présents, en m’autorisant à honorer le contrat de leurs signatures. Ce dernier parti me paraît d’autant plus convenable que je compte signer pour M.  le maréchal de Richelieu, comme doyen de l’Académie. J’attends les ordres de l’Académie, en laissant pour leur exécution une place dans le contrat.

Je vous prie, monsieur, de présenter à nos confrères mon profond respect.


5185. — À M.  MOULTOU[909].

Le sacrement de mariage[910] dont je suis occupé, monsieur, a un peu nui à la sacrée tolérance dont je voudrais m’occuper souvent avec vous.

J’ai l’honneur de vous renvoyer les livres que vous avez bien voulu me prêter. Je voudrais bien que le petit livret que je prépare n’eût pas leur sort. Sûrement, ces livres-là, quelque bons qu’ils puissent être, n’ont pas été lus à Versailles ; et la première loi, dans une affaire comme celle-ci, est de se faire lire par ses juges. Ce n’est pas encore assez, il faut avoir des gens qui parlent, et j’espère que nous en aurons. Vous endoctrinerez Mme  la duchesse d’Enville mieux que moi. Je vous prie, monsieur, de vouloir bien lui présenter mes profonds respects quand vous lui écrirez.

J’ai changé tout l’ouvrage, et je l’ai un peu augmenté pour le rendre plus curieux ; mais je ne sais si j’y aurai réussi. Je tâche d’y mettre des notes instructives pour éclaircir quelques passages de l’antiquité que je crains bien d’embrouiller, à la façon des commentateurs.

J’aurais voulu faire tout cela dans votre chambre, et vous consulter à chaque ligne, car je ne suis pas le premier théologien de ce monde, et votre éloquence m’aurait encore plus aidé que votre théologie.

J’ai envoyé à votre ami l’arien[911] un petit chapitre tout à fait édifiant, qu’il vous aura sans doute montré, car il ne me l’a point rendu. Ce n’est point dans l’arianisme que je crains de tomber, c’est dans quelque chose en isme qui est pire qu’une hérésie[912] ; mais si les malins y trouvent quelques traces de cet abominable isme, j’ai tant de confrères, et de grandissimes confrères, que j’espère être soutenu dans mon infamie.

Sérieusement parlant, je m’examine avec le plus grand scrupule ; je tâche de montrer les choses les plus absurdes avec le plus profond respect, de ne point donner prise, de présenter sans cesse aux hommes l’adoration d’un Dieu et l’amour du prochain.

Ayez la bonté, je vous en supplie, de donner au porteur la petite esquisse, et le tome du Corneille où est Hèraclius.

Permettez-moi de vous embrasser sans cérémonie, avec autant d’empressement que j’en ai d’avoir l’honneur de vous revoir.


Mardi matin.

5186. — DE M. D’ALEMBERT.
À Paris, ce 12 février.

Je commence à croire, mon cher et illustre maître, que le fanatisme pourrait bien avoir le même sort que l’empire romain, d’être détruit par les Tartares. Les souverains de la zone glaciale donneront ce grand exemple aux princes des zones tempérées ; et Fontenelle eût dit à Catherine qu’elle est destinée à être l’aurore boréale de l’Europe. En attendant, je ris, à part moi, de la manière dont les choses sont arrangées dans ce meilleur des mondes possibles : au Midi, la philosophie persécutée, vilipendée sur le théâtre ; au fond du Nord, une princesse qui la protège et qui la cultive :


C’est dommage, Garo, que tu n’es point entré
Au conseil de celui que prêche ton curé :
Tout en eût été mieux[913].


J’ai bien pour que Catherine d’Alexandrie, qui confondit, comme vous savez, les philosophes avec tant de succès, ne voie de fort mauvais œil l’accueil que leur fait Catherine de Russie, et ne se récuse pour sa patronne. Il faut espérer que la cour de Pétersbourg sera plus fidèle au traité qu’elle fait avec la philosophie, qu’elle ne l’a été à ceux qu’elle a faits avec le cardinal de Bernis. Il est vrai que le fruit de ces derniers a été de faire égorger un million d’hommes, et que la philosophie aura peut-être le bonheur d’en éclairr un plus grand nombre. Je ne sais pourtant si jusqu’ici elle doit se réjouir ou s’affliger, tant ses succès sont équivoques, du moins sur les bords de la Seine. Expliquez-moi par quelle fatalité la philosophie ne peut se résoudre à quitter ses bords, malgré les dégoûts qu’elle y éprouve et le peu de prosélytes qu’elle y fait. Les philosophes sont comme la femme du Médecin malgré lui[914], qui veut que son mari la batte. Il est vrai que, pour se dédommager, ils viennent de faire donner aux jésuites quelques coups de bâton, et qu’ils se flattent même d’être au moment d’en faire maison nette ; il faudra voir ce que cela produira.

Je n’ai point lu l’Apologie[915] des jésuites dont vous me parlez ; mais je trouve la France fort à plaindre de perdre d’un coup de filet tant de grands génies. Il faut espérer que le collège de la Propagande en fera recrue. Nous pourrions même y ajouter par-dessus le marché ce prédicateur Le Roi, qui vraisemblablement n’est pas le roi des prédicateurs, et dont le nom, ignoré dans son quartier, a eu le bonheur de parvenir jusqu’à vous[916]. Vous m’apprenez de Genève que M. Le Roi prêche à Paris[917]. Je voudrais que les avocats de la famille infortunée des Calas eussent mis dans leurs mémoires moins de pathos et plus de pathétique ; mais je conviens avec vous que leur zèle et leur désintéressement font un véritable honneur à notre siècle ; tant de vertu me fait désirer une éloquence qui y réponde. Je plaindrais Mlle  Corneille, si elle n’avait pour dot que les souscriptions des gens de Versailles. Tout le Mercure est infecté d’épitaphes de Crébillon, qui sont ignorées comme ses vers ; voici celle que je ferais à quelqu’un de votre connaissance, à condition qu’elle ne servirait de longtemps : « Il fut l’auteur de la Henriade, etc., etc., et maria la nièce du grand Corneille. »

Avec cette épitaphe-là, on peut se passer d’un mausolée fait par Le Moine[918], et même d’être loué après sa mort dans le Mercure ; mais en attendant les petits cousins que vous allez donner à Cinna, puissiez-vous, mon cher maître, donner encore longtemps des frères à Tancrède ! J’attends l’Héraclius de Calderon, mais je suis bien plus curieux de l’Histoire générale. Vous avez bien fait de n’y pas peindre le genre humain tout à fait de face ; ce triste visage n’est pas bon à être vu dans toute la difformité de ses traits ; je crains même qu’il ne se trouve trop hideux étant montré de trois quarts[919], et qu’il ne lui prenne envie de brûler le tableau, et de crier au feu contre le peintre, qui heureusement se trouvera à cent lieues des Omer et des Berthier. Adieu, mon cher et illustre philosophe ; conservez bien vos yeux, sans quoi les fanatiques diraient que vous ressemblez à Tirésie, que les dieux aveuglèrent pour avoir révélé leur secret aux hommes. Vivez, voyez, et écrivez longtemps pour l’honneur des lettres, pour le progrès de la raison, et pour le bien de l’humanité ; et souvenez-vous quelquefois qu’il y a sur les bords de la Seine un homme qui vous aime, vous honore, et vous admire, et qui vous eût conservé les mêmes sentiments sur les bords de la Sprée et sur ceux de la Neva.


5187. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
13 février.

Mme  Denis étant malade, le jeune Dupuits et Marie Corneille étant très-occupés de leur premier devoir, qui n’est pas tout à fait d’écrire, moi, l’aveugle V., entouré de quatre pieds de neige, je dicte la réponse à la lettre de Mme  d’Argental l’ange, du 7 de février ; et voici comme je m’y prends.

Cujas, Charles Dumoulin, Tiraqueau, n’auraient jamais parlé plus doctement et plus solidement de la validité d’un contrat, et nous tombons d’accord de tout ce que disent nos anges. Je n’ai point vu le modèle de consentement paternel que Mme  Denis avait envoyé à Mme  d’Argental ; elle écrit quelquefois sans daigner me consulter. Je ne sais quel est l’âne qui lui avait donné ce beau modèle de consentement. Le contrat est dressé dans toutes les règles et le mariage fait dans toutes les formes, les deux amants très-heureux, les parents enchantés ; et, à nos neiges près, tout va le mieux du monde. Ce qu’il y a de bon, c’est que, quand même les souscriptions ne rendraient pas ce qu’on a espéré, le conjoint et la conjointe jouiraient encore d’un sort très-agréable. Il ne nous reste donc qu’à nous mettre aux pieds de nos anges, et à les remercier du fond de notre cœur.

S’ils veulent s’amuser de cette terrible feuille qui devait tant déplaire à messieurs, la voici ; elle est un peu contre ma conscience. Je veux bien que monsieur le coadjuteur sache qu’on trouve, à la feuille suivante[920], qu’un de messieurs, qui avait été traité avec plus de sévérité que les autres, fonda, dans son abbaye, à perpétuité, une messe pour la conservation du roi. J’ai cru ce trait digne d’être remarqué, j’ai cru qu’il peignait nos mœurs ; et il y a environ douze batailles dont je n’ai point parlé, Dieu merci, parce que j’écris l’histoire de l’esprit humain, et non une gazette.

Je ne doute pas que vous n’ayez la petite addition à l’Histoire génèrale, sous le nom d’Éclaircissements historiques[921]. Il ne m’importe guère qu’il y en ait peu ou beaucoup d’exemplaires répandus ; cela n’est bon d’ailleurs que pour un certain nombre de personnes qui sont au fait de l’histoire, le reste de Paris n’étant qu’au fait des romans.

Passons de l’histoire au tripot. Mon avis est que, ce carême, on donne Zulime, suivant la petite leçon que j’ai envoyée. Pendant ce temps-là j’achèverai une belle lettre scientifique sur l’amour, j’entends l’amour du théâtre, dédiée à Mlle  Clairon[922].

Au reste, le débit de Zulime est un très-mince objet, et je doute qu’il se trouve un libraire qui en donne cinq cents livres, encore voudra-t-il un abandon de privilège, comme a fait ce petit misérable Prault ; ce qui gêne extrêmement l’impression du Théâtre de V. Les libraires sont comme les prêtres, ils se ressemblent tous. Il n’y en a aucun qui ne sacrifiât son père et sa mère à un petit intérêt typographique.

Je pense qu’il ne serait pas mal de faire un petit volume de Zulime, Mariamne, Olympie, le Droit du Seigneur, et d’exiger du libraire qu’il donnât une somme honnête à Mlle  Clairon et à Lekain, soit que ce libraire fût Cramer, soit un autre.

Mais mes anges ne me parlent jamais de ce qui se passe dans le royaume du tripot ; ils ne me disent point si Mlle  Dupuis et M. Desronais[923] enchantent tout Paris ; si Goldoni est venu apporter en France la véritable comédie ; si l’Opéra-Comique est toujours le spectacle des nations ; s’il est vrai qu’il y a deux jésuites qui vendent de l’orviétan sur le Pont-Neuf. Jamais mes anges ne me disent rien ni des livres nouveaux, ni des nouvelles sottises, ni

de tout ce qui peut amuser les honnêtes gens ; rien sur l’abbé de Voisenon, rien même sur les Calas, objet très-important, dont je n’ai aucune notion depuis huit jours. Cela n’empêche pas que je ne baise avec transport le bout des ailes de mes anges.

5188. — À M.  DAMILAVILLE.
13 février.

Mon cher frère, si vous n’avez pas des Éclaircissements historiques[924], en voici. Il est assez plaisant qu’on puisse imprimer la calomnie, et qu’on ne puisse pas imprimer la justification. Je joins à ces deux exemplaires la véritable feuille de l’Essai sur les Mœurs, de laquelle assurément messieurs doivent être contents, à moins qu’ils ne soient extrêmement difficiles. Comme il n’y a rien dans cette feuille qui ne se trouve dans le procès de Damiens, que le parlement lui-même a fait imprimer, je ne vois pas que messieurs aient le moindre prétexte de me traiter comme les jésuites : d’ailleurs j’aime la vérité, et je ne crains point messieurs ; je suis à l’abri de leur greffier. Au reste, il me semble qu’il y a, à la page 325, une chose bien flatteuse pour un de messieurs[925].

Quant à la roture de messieurs, il faudrait être aussi ignorant qu’un jeune conseiller au parlement pour ne pas savoir que jamais les simples conseillers ne furent nobles[926]. Voyez le chapitre de la noblesse, c’est bien pis ; les chanceliers n’étaient pas nobles par leur charge, ils avaient besoin de lettres d’anoblissement. Quand on écrit l’histoire, il faut dire la vérité, et ne point craindre ceux qui se croient intéressés à l’opprimer.

Le Traité sur l’Éducation[927] me paraît un très-bon ouvrage, et, pour tout dire, digne de l’honneur que frère Platon-Diderot lui a fait d’en être l’éditeur.

Si frère Thieriot ne sait pas l’air de Béchamel, je vais vous l’envoyer noté : car il faut avoir le plaisir de chanter :


Vive le roi et Simon Lefranc !


Avez-vous entendu parler de la pièce[928] dont M. Goldoni a régalé le Théàtre-Italien ? a-t-elle du succès ? joue-t-on encore le vieux Dupuis et M. Desronais ? J’avais prié mon cher frère de m’envoyer ce Dupuis ; j’attendais le Discours de mon confrère l’évêque de Montrouge[929], il m’avait écrit qu’il me l’envoyait, mais point de nouvelles : monsieur l’évêque est occupé auprès de quelques filles de l’Opéra-Comique. Mais c’est à frère Thieriot que j’en veux. Il est bien cruel qu’il n’ait pas encore cherché les Dialogues de Grégoire le Grand[930]. Je les avais autrefois ; c’est un livre admirable en son espèce ; la bêtise ne peut aller plus loin.

Je reçois Tout le monde a tort[931] ; ce Tout le monde a tort ne serait-il point de Mme  Belot ? Il me paraît qu’une ironie de soixante pages, en faveur des jésuites, pourrait être dégoûtante. Je reçois aussi la belle et bonne lettre de mon frère, le tout enveloppé dans un papier destiné aux opérations du vingtième. Je suis toujours émerveillé que mon frère, enseveli dans ces occupations désagréables, ait du temps de reste pour les belles-lettres et pour la philosophie.


5189. — À M. DE LA. MICHODIÈRE,
intendant de rouen.
À Ferney, le 13 février.

Si j’avais des yeux, monsieur, j’aurais l’honneur de vous remercier, de ma main, de la lettre dont vous avez bien voulu m’honorer. Recevez mes très-humbles compliments pour vous et M. Thiroux de Crosne, sur le mariage de madame votre fille. Celui de Mlle  Corneille n’est pas si brillant ; je l’ai donnée à un jeune gentilhomme nommé Dupuits, dont les terres sont voisines des miennes. Il n’est encore que cornette de dragons ; mais il a un avantage commun avec M. de Crosne, celui d’être heureux par la possession de sa femme.

L’affaire que M. de Crosne rapporte est un peu éloignée des agréments dont il jouit ; elle est bien funeste, et je n’en connais guère de plus honteuse pour l’esprit humain. J’ai pris la liberté d’écrire à M. de Crosne sur cette affaire[932]. Je dois me regarder en quelque façon comme un témoin. Il y a plusieurs mois que Pierre Calas, accusé d’avoir aidé son père et sa mère dans un parricide, est dans mon voisinage avec un autre de ses frères. J’ai balancé longtemps sur l’innocence de cette famille ; je ne pouvais croire que des juges eussent fait périr, par un supplice affreux, un père de famille innocent. Il n’y a rien que je n’aie fait pour m’éclaircir de la vérité ; j’ai employé plusieurs personnes auprès des Calas, pour m’instruire de leurs mœurs et de leur conduite ; je les ai interrogés eux-mêmes très-souvent. J’ose être sûr de l’innocence de cette famille comme de mon existence : ainsi j’espère que M. de Crosne aura reçu avec bonté la lettre que j’ai eu l’honneur de lui écrire. Ce n’est point une sollicitation que j’ai prétendu faire, ce n’est qu’un hommage que j’ai cru devoir à la vérité. Il me semble que les sollicitations ne doivent avoir lieu dans aucun procès, encore moins dans une affaire qui intéresse le genre humain : c’est pourquoi, monsieur, je n’ose même vous supplier d’accorder vos bons offices ; on ne doit implorer que l’équité et les lumières de M. de Crosne. Vous avez lu les factums, et je regarde l’affaire comme déjà décidée dans votre cœur et dans celui de monsieur votre gendre.

J’ai l’honneur d’être avec bien du respect, etc.


5190. — À M.  LE MARQUIS DE CHAUVELIN.
À Ferney, 13 février.

Je deviens à peu près aveugle, monsieur. Un petit garçon, qui passe pour être plus aveugle que moi, et qui vous a servi comme s’il était clairvoyant, s’est un peu mêlé des affaires de Ferney. Ce fut hier que le mariage fut consommé ; je comptais avoir l’honneur d’en écrire à Votre Excellence. Deux époux qui s’aiment sont les vassaux naturels de madame l’ambassadrice et de vous. Je goûte le seul bonheur convenable à mon âge, celui de voir des heureux. Il y a de la destinée dans tout ceci ; et où n’y en a-t-il point ?

J’arrive au pied des Alpes, je m’y établis ; Dieu m’envoie Mlle  Corneille, je la marie à un jeune gentilhomme qui se trouve tout juste mon plus proche voisin ; je me fais deux enfants que la nature ne m’avait point donnés ; ma famille, loin d’en murmurer, en est charmée : tout cela tient un peu du roman.

Pour rendre le roman plus plaisant, c’est un jésuite qui a marié mes deux petits. Joignez à tout cela la naïveté de Mlle  Corneille, à présent Mme  Dupuits ; naïveté aussi singulière que l’était la sublimité de son grand-père.

Je jouis d’un autre plaisir, c’est celui du succès de l’affaire des Calas : elle a déjà été rapportée au conseil de la manière la plus favorable, c’est-à-dire la plus juste. Ceci est bien une autre preuve de la destinée. La veuve Calas était mourante auprès de Toulouse ; elle était bien loin de venir demander justice à Paris. Elle disait : Si le fanatisme a roué mon mari dans la province, on me brûlera dans la capitale. Son fils vient me trouver au milieu de mes neiges. Quel rapport, je vous prie, d’une roue de Toulouse à ma retraite ! Enfin nous venons à bout de forcer cette femme infortunée à faire le voyage, et, malgré tous les obstacles imaginables, nous sommes sur le point de réussir : et contre qui ? contre un parlement entier ; et dans quel temps ! Repassez, je vous prie, dans votre esprit, tout ce que vous avez fait et tout ce que vous avez vu ; examinez si ce qui n’était pas vraisemblable n’est pas toujours précisément ce qui est arrivé, et jugez s’il ne faut pas croire au destin, comme les Turcs. Qui aurait dit, il y a cinq ans, que le roi de Prusse résisterait aux trois quarts de l’Europe, et que vous seriez trop heureux de céder le Canada aux Anglais ?

Vous n’aurez rien de moi, monsieur, pour le mois de février ; mais, à la fin de mars, je vous demanderai votre attention sur quelque chose de fort sérieux.

Je me mets aux pieds de Vos deux très-aimables Excellences ; Mme  Denis et mes deux petits[933], qui demeurent toujours avec moi, joignent leurs sentiments aux miens, et notre petit château espère toujours avoir l’honneur de vous héberger quand vous prendrez le chemin de la France.


Voltaire, l’aveugle.

5191. — À M.  LE MARQUIS ALBERGATI CAPACELLI.
À Ferney, 14 février.

Que vous êtes heureux, monsieur, et que je suis malheureux ! Vous et vos amis vous faites de beaux vers ; vous avez votre beau théâtre parmi de jeunes seigneurs et de jeunes dames qui se perfectionnent dans le bel art de la déclamation, c’est-à-dire dans l’art de se rendre maître des cœurs. Pour moi, je deviens sourd et aveugle de plus en plus. La ville de Genève ne me fournit presque plus d’acteurs ni d’actrices ; j’avais fait venir Lekain, qui est le meilleur comédien de Paris ; mais il a fallu bientôt le rendre à la capitale : en un mot, je crois que je ferai bientôt une grange de mon théâtre, et que j’y mettrai des gerbes de blé au lieu de lauriers.

J’avais un peu de honte de me donner du plaisir à l’âge de soixante et dix ans, mais j’ai été un peu rassuré par un vieux fou qui en a soixante et dix-huit, et qui joue la comédie, étant paralytique ; il s’appelle Le… Il m’a mandé qu’il jouait Lusignan dans Zaïre, avec beaucoup de succès ; qu’il se faisait porter sur un brancard, et qu’en un mot on n’avait pas besoin de jambes pour jouer la comédie. Il a raison, mais on a besoin d’yeux et d’oreilles.

Je crois qu’on aura incessamment à Paris une pièce du Peintre de la nature, notre cher Goldoni. Je souhaite que tous les Français soient en état de sentir tout son mérite. Un homme qui entend parfaitement l’italien me mande qu’il est extrêmement content de la pièce[934] dont notre cher Goldoni a honoré notre théâtre.

Ah ! monsieur, si je n’avais pas bientôt soixante et dix ans, vous me verriez à Bologna la grassa.

La riverisco di cuore.


5192. — À M.  DEBRUS[935].
14 (février).

Vous avez appris, sans doute, mon cher monsieur, que M. de Crosne a rapporté pendant trois ou quatre heures notre grande affaire. On dit qu’il a parlé comme un ange ; il finira à la seconde séance.

J’ai reçu une lettre de l’intendant de Rouen[936], beau-père du rapporteur ; il pense comme nous ; tout le public est pour nous. Remerciez Dieu de votre succès. S’il y avait eu un homme comme vous à Toulouse, parmi les juges, ils n’auraient pas à se reprocher le meurtre affreux que leur fanatisme a commis. Adorons ensemble la Providence, qui daignera tirer un bien d’un mal si horrible, et qui pourra faire succéder la tolérance à cet esprit de fureur qui a régné si longtemps chez les hommes.

5193. — DE LOUIS-EUGÈNE,
duc de wurtemberg.
À Renan, ce 14 février.

J’apprends, monsieur, que madame votre nièce est malade ; j’en suis très-inquiet. Daignez, de grâce, me faire savoir ce qui en est. Je suis très-fâché que vous ne m’en ayez rien dit, car vous n’ignorez pas la part que je prends à ce qui vous intéresse. Ce procédé n’est pas dans l’ordre, et vous ne pouvez le réparer qu’en me donnant des nouvelles plus consolantes de sa santé.

Je suis bien fâché que cet incident ait converti vos fêtes en des jours de tristesse ; mais l’habileté et les soins de M. Tronchin me rassurent et me tranquillisent.

Il faut bien que la vie de l’homme soit mêlée de plaisirs et de peines, puisque à Ferney même l’amertume en corrompt quelquefois la douceur.

Les nouvelles d’aujourd’hui confirment la grande nouvelle de la paix. Un courrier de M. Werelst a apporté à la Haye la signature des préliminaires. Notre postérité aura de la peine à croire qu’on se soit, pendant sept ans, exterminé de part et d’autre en Allemagne pour se reposer ensuite dans le même système qu’on avait abandonné.

En vérité, les hommes ont de singuliers conducteurs ; mais ceux qui rampent aujourd’hui sur la surface de la terre en méritent-ils d’autres ?


Croyez-moi, les humains, que j’ai trop su connaître,
Méritent peu, mon fils, qu’on veuille être leur maître.

(Alzire, acte I, scène i.)

Vous les connaissiez dès lors, monsieur, et il semble que depuis ils sont devenus encore plus petits et plus méprisables.

J’ai vu de près plusieurs de ceux que les siècles à venir illustreront sous la qualification de héros. Ils m’ont fait pitié, et je le dis non par rancune ou par amour-propre, mais par le respect que je porte à la vérité.

Je voudrais avoir trouvé dans les espaces ce point qu’Archimède cherchait : je vous y placerais, mon cher maître, non pour soulever le monde, mais pour nous apprendre des vérités qui confondraient à jamais l’orgueil et l’imposture.

Ma petite femme me charge de vous faire bien des compliments de sa part ; et, quoique fort incommodée, elle me paraît plus inquiète de vos inquiétudes que des maux qui l’affligent. Cette façon de penser est commune à tout ce qui m’appartient, et elle découle bien naturellement des sentiments de la tendre amitié que je vous ai vouée depuis si longtemps.

5194. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
15 février.

Mes anges, maman Denis est toujours malade, moi aveugle, et le tuteur de M. Dupuits sourd ; tout cela a dérangé notre petite fête à la Pompignan. Nous n’avons point tiré de canon, maman n’a point soupé, et on s’est marié sans cérémonie.

Je réponds à la lettre dont Mme  d’Argental honore ma nièce. Elle me l’a montrée, et j’ai été très-affligé qu’elle ait pu s’attirer quelques reproches en vous donnant, sans me consulter, des paroles qu’elle ne pouvait pas donner, et qui ne dépendent point du tout d’elle. Elle m’a répondu que, dans sa lettre du 6 de janvier, elle avait eu l’honneur de vous écrire nos intentions ; mais des intentions ne sont pas un contrat. Nous avons eu beaucoup de peine à faire regarder, par ce tuteur de M. Dupuits, l’espérance de la vente d’un livre comme une dot. Ce sourdaud est un vieux marin à peu près de mon âge, et plus difficile que moi en affaires. Son neveu a un très-joli bien, précisément à ma porte ; il était parfaitement informé de la condition du père et de la mère, qui ne descendent point de Pierre Corneille, et qui ne participent en rien aux prérogatives de la branche éteinte. C’est, par parenthèse, une obligation que nous avons à Fréron, qui eut, il y a plus d’un an, l’insolence impunie d’imprimer dans ses feuilles[937] que le père de Mlle  Corneille était un facteur de la petite poste, à cinquante francs par mois ; et cette injure personnelle nous fit manquer alors un mariage. Celui-ci est beaucoup plus avantageux que celui qui fut manqué ; mais nous n’aurions jamais pu parvenir à le faire si nous avions insisté sur le partage du produit des souscriptions, que le tuteur a regardé et regarde encore comme un objet fort mince.

Le Cramer que vous voyez à Paris avait offert de donner quarante mille francs du produit des souscriptions et de la vente de l’édition, et ensuite il avait laissé tomber cette offre. On savait très-bien dans Genève que nos seigneurs de France avaient donné leurs noms, et rien de plus, et qu’un d’eux ayant souscrit pour vingt louis d’or en avait payé un. Les Cramer avaient fait retentir que monsieur le contrôleur général avait demandé deux cents exemplaires payables en papiers royaux, à huit francs l’exemplaire au-dessous de la valeur ; et ce n’est qu’après les fiançailles que nous avons appris les nouvelles offres de M. Bertin.

Les Anglais qui sont à Genève se moquaient un peu de notre générosité française. On nous disait encore que les libraires de Paris, ayant dans leurs magasins deux éditions de Corneille qui pourrissent, se plaignaient continuellement de la nôtre, et empêchaient plusieurs personnes de souscrire. Le sieur Philibert Cramer était trop occupé des plaisirs de Paris pour me rendre le moindre compte, pendant que je travaillais nuit et jour à des commentaires très-fatigants qui me font enfin perdre les yeux.

Si dans de pareilles circonstances j’avais voulu couper en deux la partie de la dot fondée sur les souscriptions, soyez très-sûrs, mes anges, qu’on m’aurait remercié sur-le-champ en se moquant de moi. Le père et la mère de Mme  Dupuits n’y perdront rien ; leur fille les a nourris du bout de ses dix doigts, avant qu’ils eussent été présentés à M. de Fontenelle ; elle ne manquera jamais à son devoir, et j’y mettrai bon ordre. Le contrat est fait dans la meilleure forme possible. Ne troublons point les plaisirs de deux amants, et jouissons tranquillement du fruit de nos peines et de la consolation que me donne Mme  Dupuits dans ma vieillesse.

Permettez-moi de vous supplier encore d’empêcher Philibert Cramer de faire présenter aux spectacles et aux promenades des billets de souscription, comme des billets d’huîtres vertes : l’ami Fréron ne manquerait pas d’en faire de mauvaises plaisanteries dans ses belles feuilles.

On m’a mandé que l’affaire des Calas avait été rapportée par M. de Crosne, et qu’il a très-bien parlé. Je vous assure que toute l’Europe a les yeux sur cet événement.

J’ai lu le Second Appel à la Raison[938]. Je ne sais rien de si insolent et de si maladroit. Les jésuites ont des amis dans le parlement de Bourgogne, mais certainement ils n’en auront plus quand on connaîtra ce libelle. Ils étaient des tyrans du temps du père Le Tellier ; ils ne sont aujourd’hui que des fous.

J’ai un jésuite pour aumônier, mais je donnerais volontiers ma voix pour abolir l’ordre. Je n’ai vu qu’une seule bonne chose dans tout ce qu’ils ont écrit, c’est qu’ils ont prouvé invinciblement ce que j’avais déjà dit[939] dans quelques petites réflexions sur Pascal, que les jacobins avaient écrit plus de sottises qu’eux. J’ai eu le plaisir de vérifier, dans saint Thomas, le docteur angélique, toute la doctrine du régicide. Que conclure de là ? qu’il serait très-expédient de se défaire de tous les moines, et de se défier de tous les saints.


5195. — À M.  MOULTOU[940].
Ferney, 17 février.

J’ai l’honneur de renvoyer à M. Moultou ce très-bon discours contre la persécution, ce dont je le remercie. Je le supplie de vouloir bien faire remettre chez M. Souchay la pièce sacerdotale cachetée[941].

L’affaire des Calas a été rapportée, et très-bien rapportée, par M. de Crosne.

Si M. Moultou a quelques nouvelles, je le prie d’avoir la bonté de m’en faire part. Je suis toujours aveugle, je ne sais pas quand cela finira.


5196. — DU CARDINAL DE BERNIS.
Au château du Plessis, par Senlis, le 17 février.

À quel jeu vous ai-je perdu, mon cher confrère ? Depuis votre lettre où vous me parlez de la visite de M. de Richelieu, et de la refonte de Cassandre, je n’ai plus entendu parler de vous que par le bruit des histoires générales et particulières que vous préparez, et des jolies lettres que vous écrivez à M. d’Alembert. Pourquoi suis-je tombé dans votre disgrâce ? Vos lettres ne me sont-elles pas parvenues, ou n’avez-vous pas reçu mes réponses ? J’ai été fort exact. Je ne saurais penser que vous m’ayez totalement quitté ; si ce n’est qu’une infidélité passagère, je sens que je vous aime assez pour vous la pardonner. Dites-moi donc ce que c’est, et ne me laissez pas croire que je suis un sot de vous aimer, et vous un ingrat de ne pas répondre à tous les sentiments qui m’attachent à vous pour la vie.


5197. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
19 février.

Mes anges, ceci vous amusera peut-être ; du moins en ai-je été amusé. Ce n’est qu’une chanson d’aveugle[942], mais on dit que les aveugles sont gais. J’enverrai bientôt quelque chose à mes anges de fort sérieux, car je ne laisse pas de l’être parfois. Vous savez que mon patron est l’Intimé[943], qui avait plusieurs tons.

Corneille m’ennuie à présent autant que Marie m’amuse. Quel exécrable fatras que quinze ou seize pièces de ce grand homme ! Pradon est un Sophocle en comparaison, et Danchet un Euripide. Comment a-t-on pu préférer à un homme tel que Racine un rabâcheur d’un si mauvais goût, qui, jusque dans ses plus beaux morceaux, qui ne sont, après tout, que des déclamations, pèche continuellement contre la langue, et est toujours ou trivial ou hors de la nature ? Que Boileau avait bien raison de ne faire nul cas de toutes ces amplifications de rhétorique ! Qu’il est rare, dans notre nation, d’avoir du goût !

Mme  Denis est toujours bien malade : il y a quinze jours qu’elle a la fièvre. Nous espérons que, dans peu, elle sera en état de vous écrire. Nous vous promettons d’appeler Pierre Corneille le premier enfant mâle qu’aura Manon Cornélie. Il y a en effet un pape nommé Corneille, dont on a fait un saint, parce que, dans les premiers siècles, tous les évêques prenaient le nom de saint au lieu de celui de monseigneur.

Au reste, mes divins anges, ne soyez nullement en peine de François Corneille ni de sa petite femme ; je suis toujours le maître des arrangements, et je proportionnerai la part du père à la recette. Ai-je eu l’honneur de vous mander que le roi ne prend que douze exemplaires, et non pas cent, comme disait monsieur le contrôleur général ? Sa Majesté approuve beaucoup ce mariage, et fera les choses noblement.

Le sang me bout sur les Calas ; quand la révision sera-t-elle donc ordonnée ?

N’entendrai-je parler que du triste succès de l’impression de Dupuis et Desronais ? Le tripot a bien fait ses affaires ; mais le libraire, dit-on, fait mal les siennes. Il n’y a que la pièce de. M. le duc de Praslin qui réussisse parfaitement[944].

Toute la famille se met sous les ailes des anges.

5198. — À M.  GOLDONI.
Au château de Ferney, 19 février.

J’ai respecté longtemps vos occupations, monsieur ; mais la meilleure raison qui m’ait empêché de vous écrire, c’est qu’on dit que je deviens aveugle ; ce n’est pas comme Homère, c’est comme Lamotte-Houdard, dont vous avez peut-être entendu parler à Paris, et qui faisait des vers médiocres tout comme moi. Je suis menacé de perdre la vue, et ce petit accident me prive d’un grand plaisir, qui est celui de lire vos pièces.

Un homme de beaucoup d’esprit, et qui entend parfaitement l’italien, m’a mandé qu’il était extrêmement satisfait de la dernière comédie[945] dont vous avez gratifié notre public de Paris. Si elle est imprimée, je vous demande en grâce de me l’envoyer. Mes yeux feront un effort pour la lire, ou bien ma nièce nous la lira.

Je vous destine une quarantaine de volumes :


Nardi parvus onyx eliciet cadum.

(Hor., lib. IV, od. xii, V. 17.)

Mais ne vous effarouchez pas de cet énorme fardeau ; il y a vingt volumes de votre serviteur que vous pourrez jeter dans le feu ; et, pour vous consoler, le reste est de Corneille. Je reçois quelquefois des nouvelles de votre ami M.  le marquis Albergati. Si j’étais jeune, je vous accompagnerais à votre retour pour aller l’embrasser ; mais j’ai soixante et dix ans, et il faut que je meure entre les Alpes et le mont Jura, dans ma petite retraite. Vous aurez un vrai serviteur jusqu’au dernier moment de ma vie.


5199. — À M.  DEBRUS[946].

Je vous envoie, monsieur, pour votre consolation la lettre de notre rapporteur, et je la confie à votre extrême discrétion ; il n’est point du tout d’usage que les juges d’une affaire écrivent aux solliciteurs, et encore moins à ceux qui se rendent en quelque façon partie, comme moi. Je n’ai reçu qu’hier 19 cette lettre, qui est du 10. Il arrive très-souvent qu’on néglige à Paris d’envoyer les lettres à la poste au jour prescrit. Mais je vois qu’on ne néglige point notre affaire. Vous sentez bien qu’elle est immanquable, puisque le rapporteur me dit qu’il viendra nous voir, et qu’assurément il n’y viendrait point s’il était contre nous. On a cru que depuis sa lettre écrite, le rapport a été commencé, mais non fini. Vous voyez que tous les ministres veulent assister au jugement du conseil, et qu’ils suivent en cela l’exemple de M. le duc de Praslin : ce n’est pas assurément pour me faire de la peine ; ainsi bénissons Dieu, qui daignera tirer un très-grand bien d’un très-grand mal.

J’allais envoyer cette lettre, lorsque je reçois la vôtre de ce matin. Voici le fait. C’est l’usage des jeunes maîtres des requêtes qui rapportent des affaires importantes, de faire quelques répétitions à huis clos devant quelques-uns de leurs confrères. C’est ce qu’a fait M. de Crosne, et c’est ce qui a occasionné l’erreur. On a dit que la pièce avait été jouée, quand elle n’avait été que répétée. Encore une fois, vous devinez bien par la lettre de M. de Crosne que nous devons avoir les plus justes et les plus grandes espérances.

Voici les noms des juges et leur opinion[947].

À la roue :

Les nommés Cleirac-Casan, rapporteur ;

Les nommés CSenaux ;

Les nommés CLa Bordes ;

Les nommés CPuget ;

Les nommés CCassan-Jottes ;

Les nommés CD’Arbous ;

Les nommés CDesinnocents ;

Les nommés CBeaugeat, lequel se détacha des six autres qui demandaient un plus amplement informé.

Vous devez avoir les noms des cinq juges qui persistèrent dans leur premier avis. Vous les trouverez dans un ancien écrit que vous m’avez prêté, et que je vous ai rendu.

Il faut que les cinq juges favorables soient :

Les nommés CBernard Gauran ;

Les nommés CEmmanuel Cambon ;

Les nommés CÉtienne Boissy ;

Les nommés CJean Goudougnan ;

Les nommés CEt André Miramont.

Je crois ne me pas tromper. Les premières listes étaient fausses. Ne montrez à personne la lettre de M. de Crosne.


5200. — À M.  LEKAIN.
À Ferney, 20 février.

Mon grand acteur, je proteste contre Adélaïde pour bien des raisons. Une des plus fortes, c’est qu’il n’est pas permis d’imputer à un prince du sang un crime qu’il n’a pas fait. Cette fiction révolta le public, et m’obligea de changer la pièce. L’aventure sur laquelle cette tragédie est fondée arriva en effet à un duc de Bretagne[948], mais non à un prince du sang de France. Les gens sensés qui savent l’histoire seront révoltés à la cour, je vous en avertis, et je présente requête par cette lettre à M. le duc de Duras ; je le supplie très-instamment de faire jouer le Duc de Foix, que je crois incomparablement moins mauvais qu’Adélaïde.

Mlle  Corneille, devenue Mme  Dupuits, vous fera de petits Corneilles qui vous donneront de bonnes tragédies dont vous avez besoin.

Je vous embrasse du meilleur de mon cœur.

J’ajoute à ma lettre qu’il y a encore dans cette Adélaïde un héros blessé dans le combat ; que cette blessure, étant absolument inutile au dénoûment, n’est qu’une puérilité ; que cela seul suffirait pour gâter une pièce. Il faut m’en croire quand je me condamne moi-même. Je vous demande en grâce de montrer cette lettre à M. le duc de Duras. Bonsoir : je suis fort occupé avec Pierre Corneille ; il me fait trouver Racine admirable.

5201. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
21 février.

Il est bon quelquefois que des anges s’égayent. L’accompagnement de l’Hymne à M. de Pompignan est fort bon, et le refrain, quand on est dix ou douze, est très-plaisant à chanter. Pour les Éclaircissements historiques, ils sont du plus grand sérieux.

Pour Zulime, je crois qu’il ne la faut pas donner seule, mais attendre qu’on puisse imprimer deux ou trois pièces à la fois[949]. Si je pouvais fortifier un peu le rôle de ce benêt de Ramire, je crois que je ne ferais point mal. Pour Mariamne, je la trouve assez bien ; je crois qu’elle fera effet ; je crois qu’on pourra l’imprimer avec le Droit du Seigneur. Pour Olympie, qu’on appelle Ô l’impie ! et qui cependant est très-pie, je dirai comme M. de Pompignan : De moi je suis assez content ; allons, saute, marquis[950] !

Corneille va son train. Ah ! le pauvre homme ! qu’il me fait trouver Racine divin !

Et mes anges ne me parlent point de la pièce de Dupuis et Desronais, et pas un mot du Discours de l’abbè de Voisenon ; et M. le président de La Marche ne m’envoie point ma pancarte nécessaire ; et Mme  Denis est toujours malade ; et mes petits mariés s’aiment encore à la folie, quoique au bout de huit jours. Mes anges, il y a tantôt soixante ans que j’ai commencé à aimer l’un de vous deux, et je suis toujours à tous deux avec respect et tendresse.

Mais dites donc comment vont vos yeux ; je perds les miens, et je deviens sourd comme un pot.


5202. — À M.  D’ALEMBERT.
Le 21 février.

J’envoie à mon digne et parfait philosophe ces coïonneries qui me sont venues de Montauban. Nous avons chanté l’hymne avec l’accompagnement. Je joins ici l’air noté[951]. Les philosophes devraient le chanter en goguettes, car il faut que les philosophes se réjouissent.


5203. — À M.  DE BRUS[952].
Mardi, 22 février.

Vous pouvez, monsieur, communiquer la lettre de M.  de Crosne aux personnes zélées et discrètes dont vous êtes sûr. Je crois qu’enfin l’affaire se rapportera aujourd’hui solennellement. Savez-vous bien tout ce que craint M. Mariette ? C’est qu’on ne falsifie les pièces à Toulouse. Dans quel siècle abominable vivons-nous, si on a raison de soupçonner un parlement d’être faussaire et de mériter ce qu’il a fait à Jean Calas !

Je vous embrasse en pleurant et en frémissant.

Je crois que vous pouvez communiquer à M. de Moultou la lettre de M. de Crosne, et nos justes craintes, car lorsque M. de Crosne viendra ici, il verra assurément M. de Moultou, et ne s’en retournera pas sans avoir conçu pour lui toute l’estime et l’amitié qu’il mérite. Mille tendres compliments à M. de Végobre et à M. Cathala.


5204. — À M.  LE CARDINAL DE BERNIS.
Au château de Ferney, le 25 février.

Une des raisons, monseigneur, qui font que je n’ai eu depuis longtemps l’honneur d’écrire à Votre Éminence, n’est pas que je sois fier ou négligent avec les cardinaux et les plus beaux esprits de l’Europe ; mais le fait est que je deviens aveugle, au milieu de quarante lieues de neige, pays admirable pendant l’été, et séjour des trembleurs d’Isis pendant l’hiver. On dit que la même chose arrive aux lièvres des montagnes. Je me suis mêlé ces jours-ci des affaires d’un autre aveugle[953], petit garçon fort aimable, inconnu sans doute aux princes de l’Église romaine, mais avec lequel on ne laisse pas de jouer avant qu’on ne soit prince. J’ai marié Mlle Corneille à un jeune gentilhomme dont les terres touchent les miennes ; il se nomme Dupuits, il est officier de dragons, estimé et aimé dans son corps, très-attaché au service, et voulant absolument faire de petits militaires qui se feront tuer par des Anglais ou des Allemands.

Je regarde comme un devoir de vous donner part de ce mariage, comme à un des protecteurs du nom de Corneille, et au meilleur connaisseur et de ses beautés et de ses fatras. Je cherchais un descendant de Racine pour ressusciter le théâtre ; mais n’en ayant point trouvé, j’ai pris un officier de dragons. J’écris à l’Académie française, à laquelle je dédie l’édition[954] qui fera une partie de la dot, et je demande que ceux qui assisteront à la séance, à la réception de ma lettre, me permettent de signer pour eux au contrat.

Je commence par demander la même grâce à Votre Éminence[955]. L’ombre de Pierre vous en sera très-obligée, et moi, autre ombre, je regarderai cette permission comme une très-grande faveur. Nous n’avons point clos le contrat, et nous vous laissons, comme de raison, la première place parmi les signatures, si vous daignez l’accepter.

Je suppose que vous vous faites apporter les nouveaux ouvrages qui en valent la peine, et que vous avez vu les factums pour les Calas. L’affaire a été rapportée au conseil avec beaucoup d’équité, c’est-à-dire de la manière la plus favorable : nous espérons justice ; une grande partie de l’Europe la demande avec nous. Cette affaire pourra faire rentrer bien des gens en eux-mêmes, inspirer quelque indulgence, et apprendre à ne pas rouer son prochain uniquement parce qu’il est d’une autre religion que nous.

Voulez-vous, monseigneur, vous amuser avec l’Héraclius de Calderon, et la Conspiration contre César de Shakespeare ? J’ai traduit ces deux pièces, et elles sont imprimées, l’une après Cinna, l’autre après l’Hèraclius de Corneille, comme objet de comparaison. Cela rendra cette édition assez piquante. J’aurai l’honneur de vous adresser ces deux morceaux si vous me le commandez. Je n’ai pas encore reçu le discours de notre nouveau confrère l’abbé de Voisenon : on en dit beaucoup de bien.

Agréez, monseigneur, les tendres respects du vieil aveugle de soixante-dix ans, car il est né en 1693[956] : il est bien faible, mais il est fort gai ; il prend toutes les choses de ce monde pour les bouteilles de savon, et franchement elles ne sont que cela.


5205. — À M.  MOULTOU[957].
25 février 1763.

Je suis en peine, monsieur, d’Olympie et de la Tolérance. Je trouve qu’il y a beaucoup à faire au premier ouvrage, et que le second est bien délicat. Je vous soumets l’esquisse d’un nouveau chapitre. Il ne tient qu’à vous qu’il soit meilleur.

N’auriez-vous point quelque bon livre sur ce sujet ? Et voudriez-vous me le prêter ? Mais quelques lignes de votre main vaudraient mieux que tous les livres.

Renvoyez-moi, je vous supplie, le plus tôt que vous pourrez ce croquis que j’ai dicté et dont je n’ai point de copie.

Je suis sûr que monsieur le contrôleur général, M. le duc de Praslin, M, le duc de Choiseul, Mme  de Pompadour, ont de très-bonnes intentions. Il faut assurément en profiter. Ne pourriez-vous point quelque jour venir en causer avec moi ? Votre jeunesse est faite pour éclairer tous les âges.


5206. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
Ferney, 25 février.

Plus anges que jamais, Mme  Denis est toujours malade, et moi, toujours aveugle, et vous ne me dites rien de vos yeux. L’âge avance ; on n’est pas plus tôt sorti du collège qu’on a soixante ans ; en un clin d’œil on en a soixante-dix ; on voit tomber ses contemporains comme des mouches. Mes nouveaux mariés, qui sont à vos pieds, ne savent rien de tout cela. Je voudrais que vous eussiez vu la crainte où était Marie de ne point avoir son Dupuits. « Mon père m’a signifié que je ne devais pas me marier ; qu’il n’y consentirait point. » Mes anges, que vouliez-vous que je pensasse ? Vous voulez que je commente François Corneille ; c’est bien assez de commenter Pierre. Ce Pierre me fait passer de mauvais quarts d’heure ; je suis outré contre lui. Il est comme les bouquetins et les chamois de nos montagnes, qui bondissent sur un rocher escarpé, et descendent dans des précipices. J’avais cru que Racine serait ma consolation, mais il est mon désespoir. C’est le comble de l’insolence de faire une tragédie après ce grand homme-là. Aussi après lui je ne connais que de mauvaises pièces, et avant lui, que quelques bonnes scènes.

Au nom de Dieu, laissez là votre Adélaïde. Que veut dire ce héros blessé ? à quoi sert sa blessure ? À rien du tout, et je vous répète qu’il est impertinent d’imputer à un prince du sang le crime qu’il n’a point commis : cela seul détruit tout intérêt.

Laissons un peu dormir Zulime ce carême. C’est bien dommage que cette Zulime ressemble à toutes les femmes délaissées qu’on a tant mises sur le théâtre ; sans cela, elle pourrait être passable.

J’aime assez le Droit du Seigneur, je vous l’avoue ; mais je voudrais qu’il y eût un peu plus de ces honnêtes libertés que le sujet comporte, et que les dames aiment beaucoup, quoi qu’elles en disent.

Mariamne est médiocre, malgré mon Essénien[958].

Olympie est prodigieusement supérieure à cette Mariamne, et n’est pas encore trop bonne. Tout m’humilie et me chagrine ; je suis difficile pour moi-même comme pour les autres. Il est dur de sentir la perfection et de n’y pouvoir atteindre.

Ne remplissez pas mes vieux jours d’amertume ; ne me faites point mourir en ressuscitant Adélaïde ; empêchez-moi de boire ce calice ; je vous le demande avec la plus vive instance.

Eh bien ! a-t-on enfin rapporté l’affaire des Calas ? Je vois qu’il est beaucoup plus aisé de rouer un homme que d’admettre une requête. Il me semble que M. de Crosne ne demande pas mieux que de parler, et assurément il parlera bien. J’aurai fait trois ou quatre actes depuis le temps qu’on fait languir cette pauvre veuve. J’avoue que son aventure ne contribue pas à me faire aimer les parlements. Malheur à qui a affaire à eux ! Fût-on jésuite, on s’en trouve toujours fort mal.

Puisque j’ai du papier de reste, il faut que je dise à mes anges que j’ai jugé les jésuites. Il y en avait trois chez moi, ces jours passés, avec une nombreuse compagnie. Je m’établis premier président ; je leur fis prêter serment de signer les quatre propositions de 1682, de détester la doctrine du régicide, du probabilisme, de renoncer à tout privilège contraire à nos lois, et d’obéir au roi plutôt qu’au pape. Ils firent serment, après quoi je prononçai :

« La cour, sans avoir égard à tous les fatras qu’on vient d’écrire contre vous, et à toutes les sottises que vous avez écrites depuis deux cent cinquante ans, vous déclare innocents de tout ce que les parlements disent contre vous aujourd’hui, et vous déclare coupables de ce qu’ils ne disent pas ; elle vous condamne à être lapidés, avec les pierres de Port-Royal, sur le tombeau d’Arnauld. »

Tout le monde convint que j’avais raison, et les jésuites l’avouèrent aussi. Et vous, mes anges, qu’en pensez-vous ?

Respect et tendresse.


5207. — À M.  DE LA CHALOTAIS.
À Ferney, le 28 février.

J’aimerais beaucoup mieux, monsieur, que vous m’eussiez fait l’honneur de m’envoyer votre ouvrage imprimé plutôt que manuscrit ; le public en jouirait déjà. Je crois très-sincèrement que c’est un des meilleurs présents qu’on puisse lui faire.

J’ai été obligé de me faire lire presque tout votre Mémoire, parce que je deviens un peu aveugle, à la suite d’une grande fluxion qui m’est tombée sur les yeux.

Je ne puis trop vous remercier, monsieur, de me donner un avant-goût de ce que vous destinez à la France. Pour former des enfants, vous commencez par former des hommes. Vous intitulez l’ouvrage : Essai d’un plan d’études pour les collèges[959] ; et moi, je l’intitule : Instruction d’un homme d’Étt pour éclairer toutes les conditions. Je trouve toutes vos vues utiles. Que je vous sais bon gré, monsieur, de vouloir que ceux qui instruisent les enfants en aient eux-mêmes ! Ils sentent certainement mieux que les célibataires comment il faut instruire l’enfance et la jeunesse. Je vous remercie de proscrire l’étude chez les laboureurs. Moi, qui cultive la terre, je vous présente requête pour avoir des manœuvres, et non des clercs tonsurés. Envoyez-moi surtout des frères ignorantins pour conduire mes charrues ou pour les atteler. Je tâche de réparer sur la fin de ma vie l’inutilité dont j’ai été au monde ; j’expie mes vaines occupations en défrichant des terres qui n’avaient rien porté depuis des siècles. Il y a dans Paris trois ou quatre cents barbouilleurs de papier, aussi inutiles que moi, qui devraient bien faire la même pénitence.

Vous faites bien de l’honneur à Jean-Jacques de réfuter son ridicule paradoxe[960] qu’il faut exclure l’histoire de l’éducation des enfants ; mais vous rendez bien justice à M. Clairaut, en recommandant ses Éléments de Géométrie, qui sont trop négligés par les maîtres, et qui mèneraient les enfants par la route que la nature a indiquée elle-même. Il n’y aura point de père de famille qui ne regarde votre livre comme le meuble le plus nécessaire de sa maison, et il servira de règle à tous ceux qui se mêleront d’enseigner. Vous vous élevez partout au-dessus de votre matière. Je ne sais pas pourquoi vous mettez le livre de M. Vattel[961] au rang des livres nécessaires. Je n’avais regardé son livre que comme une copie assez médiocre, et vous me le ferez relire.

Je m’en tiens, pour la religion, à ce que vous dites avec l’abbé Gédoin, et même à ce que vous ne dites pas. La religion la plus simple et la plus sensiblement fondée sur la loi naturelle est sans doute la meilleure.

Je vous rends compte, monsieur, avec autant de bonne foi que de reconnaissance, de l’impression que votre Mémoire m’a faite. À présent, que m’ordonnez-vous ? voulez-vous que je vous renvoie le manuscrit ? voulez-vous me permettre qu’on l’imprime dans les pays étrangers ? J’obéirai exactement à vos ordres. Votre confiance m’honore autant qu’elle m’est chère.

Je ne suis point du tout de votre avis sur le style ; je trouve qu’il est ce qu’il doit être, convenable à votre place et à la matière que vous traitez. Malheur à ceux qui cherchent des phrases et de l’esprit, et qui veulent éblouir par des épigrammes quand il faut être solide !

Ne mettez-vous pas en titre les matières que vous avez mises en marge ? Cela délasse les yeux et repose l’esprit.

Je suis bien faible, bien vieux, bien malade ; mais je défie qu’on soit plus sensible à votre mérite que moi. Je ne peux vous exprimer avec combien de respect et d’estime j’ai l’honneur d’être, etc.


5208. — À M.  DEBRUS[962].

Comptez, mon cher monsieur, sur une pleine victoire. MM. les ducs de Choiseul et de Praslin, M. de Courteilles, et d’autres juges[963] voulaient la révision parce que la révision suppose un jugement inique, au lieu que la cassation peut ne supposer qu’une procédure irrégulière.

On a mis dans la Gazette de Berne une grosse sottise. On y dit que la veuve Calas a été mise hors de cause avec défense de poursuivre. J’écrirai pour faire rectifier cette impertinence.

Je vous embrasse. Faites, je vous prie, mes compliments à Mme  Calas et à ses filles, et à MM. de Lavaysse et Dumas.


5209. — À M.  L’ABBÉ DE VOISENON.
À Ferney, 28 février[964],

Mon très-cher et très-aimable confrère, en même temps que c’est à ce que vous avez déjà fait connaître de vos talents que, etc ; voilà une belle phrase[965] ; mais il me paraît que mon cher évêque a tout un autre style. Je ne sais pas si votre teint était couleur jaune ce jour-là, mais le coloris de votre discours était fort brillant.

En vous remerciant de la félicité et de la fleurette dont vous m’honorez[966]. Voulez-vous que je vous parle net[967] ? ni Crébillon ni moi ne méritons tant de bontés. Entre nous, je ne connais pas une bonne pièce depuis Racine, et aucune avant lui où il n’y ait d’horribles défauts. Si vous avez jamais pu vous résoudre à lire tout Corneille (ce qui est une très-rude pénitence), vous aurez vu que c’est lui qui a toujours cherché à être tendre ; il n’y a pas une de ses pièces (j’en excepte Chimène et Pauline) où il n’y ait un amour postiche et ridicule, très-ridiculement exprimé.

C’est Racine qui est véritablement grand, et d’autant plus grand qu’il ne paraît jamais chercher à l’être ; c’est l’auteur d’Athalie qui est l’homme parfait. Je vous confie qu’en commentant Corneille je deviens idolâtre de Racine. Je ne peux plus souffrir le boursouflé et une grandeur hors de nature.

Vous savez bien, fripon que vous êtes, que les tragédies de Crébillon ne valent rien ; et je vous avoue en conscience que les miennes ne valent pas mieux ; je les brûlerais toutes si je pouvais, et cependant j’ai encore la sottise d’en faire, comme le président Lubert jouait du violon à soixante-dix ans, quoiqu’il en jouât fort mal, et qu’il fut cependant le meilleur violon du parlement.

Savez-vous la musique ? Tenez, voilà ce qu’on m’envoie : je vous le confie ; mais ne me trahissez pas[968].

Vous embrassez Mme  Denis : eh bien ! elle vous embrasse aussi ; mais elle est bien malade. Je lui lirai votre discours dès qu’elle se portera mieux. J’ai envie de vous faire une niche, de copier tout ce que vous me dites de Mme  la duchesse de Grammont, et de le lui envoyer. Je n’ai l’honneur de la connaître que par ses lettres, où il n’y a jamais rien de trop ni de trop peu, et dont chaque mot marque une âme noble et bienfaisante. Je lui ai beaucoup d’obligation : elle a été la première et la plus généreuse protectrice de Mlle  Corneille. Il s’est trouvé heureusement que Mlle  Corneille en était digne ; c’est la naïveté, l’enfance, la vérité, la vertu même. Je rends grâce à Fontenelle de n’avoir pas voulu connaître cette enfant-là.

Mon cher confrère, je ne souhaite plus qu’une chose : c’est que vous soyez bien malade, que vous ayez besoin de Tronchin, et que vous veniez nous voir. Je vous embrasse de tout mon cœur, et en vérité je vous aime de même. Je vise à être un peu aveugle. Dieu me punit d’avoir été quelquefois malin ; mais vous me donnerez l’absolution.


5210. — À M.  DE BRUS[969].

Je vous envoie, monsieur, la lettre que j’écris à M. de Correvon, à Lausanne[970]. Plus j’y pense, moins je vois d’autre parti à prendre. Je vous supplie de la communiquer à M. de Végobre et à M. de Moultou. Elle ne partira que mardi, et vous pourrez me la renvoyer demain lundi.

Je vous embrasse de tout mon cœur. Il me semble que le succès de notre affaire vous a rendu la santé.

5211. — À M.  DAMILAVILLE.
Le 2 mars.

En réponse à la lettre de mon cher frère, du 23 février, je lui dirai : Mes frères, il ne faut pas calomnier les malheureux, surtout quand on n’a pas besoin de leur imputer des crimes. Vous devez vous apercevoir que je n’ai pas ménagé les jésuites ; mais je soulèverais la postérité en leur faveur si je les accusais d’un crime dont l’Europe et Damiens les ont justifiés. Je ne puis et ne dois dire que ce qui est dans le procès. J’ai rempli le devoir d’historien, et je ne serais qu’un vil écho des jansénistes si je parlais autrement.

Comment pouvez-vous dire que l’inf… n’a aucune part au crime de ce scélérat ? Lisez donc sa réponse : C’est la religion qui m’a fait faire ce que j’ai fait[971]. Voilà ce qu’il dit dans son interrogatoire : je ne suis que son greffier.

Mon cher frère, je hais toute tyrannie, et je ne serai jamais ni jésuite, ni janséniste, ni parlementaire.

J’avais depuis longtemps l’énorme compte du procureur général de Provence[972] : j’ai une bibliothèque entière des livres faits depuis trois ans contre les jésuites. Dans quelque temps on ne se souviendra plus de tous ces livres, et l’on dira seulement : Il y eut des jésuites. Je suis honteux de demander toujours des livres, et de vous fatiguer de mes importunités ; je crois que j’aurai bientôt une bibliothèque aussi nombreuse que celle de M. le marquis de Pompignan[973].

On a oublié, ce me semble, dans les petites plaisanteries que mérite Simon Lefranc, la guerre éternelle qu’il a jurée aux incrédules, dans le village de Pompignan. Remercions bien Dieu de l’excès de son ridicule. Je vous réponds que si ce petit président des aides de province n’était pas le plus impertinent des hommes, il serait le plus dangereux.

Il y a bien une autre bouffonnerie de ce Simon. Vous savez sans doute l’aventure du garde des sceaux, du secrétaire Carpot, et des lettres patentes[974] ; cela est délicieux, et l’emporte sur tout le reste.


Et vive le roi, et Simon Lefranc !


Écr. l’inf.

5212. — À M.  MOULTOU[975].
2 mars 1763.

Mon très-cher et très-aimable prêtre, vous avez très-grande raison de vouloir qu’on fasse sentir que la mauvaise métaphysique jointe à la superstition ne sert qu’à faire des athées.

Les demi-philosophes disent : Saint Thomas est un sot, Bossuet est de mauvaise foi : donc il n’y a point de Dieu.

Il faut dire au contraire : donc il y a un Dieu, qui nous apprendra un jour ce que Thomas d’Aquin ne savait point et ce que Bossuet ne disait pas. Je me suis fort étendu sur cette idée dans un chapitre précédent.

Croiriez-vous que je n’ai plus de pompignades[976] ? Il en faut refaire, il n’est pas juste que vous en manquiez.

L’affaire des Calas prend le meilleur train qui soit possible. Je me flatte toujours qu’on tirera un très-grand bien de cette horrible aventure.

Mme  Denis est toujours bien malade.

Je finis en vous embrassant avec le plus tendre respect.


5213. — À M.  LE MARQUIS D’ARGENCE DE DIRAC.
À Ferney, le 2 mars.

Je vois, monsieur, par votre lettre du 18 février, que vous êtes l’apôtre de la raison. Vous rendez service à l’humanité, en détruisant, autant que vous le pouvez, dans votre province, la plus infâme superstition qui ait jamais souillé la terre. Nous sommes défaits des jésuites, mais je ne sais si c’est un si grand bien ; ceux qui prendront leur place se croiront obligés d’affecter plus d’austérité et plus de pédantisme. Rien ne fut plus atrabilaire et plus féroce que les huguenots, parce qu’ils voulaient combattre la morale relâchée. Nous sommes défaits des renards, et nous tomberons dans la main des loups[977]. La seule philosophie peut nous défendre. Il serait à souhaiter que le Sermon des Cinquante fût dans beaucoup de mains ; mais malheureusement je ne puis plus en trouver.

J’ai trouvé un Testament de Jean Meslier, que je vous envoie. La simplicité de cet homme, la pureté de ses mœurs, le pardon qu’il demande à Dieu, et l’authenticité de son livre, doivent faire un grand effet.

Je vous enverrai tant d’exemplaires que vous voudrez du Testament de ce bon curé. L’affaire des Galas a été rapportée ; elle est en très-bon train : je réponds du succès. C’est un grand coup porté à la superstition ; j’espère qu’il aura d’heureuses suites.

J’ai marié Mlle  Corneille à un jeune gentilhomme de mon voisinage infiniment aimable ; c’est un de nos adeptes, car il a du bon sens. Adieu, monsieur ; cultivez la vigne du Seigneur ; conservez-moi vos bontés, et soyez persuadé de mon tendre respect.


Christmoque.

5214. — À M.  THIERIOT.
2 mars.

Des pigeons dans un casque ont niché leurs petits :
Le dieu Mars et Vénus de tout temps sont amis[978].


Il en est de ces imitations de vers latins comme des sottises : les plus courtes sont les meilleures.

Les plats que nous sert Simon Lefranc sont bien plus plaisants et plus originaux. Je ne sais rien de comparable à l’aventure des lettres patentes et de M. Carpot[979].

Enfin, mon cher frère, je suis content de vous.


· · · · · Vitanda est improba Siren
Desidia · · · · ·

(Hor., lib. II, sat. iii. v. 14.)

Il serait bon que Pindare Le Brun ou Lycophron Zoïle eût la lettre à M. d’Alembert[980]. Il m’a mandé que vous désapprouviez le mariage de M. Dupuits avec Mlle  Corneille ; mais je crois que vous ne désapprouvez que ses écrits et ses méchancetés. Écrivez-moi, je vous en prie. Mme  Denis a besoin de vos lettres autant que moi. Elle est très-malade depuis un mois, et vos lettres lui font plus de bien que Tronchin. Je vous embrasse de tout mon cœur.

5215. — À M.  MARMONTEL[981].
2 mars.

M. de Radonvilliers[982], soit ; mais il faut absolument, mon cher frère, que vous ayez la place suivante, et que frère Diderot soit ensuite des nôtres.

Votre Poétique sera une nouvelle clef qui vous ouvrira toutes les portes. J’ai toujours été fâché qu’un vil coquin comme Fréron vous ait fait abandonner la poésie. N’oubliez pas de peindre, je vous prie, ces misérables Zoïles qui se mêlent de juger ce qu’ils n’entendent point.

L’aventure de M. Carpot et des lettres patentes est délicieuse, et vaut encore mieux, s’il est possible, que le sermon prêché à Pompignan. Mme  Denis en a bien ri, toute malade qu’elle est depuis un mois.

Tout ce qui est à Ferney vous embrasse de tout son cœur.

N. B. Est-il vrai que La Popelinière a eu l’avantage de mourir cocu ?


5216. — À M.  PIERRE ROUSSEAU[983].
À Ferney, 2 mars.

Je n’ai jamais conçu, monsieur, comment vous vous étiez fait esclave, pouvant être libre. Votre Journal avait une grande réputation ; vous y auriez travaillé dans le château de Ferney beaucoup plus facilement qu’ailleurs, étant à un pas d’une ville de commerce, et pouvant établir toutes vos correspondances sans demander permission à personne. Malheureusement j’ai prêté cette habitation pour une année. Je ne vous conseille pas d’aigrir M. le duc de Bouillon ; si je peux vous servir auprès de lui, dites-moi précisément ce que vous lui demandez ; prescrivez-moi aussi ce que je dois écrire à M. l’abbé Coyer : vous serez servi sur-le-champ. Vous me mandâtes, il y a quelque temps, que je vous avais écrit à Bouillon ; cela m’étonna beaucoup. Il faut que ce soit quelqu’un qui ait pris mon nom, car il me semble qu’il y a plus de quatre mois que je ne vous ai adressé de lettre dans ce pays-là. Je suis malade, je perdsla vue ; mais je ne perdrai jamais ni l’envie de vous servir, ni l’estime véritable avec laquelle j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre, etc.


5217. — À M. MOULTOU[984].

J’ai le malheur, monsieur, de n’être pas plus content des lettres de Warburton que du livre de Bolingbroke ; mais je le suis extrêmement de votre manière de penser équitable et tolérante, et très-reconnaissant de votre bonté.

Je persiste toujours à croire que M. Debrus gronde un peu trop notre pauvre Mme  Calas. Il ne changera pas le caractère de cette femme, et il ne lui donnera point d’esprit. Plaignons-la, servons-la, et ne la contristons point. L’affaire ira cent fois mieux que je n’avais osé l’espérer.

Je vous assure que si on réforme, comme je le crois, l’abominable arrêt des assassins visigoths en robe noire, ce sera pour nous une consolation bien touchante.

Je deviens bien sourd, mais je n’en suis pas moins sensible. Je le suis surtout à votre extrême mérite.

Je vous prie, monsieur, de vouloir bien dire a Mme  la duchesse d’Enville que, sans mes oreilles, je serais à ses pieds tous les jours.

Soyez bien persuadé de ma respectueuse estime.


5218. — À M.  DAMILAVILLE.
Le 5 mars.

Mon cher frère, j’attends votre petite pompignade[985], dont les notes me réjouiront. J’attends surtout des nouvelles de la seconde représentation de la pièce de M. de Crosne[986], qu’on dit fort bonne. Je me flatte toujours que cette affaire des Calas fera un bien infini à la raison humaine, et autant de mal à l’inf…

Mettez-moi au fait, je vous en conjure, de l’aventure de l’Encyclopédie[987]. Est-il bien vrai qu’après avoir été persécutée par les Omer et les Chaumeix, elle l’est par les libraires ? est-il vrai que la mauvaise foi et l’avarice aient succédé à la superstition, pour anéantir cet ouvrage ? Si cela est, ne pourrait-on pas renouer avec l’impératrice de Russie ? Après tout, si les auteurs sont en possession de leurs manuscrits, ils n’ont qu’à aller où ils voudront. La véritable manière de faire cet ouvrage en sûreté était de s’en rendre entièrement le maître, et d’y travailler en pays étranger. Je plains bien le sort des gens de lettres : tantôt un Omer leur coupe les ailes, et tantôt des fripons leur coupent la bourse.

Est-il vrai que M. Saurin aura le poste que Catherine destinait à mon frère d’Alembert ? En ce cas, ce poste serait toujours occupé par un frère, et il y aurait de quoi lever les mains au ciel en action de grâces, tandis qu’à Paris on lève les épaules sur les Pompignan et sur les Le Brun, et sur tant d’autres misères.

On demande dans les provinces des Sermons[988] et des Meslier[989] ; la vigne ne laisse pas de se cultiver, quoi qu’on en dise.

Mon frère Thieriot est prié de me dire combien il y a encore de petits Corneilles dans le monde ; il vient de m’en arriver un qui est réellement arrière-petit-fîls de Pierre, par conséquent très-bon gentilhomme. Il a été longtemps soldat et manœuvre ; il a une sœur cuisinière en province, et il s’est imaginé que Mlle  Corneille, qui est chez moi, était cette sœur. Il vient tout exprès pour que je le marie aussi ; mais comme il ressemble plus à un petit-fils de Suréna et de Pulchérie qu’à celui de Cornélie et de Cinna, je ne crois pas que je fasse sitôt ses noces.

J’embrasse tendrement mon frère. Je suis aveugle et malingre. Écr. l’inf…


5219. — À M.  LE CARDINAL DE BERNIS.
Aux Délices, le 7 mars.

Votre Éminence, monseigneur, doit avoir reçu une lettre[990] du pauvre Tirésie, adressée à Vic-sur-Aisne, pendant qu’elle daignait me faire des reproches de mon silence. Vous êtes englobé dans l’Académie française, qui a daigné signer en corps au mariage de notre Marie Corneille.

Il faut, pour vous amuser, que M. Duclos vous envoie l’Héraclius espagnol, dont on dit que Corneille a tiré le sien ; vous rirez, et il est bon de rire.

Votre Éminence a la bonté de me parler d’Olympie[991], j’aurai l’honneur de la lui envoyer dans quelque temps ; elle en aura perdu la mémoire, et ne jugera que mieux de l’effet qu’elle peut faire.

L’affaire des Calas, ma fluxion sur les yeux, le mariage de Mme  Dupuits, une grosse maladie de ma nièce, m’ont un peu dérouté des amusements tragiques ; mais rien ne me détachera de Votre Éminence, à qui j’ai voué le plus profond et le plus tendre respect.


5220. — À M.  DEBRUS[992].
(7 mars 1763.)

Bénissons Dieu tous ensemble, mon cher monsieur, car en vérité nous sommes tous de la même religion. Les huit juges de Toulouse n’ont plus d’autre chose à faire qu’à demander pardon à Dieu et aux hommes, et à venir arroser de leurs larmes les pieds de Mme  Calas, si elle daigne le permettre.

Je ne serais point étonné que le roi lui-même ne fût aujourd’hui au conseil d’État ; il y a déjà été pour une affaire moins importante.


5221. — À M.  COLINI.
Aux Délices, 7 mars.

Mon cher historien palatin, mon cher éditeur, envoyez-moi, je vous prie, sur-le-champ, par les voitures publiques, trois douzaines d’Olympie en feuilles[993] ; je vous serai obligé. Je ne peux écrire une longue lettre, attendu que mes yeux me refusent le service.

Je vous embrasse de tout mon cœur. V.


5222. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[994].
Aux Délices, près Genève, 7 mars 1763.

Madame, je suis bientôt près de quitter ce monde, dont vous faites l’ornement. Je ne m’intéresse guère à lui qu’en cas qu’il y ait encore quelques âmes comme la vôtre. Le roi de Prusse y joue un grand rôle, et je crois que Votre Altesse sérénissime n’a pas été fâchée qu’il ait résisté à la maison qui vous a fait perdre votre électorat[995]. Il a acquis une gloire immortelle. Je connais une nation qui ne pourra pas dire autant d’elle ; mais on dit que nous avons à Paris un Opéra-Comique qui est fort bon, et cela suffit. Si nous n’avons pas vaincu tous nos ennemis, nous avons du moins chassé les jésuites ; c’est un assez beau commencement de raison : nous finirons peut-être par nous en tenir à Jésus-Christ ; mais je serai mort avant que ce bienheureux jour arrive.

Les Calas, dont Votre Altesse sérénissime a vu les mémoires, obtiennent enfin justice ; et le conseil du roi ordonne qu’on revoie leur procès. C’est une chose très-rare en France que des particuliers puissent parvenir à faire casser l’arrêt d’un parlement, et il est presque incroyable qu’une famille de protestants, sans crédit, sans argent, dont le père a été roué à un bout du royaume, ait pu parvenir à obtenir justice. Nous sommes obligés de faire une collecte en faveur de ces infortunés : les frais de justice sont immenses. Si Votre Altesse sérénissime veut se mettre au rang des bienfaiteurs des Calas, elle sera au premier rang, et nous serons plus flattés du bienfait que de la somme, qui ne doit pas être considérable.

J’apprends que pendant que tout le monde est en paix, votre maison est en guerre pour la principauté de Meiningen ; je me flatte que votre guerre ne sera pas longue, et que vous la finirez comme le roi de Prusse, en jouissant de tous vos droits. J’ai eu l’honneur de voir autrefois feu M. le prince de Meiningen ; je vous assure que sa cour n’était pas si brillante que celle de Gotha.

Je ne sais point, madame, où demeure Mme  la comtesse de Bassevitz, qui vous est si attachée ; il faut absolument que je lui écrive, et je ne sais comment faire sans avoir recours à Votre Altesse sérénissime. Je la supplie de permettre que je prenne la liberté de mettre la lettre dans ce paquet.

On nous a fait espérer, madame, que nous aurions après la paix messieurs les princes, vos enfants, dans notre voisinage ; j’aurai du moins la consolation de faire ma cour à la mère dans la personne de ses enfants.

Je me mets aux pieds de votre auguste famille, et je suis avec le plus profond respect, madame, etc.

5223. — À M.  PIERRE ROUSSEAU.
Aux Délices, 8 mars[996].

La plus petite de toutes les méprises imprimées, et la moins importante, est l’honneur qu’on me fait, dans le Journal encyclopédique du mois de mars 1763, d’avoir reçu de madame l’archiduchesse des bouts-rimés à remplir[997]. Je n’ai, Dieu merci, ni reçu cet ordre, ni fait des bouts-rimés. Cependant, comme il faut obéir aux princesses, quelque vieux qu’on soit, je déclare que je ferai de mauvais bouts-rimés quand Leurs Altesses impériales l’ordonneront positivement.


5224. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 9 mars.

Assurément vous êtes bien anges ; et je suis bien payé pour le croire et pour le dire. Vous me traitez précisément comme Gabriel[998] traita Tobie. Vous m’enseignez un remède pour mes yeux ; mais ce n’est pas du fiel de brochet. Je vous remercie bien tendrement, mes chers anges.

Je vois qu’il faut abandonner le tripot pour longtemps. Vous n’ignorez pas sans doute que Mlle  Clairon est dans le cas de l’hémorroïsse, et que le sauveur Tronchin lui a mandé qu’il ne pouvait la guérir si elle ne venait toucher le bas de sa robe. Il la déclare morte si elle joue la comédie. Je me bornerai donc à commenter Corneille et à admirer Racine.

Mais admirez dans quel embarras me jette Pierre Corneille. Ce n’est pas assez pour lui d’avoir fait Pertharite, Théodore, Agésilas, Attila, Suréna, Pulchérie, Othon, Bérénice ; il faut encore qu’un arrière-petit-fils de tous ces gens-là vienne du pays de la mère aux gaines[999] me relancer aux Délices.

C’est réellement l’arrière-petit-fils de Pierre. Il se nomme Claude-Etienne Corneille, fils de Pierre-Alexis Corneille, lequel

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Suréna, acte V, scène v.
  3. Voyez tome VI, pages 153 et 171.
  4. Jean Schouvalow ; voyez la lettre 4749.
  5. Nom du traité entre la France et l’Espagne, du 15 août 1761.
  6. Editeurs, de Cayrol et François.
  7. Nicolas-Bonaventure Duchesne, reçu libraire en 1751, mort en 1765, avait associé Gui à son commerce.
  8. La ville de Colberg, appartenante au roi de Prusse, s’était rendue aux Russes le 16 décembre 1761.
  9. C’était probablement quelque congé qui lui avait été accordé. (B.)
  10. La première épître de saint Pierre, chapitre v, verset 9, dit : « Fortes in fide. »
  11. C’est une tragédie de Cordier ; voyez tome XLI, page 423.
  12. Éditeur, Th. Foisset.
  13. Françoise Castel de Saint-Pierre-Crèvecœur, première femme du président de Brosses, morte le 25 décembre 1761.
  14. Ceci prouve qu’il n’était plus question du procès Baudy.
  15. L’affaire Varennes.
  16. Voyez la lettre du 24 octobre 1761, n° 4717.
  17. Acte II, scène xii
  18. Brizard disputait à Lekain le rôle de Cicéron dans Rorne sauvée.
  19. Cette expression regarde Lanoue.
  20. Voyez lettre 4799.
  21. Voyez tome VII, la tragédie de Don Pèdre.
  22. Qui avait ratifié le pacte de famille ; voyez page 4.
  23. Charles-Théodore, électeur palatin.
  24. La tragédie d’Olympie.
  25. Il appelle ainsi la lettre du 25 décembre ; voyez n° 4788.
  26. Voyez, tome XLI, page 564.
  27. Cette lettre n’est qu’un fragment que les éditeurs précédents avaient cousu à une lettre de l’année 1764. (G. A.)
  28. Dans Zulime.
  29. Les Chevaux et les Anes, étrennes aux sots. Voyez tome X.
  30. On pourrait croire, d’après cette phrase, que d’Alembert, auquel Voltaire donnait le nom de Protagoras, est auteur de la Préface du Manuel des Inquisiteurs, qu’on doit à Morellet. Voyez tome XXV, page 105.
  31. Voltaire se proposait sans doute d’abandonner le produit d’un de ses ouvrages sur le chantier à Thieriot. (B.)
  32. Répliques aux Apologies des jésuites. Voyez tome XXIV, page 341.
  33. Le Salon, poëme, 1762, in-4o.
  34. Lettre à M. le duc de Choiseul sur le Mémoire historique de la négociation entre la France et l’Angleterre, Amiens, 1762, in-4o.
  35. Voyez la note, page 25.
  36. Cette préface ne nous est pas parvenue.
  37. Voltaire était membre honoraire non résident de l’Académie de Dijon depuis le 3 avril 1761.
  38. Écclcsiaste, I, 2.
  39. Ibid., II, 22.
  40. Entre Louis XV et Élisabeth ; voyez lettre 4798.
  41. Voyez lettre 4777.
  42. Les jésuites.
  43. Voyez tome XXIV, page 277.
  44. Voltaire parle encore avec regret de cette suppression dans sa lettre 4827.
  45. Il est dans le texte, acte V, scène iii.
  46. Acte V, scène v. Voyez tome V, page 558.
  47. Catulle a dit :

    Vivamus, mea Lesbia, atque amemus.

  48. Édition de 1762, en deux volumes in-folio. La présentation au roi est du 10 janvier. (B.)
  49. Térence.
  50. Par Morellet.
  51. Le doyen de l’Académie était Richelieu, qui y avait été reçu en 1720.
  52. Frédéric II, roi de Prusse.
  53. Voyez la note, tome XXV, page 105.
  54. Regnard, Folies amoureuses, acte II, scène vi.
  55. La liastille ; voyez la note, tome XL, page 412.
  56. Ou les Chevaux et les Anes, tome X.
  57. Le Sermon du rabbin Akib est tome XXIV, page 277.
  58. Ou le Droit du Seigneur, tome VI, page 3.
  59. Éditeurs, de Cayrol et François.
  60. Madame de Fontaine.
  61. En tête des Recherches sur l’origine du despotisme oriental, ouvrage posthume de M. B. I. D. P. E. C. (M. Boulanger, ingénieur des ponts et chaussées), 1762, in-12, est une Lettre de l’auteur à M.*** (Helvétius).
  62. Voyez une note sur la lettre 4789.
  63. Éditeurs, de Cayrol et François.
  64. Éditeurs, de Cayrol et François.
  65. Éditeurs, Bavoux et François.
  66. Élisabeth Petrowna était morte le 5 janvier.
  67. Voyez une note sur la lettre 4830.
  68. Cette lettre à Duchesne manque ; voyez n° 4798 et 4830.
  69. Crébillon a dit dans Catilina, acte I, scène i :

    Pourquoi faire égorger Nonuius cette nuit ?

  70. On lit dans une mazarinade :
    Oh ! le bon temps que c’était
    Que le temps de la famine !
    Qui voulait f… f…tait
    Pour un litron de farine.
  71. Horace, livre I, ode iii, vers 9.
  72. Voyez l’épigramme de Piron :

    Que fait ce bouc en si joli bercail ?
    · · · · · · · · · ·
    …C’est l’eunuque au milieu du sérail,
    Il n’y fait rien, et nuit à qui veut faire. (B.)

  73. Voyez tome VI, page 3.
  74. Voltaire désigne sans doute ainsi les Recherches sur te despotisme oriental ; voyez ci-dessus, page 25.
  75. Extrait des Sentiments de Jean Meslier ; voyez tome XXIV, page 293.
  76. Voyez la note, tome XL, page 500.
  77. La suppression dont se plaint Voltaire n’est plus qu’un changement dans le texte du Droit du Seigneur en trois actes. Ce texte ne porte pas, il est vrai : « Ai-je perdu la gageure ? » mais « J’ai perdu la gageure. » Voyez tome VI, page 63.
  78. Editeurs, Bavoux et François.
  79. Olympie.
  80. Pierre III, qui succéda à Élisabeth, fit la paix avec Frédéric.
  81. Intitulée depuis Olympie ; voyez tome VI.
  82. Cette lettre manque, ainsi que celle dont il est question dans la lettre 4825.
  83. C’était l’enseigne de Duchesne ; voyez tome VI, page 335.
  84. Élisabeth Petrowna, fille de Pierre le Grand, était morte le 5 janvier 1762 (ou 25 décembre 1761 de l’ancien style).
  85. Vers d’Olympie, acte II, scène ii.
  86. Voyez la note sur la lettre 4699.
  87. Il est encore question de ce cadeau à Tronchin dans les lettres 4968, 5009, 5034.
  88. La lettre à Mme  de Fontaine, du même jour, n° 4833.
  89. Le Manuel des Inquisiteurs ; voyez la note, tome XXV, page 105.
  90. Extrait des Sentiments de J. Meslier : voyez tome XXIV, page 293.
  91. Voyez tome XXIV, page 277.
  92. Voyez la note, page 25.
  93. Les Pensées philosophiques d’un citoyen de Montmartre sont de 1756. L’ouvrage est du Père Sennemaud, jésuite.
  94. Ode sur la guerre présente : voyez une note sur la lettre 4678.
  95. Voyez ci-dessus, page 36.
  96. Communiquée à l’Illustrated London News par M. John Henderson.
  97. Destouches, Glorieux, acte II, scène v.
  98. Horace, livre I, épître iv, vers 9.
  99. Elle avait souscrit pour deux cents exemplaires à l’édition du Théâtre de Pierre Corneille avec des commentaires ; voyez lettre 4762.
  100. Le Manuel des Inquisiteurs, par Morellet ; voyez la note, tome XXV, page 105.
  101. Voyez la lettre 4816, deuxième paragraphe.
  102. Voyez tome XXIV, page 293.
  103. Voltaire était en effet de l’Académie de Dijon.
  104. Eléments de musique théorique et pratique sur les principes de M. Rameau, éclaircis, développés et simplifiés ; nouvelle édition, 1762, in-8o. La première édition de cet ouvrage de d’Alembert est de 1752.
  105. François Walther, comte de Lutzelbourg, lieutenant général, était mort le 17 janvier 1762 à Fulde, où il commandait.
  106. Mme  Lullin.
  107. Voyez lome XIV, page 74. Quand il est mort il n’avait que quatre-vingt-dix-neuf ans, dix mois et vingt-huit jours.
  108. Dans la tragédie d’Olympie.
  109. Voyez tome VI, pages 148 et 169.
  110. La réunion de la Comédie-Italienne et de l’Opéra-Comique (ou Théâtre de la Foire) est de 1762. La première représentation des deux troupes réunies, du 3 février, eut un grand succès.
  111. Voyez lettre 4833.
  112. Moncrif était lecteur de la reine.
  113. Voyez lettre 4715.
  114. Voyez la lettre du 8 février, n° 4833.
  115. Le Manuel des Inquisiteurs, par Morellet.
  116. Voyez le chapitre ix de Candide, tome XXI, page 153.
  117. Voltaire a dit que « plusieurs gens de lettres regardent Cinna plutôt comme un bel ouvrage que comme une tragédie intéressante ». Voyez tome XXXI, page 339.
  118. Virgile, Bucol., i, v. 8.
  119. Bernis n’a participé qu’à deux élections de papes, Clément XIV en 1769, et Pie VI en 1775 ; mais ce dernier a régné vingt-cinq ans.
  120. Cette lettre formait le commencement d’une autre qu’on a toujours imprimée sans nulle raison à la fin de 1762. (G. A.)
  121. C’est à Éphèse qu’est la scène dans Olympie.
  122. Cassandre, roi de Macédoine
  123. Voyez tome XIV, page 48. L’un des romans de La Calprenède est intitulé Cassandre.
  124. Il s’agit sans doute de la Balance égale ; voyez tome XXIV, page 337.
  125. À l’occasion de sa brouille avec le maréchal d’Estrées.
  126. Nom d’un personnage du Droit du Seigneur, par lequel Voltaire désigne quelquefois cette pièce.
  127. Voyez tome VI, page 3.
  128. Le tome VIII de l’Essai sur les Mœurs, publié en 1763.
  129. Voyez la lettre 4854.
  130. Il veut sans doute parler de Rochette, qui avait été pendu le 18 février ; voyez une note sur la lettre 4719.
  131. La terre de Broglie est située en Normandie (aujourd’hui département de l’Eure, arrondissement de Bernay).
  132. Voyez tome XIV, page 446.
  133. Voyez ci-après la lettre du cardinal, n° 4862.
  134. Mme  d’Argental.
  135. Abrégé chronologique de l’Histoire de France.
  136. Samedi 6 mars.
  137. Dans M. de Pourceaugnac, acte I, scène vi, il est question d’un repas bien troussé.
  138. Pierre Schouvalow, grand-maître de l’artillerie, mort le 16 janvier 1762.
  139. Cet ambassadeur auprès du nouvel empereur de Russie, Pierre III, avait obtenu un grand crédit sur lui.
  140. Chaque province de la France ou l’assemblée de ses états avait offert un vaisseau.
  141. 6 mars.
  142. Compte rendu des constitutions des jésuites les 1, 3, 4 et 5 décembre 1761 (au parlement de Bretagne}, 1762, in-12.
  143. Il s’appelait Marchand de La Houlière.
  144. Voyez une note sur la lettre 4843.
  145. Ces trois lettres sont perdues ; car celle du 14 janvier (n° 4802) a été écrite avant que Voltaire connût la mort de l’impératrice Élisabeth, arrivée dix jours auparavant (25 décembre-5 janvier).
  146. Pierre III, qui fut détrôné le 9 juillet de la même année, et mourut huit jours après, empoisonné et étranglé ; voyez tome XV, page 351.
  147. Le marquis de Florian.
  148. Éditeurs, de Cayrol et François.
  149. Ces deux lettres manquent. (B.)
  150. Éditeur, Th. Foisset.
  151. Quatre membres de ce parlement avaient été emprisonnés, et trente avaient subi un exil de deux ans et dix mois pour une opposition identique dans sa cause avec celle du parlement de Dijon dans l’affaire Varennes. Mais l’appui de Malesherbes et de la cour des aides de Paris fit triompher le parlement de Bourgogne du ministère.
  152. Éditeur, de Mandat-Grancey. — En entier de la main de Voltaire.
  153. Éditeur, Th. Foisset.
  154. Le parlement de Bourgogne avait suspendu ses audiences par suite de l’affaire Varennes.
  155. Le cardinal de Bernis ; voyez sa lettre du 25 février, [[ Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4865|n° 4848]].
  156. Voyez la note, tome VI, page 143.
  157. Le cardinal de Bernis et d’Alembert.
  158. M. et Mme  d’Argental.
  159. C’est la lettre 4867.
  160. C’est le mot fameux de Henri IV.
  161. Le marquis de Mirabeau est auteur de l’Ami des hommes et de la Théorie de l’impôt.
  162. Par Holberg.
  163. La Fontaine, livre VII, fable iii.
  164. Dans sa lettre du 2 mars (n° 4852), Voltaire parle de nombreuses condamnations pour cause de religion prononcées par le parlement de Toulouse.
  165. Voyez tome XXV, page 21.
  166. Le réquisitoire d’Omer Joly de Fleury contre l’Encyclopédie, du 29 janvier 1759.
  167. Voyez tome XVI, page 80.
  168. On appelait ainsi les boulevards.
  169. Desnoiresterres, Voltaire à la cour, page 473.
  170. Baculard avait consacré à son maître un vers enthousiaste, qu’il accompagnait de cette note non moins hyperbolique : « M. de Voltaire est le premier poëte français qui ait dit des choses et non des mots. C’est le premier aussi qui ait su tourner la maxime en sentiment, ses écrits ne respirent que l’amour de l’humanité, l’obéissance et le respect dû au souverain, la bonté du maître duc à son peuple. Nul auteur n’a su mieux que lui combattre le fanatisme et la sédition, il les a rendus également odieux et ridicules. » La France sauvée (1757), page 8. (Desn.)
  171. Cette lettre fut imprimée, étrangement défigurée, dans un journal anglais (voyez n° 5010) ; Voltaire s’en plaint encore dans les lettres 5021 et 5062.
  172. Vernet, auteur des Lettres critiques d’un voyageur anglais ; voyez tome XXV, pages 491 et 492.
  173. Le Journal encyclopédique du 15 mars contient, pages 73-77, un article sur l’ouvrage de Vernet.
  174. Rochette ; voyez la note 3, tome XLI, page 490.
  175. Calas.
  176. Ce sont les deux derniers vers d’un sixain sur les Sodomites.
  177. Voltaire venait de publier la Balance égale ; voyez tome XXIV, page 337.
  178. Son Compte rendu ; voyez lettre 4856.
  179. Rochette ; voyez la lettre 4719.
  180. Calas.
  181. Luc, ii, 52.
  182. Cette lettre, éditée par MM. de Cayrol et François, sans suscription et à la date de 1758, est adressée, selon nous, à Beccaria, qui publia en 1762 son ouvrage intitulé Du Désordre des monnaies dans les États de Milan, et des moyens d’y remédier, et qui était l’ami du comte Firmiani. (G. A.)
  183. Le comte Firmiani, gouverneur de Milan. (A. F.)
  184. Éditeur, A. Coquerel — Autographe.
  185. Éditeur, de Mandat-Grancey. — En entier de la main de Voltaire.
  186. Le parlement de Dijon avait été attaqué dans ses prérogatives et sa réputation par des écrits du sieur Varennes, et n’avait pu obtenir satisfaction. Par suite il avait cessé d’expédier les affaires, ses magistrats ne se reconnaissant pas l’esprit assez libre pour rendre la justice aux sujets du roi.
  187. Pièces originales concernant la mort des sieurs Calas, etc. ; voyez tome XXIV, pag-e 365.
  188. C’est la lettre 4867.
  189. Diderot, appelé aussi quelquefois Tonpla.
  190. Blaise le savetier est un opéra-comique de Sedaine ; le Maréchal ferrant est de Quétant.
  191. L’un était ministre de la guerre ; l’autre, des affaires étrangères.
  192. Saint Paul, aux Éphésiens, iv, 22 ; et aux Colossiens, iii, 9.
  193. La Houlière, recommandé dans la lettre du 10 mars, n° 4857.
  194. Il lui écrivit le 6 septembre ; voyez lettre 5030.
  195. Voyez lettre 4841.
  196. Elle est perdue. (B.)
  197. Lavaysse.
  198. Publié par M. G. Brunet, dans le Bibliophile belge, tome III. — La lettre précédente, qui est du même jour, est daté des Délices. Mais ce n’est pas la première fois que le cas se présente.
  199. Le Petit Avis à un jésuite (voyez tome XXIV, page 341), ou bien Extrait de la Gazette de Londres ; voyez ibid., page 291.
  200. Personnage des Mœurs du temps ; voyez la note, tome XLI, page 191.
  201. Voyez l’avertissement de Beuchot en tête du Précis du Siècle di’Louis XV, tome XV.
  202. Personnage de la Pucelle, remplacé par Hermaphrodix, chant IV et suiv.
  203. Voyez tome XXIV, page 402 ; et XXV, 18.
  204. Voltaire ne dit que soixante-huit, tome XXIV, page 404 ; et XXV, 19. Dans aucune des lettres à d’Argental qui sont imprimées, il ne donne l’âge de Calas père, qui n’avait guère que soixante-quatre ans.
  205. Grandval (voyez tome XXII, page 69) se retira en effet du théâtre en 1762, mais il y rentra en 1764, et se retira définitivement en 1768 ; il est mort en 1784.
  206. Mlle  Dumesnil ne se retira qu’en 1775 ; voyez tome XXXVI, page 218.
  207. Comédie de Boissy, jouée en 1727.
  208. Le 6 janvier 1763 on avait donné à Bagnolet, sur le théâtre du duc d’Orléans, une représentation de la Partie de chasse de Henri IV, comédie de Collé, qui fut imprimée dès 1766, mais dont on ne permit pas la représentation sur les théâtres publics tant que régna Louis XV.
  209. Editeur, Th. Foisset.
  210. M. Joly de Beuvy, éditeur des œuvres de jurisprudence du président Bouhier, et président lui-même au parlement de Dijon le 13 février 1777, mort en 1821.
  211. Il s’agit sans doute de l’Extrait de la Gazette de Londres ; voyez tome XXIV, page 291.
  212. Mayans y Siscar ; voyez lettre 4931.
  213. Nommée Marie Calderona.
  214. Ovide, Amor. II, élég. x, 36.
  215. Éditeur, Th. Foisset.
  216. De Vosge père, alors occupé à dessiner, pour l’histoire des impôts que préparait M. de La Marche, des allégories que Monnier devait graver.
  217. Pièce de Pierre Corneille.
  218. Les jésuites ne furent déclarés dissous que par arrêt du parlement de Paris du 6 août 1762.
  219. Allusion à l’affaire Varennes, où M. de La Marche voulait interposer sa médiation.
  220. Voyez la note, tome XV, page 323.
  221. Gaillon était la maison de campagne des archevêques de Rouen ; Voltaire en parle dans un vers de son Temple de l’Amitié (voyez tome IX). Gaillon est aujourd’hui une maison de détention.
  222. Vernet, auteur des Lettres critiques d’un voyageur anglais.
  223. C’était le nom qu’on donnait au collège Louis-le-Grand.
  224. Saint Luc, xxiii, 34.
  225. Voyez une épigramme dans les Mémoires secrets de Bachaumont, à la date du 23 février 1763.
  226. Le Père de La Tour, jésuite, était général de la province de France.
  227. Jean Astruc, mort en 1765, n’est pas loué dans la Correspondance de Grimm, mai 1765. (B.)
  228. Piron a dit dans la Métromanie, acte II, scène viii ;

    Le bon sens du maraud quelquefois m’épouvante.

  229. Le roi de Prusse.
  230. Une lettre de La Chalotais (L.-René de Caradeuc de), procureur général au parlement de Bretagne, adressée à Voltaire le 4 mai 1762, est signalée dans un catalogue d’autographes avec cette mention : « Très-belle lettre d’envoi de son ouvrage contre les constitutions des jésuites et le fanatisme qu’elles renferment, et contre la barbarie de l’éducation française. »
  231. Éditeur, A. Coquerel. — Autographe.
  232. Guillaume II de Lamoignon, chancelier de France depuis 1750, était né en 1683 ; il avait donc, en 1762, soixante-dix-neuf ans.
  233. En effet, Voltaire se trompe sur ce nom qui, plus tard, se rencontra souvent sous sa plume. Charles de Manoel de Végobre était un avocat protestant de la Salle en Languedoc ; la persécution l’avait obligé de se réfugier à Genève ; il y fut jusqu’à sa mort, en 1801, un protecteur infatigable des protestants de France. Dans l’affaire des Calas en particulier, il devint, avec le négociant Debrus, le banquier Cathala et le pasteur Moultou, le conseil secret et très-actif de la famille du condamné. Voltaire lui écrivit souvent. (Note du premier éditeur.)
  234. L’adresse est : « À monsieur, monsieur de Bruce, derrière le Rhône. »
  235. On trouve dans les Questions sur l’Encyclopédie (ou Dictionnaire philosophique, voyez tome XVII, page 215) une lettre à Damilaville, du 7 mai 1762, qui ne pouvait être transposée, qu’il serait superflu de répéter ici, mais qu’il est bon d’y mentionner.
  236. Grimm parle du spectacle de Servandoni dans sa Correspondance, mai 1757.
  237. Extrait des sentiments de Jean Meslier ; voyez tome XXIV, page 293.
  238. De la comtesse de Narbonne-Pelet, sa nièce.
  239. Donat Calas. Pierre ne s’évada du couvent des jacobins que le 4 juillet.
  240. Voyez la note 4 de la page 101.
  241. MM. Desprez de Crassy.
  242. Extrait de la Gazette de Londres ; voyez tome XXIV, page 291.
  243. Éditeur, A. Coquerel. — Autographe.
  244. Cette requête ne parut pas telle que Voltaire l’avait écrite. Mme  Calas, retirée à la campagne, près de Montauban, cherchait à s’y faire oublier, et ne songeait nullement à demander une réhabilitation qui lui paraissait impossible et qui, sans Voltaire, l’était bien réellement. (Note du premier éditeur.)
  245. C’est une réponse à la lettre de Fez, qui est imprimée tome XXVI, page 139.
  246. Le prince Ch.-F.-G. de Brunswick, à qui sont adressées les Lettres sur Rabelais, etc. ; voyez tome XXVI, page 469.
  247. Le jésuite Nonotte. (K.)
  248. Éditeur, de Mandat-Grancey. — Cette lettre n’est pas écrite de la main de Voltaire, qui l’a seulement signée.
  249. Voltaire revient assez fréquemment dans ses lettres sur cette affaire de MM. Desprez de Crassy, dite du clos Balthazard ; le bien en question avait été tout simplement cédé en antichrèse à un M. Dauphin de Chapeaurouge (le huguenot de Voltaire), par les parents de MM. de Crassy et pendant leur minorité. Les jésuites d’Ornex étaient en négociations avec le nouveau propriétaire pour acheter le clos, lorsque les frères de Crassy reçurent de Voltaire 14 ou 15,000 livres, au moyen desquelles ils purent rentrer en possession sans difficulté, en vertu du retrait lignager. (Note du premier éditeur.)
  250. Par Collé.
  251. Louis-Philippe, mort en 1785.
  252. Éditeurs, de Cayrol et François. — « Nous croyons que ce billet est de 1762, et qu’il s’agit du passe-port dont il est parlé dans la lettre précédente. (G. A.)
  253. Nièce de Voltaire, précédemment Mme  de Fontaine ; elle avait épousé le marquis de Florian le 7 de ce mois.
  254. La dernière lettre que lui avait adressée Voltaire était du 26 février ; voyez n° 4851.
  255. Éditeurs, Bavoux et François ?
  256. On n’a pas cette lettre.
  257. Elle est perdue. (B.)
  258. Éditeur, de Mandat-Grancey. — Écrite par un secrétaire, signée par Voltaire.
  259. Cette dernière ligne est de la main de Voltaire.
  260. Voyez la note, tome XXXIII, page 272.
  261. Chamousset (Charles-Humbert Piarron de, né à Paris en 1717, mort le 27 avril 1773 ; ingénieux, généreux et zélé philanthrope, fondateur, à Paris, de la petite poste. Ce fut à grand’peine et à grands frais qu’il avait formé cet établissement à la fin de 1758. Des lettres patentes lui en accordèrent les produits pour trente ans. Le bénéfice, qui fut de 50,000 francs la première année, et que l’auteur espérait plus que doubler, était destiné, par Chamousset, à divers établissements de bienfaisance ; mais, dès 1760, il fut dépossédé. On lui accorda toutefois une pension viagère de vingt mille livres. (B.)
  262. Terre de Cideville.
  263. Éditeur, Th. Foisset.
  264. Rédigé par Varennes père.
  265. Éditeur, Th. Foisset.
  266. Les règlements de l’Académie de Dijon.
  267. M. Joly de Bévy, alors conseiller, depuis président au parlement de Dijon, mort en 1822. Sa brochure intitulée le Parlement outragé est devenue d’une rareté excessive. (Voyez Barbier, Dictionnaire des Anonymes.)
  268. Bernis, dans sa lettre du 10 décembre 1761 (n° 4773), ne parle que de six jours pour soigner le style. (B.)
  269. Voyez la réplique de Voltaire, tome XXIV, page 341.
  270. Celle du 17 mai, n° 4894.
  271. L’Extrait des sentiments de J. Meslier ; voyez tome XXIV, page 293.
  272. Tragédie de Du Belloy, jouée le 6 mai 1762.
  273. Éditeur, A. Coquerel.
  274. Le Traité sur la Tolérance.
  275. Éditeur, A. Coquerel.
  276. Debrus.
  277. Voyez la lettre 4889.
  278. Les psaumes mis en vers par Marot et de Bèze, chantés dans les temples des protestants.
  279. Voyez une des notes de la lettre 4884.
  280. Voyez tome XXIV, page 296.
  281. L’abbé de Chauvelin.
  282. Éditeurs, de Cayrol et François.
  283. Ou plutôt une traduction des premiers actes de la tragédie de Jules César. Voyez tome VII, page 431.
  284. Éditeurs, de Cayrol et François.
  285. Émile ou de l’Éducation, par Jean-Jacques Rousseau.
  286. Dans Beuchot, ces premières lignes terminent la lettre du 28 mai, n° 4911.
  287. Les Sentiments de Meslier.
  288. Voyez tome XXIV, page 345.
  289. Ces lettres sont perdues.
  290. Le second volume de l’Histoire de Russie sous Pierre le Grand n’a vu le jour qu’en 1763.
  291. Bulletin de la Société de l’Histoire du protestantisme français ; Paris, 1856, page 241.
  292. Voyez tome VII, page 431.
  293. Voyez tome VII, page 487.
  294. Voyez la lettre du 2 juin.
  295. G. Mayans y Siscar ; voyez la lettre que Voltaire lui adressa le 15 juin 1762, n° 4931.
  296. Voltaire cite le texte de Corneille, tome VII, page 536.
  297. Éditeurs, de Cayrol et François.
  298. Les Sentiments de Meslier, curé d’Etrépigny et de But.
  299. C’est à tort que Beuchot avait classé cette lettre à l’année 1761.
  300. Pujoulx fit jouer et imprimer, en 1791, un petit drame intitulé la Veuve Calas à Paris. Voltaire est au nombre des personnages, quoiqu’il ne fut pas à Paris au moment de l’arrivée de Mme  Calas, et qu’il n’y vint que seize ans plus tard (B.)
  301. Bulletin de la Société de l’Histoire du protestantisme français. Paris, 1856, page 242.
  302. Jean-Baptiste-Jacques Élie de Beaumont, avocat, né à Carentan en 1732 ; mort à Paris le 10 janvier 1786. C’est de lui que parle Voltaire, tome XVII, page 508 ; voyez aussi tome XXIV, page 115.
  303. La veuve Calas.
  304. Éditeurs, de Cayrol et François.
  305. Les Sentiments de Meslier.
  306. La Bible.
  307. La Réponse au sieur Fez, du 17 mai.
  308. Éditeurs, de Cayrol et François.
  309. Contrôleur des finances. Il voulait donner cette place à son ami Marinval.
  310. Grégoire Mayans y Siscar, savant espagnol, né en 1697, mort le 21 décembre 1781.
  311. Ce n’est pas au devant, mais à la suite de la Famosa Comedia que Voltaire fit imprimer ces vers ; voyez tome VII, page 537.
  312. Voyez tome VII, page 537.
  313. Éditeur, A. Coquerel. — Autographe.
  314. Le chirurgien Lamarque, chargé, le 15 octobre 1761, de l’autopsie de Marc-Antoine Calas, affirmait, dans son rapport, que le dernier repas du défunt avait précédé d’au moins quatre heures son décès, tandis que, selon les Calas, le suicide avait eu lieu peu après le souper de la famille. La conjecture de Lamarque était appuyée sur des observations de détail qui pouvaient donner lieu à une interprétation toute contraire.

    Une polémique s’engagea plus tard sur ce point entre Lamarque et un chirurgien de Lyon. En effet, il résulte des faits constatés par Lamarque lui-même qu’un repas avait été pris par le suicidé peu avant sa mort. Il déclarait que « les aliments n’avaient pu être entièrement broyés, divisés et atténués ». C’était confirmer pleinement la déposition des accusés.

    Deux autres médecins, le célèbre chirurgien Louis et un nommé Lafosse, ont écrit aussi sur les diverses questions de médecine légale que soulève le rapport, évidemment inconséquent, de Lamarque. (Note du premier éditeur.)

  315. Jean-Robert Tronchin, homme d’un mérite aussi rare et aussi reconnu que le fameux médecin son parent. Voltaire le regardait comme déplacé dans ce modeste emploi de procureur général d’une petite république, et le comparait au grand acteur Baron, obligé de paraître sur un des petits théâtres de la Foire (Note du premier éditeur.)
  316. M. de Nicolaï était premier président de la cour des comptes.
  317. Éditeurs, de Cayrol et François.
  318. Roman (J.-J.-T.), mort en 1787, venait de donner une traduction de la Mort d’Adam, tragédie de Klopstock, 1762, in-12.
  319. M. d’Albertas, d’abord avocat général au parlement de Provence, était, en 1782, premier président de la chambre des comptes. Sabatier de Cavaillon lui adressa une épître. (B.)
  320. Éditeur, A. Coquerel.
  321. Intendant des postes.
  322. Le livre de l’Esprit.
  323. Éditeur, A. Coquerel. — Autographe.
  324. Cette tentative paraît avoir été faite par l’intermédiaire du docteur Tronchin. Plus tard, ce fut le duc de La Vallière que Voltaire employa auprès de la marquise. (Note du premier éditeur.)
  325. De Damilaville lui-même.
  326. La tragédie de Sauvigny qui porte ce titre ne fut représentée que le 7 mai 1763.
  327. Éditeur, A. Coquerel.
  328. Il s’agit des Lettres toulousaines de Court de Gébelin.

    Cet écrivain était fils du pasteur Antoine Court, de l’homme qui, au péril de sa vie, réorganisa les Églises réformées de France sous le régne de Louis XV. Le séminaire qu’il fonda et qu’il dirigea à Lausanne l’obligea à vivre dans cette ville. Court de Gébelin habita Paris, et succéda à son père dans le poste obscur et difficile d’agent officieux des Églises réformées auprès des autorités. Il était fort instruit et zélé, mais il manqua, soit dans ses grands travaux sur les langues et le Monde primitif, soit dans ses Lettres toulousaines, de méthode et de tact. Il eut le bon esprit de se soumettre aux conseils de Voltaire en retardant la mise en vente des Lettres toulousaines, et en corrigeant dans ce livre quelques pages trop violentes au moyen de cartons. On voit que Voltaire eut pour lui des ménagements et des égards bienveillants. Il les méritait.

    Les Lettres toulousaines ont paru, en effet, avec des suppressions et des cartons ; on en trouve des exemplaires qui n’ont que 444 pages ; ceux qui sont complets en ont 458. Cet ouvrage parut à Lausanne, avec la fausse indication d’Edimbourg, en 1763. (Note du premier éditeur.)

  329. M. Dumas fut l’hôte de Mme  Calas, quand elle alla s’établir à Paris ; il se montra pour elle plein de zèle et de dévouement. (Id.)
  330. Voyez la lettre du 4 juin, n° 4918.
  331. André, fils d’Ivan Schouvalow.
  332. Éditeur, A. Coquerel. — Autographe.
  333. Il s’agit de la publication intitulée Pièces originales concernant la mort des sieurs Calas et le jugement rendu à Toulouse. Voltaire lui-même avait annoté la lettre de la mère et écrit celle de son fils Donat. Comme cette brochure ne porte aucune indication de lieu ni de date, il est difficile aujourd’hui d’en distinguer les diverses éditions. (Note du premier éditeur.)
  334. Donat Calas était le plus jeune enfant de M. et Mme  Calas. Nous avons dit qu’on l’envoya par précaution à Genève, et que Voltaire le fit venir aux Délices, où il l’interrogea longuement à maintes reprises.

    Pierre, en sortant du couvent où on l’avait retenu, se rendit également à Genève. Il y arriva en juillet 1762. (Id.)

  335. Crommelin (Jean-Pierre), professeur d’histoire à Genève, puis chargé d’affaires de la république de Genève à la cour de France. C’est en cette qualité qu’il put s’occuper activement de l’affaire Calas. Il mourut en 1769. (Id.)
  336. On voit ici commencer une suite de luttes entre les angoisses maternelles de Mme  Calas, qui demandait avant tout qu’on lui rendît ses deux filles, et l’habileté de Voltaire, qui ne voulait pas soulever cette question avant d’avoir gagné, ou tout au moins fort avancé, le procès essentiel de la réhabilitation. Voltaire se doutait bien que la lettre de cachet avait été obtenue de M. de Saint-Florentin, ministre tout-puissant, très-malveillant à l’égard des réformés, et qu’il était indispensable de ménager.

    Quand on sait combien les enfants des protestants qui refusaient de se convertir avaient à souffrir dans certains couvents, on excuse les inquiétudes et l’impatience de cette pauvre mère isolée. (Id.)

  337. Voyez tome XXXVII, page 176. Elle n’avait pas aperçu l’offense qu’on prétendait que Rousseau lui avait faite, car ce fut elle qui donna sa protection spéciale à l’impression d’Émile.
  338. Cette dédicace est perdue, à moins que ce ne soit celle que Voltaire mit plus tard à la tête des Scythes. Voltaire en reparle dans sa lettre 5087.
  339. Tragédie de Du Belloy, jouée le 6 mai 1762.
  340. Dans son réquisitoire contre Émile, du 9 juin 1762, Omer Joly de Fleury disait : « Que seraient des sujets élevés dans de pareilles maximes, sinon des hommes préoccupés du scepticisme et de la tolérance. » (B.)
  341. Éditeur, A. Coquerel. — Autographe. L’adresse est : « À monsieur, monsieur de Brus, derrière le Rhône, à Genève. »
  342. On verra plus d’une fois, dans la suite de ces lettres, Voltaire contribuer généreusement de ses deniers, tantôt au soulagement des orphelins et de la veuve de Calas, tantôt aux frais très-considérables de leur procès. Il se montra, en outre, inépuisable en inventions et infatigable dans ses demandes pour leur créer des ressources suffisantes. (A. C.)
  343. Éditeur, A Coquerel. — Autographe. L’adresse est : « A monsieur, monsieur de Bruce, derrière le Rhône, près du Lion-d’Or, à Genève. »
  344. David Lavaysse, père du jeune Alexandre Gaubert-Lavaysse, qui fut impliqué fortuitement dans tous les malheurs des Calas, pour avoir soupé avec eux le jour où Marc-Antoine se tua, était un homme faible et intéressé. Pendant la première procédure, on réussit à le tromper ; on lui persuada que le crime des Calas était prouvé et l’on ménagea une entrevue entre lui et son fils prisonnier, en présence de M. de Senaux, président au parlement, un des magistrats les plus fanatiques de Toulouse. Lavaysse, devant M. de Senaux, conjura son fils d’éviter la torture et la mort en avouant que les Calas avaient étranglé Marc-Antoine.

    Plus tard il fallut que Voltaire gourmandât vigoureusement la faiblesse de Lavaysse pour qu’il se décidât à braver le parlement et à agir de nouveau en faveur de son fils.

    Cette faiblesse trop connue de sa famille, et le fait que ce jeune homme n’avait aucun lien de parenté avec les autres accusés, expliquent les obsessions auxquelles il fut exposé à diverses reprises ; mais rien n’indique exactement à quelle circonstance Voltaire fait allusion. (Note du premier éditeur.)

  345. Cette lettre est en réponse à l’offre que fit M. de La Motte à M. de Voltaire des lettres manuscrites de Henri IV à Corisande d’Andouin. (K.) — Voyez ces lettres, tome XII, pages 563-572, — La Motte-Gefrard, depuis comte de Sannois, descendait, par les femmes, de Corisande d’Andouin. (B.)
  346. Éditeur, Th. Foisset.
  347. Il s’agit toujours de l’affaire Varennes.
  348. Probablement la brochure de M. de Bévy.
  349. Éditeur, A. Coquerel. — Autographe.
  350. Pierre et Donat Calas.
  351. Beuchot a classé cette lettre à l’année 1761.
  352. Ou mieux Gaubert-Lavaysse.
  353. Cet envoi d’Olympie fut fait par l’intermédiaire de Colini, à la fin d’avril : voyez la lettre 4887.
  354. Il s’agissait d’une rente viagère que lui devait l’électeur.
  355. Voyez tome XXIV, page 365.
  356. Voyez lettre 4753.
  357. Éditeur, A. Coquerel. — Autographe.
  358. C’est sous la date du 7 que la Requête fut publiée, Voyez tome XXIV, pages 379 et suiv.
  359. Voyez la note, page 91.
  360. Voyez tome XXIV, page 365.
  361. Voyez tome XXIV, page 379.
  362. Voyez tome XXIV, page 365.
  363. Éditeur, A. Coquerel.
  364. Il avait eu la faiblesse d’abjurer, comme Pierre Calas, mais, comme lui, il ne persista pas dans une conversion que lui avaient arrachée la crainte et les mauvais traitements. (Note du premier éditeur.)
  365. Bordes ; car Vasselier n’était pas encore en relations avec Vvoltaire. (B.)
  366. Voyez tome XXIV, page 365.
  367. Éditeur, Th. Foisset.
  368. Mort à Paris le 17 juin 1762, à quatre-vingt-huit ans.
  369. Hor., lib. I, sat. iv.
  370. Voyez tome XXIV, page 365.
  371. L’adresse est celle-ci : « À monsieur Dominique Audibert, chez messieurs Tourton et Baur, banquiers à Paris. » Elle est donnée par M. A. Coquerel, qui avait eu communication de l’original autographe.
  372. Dans Beuchot : « à cette affaire ».
  373. Ce billet, classé par Beuchot à l’année 1761, est de 1762, et sans doute du 9 juillet.
  374. Elles sont à la suite de cette lettre.
  375. Qui avait possédé avant lui l’abbaye de Saint-Médard. (Note de Bourgoing.)
  376. Le vers n’a pas été changé ; voyez tome VI, page 103.
  377. C’est ce qu’a mis Voltaire ; voyez tome VI, page 104.
  378. Cette expression n’a pas été changée.
  379. Voltaire a mis :
    Cassandre est-il le seul en proie à la faiblesse ?

    Voyez tome VI, page 110.
  380. On lit (voyez tome VI, page 114) :

    Ayant osé percer sa veuvve gémissante,
    Sur le corps d’un époux il la jeta mourante.

  381. Voltaire a mis (voyez tome VI, page 118) :

    · · · · · J’entends un horrible murmure ;
    Le temple est ébranlé.

  382. Voltaire mit : on termina la vie ; voyez tome VI, page 119.
  383. Voltaire mit : Que ma tendresse adore ; voyez tome VI, page 132.
  384. Voyez la lettre de Voltaire du 19 juillet.
  385. Cet hémistiche a été changé.
  386. Voyez la note sur la lettre 4720.
  387. C’est à J.-P.-Fr. de Ripert de Monclar, procureur général au parlement d’Aix, mort en 1773, que l’on doit le Compte rendu des constitutions des jésuites au parlement de Provence, 1762, in-12.
  388. La Bérénice de Racine est en effet au tome IX du Théâtre de P. Corneille avec des commentaires, 1764, douze volumes in-8o.
  389. Voyez dans les Œuvres de Boileau, son épigramme sur l’Agésilas et l’Attila.
  390. l’Émile.
  391. l’Extrait des sentiments de J. Meslier ; voyez tome XXIV, page 293.
  392. Matthieu, v, 15.
  393. Le Rival par ressemblance, comédie en cinq actes et en vers de Palissot, fut jouée le 7 juin 1762, reprise le 31 décembre 1785, sous le titre de Méprises par ressemblance, et imprimée dans les dernières éditions des Œuvres de l’auteur sous celui de Clerval et Cléon, ou les Nouveaux Ménechmes.
  394. Éditeur, A. Coquerel.
  395. C’est d’après le manuscrit que nous soulignons. Ces indications semblent destinées à recommander plus particulièrement à Mme  Calas les démarches que Voltaire lui conseille. (Note du premier éditeur.)
  396. Ici Voltaire se fait une entière illusion. La correspondance du ministre avec les juges de Toulouse, que Voltaire ne pouvait connaître, montre toute sa partialité. D’ailleurs, par tradition de bureaucrate et par instinct despotique, M. de Saint-Florentin, quoique descendant de huguenots, était très-hostile aux protestants. Du reste, Voltaire se douta bientôt des dispositions réelles du ministre, et en convint à demi. (Id.)
  397. Ce projet de présentation ne paraît pas s’être réalisé.
  398. Voyez la note 4, page 168.
  399. Voyez page 168.
  400. Voyez lettre 4832.
  401. Élie de Beaumont.
  402. Voltaire s’occupait alors de son tome VIII de l’Essai sur l’Histoire générale., qui parut en 1763, et dans lequel le chapitre lix est intitulé Gouvernement intérieur de la France : querelles et aventures depuis 1750 jusqu’à 1762. La majeure partie de ce chapitre forme aujourd’hui, sous le même titre, le chapitre xxxvi du Précis du Siècle de Louis XV (voyez tome XV, page 376.)
  403. Cette lettre, quoique déjà publiée dans les éditions de Kehl, a été, en 1813, reproduite dans la Correspondance de Grimm (septembre 1762), avec quelques différences. Mais, comme le remarque M. Taschereau dans son édition de Grimm, tome III, page 114, la version de ce dernier est loin d’être préférable à celle des éditions de Kehl. (B.)
  404. Les comédiens français avaient fait, le 6 juillet, célébrer dans l’église de Saint-Jean-de-Latran un service solennel pour le repos de l’âme de Crébillon. L’archevêque de Paris, Christophe de Beaumont, n’avait pu empêcher la cérémonie parce que Saint-Jean-de Latran, ayant le titre de commanderie de Malte, se trouvait hors de la juridiction de l’archevêque ; mais, sur ses plaintes à l’ambassadeur de l’ordre, ce dernier craignit de voir les privilèges de l’ordre retirés, et il fut convenu que, quoique soustrait à l’ordinaire, le curé, qui était F.-R. Huot, serait puni pour avoir communiqué avec des excommuniés et causé du scandale. Ce curé fut donc condamné à trois mois de séminaire et deux cents francs d’amende envers les pauvres. (B.)
  405. C’est une des propositions condamnées par la bulle Unigenitus.
  406. Soliman-Aga, auparavant comte de Latour, qui succéda à son père dans la charge de topigi-bachi.
  407. Æn., II, 777.
  408. Voyez la lettre du cardinal, du 10 juillet, n° 4962.
  409. Ch. Nisard, Mémoires et Correspondances politiques et littéraires, page 338.
  410. On a la lettre du 9 juillet, mais non celle du 30 Juin.
  411. Second Compte rendu, etc. ; voyez lettre 4856.
  412. Horace, livre I, satire iv, vers 100-101.
  413. Éditeur, Th. Foisset.
  414. Celle des Calas.
  415. Histoire d’Élisabeth Canning et des Calas ; voyez tome XXIV, page 398.
  416. Voyez tome II, page 157.
  417. Isaac Pinto, juif portugais, établi d’abord à Bordeaux, puis à Amsterdam, est mort à la Haye le 11 auguste 1787. En réponse à un article de Voltaire sur les Juifs, qui fait aujourd’hui la section première de l’article Juifs dans le Dictionnaire philosophique (voyez tome XIX, page 511). Pinto avait publié un opuscule intitulé Réflexions critiques sur le premier chapitre du tome VII des Œuvres de M. de Voltaire (1762), in-12 de 48 pages, réimprimé en grande partie dans les Lettres de quelques Juifs (par Guenée), 1769, in-8o, et dans les éditions subséquentes. En envoyant sa brochure à Voltaire, Pinto y avait joint une lettre que voici :

    « Si j’avais à m’adresser à un autre qu’à vous, monsieur, je serais très-embarrassé. Il s’agit de vous faire parvenir une critique d’un endroit de vos immortels ouvrages ; moi qui les admire le plus, moi qui ne suis fait que pour les lire en silence, pour les étudier et pour me taire. Mais comme je respecte encore plus l’auteur que je n’admire ses ouvrages, je le crois assez grand homme pour me pardonner cette critique en faveur de la vérité, qui lui est si chère, et qui ne lui est peut-être échappée que dans cette occasion. J’espère au moins qu’il me trouvera d’autant plus excusable que j’agis en faveur d’une nation entière à qui j’appartiens, et à qui je dois cette apologie.
    « J’ai eu l’honneur, monsieur, de vous voir en Hollande, lorsque j’étais bien jeune. Depuis ce temps-là je me suis instruit dans vos ouvrages, qui ont, de tous temps, fait mes délices. Ils m’ont enseigné à vous combattre ; ils ont fait plus, ils m’ont inspiré le courage de vous en faire l’aveu.
    « Je suis, au delà de toute expression, avec des sentiments remplis d’estime et de vénération, etc. »
    C’est à cette lettre de Pinto que répond Voltaire. (B.)

  418. Voltaire oublia cette promesse ; il ne fît aucun changement à son article.
  419. Juges, xii, 6 ; voyez aussi tome XXX, page 143.
  420. Nombres, xxv, 6 ; voyez aussi tome XXIX, page 511.
  421. Éditeurs, de Cayrol et François.
  422. Le Mémoire de Donat Calas.
  423. Henri IV dit : « Si je n’étais huguenot, je me ferais turc ; » voyez tome XII, page 567.
  424. Éditeur, A. Coquerel.
  425. Personnages du Droit du Seigneur ; voyez tome VI.
  426. L’archevêque Christophe de Beaumont. Il avait défendu aux cordeliers de faire pour Crébillon le service que l’Académie française faisait célébrer chez eux à la mort de chacun de ses membres. On en fit un à Saint-Jean-de-Latran ; voyez lettre 4969.
  427. Voyez tome XXIV, page 365.
  428. Voyez page 168.
  429. Voyez tome XXIV, page 345.
  430. Delenda Carthago était la phrase que répétait à tout propos Caton le Censeur.
  431. Communiquée par M. Miel, sous-préfet à Ploermel. (B.)
  432. Voyez les Pièces originales, tome XXIV, page 365.
  433. Éditeur, A. Coquerel. — Autographe. L’adresse est : « À monsieur, monsieur de Bruce, à Genève. »
  434. Alexandre-Jean Mignot, abbé de Scellières, conseiller-clerc au grand conseil. Voltaire, à propos d’un autre procès, loue hautement le zèle et l’activité de son neveu.

    « J’écrirai à l’abbé Mignot, non pour qu’il favorise une partie plutôt qu’une autre, mais pour qu’il rapporte et qu’il juge au plus tôt. Il faut certainement que l’affaire ne soit pas prête puisqu’il ne la rapporte pas, car je vous réponds qu’il est expéditif, Perrin Daudin ne se levait pas si matin que lui. » Lettre inédite à Moultou. (Note du premier éditeur.)

  435. Éditeur, A. Coquerel, d’après la copie de Debrus.
  436. Jeanne Viguier, comme Lavaysse, fut en butte à des obsessions et à des calomnies de toute espèce. On fit courir plus d’une fois le bruit qu’elle avait avoué le meurtre de Marc-Anloine. Longtemps même après l’arrêt définitif de réhabilitation, en 1767, elle fut encore obligée de faire publier une déclaration par laquelle elle persistait dans ses précédents témoignages.

    Au moment où Voltaire écrivit ce billet, elle était éloignée de Mme  Calas, qu’on avait inquiétée par de faux rapports au sujet de l’empire que le clergé avait pris sur Jeanne, qui était, comme on le sait, fervente catholique. (Note du premier éditeur.)

  437. Comédie de Molière, scène xvi.
  438. Essais, III, ii.
  439. Leçon conforme à l’édition de Kehl. L’original porte : J.-C. doit être attaqué, etc.
  440. L’arrêt du parlement de Paris contre les jésuites est en effet du 6 août 1762 ; voyez tome XVI, page 100.
  441. Éditeur, A. Coquerel.
  442. Pièces originales concernant la mort des sieurs Calas ; voyez tome XXIV, page 365.
  443. Éditeur, A. Coquerel. — Autographe.
  444. Nous ne savons de quel accusé il s’agit. Évidemment on se mettait sur le pied de s’adresser à Voltaire, comme à un redresseur de torts, et l’on espérait faire casser, grâce à lui, les arrêts dont on était mécontent ; ici et ailleurs, il refusa de nuire à la cause des Calas en s’occupant d’autres procès criminels. (Note du premier éditeur.)
  445. La vivacité passionnée de Voltaire le rend injuste. Plus tard il connut mieux le noble caractère de Mme  Calas, et il regretta de ne pas trouver chez Sirven la même présence d’esprit, la même force et les mêmes ressources qu’on admirait dans Mme  Calas. (Lettre à Élie de Beaumont, 20 mars 1767.)

    Il n’y a rien que de très-naturel à ce que la pauvre mère se préoccupât encore plus vivement du sort de ses deux filles captives que de la réhabilitation de son mari mort. Elle était plus inquiète de sauver ce qui restait de sa famille que de venger ce qu’elle avait perdu. Toute autre mère eût senti de même. Mme Calas n’était pas un esprit distingué, mais elle était très-tendre pour les siens et sut montrer un noble courage. (Note du premier éditeur.)

  446. Éditeurs, Bavoux et François.
  447. Le Sermon des cinquante et les Sentiments de Meslier.
  448. Pierre III avait enjoint aux popes de se raser.
  449. Dans un catalogue d’autographes, une lettre de Dortous de Mairan à Voltaire est signalée à la date du 2 août 1762, avec cette mention : « Superbe lettre d’envoi d’un de ses ouvrages. Considérations sur la manière dont Voltaire traite les Chinois et les Égyptiens. »
  450. L’extrait de la lettre de Mme  veuve Calas et la lettre de Donat Calas, publiés sous le titre de Pièces originales, etc. ; voyez tome XXIV, page 365.
  451. N° 4951.
  452. Voyez lettre 4968.
  453. Élie de Beaumont.
  454. Il n’y était que pour trois mois ; voyez lettre 4969.
  455. Charavay, Catalogue Lajariette (1860). — Desnoiresterres, Voltaire et J.-J. Rousseau, page 372. — Le Genevois Pictet était secrétaire de Catherine II.
  456. Éditeur, A. Coquerel ; avec la mention : « Copie d’un billet de M.  de V., du 5 août 1762. »
  457. Ambassadeur de Malte en France ; l’église Saint-Jean-de-Latran, où s’était célébré le service pour Crébillon, avait le titre de commanderie de Malte.
  458. Catherine II. La révolution de palais avait eu lieu le 9 juillet.
  459. La tragédie d’Olympie. Dans la Correspondance de Grimm, à la date du 15 août 1762, on parle d’une lettre de Voltaire à d’Argental, de la semaine dernière, dans laquelle était cette phrase : « N’espérez pas tirer de moi une tragédie, que celle de Toulouse ne soit finie. » Il paraîtrait qu’il y a de perdu une lettre à d’Argental. Mais il est à remarquer que, dans sa lettre au marquis de Chauvelin, n° 5005, Voltaire dit le contraire de ce que lui fait dire Grimm.
  460. Sohême ; voyez tome II, pages 162, 174, 227.
  461. Éditeur, A. Coquerel.
  462. Quesnay, le physiocrate, premier médecin de Louis XV et médecin de Mme  de Pompadour, était fort écouté de l’un et de l’autre.
  463. Laverdy, ardent adversaire des jésuites, ne fut nommé contrôleur général des finances que le 12 décembre 1763. Son prédécesseur fut M. Bertin.
  464. Allusion à l’épître que fit Chaulieu sur sa première attaque de goutte, et qui se termine ainsi :

    Bonne ou mauvaise santé
    Fait notre philosophie.

  465. Éditeur, A. Coquerel.
  466. De Court de Gébelin.
  467. Voyez l’Avis au public sur les parricides imputés aux Calas et aux Sirven ; tome XXV, page 517.
  468. Suzanne-Catherine de Livry est très-connue par ses relations intimes avec Voltaire, qui lui adressa plus tard l’épître fameuse intitulée les Tu et les Vous, quand, après une vie assez aventureuse, elle eut épousé en Angleterre un protestant, Charles-Frédéric de La Tour du Pin de Bourbon, marquis de Gouvernet. Ce mariage était nul en France. Mme  de Livry, née comme Voltaire en 1694, mourut comme lui en 1778.

    La famille de La Tour du Pin descend d’un huguenot qui fut un des principaux lieutenants de Montbrun et de Lesdiguières, René de La Tour du Pin Gouvernet, né en 1543.

    En 1685, au moment de la révocation de l’édit de Nantes, une marquise de Gouvernet obtint la permission d’aller en Angleterre, où une de ses filles était mariée, mais à condition de laisser ses autres enfants en France. Elle avait trois fils ; ce ne peut être que son petit-fils qui épousa Mme  de Livry. (Note du premier éditeur.)

  469. Éditeurs, de Cayrol et François.
  470. Éditeur, A. Coquerel. — L’adresse est : « À monsieur, monsieur de Brus, à Genève. »
  471. Éditeurs, de Cayrol et François.
  472. La mort de Pierre III.
  473. Voyez tome XXI, pages 206-207.
  474. La mort de la reine de Pologne, Marie-Josèphe d’Autriche, est de novembre 1757 ; le séjour du prince Édouard dans les Ardennes doit être de 1747 ou 1748 (voyez tome XV, pages 305-306) ; les assassinats des rois de France et de Portugal sont de 1757 et 1758 (voyez tome XV, pages 389 et 395.)
  475. Mme  de Pompadour.
  476. Les membres du parlement.
  477. Le réquisitoire contre Émile, du 9 juin 1762.
  478. Le Bonheur, poëme d’Helvétius, qui ne fut imprimé qu’en 1772. après la mort de l’auteur.
  479. Conte de la Coupe enchantée, vers 45.
  480. De l’Esprit, discours II, chapitre xiv. onzième alinéa.
  481. La Fable des Abeilles est de Mandevilie.
  482. Histoire d’Élisabeth Canning et de Calas, tome XXIV, page 398.
  483. Cette lettre avait été cousue à la précédente. Nous rétablissons sa suscription.
  484. C’est ainsi que Voltaire désigne sa tragédie d’Olympie.
  485. L’édition du Théâtre de P. Corneille avec des commentaires n’eut que douze volumes.
  486. Éditeur, A Coquerel. — Avec cette mention : « Copie d’un billet de M. de V. du 16 août 1762. »
  487. Sans doute le Mémoire de Donat Calas pour son père, sa mère et son frère ; voyez tome XXIV, page 383.
  488. Cette lettre est placée par Beuchot à l’année 1761.
  489. Voyez lettre 4832.
  490. Voyez une note sur la lettre 4872.
  491. De Muller. Cette critique avait paru dans un journal de Hambourg. Elle fut imprimée dans le Journal encyclopédique.
  492. Extrait des Sentiments de J. Meslier ; voyez tome XXIV, page 293.
  493. Le maréchal de Richelieu.
  494. Éditeur, A. Coquerel.
  495. Louis Thiroux de Crosne, maître des requêtes, plus tard lieutenant de police à Paris.
  496. C’est aux pages 318-319 du tome III de la première édition du Théâtre de Corneille avec le Commentaire de Voltaire que se trouvait la remarque sur les vers de Pompée :

    Ô soupirs ! ô respect ! etc.

    Voyez tome XXXI, page 471.

  497. Voyez tome XXIV, page 398.
  498. Voyez la lettre du 17 août.
  499. Éditeur, A. Coquerel.
  500. Éditeur, Th. Foisset.
  501. Dufour de Villeneuve, intendant de Bourgogne, depuis lieutenant civil au Châtelet de Paris.
  502. Tragédie de Crébillon.
  503. C’est la Pamela maritata que Goldoni a dédiée à Voltaire.
  504. Traduction : Doucement, cher monsieur : en disant que vous avez une femme à votre côté, vous dites que vous êtes un homme parfait. Je n’ajoute rien sinon que monsieur et madame auraient été reçus avec tout respect et les plus grands égards dans mes cabanes ; que la route de Genève est aussi belle que celle de Lyon ; que je regrette que vous y ayez renoncé et que vous n’ayez pas voulu venir ; que je vous attendais il y a longtemps, et que je me plains fort. Voyez ce que c’est que de n’avoir pas pris le chemin de Genève : voyez, car il faut que je dise tout, et puis vous jugerez si vous avez bien fait d’agir ainsi.

    Vous voulez donc, cher monsieur, guérir la blessure que vous me faites en m’honorant de votre dédicace ; mais si cette gloire enorgueillit mon esprit et flatte ma vanité, le chagrin de ne vous avoir pas embrassé n’en est pas moins acerbe dans mon cœur. Je lirai vos charmantes comédies jusqu’au jour où je pourrai saluer l’auteur.

    Je ne sais où vous êtes en ce moment. J’ignore où adresser ma lettre. Mais votre nom suffit ; et je m’assure que vous êtes déjà connu à Paris comme à Venise. Je n’ai pas encore reçu le présent que vous m’annoncez. Mais je ne puis différer mes remerciements.

    Puisque vous êtes ou que vous serez bientôt citoyen de Paris, je voudrais vous rendre visite, mais Corneille ne le permettra point. Je suis entre Corneille et Goldoni. J’imprimerai l’un, et j’attendrai l’autre quand il retournera revoir sa belle Italie. Mais de grâce ne me leurrez plus de vaines espérances et d’illusions. Adieu, je vous estime, je vous honore, je vous aime sans illusion, et serai toujours votre admirateur, ami et serviteur.

    — Voltaire, dans cette lettre, cherche à imiter le dialecte vénitien dans lequel Goldoni a écrit beaucoup de ses pièces, et notamment celles qu’il fit paraître sous le pseudonyme de Polisseno Fegeio, pastor arcade.

  505. Éditeur, A. Coquerel. — Autographe. L’adresse est : « Monsieur, monsieur Bruce. »
  506. Mallard, qui parait avoir activement assisté Elie de Beaumont, fut un des quinze avocats de Paris qui signèrent, le 23 août 1762, les Mémoire à consulter et Consultations d’Élie de Beaumont, en faveur de Mme  Calas et de ses enfants.

    Les quatorze autres signataires furent : Huart, L’Herminier, Giltet, Boys de Maisonneuve, Cellier, de Lambon, Boucher d’Argis, Duchasteau, Bigot de Sainte-Croix, Moreau, Dandasne, Beymond, Thevenot-Dessaule, Doillot. Ces noms méritent d’être conservés. (Note du premier éditeur.)

  507. Le tome VIII de l’édition de 1761 ne parut qu’en 1763.
  508. C’est le procès sacré dont il est question tome XLI, page 314.
  509. Voyez tome XXIV, page 208.
  510. Olympie.
  511. La tragédie d’Olympie fut en effet jouée et imprimée par les soins de Colini, secrétaire de l’électeur palatin.
  512. L’arrêt du 6 août 1762.
  513. Celle du 20 mars, n° 4872 ; voyez aussi lettre 5070.
  514. Voyez la lettre 5010.
  515. Éditeur, A. Coquerel.
  516. C’est-à-dire de la représentation d’Olympie, qui eut lieu à Schwetzinjen le 30 septembre. (B.)
  517. Le roi de Portugal avait une intrigue amoureuse avec la comtesse Ataïde d’Alouguia : voyez tome XV, page 395.
  518. C’est à tort que Beuchot a classé ce billet à l’année 1765, époque de la réhabilitation de la mémoire de Calas. Il s’agit ici de l’arrêt qui ordonnait aux juges de Toulouse d’envoyer les pièces de la procédure. (G. A.)
  519. Ces vers sont tome VI, page 144.
  520. Éditeur, A. Coquerel. — L’adresse est : « À monsieur, monsieur de Brusse, à Genève. »
  521. Ce Mémoire est fort long en effet (136 pages in-8o), et il est médiocre. Celui d’Élie de Beaumont ne répond pas non plus à l’idée que Voltaire s’en faisait à l’avance. Loyseau de Mauléon, Lavaysse père, et à Toulouse l’avocat Sudre, restèrent tous au-dessous de leur tâche. Voltaire seul est l’âme de ce grand procès : chacun, j’en conviens, y apporte la lumière, qui jaillit à grands flots de tous les côtés à la fois : mais l’éloquence simple, vive, moins déclamatoire que pathétique c’est ce qu’on trouve chez Voltaire seul. (Note du premier éditeur.)
  522. Éditeurs, Bavoux et François. — Cette lettre est de 1762, et non de 1760.
  523. Elle attribuait la mort de Pierre III à des hémorroïdes.
  524. Voyez la lettre qui suit.
  525. Histoire d’Élisabeth Canning et de Jean Calas ; voyez tome XXIV, page 398.
  526. Le jésuite Berthier venait d’être nommé sous-précepteur ou adjoint à l’éducation des deux princes qui ont depuis régné sous les noms de Louis XVI et Louis XVIII.
  527. Voyez la note, page 93.
  528. Tragédie de Chabanon, qui lut jouée le 6 décembre 1762.
  529. Éditeur, de Mandat-Grancey. — Dictée à un secrétaire, signée de Voltaire.
  530. Éditeur, Th. Foisset.
  531. Lisez : Monnier.
  532. Voyez tome VII, page 466.
  533. Voyez ibid., page 481.
  534. Réflexions sur la poésie, avec une suite.
  535. Il est de Voltaire ; voyez tome XXIV, page 345.
  536. Acte V, scène vi.
  537. La Profession de foi du Vicaire savoyard, qui fait une partie du livre II de l’Émile.
  538. Quinault, Thésée, acte V, scène vi.
  539. Et que tout rentre ici dans l’ordre accoutumé.

    (Bajazet, acte II, scène ii.)
  540. Voyez lettre 4832.
  541. Cette lettre manque.
  542. Voyez lettre 4777.
  543. Éditeur, A. Coquerel.
  544. Je ne sais si cette date est de la même écriture et de la même encre. (Note du premier éditeur.)
  545. Voilà de ces phrases vives, brèves, à effet, qui portent le cachet indubitable de Voltaire. La main et la signature sont de son secrétaire ; la lettre est de lui. (Id.)
  546. II, aux Corinthiens, iii, 6.
  547. Voyez tome VII, page 481.
  548. Matthieu, vi, 12.
  549. Virgile, Æn., II, 311-312.
  550. Voyez tome XXIV, pages 293 et 437.
  551. Voyez la lettre du 29 auguste, n° 5021.
  552. Voyez la note, page 146.
  553. Personnage du Pantagruel.
  554. Lettre de Rousseau à Montmolin, du 24 août 1762.
  555. C’est la lettre de J. -J. Rousseau à Montmonin, du 24 août 1762.
  556. Nonotte.
  557. Meslier.
  558. Éditeur. Th. Foisset.
  559. Cette lettre est ordinairement datée du 30. Je lui donne la date du 20, parce que c’est celle qu’elle porte dans le Nouveau Recueil de gaieté, etc., publié par le comte de La Touraille, 1785, deux volumes in-12. (B.)
  560. La division commandée parle prince de Condé avait eu la plus grande part à la victoire remportée à Johannisberg, en Hesse, par l’armée des maréchaux d’Estrées et de Soubise, le 30 août 1762. Cinq jours auparavant, le 25, le prince avait forcé à la retraite le prince Ferdinand de Brunswick, qui était venu l’attaquer à Gruningen. — La Touraille était écuyer du prince de Condé.
  561. Bulletin de la Société de l’Histoire du protestantisme français. Paris, 1856, page 242.
  562. Boileau (satire iii, 188) a dit de la Stratonice de Quinault :

    Et jusqu’à Je vous hais, tout s’y dit tendrement.

  563. Francfort et Leipzig, 1762, in-8o.
  564. Voltaire cite encore ces vers dans sa lettre à Lekain, du 27 janvier 1763.
  565. Stanley, défenseur de Minorque en 1756, avait été fait prisonnier et amené à Paris.
  566. Isaïe, chap. xi, verset 3.
  567. Voyez-en l’intitulé, tome XXIV, page 366, n° iv.
  568. Éditeurs, de Cayrol et François.
  569. La lettre suivante.
  570. Les deux billets suivants, édités par MM. de Cayrol et François, ont dû être écrits vers cette époque. (G. A.)
  571. Cette lettre manque.
  572. Lettre 5036.
  573. Voyez lettres 5010 et 5021.
  574. Regnard, Démocrite amoureux, acte I, scène vii.
  575. Allusion à la colique hémorroidale dont on disait que Pierre III était mort.
  576. Schouvalow avait proposé à M. d’Alembert, de la part de l’impératrice de Russie, d’être l’instituteur du grand-duc son fils.
  577. Editeurs, de Cayrol et François,
  578. Le 28 août.
  579. Lettre 5029.
  580. Voyez la lettre 5045.
  581. Édition Assézat et Tourneux.
  582. La Correspondance de Métra, qui n’est certes pas suspecte de partialité en faveur de Diderot, rapporte (2e édition, 1787, tome VI, page 425), une conversation de Voltaire avec Diderot, dans laquelle celui-ci reprit sa comparaison fameuse entre Shakespeare et le saint Christophe de Notre-Dame, œuvre d’un maçon, mais dont les jambes laissent passer les hommes les plus grands. « Cette réponse vous parait, sans doute, vigoureuse et pleine de sens, ajoute Métra. Aussi Voltaire ne fut-il pas excessivement content de Diderot. » Il était, en effet, le seul de ses contemporains qui osât lui tenir tête sur cette question irritante.
  583. Voltaire, Rome sauvée, acte V, scène iii.
  584. Probablement la Lettre à J.-J. Rousseau, citoyen de Genève, par Comparet : Genève, 1762, in-12 de 32 pages.
  585. Réfutation du nouvel ouvrage de J.-J. Rousseau, intitulé Émile ; 1762, in-8o. Cette réfutation est de M. André, bibliothécaire de d’Aguesseau.
  586. Mémoires pour servir à l’Histoire des égarements de l’esprit humain par rapport à la religion chrétienne, ou Dictionnaire des hérésies, des erreurs et des schismes (par l’abbé Pluquet) ; Paris, 1762, deux volumes in-8o ; nouvelle édition. Besançon, 1817, deux volumes in-8o. (B.)
  587. Voyez la note, tome XXIV, page 366, n° iv.
  588. Duclos ; voyez la lettre suivante.
  589. Voyez tome XVII, page 441.
  590. Le cardinal de Bernis.
  591. Elle est perdue.
  592. Dans Mon Séjour auprès de Voltaire, page 246, on a mis entre parenthèses : « Le baron d’Erbestein. »
  593. On lit ici entre parenthèses : « Le comte de Corsturelles d’Arras. »
  594. Éditeurs, Bavoux et François.
  595. Voyez le Sermon des cinquante, tome XXIV.
  596. Mariette.
  597. Les éditeurs de cette lettre, MM. de Cayrol et François, l’ont datée du 27 auguste ; elle ne peut être que du commencement d’octobre.
  598. De l’Esprit, 1758, in-4o.
  599. Voyez cet Extrait, tome XXIV, page 293.
  600. Voyez cet ouvrage, tome XXIV, page 437.
  601. Frédéric, roi de Prusse.
  602. Matthieu, v. 15.
  603. Les mémoires pour les Calas.
  604. Voyez les notes, tome XXIII, pages 31 et 32.
  605. Voyez lettre 4872.
  606. Voyez lettre 5010 ; voyez aussi 5021.
  607. Voyez lettre 4872.
  608. C’est la lettre 5030.
  609. Ce projet n’eut pas de suite.
  610. Voyez la note sur la lettre 4872.
  611. Éditeur, Th. Foisset.
  612. Le duc de Villars.
  613. Celle du 15 septembre, n° 5036.
  614. C’était en mars : voyez lettre 4872.
  615. Éditeur, A, Coquerel.
  616. Rien de plus faux. Treize juges, et non vingt-cinq, siégeaient. Calas ne fut d’abord condamné que par sept voix contre six. Il fallut un second vote pour qu’il fût enfin envoyé à la roue par huit juges contre cinq. (Note du premier éditeur.)
  617. Éditeur, A. Coquerel. — Autographe.
  618. Voyez lettres 5010 et 5021.
  619. La lettre est du 29 mars ; voyez n° 4872.
  620. G.-A. de Mehégan, ne en 1721, mort en 1766, auteur de quelques écrits.
  621. Éditeur, A. Coquerel.
  622. Duclos.
  623. Personnage d’Olympie.
  624. 1764, in-8o. L’auteur est l’abbé du Laurens.
  625. · · · · · Mea
    Virtute me involvo.

    (Liv. III, xxix, 54-55.)
  626. Frédéric lui offrait la présidence de l’Académie de Berlin ; Catherine II, l’éducation du grand-duc.
  627. La première partie de l’Histoire de Russie sous Pierre le Grand avait paru en 1759 ; la seconde ne vit le jour qu’en 1763.
  628. Éditeur, A. Coquerel.
  629. Voyez Tite-Live, VII, ii.
  630. Voyez lettre 5017.
  631. Élie de Beaumont rectifia ce passasge.
  632. Éditeurs, de Cayrol et François.
  633. Éditeur, A. Coquerel. — Autographe.
  634. M. de Lasalle est ce membre du parlement de Toulouse qui seul ne douta jamais de l’innocence des Calas, et, dès les premiers jours, soutint son opinion contre toute la ville, la magistrature et le clergé de Toulouse, de vive voix et dans un mémoire public : Observations pour le sieur J. Calas, etc. Ce mémoire est remarquable par l’autorité d’une ferme et haute raison. Mais après s’être ainsi prononcé, M. de Lasalle dut se récuser au moment du jugement ; il n’était plus étranger à la cause qu’il s’agissait de juger, et c’est par ce motif qu’il ne put siéger parmi les juges du malheureux Calas. Il fut accueilli à Paris avec transport par les disciples de Voltaire et les partisans de Calas. Dans les drames philosophiques auxquels donna lieu plus tard cette lugubre histoire, c’est toujours lui qui a le beau rôle ; comme les Aristes de Molière, mais avec plus de déclamation et un pompeux étalage de maximes, il est le sage de la pièce, tandis que David en est le traître ou le tyran. (Note du premier éditeur.)
  635. Le patois de Languedoc.
  636. Ce n’était pas Mécène, mais un Romain chez qui Mécène dînait. Le Romain faisait semblant de dormir pendant que Mécène caressait sa femme. Un esclave croyant son maître endormi voulut voler un vase d’or, et fut arrêté par ces paroles : Non omnibus dormio.
  637. Jean Meslier ; voyez tome XXIV, page 293.
  638. Par l’abbé Pluquet ; voyez page 254.
  639. Le Dictionnaire philosophique, déjà sous presse et imprimé en partie, mais qui ne parut qu’en 1764.
  640. M. de La Chalotais. (K.)
  641. Voyez n° 4872.
  642. Éditeur, A. Coquerel.
  643. Voltaire se montra plus tard aussi dévoué aux Sirven qu’il l’avait d’abord été aux Calas ; mais il voyait que mêler les deux affaires n’eût abouti qu’à les perdre toutes deux. Dès qu’il eut réussi dans l’une, il entreprit l’autre. (Note du premier éditeur.)
  644. La Chalotais en donna un ; voyez la lettre de Voltaire, du 28 février 1763.
  645. Cette suppression avait causé la fièvre à Voltaire ; voyez lettre 4812.
  646. Voyez lettre 4872.
  647. On n’a pas cette lettre d’injures.
  648. Voyez la note, tome XXXVII, page 479.
  649. Marchand de La Houlière ; voyez lettres 4857 et 4878.
  650. Éditeur, A. Coquerel.
  651. Parodie du refrain de la chanson sur Lefranc de Pompignan (voyez tome X), qui commence ainsi :

    Nous avons vu ce beau village, etc.


    Le comte de Choiseul venait d’être créé duc de Praslin.

  652. Voltaire, dans sa Henriade, chant X, appelle les Suisses :

    Barbares dont la guerre est l’unique métier.
    Et qui vendent leur sang à qui veut le payer.

  653. La lettre 5086.
  654. Voyez une note sur la lettre 4943.
  655. De Lasalle.
  656. Histoires, liv. I, chap. i.
  657. Voyez la cinquième lettre, Du Jeûne.
  658. Chap. iv.
  659. Dans le Journal encyclopédique du 1er novembre 1762, page 122, est une Lettre écrite de Pétersbourg au sujet de la dernière révolution. On y parle à la fin des propositions que l’impératrice Catherine fit à d’Alembert de se charger de l’éducation de l’héritier de l’empire ; et à cette occasion le journaliste dit que d’Alembert est aussi cher à la France qu’il pourrait l’être à la Russie. (B.)
  660. Voyez la note, tome XXXIV, page 40.
  661. Phèdre, acte II, scène v.
  662. Par Dictionnaire des hérésies, d’Alembert, qui avait indiqué à Voltaire l’ouvrage de Pluquet (voyez page 254), désigne ici le Dictionnaire philosophique de Voltaire, dont l’impression devait être bien avancée, puisque le 30 novembre Voltaire envoyait à Damilaville l’article Moïse (voyez lettre 5097).
  663. Éditeur, Gabriel Charavay (Revue des autographes, octobre 1866, n° 10, page 88).
  664. Voyez lettre 4777.
  665. Le Droit du Seigneur.
  666. Éditeur, A. Coquerel. — Autographe. L’adresse est : « À monsieur, monsieur Bruce, derrière le Rone (sic). »
  667. C’est sans doute le mémoire pour Donat, Pierre et Louis Calas, par Loyseau de Mauléon. L’ordre où sont placés ces trois noms est assez singulier ; on fait figurer en tête le dernier des quatre fils, l’enfant dont Voltaire admira si vivement la grâce et l’ingénuité ; on ne nomme qu’après lui Pierre, le compagnon de captivité de leurs parents, accusé comme eux et détenu plus longtemps que sa mère. Louis, dont on avait obtenu le consentement, mais qu’on n’estimait pas, figure le dernier. (Note du premier éditeur.)
  668. Le Traité sur la Tolérance ; voyez tome XXV, page 13.
  669. N° 4872.
  670. L’abbé Houteville, auteur du livre intitulé la Vérité de la religion chrétienne prouvée par les faits. (K.) — Voyez lettre 5061.
  671. Bigot, intendant de la Nouvelle-France ou Canada pendant la guerre de 1756, accusé de malversation, avait été arrêté le 17 décembre 1761, et mis dans un des cachots de la Bastille. Plus de cinquante personnes étaient compromises. Une commission du Châtelet fut chargée d’instruire le procès. Le jugement ne fut rendu que le 10 décembre 1763. Il ordonnait la restitution de douze millions dans les coffres de l’État, et condamnait au bannissement Bigot, Varin et Bréard : quelques autres furent admonestés. (B.)
  672. Daumart ; voyez tome XLI, page 144.
  673. Jean-François Joly de Fleury de La Valette.
  674. Voltaire parlait de la superstition en termes expressifs dès 1740 ; voyez la lettre au président Hénault, du 30 octobre 1740, tome XXXV, page 542.
  675. Les Erreurs de Voltaire sont de Nonotte ; voyez la lettre 5037.
  676. Qui fut élu le 4 décembre membre de l’Académie Française à la place de Crébillon, et y fut reçu le 22 janvier 1763.
  677. Tragédie de Chabanon, jouée le décembre 1762.
  678. L’original est à Bruxelles, Bibliothèque royale, mst 11582.
  679. Le Journal encyclopédique ; voyez la note, tome XXIV, page 108.
  680. Le roi de Prusse Frédéric le Grand.
  681. Ce post-scriptum, omis par Beuchot, nous a été communiqué par M.  Brunetière, d’après l’original.
  682. Allusion au titre de l’ouvrage de l’abbé Houteville : la Vérité de la religion chrétienne prouvée par les faits ; voyez tome XXIII, page 31.
  683. L’article ; Moïse (voyez lettre 5112) du Dictionnaire philosophique de 1764, formant aujourd’hui la 2e section ; voyez tome XX, page 98.
  684. Extrait des Sentiments de J. Meslier ; voyez tome XXIV, page 293.
  685. Elle fut signée le 10 février 1763 ; voyez tome XV, page 373.
  686. Éditeurs, de Cayrol et François.
  687. Traité sur la Tolérance, etc. ; voyez tome XXV page 13.
  688. Daumart ; voyez page 291.
  689. Poinsinet de Sivry ayant donné, le 30 août, 1762, sa tragédie d’Ajax, en publia une défense sous ce titre : Appel au petit nombre, ou le Procès de la multitude, 1762, in-8o, avec cette épigraphe : « Ajax ayant été mal jugé entra en fureur, et prit un fouet pour châtier ses juges. »
  690. La gloire de défendre les Calas.
  691. Ce billet est perdu.
  692. Olympie.
  693. Traité sur la Tolérance ; voyez tome XXV, page 13.
  694. Vaugrenant ; voyez lettre 4777.
  695. Par le traité de paix du 10 février 1763, l’Espagne céda la Floride à l’Angleterre.
  696. Ce sont les Additions aux observations, etc., que Voltaire fit imprimer à la suite de ses Éclaircissements historiques ; voyez tome XXIV, page 515.
  697. C’était le chapitre lxi de l’édition de 1761-63, placé tome XXIV, page 469.
  698. Voyez la note, tome XXIV, page 366, n° vi.
  699. Lettre 5100.
  700. Éditeur, A. Coquerel.
  701. Ce nom ne nous est pas connu. Il s’agit sans doute de quelque don considérable fait aux Calas entre les mains de leurs amis de Genève. Voltaire s’empresse aussitôt de faire offrir ses hommages aux bienfaiteurs de ses protégés. Personne n’était insensible aux prévenances d’un personnage si illustre et si puissant sur l’opinion. (Note du premier éditeur.)
  702. Allusion au vers du Joueur de Regnard, acte III, scène iii :

    Alimenté, rasé, désaltéré, porté.

  703. Voyez l’Avare de Molière, acte I, scène v.
  704. Frère de Mme  de Pompadour. Il fit, en sa qualité d’intendant des bâtiments du roi, ériger un mausolée à Crébillon.
  705. Acte III, scène ii.
  706. Éditeur, Th. Foisset.
  707. Christophe de Beaumont était alors archevêque de Paris ; voyez la note tome XXI, page 12.
  708. Dans ses lettres 4654, 4941 et 5048, Voltaire appelle Schouvalow le Mécène de la Russie.
  709. Voyez lettres 5105 et 5106.
  710. Pierre-Claude-Hélène Pinet, dite d’Épinay, née vers 1740, mariée, en 1769, à François-René Molé, morte à Paris le 17 septembre 1782.
  711. C’est acte II, scène ii, que Salomé appelle Mariamne « impudente rivale » ; voyez tome II, page 183.
  712. Redevenu le duc de Vendôme ; voyez tome III, pages 80 et 196.
  713. Il ne fut point fait ; le mariage dont il est question dans les lettres 5105 et 5106 manqua.
  714. Éditeur, A. Coquerel.
  715. Date au crayon, probablement exacte. (Note du premier éditeur.)
  716. La duchesse d’Enville, née de La Rochefoucauld, et descendant en ligne directe du second des martyrs de la Saint-Barthélémy, était célèbre par son esprit et par ses relations avec les principaux écrivains de l’époque. Elle vint à Genève pour confier ses enfants au docteur Tronchin et pour accréditer, par son exemple, une invention nouvelle et bienfaisante dont il était le propagateur, l’inoculation. Voltaire prêta sa maison des Délices à Mme  d’Enville, et, devenu son hôte, la gagna aux Calas, dont elle voulut être la première bienfaitrice. Son influence fut assez puissante pour contre-balancer celle de M.  de Saint-Florentin et lui arracher la délivrance des deux sœurs, après sept mois de captivité (en décembre 1762). Si Mme  Calas n’avait laissé voir ses larmes et ses inquiétudes maternelles, qui souvent impatientaient Voltaire, la duchesse n’eût pas pris la peine de vaincre le mauvais vouloir du ministre. Ce qui semblait déraisonnable au vieux philosophe célibataire toucha le cœur maternel de Mme  d’Enville : elle avait des filles, et elle put se mettre à la place de Mme  Calas. Chacun était dans son rôle. (Note du premier éditeur.)
  717. Voyez lettre 5097.
  718. Lettre 5093.
  719. Le Dictionnaire portatif des Conciles (par Alletz), un volume in-8o, est de 1758.
  720. Ce titre avait été donné au Dictionnaire philosophique par d’Alembert, à la fin de sa lettre du 17 novembre, voyez n° 5088.
  721. Probablement le Sermon du rabbin Akib ; voyez tome XXIV, page 277.
  722. Dans les éditions précédentes cette lettre porte le nom de Mme  de Fontaine, qui était cependant mariée à Florian depuis plusieurs mois. (B.) — Voyez lettre 4860.
  723. L’abbé Mignot venait de publier son Histoire de l’impératrice Irène, 1762, in-12.
  724. Éditeur, A. Coquerel.
  725. Éditeur, de Mandat-Grancey. — En entier de la main de Voltaire.
  726. Éditeur, A. Coquerel.
  727. Nous ne savons à qui cette lettre est adressée, ni quelle est sa vraie date. En tout cas, elle est mieux placée à la fin de l’année 1762 qu’à la fin de l’année 1766, où on l’a toujours mise. Voltaire y parle en effet de l’Éloge de Crébillon, qui parut au mois d’août 1762, et de sa pension, qu’on lui avait rendue en janvier de la même année. (G. A.)
  728. Le dessein d’épouser Mlle  Corneille.
  729. Bertin.
  730. Bulletin de la Société de l’Histoire du protestantisme français ; Paris, 1856, page 243.
  731. Éditeur, A. Coquerel.
  732. Traité sur la Tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas, écrit en 1762, revu et achevé en 1763, répandu parmi les personnes que Voltaire voulait intéresser aux Calas, mais sans être mis en vente avant le jugement définitif du procès, et réimprimé avec additions en 1765. (Note du premier éditeur.)
  733. L’Accord parfait de la Nature, de la Raison, de la Révélation et de la Politique, ou Traité dans lequel on établit que les voies de rigueur, en matière de religion, blessent les droits de l’humanité et sont également contraires aux lumières de la raison, à la morale évangélique et au véritable intérêt de l’État, par un gentilhomme de Normandie, ancien capitaine de cavalerie au service de S. M. — À Cologne (Genève), 1753, 2 vol. in-12.

    Le chevalier de Beaumont était un ancien officier et un protestant zélé, ami d’Antoine Court. Ce dernier, homme éminent et trop peu connu, restaura au XVIIIe siècle les églises de la Réforme ruinées par Louis XIV, fit cesser l’exaltation funeste des prophètes cévenols, et reconstitua en France un corps pastoral, malgré les lois qui punissaient de mort l’exercice du ministère et malgré le martyre de plusieurs pasteurs. Antoine Court publia en 1751, sous le titre et la signature du Patriote François et Impartial, une Réponse à la lettre de M. l’évêque d’Agen à M. le contrôleur général contre la tolérance des huguenots (79 pages petit in-4o, sans nom de lieu). Il ajouta, en appendice à sa lettre, un Mémoire historique (36 pages), où étaient rapportés en détail des faits alors généralement ignorés, des actes récents et continuels de persécution. Mais ce Mémoire accusateur ne pouvait être admis à circuler en France ; d’ailleurs, en dépit de son titre, l’auteur, en publiant les plaintes trop justifiées de ses frères, s’était laissé entraîner à une véhémence de langage qui nuisait à son livre ; le huguenot et le pasteur s’y laissaient trop apercevoir. La seconde édition, plus développée, qui parut à Villefranche (Genève), en 1753 (2 vol. in-12), présentait les mêmes défauts. M. de Beaumont se chargea de refaire le livre pour lui donner la forme d’une œuvre toute laïque, et pour le traduire dans la langue des gens du monde. On a pu juger, d’après le titre bizarre et diffus dont il affubla son écrit, qu’il était peu propre à ce travail. En réalité, l’Accord parfait n’est qu’une troisième édition, refondue, corrigée, mais affaiblie, de l’ouvrage d’Antoine Court.

    C’est probablement pour réfuter le livre du chevalier de Beaumont qu’on publia une brochure intitulée l’Accord de la religion et de l’humanité. Moultou en parle avec dégoût et croit pouvoir l’attribuer à l’abbé de Caveyrac. « La religion de cet auteur, dit-il, est une furie sortie de l’enfer, armée de poignards et de sophismes. Il propose de sang-froid qu’on détruise un vingtième de la nation française et qu’on le sacrifie au prétendu bonheur de l’autre. Il appelle cette nouvelle Saint-Barthélémy une petite saignée qui n’affaiblirait pas un malade bien constitué. » Le but de l’auteur est surtout d’obtenir que le gouvernement ne donne point aux protestants l’état civil. Moultou se console de ces violences par la pensée que cet homme n’approche point du conseil des rois ; « et je bénis la Providence, dit-il, de ce qu’elle a donne une aussi mauvaise tête à un homme qui avait un si mauvais cœur. » (Note du premier éditeur.)

  734. Voyez la lettre 5103 ; ce chapitre, placé tome XXIV, page 469, ne contient en effet rien de relatif aux droits du parlement sur les privilèges du sceau.
  735. Aujourd’hui le chapitre xxxvi du Précis du Siècle de Louis XV ; voyez tome XV, page 376.
  736. C’était un Mémoire ou Discours dont Voltaire parle dans sa lettre à Élie de Beaumont, du 21 janvier.
  737. Traité sur la Tolérance ; voyez tome XXV, page 13.
  738. Voltaire, dans ses lettres n° 5013 et 5112, demandait qu’on lui envoyât une Histoire du Languedoc.
  739. Jean-Baptiste Boyer, marquis d’Aiguilles, mort en 1783, et dont on a déjà parlé tome XV, page 288, était venu à Versailles présenter contre ses confrères du parlement d’Aix, et en faveur des jésuites, deux mémoires dont le parlement d’Aix prononça la condamnation ; voyez la Correspondance de Grimm à la date du 15 janvier 1763.
  740. Éditeur, A. Coquerel. — L’adresse est : « À monsieur, monsieur de Bruce, à Genève. »
  741. À qui est adressée une lettre du 30 janvier 1764.
  742. Le duc de Villars était venu consulter le médecin Tronchin.
  743. Femmes savantes, acte III, scène ii.
  744. Antoine de Parcieux, à qui est adressée une lettre du 17 juillet 1767.
  745. Traduction nouvelle des Psaumes de David, faite sur l’hébreu, Justifiée par des remarques sur le génie de la langue ; 1762, deux volumes in-12.
  746. Boyer d’Aiguilles, voyez la note, page 320.
  747. Louis XIV lui faisait voir les jardins de Marly, et lui en faisait remarquer les beautés : une averse survint ; le roi voulait interrompre la promenade : « Sire, dit Polignac, la pluie de Marly ne mouille point. »
  748. Voyez le Pantagruel de Rabelais, livre IV, chap. xlv, xlvi, xlvii. La Fontaine y a pris le sujet de son conte intitulé le Diable de Papefiguière.
  749. Éditeur, A. Coquerel. — L’adresse est : « À monsieur, monsieur de Bruce, à Genève. »
  750. Le Père Bourges et le Père Caldaigues (ou Caldaiguès), les deux dominicains qui assistèrent au supplice de Jean Calas, lui rendirent justice. Sans doute le fait était public, et une foule attentive encombrait les fenêtres et les toits de la petite place Saint-Georges. Mais les deux moines ne furent pas sincères à demi. Ils rendirent hautement justice à la mort édifiante de ce huguenot.

    Malheureusement le Père Bourges, bientôt après, trempa dans le guet-apens tendu à Pierre, lorsqu’il fut, quoique banni, enfermé au couvent des dominicains, où on lui arracha par l’intimidation un faux semblant de conversion. Ce fut à lui que Pierre, en s’échappant du monastère, adressa une lettre où il disait : « J’ai vécu chez vous dans de si grandes perplexités que, si la grâce de Dieu ne m’eût soutenu, je me serais pendu tout comme mon malheureux frère. » (Note du premier édtieur.)

  751. Éditeurs, de Cayrol et François.
  752. Éditeur, A. Coquerel.
  753. Spifame, évêque de Nevers et plus tard ministre du saint Évangile à Genève et en France, avait vécu plus de vingt ans, étant prêtre et évêque, avec une femme mariée. S’étant déclaré protestant et le mari étant mort, il épousa cette femme, dont il avait deux enfants ; mais il trompa les magistrats et les pasteurs genevois, pour légitimer cette liaison au moyen d’une pièce fausse. Plus tard, il eut une vive querelle avec Jeanne d’Albret, qui l’avait employé quelque temps à son service. Il fut vivement attaqué par cette reine auprès des autorités genevoises. Toute sa vie alors fut connue, sa supercherie fut découverte, et Spifame fut décapité en 1566 à Genève. Beaumont paraît avoir oublié ou ignoré ces faits, et il a eu le tort d’inscrire le nom de Spifame sur une liste (incomplète d’ailleurs) d’évêques devenus protestants, auxquels on ne peut reprocher que leur changement de foi et d’Église (tome 1er, page 205). Voltaire le blâme justement ; il s’en faut de beaucoup que la vie de Spifame soit irréprochable ; cependant la postérité considérera toujours sa mort comme un châtiment excessif, pour une faute, très-grave sans doute, mais déjà ancienne, et qui, à cette époque, n’était pas rare, même dans les rangs de l’épiscopat. (Note du premier éditeur.)
  754. Sans doute la lettre de l’évêque d’Agen contre la Tolérance des huguenots à laquelle Antoine Court avait répondu.
  755. L’abbé de Voisenon, élu à l’Académie française.
  756. On en a un échantillon dans la lettre de Voltaire à Voisenon, du 28 février 1763.
  757. Il s’appelait Ringuet ; voyez tome XX, page 457 ; et XXVIII, 428.
  758. On disait que Voisenon travaillait aux opéras-comiques de Favart.
  759. Éditeur, A. Coquerel. — Copie d’une lettre de Voltaire, du 9 janvier 1763.
  760. Mme  Calas parait s’être effrayée de ce que ses défenseurs attiraient sur sa cause toute la haine du clergé et de ses partisans en y mêlant la mention de cette horrible fête. (Note du premier éditeur.)
  761. Éditeur, A. Coquerel.
  762. Ce mémoire pourrait être un de ceux des avocats Sudre et Lavaysse père, en faveur de Jean Calas et du jeune Lavaysse ; mais il est plus probable que c’étaient les Observations publiées par le conseiller au parlement Lasalle, sous le nom du procureur Duroux. (Note du premier éditeur.)
  763. « Voltaire m’écrit que quand on lit les horreurs que le fanatisme a produites, on serait tenté de se débaptiser ; je lui réponds qu’il serait bien mieux de se déshumaniser, car les livres des fondateurs (de l’Église chrétienne) ne respirent que charité, et c’est à l’homme plus qu’au chrétien qu’il faut reprocher les maux dont la religion ne fut jamais que le prétexte. » (Extrait d’une lettre inédite de Moultou.)
  764. Dictionnaire universel des fossiles propres et des fossiles accidentels ; 1763, deux volumes in-8o. Un article de Voltaire sur cet ouvrage fut inséré dans la Gazette littéraire du 18 avril 1764 ; voyez cet article, tome XXV, page 166.
  765. Voyez la lettre 4777.
  766. Dans l’École des femmes, acte III. scène ii.
  767. Vovez la lettre 4777.
  768. Voyez la note 2 de la pape 328.
  769. Voyez tome XXIV, page 403.
  770. Éditeurs, Bavoux et François.
  771. Voyez Candide, chap. 1er
  772. Colini eu donna une édition ; voyez tome VI, page 94.
  773. Richlieu.
  774. Éditeur, A. Coquerel.
  775. Les juges de Toulouse.
  776. À quatre mots près ce sont les deux derniers vers de la satire vi de Boileau.
  777. Dans le Légataire universel de Regnard, acte V, scène vii.
  778. L’édition de 1763 des Lettres d’un voyageur anglais contient six lettres ; voyez tome XXV, page 492.
  779. Ce journal, rédigé par Le Brun, a commencé le 1er décembre 1762 et fini en 1763. La collection forme deux volumes in-12.
  780. Vers 3 de la strophe xviii. Il a été corrigé.
  781. Jacques Ringuet ; voyez tome XX, page 457 ; et XXVIII, 428.
  782. D’Alembert avait, en 1761, publié les deux premiers volumes de ses Opuscules mathématiques (voyez tome XL, page. 525). Le quatrième ne vit le jour qu’en 1768.
  783. Elle manque.
  784. Ringuet.
  785. « Je vous rembourse. » (Édition Foisset.)
  786. MM. Fyot de La Marche père et fils.
  787. Ces deux derniers paragraphes, donnés par M. Foisset, manquent dans le texte de Beuchot.
  788. L’Avare, acte I, scène vii.
  789. Éditeur, de Mandat-Grancey. — Dictée à un secrétaire, signée par Voltaire.
  790. Il s’agit des difficultés d’intérêt entre les premiers présidents de La Marche.
  791. Voyez la note, pâge 308.
  792. Dupuis et Desronais, comédie en trois actes et en vers libres, de Collé, jouée le 17 janvier 1763.
  793. Jeanne-Françoise Quinault ; voyez la note, tome XXXIV, page 48.
  794. Il parut en 1763.
  795. Le huitième volume de l’Essai sur l’Histoire générale parut aussi en 1763.
  796. Éditeur, A. Coquerel. — L’adresse est : « A monsieur, monsieur de Brus, à Genève. »
  797. Éditeur, A. Coquerel.
  798. Cette lettre est écrite sur une feuille de papier dont chaque page est encadrée de fleurs et ornée d’un œillet à chaque coin.
  799. Mélanges de littérature, etc. ; voyez la note, tome XXXIX, page 375.
  800. Spiritus ubi vult spirat. (Saint Jean, iii, 8.)
  801. Le Père Adam, à qui Voltaire avait donné asile.
  802. Ringuet ; voyez la note de la pape 338.
  803. C’était, ainsi qu’on appelait les conseillers au parlement.
  804. Voyez tome XXIV, pape 437.
  805. Au château du marquis d’Argence de Dirac, près d’Angoulême.
  806. Éditeur, A. Coquerel — L’adresse est : « À monsieur, monsieur de Brus, à Genève. »
  807. Je ne sais quels étaient ces deux négociants. Il est facile de comprendre qu’après le malheur des Calas aucune famille protestante n’avait de sécurité à Toulouse. (Note du premier éditeur.)
  808. Voyez la note 3, page 322.
  809. Le culte qu’on rend aux saints.
  810. Éditeur, A. Coquerel.
  811. Anne-Julie Fraisse méritait ces éloges ; sa lettre à M. d’Auriac. imprimée sur une page volante, fut jointe aux recueils factices de mémoires et de factums que Voltaire répandait partout à profusion. (Note du premier éditeur.)
  812. C’est chez lui qu’habitèrent à Paris Mme  Calas et ses filles. Il parait s’être montré pour elles un protecteur délicat et dévoué. (Id.)
  813. Éditeurs, de Cayrol et François.
  814. Le discours de Beaumont sur la Population.
  815. À la famille Calas.
  816. Précis de l’Histoire du Palatinat du Rhin, 1763, in-8o.
  817. Ces vers sont dans le texte ; voyez tome VI, page 144.
  818. Voyez les variantes, tome VI, page 169.
  819. Éditeur, A. Coquerel. — L’adresse est : « À monsieur, monsieur de Brus, à Genève. »
  820. C’était le ministre des affaires étrangères.
  821. Libraires genevois.
  822. Calembour par à peu près que Voltaire, dans l’intimité, se permettait souvent depuis que le fanatisme barbare de la population toulousaine l’avait prévenu contre toute la province. (Note du premier éditrur.)
  823. Éditeur, Th. Foisset.
  824. M.  Dupuits, cornette de dragons.
  825. Il avait été question pour Mlle  Corneille du fils de M. de Colmont de Vaugrenant, commissaire des guerres à Chalon-sur-Saône, lequel possédait un fief voisin du marquisat de la Marche. (Lettre à d’Argental, 16 décembre 1762.)
  826. Les frères Cramer.
  827. Philibert Cramer.
  828. Voyez ci-après, page 357.
  829. Pour la tragédie d’Œdipe.
  830. Expression des Femmes savantes, acte III, scène v.
  831. Probablement le Mémoire de Sudre, dont il est parlé tome XXIV. page 365.
  832. Claude Dupuits de La Chaux épousa Mlle  Corneille le 12 février 1763.
  833. Cette lettre manque.
  834. Cette lettre manque aussi.
  835. Vaugrenant.
  836. Le père de Mlle  Corneille était facteur de la petite poste : voyez la note, tome XLI, page 47.
  837. Éditeur, A. Coquerel.
  838. Cathédrale de Toulouse.
  839. Avec Mlle  de La Michodière. Voltaire était en correspondance active avec le beau-père comme avec le gendre.
  840. La promesse qu’avait donnée ce ministre d’assister à la séance du grand conseil. Tous les ministres s’y trouvèrent.
  841. Traité sur la Tolérance ; voyez tome XXV, page 13.
  842. Le Brun, dans sa Renommée littéraire, avait inséré une réponse à l’Éloge de Crébillon (par Voltaire) ; voyez tome XXIV, page 345.
  843. Dupuis et Desronais, de Collé.
  844. Voyez pages 353 et 355.
  845. Titre d’un conte de La Fontaine.
  846. Voyez page 369.
  847. Elle manque.
  848. Voyez la note tome XLI, page 47.
  849. Éditeur, A. Coquerel. — L’adresse est : « À monsieur, monsieur de Brus, à Genève. »
  850. Les consultations des avocats que Voltaire et ses amis faisaient répandre partout irritèrent profondément les partisans du parlement de Toulouse, surtout dans le Midi. Le présidial de Montpellier fit saisir judiciairement ces mémoires, insulte insensée qui les fit rechercher davantage, et qui fit dire partout avec pleine raison que les adversaires des Calas ne pouvaient supporter l’examen de leur cause. (Note du premier éditeur.)
  851. Éditeur, A. Coquerel.
  852. Thiroux de Crosne.
  853. Voyez la note, tome XXVI, page 126.
  854. Caquet Bonbec ou la Poule à ma tante, poëme de J.-B. de Junquières, mort en 1786.
  855. Cette lettre à d’Alembert est perdue.
  856. Il en avait demandé et obtenu un pour son livre de l’Esprit ; voyez tome XXXIX, page 490.
  857. Éditeur, Th. Foisset.
  858. M. Dupuits.
  859. Par suite de l’affaire Varennes, le parlement de Bourgogne avait cessé d’expédier les procès.
  860. Les élus étaient des commissaires représentant les états de Bourgogne durant l’intervalle des sessions, qui étaient triennales. C’était en leur nom que Varennes avait attaqué, dans un Mémoire, la possession où était le parlement de refuser l’enregistrement d’un édit bursal, lors même que l’impôt avait été voté par les états. (Note du premier éditeur.)
  861. Éditeur, A. Coquerel.
  862. Voici cet extrait ; il figurait sous le n° 80, comme une pièce à part, dans la collection de M. Dawson Turner, tandis que la lettre qu’on vient de lire y portait le n° 87. M. de Végobre devait avoir conservé des relations avec la Salle, sa ville natale ; il y avait des parents, et peut-être est-ce l’un d’eux qui écrivit ces remarques, dont la justesse et la nouveauté frappèrent si vivement Voltaire. Plus loin Voltaire parle d’un frère de M. de Végobre ; on savait déjà que leur père, M. de Manoel, avait plusieurs enfants.

    « De la Salle, dans les Cévennes, le 17 janvier 1763. »

    « J’ai lu le solide Mémoire à consulter, la docte consultation, fameuse par le nombre des avocats de grand nom et par la matière, le judicieux mémoire de M. Mariette, et le ravissant écrit de M. Loyseau. La police de Montpellier a fait saisir tous les exemplaires de ces ouvrages, et en a défendu le débit sous les plus grièves peines. On n’aime pas d’entendre dire que les religionnaires n’ont pas tort. Je crois que M. de Voltaire a raison de penser que cette affaire pourra servir à ouvrir les yeux à bien des gens, du moins aux bons esprits. Les efforts qu’on fait pour éteindre la lumière et arrêter les progrès de la raison ne serviront sans doute qu’à faire paraître cette même lumière avec plus d’éclat.

    « La générosité de M. de Voltaire, cet ami des hommes, lui fait un honneur infini. Nous avons bu plus d’une fois à sa santé, et moi, qui ne bois que de l’eau, je l’ai fait avec du vin pur.

    « Il me semble que ces célèbres avocats n’ont pas assez pesé sur le caractère de la servante. Cette fille est dans l’usage de se confesser deux fois la semaine ; elle a, par conséquent, la foi la plus parfaite pour la confession. Sans doute qu’elle a confessé et communié plus d’une fois depuis sa sortie de prison ; sans doute aussi que le confesseur lui a parlé de cette affaire. Si elle lui eût dit que Calas père eût pendu son fils, ce confesseur lui eût refusé l’absolution jusqu’à ce qu’elle en eût fait la déclaration aux juges. De là on peut conclure qu’elle a dit vrai dans ses réponses ; et le témoignage de cette fille, toutes les circonstances pesées, a autant de force, à mon avis, que jamais en eût eu celui de Caton. »

  863. Voyez la lettre 5165.
  864. Louis Thiroux de Crosne devint intendant de Rouen, puis, en 1785, lieutenant général de police ; il l’était encore en 1789. Il est mort sur l’échafaud en 1794. Il était chargé d’un rapport sur l’affaire des Calas, et le fit le 7 mars 1763. D’après ce que Voltaire écrit à Damilaville le 1er février, la lettre du 30 janvier était aussi adressée à M.  d’Aguesseau. (B.)
  865. Voyez la lettre 5168.
  866. Éditeur, A. Coquerel.
  867. Il s’agit de Jeanne Viguier. Voltaire, seigneur de Ferney et comte de Tournay, avait le droit de faire rendre la justice en son nom ; on voit qu’il avait un juge à lui ; il comptait faire donner par le grand conseil à ce magistrat ce qu’on appelle une commission rogatoire. (Note du premier éditeur.)
  868. Voyez page 353.
  869. Mme  la duchesse d’Aiguillon ; voyez tome XXXIII, page 406.
  870. Mlle  Corneille.
  871. Voyez page 365.
  872. Cette lettre est du 13 novembre 1762 ; voyez les Mémoires secrets de Bachaumont, à la date du 20 janvier 1763.
  873. Dans le Procès de la multitude (voyez ci-dessus, page 298), Poinsinet de Sivry donnait à Le Brun le nom de Pindare.
  874. Voyez la lettre 5161.
  875. En date du 13 novembre 1762.
  876. Catherine Ire, Anne, Elisabeth. Catherine II.
  877. Expression des Femmes savantes, acte III, scène v.
  878. Voyez Apologie générale de l’institut et de la doctrine des jésuites (par Cerutti), seconde édition, 1763, in-8o, chapitre xx, pages 304, 305, 306, 310.
  879. Les Plaideurs, acte II, scène v.
  880. Voyez, tome XXIV, page 95, la Relation de la maladie, etc., du jésuite Berthier.
  881. Voyez ce que Voltaire dit de Garasse, tome XXVI, page 496.
  882. Voyez la note, tome XXIV, page 345.
  883. Dans la lettre du 12 janvier.
  884. Persounages de Pertharite ; voyez tome XXXII, page 143.
  885. L’abbé Trublet était grand admirateur de Lamotte ; voyez tome XLI, page 285.
  886. Cette lettre est réimprimée dans le Dernier Volume des œuvres de Voltaire, 1862, page 357, avec beaucoup de fautes.
  887. Cette lettre de Voltaire est perdue.
  888. Racine, Athalie, acte III, scène iii.
  889. Cette lettre est perdue.
  890. Voyez cette Lettre ou Dédicace, en tête de Zulime, tome IV.
  891. Celui avec Cormont ou Vaugrenant.
  892. Voyez page 357.
  893. Titre des conseillers au parlement.
  894. Voyez la note, tome XV, page 388.
  895. La condamnation est du 6 février 1759.
  896. Éditeur, A. Coquerel.
  897. M. de Senaux était président, MM. de Lasbordes et Cassan, conseillers au parlement de Toulouse ; ce dernier fut le rapporteur qui conclut contre Jean Calas. Le premier surtout était d’un fanatisme aussi ardent qu’irréfléchi.

    En tout cas, le conseil qu’on donnait à Voltaire valait bien mieux que son projet (énoncé dans la lettre 5171). Il eut le bon esprit de s’y conformer. (Note du premier éditeur.)

  898. Voyez, tome XXIV, page 457, la Lettre de M. de L’Écluse.
  899. Voyez la note, tome XV, page 388.
  900. Éditeur, A. Coquerel. — Autographe.
  901. Le conseil déclara la requête admissible le 1er mars, et jugea le 7, tandis que cette lettre porte la date de janvier, qui du reste nous semble erronée. La lettre nous paraît être de février, et Voltaire aura été désappointé par un de ces délais fréquents dans tout procès, et particulièrement dans celui-ci. (Note du premier éditeur.)
  902. Ces réflexions sont peut-être à l’occasion d’une édition du Sermon des cinquante ; voyez tome XXIV, page 437.
  903. Hymne chanté au village de Pompignan ; voyez tome X.
  904. Sans doute non compris le Père Adam, car il est question de trois dans la lettre à d’Argental du 25 février.
  905. Editeur, Th. Foisset.
  906. Les jésuites d’Ornex.
  907. Le pèrc Adam.
  908. Duclos signa au nom de l’Académie.
  909. Éditeur, A. Coquerel,
  910. Le mariage de Mlle  Corneille avec M. Dupuits (13 février 1763).
  911. M. Vernes, pasteur.
  912. Le Déisme.
  913. La Fontaine, livre IX, fable iv.
  914. Acte I, scène iii.
  915. Voyez la note 4, page 371.
  916. C’était d’Alembert lui-même qui, le 31 mars 1762 (voyez lettre 4873), avait écrit à Voltaire qu’un curé de Rouen, nommé Le Roi, prêchait à Saint-Eustache.
  917. Voyez page 371.
  918. Nom du sculpteur à qui fut confié le mausolée de Crébillon.
  919. C’est l’expression dont Voltaire se servait dans sa lettre à d’Alembert, du 4 février.
  920. Voyez tome XV, page 394.
  921. Voyez tome XXIV, page 483.
  922. Voyez ce morceau en tête de Zulime, tome IV.
  923. La comédie de Collé ayant pour titre Dupuis et Desronais ; voyez page 343.
  924. Voyez tome XXIV, page 483.
  925. C’est la phrase concernant la messe fondée par l’abbé de Chauvelin, qu’on lit aujourd’hui tome XV, page 394.
  926. Voyez tome XII, page 76.
  927. De l’Education politique, 1763, in-12. Cet ouvrage a été attribué à Diderot, qui, dit Grimm, peut y avoir mis quelques phrases. Barbier croit que l’ouvrage est de Crevier.
  928. L’Amour palernel, comédie de Goldoni, fut joué le 5 février 1763.
  929. C’est ainsi que Voltaire appelait l’abbé de Voisenon, à qui il écrivit le 28 février (voyez lettre 5209).
  930. Paris, 1689, in-12. Le traducteur français est L. Bulteau.
  931. Tout le monde a tort, ou Jugement impartial d’une dame philosophe sur l’affaire des jésuites, 1762, in-12. Barbier dit que cet opuscule est du jésuite Abrassevin.
  932. Voyez la lettre du 30 janvier, n° 5170.
  933. M.  et Mme  Dupuits.
  934. L’Amour paternel, voyez page 380.
  935. Éditeur, A. Coquerel. — L’adresse est ; « À monsieur, monsieur de Brus, à Genève. »
  936. M.  de La Michodière.
  937. Voyez le passage de Fréron rapports dans une note tome XLI, page 148.
  938. Nouvel Appel à la raison ; voyez la note tome XXVI, paçe 126.
  939. On ne trouve pas cela dans les Remarques sur Pascal qui sont tome XXII, pages 26 et suiv, ; mais voyez tome XXVI, page 125.
  940. Éditeur, A. Coquerel.
  941. La lettre de l’évêque d’Agen.
  942. L’Hymne chanté au village de Pompignan ; voyez tome X.
  943. Dans les Plaideurs, acte III, scène iii.
  944. La paix de 1763.
  945. L’Amour paternel ; voyez page 386.
  946. Éditeur, A. Coquerel.
  947. Voici ces noms, tels que nous les avons trouvés dans les pièces originales : MM. de Cassan-Clairac, rapporteur, le président de Senaux, de Lasbordes, le président du Puget, Cassan-Glatens (appelé aussi Cassan-Gotte ou de Jotte), d’Arbou, Desinnocents, de Bojal, doyen, qui décida la mort de Calas en se joignant aux sept premiers.

    MM. Gauran, Cambon, de Boissy (qui avait été chargé de continuer l’information commencée par les capitouls), Coudougnan et Miramont, ne prononcèrent pas la sentence de mort ; mais un seul d’entre eux se déclara pour l’acquittement. Nous regrettons vivement de ne pouvoir le désigner, mais peut-être inclinerions-nous à attribuer cet insigne honneur à Etienne de Boissy. Deux autres consentirent à la torture seulement, pour juger ensuite. S’ils l’eussent emporté, il est presque certain que Calas, n’ayant rien avoué, eût été absous, ou au moins aurait eu la vie sauve. Les deux derniers voulaient vérifier avant tout si le suicide de Marc-Antoine, pendu à la pièce de bois posée sur les deux portes, était, comme on le prétendait, une impossibilité matérielle. (Note du premier éditeur.)

  948. Voyez tome III, page 76.
  949. Le tome V des Ouvrages dramatiques avec les pièces relatives à chacun, 1763, in-8o, contient Tancrède, Zulime, Olympie, et le Droit du Seigneur. (B.)
  950. Regnard a dit dans le Joueur, acte IV, scène x :

    Tu dois être content de toi par tout pays :
    On le serait à moins. Allons, saute, marquis.

  951. L’Hymne chanté au village de Pompignan, voyez tome X, page 569.
  952. Éditeur, A. Coquerel. — L’adresse est : « À monsieur, monsieur de Brus, à Genève. »
  953. L’Amour.
  954. La Dédicace de l’édition du Théâtre de Corneille avec commentaires est tome XXXI, page 177.
  955. Voyez la réponse de Bernis, du 10 mars, n° 5225.
  956. Voltaire était né le 21 novembre 1694.
  957. Éditeur, A. Coquerel.
  958. Dans la nouvelle version de Mariamne, Sohème, prince de la race des Asmonéens, remplaçait Varus.
  959. Essai d’éducation nationale, ou Plan d’études pour la jeunesse, 1763, in-12.
  960. Émile, livre II.
  961. Le Droit des gens, 1758, deux volumes in-4o. Emer de Vattel, né dans la principauté de Neufchâtel en 1714, est mort le 20 décembre 1769.
  962. Éditeur, A. Coquerel. — Autographe.
  963. Comme membres du grand conseil.
  964. Cette lettre a été jusqu’à présent datée du 23 ; mais Voltaire y parle du discours de réception que dans sa lettre à Bernis, du 25, il dit ne pas encore avoir reçu. J’ai pensé qu’il fallait, au lieu du 3, mettre un 8. (B.)
  965. Elle est dans le troisième alinéa de la réponse du duc de Saint-Aisnan au Discours de réception de Voisenon.
  966. Un alinéa de quelques lignes est, dans le Discours de Voisenon, à la louange de Voltaire.
  967. Misanthrope, acte II, scène i.
  968. La musique de l’hymne sur Pompignan ; voyez tome X, page 569.
  969. Éditeur, A. Coquerel.
  970. Seigneur de Correvon.

    — Peut-être s’agit-il de la rectification que Voltaire voulait faire paraître dans la Gazette de Berne. Voyez ci-dessus, lettre 5208.

  971. Voyez tome XV, page 393.
  972. Par Ripert de Monclar ; voyez page 166.
  973. Voyez tome XXIV, page 459.
  974. Voyez tome XXIV, page 455.
  975. Éditeur, A. Coquerel.
  976. Quelque satire de Voltaire contre Lefranc de Pompignan, une des victimes habituelles de sa verve railleuse.
  977. Voyez, dans les Poésies mêlées, tome X, année 1763, la fable intitulée les Renards et les Loups.
  978. Imitation d’une épigramme de l’Anthologie grecque, qui avait été traduite ainsi en latin :
    Militis in galea nidum posuere columbæ :
    Apparet Marti quam sit arnica Venus.
  979. Voyez tome XXIV, page 455.
  980. 5177.
  981. Éditeurs, de Cayrol et François.
  982. Ancien précepteur du dauphin, esprit fort médiocre, qui fut en effet élu par l’Académie. (A. F.)
  983. L’original est à Bruxelles, Bibliothèque royale, mst 11,582 ; il est daté du 2 mars, et non du 7. (Note de M. F. Brunetière.)
  984. Éditeur, A. Coquerel. — Autographe.
  985. Lettre de Paris ; voyez tome XXIV, page 455.
  986. Rapporteur de l’affaire des Calas.
  987. Lebreton, imprimeur, après que Diderot avait vu la dernière épreuve et mis son bon à imprimer, se permettait de faire toutes les suppressions que son prote et lui jugeaient à propos ; voyez à ce sujet la Correspondance de Grimm, janvier 1771.
  988. Sermon des Cinquante ; voyez tome XXIV, page 437.
  989. Voyez ibid., page 293.
  990. Celle du 25 février, n° 5204.
  991. Lettre du 17 février, n° 5196.
  992. Éditeur, A. Coquerel.
  993. L’édition avec l’Avis de Colini, dont il est parlé dans la note 1, tome VI, page 95.
  994. Éditeurs, de Cayrol et François.
  995. La Saxe.
  996. Ce fragment a été imprimé dans le Journal encyclopédique du 1er avril 1763. Beuchot lui donne à tort la date du 8 mai 1763.
  997. Du 1er mars, page 115. Les bouts-rimés sont au nombre de vingt. Voici le premier vers :

    Un simple soliveau me tient lieu d’architrave.

  998. C’est Raphaël, et non Gabriel, qui traita Tobie ; voyez Tobie, chap. vi, v. 5.
  999. La ville de Moulins ; voyez le conte du Bélier, par Hamilton.