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Mémoires secrets de Bachaumont, Tome Troisième (1769-1772)

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Mémoires secrets de Bachaumont, Tome Troisième (1769-1772)
Texte établi par M. J. Ravenel, Brissot-Thivars éditeurs & A. Sautelet et Compagnie (Tome III (1769-1772)p. 1-498).
MÉMOIRES
SECRETS.
Séparateur

1769.

Ier — On écrit de Londres que quelques-uns des principaux officiers de la ville de Strafford-sur-Avon dans le Warwick-Shire, patrie du fameux Shakspeare, se sont rendus chez Garrick au commencement de juin, et lui ont remis de la part de la bourgeoisie une boîte singulière par la matière et par le travail, accompagnée de cette lettre :

Monsieur,

« La ville de Strafford-sur-Avon, à la gloire d’avoir vu naître dans son sein l’immortel Shakspeare, aurait voulu joindre celle de compter au nombre de ses citoyens l’acteur qui honore si parfaitement la mémoire de ce grand homme par la supériorité avec laquelle il rend ses chefs-d’œuvre. Les maire, échevins et bourgeois de cette communauté s’empressent de joindre un faible témoignage de leurs sentimens aux applaudissemens que le public accorde depuis long-temps à vos rares talens ; ils vous prient de recevoir des lettres d’association à leur communauté, qu’ils vous envoient dans une boîte faite d’un mûrier que Shakspeare a planté de sa propre main. Ils se flattent que vous leur ferez l’honneur de les accepter. Signé W. Hant, secrétaire de la ville, par l’ordre des maire, échevins et bourgeois.

À Strafford-sur-Avon, le 3 mai 1769. »

Suivant cette lettre, la même ville a établi une fête I en l’honneur de Shakspeare. Elle sera célébrée dans le mois de septembre prochain, et aura lieu tous les sept ans. M. Garrick en a accepté l’intendance, à la prière particulière de la communauté. Cette année, lors de l’ouverture de la fête, on dédiera à la mémoire de Shakspeare un édifice élégant auquel on donnera le nom de Shakspeare-Hall. Il se bâtit actuellement, et sera bientôt achevé ; c’est une souscription qui en a fourni les frais.

2. — On parle d’un Mémoire[1] de M. le comte de Lauraguais, concernant la Compagnie des Indes, qu’il faisait imprimer et qui a été arrêté par la police. On soupçonne que M. de Lauraguais, dans la chaleur de la composition, se sera permis bien des choses contre M. Necker et contre plusieurs membres de l’administration ; qu’il aura relevé des faits et des détails qu’on voudrait ensevelir dans l’oubli, et que, sur les plaintes des gens qui craignaient le grand jour, on a empêché la publicité d’un écrit fait pour éclairer les actionnaires.

3. — Il y a un grand concours de monde aujourd’hui à la Comédie Française pour assister au début du sieur Dalainville, frère du sieur Molé. La réputation de ce dernier acteur, l’intérêt vif que le public et les femmes surtout prennent à lui, sont les circonstances qui donnent de l’importance à l’événement, et mettent tout Paris en l’air. Le nouvel acteur débute dans le rôle de Vendôme d’Adélaïde du Guesclin, tragédie de M. de Voltaire.

4. — Le sieur Dalainville a fait son début avec tout l’éclat possible. Molé a ouvert le spectacle par un compliment, où, après avoir déclaré que les bontés du public l’enhardissaient à le haranguer, et à en implorer de nouvelles pour son frère, il a assuré que ce dernier n’avait point la témérité de prétendre remplacer le sieur Le Kain, ce grand acteur dont les talens étaient au-dessus de toute rivalité ; mais que la santé infirme de celui-ci le mettant dans le cas de s’absenter, et de laisser un vide dans les sujets, le sieur Dalainville allait essayer de mériter quelque indulgence. Ce discours, prononcé d’un air timide et embarrassé, a été fort bien accueilli. Bien des gens trouvent cependant mauvais qu’un acteur prenne la liberté de venir ainsi entretenir le public de lui et de son frère : le tremblement et les palpitations de l’orateur attestaient qu’il sentait toute sa témérité. Quoi qu’il en soit, cette hardiesse lui ayant déjà réussi une fois[2], il en a risqué une seconde qui a eu encore plus de succès, et a occasioné des applaudissemens multipliés, bien flatteurs pour sa vanité.

Quant au sieur Dalainville, cet acteur, qui faisait les délices de plusieurs grandes villes de province, a des parties très-propres à le faire réussir : il a beaucoup d’âme et d’intelligence ; mais il est d’une figure ignoble ; il est petit, sa voix n’est pas agréable, et se perd souvent en éclats sourds ; sa manière de déclamer a encore besoin de correction ; il jette des fins de vers d’une façon provinciale. Tous ces défauts sont compensés par les grandes qualités dont on vient de parler, qui le tireront toujours de la foule et de la médiocrité.

5. — On vient d’imprimer un petit recueil contenant la réquisition de M. de Voltaire à son curé, en date du 30 mars dernier, pour le solliciter de lui donner la communion chez lui, attendu les infirmités de ce seigneur, qui ne lui permettent pas de se rendre à l’église ; il fait valoir toutes les autorités de la puissance spirituelle et temporelle, dont il appuie sa demande ; 2° une déclaration du malade, en date du 31 mars, qui sur le point de satisfaire au devoir pascal par les mains du curé rendu chez lui à sa réquisition, fait l’énumération des articles de sa croyance, dont il fait serment ensuite sur son Dieu qu’il tient dans sa bouche ; 3° cette même déclaration appelée profession de foi libellée, dans un acte passé devant notaire et d’après la déposition des témoins de la scène édifiante du 31 mars, où M. de Voltaire renouvelle d’abondance tout ce qu’il a protesté ledit jour en date du 1er avril. On met dans une note que M. de Voltaire a cru devoir constater sa foi pour démentir ceux qui ont écrit contre lui au roi. À la suite de ces différentes pièces est un certificat[3] de plusieurs témoins et habitans de Ferney, qui déposent de la religion, des mœurs et du bien qu’a fait M. de Voltaire dans la paroisse depuis qu’il y est, paroisse qui est dans le meilleur état aujourd’hui et dont la population, est augmentée du double depuis qu’il y réside.

Il était réservé à nos jours et à un génie aussi original celui de M. de Voltaire, de donner un pareil spectacle, d’en répandre les détails par l’impression[4], et de les consigner dans un écrit public pour les faire passer jusques à la postérité la plus reculée. Cet auteur impie, non content d’avoir couvert la religion de tous les ridicules possibles, par des écrits de toutes espèces, reproduits sous mille formes différentes, et dont plusieurs se divulguaient encore au moment où il tenait son Dieu dans sa bouche, semble avoir voulu y mettre le dernier sceau, par une farce que nos ancêtres plus zélés auraient punie des plus cruels supplices.

6. — Depuis la retraite annoncée de mademoiselle Arnould, l’Opéra a été dans une grande agitation. Des gens de la cour du plus haut parage se sont mêlés d’un raccommodement ; on a engagé les directeurs à pardonner ses écarts à cette aimable actrice, et celle-ci à faire quelque soumission aux premiers : toute cette intrigue a demandé beaucoup de temps, de prudence et de soins. On est enfin venu à bout de réunir les personnages, et mademoiselle Arnould est rentrée. On croit qu’elle continuera à se reposer jusqu’à la Saint-Martin, époque de l’ouverture annoncée de la nouvelle salle, où l’on doit débuter par Castor et Pollux[5], ce chef-d’œuvre lyrique, où l’actrice en question déploie tout ce que l’âme la plus tendre peut produire de sentiment.

7. — Il paraît une nouvelle tragédie, intitulée les Guèbres, ou la Tolérance : le titre seul annonce le but de l’ouvrage. Ce drame moral est dénué de grandes passions, vrais ressorts de l’action tragique. M. D… M…[6], l’auteur anonyme, annonce dans sa préface que ce sujet était d’abord un sujet chrétien, mais qu’après les chefs-d’œuvre que nous avons en ce genre, il a cru devoir mettre en jeu une autre religion, la plus analogue à la première, celle des Persans : que d’ailleurs il ne sait si ce n’est pas lui manquer de respect que de la reproduire si souvent sur la scène. Il s’excuse ensuite sur ce que sa tragédie n’a point été livrée aux Comédiens : il dit que les croyant occupés de quelques pièces de M. de Belloy, de M. Le Mière et autres grands hommes du théâtre, il n’a pas présumé qu’un jeune homme, un écolier dût lutter contre ses maîtres. Il finit par des phrases pleines d’onction, d’humanité, de bienfaisance sur l’objet de son drame. Les connaisseurs, à ce ton persifleur et philosophique tour à tour, reconnaissent aisément le Protée littéraire, qui se plaît aujourd’hui à prendre tant de formes diverses pour l’instruction du genre humain.

8. — Il est dommage que l’exécution de la fête donnée à Choisy, ces jours-ci, par madame Du Barry n’ait pas répondu à sa magnificence. Les Comédiens Italiens ont joué un opéra-comique nouveau, intitulé Alix et Alexis. Les paroles sont de dom Antonio Poinsinetto, aujourd’hui directeur d’une troupe de Comédiens de Sa Majesté Catholique, et la musique est de M. de La Borde, premier valet de chambre du roi. Ce drame, qui n’avait encore paru que sur le théâtre de mademoiselle Guimard, et qui pouvait être digne du lieu, n’était pas fait pour être joué à la cour. La musique, excellente pour un amateur, ne peut lutter contre celle de nos grands maîtres d’aujourd’hui. Ce qu’on a le mieux goûté, c’est le vaudeville de la fin, dont un nommé Prieur, jeune homme de talent, a refait les paroles.

9. — Un sujet de l’Opéra, très-précieux au public dans son genre, excite les craintes de le perdre. Mademoiselle Guimard, dont les talens pour la danse font les délices des amateurs, est à la veille, dit-on, de faire banqueroute. On assure que M. le maréchal prince de Soubise lui retire les deux mille écus par mois dont il la gratifiait ; ce qui fait un objet de soixante-douze mille livres de rentes de moins par an, indépendamment des cadeaux particuliers. M. de La Borde est ruiné et ne peut plus contribuer aux amusemens de cette nymphe que par son goût et sa musique. Elle a été obligée de suspendre ses délicieux spectacles, et divers créanciers la tourmentent au point qu’elle ne sait de quel côté faire face. On évalue à plus de quatre cent mille francs le montant de l’argent qu’il lui faudrait pour le présent. On espère pourtant que quelque milord anglais, ou baron allemand, viendra au secours de la moderne Terpsichore : nouvelle honte pour les Français, si un étranger leur donnait cet exemple !

10. — Le voyage de Compiègne a donné lieu à une caricature appelée le Combat des anagrammes. Il faut savoir, avant d’en donner le détail, que Sa Majesté s’étant fait représenter l’ancienne liste des dames qui avaient été de ce voyage l’année dernière, on a rayé madame la comtesse de Brionne, madame la duchesse de Grammont et madame la comtesse d’Egmont, trois femmes de la cour, ayant à juste titre, quant à deux au moins, de grandes prétentions à la beauté. On a prétendu qu’elles avaient vu avec regret madame la comtesse Du Barry venir les éclipser, et, soit rivalité, soit hauteur, soit caprice, elles n’ont pas rendu à cette dame les politesses d’usage envers les femmes présentées ; ce qui leur a procuré la disgrâce dont on parle, et qui fait la matière de l’estampe. On les a représentées sous l’emblème des trois Grâces, avec leurs attributs, éplorées, effrayées, semblant fuir à l’aspect d’une beauté d’un autre genre, dont la figure en désordre, les attitudes lascives, les effarouchent et caractérisent ce nom, anagramme du mot de grace, et qui ne se donne qu’à des femmes perdues, sans front et sans pudeur. On se doute bien que cette épigramme pittoresque, licencieuse et infâme, se montre avec le plus grand secret et ne s’est pas beaucoup multipliée.

M. de Bougainville, après avoir présenté au roi, aux princes et aux ministres, le sauvage qu’il a ramené de son dernier voyage, se fait un plaisir de le produire chez les particuliers curieux de le voir. Sa figure n’a rien d’extraordinaire, ni en beauté ni en laideur ; il est d’une taille plus grande que petite, d’un teint olivâtre ; ses traits sont bien prononcés et annoncent un homme de trente ans. Il est fort, bien constitué, et ne manque point d’intelligence. Ce Patagon, car il veut qu’il soit tel, se fait très-bien à ce pays-ci ; il affecte de n’y rien trouver de frappant, et il n’a témoigné aucune émotion à la vue de toutes les beautés du château de Versailles. Il aime beaucoup notre cuisine, boit et mange avec une grande présence d’esprit ; il se grise volontiers ; mais sa grande passion est celle des femmes, auxquelles il se livre indistinctement. M. de Bougainville prétend que dans le pays où il a pris ce sauvage, un des principaux chefs du lieu, hommes et femmes se livrent sans pudeur au péché de la chair ; qu’à la face du ciel et de la terre ils se copulent sur la première natte offerte, d’où lui est venue l’idée d’appeler cette île l’île de Cythère, nom qu’elle mérite également par la beauté du climat, du sol, du site, du lieu et de ses productions. Du reste, quand on le pousse de questions sur la position véritable de sa découverte, ce voyageur s’enveloppe mystérieusement et ne se laisse point pénétrer.

11. — On vient de mettre en vers la Coutume de Paris[7]. Cette bizarre production ne peut être que le fruit de l’ennui d’un clerc de procureur ; quelques gens assurent pourtant que c’est une plaisanterie de M. Séguier, avocat-général, qui se joue de tous les sujets, et répand de l’esprit partout. Si l’ouvrage en question est de lui, il fait plus d’honneur à sa patience qu’à son génie. On a mis le texte à côté de la traduction. La poésie est dans le goût de celle des Commandemens de Dieu.

15. — M. de La Borde, auteur de la musique d’Alix et Alexis, opéra-comique exécuté devant le roi à Choisy, le jeudi 6 de ce mois, ayant retiré à madame Favart le rôle qu’il lui avait donné, et l’ayant offert à mademoiselle Frédéric, la première actrice piquée en a porté ses plaintes à l’abbé de Voisenon. On sait que celui-ci a depuis long-temps pour elle un faible qui est l’étonnement de tous ceux qui connaissent l’un et l’autre ; il a pris si fort à cœur le mécontentement de sa bonne amie, qu’il a écrit une lettre à cheval à M. de La Borde. Le musicien, très-mécontent à son tour, menace de la faire imprimer et débiter publiquement, comme la vengeance la plus cruelle qu’il puisse tirer d’une pareille insulte. Cette tracasserie fait l’entretien des foyers de la Comédie Italienne, et y excite beaucoup de rumeur.

— Le Wauxhall du sieur Torré, connu aujourd’hui sous le nom des Fêtes de Tempé, acquiert de plus en plus une vogue merveilleuse. C’est une espèce de bourse de l’amour où se font les marchés de galanterie, et où se produisent tous les effets commerçables en ce genre. Ceux qui en cherchent ou qui veulent s’en défaire, trouvent des vendeurs et des acquéreurs de toute espèce. Avant-hier une nouvelle beauté, fille d’un entrepreneur de fiacres, et nièce de mademoiselle Lany, a débuté à cette assemblée avec les applaudissemens les plus universels ; elle a emporté la pomme, et l’on a appris avec satisfaction que le prince de Soubise, aussi touché de ses charmes que le public, l’avait choisie pour maîtresse.

17. — Le public va voir avec empressement une nouvelle statue du roi, dont le modèle en plâtre a été posé dans une des cours de l’École Militaire pour le temps où Sa Majesté y est venue. C’est une statue pédestre. Le roi est armé d’une cuirasse ; il a des brassards, des cuissards ; son casque est à côté de lui ; et à sa droite, sur le fût d’une colonne brisée, sont des cordons de Saint-Lazare, que le monarque paraît montrer aux élèves. On sait que cet ordre est leur marque distinctive. On y lit pour inscription : Hic amat dici pater atque princeps ; légende vague, qui ne caractérise ni le lieu ni le moment. Les connaisseurs paraissent peu contens de cet ouvrage, sans vie, sans chaleur et sans majesté. Il est du sieur Le Moine, sculpteur distingué.

21. — M. de Voltaire a écrit une lettre, en date du 5 de ce mois, à M. Marin, secrétaire général de la librairie, dans laquelle il désavoue l’Histoire du Parlement. Il est si accoutumé à se parjurer, que de pareilles protestations ne méritent aucune créance. C’est à l’œuvre qu’on connaît l’ouvrier. Tout ce que fait cet auteur anonyme, pseudonyme, est, heureusement, toujours marqué à quelque endroit de son cachet, de manière que les connaisseurs ne peuvent s’y tromper. D’ailleurs, ses ennemis, qui prétendent être au fait de toutes ses ruses, regardent celle-ci comme une adresse, pour inspirer plus de curiosité à lire l’ouvrage, excessivement rare, et proscrit de ce pays-ci avec le plus grand soin, et sous les peines les plus graves. Cette lettre insérée avec affectation dans le Mercure, va en peu de temps instruire toute la France de l’existence d’un livre dont le nom même n’était connu jusqu’à présent que des gens à l’affût des nouveautés, et le désaveu est une sorte de contre-vérité qui constate plus parfaitement le nom véritable de l’écrivain.

M. de Voltaire, dans la même lettre, commence par se disculper aussi d’être l’auteur de la sanglante critique de l’Abrégé chronologique du président Hainault, insérée dans un Examen de l’Histoire de Henri IV, de M. de Bury, par M. le comte de B***[8]. Il prétend qu’il avait demandé permission à ce cher confrère de le défendre, et de réfuter le critique ; mais que des difficultés, des affaires, l’ont arrêté. En un mot, la blessure est faite, et l’appareil dont il s’était chargé n’est pas encore mis ; et quand il aurait répondu, il n’en passerait pas pour avoir composé le pamphlet, tant on sait avec quelle facilité merveilleuse il écrit le pour et le contre.

12. — M. de Voltaire, qui s’attribue avec raison l’étonnante révolution arrivée depuis trente ans dans les esprits en général et même dans les conseils des princes, sur la manière d’y traiter la religion, de la dégager de tout ce qui lui est étranger, de la rendre subordonnée, au moins en la personne de ses ministres, à la raison d’État, et détruire, en un mot, cette distinction barbare et fanatique des deux puissances, continue et renouvelle ses efforts pour maintenir et étendre cet heureux changement. Il vient de répandre une feuille intitulée le Cri des Nations. Elle roule sur la suppression des Jésuites ; sur les secousses dont on ébranle la gent monacale, auxquelles il applaudit ; sur les annales, les dispenses, la bulle In Cœna Domini, les délégués des papes, les prétentions absurdes de ces chefs de l’Église. Il voudrait qu’on supprimât toutes ces servitudes honteuses, monumens de la barbarie des premiers siècles, et qu’on fit bien concevoir aux souverains pontifes que leur règne n’est pas plus de ce monde que celui de Jésus-Christ[9], dont ils sont les vicaires. Cet écrit rapide et lumineux est d’autant meilleur que, rempli de raisons et de sentimens, il est purgé de toutes ces mauvaises plaisanteries que se permet trop souvent le philosophe de Ferney dans ceux qu’il répand sur cette matière.

13. — Procès de Claustre, pour servir de supplément aux Causes Célèbres. Tel est le titre d’un nouveau pamphlet de M. de Voltaire, qui, après avoir joué toutes sortes de rôles littéraires, fait aujourd’hui le personnage d’avocat. L’année dernière, on parlait beaucoup d’un procès entre MM. de La Borde et leur fils et neveu, La Borde Desmartres, dans lequel était intervenu un certain abbé Claustre, oncle de ce dernier, et ci-devant précepteur des enfans du sieur de La Borde, fermier général[10]. Ces différentes qualités d’abbé, de prêtre, de précepteur et d’obligé de la famille des La Borde, avaient révolté le public, qui, en remarquant du louche dans la conduite des premiers, trouvait infâme celle du nouveau Tartuffe. M. de Voltaire a jugé cette cause digne de sa plume, et en a fait le résumé dans la brochure en question. Ce procès rapide et lumineux est l’extrait de huit énormes factums, qui ont paru dans cette contestation, et pourrait servir de modèle à nos avocats, si verbeux et si diffus. On connaît, du reste, le pinceau de M. de Voltaire ; il peint des couleurs les plus énergiques cet abbé, monstre, suivant lui, d’ingratitude et d’hypocrisie. La famille des La Borde doit savoir grand gré à l’orateur d’avoir daigné s’égayer sur cette matière, et mettre à la portée de tout le monde une justification réservée jusque-là pour les gens du Palais.

14. — Extrait d’une Lettre de Ferney, du 1er juillet 1769.

« Vous me demandez des nouvelles du patron ? Je vous dirai que j’en ai été très-bien reçu, que c’est un homme charmant de tout point, mais intraitable sur l’article de la santé. Il devient furieux quand on lui dit qu’il se porte bien. Vous savez qu’il a la manie d’être malade depuis quarante ans ; elle ne fait qu’augmenter avec l’âge ; il se prétend investi de tous les fléaux de la vieillesse ; il se dit sourd, aveugle, podagre. Vous en allez juger. Le premier jour que j’arrivai, il me fit ses doléances ordinaires, me détailla ses infirmités. Je le laissai se plaindre, et pour vérifier par moi-même ce qui en était, dans une promenade que nous fîmes ensemble dans le jardin, tête à tête, je baissai d’abord insensiblement la voix, au point d’en venir à ce ton bas et humble dont on parle aux ministres, ou aux gens qu’on respecte le plus. Je me rassurai sur ses oreilles. Ensuite, sur les complimens que je lui faisais de la beauté de son jardin, de ses fleurs, etc., il se mit à jurer après son jardinier, qui n’avait aucun soin, et en jurant il arrachait de temps en temps de petites herbes parasites, très-fines, très-déliées, cachées sous les feuilles de ses tulipes et que j’avais toutes les peines du monde à distinguer de ma hauteur. J’en conclus que M. de Voltaire avait encore des yeux très-bons ; et par la facilité avec laquelle il se courbait et se relevait, j’estimai qu’il avait de même les mouvemens très-souples, les ressorts très-lians, et qu’il n’était ni sourd, ni aveugle, ni podagre. Il est inconcevable qu’un homme aussi ferme et aussi philosophique ait sur sa santé les frayeurs[11] et les ridicules d’un hypocondre ou d’une femmelette. Dès qu’il se sent la moindre chose, il se purge. Le plus singulier, c’est que, dès la fleur de l’âge, il ait été tel. Au reste, vous vous rappelez le mot de Dumoulins, qui, dans un accès d’impatience sur l’énumération de ses maux et de ses peurs, se mit à l’injurier et à lui protester qu’il ne devait pas craindre la mort, puisqu’il n’avait pas de quoi mourir. Rien de plus vrai : c’est une lampe qui s’éteindra faute d’huile, quand le feu dont il est dévoré aura tout consumé. »

17. — On continue à parler de l’Histoire du Parlement, par M. de Voltaire, qu’on recherche avec d’autant plus d’empressement qu’on prétend qu’il ne l’a faite que pour se rendre favorable le ministre qui lui a fourni les matériaux. Celui-ci a été bien aise de mettre en œuvre une plume aussi célèbre pour faire lire l’ouvrage, et lui donner de la vogue, et l’historien, qui depuis l’aventure des Calas et du chevalier de La Barre, a pris plus fortement en grippe ces compagnies, n’a pas été fâché d’une occasion de répandre son fiel et de satiriser. D’ailleurs, au moyen de sa complaisance, il espère trouver plus de facilité à faire passer une infinité de broutilles dont il vide continuellement son portefeuille.

19. — Le Pornographe[12], ou Idées d’un honnête homme sur un projet de règlement pour les prostituées, propre à prévenir les malheurs qu’occasione le publicisme des femmes, avec des notes historiques et justificatives ; avec cette épigraphe : Prenez le moindre mal pour un bien. Machiavel, livre du Prince, chapitre XXI. Londres et Paris, 1769, in-8°[13]. Ce livre, qui n’est ni d’un débauché, ni d’un jeune homme, ni d’un fou, ni d’un sot, ni d’un cynique, prouve à quel point d’égarement l’esprit prétendu philosophique nous a conduits, lorsqu’on voit un auteur grave, érudit, sage, honnête et profond, traiter une matière sur laquelle il aurait eu honte dans un autre temps de porter même ses regards ; pour prévenir les suites du libertinage, en donner un traité complet, et vouloir réduire en principes d’administration l’école du vice et de l’infamie. Le dessein de l’écrivain serait de concentrer dans une même maison toutes les filles de la France, et d’en former une espèce d’ordre religieux consacré à Vénus, dont le chef-lieu serait Paris, sous le nom de Parthenion, et d’où il se ferait des émanations dans les provinces. Il évalue à trente mille sujets le nombre de celles qui composeraient la communauté, sans compter les émérites ou les surannées, les vierges ou les enfans. Les prix seraient depuis six sous jusques à un louis. Il prétend que cette institution, chef-d’œuvre du législateur, serait fort utile à la population, au commerce, à la culture des terres et à la réforme des mœurs. Ce projet est enchâssé dans un petit roman en forme de lettres, vif et agréable, où il y a beaucoup de naturel, de sentiment et de délicatesse : il est singulier de voir une pareille bordure servir de cadre au tableau de la lubricité, de l’impudicité. La seconde partie, qui contient les notes, est remplie d’une érudition immense sur les lieux de débauche des anciens. On y a joint quantité de petites historiettes, dont l’écrivain appuie ses idées. Le tout est écrit purement. Il y a des peintures très-voluptueuses, des situations chaudes, et un style généralement très-animé.

Ce traité assez volumineux, digéré avec le plus grand soin, calculé avec une précision unique, ne peut manquer, encore un coup, d’être l’objet de l’étonnement de tous ceux qui le liront. Il a dû coûter beaucoup de travail à son auteur, qui, avec une tête très-bien organisée, un cœur très-sensible et très-honnête, peut se vanter d’avoir produit le complément de l’extravagance et du Diogénisme.

26. — On parle de plusieurs nouveautés à la Comédie Française, entre autres de l’Iphigénie de Racine, dont le cinquième acte est changé, comme on l’a annoncé[14], et qui doit être jouée incessamment avec toute la pompe du dénouement mis en action ; du Père de Famille, qui a essuyé aussi des corrections et des reviremens qui donneront à ce drame, au dire de ses partisans, un nouveau degré d’intérêt ; enfin d’Hamlet[15], tragédie anglaise adaptée à notre théâtre par un M. Ducis, jeune homme connu par un coup d’essai[16] qui a eu quelque succès, dans l’espérance qu’il ferait mieux. On en jugera par le drame en question, susceptible des plus grands effets entre les mains d’un homme de génie.

28. — Le sieur Legouvé[17], avocat célèbre, avait composé dans sa jeunesse une tragédie chrétienne, intitulée Aurélie[18] ; elle fut présentée alors aux Comédiens, qui la reçurent, mais firent, suivant leur usage, languir l’auteur au désespoir. Dans cet intervalle, il déploya ses talens pour le barreau, se livra à des occupations plus sérieuses. Encouragé par ses succès dans cette carrière, il ne voulut point essayer le danger d’une chute à la Comédie, et retira sa pièce. La tendresse paternelle s’est réveillée depuis quelque temps, et, mettant de côté toutes ses affaires, il s’est uniquement occupé de cette production, et a voulu la faire jouer sur un théâtre de société. Il a choisi celui de M. le comte de Rohault, à Auteuil, qui est un magnifique théâtre particulier ; il a fait exécuter sa pièce en ce lieu, hier jeudi, et y a joué lui-même un rôle. Quoique ce ne fût point jour férié, beaucoup de ses confrères, et même de graves magistrats, se sont rendus à la représentation, ce qui a jeté un grand vide au Palais. L’auteur n’a pas eu la gloire qu’il espérait : on a trouvé sa tragédie très-médiocre, et son jeu détestable ; ses vrais amis lui ont conseillé de faire des plaidoyers préférablement à des pièces de théâtre, et de s’en tenir à ses rôles du barreau. Ce M. Legouvé était chargé, cet hiver, de plaider devant le roi de Danemark, lorsque ce prince vint entendre une cause au Palais, et fit un discours qui occasiona beaucoup de rumeur, dont on a parlé dans le temps[19].

29. — Le sieur Poinsinet, appelé par dérision, depuis son voyage d’Espagne, Dom Antonio Poinsinetto, nouvelle dénomination qu’il s’était donnée lui-même, croyant se décrasser par-là et acquérir un vernis de noblesse catalane, après avoir déjà parcouru plusieurs villes de ce royaume avec sa troupe de comédiens, et cherché à établir en différens endroits des opéra-comiques, sorte de spectacle fort à la mode aujourd’hui chez toutes les nations, se regardait déjà comme un conquérant littéraire, lorsque, par un accident malheureux, il s’est enseveli, lui et toute sa gloire, dans le Guadalquivir, à Cordoue, capitale de l’Andalousie, et s’est noyé dans ce fleuve[20]. Cette ville est, comme on sait, célèbre par la naissance des deux Sénèque, et va le devenir encore plus par le trépas de l’auteur dont nous parlons. Le défaut de fortune et l’inconduite avaient forcé ce bouffon de la littérature à s’expatrier. C’est un des personnages les plus singuliers qu’on pût voir, qui à beaucoup d’esprit et de saillies joignait une ignorance si crasse, une présomption si aveugle, qu’on lui faisait croire tout ce qu’on voulait en caressant sa vanité. La postérité ne pourra jamais comprendre tout ce qui lui est arrivé en pareil genre. Les tours qu’on lui a joués, et auxquels il s’est livré dans l’ivresse de son amour-propre, sont d’une espèce si singulière et si nouvelle, qu’il a fallu créer un mot pour les caractériser. Notre langue lui doit de s’être enrichie du terme de mystification[21], terme généralement adopté, quoi qu’en dise M. de Voltaire[22], qui voudrait le proscrire, on ne sait pourquoi.

Le roi a annoncé lui-même cette mort à M. de La Borde, son premier valet de chambre, et qui était fort lié avec ce poète, sur les paroles duquel il avait fait plusieurs fois de la musique.

30. — Un Mémoire[23] de l’abbé Morellet fait un effet prodigieux, et bien des gens des plus attachés à la Compagnie des Indes, qui jusqu’à présent en avaient désiré la continuation, intimidés par les assertions de cet auteur, en veulent aussi ardemment l’extinction. Ce n’est pas que dans le livre même on ne pût trouver la propre réfutation du détracteur, mais ce travail et cet examen ne peuvent être l’ouvrage du gros des actionnaires, gens à préjugés, qui se coiffent de la première opinion qu’on leur inculque, et chez qui il est toujours essentiel de gagner de primauté. Aussi le ministère a-t-il senti de quelle importance il était de frapper ce coup avant qu’il parût aucune apologie en faveur de la Compagnie. On permet aujourd’hui à l’administration de répliquer ; mais elle a ordre, à ce qu’on assure, de se renfermer dans la justification de ses calculs, et de borner là ses réflexions. Cependant des particuliers intéressés à la chose, et aussi zélés qu’instruits, s’occupent à discuter les points les plus essentiels ; ils prétendent prouver des erreurs que l’abbé Morellet a travesties en vérités, découvrir des sophismes qu’il a donnés comme des raisonnemens, démasquer l’infidélité de ses exposés, et renverser son système de fond en comble. Les amis de cet abbé annoncent que, sentant lui-même les endroits faibles de son Mémoire, il fait imprimer un supplément, où il se redressera et préviendra les réponses ou les objections qu’on pourrait lui faire.

On assure que M. le comte de Lauraguais, qui jusqu’à présent avait paru opposé à la continuation de la Compagnie, mais qui dans le fait ne voulait la dissoudre que pour anéantir l’administration et faire reprendre une nouvelle vie à cette société, a écrit avec autant de zèle que de vérité aux ministres et à l’abbé Morellet lui-même, et que nous allons voir incessamment quelque travail de ce seigneur sur cet objet, non moins agréable que satisfaisant.

— On a annoncé[24], il y a déjà du temps, que la reconstruction du Louvre était arrêtée de nouveau par un arrêt du Conseil ; qu’on voulait en faire un Muséum, sous le nom de Palais des Arts ; qu’il était décidé d’y transporter la Bibliothèque du Roi, les médailles, les estampes, les tableaux, les cabinets d’histoire naturelle, les modèles des machines, les plans des villes de guerre. Ce beau projet, suivant l’usage, était resté là ; et, sans doute, faute d’argent, il avait été oublié aussitôt que conçu. On paraît se réveiller là-dessus aujourd’hui, et les ordres sont donnés pour finir incessamment la partie du bâtiment qui donne sur la rivière. C’est dans cette exposition aussi noble que vaste qu’on doit placer la bibliothèque, déménagement le plus pressé et le plus long à faire. De cette enceinte, il se formera une magnifique issue sur la terrasse pratiquée dans la colonnade donnant sur la place.

On présume qu’on songe sérieusement cette fois à effectuer les travaux, parce que les artistes auxquels on avait permis de se construire des appartemens dans l’intérieur des murs, avec la clause expresse de les abandonner aussitôt qu’il serait question de reprendre les travaux du roi, ont été avertis de se pourvoir de logemens.

31. — On ne parlait plus du célèbre J.-J. Rousseau ex-citoyen de Genève, errant depuis son retour d’Angleterre, et qui, après avoir parcouru une partie de la France dans un enthousiasme dont il s’était enflammé pour la botanique, s’était enseveli dans les montagnes du Dauphiné, et ne paraissait plus concentré que dans l’étude des plantes et des simples. On ne sait comment il s’est trouvé, cet été, rapproché du Nivernois. M. le prince de Conti va tous les ans prendre dans cette province les eaux minérales de Pougues : soit erreur de voyage, soit un reste de vanité, soit reconnaissance envers cet illustre bienfaiteur, il s’est trouvé assez à portée du prince pour qu’il ait daigné le voir encore, et l’envoyer chercher plusieurs fois dans ses carrosses ; ce qui a donné un grand relief à M. Rousseau auprès des provinciaux de ces cantons, qui n’avaient jamais lu ses ouvrages et ne connaissaient même pas son nom.

— Les Comédiens Français jouent aujourd’hui l’Iphigénie de Racine avec les changemens qu’y a faits le sieur de Saint-Foix. On a prévenu que, sur le désir qu’en avait témoigné madame la duchesse de Villeroi, cet auteur, de vingt vers au moins de transition, avait retourné tout le cinquième acte, et mis en action ce qui n’était qu’en récit. La tragédie prête par là à un spectacle étonnant, et c’est en ce moment l’objet de la curiosité publique.

— Tout le public littéraire est dans l’attente de la pièce que l’Académie Française désignera pour être couronnée à la fête prochaine de Saint-Louis. On sait que le sujet proposé pour cette année était l’Éloge de Molière, ce qui ne fait que redoubler la curiosité. On sent qu’une pareille matière ne peut avoir été traitée dignement par un écolier, et que pour ce panégyrique il faudrait avoir presque autant de génie que le héros. Quoique les juges, pour éviter les tracasseries d’une publicité prématurée, soient fort secrets sur leurs délibérations, il est toujours quelques membres plus indiscrets ou plus aisés à pénétrer, qui laissent transpirer quelque chose. On prétend qu’une pièce entre autres a attiré l’attention de la compagnie, mais que, sur un soupçon qu’elle pourrait être du sieur Palissot, on l’a mise à l’écart pour ne la point couronner, quel qu’en fût le mérite, si elle était réellement de cet auteur. Les Académiciens croient pouvoir, en cette occasion, s’élever au-dessus des règles ordinaires, et exclure du concours un aspirant indigne par ses mœurs et par sa conduite d’entrer dans la carrière. Il faut se rappeler, ou plutôt on ne peut oublier avec quelle impudence le sieur Palissot s’est adjugé le rôle d’Arétin moderne, et a versé le fiel de la satire sur les personnages les plus illustres de la philosophie et de la littérature. Par le scandale de la comédie des Philosophes et de son poëme de la Dunciade, il s’est condamné lui-même au triste et infâme rôle de médire dans les ténèbres du reste de ses confrères. Personne n’a daigné lui faire l’honneur de lui répondre ; et son dernier ouvrage, quoique bien fait dans son genre, et très-digne d’observations et de critiques, n’a pas même reçu les honneurs de la censure.

1er Aout. — Les Comédiens Français, qui sur l’affiche avaient annoncé l’Iphigénie en Aulide, sans aucune addition qui prévînt le public de l’innovation dont on a parlé, ont cru devoir ouvrir le spectacle par un petit bout de compliment, aussi mal fait que mal débité, où ils ont déclaré que, toujours attentifs à procurer aux spectateurs de plus grands amusemens, ils avaient, dans cette vue, tenté l’essai en question. Cet essai n’a point eu le succès qu’ils s’en promettaient : on a trouvé le spectacle du cinquième acte mesquin, mal amené, invraisemblable, et trop brusqué. On a regretté les beaux vers du récit ordinaire, et les vers de suture du sieur de Saint-Foix ont paru tout-à-fait disparates ; il en a été de même du jeu des acteurs. Les uns ont joué divinement, d’autres à faire mal au cœur. Mademoiselle Dumesnil a fait une sensation si prodigieuse qu’elle a réuni tous les suffrages. Madame Vestris a fait le rôle d’Ériphile avec beaucoup de force et de vérité. Mademoiselle Dubois, parée comme une châsse, a paru plus chercher à se faire belle qu’à être tendre et ingénieuse comme la vraie Iphigénie. L’Achille et l’Agamemnon ont été très-froids, ce qui n’a pas peu contribué à indisposer le public et à lui faire trouver mauvaise la témérité des Comédiens.

— On a levé l’embargo qui était sur le Mémoire de M. de Lauraguais[25], et l’on en continue l’impression. En attendant que le public puisse en jouir, on en a répandu des précis, auxquels l’auteur a joint quelques réflexions sommaires contre l’ouvrage de l’abbé Morellet, qu’il accable de ses sarcasmes. On a de ce seigneur une Lettre à M. le duc de Choiseul sur ces matières, qui mérite d’être lue.

2. — M. de Voltaire, qui trouve sans doute que son Histoire du Parlement ne perce pas assez à son gré et fait encore peu de bruit, la désavoue une seconde fois dans une nouvelle lettre insérée au Mercure de ce mois, et annonce qu’elle est indécente et hardie. Il sent bien que ces qualifications exciteront encore mieux la curiosité des lecteurs, et c’est ce qu’il souhaite ardemment. Le peu de gens qui ont lu ce livre, extrêmement rare encore, disent que ce sont des annales tronquées, décousues, mal digérées ; des lambeaux arrachés de différentes histoires, et de celles même de M. de Voltaire ; qu’en rapportant les faits, presque toujours falsifiés, l’auteur y mêle des réflexions souvent burlesques ou satiriques, mais qu’il ne traite jamais la question de droit ; qu’en un mot, c’est un livre superficiel et qui ne remplit que très-imparfaitement son titre.

3. — La seconde lettre de M. de Voltaire a produit l’effet qu’il en attendait. C’est une fureur pour courir après son Histoire du Parlement de Paris, par M. l’abbé Big…, que des fous achètent jusqu’à six louis. On a tellement châtié les colporteurs, qu’il ne s’en trouve plus qui osent se charger de pareille marchandise, surtout de celle-ci, contre laquelle le Parlement a demandé les prohibitions les plus sévères.

4. — Avant-hier le public s’est encore rendu en foule à la Comédie Française pour voir si le spectacle de l’Iphigénie au cinquième acte serait amélioré et ferait plus d’effet. Mais les Comédiens avaient arrêté entre eux de remettre cette tragédie dans son état ordinaire, et les curieux ont été attrapés, ce qui a mécontenté beaucoup de monde. M. de Saint-Foix, le rédacteur de la tragédie en question, n’est pas moins furieux qu’on lui ait donné le désagrément de la comparaison : il prétend que les Comédiens auraient dû supprimer tout-à-fait pour quelque temps cette Iphigénie, afin qu’on perdît le souvenir de sa tentative, et qu’on se remît tout uniment au courant.

16. — L’Histoire du Parlement de Paris est absolument de M. de Voltaire : c’est sa manière et son style, à ne pouvoir s’y méprendre. La première partie est la meilleure ; elle traite au moins la question, et l’auteur cherche à y démêler l’origine, les progrès et l’essence de cette compagnie. Quoique ces différens points ne soient pas discutés à beaucoup près avec toute la critique et l’érudition qu’ils exigent, le lecteur y entrevoit des lueurs qui peuvent lui donner des indications. Dans la seconde, M. de Voltaire sort presque toujours de son sujet ; il fait des excursions sur différens morceaux de l’histoire qui paraissent prêter davantage à l’intérêt ou à la curiosité, mais qui ne sont que très-indirects à son but. L’ouvrage, comme tous ceux de l’écrivain, est fort agréable par le choix plus que par la vérité des anecdotes, par le ton satirique qui y règne, et par la rapidité superficielle dont tout est manié. Il est à la portée du grand nombre des lecteurs, et sera plus connu que s’il était profond, savant, exact et austère.

7. — Quelque asservie que l’Italie paraisse sous le joug de la superstition et du fanatisme, croyons qu’il est encore dans cette contrée de ces âmes superbes, dignes de leur ancienne origine. On en peut juger par une traduction, qu’on vient de donner en français, d’un livre composé d’abord en italien, ayant pour titre : Projet d’une réforme à faire en Italie, ou Moyens de corriger les abus les plus dangereux et de réformer les lois les plus pernicieuses établies en Italie. La brûlure dont ce livre a été illustré dernièrement dans ces contrées, et tout récemment à Dillingen, en Allemagne, sous la forme d’une traduction allemande, sont de grands préjugés en sa faveur. L’auteur traite du Souverain Pontife et des lois canoniques, de la tolérance en matière de religion, du clergé, des monastères, du culte excessif qu’on rend aux saints, des vies des saints et des livres ascétiques ou de dévotion, de l’usage des Saints Pères, de la théologie, de l’histoire ecclésiastique et du droit canon, de la religion, des biens ecclésiastiques, de quelques moyens généraux pour entreprendre avec succès une réforme en Italie, d’une supplique du peuple romain au Pape pour lui demander le rétablissement de l’agriculture, des arts et du commerce, des lois civiles. On voit par là que la plupart des objets de réforme envisagés par cet écrivain sont communs à toutes les nations et à tous les gouvernemens, et c’est sans doute ce qui a engagé à le publier en différentes langues. Il faut convenir que l’ouvrage pourrait être plus resserré, plus rapide et plus lumineux ; mais s’il est dénué de la profondeur et des grandes vues qui constituent le génie en pareille matière, c’est, d’un autre côté, un catéchisme de politique usuelle et d’autant meilleure qu’elle est à la portée de tous les lecteurs et des souverains les plus bornés qui voudraient le lire. La préface du traducteur français, en dix pages, donne plus à penser que le volume entier du spéculateur italien. Il y a de ces vérités hardies, fondées sur les principes du droit naturel, et que le despotisme et la flatterie ont cherché à étouffer, mais dont heureusement quelques philosophes courageux réclament de temps à autre et consacrent à la postérité les notions imprescriptibles. Le même traducteur a semé l’ouvrage de quelques notes qui ajoutent de l’énergie au texte et lui donnent infiniment plus de vigueur.

9. — On parle beaucoup du Mémoire[26] de M. Necker en réponse à celui de l’abbé Morellet, lu hier à l’assemblée de la Compagnie des Indes. Il a enlevé tous les suffrages, il a paru réunir l’éloquence la plus pathétique et la plus mâle de l’orateur, aux vues les plus profondes et les plus vastes de l’homme d’État.

13. — On rit beaucoup à la cour d’une plaisanterie que s’est permise M. le duc de Choiseul envers M. l’évêque d’Orléans, à un spectacle particulier que donnait chez elle madame la comtesse d’Amblimont. Outre ce ministre et autres seigneurs de la plus grande distinction, il y avait plusieurs prélats. Avant la comédie, M. le duc de Choiseul avait prévenu quelques actrices. Deux s’étaient pourvues d’habits d’abbé ; elles se présentèrent dans cet accoutrement à M. de Jarente. Ce prélat n’aime pas en général à rencontrer de ces espèces sur son chemin, parce qu’il se doute bien que ce sont autant d’importunités à essuyer. Ceux-ci pourtant, par leur figure intéressante, attirèrent son attention ; ils lui adressèrent leur petit compliment, se donnèrent pour de jeunes candidats qui voulaient se consacrer au service des autels, se renommèrent de la protection et même de la parenté de M. le duc de Choiseul, qui n’était pas loin et vint appuyer leurs hommages et leurs demandes. Le cœur de l’évêque d’Orléans s’attendrit, par sympathie, sans doute ; il promit des merveilles, et par une faveur insigne, ne put se refuser à donner l’accolade à ces deux aimables ecclésiastiques. Quelle surprise pour le prélat, lorsque, pendant le spectacle, il entrevit sur le théâtre des figures qui ressemblaient beaucoup à celles qu’il avait embrassées. Son embarras s’accrut par une petite Parade[27], où il fut obligé de se reconnaître. On y peignait adroitement son aventure. Enfin des couplets charmans le mirent absolument au fait. Il se prêta de la meilleure grâce à la raillerie. Les abbés redevenus de jeunes filles très-jolies et très-aimables, se reproduisirent avec toutes sortes de grâces et de minauderies. On lui rendit les baisers qu’il avait donnés. Cela fit l’entretien du souper. On s’était promis entre soi de ne point révéler les secrets de l’Église, et d’en faire un mystère aux profanes ; mais il est toujours des indiscrets qui n’ont pas scrupule de manquer à leur serment, et l’histoire perce depuis quelques jours dans le public. Tout le monde reconnaît là la gaieté fine du ministre, qui a besoin de se dérober quelquefois à ses importantes et pénibles occupations et de se dérider le front, pour les reprendre ensuite avec plus d’ardeur et de patriotisme.

14. — La crise de la Compagnie des Indes vient de fournir encore matière à une plaisanterie. Un caustique a imaginé et fait exécuter une gravure où l’on a représenté l’assemblée générale des actionnaires. Autour du tapis vert sont les gens de l’administration ; M. le contrôleur-général préside au bout de la table ; à sa gauche est M. Boutin, intendant des finances, ayant la Compagnie dans son département, et cependant l’homme le plus acharné à son déchirement, sujet de l’allégorie en question. On voit à ses pieds un gros dogue d’Angleterre, les yeux enflammés, la gueule ouverte, les poils hérissés, dans l’attitude d’une rage prête à dévorer les actionnaires sur lesquels il s’élance. Son maître l’excite en disant : Mors-les, pitoyable et cruelle allusion au nom de l’auteur du Mémoire (Morellet).

15. — M. Godeheu, fils d’un ancien directeur de la Compagnie des Indes, vient de répandre un imprimé d’une feuille in-4°, où il relève fortement une erreur avancée par M. l’abbé Morellet sur un point concernant l’administration précédente, et trop légèrement adoptée par M. le comte de Lauraguais d’après l’exposé de cet abbé. Il suit de l’explication du fait par M. Godeheu, que le premier écrivain est coupable, ou d’une grande ineptie, ou d’une fausseté manifeste.

19. — Il y a quelque temps que M. le prince de Conti, qui honore le sieur Gerbier, fameux avocat, d’une confiance particulière, est allé le trouver à sa terre d’Aulnoy, où, malgré ses grandes occupations, il passe la plus grande partie de la belle saison. L’orateur, confondu d’une telle visite, mit dans sa réception toute l’éloquence dont il est capable ; mais le prince exigea qu’on oubliât le cérémonial dû à son rang, et qu’on le traitât comme un ami de la maison. Son premier soin fut de parcourir les délicieux jardins du château. Ces jardins sont créés en quelque sorte par le nouveau maître, et c’est un jardinier anglais qui a traité cette partie dans toute la singularité du costume de sa nation. Après les premières promenades, le sieur Gerbier, laissant faire à sa femme les honneurs de sa maison, demanda au prince permission de le quitter un moment, sous quelque prétexte. Il revint peu après, et conduisit insensiblement Son Altesse, comme pour se reposer, sous un belvédère agréable, où l’on lut ces vers fraîchement écrits :


Sous son humble toit Philémon
Reçut le maître du tonnerre ;
À son bonheur le mien répond :
Je vois Conti dans ma chaumière !


Le prince, enchanté de cette galanterie ingénieuse, redoubla de bontés et de caresses pour son hôte, et voulut passer trois jours chez lui : faveur signalée, dont aucun particulier peut-être n’a jamais pu se vanter.

20. — Dans le cinquième volume de l’Évangile du jour, imprimé, soi-disant, à Londres, en 1769, on trouve une correspondance entre M. l’évêque d’Annecy et M. de Voltaire, qui donne la clef de la conduite de ce dernier depuis deux ans et jette un grand jour sur les deux farces qu’il a successivement jouées à Pâques. Il paraît que M. de Voltaire craignant d’être inquiété par le prélat en question, par le Parlement de Bourgogne et par la cour enfin, à raison du scandale énorme qu’il causait par ses écrits, également impies et licencieux, et dont les désaveux qu’il en faisait n’excitaient que davantage la curiosité des lecteurs, a pris le parti, en 1768, de faire un acte de religion authentique. C’est là-dessus que M. d’Annecy lui écrit, le 11 avril 1768, une lettre qui commence ainsi : « On dit que vous avez fait vos pâques ; bien des personnes n’en sont rien moins qu’édifiées. » Le prélat annonce ensuite qu’il pense plus charitablement ; qu’il croit M. de Voltaire trop au-dessus des respects humains, des préjugés et des faiblesses de l’humanité, pour trahir et dissimuler ses sentimens par un acte d’hypocrisie qui suffirait seul pour ternir toute sa gloire. Il félicite la religion d’avoir acquis un pareil prosélyte ; il ajoute : « Si le jour de votre communion on vous avait vu, non pas vous ingérer à prêcher le peuple dans l’église sur le vol et les larcins (ce qui a fort scandalisé tous les assistans), mais lui annoncer, comme un autre Théodose, par vos soupirs, vos gémissemens et vos larmes, la pureté de votre foi, alors personne n’aurait plus été dans le cas de regarder comme équivoques vos démonstrations apparentes de religion. » L’épître finit par une exhortation à ce vieux pécheur de faire juger de l’arbre par les fruits, de profiter du temps qui lui reste, etc.

M. de Voltaire, dans sa réponse, du 15 du même mois, fait semblant de prendre à la lettre les complimens de l’évêque et lui rend morale pour morale : au lieu des Pères de l’Église, il lui cite Cicéron et finit de la sorte : « Vous êtes trop instruit pour ignorer qu’en France un seigneur de paroisse doit, en rendant le pain bénit, instruire ses vassaux d’un vol commis dans ce temps-là même avec effraction et y pourvoir incontinent ; de même qu’il doit avertir si le feu prend à quelque maison du village, et faire venir de l’eau : ce sont des affaires de police qui sont de son ressort. »

Le 25 avril, M. l’évêque d’Annecy réplique à M. de Voltaire, et après les premiers complimens d’usage, entre ainsi en matière :

« Je n’ai pu qu’être surpris qu’en affectant de ne pas entendre ce qui était fort intelligible dans ma lettre, vous ayez supposé que je vous savais bon gré d’une communion de politique, dont les protestans mêmes n’ont pas été moins scandalisés que les catholiques. » Il lui déclare après, que le scandale donné au public, soit par ses écrits, soit par la cessation de presque tout acte de religion pendant plusieurs années, exigeait des réparations éclatantes, et que jusque-là aucun ministre instruit de son devoir n’a pu et ne pourra l’absoudre. Relativement au sermon prêché sur le vol, il lui dit que « la conduite d’un seigneur de paroisse qui se fait accompagner par des gardes armés jusque dans l’église, et qui s’y ingère à donner des avis au public pendant la célébration de la sainte messe, bien loin d’être autorisée par les usages et sages ordonnances des rois très-chrétiens, a toujours été regardée comme étant du ministère des pasteurs, et non de l’exercice de la police extérieure, qu’il veut attribuer aux seigneurs. » Le prélat conjure de nouveau M. de Voltaire de songer à l’éternité, à laquelle il touche de si près : il ajoute, que tout ce qu’il écrit est pour remplir son ministère d’évêque et de pasteur ; que du reste il ne craint pas les satires.

Suit une riposte de M. de Voltaire, du 29 avril, où il attribue à des calomnies l’aigreur qu’il croit remarquer dans la lettre du prélat ; il désigne différentes personnes auxquelles on pourrait les imputer ; il énumère par occasion tout le bien qu’il a fait dans sa paroisse, et produit en témoignage un certificat signé de MM. les syndics des États du pays, des curés de ses terres, d’un juge civil, d’un supérieur d’une maison religieuse, etc. : il déclare qu’il en envoie des copies à M. le premier président du Parlement de Bourgogne et à M. le procureur-général ; il continue par persifler à son ordinaire, et termine par une tirade très-religieuse et très-pathétique.

Le 2 mai, troisième lettre de monseigneur l’évêque d’Annecy à M. de Voltaire, où ce prélat cherche à écarter les soupçons que le pénitent prétendu voudrait faire tomber sur différentes personnes.

« Vous connaissez, écrit-il, les ouvrages qu’on vous attribue, vous savez ce que l’on pense de vous dans toutes les parties de l’Europe ; vous n’ignorez pas que presque tous les incrédules de notre siècle se glorifient de vous avoir pour leur chef et d’avoir puisé dans vos écrits les principes de leur irréligion : c’est donc au monde entier et à vous-même, et non pas à quelques particuliers, que vous devez vous en prendre de ce qu’on vous impute. » Le prélat compare ensuite la conduite d’un vrai chrétien à celle de M. de Voltaire, et conclut que sa conversion ne porte aucun des caractères d’une conversion véritable.

M. de Voltaire, sans doute, atterré par cette dernière épître, a pris le parti de garder le silence ; mais le zèle de l’évêque n’a pas cru devoir s’en tenir à une simple correction pastorale : ce prélat en a écrit au roi, et voici en entier la lettre de M. de Saint-Florentin, qui instruit de l’anecdote.


Du 13 juin 1768.

« J’ai, Monsieur, remis sous les yeux du roi la lettre que vous m’avez adressée pour Sa Majesté, et la copie de celles que vous avez écrites à M. de Voltaire, et des réponses qu’il vous a faites. Sa Majesté n’a pu qu’applaudir aux sages conseils que vous avez donnés à M. de Voltaire et aux solides exhortations que vous lui avez faites. Sa Majesté lui fera mander de ne plus faire dans l’église d’éclat aussi déplacé que celui dont vous lui avez, avec raison, fait reproche. Ce n’est point à un seigneur particulier de paroisse à donner des instructions publiques aux habitans ; il peut les exhorter en particulier, et cela serait même très-louable, à se conduire d’une manière conforme aux principes de la religion et de la justice. Je suis persuadé que M. de Voltaire aura fait des réflexions sur vos sages avis. On ne peut être plus parfaitement que je le suis, etc. »

C’est apparemment pour se moquer encore mieux du prélat, que M. de Voltaire a procédé cette année d’une façon plus extraordinaire encore au grand œuvre de sa communion pascale.

En conséquence, le 30 mars 1769, après avoir fait avertir M. le curé de Ferney, selon les lois du royaume, d’une fièvre violente qui le retient chez lui malade, Réquisition de M. de Voltaire audit curé de faire en cette occasion tout ce que les ordonnances du roi et les arrêts du Parlement commandent, conjointement avec les canons de la sainte Église, mère de la religion catholique, professée dans le royaume, religion dans laquelle lui malade est né, a vécu et veut mourir, etc. De là une Déclaration, le 31 mars, où il dit qu’il n’a jamais cessé de respecter et de pratiquer la religion catholique professée dans le royaume ; qu’il pardonne à ses calomniateurs ; que si jamais il lui était échappé quelque indiscrétion préjudiciable à la religion de l’État, il en demanderait pardon à Dieu et à l’État, etc.

Le 1er avril 1769, immédiatement après avoir reçu dans son lit la sainte communion de M. le curé de Ferney, par-devant notaire, M. de Voltaire prononça ces propres paroles : « Ayant mon Dieu dans ma bouche, je déclare que je pardonne sincèrement à ceux qui ont écrit au roi des calomnies contre moi, et qui n’ont pas réussi dans leurs mauvais desseins. »

Le 15 avril suivant, il fit encore, par-devant notaire, la Profession de foi la plus ample, la plus caractérisée et la plus orthodoxe.

On ne sait point comment M. l’évêque d’Annecy a pris cette nouvelle comédie, mais apparemment n’ayant pas été content de l’effet de ses plaintes à la cour contre un pécheur aussi invétéré, et dont les actes de religion n’étaient que des scandales nouveaux, il aura pris le parti de gémir sur le sort de cette brebis égarée, et d’adresser ses vœux au ciel pour son retour sincère au bercail.

Les lettres du prélat sont, en général, bien écrites : il y règne une morgue qui est annexée aux catéchisans et à ceux qui parlent au nom de l’Église : il est difficile que cet honneur ne donne pas une certaine enflure qui rejaillit presque sur leur humanité. Rien de plus plaisant que la correspondance en question, et que l’assaut de persiflage que se livrent tour à tour l’ouaille et le pasteur. Le public attend le temps de Pâques de l’année prochaine, pour voir quelle nouvelle tournure prendra la religion de M. de Voltaire.

On est fâché que l’éditeur n’ait pas conservé dans ce volume une gravure qu’on voyait à la tête d’une édition particulière des lettres et profession de foi en question. Cette caricature représente M. de Voltaire en buste, la figure enflammée comme un séraphin, les yeux tournés vers un Christ en l’air, qui regarde amoureusement ce pécheur converti et semble le pénétrer de tous les rayons émanés de la gloire qui l’environne.

21. — M. de Voltaire, doué d’un cœur aussi actif que son esprit, a favorisé de sa recommandation auprès du ministre de la guerre, un jeune médecin chargé de deux petits hôpitaux dans le pays de Gex, et venu à Paris pour demander une augmentation. Voici la recommandation dont il était porteur.


Requête de l’Ermite de Ferney à Monseigneur le duc de Choiseul.

« Rien n’est plus en place que la supplication d’un vieux malade pour un jeune médecin : rien n’est plus juste qu’une augmentation de petits appointemens, quand le travail augmente. Monseigneur sait très-parfaitement que nous n’avions autrefois que des écrouelles dans les déserts de Gex, et que depuis qu’il y a des troupes, nous avons quelque chose de plus fort. Le vieil ermite, qui, à la vérité, n’a reçu aucun de ces deux bienfaits de la Providence, mais qui s’intéresse sincèrement à tous ceux qui en sont honorés, prend la liberté de représenter douloureusement et respectueusement à Monseigneur que le sieur Coste, notre médecin très-aimable, qui compte nous empêcher de mourir, n’a pas de quoi vivre, et qu’il est en ce point tout le contraire des grands médecins de Paris. Il supplie Monseigneur de vouloir bien avoir pitié d’un petit pays dont il fait l’unique espérance. »

M. Coste, muni d’un pareil passe-port, a été très-bien accueilli de M. le duc de Choiseul ; il a eu l’honneur de manger avec madame la duchesse, et ses appointemens, qui n’étaient que de cinquante écus, ont été portés à douze cents livres ; il a obtenu, en outre, une gratification de six cents livres pour son voyage.

24. — On a consacré la petite plaisanterie faite à M. l’évêque d’Orléans[28] par un divertissement allégorique, intitulé le Ballet des abbés. On sent qu’il ne peut avoir lieu que sur des théâtres particuliers : il a déjà été exécuté en plusieurs endroits.

25. — L’Académie Française a tenu aujourd’hui, suivant l’usage, sa séance publique pour la distribution du prix. L’affluence augmente de jour en jour à ces assemblées, et dès deux heures la salle était garnie. Les dames paraissent s’y plaire ; elles y étaient venues en grande quantité. Quand Messieurs sont entrés pour se mettre en place, on a été surpris de voir siéger parmi eux un abbé qu’on ne connaissait pas ; M. Duclos, le secrétaire de la compagnie, a éclairci l’embarras général, en annonçant que M. l’abbé était un Pocquelin[29], petit-neveu de Molière. Tout le monde a applaudi à cette distinction par des battemens de mains multipliés. Ensuite M. l’abbé de Boismont, directeur, après avoir fait une espèce d’amende honorable à Molière au nom de l’Académie, qui, le comptant au rang de ses maîtres, le voyait toujours avec une douleur amère omis entre ses membres, a déclaré que pour réparer cet outrage autant qu’il était en elle, elle avait proposé son Éloge au concours des jeunes candidats ; que M. de Champfort avait mérité le prix ; que trois autres pièces avaient fait regretter aux juges de n’avoir qu’un prix à donner, et qu’une quatrième avait approché de très-près celle-ci. M. Duclos a cru devoir ajouter son mot, en disant qu’on ignorait les auteurs des Accessit, mais qu’on les invitait à faire imprimer leurs pièces pour que les connaisseurs pussent juger, approuver l’arrêt de l’Académie ou le casser ; il a ajouté modestement : « Nous nous croyons plus forts qu’un particulier, mais le public est plus fort que nous. »

Après tout ce préambule, M. d’Alembert a lu la pièce couronnée. Elle a fait une grande sensation dans l’assemblée, et a excité de vifs applaudissemens. Il y a infiniment d’esprit, de goût, de philosophie dans cet ouvrage ; mais il se sent encore de la jeunesse du candidat. Il manque de ce bel ordre, de cette unité, le premier mérite de tout discours : il n’est pas fondu comme il conviendrait : d’ailleurs il y a trop peu de faits. M. de Champfort s’est beaucoup appesanti sur l’auteur et n’a pas assez développé l’homme ; il a montré le génie de Molière sous toutes ses faces, et a glissé sur son âme, non moins digne d’être approfondie. La partie même du jugement des pièces est plus traitée en métaphysicien qu’en homme de l’art ; trop de dissection, de finesse, de subtilité. Les réflexions du panégyriste sont si atténuées, qu’elles échappent quelquefois à l’auditeur. Quelquefois on trouve du faux, du louche, du galimatias, des comparaisons recherchées pour la plupart. Le sujet est manié tantôt avec trop d’importance et tantôt d’une façon trop burlesque ; le style est plus souvent précieux que naturel : tels sont les défauts qui compensent les beautés de cet Éloge : c’est un portrait de Molière plein de détails, d’une touche légère et délicate, et non frappé de ces grands coups de pinceau qu’employait lui-même ce peintre inestimable. Quoi qu’il en soit, l’auteur a paru digne de la médaille qu’il a reçue ; il a été obligé de franchir la foule pour venir la prendre, et le fauteuil près du secrétaire se trouvant vacant, il l’a invité de s’asseoir : grâce prématurée, pronostic heureux de l’honneur qu’il aura sans doute un jour. La coutume est de lire successivement le programme pour les prix de poésie de l’année suivante. Depuis quelque temps l’Académie avait laissé carrière au génie des auteurs, et ne les assujettissait à aucun sujet ; elle vient de reprendre, on ne sait pourquoi, ses anciens erremens, et a donné pour sujet du prix de poésie de 1770, les Inconvéniens du luxe, titre bien faible pour caractériser un vice, fléau des États et le principe de leur destruction. M. Duclos a, par le même programme, annoncé l’Éloge à faire pour 1771, afin de donner aux concurrens le temps de rassembler les mémoires ; c’est celui de M. de Fénélon, archevêque de Cambrai.

M. Watelet, pour remplir le vide de la séance, a continué de faire part au public de quelques morceaux de sa traduction de la Jérusalem délivrée. Celui qu’il a lu est tiré du septième chant. Ce poète peint la fuite d’Herminie, et son entrevue avec un vieillard retiré des cours et vivant dans la solitude. On a déjà dit et l’on ne peut que répéter, combien le pinceau sec et froid de l’académicien est impropre à rendre les touches tendres et moelleuses de l’italien. Cette traduction, quoique en vers, n’aura jamais l’élégance et la force de celle de M. de Mirabaud en prose.

29. — On vient de rendre public par la voie de l’impression le Procès-verbal de l’enlèvement du Conseil Souverain de Saint-Domingue, exécuté le 7 mars 1769. Ce procès-verbal rédigé par ces Messieurs à bord du senaut le Fidèle Jean-Baptiste, le 22 avril suivant, c’est-à-dire aussitôt qu’ils l’ont pu, est un monument qui consacrera à la postérité un des effets les plus dangereux du despotisme militaire. On est fâché, en lisant cette pièce, que les Remontrances de cette même compagnie, imprimées à la suite, en date du 24 dudit mois, ne répondent pas à sa situation et n’en peignent pas les horreurs avec cette éloquence mâle, dont plusieurs Parlemens ont en pareil cas soulevé l’indignation générale contre les auteurs de ces vexations révoltantes.

Suit une Lettre du Parlement de Bordeaux au roi, pour supplier Sa Majesté de faire juger ces magistrats par un Parlement, et non par une commission, tribunal toujours suspect et désavoué par nos lois. Cet écrit est faible aussi, et n’est pas digne du sujet qui intéresse l’honneur de toute la magistrature.

31. — Le discours que M. l’abbé Le Cousturier, chanoine de Saint-Quentin, a prononcé le jour de Saint-Louis dans la chapelle du Louvre devant messieurs de l’Académie Française, excite de grandes rumeurs dans la cabale des dévots, et renouvelle la fermentation qu’occasiona, il y a deux ans, celui de M. l’abbé Bassinet[30]. On reproche encore à l’orateur de cette année d’avoir fait un discours trop profane, d’avoir envisagé en Louis IX le monarque seul, sans parler du saint, d’avoir frondé les croisades, de s’être élevé avec force contre le tribunal de l’Inquisition, d’avoir donné des leçons de politique dans une chaire où il ne devait donner que des leçons de vertu. On va jusqu’à supposer que cet abbé est un suppôt du parti encyclopédique, parti qui ne cesse d’élever sa philosophie fausse et dangereuse sur les ruines de la vraie religion. On tourne même contre l’orateur les éloges qu’il a reçus des spectateurs, et ces battemens de mains réitérés, qui ne sont d’usage que dans les assemblées profanes, au théâtre, ou au barreau. Le zèle des fanatiques a été porté au point de dénoncer ce panégyrique à M. l’archevêque pour en suspendre l’impression, et lui attirer les censures de ce prélat. Heureusement le discours est déjà imprimé par ordre de l’Académie Française, et dans une délibération subséquente ces messieurs ont arrêté de députer trois de leurs membres au premier gentilhomme de la chambre en exercice, pour le supplier de présenter l’orateur à Sa Majesté, et de lui offrir son discours, faveur nouvelle et signalée de la part de l’Académie. La cérémonie doit avoir lieu dimanche à Versailles, et c’est M. le duc de Fronsac qui s’en est chargé.

Ier Septembre. — Il paraît une huitième Lettre d’un actionnaire de la Compagnie des Indes, servant de suite à celles dont on a parlé[31], qui ne fait pas moins de bruit que les précédentes par les détails dans lesquels l’auteur entre sur l’intérieur des assemblées. Heureusement pour ceux qui y sont dépeints, elle n’est encore que manuscrite ainsi que les précédentes.

2. — On assure que le sieur Baculard d’Arnaud, teur de plusieurs ouvrages larmoyans, tels que jérémiades[32], élégies, drames funéraires, a obtenu la pension que le sieur Poinsinet avait sur le Mercure, et que c’est à la sollicitation de l’abbé de Langeac auprès de M. le comte de Saint-Florentin. Ce jeune abbé est déjà un Mécène très-ardent pour les gens de lettres, et fait refluer sur eux la passion excessive dont il est dévoré pour les Muses.

3. — Quoique la feuille répandue par M. Godeheu[33] regardât spécialement l’abbé Morellet, puisque M. le comte de Lauraguais n’avait avancé le fait en question que sur le dire de M. l’abbé ; cependant ce seigneur a bien voulu répondre au réclamant. Il lui a écrit une lettre[34] très-adroite, dans laquelle il prouve que M. Godeheu n’a pas traité la question, et que, bien loin de décharger l’ancienne administration, il l’inculpe lui-même par la nullité de son observation ; qu’en un mot, il ne s’agissait pas de prouver contre l’abbé Morellet pour quel motif messieurs de l’administration s’étaient partagé entre eux une somme quelconque, prétendu bénéfice du commerce ; mais si cette somme partagée était réellement un bénéfice, et c’est ce que l’auteur de la feuille ne prouve en rien.

4. — M. l’abbé Morellet a fait une seconde édition de son Mémoire, dans laquelle il annonce une réplique à M. Necker. On assure que cet abbé a quatre mille livres de pension du Gouvernement pour avoir fait le Mémoire pour avoir fait le Mémoire en question.

5. — Les Comédiens Italiens ont donné, le samedi 2 de ce mois, la première représentation d’un petit drame en un acte, intitulé l’Amant déguisé, ou le Jardinier supposé. Les paroles sont de Favart, la musique de Philidor, et quelques triviaux et usés que soient et le titre et l’intrigue, cela ne peut manquer d’aller fort loin, à la faveur de ces noms, illustres sur la scène bouffonne.

6. — Une compagnie vient de former un établissement digne de la ville de Sibaris ; elle a obtenu un privilège exclusif pour avoir des parasols, et en fournir à ceux qui craindraient d’être incommodés du soleil pendant la traversée du Pont-Neuf. Il y aura des bureaux à chaque extrémité de ce pont, où les voluptueux petits-maîtres qui ne voudront pas gâter leur teint se pourvoiront de cette utile machine ; ils la rendront au bureau de l’autre côté, ainsi alternativement, moyennant deux liards par personne. Ce projet a commencé à s’exécuter lundi dernier. On annonce que si cette invention réussit, on est autorisé à former de pareils bureaux dans les autres endroits de Paris où les crânes pourraient s’affecter, tels que le Pont-Royal, la place de Louis XV, etc. Il y a apparence que ces profonds spéculateurs obtiendront aussi le privilège exclusif des parapluies.

On rappelle à cette occasion un projet beaucoup plus utile, dont on fournit le plan à M. de L’Averdy, lors qu’il était encore contrôleur-général ; c’était celui d’établir des brouettes à demeure à différens coins de rues, où il y aurait des lunettes, qui se trouveraient prêtes à recevoir ceux que des besoins urgens presseraient tout coup. On prétendait que celui-ci n’était qu’une dérision ; qu’un plaisant anonyme voulut persifler par là le ministère vil et minutieux de M. de L’Averdy. Les entrepreneurs promettaient de rendre une somme au trésor royal ; ce qui tournait l’affaire en un impôt digne d’être assimilé à celui que Vespasien avait mis sur les urines des Romains. Tant d’industrie prouve à quel point l’argent est devenu un besoin indispensable, et comment on se tourmente en tout sens pour en acquérir.

7. — On commence à croire que le Wauxhall des Champs-Élysées, qui portera le nom célèbre de Colysée, parce qu’il sera dressé sur le plan du Colysée de Vespasien, aura lieu certainement par la grande quantité d’ouvriers qu’on vient de distribuer depuis peu pour les fondemens de ce vaste édifice. Plusieurs des actionnaires ont cependant retiré leur parole ; mais on se flatte qu’il s’en présentera d’autres, et que la Ville, d’ailleurs, suppléera aux fonds d’un établissement dont elle doit avoir les prémices.

8. — L’on assure que le Parlement, vivement touché des impressions fâcheuses que peut répandre contre ce tribunal l’Histoire que vient de publier M. de Voltaire, a chargé des avocats d’y répondre, non par le désaveu des faits, qu’on assure être vrais, mais en rétablissant ceux que l’auteur a omis exprès, et en mettant à découvert toute la malignité d’un pareil ouvrage. Il paraît en effet qu’on a voulu dégrader ce tribunal de toutes les manières, sauf un point, sur lequel on le loue constamment, et l’on ne cesse de lui rendre justice à chaque page ; c’est sa constance inébranlable à s’opposer aux entreprises de la cour de Rome, et à repousser les usurpations.

10. — Un nouvel adversaire s’élève contre M. l’abbé Morellet, et ce ne sera vraisemblablement pas le dernier. Celui-ci répand un imprimé de dix-huit pages in-4°, ayant pour titre : Éclaircissemens sur le mémoire de l’abbé Morellet, concernant la partie historique de la Compagnie des Indes et l’origine du bien des actionnaires. On assure que d’auteur relève plusieurs réticences du détracteur ; qu’il attaque et démontre son ignorance et sa mauvaise foi. Il entre dans des détails intéressans sur l’origine et la nature des droits des actionnaires ; il appuie et développe ce qu’avait déjà dit à cet égard M. Necker ; il y ajoute et prouve combien leur propriété est respectable et sacrée.

13. — Les Comédiens Français ont pris l’alarme depuis qu’il est sérieusement question du nouveau Wauxhall, sous le nom de Colysée. Ils ont fait des représentations au ministre ayant le département de la police de Paris ; ils ont déposé dans son sein leurs inquiétudes sur le sort que pourrait leur faire un spectacle qui semblait vouloir envahir tous les autres, et s’appeler exclusivement le Temple des arts et des plaisirs. Ils ont fait valoir les droits qu’ils avaient à la protection du Gouvernement ; ils ont intéressé à leur sort l’honneur de la nation même à ne point laisser déserter un théâtre, le premier de tous les théâtres, le modèle et l’école de toute l’Europe policée. M. le comte de Saint-Florentin a paru vivement affecté de leurs plaintes ; il a eu la bonté de leur faire écrire, de les rassurer, d’entrer dans des détails concernant le nouvel établissement, et de leur promettre que tout autre Wauxhall serait interdit, excepté celui de la Foire Saint-Germain qui n’aura lieu dans la saison même de cette Foire. Les amateurs des Fêtes de Tempé[35] sont de nouveau alarmés de cette lettre, et jugent que ces Fêtes, malgré leur privilège antérieur, seront supprimées l’année prochaine. 14. — On débite un pamphlet de sept pages in-8°, ayant pour titre : Dialogue qui sera compris par ceux qui sont instruits de la position actuelle de la Compagnie des Indes, et par les intéressés aux nouvelles et anciennes actions. C’est un sommaire des différens Mémoires de la Compagnie des Indes et leurs conclusions sur le parti à prendre. Cette misère ne serait pas lue, si le nom de cette Compagnie infortunée ne réveillait aujourd’hui l’attention du public, et n’excitait son intérêt.

16. — On voit dans le public une brochure in-folio, de portant le Projet d’un Lombard, ou Mont-de-Piété, dont on demande l’établissement à Paris, avec les réglemens qui doivent y être observés. Les Lettres patentes de Louis XIII pour un semblable établissement y sont rapportées comme le modèle de celui qu’on propose aujourd’hui.

17. — De la paix perpétuelle, par le docteur Goodheart, brochure in-8° de plus de cinquante pages. Ce projet, traité politiquement par l’abbé de Saint-Pierre et par M. Rousseau de Genève, ne sert ici que de cadre au développement du système de tolérance que ne cesse de prêcher depuis si long-temps le fameux philosophe de Ferney. Il voudrait qu’on détruisît tous les dogmes, sources intarissables de troubles et de divisions ; il trace en conséquence un tableau des horreurs du fanatisme, et ce sujet, remanié cent fois par le même auteur, reprend sous son pinceau encore plus de chaleur et d’énergie. Le fiel qu’il broie avec ses couleurs donne à sa touche tout le terrible des peintures de Michel-Ange. M. de Voltaire est toujours sublime quand il parle d’après son cœur.

19. — Les spectacles de mademoiselle Guimard, qu’on avait dit[36] être discontinués par la retraite d’un amant distingué qui ne subvenait plus aux frais considérable de ces fêtes, ont repris depuis quelque temps, et se continuent avec autant de succès que d’affluence. On n’y joue communément que de petits drames faits exprès pour le lieu. Quelques auteurs se sont voués à l’amusement de cette nymphe, et toute la musique qui s’y exécute est de M. de La Borde. Ce sont les camarades des deux sexes de mademoiselle Guimard qui la secondent dans les représentations où elle se prodigue elle-même avec beaucoup de complaisance. On sait qu’elle a une très-vilaine voix ; mais elle a dans son jeu une minauderie qui plaît à ses partisans, et qui pourrait passer pour du naturel par la grande habitude où elle est de s’y exercer. Il paraît que de tous les petits ouvrages composés pour ce théâtre, la Tête à perruque[37] est celui qui remporte la palme au gré des connaisseurs. Du reste on n’entre que par billets ; et c’est ordinairement le rendez-vous des plus jolies filles de Paris et des plus aimables libertins. Il y a des loges grillées pour les honnêtes femmes, pour les gens d’église, et les personnages graves qui craignent de se commettre parmi cette multitude de folles et d’étourdis.

20. — On parle beaucoup d’un bon mot de Madame à Préville, le Comédien, le jour où cette princesse fut chez madame la duchesse de Mazarin, avec les autres dames de France, voir une représentation de la Partie de chasse d’Henri IV. Il faut savoir qu’un devoir et un privilège des Comédiens est de porter le flambeau devant les princes, lorsqu’ils vont au spectacle, de la salle jusqu’à leur carrosse ou à l’endroit où ils vont ; il faut savoir encore que Préville avait fait le rôle de Michau dans la Partie de chasse d’Henri IV, et Michau est le paysan chez lequel ce prince arrive incognito, et est fêté avec tant de cordialité. Préville donc, après avoir représenté le rôle de Michau, éclairant Madame pour passer de la salle de spectacle au salon, elle lui dit : « Il était très-convenable qu’après avoir reçu aussi bien le grand-père vous éclairassiez la petite-fille. »

23. — Des plaisans qui ne manquent jamais dans ce pays-ci, et qui saisissent toujours l’à-propos, ont fait le couplet de chanson suivant à l’occasion des circonstances. Les gens intelligens en concevront facilement tout le sel. Il est sur l’air : Vive le vin, vive l’amour.


L’Vive le roi ! Vive l’amour !
L’Que ce refrain soit nuit et jour
L’Ma devise la plus chérie !
L’En vain les serpens de l’envie
L’Sifflent autour de mes rideaux,
L’amour lui-même assure mon repos,
L’Et dans ses bras je la défie.


24. — Le salon de cette année a essuyé beaucoup de critiques, et les mérite ; mais la plus cruelle, la plus honnête et la plus simple est celle qu’un plaisant a répandue sous le titre suivant : Lettre sur les peintures, gravures et sculptures qui ont été exposées cette année au Louvre, par M. Raphaël, peintre de l’Académie de Saint-Luc, entrepreneur-général des enseignes de la ville, faubourgs et banlieue de Paris, à M. Jérôme, son ami, râpeur de tabac et riboteur[38]. Dans cette Lettre, qui annonce autant de goût que de connaissances, l’auteur a eu soin d’éviter tout ce qui pourrait déceler l’amateur ou l’homme de l’art ; il ne se sert que d’expressions générales, de termes ordinaires pour exprimer ses jugemens d’une grande justesse, d’une vérité parfaite, et quelquefois de la plus grande finesse ; mais surtout appuyés sur ce sentiment intime, sur ce bon sens qui se font entendre au vulgaire grossier comme aux virtuoses consommés. Le tout est assaisonné d’une gaieté, d’un atticisme très propres à faire passer tout le piquant de la censure. On ne doute pas que messieurs de l’Académie, très-sensibles en général à toute critique, ne soient vivement affectés de celle-ci. Elle leur fera d’autant plus de peine, que Gouvernement, jusqu’ici très-attentif à empêcher de répandre tout ce qui pouvait offenser l’amour-propre de ces messieurs, paraît avoir approuvé cette brochure qui se vend publiquement et avec permission. Peut-être dans l’engourdissement général des talens a-t-on cru nécessaire de leur donner ce coup d’aiguillon, toujours propre à ranimer le génie, et qui ne décourage que l’homme médiocre.

27. — Les Italiens donnent depuis peu[39] une parade intitulée le Tableau parlant ; les paroles sont d’Anseaume, et la musique de M. Grétry. La pièce a réussi. Elle est plaisante, parfois graveleuse ; l’éventail y est d’un grand secours aux femmes. La musique en est excellente. En général ce genre plaît plus à ce théâtre, et y est mieux adapté que l’héroïque sur lequel on a voulu le monter depuis quelque temps.

29. — La plaisanterie de Raphaël à Jérôme fait grand bruit, et l’on cherche à en découvrir l’auteur qui garde l’anonyme. On attribue ce pamphlet à plusieurs hommes de lettres, comme l’abbé de Voisenon, M. Diderot, M. d’Alembert, M. Marmontel. Ce dernier est le plus soupçonné, parce qu’il est le plus connaisseur des quatre en pareille matière ; qu’il est d’ailleurs fort caustique, et que le style est plus dans sa manière que dans celle des autres.

30. — M. l’abbé Morellet, dont on attendait depuis long-temps la réplique, vient de la faire paraître ; elle a pour titre : Examen de la réponse de M. N*** au Mémoire de M. l’abbé Morellet sur la Compagnie des Indes, par l’auteur du Mémoire. C’est un in-4° de cent cinquante pages : on y retrouve le même esprit de paradoxe qu’on a remarqué dans le Mémoire : un homme décidé à nier tout ce qui est contre lui, même les faits les plus avérés, et à mettre en avant tout ce qui peut favoriser sa cause, même les raisonnemens les plus démentis par l’expérience. Au reste il a beau jeu.

3 Octobre. — Les Comédiens Français ont donné hier la première représentation d’Hamlet, tragédie en cinq actes, tirée du théâtre anglais. Ce sujet avait fait jusqu’ici le désespoir de nos plus grands maîtres, qui avaient vainement tenté de l’adapter à notre théâtre et de le circonscrire dans nos règles dramatiques. Quelques-uns, comme M. de Voltaire[40], s’étaient contentés d’en prendre les beautés de détail et de les transporter dans leurs pièces. M. Ducis s’est approprié cette carcasse et en a formé un drame régulier, mais qui, dénué de ces endroits neufs et terribles, dont on s’était emparé avant lui, n’a plus été qu’une tragédie ordinaire, dans laquelle l’auteur, ayant perdu tout le mérite de l’invention, se trouve réduit à quelques beaux vers, à des morceaux particuliers et n’offre qu’un ensemble médiocre. Le sieur Molé, qui a fait le rôle d’Hamlet, a excité une vive sensation par la chaleur de son jeu.

4. — L’Académie royale de Musique a remis hier l’acte de Psyché, dont les paroles sont de M. l’abbé de Voisenon et la musique de M. de Mondonville. Ce petit drame, où mademoiselle Arnould déploie tant de grâces, a reçu encore un nouveau mérite du jeu de cette actrice inimitable. Elle n’avait pas joué depuis long-temps, avait craint de la perdre, et l’on ne se flattait de la revoir que sur le nouveau théâtre. Elle a voulu se remettre un peu au courant avant de tenter de plus grands rôles. Elle a été reçue avec des transports indicibles. On a trouvé sa voix plus soutenue et non moins séduisante : ses attitudes, toujours belles et pleines d’intérêt, ont ému l’âme des spectateurs et l’ont vivement passionnée. Elle a été très-bien secondée par mademoiselle Rosalie, qui avait fait le rôle de l’Amour. Cette dernière se perfectionne de plus en plus dans son jeu naïf, gai et piquant en même temps.

9. — L’admiration qu’a excitée au salon le portrait en pied du roi de Prusse, a fait fermenter les beaux esprits ; plusieurs ont fait des vers à ce sujet. Voici un quatrain composé par M. Bacon, qu’on trouve le plus juste et le moins indigne de ce grand roi.


Si ce roi conquérant, fameux par mille exploits,
Apprit à ses sujets le grand art de la guerre,
En prince, en philosophe, il leur dicta ses lois :
En prRégner, c’est éclairer la terre.


11. — Madame Denis, nièce de M. de Voltaire, dont la séparation d’avec ce cher oncle avait occasioné tant de mauvais propos et de conjectures sinistres qui n’ont jamais été bien éclaircies, vient de partir ces jours-ci pour se réunir à lui, et ce retour va sans doute égayer la retraite du philosophe de Ferney, qui commençait à avoir beaucoup d’humeur et à broyer bien du noir. Les curieux trouveront de nouveau une femme aimable, qui fera les honneurs du château, et attirera les étrangers effarouchés par les caprices d’un vieillard isolé. On sait que M. de Voltaire, malgré son ardeur pour la célébrité, ne daignait pas toujours se montrer aux amateurs, qui, en faisant ce voyage, risquaient de revenir sans l’avoir vu.

12. — M. Le Mière vient de nous donner son poëme de la Peinture, annoncé depuis long-temps, qu’il avait déjà lu dans une assemblée publique de l’Académie de ce genre et qui avait reçu pour lors beaucoup d’applaudissemens, ainsi que dans différentes coteries particulières, où l’auteur l’avait récité. Tous ces éloges prématurés se sont évanouis à l’impression. Il est de beaucoup inférieur aux poëmes latins de Dufresnoy et de l’abbé de Marsy ; il est plus didactique, plus dur, plus obscur, que celui de M. Watelet[41], et à quelques morceaux près, en petit nombre, inintelligible d’un bout à l’autre. C’est un fatras de vers empruntés et d’expressions disparates, dont il a revêtu des préceptes arides, sans enchaînement et sans progression. Il paraît dans la préface, aussi barbarement écrite que le poëme, que l’auteur a senti toutes les difficultés de son entreprise ; mais qu’il s’est cru capable de les surmonter : et c’est en quoi il s’est trompé. Nous avons sur le même sujet une esquisse[42] peu connue de M. le baron de Saint-Julien, qui est infiniment meilleure, pleine d’harmonie, d’images nobles et naturelles : elle fait regretter que cet auteur n’ait pas traité plus en grand et plus en détail cette matière.

On sait aussi que feu M. le marquis de Choiseul, capitaine des vaisseaux du roi et doué du talent aimable de la poésie, a laissé manuscrit un poëme de la Peinture très-estimé des amateurs qui l’ont lu, et infiniment préférable à tout ce qui a été composé en pareil genre.

13. — Idée singulière d’un bon citoyen concernant les fêtes publiques qu’on se propose de donner à Paris et à la cour, l’année prochaine, pour le mariage de Monseigneur le Dauphin. Tel est le titre d’une feuille manuscrite, qui court dans le monde et qui est vraiment originale. L’auteur distribue d’abord son projet de fêtes publiques en quatre parties : 1° repas ; 2° spectacles ; 3° feux d’artifice, illuminations ; 4° bals. Il sous-divise chacune de ces parties en différens articles, qu’il détaille dans la plus grande étendue, avec une évaluation des dépenses dont il forme une récapitulation générale, par laquelle ce devis complet monte à un capital de vingt millions. Il ajoute : « Je propose de ne rien faire de tout cela, mais de remettre ces vingt millions sur les impôts de l’année et surtout sur la taille. C’est ainsi qu’au lieu d’amuser les oisifs de la cour et de la capitale par des divertissemens vains et momentanés, on répandra la joie dans le cœur des tristes cultivateurs, on fera participer la nation entière à cet heureux événement, et l’on s’écriera jusques aux extrémités les plus reculées du royaume : vive Louis le Bien-Aimé ! Un genre de fête aussi nouveau couvrirait le roi d’une gloire plus vraie et plus durable que toute la pompe et tout le faste des fêtes asiatiques, et l’histoire consacrerait ce trait à la postérité avec plus de complaisance que les détails frivoles d’une magnificence onéreuse au peuple, et bien éloignée de la grandeur d’un monarque, père de ses sujets. »

14. — Un caustique, comme il s’en trouve beaucoup à Paris, mécontent des opérations de M. le contrôleur général, que beaucoup de gens accusent d’ineptie, a rapproché ce caractère avec la conformation physique de la tête de M. Maynon, et en a formé l’épigramme suivante :


Midas avait des mains qui changeaient tout en or :
Que notre contrôleur n’en a-t-il de pareilles !
Pour l’État épuisé ce serait un trésor :
Mais, hélas ! de Midas il n’a que les oreilles !


15. — On parle beaucoup d’un bon mot de M. le duc de Choiseul à madame la comtesse Du Barry. On sait que la chronique scandaleuse a prétendu que, quoique cette dame soit née en légitime mariage, son père véritable et physique était un abbé Gomar, ci-devant Picpus et qui passait pour avoir été très-bien avec la mère : bruit fort accrédité par le grand soin que madame Du Barry prend de cet abbé. La conversation roulait sur les moines, de la destruction desquels on s’occupe essentiellement en France. Madame Du Barry était contre eux, et M. le duc de Choiseul en prenait la défense. Ce ministre, plein d’esprit et de finesse, mettait en avant tous les genres d’utilité de cet état et se laissait battre successivement en ruine sur tous les points ; enfin poussé à bout : « Vous conviendrez au moins, Madame, a-t-il ajouté, qu’ils savent faire de beaux enfans. » Cette épigramme charmante, enveloppée de toutes les grâces du madrigal, fut sentie par celle qu’elle regardait et ne lui déplut pas à la faveur du galant correctif qui la faisait passer.

16. — Pour égayer cette multitude d’ouvrages ennuyeux sur la Compagnie des Indes et que personne ne lit, un plaisant a fait une parodie de la dernière scène de Mithridate. On voit au milieu du théâtre la Compagnie des Indes nue en chemise ; elle est suspendue par des cordes sous les aisselles, elle tient en main son privilège. Le corps des actionnaires est représenté par deux d’entre eux, qui s’essuient les yeux de leur mouchoir.

Cette plaisanterie du moment n’est point assez méchante pour être bonne. On y attaque cependant quelques personnages qui ne se trouveront pas contens de se voir désignés. M. Boutin y est couché tout de son long. On le regarde depuis long-temps comme l’ennemi juré de la Compagnie, et l’on ne doute pas qu’il ne soit l’instigateur du Mémoire de l’abbé Morellet.

17. — M. Baron, secrétaire de l’Académie d’Amiens, a trouvé une anagramme assez heureuse des noms du Saint-Père actuel. La voici :


Laurentius Franciscus Ganganellius.
Franciscanus[43] Galli unus erit Angelus.


Il a pris la liberté d’en faire part à ce pontife en écrivant en latin une lettre[44] de félicitation sur son exaltation. Cette lettre est du 28 juillet. Dès le 9 août Sa Sainteté a fait répondre par le cardinal de Pallavicini, son secrétaire d’État. Ce prélat a accusé en italien à M. Baron la réception de sa lettre au Saint-Père, et lui a envoyé en reconnaissance, de la part du pape, sa bénédiction apostolique.

20. — Une affaire particulière, devenue presque une affaire générale entre les gens de lettres et les libraires, mérite d’être rapportée. On sait de quelle tyrannie usent en France les derniers avec les premiers, que le malheureux état de leurs affaires oblige ordinairement de se laisser subjuguer par ces messieurs. Cette tyrannie avait engagé quelques auteurs plus pécunieux et plus intelligens à faire imprimer leurs ouvrages à leurs frais, et à les faire débiter par des subalternes de confiance. M. Luneau de Boisjermain, connu par des ouvrages estimables de sa façon et plus encore par son édition et son commentaire des tragédies de Racine, avait suivi depuis plusieurs années cette méthode. Comme ses productions s’étendaient et que ce genre de commerce prospérait entre ses mains, les libraires en ont conçu de la jalousie, et le 31 août 1768 ont fait une saisie chez lui, sous prétexte qu’il faisait un commerce en contravention des réglemens de la librairie. M. Luneau en a rendu plainte par-devant M. de Sartine, lieutenant-général de police et chef de la librairie ; ce qui a occasioné des Mémoires de part et d’autre. Dans son premier Mémoire, M. Luneau prouve : 1° qu’il n’a point vendu et débité de livres ; 2° qu’il ne les a point fait afficher pour les vendre ; 3° qu’il n’en a tenu boutique ni magasin ; 4° qu’il n’en a point acheté pour en revendre : au moyen de quoi il ne se prétend point infractaire du fameux réglement de 1723, qui interdit seulement aux étrangers la partie mercantile de la librairie. Dans le second, le sieur Luneau prend article par article le mémoire des libraires, sous le titre de Précis signifié par les syndics et adjoints des libraires de Paris, et le pulvérise entièrement : ce Mémoire est de Me Linguet, avocat connu au bareau et dans la littérature. Quant à M. Luneau, il a su jeter le plus grand intérêt sur cette matière aride, par la chaleur et l’éloquence de sa plume. Il s’élève avec force contre la tyrannie des libraires de France envers les gens de lettres, dont ils ne devraient être que les manouvriers et les colporteurs. Il les ramène au respect et à la subordination qu’ils doivent aux auteurs ; il objecte aux premiers des vérités fortes, mais nécessaires à sa cause et non des imputations injurieuses ou calomnieuses, comme ils le prétendent. M. de Sartine reçoit tous les jours des requêtes et représentations sur cet objet d’autres gens de lettres, qui font cause commune avec M. Luneau.

21. — Un anonyme vient de faire paraître une critique d’Hamlet[45]. Elle est fondée en raison sur quantité de choses ; on y relève les défauts de sens commun, et le jeu des acteurs n’est pas épargné. La pièce est censée interrompue par l’indisposition d’un acteur, expression d’adoucissement dont on se sert pour ménager l’amour-propre des auteurs. On prétend que M. Ducis, amèrement touché des fautes énormes qu’on lui reproche dans la contexture de son drame, se propose de le refondre pour le reproduire cet hiver dans un état plus supportable, et que le sieur Molé, sentant combien sa poitrine est insuffisante pour rendre son rôle, sera remplacé par le sieur Le Kain, dont la vaste corpulence et les poumons formidables répondent mieux au personnage du frénétique Hamlet.

22. — Un anonyme[46] répand depuis quelque temps un ouvrage périodique sous le nom d’Observateur Français à Londres, ou Lettres sur l’état présent de l’Angleterre, etc. Quoique nous ayons une infinité d’ouvrages sur les mœurs, la politique et l’administration des finances d’Angleterre, l’ardeur que nous avons aujourd’hui pour tout ce qui concerne nos célèbres rivaux, nous fait courir avidement à tout ce qui a quelque rapport à eux. Cette espèce de journal contient des anecdotes intéressantes, si elles sont vraies. Du reste, l’auteur a voulu se singulariser par une orthographe bizarre, qui rend la lecture de ce livre très-pénible ; il enchérit encore sur M. de Voltaire ; mais si l’on passe à ce grand littérateur quelques innovations fantasques, on doit être plus sévère vis-à-vis d’un écrivain qui n’a encore aucun titre sur la complaisance du lecteur, et qui doit commencer par les moyens reçus.

22. — Extrait d’une lettre de Fontainebleau.
Du 21 octobre.

« Hier il a été joué sur le théâtre de la ville une pièce nouvelle en un acte et en prose, ayant pour titre le Cri de la Nature. Elle est du sieur Armand, fils du fameux comédien de ce nom et concierge de la Comédie Française. Cet auteur, quoique enfant de la balle, n’ayant pu depuis plus d’un an obtenir une lecture de son drame à l’assemblée des Comédiens, a été conseillé de le donner ici. Il s’est muni avant du suffrage des pages, qu’il a suppliés d’assister à une répétition, et qui ont merveilleusement soutenu sa pièce : en sorte qu’elle a été aux nues. Il paraît sur le théâtre un petit enfant en maillot. On craignait que cette innovation ne révoltât les gens délicats ; elle a produit le plus grand effet ; on a pleuré à chaudes larmes, et toute la cour veut voir la nouveauté. Il est à espérer pour le sieur Armand qu’on fera représenter sa comédie d’emblée au théâtre de Paris. »

23. — On a fait ces jours derniers l’épreuve d’une machine singulière qui, adaptée à un chariot, devait lui faire parcourir l’espace de deux lieues en une heure, sans chevaux : mais l’événement n’a pas répondu à ce qu’on promettait : elle n’a avancé que d’un quart de lieue en soixante minutes. Cette expérience s’est faite en présence de M. de Gribeauval, lieutenant-général, à l’arsenal.

25. — Le Tableau parlant, qu’on joue aux Italiens avec tant de succès, a allumé la bile d’un auteur satirique anonyme[47] : il vient de l’exhaler dans une Épître qu’il adresse à son digne ami, M. Nicolet. À cette occasion il fronde le mauvais goût du jour, il passe en revue une infinité de nos auteurs modernes, qu’il réduit à leur juste valeur. On a joint au texte des notes encore plus cruelles, et toute la littérature est en mouvement pour découvrir ce critique, contre lequel la tourbe des petits auteurs fait cause commune. On a attribué cette Épître à M. l’abbé de Voisenon, parce que Favart, un des poètes de la scène si à la mode, y est absolument épargné.

27. — Il paraît une nouvelle plaisanterie relative à la Compagnie des Indes, qui est aujourd’hui l’objet des facéties de Paris. C’est une espèce de Placet au roi, en dialogue entre M. l’Héritier et M. de Moracin, deux députés des actionnaires.

29. — Extrait d’une lettre de Fontainebleau.

« La Rosière, opéra comique dont les paroles sont, comme vous savez, du sieur Favart, et dont la musique est du sieur Philidor, a été jouée, mercredi 25 de ce mois, devant le roi et toute sa suite, sans succès. Il paraît qu’en général on ne raffole point ici de ce genre de spectacle comme à la ville. L’opéra d’Iphise et Yante, du sieur Laujon, n’a pas eu un meilleur sort. Le Cri de la Nature, dont je vous ai parlé, reçoit de nouveaux éloges à mesure qu’on le voit. Cette indulgence du public a encouragé l’auteur à mettre aussi sur la scène son Honnête homme, comédie en cinq actes et en vers comme la première, que je vous ai mal-à-propos annoncée être en prose. Celui-ci doit être joué le jour des Morts, et les partisans de l’auteur ne lui promettent pas moins de gloire. »

30. — On écrit d’Allemagne que les Jésuites de Coblentz et de Bamberg, ayant trouvé dans l’Évangile de Nicodéme (que l’on sait n’être pas reçu comme orthodoxe, mais un des cinquante évangiles répudiés comme apocryphes) que le bon larron s’appelait Dixmare, ils ont jugé à propos d’en faire un saint, de l’invoquer sous ce nom, de lui bâtir une chapelle, de lui composer des litanies, et de lui faire faire des miracles. Dans les diverses invocations qu’on lui adresse, et dans les prières rédigées par ces benoîts Pères, ils l’y appellent Saint voleur, Saint meurtrier, Saint assassin, le tout avec permission de leurs supérieurs. Les réflexions de l’auteur de la lettre sont, qu’il en résulte que les plus grands criminels peuvent être érigés en saints, pourvu que sur l’échafaud ils aient un bon moment.

Quoique cette relation soit fort circonstanciée et regardée comme certaine, il est à présumer que c’est une calomnie des ennemis de la Société, ou du moins que le fait est prodigieusement exagéré, ou que c’est une invention de quelque plaisant : cette espèce de rieurs n’est pourtant pas commune en Allemagne.
31. — Copie d’une lettre du pape Clément XIV au roi de France, présentée par son nonce.

« Je m’attends que les ambassadeurs de la maison de Bourbon vont faire les plus vives instances pour m’engager à acquiescer à leurs demandes. Il est donc à propos que je prévienne Votre Majesté sur cet objet et que je lui déclare mes sentimens :

« 1° J’ai envoyé au duc de Parme les dispenses de mariage qu’il m’a demandées ; j’ai suspendu à cet égard les effets du Bref dont il se plaint, des bulles qui y sont relatives, et je lui donne cordialement ma bénédiction apostolique.

« 2° Pour ce qui regarde les Jésuites, je ne puis ni blâmer ni anéantir un institut loué et confirmé par dix-neuf de mes prédécesseurs, et je le puis d’autant moins, qu’il a été authentiquement confirmé par le saint concile de Trente, et que, selon vos maximes françaises, le concile général est au-dessus du pape. Si l’on veut, j’assemblerai un concile, où tout sera discuté avec justice et égard, à charge et à décharge, dans lequel les Jésuites seront entendus pour se défendre, car je dois aux Jésuites, comme à tous les ordres religieux, justice et protection. D’ailleurs, le roi de Sardaigne et le roi de Prusse même m’ont écrit en leur faveur ; ainsi, je ne puis par leur destruction contenter quelques princes qu’au mécontentement des autres.

« 3° Je ne suis point propriétaire, mais administrateur des domaines du Saint-Siège ; je ne puis céder ni vendre Avignon, le Comtat et le duché de Bénévent. Tout ce que je ferais à cet égard serait nul, et mes successeurs pourraient réclamer comme d’abus.

« Au reste, je céderai à la force, et je ne la repousserais pas par la force, quand je le pourrais ; je ne veux pas répandre une seule goutte de sang pour des intérêts temporels. Vous êtes, Sire, le fils aîné de l’Église ; je connais la droiture de votre cœur, et je travaillerai volontiers seul à seul avec Votre Majesté sur les intérêts que nous avons à démêler ensemble. Je prie tous les jours pour votre prospérité, et je vous donne cordialement ma bénédiction apostolique. »

Ier Novembre. Il s’est trouvé à la poste une lettre ayant pour suscription : « Au Prince des Poètes, Phénomène perpétuel de gloire, Philosophe des Nations, Mercure de l’Europe, Orateur de la Patrie, Promoteur des Citoyens, Historien des Rois, Panégyriste des Héros, Aristarque des Zoïles, Arbitre du goût, Peintre en tout genre, le même à tout âge, Protecteur des Arts, Bienfaiteur des talens, ainsi que du vrai mérite, Admirateur du génie, Fléau des persécuteurs, Ennemi des fanatiques, Défenseur des opprimés, Père des orphelins, Modèle des riches, Appui des indigens, Exemple immortel des sublimes vertus. »

Cette lettre, tout considéré, a été rendue à M. de Voltaire, quoiqu’elle ne portât pas son nom, comme le seul à qui toutes ces qualités pussent convenir. Bien des gens ne seront pas d’accord qu’elles soient toutes méritées, et il semble que le suscripteur lui eût pu donner des louanges moins équivoques et plus délicates, sans compromettre la vérité.

Les ennemis de M. de Voltaire prétendent que c’est lui-même qui s’est adressé ou fait adresser la lettre[48] : ils appuient cette conjecture sur l’invraisemblance qu’elle pût venir d’ailleurs que des Petites-Maisons, sur la fureur insatiable qu’a ce grand homme de faire parler de lui, et sur mille petites ruses de la même espèce, qu’on sait, à n’en pas douter, qu’il a employées plusieurs fois avec une impudence aussi grossière.

— Messieurs de l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture, très-alarmés de la Lettre de Raphaël à rome[49], plaisanterie d’autant plus piquante qu’elle est plus vraie, ont interposé auprès du ministre les bons offices de M. le marquis de Marigny, leur directeur. Il a agi si efficacement que la Police a arrêté le pamphlet en question pendant deux fois vingt-quatre heures, a exigé de l’auteur des corrections qui gâtent, comme on s’en doute bien, et émoussent tout le sel de la critique. Heureusement, la fureur du public avait déjà enlevé une infinité d’exemplaires.

Outre cette satisfaction, les artistes offensés ont chargé M. Sédaine, secrétaire de l’Académie de Peinture, de répondre à l’anonyme. Il a répandu une prétendue Lettre de M. Jérome, râpeur de tabac, à M. Raphaël[50]. On sait qu’en pareil genre tout le succès consiste dans cette première fleur de critique qu’il faut saisir, et qui se fane pour peu qu’on la remanie. Aussi l’ouvrage de l’apologiste du salon a-t-il paru froid, diffus, lourd, bassement écrit, et né sous une main plus accoutumée à manier la truelle que la plume. Ce n’est pas que M. Sédaine n’ait un mérite, même littéraire ; mais ce n’a jamais été celui du style, et c’est la principale chose dans les écrits du genre en question. On attribue aujourd’hui plus constamment la Lettre de Raphaël[51] à M. le comte de Lauraguais dont on connaît le goût pour tous les arts.

2. — Dieu et les Hommes, œuvre théologique mais raisonnable, par le docteur Obern, traduit par Jacques Aimon. Tel est le titre d’un volume in-8° de deux cent quatre pages, qui repaît en ce moment la curiosité des incrédules. En effet, cette œuvre, prétendue théologique, n’est qu’une œuvre du diable, et n’en est que plus courue. Le fond, très-rebattu, est enrichi des grâces du style, et les connaisseurs y reconnaissent la touche du philosophe de Ferney. Cet auteur infatigable a voulu, sans doute, donner matière à une nouvelle abjuration pour l’année prochaine, lorsqu’il fera ses pâques avec la ferveur dont il édifie le public depuis deux ans.

3. — M. l’abbé Delaunay, qui se dispose à donner un recueil de pièces fugitives pour servir de supplément aux ouvrages des auteurs vivans, a écrit à M. Piron pour lui demander communication des siennes. Ce poète plus qu’octogénaire, mais tout brûlant encore du feu sacré dont il a toujours été dévoré, a répondu à l’éditeur une lettre qui court dans Paris et qui est marquée au coin original de désordre et d’énergie, bien différent de la froide simétrie de nos beaux esprits modernes, dont tous les ouvrages paraissent sortir de la même toilette.

8. — On a parlé[52] de la fermentation qu’avait occasionée, il y a près de trois mois, le Panégyrique de saint Louis prêché à la chapelle du Louvre devant messieurs de l’Académie Française par M. l’abbé Le Cousturier, chanoine de Saint-Quentin. L’orateur avait été obligé de se disculper par-devant M. l’archevêque, et se flattait d’avoir fait revenir ce prélat des impressions fâcheuses qu’on lui avait données contre lui. D’ailleurs, ce discours imprimé avait eu pour censeur M. Riballier, syndic de la Faculté, docteur très-connu par son attachement à la saine doctrine, et par le zèle ardent avec lequel il a combattu les erreurs répandues dans le Bélisaire de M. Marmontel. Au moment où M. l’abbé Le Cousturier s’y attendait le moins, il vient d’être interdit de la chaire par le prélat, à raison d’hétérodoxie, et ne pourra prêcher l’Avent à l’église des Frères de la Charité, ainsi qu’on l’avait annoncé.

— Un nouvel adversaire s’élève contre l’abbé Morellet, et vient de répandre une brochure ayant pour titre : Doutes d’un actionnaire sur le Mémoire de M. l’abbé Morellet contre la Compagnie des Indes. Le modeste auteur expose ses inquiétudes sur les assertions hasardées du détracteur de la Compagnie.

10. — Les ennemis de madame la comtesse Du Barry, qui depuis sa présentation avaient respecté sa grandeur et démenti en quelque sorte par leur silence tous les bruits injurieux, toutes les calomnies ténébreuses répandues sur le compte de cette beauté, se réveillent aujourd’hui, et publient une anecdote trop opposée à son caractère de modération et de décence pour la croire. Ils prétendent que trouvant qu’elle avait un cuisinier qui ressemblait au ministre, le plus illustre de ses adversaires, elle avait regardé cela comme un grand tort vis-à-vis d’elle, et avait ordonné qu’il ne parût plus en sa présence ; que, peu de temps après, elle en avait plaisanté à souper avec le roi, et lui avait dit : « Je renvoie mon Choiseul, quand renverrez-vous le vôtre ? »

— La prétendue Réponse de Jérome à Raphaël[53] est de M. Cochin, secrétaire de l’Académie de Peinture et de Sculpture, etc., et non de M. Sédaine, secrétaire seulement de l’Académie d’Architecture. Au demeurant, la critique de l’ouvrage reste dans toute sa justesse, et l’on peut dire avec vérité de l’auteur, qu’il est plus accoutumé à manier le burin que la plume.

11. — En attendant qu’on puisse reprendre le grand ouvrage de paver en marbre le reste de l’église de Notre-Dame, on travaille à différentes décorations particulières. On est occupé aujourd’hui à relever la fameuse épitaphe de M. l’abbé de La Porte, qui servira de pendant à celle du cardinal de Noailles. Ce chanoine est célèbre dans le Chapitre par ses bienfaits à l’église et par son zèle à la servir. C’est lui qui, sur la fin du règne de Louis XIV, fut trouver ce monarque, lui représenta que le vœu de Louis XIII, son prédécesseur, concernant le rétablissement du chœur de Notre-Dame n’était pas encore rempli, et offrit à Sa Majesté de faire les avances nécessaires pour mettre au moins en train ce projet. Louis XIV se rendit à ses sollicitations, et l’abbé de La Porte répandit cent mille écus de ses fonds, qui ont depuis été rendus à sa famille. Il est de l’intérêt du Chapitre de ne point laisser dans l’oubli un si bel exemple, et de rappeler des faits aussi intéressans, tous détaillés dans son épitaphe.

12. — On écrit de Rome qu’on a frappé une estampe allégorique et tout-à-fait plaisante. Elle représente le pape dans un berceau qu’agite doucement M. le cardinal de Bernis ; et au bas il est écrit : « Il a beau faire ; il me berce, mais il ne m’endormira pas. » On a attaché cette pasquinade, suivant l’usage, à la statue de Marforio. Elle n’a pas besoin de commentaire. L’auteur de la lettre, à cette occasion imagine une nouvelle charge, non moins vraie ; ce serait de représenter le cardinal dans le berceau, et le pape caressant le poupon et l’endormant véritablement.

13. — On a vu par la suscription[54] dont on a parlé jusqu’où va l’enthousiasme de certaines gens pour M. de Voltaire. Ses ennemis, toujours acharnés contre lui, viennent d’en faire la parodie la plus amère ; il est inutile de la rapporter, c’est précisément l’inverse de l’autre, c’est-à-dire une suite de toutes les qualifications injurieuses que peuvent enfanter la plus basse envie et la haine la plus active.

14. — On a répandu dans le monde une autre pasquinade contre le Très-Saint-Père, dans le goût de celles qu’on s’est souvent permises à Rome, adressée à Marforio. Elle a pour titre : Lettre très-canonique de M. l’abbé Francœur, licencié en théologie, au pape Clément XIV, ci-devant volontaire dans la légion de François d’Assise, collecteur des impôts divins et recruteur d’âmes. C’est une satire de la conduite du pape, depuis son exaltation, tant à l’égard du duc de Parme, qu’avec les princes de la maison de Bourbon, au sujet des Jésuites. C’est aussi une espèce de réponse à la lettre de Sa Sainteté au roi[55] dont on a parlé dans le temps, et qu’on regarda dès-lors comme un trait de politique d’autant plus adroit qu’il portait tout le caractère de l’ingénuité et de la bonhomie. Cette facétie, qui ne peut sortir de la plume d’un bon catholique, n’a pas même le sel de la plaisanterie pour les indévots.

16. — Une historiette de M. le comte de Lauraguais occupe les oisifs, et fournit matière aux propos du moment. Ce seigneur s’est trouvé, il y a quelques jours, dans une rue étroite en face du carrosse de M. de Barentin, l’avocat-général, qui avait avec lui sa femme très-laide. Le cocher de M. de Lauraguais voulait toujours avancer ; celui du robin refusait de reculer : grande dispute entre les valets. L’avocat-général met la tête à la portière, et prodiguant la morgue magistrale, paraît étonné qu’on ne veuille pas le laisser avancer ; il déclare sa qualité, et combien le service du roi exige qu’il ne soit pas retardé dans sa marche. M. de Lauraguais, avec beaucoup de sang-froid, ne tient aucun compte des dires de M. l’avocat-général, ordonne à son cocher de passer outre ; alors la femme tout effrayée se montre à son tour, fait valoir les privilèges de son sexe, et paraît surprise qu’un seigneur aussi bien élevé les méconnaisse. « Ah ! dit M. de Lauraguais, que ne vous montriez-vous plus tôt, Madame ? Je vous assure que moi, mon cocher et mes chevaux aurions reculé du plus loin que nous vous aurions vue. »

17. — Un enfant posthume né en Bretagne après le terme ordinaire, a donné lieu de renouveler en justice la question des naissances tardives. M. Bouvard, médecin fameux de la Faculté, a écrit contre la possibilité du phénomène. Il lui a été répliqué par M. Petit, qui a soutenu l’opinion contraire avec beaucoup de chaleur. Il s’est élevé entre ces docteurs une querelle personnelle, qui a dégénéré bientôt en injures. La victoire paraissait restée à M. Petit ; mais son adversaire vient de répandre trois Lettres[56] en date du 1er novembre, qui renversent au gré des connaisseurs tout le triomphe du vainqueur. On voit avec peine qu’elles soient assaisonnées ou plutôt surchargées d’invectives dignes des athlètes littéraires du seizième siècle. Il est fâcheux que ce genre de combat proscrit aujourd’hui du monde poli se soit encore conservé dans les écoles.

19. — Les ennemis de M. de Voltaire, dont la rage contre ce grand homme ne s’éteindra qu’avec sa vie, ne cessent de répandre contre lui des libelles aussi obscurs qu’eux. L’un de ces Zoïles vient d’en faire un portrait si effroyablement crayonné, qu’il ne peut être reconnaissable qu’à ceux aussi aveugles que l’auteur sur le mérite de ce prince de la littérature, et aussi prévenus sur ses défauts et sur ses vices.

— On a parlé[57] du concert exécuté par des virtuoses pour les élèves des écoles gratuites de dessin ; institution dont on est redevable au magistrat patriote qui préside à la police de Paris, à laquelle il donne sans cesse de nouveaux encouragemens : il est question d’un concert de cette espèce, affiché pour le mercredi 22 de ce mois, jour de Sainte-Cécile, patrone de la musique et des musiciens. M. Gaviniés est à la tête de cette sorte de souscription de talens ; et M. de Chabanon, de l’Académie des Belles-Lettres, mais plus renommé encore par son goût pour le violon, a composé un petit divertissement, dont il a fait les paroles et la musique, qu’il a consacré au profit de l’établissement nouveau. On ne doute pas que l’assemblée ne soit nombreuse et brillante, et que les grands seigneurs et les gens riches ne déploient en cette occasion toute leur magnificence.

‑ On vient de faire une plaisanterie, intitulée : Credo d’un amateur du théâtre. Elle roule sur quelques anecdotes, dont il faut être au fait et qui sont très-connues qui fréquentent les foyers, où cette facétie occasione surtout beaucoup de rumeur. Elle porte d’ailleurs sur M. de La Harpe, aujourd’hui compagnon travaillant sous le sieur Lacombe, entrepreneur du Mercure. Ce petit auteur s’est chargé de la partie littéraire, et principalement de celle du théâtre, dont il prononce les jugemens. Voici ce Credo.

« Je crois en Voltaire, le père tout-puissant, le créateur du théâtre et de la philosophie.

« Je crois en La Harpe, son fils unique, notre seigneur, qui a été conçu du Comte d’Essex[58], est né de Le Kain, a souffert sous M. de Sartine, a été mis à Bicêtre[59], est descendu aux cabanons, le troisième mois est ressuscité d’entre les morts, est monté au théâtre, et s’est assis à la droite de Voltaire, d’où il est venu juger les vivans et les morts.

« Je crois à Le Kain, à la sainte association des fidèles, à la confrérie du sacré génie de M. d’Argental, à la résurrection des Scythes[60], aux sublimes illuminations de M. de Saint-Lambert, aux profondeurs ineffables de madame Vestris. Ainsi soit-il ! »

22. — M. Robbé est un auteur très-connu dans le monde, par ses talens littéraires, par le genre érotique dans lequel il a excellé, et par un fameux poëme sur la vérole, qui n’est pas encore imprimé, mais qu’il a lu et relu si souvent que tout Paris en est imbu. Depuis quelques années ce poète revenu des égaremens de sa vie licencieuse, s’est jeté dans la dévotion ; mais étant d’un caractère ardent, il s’est attaché au jansénisme, a donné dans les convulsions[61], comme le genre de secte le plus propre à alimenter son imagination exaltée jusqu’au fanatisme. Dans cette effervescence de zèle, il a voulu tourner au profit de la religion un talent trop profané jusque-là ; il a entrepris depuis plusieurs années un poëme en cinq chants sur cette matière auguste. Cet ouvrage passe pour achevé et doit s’imprimer bientôt. Un caustique a fait en conséquence l’épigramme suivante :


Tu croyais, ô divin Sauveur,
Avoir bu jusques à la lie,
Le calice de la douleur :
Il manquait à ton infamie
D’avoir Robbé pour défenseur.

25. — On a parlé[62] dans le temps d’une facétie attribuée à M. de Voltaire, intitulée Supplément aux Causes célèbres, ou Procès de Claustre. Ceux qui ont lu le pamphlet savent combien le sieur La Borde Desmartres, sa femme (la demoiselle Boutaudon, nièce de l’abbé Claustre) et l’abbé lui-même, sont tournés en ridicule ; combien même ce dernier est peint sous des couleurs noires qui le font dignement contraster vis-à-vis le Tartuffe de la comédie. Madame Desmartres a écrit au philosophe de Ferney pour se plaindre à lui d’un procédé si injurieux et si peu conforme à son esprit de tolérance, à cet amour de l’humanité que respirent tous ses ouvrages. M. de Voltaire a répondu par un désaveu formel de la plaisanterie, et paraît bien aise, ainsi que madame La Borde Desmartres, que le public en soit instruit. En conséquence, on consigne ici cette protestation.

Lettre de M. de Voltaire à madame La Borde Desmartres.
Ferney, ce 18 septembre 1769.

« Madame, j’ai reçu les mémoires que vous avez bien voulu m’envoyer touchant votre procès. Je ne suis point avocat ; j’ai soixante-seize ans bientôt ; je suis très-malade ; je vais finir le procès que j’ai avec la nature. Je n’ai entendu parler du vôtre que très-confusément ; je ne connais point du tout le Supplément aux Causes célèbres dont vous me parlez. Je vois par vos mémoires, les seuls que j’aie lus, que cette cause n’est point célèbre, mais qu’elle est fort triste. Je souhaite que la paix et l’union s’établissent dans votre famille ; c’est la le plus grand des biens. Il vaut mieux prendre des arbitres que de plaider. La raison et le véritable intérêt cherchent toujours des accommodemens. L’intérêt malentendu et l’aigreur mettent les procédures à la place des procédés. Voilà en général toute ma connaissance du barreau.

« Votre lettre, Madame, me paraît remplie des meilleurs sentimens. M. de La Borde, premier valet de chambre du roi, passe pour un homme aussi judicieux qu’aimable. Vous semblez faits tous deux pour vous concilier, et c’est ce que votre lettre même me fait espérer.

« J’ai l’honneur d’être avec respect, Madame, votre très-humble et très-obéissant serviteur Voltaire, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi.  »

26. — Le livre de l’Essai sur les préjugés, ou De l’influence des opinions sur les mœurs et sur le bonheur des hommes, ouvrage contenant l’apologie de la philosophie, par M. D. M***[63], est la meilleure preuve qu’on puisse fournir des progrès de la raison humaine depuis quelques années, et de l’énergie qu’elle a acquise chez ceux qui ont réfléchi sur les discussions multipliées de la morale et de la physique, que des sages infatigables ne cessent d’agiter et de répandre. On trouve dans ce traité complet, sous le titre modeste d’Essai, ce que c’est que la vérité, son utilité, les sources de nos préjugés ; que la vérité est le remède des maux du genre humain, qu’elle ne peut jamais nuire ; l’excellence de la raison et les avantages qu’elle procure. On examine si le peuple est susceptible d’instruction ; s’il est dangereux de l’éclairer ; quels maux résultent, au contraire, de l’ignorance des peuples. On établit que la vérité n’est pas moins nécessaire aux souverains qu’aux sujets ; comment la corruption et les vices résultent des préjugés des souverains ; quelles suites funestes a la vénération pour l’antiquité, c’est-à-dire le respect des hommes pour les usages, les opinions et les institutions de leurs pères ; que les préjugés religieux et politiques corrompent l’esprit et le cœur des souverains et des sujets ; que le citoyen doit la vérité à ses concitoyens. On définit la philosophie, les caractères qu’elle doit avoir, le but qu’elle doit se proposer, ce que c’est que la philosophie spéculative : on découvre les motifs qui doivent animer le philosophe, quel courage doit lui inspirer la vérité. On parle de l’antipathie qui subsista toujours entre la philosophie et la superstition ; de l’esprit philosophique et de son influence sur les lettres et les arts ; de la cause des vices et des incertitudes de la philosophie ; du scepticisme et de ses bornes. On prouve que la philosophie contribue au bonheur de l’homme, et peut le rendre meilleur ; quelles sont les vraies causes de l’inefficacité de la philosophie ; que la vraie morale est incompatible avec les préjugés des hommes ; et qu’enfin la vérité doit triompher tôt ou tard des préjugés et des obstacles qu’on lui oppose.

— Les amateurs de l’Opéra sont aujourd’hui calmés sur les craintes qu’ils avaient concernant mademoiselle Arnould. Cette actrice, par une audace sans exemple, avait manqué à Fontainebleau si essentiellement à madame la comtesse Du Barry, qu’elle s’en était plainte au roi. Sa Majesté avait ordonné que mademoiselle Arnould fût mise pour six mois à l’Hôpital : mais madame Du Barry, revenue bientôt à son caractère de douceur et de modération a demandé elle-même la grâce de celle dont elle avait désiré le châtiment, et a sacrifié sa vengeance personnelle aux plaisirs du public, qui aime cette actrice. Le roi a eu peine à se laisser fléchir, et il a fallu toute l’aménité, toutes les grâces de cette dame, pour retenir sa sévérité.

28. — On a découvert que l’auteur de la suscription emphatique[64], à la manière orientale, d’une lettre adressée à M. de Voltaire, dont on a parlé, était un certain abbé De Launay. Cet abbé avait été en Portugal, et s’était insinué dans la confiance d’un frère du roi, au point qu’on avait craint qu’il ne captivât trop sa bienveillance, et qu’il avait été obligé de revenir en France, où il s’était soutenu par les bienfaits de ce prince, qui lui a même laissé une pension à sa mort, mais mal payée, suivant l’usage. L’abbé a contracté beaucoup de dettes ; il a été arrêté, il y a quelques années, et est en prison depuis ce temps, dénué de ressources. Il s’occupe à écrire à tous ceux dont il espère obtenir quelque chose, et fait valoir de son mieux un assez méchant talent qu’il a pour la poésie. Il est connu surtout par deux Épîtres, l’une au chien du Roi, et l’autre à M. l’évêque d’Orléans.

29. — M. de Mairan, cet Académicien connu de toute l’Europe savante, âgé de quatre-vingt-onze ans, trouvé très-mal, il y a quelques jours, d’une indigestion, après avoir dîné chez M. de Fonterrière, fermier-général ; on n’a pu le ramener chez lui tout de suite, et on lui a administré sur le lieu même les secours d’usage, qui ont procuré une double évacuation très-copieuse. Un accident aussi grave avait alarmé sur le compte de ce vieillard, mais il s’en est très-bien tiré et a recommencé à dîner en ville très-peu de temps après. 3 Décembre. M. le lieutenant-général de police a prié, il y a quelques jours, par un billet fort honnête M. Bouvard de passer chez lui à l’heure de sa commodité. Ce médecin s’y est rendu et a affecté de croire que monsieur ou madame de Sartine étaient malades. Sur la déclaration du premier qu’il n’était pas question de cela, mais d’un libelle sanglant dont se plaignait M. Petit, son confrère, le docteur a eu une longue explication, d’où il est résulté que M. Petit était l’agresseur, que l’autre n’avait fait que répliquer, qu’il tenait sa défense légitime et même indispensable ; qu’au surplus, il ne se regardait pas comme le justiciable de M. le lieutenant-général de police ; il a refusé d’entrer en aucun accommodement à cet égard avec son confrère. Alors le magistrat lui ayant signifié qu’il allait user de son autorité pour supprimer son livre. M. Bouvard a pris congé de lui, est allé sur-lechamp chez son libraire, a retiré tous les exemplaires restans, et quand on est venu pour exécuter les ordres de la police et saisir l’ouvrage, on n’a rien trouvé.

Ce petit véhicule fait merveilleusement bien à ces Lettres[65], qui jusqu’ici n’avaient été lues et recherchées que par les gens de l’art : aujourd’hui toutes les femmes et les gens les plus frivoles veulent les avoir, par l’éclat que fait dans le monde l’aventure qu’on vient de raconter.

5. — En 1753, un jeune élève de l’école militaire de Berlin, nommé Mingard, agé de seize ans, curieux d’assister au spectacle du roi, écrivit à M. de Voltaire, alors en Prusse et dans la confiance du prince, le billet suivant :


Ne pouvant plus gourmander
Le désir ardent qui m’anime,

Daignez, seigneur, m’accorder
DUn billet pour voir Nanine.


M. de Voltaire lui fit la réponse suivante :


Qui sait si fort intéresser,
Mérite bien qu’on le prévienne ;
Oui, parmi nous viens te placer,
DNous dirons qu’il y revienne.


En effet l’enfant plut beaucoup, et dès le soir eut l’honneur de souper entre le roi de Prusse et M. de Voltaire. Le goût du jeune homme pour les lettres lui ayant fait perdre de vue le soin de sa fortune, il est tombé dans la disgrâce de sa famille, et par une suite de catastrophe sinistres s’est trouvé très-malheureux. Venu à Paris, il s’y est conduit avec honnêteté, et n’a point oublié les sentimens de sa naissance et de son éducation. La hauteur de son âme l’a porté à avoir plutôt recours à des étrangers qu’à des parens dont il avait à se plaindre. Un homme de lettres qu’il a eu occasion de connaître, cru devoir en ce moment réveiller l’intérêt que M. de Voltaire avait pris autrefois à ce jeune élève d’Apollon. Pour lui en rappeler le souvenir, il lui a envoyé les deux billets ci-dessus. Le philosophe de Ferney a répondu laconiquement ; mais par ce qui se passe depuis peu de temps, M. Mingard présume que cet apôtre de l’humanité a excité les sentimens de tendresse de la famille de l’enfant prodigue ; et elle vient de lui procurer des consolations qu’il croit devoir à M. de Voltaire : nouveau trait de bienfaisance qu’on se hâte d’annoncer au public[66].

6. — Mademoiselle Caron, aujourd’hui madame de la Sône, connue long-temps dans Paris comme maîtresse de M. le comte de Charolais, a eu deux filles de ce prince, qui, devenues grandes, sont en état d’être mariées. On qu’elles sont charmantes, pleines de talens, et très-propres à faire des passions. Un gentilhomme attaché à madame la princesse de Conti est à la veille d’en épouser une. Cette princesse, pour rendre le mariage plus honorable, a bien voulu solliciter des lettres de légitimation, qu’elle a obtenues. Ces lettres patentes ont été revêtues des formalités nécessaires, et les jeunes personnes s’appellent aujourd’hui mesdemoiselles de Bourbon.

Madame de la Sône est digne, à bien des égards, cette faveur : par son esprit, par ses grâces, par la manière distinguée dont elle vit et dont elle fait usage de la fortune que le prince lui a laissée, et par la bonne éducation qu’elle a donnée à ses filles. Elle demeure dans un couvent, avec toute la décence convenable à son état. Elle a rendu aujourd’hui le pain bénit à Saint-Nicolas du Chardonet, sa paroisse, dans toute la pompe possible.

M. Bouret, toujours inépuisable en fait de galanteries, a eu l’honneur de présenter à la fiancée une tabatière très-riche, mais surtout précieuse par une miniature exquise où il a fait représenter cette jeune bergère cueillant des lys : allégorie ingénieuse pour la circonstance, et qui caractérise parfaitement le goût fin de ce courtisan délicat.

7. — Extrait d’une Lettre de Rome du 20 novembre 1769.

« Le Saint-Père continue à s’occuper de l’administration intérieure de ses États, de la réforme des mœurs et des abus. Vous avez su qu’il avait proscrit l’usage ridicule sur les théâtres de cette ville de faire jouer les rôles de femmes par de jeunes garçons, et qu’il avait remis le sexe en possession de toutes ses fonctions à cet égard. Il vient d’abolir une coutume plus horrible et plus abominable : par une barbarie qui fait la honte de tous ses prédécesseurs, on outrageait la nature dans de jeunes enfans, et on les dressait, dans ce malheureux état, à remplir les fonctions de musicien à la chapelle des papes. On se procurait ainsi des voix claires et argentines, qui flattaient les oreilles de ces souverains, et pour leur plaisir on avait consacré une horreur qu’on ne devrait lire que dans l’histoire des tyrans de Rome. Sa Sainteté aime beaucoup la musique, mais encore plus l’humanité et, pour suppléer à cette espèce de chanteurs appelés castrati, elle a permis de prendre des femmes dans les musiques d’église. Un pareil trait fera bénir à jamais le pontificat de Clément XIV. Il est adoré de ses sujets et surtout du sexe, qu’il fait sortir de la nullité à laquelle l’avaient réduit ses prédécesseurs. »

9. — On a parlé des tracasseries suscitées à M. de Belloy par les Comédiens à l’occasion de la reprise du Siège de Calais ; de la lettre forte et vive que cet auteur leur écrivit dans le temps, et de l’espèce de trève que le gentilhomme de la chambre mit à cette petite guerre en ordonnant provisoirement que l’on jouât la tragédie en question. Cette satisfaction n’a pas contenté M. de Belloy ; et les Comédiens, de leur côté, ont conservé leur rancune, surtout le sieur Le Kain, chargé du rôle Bayard[67], mais qui en partant pour sa tournée déclara qu’il ne jouerait point que l’auteur n’eût réparé les outrages de son épître par un désaveu. M. de Belloy, excédé de procédés indignes, a, dit-on, retiré sans retour ses deux tragédies de Gabrielle de Vergy et de Gaston et Bayard ; on assure qu’il va les faire imprimer avec un privilège dans lequel il sera expressément défendu aux Comédiens de Paris de les jouer sans sa permission ; permis au contraire à tous les comédiens, histrions, bateleurs généraux ou particuliers, français ou étrangers, de la jouer soit à Paris, soit en France, soit en Europe, ou dans telle partie du monde que ce soit. Il serait d’autant plus fâcheux que l’auteur fût obligé d’en venir à cette extrémité, que le style n’est pas l’endroit par ou brille M. de Belloy, et qu’à la lecture il perdra tout le mérite des situations, des coups de théâtre, des tableaux qu’il prodigue dans ses pièces avec autant de merveilleux que de fertilité.

10. — On a rapporté[68] les tracasseries qui ont été suscitées à M. l’abbé Le Cousturier par ses ennemis auprès de M. l’archevêque : il a eu le bonheur de faire revenir de sa prévention très-entêté ordinairement. L’Interdiction a été levée bientôt, et l’orateur en question a prêché le premier dimanche de l’Avent dans l’église de la Charité, pour laquelle il était désigné. Sa disgrâce passagère est un véhicule de plus à sa réputation, et l’on s’empresse d’aller entendre ce prédicateur censuré, avec la même avidité qu’on recherche un livre défendu et qui se vend sous le manteau,

12. — Un homme du monde ayant composé un opéra comique très-joli et du meilleur ton, intitulé la Baignoire, avant de le faire présenter à l’assemblée générale des Comédiens Italiens, l’a communiqué à uns d’entre eux, tels que les sieurs Dehesse et Clairval : ces messieurs ont cru y reconnaître le fonds d’une aventure arrivée au sieur Poinsinet, qui fait nombre parmi ses mystifications. Leur délicatesse s’est offensée de cette ressemblance, et ils ont déclaré que l’ouvrage était charmant, mais que l’honnêteté de leurs mœurs ne leur permettait pas de traduire sur la scène quelque citoyen que ce fût, à plus forte raison un poète distingué par ses talens, qu’ils reconnaissaient pour leur maître, pour leur bienfaiteur, et dont ils honoreraient éternellement la cendre. En vain leur a-t-on représenté que cette pièce roulait que sur une intrigue vague dont le spectateur instruit pouvait faire l’application, mais qui se démentait par les différences du caractère du héros principal de la pièce, bien autrement théâtral que celui du sieur Poinsinet, et monté sur un ton qui ne pouvait appartenir qu’à un homme de cour, à un fat du premier ordre et non à un polisson subalterne tel que ce petit-maître manqué. Rien n’a pu rassurer les scrupules de ces âmes nobles et sensibles ; on n’a osé risquer de s’exposer à réclamation générale de la troupe, et l’on a eu recours à M. le duc de Richelieu, gentilhomme de la chambre en exercice, qui n’a pas paru aussi effarouché que les Comédiens, et qui, se connaissant en procédés aussi bien qu’eux, rassurera sans doute leur délicatesse.

13. — On a parlé depuis long-temps des mouvemens que M. de Voltaire s’était donnés pour faire rendre justice à la famille des Sirven, ces malheureux père et mère, accusés d’être auteurs du meurtre de leur fille et condamnés comme tels, par contumace, au Parlement de Toulouse. Ils ont eu le courage de se rendre en cette ville, de faire juger la coutumace, et ils ont été déclarés généralement innocens : on les a remis en liberté et en possession de tous leurs biens, qui avaient été confisqués au profit du roi par le domaine.

Cet événement, qu’on doit principalement aux soins et aux réclamations de M. de Voltaire, assure de plus en plus à ce poète philosophe une place parmi les bienfaiteurs de l’humanité. On ne doute pas que M. Elie de Beaumont, avocat célèbre au Parlement de Paris, et qui a passé plusieurs mois de l’été et de l’automne à Ferney, n’ait beaucoup contribué à éclairer et à faire juger l’affaire : on ne doute pas non plus que M. de Vaudeuil, premier président du Parlement de Languedoc, n’ait versé dans ce tribunal l’esprit de tolérance dont il est animé, et qu’il n’éteigne tout-à-fait le feu du fanatisme, qui n’avait que trop éclaté dans la malheulereuse affaire des Calas.

14. — C’est avec douleur que les amateurs du théâtre italien, qui avaient conçu les plus grandes espérances sur le compte du sieur Grétry, ce Pergolèse de la France, voient que ce musicien est sur le point d’être moissonné à la fleur de son âge. Il est attaqué de la poitrine, et son genre de vie[69] ne contribue pas peu à aggraver son état. On convient assez généralement qu’il était fait pour opérer une révolution dans la musique de ce théâtre, dont les coryphées ne paraissent que dans des gens médiocres auprès de cet auteur.

15. — Vendredi dernier, à l’Opéra, un spectateur du parterre s’enthousiasmait sur la danse vigoureuse et hardie de mademoiselle Asselin, une des coryphées du théâtre lyrique. Son voisin la déprimait, au contraire, et la trouvait détestable. Chacun soutenait son avis avec opiniâtreté et y resta suivant l’usage. À la dernière reprise, le détracteur de la danseuse s’écria qu’il fallait être bien bête pour l’admirer. Son adversaire lui dit : « Jusqu’ici, Monsieur, j’ai cru que c’était à mademoiselle Asselin que vous en vouliez : je vois très-bien à présent que c’est à moi, et vous allez m’en faire raison. » Ils sortent, ils se battent, sans s’être jamais connus ni vus qu’en ce moment, et l’agresseur reste mort sur la place. Il se trouve, par les informations, que c’est un M. Hooke, officier, parent d’un Hooke connu par une aventure à peu près semblable, qui lui arriva au concert spirituel, qui fit beaucoup de bruit dans le temps, et qui ne s’est terminée qu’après plusieurs combats arrivés en divers endroits entre les deux contendans. Au surplus, cette catastrophe relève merveilleusement la réputation de mademoiselle Asselin. Toutes ses camarades la regardent avec envie et voudraient bien compter dans les fastes de leur histoire quelques combats singuliers cette espèce.

— Les Comédiens Italiens ont donné hier la première représentation de la Rosière ou la Fête de Salency, pièce en trois actes et en prose, mêlée d’ariettes et vaudevilles sur des airs connus. Cette comédie, qui paru de beaucoup trop longue, n’a pas fait plus de fortune à Paris qu’à la cour[70]. Le premier acte a été mieux reçu que les deux autres. L’intrigue est minutieuse embarrassée ; les caractères ne sont ni assez développés, ni assez saillans ; celui d’Hélène, la Rosière, est le seul qui fasse plaisir, et soit nuancé de toutes ses couleurs. Il y a le rôle d’un régisseur qui veut éprouver les aspirantes au prix, et qui, contrastant par une gaieté peu honnête, a déplu généralement. Le jugement est ce qu’il y a de mieux : des trois concurrentes, l’une est déclarée sage par bêtise, l’autre par contrainte, et l’autre par goût et par réflexion. C’est celle qui remporte la couronne.

16. — M. l’abbé Riballier, docteur de Sorbonne, syndic de la Faculté de Théologie, si connu par ses démêlés avec messieurs Marmontel et Voltaire, est surtout célèbre par les sarcasmes dont ce dernier l’a criblé. Il a la vue très-mauvaise : un plaisant a supposé qu’il l’avait entièrement perdue en travaillant à la Censure de Bélisaire, et que, réduit à prendre un chien pour guide, il avait choisi celui de ce héros dans son malheur. En conséquence, on a gravé l’abbé Riballier conduit par l’animal, ayant au cou un collier, sur lequel on lit ces vers :


Passant, lisez sur mon collier
Ma décadence et ma misère :
J’étais le chien de Bélisaire,
Je suis le chien de Riballier[71].

21. — M. l’abbé Vatry, pensionnaire de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, est mort le 16 de ce mois. Il était infirme depuis long-temps et la tête ne faisait plus ses fonctions. C’était un des plus savans hommes de l’Europe dans le grec, qu’il avait professé au Collège Royal.

22. — On a envoyé de Brest les vers suivans, faits sur la mort de Gordon. Ils paraissent récapituler en bref toute la trame de ce fatal événement. Il faut savoir qu’il s’est plaint d’avoir été excité par le comte d’Harcourt, ambassadeur de la cour de Londres à la cour de France, non à incendier le port de Brest, comme on a dit, mais à en reconnaître la situation, à en examiner tous les détails, pour en profiter au besoin. Quant au sage magistrat, on connaît aisément qu’il veut parler de M. de Cluguy, intendant de Brest et président de la Commission.


Un perfide vieillard abusa ma jeunesse,
Un sage magistrat confondit mes projets,
Une mort héroïque expia ma faiblesse,
Un peuple généreux me donna des regrets.


27. — On a déjà parlé du procès pendant par-devant le chef de la librairie entre les libraires et M. Luneau de Boisjermain. On a résumé les diverses prétentions des deux parties et surtout les deux mémoires de Me Linguet, ce Démosthène de nos jours, qui réfute ceux des libraires avec autant de solidité que d’éloquence et de feu. Ces derniers viennent de fournir une réplique, et c’est à cette occasion qu’un anonyme[72] a répandu une brochure intitulée : Avis aux gens de lettres. Après une exposition nette et précise du sujet, l’auteur fait rapidement quelques notes sur la défense nouvelle des libraires et prouve qu’ils ne sont pas heureux en reparties. Non content de cela, il les suit pas à pas, il montre que conduits par l’avidité, ils marchent toujours entre l’injustice et l’extravagance. Il examine et discute séparément chacune de leurs prétentions et en fait voir palpablement l’indécence. Il termine son écrit par des réflexions générales, qui naissent naturellement de son sujet. Il se plaint que la France, étant le pays du monde où les lettres sont le plus florissantes, soit en même temps le pays où ceux qui les cultivent sont traités le plus défavorablement. Il les peint, avec non moins de vérité que d’énergie, gémissant sous le joug des libraires, travaillant en vils esclaves au champ fécond de la littérature, tandis que ces maîtres durs recueillent tout le fruit de leurs sueurs, et vivent à leurs dépens dans l’abondance et dans le luxe. Il compare les procédés des libraires de France et de ceux de Londres envers les auteurs, et il en fait voir l’énorme différence à la honte des premiers. Il cite l’exemple d’une Histoire de Charles V, en cinq volumes, dont le manuscrit a été vendu par M. Robertson quatre mille guinées ; tandis que l’Encyclopédie, ce vaste dépôt de toutes les connaissances humaines, ce monument qui, seul, forme bibliothèque entière, qui a rapporté plus de deux millions de gain aux libraires, n’a valu à M. Diderot, entrepreneur, directeur, et surtout seul architecte de cet immortel édifice, que cent pistoles de rentes viagères. Il finit par une péroraison vigoureuse, où il exhorte les de lettres à secouer un joug aussi honteux que tyrannique, pour s’aider mutuellement dans l’impression et le débit de leurs ouvrages, et pour donner des secours aux jeunes gens qui entrent avec du talent dans la même carrière. Il sonne le tocsin même à l’égard des seuls amateurs, fait craindre le dépérissement du goût et des lettres, si l’on ne met un prompt remède à la rapacité dévorante des libraires, sangsues des auteurs et qui se gorgent impitoyablement de leur sang.

— Discours de Gordon à ses juges.
Monsieur et Messieurs,

« Vous êtes pères, vous tous, pères heureux ; vos enfans ne vous sont pas enlevés, vous leur êtes conservés. Le mien, père de treize, nous fut enlevé dans sa trente-huitième année. Je n’en avais alors que douze : quelle perte pour moi ! Ma mère me resta encore : veuve à trente-deux-ans, elle se retira dans une maison de campagne, déterminée à y passer le reste de ses jours avec ses cinq filles. Le soin de l’éducation de nous autres fut confié à nos plus proches parens. Ma faute, ou, si vous voulez, mon crime, n’est pas l’effet d’un tempérament vicieux, suite, souvent, d’une éducation négligée, d’un malheur[73] qui m’avait obligé de venir en France. Milord Harcourt promit à ma sollicitation de me remplacer dans mon ancien régiment : il se prévalut de cette conjoncture, en me proposant ce fatal voyage. Mon peu d’expérience me laissa séduire, ma reconnaissance me fit entreprendre. Figurez-vous en milord Harcourt un homme de soixante ans, décoré de toutes les beautés de la vieillesse : en lui je voyais un homme de naissance, lieutenant-général de nos armées, ambassadeur en France et mon protecteur. Que de prévoyance n’aurait-il pas fallu pour apercevoir la chaîne de malheurs qui devaient s’ensuivre ? Et sous quelles couleurs ne me présenta-t-il pas sa proposition ? Il me fut impossible d’éviter son piège.

« Je n’ai, hélas ! que peu à espérer du côté des lois, elles ne regardent que les fautes. J’ai toujours espoir en vous, vu que l’État ne peut souffrir aucun préjudice de tout ce que j’ai fait. De plus : je déclare n’avoir jamais eu intention de former aucunes liaisons ici : c’est le cruel hasard qui me les a fait trouver.

« Mitigez donc, s’il se peut, la sévérité des lois : permettez que je vous rappelle encore une fois que j’ai une mère, et que je vous représente la douleur d’une famille nombreuse ; elle est noble : et s’il faut mourir, ne me faites pas souffrir d’ignominie ; laissez-moi agir en liberté, et je saurai éviter la honte. Enfin, pour dernière grâce, que je meure avec mon écharpe militaire et qu’on la fasse tenir ensuite à mon frère. »


29. — Outre l’Avis aux gens de lettres, dont on vient de parler, il avait paru dans l’affaire de M. Luneau de Boisjermain avec les libraires, un troisième Mémoire, sous le titre de Dernière Réponse signifiée et Consultation pour le Sieur Luneau de Boisjermain contre les syndics et adjoints des Libraires de Paris. Dans ce Mémoire, encore plus vigoureux que les précédens, l’auteur a su répandre un intérêt dont on ne croirait pas la matière susceptible, et qui d’une cause particulière, en a fait une générale avec tous les gens de lettres, par le détail des vexations que ces derniers en éprouvent continuellement et qui deviendraient de plus en plus odieuses, si on les laissait empiéter sur eux comme ils le prétendent. On sait que depuis long-temps ils affectent envers eux une dureté et un despotisme intolérable, et que M. Gresset les a déjà couverts du ridicule qu’ils méritent, dans la Chartreuse, où il dit en décrivant les entours du collège des Jésuites et de la rue Saint-Jacques :


Où trente faquins d’imprimeurs
Donnent froidement audience
À cent faméliques auteurs, etc.

M. Luneau, dans son nouveau Mémoire, plus approfondi que les premiers, remonte à l’origine des Libraires, qui avant la découverte de l’imprimerie étaient dans la plus humilante, la plus servile dépendance des gens de lettres, entièrement aux ordres et aux gages de l’Université. On les appelait alors Stationarii, c’est-à-dire entreposeurs, comme servant précisément et uniquement au courtage des livres peu communs alors. Elle avait sur eux le droit d’inspection, de correction, et elle en usait. Il réfute victorieusement leur assertion, par laquelle ils prétendent n’être pas confondus avec les autres espèces de négoces, et distinguer dans la librairie une partie purement matérielle, qu’ils dédaignent, et une partie purement spirituelle, qu’ils s’approprient. Il fait voir, au contraire, qu’ils n’occupent qu’un rang très-peu distingué dans l’ordre des vanités sociales, qu’ils sont exclus de l’échevinage de Paris, espèce d’apothéose bourgeoise, à laquelle peuvent être admises des communautés de marchands, au-dessus desquels ils voudraient s’élever, et qu’enfin le souverain lui-même les a assimilés quelque fois aux états mécaniques les plus vils.

30. — M. le président Le Monnier rentre de nouveau en lice contre M. de Valdahon[74], à l’occasion de mademoiselle Le Monnier, qui depuis qu’elle est majeure lui a fait des sommations respectueuses pour épouser son amant, dont la constance a été mise à de si rudes épreuves. Tous les papiers publics ont parlé si souvent et d’une façon si intéressante du procès célèbre qui dure depuis sept ans entre ce premier président de la chambre des Comptes de Dôle, et le Mousquetaire gris, qu’on s’en souvient sûrement et que les cœurs tendres sont encore affectés de cette histoire romanesque. On blâme généralement l’opiniâtreté de M. Le Monnier, qui par des mémoires infâmes a cherché à rendre odieux et méprisable un homme estimé publiquement.

La fille vient de répandre un Mémoire en réponse aux horreurs débitées par M. Le Monnier, où elle est obligée par sa position cruelle de défendre un amant contre un père. On y retrouve l’avocat disert qui a déjà fait d’autres mémoires dans la même cause : il a traité cette matière plus en romancier qu’en jurisconsulte : plus de mots que de choses, plus de phrases que de raisons constituent le fond de cet ouvrage, qu’on trouve sur toutes les toilettes et qui y aura plus de succès que sur le bureau des juges.

M. Loyseau de Mauléon termine cette apologie par une lettre à mademoiselle Le Monnier, en date du 5 décembre, où après avoir donné à entendre avec autant de vanité que d’indécence, qu’il lui a prêté sa plume gratuitement, il déclare que devenant maître de la chambre des Comptes de Nancy, les usages de l’ordre des avocats et ceux de la Compagnie ne lui permettent pas de signer ce Mémoire ; qu’en conséquence il le remet entre les mains d’un ancien confrère. Ce dernier, après un bout de consultation fort plate, datée du 10 décembre, adopte l’ouvrage du sieur Loyseau et signe le Mémoire.

31. — Lettre d’Alexandre Gordon à sir Charles Gordon, son frère.

« C’est avant mon dernier moment, cher Charles, que je prends la plume pour te faire part de mon sort. Je suis Condamné à perdre la tête sur un échafaud entre quatre et cinq heures, ce 29 novembre, après midi. Ma seule consolation en ce moment terrible est de n’être pas coupable des crimes que l’on m’a imputés et d’avoir arraché des larmes de mes juges même. Depuis l’existence des lois, jamais arrêt aussi cruel n’a été rendu contre qui que ce soit. En effet, si j’avais été coupable des crimes dont un Anglais nommé Stuart m’a accusé, à quel supplice les juges m’eussent-ils donc condamné ? Je suis le plus infortuné de tous les hommes. Les deux personnages que j’avais cru mes amis m’ont trompé ; ils m’ont toujours flatté de pouvoir obtenir ma grâce ; ils m’ont empêché d’intéresser en ma faveur la noblesse d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande. J’ai été condamné, non pour avoir eu le projet d’incendier tous les ports de France, que mes juges n’ont pu prouver un si horrible crime, mais pour avoir pris des mesures, avec deux hommes apostés pour me séduire[75], pour avoir plusieurs détails de ce port lorsque je serais en Angleterre. Le moment fatal approche, cher frère ! j’entends dans les escaliers les gardes qui viennent me chercher. Je te demande en grâce, cher Charles, de consoler ma tendre mère : il m’est impossible de finir ma lettre pour elle : mes effacent chaque mot que je trace : embrasse tous mes parens et dis-leur que je meurs innocent. Remercie mon oncle Pierre Gordon pour tous les soins qu’il a pris. J’ai heureusement obtenu d’être exécuté avec toutes les marques militaires. M. de Clugny, mon juge, m’a promis de t’envoyer mon écharpe : elle te sera envoyée teinte de mon sang innocent. Quel motif, cher frère, pour t’exciter à une juste vengeance. Je laisse la plume pour aller à l’échafaud. Ô mes adorables et tendres sœurs ! je ne vous verrai donc jamais, je ne vous reverrai plus… Cet arrêt est mille fois plus terrible que la mort. Adieu, cher frère, mon frère, mon ami, dans une demi-heure je ne suis plus. »

— On a fait les vers suivans, où l’on apostrophe le sieur Palissot, à l’occasion de la satire adressée à Nicolet[76], dont il paraît aujourd’hui l’auteur incontestablement.


Je conviens, Palissot, que le public s’abuse
S’il applaudit au goût que censure ta muse ;
Pardonne-lui s’il sait en jouir sans l’aimer,
De chaque nouveauté trouve bon qu’il s’amuse ;
Il est frivole, oisif, et c’est là son excuse ;
Il serait vil, méchant, s’il pouvait t’estimer.


1770.

6 Janvier. — On débite des quolibets sur M. l’abbé Terray. On dit que le roi va payer toutes ses dettes, parce qu’il a trouvé un trésor enterré (en Terray.)

9. — On a parlé plusieurs fois des Éphémérides du Citoyen, espèce de journal patriotique, où la secte connue sous le nom d’économistes, dépose tous les ouvrages qu’elle continue à répandre depuis quelques années sur différentes branches de l’administration, et sur l’administration même. Ces enthousiastes, comme tous les sectaires, y débitent leurs assertions avec autant de mépris pour leurs adversaires que de confiance en eux-mêmes, et l’on ne peut disconvenir que le ton général de ce livre ne soit un ton de morgue et de pédantisme qui ne peut que faire grand tort aux vues, d’ailleurs très-utiles, de ces citoyens estimables. Dans un de leurs volumes, enhardis par le succès de quelques parties de leur système, ils ont eu l’audace d’attaquer enfin de front et à découvert le règne de Louis XIV, comme le règne de cet esprit réglementaire qui leur déplaît, et qu’ils prétendent n’être bon qu’à introduire un odieux despotisme. M. de Voltaire n’a point vu sans indignation flétrir un règne dont il a écrit les fastes mémorables, et qu’il a représenté comme un des plus beaux siècles de l’univers ; il s’est cru obligé d’en prendre la défense. On se doute bien avec éloquence victorieuse il soutient une pareille cause ; mais ce dont on ne se doute pas, c’est la modération avec laquelle il épargne ces journalistes, pour lesquels il montre tous les égards dus à de pareils philosophes. Il donne dans ce petit ouvrage[77] de trente pages un modèle d’une critique saine, juste et sage, que ces écrivains polémiques observent trop rarement, et dont M. de Voltaire s’est aussi malheureusement trop souvent écarté. Une simple brochure de cette espèce suffirait pour faire la réputation d’un auteur qui n’aurait pas d’autres titres littéraires.

10. — Outre la justification éloquente du siècle de Louis XIV par le philosophe de Ferney, il paraît de lui d’autres pamphlets, qui ne lui mériteront pas les mêmes éloges de la part des dévots et même des gens attachés aux anciennes routines. Ces petits ouvrages clandestins ont pour titre : Les Adorateurs, ou les Louanges Dieu, ouvrage unique de M. Imhoff[78] ; une Requête à tous les Magistrats du royaume[79] sur l’abus des fêtes, etc. ; une Instruction du gardien des Capucins de Raguse à frère Pediculoso partant pour la Terre-Sainte[80] ; Tout en Dieu, commentaire sur Malbranche, par l’abbé de Tilladet[81]. On présume facilement que M. de Voltaire n’avoue pas ces écrits ténébreux, mais ses principes soutenus qu’on y retrouve, et surtout le malheureux charme de son style, n’en décèlent que trop l’auteur, et ils sont recherchés avec l’avidité ordinaire du public pour tout qui sort de sa plume.

14. — La chute du Saint-Père, le jour de son entrée Rome, a été célébrée par Marforio. On a gravé une estampe, où sa Sainteté est représentée tombant de cheval comme saint Paul ; et saint Ignace, qui en est le témoin, lui rappelle ce trait de l’Apôtre et lui crie : « Clément ! Clément ! pourquoi me persécutes-tu ? »

15. — Les Comédiens Français ont donné samedi la première représentation des Deux amis, drame bourgeois de M. Caron de Beaumarchais, annoncé depuis long-temps sous différens titres, tels que le Bienfait rendu, le Marchand de Londres, la Tournée du fermier-général, etc. Cette pièce, prônée d’avance avec beaucoup d’emphase, a attiré une affluence prodigieuse, et madame la duchesse de Chartres l’a honorée de sa présence. L’auteur y a fait entrer des scènes si analogues aux circonstances du jour, qu’il avait excité une curiosité générale. C’est une double banqueroute qui fait l’intrigue du drame ; mais le sujet, défectueux en lui-même, a encore révolté par la manière dont il a été présenté. On y a pourtant trouvé des scènes heureuses et produisant le plus tendre intérêt. Quoique les spectateurs, en général, paraissent avoir proscrit cette pièce, elle a encore des défenseurs. Elle a eu un succès plus marqué hier, mais qu’on attribue à un redoublement de cabale. S’il se soutient, on en parlera plus amplement.

16. — M. l’abbé Chauvelin, ancien conseiller de grande chambre et conseiller d’honneur du Parlement, est mort avant-hier âgé de cinquante-quatre ans. Né avec une complexion faible, et disgracié de la nature, il était épuisé par les plaisirs et par le travail. Coryphée, tour à tour, du théâtre et du jansénisme, il s’était fait une célébrité par l’audace avec laquelle il avait attaqué le colosse des enfans d’Ignace. Le succès de son entreprise l’avait rendu très-recommandable dans son parti. On avait frappé des médailles, des estampes, toutes plus emphatiques les unes que les autres, pour célébrer son triomphe[82]. Depuis quelque temps cependant, il était dans une sorte d’oubli, occasioné peut-être par sa mauvaise santé : il était attaqué d’une hydropisie de poitrine. Dimanche matin il s’est levé comme à son ordinaire, à six heures. À huit heures il a donné audience à ses médecins ; il plaisantait avec eux, lorsqu’il lui a pris une faiblesse, dans laquelle il a passé, sans qu’il ait pu recevoir les sacremens. Il était ancien chanoine de Notre-Dame, et doit en conséquence être enterré dans la cathédrale.

19. — La Requête à tous les magistrats du royaume, composée par trois avocats d’un Parlement, est un ouvrage grave, purgé de toutes les mauvaises plaisanteries que M. de Voltaire a trop prodiguées depuis quelque temps dans les agréables productions qu’il ne cesse d’enfanter dans sa retraite. Cette brochure-ci, écrite avec autant de chaleur que d’onction, est une espèce de sermon moral, ou de plaidoyer en faveur du peuple. Après une peinture aussi vraie que touchante des calamités accumulées sur cette nombreuse portion de l’humanité, il attaque la Quadragésime et les fêtes, division naturelle de ce petit discours. Quant au carême, il fait sentir l’absurdité de l’arbitraire, dans les Commandemens de l’Église, de laisser un homme maître à son gré de prescrire les alimens qu’on mangera, et de forcer à jeûner et à faire maigre des malheureux ne mangeant presque jamais de viande et toujours mourant de faim. Il exhorte les magistrats à décider si la différence du sol n’exige pas une différence dans les lois, et si cet objet n’est pas essentiellement lié à la police générale, dont ils sont les administrateurs. Dans cette première partie donc, le peuple demande la permission de vivre. Dans la seconde, il demande la permission de travailler, par la suppression de ces fêtes, dont M. de Voltaire prouve l’inutilité, l’indécence et le danger. Il prouve encore que la puissance législative, ayant seule institué le dimanche, c’est à elle seule à connaître de la police de ce jour, comme de tous les autres ; qu’en un mot, l’agriculture doit dépendre des magistrats, et non du sacerdoce ; que c’est aux juges qui sont sur les lieux à examiner quand la culture est en péril, et non à un évêque renfermé indolemment dans son palais.

20. — M. de Voltaire n’a pu se contenir avec la même réserve dans la petite brochure intitulée : les Adorateurs, ou les Louanges de Dieu : ouvrage unique de M. Imhoff, traduit du latin. Il ne l’a pas soigné avec autant de sagesse que la Requête aux magistrats, et l’esprit satirique de l’auteur y perce à chaque page. Cependant il y a d’excellentes choses. Des deux adorateurs dialoguant ensemble, l’un est un profond raisonneur, qui disserte en philosophe sur l’existence de Dieu, son essence, la création du monde, et toutes les autres questions abstraites qui divisent depuis si long-temps les écoles, sans qu’on ait acquis de plus profondes connaissances en métaphysique. L’autre, guidé par une âme vive et active, admire moins et sent davantage. Il s’embarrasse peu de connaître, il demande à jouir : il paraît pénétré de reconnaissance d’être un être végétant, sentant et ayant quelquefois du plaisir. Mais cette même faculté, qui le rend si pénétrable à la joie, le rend susceptible aussi de douleur ; et comme il y a plus de mal que de bien cet univers, il gémit, il se plaint, et voudrait trouver le remède à tant de choses qui l’affligent. C’est alors qu’il se sent obligé d’avoir recours aux réflexions, aux raisonnemens de l’autre, qui lui donne beaucoup d’argumens et aucune consolation réelle : il l’exhorte à se résigner et à espérer ; il croit que tout est nécessaire tout est nécessaire comme cela, et finit par le prier, s’il connaît quelque chose de plus positif, de le lui apprendre. Il résulte pour morale de ce traité, d’après le développement de la façon d’être de chacun des acteurs, que la sensibilité est, sans doute, le don du ciel le plus funeste, et qu’on doit préférer d’ergoter en aveugle comme le premier adorateur, avec une âme froide et sèche, à sentir et à se contrister, ainsi le second, avec un cœur trop ouvert à toutes les impressions. M. de Voltaire, dans un ouvrage court et aussi frivole en apparence, a concentré les connaissances profondes d’une infinité de traités de métaphysique et de physique, enrichies de toutes les grâces d’une imagination brillante.

20. — Les représentations successives des Deux Amis ont encore essuyé beaucoup de contradiction. Dans l’une, à l’occasion de l’imbroglio fort mal développé du drame, un plaisant s’est écrié du fond du parterre : « le mot de l’énigme au prochain Mercure. » L’auteur a cependant été obligé de faire beaucoup de changemens, qui répugnaient à son amour-propre, mais que les Comédiens ont exigés.

22. — Il paraît une chanson, de plusieurs couplets, contre les beaux esprits, ou plutôt contre quelques beaux esprits qu’on passe en revue. Ils n’ont pas lieu d’être contens de la manière dont on fixe sur leur compte les regards du public ; mais cette méchanceté est dénuée du sel qui donne du piquant et de la vogue à de pareils ouvrages.

23. — Il paraît un écrit, intitulé : Réflexions sur les divers écrits qui ont paru sur la Compagnie des Indes. On l’attribue à M. de Godeheu, ancien directeur de la Compagnie des Indes. Il a, sans doute, été destiné à éclairer les actionnaires avant l’assemblée, et à les disposer à voter favorablement pour la continuation de leur commerce. L’auteur établit sommairement : 1° qu’on doit continuer le commerce de l’Inde, puisque cette suppression procurerait à nos rivaux tous les ans une supériorité de vingt millions : 2° que ce commerce ne pouvant se faire que par une compagnie, l’État doit la dédommager politiquement de ses pertes, tant qu’elle ne lui sera pas à charge d’une somme plus considérable que celle calculée ci-dessus. Il détruit ensuite radicalement la brochure intutilée : Balance des services de la Compagnie des Indes envers l’État, et de l’État envers la Compagnie des Indes, en affirmant que l’auteur est coupable d’une grande ignorance des faits, puisqu’il cite comme réels des dons imaginaires de la part du roi, et qui n’ont jamais existé que dans les arrêts du Conseil, par une convention de forme, essentielle aux circonstances.

23. — Le sieur d’Auberval, un des coryphées de la danse du théâtre lyrique, vient de faire construire dans sa maison un salon qui lui coûte environ quarante-cinq mille livres, et que tout Paris va voir. Il est admirable par le goût, l’élégance et la richesse de la décoration et des ameublemens. Il y a en outre un jeu de mécanisme, au moyen duquel on peut, quand on veut, en faire une salle de théâtre. On n’admire pas moins le travail d’une espèce de vestibule, qui se monte et se démonte en dix minutes, et qui s’établit dans la cour pour mettre à couvert toute la livrée des gens qui assisteront aux bals, objet principal auquel ce salon est destiné. Il paraît que plusieurs femmes de la cour et des seigneurs voulant s’exercer de loin à briller aux divertissemens qui doivent avoir lieu lors du mariage de M. le Dauphin, ont imaginé de faire des répétitions chez le danseur en question ; que de là est venue l’idée de la construction de ce salon, et que, pour se dédommager des frais d’un tel établissement, le sieur d’Auberval a eu la permission de donner des bals. Il répand dans le public un prospectus de la souscription, dont on y peut voir les détails. Les princes se proposent aussi de se servir de ce lieu pour répéter également les fêtes qu’ils voudront donner. Plusieurs se sont fait ménager des loges en cet emplacement, et l’on attend avec empressement l’ouverture de la nouvelle école chorégraphique.

Au commencement de 1674, Louis XIV fit demander au corps de la mercerie un secours d’argent. On proposa à ce corps, en récompense, le premier rang parmi les six corps, le droit de donner tous les ans plusieurs sujets au consulat, et l’affranchissement d’une espèce de servitude à laquelle son commerce était assujetti depuis quelques années. Le corps chargea les gardes en charge d’offrir au roi cinquante mille livres, et d’accepter l’affranchissement de la servitude du commerce ; mais de déclarer que, content de son rang entre les six corps et de l’usage établi pour le consulat, il priait qu’il n’y fût rien changé. Peu de temps après, M. de Colbert annonça aux gardes en charge que le roi, content du zèle que le corps avait témoigné pour son service, leur rendait les cinquante mille livres, et leur donnait deux mille écus pour faire prier Dieu pour Sa Majesté, décorer leur chapelle et boire à sa santé. En conséquence les gardes firent célébrer dans l’église du Sépulcre les prières de quarante heures pour Sa Majesté et pour la prospérité de ses armes. Cela se fit avec la plus grande solennité. Tous les jours il y eut au bureau une table de vingt couverts, à laquelle dînèrent les prélats qui avaient officié et les prêtres de leur suite. On manda toutes les pauvres familles des marchands auxquelles on distribua des aumônes. Enfin, pour remplir entièrement les vues du roi, ils firent décorer la chapelle des marchands merciers par un tableau du célèbre Le Brun, qui se voit au retable du maître-autel du Sépulcre. Le dernier jour des quarante heures on apprit que la citadelle de Besançon s’était rendue le 22 mai. Dans les réjouissances publiques pour cet événement, on fit un grand feu de joie devant la porte du bureau et de chacun des gardes en charge, chez lesquels il y eut jusqu’à deux heures après minuit table ouverte pour les honnêtes gens. Au dehors on distribua des bouteilles de vin à tous ceux qui en voulurent ; on ne laissait passer personne sans le faire boire à la santé du roi. Ces fêtes furent répétées pour la prise de Dôle, rendue le 6 juin. Il y eut de plus au bureau une grande collation, à laquelle M. le lieutenant-général de police, M. le procureur du roi et les anciens gardes furent invités.

Voulant transmettre les témoignages publics de leurs sentimens pour Sa Majesté, les marchands merciers prièrent M. de Santeuil de faire un poëme sur ce sujet, et M. Corneille voulut bien le traduire. C’est ce poëme et cette traduction qu’on vient de remettre au jour, sous le titre de Poëme à la louange de Louis XIV, présenté par les gardes des marchands merciers de la ville de Paris, avec une magnificence typographique digne du sujet. On a placé en tête l’historique de l’anecdote ci-dessus, amplement détaillée dans un registre d’anciennes délibérations du bureau de la mercerie, et très-curieuse par le fond et par plusieurs circonstances que le lecteur remarquera facilement. Quant au poëme, il est en aussi beau latin qu’on en pouvait faire dans le dix-septième siècle. La traduction est de Corneille, mais en comme on l’a observé, c’est-à-dire qu’il y a de très-beaux vers, mais en général beaucoup d’incorrection, d’emphase et peu de sentiment.

24. — Les Comédiens Italiens donnent depuis quelque temps l’Arbre enchanté, comédie italienne en cinq actes, avec grand spectacle et divertissement[83]. Cette pièce attire beaucoup de monde, et achève de leur donner chambrée complète, même à leurs plus mauvais jours. Arlequin y joue un grand rôle, non par ses lazzis, mais avec sa baguette. Les yeux sont le seul sens qui s’y satisfasse. Il y a une multitude de magnifiques décorations ; le jeu s’en exécute avec beaucoup de rapidité et de précision, et le machiniste est l’auteur qui retire le plus de gloire de cette comédie, qui n’est proprement qu’une optique.

26. — Enfin la fameuse nouvelle salle de l’Opéra s’est ouverte aujourd’hui, et au moyen des précautions multipliées qu’on avait prises, le concours prodigieux des spectateurs et des voitures s’est exécuté avec beaucoup d’ordre. Une grande partie du régiment des gardes était pied extraordinairement. Les postes s’étendaient depuis le Pont-Royal jusqu’au Pont-Neuf, c’est-à-dire environ jusqu’à un quart de lieue de l’Opéra ; ce qui ne pouvait manquer d’opérer une circulation très-libre dans entours du spectacle si couru ; mais ce qui a gêné désagréablement tout le reste de Paris. La police n’a pas été si bien exécutée pour la distribution des billets. Outre le tumulte effroyable que l’avidité des curieux occasionait, il a redoublé par la petite quantité qu’on en a distribué, soit de parterre, soit d’amphithéâtre. Messieurs les officiers aux gardes, les gens de la Ville et les directeurs avaient accaparé la plus grande partie des billets. Cette interversion de la règle ordinaire a courroucé M. le comte de Saint-Florentin, qui, comme chargé du département de Paris, avait donné les ordres les plus justes à cet égard. Une autre supercherie n’a pas moins indisposé le public ; c’est aussi la transgression de l’arrangement pour la quantité de billets. La cupidité en ayant fait lâcher beaucoup plus que le nombre fixé, le parterre s’est trouvé dans une gêne effroyable, et le premier acte, ainsi que partie du second, ont été absolument interrompus par les cris des malheureux oppressés. Indépendamment de ces raisons de mécontentement des spectateurs, la salle a essuyé beaucoup de critique ; a trouvé l’orchestre sourd, les voix affaiblies, les décorations mesquines, mal coloriées et peu proportionnées au théâtre ; les premières loges trop élevées, peu avantageuses pour les femmes, le vestibule indigne de la majesté du lieu, les escaliers raides et étroits : en un mot, un déchaînement général s’est élevé contre l’architecte[84], le machiniste, le peintre, les directeurs et les acteurs ; car l’opéra[85], très-beau en lui-même, a paru tout-à-fait mal remis. Il n’y a que les habillemens et les danses qui aient trouvé grâce et reçu beaucoup d’applaudissemens.

27. — Les Comédiens Italiens ont donné, lundi 21 de ce mois, la première représentation de la Nouvelle École des Femmes, comédie en trois actes du sieur Moissy, qui a toujours eu beaucoup de succès, et que l’auteur a bien voulu mettre en ariettes pour lui en procurer davantage. Le sieur Philidor a fait la musique. Les gens de goût trouvent absolument la pièce dégradée, affaiblie par cette nouvelle métamorphose ; mais les partisans de l’opéra comique prétendent, au contraire, qu’il lui manquait un degré de perfection, et qu’elle est admirable avec ces embellissemens.

28. — Les Comédiens Français ont donné avant-hier la première représentation du Marchand de Smyrne, petite pièce en un acte et en prose, avec ses agrémens. Ces histrions avaient annoncé le drame en question avec les plus grands éloges, et l’un d’eux avait osé assurer l’avant-veille, en plein foyer, qu’il aurait un succès prodigieux. Quoique le public soit partagé à l’égard de la pièce, on paraît convenir généralement que c’est très-peu de chose, et qu’elle ne mérite pas l’annonce emphatique qu’en faisaient les acteurs. Elle est du sieur de Champfort, jeune homme qui mérite quelque encouragement.

30. — Les carrosses de madame la Dauphine font la curiosité du jour. Les amateurs vont les voir chez le sieur Francien, sellier, où l’on doit les emballer incessamment pour les envoyer à Vienne. Ce sont deux berlines, beaucoup plus grandes que les carrosses ordinaires, mais plus petites que ceux du roi. Elles ne sont qu’à quatre places. L’une est revêtue d’un velours ras cramoisi en dehors, où les quatre Saisons sont brodées en or sur les principaux panneaux, avec tous les attributs relatifs à la fête. L’autre est en velours bleu de la même espèce, et représente les quatre Élémens en or aussi. Il n’y a aucune peinture dans tout cela, mais l’ouvrage de l’artiste est d’un fini, d’un recherché qui équivaut presque à ce bel art. Les couronnemens sont très-riches : l’un des deux mêmes paraît trop lourd. L’impériale est surmontée de bouquets de fleurs en or de diverses couleurs, dont le travail n’est pas moins précieux. Ils sont d’une souplesse qui les fait agiter au moindre mouvement, et les rend flexibles au gré du plus léger souffle. Le sieur Trumeau est l’auteur de toute la broderie, aussi élégante que magnifique, et M. le duc de Choiseul, comme ministre des affaires étrangères, a ordonné ces superbes équipages, qui font infiniment d’honneur au goût de ce ministre.

31. — Le carrosse de M. l’évêque de Tarbes ayant, dans un embarras, accroché et maltraité un fiacre, au point de ne pouvoir conduire une dame qui était dedans, le prélat, jeune et galant, après s’être confondu en excuses, a descendu de sa voiture, a déclaré à la dame qu’il ne souffrirait pas qu’elle restât à pied, lui a donné la main pour monter dans son carrosse, et lui a demandé où elle voulait être conduite. Il s’est trouvé que cette personne allait à l’hôtel de Praslin, chez le sieur Beudet, secrétaire de la marine. Ce dernier est de la connaissance de l’évêque, qui a offert ses services à la dame auprès de ce commis, et a dit qu’il profiterait de l’occasion pour le voir et la ramener chez elle. Arrivés à l’hôtel, Monseigneur a donné la main à la dame, ce qui a beaucoup fait rire tous les domestiques ; mais les éclats ont encore plus redoublé de la part des spectateurs, quand on a introduit ce couple chez le sieur Beudet, qui, lui-même, aurait bien voulu éviter la publicité de cette visite. Quoi qu’il en soit, l’évêque, intrigué des ricanemens, des chuchotemens qu’il voyait, a insisté pour en avoir l’explication, et l’on n’a pu lui dissimuler que la femme dont il s’était si charitablement chargé était une certaine Gourdan, très-renommée par sa qualité de surintendante des plaisirs de la cour et de la ville. On sent bien que le prélat n’en a point demandé davantage, qu’il n’a point insisté pour la ramener, et que s’il l’est allé voir depuis, ç’a été dans le plus parfait incognito. Cette anecdote, qui paraît sûre, fait infiniment d’honneur à M. de Tarbes, dont les confrères n’auraient pas tous également connu cette célèbre entremetteuse.

Ier Février. — Il paraît un Mémoire à consulter pour les libraires associés à l’Encyclopédie, dans lequel ils demandent au Conseil : 1° Si les libraires associés à l’Encyclopédie ont rempli avec fidélité leurs engagemens envers les souscripteurs ? Si leur conduite est pure et exempte de tout reproche, soit de la part des souscripteurs, soit de la part du public ? 2° Si le contenu dans les pages 27, 28 et 30 d’un mémoire imprimé[86], ayant pour titre : Dernière réponse signifiée et consultation pour le sieur Luneau de Boisjermain contre les syndics et avocats des libraires de Paris, forme une diffamation caractérisée et répréhensible ? 3° Quelle est la voie que doivent prendre les libraires associés à l’Encyclopédie pour obtenir la réparation que le Conseil estimera leur être due ?

2. — M. Baculard d’Arnaud, accoutumé à traiter les sujets les plus lugubres, vient de faire paraître un drame[87] qui, sous des noms différens, n’est autre chose que la Gabrielle de Vergy de M. de Belloy, et par une adresse singulière il l’a gagné de vitesse, et en inonde le public avant que son confrère se soit montré en lumière. On prétend qu’il a assisté à la lecture de la tragédie de M. de Belloy ; que, s’étant bien rempli du canevas, des incidens et de la catastrophe de la pièce, il pas eu de peine à composer la sienne. Quoi qu’il en soit, outre le mérite de l’invention que M. d’Arnaud a par le fait, sans discuter dans quel cerveau le drame est né le premier, il a celui de la versification, qui, malgré la langueur et la monotonie qui y règnent, n’est point barbare, comme celle de l’autre.

3. — On vient de rendre publiques par la voie de l’impression les très-humbles et très-respectueuses représentations du Conseil souverain du Port-au-Prince, concernant les milices. Ce sont ces représentations que les magistrats étaient occupés à lire et à arrêter, lorsque M. le chevalier de Rohan fit investir le palais et enlever douze de ces messieurs. Cette publicité ne peut que faire infiniment d’honneur aux magistrats intrépides qui défendent avec autant d’éloquence que de raison les intérêts d’une colonie gémissante sous le poids du despotisme de deux gouverneurs successifs. On y peint des couleurs vives et énergiques leur administration effroyable et monstrueuse ; on fait voir partout les droits des citoyens violés, la justice avilie et méprisée, les militaires substitués à la magistrature, et la force à la loi. Comme une pareille réclamation inculpe nécessairement de la façon la plus grave M. le comte d’Estaing et M. le chevalier prince de Rohan ; comme, en rendant compte des faits, il n’a pas été possible de ne pas jeter beaucoup d’odieux sur leurs personnes, cet écrit est prohibé très-sévèrement par la police ; et la famille des Rohan surtout voit avec douleur le gouvernement d’un seigneur de sa maison voué à l’exécration générale des habitans de Saint-Domingue, exécration qui s’étendra jusqu’à la postérité la plus reculée.

— C’est aujourd’hui la dixième et dernière représentation du drame des Deux Amis, qui va s’éteindre enfin, après une agonie plus longue que de coutume. Heureusement l’amour-propre inépuisable de l’auteur le défend contre la désertion générale du public, et lui fait mettre sur le compte du mauvais goût, du défaut de mœurs, de la frivolité, ce qui n’est que l’effet du dégoût, de l’ennui et de l’indignation. La critique la meilleure, la plus vraie et la plus fine de cette pièce, est la pasquinade d’un plaisant, qui a écrit au bas d’une affiche où l’on annonçait les Deux Amis : « Ici l’on joue au noble jeu de Billard[88]. » En effet, ce drame n’est autre chose qu’une apologie des banqueroutiers, où l’on cherche à intéresser en faveur d’un homme de cette espèce, et à donner comme louable, comme vertueuse, comme l’effort de l’amitié la plus héroïque, une infidélité véritable, vicieuse dans son essence, et qui, sous quelque belle couleur qu’on la présente, quelque motif épuré qu’on lui donne, est digne de toute l’animadversion de la justice.

4. — À mesure que les opérations[89] de M. l’abbé Terray se développent, les malédictions publiques s’accumulent sur sa tête. Plusieurs malheureux d’entre le peuple osent, dans leur désespoir, se livrer contre lui, tout haut, aux plaintes les plus énergiques et aux résolutions les plus sinistres. Les magistrats patriotes, à portée de voir ce ministre, ne lui déguisent pas toute l’horreur que leur inspirent la violence et l’arbitraire de ses dispositions. M. le président Hocquart se trouvant à dîner avec lui chez M. le premier président, sur ce que cet abbé, en parlant de ses opérations forcées, prétendait qu’il fallait saigner la France, lui répondit vivement : « Cela se peut, mais malheur à celui qui se résout à en être le bourreau ! »

Du reste on en rit, on en plaisante à la manière française. Le jour de l’ouverture de l’Opéra, où les premiers arrêts du Conseil venaient de paraître, comme on étouffait dans le parterre, qu’on y était dans une gêne effroyable, quelqu’un s’écria : « Ah ! où est notre cher Terray ? que n’est-il ici pour nous réduire de moitié ! » Sarcasme qui, sous l’apparence d’un mauvais quolibet, devrait être bien douloureux pour ce ministre, auquel il annonce que son image nous tourmente jusqu’aux lieux les plus agréables, et empoisonne même nos plaisirs.

5. — M. Petit n’a pas voulu rompre le serment qu’il avait fait de ne pas répondre au docteur Bouvard, quoique celui-ci l’en eût relevé ; mais il a adroitement mis sa cause entre les mains de M. Le Preux, un de ses élèves. Par ce moyen il n’y court aucun risque. Si la réponse est faible, on saura toujours gré au jeune médecin d’avoir défendu son maître, et cela fera du moins honneur à son cœur. Si cet écrit est victorieux, tout l’honneur en reviendra à M. Petit, qu’on se doute bien avoir inspiré son apologiste. Cet écrit va paraître incessamment.

— On est toujours curieux de tout ce qui sort de la bouche de mademoiselle Arnould, le Piron femelle pour les ripostes et les saillies. M. Caron de Beaumarchais, l’auteur des Deux Amis, dénigrait l’Opéra actuel devant elle : « Voilà, disait-il, une très-belle salle, mais vous n’aurez personne à votre Zoroastre. — Pardonnez-moi, reprit-elle, vos Deux Amis nous en enverront. »

— On voit une caricature qui représente le roi jouant au billard, et l’abbé Terray ramassant les billes. Outre cette facétie, il y a des vers effroyables contre Sa Majesté, le chancelier et M. l’abbé Terray.

On a trouvé à la statue de Louis XV une inscription très-injurieuse pour le monarque, et que le respect ne permets pas de rapporter.

— On parle d’une nouvelle comédie de M. de Voltaire, intitulée le Dépositaire. Elle roule sur un trait fort connu de la vie de Ninon de L’Enclos. On doute qu’elle passe à la police, quoiqu’il ait substitué un marguillier au grand-pénitencier.

6. — Instructions du gardien des Capucins de Raguse à frère Pediculoso, partant pour la Terre-Sainte. Tel est le titre d’un pamphlet de M. de Voltaire, qui n’a rien de nouveau que le nom et la tournure vive et piquante sous laquelle il résume en vingt paragraphes, d’une manière énergique et serrée, les absurdités, les horreurs et les infamies sans nombre dont il prétend que fourmillent les deux Testamens.

Dans un autre, qu’il appelle Tout en Dieu, et qu’il donne pour un Commentaire sur Malebranche, après avoir développé les lois de la nature, le mécanisme des sens, celui de nos idées, il prouve que Dieu fait tout ; que toute action est de Dieu ; qu’il est inséparable de toute la nature ; et son résultat est que le système du Père de l’Oratoire n’est autre chose que le matérialisme, si conforme au bon sens et à la plus saine métaphysique. Il y a une érudition singulière dans ce petit ouvrage, qu’il plaît à l’auteur d’attribuer à M. l’abbé de Tilladet.

7. — Le Dépositaire, la nouvelle comédie en cinq actes, de M. de Voltaire, a été lue, il y a quelque temps, par le sieur Molé, à l’assemblée des Comédiens, sans qu’ils sussent quel en était l’auteur. Elle leur a paru si bassement intriguée, si platement écrite, qu’elle a été refusée généralement, et que plusieurs se sont permis des réflexions plaisantes. L’un voulait la faire jouer chez Nicolet, l’autre aux Capucins, etc. L’aréopage a été confondu, quand le lecteur leur a appris quel en était l’auteur : par respect pour ce grand homme, ils ont déclaré qu’ils la joueraient s’il l’exigeait ; mais ils ont persisté à la trouver détestable, et les amis de M. de Voltaire l’ont retirée.

9. — Dialogues sur le commerce des blés. Londres (Paris, Merlin) 1770, in-8°. On voit que la Pluralité des Mondes a servi de modèle à cet ouvrage ; mais celui-ci surpasse l’autre de bien loin. L’auteur y discute avec une finesse, une sagacité merveilleuse les questions les plus abstraites de l’économie politique. Il répand sur ces matières des vues lumineuses et profondes, qu’il sait concilier avec toute la gaieté vive et brillante de l’homme du monde le plus frivole. Ses transitions sont heureuses, ses tournures vives et piquantes : il se joue de la matière et prouve très-bien qu’en fait d’administration, comme dans tout le reste, on peut, avec de l’esprit, soutenir également le pour et le contre que ce n’est point par les principes d’une philosophie pédantesque et exclusive qu’on gouverne les États, et que le meilleur législateur est celui qui s’accommode aux temps, aux lieux, aux circonstances, et dont la sagesse versatile au gré des événemens sait se soumettre aux choses, et non vouloir soumettre les choses à elle-même. Il paraît que ce traité est spécialement dirigé contre les économistes, dont l’écrivain adopte quelques idées, mais rejette l’esprit systématique. Il applaudit à la bonté de leur cœur, à l’honnêteté de leurs motifs ; mais il couvre d’un ridicule indélébile cette complaisance pour eux-mêmes, ce mépris injurieux pour leurs adversaires, qui règnent dans tous leurs ouvrages. Ces messieurs sont vivement affectés de ces Dialogues écrits en style socratique, c’est-à-dire dont l’ironie fait la figure dominante. Ils se disposent à répondre, mais on doute qu’ils le fassent avec succès. M. l’abbé Galiani, secrétaire d’ambassade de Naples, est l’auteur des Dialogues en question.


9. — À M. l’abbé Delille,
Auteur de la Traduction des Georgiques.

Jusqu’ici j’ai peu su la cause
Qui reproduit cet univers ;
Mais depuis que j’ai lu tes vers
Je crois à la métempsycose :
Delille est un nom supposé ;
Je reconnais dans ton langage
Virgile même francisé
Qui nous traduit son propre ouvrage.

Par un Ecolier.

Telle est la manière dont M. de La Harpe, petit compagnon travaillant au Mercure, sous le sieur Lacombe, à présenté cette pièce dans le volume de ce mois, quoiqu’il sût très-bien qu’elle était de M. Dorat. Cette petite niche a vivement piqué ce dernier, et cela forme entre ces deux messieurs une guerre poétique qui amuse les spectateurs.

10. — M. Coqueley de Chaussepierre, avocat plus renommé par ses bouffonneries que par son éloquence, vient de lancer dans le public un persiflage contre ces drames monstrueux si à la mode aujourd’hui, péchant également contre le bon sens et contre la nature. Il a fait un poëme en quatre chants, intitulé le Roué Vertueux, dans lequel, après avoir conduit son héros à travers les aventures les plus merveilleuses, les plus compliquées et les plus noires, il le fait arriver à une catastrophe proportionnée aux horreurs qui la préparent. Tout cela est indiqué dans quelques argumens, et le dialogue n’est autre chose que des exclamations vagues, et sans ordre, et sans aucun sens, entremêlés d’une immensité de points et d’énormes lacunes indiquant les réticences. Chaque chant, ou acte, est précédé d’une magnifique estampe qui représente la principale scène du moment. Le tout est accompagné des ornemens typographiques sous lesquels nos auteurs modernes cachent leurs haillons et leur misère.

11. — Entre tous les quolibets qu’a fait enfanter M. l’abbé Terray, le meilleur sans contredit est celui qu’on attribue à M. le duc de Noailles, depuis long-temps en possession d’en dire d’excellens sous le nom du duc d’Ayen, et qui n’a pas dégénéré. On criait à Versailles les nouveaux arrêts du Conseil, quoique ce ne fût pas l’usage autrefois ; mais cela se pratique aujourd’hui. Le roi, peu accoutumé à ces clameurs, demanda ce que c’était « C’est, lui dit le duc de Noailles, la grace de Billard qu’on crie. »

12. — Les Comédiens Français se disposent à remettre au théâtre Athalie, avec les chœurs et toute la pompe du spectacle[90]. L’abbé Gauzergue, musicien estimé pour la musique d’église, est chargé de refaire celle de cette tragédie. On doit commencer les répétitions dès ce carême, et l’exécution doit s’en faire à Versailles dans nouvelle salle, pour le mariage de M. le Dauphin.

13. — Une jeune personne ayant écrit en vers à M. de Voltaire, ce patriarche du Parnasse, reprenant sa lyre a répondu par ceux-ci :

Ancien disciple d’Apollon,
J’étais sur le bord du Cocyte,
Lorsque le dieu de l’Hélicon
Dit à sa muse favorite :
Écrivez à ce vieux barbon.
Elle écrivit je ressuscite[91].

14. — M. Luneau de Boisjermain, dont on a rapporté la première contestation avec les libraires, vient de gagner contre eux en la chambre de police du Châtelet. La saisie faite sur lui a été déclarée irrégulière et nulle. En conséquence ses adversaires sont condamnés envers lui à cent écus de dommages et intérêts, mais on a ordonné en même temps la suppression des expressions injurieuses du Mémoire de Me Linguet. Reste à juger l’incident, plus grave que le fonds, puisqu’il ne s’agit de rien moins que d’une action criminelle intentée par les libraires associés à l’Encyclopédie contre M. Luneau de Boisjermain, comme auteur d’imputations qui réunissent tous les caractères de la diffamation la plus répréhensible, à l’occasion d’exactions dont il les accuse, relativement aux souscripteurs de ce dictionnaire. Ce second procès est pendant par-devant M. le lieutenant criminel du Châtelet.

Au surplus, les libraires, quelque chose qui arrive, ne tendent à rien moins qu’à ruiner ce malheureux auteur, par une manœuvre à laquelle il lui est presque impossible de se soustraire sans les secours les plus pressans ; ils achètent toutes les créances qui se trouvent contre lui à Paris, et profitent de ces titres pour le traiter de Turc à Maure, et renverser de fond en comble l’édifice très-chancelant de sa fortune.

15. — M. l’abbé Galiani, auteur des Dialogues le commerce des blés, dont on a parlé[92], n’est plus secrétaire d’ambassade de Naples. On prétend que le ministre, fatigué des lazzis continuels de cet abbé, d’une politique très-plaisante, sur le gouvernement, l’a obligé de retourner en Italie, en lui déclarant qu’il n’avait rien à craindre du ressentiment de la France, et même en le pensionnant.

16. — On assure que M. de Belloy, qui se brouille et se raccommode avec les Comédiens, avec une facilité merveilleuse, leur a permis de jouer ses pièces nouvellement imprimées, dont la barbarie du style a éloigné la plupart des lecteurs, et qu’on assure pouvoir mieux réussir à la représentation.

17. — Le sieur Paulin, acteur de la Comédie Française, est mort il y a quelque temps. C’était un médiocre acteur pour le tragique. Dans le comique il faisait assez bien les rôles de paysan. On a su à sa mort qu’il avait été bas-officier des Invalides. En conséquence il a joui d’un honneur singulier pour un comédien, et a eu l’épée croisée sur son cercueil.

18. — Les Comédiens Italiens ont affiché pour demain la première représentation de Sylvain, comédie en un acte et en vers, mêlée d’ariettes. On annonce depuis long-temps, avec les plus grands éloges, ce drame, dont la musique est du sieur Grétry. L’auteur des paroles est M. Marmontel. Il est assez plaisant de voir le grave auteur de Bélisaire, après s’être consacré dans sa jeunesse à faire hurler Melpomène sur le Théâtre Français, se livrer sur ses vieux jours à l’opéra comique. Il est vrai qu’on prétend qu’il n’est que le prête-nom de ce nouvel ouvrage, ainsi que de Lucile, dont les paroles passent pour appartenir constamment à M. le duc de Nivernois.

19. — Il se répand un nouveau livre en deux volumes in-8°, petit caractère, qui a pour titre : le Système de la Nature, par M. de Mirabaud, secrétaire perpétuel de l’Académie Française. Ce traité, extrêmement proscrit, est l’athéisme prétendu démontré. Ceux qui l’ont lu le trouvent fort inférieur à la Lettre de Thrasibule à Leucippe, qu’on sait avoir le même objet pour but. Les gens religieux gémissent de voir avec quelle audace et quelle profusion on répand aujourd’hui ces abominables systèmes qui du moins, autrefois, restaient consignés dans des manuscrits poudreux et n’étaient connus que des savans.

21. — Il y a quelque temps qu’une novice du couvent de l’Assomption, à la veille de prononcer ses derniers vœux, se pendit en présence de ses père et mère, obstinés à forcer sa vocation ; du moins le fait a passé pour constant. M. de La Harpe, voyant que la nation se familiarisait insensiblement avec toutes les horreurs, a fait de celle-ci un drame en trois actes, intitulé Mélanie ou la Religieuse. Comme une pareille pièce ne pouvait être jouée sur le théâtre de Paris, l’auteur a eu recours à la protection de M. le duc de Choiseul pour la faire imprimer. Ce ministre lui a répondu par une lettre obligeante et ingénieuse : il s’y défend de lui accorder la grâce demandée, qui dépend de M. le chancelier ; mais il lui marque en même temps qu’il se retient pour son libraire, et lui envoie en conséquence mille écus à compte sur l’édition.

22. — La tragédie de Gaston et Bayard, de M. de Belloy, a été jouée deux fois la semaine dernière à Versailles sur le théâtre de la ville ; elle n’a pas reçu l’accueil que l’auteur s’en promettait. Il attribue la froideur du public au mauvais jeu des acteurs, et ceux-ci prétendent qu’on ne peut pas déclamer ses vers tudesques. On sera à même d’en juger à Paris : les Comédiens Français ont reçu ordre d’exécuter cette pièce, et c’est la dernière semaine avant Pâques qu’ils doivent la donner au public. Il paraît qu’en général on préfère de beaucoup la Gabrielle de Vergy du même auteur qu’on trouve mieux écrite, mais que les connaisseurs regardent pourtant comme beaucoup moins tragique que le Fayel du sieur D’Arnaud. Le caractère de ce dernier est infiniment plus théâtral, et produit une jalousie plus prononcée pendant toute la pièce.

23. — On continue les quolibets : on dit que M. l’abbé Terray est sans Foi, qu’il nous ôte l’Éspérance et nous réduit à la Charité.

M. l’abbé Terray, malgré les soins du ministère, a aussi des saillies. On raconte qu’un coryphée de l’Opéra pour le chant, pensionnaire du roi, ayant été solliciter le contrôleur-général pour son paiement, il lui avait répondu qu’il fallait attendre ; qu’il était juste de payer ceux qui pleuraient avant ceux qui chantaient.

24. — C’est une fureur pour entendre la lecture de la tragédie de M. de La Harpe, intitulée la Religieuse. On s’arrache cet auteur ; il ne peut suffire aux dîners ou soupers auxquels on l’invite, et dont ce drame fait toujours le meilleur plat. On assure qu’il est très-bien fait, et qu’on ne peut se refuser à s’attendrir jusqu’aux larmes à cette lecture intéressante. Les acteurs sont le père, la mère, la religieuse, l’amant et le curé. Quoi qu’il en soit, ces éloges de coterie sont toujours suspects, et d’ailleurs M. de Fontanelle a devancé cet auteur pour l’invention, dans sa tragédie de la Vestale[93], même sujet que celui-là, traité d’une façon plus décente et plus susceptible d’être adapté au théâtre.

25. — La Comédie Française doit donner sur le théâtre de la cour, aux fêtes du mariage de M. le Dauphin, outre Athalie, dont on a parlé[94], la comédie de l’Inconnu, de Thomas Corneille, pièce en cinq actes, avec spectacle et divertissemens. C’est encore l’abbé Gauzergue qui doit en refaire la musique. L’Opéra exécutera Castor et Pollux et Persée. Ce dernier a été réduit en quatre actes, et c’est M. Joliveau, ci-devant secrétaire perpétuel de l’Académie royale de Musique, aujourd’hui l’un de ses directeurs, qui s’est chargé du soin de réformer le poëme de l’immortel Quinault. On se doute bien que la musique de Lulli ne point épargnée, et qu’il faudra renforcer de toutes parts cet ouvrage tombé en vétusté[95]. On a déjà fait sur le théâtre des Menus-Plaisirs quelques répétitions de ce dernier opéra.

26. — Si l’on est mécontent de la nouvelle salle de l’Opéra, les curieux vont s’en dédommager en foule à Versailles et y admirer la magnifique salle qu’on vient d’y construire. Indépendamment du beau coup d’œil qu’elle présente, de sa coupe avantageuse et de la magnificence de son ensemble, le mécanisme de son intérieur offre des détails immenses et admirables à ceux qui s’y connaissent. On peut en faire également et promptement une salle de spectacle, une salle de banquet royal et une salle de bal. Le roi veut que cela ait lieu dès le premier jour. Toute cette partie du travail appartient au sieur Arnould, cidevant machiniste de l’Opéra, mais qui malheureusement trop occupé de la salle de Versailles n’a pu donner ses lumières pour celle de Paris, qui ne se ressent que trop de son absence.

27. — Il y a quelques jours que le sieur Dalainville, frère du sieur Molé, faisait le rôle de Gustave à la Comédie Française ; dès le commencement de la pièce le parterre témoigna son indisposition si fortement, et cette rumeur générale s’accrut à tel point, que l’acteur ne put continuer son rôle ; en vain l’on arrêta quelques mutins, le déchaînement ne fit qu’augmenter, et l’on fut obligé d’interrompre la pièce. On a découvert depuis que ces mouvemens tumultueux étaient la suite d’une cabale excitée par le nommé Chevalier, acteur du même théâtre, qui, jaloux des médiocres talens de Dalainville et du crédit qu’il pourrait acquérir dans la troupe à la faveur de Molé, son frère, avait redoublé d’efforts pour dégoûter le public. Ce fait bien constaté dans l’assemblée des Comédiens, il en a été rendu compte aux gentilshommes de la chambre, et Chevalier a été expulsé ignominieusement. Quant à Dalainville, fortement touché de l’humiliation qu’il avait reçue, il est parti sur-le-champ en poste pour retourner à Lyon dont il faisait les délices. Il est certain que la perte n’est pas grande, et que ce n’aurait jamais été qu’un acteur médiocre. Avant de partir, et dans le moment même du tumulte, on assure qu’instruit qu’il y avait au corps-de-garde quatre séditieux arrêtés, sur le point d’être conduits en prison, il a eu recours au sergent-major, et a supplié qu’on les élargît, ce qu’il a obtenu.

Messieurs les chanoines de l’église de Paris, en reconnaissant dans M. l’abbé Bergier, leur nouveau confrère, toutes les qualités d’un bon prêtre, se plaignent qu’il ne soit pas un homme de ce monde, et qu’il n’ait rien de ce liant, de cette aménité qui constituent les agrémens de la société. Sans discuter ce que peuvent valoir reproches, on se contentera de dire que M. l’archevêque de Paris ne tardera pas à mettre en œuvre ce savant laborieux. On présume que le projet du prélat est de s’en servir pour proscrire successivement et en détail cette multitude de livres impies dont les presses étrangères nous inondent sans interruption, et par des mandemens, forts de preuves et de raisonnemens, repousser les attaques des incrédules et défendre la foi des fidèles, malheureusement trop ébranlée. M. Bergier a déjà montré ses talens pour ce genre de combat contre M. de Voltaire[96], et les secours qu’il trouvera dans la capitale ne serviront qu’à le rendre plus propre à soutenir la belle cause qu’il défend.


1er Mars. — Les écrits pour et contre la Compagnie des Indes ne sont pas encore taris. Il paraît une brochure in-4°, de dix pages, intitulée Lettre d’un cultivateur à son ami sur la Compagnie des Indes. Le résultat de ces réflexions sensées, mais peu neuves, est que l’auteur s’étonne qu’il y ait des êtres pensans et raisonnans qui puissent proposer à l’État de sacrifier soixante millions pour une Compagnie qui, loin d’avoir apporté jusqu’ici un sou de bénéfice au royaume, lui a souvent occasioné guerres ruineuses ; qui ne profite en rien, diminue successivement, et par la situation actuelle de l’Inde est menacée d’un épuisement plus sensible que jamais. On voit par cet exposé, que l’écrivain est un partisan de l’abbé Morellet, qui, cette fois, s’est déguisé sous le nom d’un cultivateur ; il ne raisonne pas mieux que lui, et le simple habitant de la campagne substitue au bon sens qu’il devrait avoir, tout le sophisme d’un rhéteur.

2. — M. de Voltaire, pour préliminaire de la farce spirituelle qu’il se propose de jouer vraisemblablement pour la troisième fois à Pâques prochain, vient de se faire nommer Père temporel des Capucins de la province de Gex. Ces bons Pères, qu’il a tant bafoués et sous le nom desquels il a fait paraître tant de brochures impies et scandaleuses, sont aujourd’hui sous sa protection. On sait que le devoir de cette place est de soutenir l’Ordre, de le défendre. En conséquence, il sollicite ordinairement les plus grands seigneurs de vouloir bien l’accepter. M. le comte d’Argenson était Père temporel des Capucins de la province de France, et M. le marquis de Voyer, son fils, a bien voulu le remplacer. Le patriarche de la littérature vient d’apprendre la nouvelle en question à plusieurs de ses amis, et il en rit dans différentes lettres, où il en parle avec cette grâce et cette légèreté qui lui sont propres.

3. — Le vauxhall des Champs-Elysées, ce vaste monument qui a essuyé tant de contradictions, repris et interrompu plusieurs fois, vient de reprendre enfin une nouvelle activité, au moyen d’autres souscripteurs, que les entrepreneurs ont persuadés de la majesté, de l’utilité et de la sûreté de leur projet. On espère toujours que Colysée sera fini pour le mariage de M. le Dauphin, et que la Ville y donnera des fêtes à cette occasion.

Le peu de succès de celui de la Foire Saint-Germain expose les entrepreneurs à perdre la plus grande partie de leurs fonds ; mais le Gouvernement, qui sent les avantages et la douceur, pour le public, de ces voluptueux établissemens, pour encourager les auteurs, accorde à ceux-ci toutes les facultés possibles, afin de ramener les amateurs refroidis. Ils ont imaginé une loterie, qui a commencé avant-hier. Au billet que l’on donne à la porte pour y entrer, et qui ne coûte qu’un écu, comme à l’ordinaire, on joint un numéro, jusqu’à la quantité de douze cents. Ces numéros auront part à un tirage, et concourront à la distribution de douze lots en bijoux, de la valeur totale de six cents livres, qu’on paiera en argent à ceux qui l’exigeront. Cette loterie doit se tirer à une heure fixe, quelque nombre qu’il y en ait en diminution et sans qu’il puisse jamais excéder celui de douze cents. Deux enfans feront le tirage en présence des spectateurs, et cette amusette sera un nouveau véhicule pour attirer les assistans, qu’elle occupera.

5. — M. l’archevêque de Reims, président de l’assemblée du clergé, poussé par les prélats ses confrères, n’a pu s’empêcher de témoigner au roi la douleur du corps épiscopal, de voir, au moment où il allait s’assembler, élever sous ses yeux, dans la capitale de la France, un monument à l’erreur et à l’irréligion, par la nouvelle édition qui s’y faisait du Dictionnaire Encyclopédique, ouvrage contre lequel il avait toujours réclamé et anathématisé de tant de censures canoniques. La religion de Sa Majesté ne lui a pas permis de refuser au clergé la justice qu’il demandait. En conséquence, la nouvelle édition de ce Dictionnaire est arrêtée, et M. le comte de Saint-Florentin a fait déposer à la Bastille tous les exemplaires des trois premiers volumes de ce livre déjà imprimés. On se flatte qu’après la dissolution de l’assemblée l’édition se reprendra, et l’on le présume par l’attention avec laquelle on conserve ce qui en est fait, et qu’on aurait dû brûler avec authenticité, si l’on eût voulu donner sérieusement satisfaction aux évêques.

7. — M. de Pompignan, évêque du Puy, répand depuis quelque temps un gros livre[97], servant d’apologie aux derniers actes du clergé, qu’il ne pourra défendre contre la poussière et les vers, les seuls ennemis que cet ouvrage ait à combattre aujourd’hui. Quoi qu’il en soit ce prélat veut leur rendre une nouvelle existence, et dans ce livre il établit contradictoirement à ce qui fut dit dans le temps, lors de leurs dénonciation et proscription par le Parlement : 1° que les assemblées du clergé de France ne sont pas seulement des assemblées temporelles destinées à satisfaire aux demandes d’argent du souverain, à l’assiette et à la répartition du don gratuit ; qu’elles on encore, et ont toujours eu pour objet, de traiter toutes les matières de doctrine ou de discipline, que les évêques jugent à propos d’y agiter ; 2° que les magistrats ne sont nullement dans le cas de se mêler des refus de sacremens ; qu’ils ne pouvaient en connaître qu’à raison du déshonneur dans l’ordre civil, qui en résulterait pour la réputation de l’excommunié ; mais que cette tache est une tache invisible et purement spirituelle, qui ne s’imprime que sur l’âme du pécheur et ne flétrit en rien l’état et l’existence légale du citoyen ; 3° que ce passage de saint-Paul : omnis potestas à Deo ordinata est, a été catégoriquement interprété auxdits actes ; que c’est le sens véritable de l’Apôtre et de l’Église ; et, par une rencontre assez bizarre, il se trouve que le prélat est d’accord avec les encyclopédistes[98]. Cet ouvrage, très-susceptible de la flétrissure du Parlement, lui sera vraisemblablement dénoncé et pourrait faire quelque peine à son auteur, n’avait eu la prudence de n’y pas mettre son nom. On croit que pour donner plus d’éclat à cette proscription, la cour n’en connaîtra qu’en présence de l’assemblée de nosseigneurs du clergé.

8. — Il y a dans Paris une petite rue, près la place des Victoires, qu’on appelle la rue Vide-Gousset ; un de ces jours on a trouvé ce nom effacé, et l’on y avait substitué : rue Terray.

On voit des pasquinades de différentes espèces, entre autres une caricature représentant un lièvre avec un cordon bleu, après lequel court un lévrier traînant une canne à bec-de-corbin. Sur le plan de derrière est un homme en simarre, avec un fusil à deux coups, qui paraît viser le premier et attendre successivement le second.


On a frappé aussi une estampe, où l’on remarque les fermiers-généraux à genoux, et M. l’abbé Terray qui leur donne des cendres, avec cette inscription au bas : Memento homo, quia pulvis es, et in pulverem reverteris.

9. — Vers à madame la comtesse Du Barry,
À l’occasion de sa division avec M. le duc de Choiseul[99].

Déesse des plaisirs, tendre mère des Grâces,
Pourquoi veux-tu mêler aux fêtes de Paphos
PourLes noirs soupçons, les honteuses disgrâces ?
Ah ! pourquoi méditer la perte d’un héros !
Ah ! Ulysse est cher à la patrie,
Ah ! Il est l’appui d’Agamemnon :
Sa politesse active et son vaste génie

Enchaînent la valeur de la fière Ilion.
EnchSoumets les dieux à ton empire ;
Vénus sur tous les cœurs règne par la beauté :
EnchCueille, dans un riant délire,
EnchLes roses de la volupté ;
EnchMais à nos vœux daigne sourire,
EnEt rends le calme à Neptune agité.
Ulysse, ce mortel aux Troyens formidable,
EnchQue tu poursuis dans ton courroux,
EnchPour la beauté n’est redoutable
EnchQu’en soupirant à ses genoux.

10. — On a appris que M. l’abbé Chappe d’Auteroche de l’Académie des Sciences, connu par ses travaux astronomiques, est mort en arrivant en Californie pour y observer le dernier passage de Vénus sur le soleil.

— Sur l’associataon de M. le chancelier avec M. le controleur-général.

Maupeou, que le ciel en colère
Nomma pour organe des lois,
Maupeou, plus fourbe que son père,
Et plus scélérat mille fois,
Pour cimenter notre misère,
De Terray vient de faire choix.
Le traître voulait un complice :
Mais il trouvera son supplice
Dans le cœur de l’abbé sournois.

— Le sieur Luneau de Boisjermain, que les libraires associés à l’impression du Dictionnaire Encyclopédique ont attaqué au criminel, comme auteur de diffamation et de calomnie à leur égard, vient d’opposer à leur Mémoire un Mémoire à consulter, et une Consultation signée de sept jurisconsultes. Cette affaire, devenue très-grave est trop avancée pour qu’on puisse reculer de part ou d’autre.

12. — On vient d’imprimer, très-furtivement sans doute, in-4°, ayant pour titre : Procédure de Bretagne, ou Procès extraordinairement instruit et jugé, au sujet d’assemblées illicites, discours injurieux, subornation de témoins, complot de poison et incident de calomnie. C’est le recueil de toutes les pièces relatives à ce qui s’est passé dans cette province depuis la publication du fameux Tableau des assemblées secrètes et fréquentes des Jésuites et leurs affiliés, à Rennes[100], qui parut à Paris au mois de novembre 1766, qu’un ministre fit passer au sieur Flesselles, alors intendant de Rennes, avec ordre de la part de Sa Majesté de vérifier les faits, et qui provoqua enfin, le 27 mai 1767, une dénonciation en règle de M. le Prêtre de Châteaugiron, second avocat-général.

L’ouvrage est précédé d’un discours préliminaire, où le duc d’Aiguillon est représenté comme « l’enuemi implacable, l’instigateur et presque le bourreau de six exilés, un sujet indigne de la confiance de son prince, un chef de conjurés, un suborneur de témoins, le fauteur d’un Projet d’empoisonnement[101], le complice et peut-être même le premier auteur de ces crimes ». Tel est l’effroyable portrait par lequel on débute, et qui ne peut avoir été tracé que par une plume très-hardie.

12. — Madame la duchesse de Villeroi, très-renommée par son goût pour les fêtes et pour les spectacles, et d’ailleurs à même d’influer grandement dans cette partie, étant sœur de M. le duc d’Aumont, premier gentilhomme de la chambre, a fait préparer une espèce d’opéra à machines, intitulé : la Tour enchantée, qu’elle compte faire exécuter pour le mariage de M. le Dauphin. Elle a extrêmement à cœur de faire réussir ce spectacle, pour lequel elle se donne beaucoup de soins et entre dans les plus petits détails. On ne doute pas de la beauté, de la magnificence et du génie qui régneront dans cet ouvrage presque tout entier de féerie. On croit que c’est M. de Sauvigny qui, inspiré par cette Muse, a composé les paroles du poëme, la moindre chose de cette composition à grandes machines.

14. — M. Dupuy Demportes, auteur plus fécond que précieux de différentes pièces de littérature, vient de mourir. Il a écrit aussi sur la politique et sur quelques autres sciences.

17. — M. Dorat, qui a une dent contre M. de La Harpe au sujet de la petite niche qu’il lui a faite, et dont on a rendu compte[102], n’a pas manqué de saisir l’occasion de la publicité du drame de Mélanie, pour mordre son cher confrère et se venger délicieusement. Il lui a adressé une Épître en vers sous le nom du curé de Saint-Jean-de-Latran, bien amère, bien dure, bien méchante et qui fait un éclat du diable.

18. — Trois économistes à la fois se sont réunis contre M. l’abbé Galiani, et dissèquent ses Dialogues commerce des blés. Outre M. de La Rivière qui traite la matière[103] avec toute la gravité, tout le pédantisme magistral, M. l’abbé Baudeau, prévôt mitré de Wydzynisky, vient d’adresser deux Lettres[104] à ce persifleur sur le même ton, et lui promet d’en faire paraître successivement quelques autres ; enfin M. l’abbé Roubaud donne un échantillon d’un ouvrage qu’il croit devoir opposer à l’ennemi commun, dans deux Lettres[105] en réponse aux deux premiers dialogues du livre, où il emploie un ton aigre-doux, espèce de mélange des deux manières de ses collègues. Si cette conjuration, cette ligue de tant de raisonneurs fait présumer mal des systèmes du plaisant Italien, au moins fait-elle honneur à son attaque, puisque ces messieurs ne dédaignent pas d’entrer en lice contre lui, et ne se croient pas déshonorés de se mettre trois contre un. Malheureusement, le livre de l’abbé Galiani jouit d’une fortune singulière ; il fait l’amusement général ; il gagne d’autant sur l’opinion ; et ceux de ces messieurs restent concentrés entre le petit nombre des philosophes sévères, leurs amis, leurs partisans et leurs admirateurs.

20. — L’affaire singulière dont on a parlé dans son origine[106], entre le sieur Mouton, élève de l’Académie de Peinture à Rome, et le sieur Natoire, directeur de cette école, était pendante depuis long-temps au Châlelet. Le temps nécessaire pour avoir les certificats et pièces justificatives pour établir les preuves auxquelles le sieur Mouton avait été admis, avait allongé de beaucoup cette contestation. Les juges viennent enfin de prononcer en première instance. Le sieur Natoire est condamné envers le sieur Mouton à vingt mille livres de dommages et intérêts, à tous les frais et dépens. Permis au sieur Mouton de faire afficher un certain nombre d’exemplaires imprimés de la sentence, tant à Paris qu’à Rome, aux frais et dépens du sieur Natoire.


21. — Le sieur Duclos, de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres et de l’Académie Française, est connu pour être extrêmement lié avec MM. de La Chalotais. On a parlé, dans le temps, de la chaleur qu’il mettait à défendre en public ces procureurs-généraux, et des craintes qu’il avait inspirées à ses amis par ce zèle inconsidéré. Il est parti depuis peu subitement pour se rendre à Saintes ; lieu de l’exil des magistrats. On croit que M. le chancelier a voulu employer cette dernière ressource pour négocier avec MM. de La Chalotais, et les séduire, s’il est possible. Comme le sieur Duclos est un homme sans conséquence, en cas de refus M. le chancelier prétend qu’il ne sera pas compromis. Ceux qui connaissent le négociateur, peuvent juger par là de l’embarras où se trouve le chef de la magistrature, pour avoir recours à cet homme turbulent, plus propre à brouiller qu’à pacifier, et dont le caractère n’annonce aucune des qualités nécessaires à une négociation aussi délicate.

22. — On prétend que M. de La Chalotais, prévenu de l’arrivée du sieur Duclos, lui a demandé, dès le premier instant qu’il l’a vu, s’il venait le voir comme son ami ou comme son tentateur ; qu’en la première qualité, il serait le très-bien venu et pouvait rester ; qu’en la seconde, il ne voulait ni ne pouvait l’écouter. Sur quoi la franchise de l’Académicien ne lui a pas permis de dissimuler qu’il était chargé de le solliciter de la part de la cour, et de lui détailler les propositions qu’il avait à lui faire d’après les instructions de M. le chancelier. À quoi M. de La Chalotais ayant absolument fermé l’oreille, le négociateur était reparti, comme l’huissier de Rennes, qu’on eût ouvert les paquets.

25. — M. l’abbé Trublet, archidiacre de Saint-Malo, vient d’y mourir le 14 de ce mois, après avoir langui plusieurs années. Il était de l’Académie Française, où il avait brigué une place pendant long-temps. Tout son mérite consistait dans une grande vénération pour Fontenelle et Pour Lamotte. Il avait fait plusieurs rapsodies, qui avaient donné lieu à ce vers caractéristique de M. de Voltaire :

Il compilait, compilait, compilait.

Ce vers l’avait rendu plus célèbre que ses œuvres.

— La pièce de Gabrielle de Vergy, du sieur de Belloy, a été jouée sur le théâtre de Versailles après celle de Gaston et Bayard, et n’a pas eu plus de succès. La première tragédie n’avait pas excité l’admiration que l’auteur comptait arracher par le sublime qu’il a prodigué jusqu’au galimatias, et celle-ci n’a pas fait couler les larmes délicieuses qu’il espérait obtenir à la faveur du pathétique doucereux et fade, soutenu par un style lâche, diffus, traînant et prosaïque. Le public perd l’espoir de voir jouer Gaston et Bayard avant Pâques sur le théâtre de Paris, comme on l’avait annoncé ; le sieur Le Kain est malade. Les partisans du sieur de Belloy prétendent que c’est un prétexte pour ne pas représenter les pièces de cet auteur, auquel il a voué une haine immortelle.

26. — On prétend que l’auteur du placard affiché à la porte du contrôle-général, où il était écrit : « Ici l’on joue au noble jeu de billard » a été arrêté, et que, pour entrer dans les vues de douceur et d’indulgence de M. l’abbé Terray, on lui en a rendu compte, mais que ce ministre avait décidé qu’il fallait le laisser à la Bastille jusqu’à ce que la partie fût finie.

28. — M. Ripert de Monclar, procureur-général du Parlement de Provence, avait fait un Mémoire pour le procureur-général de Provence, servant à établir la souveraineté du roi sur Avignon et le comtat Venaissin. Ce Mémoire était imprimé à Paris, et il en avait déjà transpiré quelques exemplaires : mais le Saint-Père, instruit de l’existence de cet écrit, a demandé, vraisemblablement, qu’il ne soit pas répandu, et M. le duc de Choiseul en a fait porter toute l’édition au Louvre. Ce ministre a tellement à cœur de donner cette satisfaction à Sa Sainteté, que M. Caperonnier, de la Bibliothèque du Roi, en ayant demandé un exemplaire pour y être déposé, M. le duc de Choiseul lui a répondu que cela ne serait point. Ceux qui ont lu cet écrit assurent que c’est un détail très-circonstancié de toutes les manœuvres des papes pour extorquer ces domaines, et qu’on y dévoile des mystères d’iniquité qu’il est de l’intérêt du Saint-Siège de laisser dans les ténèbres. Le fonds est, au surplus, soutenu de toute force d’un style plein et vigoureux ; ce qui rend le Mémoire très-précieux par lui-même, indépendamment de sa rareté.

30. — On a trouvé, ces jours derniers, affiché à la chapelle de l’abbé Grisel, à Notre-Dame[107], un ecriteau portant ces mots : « Relâche au théâtre. » Ce quolibet sacrilège a fait frémir les premières dévotes qui l’ont lu : on en a instruit le Chapitre, qui a fait arracher l’écriteau, et on l’a déposé au greffe du bailliage, sans autre formalité.

31. Stances de M. de Voltaire à un ami[108],
Sur sa nomination à la dignité de Père temporel des Capucins du pays de Gex, et sur la lettre d’affiliation à cet Ordre, qui lui a été écrite par le Général.

Il est vrai, je suis Capucin,
C’est sur quoi mon salut se fonde.
Je ne veux pas, dans mon déclin,
Finir comme les gens du monde.

Mon malheur est de n’avoir plus,
Dans mes nuits ces bonnes fortunes,
Ces nobles grâces des élus,
Chez mes confrères si communes.

Je ne suis point frère Frappart,
Confessant sœur Luce ou sœur Nice ;
Je ne porte point le cilice
De saint Grisel, de saint Billard.

J’achève doucement ma vie :
Je suis prêt à partir demain,
En communiant de la main
Du bon curé de Mélanie.


Dès que Monsieur l’abbé Terray
À su ma capucinerie,
De mes biens il m’a délivré :
Que servent-ils dans l’autre vie ?

J’aime fort cet arrangement,
Il est leste et plein de prudence.

Plût à Dieu qu’il en fît autant
À tous les moines de la France !


3 Avril. — M. Saurin, de l’Académie Française, ayant adressé à M. de La Harpe des vers extrêmement fades et doucereux sur sa Mélanie, un inconnu a parodié ces vers, et s’est servi des mêmes rimes pour présenter l’inverse des mêmes pensées.


Vers de M. Saurin.

Pour la sixième fois, en pleurant Mélanie,
Mon admiration se mêle à ma douleur :
Ton drame si touchant, tes vers pleins d’harmonie,
Retentissent encor dans le fond de mon cœur.
RetePoursuis ta brillante carrière :
Appelé par la gloire, on t’y verra voler.
Tu nous consoleras quelque jour de Voltaire,
Si quelqu’un toutefois peut nous en consoler.


Parodie.

J’ai lu plus d’une fois ta triste Mélanie,
Et je n’ai ressenti ni trouble ni douleur :
De tes vers si corrects la pesante harmonie
À frappé mon oreille et non touché mon cœur.
ReteEn vain tu poursuis ta carrière :
Sans ailes à la gloire on ne peut pas voler.
Nous pleurerons long-temps la perte de Voltaire,
S’il ne reste que toi pour nous en consoler.


4. — Mademoiselle Dumesnil a toujours été en possession de jouer le rôle d’Athalie : par une injustice criante, on le défère aujourd’hui à mademoiselle Clairon, qui doit reparaître à la cour dans cette tragédie où elle n’a jamais représenté. Le public est d’autant plus scandalisé de cette préférence, que la première actrice n’a jamais eu aucune insolence à l’égard de ses camarades, ni envers lui. D’ailleurs, le droit d’ancienneté, son mérite personnel, son jeu sublime, tout paraissait devoir lui assurer cet honneur et ce droit.

5. — M. le duc d’Aiguillon se trouvant chez le roi, prétend que Sa Majesté parut inquiète de sa santé, lui demanda s’il ne se portait pas bien, et remarqua qu’il lui paraissait jaune. On assure que le duc de Noailles, en possession de tout sacrifier à ses bons mots, dit : « Ah ! Sire, Votre Majesté voit toujours les gens bien favorablement, car le public le trouve bien noir. »

6. — Le sieur Darigrand est un avocat fort renommé dans son genre. Il s’est spécialement voué aux affaires qui intéressent les droits du roi, et c’est le fléau des fermiers-généraux[109]. Comme il a été anciennement à leur service, il connaît tous les détours, tous les subterfuges, toutes les vexations du métier. Ce zèle infatigable à combattre les traitans lui a fait beaucoup d’ennemis. Enfin il a été déféré à l’Ordre, comme ayant prévariqué dans les fonctions de son état, comme coupable de s’être prêté à des choses illicites, comme susceptible de corruption, d’escroquerie, etc. Son affaire a été jugée mardi par ses confrères assemblés. Plus de cent ont persisté à le trouver innocent, malgré treize qui le jugeaient coupable. La séance s’est terminée par reconnaître qu’il n’était point dans le cas d’être rayé du tableau, mais bien d’être rappelé par le bâtonnier à une délicatesse de sentimens, dont son éducation ou sa façon de penser ne lui avaient peut-être pas fait assez connaître l’importance, mais essentielle à la noble profession qu’il exerçait.

7. — Il paraît, très-furtivement encore, un Mémoire de M. le comte de Lauraguais sur la Compagnie Indes, dans lequel on établit les droits et les intérêts des actionnaires, en réponse aux compilations M. l’abbé Morellet. L’ouvrage est précédé d’une Épître dédicatoire au comte de Lauraguais même, où l’éditeur, après l’avoir encensé, lui avoue son larcin, et bénit l’infidélité faite à ce seigneur, en livrant au public ce Mémoire, monument durable de son zèle pour les actionnaires, et de son courage à défendre leurs droits et leurs propriétés.

8. — La Défense des actes du clergé par M. l’évêque du Puy[110] est extrêmement rare ; M. le lieutenant-genéral de police ne laisse point percer d’exemplaires de cet ouvrage, qu’il sent devoir extrêmement déplaire au Parlement. Au surplus, c’est peut-être la seule manière de faire rechercher cet ouvrage sec et froid. C’est mal à propos qu’on a dit qu’il n’y avait pas mis son nom. Il y est très-parfaitement.

10. — Il y a une grande fermentation parmi les gens de lettres à l’occasion du projet singulier de quelques enthousiastes de M. de Voltaire, qui ont proposé faire ériger une statue à ce grand poète dans la nouvelle salle de la Comédie Française, qu’il est en question de construire, sans que l’emplacement en soit encore arrêté. Ils ont cru que ce monument serait placé là mieux qu’ailleurs, puisque ce lieu est le principal théâtre de sa gloire. Ils ont toujours commandé à compte la statue au sieur Pigalle. Elle sera en marbre, et l’on prétend que le marché est conclu à dix mille francs. On veut que cela se fasse par une souscription, ouverte seulement aux gens de lettres. C’est M. d’Alembert qui est chargé de recueillir l’argent. On ne doute pas que la somme ne soit bientôt complète.

11. — Vers de M. de Voltaire à madame la duchesse de Choiseul[111],
Sur la suspension des travaux de Versoy, nouvelle ville que M. le duc de Choiseul faisait construire près de Genève, et qui devait se nommer Choiseul-la-Ville.

Madame, un héros destructeur
N’est à mes yeux qu’un grand coupable :
J’aime bien mieux un fondateur :
L’un est un dieu, l’autre est un diable.

Dites bien à votre mari,
Que des neuf filles de Mémoire
Il sera le vrai favori
Si de fonder il a la gloire.

Didon, que j’aime tendrement,
Dont le nom vivra d’âge en âge,
La belle qui fonda Carthage,
Avait alors beaucoup d’argent.

Si le vainqueur de l’Assyrie
Avait eu pour surintendant
Un conseiller du Parlement,
Nous n’aurions pas Alexandrie,

Envoyez-nous des Amphions,
Ou nos peines seront perdues :
À Versoy nous avons des rues,
Et nous n’avons pas de maisons.

Sur la vertu, sur la justice,
Sur les grâces, sur la douceur,
Je fonde aujourd’hui mon bonheur,
Et vous êtes ma fondatrice.

12. — On a déjà composé l’inscription pour la statue projetée de M. de Voltaire. Elle portera : « À Voltaire, pendant sa vie : par les gens de lettres, ses compatriotes et ses contemporains. »

13. — La Ville fait redoubler les travaux des préparatifs pour les fêtes qu’elle se propos de donner à l’occasion du mariage de M. le Dauphin. On déblaie la place de Louis XV, où l’on met les deux gros pavillons en état de figurer par les ornemens, avec l’illumination qu’ils doivent recevoir. Quant à celle des boulevards, il paraît qu’on a changé la forme dont elle devait être, et qu’on y a substitué trois cent soixante lanternes à reverbère, qui donneront une clarté très-brillante. Cela s’accordera mieux avec la foire franche qui doit y durer neuf jours, et garnir absolument le boulevard depuis la porte Saint-Honoré jusqu’à la porte Saint-Antoine ; ce qui donne lieu à un de ces quolibets dont le Français assaisonne ses plaisirs et se console de ses disgrâces. On sait que M. de Bernage, aux deux mariages de feu M. le Dauphin, avait fourni beaucoup de mangeailles au peuple, et entre autres, au second, avait fait promener des chars avec cornes d’abondance, d’où se jetaient les cervelas, les saucissons, et autres rocambolles pour les gourmands. On dit que celui-là avait donné des indigestions, et que celui-ci donne la foire.

14. — C’est dans une société particulière[112] qu’a été enfanté le projet d’ériger à M. de Voltaire la statue dont on a parié, entre M. d’Alembert, l’abbé Raynal, et autres enthousiastes de ce grand homme. La clause, de n’admettre à la souscription que des gens de lettres français est si expresse, que les particuliers même à la table desquels ces messieurs ont conçu cette heureuse idée, ont l’humiliation de ne pouvoir en être, faute d’avoir quelque ouvrage, bon ou mauvais, à produire ; car on n’est pas difficile sur la qualité ni sur la quantité. Il a été arrêté que tous les membres de l’Académie Française seraient tenus pour bons, quoique plusieurs n’eusse fait d’assez mauvais discours de réception. Pigalle, de son côté, s’anime et s’évertue pour produire un chef-d’œuvre digne du héros littéraire qu’il est chargé de transmettre à la postérité, et dont il espère à son tour être célébré dans quelque épître. Il assure que si l’exécution répond à ses désirs, il se regardera comme le plus heureux des artistes ; mais que si l’ouvrage ne répond pas au chef-d’œuvre qu’il imagine, il en mourra de douleur.

15. — Une cérémonie merveilleuse, qui s’exécute de temps immémorial, à la Sainte-Chapelle, la nuit du vendredi au samedi saint, a eu lieu à l’ordinaire, avec une affluence prodigieuse de spectateurs. C’est à minuit que se rendent en cette église tous les possédés qui veulent être guéris du diable qui les tourmente. M. l’abbé de Sailly grand-chantre de cette collégiale, les touche avec du bois de la vraie croix. Aussitôt leurs hurlemens cessent, leur rage se calme, leurs contorsions s’arrêtent, et ils rentrent dans leur état naturel. Les incrédules prétendent que ces énergumènes sont des mendiants qu’on paie pour jouer un pareil rôle et qu’on y exerce de longue main ; mais on ne peut croire que des ministres de la religion se prêtassent à une comédie si indécente. Tout au plus peut-être, à défaut de vrais possédés, aurait-on recours à ce pieux stratagème, pour ne pas laisser interrompre la croyance des fidèles à un miracle subsistant depuis tant de siècles et si propre à les raffermir dans leur foi. Heureusement, les possédés sont si communs que sans doute, il n’est pas besoin d’en préparer de factices

16. — Il paraît un Mémoire du sieur Billard, écrit avec ce même esprit de fanatisme qui semble être depuis long-temps le principe de toutes ses actions. En avouant ses malversations, il veut les justifier et rendre en sorte le ciel son complice, par le bandeau épais que la Providence, suivant lui, avait jeté sur les yeux de ses supérieurs. Il assure que ses erreurs étaient si claires, que sans un miracle d’aveuglement de leur part, il n’est pas de jour où ils n’eussent dû s’en apercevoir ; que depuis plusieurs années il ne rendait pas un compte, il ne présentait pas un bordereau qui ne déposât contre lui et n’administrât des preuves évidentes de ses infidélités. Il en conclut qu’il avait droit de se regarder sous la garde de Dieu même, d’autant plus que sa distraction de deniers n’était pas pour favoriser le libertinage, pour fomenter des passions criminelles, pour afficher un luxe insolent, mais pour faire des charités, des bonnes œuvres, pour soutenir enfin les défenseurs et les martyrs de la religion. Ce Mémoire manuscrit, dénué de toute citation des lois, ou d’avis de jurisconsultes, mais fort de textes de l’Écriture Sainte et de décisions des casuistes, est dans genre si singulier, qu’on serait tenté de le regarder comme le fruit du loisir de quelque plaisant, s’il n’était soutenu d’un détail de faits et de particularités très-propres à lui donner le caractère de l’authenticité.

17. — On prétend aujourd’hui qu’un grand ouvrage auquel travaille M. de Voltaire, et qui lui fait désirer de vivre encore quelque temps, est une Encyclopédie entière qu’il a entrepris de rédiger. On ne conçoit pas qu’à son âge le philosophe de Ferney ait enfanté un pareil projet. Quelque talent qu’il ait pour extraire, pour réduire et pour amalgamer les œuvres d’autrui, on doute qu’il y suffise ; on n’en parle encore que vaguement, mais cependant comme d’une chose sûre.

18. — La secte des économistes a depuis plusieurs années son journal, intitulé Éphémérides du citoyen, ou Bibliothèque raisonnée des sciences morales et politiques. Il est tenu par un de leurs apôtres, et chacun y dépose les élémens et les résultats de la doctrine commune. Cet ouvrage peu répandu, roulant sur des matières métaphysiques et arides, n’a pas paru d’abord mériter l’attention du Gouvernement. La fermentation excitée en France à l’occasion de la cherté des grains depuis deux ans, a fait sortir ce livre de son obscurité. La hardiesse de quelques membres d’attaquer les Compagnies entières, de s’élever contre les Parlemens de Paris et de Rouen, a rendu fameux ces philosophes isolés ; de grands hommes ont daigné critiquer plusieurs ouvrages consignés dans le journal en question ; on l’a lus on est entré dans la discussion des dogmes de la secte. On a trouvé que, sous prétexte de prêcher les Principes du droit naturel, elle frondait l’administration des plus illustres ministres, déprimait les plus beaux règnes, s’attribuait le droit exclusif de connaître la manière régir les États, et s’érigeait en réformatrice de la législation même. Le journal a essuyé des retards, des contradictions, et peut-être l’aurait-on supprimé, si la secte n’avait de grands appuis dans le ministère ; mais on a nommé un censeur spécial ; il doit examiner ce avec la plus scrupuleuse attention, en peser toutes les expressions, apprécier le langage entortillé de ces messieurs, qui, à la faveur de nouvelles expressions, pourraient faire passer des idées dangereuses. C’est le sieur Moreau, ci-devant avocat des finances, que M. le chancelier a cru propre à cette besogne. Celui-ci a senti combien sa mission était critique ; en conséquence, il a déposé un corps de doctrine à la fin du premier volume des Éphémérides de cette année, qui ne fait paraître. Il fait sa profession de foi sur la doctrine des économistes, et déclare dans quel sens il l’entend et veut l’entendre, pour se mettre à l’abri des chicanes et peut-être des persécutions que sa qualité d’examinateur lui pourrait attirer.

19. — M. de La Harpe est un des principaux petits compagnons travaillant au Mercure sous le sieur Lacombe. Cet auteur, d’un génie naturellement malfaisant, paraît se plaire à profiter de cette espèce de dictature pour rendre des jugemens qu’il croit souverains, et traiter de Turc à Maure les différens écrivains qui ont le malheur de lui déplaire. De ce nombre est et doit être M. de Belloy : il a saisi assez ingénieusement quelques vers de Gaston et Bayard, de ce poète, fort obscurs comme sont beaucoup de ceux qu’il fait, et les a insérés au Mercure comme une énigme proposée par une société de gens de lettres[113].

Un plaisant, non moins mordant que M. de La Harpe propose, pour pendant, l’énigme suivante qui peut servir aussi d’acrostiche.


De mes heureux talens le nombre est innombrable,
Et vous devez, lecteur, m’en croire sur ma foi :
L’orgueil, vice en autrui, devient vertu dans moi ;
À tous les beaux esprits je suis inexorable ;
Haïr est un besoin pour mon cœur inhumain.
Amitié, ton nom seul me glace et m’épouvante ;
Rarement l’on me plaît : jamais rien ne m’enchante.
Prétendre à mon suffrage est inutile et vain,
Et je flatte aujourd’hui pour mieux mordre demain.

21. — M. Boutin voulait intéresser les intendans des finances, ses confrères, à demander justice en corps de la manière outrageante dont il est traité dans le Mémoire de M. le comte de Lauraguais, dont on a parlé#1. On ne sait si les autres se sont joints à l’offensé, mais sur les sollicitations faites auprès de M. le contrôleur-général, celui-ci a remis le livre entre les mains du roi, afin que Sa Majesté pût en juger en connaissance de cause. Il paraît qu’elle a traité tout cela de bagatelle, puisque M. le comte de Lauraguais n’a point été à la Bastille, comme l’exigeait M. Boutin, et que par les propos qu’on rapporte du roi à cette occasion, le plaignant n’est pas sans beaucoup de torts dans l’affaire qui a donné lieu à la sortie en question. Bien des gens même le regardent comme perdu sans ressource. Ce qu’il y a sûrement de fâcheux pour lui, c’est que l’éclat que fait à la cour cette [114] querelle, donne au Mémoire une publicité qu’il n’aurait pas eue. Depuis que le roi en a eu communication, tous les ministres, tous les princes, tous les grands seigneurs veulent lire cet ouvrage, qui jusqu’ici n’était intéressant que pour les actionnaires, et était très-peu répandu. On écrit de Châlons qu’on avait saisi un ballot de douze cents exemplaires de ce Mémoire, ce qui va le rendre fort cher dans ce pays-ci. Au surplus, ce qui justifie M. le comte de Lauraguais, même sur le procédé, c’est que le manuscrit paraît lui avoir été dérobé, avoir été imprimé sans son aveu, et qu’il ne se serait certainement pas permis la licence sans exemple de laisser le nom de Boutin en toutes lettres, s’il eût présidé à l’impression.

24. — Les Comédiens Français ont ouvert hier leur théâtre dans la salle des Tuileries, que quitte l’Académie royale de Musique. Cette translation, qu’on croyait devoir être fort tumultueuse dans ce pays-ci, où tout fait époque et excite la curiosité, n’a eu rien d’extraordinaire que beaucoup de critiques auxquelles elle a donné lieu. La différence du genre des spectacles exigeait nécessairement du changement, et l’on a jugé digne de la magnificence royale de faire supporter ces frais par Sa Majesté. La précipitation qu’on a mise à ce bouleversement, peut seule excuser les restaurateurs de la salle. On leur reproche des bévues énormes de toute espèce mais surtout d’avoir rompu l’harmonie qui régnait la distribution des loges, pour en augmenter le nombre ; d’avoir reculé le théâtre, ce qui produit l’effet le plus révoltant, prolonge trop la salle, et la rend très-sourde pour le fond de l’amphithéâtre. Ce sont les Menus-Plaisirs qui ont présidé à ces changemens, de concert avec les Comédiens, que l’intérêt seul a guidés. La fureur des petites loges fait dénaturer les formes les plus convenables, pour y substituer des commodités particulières qui dégradent la noblesse du spectacle. On ne peut que plaindre les artistes, forcés de s’asservir à tant de petites prétentions, qui enchaînent les talens et les énervent.

26. — On croit que l’Encyclopédie qu’on annonce comme l’occupation actuelle du philosophe de Ferney[115], n’est qu’un titre vague sous lequel il videra son portefeuille, et rassemblera une infinité de broutilles disparates qui avaient besoin d’un point de ralliement pour se produire au grand jour.

27. — M. l’abbé Nollet, membre de l’Académie des Sciences, très-renommé pour ses expériences de physique expérimentale, est mort avant-hier matin presque subitement.


29. — Il y a eu ces jours derniers, sur l’ancien théâtre de la Comédie Française, une répétition d’Athalie, telle qu’elle doit être exécutée à Versailles, c’est-à-dire avec les chœurs. Le bruit qui courait depuis quelque temps sur mademoiselle Clairon, s’est réalisé. Madame la duchesse de Villeroi a réinstallé elle-même dans ses fonctions cette actrice, qu’elle avait amenée avec elle, et les spectateurs ont avec la plus grande satisfaction vu reparaître cette divinité de la scène. On assure que dans cet essai, très-informe, elle a paru plus héroïque que jamais, et a développé majesté théâtrale qui en a imposé à toute l’assemblée.

Les chœurs qu’on y a exécutés en musique, ne sont pas de l’abbé Gauzergue, comme on le comptait. On croit qu’il n’a pas voulu y travailler, par quelques tracasseries assez ordinaires dans ce tripot. Quoi qu’il en soit, on y a adapté divers morceaux de musique, tirés d’opéras connus, et l’on se loue surtout d’un morceau d’invocation d’Ernelinde, qui a fait le plus grand effet.

Malgré le succès de mademoiselle Clairon, les partisans de mademoiselle Dumesnil ne sont pas moins vivement affectés du triomphe de la première. Ils se consolent par l’espoir que l’autre ne sera pas tout-à-fait exclue. Le bruit court que madame Du Barry veut être sa protectrice, et a demandé qu’Athalie fût jouée alternativement par les deux actrices. D’un autre côté, on sait que si mademoiselle Clairon rentre au théâtre, ce ne sera que pour faire les rôles de mademoiselle Dumesnil ; qu’elle ne se sent plus assez jeune pour ceux d’amoureuse, et qu’elle profite de sa retraite pour étudier et raisonner tous ceux dont elle veut se mettre en possession.

30. — Mademoiselle Beauvoisin, courtisane d’une jolie figure, mais sans taille, courte et ramassée, avait été obligée par cette raison de quitter l’Opéra dont elle avait été danseuse. Elle s’était livrée depuis quelques années à tenir une maison de jeu : ses charmes, son luxe et l’affluence de joueurs opulens qui s’y réunissaient, avaient rendu sa maison célèbre : mais il s’y était glissé beaucoup d’escrocs, suivant l’usage. Il s’y était passé des scènes qui avaient attiré l’attention de la police, et elle avait été mandée chez M. de Sartine, et avait reçu de ce magistrat une forte réprimande, avec injonction de fermer son tripot, ou du moins d’éviter le moindre éclat à peine de punition exemplaire. Elle avait cru se soustraire à la vigilance de la police, se faisant inscrire comme danseuse surnuméraire à Versailles pour les fêtes qu’on y prépare. Par un préjugé de ces demoiselles, elle croyait avoir plus de consistance ; mais sur de nouvelles plaintes que la maison de cette fille était un coupe-gorge effroyable, où se réunissaient des jeunes gens de distinction, elle a été enlevée aujourd’hui et conduite à Sainte-Pélagie, retraite destinée aux nymphes d’un certain ton qu’on ne veut pas mettre à l’hôpital. Cet enlèvement a jeté l’épouvante parmi les joueurs affiliés à sa maison, obligés de chercher asile ailleurs.

1er Mai. — La querelle de M. Boutin avec M. le comte de Lauraguais continue à amuser la cour et la ville ; mais ce n’est certainement pas aux dépens du dernier. Les actionnaires goûtent la faible vengeance de voir au grand jour toutes les petites manœuvres employées par cet intendant des finances pour dissoudre la Compagnie ; ses ruses, ses caresses, ses promesses envers l’abbé Morellet, son suppôt, son agent et son organe. Celui-ci n’est pas moins furieux et a envoyé à l’auteur du Mercure la lettre suivante à insérer dans le volume de ce mois.


« Il se répand dans Paris et dans les provinces un ouvrage en trois parties, imprimé furtivement, et qui se vend de même, intitulé : Mémoire sur la Compagnie des Indes, en réponse aux compilations de M. l’abbé Morellet, par M. le comte de ***. J’y suis insulté avec la plus grande violence par un homme que je n’ai jamais offensé. J’aurais peut-être répondu à un ouvrage anonyme qui eût pu faire quelque impression sur l’esprit du public ; mais, heureusement pour moi, l’auteur de celui-ci s’est nommé, et je ne me crois obligé de répondre ni aux injures, ni aux raisonnemens qui s’y trouvent.

J’ai l’honneur d’être, etc. »

On sent tout le fiel que distille cette lettre sous les apparences de la modération, et combien elle est piquante pour l’adversaire qui a bec et ongles, et certainement ne sera pas en reste.

4. — M. le comte de Lauraguais, pour mieux constater envers M. Boutin son désaveu de la hardiesse criminelle avec laquelle l’imprimeur du nouveau Mémoire la Compagnie des Indes a couché en toutes lettres le nom de cet intendant des finances, a écrit des lettres à différens ministres où il exprime sa façon de penser cet égard. Dans celle à M. le comte de Saint-Florentin, ce seigneur trouve la conduite de l’imprimeur d’autant plus répréhensible, et d’autant plus contraire à la sienne, qu’il déclare n’avoir jamais d’autre usage, en parlant de M. Boutin, que de l’appeler par B. Du reste, on attend avec impatience la réplique de ce seigneur à l’abbé Morellet dont la lettre excite l’indignation générale, comme écrite avec une insolence singulière. On est surpris que l’auteur du Mercure ait osé l’insérer, et plus encore que le censeur l’ait laisser passer.

5. — M. le duc de Villars, gouverneur de Provence, vient de mourir dans son gouvernement. Ce seigneur, fils du maréchal de ce nom, n’avait pas couru la même carrière et avait bien dégénéré de la vertu de ses ancêtres. Il était taxé d’un vice qu’il avait mis à la mode à la cour, et qui lui avait valu une renommée très-étendue, comme on peut le voir dans la Pucelle. Du reste, il avait beaucoup d’esprit ; il était homme de lettres, et membre de l’Académie Française depuis 1734. Il était aimé dans son gouvernement, où il s’était fort bien comporté à certains égards.

6. — La nouvelle église de Sainte-Geneviève n’avance point, faute d’argent. Dans cet intervalle, les critiques s’exercent à y chercher des défauts. Le sieur Patte, architecte du prince des Deux-Ponts, vient de publier un Mémoire[116], où il prétend que les piliers de ce nouvel édifice n’en pourront jamais supporter la coupole. Il fait, à cette occasion, une description de ceux de Saint-Pierre de Rome et de l’église des Invalides, qui, quoique de la même proportion, ne soutiennent que des dômes beaucoup inférieurs. Cette assertion est étayée de l’appareil scientifique d’une infinité de calculs algébriques. M. Souflot annonce que toute sa réponse sera d’élever sa coupole et de prouver la possibilité du fait par le fait même. L’audace du sieur Patte paraît d’autant plus grande, qu’il n’a jamais rien fait, et que son adversaire est déjà connu par plusieurs ouvrages, surtout par un dôme construit à Lyon.

7. — Mémoire du sieur Billard, écuyer, contre M. le procureur du roi. Telle est la nouvelle défense qui paraît en faveur de ce fameux hypocrite. Elle est signée du sieur Aubry, avocat, est imprimée, et se répand par la famille de l’accusé avec la plus grande profusion.

9. — Depuis quelques jours le bruit court que mademoiselle Clairon ne fera point le rôle d’Athalie, quoiqu’elle l’ait déjà répété : ce qui la mortifie infiniment ; mais elle paraîtra toujours dans le rôle d’Aménaïde. On assure que madame Du Barry a obtenu du roi qu’on ne ferait pas un passe-droit aussi injuste à mademoiselle Dumesnil. D’un autre côté, madame de Villeroi se donne de grands mouvemens pour empêcher ce nouvel arrangement. On connaît la passion extrême qu’a cette dame pour mademoiselle Clairon, et combien elle est zélée pour empêcher que la délicatesse de cette actrice soit blessée en rien.

10. — M. le prévôt des marchands a reçu ces jours-ci à table un paquet contenant des couplets imprimés sur les réjouissances, où, à travers le ton grivois qui y règne, la bonhomie apparente de l’auteur, on trouve beaucoup de traits de causticité qui empêcheront de laisser répandre cette chanson. On en peut juger par le commencement :


En bon Français pourtant,
Il faut, quoique sans argent,
Il Entrer en danse, etc.


13. — Mesdemoiselles Camargo et Carton, deux anciens sujets émérites de l’Opéra, sont mortes depuis peu. L’une a été dans son temps une très-célèbre sauteuse ; c’est elle, en quelque sorte, qui a créé cette danse haute si à la mode aujourd’hui, mais qui s’est bien perfectionnée depuis. Elle était renommée pour la légèreté et la vivacité de ses gambades, et son nom fait encore époque dans les fastes du théâtre de l’Académie royale de Musique. L’autre, chanteuse des chœurs et d’un talent fort médiocre, s’était acquis une grande considération entre ses camarades par ses saillies, dont quelques-unes ont été rédigées depuis en apophthegmes, ont fait proverbe, et sont consignées dans un ouvrage intitulé : le Code lyrique, ou Réglement pour l’Opéra de Paris[117]. Elle s’était, d’ailleurs, illustrée par les conquêtes les plus distinguées, et se vantait de l’honneur unique d’avoir partagé sa couche avec trois rois. Toutes deux étaient retirées depuis long-temps avec des pensions proportionnées à leur mérite théâtral. Celle de la première était de quinze cents livres, et celle de la seconde de quatre cents livres seulement.


14. — Notes secrètes sur quelques membres du Parlement, recueillies par M. le chancelier.


Messieurs  
D’Aligre · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Honnête homme. S’il ne dormait pas toujours.
GRAND-BANC
D’Ormesson · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Il ne peut me souffrir, mais j’en ferai ce que voudrai.
Lamoignon · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Difficile à vivre ; il faut être honnête homme, ou se résoudre à l’avoir pour ennemi.
Le Pelletier de Saint-Fargeau · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Je lui dois ce que je suis.
Pinon · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Excellent juge à l’Opéra.
De Gourge · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Il rit, quand on le laisse faire.
Brochard de Saron · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Timide à l’excès, mais j’en fais grand cas.
De Maupeou · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Ah ! mon Dieu, c’est mon fils !
Fleuri · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Plus heureux qu’il n’avait espéré l’être, il m’en marque toute sa reconnaissance.
Le Peltier de Rosanbo · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · On dit qu’il a de l’esprit
GRAND’CHAMBRE.
Fermé · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · C’est un bâton dans la main d’un aveugle.
Pasquier · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Nous nous connaissons tous ; je sais à quoi l’employer.
Lézonnet · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Il aime les huitres vertes
De Bretigneres · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Au sac, au sac.
L’abbé Farjonel · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Il adore les bénéfices, sans oublier les épices.
De Gars · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · C'est une barre d’acier poli.
Goislard · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Honnête homme, mais faible ; on lui fait peur aisément.
   
Beze De Lys · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Il se souvient de Pierre-en-Cise
Chavannes · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Bien de l’esprit, bien de l’esprit, et pourquoi faire ?
L’abbé d’Espagnac · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Un jour viendra qu’on en pourra faire quelque chose.
De La Belouse · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · M. de Laverdy m’a promis de bons mémoires sur son compte.
De Challerange · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Il ne fait plus de dupe.
i DES ENQUÊTES.
Messieurs.
Le président Brisson · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Ce n’est pas tout de prétendre avoir un père pendu.
L’abbé Pommyer · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Les bavards sont toujours bonne gens.
L’abbé de Malezieu · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Plus d’esprit qu’il n’est gros.
Lambert de Saint-Omer · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Son nom fait toujours rire.
Amelot · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · On l’écoute comme un prédicateur à la cour.
De Montblin · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Fait le Cicéron : qu’on y prenne garde, Catilina n’est pas loin.
Freteau · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Il a sa langue dans sa poche depuis qu’on lui a appris à parler.
D’Héricourt · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Du talent, mais peu de fonds.
L’abbé Phelippes · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Il a voulu me dénnoncer ; je ne l’en aime pas moins. C’est un enfant sans malice.
2. DES ENQUÊTES.
Messieurs.
Le président de Boneuil · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · N’épouse aucun parti ; il est si bien avec tout le monde !
Le président Anjorrant · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Devait rester au Châtelet ; il y avait de la réputation.
Conseillers.
Clément de Feuillette · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Il m’a souvent fait rire du bout des dents
Le Roy de Roullé · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Il annonce toujours plus qu’on ne peut faire.
Pasquier, fils · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Il ne vaudra jamais son père
   
Barillon · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Il a l’esprit comme la voix.
Dupré de Saint-Maur · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Il ne sait plus quoi faire depuis qu’il n’y a plus de Jésuites.
Freval · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Petit roquet qui jappe en attendant qu’il ait de la voix.
3. DES ENQUÊTES.
Messieurs.
Le président de Murard · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Il sourit à l’approche de l’assemblé du clergé ; il guette les évêques.
Le Febvre d’Ammecourt · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Il ne peut se sauver du ridicule avec beaucoup d’esprit
Robert de Saint-Vincent · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Fait tout ce qu’on veut par complaisance.
I. DES REQUÊTES.
Messieurs.
Le président Rolland · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · L’importance est sont existence ; il serait aise d’apprendre qu’il est sur ma liste.
2. DES REQUÊTES.
Messieurs.
Le président Hocquart · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Sa haine est comme son éloquence.
GENS DU ROI.
De Fleury, procureur général · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Il a toujours la courante.
AVOCATS GÉNÉREUX.
Séguier · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Il vit avec sa femme comme avec ses maîtresses.
Barentin · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Il fait tout en simarre.
De Fleury · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Tient son parquet à Charonne.

On voit par ces détails que c’est une espèce de revue du Parlement, ou du moins de ceux qui y font quelque bruit, qu’on suppose faite par le chancelier. Les notes en question, qui exigeraient beaucoup d’explications pour ceux qui ne sont pas au fait de la compagnie, sont en général très-bien faites et d’une grande vérité.

19. — Tous ceux qui sont entrés aux appartemens le jour du mariage, et au festin royal surtout, conviennent qu’ils n’ont jamais vu de coup d’œil aussi miraculeux. Ils prétendent que toutes les descriptions qu’ils en feraient seraient au-dessous de la vérité, et que celles qu’on lit dans les romans de féerie ne peuvent encore en donner qu’une idée très-imparfaite. La richesse et le luxe des habits, l’éclat des diamans, la magnificence du local, éblouissaient les spectateurs et les empêchaient de rien détailler.

L’opéra de Persée, joué le lendemain jeudi, avec toute la pompe et toute la magnificence du spectacle, n’a point eu de succès. On a trouvé mauvais que le sieur Joliveau se fût avisé de changer le poëme de Quinault, ou plutôt de le profaner par ses corrections sacrilèges. On sait d’ailleurs qu’il est essentiellement triste, et l’on a fort censuré le goût de ceux qui ont assisté au choix des spectacles, d’avoir préféré celui-ci, qui a un ennui général sur toutes les physionomies. On a observé que le genre de la musique ne pouvait affecter que désagréablement les oreilles de madame la Dauphine, accoutumées jusqu’à présent seulement à la vivacité et à la légèreté de la musique italienne. On n’a pas trouvé que les ballets réparassent ce qui manquait d’ailleurs, et les machines, qu’on avait extrêmement vantées, n’ont point produit l’effet merveilleux qu’on s’en promettait. En tout, l’exécution a été plus que médiocre.

20. — Il se répand dans le public une Lettre de l’Impératrice-Reine à monseigneur le Dauphin[118], qu’elle a chargé madame la Dauphine de remettre à ce jeune prince. Rien de plus tendre et de plus éloquent que cet écrit. Il roule principalement sur le sacrifice que fait cette auguste mère, d’une fille chérie, en faveur d’un époux dont elle espère qu’elle fera la félicité, et qu’elle adopte pour son fils.

21. — Le sieur Ruggieri, l’antagoniste de Torré depuis long-temps, est piqué d’une nouvelle émulation depuis le succès du feu de ce dernier. Comme il est chargé de celui que la Ville se propose de faire tirer, le 31 de ce mois, à la place de Louis XV, il sent qu’il est de son honneur de renchérir sur l’ouvrage de son camarade. Ce qui sera fort difficile à cause de l’étendue plus resserrée du local. Il ne peut se distinguer que par plus d’élégance et de propreté, sorte de caractère de ses feux, qui n’ont jamais été servis avec l’abondance, la chaleur, la rapidité de ceux de l’autre.

22. — Les ducs ont présenté au roi, le 12 de ce mois, un Mémoire[119] à l’occasion de leurs prérogatives lésées, suivant eux, aux fêtes et le jeudi 17. M. le comte de Saint-Florentin leur a remis de la part de Sa Majesté la réponse suivante :

« L’ambassadeur de l’Empereur et de l’Impératrice-Reine, dans une audience qu’il a eue de moi, m’a demandé de la part de son maître (et je suis obligé d’ajouter foi à tout ce qu’il me dit) de vouloir marquer quelque distinction à Mademoiselle de Lorraine, à l’occasion présente du mariage de mon petit-fils avec l’archiduchesse Antoinette. La danse au bal étant la seule chose qui ne puisse tirer à conséquence, puisque le choix des danseurs et des danseuses ne dépend que de ma volonté, sans distinction de places, rangs ou dignités, exceptant les princes et princesses de mon sang, qui ne peuvent être comparés ni mis en rang avec aucun autre Français, et ne voulant d’ailleurs rien innover à ce qui se pratique à ma cour, je compte que les grands et la noblesse de mon royaume, en vertu de la fidélité, soumission, attachement et même amitié qu’ils m’ont toujours marqués et à mes prédécesseurs, n’occasioneront jamais rien qui puisse me déplaire, surtout dans cette occurrence-ci, où je désire marquer à l’Impératrice ma reconnaissance du présent qu’elle me fait, qui, j’espère, ainsi que vous, fera le bonheur du reste de mes jours. »

Bon pour copie. Saint-Florentin.

23. — On a fait hier à Versailles, sur le magnifique théâtre de la cour, la répétition d’Athalie, dans toute sa pompe et telle qu’elle doit être exécutée aujourd’hui. C’était depuis quelque temps un problème si ce serait du mademoiselle Dumesnil ou mademoiselle Clairon qui ferait le rôle. La dernière l’a emporté enfin, malgré l’énormité de cette injustice. Mais on ne sait si la première ne sera pas bien vengée par l’indignation générale du public contre sa rivale, qui au demeurant a déclamé plus que senti son rôle. On n’en a nullement été content. On est partagé sur les chœurs, qui font un merveilleux effet au gré d’une partie des spectateurs, et qui refroidissent et affaiblissent l’action, suivant d’autres amateurs. On se réunit plus complètement sur le spectacle et sur les décorations, qu’on assure être de la plus grande beauté et d’une vérité d’imitation admirable ; surtout le dernier tableau a fait un effet prodigieux : cinq cents hommes sur la scène, débouchant par quatre côtés sur dix de front, ont présenté le coup d’œil le plus imposant et le plus terrible.

24. — On raconte un bon mot de l’abbé Terray au roi, qui indique dans ce ministre une présence d’esprit dont la nation ne peut qu’être fort aise par la bonne opinion qu’elle en doit concevoir du génie et des ressources du ministre, qui, s’il n’avait pas devers lui de quoi se rassurer, ne serait certainement pas plaisant. On dit que Sa Majesté lui ayant demandé comment il trouvait les fêtes de Versailles ? « Ah ! Sire, a-t-il répondu, impayables ! »

25. — Aucun des spectateurs du feu de Versailles n’en est sorti satisfait. Il ne répondit en rien à l’idée qu’on s’en était faite et au Prospectus qu’en avait distribué l’auteur. Cette girandole de vingt mille fusées n’a produit aucune sensation, et a terminé le spectacle on ne peut plus mal. On ne sait encore quelle récompense aura Torré : on parle de lui donner le cordon de Saint-Michel, honneur qui, comme on sait, est affecté aux talens.

26. — On voit ici quelques cahiers du commencement du Dictionnaire Encyclopédique de M. de Voltaire. Cet ouvrage, ainsi qu’on l’a prévu et annoncé, n’est autre chose qu’un titre vague pour réunir toutes les broutilles du vaste porte-feuille de cet écrivain, qui n’ont point encore trouvé de place convenable dans ses autres productions. Ce sont tous articles frappés au coin du génie de cet auteur, toujours impie et satirique.

27. — Voici exactement le portrait de madame la Dauphine. Cette princesse est d’une taille proportionnée à son âge, maigre, sans être décharnée, et telle que l’est une jeune personne qui n’est pas encore formée. Elle est très-bien faite, bien proportionnée dans tous ses membres. Ses cheveux sont d’un beau blond ; on juge qu’ils seront un jour d’un châtain cendré : ils sont bien plantés. Elle a le front beau, la forme du visage d’un ovale beau, mais un peu allongé, les sourcils aussi bien fournis qu’une blonde peut les avoir. Ses yeux sont bleus, sans être fades, et jouent avec une vivacité pleine d’esprit. Son nez est aquilin, un peu effilé par le bout : sa bouche est petite ; ses lèvres sont épaisses, surtout l’inférieure, qu’on sait être la lèvre autrichienne. La blancheur de son teint est éblouissante ; et elle a des couleurs naturelles qui peuvent la dispenser de mettre du rouge. Son port est celui d’une archiduchesse ; mais sa dignité est tempérée par sa douceur, et il est difficile, en voyant cette princesse, de se refuser à un respect mêlé de tendresse.

28. — On raconte aujourd’hui beaucoup d’aventures du bal masqué de Versailles, où il y avait surtout quantité de jolies filles. La plus piquante est celle d’un petit masque qui a vivement agacé M. le duc de Choiseul, et qui a excité sa curiosité au point de vouloir absolument savoir qui il était, sur quoi il lui a promis de se découvrir en un coin écarté ; alors il lui a dit fort confidemment qu’il était l’abbé Terray… Le duc s’est récrié sur l’impossibilité qu’un aussi frêle individu pût être le grand abbé Terray… « Est-ce que vous ne connaissez pas mon secret, de réduire à moitié… », a repris le masque en riant et s’échappant.

29. — Le système de la secte des économistes reçoit tous les jours des contrariétés qui désolent les apôtres de la Science. Tandis qu’ils exaltaient le zèle du Parlement de Dauphiné pour la liberté du commerce, par l’arrêt qu’il avait rendu, permettant à toutes sortes de personnes de vendre et tuer des bestiaux, etc., celui de en rendait un, le 25 avril, qui défendait de laisser sortir de son ressort aucuns bestiaux, pour remédier à la disette de cette denrée, devenue excessivement chère… Des provinces entières qui demandaient du pain, déposent fortement contre leur esprit d’innovation, et maudissent à jamais les auteurs obscurs qui se sont avisés d’écrire sur l’administration ; ils leur attribuent, peut-être mal à propos, leurs calamités ; mais le concours des circonstances est un argument bien fort, surtout dans la bouche des malheureux qui meurent de faim : les révoltes ont été poussées au point qu’il a fallu faire marcher des troupes, dans le temps où l’on était à Paris et à Versailles dans les fêtes et dans les bals.

30. — Les préparatifs du feu qui doit se tirer aujourd’hui, ont attiré quantité de curieux. Ils annoncent quelque chose de plus marqué que celui de Versailles, et dans son plan, beaucoup moins étendu, on saisit un ensemble qui, dans l’autre, échappait aux spectateurs. La principale décoration représente le Temple de l’Hymen, précédé d’une magnifique colonnade, dont les gens qui veulent tout critiquer ont trouvé les proportions manquées. Ce temple est adossé à la statue de Louis XV. Il est entouré d’une espèce de parapet, dont les quatre angles sont flanqués de dauphins, qui paraissent disposés à vomir des tourbillons de feu ; des Fleuves, occupant les quatre façades, doivent aussi répandre des nappes et des cascades du même genre. Le palais est surmonté d’une pyramide terminée par un globe. Beaucoup de pièces d’artifice sont rangées autour de la décoration. Auprès de la statue, et du côté de la rivière, est un bastion dont les flancs contiennent le corps de réserve de l’artifice, et d’où sortira le bouquet, pièce essentielle à une fête, et qui doit ordinairement la terminer d’une façon à ne plus rien laisser à désirer à l’admiration.

31. — Le feu d’artifice tiré hier à la place de Louis XV a eu les suites les plus funestes. Outre la mauvaise exécution, un accident causé par une fusée qui est dans le corps de réserve d’artifice dont on a parlé, a fait partir le bouquet au milieu de la fête et a enflammé toute la décoration, ce qui a rendu ce spectacle fort médiocre. Le sieur Ruggieri n’a pas profité des fautes de son antagoniste Torré, et n’a pas les mêmes excuses. Outre que son plan était beaucoup moins combiné que celui de l’autre, et n’exigeait pas la même étendue de génie, c’est qu’il n’avait pas éprouvé les mêmes contrariétés de la part du temps, et le ciel l’avait favorisé entièrement. L’accident survenu au bastion a été fort long et comme on ne donnait aucun secours au feu, bien des gens se sont imaginé que cet incendie était un nouveau genre de spectacle, qui en effet présentait un très-beau coup d’œil, et éclairait magnifiquement la place, pendant qu’on formait l’illumination. Mais pendant ce temps il se passait une scène infiniment plus tragique. La place n’ayant, à proprement parler, qu’un débouché dans cette partie du côté de la ville, et la foule s’y portant, indépendamment des voitures qui venaient prendre ceux qui avaient été invités aux loges du gouverneur et de la Ville, pratiquées dans les bâtimens neufs, un fossé, qu’on n’avait point comblé, et qui s’est trouvé au passage de quantité de gens poussés par derrière, les a fait trébucher ; ce qui a occasioné des cris et un effroi général. Trop peu de gardes ne pouvant suffire à contenir la presse, ont été obligés de succomber ou de se retirer ; des filoux, sans doute, augmentant le tumulte pour mieux faire leurs coups ; des gens oppressés mettant épée à la main pour se faire jour, ont occasioné une boucherie effroyable, qui a duré jusqu’à ce qu’un renfort puissant du guet ait rétabli l’ordre. On a commencé par emporter les blessés comme on a pu, et ce spectacle était plutôt l’idée d’une ville assiégée que d’une fête de mariage. Quant aux cadavres, on les a déposés dans le cimetière de la Madelaine, et l’on y en compte aujourd’hui cent trente-trois. Pour les estropiés, on n’en sait pas la quantité. M. le comte d’Argental envoyé de Parme, a eu l’épaule démise ; et M. l’abbé de Raze, aussi ministre étranger, a été renversé et horriblement froissé et meurtri.


1er Juin. Extrait d’une lettre de Lyon du 28 mai 1770.

Le fameux J.-J. Rousseau s’ennuie vraisemblablement de son obscurité, et de ne plus entendre parler de lui. Il a quitté le Dauphiné, et l’on prétend qu’il est aujourd’hui dans un petit village non loin d’ici, qu’on appelle a Frète, où l’on assure qu’il catéchise et se forme un petit auditoire. On prétend qu’il ne tardera pas à se rendre à Paris, et qu’il pourrait bien avoir la folie de vouloir faire juger son décret par le Parlement, tentative dangereuse et dont ses amis espèrent le détourner.

3. — M. le Dauphin a paru fort inquiet dès le mencement du jour du 1er juin, de ce que son mois n’arrivait pas. Il est de deux mille écus, destinés à ses menus plaisirs. On ne pouvait deviner le sujet de cette impatience. On l’a découvert enfin par l’usage qu’il a fait de son argent. Il a envoyé la somme entière à M. le lieutenant-général de police, avec la lettre suivante :

« J’ai appris le malheur arrivé à Paris à mon occasion, j’en suis pénétré. On m’apporte ce que le roi m’envoie tous les mois pour mes menus plaisirs ; je ne peux disposer que de cela, je vous l’envoie : secourez les plus malheureux. J’ai, Monsieur, beaucoup d’estime pour vous. (Signé) Louis-auguste.

À Versailles, le 1er juin 1770. »

Madame la Dauphine a aussi envoyé sa bourse à M. de Sartine. Mesdames en ont fait autant. Les princes de sang ont suivi cet exemple respectable, et des particuliers l’ont imité. Il en est qui n’ont pas même voulu qu’on sût d’où venaient les secours qu’ils envoyaient. Les fermiers-généraux ont donné cinq mille livres.

5. — Le sieur Boucher, premier peintre du roi, vient de mourir. Depuis qu’il occupait ce poste distingué, sa réputation avait diminué et il n’avait rien fait qui fût digne de sa place. Le seul morceau qu’il avait exposé dernier salon, était plus que médiocre. En général, cet artiste a joui d’une réputation précoce, et portée beaucoup au-delà de ce qu’il méritait. Il avait un pinceau facile, agréable, spirituel, et peut-être trop fin pour les détails champêtres auxquels il s’était consacré. Toutes ses bergères ressemblaient à celles de Fontenelle, et avaient plus de coquetterie que de naturel. Son genre n’était pas proportionné à son rang : c’est comme si l’on donnait le sceptre de la littérature à un faiseur d’idylles ou d’églogues. 9. — C’est aujourd’hui sous le nom de Jean Plokoff, conseiller de Holstein, que M. de Voltaire fait paraître une espèce d’Ode en prose, qu’il donne comme la traduction d’un Poëme de cet Allemand sur les affaires présentes. Ce poëme ou cette ode est un galimatias pindarique, où l’auteur, qui a un égal besoin de louer et de satiriser, et est aussi outré dans un genre que dans l’autre, après avoir fait un éloge emphatique de l’impératrice des Russies, apostrophe durement les autres puissances, et leur reproche de rester dans une honteuse inaction, tandis que cette Sémiramis du Nord est à la veille de faire éclipser le croissant, et de renverser le despote effroyable, l’usurpateur tranquille, assis depuis long-temps sur le trône des Constantins. Il faut avouer que l’apôtre de l’humanité oublie son rôle en ce moment, et prêche la guerre, le carnage et la destruction avec une chaleur, une véhémence bien opposée à tout ce qu’il a écrit depuis quelque temps ; mais ce ne sera malheureusement pas la dernière de ses contradictions.

10. — Depuis que mademoiselle Clairon a paru à la Comédie au préjudice de mademoiselle Dumesnil, il semble que ce passe-droit n’ait servi qu’à enflammer davantage le génie de cette dernière. Elle a joué différens rôles, aux Français, avec une sublimité nouvelle et continue ; elle n’a point eu de ces disparates qui lui étaient si ordinaires, surtout depuis quelques années. Le public, de son côté, a paru la regarder comme plus chère à ses yeux, et elle a été applaudie d’une manière bien propre à la dédommager de la mortification dont on vient de parler.

11. — Le sieur De Rosoy est à la Bastille depuis environ trois semaines[120] pour deux ouvrages qu’il faisait imprimer sans permission, et qui ont été arrêtés avant qu’ils parussent. On n’en connaît que les titres ; l’un était intitulé les Jours d’Ariste, et devait servir de pendant aux Nuits d’Young ; l’autre était aussi une espèce de parodie d’un ouvrage très-connu, puisqu’il l’intitulait le Nouvel Ami des hommes.

On prétend que sur le bruit, accrédité depuis quelque temps, que le sieur Palissot devait faire une nouvelle édition, très-augmentée, de sa Dunciade, le sieur De Rosoy avait présenté à M. le chancelier une requête au nom des auteurs, ses confrères, contre ce fléau de la littérature, par laquelle il suppliait le chef de la justice de défendre au sieur Palissot de faire imprimer son ouvrage, comme un libelle diffamatoire contre tous les gens de lettres, à peine de répondre, en son propre et privé nom, de toute édition quelconque qui en paraîtrait, même de tout fragment qu’il en pourrait répandre ; que le sieur Palissot, en récriminant contre les vexations du plaignant, l’avait représenté comme plus répréhensible que lui, et avait dénoncé les deux ouvrages qui ont été arrêtés, comme s’imprimant furtivement.


12. — Les Comédiens Italiens donnent demain la première représentation d’une pièce nouvelle, ayant pour titre Dom Alvar et Mencia, ou le Captif de retour, comédie en trois actes, mêlée d’ariettes. Les paroles du sieur de Cailly, trésorier de M. le comte d’Eu, et la musique d’un amateur peu connu. Il paraît que ce drame n’a pas fait une grande sensation aux répétitions, tant par son intrigue romanesque, que par son harmonie décousue et sans ensemble.

— Un de ces persifleurs dont la cour abonde, et qui tournent tout en ridicule, a parodié ainsi le Mémoire des ducs et de la noblesse dont on a parlé[121].


Sire, les grands de vos États
Verront avec beaucoup de peine
Qu’une princesse de Lorraine
Sur eux au bal prenne le pas.

Si Votre Majesté projette
De les flétrir d’un tel affront,
Ils quitteront la cadenette
Et de la cour s’exileront.

Avisez-y, la ligue est faite.
Signé : l’évêque de Noyon,
La Vaupalière, Beaufremont,
Clermont, Laval et de Villette.


L’épigramme de cette fin consiste surtout dans le mélange des noms les plus nouveaux avec ceux des plus anciens de la noblesse, et le marquis de Villette termine cette liste de la manière la plus sanglante[122].

13. — Mademoiselle Clairon, dans l’espoir de se relever de l’espèce de chute qu’elle a éprouvée à la cour, lors de la représentation d’Athalie, répète actuellement le rôle d’Aménaïde dans Tancrède, qui a toujours été son triomphe. Pour dédommager aussi mademoiselle Dumesnil de l’humiliation qu’elle aurait reçue de ne point paraître dans une occasion aussi importante, il est question de jouer Sémiramis, une des pièces où cette actrice est le plus sublime. On ne doute pas que madame Du Barry, qui connaît tout son mérite et la protège spécialement, ne lui ait ménagé cette représentation. Cette dame lui a fait présent d’une robe magnifique, à ce qu’on assure.

14. — Madame la comtesse de Noailles, dame d’honneur de madame la Dauphine, et dont les fonctions sont de guider cette princesse dans tout ce qui est étiquette et cérémonial, voit avec peine qu’elle s’affranchisse ses conseils, et lui fait sans cesse des représentations sur ce qu’elle se familiarise trop ; ce qui la rend peu agréable à la princesse et au public, et ce qui donnera la clef de la chute de la pièce de vers suivante, qui, par une adresse assez heureuse, est tout à la fois un éloge très-flatteur pour madame la Dauphine et une épigramme contre madame de Noailles.


Le bal masqué. — À madame la Dauphine.

Quand au milieu d’une brillante cour
QuAux rois nous offrons notre hommage,
QuLe respect sur notre visage
QuTient lieu de masque au tendre amour.
QuC’est pour mieux nous faire connaître
QuQu’aujourd’hui nous masquons nos traits :
QuÀ la félicité du maître
QuChacun veut applaudir de près.
QuPour donner à notre tendresse
QuLe droit d’éclater librement,
QuFaut-il en ce jour d’allégresse
QuRecourir au déguisement ?
Ce qu’il sent hautement, le Français le publie.
QuLaissez-lui la sincérité ;
QuEn est-il un qui ne s’écrie :

Qu « Cette Dauphine, en vérité,
Qu Nous l’aimons tous à la folie ! »
Qu Nous l’aimons ! Ce mot est si doux,
Qu’au milieu de ce peuple, errant autour de vous,
QuVous vous plaisez, sous le masque, à l’entendre ;
QuVous épiez, vous cherchez à surprendre
L’aveu, le seul aveu dont les Dieux sont jaloux.
Si pourtant vous croyez que rien ne vous décèle,
Vous vous trompez : partout Louis vous suit des yeux ;
Ses regards attendris semblent dire : « C’est elle ! »
Et puis cette ceinture, ornement précieux,
QuQue vous portez dès l’âge le plus tendre,
Et dont vous fit présent la mère de l’Amour,
Qu Jamais votre dame d’atour,
vous masquant, n’a pu vous la reprendre.

15. — Madame Geoffrin est une virtuose très-connue, surtout chez les étrangers, plus enthousiasmés de son esprit que ses compatriotes. On se rappelle[123] qu’elle fit, il y a quelques années, un voyage en Pologne ; qu’elle eut l’honneur de voir plusieurs souverains dans cette tournée, et surtout d’être admise à une audience particulière de l’Impératrice-Reine. Cette Majesté, dans son intimité avec elle, lui fit voir son oratoire garni de très-beaux tableaux. Madame Geoffrin y remarqua une place vide. Depuis son retour en France, ayant acquis une très-belle Vierge de Carlo Maratto, elle a demandé à l’Impératrice-Reine la faveur de lui permettre d’envoyer ce morceau fameux à Sa Majesté Impériale, s’imaginant qu’il figurerait très-bien dans l’endroit en question. Cette Souveraine a accepté le présent, et a envoyé à madame Geoffrin un service très-magnifique en porcelaine.

16. — Les vers à madame la Dauphine sont du sieur Moreau, ci-devant avocat des finances, ensuite conseiller en la Cour des Aides et Finances de Provence, et aujourd’hui bibliothécaire de madame la Dauphine. Il est auteur de l’Observateur hollandais, ouvrage periodique composé en France, pendant la dernière guerre par ordre du Gouvernement et sous ses auspices.

— Le marquis Du Terrail, fils de Durey de Sauroy, trésorier de l’extraordinaire des guerres, et qui, par des arrangemens de famille, avait pris le nom distingué de sa mère, issue du chevalier Bayard, est mort ces jours derniers. C’était un homme qui avait des prétentions à l’esprit. Il avait composé quelques pièces dramatiques, qu’il avait en la prudence de garder dans son portefeuille, mais qu’il faisait jouer sur son théâtre d’Épinay. Il passait d’ailleurs pour avoir un goût très-antiphysique[124]. Il avait cependant épousé depuis quelques années une jeune demoiselle d’Uzès, mais dont il n’avait point d’enfans. En sorte que sa succession, très-opulente, retourne à M. de Cossé, son neveu par sa mère, sœur de M. Du Terrail.

— On ne cesse de parler du fatal événement de la nuit du 30 au 31 mai dernier, et l’on attend avec impatience la rentrée du Parlement pour voir comment cette cour traitera la chose. On cite à cette occasion un exemple de la même espèce, mais bien inférieur pour la quantité des morts, arrivé sous Louis XI, par lequel on voit que le prévôt des marchands de ce temps-là fut très-sévèrement puni. Les défenseurs de celui-ci rejettent la faute sur son peu de génie ; et pour donner une idée de sa force, on rappelle la plaisanterie que dit M. d’Argenson à M. Bignon, lorsqu’il fut nommé bibliothécaire du roi : « Mon neveu, voilà une belle occasion pour apprendre à lire. » C’est à la même cause qu’ils imputent sa fausse démarche, d’avoir été le lendemain à l’Opéra, sous prétexte de se justifier vis-à-vis du public et de démentir les faux bruits qui couraient à cette occasion.

— Des gens malins ont trouvé une anagramme sur le nom de M. Bignon, bien méchante et malheureusement trop juste.


Jérôme Armand Bignon :
Ibi, non rem, damna gero.


On prétend que cet hémistiche est tiré d’un vers de Juvenal.

17. — Les Comédiens Français doivent jouer incessamment une pièce nouvelle, qui a déjà été annoncée sous deux titres : l’Homme dangereux, et le Satirique. On ne nomme point l’auteur de ce drame. Bien des gens le mettent sur le compte du sieur Palissot : d’autres prétendent, au contraire, qu’il est dirigé contre lui. Quoi qu’il en soit, on en jugera au théâtre, et à l’œuvre on connaîtra l’ouvrier.

18. — Les spectacles de la cour se termineront mercredi par Tancrède et la Tour enchantée. Il paraît que Sémiramis ne sera jouée qu’à Fontainebleau. Cette Tour enchantée fait aujourd’hui l’objet de la curiosité des amateurs. C’est un drame à machines, dans un goût tout nouveau. Il n’y a que trois acteurs : la Princesse, un bon et un mauvais Génie. L’objet principal de cette fête est de retracer les combats de l’ancienne chevalerie et ces magnifiques tournois dont l’histoire nous a conservé les descriptions. Il y aura entre autres choses quatre chars traînés par des chevaux, des écuries du roi, exercés depuis long-temps à cet effet. On combattra à la lance et au sabre. La musique n’est autre chose que différens morceaux pris de côté et d’autre, dont on a formé un ensemble. Les paroles sont moins que rien aussi, et ce genre de divertissement est uniquement pour les yeux. Il n’y aura point de ballets ni de danse. Madame la duchesse de Villeroi se donne de grands mouvemens pour faire réussir ce spectacle, sinon de son invention, duquel au moins elle a donné le canevas, auquel elle a présidé, et qui s’exécute entièrement sous ses auspices.

19. — Le projet de dresser une statue à M. de Voltaire a été enfanté et rédigé chez madame Necker, femme du banquier de ce nom, qui reçoit chez elle beaucoup de gens de lettres. En conséquence, ce grand poète lui a adressé l’épître suivante :


Quelle étrange idée est venue
Dans votre esprit sage, éclairé ?
Que vos bontés l’ont égaré,
Et que votre peine est perdue !
À moi, chétif, une statue !
D’orgueil je vais être enivré.
L’ami Jean-Jacques a déclaré
Que c’est à lui qu’elle était due :
Il la demande avec éclat.
L’univers, par reconnaissance,
Lui devait cette récompense,
Mais l’univers est un ingrat.
En beau marbre, d’après nature,
C’est vous que je figurerai,
Lorsqu’à Paphos je reviendrai,
Et que j’aurai la main plus sûre.
Ah ! si jamais, de ma façon,
De vos attraits on voit l’image,
On sait comment Pygmalion
Traitait autrefois son ouvrage.

20. — On attend depuis plusieurs jours l’Homme dangereux, ou le Satirique ; mais les Comédiens ayant toujours la mauvaise habitude de ne présenter le manuscrit à la police que lorsqu’on est sur le point de le jouer, pour peu qu’il souffre de difficultés, cela retarde les représentations. Cette comédie-ci, par son titre, semblait en effet susceptible de beaucoup d’observations qu’elle

éprouve, et qui s’opposent à l’impatience du public. On l’attribue aujourd’hui à M. de Rulhières, auteur connu par quelques poésies fugitives, mais qui n’a encore produit rien de considérable.

— Il paraît une nouvelle édition de l’ancienne Sophonisbe de Mairet, réparée à neuf. Elle est précédée d’une Épître dédicatoire à M. le duc de La Vallière. Le style de ce préambule, le persiflage qui y règne, le ridicule du titre, tout annonce que cette plaisanterie est du vieillard de Ferney, qui, dans un moment de loisir, se sera amusé à rectifier l’ouvrage d’un des premiers auteurs de notre théâtre, où il y a sans contredit de très-grandes beautés.

22. — M. l’abbé Bergier, pour remplir les intentions de M. l’archevêque de Paris lorsqu’il l’a appelé auprès de sa grandeur et lui a conféré un canonicat de Notre-Dame, vient de faire un Examen du matérialisme, ou Réfutation du Système de la Nature, qu’il fait imprimer. Mais en même temps cet ecclésiastique s’est plaint que les devoirs de son état le gênaient beaucoup et lui laissaient peu de temps pour le travail. On assure qu’en conséquence l’assemblée du clergé se propose de lui faire une pension de dix-huit cents livres, d’en requérir autant pour cet écrivain de la part de M. l’évêque d’Orléans, afin de le mettre à même de résigner son canonicat, et de vaquer entièrement à la défense de la religion attaquée de tant de manières et par tant d’ennemis.

24. — La Tour enchantée, exécutée mercredi dernier à Versailles, ne doit pas être regardée comme un acte d’opéra : on ne se proposait d’abord que de faire un ballet figuré dans le genre de ceux qui ont été exécutés à la cour de Virtemberg ; mais, pour éviter la froideur de ces pantomimes et leur obscurité, on a cru plus convenable d’en lier entre elles les diverses parties par quelques scènes qui ne doivent être considérées que comme accessoires, et simplement destinées à jeter plus de lumière dans cette grande composition.

25. — On regarde comme absolument condamnée à ne point paraître la comédie dont on a parlé, ayant pour titre l’Homme dangereux, ou le Satirique ; il y a là-dessus une anecdote singulière qui mérite des éclaircissemens avant d’en rendre compte : il en résulterait qu’elle serait véritablement du sieur Palissot, qui, pour donner le change, s’y était peint au naturel sous ces deux vers-ci qu’on cite :


Vrai fléau des auteurs, horreur des beaux esprits,
Il croit, bravant la haine, échapper au mépris.


27. — M. l’archevêque de Toulouse, désigné successeur de M. le duc de Villars, depuis quelque temps, ayant fait ses visites, suivant l’étiquette indispensable de l’Acdémie Française, a été élu, lundi dernier, membre de cette compagnie.

28. — On assure que M. de Rulhières, indigné qu’on le crût auteur du Satirique, comédie extrêmement mordante, pleine de personnalités et dans le goût pièces d’Aristophane, s’est déclaré hautement contre cet ouvrage, et pour preuve qu’il n’en était pas l’auteur, a annoncé qu’il consentait à ce que cette comédie ne fût jamais jouée, qu’il le demandait même, et ferait là-dessus toutes les démarches nécessaires, s’il pouvait avoir quelque droit à les faire. Le sieur Palissot fâché, par une déclaration aussi formelle et aussi authentique, de ne pouvoir plus donner le change, et faire partager son iniquité avec quelque autre auteur, a poussé l’audace jusqu’à aller trouver l’abbé de Voisenon, le prier de se rendre chez M. le maréchal de Richelieu, et solliciter ce gentilhomme de la chambre d’écrire à M. de Sartine pour engager le magistrat à arrêter la représentation du drame ; ce qui a été fait. Soit que Palissot se fût flatté que le gentilhomme de la chambre ne serait pas aussi complaisant, et voudrait bien se rendre complice de sa mauvaise foi, soit qu’effrayé du danger nouveau auquel l’exposait cette troisième déclamation satirique, il eût sincèrement l’envie de l’arrêter, et que l’amour-propre l’eût fait ensuite se repentir de sa faiblesse, il a été confondu d’apprendre de l’abbé Voisenon, combien on avait eu égard à sa requête, et sa consternation l’a décelé au point qu’il n’a pu s’empêcher d’avouer l’ouvrage à ce confident très-indiscret, qui en a fait ensuite gorges chaudes.

29. — Il n’est point de petit souverain aujourd’hui qui ne veuille avoir une gazette dans ses États. Le prince des Deux-Ponts vient d’en établir chez lui deux à la fois qui arrivent ici depuis le mois de mai : une gazette politique et une gazette littéraire. C’est le sieur de Fontanelle, auteur du drame intitulé la Vestale, qui préside à cette double entreprise. On doute qu’elle réussisse. La multiplicité de ce genre d’ouvrages, circonscrits dans des limites étroites, est cause qu’ils se nuisent réciproquement, les rédacteurs ne pouvant que se piller, à qui mieux mieux. La première gazette n’offre rien de neuf, sans doute faute de bons correspondans ; et la seconde, rien de piquant, peut-être par le défaut de goût du compositeur.

30. — Logogryphe en forme de charade,
Adressé à une jolie femme, par M. le chevalier de Boufflers[125].

« Vous avez, madame, la première partie ; j’ai la seconde. Si vous n’aviez pas la première, je n’aurais pas la seconde. Si vous saviez à quel point j’ai la seconde, vous m’accorderiez le tout. Si vous m’accordiez le tout, vous ne pourriez me refuser la première partie. Si j’avais la première, je ne cesserais d’avoir la seconde, et je n’aurais plus rien à désirer.

« Je dois vous dire, pour que vous entendiez mon logogryphe, que la seconde partie est sûrement plus grande en moi que la première ne l’est en vous, et que parmi les personnes plus intimement liées entre elles que je n’ai le bonheur d’être avec vous, la seconde partie diminue à mesure que la première augmente. Il faut aussi que vous sachiez qu’on ne sent pas communément la seconde partie quand la première n’a pas lieu. Il faut cependant excepter un petit nombre de personnes dont l’attachement est si fort au-dessus du préjugé, que, quoique ennemis jurés de cette première partie, vous pourriez faire naître en eux la seconde, pour peu que vous volussiez vous y prêter, quand même vous n’auriez pas première. C’est un mérite bien rare parmi les personnes qui possèdent cette première partie.

« Vous serez peut-être fâchée contre moi si vous devinez mon logogryphe : cette première partie, qui fait toute mon ambition, le rend bien facile ; mais j’espère que votre colère n’aura plus lieu, lorsque vous voudrez bien vous rappeler que mon respect et mon attachement méritent quelque compassion. »

1er Juillet. — On raconte deux bons mots à l’occasion du Lit de justice[126], car le Français est toujours facétieux : l’un de M. de Choiseul à M. le chancelier, qui s’embarrassait en sortant dans les plis de sa robe : « M. le chancelier, lui dit ce seigneur en riant, prenez garde de tomber » : l’autre, d’un de Messieurs qui, entendant ronfler la trompette avec laquelle il est d’usage d’annoncer les princes à ces sortes d’assemblée… « Qu’entends-je ? c’est, je crois, la trompette du jugement dernier ! »

— J.-J. Rousseau, las de son obscurité et de ne plus occuper le public, s’est rendu dans cette capitale, et s’est présenté, il y a quelques jours, au café de la Régence, où il s’est bientôt attroupé un monde considérable. Notre philosophe cynique a soutenu ce petit triomphe avec une grande modestie. Il n’a pas paru effarouché de la multitude de spectateurs, et a mis beaucoup d’aménité dans sa conversation, contre sa coutume. Il n’est plus habillé en Arménien ; il est vêtu comme tout le monde, proprement, mais simplement. On assure qu’il travaille à nous donner un Dictionnaire de Botanique. La publicité que s’est donnée l’auteur d’Émile est d’autant plus extraordinaire, qu’il est toujours dans les liens d’un décret de prise de corps à l’occasion de ce livre, et que, dans le cas même où il aurait parole de M. le procureur général de n’être pas inquiété, on l’assure, il ne faut qu’un membre de la compagnie de mauvaise humeur pour le dénoncer au Parlement, s’il ne garde pas plus de réserve dans l’incognito qu’il doit toujours conserver ici.

2. — On parle d’un Dialogue des morts nouveau. Cette facétie a été faite à l’occasion de la catastrophe de la nuit du 30 au 31 mai, qui n’est rien moins que plaisante. On suppose que les gens morts dans la bagarre arrivent en foule chez Pluton. Ce dieu est surpris de cette débâcle. Il les interroge sur le sujet de leur venue, et demande pourquoi ils ne sont pas restés à la noce ? Ce qui amène un détail des circonstances de l’aventure malheureuse, et une satire amère contre ceux qui auraient dû la prévenir. On y joint divers éloges, et entre autres celui de M. de Sartine, qu’on disculpe à tous égards.

3. — Le Français met tout en chanson. Voici un couplet qu’on a fait sur la terminaison du procès de M. le duc d’Aiguillon[127]. Il est sur un air du Déserteur :

Oublions jusqu’à la trace
De mon procès suspendu ;
Avec des lettres de grâce
On ne peut être pendu.
Je triomphe de l’envie,
Je jouis de la faveur :
Grâces aux soins d’une amie,
J’en suis quitte pour l’honneur.

On prétend que M. le duc de Brissac avait dit à cette occasion que M. le duc d’Aiguillon avait sauvé sa tête, mais qu’on lui avait tordu le cou.

4. — M. l’abbé de Voisenon est fort mécontent d’avoir été joué et persiflé par le sieur Palissot qui, après les démarches qu’il a fait faire à cet abbé, ainsi qu’on l’a raconté, et après s’être avoué à lui pour l’auteur du Satirique dans une lettre, a voulu lui faire persuader ensuite que cet ouvrage n’était plus de sa composition. Les encyclopédistes, instruits du fait, ont tenté des démarches auprès de M. l’abbé de Voisenon pour obtenir la lettre en question, pièce de conviction qu’ils désiraient fort avoir ; mais s’y étant mal pris, ayant même employé les menaces, l’abbé est devenu plus raide, et ils n’ont pu obtenir la lettre d’aveu. Voilà où en est cette tracasserie.

6. — Le sieur Rochon de Chabannes, auteur de quelques ouvrages, d’opéras comiques, et de quatre petits drames joués aux Français avec succès, après avoir travaillé un an ou deux dans les bureaux des affaires étrangères à la partie des déchiffremens, avait été réformé, en conservant ses appointemens, était rentré dans la carrière des lettres, et se disposait à présenter aux Comédiens une comédie en cinq actes ; mais la roue de la fortune le porte sur un plus grand théâtre, il vient d’être chargé des affaires du roi à la cour de Dresde. Il paraît que mademoiselle Dangeville, dont la protection l’avait poussé la première fois auprès de M. le duc de Praslin, n’a pas peu contribué à ce nouvel événement.

7. — Le sieur J.-J. Rousseau, après s’être montré quelquefois au café de la Régence, où son amour-propre a été flatté d’éprouver qu’il faisait la même sensation qu’autrefois, et que sa renommée attirait encore la foule sur ses pas, s’est enveloppé dans sa modestie ; il est rentré dans son obscurité, satisfait de cet éclat momentané, jusqu’à ce qu’une autre circonstance lui donne une célébrité plus longue. On parle beaucoup de son Pygmalion, ouvrage d’un genre unique, en un acte, en une scène, et n’ayant qu’un acteur. Il est en prose, sans musique vocale. C’est une déclamation forte et prononcée, dans le goût des drames anciens, soutenue d’un accompagnement de symphonie. Il a fait essayer sur le théâtre de Lyon cette nouveauté, qui a eu du succès. On désirerait fort la voir dans ce pays, mais on croit quelle sera d’abord réservée pour les fêtes du mariage de M. le comte de Provence.

8. — Outre le Dialogue des Morts dont on a parlé, concernant le désastre de la nuit du 30 au 31 mai, il y a une Vision sur le même sujet. La critique en paraît plus fine et plus juste. Elle peint le peu d’ordonnance, de goût et d’esprit qui ont régné dans les fêtes de Paris données par la Ville, tant à l’occasion des boutiques sur le Boulevard et de l’illumination, que de la décoration du feu de la place, où il n’y avait, dit l’auteur facétieux d’autre ordre que l’ordre corinthien de l’édifice de feu représentant le Temple de l’Hymen.

11. — Le sieur Pigalle, ce fameux sculpteur, qui s’est chargé de faire la statue de M. de Voltaire, est revenu de Ferney, où il était allé prendre les traits du philosophe de ce lieu. Il paraît qu’on est fort embarrassé sur l’attitude qu’on lui donnera ; que d’ailleurs la ferveur des gens de lettres se ralentit beaucoup, et que la sousscription n’avance point.

12. — Le sieur Linguet, auteur du Mémoire pour le duc d’Aiguillon, a été aussi frappé de sarcasmes à cette occasion. On a rapproché les éloges qu’il a insérés dans ses ouvrages des empereurs romains le plus en horreur, et la critique de ceux que l’Histoire a toujours loués ; et il en résulte l’épigramme suivante très-sanglante :


Linguet loua jadis et Tibère et Néron,
Calomnia Trajan, Titus et Marc-Aurèle :
Cet infâme, aujourd’hui, dans un affreux libelle,
Noircit La Chalotais et blanchit d’Aiguillon[128].


13. — Le sieur Bonamy, de l’Académie royale des Inscriptions et Belles-Lettres, historiographe et bibliothécaire de la Ville de Paris, est mort, le 8 juillet, âgé de plus de soixante-dix ans. C’était un savant obscur et modeste, dont les ouvrages, s’il en a fait, restent consignés dans les Mémoires de l’Académie. Il était, depuis 1749, auteur d’un ouvrage périodique, intitulé : le Journal de Verdun, qu’on qualifie de Mercure des Curés de campagne, parce qu’il est spécialement répandu dans les provinces.

— Le sieur Palissot a parodié le Mémoire du sieur De Rosoy, présenté contre lui au chancelier[129], par une Épître intitulée Requête de plusieurs grands hommes à M. le lieutenant-général de police contre la Dunciade du sieur Palissot. Cette requête plaisante, facile, et d’un bon ton, n’a point la dureté et l’amertume des autres satires de l’auteur ; elle est très-propre à lui concilier les rieurs, et à faire sentir le ridicule de la démarche sieur De Rosoy et de ses confrères.

16. — Vendredi 6 de ce mois, M. l’abbé de Beaumont, neveu de M. l’archevêque de Paris et prieur de Sorbonne fit l’ouverture de ce qu’on appelle les Sorboniques par un très-beau discours latin, dont le sujet était que le clergé de France avait répandu sur le royaume autant d’utilité que de splendeur. L’assemblée était très-brillante, et celle du clergé s’y était rendue en corps. Les prélats ont paru recevoir avec modestie l’encens que leur a prodigué le jeune orateur.

L’origine des Sorboniques vient d’un certain Cordelier qui, ayant été refusé à une thèse, demanda à entrer en lice et à soutenir la discussion contre tout venant sur toutes sortes de sujets depuis huit heures du matin jusqu’à huit heures du soir. Depuis ce temps, tout candidat est obligé de subir cet exercice, très-convenable à une poitrine de Cordelier, mais qu’on a adouci par ce qu’on appelle le bouillon. Ce sont deux heures d’intervalle qu’on accorde au soutenant pour dîner ; mais alors quelqu’un monte en chaire et dispute pour tenir en haleine l’assemblée. Cette espèce de gymnastique théologique se renouvelle, tous les deux ans, par un discours d’apparat.

20. — Les nouvelles publiques ont fait mention de la catastrophe singulière des deux amans[130] de Lyon qui se sont tués à Saint-Étienne en Forez au mois de juin. On débite leur épitaphe, qu’on prétend avoir été faite par J.-J. Rousseau, qui se trouvait alors dans cette ville :


Cî-gissent deux amans : l’un pour l’autre ils vécurent :
L’un pour l’autre ils sont morts, et les lois en murmurent ;
La simple piété n’y trouve qu’un forfait ;
Le sentiment admire, et la raison se tait.

21. — Les représentations du Parlement, arrêtées aux chambres assemblées le 2 du mois dernier, sont effectivement très-fortes, et sans déclamation. Elles inculpent le duc d’Aiguillon de la façon la plus grave ; elles présentent un tableau resserré de certaines dispositions qui entacheront à jamais son honneur, s’il n’est sauvé juridiquement ; elles réfutent d’une façon victorieuse les divers motifs sur lesquels sont appuyées lesdites Lettres Patentes. On est frappé en les lisant de la logique lumineuse qui en fait la base d’un bout à l’autre, et tout lecteur impartial les juge sans réplique. On continue les recherches les plus sévères, et le sieur D’Hémeri, exempt de police concernant la librairie, fait de temps en temps ses rondes et menace les imprimeurs, libraires, colporteurs, des châtimens les plus formidables s’ils se prêtent en aucune façon à les répandre.

22. — Quelques gens, sans doute ennemis du sieur J.-J. Rousseau, prétendent qu’il est extrêmement baissé. Ce qu’il y de sûr, c’est qu’il est beaucoup plus liant qu’il n’était ; qu’il a dépouillé cette morgue cynique qui révoltait ceux qui le voyaient ; qu’il se prête à la société ; qu’il va manger fréquemment en ville, en s’écriant, que les dîners le tueront. On ne sait trop à quoi il s’occupe. On sait seulement qu’il va plusieurs fois par semaine au Jardin du Roi, où est la collection de toutes les plantes rares, et qu’il a été herboriser dans la campagne avec le sieur de Jussieu, démonstrateur de botanique.

Il passe pour constant qu’il a envoyé ses deux louis pour la statue de M. de Voltaire ; acte de générosité bien humiliant pour ce dernier ; façon bien noble de se venger de la sortie indécente et cruelle que l’autre a faite contre ce grand homme, dans le chiffon en vers qu’il a adressé à madame Necker[131], et de s’élever infiniment au-dessus de lui auprès de tous ceux qui connaissent la vraie grandeur.

23. — Des partisans de mademoiselle Dumesnil, enchantés que la cour lui ait enfin rendu justice et n’ait pas secondé la basse jalousie de mademoiselle Clairon, ont fait contre cette dernière les vers suivans, qui, quoique vrais, paraîtront un peu durs :


ExDe la cour tu voulais en vain
Expulser, ô Clairon, ton illustre rivale.
ExDumesnil paraît, et soudain,
ExD’elle à toi l’on voit l’intervalle.
ExRenonce, crois-nous, au dessein
ExDe surpasser cette héroïne ;
ExTon triomphe le plus certain
Est d’avoir en débauche égalé Messaline[132].

24. — Le chevalier d’Arcq, qui par son intimité avec madame la comtesse de Langeac, et par le goût et l’intelligence qu’il a pour les plaisirs, préside à toutes les fêtes qu’elle donne à M. le comte de Saint Florentin, n’a pas laissé passer l’occasion de la faveur[133] que ce ministre a reçue tout récemment de S. M., sans la célébrer d’une manière toujours galante et nouvelle. Il a fait accepter à ce ministre un concert et un souper à l’hôtel qu’il a en face de celui de madame de Langeac, sans qu’il parût être question d’autre chose. Après souper on a engagé M. le duc de La Vrillière à faire un tour dans le jardin. Il s’y est trouvé une communication avec un jardin voisin, où la curiosité l’a invité d’entrer. Quelle surprise agréable ! quel spectacle enchanteur s’est offert à ses yeux ! un village entier a paru construit en ce lieu ; une joie naïve semblait animer tous ses habitans, et sur le champ il s’est établi une espèce de drame entre ces bonnes gens, qui a facilement indiqué le sujet de leurs divertissemens : c’étaient les vassaux du nouveau duc qui se félicitaient de l’élévation de leur seigneur à cette dignité. Ils sont venus tour à tour lui présenter leur hommage et leurs présens, en chantant des couplets analogues, et un bal général a terminé la fête. Elle s’est exécutée le 3 juillet, c’est-à-dire le jour même où a paru le fameux arrêt du Parlement contre le duc d’Aiguillon. Cet événement, qui a bouleversé tout Paris, n’a semblé troubler en rien la gaieté de l’oncle ministre et celle du neveu, qui y assistait, et qui, double qualité d’homme d’esprit et d’homme de cour n’a laissé percer aucune altération. Au surplus, ce joli divertissement ne s’est passé qu’en petit comité, et en présence seulement des initiés aux mystères de ces ingénieuses farces.

C’est le sieur de La Dixmerie, poète consacré à ces sortes de fêtes, qui avait fait les paroles du drame et des couplets, et qui a reçu tous les applaudissemens que méritait sa complaisance.

25. — Il paraît constaté que la prophétie dont on a parlé[134] sur la catastrophe de la nuit du 30 au 31 mai, est du sieur Cocqueley de Chaussepierre, avocat, auteur de plusieurs facéties du même genre, dont celle-ci est la plus médiocre.

26. — Le sieur J.-J. Rousseau de Genève a herborisé dans la campagne, jeudi dernier, avec le sieur de Jussieu, démonstrateur de botanique. La présence de cet élève célèbre a rendu le concours très-nombreux. On a été fort content de l’aisance qu’il a mise dans cette société. Il a été très-parlant, très-communicatif, très-honnête ; il a développé des connaissances profondes dans cet art. Il a fait beaucoup de questions au démonstrateur, qui les a résolues avec la sagacité digne de lui ; et à son le sieur Rousseau a étonné le sieur de Jussieu, par la finesse et la précision de ses réponses.



27. — On parle d’une diatribe diabolique[135] que le sieur de Voltaire vient de vomir contre plusieurs petits auteurs, entre autres les sieurs Lemière et Dorat. Ce dernier lui a déjà répondu par une épigramme, bien digne de faire le pendant de l’autre pièce :


Un jeune homme bouillant invectivait Voltaire :
UnQuoi, disait-il, emporté par son feu,
Quoi, cet esprit immonde a l’encens de la terre !
Cet infâme Archiloque est l’ouvrage d’un Dieu !
De vice et de talent quel monstrueux mélange !
Son âme est un rayon qui s’éteint dans la fange :

Il est tout à la fois et tyran et bourreau :
Sa dent d’un même coup empoisonne et déchire :
Il inonde de fiel les bords de son tombeau,
Et sa chaleur n’est plus qu’un féroce délire.
Un vieillard l’écoutait, sans paraître étonné :
Tout est bien, lui dit-il. Ce mortel qui te blesse,
Jeune homme, du ciel même atteste la sagesse ;
S’il n’avait pas écrit, il eût assassiné.


29. — Le sieur Du Theil, sous-lieutenant aux gardes françaises, vient d’être élu par l’Académie des Belles-Lettres à la place vacante par la mort du sieur Bonamy. L’abbé Bergier, ce nouveau chanoine de Notre-Dame, défenseur ardent de la religion chrétienne, a eu les secondes voix ; ce qui fait présumer qu’il aura la première place vacante.

31. — Le mausolée du maréchal de Saxe est sans contredit un des plus beaux morceaux de génie qu’on puisse voir en fait de sculpture. Le sujet en est simple et grand, l’ordonnance belle, nette et riche : tout y est plein de vie, de mouvement et de chaleur. La figure principale, celle du maréchal, s’offre la première au spectateur, suivant les principes du bon sens et de l’art. Il est dans ses habits militaires, et semble s’avancer vers le sarcophage ouvert à ses yeux. Il descend déjà les marches qui y conduisent : il a cette fermeté tranquille des héros, que les ignorans ont prise pour de la froideur. La Mort est debout devant lui, sur sa gauche : elle lui présente le sable, et lui indique qu’il est temps d’entrer au tombeau. L’artiste l’a couverte d’un voile, pour dérober aux yeux le hideux de cette figure, et cependant le squelette perce à travers la draperie. Du même côté, et sur le plan en avant, c’est à dire aux pieds du maréchal, est la France alarmée, qui paraît retenir d’une main son défenseur, et de l’autre supplier la Mort de retarder le fatal moment. À la droite du héros, et en face de celle-ci, est un Hercule courbé, dans l’attitude de la plus profonde douleur, mais d’une douleur mâle et réfléchie. Cette figure est d’une grande beauté, et peut lutter avec tout ce que l’antique nous offre de plus parfait. À droite, en remontant et un peu derrière le maréchal, on voit le léopard terrassé, l’aigle éperdu, le lion qui s’enfuit en rugissant ; tous emblèmes caractéristiques des puissances liguées dans la guerre où M. de Saxe se couvrit de gloire ainsi que la France. À sa droite sont des trophées militaires, sur lesquels pleure le Génie de la guerre, qui tient son flambeau renversé. On voit par cette exposition, quel effet peut produire un sujet aussi bien conçu et développé avec autant d’ordre et d’intelligence ; mais ce qu’on ne peut rendre, ce sont les airs de tête, et l’expression caractéristique de chaque figure : tout y est d’un sublime proportionné à une aussi belle idée.

Au surplus, comme il n’est point d’ouvrage sans défaut, celui-ci a essuyé plusieurs critiques, dont quelques-unes sont difficiles à résoudre. D’abord on pourquoi le tombeau s’ouvre en sens contraire, c’est-à-dire pourquoi la pierre qui le ferme, au lieu de se renverser du côté opposé au maréchal, revient sur lui et semble faire obstacle à son entrée, bien loin de la faciliter ? Il faut convenir, malgré tout ce que l’on dit pour excuser l’artiste, que c’est une faute de bon sens, telle qu’il s’en trouve souvent dans les productions du génie. On prétend, en second lieu, que l’Hercule pleurant d’une part, et le Génie de la guerre pleurant de l’autre, pléonasme dans la composition, et n’expriment que la même allégorie d’une façon différente ; ce qui rend le travail de l’artiste plus riche, mais trahit la stérilité de l’inventeur. On reproche au sculpteur d’avoir affaibli l’allégorie, en travestissant en Génie de la guerre cet enfant, qui n’était que l’Amour autrefois, et ajoutait réellement à l’idée du poète. D’autres censeurs disent que le sable est un attribut du Temps, et que c’est un défaut de costume de le donner à la Mort, ainsi que de la voiler. Cette dernière critique paraît tomber sur une hardisse trop ingénieuse de l’auteur pour ne pas la rejeter. Enfin on veut que l’invention du poëme soit de l’abbé Gougenot, amateur éclairé des arts, mort depuis quelque temps[136] et l’on assure que, par une modestie aussi sublime que l’ouvrage même, le sieur Pigalle n’en disconvient pas, et publie lui-même l’anecdote.

2 Aout. — Madame Senac, dont on a tant parlé, et dont le mari, dans sa jalousie contre M. le comte de La Marche, a donné des scènes si ridicules et si plaisantes au public, s’est soustraite depuis quelque temps aux bontés de ce prince du sang, et s’est laissée aller à quelque faiblesse envers M. le duc de Fitz-James. Le comte de La Marche, indigné de cette préférence, paraît avoir porté ses vues sur une autre bourgeoise très-aimable, qu’on appelle madame Prévôt de Chantemerle. Un jour qu’elle soupait chez le sieur Baudouin, capitaine aux gardes, ce prince fit dire à cet officier qu’il lui ferait l’honneur de s’y rendre. Cette présence a beaucoup alarmé le mari. Quant à madame Prévôt, il paraît qu’elle a toute la reconnaissance qu’elle doit aux bontés d’un grand prince, et qu’elle trouve, ainsi que faisait madame Senac et que à d’autres feraient, la jalousie de son mari très-déplacée.

4. — Le sieur De Rosoy entré à la Bastille le samedi 13 mai, en est sorti le samedi 21 juillet, après avoir expié son double crime littéraire d’avoir fait imprimer sans permission les deux ouvrages dont on a parlé, savoir les Jours d’Ariste et le Nouvel Ami des hommes, et d’avoir inséré dans l’un et dans l’autre des maximes nouvelles et hardies que le Gouvernement désapprouve, et qu’il a voulu réprimer. Le premier traité roulait sur la morale, et le second sur la politique. Il prétend que madame la duchesse de Grammont et M. le duc de Choiseul ont beaucoup contribué à son élargissement.

Quant à sa requête au chancelier contre le sieur Palissot, voici ce qu’il raconte. Une vingtaine de petits auteurs, à la tête desquels était le sieur Baculard d’Arnaud, sont venus le trouver pour l’engager à se joindre à eux et à solliciter auprès du chef de la librairie une défense au sieur Palissot de faire paraître la suite de sa Dunciade, dont ils redoutaient la publicité. Pour mieux l’exciter, ils lui ont rapporté ce que le poète satirique y disait de lui, et les anecdotes scandaleuses qu’il y mettait sur son compte. Alors, sans vouloir faire aucune ligue, après avoir vérifié ce qui le concernait, il avait effectivement porté plainte au chef de la magistrature, par le lieutenant-général de police, contre le sieur Palissot, pour son propre compte, et sur ce qui le concernait seulement, en prévenant M. de Sartine de la réclamation générale qui devait suivre ; mais il se plaint que ses lâches compagnons l’aient abandonné, et n’aient osé se joindre à lui dans un projet qu’ils lui avaient suggéré. Du reste, il disculpe le sieur Palissot, et ne le croit pas coupable de l’infâme récrimination par laquelle on a prétendu qu’il avait dénoncé le sieur De Rosoy à la police.

7. — Vers faits à Versailles par une femme de vingt ans, le 16 juillet 1770[137]).

Fille à dix ans est un petit livret
Intitulé : le Berceau de nature.
Fille à quinze ans est un joli coffret
Qu’on n’ouvre point sans forcer la serrure.
Fille à vingt ans est un épais buisson
Dont maint chasseur pour le battre s’approche.
Fille à trente ans est de la venaison
Bien faisandée et bonne à mettre en broche.
À quarante ans c’est un gros bastion
Où le canon a fait plus d’une brèche.
À cinquante ans c’est un vieux lampion
Où l’on ne met qu’à regret une mèche.

8. — La diatribe de M. de Voltaire, qui a provoqué sanglante épigramme qu’on a citée[138], n’est autre chose que des Anecdotes sur Jean Fréron, imprimées il y a long-temps dans un recueil[139], mais qui n’avaient encore fait aucun bruit, et n’étaient pas parvenues à la connaissance de ceux qu’elles concernaient. Ce libelle, outre le sieur Fréron, diffame tous ceux que le vieillard de Ferney croit être les acolytes et les suppôts du journaliste. Le sieur Dorat, entre autres, qu’on sait être fort lié avec lui, se trouve aujourd’hui obligé de renier son ami, et dans une Lettre à M. de Voltaire, qu’il vient de faire imprimer, se disculpe absolument de ce commerce.

9. — On peut voir, dans l’atelier du sieur Pigalle, un petit buste, esquissé nouvellement par ce grand artiste, de la tête de M. de Voltaire. Rien de plus ressemblant que cette figure, pleine d’esprit et de feu. Cette rage de mordre, qui fait aujourd’hui le caractère distinctif du philosophe de Ferney, respire dans tous les traits de son visage, et la satire semble s’élancer de tous les plis et replis de cette face ridée.

10. — Lettre sur la Théorie des lois civiles, etc. où l’on examine entre autres choses s’il est bien vrai que les Anglais soient libres, et que les Français doivent ou imiter leurs opérations, ou porter envie à leur gouvernement[140]. Tel est le titre d’un livre attribué au sieur Linguet, et qui porte en effet l’empreinte de son imagination ardente et de son génie satirique. Il y défend le paradoxe de sa Théorie des Lois civiles, où il avait avancé que le despotisme était le meilleur des gouvernemens. À cette occasion, il dit des vérités dures et hardies ; il établit des parallèles singuliers et brillans, et il plaide sa cause avec tant d’esprit et d’adresse, qu’on serait tenté, sur son exposition, de préférer le gouvernement des tyrans orientaux à celui des États qui semblent les plus libres. En un mot, il renverse de fond en comble le système de Montesquieu dans son Esprit des Lois, et parle de ce grand homme avec une irrévérence, un mépris, une horreur même, bien propres à alarmer ses adorateurs. Mais ce qui paraît tenir le plus au cœur du sieur Linguet, est la critique que les auteurs du journal des Éphémérides ont faite de ses ouvrages. En conséquence, il tombe d’estoc et de taille sur ses adversaires.

À la suite de cette Lettre, et après quelques autres écrits qui ne sont pas aussi saillans, est une Lettre du même écrivain à M. le chevalier de *** sur l’histoire des Révolutions de l’Empire Romain, où le sieur Linguet, vivement piqué de l’épigramme répandue contre lui[141], à l’occasion de son Mémoire pour M. le duc d’Aiguillon, se disculpe d’avoir loué les Tibère, les Néron, d’avoir déprimé les Trajan, les Titus, etc., cite ses textes, et prouve l’injustice des reproches horribles qu’on lui fait à cet égard.

11. — La pièce du sieur Lemière[142], après être tombée dans les règles à la cinquième représentation, est absolument morte aujourd’hui à la sixième. On dit que l’auteur s’en prend à la chaleur du temps et au mauvais jeu des acteurs. Quoi qu’il en soit, relativement à la dernière circonstance, qui est vraie en elle-même, un plaisant a fait l’épigramme suivante :

J’ai vu cette Veuve indécise :
Ami, que veux-tu que j’en dise ?
Son sort est digne de nos pleurs.
Du bûcher elle est délivrée,
Mais c’est pour être déchirée
Par le public et les acteurs.

12. — Mardi dernier la distribution des prix de l’Université s’est faite avec toute la pompe accoutumée[143]. C’est l’abbé Delille, auteur de la traduction des Géorgiques, qui a prononcé le Discours latin[144]. Cette fête a pensé être troublée par une petite sédition des écolier qui ont voulu forcer le guet pour entrer, et qui, en effet, avaient déjà mis en fuite le guet à pied, lorsque le sieur Le Laboureur, commandant cette troupe, s’est présenté, a harangué d’abord la jeunesse révoltée, et n’ayant pu rien gagner par son éloquence, a mis l’épée à la main, et ordonné à la troupe de foncer au milieu d’elle, la baïonnette au bout du fusil. Les écoliers, intimidés par cet appareil belliqueux, se sont enfuis avec rapidité. Le dedans de l’assemblée a été aussi troublé par un enfant turbulent que le procureur-général a fait enlever pour être remis aux mains du guet.

13. — Le clergé est fort scandalisé d’un nouveau intitulé : Du Droit du souverain sur les biens-fonds du clergé et des moines, et de l’usage qu’il peut faire de ces biens pour le bonheur des citoyens[145]. On sent effectivement, par ce titre, combien il doit redouter la distribution d’un pareil mémoire. Aussi jette-t-il les hauts cris contre l’auteur et l’ouvrage. Les zélés voudraient les flétrir l’un et l’autre des censures ecclésiastiques ; mais les prélats les plus flegmatiques craignent que le châtiment n’illustre ce livre clandestin, et ne lui donne plus de publicité ; d’autres souhaiteraient plus judicieusement qu’on le réfutât.

En attendant que l’assemblée ait pris un parti définitif sur cet objet, elle s’occupe du soin de conserver le précieux dépôt de la foi, et de garantir les fidèles contre tout ce qui pourrait ébranler leur créance. Pour opposer une digue à ce torrent d’ouvrages abominables contre la religion, toujours les mêmes, mais que l’impiété reproduit infatigablement sous des figures diverses, elle a nommé le Père Bonhomme, Cordelier, docteur de Sorbonne, à cette illustre fonction. Il est chargé de ramasser les meilleurs écrits faits en faveur de la bonne cause, et d’en former un corps de preuves, suffisant pour repousser tous les argumens qu’on renouvelle, et réfutés d’avance dans ces traités aussi solides qu’éloquens.

14. — Il paraît que le livre de M. le marquis de Puysegur, intitulé : Discussion intéressante sur la prétention du clergé d’être le premier ordre d’un État, qui fit un grand scandale dans l’Église au commencement de 1768[146], a donné lieu à celui dont on a parlé sur le Droit du souverain ; mais l’auteur pousse son système plus loin ; il le développe, il l’étend, il en tire des conséquences, et, après avoir démontré que les richesses et les dignités politiques ne sont point essentielles à la religion, et qu’elles ne lui servent de rien, qu’elles sont même contraires à l’esprit de son institution, puisque son auteur ne l’a dotée d’aucun bien, qu’il a placé son berceau dans l’avilissement et la pauvreté, il démontre de quelle manière s’est opéré le changement, comment le clergé a séparé ses intérêts de ceux du reste des fidèles, et s’est substitué aux droits de l’Église invisible. Il discute ensuite si le peuple a pu donner, et le clergé récevoir, et il pulvérise tous les titres prétendus du clergé, même le titre si sacré de l’antiquité de la possession, duquel se prévalent les gens de main-morte, et qui s’écroule de lui-même par le vice imprescriptible de son origine.

Cet ouvrage passe pour être aussi de M. le marquis de Puységur.

15. — Le roi de Prusse a écrit à M. d’Alembert[147] à l’occasion de la souscription ouverte pour l’érection d’une statue de M. de Voltaire. Ce monarque lui apprend qu’il veut se réunir aux admirateurs de ce grand homme, et qu’il laisse son correspondant maître de porter à la somme qu’il jugera à propos, celle qu’il entend donner non en roi, mais en homme de lettres. Le prince loue beaucoup un pareil projet, qu’il suppose principalement éclos dans le sein de l’Académie Française, dont, à cette occasion, il exalte plusieurs membres. L’Académicien n’a pas manqué de faire part à ses confrères d’une lettre aussi flatteuse, et la compagnie, vivement touchée de reconnaissance envers ce roi poète et philosophe, a ordonné, par une délibération solennelle, que ladite lettre serait inscrite dans ses registres.

17. — Les prélats de l’assemblée du clergé ne se sont pas contentés du travail dont ils ont prescrit la tâche au Père Bonhomme, Cordelier, dont on a parlé ; ils ont entrepris eux-mêmes une Instruction pastorale anti-philosophique, c’est-à-dire une instruction où ils renversent cette philosophie irréligieuse, qui voudrait lutter contre l’Église et en saper les fondemens.

18. — Un Courtisan, sans doute, a voulu flétrir le Parlement par les vers suivans, où il semble l’accuser d’abuser de son pouvoir :

Elle Thémis a ceint le diadème :
Elle tient de Louis le sceptre dans sa main,
ElPour abroger par son pouvoir suprême
ElLe vieux respect qu’on porte au souverain.
ElGens, qui tenez le parlement de France,
Elle Dieu soit loué ! vous voilà rois.

ElOn ne saurait vous contester vos droits :
Vous les avez pesés dans la même balance
Elle Où l’on vous a vus tant de fois
Immoler au tuteur le pupille et les lois,
Elle En protestant d’obéissance.

19. — Il y a une requête[148] adressée au roi par les habitans de Saint-Claude contre les abbés et religieux dudit lieu, que l’on attribue à M. de Voltaire, et qui respire en effet tous les sentimens d’humanité dont est pétri ce poète philosophe.

20. — L’assemblée du clergé, depuis son ouverture, s’est spécialement occupée à consolider la foi ébranlée de toutes parts, et comme le concours de la puissance Séculière lui a paru nécessaire à ce grand œuvre, elle a provoqué le zèle du Saint-Père, qui, de concert avec elle, a sollicité le roi d’interposer son autorité en faveur de la religion. Le Parlement n’a pu se refuser à cette injonction, et les Gens du roi, depuis quelque temps, travaillaient à un Réquisitoire[149] contre les livres scandaleux les plus nouveaux, les plus répandus et les plus dangereux. Le réquisitoire a été présenté samedi aux chambres assemblées par M. Séguier. Il a été rendu arrêt qui condamne au feu tous les ouvrages en question ; mais par une humiliation sans exemple, on n’a point voulu admettre le réquisitoire de M. Séguier, et il ne sera point imprimé en tête de l’arrêt, suivant l’usage. Outre ce mécontentement personnel que la Cour a des Gens du roi à l’occasion de leur dernière mission à la Cour, on a trouvé que ce réquisitoire était une dérision perpétuelle de la religion, par l’affectation d’y présenter les morceaux les plus brillans des ouvrages condamnés, ainsi que les raisonnemens les plus forts, et d’y mettre à côté des citations misérables et des réfutations très-faibles. M. Séguier, dont le réquisitoire était déjà à l’impression, est allé le retirer de fort mauvaise humeur et couvert de confusion.

23. — Les Comédiens Italiens ont vers député J.-J. Rousseau, pour lui offrir ses entrées à leur spectacle, ainsi qu’à madame Rousseau. On assure qu’il les a acceptées ; ce qui serait une espèce d’engagement contracté de sa part de faire quelque chose pour eux : ce nouveau soutien renforcerait merveilleusement un théâtre dont le public est toujours engoué.

25. — L’Académie de Peinture et de Sculpture, moins exclusive que les autres, nous donne quelquefois l’exemple rare il est vrai, mais encourageant pour le sexe, de femmes admises dans son sein. Le 28 juillet dernier, demoiselle Vallayer[150], âgée de vingt-deux à vingt-trois ans, lui a été présentée, et a été agréée ce même jour. Ses tableaux sont dans le genre des fleurs, des fruits, des bas reliefs, des animaux. On assure qu’elle a porté l’art si difficile de rendre la nature à un degré de perfection qui enchante et qui étonne. On en jugera au premier salon

26. — L’Académie Française n’a point décerné de prix de poésie cette année pour le jour de la Saint-Louis. M. Duclos, qui a ouvert la séance publique en sa qualité de secrétaire, en a donné pour raison qu’aucun des auteurs n’était entré dans le sens de l’Académie. Il court à ce sujet une anecdote, suivant laquelle cette raison ne serait que l’ostensible et non la vraie. On prétend que l’Académie avait été partagée entre deux pièces, l’une du sieur de La Harpe, et l’autre de l’abbé de Langeac ; que les partisans de ce dernier avaient cabalé fortement pour lui, et par la connaissance qu’ils avaient donnée de l’auteur, avaient entraîné presque toute l’assemblée ; que le marquis de Saint-Lambert seul avait tenu bon pour le premier, et avait ramené beaucoup de gens à son avis ; sur quoi il s’en était élevé un troisième, de laisser la chose indécise, pour ne pas donner de mortification au jeune abbé, et ne pas faire d’injustice au candidat, ce qui a été adopté.

Ensuite M. Thomas a lu l’Éloge de Marc-Aurèle. Cet orateur, pour rendre sa tournure plus neuve et plus imposante, commence son discours par le convoi de son héros. Là il suppose qu’un nommé Apollonius, ancien ami de ce prince, fait son oraison funèbre devant tous les Romains assemblés. Il donne d’abord l’idée des devoirs d’un souverain, tels que les avait conçus Marc-Aurèle ; il fait voir, après, comme il les avait remplis. L’allusion continuelle entre ce qui se passait alors, et les événemens actuels, que l’auteur a eu soin d’indiquer tacitement aux spectateurs, a rendu cette lecture extrêmement piquante, et la satire indirecte qui résultait naturellement du contraste a excité des applaudissemens continuels. On n’a point vu de lecture aussi chaudement soutenue que celle-là. Comme elle était extrêmement longue, le sieur Thomas s’est reposé un instant.

Le sieur Duclos a repris alors la parole ; il a déclaré que l’Académie laissait de nouveau le choix du sujet libre pour le prix de poésie, et qu’il serait distribué l’année prochaine avec celui de prose ; qu’au surplus il avertissait que la médaille ne serait que de cinq cents livres au lieu de six cents livres. Il a donné à entendre, sans s’expliquer ouvertement, qu’une main fiscale s’était étendue jusque dans le trésor des Muses, et avoir rogné un depôt qui aurait dû être sacré, c’est-à-dire qu’on avait mis un des impôts jusque sur ce petit et très-petit objet, ce dont M. de L’Averdy avait déjà donné l’exemple durant son ministère.

Après cette digression, le sieur Thomas a fini avec les mêmes applaudissemens son Éloge de Marc-Aurèle. Ce morceau d’éloquence a d’autant mieux les suffrages, qu’il a paru dégagé de cette emphase, de tout cet appareil oratoire, qu’on remarque dans les autres ouvrages de l’auteur.

Pour délasser un peu l’assemblée de la tension d’esprit que lui avait occasionée ce discours, M. le duc de Nivernois a lu six fables : le Seigneur et son Fermier, le Chêne et le Ruisseau, la Pyramide, l’Orgueilleuse, le Roi et son Gouverneur, le Lion inconsolable. Quoiqu’il résulte la même morale des trois premières, elles ont été entendues toutes avec la même curiosité et le même plaisir.

27. — Le sieur La Beaumelle, l’homme de lettres que M. de Voltaire déteste le plus peut-être après le sieur Fréron, prétend que ce philosophe a oublié ses principes de l’ordre et son amour de l’humanité, jusqu’au point d’envoyer aux vassaux d’une terre que le sieur La Beaumelle a en Languedoc, des écrits injurieux à leur seigneur[151]. Il dit que dans le premier mouvement de son indignation, ayant toutes les preuves nécessaires pour la conviction de l’anonyme, il a été sur le point de le faire décréter par son bailli ; mais, revenu à lui-même, il a cru plus sage de mépriser ces efforts impuissans d’un vieillard forcené ; il s’est contenté de le tourner en ridicule par une plaisanterie qu’il se propose de faire imprimer incessamment : elle aura pour titre : Dictionnaire à l’usage des gens de Lettres qui, au défaut de l’épée, voudront se battre à coups de plume ; et ce Dictionnaire[152] n’est qu’un extrait de toutes les invectives dont M. de Voltaire a farci beaucoup de ses ouvrages et sutout les derniers.

28. — Le clergé, à qui l’on a fait sentir le ridicule du titre d’Instruction pastorale antiphilosophique[153], l’a changé, et son ouvrage paraît aujourd’hui sous celui d’Avertissement du Clergé de France, assemblé à Paris par permission du roi, aux Fidèles du royaume our les dangers de l’incrédulité[154]. On sent déjà, à l’énoncé, combien celui-ci est singulier ; au surplus cet écrit de plus de soixante et dix pages d’impression in-4° est assez bien fait dans son genre ; il y règne surtout une modération extrêmement rare dans ces sortes de traités, trop souvent dictés par le fanatisme. On y accorde aux incrédules une chose, qui avait fourni matière jusqu’ici aux déclamations les plus indécentes et aux apostrophes les plus injurieuses ; on y convient que la vertu, la probité, et toutes les autres qualités morales, peuvent exister dans un homme indépendamment de la religion.


29. — L’avocat-général Séguier, extrêmement mortifié de la suppression de son Réquisitoire, déjà tout imprimé d’avance, et dont il avait promis d’envoyer le jour même des exemplaires à la Cour, a eu recours à la voie de l’autorité pour faire paraître son ouvrage. Il s’imprime actuellement au Louvre, par ordre du roi. On assure qu’il a supprimé ou absolument changé la phrase, page 26, du Réquisitoire imprimé chez l’imprimeur du Parlement, dont ses ennemis s’étaient prévalus pour lui donner cette humiliation, sous prétexte qu’elle était injurieuse aux Anglais. La voici telle qu’elle texte original, page 26, ligne 3 :

« N’est-ce pas ce fatal abus de la liberté de penser qui a enfanté chez les insulaires nos voisins cette multitude de sectes, d’opinions et de partis, cet esprit d’indépendance, qui finira par détruire cette Constitution même dont ils se glorifient ? »

1er Septembre. — L’Éloge de Marc-Aurèle fait un bruit du diable. On trouve bien extraordinaire que dans le sanctuaire de l’Académie, protégée par le roi, dans son palais, un membre de cette compagnie ait osé avancer les propositions les plus hardies, fronder le gouvernement actuel avec tant de dureté, et inculper, ce semble, tous des ministres, par des apostrophes et des allusions dont on ne peut méconnaître le sens et les rapports.

2. — Tandis que le Parlement proscrit les ouvrages dangereux dont il a été rendu compte par M. Séguier, l’incrédulité ne cesse d’en répandre de nouveaux, toujours tendant au même but, et remplissant le système réfléchi des ennemis conjurés de la religion, pour, après l’avoir attaquée dans son tout, la détruire successivement dans ses parties. Il nous est arrivé de Hollande depuis peu Examen critique de la vie et des ouvrages de saint Paul, avec une Dissertation sur saint Pierre[155]. Ces deux écrits, qu’on attribue dans le titre à feu M. Boulanger, n’ont pas les grâces et l’enjouement des productions de M. de Voltaire en ce genre-là, mais sont nourris d’une érudition profonde, et soutenus d’une logique contre laquelle il est difficile de résister, sans la grâce spéciale d’une foi vive et aveugle.

3. — Anecdotes sur Fréron, écrites par un homme de lettres à un magistrat qui voulait être instruit des mœurs de cet homme. Tel est le titre de ce misérable pamphlet, imprimé, en 1769, dans le second volume des Choses utiles et agréables. C’est une atrocité effroyable contre la famille, les mœurs, et la réputation de cet auteur. On y dévoile ses divers croupiers, savoir : MM. l’abbé de La Porte, l’abbé Du Tertre, ex-Jésuite, de Caux, de Rességuier, Palissot, Bret, Berlan, de Bruix, Dorat, Louis, Bergier, d’Arnaud, Coste, Blondel, Patte, Poinsinet, Vandermonde, de Sivry, Leroy, Sédaine, Castilhon, Colardeau, d’Éon de Beaumont, Gossard, etc. Il y a quelques coups de patte pour plusieurs de ces messieurs, mais légers ; M. Dorat surtout n’est que nommé, et il n’y a pas d’apparence que sa bile se soit allumée au point de produire l’épigramme qu’on lui attribue[156]. Du reste, on reconnaît parfaitement M. de Voltaire[157], au style et à ce talent particulier qu’il a pour dire des injures.

4. — On commence à voir dans l’atelier du sieur Pigalle une esquisse de la figure entière de M. de Voltaire. Il est représenté nu, assis, tenant un rouleau d’une main, et une plume de l’autre. Il paraît que cette manière de le poser n’agrée pas au public, et ce n’est pas le dernier effort de l’artiste, qui essaie les différentes attitudes pour faire valoir davantage ce squelette, sujet ingrat pour le statuaire.

5. — Le sieur d’Alembert, ce philosophe si célèbre dans l’Europe, frappé de vapeurs et d’étourdissemens, doit faire incessamment un voyage en Italie avec Condorcet. On espère que la beauté du climat, la diversité des lieux et la multitude de chefs-d’œuvre en tout genre que va voir ce grand homme, dissiperont la mélancolie dont il est atteint.

6. — Il y a une grande fermentation dans le corps des encyclopédistes et des partisans de M. de Voltaire contre M. Séguier, avocat-général. Le Réquisitoire de ce magistrat leur déplaît beaucoup d’abord, en ce que dans les seuls livres, au nombre de sept, qu’il a dénoncés à la cour, il ait affecté d’en choisir un[158] du dieu de la littérature, auquel on travaille actuellement à dresser une statue ; en second lieu, en ce qu’il n’a pas traité plus doucement les gens de lettres, les Académiciens ses confrères, et qu’il s’est permis contre eux des déclamations, vagues il est vrai, qui ne caractérisaient personne en particulier, mais que les moins instruits sentent cependant tomber indirectement sur les encyclopédistes.

7. — L’Académie Française a tenu hier sa séance publique pour la réception de M. l’archevêque de Toulouse, élu à la place de M. le duc de Villars. L’assemblée était très-brillante en femmes, en évêques et en grands seigneurs. On a trouvé le discours du récipiendaire très-médiocre. Il a été court : on y a remarqué quelques transitions heureuses, entre autres la dernière, où, sous le prétexte de l’impatience qu’il voyait dans le public d’entendre M. Thomas, le directeur, il s’est arrêté et a fini.

En effet, le discours de M. Thomas a produit une grande sensation, et malgré les longueurs, les écarts, les digressions, il a été reçu avec beaucoup de transports. On y a trouvé un détail sur l’esprit des affaires, qui a paru neuf ; un parallèle de l’homme de lettres de la ville avec l’homme de lettres de la cour. Mais on a surtout applaudi à la sortie vigoureuse qu’il a faite contre ces hommes en place qui, ayant désiré, par amour-propre, d’être admis dans le sein de l’Académie, la trahissent en calomniant les lettres et leurs sectateurs. En rendant justice à quelques grands qui ont eu le courage de défendre leurs confrères Académiciens opprimés, il a flétri d’une ignominie durable les âmes lâche et pusillanimes qui n’auraient pas la même force ; les courtisans hypocrites, qui désavouent en public des hommes qu’ils estiment en secret ; des hommes vendus à la faveur, qui lui soumettent tout, jusqu’à leur génie, et concourent à éteindre des lumières que redoute le despotisme. On a prétendu que les divers hors-d’œuvre du discours de l’orateur n’avaient été placés que pour amener insensiblement celui-ci, et faire rougir, s’il était possible, M. Séguier du rôle indigne qu’on lui reproche d’avoir joué dans la dénonciation, dont il avait été chargé au Parlement, des livres scandaleux contre lesquels le clergé se soulevait. On a remarqué en effet beaucoup d’embarras dans cet Académicien, qui était présent, et qui pendant toute la tirade faisait une très mauvaise contenance. Quoi qu’il en soit, ce discours, malgré ses défauts, est peut-être le plus plein, le plus éloquent, le plus philosophique, qui ait été fait en pareil genre.

Pour remplir la séance, M. Marmontel a lu un épisode de son poëme en prose des Incas, ou la Destruction de l’empire du Pérou. Dans cet épisode, Las Casas, le défenseur des Indiens contre les cruautés des Espagnols, fait un voyage chez un cacique, qui, frappé de la grandeur des sentimens de cet étranger, de sa bienfaisance, de ses vertus héroïques, adopte le Dieu dont la morale est si belle. L’auteur, par ce chant adroitement amené, a voulu faire rougir indirectement les persécuteurs de l’auteur du Bélisaire, qui, lorsqu’on l’accusait de déisme et d’athéisme, mettait dans un aussi beau jour la religion chrétienne et s’en faisait l’éloquent apologiste. Quant au fonds du récit, il est tracé d’une manière extrêmement touchante, et le ton pathétique du poète a fait verser des larmes plusieurs auditeurs.

M. le duc de Nivernois a terminé la séance par huit fables qu’il a lues : le Vigneron et le Roi, les Écrevisses, le Vautour et la Tortue, Jupiter et la Femme, l’Aigle et le Roitelet, l’Écolier en bateau, le Voyageur de nuit, le Vieillard à l’hôpital. On reçoit toujours avec un nouveau plaisir les productions de cet aimable seigneur, qui joint l’enjouement à la sagesse, et orne de fleurs la morale la plus exquise et la plus sublime.

Le comte de Vasa, le fils du roi de Suède, arrivé depuis quelques jours en cette capitale, a honoré l’Académie de sa présence, et a pris rang parmi les Académiciens, ainsi que quelques seigneurs de sa suite.

8. — M. de Voltaire vient de répandre une petite brochure de cinquante-six pages in-8°, intitulée : Dieu ; Réponse au Système de la Nature. Il parle de cet ouvrage, comme tiré d’un autre qui n’a point paru, en plusieurs volumes, intitulé : Questions sur l’Encyclopédie. Quoi qu’il en soit, dans ce petit essai l’auteur prétend que celui du Système de la Nature s’est trop laissé aller à son horreur pour le fanatisme, ou à son mépris pour les méthodes employées dans l’École à la démonstration de l’Être suprême. Il lui abandonne le dieu des prêtres et celui des théologiens ; mais il lui demande grâce pour le dieu des honnêtes gens. Il rapporte à l’appui de son assertion tous les lieux communs déjà épuisés à cet égard ; il étale une érudition dont il aime à se parer dans ces sortes d’ouvrages ; il y mêle cet esprit de plaisanterie, ce ton ironique, ces invectives qu’il a continuellement à la bouche contre ses ennemis, ou contre ceux qui n’adoptent pas ses opinions ; et il réfute si mal le philosophe qu’il prétend combattre, que ce pamphlet peut passer pour le traité d’athéisme le plus formidable, par l’adresse avec laquelle M. de Voltaire a rapproché les divers argumens de son adversaire, qui restent dans toute leur force, et n’en reçoivent que davantage par cette réunion lumineuse, rapide et serrée.

Au moyen du soin qu’a eu M. de Voltaire d’extraire ainsi le livre du Système de la Nature, ouvrage en trois volumes in-8°, où tout le monde ne pouvait pas mordre, et qui n’était fait que pour les têtes fortement organisées, l’athéisme, ainsi dégagé de toute la forme syllogistique, enrichi de toutes les grâces du style et de tout le piquant de la satire, va se répandre sur toutes les toilettes et infecter les esprits les plus frivoles.

10. — Le sieur Le Kain forme, pour la Comédie Française, un acteur[159] dans le tragique, dont il donne les plus grandes espérances, quant au talent. Il a cinq pieds six pouces, de grands yeux noirs, des sourcils très-prononcés, le reste de la figure à l’avenant : il n’a dix-neuf ans. Déjà cet Adonis porte le désordre dans le sérail des actrices : mademoiselle Dubois surtout a jeté son dévolu sur lui ; elle a déclaré qu’elle voulait jouer les rôles de toutes les pièces où il paraîtrait, et sous prétexte de faire des répétitions avec lui, elle l’attire chez elle ; ce qui donne une jalousie prodigieuse à ses consœurs.

12. — Le sieur Thomas et la cabale encyclopédique s’applaudissaient de la sortie vigoureuse que le premier avait faite dans son discours dont on a parlé. On travaillait à son impression ; mais M. le chancelier, sur les plaintes de l’avocat-général Séguier, a envoyé chercher le manuscrit et l’auteur ; il a défendu à ce dernier de faire paraître son ouvrage, lui a déclaré qu’il le rendait responsable de tout fragment quelconque qui s’en répandrait et le ferait rayer de la liste des Académiciens. Indépendamment de cette secousse particulière, le clergé, moins indulgent, se remue de son côté ; il est indigné que le sieur Thomas ait choisi le jour de réception d’un archevêque, où beaucoup de prélats étaient présens à la cérémonie, pour semer devant eux des propositions damnables et les associer en quelque sorte à son irréligion, en les promulguant sous leurs yeux.

13. — À la suite du petit pamphlet intitulé : Dieu ; Réponse au Système de la Nature, M. de Voltaire a inséré une espèce de réfutation d’un livre qui a paru, il y a déjà du temps, ayant pour titre : Lettres de quelques Juifs portugais et allemands à M. de Voltaire, avec des réflexions critiques, etc. Leur objet était de relever plusieurs erreurs, qu’ils regardent comme échappées à ce grand homme en parlant des livres sacrés. Les principales sont d’assurer que Moïse n’avait pas pu écrire le Pentateuque ; que l’adoration du veau d’or n’avait pas pu avoir lieu, parce qu’on ne peut réduire l’or en poudre, et que d’ailleurs on n’avait pu fondre cette statue en trois mois. Les auteurs de la brochure y avaient mis toute la modération, toute la politesse possible. Le philosophe de Ferney, sentant combien il serait indécent d’invectiver des écrivains qui dissertaient aussi honnêtement, prit le prétexte de supposer ces lettres écrites par je ne sais quel cuistre[160] du collège du Plessis, qu’il traîne sur la scène, qui lui sert de plastron, et contre lequel il vomit les flots de bile qui le suffoquent de temps en temps. Excepté ces injures et un appareil d’érudition que M. de Voltaire développe à son ordinaire, toute la partie du raisonnement est faible et vient se briser contre la logique claire et pressante de ses adversaires. Il paraît que cet autre pamphlet fera aussi partie des Questions sur l’Encyclopédie

15. — M. Thomas a eu une explication avec M. Séguier, où il a déclaré à ce magistrat qu’il n’avait nullement eu en vue d’attaquer son Réquisitoire ; que son discours était fait avant que cet ouvrage parût, et qu’il l’avait lu devant gens en état de l’attester : d’un autre côté, il est certain que l’abbé de Voisenon prévint M. Séguier avant la séance, et lui déclara en plaisantant qu’il s’attendît à être bien tancé. On sait d’ailleurs que, dans une assemblée, M. le marquis de Paulmy, craignant quelque coup d’éclat de la part de M. Thomas, avait proposé de faire lire le discours de ce dernier dans un comité particulier ; que sur ce qu’on avait objecté que ce n’était pas l’usage, il avait dit qu’il le savait ; mais que dans cette circonstance, il croyait qu’il serait prudent d’y déroger ; qu’on connaissait l’enthousiasme fanatique de cet orateur, dont il pourrait résulter du désagrément à la compagnie ; que cependant la pluralité ayant été pour ne pas innover, la proposition n’avait pas eu de suite. On peut concilier tous ces témoignages en disant que le discours de M. Thomas pouvait effectivement avoir été fait et lu avant le Réquisitoire de M. Séguier, mais que depuis, pour venger la cabale encyclopédique, trop clairement dépeinte dans cet ouvrage, il avait ajouté à ce discours toute la tirade qui a fait tant de bruit. Cette conjecture est d’autant plus vraisemblable, que le très-long discours de M. Thomas n’a pas un certain ensemble, une parfaite cohérence des parties, en un mot ne paraît pas fondu d’un seul jet.

16. — Le sieur La Beaumelle, semblable au milan qui, dépouillé par l’aigle, laissait croître ses plumes dans le silence pour se venger de son ennemi, après avoir passé douze ans dans la retraite, lacéré de toutes parts par M. de Voltaire, est sorti, comme on a dit[161], armé de pied en cap, et va lui rendre tous les coups qu’il en a reçus. Il fait imprimer actuellement la Henriade corrigée, où il trouve plus de trois mille vers a reprendre. Il attaque encore mieux le plan : mais, par une maladresse impardonnable, il s’est avisé de vouloir substituer ses vers à ceux de M. de Voltaire. C’est La Motte qui traduit l’Iliade en vers. Le sieur de La Beaumelle a en outre un Commentaire sur toutes les Œuvres de ce poète, dans le goût de celui que le dernier a fait des Œuvres de Corneille. Indépendamment de ces ouvrages de critique, l’auteur en question en a beaucoup d’autres, tels que des traductions, une Vie de M. de Maupertuis, avec la correspondance du roi de Prusse, lue Vie d’Henri IV, etc.[162].

18. — On prétend que l’Académie Française, sur le rapport d’un de Messieurs concernant les plaintes portées par M. Séguier à M. le chancelier contre M. Thomas, a délibéré sur ce qu’il y avait à faire, et que l’affaire ayant été bien éclaircie, le tort se trouvant du côté de l’avocat-général, il a été décidé que ce ne serait que par respect pour son nom qu’on ne prendrait contre ce magistrat aucune délibération violente, mais qu’on ne communiquerait point avec lui. On assure encore que M. l’archevêque de Toulouse s’est entremis en faveur du sieur Thomas auprès du clergé, a répondu de ses sentimens religieux, de sa saine doctrine, et a arrêté les démarches que les prélats zélés voulaient faire contre cet Académicien auprès du roi. Par la même honnêteté, le discours de M. Thomas, comme directeur, le jour de la réception de ce nouveau membre, ne pouvant paraître imprimé d’après le défenses de M. la chancelier, l’archevêque de Toulouse a décidé que le sien ne paraîtrait pas non plus ; ce qui est le premier exemple de cette nature.

19. — Le sieur Dorat, qui adresse successivement des vers à toutes les nymphes de Paris, et dont les poésies jour le journal galant des diverses divinités qui auront régné successivement, vient d’adresser une Epître à mademoiselle Dervieux, jeune danseuse de l’Opéra, qui à des grâces naissantes joint un talent très décidé pour son art.

20. — Les Comédiens Italiens ordinaires du roi, qui depuis long-temps n’avaient rien donné de nouveau, ont joué aujourd’hui pour la première fois le Nouveau Marié, ou les Importuns, opéra comique en un acte mêlé d’ariettes. Le public, sachant que ces Comédiens avaient beaucoup d’autres pièces qu’ils réservaient pour Fontainebleau, et qu’ils ne donnaient celle-là que parce qu’ils la jugeaient la plus médiocre, ne s’est pas pressé d’y aller, en sorte qu’il y avait fort peu de monde ; cependant elle n’a pas tombé et aura quelques représentations. Les paroles sont du sieur Cailhava d’Estandoux qui a mieux réussi aux Français. La musique est d’un auteur peu connu[163], et l’on sait qu’en généralsous les auspices de celle-ci que passe le poëme.

— La querelle de M. Thomas avec M. Séguier a donné lieu à une espèce d’épigramme ou de chanson, qui roule sur le zèle hypocrite que ce dernier a fait paraître pour la religion dans son Réquisitoire, et qu’on assimile à l’ardeur que le sieur Fréron affecte dans ses feuilles pour la même cause :


Entre Séguier et Fréron
Jésus disait à sa mère :
« Enseignez-moi donc, ma chère,
Lequel est le bon larron ? »

22. — M. le chevalier de Laurès, auteur estimable qui a remporté plusieurs fois le prix à l’Académie Française, est à solliciter depuis plusieurs années, auprès des Comédiens Français, l’examen d’une tragédie qu’il se propose de donner au public. Ne pouvant avoir accès auprès de cet aréopage, il a adressé une courte Épître a M. le marquis de Chauvelin, seigneur recommandable par son goût pour les lettres, et il le sollicite de lui accorder sa protection auprès du tribunal en question. Voici cette singulière supplique :


Animé par ta voix, par ton goût éclairé,
Je sentis dans mes sens une flamme nouvelle,
Je Et fis passer dans mon drame épuré
Je EtQuelques traits de ce feu sacré,
Je Dont ton esprit, Chauvelin, étincelle.
Mais ton génie en vain sur mes faibles écrits
Aurait fait réfléchir un rayon de ta gloire,
Si mes travaux dans l’ombre étaient ensevelis ;
Je De tes bienfaits tu perdrais tout le prix,
S’ils ne pouvaient, hélas ! vivre qu’en ma mémoire.
Sers ma reconnaissance, et préviens ce malheur :
Je EtQue de nos juges de la scène
Ta main officieuse enchaîne la rigueur,
Je EtEt que l’urne de Melpomène,
Favorable à mes vœux, m’annonce un sort flatteur.
Je le dois obtenir, puisque j’ai ton suffrage,
Je EtEt mes succès seront l’ouvrage
Je EtDe ton esprit et de ton cœur.

23. — On a parlé du théâtre de mademoiselle Guimard à sa délicieuse maison de Pantin, et des spectacles qu’on y jouait avec toute la galanterie possible. Voici le très-singulier compliment de clôture qui y a été prononcé la semaine dernière, le jour où l’on a représenté pour la dernière fois.

Messieurs,

« Autant que l’usage des choses de théâtre a pu me donner de pratique… non, je mets la charrue devant les bœufs, Messieurs, je veux dire : autant que la pratique des choses de théâtre a pu me donner d’usage, j’ai marqué en général, j’ai même expérimenté, que clôtures sont bien plus difficiles à faire que les ouvertures ; que le moment où l’on rentre a quelque chose de bien plus gracieux, de plus agréable, que le moment où l’on sort ; et que les actrices ne pourraient jamais se consoler des regrets de la sortie, si elles n’envisageaient l’espérance d’un bout de rentrée. Ce discours tend à vous montrer d’un clin d’œil, à vous exposer d’une manière qui ne tombera pas en oreille d’âne, Messieurs, à rapprocher enfin par un trait insensible les avantages de la sortie d’avec ceux de la rentrée, la clôture, enfin, de l’ouverture. Mais ne pensons point à l’ouverture, quand nous en sommes à la clôture : ne pensons pas commencement du roman, quand nous en sommes à la queue. C’est le plus difficile à écorcher, Messieurs ; on le sait, et c’est pour cela que je rentre dans la matière de mon compliment, et que j’en reviens à la clôture d’aujourd’hui, qui fait le fond de mon sujet.

« Vous trouverez notre clôture bien courte, bien petite, en comparaison des ouvertures si grandes, si brillantes, Mesdames, dont nous vous sommes redevables. Quelles obligations ne vous avons-nous pas pour les avoir soutenues ainsi agréables, douces et faciles, pour avoir écarté à propos ces critiques qui vilipendent sans cesse un acteur, l’obligent de se retirer la tête basse et la queue entre les jambes ! Vous avez soutenu notre zèle, suppléé à notre faiblesse, en nous prêtant généreusement la main pour nous dresser selon vos désirs, et nous avez mis par ce moyen dans le cas d’entrer en concurrence avec les sujets du premier talent, qui marchent toujours la tête levée, et auxquels on ne peut reprocher qu’un peu trop de roideur, défaut dont ils se corrigeront aisément.

« Que dis-je ? je m’aperçois que je m’allonge un peu trop sur les efforts de nos acteurs ; que je pourrais m’étendre sur quelques-unes de nos actrices. Mais ce n’est pas là le moment : je me contenterai de vous dire que si nous donnons aujourd’hui quelque relâche à vos amusemens et à notre spectacle, c’est reculer pour mieux Sauter. Et, quoiqu’il ne soit pas permis à tout le monde d’être heureux à la rentrée, c’est cependant sur elle que nous fondons toute notre espérance ; et voici quel en est le motif :


Air : Je suis gaillard.

Esope un jour avec raison disait,
EsQu’un arc qui toujours banderait
EsopSans doute se romprait.
EsoSi le nôtre se repose,
EsMesdames, c’est à bonne cause,
EsopÀ ce qu’il nous paraît.
De ce repos vous verrez les effets ;
EsopNous ferons des apprêts
EsopPour de nouveaux succès ;
EsEt nous le détendrons exprès
Pour mieux le tendre après. »

C’est le sieur de La Borde, premier valet de chambre du roi, grand amateur et compositeur de musique, le directeur des spectacles de mademoiselle Guimard, qui a commandé le compliment ci-dessus au sieur Armand fils, concierge de l’hôtel des Comédiens, et auteur de quelques drames, en le priant de le faire le plus polisson, le plus ordurier qu’il serait possible. Il y avait d’honnêtes femmes à ce spectacle, mais en loge grillée ; car ce sont les filles qui occupent l’assemblée et remplissent la salle.

25. — La Cour des Aides avait arrêté qu’il serait fait des remontrances au roi sur l’enlèvement, à Compiègne, des deux magistrats de la députation du Parlement de Bretagne. Ce Parlement étant aussi Cour des Aides dans son ressort, celle de Paris, comme fraternisant avec elle, avait cru ne pouvoir se dispenser de ce devoir ; mais le roi a trouvé cette démarche déplacée, et n’a pas voulu les recevoir. Ces remontrances, conséquemment, sont restées consignées au greffe d’où elles semblaient ne devoir sortir ; mais quelque copiste infidèle en a laissé transpirer des exemplaires manuscrits, et le public les recherche avec avidité. Elles sont courtes, et retracent d’une façon énergique le cruel tableau des proscriptions et des tyrannies exercées en Bretagne ; elles en désignent les auteurs avec des couleurs vraies et effrayantes ; elles attaquent enfin et renversent ces maximes terribles dont les adulateurs du trône font la base du pouvoir des rois, ou plutôt des despotes. On peut leur reprocher un ton de dureté qu’on sent naître de l’indignation de l’âme libre et fière qui les a suggérées, mais qu’on trouve toujours déplacé en parlant à un souverain. On les attribue à M. de Malesherbes, premier président de cette cour, et elles sont en effet dans son style[164].

26. — Un baron allemand, officier dans le régiment d’Anhalt, s’est enfermé un de ces jours derniers dans sa chambre avec son chien. Il a brûlé la cervelle de cet animal avec un pistolet, et s’est passé plusieurs fois son épée à travers le corps, mais sans se blesser à mort sur-le-champ : il est tombé en faiblesse, et n’a pu s’achever. Le bruit de l’arme à feu ayant excité une rumeur dans la maison, on est accouru à l’endroit d’où il partait ; on a enfoncé la porte, et l’on a trouvé ce spectacle tragique. On a fait revenir l’officier, qui ne mourra point, à ce qu’on espère. Il paraît que le dégoût de la vie, qui gagne considérablement dans cette capitale, a été la cause de ce suicide. Interrogé pourquoi il avait tué le chien, il a répondu qu’il aimait beaucoup cet animal ; qu’il craignait qu’il ne fût malheureux en lui survivant. Interrogé pourquoi il avait préféré le pistolet pour tuer le chien, il a répondu que c’était par une suite du même attachement qu’il avait choisi de donner à ce compagnon fidèle la mort la plus prompte, la moins douloureuse et la plus sûre ; que pour lui il avait regardé l’épée comme un instrument du trépas plus digne de lui. On voit par là que l’extravagance même de l’officier était combinée et réfléchie. On ne peut se rendre raison d’un sang-froid aussi extraordinaire. On accuse de nouveau la philosophie du jour, comme autorisant de pareils forfaits, et comme les encourageant d’une manière trop sensible par l’expérience.

29. — L’Épître du sieur Dorat à mademoiselle Dervieux, qui paraît tomber indirectement sur mademoiselle Guimard, a excité la jalousie de cette dernière danseuse, qui voit ses talens prêts à être éclipsés par les talens naissans de la moderne Hébé. Elle a eu recours à quelque poète à ses ordres, qui a vomi des vers infâmes contre la rivale de cette actrice, et les partisans de celle ci ont enchéri et enfanté une Épître[165] où l’on fait un portrait effroyable de mademoiselle Guimard. Cette querelle occasione une grande fermentation parmi les demoiselles de l’Opéra, et les amateurs de ce spectacle prennent parti pour ou contre, suivant leurs affections particulières. On ne sait comment finira cette division, qu’on traite fort gravement ; le sieur de La Borde, directeur des spectacles de mademoiselle Guimard, est furieux de voir dégrader ainsi la divinité qui reçoit ses hommages,

30. — Madame la comtesse Du Barry fait faire un superbe vis-à-vis. Il est aujourd’hui achevé, et le public se porte en foule pour le voir chez le sellier. Rien de plus élégant et de plus magnifique en même temps. Ceux de madame la Dauphine, envoyés à Vienne, n’en approchaient pas pour le goût et la délicatesse du travail. Outre ses armoiries, formant le fond des quatre panneaux sur un fond d’or qui couvre tout l’extérieur de la voiture, avec le fameux cri de guerre : Boutez en avant, on trouve répétés sur chacun des panneaux de côté, d’une part, une corbeille garnie d’un lit de roses, sur lequel deux colombes se becquetent amoureusement ; de l’autre, un cœur transpercé d’une flèche, le tout enrichi de carquois, de flambeaux, enfin des attributs du dieu de Paphos. Ces emblèmes ingénieux sont surmontés d’une guirlande de fleurs en Burgos, qui est la plus belle chose qu’on puisse voir. Le reste est proportionné : le siège du cocher, les supports des laquais par-derrière, les roues, les moyeux, les marche-pieds, sont autant de détails précieux qu’on ne peut se lasser d’admirer, et qui portent l’empreinte des grâces de la maîtresse de ce char voluptueux. Jamais les arts n’ont été poussés à un tel degré de perfection.

1er Octobre. — L’auteur de l’Examen critique de la vie et des ouvrages de saint Paul[166] vient de répandre une Histoire critique de Jésus-Christ, ou Analyse raisonnée des évangiles[167], avec cette double épigraphe : Ecce homo, et plus bas : Pudet me humani generis, cujus mentes et aures talia ferre potuerunt. Saint Augustin. On parlera plus amplement de cet ouvrage remarquable, qui est précédé de la fameuse Épître à Uranie, qu’on sait être de M. de Voltaire. Il la composa en 1732, et la dédia à madame la comtesse de Rupelmonde, dame de palais de la reine. On ne pouvait mieux ouvrir cet ouvrage impie que par une pièce de poésie qui y a beaucoup de rapport, et qui lui sert comme de texte.

3. — On raconte que M. le duc de La Vrillière ayant, en présence de M. le duc de Chartres, annoncé qu’il était surprenant que M. de La Chalotais ne se fût pas rendu aux propositions avantageuses qu’on lui avait faites de la part du roi, le prince avait relevé ce propos, et déclaré, au contraire, qu’il estimait beaucoup le magistrat d’avoir préféré son honneur et sa justification à toutes les faveurs et grâces de la cour : sur quoi le duc ayant répliqué qu’il était surpris du propos de monseigneur, M. le duc de Chartres lui a fermé la bouche en lui faisant sentir tout le mépris que lui inspirait cette surprise qu’il osait lui témoigner aussi indécemment. Cette conversation du prince a fait grand plaisir à ceux qui l’ont apprise, et annonce une âme juste et sublime.

4. — Le sieur Boré, banquier très-connu, protestant, étant mort ces jours passés, a été enterré sans difficulté par M. le curé de Saint-Eustache, paroisse du défunt. Cet événement, qui scandalise beaucoup les dévots, est la suite, à ce qu’ils prétendent, de l’adresse du testateur, qui, dans le préambule de son acte, après avoir recommandé son âme à Dieu et son corps à la terre, après avoir sollicité pour lui les prières de M. le curé, lui lègue pour les pauvres de sa paroisse une certaine somme. Le curé ayant trouvé ce testament très-catholique, a accordé tous les honneurs funéraires à ce banquier, quoiqu’il fût notoirement de la religion réformée, qu’il n’eût point reçu les sacremens de l’Église, et qu’il fût mort sans avoir fait aucune abjuration.

6. — Tout le monde n’est pas enthousiaste de M. de Voltaire, et il est des gens qui, en rendant justice à ses talens, ont une horreur invincible pour sa persome. On cite une épigramme[168] sur sa statue dont on voit l’esquisse chez le sieur Pigalle, éclose, sans doute, sous la plume d’un des détracteurs de ce grand homme.

7. — Le bruit ayant couru que M. le comte de Saint-Florentin, depuis qu’il est revêtu de sa nouvelle dignité[169], cherchait à se donner des descendans à qui la transmettre, et en conséquence devait épouser mademoiselle de Polignac, on a vu avec surprise l’épigramme suivante, insérée dans des bulletins de nouvelles, que paraît autoriser la police. Voici cette épigramme :

Des cafés de Paris l’engeance fablière,
Qui raisonne de tout et ab hoc et ab hac,
Sur ses prédictions rédigeant l’almanac,
Sur seDonne pour femme à La Vrillière
Sur seLa fille du beau Polignac.
« Ah ! si l’ingrat jamais avait cette pensée,
S’écria Sabbatin, se frappant l’estomac,
Sur seJ’étranglerais, comme une autre Médée,
Tous ces Phelypotins, soi-disant de Langeac. »

8. — Dans les petits soupers que fait M. le duc d’Orléans avec mademoiselle Marquise, aujourd’hui madame de Villemonde, on se livre à cette aimable gaieté, à cette liberté franche qui fait l’âme de la société, et que les princes seraient trop malheureux de ne pas connaître. Les gens de lettres qui ont l’honneur d’y être admis, excités par tout ce qui peut aiguiser l’esprit, y produisent d’ordinaire des bons mots, des saillies, des chansons délicieuses. On parle d’une, entre autres, faite dans un de ces festins, où l’on retrace d’une façon naïve les amours des héros de la fête[170].

9. — Il passe pour constant que le magnifique carrosse de madame la comtesse Du Barry, dont on a parlé, est à vendre. On n’en sait pas exactement la raison. Les uns prétendent qu’elle n’en est pas contente, et qu’il ne lui a pas paru assez achevé ; d’autres disent que le roi, au contraire, l’a trouvé trop beau, et ne veut pas qu’elle s’en serve. On ajoute que la critique de Sa Majesté avait occasioné une petite bouderie de la part de la dame. Quoi qu’il en soit, il paraît sûr qu’elle veut s’en défaire, et l’on ajoute que le prix n’est que de 15,000 livres, ce qui serait une grande perte pour madame Du Barry, si cette voiture en a coûté 50,000, comme on l’a débité. Il est des gens qui assurent que c’est un présent que M. le duc d’Aiguillon a fait à cette dame en faveur des bons offices qu’elle lui a rendus dans son procès ; c’est ce qu’il faut supposer pour entendre quelque chose à l’épigramme suivante.


Pour qui ce brillant vis-à-vis ?
Est-ce le char d’une déesse,
Ou de quelque jeune princesse ?
S’écriait un badaud surpris.
— Non, de la foule curieuse
Lui répond un caustique, non :
C’est le char de la blanchisseuse
De cet infâme d’Aiguillon.

12. — On a pu lire dans quelques ouvrages périodiques la traduction du De profundis de la façon du sieur Piron, et les gens religieux se sont applaudis de voir un aussi grand homme faire un retour vers Dieu et reconnaître que hors le salut tout est vanité, et qu’il n’y a de plaisir et de vrai bonheur que dans une conscience timorée. Ce fameux poète vient de rendre à notre sainte religion un hommage moins éclatant, mais qui n’en paraît que plus édifiant et plus sincère ; il a écrit, au bas d’un crucifix qu’il a dans sa chambre, le quatrain suivant :


<poem<De l’enfer foudroyé quels sont donc les prestiges ! De ta religion en ce signe éclatant Contemple, ô chrétien, à la fois deux prodiges : Un Dieu mourant pour l’homme, et l’homme impénitent. </poem>

13. — Dans le vieux château de Chaource, près de Bar-sur-Seine, on a trouvé d’anciens statuts d’un ordre établi autrefois par une comtesse de Champagne, sous le nom de l’Ordre de la Constance. Des gentilshommes du canton se sont réunis pour le faire revivre, et ont élu grande maîtresse la dame du lieu, connue par sa bienfaisance envers ses vassaux. Elle donne à ceux qu’elle admet un cœur de diamant attaché à un ruban bleu, que les hommes ainsi que les femmes portent à l’instar de l’Ordre du Mérite. La roture, comme la noblesse, y est reçue, sans qu’il soit besoin de faire preuve de service. Le désir où l’on est de rétablir cet ordre ancien de galante chevalerie a fait nommer des députés pour solliciter des lettres patentes, afin de lui donner une forme stable et authentique, et qu’il n’ait pas le sort éphémère de l’Ordre de la Félicité, qui est tombé dans l’avilissement, et qui n’existe plus.

15. — L’officier du régiment d’Anhalt, dont on a rapporté l’aventure[171], n’est point mort de ses blessures, et il va autant bien que peut le permettre son état. On croit qu’il en deviendra. Il tient fort à la vie aujourd’hui, et se repent beaucoup de l’excès auquel il s’est porté. Voici son histoire. Il se nomme M. le baron de Waxhen : il était allé au Wauxhall quelques jours avant sa catastrophe. M. de Létorière, petit-maître très-renommé par sa figure, ses bonnes fortunes et sa valeur, lui avait marché sur le pied imprudemment, et lui avait fait toutes les excuses convenables et usitées en pareil cas. Il croyait en être quitte : mais le soir il reçoit un billet du baron, qui lui demande en grâce de passer chez lui le lendemain matin pour affaire importante. M. de Létorière s’y rend, et trouve cet homme dans son appartement, illuminé comme un jour de bal. Il lui demande ce dont il est question ? Celui-ci lui témoigne combien il est offensé de son impertinence. Le Français renouvelle ses protestations de n’avoir voulu l’offenser en rien, et lui donne là-dessus l’alternative en bon et franc militaire. M. de Waxhen, après beaucoup d’explications, paraît satisfait, et laisse partir son adversaire. Il est tourmenté bientôt après de nouvelles inquiétudes, et va trouver un ministre étranger, de ses amis, auquel il conte son aventure et qu’il consulte. Celui-ci lui rit a nez, le rassure, et lui promet de l’avertir s’il court sur son compte aucun mauvais propos à cette occasion. Il croit le baron calmé ; mais la tête tourne à celui-ci, et il se porte à la cruelle extrémité dont on a rendu compte.

16. — Épigramme sur la statue de M. de Voltaire.

Le moJ’ai vu chez Pigalle aujourd’hui
Le modèle vanté de certaine statue :
À cet œil qui foudroie, à ce souris qui tue,
À cet air si chagrin de la gloire d’autrui,
Je me suis écrié : ce n’est point là Voltaire ;
C’est un monstre… Oh ! m’a dit certain folliculaire,
Le moSi c’est un monstre, c’est bien lui.


17. — Épître à mademoiselle Dervieux,
À l’occasion des vers que mademoiselle Guimard avait fait faire contre elle.

Sur ton compte un mauvais fragment,
Ô Dervieux, court en ce moment.
Crois-moi, ris d’une âcre furie
Qui de ta douceur se prévaut.
Auprès d’elle ton vrai défaut
Est de plaire, lorsqu’on l’oublie.
Monotone et sans grand talent,
Ses pas ne sont que des grimaces
Qu’un admirateur ignorant
Prend pour d’inimitables grâces.

Nymphe chantant à bon marché,
Sa voix qui sent la quarantaine,
Cette voix de chat écorché
Ose parfois glacer la scène.
Actrice au pays des pantins,
Dévote et courant l’aventure,
Buvant du vin outre mesure,
Devant à Dieu comme à ses saints,
Elle se fait bâtir un temple[172].
Sur le fronton de son hôtel,
On mettra, pour servir d’exemple :
À la déesse de b……
Guimard en tout n’est qu’artifice,
Et par dedans et par dehors ;
Ôtez lui le fard et le vice,
Elle n’a plus ni âme ni corps[173].
Je vais vous tracer son esquisse,
Je vous la peindrai dans son beau :
Elle a la taille d’un fuseau,
Les os plus pointus qu’un squelette,
Le teint de couleur de noisette,
Et l’œil percé comme un pourceau ;
Ventre à plis, cœur de maquereuse,
Gorge dont nature est honteuse ;
Sa peau n’est qu’un sec parchemin
Plus raboteux que du chagrin,
Sa cuisse est flasque et héronière,
Jambe taillée en échalas,
Le genou gros sans être gras,
Tout son corps n’est qu’une salière.

Que vous dire du gagne-pain
Qui la rend si sotte et si fière ?
On sait que ce n’est pas un nain :
Vieille boutique de tripière,
Vaste océan, gouffre profond,
Les plongeurs les plus intrépides
N’en peuvent atteindre le fond.
Hideux présent des Euménides,
Chemin des pleurs et des regrets,
C’est le tonneau des Danaïdes,
Il ne se remplira jamais.


18. Chanson faite dans un souper chez M. le duc d’Orléans.

Voulez-vous que de Fanchette,
Je vous parle, mes enfans ?
La petite est si drôlette,
Ses appas sont si friands !
SeC’est que je la baise,
SeC’est que je suis aise,
SeC’est que je suis, ma foi,
SePlus content qu’un roi !

Fanchette, sans être belle,
À dans son minois lutin,
Un tour qui nous ensorcelle,
Je ne sais quoi de si fin,
SeQue quand je la baise
SeC’est, etc.

Sa bouche est comme une rose
Au moment d’épanouir :
Quand la mienne s’y repose,
Dieux, que je sens de plaisir !
SeC’est que je la baise,
SeC’est, etc.

Sous le voile du mystère
Cachons ses autres appas :
Amour dit qu’il faut les taire ;
Mais quand je suis dans ses bras,
SeC’est que je la baise,
SeC’est, etc.

Fanchette, reconnaissante,
Me rend amour pour amour ;
Avec un air qui m’enchante
Dans mes bras elle, à son tour,
SeC’est qu’elle me baise,
SeC’est que je la baise,
SeC’est que je suis, ma foi,
SePlus content qu’un roi !

19. — On prétend que des vues politiques se sont mêlées à l’établissement du Colysée, et qu’on aurait quelque envie d’y exécuter le Parthénion annoncé dans le singulier livre de M. Rétif de La Bretonne, dont on a parlé il y a un an[174], publié sous l’autorité du Gouvernement, et qui a paru sous le titre de Pornographe. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’on pratique dans l’intérieur de ce bâtiment une multitude de cabinets et de cellules qu’on prévoit ne pouvoir convenir qu’à des tête-à-tête amoureux. Au surplus, ce lieu serait infiniment trop petit pour remplir un aussi vaste projet que celui annoncé par le grave écrivain en question ; mais on remarque aussi que ce bâtiment-ci a des pierres d’attente de toutes parts, Propres à l’agrandir quand on voudra.

22. — On a rapporté dans le temps[175] une lettre très-courte, mais très-piquante de l’abbé Morellet contre M. le comte de Lauraguais, insérée avec affectation dans plusieurs ouvrages périodiques. Les amis de cet écrivain ont tremblé pour sa personne, quand ils ont vu le silence du seigneur maltraité ; ils ont cru qu’il se vengerait peut-être d’une façon plus durable et plus digne de lui. On ne sait ce qui a empêché M. de Lauraguais d’en venir à des extrémités que paraissait s’être attirées son adversaire : il se contente de faire paraître aujourd’hui une Lettre de soixante-douze pages au sieur Dupont, auteur des Éphémérides, un des écrits où la lettre de l’abbé Morelet est consignée, et il couvre l’une et l’autre victime de ses sarcasmes. On conçoit aisément qu’un pareil ouvrage peut plus avoir d’intérêt que pour ceux qui connaissent les personnages. Du reste, on est toujours fâché de voir M. de Lauraguais prodiguer autant d’esprit pour aussi peu de chose, et noyer cet esprit dans un fatras de phrases qui l’émoussent entièrement, et le font disparaître aux yeux du lecteur.

23. — L’enlèvement de M. Dupaty, avocat-général du Parlement de Bordeaux, fait rechercher l’arrêté de cette cour qu’on attribue à ce jeune magistrat, et qu’on dit être un chef-d’œuvre d’éloquence.

30. — On raconte que le sieur de La Harpe s’est trouvé à dîner, il y a quelques jours, avec le sieur de La Beaumelle. On sait combien celui-ci est ennemi déclaré de M. de Voltaire, et que l’autre, par politique, affecte d’être un de ses plus zélés adorateurs. Cependant ces deux champions se sont fait beaucoup de politesses, et le sieur de La Harpe, en quittant le sieur de La Beaumelle lui dit : « Croyez que je suis comme Atticus, qui ne prit aucune part dans la guerre entre César et Pompée. » On rapporte cette anecdote pour faire voir la vanité de ce ce petit poète, et combien il met d’importance à son amitié.


31. — Remontrances de saint Louis au Parlement.

De par tous les amis du trône,
Aux gens tenant le Parlement
Et respectant peu la couronne,
Saint Louis remontre humblement,
Que ce n’est point l’usage en France
Que des sujets contre le roi
Fassent, en réclamant la loi,
Acte de désobéissance ;
Qu’il est honteux que la balance,
Du sceptre usurpant le pouvoir,
Ose, au mépris de son devoir,
Fomenter avec insolence
Des troubles dont la violence
À compromis la vérité ;
Qu’il est honteux que le silence
Imposé par l’autorité,
Soit taxé par l’indépendance
De faveur et d’iniquité ;
Que c’est un dangereux système
D’oser, chez un peuple soumis,
Se jouer du pouvoir suprême
Et lever sur le diadême
Le glaive effronté de Thémis ;
Que ce système abominable
Ferait horreur à des Anglais,
Qu’il paraît à tout bon Français
Une extravagance exécrable,
Digne de ces temps abhorrés
Où l’on vit un moine coupable
Séduit et poussé par degrés
Au forfait le plus détestable ;

Que, pour obvier à ces maux,
À Bicêtre il faudrait conduire
Tous ceux qui s’efforcent d’induire
La France en des troubles nouveaux,
Et par quelques faibles cerveaux
Se laissent mener et séduire.

Telles sont, gens du parlement,
Les vérités qu’en conscience
À cru, sur votre extravagance,
Devoir vous offrir humblement
Le plus grand roi qu’ait eu la France.

On voit que cette pièce ne peut sortir que de la plume de quelque Aiguilloniste, c’est-à-dire d’un partisan outré du despotisme.


1er Novembre. — Le sieur Linguet, croyant avoir lieu de se plaindre de la manière dont il a été traité par le sieur de La Harpe, rédacteur d’un article inséré au premier volume du Mercure d’octobre, concernant cet auteur, a jugé devoir muleter le journaliste par l’épigramme suivante :


Monsieur La Harpe, en son Mercure,
Blâme le feu de mes écrits.
Monsieur La Harpe, je vous jure,
D’un défaut de cette nature
Vous ne serez jamais repris :
Et s’il me vient un jour envie
D’abandonner ce vilain ton,
Pour bien refroidir mon génie,
J’étudierai Timoléon,
Warwick, Gustave et Mélanie.

Ce sont quatre tragédies du sieur de La Harpe.

2. — On a donné pour première nouveauté, sur le théâtre de la cour, à Fontainebleau, Thémire, comédie en un acte, mêlée d’ariettes, avec divertissement, dont les paroles sont du sieur Sédaine, et la musique du sieur Duni[176]. Cette pièce a déjà été exécutée sur le théâtre du sieur Bertin, trésorier des parties casuelles.

Le samedi 27 on y a exécuté les Deux Avares, comédie aussi mêlée d’ariettes, en deux actes, paroles du sieur de Falbaire, musique du sieur Grétry[177]. Cette pièce paraît avoir eu beaucoup de succès ; car on ne peut trop en décider à la représentation, où l’on sait que personne ne peut applaudir, et que les battemens de mains sont interdits, ce qui rend le spectacle très-froid.

Le samedi, 10 novembre, on doit donner la Closière, ou le Vin nouveau, comédie nouvelle en un acte, mêlée d’ariettes, paroles de M. le marquis de Pezai, musique de M. Kohaut, avec divertissement ; et pour quatrième et dernière nouveauté en opéras comiques, on jouera, le mardi 13, l’Amitié à l’épreuve, comédie en deux actes, mêlée d’ariettes, paroles du sieur Favart, musique du sieur Grétry, avec divertissement. L’Opéra devait exécuter deux actes nouveaux, la Fête de Flore, paroles de M. de Saint-Marc, musique du sieur Trial ; et Zénis et Almasie, paroles de M. Champfort, musique du sieur La Borde, premier valet de chambre du roi.

3. — Depuis le voyage de Fontainebleau, comme il y a eu des articles changés aux spectacles, on a fait ce qu’on appelle un nouveau répertoire, c’est-à-dire une liste qu’on a portée à M. le Dauphin. Ce prince l’a reçue et jetée au feu sur-le-champ, sans la lire, en disant : « Voilà le cas que je fais de ces choses-là. » Les courtisans ont jugé différemment de cette action, suivant leur façon de voir. En général, elle annonce un prince fort décidé, et qui aime à fronder hautement les choses qui ne lui plaisent pas.

4. — On a parlé, l’année dernière, de la visite que le sieur Gerbier, avocat, avait reçue du prince de Conti, dans sa terre d’Aulnoy[178]. Madame la duchesse de Chartres vient de faire le même honneur à ce jurisconsulte célèbre, qui, comme l’orateur romain, après avoir étonné le barreau par son éloquence sublime, se délasse de ses importantes fonctions en travaillant lui-même à son champ. Le sieur Gerbier est un grand économiste, qui fait beaucoup d’expériences en choses utiles, et qui d’ailleurs a singulièrement embelli son habitation par toutes sortes de décorations nouvelles et peu connues dont il a emprunté l’idée des Anglais ; c’est ce qui attire la curiosité des grands.

6. — Le Mémoire de M. de Voltaire, en faveur habitans de Saint-Claude, qu’on a annoncé il y a déjà du temps[179], réveille l’attention du public, aujourd’hui qu’il est question de juger cette affaire portée au Conseil des Dépêches. Il y est question de plusieurs villages renfermés entre deux montagnes, sans aucune communication avec le reste de la terre, sur lesquels le Chapitre de Saint-Claude, en Franche-Comté, ci-devant couvent de Bernardins, prétend exercer le droit, contre nature, de servitude. Ce canton comprend environ douze mille âmes. Il veut faire valoir sa prétention, sans autre titre qu’une jouissance centénaire, que ces despotes opposent à la réclamation des malheureux habitans en question. La cause de l’humanité à plaider d’une part, et de l’autre la satire à faire des moines et des prêtres, étaient un double sujet, trop beau pour ne pas enflammer l’imagination de notre poète philosophe. Il a traité la matière supérieurement et avec tout l’intérêt possible. On ne doute pas que le Chapitre de Saint-Claude ne perde, par la loi générale du royaume, qui n’admet pas de serfs en France.


7. — M. l’abbé Xaupi, doyen des abbés de France, et doyen de la Faculté de Théologie, ne laisse échapper aucune occasion de faire briller son éloquence, soit dans la langue latine, soit dans la française, soit dans le grec, soit dans l’hébreu, s’il était nécessaire, ou que ses lecteurs fussent à porté de l’entendre : chargé par état, lors de tous les événemens célèbres, de porter la parole, il s’en est acquitté jusqu’à ce jour avec un talent singulier dans les différens discours qu’il a prononcés, et paraît posséder à merveille l’art de l’adulation. Il fait tourner vers ce genre son génie, son esprit et son savoir. Le recteur de l’Université ayant été en procession à l’église de l’abbaye royale de Saint-Antoine, M. Xaupi y officiant a saisi cette occasion pour adresser à la maison un discours latin, où il a très-heureusement ménagé l’éloge de madame de Beauvau, abbesse de ce couvent ; il a parlé de la maison de cette princesse avec toute l’emphase d’un orateur, et veut qu’elle soit alliée de toutes les têtes couronnées de l’Europe ; il a joint à son discours imprimé toutes les notes qui peuvent servir au développement de ses assertions sur l’illustration de cette maison.

8. — Il est parvenu depuis quelque temps à Paris un Journal helvétique, qui commence à faire bruit. Cet ouvrage périodique, destiné surtout à traiter les matières scientifiques, avait été jusqu’ici monté sur un ton très-grave ; il le conserve encore sur tous les articles étrangers ; mais celui de France est traité tout différemment. Depuis le mois de septembre, on y remarque une touche nationale qui annonce la correspondance d’un homme d’esprit très au fait des anecdotes littéraires, et qui n’ignore pas que la méchanceté est l’âme de ces feuilles éphémères. Le sieur De Rosoy passe pour le rédacteur en titre. Cependant on croit qu’il a lui-même un associé dont la plume brillante saupoudre le tout d’un sel léger et piquant.

11. — Les nouveautés n’ont pas fait encore une sensation extraordinaire sur le théâtre de la cour : une ancienne pièce, qu’on a jouée hier, a plus amusé que tout le reste ; ce sont les Carrosses d’Orléans, farce de La Chapelle qu’on ne joue jamais à la ville, mais qu’on donne de temps en temps à la cour, où elle a toujours réussi. Elle a encore eu plus de succès cette fois-ci par un divertissement qu’on y a ajouté, analogue aux circonstances. C’est madame la duchesse de Villeroi qui a principalement contribué à cette innovation. Plusieurs amateurs s’en sont mêlés, et le sieur Favart a broché sur le tout. Il y a, entre autres choses, ajouté des couplets qui contiennent un éloge indirect et délicat de madame la Dauphine ; ils ont été extrêmement applaudis. Les jeunes princes, par extraordinaire, étaient à ce spectacle, qui les a beaucoup fait rire, ainsi que la princesse leur belle-sœur. M. le Dauphin, plus sérieux, n’a pas paru prendre une part bien marquée à cette grosse gaieté.

12. — Les Comédiens Français ont joué samedi dernier, 10 de ce mois, une tragédie nouvelle, intitulée Florinde. L’invasion des Maures en Espagne, appelés par le comte Julien pour venger sa fille, est le sujet de cette pièce, et présentait sans contredit un très-beau canevas ; mais l’auteur n’en a pas profité. Cette tragédie a paru si mauvaise, qu’elle a été huée généralement et a eu beaucoup de peine à finir. L’ouvrage est d’un jeune auteur, nommé Le Fèvre, qui avait donné pour début, en 1767, Cosroes. Quelques amateurs avaient cru reconnaître du talent dans ce jeune homme, et prétendaient qu’il fallait l’encourager : les véritables connaisseurs avaient jugé, au contraire, que c’était un poètereau monstrueux, né pour le malheur des oreilles du public, qu’il fallait étouffer dès sa naissance. Il paraît que ces derniers l’avaient bien décidé : rien de si dur et de si tudesque que sa versification.

15. — Le sieur Paradis de Moncrif, lecteur de la feue reine et de madame la Dauphine, languissait depuis deux mois, ayant les jambes ouvertes ; comme il avait quatre-vingt-deux ans et au-delà, il n’a pas douté que sa fin n’approchât ; mais il l’a envisagée en vrai philosophe ; il s’entretenait de ce dernier moment avec beaucoup de présence d’esprit et sans aucun trouble ; il a ordonné lui-même les apprêts de ses funérailles. Après avoir satisfait à l’ordre public et aux devoirs de citoyen, il a voulu semer de fleurs le reste de sa carrière ; il a toujours reçu du monde : accoutumé à voir des filles et des actrices, il égayait encore ses regards du spectacle de leurs charmes. Ne pouvant plus aller à l’Opéra, où il était habituellement, il avait chez lui de la musique, des concerts, de la danse ; en un mot, il est mort en Anacréon, comme il avait vécu. Presque tous ses ouvrages sont dans un genre délicat et agréable ; il excellait surtout dans les romances, marquées à un coin de naïveté qui lui est propre. Il a fait quelques actes d’opéra qui ont eu beaucoup de succès, et il a eu la satisfaction de se voir encore joué sur le théâtre de Fontainebleau, au moment de sa mort. Il avait les mœurs douces, comme ses écrits, il aimait beaucoup la parure, et a conservé ce qu’à la fin. C’était vraiment un homme de société, qualité qui s’allie rarement avec celle d’auteur, et surtout incompatible avec ce qu’on appelle le vrai génie.

17. — La fureur incroyable de jouer la comédie gagne journellement, et malgré le ridicule dont l’immortel auteur de la Métromanie a couvert tous les histrions bourgeois, il n’est pas de procureur qui, dans sa bastide, ne veuille avoir des tréteaux et une troupe. Il ne faut pas mettre au rang de ces spectacles misérables ceux que donne M. de Magnanville, garde du trésor royal, dans son château de la Chevrette. Le théâtre, les auteurs et les acteurs y sont également dirigés par le génie et par le bon goût. Quant au local et aux décorations, tout y est entendu à merveille, et la magnificence n’y laisse rien à désirer. On y a joué ces jours derniers deux pièces nouvelles de la composition de gens de la société, qui ont eu le plus grand succès, et le méritent. L’une est Roméo et Juliette, par M. le chevalier de Chastellux. Ce drame, tiré du théâtre anglais, et accommodé au nôtre, est plein d’intérêt, et présente des situations neuves, conduites avec beaucoup d’art. L’autre est une comédie dans le haut genre, ayant pour titre : les Deux Orphelins. M. de Magnanville en est l’auteur, et l’on y a trouvé beaucoup de gaieté, de finesse et de sentiment. La première est en cinq actes, et la seconde en trois. Dans le nombre des acteurs, presque tous excellens, on distingue madame la marquise de Gléon, qui à la plus charmante figure joint un jeu décent, aisé et noble, et surpasse de beaucoup les tons maniérés et les allures factices de nos meilleures héroïnes de théâtre. Une demoiselle Savalette fait les rôles de soubrette à donner de la jalousie à mademoiselle Dangeville : en un mot, autant la belle nature est au-dessus de l’art le plus recherché, autant cette troupe de comédiens bénévoles l’emporte sur tout ce qu’on connaît faisant le métier et affichant le talent. Le public se porte en foule à cette campagne, quoique à trois lieues de Paris, et l’on comptait plus de deux cents carrosses à la dernière représentation.

20. — On a parlé, il y a quelque temps[180], d’une machine à feu pour le transport des voitures, et surtout de l’artillerie, dont M. de Gribeauval, officier en cette partie, avait fait faire des expériences. On l’a perfectionnée depuis, au point que, mardi dernier, la même machine a traîné dans l’arsenal une masse de cinq milliers, servant de socle à un canon de quarante-huit, du même poids à peu près, et a parcouru en une heure cinq quarts de lieue. La même machine doit monter sur les hauteurs les plus escarpées, et surmonter tous les obstacles de l’inégalité des terrains ou de leur affaissement.

23. — Depuis peu de jours il paraît deux traductions de Suétone ; l’une, par le sieur Henri Ophellot de La Pause[181], en 4 volumes in-8°, avec des mélanges philosophiques et des notes du sieur Delisle, auteur de la Philosophie de la Nature ; l’autre du sieur de La Harpe. Celui-ci a profité de la facilité qu’il a de faire parler divers ouvrages périodiques pour annoncer la sienne avec beaucoup d’emphase, et prémunir le public contre toute surprise qui pourrait lui être faite par la présentation des œuvres de l’autre traducteur. Il a annoncé plusieurs fois qu’il ne fallait pas confondre les deux traductions ; en un mot, il a mis dans ces avertissemens la présomption ordinaire qu’on lui connaît, et cette morgue littéraire dont ne l’ont pas encore guéri les diverses mortifications qu’elle lui a causées et la haine presque universelle des auteurs, ses confrères.

24. — Le président Hénault, surintendant de la maison de madame la Dauphine, membre de l’Académie Française et de celle des Inscriptions, vient de mourir ce soir, après avoir lutté contre la mort depuis plusieurs années, âgé de près de quatre-vingt-six ans. Tout le monde connaît son Abrégé chronologique de l’Histoire de France, qui lui a fait tant de réputation, loué tour à tour, et dénigré outre mesure par M. de Voltaire, et qui ne méritait ni tant de célébrité, ni une critique si amère. Il était fort riche. Sa table était ouverte à tous les gens de lettres, ses confrères, et surtout aux Académiciens. Il n’était pas moins fameux par son cuisinier que par ses ouvrages. Le premier passait pour le plus grand Apicius de Paris, et tout le monde connaît la singulière Épître du philosophe de Ferney à ce Lucullus moderne, qui débute ainsi :


Hénault, fameux par vos soupers,
Et par votre Chronologie, etc.

25. — Extrait d’une lettre de Marseille du 17 novembre. « M. Séguier, avocat-général du Parlement Paris, a passé ici. Il est d’usage lorsqu’un membre de l’Académie Française vient à Marseille, que l’Académie de cette ville députe vers lui, par une déférence due à la première, qu’on regarde comme la mère des autres. On a agité, à l’occasion de M. Séguier, ce qu’on ferait, et il a été décidé non-seulement de ne pas le complimenter, mais de ne fraterniser en rien avec lui. Cette délibération a été prise, d’après le compte rendu par un membre, du Réquisitoire de ce magistrat, de ce qui s’était passé à l’Académie Française à la scène de réception de M. l’archevêque de Toulouse, et de l’indécence des démarches ultérieures de M. l’avocat-général, pour provoquer la défense d’imprimer le discours du sieur Thomas. »

30. — Thémire, jouée depuis peu par les Comédiens Italiens, est une espèce de pastorale qui roule sur l’Églogue connue de Fontenelle, dont le refrein est :

Mais n’ayons point d’amour, il est trop dangereux.

Elle n’est composée que de trois acteurs, Thémire, père, et un berger, amoureux de la jeune fille. Celle-ci l’aime aussi, mais d’amitié seulement, et ne veut pas entendre prononcer le mot d’amour, ni conséquemment celui de mariage. Le père et l’amant en sont également désolés ; le premier conseille à l’autre, pour développer le cœur de la bergère, de feindre d’aimer une de ses compagnes, en l’assurant qu’il conserve toujours pour elle les sentimens de l’amitié la plus parfaite, mais qu’il porte son amour ailleurs, puisqu’elle n’en veut pas. Cette ruse éveille la jalousie dans le cœur de son amante ; elle reconnaît ses propres sentimens qu’elle se dissimulait, et ils s’épousent.

Ce canevas, assez simple, présente pourtant les mœurs, inconnues au village, d’un père instruisant lui-même l’amoureux de sa fille, et le dirigeant dans la manière de la séduire. On sent que ce raffinement de métaphysique du cœur n’est pas fait pour des paysans, et le sieur Sédaine, qui se pique de connaître si bien le naturel, aurait dû transporter la scène ailleurs, ou la traiter différemment. La musique est monotone comme le poëme, et n’a aucun caractère. Il paraît que la ville sera d’accord cette fois-ci avec la cour, et l’on ne croit pas que cet opéra comique très-médiocre ait un succès décidé. Le sieur Caillot faisait le rôle du père, la dame La Ruette celui de la fille, et Clairval était l’amoureux. La pièce a été fort bien jouée, et l’auteur ne peut s’en prendre aux acteurs si elle n’a pas eu plus d’applaudissemens.

2 Décembre. — Depuis quelque temps on a inventé des galons factices, qui imitent l’or vrai et sont à très-bon marché ; des plaisans les ont appelés des galons à la chancelière, parce qu’ils sont faux et ne rougissent pas. C’est en effet une propriété de cette nouvelle découverte.

3. — Il paraît une nouvelle facétie de M. de Voltaire ayant pour titre : Épître au roi de la Chine sur son Recueil de vers qu’il a fait imprimer[182]. On se doute bien que c’est un nouveau cadre où le poète de Ferney enchâsse encore les victimes ordinaires, pour les passer en revue et les couvrir de nouveaux sarcasmes.

4. — Le sieur Piron, si fécond en saillies et en épigrammes, ne tarit pas sur le compte du sieur de La Harpe ; il en a fait encore trois à l’occasion de Suétone. Voici la première qu’on connaît :

Le voilà donc ce petit virtuose,
Toujours s’aimant, sans avoir de rivaux,
Écrivaillant, soit en vers, soit en prose,
Et sous Lacombe alignant ses journaux !
Comme aux sifflets chaque jour il s’expose !
Pour deux écus aux badauds de Paris,
Il vend en vain des Césars travestis,
C’est pour tomber qu’il joute avec La Pause[183].
Ce grand auteur, si j’en crois ses écrits,
De ses héros fait mal l’apothéose :
Timoléon meurt le jour qu’il est né.
Pour Mélanie, on baille à bouche close
En admirant ce drame fortuné ;
Et Suétone à périr condamné
Va dans la tombe où Gustave repose.

5. — L’acteur qu’on avait annoncé comme devant débuter cet hiver, a paru hier dans la tragédie d’Alzire ; il faisait le rôle de Zamore. Le public, prévenu depuis long-temps de ce début, s’y était porté en foule. Le goût particulier que la demoiselle Clairon avait pris pour lui, et ses soins pour le former, en avaient fait concevoir la plus haute opinion. Ce sujet n’a pas répondu à l’attente générale. Il a toutes les qualités extérieures ; mais sa voix est sourde, et, soit défaut d’organe, soit timidité, ne sortait point du tout. Il a rendu assez bien quelques morceaux de déclamation, talent qu’on acquiert par une grande étude et les leçons des bons modèles ; mais il a paru manquer de chaleur, et a raté tous les endroits de sentimens ; il n’a point d’entrailles : il pourra avec de l’art être un acteur brillant, mais il n’aura jamais ces élans de génie que saisissent les spectateurs dans la demoiselle Dumesnil et le sieur Le Kain.

6. — Épigramme sur le bruit qui a couru que le sieur Piron était mort en même temps que MM. de Moncrif et le président Hénault.


Piron est mort ! — Quel jour ? — Hier. — Hier, chose impossible !
Je le quittai le soir en parfaite santé,
Leste, plein d’enjouement, d’esprit et de gaîté ;
Tout son individu me parut impassible.
— Le fait n’est que trop sûr… Hélas ! apparemment,
Que le bon Alexis est mort subitement.
— Non, non, son âme existe et n’est point endormie ;
Il n’est ni mort, ni de l’Académie.


7. — Les Comédiens Italiens ont donné hier la première représentation des Deux Avares, comédie en deux actes et en prose, mêlée d’ariettes. Cet opéra comique, qui avait peu réussi à la cour, n’a pas eu plus de succès à la ville. Le poëme, de la composition du sieur de Falbaire, n’a pas le sens commun, à commencer par le titre. Quant à la musique, elle est du sieur Grétry, c’est-à-dire du plus grand maître que nous ayons en pareil genre.

9. — Tandis que le sieur de Voltaire ne cesse de s’égayer aux dépens de ses ennemis, ceux-ci cherchent à prendre leur revanche, et le sieur Marchand vient de faire paraître le Testament politique[184] de ce grand homme, qui n’est pas mal plaisant et contient une critique aussi fine que légère de ses ouvrages, et de ses caractère, vie et mœurs.

10 — Un plaisant a mis en épigramme le bon mot rapporté ci-dessus sur les galons modernes :


On fait certains galons de nouvelle matière,
Fort peu chers, mais fort bons pour habits de galas ;

On les nomme à la chancelière.
— Pourquoi ? — C’est qu’ils sont faux et ne rougissent pas.


Un autre plaisant a fait d’avance l’épitaphe de M. le duc de La Vrillière. Elle roule sur ses trois noms différens de Phelypeaux, Saint-Florentin et La Vrillière :


Ci gît, malgré son rang, un homme fort commun ;
Ayant porté trois noms et n’en laissant aucun.


11. — Il se répand un couplet de chanson qu’on met sur différens airs. Le voici :


Le bien-aimé de l’almanac
N’est pas le bien-aimé de France :
Il fait tout ab hoc et ab hac,
Le bien-aimé de l’almanac ;
Il met tout dans le même sac,
Et la justice et la finance :
Le bien-aimé de l’almanac
N’est pas le bien-aimé de France.


12. — Mardi on a donné sur le théâtre de l’Opéra la première représentation d’Ismène et Isménias, tragédie lyrique, exécutée pour la première fois à Paris, mais jouée en 1763 à Choisy, devant le roi, avec un médiocre succès. Le poëme, du sieur Laujon, est dénué de tout intérêt, fort embarrassé dans sa marche, et prête peu à l’appareil du spectacle que doit fournir un ouvrage de ce genre. La musique, du sieur La Borde, est excellente comme production d’un amateur, mais n’a pas de même cette chaleur qu’on admire et qu’on ressent dans les compositions des grands maîtres. Elle est triste, presque toujours dans le bas, peu d’airs chantans ou de symphonie ; quelques morceaux assez agréables, mais plus propres pour la Comédie Italienne, et qui, par leur disparate avec l’ensemble, font une dissonance qui révolte les moins connaisseurs.

14. — Outre les couplets dont on a parlé contre le vulgaire des nymphes de l’Opéra, on a fait des cantiques particuliers en l’honneur des principales actrices. Mademoiselle Rosalie a paru mériter spécialement l’attention du Santeuil du théâtre lyrique. On recherche beaucoup cet Hymne à sa gloire, très-méchant, très-ordurier, et qui par-là fait fortune ; mais il est très-rare[185].

15. — On a fait aussi en l’honneur de mademoiselle Dervieux un Cantique[186] non moins atroce que celui dont on a parlé contre mademoiselle Rosalie. On peut juger par le style de ces deux ouvrages, par leur tournure informe, qu’ils ne sont point composés par un poète véritable, mais qu’ils sont éclos dans les sociétés de ces demoiselles, dont les coryphées se sont évertués à qui injurierait le mieux la divinité adverse.

16. — On a fait ce distique sur les mots lex, rex :


Rex servat legem, regem lex optima servat ; Lex sine rege jacet, rex sine lege nocet.

17. — On répand un extrait des Centuries de Nostradamus, No 53, page 161, édition d’Amsterdam. CIↃ ICC LXVII. chez Daniel Winkerausan.


Peste, famine, feu, et ardeur non cessée,
Foudre, grand’grêle, temple du ciel frappé,
Édit, arrêt et griève loi cassée,
Chef inventeur, ses gens et lui chassé.

On croit, suivant l’usage, y voir la prédiction des événemens du jour, passés et futurs.

18. — L’abbé Alary, membre de l’Académie Française, vient de mourir dans un âge très-avancé. C’est la troisième place vacante par cette mort. Il était sous-doyen, ayant été reçu en 1753. C’était le fils d’un apothicaire, qui par ses intrigues était parvenu à la fortune. On ne sait trop à quel titre il s’est trouvé assis dans le sanctuaire des Muses, car on ne connaît aucun ouvrage de lui. C’est le pendant de cet Académicien, dont Boileau disait :


J’imite de Conrart le silence prudent.


Cependant il était beau diseur, bel homme et très-bien venu des femmes ; ce qui chez plus d’un de ses confrères a tenu lieu de mérite littéraire[187].

19. — La réponse du sieur de Valdahon au Mémoire du sieur Le Monnier, annoncée depuis long-temps, et retardée par divers obstacles, paraît enfin, et réveille l’attention du public sur cet amant infortuné, si célèbre par ses malheurs et par sa constance. L’orateur, après avoir retracé d’une façon pathétique tous les maux qu’a soufferts le sieur de Valdahon, sur lequel son impitoyable persécuteur a fait lancer plusieurs décrets, qu’il a obligé de fuir en pays étranger, qu’il a fait exiler pour vingt ans de sa patrie, qu’il a déchiré dans huit mémoires, diffamé dans cinq tribunaux, et presque ruiné, tant par les gros dommages-intérêts qu’il s’est fait adjuger, que par les frais énormes d’un procès qui dure depuis huit ans, discute ultérieurement les moyens du sieur Le Monnier. Il prouve par les lois que, quand même le sieur de Valdahon aurait séduit mademoiselle Le Monnier, il pourrait l’épouser, parce qu’elle est libre et majeure ; mais il prouve en outre par trois jugemens qu’il ne l’a point séduite. Il réfute toutes les calomnies inventées sur sa parenté et sur sa personne ; et après avoir également détruit les objections tirées du danger pour les mœurs, pour l’honnêteté publique, pour l’affaiblissement de l’autorité paternelle, que l’adversaire met en avant, il en conclut que l’opposition du sieur Le Monnier au mariage de sa fille avec son amant est aussi vaine qu’odieuse. Ce Mémoire, sorti de la plume éloquente du sieur Loyseau de Mauléon, est appuyé d’une Consultation, en date du 7 novembre, du sieur Pialez, un des avocats les plus accrédités en ces sortes de matières. On s’attend à recevoir incessamment la nouvelle de l’arrêt du Parlement de Metz, que tout le public désire trouver favorable au deux amans, et que les jurisconsultes annoncent être tel.

20. — Seconde épigramme de M. Piron sur ce que M. de La Harpe brigue une place à l’Académie.


FavorQuoi, grand Dieu ! La Harpe veut être
FavorDu doux Moncrif le successeur !
Favoris d’Apollon, songez à votre honneur :
Voudriez-vous qu’on prit le Louvre pour Bicêtre [188] ?

21. — De jeunes officiers, qui dans leurs garnisons se sont amusés à jouer la comédie avec les actrices, enhardis par leur succès en province, ont voulu déployer leurs talens à Paris. À cet effet, ils ont loué la salle d’Audinot, sur les boulevards, et, dans la nuit du 19 au 20 de ce mois, ont exécuté sur ce théâtre le Déserteur et les Sabots, deux opéras comiques fort en vogue. Ils avaient distribué environ six cents billets, et l’assemblée était très-nombreuse et composée de tout ce qu’il y a de plus distingué en gens de qualité et en amateurs. M. le duc de Chartres a bien voulu les honorer de sa présence. Malheureusement, cela n’a pas pris autant qu’ils s’en flattaient, et, malgré leur passion extrême pour leur talent, ils seront obligés de se borner à en amuser les provinciaux. Ils avaient fait tous les frais, et cette folie leur a coûté beaucoup d’argent.

22. — Troisième épigramme de M. Piron contre M. de La Harpe, à l’occasion de son Suétone.


SaveMonsieur La Harpe habille en jaune
SaveLes plats Césars qu’il publie aujourd’hui.
Savez-vous bien pourquoi ? C’est que son Suétone
SaveEst bilieux et méchant comme lui.


23. — Le sieur Sénac, premier médecin du roi, dont la santé périclitait depuis long-temps, vient enfin de mourir et a été enterré hier. Cet événement met toute la Faculté en mouvement. On ne sait encore qui sera nommé à une place aussi importante, qui le devient de plus en plus à mesure que le roi vieillit, et pour laquelle il y a quantité de concurrens. Le sieur Sénac était un homme de beaucoup d’esprit, qui avait écrit sur son métier, mais qui surtout possédait au suprême degré l’art de la cabale et de l’intrigue, dont il avait fait l’apprentissage chez les Jésuites, où il était d’abord entré. Le chemin qu’il a fait depuis ce temps-là vers la fortune, est une preuve de ses heureux talens en ce genre.

24. — Un nouveau critique s’est élevé sur les rangs, et a censuré plusieurs ouvrages nouveaux, entre autres celui du sieur de Saint-Lambert, auteur du poëme des Saisons. L’amour-propre de cet auteur a été blessé, et il a profité de son crédit pour faire arrêter le livre[189], et mettre à la Bastille le sieur Clément qui l’avait fait. Celui-ci en est sorti par composition et à condition mettre des cartons à son ouvrage ; mais il s’est vengé par l’épigramme suivante :


Pour avoir dit que tes vers sans génie
M’assoupissaient par leur monotonie,
Froid Saint-Lambert, je me vois séquestré ;
Si tu voulais me punir à ton gré,
Point ne fallait me laisser ton poëme.
Lui seul me rend mes chagrins moins amers :
Car de nos maux le remède suprême
C’est le sommeil… Je le dois à tes vers.

26. — Hymne en l’honneur de mademoiselle Rosalie Levasseur, actrice de l’Opéra.


Sur l’air : Babet, que t’es gentille.

Le sot Orgueil, un jour,
Convoita l’Impudence :
Un monstre à cet amour
Dut bientôt sa naissance :
DCe chef-d’œuvre heureux
DFut bien digne d’eux.
Jugez-en par sa vie !

Le crime excite tous ses sens,
L’appât de l’or fait ses penchans,
Son nom manque à ces traits touchans ;
LeEh bien ! c’est Rosalie.

LeD’un Lapon bien camard
LeDépeignez-vous la mine,
LeAvec le cœur et l’art
LeQu’eut jadis Messaline :
Le Un affreux venin
Le Circule en son sein,
LeLa mort est moins cruelle.
Si, par un immense détail,
Un seul objet vaut un sérail,
Si jour et nuit c’est nouveau bail,
LeEh bien ! c’est encore elle.

LePriape est le seul Dieu
LeQue cette nymphe adore,
LeMais son sceptre plaît peu
LeSi Plutus ne le dore.
Le Un mystère affreux
Le Fait cacher ses feux ;
Le C’est un Giton femelle.
Si l’on vous disait que Cypris
Prive d’une nuit Adonis
Pour la passer avec Laïs,
LeEh bien ! c’est encore elle.

LeVers un gouffre d’horreurs
LeUn vil penchant l’entraîne,
LeEt son perfide cœur
LeL’est comme son haleine.
Le Son demi-talent
Le Va toujours chantant :
LeHo ! le plaisant modèle !
Quand vous allez à l’Opéra

Croyez-vous entendre un castrat,
Payant pour qu’on le claque là…
LeEh bien ! c’est encore elle.

LeSon peu d’esprit est fait
LeAu jargon des coulisses ;
LeElle est le Poinsinet
LeDu sexe et des actrices,
Le Sans pudeur, sans foi,
Le Priape[190] est sa loi,
LeSon œil toujours l’appelle :
Cette boîte au repentir
Dont on vit tous les maux sortir,
Si quelqu’un veut encor l’ouvrir,
LeEh bien ! Messieurs, c’est elle[191].

30. — Le sieur Collé, lecteur de M. le duc d’Orléans, avait fait imprimer depuis long-temps une comédie en un acte et en prose, intitulée la Veuve, dont la lecture n’avait pas eu un grand succès. Il vient de s’aviser de la faire jouer par les Comédiens Français : on en a donné hier la première représentation qui lui a valu une chute complète. Ce drame n’est autre chose qu’un assemblage de conversations à la mode, c’est-à-dire pleines de mots et vides de sens, sans aucune action ni intrigue, terminées par un dénouement bizarre et romanesque. Les acteurs, d’ailleurs, par leur mauvais jeu, n’ont pas peu contribué à rendre l’ouvrage encore plus ennuyeux plus insipide.

31. — Aux couplets, cantiques et chansons qui ont amusé les amateurs de l’Opéra a succédé une caricature qui fait l’objet de leur curiosité et de leur empressement. Il faut se rappeler, pour son intelligence, ce qu’on a dit il y a déjà du temps, que M. le prince de Soubise donnait deux mille écus par mois à mademoiselle Guimard, célèbre danseuse du théâtre lyrique ; que le sieur La Borde composait la musique des spectacles de cette Terpsichore, et présidait à leur exécution, et qu’enfin le sieur Dauberval était l’ami du cœur, ce que ces demoiselles appellent en termes techniques le greluchon. En conséquence, dans l’estampe en question on voit d’une part le prince de Soubise jouant de la poche ; le sieur de La Borde tenant un ballet d’une main et de l’autre une règle ou bâton de mesure ; le sieur Dauberval donnant du cor, et la demoiselle Guimard se balançant comme en cadence, et tenant en main un papier chargé de quelques notes de musique avec ce titre en gros caractères : Concert a trois.



1771


4 Janvier. — Les promoteurs du projet de dresser une statue à M. de Voltaire sont fort embarrassés sur le lieu où elle sera érigée. La nouvelle flétrissure que vient d’essuyer ce demi-dieu littéraire par l’arrêt du Parlement qui brûle plusieurs de ses ouvrages[192], les fait renoncer absolument à la prétention de la placer en lieu public. Le clergé avait déjà fait ses plaintes sur un pareil scandale, et est trop favorablement accueilli en cour aujourd’hui pour se flatter de l’emporter sur lui. On croit qu’on achètera quelque terrain ou jardin, qu’on décorera, dont grand on fera une espèce de Muséum, où l’on mettra ce grand homme ; peut-être érigera-t-on successivement d’autres statues qui orneront ce sanctuaire des Muses.


5. — Le sieur Turpin, continuateur des Vies des Hommes illustres[193], vient d’être nommé, par le roi, historiographe de la marine. C’est M. le duc de Praslin qui, convaincu du mérite de cet auteur, a fait créer en sa faveur une pareille place. Il ne lui manque plus que la matière. Depuis long-temps nos héros en cette partie sont extrêmement rares, et la dernière guerre[194] surtout n’offre que beaucoup de désastres, et plus encore de fautes énormes à décrire. Il est à souhaiter que cette nouvelle fasse fermenter l’amour et la gloire dans les ports, et donne le désir aux officiers de la marine de fournir matière à l’historien. On peut juger des talens de celui-ci par sa sublime épître dédicatoire au prince de Condé, en tête de la Vie de Louis II de Bourbon, dit le grand Condé.

7. — Dans la querelle qui s’est élevée, il y a plus d’un an, sur les avantages ou les désavantages de la Compagnie des Indes, on a déjà cité[195] l’auteur du Siècle de Louis XIV comme un écrivain politique dont le suffrage devait être de quelque poids dans la balance. Voici comme il s’est exprimé plus positivement sur cet objet dans une lettre à M. Dupont, auteur des Éphémérides du Citoyen, datée de Ferney le 16 juillet 1770 :

« À l’égard de la Compagnie des Indes, je doute fort que ce commerce puisse jamais être florissant entre les mains des particuliers ; j’ai bien peur qu’il n’essuie autant d’avanies que de pertes, et que la Compagnie Anglaise ne regarde nos négocians comme de petits interlopes qui viennent se glisser entre ses jambes. »

Il finit par prier M. l’abbé Roubaud de faire ses tendres complimens à M. l’abbé Morellet.

9. — Ne pouvant se venger autrement de M. le chancelier, on assure qu’un membre du Parlement a fait contre le chef de la magistrature l’épigramme suivante, qui fait allusion à ce qui vient de se passer et à l’honneur du cordon bleu qu’a obtenu depuis peu le chef de la magistrature :


Ce noir visir, despote en France,
Qui pour régner met tout en feu,
Méritait un cordon, je pense,
Mais ce n’est pas le cordon bleu.

10. — On a publié ce matin un Arrêt du Conseil, daté du 2 de ce mois, qui supprime la Réponse des États de Bretagne au Mémoire du duc d’Aiguillon, comme contenant des principes attentatoires à l’autorité du roi, et répétant des faits calomnieux et injurieux pour une personne honorée de la confiance de Sa Majesté, et dont elle a dans tous les temps approuvé l’administration.

12. — Les Comédiens Français ont donné aujourd’hui, pour la première fois, et vraisemblablement pour la dernière, une pièce nouvelle en cinq actes et en prose, qui a pour titre : le Fabricant de Londres[196]. Ce drame ne pêche pas seulement par la trivialité du dialogue, mais encore par le tissu du roman, dont la contexture est aussi mal ourdie que platement imaginée. Le public lui a fait justice. L’auteur est celui de l’Honnête criminel Les Comédiens, pour cette fois, se disculpent de s’être prêtés à la jouer, par des considérations particulières pour des personnes auxquelles ils sont obligés de déférer.

13. — Quelques jours avant la disgrâce de M. le duc de Choiseul[197], on avait gravé son portrait, au bas duquel on lit :


Dans ses traités et dans sa vie,
Règnent la droiture et l’honneur.
L’Europe connut son génie,
Et les infortunés son cœur.

Depuis son exil on y a substitué ceux-ci, qui font pas moins d’honneur :


Comme tout autre, dans sa place,
Il dut avoir des ennemis :
Comme nul autre, en sa disgrâce,
Il s’acquit de nouveaux amis.

17. — Un caustique a répandu le Pater suivant, dédié au roi :


« Notre père, qui êtes à Versailles, votre nom soit glorifié : votre règne est ébranlé : votre volonté n’est pas plus exécutée sur la terre que dans le ciel : rendez-nous notre pain quotidien, que vous nous avez ôté[198] : pardonnez à vos Parlemens, qui ont soutenu vos intérêts, comme vous pardonnez à vos ministres qui les ont vendus : ne succombez plus aux tentations de la Du Barry, mais délivrez-nous du diable de Chancelier. »

18. — Les écrivains qui, depuis plusieurs années, se sont proposé pour tâche d’ébranler et de détruire la religion par tous les moyens possibles, viennent de reproduire au jour : Israël vengé, ou Exposition naturelle des prophéties hébraïques que les chrétiens appliquent à Jésus, leur prétendu Messie. C’est l’ouvrage d’un certain Isaac Orobio, juif espagnol, qui avait écrit dans sa langue naturelle. Il a été traduit en français par un autre juif, appelé Henriquès.

20. — M. Séguier, premier avocat-général, en apportant au Parlement les dernières lettres de jussion[199], prononça le discours suivant :

« C’est à regret que nous nous trouvons dans l’obligation d’apporter de troisièmes lettres-patentes du roi, en forme de jussion. Si la rigueur de notre ministère impose, en ce moment, silence à notre sensibilité, nous n’en faisons pas moins les vœux les plus ardens pour que la cour puisse trouver, dans les ressources inépuisables de sa sagesse, les moyens les plus efficaces pour détourner l’orage dont nous sommes menacés. Nous osons espérer qu’elle nous rendra justice, et sera convaincue que c’est avec la plus grande douleur que nous avons pris par écrit les conclusions que nous laissons à la cour. »

On cite ce discours comme remarquable par les tours oratoires que prend le magistrat pour ne pas se compromettre dans la position critique où il se trouve, soit vis à-vis de la Cour, soit vis-à-vis de la Compagnie.

21. — On assure que M. le chancelier, sentant la nécessité d’avoir dans son parti des plumes éloquentes, s’en est attaché plusieurs, et qu’il fait même solliciter de loin M. de Voltaire[200], dont il flatte la vanité.

22. — Épigramme de M. Piron contre la traduction de Suétone, par M. de La Harpe.


Dans l’absence de mon valet
Un colporteur borgne et bancroche
Entra jusqu’en mon cabinet,
Avec force ennui dans sa poche :
« Les douze Césars pour six francs,
Me dit-il ; exquis, je vous jure.
L’auteur, qui connaît ses talens,
L’a dit lui-même en son Mercure.
C’est Suétone tout craché,
Et traduit… traduit ! Dieu sait comme !
Ce sont tous les monstres de Rome
Qu’on se procure à bon marché !
De ce recueil pesez chaque homme :
Des empereurs se vendent bien ;
Caligula seul vaut la somme,
Et vous aurez Néron pour rien.
— Que cent fois Belzébuth t’emporte,
Lui dis-je, bouillant de fureur !
Fuis, avec ton auguste escorte ! »
Et puis de mettre avec humeur,
Ainsi que leur introducteur,
Les douze Césars à la porte.

23. — Les ouvrages périodiques retentissent depuis long-temps de la querelle qu’un nommé Patte, architecte du duc des Deux-Ponts, a intentée au sieur Souflot ; il prétend prouver à ce dernier, par A et par B, que dôme de la nouvelle église de Sainte-Geneviève ne peut pas s’élever. En général, on a trouvé mauvais qu’un artiste sans mission, sans caractère, critiquât avec autant d’acharnement et de présomption le chef-d’œuvre d’un homme connu, et qui a déjà fait ses preuves dans le genre en question. Cependant les objections de l’adversaire ont paru assez fortes pour partager les architectes, et attirer l’attention des savans en cette matière. Les plus connaisseurs n’ayant rien décidé de positif sur la querelle, l’Académie d’Architecture a évoqué à elle la contestation.

L’espèce de guerre ainsi intentée par le sieur Patte au sieur Souflot a attiré beaucoup d’ennemis au premier. L’humeur et la mauvaise foi s’en sont mêlées ; enfin, la calomnie a été mise en œuvre, et l’on a fait courir depuis quelques jours le bruit que, dans le désespoir de se voir abandonné de tout le monde, il s’était donné plusieurs Coups de couteau, et jeté ensuite par la fenêtre. Cette atrocité a été tellement accréditée, qu’elle s’est répandue et soutenue depuis ce temps. Le sieur Patte est obligé de se montrer en public, et d’aller aux lieux les plus fréquentés pour démentir une si fausse nouvelle, et constater son existence aux yeux des gens trop crédules.


24. — On a admiré aujourd’hui, au Palais, le discours de M. le chancelier, à l’installation du Conseil, pour tenir lieu du Parlement[201]. Malgré la position critique où il se trouvait, il s’est remis de la frayeur qu’il avait d’abord ressentie en arrivant, et a parlé avec beaucoup de présence d’esprit, de fermeté et d’éloquence. C’est un nommé Le Brun, ci-devant Jésuite, son secrétaire intime auquel on attribue cette harangue.

25. — Il court un vaudeville en cinquante couplets contre cinquante demoiselles de l’Opéra : il en est peu qui n’y soient très-maltraitées ; aussi le théâtre lyrique est-il dans une grande fermentation pour découvrir l’auteur de ces calomnies et le faire punir sévèrement. Il a jugé à propos de distinguer mademoiselle Rosalie, et a fait en particulier pour elle un Cantique servant de suite au premier[202], qui ne chante rien moins que ses louanges, et qui part à coup sûr d’un ennemi très-ulcéré. Ces nouveautés intriguent beaucoup les amateurs, et font une grande sensation parmi eux.

27. — Malgré la réclamation presque universelle de la France mourant de faim, demandant du pain, et maudissant l’exportation, malgré l’examen de la question faite par plusieurs Compagnies souveraines dont quelques-unes même, après avoir adopté le nouveau système, s’en sont désistées ensuite en rendant des arrêts prohibitifs, les économistes persistent dans leur raisonnement, et répliquent à tout ce qu’on a dit et fait par une réponse spécieuse d’abord, mais qui peut se réduire à rien. Le sieur Dupont, le rédacteur des Éphémérides et le secretaire de la secte, prétend dans des Observations sur les effets de la liberté du commerce des grains et sur ceux des prohibitions, que les réglemens pareils à ceux qu’on sollicite aujourd’hui ont produit beaucoup de disettes, et en cent vingt-trois ans ont occasioné soixante-cinq années de cherté plus grande que celle dont on se plaint à présent. Mais ont-elles été longues ? N’avaient-elles pas été précédées de fléaux qui les avaient déterminées ? c’est qu’il faudrait éclaircir, et ce que l’auteur n’a eu garde de faire.

Le même auteur a discuté les Lettres sur la Théorie des lois civiles[203], livre qu’il affecte d’annoncer avoir été vendu publiquement pendant un mois chez Desaint, libraire au aux Palais-Royal, et en plusieurs autres endroits. Il déclare qu’il veut répondre aux raisonnemens, et non injures du sieur Linguet ; mais le lecteur trouve qu’il réplique fort mal aux raisonnemens et très-bien aux injures, si c’est bien y répondre que d’invectiver avec plus d’adresse et un sang-froid plus apparent. On voit avec peine l’homme sous le manteau philosophique, et le public juge le sieur Dupont très-quitte envers son adversaire sur cet objet.

28. — Le sieur Champfort, auteur de quelques ouvrages, et surtout d’une comédie intitulée la Jeune Indienne[204], joignait à ses talens littéraires une jolie figure et de la jeunesse ; il cheminait même vers la fortune, et devait passer avec le baron de Breteuil dans une cour étrangère. Tant de prospérités l’ont amolli : il s’est livré avec trop d’ardeur au plaisir, et il se trouve aujourd’hui atteint d’une maladie de peau effroyable, qui paraît tenir de la lèpre. Ce jeune homme, dont la philosophie n’a pas encore beaucoup corroboré le cœur, se désole de son état et tombe dans le désespoir. Il est entre les mains du sieur Bouvart.

29. — Épitaphe de Moncrif par le sieur de La Place.


Réalisant les mœurs de l’âge d’or,
Ami sûr, auteur agréable,
Ci-gît qui, vieux comme Nestor,
Fut moins bavard, et plus aimable.


31. — On a parlé[205] du spectacle donné par les officiers sur le théâtre d’Audinot. M. le duc de Choiseul encore ministre de la guerre, avait trouvé cette représentation fort indécente, et indigne de l’état de ces militaires ; en conséquence, il avait donné des ordres pour qu’ils fussent mis au Fort-l’Évêque ; mais cette punition n’a pas eu lieu, par égard, à ce qu’on dit, pour M. duc de Chartres, qui avait assisté à ce spectacle.

3 Février. — On recherche avec empressement une Lettre du Parlement de Bretagne au Roi, à l’occasion de ce qui se passe au sujet des membres du Parlement de Paris, pour supplier Sa Majesté de les rappeler à leurs fonctions. Cette pièce est plus estimée, comme oratoire, que les diverses productions de nos magistrats de la capitale.

7. — On a remis avant hier sur le théâtre de l’Opéra Pirame et Thisbé[206], dont on a changé le dénouement. L’Amour vient ressusciter Pyrame, ce qui n’a eu le succès qu’en attendaient les auteurs. On n’est pas content de la composition des ballets, et, depuis que Vestris en a la direction, il n’a réussi que dans ceux qu’il a copiés des autres.

9. — Ce pays-ci fourmille de gens oisifs qui se font des plaisirs de ce qui, pour des gens sensés, ne serait qu’un objet de mépris et de pitié. Une querelle d’histrions a divisé depuis quatre jours notre pétulante jeunesse. Une danseuse excellente de l’Opéra, et le meilleur danseur sans contredit, rivaux de talens et jaloux l’un de l’autre depuis long-temps, sont désunis par divers motifs. Leur inimitié a éclaté à l’occasion d’un pas où mademoiselle Heinel a voulu danser, et dans lequel Vestris s’est ménagé tout le brillant, comme maître des ballets. Cette dispute a aigri les parties et excité parmi leurs partisans le projet de s’en venger. Mardi dernier, il a éclaté contre Vestris, qui a été sifflé dans la chaconne qui termine l’opéra. Outré contre sa rivale, qu’il a rencontrée dans les coulisses, et dans les yeux de qui il a cru voir le triomphe de la mortification qu’il venait d’essuyer, il s’est emporté contre elle en propos les plus injurieux ; ce qui a produit une scène des plus vives et a indisposé les spectateurs contre lui. Chacunmais le plus grand nombre a été pour mademoiselle Heinel. L’affaire portée devant le ministre de Paris, celui-ci a cru devoir rendre justice à l’outragée. Le public a applaudi aujourd’hui cette danseuse avec une fureur inexprimable, dans le ballet des Fêtes Grecques et Romaines, bien disposé à ne pas recevoir demain Vestris avec la même bonté. Ses admirateurs prétendent balancer le parti de mademoiselle Heinel, et on s’attend demain à un événement comique à l’Opéra à ce sujet. Tous nos jeunes gens s’y sont donné rendez-vous, pour y suivre l’affection qui les domine.

10. — On a donné avant-hier aux Français une pièce en trois actes, en vers, et l’on pourrait dire contre tous, qui a pour titre : le Persifleur[207]. C’est une satire qui sans être une bonne pièce, n’est pas sans mérite. Il n’est guère possible d’en faire l’analyse. Elle est écrite facilement, et fait honneur au style de l’auteur, déjà connu par plusieurs drames et romans, joués au théâtre et répandus dans le monde. Il se nomme Sauvigny.

11. — Le complot formé d’humilier l’amour-propre de Vestris, et non son talent, a attiré hier un monde étonnant à l’Opéra. Mais on s’est réconcilié avec lui, quand on a appris qu’il avait fait la veille les excuses les plus soumises à mademoiselle Heinel. Le public indulgent lui a fait grâce et justice, en l’applaudissant à outrance du parterre, des loges et de partout. De sa part, pour mériter cette faveur, il s’est surpassé dans la chaconne, et y a fait de si grands efforts, qu’en sortant de la terminer il s’est trouvé mal.

11. — M. Bernard, si connu sous le nom de Gentil Bernard, secrétaire-général des dragons, vient de tomber dangereusement malade, au point qu’on l’a cru mort. Il est célèbre par de petits vers galans qui sont recherchés de la bonne compagnie. Il y a de lui un Art d’aimer, qu’il a eu l’art de lire et de ne jamais faire imprimer, non plus que ses autres ouvrages. Ceux qu’il a donnés au public étaient de société. Castor et Pollux est la seule production qui puisse véritablement lui mériter l’immortalité.

19. — L’arrêté du Parlement de Normandie a été rédigé en Lettre au Roi[208] ; elle est écrite supérieurement La presse nous a déjà transmis cet ouvrage patriotique, mais dont M. le chancelier arrête, autant qu’il peut, la publicité.

20. — M. de Mairan est mort ce soir, âgé de près de quatre-vingt-quatorze ans. Il avait toujours mené une vie fort rangée : il allait encore dîner en ville trois fois par semaine. Il avait un extérieur net et propre, et, du côté du physique, ne se ressentait en rien des incommodités de la vieillesse.

21. — On parle beaucoup dans le monde des Remontrances de la Cour des Aides au Roi, au sujet de l’état actuel du Parlement de Paris. Elles ont été fixées le 18 de ce mois toutes les chambres assemblées, et c’est aujourd’hui que les gens du roi de cette cour apprendront à Versailles si le roi agréera qu’elles lui soient présentées. Ceux qui en ont eu lecture, assurent que c’est un morceau d’éloquence sublime.

23. — M. le chancelier, accompagné de M. le duc de La Vrillière, de M. Bertin, de M. Monteynard et de M. l’abbé Terray, des conseillers d’État et des maîtres des requêtes, s’est rendu ce matin à onze heures au Palais, tous messieurs du Conseil assemblés à la Grand’Chambre, et y a fait un discours pour annoncer l’objet de sa mission[209]. Ceux qui l’ont entendu y ont remarqué la même élévation de style et de pensées que dans celui prononcé le 24 janvier, et il y a apparence qu’il est de la fabrique du même orateur, c’est-à-dire du sieur Le Brun.

24. — Un zélé Breton vient de faire imprimer un Mémoire sur le rétablissement de la Compagnie des Indes, et sur les avantages qui en doivent résulter pour l’État en général, et pour la province de Bretagne en particulier. Les raisons qu’il met en avant sont des plus claires, pour prouver cette importante vérité, que l’on a étrangement perdue de vue quand on s’est prêté au projet extravagant du détracteur de la Compagnie.

25. — Le Gentil Bernard n’est pas mort de la cruelle attaque qu’il a eue, mais il est dans un état plus cruel que la mort même, étant tombé en enfance.

27. — Le Parlement de Rouen se signale par des écrits d’une éloquence rapide, vigoureuse et pleine de choses. Outre sa première Lettre au Roi, qu’on a dit être imprimée déjà[210], on en annonce une seconde[211], plus étendue, où les grands principes de la monarchie sont rappelés et posés d’une manière inébranlable.

28. — On parle beaucoup d’un Mémoire signé des princes du sang, excepté M. le comte de La Marche, au sujet des événemens qui viennent de se passer ; il n’est pas encore assez connu pour qu’on puisse en déduire les principaux moyens, ni en parler pertinemment. Il suffit de dire qu’il est en faveur de messieurs du Parlement.

— On n’a pu découvrir l’auteur du Cantique[212] infâme contre mademoiselle Rosalie. Il ne peut partir que d’un ennemi très-ulcéré ; mais elle-même y a donné lieu par sa langue envenimée, en sorte qu’on ne peut la plaindre. Dans cet assaut d’injures entre les chevaliers de ces demoiselles, on ne peut assigner lequel est l’agresseur : il s’ensuit toujours une grande fermentation dans le tripot lyrique, et les amateurs cherchent à garnir leur porte-feuille de ces nouveautés.


2 Mars. — Le prince royal de Suède[213] a été proclamé roi à Stockholm le lendemain de la mort de son père. Jamais prince n’a reçu une plus belle éducation et n’en a mieux profité. Ses connaissances s’étendent sur tout, et la justesse de son esprit égale la bonté de son cœur. Il n’y a qu’une voix sur ce jeune monarque, qui ne peut manquer d’être adoré de ses sujets. Il a capté le suffrage de tous ceux qui ont eu le bonheur de le connaître ici. Il a presque toujours été entouré des Philosophes encyclopédistes ; mais M. d’Alembert est celui qu’il a distingué le plus, et qu’il a particulièrement admis à son intimité : tous s’accordent à le regarder comme un sectateur zélé de leur doctrine, et se flattent de trouver aujourd’hui un protecteur puissant dans ce nouveau roi.

3. — Il court dans le monde un Mémoire qu’on attribue à la noblesse, mais qui n’est signé de personne, dans lequel on fait parler ce corps respectable comme devant connaître de tous les faits du point d’honneur, et qui, discutant les inculpations faites aux magistrats dans le préambule de l’Édit de décembre dernier, en infère qu’ils n’ont pu continuer leurs fonctions jusqu’à ce qu’ils en aient été justifiés, leur honneur y étant compromis. Ce Mémoire n’est que manuscrit et anonyme[214], et on le regarde comme apocryphe.

4. — M. l’évêque de Senlis[215] a prononcé aujourd’hui son discours de réception à l’Académie Française, où il a succédé à feu M. de Moncrif. La tâche n’était pas facile à remplir pour louer son prédécesseur, et la sécheresse du sujet s’est répandue sur tout l’ouvrage. M. l’abbé de Voisenon, en sa qualité de directeur, avait un plus beau champ, puisqu’il avait à faire l’éloge du mort et du récipiendaire. Aussi y a-t-il employé toute l’artillerie de son esprit. Il a eu l’art d’égayer la matière et de réveiller les auditeurs par des saillies qui ont été fort applaudies. Jamais séance académique ne s’est terminée plus agréablement.

6. — Plusieurs seigneurs et dames de la cour ont obtenu la permission d’aller à Chanteloup : de ce nombre sont M. le prince de Tingri, le marquis de Beauvau, leurs femmes et autres, etc., ce qui intrigue fort le chancelier et ranime le parti adverse.

8. — Les Comédiens Français ont donné hier, pour la première fois, une petite pièce, qui a pour titre : l’Heureuse Rencontre, en un acte et en vers. Ce petit drame n’offre rien de piquant, et est médiocre, pour ne pas dire plus. C’est l’ouvrage d’un bel esprit femelle[216], qui veut garder l’anonyme et fera bien.

9. — Il paraît, à ce qu’on assure, un libelle sanglant contre M. le chancelier, en forme d’Ode, et l’on dit qu’il est intitulé les Chancelières[217]. On se doute bien qu’il est très-rare, et que l’auteur n’a pu l’enfanter que dans les plus profondes ténèbres.

10. — Le Parlement de Grenoble n’a pas manqué de se signaler, et de déployer, dans la présente occasion l’éloquence noble et touchante qu’on remarque dans toutes ses productions. Il a adressé au roi des remontrances, soutenues surtout par une logique lumineuse, pressante et irrésistible. Il attaque l’Édit de décembre 1770, et met l’auteur en contradiction avec lui-même. Il combat M. le chancelier par ses propres paroles, lorsqu’à la tête du Parlement de Paris il avait eu occasion de porter pied du trône les représentations de son corps.

11. — Il paraît une Épître manuscrite du sieur de Voltaire au roi de Danemark, à l’occasion de la liberté presse que ce prince vient d’accorder dans ses États. Elle est écrite dans ce style familier que ce poète s’est attribué depuis long-temps envers les rois, et qui dégénère en licence indécente et punissable ; il sent moins le génie fier et indépendant que le bas flatteur qui, à la faveur des éloges outrés qu’il prodigue à ce monarque, espère faire passer les injures qu’il dit aux autres. Quoi qu’il en soit, l’auteur approuve d’autant plus Sa Majesté Danoise, que, suivant lui, jamais un mauvais livre ne survit à l’oubli qu’il mérite, et qu’on le peut laisser mourir impunément de sa belle mort ; qu’au contraire, les proscriptions n’empêchent pas les bons de pénétrer, et donnent plus de consistance et de relief aux autres ; qu’enfin ce ne sont les philosophes qui ont troublé la terre et excité les discordes et les guerres. Ces idées, vraies en général et saines, mais répétées en plusieurs ouvrages, et surtout en mille endroits de cet auteur, sont noyées dans un fatras de plaisanteries bouffonnes et satiriques qui déparent infiniment le reste.

14. — Le Parlement de Bordeaux a arrêté des Remontrances au roi[218] sur l’état présent du Parlement de Paris, dans le même esprit que celles des autres Cours qui en ont arrêté. Elles sont du 25 du mois dernier, et sont déjà imprimées. On les annonce comme volumineuses et comme développant la matière d’une manière plus historique que les autres.

16. — Le Parlement de Provence a adressé au roi des Remontrances très-pathétiques sur la situation présente du Parlement de Paris, et rappelé la trop douloureuse histoire de Bretagne, qu’il regarde comme la source de ce qui se passe aujourd’hui. Elles sont rédigées de main de maître et très-longues.

17. — Les Chancelières[219] font la plus grande sensation dans le public, et sont recherchées avec un empressement sans égal, plus sans doute à raison du personnage qu’elles concernent et de l’objet qu’elles traitent, que de leur mérite intrinsèque. Elles ne valent pas, à beaucoup près, les Philippiques, qui parurent dans le temps de la Régence, et attribuées au sieur La Grange Chancel. Le pamphlet en question est plein d’injures atroces, dites presque toujours en termes impropres, sans chaleur, sans élévation, sans enthousiasme. Le style en est dur et grossier autant que les choses. C’est plutôt de la prose rimée qu’une ode. Il y a cependant quelques strophes, ou parties de strophes tout-à-fait différentes ; ce qui annoncerait l’ouvrage de deux mains, ou celui d’un écolier corrigé en des endroits par main de maître. En un mot, c’est plutôt une pièce historique qu’une pièce de poésie[220].

19. — *On a des Remontrances du Parlement d’Aix, singulières par leur tournure, et qui font remonter les évènemens du jour jusqu’à l’affaire de Bretagne, où ce Parlement en trouve l’origine. Cette filiation, très-développée, forme un tableau historique et étendu, extrêmement curieux.

20. — *Le Parlement de Douay a fait, le 13 de ce mois, un arrêté en faveur du Parlement de Paris. Cette démarche est remarquable, en ce que c’est la première fois que cette compagnie prend fait et cause pour une autre, et que jusqu’à présent elle n’avait paru prendre aucune part aux affaires publiques. D’ailleurs on y voit avec plaisir qu’elle traite l’objet d’une manière neuve, en demandant que le procès soit fait légalement aux membres de ce corps, s’ils sont coupables : point capital, pas ou trop peu discuté par les autres Parlemens. Quant au style, il est très-sain, très-pur et très-noble ; il ne se sent en rien du terroir étranger.

21. L’Académie Française a tenu aujourd’hui sa séance publique pour la réception de M. le prince de Beauvau et de M. Gaillard. Jamais on n’avait vu à pareille assemblée un concours si prodigieux de femmes. On en à comptait plus de quatre-vingts, dont une grande partie de dames de la cour, beaucoup de seigneurs, et une multitude immense d’auditeurs de toute espèce. Le discours de M. de Beauvau, qui a ouvert la séance, était court et simple, en un mot, a paru un discours de grand seigneur. On y a cependant remarqué l’adresse

avec laquelle, en faisant l’éloge du roi et de son règne ce récipiendaire y a amené indirectement celui de M. le duc de Choiseul, en pesant davantage sur les temps de l’administration de ce ministre, qu’il a indiqués comme une époque mémorable de la monarchie. On a applaudi au zèle de l’amitié, sans discuter s’il était juste, ou excessif, ou indiscret. M. Gaillard a mieux rempli sont rôle. Il a fait, après les complimens d’usage, une dissertation historique sur les sociétés savantes en France, fait remonter l’origine jusqu’à Charlemagne. Il a présenté un tableau rapide et serré des progrès de ces institutions, et il y a joint des anecdotes précieuses et honorables pour les gens de lettres ; mais il y a trop mêlé ce ton d’emphase, mis à la mode par le sieur Thomas, cette bouffissure philosophique, par où il s’est a annoncé comme un digne sectateur de la cabale encyclopédique qui l’a porté à sa nouvelle dignité. M. l’abbé de Voisenon, encore directeur pour cette cérémonie, a répondu alternativement aux deux récipiendaires par deux discours. Même style, mêmes sarcasmes, même persiflage que la première fois. Sa figure de singe semblait donner encore plus de malice à ses saillies, et il a soutenu à merveille le rôle d’Arlequin qu’il s’était imposé, suivant ses propres expressions en réponse à ses confrères qui lui reprochaient le peu de gravité de ses discours.

Ensuite le sieur Duclos a lu une continuation de l’Histoire de l’Académie, commencée successivement par Pellisson et par l’abbé d’Olivet, depuis son origine jusqu’en 1700. En sa qualité de secrétaire de l’Académie il a cru devoir avancer cet ouvrage jusqu’à nos jours. Ce n’est qu’une chronologie sans suite et sans liaison des variations légères qu’a éprouvées cette compagnie depuis ce temps. Il y a recueilli toutes les anecdotes relatives à son objet : quoique puériles et minutieuses, elles ne devaient pas moins entrer dans ce travail, qui, au fond, est très-peu de chose. L’historien a joint aux faits des réflexions bourrues en style dur, comme lui, qui ont rire, et ne contrastaient pas mal avec les gentillesses, les gaietés du directeur. Il a fini par une apologie prétendue de l’Académie, sur le reproche qu’on lui fait d’admettre dans un corps où il ne doit point y avoir d’honoraires, tant de gens qui ne peuvent qu’y jouer ce rôle ; et le public a trouvé qu’il avait fort mal justifié sa compagnie, ou plutôt qu’il avait élevé une question qu’il n’avait nullement résolue. On ne doit pas omettre que dans l’historique du sieur Duclos, cet Académicien ayant fait mention d’une anecdote concernant le président de Lamoignon, grand-père de M. de Malesherbes d’aujourd’hui, et ayant ajouté, en nommant cet ancien magistrat, « ce nom si cher aux lettres, » tous les spectateurs ont envisagé, comme de concert, M. de Lamoignon de Malesherbes, et l’on a battu des mains pendant plusieurs minutes et à plusieurs reprises : éloge bien flatteur pour ce magistrat, qui se distingue aujourd’hui par sa qualité encore plus rare de patriote, et que la France entière envisage comme un de ses plus chers défenseurs.

Le public, et les femmes surtout, auraient été bien aises d’entendre quelques-unes des fables dont M. le duc de Nivernois a amusé si délicieusement les auditeurs dans plusieurs séances ; mais ce seigneur s’est refusé aux instances qu’on lui a faites, déclarant que, par un réglement nouveau, aucun Académicien ne pouvait rien lire sans avoir communiqué son ouvrage à un comité de ses confrères ; qu’il n’avait pas pris cette précaution, et qu’il ne pouvait répondre aux désirs de l’assemblée. On présume que ce règlement a été fait à l’occasion du discours de M. Thomas, dont on a parlé l’an passé, et qui fit un si grand scandale à la cour et à la ville.

22. — *Tous les jours on reçoit des nouvelles de différens bailliages qui ne veulent pas reconnaître les Conseils Supérieurs ; on parle entre autres de celui de Langres qui a écrit à ce sujet une lettre très-forte à M. le chancelier : même éloquence, même patriotisme dans ces ouvrages.

23. — *On fera simplement mention ici, pour mémoire, d’un écrit intitulé : Lettre d’un Bourgeois de Paris à un Provincial au sujet de l’Édit du mois de décembre 1770, en date du 5 février 1771. Cet écrit ne porte aucun caractère d’authenticité ; il entre dans un détail déjà fait des maux qui peuvent résulter de la funeste loi ; il est instructif, simple, et paraît l’ouvrage d’un bon patriote ; mais ne contenant rien de neuf, on n’en parlera pas plus au long.

— Le sieur Guérin, chirurgien du prince de Conti a eu, il y a quelque temps, une rixe à l’Opéra avec M. le marquis de Langeac, colonel à la suite des grenadier de France. Ce dernier ayant trouvé mauvais que l’autre eût regardé indécemment sa maîtresse, l’a traité comme un gredin, le menaçant de lui faire donner des coups de bâton par ses gens. Le sieur Guérin a pris au collet M. de Langeac, a fait semblant de ne pas le connaître et l’a forcé à venir chez le commissaire. Là, il s’est réclamé du prince son maître, et lui a été renvoyé. Cependant son adversaires jetait feu et flammes… On répand la copie d’une lettre écrite à cette occasion, dit-on, à M. de Langeac, par le prince de Conti.

« On dit, Monsieur, que vous voulez faire périr le sieur Guérin sous le bâton. Je vous prie de songer qu’il est mon chirurgien ; qu’il m’est fort attaché ; que j’en ai besoin, car j’ai beaucoup vu de filles ; j’en vois encore… j’ai eu des bâtards, mais j’ai toujours eu soin qu’ils ne fussent pas insolens… »

24. — *Les pasquinades continuent. On a fait le quatrain suivant, à l’occasion des six Conseils Supérieurs.


La Cour royale est accouchée
De six petits Parlementaux
Tous composés de m……… ;
Le diable emporte la nichée !


*Il paraît une lettre des officiers du bailliage de Villefranche en Beaujolois, ville de l’apanage de M. le duc d’Orléans, adressée à ce prince, du 6 mars 1771, par laquelle ils remettent leurs démissions entre les mains de S. A., plutôt que de reconnaître le Conseil souverain dont on veut les faire ressortir. Cette pièce historique de magistrats subalternes est digne de figurer avec avantage parmi toutes celles de ce genre qui ont paru ou qui paraîtront.

25. — L’impératrice des Russies a fait enlever tout le cabinet de tableaux de M. le comte de Thiers, amateur distingué, qui avait une très-belle collection en ce genre. M. de Marigny a eu la douleur de voir passer ces richesses chez l’étranger, faute de fonds pour les acquérir pour le compte du roi. On distinguait parmi ces tableaux un portrait en pied de Charles Ier, roi d’Angleterre, original de Vandyk. C’est le seul qui soit resté en France. Madame la comtesse Du Barry, qui déploie de plus en plus son goût pour les arts, a ordonné de l’acheter : elle l’a payé vingt-quatre mille livres ; et sur le reproche qu’on lui faisait de choisir un pareil morceau entre tant d’autres qui auraient pu lui convenir, elle a répondu que c’était un portrait de famille qu’elle retirait. En effet les Du Barry se prétendent parens de la maison des Stuarts.

26. — *Il passe pour constant que mardi dernier M. duc de Duras, gentilhomme de la chambre en exercice a remis au roi, de la part des princes du sang, un Mémoire de vingt pages, où ils reprennent toute l’affaire actuelle dès son origine, attaquent directement M. le chancelier, dont ils suivent les opérations, en font voir le vice et les contradictions, et finissent par des protestations entre les mains de Sa Majesté contre tout ce qui a été fait et contre tout ce qui se fera. Il est à observer que M. le comte de La Marche refuse constamment de se joindre aux autres, et n’a rien signé.

27. — *À l’occasion du bruit qui court de l’exil de la Cour des Aides, on a fait le placet suivant au roi, au nom des femmes des conseillers au Parlement.


Nos époux, ô Louis, sont en captivité ;
Nous gémissons loin d’eux, dans la viduité.
Jusqu’à ce jour pourtant une erreur secourable
À nos cœurs désolés apportait quelque espoir ;
Mais enfin, de Maupeou la vengeance implacable,
Nous condamne, dit-on, à ne les jamais voir.
À leur comble montés, nos maux sont sans remèdes :
Laissez-nous pour soutien au moins la Cour des Aides.

28. — *Il paraît deux nouvelles brochures sur les matières présentes. L’une en date du 11 février 1771, a pour titre : Lettre de M***, conseiller au Parlement, à M. le comte de ***. Le but de l’auteur est de prouver, 1° que le Parlement a dû s’opposer à tout enregistrement de l’Édit ; 2° qu’il n’a fait en cette occasion que ce qu’il avait fait dans d’autres, avec succès et avec l’approbation de nos rois, mieux instruits ; 3° qu’il a employé, pour manifester son opposition, le seul moyen légal et honnête qui pût convenir à des magistrats.

L’autre est intitulée : Observations sur l’incompétence de MM. du Conseil pour la vérification des lois. Cette seconde brochure, bien supérieure à la première, démontre, par huit considérations, la nullité de tout ce que feraient MM. du Conseil en pareil genre, et même celle de tout jugement civil ou criminel qu’ils peuvent prononcer. Outre l’avantage d’une logique claire et pressante, elle a celui d’être très-courte, et de résumer en peu de pages les plus puissans argumens sur cette matière. Le style est d’une énergie propre à la chose, et ajoute encore à la force du raisonnement.

29. — Mademoiselle Sainval, une des coryphées de la Comédie Française, destinée à doubler mademoiselle Dumesnil, et qui, avec autant de laideur et un organe très désagréable, annonçait d’heureuses dispositions pour la remplacer, vient de devenir folle par un accès de sensibilité qui lui fait honneur. On raconte qu’ayant eu un frère soldat pendu, l’aréopage comique avait décidé que sa délicatesse ne lui permettait pas de garder sa sœur parmi ses membres, et qu’il fallait la remercier. Cette nouvelle a jeté mademoiselle Sainval dans un désespoir auquel on attribue le dérangement de sa tête. Cette actrice passait pour avoir les passions très-vives, et en a déjà donné des preuves : il faut espérer que accident n’aura pas de suites.

30. — Chanson à l’occasion de la commission de coseiller au Conseil Supérieur de Châlons, sollicitée et obtenue par l’abbé Hocquart, chanoine de Chalons


Sur l’air : Réveillez-vous, belle endormie.

Lorsqu’en France on battait la caisse
Pour y trouver des magistrats,
Certain abbé, fendant la presse,
Fut un des premiers candidats.

C’était suppôt de cathédrale,
Plus fait pour la table et le jeu,
Que pour occuper un’froid’stalle,
Bon seulement à prier Dieu.

Il faut bien faire un sacrifice,
Pour accroître de deux mill’francs,
Le revenu du bénéfice,
Et du piquet et des brelans.

Plein d’une si belle espérance,
Au son de l’or, notre abbé part ;
Arrive au chancelier de France :
On annonce l’abbé Hocquart.

« Ton nom, dit Maupeou, m’extasie,
C’est celui du fameux Hocquart !
À sa place, malgré l’envie,
Tu seras, fusses-tu bâtard.

« Des dispenses recommandées,
On t’expédiera dans le jour,
Bien et dûment enregistrées
Par gens de ma nouvelle cour.

Un préambule est nécessaire :
As-tu bien été baptisé ? »
« — Oui, monseigneur, la chose est claire ;
Claude, est le nom qu’on m’a donné. »

Notre cher, féal et bien Claude[221],
Puisqu’il appert à tout voyant
Que tu l’es vraiment et sans fraude,
Reçois-en notre compliment.

Pour de notre gent moutonnière
Juger procès mus, à mouvoir,
Te dispensons de la prière,
Et par-dessus, de tout savoir. »


PROVISIONS.
Air des Folies d’Espagne.

Savoir faisons aux bêtes Champenoises,
Que par dessein, et non pas par mégard,
Nous nommons, pour juger toutes leurs noises,
Notre féal Claude et bien Claude Hocquart.

31. — Le fameux procès de M. de Valdahon a été jugé au Parlement de Metz, le 22, à huit heures du soir. M. Le Monnier a été débouté de son opposition ; permis aux parties de s’épouser ; trois commissaires nommés par la Cour pour faire le contrat de mariage ; mademoiselle Le Monnier prise sous la sauve-garde du Parlement ; M. Le Monnier condamné à soixante mille livres de dommages et intérêts, et à tous les dépens ; les Mémoires supprimés respectivement de part et d’autre. M. l’avocat général a déclaré ne demander la suppression de ceux de M. de Valdahon et de mademoiselle Le Monnier, que pour effacer jusqu’à la trace des horreurs des imputations, des calomnies avancées dans ceux de M. Le Monnier. Toute la ville a été enchantée de cet arrêt. On a fait des feux de joie : on a cassé les vitres de M. Le Monnier, et l’on a crié : « Vive le Parlement et M. de Valdahon ! » Ainsi, après huit ans de douleur et de traverses, va se terminer heureusement l’histoire de ces deux modèles d’amour, dignes de figurer à côté de tous les héros de ce genre, dont on lit les aventures et les combats dans les romans.

1er AVRIL. — M. Bergier est nommé confesseur de Mesdames, à la place de l’abbé Clément qui vient de mourir. Cet abbé paraît d’autant plus digne de la confiance de ces augustes personnes, que c’est un champion infatigable de la foi, un défenseur éclairé de notre sainte religion, que ses adversaires trouvent toujours prêt à combattre. Il vient de faire paraître tout récemment une réfutation du livre du Système de la Nature.

3. — Le bruit général de Paris est qu’on a trouvé à la statue de Louis XV, un placard exécrable qui a fait frémir les premiers bons citoyens qui ont eu le malheur de le lire. Il portait : « Arrêt de la cour des Monnaies qui ordonne qu’un louis mal frappé soit refrappé. »

4. — Il paraît des Très-humbles et très-respectueuses Remontrances du Parlement séant à Rouen[222], en date du 19 mars. Elles ont pour objet l’établissement des Conseils Supérieurs, et relèvent toutes les irrégularités, ou pour mieux dire, l’illégalité entière de ces nouveaux tribunaux. C’est le même fonds, déjà traité dans divers écrits particuliers, et surtout dans la Lettre adressée aux magistrats de province, mais avec la modestie convenable à un citoyen anonyme qu’un zèle sage porte à éclairer ses concitoyens. Ici, au contraire, c’est une Cour souveraine armée du glaive de la justice, et qui tonne avec cette éloquence mâle dont elle doit faire entendre la vérité au prince, et épouvanter les perfides adulateurs qui l’entourent.

5. — Madame de Gomez est morte âgée de quatre-vingt-cinq ans. C’était une femme auteur, qui avait composé une bibliothèque de romans, tous gothiques, dans le genre de l’ancienne galanterie et que personne ne lit plus. Elle avait de beaucoup survécu à ses livres.


6. — M. de Voltaire a adressé une Épître à M. d’Alembert à l’occasion de celle au roi de Danemark dont on a parlé[223]. C’est une sorte de supplément à la première, où il dépose toutes les injures qu’il n’avait osé par respect pour le monarque, malgré la familiarité qu’il s’y est permise. Il a jugé son confrère moins délicat, et il s’y exprime de la façon la plus obscène et la plus atroce sur ses ennemis ordinaires, les Larcher, les La Beaumelle, les Rousseau, les Fréron, etc.

8. — *M. le chancelier, pour contre-balancer l’effet que pourraient produire dans le public les divers écrits qu’on a répandus sur son projet de destruction ou de réformation des Parlemens, a fait composer d’autres ouvrages en sa faveur, tels que des Considérations sur l’Édit de décembre 1770[224], Réflexions d’un citoyen sur l’Édit de décembre 1770[225]. Les gens impartiaux n’y trouvent pas cette force de raisonnement, ce droit des gens, cette réclamation contre le despotisme, si bien établis dans les premiers.

*Il paraît une seconde Ode pour servir de suite aux Chancelières ; elle embrasse les dernières opérations de M. le chancelier. Dans les vingt-sept strophes dont elle est composée, il s’en trouve d’une grande énergie, et qui sentent tout l’enthousiasme du poète.

Il paraît aussi des Couplets sur la Cour[226], et sur madame la comtesse Du Barry principalement, dépeignent les partisans. M. le duc de Richelieu, comte de Bissy, M. le comte de Maillebois, M. le duc d’Aumont, M. le duc de Villeroi, M. le prince de Condé y figurent parmi les hommes ; on n’oublie pas les femmes, madame de Valentinois, madame de l’Hôpital, madame la maréchale de Mirepoix. C’est une satire plate, et qui n’approche pas des vaudevilles piquans de la vieille Cour.

9. — Avis important d’un Gentilhomme à toute la Noblesse du royaume[227] ; Réponse aux Remontrances de la Cour des Aides, par un membre des nouveaux Conseils souverains[228] ; Lettres américaines sur les Parlemens[229] ; Extraits de différens écrits, réglemens, ordonnances, etc. ; Lettre écrite à M***, président du Parlement de Rouen, par un membre d’un présidial dans le ressort de ce Parlement[230] ; Sentimens des six Conseils établis par le roi, et de tous les bons citoyens[231]. Tels sont les ouvrages nouveaux[232] qu’on répand avec profusion pour favoriser le système du despotisme, qu’on cherche à accréditer. Il y en a pour tous les genres d’esprit et pour toutes les espèces de lecteurs : de plaisans et de sérieux, de savans et de superficiels ; et les chefs des différens Conseils doivent en emporter des ballots, pour les communiquer à leurs partisans dans les provinces. Les gens impartiaux et les amis de la liberté n’y trouvent rien de satisfaisant. Tout y sent l’esprit de parti.

— L’Académie des Belles-Lettres a tenu aujourd’hui son assemblée. On y a vu avec douleur, absens du banc des honoraires, M. le président d’Ormesson, et surtout M. de Lamoignon de Malesherbes[233], deux magistrats chers aux lettres, et qui ne manquaient aucune de ces séances. La nouvelle toute récente de l’exil du dernier, confirmée en ce moment, a jeté une consternation générale confrères et les spectateurs.

10. — * Vues pacifiques sur l’état actuel du Parlement. Tel est un imprimé, en date du 4 mars, répandu depuis peu, où l’on démontre que le raccommodement entre la Cour et le Parlement tient à peu de chose, depuis que le roi, dans l’Édit de création des Conseils, déclare son impuissance de changer les lois fondamentales. Ce petit écrit est forts sage. Après avoir fait le tableau effrayant de nos malheurs, il indique le remède, qui n’est autre chose que le rappel des magistrats, l’abolition du fatal Édit de décembre, et le retour à la règle et aux vrais principes. Sans rien dire de nouveau, cet ouvrage est un de ceux qu’on ne saurait trop multiplier, afin de faire pénétrer l’instruction et la vérité chez les gens les moins instruits, et dans les provinces du royaume les plus reculées. Au moyen de cette fécondité de lumières, la nation connaîtra enfin ses vrais intérêts, et poussera vers le souverain un cri unanime, si nécessaire pour éveiller l’engourdissement dans lequel le plongent les ministres qui l’obsèdent.

11. — *Parmi les différens Édits bursaux, il y en a deux qui concernent le papier : une Déclaration contenant augmentation de près du double sur les droits d’entrée de cette marchandise, et un Édit ordonnant impôt nouveau au moyen d’un timbre à imprimer sur toute espèce de papier quelconque, depuis le papier à sucre jusques au papier à poulet, à raison de cinq deniers par feuille, de quatre et de trois, suivant les diverses espèces. Les imprimeurs et libraires, alarmés cette inquisition, qui devait avoir un effet rétroactif sur tous les effets en marchandise de leurs magasins, dressé un Mémoire, où ils représentent les inconvéniens d’un impôt qui, en paraissant fait pour augmenter les revenus du roi, doit, au contraire, les diminuer, par le découragement qu’il jettera dans cette branche de commerce, dans les manufactures et parmi les artistes, que ces vexations obligeront d’émigrer chez l’étranger et d’y porter leur industrie. Ils ont aussi cherché à s’étayer des réclamations des agens généraux du clergé et des secrétaires des diverses Académies et autres corps littéraires, ainsi que cela s’est pratiqué, il y a nombre d’années, qu’il avait été question d’un semblable projet que ses inconvéniens firent abandonner alors. M. le chancelier et M. le contrôleur-général n’ont donné aucune solution à ce Mémoire.

12. — * Le sieur Linguet, avocat de M. le duc d’Aiguillon, n’ayant pas osé répondre pour ce pair, en sa qualité, dans la cessation générale de son Ordre, a pris la tournure d’écrire comme auteur, et il a répandu depuis quelques jours un mémoire pour son client, sous le titre d’Observations sur l’imprimé intitulé : Réponse des états de bretagne au mémoire du duc d’aiguillon[234], par Simon-Henri-Nicolas Linguet. Cet ouvrage est précédé d’un avertissement, où il dit que ce n’est plus l’ancien-commandant de Bretagne, que c’est lui-même qu’il défend ; que le roi, pour cette fois, a révoqué la défense parler désormais des affaires de Bretagne, et lui a permis de justifier la justification de M. le duc d’Aiguillon. Ensuite, à l’ombre de l’Arrêt du Conseil du 2 janvier, qui a proscrit la Réponse des États, dont il se couvre comme d’une égide qui le rend invulnérable, il ose provoquer à la fois, et les États et le Parlement de Rennes, qui, d’après un compte rendu, a brûlé son Mémoire par Arrêt du 14 août 1770. Le ton impudent dont toute cette espèce de préface est écrite ne peut que révolter les lecteurs honnêtes et les indisposer d’avance contre l’auteur.

14. — *La Gazette de Bruxelles, ainsi que celle de Berne, viennent d’être proscrites dans ce pays-ci. L’introduction en France en est défendue au bureau des gazettes étrangères. On prétend qu’elles ont déplu pour s’exprimer trop librement sur les affaires du gouvernement.


15. — *Ces jours derniers, un cercle de femmes était chez M. le chancelier, et ce chef de la magistrature plein de sel et d’enjouement en société, malgré ses importantes occupations, plaisantait les dames sur l’acharnement avec lequel elles déclamaient contre son nouveau système. Il leur reprochait d’embarrasser ses opérations, de les retarder par leurs criailleries, par l’ascendant qu’elles prenaient sur leurs maris, etc. ; il ajoutait qu’il trouvait cela d’autant plus étrange qu’elles n’étaient point au fait de la politique, que cette matière leur était interdite par leur sexe, leur éducation et leurs organes ; qu’en un mot elles ne s’y entendaient pas plus que des oies : « Eh ! ne savez-vous pas, monsieur le chancelier, repartit avec vivacité madame Pelletier de Beaupré, que ce sont les oies qui ont sauvé le Capitole ? »

16. — *Deux nouveaux écrits se répandent en faveur des opérations de M. le chancelier, ou pour décrier ceux composés par le parti adverse. L’un a pour titre : La tête leur tourne[235], l’autre : Remontrances du grenier à sel[236].


M. l’abbé Arnaud, espèce de charlatan littéraire, plus connu par ses intrigues que par ses ouvrages, entrepris de substituer au Journal étranger, ouvrage essentiel et qui pouvait être excellent, une Gazette littéraire, et il a si bien fait, qu’en un an il a enterré l’un et l’autre ; tels sont ses titres à la place qu’il vient d’obtenir à l’Académie Française. L’abus de laisser passer des membres d’une Académie dans l’autre va devenir d’autant plus dangereux, qu’actuellement ceux des Belles-Lettres forment près d’un quart des Quarante, en sorte que, pour peu qu’ils réunissent d’autres voix, ils seront incessamment maîtres des suffrages.

17. — *Les ouvrages en faveur du système de M. le chancelier pullulent de toutes parts. Il en paraît encore un tout récemment, intitulé : Réponse à la lettre d’un ancien magistrat à un duc et pair, sur le Discours de M. le chancelier au Lit de justice du 7 décembre 1770[237]. On ne peut qu’annoncer le titre de tant de brochures qui, ne font que plaisanter, ou s’écartent absolument des vrais principes, lorsque la matière y est discutée sérieusement.


19. — *Il paraît une Complainte sur l’air : des pendus. On imagine aisément que c’est une satire en forme de cantique contre M. le chancelier, où l’on retrace en bref naissance, sa vie, et où l’on prémature sa fin sinistre. Il faut joindre cet ouvrage aux affreuses Odes déjà répandues sur cette matière, et que la police recherche avec plus grande vigilance ; ce qui donne à ces pièces beaucoup plus de vogue qu’elles n’en auraient par leur mérite intrinsèque, très-médiocre.


20. — *Les Représentations des honnêtes gens sont un petit écrit très-impartial, où, en conséquence des torts du Parlement, on s’élève avec la même liberté contre l’illégalité de sa destitution, et la fausseté des prétextes qu’on met en avant pour autoriser un semblable despotisme. On fait voir que cette Compagnie a toujours, ou presque toujours, été l’esclave des ministres ; que, outre plusieurs actes d’injustice particuliers, comme l’expulsion des Jésuites, la condamnation de M. de Lally, commis pour leur plaire, elle a, avec eux, consommé la ruine de l’État, en ne sévissant pas contre les déprédateurs des finances, ou en se prêtant aux impôts énormes dont les ministres tirés de son sein ont surchargé le peuple.

*Le vendredi, jour où messieurs duseil soupèrent chez M. le chancelier, et le lendemain où ils y dînèrent, étaient des jours maigres. Quelques-uns des membres de cette Compagnie exaltaient ces repas et disaient qu’il y avait des monstres. « Oui, Messieurs, leur répliqua madame de Beaupré, autour de la table. »

*Nouvelle épitaphe de M. le chancelier :


Ci-git Maupeou l’abominable ;
Ci-gît avec lui son esprit.
Passant, ne crains point son semblable :
Jamais monstre ne reproduit.

— Les Comédiens Italiens ordinaires du roi ont donné jeudi dernier, la première représentation de l’Amoureux de quinze ans, ou la Double Fête, comédie en trois actes et en prose, mêlée d’ariettes, et suivie d’un divertissement. Les paroles sont du sieur Laujon, secrétaire des commandemens de S. A. S. monseigneur le comte de Clermont, déjà connu par plusieurs ouvrages galans dans le même genre ; et la musique est d’un amateur, le sieur Martini, officier dans le régiment de Chamborand. Cette pièce est une allégorie composée à l’occasion du mariage de M. le duc de Bourbon avec Mademoiselle, et devait s’exécuter à Chantilly, lorsque ces deux époux seraient réunis ensemble. Le prince de Condé voyant que les circonstances actuelles ne se prêtaient pas à donner des spectacles chez lui, a permis aux auteurs de faire part au public de celui-ci.

21. — On rappelle, à l’occasion de la dernière épitaphe de M. le chancelier, celle répandue il y a quelque temps relativement à son père, à la veille de mourir : elle était conçue ainsi :

Ci-git un vieux coquin qui mourut de colère,
D’avoir fait un coquin, plus coquin que son père.

*Il paraît une Réponse au citoyen qui a publié des Réflexions#1. Cet écrit, plein de nerf et de raison, détruit tout ce qui est dit dans l’autre pamphlet, et ses argumens de l’autorité des plus grands écrivains sur l’administration et le gouvernement des États, et combat souvent son adversaire par ses propres paroles.

22. — *Il court un quatrain sur les circonstances présentes :


France, tel est donc ton destin,
D’être soumise à la femelle !
Ton salut vint de la pucelle,
Tu périras par la catin#2.

*On rapporte que madame la comtesse Du Barry ayant rencontré M. le duc de Nivernois, un des protestans au Lit de justice, l’avait arrêté, et lui avait dit : « Monsieur le duc, il faut espérer que vous vous départirez de votre opposition ; car, vous l’avez entendu, le roi ne changerait jamais. — Oui, madame, mais a dit il vous regardait. »

25. — Les Comédiens Français ont donné, hier, la première représentation de Gaston et Bayard, tragédie du sieur de Belloy, imprimée depuis long-temps, et même jouée en quelques endroits. Malgré la magie de la représentation et du jeu du sieur Le Kain, les connaisseurs [238] [239] n’ont pu s’y faire illusion sur l’intrigue absurde, sans ensemble, sans intérêt, et sur le galimatias du style, tantôt dur et boursouflé, tantôt fade et prosaïque. Quelques situations, mal amenées, ont pourtant fait effet, et sans doute en auraient produit davantage si le spectateur, détrompé par la lecture de la pièce, n’eût été déjà mal prévenu en sa faveur.

26. — Le sieur de La Borde, l’auteur de la Cinquantaine dont on a parlé, ayant indisposé beaucoup de sujets de l’Opéra par une défense indiscrète qu’il a voulu prendre du sieur Vestris contre mademoiselle Heinel, en se mêlant mal à propos dans les querelles de ce tripot, a été obligé de retirer son ouvrage, par la difficulté de trouver des gens de bonne volonté, soit dans le chant, soit dans la danse : il paraît en général que le public n’y perd pas beaucoup.


27. — *Les plaisans continuent à rire et à faire des épigrammes. En voici une qu’on a débitée sur le soi-disant Parlement :


« Quand je vois ce tas de vermine
Que l’on érige en Parlement,
Je les pendrais tous sur la mine,
Disait le bourreau gravement ;
Mais en vertu d’une sentence
De ce Conseil irrégulier
Je ne pourrais, en conscience,
Pendre même le chancelier. »

28. — Madame la duchesse de Durfort, belle-fille de M. le duc de Duras, que tout le monde sait ne point vivre avec son mari, est devenue grosse et est accouchée. M. le chevalier de Boufflers a fait la chanson suivante à cette occasion. Il faut savoir qu’elle a pour nom de baptême Marie.


Fit unVotre patrone
Fit un enfant sans son mari :
Bel exemple qu’elle vous donne !
N’imitez donc pas à demi
Fit unVotre patrone.

Fit unPour cette affaire,
Savez-vous comme elle s’y prit ?
Comme vous, n’en pouvant pas faire,
Elle eut recours au Saint-Esprit
Fit unPour cette affaire.

Fit unLa renommée
Vanta partout ce trait galant :
Elle n’en est que mieux famée.
Ne craignez pas, en l’imitant,
Fit unLa renommée.

Fit unBeau comme un ange
Sans doute Gabriel était.
Vous ne devez pas perdre au change,
L’objet qui plaît est, en effet,
Fit unBeau comme un ange.

Fit unBelle Marie,
Si j’étais l’archange amoureux
Destiné pour cette œuvre pie,
Que je vous offrirais de vœux,
Fit unBelle Marie !

29. — *Les Protestations des Princes du sang[240], en date du 4 avril, commencent à se répandre manuscrites et occasionent le plus grand effet. Il n’est pas possible de croire qu’un seul homme ait pu oser persister à vouloir changer la face de tout un royaume, contre la réclamation aussi forte, aussi raisonnée des princes réunis. Ils y exposent, de la façon la plus énergique, l’obsession constante du trône, et inculpent le chancelier spécialement, ainsi qu’on le voit dans le petit extrait qui court de cette pièce précieuse à la nation, et le gage certain de l’intérêt vif et tendre qu’y prennent ces chefs respectables et adorés.


30. — *Itératives Remontrances du grenier à sel, présentées par les juges du grenier eux-mêmes[241] ; Lettre d’un jeune abbé[242] ; Lettre aux ci-devant Conseillers au Parlement de Paris ; Lettre à Nosseigneurs du Parlement de Paris[243] ; Lettre d’un Avocat de Paris au magistrats du Parlement de Rouen, au sujet de l’Arrêt de cette Cour du 15 avril 1771[244]. Telles sont plusieurs nouvelles brochures qui viennent d’éclore en faveur de la révolution du jour. On en compte en ce moment déjà vingt-et-une.

2 Mai. — Le 28 du mois dernier est mort M. Bachaumont[245], âgé de quatre-vingt-un ans. C’était un de ces paresseux aimables, tels qu’en a fourni beaucoup le dernier siècle. Il a écrit sur les arts avec un avec le goût d’un homme du monde instruit. Il vivait chez madame Doublet, cette virtuose si connue, dont la maison a été long-temps célèbre par la réunion de tout ce qu’il y avait de plus illustres personnages dans tous les genres. Cette dame, qui vit encore, a eu la douleur de survivre à tous ses anciens amis. Elle est âgée aujourd’hui de quatre-vingt-quatorze ans.

4. — *Lettre d’un Bourgeois de Paris à un provincial, à l’occasion de l’Édit de décembre 1770, en date du 5 février 1771. Cet ouvrage lumineux, à la portée de tout le monde, peut s’appeler le catéchisme des honnêtes gens, des bons citoyens. Il paraît une seconde Lettre de la même plume, en date du 13 mars 1771, qui discute les faits qui ont suivi l’Édit, avec non moins de bon sens et de simplicité. Un seul écrit de cette espèce suffit pour renverser tous les sophismes retournés en cent façons différentes dans les pamphlets graves, sublimes, plaisans ou burlesques dont on farcit journellement la capitale et les provinces, et qui, par la faveur que leur accorde évidemment le ministère, doivent beaucoup accréditer une cause qu’on ne peut soutenir que par de si petits moyens, aussi indécent.

des ressorts aussi puérils, et un manège 7. — *Lettre à M. D. T., Maître des Requêtes, par un homme d’honneur et de conscience à qui l’on propose une place dans le nouveau Parlement des intrus, en date du 24 mars 1771. C’est un écrit dans le goût du précédent, où l’on démontre, avec autant de simplicité que de bon sens, qu’aucun homme d’honneur ne peut accepter en conscience, et suivant les lois seules de la probité mondaine, une place dans le tribunal en question.

8. — Les lettres de Lyon annoncent que madame la Comtesse de Provence, qu’on avait dépeinte comme très-laide, n’est point aussi mal qu’on l’avait faite. On assure qu’elle est brune et non pas noire ; qu’elle a de très-beaux yeux ; que sa physionomie porte un caractère de noblesse qui en impose ; que sa taille est agréable.

— On avait commencé un Journal du Palais sous le titre de Récit de ce qui s’est passé au sujet de l’Édit envoyé au Parlement le 27 novembre 1770[246], et on y avait successivement ajouté des suites contenant, jour par jour, ce qui était arrivé jusqu’au 1er février[247]. Cet écrit peu éloquent, mais qui est réputé très-véridique, et rempli d’anecdotes très-piquantes, était fort couru dans Paris ; mais la difficulté de le faire imprimer, sans doute, en avait retardé la publicité. Enfin, on en voit aujourd’hui la continuation jusqu’aux vacances de Pâques[248], et cette suite n’est pas moins intéressante que le reste ; la clandestinité de la brochure lui donne un nouveau mérite ; elle est recherchée avec la plus grande avidité, dans un temps où toutes les conversations ne cessent de rouler sur la même matière depuis six mois.

9. — La Comédie Italienne, c’est-à-dire l’Opéra-Comique, est à la veille de faire une très-grande perte en la personne du sieur Caillot, qui se retire. Cet acteur, extrêmement goûté du public, et le premier coryphée du spectacle en question, à une voix mixte, tenant haute-contre, de la taille et de la basse taille, se modulant sur tous les tons, joignait une intelligence singulière et une facilité merveilleuse. Sa figure secondait à merveille jeu très-naturel, et l’on désespère de remplacer de long-temps un semblable sujet.

— L’ouvrage de M. de Voltaire annoncé depuis un an, en forme de dictionnaire, paraît en partie. On voit déjà trois volumes, sous le titre de Questions sur l’Enyclopédie, par des amateurs. On parlera plus amplement de cet ouvrage quand il aura été discuté. En général, on peut dire que c’est une rapsodie, où l’auteur met distinctement tout ce qui lui passe par la tête, et vide les restes impurs de son porte-feuille.

14. — M. l’abbé Arnaud, élu membre de l’Académie Française, il y a quelque temps, a été reçu hier dans cette Compagnie, avec l’appareil ordinaire et cette affluence de curieux qui augmente chaque année. Son discours, plus analogue au lieu et aux circonstances que la plupart de ceux qui se prononcent en pareille occasion, à roulé principalement sur la langue. Il a établi un parallèle entre la langue grecque et la langue française, ou plutôt, dissertant sur les deux, il a prouvé qu’elles ne se ressemble en rien. Il s’est étendu avec complaisance sur la première, pour laquelle on connaît son enthousiasme ; mais, sentant l’indécence qu’il y aurait à dépriser la seconde devant les grands maîtres établis pour l’épurer, la perfectionner et la conserver, il lui a trouvé des beautés particulières, analogues à la nation, au gouvernement et au siècle : en un mot, il a démontré que l’une était la langue des passions et de l’imagination, l’autre celle de l’esprit et de la raison ; que celle-là était plus propre à des républicains, celle-ci à un état monarchique ; qu’un rhythme harmonieux, une prosodie marquée, une mélodie continue, convenaient mieux à Athènes, où il fallait subjuguer les oreilles superbes d un peuple délicat, qu’à Paris, où, au contraire, l’ordre, la netteté, la précision du discours étaient plus essentiels aux détails des arts, au sang-froid de la philosophie, commerce de la société, les objets principaux auxquels on puisse y appliquer le langage. L’orateur a enrichi cette digression de beaucoup d’images et de figures, qui annoncent qu’il sait à merveille lier les deux langues, et transporter dans la seconde les beautés de la première, malgré l’antipathie qu’il leur suppose.

M. de Châteaubrun, élu directeur par le sort pour répondre à M. l’abbé Arnaud, s’étant trouvé incommodé, n’a pu se rendre à l’assemblée. C’est M. le maréchal de Richelieu qui a présidé à sa place, et M. d’Alembert a lu le discours de l’Académicien absent. L’orateur octogénaire[249] y a fait, d’une façon légère et délicate, l’éloge de M. de Mairan, qu’a remplacé M. l’abbé Arnaud. Il a saisi tous les traits propres à particulariser le héros académique dont il parlait, et les touches de son pinceau ne se sont ressenties en rien de la main octogénaire le maniait.

On ne savait, vu les défenses qu’avaient messieurs les Académiciens de parler[250], depuis l’incartade de M. Thomas, s’il y aurait quelque autre lecture. On a été surpris agréablement quand M. Saurin a fait lire une Épître en vers sur les inconvéniens de la vieillesse. On y a trouvé de la force, de l’onction et de très-belles images. M. Thomas a fermé la séance par une longue et ennuyeuse dissertation, où il a résumé tout ce qui a été écrit sur question si frivole et si agitée dans le seizième siècle, de savoir lequel des deux sexes l’emporte sur l’autre. Il a fait à cette occasion un parallèle si plein de divisions et de sous-divisions ; il est entré dans un détail si immense et si minutieux de la plus fine métaphysique, que la plupart des auditeurs n’ont pu le suivre. Cet ouvrage, spécialement fait pour plaire aux femmes, n’atteindra point le but de l’auteur. Les avantages qu’il leur accorde sont tellement tirés à l’alambic, qu’ils pourraient aisément se réduire à rien. M. Thomas, après avoir bien établi sa balance, finit par dire que, pour prononcer sur une semblable question, il faudrait être assez malheureux pour n’être d’aucun sexe.

15. — *Il paraît constant que M. de Voltaire a adressé une lettre à M. le chancelier, où il félicite ce chef de la magistrature de l’heureux succès de ses projets ; il en exalte l’étendue, l’importance et la vaste combinaison ; il loue l’éloquence de ses discours et préambules d’Édits, où il trouve, dit-il, l’élégance de Racine et la sublimité de Corneille ; il finit par observer que le cardinal de Fleury a, par un traité, ajouté la Lorraine à la France ; que M. le duc de Choiseul nous a conquis la Corse ; mais que M. de Maupeou, supérieur à ces deux grands ministres, rend au roi la France entière.

16. — Madame Doublet est morte, ces jours-ci, âgée de quatre-vingt-quatorze ans. C’était une virtuose dont madame Geoffrin n’est qu’une faible copie. Depuis soixante ans elle rassemblait dans sa maison la meilleure compagnie de la cour et de la ville, et passait sa vie à former un journal bien supérieur à celui de L’Étoile et autres ouvrages du même genre. La politique, les belles-lettres, les arts, les détails de société, tout était de son ressort. Elle s’abaissait du cèdre jusqu’à l’hysope. Tous les jours on élaborait chez elle les nouvelles courantes, on en rassemblait les circonstances, on en pesait les probabilités, on les passait, autant qu’on pouvait, à la filière du sens et de la raison ; on les rédigeait ensuite, et elles acquéraient un caractère de vérité si connu, que, qu’on voulait s’assurer de la certitude d’une narration, on se demandait : « Cela sort-il de chez madame Doublet ? » Au reste, sa réputation avait un peu dégénéré de ce côté en vieillissant, elle avait perdu beaucoup de ses amis du premier mérite, et avait survécu à toute sa société habituelle. M. de Bachaumont est le dernier philosophe qu’elle ait vu mourir[251].

Il est difficile qu’au milieu de ce savant tourbillon qui l’entourait, madame Doublet ne passât pas pour être un peu entichée de déisme, de matérialisme et même d’athéisme. Elle avait bravé jusque-là l’opinion publique et les clameurs des dévots. Depuis le carême dernier, la tête de cette dame s’affaiblissant, M. le curé de Saint-Eustache avait cru qu’il était temps de convertir sa paroissienne. Celle-ci n’était plus en état d’argumenter contre lui, et avec le secours de la grâce, le pasteur s’était flatté d’avoir réussi. En effet, elle avait reçu le bon dieu la semaine sainte : pratique de religion que personne de sa connaissance ne se rappelait lui avoir vu faire. On conçoit aisément qu’avec de pareils préparatifs, elle n’a pu qu’éprouver une mort très-édifiante et s’endormir dans le Seigneur.

17. — Entre cette multitude de brochures qui se succèdent sans interruption, et auxquelles travaillent infatigablement les écrivains que M. le chancelier a daigné s’associer pour coopérateurs de son sublime système, il faut distinguer un petit pamphlet, intitulé : Observations sur l’écrit intitulé Protestation des Princes[252]. On les catéchise de la façon la plus insolente, et l’on ne doute pas que les princes ne soient indignés et de l’audace avec laquelle l’anonyme ose leur donner des leçons, et de la publicité avec laquelle on vend un pareil écrit jusque dans leurs propres palais. Au surplus, l’ouvrage semble sortir de la même plume qui a fait les discours de M. le chancelier, et à tout l’appareil d’une diction majestueuse réunit les sophismes du raisonneur le plus subtil et le plus délié.

18. — *On ne peut détailler les écrits, presque innombrables déjà, que M. le chancelier fait éclore sans interruption des différentes presses qui gémissent en faveur de son système. Quand ce torrent sera arrêté, on en fixera le catalogue avec des notes qui en caractériseront le mérite et l’espèce, article par article.

Entre les diverses brochures de M. le chancelier, il ne faut pas omettre, quant à présent, l’Avis aux Dames[253]. Elle leur fait trop d’honneur pour ne pas s’empresser d’en faire mention. On a déjà rendu compte[254] du zèle et de la chaleur qu’elles mettent dans l’affaire du jour. On les voit disserter sur cette matière publique avec un intérêt, un goût qu’on ne leur connaissait pas. M. le chancelier ne les regarde pas sans raison comme un des plus puissans obstacles que rencontre l’exécution de son projet. En vain l’écrivain du pamphlet cité veut jeter du ridicule sur elles ; on sait que ce sont elles qui le distribuent. Elles persistent à exclure de leur société les traîtres. ou les lâches qui, par intérêt ou par faiblesse, abandonnent une cause qu’elles regardent comme celle de la patrie.

19. — M. le comte de Provence paraît enchanté de sa nouvelle conquête. Elle n’est pourtant pas jolie ; l’annonce favorable qui en était venue de Lyon[255], n’est point exacte. Cette princesse est très-brune ; elle a d’assez beaux yeux, mais ombragés de sourcils très-épais ; un front petit, un nez long et retroussé, un duvet déjà très-marqué aux lèvres, et une tournure de visage qui ne présente rien d’auguste ni d’imposant. Quoi qu’il en soit, elle plaît fort au prince, et le lendemain il annonça au roi qu’il avait été quatre fois heureux.

Madame la comtesse de Provence répond de son côté à merveille aux caresses du prince, et l’une et l’autre promettent de vivre dans la meilleure intelligence. On raconte quelques anecdotes qui font beaucoup d’honneur au dernier. Le lendemain du mariage, on prétend que M. le comte d’Artois dit à son frère : « Monsieur le comte de Provence, vous aviez la voix bien forte hier, vous avez crié bien haut votre oui ! — C’est que j’aurais voulu qu’il eût été entendu jusqu’à Turin, » repartit soudain l’époux enflammé. On ajoute que ce même jour M. le comte de Provence demanda à M. le Dauphin comment il avait trouvé sa belle-sœur. Ce prince très-naïf lui répondit : « Pas trop bien. Je ne me serais pas soucié de l’avoir pour ma femme. — Je suis fort aise que vous soyez tombé plus à votre goût. Nous sommes contens tous deux, car la mienne me plaît infiniment. »

Au surplus, madame la comtesse de Provence, quoique plus âgée que son mari, a encore toute la candeur aimable du jeune âge, et les petites gentillesses qui lui sont naturelles. Elle est encore toute neuve pour l’étiquette, et a l’air assez gauche en tout ce qui tient au cérémonial. Le lendemain de son mariage, quand madame de Valentinois, sa dame d’atour, voulut lui mettre du rouge, la princesse a fait beaucoup de façons et avait une grande répugnance à se faire peindre ainsi le visage. Il a fallu que M. le comte de Provence lui demandât de se conformer à l’usage de la cour, lui assurant qu’elle lui ferait grand plaisir, et qu’elle en serait infiniment mieux à ses yeux. « Allons, madame de Valentinois, mettez-moi du rouge, et beaucoup, puisque j’en plairai davantage à mon mari. »

20. — M. de Belloy vient d’avoir quinze cents livres de pension, pour récompense de sa dure et boursouflée tragédie de Gaston et Bayard, mais où il prêche le dévouement passif et absolu au monarque, d’une façon très-édifiante pour le ministère.

21. — On cite une gentillesse de madame la Dauphine vis-à-vis M. le comte de Provence, qui mérite d’être rapportée. Ce prince disait qu’il aimait beaucoup mieux l’hiver qu’une autre saison, parce qu’on était à son aise au coin du feu avec sa moitié, les pieds sur les chenets, etc. La princesse a fait faire un dessin qui représente M. le comte de Provence et sa femme, dans l’attitude qu’il regarde comme une des plus délicieuses, et elle l’a envoyé dans cet état à ce couple fortuné.

22. — *La Chambre des Comptes de Rouen, qui est en même temps Cour des Aides, n’a point vu sans frémir la destruction de la Cour des Aides de Paris ; elle en a porté ses doléances au roi dans des Remontrances également fortes et pathétiques. On en parle comme d’un morceau digne de figurer à côté de celles de la Cour des Aides de Paris.

23. — *Parmi les candidats qui aspirent à siéger dans le nouveau tribunal, s’est présenté un nommé Carbonel, avocat qui n’a jamais été sur le tableau. Pour mieux capter le suffrage de M. le chancelier, il a jugé à propos de faire graver le portrait du chef de la magistrature et d’y mettre au bas les soi-disant vers suivans :

Ministre, vrai présent de la Divinité,
Méprise les clameurs d’un insensé vulgaire.
Poursuis le bien public que tu cherches à faire ;
Par Minerve et Thémis ton projet fut dicté,
Et ton nom passera à la postérité.

On voit, par cet échantillon, que le sieur Carbonel n’est pas beaucoup habitué à faire des vers, et que c’est la force de l’enthousiasme qui lui a arraché ceux-ci. Malgré cet effort de génie, le bruit court qu’il ne sera pas reçu, comme ayant des mœurs scandaleuses, comme séparé d’une femme qu’il laisse mourir de faim, et à la veille de faire entrer sa fille à l’Opéra, tandis que le mari vit avec une gueuse.


24. — Hier le fameux Colysée s’est ouvert. Il y avait eu, la nuit, ce qu’on appelle la répétition des ministres, c’est-à-dire une exécution de l’illumination la plus complète, qui n’a commencé qu’à minuit. On n’y entrait qu’avec des billets. Nosseigneurs du Conseil ont trouvé cela très-beau. C’est M. le duc de La Vrillière, comme ayant le département de Paris et comme s’intéressant infiniment aux plaisirs de la capitale, qui a fait parcourir les beautés du lieu à ses collègues. Madame la marquise de Langeac, non moins intéressée aux progrès des arts, a reçu les dames de la cour, et a fait les honneurs du lieu.

Le public ne s’y est pas rendu hier avec l’affluence qu’espéraient les entrepreneurs. Il faudrait quarante mille spectateurs pour garnir cet immense labyrinthe, dont les portiques et les péristyles annoncent plus un temple qu’un lieu de fêtes et de volupté. Au surplus, tout n’est pas fini, et il n’y a encore que le grand salon en rotonde d’achevé dans les édifices. On ne peut qu’admirer la folie des auteurs d’un pareil projet, et la folie plus grande de qui ont fourni des fonds pour l’exécution. Il n’en coûte que trente sous pour y entrer.

28. — *On vient d’imprimer les Remontrances du Parlement de Toulouse, en date du 6 avril dernier, à l’occasion de l’Édit enregistré au Lit de justice, le 7 décembre 1770. Elles sont écrites avec ce feu qui caractérise les têtes de nos provinces méridionales.

29. — M. l’abbé De Laville, premier commis des affaires étrangères, et celui qui est à la tête de ce département depuis qu’il n’y a point de ministre en chef, est nommé secrétaire des commandemens de M. le Dauphin. Il est chargé en outre de l’instruire des intérêts des princes, et de l’initier aux mystères de la politique de l’Europe. On ne pouvait faire choix d’un meilleur instituteur de cette matière. On sait qu’il est membre de l’Académie Française.

30. — On a donné, hier, à la cour, la première représentation d’un spectacle nouveau, ayant pour titre : Les Projets de l’Amour, ballet héroïque en trois actes. L’annonce semble indiquer que les paroles sont du sieur de Mondonville, ainsi que la musique ; mais personne n’ignore que ce musicien, qui a la manie de passer aussi pour poète, est incapable de cette tâche, et n’est que le prête-nom de l’abbé de Voisenon. Ce n’est pas que le poëme soit merveilleux, il est généralement assez plat, et, dans les endroits où l’auteur a voulu mettre de la délicatesse, on n’y trouve que de l’afféterie, du faux esprit, du forcé, en un mot, du maniéré, dans le vrai genre de l’Académicien en question.

31. — *Le sieur Ovius, imprimeur à Saint-Malo, déjà arrêté pour soupçon d’avoir travaillé à l’impression des mémoires et procédures des accusés, a été enlevé de nouveau par des exempts de police venus de Paris, et conduit à la Bastille, à ce qu’on présume. On prétend qu’il était occupé à imprimer un quatrième volume du Procès de messieurs de La Chalotais, et qu’il tenait les manuscrits de M. Du Bossay, qu’on sait être fort attaché à la famille en question, et avoir été spécialement, à Paris le conseil de mademoiselle de La Chalotais. On assure qu’on n’a rien trouvé dans ses papiers qui donnât aucun éclaircissement sur ce qu’on recherchait.

2 Juin. — Il vient d’arriver deux nouveaux volumes des Questions sur l’Encyclopédie de M. de Voltaire. Les trois premiers ne vont qu’au mot Ciel. Ce titre est un point de ralliement commode pris par cet auteur, pour réunir un fatras d’articles rebattus dans ses divers ouvrages. C’est une sorte de Dictionnaire philosophique sous une autre dénomination. On y reconnaît la même manie de vouloir faire un étalage d’érudition capable d’en imposer à ceux qui sont hors d’état d’approfondir ces matières, et l’affectation de M. de Voltaire de choisir certains articles, les plus propres à lui fournir sujet à ses blasphèmes effroyables contre la religion ou à ses sarcasmes habituels. Ceux mêmes qui paraissent le moins susceptibles de pareils écarts s’y trouvent ramenés par les transitions plus ou moins adroites qu’il se ménage. En un mot, très-peu de rapport de ces articles avec ceux de l’Encyclopédie, presque aucune discussion ; c’est une superfétation de cet énorme dictionnaire, que ses compilateurs n’adopteront vraisemblablement pas. Du reste, c’est encore un répertoire d’injures de tout genre, sur lesquelles M. de Voltaire est intarissable, contre la multitude de ses ennemis, qui grossit journellement, par la raison que tout homme qui prend la liberté de critiquer ses ouvrages est à l’instant réputé infâme, abominable, exécrable.

3. — *On parle d’une espèce d’épigramme faite sur le mot Royalement, qui est un abrégé rapide des vices qui infectent le trône, et un tableau frappant de la corruption de la cour, ce qui rend cette petite pièce for rare et difficile à avoir ; la voici :


Le mot royalement jadis était louange ;
Tout ce qu’on faisait bien était fait comme un roi.
On disait comme un Dieu, comme un roi, comme un ange ;
Mais aujourd’hui ce mot est d’un tout autre aloi.
Juger royalement, c’est dire n’y voir goutte,
Et n’écouter jamais qu’un gueux de chancelier :
Payer royalement, c’est faire banqueroute,
Vivre royalement, c’est être put……[256].

7 — *Il paraît un nouvel ouvrage clandestin, ayant pour titre le Maire du Palais[257]. Cette brochure, recherchée sur cette étiquette, ne tient pas ce qu’elle promet ; on y trouve une répétition fastidieuse des citations ressassées mille fois dans les remontrances des Parlemens, et dans divers écrivains qui ont traité du gouvernement, et l’on y cherche en vain des faits et des anecdotes qui pourraient rendre le pamphlet piquant. On sent aisément que le chancelier est désigné sous cette qualité ; mais il n’est nullement peint.

9. — C’est lundi, 30 juin, que le feu de la Ville, en réjouissance du mariage de M. le comte de Provence, doit avoir lieu. On avait d’abord décidé de n’en pas faire ; mais, comme il est d’usage d’en construire un pour la Saint-Jean, on est convenu d’anticiper et de réunir le double objet dans un seul. C’est à la Grève qu’il est établi ; mais, comme cet emplacement est infiniment plus petit et plus gênant que celui de la place de Louis XV le bureau a pris diverses délibérations pour prévenir les inconvéniens, et outre les réglemens établis pour la circulation des voitures, on a aussi défendu aux particuliers de construire des échafauds, et on leur a prescrit, d’ailleurs, ce qu’ils avaient à faire faire pour éviter aucune suite funeste de cette réjouissance publique. Du reste férie entière : boutiques fermées, illumination générale, fontaines de vin, pains et cervelas qu’on jettera à la tête des malheureux qui voudront s’en repaître.

11. — Le sieur Le Kain, sensible aux reproches que lui font les admirateurs de Corneille, de ne pas aimer à jouer les pièces de ce grand homme, soit parce qu’il sent insuffisant à en rendre les rôles, soit par complaisance pour M. de Voltaire, qui voudrait faire disparaître du théâtre ce modèle inimitable, s’est piqué d’honneur. Il doit jouer incessamment dans Nicomède, et déployer toutes les ressources de son art. Les amateurs attendent cette représentation avec grande impatience.

12. — *Malgré l’inquisition établie contre les ouvrages qui pourraient paraître en faveur du parti des Parlemens, appelé aujourd’hui en France le parti de l’opposition, et les persécutions exercées contre leurs auteurs, il en perce de temps en temps quelques-uns dans le public. Telle est la brochure intitulée Principes de la Législation française, prouvés par les monumens de l’histoire de cette nation, relatifs aux affaires du temps.

14. — On a parlé, il y a plus d’un an, des difficultés que le sieur Palissot avait éprouvées à Paris, pour faire imprimer la suite de sa Dunciade, et de l’orage qui s’était élevé contre lui[258]. Cet auteur ne pouvant résister à sa rage de mordre, a mieux aimé s’expatrier. Il est allé en pays étranger, et là il a mis au jour son élucubration, qui vient d’arriver à Paris, ainsi que l’Homme dangereux, comédie du même poète, que les Français devaient jouer, et qui a été arrêtée aussi à la veille de la représentation. On parlera plus amplement de ces ouvrages, fameux par le scandale qu’ils doivent occasioner, s’ils en valent la peine, et s’ils font réellement le bruit que s’en promet le sieur Palissot.

16. — M. de Voltaire, qui rumine en cent façons la même idée, vient de reproduire ses belles maximes sur la tolérance dans une facétie ayant pour titre : Sermon du papas Nicolas Charisteski, prononcé dans l’église de Sainte-Toléranski, village de Lithuanie, le jour de Sainte-Épiphanie.

17. — *M. le comte de Clermont est mort avec le même courage qu’il avait montré dans tout le cours de la longue et douloureuse maladie qui l’a conduit au tombeau. Il était membre de l’Académie Française.

18. — Les Comédiens Italiens ont donné, hier, la première représentation d’un intermède italien, intitulé la Buona Figliuola. Cette pièce, jouée à Rome pour la première fois, et qui a couru toute l’Italie, l’Allemagne et l’Angleterre, a paru mériter d’être traduite dans notre langue. L’original est du sieur Goldoni, et la traduction du sieur Cailhava d’Estandoux. On a fait peu de changemens à la musique du sieur Piccini, un des premiers coryphées de son art. Le sieur Carlin, l’arlequin aimé du public, a profité du ton familier que lui permet la nature de son personnage pour faire un compliment original, dans lequel il a donné la filiation du drame qu’on allait jouer, éclos depuis dix ans, très-ressemblant à Nanine, et paraissant sortir, ainsi que celle-ci, du roman de Paméla.

19. — *On apprend que le Parlement de Bordeaux à fait lacérer et brûler par la main du bourreau un dont on a déjà parlé, intitulé : Observations sur les Protestations des Princes. On ne doute pas que ce signal ne réveille les autres Parlemens, et ne les engage à se conformer à un pareil acte de vindicte publique due aux chefs respectables de la nation.


21. — *Il passe pour constant que le jour où M. le comte de Clermont a reçu le viatique, le célébrant lui ayant demandé à haute voix, suivant l’usage, dans le cours du discours ordinaire, s’il pardonnait à ses ennemis, S. A. S. répondit, avec beaucoup de fermeté et de sang-froid, qu’Elle ne croyait pas en avoir ; qu’au surplus Elle leur pardonnait à tous, même au chancelier, qu’Elle regardait moins comme son ennemi personnel que comme celui du roi et de l’État.

M. le comte de Clermont était dans la grande dévotion depuis quelques années, et la continuité de ses liaisons avec madame de Tourvoi, ci-devant mademoiselle Le Duc, sa maîtresse, aussi livrée à la haute piété, faisait présumer qu’il y avait un mariage de conscience entre eux. On assure qu’elle n’a point disparu de son appartement pendant la cérémonie de la réception des sacremens, ce qui confirmerait le bruit général.

Ce prince tenait tous ses biens du roi, et ne laisse qu’environ 30,000 livres de rentes en fonds, dont il a distribué par un testament l’usufruit à toute sa maison. M. le chancelier, qui avait extrêmement à cœur de faire faire un acte de ressort par son Parlement dans la maison de ce prince, s’est donné beaucoup de soins pour faire requérir la mise des scellés par quelque créancier ; mais aucun n’a voulu se prêter à ses vues, ce qui a évité le tapage qu’aurait occasioné la descente des commissaires du nouveau tribunal. On ajoute, à l’égard de M. le Comte de Clermont, qu’après avoir témoigné aux princes combien il était sensible à leur attachement et aux marques plus particulières d’amitié qu’ils lui donnaient dans ses derniers momens, il les a exhortés à rester toujours unis entre eux et à vivre dans la plus parfaite intimité. Les princes étant exclus de la présence du roi, M. le prince de Condé n’a pu satisfaire à son devoir, et aller notifier lui-même au roi la mort de son oncle. On prétend que M. le comte de La Marche[259], assidu à se faire instruire de ce qui se passait, est parti sur-le-champ pour Marly.

22. — L’Académie royale de Musique a joué, mardi dernier, sur son théâtre des fragmens composés du prologue de Dardanus, paroles de La Bruère, musique de Rameau, de l’acte d’Alphée et Aréthuse, ballet en trois actes avec prologue, paroles de Danchet, musique de Campra, que Dauvergne a totalement refaite ; enfin, un acte nouveau, exécuté l’année dernière à Fontainebleau, paroles d’un M. de Saint-Marc, officier aux gardes, et musique de Trial, l’un des directeurs actuels de l’Opéra, ainsi que Dauvergne.

23. — Le sieur Trial, l’un des directeurs de l’Opéra, est mort subitement cette nuit. Il avait du talent ; il a fait quelques petits morceaux de musique assez agréables. On donne actuellement l’acte de Flore, de sa composition, mais où les connaisseurs trouvent qu’il n’avait pas assez de vigueur pour travailler en grand, et former cet ensemble qui constitue le vrai génie.

24. — *M. le comte de Clermont, ayant désiré, par ses dernières volontés, d’être enterré sans pompe, il n’y a eu aucun cérémonial pour ses obsèques. Il n’y a point eu de chapelle ardente. On n’a point invité les Cours a venir donner l’eau bénite, suivant l’usage. On a voulu éviter la rixe que le cérémonial aurait occasioné entre la Chambre des Comptes et le nouveau tribunal. Son corps a été transporté mercredi à Montmorency, où est la sépulture des Condé. Les pleurs des pauvres, auxquels ce prince faisait des aumônes abondantes, ceux de tous ses domestiques fondant en larmes, ainsi que les princes extrêmement touchés de sa perte, ont été ce qu’on a remarqué davantage à son enterrement.

25. — *Lettre d’un homme à un autre homme sur l’extinction de l’ancien Parlement et la création du nouveau[260]. C’est une petite brochure finement écrite, où l’on met au jour avec autant d’adresse que de clarté les inconséquences du système de M. le chancelier, dont on prétend que la mauvaise foi et l’astuce sont la base. Elle finit par une péroraison très-pathétique et très-éloquente, où l’on exhorte la nation à se conformer à l’exemple auguste des princes, et à persister dans une fermeté noble et respectueuse, à souffrir sans faiblesse, à déployer patience héroïque qui doit toucher enfin, tôt ou tard, le cœur du monarque.

26. — *L’ouvrage qu’on distribue depuis peu, intulé Observations d’un ancien magistrat[261], doit être rangé dans la classe de ceux qu’on peut lire, et qui méritent quelque réputation ; mais, pour peu qu’on soit instruit et qu’on y fasse attention, on trouve un auteur qui n’est pas convaincu de ses principes. On observe qu’il les appuie sur des faits qu’il déguise, ou qu’il tronque ; ce qui annonce une mauvaise foi décidée de sa part. D’ailleurs, il soutient une proposition malheureusement avouée par quelques Parlemens, mais qui n’en est pas moins injurieuse à l’humanité, et surtout à la nation française, savoir que le roi ne tient sa couronne que de Dieu, assertion qui n’aurait pas dû être avancée dans un siècle aussi éclairé et aussi philosophique que le nôtre.

28. — *Différentes circonstances semblent favoriser en cette capitale le retour des Jésuites : 1° on a remarqué depuis quelque temps que toutes les estampes en forme caricatures contre eux, qu’on vendait publiquement chez les imagistes, ont absolument disparu, et l’on ne doute pas que la police n’ait donné des ordres à cet égard ; 2° on en compte de fait plus de cent cinquante qui se montrent publiquement, et qui sont ici sous leur vrai nom, sans la moindre inquiétude ; 3° plusieurs ont déjà des pouvoirs de M. l’archevêque pour travailler avec lui à la vigne du Seigneur, et tout Paris est instruit que l’abbé Vincent, ci-devant prédicateur jésuite, a prêché à Saint-Étienne-du-Mont avec beaucoup d’éclat, qu’il y a tonné contre le Parlement, et loué les opérations de M. le chancelier, qu’il a nommé. On assure que le seul obstacle qu’ils rencontrent est du côté des autres branches de la maison de Bourbon, dont le gouvernement, moins versatile que le nôtre, persiste à vouloir la destruction de l’Ordre. Des politiques vont jusqu’à prétendre que M. le chancelier et M. le duc d’Aiguillon, cherchant de concert à détruire tous les ouvrages M. le duc de Choiseul, profiteront de cette sorte de division pour rompre le pacte de famille, à quoi les Jésuites travaillent fortement de leur côté.


2 Juillet. — *M. le comte de Lauraguais a déjà donné, en plusieurs occasions, des marques du zèle patriotique dont il est échauffé. Ce seigneur n’a pu doutenir le spectacle des malheurs de la France, et a pris le parti d’aller à Londres, jusqu’à ce que des jours plus sereins lui permissent de revenir à Paris ; mais, pour être loin d’eux, il n’en est pas moins attaché à ses concitoyens. Son génie actif ne l’a pas laissé oisif dans la fermentation générale des têtes ; et quoique, n’étant pas encore due et pair, il n’ait point été appelé spécialement pour s’expliquer sur la question importante qui divise la nation, il ne s’est pas moins cru obligé de consigner ses sentimens dans un ouvrage propre à éclairer les gens peu instruits. On assure qu’il a pour titre : Droit des Francs[262]. Il avait expédié une voiture qui en devait apporter quinze cents exemplaires ; un homme à cheval l’escortait pour être à même de rendre compte à son maître du sort de cet envoi. Le secret a été éventé ; on a arrêté la charrette ; le cavalier a disparu, et l’on a saisi cette précieuse denrée littéraire. Le charretier était en outre chargé, dit-on, de manuscrits du même auteur, qu’on a surpris aussi ; en sorte qu’on parle beaucoup de la brochure en question, et l’on ne trouve personne qui atteste l’avoir vue et lue.

4. — *Il court deux manuscrits très-précieux par les détails qu’ils contiennent : l’un, intitulé : Remontrances de la Bazoche, en date du 1er juillet 1771 ; et l’autre, Observations sur les officiers du Châtelet, restés en place depuis l’Édit de suppression, etc. On parlera plus au long de ces deux pièces.

7. — La comédie de l’Homme dangereux, du sieur Palissot, n’est qu’une mauvaise copie du Méchant. L’auteur a suivi servilement l’intrigue et les caractères de cet ouvrage, mais malheureusement n’en a pu imiter le style et les détails charmans. L’accessoire aurait mieux valu que le principal, et la vraie comédie qui aurait résulté de l’incognito de l’auteur, s’il eût pu le garder, aurait été beaucoup plus amusante que l’autre ; mais si cette tournure, de faire ainsi son portrait de la façon la plus injurieuse pour capter le suffrage de ses ennemis, est adroite et ingénieuse, elle annonce un défaut de délicatesse et de sensibilité qui ne peut faire honneur au sieur Palissot auprès des gens qui savent se respecter.

Cette comédie est précédée et suivie de diverses préfaces et autres pièces relatives à l’ouvrage, ainsi que d’une vie de l’auteur par lui-même. On y remarque une affectation de parler de soi et de se louer, qui ne peut qu’exciter encore plus la rage de ses ennemis et faire plaindre le sieur Palissot, s’il est innocent de tout ce dont on l’accuse, de n’avoir pu trouver aucun apologiste, d’être obligé de s’enivrer ainsi de l’encens dont il se parfume lui-même, ou d’emprunter le ressort usé de ces éditeurs postiches qu’on sait n’être que les prête-noms de l’écrivain.

8. — *Un nommé Moreau, appelé l’avocat des finances, connu pour auteur de différens écrits politiques dont il a été chargé par le Gouvernement, entre autres l’Observateur Hollandais[263], est un des serviteurs les plus zélés de M. le chancelier, et on l’a soupçonné d’avoir écrit le préambule du fatal Édit contre les Parlemens. M. le comte de Lauraguais l’attaque directement dans deux endroits de son livre. Dans l’avertissement, page première, il dit : « Je n’ai pas eu besoin comme les défenseurs de la liberté du commerce des Indes, de faire des Édits de Louis XIV ; de faire des chartres, comme M. Moreau… » Et dans le cours l’ouvrage, page 48, il ajoute : « Si j’ai entrepris cet ouvrage pour venger la raison humaine des sots propos de nos publicistes, et nommément des argumens victorieux de l’infidèle Moreau… »

M. Bertin, secrétaire d’État et ministre, a remis au sieur Moreau, aujourd’hui homme de cour et bibliothécaire de madame la Dauphine, un exemplaire du livre de M. de Lauraguais, en le chargeant d’y répondre. On croit que cette réponse ne regarde cependant que les assertions avancées contre lui, Moreau, et que, quant au grand objet de l’ouvrage de M. de Lauraguais, on a déjà détruit d’avance tout ce qu’il pourrait dire, trouver et citer, en déclarant que « le roi ne tient sa couronne que de Dieu seul, » ainsi que Sa Majesté l’a annoncé dans son fameux discours au Parlement du 3 mars 1766 et dans le préambule de son Édit enregistré au Lit de justice, le 7 décembre 1770 ; et comme l’ont reconnu différens Parlemens, et notamment la Cour des Aides dans ses dernières Remontrances.

9. — *La Correspondance secrète et familière de M. de Maupeou et M. de Sorhouet[264], est en forme de lettres. Ce dernier, disposé à être le champion du chancelier, lui déclare ingénuement tous les divers griefs que l’on a contre lui dans le monde, et demande quelles sont les réponses qu’il doit y faire ? L’autre lui dévoile, en conséquence, sa façon de penser, détaille les motifs de sa conduite, et fournit toutes les armes nécessaires pour sa défense. Il paraît que l’auteur de cet ouvrage a choisi pour modèle les Lettres Provinciales. Il est écrit en style socratique, c’est-à-dire avec cette ironie fine et soutenue qui était la figure favorite du philosophe grec. Le développement du génie du chef de la magistrature est fait avec une adresse et une vérité singulière. On y fouille jusque dans les replis de son âme. L’affaire de M. le duc d’Aiguillon et la destruction du Parlement sont les deux points principaux sur lesquels roule son apologie. Pour l’appuyer, M. de Maupeou remonte jusqu’aux principes de sa morale, qui n’est pas toujours la vraie et la saine, celle des honnêtes gens. Au reste, l’écrivain, avec la même impartialité, fait porter contre le Parlement les accusations les plus graves, les reproches les mieux fondés, sous prétexte de faire voir le tort de cette compagnie, d’avoir imaginé, ou voulu faire croire que ses membres étaient les représentans de la nation, et qu’elle pouvait suppléer aux assemblées d’États ; il en prouve la nécessité, et que tout ce qui a été fait sans ce concours est une infraction des droits des Francs. On termine la brochure[265] par une Lettre de M. Sorhouet à M***, ancien conseiller du Grand-Conseil, où, d’après les lumières qu’il a reçues sur la marche de l’administration de M. de Maupeou, il l’exhorte à bénir avec lui « cet excellent citoyen, digne de l’ancienne Rome, ce chancelier si vertueux, si sage, si attentif au bien de la patrie et à la conservation de ses droits. » La dernière pièce est un court billet de M. de Maupeou. Ce chef de la magistrature, fondé sur les principes qu’on lui a fait établir pour opérer la condamnation du Parlement et sa destruction, promet de ne jamais « sceller un Édit d’impôt, adressé à un Parlement quelconque, sans qu’il lui ait apparu préalablement du libre consentement de la nation, légitimement assemblée. » C’est ainsi que, par une supposition fictive, on lui montre ce qu’il devait faire, et on lui suggère les grands torts, les fautes réelles du Parlement, qui ne sont pas d’avoir assimilé sa puissance à celle du souverain, mais, au contraire, d’avoir osé enchaîner avec lui la nation, en la laissant écraser sous une multitude énorme d’Édits ruineux, au point que, par sa facilité à tout enregistrer, il se trouve « que Louis-le-Bien-Aimé a mis, lui seul, plus d’impôts sur ses peuples que ses soixante-cinq prédécesseurs pris collectivement. » C’est une des assertions du livre, qui, sans doute a été vérifiée. Quoique cette Correspondance soit absolument imaginaire, M. le chancelier et son panégyriste y sont si bien dépeints, elle est soutenue d’anecdotes si sûres et si vraies, le ton même des interlocuteurs est si bien observé, qu’on doit regarder l’ouvrage en question comme le plus propre à désoler les personnages qu’on y traduit en ridicule, en les dévouant en même temps à l’exécration publique. Ce Sorhouet est désigné sous le nom du grand raccoleur dans la liste du Parlement[266], comme un des principaux séducteurs de ses confrères du Grand-Conseil.

10. — Samedi dernier, 10 du courant, les Comédiens Français ont donné une pièce nouvelle en prose et en trois actes, ayant pour titre : les Amans sans le savoir. Cette comédie, assez bien écrite, est un tissu de dialogues et de tracasseries, où l’on a enchâssé quelques portraits et quelques détails faits avec esprit. Il y a parfois des saillies et de la finesse, mais le total de l’ouvrage est extrêmement faible, quant à la partie de l’intrigue et la contexture du fonds. La galanterie du public pour l’auteur femelle a empêché que la nouveauté en question ne fût plus mal reçue. Le sieur Désormeaux, historien connu, l’a présentée aux Comédiens, en déclarant pourtant qu’elle ne lui appartenait pas. On est parfaitement instruit que c’est une composition de madame la marquise de Saint-Chamond, ci-devant mademoiselle Mazarelli, fille non moins connue par ses aventures romanesques que par son goût pour la littérature. On sait qu’elle a concouru plusieurs fois pour les prix de l’Académie Française ; mais il y a loin de ce genre au genre comique.

11. — On a élevé depuis peu, à Saint-Eustache, paroisse où M. de Chevert est enterré, un monument à son honneur, mais dans une simplicité convenable à ce grand homme. Il consiste en son médaillon, sans aucun ornement. Au bas est une pierre noire, sur laquelle est inscrite l’épitaphe suivante[267] :

« Ci-gît François Chevert, commandeur, grand’croix de l’Ordre de Saint-Louis, chevalier de l’Aigle-Blanc de Pologne, gouverneur de Givet et de Charlemont, lieutenant-général des armées du roi.

« Sans aïeux, sans fortune, sans appui, orphelin dès l’enfance, il entra au service à l’âge de onze ans ; il s’éleva, malgré l’envie, à force de mérite ; et chaque grade fut le prix d’une action d’éclat. Le seul titre de maréchal de France a manqué, non pas à sa gloire, mais à l’exemple de ceux qui le prendront pour modèle.

« Il était né à Verdun sur Meuse, le 2 février 1699. Il mourut à Paris, le 24 janvier 1769.

« Priez Dieu pour le repos de son âme. »

On voit avec plaisir que cette épitaphe ait été composée en français, pour que tout le monde puisse la lire et accorder à cet illustre guerrier la reconnaissance que lui doit tout bon citoyen[268].

14. — M. le duc de La Vrillière et madame la marquise de Langeac continuent à couvrir de la protection plus éclatante les entrepreneurs du Colysée, ou à retarder leur ruine absolue autant qu’il sera possible. Ils viennent d’employer toute leur autorité pour procurer à ces entrepreneurs une ressource, qui sera très-grande pour le moment, mais ne peut durer long-temps. Ils ont engagé la fameuse Lemaure à chanter au concert du 15 de ce mois. On se rappelle que cette actrice a eu la plus belle voix de l’Europe, et a fait autrefois les délice de toute la France ; mais elle a aujourd’hui près de soixante-dix ans ; elle est retirée du théâtre depuis vingt-huit ans ; elle n’est point au courant de la musique moderne ; le vaisseau énorme où elle doit chanter, affaiblira nécessairement sa voix, eût-elle le volume qu’elle a toujours eu. Toutes ces considérations font douter que la virtuose en question soutienne son antique réputation. Malgré cette défiance générale, les amateurs et les curieux se disposent à se rendre en foule au Colysée pour voir une pareille rareté. On assure que mademoiselle Lemaure, dont on connaît, ou dont on ne peut connaître les caprices étonnans, a mis à son marché les conditions les plus plaisantes. Du reste, on veut qu’elle se soit essayée dans le lieu où elle doit chanter, et que sa voix y ait eu un jeu merveilleux.

— Le sieur Boutin, receveur général des finances, frère de l’intendant des finances, si fameux dans l’histoire de la Compagnie des Indes, fait beaucoup parler de lui aujourd’hui, mais d’une façon plus glorieuse que le dernier. C’est un virtuose renommé par son goût pour les arts. Il a entrepris de créer dans un faubourg de Paris un jardin singulier, où il rassemblera tout ce que la nature agreste et cultivée peut fournir de productions et de spectacles, en quelque genre que ce soit. Il a nommé le lieu Tivoli, et quoique l’entreprise de ce chef-d’œuvre ne soit pas à son point de perfection, on en parle avec emphase : la curiosité l’exalte ; on se presse de l’aller voir, mais on n’y peut entrer que par billet. On veut que M. Boutin ait déjà répandu un million dans cet établissement.

15. — *Les partisans de M. de Voltaire annoncent, comme certain, son retour en cette capitale. Ils prétendent que c’est M. le chancelier qui a engagé madame la comtesse Du Barry à obtenir du roi une faveur désirée depuis long-temps par ce poète. Ils ajoutent que le chef de la magistrature n’a pu se refuser au zèle que l’illustre proscrit a montré pour la bonne cause, qu’il a jugé, par les petits échantillons que l’on connaît lui[269] sur cette matière, de quelle utilité il lui pourrait être pour subjuguer les esprits ; et que, le philosophe de Ferney a promis de renoncer à écrire contre la religion, et de s’attacher uniquement aux objets politiques, sur lesquels on veut qu’il s’exerce. Toute la littérature est dans l’attente d’un tel événement. Ses amis s’en réjouissent, et ses ennemis en tremblent. Le sieur Fréron craint fort l’interruption de ses feuilles.

16. — La Dunciade, qui n’avait d’abord paru, en 1764, qu’en trois chants[270], est aujourd’hui en dix. On ne peut nier que l’auteur n’ait beaucoup de facilité, que son poëme ne soit rempli d’images, et que ses critiques ne soient justes à bien des égards ; malgré cela, la lecture en devient nécessairement fastidieuse, par le retour continuel de quelques noms, dévoués par l’auteur au ridicule et au mépris. Les sieurs Diderot, Marmontel et Fréron sont les principaux héros de son poëme. Au surplus, il y a y a très-peu de mérite à avoir fait un pareil pamphlet, et il y a une audace et une présomption impardonnable à s’afficher ainsi pour le vengeur du goût. L’ouvrage, toujours censé publié par des éditeurs, est accompagné de préfaces, de lettres, d’avertissemens, de vers, de notes relatifs au poëme : on conçoit aisément que le plus grand nombre a été dicté par l’auteur. On y voit avec plaisir plusieurs lettres de M. de Voltaire, qui, par son inconséquence ordinaire, en réprimandant le sieur Palissot de ridiculiser quelques personnages, amis du philosophe de Ferney, se déchaîne avec une fureur sans égale contre les écrivains, plastrons habituels de ses épigrammes, qui blâme la satire, et se permet en même temps les injures les plus atroces.

Le sieur Palissot est aujourd’hui à Argenteuil, et n’est point expatrié comme on l’avait dit[271]. On ne remarque pas que son libelle contre les gens de lettres, ses confrères, excite le grand scandale qu’il s’en promettait cette nouvelle édition tombera bientôt dans l’oubli comme la première, et grossira la foule des écris obscurs qu’il reproduit en lumière pour l’instant.

À la suite de la Dunciade, le sieur Palissot a fait imprimer un volume ayant pour titre : Mémoires pour servir à l’histoire de notre littérature, depuis François 1er jusqu’à nos jours. Ils embrassent cent quatre-vingt-sept notices. Il paraît que l’auteur a pris pour modèle le petit catalogue mis par M. de Voltaire à fin de son Siècle de Louis XIV[272], mais il n’a pu imiter le goût, la légèreté et la concision de ce grand maître. Il y règne, d’ailleurs, une partialité bien sensible, et parcourant ce panthéon littéraire, où parmi les auteurs vivans, les sieurs de La Harpe, Le Brun et Poinsinet de Sivry sont désignés comme autant de grands hommes du jour, l’auteur ne s’est pas oublié non plus ; il s’y place avec une impudence suffisante pour démentir tout le bien qu’il dit de lui-même, et dont il a rempli les trois volumes nouveaux de ses œuvres. Ils ne tarderont pas à aller rejoindre les autres dans la poussière où elle sont ensevelies.

17. — Mademoiselle Lemaure a effectivement paru au Colysée. La foule des spectateurs était immense, et cette actrice convient avoir été intimidée à la vue d’une pareille assemblée. Elle a chanté le monologue Sylphe, et a joué la scène avec le sieur Legros. Son début en a singulièrement imposé, et le silence universel qui s’est formé, annonçait la sensation qu’elle a faite par la sublimité de son chant. Malheureusement il ne s’est pas soutenu, et dans le dialogue avec l’acteur, le sieur Legros a absolument couvert sa voix et l’a écrasé ; en sorte que ceux qui ont autrefois entendu mademoiselle Lemaure, n’ont plus trouvé que les restes du plus bel organe, et ceux qui n’ont jamais eu ce plaisir, n’ont pu juger qu’imparfaitement, et n’ont point été émerveillés. Au surplus, on lui a prodigué les applaudissemens les plus longs et les plus soutenus. On comptait qu’elle chanterait un second morceau, mais elle s’est trouvée trop fatiguée.

18. — *Un certain abbé Dubault[273], curé d’Épiais, à fait aux Théatins, le dimanche de l’octave de la Fête-Dieux, un discours sur le respect que le chrétien doit à Dieu dans la sainte eucharistie en l’assimilant à celui d’un sujet envers son roi, et, par ce parallèle continu, il a trouvé moyen de faire une satire sanglante de l’ancien parlement, une apologie du nouveau, un éloge pompeux de M. le chancelier, et d’avancer les maximes les plus contraires à la liberté des Français, en les réduisant à la qualité de simples esclaves, et en annonçant clairement que le roi était maître des biens, de la personne et de la vie de ses sujets. Heureusement que l’auditoire n’était composé que de gens du peuple, de laquais, de femmes de chambre. Cependant quelques abbés s’étant trouvés là par hasard, en ont été fort scandalisés : cela a fait bruit insensiblement, et est parvenu aux oreilles de M. de Sartine qui a mandé le supérieur des Théatins. Celui-ci n’avait point été spectateur, mais, sur les informations prises dans sa communauté, n’est pas disconvenu qu’il n’y eût quelque chose de trop zélé dans ce prédicateur de campagne : l’abbé Dubault, instruit de l’orage qui se formait, a pris le parti d’écrire à M. le chancelier, de lui envoyer son discours, en lui marquant qu’il voyait avec douleur qu’on lui fit crime d’être trop royaliste. M. le chancelier, flatté sans doute de l’éloge non suspect d’un prêtre obscur, a donné les ordres nécessaires pour qu’il ne soit pas inquiété, et il continue à prêcher de la même manière. Heureusement, cet orateur, digne du seizième siècle, est plus propre à faire rire par son style burlesque, son ton baladin, et ses convulsions d’énergumène, qu’à exciter une fermentation dangereuse. C’est vraisemblablement ce qui fait que M. le chancelier ne l’a pas traité plus favorablement, et s’est contenté de conserver un tel apologiste parmi le peuple, tandis que des bouches plus disertes le prônent dans le grand monde.

19. — Les Italiens donnent depuis peu une pièce en deux actes et en vers, mêlée d’ariettes, intitulée les Jardiniers[274]. Cette comédie, jouée pour la première fois le jour où mademoiselle Lemaure chantait au Colysée, parut presque incognito, et, par cette raison, elle n’éprouva aucune contradiction. Depuis elle a été représentée avec plus d’affluence.

24. — Mademoiselle Lemaure n’ayant point voulu chanter lundi dernier, il n’y a pas eu de concert, ni de Colysée. Il faut connaître jusqu’où vont les caprices de cette fille-là, pour croire les conditions plaisantes qu’elle a imposées, à leur bizarrerie. Au reste, elle n’a pas voulu qu’il fût question d’honoraires : elle a refusé tout marché à cet égard. Elle est si mécontente du sieur Legros, qu’elle a exigé qu’il ne chanterait plus avec elle et qu’elle paraîtrait seule. Madame la marquise de Langeac et M. le duc de La Vrillière sont depuis lors aux petits soins auprès d’elle, et lui font une cour très-servile. Au surplus, les entrepreneurs du Colysée sentant bien que cette ressource ne peut être que momentanée, et que le public, après avoir satisfait sa curiosité, ne suivra pas cette chanteuse long-temps, ont imaginé un nouveau genre de spectacle. Ils sont décidés, dit-on, à faire venir des coqs d’Angleterre[275], et à donner des combats de ces animaux, si courus dans le pays ; mais on doute qu’un pareil genre de plaisir en fasse beaucoup à Paris : les femmes y sont d’un caractère plus susceptible d’émotions vives ; l’effusion du sang leur répugne trop : elles se refuseront à coup sûr à ce spectacle, et l’on sait qu’ici les hommes ne vont point où il n’y a pas de femmes.

27. — C’est une madame de Vaudoncourt qui a fait élever à ses frais le monument dont on a parlé, en l’honneur de M. de Chevert[276]. Cette femme vivait depuis long-temps avec lui dans l’union la plus intime et la plus respectable ; elle faisait la consolation de sa vieillesse, et il l’avait instituée sa légataire universelle, d’où il résultait un bien-être d’environ vingt-cinq mille livres de rentes ; mais elle n’a pu voir achever ce monument, et n’a pas survécu long-temps à la perte de son bienfaiteur. L’épitaphe a été composée par M. l’abbé Tricot[277], l’homme de confiance et l’ami de cœur de M. de Chevert. C’est lui qui a suivi l’entreprise et a eu le bonheur de la voir terminer. En sorte qu’on peut dire que l’amour et l’amitié y ont également concouru. Le médaillon est la composition du sieur Vassé, un de nos plus de plus fameux sculpteurs. Il est rendu dans toute la simplicité dont on l’a annoncé, et a la qualité la plus essentielle, c’est-à-dire une grande vérité et une parfaite ressemblance.

29. — On ne parle qu’avec la plus grande admiration des soins que M. le duc de Chartres prend de son auguste épouse depuis qu’elle est grosse, et qu’elle avance vers son terme. Il ne la quitte point ; il redouble de tendres caresses, et bien loin de se livrer aux écarts de sa première jeunesse et qui paraîtraient plus excusables dans les circonstances présentes, où les passions devraient le dominer davantage, il est avec la princesse sur le ton le plus bourgeois et le plus respectable ; ce qui cause une joie extrême à M. le duc d’Orléans, et surtout à M. le duc de Penthièvre.

30. — Le sieur Doyen est un des peintres d’histoire les plus estimés aujourd’hui ; il travaille actuellement à réparer les peintures du dôme des Invalides très-endommagées. Depuis quelque temps madame la comtesse Barry a envoyé chercher cet artiste et lui a témoigné son envie d’avoir un tableau de sa composition ; mais elle a déclaré qu’elle ne le voulait pas dans le genre de dévotion. Le sieur Doyen lui a répondu qu’il était à ses ordres, et qu’il ne faisait pas toujours des corps de saints : elle l’a laissé maître du choix, et il lui a proposé pour sujet le trait, qu’il prétend historique, de cette Thessalienne que les ignorans accusaient de magie, et qui ayant paru devant l’empereur pour répondre sur l’imputation de ce crime, n’eut qu’à se montrer pour décider la question : c’était la plus belle créature qu’œil humain pût envisager. Madame la comtesse a senti toute la finesse de ce madrigal pittoresque ; elle a adopté avec joie un sujet aussi galant, et le sieur Doyen est très-bien venu de cette dame. Elle l’a accueilli avec une bonté extrême, et sur ce que ce peintre a représenté à Sa Majesté qu’il sentait combien le bonheur d’approcher de sa personne royale, lui élevait les idées, et lui donnait du sublime dans l’imagination, qu’il lui serait infiniment avantageux de jouir souvent de cette inspiration, le roi lui a permis de se présenter à lui, quand il voudrait ; et il a ses entrées dans les petits appartemens, où il est admis dès qu’il se montre.

31. — Lundi dernier, mademoiselle Lemaure a reparu au concert du Colysée. Elle y a chanté plusieurs morceaux, mais seule. Elle a été reçue avec des transports bien capables d’encourager son amour-propre. Sa voix a fait beaucoup plus d’impression que la première fois. Cependant, par un de ces caprices qui lui sont ordinaires, au moment où une partie de l’orchestre avait déjà défilé, où les spectateurs se retiraient, elle a voulu régaler encore le public d’un autre morceau : on s’est aperçu qu’elle faiblissait sensiblement, et que pour son honneur elle aurait dû se refuser à cet excès de zèle. On ne lui en a pas moins su gré, et l’on a tâché, par des applaudissemens réitérés, de lui dérober l’humiliation d’une disgrâce.

Au surplus, on décore son triomphe de tout l’appareil extérieur qu’on accorde aux gens de la première distinction, ou aux orateurs les plus éminens. Un suisse va la chercher à son appartement, tandis que d’autres font faire le passage et bordent la haie ; le premier la précède jusqu’à l’orchestre ; un écuyer lui donne la main ; elle a deux ou trois femmes de suite : on la reconduit de même.


Ier Août. — Le sieur Prépaud, ministre de l’évêque de Spire à la cour de France, vient de mourir. Il est question de faire conférer cette place à l’abbé de Voisenon. Celui-ci avait deux mille écus de pension sur les affaires étrangères que lui avaient ménagés les ducs de Choiseul et de Praslin. Il les a perdus à la disgrâce de ces deux ministres ; mais comme cet abbé, uniquement voué à l’amusement des grands seigneurs, n’épouse aucun parti, ne s’attache à personne, et suit le vent de la faveur, il a profité de son accès auprès de M. le duc de Richelieu pour capter la bienveillance du nouveau ministre des affaires étrangères, et M. le duc d’Aiguillon, pour lui assurer quelque chose de plus solide, cherche à le faire nommer par l’évêque de Spire à la place que la mort du sieur Prépaud laisse vacante. C’est à l’occasion de son entrée future dans le corps diplomatique que M. Duclos, secrétaire de l’Académie Française, lui a dit ce joli mot si fin et si juste : « Je vous félicite, mon cher confrère, vous allez donc enfin avoir un caractère. »

3. — *Principes avoués et défendus par nos pères[278]. Institutions que nous sommes dans l’heureuse impuissance de changer[279]. Lit de justice de 1770. Edit de février 1771.

Tel est le titre d’une nouvelle brochure qui, comme on voit, n’est qu’un extrait de deux phrases mises dans la bouche du roi. On y démontre que la plupart des citations des défenseurs du despotisme sont fausses, et que toutes les armes qu’ils empruntent en faveur de l’autorité contre les droits de la nation sont tirées d’une des Matinées du roi de Prusse[280], grand roi que la France admire, mais dont le gouvernement très-militaire et l’avis personnel ne peuvent ni ne doivent influer sur le nôtre.

4. — *Une seconde brochure qui se répand en même temps que celle dont on vient de parler, c’est le Parlement justifié par l’Impératrice de Russie, ou Lettre à M***, dans laquelle on répond aux différens écrits que M. le chancelier fait distribuer dans Paris[281].

L’objet de l’ouvrage est de répondre aux différens écrits que M. le chancelier fait distribuer dans Paris. De ces écrits qui étaient, lorsque l’auteur écrivait, au nombre de cinquante, et qui sont aujourd’hui multipliés à celui de plus de cent, il n’en trouve que quatre dignes d’être discutés, savoir : les Réflexions d’un citoyen[282], les Considérations sur l’Édit[282], les Remontrances d’un citoyen, et les Observations sur l’écrit intitulé : Protestation des Princes[283]. Il cherche à en démêler les sophismes, tous provenus faute d’avoir établi les principes et la nature du gouvernement monarchique. Il croit ne pouvoir mieux les fixer que par l’analyse de l’Instruction donnée par Catherine II, impératrice de toutes les Russies, aux personnages chargés de dresser le projet de son nouveau code de lois. Il prétend que « M. le chancelier, qui s’est aperçu combien les principes de cette Instruction étaient contraires à ceux qu’il a tâché d’établir dans son discours au Lit de justice, et dans le préambule de l’Édit de décembre 1770, en a fait défendre l’entrée dans le royaume. »

Quoi qu’il en soit, ce beau monument de législation est heureusement connu par les extraits qu’en ont donnés les papiers publics, et l’écrivain en question le prend pour base de son système. Il en infère des conséquences qui détruisent absolument toutes les objections divers auteurs qu’il réfute. L’article le plus neuf de l’ouvrage est celui où il explique la proposition aussi absurde que révoltante de laquelle les défenseurs du despotisme se prévalent pour autoriser leurs raisonnemens, savoir que le roi ne tient sa couronne que de Dieu. Il démontre que les Parlemens, qui ont eu la faiblesse de l’admettre, n’ont jamais voulu ni pu lui donner le sens absolu dont l’expliquent ces adulateurs du trône ; il comprend dans cette réfutation les inductions non moins pitoyables qu’on tire de la formule antique des édits : Louis, par la grâce de Dieu, etc. Il prouve enfin qu’il n’est pas moins faux que le roi ne tienne sa couronne que de son épée, et il en conclut que ne la tenant que du consentement de la nation, il doit nécessairement être soumis à la loi comme les sujets, et que, pour l’y ramener, tout moyen est permis, excepté celui de la révolte et de la sédition.

— Le 31 du mois passé, l’Académie royale de Musique, profitant de la faveur spéciale qu’elle a de n’être point sous les censures ecclésiastiques, a fait célébrer un service pour le repos de l’âme du sieur Trial, l’un de ses directeurs, mort subitement, ainsi qu’on l’a annoncé, et sans recevoir les secours spirituels. Cette cérémonie s’est exécutée dans le plus grand appareil à Saint-Germain-l’Auxerrois. On a chanté la messe de Gilles, très-célèbre dans le genre de musique funéraire ; elle a été suivie du De Profundis de d’Auvergne, morceau très-analogue au premier. Tout l’Opéra a coopéré à cette exécution. Les demoiselles de ce spectacle n’ont pas manqué de s’y rendre, ainsi que les filles les plus galantes de Paris. Il y avait aussi beaucoup de femmes comme il faut, et une multitude prodigieuse d’hommes. Cette fête lugubre a été égayée par une quantité de jolis minois, et aussi édifiante que le pouvait permettre la sorte de spectateurs dont elle était composée. On n’entrait que par billets.


— *Le Parlement de Bretagne a rendu, le 27 juillet dernier, un arrêt contre deux écrits intitulés, l’un : Observations sur l’imprimé intitulé : Réponse des États de Bretagne au Mémoire du duc d’Aiguillon ; l’autre : Procédures faites en Bretagne, et devant la cour des Pairs, en 1770, avec des observations. On connaît le premier ouvrage[284], dont on a affecté de supprimer du titre : Par Simon-Henri-Nicolas Linguet. L’autre est un gros in-4o, très-ennuyeux, et qu’on a voulu rendre plus piquant par des notes calomnieuses contre les témoins.

6. — *La Lettre d’un homme à un homme, dont on a parlé[285], n’était qu’un morceau détaché d’un plus grand ouvrage, et doit être placée comme la neuvième d’une collection qui précède, au nombre de huit. L’importance des vérités qu’on y traite est telle qu’on s’intéresse encore à cet écrit qui les reproduit, après tant d’autres, mais d’une façon plus aisée, plus agréable, et plus à la portée de toutes sortes de lecteurs. L’auteur a le style leste d’un homme du monde qui possède sa matière, sait l’embellir de toutes les grâces de l’enjouement ; c’est le Fontenelle de la politique. Il paraît avoir le mieux démêlé l’origine des Parlemens, qu’il trouve n’être autre chose que la cour de France, qui n’a jamais été créée, mais formée par extrait des anciennes Assemblées Nationales, aussi anciennes que la monarchie, et qui a succédé à ces Assemblées, quand elles n’ont plus eu lieu, tenues avec éclat quand le treizième siècle eut dissipé les ténèbres de la barbarie. Il ôte à cette discussion toute sa sécheresse, et y répand une gaieté noble et décente, bien opposée aux mauvais quolibets, aux plates turlupinades du plus grand nombre des écrits composés par ordre, et débités sous les auspices du chancelier.

7. — On parle beaucoup d’une aventure arrivée au couvent de Bon Secours. Ce monastère est l’asile de quantité de jolies femmes séparées de leurs maris, et l’on conçoit quel assemblage il en doit résulter ; c’est-à-dire qu’il est le centre de la galanterie. Il y a en outre des demoiselles pensionnaires, dont les mœurs, malgré la jeunesse, se ressentent bientôt d’une telle contagion. Une demoiselle Mimi, extrêmement jolie, brillait entre tant de beautés. Un mousquetaire noir, très-bel homme, âgé de vingt-trois ans, allait souvent voir deux parentes qu’il avait dans ce couvent avec un de ses amis qui avait pris du goût pour l’une des deux. Il eut occasion de connaître mademoiselle Mimi, d’en devenir amoureux ; et ayant facilement mis celle-ci d’intelligence, il se forma bientôt une partie carrée, au moyen d’une petite maison louée dans les environs. La plus grande des pensionnaires et mademoiselle Mimi escaladaient, le soir, les murs du jardin, et se rendaient au lieu convenu. On prétend que l’abbesse, amoureuse pour sa part du même cavalier, conçut de la jalousie de mademoiselle Mimi, se douta d’une intrigue secrète, et étant venue brusquement dans la chambre de cette demoiselle pendant la nuit, ne la trouva point ; que s’étant rendue ensuite dans celle des deux cousines, elle n’y vit que la petite ; que l’ayant interrogée, elle découvrit ce qui en était, fit sur-le champ assembler la communauté, et se transporta au pied de l’échelle avec ses religieuses pour y recevoir les deux transfuges. On se doute du coup de théâtre qui en résulta. L’aventure a été contée au roi. Sa Majesté en a ri beaucoup ; mais comme elle est très-sévère sur l’article des mœurs, elle a ordonné que le mousquetaire serait mis à Vincennes ; ce qui a été exécuté.


8. — M. de Mairan, pendant sa longue carrière, avait fait une collection précieuse de morceaux d’histoire naturelle, et sa bibliothèque était renommée pour son choix et pour sa rareté. Ces richesses littéraires appartenaient à madame Geoffrin, qu’il a, par son testament, instituée sa légataire universelle. On ne sait pourquoi elle a jugé à propos de les transformer en richesses plus solides. Quoi qu’il en soit, la vente de ces deux objets était annoncée, et devait se faire à l’encan. Un prince Allemagne s’est présenté depuis pour acquérir le tout, et sauvera à madame Geoffrin le déshonneur d’avilir ainsi le don de l’estime et de l’amitié, que son opulence la mettait en état de conserver dans son entier.


10. — *Un nouvel ouvrage clandestin attire la curiosité des amateurs. Il a pour titre : le Gazetier cuirassé, ou Anecdotes scandaleuses de la cour de France[286]. C’est un pamphlet allégorique, satirique et licencieux, comme l’annonce assez son titre.

11. — *M. Dionis Du Séjour, conseiller au Parlement, n’est pas moins renommé par ses connaissances en astronomie qu’en jurisprudence. Il est membre de l’Académie des Sciences. Comme le lieu de son exil est très-rapproché de Paris, et qu’il est à Saint-Maur, à deux petites lieues d’ici, l’Académie des Sciences a fait une députation auprès de M. le chancelier, pour obtenir à ce confrère la permission de venir aux séances les jours d’assemblée, et lui communiquer ses lumières ; mais le chancelier, qui se reproche journellement d’avoir adouci l’exil de tant de conseillers avant de leur avoir fait donner leur démission, a dit qu’il ne tenait qu’à M. Du Séjour de revenir sur-le-champ dans le sein de ses amis, en se soumettant à ce qu’exigeait le roi. Ce digne magistrat n’a pas cru que son honneur et sa conscience lui permissent de donner un si funeste exemple.

12. — Le mousquetaire noir dont on a parlé, et qui a causé un si grand scandale dans le couvent de Bon-Secours, se nomme M. le chevalier de La Porquerie. C’est le plus bel homme de la compagnie. Il a plus de six pieds, est corsé à proportion, et annonce tous les talens d’un vrai débrideur de nonnes[287]. Il est reconnu que madame Du Saillant, abbesse de Bon-Secours, avait eu des vues sur lui, qu’il n’avait jamais voulu remplir, et que c’est par vengeance qu’elle a écrit au roi.

La demoiselle Mimi avait appartenu à M. le duc de Choiseul, et même avait été au parc aux cerfs, à ce qu’on prétend. Le ministre l’avait ensuite mariée à un sieur Dupin, Américain, qui, dès la première nuit de ses noces, s’apercevant qu’il était dupe, avait fait un vacarme du diable, et avait laissé sa femme, qui s’était retirée en couvent. C’est ainsi qu’après bien des recherches les curieux d’anecdotes galantes ont éclairci les caractères des personnages de celle-ci, et ont constaté toutes les circonstances.

13. — La demoiselle Arnould, si célèbre au théâtre par ses talens, et dans le monde par ses bons mots, après s’être égayée aux dépens de tant d’autres, vient de fournir matière aux rieurs par le mariage le plus sot. Elle a épousé, suivant la rumeur publique, un jeune directeur des Menus-Plaisirs, sans mérite, et dont le talent consiste à avoir eu l’adresse d’enlacer à ce point une actrice, coryphée de la scène lyrique, et qui d’ailleurs a une fortune assurée.

14. — Hier l’Académie royale de Musique a donné, pour la première fois, sur son théâtre, la Cinquantaine, pastorale en trois actes, annoncée depuis long-temps. Les paroles sont du sieur Desfontaines, et la musique du sieur La Borde. Les unes ont paru aussi détestables que l’autre. Nul intérêt, nul incident dans l’action, nulle élégance, nul esprit, nul sentiment dans le poëme ; rien de frappant dans l’harmonie ; ni ensemble, ni liaison dans le tout ; point de caractère dans le chant. À un duo près, au second acte, tout a paru monotone, triste et ennuyeux. Les ballets seuls ont un peu réveillé les spectateurs, et sans la danse, qui y est prodiguée heureusement, le public n’aurait pu tenir à cette lamentable fête.

On a été indigné d’apprendre que le sieur Legros ayant voulu se refuser au rôle qu’il y joue, comme à un chef-d’œuvre d’ineptie et de mauvais goût, le sieur de La Borde l’a fait menacer de passer une cinquantaine au Fort-l’Évêque, s’il ne surmontait cette répugnance, et il a été obligé de chanter.

15. — Le Gazetier cuirassé est attribué à un nommé Morande, qui ne s’en cache pas, dit-on. C’est bien un livre à renier, cependant, par les dangers que doit courir son auteur, s’attaquant au roi même, à madame la comtesse Du Barry, à M. le duc d’Aiguillon, à M. Bourgeois de Boynes, à M. l’abbé Barry, à M. le chancelier, à M. le duc de La Vrillière, à M. le Terray, etc. Pour égayer davantage les matières politiques qu’il traite déjà très-lestement, il y a joint des notices sur quantité de filles d’Opéra, ce qui forme une rapsodie très informe et fort méchante, dans le goût du Colporteur. Les anecdotes, vraies ou fausses, en sont quelquefois très-récentes, et il en est qui ne remontent pas à plus de trois ou quatre mois avant la naissance de la brochure, imprimée il y a environ un mois. Du reste, elle est fort chère.

Le livre est précédé d’une estampe, qui représente le gazetier, vêtu en espèce de houssard, un petit bonnet pointu sur la tête, le visage animé d’un rire sardonique, et dirigeant de droite et de gauche les canons, les bombes et toute l’artillerie dont il est environné.

16. — Il paraît un nouveau livre sous le titre baroque de l’An deux mille quatre cent quarante ; rêve s’il en fut jamais#1, avec cette épigraphe : « Le temps présent est gros de l’avenir. » Leibnitz. La préface est écrite d’un ton fier et sublime. Le reste est une espèce d’apocalypse qui demande beaucoup de discussion.

17. — Le père Neuville, Jésuite fameux par ses sermons, a eu depuis quelque temps la permission de se retirer à Saint-Germain-en-Laye, retraite qu’il a toujours affectionnée, à raison d’une quantité de dévotes qu’il y avait sous sa direction, et chez lesquelles il présidait. Cet illustre prédicateur vient d’obtenir mille écus de pension sur l’évêché de Béziers.

18. — Le sieur Luneau de Boisjermain, cet irréconciliable ennemi des libraires, dans un de ses Mémoires dont on a parlé dans le temps, a prétendu avoir à faire contre les entrepreneurs du Dictionnaire encyclopédique une répétition de la somme de cent soixante-quatorze livres huit sous, comme perçue injustement. Il a ajouté que chaque souscripteur ayant à réclamer contre la même extorsion, le total de ladite restitution générale monterait au capital de un million neuf cent quarante huit mille cinquante-deux livres. Ces entrepreneurs étaient les sieurs Briasson, Le Breton, feu David et Durand. M. Briasson, prenant fait et cause pour ses confrères, a rendu, chez un commissaire, plainte de cette calomnie, articulée au Mémoire de son adversaire, et dont l’inculpation était développée dans un tableau y joint. Il a obtenu un décret d’ajournement personnel contre le sieur Luneau. Celui-ci en a appelé, et l’affaire se trouve aujourd’hui pendante au nouveau tribunal. [288] L’accusé n’ayant pas une grande confiance aux avocats du barreau moderne, a sollicité la permission de plaider son procès lui-même. Cette faveur s’accorde assez difficilement ; mais les juges ayant conçu que cette nouveauté leur attirerait beaucoup de monde, et donnerait à la cause une célébrité qui rejaillirait sur le tribunal, y ont consenti. Le jour est indiqué au mercredi 21, et l’orateur, qui se sent apparemment les forces nécessaires pour jouer son personnage, fait courir des billets, portant invitation de se trouver, à huit heures du matin, a la chancellerie du Palais, où sera le spectacle qu’il annonce. Il fait savoir aussi qu’il a composé un mémoire très-profond, plein de recherches savantes et de détails curieux sur la naissance et la formation du Dictionnaire encyclopédique.

21. — *Un pauvre diable, ex-Jésuite, nommé Roger, attaché à la Gazette de France, malgré son dévouement à son Ordre, déclamait avec beaucoup de vivacité et de naïveté contre les opérations de M. le chancelier ; il en a été rendu compte au chef de la magistrature ; le sieur Roger a été arrêté. On a trouvé chez lui un manuscrit de sa composition sur cette matière. C’est une espèce d’Épître ou de discours séditieux aux Francs-Comtois ses compatriotes. Sa franchise ne lui ayant pas permis de rien dissimuler, il a tout avoué, et il est à la Bastille.

22. — Les Observations sur l’Édit du mois de février 1771, portant création de Conseils supérieurs, sont une nouvelle brochure dont l’auteur est sans doute un homme qui a la triture des affaires, qui connaît l’effroyable dédale de la chicane, et tous les abus du Palais. On y trouve un détail très-curieux sur les formes de la procédure, sur les épices, et sur la manière dont MM. de Maupeou, père et fils, ont grossi ces frais énormément, surtout le dernier, qui se faisait ainsi plus de soixante mille livres de rentes. Il donne les moyens d’y remédier, ainsi que de restreindre la multiplicité des voyages des plaideurs à la capitale ; après avoir réfuté l’Édit en gros, il en discute successivement les diverses parties, et le pulvérise dans tous ses points.

À la suite de cet écrit est une Lettre à une dame sur le même sujet, où l’on démontre, par une nouvelle façon de voir, que l’établissement des Conseils supérieurs est nuisible au roi, à l’État et à la nation ; qu’il tend d’une part à déprimer le peuple en général, la noblesse en particulier, à dessécher les liens d’amour, de confiance, de fidélité qui unissent le monarque et les sujets, pour ne laisser lieu qu’à l’autorité, en sapant les lois et l’esprit de la constitution du gouvernement français qui en sont la base.

26. — *Les satires contre M. le chancelier continuent à se répandre, et nous allons les recueillir, moins à raison de ce qu’elles peuvent valoir comme ouvrages littéraires, que comme pièces historiques. Voici d’abord une Charade sur le mot de Maupeou :

« Ma tête annonce tous les maux imaginables et tous les malheurs les plus cruels. Il n’est point de fléau destructeur que je ne renferme en moi-même, point de crime dont je ne sois coupable, point de scélératesse et de trahison que je ne puisse exécuter. Mes pieds et mes jambes désignent un animal odieux, un insecte vermineux et rongeur, qui ne se trouve que dans les cachots et les prisons dont je suis digne, et où ma patrie, pour son bonheur et le mien, aurait dû me faire renfermer dès ma jeunesse. Tout mon corps n’est bon qu’à brûler. »

Dialogue de deux poissardes sur la mort inopinée de M. le chancelier.
Air : J’ai fait long-temps résonner ma musette.
SUZON.

Hé ! ben, Babet, te v’là donc ben contente ?
Ton chancelier, on m’a dit qu’il est mort.

BABET.

Il a ben fait, car vois-tu, ma parente,
Je l’ons tué dans mon premier transport.

SUZON.

On dit comm’ça qu’il s’est tué de rage
Et que li-même a su s’empoisonner.

BABET.

J’n’ l’i croyons pas, ma foi, tant de courage :
Comment ! li-mêm’ ? Mais v’là d’quoi s’étonner !

SUZON.

En avalant de sa propre salive,
Çà l’a conduit aux enfers de droit fil.

BABET.

Je le crois ben, et pour que l’cas arrive,
I n’pouvait prendre un poison pus subtil.

— *Il court aussi une Épître à Fréron, contre Voltaire, au sujet de sa lettre sur les opérations du chancelier[289]. Nous allons la rapporter à cause de sa brièveté :

Ne t’arme plus, Fréron, des traits de la satire :
De l’infâme Voltaire oserais-tu médire
Après qu’en bas flatteur il brûle son encens
Sur l’autel déserté du plus vil des Séjans.
Ah ! perfide Protée ! est-ce ainsi, grand Voltaire,
Que tu charges ton nom de l’horreur de la terre ?

Ta couronne civique[290] a flétri tes lauriers :
Plus de gloire pour toi ; va, brûle tes cahiers ;
Et si jamais je vois, au temple académique,
Ton portrait, ta statue, ou quelqu’autre relique,
Ne pouvant les briser, je veux cracher dessus[291].
Cesse de t’avilir, Fréron, ne le crains plus.
Quand il louait Choiseul, et l’État et nos pères,
Le parjure empruntait la langue des vipères ;
Tu n’es que trop vengé, méprise ce serpent,
Dédaigne d’écraser un insecte rampant.
DédCujus vita despicitur, opus ejus contemnitur.


— La séance publique de l’Académie Française a eu lieu hier, suivant l’usage. M. d’Alembert, au lieu de M. Duclos, qui lui-même était à la place de deux autres[292], a fait les fonctions de directeur, dont M. Duclos avait pourtant pris le fauteuil. Il a lu une espèce de préface pour le discours dont l’auteur a été couronné. Il a averti le public des règles que les Académiciens se sont imposées pour l’examen des pièces qui concourent, pour le choix de ces pièces, et enfin pour la préférence accordée à celles qui remportent le prix.

Il a lu ensuite le discours en question, dont le sujet était l’Éloge de Fénélon. On y a trouvé de très-belles choses, mais il n’est pas sans défauts. L’orateur, qui sait lire, en a fait passer de bien médiocres et de bien maladroites. Quand sa poitrine est fatiguée, il n’a qu’à terminer la phrase où il s’arrête par une certaine inflexion de voix, aussitôt les auditeurs émerveillés applaudissent à la ronde, et lui donnent le temps de reprendre haleine. Il a fait halte à la seconde partie, et s’est fait donner une bouteille de la liqueur philosophique. Le géomètre a bu un verre de son élément, et il est arrivé très-heureusement à la fin.

On savait d’avance que c’était M. de La Harpe qui avait obtenu le prix. M. Thomas a fait part ensuite au public des extraits du discours de l’abbé Maury qui a eu l’accessit, et de quelques morceaux des autres discours qui ont concouru, où il y avait des choses assez libres pour les circonstances présentes, et que le lecteur très-bien fait sentir.

Autre préface de M. d’Alembert, où il venge la philosophie et la géométrie du reproche qu’on leur fait d’occasioner le dégoût des vers, tandis c’est aux mauvais poètes qu’il faut s’en prendre. Il a annoncé que l’Académie préférera pour le choix de ses nouveaux membres ceux qui auront remporté les couronnes académiques.

Au surplus, éloges de M. de Voltaire, de M. le duc de Nivernois, du roi de Prusse ; récit historique du nombre des pièces de poésie du concours (quatre-vingts et tant), dont la seule qui se soit soutenue a été celle de M. de La Harpe, qui pourtant est très-froide et ne vaut pas la médaille. Il en a été fait lecture, et la séance a fini de la sorte.

Il est remarquable que cette fois-ci M. Duclos, sur les représentations qui lui ont été faites que la séance étant publique ne souffrait point d’exception, a crié d’une voix éteinte d’ouvrir la porte à tous ceux qui se présenteraient avant le commencement de la lecture, et d’en laisser entrer tant qu’il en tiendrait dans la salle. Le suisse, qui est sourd, n’a obéi qu’à moitié. Il a ouvert seulement la porte de la salle d’assemblée, et a attendu assez long-temps que le public arrivât ; mais comme ce public et le suisse qui le repoussait n’étaient pas prévenus, il n’est arrivé des curieux que pour interrompre la lecture. On a remarqué que M. le prince de Beauvau était à cette séance[293].

Le sujet du prix de poésie pour l’année prochaine est laissé au choix des concurrens. Celui de prose pour 1773 est l’Éloge de J.-B. Colbert.

27. — *Le mercredi 21, M. Luneau de Boisjermain s’est présenté à la Tournelle pour plaider sa cause, suivant la permission qu’il en avait reçue. Le public s’était rendu en foule à l’audience. Le sieur Perrin, avocat aux Conseils, un de ceux qui se sont attachés au nouveau tribunal, chargé de la défense des imprimeurs, a voulu s’opposer à cette innovation. Il a mis dans son procédé une chaleur qui a indisposé le public contre lui, et n’a fait que rendre l’orateur plus agréable. M. de Châteaugiron, président, a imposé silence au sieur Perrin. Son adversaire a commencé son plaidoyer avec beaucoup de succès. Il l’a lu : il a débuté par des éloges adroitement distribués aux juges, jesuitico more[294], pour le bien de sa cause, et ceux ci en ont été attendris jusqu’aux larmes.

28. — Le sieur Rouelle, chimiste aussi renommé que son frère, mort l’année dernière, a fait dernièrement[295], en présence de tout ce qu’il y a de plus instruit dans son art, une expérience aussi curieuse que chère. Il était question de dissoudre dans un creuset des pierres de diamant. Il a parfaitement réussi. Elles n’ont laissé après elles aucune matière quelconque, le tout s’étant évaporé sans nulle trace de fusion ni de calcination.

30. — *Depuis qu’on écrit sur la grande question qui divise la nation d’avec son roi, et qui semblerait vouloir les distinguer l’un de l’autre, on est surpris de voir encore une nouvelle manière de la traiter, et l’on ne peut cependant disconvenir que la Lettre sur l’état actuel du crédit du Gouvernement en France, en date du 20 juin 1771, ne contienne des choses très-neuves, ou qui du moins n’ont été qu’effleurées ou touchées indirectement par les Parlemens et les politiques qui l’ont agitée.

Il paraît impossible de voir les choses plus en homme d’État. L’auteur est certainement un homme de génie, qui sait embrasser d’un coup d’œil une idée vaste, et la développer sous ses diverses faces. Tout lecteur de bon sens ne peut se refuser à l’évidence de ses axiomes et à la sûreté de ses conséquences. Fasse le ciel que l’Angleterre, cette nation rivale de la nôtre, ne profite pas des avantages, malheureusement trop sensibles, qu’elle pourrait tirer de notre état convulsif, ou plutôt que le ministère ouvre les yeux sur les suites funestes et inévitables de ses opérations ! Au surplus, l’ouvrage est fait avec tant de sagesse et de modération que l’écrivain aurait pu adresser lui-même sa Lettre à M. le chancelier, sans exciter de sa part d’autre humeur que celle de ne pouvoir y répondre.

30. — La Cinquantaine a donné lieu à une épigramme qui, sans être bien aiguisée par la pointe, est d’une belle simplicité grecque et fait anecdote. Il faut savoir que l’auteur de la musique est un des entreteneurs de mademoiselle Guimard :

DeAprès Rameau paraît La Borde.
DeQuel compagnon ! miséricorde !
De« Laissez notre oreille en repos :
DeDe vos talens faites-nous grâce,
De la Guimard allez compter les os,
DeMonsieur l’auteur, on vous le passe. »

31. — Le sieur Luneau de Boisjermain, après trois séances, a fini hier son plaidoyer contre les libraires. Depuis long-temps on n’avait vu au Palais une affluence de monde aussi prodigieuse. Le public a paru très-content de l’orateur, qui à la beauté de la diction a réuni l’élocution la plus pittoresque. Il y a mis ce pathos qui fait toujours un grand effet, et qui, rendu d’une voix cassée et presque éteinte, a produit une sensation étonnante sur les spectateurs et a fait pleurer les juges. On assure avoir surpris des larmes à quelques libraires, moins prévenus, sans doute, que leurs confrères, adversaires de l’orateur. Enfin on s’accorde généralement à convenir que peu d’avocats de l’ancien barreau eussent aussi bien, et qu’aucun n’eût certainement mieux plaidé que cet accusé.

Le sieur Perrin, ci-devant avocat aux Conseils, doit perler pour les libraires mercredi prochain. Le sieur Luneau a demandé la réplique, et elle lui a été accordée.

Ce même jour on a jugé à la Tournelle une cause du Parlement ancien, qui avait déjà produit deux Mémoires très-plaisans, de la part des sieurs Cocqueley de Chaussepierre et Delort. Le sujet était un chat trouvé mort dans une cave du sieur Guy, libraire associé de la veuve Duchesne. Cet animal appartenait au sieur Boyer, agrégé en droit, qui accusait la femme de Guy d’avoir tué son chat ; en conséquence l’avait maltraitée de paroles et injuriée, au point que le mari avait rendu plainte. Ce sujet bien digne d’occuper une scène dans la comédie des Plaideurs, et très-propre à faire voir jusqu’où va le délire de leur engeance, avait donné lieu aux deux avocats ci-dessus nommés de s’égayer. Le nouveau tribunal, qui n’aime point qu’on rie d’une chose aussi grave que la justice, a supprimé ces deux Mémoires anciens, a déclaré la procédure du sieur Guy injurieuse, l’a condamné aux dépens et à dix livres d’amende envers le sieur Boyer.


2 Septembre. — Dans le No 67 de la Gazette de France, article de Londres, on lit ce qui suit :

« On dit que madame la comtesse de Valdegrave épouse du duc de Glocester, a obtenu une pension de cinq mille livres sterling sur l’établissement d’Irlande. »


On assure que l’ambassadeur d’Angleterre s’est plain de cet énoncé comme d’une indiscrétion désagréable à la cour de Londres, attendu que le mariage du duc de Glocester n’y était pas déclaré ni reconnu. Il passe pour constant que c’est le motif dont s’est servi M. le duc d’Aiguillon, comme ministre des affaires étrangères, pour ôter la direction de la Gazette de France à l’abbé Arnaud et au sieur Suard, son collègue. Quoi qu’il en soit, c’est le sieur Marin, censeur de la police, qui est aujourd’hui chargé de cette rédaction.

3. — Les Comédiens Italiens donnent depuis quelque temps les Deux Miliciens ou l’Orpheline villageoise, comédie en un acte, mêlée d’ariettes, de la composition du sieur Friedzeri, quant à la musique[296]. Cet auteur est aveugle depuis l’âge de trois ans.

4. — On a imprimé depuis peu une petite feuille, datée de l’hôtel de Sauvigny, le 18 août 1771, intitulée : Anecdote du jour. On y trouve l’extrait suivant d’une lettre de M. le chancelier à madame de Sauvigny :


« J’ai de grandes grâces à rendre au ciel de me porter aussi bien et de conserver ma tête dans un travail aussi pénible que celui qui m’occupe tous les jours. Me voilà enfin au courant : je finirai à la Saint-Martin tout ce qui n’est encore que commencé. »


Le reste n’est qu’une plaisanterie grossière sur un dîné fait chez M. le premier président Berthier de Sauvigny, le 17 août, en commémoration de l’heureux événement de la procession du 15[297], et sur un souper au même lieu, indiqué au 18, où M. le maréchal de Richelieu avait été invité et ne se rendit point, ce qui alarma les convives.

5. — Le portrait de M. l’abbé Terray, contrôleur-général, devait être exposé au salon, mais ce ministre s’en est défendu, sous prétexte qu’on parlait assez de lui.

6. — Les libraires associés à l’Encyclopédie se sont hâtés de publier un Mémoire contre le sieur Luneau de Boisjermain, où ils reprennent encore les cinq objets de discussion de leur adversaire. Celui-ci est signé de Briasson, Le Breton, et de Me de Junquières, avocat du barreau moderne. Ils ont jugé à propos de l’étayer d’un ancien Mémoire à consulter, dont on a déjà parlé, ainsi que d’une Consultation, en date du 7 janvier 1770, souscrite de quelques avocats célèbres. Ce dernier Mémoire, fortifiant la cause, atténue prodigieusement l’éloquence de l’orateur actuel. Il n’y a ni ordre, ni clarté, ni style dans son écrit, d’ailleurs assaisonné de beaucoup d’injures, qui se sentent encore de l’ancien état de ce procureur métamorphosé en avocat.

La pièce la plus curieuse est une lettre du sieur Diderot[298], datée du 31 août 1771, qui sert comme d’épilogue à tout ce bavardage. Ce grand philosophe prétend devoir intervenir dans la cause comme ayant été le directeur de cette entreprise littéraire. On est fâché de le voir se compromettre et s’exposer au soupçon de passer pour le suppôt et le gagiste de ces libraires. On ne voit pas quel autre motif raisonnable a pu le déterminer à se donner ainsi en spectacle, et à jouer un personnage dont il ne peut résulter qu’un grand ridicule pour lui dans le public.

7. — Peu de temps après le Mémoire des libraires, M. Luneau n’a pas manqué de répandre un Précis ; en résumant le plaidoyer de ses adversaires, il le réduit à deux questions, et il prouve : 1° qu’il a dit vrai, en disant que les sieurs Briasson et le Breton, lui ont fait payer cent soixante-quatorze livres huit sous de trop ; 2° qu’il a eu intérêt de dire tout ce qu’il a dit dans son troisième Mémoire et dans le tableau. C’est donc mal à propos que les libraires lui ont intenté un procès au criminel à cet égard.

D’après le détail des vexations et des pertes auxquelles ce procès a donné lieu, le sieur Luneau conclut à cent mille livres de dommages et intérêts. Ensuite il répond à M. Diderot, et, dans une lettre en date du 1er septembre, commente celle de cet auteur, et le couvre du plus grand ridicule. Il décèle d’ailleurs de sa part une mauvaise foi peu philosophique, en déclarant que c’estde M. Diderot qu’il tient tout ce qu’il sait sur l’Encyclopédie ; que l’an passé cet homme célèbre applaudissait au courage de l’infatigable ennemi des libraires, lui inspirait une nouvelle ardeur, lui donnait des conseils sur la marche qu’il devait tenir.

M. Luneau, pour plus grand éclaircissement, fait répandre aujourd’hui une feuille servant d’addition au Précis, et qui ne mérite aucun détail particulier.

8. — *Les Parlemens de province, depuis long-temps frappés de consternation, semblaient dans un silence pusillanime, du moins on ignorait qu’ils fissent quelque chose pour leur défense ; cependant il transpire dans le public des Remontrances du Parlement de Rennes, en date du 26 juillet. Elles portent non-seulement sur la situation actuelle du Parlement de Paris, mais encore sur les maux dont l’État est attaqué.

9. — L’acteur, élève de Préville, qu’on avait annoncé depuis quelques mois comme devant faire la plus grande sensation à son début, a paru avant-hier samedi, pour la première fois, dans le rôle de Rhadamiste. Son instituteur a commencé par capter les suffrages, par un compliment fort humble et fort adroit, où il a insinué d’avance les défauts qu’on trouverait à coup sûr dans le débutant, en donnant en même temps les motifs d’espoir qu’il pouvait fournir. Il n’a motivé son institution que sur son zèle pour le public, en glissant légèrement sur la nature de son choix, ou plutôt en ne rendant compte en rien des raisons qui l’avaient déterminé à former un élève pour le tragique, au lieu du comique qui est son genre, et sur lequel il doit avoir plus de connaissances naturelles et acquises : ce discours a été reçu avec transport par le parterre et applaudi de même.


Le sieur Ponteuil est fils d’un boulanger de Paris. Il n’a guère que vingt ou vingt-et-un ans. Il est grand, bien bâti, a deux beaux yeux, des sourcils noirs et très-marqués : sa figure n’est point mal, mais carrée et sans noblesse ; son nez épaté et une grosse lèvre gâtent le bas de son visage. Il est rablé et a l’air d’un payeur d’arrérages, ce qui plaît beaucoup aux actrices. Le son de sa voix est peu naturel ; elle ne sort que par secousses. Quant à ses qualités acquises, il a montré de l’intelligence, une grande sensibilité et des nuances dans les intonations et les désinences. Il marque les repos. Ses gestes sont dans un désordre effroyable, mais cela peut se corriger aisément ; en un mot, il promet. Ce début a occasioné une grande rumeur dans les coulisses, et l’on s’est à ce sujet étendu beaucoup sur l’événement.

Parmi les actrices, c’est déjà à qui s’emparera de ce nouveau Mazet. Mademoiselle Dubois, depuis long-temps, se l’attribuait à raison de sa prééminence et de sa dignité ; cependant il a débuté avec mademoiselle Sainval, ce qui annoncerait du changement dans le goût de notre héroïne du théâtre.

10. — *Tableau de la Constitution française, ou Autorité des rois de France dans les différens âges de la monarchie. Cette brochure n’est autre chose que le développement de l’Extrait du droit public de la France, par M. le comte de Lauraguais, dont on a parlé[299], mais développement fait avec un ordre, une netteté, un enchaînement de preuves et de raisonnemens qui est poussé jusqu’à la conviction.

Ces âges de la monarchie, suivant l’auteur, sont au nombre de trois. Il remonte, dans le premier, jusqu’à l’origine de la Constitution française, jusqu’à ces Assemblées ou Parlemens qui étendaient leur autorité sur toutes les parties de l’administration, sur l’élection de leurs rois, et qui partageaient avec le souverain la puissance législative. De là, la réfutation de cette phrase du préambule de l’Édit de 1770 : « Nous ne tenons notre couronne que de Dieu, » de cette autre, du discours du roi au Parlement de Paris, le 3 mars 1766 : « C’est à moi seul qu’appartient le pouvoir législatif, sans dépendance et sans partage. » L’auteur fait voir comment le Parlement, tel qu’il existe aujourd’hui, a été substitué à l’ancien Parlement, à l’Assemblée générale de la nation, et comment la nation a laissé éclipser le droit imprescriptible qu’elle avait de tout temps de concourir à l’administration politique du royaume et à la puissance législative ; droit qu’elle ne tenait que d’elle-même et que nos rois ne lui avaient pas donné.

Le second âge est celui de la formation des lois. Malgré les empiétemens des rois, la nation conservait encore le droit d’y concourir nécessairement ; droit qui, malgré les divers changemens qu’il a subis, n’est pas moins certain, incontestable, imprescriptible ; droit qu’elle ne tient pas de ses rois, mais de l’essence de sa Constitution, qui fait partie des lois fondamentales de l’État français, et dont le Parlement doit jouir avec la même étendue et la même plénitude d’autorité que la nation en jouirait elle-même si elle s’assemblait encore, et que les lois fussent délibérées dans son sein.

Enfin le troisième âge est celui de la vérification des lois, qui n’est pas une formalité de vain cérémonial, puisqu’elle dérive du droit du corps entier de la nation de concourir à la puissance législative ; droit qui prend naissance du contrat primordial entre elle et le souverain, et par lequel elle a déterminé la manière dont elle voulait être gouvernée. Et c’est ainsi qu’il faut entendre l’assertion que le Parlement la représentait en cette partie, puisqu’il était le seul corps qui fit cette vérification que les souverains lui avaient déférée, et que les peuples semblaient approuver par leur consentement tacite.

Toutes les preuves de ce savant ouvrage sont renvoyées dans des notes, en sorte que rien n’arrête la rapidité du style, et n’embarrasse la chaîne des raisonnemens.

11. — Dans la Gazette d’Utrecht du mardi 13 août 1771, No 65, on lit, à l’article France, ce qui suit :

Paris, le 5 août.

« Selon les lettres de Compiègne, madame la Dauphine s’étant laissé fléchir par la requête qu’on (le sieur Moreau, son bibliothécaire) lui présenta l’année dernière, de la part des ânes, a non-seulement pardonné le petit désagrément qu’elle avait éprouvé de leur part ; mais, pour leur témoigner qu’elle leur accordait un entier pardon, elle en a fait assembler, le 2, environ quatre-vingts dans la forêt, et ayant été les joindre avec l’auguste famille royale et une suite nombreuse, ils ont encore été adoptés pour monture. Après la formation d’une telle cavalcade, elle s’est rendue dans la forêt, au château de Compiègne, au son des flûtes, et escortée d’une multitude infinie de curieux. Monseigneur le comte d’Artois a eu le plaisir de se laisser tomber. Plusieurs dames ont été obligées d’en faire autant. Madame la comtesse de Noailles a fait aussi une culbute, mais qui n’a porté aucune atteinte à sa dignité. Madame la Dauphine se propose de renouveler un pareil spectacle qui fait l’entretien et l’amusement de toute la cour. »

Cette narration a paru d’une plaisanterie peu respectueuse ; elle a occasioné une grande rumeur à la cour, et le ministre a cru devoir arrêter le cours de la Gazette susdite. En conséquence, depuis vendredi 6 septembre, elle ne paraît plus en France. On croit pourtant que cette suppression ne sera pas longue, la cause ne portant sur aucune considération politique, et M. le chancelier étant d’ailleurs assez content du silence de l’écrivain, ou de la façon favorable dont il parle de ses opérations.

12. — *On a imprimé un détail circonstancié de ce qui s’est passé à Besançon lors de la destruction du Parlement, précédé des Protestations de cette Cour ; on y a joint des Réflexions sur l’énoncé de cet événement dans la Gazette de France du vendredi 16, qu’on prétend déroger à sa véracité en cette circonstance, et ne servir plus que d’organe à l’imposture des ministres. Le surplus est une sortie très-amère contre le remboursement prétendu des offices, tandis que l’État est à la veille d’une banqueroute totale, déjà ébauchée en grande partie.

On a aussi imprimé la Liste des officiers du Châtelet actuel, avec des notes satiriques sur chacun ; c’est ce qu’on a déjà vu manuscrit[300]. On en a supprimé M. le lieutenant-général de police, et l’on prétend que ce ménagement est le plus mauvais tour qu’on pût lui jouer en le faisant par là suspecter au chancelier, comme susceptible de fermer les yeux sur cet écrit.

13. — Malgré le succès du discours du sieur Préville, à l’installation du nouvel acteur, les gens de sang-froid qui ne s’enthousiasment pas aisément, et qui pèsent les mots, ont trouvé très-mauvais que cet histrion, en finissant, ait dit, au milieu de tout son barbouillage, plus bas que respectueux, plus fade que décent, qu’il s’estimerait heureux d’être utile, par la formation de pareils sujets, aux plaisirs de ses concitoyens. Cette expression a été relevée, et a frappé d’autant plus, que, tout récemment encore, le Parlement a dénié à un Comédien le serment en justice, comme infâme par son métier.

14. — *Des bruits sinistres s’étaient répandus sur le compte de l’auteur de la Correspondance secrète entre M. de Maupeou et M. de Sorhouet ; mais une suite de cet ouvrage, qui paraît depuis huit jours, atteste heureusement son existence et sa liberté. Elle contient douze lettres, et embrasse un espace d’environ six semaines, depuis le 9 juin jusqu’au 15 juillet, date de la dernière épître. Cette seconde partie n’est point indigne de la première[301] ; elle lui est même supérieure par une plus grande quantité de faits, et par une réponse fictive de l’ancien Conseiller au Grand Conseil, à qui M. de Sorhouet avait adressé l’apologie du chancelier, dans une lettre précédente. Ce magistrat indigné repousse avec vigueur toutes les offres de son confrère ; il réfute ses raisonnemens ; il démasque l’hypocrisie et du héros et du panégyriste. Il trace d’un pinceau aussi rapide qu’énergique, le portrait et la vie du premier. C’est un Démosthène qui tonne, qui foudroie, qui écrase, qui pulvérise. Son éloquence fougueuse tranche merveilleusement avec le style ironique du reste de l’ouvrage, et forme un contraste où l’on reconnaît l’art d’un très-grand écrivain. L’adresse avec laquelle il a enchâssé dans cette Correspondance une multitude d’anecdotes, amenées naturellement et sans le moindre effort, produit le double effet d’enrichir cette dissertation, et de couvrir d’un ridicule ineffaçable le chef et les suppôts de son système, ou plutôt de soulever contre eux l’indignation générale.

Au surplus, l’auteur continue à y ménager extrêmement M. le duc d’Aiguillon et tout son parti, comme s’il espérait qu’il dût un jour détruire celui de M. le chancelier. Il affecte même de rappeler plusieurs anecdotes qui tendraient à semer la division entre ces deux chefs. Quel qu’il soit, c’est un homme très-bien instruit, qui a fouillé dans les secrets de la famille des Maupeou, au point d’en dévoiler qui ne peuvent être sus que de gens qui lui tiennent de très-près, ce qui fait soupçonner des magistrats du premier ordre, soit comme fabricateurs, soit comme instigateurs de l’ouvrage.

Dans le fait, on est dans la plus profonde ignorance à cet égard. Lorsque la première partie de cet ouvrage parut, M. de Sorhouet assura qu’il en connaissait l’auteur, parce qu’il s’y trouvait des phrases entières qu’il avouait pour siennes, et dont un seul homme avait été participant. Il ajouta qu’il aurait la générosité de ne pas le nommer. Le courage avec lequel l’anonyme continue sa Correspondance, la suite qu’il annonce encore, doivent mettre en défaut les conjectures de ce magistrat, et prouvent qu’il s’est trompé.

15. — *Réflexions générales sur le système projeté par le Maire du palais pour changer la Constitution de l’État. Cette brochure a pour texte le paragraphe suivant :

« Les actes des rois qui blessent directement les lois fondamentales de l’État sont nuls, et ne peuvent subsister par le défaut de pouvoir du législateur. Ces actes n’ont jamais subsisté qu’autant de temps que la violence a prévalu sur la justice. » Mémoire des Princes du sang présenté au roi en 1771.

On peut juger de l’écrit par cette phrase ; il mérite pourtant une discussion particulière. :

17. — L’auteur d’un ouvrage qui a paru sur l’exposition des tableaux au Louvre, en 1769, sous le titre Lettre de M. Raphaël à M. Jérome[302], et qui eut alors un succès prodigieux, se dispose à dire son avis, dans un nouvel écrit, sur l’exposition de cette année. Mais les peintres, qu’on peut appeler, autant que les poètes, genus irritabile, se donnent beaucoup de mouvemens pour prévenir cette censure, très-redoutable à leur amour-propre. Heureusement il a mis le sieur Cochin dans ses intérêts, en prévenant ce secrétaire de l’Académie de Peinture, et en soumettant son manuscrit à sa décision ; en sorte qu’il espère que les obstacles seront levés sous peu.

19. — La critique, dont on a parlé, sur l’exposition du salon de cette année, a pour titre : Lettre de M. Raphaël le jeune, élève des écoles gratuites de dessin, neveu de feu M. Raphaël, peintre de l’Académie de Saint-Luc, à un de ses amis, architecte à Rome. L’auteur suppose que le suisse de la salle ayant entendu la nuit un grand bruit, accourt pour voir ce que c’est ; mais qu’il est bien étonné de trouver les tableaux parlant et se chamaillant ; qu’il dresse procès-verbal de tout, à telle fin que de raison. C’est dans ce cadre, aussi neuf que piquant, que l’auteur a enchâssé une critique d’autant plus amusante, qu’elle est plus vive par la tournure ingénieuse qu’il a choisie, et cependant moins injurieuse pour les artistes, par la supposition que la jalousie, dans la bouche d’un rival, affaiblit toujours les beautés, et grossit les défauts. D’ailleurs elle est moins directe, les personnages ne se trouvant nommés qu’à l’explication du numéro, et comme du second bond. L’auteur n’a point employé de ces mots techniques et scientifiques qui n’éblouissent que les ignorans ; ses reproches étant fondés sur le bon sens et sur les principes les plus généraux et les plus reconnus, peuvent être appréciés par tout le monde ; et s’il s’est interdit par là ces observations fines qui ne peuvent partir que de l’amateur le plus éclairé, il s’est asservi aussi à une justesse plus grande, pour ne pas s’exposer à une réclamation dont le cri serait plus universel. Le style est simple, l’épigramme y est amenée naturellement, les transitions ne sont pas toujours aussi piquantes et aussi heureuses qu’elles pourraient l’être mais la forme est neuve, et doit donner beaucoup de vogue à ce petit pamphlet. On ne doute pas qu’il ne soit arrêté incessamment, et qu’on ne se prévale de quelques plaisanteries mal interprétées pour intéresser le Gouvernement à sa suppression.

22. — Ce qu’on avait prévu est arrivé : mademoiselle Lemaure s’est prodiguée si mal à propos et avec tant de facilité au Colysée, que le public s’en est rassasié, et qu’elle a perdu toute la célébrité qu’elle avait acquise sur parole. La plupart des amateurs modernes ne l’ayant jamais entendue, elle ne fait plus aucune sensation, et les entrepreneurs de cet établissement seront obligés de l’éconduire.

23. — Les bruits accrédités depuis plusieurs mois que le sieur d’Éon, ce fougueux personnage, si célèbre par ses écarts, n’est qu’une fille revêtue d’habits d’homme ; la confiance qu’on a prise en Angleterre à cette rumeur, au point que les paris pour et contre se montent aujourd’hui à plus de cent mille livres sterling, ont réveillé à Paris l’attention sur cet homme singulier, et ceux qui ont étudié avec lui, et l’ont connu dans l’âge de l’adolescence, se sont rappelé tout ce qui pouvait favoriser ou détruire une telle conjecture, et voici ce qu’ils racontent :

Ils ne se rappellent pas, en effet, avoir jamais eu dans le cours de ses classes, et même hors du collège, aucune preuve testimoniale de sa virilité ; ils n’ont aucune idée d’avoir jamais fait de partie de filles avec lui, de lui avoir connu aucune inclination à ce genre de plaisir, et de lui avoir jamais vu de maîtresse. Cependant il a toujours eu la figure assez mâle ; il s’est livré aux exercices qui caractérisent le plus notre sexe ; il aimait surtout passionnément celui des armes, et s’y était perfectionné au point qu’il est devenu l’origine de sa fortune.

Ce garçon, né d’une famille honnête, était commis dans les bureaux de l’intendance. On eut besoin alors de négocier avec la Russie ; on était dans une sorte de brouillerie ou de froideur avec cette puissance ; on n’avait personne à cette cour. On imagina de chercher quelqu’un qui pût y aller sans caractère, y paraître sans être suspect, gagner la confiance du grand-duc, lui porter des paroles, être désavoué ou avoué au besoin. On savait que le grand-duc aimait beaucoup les spadassins. On s’informa si l’on pourrait trouver quelqu’un distingué dans le genre de l’escrime, qui y joignît quelques connaissances en politique. Le sieur d’Éon avait alors fait un livre sur les finances[303], sa passion pour les armes était publique. On le proposa au ministre des affaires étrangères ; on l’agréa ; il partit, il y a environ vingt ans ; il y réussit, se fit connaître, et de là son initiation aux négociations dont il a été chargé depuis.

27. — Il passe pour constant que suivant le nouveau système du Conseil, de nous rendre plus heureux en ramenant insensiblement les siècles d’ignorance, il a été rendu un arrêt le 11 de ce mois, qui ordonne qu’à l’avenir tous livres imprimés ou gravés, soit en français, soit en latin, reliés ou non reliés, vieux ou neufs, venant de l’étranger, paieront à l’entrée du royaume soixante livres par quintal. Il excepte cependant les manuscrits et livres imprimés en langue étrangère, venant l’étranger, qui continueront à jouir de l’exemption générale de tous droits, ainsi que tous livres, soit manuscrits, soit imprimés, ou gravés en langue française, latine ou étrangère, lesquels continueront à jouir pareillement de ladite exception, tant à leur circulation dans les différentes provinces du royaume, qu’à leur sortie à l’étranger.

28. — Les Comédiens Italiens ont donné, il y quelques jours, la première représentation d’une comédie en deux actes et en vers mêlée d’ariettes, intitulée le Baiser pris et rendu. Les paroles du sieur Anseaume ont paru si détestables que la musique[304], tout agréable qu’elle fût, n’a pu en faire disparaître le dégoût et la platitude. La pièce est tombée.

29. — Mademoiselle de L’Espinasse est une fille de qualité qui a des prétentions au bel esprit et à la philosophie. Elle tient, chez elle, une espèce de bureau littéraire, où préside M. d’Alembert : l’abbé Arnaud, M. Suard, M. Gaillard, M. de La Harpe y dominent en second. Cela a donné lieu aux deux épigrammes suivantes. La première est contre M. d’Alembert, dont le vrai nom est Jean-le-Rond[305]. Il faut savoir qu’il est membre de l’Académie des Sciences et de l’Académie Française.

Maître Le Rond très-lourdement écrit,
Maître Le Rond très-faussement raisonne :

Rien n’est plus clair pour quiconque le lit ;
Il a pourtant une double couronne.
Maître Le Rond au Louvre approfondit
L’art des calculs et juge le génie.
« Apprenez-moi, disais-je à son amie,
Comment cela ? — Comment ! dit Aspasie,
Savant léger et pesant bel esprit,
N’a-t-il pas droit à chaque Académie ? »

La seconde roule sur la cabale faite par la même demoiselle, pour introduire à l’Académie Française, au moyen du crédit qu’y a M. d’Alembert, l’abbé Arnaud, M. Gaillard, etc.

Le jour qu’Arnaud fut de l’Académie,
La L’Espinasse, en riant du succès,
Disait partout : « Grace à mon industrie,
Voilà déjà deux grands hommes de faits.
À qui donner la place du génie
À l’avenir ? Il nous reste Suard,
Bien lourd, bien froid, comme monsieur Gaillard ;
Et quand enfin la noble compagnie,
Par tant d’affronts sera bien endurcie
Au déshonneur, il nous faudra peu d’art
Pour y glisser La Harpe et Mélanie. »

30. — Le Fils naturel, de M. Diderot, ce drame imprimé il y a vingt ans, et qui fit beaucoup de bruit à sa naissance, par sa singularité, par les prétentions de son auteur, et par l’éclat avec lequel ses partisans le prônèrent, lui avait dès ce temps occasioné du désagrément. Le sieur Fréron démontra les plagiats du philosophe encyclopédiste, et fit voir que cette pièce était de Goldoni, fameux comique Italien. La représentation que les Comédiens Français en ont donnée, pour la première fois, le 26 de ce mois, n’a pas été moins humiliante pour le sieur Diderot. Ce drame a paru d’une froideur insoutenable, et a été à la veille de tomber à plusieurs prises. Cependant il est annoncé pour dimanche 29, mais avec beaucoup de corrections. Le moment n’était pas favorable pour l’auteur, et le ridicule qu’il vient de se donner tout récemment dans l’affaire des libraires contre le sieur Luneau[306], n’a pas peu contribué à mal disposer le public littéraire en faveur de sa pièce.


Ier Octobre. L’Éloge de François de Salignac de La Motte-Fénélon, archevêque-duc de Cambray, par M. de La Harpe, qui a remporté le prix de l’Académie Française, en 1771, a été représenté à M. l’archevêque de Paris comme contenant des propositions très-répréhensibles. Ce prélat a fait examiner cet ouvrage attentivement, et convaincu d’une foule de traits irréligieux dont il est rempli, il en a porté ses plaintes au Conseil, dont est émané, le 21 septembre, un Arrêt, où il est dit à l’occasion de ce discours, et d’un autre qui avait aussi concouru et reçu les éloges de l’Académie, que Sa Majesté n’a pu voir sans mécontentement que des discours destinés à célébrer les vertus d’un archevêque distingué par son amour et par son zèle pour la religion, soient remplis de traits capables d’altérer le respect dû à la religion même ; que dans le premier, l’auteur ne voit dans les vertus héroïques des saints qu’un pur enthousiasme, ouvrage de l’imagination ; qu’il tente de les assimiler à l’aveuglement de l’erreur et aux emportemens de l’hérésie ; qu’il cherche à flétrir la réputation d’un évêque (Bossuet) admiré pour ses talens ; qu’il travestit son zèle pour la pureté du dogme en haine et en jalousie, et qu’il blâme en lui une conduite justifiée par le jugement du souverain pontife, et par l’approbation de l’Église universelle ; que dans le second discours, on déclame contre les engagemens sacrés de la religion ; on donne à ses dogmes le nom d’opinions, et l’on se déchaîne contre des opérations que les circonstances avaient, sous le règne précédent, fait juger nécessaires à l’intérêt de la religion et à la tranquillité de l’État.

En conséquence, cet Arrêt supprime les deux discours ; et afin de prévenir par la suite de pareils écarts, Sa Majesté ordonne que l’article VI du réglement fait en 1671, par l’Académie Française, à l’occasion des discours qui doivent concourir pour le prix d’éloquence, et qui porte qu’on n’en recevra aucun qui n’ait une approbation signée de deux docteurs de la Faculté de Paris, sera exécutée : fait défenses à l’Académie de s’écarter de cette règle, dans quelque cas et sous quelque prétexte que ce puisse être.

En outre, M. l’archevêque de Paris a nommé un comité de trois docteurs, savoir, MM. Le Fèvre, Couture Agnette, devant lesquels M. de La Harpe est obligé de comparaître. Là, il reçoit les diverses instructions qui peuvent tendre à rectifier son discours, qu’on épluche phrase par phrase. L’auteur donne les explications qu’on désire, et les signe. Au moyen de cette docilité, il y a apparence que cet événement n’aura d’autre suite que celle d’éloigner ce candidat de l’Académie pour quelque temps.

2. — Le sieur Le Brun, secrétaire de M. le chancelier, à qui l’on attribue la plupart des discours de ce chef de la magistrature, vient d’être nommé à la place d’inspecteur des domaines, vacante par la mort de M. Frettot ; il avait une charge de payeur des rentes qu’il cède à son frère.

7. — Le sieur Audinot, ci-devant acteur de l’Opéra-Comique, et qui, depuis la transfusion de cette troupe dans celle des Comédiens Italiens, s’est trouvé dans le cas de s’évertuer par lui-même, après avoir tenté différentes manières de faire valoir son talent, a formé d’abord un théâtre de marionnettes, auquel ayant ajouté un petit nain, propre au rôle d’arlequin, il a acquis une sorte de vogue et s’est porté à de plus hautes entreprises. Il a fait bâtir un théâtre charmant, et enfin s’est constitué directeur d’une troupe de petits enfans, auxquels il apprend à jouer la comédie, et qui, par leurs grâces naïves, attirent une infinité de monde. Deux auteurs disgraciés, comme lui, du Théâtre Italien, MM. de Pleinchêne et Moline, se sont adonnés à lui faire des pièces. La liberté qu’ils ont crue propre à ce genre de spectacle leur a donné lieu d’y glisser beaucoup de polissonneries. Les filles se sont portées en foule de ce côté-là, et beaucoup de libertins, d’oisifs, de freluquets avec elles. Ce monde en a attiré d’un autre genre. Les femmes de la cour, qui en cette qualité se croient au-dessus de tous les préjugés, n’ont pas dédaigné d’y paraître, et ce théâtre est la rage du jour. Il est encore plus fréquenté que Nicolet dans le temps de son singe[307].

Les amateurs du théâtre sont enchantés de cette fureur, en ce qu’ils espèrent que la troupe des enfans d’Audinot fera une espèce de séminaire où se formeront des sujets d’autant meilleurs, qu’ils annoncent déjà des dispositions décidées et donnent les plus grandes espérances ; mais les partisans des mœurs gémissent sincèrement sur cette invention, qui va les corrompre, et qui, par la licence introduite sur cette scène, en forme autant une école de libertinage que de talens dramatiques.

9. — On vient d’imprimer un recueil de cent quarante-une pages in-12, contenant les Réclamations des Bailliages, Sièges présidiaux, Élections et Cours des Aides de province, contre les Édits de décembre 1770, janvier, février et avril 1771. Comme tout n’est pas encore compris dans cet ouvrage, on annonce une suite.

10. — Pour bien entendre la plaisanterie suivante, il faut savoir que M. l’abbé Terray avait depuis long-temps une maîtresse, nommée la baronne de La Garde. Cette femme, abusant de son crédit auprès du contrôleur-général, ou même, à ce qu’on croit, de concert avec lui, rançonnait sans pitié et à un taux exorbitant tous ceux qui avaient recours à elle pour obtenir quelque grâce, ou même quelque justice de son amant. Cette dame ayant cependant commis des vexations trop criantes et qui compromettaient le ministre, il a été obligé de s’en séparer et de la chasser. Comme le rôle qu’elle jouait sous M. l’abbé Terray est celui que fait depuis longtemps madame de Langeac sous le duc de La Vrillière, et que tôt ou tard celle-ci est menacée du même sort, au moment de l’expulsion de sa camarade, des persifleurs lui ont fait une pasquinade, dont elle est furieuse. Sachant qu’elle n’était point chez elle, ils sont venus successivement faire écrire toute la cour à sa porte, ainsi qu’il est d’usage quand il arrive à quelqu’un un événement qui exige un compliment de condoléance ou de félicitation.

12. — Le sieur Darigrand est mort, il y a quelque temps. C’était un avocat célèbre par un livre qu’il fit en 1763, intitulé : l’Anti-financier, ou Relevé de quelques-unes des malversations dont se rendent journelement coupables les fermiers-généraux, et des vexations qu’ils commeitent dans les provinces. Sa brochure, précédée d’une Épître au Parlement de France, fut très-recherchée dans le temps. On en fit des perquisitions sévères, et l’auteur fut mis à la Bastille. Outre la persécution que lui suscitèrent les traitans à cette occasion, son système de l’unité des Parlemens, établi par son Épître, parut encore plus attentatoire dans un simple particulier. L’auteur ayant été dans les emplois subalternes des Aides, et ce qu’on appelle rat-de-cave, avait connu par lui-même tous les abus de l’administration dont il faisait partie. Les fermiers-généraux ne l’avancèrent pas comme il l’aurait désiré et comme son mérite l’exigeait ; il prit le parti de profiter des connaissances qu’il avait acquises dans l’art de la maltôte, pour se venger et se rendre redoutable à ses anciens maîtres, en se faisant avocat et en se livrant particulièrement au barreau de la Cour des Aides, où il se chargeait de toutes les affaires contre eux. Son livre fit d’autant plus de peine aux fermiers-généraux, qu’il appuyait ses raisonnemens de faits qui, quoique succincts, justifiaient pleinement ses déclamations contre eux. Du reste, il était écrit durement ; mais il y avait des endroits sublimes, et le résultat tendait à l’impôt unique, le grand problème à résoudre par les politiques en bursalité. Depuis sa sortie de la Bastille, l’orateur déploya une éloquence encore plus fougueuse contre ses irréconciliables ennemis. Ceux-ci tentèrent en vain de le séduire par les offres les plus éblouissantes ; il resta inflexible, et il n’a suspendu ses combats que par la destruction de la Cour des Aides.

13. — *Le sieur Marin ne pouvant, malgré sa bonne volonté, conserver la place de secrétaire-général de la librairie avec celle de rédacteur et directeur de la Gazette de France, a été obligé de renoncer à la première. Elle a été donnée au sieur Le Tourneur, le noir traducteur des tristes Nuits du docteur Young. C’est M. le chancelier qui a conféré cette place. M. de Sartine, chef de la librairie, dont cet homme de confiance doit être le bras droit, est très-piqué qu’on lui ait ôté la liberté de mettre en ce poste quelqu’un qui lui convînt.

15. — La suspension de l’introduction de la Gazette d’Utrecht n’a été que très-courte, ainsi qu’on l’avait annoncé ; elle reparaît en cette capitale depuis la fin du mois dernier.

Le Courrier du Bas-Rhin ou Gazette de Clèves ne paraît plus en cette capitale depuis le dimanche 13, que l’ordinaire a manqué : on ne sait pas encore au juste les motifs de cette exclusion.

16. — M. l’archevêque de Paris a fait ses plaintes à M. le lieutenant-général de police sur le nouveau spectacle d’Audinot, dont on a parlé. Le Triomphe de l’Amour et de l’Amitié, qui attire tant de monde, n’est autre chose que l’opéra d’Alceste réduit et proportionné à ce théâtre. Comme il y a un grand-prêtre et un chœur de prêtres, que l’habillement de ceux-ci ressemble aux aubes des nôtres, on a fait entendre au prélat que c’était tourner en dérision les ministres de notre religion auguste ; ce qui a donné lieu à sa lettre. Sur quoi le sieur Audinot représente à la police que sur tous les théâtres on a vu des prêtres et des sacrifices ; qu’à l’Opéra cela se pratique tous les jours ; qu’on ne représente point Athalie à la Comédie Française, que toute la pompe des anciennes cérémonies judaïques n’y soit développée. M. de Sartine n’a encore rien prononcé, et la pièce se continue.

17. — Le sieur Marin a pour adjoint à la rédaction de la Gazette de France, et à la direction de la manutention des fonds, M. Collet, ancien secrétaire du cabinet de feu madame l’Infante, duchesse de Parme, chevalier de l’Ordre du roi. C’est un homme de lettres, connu par une pièce en un acte, jouée à la Comédie Française en 1757, intitulée l’Île déserte.


19. — Le discours censuré par l’Arrêt du Conseil[308] renouvelle les regrets des Académiciens, qui sont très humiliés de cet événement. Ceux qui ne sont point de la cabale encyclopédique lui imputent cette disgrâce. Ils lui reprochent d’avoir voulu, à quelque prix que ce fut, couronner M. de La Harpe, qui n’avait pas fait le meilleur Éloge de Fénélon, mais qui avait plu à ces Messieurs par la liberté de sa façon de penser et la hardiesse de ses assertions. M. Duclos est celui qu’on trouve le plus répréhensible dans tout ceci. La fureur qu’a cet homme remuant de se mêler de tout et d’innover partout, lui fit annoncer, en 1768, à l’occasion de l’Éloge de Molière proposé, que l’on se passerait de l’approbation des deux docteurs de Sorbonne, toujours exigée jusque-là. Il est vrai que le sujet semblait peu digne de la gravité des théologiens, mais c’était à eux à se refuser à cette censure, s’ils ne la jugeaient pas de leur ressort, et non à l’Académie à s’y soustraire.

*Cet événement ne contribue pas peu à accréditer le sentiment de ceux qui pensent que le système du Gouvernement actuel est d’étendre le despotisme jusque sur les esprits, en nous replongeant doucement dans les heureuses ténèbres dont nous sommes sortis pour notre malheur. Voilà différentes mortifications données à l’Académie, bien propres à matter l’amour-propre des beaux esprits, tandis qu’on prend d’autres moyens plus efficaces pour les décourager et les faire se tourner vers d’autres objets que les lettres.


20. — Consultation pour Simon Sommer, par Me Linguet. Simon Sommer, charpentier à Landau, s’est marié au mois de mai 1761, à Élisabeth Ultine, fille du village d’Obersbach. Ce malheureux, quoique âgé de vingt-deux ans seulement et d’une figure agréable, fut six mois à éprouver des refus de la part de sa moitié, jeune et jolie, avant de pouvoir jouir de ses droits. À peine eut-elle consenti à devenir la femme de son mari, qu’elle parut vouloir être celle de tout le monde. Au bout de trois ans d’une vie scandaleuse, elle s’attacha à un sergent du régiment de Lochman, suisse, avec qui elle a déserté. Tous deux se sont retirés en Prusse ; on est en état de prouver qu’ils y ont contracté un mariage en forme. Sommer n’a conservé du sien qu’un enfant. Il n’a que trente-un ans : il est vigoureux ; que doit-il faire ? Sera-t-il réduit à maudire le reste de sa vie les présens de la nature ? ou cherchera-t-il dans le libertinage des ressources que permet la politique, mais que la religion défend ? En un mot, placé entre le crime et le désespoir, comment se dérobera-t-il à cette cruelle alternative ?

Le consultant cite des États où le divorce est permis : il s’appuie de différens passages de l’Écriture qui sont favorables à sa demande : il réfute, il commente, il interprète ceux qui lui sont contraires : il a recours aux Pères de l’Église, d’où il tire aussi des autorités : il prétend que des conciles mêmes on peut inférer des inductions lumineuses sur cette question, et il trouve les décisions de quelques-uns absolument concluantes pour lui. Il continue par établir que le divorce n’est contraire ni à la loi des Juifs, ni à celle du christianisme ; qu’il ne choque ni l’Ancien ni le Nouveau Testament ; que la primitive Église n’a jamais balancé à permettre les dissolutions des mauvais mariages, et que la politique a été d’accord avec elle sur cet objet ; que jusqu’au dixième siècle, la même façon de penser s’est perpétuée chez tous les législateurs catholiques. Il finit par les raisons qui doivent autoriser le divorce, la meilleure manière de le supprimer étant de le permettre.

Tel est le résumé du Mémoire du prétendu charpentier, qui n’est qu’un extrait du Cri de l’honnête homme[309], ouvrage publié il y a environ deux ans et demi, et composé par le premier magistrat d’une ville de province de second ordre, qui, obligé de se séparer de sa femme, à cause de ses débordemens, fit beaucoup de recherches sur cette matière, et en fit part au public dans le temps.

22. — *On a parlé beaucoup dans le public du portrait en pied de Charles Ier, roi d’Angleterre, par Vandyck, acheté, il y a quelques mois, vingt mille livres par madame la comtesse Du Barry. Cette dame l’a placé dans son appartement auprès de celui du roi, et il paraît que ce n’est pas sans dessein. On assure que toutes les fois que Sa Majesté, revenant à son caractère de bonté naturelle, semble fatiguée de sa colère et se tourner vers la clémence, elle lui représente l‘exemple de l’infortuné monarque ; elle lui fait entendre que peut-être ses Parlemens se seraient-ils portés à un attentat de cette espèce, si M. le chancelier ne lui avait fait entrevoir leurs complots insensés et criminels, et ne les avait arrêtés avant qu’ils fussent montés au degré de noirceur et de scélératesse où ils auraient pu parvenir. Quelque absurde, quelque atroce que soit l’imputation, elle renflamme le prince pour le moment, et c’est du pied de ce tableau que partent les foudres destructeurs qui vont frapper la magistrature et la pulvériser dans les extrémités les plus reculées du royaume.

On sent parfaitement qu’une calomnie aussi atroce, aussi réfléchie, aussi combinée, ne peut partir du cœur tendre et ingénu de madame la comtesse Du Barry, et que les alarmes qu’elle donne au roi lui sont inspirées à elle-même par des conseillers d’une politique aussi adroite qu’infernale. Cette anecdote, justifiée par les événemens, est attestée par des courtisans dont le témoignage est d’un grand poids.

24. — Mademoiselle de Bourbon, fille du prince de Condé, et dans l’enfance encore, a un goût singulier pour la maçonnerie. Elle est à Vanvres, où le prince son père faisait faire quelques bâtimens et réparer le château[310]. Elle se fait affubler d’un sarreau de toile ; elle met de mauvais gants, et, dans cet accoutrement, elle porte le mortier, elle manie la gâche, et se plaît à faire l’office de manœuvre. C’est ce qui a donné lieu aux vers suivans :

D’un enfant l’instinct malfaisant
Trop souvent le porte à détruire,

Princesse, ton goût, en naissant,
Est d’élever et de produire.

Un palais, dans tes nobles jeux,
Réparé de tes mains fragiles,
Nous rappelle ces temps heureux
Où les dieux bâtissaient des villes.

À leur exemple, tes loisirs
Nous annoncent ta bienfaisance ;
Mais le temps vient où ton enfance
S’occupera d’autres plaisirs.

Quand Jupiter eut fait le monde,
Ce ne fut pour ainsi rester :
Du sein de sa bonté féconde
L’homme sortit pour l’habiter.

Ce n’est le tout, de tes ancêtres
De réparer les vieux châteaux :
Pour les remplir il faut des maîtres :
Bourbon, voilà tes vrais travaux !

25. — Le sieur Loyseau de Mauléon, avocat, qui s’était fait une sorte de réputation par des Mémoires écrits avec beaucoup d’appareil, et toujours dans des causes extrêmement intéressantes, telles celles des Calas et de mademoiselle Le Monnier, vient de mourir très-jeune encore et d’une maladie de langueur, dans laquelle l’avait plongé une passion très-vive pour une femme qui n’y avait pas répondu. Il avait quitté le barreau depuis quelque temps. Il avait obtenu une commission de Maître des Comptes à la Chambre de Nancy, et acheté la charge de Procureur général de M. le comte de Provence. C’était le fils d’un laquais parvenu, et qui avait acquis de la fortune. Cet avocat, et son frère, aujourd’hui fermier-général, s’étant mis dans la tête de s’illustrer, avaient obtenu des lettres de réhabilitation, par lesquelles ils descendaient de l’ancienne famille de Loyseau. Au surplus, celui-ci avait fait sa profession très-noblement. Uniquement curieux de gloire, il ne se chargeait que de causes célèbres, et presque toujours gratuitement : en outre, comme il était peu foncé dans la jurisprudence, il s’attachait surtout à celles qui, par tournure romanesque, prêtaient à l’imagination, et se décidaient plus au tribunal du cœur qu’à celui de l’esprit, plus par le jeu des passions que par la force des raisonnemens et des autorités.

26. — Voici le temps qui approche où l’Académie Française doit procéder à l’élection du successeur de M. le comte de Clermont. Beaucoup de candidats, suivant l’usage, sont sur les rangs ; mais depuis l’aventure du sieur de La Harpe, le sieur Lemière augmente ses prétentions. Il disait l’autre jour dans une société, avec une emphase poétique, que sa tragédie d’Hypermnestre, la seule qui ait réussi, lui donnerait l’entrée ; que son trident de Neptune[311] lui ouvrirait le passage, et qu’enfin les vers deson poëme de la Peinture le pousseraient par le c… « — On a donc toujours eu raison de dire, reprit en ce moment avec vivacité l’abbé Delille, traducteur des Géorgiques, et aussi aspirant, que tes vers étaient des b…… de vers. » Cette saillie, peu décente dans la bouche d’un abbé, et exprimée en termes grossiers, parut extrêmement heureuse pour la critique fine et judicieuse, et fit beaucoup rire par sa tournure grivoise.

27. — Madame la comtesse Du Barry commence à manifester de plus en plus la protection éclatante dont elle veut honorer les arts, par son influence sur tout ce qui y a quelque rapport. On annonce que c’est elle aujourd’hui qui veut se mêler de la Comédie Française, et qu’elle daignera entrer dans tous les détails des divers projets, en sorte que les gentilshommes de la chambre ne seront qu’en sous-ordre avec elle.

29. — Extrait d’une lettre de Fontainebleau du 27 octobre 1771. « La comédie de l’Ami de la maison, exécutée pour la première fois, hier samedi, sur le théâtre de la cour, n’a pas eu le succès qu’on s’en promettait. C’est un opéra comique en trois actes et en vers libres, mêlé d’ariettes. Le principal personnage est une espèce de Tartufe, qui, sous le masque de la philosophie, s’étant impatronisé dans une maison, subjugue la maîtresse, et profite de cet enthousiasme pour séduire la fille, dont il est l’instituteur, supplanter un amant convenable et bien assorti, et l’épouser. Heureusement celle-ci, quoique novice, plus fine que lui, lui suggère une démarche qui le décèle et manifeste ses vrais sentimens. Il se voit berné ; et, pour se tirer adroitement et avec honnêteté du mauvais pas où il s’est engagé, il travaille lui-même à réunir les deux amans, qu’il voulait séparer d’abord, et fait tourner à leur profit la confiance que la mère conserve en lui jusqu’au bout.

« Ce caractère principal, peu neuf et assez froid, glace le reste de la pièce, où l’on distingue pourtant deux trois morceaux charmans, une scène assez gaie et bien filée, enfin un dénouement adroit et ingénieux, quoique peu naturel.

« Quant à la musique, tout en a paru de la meilleure composition. L’ouverture a produit un grand effet : on a été vivement ému de plusieurs adagio très-tendres, mais qui, trop répétés, ont dégénéré en monotonie. Tel est le jugement de la cour, communément en contradiction avec celui de la ville.

« Le sieur Marmontel, de l’Académie Française, auteur des paroles, était présent, l’épaule haute, le sourcil élevé, la bouche béante. Il semblait prêt à dévorer l’acteur qui eût bronché dans son rôle. On a été surpris de la prétention qu’annonçait sur une pareille misère ce poète devenu philosophe, et se livrant actuellement à l’instruction la plus sublime du genre humain.

« L’activité du sieur Grétry, auteur de la musique, se distinguait par des attitudes plus vives et plus variées. Il battait la mesure, et tout le désordre de sa personne caractérisait l’intérêt qu’il prenait à la chose. Son amour-propre a paru mieux fondé, d’autant que le succès de ces jolis riens est dû, presque toujours, uniquement au musicien. »

30. — Le sieur De Monville, financier très-renommé par son luxe et par ses prodigalités, ne l’est pas moins par son adresse à tous les exercices du corps. Il s’est exercé depuis quelque temps à tirer de l’arc, à la manière des sauvages, et à chasser avec des flèches. Il s’y est perfectionné au point de faire les gageures les plus fortes. M. le duc de Chartres lui ayant fait l’honneur de parier contre lui qu’il ne tuerait pas en dix coups un faisan au vol, le jour de l’expérience a été indiqué, la semaine dernière, au bois de Boulogne, à la Muette. Un grand concours de spectateurs s’y est rendu, et, du premier coup, le chasseur a percé l’oiseau ; il a manqué les neuf autres coups.

31. — On parle beaucoup d’une comédie que répètent aujourd’hui les Italiens, dont la musique est de la composition du petit d’Arcy, jeune homme de onze ans, qui a déjà déployé ses talens au concert spirituel, où il a exécuté sur le clavecin différentes pièces de sa façon avec l’indulgence du public.

Ier Novembre. — *M. le vicomte d’Aubusson, enflammé d’un enthousiasme patriotique, pareil à celui de M. le comte de Lauraguais, a fait un mémoire sur la révolution du Gouvernement actuel, dans lequel il s’explique avec autant de force que de libert[312]. L’atteinte portée aux propriétés est le principal objet de ses réclamations. Il a fait imprimer son ouvrage et il l’a envoyé aux ministres, aux princes, aux grands du royaume, et à ses amis. Il ne se vend point. M. le lieutenant-général de police a écrit à ce seigneur, et, au lieu de le mander très-poliment, comme il s’en est arrogé le droit vis-à-vis des particuliers et même des magistrats démis, il lui a demandé l’heure où il pourrait le voir. M. le vicomte d’Aubusson lui a répondu que, sachant les occupations importantes dont un magistrat comme lui était chargé, il ne voulait point lui faire perdre des momens aussi précieux, qu’il aurait l’honneur de l’aller voir à une heure indiquée. Le sujet de cette conversation était le mémoire en question, dont M. de Sartine avait discuté le fonds et la forme. Quant au fonds, l’auteur a répondu que c’était sa façon de penser, et qu’il ne croyait pas devoir la dissimuler ; par rapport à la forme, c’est-à-dire à l’impression, il a répliqué qu’il n’ignorait pas les défenses de faire imprimer sans permission, mais qu’elles ne concernaient que les libraires ou autres gens qui vendaient leurs ouvrages ; que la manière, le lieu et les coopérateurs de cette impression étaient son secret, et il l’a prié de trouver bon qu’il ne lui en donnât aucune connaissance. Ainsi a fini cette entrevue, dont M. le lieutenant-général de police a sans doute rendu compte au ministre, et qui n’a produit encore aucun effet.

2. — *M. le duc d’Aiguillon écarte insensiblement de son département tous ceux qui passaient pour créatures de M. le duc de Choiseul, ou que leur attachement connu à son prédécesseur lui rend suspects. C’est par ce motif qu’on assure que M. de Rulhières vient de perdre sa place et la pension qu’il avait sur les Affaires Étrangères. Cet homme de lettres, connu par des pièces de poésie, l’est surtout par une histoire qu’il a écrite de la dernière révolution de Russie, dont il a été témoin oculaire, comme secrétaire d’ambassade alors résident en cette cour. Cet ouvrage, encore manuscrit, est, au gré de tous les connaisseurs qui en ont entendu la lecture, digne d’être comparé aux plus beaux morceaux de Salluste et de Tacite. M. le duc de Choiseul, qui connaissait tout le prix de l’écrivain, avait jugé à propos de l’attacher à son ministère, comme un homme de talens très-distingué dans cette partie.

On prétend que l’impératrice des Russies a fait faire à M. de Rulhières les offres les plus séduisantes pour l’engager à se dessaisir de son manuscrit, mais qu’il a répondu à cette souveraine qu’il lui était impossible de la satisfaire, le double de son histoire se trouvant entre les mains d’un ami dont il ne pouvait le retirer. Il a, du reste, assuré Sa Majesté Impériale que son ouvrage ne verrait jamais le jour de l’impression du vivant de l’auteur[313].

3. — Des curieux ont ici des morceaux de ce rocher épouvantable que l’impératrice de Russie a fait transporter à Saint-Pétersbourg, pour servir à la fameuse statue de Pierre-le-Grand, dont est chargé le sieur Falconnet, sculpteur. C’est une espèce de granit, dont la pesanteur calculée selon les proportions de la masse entière, donne un résultat de trois milliards deux cents milliers. Le transport de ce rocher énorme, traîné plus de quarante lieues de loin, surpasse de plus de deux tiers les travaux des Romains en pareil genre, puisque l’obélisque le plus énorme qu’ils aient voituré n’avait que neuf cents milliers de poids.


4. — L’ouvrage de M. le vicomte d’Aubusson a pour titre : Profession de foi politique d’un bon Français, avec cette épigraphe : Vox clamantis in deserto. Elle a trente-six pages et est souscrite ainsi : Ita sentiebat rusticanus vir, Petrus Arnoldus, vice-comes Albusensis, anno Domini 1771.

Cette brochure est suivie d’Essais du simple bon sens sur la Théorie des lois civiles et sur l’économie politique des États policés, par un membre externe de la Société d’Agriculture de Brive-la-Gaillarde. Ceux-ci contiennent quarante pages.

5. — On a donné hier, au Théâtre Français, la première représentation du Bourru bienfaisant, comédie en trois actes et en prose, du sieur Goldoni. Le nom de cet auteur, très-connu en Italie, son âge de plus de soixante ans, et la douceur de ses mœurs, lui ont mérité la bienveillance du public, très-bien disposé pour un étranger qui composait pour la première fois dans notre langue, et la pièce a été beaucoup mieux reçue et plus applaudie que de la part de tout autre. Elle est dans le goût de celles qui forment son théâtre, plutôt un canevas dont les situations ne sont qu’indiquées, qu’un ouvrage fini : pathétique par le fond, comique seulement par l’accessoire ; joliment conduite, mais dont l’intrigue commune n’excite que la curiosité de voir le dénouement de l’imbroglio, extrêmement compliqué par la diversité des intérêts qui se croisent. Le principal caractère ressort moins, parce qu’il n’est pas contrasté ; tous les autres se développent faiblement, et lui sont par trop subordonnés. En général, ils ont tous une teinte uniforme de probité et de vertu, qui ôte à l’auteur la ressource féconde des oppositions si nécessaires au théâtre, et qui en produisent les grands effets. En un mot, il n’y a point ce vis comica, ce piquant de la critique, qui anime et satisfait la malignité du cœur humain. Le dialogue est extrêmement naturel, et c’est une des premières qualités de l’auteur ; mais le ton trop élevé sur lequel se sont montés nos comiques modernes, a fait paraître celui-ci trivial et plat à quantité d’amateurs.

6. — Le feu Père Griffet, Jésuite très connu par la célébrité qu’il a eue, ayant entrepris dans un de ses ouvrages[314] de prouver que MM. de Rohan ont eu le titre de princes, aussitôt que les princes étrangers ont commencé à user de cette dénomination pour caractériser leur naissance, et qu’ils en ont eu de tout temps le rang et les honneurs, un auteur anonyme a publié, l’année dernière, un mémoire[315] dans lequel il prétend faire connaître, par des principes constans et des faits incontestables, que ces prétentions n’ont aucun fondement ; qu’il n’y a point, en France, de rang intermédiaire entre la famille royale et la noblesse ; que MM. de Rohan n’ont jamais eu d’autre titre et d’autre rang en Bretagne, du temps de ses ducs, ni en France, depuis sa réunion la couronne, que ceux qui sont communs à toute la noblesse. Comme ce mémoire a jeté beaucoup d’incertitude sur l’assertion du père Griffet pour la plupart des lecteurs, la maison de Rohan se propose de faire paraître incessamment une réponse, appuyée de titres et de pièces probantes qui justifieront ses droits.


7. — Suivant le rapport de ceux qui se sont trouvés à la cour, le samedi 2 novembre, à la représentation du Faucon, cette pièce a été huée, malgré le respect dû au lieu. Elle a paru si indécente et si ignoble, que tout le monde en a été révolté. Le sieur Sédaine est fort humilié.

8. — *M. le vicomte d’Aubusson est un homme d’environ cinquante ans. La délicatesse de sa santé et la fierté de son âme l’ont toujours empêché de se livrer aux intrigues de la cour et de suivre la route que sa naissance lui ouvrait à la fortune et aux honneurs. Grand propriétaire de terres, ses vues se sont tournées du côté de l’agriculture, et, après avoir combiné dans le silence tous les avantages de cet art pour la prospérité d’un État, il a senti de quelle importance il était de lui conserver une entière liberté. C’est à l’occasion de l’atteinte qu’il lui voit portée par contre-coup dans la révolution actuelle, qu’il a cru devoir ouvrir les yeux à ses concitoyens et au ministère, en communiquant ses idées à cet égard. Elles sont fortes, lumineuses, hardies ; mais, ainsi que la plupart des politiques, il détruit plus aisément qu’il n’édifie. Dans la seconde partie de son ouvrage surtout, il annonce un projet[316] pour liquider promptement les dettes de l’État, sans mettre d’impôt, et avec tous les avantages possibles, sans y trouver aucunes difficultés que sa simplicité. Comme il ne donne pas le mot de l’énigme, et que la raison de son silence est fondée uniquement sur ce que dans ce siècle incrédule on lui rirait au nez, on serait tenté de regarder ce système comme une rêverie, si le surplus de cet écrit ne partait d’une tête trop bien organisée pour en juger aussi légèrement, sans connaître toutes ses ressources.

9. — Tout le monde a lu les éloges outrés dont M. de Voltaire accablait M. le duc de Choiseul, et l’on sait avec quelle adulation basse il exalte aujourd’hui M. le chancelier et ses opérations. Le premier n’a pas cru pouvoir mieux se venger de ce perfide vieillard que par une plaisanterie, qu’il s’est permise sur son compte ; il égaie par le ridicule la noirceur du vice de l’ingratitude, dont l’apôtre de l’humanité s’est rendu coupable envers son bienfaiteur. Le ministre disgracié a fait élever, dans son château de Chanteloup, une girouette à la mode, qui marque les quatre vents cardinaux. Elle est surmontée d’une tête modelée sur celle de M. de Voltaire, et, jouet mobile des airs, elle tourne sans cesse au gré des aquilons. On sent aisément l’allusion de cet emblème[317].

— On écrit de Fontainebleau que le Bourru bienfaisant y a été joué devant le roi le mardi, 2 de ce mois, et que cette comédie a été très-bien accueillie ; qu’elle a fait rire et pleurer alternativement par des transitions douces qui ne donnent point à l’âme ces secousses convulsives qu’occasionent les drames modernes. Ainsi la cour et la ville se sont trouvées d’accord en matière de goût, ce qui arrive rarement. Au surplus, c’est peut-être par cet esprit de contradiction que la comédie en question, le lendemain mercredi, n’a pas reçu à Paris les mêmes applaudissemens que le premier jour. Le nombre des spectateurs avait déjà diminué beaucoup, et certains connaisseurs prétendent qu’on revient des éloges trop forts prodigués à l’auteur.

11. — *Il nous est arrivé de l’étranger, depuis quelque temps, un nouveau livre ayant pour titre : De la Consttution de l’Angleterre, avec cette épigraphe : Ponderibus librata suis. Il est précédé d’une épître dédicatoire à milord, comte d’Abingdon, pair d’Angleterre, datée de Londres le 24 décembre 1770, et signée De Lolme, nom qui paraît être celui de l’auteur. Dans cet ouvrage, un des meilleurs en politique qui ait paru depuis long-temps, l’écrivain remonte aux causes qui ont produit la liberté anglaise, et établit celles qui la maintiennent.

Il distingue trois grandes époques dans l’histoire de cette Constitution : le règne de Jean Sans-Terre, celui d’Édouard Ier, et l’expulsion de Jacques II, ou plutôt l’exaltation sur le trône de la maison de Brunswick. Dans la première, la Grande Charte indique les bornes où devait se renfermer le pouvoir du roi. Dans la seconde, on trouve le premier exemple de l’admission des députés des villes dans le Parlement ; nouvelle barrière élevée contre le même pouvoir. Enfin la révolution de 1688 acheva d’en fermer l’enceinte : c’est alors que la Grande-Bretagne donna le rare spectacle d’un contrat primitif et formel entre le peuple et le souverain.

La Constitution de cet État est indélébile, suivant l’auteur, parce qu’elle est dictée par la nature elle-même ; qu’elle est de plus décidée par une forme très-marquée de gouvernement, ayant par conséquent pour nouvel appui l’opinion, cette cause puissante qui maintient les Gouvernemens les plus absurdes, qu’elle a l’attachement d’une nation éclairée, et que, par le balancement de toutes ses parties, elle regagne nécessairement d’un côté ce quelle perd de l’autre.

Ce traité court, précis et rapide, est soutenu d’un style animé et vigoureux. L’écrivain s’est quelquefois permis des termes nouveaux, non par un néologisme ridicule, mais pour mieux rendre la pensée, et lui donner plus d’énergie, ce qui arrive presque toujours. Ceux qui n’auront pas lu l’ouvrage en question seront surpris de la sévérité avec laquelle le Gouvernement en empêche l’introduction ; mais, pour peu qu’on le parcoure, on en trouvera aisément les raisons.

12. — *L’objet des écrivains patriotiques est de s’opposer au projet du chancelier, qui commence à s’effectuer par la faiblesse de certains magistrats qui se font liquider[318]. Dans une Lettre d’un Français au victimes d’Ébroin, en date du 20 octobre 1771, on traite la matière fort amplement. Elle porte pour épigraphe ce fameux axiome : Nobis cunctando restituit rem.

Cet écrit, dont l’extrait serait trop long, est plein de choses, de raison et d’éloquence, et bien propre à faire impression sur tous les magistrats qu’un intérêt personnel, que la crainte ou l’espérance n’aveugleront pas.

14. — On écrit de Fontainebleau que Zémire et Azor ou la Belle et la Bête, opéra-comique nouveau, y a été exécuté sur le théâtre de la cour, le samedi 9, avec beaucoup de satisfaction de la plupart des spectateurs. On en a été si content qu’on l’a donné une seconde fois. La musique, du sieur Grétry, a fait le succès de ce petit ouvrage, dont les paroles sont du sieur Marmontel. La fameuse décoration de diamans a été employée à cet occasion, et elle a paru encore plus superbe et plus resplendissante par des additions et par un jeu plus brillant donné aux pierres.

15. — Le sieur Gibert, membre de l’Académie des Belles Lettres, vient de mourir. Ce savant peu connu laisse deux places vacantes très-bonnes : celle d’inspecteur des domaines et celle de secrétaire de la pairie.

16. — *Plan d’une conversation entre un avocat et M. le chancelier. Ce dialogue roule sur les reproches que l’auteur de la brochure est censé recevoir du chef de la magistrature, à l’occasion de la suspension de ses fonctions[319] et de celles de son ordre. Il y prouve que le serment fait par lui et ses confrères d’observer les lois et ordonnances du royaume les oblige de s’abstenir de concourir directement ou indirectement à tout ce qui paraît leur être contraire ; que c’est par ce intime et irrésistible de leur conscience, que tous, sans assemblée, sans conventicule, ont tenu une conduite pareille, et sont unanimes sans s’être concertés. Il en tire un puissant argument contre son adversaire. Il fait voir que lorsque six cents personnes, dont plusieurs n’ont pas toujours les mêmes idées, soit sur les questions politiques et les points de droit public, soit même sur les querelles qui divisent l’Église de France, se réunissent dans une parti qui renverse leurs fortunes et leurs familles, il faut croire que cette unanimité si frappante entre tant de gens, d’âge, de caractère, de pays, de situation, de fortune et de sentimens différens sur tant d’autres points, porte sur quelque grand et respectable motif.

L’avocat part de là pour développer d’une façon lumineuse combien les opérations de M. de Maupeou sont contraires aux lois et au véritable intérêt du roi et de l’État. Celui-ci dans ses objections ou dans ses répliques, conserve ce ton mielleux et patelin que tout le monde lui connaît, et si bien soutenu dans la Correspondance secrète. Enfin, dans une espèce de péroraison de la plus grande vigueur, l’orateur s’échauffe, s’élève, s’enthousiasme, et bourre Sa Grandeur d’une prodigieuse force, au point que le chancelier, rendu à la méchanceté de son caractère, développe toute la noirceur de son âme, et exhale sa fureur en menaces.

17. — *Montbailli, veuve âgée de soixante ans, d’un embonpoint et d’une grosseur énormes, sujette à s’enivrer d’eau-de-vie, fut trouvée, le 7 juillet 1770, au matin, morte près de son lit, avec tous les symptômes d’une apoplexie subite, et des contusions, meurtrissures, blessures même, qu’elle s’était faites, probablement, en sortant de son lit et en se débattant. On était sur le point de l’enterrer, lorsqu’il s’éleva quelques rumeurs dans le peuple, à l’occasion d’une contestation, mue la veille, entre cette femme, son fils et sa bru. Ceux-ci sont accusés de parricide ; on les emprisonne séparément ; on visite le cadavre. Les médecins et chirurgiens de Saint-Omer disent unanimement que la mort a pu être naturelle. Les juges crurent les accusés innocens ; mais, pour ne point trop aller contre la clameur populaire, ils ordonnèrent un plus ample informé d’une année, pendant laquelle les accusés garderaient prison. Le procureur du roi appela de cette sentence au conseil d’Artois, a minima. Ces nouveaux juges, malgré les dénégation constantes, simples et uniformes du mari et de la femme, condamnent le mari à souffrir la question ordinaire et extraordinaire, à mourir sur la roue, après avoir eu le poing coupé ; la femme à être pendue, et tous deux jetés dans les flammes.

Montbailli fut envoyé à Saint-Omer pour y subir cet arrêt, prononcé le 9 novembre 1770, et il fut exécuté le 19 du même mois, en attestant jusqu’au dernier soupir son innocence et celle de sa femme. La femme, qui était enceinte, ne devait être exécutée qu’après ses couches. Son père et sa mère ont profité du délai pour demander un sursis à M. le chancelier, et l’ont obtenu sur une Consultation de treize avocats, et sur celle de M. Louis, célèbre professeur en anatomie.

M. de Voltaire vient de faire à cette occasion une brochure nouvelle, sous le titre de la Méprise d’Arras. Il y plaide la cause de l’humanité avec son éloquence et son onction ordinaires ; mais on découvre malheureusement que ce n’est qu’un cadre pour y enchâsser ses invectives, plus ordinaires encore, contre la magistrature et contre ses ennemis, qu’il déchire avec un acharnement inhumain[320]. Il profite aussi de l’occasion pour encenser M. le chancelier, et louer ses opérations de la façon la plus outrée et la plus basse.

18. — *Le Manifeste aux Normands est un écrit très-violent, mais plus fort encore de choses, de raisonnemens et de citations. C’est une espèce de tocsin pour annoncer à cette nation que les fondemens de toutes les propriétés des Normands sont attaqués ; mais que n’appartenant à la France que par le fameux pacte de 1204, la violation réfléchie de ce traité mutuel par une des parties contractantes le détruit, rend la province à son premier état ; qu’elle redevient partie de l’Angleterre, sa première patrie, ou bien libre d’en choisir une nouvelle.

19. — *Les écrivains patriotiques ne se lassent point de répandre des brochures en faveur de la cause qu’ils défendent ; ils ne craignent point de répéter les grands principes consignés dans tant d’ouvrages, sur la liberté naturelle de l’homme, sur l’imprescriptibilité de ses droits, sur l’origine des rois, sur le contrat social, etc. Ils espèrent que ce qui ne sera pas assez clairement expliqué dans une brochure, sera mieux développé dans une autre, et que si la première ne peut franchir les barrières de la prohibition, une seconde pénétrera. C’est sans doute par cette raison qu’un anonyme vient de faire une Réponse aux trois articles de l’Édit enregistré au Lit de justice du 7 décembre 1770. Ces trois articles sont :

« Nous ne tenons notre couronne que de Dieu ; »

« Le droit de faire des lois par lesquelles nos sujets doivent être conduits et gouvernés nous appartient à nous seuls, sans dépendance et sans partage ; »

« L’usage de faire des représentations ne doit pas être entre les mains de nos Officiers un droit de résistance, leurs représentations ont des bornes, et ils ne peuvent en mettre à notre autorité. »


La réfutation de ces maximes est d’autant plus aisé à faire qu’elle se trouve écrite déjà dans le cœur l’homme, et que tous les monumens historiques de nos annales concourent à la confirmer par le fait. Le pamphlet en question, de vingt et une pages, rempli d’une logique vraie, saine et lumineuse, roule cependant sur des choses trop communes et trop rebattues depuis un an, pour en faire une plus longue analyse.

21. — Le sieur Keyser vient de mourir. C’était un empirique fameux par ses dragées anti-vénériennes. M. le maréchal de Biron l’avait mis fort en vogue par l’expérience qu’il avait fait faire de son remède en faveur des soldats de son régiment, dont le grand nombre est souvent infecté des suites du libertinage et de la débauche. Il était devenu l’Esculape de cette troupe, et il y avait des hôpitaux établis dont il avait l’administration, et où il exerçait ses cures. La Faculté de Médecine, toujours opposée aux curations qui ne s’exercent pas suivant ses principes, avait beaucoup de ses membres adversaires du sieur Keyser ; en sorte que l’utilité de son remède n’était pas sans beaucoup de contradictions, et devenait un problème très-embarrassant pour ceux qui en auraient eu besoin, malgré l’avantage apparent qu’il présentait et les facilités à s’en servir, ainsi que le coût très-médiocre dont il était.

22. — *Nous y pensons, ou Réponse de MM. les avocats de Paris à l’auteur de l’avis Pensez-y bien. L’auteur y développe les raisons qui ont empêché les avocats de rentrer, raisons dont l’Ordre ne sent plus, sans doute, aujourd’hui la force victorieuse, puisqu’il a prêté le serment si désiré par M. le chancelier.


23. — On n’a pas manqué de chansonner les avocats sur la ridicule et honteuse démarche qu’ils viennent de faire. Voici le vaudeville qui court sur leur compte.

Qu’il vaL’honneur des avocats,
Qu’il vaJadis si délicats,
Qu’il vaN’est plus qu’une fumée.
Qu’il vaLeur troupe diffamée
Qu’il vaSubit le joug enfin ;
Qu’il vaEt de Caillard[321] avide
Qu’il vaLa prudence décide
Qu’il vaut bien mieux mourir de honte que de faim.

25. — M. le vicomte de Bombelles, officier au régiment de Piémont, a épousé, il y a quelques années, à Montauban, la fille d’un négociant protestant[322], et pour se conformer à la religion de la demoiselle, il a consenti que le mariage se fît dans le rit de sa religion, c’est-à-dire au désert, cérémonie proscrite par la loi en France, où les mariages des protestans sont déclarés nuls. Depuis, profitant sans doute de cette nullité, il s’est marié une seconde fois à Paris à une demoiselle Carvoisin, et la célébration s’est faite cette année avec toutes les cérémonies d’usage entre les catholiques. Un bruit sourd courait dès-lors qu’il avait déjà une femme ; mais il a nié constamment le fait, et il a passé outre. La demoiselle de Montauban attaque aujourd’hui ce second mariage : c’est ce qui fait la matière d’un procès important et curieux qu’on doit incessamment plaider au nouveau tribunal. Le sieur Linguet répand déjà un Mémoire en faveur de la première vicomtesse, et y déploie toute l’éloquence qui lui est ordinaire, à laquelle prête infiniment le sujet en question.


26. — *La fête donnée à madame la comtesse de Provence par madame la comtesse de Valentinois, ce mois, consistait en la représentation de Rose et Colas, opéra comique ancien, et que les acteurs du Théâtre-Italien ont exécuté. À ce spectacle a succédé un petit divertissement en trois actes, relatif à la convalescence de la princesse. L’abbé de Voisenon et le sieur Favart s’étaient évertués pour y faire de l’esprit. Le tout a été suivi de couplets, où, par un mélange infâme, ces auteurs ont associé sans pudeur aux éloges de madame la comtesse de Provence ceux du chancelier et de ses opérations, et conséquemment des épigrammes satirique contre les Parlemens et la magistrature. M. de Maupeou qui déroge sans cesse à la gravité de son état, n’a pas manqué de se trouver à la fête, ainsi que tous les ministres qui y avaient été invités.

27. — Bien des gens ignoraient ce qu’était devenu le sieur de Moissy, auteur connu, surtout par la Nouvelle École des Femmes, comédie assez jolie, et qui a eu beaucoup de succès au Théâtre Italien. On a su depuis qu’il s’est rendu à la Trappe, il y a quelque temps, et qu’il y avait passé deux mois, au bout desquels il avait été obligé d’en sortir, comme il arrive à presque tous ceux qu’un zèle indiscret et aveugle y conduit.

28. — L’opéra d’Amadis de Gaule, exécuté mardi dernier, et qui n’avait pas été remis depuis 1759, a attiré un monde prodigieux. C’est un des plus beaux de Quinault pour la composition et le spectacle, et de ce côté-là l’admiration ne s’est pas affaiblie ; mais les changemens faits dans la musique par les sieurs La Borde et Berton ont paru si disparates avec celle de Lulli, qu’il en est résulté une dissonance générale propre à révolter également partisans de l’ancien goût et ceux du nouveau.

29. — On vient de poser à l’hôtel des Monnaies, sur la principale porte de la rue Guénégaud, deux figures en pied, de grandeur naturelle, c’est-à-dire de six pieds environ, qui accompagnent les deux autres déjà placées, et représentent ensemble les Quatre Élémens. Ces deux dernières sont l’Eau et l’Air. La première est une Naïade, qui, la tête inclinée, tient un vase dont s’écoule un jet d’eau. La draperie de cette nymphe n’est pas ondoyante, comme il faut la supposer, et le fluide qui sort de l’urne n’a ni le transparent ni le mobile d’un liquide ; tout l’ensemble en est matériel ; on ne trouve rien de gracieux, rien d’élégant dans cette figure. Celle de l’Air a quelque chose de plus svelte. Elle est caractérisée par un pélican à ses pieds, oiseau fabuleux qu’on prétendait se nourrir de ce fluide, et que les poètes et les artistes ont adopté pour son emblème allégorique. La nymphe a les yeux tournés vers le ciel, et déjà le pied gauche levé ; elle semble disposée à s’élancer dans le vague de l’atmosphère ; mais sa draperie ne flotte pas assez, et n’a pas plus que celle de la première figure la légèreté, le jeu, la souplesse qu’elle devrait avoir. Ces ouvrages sont de M. Caffiéri, sculpteur estimable qui s’est distingué au salon dernier.

1er Décembre. — *Le sieur Jobard, avocat peu connu, s’est fait, il y a quelques jours, l’opération d’Origène. On raconte qu’ayant été, le lendemain de la Saint-Martin, à la prestation de serment, il a été depuis bourrellé de remords, et que, la tête échauffée par les reproches qu’il se faisait à lui-même, il n’a pu supporter les reproches encore plus sensibles d’une femme qu’il aimait et qui, dans le cours de ses apostrophes, lui a dit qu’il n’était pas digne d’être homme. C’est au sortir de cette entrevue qu’il s’est fait la cruelle amputation dont on parle ; elle est telle qu’on doute qu’il en puisse revenir[323].

2. — On a parlé des succès prodigieux qu’avait le spectacle forain du sieur Audinot. Il a attiré la jalousie de tant de concurrens, que, sans être interdit absolument, il a reçu un Arrêt du Conseil qui le réduit à sa première institution de spectacle populaire, lui interdit les danses et la plus grande partie de son orchestre.

3. — On a gravé une estampe satirique, représentant les quatre avocats qui ont été à Fontainebleau, députés par les vingt-huit[324]. Ils sont figurés en mendians, avec une inscription qui caractérise chacun d’eux. Sous le sieur La Goutte est le mot Avaritia, parce qu’il est vilain et ladre ; sous le sieur Caillard on a mis Cupiditas, pour exprimer son ardeur insatiable de gagner ; l’air de butor du sieur Colombeau est accompagné du mot Stupiditas, qui annonce que la bêtise a eu plus de part à sa défection que tout autre motif ; enfin le mot Paupertas annonce le motif pressant qui a déterminé le sieur La Borde, avocat du premier président d’Aligre, qui ne lui jamais donné aucun secours.

4. — *Les écrits répandus par ordre de M. le chanrelier en faveur de son système, dont le nombre s’était accru si rapidement, qu’en très-peu de temps on en comptait déjà quatre-vingt-neuf, avaient cessé depuis quelque temps. On ne sait si le cours en va recommencer avec la même abondance, mais on en voit déjà plusieurs sur toutes les boutiques de libraires. Celui qui se distingue est un pamphlet intitulé : Des droits de la Bretagne. Son objet est de motiver la réduction du Parlement de Rennes, en établissant que les États ont toujours réclamé contre l’augmentation du nombre des offices. Le scientifique y est assaisonné d’injures contre le Parlement, qui rendent la brochure merveilleusement piquante.

5. — Les libraires associés à l’impression du Dictionnaire Encyclopédique vont bientôt entrer en lice, au nouveau tribunal, contre M. Luneau, et la rentrée du sieur Gerbier leur permet de choisir en lui un défenseur sur lequel ils comptent beaucoup. En attendant, ils répandent une petite brochure intitulée : Réflexions d’un souscripteur de l’Encyclopédie, sur le procès intenté aux libraires associés à cet ouvrage par M. Luneau Boisjermain[325]. Cette brochure est spécieuse et mérite d’être distinguée.

6. — L’année dernière il parut un Mémoire sur les rangs et honneurs de la cour. Cet écrit fut occasioné par les disputes élevées à cet égard aux fêtes données en l’honneur du mariage de madame la Dauphine. Quoiqu’il fût anonyme, on sait très-parfaitement qu’il était de M. Gibert, de l’Académie des Belles-Lettres, et secrétaire de la pairie, mort depuis peu. L’auteur attaquait les droits et les privilèges des princes étrangers établis en France, et semblait surtout diriger ses traits contre les titres et prérogatives de la maison de Rohan. L’abbé Georgel, un des féaux de cette maison, a cru devoir en prendre la défense, et il vient de publier, avec son agrément, une Réponse à un écrit anonyme, intitulé : Mémoire sur les rangs et les honneurs de la cour. Elle a deux cent vingt-six pages in-8o, et est étayée de toutes les pièces justificatives.

7. — Voici le couplet chanté à la fête donnée par madame de Valentinois, et qui fait tant de bruit.

Malgré Discorde et ses noirs émissaires,
De la Justice ardera le flambeau ;
À la Chicane on rognera les serres,
DeEt Thémis sera sans bandeau.


Il est en centurie, comme on voit. C’est une Sibylle qui le débite à la suite de beaucoup d’autres, où l’on annonce aux Français le retour de l’âge d’or.

Le public n’est pas revenu de l’indignation qu’il a conçue contre l’abbé de Voisenon. Celui-ci, qui en a d’abord reçu les complimens de la cour et du chancelier, voudrait aujourd’hui tout mettre sur le compte du sieur Favart. Mais comme on sait que cet auteur fait tout en commun avec l’abbé, ainsi que sa femme, il n’est cru de personne. Il paraît constant qu’ayant été au Palais-Royal, pour détruire les fâcheuses impressions d’un pareil bruit, M. le duc d’Orléans, qui jusqu’à présent avait eu des bontés pour lui, lui a tourné le dos. L’abbé de Voisenon n’a pas été mieux accueilli de ses confrères à l’Académie Française. Ils n’ont osé s’expliquer avec la sévérité qu’ils lui auraient montrée en toute autre occasion ; mais l’accueil glacial qu’il en a reçu, lui a fait connaître ce qu’on pensait sur son compte. On ajoute qu’il a voulu entrer en explication, et que, dans le cours de sa justification, ayant dit, en se plaignant de la méchanceté de ses envieux, qu’on lui prêtait beaucoup de sottises… « Tant pis, monsieur l’abbé, a repris vivement M. d’Alembert, on ne prête qu’aux riches. »

Madame la comtesse de Valentinois n’est pas plus épargnée dans le public. On veut que madame la comtesse de Provence ait affecté de ne lui faire aucun remerciement ; que cette dame, piquée de ce silence, en lui rendant ses devoirs, lui ait demandé comment elle avait trouvé la fête qu’elle avait eu l’honneur de lui donner ? Sur quoi la princesse aurait répliqué avec étonnement : « Une fête à moi, madame ! je sais que vous en avez donné une dont j’ai pris ma part ; mais je ne vous en ai point remerciée, parce que j’ai cru qu’elle était pour madame Du Barry, ou pour M. le chancelier. » En effet, on sait que madame de Valentinois est, depuis le commencement de la faveur de madame Du Barry, une de ses complaisantes, et à cette fête elle lui fit des politesses et lui témoigna des attentions si marquées, que ce partage ne pouvait que paraître très-malhonnête et très-indécent à madame la comtesse de Provence. Quoi qu’il en soit, les dépenses que madame de Valentinois a faites à cette occasion sont bien compensées par quinze mille livres de pension qu’on vient de lui faire.

8. — Mademoiselle Dubois, actrice de la Comédie Française, qui par l’ancienneté, plutôt que par ses talens, se trouve aujourd’hui la première, avait resté long-temps sans jouer : une maladie grave, plusieurs rechutes, et les promesses ordinaires faites de sa part, in articulo mortis, entre les bras de son confesseur, de ne pas remonter sur le théâtre, faisaient craindre à ses partisans de ne l’y plus revoir. Mais ses sermens à Dieu n’ont pas eu plus de force que ceux à ses amans, et elle doit jouer aujourd’hui dans Zaïre. Le vrai est que ce n’eût point été une grande perte. Elle a une intéressante, le son de voix le plus harmonieux ; mais de grands bras, des gestes monotones et nulle âme : ce qui fait dire en jouant sur son nom, que c’était une actrice de bois, ou qu’elle n’était pas du bois dont on fait les bonnes actrices. Malgré cela, la nouvelle de sa rentrée au théâtre fait une grande sensation parmi les paillards, plus que parmi les connaisseurs ; et comme les premiers sont en plus grand nombre, c’est une fureur, et toute les loges sont déjà louées. figure

11. — Le chevalier de Choiseul, l’Alcibiade du jour épouse mademoiselle de Fleury, riche héritière de l’Amérique et nièce de madame la marquise de Vaudreuil. Ce Choiseul est vraisemblablement celui connu à la cour comme un très-beau danseur, qui, malgré la disgrâce générale de sa famille, s’y est conservé en faveur à force de bassesses, et sur lequel on avait fait le couplet suivant, il y a plusieurs mois,

Sur l’air : Margoton, tout de bon.

Le plus ingrat, le plus bas,
C’est le Choiseul aux entrechats.
Mais, quoiqu’on ne l’estime pas,
MaÀ danser on l’invite.
MaisPour les sauts,
MaisPour les sots
Mais Il a du mérite.

13. — Copie de la lettre du Conseil de l’École royale militaire, à M. de Bombelles, du 27 novembre 1771.

« L’École royale militaire, Monsieur, a été pénétrée de douleur en lisant le Mémoire que l’indignation et le désespoir viennent de publier contre vous. Si vous n’eussiez pas été élevé dans cette maison, nous ne verrions dans votre affaire avec la demoiselle Camp qu’une scène affligeante pour l’humanité, et nous la couvririons dans notre enceinte du voile de la pudeur et du silence ; mais nous devons à la jeunesse que le roi y fait élever, de lui inspirer pour vos égaremens toute l’horreur qu’ils méritent, et nous nous devons à nous-mêmes de ne pas paraître indifférens à l’éclat qu’ils font dans la capitale. Nous laissons aux ministres des autels, et aux magistrats, organes des lois, le soin de prononcer sur les liens que vous avez formés avec la demoiselle Camp ; mais il est un tribunal auquel vous êtes comptable des procédés que vous avez mis dans votre conduite avec elle : celui de l’honneur. C’est à ce tribunal, qui réside dans le cœur de tous les honnêtes gens, que vous êtes cité de toutes parts et qu’on vous condamne. Il est des erreurs que le feu de la jeunesse n’excusera jamais, et les vôtres sont malheureusement de cette espèce. Tous les Ordres qui composent cette maison, nous invitent non-seulement à vous le dire, mais encore à vous déclarer qu’il est dans le vœu commun que vous vous absteniez d’y paraître davantage.

« Nous sommes, etc. »

14. — M. Piron, quoique plus qu’octogénaire, conserve encore toute la vivacité de son esprit, et ses conversations sont une série continuelle d’épigrammes. Il en fait aussi par écrit : il n’a point oublié son éternel ennemi, M. de Voltaire, et de temps en temps il fait des hostilités contre lui. C’est dans un de ces accès de haine qu’il a décoché le sarcasme suivant, qu’on ne trouverait pas pardonnable, si la vieillesse de l’auteur ne l’autorisait en quelque sorte à plaisanter sur celle de son rival. Voici les vers du premier :

Sur l’auteur dont l’épiderme
Est collé tout près des os,
La Mort tarde à frapper ferme,
De peur d’ébrécher sa faux.
Lorsqu’il aura les yeux clos,
Car si faut-il qu’il y vienne,
Adieu renom, bruit et los :
Le Temps jouera de la sienne.

16. — *Outre l’épigramme qu’on a vue sur les avocats[326], on a fait les vers suivans :

Sur un méchant chariot traîné par l’Infamie,
La Honte pour cocher, pour postillon l’Envie,
Couverts de déshonneur, pleins d’amour pour l’argent,
Devers le chancelier cheminant lentement,
Quatre preux chevaliers[327] d’une bande perverse

Suppliaient monseigneur que, par sa grâce expresse,
À vingt-huit repentans il donnât le pardon.
« Je l’accorde, dit-il, plaidez, je suis trop bon ;
Plaidez ; mais, pour punir votre race parjure,
Avec les procureurs, enfans de l’imposture,
Soyez tous confondus, comme eux portez mes fers,
Renoncez aux lauriers dont vous fûtes couverts.
Je vous pardonne, allez, et que ma complaisance
Soit désormais le sceau de votre obéissance ;
Abaissez votre orgueil ; craignez de m’indigner…
Il entrait dans mon plan de vous exterminer. »
Honteux, légers d’honneur, chargés d’ignominie,
quatre mendians joignent la compagnie :
« Messieurs, leur dit un d’eux, on nous rend la parole ;
Nous pouvons tous plaider, mais un point me désole :
Désormais à la gloire il nous faut renoncer. »
Un chacun se regarde, on allait balancer :
Mais La Goutte à propos haranguant la cohorte ;
« Plus de gain, moins d’honneur, amis, que nous importe ?
Aux autres avocats laissons ce vain espoir,
Que l’ardeur de l’argent guide notre devoir.
Foulons aux pieds l’honneur ; est bien sot qui l’adore.
Nous vivions bien sans lui, nous vivrons bien encore. »

17. — La grande fermentation qu’occasionait dans le public la réduction du spectacle du sieur Audinot, si essentiel aux plaisirs de cette capitale, a produit son effet. On vient de lui conserver tous les accessoires dont il avait embelli son petit théâtre, moyennant douze mille livres de rétribution pour l’Opéra. La foule redouble chez lui depuis ce temps, et il ne peut suffire à la multitude des curieux.

18. — Les Comédiens Italiens ont enfin donné avant-hier Zémire et Azor. Le succès prodigieux de ce spectacle à Fontainebleau avait excité un concours de monde extraordinaire. Madame la duchesse de Chartres était à cette représentation, et a attiré les applaudissemens les plus universels, les plus soutenus et les plus flatteurs. En vain M. le duc de Chartres a cherché à se soustraire, par l’incognito, aux mêmes témoignages de tendresse et d’admiration, le cœur des spectateurs a trahi ce prince, et il a reçu aussi sa part des marques de la satisfaction publique.

La ville n’a pas été tout-à-fait d’accord avec la cour sur la pièce nouvelle. Plusieurs morceaux de musique ont allumé les plus vifs transports ; mais le total a paru triste et langoureux, et le drame n’étant pas soutenu par l’appareil et la magnificence des décorations, des ballets et des accessoires qu’il avait à Fontainebleau, a manqué une partie de son effet.

On a demandé l’auteur, suivant l’usage introduit depuis quelque temps. Il a eu peine à paraître ; mais le tumulte est devenu si grand, que le musicien s’est montré. Le sieur Grétry retiré, les mêmes brouhahas ont continué, et l’on a crié après l’auteur des paroles. Le sieur Marmontel ne jugeant point de la dignité d’un membre de l’Académie de paraître aussi, l’Arlequin est venu, et avec quelques lazzis il a calmé la bruyante cohue.

20. — M. Luneau de Boisjermain continue sa guerre contre les libraires. Il est occupé actuellement à escarmoucher contre le sieur Diderot, qui s’est immiscé comme un sot dans cette querelle. Il vient de donner une nouvelle édition augmentée de sa Lettre à ce savant, en date du 1er septembre. La précipitation avec laquelle il l’avait composée, ne lui avait pas permis de chercher toutes les pièces propres à justifier les faits énoncés dans cette lettre et d’y rassembler des anecdotes et des remarques très-curieuses. C’est ce qu’on trouve dans celle-ci, en date du 1er décembre. On y lit, entre autres choses, une lettre particulière de M. Diderot à M. Luneau[328], qui prouve que celui-ci a été le confident du premier, sur l’objet en question, au point de recevoir dans son sein des faits qui ne pouvaient être sus que de M. Diderot. Il y est question des sept derniers volumes de l’Encyclopédie charpentés, opération douloureuse faite par le sieur Le Breton aux chefs-d’œuvre de cet auteur, et qui lui avait fait jurer de ne plus travailler à l’Encyclopédie.

21. — On a donné cette semaine à Choisy un spectacle pour madame la comtesse Du Barry. Comme elle aime ce qui est extrêmement gai, on a choisi la Vérité dans le vin, pièce très-grivoise, du sieur Collé. Quantité de femmes de la cour qui ne connaissaient point cette comédie ordurière, ont été décontenancées, et cela a donné un divertissement d’une espèce particulière à madame la comtesse Du Barry.

4. — La Mère jalouse, comédie en trois actes et en vers, jouée aujourd’hui, pour la première fois, à la Comédie Française, n’a pas eu le succès dont se flattaient le sieur Barthe et ses partisans. Suivant l’usage des pièces trop prônées dans les cercles, elle a infiniment perdu à la représentation. Le caractère principal a paru absolument manqué, et les incidens amenés pour le faire valoir, n’ont servi qu’à mettre au jour la maladresse de l’auteur et son peu de connaissance des mœurs et des principes de la société. Les autres personnages n’ont pas été traités avec plus d’intelligence ; l’intrigue mal ourdie ne produit aucun intérêt, pèche contre les vraisemblances, et se dénoue aussi gauchement qu’elle est tissue. Beaucoup de longueurs, une marche continuellement embarrassée, des scènes oiseuses, ont jeté dans cette comédie un froid et un ennui mortel. Les connaisseurs ont vu avec douleur combien il fallait rabattre des espérances que la seconde comédie[329] de ce poète avait données sur son compte, ou plutôt ils ont conclu qu’il n’y avait aucune ressource dans la stérilité de son génie. Le style même est fort inférieur à celui des Fausses infidélités : souvent de l’entortillé, du précieux ; quelquefois du bas, et rarement le ton noble et vrai. Beaucoup de petits portraits de porte-feuille, placés à droite et gauche pour remplir les scènes, et exciter les applaudissemens, mais ne tenant en rien au fonds du sujet, et pouvant s’en détacher aussi aisément qu’ils y sont enchâssés. Enfin nulle invention, et de l’esprit prodigué mal à propos. Voilà le résultat de ce chef-d’œuvre, qui peut-être aurait été plus mal accueilli du parterre, sans la présence de madame la duchesse de Chartres et de M. le duc d’Orléans.

25. — Il n’est personne qui n’ait connu dans Paris une fameuse courtisane, d’une beauté rare, ci-devant mademoiselle Dufresne, et devenue madame la marquise de Fleury. Cette femme, après avoir été l’entretien de tous les cercles, après avoir vu à ses pieds tout ce que la cour et la ville avaient de plus grand et de plus riche, après avoir mangé la rançon d’un roi, est tombée par son inconduite dans une indigence extrême, et est morte sans secours. Elle laisse deux fils, dont l’un capitaine de dragons, et l’autre capitaine d’infanterie, qui portent le nom et les armes des Fleury.

26. — Tout ceux qui ont été au spectacle de Choisy la semaine dernière, attestent combien la pièce de la Vérité dans le vin était grivoise et a fait rire madame la comtesse Du Barry. Sa Majesté n’a pas paru y prendre le même plaisir. Cette dame se livrait cependant à tout ce qui pouvait égayer le roi, et cherchait à le délasser des occupations du trône, en le faisant jouer avec un petit chien. Le souper a été fort agréable aussi. Le sieur Larrivée et sa femme ont chanté pendant tout le repas des chansons sur le même ton que la comédie. Le roi était à la table à ressort[330] avec douze convives, dont trois dames seulement, madame la comtesse Du Barry, madame la maréchale de Mirepoix et madame la marquise de Montmorency. Madame Du Barry a continué à s’occuper de tout ce qui devait amuser Sa Majesté. Elle était entre le roi et M. le duc de Duras. Ce seigneur, très-excellent convive, a paru d’une folie charmante, et, quoique un des ducs protestans, de la plus grande intimité avec cette dame. On n’admet pas communément des profanes à ces petits soupers : cependant, par extraordinaire, il y en a eu ce jour-là, qui ont rapporté des détails intéressans. On ajoute que le vin y coulait à grands flots, et que tout contribuait à rendre la fête charmante ; que madame Du Barry montrait ce désir de plaire qui prête des charmes aux femmes les moins séduisantes, et jette un nouveau lustre sur la beauté.

27. — M. de Villoison, jusqu’à dix ans, a été élevé sans aucune instruction : il s’est évertué de lui-même à cet âge, et aujourd’hui, quoiqu’il n’ait que vingt-deux ans[331], il est un des plus savans personnages qu’on puisse voir en fait d’érudition. Il possède toutes les langues possibles. À l’élection du successeur de M. Gibert il avait eu les secondes voix ; mais comme cette faveur est ordinairement un droit à la nomination pour l’élection suivante, M. Duclos se leva, et, en rendant toute la justice possible au mérite du jeune candidat, déclara qu’il ne pouvait concourir à présent, d’après les statuts, dont il demanda qu’il fût fait lecture. Effectivement il y est dit, par une clause digne des siècles de barbarie, que tout académicien doit avoir vingt-cinq ans pour pouvoir être élu. Cette difficulté a arrêté dans ce moment-ci, qu’il y a deux places vacantes encore ; mais on a sollicité auprès du ministre une dispense d’âge, et l’on se flatte que M. de Villoison l’obtiendra : dispense non moins ridicule que le statut.


28. — *Supplément à la Gazette de France[332]. Du 8 novembre. Liste des nouveaux liquidés. Ce préambule peu important, puisqu’il ne contient que la notice de quatre membres du Parlement liquidés, est suivi d’une pièce plus curieuse ; c’est une Conversation familière de M. le chancelier avec le sieur Le Brun, le mercredi 13 novembre 1771, sept heures du matin. C’est une effusion de cœur entre le maître et son valet : celui-ci arrive à Paris ; il a assisté à la fameuse cérémonie de la messe rouge[333], à la rentrée du nouveau tribunal, et au gueuleton du sieur Berthier de Sauvigny. L’auteur se sert de ce cadre pour tourner d’abord en ridicule les personnages de la magistrature actuelle ; il entre ensuite en matière, et, par des aveux successivement développés, par des anecdotes intéressantes, il met au jour, de plus en plus, le génie oblique et tortueux de M. de Maupeou. Il fait voir que son ouvrage ne s’est avancé qu’à force de violences, de ruse, et d’impostures ; qu’il ne se sert que de petits moyens, d’un manège puéril, de manœuvres basses, et qu’étonné lui-même de ses succès, il en sent toute l’insuffisance. En un mot, on y met à nu l’âme de ce chef de la justice, et l’on sent quel spectacle ce doit être.

Cette plaisanterie, au fond très-sérieuse, n’approche pas de la Correspondance à beaucoup près ; l’écrivain n’en a pas tiré tout le parti qu’il pouvait, mais elle contient des faits très-importans à savoir ; elle révèle au grand jour quelques parties ténébreuses des projets de M. le chancelier, dont la connaissance doit décréditer de plus en plus son plan, et prouve qu’il n’a ni les grandes vues, ni les ressorts nécessaires à un génie ambitieux qui veut bouleverser un royaume, et que, d’un instant à l’autre, son édifice monstrueux, fondé sur la faiblesse et le mensonge, doit disparaître au moindre rayon de la vérité ou au premier effort de l’énergie nationale.

29. — M. Helvétius est mort, il y a quelques jours, d’une goutte remontée. C’était le fameux auteur du livre de l’Esprit, pour lequel il a essuyé tant de persécutions, ainsi que son censeur et ami M. Tercier[334]. On lui reproche de n’avoir pas reconnu, comme il convenait, l’importance du service qui avait coûté si cher à ce dernier, puisqu’il en avait perdu sa place de premier commis des Affaires Étrangères, et qu’il s’est trouvé ensuite fort mal à l’aise. Le philosophe, de son côté, avait été obligé de gauchir dans ses principes, et de donner aux dévots la satisfaction de le voir se rétracter. Il a paru se repentir de sa faiblesse dans ses derniers momens, où voyant qu’il n’y avait plus rien à dissimuler, il a refusé constamment de s’asservir au cérémonial usité dans pareil cas. M. le curé de Saint-Roch n’a pu convaincre cet incrédule : on ne lui a cependant pas refusé les honneurs de la sépulture chrétienne, ce qu’on craignait fort dans ce temps où M. l’archevêque a repris le gouvernement spirituel de cette capitale dans toute sa sévérité.

M. Helvétius avait été fermier général. Il quitta volontairement cette place, lors de son mariage avec mademoiselle de Ligniville, fille de qualité d’une des premières maisons de Lorraine, se trouvant assez riche et craignant de souiller son alliance par un titre aussi sordide. On remarqua dans le temps assez plaisamment, que le sieur La Garde, qui avait épousé la sœur, eut, en vertu de ce mariage, au contraire, un bon de fermier-général, et l’on dit que l’une refaisait ce que l’autre avant défait.

31. — Un particulier de cette capitale a imaginé un Almanach des gens de condition demeurant dans la ville de Paris, où il a rassemblé sans choix une infinité gens qui ne sont rien moins que de qualité, et qu’il appelle barons, comtes, marquis. Cela a l’air d’un vrai persiflage et jette un ridicule singulier sur maints bourgeois et financiers qu’on pourrait soupçonner d’avoir eu la faiblesse de se laisser ainsi titrer mal à propos. On en a porté des plaintes, et l’on ne doute pas que la police ne proscrive cette pitoyable rapsodie, qui cependant, améliorée et plus exacte, pourrait être utile.



1772.


2 Janvier. — *Vers à madame la comtesse Du Barry,

Qui a sollicité elle-même une pension pour M. le duc de Choiseul.

Chacun doutait, en vous voyant si belle,
Si vous étiez ou femme ou déité ;
Mais c’est trop sûr ; votre rare bonté
N’est pas l’effort d’une simple mortelle.
Quoi qu’ait jadis écrit en certain lieu
Un Roi-Prophète, en sa sainte démence,
Quoi qu’un poète en ait dit, la vengeance
N’est que d’un homme, et le pardon d’un Dieu.

4. — Il s’est trouvé au Palais, à Rouen, un papier dans lequel on diffamait tout le Conseil Supérieur par l’épigramme suivante :

Ici quinze Ifs[335] de toute espèce
Siègent pour être nos bourreaux,
Qui devraient porter sur le dos
Fleurs de lis qu’ils ont sous la fesse.

5. — On sait que M. Diderot est honoré des bontés particulières de l’Impératrice de Russie, et qu’il est en

quelque sorte son agent littéraire à Paris. Il s’est mêlé, en cette qualité, du marché fait pour cette souveraine du cabinet de tableaux de M. le baron de Thiers, qu’elle a acheté en entier. Cela a donné lieu à quelques conférences entre M. Diderot et les héritiers du défunt, au nombre desquels est M. le maréchal de Broglio, par sa femme. Ce maréchal, fort honnête, a pour frère le comte de Broglio, parfois très-mauvais plaisant. Un jour que ce dernier se trouvait à une conférence du philosophe avec M. le maréchal, il voulut le tourner en ridicule sur l’habit noir qu’il portait, et lui demanda s’il était en deuil des Russes ? — « Si j’avais à porter le deuil d’une nation, monsieur le comte, lui répondit M. Diderot, je n’irais pas la chercher si loin. »

7. — M. Saurin, membre de l’Académie Française, a lu, il y a quelques mois, à une assemblée publique, une Épître sur les inconvéniens de la vieillesse[336], dont le principal, suivant lui, était de survivre à ses amis. Il vient de donner une suite à cette Épître, à l’occasion de la mort de M. Helvétius, son bienfaiteur. Voici cette pièce :

Aux mânes de mon ami.

Ô toiÔ toi, qui ne peux plus m’entendre,
Ô toi, qui, dans la tombe avant moi descendu,
Ô toiTrahis mon espoir le plus tendre :
Quand je disais, hélas ! que j’avais trop vécu,
Qu’à ce malheur affreux j’étais loin de m’attendre !
Oh ! comment t’exprimer tout ce que j’ai perdu !
C’est toi, qui me cherchant au sein de l’infortune,
Ô toiRelevas mon sort abattu,
Et sus me rendre chère une vie importune.

Ta vertu bienfaisante égalait tes talens :
Tendre ami des humains, sensible à leurs misères,
Tes écrits combattaient l’erreur et les tyrans
Ô toiEt ta main soulageait tes frères.
Ô toiL’équitable postérité
Ô toiT’applaudira d’avoir quitté
Le palais de Plutus pour le temple des sages,
Ô toiEt s’éclairant dans tes ouvrages
Les marquera du sceau de l’immortalité.
Faible soulagement de ma douleur profonde !
Ta gloire durera tant que vivra le monde.
Que fait la gloire à ceux que la tombe a reçus !
Que t’importent les pleurs dont le torrent m’inonde !
Ô douleur impuissante ! ô regrets superflus !
Je vis, hélas ! je vis, et mon ami n’est plus !


8. — *On a toujours dit que les Français se consolaient de tout par une chanson. On commençait à craindre que la nation n’eût perdu son caractère ; mais un plaisant[337] nous prouve que cette terreur est vaine, et que l’on sait encore rire à Paris. Voici un vaudeville qui court, et contre l’auteur duquel on dit que le ministère fait des recherches sévères :

Air : Ma raison allait faire naufrage.

ÔChantons dans un badin vandeville
ÔLe retour des vertus qu’on aura ;
L’honneur gothique à la cour, à la ville,
Le sentiment, qu’on trouve de vieux style,
Ô Cela reviendra.

ÔAu barreau reviendra le silence,
ÔLa franchise au barreau renaîtra ;
Des avocats l’impayable éloquence ;

Des procureurs l’équité, l’innocence,
Ô Cela reviendra.

ÔTout revient, la pudeur, le courage,
ÔLa gaîté, les mœurs, et cætera :
Je sais même une demoiselle sage
Qui disait, en perdant son pucelage,
ÔCela reviendra.

ÔFrançais, ne perdez pas l’espérance,
ÔTout va bien, tout encor mieux ira :
La liberté, le crédit, l’abondance,
La candeur, les Jésuites, l’innocence,
ÔCela reviendra.

9. — *M. de Belloy a fait aujourd’hui son discours de remerciement à l’Académie Française. C’était M. le maréchal duc de Richelieu qui, élu directeur par le sort, devait lui répondre ; mais ce seigneur sentant qu’après la conduite qu’il a tenue il serait peu agréable au public, a jugé à propos de se soustraire à ses regards et à sa critique. C’est M. l’abbé Batteux qui a répondu.

10. — *Il se répand ici, très-clandestinement, une espèce d’Ode au roi[338], dans le goût des Chancelières. L’ouvrage est plus sagement fait, mais dénué de l’enthousiasme du genre, et dont on apercevait quelques étincelles dans le fatras barbare des deux autres. C’est une exhortation au monarque d’ouvrir les yeux, et de se rappeler les temps heureux où il était l’amour et les délices de ses peuples, temps qu’il peut encore faire renaître.

12. — Un serrurier a fait pour chef-d’œuvre un dais tout en fer. Il a six branches, qui se recourbent, se réunissent à un centre commun et se terminent par une couronne. Elle est accompagnée d’un feuillage qui circule autour, et l’ouvrage est si délicatement travaillé, si exquis, si poli, qu’il brille comme l’argent le plus pur. C’est le fruit de dix ans de travail. On en avait parlé à Sa Majesté, qui a voulu le voir, qui en a été si enchantée qu’elle se proposait de l’acheter pour l’église de Choisy, où il avait même servi. Cependant cet artiste ayant été longtemps sans toucher d’argent, a fait ses réclamations : il demandait cinquante mille livres. On a trouvé ce dais trop cher, et on le lui a rendu. Comme il désespère de trouver personne qui veuille l’acheter, il le montre au public pour vingt-quatre sous. C’est une chose digne de l’attention des curieux, et plus parfaite encore que ce qu’on a vu de plus admirable en ce genre.

— *M. de La Rochefoucauld, archevêque de Rouen, n’ayant pas voulu officier à la messe du Saint-Esprit lors de l’installation du Conseil Supérieur, s’est retiré à Gaillon, où il a une maison de campagne, et a si bien harangué son Chapitre, sans lui insinuer positivement de ne point accepter de places dans le Conseil Supérieur, qu’aucun chanoine n’y est entré.

Des farceurs ont joué le Conseil Supérieur et ont, en conséquence, été mis au cachot. La fermentation a été poussée au point qu’on a pendu en effigie M. de Crosne, intendant de la province et premier président du Conseil, et qu’on a fait courir un Arrêt imprimé, dans une forme très-légale, où il était condamné à être rasé par les trois Ordres réunis. Voici un nouveau placard épigrammatique, affiché à sa porte : nous le recueillons non comme une pièce de poésie merveilleuse, mais comme une pièce historique :

ChL’autre jour, Thiroux de Crosne
ChDe sa noblesse qu’il prône
ÔCherchait les titres précieux :
ÔUne enseigne assez mal dorée,
ÔDe deux bassins blancs décorée,
ÔVint aussitôt frapper ses yeux.
ÔDes services de ses grands pères,
ÔCe respectable monument
ÔLui fit voir en gros caractères :
« Céans, l’on fait le poil très-proprement. »

13. — Me Linguet se distingue au nouveau Parlement. Il paraît deux Mémoires imprimés de cet orateur, qui sont très-recherchés. Le premier est une Consultation pour M. le prince de Ligne, prince du Saint-Empire et d’Amblise, grand d’Espagne de la première classe, etc. contre l’abbaye royale de Corbie.

Le second, en faveur de madame la duchesse d’Olonne, contre le sieur Orourcke.

14. — *Depuis l’établissement des Conseils Supérieurs, d’habiles anagrammatistes cherchaient à retourner ce titre d’une façon ingénieuse et caractéristique. Enfin des divers essais de combinaison il est résulté les mots suivans : Vile corpus sine re.

15. — Madame Favart souffre beaucoup d’une maladie de femme, et plus encore d’une maladie d’actrice. Elle se trouve attaquée mortellement dans la partie qui a péché en elle. L’abbé de Voisenon, qui vit chez elle depuis plus de vingt ans, ne la quitte point et est dans les plus vives alarmes. Toute sa petite société n’est pas moins dans la douleur. Quant au public, il regrette peu une comédienne médiocre, qui avait long-temps usurpé une réputation sans qu’on sût trop pourquoi, et qui n’est plus que tolérée sur la scène, dont elle aurait dû, pour son honneur bien entendu, se retirer plus tôt.

17. — M. de Belle-Isle, secrétaire des commandemens et du cabinet de M. le duc d’Orléans, passe pour auteur d’un Mémoire de ce prince concernant ses domaines attaqués par M. le contrôleur général. Cet écrit, de quatre-vingts pages in-4o, qui fait grand bruit, est très-savant, très-profond, très-bien discuté ; mais on y fait tenir au premier prince du sang un ton de suppliant peu noble, surtout dans un moment où il doit réclamer la justice du roi et non implorer sa bonté.

19. — Tout est problème dans ce pays-ci, et les faits les mieux confirmés en apparence reçoivent ensuite des sens, des interprétations, des additions qui les dénaturent. Tel est le prétendu premier mariage de M. de Bombelles[339], contre lequel ses partisans réclament, et qui, par la tournure de longueur que prend l’affaire, devient extrêmement louche. On assure même aujourd’hui que mademoiselle Camp ne poursuivra pas un jugement qu’elle redoute. On produit une lettre de Me Linguet, son avocat, à M. de Bombelles, qui ne contribue pas peu à augmenter les doutes, tant elle est difficile à concilier avec le Mémoire qu’il a publié ensuite contre lui. On la donne pour authentique, elle est datée de Lucienne, le 4 juin 1771, ou cinq mois et huit jours avant la Consultation qu’il a signée pour la demoiselle Camp. On ne peut refuser, en journaliste impartial, d’en donner la copie.

« J’ai reçu avec la plus grande reconnaissance, et lu avec le plus vif intérêt le Mémoire que M. le vicomte de Bombelles a eu la bonté de m’envoyer. C’est quelque chose de bien singulier en effet que la hardiesse avec laquelle on ose le compromettre par des imputations de la nature de celles dont il se plaint. Peut-être est-ce son mariage même qui en est l’origine. Il est possible que quelques collatéraux du côté de madame son épouse aient conçu de l’inquiétude de cet événement, et qu’ils aient imaginé ce lâche et maladroit moyen pour se tranquilliser. Au reste, l’éclat même qu’ils auraient nécessité ne peut servir qu’à rendre leur honte publique, et à faire briller l’innocence du client, ainsi que les talens du défenseur.

« J’ai l’honneur d’assurer M. le vicomte de Bombelles du respect avec lequel je suis son très-humble et très obéissant serviteur. »

M. le duc de Chaulnes, ci-devant duc de Pecquigny, est, comme on sait, un grand sectateur des arts et des sciences ; il vient d’en donner, à ceux qui en seraient le moins convaincus, une preuve qui ne permet pas d’en douter. Il dissertait avec un Anglais, et chacun soutint son opinion avec tant de chaleur, que la dispute dégénéré en une vraie rixe : on en est venu aux armes, et nos deux philosophes ont prétendu avoir au bout de leur épée le meilleur argument. Le seigneur français a succombé et a été blessé.


20. — Il paraît un troisième Supplément à la Gazette de France[340]. Celui-ci prend véritablement la tournure d’une feuille de nouvelles, quoique son principal but soit toujours de tirer au clair les diverses liquidations. Ce genre de faits est aujourd’hui le moindre objet qui y soit traité ; on a cherché à rendre ce Supplément piquant par un recueil d’anecdotes, bien scandaleuses, bien bonnes. L’auteur paraît vouloir succéder à celui de la Gazette ecclésiastique  ; il tâte le goût du public, et l’on ne doute pas qu’insensiblement il ne le remplace. Le Jansénisme ayant perdu son grand mérite, son intérêt véritable par l’extinction des Jésuites en France, s’est transformé dans le parti du patriotisme ; il faut lui rendre justice, il a toujours eu beaucoup d’attraits pour l’indépendance ; il a combattu le despotisme papal avec un courage invincible : le despotisme politique n’est pas un hydre moins terrible à redouter, et il dirige aujourd’hui vers cet ennemi toutes ses forces, désormais inutiles dans l’autre genre de combat.


— Les libraires associés à l’Encyclopédie, qui ne sont pas sans inquiétude sur la suite de leur procès contre M. Luneau de Boisjermain, cherchent à se mettre en règle le plus qu’ils peuvent et hors de prise vis-à-vis de ce redoutable adversaire. C’est à cette fin, sans doute, qu’ils ont accéléré la publication des deux derniers volumes de planches. Leur but, à ce qu’on prétend, est, en les délivrant aux souscripteurs, de retirer le certificat de souscription, et d’enlever ainsi le titre en vertu duquel on pourrait les contraindre au remboursement dont on a parlé, s’ils sont condamnés. De son côté, M. Luneau est occupé à répondre à leur Mémoire ligne par ligne, comme il a fait à la lettre de M. Diderot. Pour contrebalancer les batteries des libraires, il prie les souscripteurs de vouloir bien lui envoyer la copie figurée de leur quittance de souscription, de leur certificat, etc. ; il promet de leur remettre en échange, gratuitement, tous les Mémoires qu’il a publiés dans cette affaire, et tous ceux qu’il publiera.

21. — Mémoire pour le comte Orourcke, mestre-de-camp de cavalerie, ci-devant chambellan du feu roi de Pologne, duc de Lorraine et de Bar, contre madame la duchesse d’Olonne. Tel est l’intitulé de la réponse au Mémoire de Me Linguet en faveur de madame la duchesse d’Olonne. Ce Mémoire, de la composition du sieur Chabans[341], avocat obscur, n’a pas le sarcasme, la chaleur, de l’autre, mais il n’est pas mal méchant.

22. — On a remis hier à l’Opéra Castor et Pollux Jamais on n’a vu plus brillante assemblée ; elle était en outre si nombreuse, que la recette a monté à près de près de deux mille écus, sans compter les petites loges ; ce qui est sans exemple. La foule était telle, que la représentation s’en est ressentie, et les deux premiers actes n’ont point été absolument entendus. Les princes ont reçu le tribut d’applaudissemens qu’on leur prodigue constamment depuis qu’ils paraissent en public, et surtout depuis qu’on sait que cela mortifie la cour.

23. — La fécondité du philosophe de Ferney s’était ralentie, depuis quelque temps, et l’on ne parlait d’aucune production nouvelle de sa part. Il vient de réveiller l’attention du public par un petit pamphlet, assez piquant intitulé Tocsin des Rois. On sait avec quelle adresse M. de Voltaire choisit toujours l’à-propos, pour jeter plus d’intérêt dans ses ouvrages. Celui-ci a été composé à l’occasion de l’attentat commis sur la personne du roi de Pologne[342], attentat qui rend sa cause commune à tous les souverains. Cet événement amène assez naturellement un éloge de l’Impératrice des Russies, qui soutient avec tant de constance ce monarque toujours chancelant sur son trône. L’écrivain paie aussi un tribut de louange aux talens de l’Empereur et aux qualités vraiment héroïques qu’il déploie. Enfin, il termine par exhorter toutes les puissances de l’Europe à détrôner le Turc, despote monstrueux, si long-temps la terreur et le fléau de l’humanité.

24. — Une compagnie d’étrangers vient d’entreprendre dans cette capitale une espèce de manufacture de poulets pour l’hiver. Ils ont choisi un emplacement sur le nouveau boulevard ; ils comptent en faire éclore au moins cinquante mille par mois. Ils se proposent d’employer la méthode des Égyptiens, c’est-à-dire des fours, dont le degré de chaleur doit être d’environ trente-deux degrés du thermomètre de Réaumur. Des essais tentés il y a quelques années sur la même expérience, n’eurent aucun succès : les nouveaux entrepreneurs espèrent être plus heureux et surmonter les divers obstacles qui firent manquer le projet des autres[343].

25. — L’assemblée tumultueuse de la première représentation de Castor et Pollux a été funeste à plusieurs personnes : on en a compté quinze qui se sont trouvées très-mal dans le parterre et qu’il a fallu enlever. On prétend que deux ont été totalement étouffées, et que d’autres en seront long-temps incommodées. Malgré cette foule, plus de deux mille curieux avaient été refusés. On a pris des précautions pour prévenir des suites aussi cruelles, et à la seconde représentation on a mis deux sentinelles aux portes du parterre, qui empêchaient d’entrer, même avec des billets, lorsque la salle a paru pleine. Le spectacle s’est passé avec beaucoup plus de décence, et sans aucun accident. La recette a cependant monté à cinq mille six cents livres, sans compter les petites loges à l’année.

Extrait d’une lettre de Rouen du 20 janvier 1771.

« Les placards continuent : on a trouvé dernièrement à la porte du Conseil Supérieur l’inscription suivante :

Imperatore Ludovico vegetante,
ImPrincipes in exilio,
ImMagnates in opprobrio,
ImJustitia in oblivio,
Publicæ privatæque res in arcto,
ImLatrocinium in ærario,
Lenocinium in Laticlavio[344],
ImAnno vindictæ Domini M DCC LXXII.

26. — Il court une Fable politique manuscrite, ayant pour titre le Fermier et les Chiens[345]. L’histoire de la révolution actuelle s’y trouve dépeinte d’une façon énergique ; MM. de La Vrillière, de Choiseul, de Maupeou y sont caractérisés à ne pas être méconnus. Cette satire est fort recherchée par les traits de force qu’on y remarque et la hardiesse qui y règne.

27. — Il y a dans l’église de Notre-Dame à Paris, une statue colossale de Saint-Christophe. Les historiens ecclésiastiques sont partagés sur le personnage qu’elle représente ; les uns le regardent simplement comme allégorique, et d’autres comme ayant réellement existé d’une stature et d’une proportion extraordinaire. Quoi qu’il en soit, depuis qu’il est question de réparer cette cathédrale on a agité si l’on ne ferait pas sauter une figure aussi ridicule et peu digne de notre siècle éclairé ; mais M. l’archevêque, qui se nomme Christophe, a fort à cœur qu’on conserve son patron, et ses partisans dans le Chapitre ont voté avec chaleur pour qu’on ne touchât en rien à ce colosse ; en sorte qu’il subsistera, du moins jusqu’à la mort du prélat.

28. — Madame la comtesse Du Barry ayant eu occasion de connaître les talens précieux de M. Vernet, le fameux peintre de marine, qui a décoré le joli pavillon de Lucienne de morceaux assortis de sa façon, est allée chez cet artiste rendre hommage à ses talens. Elle y a trouvé deux tableaux finis et prêts à être emballés pour un seigneur étranger, auquel ils étaient destinés : elle les a considérés avec la plus grande attention, et en a été si enchantée qu’elle a voulu les avoir. En vain le sieur Vernet a déclaré ne pouvoir lui faire ce sacrifice, puisque ces ouvrages ne lui appartenaient plus ; elle n’a tenu aucun compte de ses supplications, et a fait enlever de force les deux chefs-d’œuvre ; mais en même temps, pour dédommager le peintre, elle lui a dressé sur un bout de papier une ordonnance de cinquante mille livres, payables par le sieur Beaujon, banquier de la cour, ce qui a un peu consolé M. Vernet, et rend la Minerve du jour très-recommandable aux artistes.

29. — On a vu par divers écrits, la fermentation qui régnait dans l’ordre des Bénédictins, et l’ardeur de plusieurs de ces moines pour dépouiller le froc et franchir les murs de leurs cloîtres. Il en a résulté une guerre de plume entre ces religieux petits-maîtres et les anciens, fort attachés à leur robe, à leur régime et à toutes les pratiques de leur règle. Le roi s’étant expliqué à l’occasion de sa religion surprise par les premiers, tout paraissait rentré dans l’ordre accoutumé, mais deux de ces religieux, pourvus d’abbayes et forcés, suivant la règle, à en manger les revenus avec leurs moines, ont pris le parti de se faire nommer par le pape à des abbayes in partibus. Au moyen de ce nouveau titre ils ont prétendu pouvoir se séculariser, du moins ne porter que le petit scapulaire et manger où bon leur semblerait les revenus de leur bénéfice. Le régime a mis en cause M. l’archevêque Paris, qui prétendant avoir la discipline de toute la hiérarchie ecclésiastique, ou régulière, de son ressort, a rendu une ordonnance, qui enjoint à ces abbés défroqués de se retirer chacun dans leur communauté respective, d’y reprendre leur habit, et d’y vivre dans l’observance de leur constitution.

Les abbés Bénédictins en ont appelé comme d’abus, et c’est aujourd’hui la matière d’un procès qui se plaide au nouveau tribunal et qui attire beaucoup de curieux au Palais. Le sieur Courtin, avocat assez versé dans les matières bénéficiales, a déjà parlé pour les religieux ; c’est le sieur Gerbier qui doit défendre M. l’archevêque de Paris.


1er Février. — Pierre-le-Cruel, tragédie de M. de Belloy, qui devait être jouée à Fontainebleau et dont la cour a été privée par la maladie de l’actrice principale, est aujourd’hui arrêtée pour la Ville à la police, et les changemens qu’on exige sont si considérables, qu’on craint que cette pièce ne passe pas cette année. On a repris Gaston et Bayard pour dédommager cet auteur des tracasseries qu’il essuie, bien innocemment sans doute, puisqu’il a fait preuve du dévouement le plus servile au ministère et à ses vues. On annonce aujourd’hui les Druides, tragédie de M. Leblanc, comme la première qui doive être donnée au public.

2. — Il se vendait depuis quelque temps une Histoire civile et naturelle du royaume de Siam et des révolutions qui ont bouleversé cet empire, jusqu’en 1770, publiée sur les manuscrits qui ont été communiqués par M. l’évêque de Tabraca, vicaire apostolique de Siam, et autres missionnaires de ce royaume, etc. Ce livre, parfaitement ignoré, acquiert aujourd’hui de la célébrité au moyen d’un Arrêt du Conseil, en date du 5 janvier, qui le supprime. Le privilège pour l’impression d’un écrit intitulé : Description du royaume et de la religion de Siam, avait été accordé, le 16 juillet 1770, audit évêque : celui-ci avait chargé l’auteur de l’écrit en question de rédiger uniquement le manuscrit et d’en épurer la diction. Le rédacteur s’étant approprié l’ouvrage, en avait changé et la forme, et le fonds, et le titre. Le prélat en a probablement porté ses plaintes, et dans l’Arrêt du Conseil il est dit que continuant de traiter favorablement ledit évêque de Tabraca, et vu son Mémoire, le roi, de l’avis de M. le chancelier, lui conserve le privilège mentionné ci-dessus, et supprime l’Histoire civile, Sa Majesté étant instruite que l’écrivain, s’abandonnant aux écarts de son imagination, s’est visiblement et mal à propos écarté du plan et des intentions du sieur évêque ; que d’ailleurs, par une suite de cette licence, il lui était échappé dans le cours de l’ouvrage des assertions hasardées et des maximes dangereuses.


7. — Dimanche dernier, jour de la Purification, où devait se faire la nomination de dix cordons bleus vacans, il y a eu bal à l’Opéra, la fête étant censée finir à minuit. Ce concours de circonstances a donné lieu à une plaisanterie singulière et qui a beaucoup amusé les spectateurs. Une troupe de dix masques s’est présentée, ayant chacun un nez d’une longueur extraordinaire, au bout duquel pendait un ruban bleu, et sur le nez était écrit : « Chevalier des Ordres du roi ; » ce qui faisait une allusion ingénieuse au pied de nez qu’ont eu les aspirans à cette distinction, allusion d’autant plus vraie que le roi s’était plu à flatter leur espoir jusqu’au dernier instant. On a fort recherché l’auteur de cette mascarade : on l’attribue aujourd’hui généralement à M. le duc de Chartres, et elle ne pouvait guère s’attribuer qu’à lui ou à quelqu’un de son rang.

8. — Le Conseil Supérieur de Rouen continue à être l’objet de la dérision publique et particulière. Après avoir été joué par des farceurs qui ont été mis au cachot, il est difficile qu’un tel tribunal prenne consistance et obtienne de long-temps de la considération. Les officiers municipaux ne cessent de réclamer leur Parlement. Dans leurs différens Mémoires, après avoir établi invinciblement qu’on ne pouvait anéantir cette cour, sans la violation la plus manifeste et la plus injuste de leurs privilèges, et de leur capitulation en se rendant à la France, ils demandent, si en écartant même un tel droit, Rouen est de pire condition que les autres capitales, où l’on a conservé le Parlement ; si la Normandie ne mérite pas la même distinction, par son étendue, par sa population, par son importance, par sa qualité de province maritime, par son attachement à ses souverains, par son zèle à concourir aux impôts multipliés dont elle est chargée. Ils discutent enfin les prétendus motifs de suppression établis dans l’Édit, en font voir l’illusion et le ridicule. Ils prouvent que l’émulation supposée qui excitait les négocians à sortir de leur état pour entrer dans la magistrature, bien loin de nuire au commerce, lui donnait de l’activité, par l’ardeur avec laquelle on devait travailler à sa fortune, afin de jouir ensuite de la considération que donnerait la robe ; que rien n’était plus propre à diminuer la population et la richesse de la ville de Rouen, que l’extinction du Parlement, qui la privait par-là de la grande circulation d’hommes et d’argent qu’occasionait nécessairement le grand concours des affaires. Cet article, traité supérieurement, a fort déplu à M. le chancelier, et n’a pas peu contribué à faire exiler notre maire. Il a à fort à cœur que ces Mémoires ne se répandent point et restent dans l’oubli où il les a mis.

9. — Le goût de jouer la comédie, devenu à la mode depuis quelques années, avait donné lieu à un abus considérable dans les garnisons, où l’on voyait des officiers donner au public ce spectacle indécent, en s’associant aux actrices et en paraissant sur la scène avec elles. On en avait vu quelques-uns tellement ensorcelés de cette fureur, qu’ils avaient quitté le service pour se livrer entièrement à l’état d’histrion et à la vie libertine de ce genre. M. le marquis de Monteynard, ministre d’un caractère grave et sérieux, n’a pas cru devoir tolérer un usage autorisé par des exemples du plus grand poids. Il a fait un règlement, qui défend absolument à tout officier dans les garnisons de jouer la comédie. Il est fâcheux sans doute qu’on ait été forcé d’en venir à priver la jeune noblesse d’un amusement qui, à certains égards, est infiniment plus élevé que d’autres, mais toujours en quelque sorte malheureusement entaché de l’infamie à laquelle sont dévoués les comédiens par état.

10. — *Il paraît une suite du Parlement justifié par l’Impératrice des Russies[346]. C’est le Parlement justifié par l’Impératrice-Reine de Hongrie et par le roi de Prusse, ou seconde Lettre dans laquelle on continue à répondre aux écrits de M. le chancelier[347]. Elle est datée du 1er décembre 1771, et ne fait que d’éclore à l’impression. Cet ouvrage n’est pas moins bon que le premier. On trouve à la fin un Parallèle de l’ancienne et de la nouvelle taxe des frais de justice[348] dont il résulte que la plupart des frais est double et triple de ce qu’ils étaient auparavant.

12. — On voit à la Foire Saint-Germain un spectacle assez singulier : c’est un singe qui joue de la vielle. Il est vrai qu’il n’en peut bien exécuter qu’un air, mais il s’en acquitte à merveille : son maître l’accompagne de la mandoline. Tout Paris court à cette nouveauté, et ce singe-là ne fera pas moins fortune que celui de Nicolet, si célèbre il y a quelques années[349].

13. — On raconte que dernièrement, à une fête que donnait M. le duc d’Aiguillon, il se trouvait au dessert une croquante figurée, représentant les diverses parties de l’Europe et du globe, auxquelles correspond son ministère. Ce seigneur en offrit à madame la vicomtesse de Fleury, et lui demanda ce qu’elle voulait ? Après les petites simagrées des jolies femmes : « Eh bien, monsieur le duc, s’écria-t-elle, donnez-moi la France, je la croquerai aussi bien qu’un autre. »

14. — *Le Mémoire[350] de M. le duc d’Orléans est toujours secret ; c’est-à-dire qu’on ne le fournit à personne ; mais Son Altesse permet aux gens de son Conseil qui en ont, d’en donner communication sans déplacer. On cite un passage de cet ouvrage, bien remarquable et bien important ; c’est celui concernant les apanages qu’il prétend devoir être accordés de droit aux princes de la famille royale, « que la nation a élevée au trône par son choix, » aveu précieux dans la bouche du premier prince du sang et bien contradictoire à la proposition étrange avancée dans divers discours qu’on a fait tenir au roi, et que les Parlemens même ont eu la faiblesse de répéter, que le roi ne tenait sa couronne que de Dieu.

15. — Les bouts rimés, c’est-à-dire l’art de faire des vers sur des rimes données, la plupart baroques et composées de mots disparates, étaient autrefois fort à la mode ; la fureur en était passée. Ce goût puéril a repris apparemment dans quelques sociétés : du moins on le juge par ceux qui viennent d’éclore et qu’on attribue à M. Marmontel qui a trouvé l’art d’en faire une épigramme très-méchante contre le sieur Palissot, auquel il doit en effet une revanche depuis long-temps, pour l’avoir fait un des principaux héros de sa Dunciade. Voici cette plaisanterie.

Le poète franc Gaulois,
Gentilhomme Vendômois,
La gloire de sa bourgade,
Ronsard sur son vieux hautbois
Entonna la Franciade :
Sur sa trompette de bois
Un moderne auteur, maussade,
Pour lui faire paroli,
Fredonna la Dunciade.
Cet homme avait nom Pali :
On dit d’abord Pali fade,
Puis Pali fou, Pali plat,
Pali froid et Pali fat,
Pour couronner la tirade
Enfin de turlupinade
On rencontra le vrai mot,
On le nomma Pali sot.
Ronsard sur son vieux

Envoi.

M’abaissant jusqu’à toi, je joue avec le mot
Réfléchis, si tu peux, mais n’écris pas, lis, sot !

On apprend dans l’instant, à n’en pouvoir douter, que la plaisanterie ci-dessus est de M. Piron, qui n’a point voulu se faire connaître, et a peut-être fait malignement attribuer la pièce à l’Académicien.

16. — Faits sur la cause, pour Dom Jacques Précieux, abbé régulier de l’abbaye de Karents, Ordre de Saint-Benoit, diocèse de Verdun, et pour Dom Germain Poirier, abbé régulier de l’abbaye de la Grand’Croix, Ordre de Saint-Benoît, diocèse de Nicosie, contre M. l’archevêque de Paris. Tel est le titre du Mémoire en faveur des abbés in partibus, dont on a annoncé en gros le procès[351]. On en trouve ici le détail d’une façon plus exacte et plus développée. Il est divisé en trois parties : dans la première, on établit les faits qui se sont passés depuis l’entrée de Dom Précieux et de Dom Poirier dans la congrégation de Saint-Maur : dans la seconde, ceux qui sont arrivés depuis la naissance des troubles de cette congrégation, jusqu a l’obtention des bulles d’abbayes in partibus : dans la troisième, ceux qui se sont passés depuis jusqu’aujourd’hui.

17. — *La troisième partie de la Correspondance secrète entre M. de Maupeou, chancelier de France, et M. de Sorhouet, conseiller du nouveau tribunal, paraît enfin. On l’avait annoncée depuis long-temps, et le public l’attendait avec impatience. Cette avidité la rend déjà très-chère, et la police, après avoir mis ses émissaires sur pied pour en empêcher l’introduction, travaille aujourd’hui à en arrêter le débit et la multiplicité des exemplaires.

20. — On attribue à M. de Voltaire les vers suivans en l’honneur de M. le chancelier : en tout cas ils roulent sur une pensée de lui répétée en plusieurs endroits et devenue triviale. Les voici :

Je veJe veux bien croire à ces prodiges
Je veQue la Fable vient nous conter,
Je veÀ ses héros, à leurs prestiges
Je veQu’on ne cesse de nous citer.
Je veux bien croire à ce fier Diomède,
Je veQui ravit le palladium,
Aux généreux travaux de l’amant d’Andromède,
Je veÀ tous ces fous qui bloquaient Ilium :
De tels contes pourtant ne sont crus de personne,
Mais que Maupeou tout seul du dédale des lois
Je veAit su retirer la couronne[352],
Qu’il l’ait seul rapportée au palais de nos rois,
Voilà ce que je sais, voilà ce qui m’étonne.
Je veJ’avoue avec l’antiquité
Je veQue ses héros sont admirables,
Je veMais, par malheur, ce sont des fables,
Je veEt c’est ici la vérité !

Quelqu’un, qui a sans doute une façon de voir différente de l’auteur, a parodié ces vers-ci de la manière suivante :

Je veJe veux bien croire à tous ces crimes
Je veQue la Fable vient nous conter,
Je veÀ ses monstres, à leurs victimes
Je veQu’on ne cesse de nous vanter.
Je veux bien croire aux fureurs de Médée,
Je veÀ ses meurtres, à ses poisons,
À l’horrible banquet de Thyeste et d’Atrée,
À la barbare faim des cruels Lestrigons :
De tels contes pourtant ne sont crus de personne.
Mais que Maupeou tout seul ait renversé les lois,
Je veEt qu’en usurpant la couronne,
Par ses forfaits il règne au palais de nos rois,
Voilà ce que j’ai vu, voilà ce qui m’étonne.
Je veJ’avoue avec l’antiquité
Je veQue ses monstres sont détestables ;
Je veAussi ce ne sont que des fables,
Je veEt c’est ici la vérité.

22. — Il nous est arrivé de Genève une tragédie de M. de Voltaire, qui a surpris tout le monde ; elle est intitulée les Pélopides, ou Atrée et Thyeste. On ne peut concevoir avec quelle rage ce grand homme s’acharne contre Crébillon, et se trouve préoccupé par son jaloux amour-propre, au point d’oser, à son âge, lutter contre le meilleur ouvrage, le chef-d’œuvre le plus nerveux et le plus fier du mâle athlète qu’il ose combattre.

23. — M. Désormeaux, auteur estimé de plusieurs ouvrages historiques, a été nommé secrétaire de la pairie. Le sieur Delaulne, avocat, qui y avait de grandes prétentions, et qui avait passé pour avoir été désigné, a succombé devant ce concurrent.

24. — Extrait d’une lettre de Londres, du 15 février 1772

« Pour satisfaire votre curiosité sur le succès qu’a eu ici mademoiselle Heinel, je vous apprendrai que la première fois qu’elle parut sur la scène pour danser, ayant aperçu M. le comte de Lauraguais qui a été son amant à Paris, soit surprise, soit attendrissement, soit colère, elle s’est trouvée mal, au point de ne pouvoir former un pas ce jour-là : elle a reparu depuis avec toute la majesté possible. Les Anglais lui rendent la justice qui lui est due, ou, pour mieux dire, en sont fous autant que les Français. Elle a vingt-quatre mille livres de fixe, et deux représentations à son profit, qui, évaluées à seize mille livres, lui rendront quarante mille livres pour la saison. »

26. — Dans les différens titres, qualités, noms et surnoms qu’on a donnés à M. le duc de La Vauguyon dans son billet d’enterrement, il en est par lesquels il se prétendait issu des princes de la maison de Bretagne. La maison de Soubise, qui a cette prétention exclusive, a protesté contre ; ce qui rend très-précieuse cette pièce funéraire, contre laquelle la Gazette de France avait aussi réclamé à cause du titre de Grand-Maître de la garderobe de Monseigneur le Dauphin, qualité qui ne peut se donner que dans la maison du roi. Ce billet d’enterrement est aujourd’hui très-cher et se conserve dans les bibliothèques[353].

— On parle d’un suicide arrivé en province ; on dit que le particulier, avant de se brûler la cervelle, a laissé sur sa table un billet, dans lequel il fait son testament de mort, et déclare que n’ayant pas été consulté pour être produit à la lumière, il croit pouvoir aussi s’en priver sans demander l’avis de personne.

27. — Le sieur Pomme, médecin qui a fait un Traité des affections vaporeuses des deux sexes assez séduisant, et que des femmes de qualité avaient déterminé à s’établir à Paris, y avait acheté une charge de médecin-consultant du roi, et semblait fixé dans cette capitale. Il avait d’abord eu beaucoup de vogue ; mais cela ne s’est pas soutenu. Il est tombé dans un discrédit considérable, et n’a pu supporter cet abandon. Il vient de s’éclipser pour aller vraisemblablement ensevelir sa honte dans sa province. C’était un docteur petit-maître, d’une très-jolie figure, parlant bien, vêtu très-élégamment, et très-propre à séduire les femmes.

28. — La cause de madame la duchesse d’Olonne contre M. le comte Orourcke est devenue si grave par l’animosité des avocats, que le comte Orourcke a pris les conclusions les plus extraordinaires : il a demandé le Mémoire imprimé contre lui fût lacéré ; il a dénoncé au ministère public ces plaidoiries comme attentatoires à la puissance du roi, à la majesté du Parlement, à la dignité d’avocat. Me Linguet a cru devoir imprimer un précis, où, sous prétexte de résumer l’objet de la cause, les moyens des deux parties, et de réfuter victorieusement ceux de son adversaire, il entre en explication, et se disculpe des déclamations injurieuses et indécentes qu’on lui impute.

— Le jeudi 27, M. l’avocat-général Vergès porta la parole dans cette affaire. Son plaidoyer parut assez bien fait, mais on trouva dans sa prononciation des gasconismes qui n’annoncent pas la belle éducation, et une sorte de ridicule désagréable pour un magistrat, orateur de la première cour du royaume. Quoi qu’il en soit, il conclut à débouter madame la duchesse d’Olonne de ses demandes, à mettre sur le surplus des parties hors de cour, et à la suppression de tous les Mémoires des deux côtés. Ses conclusions furent adoptées dans tous leurs points. Malgré le triomphe du comte Orourcke, l’avocat-général donna à entendre dans son plaidoyer que le comte était un fripon, mais adroit, et qui avait revêtu ses escroqueries de la sanction la plus légale.


1er Mars. — La rage des avocats pour faire des Mémoires est telle qu’ils en font même après la cause plaidée et jugée, et veulent encore entretenir d’eux le public, lorsqu’il y a eu suppression de leurs écrits. C’est ce qui arrive au sieur Élie de Beaumont, écrivain sous le nom du sieur Chabans[354]. Cet orateur, vivement piqué des personnalités mises contre lui par le sieur Linguet, son confrère, dans le dernier Précis, n’a pas voulu être en reste ; il a cru devoir faire aussi un Précis pour le comte Orourcke, et, sous le nom de sa partie, donner un libre cours à ses sarcasmes et à sa vengeance. Comme son confrère, pour empêcher de lui répondre, n’avait répandu son nouveau Mémoire que le mercredi 26, après midi, et que la cause devait être jugée le lendemain matin, quelque diligence qu’ait fait le sieur Élie de Beaumont, il n’a pas été possible que le pamphlet se divulguât avant le jugement du nouveau tribunal.

2. Le sieur Le Kain, le plus grand acteur du théâtre Français, est invité par l’électeur de Bavière à lui former une troupe de comédiens et à l’aller installer à Munich : il a obtenu, en conséquence, un congé pour l’été, et doit se rendre aux instances de cette Altesse.

3. — Il paraît un quatrième Supplément à la Gazette de France, de seize pages d’impression[355]. C’est aujourd’hui absolument une véritable chronique scandaleuse, contenant diverses anecdotes relatives aux affaires du temps. Celle-ci est plus pleine de faits que les précédentes, et plus intéressante par conséquent.

4. — Le barreau s’échauffe plus que jamais, et M. le comte Orourcke, mécontent de la suppression réciproque des Mémoires, continue à vouloir attaquer personnellement Me Linguet : il a trouvé un avocat obscur, nommé Dobet, qui lui a donné une Consultation contre Me Linguet, défenseur de madame la duchesse d’Olonne, où il prétend que le client est autorisé à poursuivre personnellement Me Linguet comme coupable de diffamation Me Linguet répand un écrit en forme de Réplique, adressé aux magistrats, où il se défend avec la plus grande force, et, en développant les qualités de l’avocat, il en trace portrait très-éloquent.

7. — La tragédie des Druides qu’on doit donner aujourd’hui, roulant principalement sur les abus de la religion, dégénérée en superstition et en fanatisme, le censeur de la police n’a pas osé prendre sur lui d’approuver une pièce pleine de détails délicats et dangereux. Elle a été renvoyée à un docteur de Sorbonne, et c’est l’abbé Bergier, cet adversaire intrépide des athées et des déistes, qui s’est trouvé obligé de l’examiner et de déclarer qu’il n’y voyait rien de répréhensible. On a eu beaucoup de peine à lui faire agréer l’ouvrage, et M. de Trudaine a dû employer tout son crédit en faveur de l’auteur, dont il protège beaucoup la femme. Au surplus, cette tragédie est si chargée de spectacle, d’incidens et de coups de théâtre, que les acteurs ont passé deux jours entiers pour se mettre au fait de leurs positions et de leurs mouvemens, pour ne pas s’embrouiller sur la scène et manquer la beauté des tableaux qu’ils doivent présenter.

— *Inauguration de Pharamond, ou Exposition des Lois fondamentales de la monarchie française ; avec les preuves de leur exécution, perpétuées sous les trois races de nos rois[356], M. le chancelier et ses partisans, en convenant qu’il y a des lois fondamentales que les rois sont dans l’heureuse impuissance de changer[357], ne semblent que leur insulter avec plus d’audace, en demandant quelles elles sont, et où elles sont. L’auteur de l’ouvrage en question prétend les avoir trouvées toutes consignées dans une médaille frappée lors de l’élection de Pharamond ; il en offre le revers dont il regarde les différentes parties comme allégoriques et instructives.

Il commence par établir l’authenticité du monument qui se trouve rapporté dans plusieurs auteurs non suspects, et surtout dans l’Histoire de France de Mézerai, tome II, page 5 de la première édition in-folio.

La face que l’écrivain ne donne pas, selon son récit « porte l’effigie de Pharamond, à demi-buste, placé en retour, c’est-à-dire de manière qu’elle présente la partie droite du visage avec l’épaule droite. Au contour on lit cette inscription latine : Faramundus Franc. Rex. »

Les lettres Æ et le signe Mars ♈, qu’on voit sur le côté emblématique, font entendre qu’elle a été frappée en bronze, et qu’elle existe véritablement dans les cabinets des curieux, où Jacques de Bie, auteur d’une France métallique, en avait eu communication. Il représente Pharamond élevé sur le pavois ou bouclier deux personnages courbés dans l’attitude de cet effort ; ils ont des cottes d’armes distinguées et pareilles à celle du roi, mais sans armes. Le prince y tient un sceptre de la main droite, et une épée nue, la pointe en haut, de la main gauche ; et il semble étendre les bras d’une façon pénible. Son front est ceint d’une couronne d’olivier, à sa droite est un personnage en pied, il se repose sur la pique, et comme à l’ombre du sceptre sous lequel il est placé. À sa gauche est un autre personnage en pied, le seul qui ait des armes excepté le roi ; il porte sa main gauche sur un petit espadon qui est à son côté ; de la droite il tient sa pique, et la porte également sur l’épée qui est dans la main gauche du roi, comme pour l’empêcher de pencher. Le monarque paraît faire attention à cet avis, et fixant son la pointe de l’épée, cherche à la conserver dans son équilibre. Le soldat forme de son bras une équerre naturelle, et appliquant ce bras à sa pique, il la présente ainsi au roi. Il repousse la poignée de l’épée par dessous la main du roi, et il en fixe la pointe. L’exergue consiste dans ces abréviations : Fid : Exer : c’est-à-dire, Fidelibus : Exercitibus, et la légende en ces mots latins aussi : Unus omnium votis.

C’est dans l’ensemble de ces parties allégoriques que l’écrivain trouve le plan véritable de la monarchie française, et saisit le développement intéressant du tableau de ses lois fondamentales.

1° Le trône, enfanté, en 420, par la délibération libre de la nation, est figuré par le bouclier ou pavois, afin de démontrer qu’il n’existe en effet que pour la défense et a protection des peuples, de leur liberté et de leurs biens.

2° L’élévation de Pharamond sur le bouclier, représente l’investiture de sa nouvelle dignité, donnée à ce prince librement élu, et nous apprend que ce sont les peuples qui ont fait les rois tout ce qu’ils sont.

3° Les deux personnages qui sont en effort pour élever le bouclier, ont des cottes d’armes distinguées et pareilles à celles du roi, parce qu’ils sont destinés à figurer le concours des deux Ordres, les Druides et les Chevaliers, composant alors l’universalité de la nation.

4° Ces mêmes personnages, représentant les Ordres de la nation, sont l’un et l’autre sans armes, comme étant les exécuteurs d’une résolution civile et non pas militaire.

5° Le sceptre que Pharamond tient de la main droite est le symbole de l’autorité civile et l’épée celui de l’autorité militaire. Il porte cette dernière de la main gauche, contre l’usage, pour preuve de la prééminence de l’une sur l’autre, que l’exercice de l’autorité militaire n’est qu’accidentelle dans le monarque dont l’essence est le gouvernement de paix et de sagesse.

6° La distance qui est entre le sceptre et l’épée fait entendre que ces deux puissances (civile et militaire) ont chacune leur ressort séparé ; et l’attitude pénible du monarque, qui étend les bras pour conserver toujours le même éloignement entre l’un et l’autre, prouve qu’il ne doit jamais en confondre les bornes, ni employer l’une pour l’autre.

7° L’exergue confirme cette leçon par ces deux mots abrégés : Fid : Exer : c’est-à-dire Fidelibus : Exercitibus : pour les fidèles, pour les armées. Le premier répond au sceptre, et désigne tous les citoyens, sous le regard général de sujets : le second répond à l’épée dont l’usage ne doit être que pour le gouvernement militaire, et contre les ennemis de la paix, garantie aux citoyens ; il marque particulièrement ceux qui suivent la profession des armes.

8° Le front de Pharamond est ceint d’une couronne d’olivier, symbole de la paix que les rois sont obligés de procurer à leurs peuples et de l’abondance qui en est la suite.

9° Le personnage en pied, qui est à droite de la médaille, nous figure le corps des citoyens ou fidèles, par opposition au corps militaire, et le personnage se repose sur sa pique, en signe de paix, à l’ombre du sceptre, sous lequel il est placé.

10° Le personnage en pied, qui est à gauche, nous représente, au contraire, le corps militaire en particulier ; ce qu’on désigne par ses armes, et la main gauche qu’il porte à son petit espadon, est le signe de l’obéissance militaire ; mais il occupe sa droite à des devoirs de citoyen ; il en tient sa pique et la porte également sur l’épée du roi, pour lui faire observer qu’elle ne doit pencher vers le côté droit, ni empiéter de cette manière sur le ressort destiné au sceptre. L’attention du roi à se conformer à cet avis en fixant son regard sur la pointe de son épée, montre qu’il désire de lui conserver sa situation légitime. De son côté, le soldat s’empresse de seconder le désir raisonnable de ce prince. Il forme de son bras une équerre naturelle, et appliquant ce bras à sa pique, il la présente ainsi au roi, comme une règle assurée, et qui détermine la ligne perpendiculaire dont son épée ne doit jamais s’écarter.

Par le développement du surplus de ses gestes, après avoir rempli l’obligation du sonseil de tout sujet fidèle envers son roi, il y joint le secours réel, et le double emploi de ses deux mains prouve qu’en aucun cas les devoirs militaires ne dispensent de ceux de citoyen. C’est pourquoi ceux-ci sont réservés à la main droite comme préférables et les premiers.

11° La légende Unus omnium votis, Un par les vœux de tous, exprime la nature précise du gouvernement monarchique, celui d’un seul établi chef et prince du peuple. Comme chef, centre de toutes les forces publiques et l’organe de toutes les volontés ; Prince du peuple, pour le gouverner, comme la tête gouverne le corps ; en suivant toujours les lois prescrites pour le salut du corps, et y demeurant lui-même subordonné.

12° Enfin, l’ensemble des diverses parties de cette médaille nous montre que le roi et la loi reçoivent leur autorité et leur puissance d’une même source, c’est-à-dire de l’unanimité des vœux du peuple.

L’explication de cette médaille, qui ne paraît d’abord qu’ingénieuse, et le fruit d’un esprit systématique, ramenant tout à ses idées, est appuyée par le détail des cérémonies qui s’observent au sacre de nos rois, par la formule de leur serment, par leurs capitulaires, par leurs ordonnances, par les lois écrites, par les anciennes chartes par les historiens anciens et modernes, par les auteurs politiques, et de ce concours d’autorités elle reçoit une authenticité à laquelle on ne peut se refuser, une cohérence indestructible.

Dans le courant de l’ouvrage on développe quelques autres assertions nouvelles ou plus fortes que celles avancées dans les autres écrits du même genre : 1° en admettant la substitution de la couronne à la race régnante, l’auteur ne la regarde pas comme exclusive du droit d’élection ; elle empêche seulement que l’exercice de ce droit ne soit arbitraire : il proscrit, en conséquence, la règle vulgaire : Le mort saisit le vif, ou le roi mort, le roi vit, imaginée seulement pour l’intrusion de Henri VI, roi d’Angleterre, usurpateur de la couronne de France ; 2° de là la nation a le droit de s’assembler de son propre mouvement, ou sur la réquisition des grands du royaume, sans ce droit elle n’aurait pas tout ce qui lui est nécessaire, tant pour sa conservation que pour celle du trône et des droits des princes qui y sont légitimement appelés 3° les États étant, dans l’origine, composés des Druide et des Chevaliers seulement, et les premiers remplissant chez les Gaulois toutes les fonctions de la religion, celles de la profession des sciences et des lettres, et celles de l’administration de la justice, le premier Ordre donc aujourd’hui remplacé par le clergé, par les universités jointes à tous les gens de lettres, et par la magistrature, et le second (après l’affranchissement des serfs devenus citoyens) doit être composé de la noblesse ou ancienne chevalerie, de la magistrature laïque, et du tiers-état. Ainsi l’assemblée des trois états ne présente point l’idée véritable d’une diète générale de la nation, puisqu’elle n’est pas la diète plénière des Ordres qui composent la totalité de cette nation. Ce livre très-érudit est sagement écrit et surpasse tout ce qu’on a encore dit sur la matière en question.

8. — Les Druides ont été joués hier. Le but philosophique de cette pièce est en effet de combattre la superstition et le fanatisme, d’abolir un culte d’horreur et d’abomination, que ces prêtres rendaient à leurs dieux par des holocaustes humains et des libations de sang. Mais les moyens pris par l’auteur ne sont rien moins que dans les vrais principes de l’art, et l’exécution ne répond pas au sujet. Jamais on n’a vu de pièce aussi compliquée et d’une longueur aussi ennuyeuse : elle a duré deux heures et demie de représentation. Dès le premier acte, il y a deux coups de théâtre, et ils ne font que se multiplier dans les suivans, au point qu’il n’est aucun spectateur qui ne se soit perdu dans ce labyrinthe d’intrigues obscures et laborieuses. La rage de l’auteur pour les dissertations est telle, que même au cinquième acte, même à la dernière scène, même en expirant, les personnages font encore des traités de morale et de métaphysique. Pour réduire cette tragédie à ses vraies proportions, il faudrait en retrancher une douzaine de scènes et huit à neuf cents vers ; en un mot, jamais on ne put mieux appliquer le vers de Boileau :

Et chaque acte en sa pièce est une pièce entière.

Les acteurs étaient si fatigués de la longueur de leurs rôles, que leur mémoire était continuellement en défaut ; ce qui peinait encore davantage le spectateur. On a cependant eu la constance d’écouter jusqu’au bout, mais à la charge de n’y pas revenir. Cette tragédie paraît absolument tombée.


9. — *C’est décidément M. Delaulne, avocat, qui est secrétaire de la pairie. M. Désormeaux était effectivement sur les rangs[358], mais l’autre l’a emporté. C’aurait été M. Gaillard, membre de l’Académie Française, si le maréchal de Richelieu ne s’y était fortement oppose, ne s’y était fortement opposé, en déclarant qu’il ne pouvait pardonner à cet orateur la façon indécente dont il avait parlé du cardinal de Richelieu, dans son discours de réception, le jour où il avait pris place à l’Académie.

Dans le courant des opinions relativement à cette élection, il avait été question d’un nommé La Roue, ci-devant secrétaire de l’ancien procureur-général : un des ducs dévoués au parti de la cour pérorant fortement en faveur de ce sujet, finit par dire : « À tous égards, Messieurs, La Roue nous convient. » Les pairs protestans saisirent l’équivoque, et se mirent à rire d’une façon très-mortifiante pour l’orateur.

10. — On croyait la pièce des Druides absolument tombée, mais M. le duc d’Orléans, qui n’était pas à la première représentation, ayant témoigné l’envie de la voir, elle a reparu hier. On y a retranché plus de cinq cents vers, et la marche a été moins embarrassée, le dialogue moins ennuyeux, et la défense de l’humanité contre la barbarie de la superstition mise dans un jour plus lumineux et plus intéressant. Il y avait très-peu de monde, et l’assemblée étant en grande partie composée des amis ou des partisans de l’auteur, on a fort applaudi on l’a demandé, entre les deux pièces, avec tant d’instances qu’il a été obligé de se montrer. On ne sait où aboutira cette résurrection factice, qui ne peut être longue.

11. — M. Bignon est mort hier. Son convoi a été très-beau et très-couru par le peuple, qui n’a pas vu sans plaisir périr l’auteur de l’effroyable massacre de la rue Royale[359]. On peut juger au surplus du cas qu’on faisait de ce membre de deux Académies, par le quolibet grossier qui roule sur son compte. Le sieur Cheval de Saint-Hubert, premier échevin, se trouvant chargé des fonctions de prévôt des marchands, jusqu’à l’installation du successeur désigné pour le mois d’août, on dit que c’est un cheval qui remplace un âne.

13. — Les écrivains de M. le chancelier, qui gardaient depuis long-temps un silence prudent, viennent de le rompre à l’occasion du quatrième Supplément à la Gazette de France dont on a parlé[360]. Il paraît une feuille portant le même titre, en date du 8 mars, où l’on fait la contre-partie[361]. Elle enchérit de méchanceté sur son modèle. On y désigne par des lettres initiales les noms de ceux de que Montseigneur soupçonne auteurs de la Correspondance ; d’autres membres du Parlement y sont fort maltraités, soit par des portraits satiriques, soit par des anecdotes injurieuses. Comme ce pamphlet est d’une atrocité scandaleuse, on n’ose encore le vendre publiquement. Le sieur Le Brun le donne aux gens du parti, et d’ailleurs cette clandestinité le fait plus rechercher que les autres ouvrages écrits dans le même esprit, mais trop prodigués.

14. — *Il court une petite pièce de vers, espèce d’épigramme politique en ce qu’elle roule sur un fait historique, et peut être un jour citée dans nos annales ; c’est à ce titre qu’on l’inscrit, et non à raison de son mérite littéraire très-mince. La voici.


Sur les liquidations du Parlement.

Venez, messieurs du Parlement,
Liquider chacun votre office ;
L’État veut vous rendre service,
Tout est prêt pour le payement.
Reconnaissez légalement,
Par quittance devant notaire,
Avoir reçu la somme entière,
La finance et le supplément.
« Mais, où l’argent, le numéraire ? »
Vous écriez-vous vivement.
Pour gens consommés en affaire,
Vous raisonnez bien gauchement.
L’argent est un métal solide ;
Il s’agit ici de liquide :
Eh ! pourquoi vous tant intriguer ?
On veut à tous vous déléguer
Une rente liquide et claire
Sur les brouillards de la rivière.

15. — Le succès des Druides a augmenté mercredi, et l’on a demandé encore l’auteur avec tant de tumulte qu’il a fallu comparoir : ses amis l’ont traîné sur le théâtre plus en homme qu’on mène au supplice qu’en héros triomphant.

16. — Les Italiens, après avoir varié long-temps sur la nouveauté qu’ils donneraient, se sont fixés sur le Faucon, comédie en trois actes et en prose, mêlée d’ariettes elle n’a pas réussi à Fontainebleau, où elle a été jouée devant la cour, l’automne dernier ; elle a même été huée : on l’a trouvée triste, plate et ignoble. La musique, quoique agréable et pleine de finesse en certains endroits, n’a pu sauver de l’ennui du poëme : elle est du sieur Monsigni ; les paroles sont du sieur Sédaine, qui ne se tient jamais battu pour une fois, et compte que les applaudissemens de la Ville le vengeront des sifflets des courtisans.

17. — *Ces jours derniers, toutes les Chambres assemblées, Me Jacques de Vergès, avocat-général, a fait un Réquisitoire[362] violent contre la Correspondance secrète et le Supplément à la Gazette de France, et le nouveau tribunal a condamné lesdites brochures à être lacérées et brûlées comme « impies, blasphématoires et séditieuses, attentatoires à l’autorité du roi, injurieuses à la famille royale et aux princes du sang, tendantes à soulever les peuples contre le Gouvernement, et détourner les sujets de l’obéissance qu’ils doivent au souverain, et du respect dû aux ministres et aux magistrats, etc. » Il a, en outre, ordonné qu’à la requête du procureur-général du roi, il sera informé contre les auteurs desdits libelles, comme coupables du crime de lèse-majesté divine et humaine au second chef, et lui permet d’obtenir et faire publier monitoire, en la forme de droit.

20. — Les Italiens ont donné hier le Faucon. Quelques morceaux particuliers de musique ont été extrêmement applaudis, mais le poëme a fait peu de fortune. Le sieur Sédaine a eu l’amour-propre de ne rien retrancher des phrases plates et triviales qu’on lui avait reprochées à Fontainebleau ; elles n’ont pas été mieux accueillies ici : la pièce n’est qu’en un acte, mais extrêmement long et qui en vaut bien trois.

Les Druides ont été joués à la cour, où beaucoup de gens ont été scandalisés des applications qu’on en pourrait faire contre nos prêtres et notre religion. La prophétie du troisième acte, où le grand Druide voit s’écrouler l’empire romain, et s’élever la maison d’Autriche et celle de France, ce qui amène un éloge du roi, n’a pu compenser la fâcheuse impression qu’ont reçue les dévots du reste de l’ouvrage.

— Une Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deuc Indes[363], en six volumes in-8o, n’avait point encore percé dans ce pays-ci. Le Gouvernement a bien voulu depuis peu, en tolérer l’introduction, mais au nombre de vingt-cinq exemplaires seulement ; ce qui rend l’ouvrage extrêmement cher et conséquemment recherché.

M. de Bougainville, dont il a été parlé plusieurs fois à raison de ses prétendues découvertes des îles Malouines et de l’île de Taïti ou d’Amour[364], avait proposé à M. de Boynes de commencer, au mois de mai, un voyage dans les mers du Nord, pour y pénétrer jusqu’aux poles, s’il était possible. Indépendamment des découvertes en terres auxquelles cette course pouvait donner lieu, on devait embarquer sur cette petite escadre, composée trois bâtimens, des membres de l’Académie des Sciences, renommés pour leurs diverses connaissances en astronomie, en géographie, en histoire naturelle, etc. ; car il était question de travailler à l’accroissement et à la perfection de toutes ces parties. Le ministre de la marine avait d’abord agréé le projet et l’avait présenté au roi, qui l’avait approuvé ; mais depuis il a été reculé à l’année prochaine, faute de fonds pour le moment.

21. — Depuis le supplice de Billard, on avait gravé ce criminel au carcan, et l’on vendait publiquement cette caricature, à laquelle on avait ajouté l’historique en bref du sujet. Sa famille s’est interposée auprès de la police pour faire arrêter cette distribution, et afin d’y couper court plus sûrement, elle a acheté tout ce qui restait d’exemplaires et la planche ; mais il en a beaucoup transpiré dans le public, et l’estampe est devenue fort chère.

22. — *Jeudi dernier il y avait beaucoup de monde à dîner chez M. de Sartine, lieutenant-général de police ; quelqu’un se récria sur la beauté des poissons : « Oh ! dit le sieur Marin, l’auteur de la Gazette de France, il y en avait de bien plus beaux hier chez M. le premier président du Parlement[365], où je mangeais. — Cela n’est pas étonnant, reprit un autre convive, on ne voit là que des monstres. » L’allusion saisie à l’instant par le reste de la table, fit beaucoup rire tout le monde et madame de Sartine. Son mari seul se trouva fort embarrassé, et ne savait quelle contenance faire.

— On cite une plaisanterie de mademoiselle Arnould, renommée par ses bons mots ; c’est à l’occasion du Faucon, dont le nom équivoque prête facilement aux quolibets. On parlait de cette pièce devant elle, avant qu’elle parût ; elle semblait n’en avoir pas bonne opinion ; elle se fit presser quelque temps pour s’expliquer et déclarer les motifs de son préjugé : C’est que, reprit-elle avec vivacité, par ce vers de Boileau :

Rien n’est beau que le vrai ; le vrai seul est aimable.

23. — *Bien loin que l’Arrêt du nouveau tribunal contre la Correspondance secrète ait ralenti la vigueur de l’auteur, on prétend que son zèle patriotique s’est enflammé davantage, et l’on annonce toujours la quatrième partie, celle promise pour les œufs de Pâques de Monseigneur[366]. Des gens même assurent qu’elle existe et est déjà imprimée. Ces bruits sont vraisemblablement prématurés. Ce qui peut y avoir donné lieu, c’est une lettre manuscrite qui court ; elle a pour titre Lettre de M. de Maupeou à M. de Sorhouet : Versailles, le 8 mars 1772. Elle est dans le style de l’écrivain de la Correspondance ; il est cependant à présumer qu’elle est factice[367].

— *On attribue à l’abbé de Voisenon le quatrième Supplément à la Gazette de France de la part du chancelier ; on y reconnaît en effet sa manière, et ce soupçon ne peut qu’achever de le perdre de réputation. Il y aussi une Réponse à la Correspondance.

— Le scandale occasioné par la tragédie des Druides à la cour dure encore, et les prélats se remuent pour en faire arrêter les représentations. Ce véhicule vient très-à propos pour l’auteur et excite une curiosité relative que mérite peu la pièce par elle-même, malgré les changemens successifs qu’y fait le sieur Leblanc, en sorte qu’elle n’est presque plus reconnaissable à ceux qui ne l’ont vue que la première fois.

25. — Les actions honnêtes et louables sont trop rares aujourd’hui, même parmi les gens de lettres et les philosophes, pour ne pas recueillir celles qu’on apprend. M. de Chabanon, de l’Académie des Inscriptions, qui cultive la littérature par un goût naturel, un enthousiasme véritable, qui ne trafique point de ses ouvrages en vil mercenaire, et dénué conséquemment de toutes passions basses qui accompagnent cette sordide cupidité, avait obtenu une pension de deux mille livres sur le Mercure, dont il jouissait depuis plusieurs années. Quoique favorisé de la fortune, ses biens étant en Amérique, il n’avait pu en recueillir les revenus pendant la guerre, et il avait même éprouvé des pertes longues à réparer. Aujourd’hui que son bien-être est plus solide, il a remis la pension, et a eu le bonheur de la faire tomber à un homme de lettres qu’il estimait et qui avait besoin de cette ressource.

26. — M. Duclos, membre de l’Académie des Belles-Lettres, de l’Académie Française, historiographe de France, vient de mourir d’une fluxion de poitrine.

— *Il paraît déjà une autre Lettre manuscrite, servant de réponse à celle du 8 mars : celle-ci est du 17, et c’est M. de Sorhouet qui écrit à M. le chancelier à l’occasion du Réquisitoire et de l’Arrêt du Parlement contre la Correspondance[368]. On y a pris, aussi-bien que dans la première, le tour ironique de l’ouvrage ; mais on ne trouve pas que l’auteur ait encore réfuté aussi victorieusement qu’il le pouvait les fausses assertions et les suppositions indécentes de l’orateur du nouveau tribunal.

On attribue la réponse à l’auteur de la Correspondance, à l’abbé Mary, conseiller clerc du nouveau tripot, auteur aussi du Réquisitoire, à ce qu’on prétend.

27. — De jeunes élèves dans l’art des Vitruves se sont exercés à former un plan de nouvelle salle pour la Comédie Italienne, dont l’emplacement actuel est très-incommode ; ils ont choisi dans le Marais un local isolé, où il n’y a que des bicoques. Ils ont donné carrière à leur imagination, et ont élevé sur le papier de très-beaux édifices ; mais il n’y a pas d’apparence que le Gouvernement agrée leur sublime spéculation, trop dispendieuse et peu convenable à la plupart des spectateurs.

Le nouveau projet pour la Comédie Française reçoit aussi des obstacles de la part du secrétaire d’État ayant le département de Paris, sous différens prétextes. La vraie raison est que M. le chevalier d’Arcq, amant madame la marquise de Langeac, et madame la marquise de Langeac, maîtresse de M. le duc de La Vrillière ont reçu quelques milliers de louis des entrepreneurs de l’ancienne restauration, et sont intéressés à la continuation de ce travail, jusqu’à ce que la nouvelle Compagnie ait mis ces protecteurs en état de rembourser ces avances par d’autres plus fortes, si ceux-ci n’aiment mieux garder l’argent de l’un et de l’autre côté.

28. — Me Linguet vient de faire imprimer son plaidoyer pour le comte de Morangiès contre la veuve Véron. Le public a témoigné la même fureur pour le lire que pour l’entendre. Cet avocat s’est trouvé assiégé plusieurs jours dans sa maison par la multitude des curieux qui venaient chercher ce Mémoire.

— *C’est M. le chevalier de Rességuier, qui est l’auteur du bon mot dit à table chez M. de Sartine et dont on a parlé[369] : il est connu pour des vers satiriques faits contre madame de Pompadour, qui le fit mettre dans la cage de fer ; il a depuis eu la bassesse d’implorer les bontés de cette même femme pour sortir de sa prison.

29. — C’est M. de Champfort à qui M. de Chabanon à fait tomber sa pension de deux mille livres sur le Mercure.

30. — On se flattait que le sieur Gerbier plaiderait pour la veuve Véron, quoique morte, et défendrait sa mémoire outragée dans les plaidoyers du sieur Linguet. Cette infortunée, âgée de quatre-vingt-huit ans, avait laissé en mourant un diamant de dix mille francs à cet orateur pour l’engager à cette bonne œuvre ; mais il s’est désisté du legs. Ce nouveau trait du sieur Gerbier ne lui fait point d’honneur, en ce qu’on dit hautement qu’il a été payé par le comte de Morangiès pour ne pas parler. Il ne peut prétexter sa santé, puisqu’il a paru la semaine dernière à la Grand’Chambre, et a parlé pour les créanciers des fermiers des postes.

31. — *Extrait d’une lettre de Rouen du 26 mars.

« Il court ici une petite brochure, très-mal imprimée, ayant pour titre : Étrennes supérieures de Normandie pour l’année bissextile 1772, dédiées à Monseigneur Thiroux de Crosne, chevalier, premier président du Conseil Supérieur de Rouen et intendant de la généralité, par un maître perruquier de sa famille, à l’enseigne des deux Bassins-Blancs ; et pour épigraphe : Ici l’on rase proprement.

Chaque mois est d’abord précédé, comme dans les almanachs de Liège, de prédictions, non sur le temps, mais relatives à ce qui se passe et se passera dans la ville. Il y en a d’ingénieuses, et en général elles sont toute méchantes.

Après différentes plaisanteries des éclipses, des pronostications perpétuelles de M. le chancelier, des ministres, des exilés, des Conseils Supérieurs, etc., on fait la liste des membres qui composent le Conseil Supérieur de Rouen, ainsi que des avocats, et on cite différens traits de chacun par lesquels on voit que ce sont tous gens tarés. Suit un récit de l’installation du Conseil, le 17 décembre dernier, où l’on couvre ces Messieurs de tout le ridicule qui leur appartient.

On y joint la liste des membres qui composent le Conseil Supérieur de Bayeux, avec des apostilles qui les rendent très-propres à faire le pendant de ceux de cette ville.

On finit par cette chanson qui donnera une idée du reste ; elle est intitulée : Chanson nouvelle, sur l’air : Sti-là qu’a pincé Berg-Op-Zoom.

Quand Thiroux fut fait intendant,
C’était pour raser l’Parlement ;
On craignait dans le ministère
Qu’il n’oubliât le métier d’son père.

Par un duc[370] brave en temps de paix,
Thiroux fut conduit au Palais :
« Messieurs, dit-il, le roi ordonne
Que j’vous fasse l’poil en personne. »

Nos grenadiers n’étaient pas gens
À s’laisser tondre honteusement.
Ils ont su, malgré ces bravaches,
Garder le poil de leurs moustaches.

Or deux d’entre eux furent tondus,
Mais c’étaient deux poils de leur c…,
Des lâches, issus de familles,
Portant pour armes des étrilles.

Puis Thiroux et le vil Normand[371]
Sont tous deux placés présidens
D’un Conseil d’aussi vils esclaves
Que nos grenadiers étaient braves.

Sti-là qu’a baclé la chanson,
Vantez que c’est un fier luron ;
Il irait, dans sa noble audace,
Leur ch… à tous sur la face.


1er Avril. — On prétend aujourd’hui que l’Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes, est un ouvrage entrepris ici, et imprimé même avec permission tacite, mais resté sans voir le jour, par des considérations politiques ; que M. le chancelier y a trouvé des choses répréhensibles contre la religion, les prêtres et les rois. On l’attribue à divers encyclopédistes, comme Duclos, Diderot, d’Alembert, etc.

2. — On a donné hier, aux Italiens, un opéra comique nouveau en un acte et en prose, mêlé d’ariettes, intitulé le Bal masqué. Pour exciter la curiosité du public, on avait annoncé sur l’affiche que la musique était de M. Darcy, âgé de douze ans, élève du sieur Grétry. On a fait grâce à l’ouvrage en faveur de l’enfant, mais rien de plus plat que le poëme. La musique est agréable, mais destituée d’harmonie et sans aucune chaleur.

3. — *À Me Jacques de Vergès et aux donneurs d’avis[372], brochure nouvelle, avec cette épigraphe :

Exoriare aliquis nostris ex ossibus ultor.


C’est une facétie très-ingénieuse et très-gaie, où l’on turlupine, le plus joliment du monde, M. le chancelier et ses émissaires, sur toutes les peines qu’ils se donnent pour découvrir l’auteur de la Correspondance, et arrêter le cours de cette brochure. On y sème en passant des anecdotes très-piquantes et bien propres à aiguillonner d’une part la curiosité du public, et de l’autre à irriter la fureur du parti adverse.

4. — *L’Arrêt du nouveau tribunal, en date du 14 mars, contre la troisième partie de la Correspondance et le quatrième Supplément à la Gazette de France, semble être devenu le signal d’une guerre plus vive de la part des patriotes. On annonce différentes brochures foudroyantes. Jusque-là on escarmouchait. On a parlé du pamphlet À Me Jacques de Vergès, etc. Il paraît aujourd’hui une autre facétie, intitulée : Arrêt de la Cour du Parlement, du 3 avril 1772. C’est une parodie de celui du 14 mars, où, sous prétexte d’ordonner la brûlure de la brochure À Me Jacques de Vergès et aux donneurs d’avis, on cherche à imprimer un nouveau ridicule sur ces Messieurs. Ledit Arrêt est précédé d’un Réquisitoire supposé dudit avocat-général, où l’on emprunte les expressions de cet orateur pour dénoncer le libelle furtif, production d’une cabale obscure de dix-huit millions d’âmes, complices de l’auteur, etc. On y trouve quelques bonnes plaisanteries, comme celle-ci ; mais, en général, il est lourd, et c’est peut-être la seule misérable production qu’ait enfantée ce parti.

5. — Le Mémoire pour les adversaires de M. le comte de Morangiès commence à paraître ; il est intitulé : Pour demoiselle Geneviève Gaillard, femme séparée, quant aux biens, du sieur Nicolas Romain, officier invalide, fille et héritière légitime de Marie-Anne Regnaux, veuve du sieur Marie-François Véron, banquier ;

Et sieur François Liégard Dujonquay, docteur ès lois, petit-fils de ladite dame Véron, et son légataire universel, ayant repris en cette qualité les plaintes et accusations intentées à la requête de ladite dame Véron.

Son objet est de prouver, 1° que le comte de Morangiès, dépouillé de ses biens par le contrat d’abandon qu’il en a fait à ses créanciers en 1768, et obligé d’obtenir, au mois d’août 1771, un arrêt de surséance pour se soustraire aux contraintes par corps, a abusé de l’ascendant que son âge et son rang lui donnaient sur un jeune homme de vingt-cinq ans, sans expérience, arrivé depuis peu de la province où il avait été élevé, pour se faire prêter par lui, sur ses simples billets, une somme de trois cent mille livres, appartenant à la dame Véron, sa grand’mère ;

2° Que, pour se soustraire aux créances résultantes de ses propres engagemens, le comte de Morangiès a eu l’indigne barbarie d’employer la voie de la surprise et des mauvais traitemens par le ministère d’agens subalternes, pour arracher de la dame Romain et de son fils des déclarations contraires à la vérité du prêt ;

3° Que, non content de ces délits, il est coupable d’avoir machiné la perte des enfans de la dame Véron, en les accusant de lui avoir escroqué pour plus de trois cent mille livres de billets, en les précipitant dans les horreurs de la prison, et en provoquant contre eux des condamnations afflictives et infamantes ;

4° Qu’enfin la nature de ces accusations et la nécessité de punir le coupable, quel qu’il soit, exigeant une instruction rigoureuse par récolement et confrontation, cette instruction doit être faite à la requête des parties pour lesquelles est écrit le Mémoire.

Cette affaire, une des plus importantes qui aient jamais été portées au barreau, est mise dans le jour le plus lumineux, tant par l’ordre avec lequel les faits sont établis, que par le développement des moyens : les preuves s’y soutiennent, et s’y enchaînent avec un art qui les fait toujours croître par degrés, jusqu’à l’évidence.

On ne saurait trop exalter la louable fermeté de Me Vermeil, qui a osé prendre en main la cause de malheureux opprimés, de l’innocence desquels, suivant le devoir d’un avocat délicat, il a commencé se convaincre par toutes les précautions que peut employer la prudence. Le courage de cet orateur est d’autant plus grand, plus noble, plus épuré, que, même en gagnant sa cause, il ne pouvait envisager pour récompense que le plaisir touchant et délicieux d’une belle action, puisque toute la fortune de ses cliens se trouvait entre les mains d’un homme dérangé, qui peut-être ne serait jamais en état de restituer cette somme ; mais il paraîtra bien plus héroïque encore, lorsqu’on saura le déchaînement des roués de la cour contre lui, avec quelle audace trois cents seigneurs, ou chevaliers de Saint-Louis, ou militaires, se rendaient aux audiences, s’emparaient en quelque sorte du barreau, voulaient par les discours les plus insolens, des menaces ou des gestes de mépris, intimider l’orateur, et poussaient l’indignité jusqu’à cracher sur sa robe. Heureusement son éloquence, victorieuse de tous ces obstacles, a paru n’en acquérir que plus de force, et ses plaidoyers, ainsi que son Mémoire, passeront aux yeux gens sensés et impartiaux pour des chefs-d’œuvre. Dénués de tout le bavardage, si en vogue au barreau, de ce faste de déclamation nécessaire au mensonge pour s’envelopper, ils sont écrits avec toute la sagesse qu’exigeait la position délicate de Me Vermeil, et il a prouvé à Me Linguet son adversaire, qu’on pouvait montrer la vérité dans toute sa vigueur sans invectiver nécessairement son ennemi.

Au surplus, M. le comte de Morangiès a, dit-on, fait l’impossible pour faire évoquer au Conseil cette affaire ; on assure que le roi s’y est opposé.

7. — *On prétend que madame Adélaïde étant allée voir madame la duchesse de Mazarin à Chilly, l’a trouvée dans une coiffure singulière, et lui a demandé ce que c’était que cette nouvelle mode ? Celle-ci a répondu que cela se nommait à la Correspondance ; c’est un bonnet à deux becs, qui sont en cornes. Nouvelle curiosité de la princesse. Madame de Mazarin l’a satisfaite en lui rendant compte de l’anecdote, et de la plaisanterie qu’on faisait, dans le livre qui porte ce nom, sur la perruque de l’avocat Gin[373]. Ces détails ne font que redoubler l’intérêt de madame Adélaïde ; c’est ce que voulait la duchesse : pour mieux mettre Madame au fait, elle fait venir le livre qu’elle a, dit-on, lu à cette princesse en entier ; ce qui afflige beaucoup M. le chancelier.

8. — M. Duclos était revêtu d’une place d’historiographe de France, qu’avait eue M. de Voltaire, et qu’il a perdue en s’expatriant ; elle est conférée aujourd’hui à M. Marmontel. On prétend qu’il n’a que l’honorifique, ainsi que son prédécesseur, et que le philosophe de Ferney, en renonçant au titre, s’est conservé la pension[374]. Cette place est en outre très-jolie, par les agrémens qu’elle procure, comme un logement dans les maisons royales, une entrée libre à toutes les fêtes, etc.

M. de Foncemagne va mieux ; il est sorti de l’état d’hypocondrie où il était tombé, et a repris ce qu’on appelait la Conversation. C’est une assemblée, qui s’établissait chez lui tous les soirs, de gens d’esprit qui s’y rendaient régulièrement ; il n’y a ni jeu, ni femmes, et l’on y disserte philosophiquement, comme on faisait à Athènes au Lycée ou au Portique.

La réception de son lecteur, M. Dacier, à l’Académie des Belles Lettres, n’a pas peu contribué à mettre du baume dans le sang de M. de Foncemagne ; il prenait un intérêt très-vif à l’événement. En effet, la faveur pure a influé sur l’élection de ce sujet, qui ne l’a emporté que d’une voix sur son concurrent, M. l’abbé Leblond, savant connu, couronné à cette Académie, et qui avait des titres littéraires bien supérieurs à ceux de l’autre candidat[375] : il n’a eu que seize voix contre dix-sept. M. Dacier n’a encore rien fait que la traduction des Histoires diverses d’Élien, et cet ouvrage n’était pas même imprimé lorsqu’il a été nommé.

— *Il paraît une troisième Lettre manuscrite datée de Versailles, le 25 mars ; elle a pour titre : Réponse de M. de Maupeou à M. Sorhouet[376]. Elle contient des anecdotes nouvelles : on ne sait si ce commerce manuscrit durera long-temps, mais on parle déjà d’une quatrième Lettre.

9. — Extrait d’une lettre de Choisy, du 8 avril.

« Sa Majesté est venue passer deux jours ici avec une certaine quantité de seigneurs et quatre dames, madame la comtesse Du Barry, madame la maréchale de Mirepoix, madame la comtesse de L’Hôpital et madame la duchesse de Mazarin. C’est la première fois que cette dernière se trouve à de semblables parties ; son attachement pour les Choiseul l’avait toujours rendue peu agréable depuis leur disgrâce.

« Madame la comtesse Du Barry, qui cherche tous les moyens de dissiper le roi, que l’ennui gagne aisément, avait imaginé de faire venir Audinot jouer à Choisy avec ses petits enfans. C’est la première fois que ce directeur forain paraît devant Sa Majesté. Il aura pu mettre sur ses affiches de la Foire : « Les Comédiens de bois donneront aujourd’hui relâche au théâtre, pour aller à la cour. » On a exécuté trois pièces sur notre théâtre, et les petits enfans n’ont été nullement déconcertés ; ils ont joué à merveille.

« On a donné d’abord Il n’y a plus d’enfans, petite comédie en prose du sieur de Nougaret, où il y a de la naïveté et des scènes d’une morale peu épurée. La Guinguette, ambigu comique de M. de Pleinchêne, a plu davantage : c’est une image riante et spirituelle de ce qui se passe dans les tavernes ; c’est un joli Téniers. On a fini par le Chat-Botté, ballet pantomime du sieur Arnould. Au reste, ce ne sont point des nouveautés : vous devez avoir vu cela depuis long-temps à la Foire Saint-Germain. On n’a pas même oublié la Fricassée, contre-danse très-polissonne. Madame la comtesse Du Barry s’amusait infiniment et riait à gorge déployée, le souriait quelquefois ; en général, ce divertissement n’a pas paru l’affecter beaucoup.

9. — Il y avait autrefois quatre pensions affectées pour l’Académie Française ; le malheur du temps les avait fait supprimer ; on vient d’en rétablir deux, l’une en faveur de M. de Foncemagne, l’autre pour l’abbé Batteux.

10. — *On vient d’imprimer un Supplément aux Étrennes supérieures de Normandie[377]. Il n’a que six pages, mais contient une multitude d’anecdotes infamantes pour la plupart des membres : on cite différens Arrêts du Parlement de Normandie, condamnant à différens supplices plusieurs personnages du même nom, et qu’on ne manque pas de donner pour parens des nouveaux magistrats.

11. — Aujourd’hui, dès le grand matin, le Palais s’est trouvé rempli de curieux, pour entendre le plaidoyer de M. l’avocat-général de Vergès dans l’affaire de la veuve Véron et héritiers contre le comte de Morangiès. Tous les roués de la cour n’ont pas manqué de s’y rendre avec plus d’affluence que jamais : on comptait beaucoup d’officiers-généraux et nombre de militaires de grades inférieurs, dans le dessein, sans doute, de s’emparer de la Tournelle, d’assiéger, pour ainsi dire, les juges, et de les gêner dans leurs suffrages par leur présence.

Cependant Me Jacques de Vergès n’a point paru intimidé de cette bruyante et redoutable assemblée ; il a parlé depuis sept heures et demie jusqu’à deux heures avec la plus grande présence d’esprit.

Lorsque l’avocat-général a rendu ses conclusions, qui tendaient à la prise de corps contre le comte de Morangiès, Me Linguet, son avocat, est venu l’avertir qu’il était temps de s’en aller. Ce seigneur est devenu pâle, a perdu la tête ; le marquis de Poyanne a été obligé de l’emmener, et le peuple l’a suivi jusqu’à son carrosse, avec des huées, l’appelant escroc, voleur, etc. Ce procès nous rappelle en petit les fameuses divisions des Romains, entre les plébéiens et les patriciens ; on ne connaît, de mémoire d’homme, affaire qui ait occasioné une scission aussi générale.

La veille, Me Linguet avait donné un nouveau mémoire, intitulé Réplique ; c’est le plaidoyer débité dans une audience extraordinaire qu’il avait demandée pour le lundi, et qui se tient l’après-dînée avec l’appareil ordinaire des autres. Il était important pour sa partie de détruire les impressions fâcheuses restées dans l’esprit des juges et des auditeurs après la réplique de Me Vermeil du samedi. Celui-ci, de son côté, a répandu une réplique au plaidoyer du comte de Morangiès ; elle était signée d’un autre avocat, nommé La Croix ; elle contient des faits graves contre le comte, et la suppression demandée par l’avocat-général n’était motivée que sur une raison de forme, c’est-à-dire sur ce que le mémoire n’était pas signé des parties, et non sur ce qu’on y avançât rien de calomnieux.

12. — M. d’Alembert a été élu secrétaire de l’Académie Française, à la place de M. Duclos, qui vient de mourir.

— Le sieur Duchanoy, élève de M. Petit, a répandu l’année dernière une Lettre à M. Portal, lecteur du roi, professeur de médecine au collège royal, dans laquelle pénétré d’un louable enthousiasme pour son maître, il le défend sur la critique qu’il (M. Portal) a faite des ouvrages anatomiques de M. A. Petit dans son Histoire de l’anatomie et de la chirurgie ; mais poussant trop loin sans doute, il attaque M. Bouvart même, ennemi plus redoutable et plus déclaré encore de son héros. Il se permet une satire directe, et, ce semble, étrangère à la question, et fait une accolade de M. Portal et de M. Bouvart très-injurieuse. Voici le passage :


« Dans le peu que vous dites, Monsieur, touchant la manière dont M. Petit a défendu son opinion sur les naissances tardives contre M. Bouvart, il est aisé de s’apercevoir de la liaison qui règne entre ce dernier et vous. Jamais couple ne fut mieux assorti : simile simili gaudet, même goût pour la vérité, même respect pour les bienséances, même politesse, même justesse dans le raisonnement ; érudition aussi bien choisie de part et d’autre ; égale légèreté dans le style ; si gens de votre espèce pouvaient être amis, c’en serait sans doute assez pour le devenir : au moins cela suffit-il pour vous rapprocher et vous tromper mutuellement en feignant de l’être. Je ne vois qu’un point où votre ami M. Bouvart l’emporte sur vous, c’est par l’illustration que l’excellence de son âme et ses bons procédés envers ses confrères, etc., lui ont acquise ; mais, euge, puer, avec les dispositions que vous montrez, vous passerez votre modèle. »

Quand il a été question de recevoir docteur le sieur Duchanoy, M. Bouvart, lors de l’assemblée pour juger de l’information de vie et de mœurs du sujet, a fait rapporter un statut de la Faculté, par lequel tout candidat, convaincu d’avoir écrit contre un docteur de la Faculté, doit être exclu. La cabale du médecin outragé a fait valoir cette loi, et il a été arrêté que le candidat serait tenu de faire une lettre d’excuse à M. Bouvart ; il l’a fait d’une façon très-humiliante. Cependant celui-ci, traitant la chose peu généreusement, a renvoyé la lettre à la Faculté, en ajoutant qu’il la regardait comme une nouvelle injure, et qu’il s’opposait toujours à la réception du sieur Duchanoy. M. Petit, intéressé à la défense de son protégé, y a mis toute la chaleur possible. On exige aujourd’hui une rétractation formelle, précise, authentique du sieur Duchanoy, et c’est le point de difficulté. Il y a beaucoup de cabales pour et contre, et ces deux chefs divisent tout le collège de médecine.

— On a rendu compte, dans le temps[378], d’une partie d’ouvrage lue par M. Thomas à une assemblée de l’Académie Française, tirée d’un Essai sur le caractère, les mœurs et l’esprit des femmes dans les différens siècles. Celui-ci paraît imprimé. L’auteur y veut faire voir ce que les femmes ont été, ce qu’elles sont, et ce qu’elles pourraient être. Il traite la première partie, qui est historique, d’une façon intéressante et curieuse ; sa marche même est assez rapide, et c’est sans contredit le meilleur morceau de l’ouvrage. La seconde est un tableau de nos mœurs actuelles relativement à cette partie de l’espèce humaine, mais contenant moins de faits que d’observations, et dans ces dernières l’écrivain est souvent diffus, entortillé et trop minutieux. Quant à la troisième, elle est fort courte, et paraît uniquement destinée à caractériser, sous les traits d’une femme parfaite, madame Necker, l’héroïne de l’auteur, qu’il a déjà célébrée précédemment dans un portrait sous lequel les gens au fait reconnaissent parfaitement que c’est elle qu’il a eu en vue.

Madame Necker est une Génevoise qui tenait une espèce d’école dans la ville ; M. Necker, banquier de cette république, et aujourd’hui son ministre, en est devenu amoureux, et l’a épousée. Elle rassemble chez elle des philosophes et des beaux esprits, et c’est dans un de ces comités qu’a été conçu, ainsi qu’on l’a dit dans le temps, le projet d’élever une statue à M. de Voltaire[379].


13. — Il paraît un cinquième Supplément à la Gazette de France[380], plus long que les précédens. L’auteur a étendu sans doute ses correspondances, et donne des nouvelles des principales villes du royaume. Il prend consistance de plus en plus ; c’est aujourd’hui une gazette scandaleuse très en règle, mais dont les retours périodiques ne sont pas encore assurés.

Supplément au Roman comique, ou Mémoires pour servir à la vie de Jean Monnet. Rien de si plat que cette brochure ; les Mystifications même de Poinsinet, si susceptibles d’une plaisanterie gaie et caustique, n’ont aucun caractère risible sous le pinceau de ce fade barbouilleur ; en un mot, c’est un livre bleu dans toute la valeur du terme, un vrai poisson d’avril que ce bateleur littéraire a donné au public.

14. — L’affaire de M. le comte de Morangiès est plus que jamais le sujet des conversations de Paris ; son évasion de la Tournelle lui a aliéné ses partisans honnêtes, qui étaient persuadés de son innocence et de sa probité. On rapporte qu’un chevalier de Saint-Louis, présent, lui a crié dans ce moment : « Monsieur de Morangiès, qui quitte la partie la perd. » Madame Godeville, femme renommée pour ses galanteries et ses escroqueries, et fort liée avec M. de Morangiès, présente aux conclusions de l’avocat-général, dit bêtement au sieur Linguet, lorsqu’il fut annoncer à sa partie qu’elle eût à se retirer : « Monsieur Linguet, offrez mon appartement au Temple à M. de Morangiès. » L’enclos du Temple est un endroit privilégié où se retirent les banqueroutiers. Enfin, le sieur Vermeil n’a pas manqué de se prévaloir de la circonstance, de demander acte de la fuite de M. de Morangiès, comme un indice de sa frayeur et des remords qu’il éprouvait. Il a fait remarquer, au contraire, avec quelle sérénité ses cliens avaient entendu les conclusions de l’avocat-général, et étaient disposés à se constituer prisonniers pour l’éclaircissement de la vérité ; ce qu’ils ont offert eux-mêmes sur-le-champ. Enfin l’avocat Linguet a perdu la tête comme le comte ; pendant que les juges délibéraient, il a voulu balbutier quelques phrases qu’on ne lui a pas laissé finir. Il a eu l’audace d’entrer dans la chambre où les magistrats s’étaient retirés pour délibérer entre eux ; mais on l’a mis à la porte, et l’on a fait poser deux sentinelles pour que personne ne pût approcher et écouter les opinions.

14. — Dans l’affaire des Vérons on distingue surtout un mémoire signé de Me La Croix, jeune avocat qui donnerait les plus grandes espérances s’il en était le vrai père. Il est précis, rapide, plein de sarcasmes, mais décens, et d’ailleurs placés dans la circonstance relativement à celui de l’avocat Linguet qu’il réfute, et dont l’ironie est la figure favorite. Ce La Croix a fait quelques ouvrages de littérature ignorés.

Il paraît un autre Mémoire dans la même affaire pour le nommé Gilbert, l’ami fidèle du petit-fils de la veuve Véron, dont la fermeté fournit des traits d’une générosité très-rare aujourd’hui, et qu’on ne chercherait pas dans un cocher ou piqueur de M. de Mailly, tel que l’était ce Gilbert. Le mémoire est de Me Courtin.

14. — *Depuis le Réquisitoire du 14 mars, il semble que les écrivains patriotiques aient repris plus d’activité, et comme pour marquer l’impuissance de la police et du ministère, les brochures se multiplient en foule. Depuis le cinquième Supplément il paraît un autre pamphlet intitulé : L’Auteur du Quatrième supplément à M. de Maupeou, chancelier de France. De Paris, ce lundi 13 avril 1772[381]. Il y a apparence que c’est antidaté, et que cela ne s’est pas imprimé depuis hier. L’auteur en question turlupine, de son côté, le chef suprême de la justice, et maître Jacques de Vergès sur certaines expressions de son Réquisitoire. Il rappelle des anecdotes atroces contre le sieur Breuzard, conseiller, qui a fait la dénonciation du quatrième Supplément au nouveau tribunal, et peint ce magistrat non-seulement comme assassin de son frère, mais comme empoisonneur de sa première femme. Suit une prétendue Copie d’une lettre volée à l’éditeur de la quatrième Correspondance, (elle est la trente-sixième, et de M. de Maupeou à M. Sorhouet) datée de Paris le 24 mars, où l’on dévoile les inquiétudes du chancelier et ses projets secrets pour opérer efficacement les liquidations.

15. — La licence est poussée au point qu’il n’est pas de plaisanteries qu’on ne se permette, et qui ne trouvent à s’imprimer. On répand ici l’annonce suivante :

« Messieurs, vous êtes avertis qu’il est arrivé pour la Foire Saint-Germain un personnage intéressant.

« Le sieur Fiquet de Normanville, dit le vil Normand, fils d’un aubergiste, devenu le receveur de la duchesse de La Force, petit-fils d’un valet d’écurie devenu aubergiste, président parjure et intrus au Conseil Supérieur de Rouen, est venu en cette ville avec beaucoup de prétentions. Il s’agit de traiter la réunion des deux Conseils en un Parlement, d’être premier président du Conseil de Rouen actuel ou du futur Parlement postiche à la place de M. de Crosne qui ne s’entend à rien, ou même d’obtenir une place méritée parmi messieurs les maîtres des requêtes.

« Le sieur Fiquet est reconnaissable à sa tête à perruque, sa face pleine, son nez large, ses yeux noirs, ses sourcils châtains, son cou court, sa taille fournie de cinq pieds quatre pouces, sa démarche rustique, son propos burlesque.

« On le verra souvent à la porte de M. de La Michaudière, dans l’antichambre de M. le chancelier, chez des filles, à la Comédie Italienne.


« Ceux qui apprendront de ses nouvelles sont priés d’en donner à M. ***, faubourg Bouvreuil, à Rouen ; ils recevront récompense. »

16. — *La quatrième Lettre manuscrite se répand ; elle est de M. de Sorhouet à M. de Maupeou[382]. Sa date est du 1er avril ; elle roule sur les petites brochures nouvelles de M. le chancelier ; elle est peu de chose, et semble un passage seulement à la cinquième où doit être vraisemblablement un entretien de M. de Machault.

17. — On ne saurait assez s’étonner de l’audace de certains avocats à avancer les faits les plus faux dans les plaidoyers, et à les soutenir, malgré la facilité de les convaincre. C’est ce qui vient de se passer au Châtelet tout récemment encore de la part de Me Linguet, dont la réputation est des plus mauvaises du côté de l’exactitude et de la véracité. On a repris à ce tribunal le procès en séparation entre madame de Gouy et son mari, dont les plaidoieries avaient été interrompues par la maladie du sieur Gerbier, avocat de la femme ; Linguet est celui du mari. Il s’agissait du nombre des marches d’un escalier, que ce dernier n’évaluait qu’à trente environ et l’autre à plus de quatre-vingts. Tous deux ont prétendu les avoir montées et comptées.

18. — L’auteur des Druides est fort intrigué pour l’impression de sa pièce, à laquelle la cabale des dévots s’oppose. Le docteur Bergier surtout, qui l’a approuvée, excédé par les importunités de M. de Trudaine, souhaiterait fort qu’elle ne passât point, ou tout au moins qu’il ne fût pas fait mention de sa signature.


19. — M. Duclos était historiographe de France, et le duc de La Vrillière a envoyé, en conséquence, à la levée du scellé du défunt, un commissaire du roi pour retirer tous les cartons relatifs à cette partie de son travail. Il s’est élevé une contestation à ce sujet entre les officiers de justice et ledit commissaire du roi ; celui-ci voulant indistinctement emporter tout ce qui se trouverait étiqueté de cette manière, les premiers prétendant, au contraire, qu’ils doivent visiter auparavant lesdits cartons et les inventorier, pour examiner s’il n’y aurait aucun papier de famille. On ne sait pas encore la décision de la querelle.

On présume que l’objet du ministre était de soustraire tous les papiers qu’on pourrait trouver concernant l’affaire de MM. de La Chalotais avec qui l’Académicien était extrêmement lié, et les remettre à son neveu, M. le duc d’Aiguillon.

20. — *Le Point de vue, ou Lettres de M. le président à M. le duc de N***, soixante-huit pages in-12[383]. L’objet de ce nouvel écrit est de faire connaître que les premiers instigateurs des troubles actuels sont les Jésuites ; que ce sont eux qui les fomentent dans l’espoir de ménager leur retour plus ou moins prochain, et qu’ils ne peuvent finir que par l’extinction de l’Ordre.

21. — Le procès pendant entre les libraires et M. Luneau de Boisjermain doit recommencer à se plaider après la Quasimodo. Le sieur Gerbier, nouveau défenseur des premiers, a demandé le retard de cette cause, qui devait avoir lieu après la Saint-Martin, pour avoir le temps de s’instruire ; elle doit attirer encore beaucoup de monde au Palais : c’est toujours M. Luneau qui parle pour lui-même.

22. — On a reçu la neuvième partie des Questions sur l’Encyclopédie. On y trouve des Lettres de Memnius à Cicéron, de main de maître.

25. — Madame Favart, dont nous avions annoncé la cruelle maladie, a enfin succombé à ses douleurs. Ses amis ne l’ont point abandonnée jusqu’au dernier instant. Il faut distinguer entre eux M. Lourdet de Santerre et l’abbé de Voisenon. Le premier est un Maître des Comptes, qui se mêle de bel esprit, et qui passe pour avoir mis en commun ce qu’il en avait avec le mari et la femme, dont il enrichissait les ouvrages de ses saillies. Quant à l’autre, on connaît son prodigieux attachement pour le ménage en question. Depuis la mort du maréchal de Saxe, dont la passion avait commencé à rendre célèbre cette courtisane qui suivait les armées, l’abbé vivait avec elle, et mangeait tout son revenu dans la maison. Prêtre de son métier, libertin par habitude, et croyant par peur, il a fait tout ce qu’il fallait pour mettre devant Dieu l’âme de sa maîtresse. Comme elle tenait prodigieusement aux quinze mille livres de rentes que lui valait son état de comédienne, elle faisait difficulté d’accéder à la renonciation au théâtre que l’Église exigeait, ce qui annonçait au moins de la bonne foi chez elle et une constance inviolable à ne point se parjurer. Il s’est remué auprès des gentilshommes de la chambre pour qu’on lui fit accorder ses appointemens en pension, même en cas de retraite. Cette faveur a rendu l’actrice libre, et son salut n’a plus souffert de difficulté.

Le grand talent de madame Favart brillait plus dans le lit qu’au théâtre. Sur ce qu’on reprochait au Mars de la France son engouement pour cette fille peu jolie, ce héros, non moins fameux en combats amoureux qu’en exploits guerriers, répondit : « Trouvez-m’en une qui me le fasse faire comme elle ! »

26. — *Les propos se soutiennent sur le discrédit où tombe M. le chancelier, sur sa brouillerie constante avec madame Du Barry et les autres ministres, et sur les efforts que font plus ouvertement aujourd’hui contre lui les ministres de la maison de Bourbon, en sorte que-les espérances se raniment merveilleusement de toutes parts, et qu’on a toujours fait à compte la chanson suivante.


Chanson prophétique.

Sur l’air : Lon lan la derirette.

Par ma foi, René de Maupeou,
Vous devriez bien être saoul,
VoLon lan la derirette,
De tous les pamphlets d’aujourd’hui.
VoLon lan la deriri.

Votre crédit baisse, dit-on ;
Chacun vous tire au court bâton :
VoLon lan la derirette.
N’en êtes vous pas étourdi ?
VoLon lan la deriri.

L’abbé Terray, le d’Aiguillon
Méditent quelque trahison,
VoLon lan la derirette,
Le petit Saint[384] s’en mêle aussi.
VoLon lan la deriri.

Mais votre plus affreux malheur
C’est de n’être plus en faveur,
VoLon lan la derirette,
Avec madame Du Barry.
VoLon lan la deriri.

Jusqu’à ce Monsieur de Beaumont[385],

Qui vous a fait certain affront,
VoLon lan la derirette,
Sans vous en avoir averti.
VoLon lan la deriri.

Ce qui redouble encor vos maux,
Le maître vous tourne le dos,
VoLon lan la derirette,
Et bien plus, la Future en rit[386].
VoLon lan la deriri.

Voulez-vous que je parle net ?
Il faut faire votre paquet ;
VoLon lan la derirette,
Monseigneur, décampez d’ici.
VoLon lan la deriri.

Car à la Grève un beau Salve
Pour vous bientôt est réservé,
VoLon lan la derirette,
Et par dessus De profundis,
VoLon lan la deriri.

28. — La canonisation de la bienheureuse Frémyot de Chantal, institutrice de l’Ordre de la Visitation, a été célébrée aujourd’hui à Sainte-Marie, couvent de la rue Saint-Antoine, dans le cérémonial brillant que peut exiger cette apothéose chrétienne. M. l’archevêque s’y est transporté avec tout son clergé, pour ouvrir la neuvaine de jubilation qui doit y perpétuer la mémoire de ce grand événement. Les paroisses, les couvens, et les fidèles de Paris et des environs, seront admis dans cet intervalle à rendre leurs hommages à la nouvelle sainte, et à faire, pour ainsi dire, connaissance avec elle. Des familles distinguées de ce royaume prennent d’autant plus de part à la joie publique, qu’elles ont l’honneur d’appartenir à madame de Chantal, par madame de Sévigné, qui était sa petite-fille, et dont les ouvrages, quoiqu’elle ne soit pas canonisée, sont plus connus des mondains que les livres mystiques de sa grand’mère.

29. — *L’annonce des Druides avait été renouvelée aujourd’hui. À une heure un exempt de police est venu signifier aux Comédiens un ordre du roi de ne pas jouer cette pièce, ce qui les a fort embarrassés. Ils voulaient, par épigramme, y substituer le Tartufe ; malheureusement ils ne se sont pas trouvés assez complets pour le jouer. Cette proscription est un nouvel effort du clergé, et surtout de l’archevêque de Paris. D’ailleurs, des raisons de politique se sont jointes à l’esprit de fanatisme, et l’allusion qu’on a cru y voir entre madame Louise, et une fille de roi qui s’y dévoue au culte d’Ésus, les applications qu’on en a faites malignement dans la brochure À Jacques de Vergès, ont engagé le ministère à se rendre, en cette occasion, aux vœux du clergé, qu’on ne veut pas mécontenter ouvertement dans le moment où il est question de l’assembler pour en obtenir de l’argent.

30. — On a donné hier, dans le Wauxhall de la Foire Saint-Germain, un concert extraordinaire au profit des écoles gratuites de dessin. L’assemblée était nombreuse et brillante, et la salle, qui est décorée de la façon la plus galante, ornée d’une multitude de jolies femmes, semblait offrir une assemblée de l’Olympe. La musique n’a point répondu à cette imagination. Le concert a commencé par deux symphonies qui avaient balancé le prix au concours établi, depuis quelques années, à la salle du concert spirituel pendant la quinzaine de Pâques. Après l’exécution M. de Meulan, fondateur de cette médaille, établi sur un théâtre particulier avec les juges, a déclaré que la seconde symphonie concertante avait été jugée la meilleure ; il a nommé l’auteur[387] qui est un musicien appartenant à l’électeur Palatin ; il a ajouté que regrettant de ne pouvoir reconnaître convenablement le mérite du second auteur[388], on avait fourni une somme de deux cents livres pour le récompenser : celui-ci est un musicien du prince des Deux-Ponts. Les deux lauréats ont paru successivement, et ont reçu leur rétribution des mains de M. de Sartine, lieutenant-général de police. On a ensuite chanté l’opéra de Deucalion et Pyrrho, mis en musique par M. Gibert. Il est en quatre actes, et n’a fait que peu de sensation ; il a d’ailleurs été fort mal exécuté. En tout, ce concert était médiocre, et ne répondait pas à son objet. Des deux nouveaux morceaux de musique couronnés, l’un a paru plus savant, l’autre plus agréable ; mais dans aucun l’on n’a trouvé de ces traits d’harmonie sublime qui caractérisent les grands maîtres et les ouvrages durables.


1er Mai. — Il est arrivé depuis peu à Paris un nouveau conte manuscrit de M. de Voltaire, ayant pour titre la Bégueule, conte moral, par le R. P. Nonotte, prédicateur. Il y a joint un envoi à madame de Florian, en date du 19 avril.

3. — Feu M. Rouilley de Meslay, ancien conseiller au Parlement de Paris, ayant conçu le noble dessein de contribuer aux progrès des sciences et à l’utilité que le public en pouvait retirer, a légué à l’Académie royale des Sciences un fonds pour deux prix qui doivent être distribués à ceux qui, au jugement de cette compagnie, auront le mieux réussi sur deux différentes sortes de sujets, qu’il a indiqués dans son testament, et dont il a donné des exemples.

Les sujets du premier prix regardent le système général du monde et l’astronomie physique. Le prix devait être de deux mille livres, aux termes du testament, et se distribuer tous les ans ; mais la diminution des rentes avait obligé de ne le donner que tous les deux ans, afin de le rendre plus considérable, et on l’avait porté à deux mille cinq cents livres. De nouveaux retranchemens dans les rentes ont forcé l’Académie de le réduire. Elle annonce en conséquence, dans son programme du sujet proposé pour le prix de l’année 1774, qu’à commencer de la présente année 1772 il n’est plus que de la somme de deux mille livres.

Les sujets du second prix regardent la navigation et le commerce : il ne se donnera aussi que tous les deux ans, suivant le même avertissement, et ne sera que de deux mille livres.

4. — Les fêtes célébrées au sujet de la canonisation de la baronne de Chantal ne se sont point passées sans fournir aux fidèles un nouveau sujet d’édification, et un spectacle bien propre à raffermir la foi de ceux qui sont assez heureux pour croire. Une malade de l’Hôtel-Dieu, impotente de jambes et se servant de béquilles, pleine de confiance en la nouvelle sainte, s’est fait transporter à Sainte-Marie, et, au milieu de sa prière, elle a lancé des cris perçans, comme s’il se passait quelque chose d’extraordinaire en elle : en effet elle s’est levée, à ce qu’on assure, et a marché, pas bien loin, car entourée de la foule elle en était comme soutenue. Il a fallu la soustraire à l’empressement des curieux. Bien des gens disent que c’est une pieuse imposture, et prétendent que les miracles ne s’opèrent point par douleur. Les chrétiens plus dociles attendent que le fait soit constaté, et que l’Église ait parlé. Quant aux philosophes et incrédules, dont cette ville abonde, ils en rient d’avance. On ne sait si les béquilles, premier monument du pouvoir de la sainte, seront suspendues dans la chapelle, suivant la coutume.


6. — M. l’abbé Delille et M. Suard ont été élus hier membres de l’Académie Française, pour occuper les deux places vacantes. M. le duc de Richelieu, qui présidait et qui favorisait en apparence le dernier, dont l’élection semblait devoir être très-critique, a voulu profiter de la prépondérance de voix qu’il connaissait pour lui, et, quoique la règle soit de ne faire qu’une élection dans une séance, il a proposé de procéder tout de suite à la seconde, ce qui a été fait. Il y a eu huit voix pour M. Lemière, quatre pour M. de Chabanon, une pour M. Laujon, et quatorze pour M. Suard. Ils étaient vingt-sept votans, et dix-neuf candidats sur les rangs. On n’a pas été peu surpris de voir celui-ci l’emporter, lui dont tout le mérite consiste à avoir fait de très-mauvaises Gazettes de France, et avoir traduit de l’anglais une Histoire de Charles-Quint par Robertson.

7. — C’est M. Watelet qui est reconnu l’auteur des paroles de l’opéra de Deucalion et Pyrrha. Rien de plus misérable que ce poëme, indigne à tous égards d’un membre de l’Académie Française.

10. — Hier samedi, comme l’Académie Française était prête à se séparer, est arrivée une lettre de M. le duc de La Vrillière, qui lui annonçait que non-seulement le roi ne confirmait pas les deux élections du 6, mais les improuvait, comme ayant été faites dans la même séance, contrairement aux statuts. On prétend que la lettre ajoutait aussi que les sujets ne lui étaient point agréables, le premier comme trop jeune, et comme exerçant les fonctions incompatibles avec sa nouvelle place ; c’est l’abbé Delille, qui est régent au collège de La Marche : et le second, comme ayant été renvoyé de la direction de la Gazette pour mécontentement de la cour. Quoi qu’il en soit, il est sûr que les élections sont à refaire ; ce qui occasione une fermentation considérable parmi les gens de lettres et surtout parmi les candidats.

12. — L’affaire de l’Encyclopédie s’est entamée aujourd’hui au nouveau tribunal. M. Luneau de Boisjermain a cherché d’abord à se concilier ses juges par un exorde tiré des circonstances ; il a fait de son avocat adverse, Me Gerbier, l’éloge le plus complet ; il est convenu de son insuffisance dans une carrière où il n’était jamais entré ; il a paru ne s’appuyer uniquement que sur l’intégrité de ses juges, et il est entré en matière : il l’a divisée en sept époques, et il n’a encore parcouru que la première ; ce qui annonce qu’il doit occuper plusieurs audiences. La cause est remise au jeudi 18. Les magistrats et les spectateurs ont paru prévenus de la façon la plus avantageuse pour l’orateur. La foule n’était pas encore considérable à cette première audience, parce que l’on ignorait l’ouverture de la cause, qui avait été renvoyée au 25 mai, à raison de la maladie de M. Luneau. La macération de son visage a parfaitement secondé la commisération qu’il a voulu exciter, et son organe d’ailleurs, quoique affaibli par la douleur, s’est prêté au volume de voix nécessaire pour le vaisseau de la Grand’Chambre où il parle.

13. — La fermentation de l’Académie Française, à l’occasion de l’improbation de ses deux élections, n’est point calmée : on est très-mécontent de M. le maréchal de Richelieu, qui a joué le parti encyclopédique dans cette occasion. Comme faisant fonctions de directeur, il avait donné à tous les votans ce jour-là un grand dîner. Voyant que la cabale pour les récipiendaires était trop forte, il a paru se ranger de ce côté, et a demandé lui-même, ainsi qu’on l’a dit, la double élection pour le jeudi, quoiqu’elle ne dût se faire qu’en deux séances, Mais dans le compte qu’il est allé rendre ensuite au roi de ce qui s’était passé, il a provoqué la réponse de S. M. survenue à l’assemblée le samedi. Sur quoi il a été arrêté et fait des représentations, dont M. de Nivernois a été chargé. S. M. y a répondu qu’elle ne s’opposait point à l’élection de l’abbé Delille, lorsqu’il aurait l’âge compétent ; qu’à l’égard de M. Suard, elle se ferait rendre compte des motifs d’exclusion personnelle, mais qu’elle voulait qu’on procédât à une nouvelle élection. L’Académie a arrêté d’itératives représentations.

Le samedi on fit des reproches à M. de Richelieu sur la perfidie dont il avait usé ; on lui dit qu’il aurait bien dû prévenir l’Académie sur les volontés de S. M., les sonder, etc. « Moi, Messieurs ? répondit le maréchal persifleur, le roi me parle, mais je ne parle point roi ; je ne puis interroger S. M. sur ses goûts. Demandez au sieur Nestier, qui a fourni peut-être vingt mille chevaux au roi, s’il n’est pas encore à savoir celui qui a plu d’avantage à ce monarque. »

— *On écrit de Bretagne que M. le duc de Chartres a été reçu partout avec les plus grandes démonstrations de joie, que la noblesse de toutes les villes où il a passé est montée à cheval pour aller au devant de lui, que les dames se sont parées, et se sont rendues aux endroits où il relayait, qu’enfin on lui a adressé, à Brest, le discours suivant au nom de la noblesse.

« L’hommage que vient rendre à V. A. S. la noblesse de Bretagne est l’expression des sentimens les plus chers à son cœur. Ne lui serait-il pas permis de faire éclater sa joie, lorsque votre arrivée dans une province qui s’est toujours distinguée par son zèle et sa fidélité, semble être le présage des événemens les plus heureux ? Tout concourt, Monseigneur, à fonder les douces espérances que nous osons former, le respect sans bornes pour l’auguste sang des Bourbons, notre vénération pour les qualités éminentes et patriotiques de V. A. S. et notre juste confiance dans les bontés paternelles d’un roi bien-aimé. »

Quelques phrases de ce discours ont fort déplu à la cour, comme ayant trait aux circonstances. On n’est point à se repentir d’avoir laissé aller en Bretagne, dans le moment, un prince chéri, dont la présence n’est propre qu’à faire fermenter les têtes de ce pays-là d’une façon dangereuse, surtout aux approches des États qui doivent s’assembler l’automne prochain. C’est M. le duc de Penthièvre qui en a demandé au roi la permission pour son gendre, et S. A. S. pourrait bien en essuyer des reproches.

14. — Il court une épigramme en forme d’énigme sur M. de La Harpe, assez plaisante ; elle roule sur son nom :

J’ai, sous un même nom, trois attributs divers :
Je suis un instrument, un poète, une rue :
Rue étroite, je suis des pédans parcourue ;
Instrument, par mes sons je charme l’univers ;
InstRimeur, je l’endors par mes vers.

15. — *Justice gratuite. Tel est le titre d’un nouveau pamphlet qui consiste dans les doléances d’un plaideur à la veille d’être ruiné par la justice gratuite, et dans une réponse de son ami, qui sent tous les grands avantages que M. le chancelier nous fait. Après les deux lettres on en trouve une troisième, où l’on développe encore plus la matière.

16. — Les Comédiens Italiens ont donné, avant-hier, la première représentation de l’Ami de la maison. Cette comédie a été assez bien accueillie ; le troisième acte surtout a été applaudi singulièrement. On a trouvé dans la musique du sieur Grétry de la richesse, de la variété dans sa composition, des accompagnemens de la plus grande beauté, une magnificence d’harmonie merveilleuse.

18. — *On parle d’un nouvel écrit, intitulé Requête des États généraux au Roi ; mais il est encore très-rare et a peine à percer. Il paraît émané d’un autre arsenal que celui où se fabriquent les diverses brochures politiques dont on a rendu compte. On le croit même imprimé en pays étranger.


— On a publié dans plusieurs papiers publics une Lettre de Me Linguet à M. le vicomte de Bombelles[389], qui ne pouvait que déshonorer cet avocat, par le soupçon qu’elle donnait sur l’honnêteté de sa conduite et sur son peu de délicatesse à se charger de la cause de la femme, après avoir brigué celle du mari comme bonne et excellente. Il a profité de l’occasion du Mémoire qu’il vient de publier pour l’enfant, dont il a plaidé la cause, et a donné une explication de cette Lettre, dont il attaque d’abord quelques parties comme fausses. Le surplus n’est, suivant lui, qu’une effusion de politesse vague qu’on ne doit pas prendre à la lettre.

— Quoique le Gouvernement se soit opposé à la suite représentations des Druides et à l’impression de cette tragédie, par une inconséquence qui est son caractère, comme celui de la nation, on la voit paraître en détail dans le journal des Éphémérides, où l’on en lit un très-long extrait. Les prêtres sont de nouveau en mouvement à cette occasion ; ils regardent la tournure comme d’autant plus scandaleuse, que cet ouvrage périodique n’est pas d’une nature à comporter des ouvrages de poésie, et moins encore des pièces dramatiques ; ce qui annonce un dessein prémédité et réfléchi de la cabale de l’auteur pour se soustraire aux défenses de la police et aux censures ecclésiastiques.

19. — M. le prince de Beauvau étant capitaine des gardes de service, et de l’Académie Française, a eu le courage de rapporter personnellement au roi le tort que portait à la liberté des suffrages de cette Compagnie l’exclusion que S. M. venait de donner à deux membres élus. Il lui a cité l’exemple de Louis XIV, dont la religion surprise lui fit autrefois rejeter le choix de Lafontaine, et qui, mieux instruit, leva sa défense. Sur quoi le monarque lui a répondu : « Je ne savais pas ce trait-là, mais ce qui est fait est fait. » Messieurs de l’Académie voyant qu’ils ne pouvaient se flatter d’avoir justice à cet égard, sur l’insinuation même qu’ils ont reçue qu’on ne cherchait qu’à exciter une résistance de leur part, pour avoir un prétexte de dissoudre ce corps, se sont humiliés sous la main qui les frappait, et ont fixé une nouvelle élection pour le samedi 23.

Quelques-uns des candidats ont fait acte de générosité et ont écrit à M. d’Alembert, le secrétaire actuel de l’Académie, qu’ils se désistaient de leur concurrence pour cette fois, ne voulant pas profiter de la disgrâce de deux gens de lettres désignés par un choix libre, contre lequel il ne leur appartenait pas d’aller. M. de Chabanon, M. Dorat, sont de ce nombre.

L’acharnement du Gouvernement contre les encyclopédistes et ceux qui leur sont attachés, est d’autant plus inconséquent aujourd’hui, que tout récemment on vient d’accorder la place d’historiographe de France à M. Marmontel, un des grands héros de cette cabale, un homme qui gémissait, il y a peu d’années, sous les anathèmes, de l’Église, à l’occasion de son Bélisaire, le sujet d’un scandale général parmi les docteurs, et sur lequel il fut obligé de recevoir la correction, et de donner des désaveux dans le sens qui lui fut prescrit.

21. — Les Comédiens Français ont donné hier la première représentation de Pierre-le-Cruel, que des plaisans, par dérision, depuis l’apparition de cette tragédie appellent le Cruel Pierre. En effet, elle semble le comble de la déraison, par la conduite extravagante de tous les acteurs, toujours débitant de belles maximes et se comportant comme des fous ou des sots. Ce sont autant de matamores, de capitans, de héros romanesques, institués aux mêmes écoles, soutenus des mêmes maximes. Le Maure, le Castillan, l’Anglais, le Français y pensent, y parlent de même, sauf Pierre-le-Cruel, qui ne leur ressemble que par les bravades et l’imbécillité. Du reste, c’est un monstre plus abominable encore que ne le peint l’histoire, et de ce genre qu’Horace veut qu’on ait grand soin d’écarter des yeux du spectateur, bien loin d’en faire le centre d’une pièce. Tout cela, soutenu du style flasque, rocailleux, gigantesque de l’Académicien, a présenté un composé si extraordinaire et si révoltant, que le public a enfin ouvert les yeux et sifflé l’auteur à peu près depuis le commencement jusqu’à la fin. On n’a pas osé annoncer une seconde représentation ce jour-là, mais on a eu l’impudence de l’afficher le lendemain, qui est aujourd’hui. C’est une suite de l’amour-propre du poète, fort naturel, et de celui des Comédiens, qui avaient déclaré hautement que c’était le plus beau chef-d’œuvre de M. de Belloy. Au reste, après la reprise des Druides rien ne doit étonner. Le parterre avait été fort tumultueux ce jour-là, et la pièce avait eu peine à finir. La sentinelle, pour faire acte de zèle, crut devoir offrir une victime à son corps-de-garde ; elle arrêta le premier venu, suivant l’usage de ces gens-là, c’est-à-dire un jeune homme fort tranquille. Me Linguet, témoin de cet outrage, oubliant qu’il n’était pas au Palais, voulut prendre chaudement la défense de l’opprimé. L’alguasil ayant trouvé cela mauvais, l’arrêta aussi et le conduisit au corps de-garde. Ce dernier a été relâché, mais est allé porter ses plaintes au maréchal de Biron.

22. — *Il est à craindre que l’Histoire philosophique politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes ne soit arrêtée incessamment par le bruit qu’elle occasione. On y trouve des réflexions si fortes, si hardies, si vraies, si contraires aux principes sur lesquels on voudrait établir le despotisme actuel, qu’il est difficile qu’on en tolère long-temps la vente publique. C’est ce qui engage l’abbé Raynal, assez décidément reconnu aujourd’hui pour l’auteur du livre, à le renier. Cependant on veut que la plupart des digressions qui s’y trouvent insérées ne soient effectivement pas de lui, comme trop vigoureusement frappées et trop énergiquement exprimées, trop contraires à sa manière de penser, petite, mesquine, à sa touche mignarde et léchée.

23. — M. de Fleury, interprète du roi pour les langues occidentales, âgé de quatre-vingt-deux ans, a été trouvé, il y a huit jours, dans son appartement, éventré de plusieurs coups de couteau qu’il s’était donnés. Heureusement pour ses domestiques, il vivait encore ; on a envoyé chercher le commissaire, le confesseur, etc. Il a dit qu’il ne fallait imputer ce meurtre à personne ; qu’il s’était défait lui-même, sans autre motif qu’une satiété de la vie insurmontable.

L’Esprit de l’Arrêt du Conseil du 13 avril 1772 C’est le titre d’une petite feuille de vingt-trois pages in-12. Elle est en deux colonnes ; d’une part elle est le texte de cette prétendue loi qu’on veut n’avoir point été délibérée au Conseil du roi, et qu’on regarde comme émanée purement des bureaux du chancelier ; de l’autre est le commentaire, où l’on développe le faux, l’injuste et l’atroce de l’Arrêt, tantôt par des louanges ironiques tantôt par des censures directes et lumineuses ; partout on y suit l’auteur pied à pied, on le combat, on le démasque, et l’on cherche à détruire l’impression que pourraient faire ou ses menaces ou ses caresses. On y a joint quelques anecdotes relatives, et il est fort à craindre qu’un tel récit, s’il parvient aux exilés, ne les confirme dans leur résolution, et ne les rende plus inébranlables que jamais.

— Malgré la chute complète de la tragédie de Pierre-le-Cruel, dont on n’avait osé annoncer une seconde représentation le même jour, le public avait vu avec indignation qu’elle osait reparaître sur l’affiche du lendemain ; cependant l’auteur, mieux conseillé, n’a pas osé soutenir une autre chute ; elle a disparu tout-à-fait. Il dit que c’est pour se donner le temps d’y faire des corrections, ou même de la refondre. On croit qu’il ferait beaucoup mieux d’en fabriquer une autre, ou plutôt de n’en plus composer ; car aujourd’hui que les yeux sont dessillés, il est à craindre que ses enthousiastes ne veuillent se venger de la sotte admiration qu’ils affichaient pour ce poète barbare.

24. — *Les Œufs rouges de Monseigneur étaient attendus avec impatience ; depuis long-temps on pressentait leur arrivée ; ils étaient annoncés pour le 15 mai, et ils auraient effectivement été distribués ce jour-là, si l’on eût pu les faire passer le 13, jour de la revue, comme on l’espérait, à la faveur du tumulte d’un tel spectacle ; mais les défiances de la police, qui avait redoublé ses suppôts, ont rendu vains les préparatifs, et il a fallu avoir recours à quelque autre ruse. Enfin ils se répandent, n’importe comment. C’est un petit volume de soixante-quatre pages, ayant pour titre : Les Œufs rouges, première partie. Sorhouet mourant à M. de Maupeou, chancelier de France[390]. Le discours est précédé de trois estampes.

La première, allégorique, représente « le temple de la Justice qui s’écroule par les efforts d’un nouveau Samson, aidé du démon de la Discorde, avec ses ailes de chauve-souris, un bonnet et un collet à la Jésuite. Le Samson français a un bandeau sur les yeux. La colonne sur laquelle le globe des armes de France est élevé, s’écroule aussi ; on n’y aperçoit plus que des traces d’anciens trophées à demi effacés ; on lit : Vestigia gloria deleta. La statue de Thémis a les bras cassés ; ses balances tombent par terre ; des femmes renversées représentent les principales Villes qui venaient demander justice ; l’écusson d’une d’entre elles marque la bonne Ville de Paris. Au bas se lit cette inscription : Alterius Samsonis vires. »

La seconde allégorie est une « allusion à la métamorphose d’Hécube en chienne enragée, poursuivie à coups de pierres par les Thraces.

« Le chancelier, en simarre, a la tête déjà changée en celle d’un chien, une patte fermée avec laquelle il croit pouvoir encore donner des coups de poing, de l’autre portant à sa gueule la lettre à Me Jacques de Vergés[391]. On lit sur l’adresse ce mot terrible : Correspondance La Vérité, d’une main, lui présente un miroir pour lui faire voir que la métamorphose ne lui a rien fait perdre des agrémens de son ancienne figure. À ses pieds on voit un ballot ouvert, duquel sortent avec impétuosité les Protestations des Princes, le Maire du Palais et les différentes parties de la Correspondance qui se changent en pierres. Quelques Français ramassent ces brochures, et les jettent à ce vilain dogue. Le fond représente la partie d’un temple, sur le frontispice duquel est Thémis entourée de nuages ; sur les marches on voit une foule de spectateurs qui lèvent les mains au ciel pour rendre grâces de la juste punition exercée contre le Maupeou. Au bas on lit cette inscription : Canis infandi rabies. »

Telle est l’explication que l’auteur donne lui-même des deux caricatures. La troisième est le frontispice ; il représente l’éditeur de la Correspondance recevant des mains de l’auteur les Œufs rouges de Monseigneur. Le premier a un masque sur le visage ; le second a l’air moribond, et se soulève avec peine sur son lit. Un Génie pleurs tient un cadran. Au bas de l’estampe on lit :

Épitaphe de l’illustre défunt.

« Dans le courant de novembre 1771 est passé de vie à trépas, de facétieuse mémoire, l’auteur de la Correspondance ; il était… citoyen…, il aimait sa patrie, et gémissait de la voir dans l’oppression ; il aimait son roi avec passion ; il n’en a jamais parlé qu’avec le plus tendre et le plus profond respect ; il plaignait ce bon prince, ce prince qu’il adorait… d’être le jouet du malheureux qui abuse de sa confiance. »

Le discours de M. Sorhouet est daté du 25 avril ; il est précédé de cette épigraphe :

Qui va répondre à Dieu, parle aux hommes sans peur,


vers de la tragédie de Tancrède de M. de Voltaire. Il est dans le goût de la fameuse Lettre du Conseiller du Grand Conseil, insérée dans la deuxième partie de la Correspondance[392], c’est-à-dire plein de choses, fort et nerveux. C’est un tableau rapide des manœuvres de M. le chancelier pour opérer la destruction du Parlement. L’auteur, avec sa politique ordinaire, continue à caresser M. le duc d’Aiguillon, à le supposer innocent, et à faire regarder tout ce qui s’est passé à son égard comme médité et tramé par le chancelier pour le perdre ; il cherche par là sans doute à maintenir et accroître la division entre ces deux personnages pour les détruire l’un par l’autre, s’il est possible. Par un raffinement de politique plus grand encore, il atténue aujourd’hui les torts du contrôleur-général ; et, comme il n’ose l’excuser lui-même, contradiction trop manifeste avec ce qu’il en a dit précédemment, il met sa défense dans la bouche d’un de ses partisans, et prétend que l’abbé Terray est beaucoup moins coupable que M. de Maupeou dans les maux qu’ils a faits à la France ; que le premier pouvait du moins objecter la raison d’État, se laisser entraîner par une nécessité impérieuse, et prendre des moyens violens sur lesquels il s’est peut-être trompé ; mais que rien n’excuse le second d’avoir scellé cet effroyable Édit du vingtième à perpétuité, de l’avoir fait passer à son Parlement, et d’avoir en outre chargé l’État d’un capital de dettes énormes en capitaux par les suppressions qu’il a faites, et d’arrérages annuels. Ces détails épouvantables sont rapprochés de façon à serrer le cœur de tout Français, et peut-être de tout étranger qui les lira. On est fâché que la fin de cette philippique dégénère vils, injurieux, ou burlesques sur différens membres du nouveau tribunal dont on n’avait pas encore ressassé l’origine, les mœurs et les talens. On y trouve malheureusement des faits faux, d’autres altérés dans leurs circonstances essentielles, ce qui indique trop de légèreté dans le compilateur à adopter des méchancetés, dont quelques-unes sont plaisantes, il est vrai, mais déparent absolument le ton noble et vigoureux du reste de l’ouvrage.

On trouve à la suite de tout cela de Très-humbles et très-respectueuses Remontrances du Parlement au roi sous la date du 25 avril, qui sont d’une meilleure plaisanterie, et cachent des vérités importantes.

À la fin de ces Œufs rouges on lit : « La suite pour le bouquet de Monseigneur. »

25. — L’Académie Française a procédé samedi à l’élection annoncée ; elle a nommé aux deux places vacantes MM. de Bréquigny et Beauzée. Ces deux nouveaux membres, d’âge mûr, de talens peu brillans et très-exacts à aller à la messe, ne déplairont certainement pas à la cour. Le premier est associé de l’Académie des Belles-Lettres ; il a travaillé à des recherches sur notre histoire ; il a même été envoyé à Londres pour y fouiller dans la Tour, de l’agrément du roi d’Angleterre, et y déterrer différens monumens et chartres qu’on a cru y avoir été transférés dans le temps de l’invasion des Anglais en ce pays. Il recueille, il compile des Arrêts, genre d’occupation qui ne peut procurer ni beaucoup de gloire, ni beaucoup d’envieux. Le second est professeur à l’École royale Militaire, qualité assez semblable à celle de l’abbé Delille, mais qu’on distingue cependant et qui semble participer à la noblesse de ses élèves. Il a composé Grammaire[393], dont on aura donné une idée suffisante en disant qu’il y combat Dumarsais ; et, pour faire connaître combien il est digne d’attaquer ce métaphysicien profond et délié, on ajoutera que, pour y rendre raison de la diversité des langues, il convient qu’il faut nécessairement remonter à la tour de Babel. Cette solution, si elle ne fait honneur à son génie philosophique et de discussion, atteste sa soumission aux Saintes Écritures et la vivacité de sa foi.

26. — Le sieur Riccoboni, connu autrefois sous le nom de Lélio, est mort il y a quelques jours. Il s’était d’abord acquis une réputation comme acteur à la Comédie Italienne ; il a en outre composé beaucoup de pièces pour ce théâtre, et a écrit sur son art avec distinction. Sa femme est encore plus connue que lui par des romans agréables et pleins d’esprit. L’inconduite du premier avait obligé celle-ci de s’en séparer, et il vivait dans la débauche et la crapule ; il était même accusé de pédérastie.

28. — M. de Voltaire, dont la manie est d’être toujours plaisant, de paraître au fait du persifflage moderne, et d’être au courant de ce qui se passe, vient d’envoyer à l’abbé de Voisenon une petite pièce ayant pour titre : Jean qui pleure et Jean qui rit. Il y fait tour à tour l’Héraclite et le Démocrite. Il faut avouer qu’on y trouve encore beaucoup de choses agréables et légères. M. l’abbé Terray y reçoit aussi son coup de patte, et par une réticence dont on doit savoir gré à la modération de ce philosophe rancunier, pour la première fois peut-être, il n’est question ni de Fréron, ni de Nonotte, ni d’aucun de ces autres cuistres de la littérature, qu’il injurie avec tant d’abondance et d’acharnement.

L’abbé de Voisenon a répondu à sa manière, c’est-à-dire d’un ton précieux, d’un style pomponné ; il y déplore la perte, qu’il craint, de ses yeux, et celle irréparable de sa chère amie Favart. L’indécence avec laquelle ce prêtre affiche aussi hautement sa douleur impudique a révolté tous les dévots, et même les honnêtes gens. Il s’y plaint aussi de la calomnie qui le poursuit à l’occasion des affronts qu’il a essuyés chez le duc d’Orléans et ailleurs pour des couplets en l’honneur du chancelier, et on voit peu de gens disposés à entrer dans ses peines. 30. — *On n’est point en général aussi content des Œufs rouges que des autres parties de la Correspondance. Les raisonnemens n’y présentent rien de neuf, et les plaisanteries ne sont pour la plupart que méchantes sans être gaies ; elles ne portent pas d’ailleurs sur des choses essentielles. On reproche à l’auteur d’avoir croqué cet ouvrage-ci, de n’avoir pas profité des contradictions, des absurdités, des suites effroyables que présentait l’œuvre de M. le chancelier, des anecdotes dont il aurait pu enrichir sa collection. Beaucoup de gens n’aiment pas non plus qu’on y ménage tant l’abbé Terray ; et les dévots jansénistes ont été révoltés de l’indulgence qu’on y témoigne pour madame la comtesse Du Barry, ainsi que pour les Jésuites qu’on semble n’oser nommer.

On a oublié de dire que dans le frontispice qu’on juge avoir été gravé par un amateur, ainsi que les estampes, l’auteur mourant de la Correspondance a auprès de lui un petit panier d’œufs rouges enluminés, très-bien fait.


31. — *Dans la Gazette de France du vendredi 29 mai, on trouve la traduction de la sentence rendue contre Struensée, les griefs qui lui sont imputés ; et la peinture des désordres qui en ont résulté, dans l’administration, dans la justice, et dans toute l’économie intérieure du Danemark, est si ressemblante à ce qui se passe ici, que la populace même en a fait l’application. On a été fort surpris des détails qu’on a donnés à cet égard, et dont on pouvait se dispenser. Les politiques veulent que cela n’ait point été fait sans dessein. Ils attribuent la méchanceté à M. le duc d’Aiguillon, qui, en sa qualité de ministre des affaires étrangères, a la principale inspection sur les papiers de nouvelles publiques, et qui méditant depuis long-temps la perte du chancelier, n’est pas fâché d’entretenir la haine générale par des applications sensibles.


1er Juin. Mademoiselle Sainval, Sœur de l’actrice de ce nom, célèbre dans le tragique, a débuté mercredi dernier, 27 mai, dans le rôle d’Alzire. Sa jeunesse, les grâces de sa figure, la beauté de son organe et une grande expression, lui ont mérité les plus vifs applaudissemens. Il est assez extraordinaire que deux sœurs réunissent ainsi un talent semblable, précisément dans le même genre. Mais la cadette l’emporte de beaucoup sur l’autre par les dons extérieurs de la nature, et certainement ira plus loin que son aînée avec de pareilles avances, si son goût excessif pour le plaisir ne lui fait perdre celui de l’étude et l’amour de son art.

2. — L’Aréopage comique a pris une délibération de laquelle il résulte qu’à commencer du premier jeudi de juillet prochain, et de quinzaine en quinzaine, on rejouera, ce jour-là, que des pièces de Molière, et qu’elle seront rendues toujours par les principaux acteurs, sans que les rôles puissent jamais être doublés, et sans que les débutans soient admis à y prendre un rôle. On donnera d’avance le répertoire des représentations des divers ouvrages de l’auteur divin auquel ce seul jour sera dorénavant consacré.


4. — L’abbé de La Bletterie, professeur d’éloquence au Collège Royal et pensionnaire de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, vient de mourir. Il avait fait quelques histoires assez estimées. Sa traduction de Tacite lui avait attiré beaucoup d’ennemis, par sa hardiesse à présenter le front au parti encyclopédique. M. de Voltaire l’avait pris depuis lors en grippe, et c’était un des nouveaux plastrons de ses plaisanteries. 5. — Mademoiselle Sainval la jeune n’a pas eu moins de succès à son début dans le rôle d’Inès que dans celui d’Alzire. La fureur de la voir augmente à chaque représentation. On la met déjà au-dessus de tout ce qui est au théâtre, et même de mademoiselle Clairon. On prétend que c’est la sœur aînée qui l’a formée, et l’a déjà rendue supérieure à elle.

6. — M. de Voltaire est actuellement affamé de Mémoires d’avocats. Il écrit à un de ses amis, auquel il demande tout ce qui paraît au Palais, qu’il devient comme Perrin Dandin sur ses vieux jours ; qu’il aime à juger. Il dit en parlant des Factums répandus dans l’affaire de M. le comte de Morangiès : « Vos avocats ont bien de l’esprit ; quand on les a lus, ou ne sait plus qu’en croire[394]. »


7. — Mademoiselle Sainval la jeune a joué hier le rôle de Zaire, dans cette tragédie : elle n’y a pas fait une sensation aussi considérable que dans Alzire et dans Inès. On ne peut cependant lui refuser d’y avoir mis toute la sensibilité dont il est susceptible ; elle a même témoigné la plus grande intelligence dans la scène muette ; mais elle n’a égale : en général elle a manqué les coups de force. Cela n’a pas empêché qu’elle n’ait été généralement applaudie dans tous les endroits où elle l’a mérité. Elle plaît beaucoup au public ; certains enthousiastes lui font tort par une admiration trop prodigué et trop exclusive. Elle a certainement de grands moyens, beaucoup d’onction, d’âme, d’expression, une figure où se peignent facilement les passions, et qui, sans être noble, a beaucoup de caractère. Elle est petite et cherche trop à se grandir sur la scène par des coups de tête forcés. Elle a un hoquet désagréable, mais qui se passera.

8. — Mademoiselle Clairon, émerveillée de ce qu’elle entendait dire de mademoiselle Sainval, a voulu en juger par elle-même dans le rôle d’Inès de Castro, et après l’avoir vue jouer, elle dit : « C’est en effet un prodige, mais il fallait le voir pour le croire. » Du reste, elle a exhorté la jeune débutante à ne se modeler sur personne, à ne jouer que d’après elle-même, et à céder aux impulsions d’une nature qui l’inspirait si bien.

9. — Mademoiselle Sainval a continué hier son début dans Iphigénie en Tauride. Elle s’est tirée à merveille de ce rôle, d’autant plus difficile, que les vers de cette tragédie prêtent peu à l’harmonie et exigent dans le débit un art particulier. Ses succès ne font qu’accroître la cabale contre elle, et mademoiselle Dubois, ainsi que demoiselle Vestris, font les plus grands efforts pour empêcher qu’elle ne soit reçue ; ce qui révolte tous les amateurs du théâtre.

10. — Les envieux du projet de la nouvelle salle de Comédie n’ayant plus de bonnes raisons à opposer, cherchent aujourd’hui à employer le ridicule. Ils répandent une petite brochure intitulée : Lettre d’une jeune dame du faubourg Saint-Germain à Messieurs Pidansat de Mairobert, secrétaire du roi, et de Jossan, amateurq du théâtre et auteurs du nouveau projet pour la Comédie Française. Ce pamphlet est misérable la plate ironie qui y règne, et par les suppositions absurdes qu’y fait l’auteur pour trouver matière à ses plaisanteries fausses et puériles.

12. — Les Comédiens ont reçu une nouvelle tragédie de M. de Voltaire, ayant pour titre les Lois de Minos Ils en ont fait la lecture à leur assemblée, et l’ouvrage a été agréé avec applaudissement ; ils ont trouvé la pièce bien conduite, et ils sont disposés à la jouer. On prétend que c’est un sujet allégorique composé en l’honneur de M. le chancelier, qu’on y trouve des allusions très-sensibles à ses institutions nouvelles, que la conduite du législateur français y est tellement exaltée, que lui seul met obstacle à la représentation, sa modestie répugnant à des louanges si fortes. On espère vaincre la résistance du chef de la magistrature trop pudibond.

En attendant, sa reconnaissance envers M. de Voltaire se manifeste de la façon la plus sensible, par la liberté qu’il donne au sieur Merlin, libraire, de vendre publiquement tous les ouvrages les plus impies de ce philosophe scandaleux. Les ballots sont adressés chez M. le chancelier, qui les fait envoyer directement à Merlin, sans qu’ils aillent à la chambre syndicale. Le libraire profite de cette faveur pour faire venir également les divers ouvrages enfantés contre la religion depuis quelques années, et l’on peut se pourvoir chez lui avec la même facilité et aussi abondamment qu’en Hollande.

13. — C’est M. le cardinal de La Roche-Aymon qui, en a qualité de président de l’assemblée du clergé, a officié hier à la messe du Saint-Esprit. La satisfaction était répandue sur la physionomie de ce prélat vain, et qui ne connaît de ses fonctions que l’appareil puéril du cérémonial. M. l’évêque de Tréguier, un des députés pour la Bretagne, a prêché. Son discours a roulé sur les progrès de l’impiété en France, que l’orateur regarde désormais comme un crime national, par la tolérance avec laquelle elle étend ses progrès et infecte tout le royaume. Il a tâché de prouver que la religion est la base des empires, qu’ils prospèrent, s’étendent, s’agrandissent, et décheoient avec elle ; ainsi : 1° la religion fait tout pour l’État ; 2° l’État doit donc faire tout pour elle. Telles étaient les deux divisions de son discours. Il a paru aussi bien composé que le comportait la matière, tant rebattue et qui n’est pas mieux établie ; mais son élocution chancelante peinait sans cesse l’auditeur, et a rendu la séance extrêmement fatigante pour le public.

L’orateur n’a pas manqué d’attribuer les malheurs de la patrie aux philosophes incrédules qu’elle renferme dans son sein ; il a exalté la grandeur du sacrifice de Louise de France, et il a fini par rendre à la piété du monarque tout l’hommage qu’il lui devait. Il n’a pas non plus oublié Messeigneurs ses confrères, qu’il a encensés d’une éloquence peu chrétienne. On a remarqué en plusieurs endroits de son sermon un faste épiscopal, et il s’est appesanti sur les préjugés de la naissance, de façon à ne faire honneur ni à son jugement, ni à sa morale : du reste, il est écrit avec une simplicité noble, et, bien différent de quantité de pareils discours, il doit être meilleur à la lecture qu’au débit.

15. — *Il paraît un nouveau Supplément à la Gazette de France, No VI[395]. On continue à y insérer toutes les anecdotes vraies ou controuvées qu’on peut trouver sur les inamovibles et autres gens de cette sequelle. Le peu de soin que l’auteur apporte à discuter les faits qu’on lui envoie rend ce recueil fort suspect aux gens impartiaux, et le faux malheureusement décrédite le vrai.


On y parle d’un gros volume in-8o, intitulé : Lettres provinciales, ou Examen impartial de l’origine, de la constitution et des révolutions de la monarchie française, par un avocat de province à un avocat de Paris[396]. Cet avocat, à ce qu’annonce le journaliste, est le sieur Bouquet, bibliothécaire de la Ville de Paris, pour la partie qui renferme les manuscrits. Il prétend que l’ouvrage a un air d’érudition qui pourrait en imposer aux gens superficiels, mais que l’Inauguration de Pharamond[397] est une réfutation anticipée des principes erronés de l’écrivain, gagiste du chancelier. Il l’accuse de n’entendre ni le français, ni le latin ; d’être un traducteur inexact ; de falsifier les auteurs qu’il cite, et d’ignorance grossière de la matière qu’il traite.

16. — Madame la duchesse d’Aiguillon, mère du duc de ce nom, ministre des affaires étrangères, est morte hier subitement, en sortant du bain, où l’on prétend qu’elle s’était fait mettre, malgré une petite indigestion qu’elle avait eue. Elle a été enterrée en Sorbonne, où est le tombeau du fameux cardinal de Richelieu, premier auteur de l’illustration de cette maison. C’était une femme de beaucoup d’esprit, très-instruite, et fort entichée de la philosophie moderne, c’est-à-dire de matérialisme et d’athéisme. Elle avait beaucoup protégé l’Encyclopédie et les encyclopédistes, et, lors des persécutions qu’essuya l’abbé de Prades[398], elle le recueillit quelque temps chez elle, et lui donna tous les secours nécessaires pour se soustraire au fanatisme de ses ennemis.

17. — On fait courir dans le monde des Revers et des Légendes qui ne partent certainement pas de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Elles sont en général très-méchantes, et conséquemment font beaucoup de bruit. Les voici :


Revers et Légendes.

Les procureurs supprimés.
La France Revers Un vaisseau battu par la tempête.
Légende Ventis urgetur et undis
 
Le roi Revers Un soleil éclipsé.
Légende Abeunte nitebit
 
Les princes exilés Revers Une lune
Légende Sole adversante refulget
 
Le comte de La Marche. Revers Un mendiant
Légende Quid non cogit egestas ?
 
Les ducs protestans. Revers Un faisceau de traits.
Légende Juncta corrobor antur
 
Les autres ducs. Revers Un hameçon.
Légende Mergens decifit et rapit.
 
Madame la comtesse Revers Un vase qui fuit.
Du Barry. Légende Inde mali labes.
 
Le chancelier Revers Un volcan
Légende A splendore malum.
 
Le duc de la Vrillière. Revers Une girouette.
Légende Quocumque spirat, obsequor.
 
M. Bertin, ministre. Revers Un gagne-petit.
Légende Parvis parva decent.
 
M. l’abbé Terray. Revers Un sangsue.
Légende Non missura cutem, nisi plebi
 
M. le marquis de Revers Une tortue.
Monteynard Légende Lentius ut cautius.
 
M. le duc d’Aiguillon. Revers Une roue.
Légende Sursum, moxque deorsum.
 
M. Bourgeois de Boysnes. Revers Un serpent au haut d’un arbre.
Légende Rependo.
 
Madame Louise. Revers Une chandelle qu’on mouche.
Légende Minuitur ut elucescat.
 
L’Archevêque de Paris. Revers Une taupe.
Légende Occulte laborat.
 
Les Jésuites. Revers Un hydre à sept têtes.
Légende Altero adherente tabtum.
 
Le peuple. Revers Un mouton.
Légende Exuviis cumulator opes.
 
Les Conseillers d’État. Revers Des roseaux.
Légende Flectere nostrum est.
Les maître des requêtes. Revers Une flèche en l’air.
Légende Mittentis pulsum sequetur.
 
L’ancien Parlement Revers Le temple de Thémis embrasé.
Légende Novi sœculum Erostratis.
 
Le nouveau parlement. Revers Un âne bâté et bridé.
Légende Ad omnia paratus.
 
La Grand Conseil. Revers Un marronier d’Inde.
Légende Fructu congnoscitur arbor.
 
La chambre des comptes. Revers Un cruche qui penche.
Légende Inclinata ruit.
 
La Cour des Aides. Revers Des abeilles.
Légende Spicula figentes pereunt.
 
Les avocats au Parlement. Revers Un arbre moitié vert, moitié sec.
Légende Altera parte resurget.
 
Les procureurs, avocats Revers Un oison.
au parlement. Légende Voce et penna notandus.
 
Les procureurs supprimés. Revers Un chien de basse-cour.
Légende Fures allatrat.

18. — Un quidam survenu dans cette capitale, et qui s’est annoncé comme faisant des miracles et guérissant tous les maux, a donné, lundi dernier, un de ces spectacles plus dignes des siècles barbares que de celui-ci. Son talent n’ayant pas tardé à se répandre, il a été arrêté et conduit chez un commissaire. Celui-ci, fort embarrassé de ce fou, l’a fait garder chez lui, et est allé voir les principaux magistrats pour savoir ce qu’il en ferait : pendant ce temps la renommée a porté dans ses environs l’art de cet enthousiaste. Les malades crédules se sont fait mettre dans des chaises à porteurs, dans des brouettes, dans des fiacres ; les autres se sont traînés comme ils ont pu, et tous venaient demander leur guérison. La rue s’est trouvée engorgée de voitures et de peuple ; il a fallu faire venir des escouades de guet pour arrêter ce tumulte. On pénétrait jusque dans la maison, et déjà des aveugles croyaient voir, des sourds entendre, des boiteux marcher. Ce tintamare a duré jusqu’au soir, que le commissaire revenu a fait embarquer le faiseur de miracles dans une voiture pour le reconduire chez lui ; et, dans la nuit, il a été enlevé, et on lui a enjoint de ne pas reparaître dans la capitale ; et les aveugles et les sourds, et les boiteux, sont restés comme ils étaient.

19. — Me Gerbier a fini ses plaidoyers contre M. Luneau, et les libraires associés de l’Encyclopédie répandent aujourd’hui un Précis, ou Mémoire fait par Me Boudet, avocat, qui présente les observations, les fins de non-recevoir, les moyens employés pour leur défense par l’éloquent orateur chargé de leur cause.

20. — M. de Voltaire vient de répandre une brochure ayant pour titre : Essai sur les probabilités en fait justice. Après avoir rappelé les divers procès criminels dans lesquels il prétend avoir dévoilé l’impéritie, la mauvaise foi, ou le fanatisme des juges, il raconte l’Histoire de la veuve Genep, de Bruxelles, dans le même genre, mais encore plus merveilleuse que celle de la veuve Véron, et il vient à celle-ci. Enfin il prend la balance pèse les vraisemblances pour et contre, desquelles il résulte, suivant son calcul, qu’il y a cent quatorze pour l’officier général, et rien pour la pauvre famille. Cette méthode anglaise de soumettre au calcul les faits douteux, est très-amusante, très-attrayante pour le philosophe ; elle fixe l’imagination, et semble écarter tout esprit de cabale ou de parti. Cependant si les juges la prenaient pour règle, il serait à craindre qu’ils ne rendissent encore plus souvent de mauvais Arrêts. Elle exige une rectitude de jugement si invariable, qu’elle ne peut convenir qu’à très-peu de têtes, assez bien organisées pour avoir une telle justesse. Celle de M. de Voltaire ne semble pas encore dans cet équilibre essentiel ; on voit qu’il a omis beaucoup de probabilités, ou d’improbabilités, qu’il en a trop ou trop peu évalué d’autres, en un mot qu’il n’a pris la balance à la main que déjà décidé à la faire pencher pour M. le comte de Morangiès. Au surplus, ce petit écrit se lit avec beaucoup de plaisir, on y voit une cause intéressante, présentée sous un point de vue neuf. Malgré la sécheresse de ce genre de plaidoyer, l’auteur a su y répandre le charme inexprimable qui fait lire avec avidité ses rapsodies les plus absurdes.

21. — L’entretien du jour roule sur la procession de Brunoy, dont on fait les détails les plus singuliers, ainsi que du personnage qui l’a dirigée. On assure que tout s’est passé dans le meilleur ordre et de la manière la plus édifiante pour le public. C’est M. de Brunoy qui dirigeait la marche et le cérémonial. Comme personne ne s’entend mieux que lui en lithurgie, il n’y a pas eu une révérence d’omise. Il y avait plus de cent cinquante prêtres, qu’il avait loués à plus de dix lieues à la ronde. Il avait en outre donné des chappes à quantité de particuliers, en sorte qu’il en résultait un cortège de quatre cents personnes. On comptait vingt-cinq mille pots de fleurs, six reposoirs, dont l’un tout en fleurs et de l’élégance la plus exquise. Après la procession, ce magnifique seigneur a donné un repas de huit cents couverts, composé des prêtres, des chappiers, et des paysans ses amis, car c’est dans cet Ordre qu’il les cherche. On comptait plus de cinq cents carrosses venus de Paris, et le spectacle du monde épars dans les campagnes, y faisant des repas champêtres, n’était pas un des moindres coups d’œil de la fête. Elle doit recommencer jeudi prochain, et le récit de ce qui s’est passé augmentera vraisemblablement la multitude ces curieux.

22. — Depuis plusieurs années, M. Doyen, le meilleur peintre d’histoire que nous ayons à présent, était occupé aux peintures de la coupole de la chapelle Saint-Grégoire de l’Hôtel royal des Invalides. Lors de la construction de l’église, Person[399] avait été chargé de peindre dans la chapelle de Saint-Grégoire les principaux traits de sa vie : il ne put remplir cette tâche au-dessus de ses forces. Michel Corneille lui succéda ; il avait plus de génie, mais il n’était pas assez instruit des travaux de la fresque, et ses peintures ont été dégradées en peu de temps.

Carle Vanloo avait été choisi pour décorer de nouveau cette chapelle, et au salon du Louvre, en 1763, il avait exposé les esquisses de sa composition ; la mort en a empêché l’exécution, et enfin M. Doyen, son élève, a exécuté cet important ouvrage. Chaque artiste a sa façon de voir ; celui-ci a composé sept tableaux, dont on annonce les beautés avec beaucoup d’enthousiasme. Le public va être incessamment en état de juger. Les curieux seront admis à voir cette chapelle vers la fin du mois.

23. — M. le duc de La Vrillière, secrétaire d’État ayant le département de Paris, et conséquemment la haute police de l’Opéra, a envoyé chercher les principaux mutins, tels que les demoiselles Peslin, Guimard, les sieurs Dauberval, Gardel, etc., leur a enjoint de retirer sur-le-champ leur assignation aux directeurs pour qu’ils eussent à leur donner congé, sinon les a menacés d’une punition examplaire ; ce Quos ego a tou fait rentrer dans l’ordre accoutumé.

M. Luneau, qui n’est jamais en reste, a fait imprimer une Réponse signifiée au Précis des libraires associés à l’impression de l’Encyclopédie, distribué le 15 Juin 1772. Il y réfute avec sa précision, sa vivacité, sa logique ordinaires, les équivoques, les paralogismes, les raisonnemens insidieux, les considérations, les fins de non-recevoir de ses adversaires, et il égaie tout cela, autant que la matière le comporte, de plaisanteries, d’ironies, d’anecdotes, qui puissent en faire passer la sécheresse.

24. — On a vu successivement dans plusieurs Gazettes de France des relations de plus en plus absurdes, concernant un hydroscope prétendu, dont l’œil perçant découvrait l’eau à travers les entrailles de la terre. Malgré les autorités que citait le sieur Marin, le rédacteur de ce journal, le physicien révoquait en doute ces faits extraordinaires, ou pour mieux dire n’en croyait rien. Plusieurs curieux, et des membres de l’Académie des Sciences, ont écrit sur les lieux, et, par les informations qu’ils ont reçues, ce phénomène se réduit à très-peu de chose. Des plaisans, à ce qu’il paraît, se sont égayés à se jouer de la crédulité du gazetier, et voyant avec quelle bonhomie il citait les premières merveilles, ils en ont envoyé de plus surprenantes, qu’il a également adoptées.

On ne peut concevoir comment la Gazette de France, si grave, si sèche, si froide, est devenue tout à coup entre ses mains un recueil de contes de vieilles, et de fables de féeries. Des politiques, qui raffinent sur tout, veulent que ce ne soit pas sans dessein : ils prétendent qu’on ne doit pas supposer raisonnablement que le ministère eût laissé passer tant d’absurdités dans ces annales qu’il revoit avec le plus grand soin, s’il n’eut voulu prêter ainsi aux spéculations des honnêtes citoyens de quoi se repaître, pour les détourner d’autant des matières politiques, à l’instar de ces relations fabuleuses, de ces chansons qu’on fait courir les rues par des gens gagés de la police pour amuser le peuple. On n’a pas été fâché de trouver dans le sieur Marin un esprit simple qui se prêtât de lui-même aux vues du Gouvernement.

26. — Dans le discours de M. l’archevêque de Toulouse au roi, fait au nom de l’assemblée du clergé, on a trouvé des phrases fortes relativement au secours extraordinaire qu’on demande au corps ecclésiastique ; on prétend qu’il s’y plaint, d’une façon non équivoque, de la déprédation des finances.

27. — Les Cabales, œuvre pacifique. C’est le titre d’une nouvelle satire de M. de Voltaire, qui nous est arrivée de Genève. Elle paraît dirigée principalement contre M. Clément, auquel l’auteur en doit beaucoup, par sa hardiesse à l’attaquer aussi ouvertement, et contre l’abbé de Mably, protecteur de ce Clément, autre grief bien propre à lui attirer les injures du philosophe de Ferney. Aussi celui-ci ne les épargne-t-il pas ; sa bile, en vieillissant, ne fait qu’acquérir plus d’âcreté. Outre ce but principal de son ouvrage, il profite de l’occasion pour passer en revue les différens partis qui divisent aujourd’hui la France en politique, en littérature et en religion, et pour se moquer de tout, suivant sa coutume. Le livre du Système de la Nature semble depuis quelque temps surtout, l’objet de sa rage ; on ne sait pourquoi ; car, malgré la profession qu’il fait, dans cette épître, de croire en Dieu, on ne peut attribuer à un zèle vraiment sincère et éclairé les anathèmes burlesques qu’il prononce contre ce livre, son auteur et ses partisans. Il faut qu’il y ait à cela quelque motif secret que le public ne connaît pas. Au reste, il y a de la chaleur et de la légèreté dans ce pamphlet, toujours marqué au cachet de son auteur.

29. — À l’occasion d’une nouvelle édition que le sieur Panckoucke voulait donner de l’Encyclopédie, il avait présenté à M. de Sartine, comme lieutenant de police et chef de la librairie, un Mémoire rédigé par M. Diderot, où celui-ci, sous prétexte de montrer à ce magistrat les raisons du travail qu’on proposait, prouvait combien le premier ouvrage était informe et méritait une refonte. Cette critique, dans laquelle les auteurs étaient nommés, et qui a été rendue publique dans la réponse signifiée à M. Luneau, avait été lue publiquement à l’audience par Me Belot, l’un des avocats plaidans pour les souscripteurs. Me Gerbier, l’avocat adverse, qui sentait combien cette pièce pouvait faire tort à sa cause, ayant, à plusieurs reprises, voulu interrompre l’orateur pour le faire s’expliquer et lui arracher son secret sur la manière dont elle lui était parvenue, celui-ci lui répliqua, la troisième fois : « Me Gerbier, je croyais que vous étiez ici pour faire l’ornement du barreau, et non pour en être le tyran, » phrase qui fut extrêmement applaudie et décontenança son concurrent. Au surplus, le Mémoire est authentique et sort des bureaux de la Police, dont M. de Sartine a bien voulu le laisser enlever ; mais l’anecdote fait un vacarme du diable parmi tous les auteurs critiqués, et attire au sieur Diderot une multitude d’ennemis sur les bras.

30. — Le public n’a point encore tari sur les détails de la fête dévote de M. de Brunoy ; la deuxième procession, exécutée le jour de la petite Fête-Dieu, a donné lieu à beaucoup de scènes et de tumulte. La circonstance la plus remarquable est celle d’une jeune femme, qui est allée solliciter auprès de ce pieux seigneur la sortie d’un de ses vassaux, qu’il avait fait enfermer ce jour-là comme réfractaire à ses ordres. M. de Brunoy était à table, seul de séculier, avec cinquante prêtres. Cette dame ayant en vain épuisé toutes ses grâces pour toucher le cœur de ce dévot, pour dernier trait d’éloquence, insistant plus pathétiquement, lui dit qu’elle le conjurait de lui accorder sa demande au nom du Saint-Sacrement, qu’il venait d’honorer si dignement… À ce mot, que les prêtres regardèrent apparemment comme un blasphème, il s’éleva entre eux une huée sourde, répétée par tous les laquais par le peuple et la canaille qui s’était introduite, si effrayante, que la suppliante s’en trouva mal, qu’elle eut beaucoup de peine à revenir, et depuis est restée dans des convulsions que les imbéciles regardent comme une punition de Dieu.


FIN DU TOME TROISIÈME.
  1. Mémoire sur la Compagnie des Indes, précédé d’un Discours sur le commerce en général. Paris, Lacombe, 1769, in-4°. — R.
  2. V. 10 février 1767. — R.
  3. Ce certificat était controuvé, comme nous l’apprend Wagnière. — R.
  4. Ce n’est point M. de Voltaire qui fit imprimer ce recueil. — W.
  5. De Bernard et Rameau. — R.
  6. Des Mahis, sous le nom duquel se cachait Voltaire. — R.
  7. Par Garnier des Chesnes. Paris, 1769, in-12. — R.
  8. V. 29 juillet 1768. — R.
  9. Respondit Jesus : Regnum meum non est de hoc munde. Joan. XVIII, 36. — R.
  10. V. 13 juin 1768. — R.
  11. M. de Voltaire ne craignait point la mort, mais il voulait qu’on le crût toujours bien malade, se persuadant que cela pouvait contribuer à sa sécurité et rendre ses ennemis moins acharnés à sa perte. — W.
  12. Pornographe est un mot grec qui veut dire écrivain qui traite de la prostitution.
  13. Par Rétif de La Bretonne. — R.
  14. V. 3 juin 1769. — R.
  15. V. 4 octobre 1769. — R.
  16. V. 9 janvier 1768. — R.
  17. Père de l’auteur du Mérite des femmes. Son petit-fils vient d’obtenir, tout récemment, le prix de poésie à l’Académie Française. — R.
  18. Elle a eu deux éditions sous le nom d’Attilie. — R.
  19. V. 24 novembre 1768. — R.
  20. Le 7 juin 1769. Il était né le 17 novembre 1735. — R.
  21. On trouve un récit fort détaillé des Mystifications de Poinsinet, dont quelques-unes sont effectivement singulières, à la suite des Mémoires pour servir à la vie de Jean Monnet, 1772, 2 vol.  in-12. — R.
  22. V. 12 mars 1767. — R.
  23. Mémoire sur la situation actuelle de la Compagnie des Indes. Amsterdam et Paris, 1769, in-4°. — R.
  24. V. 11 janvier 1768. — R.
  25. V. 2 juillet 1769. — R.
  26. Réponse au Mémoire de M. l’abbé Morellet sur la Compagnie des Indes, Paris, de l’imprimerie Royale, 1769, in-4° de 50 pages. — R.
  27. V. 24 août 1769. — R.
  28. V. 13 août 1769. — R.
  29. Cet abbé se nommait La Fosse et non Pocquelin. Voyez l’Histoire de la vie et des ouvrages de Molière, par J. Taschereau, p. 411 de la 2e édition. — R.
  30. V. 28 septembre 1767. — R.
  31. V. 28 mars 1769. — R.
  32. V. 26 décembre 1762. — R.
  33. V. 15 août 1769. — R.
  34. On la trouve dans le Mercure de France, septembre 1769, p. 154. — R.
  35. V. 15 juillet 1769. — R.
  36. V. 9 juillet 1769. — R.
  37. De Collé. ‑ R.
  38. Paris, Delalain, 1769, in-8°. — R.
  39. La première représentation eut lieu le 20 septembre 1769. — R.
  40. Nous ne croyons pas que Voltaire ait jamais rien emprunté à l’Hamlet de Shakspeare : peut-être a-t-on voulu parler d’Othello. — R.
  41. L’Art de peindre, poëme. Paris, 1760, in-4° et in-8°. — R.
  42. La Peinture, poëme. 1755, in-12. — R.
  43. Clément XIV avait été Franciscain. — R.
  44. On la trouve dans le Mercure de France, décembre 1769, p. 143. Elle est suivie de la réponse du cardinal Pallavicini. — R.
  45. Lettre d’un jeune homme à l’auteur de la tragédie d’Hamlet. Paris, Delalain, 1769, in-8°. — R.
  46. Damiens de Gomicourt. — R.
  47. Palissot. Voyez la Correspondance littéraire de Grimm, lettre du 1er novembre 1769. — R.
  48. V. 28 novembre 1769. — R.
  49. V. 24 septembre 1769. — R.
  50. Paris, Jombert, 1769, in-8°. — R.
  51. V. 29 septembre 1769. — R.
  52. V. 31 août 1769. — R.
  53. V. 1er novembre 1769. — R.
  54. V. 1er novembre 1769. — R.
  55. V. 31 octobre 1769. — R.
  56. Voyez la Correspondance littéraire de Grimm, lettre du 15 décembre 1769. — R.
  57. V. 2 et 17 février 1769. — R.
  58. Tragédie de Thomas Corneille. — R.
  59. La Harpe, soupçonné d’avoir composé des vers satiriques contre le principal du collège d’Harcourt, son bienfaiteur, fut renfermé à Bicêtre par ordre de M. de Sartine. Il fut, peu après, transféré au Fort-L’Évêque. Sa détention dura plusieurs mois. — R.
  60. V. 16 mars 1767. — R.
  61. V. 3 juin 1762. ― R.
  62. V. 13 juillet 1769. — R.
  63. Par le baron d’Holbach. Ce livre a été plusieurs fois réimprimé sous le nom de Dumarsais, et en dernier lieu, à Paris, en 1822, dans le format in-18. — R.
  64. V. 1er novembre 1769. — R.
  65. V. 17 novembre 1769. — R.
  66. Cette anecdote est vraie. — W.
  67. Dans Gaston et Bayard. — R.
  68. V. 8 novembre 1769. — R.
  69. Dans une espèce de sermon, prononcé en la Sainte Église Philosophique, Grimm (Correspondance littéraire, 1er janvier 1770) dit en parlant du frère Grétry : « Nous le conjurons, par les entrailles de notre mère la Sainte Église, de ménager sa santé, de considérer que sa poitrine est mauvaise, et de se livrer moins ardemment aux plaisirs de l’amour, afin de s’y livrer plus long-temps. » — R.
  70. V. 29 octobre 1769. — R.
  71. Cette épigramme est attribuée à Marmontel. — R.
  72. Fenouillot de Falbaire, auteur de l’Honnête criminel. — R.
  73. Pour avoir tué un homme dans une rixe.
  74. V. 4 avril 1765. — R.
  75. Ceci a trait à deux moutons, en termes du métier, c’est-à-dire à deux hommes, que M. de Clugny avait excités à paraître entrer dans les projets de Gordon, pour mieux les connaître, et à gagner sa confiance, pour le trahir ensuite plus sûrement. Cet intendant avait écrit à la cour dès les premiers soupçons qu’il eut sur le compte de l’Anglais, et le ministre lui répondit de le faire veiller, de ne témoigner aucune inquiétude et de s’y prendre de façon à acquérir des preuves plus sûres de ses desseins.
  76. V. 25 octobre 1769. — R.
  77. Défense du Siècle de Louis XIV. — R.
  78. V. 20 janvier 1770. — R.
  79. V. 19 janvier 1770. — R.
  80. V. 6 février 1770. — R.
  81. V. 5 février 1770. — R.
  82. V. 10 août 1762. — R.
  83. Représentée pour la première fois le 9 janvier 1770. — R.
  84. Moreau, de l’Académie d’Architecture. — R.
  85. Zoroastre, paroles de Cahuzac, musique de Rameau. — R.
  86. V. 29 décembre 1769. — R.
  87. Fayel, ou Gabrielle de Vergy, tragédie en cinq actes et en vers, précédée d’une Préface sur l’ancienne chevalerie, et suivie d’un Précis de l’histoire du chatelain de Fayel. Paris, 1770, in-8°. — R.
  88. Le sieur Billard, caissier-général de la Poste, aidé de l’abbé Grizel, son confesseur, venait de faire une banqueroute frauduleuse de plusieurs millions.
  89. Différens Édits bursaux venaient de paraître, qui réduisaient de plusieurs dixièmes les arrérages des effets royaux. — R.
  90. V. 23 mai 1770. — R.
  91. On trouve dans les Œuvres de Voltaire une version un peu différente de ces vers adressés à mademoiselle de Vaudreuil. — R.
  92. V. 9 février 1770. — R.
  93. V. 26 mars 1768. ‑ R.
  94. V. 12 février 1770. — R.
  95. La musique fut refaite en partie par Rebel, Francœur, de Bury et Dauvergne. V. 19 mai 1770. — R.
  96. V. 15 juillet 1768. — R.
  97. Défense des actes du clergé, concernant la religion. 1769.
  98. Voyez dans l’Encyclopédie l’article Autorité politique, par Diderot. — R.
  99. Ces vers sont attribués à M. Lantier par A. A. Barbier dans son Supplément à la Correspondance littéraire de Grimm : d’autres les donnent à Boufflers. Ils ont été compris dans l’édition des Œuvres de ce poète publiée en 1826, chez Furne. — R.
  100. V. 24 avril 1767. — R.
  101. V. 9 janvier 1769. — R.
  102. V. 9 février 1770. — R.
  103. L’Intérêt général de l’État, ou la liberté du commerce des blés, démontrée conforme au droit public de la France, aux lois fondamentales du royaume, à l’intérêt commun du souverain et de ses sujets, dans tous les temps ; avec la réfutation d’un nouveau système publié en forme de Dialogue sur le commerce des blés. Amsterdam et Paris, 1770, in-12. — R.
  104. Lettres d’un Amateur à M. l’abbé G***, sur ses Dialogues anti-économistes. Paris, Lacombe, 1770, in-8°. — R.
  105. Récréations économiques ou Lettres de l’auteur des Représentations aux magistrats à M. le chevalier Zanobi, principal interlocuteur des Dialogues sur le commerce des blés. Amsterdam et Paris, 1770, in-8°. — R.
  106. V. 14 mai 1768. — R.
  107. Il s’y présente journellement une grande affluence de monde pour savoir de ses nouvelles.
  108. Saurin. Les vers de ce poète auxquels l’épître de Voltaire sert de réponse, se trouvent dans la Correspondance littéraire de Grim, ier mars 1770. — R.
  109. V. 8 décembre 1763 et 6 janvier 1764. — R.
  110. V. 7 mars 1770. — R.
  111. Ces stances se trouvent dans les Œuvres de Voltaire avec quelques différences. — R.
  112. Chez madame Necker. — R.
  113. Voici les vers de De Belloy qui ont en effet toute la clarté d’une énigme :

    Je règle les ressorts de mon art infaillible ;
    Je concerte si bien leur jeu sûr et terrible,
    Que l’un, en se rompant, par un effort secret.
    De l’autre tout à coup précipite l’effet :

    Et ce dédale, offrant des détours innombrables,
    Partout entre-coupés, partout impénétrables,
    Est plein de fils trompeurs, dont le sombre embarras
    sans retour et conduit au trépas.

    Un Œdipe de province trouva que ces vers caractérisaient parfaitement l’Araignée. — R.

  114. V. 7 avril 1770. — R.
  115. V. 17 avril 1770. — R.
  116. Mémoire sur la construction de la coupole projetée pour couronner l’église de Sainte-Geneviève. Paris, 1770, in-4°. — R.
  117. Par Meusnier de Querlon. — R.
  118. Voyez la Correspondance littéraire de Grimm, lettre du 1er juin 1770. — R.
  119. Il est rapporté dans la Correspondance littéraire de Grimm, lettre du 1er juin 1770. On y trouve aussi une version un peu différente de la réponse du Roi. — R.
  120. Arrêté le 12 mai 1770, il sortit de la Bastille le 21 juillet suivant. Voir l’Histoire de la détention des philosophes et des gens de lettres à la Bastille et à Vincennes, etc. ; par J. Delort. Paris, 1829, in-8°, tome III, p. 75-96. — R.
  121. V. 22 mai 1770. — R.
  122. V. 21 août 1766. — R.
  123. V. 4 mai et 4 juillet 1766. — R.
  124. V. 28 janvier 1764. — R.
  125. Grimm, en rapportant cette folie de Boufflers, paraît craindre « les difficultés de quelques grammairiens rigides sur je ne sais quel changement de lettre. Si du moins, ajoute-t-il, le chevalier de Boufflers était encore abbé, il n’y aurait rien à dire. » — R.
  126. Tenu à Versailles, le 27 juin 1770, pour l’enregistrement de lettres-patentes du roi ordonnant le silence le plus absolu sur le procès d’Aiguillon. — R.
  127. Le Parlement de Paris, qui avait évoqué à lui le procès intenté au duc d’Aiguillon par le Parlement de Bretagne, le déclara « prévenu de faits qui entachaient son honneur. » Aidé de la protection de madame Du Barry, d’Aiguillon fit enlever du greffe du Parlement toutes les pièces de sa procédure, qui fut ainsi anéantie. — R.
  128. Voici une autre épigramme sur le même sujet, et qu’on attribue à
    Rulhières :

    Lorsqu’aux abois le pacha d’Aiguillon
    Eut de Linguet déterré le repaire,
    Il le trouva composant un factum
    Qu’il a produit en faveur de Tibère.
    « Or sus, ami, dit le tyran breton.
    Tu sais mon cas ; fais mon apologie. »
    « Vous arrivez, lui dit l’autre, à propos ;
    Vous me trouvez en haleine et dispos :
    Je pelotais en attendant partie. » — R.

  129. V. 11 juin 1770. — R.
  130. Le jeune homme s’appelait Faldoni et la jeune personne Thérèse Monier. — R.
  131. V. 19 juin 1770. — R.
  132. Voici une autre version de cette épigramme :

    Indécemment tu quittas Melpomène,
    Et tu veux, Frétillon, remonter sur la scène ;
    Par la brigue écarter les talens de la cour,
    Et seule avoir l’honneur de paraître au grand jour ?
    C’était assez de gloire, impudente héroïne,
    Que d’avoir en débauche égalé Messaline.

    — R.
  133. V. 7 octobre 1770. — R.
  134. V. 8 juillet 1770. — R.
  135. V. 8 août 1770. — R.
  136. Louis Gougenot, né à Paris le 15 mars 1719, mourut en cette ville le 24 septembre 1767. — R.
  137. Ces vers, généralement attribués au chevalier de Boufflers, ne se trouvent point dans ses Œuvres. — R.
  138. V. 27 juillet 1770. — R.
  139. Les Choses utiles et agréables, t.  II, p. 350. — R.
  140. Amsterdam, 1770, in-12. — R.
  141. V. 12 juillet 1770. — R.
  142. La Veuve du Malabar. — R.
  143. Le prix d’honneur fut remporté par Antoine-Marie-Henri Boulard, mort le 6 mai 1825, et si connu par sa passion pour les livres. — R.
  144. Il n’a point été imprimé. — R.
  145. Par De Cervol. Naples (Rouen, Besogne), in-8° de 164 pages. — R.
  146. V. 5 février 1768. — R.
  147. Cette lettre est datée du 28 juillet 1770. — R.
  148. Au roi en son conseil pour les sujets du roi qui réclament la liberté de la France contre des moines bénédictins devenus chanoines de Saint-Claude en Franche-Comté In-8° de 22 pages. — R.
  149. Réquisitoire sur lequel est intervenu l’arrêt du Parlement, du 18 août 1770, qui condamne à être brûlés différens livres ou brochures ; imprimé par ordre exprès du roi. Paris, Imprimerie Royale, 1770, in-4° de 35 pages. — R.
  150. Depuis madame Coster. — R.
  151. Tout ce que l’on dit ici de M. de Voltaire est faux. — W.
  152. Il n’a point été imprimé. — R.
  153. V. 17 août 1770. — R.
  154. Paris, Desprez, 1770, in-4° et in-12. — R.
  155. L’Examen est traduit de l’anglais de Pierre Anet par le baron d’Holbach ; la Dissertation paraît être de Boulanger. — R.
  156. V. 27 juillet 1770. — R.
  157. Ces Anecdotes sur Fréron ne sont absolument point de M. de Voltaire, elles lui avaient été envoyées de Paris, depuis plusieurs années, par M. Thieriot. — W. — On les a attribuées à La Harpe, mais nous les croirions plutôt de Voltaire, malgré le désaveu de Wagnière. — R.
  158. Dieu et les hommes. V. 2 novembre 1769. — R.
  159. Mauduit Larive. — R.
  160. L’abbé Guénée. — R.
  161. V. 27 août 1770. — R.
  162. Ces ouvrages n’ont point été imprimés. — R.
  163. Baccelli. — R.
  164. L’auteur de l’article Malesherbes de la Biographie universelle s’afflige en pensant que de telles représentations étaient adressées à l’un de nos meilleurs rois. — R.
  165. V. 17 octobre 1770. — R.
  166. V. 2 septembre 1770. — R.
  167. Par le baron d’Holbach. (Amsterdam, M.-M. Rey) 1770, in-8°. — R.
  168. Peut-être s’agit-il de ce couplet :

    Voici l’auteur de l’Ingénu :
    Monsieur Pigal le montre nu ;
    Monsieur Fréron le drapera.
    MonsieurAlleluia !

    — R.
  169. Il venait d’être créé duc de La Vrillière. — R.
  170. V. 18 octobre 1770. — R.
  171. V. 26 septembre 1770. — R.
  172. V. 3 décembre 1772. — R.
  173. Ces quatre derniers vers sont une imitation de ce quatrain de Charleval sur les coquettes :

    Ces belles ne sont qu’artifice
    Et par dedans et par dehors :
    Ôtez-leur le fard et le vice,
    Vous leur ôtez l’âme et le corps.

    — R.
  174. V. 19 juillet 1769. — R.
  175. V. 1er mai 1770. — R.
  176. V. 30 novembre 1770. — R.
  177. V. 7 décembre 1770. — R.
  178. V. 19 août 1769. — R.
  179. V. 19 août 1770. — R.
  180. V. 23 octobre 1769. — R.
  181. Ce nom supposé, qui servit de masque à Delisle de Sales, est l’anagramme de ces mots : Le philosophe de la nature. — R.
  182. La Correspondance littéraire de Grimm (lettre du 1er décembre 1770) contient une réponse du roi de la Chine, attribuée à La Harpe. On ne la trouve pas dans les Œuvres de cet auteur. — R.
  183. V. 23 novembre 1770. — R.
  184. Genève, 1770, in-8°. — R.
  185. V. 26 décembre 1770. — R.
  186. V. la note 2 de la page 246. — R.
  187. V. 30 août 1762. — R.
  188. V. 19 novembre 1769. — R.
  189. Observations critiques sur la nouvelle traduction en vers des Géorgiques de Virgile ; et les poëmes des Saisons, de la Déclamation et de la Peinture ; suivies de quelques Réflexions sur le poëme de Psyché (*). Paris Lejay, 1770, in-8°. — R.

    (*. ) Les Réflexions sur le poëme de Psyché sont de Meusnier de Querlon ; c’est Clément lui-même qui me l’a dit. (Beuchot, Biog. univ. article Clément.)

  190. À l’exemple d’un précédent éditeur nous altérons un peu la pureté du texte. — R.
  191. À la suite de cet Hymne, et à la date du 28 décembre 1770, on trouve dans les Mémoires secrets un Cantique en l’honneur de mademoiselle Dervieux, célèbre danseuse de l’Opéra. Comme il n’est remarquable que par son obscénité, nous n’avons pas cru devoir le conserver ; mais nous le mentionnons
    parce qu’il en a été question. ― R.
  192. V. 6 septembre 1770. — R.
  193. V. 9 avril 1767. — R.
  194. La guerre de Sept-Ans. — R.
  195. V. 9 janvier 1770. — R.
  196. Par Fenouillot de Falbaire. Elle a été traduite en allemand par Wieland, et en italien, par Elisabeth Caminer-Turra. Ces traductions furent représentées avec succès à Vienne et à Vicence. — R.
  197. Le 24 décembre 1770 il avait été exilé à sa terre de Chanteloup. — R.
  198. Les querelles entre les parlemens et la cour avaient pour origine la publication d’un Édit de 1764, permettant la libre exportation des blés. — R.
  199. Le Parlement de Paris ayant arrêté de suspendre son service ordinaire, le roi lui enjoignit, par lettres de jussion, de reprendre ses fonctions : elles restèrent sans effet. — R.
  200. V. 9 avril 1771. R.
  201. Tous les membres du Parlement ayant persisté dans leur refus de reprendre leurs fonctions ordinaires, furent exilés, et leurs offices déclarés vacans et confisqués. Un ordre du roi enjoignit aux membres de son Conseil d’État de se rendre au Palais pour remplacer, par interim, le Parlement. — R.
  202. V. 26 décembre 1770. — R.
  203. V. 10 août 1770. — R.
  204. V. 30 avril 1764. — R.
  205. V. 21 décembre 1770. — R.
  206. De La Serre V. — R.
  207. M. de Bièvre prétendit que le Persifleur avait beaucoup d’enfans au parterre. — R.
  208. Lettre du Parlement de Normandie au roi, sur l’état actuel du Parlement de Paris ; du 8 février 1771. in-8° de 15 pages. — R.
  209. L’enregistrement d’un édit du roi portant établissement de six Conseils Supérieurs à Arras, Blois, Châlons, Clermont-Ferrand, Lyon et Poitiers ; et abolition de la vénalité des charges. — R.
  210. V. 19 février 1771. — R.
  211. Lettre du Parlement de Normandie au roi, sur l’état actuel du Parlement de Paris ; du 26 février 1771. in-8° de 15 pages. — R.
  212. V. 25 janvier 1771. — R.
  213. Gustave III. — R.
  214. V. 26 mars 1771. — R.
  215. Armand de Roquelaure. — R.
  216. Mesdames Chaumond et Roset. — R.
  217. V. 17 mars 1771. — R.
  218. Très-humbles et très-respectueuses Remontrances qu’adressent au roi, notre très-honoré et souverain seigneur, les gens tenant sa Cour de Parlement à Bordeaux, 1771, in-12 de 56 pages. — R.
  219. Claude-Antoine Guyot Desherbiers, né à Joinville, le 20 mai 1745, mort au Mans le 5 mars 1828, est auteur des Chancelières. Voyez la Bibliographie de la France, 1830, p. 111. ― R.
  220. Cet article est emprunté au Journal historique de la révolution opérée dans la constitution de la Monarchie Française par M. de Maupeou, chancelier de France ; Londres, 1774-75, 8 volumes in-12. Les emprunts faits à ce Journal par le rédacteur des Mémoires secrets sont tellement fréquens que pour éviter la répétition des mêmes notes nous nous contenterons de faire précéder d’un astérique les articles qui en seront extraits. — R.
  221. Les provisions de chancellerie portent toujours Notre féal et bien-aimé. Par dessein, et non par mégarde, on a mis dans celles de l’abbé Hocquart, au lieu de bien-aimé Claude, simplement bien Claude. Elles sont ainsi enregistrées. On peut les voir au greffe.
  222. In-8° de 27 pages. — R.
  223. V. 11 mars 1771. — R.
  224. In-8o de 92 pages. — R.
  225. In-8o de 26 pages. — R.
  226. On les trouve à la page 171 des Anecdotes sur madame la comtesse Du Barri. Londres, 775, in-12. — R.
  227. In-8o de 4 pages. — R.
  228. In-8o de 7 pages. — R.
  229. In-12 de 44 pages. — R.
  230. In-12 de 24 pages. — R.
  231. In-8o de 8 pages. — R.
  232. Parmi ces écrits il en est qui sont de Voltaire (Note de M. Decroix, l’un des éditeurs de l’édition de Kehl). — On les trouvera dans l’édition, dirigée par M. Beuchot, que publie le libraire Lefèvre. — R.
  233. Premier président de la Cour des Aides. — R.
  234. 10 janvier 1771. — R.
  235. In-12 de 48 pages. — R.
  236. In-8o de 14 pages. Cet opuscule est de Voltaire. Il n’a pas encore été compris dans ses Œuvres. — R.
  237. In-12 de 113 pages. — R.
  238. V. 8 avril 1771. — R.
  239. Outre ce rapprochement entre les destinées de la catin et de la pucelle, on en peut faire un autre assez singulier : c’est que toutes deux sont nées au village de Vaucouleurs. — R.
  240. Elles ont été réimprimées, avec une pagination séparée, en tête du Maupeouana ou Recueil complet des écrits patriotiques publiés pendant le règne du chancelier Maupeou. Paris, 1775, 5 vol.  in-8o. — R.
  241. In-8o de 4 pages. — R.
  242. In-8o de 3 pages. — R.
  243. In-12 de 12 pages. — R.
  244. In-12 de 10 pages. — R.
  245. Celui sous le nom duquel ont été publiés les Mémoires secrets. — R.
  246. On le trouve dans le Journal historique dont nous avons parlé, tome Ier p. 5-59. — R.
  247. Dans le même recueil, tome Ier p. 59-84. — R.
  248. Même recueil, tome Ier p. 84-177. — R.
  249. Châteaubrun, né à Angoulême en 1686, avait alors quatre-vingt-cing ans. — R.
  250. V. 21 mars 1771. R.
  251. V. 2 mai 1771. R.
  252. In-8o de 24 pages.
  253. In-8o de 15 pages.
  254. V. 15 avril 1771. — R.
  255. V. 8 mai 1771. — R.
  256. On sait que la comtesse Du Barry, aux pieds de laquelle, suivant l’énergique expression de M. de Salaberry (Biographie Universelle, III, 432), Louis XV vivait dans le dernier degré d’abjection, avait fait ses débuts, sous le nom de mademoiselle L’Ange, dans un lieu de prostitution tenu par la fameuse Gourdan. — R.
  257. Réimprimé dans le tome I, p. 1-83, du Maupeouana. — R.
  258. V. 11 juin 1770. — R.
  259. Le seul prince du sang qui n’eût point adhéré aux Protestations. — R.
  260. Ces Lettres, qui sont au nombre de neuf, ont été réimprimées dans le tome Ier p. 130-218 du Maupeouana. — R.
  261. In-8o de 43 pages. — R.
  262. Extrait du droit public de la France, par Louis de Brancas, comte de Lauraguais, in-8o de 137 pages. « M. de Lauraguais, dit le rédacteur des Mémoires, dans un article du 4 juillet 1771 que nous avons cru devoir supprimer ; M. de Lauraguais n’annonce son ouvrage que comme un extrait, un prospectus d’un autre bien plus grand sur la même matière. » — R.
  263. L’Observateur Hollandais, ou Lettres de M. Van ** à M. H**, de La Haye, etc. La Haye (Paris), 1755-59, 5 vol.  in-8o. — R.
  264. 1771, in-12. Barbier l’attribue à Pidanzat de Mairobert, qui passe, comme nous l’avons dit dans la Préface, pour le continuateur de ces Mémoires. Nous ne serions pas éloignés de partager cet avis, car nous avons remarqué que plusieurs anecdotes rapportées dans la Correspondance secrète se retrouvent dans les Mémoires avec les mêmes détails, ce qui peut, il nous semble, faire supposer une origine commune aux deux ouvrages. Suivant la Biographie universelle, Chrétien François II de Lamoignon a eu beaucoup de part à cette Correspondance. — R.
  265. Cette première édition ne contenait que douze lettres ; les dernières en contiennent quarante-et-une. Cette Correspondance a été réimprimée dans les tomes II et III du Maupeouana, dont nous avons parlé ; il en existe une édition sous ce même titre de Maupeouana, ou Correspondance secrète, etc. 1773, 2 vol.  in-12. — R.
  266. On a pu voir, à la date du 14 mai 1770, des Notes secrètes sur quelques membres du Parlement, recueillies par le chancelier* : Nous ne savons de quelle liste il est ici question. — R.

    *. Sorhouet n’y est point nommé. — R.

  267. Composée par d’Alembert. — R.
  268. V. 27 juillet 1771. — R.
  269. V. 9 avril 1771. — R.
  270. V. 11 mars 1764. — R.
  271. V. 14 mai 1771. — R.
  272. Cette liste d’auteurs se trouve, dans les éditions modernes, en tête du Siècle de Louis XIV. — R.
  273. V. 18 juillet 1766. — R.
  274. Paroles de D’Avesne, musique de Prudent. — R.
  275. Cet essai ne réussit point : une tentative récente (1826.) n’a pas eu plus de succès. — R.
  276. V. 11 juillet 1771. — R.
  277. Nous l’avons attribuée à d’Alembert d’après l’autorité de M. Dulaure. — R.
  278. Sa Majesté devait croire que vous recevriez avec soumission une loi qui contient les véritables principes, des principes avoués et défendus par nos pères, et consacrés dans les monumens de notre histoire. » (Discours du chancelier au Lit de justice du 7 décembre 1770.) — R.
  279. Ils (les membres du Parlement) ont tenté d’alarmer nos sujets sur leur état, sur leur honneur, sur leurs propriétés, sur le sort même des lois qui établissent la soumission à la couronne, comme si un règlement de discipline avait pu s’étendre sur ces objets sacrés, sur ces institutions que nous sommes dans l’heureuse impuissance de changer, et dont la stabilité sera toujours garantie par notre intérêt inséparablement lié avec celui de nos peuples. » (Préambule de l’Édit de février 1771, portant création de Conseils Supérieurs.) — R.
  280. V. 7 février 1765. — R.
  281. Réimprimé dans le Maupeouana, tome Ier p. 84-129. — R.
  282. a et b V. 8 avril 1771. — R.
  283. V. 17 mai 1771. — R
  284. V. 12 avril 1771. — R.
  285. V. 25 juin 1771. — R.
  286. Par Thévenau de Morande ; (Londres) 1771, in-12. V. 15 août 1776. — R.
  287. Voyez, dans les Pièces libres de M. Ferrand, l’épigramme qui commence ainsi :

    Deux Cordeliers, grands débrideurs de nonnes…

    — R. Cette épigramme a été mal à propos comprise dans les Œuvres de Rousseau qui la désavoue et la restitue à Ferrand. — R.
  288. Par Mercier. Londres, in-8o. Il en a été donné une nouvelle édition augmentée, (Paris), 1786, 3 vol.  in-8o. — R.
  289. V. 15 mai 1771. — R.
  290. Voltaire, dans sa lettre à Marin, dit qu’il faut décerner une couronne civique au chancelier. — Il a été question au 15 mai 1771, d’une lettre de Voltaire au chancelier : Wagnière reconnaît qu’elle a été écrite, mais il nie qu’elle fût adressée à Maupeou. Peut-être, et la note qui précède autorise à le croire, était-elle adressée à Marin. — R.
  291. Hemistiche voltairien qu’il applique aux Odes sacrées de M. de Pompignan.
  292. Foncemagne et l’évêque de Senlis. — R.
  293. Le prince de Beauvau, en qualité de commandant du Languedoc, venait d’être chargé d’une expédition militaire contre le Parlement de cetteprovince ; mais ayant manifesté quelque répugnance à remplir une semblable mission, elle fut confiée au comte de Périgord. — R.
  294. M. Luneau a été Jésuite.
  295. Voyez la Correspondance littéraire de Grimm, décembre 1771. — R.
  296. Paroles de d’Azemar. — R.
  297. Quelques membres de la Chambre des Comptes ayant été d’avis que cette cour ne devait point assister, avec le nouveau Parlement, à la procession annuelle de la Notre-Dame d’Août, reçurent du chancelier des lettres de jussion portant ordre d’aller à la cérémonie. — R.
  298. Cette lettre, qui a sept pages in-4o, n’a point encore été recueillie dans les Œuvres de Diderot. — R.
  299. V. 2 juillet 1771. — R.
  300. En empruntant cet article au Journal historique, dont nous avons parlé, le rédacteur des Mémoires secrets ne s’est pas souvenu qu’il n’avait point donné place à la liste dont il s’agit. Comme elle n’offre rien d’intéressant, nous ne l’avons point extraite du Journal historique, où elle se trouve à la date des 29 juillet, 8 et 19 août 1771. — R.
  301. Nous avons dit que la Correspondance secrète est attribuée à Pidanzat de Mairobert, qui passe aussi pour rédacteur des Mémoires secrets : les éloges emphatiques prodigués ici à la Correspondance pourraient confirmer ces soupçons. Il est juste cependant de remarquer que cet article est extrait du Journal historique. — R.
  302. V. 24 septembre 1769. — R.
  303. Essai historique sur les différentes situations de la France, par rapport aux finances, sous le règne de Louis XIV et la régence du duc d’Orléans. 1754, 2 vol.  in-12. — R.
  304. De Saint-Amant. — R.
  305. D’Alembert, fils naturel de madame de Tencin et de Louis Camus chevalier Destouches, commissaire provincial d’artillerie, mort le 11 mars 1726, fut exposé peu après sa naissance sur les marches de l’église Saint-Jean-le-Rond, près Notre-Dame. De là lui fut donné le prénom de Jean-le-Rond. — R.
  306. V. 6 septembre 1771. — R.
  307. V. 23 février 1767. — R.
  308. V. 1er octobre 1771. — R.
  309. V. 12 mars 1769. — R.
  310. Le château de Vanvres appartient aujourd’hui au collège de Louis-le-Grand. — R.
  311. Allusion à un assez beau vers d’une de ses pièces couronnées :

    Le trident de Neptune est le sceptre du monde.

  312. V. 4 novembre 1771. — R.
  313. Rulhières tint parole. Ses Anecdotes sur la révolution de Russie, en l’année 1762, ne parurent qu’en 1797, six ans après sa mort. — R.
  314. Traité des différentes preuves qui servent à établir la vérité de l’Histoire Liège, 1770, in-12. — R.
  315. V. 6 décembre 1771. — R.
  316. V. 21 janvier 1773. – R.
  317. L’auteur de la Correspondance secrète et familière, dont il a été parlé précédemment, rapporte ainsi ce fait que Wagnière croit sans réalité : « On assure que M. de Choiseul a fait faire en tôle les figures, au naturel, de Voltaire et de l’abbé de Voisenon : il les a placées sur les pavillons de Chanteloup où elles servent de girouettes. C’est apprendre aux gens ce qu’ils sont d’une manière très-fine et très-piquante. » — R.
  318. Quelques membres du Parlement, pour obtenir leur rappel d’exil, consentirent à se démettre de leurs offices dont le prix leur fut remboursé. — R.
  319. Les avocats s’étaient refusés à plaider devant le Parlement-Maupeou. — R.
  320. Il est singulier que le rédacteur des Mémoires accuse M. de Voltaire d’un acharnement inhumain contre les magistrats. Mais qui donc est hinumain de celui qui fait rouer et brûler injustement ses concitoyens, ou celui qui réclame la justice en faveur des opprimés et qui sauve la vie à une femme innocente ? — W.
  321. Ce Caillard est un avocat qui, quoique jeune encore, a déjà beaucoup
    de réputation pour la consultation, qui aime fort l’argent, et qui, fâché de n’en plus gagner, a mis en train ses confrères pour rentrer.
  322. Mademoiselle Camp. — R.
  323. On prétendit qu’il avait adressé à ses confrères les quatre vers suivans :

    Je ne vous suis plus rien, orgueilleux avocats :
    Je renonce à votre Ordre et quitte la partie ;
    J’en ai perdu le droit, et perdu pour la vie :
    Rentrez si vous voulez, je ne rentrerai pas.

    « Cette héroïde est courte, dit Grimm (Correspondance littéraire, janvier 1771) ; mais elle va au fait et emporte la pièce. — R.

  324. Vingt-huit avocats réunis chez le sieur La Goutte, l’un d’entre eux, convinrent d’envoyer une députation au chancelier pour l’informer de l’intention où ils étaient de reprendre leurs fonctions. — R.
  325. Par Stoupe, imprimeur. (1771) in-8o de 24 pages. — R.
  326. V. 23 novembre 1771. — R.
  327. V. 3 décembre 1771. — R.
  328. Outre cette dernière lettre de Diderot et celle qui occasiona la réponse de Luneau on trouve dans sa brochure une troisième lettre de l’encyclopédiste : aucune de ces trois lettres n’a été recueillie dans les Œuvres de Diderot. — R.
  329. Barthe avait débuté au Théâtre Français par l’Amateur, comédie en un acte, qui avait obtenu peu de succès. (V. 3 mars 1764.) Il fut plus heureux en donnant les Fausses infidélités. (V. 25 janvier 1768.) — R.
  330. V. 31 mai 1769. — R.
  331. Né à Corbeil, près Paris, le 5 mars 1750, D’Ansse de Villoison n’avait pas encore atteint sa vingt-deuxième année. — R.
  332. Sous ce titre de Supplément à la Gazette de France, treize brochures furent successivement publiées de 1771 à 1773. Elles ont été recueillies dans le Maupeouana, tome V, p. 63-233, — R.
  333. Ainsi nommée parce que le Parlement y assistait en grande tenue, qui était la robe rouge. — R.
  334. V. 25 janvier 1767. — R.
  335. V. 23 juin 1765. — R.
  336. V. 14 mai 1771. — R.
  337. Collé. — R.
  338. On en trouve deux strophes dans les Anecdotes sur madame la comtesse Du Barri, p. 215. — R.
  339. V. 25 novembre et 13 décembre 1771 1. — R.
  340. V. 28 décembre 1771. — R.
  341. V. 1er mars 1772. — R.
  342. On trouve dans le Voyage en Pologne, etc., de William Coxe une relation exacte et détaillée de cet attentat, dont le récit est assez bizarrement enchassé dans le roman de Faublas. — R.
  343. Ces essais ont été renouvelés il y a peu d’années. — R.
  344. Laticlave, ornement des sénateurs Romains.
  345. V. 31 décembre 1772. — R.
  346. V. 4 août 1771. — R.
  347. Recueilli dans le Maupeouana, tome IV, p. 198-254. — R.
  348. Ibid. p. 254-256. — R.
  349. V. 23 février 1767. — R.
  350. V. 17 janvier 1772. — R.
  351. V. 29 janvier 1772. — R.
  352. Maupeou se vantait d’avoir retiré la couronne du greffe du Parlement. — R.
  353. Voici ce billet que Grimm nous a conservé : « Vous êtes prié d’assister aux convoi, service et enterrement de monseigneur Antoine-Paul-Jacques de Quélen, chef des noms et armes des anciens seigneurs de la Châtellenie de Quélen en Haute-Bretagne, juveigneur des comtes de Porhoët, substitué aux noms et armes de Stuer de Caussade, duc de La Vauguyon, pair de France, prince de Carency, comte de Quélen et du Broutay, marquis de Saint-Mégrin, de Callonges et d’Archiac, vicomte de Calvignac, baron des anciennes et hautes baronies de Tonneins, Gratteloup, Villeton, la Gruère et Picornet, seigneur de Larnagol et Talcoimur, vidame, chevalier et avoué de Sarlac, haut baron de Guienne, second baron de Quercy, lieutenant-général des armées du roi, chevalier de ses Ordres, menin de feu monseigneur le Dauphin, premier gentilhomme de la chambre de monseigneur le Dauphin, grand-maître de sa garde-robe, ci-devant gouverneur de sa personne, et de celle de monseigneur le comte de Provence, gouverneur de la personne de monseigneur le comte d’Artois, premier gentilhomme de sa chambre, grand-maître de sa garde-robe, et sur-intendant de sa maison, qui se feront jeudi, 6 février 1772, à dix heures du matin, en l’église royale et paroissiale de Notre-Dame de Versailles, où son corps sera inhumé. De Profundis. — R.
  354. V. 21 janvier 1772. — R.
  355. Recueilli dans le Maupeouana, tome V, p 89-100. — R.
  356. Réimprimé dans le Maupeouana, tome IV, p. 95-197. — R.
  357. V. 3 août 1771. — R.
  358. V. 23 février 1772. — R.
  359. V. 31 mai 1770. — R.
  360. V. 3 mars 1772. — R.
  361. V. 23 mars 1772. — R.
  362. V. 26 mars 1772. — R.
  363. Par Raynal. — R.
  364. V. 10 juillet 1769. — R.
  365. Berthier de Sauvigny. — R.
  366. La troisième partie de la Correspondance secrète se terminait par un avis qui annonçait « la Suite pour les Œufs de Pâques de Monseigneur. » — R.
  367. Elle n’a point été recueillie dans le Maupeouana où se trouve reproduite la Correspondance secrète, ce qui peut faire présumer qu’elle n’est point du même auteur. Elle a été insérée, à la date du 25 mars 1772, dans le Journal historique que nous avons plusieurs fois cité. — R.
  368. Cette lettre, qui manque également dans le Maupeouana, se trouve, à date du 28 mars 1772, dans le Journal historique. — R.
  369. V. 22 mars 1772. — R.
  370. Le duc d’Harcourt, gouverneur de la province. — R.
  371. Sobriquet donné à M. Ficquet de Normanville, V. 15 avril 1772. — R.
  372. Réimprimé dans le Maupeouana, tome III, p. 67-87. — R.
  373. Voyez dans la Correspondance secrète la lettre XXX, tome II, p. 193 du Maupeouana. — R.
  374. Ce qu’on dit ici de cette pension conservée à M. de Voltaire est destituée de toute vérité. — W.
  375. M. Dacier semblait, malgré son mérite réel, destiné à ne devoir qu’a l’intrigue son entrée dans les corps littéraires. Ainsi nous l’avons vu, en 1823 disputer à M. Casimir Delavigne une place vacante à l’Académie Française et ne l’emporter sur son jeune concurrent qu’à l’aide d’une coterie qui, à cette époque, était toute-puissante à l’Académie. — R.
  376. Elle manque au Maupeouana et a été recueillie dans le Journal historique à la date du 11 avril 1772. — R.
  377. V. 31 mars 1772. — R.
  378. V. 14 mai 1771. — R.
  379. V. 19 juin 1770. — R.
  380. Recueilli dans le Maupeouana, tome V, p. 101-116. — R.
  381. On trouve dans le Maupeouan. (tome III, p. 87-89) un pamphlet portant ce titre, mais il est daté du lundi 6 avril 1772 et il n’y est point parlé du sieur Breuzard. L’assassinat et l’empoisonnement dont on accuse ce personnage sont rappelés dans la trente-septième lettre de la Correspondance secrète. — R.
  382. Non recueillie dans le Maupeouana on la trouve dans le Journal historique à la date du 22 avril 1772. — R.
  383. Réimprimé dans le Maupeouana, tome V, p. 12-45. — R.
  384. Saint-Florentin, aujourd’hui duc de La Vrillière.
  385. On prétend que l’archevêque s’était opposé à la publication des monitoires.
  386. La Dauphine. — R.
  387. Le sieur Canapick. — R.
  388. Le sieur Eischer. — R.
  389. V. 19 janvier 1772. — R.
  390. Réimprimé dans le Maupeouana, tome III, p. 97-178. — R.
  391. V. 3 avril 1772. — R.
  392. V. 9 juillet et 14 septembre 1771. — R.
  393. Grammaire générale ou Exposition raisonnée des élémens nécessaires du langage, pour servir de fondement à l’étude de toutes les langues. Paris, Barbou, 1767, 2 vol.  in-8o. — R.
  394. Cette lettre est vraie. W. — Elle n’a point encore été recueillie dans les Œuvres de Voltaire. — R.
  395. Réimprimé dans le Maupeouana, tome V, pages 116-135. — R.
  396. La Haye et Paris, 1772, 2 vol.  in-8o. — R.
  397. V. 7 mars 1772. — R.
  398. Voyez tome Ier, page 26, note 2. — R.
  399. Person n’est plus guère connu que par la jolie épigramme de Rousseau qui commence ainsi :

    Griphon (Gacon), rimailleur subalterne,
    Vante Siphon (Person) le barbouilleur ;
    Et Siphon, peintre de taverne,
    Prône Griphon le rimailleur…

    — R.