Contes et légendes annamites/Texte entier

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Contes et légendes annamites
Contes et légendes annamitesImprimerie coloniale (p. iii-395).

CONTES
ET
LÉGENDES
ANNAMITES
PAR
A. LANDES
ADMINISTRATEUR DES AFFAIRES INDIGÈNES
______


SAIGON
IMPRIMERIE COLONIALE


1886



AVERTISSEMENT



En présentant aux lecteurs ce recueil de Contes et légendes annamites, il ne sera sans doute pas inutile de dire quel objet je me suis proposé et de quelle manière j’ai travaillé à l’atteindre.

Mon but a été surtout de recueillir les récits populaires qui ont cours chez les Annamites et qui peuvent servir à nous faire connaître leurs idées, leurs mœurs, leurs superstitions. Sans doute je n’ai pas négligé de reproduire des récits plus généraux empreints d’un merveilleux particulier, contes souvent venus du dehors, et qui sont comme les romans naïfs d’une époque primitive ; mais l’Annamite possède par malheur peu de ces contes, et, quand l’ensemble de la littérature populaire indochinoise sera mieux connu, il ne sera sans doute pas difficile de prouver qu’il les a tirés du dehors. Plusieurs de ceux que j’ai reproduits ressemblent plutôt à l’analyse sommaire d’un récit étranger ramassé par hasard qu’à une création nationale, et, comme telle, universellement connue et récitée intégralement avec amour.

Les récits poétiques manquant, ce recueil ne pouvait être autre chose qu’un assemblage de traditions locales et d’histoires de revenants ; mais elles n’en sont pas moins précieuses pour l’Européen qui entend pénétrer aussi profondément que possible dans la connaissance de l’indigène. En considérant ce travail à ce point de vue, il n’y a, je crois, dans le recueil aucune histoire, même la plus insignifiante, la plus dénuée d’intrigue ou d’intérêt passionnel qui n’apporte quelque renseignement utile.

On remarquera sans doute que beaucoup des légendes qui sont rapportées ici concernent des localités du Tonquin ou de l’Annam proprement dit, et surtout du Nghê an. Cela tient à ce que mes principaux informateurs ont été un devin et un lettré, tous deux originaires de cette province.

Au Tonquin, chaque rocher, chaque pagode a sa légende, et il n’est pas impossible, paraît-il, de se la faire conter. Ici ces traditions sont beaucoup moins communes, sans quoi, même en comptant avec les difficultés, ce recueil en contiendrait certainement un plus grand nombre.

Il ne me reste plus qu’à dire un mot de la manière dont ces légendes ont été recueillies et traduites.

Par malheur l’Européen ne peut songer à en recevoir directement communication de ceux qui les connaissent. Pour cela il faudrait courir le pays en vivant familièrement et longtemps avec les indigènes, encore le résultat serait-il loin d’être sûr.

Dans l’état actuel, quand vous demandez à un Annamite s’il connaît des histoires du temps passé, il vous répond invariablement que non, et c’est la vérité dans les trois quarts des cas, surtout si vous avez affaire à un lettré ou demi-lettré. S’il est assez familier avec vous, votre interlocuteur ne manquera pas en outre de vous demander ce que vous voulez faire de ces contes, se montrera parfaitement incapable de comprendre vos explications et en viendra à la conclusion qu’il est incompréhensible qu’un homme de sens s’occupe de pareilles fadaises, tandis qu’il y aurait encore tant de belles choses à dire dans quelque quatre ou cinq millième commentaire des livres classiques. Si c’est à une femme que s’adresse votre demande, peu s’en faut qu’elle ne soit considérée comme inconvenante, s’il y a du moins à en juger par l’effet qu’elle produit et que, pour ma part, je n’ai encore pu m’expliquer suffisamment.

Il m’est arrivé plus d’une fois, impatienté d’entendre de derrière une cloison raconter une histoire dont je ne pouvais saisir que des lambeaux, de passer au milieu de l’auditoire. Immédiatement le narrateur se taisait, et quand on lui demandait s’il connaissait des contes, il était le premier à protester de son ignorance. Enfin, par promesses et adjurations obtenait-on qu’il continuât ; il aurait fallu, outre une connaissance absolue de la langue, une mémoire prodigieuse ou le secours d’un phonographe dont l’emploi apporterait probablement la meilleure solution du problème. Si, en effet, pendant le cours du récit vous interrompez un narrateur pour demander un éclaircissement, il s’arrête net et ne dit plus rien, ou, dans le cas le plus favorable, recommence son histoire par le commencement sans vous donner l’explication désirée. Quant à prendre des notes sur le moment, il n’y faut pas songer tant que le conteur n’est pas apprivoisé, et je n’ai jamais pu le faire qu’avec des narrateurs de seconde main.

Ces difficultés se retrouvent plus ou moins partout, mais ici elles sont véritablement très grandes. Si j’y ai insisté, c’est que je tenais à expliquer comment j’ai dû procéder pour recueillir ce que j’ai publié. J’ai trouvé quelques intermédiaires de bonne volonté qui ont d’abord écrit ce qu’ils connaissaient eux-mêmes, et c’était peu de chose ; ensuite ils ont rédigé ce qu’ils avaient pu se faire conter par d’autres ; naturellement toute cette partie a été écourtée par le fait même de la rédaction, aussi ne peut-on pas dire que les récits, tels que je les ai traduits, reproduisent la physionomie générale d’une narration faite par un Annamite. Les répétitions y sont sans nombre ; le conteur a toujours peur que son auditoire ne le suive pas, et introduit de temps en temps des explications, fort inutiles en général, tandis qu’il n’y a pas moyen de lui en arracher aux endroits où elles seraient nécessaires. En cela la physionomie du conte annamite ne me paraît pas beaucoup différer de celle de ses congénères européens.

Quant à la traduction, je l’ai faite naturellement aussi fidèle qu’il m’a été possible. J’ai supprimé ça et là quelques répétitions ; mais je crois n’avoir rien omis d’essentiel, et, dans tous les cas, je n’ai rien ajouté[1]. J’ai indiqué au passage ce qui me paraissait d’origine chinoise ou bouddhique, cambodgienne ou cham ; j’ai relevé quelques analogies avec des contes connus en Europe, mais sur aucun de ces points je ne pouvais avoir la prétention d’être complet. Il me suffira d’avoir apporté un document fidèle à ceux qui s’occupent de l’étude des littératures populaires, et plus encore à ceux qu’intéresse la connaissance des idées et des mœurs annamites.


CONTES ET LÉGENDES





I

HISTOIRE DE DEUX LAURÉATS.



Au temps du roi Hông dûc, de la dynastie Lè, vivait au tram[2] de Than dan, huyên de Ky amh, province de Nghê an, deux frères qui appartenaient à la famille Nguyên. Cette famille était très pauvre ; les parents coupaient du bois dans la forêt et gagnaient, à grand-peine, trois tién par jour pour entretenir leurs enfants à l’école. Tout le monde dans le village méprisait ces gens à cause de leur pauvreté, et, pour peu qu’ils commissent quelque faute, ils étaient sévèrement punis. Devenus grands, les enfants se présentèrent aux examens et furent reçus tous deux en même temps avec le titre de Trang nguyên. Le roi fut rempli de joie et leur permit de retourner dans leur pays pour sacrifier à leurs ancêtres. Ils étaient escortés par une troupe de soldats avec des chevaux, des éléphants ; partout sur leur passage les autorités provinciales venaient à leur rencontre ou les accompagnaient. Dans leur village, ceux qui les avaient méprisés durent les accueillir avec pompe ; le phù et le huyèn y étaient venus pour diriger les réjouissances ; on les traita pendant trois ou quatre jours. Quand toutes ces fêtes furent finies, la mère des deux Trang nguyên se mit à réfléchir et à se dire : « Quand nous étions pauvres, nous ne nous connaissions pas de parents ; ce n’était qu’après avoir coupé et vendu notre bois que nous avions de quoi manger, et sans cela nous aurions pu mourir de faim ; la nuit on nous faisait monter la garde[3] et, si nous y manquions, nous étions battus ; nous avons eu dans notre vie beaucoup de misère ; maintenant que nos fils ont passé leurs examens, tout le monde vient nous faire bonne figure. Certes, ce monde est plein de méchants. Il me faut dire à nos enfants que, pour ceux de ces gens qui, par le passé, se sont bien conduits avec nous, passe, mais ceux qui nous ont fait du mal, il faut qu’ils pensent à nous venger d’eux et à les rendre misérables. Qu’ils cherchent un moyen de les faire périr et je serai satisfaite. »

Or, il faut savoir que ces deux Trang nguyên étaient des génies que le Ciel avait envoyés dans cette famille parce qu’elle était vertueuse. À peine la mère eut-elle dit ces paroles, que tous ses mérites furent anéantis. Un esprit qui passait par là[4] alla au palais de l’Empereur céleste rapporter ce qu’il avait entendu. L’Empereur céleste rappela les deux génies, et les deux Trang nguyên moururent. Mais, avant leur mort, l’esprit errant apparut en rêve à leur mère et lui apprit pour quelle faute elle était punie. L’on a élevé une chapelle à ces deux Trang nguyên au tram de Thân dâu, et ils ont manifesté leur puissance par de nombreux prodiges.

II

HISTOIRE DE GHI.



Au marché de Cày, dans le village de Truong luu, province de Hà linh, vivait un homme nommé Nghi qui avait la garde du marché. Après sa mort, il fut changé en démon (qui), et le village lui éleva une chapelle où on lui sacrifiait deux fois par an. Si l’on y eût manqué, le village n’aurait eu aucun repos. Cette chapelle était située sur le chemin, et toute femme qui passait devant devait baisser son pantalon, sans cela il ne la laissait pas passer. Les marchandes qui allaient au marché devaient en faire autant, sans quoi elles auraient manqué leur vente. Un mandarin, nommé Dinh nhirt thân, qui allait exercer ses fonctions au Tonquin, passant par là apprit cette histoire de la bouche des gens du village. Il en rit et dit au génie : « Je vais dans le nord ; si tu me protèges, je te donnerai le titre d’oncle Nghi, gardien du marché, généralissime ». Enorgueilli par ce titre[5], l’oncle Nghi devint de plus en plus tracassier ; il faisait des apparitions dans les maisons, violentait les femmes. Lorsque le roi Thièu tri[6] alla à Hà nôi pour recevoir l’investiture, il passa devant cette chapelle et demanda à quel génie elle était dédiée. Les gens du village lui racontèrent les méfaits de l’oncle Nghi, et Thièu tri ordonna de brûler la chapelle. Depuis, le village jouit de la tranquillité.

III

HISTOIRE DE BO.



Au village de Curong Giân, dans la province de Nghê an, vivait un homme nommé Bo. Il mourut le cinquième jour du cinquième mois, à l’heure ngo[7] et fut changé en démon. S’il y avait dans le village quelque belle fille, il lui apparaissait pendant la nuit ; si on voulait le marier, il apparaissait et cassait tout ; si, au contraire, elle restait fille, il allait voler de l’argent pour le lui porter. Si, dans quelque maison, on le maudissait, il incendiait la maison. Les habitants du village allèrent chercher un sorcier (thàiy phâp) pour l’exorciser (êm). On sacrifia un cochon, une poule ; mais, au milieu de la cérémonie, Bo apparut, mangea le cochon et la poule et lapida l’assistance. Tout le monde s’enfuit ; l’on ne sut plus comment faire pour se débarrasser de lui, et il fallut se résigner à le subir.



IV

HISTOIRE DE QUAN DÉ.


Dans la province de Ha nôi, au phù de Kiên xirong, vivait une jeune fille qui avait perdu ses parents et qui exerçait, pour vivre, le métier de couturière. Un jour, en allant au marché, elle vit vendre des images de Quan Dê[8]. Comme elle était toute jeune, elle ne savait pas encore qui il était, mais elle n’en conçut pas moins pour le dieu une grande vénération, et acheta une de ses images qu’elle rapporta chez elle. Chaque jour, elle lui faisait des offrandes de riz, et, si elle avait à son repas quelque chose de bon, elle lui en offrait aussi.

Un jour, elle alla au village de Nhon ly, du huyèn de Thanh trà, dans la province de Hài duong. Il faut savoir que, dans ce village, on rendait un culte à un génie porc[9]. Le dernier jour de chaque année le village devait lui amener une jeune fille que l’on enfermait dans le temple (dinh). Au milieu de la nuit le génie lui apparaissait et elle en mourait. Si le village eût manqué à faire ce sacrifice, il en eût été sévèrement puni.

Notre jeune couturière se trouvait justement dans ce village quand arriva le jour fatal. Les autorités communales la trompèrent et lui dirent qu’on allait lui donner du travail à faire dans le dinh. La nuit venue, ils l’y laissèrent. La jeune fille prit son image de Quan Dê, la suspendit au mur et lui fit ses offrandes de vin et de baguettes odoriférantes. Au milieu de la nuit le génie porc apparut et se préparait à la forcer, mais, comme il approchait du lieu où elle reposait, le porteur de lance[10] sauta sur lui et le coupa en trois morceaux. Son sang inonda toute la place. Quan Dê, ensuite, apparut à la jeune fille et lui dit : « Je l’aime à cause du culte que tu m’as rendu, c’est pourquoi je t’ai sauvée de la mort ». Ayant dit ces mots, il disparut.

Le lendemain matin, les gens du village, pensant que la jeune fille était morte, apportèrent un cercueil pour l’enterrer. Quel ne fut pas leur étonnement de voir le sang répandu et de la retrouver vivante. Elle leur conta ce qui était arrivé, et ils reconnurent que c’était à Quan Dê qu’elle devait son salut. Ils détruisirent le temple du génie porc et à sa place en élevèrent un à Quan Dé.


V

HISTOIRE DE LY KHÂC CÂN.



Sur les limites des provinces de Hà tinh et de Nghè an s’élève une grande montagne nommé Dai ngan, à laquelle on trouve accès par deux défilés appelés l’un Truùng mày, l’autre Truông bât[11]. En arrière, elle touche au pays sauvage des dix mille éléphants ; en avant, aux pays habités. L’on va couper du bois dans ces montagnes ; les bûcherons se réunissent par bandes d’une cinquantaine et, arrivés au défilé, font un sacrifice.

Du temps de la dynastie Le, un mandarin nommé Ly khac càn y fut envoyé avec une troupe de soldats pour couper du bois. Un jour, pendant que les ouvriers étaient au travail, il se coucha dans un hamac suspendu à un arbre ; un de ses hommes lui dit : « Il y a ici des tigres. » — « Laisse-moi me coucher où il me plaît, lui répondit-il[12], et va à tes affaires. » Le soldat une fois parti, survint un tigre qui se jeta sur le mandarin et, après une courte lutte, le tua et le mutila sans rien dévorer cependant. Le tigre ensuite s’accroupit sur le corps et attendit le retour des soldats.

Quand les soldats revinrent de la forêt, ils virent que leur chef était mort ; ils relevèrent le cadavre et envoyèrent deux des leurs prévenir les autorités provinciales. Celles-ci vinrent faire l’enquête et, les faits une fois constatés, ordonnèrent de rapporter le corps pour lui faire des funérailles. Mais, alors, tous les tigres et les éléphants de la forêt se rassemblèrent, les tigres environnant le cortège sur l’arrière et les côtés, les éléphants barrant le chemin en avant. L’on envoya chercher d’autres troupes qui réussirent à disperser les bêtes sauvages et l’on ramena le corps de Ly khac cân, qui fut enterré près du chef-lieu de la province. Trois nuits après, les tigres de ces forêts se rassemblèrent en foule, déterrèrent le cercueil et le portèrent au défilé de la montagne où ils l’enterrèrent. Quand les personnes de la famille vinrent pour visiter le tombeau, elles le trouvèrent vide et apprirent des voisins ce qui s’était passé. On courut au défilé, où l’on retrouva le cercueil. Les autorités provinciales, à qui rapport fut fait de l’événement, ordonnèrent de laisser les choses comme elles étaient et pressentirent que cet enterrement par les tigres présageait un avenir brillant à la famille[13]. Dès lors, Ly khâc Càn devint un esprit puissant ; ses descendants furent élevés aux plus hautes dignités ; tous ceux qui vont couper du bois dans la forêt lui font des sacrifices au moyen desquels ils obtiennent d’y vivre en paix. On lui a élevé un temple prés du défilé de la montagne, et, au commencement de chaque année, les bùcherons vont y faire des offrandes. Ly khac cân porte officiellement le titre de : vénérable génie surveillant des forêts des montagnes, mais il est connu dans le peuple sous le nom du vieillard au hamac.




VI

HISTOIRE DE NGÔ BÂT NGAO.


Ngô bât Ngao était un mandarin d’origine chinoise qui habitait le huyèn de Bînh chânh, dans hi province de Quàng binh. De son vivant, il administrait ce huyèn. Il se révolta contre le roi[14]. Après sa mort, tous les habitants de ce pays n’en restèrent pas moins sous sa dépendance. Si l’on voulait bâtir une maison, il fallait lui en demander la permission par le ministère d’un médium[15] ; il fixait le prix de location annuelle et vous mesurait le terrain. Si l’on voulait acheter, il vendait aussi ; on devait tuer un cochon, acheter du vin et le convier au festin ; il donnait alors un titre qu’il signait. En agissant de cette façon, on pouvait vivre tranquille ; mais si quelque famille le négligeait, il la frappait de maladie, faisait périr ses porcs et ses buffles. Quelquefois il apparaissait dans une famille riche et disait : « J’ai beaucoup perdu au jeu, il vous faut m’acheter ce terrain et chercher de l’argent pour le payer[16] ». Si on ne lui obéissait pas, il faisait d’abord périr le bétail, ensuite, les gens de la maison eux-mêmes dépérissaient. Les habitants de ce huyèn lui sacrifiaient deux fois par an deux ou trois porcs.

Un jour, le Tông doc Giai[17] de Ha nôi, originaire lui-même du huyèn de Binh chành, revint dans le pays pour visiter sa maison. Les habitants du district lui portèrent leurs plaintes contre ce Ngô bât Ngao, qui leur rendait la vie misérable et à qui ils devaient louer ou acheter les terres qu’ils cultivaient. Giai ordonna aux habitants d’aller chercher un devin habile afin d’évoquer Ngô bât Ngao et de l’interroger. Le devin l’évoqua et Giai lui demanda pourquoi il tourmentait ainsi les habitants de ce pays. Ngô bât Ngao lui répondit : « Au temps où Lê thâi lô créa ce royaume, c’est moi qui ai défriché la terre de ce huyèn et y ai fondé des villages. De mon vivant, le roi me donna le gouvernement de ce district ; mort, il m’appartient encore ; c’est en vertu de ce droit que je loue ou que je vends les terres ». Giai lui dit alors : « Je conviens avec vous que chaque année les habitants de ce huyèn vous feront une fois un sacrifice d’un porc e( des offrandes d’or et d’argent, mais vous ne les tourmenterez plus et vous ne ferez plus périr leur bétail. Si vous y consentez, faites un acte pour passer cette convention avec les villages ». Ngô bât Ngao y consentit, et, depuis ce temps, le premier jour de l’année les habitants de ce huyèn font ce sacrifice appelé Cérémonie de la location de la terre.




VII

HISTOIRE DE TROIS HOMMES-SERPENTS.



Du temps de la dynastie Ly[18] vivaient au village de Chi chàu, canton de Thruong nhùrt, huyên de Thach hà, province de Hà tinh, un homme nommé Trân thê vinh et sa femme Nguyén thi thoai. Ils étaient âgés d’environ quarante ans et mariés depuis plus de quinze années sans avoir eu d’enfants.

Une nuit d’automne, pendant une grande pluie, la femme prit un vase de terre pour recueillir l’eau qui coulait du toit. C’était vers la quatrième veille. Elle vit une étoile tomber dans le vase. Étonnée, elle appela son mari et lui conta ce qui s’était passé. Ils résolurent de garder le silence et de boire l’eau. La femme devint grosse, mais, au bout de trois ans, elle n’avait pas encore accouché, et l’on pensait qu’elle était hydropique ; ni remède, ni philtre n’y faisait. Un jour enfin, le premier jour du premier mois, à midi, elle accoucha de trois œufs bleus. Son mari fut très surpris et cacha avec soin l’aventure. Au bout de dix mois, ils virent éclore trois serpents : le premier avait le corps bleu et la tête rouge, le second le corps tacheté et la tête bleue, le troisième le corps blanc et la tête noire ; ils avaient environ un thu’oc et deux tâc de long[19] et croissaient à vue d’œil. Partout où allait leur père, ils le suivaient. Un jour qu’il travaillait aux champs, en coupant l’herbe, il trancha la queue de l’un des serpents dont le sang coula à flots. Le serpent se transforma aussitôt en un beau jeune homme haut de dix thu’oc : « Mes frères et moi, dit-il, nous sommes des génies célestes qui avons commis une faute, et nous avons été envoyés sur la terre pour secourir le royaume. Mes frères vont rester ; moi, je vais remonter au ciel en soulevant une tempête en signe de ce qui se passe »[20]. Les deux autres serpents demeurèrent à la maison ; quelquefois ils se transformaient en hommes, et nul alors ne les égalait. Du temps de cette dynastie des Ly, la Chine voulut s’emparer de l’or du Quàng nguyèn, de l’ivoire et de la cannelle du Thanh hôa et du Nghè an, mais, grâce à leur protection, ses entreprises furent déjouées. Aussi, le roi leur conféra-t-il le titre de généraux (Nguyên soâi). Par la suite, on leur éleva une chapelle, et, jusque sous la présente dynastie, ils ont manifesté leur puissance.




VIII

HISTOIRE D’UNE PRINCESSE
DE LA DYNASTIE LÉ.



Le roi Thânh tông[21], de la dynastie Lé[22], qui régna sous le titre de Hong duc, avait une fille nommée Mai châu. Comme elle atteignait l’âge de treize ans, les Moïs des cinq Quâng[23] se révoltèrent, et Ngô bat Ngao[24], qui prétendait descendre des Minh[25], s’unit à eux. Aucun général ne pouvait parvenir à le vaincre. La princesse demanda alors à son père de lui donner le commandement d’une armée pour aller le combattre. Le roi fit armer dix galères montées par cinquante mille hommes. Cette flotte mouilla près de l’îlot de An, sur la côte du Quàng binh. Vers le milieu de la nuit, il s’éleva une tempête épouvantable, et l’on comprit que quelque génie des eaux[26] voulait posséder la princesse et allait perdre la flotte pour s’emparer d’elle. La princesse pensa que si elle ne se jetait dans la mer, la flotte et l’armée périraient ; elle annonça donc sa résolution et ordonna aux généraux de revenir instruire son père de son sort. Le roi, irrité, se rendit en cet endroit et, prenant le miroir magique qui permet de voir au fond des eaux[27], il reconnut le point où se trouvait le palais du génie et ordonna de tirer le canon. Au bout de trois jours et de trois nuits, le palais était renversé, et le génie ramena le corps de la princesse à la surface dans une lagune nommée Ao bach.

Depuis, cette princesse manifesta sa puissance par plusieurs prodiges. Sous Minh mang[28] eut lieu la révolte de Ba vành[29] dont aucun général ne pouvait venir à bout. Elle apparut en rêve au roi et lui dit que, le 18 du troisième mois, à la deuxième veille de la nuit, il se précipitât à l’assaut du camp ennemi quand il y verrait une flamme bleue. Le roi obéit à ses instructions et détruisit les rebelles. Il lui conféra le titre de Puissant et vénérable génie du degré suprême.




IX

HISTOIRE D’UNE IMPÉRATRICE
DE LA DYNASTIE TONG.



Du temps de la dynastie Trân[30] vivait au port de Quèn, dans la province de Nghè an, un vieux pêcheur. Une année, le premier jour du sixième mois, il se rendait à l’embouchure de la rivière pour pêcher, quand il vit échoué sur le rivage un tronc de bach dàng[31] qui avait soixante thuroc de long et trois thuroc de diamètre. Le vieillard grimpa sur cette souche pour pêcher et se mit à couper son appât avec un couteau en frappant sur l’arbre. Quel ne fut pas son étonnement quand il vit couler de ce tronc d’arbre des flots d’un sang qui répandait une odeur exquise. Il courut faire sa déclaration aux autorités du village qui se réunirent et, apportant du bétel, du vin et de l’encens, vinrent faire un sacrifice. Ils consultèrent ensuite un médium[32] qui dit : « Je suis la femme de l’empereur Tong[33] ; les Nguyên nous ont ravi l’empire, nous ne pouvions demeurer sui’leur terre. Mes trois filles et moi, nous nous sommes jetées dans la mer. Le Ciel a eu pitié de notre dévouement, c’est pourquoi il nous a donné cette puissance surnaturelle, et ce bach dàng a été poussé jusque dans le royaume du midi, qui est le lieu où nous devons demeurer. Maintenant, vous devez prendre cet arbre et y tailler nos quatre statues pour les honorer. Du reste du bois on fera les objets du culte. Nous serons les protectrices de votre village. » — « Si vous avez cette puissance, disent les autorités, transportez cet arbre jusque dans notre village, alors nous aurons foi et nous vous élèverons un temple ». À peine ces mots étaient-ils prononcés, que l’on vit le tronc de bach dàng échoué sur la rive remonter de lui-même jusqu’au village, sur un parcours d’environ cent poteaux télégraphiques[34]. Les gens du pays reconnurent la puissance de ces génies et se rassemblèrent pour faire une collecte, afin de bâtir le temple. Dix jours après, il y eut une forte tempête à la suite de laquelle une grande masse de colonnes et de bois de charpente vint, on ne sait d’où, échouer à Quèn. Avec ces bois ils construisirent le temple au centre et, de chaque cùté, vingt-quatre édicules. À partir de ce moment, on rendit un culte à ces déesses, et tous ceux qui venaient leur porter leurs vœux étaient exaucés par elles.

Lorsque Gia long se rendit à Hâ nôi pour recevoir l’investiture[35] il passa devant ce temple et y entra. Apprenant qu’il était dédié à une impératrice de la dynastie Tông, il dit : « Si vous êtes véritablement une impératrice, je vous prie de m’en donner un signe ». La déesse inspira aussitôt un médium qui dit : « Quel signe voulez-vous ? » Le roi prit trois rouleaux de soie brochée et demanda qu’en un quart d’heure ils fussent transformés en vêtements. À peine avait-il dit ces mots, qu’un coup de tonnerre retentit, une jeune fille vêtue d’un habit bleu descendit du ciel, entra dans le temple, prit les trois rouleaux de soie et disparut dans les nuages. Au bout d’un instant on entendit un autre coup de tonnerre, et un jeune garçon, vêtu d’un habit rouge, rapporta les vêtements faits avec les trois rouleaux de soie et disparut. Le roi fut effrayé et dit à ses officiers : « Certes, ces déesses sont puissantes. Il leur conféra le titre de : les quatre vénérables reines, génies du rang suprême, et ordonna aux autorités du pays de leur sacrifier deux fois par an ; il alloua pour chaque sacrifice une somme de trois mille ligatures. Les Annamites et les Chinois ont ce sanctuaire en grande vénération et y ont fait de riches offrandes. Plusieurs fois des pirates chinois ont essayé de le piller ; mais, à peine avaient-ils mis leurs fusils en joue, qu’ils se mettaient à vomir le sang et mouraient. Aussi n’osent-ils plus l’attaquer (1).



(1) Voici, en quelques mots, une version un peu différente et plus complète :

La femme de De binh, dernier empereur de la dynastie Tông (1278) se précipita dans la mer avec ses deux filles pour échapper à la poursuite des Tartares. Un dauphin les recueillit et les porta sur un îlot où il ne se trouvait d’autre habitation qu’une pagode occupée par un bonze. Les fugitives, après avoir repris des forces, jugèrent qu’elles ne pouvaient, sans manquer aux convenances, rester seules avec un homme. Elles se jetèrent donc de nouveau à la mer et furent transformées en un tronc de bach dàng qui alla échouer sur les rivages de l’Annam. Là il fut aperçu, non par un pêcheur, mais par des femmes qui allaient laver leur linge. L’une d’elles, ayant voulu laver son linge sur cet arbre, tomba à la renverse comme morte ; son mari, furieux, allait frapper l’arbre de sa hache, mais il lui en arriva autant. Les gens du village demandèrent alors au génie de cet arbre de se faire connaître, ce qu’il fit en inspirant un jeune enfant. D’après les ordres de la déesse, on lui tailla une statue qui a toutes les apparences de la vie et on lui éleva un temple. Douze jeunes vierges de moins de quinze ans sont attachées à son service. Le troisième jour de chaque mois, à la cinquième veille, elles conduisent la statue dans une barque dorée jusqu’à la mer. Là elles s’arrêtent et tournent leurs regards vers la terre tandis que la déesse procède aux ablutions qui lui sont nécessaires comme à une vivante. Chaque année, le quinze du dixième mois, on renouvelle ses vêtements, et les marchands de Hâ noi fournissent à l’envi les étoffes demandées.

Le temple fut réparé par le roi Thânh tông de la dynastie Lè, qui avait obtenu bon vent et protection dans une expédition maritime contre le Ciampa. Bien que notre nouveau texte ne parle que de deux filles, il n’en compte pas moins comme l’autre quatre personnages divins, le quatrième étant sans doute quelque suivante fidèle.

Cette légende se rapporte à un événement historique. De minh, vaincu et voyant qu’il ne pourrait échapper à ses ennemis, jeta sa femme et ses enfants à la mer. Il s’y précipita ensuite lui-même sur le conseil de Tô lu’u nghïa et fut suivi dans la mort par celui-ci et une foule d’officiers et de soldats.


X

LE GÉNIE DE LA MONTAGNE TÂN VIÈN.



Dans la province de Hà nôi se trouve la montagne de Tân vièn, dont nul ne connaît la hauteur. Son plus haut étage est rouge ; rouge encore le second ; le troisième est accessible aux hommes ; l’on y voit une pagode construite en pierre, où se trouve une table de pierre et une statue également de pierre, de grandeur naturelle. Ce fut sous la dynastie Ly que se manifesta, pour la première fois, la puissance du génie de cette montagne. Les Chinois ayant envahi l’Annam, il apparut et rendit un oracle qui les effraya tellement qu’ils s’en retournèrent. Le roi d’Annam fit des sacrifices solennels à ce génie, dont on ignore le nom. Depuis ce temps on lui a toujours rendu un culte, et toutes les fois que le royaume est en péril, le roi envoie un ministre vertueux consulter son oracle. Le génie apparaît sous la forme d’un homme ou d’une femme, d’un vieillard ou d’un enfant, remet un écrit à l’envoyé et disparaît. Son oracle se vérifie toujours. Chaque année, le trentième jour du douzième mois, on forge cent fers de hache, dont on lui fait une offrande. Ceux des années précédentes ont disparu et l’on ne sait ce qu’ils sont devenus. La troisième année Tu duc[36], le tong dôc[37] Nguyèn dang giai apprit qu’une révolte avait éclaté à Son lay. Il marcha sur Son tây à la tête de trois mille hommes ; mais, arrivé à moitié chemin, le génie du mont Tân vièn apparut sous la forme d’un vieillard qui, un bâton à la main, se tenait au milieu de la route et barrait le passage. Les officiers voulaient l’écarter, le tông dôc entendit le bruit, et, instruit de ce qui arrivait, demanda au vieillard ce qu’il voulait. « Ne me connaissez-vous pas, dit celui-ci ? J’habite le mont Tan vièn ; je vous aime à cause de vos vertus ; aussi suis-je venu ici pour vous apprendre quelque chose. » Il se fit alors donner un papier sur lequel il écrivit ces mois : « Votre destin est terminé, il vous faut retourner ». Nguyén dang giai s’en retourna et, arrivé à sa demeure, tomba malade et mourut[38].

Par la suite, le tông doc Viêm voulut monter sur l’étage moyen de la montagne et, comme il n’y avait pas de chemin, il s’en fit frayer un par trois cents soldats. Après cinq jours de travail, on n’avait pas encore avancé. Le génie apparut alors au tông doc et lui dit : « Le sommet de cette montagne est le séjour des génies ; il n’est pas permis aux hommes de l’atteindre. Si tu n’écoutes pas mes paroles, tu mourras ». Le tông doc eut peur et renonça à son dessein.




XI

LE SAINT DE BRONZE NOIR.



L’on ne sait au juste quand vivait ce génie, mais on raconte que c’était du temps de l’empereur Oai vuong, de la dynastie des Chàu[39]. Il avait deux tru’ong de haut[40] et était tellement habile que nul ne l’égalait. Or, un jour qu’il avait rendu à l’empereur on ne sait quel service, celui-ci lui demanda ce qu’il voulait pour sa récompense. Le génie le pria de lui donner tout un trésor de bronze noir pour l’emporter dans l’Annam et s’en faire une statue. L’empereur lui accorda sa demande.

De ce bronze, le génie fit fondre une statue de lui-même et une autre du fondeur, un tigre et un lit. Il plaça le tigre sur le lit et s’assit sur le tigre. Les prunelles de la statue du génie sont en or, et le blanc des yeux en argent. Le forgeron est assis au pied du lit, il tient à la main un maillet de bronze de quinze thirô’c de long. La figure du génie a une expression menaçante ; elle épouvante tous ceux qui viennent l’adorer, mais sa protection est très efficace, et on peut avoir recours à lui pour tous les cas, aussi bien pour les affaires de l’État que pour celles des particuliers.

Le roi Quang trung[41], qui ne respectait rien, voulut détruire cette statue. Il la fit serrer de crochets de fer sur lesquels trois mille hommes tiraient pour l’abattre. Il avait fait venir des forgerons avec leurs soufflets de forge pour en fondre l’airain, mais, aussitôt qu’il eut donné le signal de l’effort, la statue poussa un rugissement et vomit des flammes. Quang trung fut renversé, ainsi que ses trois mille hommes. À partir de ce moment, il fut pris de maladie et, pour recouvrer la santé, dut faire au génie un sacrifice de trois victimes.

Voici la description que fait de cette statue M. P. Truong vinh Ky : « Au delà de la porte de Buoi, j’allai voir, sur la rive du lac occidental, la pagode de Tràn vô quan, vulgairement appelé le saint de bronze noir. Cette statue est une statue assise, dont la tête touche au faîte de l’édifice ; elle est en bronze noir massif. Ses cheveux sont crépus comme ceux du Bouddha ; sa figure aussi lui ressemble. Quant au reste du corps, il est représenté, comme saint Paul, une main appuyée sur son sabre, qui repose sur l’écailie d’une tortue ; l’autre étend un doigt vers le ciel ; les pieds sont chaussés de sandales. Cette statue porte une inscription que le temps a rendue illisible. » (Truong vinh Ky, Voyage au Tong-king, p. 7.) L’on remarquera que cette description de la statue ne répond pas à celle qu’en donne notre légende. D’après des témoins oculaires, le tigre n’existe pas, et le glaive du génie repose bien sur l’écaille d’une tortue. C’est cette épée qui l’a fait comparer à saint Paul, dont les chrétiens tonquinois lui donnent le nom. La statue du fondeur est en pierre. L’on raconte que lorsque Minh mang alla recevoir l’investiture, il fit un salut au génie ; celui-ci fut couvert de sueur. Il n’était, en effet, qu’un génie comme beaucoup d’autres, tandis que le roi d’Annam était un tout-puissant ; aussi le génie devait-il être confus et effrayé d’un tel honneur.




XII

HISTOIRE D’UN HOMME-TIGRE.



Dans la province de Ninh bînh, au huyèn de Nhon ly, vivait un certain Tir thuc, qui avait des facultés extraordinaires. Sa mère, à l’âge de vingt ans, travaillant aux champs près de la forêt, un tigre l’enleva et la conserva pendant deux jours sans lui faire de mal. Au bout de ce temps elle revint. Son mari lui demandant ce qui s’était passé, elle lui raconta que le tigre l’avait emportée dans un fourré presque impénétrable. Le lendemain le tigre s’en alla et elle s’enfuit.

À la suite de cette aventure elle mit au monde Tir thuc. Dés l’âge de dix ans celui-ci était expert en toutes choses ; à la guerre personne ne le valait ; mais, comme en ce temps-là on ne savait pas rendre justice au mérite, il ne fut pas fait officier. Mécontent, il se retira dans une caverne de la montagne de Than phù, pour faire pénitence.

Au bout de quinze ans sa tête se changea en une tête de tigre, mais son corps resta celui d’un homme. Il vivait de gibier ; il s’entendait merveilleusement à prendre les bêtes sauvages, et avait fait un parc où il les nourrissait. Sa voix ressemblait au cri du tigre, personne ne pouvait le comprendre. Il avait beaucoup d’affection pour ses parents, et leur portait du gibier qu’ils allaient vendre. Le jour il dormait, la nuit il allait à la chasse.

Une nuit qu’il chassait un cerf, celui-ci se sauva vers les pays habités. Tir thuc le poursuivit et rencontra vers la troisième veille un chef de rebelles nommé Quân nhût tien, qui venait avec un domestique voir sa famille. Tir thuc poussa un rugissement ; l’autre, effrayé, tomba à la renverse et Tir thuc l’emporta dans sa caverne. Le lendemain le père de Tir thuc vint à la caverne pour chercher du gibier, et vit ce rebelle. Bien vite, il alla prévenir les autorités provinciales, qui envoyèrent des soldats pour le saisir. La joie fut grande, car c’était un brigand très redouté et dont on n’avait jamais pu s’emparer. Les autorités firent connaître à l’Empereur le service qu’avait rendu Tir Ihuc et celui-ci lui décerna le titre de Grand généralissime ayant la force du tigre, véritable seigneur de Thân phù et donna aussi une récompense à son père.




XIII

HISTOIRE DE CAO BIÉN.



Cao bién[42] était un habile devin chinois (thây dia ly)[43]. Il fut employé par l’Empereur qui voulait le récompenser, mais Cao bién refusa or et argent, demandant que, les yeux fermés on le laissât désigner au hasard un des magasins impériaux dont on lui donnerait le contenu. L’Empereur accepta, et Cao bién désigna le magasin des pinceaux. Il prit alors une pierre, la plaça devant la porte du magasin et se fit porter les pinceaux amassés dans l’intérieur. À mesure qu’on les lui portait, il en frappait la pierre, et continua ainsi pendant plusieurs jours, les détériorant tous. Comme la provision était presque épuisée, l’un de ces pinceaux pénétra au travers de la pierre. Cao bién le prit, rentra chez lui, fit un cerf-volant en forme d’aigle (con dêu), se servit de ce pinceau pour dessiner les yeux à l’aigle, l’aigle alors put voler. Cao bién lui monta sur le dos et se rendit dans le royaume d’Annam, où se trouvaient beaucoup de cavernes impériales[44].

Il voulait chercher un moyen de se faire roi, mais il réfléchit et se dit : « Je suis vieux et je n’ai pas de fils. » Là-dessus, il résolut de donner la couronne à son gendre. Il retourna donc en Chine, ordonna à son gendre d’exhumer le corps de son père et de le briûler, afin d’en porter les cendres dans l’Annam, dans un lieu où se trouvait la gueule du dragon.

La crémation opérée, ils partirent pour l’Annam et se rendirent dans la province de Quâng binh, où se trouvait une gueule de dragon dans une rivière. Gao bien prit les os du père de son gendre, les donna à l’un de ses disciples et lui ordonna de plonger dans la rivière, de déposer les ossements dans la gueule du dragon et de remonter lorsque la gueule les aurait saisis. Mais ce disciple avait de l’ambition, et ayant deviné de quoi il s’agissait, il avait exhumé les ossements de son propre père et les avait cachés près de là. Il plongea, mit les ossements de son père dans la gueule du dragon et suspendit aux ouïes ceux que lui avait donnés Cao bién.

Cao bién pensant qu’il avait exécuté ses ordres s’en retourna. Il ordonna à son gendre de prendre un boisseau de cinq espèces de riz, puis il le mena à l’épaule du dragon et fit trois fosses dans lesquelles il enterra les cinq boisseaux de riz, dont tous les grains devaient devenir des soldats enchantés. Il dit à son gendre : « Vous attendrez trois ans neuf mois et dix jours, et à l’expiration de ce délai, vous reviendrez devant ces tombeaux et vous crierez à haute voix : Père, levez-vous pour régner ! » Cao bién s’en revint ensuite en Chine.

Mais le Ciel ne favorisait point ses desseins. Le disciple avait suspendu les ossements du père de son gendre aux ouïes du dragon ; ils furent dispersés par le courant. Au bout de trois ans et neuf mois, comme il manquait encore dix jours pour atteindre le terme fixé, la fille de Cao bién accoucha de trois garçons. Le premier, à la face rouge, tenait en main un sabre et un sceau ; le second, à la face couleur de fer, le troisième, à la face verte, tenaient chacun un sabre. Dès leur naissance, ils savaient marcher et ils allèrent s’asseoir sur l’autel domestique. Leur père fut étonné et, effrayé, il dit à sa femme : « Comment as-tu donné le jour à des démons ? je vais les tuer, de peur qu’il ne nous arrive malheur. » Il saisit les trois enfants et leur coupa la tête. Il dit ensuite à sa femme : « Ton père m’a fait faire de mauvaises choses, c’est pourquoi fu as donné le jour à ces démons. »

Là-dessus, il courut à l’endroit où il avait enterré le riz et cria une fois : « Père, lève-toi pour régner ! » Alors se levèrent de la terre en tumulte des espèces de formes humaines ; mais comme il manquait encore dix jours pour l’accomplissement du charme, elles n’avaient aucune force et retombaient sans vie.

Le gendre de Cao bién s’enfuit épouvanté. Cao bién à ce moment se trouvait en Chine, où il avait été retenu par les vents contraires de sorte qu’il n’avait pu empêcher son gendre de tout gâter. Quand il apprit ce qui était arrivé, il se mit en fureur et coupa la tête à son gendre et à son disciple. Il remonta ensuite sur son aigle et chercha dans tout l’Annam toutes les cavernes propices pour leur faire perdre leur vertu magique.

Dans l’endroit où il avait déposé les os du père de son gendre, au fleuve de Trà khùc, dans la province de Quàng ngâi, il tua le dragon, disant : « Si je ne puis être roi, que nul ne le soit. » Depuis ce meurtre, les eaux du fleuve de Trà khùc sont teintes de rouge. Gao bien alla ensuite dans le Nghè an, où sur le sommet d’une montagne appelée la Tête du dragon, se trouvait une des cavernes miraculeuses. Cao bién l’exorcisa au moyen d’une pièce d’airain, et, depuis, un souffle de mort règne sur cette montagne et rien ne peut y pousser.

Dans le Thanh hoa aussi, se trouvait une caverne, mais Cao bién en dédaigna le dragon parce qu’il était boiteux et, pensait-il, ne pouvait faire de roi, il le laissa donc intact. C’est pour cette raison que toutes les dynasties annamites ont pris naissance dans le Thanh hoa.

Dans le Phù yen, près du bord de la mer, se trouve un monticule de sable qui a la forme d’un tombeau ; les gens des bateaux qui fréquentent ces parages l’appellent le Tombeau de Cao bién. Il présente cette particularité que, malgré l’effort des vents et des flots, il reste toujours intact et semblable à un tombeau. L’on dit que c’est le tombeau de Cao bién, mais je ne sais ce qui en est.




XIV

HISTOIRE D’UN PRINCE
DE LA FAMILLE MAC.



Autrefois régnaient la dynastie Le et le chua Nguyén. L’Empire jouissait de la paix depuis plus de cent ans, lorsque Mac parvint aux honneurs et se révolta contre l’autorité royale. Mac eut dix-huit fils et une fille ; le dernier de ses fils s’appelait Ninh, il avait un esprit pénétrant et était habile à tout. On lui donna le commandement d’une armée pour combattre les Lé ; le gendre de Mac, nommé Nam, était lui aussi un habile général ; les Lé n’avaient personne à leur opposer ; le chùa Nguyén bien essaya bien de leur résister, mais il bit vaincu et forcé de se réfugier dans le Nghê an où il se retrancha dans la montagne de Rum, en faisant des barrages sur le fleuve. Ninh le poursuivit par terre, Nam par eau ; celui-ci détruisit tous les barrages et Nguyén hiên fut encore battu et s’enfuit au Dèo ngang, défilé qui sépare les provinces de Quàng binh et de Hà tinh. Là il rencontra le Trang nguyén Trinh qui lui dit : « La dynastie Le est perdue, la famille des Mac l’emporte ; mais, vous, emmenez votre armée dans le Quàng nam et, par la suite, il y aura dans votre maison quatre générations de rois[45]. »

L’aîné des Mac, Mac dàng dung, prit le titre de roi. Jaloux des talents de son frère Ninh, il eut peur qu’il ne lui disputât le pouvoir et conçut le dessein de le faire périr ; Ninh, au contraire, se fiait aux sentiments fraternels et ne soupçonnait rien.

Après avoir vaincu le chûa Nguyén bién, Ninh s’en retourna et arriva au bac de Thành Rum, à un point où le fleuve était très large. Il se mit à réfléchir et dit au passeur : « Voudrais-tu devenir mandarin ? — Tout le monde veut d’un bon morceau, répondit l’homme, ou d’un bel habit ; mais je suis un pauvre diable et n’ai à espérer rien de pareil. » À ces mots, la figure de Ninh s’empourpra[46] et il ordonna à ses hommes de couper la tête du passeur. La femme et les enfants de celui-ci épouvantés s’enfuirent. Ninh ordonna alors de prendre le cadavre et d’aller l’ensevelir, je ne sais où, dans la montagne Hong lanh ; il fit ensuite dresser près du bac une stèle où il grava une inscription disant : « Quand la montagne de Hong cessera de produire des arbres, quand le fleuve Rum cessera de rouler ses eaux, cette famille cessera de fournir des mandarins. »

Il faut savoir que ce passeur fut l’ancêtre de Nguy khac dâng,[47] et que, depuis sa mort, la famille Nguy n’a cessé d’avoir des succès aux examens et de s’élever aux premiers emplois, grâce à la situation du tombeau que Ninh donna à leur ancêtre.

Ninh avait pacifié le Nghê an. Mac dàng dung eut peur qu’il ne lui disputât la couronne et lui écrivit pour lui demander pour quelle raison, en ayant fini avec la rébellion, il ne revenait pas à la cour ; et pourquoi ayant vaincu le chùa Hién il ne l’avait pas emmené prisonnier et l’avait épargné. Ninh se mit en colère et dit : « Moi seul j’ai pu vaincre l’Empereur Lé et son chùa Nguyèn hién, mais mon frère méconnaît mes sentiments et me soupçonne ; je pourrais lui résister si je le voulais et m’emparer du pouvoir, mais ce serait pécher contre la loi divine, et me rendre l’objet du mépris de la postérité. Que mon frère me fasse donc ce qu’il voudra ! »

Mac dang dung ordonna de décapiter Ninh, mais la terre se mit à trembler, et les mouches couvrirent le cou de Ninh en tel nombre que l’exécuteur ne put lui trancher la tête. On le lia ensuite sous le ventre d’un éléphant que l’on poussa dans le fleuve afin que Ninh fut noyé, mais l’éléphant refusa d’entrer dans l’eau. Tout le monde plaignait Ninh, lui seul causait librement à son ordinaire, sans souci de la mort. Quelques jours après, Mac dang dung ordonna de mettre du poison dans ses aliments, mais le poison n’eut aucun effet sur Ninh. Son frère le fit alors jeter en prison et Ninh voyant que rien ne pouvait le détourner de ses mauvais desseins se pendit.

À la nouvelle de la mort de Ninh, Mac dang dung fut transporté de joie. Il donna un grand banquet auquel il invita son gendre Nam, et plusieurs autres généraux, et leur annonça qu’il leur conférait de nouvelles dignités. Nam lui dit : « C’est Ninh et moi qui avons fondé votre trône ; il avait pacifié le midi, moi j’ai soumis les rebelles de Cao bang ; vous, qui étiez resté dans votre palais, vous avez fait périr cet homme juste et qui vous avait rendu de grands services. » Quatre généraux de l’armée de Ninh approuvèrent ces paroles, repoussèrent les titres qui leur étaient offerts et délibérèrent avec Nam de faire la guerre à Mac dang dung. La sœur de Mac, qui avait épousé Nam, ayant appris le complot qui se tramait contre son frère, fit prévenir celui-ci qui envoya des soldats pour assiéger la maison de Nam et s’emparer de lui et des quatre généraux de Ninh. Nam, voyant qu’il avait été trahi par sa femme, mit celle-ci à mort et se défendit ensuite contre les assaillants, mais il fut vaincu et tué ainsi que les quatre généraux. Les Mac disputèrent pendant soixante-sept ans le pouvoir à la famille Lé, mais ils furent enfin vaincus par les chua de la famille Trinh.




XV

HISTOIRE DU CAPITAINE TAO.



Au village de Tuân le, huyên de Hurong son, dans la province de Nghê an, vivait un homme que l’on appelait le capitaine[48] Tao. Il avait, depuis le moment de sa naissance, une tache rouge dans l’oreille. Il était également versé dans les lettres et dans les armes, mais il était d’un caractère dissolu. Un jour qu’il avait tout perdu au jeu, il fut forcé de voler pour vivre, fut pris et mis en prison. Il brisa ses fers, escalada les murs et s’enfuit. Il n’osa pas revenir à sa maison et leva une bande de rebelles[49] ; comme on le savait fort et habile, on le suivit en foule et il se retira avec ses partisans sur la montagne Truông mây où il organisa ses forces.

À cette époque, le roi Minh mang envoya Le duyêt[50] gouverner le Nghê an. Tous les chefs de bande firent leur soumission à l’exception de Tao qui, se fiant en sa force, persista dans la rébellion. Le gouverneur fit alors une proclamation par laquelle il promettait cent taëls d’or et un grade à celui qui trouverait un moyen de s’emparer de Tao, l’homme à la tache dans l’oreille. Tao, à cette nouvelle, se déguisa en un envoyé impérial, et précédé d’un pavillon rouge portant les mots : « Envoyé impérial obéissant aux ordres », il pénétra dans la citadelle avec son escorte ; ses hommes avaient le fusil armé, le sabre nu, personne n’osa s’opposer à leur passage.

Un domestique du gouverneur alla le prévenir ; celui-ci sortit et se trouva face à face avec Tao qui lui dit : Connaissez-vous le capitaine Tao ? C’est moi. Voyez la tache rouge dans l’oreille. Quel crime ai-je commis pour que vous cherchiez à vous emparer de moi ? Le gouverneur lui répondit : « Je suis le gouverneur de ce pays ; tous les autres ont fait leur soumission, il n’y a que vous qui persistiez dans la révolte. Maintenant je vous donne cent taëls d’or et trois cents taëls d’argent, soyez mon ami et demeurez avec moi ; je demanderai au roi de vous pardonner et de vous donner un grade. » Tao lui répondit : « J’accepte l’or et l’argent, mais quant au grade je n’en ai que faire. Donnez-moi aussi cent hommes pour m’accompagner jusque dans la forêt. »

Le gouverneur eut peur qu’il ne le tuât et fut forcé de consentir à tout, mais il était fort irrité et accusait la négligence de ses soldats qui avaient laissé pénétrer la bande jusque dans la ville. Il fit donc exécuter tous les hommes de garde et envoya des espions pour découvrir où se trouvaient les parents et la femme de Tao dont il s’empara.

Il fit élever une tour d’une hauteur de trois cents thu’oc et y fit monter la mère et la femme de Tao afin que celui-ci les vit de loin. Il lui écrivit ensuite : « Si vous faites votre soumission, j’épargnerai votre mère et votre femme, sinon je les ferai exécuter. » Tao soupira et dit : « Il y a la mère et le fils ; après la piété filiale vient la fidélité au prince ; je suis heureux, j’ai des chevaux et des parasols, mais s’il faut laisser mourir ma mère et ma femme, à quoi bon ? » Il amena donc sa bande faire sa soumission et racheta ainsi la vie de sa mère.

Arrivé à la porte de la forteresse, il récita une ode (phù) dans laquelle il disait qu’il était très fort mais qu’il se soumettait par amour pour sa mère. Quand le gouverneur eut vu ces vers il les trouva pleins d’insolence et fit décapiter l’auteur. Il envoya ensuite ce poème au roi en lui rendant compte de l’affaire. Minh mang le blâma de ne pas avoir envoyé un homme d’autant de valeur à la capitale pour qu’il fut jugé par le roi lui-même et, pour le punir, il lui supprima une année de solde.




XVI

HISTOIRE DE CÔ BU.



Sous le règne de Minh mang vivait dans le Nghè an un certain oncle Bu qui était un devin fort habile[51] et un guerrier émérite. Au moment de sa naissance, il avait trois poils blancs sous la plante de chaque pied, aussi plongeait-il comme personne, pouvant même rester plusieurs jours sous l’eau. Il suscita une rébellion et se fortifia sur la montagne Truông mày dans un lieu escarpé où l’on n’osait aller l’attaquer. De temps en temps, il descendait dans la plaine pour piller, prenant aux riches pour donner aux pauvres. Tous les misérables se rendaient en foule auprès de lui et il les secourait tous. Qui voulait rester avec lui restait, qui voulait le quitter pouvait partir. Bien qu’il ne fut qu’un rebelle, il se conduisait vertueusement parce qu’il voulait par la vertu parvenir à l’Empire.

Un jour du dizième mois, l’oncle Bu alla au village de Long phan pour visiter les tombeaux de ses parents et porter de l’argent à sa famille. Le thôn truong courut en avertir le huyên, et celui-ci prévint le gouverneur de la province qui envoya deux mille hommes pour saisir le rebelle. Les hommes étaient accompagnés par dix éléphants et portaient des filets de fer pour envelopper l’oncle Bu.

On tendit donc ces filets tout autour du village. Le commandant de la troupe les fit surveiller avec soin et entra dans l’enceinte pour fouiller les maisons et tuer Bu. Tout le monde pensait que celui-ci était perdu, mais il ne fit qu’en rire, fit une opération divinatoire et dit : « Je vais m’en tirer sans peine. » il prit une natte, la roula comme si elle contenait un cadavre et la fit porter par deux hommes ; quant à lui, il suivait la pioche à la main ; son domestique portait une pelle. Tout en marchant, ils se lamentaient si bien qu’aux postes extérieurs on les laissa passer pour aller enterrer leur mort.

Une fois hors d’atteinte, Bu cria aux soldats : « C’est moi qui suis Bu ; attrapez-moi si vous pouvez », et il plongea dans le fleuve. Les soldats entourèrent de filets de fer le point où il avait plongé et firent mettre les éléphants à l’eau pour l’écraser sous leurs pieds. Mais Bu était aussi libre de ses mouvements sous l’eau que sur la terre, il souleva les filets et défia encore une fois ses ennemis qui ne purent s’emparer de lui.

Un autre jour, il était allé à une noce où sa présence fut dénoncée. Les mandarins, pour lutter avec lui, se firent suivre par un devin ayant la même spécialité. Quand ils eurent entouré le village. Bu fit une conjuration, prit un bol d’eau, jeta une baguette par-dessus et l’enjamba. Ensuite, il se cacha dans les combles de la maison. Les mandarins ne le trouvant pas recoururent à leur devin, et celui-ci, trompé par l’opération magique, leur dit que Bu venait de franchir un cours d’eau sur un pont. Ainsi la précaution tourna à leur désavantage. Dans une occasion semblable, Bu se cacha dans une natte que le devin ennemi prit pour une forêt de joncs, la natte étant faite de joncs.




XVII

LE BÔI MAU ET L’ÉLÉPHANT.



Quand la dynastie Lè eut perdu l’empire, un éléphant des écuries impériales se refusa à servir de nouveaux maîtres, et s’enfuit aux lieux de sa naissance, dans une gorge appelée le Truông dây thùng, où il trouva un ruisseau d’eau pure et abondance de fourrage. Cette éléphant avait été gratifié par un Empereur de trois colliers[52] d’or. Quand il eut demeuré de longues années dans les bois ces colliers se couvrirent de lichens.

Or, tandis que l’éléphant s’enfuyait dans les forêts, son cornac, le dôi Mâu s’était retiré dans sa maison. Devenu vieux et âgé d’environ soixante-dix ans il alla dans la forêt cueillir des simples. Comme il s’était courbé pour arracher des racines, l’éléphant reconnut son ancien maître, et se précipita vers lui, l’entoura de sa trompe, abaissant ses défenses et versant des larmes. Mâu qui ne reconnaissait pas son éléphant fut épouvanté, craignant d’être écrasé par lui. L’autre cependant guidait sa main pour lui faire toucher ses colliers d’or, voulant qu’il les prît et en tirât parti.

Màu reconnut alors l’éléphant, mais il ne savait comment faire pour lui enlever ses colliers et craignait de le blesser. La nuit vint sur ces entrefaites. Mâu se prosterna devant l’éléphant lui demandant de le laisser partir, mais l’autre n’en voulut rien faire. Vers la seconde veille Mâu se mit à se plaindre et dit : « Je suis vieux et débile, je ne puis rester dans cette forêt. » L’éléphant alors le campa sur son dos et le rapporta chez lui. À la quatrième veille ils arrivèrent. Les gens de la maison, à la vue de l’éléphant, furent saisis d’effroi ; Mâu leur dit : « Le Seigneur[53] était autrefois de la suite de l’Empereur et je lui donnais mes soins. Il m’a rencontré dans la forêt et m’a ramené ici, n’ayez aucune crainte. » Ils prirent alors un porc qu’ils nourrissaient, en firent manger la chair à l’éléphant, et lui firent boire pour trois ligatures de vin. Le jour commençant à paraître, l’éléphant ne voulut pas demeurer davantage, il fit monter sur son dos le dôi Mâu et son fils et les ramena dans la forêt. Là il leur prenait toujours les mains et les portait sur ses colliers. Màu dit à son fils : le Seigneur me les donne, il me faut donc les prendre ; et, introduisant son couteau entre le collier et la peau de l’animal il en fit sauter deux. Le sang de l’éléphant coula en abondance et Màu ne voulut pas prendre le troisième collier. Il prit des plantes médicinales[54] pour en frotter l’éléphant, ensuite le père et le fils lui firent leurs adieux et s’en retournèrent chargés d’une fortune.

En ce temps-là régnaient les Tày son. Le roi Quang Trung apprit qu’un éléphant des Lè vivait encore dans la montagne ; il envoya des troupes à sa recherche, mais il avait disparu et l’on ne put s’emparer de lui.




XVIII

HISTOIRE DE DÀNG VAN HOA.



La montagne de Cao vong est haute et vaste, d’un côté elle touche aux pays des Barbares, de l’autre à la mer. Une route impériale la traverse au col de Déo ngang, où se trouve la limite des deux provinces de Hà tinh et de Quâng binh.

Au village de My hoa, situé près de ce col de Déo ngang, l’on voit un ancien retranchement couvert d’une épaisse végétation. Dans ce retranchement les gens du village entendaient chaque nuit, à leur grand étonnement, la voix d’un écolier qui répétait ses leçons.

La quinzième année du roi Tày son Quang trung, un certain Dang van Binh, dont la femme s’appelait Nguyén thi phu’oc vit en rêve un jeune garçon qui sortait de ce retranchement pour venir dans sa maison. Le jeune garçon leur dit ; « J’ai reconnu en vous des personnes vertueuses, c’est pourquoi je viens ici. Si vous voulez me louer, je resterai avec vous. » Binh lui dit : « Combien veux-tu rester d’années ? » Le jeune garçon répondit : « Vingt ans. » — « Tu es encore tout petit, répondit Binh, si tu ne restes que vingt ans et que tu partes, je n’aurai pas eu le temps de me servir de toi ; je veux que tu restes beaucoup plus longtemps. » — « Eh bien ! dit l’enfant, combien demandez-vous d’années ? Binh dit en riant : « Je veux cent ans ! » — « Oh ! dit l’autre, voilà une famille bien exigeante ! La vie d’un homme n’est que de cent ans, et vous voulez que je m’engage pour cent ans. Dans la montagne, dit un poète, vivent des arbres âgés de mille ans, mais parmi les hommes il ne s’en trouve pas un qui atteigne l’âge de cent ans. » — « Tu es bien habile, dit alors Binh. Soit ! fixe toi-même le temps. » L’enfant dit : « Je consens à rester avec vous soixante-douze ans. » Binh consentit à le prendre dans sa maison (nuôi). Là-dessus il s’éveilla et reconnut qu’il avait fait un rêve.

Binh et sa femme avaient à cette époque plus de cinquante ans ; cependant la femme devint enceinte, et, le terme venu, donna le jour à un garçon. L’accouchement eut lieu pendant la nuit ; toute la maison fut remplie d’une clarté rouge, ce que Binh considéra comme d’un excellent augure. Quand l’enfant atteignit l’âge de dix ans, sa figure ne ressemblait pas à une figure ordinaire. Il avait des yeux gros et ronds avec une petite prunelle, sur laquelle se voyait une tache d’or ; la face carrée, les épaules larges, le nez proéminent, les oreilles blanches. Il portait le nom de Dang van Hoa, qu’il avait reçu un mois après sa naissance.

C’était l’époque de la révolte des Tây son. La huitième année de Gia long Dang van hoa eut dix huit ans. Le gouverneur de la province entendit parler de lui comme d’un enfant prodige[55], et le fit venir pour l’examiner. Hoa répondit à merveille à toutes les questions sur les choses célestes et terrestres. Il fut alors envoyé à la capitale, où l’Empereur l’interrogea devant toute sa cour. Satisfait de ses réponses, il demanda à ses mandarins quel titre il devait lui décerner. Ils demandèrent qu’on le créât Hiêp biên dai hoc si khiêm quan khân thiêm giàm su vu[56].

Sous le règne de Minh mang, il fut élevé au rang de Van minh diên dqi hoc si. Minh mang, un jour, lui donna deux vers dont il devait faire de suite la contre-partie :

 
Les dents sont dures, la langue est molle ;
La chose à nature dure ne vaut pas la chose à nature molle.


Hoa répliqua :

 
Les sourcils viennent les premiers, la barbe vient la seconde ;
Le premier né ne devient pas aussi long que le dernier né.


L’Empereur le loua de son talent et le récompensa[57].

Depuis la naissance de Dang van hoa l’on avait cessé d’entendre le petit écolier réciter ses leçons dans le retranchement du village de My hoa.




XIX

HISTOIRE DE NGUYÉN DÀNG GIAI.



Au village de Lôc thành, dans la province de Quâng bînh, vivait un mandarin nommé Nguyén dang tuân qui avait rempli les fonctions de Thâi sir. Il avait déjà dépassé quarante ans ainsi que sa femme sans qu’ils eussent eu d’enfant. Nguyén dan tuân dit à sa femme : « Le Ciel nous a donné la richesse, mais nous n’avons pas d’enfants ; la fortune nous est donc inutile ; allons à la pagode de Thiên mô pour demander un fils[58] par nos prières ; peut-être le Ciel exaucera-t-il nos vœux. Les deux époux se rendirent à la pagode et demandèrent au supérieur de faire des prières pour qu’ils eussent un fils. Le supérieur ordonna à Tuân de venir chaque jour à la pagode faire deux offrandes d’encens. Tuân obéit mais sans résultat pendant plus de trois ans.

Une nuit enfin il rêva que son esprit montait à la pagode, et, se tenant debout à côté de la porte, voyait les trois Bouddhas assis sur l’autel. Celui qui était assis à gauche dit : « Nguyèn dang tuân demande un fils depuis longtemps sans avoir pu l’obtenir. Il y a là, devant la grande porte un mendiant mort, donnons-le-lui pour fils. » Celui des Bouddhas qui était assis à droite dit : « Nguyèn dang tuân est un homme vertueux et plein de piété, pourquoi lui donner un mendiant pour fils ? » Le Bouddha du milieu dit : « Puisque vous voulez lui donner ce mendiant pour fils, j’y consens, seulement arrangeons-lui un peu les yeux. » Les trois Bouddhas alors sortirent de la pagode et se rendirent au lieu où était étendu le cadavre du mendiant.

L’un d’eux prit un pinceau et du manche déprima l’œil du mendiant.

À cette vue, Tuân se réveilla et dit à sa femme : « J’ai été fonctionnaire pendant longtemps et je n’ai jamais fait rien de mal ; je présentais pieusement mes vœux au Ciel et au Bouddha. Comment se fait-il que cette nuit j’aie vu en rêve les trois Bouddhas me donner pour fils un mendiant. À quoi bon ? »

Sa femme lui répondit : « Vous avez fait ce rêve, mais nous ne savons si ce que vous avez vu est arrivé. Demain matin allez à la pagode pour voir ce qui s’est passé. » Tuàn fit ce que lui disait sa femme et le lendemain vit le mendiant étendu devant la grande porte. Il alla trouver le supérieur et lui demanda pourquoi il n’avait pas fait enterrer ce mort. Le supérieur n’en connaissait pas l’existence ; il ordonna aussitôt de l’ensevelir. Tuân auparavant regarda les yeux du mort et les trouva enfoncés comme le lui avait annoncé son rêve. Tuân revint raconter à sa femme ce qu’il avait vu, que les yeux avaient été retouchés et que, par conséquent, la prédiction avait chance de s’accomplir.

La femme de Tuân devint enceinte, et le mari continua à se rendre chaque jour à la pagode pour prier, se plaignant au Bouddha et disant : Vous m’avez donné un fils, mais vous avez choisi pour me le donner un mendiant ; c’est là une honte pour moi. Je n’ai commis aucune faute, pourquoi me traitez-vous ainsi ?

Une nuit il fit un autre rêve. Il vit le génie du lieu[59] qui lui disait : « Les Bouddhas vous ont donné pour fils un mendiant, mais ils lui ont arrangé les yeux. Par la suite, ce fils remplira de grandes charges. Ayant passé l’âge de dix ans il sera tellement savant qu’il sera reçu aux examens ; à vingt ans, il entrera dans la carrière des emplois et chaque jour deviendra plus honoré. »

Tuân se réveilla et raconta son rêve à sa femme. Les deux époux furent transportés de joie et cessèrent de se plaindre. Quand vint le terme de la grossesse, la femme mit au monde un fils qu’ils appelèrent Giai. Il avait tous les traits du mendiant et ses yeux enfoncés. Un devin[60] du Nord, qui se trouvait dans le pays, fut appelé pour l’examiner. Il dit que tous les traits de cet enfant étaient ceux d’un mendiant, mais que ses yeux étaient admirables ; qu’à partir de l’âge de dix ans, il serait d’une intelligence remarquable, qu’à vingt ans, il serait docteur, à trente gouverneur de province, qu’il serait élevé à la dignité de thiéu bâo[61] et mourrait à l’âge de soixante-treize ans.

Nguyèn dang giai fut donc un enfant donné par le Bouddha. Aussi, quand il eut été élevé aux honneurs, se fit il faire en or les statues des trois Bouddhas ; il leur rendait partout un culte et le soir psalmodiait ses prières (comme un bonze). Où qu’il allât exercer ses fonctions, il les emportait avec lui. Par la suite, quand il fut devenu gouverneur de Hà nôi, il leur bâtit une très belle pagode où se trouvent aussi sa statue et celle de sa femme.




XX

DINH CHANGÉ EN ROCHER.



Dans la province de Nghê an, au village de Hoa duc se trouve une montagne nommée Dâu tuong (tête d’éléphant) qui confine à la mer. Sur cette montagne l’on voit un rocher qui a la forme d’une cloche et un autre qui a la forme d’une cymbale. Un certain Dinh, homme d’un esprit irrespectueux, vint en ce lieu et se mit, pour s’amuser, à frapper la cloche et la cymbale qui résonnèrent hautement. Au bout d’un instant il sortit de l’eau un homme au visage terrible, vêtu d’un habit rouge et tenant un sabre au poing. Il prit Dinh par la main et lui demanda : « Qui t’a ordonné de frapper cette cloche et cette cymbale ? » Dinh répondit : « Je les ai frappés pour m’amuser, personne ne me l’a commandé. » L’homme alors dit : « Tu es un drôle ; tu as frappé pour t’amuser, moi je te planterai là. » Il rentra dans l’eau et Dinh resta pétrifié sur place, ne pouvant ni bouger ni parler. Le lendemain des bûcherons qui passaient par là le virent pétrifié, incapable de répondre à leurs questions. Ils allèrent bien vite avertir ses parents qui se rendirent sur les lieux et firent pendant trois jours des prières ; mais Dinh restait toujours pétrifié. Au milieu de la troisième nuit, l’homme vêtu de rouge sortit des eaux et dit aux parents de Dinh : « Cette cloche et cette cymbale sont puissantes ; votre fils les a frappées sans raison et le son en est venu jusque dans les royaumes des eaux ; en punition de sa faute il se tiendra là pour servir d’exemple. Vous, retournez-vous-en. Si vous ne m’obéissez pas vous mourrez. » Il disparut. Le père et la mère effrayés abandonnèrent leur fils et s’en retournèrent. Depuis on va visiter cet endroit, mais nul n’a plus l’audace de frapper sur la cloche ou sur la cymbale[62].




XXI

LE PÊCHEUR DE L’ÉTANG CÉLESTE.



Dans la province de Quang binh se trouve un lac auquel on a donné le nom de lac (ou lagune) Céleste[63]. L’on peut en faire le tour en un jour. Ce lac est très profond, je ne sais de combien de centaines de brasses.

Au village de Dong hai, vivait un individu qui avait toute sa vie été très pauvre et qui n’avait d’autre métier que la pêche à la ligne. Ordinairement il pêchait dans la mer. Un jour, il résolut d’aller pêcher dans le lac pour voir s’il y prendrait quelque chose. Il y arriva de bonne heure et pêcha un bon bout de temps sans rien prendre. Il entra alors dans un fourré pour se reposer. Comme il tournait ses regards vers le lac, il en vit sortir deux géants, coiffés d’un turban et vêtus d’un habit rouge, qui tenaient un sabre à la main. À cette vue, le pécheur fut effrayé et se tapit dans son fourré sans rien dire. Au bout d’un instant, les deux géants rentrèrent dans les eaux et le pêcheur en vit sortir dix autres vêtus d’habits de toutes les couleurs et tenant aussi un sabre en main, qui firent le tour du lac. Les dix individus rentrèrent aussi dans les eaux, tandis que le pêcheur épouvanté continuait à regarder du fond de son fourré. Il vit alors trente bateaux ornés d’un dragon émerger du fond du lac ainsi qu’un bateau doré, couvert de parasols, pavoisé de pavillons, sur lequel se tenaient trois seigneurs, vêtus d’habits rouges et armés de porte-voix à l’aide desquels ils commandaient la manœuvre des antres bateaux.

Chantant et ramant, ils arrivèrent au rivage où les soldats portèrent trois palanquins tout en battant du tambour et en agitant les pavillons. Du fourré où il était caché, le pêcheur, ne voyant pas bien ce qu’ils faisaient, sortit pour se mettre dans un endroit découvert, mais les seigneurs, assis dans le bateau doré, l’aperçurent et envoyèrent des soldats pour le saisir. « Quand es-tu venu ici ? lui demandèrent-ils. — Je suis un pêcheur, répondit-il, et, jusqu’ici, j’avais coutume d’aller pêcher dans la mer. Je ne sais pourquoi, ce matin, j’ai eu la pensée de venir ici ; j’ai pêché toute la matinée sans rien prendre, et, comme le soleil se faisait chaud, je suis entré dans le fourré pour me reposer. Regardant vers le lac, j’en vis sortir à deux reprises des géants au visage terrible qui regardèrent de tous les côtés sans m’apercevoir. J’eus peur et je n’osai pas me montrer ; mais maintenant à la vue de ce beau spectacle, je suis sorti pour le regarder. Je vous supplie de me pardonner. »

Le maître lui dit : « Soit ! je te pardonne et je vais te laisser partir, mais tu vas ouvrir la bouche et avaler un sabre aiguisé aux deux extrémités. Tu vivras cent ans, mais tu ne devras raconter à personne ce que tu as vu. Si tu le fais, le sabre sortira de ton corps et tu mourras. Je te donne, en outre, une marmite de cuivre ; trois fois par jour, tu n’auras qu’à y mettre de l’eau et le riz s’y trouvera tout seul ; tu n’auras plus besoin d’aller pêcher pour vivre et tu ne mourras qu’à l’âge de cent ans. » Ce seigneur fit ensuite décapiter les gardes qui avaient fait la ronde pour les punir de leur négligence.

Le pêcheur revint chez lui ; à partir de ce moment, sa marmite lui fournissait sa nourriture. Il acquit de l’aisance et vécut ainsi jusqu’à l’âge de quatre-vingt-dix ans sans oser parler à personne de ce qui lui était arrivé. Un jour, qu’il offrait un sacrifice aux esprits de ses ancêtres et que toute sa famille était rassemblée autour de lui, il se mit à penser ; j’ai quatre-vingt-dix ans, ce qui est avoir vécu une longue vie, je suis riche et j’ai une nombreuse descendance ; je n’ai plus que faire de vivre davantage. Contons cette histoire à nos enfants ! tant pis si le sabre sort de mon corps et que j’en meure. Il leur conta donc son aventure et à peine avait-il achevé de parler qu’il mourut. Depuis ce temps, le lac Céleste est tenu en grande vénération et personne n’ose aller y pêcher.




XXII

HISTOIRE DE CON TAM ET DE CON CAM[64].



Un mari et sa femme avaient chacun une fille ; la fille du mari s’appelait Câm, la fille de la femme s’appelait Tâm[65]. Elles étaient de même taille et l’on ne savait qui était l’aînée, qui la cadette. Leurs parents leur donnèrent à chacune un panier tressé et les envoyèrent prendre du poisson ; celle qui en prendrait le plus serait l’aînée. Ce fut Câm qui en prit le plus. Tàm alors s’avisa d’un stratagème. Elle dit à sa sœur d’aller cueillir une fleur de nénuphar[66] de l’autre côté du fleuve ; pendant ce temps, elle mit tous les poissons dans son panier et s’en alla. Lorsque Câm revint, elle ne trouva plus de tous ses poissons qu’un bông mù[67]. Elle s’assit sur la place et se mit à pleurer. Un génie, ému de sa douleur, descendit du ciel et lui demanda ce qu’elle avait. Elle lui raconta comment elle avait été trompée par sa sœur. Le génie demanda si elle n’avait rien laissé et, voyant le bông mù, ordonna à Cam de le garder et de le mettre dans un puits pour le nourrir. À chaque repas elle devait lui donner a manger en l’appelant : « Ô Mù ! ô Mù ! voici du riz blanc et du poisson frais ! voici des restes de riz et de poisson, viens en manger[68]. »

Elle lui donna ainsi à manger quelque temps ; mais un jour, pendant qu’elle gardait les buffles, Tàm, qui avait épié ses actions, vint au puits et appela le poisson qu’elle fit cuire. Lorsque Câm revint des champs elle ne le retrouva plus et se mit à pleurer. Le coq lui dit : Ô ! ô ! o ! donne-moi trois grains de riz, je le montrerai ses arêtes »[69]. Câm lui donna du riz, et le coq lui montra les arêtes que l’on avait jetées derrière la maison.

Câm les ramassa et pleurait. Le génie lui apparut de nouveau, lui dit d’aller acheter quatre petits pots () pour y mettre ces arêtes, et de les enterrer aux quatre coins de son lit. Au bout de trois mois et dix jours elle y trouverait tout ce qu’elle désirerait. Quand elle ouvrit les pots elle y trouva un habit, un pantalon et une paire de souliers. Elle alla les vêtir dans les champs, mais les souliers furent mouillés et elle les fit sécher. Un corbeau enleva un de ces souliers et alla le porter dans le palais du prince héritier. Le prince fit proclamer qu’il prendrait pour femme celle qui pourrait chausser ce soulier.

La marâtre ne permit pas à Câm de se rendre au palais pour essayer le soulier ; elle y alla d’abord avec sa fille, mais sans succès. Câm, cependant, se plaignait et demandait à tenter l’aventure à son tour. La marâtre mêla des haricots et du sésame[70] et lui dit que lorsqu’elle les aurait triés elle pourrait y aller. Le génie envoya une troupe de pigeons pour l’aider dans cette opération ; mais la marâtre ne voulut pas encore la laisser aller, prétendant que les pigeons avaient mangé son grain. Le génie fit rendre par les pigeons le grain qu’ils avaient mangé, et la marâtre permit enfin à Câm de se rendre au palais. Là elle essaya le soulier qui se trouva juste à son pied et le fils du roi la prit pour femme.

Un jour on lui fit dire de venir à la maison de son père qui était malade. Le père était couché et sa femme avait mis sur le lit des oublies[71] qu’il brisait en se retournant. La marâtre dit à Câm que ce bruit était produit par le froissement des os de son père, qu’il était accablé par la maladie et avait fantaisie tantôt d’une chose, tantôt d’une autre ; pour le moment, il voulait de l’arec frais et elle ordonna à Câm d’aller en cueillir sur l’arbre. Câm se dépouilla de ses vêtements de princesse et grimpa sur un aréquier. Mais Tàm coupa l’aréquier[72] sur lequel elle était montée, de sorte qu’elle tomba et se tua,

Tam revêtit les habits de Câm et alla se présenter à sa place au fils du roi, mais celui-ci ne voulait pas d’elle et regrettait toujours sa première femme[73].

Tam avait lavé les habits de son mari et les mettait sécher, Câm, transformée en hoành hoach[74], se mit à crier : « Hoành hoach ! lave proprement ces habits, fais-les sécher sur une perche, ne les fais pas sécher sur une palissade pour les déchirer, ces habits de mon mari. » Le fils du roi dit au hoành hoach : « Si je suis ton mari, entre dans ma manche ; si je ne suis pas ton mari, sors de ma manche. » La hoành hoach entra dans la manche de l’habit du fils du roi ; celui-ci prit l’oiseau et le nourrit ; mais un jour qu’il était absent, Tàm s’en empara, le tua et le mangea. Quand le fils du roi revint, il demanda où était l’oiseau. Tâm lui répondit : « Je suis enceinte, j’ai eu une envie et j’ai mangé l’oiseau. » Le fils du roi lui demanda : « Puisque tu as mangé l’oiseau, où as-tu jeté ses plumes ? » Elle lui répondit qu’elle les avait jetées derrière la palissade. Le fils du roi alla en cet endroit et vit qu’il avait poussé une pousse de bambou fraîche et forte.

Un jour, pendant que le fils du roi était à la chasse, Tam coupa la pousse de bambou, la fit cuire et la mangea. Elle jeta l’écorce et de cette écorce naquit un thi[75]  ; le thi porta un beau fruit. Tàm voulait le manger, mais elle ne put le cueillir.

Une vieille mendiante avait l’habitude de venir s’asseoir sous ce thi. Voyant ce beau fruit, elle en eut envie et dit : « Ô thi ! puisse-t-il se faire que ce thi tombe dans la besace de la vieille ! » Le fruit tomba dans la besace de la vieille ; elle le rapporta chez elle et le mit dans un pot avec du riz. Pendant que la vieille était dehors à mendier, Cam sortait du fruit, faisait cuire du riz et nettoyait la maison. La vieille étonnée de ce prodige se cacha et la surprit. Câm alors lui raconta son histoire, et la vieille la garda comme sa fille adoptive. Vint le jour anniversaire de la mort du mari de la mendiante. Celle-ci dit à Câm : « Je ne sais comment faire pour offrir le sacrifice à ton père (adoptif), je n’ai pas d’argent pour rien acheter. » Câm lui dit : « Ma mère, ne vous inquiétez pas ; lorsque viendra le terme, il y aura tout ce qu’il faudra. » Pendant la nuit, elle éleva un autel en plein air et adressa ses vœux au génie (qui l’avait protégée antérieurement). Celui-ci lui donna immédiatement tout ce qu’elle désirait.

Après l’offrande, Câm dit à la vieille d’aller inviter le fils du roi à venir prendre part à son festin. Le fils du roi se moqua de la vieille mendiante, lui demandant ce qu’elle avait de beau pour venir ainsi l’inviter, « Si vous voulez que je vienne, lui dit-il, tapissez-moi tout le chemin de soie brodée, couvrez la porte d’ornements d’or. » La vieille alla rapporter à Câm ce que lui avait dit le fils du roi. Celle-ci répondit : « Peu importe ! invitez-le à venir. Il sera fait comme il a dit. » Elle adressa ses vœux au génie qui tapissa le chemin de soie, couvrit la porte d’ornements d’or.

Quand le fils du roi arriva dans la maison de la vieille il vit une boîte qui contenait des chiques de bétel parfaitement confectionnées[76]. Il demanda à la vieille qui les avait faites. Celle-ci entra dans l’appartement intérieur et demanda à Câm ce qu’il fallait répondre. Câm lui ordonna de répondre qu’elle avait fait les chiques elle-même. Le fils du roi alors lui ordonna d’en faire une pour voir. Câm se transforma en mouche et se mit à voler autour de la vieille pour l’aider à faire la chique. Le fils du roi voyant cette mouche reconnut que c’était elle qui donnait cette faculté à la vieille, il la chassa donc d’un coup d’éventail et la vieille se trouva incapable d’aller plus avant.

Le fils du roi fit de nouvelles questions à la vieille, et celle-ci, effrayée, avoua la vérité et dit que c’était sa fille qui avait fait les chiques. Le fils du roi lui ordonna de faire venir sa fille et en elle il reconnut aussitôt la femme qu’il avait perdue. Câm lui raconta toutes ses aventures et le fils du roi ordonna à la vieille de la ramener chez lui.

Lorsque Tàm vit revenir sa sœur, elle feignit une grande joie. « Où avez-vous été depuis si longtemps, lui demanda-t-elle ? Comment faites-vous pour être si jolie ? Dites-le-moi que je fasse comme vous. » — « Si vous voulez être aussi jolie que moi, lui répondit Câm, faites bouillir de l’eau et jetez-vous dedans ». Tàm la crut, elle se jeta dans de l’eau bouillante et mourut. Câm fit saler sa chair et l’envoya à sa mère. Celle-ci crut que c’était du porc et se mit à en manger. Un corbeau perché sur un arbre cria : « Le corbeau vorace mange la chair de son enfant et fait craquer ses ossements. » La mère de Tàm entendant ce corbeau se mit en colère et lui dit : « C’est ma fille qui m’a envoyé de la viande, pourquoi dis-tu que je mange la chair de ma fille. » Mais quand elle eut fini la provision, elle trouva la tête de Tàm et sut ainsi qu’elle était morte.




XXIII

LE ROI DINH TIEN HOÀNG[77].


Dinh tien hoàng avait perdu ses parents de bonne heure, il habitait avec son oncle maternel et allait garder les buffles. Un jour, qu’il les avait menés paître dans la montagne, il rassembla une bande de bergers qui le choisit pour son roi. Ils fabriquèrent avec des roseaux des pavillons pour l’escorter. Dinh tien hoàng tua un de ses buffles et le leur donna à manger, il n’en conserva que la queue qu’il ficha en terre. Le soir il ramena les buffles chez son oncle. Celui-ci vit qu’il en manquait un et demanda ce qu’il était devenu. Dinh tien hoàng répondit qu’il avait été englouti dans la terre près de la montagne. L’oncle s’étonna et lui dit de le mener à cet endroit. Son neveu lui montra la queue du buffle qui restait encore visible, l’oncle la prit et se mit à tirer dessus, mais elle lui resta dans la main et il tomba à la renverse. Transporté de colère, il se mit à la poursuite de son neveu. Celui-ci s’enfuit jusqu’à un bac dont le passeur s’appelait Rông (dragon). « Rông ! Rông ! cria le jeune homme, viens vite à mon secours ». À cet appel, un dragon se montra dans le fleuve et aida le fugitif à le traverser. L’oncle effrayé s’en retourna. Par la suite, Dinh tien hoàng devint roi.




XXIV

HISTOIRE DE SIX BERGERS.



Dans la province de Thanh hôa, il y avait une bande de sept gardiens de buffles qui faisaient paître leurs buffles sur la montagne. Là, pendant que les animaux paissaient, ils jouaient ensemble, ils construisirent une ville et des remparts et se choisirent un roi parmi eux ; les six autres occupaient chacun l’un des six ministères.

Un jour qu’ils avaient pris rendez-vous pour se partager les emplois, l’un d’eux fut retenu chez lui pour quelques affaires ; l’on ne put donc pas donner l’un des ministères. Après avoir rendu leurs hommages au roi, les autres délibérèrent et dirent : « C’est là une affaire d’importance, il a manqué à ses engagements, il a mérité la mort. »

Le lendemain ce garçon vint, ils le saisirent, le lièrent et, l’ayant jugé pour crime de lèse-majesté, le tuèrent[78]. L’autre mort, ils prirent peur. Ils l’enterrèrent et, buvant du sang[79], se jurèrent quand ils seraient revenus à leur maison, de dire qu’ils ne l’avaient pas vu. Le soir ils ramenèrent leurs buffles à l’étable.

Ne voyant pas revenir leur fils, les parents du berger qui avait été tué demandèrent aux autres où il était, ceux-ci répondirent qu’ils n’en savaient rien. Les parents dirent : « Il faisait paître ses buffles au même endroit que vous, comment ne savez-vous pas ce qu’il est devenu. Il faut que vous l’ayez tué. Ils allèrent donc porter leur plainte au huyên. Celui-ci interrogea les bergers, les mit à la question, mais ils répondirent toujours qu’ils ne savaient rien de leur camarade. Devant le gouverneur de la province, à qui ils furent envoyés, ils persistèrent à nier, et on les enferma dans la prison.

Or, tandis que ces six bergers dormaient dans la prison, une lueur[80] se montra au-dessus de leurs têtes. Le geôlier fut étonné ; le lendemain il les fit coucher dans un autre endroit et la lueur se montra encore au-dessus d’eux. Le geôlier alla conter ce miracle à un bonze de ses amis ; celui-ci vint le lendemain et vit que les choses étaient bien comme l’autre le lui avait dit. Ils comprirent alors que ces six enfants étaient destinés à faire souche de rois et de ministres et les firent évader.


XXV

HISTOIRE DE NGUYEN TRAI.



Nguyén trai était le premier ancêtre du roi Gia long ; il était gardien des forêts sous la dynastie Lé. Un jour, il alla avec sa troupe dans la forêt pour couper du bois ; les soldats trouvèrent un nid de serpents. La femelle, qui était de grande taille, fut entourée par les soldats qui cherchèrent à la tuer, mais elle put s’échapper. La nuit suivante, Nguyén trai vit en rêve une femme qui lui dit : « Je vous prie de me sauver moi et mes enfants et d’empêcher les soldats de nous tuer. » il se réveilla et pensa que les soldats, en coupant le bois, avaient peut-être fait du mal à quelqu’un, aussi, quand parut le jour, s’empressa-t-il de se rendre sur les lieux et de demander aux soldats s’ils n’avaient blessé personne. Ceux-ci lui répondirent que non. Nguyén trai revint à son campement et la nuit suivante fit encore le même rêve. Au matin, il retourna au chantier et vit que les soldats avaient tué le serpent femelle.

Comme il s’en revenait, il trouva sur ses pas le serpent qui s’était transformé en une jolie petite fille pleurant au milieu du chemin. Il en eut pitié et l’emporta. Il l’éleva, et plus tard la donna pour femme au roi. La mère du roi avait mal aux yeux et nul ne pouvait venir à bout de la guérir. La jeune femme lui lécha les paupières et le mal disparut. La reine lui demanda comment elle avait ce pouvoir. Elle répondit que c’était un secret qu’elle tenait de sa famille.

Par la suite, le roi eut mal à la langue ; la femme lui dit de tirer la langue pour qu’elle la lui guérit, mais elle la lui coupa avec les dents et le roi mourut de sa blessure. Les seigneurs de la cour firent tuer cette femme. Nguyén trai qui l’avait donnée au roi fut accusé et condamné à être enterré vivant avec un de ses soldats. On creusa une grande fosse où on les enferma, et l’on en boucha l’ouverture, les abandonnant à leur sort. La femme du soldat parvint à pénétrer dans cette prison, mais son mari était déjà mort.

Nguyén trai lui dit : « Je suis condamné injustement, et ton mari aussi a péri à cause de moi. Soit ! mais tends la main, que j’y crache dedans pour servir de signe. » Il lui cracha dans la main. Elle s’en retourna chez elle et bientôt après devint enceinte et donna le jour à un fils qui fut la souche de la famille royale des Nguyén[81].




XXVI

HISTOIRE DE CO DIÉM.



Du temps du roi Lé thâi tô vivait dans la province de Hà nôi une femme d’une merveilleuse beauté[82]. Dès sa naissance, sans avoir fait aucune étude, elle connaissait les caractères, et plus d’un savant lettré ne pouvait la vaincre. À l’âge de seize ans elle dit à ses parents : « Laissez-moi aller à la montagne de Thân phù, au défilé de Ba giôi, j’y établirai une jolie auberge. Il y passe des gens de toute classe et de toute condition, je les éprouverai, et s’il s’en trouve un de plus savant que moi, je le prendrai pour mari. » Ses parents y consentirent. Elle se rendit donc au Dèo ngang. Là passaient chaque jour mandarins et simples particuliers ; si elle en voyait un de bonne mine elle lui faisait bonne chère et lui proposait des vers ou des bouts-rimés. Quelques savants remplissaient bien la tâche, mais jamais de manière à surpasser l’original. Le trang Quinh lui-même passant par là, composa la contre-partie de plusieurs de ces petites pièces, mais il y en eut une dont il ne put venir à bout. Il essaya cependant de se familiariser avec la fille, mais elle le repoussa.

Voyant qu’elle ne pouvait réussir à trouver son pair, elle revint dans sa famille et renonça au mariage. Elle bâtit dans le village de Van tu, phù de Kiên xuong, province de Hà nôi, une pagode où elle se retira pour s’avancer dans la perfection. Elle y mourut à l’âge de soixante ans.




XXVII

HISTOIRE DE HÔ XUAN HUONG.



Au temps du roi Lé thânh tông vivait, au village de Vo liêt, huyen de Thanh trî, province de Hà nôi, une jeune fille nommée Ho xuàn huong. Parvenue à l’âge de treize ans, sans avoir fait aucune étude, elle connaissait cependant les caractères et pouvait lire les livres. Elle était de même habile dans tous les arts d’agrément, la poésie, la musique, les échecs et la peinture. Ses parents moururent de bonne heure, et elle et sa sœur se partagèrent l’héritage qui était considérable.

Xuàn huong, avec sa part, construisit dans un beau jardin trois riches pavillons. Ce jardin était entouré de viviers ; devant les pavillons se voyait toute espèce de rocailles, d’arbustes taillés et de pierres couvertes d’inscriptions. Là elle se proposait d’ouvrir des concours poétiques et de choisir pour mari le plus habile lettré. Mais aucun ne réussit à la vaincre. Xuàn huong découragée abandonna son palais à sa sœur et construisit prés du mont Tân viên une pagode où elle s’exerça à la perfection jusqu’à l’âge de soixante-dix ans où elle mourut.

D’autres prétendent qu’avant de se retirer du monde elle avait épousé un savant licencié. Devant la maison de Xuân huong se trouvait une rocaille à demi ruinée où l’on avait planté de l’ail et du gingembre. Xuàn huong demanda au lettré de composer sur ce sujet une pièce de vers ; il fit aussitôt les vers suivants :


 
Hôi duyên ba cum toi,
Cay phân bay chôi cwong.
Môt dieu dieu dieu thê,
Thê ma cung tang twong.

« Mal odorants sont destinés à être les plants d’ail, — pimentées sont destinées à être les pousses de gingembre. — Cette toute petite chose — subit, elle aussi, les vicissitudes de la vie »[83].

Xuan huong fut touchée de ces vers qui peignaient si vivement sa situation dans le monde, où elle vivait inutilement sans postérité, et devant, en peu de temps, être frappée par la vieillesse et par la mort. Elle épousa donc le licencié et après la mort de celui-ci se livra à la pénitence.




XXVIII

HISTOIRE DE LA PRINCESSE CÉLESTE LIEU
ET DE SES FILS LES TRANG NGUYEN QUINH ET TRINH[84].



I


Au village de An dông, huyên de Quàn xurong, province de Thanh hôa, Phât bà[85] se transforma en deux poches qui se trouvaient l’une sur la montagne, l’autre dans la mer. Au bout d’un an, ces deux poches s’ouvrirent et il en sortit huit turông[86], doués de pouvoirs si merveilleux que nul ne les égalait. La déesse alors créa (d’elle-même) une pagode de pierre bâtie sur la montagne de Oi, dans le village de An dông ; quant aux huit turông, ils allèrent chacun vers un des points de l’horizon, détruisant partout les temples sans se soucier du pouvoir des génies. La déesse les rappela auprès d’elle pour faire pénitence et suivre la loi du Bouddha. Les turông furent transformés en des statues de pierre qui sont rangées des deux côtés de la déesse. C’est pourquoi dans les livres bouddhiques on leur a donné le nom de bât bo kim cang.

Du temps de Lé thâi tô[87], la princesse Lieu, fille de l’Empereur céleste[88] fut envoyée en exil. Elle s’incarna en une jolie fille et établit une auberge au pied du défilé de Dèo ngang. Tous ceux qui passaient par là entraient pour boire et lui faire la cour. Quelques-uns voulaient aller plus loin, mais à peine étaient-ils rentrés chez eux qu’ils mouraient, d’autres devenaient fous. Le prince héritier, fils de Lé thâi to, aimait les femmes. Il entendit dire qu’au défilé de Dèo ngang, dans le Quàng hinh il y avait dans une auberge une fille d’une beauté divine, il fit aussitôt ses préparatifs pour s’y rendre.

La princesse Lieu savait tout ; elle se transforma en un fruit d’un arbre voisin de son auberge. Ce fruit était la pêche des génies. Le prince la vit et la cueillit. Il voulut ensuite voir la princesse qu’il trouva fort jolie. Il lui dit : « Je suis loin de chez moi, il se fait tard, laissez-moi coucher ici une nuit. » La princesse lui répondit qu’il le pouvait.

Le soir venu on alla se coucher ; la princesse rentra dans sa chambre tandis que le prince demeurait dans la salle d’auberge, mais il s’approcha de la cloison et lui tint des propos galants auxquels elle répondait joyeusement.

Le prince se voyant seul s’introduisit dans la chambre et n’y trouva personne. La princesse était devenue invisible, mais le prince ne sachant pas à qui il avait affaire pensa qu’elle s’était enfuie. Il resta là à se plaindre. La princesse se dit : « Cet individu-là est le fils d’un roi et cependant il n’a aucune perspicacité, il ne sait pas distinguer une personne divine d’une femme vulgaire, il faut que je le punisse. » Elle prit un singe de la forêt et le métamorphosa en une belle jeune fille qui alla tout droit à l’endroit où le prince était assis. Celui-ci, tout joyeux de la voir si belle, la prit par la main et lui demanda : « Qui es-tu ? » La jeune fille répondit : « Ma sœur aînée a eu affaire, elle m’a envoyée pour prendre soin de la maison. » Le prince l’enleva dans ses bras pour la porter dans la chambre, mais la jeune fille se transforma en un grand serpent qui vomissait des flammes. Le prince fut effrayé et s’enfuit. Monté sur son cheval, il s’en alla en pleurant. Une fois rentré au palais, il tomba gravement malade. Quelquefois il se mettait à rire comme un fou. Aucun remède ne pouvait le guérir.

Sa mère dit au roi : « Notre fils est malade et aucun remède ne lui rend la santé, il faut qu’il ait été ensorcelé. Allons chercher des amulettes des huit Kim cang, peut-être sera-t-il guéri par elles. » On lui fit donc boire des amulettes des huit turong, et au bout de trois jours il fut guéri. Il dit alors au roi : « Il y a au défilé de Déo ngang une jeune fille très belle, je pense que c’est un démon incarné pour faire du mal ; je lui ai dit des galanteries, et il m’a rendu malade. » Le roi demanda à ses mandarins s’il en était ainsi ; ils répondirent que oui. — « Il faut donc, dit-il, aller implorer le secours des huit Kim cang Phât[89]pour la combattre, sans cela ce démon serait difficile à vaincre pour nous. » Les huit Bouddhas lurent transportés à la capitale, et le roi leur fit sa prière. Ils soulevèrent alors un orage pendant lequel ils combattirent la princesse Lieu. La terre et le ciel tremblèrent pendant trois jours au Dèo ngang, mais enfin ils la saisirent et l’amenèrent au roi. Celui-ci lui demanda pourquoi elle causait tous ces maux, ce Je suis, répondit-elle, une fille du ciel ; j’ai été exilée et envoyée au Dèo ngang pour y commander. Voyant les hommes adonnés à la débauche j’ai résolu de les punir. » Le roi lui dit : « Je vous donne trois chapelets de grains d’or afin que cessant de tourmenter les hommes, vous entriez en religion et suiviez la loi bouddhique. » Le roi décerna aux huit Kim cang Phât le titre de : génies du degré suprême.


II


Dans la province de Ninh binh se trouve la montagne de Than phii qui est Iraverséc par un large chemin portant le nom de Dèo ba gioi. Du temps de Lé thâi to, la princesse Lieu, fille de l’Empereur céleste, fut exilée des cieux et vint s’établir dans cette gorge où elle bâtit une tour à trois étages. Aux quatre côtés de la tour se trouvaient des filets de fer avec lesquels on prenait des oiseaux que l’on mettait en cage ; dans les jardins, il y avait toute espèce d’arbres, de plantes d’ornement et de rocailles ; devant la porte était creusé un lac où vivaient des poissons de toute espèce.

La princesse avait pris la forme d’une jeune fille d’une grande beauté. Elle se métamorphosait encore en une jeune fille du commun vendant des fruits et des boissons ; elle vendait aussi des statuettes, des dessins de paysage, d’oiseaux, de poissons, de dragons, de tigres et distribuait aux pauvres le prix de la vente. Tous les passants voyant ce beau pavillon y entraient pour se rafraîchir et voir les objets en vente. À ceux qui ne faisaient que manger, boire et acheter, sans parler d’amour à la fille, il n’arrivait rien ; ceux, au contraire, qui, la voyant si jolie, avaient voulu s’émanciper avec elle, quel que fut leur rang et leur fortune, s’ils avaient du bonheur[90] ils restaient continuellement comme ivres et hébétés ; les plus malheureux mouraient.

Il y avait trois ans que la princesse habitait Là sans que l’on sut qui elle était. Elle avait donné le jour à un garçon qui avait six doigts à chaque main[91]. La princesse le porta à la pagode de la montagne Hong lânh pour le faire instruire par le supérieur. Elle lui dit : « Je pense que j’ai fait là un roi ou pour le moins un premier docteur (trang). Devenu grand, il portera le nom de trang Quinh.

Après avoir remis son fils au bonze, la princesse mit le feu à son palais et s’envola dans la fumée avec ses servantes. L’on sut alors que l’on avait eu affaire à un génie et l’on s’expliqua le nombre de morts causées par elle. Par la suite, on lui éleva un temple sur le chemin qui sépare les provinces de Thanh béa et de Nghê an, sur une montagne élevée que l’on appelle le Palais des amours[92]. La divinité de ce temple se montra très puissante, aussi venait-on de toutes parts lui présenter ses vœux et lui apporter des présents, mais les gens du pays n’osaient y toucher et laissaient tout le produit au gardien du temple pour acheter les objets du culte.

Dès l’âge de dix ans, le trang Quînh[93] se montra d’une intelligence extraordinaire, connaissant toutes choses célestes et terrestres. Allant se présenter aux examens, il passa devant le temple dédié à sa mère, et entra pour lui rendre ses devoirs et lui demander de l’argent. Il lui dit aussi : « Faites que je réussisse dans mes examens et je vous sacrifierai trois bœufs. » Il prit ensuite de l’argent et le dépensa à s’amuser.

Une fois entré dans la salle du concours, il fit une cinquantaine de lignes et sur le reste de son cahier dessina des éléphants et des chevaux. Il fut naturellement refusé. Une autre fois il fit une composition où il ne parlait que d’amours et de plaisirs. En s’en retournant il entra dans le temple de sa mère et lui dit : « Vous ne m’avez pas protégé, j’ai été refusé à tous mes examens, mais n’importe ! je vais vous donner mes trois bœufs. » Le gardien du temple entendant Quînh parler de sacrifier trois bœufs, se mit bien vite à faire tous les préparatifs de baguettes odoriférantes, de bougies, papiers dorés, de vin et de thé, mais Quinh ne l’entendait pas ainsi. Il se mit tout nu et par trois fois marcha à quatre pattes devant l’autel, disant : « N’est-ce pas là ce que j’ai promis. »[94]

Du temps de Quinh, vivait aussi mademoiselle Dièm, femme célèbre par son savoir. Quinh allait la voir souvent pour causer avec elle de littérature. Un jour qu’il passait devant son auberge Dièm lui demanda de trouver un parallèle aux vers suivants :

 
Par les trous de la toiture passent les rayons de la lune
Dessinant les œufs de poule trois à trois, quatre à quatre[95].


Quinh répliqua aussitôt :

 
Les flots soulevés montent et descendent
Comme les écailles du dragon se recouvrant, se recouvrant.


Pour cette fois il sortit de la lutte à son avantage ; mais le jour suivant elle lui proposa un vers dont il ne put construire le similaire ; il fit donc semblant d’être emporté par son cheval. Le vers proposé par mademoiselle Dièm était ainsi conçu :

La poule pousse trois gloussements, elle dit : tâc, tâc, tâc.

Quinh, monté sur son cheval, avait bien trouvé comme parallèle aux quatre premiers mots ma hành thiên ly, mais il ne savait que mettre pour faire le pendant de viêt tac. Tout en poussant son cheval, il se mit à dire : « Long cong, long cong, long cong »[96], ce qui faisait le parallèle demandé. Ce fut ainsi qu’il trouva ce qu’il cherchait, tandis que s’il n’avait pas fait galoper son cheval il serait resté court.

En se promenant, Quinh avait coutume de passer par un certain bac, mais il ne payait jamais le passeur. Celui-ci naturellement lui faisait toujours des réclamations. Un jour Quinh lui dit : « C’est bon, ne te plains plus, je vais te donner un moyen de faire fortune. » Revenu chez lui, il fit construire une armoire bien close, laquée, couverte de jolis dessins et montée sur des colonnes de dix thuroc. Une inscription placée en dedans disait : Si quelqu’un veut voir, Quinh le lui permet, mais que le diable emporte celui qui racontera ce qu’il aura vu. Il fit ensuite porter sa machine près du bac. La foule s’assembla et chacun donna cinquante sapèques pour voir ce qu’il y avait à l’intérieur. Après avoir vu ils comprenaient qu’ils avaient été joués, mais ils n’osaient rien dire, de crainte de tomber sous le coup de la malédiction de Quinh. De cette manière le passeur fit fortune[97]. Il alla remercier Quinh et lui porter des présents. Celui-ci riait toujours, tout content d’avoir joué ce bon tour.

  • Quinh invita un jour les mandarins de la cour à venir chez lui. Il les reçut à merveille, leur offrit à boire. Pendant ce temps ses serviteurs dans sa cour frappaient sur des billots de bois, ayant ainsi l’air de faire des hachis et de préparer un grand festin. À l’aide de ce stratagème il retint les mandarins toute la journée sans manger, mais, en revanche, les fit tellement boire qu’ils tombèrent sous les tables. Il les fit alors rapporter en ayant soin de les envoyer chacun dans une maison autre que la sienne et en recommandant aux porteurs de les porter jusque dans leur lit, de crainte qu’étant ivres il ne leur arrivât quelque malheur. Grâce à cette précaution, les mandarins se réveillèrent dans le lit de leurs collègues.
  • Un jour Quinh fit interdire l’entrée du marché pendant trois jours sous le prétexte qu’il voulait y étaler ses livres pour les faire sécher. L’on accourut pour voir cette vaste bibliothèque, mais l’on ne vit que Quinh qui s’y était couché le ventre à l’air. Quand on lui demanda où étaient ses livres il répondit qu’ils étaient dans son ventre[98].

Quinh était plein de finesse, mais cependant il fut joué une fois par un des gardiens des portes. Celui-ci se mit dans un palanquin semblable à celui du doc hoc[99], et, se faisant suivre par deux ou trois soldats qui jouaient le rôle de l’escorte, portant des parasols, une longue pique, etc, il se rendit à maison de Quinh. Celui-ci le prit pour un mandarin, mais, ne le reconnaissant pas, il lui demanda qui il était. « Mes fonctions, répondit l’autre, sont celles de giao quan (littéralement : fonctionnaire enseignant). Quinh le reçut avec honneur, l’invitant à boire du thé et du vin ; ensuite le visiteur partit. Le lendemain, son tour de garde étant venu, il veillait à la porte du palais lorsque Quinh passa pour se rendre à la cour. Il le reconnut et lui demanda comment il avait eu l’audace de prendre le titre de giao quan. L’autre lui montra sa lance (giao) et lui demanda : « Cette lance n’est-elle pas à l’État, est-ce une lance de particulier ? » Quinh vit qu’il avait été joué et en fut très mortifié, mais qu’y faire ?

Un jour le roi allait se promener en grande pompe[100], précédé d’étendards, de sabres et de lances. Quinh qui se trouva sur le passage du cortège voulut faire une farce, il se mit tout nu et se jeta la tête la première dans des broussailles qui bordaient la route. Les officiers de l’escorte pensant que ce fut le premier venu le firent empoigner pour le décapiter. Le roi voyant qui c’était lui demanda : « Pourquoi vous êtes-vous jeté tout nu dans ces broussailles ? » Quinh répondit : « Je voulais aller prendre du poisson (à la main), mais rencontrant Votre divine Majesté, j’ai eu peur et j’ai voulu me cacher. Comme ces broussailles sont très denses, j’y ai d’abord mis la tête, et, comme dit le proverbe : Qui cache la tête montre la queue. Là-dessus il prit ses jambes à son cou et s’enfuit.

Un autre jour, le roi voulut mettre à l’épreuve la perspicacité de Quinh ; il fit raboter un grand arbre, de manière que les deux extrémités fussent d’égale grosseur et le fit peindre en rouge. On le porta ensuite au milieu de la cour du palais. Le roi fit venir Quinh et lui demanda de quel côté était le tronc et de quel côté la cime. Quinh d’abord ne sut que dire, mais il s’avisa d’un stratagème. Il demanda trois jours pour répondre. Le roi les lui accorda. Pendant la nuit Quinh vint en secret souiller l’arbre d’ordures. Le lendemain les hommes de garde le portèrent à la rivière pour le nettoyer. Quinh qui les épiait remarqua quel était le côté qui plongeait et en conclut que c’était le côté du tronc, naturellement d’un grain plus dense. Le lendemain le roi le fil appeler pour donner sa réponse. Il indiqua le côté du tronc et celui de la cime, au grand étonnement du roi qui loua sa perspicacité.


  • Un jour l’on apporta au roi un plateau de fruits de longue vie (pêches). Quinh bien vite s’empara d’un fruit et le mangea. Le roi irrité ordonna de l’emmener et de le décapiter. « Ce ne sont donc pas des fruits de longue, mais bien de courte vie », dit Quinh. Le roi charmé de ce trait d’esprit lui pardonna.


  • Le roi avait un chat auquel il tenait beaucoup et qui était attaché par une chaîne d’or. Quinh le détourna, l’emporta chez lui, et là, chaque jour, lui faisait servir deux plats contenant l’un de belle viande et des hachis succulents, l’autre des restes de riz et de poisson. Aussitôt qu’il voulait toucher au premier il était battu.

Cependant l’on dit au roi que Quinh avait un chat semblable à celui qu’il avait perdu. Le roi demanda à Quinh ce qui en était. Celui-ci nia. « Que l’on apporte ici mon chat, dit-il. Le vôtre était nourri de bons morceaux, le mien de restes, qu’on lui présente deux plats et l’on verra ce qu’il choisira. » Le chat naturellement choisit le second et Quinh l’emporta en triomphe.


  • Les envoyés chinois présentèrent au roi une boule de cristal creuse qui n’avait pas d’orifice et qui cependant contenait de l’eau. Ils demandaient comment il fallait faire pour tirer de là cette eau. Ouinh prit un délai pour résoudre le problème. Le jour suivant il vint à l’audience avec un maillet et brisa la boule.


  • Le lendemain les Chinois présentèrent un buffle[101] qui avait vaincu au combat tous les buffles de Chine. Quinh demanda trois jours pour en fournir un qui put lui tenir tête. Il rentra chez lui et séquestra pendant ces trois jours un jeune buffle qui tétait encore. Au jour de la lutte il lâcha contre l’adversaire son buffleton qui, affamé, se précipita sur l’autre buffle qu’il prenait pour sa mère et s’efforçait de le têter. Le buffle de combat des Chinois s’enfuit laissant ainsi la victoire aux Annamites.


  • Quinh alla à son tour en ambassade en Chine. Là on le défia à qui improviserait le plus vite un poème en sautant à cheval à un signal donné et descendant de cheval quand il aurait fini. Quinh griffonna une page de traits illisibles qu’il dit être l’écriture de son pays et donna ensuite à loisir une belle copie d’un poème qu’il avait composé d’avance.


  • Autrefois, avant l’avènement du roi Dinh tien hoàng[102], l’Annam était divisé en douze provinces gouvernées chacune par un gouverneur chinois portant le titre de su quan. Un envoyé impérial, Luu thàng, avait la direction générale des affaires avec le titre de Dô hô phû.

Dinh tien hoàng se révolta contre la domination chinoise, tua les douze gouverneurs ainsi que Luu thang et se proclama roi de l’Annam. Plus tard il demanda l’investiture à l’Empereur de Chine. L’Empereur lui demanda ce qu’il avait fait de Luu thang. Dinh tien hoàng reconnut son crime, et l’Empereur le condamna à payer chaque année une statue d’or du poids d’environ un picul représentant Luu thâng.

Après Dinh tien hoàng le pouvoir passa successivement aux Lé, aux Ly, aux Trân et enfin aux seconds Lé. Lé thâi to régnait déjà depuis longtemps lorsqu’il envoya le trang Quinh en ambassade en Chine porter la statue d’or. Après avoir rempli sa mission Quinh dit à l’Empereur : « Notre pays est un tout petit pays, peu versé dans la connaissance des choses. Permettez-moi de vous demander, à vous et à vos grands officiers, quelle est ici la limite de l’extrême vieillesse, celle de la moyenne vieillesse et celle de la médiocre. » Les Chinois répondirent : « Cent ans sont l’extrême vieillesse, quatre-vingts la moyenne, soixante la médiocre »[103]. — « S’il en est ainsi, répondit Quhih, vous nous faites tort depuis longtemps. Luu thâng est mort au temps du roi Dinh tien hoàng ; il y a plusieurs centaines d’années, et chaque année nous vous donnons à sa place un homme d’or. Luu thâng vivrait-il encore ? » L’Empereur loua la sagesse du trang Quinh et, à partir de ce moment le tribut de la statue d’or cessa d’être payé par l’Annam.


  • Le premier ministre Chinois invita Quinh à venir chez lui. Il avait fait tendre tout le chemin de nattes qui couvraient des fosses où il voulait faire tomber Quinh afin que la Chine ne fût pas vaincue par l’Annam dans cette lutte de finesses. Mais Quinh se refusa obstinément à passer le premier et en suivant les traces du ministre évita le piège.

Un jour le roi manda son conseil pour délibérer au sujet de Quinh. Le trang Quinh, leur dit-il, est un homme artificieux ; il fait chaque jour cent choses qui montrent son mépris pour mon autorité ; il faut le faire périr. Tous les membres du conseil approuvèrent. Le roi alors manda le chef du service de la bouche et lui ordonna de préparer des mets empoisonnés pour Quinh ; il invita ensuite celui-ci à un festin. Quinh savait ce qui lui était réservé ; il fit venir son fils et lui dit : « Le roi m’invite à un festin où il doit me faire empoisonner. Lorsque je serai mort fais rapporter mon cadavre à la maison, mais ne m’enterre pas ; laisse-moi assis dans mon hamac, et pendant ce temps fais jouer la comédie, battre du tambour ; offre à boire et à manger sans te lamenter ni paraître triste. Si l’on te demande pourquoi ces réjouissances, dis que tu célèbres mon retour à la vie, mais ne laisse pénétrer personne jusqu’à moi. Quand tu apprendras la mort du roi, tu pourras te livrer à ta douleur, appeler les maîtres des cérémonies et me faire enterrer. » Le fils obéit. Le roi qui pensait que Quinh était mort du poison qu’on lui avait donné fut surpris d’apprendre que dans sa maison on se livrait ainsi à la joie. Irrité, il fit comparaître devant lui le chef des cuisines et lui demanda comment il se faisait que Quinh ne fut pas mort. Il se fit apporter les mets empoisonnés pour en juger, mais à peine les eut-il flairés qu’il se mit à vomir le sang et mourut. Le fils de Quinh alors fit cesser les réjouissances et enterra son père. C’est pourquoi le proverbe dit : Quand le roi fut mort Quinh mourut.

Quinh connaissait l’avenir de soixante générations ; il savait qu’au bout de dix générations ses descendants deviendraient des mendiants ; aussi avant sa mort fit-il faire une tablette à laquelle ses fils devaient rendre le culte. Sur une face étaient gravés son nom et ses titres, sur l’autre les deux vers suivants :

 
Je t’ai sauvé du malheur de la poutre qui était sur ta tête,
Sauve ma dixième génération de la pauvreté.


Ses enfants ne savaient ce que signifiait cette inscription.

Le dixième descendant de Quinh réduit à une extrême pauvreté dut se résoudre à mendier. Il avait encore la tablette de son ancêtre, mais il ne pouvait penser la vendre, et personne ne voulait la lui garder[104] ; il la cacha donc dans un massif de bambous et alla demander son pain. Arrivé à la maison d’un homme riche, il se mit à demander la charité, mais le riche dormait dans son hamac et ne l’entendait pas. Le mendiant éleva donc la voix et, voyant que le maître de la maison se réveillait, il lui dit : « Levez-vous bien vite, de peur que le toit ne vous tombe sur la tête. » Le riche se leva et, à ce même moment, une poutre se rompit et tomba juste sur le hamac. Le maître de la maison fut tout joyeux d’avoir ainsi échappé à la mort. Il dit au mendiant : « J’ai eu une heureuse fortune. Le Ciel vous a envoyé ici pour m’empêcher de périr. » Il le fit entrer dans sa maison pour lui rendre grâces ; il lui dit : « Je vois par l’inspection de vos traits que vous êtes destiné à la mendicité, mais je vais construire pour vous un bac où vous passerez les voyageurs, de cette manière vous gagnerez de quoi vivre et vous n’aurez plus besoin de mendier. Le descendant de Quinh fut tout heureux de cette aventure ; quand il eut un bac et une maison, il alla chercher dans la touffe de bambous la tablette de son ancêtre pour la placer dans sa maison et lui rendre le culte. Un jour son bienfaiteur vint le voir et, ayant aperçu cette tablette, demanda au mendiant ce que c’était. « C’est, répondit celui-ci, la tablette de mon dixième ascendant, le trang Quinh. L’autre prit la tablette pour la regarder et lut les vers inscrits sur la face postérieure ; il vanta la science de Quinh, à qui l’avenir avait été connu, et dit au passeur : « Je dois la vie au trang Quinh ; donnez-moi sa tablette, afin que je la mette sur mon autel domestique pour l’honorer. »


III


Du temps du loi Lé thâi to, la princesse Lieu avait mis au monde le trang Quinh. Plus tard, elle descendit de nouveau sur la terre et, comme la première fois, ouvrit une auberge qui fut aussitôt très fréquentée, mais de même qu’auparavant quiconque lui parlait d’amour était frappé de mort ou de folie. Elle y demeura deux ou trois ans et donna le jour à un garçon qui n’avait que neuf doigts. Elle alla alors à la pagode Ba dô pour confier son fils aux soins d’une bonzesse qui y habitait.

Cette bonzesse était d’une bonne famille et avait reçu une instruction supérieure. Depuis qu’elle faisait pénitence elle avait acquis tant de mérites qu’elle était sur le point d’arriver à la perfection. Elle avait quatre-vingt-dix ans. La princesse, en lui amenant son fils, lui dit : « J’ai déjà eu un fils et je voulais que ce fut un roi, mais il a été seulement le trang (nguyên) Quinh. Celui-ci que je pensais aussi devoir être un roi ne sera sans doute non plus qu’un trang nguyên. » — « Comment le savez-vous ? » lui demanda la bonzesse. — « Le premier, répondit la princesse, avait plus de doigts qu’il n’est de règle, à celui-ci il en manque un, c’est pourquoi je sais qu’il ne pourra être roi ; s’il avait eu tous ses doigts il l’aurait pu. J’ai été deux fois bannie des cieux et je voulais donner le jour à un roi, mais le ciel ne l’a pas permis. Maintenant le temps de mon exil est achevé, je vais reprendre ma forme divine. Je vous confie donc cet enfant pour l’élever. » Là-dessus elle disparut.

Dès l’âge de dix ans, Trinh se montra d’une intelligence merveilleuse ; une fois grand, il passa ses examens et obtint le titre de trang nguyên, c’est pourquoi on l’appelle le trang Trinh. Par la suite, les Mac firent la guerre aux Le et chassèrent devant eux le chua Nguyên bien qui ne put leur résister. Au col de Dèo ngang dans le Quang binh, il rencontra Trinh et lui dit : « Les destins sont conjurés contre nous, l’État est à la veille d’une transformation, que pensez-vous de cela ? » Trinh lui répondit : « C’est la loi du monde. Ne luttez pas davantage ; retirez-vous dans les montagnes de Hoành son et vous prospérerez pendant dix mille générations. » Le chua lui dit encore : « Les Mac sont plus forts que nous, j’ai été vaincu dans cent combats ; Que faut-il faire ? » Trinh lui répondit : « Écoutez-moi ! renoncez à la lutte, retirez-vous dans le Tran ninh, les Mac ne vous y poursuivront pas et, par la suite, votre postérité régnera pendant quatre générations. »




XXIX

HISTOIRE D’UN GÉNIE DES EAUX.



Dans la province de Nghé an, au village de Minh làng, vivait une femme nommé Thi hon, dont le mari s’appelait Le van phuoc. Cette femme, âgée d’environ vingt ans, était très jolie. Sa maison se trouvait au bord du fleuve. Un jour que son mari était absent et qu’elle était seule avec une jeune sœur, un génie des eaux vint frapper à la porte comme s’il était le mari. La femme lui ouvrit, et le génie déguisant sa voix, sans lui laisser le temps d’allumer la lampe, se mit à lui exprimer tout le désir qu’il avait eu de la revoir.

Or, en ce moment un voleur vint se tapir derrière la porte et y trouva la peau de serpent dont le génie s’était dépouillé et qu’il avait laissée là. Sans trop savoir ce que c’était, il la prit et la rapporta chez lui où il l’examina. C’était une peau de couleurs variées, jaune, verte, rouge ; notre homme la cacha dans sa maison. Quand le génie voulut se replonger dans le fleuve il chercha sa peau, mais ne put la trouver et fut forcé de rentrer dans la maison. La femme alluma sa lampe et reconnut que ce n’était pas son mari, mais un mauvais esprit. Elle et sa sœur s’enfuirent tout effrayées et se mirent à appeler au secours. Le génie aurait bien voulu se sauver, mais ayant perdu sa peau il fut forcé de rester là, tapi dans un coin sombre. Les gens du village, accourus aux cris de la femme, le saisirent et voulurent l’interroger, mais il baissait la tête et ne répondait pas. Ils résolurent donc de le mettre à la cangue et de l’amener aux autorités.

Comme la troupe avait fait la moitié de la route, deux grands serpents à crête rouge sortirent de l’eau et s’opposèrent à son passage, se précipitant sur les hommes pour les mordre. Ceux-ci, effrayés, retournèrent sur leurs pas, ramenant leur prisonnier. Un vieillard de quatre-vingt-dix-ans vit que l’on avait affaire à un génie des eaux et persuada aux gens du village de le lâcher ; mais, une fois délivré le génie resta toujours à rôder dans ces parages. Le voleur le rencontra et pensa que la peau qu’il avait ramassée devait lui appartenir. Il lui dit donc : « J’ai une peau, si vous voulez la racheter je vous la vendrai. » Le génie fut transporté de joie et lui demanda ce qu’il en voulait. Le voleur demanda deux taëls d’or et payés comptant. Le génie dit je ne sais quoi aux deux autres serpents, ceux-ci plongèrent dans le fleuve et revinrent au bout d’un instant avec les deux taëls d’or. Rentré en possession de sa peau le génie la revêtit et disparut dans les eaux.

Peu de temps après Thi hon mit au monde un garçon qui ressemblait en tout à un homme sauf qu’il avait une tête de serpent. Il avait deux thuôc de haut et ne put grandir davantage. Une fois par mois le génie revenait dans la maison et apportait de l’argent.




XXX

BOIS DE CHARPENTE POUR LES ENFERS.



Sur la montagne de Hoành son, dans la province de Quàng binh, pousse un arbre précieux que l’on appelle le cho blanc[105]. Chaque année, les princes des Enfers soulèvent des tempêtes pour faire des provisions de ce bois. Une fois ils avaient ainsi pris trois arbres et les avaient transportés dans la rivière de Danli où ils restèrent échoués près d’un bac[106] pendant quatre ou cinq jours.

Près de ce bac s’élevaient une quarantaine de maisons et une entre autres où habitait le passeur. Celui-ci avait élevé un gros porc. Une nuit cinq hommes sortirent de la rivière. Ils portaient des vêtements noirs, étaient coiffés de turbans et tenaient un sabre à la main. Ils appelèrent le passeur qui souleva sa porte[107]. Les hommes alors entrèrent chez lui et lui dirent : « Tu as un porc, tue-le, nous te le paierons. » Le passeur tua son porc et le leur servit avec du vin. Les cinq hommes mangèrent le porc tout cru, ils dirent ensuite au passeur de venir sur le bord de l’eau pour prendre son argent et qu’ils lui donneraient cent ligatures. Le passeur se disposait à les rapporter chez lui, mais ils lui dirent de grimper sur un arbre et que dans une heure ils allaient soulever une tempête et gonfler les eaux pour emporter ces trois troncs d’arbre au palais du roi des eaux où l’on en avait un pressant besoin.

Après leur départ, le passeur grimpa sur un arbre élevé ; bientôt il entendit un sourd roulement, le vent et la pluie firent rage et les maisons lurent submergées. Au bout d’une heure la tourmente s’apaisa, les eaux s’écoulèrent, le passeur descendit de son refuge et vit que les trois troncs d’arbre avaient disparu. Il comprit alors qu’il avait eu affaire à des serviteurs du roi des Enfers qui étaient venus faire du bois.




XXXI

MARIAGES ENTRE LES ENFERS
ET LA TERRE.



Prés de la rivière Danli et de la maison du passeur, dont il vient d’être question, vivait une jolie fille qui n’avait plus que sa mère. Les deux femmes habitaient seules. Une nuit, vers la troisième veille, deux hommes vinrent frapper à la porte et crièrent d’ouvrir bien vite. Les femmes pensèrent que c’était quelqu’un de leur connaissance, elles allumèrent la lampe et ouvrirent. Elles virent alors un très beau jeune homme âgé d’une vingtaine d’années, suivi par un autre individu au visage terrible. Épouvantées, elles se réfugièrent dans leur chambre d’où elles n’osaient sortir. Le serviteur leur dit de n’avoir aucune crainte et de venir leur parler. La mère dit alors à sa fille d’aller se cacher dans le jardin, tandis qu’elle, vieille, dont la vie était sans valeur, se risquerait à se montrer. Elle se présenta donc aux inconnus, et le jeune homme lui dit : « Vous avez une fille d’une grande beauté et qui m’a plu ; je vous l’achèterai ce que vous voudrez ; comme je n’ai pas d’argent sur moi, je vous laisserai cette pierre précieuse qui, pendant la nuit, jette assez de clarté pour éclairer toute la maison. Vous n’aurez plus besoin d’allumer de lampe. » La vieille répondit qu’elle vivait seule avec sa fille, ayant perdu son mari ; si elle la mariait elle n’aurait plus personne. De plus, les mœurs des Enfers ne sont pas les mêmes que celles de la terre. Le jeune homme lui répondit de ne pas s’inquiéter de tout cela ; qu’il laisserait sa femme dans la maison et viendrait seulement la visiter une fois par mois. Si elle y consentait il lui donnerait tout ce qu’elle voudrait, sinon il prendrait la fille quand même.

En ce moment le jour allait poindre, les deux étrangers s’empressèrent de s’introduire dans les peaux de serpent qu’ils avaient laissées sous le lit et de rentrer dans les eaux.

La mère et la fille, effrayées, réunirent leurs parents pour délibérer sur ce qu’il fallait faire ; ceux-ci ne surent quel remède apporter à la chose et conclurent qu’il fallait se soumettre. Un mois se passa sans autre visite et elles se croyaient déjà sauvées quand une nuit, vers la deuxième veille, elles entendirent un grand bruit et virent sortir de l’eau trois hommes portant chacun un plateau chargé d’or, d’argent et de pierres précieuses en guise de présents de noces. Ils entrèrent tout droit dans la maison où ils demeurèrent un moment, puis ils replongèrent dans la rivière. À partir de ce moment le beau jeune homme vint visiter la fille de la maison une fois par mois pendant cinq ou six ans, après quoi il la quitta et lui permit de se marier.




XXXII

DESCENTE AUX ENFERS.



Dans la province de Nam dinh, vivaient deux riches époux, le mari se nommait Trân van hâi et la femme Huinh thi du. Ils avaient eu une fille qui avait six doigts à la main gauche. Ils lui avaient donné le nom de Xuân ; à l’âge de treize ans, elle était devenue d’une grande beauté, mais elle mourut de la petite vérole. Ses parents furent inconsolables de sa mort. Un jour ils se dirent : « L’on dit que dans la province de Quâng yen se trouve un marché[108] nommé Manh ma qui se tient une fois par an le premier jour du sixième mois. Pendant trois jours et trois nuits, à partir de cette date, les vivants et les morts[109] se rendent en ce lieu pour y faire leurs emplettes. Ils s’y rendirent donc comme s’ils avaient l’intention d’y faire du commerce. »

Pendant que leur fille vivait encore ils lui avaient fait faire un petit plateau d’argent[110] qu’après sa mort ils avaient conservé en souvenir d’elle. Ils l’emportèrent avec eux ; et une fois arrivés au marché de Manh ma ils étalèrent leurs marchandises et avec elles mirent en évidence le plateau à bétel. Un jour, comme la mère était assise auprès de son étalage, elle vit une jeune fille s’arrêter devant elle. Elle lui offrit bien vite du bétel de ce plateau. La jeune fille le reconnut et demanda à la marchande d’où elle était. Celle-ci et son mari lui répondirent : « Nous pleurons toujours notre fille nommée Xuan qui est morte depuis déjà plus de vingt ans, c’est pourquoi nous sommes venus ici espérant l’y rencontrer. » La fille dit : « Où avez-vous acheté ce plateau, et combien ? — « Je l’avais fait faire pour ma fille, répondit la mère, mais elle est morte à l’âge de treize ans. » À ces signes, la fille reconnut ses parents et ils s’embrassèrent tous en pleurant. La mère tenait sa fille dans ses bras et ne voulait plus la laisser partir. Celle-ci proposa à ses parents de la suivre aux enfers pour voir ce qui s’y passait. Ils acceptèrent et la suivirent.

Elle avait épousé un officier chargé de la police dans les enfers. Quand elle amena ses parents dans leur maison, son mari lui dit : « Que viennent faire ici ces vivants ? — Ce sont mes parents, dit-elle, je les ai amenés pour leur montrer comment nous vivons ici, car ils sont riches mais ils n’ont eu d’autre enfant que moi et ne peuvent se consoler de ma perte, »

Le mari lui répondit : « Ce n’est pas souvent que des parents descendent ici, je leur accorde donc d’y rester trois jours, mais pas davantage et je les promènerai dans les diverses chambres pour voir les tourments des coupables[111] ». Entrés dans la première, ils y virent inscrit leur nom. Ils devaient être punis parce que prêtant à intérêt ils avaient fait payer cinq ou six fois le capital par l’accumulation des intérêts[112], tenant leurs débiteurs en retard en chartre privée sans leur donner de nourriture, les forçant ainsi à vendre leurs biens et à mettre leurs enfants en gage pour s’acquitter envers eux.

À la vue de leur nom inscrit sur les tablettes, le mari et la femme lurent saisis d’effroi et demandèrent à leur gendre ce qu’ils devaient faire une fois revenus sur la terre pour se purifier de leurs fautes. Leur gendre leur dit : « Pour vous purifier, vous devez dépenser tout votre bien en fêtes[113] religieuses et en aumônes, lorsque vous serez dépouillés de tout, vos péchés seront effacés.

Les parents revenus chez eux allèrent chercher les bonzes pour faire de grandes cérémonies, ils distribuèrent aussi de nombreuses aumônes. Quand tous leurs biens furent dépensés ils retournèrent au marché de Manh ma dans l’espoir de revoir leur fille et de la suivre encore une fois aux enfers voir s’ils étaient justifiés. Ils la rencontrèrent en effet, et avant toute chose elle leur dit que leurs fautes étaient abolies et que ce n’était pas la peine qu’ils redescendissent aux enfers.




XXXIII

HISTOIRE DU THU HUÔN.



Dans la province de Gia dinh[114], vivait un homme qu’on appelait le thù Huôn[115]. C’était un tho lai[116] qui avait commis bon nombre d’injustices en cherchant son profit au détriment des autres ; avec le temps il était devenu très riche. Sa femme étant morte, il renonça à son emploi, et comme il n’avait pas d’enfant il était tout triste de se voir sans personne à qui laisser ses grands biens. Il se résolut donc à aller au Tonquin acheter des curiosités.

Arrivé à la province de Quâng yen[117], il s’arrêta au marché de Manh ma où viennent commercer les vivants et les morts et il y rencontra sa femme qui y était venue des enfers. Les deux époux furent tout joyeux de se revoir ; le mari dit à la femme : « Que fais-tu aux enfers depuis que tu y es descendue ? — Je suis, dit-elle, la nourrice du fils du roi et je m’y trouve admirablement bien. » Le mari lui dit : « Nous avons longtemps vécu ensemble comme époux et depuis ta mort je te regrettais vivement. Maintenant que nous nous sommes retrouvés, il faut que tu m’emmènes avec toi pour que je voie un peu ce pays. » Sa femme lui répondit : « Viens si tu veux, mais tu ne pourras demeurer longtemps, au bout de trois ou quatre jours il te faudra partir. » Les deux époux descendirent donc ensemble aux enfers, la femme cacha son mari dans la cuisine, mais celui-ci demanda à parcourir les diverses chambres pour voir quel sera le châtiment des vivants après leur mort. Sa femme le mena dans une de ces chambres où il vit une énorme cangue. Tout effrayé de cette vue, il dit à sa femme de le mener auprès du maître de cet enfer et demanda à celui-ci comment il se faisait que cette cangue restât vacante. « Je la réserve, répondit l’autre, pour le thù Huon. — Quel crime a-t-il donc commis sur terre, demanda le thù Huon. — Quand il était tho lai, dit le juge infernal, si quelqu’un avait commis une faute légère, il le poussait à la mort[118]. Avec lui l’innocent devenait coupable ; il prêtait à intérêt, et les intérêts accumulés finissaient par égaler je ne sais combien de fois le capital ; il a ainsi souvent manqué à ses devoirs d’humanité. — S’il en est ainsi, dit le thù Huôn, sa femme n’est-elle pas punie elle aussi ? — Non, répondit le juge, le crime est du fait du mari et seul il sera châtié ». Le thu Huôn lui demanda alors ce qu’il devrait faire pour laver ses fautes et l’autre lui dit qu’il devait dépenser son bien en cérémonies expiatoires et en aumônes.

Le thù Huôn dit à sa femme de le ramener bien vite sur la terre au marché de Manh ma d’où il retourna tout droit à Gia dinh. Il fit venir des bonzes et distribua de nombreuses aumônes, si bien qu’au bout de trois ans il avait dépensé les sept dixièmes de son bien. Il revint alors au marché de Manh ma et attendit sa femme pour la prier de le ramener aux enfers voir ce qu’était devenue la cangue qui lui était destinée. Sa femme y consentit et il trouva la cangue rapetissée des neuf dixièmes. Il en fut tout joyeux et demanda au maître de cet enfer comment il se faisait que cette cangue qui était si grande se fut ainsi réduite. Celui-ci lui répondit : « C’est parce que, sur la terre, le thù Huôn a fait des cérémonies et des aumônes, ses fautes se sont allégées et la cangue s’est rapetissée. S’il avait distribué tous ses biens elle aurait disparu.

Le thù Huon revint de nouveau sur la terre, fit encore une fois une grande cérémonie, puis établit sa demeure sur un radeau de bambous au point que l’on appelle encore aujourd’hui Nhà bè, maison du radeau, à la jonction du Dong nai et de la rivière de Saigon. Là il distribua de l’argent, du riz, des vivres et des marmites jusqu’à ce que tous ses biens furent dépensés. Il bâtit aussi à Bien hôa une pagode que de son nom l’on appelle le pagode du thù Huôn.

Il vit alors en rêve un personnage qui lui dit que grâce à son amour pour l’aumône, non seulement ses fautes avaient été effacées, mais que dans une existence future il jouirait d’un grand bonheur. De ce rêve je ne sais ce qui en est, toujours est-il que, plus tard, du temps de l’empereur Bao quang[119], il fut envoyé à la cour d’Annam une lettre demandant s’il y avait eu au pays de Gia dinh un individu nommé le thù Huôn. Le roi d’Annam répondit que oui et s’enquit des motifs de cette demande. On lui répondit qu’à sa naissance, l’empereur Dao quang portait inscrits en lettres rouges sur la paume de la main les mots suivants : Le thû Huôn de Gia dinh, dans le royaume de l’extrême sud. L’on sut ainsi que le thù Huôn s’était incarné dans la personne de l’empereur Dao quang et celui-ci fit don à la pagode du thù Huôn à Bièn hoa de trois statues du Bouddha en or.




XXXIX

HISTOIRE DE LA DAME HIÉU.



Au village de Linh chieu dông, à Thù duc[120], vivait une femme riche mais sans enfants du nom de Hièu. N’ayant personne à qui laisser sa fortune, elle bâtit la pagode de Hoa nghiêm et fit don d’un lot de terrain dans lequel tout le monde put venir enterrer ses morts. À sa mort elle alla s’incarner en Chine. Le nouveau-né portait inscrits sur la paume de sa main, en caractères rouges les mots suivants : La dame Hiéu, du village de Linh chiêu dông, dans la province de Gia dinh, royaume de l’extrême Midi. L’empereur de Chine, après s’être enquis des faits, fit des présents à la pagode de Hoa nghiém et demanda qu’on lui donnât la tablette de sa fondatrice, mais le village n’y consentit pas et lui en fit seulement fabriquer une copie.




XXXV

LE PROCÈS DU XÀ DINH AUX ENFERS.



Dans la province du Binh thuàn vivait un xà truong nommé le xa Dinh. Un jour il reçut de ses supérieurs une convocation urgente. Sur son chemin se trouvait un sanctuaire dédié à une dame très puissante[121]. Quiconque passait devant, quel que fût son rang, devait descendre de palanquin ou de cheval et incliner ses parasols ; qui négligeait ce devoir était puni de mort.

Ce jour-là le xà Dinh, en arrivant sur son cheval à cet endroit prononça cette prière : « Je suis appelé par un ordre très pressant ; il m’a fallu prendre un cheval pour aller plus vite ; la nuit est très noire, j’ai peur d’être mis en retard et aussi qu’il n’y ait par là quelque tigre. Laissez-moi passer tout droit, une fois revenu chez moi, je vous ferai un sacrifice. » Il poussa donc son cheval sans s’arrêter. Mais au bout d’un moment il se mit à vomir le sang[122]. Il lui fallait cependant aller faire son service ; en repassant devant la chapelle, il demanda à la dame de lui rendre la santé, lui promettant de lui sacrifier un porc, mais malgré cela son état ne fit qu’empirer. Il se mit alors en colère et dit : « Cette femelle est injuste ! qu’elle me tue si elle veut, mais quand je serai descendu aux enfers je porterai plainte contre elle. » Ne pouvant plus ni boire ni manger, et se sentant près de sa fin, il appela sa femme et ses enfants et leur dit : « Quand je serai mort, faites-moi suivre de cent feuilles de grand papier, de dix pinceaux et de cinq bâtons d’encre[123]. Quand je serai là-bas je porterai plainte contre cette vieille et je lui montrerai ce que je vaux. »

Je ne sais comment s’y prit le xâ Dinh, mais trois mois après sa mort la dame inspira un médium qui dit aux autorités du village de détruire sa chapelle et de ne plus lui rendre de culte. Ceux-ci lui demandèrent pourquoi. Elle répondit : « Le xâ Dinh, une fois mort, a porté plainte contre moi et l’on ne me permet plus de gouverner davantage ce pays. C’est pourquoi je vous avertis de ne plus me faire d’offrandes ; les démons[124] seuls les mangeraient ; moi, je suis constamment occupée par ce procès qui m’est fait. » Les gens du village n’osèrent cependant pas détruire la chapelle, et quelques mois après, à la fête du ki yen[125], ils sacrifièrent un porc à la dame, comme par le passé. Le xâ Dinh inspira un médium qui leur dit : « J’ai plaidé contre cette vieille ; elle n’a plus le droit d’habiter cette chapelle. Ne lui sacrifiez plus. Si vous ne me croyez pas, demandez à Vông dia[126] de venir, et il vous dira ce qui en est. »

On alla alors chercher un sorcier qui évoqua Vong dia. Celui-ci confirma les paroles du xà Dinh. La chapelle lui détruite et, depuis ce temps, les passants n’ont plus eu à descendre de cheval ou à abaisser leurs parasols.




XXXVI

HISTOIRE DE GIÂO.



Au village de Phan lang, dans la province de Binh thuàn, vivaient les époux Giâo[127]. Ils n’avaient pas d’enfants. Ils allèrent habiter au milieu de la forêt pour y faire des défrichements. Au bout de deux ans leurs défrichements étaient très beaux. Le mari dit à sa femme de préparer poules, canards, vin, arec et bétel pour faire le sacrifice aux esprits de la terre. Le sacrifice et le repas finis, la femme sortit un instant dans le jardin ; elle vit accourir un éléphant et, d’effroi, tomba à la renverse. Quand elle se releva, elle n’avait plus son vêtement. Elle rentra dans la maison et raconta l’aventure à son mari, mais celui-ci n’ajouta pas foi à ses paroles et prétendit qu’elle était sortie pour aller à quelque rendez-vous. La femme se mit en colère et défia son mari de sortir, disant que s’il ne voyait rien d’extraordinaire, elle conviendrait de tout. Le mari y consentit.

À peine était-il dans le jardin, qu’un éléphant vint de la forêt, le saisit et lui arracha la tête ; l’homme poussa un cri et tomba mort. La femme, qui avait tout vu à travers la porte, s’enfuit épouvantée jusqu’au village pour appeler au secours. Elle raconta tout ce qui s’était passé. Les autorités du village ne savaient qu’en penser et résolurent d’en référer au huyèn. Celui-ci, ne sachant non plus à quel avis s’arrêter, fit venir tous les vieillards du village et leur demanda si jamais, à leur connaissance, il était arrivé rien de pareil.

L’un d’eux, âgé de près de cent ans répondit : « Ce pays est un pays d’éléphants, de tigres, de cerfs et de toutes sortes d’animaux sauvages. Morts, ils deviennent des esprits. Déjà, dans ma jeunesse, il arriva une fois quelque chose de pareil. » Le huyên dit : « Mais, à quel signe pouvons-nous reconnaître que c’est l’œuvre d’un mauvais esprit ? » — « Allez sur les lieux, dit le vieillard, et si c’est ce que j’ai dit, en fouillant la terre à quelque profondeur vous trouverez le pantalon de la femme et la tête de l’homme. » Le huyèn suivit son avis, et, comme l’avait annoncé le vieillard, on trouva enterrés le pantalon et la tête encore toute sanglante.





XXXVII

UN GÉNIE DÉGUISÉ EN HOMME.



Au village de Truong hhuru, dans la province de Hà tinh, vivait un vieillard venu on ne savait d’où, qui s’était construit près du marché une petite cabane. Il était laid et avait toute la physionomie d’un fou. On ne le voyait jamais ni boire ni manger. Il vendait un tién pièce, des espèces de pilules d’une efficacité merveilleuse ; les malades venaient les lui acheter et, après les avoir avalées, se trouvaient guéris de tous leurs maux. Mais les riches et les puissants méprisaient ce vieillard et ne daignaient pas acheter de ses pilules.

Quand le vieillard avait ramassé quelque argent par la vente de ses pilules, il achetait un peu de coton pour se faire un sarrau, ensuite se ceignant les reins avec le reste de son argent il se mettait ta courir aux quatre coins du marché en appelant les enfants et les excitant à lui arracher ses sapèques.

Cela dura trois ans. Un jour, le vieillard alla se baigner et quand il sortit de l’eau il était transformé en un être d’une merveilleuse beauté ayant la barbe et les cheveux blancs. Il grimpa sur un grand arbre qui se trouvait près du marché et s’écria : « Hommes, vous êtes tous des fous ! je suis resté avec vous trois ans ayant été envoyé par le Ciel pour vous guérir de vos maux ; mais, fiers de vos richesses, vous avez méprisé ma laideur et ma pauvreté. C’est pourquoi maintenant il vous faudra mourir. Aujourd’hui, à midi, je remonterai au Ciel devant vous. » À midi, en effet, il éclata un grand orage mêlé de tonnerre et d’éclairs pendant lequel le génie disparut dans les nuages.


XXXVIII

HISTOIRE DE THI PHU.



Au village de Trâo nha, dans la province de Hà tinh, vivait une femme nommée Châu thi phu qui était âgée de soixante ans ; elle n’avait plus aucun parent. Elle se retira pour faire pénitence dans la pagode de Thiên truong, sur la montagne de Hong lành. Le supérieur, voyant la piété de cette femme lui parla ainsi : « Puisque vous voulez faire pénitence, il faut vous acquérir des mérites en faisant le bien[128]. Établissez-vous au pied de la montagne et distribuez de l’eau aux pèlerins qui viennent à la pagode. Cette aumône vous sera éminemment méritoire. » Thi phù obéit et construisit au bas de la montagne une auberge, où les passants pouvaient boire et se reposer[129].

Il y avait déjà trois ans qu’elle habitait là, lorsqu’un jour elle vit arriver un homme à barbe et à cheveux blancs, avec la beauté et l’air imposant d’un génie mais qui parlait comme un Chinois. Il s’arrêta dans l’auberge ; Thi phù ne comprenait rien à ses paroles. Depuis lors il revint chaque jour, et l’on ne savait où était sa demeure. Comme Thj phn ne comprenait pas ses paroles, il écrivit ces quatre vers :

 Ne pense pas que tu ne comprends pas ;
La rencontre que tu as faite, en cinq cents ans nulle ne fera la pareille ;
La montagne, rougie de fleurs de prunier, se réjouit ;
Le pin aux mille branches ombreuses a porté un rameau qui a le parfum de la cannelle[130].

Il disparut ensuite et ne revint pas de plus de six ans. Thi phù pensait toujours à lui et regrettait son absence quand tout à coup il reparut. Ce jour-là il faisait grand vent, le temps était froid, Thi phù et le vieillard étaient seuls dans la maison ; quand vint la nuit l’hôtesse ferma les poites et alluma du feu. Le vieillard était très fatigué, il se pelotonna près du feu, et Thi phù le couvrit avec une natte. Au matin elle le trouva mort. Tout effrayée elle ne sut que faire et courut à la pagode pour prévenir le supérieur. « Cette nuit dit-elle, par le vent et la pluie, un vieillard est arrivé je ne sais d’où et s’est reposé dans mon auberge ; mais par malheur il y est mort. » Le supérieur consulta les sorts en comptant sur ses doigts et lui répondit : « Vous ne me dites pas la vérité, ce vieillard était un génie et non un mortel. Il y a longtemps que vous le connaissiez, il venait éprouver si votre pénitence était sincère, mais vous ne l’avez pas reconnu. Si vous ne me croyez pas, retournez chez vous, il n’est plus là et au lieu où il était couché s’élève un nid de termites qui a déjà couvert la maison. »

La bonzesse retourna chez elle et trouva les choses comme le lui avait annoncé le supérieur. À quelque temps de là elle reconnut qu’elle était enceinte et au terme voulu, donna le jour à un garçon. Honteuse de se voir mère à plus de soixante ans, elle se rendit auprès du supérieur, lui demandant de recevoir son fils, voulant mourir. Le supérieur lui dit : « Vous ne savez ce que vous faites, laissez-moi chercher un moyen pour vous tirer d’affaire. » Il écrivit alors un avis dans lequel il était dit que la nuit précédente une inconnue était venue derrière la pagode et y avait mis au monde un fils sans que personne s’en aperçut à cause de l’obscurité. Au matin on avait trouvé là un petit garçon qui avait été remis à Thi phù pour l’élever ; chacun était invité à venir voir s’il le connaissait. Naturellement personne ne reconnut l’enfant et Thi phù continua à l’élever. Il grandissait de jour en jour, et, sauf un seul détail, n’avait du reste rien d’extraordinaire. Il avait beaucoup d’intelligence et travaillait assidûment. Le supérieur voulant lui donner un nom pour qu’il put passer ses examens dit : « Puisque son père parlait comme un Chinois, nous allons donner à l’enfant le nom de Ngô[131], thi Bûu (précieux) sera son prénom[132]. À l’âge de treize ans il passa ses examens et fut reçu le premier dans les trois épreuves successives. Il fut l’ancêtre d’une famille chez laquelle les honneurs se sont perpétués. Sur l’emplacement de l’auberge de Chàu thi phû le nid de termites n’a cessé de s’élever et est devenu aussi grand qu’une colline. (Cette histoire se passait sous la dynastie Ly).




XXXIX

HISTOIRE DE TRAN VAN THAC.



Il y avait un certain Trân van thac dont les parents étaient morts, et qui était réduit à une extrême pauvreté et à la condition de porteur de poisson. Un devin, voyant à l’inspection de ses traits qu’ils annonçaient une autre fortune, lui demanda s’il avait encore ses parents ; il répondit qu’ils étaient morts ; le devin lui demanda alors où ils étaient enterrés, et découvrit que c’était à la mauvaise situation de leur tombeau qu’était due la misère de Trân van thac ; il lui indiqua donc un lieu plus favorable dont l’occupation devait le conduire à la fortune dans un délai de trois ans.

Dans une famille riche on avait élevé un jeune garçon dans la pensée de le marier plus tard à la fille de la maison, seulement on leur avait laissé ignorer ce projet. Quand les deux jeunes gens furent devenus grands ils s’aimèrent et, craignant que leur liaison ne fut découverte, résolurent de s’enfuir. Ils convinrent que trois jours après le garçon viendrait pendant la nuit frapper à la porte de la fille et qu’ils partiraient ensemble. Mais il tomba malade et ne put venir au rendez-vous. La fille cependant avait pris une cassette d’argent et attendait inutilement que son amant vint la chercher.

Cette nuit là Trân van thac se réveilla vers la cinquième veille et se mit à transporter son poisson. Le temps était très froid, de sorte qu’il tremblait et, de son fléau (à porter les paniers) il heurta la porte de la jeune fille. Celle-ci crut que c’était le signal attendu, elle descendit donc et donna sa cassette à Trân van thac. Celui-ci, de son côté, crut qu’elle l’engageait pour porter ce paquet et se mit en marche. Ce ne fut qu’au bout d’un temps assez long que la fille s’aperçut qu’elle n’avait pas affaire à son amant.

Elle se mit à pleurer et querella Trân van thac sur l’erreur qu’il avait laissé se commettre ; l’autre s’excusa comme il put, et la fille, ne pouvant retourner chez ses parents, se décida à en faire son mari. Elle lui fit revêtir de beaux habits qu’elle avait dans sa cassette, et ils allèrent tous les deux dans un autre pays.

Là, ils virent un individu riche qui avait une maison que personne ne pouvait habiter, à cause des fantômes qui la hantaient. La fille dit à Trân van thac de demander au propriétaire la permission d’y coucher une nuit. Le matin venu, le propriétaire lui demanda s’il n’avait rien vu, l’autre lui répondit que non. Le propriétaire l’y laissa alors coucher deux autres nuits.

Pendant la nuit le génie de la richesse révéla à Trân van thac que dans les pièces latérales il y avait des trésors enfouis. « Voici longtemps que je les surveille, lui dit-il, maintenant je te les remets. D’un côté il y a de l’argent, de l’autre de l’or. » Trân van thac entendit une voix qui lui parlait ainsi mais ne vit personne. Il alla aussitôt dans les pavillons et y trouva les trésors.

Le lendemain matin le propriétaire lui demanda si pendant ces deux nuits il n’avait rien vu. Trân van thac s’informa s’il avait quelque chose à lui dans la maison, l’autre lui répondit qu’il n’y avait rien laissé. Trân van thac raconta cela à sa maîtresse qui lui dit : « Ce sont donc des trésors que le génie des richesses vous a réservés. Allez au village faire connaissance avec quelques personnes afin de les envoyer faire au propriétaire la proposition de vous vendre cette maison puisqu’il ne l’habite pas. » Le propriétaire, qui l’avait achetée trente barres d’argent, la donna pour trente-cinq. La fille dit alors à Trân van thac : « Tout ceci est l’œuvre du Ciel qui nous avait destinés l’un à l’autre. »

(1) Ông tai thân.

Par la suite Trân van thac étudia tant qu’il fut reçu aux examens et devint un grand mandarin. Voilà la fortune qu’il devait à l’habileté du géomancien qui avait déterminé l’emplacement du tombeau de ses parents. Il instruisit de toute cette aventure le père de sa femme.




XL

ASSASSINAT D’UNE JEUNE BONZESSE.



Dans la province de Nghè an vivait une jeune fille qui appartenait à une famille riche. Au temps de la révolte des Tày son, tous les membres de cette iamille furent dispersés. La jeune fille se réfugia à la pagode de Thièn phuoc où elle se livra à la pénitence. Un jour, comme les bonzes étaient allés avec leurs disciples à une fête, elle se trouva seule dans la pagode. Elle porta son ouvrage derrière la pagode et se mit à se promener dans le chemin. Tout à coup passa une bande de dix écoliers qui, la voyant ainsi seule et d’ailleurs jolie, l’entourèrent et lui firent violence. Quand les bonzes revinrent, ils la trouvèrent morte sur le chemin. Ils appelèrent vite au secours et allèrent dénoncer aux autorités ce qui était arrivé. Les voisins, interrogés, racontèrent qu’ils avaient vu passer une bande de dix écoliers. On arrêta ceux-ci ; ils convinrent qu’ils avaient taquiné cette fille, mais dirent qu’ils ne lui avaient fait aucun mal. Le magistrat leur demanda qui avait le premier porté la main sur elle. Chacun des dix écoliers s’accusa de ce fait. Le juge fut embarrassé. Il n’y avait qu’une morte, il ne pouvait condamner dix personnes pour l’avoir tuée. Il demanda au bonze où était la famille de la jeune fille. Celui-ci répondit qu’il ne la connaissait pas et qu’elle était venue toute seule pour entrer en religion. Le juge alors condamna chaque écolier à payer une amende de cent ligatures, à porter le deuil de leur victime[133] et à lui faire des funérailles avec toutes les cérémonies nécessaires. Avec l’argent de l’amende on lui éleva un petit temple auprès de la pagode, et le reste fut employé à acheter du terrain pour constituer un revenu au temple.




XLI

UN BONZE SE BRÛLE VIVANT.



Dans la province de Nghê an se trouve la montagne de Hong lanh qui fait la limite des trois huyèn de Thach hà, Nghi xuàn et Thièn lôc. Cette montagne comprend quatre-vingt-dix-neuf pics, sur lesquels sont bâtis quatre-vingt-dix-neuf villages et quatre-vingt-dix-neuf pagodes ; la plus élevée est la pagode de l’Éléphant céleste. Dans cette pagode vivait un bonze nommé Nguyén dâng quang qui y faisait pénitence depuis plus de cinquante ans. Sous le règne de Minh mang il atteignit sa quatre-vingt-dix-neuvième année. Depuis plusieurs années déjà, étant sur le point d’arriver à la perfection (thành Phât), il ne mangeait plus de riz et se contentait de fruits et de thé. Il dit aux fidèles : « Me voici maintenant près du terme. Il faut construire un bûcher avec du bois, de l’encens, des résines ; que tous les fidèles y participent suivant leurs forces. » Quand sa quatre-vingt-dix-neuvième année fut accomplie les fidèles construisirent un bûcher haut de dix thu’oc, au sommet duquel ils placèrent une table. Sur cette table s’assit le bonze qui se mit à battre du mô et à psalmodier ses prières, tandis qu’au-dessous du bûcher une foule de bonzes psalmodiaient aussi, demandant que leur maître entrât dans le nirvana. Avant de mettre le feu l’on sacrifia pendant sept jours et sept nuits aux Bouddhas des dix points de l’espace[134]. Le septième jour on mit le feu au bûcher, et au milieu des flammes l’on entendit encore la psalmodie du vieux bonze jusqu’à ce qu’il fut atteint par les flammes. L’on rapporta ensuite le corps dans la pagode, mais il se consuma comme un morceau de charbon, et il n’en resta que la main qui tenait le maillet. L’on connut ainsi qu’il était entré dans le nirvana.




XLII

LE TIGRE ET LA SAGE FEMME.



Il y avait un tigre dont la femelle était en travail et ne pouvait parvenir à se délivrer. Le tigre alla près de la maison d’une sage-femme, épia le moment où elle sortait et remporta au lieu où se trouvait la tigresse. Là, il fit comprendre par ses signes à la sage-femme le besoin que l’on avait de ses secours. Celle-ci comprit qu’il était venu la chercher pour accoucher sa femelle. Elle lui dit : « Regardez de côté car votre regard m’effraie. » Le tigre se tourna de côté et la sage-femme procéda à l’accouchement. Quand tout fut fini, il la rapporta chez elle. Le lendemain il enleva un porc et le lui offrit pur lui témoigner sa reconnaissance.




XLIII

LE CROCODILE ET LE VIEUX SINGE.



Un singe et un crocodile étaient liés d’amitié ; le singe était monté dans un arbre de la rive, le crocodile vivait dans les eaux du fleuve. Le crocodile voulait manger le singe, il lui dit : « Il y a de ce côté un village qui m’a invité à venir à sa fête, veux-tu venir avec moi ? » — « Tu peux passer le fleuve à la nage, lui répondit le singe, mais moi comment le pourrais-je ? » — « Si tu veux venir, dit alors le crocodile, monte sur mon dos et je te porterai de l’autre côté. » Le singe monta sur le dos du crocodile et ils partirent. Arrivés au milieu du fleuve le crocodile dit : « J’ai entendu dire que manger les viscères d’un singe fait vivre cent ans[135], c’est pour cela que je t’ai trompé et que je t’ai amené ici pour te manger. » — « Pourquoi ne m’as-tu pas dit cela plus, lui n’pondit le singe ; tu m’as invité à venir faire ripaille, et j’ai tout laissé là-bas sur l’arbre afin d’avoir le ventre vide et mieux manger. Retournons, et je te donnerai ce que tu veux. » Le crocodile y consentit et ramena le singe à la rive. Celui-ci sauta lestement sur l’arbre et lui dit : « L’on dit bien que tu es bête et menteur. Où est mon cœur pour que tu le manges ? »




XLIV

LES RUSES DU LIÈVRE[136].



Le lièvre, le tigre et la poule avaient fait société ensemble. Un jour, le lièvre et le tigre allèrent couper du tranh[137], le lièvre dit à la poule de rester à la maison et de leur préparer à manger. La poule prit un pot d’eau bouillante, se percha sur le bord et, en chantant, y laissa tomber un œuf qui fut ainsi cuit et qu’elle fit manger au tigre et au lièvre. Le lièvre demanda à la poule comment elle avait fait et elle lui répondit qu’elle s’était perchée sur le bord du pot et y avait pondu son œuf.

Le tigre et la poule allèrent aux champs ; le tigre dit au lièvre de rester à la maison et de préparer le repas. Le lièvre fit comme avait fait la poule : il prit un pot d’eau bouillante, monta dessus et y laissa tomber une crotte qu’il servit ensuite au tigre. Le tigre se mit en colère et battit le lièvre.

Le lendemain, le tigre dit à la poule de rester à la maison et au lièvre d’aller au travail. Le lièvre se mit en colère et résolut de lui jouer un mauvais tour. Il dit au tigre de se coucher sur le dos en écartant les quatre pattes. Il formerait ainsi une espèce de voiture sur laquelle il entasserait l’herbe et qu’il traînerait à la maison[138]. Quand l’herbe fut entassée il y mit le feu, et c’est là la cause des rayures de la robe du tigre.

Le tigre le poursuivit pour se venger ; le lièvre se sauva dans une touffe de bambous. Quand le tigre l’eut découvert, il fit semblant d’être tout joyeux de le voir et lui cria : « J’ai là un instrument de musique admirable ; si tu es fort, passe la queue entre les cordes et tire-la de manière à produire un son pareil[139]. Laisse-moi seulement me mettre à distance et tire ensuite. » Le tigre y consentit ; il laissa partir le lièvre et introduisit sa queue entre les bambous. Arriva un coup de vent qui les froissa tous les uns contre les autres et la queue du tigre fut coupée.

Le tigre se mit à la poursuite du lièvre pour le battre ; le lièvre se réfugia prés d’un nid de guêpes. Quand le tigre aperçut le lièvre il lui cria : « Tu m’as trompé, tu m’as fais écourter et tu t’es réfugié ici. » Le lièvre fit semblant d’être tout joyeux de la rencontre ; il salua le tigre et lui dit : « J’ai là un magnifique tambour ; si tu es fort, donne-lui un grand coup, tout le ciel en retentira. Seulement laisse-moi me mettre un peu loin. » Le tigre y consentit et donna un grand coup dans le nid de guêpes ; les guêpes se jetèrent toutes sur lui et il hurla à remplir toute la forêt de ses cris.

Il se remit à la recherche du lièvre qui, en le voyant approcher, sauta dans un puits abandonné. De là il dit au tigre : « J’ai entendu dire que le ciel allait tomber, que fais-tu encore là ? » Le tigre demanda au lièvre comment il fallait faire pour échapper à la mort. Le lièvre lui répondit : « Si tu veux échapper, descends avec moi dans ce puits ». Le tigre sauta dans le puits. Le lièvre alors le tracassa tellement que d’un coup de patte le tigre l’envoya hors du puits. Le lièvre se mit à crier et à appeler les gens du village qui vinrent et tuèrent le tigre.

Le lièvre était allé manger des patates dans un champ quand il fut pris. Il se mit à faire le mort ; alors celui qui l’avait pris le jeta, et il se sauva.

Une autre fois il fut pris aussi dans un champ de patates. Celui qui le tenait le rapporta chez lui et l’enferma sous un panier[140] à prendre le poisson. Le lendemain était jour de fête[141], et il se promettait de tuer son lièvre et d’en régaler ses parents. À côté du panier se trouvait une jarre dans laquelle était un gros poisson[142]. Le lièvre lui dit : « Si tu restes dans cette jarre, demain tu seras mort, car on va te taire cuire. Casse donc la jarre d’un coup de queue et va-t-en. » Le poisson l’écouta, il cassa la jarre et bondit au dehors ; le lièvre se mit à crier au maître que son poisson se sauvait. Celui-ci, pour attraper le poisson, prit le panier sous lequel était le lièvre et le lièvre s’enfuit.

Le lièvre était sur le bord du fleuve et ne savait comment faire pour le passer. Il appela le crocodile et lui dit : « Si tu me passes de l’autre côté, je te donnerai ma sœur en mariage. » Le crocodile le crut et le transporta sur l’autre rive ; le lièvre sauta lestement à terre et lui dit : « Quelle sœur te donnerai-je, bête vorace ? » Mais un autre jour le lièvre vint au bord du fleuve pour brouter. Le crocodile flottait avec un monceau d’herbes sur le dos. Le lièvre sauta au milieu de cette herbe et se trouva pris par le crocodile. Celui-ci irrité le menaçait en faisant hù ! hù[143]. « Je ne crains pas ton hù ! hù !, lui dit le lièvre. Si tu faisais hà ! hà ! ce serait une autre affaire. » Le crocodile voulut dire hà ! hà ! il ouvrit la gueule et le lièvre disparut.

C’est ainsi que le lièvre se moquait de tous les animaux et échappait constamment à la mort.


XLV

L’HOMME DE LA LUNE.



Deux frères firent un radeau et allèrent couper du bois dans la forêt. L’ainé alla faire le bois, l’autre resta à garder le radeau. Dans un fourré il trouva un petit tigre, il le prit pour un chien, l’emporta et le racla pour le faire cuire. À ce moment, l’aîné revint de la forêt, il reconnut le petit tigre et dit à son frère de le rapporter dans le fourré de peur d’attirer sur eux la fureur de la tigresse.

Le cadet obéit. À peine avait-il remis le petit dans le fourré que la tigresse arriva et vit son petit tout raclé et mort. Elle prit quelques feuilles d’arbre, les mâcha et cracha sur son petit qui ressuscita aussitôt, après quoi ils partirent laissant là le reste des feuilles.

Quand la tigresse fut partie, l’homme qui avait assisté à cette scène du haut d’un arbre, ramassa le reste des feuilles et retourna au radeau, mais il ne raconta rien à son frère de ce qu’il avait vu. Comme ils s’en revenaient chez eux ils rencontrèrent un cadavre de chien qui flottait sur l’eau, déjà tout gonflé. L’homme mâcha des feuilles, cracha sur le chien, et celui-ci fut ressuscité et le suivit.

Ce chien était plein d’intelligence. Un jour il entendit se lamenter un riche vieillard dont la fille venait de mourir et qui, dans son désespoir, promettait de la donner avec tous ses biens à celui qui lui rendrait la vie. Le chien alla chercher son maître et, le tirant par le pan de l’habit, le mena dans la maison du vieillard. La fille fut ressuscitée, et le vieillard la donna avec tous ses biens à son sauveur.

Celui-ci amena sa femme dans sa maison. Il avait planté un da[144] et il ordonna à sa femme de ne jamais manquer de l’arroser lorsqu’il irait au dehors. Un jour qu’il était absent, des individus jaloux des cures merveilleuses qu’il opérait, se dirent : « Tuons sa femme, nous verrons bien s’il la ressuscitera. » Quand le maître de la maison revint il trouva sa femme morte et la ressuscita sans peine. Les envieux furent étonnés de ce prodige, mais, pour mettre sa puissance à une nouvelle épreuve, ils tuèrent de nouveau la femme, lui ouvrirent le corps et lui enlevèrent les viscères qu’ils allèrent jeter au loin. Quand le mari revint il trouva sa femme morte et ne savait comment faire pour remplacer les viscères qu’on lui avait enlevés.

Il appela son chien et lui dit : « Je t’ai nourri comme un père, je t’ai sauvé et ressuscité ; maintenant les viscères de ma femme ont disparu et je ne sais comment les remplacer. Couche-toi, que je t’ouvre le ventre pour prendre les tiens. » Le chien obéit à son maître et celui-ci prît les viscères du chien pour en faire ceux de la femme. Il alla ensuite cueillir des feuilles de son da et les cracha sur la femme qui ressuscita. Il fit pour le chien des viscères d’argile et le ressuscita aussi. C’est pour cela que la femme a les instincts du chien[145] et que le chien sent retentir en lui le moindre bruit qui se fait sur la terre.

Un jour le mari s’absenta en recommandant à sa femme d’arroser son arbre. La femme oublia de le faire, mais voyant son mari arriver, elle s’en souvint tout à coup, et courut s’accroupir au pied de l’arbre pour humecter la terre. L’arbre à ce contact impur s’envola. Le mari courut et essaya de donner un coup de hache à l’arbre (pour en couper quelque branche qu’il aurait pu replanter), mais la hache se fixa dans le tronc et l’homme fut porté dans la lune avec son arbre qui est appelé le da du thàng Cuôi[146].

L’on dit que ce da pousse sur la montagne. Chaque année une de ses feuilles tombe dans la mer et elle est avalée par le dauphin.

L’on dit : « Si l’on fait du bien aux animaux ils vous en récompensent, si l’on fait du bien aux hommes ils vous nuisent[147]. » L’on a vu, en effet, que l’homme avait reçu de grands avantages pour avoir sauve le chien, tandis que pour avoir sauvé la femme il perdit son arbre magique.




XLVI

LA CRÉATION DES MONTAGNES.



Quand le ciel et la terre commencèrent d’exister vivaient le seigneur Không lô et la dame Giâc hai. Không lô voulut épouser Giâc hai et alla lui faire sa cour. La dame lui dit : « Si vous voulez m’épouser il faut qu’en trois jours vous éleviez une montagne si haute que de son sommet l’on puisse voir toute la terre. J’en élèverai une moi aussi, si la vôtre est aussi haute que la mienne je vous épouserai. »

Không lô accepta le marché et en trois jours bâtit une montagne ; la dame, de son côté, en avait bâti une ; celle de Không lô se trouva moins haute ; la dame la démolit à coups de pied et dit à Không lô de recommencer. Elle se retira sur la sienne pour y faire pénitence. Telle est, dit-on, l’origine de la montagne de Tàyninh[148].

C’est pour cette raison que dans les six provinces les femmes sont plus riches que les hommes. Cela fut prédit par un devin du haut pays, qui vint au moment où les Annamites commencèrent à s’établir dans le sud et ne voulut point y demeurer.

L’on attribue à Không lô la formation de neuf collines, reste de la terre qu’il laissa tomber par suite de la rupture des fils qui suspendaient ses paniers.

Không lô alla de nouveau se proposer en mariage à la dame retirée sur sa montagne. Elle consentit à l’épouser s’il venait faire la demande accompagné de cent personnes. Không lô se mit en chemin avec cette suite, mais au passage d’une rivière il ne sut comment faire passer son monde. Il tendit sur la rivière un bâton[149] et les cinquante premiers étaient passés sans encombre, quand il se produisit un mouvement imprévu qui précipita les cinquante autres dans la rivière.

La dame les tira d’affaire ; elle ordonna ensuite à Không lô de porter un grand bloc de silex pour qu’ils puissent s’asseoir et se sécher, mais elle refusa de l’épouser. Không lô, furieux, s’en alla bâtissant partout des montagnes et c’est là l’origine de celles de la Basse-Cochinchine.




XLVII

L’ÉTOILE DU SOIR ET L’ÉTOILE
DU MATIN.



I

Il y avait autrefois une fontaine où venaient se baigner les fées[150], dans un lieu solitaire dont les hommes ne connaissaient pas la route.

Un jour un bûcheron qui s’était égaré y surprit les fées. Elles avaient déposé leurs vêtements sur les arbres de la rive et se baignaient toutes nues. Quand elles se furent baignées, elles sortirent de l’eau, reprirent leurs vêtements et s’envolèrent. Une seule resta en arrière.

L’homme s’assura qu’ils étaient seuls ; il se précipita sur les vêtements de la fée et les emporta. La fée le suivit en gémissant, lui demandant de lui rendre ses vêtements pour qu’elle put retourner dans sa demeure ; mais l’homme, qui voulait la garder pour en faire sa femme, resta sourd à ses plaintes. Elle fut donc forcée de le suivre. Arrivé à sa maison, l’homme cacha les vêtements de la fée au fond du grenier à riz.

La fée vécut quelques années avec l’homme, et ils avaient déjà un enfant de trois ans, quand, un jour que le mari était absent, sa mère vendit toute la provision de riz. Sous le riz la fée trouva ses vêtements. Elle en fut toute joyeuse ; elle les revêtit, détachant seulement son peigne qu’elle fixa au collet de l’habit de son fils. Elle lui fit ensuite ses adieux, « Reste ici, lui dit-elle ; ta mère est une fée, ton père un mortel ; il ne leur est pas permis de vivre longtemps unis. » Elle pleura quelque temps sur son fils puis s’envola.

Quand le mari revint à la maison, entendant pleurer son enfant, il demanda à sa mère où était sa femme. La mère répondit qu’elle ne l’avait pas vue de la demi-journée. Le mari se douta de ce qui était arrivé ; il courut au grenier à riz et vit qu’il n’y avait plus de riz, et que les habits de la fée avait disparu. Sa mère lui dit qu’elle avait vendu tout le riz. Quand il vit le peigne fixé aux vêtements de son fils, il comprit que la fée l’avait quitté.

À la suite de cette aventure, il ne pouvait se consoler ; il prit son fils et se rendit avec lui à la fontaine ; mais il ne vit plus la fée descendre se baigner, seulement des servantes venaient y puiser de l’eau. L’homme eut soif ; il leur demanda à boire et leur conta ses malheurs. Pendant qu’il leur faisait ce récit, le petit garçon laissa tomber son peigne dans une des jarres.

Quand les servantes versèrent l’eau, on trouva le peigne au fond de la jarre. La fée leur demanda d’où venait ce peigne ; les servantes ne surent que dire. Leur maîtresse voulut savoir si elles avaient rencontré quelqu’un près de la fontaine. Elles répondirent qu’elles avaient vu un homme portant un enfant, qui leur avait demandé à boire et leur avait dit qu’il cherchait sa femme, sans pouvoir la rencontrer.

La fée alors charma un mouchoir qu’elle remit aux servantes. Elle leur ordonna de retourner à la fontaine, et si l’homme y était encore, de lui dire de mettre ce mouchoir en guise de turban et de les suivre. Les servantes obéirent et ramenèrent le mari de la fée.

Les deux époux se voyant réunis, furent transportés de joie. Au bout de quelque temps, le mari demanda à la fée comment elle avait eu le cœur de l’abandonner ainsi. La fée lui répondit : « Les unions des mortels et des génies ne peuvent être longues. C’est pourquoi j’ai dû vous abandonner ; mais, vous sachant affligé, je vous ai fait venir ici pour vous consoler de votre chagrin. Maintenant il vous faut retourner sur la terre. » Le mari se mit à gémir et ne voulait pas quitter la fée. Elle lui dit alors : « Descendez le premier ; dans quelque temps je demanderai au Bouddha la permission de retourner vivre avec vous ; aujourd’hui je n’oserais pas, car il y a trop peu de temps que je suis revenue. »

Le mari consentit à s’en retourner. La fée ordonna à ses servantes de le faire asseoir avec son fils sur un tambour que l’on descendrait avec une corde. Elle leur donna du riz pour faire manger l’enfant, et dit au mari lorsqu’il serait arrivé à terre de frapper deux coups sur le tambour pour que les servantes coupassent la corde.

Ils se séparèrent en pleurant, et les servantes se mirent à faire filer la corde. Seulement, comme le tambour était descendu à mi-hauteur, voici qu’il passa un vol de corbeaux qui virent le petit garçon manger du riz, et se mirent à picorer celui qu’il avait laissé tomber sur le tambour. Le tambour résonna ; les servantes, qui les crurent arrivés à terre, coupèrent la corde, et le père et le fils furent précipités dans la mer où ils périrent.

Les corbeaux, à cette vue, s’envolèrent avec des cris. Phàt bà les entendit ; elle fit comparaître les fées et apprit quelle était celle qui avait causé la mort de cet homme. Pour la punir, elle la transforma en l’étoile du matin, le père et l’enfant devinrent l’étoile du soir. Les servantes durent chaque année, le quinzième jour du septième mois, faire un sacrifice funéraire. Le même jour les corbeaux forment un pont pour permettre aux deux époux et à leur fils de se réunir. C’est pourquoi ils ont la tête pelée[151].

L’on raconte que, toujours à cette date, a lieu, en un lieu ou en un autre, le sacrifice funéraire. L’étoile du matin paraît le matin, l’étoile du soir paraît le soir ; ce sont les deux époux qui se cherchent dans le ciel et ne peuvent se rencontrer.


II

Une famille riche avait deux enfants : un garçon et une fille. Le garçon était un mauvais sujet ; il prit de l’argent à ses parents, alla jouer et perdit tout. Ses parents le menacèrent de le battre, il eut peur et prit la fuite.

Par la suite il revint inconnu dans son pays, et au bout de quelque temps se maria, sans le savoir, avec sa sœur, et il en eut un enfant. Un jour qu’il chassait les poux sur la tête de sa femme, il remarqua la cicatrice d’un coup de couteau. Il lui demanda ce que c’était, et elle lui raconta qu’étant petite, un jour qu’elle mangeait de la canne à sucre avec son frère, celui-ci lui avait involontairement porté un coup de couteau sur la tête. À ce signe le mari reconnut qu’il avait épousé sa sœur.

Saisi d’horreur il dissimula cependant la vérité, mais il équipa un bateau sous le prétexte d’aller faire du commerce et ne revint jamais plus. Au bout de quelque temps, sa femme ne le voyant pas reparaître se mit à sa recherche, mais ne put le retrouver. Après leur mort, le mari fut transformé en l’étoile du matin, la femme en l’étoile du soir ; leur enfant devint la constellation du fléau[152], qui est au milieu du ciel, et attend éternellement l’étoile du matin et l’étoile du soir.




XLVIII

L’ORIGINE DE LA BARBE.



Autrefois il y avait une pagode dédiée au Bouddha mâle et une autre dédiée au Bouddha femelle. Quand les hommes avaient quelque chose à demander, ils s’adressaient à la première ; les femmes portaient leurs vœux à la seconde.

Les hommes qui voulaient avoir trois touffes de barbe[153] longue, droite et élégamment disposée, allaient demander au dieu de la leur planter, et leurs vœux étaient exaucés. Ils sont l’origine des hommes qui ont la barbe plantée de cette manière.

Quant à ceux qui ont une barbe éparse, voici l’occasion qui leur a donné naissance. Quelques hommes voulaient se faire planter la barbe, mais on leur indiqua mal le chemin, et ils arrivèrent à la pagode du Bouddha femelle à qui ils demandèrent d’accomplir leur vœu.

La déesse avait aussi le pouvoir de les satisfaire ; elle ordonna à ses servantes de porter des barbes et de les leur planter, mais les servantes, retenues par un sentiment de pudeur, n’osèrent pas s’approcher de ces hommes ; elles leur dirent de lever la tête, et leur jetèrent de loin les barbes sur la figure où elles tombèrent irrégulièrement. Telle est l’origine des barbes éparses.




XLIX

ORIGINE DES SINGES.



Il y avait une jeune fille qui servait comme domestique chez des gens riches et qui avait à supporter mille misères. Ces deux époux n’avaient pas d’enfants. Un jour ils voulurent faire un sacrifice, et envoyèrent la servante au puits pour chercher de l’eau. Celle-ci s’assit auprès du puits et se mit à pleurer.

Un génie, touché de son malheur, descendit du ciel pour venir à son secours. Il lui dit de cesser de pleurer, et d’aller à la maison prendre un gâteau et une baguette parfumée par le moyen desquels il la rendrait belle comme les génies (ce qui eut lieu).

La servante alors rentra dans la maison en portant l’eau qu’elle avait puisée. Sa maîtresse ne la reconnaissait pas, et la servante dut lui apprendre comment elle avait été ainsi transformée en une beauté céleste par un génie qui se tenait auprès du puits.

À cette nouvelle les deux époux furent remplis de joie. Ils ordonnèrent à la servante de retourner auprès du génie et de l’inviter à entrer dans la maison. Là ils lui demandèrent s’il pourrait leur rendre la jeunesse et la beauté comme à cette jeune fille.

Le génie leur répondit qu’il le pouvait. Il ordonna de prendre quatre grandes briques et de les faire rougir au feu. Ensuite on les plaça aux quatre coins de la maison, et les deux époux, se dépouillant de leurs vêtements, durent en sautant et criant, aller s’asseoir sur ces briques[154]. Ils furent transformés en singes et se sauvèrent en sautant dans la forêt. La servante hérita de tous leurs biens.


L

LE CHIEN, LE CANARD
ET LES OISEAUX.



À l’origine des choses, quand le ciel et la terre venaient d’engendrer les êtres animés, ceux-ci étaient encore incomplets : à l’un il manquait les pieds à l’autre les ailes. Trois génies, nommés Ly bach, Hon chung ly et Lu dông tàn[155], descendirent dans les forêts des montagnes et firent connaître à tous les animaux qu’ils eussent à se préseinter devant eux, dans le délai de trois jours, et qu’ils recevraient ce qui leur manquait.

Ce terme était passé et la distribution était faite, quand le canard, qui n’avait qu’une patte, et le chien qui n’en avait que trois apprirent la nouvelle. Ils se rendirent aussitôt au lieu fixé pour demander chacun une patte de plus, mais les génies avaient déjà distribué toute leur provision. Cependant, émus par les plaintes du canard et du chien, ils cassèrent deux pieds de table et, après une opération magique, en donnèrent un au canard et l’autre au chien. Ils dirent au canard : « Quand tu dormiras, ne laisse pas reposer sur la terre cette patte que nous te donnons de peur qu’elle ne touche quelque chose de sale ; elle disparaîtrait et tu en subirais les conséquences. » Ils firent une recommandation analogue au chien, et c’est pourquoi le canard dort sur une patte et le chien lève la cuisse.

Le chien et le canard partirent. En route, ils rencontrèrent divers oiseaux[156] qui n’avaient pas encore de pattes. Ils les invitèrent à se hâter d’aller en demander aux génies. Les génies refusèrent d’abord mais ils finirent, pour les satisfaire, par leur faire des pattes avec des restes de bâtonnets odoriférants. Les oiseaux disaient qu’ils étaient trop grêles et qu’ils casseraient. « N’ayez aucune crainte, leur dirent les génies ; en vous posant fléchissez trois fois sur vos pattes pour essayer si elles sont solides, si elles cassent nous vous les changerons. » C’est pourquoi, aujourd’hui encore, les oiseaux de ces espèces se balancent trois fois sur leurs pattes en se posant.




LI

LA PATTE DE DERRIÈRE DU CHIEN.


Il y avait une femme nommée Thanh dé, très dévote au Bouddha. Chaque année elle semait du riz glutineux dans une noix de coco, et quand elle avait récolté le riz, le décortiquait elle-même avec un couteau pour que son offrande soit plus convenable.

À une fête où elle voulait aller offrir cette écuellée de riz, le supérieur de la pagode ordonna à ses disciples d’aller recevoir les bienfaiteurs qui apportaient des dons. Les bonzes allèrent recevoir ceux qui apportaient de riches présents, mais ils négligèrent la pauvre femme qui n’avait que sa poignée de riz glutineux. La femme en fut irritée, elle jeta son riz par terre et s’en retourna chez elle.

Voulant se venger des bonzes elle les invita à une cérémonie, et tua un chien dont elle mit la chair dans les gâteaux qu’elle comptait leur offrir. Elle voulait ainsi les souiller. Le supérieur fut instruit de son dessein et ordonna aux bonzes de porter secrètement avec eux des gâteaux, et quand on leur servirait leur repas de manger leurs gâteaux et de rapporter ceux qu’on leur offrirait. Les bonzes obéirent ; un seul oublia l’ordre et mangea un gâteau dans lequel il trouva une cuisse de chien. Les autres bonzes au retour jetèrent les leurs au pied du figuier sacré, et ils furent transformés en rau om, oignons et citronnelle[157].

Depuis ce temps le chien n’eut que trois pattes parce que le bonze lui en avait mangé une, et c’est pour cela qu’il lève la cuisse, le membre de derrière étant un don (céleste).

Par la suite, quand cette femme mourut, elle fut sévèrement punie de ce crime et jetée dans le dixième enfer. Son fils nommé Muc lièn descendit aux enfers pour la sauver, mais il ne put y réussir[158].




LII

ORIGINE DU MARGOUILLAT.



I

Thach sùng[159] était un personnage d’une fortune colossale, à qui rien ne manquait. Un jour, il vint chez lui un individu qui lui dit : « Vous pensez être riche, parions ensemble. S’il vous manque quelque chose, que me donnerez-vous ? » Thach sùng, enflé d’orgueil, et ne supposant pas qu’il put rien lui manquer, mit toute sa fortune comme enjeu du pari. « Avez-vous un tesson de plat ? » lui demanda l’autre. Thach sùng n’en avait pas ; il lui fallut mettre entre les mains de son adversaire toute sa fortune. Il en mourut de regret et fut métamorphosé en margouillat qui va toujours faisant claquer sa langue. C’est pourquoi quand on entend le cri du margouillat on dit : « Voilà Thach sùng à qui manque encore son tesson. »


II

Il y avait un jeune homme très difficile sur le choix d’une femme. Il ne voulait épouser qu’une fille aussi belle que les génies. Ses parents lui cherchèrent une femme en tous lieux sans pouvoir en trouver une à son goût. Ils moururent, et après leur mort il continua à chercher en vain.

Le Ciel permit à une fée de descendre dans la maison sous la forme d’une servante. Elle était laide, mais habile à l’ouvrage.

Quand vint l’anniversaire de la mort de ses parents il se plaignit à cette servante de n’avoir personne pour faire les gâteaux. Elle lui dit de ne pas s’inquiéter ; au milieu de la nuit elle alla prononcer ses souhaits en plein air et il lui tomba du ciel toute sorte de gâteaux. À son réveil le maître loua l’habileté de la servante, mais il ne se douta pas qu’il eut affaire à un génie.

Quelque temps après il équipa un bateau pour aller à la recherche de la beauté parfaite qui faisait l’objet de ses vœux. Pendant ce temps la servante, restée au logis, se transforma en une jeune fille d’une beauté divine. Les domestiques comprirent que c’était là la fée qu’attendait toujours leur maître et quand son bateau revint ils coururent l’avertir de ce qui s’était passé.

Le jeune homme accourut, et voyant cette jeune fille il voulut s’asseoir à côté d’elle ; l’autre le repoussa. Fou de désir, il porta la main sur elle, mais elle s’envola aux cieux. Il essaya en vain de retenir un coin de son vêtement. Depuis ce temps, il la chercha partout en faisant claquer sa langue[160], et après sa mort il fut changé en margouillat.




LIII

L’ORIGINE DU MARSOUIN.



I

Il y avait un pauvre ménage qui avait deux enfants, un garçon et une fille ; la fille était en gage, le garçon demeurait avec ses parents. Vint la guerre et ils furent dispersés.

Un jour, la jeune fille allait puiser de l’eau quand elle rencontra son frère. Ils ne se reconnurent pas. Le frère voulut lui conter fleurette. « L’eau de cette cruche est bien belle » lui dit-il. — « Oui, mais elle n’est pas pour toi », lui répondit la fille.

Le garçon fut vexé de cette réponse, il alla trouver ses parents et les amena à aller demander cette fille à son maître pour la lui donner en mariage. Quand le mariage eut été accompli, un jour que les nouveaux mariés se cherchaient leurs poux, le mari vit sur la tête de sa femme une cicatrice et lui demanda ce que c’était ; elle lui répondit qu’étant enfant, en jouant avec son frère, celurci avait jeté une pierre qui l’avait lilessée à la tête. À ce signe, le mari reconnut qu’il avait épousé sa sœur.

Il fut tout honteux, mais il cacha avec soin ce fait à tout le monde, et dit à ses parents : « Nous sommes riches, équipez-moi un bateau pour que j’aille faire du commerce. » Il partit donc avec son bateau et jeta l’ancre devant la maison d’un ménage de tricheurs[161]. Ceux-ci l’invitèrent à venir s’amuser chez eux et pendant la nuit envoyèrent leur servante porter dans le bateau une tortue d’or.

Le lendemain ils allèrent accuser le patron du bateau d’avoir volé leur tortue d’or, naturellement celui-ci nia. La tricheuse lui dit : « Parions ! si la tortue n’est pas dans votre bateau tous mes biens vous appartiendront, mais si on l’y trouve, je gagnerai tout ce qui vous appartient. » Sûr de son innocence, le patron accepta cette gageure. On prit à témoin les autorités du village, ensuite on fouilla le bateau et l’on trouva la tortue d’or. La tricheuse s’empara donc de tous les biens du patron et le réduisit lui-même à la condition de laboureur.

Trois ans se passèrent sans que la femme vît revenir son mari. Elle allait chaque jour attendre son retour au bord de la mer ; un jour, elle vit une pamplemousse[162] flotter jusqu’à elle. Elle avait beau la repousser dans l’eau, la pamplemousse revenait toujours. La femme enfin la retira de l’eau et y trouva une lettre de son mari qui lui disait qu’il était tombé aux mains d’une tricheuse. Dans la maison de cette tricheuse, ajoutait-il, il y a une tortue d’or qui est celle qui a servi à me faire tomber dans le piège, deux chats qui portent une chandelle sur leur tête, et un arbre desséché qui reverdit quand on le met en terre en un certain endroit.

La femme ne mit pas ses parents au courant de ce qu’elle avait appris, mais elle leur demanda la permission d’aller à la recherche de son mari. Elle équipa un bateau, emporta une troupe de rats et emmena avec elle un orfèvre. Elle alla mouiller avec son bateau devant la maison de la tricheuse.

Celle-ci l’invita à descendre à terre ; ensuite pendant la nuit elle fit porter la tortue d’or dans le bateau. Au matin, elle vint accuser la femme d’avoir volé sa tortue, et la femme consentit à parier tous ses biens contre ceux de la tricheuse, mais quand on chercha la tortue dans le bateau on ne la trouva pas parce que l’orfèvre l’avait fondue et mise en lingot.

La tricheuse proposa alors un nouveau pari ; elle paria de faire reverdir un arbre desséché, mais l’arbre ne reverdit pas parce que la maîtresse du bateau avait fait enlever la terre qui opérait ce prodige de l’endroit où elle se trouvait. Elle-même ensuite planta l’arbre au lieu où elle avait fait transporter cette terre et l’arbre reverdit.

La tricheuse proposa alors de jouer aux cartes toute la nuit et paria que ses chats éclaireraient le jeu avec une chandelle sur leur tête. La maîtresse du bateau accepta. Elle lâcha des rats qu’elle avait cachés dans les manches larges de son habit, les chats coururent après, et la tricheuse dut s’avouer vaincue.

Elle et son mari durent servir la maîtresse du bateau ; quant à leurs biens, ils furent rendus à ceux à qui ils avaient été pris.

La maîtresse du bateau emmena la tricheuse et son mari, mais au milieu du voyage elle les jeta dans la mer. Ils furent transformés en marsouins et, mus par le regret de leurs biens, ils sautent toujours sur la mer. Quand on les rencontre, on les défie, et ils luttent de vitesse avec les barques.


II

Autrefois il y avait une jeune fille qui habitait avec ses parents. Dans le même village vivait un étudiant pauvre qui, chaque jour, venait dans la maison mendier son pain. La jeune fille devint amoureuse de ce jeune homme.

Un jour elle prit quelques taëls et alla attendre l’étudiant. Elle les lui donna, et ils se promirent d’attendre qu’il eut passé ses examens et qu’ensuite ils se marieraient. Ils tinrent leur promesse ; l’étudiant continua à vivre misérablement ; il se présenta plusieurs fois, mais il échoua à ses examens. Il résolut alors de changer de pays afin de continuer à vivre et à étudier en mendiant.

La jeune fille ayant appris son insuccès et son départ désespéra. Elle épousa donc un homme très riche du voisinage. Sept ans après le pauvre étudiant réussit enfin à passer ses examens et, pensant que sa fiancée l’avait attendu, il se mit en route pour aller la rejoindre. Mais il apprit qu’elle s’était mariée, et ne se présenta pas devant elle.

La femme cependant entendit dire que l’étudiant avait été reçu et était venu pour la voir ; elle pensa qu’il restait fidèle à leur engagement, elle quitta son mari et alla à la maison de l’étudiant. Celui-ci la reçut d’abord avec amitié ; mais quand elle lui eut fait part de son dessein, il lui dit : « Je croyais que vous veniez simplement me voir. Retournez avec votre mari ; une femme ne saurait avoir deux époux. » La femme fut toute honteuse et lui répondit : « Je pensais que vous aviez conservé la mémoire de notre engagement, et j’ai abandonné mon mari pour venir vivre avec vous. De quel front retournerais-je avec lui ? Mieux vaut mourir que de vivre dans la honte. » Là-dessus elle se jeta à l’eau et mourut.

Après sa mort cette femme fut transformée en marsouin, et voici pourquoi ce poisson plonge et revient à la surface de l’eau, sans aucune cesse : quand il est au-dessus de l’eau, il voit le ciel et, rougissant de honte devant le ciel, il plonge pour se cacher ; mais alors il touche la terre et rougit devant la terre, ce qui le force à remonter. Voilà pour quelle cause il se livre à ce manège au lieu de voguer paisiblement comme les autres poissons.


III

Un ogre[163] vivait dans la montagne avec sa mère ; pour la nourrir, il allait chaque jour dans la forêt chercher du gibier. Un jour, pendant que la mère était seule à la maison, vint un bonze qui voyageait à la recherche du paradis occidental. « Mon fils est féroce, lui dit la mère, si à son retour il vous trouve ici il vous dévorera. Je vais vous cacher dans une grande marmite. »

Quand l’ogre revint, il renifla et demanda à sa mère s’il n’était venu personne. Celle-ci dit que non, mais il ne la crut pas et découvrit le bonze à qui il demanda comment il était venu jusqu’à leur demeure. Le bonze lui expliqua qu’il allait à la recherche du paradis occidental et qu’il s’était égaré en chemin. L’ogre fut touché, il ne dévora pas le bonze et lui demanda ce que le Bouddha désirait des hommes. « Leur cœur, » répondit le bonze. L’ogre, à cette réponse, s’ouvrit le corps et donna au bonze son cœur pour le porter au Bouddha.

À la suite de ce sacrifice l’ogre et sa mère devinrent des Bouddhas. Quant au bonze il porta ce cœur jusqu’au bord de la mer où il le jeta parce qu’il sentait mauvais. Arrivé au paradis occidental le Bouddha demanda au bonze s’il ne lui avait rien été confié et le renvova chercher le cœur de l’ogre.

Le bonze retourna au bord de la mer et se mit à plonger mais sans pouvoir retrouver ce cœur. Il n’osa pas revenir sans lui et l’ut changé en marsouin. C’est pourquoi le marsouin continuellement plonge et remonte à la surface.




LIV

LE BONZE CHANGÉ EN GRENOUILLE.



Il y avait autrefois un bonze très pieux. Au passage d’un bac, Phât bà se transforma en une jeune fille pour éprouver sa vertu. Elle se dépouilla devant lui de tous ses vêtements, mais le bonze continua à réciter ses prières en la couvrant de son habit. Il résista neuf fois de suite à cette tentation pendant neuf existences. Tant de vertu allait être récompensée par sa transformation en Bouddha après[164] une dixième existence, mais à la dixième tentation il succomba et porta la main sur la Phât bà. Celle-ci, irritée, le jeta dans le fleuve où il fut transformé en grenouille. C’est pour cela que lorsqu’on tue une grenouille, quand on va lui couper la tête elle joint les pattes.




LV

LA PERDRIX.



Il y avait un petit garçon qui avait perdu son père et dont la mère s’était remariée. Son beau-père le traitait cruellement et le blessa à la tête. Un jour il l’abandonna dans la forêt en ne lui laissant pour vivre qu’une écuelle de sable sur lequel il avait répandu quelques grains de riz. Le petit garçon mourut de faim et fut changé en perdrix. C’est pourquoi la perdrix crie : « Bât com cât trà cho cha, danh châc ôc ra kiép chét da da[165]. »




LVI

LE BONZE MÉTAMORPHOSÉ
EN POT A CHAUX[166].



Un individu qui n’avait pas de famille s’était fait voleur. Il avait bâti une maison où il donna asile à un couple de mendiants. Un jour que ces deux mendiants avaient mendié tout le jour sans rien recevoir, le mari dit à la femme : « Nous n’avons rien gagné aujourd’hui ; je vais aller voler des patates pour ne pas mourir de faim. » La femme lui répondit : « Nous sommes déjà des mendiants, si tu vas voler que deviendrons-nous ? Parce que nous nous sommes mal conduits dans une existence antérieure, nous sommes réduits à cette condition, si nous volons maintenant qui sait quel sera notre châtiment ? Non ! mourons de faim s’il le faut, mais ne volons pas ! »

Le voleur entendit le discours de ces deux mendiants ; il se repentit aussitôt, abandonna son métier et se retira dans une pagode pour faire pénitence. Le supérieur, le voyant ignorant et incapable de psalmodier les hymnes, le chargea de l’entretien du feu ; il ne devait pas le laisser éteindre, car la pagode était isolée et l’on n’avait pas de voisins à qui en demander.

Il obéit au supérieur et s’acquitta de son emploi avec une grande exactitude. Mais une nuit, un mauvais bonze voulant lui faire du tort éteignit le feu. Quand le gardien du feu se réveilla et le trouva éteint et s’empressa de courir au village voisin pour en demander. Mais au milieu du chemin il rencontra un tigre qui lui barrait le passage. Le bonze dit au tigre : « Dévorez-moi, j’y consens ; mais laissez-moi auparavant aller chercher du feu pour la pagode ; je reviendrai ensuite ici pour que vous me mangiez. » Le tigre consentit à cette proposition, et le bonze, après avoir rapporté le feu à la pagode, prévint le supérieur et alla se rendre au tigre. Celui-ci lui dit : « Je suis vieux, j’ai perdu toutes mes dents, tes os seraient trop durs pour moi ; monte sur un arbre et laisse-toi tomber, afin de te briser les os. » Le bonze lui obéit. Mais le Ciel et le Bouddha eurent pitié de l’héroïsme de ce bonze ; son corps fut arrêté au passage ; il disparut et fut transformé en Bouddha.

Le mauvais bonze, voyant que par cette voie son camarade était parvenu au degré suprême, alla demander au supérieur de la pagode de lui confier l’emploi de gardien du feu. Une nuit il fit semblant de s’oublier et le laissa s’éteindre ; il courut alors au village pour chercher du feu, rencontra le tigre sur le chemin, lui fit la même demande que l’autre bonze et, comme lui, revint se faire manger par le tigre. Mais quand il se fut laissé tomber de l’arbre rien ne l’arrêta en chemin ; il se cassa les os et fut métamorphosé en pot à chaux. Le tigre repu disparut.

Ainsi parce que son cœur (littéralement : son ventre) avait été méchant, il fut transformé en un pot à chaux, afin qu’on lui fouillât toujours le ventre[167].




LVII

LE ROI HEO.



Il y avait un orphelin dont le nom de famille était Heo (porc). Il descendit de la forêt pour chercher un asile, et se loua chez un mandarin. Un jour son maître lui dit de lui laver les jambes et de prendre bien garde de lui égratigner trois signes rouges[168] qu’il avait aux jambes. Si cela lui arrivait il ferait périr toute sa famille[169]. Le jeune garçon lui répondit : « Si vous avez trois signes rouges, moi j’en ai neuf ; je vaux bien mieux que vous. » Le maître se prit à réfléchir et se dit : « S’il a neuf signes rouges, il est certainement destiné à devenir roi ; il faut le faire périr. »

Le maître ordonna alors à une servante de préparer du poison pour empoisonner le jeune garçon, mais la servante eut pitié de lui et, tout en faisant semblant de s’adresser à ses porcs, elle cria : « Porc ! Ô porc ! si tu manges tu mourras, si tu ne manges pas tu mourras aussi. »

Le jeune garçon comprit bien que par ces paroles la servante faisait allusion à quelque chose qui le touchait, mais il eut beau la presser elle ne voulait rien dévoiler. Enfin elle lui dit : « Si vous voulez me promettre de me prendre pour femme quand vous serez roi, je vous dirai tout. » Heo le lui promit : « quand je serai roi, dit-il, viens à moi les cheveux tombant sur les épaules pour que je te reconnaisse à ce signe, et je te prendrai pour femme. » Là-dessus il prit la fuite et alla s’engager ailleurs ; mais là, en jouant avec l’enfant de la maison il le poussa, l’autre tomba et se tua.

Heo eut peur et s’enfuit dans une pagode où on lui donna pour emploi de laver la statue du Bouddha. Quand il la lavait il ordonnait à la statue de lever le bras, et le Bouddha le levait ; de lever la jambe, et le Bouddha obéissait[170]. Un jour il oublia de lui dire de baisser le bras qu’il avait levé, et il remit sur l’autel son Bouddha avec un bras en l’air. Quand le supérieur vint faire ses dévotions il fut surpris de trouver le Bouddha dans cette attitude et en demanda la raison à Heo. « C’est que lorsque je l’ai eu lavé, lui répondit celui-ci, j’ai oublié de lui ordonner de baisser le bras. » Le bonze comprit que ce garçon là était un roi et que c’était pour cela que le Bouddha le redoutait (et lui obéissait). Il alla donc vite prévenir les autorités pour que l’on put s’emparer de lui et le faire périr, mais Heo s’enfuit à temps.

Il s’engagea comme jardinier. Chaque soir il arrosait les arbres. Un jour, voyant tous les aréquiers de même taille, il les montra du doigt en disant : « Celui-ci est le père, celui-ci le fils, celui-ci le petit fils. » Immédiatement tous les aréquiers se dépareillèrent, devenant l’un plus grand, l’autre plus petit. Quand le maître vint voir son jardin il trouva ses aréquiers inégaux et dit à Heo : « L’autre jour ils étaient tous d’égale hauteur, comment se fait-il qu’ils ne le soient plus. » Heo lui répondit : « C’est que je leur ai ordonné d’être l’un grand, l’autre petit, » Le maître voulait qu’il les remit dans leur premier état, mais il s’y refusa en disant : « Le sage ne mange que dans une écuelle et n’a qu’une parole ; je ne rétracterai pas ce que j’ai dit[171]. »

Le maître du jardin voulait le battre, mais il se sauva et alla coucher dans une maison. La maison était pleine et il ne trouvait pas de place pour dormir. Dans cette maison l’on honorait un génie placé sur une table. Il jeta le génie par terre et se coucha sur la table. Pendant la nuit il se réveilla et partit. Le matin venu, les gens de la maison virent le génie par terre ; ils essayèrent de le relever, mais il ne voulait pas quitter la place. Il leur dit par le ministère d’un inspiré : « J’habite la terre du roi, le roi m’a mis là, j’y reste. » Les gens de la maison comprirent alors que celui qui avait couché là cette nuit était un roi (prédestiné).

Par la suite Heo se révolta et devint roi. Sa femme courut à lui les cheveux tombants, et il la reconnut pour son épouse.




LVIII

L’HOMME AUX TRENTE SOUS.



Autrefois, vivait un homme dont la destinée était d’avoir trente sous[172] et jamais plus.

Un jour, le roi avait pris un déguisement et parcourait le pays pour s’instruire des sentiments de ses sujets ; il entra dans la maison de cet homme pour y passer la nuit. L’homme voyant un hôte de bonne apparence le reçut avec joie, lui offrit du riz, du thé et le traita à merveille. Le roi s’étonna de se voir si bien reçu dans la maison d’un pauvre et lui demanda pourquoi il dépensait ainsi tout ce qu’il avait.

L’homme lui répondit : « Je vais vous expliquer la chose. J’ai toujours fait le métier de journalier. Quelque travail que je tasse l’on me donne toujours trente sous pour ma journée, ni moins ni plus. Si j’épargne quelque chose, le lendemain on ne me fait pas travailler ; quand j’ai tout dépensé, au contraire, j’ai toujours de l’ouvrage. J’ai donc compris que mon destin était d’avoir cette somme, et chaque jour je dépense ce que j’ai gagné pour aller en gagner autant le lendemain. »

Le roi lui répondit : « À l’inspection de vos traits, je vois que vous deviendrez très riche. Écoutez ce que je vais vous dire. Le quinze du huitième mois, qui est le jour de la mi-automne, faites des mannequins avec de l’herbe et allez les mettre en vente devant la porte méridionale du palais. Si quelqu’un veut les acheter demandez-lui-en tout ce que vous voudrez, il vous le donnera ; vous serez donc aussi riche qu’il vous plaira. »

Quand il fit jour, le roi s’en alla et il ordonna à ses aides lorsque ce jour-là ils verraient venir le marchand de mannequins de l’amener devant lui. Au terme fixé le pauvre diable alla partout pour vendre ses deux mannequins sans trouver personne qui voulut les acheter. Pressé par la faim et las de porter ce fardeau, il le déposa à midi devant la porte du palais, et s’arrêta pour se reposer. Aussitôt les hommes de garde s’emparèrent de lui et le menèrent devant le roi. Épouvanté de la majesté du lieu il se mit à trembler, et, quand un mandarin lui demanda (par ordre du roi) combien il voulait de ses mannequins, il hésita quelque temps et enfin en demanda trente sous.

Le roi les lui fit payer et, lorsqu’il fut sorti, raconta son histoire à l’assistance et prouva, par cet exemple, que les destins de l’homme sont écrits, et qu’aucune force humaine n’y peut rien changer.




LIX

LA FORTUNE D’UN PARESSEUX.



Un paresseux était couché sur un radeau, un poisson sauta sur le radeau. Le paresseux le prit, lui enleva les écailles avec ses ongles et, ne voulant pas prendre la peine de se lever pour le laver à grande eau, le lava dans son urine ; il le jeta ensuite sur le radeau pour qu’il séchât.

Un corbeau emporta ce poisson sec dans le jardin de la fille du roi. À ce moment la princesse était à se promener dans le jardin avec ses suivantes, celles-ci lui apportèrent ce poisson et la princesse leur ordonna de le faire cuire et le mangea.

Après avoir mangé ce poisson la princesse devint enceinte. Le roi lui demanda comment cela lui était arrivé ; elle répondit : « Comme j’étais à me promener dans le jardin avec mes suivantes, je vis un poisson sec jeté par terre, j’ordonnai aux suivantes de me le faire cuire, et après l’avoir mangé, je ne sais par quel miracle je me trouvai enceinte. »

Le roi fit enfermer la princesse en prison, et elle donna le jour à un garçon. Le roi appela tous les hommes du royaume à se montrer pour choisir un mari à sa fille[173]. Le paresseux fit flotter son radeau jusque devant le palais. Le fils qu’avait mis au monde la princesse le vit du haut du palais et aussitôt ouvrit la bouche pour l’appeler son père. Le roi fit mander l’homme en sa présence et lui donna sa fille. Telle devait être l’heureuse fortune de ce paresseux.




LX

L’EMPEREUR CÉLESTE ET LE PAUVRE.



Il y avait un homme dont la famille était pauvre depuis trois générations, il était misérable comme l’avaient été son père et son aïeul. Cet homme se dit : « Le proverbe affirme que personne n’appartient à trois familles riches et qu’aucune famille n’est pauvre pendant trois générations[174], comment se fait-il que je fasse exception ? » Il avait entendu dire que l’Empereur céleste résidait dans une île, il résolut de s’y rendre pour lui demander l’explication de sa destinée.

Il partit donc ; mais au bout d’un peu de temps les provisions lui manquèrent, il entra dans la maison d’un homme riche pour demander à manger. L’homme riche lui demanda où il allait et, ayant appris quelle était son intention[175], et la pénurie dans laquelle il se trouvait, il lui dit : « Je vous donnerai de l’argent, mais vous interrogerez l’Empereur céleste sur une affaire qui me concerne. Je suis riche, j’ai toujours fait de bonnes œuvres, et cependant je n’ai pas eu de fils ; je n’ai qu’une fille qui est muette depuis sa naissance, je vous prie de demander quelle est la cause de ce malheur. »

Le maître de la maison donna ensuite une provision d’argent au pauvre qui se remit en chemin. Il se passa un temps assez long ; il n’était pas encore arrivé à l’île, et ses ressources étaient épuisées. Il entra chez un autre homme riche pour lui demander du secours. Celui-ci avait un jardin planté depuis trente ans, dont tous les arbres étaient grands et beaux, mais ne produisaient pas de fruits. Il pourvut le pauvre de ce qui lui était nécessaire, et le chargea de demander l’explication de ce phénomène.

Le pauvre reprit sa route et arriva enfin sur le bord de la mer. Il n’avait aucun moyen de passer dans l’île, et restait sur le rivage à se plaindre. Un ba ba[176] sortit de l’eau et lui demanda : « Où voulez-vous aller ? » Le voyageur lui raconta son histoire et lui fit connaître l’embarras où il se trouvait. Le ba ba lui dit : « Je vais vais passer dans l’île, mais vous demanderez pour moi une explication. Voilà mille ans que je fais pénitence, et je reste toujours ce que je suis sans changer d’être. » Le pauvre consentit à ce qui lui était demandé ; il monta sur le dos du ba ba et celui-ci le porta dans l’île.

Le pauvre se prosterna devant l’Empereur céleste et lui dit : « Je suis arrivé ici grâce à un ba ba qui m’a porté et sans lequel je n’aurais pu parvenir jusqu’à vous. Il m’a chargé de vous demander pourquoi, après mille ans de pénitence, il ne changeait pas d’être et restait toujours un ba ba. » L’Empereur céleste répondit : « Ce ba ba a une pierre précieuse, tant qu’il ne la donnera pas à un autre il ne changera pas d’être et restera un ba ba. »

Le pauvre dit ensuite à l’Empereur céleste : « Il y a un homme riche qui a fait de bonnes œuvres, comment se fait-il qu’il n’ait pas de fils, et que sa fille soit muette depuis sa naissance. » L’Empereur lui répondit : « La destinée de cette fille est d’épouser un trang nguyén ; quand elle verra le visage de celui qui doit être son mari elle recouvrera la parole. »

Notre homme s’informa ensuite de la cause qui stérilisait les arbres du jardin de l’autre homme riche. L’Empereur lui dit :

« Dans ce jardin il y a beaucoup d’or et d’argent enfouis, quand on l’aura enlevé les arbres produiront des fruits. »

Satisfait sur tous ces points, le pauvre voulait en venir enfin à la question qui lui était personnelle, mais l’Empereur se mit en colère. « Je suis venu, dit-il, habiter un lieu désert pour y vivre à mon plaisir, et les hommes viennent m’y ennuyer encore ! » Il remonta au ciel, et le voyageur se trouva avoir une réponse à toutes les questions, sauf à celle qui l’intéressait lui-même. Il pensa que c’était là un effet de sa destinée et s’en retourna.

Le ba ba sortit de la mer, et lui demanda s’il avait réussi dans sa mission. L’autre lui fit connaître ce qui lui était arrivé et la réponse que l’Empereur céleste avait faite à sa question. Le ba ba réfléchit que nul ne connaissait l’existence de cette pierre précieuse ; il eut donc foi aux paroles du pauvre, cracha la pierre précieuse et la lui donna pour le récompenser de ses services ; il fut aussitôt changé en homme, et ils se séparèrent.

Arrivé à la maison du vieillard qui avait un jardin stérile, le voyageur rendit compte de sa mission. On fit aussitôt des fouilles dans le jardin et l’on trouva des trésors. Le propriétaire voulut les lui abandonner, mais il ne consentit à en prendre que la moitié. Devenu riche, il se livra à l’étude, et au bout de quelques années passa ses examens et reçut le titre de trang nguyèn. Le roi lui permit de faire son retour solennel dans son pays. Comme il passait avec sa suite devant la maison du premier homme riche, il y entra pour lui rendre compte de la commission dont il l’avait chargé autrefois. À peine avait-il fait connaître les paroles de l’Empereur céleste que la fille de la maison recouvra la parole. L’homme riche dit que le Ciel avait manifesté sa volonté et la lui donna pour femme.




LXI

PROTECTION DES GÉNIES.



Il y avait une jeune fille très jolie qui, à l’âge de dix-sept ou dix-huit ans, n’avait pas encore pris de mari. Chaque jour elle allait à la chapelle du génie du lieu lui faire une offrande de bâtonnets odoriférants et lui demander de lui donner un mandarin pour mari.

Un jour un marchand de bâtonnets, nommé Mông, entendit sa prière en passant par là. Le lendemain il se cacha dans la chapelle, et quand la jeune fille vint faire son offrande il lui cria comme s’il était le génie : « Ton destin est d’épouser Mông le marchand de bâtonnets qui, un jour, deviendra roi. » La jeune fille répondit : « Seigneur, ce Mông est misérable et vil ; il ne me convient nullement. » — « C’est ce que j’ai décidé pour toi, lui répondit l’autre. Si tu ne m’obéis pas, je vais dire à mes serviteurs[177] de t’arracher les yeux ; tu pourras ensuite faire la difficile. »

La jeune fille fut effrayée ; elle consentit à prendre Mông pour mari, et quitta la chapelle pour aller le chercher. Quand elle l’eut rencontré, elle lui conta ce qui lui était arrivé. Mông fit d’abord quelque résistance, mais, vaincu par les supplications de la jeune fille, il finit par consentir et l’enferma dans sa manne à bâtonnets pour la porter chez lui.

À mi-chemin il rencontra le fils du roi qui allait à la chasse au tigre. Mông eut peur, il jeta là son fardeau et se sauva dans les broussailles. Le fils du roi ouvrit la manne et y vit cette jolie fille. Quand elle lui eut raconté son histoire, il l’emmena pour en faire sa femme, et fit mettre dans la manne un tigre qu’il avait capturé.

Mông, n’entendant plus personne, sortit de ses broussailles, reprit la manne sur le dos et arriva dans sa maison. Une fois là, il dit à sa mère de faire cuire quelque chose pour faire le sacrifice aux ancêtres et leur annoncer son mariage. Mais, quand il ouvrit la manne, il n’y avait plus de femme, il n’y avait qu’un tigre qui lui sauta dessus et lui rompit le cou.




LXII

LE PAUVRE QUI PORTE PLAINTE
CONTRE L’EMPEREUR CÉLESTE.



Deux enfants, portant le même nom de famille, naquirent dans le même village à la même heure du même jour de la même année. Leurs parents disaient que riches ou pauvres leur sort serait nécessairement pareil[178]. L’un cependant devint très riche, tandis que l’autre resta pauvre.

Outré de cette injustice du Ciel et des reproches que lui faisaient ses parents, ce dernier se résolut à aller se plaindre à l’Empereur céleste. Il marcha quatre-vingt-dix jours sans pouvoir arriver au séjour de l’Empereur céleste. Il se trouvait sur une montagne où il était incommodé des moustiques. Il coupa des arbres pour les brûler, afin d’écarter les moustiques à l’aide de la fumée.

Il se trouva que les arbres étaient des tram huong et des ky nam, de sorte que leur parfum monta jusqu’à l’Empereur céleste. Celui-ci envoya l’ông dia pour voir ce qu’il y avait là. L’ông dia rencontra notre homme et lui demanda pourquoi il brûlait des parfums, et s’il voulait faire pénitence. « Non, dit l’autre, je vais me plaindre à l’Empereur céleste de son injustice. Pourquoi mon camarade est-il riche, tandis que je reste pauvre ? » — « Calme-toi, lui dit l’ông dia ; je vais aller rapporter la chose à l’Empereur céleste et lui demander de t’accorder cent ans de vie. — Je ne veux pas de cent ans de vie si je dois rester pauvre, je préfère ne vivre que trente ans et être riche. — Bien ! dit l’ong dia ; je vais demander pour toi la richesse. — Laissez-moi vous suivre pour que je présente moi-même ma plainte à l’Empeur céleste, lui répondit l’homme ; vous me tromperiez, et quand vous seriez parti, comment trouverais-je mon chemin ? »

L’ong dia se mit en colère et lui dit : « Ton destin est d’être pauvre ; il en a été décidé ainsi par l’Empereur céleste ; je le prierai de te rendre encore plus pauvre. » Mais, à cette menace, l’homme l’empoigna par les cheveux et se mit à le battre. L’ong dia ne sut comment se débarrasser, et force lui fut de laisser son corps aux mains de l’homme et de se rendre en esprit auprès de l’Empereur céleste à qui il rendit compte de ce qui arrivait.

L’Empereur accorda la richesse à l’homme, et l’ong dia descendit pour l’en avertir, mais il refusait de le croire. L’ong dia lui dit : « Je vais me mordre un doigt et, avec mon sang, t’écrire une promesse que tu garderas. Si je t’ai trompé tu la brûleras pour te plaindre de moi à l’Empereur céleste. »

L’homme le crut, s’en retourna chez lui, et devint très riche. Arrivé à l’âge de vingt-neuf ans, il se souvint qu’il n’avait plus qu’un an à vivre. Il se mit donc à distribuer toutes ses richesses en aumônes. Au terme fixé il mourut. Mais ceux à qui il avait fait du bien prièrent tellement qu’ils touchèrent Ngoc hoang. Il lui laissa cent ans de vie et de fortune.




LXIII

DETTES POSTHUMES.



I


Un homme avait trois garçons : l’aîné était joueur, il dépensait tout ce qu’avait son père, sans que celui-ci lui dit jamais rien ; le cadet, au contraire, était économe, épargnait tant qu’il pouvait, ne dépensait rien ; le dernier, enfin, ne faisait autre chose que manger, et quand il avait mangé se couchait.

Les trois garçons moururent le même jour. Le père fut désolé de cette perte et, après l’enterrement, fit faire par un sorcier la cérémonie danh thiêp[179], afin de pouvoir descendre aux enfers chercher ses enfants.

Aux enfers le père rencontra ses trois fils qui se promenaient à cheval. Il fut tout joyeux et les appela, mais les deux aînés passèrent sans même le regarder, le dernier seul arrêta son cheval. Le père courut à lui, l’embrassa et lui dit en pleurant : « Comment avez-vous été assez ingrats envers votre père pour le quitter ainsi ? J’ai fait faire par un sorcier la cérémonie danh thiêp pour venir vous chercher ici. » L’autre lui répondit : « Nous ne sommes pas vos fils. L’aîné était votre créancier, en jouant il dépensait vos biens, et vous ne lui disiez rien ; le cadet au contraire était votre débiteur, c’est pourquoi il économisait afin de vous payer ce qu’il vous devait ; quant à moi, je n’étais pas davantage votre fils, j’étais leur témoin. Quand l’un a eu repris sur vous ce qui lui appartenait, que l’autre vous a eu payé ce qu’il vous devait, et que moi, témoin, j’ai vu que la balance était juste, nous sommes partis. » Le proverbe dit : Les enfants sont nos dettes, les femmes notre punition[180].


II


Il y avait un homme qui avait de quoi vivre et n’avait aucune dette. Il eut un fils qui, jusqu’à l’âge de sept ans, fut constamment malade ; quelque dépense que l’on fît pour le guérir, aucun remède n’avait d’effet. Le père disait toujours que c’était un créancier et n’avait pour lui aucune affection ; la mère seule dans la maison aimait cet enfant.

Un jour le père lui dit : « Enfin ! combien te dois-je encore ? » L’enfant lui répondit tout de suite : « Vingt-trois ligatures », et là-dessus il tomba à la renverse et il se trouva qu’il était mort.

La mère pleura beaucoup ; elle acheta un cercueil et des effets pour l’ensevelir. Quand il fut enterré, le mari fit le compte de ce que l’on avait dépensé pour l’enterrement, et la somme montait juste à vingt-trois ligatures.

Le mari dit à sa femme qu’il était évident que ce n’était pas un fils, mais un créancier, alors pourquoi le pleurer. La femme en tomba d’accord et se consola.

(1) Con là no, vo là oan gia. On ajoute aussi cûa nhà là nghiep bao. Les biens sont la vengeance, c’est-à-dire que la femme punit le mari des actes coupables qu’il a commis dans une autre vie, les biens sont une cause de soucis ; les actions de la vie présente qui deviennent un lien pour les existences à venir jouent un assez grand rôle dans les idées des Annamites. Voir notamment le vers 75 du Kim Van Kiéu truyên.




LXIV

VENGEANCE POSTHUME.



Autrefois vivait dans la province de Phu’oc kièn un homme riche nommé Trân, qui n’avait pas d’enfants. Il était d’un naturel cruel, allait à la chasse et prenait le poisson et les crevettes en empoisonnant les eaux. Dans le pays qu’il habitait il y avait au confluent de deux rivières une énorme anguille. Notre homme voulait la prendre pour la manger. Ses voisins le détournèrent de ce dessein, mais au bout d’un ou deux ans il résolut de la pêcher et prépara le poison.

Comme il partait, il rencontra un bonze qui lui demanda où il allait. Il répondit qu’il allait à la rivière pêcher l’anguille. Le bonze essaya par tous les moyens de le détourner de ce dessein ; mais, voyant qu’il ne pouvait vaincre sa résolution, il lui dit : « C’est assez ! puisque vous ne voulez pas faire le bien et épargner la vie de cette créature qui ne fait de mal à personne, faites-moi donner à manger et je partirai. »

Le maître de la maison ordonna de faire manger au bonze des aliments rituels[181]. Le bonze partit ensuite, et le maître de la maison alla à la rivière et jeta du poison à l’anguille. L’anguille vint morte à la surface de l’eau et il l’emporta chez lui pour la manger. Quand on l’ouvrit on lui trouva dans le ventre les aliments rituels et l’on comprit que c’était cette anguille qui s’était manifestée sous la figure du bonze.

Quand notre homme eut mangé la chair de cette anguille sa femme devint enceinte ; ils eurent un fils qu’ils aimaient comme l’or et le diamant. Dès son enfance, quels que fussent ses désirs, on les accomplissait. Quand il fut devenu grand on le maria, mais il se mit à jouer, à se griser, et fit si bien qu’il dépensa tous les biens de la maison. Quand ils eurent été réduits à la misère, son père et sa mère moururent en même temps. Le fils dit : « Quand on a fait le mal, on vous le rend[182] », et il disparut, laissant au village le soin de les enterrer.

Cet enfant était certainement l’anguille qui s’était incarnée en lui pour se venger de son meurtrier[183].




LXV

LA RECONNAISSANCE
DE L’ÉTUDIANT MORT.



Deux étudiants s’étaient intimement liés. Ils étaient pauvres et n’avaient pas de quoi manger tous les jours, cependant ils continuèrent à travailler ensemble, et lorsque vint le moment des concours, se présentèrent en même temps. Par malheur l’un d’eux mourut dans l’enceinte même du concours ; l’autre fut très affligé et abandonna son examen pour aller enterrer son ami. Ensuite il demeura trois ans auprès du tombeau.

Quand les concours furent ouverts de nouveau, il prit congé de son ami mort pour s’y rendre. Une fois à l’œuvre son visage s’empourpra[184] et sa main se mit à écrire sans se reposer, tandis qu’il murmurait continuellement des paroles, au grand étonnement de ses voisins. Revenu à son logement, notre étudiant vit en rêve son ami qui lui dit : « Vous m’avez aimé, vous avez veillé à mes funérailles et vous avez gardé trois ans mon tombeau. Je ne savais que faire pour vous récompenser, c’est pourquoi je vous ai soufflé quelques mots pour vous faire recevoir. »

Le dormeur se réveilla et fut tout joyeux de son rêve. Il fut reçu avec le titre de trang nguyên. En revenant triomphalement dans sa patrie il s’arrêta au tombeau de son ami et y bâtit une chapelle. Il venait souvent le voir dans cette chapelle ; l’âme de son ami se manifestait et ils conversaient ensemble, sans cependant qu’il vit aucune forme. Souvent ceux qui passaient près du tombeau furent étonnés d’entendre ainsi deux voix qui se parlaient, tandis qu’ils n’y voyaient qu’un homme. Le roi apprit ce prodige et fit venir le trang nguyèn pour lui demander des explications. Quand celui-ci les lui eut données, il le loua de sa fidélité à l’amitié, vanta la puissance surnaturelle du mort et lui décerna des titres.

L’ami mort avait laissé une fille, le trang nguyèn avait un garçon. Quand le trang nguyèn mourut il rencontra son ami aux Enfers et ils résolurent d’unir leurs enfants. Ils leur apparurent donc en rêve et leur ordonnèrent de se marier ensemble. Ceux-ci obéirent au vœu de leurs parents.

Par la suite l’on entendit souvent des voix dans cette chapelle sans que l’on vit ceux qui parlaient. L’on allait y demander l’accomplissement de ses vœux et l’on était toujours exaucé.




LXVI

LE LANGAGE DES ANIMAUX.



Un homme riche allait chaque jour se promener dans le chemin. Une fois il vit deux serpents dans leur trou, la femelle changeait de peau et le mâle allait chercher de la nourriture pour elle. Une autre fois c’était le mâle qui changeait de peau ; mais la femelle, au lieu de rester à le soigner, allait courir avec ses galants. L’homme, indigné de sa conduite, lui tira une flèche et la tua. La flèche resta dans le corps.

Au bout de quelques temps, le mâle ne voyant pas revenir sa femelle rampa hors de son trou. Il la trouva morte avec la flèche au travers du corps. Il reconnut la flèche et résolut de venger la mort de sa femelle sur son meurtrier. Il entra donc dans la maison de l’homme et, caché dans une gouttière, attendit une occasion favorable pour le mordre.

Par bonheur l’homme dit à sa femme : « Les mœurs des animaux me font rire. » Sa femme lui demanda pour quelle raison. « L’autre jour, dit le mari, je passais dans le chemin ; un serpent mâle était dans son trou à changer de peau, pendant ce temps sa femelle montait au bord du trou pour recevoir les galants. Voilà comment sont les animaux et comment sont aussi les hommes. »

Le serpent, couché dans la goutière, entendit ces paroles et vit que l’homme avait puni avec justice sa femelle ; il s’en alla donc sans lui faire de mal et un autre jour vint porter dans son lit sa pierre précieuse en signe de reconnaissance.

Une fois en possession de cette pierre[185], l’homme comprit le langage des oiseaux, des fourmis, de toutes les espèces d’animaux. Il n’osa pas dire à sa femme qu’il possédait ceue pierre ; s’il l’avait fait la pierre se serait évanouie. Un jour la femme allant s’accroupir dans un coin, le mari entendit les fourmis se dire : « Voilà une inondation, cherchons une hauteur pour nous mettre en sûreté » Il se mit à rire. Sa femme voulut en savoir la raison, mais il refusa constamment de la lui dire. La femme fut tellement vexée qu’elle en mourut.

Le mari fut très affligé de la mort de sa femme ; il alla chez un de ses amis pour se distraire un peu. Cet ami le reçut avec joie, il dit à sa femme : « Nous avons cinq oies, un mâle, une femelle et trois petits ; demain il faudra faire cuire la femelle pour fêter notre hôte. » L’oie entendit ces paroles ; elle dit en gémissant à son mâle : « Demain il me va falloir mourir ; toi, reste pour avoir soin de nos petits. » L’homme avait compris ce que l’oie avait dit à son mâle ; il fut ému de pitié et dit à son ami : « Entre nous il n’y a pas besoin de faire de cérémonie, je mangerai ce qu’il y aura, mais ne tuez rien pour moi, sans cela je pars tout de suite et je ne serai plus jamais votre ami. » L’ami obéit et la vie de l’oie fut sauvée.

Elle en fut toute joyeuse et ne savait comment faire pour témoigner sa gratitude. Peu de temps après son bienfaiteur mourut, les oies portèrent son deuil, et c’est depuis ce temps-là qu’elles ont une crête blanche.




LXVII

LE PAUVRE PÊCHEUR.



Un pauvre diable perdit sa femme et resta plongé dans la misère. Il alla mendier, et ne reçut pas de quoi manger ; il alla travailler, et ne gagna en une journée que trente sapèques. Avec ces trente sapèques il acheta des crevettes pour faire des appâts, et alla pêcher au bord de l’eau. Il pécha longtemps sans rien prendre, enfin quelque chose mordit, il leva la ligne et trouva un serpent pris à l’hameçon. Il le lâcha et amorça de nouveau, le serpent vint se faire prendre une seconde fois. « Oh ! lui dit l’homme, je suis pauvre, je n’ai eu que trente sapèques pour acheter des appâts, et tu viens me les manger ; je te fais grâce encore cette fois, mais si tu y reviens gare à toi. »

Il amorça de nouveau sa ligne, et le serpent vint s’y prendre une troisième fois. Il le porta pour le tuer près d’une chapelle dédiée à la dame qui ouvre les bouches[186]. La dame délia la langue du serpent qui dit aussitôt à l’homme : « Ne me tue pas. Je suis le fils du roi des enfers, j’ai été exilé et j’ai revêtu une peau de serpent pour vivre sur la terre. Emporte-moi chez toi, et plus tard je te récompenserai. Je voulais vivre avec toi, c’est pour cela que je me prenais toujours à ta ligne. » L’homme emporta le serpent et à partir de ce moment ses affaires prospérèrent. Il continua le métier de pêcheur.

Un jour le serpent le prévint que dans trois jours il y aurait une grande inondation, et qu’il eut à préparer un radeau pour échapper à la mort. Le radeau qui portait l’homme flotta en effet sur les eaux. Ils rencontrèrent une fourmillière qui flottait, l’homme lu laissait aller, mais le serpent lui dit de la repêcher, et l’homme lui obéit. Ils rencontrèrent ensuite des rats, l’homme les laissait passer, mais le serpent lui dit de les repêcher ; l’homme résistait disant : « Ce sont des rats, pourquoi les tirer de l’eau », mais le serpent insista, et l’homme obéit. Ce fut ensuite le tour d’un python. Enfin ils rencontrèrent un homme. L’homme voulut repêcher cet individu, le serpent s’y opposa, mais l’autre ne l’écouta pas et lui dit : « Sauver un homme vivant, cela vaut un millier d’enfers,[187] » Il tira l’homme de l’eau et, au bout de trois jours, les eaux ayant baissé, il lâcha les fourmis, les rats et le python et dit au serpent et à l’homme qu’il avait sauvé : « Nous allons bâtir une maison pour demeurer ensemble. »

Le serpent dit à son ami : « Le terme de mon exil est arrivé, je vais rentrer dans les domaines de mon père. Suis-moi pour que mon père te récompense. S’il te demande ce que tu veux, prie-le de te donner sa lyre. C’est une lyre qu’il a rapportée du palais de l’Empereur céleste. Quand il se produit une révolte, le son de cette lyre met tous les rebelles en fuite. Le pêcheur obéit au serpent, il le suivit dans le royaume de son père, et le roi des enfers lui ayant demandé ce qu’il voulait pour sa récompense, il le pria de lui donner sa lyre. Le roi la lui donna. Ensuite notre homme revint dans sa maison.

Il vivait avec l’homme qu’il avait sauvé comme avec un frère. Pendant qu’il allait au travail il le laissait garder la maison, lui disant seulement de ne pas entrer dans le grenier à paddy. L’autre se douta de quelque chose. Un jour que son sauveur était absent il fouilla dans le grenier et trouva la lyre, avec cette inscription : Lyre qui met en fuite l’ennemi. Il la prit et s’enfuit.

À cette époque de grandes rébellions agitaient tout l’empire. Au moyen de sa lyre notre homme obligea les dix-huit royaumes feudataires à se soumettre. L’Empereur le fit son généralissime et voulut lui donner sa fille en mariage. Mais la princesse n’y consentit pas et devint muette. L’Empereur dit au général de chercher les remèdes nécessaires pour guérir sa fille et qu’ensuite il ferait le mariage.

Le général fut très affligé. Un jour qu’il se promenait, le pêcheur le rencontra et reconnut en lui l’homme qu’il avait sauvé et qui lui avait volé la lyre du roi des enfers. Il la lui réclama, mais l’autre le fit saisir et ordonna de le décapiter. Sur les représentations de ses officiers il le fit enfermer dans une cage de fer d’où on le tirerait au bout de vingt jours pour le décapiter.

Quinze jours s’étaient déjà écoulés depuis que le pêcheur était enfermé, lorsque les fourmis entrèrent dans sa prison. Elles reconnurent celui qui les avait sauvées des flots et lui dirent : « Pourquoi es-tu ainsi dans le malheur ? » Le pêcheur entendait leur voix, mais ne savait d’où elle venait. Il s’écria donc : « Qui donc est là ? J’entends parler, et je ne vois personne. » Les fourmis lui répondirent : « Nous sommes les fourmis que tu as sauvées, et, te voyant en ce péril, nous venons à toi. » L’homme leur raconta son histoire, et les fourmis lui dirent : « Nous ne savons que faire à cela, mais nous allons chercher les rats, peut-être trouveront-ils quelque moyen de le sauver. »

Les fourmis allèrent chercher les rats ; ceux-ci vinrent et dirent : « Quoi ! notre sauveur est tombé dans le péril. Voici ce que nous allons faire : quelques-uns d’entre nous vont lui porter de quoi manger, tandis que les autres iront chercher le python pour voir s’il connaît un moyen de salut.

Les rats allèrent chercher le python pour lui conter ce qui se passait. Celui-ci, entendant les feuilles bruire autour de lui, se dressa pour saisir la proie qui lui arrivait, mais les rats, épouvantés, grimpèrent sur un arbre. Le python alors les reconnut et leur dit de descendre. Les autres hésitaient, disant que s’ils n’eussent pas été lestes ils auraient déjà été dévorés. Enfin un vieux rat dit : « C’est bon ! Je suis vieux, je vais descendre pour parler au python ; s’il me mange, le mal ne sera pas grand[188]. » Il descendit donc et fit connaître au python le péril dans lequel se trouvait leur sauveur.

Le python dit : « Prenez ma pierre précieuse et portez-la-lui. Qu’il la râpe et en fasse boire la poussière à la princesse, elle cessera d’être muette et lui d’être accusé. » Les rats rapportèrent la pierre précieuse au prisonnier, en lui donnant les instructions nécessaires.

Le pécheur appela ses gardes et leur demanda de le laisser sortir, parce qu’il avait le pouvoir de guérir la princesse. Les gardes refusèrent, mais leur chef vint au bruit ; il prit la pierre précieuse et alla en faire boire la poudre à la princesse qui recouvra aussitôt la parole. L’Empereur fut rempli de joie ; il voulait combler d’honneurs le chef des gardes, mais celui-ci dit que ce remède appartenait à un de ses prisonniers. La princesse dit : « C’est celui-là qui doit être mon mari et non l’autre. »

L’Empereur ordonna de délivrer le prisonnier. Celui-ci lui raconta toutes ses aventures. Le voleur eut beau dire que le chef des gardes s’était laissé suborner, on ne l’écouta pas, et l’Empereur voulait le faire décapiter ; mais le pêcheur demanda sa grâce. À peine fut-il sorti du lieu où il se trouvait, qu’il fut foudroyé par le Ciel. Quant au pêcheur, il épousa la fille du roi.

Si l’on fait du bien aux animaux, ils vous en récompensent, mais si l’on fait du bien aux hommes, ils vous nuisent.


LXVIII

LE MAUVAIS FRÈRE PUNI.



I


Il y avait deux frères orphelins qui demeurèrent quelques années ensemble. Au bout de ce temps, l’aîné se maria. Cédant aux instigations de sa femme[189], il demanda le partage des biens de la maison ; il dit à son frère : « De ce qu’ont laissé nos parents, tout ce qui est femelle sera pour moi, tout ce qui est mâle sera pour toi[190]. » Ils procédèrent ensuite au partage. Le cadet, voyant que tout était femelle et qu’il n’y avait rien pour lui, ne savait que dire ; tout à coup, il courut se saisir de la hache en disant : « Ce mâle-là est pour moi », et il se sauva.

Il alla dans la forêt faire du bois qu’il échangeait pour du riz. Un jour, qu’il prenait le frais couché sur un tronc d’arbre, vint à passer une bande de singes qui, le voyant ainsi étendu, le crurent mort et résolurent de l’enterrer. L’autre les entendait mais ne disait rien et faisait le mort pour voir ce qui arriverait.

« Hà ram hà rac[191], dirent les singes, enterrons-le dans le trou de l’argent, ne l’enterrons pas dans la fosse de l’or. — ram ha rac ! dit un con khi dôc[192], enterrons-le dans le trou de l’or et non dans la fosse de l’argent. » Les singes obéirent et portèrent l’homme au trou de l’or. Il attendit qu’ils fussent tous partis et se chargea d’or.

Il devint ainsi très riche et, quand vint l’anniversaire de la mort de ses parents, invita au festin son frère et ses voisins. Son frère lui demanda tout bas d’où lui venait une pareille fortune, et il lui dit la vérité.

Le frère aîné alla bien vite dans la forêt pour couper du bois et imita les actions de son cadet. Il vit aussi arriver la troupe de singes qui se conduisit avec lui comme avec son frère, mais quand ils dirent : Hà ram hà rac ! enterrons-le dans le trou de l’argent et non dans la fosse de l’or, il eut peur qu’on ne le portât au mauvais endroit et leur cria de ne pas le porter au trou de l’argent. Les singes furent effrayés, ils le lâchèrent et s’enfuirent. L’avaricieux tomba sur des rochers et se cassa la tête.


II


Un homme avait deux fils qui, une fois qu’ils furent d’âge, se marièrent. Peu après, leur père mourut. À peine était-il enterré, que l’aîné s’empara de tout ce qui avait une valeur, ne laissant à son frère que deux chiens et un morceau de mauvaise rizière[193].

Le frère cadet et sa femme avaient des sentiments élevés, ils ne disputèrent à l’aîné la possession d’aucun des biens de la famille et partirent avec leurs chiens pour cultiver la rizière. N’ayant pas de buffle, le frère cadet attela les chiens à la charrue et se mit à labourer.

Arrivé au pied de la montagne il vit une caverne entr’ouvrir dans les rochers sa gueule resplendissante d’or et de pierres précieuses[194]. Il glissa la main dans l’ouverture et y prit de l’or qu’il faisait passer à sa femme, de sorte qu’il devint puissamment riche.

Il fit un sacrifice pour rendre grâces au Ciel et à la Terre, aux Saints et aux Génies, et il invita au festin son frère aîné avec sa femme ainsi que les gens du village. Le frère aîné lui demanda tout bas ce qu’il avait fait pour devenir si riche et l’autre lui raconta la vérité. Il lui dit que, n’ayant pas de buffles, il avait attelé ses chiens, et que parvenu au bas de la montagne une caverne s’était mise à rire de ce spectacle et avait ouvert la gueule où il avait vu de l’or qu’il avait emporté.

Le frère aîné demanda alors à son cadet de lui prêter les chiens et la charrue pour aller à son tour tenter l’aventure. Le cadet y consentit, et l’aîné alla bien vite labourer à la montagne avec son attelage de chiens. À cette vue, la caverne se mit à rire et ouvrit une large gueule. Notre homme se précipita pour se saisir de l’or, mais dans sa hâte il heurta l’une des parois et la gueule se referma sur son bras qu’il ne put retirer.

Il resta donc prisonnier et se mit à se lamenter. Heureusement, vers le soir, sa femme vint à sa recherche. Le mari lui dit : « C’est fini ! je te vois pour la dernière fois. Je suis puni pour l’avidité que j’ai montrée dans le partage de nos biens avec mon frère. Mais, si tu m’aimes, laisse-toi voir encore une fois à moi[195] et je m’en irai content. »

À ces paroles, la caverne se prit à rire et ouvrit la gueule. Notre homme retira son bras et s’en alla avec sa femme.




LXIX

LA MAUVAISE SŒUR PUNIE[196].



Il y avait deux sœurs, dont l’aînée était riche et la cadette pauvre. Un jour celle-ci alla demander du riz à sa sœur, mais l’aînée refusa de lui en donner. La femme pauvre alla donc dans un champ glaner des patates. Un serpent entra dans son panier, elle lui fit cette prière : « Mes enfants et moi, nous souffrons de la faim, si vous vous donnez à nous comme nourriture restez couché dans le panier afin que je vous emporte à la maison pour vous faire cuire. »

Le serpent resta couché dans le panier de patates ; la femme le fit cuire et il fut transformé en un lingot d’or, La famille devint donc riche, l’on arrangea la maison et l’on invita la sœur aînée.

Celle-ci demanda à sa sœur d’où lui venait cette fortune nouvelle, et, ayant appris ce qui s’était passé, se rendit dans les champs et glana des patates comme une pauvresse. Un serpent entra dans son panier, elle lui fit la même demande que sa sœur et le rapporta dans sa maison. Mais le serpent se multiplia alors en une foule d’autres serpents qui remplirent toute la maison, et la méchante femme mourut de leurs morsures.




LXX

MADEMOISELLE UT.



Deux époux qui n’avaient pas d’enfants firent des prières au Ciel et au Bouddha pour en obtenir. La femme devint enceinte. Elle accoucha par le front d’une petite fille, toute petite, grande comme le doigt. On l’appela Nang Ût.[197].

Ses parents, voyant ce petit monstre, résolurent de l’abandonner dans la forêt. Son père l’y mena et lui dit : « Reste-là pendant que je vais couper du bois, tout à l’heure je reviendrai te prendre et je te ramènerai à la maison. » Le père partit et Ût resta couchée dans cet endroit.

Un corbeau qui avait mangé une pastèque rendit une graine à l’endroit où était couchée Ût. La graine germa et il poussa un pied de pastèques. Ût se cacha sous les feuilles et quand il y eut un fruit elle le conserva dans son sein pour le faire manger à son père qu’elle attendait toujours.

Le fils du roi était allé à la chasse, il vit cette pastèque, en mangea la chair et remit l’écorce en place[198]. Ût mangea l’écorce et devint enceinte. Elle donna le jour à un fils qu’elle coucha sur des feuilles de da. Le fils du roi, cependant, rentré dans son palais, était tourmenté du désir de revenir dans la forêt manger des pastèques.

Quand il y retourna il vit Ût qui berçait son enfant, montée sur les branches du da. Il prit la mère et l’enfant, les mit dans une pochette et les emporta. Le roi apprit par la renommée le mariage de son fils, il le fit venir pour l’interroger et se montra mécontent de ce qui était arrivé.

Le roi, cependant, fit une proclamation pour annoncer que toutes les filles du royaume devraient lui faire chacune une paire de vêtements sans pouvoir prendre mesure. Celle dont les vêtements lui iraient bien deviendrait sa bru. Ût seule réussit dans cette épreuve. Le roi alors en imposa une autre qui consistait à faire cuire un plat à son goût et la victoire appartint encore à Ût. Le roi ordonna de rassembler les filles du royaume, promettant la main de son fils à la plus belle, à celle qui aurait les plus longs cheveux, la peau la plus blanche.

Le fils du roi fut très affligé de cette résolution, car il ne pensait pas que sa femme pût aller affronter la comparaison. Ût le consola et lui dit de la laisser faire. Au milieu de la nuit elle éleva un autel en plein air, et demanda au Ciel de la rendre belle. Aussitôt un génie descendit du ciel lui donna une longue chevelure et un corps d’une beauté céleste. Le lendemain elle l’emporta sans peine sur toutes les beautés du pays et le roi la reçut avec joie pour sa bru.




LXXI

LE FILS À LA RECHERCHE
DE SA MÈRE.



Une jeune fille habitait une caverne dans la forêt, elle prit un mari et alla avec lui ; mais, quand ils eurent un fils, elle quitta son mari et son enfant et se retira dans les bois.

Lorsque l’enfant fut devenu grand, il demanda où était sa mère, et son père lui dit qu’il n’en savait rien. L’enfant alla alors consulter un devin. Celui-ci lui enseigna le chemin qu’il devait suivre pour trouver sa mère, mais il lui recommanda, si elle lui donnait des fruits, de ne pas les manger avant d’être rentré dans sa maison, et quand il les mangerait d’en jeter les noyaux derrière sa tête.

L’enfant négligea ces recommandations ; sa mère lui donna des fruits et il les mangea en revenant. Aussi le feu prit-il à la maison du devin qui l’avait renseigné. Celui-ci avait prévu cet événement, et avait dit aux personnes de sa famille de déménager tout ce qu’il y avait dans la maison parce qu’elle prendrait feu à la troisième veille de la nuit, mais elles n’avaient pas voulu le croire et avaient tout laissé en place.

L’enfant n’eut pas le soin non plus de jeter les noyaux derrière lui. Tous ces noyaux germèrent, et il poussa une forêt si épaisse que lorsqu’il voulut retrouver son chemin et ramener son père près de sa mère, il ne put jamais y parvenir.




LXXII

MAITRE BINH.



Autrefois vivait à Sadec un idiot nommé Binh. Il ne disait aucun mal et fréquentait les lieux où l’on faisait des fêtes funéraires ou des sacrifices, pour demander des vêtements de deuil. Quand les enfants étaient malades, dépérissaient, on s’adressait à lui, il les caressait et les enfants reprenant leurs forces revenaient à la santé.

Binh vivait depuis longtemps à Sadec, lorsqu’un homme de Mo cày, le phù Phong, fut nommé phù de Tân thanh. Sa mère l’avait suivi. Elle était d’une santé délicate, et, quelques remèdes qu’elle prît, elle ne pouvait se guérir complètement.

Un jour, sa maladie s’aggrava et elle mourut. Cependant il lui restait un peu de chaleur au creux de l’estomac, c’est pourquoi on ne l’ensevelit pas. Au bout d’une nuit, elle revint à la vie, et voici ce qu’elle raconta à son fils : « Des soldats du roi des enfers m’avaient saisie et m’emmenaient. J’étais déjà à moitié chemin, lorsque je rencontrai un jeune homme de seize à dix-sept ans, monté sur un cheval et suivi d’une nombreuse escorte. Il appela les soldats qui m’avaient saisie et leur dit : « Cette dame est la mère du phù du lieu que j’habite. Laissez-la aller, et ne la saisissez plus désormais. » Là-dessus, il leur ordonna de me ramener. Je voulais me prosterner devant lui, mais il ne me laissa pas faire et me chargea de vous dire qu’il était le fils du roi des enfers, et qu’il vivait à Sadec sous le nom de Binh. »

Le phù envoya chercher Binh, mais celui-ci continua à ne faire et ne dire que des folies ; il refusa l’argent et les vêtements que lui offrait le phù. Celui-ci dit : « Ce corps est celui de Binh, mais il est animé par l’âme du fils du roi des Enfers. » Il défendit de l’appeler à l’avenir le thàng Binh ; c’est pourquoi on lui donna dès lors le nom de maître Binh.




LXXIII

LES CHIENS DÉMONS.



Deux époux avaient une fille qu’ils aimaient tendrement. Ils résolurent de lui bâtir un pavillon, et pour cela, coupèrent du bois dans la forêt.

Or, il faut savoir que dans la forêt trois chiens s’était battus à mort. Le premier était blanc, le second jaune, le troisième noir. Après leur mort ils furent transformés en un arbre qui portait des fleurs de trois couleurs : bleues, blanches et rouges.

Quand le père alla dans la forêt pour couper du bois il vit cet arbre, et dit à sa femme : « Voilà un arbre très joli, quand nous aurons bâti le pavillon, nous l’y transplanterons pour notre fille. Il le transplanta en effet, mais l’arbre creva et, comme l’on avait oublié de faire le verrou de la porte, on y employa le bois de cet arbre.

Dans ce verrou de la porte résidait un démon ; il apparut à la jeune fille et voulut la violenter ; elle résista, mais il lui enleva son âme[199] et elle fut comme morte. Quand elle revint à la vie elle fut bien forcée de consentir à tout. Le père entendit le bruit, il alla épier ce qui se faisait dans la chambre de sa fille ; le démon lui prit son âme, et le père ne revint à la vie qu’après son départ. À partir de ce moment il n’osa plus entrer dans cette chambre.

Quelque temps après, un étudiant qui avait perdu son chemin entra dans cette maison pour demander l’hospitalité. Cet étudiant avait tout l’aspect du démon ; aussi le maître de la maison ne voulait-il pas le recevoir. L’autre lui dit : « Je suis un homme. N’ayez aucune crainte de moi. » Le vieillard lui dit : « Non ! Vous m’avez tué, puis ressuscité, je ne veux pas vous accueillir. » L’étudiant lui répondit : « Je suis véritablement un étudiant. Si vous avez quelque affaire, je suis prêt à venir à votre aide. » Le vieillard lui conta son histoire et le mena à la chambre de sa fille.

Des trois chiens démons qui hantaient le verrou de la porte, le noir était couché en travers de la porte et veillait ; le blanc avait pris une forme humaine, revêtu de beaux habits, et était dans la chambre avec la jeune fille. À l’approche de l’étudiant, le chien noir avertit le chien blanc et lui dit : « Voici un maître[200], sauvons-nous. » Ils s’enfuirent, mais l’étudiant coupa d’un coup de couteau la jambe de l’un d’eux et la montra au vieillard.

Le vieillard fut rempli de joie ; il voulait récompenser richement l’étudiant, mais celui-ci refusa tout, ne demandant pour son salaire que le verrou de la porte. On le lui donna. Il l’enferma dans sa ceinture et partit.

Au bout de quelque temps les démons le prièrent de les délivrer de cette prison où ils étouffaient, lui promettant de lui donner un soleil, une lune et un cheval. L’étudiant y consentit ; il leur abandonna le verrou, et eux lui donnèrent ce qu’ils lui avaient promis.

Le cheval se transportait partout avec la rapidité de la pensée. L’étudiant alla passer son examen et aussitôt se fit transporter auprès de sa femme qui fut toute joyeuse de le revoir. Seulement les parents de l’étudiant, qui demeuraient dans une maison voisine, ne connaissant pas le retour de leur fils, supposèrent que sa femme avait reçu quelque amant chez elle. Le lendemain matin, quand l’étudiant était déjà parti pour revenir à la cour, ils allèrent demander à la femme compte de sa conduite, et ne voulurent pas la croire quand elle leur dit que son mari était revenu.

Cependant le soir, quand il reparut de nouveau, ils furent bien obligés de croire à ce prodige et lui demandèrent comment il faisait. L’autre leur dit : « J’ai un cheval extrêmement rapide. À peine lui ai-je ordonné d’aller quelque part, qu’il y arrive. Maintenant, j’ai été reçu aux examens ; je vais revenir pour vous faire ma visite et traiter les gens de notre village.

Le père monta sur le cheval, alla à Pnom-Penh ( ?) et revint en un moment. La mère, à son tour, voulut le monter, mais elle avait mal choisi son moment. À son contact impur le cheval perdit sa vertu et resta immobile. Le nouveau docteur fut épouvanté de ce malheur. Il lui était en effet impossible, sans le secours de son cheval, d’arriver à la cour pour l’audience impériale. Il prit le soleil que lui avaient donné les démons et se mit en marche. Le jour resta toujours au même point pendant ce temps, et il put arriver avant que l’heure de l’audience fût passée. Il enleva alors son soleil, et la nuit se fit tout de suite.

Cependant, comme il était arrivé en retard, on l’envoya, pour le punir, dans un village hanté par les démons. Ces démons étaient malfaisants et tuaient tous les fonctionnaires que l’on envoyait dans le pays. Mais le nouveau docteur avait des mérites accumulés de manière à pouvoir terrifier les démons.

Les villages de son district lui portèrent leurs cadeaux de farine et de sucre, et le village des démons vint aussi ; mais le docteur ne reçut aucun cadeau, et quand les gens des villages s’en retournèrent chez eux, les fit suivre par des émissaires. La marche des démons aboutit à un puits où ils se plongèrent ; et l’émissaire qui les avait suivis revint, tout étonné, rendre compte de ce qu’il avait vu.

Le docteur envoya des soldats pour assécher ce puits, mais ils avaient beau tirer de l’eau, ils ne pouvaient y parvenir. La nuit ils s’endormirent ; les démons apparurent en rêve à l’un des soldats et lui dirent : « Vous n’épuiserez pas ce puits ; le dragon seul peut le faire. Or, le docteur s’appelait justement Rông (dragon). On alla le prévenir ; il assécha facilement le puits et y trouva deux serpents. Ceux-ci lui dirent : « Maître, laissez-nous partir pour aller gagner notre vie ailleurs. » Il les lâcha, mais depuis lors ce pays cessa d’être hanté.




LXXIV

LES POUVOIRS MAGIQUES
DE LA BÀ CHÀN[201].



La bà Chân avait une fille. Un jour, pendant que la mère était allée chercher quelque proie, la fille resta à la maison et devint amoureuse d’un jeune homme. Quand sa mère revint elle le cacha, mais la bà Chân le trouva ; sa fille alors lui avoua son amour et la mère consentit à épargner le jeune homme et à en faire son gendre.

Un jour qu’elle était allée à la chasse, la femme montra à son mari les instruments magiques de sa mère. Elle avait un bâton qui, par un bout, donnait la mort et par l’autre la vie ; elle pouvait noyer la terre sous les eaux, ou dessécher la mer.

Le mari dit à sa femme : « Laisse-moi, pour voir, te donner un coup de bâton du côté qui tue ; je te ressusciterai ensuite avec l’autre. La femme le crut et le laissa faire. Une fois qu’elle fut morte, le mari s’empara du trésor magique de la bà Ghan et s’enfuit.

De retour dans sa demeure la bà Chân trouva sa fille morte. Elle chercha son bâton magique pour lui rendre la vie, mais il avait disparu. Elle comprit alors que c’était son gendre qui l’avait volé après avoir tué sa fille, et se mit à sa poursuite. Sur le point d’être pris, le gendre créa une mer qui s’étendit entre eux deux ; la bà Chàn cependant réussit à l’atteindre, mais alors il la frappa de son bâton et elle tomba morte.

La mère du roi était morte mais n’avait pas encore été enterrée. Le roi fit une proclamation qui promettait de grands honneurs à celui qui la ressusciterait. Notre homme apprit cette nouvelle ; il réussit à ressusciter la reine mère en la frappant du bâton de la bà Chan, et pour le récompenser le roi fit de lui un grand mandarin.




LXXV

LES CINQ JUMEAUX.



Un homme avait épousé cent femmes, mais, à elles toutes, elles ne lui donnèrent qu’une fille. Quand cet homme fut près de mourir, il recommanda à sa fille de prendre cent amants afin d’acquitter la dette paternelle.

La fille obéit à son père, et elle avait déjà eu quatre-vingt-dix-neuf amants quand un génie céleste prit la forme d’un lépreux et vint à la maison de cette femme demander l’hospitalité. On le laissa coucher sous un appentis. Pendant la nuit la maîtresse de la maison pensa qu’elle pouvait en faire son centième amant, elle alla donc se coucher auprès de lui.

Le lépreux lui mit la main sur le ventre, elle devint enceinte et accoucha de cinq garçons. Les jumeaux se ressemblaient tous, mais l’un avait le corps de bronze et le foie de fer, le second avait une intelligence vive, le troisième entendait tout ce qui se disait[202], le quatrième était pied bot et pouvait marcher sur l’eau, le cinquième ne craignait pas la chaleur et pouvait vivre dans l’eau bouillante.

Ces cinq garçons demeuraient dans la forêt. Un jour le roi annonça par une proclamation qu’il donnerait sa fille à qui tuerait la bà Chân. Le frère à l’oreille fine envoya le frère au corps de fer et celui qui était à l’épreuve de l’eau bouillante combattre la bà Chân. Celle-ci ne put les faire périr, ils la décapitèrent et portèrent sa tête au roi. Quand on la jeta devant son trône elle s’enfonça dans le sol.

Le roi dit au vainqueur de revenir le lendemain et qu’il lui donnerait sa fille. Il avait l’intention de le faire décapiter, mais ce fut le frère au corps de fer qui se présenta devant lui et le roi ne put venir à bout de le faire décapiter. Il lui ordonna donc de s’en retourner et de revenir le lendemain.

Puisque le fer n’avait pas de pouvoir, le roi voulut faire jeter dans la mer le vainqueur de la bà Chan. Mais le frère à l’oreille fine fut instruit de son dessein et lui envoya le pied bot. On le mit en mer sur un radeau, mais il revint sans peine et fut renvoyé au lendemain comme l’avait été son frère.

Le roi décida, puisque ces deux moyens avaient échoué, de faire jeter l’homme dans l’eau bouillante. Le frère a l’oreille fine envoya ce jour-là celui de ses frères qui était à l’épreuve du froid et du chaud et les mauvais desseins du roi furent encore déjoués.

Voyant que tout était inutile, le roi se résigna à donner sa fille comme il l’avait promis. Le frère à l’oreille fine l’entendit en parler, aussi ce jour-là se présenta-t-il lui-même et il épousa la princesse.




LXXVI

LE FAUX DEVIN[203].



Il y avait un pauvre ménage. Le mari était paresseux et menteur. Un jour sa femme l’envoya chercher du travail, mais il revint sans avoir rien fait que de couper un bambou. Avant de rentrer dans la maison il s’arrêta derrière le mur.

Ce jour-là sa femme avait acheté cinq gâteaux ; elle en donna trois à ses enfants et leur dit de serrer les autres dans la jarre au riz pour les garder pour leur père. Celui-ci entendit la chose, et quelques instants après il entra avec son bambou et dit à sa femme : « Femme, j’ai acquis le pouvoir de découvrir les objets cachés ; voici avec quoi je les sens. Si tu as quelque chose de caché je vais le trouver. Sa femme lui dit de chercher les deux gâteaux, et il les trouva tout de suite dans la jarre au riz.

La femme alla se vanter auprès de ses voisines de ce que son mari était devenu si habile. Une de ces voisines avait perdu une portée de porcelets. Elle alla bien vite demander au nouveau sorcier de les lui retrouver. Heureusement celui-ci en revenant les avait aperçus dans un buisson. Il dit à la voisine : « Que me donnerez-vous si je les retrouve ? » Elle lui en promit deux, et il la mena tout droit au buisson où la bande était cachée.

La femme du sorcier, toute joyeuse, alla conter l’affaire à ses parents. Ceux-ci lui dirent : « Amène ici ton mari pour l’éprouver ; nous allons cacher de l’argent dans ce coin, et s’il le trouve, nous vous donnerons la moitié de nos biens. Le mari avait suivi sa femme et surpris toute cette conversation. Il prit ses jambes à son cou, rentra chez lui et, quand sa femme revint, fit semblant de s’éveiller d’un profond sommeil. Il alla avec sa femme chez ses beaux parents et trouva le trésor.

Là-dessus, sa renommée se répandit dans tout le pays. Le roi le fit venir à la cour. Le roi avait perdu une tortue d’or et une tortue d’argent que lui avait données l’empereur de la Chine. Les tortues avaient été volées par deux domestiques du palais nommés l’un Bung et l’autre Da[204]. Justement ce furent ces deux individus qui furent envoyés par le roi pour aller chercher le devin en palanquin. Notre homme était fort triste et se disait que sa mort était certaine. Aussi, au passage d’une rivière, se jeta-t-il à l’eau. Les porteurs, craignant d’être rendus responsables de sa disparition, le repêchèrent. Il le leur reprocha vivement, leur disant qu’il avait voulu se rendre auprès du roi des enfers pour lui demander qui étaient les auteurs du vol. Il se jeta donc de nouveau à l’eau ; mais, après avoir attendu un certain temps, les porteurs allèrent encore à sa recherche et le trouvèrent qui flottait. Voyant qu’il ne pouvait leur échapper, il rentra dans sa litière et, au milieu de ses plaintes laissa échapper ces mots : « Bung l’a fait, Da en pâtira. »

Les deux porteurs pensèrent que leur vol était découvert ; ils déposèrent la litière et, se prosternant devant le devin lui dirent : « C’est nous qui sommes Bung et Da. Nous avons caché les tortues dans une gouttière ; faites-les retrouver, mais ne nous dénoncez pas. » Le devin y consentit. Il découvrit les tortues volées dans la gouttière où elles étaient cachées. Le roi conçut une grande estime de sa science et le récompensa richement.

Justement dans ce temps-là l’empereur de la Chine avait perdu des objets précieux. La renommée lui apprit qu’il y avait dans l’Annam un devin habile et il le fit mander à sa cour. Le devin craignit que sa bonne chance ne finît par se lasser ; il plongea sous l’eau et alla se heurter le nez contre une pierre aiguë qui lui enleva une narine. De retour à la surface de l’eau, il dit qu’il avait été mutilé de cette manière par un nôc[205] et qu’il avait perdu avec son nez ses moyens divinatoires. Par là il évita d’être mis à une nouvelle épreuve.




LXXVII

MORT DE CINQ BONZES[206].



Il y avait autrefois un homme qui vivait du métier de chercheur de cire[207]. Il découvrit un jour dans une futaie un canton où les nids d’abeilles étaient nombreux, et alla bien vite avec sa hotte cueillir les rayons, mais il se trouva tellement chargé qu’il n’osait plus descendre de l’arbre ; il lui fallut attendre qu’un passant vint à son aide.

Il attendit jusqu’au milieu du jour. À ce moment, un cornac passa avec son éléphant, le chasseur d’abeilles l’appela et lui dit : « Aide-moi à descendre d’ici et je te donnerai la moitié de ma cire ; je suis trop chargé et l’arbre est trop haut, c’est pourquoi je n’ose pas descendre. » Le cornac lui répondit : « Pends-toi par les mains à une branche, moi je me mettrai debout sur le dos de mon éléphant et je te prendrai à bras le corps. »

Le chasseur d’abeilles exécuta le mouvement qui lui était commandé, et le cornac se dressa sur l’éléphant, mais à peine avait-il saisi les jambes du chasseur que l’éléphant se déroba sous eux et le cornac resta suspendu aux jambes du chasseur d’abeilles.

Celui-ci dit au cornac : « Si tu ne me tires pas d’affaire, du moins lâche-moi, sans cela la branche va casser et nous périrons tous les deux. » Le cornac lui répondit : « Cramponne-toi bien ! ne faiblis pas ! c’est pour toi que je me suis mis dans ce péril. » Là-dessus ils se mirent tous les deux à se lamenter.

Heureusement quatre bonzes passèrent par là au retour d’une cérémonie. À leur vue, les deux patients furent remplis de joie et leur crièrent : « Seigneurs bonzes, venez à notre secours. Cette bonne œuvre vous sera aussi profitable que neuf existences pénitentes ou que la construction d’une tour à sept étages. Si vous nous sauvez, nous vous donnerons toute notre cire pour l’offrir au Bouddha. »

Les bonzes eurent pitié de ces misérables ; ils n’étaient pas fâchés non plus d’avoir de la cire, ils cherchèrent donc un moyen de les secourir. Celui d’entre eux qui était le chef dit aux autres : « Prenons l’étoffe dont nos livres sont enveloppés, attachons-nous au cou chacun un coin de cette étoffe et tenons-nous fermes comme quatre colonnes. Ces deux hommes se laisseront tomber sur l’étoffe qui amortira leur chute et peut-être ainsi seront-ils sauvés de la mort. » Les autres applaudirent et ils firent comme il avait été dit. Les deux hommes se laissèrent tomber du haut de l’arbre sur la pièce d’étoffe, mais le choc fut si violent que les quatre bonzes ne conservèrent pas leur immobilité, leurs quatre têtes rases s’entrechoquèrent et ils restèrent morts sur la place. Le cornac et le chasseur d’abeilles, les voyant morts, s’empressèrent de s’enfuir.

Cette scène s’était passée près d’une auberge. La vieille qui la tenait, trouvant ces quatre morts près de sa maison, eut peur d’être impliquée dans une affaire d’homicide. Elle traîna les cadavres dans sa maison et se mit à réfléchir sur ce qu’elle avait à faire. Sur ces entrefaites, un bonze vint dans l’auberge pour boire du vin ; la vieille lui en donna de son meilleur et à bon marché. Quand elle le vit un peu lancé elle lui dit : « Je suis bien malheureuse. J’avais un neveu qui était loué, il y a quelques jours il est tombé malade et il est revenu ici. Comme aucun remède ne lui faisait de bien, je l’exhortai à faire vœu au Bouddha qu’il se raserait la tête et ferait pénitence. Mais à peine s’était-il rasé qu’il a respiré je ne sais quels miasmes, il a eu mal à la tête et il est mort. Je suis vieille et pauvre, je ne sais plus comment faire. Si vous voyez quelque moyen de me venir en aide, je vous prie d’avoir pitié de moi. »

Le bonze dit à la vieille : « Je vais vous rendre service ; donnez-moi une pelle et une bêche, je vais porter le corps dans la campagne et l’enterrer. Cela vous convient-il ? » La vieille lui fit mille remercîments et lui promit en récompense trois gourdes de bon vin ; elle entra ensuite dans l’arrière de l’auberge et revint en traînant un des cadavres qui gisaient à terre. Le bonze roula le cadavre dans une natte, le chargea sur ses épaules et l’emporta dans la campagne où il l’enterra.

Il revint ensuite à l’auberge, et la première chose qu’il vit ce fut un cadavre de bonze couché par terre. La vieille lui dit en pleurant : « Vous ne comprenez pas. Laissez-moi vous dire. Mon pauvre neveu avait pour moi une extrême affection, il ne voulait jamais me quitter ; quand il se louait chez les autres, il me visitait le matin et le soir, il me fallait le gronder pour le faire partir. Maintenant que le voilà mort si malheureusement, il ne veut pas me quitter. Comme vous ne le connaissiez pas, vous ne lui avez sans doute pas fait une fosse très profonde et il est revenu vers moi. »

Le bonze fut très étonné de cette aventure ; il reconnut cependant son cadavre à sa tête rase. Il dit à la vieille : « C’est bon ! je vais l’emporter très loin et lui creuser un grand trou, nous verrons bien s’il reviendra de nouveau. » Il chargea le cadavre sur ses épaules et alla l’enterrer. Quand il revint il retrouva un cadavre à tête rase étendu sur le sol, et la vieille lui dit : « Je vous avais cependant bien averti des sentiments de mon neveu. Vous ne l’avez pas enterré assez profondément et le voilà revenu. «

Le bonze lui répondit : « Ne vous fâchez pas, faites-moi boire un coup, et cette fois-ci je vous réponds que je l’enterrerai de façon à ce qu’il ne revienne pas. » Il alla l’enterrer, et quand il revint la vieille lui montra de nouveau le cadavre en lui disant des injures. Le bonze se mit en colère. « Toute ma vie, dit-il, j’ai enterré les gens sans en voir aucun revenir comme celui-ci. Je vais l’enterrer encore une fois et faire tout mon possible pour qu’il ne revienne pas. » Il partit donc courbé sous son fardeau. Il faisait chaud, la terre était dure, il était à moitié gris, aussi, quand il eut enterré son quatrième cadavre, la nuit était-elle tombée. En revenant à l’auberge pour réclamer à la vieille les trois gourdes de vin qu’elle lui avait promises, il vit un bonze accroupi sur un pont. « Voilà tout un jour que je t’enterre, s’écria-t-il, et tu reviens te faire enterrer encore. » L’autre voulut protester, mais il lui dit : « Tu es déjà revenu trois ou quatre fois, c’est grâce à toi que je suis exténué de fatigue et tu nies encore. Je n’ai plus la force de recommencer ; voilà le fleuve, va faire la pâture des poissons. » Et il le poussa dans le fleuve où il périt.




LXXVIII

LE SINGE, LE TIGRE ET LA TORTUE.



Le singe, le tigre et la tortue avaient fait amitié ensemble. Le tigre un jour dit au singe et à la tortue : « Allons chercher à manger. Mais vous êtes lents, vous ne pouvez courir aussi vite que moi, je vais vous attacher à ma queue et je vous traînerai. » Le singe et la tortue y consentirent ; le tigre les attacha à sa queue et se mit en marche. Arrivés à une maison, ils se tinrent au guet pour s’emparer de l’homme qui l’habitait. Comme ils étaient au guet, ils entendirent la femme de cet homme lui demander : « Quelle est la chose dont tu as le plus peur ? » — « Je n’ai peur que de l’ông giot[208], répondit l’homme. » — ce Comment ! reprit la femme, tu n’as pas peur du tigre ? » — Non, repartit l’homme, je n’ai peur que de l’ông giot. »

Le tigre, qui écoutait au dehors, fut tout surpris de cette conversation, ne sachant ce qu’était l’ông giot. Sur ces entrefaites, un voleur vêtu d’un habit bourru[209] vint à son tour épier la maison. Il vit le tigre et, plein d’effroi, grimpa sur un carambolier. Là, il se mit à trembler de toutes ses forces, si fort que les caramboles tombaient de l’arbre. Le tigre le prit pour l’ông giot et les caramboles pour ses crottes. Il en goûta ainsi que le singe et la tortue, et ils trouvèrent que les crottes de l’ông giot étaient fort acides. Le voleur cependant tremblait de plus en plus, et si fort qu’il tomba de l’arbre avec un grand bruit.

Le tigre eut peur, il crut que l’ông giot se jetait sur lui et il s’enfuit, entraînant à sa suite le singe et la tortue. Le singe se cogna la tête contre la carapace de la tortue et resta mort, les dents à découvert. Au bout de quelque temps le tigre s’arrêta et voyant le singe la bouche ouverte, il dit : « Quoi ! j’ai eu une peur mortelle, et toi, tu ris ! »




LXXIX

LA TORTUE ET LES AIGRETTES[210].



Il y avait une femme extrêmement fière et qui insultait tout le monde à plaisir. Quand elle fut morte, le roi des enfers, pour la punir, la fit entrer dans le corps d’une tortue.

Cette tortue habitait un étang couvert de nénuphars. Un jour deux aigrettes vinrent à cet étang chercher leur nourriture.

Elles virent la tortue dans cet étang et lui dirent : « Que faites-vous-là ? L’étang va être à sec et vous périrez faute d’eau. » L’autre, faisant siffler ses paroles, leur répondit : « Je suis ici parce qu’il me plaît. Qui vous a dit de venir mettre votre nez dans mes affaires ? Parce que dans mon existence antérieure j’étais trop fière j’ai été changée en tortue, mais si vous venez me tracasser je saurai bien encore vous parler. »

Les deux aigrettes la voyant si méchante se dirent : « Puisqu’elle est si hautaine il nous faut trouver un moyen de la faire périr. » Elles lui répondirent donc : « Si vous vouliez quitter ce lieu nous nous mettrions à votre disposition pour vous transporter en un autre où vous auriez de l’eau en abondance. Ici vous péririez. »

La tortue vit qu’elles avaient raison. Elle leur dit : « Je ne puis voler, comment ferez-vous pour me transporter ? » Les aigrettes dirent : « Si vous voulez partir mordez une aile à chacune de nous, il nous restera une aile chacune pour voler ; mais gardez-vous bien d’ouvrir la bouche pour parler. »

La tortue mordit donc les ailes des aigrettes et celles-ci s’envolèrent. Comme elles passaient au-dessus d’une auberge où l’on vendait du thé, les gens qui se trouvaient là se mirent à crier : « Oh ! voilà des aigrettes qui portent une bouse de buffle. » La tortue fut irritée mais elle n’osa rien dire. Un peu après elles passèrent au-dessus d’un marché. Les gens se rassemblèrent par groupes et dirent : « Voilà ! voilà deux aigrettes qui portent un chien mort. » Le naturel irascible de la tortue reprit le dessus et, oubliant le soin de sa sûreté, elle voulut les insulter, mais elle n’eut pas même le temps de proférer ses injures, elle tomba au milieu de ces gens qui la firent cuire et la mangèrent.

Les aigrettes se réjouirent et dirent : « Nous l’avons punie ; maintenant l’étang des nénuphars va être à nous et nous pourrons y prendre du poisson sans avoir peur qu’elle nous insulte. »




LXXX

DE CHAT REVENIR À CHAT[211].



Des gens riches avaient une fille à qui ils avaient donné le nom de Mèo[212]. Elle était très jolie et fort aimée de ses parents qui, lorsqu’elle fut d’âge, pensèrent à la marier. Seulement ils étaient fâchés de lui avoir donné ce vilain nom et résolurent de le changer. Ils tuèrent donc un porc et invitèrent les notables à un festin. Quand ceux-ci eurent bien mangé et bien bu le père leur dit : « Dans quelques jours je vais marier ma fille, mais elle s’appelle Mèo, un vilain nom. J’ai peur qu’on ne se moque de moi, c’est pourquoi j’ai recours à vous pour lui trouver un joli nom qui soit digne de notre position dans le village. »

Le huong chù, premier notable du village, dit : « Vous avez raison, donnons lui un joli nom. Ce nom de Mèo est vraiment disgracieux. Appelons-la Thièn. Thièn c’est le ciel. L’on ne peut peut rien trouver de plus grand et, de plus beau que le ciel. » — « Hom ! hom ! dit le xâ[213], le ciel est-il si grand que cela ? » Le huong chu se mit en colère et dit : « Vous dites que le ciel n’est pas grand ? Qu’y a-t-il de plus grand que lui ? Dites-le pour voir. »

Le xâ répondit : « Je demande à l’appeler Vàn. » — « Qu’est-ce que ce Vàn[214], dit le huong chu pour être plus grand que le ciel ? Le xà répondit : « Vàn c’est le nuage, et il a été dit : « Les nuages couvrent le ciel. » Comment peut-on dire que le ciel soit le plus grand ? » — « Bien ! bien ! dit le huong chù. Qu’on l’appelle Vàn. »

Le phô thon[215] dit : « Le mot de Vàn n’est pas le meilleur. » Le xa truong s’emporta et dit : « S’il y a quelque chose de plus grand que le nuage, dites-le. » — « Je demande, répondit le phô thon que l’on donne à la fille le nom de Phong. » — « Qu’est ce que Phong, dit l’autre, pour être supérieur au nuage ? » — « Phong, répondit le phô thon, c’est le vent ; le vent chasse le nuage : il est donc plus que lui. » Le xà truong fut convaincu et dit : « Bien ! qu’on l’appelle Phong. »

Le chu dinh[216] dit : « Phong n’est pas encore le meilleur nom. » — « Si vous connaissez quelque chose de plus fort que le vent, dit le phô thon, dites-le. » — « Je demande, dit le chu dinh, qu’on donne à la fille le nom de Bich. Bich est le mur, et le mur arrête le vent. » Le pho thon accorda que l’on devait lui donner le nom de Bich.

« Seigneurs notables, dit le premier trùm[217], je ne suis qu’un pauvre hère, mais il me semble que ce nom de Bich proposé par le chu dinh n’est pas le meilleur. » Le chu dinh se mit en colère et dit : « Si tu en sais un meilleur, dis-le pour voir. » Le trùm dit : « Je demande à appeler la fille Thù. » — « Qu’est-ce que Thù, dit le chu dinh, pour valoir mieux que Bich ? » — « Thù, dit le trùm, est le rat, et le rat perce le mur. » — « C’est vrai, répondit le chu dinh. Qu’on lui donne le nom de Thù. »

Mais le truong[218] dit à son tour : « Vous ne pouvez pas dire que le nom de Thù vaille celui de Mièu. Mièu est le chat, et le chat mange le rat. Mièu vaut donc mieux que Thù. » — « C’est vrai, dit le trùm, tenons-nous-en donc à mèo et ne changeons rien. » Tous les notables se mirent à rire et dirent que c’était raison et qu’ils s’étaient épuisés à tourner et retourner la question pour, enfin, de chat revenir à chat.

Cette histoire[219] est utile à connaître. Elle montre que dans les affaires publiques chacun a son opinion, et cependant il n’y en a qu’une bonne ; quand on la tient il faut s’y arrêter. C’est ainsi que, se tenant sur une montagne, la montagne voisine vous paraît toujours plus haute. À quoi bon changer de noms et de prénoms pour une raison ou une autre, toutes choses dépendent du Ciel.




LXXXI

LE BUFFLE.



Ngoc hoàng envoya un de ses officiers porter sur la terre une poignée de riz et une d’herbe pour fournir à la nourriture des hommes et des animaux. Cet officier jeta toute sa poignée d’herbe sur le monde, de manière que l’herbe poussât à foison ; mais de la poignée de riz, il n’en jeta que la moitié et remporta l’autre. Ngoc hoàng, irrité, le changea en bufffe, afin qu’il mangeât l’herbe de la terre[220]. C’est par la faute de cet officier que maintenant sur toute la terre l’herbe abonde, tandis que le riz est rare.


Autrefois le buffle savait parler. Un jour son maître lui demanda s’il s’était bien repu, et le buffle se plaignit que son gardien l’avait mené paître dans des endroits où il n’y avait rien à manger. Le maître réprimanda le gardien. Celui-ci, irrité, prit des bâtonnets d’encens, les ficha dans les joues du buffle et les fit brûler. À partir de ce moment le buffle fut privé de la parole. Cette opération a laissé sa trace dans les touffes de poil qui se trouvent sur les joues du buffle.

Autrefois le buffle avait deux rangées de dents et le cheval n’en avait qu’une. Un jour que le buffle avait été invité à une cérémonie d’anniversaire, il rencontra au retour le cheval qui lui demanda de lui prêter sa mâchoire supérieure pour aller festoyer à son tour. Le buffle y consentit, mais quand le cheval revint il ne voulut plus rendre sa mâchoire au buffle. Il lui dit : « Courons ensemble. Si tu m’attrappes je te rendrai ta mâchoire. » Le buffle ne put l’atteindre, et, depuis ce temps-là, il n’a pas de dents à la mâchoire supérieure.




LXXXII

GRAIN DE RIZ.



Autrefois grain de riz était gros comme une tasse ou un bol. Il n’y avait pas à travailler pour l’avoir ; quand venait le moment de la maturité du riz l’on allumait des bougies, l’on faisait des vœux pendant deux ou trois jours et le riz entrait à son gré dans les maisons.

Un mari dit à sa femme qui était une paresseuse de nettoyer la maison pour faire les offrandes. La femme s’attarda et elle n’avait pas encore balayé quand le mari se mit à faire ses invocations. Comme elle était courbée sur son balai le riz se précipitait avec fracas dans la maison. Elle le frappa d’un coup de balai et il fut réduit en petits fragments. Grain de riz irrité dit : « À partir de ce moment je ne viendrai que si l’on me coupe avec un manche de bois et une lame de fer (la faucille). » Voilà pourquoi maintenant les hommes doivent planter le riz et le moissonner, et pourquoi aussi ses grains sont si petits.




LXXXIII

L’ORIGINE DU BOUSIER[221].



Ngoc hoàng envoya un messager dire aux hommes que, parvenus à la vieillesse, ils changeraient de peau et vivraient immortellement ; le serpent devenu vieux devait mourir. Le messager descendit sur la terre et dit : « Vieux, l’homme se dépouillera ; vieux, le serpent mourra, et entrera au cercueil. » Il se trouva là une bande de serpents qui entrèrent en furie et qui dirent au messager : « Vous allez répéter et dire le contraire, sinon nous vous mordons. » Le messager eut peur, aussi répéta-t-il son message en en changeant les termes, disant : « Vieux, le serpent se dépouillera ; vieux, l’homme mourra et entrera au cercueil. » C’est pourquoi toutes les créatures sont sujettes à la mort, sauf le serpent qui, devenu vieux, change de peau et vit immortellement.

Voyant que malgré sa décision les hommes continuaient à mourir, Ngoc hoàng fit paraître son messager devant lui. Celui-ci avoua ce qui s’était passé, et l’empereur céleste irrité le frappa d’un coup de pied qui l’envoya sur la terre où il fut transformé en bousier destiné à fouiller toujours les excréments des hommes.




LXXXIV

LA FEMME MÉTAMORPHOSÉE
EN MOUSTIQUE[222].



Deux époux s’étaient juré que lorsque l’un des deux viendrait à mourir, l’autre conserverait son corps jusqu’à ce qu’il ressuscitât, et qu’il ne se remarierait pas. La femme mourut et le mari conserva le corps sans l’enterrer. Au bout de sept mois, les autorités du village lui ordonnèrent d’enterrer sa femme, de peur qu’en la laissant ainsi elle ne devint un esprit malfaisant qui hanterait le village[223]. Le mari s’y refusa et dit : « Ma femme et moi nous nous sommes juré d’attendre ainsi que nous ressuscitions, et de ne pas nous enterrer. Puisque vous voulez m’y forcer, je vous prie de m’aider à couper des bambous pour faire un radeau sur lequel je mettrai le cercueil. Je m’en irai ensuite avec lui où le radeau me portera et le village n’aura pas à craindre de démon malfaisant.

Les gens du village l’aidèrent à faire son radeau et à y porter le cercueil de sa femme. Le radeau flotta jusqu’au paradis occidental. Le Bouddha demanda à l’homme ce qu’il venait faire en ces lieux. Le mari lui raconta son histoire et le Bouddha, touché de compassion, ressuscita la femme. Le Bouddha demanda à la femme si elle aimait toujours son mari ; sur sa réponse affirmative il ordonna à celui-ci de se tirer du sang du doigt et de le faire boire à sa femme. Le mari lui obéit.

Au bout de quelque temps, les deux époux désirèrent retourner dans leur pays. Il y avait au paradis occidental un vieux crocodile qui faisait pénitence depuis neuf existences ; le Bouddha lui commanda de ramener les deux époux chez eux. Arrivé à la moitié du chemin le crocodile leur dit : « J’ai grand faim, mon ventre est si léger que je ne puis aller plus loin[224] ; attendez sur cet arbre que je revienne vous chercher. » Il laissa donc les deux époux et alla chercher sa nourriture, mais comme il s’abstenait de chair il ne put manger des poissons et se lesta avec des galets.

Pendant ce temps, les deux époux s’étaient endormis sur leur arbre. Il passa un bateau chinois dont les matelots voyant là une jolie femme l’enlevèrent sans que le mari se réveillât. Quand le crocodile revint la femme avait disparu. Le crocodile réveilla le mari en frappant les flots de sa queue et lui demanda ce qu’était devenue sa femme. Le mari d’abord accusait le crocodile de l’avoir dévorée, mais celui-ci lui offrit de le laisser s’assurer de son innocence. L’homme introduisit le pied jusque dans le ventre du crocodile et il n’y toucha que des galets arrondis. Il lui demanda alors s’il n’avait pas vu passer de bateau ; le crocodile avait vu le bateau chinois, ils se mirent à sa poursuite et l’atteignirent bientôt. Mais, du haut du bateau, la femme cria à son mari qu’elle avait épousé le capitaine et qu’il pouvait prendre une autre femme.

L’homme revint raconter au Bouddha ce qui était arrivé. Le Bouddha le renvoya pour réclamer à sa femme le sang qu’elle avait bu. Le crocodile rapporta donc le mari au bateau et celui-ci cria à sa femme : « Puisque tu veux violer ton serment et prendre un autre mari, il te faut me rendre la tasse de mon sang que tu as bue. La femme aussitôt vomit du sang, mais en trop petite quantité.

Le mari s’en retourna auprès du Bouddha, et, pendant ce temps, la femme mourut sur le bateau. Les Chinois jetèrent son cadavre à la mer ; il flotta jusqu’au paradis occidental où le Bouddha le transforma en moustique. C’est pourquoi le moustique suce le sang afin de pouvoir rendre celui qu’il doit encore.




LXXXV

MÉTAMORPHOSES DU CORBEAU
ET DU COQ DE PAGODE.



Autrefois le corbeau et le coq de pagode étaient des hommes et demeuraient avec le Saint. Un jour le Saint employa cent ouvriers à construire un bateau. Quand ce bateau fut construit il envoya le corbeau au fleuve pour voir si l’eau était haute et si l’on pourrait lancer le bateau. Le corbeau voyant là beaucoup de crevettes et de poisson se mit à en manger et ne revint pas à la maison.

Le Saint ne le voyant pas revenir et las de l’attendre, envoya le coq de pagode à sa recherche. Le coq de pagode trouva bientôt le corbeau. Celui-ci lui dit : « Il y a ici beaucoup de crevettes et de poisson, reste un peu à manger avec moi, rien ne presse. » Le coq de pagode écouta le corbeau et se mit aussi à manger.

Le Saint envoya alors le pigeon sur le fleuve pour les chercher. Le pigeon les vit occupés à manger du poisson et des crevettes ; il ne leur dit rien mais prit une feuille sur laquelle il écrivit avec son bec ce qu’il avait vu et il la rapporta au Saint. Celui-ci fut très irrité et lança tout seul son bateau.

Le corbeau et le coq de pagode eurent peur et n’osèrent revenir. Ils allèrent demeurer dans un hospice[225] où quelques personnes avaient écrit et laissé un peu d’encre. Le corbeau dit au coq de pagode : « Je vais me frotter tout le corps de cette encre et je reviendrai à la maison, cela fera rire le Saint et il ne me battra pas. » Il se barbouilla donc tout le corps d’encre. Le coq de pagode l’imita, mais il n’y eut pas assez d’encre pour lui et il ne put se noircir que la moitié du corps. Il barbouilla le reste avec de l’encre rouge.

Cela fait, ils retournèrent à la maison. Le Saint rit de leur étrange figure et ne les battit pas. Mais quand il s’embarqua il les chassa et les changea, le premier en corbeau et le second en coq de pagode. Voilà pourquoi le corbeau est tout noir, et le coq de pagode moitié rouge moitié noir.




LXXXVI

LES CROCODILES.



Autrefois il n’y avait pas de crocodiles dans l’Annam. Ils étaient tous au ph’i de Triéu châu, dans la province de Canton. Ils montaient sur les berges et dévoraient les cultivateurs, de sorte que l’on ne travaillait plus aux champs et que l’on ne payait plus l’impôt. L’empereur s’émut de cette situation et envoya un commissaire nommé Hàng dû faire une enquête.

Celui-ci ayant appris ce qui se passait fit un sacrifice de porcs et de chèvres qu’il fit jeter dans le fleuve. Ensuite il lut une incantation[226] dans laquelle il était dit : « Ouand le fils du Ciel commande, le monde doit obéir, et cette obéissance des hommes s’appelle thuân thien (obéir au Ciel) ; les bêtes doivent obéir, et leur obéissance s’appelle tri mang. Voici que, par les ordres du fils du Ciel, je suis venu inspecter ce pays ; vous animaux, vous devez m’obéir. Dans le pays du Sud la mer est vaste, les fleuves longs, pleins de poissons et de crevettes. Le chemin n’est pas long, en partant le matin on y arrive le soir. Je vous donne trois jours pour y aller. Si trois jours ne vous suffisent pas, je vous en donne cinq ; si cinq jours ne vous suffisent pas, je vous en donne sept ; mais si dans sept jours vous n’êtes pas partis, j’enverrai les soldats et les gens du peuple vous tuer à coups de flèches. Alors ne vous en prenez qu’à vous. »

Les crocodiles ayant entendu cette incantation se rendirent tous dans l’Annam, et c’est pourquoi il y en a tant dans ce pays.


LXXXVII

LE TONNERRE PREND LA FORME
D’UN ANIMAL.



Dans la province de Thânh hoa, au huyèn de Lôi duong, se trouve sur le rivage de la mer un banc de sable que l’on appelle le banc du tonnerre[227]. (Une fois) au second mois, lorsque les pluies diminuent, vers la cinquième veille de la nuit, les gens de cet endroit entendirent du bruit sur ce banc ; ils s’approchèrent avec précaution et virent les tonnerres sortir de terre. Les hommes coururent sur eux et purent s’emparer de quelques-uns ; le reste s’envola avec un grand fracas.

Ceux qu’ils avaient pris ressemblaient à de petits porcs, mais ils avaient le corps tout blanc ; leur chair était exsangue, sèche et sans goût ; elle n’avait rien de celle des animaux. On pense que l’union du principe mâle et du principe femelle produit ces êtres qui n’ont qu’une forme vaine, et l’on ne sait comment ils se transforment en tonnerres. En souvenir de cette aventure le roi d’Annam donna au huyèn de Lôi duong le nom qu’il porte aujourd’hui[228].




LXXXVIII

GÉNIES DES EAUX[229].



Au village de Xuàn canh, huyèn de Dông thành, dans la province de Nghè an, vivaient deux époux déjà âgés de plus de soixante-dix ans ; ils étaient pauvres et n’avaient pas d’enfants. Ils gagnaient leur vie en se louant aux gens pour couper de l’herbe.

Un jour qu’ils coupaient de l’herbe au bord du fleuve, la femme trouva deux œufs plus gros que des œufs d’oie. Ils les emportèrent chez eux et le lendemain matin il en sortit deux serpents au corps bariolé. Le mari dit à sa femme : « Ce sont des citoyens du royaume des eaux, il n’est pas licite de les garder dans la maison, rapporte-les sur le bord du fleuve. »

La femme obéit, mais les serpents revinrent à la maison. Les deux époux alors se dirent : « Nous sommes vieux et sans enfants. Le royaume des eaux nous donne deux enfants, élevons-les pour nous acquérir des mérites et nous tenir compagnie. » Ayant pris cette résolution, ils les mirent dans un baquet ; chaque jour ils leur donnaient à manger et ils les aimaient comme leurs propres enfants.

Les deux serpents grandirent peu à peu, ils suivaient les vieillards partout où ils allaient. Au bout de deux ans, ils étaient devenus aussi gros que la jambe. Un jour que l’un d’eux rampait dans l’herbe auprès de la femme, celle-ci, éblouie par le grand soleil, ne le vit pas et lui donna par mégarde un coup de pioche qui lui coupa la queue.

À la vue du sang la vieille se mit à pleurer et à appeler au secours, le mari accourut et, transporté de colère, il la frappa. Il prit ensuite dans ses bras le serpent mutilé et le l’apporta à la maison où il le pansa. En trois ou quatre jours il guérit.

Les deux époux se dirent : « Ces fils des autres maintenant sont grands ; nous, nous sommes vieux et faibles, nos sens ont perdu leur force ; nous ne pouvons plus nourrir les enfants d’autrui, rendons-les à ceux à qui ils appartiennent. » Ils rapportèrent donc les deux serpents a l’endroit où ils avaient trouvé les œufs et là ils crièrent : « Gens de là-bas ! nous avons élevé vos enfants ; maintenant les voilà grands, nous vous les rapportons. » Un bouillonnement se produisit dans le fleuve et les deux serpents disparurent.

Trois jours après, au soir, ils virent venir deux hommes richement vêtus qui les saluèrent et leur dirent : « Vous nous avez élevés. Le roi notre père nous a ordonné de venir vers vous et de vous dire que maintenant vous êtes vieux, vous n’avez pas besoin de travailler davantage. Lorsque à l’avenir vous aurez besoin de quelque chose, riz, vêtements ou quoi que ce soit, vous n’aurez qu’à parler et vous aurez de suite l’argent nécessaire. Quand le terme de vos jours sera arrivé, nous nous occuperons de faire vos funérailles comme les hommes.

Par la suite ces deux serpents devinrent les génies de deux villages ; l’un occupe un mièn du village de Xuàn canh, l’autre un mièn du village voisin. Ces deux mièn sont situés dans la montagne et séparés seulement par un torrent. Lorsque la sécheresse règne dans le pays, les notables du canton se réunissent et construisent un pont de bambous entre les deux mièn. Sur ce pont ils déposent leurs offrandes.

Aussitôt que la supplique a été brûlée ils s’empressent de s’en aller, de peur que la pluie n’enfle subitement le torrent et que le pont de bambou ne soit emporté.




LXXXIX

RESPECT D’UN GÉNIE
POUR UN ENFANT PRÉDESTINÉ.



Dans la province de Nghè an vivaient au village de Càm làm deux époux nommés : le mari Mai van dao, et la femme Hô thi nghi. Ils étaient très pauvres et gagnaient leur vie en allant scier du bois dans la montagne. Quand ces deux époux furent âgés d’une quarantaine d’années, ils eurent un fils. Cet enfant, dès l’âge de sept ans, montra tellement de génie naturel que tout le monde le respectait.

Près de la maison de son père il y avait une chapelle dédiée au génie local devant laquelle l’enfant avait coutume de jouer avec ses camarades. Un soir l’ông tù[230] s’endormit dans cette chapelle. Il vit en rêve le génie qui lui dit : « Dans ce village il va un trang nguyèn, fils de Mai van dao, qui vient toujours jouer devant ma chapelle. Cela me force à demeurer debout pour lui témoigner mon respect, ce qui m’incommode grandement. Dites aux notables de faire faire un écran de six pieds de haut devant la chapelle, afin de me cacher et que je n’aie plus à me tenir debout.

L’ông tù alla faire son rapport aux notables qui refusèrent d’abord de le croire et allèrent eux-mêmes dormir dans la chapelle. Ils virent, en rêve le génie qui leur répéta ce qu’il avait dit et ajouta qu’à dix-huit ans l’enfant arriverait aux honneurs. Les notables firent donc construire un écran afin que le génie assis dans l’intérieur ne vît pas le dehors.

Mais dans ce village il y avait beaucoup de méchantes gens qui furent jaloux de l’élévation future de cet enfant et se mirent à rechercher toutes les occasions de quereller ses parents et de lui faire du mal. Au bout de quelque temps le génie apparut de nouveau en rêve aux notables et à l’ông tù et leur dit : « Vous pouvez démolir l’écran, car le Ciel, irrité de votre malice, va rappeler le trang nguyên. »

Peu de jours après l’enfant mourut, et depuis ce temps aucun habitant de ce village n’a obtenu de succès aux examens[231].




XC

LE TEMPLE DE LY QANG.



Ly quang, huitième fils du roi Nhon tùng, de la dynastie Ly, se fit remarquer par sa bravoure et son habileté dans l’art militaire. Dans un combat contre l’Ai lao, il reçut un coup de sabre qui lui coupa la gorge, sans cependant que la tête fût détachée du tronc. Soutenant sa tête de la main, il poussa son cheval vers le Nghè an et, après une demi-journée de marche, il arriva au village de Bach duong. Le chemin passait au pied d’une montagne ; à côté du chemin se trouvait une auberge tenue par une vieille femme. La vieille dit au prince : « Pourquoi vous tenez-vous ainsi la tête ? » Le prince répondit : « Ma tête est coupée, y a-t-il un moyen pour la rattacher au tronc ? » La vieille se mit à rire et lui dit : « Voici le lieu où vous devez être déifié. Pourquoi me parler de vie ou de mort ? » À peine le prince eut-il entendu ces paroles, qu’il tomba mort. Sa puissance se manifesta bientôt dans le village de Bach duong. Les pieds de son cheval sont restés marqués dans le rocher, et on les voit encore dans le temple qui lui a été consacré.

Le prince devint un génie protecteur du royaume et du peuple, beaucoup de personnes eurent recours à sa puissance ; il a reçu le titre de Vénérable génie du degré supérieur, très puissant, aide du saint (empereur), sauveur de l’empire, protecteur, redresseur des torts, favorable aux justes.


XCI

MAUVAIS GÉNIE.



Au village de My duong, huyèn de Nghi xuàn, province de Ha tinh, il y avait un mauvais esprit nommé le thàng Bo[232] qui avait l’habitude de venir dans ce village pour tourmenter les filles. Beaucoup devenaient folles. Un jour, des parents allèrent chercher le thây phâp pour guérir leur fille, mais une voix s’éleva de derrière la maison, qui disait : « Plie bagage et va-t-en bien vite ; si tu demeures là, je te casse ton tambour et ta cymbale. » Comme le sorcier, embarrassé dans ses préparatifs magiques, ne se sauvait pas assez vite, il vit voler en éclats son tambour et sa cymbale ; aussi aucun d’eux n’osait-il plus affronter Bo.

Un notable du village avait une fille. Une nuit, il entendit Bo dire : « Donnez-moi votre fille en mariage, je consens à payer autant qu’il faudra ; mais si vous la mariez à un autre, cela n’ira pas. De jour en jour cette fille dépérissait et devenait plus pâle ; on la refusait à tous ceux qui venaient la demander en mariage. Chaque mois Bo apportait à sa femme une trentaine de ligatures, et quiconque faisait un sacrifice dans le village devait lui envoyer un bon morceau. S’il négligeait de le faire, Bo mettait des ordures dans les plats, de sorte que personne ne pouvait y toucher.

Le village de Cuong gian, situé sur le bord de la mer, fabrique des filets. Bo tracassait ses habitants de toutes les manières, ils étaient tous irrités contre lui, aussi délibérèrent-ils de préparer deux tables de mets divers, de choisir deux larges madriers (pour servir d’autel) et d’y mettre l’offrande. Ils l’entourèrent d’un filet solide, et des individus apostés se tinrent des quatre côtés avec des verges. Ils firent ensuite semblant d’offrir ce sacrifice à Bo et le prièrent, s’il l’agréait, de faire connaître sa présence en remuant les assiettes. Bo pensa que le village était de bonne foi et fit tinter les assiettes et les tasses. Immédiatement les gens apostés firent tomber le filet et se mirent à taper dessus pour tuer Bo. Ils ne pensaient pas que tandis qu’ils tapaient en serrant les lèvres, Bo avait brisé une maille du filet et s’était échappé. Une fois hors il s’écria : « Que vous ai-je fait pour que vous vouliez me tuer ? » Au quatrième mois, le temps étant sec, le vent s’éleva et Bo brûla le village d’un bout à l’autre.




XCII

LA DAME DOAN.



Du temps des Tày son, un dô dôc nommé Khuè administrait le Nghè an. Il avait pris une jeune femme[233] nommée Doan, jolie et douce, en qui il avait toute confiance et qui gouvernait toutes les affaires de la maison.

Le dô dôc était accessible à tous ; seulement, pendant qu’il dormait au milieu du jour, il y avait défense expresse de le déranger pour quoi que ce fût, et ses femmes ni ses concubines ne devaient même pas lever le rideau qui fermait la chambre où il dormait.

Un jour qu’à midi il dormait dans son lit, un violent incendie se déclara au marché de Vinh ; le dô dôc cependant ne se réveillait pas et personne n’osait entrer pour lui annoncer la nouvelle, ni (sans son ordre) faire battre le tambour pour rassembler les troupes.

Les gens courainet çà et là sans savoir à quoi se résoudre. Ils vinrent enfin porter leurs doléances à madame Doan et lui dire que l’affaire était urgente, qu’elle seule pouvait se risquer à réveiller le dô dôc, qu’il ne la gronderait pas et que, du reste, ils en prendraient la responsabilité. Elle se laissa persuader, mais à peine avait-elle soulevé le rideau et élevé la voix, qu’elle vit un thi luông[234] couché dans le lit, ses trois têtes sur l’oreiller. La femme, épouvantée, n’avait pas encore eu le temps de s’enfuir quand le monstre se dressa et d’un coup de sabre la décapita.

Le dô dôc se réveilla ; il demanda qui avait tué sa femme. Les serviteurs lui contèrent tout ce qui était arrivé ; il pleura beaucoup et fit enterrer la morte. Deux ou trois mois après celle-ci manifesta sa puissance ; elle faisait beaucoup de dégâts et ordonnait au village de lui ériger un temple. Les gens du village eurent peur et lui en bâtirent un ; ils jouirent alors de la tranquillité, et la dame les protégea puissamment.

La première année Tu dùc il y avait dans les prisons du chef-lieu de la province un certain bien Nghièn qui était accusé de crimes graves et que l’on gardait rigoureusement. Il s’échappa. Les gardes furent saisis de terreur ; on le chercha partout sans pouvoir le trouver.

Dans cette extrémité, les officiers de la milice coururent au temple de la dame, se prosternèrent mille fois et lui promirent que si elle leur faisait capturer le fugitif ils feraient faire en reconnaissance une représentation théâtrale. À peine ce vœu était-il prononcé, qu’un jeune garçon fut inspiré et proclama que Nghièn s’était enfui avec sa femme et ses enfants. « Il est arrivé, dit-il, au bac de Bùng, mais je le retiens dans une auberge qui est à droite après avoir passé le bac ; envoyez vite quatre ou cinq hommes à cheval, qu’ils arrivent avant la fin du jour et ils l’y trouveront encore. » L’officier de la milice envoya ces hommes et ils rattrapèrent le prisonnier. On fit le sacrifice promis et la terreur du nom de la dame Doan se répandit en tous lieux.

La femme d’un phù avait perdu seize taëls d’or. Elle les chercha en vain et alla enfin au temple de la dame Doan pour lui faire un vœu. Un médium aussitôt fut inspiré et lui dit : « Votre or a été volé par une servante, elle l’a caché dans la gouttière de la vérandah de l’ouest. Revenez vite et vous l’y trouverez ; si vous tardez elle le changera de place. La femme du phù retourna en hâte chez elle et trouva son or à l’endroit indiqué. Elle sacrifia un porc à la dame Doan.

Dans le village de Am công il y avait deux femmes dont l’une avait confié à l’autre quatre tiên, elle les lui réclama et celle-ci dit qu’elle les avait rendus. « Quand me les avez-vous rendus ? disait la première ; si je les ai repris qu’en ai-je fait ? » Elles se disputaient ainsi le long du chemin. Comme elles passaient devant le temple de la dame Doan, celle qui avait remis l’argent en garde à l’autre dit : « Que la dame fasse vomir son sang à celle qui veut avoir injustement quatre tiên. » À peine avait-elle prononcé ce vœu que les quatre tiên tombèrent devant la grande porte et que la femme se mit à vomir des caillots de sang. Les gens du village accoururent ; ils se prosternèrent devant la dame. « Quatre tiên, dirent-ils, ne sont pas grand’chose, pardonnez à cette sotte femme. » La dame alors anima un médium et dit : « Elle avait repris son argent et se l’était laissé voler, maintenant elle accusait celle à qui elle l’avait confié d’abord de ne pas les lui avoir rendus. Osera-t-on encore venir à ma porte faire de ces serments ? » Les gens du village firent de grandes prières et au bout de quelque temps la femme reprit ses sens ; on lui apprit ce qui s’était passé et elle vint faire une offrande au sanctuaire.


XCIII

LA PRINCESSE NGOC.



Sur les limites du Quâng nam et de la province de Hué, se trouve, dans le village de Chu mai, la montagne de Ai vàn où l’on voit un temple dédié à la princesse Ngoc.

Cette princesse appartenait à la famille royale des Ly. Quand cette dynastie eut été renversée, elle se réfugia dans le Tràn ninh, district de montagnes qui dépend du Quâng nam. Elle vécut avec les gens du peuple et épousa le capitaine d’un bateau chinois dont elle eut deux enfants.

Le capitaine, nommé Làn, repartit pour la Chine, et sa femme vint avec ses enfants habiter au village de Chu mai pour attendre son retour, mais ce fut en vain. Désespérée, après l’avoir attendu longtemps, elle se tua avec ses enfants, et ils devinrent aussitôt des esprits qui manifestèrent leur puissance. Ils apparaissent pendant la nuit sous la forme de trois lueurs rouges étincelantes.

Les bateliers leur font des offrandes et les bateaux qui vont faire le commerce accostent à cet endroit pour sacrifier et demander que leurs opérations soient fructueuses, quand il y a tempête, les barques qui sont en mer ne voient plus l’entrée du port ; mais alors il s’élève de la mer deux feux qui la leur montrent. C’est pourquoi les commerçants de ces parages se sont réunis pour bâtir un temple à ces esprits.

Du temps de Minh mang un vaisseau de guerre fut surpris par la tempête. Il resta trois jours et trois nuits sans pouvoir entrer au port. Enfin deux feux se montrèrent sur l’avant du bateau et le guidèrent. Au bout d’un instant, il eut échappé aux vents et se trouva dans le port. Le roi Minh mang décerna à la princesse Ngoc le titre de : Dame puissante.




XCIV

VENGEANCE D’UN GÉNIE.



À Van tu, dans la province de Nam dinh, vivait un chef de canton nommé Tuyèn qui était riche et grand amateur de curiosités. Il aimait beaucoup, entre autres choses, les kiéu[235] et les achetait à tout prix. Ces oiseaux sont noirs. Un jour qu’il était allé à Hà tinh pour visiter des parents il vit dans im temple révéré un kiéu complètement blanc. Il eut aussitôt la plus grande envie de le posséder. Il alla donc à la pagode faire un sacrifice, après quoi il demanda au génie du lieu de lui donner l’oiseau, mais les sapèques tournaient toujours sans donner de réponse[236].

Tuyèn revint chez lui et ramena trente hommes à qui il fit tendre des filets pour prendre l’oiseau. Quand ils s’en furent emparés il l’emporta dans sa maison et lui fit faire une cage à trois étages laquée de rouge et d’or. Cet oiseau était blanc, vers le milieu de la matinée il devenait rouge, à midi bleu ou jaune. À son chant tous les autres oiseaux descendaient du haut des airs.

Quinze jours après, vers la troisième veille, Tuyèn entendit quelqu’un qui l’appelait du dehors et lui disait : Rapporte le kiéu à mon temple et rends-le moi. Si tu ne le fais pas, dans dix jours je te tue. Le matin venu Tuyèn avait déjà la fièvre et souffrait de la tête. Sa famille était épouvantée et voulait rapporter l’oiseau mais il dit : « Ce génie n’a pas le droit de changer mes destinées à cause de cet oiseau. »

Trois jours après, au milieu de la nuit, on vit venir devant la porte un homme vêtu d’un habit rouge et portant un sabre à la main, qui répéta l’avertissement. Tuyèn ne voulut pas davantage céder. Sa maladie s’aggrava. Quand il fut sur le point de mourir il appela son fils et lui dit : « Quand je serai mort brùle avec moi cent feuilles de papier et ce qu’il faut de pinceaux et d’encre[237]. Quand je serai aux enfers je porterai plainte contre ce génie. Quant au kiéu suspends-le près de ma tablette. Si tu ne m’obéis pas je reviendrai te tourmenter. » Les dix jours expirés il mourut.




XCV

EXPLICATION D’UN RÊVE.



Deux étudiants nommés l’un Nguyèn xuàn quan et l’autre Huinh van trung étaient intimement liés. Ils avaient étudié dans la même école, et, l’année màu thàn se présentèrent ensemble à un examen de faveur[238]. Ils logeaient dans la même auberge.

Une nuit Quan rêva qu’il avalait deux montagnes. Le lendemain il raconta son rêve à Trung qui se moqua de lui. Quan cependant, inquiet, alla trouver un devin pour se faire expliquer son rêve. Celui-ci jeta les baguettes et dit à Quan que le présage était heureux et qu’avaler deux montagnes d’une bouchée signifiait qu’il serait deux fois reçu premier dans ses examens.

Quan revint tout joyeux à la maison et fit connaître à Trung la prédiction du devin. Celui-ci ne fit qu’en rire et, voulant se moquer du devin, alla chez lui et lui raconta le même rêve comme lui étant arrivé. Le devin, après avoir reçu l’argent, consulta ses sorts et dit : « Vous avez un esprit d’irrévérence et vous avez voulu tromper les génies, vous ne serez pas reçu à cet examen. » Trung rentra chez lui ; il lui poussa des deux côtés de la bouche deux boutons qui s’ulcérèrent, et il mourut[239]. Quant à Quan, il fut reçu comme l’avait prédit le devin.


XCVI

LA TÊTE D’ÉLÉPHANT.



Au village de Hûn lè dans le huyèn de Ky anh se trouve une montagne qui a la forme d’un éléphant couché. On l’appelle la tête d’éléphant. Du temps de la dynastie Lé ce village avait, produit dix-huit généraux[240]. Le roi Gia long, après qu’il eut établi sa domination, craignant que ce village ne continuât à produire des guerriers, fit détruire les deux oreilles de cette tête et dans le ventre de l’éléphant creuser un canal par où s’écoulent les eaux de la montagne qui sont toutes rouges. Sur l’épaule de la montagne se trouve maintenant une caverne dont autrefois l’on ne connaissait pas l’existence. Elle est pleine de ténèbres et l’œil ne peut en sonder la profondeur.

Dans ce village de Hûn le il y avait un individu nommé Yô van tùng qui était d’une famille riche mais aimait beaucoup le plaisir. Il était sage et hardi, et aussitôt qu’il entendait parler de quelque curiosité il allait y voir. Lorsqu’il eut appris l’existence de cette caverne il alla y coucher pour voir s’il s’y passait quelque chose. Il l’avait déjà fait plusieurs fois sans résultat lorsqu’une nuit, vers la troisième veille, par un clair de lune éclatant, il vit une jeune fille d’une beauté céleste.

Notre homme s’approcha d’elle, mais avec un sentiment de terreur, et tenant la main à son sabre pour se garder. La jeune fille avait à la main une fleur de nénuphar. Elle lui demanda ce qu’il venait faire là. Il répondit : « Autrefois il n’y avait pas ici de caverne ; ayant appris que maintenant il y en avait une profonde et vaste je suis venu la visiter. » La jeune fille lui dit : « Voici longtemps que j’y demeure et personne n’osait en approcher. N’y revenez plus à l’avenir. » Tông répondit : Je veux voir auparavant s’il n’y a rien d’extraordinaire. « Puisque vous voulez voir, dit la jeune fille, je vous ferai voir ce qu’il y a. » Elle lui donna sa fleur de nénuphar et disparut. Aussitôt Vô van tông se trouva environné de bêtes sauvages, ours, éléphants, chevaux, lions, tigres, hommes à tête de buffle ou de singe tenant en main des épées. Il s’évanouit et ne reprit ses sens que le lendemain où tout avait disparu. La bouche de cette caverne avait été fermée par des rochers entassés. Il retourna raconter son aventure au village, et depuis ce temps personne n’a osé revenir en cet endroit.




XCVII

NGUYÉN CÔNG TRU.



Nguyèn công trù était un homme du huyên de Nghi xuân, dans le Nghé an. Il avait beaucoup d’intelligence, mais fut cependant refusé plusieurs fois à ses examens. Un jour qu’il était allé voir des danses, il devint amoureux d’une danseuse ; ne possédant pas assez d’argent pour racheter, il s’engagea au service de son frère pour faire la cuisine. Il y resta deux ans sans pouvoir arriver à rien. Une nuit qu’il voulait porter les mains sur cette danseuse, elle le repoussa en disant ù hu ![241] Dépité, il quitta la troupe et alla passer ses examens. Il fut reçu, et aux examens de la cour obtint le titre de bâng nhàn[242].

Il fut nommé phù de Kién xuong, dans la province de Hà nôi. Dans les réjouissances qui furent données à cette occasion, il retrouva sa troupe de danseurs, mais ceux-ci étaient tout étonnés et ne savaient que penser. Il retint la danseuse dont il avait été amoureux et, prenant le maillet à frapper le tambour[243], il lui ordonna de chanter des vers et d’y placer les mots ù hu. À ce signe, la danseuse reconnut qu’il voulait lui rappeler le passé. Elle se leva et chanta aussitôt :

Giang son mot ganh nào nùng,
Tinh trong ù hu, anh kùng nho khong ?[244].

Passionné pour ma beauté, vous m’avez vu repousser votre amour ; ô héros ! vous en souvenez-vous ?


Nguyén công trù loua son art et se fit reconnaître à son frère. Il la prit comme seconde femme et en eut cinq enfants qui tous arrivèrent aux emplois.

Sous le règne de Minh mang il fut envoyé pour réduire des bandes de pirates chinois et annamites. Il fit prisonnier plus de 50,000 Annamites et obtint de la cour la permission de les établir dans la province de Nam dinh, qui était déserte et où il fonda les huyèn de Kiém son et de Ly âp. Ces huyèn sont riches et florissants Ils révèrent Nguyén công trù sous le titre de Thành hoàng.

La première année Tu dùc, Nguyén công trù se rendit à la cour et demanda trois choses : une augmentation de solde pour les troupes, la liberté du commerce entre le Tonquin et la Basse-Cochinchine et le comblement du marais de Trà son[245]. Il fallait y employer 50,000 hommes pendant dix ans. Si cela ne se faisait pas, il se produirait à l’avenir des rébellions dans le pays. Il ne fut pas écouté et feignit d’être sourd pour obtenir la permission de se retirer de la cour. L’événement prouva qu’il avait raison, car de grandes guerres eurent lieu par la suite.




XCVIII

FEMME SAUVAGE.



Un lettré avait une femme d’excellent caractère, les deux époux s’aimaient tendrement. Ils avaient aussi une servante qui les aimait beaucoup. Un jour la servante alla dans la montagne ramasser du bois ; elle trouva une grande caverne obscure dans laquelle ses regards ne pouvaient pénétrer, les pierres qu’elle y jeta roulèrent avec un bruit sourd.

Elle revint à la maison et raconta à ses maîtres ce qu’elle avait vu. Ceux-ci lui dirent de les mener à cette caverne. Arrivés sur les lieux, ils restèrent à regarder ; mais par malheur la femme glissa et tomba dans l’abîme. Le mari fut saisi d’effroi ; il alla tout de suite arracher des lianes et les jeta au fond afin qu’elle put s’y cramponner et remonter, mais les jours passèrent sans qu’elle reparut.

Le mari resta à pleurer et à se lamenter près de la bouche de la caverne pendant un an. Enfin, ne voyant pas revenir sa femme, il s’en retourna chez lui avec la servante, mais il passait sa vie dans la tristesse et ne voulait plus entendre parler de se remarier.

Un jour la servante revint à la montagne pour ramasser du bois. Elle entendit du bruit dans un arbre et vit sa maîtresse dépouillée de ses vêtements et le corps couvert de poils comme une bête sauvage. Elle fut saisie à la fois de joie et de crainte. « Oh ! dit-elle, comment êtes-vous faite ? Le maître est à la maison à vous pleurer et à attendre votre retour ; il n’a pas voulu se remarier. Pourquoi ne revenez-vous pas ? » La femme lui répondit : « Fais mes compliments à mon mari et dis-lui de se remarier sans plus m’attendre ; je ne veux pas revenir dans le monde. »

La servante courut à la maison avertir son maître, et celui-ci vint vite chercher sa femme. Il la trouva perchée sur l’arbre. Le mari se roulait au-dessous en pleurant et suppliait sa femme de descendre pour causer ensemble. Celle-ci lui répondit : « Je vous remercie d’être venu ici pour me voir, mais il suffit que nous nous soyons vus. Retournez chez vous et prenez une autre femme, je ne veux plus revenir avec vous. »

Le mari cependant ne l’écouta pas et la pressa tellement de descendre qu’elle finit par y consentir. Il l’embrassa, la supplia et enfin la ramena dans leur maison.

La femme était toujours couverte de poils. Heureusement un passant, qui se disait médecin, promit de lui faire prendre des drogues qui lui feraient tomber tous ces poils. Quand elle eut bu le médicament, tous les poils tombèrent et elle fut dix fois plus jolie qu’auparavant.

Son mari lui demanda pourquoi elle n’était pas sortie tout de suite de la caverne et s’était ainsi transformée, tandis qu’il l’attendait pendant plus d’un an. Elle lui dit : « Je tombai dans cette caverne et j’y restai je ne sais combien de temps. Quand je remontai à l’ouverture, je ne vous y trouvai plus. Comme j’avais faim, je cueillis des fruits. Au bout de quelque temps je me sentis toute légère, je me mis à grimper sur les arbres, et mon corps se couvrit de poils, mais je trouvais cela tout naturel. »

Le mari fut tout surpris de ce récit et pensa que la caverne était le séjour des génies. Cette femme donna le jour à deux enfants et mourut.




XCIX

NAISSANCES MIRACULEUSES.



I


Dans le huyèn de Thanh chuong, province de Nghè an, vivait une femme nommée Huinh thi phuoc qui était veuve et sans enfants. À l’âge de quarante ans elle se retira dans une pagode pour se livrer à la pénitence. Une nuit elle vit en rêve un individu à figure rouge qui était vêtu d’un habit bleu. Quand elle se réveilla elle fut saisie d’effroi et au matin elle alla raconter son rêve au supérieur de la pagode. Celui-ci se livra aux calculs nécessaires et lui dit : a Vous avez fait pénitence pendant plusieurs années ; le Ciel et le Bouddha, touchés de votre piété, vous ont donné un fils. Vous ne pouvez demeurer davantage dans cette pagode, de peur que je ne sois accusé de votre grossesse. Il vous faut donc rentrer dans le monde.

Thi phuoc obéit au supérieur et quitta la pagode. Quelque temps après elle mit au monde un garçon de jolie figure. Comme il ne s’était écoulé que dix mois entre le moment de l’accouchement et le temps où elle avait quitté la pagode, les notables pensèrent que le supérieur de la bonzerie était le coupable. Ils le menèrent donc, ainsi que la mère et l’enfant, devant le huyèn, et celui-ci condamna le bonze à les entretenir.

Parvenu à l’âge de dix ans, l’enfant se distingua par son intelligence. Le supérieur le fit étudier, et il comprenait dix lignes à la fois[246], aucun autre écolier ne l’égalait. Ouand il eut seize ans, sa mère demanda au bonze de lui donner un nom pour qu’il put se présenter aux examens[247]. La nuit elle rêva que quelqu’un lui disait : « Demain ordonne à l’enfant de monter sur le caki[248], il trouvera son nom écrit au creux de l’arbre. » Le lendemain matin elle le fit grimper sur le caki et il vit que l’on avait gravé dans le creux de l’arbre les trois mots : Luong qui chành. On le fit donc inscrire sous ce nom dans les registres du village, et il alla passer ses examens et fut reçu licencié. À son retour, les gens du village et ses amis lui offrirent un banquet. Quelques jours après le supérieur mourut et l’on constata que c’était un hermaphrodite[249], et qu’on l’avait injustement accusé d’être le père de l’enfant.


II


Dans le huyên de Huong son vivait une veuve nommé Lè thi nhàn qui, voyant que Thi phuoc avait, par sa pénitence, obtenu un enfant du Ciel, voulut elle aussi se retirer dans la même pagode pour obtenir la même faveur. Chaque nuit, lorsque tout le monde dormait, elle allait se prosterner devant l’autel et suppliait le Bouddha de lui accorder un fils.

Il y avait déjà deux ans qu’elle vivait dans la pagode lorsqu’une nuit elle rêva qu’un homme l’appelait de devant la grande porte et lui disait : « Sors pour que je te donne un fils. » Elle sortit et vit un homme au corps noir qui lui dit de tendre la main. Il lui frappa dans la main et Thi nhàn s’éveilla.

Le lendemain matin elle alla raconter son rêve au supérieur qui lui dit, tout effrayé : « Assez ! assez ! Ne restez pas ici davantage, pour m’attirer encore des désagréments comme Thi phuoc. Elle rentra donc dans son village et au bout d’un an donna le jour à un garçon qui se distingua bientôt par son intelligence et par sa force, mais qui s’adonna au vin et aux plaisirs.

On l’appelait le nho Tao[250]. Il avait une tache rouge dans l’oreille. Quoique savant, il fut refusé à ses examens, vola, fut mis en prison et s’enfuit en brisant ses fers. Il fonda une bande qui dévasta le pays.




C

HISTOIRE DU TRANG NGUYEN TRINH.



Dans le pays de Hai duong il y avait une jolie fille douée de toutes les beautés et de toutes les vertus. Elle avait un profond génie naturel et voulait prendre un époux qui lui donnât pour fils un roi dominateur du monde, mais elle ne le trouva pas. Elle épousa le cong Luàn et, au bout de quelques mois, fut enceinte.

Quand les neuf mois et dix jours de sa grossesse furent accomplis, elle ordonna à son mari de lui construire un réduit élevé[251], parfaitement clos de tous côtés. « Lorsque j’accoucherai, lui dit-elle, laissez-moi faire toute seule et ne venez pas regarder ; si vous ne vous en absteniez pas il arriverait malheur. » Le mari lui obéit.

Trois jours après l’accouchement cette dame voulut éprouver son mari ; elle coucha l’enfant sur un hamac, toutes les portes closes, et dit à son mari : « J’ai tout fermé, n’entrez pas pour le voir » ; là-dessus elle partit. Au bout de trois jours le mari eut envie de voir l’enfant ; il grimpa dans la charpente et vit l’enfant couché dans le hamac. À peine l’eut-il aperçu que l’enfant cria : « Je vous salue ! mon père qui venez voir votre fils. »

Le père fut saisi de frayeur et descendit au plus vite. Sa femme revint et le réprimanda, « Je cherchais, dit-elle, à faire de votre fils un prince dominateur du monde, mais lui et vous vous avez voulu qu’il ne fût que le premier lettré[252] d’une époque de troubles. À votre guise, mais pour moi, vous ne me reverrez plus. » Ce discours achevé, elle disparut.

Le père et le fils demeurèrent ensemble. À dix-sept ans Trinh alla passer ses examens à la cour des Mac[253] et fut reçu avec le titre de trang nguyèn ; mais comme il était intérieurement partisan de la dynastie Lè, il feignit d’être malade et resta chez lui sans vouloir occuper d’emploi dans l’administration des Mac. Par la suite il fit semblant d’être aveugle et se retira dans une pagode.

Lorsque les Mac vaincus se retirèrent à Thâi nguyèn, Trinh envoya son frère Trai au secours des Lè, lui disant de s’adresser à lui lorsqu’il se trouverait dans quelque difficulté. Trai était son demi-frère, né de la même mère, mais d’un autre père. Il habitait le Thânh hoa, avait passé ses examens à la cour des Lè et avait aussi obtenu le titre de trang nguyèn. Mais son génie était de beaucoup inférieur à celui de Trinh qui, en toutes choses, était le maître et lui marquait la conduite à tenir. Seulement Trinh, qui avait passé ses examens chez les Mac, ne voulait pas les servir et dirigeait son frère qui servait les Lè. Quant à lui, feignant d’être aveugle, il vivait dans une pagode.

Lorsque les Mac eurent de nouveau été battus et refoulés jusqu’à Lang son, Trai envoya un émissaire à son frère pour lui demander ce qu’il fallait faire. Le messager vint à la pagode de Trinh, mais celui-ci, pendant trois jours, ne lui donna aucune réponse. Un matin enfin, au point du jour, Trinh alla au lieu où était couché ce messager, lui arracha sa natte et le chassa en disant : « Pars vite ! bien vite ! »

Le messager courut rapporter la chose à Trai. Celui-ci branla la tête et dit : « Mon frère nous dit de nous hâter et que nous vaincrons. » En effet les Mac furent battus et forcés de se réfugier en Chine. Les soldats des Lè les avaient poursuivis jusqu’aux défilés des frontières, quand devant eux ils trouvèrent Trinh qui leur barrait le chemin. Le commandant de l’avant-garde prévint Trai qui accourut avec le roi Trang tông et demanda à Trinh pourquoi il arrêtait ainsi la marche de l’armée. Celui-ci répondit : « Ne poursuivez pas les rebelles aux abois[254]. Je veux un jour remplir envers Mac mon devoir de sujet ; je ne puis les laisser périr. Je vous prie de rappeler vos troupes et de laisser les Mac fuir en Chine. » Le roi Le et ses troupes écoulèrent Trinh et se retirèrent en arrière.

Dans le royaume d’Annam, depuis la dynastie des Hong bàn jusqu’à maintenant, il n’y a pas eu d’autre trang nguyên digne de ce titre que le trang Trinh. Il savait tout ce qui était arrivé cinq cents ans avant lui, tout ce qui devait arriver cinq cents ans après lui, et il en avait composé un livre[255]. Mais le roi Minh mang, irrité de ses prédictions, défendit d’en parler sous peine de mort, de sorte qu’il n’est pas connu du peuple.




CI

VERTUS MERVEILLEUSES
DE L’OISEAU KHACH.



Deux enfants d’une famille riche revenaient de faire leurs études, quand ils rencontrèrent un berger qui élevait un khâch[256]. Les deux frères virent que ce khâch était doué de pouvoirs merveilleux et que celui qui mangerait sa chair deviendrait un roi. Ils demandèrent donc au berger de le leur vendre. Le berger le leur donna pour quatre mille ligatures.

Arrivés chez eux, les deux frères confièrent cet oiseau à trois servantes, chargées : la première de le nourrir, la seconde de le baigner, la troisième de le surveiller.

L"oiseau grandit à merveille, mais un capitaine de bateau chinois, qui connaissait la magie, fut instruit par ses calculs astronomiques de l’existence de cet oiseau. Il vint donc dans le pays et, tandis que les deux frères avaient quitté leur maison pour continuer leurs études, il fit la cour à leur mère et devint son amant.

Au bout de quelque temps il fit semblant de vouloir retourner en Chine. La mère fit tout son possible pour le retenir, mais il lui déclara qu’il ne consentirait à rester que si elle lui faisait manger cet oiseau. La mère ordonna donc aux servantes de le faire cuire et de le lui servir. Celles-ci résistèrent d’abord, alléguant les ordres de leurs maîtres, mais elle les battit et elles furent forcées d’obéir.

Pendant ce temps les deux étudiants se sentirent pris de douleurs intérieures ; quand ils prenaient en main un pinceau il était aussitôt couvert de mouches. Ils demandèrent à leur maître la permission de retourner chez eux, car il devait s’y passer quelque chose d’extraordinaire.

À peine étaient-ils arrivés à la porte, que les servantes se précipitèrent vers eux et leur dirent que leur mère avait pris pour amant un capitaine chinois qui, en ce moment, dormait dans la maison et leur avait ordonné de lui servir le khâch, mais il n’était pas encore cuit et était dans la marmite.

Les deux frères n’osèrent rien dire à leur mère. Ils se firent porter le khàch, le mangèrent, prirent de l’argent et de l’or et donnèrent trois mille ligatures, aux servantes, en leur disant de se retirer ailleurs. Quant à eux, ils allèrent dans la montagne. Là ils se mirent à se chercher les poux et s’endormirent.

Deux génies qui les virent ainsi, et qui les savaient prédestinés à être rois, les transportèrent l’un dans le royaume de Sô, l’autre dans le royaume de Tê. Bientôt après la guerre éclata dans tout l’empire, mais les deux frères vainquirent tous leurs adversaires et se trouvèrent chacun maître d’un royaume. Ils eurent alors une entrevue où il se reconnurent.




CII

LES CINQ JUMEAUX[257].



Deux époux avaient une fille qu’ils avaient élevée dans leur maison et surveillée avec soin jusqu’à l’âge de quinze ans. Un jour ils la menèrent à la pagode ; elle alla se promener dans le jardin et, voyant une fleur ravissante, elle la cueillit et la mangea. À partir de ce moment elle se trouva enceinte. Ses parents ne surent comment cela avait pu se faire et essayèrent de lui faire avouer qui était son amant. Quoiqu’elle protestât de son innocence, ils la chassèrent et l’envoyèrent vivre à la pagode avec le bonze qui, croyaient-ils, l’avait déshonorée.

Quand elle fut arrivée à cette pagode un génie lui apparut et lui dit : « Quand lu mettras au monde ton enfant, ne lui donne pas de nom ; demande-lui quel est son nom, et il le répondra. » Le terme venu elle accoucha de cinq garçons. Elle leur demanda comment ils se nommaient, et ils répondirent, le premier : « Je suis Le Fort »[258] ; le second : « Je suis Corps d’airain, foie de fer »[259] ; le troisième : « Je suis Regarde-nuages, Écarte-poussière »[260] ; le quatrième ; « Je suis Le Sec »[261] ; le cinquième : « Je suis L’Humide »[262].

Ces jumeaux se ressemblaient tous. Quand ils furent grands ils songèrent à se rendre utiles à leurs parents. Le Fort allait couper du bois qu’il échangeait contre du riz. Comme d’une charge de bois il remplissait la cour d’une maison, il avait beaucoup de pratiques. Sa renommée alla jusqu’aux oreilles du roi qui, un jour qu’il devait offrir un sacrifice aux ancêtres, le fit venir et lui promit de lui donner une charge de riz pour une charge de bois.

La charge de bois remplit tout le palais du roi, mais quand Le Fort eut pris sa charge de riz en échange, il se trouva qu’il avait emporté la moitié de ce que contenaient les magasins royaux. Le roi, irrité, résolut de le faire périr, et lui commanda de revenir dans dix jours. Il rentra chez lui et raconta son aventure à ses frères.

Regarde-nuages avait pénétré les mauvais desseins du roi ; il dit donc au Sec d’aller à la place du Fort. Quand Le Sec fut arrivé en présence du roi, celui-ci ordonna à ses serviteurs de s’emparer de lui et d’aller le noyer dans la mer ; mais les soldats eurent beau le tenir sous l’eau il ne mourait pas et ils le ramenèrent. Le roi le renvoya en lui commandant de revenir dans dix jours.

Regarde-nuages vit que le roi avait cette fois dessein de le brûler. Il envoya donc L’Humide. Le roi l’invita à un repas qui lui fut servi dans un pavillon à étage auquel on mit le feu. Mais L’Humide ne témoigna aucune crainte et dit simplement : « Il fait bon ici. » Le roi voyant qu’il n’avait pu le brûler le renvoya en l’ajournant à dix jours.

Cette fois Regarde-nuages envoya Corps d’airain. Aussitôt arrivé le roi commanda de le décapiter, mais les sabres ne pouvaient l’entamer et il disait simplement qu’on le chatouillait. Furieux, le roi descendit de son trône pour essayer de le décapiter lui-même. L’autre lui dit : « Mes paroles vous irritent, mais tous vos efforts sont inutiles, vous ne pouvez que me chatouiller.

Le roi irrité, mais ne sachant plus que faire, lui dit de revenir dans dix jours et qu’il lui céderait son trône. Regarde-nuages vit que cette fois le roi était sincère. Quand les dix jours furent expirés il se présenta devant le roi avec sa mère et ses quatre frères. Le roi, à la vue de ces cinq jumeaux parfaitement ressemblants, comprit qu’il avait affaire à des génies célestes ; il céda son trône à Regarde-nuages et se retira dans une pagode pour faire pénitence.




CIII

MORTS PRÉMATURÉES.



Autrefois il y vivait une famille nommée Lièu dont tous les hommes mouraient à l’âge de trente et un ans. Les membres de cette famille étaient dans l’effroi et ne savaient comment faire pour éviter la mort.

En ce temps vivait aussi un certain Lù vong qui avait vécu trois cents ans. Il venait ordinairement s’asseoir sur un grand rocher pour pêcher. Les gens disaient qu’il était injuste qu’un homme vécût si longtemps, tandis que d’autres mouraient à la fleur de l’âge.

Un membre de la famille Lièu étant mort ainsi descendit aux enfers ; il se plaignit au roi des enfers de cette inégalité et lui demanda d’examiner le cas. « Comment, dit-il, Lù vong vit-il toujours depuis plus de trois cents ans, tandis que ceux de notre famille ne peuvent dépasser trente et un ans ? »

Le roi des enfers ne pensait pas que quelqu’un eût pu vivre trois cents ans sur la terre ; il crut donc que l’autre mentait. « Ce n’est pas possible, dit-il ; je vais te donner deux démons pour l’accompagner et m’amener ce Lù vong afin que je l’interroge ; mais si tu ne m’as pas dit la vérité, je te punirai. »

Deux démons suivirent donc le plaignant à l’endroit où habitait Lù vong, qui était un pays montueux. Lieu se mit à penser : « Comment faire pour bien prouver que Lù vong a réellement trois cents ans ? » Il commanda donc aux démons de se cacher et avança tout seul jusqu’au rocher où Lù vong était occupé à pêcher. Il le salua des deux mains jointes et Lù vong lui demanda ce qu’il venait faire là. L’autre, se prosternant, lui dit : « Autrefois mon père, en se promenant sur la cote, trouva un grand rocher couvert de lichens de tous côtés. Il regarda dans l’intérieur et vit que ce rocher était de plusieurs couleurs, de sorte que les poissons venaient s’y cacher en grand nombre. Grâce à cela mon père devint riche. Aujourd’hui mon temps est venu, mais, je ne sais comment, ce rocher a disparu ; je l’ai cherché partout sans le trouver. L’on dit cependant qu’il a remonté le courant jusqu’ici ; je vous supplie de me le montrer. » Lù vong s’emporta et lui dit : « Tu es fou ! Voilà trois cents ans que je vis et que je viens pêcher ici, qui jamais a vu un rocher remonter le courant ? »

Aussitôt qu’il eut dit ces mots, l’autre appela les démons et leur dit : « C’est bien véritablement Lù vong. » Les démons le saisirent et il mourut à l’instant.

C’est ainsi que le vieillard fut joué par le jeune homme[263].




CIV

UN VIEUX COQ DEVIENT UN ESPRIT
MALFAISANT.



Il y avait un homme riche qui avait des centaines de volailles ; si les fouines, les rats, les corbeaux, les aigles lui en enlevaient quelques-unes il ne s’en apercevait même pas. Son jardin était large et entouré de vingt ou trente rangs de bambous. Cette clôture avait plus de deux truong de profondeur. Un coq s’y engagea en cherchant sa pâture ; une fois dans la haie il se vit entouré de bambous de toutes parts et ne put sortir. Il resta là plus de vingt ans exposé à toutes les intempéries, voyant sans fin le soleil et la lune renouveler leur cours[264]. Il acquit enfin le pouvoir de se transformer, et, prenant la figure tantôt d’un garçon, tantôt d’une fille, il entrait tous les jours dans la maison et y causait les plus grands désordres.

Les jeunes gens maigrissaient, les filles devenaient folles, le maître voyait sa fortune disparaître entre ses mains et rien ne pouvait remédier à cette situation ; il fallut abandonner la maison. On alla chercher le thây phâp pour exorciser la maison ; l’esprit lui tomba dessus et il dut s’enfuir, laissant là sa cloche et son mô ; un bonze vint chanter le kim cang[265], mais l’esprit lui fit une bosse à sa tête rase. Plusieurs autres tentatives échouèrent également ; le maître continuait à s’appauvrir et ne savait à qui se vouer.

Heureusement il vint à passer un étudiant qui cherchait des ressources pour pouvoir faire ses études. Il entra dans cette maison pour demander à manger et fut tout étonné de la voir abandonnée et le maître assis les genoux entre les mains. L’étudiant lui demanda comment il se faisait qu’il fût seul dans une maison où l’on avait l’air d’être à l’aise ? Le maître répondit en gémissant : « Hélas ! Toutes mes affaires sont à vau-l’eau ; je n’en finirais pas de vous les conter. » L’étudiant lui dit : « Racontez-moi ce qui vous tourmente, si je puis vous aider je le ferai de toutes mes forces. »

Le propriétaire lui conta alors comment il avait appelé d’habiles thây phâp, de savants bonzes qui avaient tous été chassés par le mauvais esprit. À quoi bon le risquer encore, lui, frêle étudiant[266] ? Il craindrait que l’esprit n’ajoutât à ses embarras en faisant du mal à ce nouvel adversaire.

L’étudiant répondit : « Laissez-moi le mater à ma guise. Emportez de la maison tout ce qu’il y a d’argent et de meubles et allez-vous-en aussi. Seulement faites-moi porter chaque jour quelques bouchées de riz, à peine une pleine soucoupe[267] ; dans cinq jours je saurai ce que c’est que ce revenant et nous pourrons prendre les mesures nécessaires pour nous débarrasser de lui. »

L’étudiant s’assit donc au milieu de la maison, occupé nuit et jour à lire le livre des transformations[268] et à en réciter les soixante-quatre que[269] ; durant les cinq veilles de la nuit, les six heures du jour, il n’arrêtait pas un instant. La troisième nuit le revenant apparut. Il éteignit la lampe, l’étudiant la ralluma sans rien dire et continua à travailler. Le revenant fit apparaître une main qui, du toit, descendait sur la lampe ; l’étudiant ne s’épouvanta pas. Le revenant se transforma en un serpent qui vint ramper devant le lit de camp, l’autre sembla ne pas même l’apercevoir.

La nuit suivante le mauvais esprit apparut sous la forme d’une jeune fille qui vint agacer l’étudiant, mais celui-ci ne lui adressa pas la parole. Le revenant alors porta la main sur le livre que lisait l’étudiant mais sans oser le lui arracher, L’étudiant saisit cette main et demanda au revenant : « De quelle espèce de mauvais esprits es-tu pour oser profaner le livre du Saint homme ? Si l’on t’a fait quelque tort, si tu as quelque chose à réclamer, dis ce que tu veux et je le ferai connaître au propriétaire afin qu’il s’occupe de te soulager. Il n’est pas licite de venir tourmenter les hommes et détruire leurs biens. Celui qui le fait commet contre le Ciel et la Terre un péché irrémissible. »

Le revenant se mit à gémir et dit : « J’étais un coq ; je suis entré dans un massif de bambous pour chercher de la pâture et j’y suis pris depuis tantôt plus de vingt ans, subissant la chaleur et la pluie, la neige et la rosée, voyant se succéder les révolutions du soleil et de la lune. Au bout d’un long espace de temps je me suis transformé et je suis venu ici pour demander à mon maître de me délivrer ; mais, voyant qu’il n’avait pas pitié de son serviteur, j’ai été irrité et j’ai fait tout ce dommage pour l’émouvoir et non pour autre chose. Maintenant je vous prie de me délivrer, je vous serai reconnaissant et je ne ferai plus aucun mal. »

L’étudiant lui dit : « Si tu dis la vérité, montre-moi le bambou où tu es pris, demain je le ferai détruire et tu pourras sortir. » Le revenant répondit : « C’est à gauche en sortant d’ici ; au bout de six ou sept rangées vous arriverez au point où je suis couché. » Pendant ce discours le revenant avait mené l’étudiant jusqu’à la grande porte ; il lui dit alors de lui lâcher la main pour qu’il lui montrât l’endroit, mais à peine l’étudiant eut-il desserré les doigts que le fantôme disparut, et l’on entendit un froissement dans les bambous comme lorsque l’on traîne des épines.

L’étudiant alla raconter de point en point au maître de la maison ce qu’il avait vu. L’on envoya couper ces bambous, et lorsqu’une éclaircie eut été pratiquée l’on vit un coq d’apparence étrange, le milieu du corps effilé et les deux extrémités renflées. L’étudiant ordonna de faire un feu et de brûler ses ossements afin qu’il put renaître à une vie nouvelle dans laquelle il se montrerait reconnaissant du bienfait reçu.

À partir de ce moment, grâce à l’étudiant, la maison redevint calme et florissante comme par le passé. L’on vit ainsi que la doctrine du Saint homme réprime les mauvais démons qui n’osent plus exercer leur malice. Le maître de la maison alla rendre grâces à l’étudiant. Celui-ci lui dit : « Sachez que c’est à la Sainte doctrine que vous devez d’avoir recouvré la paix. »




CV

LES QUATRE AMES EN PEINE.



Un marchand de tambours était allé vendre sa marchandise dans le pays. En passant devant une montagne il rencontra un homme assis à l’ombre sous un banian, et s’arrêta à causer avec lui. Ils se demandèrent mutuellement leurs noms. Le marchand de tambours s’appelait Tam et l’étranger Tù. Celui-ci dit que lui aussi faisait du commerce, mais qu’en ce moment il n’avait pas de fonds et cherchait à se placer pour vivre.

Tam, ayant pitié de sa misère, lui dit de le suivre pour l’aider dans son commerce. Ils partirent donc avec leurs tambours. Au bout de quelque temps ils eurent soif et cherchèrent un puits pour boire. Lorsqu’ils eurent trouvé le puits. Tù dit à Tam : « Je vais m’attacher ma ceinture autour du corps et vous me descendrez dans le puits pour boire ; quand j’aurai bu, vous me retirerez et je vous rendrai le même service. »

Ils firent comme il avait été convenu, mais lorsque Tam fut dans le puits, l’autre l’y laissa sous un prétexte, prit les tambours et disparut. Tam, après l’avoir attendu quelque temps, remonta en se hissant à l’aide de sa ceinture, et, ne retrouvant plus ni Tù, ni ses tambours, il vit qu’il avait été volé.

Comme il faisait déjà sombre, il s’égara et arriva à une pagode où il demanda au gardien de lui donner l’hospitalité pour la nuit. Celui-ci lui dit : « Restez si vous voulez ; mais il y a ici quatre esprits de personnes sans sépulture[270] qui apparaissent à la troisième veille et dévorent tout étranger. Je ne puis donc vous accueillir. » Tarn répondit : « Je mourrai s’il le faut, mais je vous prie de me cacher dans quelque coin. » — « Il n’y a point ici d’endroit où je puisse vous cacher, répondit le gardien ; voilà le trou où demeurent ces démons ; c’est derrière l’entrée que vous serez le plus en sûreté. »

À la troisième veille les quatre âmes en peine revinrent de quelque expédition. Sans voir Tam, elles s’arrêtèrent à côté de l’entrée de leur trou et se mirent à causer. La première dit : « À gauche, derrière cette pagode sont enfouies dix jarres d’argent et à droite dix jarres d’or. Et vous autres, savez-vous quelque chose de nouveau ? » La seconde dit : « Je connais quelque chose à l’aide de quoi l’on pourrait nous détruire. Les trois autres lui demandèrent : « Quelle est cette chose ? » — « C’est, répondit la seconde âme, une pierre de tortue[271]. Si quelqu’un s’en emparait, il pourrait nous faire périr. Elle est à côté de la caverne. » À ces mots Tam se précipita pour s’emparer de cette pierre. Les mauvais esprits essayèrent de se jeter sur lui pour le dévorer, mais il tenait déjà la pierre, et les fit périr. Au jour il alla remercier le gardien de la pagode. Il revint ensuite avec des ouvriers pour déterrer le trésor et se trouva riche. Quant à Tù, il avait été rencontré sur son chemin par les mauvais esprits, et ils l’avaient dévoré.




CVI

MÉTEMPSYCOSE D’UN LETTRÉ
EN UN CHIEN.



Il y avait dans la province de Hà tinh deux étudiants nommés l’un Trân thâî et l’autre Lè huu thuong, qui étaient liés d’une étroite amitié. Par la suite, Trân thâi fut reçu à ses examens et fut employé dans la province de Quâng binh, au phù de Quâng trach. Quant à Lè huu thuong, il mourut de la petite vérole.

Une dizaine d’années après Trân thâi fut nommé an sât de la province de Nam dinh. Il avait une chienne jaune qui était près de mettre bas. Une nuit il vit en rêve Lè huu thuong qui lui dit : « Votre chienne mettra bas deux chiens jaunes et un blanc. Je vous prie de prendre le chien blanc et de le brûler avec de la balle de paddy, alors je pourrai m’incarner de nouveau en un homme, car c’est moi qui vais être incarné en ce chien. Je vous prie de me rendre ce service, car ce serait grand pitié de moi. »

La chienne mit bas trois petits chiens, deux jaunes et un blanc, comme Trân thâi en avait été averti en rêve. Il tua le chien blanc et le brûla avec de la balle de paddy[272]. Trois jours après il vit en rêve Lè huu thuong qui se prosterna devant lui et le remercia en disant : « Je vais m’incarner de nouveau en un homme et être le fils du tri phù de Ky anh ; mon père sera Trân viêt tan, ma mère Hô thi truong. » Tout cela se vérifia en effet.


CVII

L’HOMME QUI ACHÈTE UN CHIEN,
UN CHAT ET UN SERPENT.



Il y avait un homme simple qui avait encore sa mère et était très pauvre ; il résolut de se louer comme rameur pour gagner sa vie et entretenir sa mère. Il reçut d’avance quarante ligatures du patron du bateau et les emporta avec lui dans la pensée d’acheter quelque pacotille qu’il revendrait avec bénéfice.

Le bateau passa dans un pays où ils firent un grand commerce, et notre homme se mit à chercher quelque article de peu de valeur qu’il put acquérir. Or, un homme de ce pays avait un chien qui volait toujours de quoi manger ; il ordonna à un de ses domestiques de l’attacher et d’aller le noyer au fleuve. Ce domestique rencontra notre rameur qui lui demanda combien il voulait lui vendre le chien ? L’autre lui répondit qu’on lui avait dit d’aller le noyer parce que c’était un chien voleur, pourquoi l’acheter ? Mais le rameur insista et le domestique finit par le lui céder pour trois ligatures. Le rameur ramena son chien au bateau et l’attacha à l’endroit où il ramait.

À un autre moment il vit un homme qui allait noyer un chat ; il lui proposa de l’acheter, l’autre lui dit : « C’est un chat voleur que mon maître m’envoie noyer, qu’en ferez-vous ? » Le rameur répondit : « Peu importe ! vendez-le moi. » Et il acheta le chat trois ligatures et l’attacha dans le bateau à côté du chien.

Quelque temps après enfin il vit un homme qui portait un serpent et demanda aussi à l’acheter. L’homme lui dit : « C’est un serpent très méchant que je vais noyer, pourquoi l’acheter ? » Le rameur lui répondit : « Peu importe ! vendez-le moi. » L’homme le voyant assez bête pour acheter un serpent, lui en demanda cinq ligatures, et le rameur les lui donna.

Le bateau partit pour s’en retourner dans leur pays, et au bout d’un certain temps le serpent plongea dans le fleuve. Son maître le regretta beaucoup et plongea après lui pour le repêcher. Le serpent, touché de ce qu’il l’avait sauvé de la mort et lui montrait encore son affection en cherchant à le repêcher, lui donna une pierre précieuse[273] pour lui témoigner sa reconnaissance, et ensuite il le guida jusque chez lui.

Le patron du bateau ayant vu son rameur sauter dans le fleuve et ne pas reparaître le crut mort et alla bien vite faire sa déclaration au village, afin que les notables lui en donnassent acte et qu’il ne fut pas, par la suite, accusé de la mort de ce rameur. Il revint ensuite chez lui et y trouva le rameur qui était arrivé depuis trois jours.

Quand le serpent avait donné sa pierre précieuse au rameur, il lui avait dit : « Prenez cette pierre précieuse ; par son moyen vous serez riche et vous obtiendrez tout ce que vous désirerez. » Il s’enrichit donc rapidement et épousa la fille d’une bonne famille du voisinage.

Il vivait à l’aise dans sa maison, mais sa femme n’avait pas de bijoux. Cette femme, voyant la pierre précieuse étincelante que possédait son mari, lui dit de la porter chez l’orfèvre pour en faire faire un bracelet. L’orfèvre qui reconnut sa valeur la remplaça par une autre, et quand, par la suite, le mari et la femme voulurent faire des souhaits ils ne les virent plus s’accomplir.

Le chien et le chat que notre homme avait précédemment rachetés continuaient à vivre avec lui. C’étaient des animaux très intelligents. Ils comprirent que c’était l’orfèvre qui avait détourné la pierre précieuse et dirent à leur maître qu’ils allaient se mettre à sa recherche pour la recouvrer.

Ils partirent donc, et en route rencontrèrent une troupe de loutres qui les saluèrent en disant : « Salut frère chien, sœur chatte[274]. Reposez-vous un peu en attendant que nous allions chercher du poisson pour vous le faire manger. » Le chien et le chat restèrent avec eux quelque temps et se remirent en route. Ils rencontrèrent ensuite une troupe de rats palmistes qui leur demandèrent où ils allaient. « Nous avons une affaire, répondirent-ils[275]. » Les rats palmistes leur dirent : « Restez un peu avec nous, nous allons chercher du poisson et des crevettes. Quand vous aurez mangé vous partirez. »

Le chien et le chat arrivèrent enfin à la maison de l’orfèvre. Le chat dit au chien : « Laisse-moi grimper d’abord sur le faîte de la maison et me mettre à miauler ; les chiens de la maison se mettront tous à aboyer après moi et pendant ce temps tu pourras entrer sans qu’ils te voient. Quand ils auront fini je descendrai en tapinois et nous aviserons à ce qu’il y aura à faire. »

Le chien et le chat, une fois réunis, rencontrèrent le roi des rats[276]. Celui-ci leur demanda : « Que venez-vous faire ici ? » — « Nous avons affaire répondirent-ils. » Le roi des rats leur dit : « Laissez-moi d’abord aller chercher de la viande pour vous faire manger. »

Quand ils eurent mangé, le chien et le chat se demandaient comment ils pourraient faire pour percer le coffre-fort[277] de l’orfèvre. Le rat s’en chargea, mais quand il eut fait un trou dans le bois il ne put traverser le coffre de cuir qui était dans l’intérieur parce qu’il était gêné dans ses mouvements. Il alla donc chercher des souris qui firent un trou dans le cuir et rapportèrent la pierre précieuse. Le chien la prit dans sa bouche et sortit de la maison.

Une fois sortis de la maison, le chien et le chat se disputèrent à qui porterait la pierre précieuse. Ils la portaient alternativement ; arrivés à une rivière, le chien se mit à la nage avec la pierre précieuse dans sa bouche, mais par malheur il la laissa échapper ; elle tomba dans le fleuve et un poisson l’avala.

Le chat se mit en colère contre le chien et l’accabla d’injures. Le chien dit : « Comment faire maintenant ! » Le chat répondit : « Voilà la pierre perdue, nous n’avons que faire de revenir chez notre maître. Allons demeurer chez un pêcheur et faisons-nous aimer de tous par notre intelligence. Peut-être ce pêcheur prendra-t-il le poisson qui a avalé la pierre ; alors nous nous en emparerons. »

Le chien et le chat allèrent donc dans la maison d’un pêcheur qui les reçut bien et défendit à ses enfants de les battre. Comme ils étaient très intelligents, ils furent bientôt aimés par toute la famille. Un jour le pêcheur prit un gros poisson dans le corps duquel se trouva la pierre précieuse. Le chien et le chat s’en emparèrent et prirent la fuite. Au retour ils rencontrèrent de nouveau les loutres et les rats palmistes qui les traitèrent comme à l’aller.

Quand ils eurent remis la pierre précieuse à leur maître ils lui dirent : « Nous vous avons témoigné notre reconnaissance pour nous avoir sauvé la vie, maintenant donnez-nous un repas, attachez-nous au cou trois feuilles de papier argenté et trois sapèques et délivrez-nous, afin que nous puissions renaître dans une autre existence que celle de chien et de chat. Nous vous en aurons à tous une reconnaissance éternelle.




CVIII

RECONNAISSANCE D’UN TIGRE.



Vers la fin de la dynastie Trân vivait au village de Truong xâ, dans le huyên de Chân lôc, province de Nghê an, un homme de la famille Nguyèn. Il vivait de la culture de ses champs. Il avait un fils encore jeune.

Les rizières de cet homme étaient basses, aussi y avait-il beaucoup de poissons. Il fit un barrage pour y placer des nasses. Ces rizières étaient voisines de la forêt. Un jour que notre homme avait placé ses nasses, un tigre vint les visiter, il les brisa et mangea le poisson qu’elles contenaient. Il se trouva qu’un câ rô gros et vigoureux se débattit, hérissa ses nageoires et lui resta à la gorge.

Le tigre essaya vainement de s’en débarrasser, mais il ne put, malgré tous ses efforts, ni achever de l’avaler, ni le rejeter. Il resta donc à se rouler et à gémir. Quand le propriétaire vint visiter ses nasses il ne sut d’abord à quoi il avait affaire, mais ayant allumé une torche, il vit le tigre gisant et ne témoignant d’aucune intention malveillante.

Il demanda au tigre ce qu’il avait à gémir ainsi, et voyant qu’il ouvrait la gueule et y portait toujours la patte il se douta qu’il avait dû manger le poisson et qu’une arête lui restait au gosier. Il dit donc au tigre : « Si c’est une arête que vous avez à la gorge, inclinez la tête, et j’irai chercher un remède pour vous tirer d’affaire. » Le tigre inclina la tête deux ou trois fois ; l’homme alors courut chez lui, prit du rau mà et un bec de cormoran[278] et retourna avec deux ou trois autres personnes au lieu où le tigre gisait le cou tendu. Il pila ses herbes et les introduisit dans la gueule du tigre qu’il racla ensuite à deux ou trois reprises avec le bec de cormoran. Le poisson descendit aussitôt dans l’estomac. Le tigre soulagé se mit à bondir de joie.

Quatre ou cinq jours après, au milieu de la nuit, l’homme entendit un bruit de pas autour de sa maison, et le lendemain il trouva des traces de tigre et un porc qui avait les pattes brisées et que son tigre lui avait apporté en signe de reconnaissance.

Deux ans plus tard, une nuit qu’il avait été porter des nasses au barrage, l’homme mourut subitement. Le tigre emporta le cadavre et alla l’enterrer dans un tombeau de princes.

Mais lorsque, le jour venu, la famille ne vit pas revenir son chef, on se mit à sa recherche. L’on trouva près du barrage les traces du tigre, on les suivit jusqu’au moment où elles se perdirent près du tombeau. Là on vit un petit tertre tout récent, on le fouilla et l’on y trouva le cadavre du mort, qui ne portait aucune trace de violence. Son fils Nguyèn nhut l’emporta pour le mettre dans un cercueil et ensuite le fit enterrer ailleurs.

Le tigre alla à ce tombeau, le démolit et en enleva le cadavre qu’il porta à travers les rizières jusqu’au Giong mô nuong où il l’enterra profondément. Il égalisa ensuite la terre et ne marqua pas la place par un tertre, de peur qu’on ne défît encore son œuvre. Dès le matin des termites avaient recouvert la fosse d’un monticule, de sorte que nul ne put la retrouver.

Or, cet emplacement était un tombeau de grand seigneur. Nguyèn nhùt devenu grand se distingua dans les lettres et les armes. Il aida puissamment le fondateur de la dynastie Le et reçut le titre de Cang quôc công. Ses descendants occupèrent les emplois pendant trois ou quatre siècles. Tels furent les effets de la reconnaissance du tigre.




CIX

LE MORT RECONNAISSANT À CELUI
QUI A GARDÉ SON TOMBEAU.



Dans la province de Bâc ninh vivait un pauvre ouvrier. On le réquisitionna pour aller exercer son métier à Huê[279]. Arrivé dans le Nghê an, après avoir passé le bac de la rivière Lâch, il fut subitement pris de maladie, se coucha au pied de la montagne de Kè giàng et mourut. Les termites recouvrirent son corps d’un tertre. Ses enfants ne surent ce qu’était devenu leur père. Il se passa ainsi plus de quinze ans ; les fils devinrent riches et puissants, mais il ne connaissaient pas le jour de la mort de leur père, aussi ne pouvaient-ils lui offrir le sacrifice anniversaire, ce qui les chagrinait extrêmement.

Revenons au tombeau du mort. Dans le village de Kè giàng il y avait un individu nommé Khâ, qui laboura la terre où se trouvait ce tombeau ; voyant que personne ne l’entretenait, il fut touché de pitié et chaque année il le réparait et l’exhaussait. L’âme de l’ouvrier reposait en paix et avait beaucoup de reconnaissance pour Khâ.

Un jour que dans la province de Bâc ninh sa famille lui offrait un sacrifice et que Khâ labourait son champ, cette âme prit la forme humaine et apparut au devant de l’attelage. « Vous labourez bien matin », dit-elle à Khâ. Celui-ci répondit : « Je laboure de bonne heure pour faire des planches et planter des patates. » — « Il est encore de bonne heure, répondit l’autre. Chez moi l’on sacrifie aux anciens ; laissez là votre charrue et vos bœufs, et venez boire avec moi une tasse de vin ». Khâ lui répondit : « Excusez-moi, j’ai peur si je laisse mes bœufs ici qu’ils ne fassent des dégâts. » Le fantôme insista : « Je vous demande, dit-il, de venir seulement pour quelques instants, après vous vous en retournerez. Vous me ferez grand plaisir, » Khâ voyant qu’il insistait ainsi ne put refuser davantage. Il dit : « Vous êtes un brave homme ! mais je suis en habits courts, je ne puis aller chez vous convenablement, vous avez des hôtes que cela scandaliserait. Le fantôme dit : « Voici un habit et un pantalon, mettez-les à la place des vôtres et venez avec moi, ne nous faisons pas attendre. » Khâ revêtit les vêtements et le suivit. Après un bout de chemin ils franchirent un fossé, un peu plus loin ils sautèrent par dessus un rocher et, à peu près dans le temps qu’il faut pour chiquer une chique de bétel[280] ils arrivèrent à leur destination. Là, Khâ vit nombre de gens bien vêtus avec de longs habits de cérémonie, de larges pantalons ; ils étaient assis sur deux rangs, il avait beau les regarder il n’en connaissait pas un. Leur accent était rude et différent du sien. Il fut saisi de frayeur, mais étant là il n’eut qu’à se mettre à manger. Le repas était bon, Khâ but beaucoup et s’enivra.

Après le repas, celui qui l’avait invité vint lui dire : « Partons, il se fait tard. » Khâ répondit : « Nous sommes tout près de chez nous, je sais le chemin, passez devant et tout à l’heure je vous suivrai. » L’autre lui dit : « Si vous restez, rendez-moi l’habit que je vous ai prêté pour que je l’emporte. » Khâ ôta l’habit et s’endormit.

Les gens de la maison virent cet individu qui dormait sur le lit et qu’aucun d’eux ne connaissait. Ils le réveillèrent et lui demandèrent qui l’avait invité. Khâ qui avait cuvé son vin se réveilla. À la vue de ces inconnus parlant avec un accent étranger il fut saisi de frayeur, se rappelant que pendant la nuit il avait été invité à venir à un festin et ne sachant comment il se trouvait couché là. Il demanda où il était et on lui répondit qu’il était dans un village du huyên de Dông ngàn, dans la province de Bâc ninh. « Mais vous, lui dit-on, où demeurez-vous et qui vous a invité à venir ici ? » À cette demande, Khâ fut troublé et déclara la vérité. « Je suis, dit-il, du village de Kè giàng dans le Nghé an. Au point du jour je labourais au pied de la montagne de Giàng, quand un inconnu parut à la tête de mes bœufs et m’invita à venir à une fête chez lui. Je lui dis que je labourais de bonne heure afin de planter des patates et que je n’avais pas d’habit sous la main, mais il me prêta des habits et insista tellement que je le suivis pour lui être agréable. En chemin, il me dit : « Il y a quelques années j’étais pauvre et je suis venu ici pour gagner ma vie ; je demeure dans cet endroit où vous labourez, mais mes enfants habitent encore là-bas. » Ces paroles m’avaient bien fait réfléchir, mais je n’avais su que faire ; je ne pouvais pas penser qu’il me menât ainsi à cinq ou six jours de marche. »

À ces paroles les gens de la famille furent remplis de joie. « C’est évidemment, dirent-ils, notre père qui est parti pour aller à Huè il y a quelques années et avait disparu. Nous ne savions où étaient ses restes et si on les avait enterrés. Maintenant nous savons où est son tombeau, grâce à cet homme à qui nous sommes grandement redevables. » Ils le comblèrent de présents et le renvoyèrent à six jours de marche, dans sa maison où sa femme et ses enfants le croyaient mort.




CX

L’ÉTUDIANT ENTRETENU
PAR SON AMI[281].



Duong lè et Luu bînh étaient deux étudiants liés ensemble d’une étroite amitié et qui s’aimaient comme des frères. Ils étudiaient dans la même école et étaient tous les deux très pauvres, mais Duong lè était un grand travailleur et Luu bînh un paresseux.

Quand vint l’examen ils se présentèrent en même temps : Duong le fut reçu licencié et Luu binh échoua. Peu de temps après, Duong le fut fait huyên, il devint riche, eut des domestiques et une maison bien montée, tandis que Luu binh continuait à traîner sa misère.

Luu binh, sachant que son ami était devenu riche, avait bien envie d’avoir recours à lui, mais il n’osait se présenter à cause de sa pauvreté, et cependant sans cela il fallait mourir de faim. Il se décida enfin à se présenter. Le soldat de garde ne le laissa pas entrer, mais, après lui avoir demandé son nom et son âge, alla prévenir le huyên que Luu binh qui se disait son ami demandait à le voir.

Le huyên avait l’intention de piquer son ami d’honneur afin qu’il se mit au travail, mais il n’en fit rien connaître. Il réprimanda le soldat et lui dit : « De quel ami me parles-tu ? Ai-je pour amis des gueux de la sorte ? mène-le à la cuisine et fais-lui manger un bol de riz brûlé et une aubergine gâtée et ensuite qu’il s’en aille. Tu lui diras que ton maître fait ses adieux à son ancien ami. »

Le soldat revint et s’emporta contre Luu binh. « Vous êtes un intrigant, lui dit-il, vous m’avez fait réprimander. Vous n’êtes pas l’ami de mon maître. N’allez pas prendre tous les nobles pour en faire vos parents[282]. Venez ! que je vous fasse manger un bol de riz et vous partirez. »

Luu binh était irrité, aussi malgré la faim qu’il ressentait ne mangea-t-il pas le riz brûlé et l’aubergine gâtée qu’on lui servit. Il dit en soupirant : « Je pensais trouver un appui dans l’ami devenu illustre, mais il n’estime que la richesse et méprise la pauvreté ; ce n’est pas là se conduire en homme. Mieux vaut végéter en supportant la faim et buvant de l’eau. » Là-dessus, tout attristé, il s’en alla en chancelant.

Cependant Duong lè avait appelé sa concubine Chàu long et lui dit : « J’ai un ami nommé Luu binh qui est très pauvre et n’a pas encore pu se distinguer. Il est venu ici pour me voir, mais j’ai fait semblant de ne pas le connaître et je lui ai fait faire affront par un soldat en lui faisant servir du riz brûlé et une aubergine gâtée qu’il n’a pu manger. Il s’en va tout irrité, mais il est à bout de ressources et n’a plus de quoi continuer ses études ; il faut que vous alliez le nourrir à ma place. Le service que vous me rendrez sera aussi grand que la montagne Thâi son. Dites-moi ce que vous comptez faire. »

Châu long répondit : « Vous m’ordonnez d’aller nourrir votre ami ; je n’ai pas souci de la peine, et telle je pars telle je reviendrai, mais vous ne pouvez sonder mes sentiments, n’aurez-vous aucun doute ? » Duong le lui répondit : « Quand même vous failliriez et quitteriez l’ancien pour le nouveau, qui blâmerait une femme difficile à instruire[283] ? »

Châu long prit donc congé de Duong le et s’en alla emportant de l’argent pour nourrir Luu binh et lui permettre de continuer ses études. Au bout de quelque temps elle le rencontra qui poursuivait son chemin en gémissant. Elle l’accosta et eut l’air de lui faire des avances. Luu binh se voyant pauvre et trouvant une femme jolie et riche pensa aussi à lui faire sa cour pour avoir en elle une ressource. Quand ils eurent causé un peu, Châu long dit à Luu binh : « Promettons-nous le mariage. « Luu binh consentit avec joie. Elle le mena alors à la capitale et loua un appartement où ils demeurèrent pendant que Luu binh continuait ses études. Elle supportait toutes les dépenses de la maison, mais quand Luu binh voulait user de ses droits d’époux, elle lui disait : « Quand vous aurez passé votre examen et que vous serez devenu illustre, alors nous nous marierons, sinon non. En ce moment vous êtes encore un ignorant et l’amour vous ferait perdre votre temps. » Elle se fit une chambre où elle se retirait le soir après le repas en la fermant avec soin. Luu binh restait au dehors à travailler.

En trois ans il devint très savant, et quand arriva le moment de se présenter à l’examen, il fut reçu licencié. Châu long, à la nouvelle de son succès, prépara un repas pour le fêter, envoya un palanquin et des parasols à sa rencontre. Ensuite, sans l’attendre, elle ferma la porte dont elle confia la clef aux voisins et s’en revint chez Duong lè pour lui apprendre que Luu binh avait été reçu. Quand Luu binh rentra chez lui il n’y trouva plus sa femme et apprit des voisins qu’elle avait disparu en leur laissant la clef.

Au bout de quelques jours, Luu binh fit préparer un palanquin pour aller chez Duong le se targuer de sa nouvelle position. Duong le vint au-devant de lui et, après les cérémonies, il fit venir aussi Châu long pour le saluer. À cette vue, Luu binh comprit ce qui s’était passé ; il se prosterna devant les deux époux pour leur rendre grâces et l’ancienne amitié qui était entre eux fut renouée.




CXI

INNOCENCE CALOMNIÉE.



Deux époux avaient donné le jour à une fille nommée Mâu, qui avait tous les talents et toutes les vertus. Elle fut mariée à un lettré du même village. Ils s’aimaient tendrement, mais la belle-mère de Mâu la haïssait et la maltraitait de toutes façons ; Mâu cependant ne se départait pas de ses devoirs de piété filiale et n’osait se plaindre à son mari.

Un jour que la belle-mère était sortie, le mari pria sa femme de lui chercher ses poux. Pendant qu’elle se livrait à cette opération, elle vit dans la barbe de son mari quelques poils qui poussaient à rebrousse-poil. Son mari s’était endormi, elle se leva pour aller chercher un couteau à pince pour arracher ces poils.

Pendant ce temps la belle-mère était rentrée et quand sa bru voulut se servir du couteau pour arracher les poils de barbe de son mari, elle crut qu’elle voulait lui couper le cou, et se précipita sur elle pour reprendre le couteau. Le couteau toucha le cou du mari et fit une blessure. La mère appela au secours et quand les autorités du village arrivèrent, elle leur dit : « Ma bru voulait tuer son mari ; à cette vue je me suis emportée et j’ai appelé au secours. »

Le mari eut beau défendre sa femme et dire qu’elle voulait seulement l’épiler, la mère se refusa à le croire, et le village arrêta Mâu et la remit au juge. Celui-ci l’interrogea et ayant pitié d’elle la garda en prison. Au bout de deux ans il y eut une amnistie, Mâu fut relâchée et revint dans sa famille. Plusieurs personnes la demandèrent en mariage, mais elle refusa absolument et demanda à ses parents la permission d’entrer en religion et de quitter toute pensée du monde.

Dans la pagode où elle se retira il y avait une foule de jeunes novices qui, la voyant jolie, ne faisaient que la pourchasser. Mâu pensa qu’avec tous ces diables de pagode[284] elle aurait la plus grande peine à mener la vie pénitente, elle alla donc demander au supérieur la permission d’aller dans un autre monastère, mais comme elle y aurait été exposée aux mêmes inconvénients, elle prit des vêtements d’homme, et se rendit à la pagode de Tây son où elle se livra à la pénitence.

À la vue de ce joli petit bonze les filles de l’endroit en devinrent amoureuses, et l’une d’entre elles, au moment d’une fête nocturne, pénétra dans la pagode pendant la nuit. Elle alla à la cellule de Mâu qui ne s’y trouvait pas, mais un autre novice y était couché. Celui-ci profita de l’obscurité, et quelque temps après on découvrit que la jeune fille était enceinte.

Le village l’interrogea et la jeune fille confessa qu’elle avait eu des relations avec le petit bonze. Mâu interrogée à son tour niait qu’elle fût coupable, mais elle n’osait se justifier en faisant connaître son sexe. Aussi l’enfant lui fut-il attribué et le supérieur irrité la relégua près de la grande porte avec mission de balayer les feuilles sèches tombées du figuier sacré[285]. Mâu subit son sort sans oser se plaindre. Lorsque l’enfant, qui fut un garçon, fut né, on le remit à Mâu qui l’éleva. Chaque jour elle faisait son ouvrage, après quoi elle mâchait du riz pour l’enfant, et la nuit le faisait dormir dans ses bras.

Une nuit elle se lamentait en secret : « Ciel ! Bouddha ! disait-elle, voyez mon misérable sort ; femme et innocente j’ai été condamnée pour avoir essayé de tuer mon mari. Entrée dans le monastère j’ai été poursuivie par les novices ; il m’a fallu changer de vêtements et venir dans cette pagode, et maintenant je suis encore calomniée ! Boddhisativa Quan âm[286], je vous prie de manifester mon innocence, je suis frappée injustement comme vous l’avez été. »

Or, le supérieur faisait une ronde dans la pagode au milieu de la nuit et l’entendit dire qu’elle s’était travestie. Revenu dans sa cellule il réfléchit qu’elle était délicate et réservée dans toutes ses allures ; elle avait donc dit la vérité, mais il ne savait comment faire pour la faire reconnaître et il avait peur que lorsque l’on aurait découvert que c’était une femme on ne se moquât de la pagode. Aussi n’osa-t-il rien dire et se contenta-t-il de la fournir d’argent et de riz pour élever l’enfant.

Quand cet enfant eut six ans, le supérieur le reprit dans la pagode, et Mâu resta seule près de la grande porte. Elle mourut sans que personne le sût de trois jours ; ce fut l’enfant qui, sortant pour aller la voir, la trouva froide, mais sans aucune marque de corruption. Il se mit à pleurer et les gens de la pagode allèrent avertir le supérieur. Celui-ci dit alors qu’il avait été instruit par Hô phâp[287] que c’était une femme déguisée, innocente des faits qu’on lui avait reprochés, et que maintenant elle était entrée dans le paradis occidental laissant son exemple à imiter.





CXII

STRATAGÈME D’UN GOUVERNEUR
DE PROVINCE
POUR CONVAINCRE UN MEURTRIER.



Dans la province de Nghê an, au huyèn de Chân lôc, vivait un homme riche nommé Trân van phong qui avait dix jonques de commerce et trafiquait des cinq Quang[288] jusqu’au Tonquin. Chaque jonque était dirigée par un patron. L’un de ces patrons nommé Ninh, homme de bonne mine et d’esprit vif, avait depuis longtemps des relations avec la femme de Trân van phong, sans que celui-ci s’en doutât.

Un jour, comme les dix jonques se préparaient à prendre la mer au commencement de l’année, et allaient faire le sacrifice du départ, Ninh persuada à son patron d’accompagner ses jonques jusqu’à la mer. Lui, resta en arrière et, au milieu de la nuit, il se posta sur la route et tua Trân van phong quand il passa en cet endroit. Ensuite il s’embarqua et partit faire le commerce.

Les parents de Phong demandèrent justice, mais les magistrats ne pouvaient trouver aucun indice. Enfin le tông doc du Nghê an fit interroger les dix patrons des bateaux de Phong. Ils nièrent tous. Le tông doc alors s’avisa d’un stratagème. Vers la seconde veille il se fit amener les dix patrons de bateau, leur ordonna de se tenir debout, les bras croisés et regardant une chandelle allumée. Il leur fit prendre à chacun dans la bouche une mèche de moelle de jonc et leur dit : « Celui dont la mèche se sera allongée sera le coupable. »

Le lendemain matin on examina les mèches, et celles de neuf des accusés se trouvèrent égales tandis que celle de Ninh était plus courte, car ayant peur qu’elle ne se fût allongée, il en avait coupé un morceau avec les dents. On relâcha donc les autres patrons et on le mit en jugement. Il reconnut qu’il avait tué Phong, mais il dit qu’il l’avait fait à l’instigation de la femme de celui-ci qu’il avait eu la faiblesse d’écouter. Le juge condamna cette femme à être tirée à cinq chevaux et Ninh à six ans d’exil.




CXIII

FEMME HABILE ET SOT MARI.



Une femme intelligente avait épousé un mari imbécile. Un jour elle lui dit : « J’ai tissé du coton, prends-le et va le vendre quatre ligatures la pièce ; l’en offrit-on trois ligatures neuf lien cinquante-neuf sapèques[289], tu ne le donneras pas. » Le mari prit donc le coton et alla le crier partout, mais il ne trouvait preneur nulle part.

Enfin il rencontra un maître d’école qui lui en acheta deux pièces, mais comme il n’avait pas d’argent sur lui, il lui dit : « Venez demain chez moi prendre votre argent. Je demeure dans le marché où l’on ne vend pas, au lieu où soufflent les longues flûtes, où se trouvent des bambous à un seul nœud[290]. Venez là et je vous paierai aussitôt. » Le lendemain le niais passa toute sa journée à chercher le marché fréquenté où l’on ne vendait pas et ne le trouva pas. Il alla donc raconter sa déconvenue à sa femme, qui devina l’énigme contenue dans les paroles de l’acheteur, et lui expliqua que le marché fréquenté où l’on ne vendait pas est une école, que les longues flûtes sont des roseaux agités par le vent, les bambous à un seul nœud les oignons et que, par conséquent, il devait chercher une école près d’un carré de roseaux et ayant des oignons devant la porte[291].

Muni de ces renseignements, le mari retrouva son acheteur qui lui demanda qui lui avait indiqué sa demeure. L’autre lui répondit que c’était sa temme, et le maître d’école dut reconnaître le génie perspicace de cette femme. Ce jour-là il faisait un sacrifice aux ancêtres. Il invita le niais à boire et à manger. Il lui donna ensuite des gâteaux pour les porter à sa femme, et aussi une branche de jasmin qu’il ficha dans un morceau de bouse de buffle.

La femme comprit à ce message que le maître d’école la raillait d’avoir, malgré son intelligence, épousé un homme stupide. Il est dit en effet :

 
Tiëc con gai khôn lay thàng chông dai.
Tiéc bây hoa lài can bât cut trâu.

Je plains la femme sage épouse d’un sot mari.
Je plains la fleur de jasmin plantée dans la bouse de buffle.

Cette femme se mit à songer à son malheureux sort ; elle devint toute triste et résolut de se jeter à l’eau. Elle alla donc sur le bord du fleuve et s’assit sur la berge, en appelant la mort.

Le maître d’école cependant avait réfléchi aux conséquences de son message et il voulut les prévenir. Il prit une nasse percée[292] et alla pêcher. Arrivé au lieu où la femme se tenait il lui cria : « Allez-vous-en que je prenne du poisson. » La femme voyant un vieillard tout blanc[293] qui venait pêcher avec une nasse percée réfléchit qu’après tout son mari n’était pas plus sot que les autres. Son chagrin s’apaisa et elle s’en retourna chez elle, sauvée de la mort par la finesse du vieillard.




CXIV

UNE PIERRE MISE À LA QUESTION.



Dans la province de Hà tinh vivait une femme très pauvre. Aux approches du Têt[294], elle alla vendre quelques herbes afin d’en employer le prix à faire ses emplettes. En revenant chez elle, comme elle passait un pont, elle laissa tomber dans l’eau tout ce qu’elle avait acheté. Elle s’assit et se mit à pleurer parce qu’elle ne pouvait, à cause de sa pauvreté, remplacer ce qu’elle avait perdu. À ce moment, le huyèn du lieu passa et voyant pleurer cette femme lui demanda ce qu’elle avait. Elle lui raconta le malheur qui lui était arrivé et la peur qu’elle avait en outre d’être battue par son mari. Le huyèn lui dit : « Allez à mon bureau, je vais tâcher de vous tirer d’affaire ».

Une fois revenu à son bureau, le huyèn dit à un satellite d’aller chercher une grosse pierre, de l’attacher avec des cordes ; auprès il plaça un satellite avec sa verge, et à la porte un autre avec deux caisses vides. Il fit ensuite annoncer que tous ceux qui voulaient voir le huyèn donner la question à une pierre pouvaient entrer. Tout le monde accourut, mais au passage chacun devait donner trente sapèques au satellite qui se tenait à l’entrée. Quand les deux caisses furent pleines, le huyên en donna le contenu à la pauvre femme. Il renvoya ensuite au lendemain la mise à la question de la pierre. Mais le lendemain, quand les spectateurs revinrent, ils virent que le huyèn s’était moqué d’eux et n’avait voulu que trouver un moyen de secourir la pauvre femme.




CXV

PÈRE À VENDRE.



Il y avait un riche vieillard qui n’avait qu’une fille mariée et mère d’un enfant. Un jour que le vieillard était allé chez son gendre il était resté à causer avec le père de celui-ci pendant que l’on faisait les préparatifs du repas. Lorsque le repas fut prêt on envoya l’enfant les avertir. L’enfant entra dans la pièce où ils étaient et dit : « Grand-père (paternel) ! le repas est prêt. » Le grand-père maternel dit à l’enfant : « Pourquoi ne t’adresses-tu pas à tes deux grands pères ? » L’enfant répondit : « L’on ne m’a dit d’aller chercher que mon grand-père paternel. »

L’autre, outré de cette négligence à son égard s’en retourna chez lui et dit à sa femme : « Toi, reste ici ; moi, je vais aller chercher des enfants, car ce n’est rien que d’avoir une fille ; mon gendre ne fait aucun compte de moi. » Sa femme, à ce discours, pensa qu’il voulait prendre une seconde femme pour avoir d’autres enfants, elle lui fit des représentations mais le vieillard s’obstina ; il remit à sa femme tous les biens de la maison et partit.

Quand il fut un peu loin de chez lui il se mit à courir les villages et les marchés en criant : « Qui veut m’acheter pour père ? » Tout le monde le repoussait en disant : « L’acheter pour père ! acheter un cadavre pour l’enterrer[295]. On ne vous prendrait même pas pour domestique pour votre nourriture. » Malgré ces rebuffades, le vieillard n’en continuait pas moins à crier qu’il était en vente.

Deux pauvres gens qui l’entendirent crier ainsi se dirent : « Nous n’avons plus de parents, voici un père qui s’offre à nous, voyons combien il veut se vendre et nous l’achèterons si nous en avons les moyens. » Ils firent donc entrer le vieillard dans leur maison et lui demandèrent : « Combien voulez-vous vous vendre ? » — « Cinq ligatures, leur répondit-il. » Comme ces gens étaient pauvres et n’avaient pas d’argent, le mari envoya la femme emprunter cinq ligatures qui furent remises au vieillard.

À partir de ce moment le vieillard vécut avec ces deux époux, soigné par eux comme s’il eut réellement été leur père. Ils enseignèrent à leurs enfants à le respecter comme leur grand-père paternel. Quant au vieillard il ne faisait que manger et dormir, sans rendre aucun service dans la maison. Les deux époux allaient travailler chez les autres pour nourrir leur père et leurs enfants ; mais, comme le produit de leur travail ne suffisait pas, ils se résolurent à mettre en gage un de leurs enfants. Ils allèrent donc trouver le vieillard et lui dirent : « Nous sommes au bout de nos ressources, nous avons pensé à mettre un de nos enfants en gage pour nous procurer de l’argent. » — « Comme vous voudrez, répondit l’autre. » Il avait toujours les cinq ligatures qu’on lui avait données, mais il les avait soigneusement empaquetées, s’en servait la nuit comme d’oreiller et ne faisait nullement mine d’y toucher.

Après le premier enfant on en mit en gage un second et, quand l’argent fut encore épuisé, le mari dit à la femme : « Reste à la maison pour soigner notre père, moi, je vais me mettre en gage à mon tour. » On annonça cette nouvelle an vieillard qui ne fit aucune observation.

Le vieillard habitait ainsi chez ces pauvres gens depuis plus de deux ans et ils avaient entièrement épuisé toutes leurs ressources. Il dit alors à sa bru[296] de le conduire à la maison où son mari était en gage. Arrivé là il demanda au maître de permettre à son fils de revenir chez lui quelques jours pour une affaire. Celui-ci le permit. Le vieillard dit aux deux époux : « Demain matin préparez un repas, ensuite prenez vos enfants et suivez-moi. » Le lendemain ils se mirent donc tous en marche, le vieillard portant ses cinq ligatures. Il les mena sans leur rien dire jusqu’à sa maison. Arrivés là, il appela sa femme et lui dit : « Sors et viens recevoir le fils et la bru que j’ai été chercher et que je ramène » ; là dessus il prit ses cinq ligatures et les remit entre les mains de sa femme. La femme ne comprenait pas bien tout d’abord ce qui se passait, mais, quand le vieillard se fut reposé, il lui raconta toute son aventure. La vieille alors accueillit avec joie les deux époux et leur remit le gouvernement de la maison. On racheta le mari et les enfants et les deux pauvres époux reconnurent les deux vieillards comme leurs parents et les servirent le reste de leur vie.




CXVI

UN MAITRE SAUVE SON ÉLÈVE.



Un étudiant laissa sa femme à la maison[297] et alla en pays étranger continuer ses études. Au bout de trois ans il demanda à son maître la permission de revenir chez lui. Le maître lui inspecta les lignes de la main et lui dit : « Tu ne devrais pas retourner chez toi, mais, puisque tu le veux, pars. Tu rencontreras de grands périls ; pour te prémunir contre eux j’ai quatre instructions à te donner, n’oublie pas de les suivre : N’entre pas dans les pagodes ; ne désire pas les parfums ; ne chasse pas les poules ; ce n’est ni trois, ni quatre, ni six[298] ».

L’étudiant salua son maître et partit. Après un jour de marche il fut surpris par une tempête, sans qu’il s’offrit d’autre abri qu’une pagode de village. Fidèle aux instructions de son maître, il préféra rester dehors que de s’y réfugier, et bien lui en prit, car elle s’écroula et tous ceux qui étaient dedans furent écrasés.

Ayant repris son chemin il arriva chez lui où il fut reçu avec de grandes démonstrations de joie. Elles étaient feintes, car pendant son absence sa femme avait pris un amant. Elle fit semblant d’aller au marché et courut chez l’amant pour le prévenir de l’arrivée de son mari et se concerter avec lui. L’autre lui dit : « Prépare de l’eau parfumée pour laver la tête de ton mari. La nuit je viendrai et je le tuerai. »

La femme fit donc bouillir de l’eau parfumée et dit à son mari de se nettoyer la tête. Le mari, se rappelant la seconde parole de son maître qui était de ne pas désirer les parfums, refusa, et la femme se parfuma elle-même pour ne pas laisser perdre l’eau qu’elle avait préparée. La nuit venue, l’amant se glissa auprès du fit des deux époux et, se guidant par l’odorat, coupa la tête parfumée et s’enfuit.

Le mari se réveilla en sursaut et vit sa femme morte à ses côtés, sans savoir comment cela était arrivé. Il appela au secours. Les autorités du village accoururent et l’interrogèrent, mais il eut beau protester de son innocence, on l’arrêta et on le conduisit au magistrat. Celui-ci l’interroga à son tour ; il raconta tout ce qui lui était arrivé, mais il ne pouvait désigner le meurtrier de sa femme, et le magistrat le conserva en prison pour examiner l’affaire à fond. Il y resta longtemps sans que la lumière se fit.

Un jour que l’on avait mis du paddy à sécher, le prisonnier avait été chargé de veiller à ce que les poules ne le mangeassent pas. Les poules vinrent, mais, fidèle au troisième commandement de son maître, il ne les chassa pas. Le magistrat lui demanda pourquoi, chargé de garder le paddy, il le laissait manger par les poules. L’étudiant répondit : « Mon maître, prévoyant que j’allais courir de grands périls, m’a fait quatre injonctions : il m’a commandé de ne pas entrer dans les pagodes, et une pagode où, sans cela, je serais entré s’est écroulée ; de ne pas aimer les parfums ; j’ai refusé de me parfumer la tête, et ma femme, qui s’était parfumée à ma place, a été tuée ; de ne pas chasser les poules, et voilà pourquoi je ne les chasse pas. »

Le magistrat lui demanda alors quelle était la quatrième parole de son maître. « La voici, répondit l’étudiant : Ce n’est ni trois, ni quatre, ni six. » C’est donc cinq, pensa le magistrat, et il envoya un ordre aux autorités du village pour leur demander s’il n’y avait pas là un individu du nom de Cinq[299]. Si cet individu-là existait, ordre était donné de l’arrêter. Justement l’assassin portait ce nom. Malgré sa résistance il fut amené au magistrat, et devant lui il confessa son crime et les motifs qui le lui avaient fait commettre.




CXVII

L’ÉPOUSE CALOMNIÉE[300].



Il y avait deux commerçants, tons deux mariés et riches, qui faisaient le commerce dans les mêmes parages. L’un se nommait Tinh, l’autre Ly. Un jour qu’ils festoyaient ensemble Tinh se mit à vanter la beauté et la chasteté de sa femme qui, quelque longues que fussent ses absences, restait vertueusement à la maison à élever ses enfants. Il offrit à son compagnon de lui parier toute sa fortune qu’il ne viendrait pas à bout de la séduire. Ly accepta ; ils firent un engagement devant témoins et fixèrent à trois mois le terme de la gageure.

Ly se rendit aussitôt dans le pays de Tinh, mais il fut bientôt assuré qu’il n’arriverait à rien et se désolait d’une occasion qui lui faisait perdre toute sa fortune. Il chercha donc un stratagème pour se tirer d’affaire et suborna une sage-femme qui avait assisté la femme de Tinh dans ses couches et put lui décrire quelques-uns des signes particuliers de son corps.

Lorsque le terme fut accompli Tinh revint chez lui. Ly lui dit qu’il avait séduit sa femme et, pour le lui prouver, lui raconta tout ce qu’il avait appris de la sage-femme. Tinh fut forcé de lui abandonner tous ses biens et maltraita sa femme au dernier point. Celle-ci, ayant appris enfin de quoi il était question, dit que Ly avait menti et qu’elle l’en convaincrait. Elle alla en effet se poster sur le passage de ce dernier, le saisit par les cheveux[301] en le sommant de lui payer ce qu’il lui devait. Ly jurait qu’il ne la connaissait pas et ne lui devait rien, mais elle le traîna devant le juge où il protesta de nouveau que cette femme lui était inconnue. « Comment donc, dit alors celle-ci, a-t-il pu décrire les particularités secrètes de mon corps s’il ne connaît pas mon visage ? »

De cette manière l’imposture de Ly fut découverte ; il fut puni, ainsi que la sage-femme, et Tinh rentra en possession de ses biens.




CXVIII

VENGEANCE D’UN MARI.



Un acteur était allé en tournée de représentations tandis que sa femme demeurait à la maison. À son retour il apprit que celle-ci avait pris un amant. L’acteur chercha mais en vain à lui faire avouer la vérité. Il feignit donc de partir pour une nouvelle tournée et pendant la nuit revint brusquement.

L’amant eut peur et se sauva. L’acteur dit à sa femme : « Je ne te ferai aucun mal, mais à une condition : c’est que tu donneras de nouveau un rendez-vous à cet homme et tu lui demanderas de se couper un doigt[302] et de te le donner. »

Deux mois après l’acteur fit semblant de s’absenter, et la femme donna un rendez-vous à son amant. Après quelques paroles elle lui demanda s’il l’aimait véritablement. L’autre protesta vivement de son amour. La femme lui dit alors : « Si tu veux que je te croie, coupe-toi un doigt et donne-le-moi. » L’amant se coupa le doigt (avec les dents) et le lui donna. Après quoi il partit.

Quand le mari fut revenu, la femme lui donna ce doigt. Le mari fut rempli de joie et la félicita de son adresse, mais pendant la nuit il la tua et lui mit dans la bouche le doigt coupé. Ensuite il alla appeler au secours disant que pendant leur sommeil un malfaiteur s’était introduit dans la maison et avait tué sa femme. Les autorités du village firent des recherches et découvrirent que l’amant avait perdu un doigt. Elles le livrèrent au juge qui le condamna à mort.

C’est ainsi que ce mari se vengea sans péril de la femme et de l’amant.




CXIX

AMOUR PATERNEL ET PIÉTÉ FILIALE.



Il y avait un homme riche qui avait trois fils. Il les éleva avec grand soin, et quand ils furent grands leur partagea ses biens en se réservant une part[303] pour sa vieillesse et celle de sa femme. Les enfants dissipèrent ce qu’ils avaient reçu, le vieillard au contraire fit si bien valoir ce qui lui était resté qu’il se trouva plus riche qu’avant.

Les trois enfants voulurent encore mettre la main sur ses biens ; ils vinrent trouver leur père et lui dirent : « Maintenant vous êtes vieux et faible, vous n’avez plus la force nécessaire pour vous occuper de vos affaires, remettez vos biens entre nos mains, et nous vous nourrirons, vous et notre mère. Le vieillard réfléchit un peu et leur dit que dans trois mois il leur rendrait réponse.

Autour de sa maison il y avait des arbres dans lesquels des oiseaux avaient fait leurs nids. Le vieillard prit deux jeunes oiseaux et les enferma dans une cage. Chaque jour il vit leurs parents venir se poser en dehors de la cage et porter de la nourriture à leurs petits. Les oiseaux, dit le vieillard, aiment leurs petits ; même en captivité il ne les abandonnent pas.

Quand les petits furent devenus forts et purent voler, le vieillard les relâcha et s’empara de leurs parents qu’il enferma dans la cage. Mais il ne vit jamais les petits apporter de la nourriture à leurs parents ou même les visiter.

Les trois mois de délai expirés, les enfants du vieillard vinrent lui demander sa réponse. Il leur raconta ce qu’avaient fait les oiseaux et leur dit : « Vous voulez que je vous partage mes biens, je n’ai aucun désir de les conserver, mais j’ai peur que par la suite vous ne puissiez pas nourrir vos parents. » Les enfants jurèrent qu’ils les nourriraient jusqu’à la fin et insistèrent tant que le vieillard céda à leurs prières et les mit en possession de tous ses biens. Ils les dissipèrent et leurs parents furent plongés dans la misère. Il est dit : Pour nourrir leurs enfants, l’amour des parents est vaste comme la mer ; pour nourrir leurs parents, l’amour des enfants ne dure pas un jour.[304]

 
Cha me nuôi con lai lang biên hô,
Con nuôi cha mo không toi môt ngày.




CXX

CHATIMENT CÉLESTE.




I


Il y avait deux époux qui s’étaient enrichis par l’usure. Ils avaient deux enfants, un garçon et une fille. Les parents moururent et la fille continua à habiter avec son frère. Une nuit de l’année 1872 qu’il faisait au dehors une tempête épouvantable, cette fille s’habilla et se para pour sortir. Son frère lui demanda où elle allait ; elle répondit qu’elle avait affaire dehors. Il voulut l’empêcher de sortir, mais elle persista dans son dessein et quitta la maison.

Elle ne revint pas de toute la nuit. Le lendemain on se mit à sa recherche et on la trouva dans un de leurs champs où elle était déjà engloutie jusqu’à mi-corps. Elle vivait encore et criait : « Cinq mauvais, trois bon ! Le riz hâtif est mêlé au riz du dixième mois[305]. » Autour d’elle la terre était brûlante, aussi ne put-on aller à son secours, et elle resta là à répéter toujours les mêmes phrases jusqu’au soir où elle disparut tout à fait. La terre se referma sur elle, noire et dure comme de la pierre, impénétrable à la pioche.

Cette histoire nous montre que les fautes des parents sont vengées sur les enfants. Les livres nous disent : « Près c’est pour nous, loin c’est pour nos descendants », c’est-à-dire que si les parents ont été vertueux ils laissent des mérites à leurs enfants, s’ils ont été méchants ils leur laissent des châtiments.


II


Il y avait quatre amis dont l’un était riche. Les trois qui étaient pauvres s’aimaient comme des frères. L’un d’eux était le frère germain de l’homme riche. Un jour le riche alla à la maison de l’un des trois autres et lui dit : « Tu es pauvre, je vais te prêter vingt ligatures pour aller faire le commerce. » L’autre consentit à les prendre et alla faire du commerce.

Le riche avait conçu de mauvais sentiments. Il avait une femme laide, tandis que son ami en avait une fort jolie, et il avait résolu d’écarter celui-ci afin de s’emparer de sa femme. Il tua donc la sienne, lui coupa la tête qu’il cacha dans le grenier à riz et prit le corps qu’il alla jeter dans la maison de son ami. Ensuite il enleva la femme de celui-ci et la cacha dans sa maison. Il avait chez lui une petite servante ; il eut peur qu’elle ne l’eut découvert, aussi lui fit-il boire d’une huile qui la rendit muette, afin qu’elle ne pût parler.

Quand l’ami revint de son voyage d’affaires il trouva dans sa maison le cadavre d’une femme morte et pensa que c’était sa femme. Le mandarin le fit arrêter, l’accusant d’être l’auteur de ce meurtre, et il fut condamné à mort. Sa mère alla partout chercher à emprunter mille ligatures pour racheter sa vie, mais elle ne les trouva pas.

Comme elle pleurait sur le chemin, elle rencontra les deux autres amis de son fils qui lui demandèrent ce qu’elle avait. Elle leur raconta ce qui était arrivé, et ils résolurent d’aller s’accuser eux-mêmes de ce meurtre afin de sauver leur ami. Ils allèrent donc se présenter au mandarin et s’accusèrent. La petite servante muette qui savait qu’ils n’étaient pas coupables leur faisait signe de ne pas s’accuser. Le mandarin surprit ces signes et pensa que cette enfant devait savoir quelque chose. Il fit donc prendre à cette servante une drogue qui la guérit de son infirmité, alors elle raconta comment les choses s’étaient passées et dit que tous les accusés étaient innocents.

Le mandarin condamna l’assassin à être décapité, mais ses amis demandèrent sa grâce et elle leur fut accordée. Seulement, comme il sortait du tribunal le tonnerre le frappa, un tigre emporta son cadavre et le dévora.




CXXI

VENGEANCE D’UN MORT.



Il y avait jadis en Basse-Cochinchine un mandarin qui recevait des présents, mais qui ne s’occupait pas des affaires de ceux qui les lui avaient faits. Un jour il reçut vingt barres d’argent d’un pirate et le laissa exécuter. Peu après ce mandarin fut appelé à la capitale.

Dans le même temps avaient lieu des examens. Un étudiant de Gia dinh avait l’intention de prendre part au concours, mais sa pauvreté ne lui permettait pas de faire le voyage. Il rencontra un homme qui lui proposa de partir de compagnie et s’engagea à le défrayer. Cet homme, en effet, avait le plus grand soin de l’étudiant ; il lui procurait des vivres et préparait ses repas, mais pour son compte ne touchait à rien. L’étudiant fut surpris de cette conduite et lui en demanda la raison.

L’autre lui avoua alors qu’il était un esprit et se rendait à la capitale pour se venger d’un mandarin qui l’avait laissé mourir et qu’il lui nomma. L’étudiant lui dit qu’il ne pouvait prendre part à sa vengeance, car ce mandarin avait été son maître. « Peu importe, dit l’esprit, vous lui rendrez le bien que vous lui devez et moi le mal qu’il m’a fait. »

Lorsqu’ils arrivèrent à la capitale les examens allaient s’ouvrir ; l’étudiant s’empressa de se rendre à la salle du concours. Pendant qu’il y était retenu le revenant alla à la maison du mandarin et rendit son fils fou furieux. Ce fils tua un homme, et les parents durent dépenser de grosses sommes pour arrêter l’affaire. Quant au fou, aucun sorcier ne parvint à le calmer.

Les choses en étaient là lorsque l’étudiant sortit de la salle du concours, ayant échoué à ses examens. Le revenant lui dit : « Maintenant que je me suis vengé de mon ennemi vous pouvez le servir, je ne m’opposerai pas à ce que vous délivriez son fils de ma possession. L’étudiant se rendit donc chez son ancien maître. Celui-ci ne voulait d’abord pas le recevoir, mais l’étudiant insista et lui promit de guérir son fils. Il y parvint en effet, et le mandarin lui donna vingt barres d’argent[306] pour revenir dans son pays.




CXXII

HISTOIRES DE REVENANTS.



I


Des gens riches avaient une fille qu’ils aimaient beaucoup. À l’âge de quinze ans, étant encore vierge, elle vint à mourir, mais ses parents, ne pouvant consentir à se séparer d’elle, ne l’enterrèrent pas et conservèrent le cercueil dans la maison. Pendant trois ans on entretint des bougies devant le cercueil ; au bout de ce temps, par la vertu des deux principes[307], la jeune fille se mit à apparaître dans la maison sous la forme d’une ombre vague.

Un jour un bateau de commerce vint mouiller devant la maison. Le patron était un beau garçon qui aimait beaucoup la musique et se plaisait à en faire pendant la nuit. La jeune fille, attirée par les sons, entra dans son bateau et vint trois ou quatre nuits causer avec lui. Une nuit elle l’invita à venir chez elle ; l’autre, qui ne savait pas que la demeure de cette jeune fille était un cercueil, la suivit, et il fut trouvé au matin couché mort sur le cercueil.

Les parents à cette vue furent extrêmement effrayés et s’empressèrent d’enterrer les deux morts.


II


Un mandarin avait deux femmes qui n’eurent pas d’enfants. Elles moururent, et il les fit enterrer l’une dans un jardin de pêchers, l’autre dans un jardin de saules. Quand le mandarin fut mort lui-même, les jardins tombèrent à l’abandon. Un étudiant les trouvant à son gré vint s’y établir ; pendant le jour il allait suivre les leçons de ses maîtres, pendant la nuit il restait dans le jardin.

Jusqu’à son arrivée, les deux mortes n’ayant trouvé dans le sol que le principe femelle, abondamment engendré par l’ombre des arbres, n’avaient pu prendre forme[308] ; mais quand l’étudiant eut séjourné en ce lieu environ un an les deux principes se trouvèrent en quantité suffisante, et elles lui apparurent sous la forme de deux belles filles.

Elles demeurèrent avec lui et, quand il eut passé ses examens avec succès, l’accompagnèrent dans son pays. Elles lui dirent alors ce qu’elles étaient ; et l’influence des deux principes étant efficace, elles purent vivre et avoir des enfants.




CXXIII

MÉTAMORPHOSE D’UN BOUC.



Un homme riche avait trois filles dont aucune n’était mariée, les partis riches ayant été rebutés par leurs exigences et les pauvres n’ayant osé se présenter. Elles avaient ainsi laissé passer l’âge du mariage. Dans le même pays vivait une femme qui avait donné le jour à un bouc. Quand ce bouc fut grand, elle songea à le marier et alla demander pour lui au père des trois vieilles filles une de ses filles en mariage.

Les deux aînées n’en voulurent pas[309] ; la troisième, voyant qu’elle risquait de vieillir comme ses sœurs, dit à son père que si le bouc voulait faire tous les cadeaux de noces elle consentirait à l’épouser. La mère du bouc accepta ces conditions et, quand vint le jour fixé, apporta tous les présents nécessaires. Le bouc fut changé en un beau garçon. Les deux époux eurent beaucoup d’enfants et devinrent fort riches.

Les sœurs aînées, jalouses de leur cadette, se mirent à chercher quelque bouc de même nature, mais elles ne réussirent pas à le trouver.


CXXIV

MÉTAMORPHOSE D’UNE FÉE
EN GRENOUILLE.



Un étudiant pauvre avait perdu ses parents ; cependant, comme il était amoureux du travail, il n’en continua pas moins ses études (malgré les privations qu’il dut s’imposer pour cela). Un jour qu’il allait se promener avec quelques-uns de ses camarades, en passant sur un talus de rizières il étendit la main et prit quelques épis de riz. Aussitôt une voix se fit entendre qui disait : « Qui touche à mon riz ? » L’étudiant regarda tout autour de lui et ne vit personne. En retournant il passa par le même endroit et prit encore une fois quelques épis. La même voix cria de nouveau : « Qui touche à mon riz ? »

L’étudiant se mit à fouiller dans les touffes de riz et ne trouva autre chose qu’une grenouille posée sur un tas d’herhe. Il se persuada qu’elle seule pouvait avoir parlé, l’emporta chez lui et en fit sa femme. Tous ses amis se moquaient de lui, mais il n’en continuait pas moins à la garder.

Quelque temps après, le professeur de ces étudiants ordonna à ceux d’entre eux qui étaient mariés de lui faire coudre chacun un vêtement par leurs femmes. Notre étudiant revenu à la maison dit à la grenouille : « Comment allons-nous faire ? » La grenouille répondit : « Laissez faire les autres ; pourvu que vous ayez un vêtement à donner, peu importe, » Et elle fit descendre du ciel une fée qui, en un moment, lui eut cousu une paire de vêtements.

Le professeur loua fort l’habileté de la grenouille ; les autres étudiants tentèrent alors une nouvelle épreuve et décidèrent que chacun d’eux offrirait à leur maître un plateau de sucreries. Celui que fit la grenouille fut encore le plus beau, et l’on vit ainsi que l’étudiant avait épousé une fée. Ses camarades se mirent à battre les buissons à leur tour pour en trouver autant mais ils n’eurent pas le même bonheur.




CXXV

LE CHAT BONZE[310].



Un chat se mit à jouer avec le chapelet d’un bonze. Il se le passa autour du cou et s’accroupit. Vint une troupe de rats. Le premier dit à ses compagnons : « Le chat fait pénitence, il ne nous attaquera pas. Je vais passer devant lui pour voir. » Il passa et fut croqué. Les autres se dirent : « Nous savions bien que sa pénitence était pour le dehors, mais qu’au dedans il n’était que glaive et couteau. »




CXXVI

LA CHAUVE-SOURIS[311].



Le phung est le roi des oiseaux. Un jour qu’il fêtait l’anniversaire de sa naissance, tout le peuple des oiseaux vint lui apporter des présents. La seule chauve-souris s’abstint. Le phung la manda devant lui et lui demanda pourquoi elle ne lui avait pas porté de présents.

La chauve-souris dit : « J’ai quatre pieds, je suis un quadrupède. »

Quelque temps après ce fut la fête du ky làn, roi des quadrupèdes. Tous les quadrupèdes allèrent lui porter leurs présents, la seule chauve-souris ne vint pas. Le ky lân la fit comparaître et lui en demanda la raison. « J’ai des ailes, répondit-elle, je suis un oiseau. »

Ce conte est une raillerie à l’adresse des métis (de Chinois), qui sont de grands fourbes.




CXXVII

IMPIÉTÉ FILIALE.



I


Il y avait un fils impie. Le Ciel envoya le tonnerre pour le frapper. Le tonnerre, levant sa hache, allait l’abattre sur lui, quand l’autre, lui retenant la main, lui demanda : « Es-tu un jeune tonnerre ou un vieux ? » — « Pourquoi me demandes-tu cela ? » dit le tonnerre. — « C’est, répondit l’autre, que si tu es un vieux tonnerre, tu ne saurais avoir le droit de me frapper. Où étais-tu quand mon père a été impie envers son père ? »


II


Un fils impie accablait son père de mauvais traitements. Il eut lui-même un fils. Le grand-père se mit à choyer son petit-fils, au grand étonnement des voisins qui lui en demandèrent la raison. « C’est, répondit-il, qu’il me vengera quand il sera grand à son tour. »





CONTES POUR RIRE




CONTES POUR RIRE



Les Annamites possèdent, sous le nom emprunté aux Chinois de Tiêu lâm « Forêt du rire », une foule de petites historiettes semblables à celles qui composent nos recueils de facéties. Un grand nombre de ces historiettes sont prises du chinois, et il en est plus d’une que l’on retrouverait même dans nos recueils européens. Ce qui les distingue, c’est qu’elles sont en général destinées à railler une profession : les médecins ont leurs anecdotes contre les devins ; ceux-ci contre les médecins ou les sorciers qui leur font concurrence, etc. Tout cela se raconte entre amis, après boire, et il est bien porté de savoir un grand nombre de ces facéties, et aussi réjouissantes que possible, tandis que personne n’avouera facilement qu’il puisse connaître des contes de bonne femme comme ceux qui ont fait l’objet du reste de ce recueil.

J’ai cru devoir compléter la collection par un certain nombre de ces petites anecdotes triées parmi celles qui pouvaient offrir encore quelque intérêt, sans rebuter par leur grossièreté. Il est assez remarquable que l’on n’en trouve pas qui aient pour objet de railler les gens des diverses provinces. Ce genre de raillerie si commun en France paraît ici beaucoup plus rare, sans manquer toutefois complètement.




I

AVARES.



Un avare avait trois fils. Quand il se sentit près de la mort, il les fit venir et leur demanda ce qu’ils feraient pour ses funérailles. L’aîné dit qu’il ferait un bel enterrement avec accompagnement de musique. L’avare se montra très mécontent de cette dépense inutile. « Je vous laisserai pourrir au milieu des champs », dit le second. L’avare se montra plus satisfait, mais encore ne gagnait-on rien à ce procédé. « Moi, dit le troisième, je vous salerai et je vendrai la viande. » — « Voilà qui va bien ! dit l’avare, mais ne va pas faire affaire avec un tel, c’est un mauvais payeur. »


Un couple fort avare avait trois filles. Ils marièrent l’aînée à un licencié, la seconde à un bachelier et la troisième à un acteur, parce qu’ils aimaient fort pouvoir fréquenter gratuitement le théâtre. Quand ils sentirent leur fin approcher, ils firent venir leurs gendres et leur demandèrent séparément ce qu’ils feraient après leur mort pour leurs funérailles. Le licencié dit : « Je ferai des cérémonies funèbres pendant trois mois et je tiendrai table ouverte pour gens de tout village, de tout âge et de tout sexe. » Le bachelier dit : « Je tuerai cent buffles, cent bœufs, cent porcs et tant que l’argent durera les fêtes dureront. » Les beaux parents furent navrés de cette perspective, aussi se rejetèrent-ils sur leur troisième gendre, l’acteur. Celui-ci leur dit : « Moi ! je m’en tirerai pour cinquante ligatures. — Bien ! dit le beau-père, comment feras-tu ? — J’achèterai deux grandes jarres, poursuivit le gendre, je vous découperai en morceaux et je vous mettrai dans les jarres que je jetterai à l’eau. — Pourquoi cela, dit le beau-père ? — Pour que la mer emporte l’avarice, répondit l’autre ; qu’avons-nous affaire de gens pareils ?


Un avare traitait un de ses amis ; les tasses étaient grandes, mais l’hôte se gardait bien de les remplir. « Holà ! dit l’ami, que l’on me porte un couteau » — « Pourquoi faire ? demanda l’avare. » — « Eh ! pour retrancher à cette tasse toute cette hauteur inutile. »


Un avare traitait un de ses amis, mais il n’avait acheté que du vin trempé. À peine le visiteur en eut-il goûté qu’il se mit à pleurer. L’hôte lui en demanda la raison. « J’ai toujours chéri le vin, répondit l’autre, et je le trouve là si faible qu’il faut qu’il soit mort. »


Un avare avait été saisi par un tigre. Son fils allait tirer sur le tigre quand le père lui cria : « Vise-le au bon endroit sans cela la peau serait perdue. »



II

BUVEURS.



Un bon buveur avait été invité à dîner et se disait avec peine qu’il ne serait pas convenable de réclamer à boire. Il imagina donc un stratagème. Il prit à part le domestique qui devait servir et lui dit : « Je ne puis supporter le vin. Ayez bien soin de me donner la plus petite tasse et quand vous me verserez à boire de ne la remplir qu’à moitié. » En disant ces mots il lui glissait quelque argent dans la main, mais il n’y avait que des pièces fausses. Le domestique furieux s’appliqua tout le dîner à le forcer à boire et ne laissa jamais un instant sa tasse vide.



Un vieil ivrogne s’étant grisé était tombé devant le feu, et s’était brûlé les pieds. Quand il se réveilla il vit les ampoules et se mit à invectiver les assistants qui l’avaient laissé se brûler ainsi. « Mais lui dirent les autres, comment pouvions-nous savoir ce qui vous arrivait ? vous deviez bien mieux le sentir, vous qui étiez brûlé. » — « Vous aviez donc tous le nez bouché, dit l’ivrogne, pour ne pas sentir la corne qui brûlait. »




III

FAISEURS DE PROJETS.



Trois enfants s’amusaient ensemble. « Quand je serai grand, dit l’un, je veux être maire. » — « Moi, dit le second, je ferai des rizières. » — « Tout cela donne trop de peine, dit le troisième ; moi, j’élèverai des canards. » — « Et avec quoi les nourriras-tu ? » dit le second. — « Je ne m’en occuperai pas, répondit l’éleveur de canards. Je les chasserai le matin dans les rizières voisines, et quand ils seront grands je les vendrai. » — « Ah ! tu feras manger mon riz à tes canards », dit le futur cultivateur, en lui sautant dessus. Les autorités accoururent au tapage. « Où sont tes rizières ? » dit-on au premier. Il dit qu’il n’en avait pas. « Où sont tes canards ? » dit-on au second. Il n’en avait pas davantage. On leur administra quelques coups de verge pour avoir dérangé les gens, et on rit de leur dispute.



IV

GOURMANDS.



Une vieille avait l’habitude de manger des friandises en cachette. Un jour que sa bru était absente, elle se fit des gâteaux (de riz gluant) et pour les manger à son aise alla se mettre dans le grenier à riz. La bru, de retour dans la maison, ne vit pas sa belle-mère. Comme elle était aussi fort gourmande, elle prit une assiettée de gâteaux et alla à son tour les manger dans le grenier à riz. Elle y trouva sa belle-mère qui lui demanda ce qu’elle venait faire là. « Je pensais que vous aviez fini vos gâteaux ma mère, et je vous en portais d’autres répondit la bru. »


Il y avait un mari et une femme qui étaient tous deux très gourmands, mais c’était le mari qui l’était le plus. Un jour qu’il avait été de frairie il rapporta un gâteau, et voici ce dont il convint avec sa femme : « Nous allons laisser là ce gâteau, le premier qui parlera en perdra sa part. » La femme consentit à ce marché. Ils étaient donc tous les deux à regarder le gâteau sans rien dire. Quand vint la nuit, un voleur se glissa dans la maison. Les deux époux le voyaient, mais aucun d’eux ne voulait dire un mot ; le voleur s’approcha d’eux et les vit toujours garder le même silence. S’enhardissant, il alla tâter la femme ; le mari regardait toujours et ne disait rien. Le voleur allait enjamber le lit quand la femme, furieuse du silence de son mari, s’écria : « Quoi ! tu vas le laisser faire ? » Le mari bien vite se leva et dit au voleur : « Je te prends à témoin qu’elle a perdu le gâteau. »




V

IGNORANTS.



Un jour, pendant qu’un riche ignorant traitait ses amis, on lui apporta une lettre d’un de ses voisins qui lui demandait un buffle. Il ouvrit la lettre, fit semblant de la lire et dit au domestique : « Dites à votre maître que j’irai tout à l’heure. »



Un avare avait engagé un maître pour enseigner les caractères à son fils, mais quand celui-ci sut écrire un, deux et trois, il le jugea assez savant et congédia le maître. Quelque temps après il dit à son fils d’écrire une lettre à un homme qui s’appelait Dix-mille[312]. L’enfant n’en finissait pas, le père alla voir ce qu’il faisait et trouva qu’il avait rempli des pages de barres. Quel nom difficile ! s’écria l’enfant, je travaille depuis ce matin et je n’en ai encore écrit que la moitié.




VI

MENTEURS



Deux menteurs faisaient assaut de mensonges, « J’ai vu, disait l’un, un tambour que l’on entendait de cinquante lieues. » — « Et moi, disait l’autre un buffle dont la tête était en France et la queue en Annam. » — « Comment cela se pourrait-il ? dit le premier. » — « Sans un buffle pareil, répondit son camarade, on n’eut pas trouvé une peau pour ton tambour ? »



Un menteur disait : j’ai vu un homme dont les pieds touchaient la terre et la tête le ciel. « Tu trouves cela grand, dit l’autre. Moi j’ai vu un homme dont, lorsqu’il baillait, la mâchoire inférieure touchait la terre et la mâchoire supérieure le ciel. » — « Et son corps où était-il ? demanda le premier. » — « Il n’en avait pas. » — « Ah ! vraiment, répartit le camarade, tu es plus menteur que le patron même des menteurs[313]. »




VII

NIAIS.



Il y avait un niais qui ne savait que faire pour gagner sa vie. Sa femme l’envoya vendre de la chaux à bétel. En se penchant sur un puits il y vit son ombre et en même temps entendit crier du fond : Quêt ! quêt ![314] Il crut avoir affaire à des clients qui lui demandaient de la chaux et jeta toute sa charge dans le puits par petits paquets.



Il y avait deux amis dont l’un avait un cheval et l’autre une barque. Un jour le propriétaire de la barque emprunta le cheval de son ami, lui fit faire une longue course et le rendit fourbu. L’autre résolut de se venger de ce mauvais tour. Il emprunta la barque et rama de toutes ses forces toute une journée sur le fleuve.



Un individu avait été condamné à recevoir des coups de rotin ; il engagea un pauvre diable pour aller subir la peine à sa place. Quand celui-ci eut reçu une dizaine de coups il n’en put plus et donna tout son argent à l’exécuteur pour frapper moins fort. En sortant de là il rencontra son bailleur de fonds. « Je vous suis bien reconnaissant, lui dit-il, de l’argent que vous m’aviez donné, sans lui je mourais sous les coups. »



Un soldat du tram[315] avait un message pressé à porter. On lui avait donné un cheval, mais il se contentait de courir derrière. Pourquoi ne montes-tu pas dessus ? lui cria-t-on. — À six pieds nous irons plus vite qu’à quatre, répondit-il.



Une femme avait reçu son amant pendant l’absence de son mari. Le mari revint à l’improviste ; l’amant eut peur et se cacha dans un sac. Qu’y a-t-il dans ce sac ? demanda le mari. La femme tout effarée, ne répondait pas. C’est du riz blanc, cria l’amant du fond du sac.



Il y avait une vieille sotte dont la bru était aussi sotte qu’elle. Un jour la vieille acheta de l’étoffe pour faire une moustiquaire. Elle se mit à la coudre en se tenant assise à l’intérieur, de sorte que lorsque la moustiquaire fut faite elle s’y trouva enfermée et n’en put sortir.

Sa bru, pendant ce temps, faisait une taie d’oreiller ; elle avait roulé son étoffe autour d’une colonne (de la maison) pour la coudre, et quand son travail fut terminé il se trouva que la taie tenait à la colonne. Elle appela la vieille : « Mère ! dit-elle, j’ai cousu une taie, comment se fait-il qu’elle tienne ainsi à la colonne ? » La vieille, tout en colère, lui répondit : « Peste soit de la sotte ! Je suis enfermée ici ; si je pouvais sortir je te battrais. Peut-on être aussi sotte que cela ! »



Deux hommes s’étaient cotisés pour acheter une paire de souliers. L’un les portait le jour, l’autre, pour ne pas perdre sa part, courait toute la nuit. Quand cette paire fut usée, le premier proposa d’en acheter une autre. — « Non, certes, dit son camarade, les souliers donnent trop sommeil. »




VIII

PARESSEUX.



Il y avait un grand paresseux qui voulut l’être plus encore. Il alla donc se mettre à l’école d’un maître en l’art de la paresse. Il entrait chez son maître à reculons. Le maître lui en demanda la raison, « C’est, lui répondit l’élève, que si vous n’êtes pas chez vous, je me trouve ainsi tout tourné pour sortir. » Quand ils allèrent se coucher, le maître lui dit de souffler la lampe qui se trouvait entre eux deux. « Faites-la-moi passer et je la soufflerai, répondit l’autre. » — « Ah ! tu es plus paresseux que notre patron lui-même, dit le maître ; tu n’a pas besoin de mes leçons. »



Un paresseux allait quitter les enfers pour s’incarner en un chat. « Je veux bien être chat, dit-il au roi des enfers, mais je demande à être un chat noir avec une tache blanche sur le nez. » — « Un chat est toujours un chat, dit le roi ; pourquoi veux-tu être fait de la sorte ? » — « C’est, dit l’autre, que lorsque je serai couché, les souris prendront cette tache blanche pour des grains de riz, et je n’aurai pas besoin de me déranger. »




IX

SOURDS.



Un sourd entra dans une maison étrangère. Tous les chiens le poursuivaient en aboyant. Le sourd dit au maître de la maison : « Vous ne laissez donc pas dormir vos chiens pendant la nuit, qu’ils baillent tous de la sorte ! »




X

GLORIEUX.



Un homme pauvre ayant reçu une visite, offrit du thé à son hôte. La femme prépara le thé, mais ne voulait pas le servir elle-même, montrant ainsi qu’elle n’avait pas de domestique. Elle prit donc un enfant du voisinage et lui dit de servir le thé. L’enfant prit le plateau, mais il n’osait traverser la pièce et se serrait contre le maître. « Qu’as-tu à te tenir là au lieu de mettre le thé sur la table ? dit celui-ci. » — « C’est que j’ai peur que votre chien ne me morde », répondit le prétendu domestique de la maison.




XI

BARBIERS.



Un barbier novice avait appris à curer les oreilles. Son professeur ne lui avait enseigné à en curer qu’une, disant que pour l’autre c’était la même chose. Quand notre homme en fut à son premier client, celui-ci, se sentant perforer, se mit à pousser des cris. « Patience ! dit le barbier, je ne suis encore qu’à moitié chemin de l’autre oreille. »




XII

DÉBITEURS.



Un homme était couvert de dettes ; un jour ses créanciers remplissaient la maison au point que le dernier ne put y trouver de place et dut rester dans la rue. Notre homme le prit à part et lui dit de revenir le lendemain de bonne heure. Le créancier crut qu’il lui donnait rendez-vous pour le payer et se présenta au point du jour, « Pourquoi ne me payez-vous pas, dit-il, puisque vous m’avez donné rendez-vous pour cela ? » — « Il n’en était pas question, dit le débiteur, je voulais seulement vous faire arriver assez tôt pour avoir un siège dans la maison »[316].




XIII

DEVINS.



Deux devins[317] aveugles étaient mal dans leurs affaires et ne savaient plus où trouver de quoi manger. Ayant entendu dire que sur la rive il se trouvait une barque vide, ils résolurent de l’enlever et d’aller la vendre ailleurs. Nos deux hommes se jetèrent donc dans la barque et ramèrent de toutes leurs forces, mais ils ne s’aperçurent pas qu’ils ramaient en sens inverse l’un de l’autre, de sorte qu’après avoir peiné toute la nuit ils se trouvaient au même point. Le maître du bateau arriva et leur demanda ce qu’ils faisaient dans son bateau. Les autres qui se croyaient bien loin du point de départ lui répondirent insolemment. L’homme sauta dans le bateau et se mit à taper sur les devins qui s’enfuirent. Dans leur fuite ils se heurtèrent contre un cocotier et, croyant avoir encore affaire au maître du bateau, se prosternèrent devant lui pour le prier de les laisser aller.



Un éléphant passait dans un village ; trois devins aveugles voulurent eux aussi aller voir cette bête curieuse et dirent à leur guide de les y mener. Seulement comme ils ne pouvaient pas le voir ils voulurent le toucher et en obtinrent la permission des gardiens de l’éléphant. L’un toucha la trompe, l’autre les pieds, l’autre la croupe. « On dit que l’éléphant est si gros ! dit celui qui avait touché la trompe ; il est au contraire tout petit, » — « Tout petit ! dit celui qui avait touché la croupe ; mes doigts ne pouvaient en trouver la fin. » — « Oh ! dit le troisième, il n’est pourtant pas si gros que cela : comme un traversin tout au plus. » Là-dessus les devins, en fureur, se mirent à se battre. Le guide, feignant que tous les coups tombaient sur lui, cria au secours, se coucha par terre et prétendit avoir été battu par eux. Ils furent forcés de lui payer cinquante ligatures.



Un pauvre diable avait perdu sa serpe ; il porta une ligature au devin pour qu’il la lui fit retrouver. Le devin tira de son sac une baguette[318] et lui dit de chercher et qu’il la retrouverait certainement. Notre homme se mit à chercher, mais sans effet et il prit la chose si à cœur qu’il en tomba malade, il alla alors chez le médecin qui lui administra une pilule purgative. Cette pilule, opérant, le força à chercher des endroits écartés où il trouva sa serpe. Voilà notre homme guéri et chantant les louanges du médecin. Celui-ci lui dit : « Avec tout cela, tu ne m’as pas payé. Si tu n’as pas d’autre argent va réclamer au devin la ligature que tu lui as donnée et qui me revient à meilleur titre. » Le devin résista, mais les notables du village, devant qui le procès fut porté, le condamnèrent à payer.



Un malade alla consulter un devin pour savoir à quel médecin il devait s’adresser pour traiter sa maladie. Le devin tira une baguette et dit : « Va chercher un médecin chez qui le couteau à hacher les drogues[319] soit couvert de toiles d’araignée. » Le malade courut tous les médecins sans trouver ce qu’il cherchait. L’un d’eux enfin lui demanda des explications, et quand il lui eut raconté son affaire il lui dit : « J’ai ce qu’il te faut. » Il lui montra en effet un vieux couteau dont on ne s’était pas servi depuis longtemps et qui était couvert de toiles d’araignée. Quand le malade eut exposé son mal, le médecin lui ordonna de prendre comme remède une mouche prise sur le visage du devin. Le malade alla à la maison du devin et lui écrasa sur la figure la première mouche qui s’y posa. Ce fut ainsi que ce médecin se vengea du devin.




XIV

FRIPONS.



Un vagabond en quête de son dîner entra dans un village et se mit à crier : « Raccommodeur d’aiguilles ! » Les ménagères enchantées de cette bonne occasion apportèrent toutes leurs aiguilles cassées pour qu’il les raccommodât, mais il déclara qu’il ne pouvait travailler le ventre vide. On lui servit donc à manger. Quand il eut fini, il regarda les aiguilles et demanda où étaient les morceaux du fonds[320]. « Ils sont perdus », dirent les ménagères. « Alors comment voulez-vous que je raccommode vos aiguilles ? », dit le vagabond, et il s’en alla.



Un vagabond voyant faire des cérémonies de funérailles entra dans la maison en donnant les signes de la plus vive affliction. Les parents le prirent pour quelque ami inconnu du mort ; vite on lui offrit à manger et aussitôt lesté il s’esquiva. Il enseigna la recette à un de ses camarades. Celui-ci entra aussi dans une maison où l’on faisait les funérailles d’une femme et se mit à se lamenter sur la mort d’une personne si chère. Comment ! dit le mari, tu viens ici te vanter d’avoir été l’amant de ma femme ! Et il le mit à la porte a grand renfort de coups.




XV

GENDRES.



Un vieil imbécile avait une fille qu’il voulait marier. Ayant entendu dire que les chiens aux yeux blancs étaient les plus intelligents, il pensa qu’il en était de même des hommes, et, se réglant là-dessus dans la recherche d’un gendre, il amena chez lui un aveugle pour lui donner sa fille[321]. Le beau-père voulut mener son gendre à la pêche. Il fallait traverser la forêt, « Comment ferons-nous pour éloigner le tigre ? » demanda le beau-père. Le gendre qui pensait surtout à ne pas se séparer du beau-père, qu’il n’aurait pas retrouvé, lui suggéra l’idée de battre du tambour. Le beau-père passa devant avec le tambour, et le gendre n’eut pas de peine à le suivre. En revenant il se heurta contre un arbre et tomba dans le chemin. Le beau-père le voyant dans cette posture lui demanda ce qu’il faisait. Cet arbre est au milieu du chemin lui répondit-il, je le coupe pour qu’il ne vous gêne pas lorsque vous repasserez par ici. Le beau-père rentra à la maison enchanté d’avoir un gendre si plein d’attentions et sans s’être aperçu qu’il n’y voyait pas clair.



Un sot venait de demander une fille en mariage. Quand il dut aller demeurer chez ses beaux parents pour faire le gendre, il demanda à son père où devait s’assoir le gendre dans la maison[322]. Son père lui répondit : « Ne t’assieds jamais au même endroit que tes beaux parents ; prends pour t’asseoir le banc où il n’y aura personne. Notre homme, une fois arrivé chez sa fiancée, voulut appliquer ces instructions, et voyant qu’il n’y avait personne sur l’autel domestique il alla bravement s’y asseoir. « Tu n’es donc pas mon gendre, tu es mon ancêtre, lui dit le maître de la maison », et il le mit à la porte.




XVI

FONCTIONNAIRES.



Un aspirant aux fonctions publiques prononça un jour ce serment : « Si lorsque j’aurai été nommé j’étends jamais la main pour recevoir un présent, puisse-t-elle se détacher du corps ! » Quelque temps après il fut fait huyên et l’on vint lui offrir des sommes pour qu’il s’intéressât à une affaire. N’osant à cause de son serment les recevoir avec la main, il les fit mettre sur un plateau qui pouvait sans inconvénient se détacher du corps.



Il y avait un phù honnête homme qui ne recevait jamais de cadeaux. Il était inflexible sur ce point ; un jour, des gens à qui il avait fait gagner un gros procès voulurent lui en témoigner leur reconnaissance. Ils vinrent trouver sa femme et lui demandèrent d’accepter les présents que son mari refusait. La femme dit qu’elle n’oserait, mais que s’ils voulaient, ils lui donnassent un rat d’argent et que plus tard elle l’offrirait à son mari qui était né dans l’année du rat. Il fut fait comme il avait été dit. Quand le phù fut devenu vieux il se retira dans son pays, et comme il n’avait pas fait d’économies il fut rapidement réduit à la pauvreté. Sa femme lui montra alors le rat d’argent et lui raconta comment on le lui avait donné autrefois. Que ne leur as-tu dit que j’étais né dans l’année du buffle, soupira le pauvre phù[323].



Un huyên envoya un soldat lui acheter une barre d’argent. Le changeur arriva avec deux barres que le huyên prit entre ses mains. « Combien valent ces barres ? » demanda le huyèn. — « Cent ligatures, répondit le changeur ; mais à vous je les laisserai à cinquante. » Le huyén lui en rendit une et garda l’autre. Quelque temps après, le changeur voyant qu’on ne le payait pas, vint réclamer. « Comment ! dit le huyên, je t’ai donné une barre de cent ligatures pour deux de cinquante, ne sommes-nous pas quittes ? »



Un mandarin fort maladroit à la cible alla en expédition ; il fut battu et honteusement poursuivi ; heureusement un génie vint à son secours avec une armée de fantômes, et il put regagner ses foyers. Le mandarin se prosterna devant le génie pour lui rendre grâces. L’autre le releva et lui dit : « C’est moi qui suis votre obligé ; je suis le génie de la cible et vous la manquez toujours. »



XVII

MARCHANDS.



Un aubergiste était mal achalandé et son vin avait aigri. Survint un voyageur. L’aubergiste lui dit : « Il n’y a plus ici que des raves et de la viande. » — « Peu importe, dit le voyageur, pourvu qu’il y ait à boire. » — « Aimez-vous, demanda l’aubergiste, la rave en salade et la viande à la sauce piquante ? » — « Certainement », dit le voyageur. On lui servit donc la rave au vinaigre, la viande au vinaigre, mais quand il vint à goûter le vin il s’écria : « Qu’est cela ! » — « C’est, dit l’hôte, que j’ai vu que vous aimiez tellement le vinaigre que j’en ai mis aussi dans le vin. »




XVIII

MÉDECINS.



Un médecin ignorant vivait avec sa femme, son fils et un domestique. Il alla un jour soigner le domestique d’un devin. Ce domestique mourut ; son maître alla porter plainte contre le médecin qu’il accusait de l’avoir tué, et le juge ordonna au médecin de donner son domestique pour remplacer le mort. Quelque temps après il soigna le fils d’un autre homme avec le même succès et dut donner son fils. Un jour enfin quelqu’un vint le chercher pour soigner sa femme. « Assez ! dit le médecin, je vois de quoi il s’agit. » — « Qu’y a-t-il donc », lui demanda sa femme. — « Il y a, répondit-il, que cet individu doit être amoureux de toi et que c’est à toi qu’il en veut. »



Un médecin était mal achalandé et les insectes s’étaient mis dans ses drogues. Un client les lui rapporta en lui disant : « Quels médicaments m’avez-vous donné là ? Ils sont pleins de vers. »

— « Ce sont des cwông tàm (vers à soie secs) », dit-il. — « Les cwông tàm, dit l’autre, sont morts, tandis que ceux-là grouillent. »

— « Vous ne devez, répondit le médecin, qu’en admirer davantage la puissance de mes remèdes qui les a ressuscités. »



Le roi des enfers était malade et ne trouvait pas dans son royaume d’habile docteur. Il envoya donc deux de ses soldats sur la terre, avec mission de lui ramener le plus habile médecin. Ils le reconnaîtraient à ce qu’il serait escorté du plus petit nombre d’ombres[324]. Les soldats montèrent sur la terre et ramenèrent un médecin qui n’avait que deux ombres à ses trousses. Le roi des enfers lui demanda comment il se pouvait qu’il eût tué si peu de gens. — « C’est que je n’exerce que depuis hier », répondit le médecin.



Il y avait un médecin ignorant qui se faisait payer fort cher. Un client qu’il avait écorché sans le guérir envoya son domestique pour l’insulter[325]. Le domestique revint presque aussitôt. Le maître lui demanda pourquoi il n’avait pas obéi à ses ordres.

— « C’est que je n’ai pu approcher de la maison, dit l’autre, tant les abords en étaient occupés par des gens venus avant moi dans le même but.



Un médecin vendait des drogues[326] pour se faire aimer des femmes. Pendant son absence un client vint en acheter et n’eut rien de plus pressé que de les essayer sur la femme du médecin. Celle-ci se laissa aller. À son retour son mari lui reprochait sa conduite. « Eh ! dit-elle, sans cela vos drogues étaient perdues de réputation. »



Un médecin alla soigner le fils d’un batelier. Il s’y prit si mal que l’enfant mourut presque aussitôt. Le batelier, furieux, jeta le médecin à l’eau. Le médecin s’en tira comme il put. À son retour dans sa maison il trouva son fils qui étudiait ses livres de médecine. « Laisse-là ces livres, dit-il. Dans notre métier ce qu’il importe de savoir d’abord c’est de savoir nager. »




XIX

MARIS.



Il y avait un village où les hommes avaient peur des femmes et où c’étaient celles-ci qui gouvernaient la maison. Chaque jour elles profitaient davantage de leur supériorité ; si bien qu’un jour les hommes ne pouvant plus supporter leur sort se réunirent à la pagode. « Il est dit dans le Gia thât[327] dirent-ils : L’homme commande, la femme obéit. Où nos femmes ont-elles pris le droit d’abuser ainsi ? Si cela continue nous serons l’objet de la risée universelle. » Ils se jurèrent[328] donc que aussitôt que dans leur ménage une femme parlerait trop haut, ils appelleraient au secours et l’attacheraient pour l’exemple. Un mandarin qui habitait le village s’était mis du complot et avait juré qu’au moindre bruit il enverrait ses agents pour prêter main-forte.

Or, pendant que les hommes délibéraient dans la pagode, les femmes s’étaient aperçues de leur absence. Elles se demandèrent les unes aux autres : « Que peuvent-ils bien faire tous ensemble. » Là-dessus elles se mirent à leur recherche. Arrivées à la pagode elles poussèrent un cri : « Les voici ! » et elles se précipitèrent chacune pour saisir le sien.

Ils s’enfuirent tous, qui d’un côté qui de l’autre. Un seul resta, qui, peu ingambe, avait roulé par terre. Ouand plus tard on lui demandait comment il n’avait pas eu peur et ne s’était pas enfui comme les autres : « Ce n’est pas la peur qui me manquait, répondit-il, mais les jambes. »

Quant au mandarin, lorsqu’il entendit le tapage il voulut ordonner à ses hommes d’y courir, mais sa femme lui demanda pourquoi il leur disait de sortir. « Je croyais, ma bonne amie, répondit-il, que tu voulais aller te promener et je leur ordonnais de t’accompagner. » Ainsi fut déjoué le dessein des hommes de ce village, et les femmes restèrent maîtresses.

Quand les supérieurs ne font pas leur devoir, les inférieurs causent du désordre.



Un mandarin militaire avait peur de sa femme. Ses collègues lui en firent honte et lui dirent que pour la terrifier il n’avait qu’à se présenter devant elle à la tête de ses troupes. Le mandarin fit donc un jour irruption dans le logis, suivi d’une nombreuse escorte « Qu’est cela ! » s’écria la femme irritée. Le mari à sa vue sentit tomber tout son courage. « Ne te fâche pas dit-il ; je les mène à l’exercice, et comme en passant, j’ai eu soif, je suis entré pour boire un verre d’eau.




XX

ORFÈVRES.



Les orfèvres sont, comme on sait, de grands voleurs[329]. Une femme qui avait marié sa fille à un orfèvre alla porter à celui-ci une certaine quantité d’or pour en faire des bijoux. Elle dit à son gendre qu’elle espérait bien qu’il ne la volerait pas, — « Comme vous voudrez, dit le gendre, mais je vous préviens que dans ce cas notre patron en sera irrité, et que quelque malheur tombera certainement sur votre fille. » — « Ah ! dit la vieille, s’il en est ainsi, prenez tout ce qui vous plaira. »




XXI

SORCIERS



Un sorcier sans clientèle vendait des charmes contre les moustiques. Quelqu’un qui en avait acheté un et le voyait rester sans effet alla insulter le sorcier. « Mon charme n’opère pas ! dit celui-ci. Comment cela se peut-il ? Laissez-moi aller voir. » Il alla donc chez le client et vit qu’il avait collé le charme sur la porte de la maison, a Ce n’est pas là qu’il fallait le coller, dit-il. Il fallait l’employer à condamner l’ouverture de la moustiquaire.



Un avare dont la maison était ensorcelée appela un sorcier pour faire une cérémonie et lui dit d’annoncer aux esprits qu’il ferait le sacrifice d’un porc. Quand le sorcier eut commencé ses incantations, l’avare l’entendit invoquer les esprits des régions lointaines. « Pourquoi ne pas s’adresser aux esprits du voisinage », dit l’avare. — « Ils vous connaissent trop bien, répondit le sorcier. Ils ne croiraient jamais que vous sacrifierez un porc. »




XXII

VOLEURS.



Une femme intelligente avait épousé un nigaud. Un jour elle lui donna de beaux habits pour se rendre à une fête. En passant devant une auberge le mari qui était monté sur un cheval s’adressa à un vagabond et lui demanda s’il le trouvait beau dans son habit de fête. « Sans doute ! dit l’autre, mais tu ne sais pas encore le faire valoir. » Ce nigaud le supplia de lui montrer comment il devait faire. Le vagabond lui dit : « Descends de cheval, donne-moi tes habits, et je te montrerai. » L’autre y consentit. Une fois sur le cheval le vagabond lui fit faire un ou deux tours et piqua des deux. Ce fut en vain que le mari attendit son retour. Il dut rentrer chez lui revêtu des habits du vagabond.

Sa femme le reçut fort mal. Ensuite elle s’occupa de recouvrer les objets perdus. Elle envoya donc son mari à la découverte, et, quand celui-ci eût trouvé le voleur assistant à une représentation théâtrale, elle prit un bracelet, une seule boucle d’oreilles et deux ou trois bagues et alla auprès du théâtre. Là elle se pencha sur un puits et, quand elle vit le vagabond sortir, se mit à pleurer amèrement. Celui-ci lui demanda ce qu’elle avait. « C’est, dit-elle, qu’en me lavant j’ai laissé tomber dans ce puits un bracelet, une boucle d’oreilles et quelques bagues. Si ces bijoux étaient à moi ce ne serait rien, mais je viens de me marier, et ce sont les bijoux que m’a donnés mon mari. Il croira que je les ai donnés à mes parents et m’accablera de coups. » Le vagabond, touché de la beauté de la jeune femme, consentit à descendre dans le puits pour chercher les bijoux. Il se dépouilla donc de ses vêtements, mais avant de descendre il lui demanda comment elle s’appelait. « Mon mari s’appelle Ngô quâ et moi Lai coi »[330], lui répondit la femme. À peine le vagabond fut-il dans le puits que la femme ramassa ses habits, sauta sur son cheval et disparut.

Le voleur n’ayant rien trouvé dans le puits remonta et, ne voyant pas la femme, il se mit à crier : « Femme de Ngô qnâ, (ô) Lai coi, rapporte-moi mes habits. » Les spectateurs, croyant qu’il y avait quelque chose à voir, sortirent du théâtre et, ne trouvant qu’un homme nu qui criait à tue-tête, ils le rouèrent de coups. C’est ainsi que le voleur fut dupé par la jeune femme.



Un voleur s’était introduit furtivement pendant la nuit dans la maison d’un pauvre diable. Celui-ci dormait sur sa jarre de riz dont il s’était fait un oreiller. Le voleur ôta son pantalon dans le dessein d’y faire tomber le riz et de l’emporter. Pendant ce temps le propriétaire se réveilla, saisit le pantalon et cria de toutes ses forces : Au voleur ! Le voleur criait encore plus fort. « Comment ! dit le maître, c’est toi qui te plains d’être volé. « — « Est-ce que vous ne tenez pas mon pantalon ? » lui dit l’autre.



INDEX

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Note. — Les chiffres renvoient aux numéros d’ordre des contes ou légendes. Le tiret remplace le premier mot du paragraphe. Les numéros précédés de la lettre B sont ceux des Contes pour rire.


A


Abeilles. Cueillette des nids d’—, 77.

Ac lai. 53. Voir Ogre.

Accent. L’— de la province de Bàc ninh diffère de celui du Nghé an, 109.

Accouchement. Les femmes se retirent pour accoucher dans un réduit préparé à cet effet, 100. »

Adultère. Vengeance d’un mari, 118. La femme adultère complice du meurtre de son mari est condamnée à mort, tandis que le meurtrier n’est condamné qu’à l’exil, H 2.

Ægialitis. — dubius. — mongolus. Voir Chim chien chien.

Aigrettes. Se vengent d’une tortue qui les a insultées, 79.

Ail. Symbole de la vie solitaire et perdue d’une vieille fille, 27.

Am Duong. Principe femelle et principe mâle. Leur combinaison donne aux âmes des morts une vie plus ou moins énergique qui peut aller jusqu’à la vie réelle, 122.

Ame. Happer l’âme. Les mauvais esprits aspirent le souffle et l’âme (hop hôn) de ceux qui ont l’imprudence de leur parler. Les corps restent privés de sentiment ou sont occupés par le mauvais esprit lui-même ; folie par possession, 73, 122. Ames en peine, 104, 105.

Amis. Étudiant entretenu par son ami, 110. Dévouement à ses amis, 120. Amitié durant par delà le tombeau. Mariage des enfants entre eux, 65.

Amnistie. Appliquée à une femme accusée d’avoir voulu assassiner son mari et qui est relâchée sans être jugée, 111.

Amour. Médecin vendant des drogues pour inspirer l’amour, B, 18.

Anguille. Indices auxquels on la distingue du thuông twong, 92. Une anguille apparaît au pêcheur sous la forme d’un bonze ; s’incarne dans un enfant du pêcheur et dissipe tous ses biens, 64.

Animaux. (a). Fables d’animaux, 43, 44, 78, 79, 125, 126.

(b ). Les animaux obéissent à l’empereur, 86.
(c ). Animaux-fantômes, 36, 73, 104.
(d ). Langage des animaux ; pierre dont la possession permet de l’entendre, 66.
(e ). Reconnaissance des animaux envers ceux qui leur ont fait du bien, 17, 42, 45, 66, 67, 107, 108.
(f ). Métempsycose d’hommes en animaux, 106, B, 8. Animaux demandant à être délivrés pour renaître sous une forme supérieure, 60, 106, 107.
(g ). Génies vivant sous une forme animale, 124. Homme sous une forme animale, 22, 123.
(h ). Animaux apparaissant sous une forme humaine en rêve, 25 ; en réalité, 64.
(i ). Origine attribuée à divers animaux : 1° supra humaine, 81, 83, 87 ; 2° humaine, 49, 52, 53, 54, 55, 84, 85.
(j ) Raison donnée de certaines particularités dans la conformation physique ou les mœurs de divers animaux, outre ceux indiqués à l’article précédent, 44, 50, 51, 66, 81.

Années. — désignées par les noms des animaux du cycle, B, 16.

Anthropophagie. La chair de Do thich, assassin du roi Dinh tien hoàng (980 A. D.), est dévorée par le peuple, 23.

Anthus cervinus. Voir Chim chién chiên.

Arbre. Un arbre desséché planté en un certain lieu reverdit aussitôt, 53. Des chiens morts de mort violente hantent un arbre, 73. On accumule au pied des — les débris des ustensiles en terre cuite, 56.

Aréquiers. Des — nivellent leur tête pour obéir à la parole d’un enfant prédestiné à être roi, 57.

Arête. On fait descendre une arête, arrêtée à la gorge, en frottant l’extérieur du cou avec le bec du cormoran ou la patte droite de devant de la loutre ; on l’amollit avec du suc de rau ma, 108.

Auberge. La princesse Liéu établit une — (nhà quan) au Dèo ngang, 28.

Aubergine. On fait servir une — gâtée à un importun dont on veut se débarrasser, 110

Aumône. Source de mérites, 38.

Auréole (hào quang). Se montre au-dessus de la tête des personnes réservées personnellement ou dans leur descendance à de grandes destinées, 24.

Autel. — domestique, B, 15. — élevé en plein air pour faire des vœux au Ciel, le plus souvent pendant la nuit, 22, 52, 70.

Avalôkitesvara. Identifié à Quan àm, 111.

Avenir. Connaissance de l’—. Le trang quînh connaît l’— de soixante générations. 28b. Le trang Trinh connaît l’— pour 500 ans. Ses prédictions, 28c, 100. Maître d’école prédisant l’avenir, 116.


B


Ba ba. Tortue de mer. Un ba ba donne à un homme sa pierre précieuse et est transformé en homme après mille ans de pénitence, 60.

Bà. Litt. : dame. Ce titre est donné : 1° aux génies femelles des cinq éléments, dont les plus vénérées sont les génies du feu et de l’eau (Bà hôa, thuy, 35 ; 2° aux génies locaux femelles, tels que Bà cô Hi, vénérée au Bhih thuân, 35 ; Bà den, vénérée à Tày ninh, 46 ; Bà Doan, vénérée au Nghé an, 92 ; et sans doute aux princesses dont l’histoire est racontée aux nos 8, 9, 93. Nous trouvons encore la Bà khai khâu, dame qui ouvre les bouches, donne la parole à un animal, 67 ; et les Bà chùn, mauvais esprits femelles analogues à nos ogresses. Bien que douée de pouvoirs magiques considérables, 74, la Bà chun peut être tuée. Sa tête jetée par terre s’enfonce dans le sol, 75.

Beaucoup de marchés sont désignés par le nom de marché de dame X ; ainsi nous avons autour de Saigon Bà chièn, Bà queo, Bà diem, etc. Cela tient à ce que ces marchés se sont établis auprès de la maison d’une commerçante influente, 32.

Ba vanh. Rebelles tonquinois du temps de Minh mang, 8.

Bach dàng. Bois de senteur. Un génie local se colloque dans un tronc de cet arbre dont il ordonne que sa statue soit faite ; quand on frappait le tronc avec le fer il en coulait du sang, 9.

Baguette. — à manger (dûa). Dans l’exorcisme des femmes possédées par les génies des eaux, on brise une baguette et une sapèque en signe de divorce, 8. — à divination (que), 95, B, 13.

Bambou. Racines de bambou servant d’instrument de divination, 94. Câm métamorphosée en pousse de bambou, 22.

Banh trang. Espèce de gâteau sec, 22.

Barbe. Origine de la barbe, 48.

Barbiers. Curent les oreilles, B, 11.

Bâtards. Le village recherche le père et lui fait supporter l’entretien de l’enfant, 99, 111.

Bateliers. — sacrifient à la princesse Ngoc, 93.

Beauté. Longueur de la chevelure, blancheur de la peau, conditions de beauté, 70. Chercheur de beauté parfaite, 52. Beauté des génies, 22,37, 49,52,70,96,98,123. Càm persuade à Tàm qu’elle a obtenu sa beauté en se plongeant dans l’eau bouillante, 22. Beautés célèbres, 26,27.

Belle-mère. — ennemie de sa bru, 111.

Bèn. Point d’accostage sur une rivière, 30.

Bergers. — prédestinés à être des ancêtres de rois et de ministres, 24.

Bétel. Manière élégante de confectionner les chiques, 22.

Bijoux. Les — d’une nouvelle mariée appartiennent au mari, B, 22.

Bô Lânh. Prénom du roi Dinh tien hoàng, 23.

Bong mù. Poisson (gobiidés) dont les arêtes sont transformées en beaux vêtements pour Câm, 22.

Bonze. — métamorphosé en marsouin, 53 ; en grenouille, 54 ; en pot à chaux, 56. — essaie d’exorciser un mauvais esprit ; est battu par lui, 104. Bonzes gourmands, ivrognes, hypocrites, 77. Un bonze se brûle vivant, 41

Bouc. — né d’une femme, en se mariant devient un beau jeune homme, 123.

Bouddha. Devenir Bouddha (thành Phât), 41,53,56. Bouddha invoqué concurremment avec le Ciel pour obtenir des enfants, 19,70,99b. — métamorphose une femme infidèle en moustique, 84. Bouddha des dix points de l’espace, 41. (Voir Phât bà.)

Boule de coco. Personnage d’un conte cham, 123.

Bousier. Origine du bousier, 83.

Bo. Nom d’un mauvais esprit, 3,91.

Bronze. Homme au corps de bronze et au foie de fer, invulnérable, 75.

Brûler. Un vieux bonze se brûle vivant, 41, On brûle des suppliques pour en porter le contenu à la connaissance de l’Empereur Céleste, 62 ; des génies de la pluie, 88. Brûler les restes d’un vieux coq, d’un chien nouveau né pour permettre à leurs âmes de renaître sous d’autres formes, 104,106.

Bu. Nom d’un devin (thây dôn) doué de pouvoirs magiques, 16.

Bûcherons. Les bûcherons du Dai ngan sacrifient à Ly khâc cân, 5. — croient entendre le thàng cuôi couper son arbre dans la lune, 45. Un bûcheron surprend les fées au bain et en saisit une dont il fait sa femme ; devient l’étoile du soir, 47.

Buffle. Origine du buffle. Comment il a été privé de la parole. Prête au cheval une mâchoire que celui-ci ne lui rend pas, 81. Homme à tête de buffle, 96. — comparé aux ignorants, B, 5. Bouse de buffle. (V. Jasmin).

Bun. Litt. : chiquenauder, jeter à quelqu’un une drogue destinée à inspirer l’amour, à faire naître des maladies, B, 18.

Buveurs. B, 2.

Cafres. Traditions cafres sur l’immortalité perdue par les hommes, 83.

Câm. Nom d’un personnage que l’on peut rapprocher de Cendrillon, 22.

Cambodgien. Origine cambodgienne des récits relatifs au trang Quinh, 28b ; des récits relatifs au lièvre, 44.

Caméléon. Messager envoyé aux hommes par le dieu du ciel (Cafres), 83.

Canard. Pourquoi il dort sur une patte, 50.

Canellier. — lunaire. Éternellement coupé par Ngô cang (légende chinoise), 45.

Canons. On leur donne des noms, 17.

Cao bien. Général chinois ; gouverne l’Annam et essaie d’y stériliser les veines du dragon. Ne réussit pas dans ses tentatives pour faire obtenir l’empire à son gendre. Son tombeau, 13.

Capitaine de bateau chinois. Versé dans la magie ; essaie de s’emparer d’un oiseau dont la possession doit donner l’empire, 101. Épouse la princesse Ngoc, descendante des Ly, et l’abandonne. 1)3.

Carambole. 78.

Caverne. — habitée par les génies, 96, 98. Une — éclate de rire à la vue de l’attelage hétéroclite de deux chiens. Sa gueule est pleine d’or et de diamants, 68.

Cendrillon. Voir Cam.

Cercueil. Les morts gardés au cercueil dans les maisons deviennent de mauvais esprits. La loi interdit de les garder ainsi plus de trois mois. 84, 105, 122.

Cérémonies funèbres. B, 1, 14. Festin d’anniversaire, 109.

Cerf-volant. — en papier, cou déu. Cao bien, pour se rendre dans l’Annam, monte sur un cerf-volant dont il a dessiné les yeux avec un pinceau magique, 13.

Cham. On retrouve chez les Cham du Binh thuân les contes n^^ 22, 44, 45, 59, 68, B, 15.

Charme. — contre les moustiques. B. 21.

Chat. Chat sauvé de la mort prouve sa reconnaissance à son maître, 107. Métempsycose d’un paresseux en chat, B, 8. Chats dressés à éclairer les joueurs avec un flambeau sur la tête, 53. Chat faisant pénitence, 125. Le nom de chat (mèo) est le plus beau de l’univers, 80.

Châtiments. — infligés par le ciel. 1, 68, 69, 95, 120. Par divers génies, 4. 11, 20, 21, 35, 61, 91, 92, 94.

Chàu. Dynastie chinoise, 11. Un empereur de cette dynastie fut le père de la déesse Quan àm, 111.

Chàu Thuong. Serviteur du dieu de la guerre, 4.

Chauve-souris. Ni oiseau, ni quadrupède ; représente les métis, 126.

Chaux à bétel. B, 7.

Chay. —, aliments rituels des bonzes, 64.

Chèt gung. Pétrifié, 20.

Cheval. Vole une mâchoire au buffle, 81. — qui franchit les espaces en un moment, perd ses vertus au contact impur d’une femme, 73.

Chevelure. Longue —, une des conditions de beauté, 70. Hai thù toc (grisonnant), se dit de gens déjà assez avancés en âge, 113.

Chien. Pourquoi il lève la patte de derrière, 50,51. Le chien donne ses viscères à son maître pour en faire ceux de la femme ; les siens sont remplacés avec de l’argile, ce qui explique sa vigilance, 15. Chiens aux yeux blancs passent pour intelligents, B, 15. Un dit la même chose de ceux qui ont des taches ocellées au-dessus des yeux. Montre sa gratitude envers son sauveur, 45,107. Des chiens morts de mort violente deviennent des démons qui résident dans un arbre, 73. Deux chiens employés au labour font rire une caverne, 68. Dans le conte cham correspondant l’attelage se compose d’un chien et d’un chat. Gâteaux faits avec de la chair de chien se transforment en vau om, oignons, citronnelle, 51. Métempsycose d’un lettré en chien, 106.

Chim. — do nàch. — oc cau. — chièn chièn. Pourquoi ces oiseaux se balancent sur leurs pattes en se posant, 50.

Chinois. Envahissent l’Annam au temps des Ly. Se retirent effrayés par un oracle du génie du mont Tân viên, 10. Manière dont ils prononcent l’annamite, 38. Désignés dans l’Annam par le nom de Ngô, 38.

Chique (de bétel) ; évaluation de l’espace parcouru par le temps que l’on a mis à chiquer une chique, 100.

Chiromancie. Opération de —, 116.

Cho blanc. Arbre assimilé au Sao ; sert aux constructions des enfers, 30.

Chung ly quyên (Hon chung ly). L’un des huit génies des Taosse. Complète les animaux imparfaits, 50.

Chu lôt. Partie du prénom, 38.

Chùc Nu. La tisseuse ; constellation. Épouse du bouvier auquel elle se réunit une fois par an, le 7 du septième mois, au moyen du pont des corbeaux (légende chinoise), 17.

Ciel, Châtiments célestes. Voir Châtiments. Vœux adressés au ciel pour obtenir un fils, 19,70,99b. Vœux adressés au ciel sur un autel élevé en plein air pour en obtenir divers objets et particulièrement des parures et des gâteaux pour les sacrifices, 22,52,70.

Citron. Les femmes se nettoient la tête avec du jus de citron, 92.

Citronelle. Gâteaux de viande de chien changés en citronnelle. — entre dans les assaisonnements des viandes, 51.

Claquement. — de langue du margouillat, expression de regret, 52.

. Appellatif honorifique des femmes, 26.

Coffre-fort (ruong xe), 107.

Commerce. La première année Tu duc, Nguyén công trù demande la liberté du commerce entre le Tonquin et la Basse-Cochinchine, 97.

Conceptions miraculeuses. Nguyèn trai crache dans la main d’une femme qui devient enceinte. Souche de la famille royale des Nguyèn, 25. Une princesse devient enceinte pour avoir mangé un poisson lavé dans l’urine, 59. La mère de Xàng Ut en accouche par le front. Nàng Ut devient enceinte pour avoir mangé une écorce de pastèque dans laquelle il y a eu de l’urine, 70. Un génie céleste met la main sur le ventre d’une femme qui devient enceinte et met au monde cinq jumeaux, 75. Une femme faisant pénitence dans une pagode, devient enceinte après avoir vu en rêve un individu à figure rouge vêtu d’un habit bleu, 99. Une femme devient enceinte après avoir vu dans la même pagode un homme à figure noire qui lui frappe dans la main, 99. Une jeune fille devient enceinte en mangeant une fleur dans une pagode. Elle met au monde cinq jumeaux, 102. (Cf. no 75.)

Configuration du sol. Détermine par des influences mystérieuses la prospérité d’un pays, la vaillance de ses habitants. Des modifications opérées artificiellement peuvent changer le cours des choses. Travaux de Cao bien, 13. Gia long fait creuser un canal dans la montagne de la Tête d’éléphant, 96. Nguyôn công trù demande à combler le marais de Trà son, 97.

Coq. Un coq devient un esprit malfaisant, 104.

Coq de pagode. Origine du coq de pagode, 85.

Corbeau. Origine du corbeau, 85. Les corbeaux ont été cause qu’un bûcheron et son fils sont tombés du haut des cieux et ont été changés en l’étoile du soir et la mère en l’étoile du matin. Ils forment un pont le 15 du septième mois pour que les deux époux se réunissent. (Cf. Légende chinoise sur le pont des corbeaux), 47. Un corbeau enlève le soulier de con Câm et le laisse tomber dans le palais du fils du roi, 22. Un corbeau enlève son poisson au paresseux et le laisse tomber dans le palais de la fille du roi, 59. Un corbeau laisse tomber une graine de pastèque à l’endroit où est couchée Nang Ut, 70. Un corbeau raille la mère de Tàm qui mange sans le savoir le corps salé de sa fille. 22.

Cormoran. Cân côt. Le bec du cormoran sert à frotter le cou de ceux qui ont une arête de poisson au gosier, 108.

Corps d’airain, foie de fer. Nom d’un personnage invulnérable, 102.

Corydalla rufula. — Richardi. Voir Chim chièn chièn.

Crocodile. Bête et menteur. Joué par le singe, 43. Joué par le lièvre, 44. Un crocodile fait pénitence, 84. Les crocodiles sont chassés du Trièu châu dans l’Annam par un envoyé de l’empereur, 86.

Cut. Ông cut, le tronqué. Nom d’un génie serpent, donneur de pluie, 88.

Cycle. Influence des mauvais esprits sur les enfants, plus particulièrement pendant le premier cycle de la vie, 80.



Dame. Voir .

Dang van hôa. Grand mandarin lettré qui, après être né miraculeusement de parents déjà âgés, devient un enfant prodige, 18.

Danh thièp. Cérémonie dans laquelle le sorcier ou l’adepte descend aux enfers pour y chercher des nouvelles des morts, 63.

Dao quang. Empereur de Chine (1821-1851), passe pour avoir été la réincarnation du thû Huon de Bièn hôa, 33.

Dauphin (Cà voi). Sauve des naufragés, 9 ; avale la feuille du da lunaire qui chaque année tombe dans la mer, 45.

Dè minh. Dernier empereur de la dynastie chinoise des Minh. Se suicide avec sa famille et ses derniers soldats, 9.

Débauche. Pour punir les débauchés la princesse Lieu frappe de folie tous ceux qui ont affaire à elle, 28.

Débiteurs. Comment ils sont traités par les créanciers, B, 12.

Défrichements. Sacrifice aux esprits de la terre ; on a craindre les fantômes des bêtes sauvages, anciennes maîtresses du pays. 36.

Démons. Qui. Mauvais esprits à qui des circonstances particulières ont donné un certain pouvoir. Se substituent aux génies dans les chapelles abandonnées par ceux-ci et jouissent des offrandes, 35. Chiens morts de mort violente deviennent des démons. Ils s’emparent d’une jeune fille. Domptés par un étudiant ils lui donnent un soleil, une lune et un cheval qui qui franchit les espaces en un moment, 73. Des démons vivent dans un puits, ils tuent tous les fonctionnaires qui viennent administrer le pays, 73. Voir Mauvais esprits.

Qui sùc. Messagers du roi des enfers qui saisissent les personnes qui doivent mourir, 72, 103, B, 18.

Den. Bà den. Dame de la montagne de Tày ninh. Le mot de den, noir, y est taboué, 46.

Désir. Désir du fils du roi de retourner dans la forêt au lieu où il a mangé une pastèque, 70. Ce désir qui pousse vers un lieu où est, sous une forme ou une autre, la femme qui vous est destinée, se retrouve dans plusieurs contes cham.

Dettes. L’on vient de l’autre monde réclamer les dettes impayées ou payer celles que l’on a laissées. Des enfants toujours malades sont des créanciers de cette espèce et s’en vont quand le recouvrement est fait, 63. — Dette filiale ; un père qui a eu cent femmes commande à sa fille de prendre cent amants, 75.

Deuil. Les meurtriers d’une jeune fille (sans parents connus) sont condamnés à faire ses funérailles et porter son deuil, 40.

Devins (Thây bôi). Aveugles en général, représentés comme voleurs ; victimes de toutes sortes de mauvais tours, B, 13. Un devin fait retrouver sa mère à un enfant, 71. Un soi-disant devin retrouve les objets perdus en flairant au moyen d’un tube de bambou, 76.

Dharmàpala. Personnage bouddhique, 111.

Dièm. Cô Dièm. Fille célèbre par sa beauté ; cherche en vain un mari digne d’elle et finit par se retirer dans une pagode, 26. Sa lutte poétique avec le trang Quinh, 28.

Dièn bà. Plais de la dame, nom donné à la montagne de Tày ninh, 46.

Difformités. 18, 19, 28, 32.

Dinh tièn hoang. Fondateur de la monarchie annamite. Prodiges qui annoncent sa grandeur future et sa fin malheureuse. Se reconnaît feudataire de la Chine, paie une statue d’or comme tribut annuel, 23.

Divination. Procédés de divination par les racines de bambou ou les sapèques Xin keo, 94. Dôn, 16.

Dix. C’est à l’âge de dix ans que les enfants prodiges commencent ordinairement à montrer leur science, 18, 19, 28.

Do thich. Assassin de Dinh tien hoàng ; sa chair est dévorée par le peuple, 23.

Doigts. Supputations qui se font en comptant sur les phalanges des doigts, 16.

Don (nhâm don). Procédé de divination, 16.

Dong. Médium ; un esprit l’inspire spontanément ou après des invocations, 6. 8, 9, 35, 92.

Douleurs. — internes ; signe pour l’absent que quelque chose va mal dans sa famille, 101.

Dragon. Représente le principe mâle de la nature. Cao bién essaie de détruire dans l’Annam tous les points où le dragon faisait sentir son influence afin que l’Annam ne puisse avoir de roi. Il ne néglige qu’un dragon boiteux dans le Thânh Hoa, aussi cette province a-t-elle produit les dynasties annamites et notamment la dynastie actuelle, 13. Deux dragons jaunes viennent au secours de Dinh tièn hoàng au passage d’un fleuve, 23.

Duong. Nom d’une dynastie chinoise, 50.


* Mots annamites commençant par un d non barré.


Da. Arbre sacré des pagodes. Les novices en balaient les feuilles, 111. Nàng Ut couche son enfant sur des feuilles de da, 70. Les feuilles d’un da merveilleux ont la propriété de ressusciter les morts. Ce da a quitté la terre et est monté dans la lune au contact impur de l’urine de femme. Chaque année une de ses feuilles tombe dans la mer et est avalée par le dauphin, 45.

Dài (ông dài). Le long. Nom d’un génie donneur de pluie, 88.

Dièg kinh. Livre des transformations ; doué d’un pouvoir suprême sur les mauvais esprits, 104.

Doan. Nom d’un génie local du marché de Vinh au Nghè An. Femme morte de mort violente et injuste, 92.

Dôc (con dôc). Espèce de grand singe, 68.

Duong Lâo. Phàn — Part de leurs biens que se réservent des vieillards en faisant cession du reste à leurs enfants, 119.


E


Eau. Càm persuade à Tam qu’elle a obtenu sa beauté en se plongeant dans l’eau bouillante, 22. Homme qui peut être plongé dans l’eau bouillante, 75.

Écho. Attribué au Thang cuôi, 45.

Écolier. On entend dans un vieux rempart la voix d’un écolier qui répète ses leçons, 18.

Éléments. Génies femelles des cinq éléments. Voir .

Éléphant. Les éléphants de guerre reçoivent des noms et des titres. Sont gratifiés de colliers d’or, 17. Reconnaissance d’un éléphant pour son ancien cornac, 17. Il reste fidèle à la dynastie Lê, 17. Un éléphant se refuse à noyer le prince Ninh, 44. Un éléphant laisse prendre dans sa gueule de l’or et des pierres précieuses à une pauvre femme ; il broie le bras de sa méchante sœur, 69. On fait manger un porc et boire du vin à un éléphant, 17. Tête d’éléphant, nom d’une montagne. Pagode de l’éléphant céleste. (Voir l'index géographique.)

Empereur céleste : (Ngoc hoàng), dieu suprême des Taoïstes, 1, 60, 62.

Empereur. Toute la nature doit obéissance à l’empereur, 86.

Empreinte. — des pieds du cheval de Ly quang, à Bach duong dans le Nghè an, 90.

Enchantements. Bouc qui devient un beau jeune homme, 123.

Enfants. On leur fait manger de la chair et surtout du foie de singe pour les garantir des terreurs causées par les mauvais esprits (con sât). On met un crâne de singe au-dessus de leurs couchettes dans le même but, 43. On leur donne des prénoms disgracieux pour dérouter les mauvais esprits. Dans certains cas, on change ces prénoms (80) ou l’on fait des ventes fictives de ces enfants aux pagodes, aux sorciers. — punis pour les fautes des parents, 120. — obtenus du ciel par des prières, 18, 19, 70, 89, 99 (voir Conceptions miraculeuses). — qui, dès leur naissance, savent marcher, 13, parlent, 59, 100. — toujours malades ou qui dissipent les biens de la maison sont des créanciers, des morts qui reviennent venger leurs injures, 63, 64. — jetés à l’eau dans un coffre ; ce coffre flotte jusqu’au lieu où leur grand-père pêche à la ligne et s’y arrête obstinément, 53. — prodiges, 18. Les jeux des — sont des présages de ce qu’ils feront plus tard, 23, 24.

Enfers (âm phù, dia nguc ; sanscrit naraka), 32. Roi des enfers confondu avec les génies des eaux, q. v. ; arbitre de la mort, 72, 103. On se plaint à lui des génies qui ont causé une mort non fixée par la destinée, 35, 94. Les ombres remontent des enfers pour fréquenter certains marchés, 32, 33. Des vivants descendent aux enfers et y sont instruits des supplices qui les y attendent s’ils ne font pénitence, ibid. Fille morte vierge épouse aux enfers un officier du roi, 32. Femme mariée, nourrice de l’enfant d’un officier du roi des enfers, 33. Le chô blanc est exploité par les envoyés du roi des enfers pour leurs constructions, 30.

Énigme. 113.

Entremetteur. Emploi d’un — pour conclure un achat, 39.

Épilage. — de la barbe au moyen d’un couteau à pince, 111.

Épreuve. Le roi impose aux filles qui aspirent à la main de son fils de lui faire un habit sans prendre mesure et de faire un plat à son goût, 70, La confection de l’habit se retrouve au n° 124 sans que le caractère d’épreuve soit nettement marqué.

Esprits. (a) Esprits de la terre. On leur sacrifie à l’occasion d’un défrichement, 36.

(b) Ames des morts, prennent une apparence plus ou moins subtile en vertu de la combinaison en eux des deux principes mâle et femelle, 122. — poursuivent ceux qui les ont fait mourir, 121, B. 19. Évoqués par les sorciers, B. 1. Viennent au secours d’une troupe en déroute, B. 16.

(c) Ames des individus morts de mort violente et injuste, des filles mortes vierges ou des femmes mortes sans enfants, des individus morts sous certaines influences astronomiques, deviennent des esprits malfaisants. — Nghi, 2. Bo, 3, 91. Génie porc, 4. Con tinh, 25. Ames de gens gardés dans le cercueil, 105, 122. Pirate trompé par un mandarin et mis à mort, 121.

La puissance de Bo venait de ce qu’il était né le 5 du cinquième mois à l’heure ngo, 3. La puissance des mauvais esprits est limitée quelquefois à des vengeances proportionnées aux injures qu’ils ont reçues, 121. Moyens par lesquels on combat leur influence maligne sur les enfants. (Voir Enfants.) Les empereurs et les rois ont autorité sur les mauvais esprits. Thièu tri fait détruire la chapelle de Nghi et rend le repos au village, 2. Les mauvais esprits peuvent être tués, 105. Un village essaie d’en attirer un dans une embuscade, 91. Luxurieux, 2, 3, 4, 91. Frappent les garçons et les filles de folie, 2, 3, 91, 104, 121. Rossent les sorciers et les bonzes qui veulent les exorciser, 3, 91, 104. Se substituent à des génies dans des chapelles abandonnées, 35. Quelquefois on leur élève des chapelles, 2, 3, 4, 91.

(d) Ames d’animaux sauvages, 36, 73, 104.

Étiquette. Fixe la place où chacun doit s’asseoir dans la maison. B. 15.

Étoile. Une étoile tombe dans de l’eau ; la femme qui boit cette eau donne naissance à trois serpents qui sont des incarnations de génies célestes, 7. Do thich ayant rêvé qu’une étoile lui entrait dans la bouche, et se croyant marqué par là pour de hautes destinées, assassine Dinh tien hoàng. Il est mis à mort et sa chair est dévorée par le peuple, 23.

Étoile du matin et étoile du soir ; ne se rejoignent que le 15 du septième mois ; sont deux époux séparés dans un cas, parce que, ils étaient, le mari un homme, la femme une fée, 47. Dans un autre, parce qu’ils étaient frère et sœur, et que le mari ayant découvert l’inceste s’enfuit sans instruire de la vérité sa femme qui l’attend et le cherche, 47b.

Étudiants. Quittent leurs familles pour aller étudier près des maîtres, 101, 116. Les étudiants pauvres subissent toutes sortes de privations, mendient pour continuer leurs études, 53, 110, 124. Un étudiant pauvre est secouru par un revenant, 121. Les étudiants sont débiles, amaigris par les travaux et les veilles, 104. Ils ont le pouvoir de dompter les démons, 73, 101. Ce nom d’étudiant ne s’applique ici qu’à ceux qui s’instruisent de la philosophie confucéenne.

Examens. Conditions pour être admis à se présenter aux examens, 99. — de faveur, 95. Village dont aucun habitant n’a de succès aux examens, 89.

Existences antérieures. Les bonnes actions ou les fautes des existences antérieures sont la raison d’être des biens ou des maux de l’existence actuelle, 38, 56.

Exorcismes. — des possédés et des fous par les sorciers, 3, 73.


F


Faiseurs de projets. B, 3.

Farine. Cadeaux de — et de sucre faits par les villages à un nouveau fonctionnaire, 76.

Fées. Voir Génies.

Femme. Infidélité de la — , 84 ; son ingratitude, ses instincts bas provenant de ce que ses viscères ont été faits avec des viscères de chien, 45. La femme est difficile à instruire, 110. Le contact impur de la femme ayant ses menstrues fait perdre sa vertu au cheval magique. 73. — mariées à de mauvais esprits, dépérissent, 3, 91. — mariées à des génies des eaux, 29, 31. Les femmes brouillent les frères entre eux et les poussent au partage des biens, 68. Dans la Basse-Cochinchine les femmes sont supérieures aux hommes dans la conduite des affaires (fait souvent observé), 46. Femmes lettrées 26, 27. Femme habile et sot mari, 113.

Fer. Herbe qui amollit le — , 108.

Fidélité (au souverain). Trînh, quoique intérieurement partisan des Lè, ne combat pas avec eux parce qu’il a passé ses examens à la cour des Mac. Il sauve de la destruction les débris de ces derniers, 100.

Fils. (a) Piété filiale, devoir strict, 115. Impiété filiale, 127. L’amour des enfants ne dure pas un jour, 119.

(b) Fils du roi, 22, 70. Fille du roi, 59. Un père a trois filles dont la plus jeune accepte seule un mari difforme, 123. Ces trois filles se retrouvent dans les contes cham et sont des filles de roi. Des fils et filles de roi, mais représentant des personnages plus ou moins historiques et non des personnages mythiques comme les précédents, figurent dans les n°s 8, 14, 28, 90, 93.

Flamme. — apparaissant au milieu du camp ennemi et donnant le signal de l’attaque, 8. — qui guide les bateaux en péril, 93.

Fléau. Constellation (sao don gành). Fils d’un couple incestueux, 47.

Folie. Effet de la possession par les con tinh, 73 ; par un esprit qui se venge, 121 ; est traitée par les sorciers.

Fonctionnaires. Tous corrompus, recevant des présents ; peu payés, sans ressources pour leurs vieux jours, B, 16.

Fontaine. — où se baignent les fées, 47.

Forêt. Enfants abandonnés dans la — , 70. Une — naît des noyaux de fruits qu’un enfant jette devant lui, 71. — habitées par les bà chàn, 74.

Fort. Le Fort, nom d’un personnage de conte, 102.

Fourmi. Reconnaissance des — , 67. Un homme entend parler les fourmis, 66.

Frère. — aîné dépouille son cadet ; puni, 68.

Fripon. B, 14.

Fruits. Un enfant jette des noyaux de fruits devant lui et il pousse une forêt, 71.

Funérailles. Dépenses que l’on fait pour les funérailles, B 1. On offre à manger aux assistants, B 14. Des génies des eaux promettent aux vieillards qui les ont nourris de leur rendre les honneurs funèbres, 88. (Voir Cercueil pour la coutume de conserver pendant un certain temps les cercueils dans les maisons des morts.)


G


Gage. Mise en gage d’un enfant, d’une femme, 115.

Gâteau. Une femme ayant à faire des gâteaux pour un sacrifice en demande au ciel, 22, 52.

Gendre. Coutume qui exige que le gendre aille servir ses futurs beaux-parents quelque temps avant le mariage. B, 15.

Génies. Nous les diviserons en trois classes, tout en avertissant d’avance que la distinction n’est pas toujours rigoureuse et que plus d’un génie aurait droit à figurer dans deux de ces classes.

Génies célestes (Tièn). Résident dans le ciel ou sur la terre dans des régions inaccessibles aux mortels. Ils ont la barbe et les cheveux blancs, une physionomie imposante, un accent étrange, 37, 38. Ils peuvent s’incarner momentanément en hommes et, sous cette forme, devenir des génies locaux protecteurs, 1 ; se communiquer aux mortelles et donner naissance à des enfants réservés à de hautes destinées, 38, 75 ; descendre sur la terre pour redresser quelque injustice, donner la santé, la beauté, 22, 37, 49, 98, A côté d’eux nous trouvons les tièn nu (fées), 47, 52, 71, 96. Il n’y a pas besoin de parler de leur beauté. Elles peuvent épouser des mortels qu’elles quittent au bout d’un certain temps eu leur abandonnant leur enfant, 28, 47, 71, 100. On peut rattacher à cette catégorie de génies célestes le génie du Tàn vièn, 10,

Génies des eaux ou des enfers. Habitent les royaumes des eaux, confondus populairement avec ceux des enfers. Le roi des eaux y a un palais sur lequel un roi d’Annam fait tirer le canon avec succès, 8. Il emploie pour ses constructions le chù blanc qu’il se procure en soulevant des tempêtes qui déracinent les arbres et les portent à la mer, 30. Les génies apparaissent sous la forme de dragons ou de serpents, 67, 88, ou sous la forme humaine, quelquefois au milieu d’une pompe royale. Ils sont vêtus de rouge, suivis de géants également vêtus de rouge ou de noir, sabre en main, 20, 21, 30. Ils montent sur la terre et dépouillent momentanément leur peau de dragon sans laquelle ils ne peuvent rentrer dans les eaux, 29, 31. Ils sont friands des mortelles, en ont des enfants, viennent les voir une fois par mois et les quittent au bout d’un certain temps sans cesser de subvenir à leurs besoins. Les femmes fréquentées par les génies des eaux dépérissent et l’on a recours à des exorcismes pour les en débarrasser, 29, 31. Tous ces génies des eaux sont mâles, du moins n’ai-je jamais entendu parler d’aucun génie femelle de cette espèce.

Génies terrestres. Génies protecteurs ayant, souvent par diplôme impérial, une portion du territoire sous leur puissance. Ce sont ou des personnages d’origine divine descendus sur terre pour le salut du royaume, 1, 7, des personnes souvent d’origine royale mortes de mort violente, injuste, 5. 8, 9, 90, 92, 93 ; des fondateurs de village, des colonisateurs, dont la divinisation peut être plus ou moins avancée 6, 97 ; enfin des personnages divers mais manifestant tous une puissance locale, 11, 12. Ces génies protègent leurs fidèles et punissent ceux qui les offensent, 20, 61, 94, mais leur puissance n’est pas illimitée ; on peut appeler de leurs abus au roi des enfers et les faire destituer, 35, 94. Les rois de la terre même ont ce pouvoir, 2 ; ils leur confèrent des titres, 5, 7, 8, 9, 12. 90, 93. Les génies respectent les autorités constituées, telles que les rois actuels ou futurs, 11, 57, et même un futur trang nguyên, 89. Ouelques-uns sont patrons de corporations, 5 ; plusieurs, originairement génies des eaux, sont des donneurs de pluie, 88. On peut rattacher aux génies terrestres Vông dia, 62, les du thân, 1, le génie des richesses, 39, les génies domestiques, 57, et le génie de la cible, si ce dernier n’est pas l’invention d’un conteur facétieux, B, 16.

Géomanciens (thay dia ly). Voir ce mot.

Giac. Bandits, rebelles, 15.

Giac hai. personnage mythique femelle. Élève la montagne de Tày ninh, 46.

Gin long. Roi d’Annam. Visite le sanctuaire de Quen, 9 ; altère la conformation de la montagne de la Tête d’éléphant pour en détruire les influences martiales, 96.

Gingembre. Symbole d’une vie solitaire et perdue, 27.

Glareola orientalis. Voir Chim chién chién.

Glorieux. B, 10.

Grenier à riz. Sert de cachette, 47, 67, 120, B, 4.

Grenouille. Bonze changé en grenouille ; pourquoi la grenouille joint les pattes quand on la tue, 54. Fée sous la forme d’une grenouille, 124.

Grossesse. — prolongée trois ans au bout desquels la femme accouche de trois œufs bleus, 7.


H


Hache. Le tonnerre représenté une hache à la main, 127. Offrande de cent fers de — faite chaque année le 30 du 12e mois au génie du Tân viên, 10.

Hàng du, nom d’un mandarin qui chasse les crocodiles du Triéu chàu dans l’Annam, 86.

Hào quang. Voir Auréole.

Hàu. Désigne les concubines des mandarins, 92.

Heo (porc). Nom d’un roi prédestiné, 57.

Herbe. — Abondante sur la terre par la faute du buffle, 81.

Hermaphrodite (lai cài), 99.

Hièu. Nom d’une femme d’un village voisin de Saigon qui s’est réincarnée en Chine, 34.

Ho. Famille. Ba — , familles du père, de la mère et de la femme. Extermination de ces familles, 57. Nul n’a trois familles riches, 60.

Ho phap. Personnage bouddhique, 111.

Ho xuân huong. Nom d’une femme lettrée ; se retire dans la pagode du Tàn viên, 27.

Hoành hoach (ixos analis). Câm se transforme en cet oiseau, 22. Cri du —.

Homme. Le serpent dérobe à l’— l’immortalité, 83. Homme à tête de tigre, 12 ; à tête de serpent, 29 ; à têtes de buffle, de singe, 96.

Hong ban. Première dynastie annamite, 100.

Hong duc. Nom d’un roi de la dynastie Lè, 1, 8.

Hottentots. Tradition des — sur l’immortalité perdue par les hommes, 83.

Humide. L’— , personnage incombustible, 102.

Huon. Nom d’un individu de la province de Saigon, qui descend aux enfers, y voit les tourments qui l’attendent, distribue tous ses biens, établit un marché flottant au Nhà bè, et après sa mort se réincarne en l’empereur de Chine Dao quang, 33.

Huyèn tong. Empereur de la dynastie chinoise des Duong, 699-762 Contemporain du poète Li thai pe, 50.

Huyèt de vuong. Cavernes d’empereurs et de rois. (Voir Tombeaux).


I


Idiot. Incarnation du fils du roi des enfers. Guérit les enfants de leurs maladies de langueur en les caressant, 72.

Immortalité. — dérobée à l’homme par le serpent, 83.

Impiété filiale. — punie par la pétrification, 20.

Impromptu poétique. 18, 26, 27, 28.

Incarnations. — divines 1, 7, 28. — d’hommes en autres hommes, 33, 31. Dans les deux cas les personnages portent sur la paume de la main en lettres rouges une mention de leur origine. — D’hommes en animaux, 106. B, 8. — d’animaux en hommes, 25, 64.

Incendie. — allumé par la vengeance d’un mauvais esprit, 91.

Inceste. — involontaire du frère et de la sœur. Le mari ayant reconnu son erreur s’enfuit et la femme se met à sa recherche ; dans un cas, elle le retrouve et le ramène, 53, dans l’autre, elle le cherche éternellement et ils sont devenus, l’un l’étoile du matin, l’autre l’étoile du soir, 47.

Indra, protecteur du Bouddhisme, 28.

Ingratitude. — humaine, particulièrement de la femme, 45.

Injustices. — punies aux enfers, 33. Vengeance d’un mort, 121.

Inspiration. — supra humaine ; se manifestant par la rougeur du visage, 14, 65. Médiums inspirés par les génies. Voir Médium. Un mendiant demandant l’aumône, crie sans raison au maître de la maison que la poutre sur sa tête va se rompre. Inspiration d’un de ses ancêtres, 28.

Insultes. Les Annamites rendent insulte pour insulte ; tournois d’injures, 79. Envoyer insulter un ennemi. B, 19.

Invulnérable. Homme — , 75, 102.


J


Jardin. Descriptions de — 27, 28.

Jasmin. Fleur de — plantée dans la bouse de buffle, symbole de la femme d’esprit liée à un sot mari, 113.

Jonc. Mèches de moelle de jonc que l’on dit devoir s’allonger dans la bouche d’un coupable qui se révèle en la coupant, 112. (Un stratagème analogue est attribuée aux Cafres par Jules Verne, Étoile du sud).

Jumeaux. Cinq — doués de pouvoirs magiques, 75, 102.

Justice, Dinh tien hoàng fait jeter les criminels aux bêtes féroces ou aux chaudières bouillantes, roi justicier. Cette justice violente n’est pas entièrement approuvée, 23.


K


Keo. Xin — . Procédé de divination, 94.

Khâch. Oiseau merveilieux ; celui qui le mange doit devenir empereur, 101.

Khi. Émanation lumineuse qui révèle la présence des objets précieux ou des trésors enfouis, 24.

Khoa. An — . Examens de faveur, 95. La cour des Mac faisait passer des examens, 100.

Không lo. Personnage mythique. Auteur des montagnes de la Basse-Cochinchine, sauf la plus haute, 46.

Kièng ngut. Constellation du gardien de buffles. (Voir Chûc nû, 47).

Kièu. Oiseau parleur du Tonquin, noir. — merveilleux, blanc, prenant diverses couleurs aux diverses heures, 94.

Kim cang. Bat bô — . Génies bouddhiques, 28. — bô tâc. Indra. — pha ta kinh. Sutra bouddhique dont la récitation chasse les mauvais esprits, 104.

Koki. Espèce de sao employé au Laos exclusivement pour la construction des pirogues et des cercueils, 30.

Kublai khan. Fondateur de la dynastie Mongole, 9.

Ky lan. Roi des quadrupèdes, 126.

Ky yên. Sacrifice annuel que font les villages au génie local, 35.


L


Lai cài. Hermaphrodites, impuissants, 99.

Langage. — des animaux, 66.

. Dynastie tonquinoise, 5, 6, 8, 17, 100. — thai tô, fondateur de la dynastie, 6, 26, 28. — thanh tông, 27. Sa mort, 25.

Lè duyèt. Eunuque, compagnon d’armes de Gia long, gouverneur du Nghè an, de Gia dinh, 15.

Lézard gris. Messager d’Ounkoulounkoulou, 83.

Lien. Les actions de la vie présente sont un lien pour les existences futures, 63.

Lièvre. Pourquoi il a le museau fendu (tradition hottentote), 83. Joue tous les animaux surtout le tigre, 41.

Lièu. Génie céleste, incarnée en fille, mère des trang nguyèn Quinh et Trinh, a un temple sur le Cung dàm, 28.

Location de la terre. Cérémonie par laquelle on achète du premier occupant la paisible possession de la terre, 6.

Loutre. La patte droite de la loutre employée pour effrayer les arêtes, 108.

Lune. L’homme de la — , 45. La — envoie le pou porter à l’homme un message d’immortalité (tradition cafre), 83. Des démons donnent à l’étudiant qui les a domptés une — , 73.

Lè dong tàn. L’un des huit génies des Taosse. Complète les animaux imparfaits, 50.

Lè vong. Vieillard oublié par la mort, 103.

Luong. Voir Tricheurs.

Luu thang. Gouverneur chinois de l’Annam, tué par Dinh tien hoàng. Pour expier ce meurtre, l’Annam paie chaque année en tribut une statue d’or jusqu’à l’ambassade de Quinh, 28.

Ly. Nom de deux dynasties annamites, 7, 10, 38, 90, 93.

Ly bach. Le poète Li thai pe devenu un génie complète les animaux imparfaits, 50.

Ly khac can. Génie local honoré par les bûcherons. Victime du tigre. Rapports du nom de Ly avec le tigre, 5.

Ly Quang. Prince honoré à Bach duong dans le Nghè an, 90.

Lyre. — qui met en fuite l’ennemi, 67.


M


Mac. Famille qui dispute le nord du Tonquin à la dynastie Lè, 14, 100.

Mac dang duot. Possession des femmes par les génies des eaux, 8.

Magie. Pouvoirs magiques de la Bà chan, 74. Du capitaine Tao, 15. De Cô bu, 16. Lune, soleil, cheval doués de pouvoirs magiques, 73. Pouvoirs des cinq jumeaux, 75, 102. D’un capitaine de bateau chinois, 101. D’un maître d’école, 116.

Mahâmaugdalyâyâna. Voir Mac tièn.

Mai châu. Fille du roi Le thânh tông ; dirige une expédition contre les Moi et se sacrifie pour sauver la flotte, 8.

Maître. — versé dans l’astrologie et la chiromancie, fait à son disciple des prédictions qui se vérifient et lui donne quatre sauvegardes, 116. — en paresse, B. 8. — d’école perspicace, 113.

Mal. Rendre le mal pour le mal, 64.

Maladie. — nerveuse ; pleurs et rire convulsifs causés par im mauvais génie incarné en fille. On guérit le malade en lui faisant boire des amulettes, 28.

Malédictions. Croyance à l’efficacité des malédictions, 79.

Mandarin. — corrompu, blâmé parce qu’il accepte l’argent sans donner suite à ses promesses ; puni, 121.

Mannequins. Le jour de la mi-automne un homme va vendre des mannequins d’herbe, 58.

Marchands. B, 17.

Marchés. Manière dont ils se forment, 32. — des âmes, 32.

Margouillat. Origine du — , 52.

Maris. — qui ont peur de leurs femmes, B, 19. Vengeance d’un — , 118.

Mariage. On annonce les — aux ancêtres, 61. Unions des fées avec les hommes, 28, 70, 124. Des mauvais esprits femelles avec les hommes, 25, 74, 92. Unions des génies avec les femmes, 38. Unions des femmes avec les génies des eaux, 29, 31. Avec des mauvais esprits, 3, 73, 91. Une fille morte vierge devient aux enfers la femme d’un officier du roi des enfers, 32.

Marmite. — donnée par les génies des eaux où le riz abonde tout seul, 21.

Marsouin. Origine du marsouin. Pourquoi il lutte de vitesse avec les bateaux et plonge continuellement, 53.

Mâu. Cornac à qui son éléphant vient en aide dans sa vieillesse, 17.

Médecins. Vendent des drogues, B, 13. Rendus responsables de leurs maladresses, B, 18.

Médiums. Dông. Inspirés par des génies, 6, 8, 9, 35, 92.

Menstruation. Une femme en état de — fait par son contact perdre toute vertu au cheval magique, 73.

Menteurs. B, 6.

Mérites. — perdus par l’effet d’un seul mauvais désir, 1. — acquis par la distribution d’eau aux pèlerins, 38.

Métamorphoses. — successives de Câm en mouche, en hoành hoach, pousse de bambou, fruit de thi, 22. Singe changé en jeune fille, 28. — De deux époux en singes, 49. De deux hommes en margouillats, 52. De trois personnages divers en marsouins, 53. D’un bonze en grenouille, 54. En pot à chaux, 56. D’un enfant en perdrix, 55. D’un serpent en lingot d’or, 69. D’un génie céleste en bousier, 83. D’une femme en moustique, 84. Des tonnerres en animaux ailés, 87.

Métempsycose. Voir Incarnations.

Métis. Comparés à la chauve-souris, 126.

Meurtre. — d’une jeune fille sans famille par une bande d’écoliers. Ils sont condamnés à porter son deuil, 40. — d’un mari. La femme adultère condamnée à l’écartèlement, le complice à cinq ans d’exil, 112.

Miel. — du Rach già. — de l’est ; manière dont on le recueille, 77.

Minh. Dynastie chinoise, 8.

Minh mang. Roi d’Annam. Salue le Thânh dông dèn, 11. Envoie Lè duyèt dans le Nghè an, 15. Protégé par la princesse Mai chàu, des Lè, 8. Donne des bouts rimés à Dang van hùa, 18. Interdit la circulation des prédictions du trang Trinh, 100.

Miroir. — magique dans lequel on voit tout ce qui se passe au ciel, sur terre et dans les abîmes, 8.

Monnaie. — infernale. Les ombres essaient de la passer aux marchands. Ceux-ci la reconnaissent à ce qu’elle ne plonge pas dans l’eau, 32.

Montagne. Création des — , 46. De la — de Tày ninh, idem. — stérilisée par Cao bien, 13. Génies des montagnes, 5, 10, 20. Influence martiale d’une montagne, 96. Rêver que l’on avale deux montagnes, 95.

Mort. Formalités à remplir en cas de mort en pays étranger, 107. Mourir hors de chez soi est une malédiction, 10. Famille dont tous les membres meurent à trente-un ans ; vieillard oublié par la mort, 103. Mort apparente, 72, 103. L’heure de la mort peut donner à l’âme du mort une puissance redoutable, 3. L’homme peut se plaindre d’une mort injuste causée par un génie, 35, 94. Les morts violentes, injustes, prématurées donnent à l’âme du mort une puissance particulière ; ces morts deviennent des esprits malfaisants ou des génies redoutables. Il en est de même des femmes mortes vierges ou sans enfants, 5, 8, 9 90, 92, 93, 121, 122.

Morts. Coutume de garder les morts dans les maisons. Ils deviennent des esprits malfaisants, 84, 105, 122.

Mouches. Les — se posant en foule sur le cou de Ninh empêchent de le décapiter, 14. Les mouches couvrant un pinceau entre les mains d’un écolier sont un signe que quelque chose va mal chez lui, 101. Câm se change en mouche, 22.

Mouchoir. Un homme mettant autour de sa tête un — charmé monte au ciel, 47.

Moustique. Origine du moustique ; pourquoi il suce le sang, 84.

Mug lièn, disciple du Bouddha, délivre sa mère de l’enfer, 51.

Muet. Huile qui rend muet, 120.

Mutilations volontaires, 118. Couper un doigt à un individu (Cambodgien) mort loin des siens, 118.


N


Nam, gendre du roi Mac, 14.

Nénuphar. Fée qui tient à la main une fleur de nénuphar, 96.

Ninh, fils de Mac, doué de pouvoirs magiques, mis à mort par son frère. 14.

Nom. Un génie ordonne à une mère de ne pas donner elle-même de nom à ses enfants, 99, 102. Manière dont on les donne, 80. — remplacés par un numéro d’ordre à l'adolescence, 116.


NG


Nghi. Nom d’un mauvais esprit, 2.

Ngô. Dynastie chinoise dont le nom sert encore à désigner les Chinois dans l’Annam central, 38.

Ngô bât ngao. Ancien chef local encore vénéré dans le Quang binh. 6 ; prétend descendre des Minh ; se révolte, 8.

Ngô cang. Adepte exilé dans la lune où il coupe éternellement le cannellier lunaire (légende chinoise), 45.

Ngoc. Pierre précieuse. Pierre précieuse d’un ba ba, 60. D’un python ; guérit une muette, 67. Pierre donnée par un serpent et dont la possession assure l’accomplissement des souhaits, 107. — nghe, pierre dont le possesseur entend le langage des animaux ; elle perd sa vertu s’il ne garde pas le secret, 66. — qui, pierre de tortue ; met les mauvais esprits en fuite, 105.

Ngoc. Nom d’un génie local, protecteur des bateaux, 93.

Ngoc hoàng. L’empereur céleste, divinité suprême des Taoïstes, 28, 60, 62, 81, 83.

Ngon. — ût, petit doigt, 70.

Nguy. Famille heureuse aux examens et dans les emplois depuis que son ancêtre a été enterré par les ordres de Ninh dans un lieu privilégié, 14.

Nguyèn. Dynastie chinoise, mongole, 9.

Nguyèn công trù. Mandarin qui repeuple le Nam dinh et y est honoré, 97.

Nguyèn dang giai. Tông dôc de Ha nôi ; fils miraculeux et tardif ; bâtit une pagode à Hanoi, 19. Sa mort lui est annoncée par le génie du Tân viên, 10.

Nguyèn dang quang. Bonze de la pagode de Thiên tuong, dans le Hong lanh ; se brûle vivant à l’âge de quatre-vingt dix-neuf ans, 41.

Nguyèn hién. Fondateur de la famille royale actuelle. Le trang Trinh lui en prédit la fortune future et sa courte durée, 14.

Nguyèn thai. Ancêtre de la famille royale. Sa famille est exterminée avec lui, mais miraculeusement perpétuée, 25.

Nguyèn tri phuong. Ambassadeur annamite, 14.

Nguyèn vân hué. L’un des Tày son, Quang trung, conquérant du Tonquin, 11.


NH


Nho. Appellatif des étudiants, 99.

Nhon tong. Prince de la dynastie Ly, 90.

Nhu tièn. Rebelle pris par Tù thûc, 12.


O


Oai vuong. Empereur chinois de la dynastie des Châu, 11.

Oan. Chèt — . Voir Morts injustes et violentes.

Œufs. Femme qui accouche d’œufs d’où naissent des serpents, 7. Œufs de serpents, 88.

Ogre (àc lai). — envoie son cœur au Bouddha par un pèlerin, devient un Bouddha, 53.

Oie. Pourquoi les — ont une crête blanche, 66.

Oignons. — cultivés en jardins suspendus, 113. Gâteaux de viande de chien changés en oignons, 51.

Oiseau. — merveilleux prenant diverses couleurs, aux diverses heures de la journée, attirant tous les autres par son chant, 94. L’exemple des — montre que l’amour des parents est plus fort que celui des enfants, 119. Oiseaux mis en cage pour l’ornement des palais, 28. Oiseaux cités dans les contes : aigrette, 79 ; canard, 50 ; chim chièn chièn (corydalla, œgialitis), 50 ; coq, 104 ; coq de pagode, 85 ; corbeau, 22, 47, 59, 70, 85 ; cormoran, 108 ; con dièu, 13 ; hoành hoach (ixos anatis), 22 ; khâch, 101 ; oie, 66 ; perdrix, 55 ; phung, 126 ; pigeon, 22, 85 ; pluvier, 50 ; poule, 28, 44, 116. Oiseaux du tonnerre, 87,

Ong dia. Génie qui parcourt le monde pour rapporter ce qui se passe à l’empereur céleste, 35. Violenté par un pauvre qui veut faire changer sa destinée, 62.

Ong giot. Personnification des gouttières d’une toiture, 78.

Or. Fosse de l’or, 68. Montagne d’or dans le texte cham correspondant. Or dans la gueule béante d’une caverne, 68, d’un éléphant, 69. Serpents se transformant en or, 69.

Oreille. Cureurs d’— , B, 11. Homme à l’oreille fine, 75. (Voir p. VIII, note).

Orfèvres. Ont la réputation d’être des voleurs, travaillent à façon, B, 20.

Onkoulounkoulou. Dieu du ciel chez les Cafres, 83.

Ours. — cheval (gâu ngwa), animal dont la méchanceté est proverbiale, 74.

Ouvriers. — requis pour le service du roi, 109.


P


Pagode. Diables de — , très malins ; écoliers, 111.

Pamplemousse. — jetée à la mer avec une lettre va vers la personne à qui elle est destinée et quoique repoussée revient toujours à elle, 53.

Papier argenté. On en donne trois feuilles aux animaux bienfaiteurs, 107.

Paradis occidental. Bouddhistes à la recherche du — , 53, 84.

Parents. Faire de tous les nobles ses parents, 110. Amour des — plus grand que la piété filiale, 119.

Paresseux. B, 8. — prédestiné à être roi, 59.

Parfums. Emploi d’eau parfumée pour lotions de la tête, 116.

Partage. Les femmes poussent au partage entre frères, 68.

Passé. Le trang Trinh connaît 500 ans de passé et 500 ans d’avenir, 100.

Pastèque. Ut devient enceinte pour avoir mangé l’écorce d’une pastèque souillée d’urine, 70.

Patron (des métiers) « ông ta ». — des menteurs, B, 6. — des paresseux, B, 8. — des orfèvres, B, 20.

Pauvreté. Aucune famille ne reste pauvre trois générations, 62.

Peau. Blancheur de la — , condition de beauté, 70.

Perdrix. Petit garçon changé en — ; explication du chant de la — , 55.

Père. — à vendre, 115.

Pétrifié (chet cung), 20.

Phàt bà. — donne naissance à huit génies ; a une pagode sur la montagne de Oi, 28 ; tente un bonze et le change en grenouille, 54 ; change une fée en l’étoile du matin, 47.

Phung. Roi des oiseaux, 126.

Phu’oc. — ; — dire. Bonheur acquis par les mérites, 28, 38.

Pied bot. Peut marcher sur les eaux, 75.

Pierre précieuse. Voir Ngoc.

Pigeon. Une troupe de — aide Càm à trier le sésame et les haricots, 22. Le — dénonce au saint le corbeau et le coq de pagode, 85.

Pinceau. Un — traverse une pierre ; avec ce — Cao bien dessine les yeux d’un cerf-volant sur lequel il s’envole dans l’Annam, 13. Un — se couvre de mouches entre les mains de l’écrivain, signe que quelque chose va mal chez lui, 101.

Pluie. Génies donneurs de pluie, 88.

Poison. — sans effet contre Ninh, 14.

Pont. — des corbeaux, 47.

Possession. — des femmes par les génies, 3, 8, 31 ; — par les mauvais esprits, cause de folie, 28, 121.

Pot à chaux. Origine du — ; — hors de service sont jetés sans être brisés au pied des arbres sacrés, 56.

Poucet. Petit —, 70.

Poule. Gloussement de la poule, 28. La — fait société avec le tigre et le lièvre, 44. Un maître ordonne à son élève de ne pas chasser les poules, 116.

Pou. Le — messager de la lune (tradition hottentote), 83. Époux ou frères qui se cherchent les poux, 47, 53, 101, 111.

Prabhuta ratna. Nom d’un Bouddha, 41.

Prédestination. — à la royauté, 57. — à n’avoir jamais plus de 30 sous, 58. — d’un paresseux à la royauté, 59. — au mariage et aux honneurs, 60, 61, 89. Un pauvre à qui tous les éléments du sort s’accordaient à annoncer la richesse l’arrache à Ngoc hoàng, 62.

Prédictions du trang Trinh, 100.

Prénoms (tên). Tirés de l’usage ordinaire ; souvent disgracieux, 80, B, 5. Chù tot, 38.

Présages. A un accouchement la maison est remplie d’une lueur rouge, — favorable pour l’enfant, 18. Dinh tien hoàng pêche une escarboucle qui écorne sa barque en la heurtant, — de grandeur aboutissant à une catastrophe. 23. Enfants qui s’occupent à des jeux militaires, simulent une cour, signe de grandeur future, 23, 24. Rêver que l’on avale deux montagnes d’une bouchée, — de double succès aux examens, 95. Dô thich rêve qu’il avale une étoile, en tire un présage de grandeur ; il assassine son roi et est tué lui-même, 23. Douleurs internes, pinceau couvert de mouches entre les mains de l’écrivain, mauvais —, 101.

Prêt à intérêt. — puni aux enfers, 32, 33 ; châtié sur les enfants même, 120, Légalement l’intérêt ne doit pas en s’accumulant dépasser le capital, 32.

Présents. — de bienvenue à des fonctionnaires, 73. — faits par de mauvais esprits sous forme humaine ; funestes, 73.

Puits. — hanté par les démons ; inépuisable à tout autre qu’à l’homme vertueux, 73.

Python. Reconnaissance d’un — ; il donne sa pierre précieuse à son sauveur, 67.

Quan. Ta — , hûu — , accolytes de droite et de gauche des génies de village, 61.

Quân. Auberges établies par des dévotes pour distribuer de l’eau aux pèlerins, 38 ; par la princesse Lieu pour attirer les voyageurs, 28 ; par Cô Diem pour chercher un mari digne d’elle parmi la foule des voyageurs, 26.

Quan àm. Voir Phât bà, 111.

Quan dè. Dieu de la guerre, protège une de ses dévotes contre un mauvais esprit, 4.

Quang trung. L’un des Tây son. Conquérant du Tonquin. Essaie de l’aire abattre la statue du Thanh dông den, 11.

Qué. Symboles magiques servant à la divination, 104, B, 13.

Qinh. Le công ou trang — ; fils d’un génie céleste, naît avec six doigts à chaque main ; se fait remarquer par sa subtilité et son amour des mauvais tours. Ambassadeur en Chine, il bat tous les lettrés. Le roi le fait empoisonner ; il combine un stratagème qui assure la mort du roi après la sienne. Connaît l’avenir de soixante générations. Tire son dixième descendant de la pauvreté, 26, 28.


R


Rat. Reconnaissance d’une troupe de — , 67. Roi des — , 107.

Rau om. Plante qui sert à assaisonner les viandes ; gâteaux de viande de chien changés en — , 51.

Reconnaissance. — des animaux envers leur bienfaiteur, 17, 12, 45, 66, 67, 107, 108. — des morts, 65, 109.

Regarde-nuages. Nom d’un personnage qui sait tout, 102.

Regret. Claquement de langue du margouillat, expression du regret des biens perdus, 52.

Repas. — offert aux animaux bienfaiteurs, 107.

Respect. En signe de — en passant devant une chapelle, on descend de cheval ou de palanquin et on incline les parasols ; en passant devant la montagne où réside la dame Hi on s’abstient de porter des vêtements de couleur rouge, 35.

Résurrection. — par la feuille du da, 45 ; par le bâton de la Bà chân, 74. Le Bouddha ressuscite une femme morte et lui fait boire du sang de son mari, 84.

Rêve. In génie apparaît en — à une femme et lui apprend que ses enfant vont mourir en punition d’une faute commise par elle en pensée, 1. Un génie tutélaire apparaît en — à Minh mang et lui fixe le moment favorable pour attaquer l’ennemi, 8. Le père de Dng van hôa voit en — un enfant qui vient s’engager pour un temps déterminé. Sa femme devient enceinte, 18. Le père de Nguyên dang giai voit en — les Bouddhas lui donner un mendiant pour fils ; le tho thân lui apparaît aussi pour le rassurer sur l’événement, 19. Do thich — qu’une étoile lui tombe dans la bouche et en tire à tort un présage de grandeur, 23. Nguyèn trai voit en — un serpent sous la forme d’une femme qui lui demande de la sauver, 25. Deux pères morts apparaissent en — à leurs enfants et leur ordonnent de se marier ensemble, 65. Des démons donnent en — à un soldat le moyen de les détruire, 73. Explication d’un — ; un mécréant qui va demander l’explication d’un — supposé est frappé de mort, 95. Les notables d’un village vont dormir dans une chapelle pour recevoir en — les ordres du génie du lieu, 89. Un lettré près de s’incarner dans un chien apparaît en — à un de ses anciens amis pour le prier d’abréger la vie de ce chien, 106.

Richesse. Génie des — , 39. Il n’y a personne qui n’ait que des parents riches, 60.

Riz. Le — est rare par la faute du buffle, 81. Pourquoi le grain de — est petit et pénible à obtenir, 82. Faire manger du — brûlé aux parasites que l’on veut éloigner, 110. Cao bièn enterre un boisseau de cinq espèces de — dont les grains deviendront autant de soldats, 13. Pot au — . On conserve la provision de — dans des pots, 22. Grenier à — (voir Grenier).

Rocaille. — ruinée, image des vicissitudes humaines, 27.

Rochers. — de formes diverses habités par des divinités puissantes, 20. Hommes changés en — , 20.

Roi. Le — a pouvoir sur les génies, 2, 57. sur les plantes, 57, les animaux, 86. Un génie femelle a un fils dont elle veut faire un — dominateur du monde, mais elle n’y réussit pas, parce que le père et l’enfant manquent aux prescriptions imposées, 100. — des enfers confondu avec le — des eaux, soulève une tempête pour enlever une princesse, 8. Fils du — des enfers vivant à Sadec sous la forme d’un idiot, 72. (Voir Génies des eaux). — des enfers, arbitre de la mort, 103. — des rats, 107.

Rouge. Génies portant des vêtements rouges, 20, 21, 94. Enfant à figure rouge, 13. Génie à figure rouge dont la vue est suivie de conception miraculeuse et heureuse, 99. Eaux rouges du fleuve Trà khuc, 13, de la Tête d’éléphant, 96.


S


Sabre. Génies subalternes armés de sabres, 20, 21, 94. Les génies des eaux font avaler à un homme un sabre qui le tuera s’il révèle les secrets qu’il a découverts, 21.

Sâch. Ancienne dénomination des villages, 23.

Sacrifices. — anniversaires à des morts, 22, 68, 109 ; à la tablette d’un bienfaiteur, 28. — annuel au génie du village (voir Ki yen). — semestriel à un génie local, revenus constitués à cet effet par l’empereur, 9. — semestriel à un mauvais esprit hantant un village, 2. — particulier à un génie qui a frappé un homme de maladie, 11, 35, 92. — offert pour interroger un génie, 9. Offrandes journalières d’une dévote à Ouan dè, 4. — à un génie local, 61. — aux esprits de la terre, 6. l’occasion d’un défrichement, 36. — de la location de la terre, 6. — annuel d’une jeune fille à un mauvais génie, 4. Obligation pour les habitants d’un village d’offrir à la femme d’un mauvais génie une part des viandes du — , 91. — au commencement de l’année, 112.

Sacrilège. Puni par des vomissements de sang, 35, 92 ; par des maladies, par la mort, 9, 11, 20, 94, 95.

Saint. Le — , ordinairement Confucius, 104. Représente Noé construisant l’arche, 85. — de bronze noir, génie dont il y a à Hà nôi une statue célèbre, 11.

Salé. Câm fait saler le corps de Tàm et l’envoie à leur mère, 22.

Sao. Arbre, 30. — don gânh. (Voir Fléau).

Salamandre. Messager d’Ounkoulounkoulou aux Cafres, 83.

Sang. Promesse écrite avec du — , 62. Serment prêté en buvant le — d’une victime, 24, B 18. Femme ressuscitée en buvant le — de son mari ; lui devenant infidèle, elle vomit ce — et meurt, 84. Irrévérence envers les génies, attaque de leur sanctuaire, punies par des vomissements de — , 9, 35. Faux serments recevant la même punition, 92.

Sapèque. — et baguettes brisées en signe de divorce des femmes avec les génies des eaux qui les hantent, 8. — servant à un procédé de divination, 94. Trois — données aux animaux bienfaiteurs, 107.

Sauvage. Femme — 98.

Scolopendre (con rit). A dans la tête une pierre précieuse, 66.

Sec. Le — , nom d’un personnage insubmersible, 102.

Serment. — juré sur une victime en buvant de son sang, 24, B 18. Faux — puni par des vomissements de sang, 92.

Serpent. Génies vivant avec les hommes sous la forme de — , 7, 29, 31, 67, 88. Nain à tête de — , fils d’un génie des eaux, 29. — à crête rouge venant au secours d’un génie des eaux, 29. Un — apparaît en rêve à Nguyen trai pour lui demander de le sauver et, négligé, se venge de lui, 25. Reconnaissance des — , 66, 67, 107. — se transforme en un lingot d’or pour récompenser la bonne sœur, se multiplie pour châtier la mauvaise, 69. Singe métamorphosé en fille, puis en — vomissant des flammes, 28. Le — dérobe à l’homme son immortalité, 83.

Siffler. — pour appeler le vent, 22.

Signes. L’on tire divers présages de la position des — sur le corps. Heo en a neuf, 57. Tache rouge dans l’oreille, 15. Trois poils blancs sous la plante des pieds, habile plongeur, 16.

Singe. Origine du — ; raison d’être des callosités de ses fesses, 49. Le — fait société avec le tigre, 78 ; trompe le crocodile, 43. Manger des viscères de — fait vivre cent ans, ibid. Foie et crâne de — dissipant les terreurs des enfants, ibid. Les — portent un homme à la fosse de l’or, 68. Hommes à tête de buffle ou de — , 96. — métamorphosé en fille, puis en serpent vomissant des flammes, 28,

Sœur. — bonne et — mauvaise, 69.

Soldats. Grains de riz transformés en — , 13.

Soleil. — factice donné par des démons à un étudiant, 73.

Sorcier. (Voir Thây phàp.)

Souhaits. Pierre précieuse dont la possession assure l’accomplissement des — , 107.

Soulier. Le fils du roi proclame qu’il épousera celle qui pourra chausser le — dépareillé qui lui a été apporté par un corbeau, 22.

Sourd. B, 9.

Souris. — employées par le roi des rats à ronger un coffre, 107.

Statue. Une statue lève le bras pour obéir à un enfant prédestiné à être roi, 57. — vénérée à Quèn ; on la mène à la mer chaque mois pour y faire ses ablutions ; chaque année on change ses vêtements, 9.

Stérilité. — des arbres d’un jardin due à l’existence d’un trésor enfoui, 60. Montagne rendue stérile par Cao bièn, 13.

Supplices. Individus condamnés à être enterrés vivants, 25 ; à la mort lente, 23 ; la décapitation, 14, 25 ; la noyade attaché au ventre d’un éléphant, le poison, 14 ; l’écartellement, 112.


T


Tablette. — de la fondatrice d’une pagode conservée dans la pagode, 34. Un individu sauvé de la mort par l’intervention miraculeuse du trang Quinh demande sa — pour l’honorer dans sa maison, 28.

Tagalocs. Coutume analogue à celle des Annamites en matière de mariage, B, 15.

Tam, brissure de riz. Con — , nom d’un personnage, 22.

Tambour. Un bûcheron et son fils ayant été transportés au ciel, en sont redescendus assis sur un tambour, 47.

Tang Thuong. Les mûriers et la mer ; vicissitudes de la vie, 27.

Tao, nom d'un rebelle né miraculeusement, 99. Porteur d'une tache rouge dans l'oreille, 15.

Tài son, famille de rebelles qui furent maîtres de tout l'Annam et soumirent le Tonquin dans les dernières années du XVIIIe siècle, 11, 92.

Tempête. Tempêtes soulevées par les génies au moment de leur apparition ou de leur disparition, 7, 37. Les huit tuong soulèvent une — pour combattre la princesse Lièu, 28. Les serviteurs du roi des enfers soulèvent une — pour emporter du bois de construction, 30. Bois apporté à Quèn par une — pour la construction d'un temple, 9. La princesse Ngoc guide les bateaux dans la — , 93.

Tên. Voir Prénoms.

Termites (Con moi) couvrent dans une nuit, d'un tertre plus ou moins élevé, les tombeaux de gens dont les descendants sont prédestinés à une haute fortune, 38, 108, 109.

Terre. Engloutit la fille d'un usurier, 120. Débris des ustensiles de — cuite accumulés au pied des arbres, 56.

Terreurs. — des enfants. On les combat on leur faisant manger de la chair et surtout du foie de singe. En suspendant un crâne de singe au-dessus de leur lit, 43.

Têt. Fête du renouvellement de l'année, 114.

Tétrodon (Cà nôc). Mutile les nageurs, 76.

Tièn. Voir Génie,

Tigre. — mangeur de poisson, 108. Les rayures de sa peau ont été causées par un incendie où le jeta le lièvre, 44. Bête, poltron, 78. Joué par le lièvre, 44. Emporte le cadavre d'un assassin, 120. Emporte le cadavre d'un individu qu'il a tué et lui donne un tombeau qui fait de lui un génie puissant, 5. Enterre son bienfaiteur dans un tombeau qui assure à ses descendants un avenir brillant, 108. Témoigne sa reconnaissance envers une sage-femme qui a délivré sa femelle en lui portant du gibier, 42. La femelle du tigre ressuscite son petit, mort, avec des feuilles de da, 45. Le — enlève une femme qui met au monde un fils dont la tête devient plus tard semblable à une tête de — , 12. Le — entend de la forêt tout ce qui se dit de lui, 5. Nom de Ly donné au — , 5. Pourquoi l’on détruit ses moustaches, 5. — blanc, 13.

Tinh. Con — , esprit femelle malfaisant, 25, 73.

Tinh hoa. Influence du soleil et de la lune, 104.

Tô Luu Nghia. Général chinois ; se suicide avec l’empereur Dè minh, 9.

Tombeaux. Influence de la situation des — sur la prospérité de la famille du mort. Les influences défavorables peuvent être conjurées par une exhumation. 39. — donnés par les tigres, 5, 108. Recouverts par les termites, 38, 108, 109. — dont la possession assure l’empire aux descendants du mort, huyêt de vuong, 13. — de princes, de grands seigneurs, 108. Ninh fait tuer un passeur dans le but de l’enterrer dans un de ces — et d’assurer les honneurs à sa famille, 14. Mort reconnaissant à celui qui a gardé son — , 109. — de Cao bien. 13.

Tô Thù. — fait assassiner Thach Sùng, 52.

Tong. Dynastie chinoise, 9.

Tonnerre. Prend la forme d’un oiseau, 87. Représenté sous la forme d’un homme qui porte une hache, 127. Frappe un assassin, 120.

Tortue. Fait société avec le singe et le tigre, 78. — au verbe injurieux, punie par les aigrettes, 79. Pierre de — a la propriété de mettre en fuite les démons, 105.

Tournois. — poétiques pour obtenir la main d’une femme lettrée, 20, 27.

Trai. Frère du trang nguyên Trinh, 100.

Traits. Les — du visage, twong, annoncent la fortune future, 19, 39.

Tram. Poste officielle, B, 7.

Tran. Nom d’une dynastie, 9, 108.

Tran vô Quan. Génie qui a une pagode à Hâ noi, 11.

Trang nguyèn. Première dignité littéraire, 1, 14, 28, 89, 100.

Trang tong. Nom d’un roi de la dynastie Lè, vainqueur des Mac, 100.

Tranh. Herbe dont on couvre les maisons, 44.

Transformations. Livre des — . (Voir Diéc kinh).

Trésors. — enfouis causent la stérilité d’un jardin. 60 ; sont cause qu’une maison devient inhabitable, 39.

Tricheurs. (luong), gens qui extorquent leurs biens aux passants par des gageures à coup sûr. Transformés en marsouins, 53.

Trinh. Frère de Quinh, prédit à Nguyèn bièn l’avenir de la dynastie Nguyèn, 28. Favorise les Lè contre les Mac, 100.

Trinh. Famille de Chùa du Tonquin, 14.

Trot. lo — lagune naturelle, 21. — trông. Châtiment céleste, 20.

Tû dûc. Nom ou plutôt titre des années d’un roi d’Annam, 10, 14. Ses poésies, 23.

Tu thuc. Homme à tête de tigre. Se saisit d’un chef de bandits, 12.

Tuong. Chefs de légions d’esprits, 28. Traits du visage et signes du corps servant à établir des pronostics, 19, 39.


TH


Thach sùng. Personnage célèbre par ses richesses, changé en margouillat, 52.

Than. (Voir génie). — dong, enfant prodige, 18.

Thang. Appellatif méprisant, 91. — cuôi. L’homme de la lune, l’écho. Menteur comme le — cuôi, 45.

Thânh dè. Dévote qui, par esprit de vengeance, essaie de souiller les bonzes ; est damnée, 51.

Thânh. — dông den. (Voir saints). — hoàng, titre sous lequel Nguyèn công trù est honoré dans la province de Nam dinh, 97.

Thânh tông. Roi de la dynastie Lè, 8.

Thây. — dia ly. Géomanciens ; déterminent des situations favorables pour les tombeaux, 13, 39. — Phap. Sorciers ; exorcisent les fous, 73. Rossés par les mauvais esprits qu’ils essaient de chasser, 3, 91, 104. — Twéng, physiognomonistes ; prédisent l’avenir par les traits du visage, 19, 39. — Thuôc, médecins, B, 19.

Thi (diospyros ebenaster). Fruit à l’odeur pénétrante dont le germe a la forme d’une silhouette. Con Câm se réfugie dans un fruit de — , 22.

Thi luong, monstre à trois têtes ; couche avec le Dô dôc du Nghè an et tue sa concubine, 92.

Thiêu tri. Nom d’un roi de la dynastie Nguyèn ; détruit la chapelle d’un mauvais génie, 2.

Thménh chéy. Personnage facétieux des Cambodgiens, 28.

Thô. — thân. Génie domestique ; donne des avertissements en rêve, 19.

Tuo lai. Employés des bureaux, 33.

Thû. Titre donné à des employés de rang inférieur, 33.

Thuôc. Médicaments. — bâc, médicaments décrits par les livres de médecine. — nam, simples, remèdes de bonne femme, 17.

Thuong luong. Serpent à trois têtes et neuf queues qui peut se montrer sous la forme de l’anguille, 92.


U


Urine. Vertu fécondante de l’—, 59, 70. Au contact de l’— le da céleste s’envole dans la lune, 45.

Usure. Voir Prêt à intérêt.

Ut. Nàng — , fée descendue du ciel sous la forme d’une toute petite fille, épouse le fils du roi après plusieurs prodiges, 70.


V


Vadjrapani. 28.

Vent. Siffler pour appeler le — , 22.

Ventre. Siège de l’esprit, 28.

Vers. Voir Tournois poétiques, impromptus.

Vers à soie. Employés comme médicaments, B, 18.

Vie. Fruits de longue — , 28. La durée de la — déterminée d'avance dans un rêve suivi de grossesse, 18.

Vieillard. — au hamac, nom donné à Ly khâc cân, 5.

Vieillesse. Inutilité de la — , 67.

Vièm. Nom d’un Tông doc qui avait entrepris l'ascension de la montagne Tàn viên, 10.

Village. Rôle des autorités du village, 89, 99, 107, 116, B, 13.

Vinh qui. Retour glorieux des lauréats dans leur village, 1.

Viscères. — de la femme faits avec ceux du chien. — du chien faits d’argile, 45.

Voix. — entendues dans une chapelle, 65 ; dans une maison, 39.

Voleurs. Les — usent de narcotiques, 107 ; portent un chignon postiche, 117, B, 22.

Vomissements. — de sang ; punition des sacrilèges, 9, 35, 92.

Vuong khâi. — lutte de magnificence avec Thach sùng, 52.


Y


Yeux. Un serpent incarné dans une jeune fille guérit la reine d'une maladie des yeux en les léchant, 25.

INDEX GÉOGRAPHIQUE

________



Note. — Il n’a pas toujours été possible de retrouver dans la Géographie annamite les circonscriptions territoriales mentionnées dans ces contes, soit que le narrateur se soit trompé, soit qu’il y ait eu des remaniements et des changements de dénomination à une époque récente. Les noms qui n’ont pu être identifiés seront marqués d’un astérisque.


A


Ai lao, nom d’un royaume voisin de l’Annam, 90.

Ai vàn, montagne sur les limites du Quang nam et de Hué où se voit un temple dédié à la princesse Ngoc, 93.

Am cong, village du Nghè an, 92.

An, ilot sur la côte du Quang bînh, 8.

An dong, village du Thânh hôa, 28.

Ao bach, lagune dans la province de Quang binh, 8.

Ao tron, lagune ; séjour du roi des eaux dans le Quàng bînh, 21.


B


Ba bô, pagode où fut élevé le trang Trinh, 28.

Bac ninh, province du Tonquin, 109.

Bach duong, village du Nghè an où se trouve le temple de Ly quang, 90.

Basse-Cochinchine, son commerce avec le Tonquin, 97.

Biên hoa, pagode fondée par le Thù Huon à — , 33.

Binh chanh, huyèn du Quàng binh, 6 *.

Bînh thuàn, province de l’Annam, 35, 36.


C


Cam làm, village du Nghè an, dont les habitants n’ont jamais de succès aux examens, 89.

Canton, province de Chine, 86.

Cao bang, province du Tonquin occupée par les rebelles Ba vanh, 8.

Cao vong, nom de la montagne où se trouve le col du Dèo ngang, 18.

Cày, marché du Hà tinh où se trouve le temple de Nghi, 2.

Cung dâm, montagne où se trouve le temple de la princesse Lieu, 28.

Cuong gian, village de la côte du Nghé an, brûlé par Bo, 3, 91.


CH


Chan loc, huyèn du Nghè an, 108, 112.

Chî chàu, village du Hà tinh où se trouve la chapelle des trois hommes serpents, 7.

Cho lon, ville de Basse-Cochinchine, marché des âmes près de —, 32.

Cho manh ma, marché des âmes du Quang yen, 32, 33.

Chu moi, village où se trouve le temple de la princesse Ngoc, 93.


D


Danh, rivière du Quàng buih, 30. 31.


D.


Dai Huinh, ancienne circonscription territoriale du Ninh binh ; patrie de Dinh tien hoàng, 23.

Dai ngan, montagne où se trouve le temple de Ly khàc can, 5.

Dèo, défilé. — ba gioi. — ngang, défilés qui séparent l’Annam proprement dit du Tonquin, 14, 18, 26, 28.

Dong haï, village du Quàng bhih où se trouve le ao troi, 21.

Dong ngan, huyèn du Nghè an, 109 *.

Dong thanh, idem, 88.


G


Gia dinh, province de Basse-Cochinchine, 33.

Gia vien, huyèn du Xinh blnh, 23.


H


Ha nôi, province du Tonquin, 4, 10, 26, 27, 110.

Ha tinh, idem, 2, 5, 7, 18, 37, 38, 91, 94, 106.

Hai duong, idem, 4, 10.

Hôa duc, village du Nghè an ; montagne dont les rochers sont enchantés, 20.

Hoa lu, vallée du Ninh binh, patrie de Dinh tien hoàng, 23.

Hoa Nghiem, nom de la pagode de Thù dûc, 34.

Hoanh son, montagne du Quang binh, 28, 30.

Hong lanh, montagne du Nghè an ; elle a 99 pics, 99 villages, 99 pagodes, 14, 28, 38, 41.

Hué, province de — , 93, 109.

Huong son, huyèn du Nghè an.

Huu lê, village du huyèn de Ky anh dans le Nghè an, fécond en généraux du temps de la dynastie Lé, 96.


K


Ké giang, montagne et village du Nghè an, 109.

Kiem son, huyèn de la province de Nam dinh ; peuplé par Nguyen công trir avec des pirates, 97.

Kien nuong, phù du Hà nôi, 4, 26. (La Géographie annamite donne un phù de ce nom dans le Nam dinh et nom dans le Hà nôi).

Ky anh, huyèn du Nghè an, 1, 96, 106.


L


Lâch, rivière du Nghè an, 109.

Linh chieu dong. Thù dùrc, village voisin de Saigon, où se trouve la pagode de la dame Hièu, 34.

Loc thanh, village du Quang buih, patrie de Nguyên dang giai, 19.

Loi duong, huyèn du Thânh hùa où se trouve le banc du tonnerre, 87.

Ly âp, huyèn du Nam dinh peuplé par Nguyên công tru, 97.


M


My duong, village du Hà tinh hanté par Bo, 3, 91.

My hoa, village du col de Dèo ngang, patrie de Dang van hoa, 18.


N


Nam chieu, peuplade ennemie des Annamites, 13.

Nam Dinh, province du Tonquin, 94, 97, 106.

Ninh binh, idem, 12.

Nghê an, province du Tonquin, 1, 3, 5, 9, 13, 14, 15, 20, 28, 41, 8S, 90, 92, 97, 99, 108, 109, 112.

Nghi xuàn. Huyen du —, 41, 91, 97.

Nhà bè, marché flottant établi aux Quatre-Bras par le Thu Huon, 33.

Nhon ly, huyèn du Ninh binh, 12 *. — village du huyèn de Thanh trà dans le Hâi duong ; il s’y trouve un temple de Quan de, 4.


O


Oi, montagne du Thânh hôa où se trouve une pagode célèbre, 18.


P


Phan lang, village du Binh thuàn, 36.

Phû yen, province de l’Annam, 13.

Phuoc kièn, province de Chine, 64.

Poo too, île de la côte de Chine où fut portée Quan àm à son retour des enfers et où elle a un sanctuaire célèbre, 111.


Q


Quang binh, 6, 8, 13, 19, 21, 28, 30, 106.

Quang nam, 14, 93.

Quang ngai, 13.

Quang yen, province du Tonquin, 8, 32, 33, 112.

Quang. Les cinq quàng sont les trois premières provinces énumérées ci-dessus, le Quàng tri et le Quàng duc ou province de Hué.

Quang Trach, phu du Quàng binh, 106 *.

Quen, port du Nghè an, 9.


R


Rum, montagne et rivière du Nghè an, 14.


S


Sadec, marché de Basse-Cochinchine, 72.

, ancien royaume de Chine, 101.


T


Tàn tranh, phû de Basse-Cochinchine (Sadec), 72.

Tàn vien, montagne du Hà nôi, résidence d’un génie l’edouté, 10.

Tày ninh, Montagne de —, la plus haute montagne de la Basse-Cochinchine. Séjour d’un génie femelle, la bà den. Le sanctuaire est quasi souterrain sous un bloc de roches dont les côtés ont été maçonnés. Selon la tradition locale, il a été occupé antérieurement aux Annamites par les Cambodgiens, et antérieurement à ceux-ci par les Cham. Au-dessus de la pagode actuelle se voient d’autres enfoncements qui portent le nom de Hang cham, trous des Cham. La pagode de Tây ninh est évidemment un ancien sanctuaire hindou. L’on voit, du reste, deux pierres en forme de linga, dressées des deux côtés de la corniche qui y mène et encore honorées d’encens et de parasols, 46.

, ancien royaume de Chine, 101.

Tête de dragon, montagne du Nghé an stérilisée par Cao bien, 13.

Tête d’éléphant. montagne du Nghè an dont Gia long a annihilé, par divers travaux, les influences martiales, 20, 96.

Thach hà, huyèn du Hà tinh, 7, 41, 110. (Appartenait autrefois au Nghé an.)

Than dau, tram du Nghè an où se trouve le temple des deux lauréats, 1.

Than phù, montagne où se trouvent les défilés qui séparent l’Annam du Tonquin, 13, 28.

Thânh hoa, province de l’Annam, 13, 28, 87. A produit les dynasties annamites, parce que Cao bien y a négligé un dragon boiteux, 13.

Thânh rum, bac sur la rivière de Rum dans le Nghè an, 14.

Thanh tra, huyèn du Hai duong, 4.

Than tri, huyèn du Hà nôi, 27, 110.

Thien loc, huyèn du Nghè an, 41.

Thiên tuong, pagode de la montagne Hong lânh, 38, 41.

Thû Duc, village voisin de Saigon, 33.

Thuong nhut, canton du huyèn de Thach hà, 7.

Tra khuc, fleuve du Quâng ngâi, roule des eaux rouges depuis que Cao bien en a tué le dragon, 13.

Tra son, marais du Tonquin dont Nguyèn công trù proposait le comblement pour annuler des influences mauvaises, 97.

Tran ninh, district des montagnes où se retire Nguyén bien, 28. Où se réfugie la princesse Ngoc, 93,

Trâo nha, village du Hà tinh, patrie de Thi phu, 38,

Trieu chau, phù de la province de Canton, d’où les crocodiles sont venus dans l’Annam, 86.

Truông. — bât ; — day thùng ; — may, défilés de montagnes, 5, 17.

Truong huu, village du Hà tinh où était descendu un génie céleste. 37.

Truong xa, village du huyèn de Chàn lôc dans le Nghè an, 108.

Tuan lé, village du Nghè an, patrie du rebelle Tao, 15.


V


Van tu, village du Hà noi, ou la Co Dièm bâtit une pagode, 26 ; village du Nam dinh, 94.

Vinh, marché du Nghé an où se trouve le temple de la dame Doan, 92.

Vô lièt, village du Hà noi, patrie de Ho xuan hurong, 27.


X


Xuan canh, village du Nghè an ; temple des serpents donneurs de pluie, 88.

TABLE
DES AUTEURS CITÉS


Academy, 5. (Communication du M. V. Ball).

Aumonier. — Textes khmers, 28 ; Notes sur le Laos, 30, 80.

Au hoc co suy tam nguyên, dictionnaire d'allusions littéraires, 45, 17, 52, 58.

Bach viên tan truyen, poème annamite, 8.

Bulletin du Comité agricole de Cochinchine, 50.

Chinese recorder and missionary Journal, 67.

Eitel. — Handbook of Chinese Buddhism, 51, 1 11. Feng shui, or the rudiments of natural science in China. 14.

Gia thât, instructions sur les rites. B, 18.

Hitopadésa, 79.

Kim lang xich phung, pièce de théâtre annamite, 53.

Kim Van Kiêu truyên, poème annamite, 63.

Stanislas Julien. — Avadânas, 79, 126. Syntaxe nouvelle de la langue chinoise, 79. Livre des récompenses et des peines, 89.

Khâm dinh ciêt su cang muc, histoire annamite, 13.

Khang hi. — Instructions familières, 68.

Ky môn dôn giap dai toan, livre de divination (dôn), 16.

La Fontaine. — La Tortue et les deux Canards, 79. La Souris métamorphosée en jeune fille, 80. La Chauve-Souris et les deux Belettes, 126. Le Chat et un vieux Rat, 125.

Lyc cân tien truyen, poème annamite, 116.

H. Regnier. — Édition des Œuvres de La Fontaine dans la collection des Grands Écrivains de la France. (Voir La Fontaine.)

A. Réville. — Les Religions des peuples non civilisés, 83.

A.-H. Smith. — The proverbs and commons sayings of the Chinese, 67.

Tirant. — Les Oiseaux de la Basse-Cochinchine, 50, 108.

P. Truong vinh ky. — Voyage au Tong King, 11. Histoire annamite, 25. 100. Chuyên doi xua, 25, 76, 77.


________


TABLE DES CONTES
________


PREMIÈRE PARTIE
_____




DEUXIÈME PARTIE
_____




TABLE DE CONCORDANCE




Nota. — Ces contes ont d’abord paru dans les Excursions et Reconnaissances n° 20, 21, 22, 23, 25 et 26. Plusieurs ont été retouchés et mis dans un ordre nouveau indiqué par la table.

Les astérisques désignent les contes publiés séparément dans les Excursions qui ont été réunis à d’autres dans le tirage à part.


TABLE DES MATIÈRES


Avertissement. III

Contes et Légendes. 1

Contes pour rire. 311

Index. 347

Index géographique. 380

Table des auteurs cités. 387

Table des contes. 389

Table de concordance. 393


  1. Je dois signaler ici un endroit où j’ai un peu forcé le sens du texte. Dans l’histoire des Cinq jumeaux (n° 75), j’ai donné à l’un des personnages le nom d’Oreille fine. En réalité le texte le désigne d’une manière moins précise, comme celui qui entendait. Depuis, en lisant les Contes gascons de Biadé, j’en ai trouvé un dont le héros porte le nom d’Oreille fine. J’aurai été évidemment entraîné à donner ce même nom au personnage du conte annamite par une réminiscence inconsciente d’un récit entendu autrefois.
    Dans les Contes pour rire, j’ai fortement abrégé et je n’ai conservé que l’essentiel.
  2. Station postale.
  3. Les villages sont, comme on le sait, responsables de la police de leur territoire et, à cet effet, doivent installer pendant la nuit des postes de veille dans les marchés, les maisons communes, sur les arroyos, aux carrefours, etc. Le choix des hommes de veille étant laissé aux autorités communales, ces corvées tombent naturellement tout entières sur les pauvres.
  4. Du thân, génie errant qui surveille tout ce qui passe dans le monde.
  5. Le narrateur a oublié de dire ici quel service le génie rendit au mandarin.
  6. 1840-1847.
  7. Midi. — Il faut noter ici l’influence de l’heure de la mort sur les destinées ultérieures du personnage.
  8. Quan vö était lu’un des trois célèbres amis qui s’unirent pour la défense de l’empire contre les Turbans jaunes ; fait prisonnier par Ton quyén, fondateur de la dynastie Ngô, il fut décapité. Il fut canonisé au commencement du XIIe siècle et, en 1594, élevé au rang de Dê. Depuis cette date, il est universellement honoré comme le dieu de la guerre.
  9. Il s’agit ici d’un esprit qui, après avoir été transformé en porc en punition des méfaits d’une première vie, est remonté au rang d’homme, puis, grâce à quelque coïncidence fatale, dans le moment de sa mort par exemple, a pu devenir un génie malfaisant et gardant tous les instincts de son existence antérieure. Les Annamites pensent que les vieux sangliers deviennent, après leur mort, des esprits malfaisants. Il en serait de même du porc domestique qui, devenant vieux, voit sa mâchoire se garnir de longues défenses et se transforme également en un mauvais génie. C’est pour cette raison que l’on se garde bien de les laisser vieillir. De même l’on ne conserve pas une truie qui a déjà mis bas deux ou trois portées, elle finirait par donner le jour à des démons. J’ai vu un de ces produits qui avait une tête de singe et qui fut considéré comme de très mauvais augure par tous les voisins de son propriétaire. Les jeunes filles doivent s’abstenir d’élever des truies destinées à la reproduction et non châtrées ; elles auraient plus tard des couches aussi fécondes que celles des truies, et les naissances de trois ou quatre jumeaux sont considérées comme très fâcheuses.
  10. Dans les images qui représentent Quan dé figure toujours un sauvage armé d’une lance ; c’est son fidèle serviteur Châu thirong, chef barbare, qui, après avoir d’abord suivi le parti des rebelles, vint faire sa soumission à Quan công. Il le suivit dans toute sa carrière et se tua après que son maître eut péri par les ordres de Tôn quyén.
  11. Ces truông, sentiers de montagnes, seraient ainsi nommés : l’un, à cause de son altitude, Chemin des nuages ; l’autre, parce que l’on y trouve du riz qui serait mûr au huitième mois, Bât (huit, en chinois).
  12. L’on me permettra de ne pas traduire littéralement les paroles malsonnantes que Ly khâc can adressa au tigre ; il suffira de dire qu’il fut puni par où il avait péché et que le tigre ne toucha à aucune autre partie de son corps que celle qu’il lui avait destinée. On peut voir, à propos de cette histoire, l’article Tigre dans MS (Excursions et Reconnaissances, III, p. 354) ; on remarquera que l’on enterre sur place les victimes du tigre. Dans une communication de M. V. Ball à l’Academy, numéro du 21 avril 1883, je trouve le passage suivant : " Beaucoup d’indigènes (Hindoustan) regardent les moustaches du tigre comme susceptibles de causer du mal ; et les chasseurs savent que, s’ils n’y prennent garde, les peaux des tigres qu’ils auront tués seront gâtées par l’enlèvement ou la destruction par le feu des moustaches ». C’est exactement ce qui se passe en Cochinchine. Il est regrettable que M. Ball ne soit pas entré dans plus de détails sur la nature des accidents qui peuvent résulter de la conservation de ces moustaches.
    Voir aussi sur le tigre MDM. note 43. On remarquera dans ce dernier article le passage du Au hoc relatif au nom de Ly donné au tigre. N’y a-t-il pas ici, comme en beaucoup d’autres cas, adaptation d’une légende chinoise ? Dans un autre conte un certain Ly vi est aussi transformé en tigre.
  13. Noter cette influence de la situation du tombeau de l’ancêtre sur la prospérité des descendants. On verra plus loin sur ce sujet deux curieux épisodes de légendes semi-historiques. (Cf. NDM. 382).
  14. Le roi Lê, c’est-à-dire un roi appartenant à la dynastie Lê, que le conteur n’a pas jugé à propos de désigner plus clairement, mais la suite nous apprend que notre héros était contemporain du fondateur de la dynastie (1428). Il vécut jusque sous le règne de son troisième successeur, contre lequel il se révolta, ce qui mit sans doute fin à sa carrière. Voir VIII.
  15. Voir, pour le rôle du médium et pour cette possession d’outre-tombe de la terre, MS. Chù ngu. Excursions et Reconnaissances, III, 139.
  16. Cet argent n’est autre que la monnaie de papier que l’on brûle dans les sacrifices. Les achats ne sont donc pas très ruineux par eux-mêmes, mais par les festins, salaires de sorciers, etc.
  17. Il s’agit sans doute de Nguyen dâng Giai ; d’après M. Truong vïnh Ky (Voyage au Tong-king, p. 5), le portrait de ce personnage se trouve à Hà nôi, dans une pagode qu’il a construite.
  18. Il y a deux dynasties de ce nom : les Ly antérieurs (541 à 603) ; les Ly postérieurs (1010-1225).
  19. Le thu’oc vaut vingt-deux diamètres de sapèque de Gia long, soit 525 millimètres ; le täc est le dixième du thu’oc.
  20. C’est toujours par un orage que se manifestent les dragons quand ils apparaissent sur la terre.
  21. 1460-1498.
  22. Cinquième dynastie annamite, de 1428 à 1789, année où Lé chien thong se réfugia à Pékin. Depuis les premières années du XVIIIe siècle, le pouvoir effectif était aux mains des Chûa (c’était le titre que portait au Tonquin la famille Trinh, et, dans la Cochinchine, la famille Nguyen dont l’ancêtre avait été le premier Chua).
  23. Les cinq Quâng sont : Quàng binh, Quàng tri, Quàng duc, Quâng nam, Quâng ngâi ; ce sont les cinq provinces voisines de Huê, qui est dans le Quâng du’c.
  24. Ngô bât Ngiao, rebelle d’origine chinoise qui gouvernait le huyèn de Binh chânh, dans le Quâng binh. Voir VI.
  25. La dynastie des Minh régnait alors en Chine. Le règne de Thânh tông correspond en grande partie à celui du dixième empereur de cette dynastie, Hièn tông, 1465-1488.
  26. Les génies des eaux passent pour être très friands des mortelles. On verra plusieurs historiettes qui roulent sur ce thème. Les femmes qui sont visitées par eux dépérissent lentement. Pour conjurer cette possession, qui porte le nom de mac dang dwoi, on emploie l’exorcisme suivant : le thây phâp, après les cérémonies d’usage pour faire passer l’esprit possesseur dans le corps d’un médium, se fait apporter une tasse d’eau, une sapèque et une baguette (à manger) ; on jette la sapèque dans la tasse d’eau et on fait avaler l’eau au médium, qui rejette la sapèque. On la brise ensuite, ainsi que la baguette ; on en jette une partie dans le fleuve, et la femme exorcisée conserve l’autre moitié. C’est, parait-il, un vieux rite du divorce, symbolisant le partage des biens entre les époux qui se séparent.
  27. Ces miroirs magiques sont d’un emploi très fréquent. Ou y voit tout ce qui se passe dans le ciel, sur la terre et dans les abîmes. Dans le poème de Bach vièn, le héros reconnaît, à l’aide d’un miroir de cette espèce, la nature extra-humaine de son épouse.
  28. 1820-1841.
  29. Ba vành. Rebelle tonquinois qui, sous le règne de Minh mang, occupa Cao bang pendant plusieurs années et attaqua Hà nôi, où il fut vaincu par l’eunuque. D’après d’autres, ce serait l’eunuque et non le roi qui aurait eu cette vision.
  30. Quatrième dynastie annamite (1225-1414).
  31. Bois odoriférant dont on se sert dans les sacrifices.
  32. Dong. Sur le rôle de ces médiums en qui l’esprit inconnu s’incarne passagèrement pour parler par leur bouche, voir Excursions et Reconnaissances, III, 139.
  33. La dynastie des Tong méridionaux dont il est question ici régna en Chine de 1127 à 1278. Elle fut détruite par Kublai khan, fondateur réel de la dynastie Nguyên (1260-1295), bien qu’il ait décerné les titres impériaux à quatre de ses ancêtres.
  34. Les Annamites de nos provinces comptent volontiers les distances de cette façon.
  35. 1803.
  36. Nom de règne du dernier roi d’Annam mort en 1883. Il régnait depuis 1848.)
  37. Gouverneur de province.
  38. C’est un malheur de mourir hors de chez soi, chêt dwong chêt sà. Cela n’arrive qu’aux vagabonds et aux gens de peu.
  39. Dynastie chinoise de 1122 à 255 avant notre ère. L’empereur Oai lièt Vuong régna de 425 à 401.
  40. Le Tru’ong vaut dix thiro’c.
  41. Nguyên vân Huè, l’un des Tày son, conquit le Tonquin (1786).
  42. Cao bién était un général qui vint à la tête d’une armée chinoise délivrer l’Annam tombé au pouvoir des Nam chièn. Après la pacification il se proclama roi, sans doute sous la suzeraineté de la Chine. Le Khâm dinh Viet Suc cang mue contient, à la cinquième année Hàm thông (860-874 A. D.) des Duong (de Chine), un récit assez étendu des exploits de ce personnage. Sous la septième année, il est raconté que Cao bién fit détruire des roches qui formaient obstacle à la navigation. Quatre d’entre elles surtout, qui défiaient les moyens ordinaires, furent pulvérisées par cent traits de foudre. C’est là sans doute ce qui a donné naissance à l’opinion qu’il avait voulu stériliser dans l’Annam les veines du dragon, et assurer ainsi à jamais la dépendance de ce pays. (Cf. Truong vïnh Ky. Histoire annamite, I, pages 39-41.)
  43. Thay dia ly. Géomancien ; devin qui étudie la configuration des lieux à l’effet de reconnaître les emplacements favorables à l’érection des maisons et des tombeaux.
  44. Huyêt de vwong. Tombeaux impériaux et royaux, c’est-à-dire ici emplacements dont la possession assure l’empire à la postérité des occupants. — Le dragon azuré et le tigre blanc, représentants eux-mêmes les principes mâle et femelle de la nature, sont pour ainsi dire universellement présents dans la constitution géologique de notre globe. La situation des différentes parties de leurs corps est indiquée à l’œil du devin par les sinuosités des montagnes et des rivières ; certaines influences astronomiques, la respiration de la nature (khi), les accidents du terrain, viennent favoriser ou combattre l’action de ces éléments primordiaux. [In devin exercé reconnaît en tous lieux le corps et les membres du dragon et jusqu’aux veines de son corps, partant de son cœur sous la forme de chaînes de collines. En général, il y a accumulation de force vitale auprès de la poitrine du dragon, tandis qu’aux extrémités l’énergie du souffle de la nature est à peu près épuisée. Mais, même au cœur du dragon, des influences contraires, les vents soufflant librement, un cours d’eau coulant en ligne droite vers la plaine ouverte peuvent disperser le fluide propice et en détruire l’effet. Les meilleurs sites sont ceux où le dragon et le tigre sont enchevêtrés, tout proche du point de jonction de leurs corps. L’on doit avoir soin de laisser le dragon à gauche, le tigre à droite de l’édifice à construire.
    Les Chinois, et d’après eux les Annamites, croient que les âmes des morts restent, dans leur partie matérielle, attachées pour un temps à la tombe, tandis que la partie céleste et éthérée de ces âmes aime à errer autour des demeures de leurs descendants. Ils en concluent que la fortune des vivants dépend, dans une large mesure, de la situation favorable des tombes des ancêtres. Si une tombe est ainsi placée que la partie animale de l’esprit du mort soit à l’aise, libre de toute entrave, l’ancêtre se sentira bien disposé envers ses descendants, pourra veiller sans cesse sur eux et les combler de toutes les prospérités. Tout Chinois prend donc le plus grand soin de placer les tombeaux de ses parents dans une telle situation qu’aucune étoile ou planète dans le ciel, aucun élément terrestre, aucun souffle, aucune subtile influence de la nature, aucune configuration funeste des montagnes et des vallées ne puisse troubler le profond repos du mort et menacer ainsi la fortune de la famille. Cette situation peut être telle qu’une longue suite d’honneurs et l’empire même deviennent son patrimoine. (Eitel. Feng shui or the rudiments of natural science in China, passim.)
    Huyêt. Littéralement : caverne, trou souterrain, tombeau, désigne en termes de géomancie l’emplacement favorable à l’érection d’un tombeau.
  45. Je ne me charge pas de concilier ce récit avec celui que l’on trouvera dans l’histoire de M. Pétrus Truong vïnh ky, tome II, p. 59 et suivantes. Le narrateur pourrait bien avoir mêlé des événements qui se sont passés à des époques différentes, mais cela n’enlève rien à la valeur de cette légende au point de vue de l’étude des idées annamites. Cette prédiction que la famille Nguyên n’aura que quatre rois est très répandue dans l’Annam et a été constamment invoquée par tous les Tonquinois qui se sont révoltés sous le règne de Tu duc.
  46. Ce n’est pas un signe de colère mais d’inspiration supra humaine.
  47. Un des membres de l’ambassade annamite qui alla en France sous la conduite de Nguyèn tri phuong.
  48. Lanh binh, commandant des milices.
  49. Le mot Giac (ch. tac) désigne les bandits, et par extension les rebelles ; tout rebelle contre l’autorité sacrée de l’Empereur étant par cela même un bandit. Certains bandits n’en sont pas moins populaires, comme on le verra dans ces histoires, mais il faut se rappeler que ces récits sont d’origine tonquinoise et que le Tonquin est, depuis le commencement du siècle, en lutte contre les souverains originaires du sud. C’est là une situation éminemment favorable au développement de la conception héroïque du banditisme.
  50. C’est le célèbre eunuque, compagnon d’armes de Gia long ; il mourut gouverneur de Saigon ; son tombeau se trouve à l’inspection de Binh hoa.
  51. Thây dôn ; le mot dôn, nhâm dôn, désigne un mode de divination dans lequel la supputation des années et des éléments auxquels elles se rapportent joue un grand rôle. Ces supputations se font en comptant sur les phalanges des doigts (NDM, 59), ce qui explique la définition de Theurel : Veneficium quod fit numerando digitis. Cet art fait l’objet d’un traité en six volumes intitulé : Ky môn dôn giap dai toan.
  52. Ou ceintures.
  53. Ong quân. Quân est le nom d’une division territoriale d’où le titre de Quân công, duc d’un quân, etc. On donne des titres aux éléphants de l’empereur, de même qu’aux canons. Ces titres ont de l’analogie avec les noms que nous donnons aux navires.
  54. Thuôc nam, remèdes du midi, c’est-à-dire indigènes, simples, par opposition à Thuôc bâc, remèdes du nord ; cette dernière expression désigne les drogues de la médecine chinoise, décrites dans les livres, tandis que la connaissance des simples est transmise par la tradition orale.
  55. Thân dông. L’enfant prodige paraît être un phénomène fréquent chez les Annamites. Du moins est-il souvent question d’enfants d’une précocité merveilleuse dont les réponses transportent d’admiration le voisinage et qui finissent par être mandés devant l’Empereur.
  56. Ceci peut se traduire par : L’un des grands maîtres examinateurs et astronome impérial. Le sens du titre suivant est : Grand maître du palais de la lumière littéraire.
  57. Le mérite de cet impromptu consiste dans le strict parallélisme des deux distiques. J’ai essayé d’en conserver quelque chose dans la traduction, mais il n’y a plus aucune grâce.
  58. Héritier du culte.
  59. Thô thân. Génie domestique ou plutôt local à qui l’on érige une petite tablette devant tous les tombeaux.
  60. Thây twong. Devin qui prédit l’avenir par l’inspection des traits de la physionomie ou de certaines marques extérieures du corps.
  61. Thiéu bâo, petit protecteur. Ce titre paraît emprunté à l’antiquité chinoise ; il désignerait l’aide précepteur du prince héritier, tandis que thai bâo, grand protecteur, désigne le précepteur même.
  62. Un certain Ngû eut le même sort pour avoir irrévérencieusement parlé de deux autres rochers, dont l’un de forme phallique, qui se trouvent dans la même montagne.
    Pétrifié ne rend peut-être pas très exactement Chét cuong (littéralement : mort dur). Il semble que dans cet état l’on conserve non seulement les apparences de la vie (puisque les bûcherons s’adressèrent à Dinh et lui posèrent des questions), mais même une certaine sensibilité. Il y a quelques mois on contait le fait suivant qui se serait passé dans les environs de Cân gioc. Un mauvais sujet du pays avait un coq de combat auquel il tenait beaucoup. Pendant qu’il était absent, ce coq cassa quelque chose dans la maison, et la femme du propriétaire lui jeta une bûche si malheureusement qu’elle l’assomma. Craignant d’être maltraitée par son mari, elle pria sa belle-mère de prendre la faute sur elle. Quand le maître du coq rentra, sa mère lui raconta ce qui était convenu, l’autre se mit en fureur et la menaça de la tuer. La vieille se sauva, et le fils voyant qu’il ne pouvait l’atteindre lui lança sa hachette. À ce moment il devint immobile, le bras étendu, et resta ainsi plusieurs jours sans pouvoir faire un mouvement, mais conservant l’usage de la parole et se plaignant de vives douleurs aussitôt que quelqu’un voulait approcher. (Troi trông ! (Que) le ciel te plante ! (comme un arbre) ; te pétrifie ! est une formule de malédiction).
  63. Ao troi. Troi, Ciel, céleste, a ici le sens de naturel, œuvre du Ciel et non des hommes.
  64. *Il a déjà été publié une analyse de ce conte dans les Excursions et Reconnaissances, IV, p. 275.
  65. Câm est le son, tâm les brisures de riz.
  66. Du jasmin suivant d’autres.
  67. Ce nom désigne les gobiudés, le gobius biocellatus est le plus commun.
  68. Bo mû ! mû hoi com trang, ca tuoi ! com thua, ca can ! Len ma an.
  69. Ô ô ô ! cho bu hôt tûa, chi xuong cho.
  70. D’autres disent du riz glutineux.
  71. Banh tran. Ce sont ces gâteaux minces et ronds en forme de crêpes que l’on voit partout sur les marchés. Ils sont secs et cassants.
  72. D’après une autre version, à mesure que l’on coupait un aréquier, Câm sautait sur un autre, les arbres étant assez rapprochés dans les plantations, de sorte qu’il fallut couper tous les aréquiers du jardin pour venir à bout de la tuer. C’est là sans doute un enjolivement ou une réponse à quelque objection.
  73. Il y a ici des variations assez considérables. D’après les uns, ces deux jeunes filles sont sœurs de père, et il est admis implicitement qu’elles se ressemblent assez pour que Tàm puisse tenter de se substituer à sa sœur. Dans notre texte, au contraire, elles sont étrangères l’une à l’autre, mais on ne voit pas pourquoi le fils du roi accueille Tàm tout en restant fidèle au souvenir de Câm ; cela se comprend d’autant moins que les mariages avec une belle-sœur sont très mal vus et même interdits. L’autre version nous paraît donc plus plausible.
  74. Ou quành quach ; c’est le nom d’un oiseau (Ixos analis), tiré de son cri.
  75. Diospyros chenaster, diospyros decandra (d’après Taberd). C’est un fruit jaune, d’une odeur pénétrante, qui a de l’analogie avec celle du coing. L’on en voit sur les marchés deux et même trois variétés ; deux d’entre elles, qui ont la forme aplatie de la pomme et ne diffèrent que par leur grandeur, n’ont pas de pépins, la chair est compacte. L’autre variété plus grosse, globuleuse, a une espèce de pulpe au milieu de laquelle se trouvent de gros noyaux dont la chair blanche et nacrée est très dure. Le germe apparaît à l’une des extrémités de la graine. Quand on l’en a dégagé avec soin, il ressemble, disent les Annamites, à une silhouette de femme. On pourrait mieux le comparer à un insecte (une cicindèle par exemple, moins les antennes) vu de dos. Lorsque des enfants passent sous un thi, ils tendent un pan de leur robe, sifflent pour appeler le vent et crient : « Trai thi ! rot bi ba già ! » (Thi, tombe dans la besace de la vieille !)
  76. C’est un grand art et qui n’est pas donné à tous de confectionner une chique de bétel qui réponde à toutes les exigences. Dans l’Annam on fait les chiques de forme régulière et beaucoup plus petites que dans nos provinces. L’on n’offre pas non plus tout un plateau de feuilles et d’arec, mais un petit nombre de chiques ; à leur élégance on reconnaît la main des demoiselles de bonne maison.
  77. Dinh tien hoàng (968-980) est considéré comme le fondateur de la monarchie annamite. C’était un homme de la vallée (dong ( 筒) de Hoa lu, dans le Dai huinh (huyèn de Gia viên, dans la province de Ninh buih, au Tonquin). Son nom était Dinh, son prénom Bô lanh. Il était le fils de Dinh công trir, thu su du Hoang chàn. Sa naissance avait été annoncée, comme celle de plusieurs autres personnages remarquables, par un rêve dans lequel un génie priait sa mère de le prendre pour fils. Il perdit son père de bonne heure ; sa mère se retira à la campagne, et le jeune garçon allait avec les enfants du voisinage pour faire paître les buffles. Il conquit rapidement un grand ascendant sur ses camarades, ils l’élurent pour chef de leurs jeux ; ils lui faisaient un trône de leurs bras entrelacés et marchaient en pompe devant lui avec des roseaux en fleurs en guise de lances. Devenu grand, il forma une bande avec laquelle il eut d’abord à combattre un oncle qui sans doute ne croyait pas à sa mission. « Dinh demeurait au sâch (village) de Dào uc, son oncle au sâch de Bong. Il s’opposa à l’Empereur (c’est-à-dire à son neveu). L’Empereur était jeune, il n’avait pas encore de grandes forces, il s’enfuit par le pont de Dàm gia nuong. Le pont se rompit, et Dinh tomba dans la vase. Son oncle allait le frapper quand il vit deux dragons jaunes l’emporter. L’oncle eut peur et se sauva. » Dinh, échappé à ce péril, recommença la lutte. Son oncle se soumit à lui. Dinh vint ensuite à bout des douze gouverneurs qui se partageaient l’Annam sous la suprématie chinoise. Toujours vainqueur, il prit le titre de Roi des dix mille victoires. Il rétablit les relations avec la Chine, y envoya une ambassade et reçut de l’Empereur de Chine — (dynastie Tong, dont le fondateur fut son contemporain) — l’investiture de l’Annam avec le titre de Vuong du chau des Giao chi. Quant à lui, il donna à son royaume le titre de Dai cu viet. Dinh tien hoàng était un justicier. Il fit placer devant son palais deux chaudières et faisait nourrir des animaux féroces auxquels les criminels devaient être livrés. Il régla la hiérarchie des fonctions civiles et militaires, et même des bonzes et des Taosse. Il donna un costume aux fonctionnaires et divisa le pays en dix dao. Il fut assassiné par un officier du palais nommé Dô thich qui avait rêvé qu’une étoile lui entrait dans la bouche, et se croyait en conséquence appelé aux plus hautes destinées. L’assassin resta caché trois jours ; au bout de ce temps, pressé par la soif, il tendit la main pour recueillir de l’eau de pluie et fut aperçu par des jeunes filles. Il subit la mort lente, et sa chair fut dévorée par le peuple.
    Des prodiges avaient annoncé la catastrophe finale aussi bien que les gloires qui l’avaient précédée. Pendant sa jeunesse, un jour qu’il péchait dans le fleuve de Giao thùy, l’Empereur avait ramené dans son filet une grande pierre précieuse qui heurta l’avant de la barque et l’écorna. Il la cacha dans un baquet à poisson qui, pendant la nuit, était éclairé d’une lumière étrange. Un bonze à qui il montra l’escarboucle soupira et lui dit : « Mon fils, tu as eu l’autre jour un bonheur ineffable ; je crains seulement qu’il ne soit pas de longue durée. Sa mort violente et la grandeur future de la famille Lé avaient été également prédites.
    Les poésies de l’empereur Tu duc contiennent deux pièces de vers consacrées à la louange de Dinh tien hoàng. Les détails qui précèdent ont été empruntés au commentaire de ces deux pièces. Voici la plus étendue qui, s’il faut en croire les mandarins annotateurs, joint au mérite d’une composition parfaite celui de ne rien contenir d’étranger au sujet :
    Les vallées de Hoa lu ont produit un roi. — Au temps de ses jeux d’enfant il se distinguait déjà du vulgaire ; — Parmi la troupe des bergers tous cédaient (à son ascendant).
    De leurs mains unies ils faisaient son char (impérial) ; — De fleurs de roseaux ils faisaient les pavillons (de son cortège).
    Son visage imposant avait toute la majesté impériale ; — Les vieillards de son village le respectaient. — La physionomie de (celui de) Phong bai revivait en lui. — En vain les douze gouverneurs s’étaient-ils partagé le pays, — (Élevant le) drapeau du droit il pacifia, nivela tout. — Roi dix mille fois victorieux, il fonda le « grand et puissant empire de Vièt ». — Il réunit la montagne et le fleuve, renouvela le soleil et la lune.
    — Ce fut en ce temps que commença l’indépendance de la région brûlante (du midi).
    — Dépassant de loin les anciens rois, il était pareil aux Tong. — Comment cette rapide prospérité se changea-t-elle en une chute rapide ? — Du haut de son cheval il avait conquis, comment eut-il pu, du haut de son cheval gouverner ? — Par ses nombreuses violences il avait créé son propre péril. — Les paroles de l’oracle, l’angle (du bateau écorné par) l’escarboucle, tous ces prodiges avaient été vains.
  78. Ils firent un sabre de bambou et le décapitèrent.
  79. Ce serment est encore en usage ; l’on égorge un buffle ou, plus communément, un bouc, l’on s’engage réciproquement, eu attestant le ciel et la terre.
  80. Cette auréole, hào quang, accompagne les individus réservés aux hautes destinées. On peut la comparer au khi, émanation lumineuse qui révèle la présence des objets précieux ou des trésors enfouis dans la terre. (Voir NDM, note 307.)
    On prétend que les six bergers de notre histoire furent les ancêtres des rois et des ministres de la dynastie Tran.
  81. D’après une version un peu différente Nguyén trai repoussa les avances d’une con tinh (génie femelle malfaisant) et alla même jusqu’à la frapper. Celle-ci, ne pouvant se venger autrement, s’incarna dans une fille que la femme de Nguyén trai mit au monde quelque temps après. Cette fille devint la femme du roi et le fit périr comme il est dit dans notre texte. La famille de Nguyén trai fut alors exterminée, et lui-même allait mourir quand la femme d’un de ses soldats se dévoua pour perpétuer la race.
    Ce fut en 1443 que Nguyén trai fut exécuté, après la mort du roi Lé thanh tong qui avait péri dans une maison de campagne appartenant à Nguyén thi lo, femme de Nguyen trai. L’on peut voir le récit tiré des Annales et aussi une partie des légendes dans l’Histoire annamite de M. P. Truong vinh ky, tome II, p. 16 et suivantes.
  82. Belle comme un génie, une fée.
  83. La toute petite chose est la rocaille ruinée, qui a ses vicissitudes comme les empires. Tang thwong signifie mûriers, mer. (Voir pour le sens de cette expression NDM, 228.) — L’ail destiné à la mauvaise odeur, le gingembre piquant sont l’image de la vie solitaire de Xuàn huong.
  84. *Je réunis sous un même titre, en les distinguant par un numéro d’ordre, plusieurs histoires relatives à un génie céleste qui s’incarne en une jolie fille, et donne le jour à des fils remarquables par leur talent et leur malice.
  85. Phat bà. C’est la déesse Quan am.
  86. Turong. Esprits, génies, chefs de légions d’esprits.
  87. Lé thâi to. Grand ancêtre, titre posthume de Lé Liyi, fondateur de la seconde dynastie Lé.
  88. Ngoc hoang thuong dé. Divinité suprême des Taoistes.
  89. Le Kim cang ho tac est Vadjrapani ou Indra, considéré comme protecteur du Bouddhisme. « Il est quelquefois identifié avec Mandjuri. Des formules magiques d’une merveilleuse efficacité passent pour venir de lui. » (Eitel, Handbook of Chinese Buddhism., p. 159.)
  90. Co phwoc duc. C’est-à-dire si leurs mérites antérieurs leur valaient d’échapper à la mort.
  91. Cette difformité passerait en général pour être de mauvais augure.
  92. Cung dâm.
  93. Quinh, ordinairement appelé công Qiùnh ou le trang Qiùnh est pour les Annamites le type de la finesse et de la malice. Les Cambodgiens ont un type analogue, Thménh chéy, que M. Aymonier rapproclie de Quinh, et de fait, plusieurs des anecdotes qu’on raconte de lui, et dont la plus caractéristique n’est, par malheur, pas de nature à être rapportée ici, se retrouvent également dans le conte khmèr. De plus les deux personnages vont tous les deux à la cour de Chine, mais dans des conditions bien différentes : Thmênh chéy comme fugitif et Quinh comme ambassadeur.
    Le conte cambodgien a une ressemblance évidente avec les récits de la vie d’Ésope. Nous y voyons le roi de Chine proposer des énigmes au roi du Cambodge, toujours vainqueur, grâce à Thmênh chéy ; celui-ci qui s’est fait de nombreux ennemis et qui a constamment humilié son roi, est condamné à mort mais réussit à échapper encore et même à rentrer en grâce quand on a de nouveau besoin de lui pour deviner les énigmes chinoises. Les Annamites en empruntant de nombreux traits à l’histoire de Thmênh chéy ont complètement transformé le personnage et l’ont rendu entièrement annamite. Il n’en est pas moins curieux de pouvoir reconnaître dans ces contes un dernier écho des histoires ésopiques. Il y a seulement à remarquer que l’apologue, élément si caractéristique de ces dernières, manque complètement dans le récit annamite aussi bien que dans le récit cambodgien. Du moins n’en ai-je trouvé aucune trace dans l’analyse que M. Aymonier a donnée de celui-ci (Textes khmêrs, pages 20-30).
    M. P. Truong Vinh ky, dans ses Chuyên doi xwa (n° 30 de la troisième édition), a publié un certain nombre d’historiettes relatives au cong Quinh. Je lui en ai emprunté quelques-unes qui ne se trouvaient pas dans les textes que j’ai pu recueillir. Elles seront marquées ici d’un astérisque.
  94. Tout ceci repose sur un calembour. Le bœuf est appelé en annamite , con bô, mais signifie aussi ramper, se traîner sur les genoux et les mains.
  95. Ces œufs sont les taches ovales de lumière que forment sur le sol de la maison les trous de la toiture éclairée par la lune.
  96. Long cong est le bruit des grelots pendus au coup du cheval. Le sens de ces vers est donc : le cheval fait mille ly, faisant sonner ses grelots. Pour rendre tant bien que mal le parallélisme du texte on pourrait traduire ainsi ces vers : la poule pousse trois cris, gloussant, gloussant, gloussant ; — le cheval fait mille ly, sonnant, sonnant, sonnant.
  97. Dans le Chuyên doi xwa la chose à voir est installée dans une île, et le passeur fait fortune à transporter les curieux.
  98. Le ventre est le siège de l’esprit. Un Européen dans un cas pareil montrerait son front.
  99. Directeur de l’enseignement d’une province.
  100. Une histoire analogue, plus inconvenante encore que le récit annamite, légèrement gazé ici, se trouve dans le cambodgien où elle s’explique tout naturellement par le fait que Thmenh chéy avait reçu défense de montrer son visage au roi.
  101. Ce conte se retrouve dans les aventures de Thménh Chéy.
  102. Voir n° XXIII, la légende de Dinh tien hoàng.
  103. Voir NDM, 106.
  104. Les Annamites paraissent avoir beaucoup de répugnance à conserver la tablette d’un mort qui n’est pas de leur famille ; il ne faut pas oublier que l’àme des morts est censée résider dans leurs tablettes.
  105. Le chô serait le sao, s’il faut en croire quelques-uns. Dans quelques districts on n’emploierait pas le cho pour les constructions à cause de cette préférence que lui témoignent les divinités infernales. L’on peut rapprocher de ceci une superstition laotienne rapportée par M. Aymonier dans ses Notes sur le Laos, chap. XXXII (Excursions et Reconnaissances, t. IX, p. 18) : « Le bois de fer appelé koki fait surtout des pirogues et aussi des cercueils, coutume funèbre qui empêche, par crainte superstitieuse, d’employer ses planches à d’autres usages. »
  106. Ben est un petit port, un point d’accostage sur une rivière.
  107. Les portes des paillottes sont attachées par le haut ; on les maintient ouvertes au moyen d’un piquet qui repose sur la terre et soutient en l’air la partie inférieure de la porte.
  108. Cho troi sanh ru, goi là cho Manh ma. Un marché fondé par le ciel, appelé le marché Manhma, dit notre texte. Ces mots, fondé par le ciel, paraissent indiquer un de ces marchés qui s’établissent tout naturellement à un carrefour ou tout autre lieu bien situé sans qu’il soit besoin d’y élever des constructions. D’autres, au contraire, se forment autour de la maison d’un individu influent, d’une commerçante émérite qui en acquiert le monopole et supporte les premiers frais. Ils sont le plus ordinairement désignés par le nom de leurs fondateurs, ce qui explique le grand nombre de noms de marché commençant par ou par ông.
  109. Les ombres remontent des enfers pour faire leurs achats avec la monnaie de papier qui est brûlée en leur honneur et qui, entre leurs mains, prend toute l’apparence de la véritable. Dans les marchés où les morts se mêlent ainsi aux vivants, les marchands, pour s’assurer que la monnaie qu’ils reçoivent est de bon aloi, la plongent dans un vase d’eau ; la monnaie infernale devant surnager et l’autre tomber au fond. Un de ces marchés des âmes se trouvait près d’un grand arbre que l’on voit encore sur la route de Cholon, un peu avant d’arriver en ville.
  110. Quà. Plateau sur lequel on sert le bétel, l’arec et tous les accessoires nécessaires.
  111. Il s’agit ici des enfers bouddhiques, Naraka, en chinois dia nguc, prison de la terre. Les grands enfers sont au nombre de trente-quatre sans compter un nombre considérable de petits enfers joints aux premiers. (Voir Eitel, s. v. Naraka.)
  112. La loi ne permet pas que l’intérêt accumulé puisse dépasser le capital ; quant à la religion, elle menace les usuriers des peines les plus sévères. Cela pas n’empêche les indigènes de prêter à des taux variant de 36 à 300 pour 100, suivant l’importance des prêts.
  113. Chay.
  114. C’est la province dont Saigon était le chef-lieu.
  115. Thù est un titre donné à des employés de rang inférieur, secrétaires de phû ou de huyèn.
  116. Les tho lai sont aussi des écrivains des bureaux.
  117. Province du Tonquin.
  118. Toi song làm ra chêt, toi phai làm ra quây.
  119. Empereur chinois, 1821-1851.
  120. Village bien connu des Saigonnais, à quelques kilomètres de Saigon sur la route de Bièn hoa.
  121. Les Annamites honorent les génies des cinq éléments sous le titre de , dame ; les plus connus sont la dame des eaux (bà thûy), à qui l’on sacrifie surtout près des puits et dans les bateaux et la dame du feu (bà hoa). En général, les petites chapelles sont dédiées aux cinq éléments, ngû hành nwong nwong ou ngû hành chi vi. L’on y sacrifie officiellement une fois par an, les particuliers y font des vœux ou des sacrifices. Il y a naturellement un grand nombre d’autres génies femelles. Ainsi au Binh thuàn la dame Hi (bà co Hi) est particulièrement vénérée. Elle réside dans une montagne (dong), située sur la route qui va de Baria au Binh thuàn et à Hué. Les voyageurs lui font des sacrifices et lui rendent des marques de respect comme il est dit dans le texte. Si quelqu’un passait là avec de beaux habits ou prononçait dans le voisinage des paroles orgueilleuses, il serait puni par la dame.
  122. Les vomissements de sang sont la punition habituelle des sacrilèges.
  123. Ordinairement on brûle les objets destinés aux morts. Cependant on peut aussi les mettre avec eux dans le cercueil, ce qui paraît avoir été ici le cas.
  124. Il s’agit ici des âmes errantes.
  125. Sacrifice pour demander que la paix règne dans le village. Ces sacrifices ont lieu dans chaque village à une date fixe qui varie suivant les endroits. Le sacrifice, qui dure quelquefois plusieurs jours, est fait au génie du lieu.
  126. Vông dia, dont le nom paraît signifier seigneur de la terre, est un génie qui parcourt le monde pour rapporter à l’Empereur céleste ce qui se passe ici-bas.
  127. Ici le conteur ne donne que le nom ou plutôt le prénom du mari.
  128. Làm phuoc. Phuoc est le bonheur que l’on obtient dans cette existence ou dans une existence postérieure en récompense des mérites acquis par les bonnes œuvres et les œuvres pieuses. Làm phuoc est donc se faire du bonheur à soi-même.
  129. Nha quân. Ce sont des auberges où on peut loger et manger. En Basse-Cochinchine on donne le nom de quân à de petits établissements où l’on ne vend guère que du thé, des gâteaux, du vin et diverses friandises qui poussent à boire.
  130. Ces vers signifient que le vieux génie aura un fils.
  131. C’est le nom d’une ancienne dynastie chinoise par lequel on désigne les Chinois dans l’Annam.
  132. Ce prénom se compose de deux éléments, le prénom proprement dit, c’est-à-dire le nom individuel (en annamite tên, en chinois danh) et le nom intermédiaire, chu tôt (tôt, doubler, doublure) qui est vàn pour l’immense majorité des Annamites. Les individus qui aspirent à se distinguer choisissent seuls un autre mot qu’ils ont soin de prendre parmi ceux qui représentent des idées élevées ou de bon augure. Le plus souvent ces chu tôt deviennent héréditaires et tendent à constituer de véritables noms patronymiques. Il arrive cependant que les enfants en changent en prenant à leur tour un mot qui, dans l’écriture chinoise, a un élément seulement (clef ou phonétique) commun avec celui de leur père.
  133. C’est là le détail le plus intéressant de cette historiette qui nous raconte la fondation d’une chapelle inconnue.
  134. Le Bouddha fabuleux Prabhûtaratna, désireux de propager la connaissance du bouddhisme, se transforma en dix personnes appelées les Bouddhas des dix points de l’espace. (Eitel, Handbook, p. 94.) Les dix points de l’espace sont les quatre points cardinaux, les quatre points intermédiaires avec le haut et le bas
  135. On fait manger du singe aux enfants, et principalement le foie, pour les garantir des mauvais esprits. On suspend aussi les crânes de singe au-dessus de leurs couchettes.
  136. Ce conte est évidemment d’origine cambodgienne. (Voir Aymonier, Textes khmêrs, publiés avec une traduction sommaire. In-folio (autographié). Saigon, 1878. — Pages 31-41 de la partie française.) Mais dans le détail il a été accommodé sur quelques points au goût annamite. Il se retrouve aussi chez les Chams du Binh Thuàn.
  137. Herbe dont on couvre les maisons.
  138. C’est le même procédé que les marmottes emploieraient pour faire leurs foins et auquel elles doivent, dit-on, leurs dos pelés.
  139. Il s’agit ici du son que produisent les bambous frottés les uns contre les autres par l’action du vent ; le lièvre défie le tigre de produire un son pareil en se servant de sa queue pour faire vibrer les bambous.
  140. Nôm. Espèce d’engin de bambou à fond étroit et à bords évasés que l’on tient d’une main et dont on couvre par un mouvement rapide le poisson aperçu sur la vase ou dans une eau très peu profonde.
  141. Ki com. Sacrifice, anniversaire de la mort de parents.
  142. Con câ lôt (ophiocephalus striatus).
  143. Grognement qui se prononce les dents serrées, tandis que pour dire hà ! hà ! le crocodile doit ouvrir la gueule.
  144. C’est le figuier sacré.
  145. Lông mông da chô.
  146. Thâng Cuôi (que l’on appelle aussi thàng Côi). C’est l’homme que l’on voit dans la lune avec son arbre. On lui rapporte l’origine de l’écho. Les bûcherons qui font du bois dans les montagnes et entendent se répercuter le son de leurs coups de hache pensent, dit-on, que c’est le thâng Cuoi qui coupe son da. — Ici il paraît s’être établi une confusion avec Ngù cang. adepte qui, pour quelque faute, fut rélégué dans la lune, où il coupe éternellement le cannellier lunaire haut de cinquante truong et qui aussitôt coupé, se retrouve intact. (Au hoc, Quyên VI, p. 9, section hoa moc.) On dit : Mentir comme le thâng Cuôi. — Les enfants jouant au clair de lune crient : « Cuôi oi ! xuong dây, ta may quân tia, cai ao no, cai ao nây. Cuoi ! descends ici, nous te coudrons un pantalon violet, un habit comme ceci, un habit comme cela. » — L’on explique le nom de thâng Coi par homme du tronc, parce que le tronc (coi) du da l’enlaça de ses racines aériennes et ne le lâcha que lorsqu’il fut dans la lune.
  147. Cuu vât thi rât trà on, cûu nhon thi nhon bâo oan. Nous retrouverons plusieurs contes destinés à établir la vérité de cet adage.
  148. Nui hà Den, montagne de la dame Den (den, noir ?) Sur la montagne de Tàyninh il y a une pagode très vénérée des Annamites et qui est visitée par de nombreux pèlerins. Les habitants de Tàyninh et les pèlerins s’abstiennent de prononcer le mot den (noir) qu’ils remplacent par thàm. Les pèlerins au cœur pur et plein de foi se sentent réconfortés à l’approche du sanctuaire ; les autres, au contraire, le voient toujours s’éloigner devant eux. On l’appelle, par excellence, diên bà (le palais de la dame) : les sorciers, les bonzesses prétendent qu’ils y ont été initiés, qu’ils y ont fait pénitence (â trên diên, tu trên diên) et se mettent ainsi en crédit.
  149. Que le docteur Swift nommerait, comme dit Voltaire.
  150. Nàng tién, dame génie.
  151. D’après les Chinois le seigneur du Ciel maria la tisseuse, Chùc nù, au gardien de buffles, Kiènq nguu, mais la tisseuse après son mariage négligea son travail ; le seigneur du Ciel alors les sépara et ils ne se réunissent que le septième jour du septième mois où les corbeaux leur font un pont par-dessus la voie lactée. (Au hoc, Quyen I, p. 7, section Thiên van : p. 31, section Tué thôi ; Quyên III, p. 26, section Hôn nhon. Voir NDM, 404.) C’est certainement à cette légende chinoise qu’a été emprunté le détail de ce pont des corbeaux.
  152. Sao dôn ganh.
  153. Ba chôm ; une touffe au menton et une sur chaque joue.
  154. Ces briques rougies sont sans doute destinées à expliquer les callosités des fesses de certains singes.
  155. Hon chung ly est Chung ly quyén, le premier et le plus grand des huit génies des Taosse. (Mayers, 90.) Lie dong tàn est le troisième. (Mayers, 467.) Ly bach (Li tai pe) est le poète contemporain de Huyen tong des Duroeng (699-762 de notre ère). Il fut enlevé au Ciel et devint le génie d’une étoile.
  156. Chim chién chièn, chim oc cau, chim dô nâch.
    Le premier de ces noms désigne diverses espèces : anthus cervinus (212), corydalla Richardi (213), corydalla rufula (214) ; le second diverses espèces de pluviers : œgialitis mongolus (274), œgilialitis dubins (275) ; le troisième, la glareola orientalis (278). (Voir Tirant, Les Oiseaux de la Basse-Cochinchine.Bulletin du Comité agricole, 1878.) Les chiffres entre parenthèses sont ceux des numéros de ce travail.
  157. Ces plantes servent d’assaisonnement aux viandes.
  158. Muc lièn est Mahàmaugdalyàyana, l’un des plus grand disciples du Bouddha, renommé pour ses pouvoirs magiques. Il descendit aux enfers et délivra sa mère. (Eitel, Handbook, p. 67.)
  159. Personnage célèbre par ses richesses. Il fut, d’après les auteurs chinois, tué à l’instigation d’un certain Tôn thu qui convoitait sa femme. Le Au hoc (Quyén IX, p. 16, section Bân phû) donne le récit d’une lutte de magnificence qui eut lieu entre lui et un certain Vuong khâi, et dans laquelle, entre autres actions extraordinaires, il se servit de cire en guise de bois à brûler.
  160. Le claquement de langue est la marque du regret, quelquefois un témoignage de compassion.
  161. Hai co chông con me lwong. Lwong désigne un escroc, un faiseur de dupes.
  162. De même, dans une pièce de théâtre annamite intitulée Kim long xich phung, un vieux pêcheur voit toujours revenir à lui un coffre flottant sur la rivière et dans lequel il trouve enfin ses petits enfants abandonnés et qu’il élève sans les connaître.
  163. Âc lai. Âc signifie méchant, mauvais. On pourrait se demander si ce n’est pas ici une altération de yak.
  164. Thanh phât, devenir Bouddtia. C’est le but suprême du bouddhiste.
  165. Cette écuelle de riz sableux je vous la rends, père, vous m’avez brisé la cervelle, dans la mort je serai da da c’est-à-dire perdrix).
  166. Il y a de l’origine du pot à chaux un récit différent, mais qui ressemble trop à celui-ci par le tour général pur que l’on puisse les séparer : une bonzesse désireuse de devenir un Bouddha se mit en route vers le paradis occidental. Sur son chemin elle rencontra deux hommes qui lui demandèrent où elle allait. Elle leur dit quels étaient les motifs de son voyage et afin d’avoir une compagnie pendant la route, les engagea à la suivre. Mais, en réalité, elle ne pensait pas que ces gens là dussent sérieusement se vouer à la pénitence. Quand ils furent sur le point d’arriver au paradis occidental, le Bouddha, désireux de les éprouver, se transforma en une pagode près de laquelle il y avait un grand arbre sacré. La bonzesse, jalouse de ses compagnons et craignant qu’ils n’arrivassent avant elle à la perfection, leur dit : « Si vous voulez être transformés en Bouddha montez sur cet arbre, récitez quelques prières et laissez-vous tomber. » Ils firent ce qu’elle avait dit et furent aussitôt transformés. Elle monta alors elle-même sur l’arbre. En tombant elle se tua et fut transformée en pot à chaux (à chiquer). C’est pour cela que l’on ne casse pas les vieux pots à chaux qui se sont remplis peu à peu et ne sont plus utilisables. On les porte au pied des arbres des pagodes, où s’amoncellent aussi toutes sortes de débris des ustensiles en terre cuite.
  167. Le pot à chaux dont il s’agit ici est ce pot à ventre rebondi, muni d’une anse à la partie supérieure et percé d’un trou latéral dans lequel on met la chaux qui sert à chiquer le bétel. On prend la chaux avec une espèce de palette en cuivre, ch’ia vôi, qui fouille perpétuellement les flancs du pot ; aussi a-t-on pu le comparer à un homme mis à la torture.
    L’anse supérieure représente les deux bras du bonze suspendu à la branche d’arbre.
    Dans une histoire qui ressemble beaucoup à celle-ci un voleur porte secours à une femme en couches et, à la suite de cette bonne action, est converti par un La han. Il se retire dans une pagode dont les bonzesses l’emploient aux travaux les plus durs. Un jour, pour se moquer de lui, elles lui disent de grimper dans un tamarinier et qu’il y sera transformé en Bouddha. Il les écoute et monte aux cieux à un moment où les hautes lanternes d’un enterrement passent sous le tamarinier et prennent feu. Les bonzesses veulent alors l’imiter, mais elles tombent de l’arbre et se tuent.
  168. Les devins tirent de ces signes divers présages suivant la position qu’ils occupent sur le corps.
  169. Giét ba ho ; exterminer les trois familles, c’est-à-dire fa famille du père, celle de la mère et celle de la femme.
  170. Cf. le Thanh dong deu couvert de sueur devant Minh mang (n° XI).
  171. C’est un dicton du pays : làm con ngwoi ta, an mot doi, aoi mot loi. Un homme ne mange que dans une écuelle et n’a qu’une parole.
  172. Une ligature et demie.
  173. De même dans d’autres contes on voit convoquer toutes les filles pour choisir une femme au fils du roi.
  174. Khong ai gian ba ho, không ai kho ba doi.
  175. J’abrège ici le récit qui recommence à chaque péripétie par un exposé complet. C’est un trait de mœurs nationales. Quand on demande une explication à un indigène sur un détail obscur, invariablement il recommence par le commencement sans apporter souvent plus de lumière sur le point en question.
  176. Espèce de tortue de mer.
  177. Ta quan, hwu quan. Dans les petites chapelles aussi bien que dans les dïnh, ou pagodes de village, se trouvent des deux côtés de la tablette du génie celles de ses acolytes de gauche et de droite.
  178. Tous les éléments qui servent à la prédiction des sorts étant les mêmes, le résultat devait nécessairement être identique.
  179. Dans cette cérémonie le Thây phap s’étend devant la tablette du patron de la secte et, après avoir fait ses conjurations, demeure sans mouvement et sans souffle. Son âme à ce moment descend aux enfers pour en rapporter des nouvelles. Il peut aussi donner cette faculté à autrui comme on le voit dans notre récit.
  180. Con là no, vo là oan gia. On ajoute aussi cûa nhà là nghiep bao. Les biens sont la vengeance, c’est-à-dire que la femme punit le mari des actes coupables qu’il a commis dans une autre vie, les biens sont une cause de soucis ; les actions de la vie présente qui deviennent un lien pour les existences à venir jouent un assez grand rôle dans les idées des Annamites. Voir notamment le vers 75 du Kim Van Kiéu truyên.
  181. Do chuy. Aliments végétaux offerts au Bouddha et cuits sans sel ni assaisonnement.
  182. Hai nhon thi nhon hai.
  183. Ce conte est évidemment de provenance chinoise, mais il m’a paru devoir être conservé comme une illustration de certaines idées que l’on trouve fréquemment exprimées sous des formes obscures.
  184. Voir XIV, note.
  185. Ngoc nghe. La pierre qui permet d’entendre tout ce qui se dit. Les serpents ont dans la bouche une pierre de cette nature ; d’autres animaux, les scolopendres, le ba ba, comme on l’a vu plus haut, ont aussi dans la bouche une pierre précieuse ; mais leurs pierres ne sont pas douées de la même vertu.
  186. Bà khai khan
  187. Cu’u môt ngwoi du’ong gian bàng mot ngàn am ti.
  188. Cette idée de l’inutilité de la vieillesse se retrouve souvent, et contraste avec la profession de piété filiale que font les Annamites et les Chinois.
    « Quand l’homme est vieux il est inutile ; quand les objets sont vieux ils deviennent des antiquités ; quand les animaux sont vieux ils deviennent des esprits, » dit un dicton chinois. (Chinese recorder, XV, 250, The proverbs and commons sayings of the Chinese, by Rev. Arthur H. Smith).
  189. Les Chinois ont pour idéal la vie en commun de la famille sous le même toit. Les fils ne peuvent procéder au partage des biens qu’après l’expiration de la période de deuil. L’empereur Khang hi, ou plutôt son commentateur, dans ses instructions à son peuple, met les frères en garde contre l’influence de leurs femmes qui tendront à susciter la jalousie entre eux et à les obliger à se séparer.
  190. Il y a ici un jeu de mots reposant sur la particule cai, appellatif commun des objets inanimés, mais qui signifie aussi femelle. Le cadet considère la hache comme mâle parce que l’on appelle duc rua une espèce de hache ; duc signifie mâle.
  191. Cette expression répond à notre exclamation : hardi !
  192. Con dôc. Espèce de grand singe.
  193. Son dién. Rizière de montagne, située dans des lieux élevés.
  194. Cette caverne doit être la gueule d’un dragon qui rit à la vue de l’attelage hétéroclite.
  195. Voir au n° II les exigences de Nghi à l’endroit des marchandes.
  196. Dans un récit analogue la mauvaise sœur impose à sa cadette de lui prendre tous ses poux avant qu’elle lui donne du pain pour ses enfants. La cadette travaille une demi-journée sans venir à bout de sa tâche et l’autre lui refuse tout secours. Un éléphant se présente alors, ouvre la gueule et y laisse prendre par la femme pauvre de l’or et de l’argent. La sœur aînée, envieuse, remet tous ses biens à sa sœur afin de devenir pauvre à son tour. Elle va demander du pain, est refusée dans les mêmes conditions, et voit aussi l’éléphant venir à elle, mais quand elle a plongé son bras dans la gueule il la referme, lui arrache le bras, et elle meurt.
  197. Ût désigne le dernier né. Ngon ût est le petit doigt ; nàng ût a donc quelque chose du sens de petit poucet.
  198. Après y avoir uriné. Cette vertu fécondante de l’urine, de la salive, se retrouve dans d’autres histoires. Voir LXII.
  199. Hop hon, littéralement : avaler, happer l’âme. Ouand un mauvais esprit, et spécialement une cou tinh, rencontre un vivant elle lui adresse la parole, si celui-ci répond, le mauvais esprit aspire son souffle et son âme. L’individu alors devient fou, le mauvais esprit prenant possession de son corps. Les thày phap entreprennent la guérison de ces fous qu’ils traitent par toute sorte d’exorcismes.
  200. Quoi nhon : homme précieux, qui a beaucoup de mérites accumulés, dont la destinée est grande.
  201. (*) L’on appelle Bà Chàn de mauvais esprits femelles dont il est difficile de se faire une idée exacte. Elles habitent les forêts, soit sur les arbres, soit dans les cavernes, vivent de la chair de bêtes fauves, ou de chair humaine. Elles sont gigantesques, d’un aspect terrible, le corps couvert de poils, la chevelure fauve, le visage couvert de rayures, la bouche munie de défenses comme celles d’un sanglier. On leur compare les femmes très méchantes : dà quà Chàn tinh gâu ngwa ; plus méchantes que la bà Chàn et l’ours-cheval. Du reste on ne prononce ce nom qu’avec appréhension ; une espèce de limace porte le nom de oc bà Chàn.
  202. Le second et le troisième frère ne sont pas très distincts l’un de l’autre, et, de fait, le second ne joue aucun rôle dans l’histoire.
  203. Thây hit, littéralement : le maître flaireur.
  204. Les deux mots signifient ventre. L’expression proverbiale sur laquelle est basée notre histoire : Bung làm, du chiu ! ventre a fait, que ventre souffre ! signifie que chacun doit subir les conséquences de ses actions. Cet épisode se retrouve dans les Chuyen doi cwa (n° 12 de la 3e édition).
  205. Cà nôc, (Tetrodon), poisson à grosse tête et à corps grêle ; il se mange, quoique le fiel et les œufs passent pour vénéneux.
  206. * M. P. Truong vînh ky a publié dans ses Chuyén dôi xica (n° 32 de la troisième édition) une version de ce conte qui a pris sous sa main une forme plus simple et plus littéraire. Le cornac, voulant cueillir des cocos, reste suspendu au cocotier, il est secouru par les quatre bonzes et les fait enterrer par des fossoyeurs en usant du stratagème qui, dans notre rédaction, est attribué à la vieille aubergiste. — Une autre version présente quelques variantes sans grande importance. Cinq bonzes revenant d’une fête, où ils ont fait la petite bouche pour ne pas scandaliser les fidèles, se sentent pressés de la faim. Avisant un cocotier, le chef de ces bonzes y grimpe et se met en devoir de jeter des cocos à ses acolytes. Mais, pour éviter d’être trahis par le bruit que feraient les cocos en tombant, il ordonne aux autres de les recevoir dans un de leurs manteaux tendus. Il leur jette tout un lourd régime de cocos et les quatre bonzes ont la tête cassée. Leur supérieur traîne les cadavres à la pagode, et les fait enterrer successivement par un voleur qu’il prend sur le fait, et à qui il promet de ne pas le dénoncer, et de lui payer cent ligatures, chiffre assez invraisemblable. Il a bien soin de le prévenir qu’il faut faire un trou profond de peur de voir revenir le mort. Le voleur, las d’enterrer, va jeter le quatrième cadavre à l’eau, mais il le jette justement dans un endroit où se baignait un lépreux. Celui-ci, effrayé, se montre ; le voleur, voyant sa tête pelée, croit que le bonze mort veut encore revenir et assomme le lépreux.
  207. La cueillette de la cire et du miel se fait dans les forêts. M. Aymonier a décrit la manière dont elle a lieu au Laos, au cinquième paragraphe de ses Notes sur le Laos (Excursions et reconnaissances, tome VIII, p. 333). Dans nos provinces on grimpe aussi sur les arbres à l’aide de fiches plantées dans le tronc. Le chercheur s’attache dans le dos deux torches qui brûlent au-dessus de sa tête et le garantissent ainsi des piqûres. Le miel des forêts de l’est est excellent, celui de Rach gia, recueilli dans les forêts de tràm, a un goût particulier qu’il doit à la fleur de cet arbre.
  208. Ces mots désignent ici les gouttières par où l’eau de pluie pénètre à travers les toits de chaume ou de paillotte.
  209. Ao to goc xom xàm, habits faits de fils de rebut et à longs poils.
  210. Ce récit nous fait immédiatement penser à la fable de La Fontaine, La Tortue et les deux Canards, livre X, fable 2. — L’on peut voir dans l’édition des Fables, donnée par M. Henri Régnier dans la Collection des grands écrivains (tome III, p. 12) l’indication des nombreux recueils où se retrouve cette fable. La donnée en est sans doute venue ici de l’Inde par l’intermédiaire des Contes bouddhiques traduits en chinois. Elle figure dans le recueil d’Avadànas traduit par Stanislas Julien (tome I, p. 71-73) ; le texte de cette rédaction est donné avec une traduction littérale par le même auteur dans sa Syntaxe nouvelle de la langue chinoise (tome I, p. 297).
    La version annamite diffère profondément de la version chinoise des Avadànas ainsi que de la version indienne de l’Hitopadésa et de celle de La Fontaine par les sentiments de vengeance qui sont prêtés aux aigrettes. Je ne sais si cette idée d’une vengeance exercée contre la tortue se retrouve dans quelque autre texte indien ou chinois, Je relève seulement dans la note 15 du commentaire de M. H. Régnier le passage suivant : « Dans les Ésopiques (Esope, Babrius, Abstemius, Camerarius, etc.), c’est l’aigle qui méchamment lâche la tortue dans les airs. »
    Quoi qu’il en soit, il faut remarquer le motif de la haine des aigrettes. Les Annamites mettent un point d’honneur remarquable à ne pas se laisser insulter, et au moins à rendre insulte pour insulte, c’est là ce qui cause ces tournois d’injures si fréquents dans tous les marchés surtout entre femmes. Ce sentiment semble provenir d’une croyance primitive, encore très enracinée, à l’efficacité des malédictions.
  211. Nous avons ici parfaitement adaptée aux mœurs annamites la vieille donnée indienne qui a été mise en œuvre par La Fontaine dans La Souris métamorphosée en fille. (Fables, livre IX, fable VII.)
  212. Chat. L’on donne aux enfants des noms tirés de l’usage ordinaire et souvent disgracieux afin d’éviter la jalousie des esprits mauvais. Il arrive même que, au moins jusqu’à la douzième année, époque où ils ont vécu un cycle révolu, on change leurs noms s’ils sont malades, vicieux, etc., cela pour dérouter les esprits que l’on suppose s’être emparés d’eux. Après ce moment il n’est plus d’usage de changer le nom, du moins dans les classes ordinaires de la population. Cela peut cependant se faire, comme on le voit dans ce conte.
  213. Ordinairement xâ truong ; c’est le notable chargé de l’exécutif et auquel nous donnons, en Basse-Cochinchine, assez improprement le titre de maire.
  214. (Tous ces noms proposés sont des mots chinois et non des mots annamites. Aussi le hurong chù demande-t-il l’explication du mot en langue vulgaire, comme il a donné du reste précédemment l’explication du sien.
  215. Adjoint au xâ truong.
  216. Notable chargé de la surveillance de la pagode du village.
  217. Les Trùm sont des agents subalternes aux ordres du xâ truong. Seigneurs notables est peut-être un peu fort, mais je ne vois pas comment rendre autrement la formule de déférence qu’il emploie.
  218. Autre agent subalterne inférieur au trùm.
  219. Je traduis littéralement celle morale un peu obscure, comme le sont généralement les compositions de cette espèce. Le rédacteur veut dire qu’il faut savoir reconnaître le bien dans ce que l’on a et s’y tenir quand on l’a. Du reste, comme morale particulière au récit, les changements de nom ne peuvent avoir aucune influence sur le cours des événements qui sont écrits dans le ciel.
  220. L’on a sans doute omis ici un point, savoir que le coupable fut transformé en buffle afin d’aider, par la culture, les hommes à réparer les conséquences de sa faute. Sans lui le riz aurait poussé comme l’herbe et il n’y aurait eu besoin d’aucun travail.
  221. (*) Certaines légendes de l’Afrique méridionale ont de l’analogie avec celle-ci : « Ounkoulounkoulou chargea le caméléon de porter ce message aux hommes : Vous ne mourrez pas ! Le caméléon marcha lentement, s’amusa en route et pendant ce temps-là Ounkoulounkoulou changea d’avis et il envoya le lézard gris (d’après une autre version, la salamandre) dire aux hommes : Vous mourrez ! Ce second messager courut très vite, s’acquitta de son message et, quand le caméléon arriva à destination, les hommes avaient déjà reçu le fatal décret et mouraient. C’est pourquoi les deux animaux sont odieux aux Cafres. » A. Reville, Les Religions des peuples non civilisés, I, p. 140.) « La lune au commencement dit au pou d’aller trouver les hommes et de leur annoncer de sa part : Comme je meurs et vis en mourant, vous mourrez aussi et vivrez en mourant », mais le lièvre qui rencontra par hasard le messager lui déroba le message et dit aux hommes : « Comme je meurs et péris en mourant, de même vous mourrez et périrez complètement, » Là dessus il alla se vanter auprès de la lune de la manière dont il avait transmis son message. La lune, en colère, frappa le lièvre au museau et c’est pour cela que le lièvre a la lèvre supérieure fendue. » Ibid. p. 171.)
  222. (*) La rédaction que je possède de cette métamorphose se termine par quelques lignes inintelligibles. Le moustique demande au Bouddha une vrille pour percer la peau des hommes. Le Bouddha dit : « Quand il percera la peau des hommes, ceiux-ci le sentiront, ils ont cinq vrilles dont ils le perceront », et il refusa de donner une vrille au moustique. Ces cinq vrilles sont les cinq doigts de la main dont l’homme écrase le moustique.
  223. Le code annamite, reproduisant en cela le code chinois, interdit de conserver les morts dans les maisons au delà de trois mois. « Pour les fonctionnaires comme pour les personnes du peuple l’inhumation doit avoir lieu dans les trois mois Ceux qui seront troublés par les signes du vent et de l’eau, ou bien qui invoqueront des prétextes pour suspendre le transport de la bière à la fosse et qui, pendant des années exposeront le cercueil dans la maison sans l’inhumer, seront punis de quatre vingt coups de tru’ong. » (Code annamite, trad. Philastre, tome I, p. 672 ; art. 162 de la traduction.) C’est le texte même du code chinois de la dyastie actuelle. Lois rituelles, inhumation.)
    La coutume de garder les corps plus ou moins longtemps est commune à nombre de races civilisées ou sauvages de Indo-Chine et même de l’Archipel indien. On verra ailleurs (n° CV) des démons qui ont pour origine des cadavres ainsi gardés trop longtemps dans les maisons.
  224. Nous avons en français une expression équivalente à celle de l’annamite dans « se lester, être lesté. »
  225. Nhà nhi-ti (nghi dia en annamite mandarin.) Cette transcription chinoise me fait supposer que ce récit, où l’on retrouve évidemment un reste altéré des traditions bibliques pourrait nous être venu par la Chine où il aurait été porté sous cette forme par les musulmans.
  226. Van tè.
  227. Ou le banc du sàm (bài sàm).
  228. Lôi en chinois signifie tonnerre, et duong principe mâle, lumineux.
  229. Dans le titre annamite, intraduisible, que le rédacteur a donné à cette histoire, ces deux génies sont désignés par les noms de Ong dài, le long et Ong eut le tronqué.
  230. Espèce de sacristain.
  231. Il y a dans le Livre des récompenses et des peines (p. 266) une historiette qui commence d’une manière analogue.
  232. Il a déjà été question de ce Bo (voir ci-dessus n° III). Le narrateur l’appelle ici du terme méprisant de thang. Les mauvais esprits, en effet, peuvent être redoutés par leurs victimes mais ne sont pas honorés. Il est cependant probable qu’un indigène de Curong giân ou de My duong ne se risquerait pas à le désigner par cet appellatif, crainte de représailles.
  233. Cuoi hâu, littéralement : Épouser une femme pour servir. Se dit des mandarins qui prennent une concubine :
    Me ôi ! quan chanh doi hau.
    Mua chanh ma gôi cai dan cho tron.

    Mère ! le mandarin demande des femmes, — achetez-moi du citron pour me nettoyer la tête et me lisser (les cheveux).

  234. C’est sans doute le thuong luong, serpent fabuleux à trois têtes et neuf queues. On le rencontre quelquefois sous la forme de l’anguille ; on le reconnaît à ce qu’il dresse la tête, ce que ne peut faire l’anguille. Si on le fait cuire, il disparaît pendant la cuisson et l’on ne trouve rien dans la marmite.
  235. Oiseau parleur du Tonquin, inconnu en Basse-Cochinchine.
  236. Le procédé de divination employé ici, xin keo, s’exerce dans les pagodes au moyen de deux morceaux de racine de bambou que le fidèle jette à terre après avoir prononcé des invocations. On tire des présages de la face sur laquelle ils sont tombés. Dans les maisons on opère avec des sapèques que l’on laisse tomber d’une assiette par terre par un mouvement brusque.
  237. Nous avons déjà vu, n° XXXV (Excursions et Reconnaissances, IX, p. 393) une plainte de ce genre portée par un mort contre le génie qui l’avait fait périr.
  238. Les examens ont lieu à des époques déterminées. Il peut arriver cependant que l’empereur, à cause de quelque événement favorable, accorde des concours supplémentaires, an khon.
  239. Ces deux boutons naturellement représentent les deux montagnes.
  240. Quân công. C’est à la configuration de la montagne et aux influences magiques qu’elle exerce autour d’elle qu’était attribuée la valeur militaire des habitants du village voisin. Gia long conquérant du Tonquin, ayant intérêt à détruire chez les Tonquinois tous les germes de résistance, essaie d’annihiler le pouvoir mystérieux de la montagne par des opérations magiques. Nous avons vu de même Cao bien détruire les tombeaux impériaux de l’Annam pour assurer à perpétuité le suprématie de la Chine.
  241. C’est-à-dire en grognant.
  242. C’est le titre donné au second lauréat dans l’examen du doctorat.
  243. Dans les représentations théâtrales un notable tient le maillet et donne des marques d’approbation en frappant sur un tambour ou tam-tam ad hoc. À chaque coup, il est versé une certaine somme au profit des acteurs.
  244. Il y a de ces vers une variante :
    Giang son môt gânh giu a dong
    Quân không ù hu, anh hung nhô không ?

    Seule au milieu des champs avec un bagage qui eut tenu dans deux paniers, — je vous ai repoussé dans une misérable auberge ; héros ! vous en souvenez-vous ?

    L’explication raisonnée de ces deux traductions serait trop longue, et ici hors de sa place. Dans les vers qui font partie du texte, giang son môt ganh. — le fardeau des fleuves et des montagnes, — désigne les seins de la femme.

  245. Nous voyons ici encore une modification de terrain indiquée comme un moyen d’influer sur la prospérité du royaume.
  246. C’est-à-dire que d’un seul coup d’œil il voyait tout ce qu’il y avait dans une page.
  247. Il est nécessaire pour se présenter aux examens d’être pourvu d’un état civil régulier et de faire constater que l’on n’appartient pas aux catégories de personnes qui en sont exclues.
  248. Diospyros caki, arbre commun au Tonquin, dit-on, mais qui n’existe pas dans nos provinces.
  249. Lai cài. L’hermaphrodisme va naturellement avec l’impuissance, puisque la plupart des hermaphrodites sont réellement des femmes.
  250. Nho, c’est-à-dire l’étudiant. Ce titre se donne aux étudiants qui n’ont pas encore passé leurs examens, La carrière de ce personnage a déjà été racontée au numéro XV. (Excursions et Reconnaissances, tome IX, p. 138).
  251. Au moment de l’accouchement les femmes se retirent dans une pièce séparée ou même dans une petite case construite pour la circonstance.
  252. Trang nguyèn.
  253. Il est très difficile de rapporter les événements contés ici à l’histoire des Mac, telle qu’elle se trouve dans l’Histoire annamite, de M. Truong vinh ky.
  254. On peut voir dans le Livre des récompenses et des peines (trad. St. Julien, p. 195) le précepte qui dirige ici la conduite de Trinh.
  255. Il doit exister au Tonquin, sous une forme ou une autre, un recueil de prédictions attribuées au trang Trinh et prédisant des révolutions pour notre époque. Sans cela on ne comprendrait pas pourquoi Minh mang en a interdit la circulation. Nous avons déjà vu qu’on lui attribuait une prédiction d’après laquelle la dynastie Nguyèn ne compterait que quatre rois. (Voir ci-dessus le XXVIII qui contient un autre récit relatif aux origines du trang Trinh
  256. Nom d’un oiseau.
  257. Ce conte est une variante du numéro LXXV.
  258. Manh mé.
  259. Minh dong gan sâc.
  260. Xem mây cen tràn.
  261. Khô
  262. Uoc.
  263. Il peut se faire qu’un individu reste en vie au delà du temps primitivement marqué par les destins, parce que les messagers du roi des enfers, qui sû, se trompent de nom et saisissent à sa place un individu dont la destinée était de vivre encore. Dans ce cas l’erreur est reconnue aux enfers et le mort revient à la vie. C’est l’explication que donnent les indigènes des cas de mort apparente. Mais ici Lù vong avait été simplement oublié dans le livre des destinées, et sa mort ne paraît pas avoir dû profiter en rien à son dénonciateur.
  264. Tinh hoa. Influence du soleil et de la lune.
  265. Le kim cang pha ta kinh est un sutra bouddhique destiné à chasser les mauvais esprits.
  266. Les étudiants sont censés amaigris et affaiblis par leurs veilles.
  267. Il s’agit ici de ces petits récipients dans lesquels les pauvres mettent un peu d’huile et une mèche et constituent ainsi une lampe analogue à l’antique calél.
  268. Le Diêc kinh, édité et commenté par Confucius. Notre récit vient évidemment de lettrés qui, tout en partageant la croyance de leurs compatriotes en l’existence de mauvais esprits, attribuent une vertu souveraine aux livres canoniques et aux étudiants, tandis que les exorcismes des thây phâp et des bonzes restent sans effet.
  269. Ce sont les symboles magiques servant à la divination. (Voir Mayers, II, 241).
  270. Con qui quàn tài. Cette expression est imparfaitement rendue par sans sépulture. En réalité ce sont des individus qui ont été ensevelis dans un cercueil, mais qui ont été gardés dans les maisons au lieu d’être enterrés et qui sont devenus des âmes en peine.
  271. Ngoc qui. Cette pierre a la vertu de faire fuir les démons.
  272. Il est important que le corps disparaisse entièrement afin que l’àme puisse s’en détacher et aller à de nouvelles destinées. Nous voyons ailleurs le vieux coq transformé en mauvais esprit et l’étudiant sauveur le faire brûler aussi pour le délivrer.
  273. Ngoc bàng xuyên.
  274. Le texte dit : Sœur chat.
  275. Cet épisode des loutres et des rats palmistes ne tient plus à rien dans le récit, qui provient évidemment d’un type où ils rendaient quelque service aux deux voyageurs ou leur opposaient quelque obstacle.
  276. Chuôt chûa dàn.
  277. Ruong xe, littéralement : Coffre à roues. Tout le monde connaît ces grands coffres qui sont destinés à renfermer les ligatures, les bijoux et les vêtements de soie des gens riches ou aisés. Les roues permettent de les déménager facilement en cas d’incendie, et ils sont assez larges pour qu’un homme couche sur le couvercle. On prétend que les voleurs, munis de poudres narcotiques, endorment si bien cet homme qu’ils l’enlèvent avec le couvercle, le déposent à côté et s’emparent du contenu du coffre.
  278. Cân côt. (Voir Tirant, Oiseaux de la Basse-Cochinchine n° 350,351,352). Quand une arête reste au gosier d’un homme on lui frotte l’extérieur du cou avec le bec du cormoran ou la patte droite de devant de la loutre. Ce bec et cette patte étant des engins à prendre le poisson sont censés devoir faire disparaître l’arête par leur vertu intime.
    Le rau mà est une plante à odeur forte que l’on fait cuire avec le poisson ; ici il est employé dans la pensée que son suc amer amollira l’arête. De même un prisonnier, voulant briser ses fers, les enveloppera de rau mà.
  279. Les gens de métier peuvent être levés ainsi pour le service de la cour ou même de hauts fonctionnaires.
  280. Chùng tàn miêng trâu, ou chung giâp bâ trâu. C’est une manière d’évaluer les distances par le temps que l’on met à les parcourir. Le fossé et les rochers représentent les fleuves et les montagnes.
  281. Il y a une autre histoire toute semblable à celle-là et qui pourrait se rapporter aux mêmes personnages. Les noms toutefois sont différents. Les deux étudiants sont de Thach hà ; celui qui réussit aux examens se nomme Trân viet thiên, celui qui échoue Nguyén huu quan. Trân viêt thiên est nommé huyên de Thanh trî, dans la province de Hà nôi. Il envoie à son ami, pour le secourir dans sa misère, non pas une de ses femmes, mais la sœur de sa femme, et celle-ci épouse réellement l’ami. — Dans une autre rédaction Duong lè porte le nom de Duong nghïa.
  282. Allusion à un proverbe : Thây nguoi sang bât quàn làm ho, voir un noble et en faire son parent.
  283. « La femme est difficile à instruire » est un axiome de provenance chinoise.
  284. Qui chùa. Les pagodes passent pour être hantées par des démons très malins. Ici les élèves des bonzes leur sont comparés.
  285. C’est l’occupation des élèves de bonzes : « Con vua thi lai làm cua, con thây chùa thi quét là da, les fils de roi sont rois, les fils de bonze balaient les feuilles de da », dicton du pays qui a pour but de prouver que chacun suit la condition de ses parents.
  286. La déesse Quan in, identifiée à Avalôkitêsvara. D’après la tradition chinoise, c’était la fille d’un empereur de la dynastie Chàn qui vivait en 696 avant notre ère. Ayant refusé de se marier, elle fut d’abord reléguée et ensuite étranglée par ordre de son père, le glaive n’ayant pu réussir à mettre fin à ses jours. Elle descendit aux enfers, mais ceux-ci furent, par sa présence, changés en un paradis. Le roi des enfers la rendit alors à la vie et elle fut transportée sur une fleur de lotus dans l’île de P’oo t’oo où elle a encore aujourd’hui un sanctuaire célèbre. (Eitel, Handbook, p. 20.)
  287. Personnage bouddhique qui gouverne les esprits, Dharma pàla ( ?) (Voir Eitel, Handbook, p. 32.)
  288. Province de Hué et les provinces voisines.
  289. C’est-à-dire une sapèque de moins.
  290. Toi ô chô cho dông khong ai bàn, chô kèn thôi so le, chô cây tre môt mât.
  291. Ce dernier trait ne constitue pas, à vrai dire, une indication bien précise, car l’on peut voir devant un grand nombre de maisons annamites de petits jardins suspendus qui consistent le plus souvent en oignons plantés dans des caisses supportées sur des pieux.
  292. Do bôi, panier ouvert aux deux bouts qui ne peut servir de nasse.
  293. Dâu bac hai thu tôc.
  294. Le têt est la fête du renouvellement de l’année. Ce jour-là on se fait des cadeaux, des visites, on revêt des habits neufs. Il est très important de bien commencer l’année pour qu’elle continue comme elle aura commencé. Aussi faut-il que ces jours se passent dans la joie.
  295. Les indigènes, soumis à des règles très strictes en matière de piété filiale, ne peuvent cependant pas, en bien des occasions, ne pas en trouver le fardeau bien lourd, notamment en ce qui est des funérailles, cérémonies, etc. Il est donc facile de comprendre qu’ils ne se soumettent pas gratuitement à ces obligations en faveur de gens à qui ils ne doivent rien. « On n’achète pas un cadavre pour l’enterrer », comme le dit notre texte d’une manière assez vive et parlante. La pensée maîtresse de ce conte moral n’en est que plus remarquable, car il préconise des sentiments de charité et de simplicité de cœur qui ne sont, à aucun degré, ordinaires aux Annamites.
  296. C’est-à-dire à la femme de la maison, sa bru adoptive.
  297. L’étudiant se marie jeune pour assurer la perpétuité de sa famille. Il n’est pas rare de le voir après son mariage et surtout après qu’il a eu des enfants quitter sa famille pour aller continuer ses études auprès d’un maître plus ou moins célèbre.
  298. Le début du Luc vàn tiên a de l’analogie avec ce conte. L’on y voit aussi un maître doué de pouvoirs surnaturels et versé dans les calculs magiques prédire à l’élève qui le quitte les dangers qui l’attendent.
  299. Outre le nom personnel, tên, les Annamites sont désignés par un numéro d’ordre qui répond à leur rang dans la famille, l’aîné toutefois étant désigné par le numéro 2 et non par le numéro 1. L’on ne prend ce numéro d’ordre pour remplacer le tên que lorsque l’enfant est arrivé à l’adolescence. Il est en effet inconvenant de prononcer le nom des gens, et à partir du moment où l’individu commence à compter on s’en abstient.
  300. Ce sujet a été bien souvent traité par des auteurs occidentaux, il serait curieux de rechercher par quelle voie il est arrivé aux Annamites.
  301. Les Annamites ont les cheveux longs, aussi est-il facile de les saisir par le chignon. Les voleurs pourvoient à cet inconvénient en portant un chignon postiche qui reste aux mains de ceux qui pensent les tenir.
  302. Il ne semble pas que ces mutilations soient actuellement en usage chez les Annamites comme sanction d’un serment ou comme signe de deuil. On en signale chez les Laociens désireux de faire pénitence de leurs péchés. Il y a quelque temps un Cambodgien mourut à Saigon. Ses amis demandaient à lui couper un doigt pour l’envoyer à sa famille.
  303. Phân duong lâo, littéralement : Part pour nourrir la vieillesse.
  304. Voici une variante de ces vers

     
    Me nuôi con bien hu lai lang
    Con nuôi me kè thang ke ngày.

    La mère qui nourrit ses enfants est pareille à l’immense mer.
    Mais les enfants qui nourrissent leur mère comptent les jours et les mois.

  305. Nàm xâu, ba tôt ; lûa chiêm tôn voi lûa mùa.
  306. L’on remarquera que ces vingt barres sont précisément la somme qu’il avait reçue du pirate. Il n’était pas, sans doute, au pouvoir de l’esprit de tirer davantage de lui. Les fous sont traités au moyen d’exorcismes ; l’on en voit fréquemment chez les sorciers qui les tiennent enchaînés quand ils sont dangereux et procèdent de temps à autre à des cérémonies destinées à chasser de leur corps l’esprit qui les possède. La bienveillance de l’esprit pour l’étudiant ne s’explique pas bien et il est possible qu’il y ait là quelque lacune ; cependant, aux yeux des indigènes, l’étudiant vertueux a tous les droits à être secouru, et il n’y a sans doute pas d’autre raison à la conduite du revenant.
  307. Nhièm khi âm duong.
  308. Cày cô râm rap thi àm khi lu hoi dô ; thi hai cài ma hâu ong chôn do nhièm hoi âm khi thî muôn hièn hinh, ma chua cô duoc bôi vi chua cô duong khi. Den sau cô môt anh hoc trô ô xa di tam phuong hoc dao di toi dô…, chung duoc môt nam, cô tièng nguoi, âm duong dû, thi hai câi hôn ô trong hai cài ma chôn dô moi hièn ra hinh hai dùa con gài tuoi tôt, lich su…
  309. Dans un conte cham, que j’espère avoir bientôt l’occasion de publier, Boule de coco fait également demander par sa mère l’une des trois filles du roi ; les deux aînées le repoussent, la cadette l’accepte, et il est, lui aussi, transformé en un beau jeune homme.
    Le récit de provenance annamite que nous donnons ici doit être l’analyse fort écourtée de quelque conte d’origine étrangère.
  310. Ce chat hypocrite est celui qui figure dans le Chat et un vieux Rat de La Fontaine, livre III, fable xviii.
  311. C’est, sous une autre forme, la fable V du livre II de La Fontaine. M. Henri Regnier cite à l’appendice du tome I, (p. 441) de son édition un des Avadânas traduit par Stanislas Julien. Notre récit a évidemment été emprunté à ce recueil, mais l’application en a été changée et rendue toute locale.
  312. On sait que les prénoms des annamites sont des mots tirés de l’usage ordinaire. L’enfant veut écrire Van (dix mille) en accumulant dix mille fois le caractère nhŵt, un, qui consiste en un trait horizontal.
  313. Les métiers ont des patrons, rien ne s’oppose à ce que les menteurs en aient un.
  314. Quêt est une onomatopée qui représente le coassement de la grenouille, mais il sert en même temps à désigner le mouvement par lequel on étend la chaux à bétel, soit sur la feuille de bétel pour la chiquer, soit sur une feuille de bananier pour la vendre.
  315. Corps de soldats ou plutôt de serviteurs publics chargés de la poste.
  316. Il y a, comme l’on sait, beaucoup d’Annamites qui prêtent de petites sommes à très gros intérêts. À l’échéance ils vont faire leurs recouvrements et assiègent littéralement le malheureux débiteur, couchant quelquefois à sa porte.
  317. Thây boi. Beaucoup de ces devins sont aveugles ou feignent de l’être pour inspirer plus de confiance dans leurs prédictions.
  318. Qué.
  319. Les médecins préparent et vendent les drogues qu’ils font payer séparément.
  320. Il s’agit d’aiguilles rompues au niveau du trou.
  321. Les gendres comme l’on sait, vont demeurer un certain temps dans la famille de leur fiancée et on leur fait subir toute sorte d’épreuves. Une coutume semblable est signalée aux Philippines chez les Tagalocs. Les Cham ont un conte qui ressemble beaucoup à celui-ci et qui est mieux développé.
  322. Question d’étiquette importante. Sa conduite doit montrer s’il a été bien élevé ou s’il n’est qu’un rustre.
  323. Ce conte, dont le but est de prouver qu’aucun fonctionnaire n’est parfaitement intègre, est très populaire parmi les Annamites et il se trouve partout. Il est, je crois, emprunté à une source chinoise, mais il peint très bien la situation du fonctionnaire annamite peu ou pas payé, n’ayant d’autre ressource pour ses vieux jours que ce qu’il aura pu sauver sur ses déprédations.
  324. Les fantômes poursuivent ceux qui les ont fait mourir pour se venger d’eux. On suppose ici qu’il en est de même pour les mauvais médecins, poursuivis par ceux qu’ils ont tués.
  325. Trait de mœurs nationales. On va injurier ou même on envoie injurier un ennemi, un débiteur récalcitrant, etc.
  326. Ces drogues sont jetées (bùn) à la femme que l’on veut séduire.
  327. Livre d’instruction sur les rites, en Chinois.
  328. Huyët thé ; serment par le sang, qui se jure en buvant le sang d’une victime.
  329. Le client fournit l’or ou l’argent et l’orfèvre le travaille à façon. On l’accuse de prélever une partie du métal, et il a la même mauvaise réputation que chez nous le meunier.
  330. Ngô quâ ! signifie « que c’est beau ! » et Lai coi « venez voir ». Comme noms ils ne sont peut-être pas absolument impossibles, mais du moins bien invraisemblables.
  331. Les mots qui s’écrivent en annamite par le d   barré sont mis ici à leur rang alphabétique d’après l’ordre du français.