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Le Combat spirituel (Brignon)/Texte entier

La bibliothèque libre.
Traduction par Jean Brignon.
(p. T-).

LE COMBAT
SPIRITUEL,
Traduit de l’Italien.
Et augmenté de la paix de l'ame, &
du bonheur d’un cœur qui meurt à
lui-même pour vivre à Dieu.
Par le Pere J. BRIGNON de la
Compagnie de Jesus.


A LUXEMBOURG,
Chez Paul Chevalier.


avec Approbation.




AVERTISSEMENT
DU TRADUCTEUR.


LE Combat Spirituel est un de ces ouvrages dont le nom seul fait l’éloge. Il contient en abregé tout ce qui regarde la vie intérieure. C’est un précis des grandes maximes de l’Evangile ; surtout de celles qui sonz au mépris & à l’abnégation de soi-même. On ne le peut lire, qu’on n’en soit édifié : quiconque sçaura s’en servir, deviendra bientôt un homme spirituel, & aprendra en peu de tems à se détacher des créatures pour s’attacher au Créateur.

J’en pourrois produire assez d’exemples : mais je me contente de celui de S. François de Sales, qui pendant près de vingt ans, porta ce petit Livre sur soi, & qui à force de le lire, parvint à une sublime perfection. Il l’appelloit son Directeur, & en recommandoit souvent la lecture à toutes les personnes dont il gouvernoit la conscience. Il ne l’estimoit pas moins que le Livre de l’Imitation de Jesus-Christ : il lui donnoit même la préférence en quelque chose ; parce qu’encore que ces deux ouvrages ayent le même but, qui est de porter les ames à un parfait détachement de tout ce qui n’est pas Dieu, la maniere en est différente. L’Imitation de Jesus-Christ est un tissu de plusieurs sentences qui n’ont pas toujours trop de liaison entre elles ; mais le combat spirituel a des discours suivis, & traite à fond les matieres. Quoiqu’il en soit, il avoit souvent entre les mains, & ne passoit pas de jour qu’il n’en lût quelque chapitre ou quelque page. Aussi l’on peut dire, qu’il s’est étudié tant qu’il a vêcu, à en prendre l’esprit, qu’il en tiroit les regles, dont il s’est toujours servi pour acquérir cet Empire si absolu qu’il avoit sur ces passions, sur tous les mouvemens de son cœur.

Le mérite & la réputation d’un Livre universellement estimé, ont donné occasion à une dispute, qui dure encore entre quelques Ordres Religieux touchant celui qui en est le véritable Auteur[1]. Les RR.PP. Bénédictins veulent que ce soit D. Jean de Castanisa Espagnol : Les RR. PP. Théatins prétendent que c’est D. Laurent Scupoli Italien[2]. Le Pere Theophila Raynaud, célébre Ecrivain de la Compagnie de Jesus, assure que c’est le P. Achille Gagliardo Jésuite & fameux Prédicateur en Italie, connu, estimé & chéri particuliement de Saint Charles Borromée. Je ne me hazarderai point à décider ce différend, quelque interêt que j’y puisse avoir ; car outre que cela demanderoit une trop longue discussion, j’aime mieux laisser chacun en possession de ses droits, que de me faire des ennemis, en me déclarant ouvertement pour l’un des partis.

Il en sera donc du Combat Spirituel, comme de l’Imitation de Jesus-Christ, on le lira éternellement, il fera par tout de grands fruits, on ne sçaura jamais certainement qui l’a composé : en quelque langue qu’on l’ait écrit, il s’en est fait bien des Traductions Latines, Angloises, Allemandes, Françoises assez différentes. Comme on a trouvé à redire en ces dernieres, soit pour la fidélité, ou pour le stile ; j’ai taché de corriger les défauts que j’y ai remarqués, & de rendre le sens de l’Auteur, sans m’attacher trop aux mots & aux phrases.

L’exemplaire que j’ai choisi pour ma traduction, est Italien, sous le nom du R. P. D. Laurent Scupoli Théatin, & traduit déja, mais mot à mot & un peu trop fidelement, par le R. P. D. Olimpe Masorti aussi Théatin. C’est apparemment celui dont parlent les Peres Bénédictins[3], lorsqu’ils disent que D. Jean de Castanisa, Religieux de leur Ordre, est le vrai Auteur du Combat spirituel, mais que le Pere Laurent Scupoli l’a augmenté de beaucoup. C’est en effet le plus ample de ceux qui paroissent ; puisqu’il contient 66 Chapitres, & que d’autres n’en contiennent que 33. Je n’y ai rien changé, sinon qu’au lieu que l’Auteur adresse toutes les instructions à une personne dévote, véritable ou feinte, qu’il Nomme sa très-chere fille en Jesus Christ. Je le fais parler en général à tous ceux qui liront son Livre ; ce qui me semble plus conforme à notre maniere & au génie de notre langue.


LE COMBAT
SPIRITUEL.
Personne ne sera couronné, s’il n’a bien combattu. 2. Tim. 2.




CHAPITRE PREMIER.
En quoi consiste la perfection Chrétienne, que pour l’acquérir il faut combattre, & que pour sortir victorieux de ce combat, quatre choses sont nécessaires.

SI vous désirez, ô ame Chrétienne, parvenir au comble de la perfection évangelique, & vous unir tellement à Dieu, que vous deveniez un même esprit avec lui ; il faut que pour réüssir dans un dessein qui est le plus grand & le plus noble qu’on puisse dire ou imaginer, vous sçachiez d’abord ce que c’est que la véritable & la parfaite spiritualité.

Quelques-uns ne regardent la vie spirituelle que par le dehors, la font consister dans les pénitences extérieures, dans les haires, les disciplines, les jeûnes, les veilles, & dans d’autres semblables mortifications de la chair.

Plusieurs, & surtout les femmes s’imaginent être consommés en vertu, lorsqu’ils se sont fait une habitude de réciter de longues priéres vocales, d’entendre beaucoup de Messes, d’assister à tout l’Office divin, de demeurer longtems dans l’Eglise, & de communier souvent.

Quelques-uns, même parmi ceux qui servent Dieu dans la Religion, croyent que pour être parfait, il suffit d’être assidu au Chœur, d’aimer la retraite & le silence, de bien observer la discipline religieuse. Et ainsi les uns mettent la perfection dans l’un de ces exercices, les autres dans l’autre ; mais il est certain qu’ils se trompent tous. Car comme les œuvres extérieures ne sont, ou que des dispositions pour devenir parfaitement saint, ou des fruits de la parfaite sainteté, l’on ne peut dire que ce soit en ses sortes d’œuvres que consiste la perfection chrétienne, & la véritable spiritualité.

Ce sont des puissans moyens pour devenir vrayement spirituel & vrayement parfait : & quand on en use avec discrétion, ils servent merveillieusement à mortifier la nature toujours lâche pour le bien, & toujour ardente pour le mal, à pousser les attaques, & à éviter les piéges de notre Ennemi commun, & à obtenir enfin du Pere des miséricordes, les secours qui sont nécessaires à tous les Justes principalement à ceux qui commencent.

Ce sont aussi des fruits excellens d’une vertu consommée dans les personnes tout-à-fait saintes & spirituelles. Car elles maltraitent leur corps, ou pour le punir de ses révoltes passées, ou pour l’humilier & l’assujettir à son Créateur. Elles se tiennent dans la solitude & dans le silence, loin du commerce du monde, afin de se garantir des moindres fautes, & de n’avoir plus de conversation que dans le Ciel avec les Anges. Elles s’occupent aux bonnes œuvres & au service divin, Elles vacquent à la priere ; elles méditent sur la vie & sur la Passion du Sauveur, non par un esprit de curiosité, ni parce qu’elles y trouvent quelque goût sensible ; mais par le desir de mieux connoître d’un côté les miséricordes divines, & de l’autre leurs ingratitudes, de s’exciter de plus en plus à aimer Dieu, & à se haïr elles-mêmes, à suivre N. S. en portant sa Croix, en renonçant à leur propre volonté, en fréquentant les Sacremens, sans autre vûë que d’honorer Dieu ; de s’unir plus étroitement à lui, de se fortifier davantage contre les puissances de l’Enfer.

Il arrive tout le contraire à des gens grossier & imparfaits, qui mettent leur devotion dans les œuvres extérieures : car souvent elles sont causes de leur perte, & leur nuisent beaucoup plus que des pechés manifestes ; non que de soi elles ne soient bonnes, mais parce qu’ils en font un mauvais usage. Ils s’y attachent de telle sorte, que négligeant de veiller sur les mouvemens de leur cœur, ils lui donnent toute liberté, ils le laissent suivre son penchant, & l’exposent aux tromperies du démon. Et alors cet esprit trompeur voyant qu’ils s’écartent du droit chemin, non-seulement les invitent à continuer avec plaisir leurs exercices accoutumés, mais leur remplir l’imagination des vaines idées des délices du Paradis, où ils croyent être déja parmi les Anges, joüir de la vûë de Dieu. Il a même la malice de lui suggérer dans l’Oraison des pensées sublimes, curieuses, agréables ; afin qu’ayant en quelque maniere oublié le monde & les choses d’ici-bas, ils s’imaginent être élevés au troisiéme Ciel.

Mais pour peu de réflexion que l’on fasse sur leur conduite, on voit leur égarement, & combien ils sont eloignés de cette haute perfection, que nous recherchons. Car en toutes choses, grandes ou petites, ils souhaitent d’être préférés aux autres ; ils ne suivent que leur propre jugement ; ils ne font que leur propre volonté, & aveugles en ce qui les regarde ; ils ont toujours les yeux ouverts, pour observer & pour censurer les actions d’autrui. Que si on donne la moindre atteinte à cette vaine réputation où ils croyent être dans le monde, & dont ils sont très-jaloux : si on leur commande de quitter certaines pratiques de dévotion, à quoi ils sont habitués, ils se troublent & s’inquiétent étrangement. Si Dieu même, voulant leur apprendre à se connoître, & leur apprendre le vrai chemin de la perfection, leur envoye des adversités, des maladies, des persécutions cruelles, qui sont les épreuves les plus certaines de la fidelité de ses serviteurs, & qui n’arrivent jamais sans son ordre, ou sans sa permission, on voit alors leur intérieur gâté jusques dans le fond, par l’orguëil dont il est rempli.

En tous les évenemens, soit heureux, soit malheureux de cette vie, ils ne sçavent ce que c’est que de conformer leur volonté à celle de Dieu ; que de s’humilier sous sa main toute puissante ; que de se soumettre à ses jugemens, non moins justes, que secrets & impénétrables ; que de s’abaisser au dessous de toutes les créatures, à l’imitation de Jesus souffrant & humilié ; que d’aimer leurs persécuteurs, comme ceux dont la divine Bonté se sert pour les former à la mortification, & pour coopérer avec elle, non-seulement à leur salut, mais encore à leur perfection ? De-là vient qu’ils sont toujours en un danger évident de périr. Car regardant avec des yeux obscurcis par l’amour propre, eux-mêmes, & leurs actions extérieures, qui de soi sont bonnes, ils viennent à s’énorguëillir, à se croire fort avancés dans la voye de Dieu, à condamner le prochain : & souvent l’orguëil les aveugle jusqu’à un tel point, qu’il faut une grace toute extraordinaire du Ciel pour les convertir.

Aussi l’expérience nous fait-elle voir qu’il y a baucoup moins de peine à ramener un pecheur déclaré, qu’un pecheur qui se déguise & se cache volontairement à lui-même sous le voile de la vertu. Vous comprenez bien maintenant que la vie spirituelle ne consiste pas en toutes ces choses dont nous venons de parler, si l’on ne les considere que par le dehors : elle consiste proprement à connoître la bonté & la grandeur infinie de Dieu, & à sentir en même tems notre bassesse, & notre penchant au mal ; à aimer Dieu & à nous haïr nous-mêmes ; à nous soumettre non-seulement à lui, mais à toute créature pour l’amour de lui ; à renoncer entierement à notre propre volonté, afin de suivre la sienne ; & surtout à faire ces choses pour la seule gloire de son nom, sans autre dessein que de lui plaire, par la raison seule qu’il veut, & qu’il mérite que ces créatures l’aiment & le servent.

C’est ce que porte la Loi de l’amour que l’Esprit Saint a gravé dans le cœur des justes ; c’est par-là que l’on pratique cette abnégation de soi-même, si recommandée par le Sauveur dans l’Evangile : c’est ce qui rend son joug si doux & son fardeau si leger : c’est en cela que consiste la parfaite obéissance que ce divin Maître nous a toujours enseignée, & par les paroles & par les exemples. Puis donc que vous aspirez au plus haut degré de la perfection, vous devez vous faire une continuelle guerre, & employer toutes vos forces pour détruire ce qu’il y a en vous d’affections vicieuses, quelques légeres qu’elles puissent être. Ainsi il faut nécessairement vous préparer au combat, avec toute la résolution & toute l’ardeur possible : par ce que nul ne remportera la couronne, qu’après avoir généreusement combattu.

Mais songez que comme il n’est point de plus rude guerre que celle-ci, puisqu’en combattant contre soi-même, on est combattu par soi-même ; il n’est point aussi de victoire, ni plus agréable à Dieu, ni plus glorieuse au vainqueur ? Car quiconque a le courage de mortifier ses passions, de dompter ses apétits, de réprimer jusqu’aux moindres mouvemens de sa propre volonté, il fait un œuvre d’un plus grand mérite devant Dieu, que si sans cela il se déchiroit le corps par des disciplines sanglantes, ou qu’il jeûnât plus austerement que les anciens Solitaires, ou que même il convertit plusieurs milliers de pecheurs.

En effet, bien qu’à prendre les choses en elles-mêmes, Dieu fasse beaucoup plus d’état de la conversion d’une ame, que de la mortification de quelque desir déreglé, chacun néanmoins doit mettre son principal soin à faire ce que Dieu demande particulierement de lui. Or ce que Dieu demande avant toutes choses, est qu’on travaille tout de bon à mortifier ses passions ; cela lui plaît davantage, que si avec un cœur immortifié, on lui rendoit quelque service plus considérable.

Maintenant donc que vous sçavez ce que c’est que la perfection chrétienne, & qu’afin d’y parvenir, il faut vous résoudre à une guerre continuelle contre vous-même, commencez par vous munir de quatre choses, comme d’armes sans lesquelles il est impossible que vous sortiez victorieux de ce Combat Spirituel. Ces quatre choses sont la défiance de vous-même, la confiance en Dieu, le bon usage des puissances de votre corps & de votre ame, & l’exercice de la priere. Nous en parlerons avec la grace de Dieu, d’une maniere claire & succincte dans les Chapitres suivans.


CHAPITRE II.
De la défiance de soi-même.

LA défiance de soi même est si nécessaire dans le Combat Spirituel, qu’on ne peut sans cette vertu, non-seulement vaincre tous ses ennemis, mais surmonter les moindres passions. Cette vérité doit être gravée profondément dans notre esprit ; parce qu’encore que nous ne soyons qu’un pur néant, nous ne laissons pas de concevoir de l’estime pour nous-mêmes, & de croire sans nul fondement que nous sommes quelque chose. Ce vice est l’effet de la corruption de notre nature ; mais plus il est naturel, plus on a de la peine à le reconnoître. Dieu qui voit tout le regarde avec horreur, parce qu’il veut que nous soyons très-persuadés qu’il n’y a dans nous ni vertu, ni grace qui ne vienne de lui seul, comme de la source de tout bien, & que nous sommes incapables de former sans lui une pensée qui puisse lui plaire.

Mais bien que la défiance de soi-même soit un don du Ciel que Dieu communique à ses amis, tantôt par ses saintes inspirations, tantôt par des peines très-facheuses, tantôt par des tentations presque insurmontables, par d’autres voyes qui nous sont cachées ; il desire néanmoins que nous fassions de notre côté toutes choses possibles pour l’acquérir. Nous l’obtiendront infailliblement, si avec le secours de la grace, nous employons bien les quatre moyens dont je vais parler.

Le premier, est de nous remettre devant les yeux notre bassesse & notre néant, & de reconnoître que par nos forces naturelles, nous ne pouvons rien faire de bien, ni qui soit d’aucun mérite pour le Ciel.

Le second, est de demander à Dieu avec beaucoup d’humilité & de ferveur, cette importante vertu, qui ne peut venir que de lui. Nous confesserons d’abord que non-seulement nous ne l’avons pas, mais que de nous-mêmes nous sommes dans une entiere impuissance de l’acquérir. Nous nous jetteront ensuite aux pieds du Seigneur, & nous la lui demanderont plusieurs fois avec une ferme espérance d’être exaucés, pourvû que nous attendions patiemment l’effet de notre priere, & que nous continuons à prier aussi longtems qu’il plaira à sa Providence.

Le troisiéme, est de nous accoutumer peu à peu à nous défier de nous-mêmes, à craindre les illusions de notre propre jugement, la violente inclination de notre nature au peché, l’effroyable multitude des ennemis qui nous attaquent de toutes parts, qui sont sans comparaison plus rusés, plus aguerris & plus forts que nous, qui sçavent se transformer en Anges de lumiere, & qui nous tendent partout des pieges dans la voye du Ciel.

La quatrième, est qu’à chaque fois que nous commettons quelque faute, nous rentrions en nous-mêmes, pour considérer attentivement jusqu’où va notre foiblesse ; parce que Dieu ne permet nos chûtes, qu’afin qu’éclairés d’une nouvelle lumiere, nous nous connoissions mieux que jamais, que nous apprenions à nous mépriser comme de viles créatures, & que nous concevions un desir sincere d’être méprisés des autres ; sans cela nous ne devons pas espérer d’avoir jamais la défiance de nous-mêmes, qui est fondée sur l’humilité & sur une connoissance expérimentée de notre misere.

En effet, quiconque veut s’aprocher de la vérité incréee, de la source des lumieres, doit nécessairement se connoître à fond, & n’être pas comme les superbes, qui s’instruisent par leurs propres chûtes, qui commencent à ouvrir les yeux, lorsqu’ils sont tombés dans quelque désordre honteux & imprévû ; Dieu le permettant ainsi, afin qu’ils sentent leur foiblesse, & que par cette funeste expérience, ils viennent à se défaire de leurs forces. Mais Dieu ne se sert ordinairement d’un remede si facheux pour guérir leur présomption, que quand les autres plus faciles & plus doux, n’ont pas eu l’effet qu’il prétend.

Il permet au reste que l’homme tombe plus ou moins souvent, selon qu’il a plus ou moins d’orguëil, & s’il se trouvoit quelqu’un aussi exemt de ce vice que fut la Sainte Vierge, j’ose dire qu’il ne tomberoit point du tout. Lors donc qu’il vous arrive quelque chûte, recourez incontinent à la connoissance de vous-même, priez instamment notre-Seigneur de vous donner ses vrayes lumieres, afin que vous vous connoissiez tels que vous êtes à ses yeux, que vous cessiez de présumer de votre vertu. Autrement vous retomberez dans les mêmes fautes, & peut-être en commettrez-vous de plus grandes qui seront cause de la perte entiere de votre ame.


CHAPITRE III.
De la confiance en Dieu.

QUoique la défiance de soi-même soit très-nécessaire dans le Combat Spirituel, comme nous venons de le montrer ; cependant, si elle est seule & qu’on n’ait pas d’autres secours, on prendra bien-tôt la fuite, ou l’on sera désarmé & vaincu par l’ennemi. Il faut donc y ajouter une grande confiance en Dieu, qui est l’Auteur de tout bien, & de qui seul on doit attendre la victoire. S’il est vrai que de notre fond nous ne sommes rien, nous ne pouvons que craindre des chûtes dangereuses & fréquentes ; & nous avons tous sujet de nous défier de nos forces : mais si nous sommes parfaitement convaincus de notre foiblesse, nous remporteront sans doute, avec l’assistance du Seigneur, de grands avantages sur nos ennemis, n’y ayant rien de plus puissant pour nous attirer les graces du Ciel, que de nous armer d’une généreuse confiance en Dieu. Nous avons quatre moyens d’acquérir cette excellence vertu.

Le premier est de la demander humblement à Notre-Seigneur. Le second, de considérer attentivement avec les yeux de la foi, la Toute puissance & la sagesse infinie de cet Etre souverain, à qui rien n’est impossible ni difficile, de qui la bonté n’a point de bornes, qui par un excès d’amour pour ceux qui le fervent est prêt à toute heure & à tout moment de leur donner ce qui leur est nécessaire pour vivre en hommes spirituels, & pour se rendre tout-à-fait maîtres d’eux mêmes.

La seule chose qu’il leur demande c’est qu’ils recourent à lui avec confiance. Hé qu’y a-t-il de plus juste ? Comment seroit-il possible que cet aimable Pasteur[4], qui durant 33 ans n’a point cessé de courir après la brebis égarée, par des chemins laborieux & pleins d’épines, avec des peines si extrêmes, qu’il lui en a coûté le sang & la vie, comment, dis-je, seroit-il possible qu’un si bon Pasteur voyant maintenant la brebis revenir à lui dans le dessein de ne plus suivre d’autre conduite que la sienne, & avec une volonté peut-être encore un peu foible, mais sincere de lui obéir, il ne voulut pas la regarder de bon œil, ni prêter l’oreille à ses cris, ni la raporter sur ses épaules à la bergerie : Sans doute qu’il a une joye inconcevable de la recevoir dans le troupeau, & qu’il invite les Anges du Ciel à s’en réjouir avec lui.

Car s’il cherche avec tant de diligence la drachme de l’Evangile, qui est la figure du pecheur, s’il remuë tout pour la trouver, peut-il rejetter celui qui comme une brebis ennuyée de ne plus voir son Pasteur, se met en devoir de retourner au bercail ? Quelle aparence que l’Epoux des ames qui frape sans cesse à la porte de notre cœur, & qui brûle d’y entrer, qui n’a point de plus grand plaisir que de se communiquer à nous, & de nous combler de ses biens ; quelle aparence que trouvant la porte ouverte, & voyant que nous le prions de nous honorer de la visite, il ne daignât pas nous accorder la faveur que nous souhaitons ?

Le troisiéme moyens d’acquérir cette salutaire confiance, est de rapeller souvent dans notre mémoire les divines Ecritures, ces Oracles de la vérité, qui en mille endroits assurent formellement que quiconque espére en Dieu, ne tombera point dans la confusion.

Enfin le quatriéme moyen d’avoir tout ensemble & la défiance de nous mêmes, & la confiance en notre-Seigneur est que l’orsque nous avons ou quelque bonne œuvre à faire, ou quelque passion à combattre, avant que de rien entreprendre, nous jettions les yeux d’un côté sur notre foiblesse, & de l’autre sur la puissance, sur la sagesse, sur la bonté infinie de Dieu, & que tempérant la crainte qui vient de nous, par l’assurance que Dieu nous donne nous nous exposions courageusement à tout ce qu’il y a de plus pénible dans les travaux, & de plus rude dans les combats. Avec ces armes jointes à la priére, comme on verra dans la suite, nous serons capables d’exécuter les plus grands desseins & de remporter les plus signalées victoires.

Que si nous manquons à suivre cet ordre, bien qu’il nous semble que nous agissons par les principes d’une véritable espérance en Dieu, nous nous trompons le plus souvent, parce que la présomption est si naturelle à l’homme, qu’elle se mêle insensiblement avec la confiance qu’il s’imagine avoir en Dieu, & avec la défiance qu’il croit avoir de lui-même. Ainsi, pour s’éloigner le plus qu’il lui est possible de la présomption, & pour faire entrer dans toutes ses œuvres les deux vertus qui sont oposées à ce vice, il faut que la considération de sa foiblesse aille devant celle de la Toute-puissance divine, & que l’une & l’autre précéde toutes ses œuvres.


CHAPITRE IV.
Comment on peut juger si l’on a véritablement de la défiance de soi-même, & la confiance en Dieu.

UN homme présomptueux croit avoir acquis la défiance de lui-même, & la confiance en Dieu ; mais c’est une erreur, qu’on ne connoît jamais mieux, que lorsqu’on vient à tomber en quelque peché. Car alors, fi l’on se trouble, si l’on s’afflige, si l’on perd toute espérance d’avancer dans la vertu, c’est signe que l’on a mis sa confiance non pas en Dieu, mais en soi. Et plus la tristesse & le désespoir sont grands, plus on peut juger qu’on est coupable en ce point. Car celui qui se défie beaucoup de soi-même, & qui se confie beaucoup en Dieu, commet quelque faute, il ne s’en étonne pas, il n’en a ni inquiétude, ni chagrin ; parce qu’il voit bien que c’est l’effet de sa foiblesse, & du peu de soin qu’il a eu d’établir sa confiance en Dieu. Sa chûte au contraire lui aprend à se défier davantage de ses forces, & à se confier davantage au secours du Tout-puissant. Il déteste pardessus toutes choses son peché : il condamne la passion, ou l’habitude vicieuse qui en a été la cause : il conçois une très-vive douleur d’avoir offensé son Dieu ; mais sa douleur toujours tranquile, ne l’empêche pas de revenir à ses premieres occupations, ni de poursuivre ses Ennemis jusqu’à la mort.

Plût à Dieu que ce que je dis fut bien médité par de certaines personnes qui veulent passer pour spirituelles, & qui étant tombées en quelque faute, ne peuvent, ni ne veulent se donner aucun repos, mais sont dans une étrange impatience d’aller trouver leur Directeur, plûtôt pour se délivrer de la peine que leur cause l’amour propre, que par quelqu’autre motif ; quoique leur principal soin dût être de se laver de leurs pechés par le Sacrement de la Pénitence, & de se prémunir contre les rechûtes par celui de l’Eucharistie.


CHAPITRE V.
De l’erreur de beaucoup de gens, qui prennent la pulsillanimité pour une vertu.

C’Est encore une illusion bien commune, que d’attribuer à la vertu cette crainte & ce trouble qu’on ressent après le peché. Car bien que l’inquiétude qui suit le peché, soit accompagnée de quelque douleur, elle ne procéde néanmoins que d’un fond d’orgeüil, d’une présomption secrette, causée par la confiance trop grande qu’on a en ses forces. Lors donc qu’un homme qui se croyant affermi dans la vertu, méprise les tentations, vient à reconnoître par expérience qu’il est fragile & pecheur comme les autres, il s’étonne de la chûte, comme d’une chose surprenante, & voyant tout son apui renversé, il se laisse aller au chagrin & au désespoir.

Ce malheur n’arrive jamais aux ames humbles, qui ne présument point d’elles-mêmes, & qui ne s’apuyent qu’en Dieu seul. Car l’orsqu’elles ont failli, elles n’en sont ni surprises ni troublées ; parce que la lumière de la vérité qui les éclaire, leur fait voir que c’est un effet naturel de leur inconstance, & de leur foiblesse.


CHAPITRE VI.
De quelques autres avis très-utiles pour acquérir la défiance de soi-même, & la confiance en Dieu.

COmme tout ce que nous avons de forces pour vaincre notre ennemi, vient de la défiance de nous-mêmes & de la confiance en Dieu, j’ai crû devoir encore donner quelques avis très-nécessaires pour obtenir ces vertus.

Premiérement donc, que chacun se mette bien dans l’esprit que ni tous les talens, & naturels & acquis, de quelqu’espece qu’ils soient, ni toutes les graces gratuites, ni l’intelligence de toutes les Ecritures, ni tous les services rendus à Dieu durant l’espace de plusieurs années ; que rien, dis-je de tout cela ne peut le rendre capable d’accomplir la divine volonté & de satisfaire à ses devoirs, si la main du Tout-puissant ne le fortifie dans chaque occasion qui se présente, ou de faire quelque bonne œuvre, ou de surmonter quelque tentation, ou de sortir de quelque péril, ou de suporter quelque croix que la Providence lui envoye. Il faut donc que tous les jours de sa vie, qu’à chaque heure, à chaque moment il se propose cette vérité, que jamais il ne l’oublie ; & par ce moyen il s’éloignera du vice de la présomption, & n’osera pas se confier témérairement en les forces.

Mais pour avoir une plus ferme espérance en Dieu, l’on doit croire sans nul doute qu’il lui est également facile de vaincre toutes sortes d’ennemis, soit qu’ils soient peu, ou en grand nombre ; qu’ils soient forts & aguerris, ou foibles & sans expérience. Suivant ce principe, quand une ame seroit chargée de pechés ; quand elle auroit tous les défauts imaginables ; quand elle se seroit inutilement forcée de se corriger de ses vices, & de pratiquer les vertus ; quand même elle se sentiroit de jour en jour plus de penchant pour le mal, au lieu d’avancer dans la perfection, elle ne devroit pas pour cela manquer de confiance en notre-Seigneur, ni perdre courage, & abandonner ses exercices spirituels : elle devroit au contraire s’exciter plus que jamais à la ferveur, & à faire de nouveaux efforts pour repousser l’ennemi.

Car en cette espece de combat on est toujours victorieux, quand on a assez de cœur pour ne point quitter les armes, & pour tout espérer de Dieu, le secours duquel ne manque jamais à ceux qui combattent pour lui ; quoiqu’assez souvent il permette que dans la mêlée ils reçoivent quelque blessure. Il faut donc combattre jusqu’à la fin ; & c’est de-là que la victoire dépend. Car du reste celui qui combat pour le service de Dieu, qui met en lui seul toute sa confiance, trouve toujours aux playes qu’il reçoit un remede prompt & efficace, & lorsqu’il y pense le moins, il voit son Ennemi à ses pieds.


CHAPITRE VII.
Du bon usage des puissances, & premierement qu’il faut que l’entendement soit libre de l’ignorance & de la curiosité.

SI dans le Combat Spirituel nous n’avions point d’autres armes que la défiance de nous-mêmes, & la confiance en Dieu, non-seulement nous ne pourrions pas vaincre nos passions, mais nous tomberions souvent en de grands défauts. C’est pourquoi il y faut joindre le bon usage des puissances de notre corps & de notre ame, qui est la troisiéme chose que nous avons proposée, comme un moyen nécessaire pour arriver à la perfection.

Commençons donc par régler l’entendement & la volonté. L’entendement doit être exemt de deux grands vices, dont il a peine à se défendre. L’un est l’ignorance, qui l’empêche de connoitre la vérité, qui est son objet. Il faut donc qu’à force de l’exercer, on dissipe ses tenebres, & qu’on l’éclaire ; de sorte qu’il voye ce qui est à faire pour purger l’ame de ses passions déréglées, & pour l’orner des vertus. Or cela se fait par deux moyens.

Le premier & le principal est l’Oraison, où l’on demande au S. Esprit ses lumieres, qu’il ne refuse jamais à ceux qui cherchent Dieu tout de bon, qui aiment à accomplir la divine Loi, & qui soumettent en toute rencontre leur jugement propre à celui de leurs Supérieurs.

Le second, est une aplication continuelle à examiner soigneusement & de bonne foi les choses qui se présentent, pour sçavoir si elles sont bonnes ou mauvaises, & pour en juger, non pas selon l’aparence & sur le raport des sens, ni selon l’opinion du monde, mais selon l’idée que l’esprit de Dieu nous en donne. Par ce moïen nous connoîtrons clairement que ce que le monde aime avec tant d’ardeur, & ce qu’il recherche en tant de manieres, n’est que vanité & illusion ; que les honneurs & les plaisirs passent comme un songe, & qu’étant passés ils remplissent l’ame de regret & de chagrin ; que les oprobres sont des sujets de gloire, & les souffrances des sources de joye ; qu’il n’y a rien de plus grand, de plus généreux, ni qui nous rende plus semblables à Dieu que de pardonner à nos ennemis, & de leur faire du bien ; qu’il vaut mieux mépriser le monde, que d’être le maître du monde ; qu’il est plus avantageux d’obéir pour l’amour de Dieu au dernier des hommes, que de commander aux Rois & aux Princes ; qu’une humble connoissance de soi-même est préférable aux sciences les plus sublimes : qu’enfin l’on mérite plus de louanges en mortifiant les apétits dans les moindres choses, que si l’on prenoit beaucoup de Villes, ou qu’on défît de grandes armées, ou qu’on opérât des miracles, & qu’on ressuscitât même les morts.


Сhapitre VIII.
De ce qui peut nous empêcher de juger sainement des choses ; de ce qui peut nous aider à les bien connoître.

CE qui nous empêche de juger sainement des choses dont nous venons de parler, & de beaucoup d’autres ; c’est qu’aussitôt qu’elles se présentent à notre esprit, nous concevons pour elles ou de l’amour, ou de la haine, & que ces passions aveugles qui préviennent la raison, nous les déguisent de telle sorte qu’elles nous paroissent toutes différentes de ce qu’elles sont. Quiconque donc veut se garantir d’une illusion si commune & si dangereuse, doit veiller avec tant de soin sur son cœur, qu’il n’y souffre nulle affection déréglée pour quelque objet que ce soit.

Que si quelqu’objet vient s’offrir à lui, il faut que l’entendement le considere & l’examine à loisir, avant que la volonté le détermine, ou à l’embrasser, s’il est agréable, ou à le rejetter, s’il est contraire. Car l’entendement n’étant pas encore préoccupé par la passion, peut sans nul obstacle démêler la vérité d’avec le mensonge, & discerner le mal caché sous le voile d’un bien aparent, d’avec le bien qui a l’aparence d’un mal véritable. Mais dès que la volonté frapée par l’objet, commence à l’aimer, ou à le haïr, l’entendement devient incapable de le reconnoître tel qu’il est, parce que la passion qui le lui cache, fait qu’il s’en forme une fausse idée, & alors le proposant encore une fois à la volonté tout autre qu’il n’est, cette puissance déja émûë, redouble son affection ou son aversion pour lui, & ne peut plus garder de mesure ni écouter la raison.

Dans un désordre & une confusion si étrange, l’entendement s’obscurcit de plus en plus, & représente toujours à la volonté l’objet plus odieux, ou plus aimable qu’auparavant. De sorte qu’à moins qu’on n’observe très exactement la regle que j’ai donnée, & qui est très-importante en cette rencontre, les deux plus nobles facultés de l’ame ne font que rouler comme dans un cercle, & tomber d’erreurs en erreurs, de ténebres en ténebres, d’abîme en abîme. Heureux ceux qui n’ont nulle attache à aucune créature, & qui avant que de rien aimer en ce monde, tachant de connoître ce qui leur paroît aimable ; qui en jugent selon la raison, & particulierement selon les lumieres surnaturelles que le St. Esprit leur communique, soit par lui-même, ou par ceux qui le gouvernent en sa place.

Mais remarquez que cet avertissement est quelquefois plus nécessaire en de certaines actions extérieures qui de soi sont bonnes, qu’en d’autres moins louables, parce qu’on y est plus facilement trompé, & qu’on s’y porte souvent avec trop de chaleur & d’indiscrétion. Il ne faut donc pas s’y engager aveuglement, puisqu’une seule circonstance du tems, ou du lieu, étant négligée, peut tout gâter, & qu’il suffit de ne pas faire les choses d’une certaine maniere, ou selon l’ordre de l’obéissance, pour commettre de grandes fautes, ainsi qu’il paroît par l’exemple de beaucoup de gens, qui se sont perdus dans les ministeres & les exercices les plus saints.


CHAPITRE IX.
D’une autre chose nécessaire à l’entendement, pour bien connoître ce qui est le plus utile.

L’Autre vice dont il faut que nous délivrions notre entendement, est la trop grande curiosité. Car lorsque nous nous remplissons l’esprit de pensées vaines, ridicules, criminelles, nous le rendons incapable de s’atta- cher à ce qui est le plus propre pour mortifier nos apétits déréglés, & pour nous conduire à la véritable perfection. Soyons donc tout-à-fait morts aux choses terrestres, & ne les recherchons point, si elles ne sont absolument nécessaires, quoiqu’elles ne soient pas défenduës ; donnons peu de liberté à notre esprit, ne permettons pas qu’il se répande vainement sur beaucoup d’objets ; rendons-le comme stupide pour toutes les connoissances profanes ; ne prêtons jamais l’oreille aux nouvelles & aux bruits qui courent ; fuyons ceux qui n’aiment qu’à s’entretenir que des affaires du monde ; ne soyons pas plus touchés des diverses résolutions qui arrivent ici-bas, que si c’étoient des imaginations & des songes. Usons même de retenuë à l’égard des choses du Ciel, ne portons point nos pensées trop haut, contentons nous d’avoir sans cesse devant les yeux Jesus crucifié, de sçavoir sa vie & sa mort, de connoître ce qu’il désire de nous. Laissons tout le reste, & nous rendons agréables à ce divin Maître, dont les vrais disciples sont ceux qui ne lui demandent que ce qui peut leur être de quelque secours pour le servir & pour faire sa volonté. Aussi hors de-là, tout désir, toute recherche n’est qu’amour propre & qu’orguëil spirituel, & que piége du démon.

Quiconque se gouvernera de la sorte, pourra se défendre des articles de l’ancien serpent, qui voyant dans ceux qui embrassent avec ferveur les exercices de la vie spirituelle, une volonté ferme & constante, les attaque du côté de l’entendement ; afin que par l’entendement il gagne la volonté, & qu’il se rende maître de ces deux puissances. L’envie qu’il a de les tromper, fait qui leur inspire dans l’Oraison des pensées sublimes, des sentimens relevés ; surtout si ce sont des esprits curieux, subtils, capables de s’en orguëillir, & de s’entêter de leurs idées & de leurs visions.

Son dessein est qu’ils s’amusent à des vains raisonnemens, qu’ils y trouvent un goût sensible ; & que dans un faux repos croyant joüir de Dieu, ils ne pensent pas à purifier leur cœur, ni à acquérir la connoissance d’eux-mêmes, & la véritable mortification ; qu’ainsi plein d’orguëil, ils se fassent une idole de leur esprit : & qu’enfin s’accoutumant à ne consulter en toutes choses que leur propre sens, ils viennent à s’imaginer qu’ils n’ont plus besoin de conseil, ni de la conduite de personne.

C’est-là un mal dangéreux & presque incurable ; parce qu’il est bien plus difficile de guérir l’orguëil de l’entendement, que celui de la volonté. Car l’orguëil de la volonté étant découvert & reconnu par l’entendement, on y peut remédier par une soumission volontaire aux ordres de ceux à qui l’on doit obéir. Mais si un homme se met dans l’esprit, & qu’il soutienne avec opiniâtreté que son sentiment vaut mieux que celui de ses supérieurs, qui sera capable de le détromper ? Comment reconnoîtra-t-il son erreur ? Comment se soumettra-t-il à la direction d’un autre, lui qui s’estime plus sage & plus éclairé que tous les autres ? Si l’entendement, qui est l’œil de l’ame, & qui seul peut voir & guérir l’enflure du cœur, si dis-je, l’entendement est malade, s’il est aveugle & rempli lui-même d’orguëil, qui pourra trouver quelque remede a son mal ? Si la lumiere se change en ténebres, si ce qui doit servir de regles, est faux & trompeur, que sera-ce de tout le reste ?

Tachons donc à nous défaire au plûtôt d’un vice si pernicieux ; ne permettons pas qu’il gâte le fond de notre ame ; accoutumons-nous à soumettre notre jugement à celui d’autrui ; à ne point trop rafiner dans les choses spirituelles ; à aimer cette folie & cette simplicité si recommandée par le grand Apotre[5], & nous deviendrons incomparablement plus sages que Salomon.


CHAPITRE X.
De l’exercice de la volonté, & de la fin où nous devons diriger toutes nos actions intérieures & extérieures.

APrès avoir corrigé les vices de l’entendement, il est nécessaire de corriger ceux de la volonté ; afin que renonçant à ses propres inclinations, elle se conforme entierement à la volonté divine.

Remarquez donc qu’il ne suffit pas de vouloir, ni même de faire ce qui est le plus agréable à Dieu ; mais que de plus il faut le vouloir, & le faire par un mouvement de sa grace, & par le désir de lui plaire. C’est en ceci principalement que nous avons à combattre contre la nature ; toujours si avide de plaisir, qu’en toutes choses, & quelque fois dans les spirituelles plus que dans les autres, elle cherche sa propre satisfaction, & se contente ainsi elle-même, avec d’autant moins de scrupule, qu’elle n’y aperçoit rien de mal. De-là vient que quand il s’agit d’entreprendre quelque bonne œuvre, nous nous y portons incontinent, non pas dans la seule vûë d’obéïr à Dieu, mais à cause d’un certain plaisir que nous trouvons quelquefois à faire les choses que Dieu nous commande.

Cette illusion est d’autant plus fine ; que l’objet de notre affection & de nos désirs est meilleur en soi. Qui croiroit que l’amour propre, tout vicieux qu’il est, nous engage à vouloir nous unir à Dieu ? Et qu’en désirant de posséder Dieu, nous avons souvent plus d’égard à notre interêt qu’à la gloire, & à l’accomplissement de sa volonté, qui est cependant l’unique chose que doivent envisager ceux qui l’aiment, qui le cherchent, & qui font profession de garder la Loi. Pour éviter un écuëil si dangereux, & pour nous accoutumer à ne rien vouloir, à ne rien faire que selon l’impression de l’Esprit divin, & avec une intention très-pure d’honorer celui qui veut être non-seulement le premier principe, mais encore la derniere fin de toutes nos actions : voici ce qu’il y a à observer.

Quand il se présente une occasion de faire quelques bonnes œuvres, ne permettons pas à notre cœur de la désirer, & de s’y affectionner, qu’auparavant nous n’ayons élevé notre esprit à Dieu ; afin de sçavoir s’il veut que nous la fassions, & d’examiner si nous la désirons purement, parce qu’elle lui est agréable. De cette sorte, notre volonté prévenuë & réglée par celle de Dieu, se portera à aimer ce qu’il aime, par le seul motif de la satisfaire pleinement, & de procurer sa gloire. Il faut en user de même dans les choses que Dieu ne veut pas : car avant que de les rejetter, nous devons pareillement nous élever en esprit vers lui, pour connoitre sa volonté, & pour avoir quelque certitude, qu’en les rejettant nous pourrons lui plaire.

Mais il est bon de remarquer qu’on ne découvre pas aisément les artifices de la nature corrompuë, qui sous des prétextes spécieux se cherchent toujours soi-même, nous fait croire qu’en toutes nos œuvres nous n’avons point d’autre vûë que de faire quelque chose d’agréable à Dieu. De là vient que ce que nous embrassons, & ce que nous rejettons, dans le seul dessein de nous contenter nous mêmes, nous croyons ne l’embrasser & ne le rejetter que par le désir de plaire à notre Seigneur, ou par la crainte de lui déplaire. Le remede le plus essentiel à ce mal, consiste dans la pureté du cœur, que ceux qui s’engagent au Combat spirituel, doivent le proposer pour fin, en se dépoüillant du vieil homme, pour se revêtir du nouveau.

La maniere de nous appliquer un remede si divin, est qu’au commencement de nos actions, nous tachions à nous défaire de tous les motifs ou il entre quelque chose de naturel & d’humain ; & à n’aimer rien, à ne rien haïr que par la seule considération de la volonté divine. Que si dans tout ce que nous faisons, & particulierement dans les mouvemens du cœur, & dans quelques œuvres extérieures qui passent vite, nous ne sentons pas toujours l’impression actuelle de ce motif, faisons ensorte du moins qu’il se trouve véritablement partout ; & qu’au fond de l’ame, nous conservions un véritable désir de ne plaire qu’à Dieu seul. Mais dans les actions qui durent longtems, ce n’est pas assez de diriger notre intention à cette fin, il faut la renouveller souvent & l’entretenir dans sa pureté & dans sa ferveur. Sans cela nous serions fort en danger de nous laisser aveugler à l’amour propre, qui préférant en toutes choses la créature au Créateur, a coutume de nous enchanter : desorte, qu’en peu de tems, & presque insensiblement, nous changeons d’intention & d’objet.

Un homme de bien, mais peu soigneux de se tenir sur ses gardes, commence pour l’ordinaire son ouvrage, sans autre vûë que de plaire à Dieu : mais dans la suite il se laisse aller peu à peu & sans y penser, à la vaine gloire. De façon que ne songeant plus à la volonté divine, qui auparavant le faisoit agir, il s’attache au seul plaisir qu’il trouve dans son travail, & n’envisage que l’utilité ou la gloire qu’il en peut tirer.

Que si dans le tems où il croit le mieux réussir, Dieu l’empêche de continuer ce qu’il a commencé, soit qu’il lui envoye quelque maladie, ou qu’il permette qu’on l’interrompe ; il en devient tout chagrin, jusqu’à murmurer, tantôt contre celui-ci, tantôt contre celui-là, & quelquefois contre Dieu même. Par où l’on voit clairement que son intention n’est pas droite, & qu’elle venoit d’un mauvais principe. Car quiconque agit par le mouvement de la grace, & dans le dessein de plaire à Dieu seul, n’a pas plus d’inclination pour un exercice que pour l’autre, & s’il désire quelque chose, il ne prétend l’obtenir que de la maniere, & dans le tems qu’il plaira à Dieu, toujours soumis aux ordres de la Providence, toujours tranquille & content, quelque succès qu’ayent ses desseins ; parce qu’il ne veut qu’une seule chose, qui est l’accomplissement de la bonté divine.

Que chacun donc se recuëille en lui-même, songe à rapporter toutes ses actions à une fin si excellente & si noble. Et si quelquefois dans la disposition intérieure où il est, il se sent porté à faire de bonnes œuvres pour se garantir par-là des peines de l’enfer, ou pour mériter le bonheur du Ciel, il peut encore le proposer pour derniere fin d’obéir à Dieu, qui veut qu’on gagne le Ciel, & qu’on évite l’enfer. On ne sçauroit croire combien est grande la vertu de ce motif, puisque la moindre action, quelque basse qu’elle soit, étant faite simplement pour Dieu, vaut mieux de beaucoup que plusieurs autres, quoique fort bonnes, & d’un grand mérite qui se font dans une autre vûë. C’est par ce principe qu’une aumône peu considérable, donnée à un pauvre pour la seule gloire de la Majesté divine, lui est sans comparaison plus agréable, que si pour quelqu’autre fin on abandonnoit de grands biens, quand même on seroit porté à s’en défaire par l’espérance des biens du Ciel, quoiqu’après tout ce motif soit loüable, & qu’il mérite qu’on se le propose.

Cette pratique si sainte de faire toutes nos auvres purement pour plaire à Dieu, nous semblera au commencement un peu difficile ; mais avec le tems elle nous deviendra aisée & même agréable, si nous nous accoutumons à chercher Dieu de tout notre cœur, si nous soupirons sans cesse après lui, comme après notre unique & souverain bien, qui de soi mérite que toutes les créatures le cherchent, l’estiment & l’aiment par-dessus toute autre chose. Plus nous nous attachons à considérer combien Dieu est grand & aimable, plus les affections de notre cœur envers ce divin objet, seront tendres & fréquentes ; par-là nous acquérons plus facilement & plus vite cette habitude de rapporter toutes nos actions à sa gloire.

J’ajoute un dernier moyen de ne rien faire que par ce motif si excellent & si relevé : c’est d’en demander instamment la grace à notre Seigneur, & de considérer souvent les biens infinis que Dieu nous a faits, & qu’il nous fait encore à tout heure, par un amour pur, & tout-à-fait désinteressé.


CHAPITRE XI.
De quelques considérations qui peuvent porter la volonté à ne vouloir que ce que Dieu veut.

AFin d’engager plus facilement notre volonté à ne vouloir rien que ce que Dieu veut, & ce qui est pour la gloire, souvenons-nous qu’il a daigné nous aimer & nous honorer le premier en mille manieres différentes. C’est lui qui nous a tiré du néant, qui nous a créé à son Image, & qui a fait toutes les autres créatures pour notre service ; c’est lui qui voulant nous donner un Rédempteur, nous a envoyé non pas un Ange, mais son Fils unique, qui a racheté le monde[6], Non pas au prix de l’argent & de l’or, qui sont des choses corruptibles, mais au prix de son Sang, & par la mort non moins infame que douloureuse ; c’est lui enfin qui à tous momens nous protege contre la fureur de nos ennemis, qui combat pour nous par sa grace ; qui afin de nous nourrir & de nous défendre en même-tems, est toujours prêt de nous donner le Corps de son Fils à la sainte Table.

Ne sont-ce pas là des témoignages certains de l’estime & de l’affection que ce grand Dieu a pour nous ? Qui pourroit comprendre jusqu’où va la charité pour des créatures aussi pauvres & aussi viles que nous sommes, jusqu’où doit aller notre reconnoissance pour le Bienfaiteur le plus libéral qui puisse être ? Que si les grands de la terre se voyant honorés par des personnes que la naissance ou la fortune a mises au-dessous d’eux, croyent néanmoins étre obligés de leur rendre quelque honneur ? Quel honneur ne doivent pas rendre des vers de terre au Souverain Maitre du monde, qui leur donne tant de marques de sa bienveillance & de son estime ? Il faut surtout nous ressouvenir que cette infinie Majesté mérite que nous la servions par le principe d’un amour très pur, qui ne cherchent qu’à lui plaire.


CHAPITRE XII.
Qu’il y a dans l’homme plusieurs volontés qui font sans cesse la guerre.

IL y a dans l’homme deux volontés, l’une supérieure, l’autre inférieure. La premiere est celle que nous appellons communément la raison ; l’autre, celle à qui nous donnons le nom d’apétit, de chair, de sens, de passion. Cependant, comme à proprement parler, on n’est homme que par la raison ; ce n’est pas vouloir quelque chose que de s’y porter par un premier mouvement de l’apétit sensitif, à moins que la volonté supérieure ne s’y porte ensuite & ne s’y attache.

C’est pourquoi toute notre guerre spirituelle consiste en ce que la volonté raisonnable ayant au-dessus de soi la divine volonté, au-dessous l’apétit sensitif, & se trouvant comme au milieu, elle est combattuë presque également des deux côtés ; parce que Dieu d’une part & la chair de l’autre, la sollicitent sans relâche, & n’obmettent rien pour la faire entrer dans leurs sentimens. Voilà ce qui cause des peines inconcevables à ceux qui dans leur jeunesse ayant contracté de méchantes habitudes, prennent enfin la résolution de changer de vie, & de dompter leur chair ; & enfin de rompre avec le monde, pour se dévouer entierement au service de notre Seigneur. Car leur volonté est en même-tems attaquée avec beaucoup de violence, par la volonté divine & par l’apétit sensitif, & de quelque côté qu’elle se tourne, elle ne peut résister qu’avec peine à de si rudes attaques.

Ce combat n’arrive point dans ceux, qui depuis longtems, se sont fait une habitude, ou de la vertu ou du vice, & qui ayant pris leur parti, veulent toujours vivre comme ils ont vêcu. Car les ames saintes se conforment à la volonté de Dieu, & celles que le vice a corrompuës, suivent la sensualité. Mais que personne ne s’imagine pouvoir acquérir les véritables vertus & servir Dieu comme il faut, s’il n’est dans la résolution de se faire violence à lui-même, de vaincre la difficulté qu’il y a de renoncer à tous les plaisirs du monde, soit grands, soit petits, ausquels il a eu quelque attachement criminel.

De-là vient qu’il se trouve si peu de gens qui arrivent à un haut dégré de perfection. Car après avoir surmonté les plus grands vices, après avoir assuré les plus grands travaux, ils perdent cœur, & ne peuvent continuer à se vaincre, quoiqu’ils n’ayent plus que de légers combats à soutenir, pour détruire quelques foibles restes de leur propre volonté, & pour étouffer beaucoup de petites passions, qui venant à se fortifier de jour en jour, se rendent enfin tout à-fait maîtresses de leur cœur.

De ceux-là plusieurs, par exemple, ne dérobent point le bien d’autrui, mais ils aiment le leur passionnément. Ils n’usent pas des moyens illicites pour se procurer des honneurs mondains : mais bien loin de rejetter comme ils devroient, ces vains honneurs, ils les désirent souvent, & tachent même d’y parvenir par d’autres voyes qui leur semblent légitimes. Ils gardent les jeûnes d’obligation ; mais ils aiment la bonne chere & les viandes les plus délicates. Ils sont chastes & continens ; mais ils ne s’abstiennent pas de certains plaisirs qui leur sont de grands obstacles aux fonctions de la vie spirituelle, & à l’intime union avec Dieu.

Comme donc ces choses sont dangéreuses par toutes sortes de personnes, & particulierement pour ceux qui n’en craignent pas les suites funestes, il faut que chacun apporte tous les soins imaginables pour les éviter. Sans cela, il est impossible qu’on ne fasse la plûpart de ses bonnes œuvres avec un esprit de tiédeur, & qu’on n’y mêle beaucoup d’amour propre, de respects humains, d’imperfections cachées, d’estime de soi-même, d’envie de paroître & d’être applaudi du monde. Ceux qui se négligent en ce point, non-seulement ne font nul progrès dans la voye de leur salut, mais retournent en arriere, & courent fortune de retomber dans leurs anciens vices, parce qu’ils ne s’attachent point à la solide vertu ; qu’ils ressentent peu la grace que Dieu leur a faite de les affranchir de la tyrannie du démon ; qu’ils ne connoissent pas même le mauvais état où ils sont, & qu’ils demeurent ainsi toujours dans une paix & une sécurité trompeuse.

On peut remarquer ici une illusion d’autant plus à craindre, qu’il est mal aisé de la découvrir. Plusieurs de ceux qui s’abandonnent à la vie spirituelle, s’aimant trop eux-mêmes, si toutes fois l’on peut dire qu’ils s’aiment eux-mêmes, choisissent les exercices qui leur plaisent davantage, & laissent les autres qui ne sont pas à leur goût, qui choquent leur inclination naturelle, qui servent à mortifier leurs passions brutales, contre lesquelles ils devroient tourner toutes leurs forces dans le Combat spirituel. On ne sçauroit trop les exhorter d’aimer la peine qu’il y a à les vaincre ; parce que tout dépend de-là ; & que plus ils feront paroître de courage à surmonter les premieres difficultés qui se rencontrent dans la vertu, plus leur victoire sera prompte & assurée. Que s’ils se proposent uniquement les travaux de cette guerre, s’ils s’y attachent tout-à-fait, & s’ils n’aspirent pas trop-tôt à la victoire qui sont les vertus, ils obtiendront plus facilement & plus surement ce qu’ils prétendent.


CHAPITRE XIII.
De quelle maniere il faut combattre la sensualité, & quels Actes la volonté doit produire, pour acquérir les habitudes des vertus.

LOrsque nous sentons que Dieu & la chair disputent ensemble à qui aura notre cœur, voici les moyens que nous devons prendre pour faire pancher la victoire du côté de Dieu.

1. Dès que les premiers mouvemens de l’apétit sensitif s’élévent contre la raison, il faut avoir soin de les réprimer, de peur que la volonté ne vienne à y consentir.

2. Ces mouvemens étant appaisés, on peut les laisser renaître, afin d’avoir occasion de les combattre encore une fois, avec plus de force qu’auparavant.

3. Il est bon même de les faire venir à un troisiéme combat, pour s’accoutumer à les repousser avec un généreux mépris. Remarquons pourtant que ces deux manieres d’exciter en soi ses propres passions, n’ont point de lieu à l’égard des mouvemens de la chair, dont nous parlerons en un autre endroit.

4. Enfin, il importe extrêmement de former des actions de vertu, contraires aux habitudes vicieuses, dont on prétend se défaire. L’exemple suivant en sera une preuve manifeste.

Vous êtes peut-être agité de mouvemens d’impatience. Recueillez vous en vous-mêmes, & considérez tout ce qui se passe dans votre intérieur. Vous verrez sans doute que le chagrin qui a pris naissance dans l’apétit inférieur, tache de monter à la volonté, & de gagner la partie supérieure de votre âme. Alors, suivant le premier avis que je viens de vous donner, faites tout votre possible pour en arrêter le cours, & pour empêcher que la volonté ne s’y laisse aller. Prenez garde de ne point quitter le combat que votre ennemi abattu & comme mort, ne soit contraint de se soumettre à la raison.

Mais voyez l’étrange artifice du malin esprit. Quand il s’aperçoit que vous résistés courageusement à quelque violente passion, non-seulement il cesse de l’émouvoir dans votre cœur, mais s’il l’y trouve déja allumée, il s’efforce de l’éteindre pour un tems, Son dessein est de vous empêcher d’acquérir, par une ferme résistance, la vertu contraire, de vous inspirer ensuite des sentimens de vanité, en vous faisant croire que comme un vaillant Soldat, vous avez en peu de tems vaincu l’ennemi. Il faut donc que vous livriez un second combat ; que vous rapelliez en votre mémoire les pensées qui vous ont cause de l’impatience & du chagrin ; qu’aussi-tôt qu’elles auront excité quelques mouvemens dans la partie inférieure, vous employerez toutes les forces de la volonté pour les réprimer.

Mais comme il arrive souvent qu’après avoir fait de grands efforts pour repousser l’ennemi, dans la pensée qu’on le doit, & que c’est une chose agréable à Dieu ; comme, dis-je après cela, on n’est pas hors de danger d’être vaincu dans un troisiéme attaque ; vous devez encore une fois retourner au combat contre le vice dont vous prétendez vous défaire, & en concevoir non seulement de l’aversion, mais du mépris & de l’horreur.

Enfin, pour orner votre ame des vertus & pour vous en faire de saintes habitudes, il faut produire beaucoup d’Actes de celles qui sont contraires à vos passions déréglées. Par exemple, si vous voulez acquérir une parfaite douceur dans les occasions d’impatience, qu’on vous donne en vous méprisant, ne croyez pas qu’il suffise d’employer les trois sortes d’armes, dont nous venons de parler, pour vaincre la tentation ; il faut de plus que vous aimiez le mépris qu’on fait de vous : il faut que vous desiriez d’être souvent méprisé de la même sorte, & par les mêmes personnes : il faut que vous vous proposiez de souffrir encore de plus grands outrages.

La raison pourquoi l’on ne peut se perfectionner dans la vertu, sans ces Actes contraires aux vices qu’on veut corriger, est que tous les autres Actes, bien qu’ils soient d’une fort grande efficace, & en fort grand nombre, ne sçauroient ôter jusqu’à la racine du mal. Ainsi pour ne point changer d’exemples, quoique vous ne consentiez pas aux mouvemens de colere qui vous viennent, lorsqu’on vous méprise, mais que vous les combattiez de toutes les manieres que nous avons dit ; sçachez néanmoins que si vous ne vous accoutumés à aimer l’opprobre, & à vous en faire un sujet de joye, vous ne parviendrez jamais à déraciner de votre cœur le vice de l’impatience, qui naît d’une trop grande crainte d’être méprisé du monde, & d’un desir trop ardent d’en être estimé. Car enfin tant que cette méchante racine demeurera dans votre ame, elle poussera toujours, & votre vertu s’affoiblira ; peut-être même qu’avec le tems vous vous trouverez destitué de toute vertu, & en un danger continuel de retomber malheureusement dans vos désordres passés.

N’espérez donc pas obtenir jamais les vertus solides, si par des Actes fréquens de ces mêmes vertus, vous ne détruisez les vices qui leur sont directement oposés. Je dis, par des Actes fréquens : car comme il faut plusieurs pechés pour former une habitude vicieuse, il faut aussi plusieurs Actes de vertu, pour produire une habitude sainte, qui soit parfaite & incompatible avec le vice. Il faut même un plus grand nombre d’Actes de vertu, pour faire une habitude sainte, qu’il ne faut de pechés pour en faire une vicieuse parce que la corruption de la nature fortifie toujours celle-ci, & affoiblit l’autre.

Remarquez de plus que si la vertu que vous voulez pratiquer, ne peut s’acquérir sans quelques Actes extérieurs, conformes aux intérieurs, ainsi qu’il arrive dans la patience, vous devez non-seulement parler avec charité & avec douceur, mais rendre tous les services imaginables à celui qui vous aura maltraité de quelque maniere que ce soit. Et encore que ces Actes soient intérieurs ou extérieurs, vous semblent foibles, & que vous ne les fassiez qu’avec une extrême répugnance, gardez-vous bien cependant de les négliger, parce que tous foibles qu’ils sont, ils vous soutiendront dans le combat, & vous seront de puissans moyens pour remporter la victoire.

Veillez donc sur votre intérieur, & ne vous contentez pas de réprimer les mouvemens les plus violens des passions ; étouffez jusqu’aux plus petits, parce que ceux-ci, pour l’ordinaire servent de disposition aux autres, d’où naissent enfin les habitudes vicieuses. Nous sçavons par expérience que beaucoup de gens ayant négligé de mortifier leurs passions en des choses assez légeres, quoiqu’ils eussent eu le courage de les mortifier en des occasions très considérables ; nous sçavons, dis-je, que lorsqu’ils y pensoient le moins, ils ont été attaqués plus rudement que jamais par des ennemis qui n’étoient qu’à demi vaincus.

J’ai encore ici un avis de grande importance à vous donner : c’est de mortifier vos apétits dans les choses mêmes qui sont permises, mais non nécessaires. Car vous gagnerez par-là beaucoup, vous pourrez vous vaincre plus facilement dans les autres ; vous deviendrez plus aguerris & plus forts dans les tentations, & vous vous rendrez en même-tems bien plus agréables à notre-Seigneur. Je vous dis sincerement ce que je pense : ne vous lassez point de pratiquer les saints exercices que je viens de vous enseigner, & dont vous avez besoin pour la réformation de votre intérieur. Vous remporterez bientôt une glorieuse victoire sur vous-même. Vous ferez en peu de tems de forts grands progrès dans la vertu, & vous deviendrez spirituel, non pas de nom seulement, mais en effet & en vérité.

Que si vous prenez d’autres voyes, encore qu’elles vous paroissent excellentes, que vous y goutiez de grands délices spirituels, que vous croyez y avoir une intime union avec Dieu ; tenez pour certain que jamais vous n’obtiendrez de vertus solides, ni ne sçaurez ce que c’est la véritable spiritualité, qui, comme nous avons dit au premier chapitre, ne consiste pas en des exercices doux & qui flatent la nature, mais en ceux qui la crucifient avec ses passions & ses désirs déreglés.

C’est ainsi que l’homme renouvellé intérieurement par les vertus qu’il a acquises, vient à s’unir intérieurement à son Créateur & à son Sauveur attaché en Croix. Aussi est-il hors de doute, que comme les habitudes vicieuses se forment dans nous par plusieurs Actes de la volonté, lorsqu’elle succombe à l’apétit sensitif : de même les vertus chrétiennes s’acquierent par plusieurs Actes de la volonté, lorsqu’elle se conformie à celle de Dieu, qui excite l’ame tantôt à une vertu, & tantôt à l’autre. Comme donc la volonté ne peut être criminelle, quelque effort que fasse l’apétit inférieur pour la corrompre, à moins qu’elle n’y consente : aussi ne peut-elle être sainte & unie à Dieu, quelque sorte que soit la grace qui l’attire, à moins qu’elle n’y coopere par des Actes non seulement intérieurs, mais même extérieurs, s’il en est besoin.


CHAPITRE XIV.
De ce qu’il faut faire, lorsque la volonté sensible est vaincuë, & hors d’état de résister à l’apétit sensitif.

S’Il vous semble quelquefois que votre volonté est trop foible pour résister à l’apétit inférieur, & à d’autres ennemis qui tachent de s’en rendre maîtres, & si alors vous ne vous sentez pas assez de courage & de résolution pour soutenir leurs attaques, ne laissez pas de tenir ferme, n’aban- donnez point le combat, puisque vous devez croire que vous êtes victorieux, tandis qu’il ne paroit pas que vous soyez tout-à-fait vaincu. En effet, comme votre volonté n’a pas besoin du contentement de l’apétit inférieur pour prendre tel parti qu’il lui plaît : aussi quelque violence qu’elle souffre, du côté de cet ennemi domestique, elle conserve toujours l’usage entier de sa liberté. Car le Créateur lui a donné un pouvoir & un empire si absolu, que quand tous les sens, tous les Démons, toutes les Créatures ensemble auroient conspiré contre elle, rien ne pourroit l’empêcher de faire, ou de ne point faire ce qu’elle veut, ou ce qu’elle ne veut pas autant de fois, & aussi longtems, pour telle fin & de telle maniere que bon lui semble.

Que si quelquefois la tentation vous presse, desorte que votre volonté foible & presque vaincuë, semble n’avoir pas toute la force nécessaire pour y résister, gardez-vous bien de perdre courage, & de mettre les armes bas. Criez, au moins, & défendez-vous en disant au Tentateur : Retire toi d’ici Satan ; car je mourrai mille fois plutôt que de consentir à tes sugġestions infâmes. Faites comme un homme qui étant aux prises avec un ennemi opiniâtre, & ne pouvant le percer de son épée, le frape avec le pommeau partout où il peut ; voyez comme il tache de se dégager, comme il recule de quelque pas, & comme il revient sur son adversaire, pour lui donner le coup de la mort. Cela vous aprend à vous retirer souvent dans vous-même, pour considérer que de votre fonds vous n’êtes rien, & que vous ne pouvez rien ; pour vous animer ensuite d’une généreuse confiance en la Toute-puissance de Dieu ; pour attaquer & pour vaincre enfin avec sa grace la passion qui vous domine. C’est alors que vous devez dire : Aidez-moi, Seigneur mon Dieu, aidez-moi, Jesus & Marie, n’abandonnez point votre serviteur : ne permettez pas que je succombe à la tentation.

Mais quand l’ennemi vous en donne le loisir, appellez votre entendement au secours de la volonté ; fortifiez-la par diverses considérations propres à lui relever le courage & l’animer au combat. Si vous êtes, par exemple, ou persécuté injustement, ou affligé de quelqu’autre sorte, & que dans une profonde tristesse vous vous sentiez violemment tenté d’impatience, jusqu’à ne pouvoir, ou à ne vouloir plus rien souffrir, tachez de prendre cœur, en faisant une sérieuse réflexion sur les articles suivans, ou sur d’autres semblables.

1. Voyez si vous ne méritez point le mal que vous endurez, & si vous ne vous l’êtes point attiré vous-même. Car s’il vous est arrivé par votre faute, la raison veut que vous souffriez patiemment une playe que vous vous êtes faite de vos propres mains.

2. Mais au cas que vous n’ayez rien à vous reprocher là-dessus, jettez les yeux sur vos désordres passés, dont la Justice divine ne vous a pas encore puni, ou que vous n’avez pas expiés par une juste pénitence. Et voyant que Dieu par sa miséricorde, change la peine que vous avez méritée, qui devroit être ou fort longue en dans le Purgatoire, ou éternelle dans l’Enfer, qu’il la change, dis-je, en une autre & plus légere & plus courte, recevez-la non-seulement avec patience mais même avec joye & avec action de graces.

3. Que si vous croyez, quoique sans raison, avoir commis peu de fautes ; & fait beaucoup de pénitence, souvenez-vous qu’on ne peut entrer dans le Royaume du Ciel, que par la porte étroite des tribulations.

4. Songez de plus, que quand vous pourriez y entrer par une autre porte, la Loi seule du pur amour devroit vous en ôter, & le desir & la pensée ; parce que le Fils de Dieu & tous les Saints après lui, y sont allés portant leur Croix, & par un chemin tout couvert d’épines.

5. Mais ce qu’il faut que vous envisagiez principalement ici, & en toutes choses, c’est la volonté de Dieu, qui vous aime tant, qu’il prendra un plaisir extrême à vous voir faire des Actes héroïques de vertu, & répondre par ces preuves de votre courage & de votre fidelité à l’affection qu’il vous porte. Sçachez au reste que plus la persécution que vous souffrirez sera injuste du côté de son auteur, & par conséquent plus insuportable du vôtre, plus le Seigneur estimera votre constance ; puisqu’au milieu des afflictioms vous adorerez ses jugemens, vous vous soumettrez à la Providence, qui tourne en bien les évenemens les plus facheux, & fait servir à notre salut la haine de nos ennemis.


CHAPITRE XV.
De quelques autres avis fort utiles pour sçavoir quelle est la maniere de bien combattre, quels ennemis on doit attaquer, & par quelle vertu on les peut vaincre.

VOus avez vû de quelle sorte il faut combattre, afin de pouvoir se vaincre soi-même, & acquérir les vertus. Mais pour remporter plus aisément & plus promptement la victoire, ne pensez pas que ce soit assez de combattre & de signaler son courage une seule fois ; il est nécessaire de retourner au combat, surtout contre l’amour propre, jusqu’à ce qu’on vienne à regarder comme ses amis, ceux dont on reçoit de plus cruels & de plus sanglans outrages. Il arrive très-souvent, comme j’ai déja dit, que ce combat étant négligé, les victoires sont difficiles, imparfaites, rares, de peu de durée. Combattez donc avec beaucoup de résolution, & ne vous excusez pas sur votre foiblesse naturelle. Car si vous manquez de forces demandez-en à notre-Seigneur, & il vous en donnera.

Songez de plus que si la fureur de vos ennemis est extrême, si la multitude en est innombrable ; l’amour que Dieu vous porte, est infiniment plus grand. Les Anges du Ciel qui vous défendent, les Saints qui intercedent pour vous, sont en beaucoup plus grand nombre.

Ces considérations ont tellement encouragé de simples femmes, qu’elles ont vaincu toute la sagesse du monde, résisté à tous les traits de la chair, triomphé de toute la rage du démon. C’est pourquoi vous ne devez point vous épouvanter, quoiqu’il vous semble que les efforts de tant d’ennemis sont difficiles à soutenir ; que cette guerre ne finira qu’avec votre vie, & que vous êtes ménacé de plusieurs endroits, d’une ruine presque certaine : Car il faut encore que vous sçachiez que ni les forces, ni les ruses de vos ennemis ne peuvent vous nuire, sans la permission de celui pour l’honneur duquel vous combattez. Et comme il aime extrêmement cette sorte de combat, comme il y exhorte autant qu’il peut tout le monde, non-seulement il ne souffrira pas que ceux qui ont conjuré votre perte, exécutent leurs mauvais desseins, mais il combattra pour vous, & vous donnera la victoire tôt ou tard, avec de grands avantages ; dût-il attendre jusqu’au dernier jour de votre vie.

Tout ce qu’il demande de vous, c’est que vous vous défendiez vaillamment ; & que quand vous seriez blessé en plusieurs rencontres, vous ne quittiez point pour cela les armes, ni ne preniez point la fuite. Au reste pour vous exciter à bien faire votre devoir, souvenez-vous que cette guerre est inévitable, & qu’il faut nécessairement combattre, ou mourir, Car enfin vous avez à faire à des ennemis si furieux & si opiniâtres, qu’il est impossible d’avoir jamais ni paix, ni treve avec eux.


CHAPITRE XVI.
Que dès le matin le Soldat Chrétien doit se préparer au Combat.

LA premiere chose que vous devez faire à votre réveil, c’est d’ouvrir les yeux de l’ame, & de vous considérer comme dans un champ de bataille, en présence de votre ennemis, & dans la nécessité, ou de combattre, ou de périr pour jamais. Figurez-vous donc devant vous cet ennemi, qui n’est autre chose qu’un vice, qu’une passion déréglée, dont vous tachez depuis quelque tems de vous défaire ; figurez-vous, dis-je, ce monstre furieux qui vient se jetter sur vous, pour vous dévorer. Représentez-vous en même tems à la droite de Jesus-Christ votre invincible Capitaine, accompagné de Marie & de Joseph, de plusieurs troupes d’Anges & de Bienheureux, & particulierement du glorieux Archange saint Michel : à la gauche, Lucifer avec ses Ministres, résolus de soutenir cette passion, ou ce vice, que vous avez à combattre, & de mettre tout en œuvre pour vous y faire succomber.

Cependant imaginez-vous entendre au fond du cœur la voix de votre Ange Gardien, qui vous parle de la sorte : c’est aujourd’hui que vous devez faire les derniers efforts pour vaincre cet ennemi, & tous ceux qui ont conspiré contre vous. Ayez bon courage ? Ne vous laissez vaincre, ni à une vaine frayeur, ni à quelque considération que ce soit ; parce que Jesus, votre Capitaine, est ici auprès de vous avec les Troupes de l’Armée Céleste, dans le dessein de vous défendre contre tous ceux qui vous font la guerre, & de ne permettre jamais qu’ils vous réduisent sous leur puissance, ni par force, ni par adresse. Demeurez ferme, & quelque peine que vous y trouviez, faites-vous violence : criez au Seigneur du plus profond de votre ame, invoquez continuellement Jesus & Marie, priez tous les Saints de vous sécourir, & ne doutez point après cela que vous ne gagniez la victoire.

Quelque foible que vous vous trouviez, quelques redoutables que vos ennemis vous paroissent, & pour leur nombre, & pour leurs forces, ne craignez rien ; car les Troupes qui viennent du Ciel à votre secours, sont plus nombreuses, que celles que l’enfer envoye pour vous ôter la vie de la grace. Le Dieu qui vous a créé, & qui vous a racheté, est Tout-puissant : il vous aime, il vous protége, & il a sans comparaison plus d’envie de vous sauver, que le démon n’en a de vous perdre.

Combattez donc vaillamment, ne vous lassez point de vous mortifier ; parce qu’en faisant une continuelle guerre à vos mauvaises inclinations, à vos habitudes vicieuses, vous remporterez enfin la victoire ; & par-là vous rentrerez dans le Royaume du Ciel, où l’ame demeure éternellement unie à son Dieu : Commencez dès maintenant à combattre au nom du Seigneur, ayant pour épée & pour bouclier, la défiance de vous-même, la confiance en Dieu, l’Oraison, l’exercice sainte de vos puissances spirituelles.

Avec ces armes vous attaquerez l’ennemi, je veux dire, cette passion dominante, que vous vous êtes proposé de vaincre, ou par un mépris généreux, ou par une ferme résistance, ou par des Actes reiterés de la vertu qui lui est contraire ; ou enfin par d’autres moyens que le Ciel vous fournira pour l’exterminer de votre cœur. Ne vous donnez point de repos, que vous ne l’ayez tout-à-fait domptée, vous mériterez par votre constance, de recevoir la couronne des mains du Souverain Juge, qui avec toute l’Eglise Triomphante, sera spectateur de votre combat.

Je vous le dis encore une fois, vous ne devez point vous ennuyer de cette guerre. Considérez seulement que tous les hommes sont obligés de servir Dieu, & de tâcher à lui plaire ; que c’est d’ailleurs une nécessité de combattre, puisqu’on ne peut prendre la fuite sans s’exposer à être blessé, & même à perdre la vie ; & qu’après tout, quand on voudroit se révolter contre Dieu, embrasser le parti du monde, s’abandonner aux plaisirs des sens, on ne seroit pas exempt de peine, puisqu’on auroit toujours à souffrir beaucoup malgré qu’on en eût, & dans le corps & dans l’ame, pour satisfaire sa sensualité & son ambition. Quelle plus grande folie que de ne pas craindre en ce monde, des peines très-rudes, qui sont suivies d’une éternité de tourmens ; de craindre quelques peines assez legéres, qui se terminent à une éternité de bonheur, à un repos où l’on jouit pour jamais de Dieu.


CHAPITRE XVII.
De l’ordre qu’il faut garder dans le combat contre les passions & les vices.

IL est d’une extrême conséquence que vous sçachiez l’ordre qu’il faut garder dans le combat contre les passions & les vices, pour ne pas agir en aveugles, ne pas donner de coups en l’air, comme font beaucoup de gens, qui perdent par-là presque tout le fruit de leurs peines.

Commencez donc par vous recuëillir en vous-même afin d’examiner soigneusement quelles sont pour l’ordinaire vos pensées & vos affections, quelle est la passion qui regne le plus en vous ; & c’est particulierement à celle-là, comme à votre plus grande ennemie, que vous devez déclarer la guerre. Que si le malin esprit voulant faire diversion, vous attaque par quelqu’autre endroit, il faut aller du côté que le danger est plus pressant, & revenir aussi-tôt à votre premiere entreprise.


CHAPITRE XVIII.
De quelle maniere on doit réprimer les mouvemens subtils des passions.

SI vous n’êtes pas encore bien accoutumé à supporter patiemment les injures, les affronts & les autres peines de cette vie, vous vous y accoutumerez en les prévoyant, & vous préparant de loin à les recevoir. Lors donc que vous aurez examiné de quelle nature est cette passion qui vous tourmente davantage, vous verrez ensuite quelles sont les personnes à qui vous avez affaire ; quels sont les lieux & les occasions, où vous vous trou- vez ordinairement, & vous connoitrez par-là ce qui peut vous arriver de facheux.

Que s’il vous survient quelque accident imprévu, outre qu’il vous servira de beaucoup de vous être précautionné contre de pareils sujets de mortification & de peine : voici encore un moyen de vous le rendre plus suportable. Dès que vous vous sentirez tant soit peu émû d’une injure qu’on vous aura fait sur le champ, d’une affliction qui vous sera arrivée contre votre attente ; prenez garde à vous, ne vous laissez pas aller au chagrin : songez d’abord à élever votre cœur à Dieu, & considérez que cet accident est un coup du Ciel ; que Dieu même, ce Pere si bon, ne vous l’envoye que comme un moyen de vous purifier davantage, & de vous unir plus étroitement à lui, & qu’il se plaît infiniment à vous voir souffrir avec joye les plus grandes adversités pour l’amour de lui.

Tournez-vous après cela vers vous-mêmes, & faites-vous de justes reproches. Lâche que tu es, comment as-tu si peu de courage, que de ne pouvoir porter une Croix qui te vient, non pas de cette personne, ou de cette autre, mais de ton Pere qui est dans le Ciel. Puis envisageant la Croix recevez-la, non-seulement avec soumission, mais même avec allégresse, en disant : O Croix, que la Providence divine m’a préparée, avant que je fusse au monde ; Croix, que l’amour du Nom de Jesus crucifié me rend plus douce que tous les plaisirs des sens, attachez-moi désormais à vous ; afin que par vous je puisse être uni à celui qui m’a racheté, en mourant entre vos bras.

Que si la passion vous trouble tellement d’abord, qu’elle vous mette hors d’état d’élever votre esprit à Dieu, & que même votre volonté en reçoive quelque atteinte, gardez-vous bien de le laisser aller plus avant ; & quelque désordre qu’elle ait pû causer dans votre cœur, ne laissez pas de faire tous vos efforts pour la vaincre, en implorant avec ferveur le secours du Ciel. Après tout, la voye la plus sûre pour arrêter ces premieres saillies des passions, est d’essayer de bonne heure d’en ôter la cause. Si vous remarquez, par exemple, que pour avoir trop d’attache à quelque chose, vous vous mettez en colere toutes les fois que l’on s’oppose à vos inclinations, rompez cette attache, & vous joüirez toujours d’un parfait repos.

Mais si le trouble que vous ressentez, vient non d’un amour déréglé pour quelque objet agréable, mais d’une aversion naturelle pour une personne en qui tout vous choque, & dont les moindres actions vous déplaisent, le grand remede à ce mal, est que malgré votre antipathie, vous tachiez d’aimer cette personne, non seulement, parce que c’est une créature formée de la main de Dieu, & rachetée du précieux Sang de Jesus-Christ, aussi-bien que vous, mais parce qu’en suportant avec douceur ses défauts, vous pouvez vous rendre semblable au Pere céleste, qui a de l’amour & de la bonté généralement pour tous.


CHAPITRE XIX.
De quelle sorte il faut combattre le vice de l’impureté.

VOus devez combattre ce vice d’une maniere particuliere, & avec plus de vigueur que les autres, Pour le bien faire, il faut distinguer trois tems : le premier, avant que d’être tenté ; le second, pendant que l’on est tenté ; le troisiéme, quand la tentation est passée.

Avant que la tentation vienne. 1. On doit employer tous ses soins à en prévenir jusqu’aux moindres occasions, & à s’éloigner des personnes dont le commerce est dangereux. Que par malheur on est obligé de traiter avec ces sortes de personnes, il faut qu’on le fasse le plus vîte qu’on pourra, avec un visage modeste, avec des paroles graves, & d’un air plûtôt sérieux, que familier & enjoüé.

Ne présumez point de vous-mêmes sur ce que durant plusieurs années que vous avez vécu dans le monde vous n’avez presque jamais sçû ce que c’est que l’aiguillon de la chair. Car le démon de l’impureté fait en une heure, ce qu’il n’a pas fait en plusieurs années. Il est quelquefois longtems à préparer ses machines ; mais les coups qu’il donne, sont d’autant plus rudes, les playes qu’il fait, sont d’autant plus dangéreuses, qu’il sçait l’art de se contrefaire & de tuer en flatant.

Il est même à remarquer, & l’expérience journaliere le montre, que le péril n’est jamais plus grand, que lorsqu’on fait, ou qu’on entretient de certaines liaisons, où il ne paroît rien de mal, parce qu’elles sont fondées sur des raisons spécieuses, ou de parenté, ou de gratitude, ou de quelqu’autre devoir, ou sur le mérite de la vertu de la personne qu’on aime, L’amour impur se glisse insensiblement dans ces amitiés, par des visions fréquentes, par des conversations trop longues, par des familiarités indiscretes ; jusqu’à ce qu’enfin le poison gagne le cœur, & la raison s’obscurcit de sorte, que l’on ne compte pour rien des œillades peu modestes, des paroles tendres, des entretiens libres & pleins de railleries ; d’où naissent des tentations très-rudes & très-difficiles à vaincre.

Fuyons donc ayant toutes choses l’occasion du peché, parce que vous êtes comme de la paille auprès d’un grand feu, & ne vous fiez point à votre vertu, ni à la résolution que vous avez prise de mourir plûtôt que d’offenser Dieu ; car quelque bonne volonté que vous ayez, l’amour sensuel qui s’allume dans ces conversations douces & fréquentes, s’embrasera tellement que rien ne sera capable de l’éteindre. Le desir violent d’assouvir votre passion, vous empêchera d’écouter les remontrances de vos amis : vous perdrez la crainte de Dieu : vous mépriserez l’honneur & la vie : les feux mêmes de l’enfer n’étoufferont pas les flammes impures dont vous brûlerez. Cherchez donc votre salut dans la fuite, autrement vous serez surpris, & la peine d’une confiance présomptueuse sera la mort éternelle.

2. Soyez ennemi de l’oisiveté : pensez à ce qui est de votre devoir, n’oubliez rien pour satisfaire aux obligations essentielles de votre état.

3. Obéissez avec joye & sans résistance à vos Supérieurs ; exécutez promptement tout ce qu’ils vous commanderont ; & que les choses les plus humiliantes & les plus contraires à votre inclination, soient toujours celles que vous embrassiez avec plus d’ardeur.

4. Gardez-vous bien de juger témérairement de votre prochain, surtout en matiere d’impureté. Que s’il est tombé par malheur en quelque désordre, & que sa chûte soit publique, ne le traitez pas pour cela avec mépris ; ne vous fachez pas contre lui, mais ayez pitié de sa foiblesse, & tachez d’en profiter, en vous humiliant devant Dieu ; en confessant que vous n’êtes que poussiere, que bouë, & qu’un pur néant ; en redoublant vos prieres, en fuyant avec plus de soin que jamais tout commerce dangéreux, pour peu suspect qu’il puisse être. Car si vous êtes trop prompt à juger désavantageusement de vos freres, Dieu pour vous punir, & pour vous corriger tout ensemble, permettra que vous tombiez dans les mêmes fautes que vous condamnés ; & par cette humiliation, reconnoissant votre orgueil & votre imprudence, vous chercherez des remedes à l’un & à l’autre.

Mais quand vous pourriez éviter ces chûtes honteuses, sçachez néanmoins que si vous continuez à former des jugemens & des soupçons téméraires, vous serez toujours en grand danger de périr.

5. Si vous vous sentez le cœur rempli de délices & de consolations spirituelles, n’en ayez pas en vous-mêmes de secrettes complaisances : ne vous imaginez pas être arrivé au comble de la perfection, ni que l’ennemi soit hors d’état de vous nuire, parce qu’il vous semble n’avoir plus pour lui que du mépris, de l’aversion & de l’horreur. Assûrez-vous que sans une extrême circonspection, vous aurez bien de la peine à vous empêcher de tomber.

Venons maintenant à ce qui regarde le tems de la tentation. Il faut voir d’abord si la cause d’où elle procede est intérieure ou extérieure.

Par la cause extérieure, j’entends la curiosité, soit des yeux, soit des oreilles, sur des choses peu honnêtes, la délicatesse, le luxe & les habits, les amitiés trop naturelles, des conversations trop libres. On remedie à ce mal par la pudeur & la modestie, qui tient les yeux & les oreilles fermées aux objets capables de soüiller l’imagination. Mais le souverain remede est la fuite, ainsi que nous avons dit.

La cause intérieure vient d’un excès d’embonpoint, ou d’une foule de pensées mauvaises, qui sont les effets de nos méchantes habitudes, ou de la suggestion du démon.

Le corps accoutumé à la bonne chere & à la molesse, doit être mortifié par les jeûnes, par les disciplines, par les cilices, par les veilles, & par toutes sortes d’austérités, sans néanmoins passer les bornes de la discrétion, ni de l’obéissance.

Pour le regard des pensées impures, de quelque principe qu’elles viennent, on peut s’en défaire. 1. Par une sérieuse aplication aux exercices propres de son état. 2. Par l’Oraison & la Méditation.

L’Oraison se fera en cette maniere. Dès que ces sortes de pensées vous viendront dans l’esprit, & que vous commencerez à en sentir l’impression, recueillez-vous en vous-mêmes, & vous adressant à Jesus crucifié, dites-lui : O mon doux Jesus, hâtez-vous de venir à mon secours, de crainte que je ne tombe entre les mains de mes ennemis. Quelquefois embrassant la Croix, ou Jesus est attaché, baisez mille fois les playes sacrées de ses pieds, & dites avec confiance & avec amour : O playes adorables, ô playes infiniment saintes, imprimez votre figure dans mon cœur, dans ce cœur si plein d’abomination, & préservez moi du peché.

Pour ce qui est de la Méditation, je ne vous conseille pas, lorsque la tentation vous presse & vous tourmente le plus, de faire ce que quelques livres enseignent pour donner de l’horreur de l’impureté : de considérer, que ce vice est très-honteux, qu’il est insatiable, qu’il traine après soi une infinité de dégoût, de déplaisirs, de chagrins, & quelquefois même la perte des biens, de la santé, de la vie & de l’honneur, &c. La raison est que ces sortes de considérations ne sont pas de trop bons moyens pour nous tirer du péril ; mais que souvent elles ne font que nous y engager davantage : parce que si d’un côté l’entendement chasse les pensées mauvaises, il les rappelle de l’autre, & met toujours la volonté en danger d’y consentir.

Ainsi la voye la plus sûre pour nous en défaire, est d’éloigner de notre pensée, non-seulement les objets impurs, mais même ceux qui leur sont contraires ; parce qu’en nous efforçant de les dissiper par ceux qui leur sont contraires, nous y pensons malgré nous, & en conservons les images : contentez-vous donc de méditer sur la Vie & sur la Passion de notre-Seigneur ; & si durant ce saint exercice les mêmes pensées vous reviennent si elles vous font plus de peine qu’auparavant, comme cela peut arriver, ne vous découvrez pas, ni ne quittez pas la Méditation ; bien loin de faire de grands efforts pour les chasser, méprisez-les comme venant du démon, & non pas de vous : continuez seulement à méditer avec toute l’attention possible sur la mort de votre Sauveur, parce qu’il n’est rien de plus puissant pour repousser l’esprit immonde, quand même il seroit déterminé à vous faire éternellement la guerre.

Vous finirez votre méditation par cette priere, ou par quelqu’autre semblable. O mon Créateur & mon Rédempteur, délivrez-moi de mes ennemis par votre infinie bonté, & par les mérites de votre sainte Passion. Mais souvenez-vous en disant cela de ne point penser au vice, dont vous essayez de vous défendre, parce que la moindre idée en est dangereuse. Surtout prenez garde de ne point perdre de tems à disputer avec vous-même, pour sçavoir si vous avez consenti ou non à la tentation. Car cette sorte d’examen est une invention de l’ennemi, qui sous prétexte d’un bien aparent, d’une obligation chimérique, veut vous donner de l’inquiétude, ou qui espere du moins de vous faire prendre quelque plaisir à ces images impures, dont il vous occupe l’esprit.

Lors donc qu’il ne paroît pas clairement que vous avez consenti au mal, il vous doit suffire de déclarer en peut de mots à votre Pere spirituel tout ce que vous en sçavez ; & selon ce qu’il vous dira, tenez-vous l’esprit en repos, & n’y pensez plus. Mais découvrez-lui fidelement tout le fond de votre cœur, sans que jamais vous lui cachiez rien, ni par une mauvaise honte, ni par quelqu’autre raison que ce soit. Car si l’humilité vous est nécessaire, pour vaincre généralement vous vos ennemis, combien devez-vous en avoir besoin pour vous délivrer de ce vice, qui est presque toujours un châtiment de l’orgueil !

Enfin, quand la tentation est passée, voici ce que vous avez à faire. Quoique vous joüissiez d’une grande paix, & que vous croyez être en assûrance, fuyez néanmoins tant que vous pourrez les objets qui ont fait naître la tentation, & ne souffrez point qu’ils entrent dans votre esprit, sous quelque couleur que ce soit, ou de vertu, ou d’un bien imaginaire que vous prétendez en tirer. Car ces sortes de prétextes sont des tromperies de la nature corrompuë, & des pieges du démon, qui contrefait l’Ange de lumiere, pour vous entraîner avec lui dans les ténebres extérieures, qui sont celles de l’enfer.


CHAPITRE XX.
De la maniere de combattre le vice de la paresse.

IL importe extrêmement de faire la guerre à la paresse, parce que ce vice, non-seulement nous détourne du chemin de la perfection, mais nous livre, pour ainsi parler, entre les mains des ennemis de notre salut. Si vous voulez donc le combattre tout de bon, commencez par fuir toutes sortes de curiosités & de vains amusemens, détachez votre affection des choses du monde, quittez toutes les occupations qui ne conviennent pas à votre état. Tachez ensuite d’être diligent à répondre aux inspirations du Ciel, à exécuter les ordres de vos Supérieurs, & à faire toutes choses dans le tems & de la maniere qu’ils le souhaitent : ne differez pas un seul moment à accomplir ce qu’on vous ordonne : songez que le premier retardement en attire un autre, & celui-ci un troisiéme ; & qu’on recule toujours, parce que la crainte de la peine s’augmente de plus en plus, & que l’amour du repos croit à mesure qu’on en goûte la douceur. De-là vient que lorsqu’il faut travailler, on s’y met le plus tard qu’on peut, ou qu’on s’en dispense tout à fait, tant on a d’aversion pour le travail.

Ainsi l’habitude de la paresse vient à se former, & on a peine à s’en défaire, à moins que la honte d’avoir vêcu dans une extrême non-chalance, ne fasse enfin prendre la résolution d’être à l’avenir plus laborieux & plus diligent.

Mais remarquez que la paresse est un poison qui se répand dans toutes les puissances de l’ame ; qui n’infecte pas seulement la volonté, en lui faisant haïr le travail, mais l’entendement, en l’aveuglant de telle sorte, qu’il ne voit que les résolutions des paresseux sont pour la plûpart sans effet ; & que ce qu’ils devroient faire sur l’heure, ils ne le font point du tout, ou le remettent à un autre tems.

Remarquez de plus, qu’il ne suffit pas de faire vîte & sans délai, ce qu’on a à faire, mais qu’il faut choisir le tems que la nature de l’action demande ; & quand on l’a fait, y aporter un extreme soin pour lui donner toute la perfection dont elle est capable. Car enfin, ce n’est pas la marque d’une véritable diligence, mais d’une paresse fine & artificieuse, que de faire avec précipitation les choses dont on est chargé, sans se mettre en peine qu’elles soient bien faites, pourvû que l’on en soit quitte au plûtôt, & que l’on ait plus de tems à se reposer. Ce désordre vient de ce qu’on ne considere pas assez de quel prix est une bonne œuvre, lorsqu’on la fait en son tems, & qu’on passe pardessus toutes les difficultés, que la paresse opose à ceux qui commencent de faire la guerre à leurs vices.

Considérez donc souvent, qu’une seule aspiration, qu’une Oraison jaculatoire, qu’une génuflexion, que la moindre marque de respect pour la Majesté divine, est quelque chose de plus estimable que tous les trésors de la Terre ; & qu’à chaque fois qu’un homme se mortifie en quelque chose, les Anges du Ciel lui apportent une couronne pour récompense de la victoire qu’il a gagné sur lui-même. Songez au contraire, que Dieu ôte peu à peu ses graces aux tiédes, qui les négligent, & qu’il en comble les fervens qui en profitent, afin qu’un jour ces fideles serviteurs puissent entrer dans la joye de leur Seigneur[7].

Mais si au commencement vous ne vous sentez pas assez de forces pour suporter tous les travaux & toutes les peines qui se présentent dans la voye de la perfection, il faut que vous ayez l’adresse de vous les cacher à vous-mêmes, desorte que vous les trouviez beaucoup moindres que les paresseux ne se les figurent. Si donc il est nécessaire pour acquérir une vertu, que vous en fassiez beaucoup d’Actes ; que vous vous y exerciez durant plusieurs jours ; que vous combattiez contre un grand nombre d’ennemis puissans, qui traversent vos bons desseins, commencez à former ces Actes, comme si vous en aviez peu à faire ; travaillez comme si votre travail ne devoit pas durer longtems ; attaquez vos ennemis l’un après l’autre, comme si vous n’en aviez qu’un seul à combattre, & soyez sûr qu’avec la grace de Dieu, vous serez plus fort qu’eux tous : vous viendrez par ce moyen, à vous délivrer du vice de la paresse, & à acquérir la vertu contraire.

Pratiquez la même chose dans l’Oraison. Si votre Oraison doit durer une heure, & que ce tems vous paroisse long, proposez-vous seulement de prier un demi-quart d’heure, & de ce demi-quart d’heure passant à un autre, il ne vous sera pas mal-aisé de remplir enfin l’heure toute entiere. Que si au second, ou au troisiéme demi-quart d’heure, vous sentez une trop grande répugnance à la priere, n’allez pas jusqu’à vous en dégoûter tout-à-fait, mais discontinuez un peu ce saint exercice, l’interruption ne vous nuira point, pourvû que vous le repreniez peu de tems après.

Usez-en de même à l’égard des œuvres extérieures & du travail temporel. S’il vous semble que vous ayez trop de choses, ou des choses trop difficiles à faire, & que par un excès de lâcheté, vous en ressentiez du chagrin, commencez toujours par la premiere, sans songer aux autres ; appliquez-vous-y avec tout le soin possible : car faisant bien celle-là, il n’y en aura aucune dont vous ne veniez à bout avec moins de peine que vous ne croyez. Allez aussi au-devant des difficultés qui se rencontrent, & ne fuyez jamais le travail. Craignez seulement que la paresse ne s’augmente en vous, jusqu’à vous rendre insuportables les peines qui accompagnent les premieres exercices de la vertu, & qu’avant mêmes qu’elles viennent, vous n’en conceviez de l’horreur.

C’est ce qui arrive aux ames lâches & timides. Car elles apréhendent toujours l’ennemi, quelque foible, & quelque éloigné qu’il soit, elles s’imaginent qu’on va à toute heure leur commander des choses facheuses, & ces vaines craintes leur causent du trouble au milieu même de leur repos. Sçachez donc qu’il y a dans ce vice un poison caché, qui non-seulement étouffe les premieres sémences de vertu, mais qui détruit même les vertus déja formées. Sçachez que ce que le ver fait dans le bois, il le fait dans la vie spirituelle, & que c’est par lui que le démon a coutume de faire tomber dans ses pieges la plûpart des hommes, principalement de ceux qui aspirent à la perfection.

Veillez sur vous-même, adonnez-vous à l’Oraison & aux bonnes œuvres ; n’attendez pas à vous faire une robe nuptiale, lorsqu’il faudra que vous en soyez revêtu, pour aller au devant du divin Epoux. Souvenez-vous chaque jour, que celui qui a daigné vous conserver jusqu’au matin, ne vous promet pas de vous faire vivre jusqu’au soir ; & que s’il a eu la bonté de vous conserver jusqu’au soir, il ne vous assure pas que vous vivrez jusqu’au lendemain. Employez donc saintement chaque heure du jour, comme si c’étoit la derniere ; ne pensez qu’à plaire à Dieu, & craignez toujours ce compte si rigoureux, qu’il faut lui rendre de tous les momens de votre vie.

Je n’ai plus qu’un mot à vous dire. Quoique vous ayez beaucoup travaillé, que vous ayez expédié bien des affaires, croyez néanmoins que la journée est perduë pour vous, que toutes vos peines sont inutiles, si vous n’avez pû remporter plusieurs victoires sur vos passions, & sur votre propre volonté ; si vous avez négligé de remercier Dieu de ses dons, & particulierement de la grace qu’il vous a faite de mourir pour vous ; si vous n’avez pas reçû comme des faveurs les châtimens que ce Pere infiniment bon vous a envoyez pour l’expiation de vos crimes.


CHAPITRE XXI.
Du bon usage des sens extérieurs, & comment on peut les faire servir à la contemplation des choses divines.

ON ne peut sans un grand soin & une aplication continuelle, régler comme il faut les sens extérieurs, parce que l’apétit sensitif d’où naissent tous les mouvemens de la nature corrompuë, aime éperduëment le plaisir. Et comme il ne peut de lui-même se satisfaire, il employe les sens pour attirer à soi leurs objets, dont il fait passer les images jusqu’à l’esprit. C’est de-là que vient le plaisir sensuel, qui, par la communication qu’ont entre eux l’esprit & la chair ; s’étant répandu d’abord dans tous les sens, qui en sont capables, infecte ensuite comme un mal contagieux les puissances spirituelles, & corrompt enfin l’homme tout entier.

Voici les remedes qu’on peut aporter à un si grand mal. Ne donnez point trop de liberté à vos sens : ne vous en servez jamais que pour une bonne fin, pour quelque chose d’utile, ou de né cessaire, & non pour la volupté. Que s’ils s’échapent sans que vous vous en aperceviez ; s’ils passent les bornes que la raison leur prescrit, ayez soin de les ramener au plûtôt : réglez-les de telle sorte, qu’au lieu qu’ils avoient accoutumé de s’attacher à de vains objets, pour y trouver quelques faux plaisirs, il s’accoutume à tirer des mêmes objets de grands secours pour le salut & la perfection de l’ame ; & que l’ame se recueillant en elle-même, s’éleve ensuite par la connoissance des choses créées à la contemplation des grandeurs de Dieu : ce qui se peut pratiquer en cette maniere.

Lorsqu’un objet agréable se présente à un de vos sens, ne regardez pas ce qu’il a de matériel, mais considérez-le avec les yeux de l’esprit ; & si vous y apercevez quelque chose qui flate vos sens, songez qu’il ne le tient pas de lui-même, mais qu’il l’a reçû de Dieu ; que c’est Dieu qui d’une main invisible l’a créé, & qui lui donne tout ce que vous admirez de beau & de bon. Après cela réjouissez-vous de voir que cet Être souverain & indépendant, est le seul Auteur de tant de rares qualités qui vous charment dans les créatures ; qu’il les contient toutes éminemment, & que la plus excellente n’a rien qui aproche de ses perfections infinies.

Lorsque vous vous arrêtez à contempler quelque bel ouvrage du Créateur, souvenez-vous que de soi-même il n’est rien, pensez à l’Ouvrier qui l’a fait, mettez en lui seul toute votre joye, & dites-lui : O mon Dieu, ô l’objet de tous mes desirs, ô mon unique bonheur, que j’ai de joye quand je considere que tout ce qu’il y a de perfections dans les créatures, n’est que l’image des vôtres, & que vous en êtes la source.

Lorsque vous voyez des arbres, des plantes, des fleurs, ou d’autres choses semblables, songez que la vie qu’elles ont ne vient pas d’elles, mais de cet Esprit tout-puissant, qu’on ne voit point, qui seul les fait vivre, auquel vous direz : O Dieu vivant, ô toute la joye de mon ame, ô vie souveraine, c’est de vous, c’est en vous & c’est par vous que tout vit & croit sur la Terre.

En voyant des animaux, élevez aussi votre esprit & votre cœur à celui qui leur donne le sentiment & le mouvement ; dites-lui avec respect & avec amour : Grand Dieu, qui remuez toutes choses dans le monde, & qui demeurez toujours immobile, je me réjouis de ce que vous êtes éternellement dans le même état, sans pouvoir souffrir aucun changement.

Quand vous vous sentez épris de la beauté des créatures, séparez incontinent ce que vous voyez de ce que vous ne voyez pas ; laissez le corps & attachez-vous à l’esprit : considérez que tout ce qui paroît de beau à vos yeux, vient d’un principe invisible, qui est la Beauté incréée. Dites en vous-même : voilà des petits ruisseaux de cette source inépuisable, de cet Océan immense, d’où découlent une infinité de biens. O que mon ame ressent de plaisir, lorsque je pense à cette beauté éternelle, qui est la cause de toute beauté créée !

Quand vous voyez une personne doüée de sagesse, de justice, de bonté, ou de quelqu’autre vertu, distinguez pareillement ce qu’elle a de foi d’avec ce qu’elle a reçû du Ciel, & dites à Dieu : O Dieu des vertus, je ne puis vous exprimer le contentement que j’ai, quand je considere qu’il n’est aucun bien, qui ne procede de vous, & que toutes les perfections des créatures ne font rien en comparaison des vôtres. Je vous rends mille actions de graces, Seigneur, pour ce bien, & généralement pour tous les biens que vous avez faits à mon prochain & à moi. Ayez pitié de ma pauvreté, souvenez-vous que j’ai grand besoin d’une telle, & d’une telle vertu qui me manque.

Lorsque vous faites quelque bonne action, pensez que c’est Dieu qui en est la premiere cause, & que vous n’êtes que l’instrument dont il se sert pour agir ; élevez les yeux vers lui, en disant : O souverain Maître du monde, c’est avec une extrême joye que je reconnois, que sans vous je ne puis rien, & que vous êtes le premier & le principal ouvrier de toutes choses.

Quand vous mangez de quelque viande que vous aimez, faites cette réflexion, qu’il n’y a que le Créateur capable de lui donner ce goût que vous y trouvez, & qui vous paroît si agréable : mettez en lui seul tous vos délices, & dites-vous à vous-même : O mon ame, réjouis-toi de voir, que comme il n’y a point de solide contentement hors de Dieu, aussi trouve-t-on en Dieu un parfait bonheur.

Lorsque vous sentez quelque douce odeur, gardez-vous bien de vous attacher au plaisir que vous y prenez ; montez en esprit au Ciel, & persuadé que c’est Dieu qui est la cause de cette odeur, réjouissez-vous-en avec lui, priez-le qu’étant le principe de toute douceur, il fasse ensorte que votre ame dégagée des plaisirs sensuels, n’ait rien qui l’empêche de s’élever jusqu’à lui, comme la fumée d’un agréable parfum.

Enfin quand vous entendez quelque beau concert, pensez à Dieu, & lui dites : O mon Dieu, j’ai le cœur comblé de joye, lorsque je songe à vos divines perfections, qui jointes ensemble, font une excellente harmonie, non-seulement dans vous-même, mais dans les Anges, dans les Cieux, & dans toutes les Créatures.


CHAPITRE XXII.
Comment les choses sensibles nous aident à méditer sur ces Mystéres de la vie, & de la Passion de Notre-Seigneur.

JE vous ai montré comment on peut s’élever de la considération des choses sensibles à la contemplation des grandeurs de Dieu : aprenez maintenant à vous servir de ces mêmes choses, pour vous remettre dans l’esprit les sacrés Mystéres de la Vie & de la Passion de Notre-Seigneur. Il n’y a rien dans l’Univers qui ne soit propre à vous en rafraîchir la mémoire.

Considérez donc seulement que Dieu, ainsi que nous avons dit, est le principe de toutes choses, que c’est lui qui a donné aux Créatures, mêmes les plus nobles, l’être, la beauté, & toutes les perfections qu’elles ont. Admirez ensuite l’infinie bonté de ce souverain Maître du monde, qui a daigné s’abaisser jusqu’à se faire homme, & à souffrir une mort honteuse pour votre salut, en permettant que ses propres Créatures conspirassent contre lui, pour le crucifier. Mais si vous voulez venir au détail de ses travaux & de ses souffrances, de quelque côté que vous vous tourniez, vous en verrez des figures.

Si, par exemple, vous voyez des armes, des foüets, des cordes, des épines, des roseaux, des cloux, des marteaux, vous vous représenterez ceux qui furent les instrumens de la Passion & de la Mort. Une maison pauvre vous fera penser à l’Etable & à la Crêche où il nâquit. La pluye qui tombe du Ciel, & qui se répand sur la Terre, vous remettra en mémoire les ruisseaux de sang dont il arrosa le Jardin des Olives : toutes les pierres vous seront autant d’images, de celles qui se fendirent à sa mort. En regardant ou le Soleil, ou la Terre, vous songerez que quand il mourut, la terre trembla & le Soleil s’obscurcit. En voyant de l’eau, vous vous souviendrez de celle qui coula de son côté, & ainsi de mille autres choses qui se présenteront à vos yeux.

Si vous bûvez du vin, ou de quelque autre liqueur, proposez-vous le vinaigre & le fiel, dont cet aimable Sauveur fut abreuvé par ses Ennemis. Si vous prenez trop de plaisir à l’odeur de quelque parfum, figurez-vous la puanteur des corps morts, qu’il sentit sur le Calvaire. En vous habillant, considérez qu’étant le Fils de Dieu, il s’est revêtu de notre chair, pour nous revêtir de la Divinité. En vous deshabillant, imaginez-vous le voir dépouillé & tout nud entre les mains des Bourreaux, prêt à être fouetté & attaché à une Croix pour l’amour de vous. Quand vous entendez quelque bruit confus, croyez entendre ces cris effroyables d’une populace mutinée contre son Seigneur : Otez-le du monde, ôtez-le du monde : Crucifiez-le, crucifiez-le.

Toutes les fois que l’horloge sonnera, pensez à ce battement de cœur, que Jesus sentit dans le Jardin, lorsqu’il fut saisi d’une mortelle frayeur, à la vûë des cruels tourmens qu’on lui préparoit ; ou bien songez aux coups de marteau que les Soldats lui donnerent, en le clouant à la Croix. Enfin quelques peines & quelques douleurs que vous enduriez, ou que vous voyiez endurer aux autres, tenez pour certain qu’elles ne sont rien en comparaison de celles que votre Sauveur souffrit, & dans le corps & dans l’ame, durant tout le cours de la Passion.


CHAPITRE XXIII.
De quelques autres moyens de faire dans les rencontres un bon usage des sens extérieurs.

APrès vous avoir montré comment on doit élever son esprit des choses sensibles aux choses de Dieu & aux Mystéres de la Vie de Jesus-Christ, je veux encore vous enseigner d’autres moyens d’en tirer divers sujets de méditations, afin que comme les goûts sont différens, chacun trouve ici de quoi satisfaire la dévotion : ce qui sera d’une grande utilité, non-seulement aux personnes simples, mais mêmes aux plus spirituelles, qui ne vont pas toutes par la même voye à la perfection, qui ne suivent pas la même conduite, & qui ne sont pas également nées pour les plus hautes spéculations. Au reste, ne craignez point que cette grande diversité de pratique vous cause de l’embarras & du trouble : tâchez seulement d’un user avec discrétion : consultez quelque sage Directeur : abandonnez vous entre ses mains avec beaucoup d’humilité & de confiance, non-seulement pour ce qui regarde ce que je vais dire, mais pour tout ce que je dirai dans la suite.

Lors donc que vous jetterez les yeux sur des choses qui vous plaisent, & dont on fait cas dans le monde, persuadez-vous que de soi elles sont viles comme de la bouë, qu’elles ne sont rien en comparaison des biens du Ciel, où vous devez aspirer sans cesse en foulant aux pieds tout le reste.

Quand vous regardez le Soleil, songez que votre ame ornée de la grace est beaucoup plus belle & plus lumineuse que tous les Astres ensemble, & que sans la grace elle est plus noire & plus affreuse que les ténebres de l’enfer. En considérant le Ciel, qui est au-dessus de vous, montez en esprit jusqu’à l’Empirée, & demeurez-y comme dans le lieu où vous regnerez à jamais, si vous vivez innocemment & saintement sur la terre.

Quand vous entendez chanter les oiseaux, souvenez-vous du Paradis, où l’on ne cesse de chanter à Dieu des Cantiques de louanges : priez en même-tems le Seigneur qu’il vous rende digne de le louer éternellement en la compagnie des Esprits célestes.

Lorsque la beauté des créatures vous charme, figurez-vous le Serpent infernal, qui caché sous ces dehors éclatans, tache de vous mordre & de vous ôter la vie de la grace. Dites-lui avec une sainte indignation : Va, maudit Serpent, c’est envain que tu te cache pour me nuire. Puis en vous tournant vers Dieu : Soyez béni, lui direz-vous, de ce qu’il vous a plû me découvrir mon ennemi, & me sauver de ses embûches. Après cela, retirez-vous dans les playes de votre Sauveur, comme en un asile assuré : occupez-y votre esprit des douleurs inconcevables qu’il a souffertes dans sa chair sacrée, pour vous garantir du peché, & pour vous donner de l’horreur des plaisirs sensuels.

Voici encore un moyen de fuir les attraits des beautés créées ; c’est de penser quels seront après la mort ces objets, qui vous paroissent maintenant si beaux. Quand vous marchez, prenez garde qu’à chaque pas, que vous faites, vous vous approchez de la mort. Le vol d’un oiseau, le cours d’un fleuve impétueux vous avertit que vos jours s’écoulent encore plus vîte : un tourbillon qui renverse tout, un tonnerre qui fait tout trembler, vous représente le jour effroïable du Jugement, & semble vous dire qu’il faut fléchir le genouil devant votre Juge, qu’il faut l’adorer & le prier humblement qu’il vous aide à vous préparer de bonne heure pour paroître devant lui avec assûrance.

Mais si vous voulez profiter d’une infinité d’accidens, à quoi cette vie est sujette, voici ce que je vous conseille de faire. S’il arrive, par exemple, que vous souffriez du chaud, ou du froid, ou quelque semblable incommodité ; que vous vous trouviez accablé de douleur ou de tristesse, envisagez l’ordre immuable de la Providence divine, qui a voulu pour votre bien que vous enduriez présentement cette peine, & qui sçait la proportionner à vos forces. Par ce moïen, vous reconnoîtrez avec joye l’amour tendre & paternel que le Seigneur a pour vous, & vous en avez une preuve bien sensible dans l’occasion qu’il vous donne de le servir de la maniere qui lui est la plus agréable.

Vous voyant donc en état de lui plaire plus que jamais, vous direz : C’est maintenant que s’accomplit en moi la volonté de celui, qui par la miséricorde a ordonné avant tous les siecles, que je souffrisse aujourd’hui cette mortification. Qu’il en soit éternellement béni. Quand il vous vient quelque bonne pensée, croyez fermément que c’est de Dieu qu’elle vient, & rendez-en de très-humbles actions de graces à ce Pere des lumieres. Quand vous lisez quelque livre de pieté, imaginez-vous que c’est l’Esprit saint qui vous parle, & que c’est lui-même qui l’a composé.

Quand vous regardez la Croix considérez-la comme l’étendart de Jesus-Christ, votre Capitaine ; & sçachez que pour peu que vous en éloignez, vous tomberez entre les mains de vos plus cruels ennemis ; au lieu que si vous le suivez, vous vous rendrez digne d’entrer un jour la palme à la main, & en triomphe dans le Ciel.

Quand vous voyez une image de la Sainte Vierge, offrez votre cœur à cette Mere de miséricorde ; témoignez-lui votre joye, de ce qu’elle a toujours accompli avec une diligence & une fidelité extrême, la divine Volonté ; de ce qu’elle a mis au monde votre Sauveur, & l’a nourri de son lait. Enfin remerciez-la du secours qu’elle donne à ceux qui l’invoquent dans les combats contre le démon. Toutes les images des Saints vous feront ressouvenir de ces généreux Soldats de Jesus-Christ, qui en combattant vaillamment jusqu’à la mort, vous ont frayé le chemin, que vous devez suivre pour arriver à la gloire.

En quelque tems que vous entendiez sonner la cloche, pour dire trois fois la Salutation Angelique, vous pouvez faire quelque sorte de méditation ou de réflexion sur les paroles qui se disent avant chaque Ave Maria. Au premier coup, remerciez Dieu de la célebre ambassade qu’il envoya à Marie, & qui fut le commencement de l’ouvrage de notre Rédemption. Au second, réjouissez-vous avec Marie de la haute dignité, où Dieu l’éleva en récompense de sa très-profonde humilité. Au troisiéme, adorez le Verbe nouvellement incarné, & rendez en même tems à sa bienheureuse Mere, & à l’Archange saint Gabriel l’honneur qu’ils méritent. A chaque coup, il est bon de faire une inclination de tête, pour marque de révérence, & particulierement au dernier.

Tous ces Actes se pratiqueront également en tout tems. Mais en voici d’autres plus propres à certaines heures du jour, au soir, au matin, & à midi, & qui regardent le Mystere de la Passion de notre-Seigneur. Car nous sommes obligés de penser souvent au cruel martyre que la Vierge souffrit alors, & ce seroit une étrange ingratitude, si nous y manquions.

Au soir, représentez-vous la douleur qu’elle ressentit de la sueur du sang, & de la prise de Jesus dans le Jardin des Olives, & de ses peines intérieures durant toute cette nuit. Au matin compatissez à son affliction, de voir ce cher Fils que l’on conduisoit ignominieusement à Pilate & à Herode ; que l’on condamnoit à mort & que l’on forçoit de porter lui-même la Croix, en allant au lieu du suplice. A midi, figurez-vous le glaive de douleur qui perça l’ame de cette Mere affligée, lorsqu’à ses yeux on le crucifia, & qu’il mourut ; & que même après sa mort on lui ouvrit le côté avec une lance.

Vous pourrez faire ces pieuses réflexions sur les douleurs de la Sainte Vierge, depuis le Jeudi au soir jusqu’au Samedi suivant à midi ; & les autres vous les ferez en d’autres jours, Suivez pourtant votre dévotion particuliere, selon que vous vous sentirez ému par les objets extérieurs.

Enfin, pour vous dire en peu de mots comment vous devez user de vos sens, tachez de les gouverner, desorte que vous ne donniez jamais entrée dans votre cœur, ni à l’amour, ni à l’aversion naturelle des choses qui se présentent, mais que vous régliez toutes vos inclinations sur la volonté Divine, n’embrassant & ne rejettant que ce que Dieu veut que vous embrassiez, & que vous rejettiez.

Remarquez au reste, qu’à l’égard de ce grand nombre de pratiques différentes que je viens de vous donner, pour le réglement de vos sens, mon dessein n’est pas de vous obliger d’en faire votre principale occupation. Car, vous devez presque toujours être recueilli en vous-même, & demeurer attaché à Dieu ; vous devez vous occuper intérieurement à combattre vos inclinations vicieuses, & à produire beaucoup d’Actes de vertus contraires. Je ne prétends donc autre chose, sinon que vous vous en serviez dans les rencontres où vous en aurez besoin. Car ce n’est pas le moyen d’avancer beaucoup dans la spiritualité, que de s’assujettir à tant d’exercices extérieurs, qui de soi sont bons ; mais qui étant mal ménagés, ne servent qu’à embarrasser l’esprit, à fomenter l’amour propre, à entretenir l’inconstance, & à donner lieu aux tentations du monde.


CHAPITRE XXIV.
De la maniere de bien gouverner la Langue.

LA langue de l’homme a grand besoin d’être retenuë, parce qu’on se plaît naturellement à parler des choses qui flatent les sens. L’intempérance de la langue vient d’ordinaire d’un certain orgueil, qui fait que nous nous croyons beaucoup plus intelligens que nous ne sommes ; & qu’admirant nos propres pensées, nous les débitons avec complaisance, nous dominons dans la conversation, & prétendons que tout le monde nous écoute.

Il est impossible de comprendre en peu de paroles, tous les maux qui naissent de ce vice détestable. Ce qu’on en peut dire en général, c’est qu’il est la cause de l’oisiveté ; qu’il marque beaucoup d’ignorance & de folie ; qu’il traîne après soi la médisance & le mensonge ; qu’il ralentit la ferveur de la dévotion ; qu’il fortifie les passions déreglées, & qu’il accoutume la langue à ne dire que des paroles vaines & oiseuses.

Pour le corriger, voici ce que je vous conseille de faire. Ne parlez point trop, ni devant ceux qui ne vous écoutent pas volontiers, de crainte de les ennuyer, ni devant ceux qui prennent plaisir à vous écouter, de peur que dans le discours il ne vous échape quelque chose de mal-à-propos. Prenez garde à ne pas parler trop haut, ni d’un ton d’autorité ; car cela déplaît à ceux qui l’entendent, & montre beaucoup de suffisance & de présomption.

Ne parlez jamais de vous, ni de vos parens, ni de ce que vous avez fait, à moins que la nécessité ne vous y oblige ; & lorsqu’il vous semble le devoir faire, que ce soit en peu de mots, avec une extrême retenuë. Que si vous trouvez un homme qui parle beaucoup de soi, ne le méprisez pas pour cela ; mais gardez-vous bien de l’imiter, quand même il ne diroit rien qui ne dût servir à faire connoître ses fautes, & à lui en donner de la confusion. Ne parlez que le moins que vous pourrez du prochain, & des choses qui le regardant, si ce n’est que l’occasion se présente d’en dire du bien. Parlez volontiers de Dieu, surtout de sa charité pour les hommes, mais dans la crainte de n’en parler pas comme il faut, écoutez plûtôt ce que les autres vous en diront, & tachez de ne le point oublier.

Pour ce qui est des discours profanes, s’ils vont jusqu’à vos oreilles, ne permettez pas qu’ils entrent dans votre cœur qui doit être tout entier à Dieu. Mais au cas que vous soyez obligé d’écouter celui qui parle, afin de pouvoir lui répondre, jettez toujours quelque œillade vers le Ciel, où votre Dieu regne, & d’où cette haute Majesté ne dédaigne pas de regarder votre bassesse. Examinez bien tout ce que vous voulez dire, avant que du cœur il passe à la langue. Apportez-y toute la circonspection possible ; parce qu’il s’y trouvera toujours beaucoup de choses à suprimer ; & quand même vous aurez choisi ce que vous croirez devoir dire, retranchez-en une partie : car vous trouverez encore à la fin que vous n’en aurez que trop dit.

Le silence est d’un grand secours dans le Combat spirituel ; & ceux qui le gardent peuvent se promettre qu’ils remporteront la victoire. Aussi ont-ils d’ordinaire la défiance d’eux-mêmes, la confiance en Dieu, beaucoup d’attrait pour l’Oraison, & une grande facilité pour tous les exercices de vertu.

Afin de vous affectionner au silence, considerez les grands biens qui en proviennent, & les maux infinis qui naissent de l’intempérance de la langue. Je dis plus, si vous voulez vous accoutumer à parler peu, taisez-vous, lors même que vous avez sujet de parler ; pourvû que votre silence ne nuise ni à vous, ni au prochain. Fuyez surtout les conversations profanes ; préférez la compagnie des Anges, des Saints, de Dieu même, à celle des hommes. Enfin, songez à la guerre que vous avez entreprise, & à peine aurez-vous le tems de respirer, bien loin de pouvoir vous amuser à des entretiens inutiles.


CHAPITRE XXV.
Que le Soldat de Jesus-Christ qui a résolu de combattre & de vaincre ses ennemis, doit éviter autant qu’il lui est possible, ce qui peut troubler la paix de son cœur.

Lorsque nous avons perdu la paix du cœur, nous devons mettre tout en œuvre pour la recouvrer : mais quoiqu’il arrive en ce monde, rien n’est capable de nous la ravir, ni de la troubler malgré nous. Il faut à la vérité que nous concevions de la douleur de nos fautes ; mais cette douleur doit être tranquille & modérée, comme je l’ai dit plusieurs fois. Il faut de même que nous ayons compassion des autres pecheurs ; & que du moins intérieurement, nous gémissions de leur perte : il faut aussi que notre compassion soit tendre, mais sans chagrin & sans trouble, comme étant l’effet d’une charité toute pure.

Pour ce qui regarde une infinité de maux ausquels nous sommes sujets en ce monde, tels que sont les maladies, les playes, la mort, la perte de nos amis & de nos proches, la peste, la guerre, les embrasemens & plusieurs autres accidens facheux, que les hommes apréhendent, comme contraires à la nature toujours ennemie des souffrances ; nous pouvons, avec le secours de la grace, non-seulemant les accepter de la main de Dieu, mais nous en faire des sujets de joye, en les regardant, ou comme des punitions salutaires pour les pecheurs, ou comme des occasions de mérite pour les Justes.

Ces deux considérations font que Dieu même prend plaisir à nous affliger ; mais il est certain que tant que notre volonté sera soumise à la sienne, nous demeurerons avec un esprit tranquille au milieu des afflictions les plus rudes. Sçachez au reste, que toute inquiétude lui déplaît ; parce que de quelque nature qu’elle soit, elle n’est jamais sans quelque défaut, & vient toujours d’un mauvais principe, qui est l’amour propre. Tachez donc de prévoir de loin ce qui peut vous inquiéter, & préparez-vous de bonne heure à le supporter avec patience. Considérez que les maux présens, quelques terribles qu’ils paroissent, ne sont pas effectivement des maux ; qu’ils ne sçauroient nous priver des biens véritables ; que Dieu les envoïe ou les permet pour les raisons que nous avons dites, ou pour d’autres qui nous sont cachées, mais qui ne peuvent être que très-justes.

En conservant de la sorte un esprit toujours égal parmi les divers accidens de cette vie, vous profiterez beaucoup : sans cela, vos exercices réussiront mal, & vous n’en tirerez aucun fruit ; de plus, tant que vous aurez l’esprit inquiet, vous demeurerez exposé aux insultes de l’ennemi, sans pouvoir connoître quelle est la voye sûre & le droit chemin de la vertu. Le démon fait tous ses efforts pour bannir la paix du cœur, parce qu’il sçait que Dieu demeure dans la paix ; & que c’est dans la paix qu’il a operé de grandes choses. De-là vient qu’il n’est point de ruse dont il ne se serve pour nous la ravir ; & qu’afin de nous surprendre, il se contrefait, il nous inspire des desseins qui paroissent bons, mais qui sont méchans en effet, & qu’on reconnoît à plusieurs marques, surtout en ce qu’ils troublent la paix, intérieure.

Pour remédier à un mal si dangéreux, lorsque l’ennemi s’efforce d’exciter en nous quelque mouvement, ou quelque desir nouveau, ne lui ouvrons pas d’abord notre cœur : renonçons premierement à toutes affections, qui peuvent naître de l’amour propre : offrons à Dieu ce nouveau desir. : prions-le instamment de nous faire connoître s’il vient de lui, ou du démon, & n’oublions pas de consulter là-dessus notre Directeur. Lors même que nous sommes sûrs qu’un desir qui se forme dans notre cœur, est un mouvement de l’Esprit de Dieu, nous ne devons pas nous mettre en devoir de l’exécuter, qu’auparavant nous n’ayons mortifié la trop grande envie que nous avons, qu’il soit accompli. Car une bonne œuvre précedée par cette sorte de mortification, est bien plus agréable à Dieu, que si elle se faisoit avec une ardeur & un empressement naturel, souvent la bonne œuvre lui plaît beaucoup moins que la seule mortification. Ainsi rejettant les mauvais desirs & n’exécutant les bons, qu’après avoir réprimé tous les mouvemens de la nature, nous conserverons notre cœur dans une tranquillité parfaite.

Il est encore besoin pour cela de mépriser de certains remords intérieurs, qui semblent venir de Dieu, parce que ce sont des reproches que notre conscience nous fait sur de véritables défauts, mais qui viennent effectivement du malin esprit, selon qu’on en peut juger par les suites. Si les remords de conscience servent à nous humilier, s’ils nous rendent plus fervens dans la pratique des bonnes œuvres, s’ils ne diminuent la confiance qu’il faut avoir en la miséricorde Divine, nous les devons recevoir avec actions de graces, comme des faveurs du Ciel. Mais s’ils nous causent du trouble, s’ils nous abattent de courage, s’ils nous rendent paresseux, timides, lents à nous acquitter de nos devoirs ; nous devons croire que ce sont des suggestions de l’ennemi, & faire les choses à l’ordinaire, sans daigner les écouter.

Mais outre cela, comme il arrive le plus souvent que nos inquiétudes naissent des maux de cette vie, pour nous en défendre, nous avons deux choses à faire. L’une est de considérer ce que ces maux sont capables de détruire en nous ; si c’est l’amour de la perfection, ou l’amour propre ; s’ils ne détruisent que l’amour propre, qui est notre capital ennemi, nous ne devons pas nous en plaindre ; nous devons plûtôt les accepter avec joye & avec reconnoissance, comme des graces que Dieu nous fait, comme des secours qu’il nous envoye. Mais s’ils peuvent nous détourner de la perfection, & nous rendre la vertu odieuse, il ne faut pas pour cela nous décourager, ni perdre la paix du cœur, comme nous verrons bien-tôt.

L’autre chose est, qu’élevant notre esprit à Dieu, nous recevions indifféremment tout ce qui nous vient de sa main, persuadés que les Croix même qu’il nous présente, ne peuvent être pour nous que les sources d’une infinité de biens, que nous négligeons, parce qu’ils nous sont inconnus.


CHAPITRE XXVI.
Ce qu’il faut faire lorsqu’on a reçû quelque playe dans le Combat Spirituel.

QUand vous vous sentez blessé, c’est-à-dire, quand vous voyez que vous avez fait quelque faute, soit par pure fragilité, soit avec réflexion & par malice, ne vous affligez pas trop pour cela ; ne vous laissez pas aller au chagrin & à l’inquiétude ; mais adressez-vous aussi-tôt à Dieu, & dites-lui avec une humble confiance : c’est maintenant, ô mon Dieu, que j’ai fait voir ce que je suis : car que pouvoit-on attendre d’une créature foible & aveugle comme moi, que des égaremens & des chûtes ? Arrêtez-vous un peu là-dessus, afin de vous confondre en vous-même, & de concevoir une vive douleur de votre faute.

Puis, sans vous troubler, tournez toute votre colere contre les passions qui vous dominent, principalement contre celle qui a été cause de votre peché.

Seigneur, direz-vous, j’aurois commis de bien plus grands crimes, si par votre infinie bonté vous ne m’aviez secouru.

Rendez ensuite mille actions de graces à ce Pere de miséricordes ; aimez-le plus que jamais, voyant que bien loin de se ressentir de l’injure que vous venez de lui faire, il vous tend encore la main, de peur que vous ne tombiez de nouveau dans quelque pareil désordre.

Enfin plein de constance, dites-lui : Montrez, ô mon Dieu, ce que vous êtes : faites sentir à un pecheur humilié votre divine miséricorde : pardonnez-moi toutes mes offenses : ne permettez pas que je me sépare, ni que je m’éloigne tant soit peu de vous : fortifiez-moi tellement de votre grace, que je ne vous offense jamais.

Après cela, n’allez point examiner si Dieu vous a pardonné, ou non. Car c’est vouloir vous inquiéter en vain, c’est perdre le tems ; & il y a en ce procedé bien de l’orgueil & de l’illusion du démon, qui sous des prétextes spécieux, cherche à vous faire de la peine. Ainsi abandonnez-vous à la miséricorde divine, & continuez vos exercices avec autant de tranquillité, que si vous n’aviez point commis de faute. Quand vous auriez même offensé Dieu plusieurs fois en un seul jour, ne perdez jamais la confiance en lui. Pratiquez ce que je vous dis, la seconde, la troisiéme, la derniere fois, comme la premiere : concevez toujours un plus grand mépris de vous-même, & une plus grande haine du peché, & soyez plus sur vos gardes à l’avenir. Cette maniere de combattre contre le démon lui déplaît infiniment, parce qu’il sçait qu’elle déplaît beaucoup à Dieu, & qu’il en remporte toujours de la confusion, se voyant dompté par celui même qu’il avoit aisément vaincu en d’autres rencontres. Ainsi employe-t-il toutes ses ruses pour nous la faire quitter ; & il vient souvent à bout, à cause du peu de soin que nous avons de veiller sur notre intérieur.

Au reste, plus vous y trouvez de difficulté, plus vous devez faire effort pour vous surmonter vous-même. Et ne vous contentez pas de pratiquer une fois ce saint exercice, mais reprenez-le souvent, quand même vous ne vous sentiriez coupable que d’un seul peché. Si donc une faute où par malheur vous serez tombé, vous cause du trouble & vous abat le courage, la premiere chose que vous devez faire, c’est de tacher à recouvrer la paix de votre ame, & la confiance en Dieu. Il faut ensuite que vous éleviez votre cœur au Ciel, & que vous croyiez fermément que le chagrin qu’on a quelquefois d’avoir failli, n’a pas pour objet l’offense de Dieu, mais le chatiment qu’on a mérité, & qu’on appréhende plus que tout le reste.

Le moyen de recouvrer cette paix si souhaitable & si nécessaire, est de ne plus penser à votre peché, mais d’envisager l’infinie bonté de Dieu qui est toujours prêt, qui desire même de pardonner les crimes les plus énormes aux plus grands pecheurs, & qui n’oublie rien pour les ramener à leur devoir, pour les unir fortement à lui, pour les sanctifier en cette vie & pour les rendre éternellement Bienheureux dans l’autre, Quand ces considérations, ou d’autres semblables auront calmé votre esprit, revenez alors à celle de votre peché, & observez toutes les choses que nous avons dites.

Enfin, dans le Sacrement de la Pénitence, dont je vous conseille de vous approcher souvent, remettez-vous devant les yeux toutes vos fautes, & déclarez-les sincerement à votre Pere Spirituel, avec une nouvelle douleur d’y être tombé, & avec une nouvelle résolution de n’y tomber jamais.


CHAPITRE XXVII.
Comment le Démon a accoutumé de tenter & de séduire ceux qui veulent s’adonner à la vertu, ou qui sont encore plongés dans le vice.

IL est certain que le démon ne songe qu’à perdre les hommes, & qu’il ne les attaque pas tous de la même sorte. Pour commencer donc à vous découvrir quelques unes de ses ruses, je vous représenterai divers genres de personnes en des états & en des dispositions différentes. Quelques unes sont esclaves du peché, & ne pensent point à rompre leurs chaînes ; d’autres voudroient bien sortir de cette captivité, mais ils ne font rien pour s’en affranchir ; d’autres croyent être dans la bonne voye, c’est lorsqu’ils en sont les plus éloignés ; d’autres enfin, après être parvenus à un haut degré de vertu, viennent à tomber plus dangéreusement que jamais. Nous parlerons de toutes ces sortes de personnes dans les Chapitres suivans.


CHAPITRE XXVIII.
Des artifices qu’employe le démon pour achever de perdre ceux qu’il a fait tomber dans le peché.

LOrsque le démon a pû porter une ame au peché, il n’y a point d’artifice dont il n’use pour l’aveugler davantage, & pour détourner de la pensée tout ce qui seroit capable de lui faire voir l’état malheureux où elle est. Encore ne se contente-t-il pas d’étouffer les bonnes pensées que Dieu lui donne, & de lui en suggérer de mauvaises ; il tache de l’engager en des occasions dangereuses, & il lui dresse des pieges, afin qu’elle tombe de nouveau, ou dans le même peché, ou dans d’autres plus énormes. Ce qui fait que destitué de la lumiere divine, elle augmente de plus en plus ses désordres, & s’endurcit dans le mal. Ainsi elle roule continuellement & se précipite de ténebres en ténebres, d’abî- me en abîme, s’éloignant toujours davantage de la voye de son salut, & multipliant ses chûtes, à moins que Dieu ne la soutienne par un secours extraordinaire.

Le remede le plus pressant à ce mal, est qu’elle reçoive sans résistance les inspirations Divines, qui la rapellent des ténebres à la lumiere, & du vice à la vertu ; & qu’avec beaucoup de ferveur elle s’écrie : Ah : Seigneur, assistez-moi, venez promptement à mon secours : ne permettez pas que je demeure plus longtems ensevelie dans l’ombre de la mort & du peché. Elle répétera plusieurs fois ces mêmes paroles, ou d’autres semblables ; & s’il est possible, elle ira incontinent à son Pere spirituel, pour sçavoir de lui ce qu’elle doit faire, & pour lui demander des armes contre l’ennemi qui la presse. Que si elle ne peut pas y aller sur l’heure, elle aura recours au Crucifix en se prosternant à ses pieds le visage contre terre. Elle invoquera aussi quelquefois la Reine du Ciel, & implorera sa miséricorde. Car elle doit être persuadée, que de cette diligence dépend la victoire, comme nous verrons dans le Chapitre suivant.


CHAPITRE XXIX.
Des inventions dont se sert le malin esprit, pour empêcher l’entiere conversion de ceux, qui convaincus du mauvais état de leur conscience, ont quelque envie de se corriger, & d’où vient que leurs bons desirs sont le plus souvent sans effet.

CEux qui reconnoissent le mauvais état de leur conscience, & qui voudroient en sortir, se laissent tromper d’ordinaire par le démon, qui s’efforce de leur persuader qu’ils ont encore bien du tems à vivre, & qu’ils peuvent sûrement différer leur conversion. Il leur représente qu’avant toutes choses, il faut qu’ils terminent un tel procès, qu’ils se délivrent d’un grand embarras où ils sont ; & que sans cela il est impossible qu’ils s’adonnent tout de bon à la vie spirituelle, qu’ils en exercent paisiblement les fonctions.

C’est ici un piége où beaucoup de gens se sont laissé prendre, & où plusieurs se trouvent pris tous les jours. Mais nul d’eux n’en peut attribuer la cause qu’à son extrême négligence dans une affaire où il s’agit de son salut, & de la gloire de Dieu. Que chacun donc, au lieu de dire : demain, demain, dise : dès aujourd’hui, dès à présent. Et pourquoi demain ? Que sçai-je, si je verrai le jour de demain ? Mais quand j’en aurois une certitude entiere, seroit-ce vouloir me sauver, que de différer ma pénitence. Seroit-ce vouloir gagner la victoire, que de faire de nouvelles playes ?

C’est donc une chose constante, que pour éviter cette illusion, & celle qu’on a marquée au Chapitre précédent, il faut obéir avec promptitude aux inspirations du Ciel. Quand je parle de promptitude, je n’entends pas de simples desirs, des résolutions foibles & stériles, qui trompent une infinité de gens pour plusieurs raisons, dont la premiere est, que ces desirs & ces résolutions ne sont pas fondés sur la défiance de soi-même, & sur la confiance en Dieu. D’où il s’ensuit, que l’ame remplie d’un orgueil secret, s’aveugle de telle sorte, qu’elle prend pour une vertu solide, ce qui n’en a que l’apparence. Le remede pour guérir ce mal, & la lumiere pour le connoître, viennent de la divine Bonté, qui permet que nous tombions ; afin qu’éclairés & instruits par nos propres chûtes, nos passions de la confiance que nous avons en nos forces, à celle que nous devons avoir en la grace, & d’un orgueil presque imperceptible, à une humble connoissance de nous-mêmes. Ainsi les bonnes résolutions ne peuvent être efficaces, si elles ne sont fermes & constantes ; & elles ne peuvent être fermes & constantes, si elles n’ont pour fondement la défiance de soi-même, & la confiance en Dieu.

La seconde raison est, que lorsqu’on forme quelque bon desir, on ne se propose que la beauté & l’excellence de la vertu, qui de soi attire les volontés les plus foibles, & qu’on ne regarde point les travaux qui sont nécessaires pour l’acquérir ; ce qui fait qu’à la moindre difficulté une ame lâche se rebute, & quitte son entreprise. C’est pourquoi accoutumez-vous à envisager plûtôt les difficultés qui se rencontrent dans l’acquisition des vertus, que les vertus mêmes ; pensez-y souvent, & selon les occurrences préparez-vous à les surmonter. Sçachez au reste, que plus vous aurez de courage, ou pour vous vaincre vous-même, ou pour résister à vos ennemis, plus les difficultés s’aplaniront, & vous paroîtront legeres.

La troisiéme raison est, que dans nos bons propos nous considérons moins la vertu & la volonté de Dieu, que notre interêt : ce qui arrive d’ordinaire, lorsque nous sommes comblés de consolations, particulierement dans le tems de l’adversité. Car ne trouvant ici-bas nul soulagement à nos maux, nous prenons alors le dessein de nous donner tout à fait à Dieu, & de ne plus nous appliquer qu’aux exercices de la vertu. Pour ne point pecher de ce côté-là, gardons-nous bien d’abuser des graces du Ciel : soyons humbles & circonspects dans nos bonnes résolutions : ne nous laissons point emporter à une ferveur indiscrette qui nous engage témérairement à faire des vœux que nous ne puissions pas accomplir.

Mais si nous sommes dans l’affliction, proposons-nous seulement de bien porter notre Croix, selon que Dieu nous l’ordonne, & d’y établir notre gloire jusqu’à refuser toute sorte de soulagement de la part des hommes, & quelquefois même de la part de Dieu, ne demandons, ni ne désirons autre chose, sinon que la main du Tout-puissant nous soutienne dans nos maux, & qu’avec sa grace nous suportions patiemment toutes les peines qu’il lui plaira de nous envoyer.


CHAPITRE XXX.
De l’erreur de quelques uns qui s’imagine de marcher dans la voye de la perfection.

L’Ennemi étant vaincu à la premiere & à la seconde attaque, il ne laisse pas d’en donner une troisiéme. Il tache de nous faire oublier les vices & les passions, dont nous sommes actuellement combattus, & de nous mettre dans l’esprit de vains projets d’une perfection imaginaire où il sçait bien que nous n’arriverons jamais. De-là vient que nous recevons à toute heure des playes mortelles, & que nous ne songeons pas à y remédier. Car ces desirs & ses résolutions chimériques nous paroissent de véritables effets, & par un orguëil secret, nous croyons déja être parvenus à une haute sainteté, Ainsi nous ne pouvons supporter la moindre peine ni la moindre injure ; & cepandent nous nous amu- sons à former dans la Méditation de grands desseins de souffrir les plus horribles tourmens, & les peines même du Purgatoire pour l’amour de Dieu.

Ce qui nous trompe, c’est que la partie inferieure ne redoutant pas beaucoup des souffrances éloignées, nous osons nous comparer à ceux qui souffrent effectivement de grandes peines avec une plus grande patience. Si nous voulons éviter un piege si dangéreux, déterminons-nous au Combat, & combattons en effet tant d’ennemis qui nous environnent, & qui nous attaquent de près. Nous reconnoîtrons par-là si nos bonnes résolutions ont été lâches ou généreuses, aparentes ou sinceres ; & nous irons à la perfection par le véritable chemin que les Saints nous ont frayé.

Pour ce qui est des ennemis qui ne nous font pas ordinairement la guerre, ne nous mettons pas beaucoup en peine de les combattre, à moins que nous ne prévoyons que dans quelque tems & en de certaines rencontres, ils s’éleveront contre nous. Car pour nous mettre en état de soutenir leurs attaques, nous devons nous prémunir de bonne heure par de fermes résolutions de les vaincre.

Mais quelques fermes que nous paroissent ces résolutions, ne les considérons pas comme des victoires ; quand même nous ne serions exercés durant quelque tems à la pratique des vertus, & que nous y aurions fait un progrès considérable. Tenons-nous toujours dans l’humilité ; craignons tout de notre foiblesse ; défions-nous de nous-mêmes, & mettons notre confiance en Dieu seul ; prions-le souvent de nous fortifier dans le Combat, de nous préserver de tout péril, d’étouffer, particulierement dans nos cœurs, tout sentiment de présomption & de confiance en nos forces. Avec cela nous pourrons aspirer à la plus sublime perfection ; quoique d’ailleurs nous ayons bien de la peine à nous corriger de quelques légers défauts que Dieu nous laisse souvent, afin de nous humilier, & de conserver par-là le peu de mérites que nous avons acquis par nos bonnes œuvres.


CHAPITRE XXXI.
Des artifices dont se sert le malin esprit, pour nous faire quitter le chemin de la vertu.

LE quatriéme artifice, dont j’ai dit que le démon a coutume de se servir, pour nous abuser, lorsqu’il voit que nous marchons droit dans le chemin de la perfection, est qu’il nous inspire à contre tems plusieurs bons desseins, afin que venant à abandonner les exercices de vertu qui nous sont propres, nous nous engagions insensiblement dans les vices.

Si, par exemple, une personne malade, souffre son mal patiemment, cet ennemi de notre salut, craignant que par-là elle n’acquiere l’habitude de la patience, lui propose beaucoup d’œuvres saintes qu’elle pourroit faire dans un autre état, il lui persuade que si elle se portoit bien, elle rendroit de plus grands services à Dieu, & qu’elle seroit plus utile à elle même & au prochain. Quand il a pû exciter en elle de vains desirs de recouvrer sa santé, il les entretiens de sorte, qu’elle s’afflige de ne pouvoir obtenir ce qu’elle souhaite ; & plus les desirs s’enflamment, plus l’inquiétude s’augmente. Mais l’ennemi passe encore plus avant ; car il la réduit enfin à s’impatienter dans sa maladie ; qu’elle regarde non pas comme une maladie, mais comme un obstacle aux desseins chimériques, qu’elle souhaite passionnément de pouvoir exécuter, sous prétexte d’un plus grand bien.

Quand il l’a poussé jusques-là, il efface peu à peu de son esprit toute l’idée des bonnes œuvres qu’elle s’est mise en tête, & ne lui laisse que le seul desir d’être délivrée de son mal. Que si le mal dure plus longtems qu’elle ne voudroit, elle en devient toute chagrine & impatiente. Ainsi elle tombe insensiblement de la vertu qu’elle pratique, dans le vice qui lui est le plus contraire.

Le moyen de vous garantir de cette illusion est, qu’en quelque état de souffrance que vous vous trouviez, vous preniez garde à ne desirer jamais de faire aucune bonne œuvre, si elle est hors de saison ; parce qu’étant dans l’impatience de la pratiquer, vous ne pourrez en avoir que de l’inquiétude & du déplaisir. Persuadez-vous donc avec un vrai sentiment d’humilité & de résignation, que quand Dieu vous tireroit de cet état où vous êtes, tous les bons desirs que vous concevez maintenant, seroient peut-être alors sans effet ; parce que vous n’auriez pas le courage de les accomplir. Croyez du moins que le Seigneur, par une secrette disposition de la Providence, ou en punition de vos pechés, ne veut pas que vous ayez le plaisir de faire cette bonne œuvre, mais qu’il aime mieux vous voir soumis à ses volontés, & humilié sous sa main toute-Puissante.

Usez-en de même, lorsque vous êtes obligé, soit par l’ordre de votre Pere spirituel, ou par quelque autre raison d’interrompre vos dévotions ordinaires, ou même de vous retirer pour quelque tems de la sainte Table. Ne vous laissez pas abattre au chagrin ; mais renoncez intérieurement à votre propre volonté, & conformez-vous à celle de Dieu, en disant : Si Dieu, qui connoît le fond de mon ame, n’y voyoit point de défaut, point d’ingratitude, je ne serois pas maintenant privé de la sainte Communion. Que son nom soit éternellement béni de la grace qu’il me fait de me découvrir par-là mon indignité. Je crois fermément, Seigneur, que dans toutes les afflictions que vous m’envoyez, vous ne desirez de moi autre chose, sinon qu’en les suportant avec patience, & dans la vûe de vous plaire, je vous offre un cœur toujours soumis à vos volontés, toujours prêt à vous recevoir ; afin qu’y entrant, vous le remplissiez de consolations spirituelles, & que vous le défendiez contre les puissances infernales, qui tachent de vous le ravir. Faites, ô mon Créateur & mon Sauveur, faites de moi ce qui sera le plus agréable à vos yeux. Que votre divine volonté soit maintenant & dans tous les siecles mon appui & ma nourriture ! Je ne vous demande qu’une seule chose, & c’est que mon ame purifiée de tout ce qui vous déplaît, ornée de toutes les vertus, soit en état non seulement de vous recevoir, mais de faire tout ce qu’il vous plaira de lui ordonner.

Ceux qui auront soin de bien pratiquer tout ceci, peuvent se promettre que s’ils se sentent portés à entreprendre quelque bonne œuvre qui passe leurs forces, soit que ce desir soit purement naturel, ou qu’il vienne du démon, qui espere leur donner par-là du dégoût de la vertu, ou que Dieu le leur inspire, afin d’éprouver leur obéissance, peuvent, dis-je, se promettre que ce leur sera toujours une occasion de faire quelque progrès dans la voye de leur salut, & de servir Notre-Seigneur de la maniere qu’il lui est la plus agréable ; en quoi consiste la vraye devotion.

Remarquez de plus, que lorsque pour vous guérir d’une maladie, pour vous délivrer d’une facheuse incommodité, vous employez des moyens de soi innocens, & dont les Saints mêmes se servent, vous devez toujours éviter le plus grand empressement, & ne point desirer avec trop d’ardeur que les choses réussissent selon votre inclination. Soyez résigné à tout, & n’envisagez que la seule volonté de Dieu. Car que sçavez-vous si c’est par ces moyens-là, ou par d’autres beaucoup meilleurs qu’il a résolu de vous délivrer de vos maux ? Si vous en usez autrement, ce sera à votre malheur ; car peut-être n’obtiendrez-vous pas ce que vous souhaitez passionnément, & alors vous ne pourrez vous empêcher de tomber dans l’impatience ; ou quand même vous le pourriez, votre patience sera toujours accompagnée de beaucoup d’imperfections qui la rendront moins agréable à Dieu, & qui en diminueront notablement le mérite.

Je veux enfin vous découvrir un artifice secret de notre amour propre, qui en mille rencontres nous cache à nous-mêmes nos défauts, quoique grossiers & visibles. Un malade, par exemple, qui s’afflige excessivement de son mal, veut qu’on prenne son impatience pour un zele de quelque bien apparent. Ce n’est point, si on l’en croit, une véritable impatience ; c’est un juste déplaisir de voir que sa maladie est le chatiment de ses pechés, ou qu’elle incommode & fatigue extrêmement ceux qui sont auprès de soi. Il est de même d’un ambitieux. qui se plaint de n’avoir pû obtenir un honneur, une dignité où il aspiroit. Car il n’a garde d’attribuer son chagrin à la vanité : il l’attribuë à d’autres choses, dont il sçait bien qu’il se mettoit peu en peine en d’autres rencontres. Ainsi le malade qui a tant de compassions pour ceux qui le servent, dès qu’il est guéri, n’est plus touché de leur voir souffrir les mêmes incommodités auprès d’un autre malade.

C’est-là une marque bien certaine, que son impatience ne vient point de la peine qu’il donne aux autres, mais d’une secrette horreur qu’il a pour les choses qui sont contraires à sa volonté. Quiconque donc veut éviter ces écueils, doit se résoudre à souffrir patiemment, ainsi que nous avons dit, toutes les Croix qui lui arriveront en ce monde, de quelque part qu’elles viennent.


CHAPITRE XXXII.
De la derniere ruse du Démon, pour faire que les vertus mêmes nous deviennent des occasions de peché.

L’Ancien Serpent trouve le moyen de nous tenter par les vertus mêmes qui sont dans nous, jusqu’à nous en faire des occasions de peché. Il nous donne de l’estime & de la complaisance pour nous-mêmes & nous éleve si haut, qu’il est impossible que nous ne nous laissions aller à la vaine gloire. C’est pourquoi combattez toujours, & demeurez ferme dans la connoissance de votre néant : songez à toute heure que de votre fond vous n’êtes rien, & que vous ne pouvez rien ; que vous êtes plein de miseres & de défauts ; & qu’enfin vous ne méritez que la damnation éternelle. Ayez continuellement devant les yeux cette vérité importante ; que ce soit pour vous une espece de retranchement, d’où vous ne sortiez jamais ; & s’il vous vient des pensées & des sentimens de présomption, repoussez-les comme des ennemis dangereux qui ont conjuré votre perte.

Mais si vous voulez acquérir une parfaite connoissance de ce que vous êtes, servez-vous de cette méthode. Toutes les fois que vous jetterez les yeux sur vous & sur vos actions, envisagez seulement ce qui est de vous, sans y mêler ce qui est de Dieu, & ce que vous tenez de sa grace, & fondez ainsi toute l’estime que vous concevrez pour vous, sur ce que vous avez de vous-même. Si vous regardez le tems qui a précedé votre naissance, vous verrez que durant toute l’étenduë de l’éternité vous n’étiez rien, que vous n’avez fait, ni pû faire la moindre chose pour mériter l’être. Et si vous considerez ce tems-ci, dans lequel vous subsistez par la seule miséricorde de Dieu, que seriez-vous sans le bienfait de sa conservation ? Que seriez-vous, qu’un pur néant ? Et ne retourneriez-vous pas dans ce néant d’où vous êtes sorti, si la main toute-puissante, qui vous en a tiré, ne vous soutenoit ?

Il est donc indubitable, qu’à ne regarder que ce qui vous apartient dans l’état naturel, vous ne devez ni vous estimer vous-même, ni souhaiter que les autres vous estiment. Dans l’être surnaturel de la grace, & dans l’exercice des bonnes œuvres, vous n’avez pas plus de sujet de vous en orgueillir. Car sans le secours du Ciel, quel mérite pourriez-vous avoir, & quel bien pourriez-vous faire de vous-même ?

Si après cela vous vous remettez devant les yeux l’effroyable multitude de pechés, ou que vous avez commis, ou que vous pouviez commettre, si Dieu ne vous en avoit préservé, vous trouverez, en multipliant, non-seulement les années & les jours, mais les actions & les habitudes mauvaises ; vous trouverez, dis-je, que comme un vice en attire un autre vos iniquités seroient allées presque à l’infini, & que vous seriez devenu semblable aux Démons. Toutes ces considérations doivent vous donner de jour en jour un plus grand mépris de vous-même, & vous faire reconnoître les obligations infinies, que vous avez à la divine Bonté, bien loin de lui dérober la gloire qui lui est dûe.

Au reste, dans le jugement que vous ferez de vous-même, prenez garde qu’il n’y ait rien que de juste & de véritable, & que la vaine gloire n’y ait point de part. Car encore que vous connoissiez beaucoup mieux votre misere, qu’un autre aveuglé par l’amour propre, ne connoit la sienne, vous serez toujours bien plus criminel & plus puissant que lui du côté de la volonté, si nonobstant la connoissance que vous avez de vos défauts, vous ne laissez pas de vouloir passer pour saint dans l’esprit des hommes.

Afin donc que cette connoissance vous délivre de la vaine gloire, & vous rendre agreable à celui qui est le Pere & le Modele des humbles ; ce n’est pas assez que vous ayez un bas sentiment de vous-même, jusqu’à vous juger indigne de tout bien & digne de tout mal : il faut de plus que vous désiriez d’être méprisé du monde : il faut que vous ayez en horreur les louanges, & que vous aimiez les opprobres, & que dans les occasions vous preniez plaisir à exercer les ministeres les plus bas. Faites peu d’état de ce qu’on pensera de vous, lorsqu’on vous verra embrasser tout ce qu’il y a de plus abject. Tachez seulement de vous occuper à ces sortes d’exercices par un pur motif d’humilité, & non par un sentiment d’orgueil, par une fierté naturelle, qui sous couleur d’une générosité Chrétienne, fait qu’on méprise les discours des hommes, & qu’on se mocque de leur jugement.

Que si quelquefois on vous témoigne de l’affection & de l’estime ; si on vous loue de quelques bonnes qualités que vous avez reçûes d’enhaut, recueillez-vous incontinent en vous-même, & fondé sur les principes de la vérité & de justice que nous venons d’établir, dites à Dieu de tout votre cœur : Seigneur, ne permettez pas que je vous dérobe votre gloire, en attribuant à mes propres forces ; ce qui n’est qu’un pur effet de votre grace. Qu’à vous soit l’honneur & la louange, & à moi l’opprobre & la confusion. Puis vous tournant vers la personne qui vous loue, dites au fond de votre cœur : Quel sujet peut avoir cet homme de me louer ! Quelle bonté, quelle perfection trouve-t-il en moi ? Il n’y a qu’un Dieu qui soit bon, & il n’y a que ses œuvres qui soient parfaites. Humiliez vous de la sorte, rendez à Dieu ce qui est à Dieu. Vous vous défendez par-là de la vanité, & mériterez de jour en jour de plus grandes graces.

Si le souvenir de vos bonnes œuvres fait naître en vous quelque vaine complaisance, étouffez-là aussitôt, en considerant ces bonnes œuvres, non comme venant de vous, mais comme venant de Dieu ; & en disant avec toute humilité, comme si vous leur parliez : Je ne sçai comment vous avez été conçûe dans mon cœur, ni comment vous êtes sortie de cette abîme de corruption & de peché : car ce n’est point moi qui vous ai formées, c’est Dieu qui vous a produites, & qui a eu la bonté de vous conserver. C’est donc lui que je connois pour votre principal Auteur ; c’est lui que je veux & que je dois remercier ; c’est à lui que je renvoye toutes les louanges qu’on me donne.

Considérez après cela que toutes les actions de piété que vous avez jamais faites, non-seulement n’ont point répondu à l’abondance des lumieres & des graces que Dieu vous avoit communiquées pour les bien faire, mais que de plus il s’y est glissé beaucoup de défauts, & que l’on n’y trouve point cette pureté d’intention ; cette ferveur, cette diligence que vous y deviez apporter. Si donc vous les examinés comme il faut, bien loin d’en tirer vanité, vous n’en aurez que de la confusion, voyant le peu de profit, ou pour mieux dire, le mauvais usage que vous avez fait des graces Divines.

Mais comparez après cela vos actions avec celles des plus grands Saints, vous rougirez de la différence qu’il y a des uns aux autres. Que si vous venez à les comparer ensuite aux travaux du Fils de Dieu, dont toute la vie n’a été qu’une perpétuelle Croix ; quand même vous ne considéreriez en nulle sorte la dignité de la personne, & que vous n’auriez égard qu’à la grandeur de ses peines, & à cet amour si pur avec lequel il les a souffertes vous serez contraint d’avouer que jamais vous n’avez rien fait, ni rien souffert qui en approche.

Enfin, si levant les yeux au Ciel, vous envisagez la souveraine Majesté de Dieu, qui mérite des serviteurs infinis, vous verrez alors clairement que toutes vos bonnes œuvres sont pour vous un sujet de crainte, plûtôt que de vanité. C’est pourquoi quelque bien que vous fassiez, vous devez toujours dire avec un profond sentiment d’humilité : Mon Dieu ayez pitié de moi, qui suis un pecheur[8].

Gardez-vous aussi de publier trop facilement les graces que Dieu vous a faites. Car cela déplaît presque toujours à Notre-Seigneur, ainsi qu’il l’a témoigné lui-même de la maniere que je vais dire. Un jour s’étant apparu à une de ses servantes sous la forme d’un petit Enfant, & sans nulle marque de la Divinité, elle le pria tout simplement de réciter la Salutation Angelique : il le fit à l’heure même. Mais quand il eut dit : Vous êtes bénie entre les femmes ; il s’arrêta, ne voulant pas ajouter ce qui étoit à sa louange. Et comme elle le pressoit d’achever, il disparut, laissant cette ame sainte remplie de consolation, & plus convaincue que jamais de l’importance de l’humilité, par l’exemple qu’il venoit de lui en donner.

Apprenez encore à vous humilier dans toutes vos œuvres, les regardant comme des miroirs qui vous représentent admirablement bien votre néant. C’est là-dessus que sont fondées toutes les vertus. Car comme Dieu au commencement du monde créa de rien notre premier Pere ; ainsi il fonde maintenant tout l’édifice spirituel sur cette vérité reconnue, que de nous-mêmes nous ne sommes rien. Desorte que plus nous nous abaissons, plus l’édifice s’éleve ; & à mesure que nous creusons dans la terre, que nous découvrons le fond de notre néant, le Souverain Architecte pose les pierres solides qui servent à la structure de son bâtiment. Mettez-vous donc bien dans l’esprit, que vous ne sçauriez jamais descendre trop bas, & que s’il pouvoit y avoir quelque chose d’infini dans la création, ce seroit sa fragilité & la bassesse. O divine connoissance, qui nous rend heureux sur la terre, & glorieux dans le Ciel ! ô admirable lumiere qui sort des ténebres de notre néant, afin d’éclairer nos ames & d’élever nos esprits à Dieu ! O pierre précieuse, mais inconnue, qui brille parmi les ordures de nos pechés ! ô néant dont la seule vûe nous rend maître de toutes choses.

Je ne me lasserois jamais de parler de cette matiere. Quiconque veut honorer la divine Majesté, doit se mépriser lui-même, & souhaiter que les autres le méprisent. Humiliez-vous envers tout le monde ; abaissez-vous au-dessous de tout le monde, si vous voulez que Dieu soit glorifié en vous, & que vous le soyez en lui. Pour vous unir avec lui, fuyez la grandeur & l’élevation, parce qu’il s’éloigne de ceux qui s’élevent ; choisissez par-tout la derniére place, & il descendra de son Thrône pour venir à vous, pour vous embrasser, pour vous témoigner d’autant plus d’amour, que vous marquerez plus d’inclination à vous humilier, & à vouloir qu’on vous foule aux pieds comme la chose du monde la plus méprisable.

Si un Dieu, qui pour s’attacher plus étroitement à vous, s’est fait le dernier des hommes, vous inspire de si humbles sentimens, ne manquez pas de lui en rendre souvent des actions de graces. Remerciez aussi tous ceux qui vous aideront à les conserver, en vous maltraitant, ou en croïant que vous n’avez pas assez de vertu pour suporter un affront, remerciez-les, dis-je, & quelque mal qu’ils disent de vous, n’en faites jamais de plainte.

Mais enfin, si nonobstant toutes considérations, quoique fortes & puissantes, la malice du démon, le défaut de connoissance de vous-même, l’inclination vicieuse vous remplissent toujours l’esprit des pensées de vanité, & font naître dans votre cœur des sentimens de vous élever au dessus des autres, humiliez-vous alors d’autant plus, que vous voyez par expérience le peu de progrès que vous avez fait dans la véritable spiritualité, & combien vous avez de peine à vous délivrer de ces pensées importunes, qui marquent dans vous un grand fond d’orgueil ; par ce moyen vous ferez du poison un Antidote, & du mal même un reméde.


CHAPITRE XXXIII.
De quelques avis importans pour ceux qui veulent mortifier leurs passions, & acquérir les vertus qui leur manquent.

QUoique jusques ici je vous aye dit beaucoup de choses touchant la maniere dont vous devez essayer de vaincre vos passions, & d’acquérir les vertus, il m’en reste encore beaucoup d’autres non moins importantes à vous dire.

1. Si vous voulez devenir solidement vertueux & parfaitement maître de vous-même, ne partagez pas tellement durant la semaine les exercices de vertu, que vous en attachiez les uns à un jour, les autres à l’autre, & que vous soyez ainsi dans un perpétuel changement. L’ordre que vous y devez observer est, que d’abord vous tachiez à détruire la passion qui vous a toujours le plus troublé, & qui vous tourmente encore présentement davantage ; & qu’en même-tems vous trayailliez de toutes vos forces à acquérir dans un éminent degré la vertu contraire à cette passion prédominante. Car possédant une vertu aussi essentielle que celle-là, vous obtiendrez facilement toutes les autres, sans qu’il soit besoin que vous en fassiez un grand nombre d’Actes. En effet, les vertus sont tellement liées les unes avec les autres, qu’il suffit d’en posséder parfaitement une pour les avoir toutes.

2. Ne déterminez jamais le tems qu’il faut pour acquérir une vertu, ne dites point : j’y employerai tant de jours, tant de semaines, tant d’années ; mais comme un nouveau soldat, qui n’a point encore vû l’ennemi, combattez toujours ; & par une glorieuse victoire, tachez de vous ouvrir un chemin à la perfection. Ne soyez pas un moment sans faire quelques progrès dans la voye de Dieu ; parce que celui qui s’arrête, au lieu de se délasser & de prendre halaine, recule & devient plus lâche qu’il n’étoit auparavant. Quand je vous dis que vous avanciez toujours sans vous arrêter, ce que je demande de vous, c’est que vous ne croyiez pas être déja parvenu au comble de la perfection Chrétienne ; que vous ne laissiez passer aucune occasion de faire de nouveaux Actes de vertu ; que vous ayez en horreur jusqu’aux plus légeres fautes.

Pour cela, il est nécessaire que vous vous acquitiez avec une exactitude & une ferveur extrême de ce qui est de votre devoir, & que dans les occasions qui se présentent, vous pratiquiez excellemment toutes les vertus. Aimez donc, & embrassez de tout votre cœur ces occasions de vous rendre saint & parfait, principalement lorsqu’elles sont accompagnées de quelque difficulté ; parce que l’effort qu’il fait faire pour surmonter la difficulté, sert à former un peu de tems & à affermir dans l’ame les habitudes vertueuses. Aimez aussi ceux qui vous le procurent. Fuyez seulement tant que vous pourrez, tout ce qui peut donner lieu aux tentations de la chair.

3. Usez de modération & de prudence à l’égard de certaines vertus qui peuvent ruịner la santé du corps ; en le maltraitant excessivement par des disciplines, des cilices, des jeûnes, des veilles, des méditations trop longues, & par d’autres sortes de pénitences indiscretes. Car dans la pratique de ces vertus extérieures, on doit avancer peu à peu, & monter comme par degrés. Mais pour celles qui sont purement intérieures, qui consistent à aimer Dieu, à haïr le monde, à se mépriser soi-même, à détester ses pechés, à être doux & patient, à aimer ses ennemis, il n’y a point de mesures à garder, on n’a pas besoin de précaution ; & il faut toujours en faire les Actes de la maniere la plus excellente qui soit possible.

4. Le but de tous vos desseins & de tous vos soins, doit être de vaincre la passion que vous avez entrepris de combattre ; & vous devez regarder cette victoire, comme la chose du monde la plus avantageuse pour vous, & la plus agréable à Dieu. Soit que vous mangiez, ou que vous jeûniez ; que vous veilliez, ou que vous dormiez ; que vous soyez dans le travail, ou dans le repos, à la maison ou hors la maison ; que vous vaquiez à la vie contemplative ou active, n’aïez pour fin que de surmonter cette principale passion, & d’acquérir la vertu contraire.

5. Haïssez généralement toutes les commodités & tous les plaisirs du corps, & vous ne serez combattu que foiblement par les vices qui tirent toutes leurs forces des attraits de la volupté. Mais si dans le même tems que vous rejettez un plaisir sensuel, vous en recherchez un autre ; si vous ne faites la guerre qu’à un seul vice, quoique les playes que vous receviez des autres soient moins dangereuses, le combat sera toujours rude, & la victoire incertaine. Ayez donc toujours devant les yeux ces paroles de l’Ecriture. Celui qui aime sa vie, la perdra ; celui au contraire qui hait sa vie en ce monde, la conservera pour la vie éternelle[9]. Nous ne sommes point esclaves de la chair, pour vivre selon la chair. Si donc vous vivez selon la chair vous mourrez : mais si vous mortifiez la chair par l’esprit, vous vivrez[10].

Le dernier avis que j’ai à vous donner, est qu’il seroit bon, & peut-être nécessaire, qu’avant toutes choses vous fissiez une Confession générale, avec toutes les dispositions requises, pour vous assûrer davantage d’une parfaite réconciliation avec Dieu, qui est la source des graces, l’Auteur des victoires, le distributeur des couronnes,


CHAPITRE XXXIV.
Que les vertus ne s’acquierent que peu à peu & par degrés, les unes après les autres.

BIen que le vrai serviteur de Jesus-Christ, qui aspire à la plus hau- te perfection, ne doive point mettre de bornes à son avancement spirituel, il faut toutefois que la prudence modere en lui de certains excès d’une ferveur inconsiderée, & qui d’abord rien n’est difficile ; mais qui est sujette à se rallentir & à s’éteindre tout à fait. C’est pourquoi, outre ce qui a été dit de la maniere de régler les exercices extérieurs, il est bon de remarquer que les vertus intérieures s’acquierent aussi peu à peu, & qu’on y parvient par degrés. De cette sorte on jette les fondemens d’une solide & constante piété, & en peu de tems on gagne beaucoup.

Ainsi en matiére de patience, ne prétendez pas pouvoir tout-d’un-coup desirer les croix, & vous en réjouir, il faut vous résoudre auparavant à passer par les degrés les plus bas de cette vertu. Suivant ce même principe, n’embrassez point tout à la fois toutes les vertus, ni même plusieurs ensemble ; attachez-vous à une seule, & puis à une autre si vous voulez que l’habitude s’enracine profondément & sans peine dans votre ame. Car n’entreprenant qu’une vertu, & ne cessant de vous y exercer, votre mémoire s’y apliquera davantage : votre entendement éclairé de la lumiere céleste, inventera de nouveaux moyens & de nouvelles raisons pour vous la faire embrasser : votre volonté enfin s’y portera avec plus d’ardeur : ce qui n’arriveroit pas, si ces trois puissances étoient partagées à plusieurs objets.

D’ailleurs les Actes qu’il faut produire, pour contracter l’habitude d’une vertu, n’ayant tous qu’un même but, & s’aidant les uns les autres, en deviendront moins pénibles ; & les derniers feront d’autant plus d’impression dans votre cœur, qu’ils y trouvent les saintes dispositions que les premiers y auront laissées.

Toutes ces raisons vous paroîtront convaincantes, si vous faites réflexion que quiconque s’exerce bien dans une vertu, aprend insensiblement à s’exercer dans les autres ; & qu’une vertu ne se peut perfectionner, qu’en même tems toutes les autres ne se perfectionnent, à cause de l’étroite union qu’elles ont ensemble, comme les rayons d’un même soleil.


CHAPITRE XXXV.
Des moyens les plus utiles pour acquérir les vertus, & de quelle sorte on doit s’attacher à une vertu durant quelque tems.

J’Ajoute à ce que je viens de dire que pour devenir solidement vertueux, il faut avoir un cœur grand, une volonté ferme & généreuse ; parce qu’il se trouve dans la suite bien des contradictions & des peines à essuyer. Il faut de plus ressentir une inclination particuliere pour la vertu, & cette inclination vient, en considérant souvent combien les vertus plaisent à Dieu, combien elles sont excellentes en elles-mêmes, combien elles sont utiles & nécessaires à l’homme, & que c’est par elles que toute la perfection Chrétienne commence & finit. Il importe extrêmement de se proposer tous les matins de les pratiquer, selon qu’on en trouvera l’occasion durant le jour ; & l’on s’examinera souvent, pour voir si l’on a exécuté ses bonnes résolutions, & pour en former encore de nouvelles plus efficaces & plus constantes que les premieres.

Ce que je dis, se doit observer particulierement à l’égard de la vertu, qu’on tache alors d’obtenir, & dont on croit voir le plus de besoin. C’est à cette même vertu qu’il faut rapporter toutes les réflexions qu’on fait sur les exemples des Saints, toutes les Méditations sur la Vie & sur la Passion de Notre-Seigneur, qui sont d’une extrême utilité en toute sorte d’exercice spirituel, Accoutumons-nous tellement à faire des Actes de vertu, soit intérieurs, soit extérieurs, que nous y trouvions autant de facilité & de plaisir, que nous en avions auparavant à suivre notre penchant naturel. Et souvenons-nous de ce qui a été dit d’ailleurs ; que les actions les plus contraires aux inclinations de la nature, sont les plus propres à introduire dans notre ame l’habitude de la vertu.

Quelques Sentences tirées des Saintes Écritures prononcées de la maniére qu’il faut, ou de bouche ou du cœur, servent encore merveilleusemenr à cet exercice. Ainsi nous devons toujours en avoir plusieurs qui ayent raport à la vertu que nous devons acquérir, & en user à propos durant la journée, surtout lorsque la passion qui nous domine, vient à s’échauffer. Ceux donc qui tâchent à devenir doux & patiens, peuvent se servir ou des paroles suivantes, ou d’autres semblables : Suportez patiemment la collére d’un Dieu qui vient pour punir vos crimes[11]. La patience des pauvres ne sera pas privée pour jamais du bien qu’elle espére[12]. Un homme patient vaut mieux qu’un homme vaillant, & celui qui se peut dompter lui-même, est préférable à celui qui emporte des Villes d’hassaut[13]. Vous possederez vos ames par la patience[14]. Courons si bien, que par la patience, nous gagnions le prix que Dieu nous propose[15].

On peut ajoûter à ces aspirations, ou d’autres pareilles. O mon Dieu, quand serai-je armé de la patience, comme d’un bouclier à l’épreuve des traits de mon ennemi ! Quand vous aimerai-je, jusqu’à recevoir avec joye toutes les afflictions qu’il vous plaira de m’envoyer ! O vie de mon ame, ne vivrai-je jamais pour votre gloire, pleinement content parmi les souffrances ! O que je serois heureux, si dans les flammes des tribulations je brûlois d’envie de me consumer pour votre service !

Nous nous servirons à toute heure de ces sortes d’Oraisons, suivant le progrès que nous aurons fait dans la vertu, & selon que la dévotion nous l’inspirera. On les nomme jaculatoires, parce que ce sont comme des dards enflammés que nous lançons vers le Ciel, qui ont la vertu d’y élever notre cœur, & qui percent celui de Dieu, quand ils sont accompagnés de deux choses qui leur servent d’aîles. L’une est la connoissance certaine du plaisir que Dieu prend à nous voir dans l’exercice des vertus. L’autre est un desir ardent d’exceller en toute la vertu, par le seul motif de plaire à la divine Bonté.


CHAPITRE XXXVI.
Que l’exercice de la vertu demande une aplication continuelle.

ENtre les choses qui servent à acquérir les vertus Chrétiennes, qui est le but que nous nous proposons ici, une des plus nécessaire et d’essaïer d’avances toujours dans la voye de la perfection, parce qu’on recule pour peu qu’on s’arrête. Dès que nous cessons de faire des Actes de vertu, l’inclination naturelle qui nous porte à rechercher le plaisir, & les objets extérieurs qui flâtent les sens, ne manque pas d’exciter en nous des mouvemens déréglés ; & ces mouvemens détruisent ou affoiblissent du moins les habitudes des vertus. D’ailleurs cette négligence nous prive de beaucoup de graces, que nous pourrions mériter par un plus grand soin de notre avancement spirituel.

C’est la différence qu’il y a entre voyager sur la Terre, & marcher dans la voye du Ciel. Car ceux qui voyagent sur la Terre, peuvent s’arrêter, sans retourner sur leurs pas ; & de plus en marchant toujours, la lassitude les met hors d’état d’aller plus avant. Mais dans le chemin de la perfection, plus on avance, plus on sent augmenter ses forces. La raison de ceci est que la partie inférieure, qui empêche, autant qu’elle peut, par la résistance, le progrès spirituel, vient à s’affoiblir par l’exercice des vertus ; & qu’au contraire la partie supérieure, où est le siége de la vertu, s’affermit & se fortifie davantage.

Ainsi à mesure que l’on profite dans la spiritualité, toute la peine qu’on y voyoit diminuë beaucoup ; & une certaine douceur par où Dieu tempére les amertumes de cette vie, s'augmente à proportion. De sorte qu’allant toujours avec joye de vertu en vertu, on arrive enfin au sommet de la montagne, au comble de la perfection, à cet état bienheureux, où l’ame commence à exercer ses fonctions spirituelles, non-seulement sans dégoûts, mais avec un contentement ineffable ; par ce qu’étant victorieuse de ses passions, & s’étant mise au-dessus de toutes les créatures, & de soi-même, elle vit dans le sein de Dieu, & y jouir parmi les travaux continuels d’un agréable repos.


CHAPITRE XXXVII.
Que puisqu’il faut continuer toujours à pratiquer les vertus, on ne doit omettre aucune occasion de s’y exercer.

NOus avons fait voir assez clairement qu’il faut toujours avan- cer, & ne s’arrêter jamais, dans le chemin de la perfection. Veillez donc tellement sur vous, que vous ne manquiez aucune occasion de travailler à acquérir les vertus. Gardez-vous bien de vous éloigner, comme on fait ordinairement des choses contraires aux inclinations de la nature corrompuë, puisque c’est par elle que l’on parviens aux vertus les plus héroïques.

Voulez-vous (pour ne point sortir de votre premier exemple) vous lez-vous devenir patient ? Prenez garde à ne pas fuïr les personnes, les emplois & les pensées même qui vous causent le plus souvent de l’impatience ; accoûtumez-vous à converser avec toutes sortes de personnes, quelques fâcheuses & incommodes qu’elles soient. Soyez toujours dans la disposition de souffrir tout ce qui vous peut faire le plus de peine. Autrement vous n’acquérerez point l’habitude de la patience.

Si quelque emploi vous déplaît ou de lui-même, ou parce qu’une personne que vous n’aimez pas, vous en a chargé, ou parce qu’il vous détourne d’une autre occupation, qui seroit plus selon votre goût, n’y renoncez pas pour cela. Ayez assez de courage, non-seulement pour l’embrasser avec joye, mais pour y persévérer jusqu’à la fin, quand même vous en ressentiriez de l’inquiétude ; & qu’en le quittant vous pourriez vous mettre l’esprit en repos. Sans cela, vous n’aprendrez jamais à souffrir, & vous ne joüirez point de la véritable paix que posséde une ame qui n’a nulle passion, & qui a toutes les vertus.

Je dis le même de certaines sortes de pensées qui vous tourmentent quelquefois. Car ce n’est pas un avantage pour vous, que d’en être entiérement quitte, puisque la peine qu’elles vous donnent, vous accoûtume à la souffrance des choses les plus fâcheuses. Tenez donc pour assuré que quiconque vous enseigne le contraire, vous aprend plûtôt à fuïr la peine que vous craignez, qu’à acquérir la vertu que vous desirez.

A la vérité un Soldat nouveau & peu aguérri doit se comporter dans ces occasions avec beaucoup de prudence & de retenuë, tantôt en attaquant l’ennemi, & tantôt en reculant, selon qu’il se sent plus ou moins de force & de vertu : mais il ne doit pas lâcher le pied, & abandonner entierement le Combat ; il ne faut pas qu’il évite tout ce qui lui pourroit causer du trouble & du chagrin. Car bien qu’il se mit alors hors de danger de tomber dans l’impatience, il s’y trouveroit ensuite plus exposé que jamais, ne s’étant pas fortifié contre ce vice par habitude de la patience.

Tout ceci n’a point de lieu dans le vice de l’impureté, dont on se sauve par la fuite, comme nous l’avons remarqué ailleurs.


CHAPITRE XXXVIII.
Qu’on doit se réjoüit de toutes les occasions qu’on a de combattre pour acquérir les vertus, principalement de celles où il y a le plus de difficulté.

CE n’est pas assez de ne point fuïr les occasions de travailler pour acquérir la vertu, il faut les chercher ; il faut que dès qu’elles se présentent, nous les embrassions avec joye, & que celles où il y a le plus de mortification, nous soient toujours les plus agréables, comme elles nous sont les plus utiles. Rien ne nous paroîtra mal-aisé avec le secours du Ciel, si nous gravons bien avant dans notre esprit les considérations suivantes.

La premiere est, que les occasions sont des moyens propres, ou pour mieux dire, nécessaires à acquérir les vertus. De-là vient que lorsqu’on demande à Dieu les vertus, on lui demande par conséquent les moyens qu’il veut qu’on employe pour les obtenir. Autrement la premiere seroit vaine ; & on se contrediroit soi-même : on tenteroit Dieu, qui n’a pas accoûtumé de donner la patience sans les tribulations, ni l’humilité sans les oprobres.

Il en est de même de toutes les autres vertus, qui sont les fruits des adversités que Dieu nous envoye, & que nous devons d’autant plus aimer, qu’elles sont plus rudes, parce que les grands efforts qu’il faut faire pour les suporter, contribuent extrêmement à former en nous les habitudes des vertus.

Soyons donc toujours attentifs à mortifier notre propre volonté, quand ce ne seroit que dans une œillade un peu trop curieuse, dans une parole un peu trop libre. Car encore que les victoires qu’on gagne sur soi dans les grandes occasions, soient plus glorieuses, celles qu’on remporte dans les moindres, sont incomparablement plus fréquentes.

La seconde considération que nous avons déja touchée est, que toutes les choses qui arrivent en ce monde, viennent de Dieu, & qu’il prétend que nous en tirions du profit. Car bien qu’à parler proprement, on ne puisse dire quelques unes de ces choses, comme nos pechés, ou ceux d’autrui viennent de Dieu, qui abhorre l’iniquité, il est vrai pourtant qu’elles sont de lui en quelque façon, puisqu’il les permet : & que pouvant absolument les empêcher, il ne le fait pas. Mais pour les afflictions qui nous arrivent, soit par notre faute, soit par la malice de nos ennemis, on ne peut nier qu’elles ne viennent de la main, & qu’il n’y ait part, quoiqu’il condamne la cause. Cependant il veut que nous les suportions patiemment, ou parce qu’elles nous sont des moyens de nous sanctifier, ou pour d’autres justes raisons que lui seul connoît.

Si donc nous sommes certains que pour accomplir parfaitement sa divine volonté, nous devons souffrir de bon cœur tous les maux que nous causent les méchans, ou que nous nous attirons nous-mêmes par nos pechés, c’est à tort que quelques uns pour couvrir leur impatience, disent qu’un Dieu infiniment juste ne peut vouloir ce qui part d’un mauvais principe. On voit bien qu’ils ne prétendent autre chose que de s’exemter de la peine, & de faire même accroire au monde qu’ils ont raison de ne pas recevoir les Croix que Dieu leur présenté. Mais il y a encore plus, c’est que quand tout le reste seroit égal, Dieu se plaît bien davantage à nous voir souffrir constamment les persécutions injustes des hommes, sur-tout de ceux que nous avons obligés, qu’à vous voir prendre en patience d’autres accidens facheux. Et en voici les raisons.

La premiére est, que l’orguëil qui n’ait avec nous, se réprime beaucoup mieux par les mauvais traitemens, que nous font nos ennemis, que par des peines & des mortifications volontaires. La seconde est, qu’en les souffrant patiemment, nous faisons ce que Dieu demande de nous & ce qui est de sa gloire, parce que nous conformons notre volonté à la sienne, dans une chose où la bonté & sa puissance réduisent également ; & que d’un fonds aussi mauvais qu’est le peché même, nous recueillons d’excellens fruits de vertu & de sainteté.

Sçachez donc qu’aussi-tôt que Dieu nous avoit résolus de travailler tout de bon à acquérir les vertus solides, il ne manque point de nous éprouver par des fâcheuses tentations, & par de rudes souffrances. Ainsi connoissant l’amour qu’il nous porte, & l’affection qu’il a pour notre bien spirituel, nous devons recevoir avec actions de graces le Calice qu’il nous offre, & le boire jusqu’à la derniére goûte ; persuadés que plus nous le trouverons amer, plus il nous sera salutaire.


CHAPITRE XXXIX.
Comment on peut en diverses occasions pratiquer la même vertu.

VOus avez vû dans un des Chapitres précédens, qu’il vaut beau- coup mieux s’attacher durant quelque tems à une seule vertu, que d’en embrasser plusieurs à la fois, & que c’est en cette vertu particuliére qu’on doit s’exercer toutes les fois que l’occasion s’en présente. Voyez maintenant avec quelle facilité vous le pourrez faire.

Il arrivera en un même jour, & peut-être en une même heure, qu’on vous fera quelque sévere réprimande pour une action qui ne sera pas mauvaise, ou que pour un autre sujet on parlera mal de vous ; qu’on ne voudra pas vous accorder une grace que vous aurez demandée, & qu’on vous la refusera d’une maniére choquante, quoique ce ne soit qu’une bagatelle ; qu’on aura quelque faux soupçon de vous ; qu’on vous donnera quelque commision odieuse ; qu’on vous servira des viandes mal aprêtées ; qu’il vous surviendra une maladie ; que tout-à-coup vous vous trouverez accablé d’autres maux encore plus grands, comme il s’en trouve une infinité, dans cette misérable vie : parmi tant d’accidens facheux, vous pouvez sans doute pratiquer plusieurs vertus différentes ; mais pour observer la regle qu’on vous a donnée là-dessus, il vous sera plus utile de vous attacher à celle dont vous croyez avoir alors le plus de besoin.

Si c’est la patience, vous ne penserez qu’à souffrir courageusement & avec joye tous les maux, qui vous pourront arriver. Si c’est l’humilité, vous songerez dans toutes vos peines, qu’il n’est point de châtiment qui puisse égaler vos crimes. Si c’est obéissance, vous tacherez de vous soumettre à la volonté d’un Dieu qui vous punit selon vos mérites. Il faudra même vous assujettir pour l’amour de lui, & parce qu’il le veut, non-seulement aux créatures raisonnables, mais encore à celles qui n’ayant ni raison ni vie, ne laissent pas d’être les instrumens de la justice. Si c’est la pauvreté, vous essayerez de vivre content, quoique privé de tous les biens & de toutes les douceurs de cette vie. Si c’est la charité, vous ferez le plus qu’il vous sera possible d’Actes d’amour du prochain & d’amour de Dieu, en considérant que le prochain vous donne occasion de multiplier les mérites, lorsqu’il exerce votre patience ; & que Dieu qui vous envoye, ou qui permet tous les maux que vous souffrez, n’a en vûe que votre bien spirituel.

Ce que je dis de la maniere dont tous pouvez pratiquer en des rencontres différentes, la vertu qui vous est la plus nécessaire, montre en même tems de quelle façon vous pouvez vous y exercer en une seule occasion, comme une maladie, ou en quelqu’autre sorte de peine, soit du corps, soit de l’esprit.


CHAPITRE XL.
Du tems que nous devons employer à acquérir chaque vertu, & des marques du progrès que nous y faisons.

ON ne sçauroit déterminer précisément & en général, combien nous devons employer de tems à nous exercer en chaque vertu, parce que cela dépend de l’état & des dispositions où nous sommes, du progrès que nous faisons dans la vie spirituelle, & de la direction de celui qui nous y conduit. Mais il est constant que si nous nous y appliquons avec tout le soin & toute l’ardeur que nous avons dit, en peu de semaines nous y profiterions beaucoup.

Une marque très-certaine d’un progrès considérable, est lorsque l’on persévére dans ces exercices de piété, malgré les dégoûts, les troubles, les arridités & la privation de toute consolation sensible. Une autre non moins évidente, est lorsque la concupiscence vaincuë & soumise à la raison, ne sçauroit plus empêcher qu’on ne pratique les vertus. Car à mesure qu’elle s’affoiblit, les vertus se fortifient & s’enracinent dans l’ame. C’est pourquoi lorsqu’on ne sent point de contradiction & de révolte dans la partie inférieure, on peut s’assûrer qu’on a acquis l’habitude de la vertu ; & plus on a de facilité à en produire les Actes, plus l’habitude en est parfaite.

Ne croyez pas néanmoins être parvenu à un haut point de sainteté, ni que vous ayez entierement dompté vos passions ; parce que depuis longtems & après plusieurs combats, vous n’en avez ressenti aucune attaque ; sçachez qu’il y a souvent en ceci de l’illusion du Démon, & de l’artifice du côté de la nature, qui se déguise pour un tems. De-là vient que par orguëil secret, on prend pour vertu ce qui est en effet un vice. D’ailleurs, si vous regardez quel est le dégré de perfection où Dieu vous apelle, quelque effort que vous ayez fait jusques ici pour y atteindre, vous vous en trouverez toujours infiniment éloigné. Vous devez donc continuer vos exercices ordinaires, comme si vous ne faisiez que de commencer à les pratiquer, sans jamais vous ralentir de votre premiére ferveur.

Souvenez-vous qu’il vaut mieux tâcher de profiter en vertu, que d’examiner scrupuleusement si l’on y a profité ; parce que Dieu seul qui connoît & sonde les cœurs, découvre à quelques uns ce secret, le cache aux autres, selon qu’il les voit capables ou de s’en humilier, ou d’en tirer vanité. Et par-là ce Pere également bon & sage ôte aux plus foibles l’occasion de leur ruine, & donne aux autres le moyen de croître en vertu. Ainsi quoiqu’une Ame ne voye point le progrès qu’elle fait, elle ne doit pas quitter pour cela ses pratiques de dévotion, parce qu’elle le connoîtra, quand il plaira à notre-Seigneur de lui faire connoître pour son plus grand bien.


CHAPITRE XLI.
Qu’on ne doit pas trop souhaiter d’être délivré des afflictions qu’on endure patiemment, & de quelle sorte il faut régler ses désirs.

QUand vous vous trouverez en quelque affliction, quelle qu’elle soit, & que vous suportiez patiemment, gardez-vous bien d’écouter, ni le démon ni votre amour propre, qui excitent dans votre cœur de violens désirs d’être délivré de cette peine. Car votre impatience seroit cause de deux grands maux, l’un que quand vous ne perdriez pas alors tout-à-fait l’habitude de la patience, ce seroit toujours une disposition au vice contraire ; l’autre, que votre patience ne pourroit être qu’imparfaite, & que vous ne seriez récompensé que pour le tems où vous l’auriez exercée, au lieu que si vous n’aviez point souhaité de soulagement, mais que vous eussiez témoigné une résignation entiére à la volonté divine, quand votre peine n’auroit duré qu’un quart-d’heure, Dieu vous en récompenseroit comme d’une longue souffrance.

Prenez donc pour regle générale en toutes choses, de ne vouloir faire que ce que Dieu veut ; de raporter-là tous vos desirs, comme l’unique but où ils doivent tendre : par ce moyen ils deviendront justes & saints ; & quelques accidens qui puissent arriver, non-seulement vous demeurerez tranquile, mais vous joüirez d’un contentement parfait. Car comme il n’arrive rien en ce monde que par l’ordre de la Providence, si vous ne voulez que ce qu’elle veut, vous aurez tout ce que vous désirerez, parce qu’il n’arriyera rien que selon votre volonté.

Ce que je dis ne s’entend pas à la vérité des pechés d’autrui, ni des vôtres, puisque Dieu les a en horreur ; mais il s’entend de toutes sortes de peines, soit qu’elles soient des punitions de vos pechés, ou de simples épreuves de votre vertu, quand même vous en auriez le cœur tout pénetré de douleur, & que vous seriez en danger d’en perdre la vie. Car ces sortes de croix sont celles dont Dieu a coutume de favoriser les meilleurs amis.

Que si vous cherchez quelque adoucissement à votre peine, & que vous usiez pour cela des moyens communs, sans pouvoir vous soulager, il faut vous résoudre à souffrir patiemment un mal, que vous avez essayé en vain de guérir. Il faut même que vous employez ces moyens, qui de soi sont bons, & dont Dieu veut que vous vous serviez dans le besoin ; il faut, dis-je, que vous les employiez par cette seule raison que Dieu le veut, & non par aucune attache pour vous-même, ni par une trop grande passion de vous délivrer des souffrances.


CHAPITRE XLII.
Comment on peut se défendre des artifices du démon, lorsqu’il suggere des dévotions indiscrettes.

LOrsque le démon, cet ancien Serpent, voit que nous marchons d’un pas assûré dans la voye du Ciel, que tous nos desirs vont à Dieu, & qu’il ne peut nous engager dans le mal par des artifices grossiers, il se transforme en Ange de lumiere ; il nous pousse à la perfection, & nous la fait desirer sans nul égard à notre foiblesse ; il nous inspire les pensées dévotes, nous allégue des passages de l’Ecriture, nous remet devant les yeux les exemples des plus grands Saints, afin qu’une ferveur indiscrette & précipitée ne nous porte trop loin, & nous fasse faire quelque lourde chûte.

Il nous excite, par exemple, à maltraiter excessivement notre chair par des disciplines, par des jeûnes & par d’autres mortifications semblables. Son dessein est, ou que croyant avoir fait de grandes choses, nous en tirions vanité ; ce qui arrive particulierement aux femmes, ou qu’abbatus par des pénitences trop rigoureuses, & au-dessus de nos forces, nous devenions incapables de faire aucune bonne œuvre, ou que ne pouvant plus suporter les travaux d’une vie austere nous nous dégoutions peu à peu de nos exercices spirituels ; & qu’enfin las de pratiquer la vertu, nous recherchions avec plus d’ardeur que jamais les plaisirs & les divertissemens du monde.

Qui pourroit dire combien de gens se sont perdus de la sorte ? La présomption les a aveuglés jusqu’à un tel point, que se laissant emporter indiscrettement à un zele trop avide de souffrances, ils sont tombés dans le piege qu’ils s’étoient eux-mêmes dressé, sont devenus enfin le jouet des démons. Sans doute qu’ils se seroient garantis d’un si grand malheur, s’ils avoient consideré qu’en ces exercices de mortification, quelques louables qu’ils soient ; & quelques fruits qu’en recueillent ceux qui ont assez de force de corps, & assez d’humilité d’esprit pour en profiter, il faut toujours, comme nous avons déja dit, garder quelque regle, & voir ce qui convient davantage aux dispositions où l’on est. Car tous ne peuvent pas faire autant d’austérités que les Saints : mais tous peuvent imiter les Saints en beaucoup de choses : ils peuvent former dans leur cœur des desirs ardens & efficaces de participer aux glorieuses Couronnes que remportent les vrais Soldats de Jesus-Christ dans les combats spirituels ; ils peuvent à leur exemple, mépriser le monde & se mépriser eux-mêmes, aimer la retraite & le silence, être humbles & charitables envers tout le monde, souffrir patiemment les injures, faire du bien à ceux qui leur font le plus de mal, éviter les moindres fautes, qui sont des choses d’un plus grand mérite auprès de Dieu, que toutes les macérations du corps.

Il est même bon de remarquer qu’au commencement il vaut mieux user d’un peu de modération dans les pénitences extérieures, afin de pouvoir les augmenter, quand il en sera besoin, que pour en vouloir trop faire, se mettre en danger de n’en plus faire du tout. Je vous dis ceci dans la pensée que vous êtes bien éloigné de l’erreur grossiere où sont quelques uns, qui passent pour spirituels, mais qui séduits par l’amour propre n’ont rien plus à ceur que de conserver leur santé. Ces gens-là pour la moindre chose craignent de s’incommoder, il n’y a rien de quoi ils s’occupent, ni dont ils parlent plus souvent que du régime de vivre qu’ils doivent garder. Ils ont sur le choix des viandes une extrême délicatesse qui ne sert qu’à les affoiblir : ils préferent ordinairement celles qui flatent davantage le goût, à celles qui sont meilleures, pour l’estomac ; & cependant, si on les en croit, tout ce qu’ils prétendent, c’est d’avoir des forces pour mieux servir Dieu.

C’est-là le prétexte dont ils couvrent leur sensualité : mais dans le fonds ils ne cherchent que le moyen d’accorder ensemble deux ennemis irréconciliables, qui sont la chair & l’esprit : ce qui va infailliblement à la ruine de tous les deux ; puisqu’en même-tems l’un perd la santé, & l’autre la dévotion. C’est pourquoi une maniere de vivre moins délicate & moins inquiete, est toujours la plus aisée & la plus sûre.

Il faut néanmoins y garder quelques mesures, & avoir égard aux diverses complexions qui n’étant pas également fortes, ne peuvent pas soutenir les mêmes travaux. J’ajoûte qu’il faut de la discrétion ; non-seulement pour modérer dans les exercices extérieurs, mais même pour ne pas aller trop loin dans ceux qui sont purement intérieurs & spirituels ; ainsi que nous l’avons fait voir, en expliquant la maniere de s’élever par dégrés aux plus sublimes vertus.


CHAPITRE XLIII.
Que notre mauvaise inclination, jointe aux suggestions du Démon, nous porte à juger témérairement du prochain : de quelle maniere nous y devons résister.

LA bonne opinion que nous avons de nous-mêmes, produit un autre désordre bien préjudiciable ; c’est le jugement téméraire, qui fait que nous concevons, & que nous donnons aux autres une basse idée de notre prochain. Comme ce vice naît de notre orguëil, c’est aussi par notre orguëil qu’il s’entretient ; & plus il augmente, plus nous devenons présomptueux, pleins de nous-mêmes, & susceptibles des illusions du démon. Car nous venons insensiblement à avoir pour nous d’autant plus d’estime, que nous en avons moins pour les autres ; étant faussement persuadés que nous sommes tout-à-fait exemts des fautes dont nous les jugerons coupables.

Lorsque l’ennemi de notre salut reconnoît en nous cette méchante disposition, il employe toutes ses ruses pour nous rendre continuellement attentifs à examiner les défauts d’autrui, & à nous les figurer plus grands qu’ils ne sont. Il n’est pas croyable combien il s’efforce de nous remettre à tout moment devant les yeux quelques légeres imperfections que nous avons vûes dans nos freres, lorsqu’il ne peut nous y en faire remarquer de considérables.

Puis donc qu’il est si artificieux & si apliqué à nous nuire, ne soyons pas moins vigilans à découvrir & à éviter ses pieges. Aussi-tôt qu’il nous représente quelque vice du prochain, rejettons cette pensée, & s’il continue à nous presser d’en former un jugement désavantageux, gardons-nous bien d’écouter ses suggestions malignes. Souvenons-nous que nous n’avons pas l’autorité nécessaire pour juger, & que quand même nous l’aurions, nous ne serions pas assûrez de juger équitablement ; parce que nous sommes prévenus de mille passions aveugles, & que naturellement nous prenons plaisir à censurer les actions & la vie d’autrui.

Pour remédier efficacement à un mal si dangéreux, ayons l’esprit entierement occupé de nos miseres : nous trouverons au-dedans de nous tant de choses à réformer, que l’envie ne nous prendra pas de juger & de condamner les autres. De plus, en nous apliquant à considérer nos propres défauts, nous guérirons aisément l’œil de notre ame d’une certaine malignité, qui est la source des jugemens téméraires. Car quiconque juge sans raison que son frere est sujet à quelque vice, n’a que trop de fondement pour croire qu’il y est sujet lui-même ; puisqu’un homme vicieux pense toujours que les autres lui ressemblent. Lors donc que nous sommes prêt de condamner la conduite de quelque personne, blamons-nous intérieurement nous-mêmes, & faisons-nous ce juste reproche : Aveugle & présomptueux, comment es-tu si téméraire que de critiquer les actions de ton prochain, toi qui as les mêmes défauts, & qui en as de plus grands que lui ? Ainsi tournant contre nous nos propres armes, au lieu d’en blesser nos freres, nous les employerons à guérir nos playes.

Que si la faute que nous condamnons est réelle & manifeste, excusons par charité celui qui l’a commise ; croyons qu’il a des vertus cachées, qu’il n’auroit pû conserver, si Dieu n’eût permis cette chûte, croyons qu’un léger défaut que Dieu lui laisse pour quelque tems, rabattera beaucoup de la bonne opinion qu’il a de lui-même ; qu’étant méprisé des autres, il en deviendra plus humble, & par conséquent que son gain sera plus grand que la perte. Mais si le peché est non-seulement public, mais énorme ; si le pecheur est endurci & impénitent, élevons notre esprit au Ciel, entrons dans les secrets jugemens de Dieu ; considérons que beaucoup de gens après avoir longtems vêcu dans le crime, sont devenus de grands Saints, & que d’autres au contraire qui sembloient être arrivés au comble de la perfection, sont tombés malheureusement dans un abîme, d’iniquité.

Par ces considérations, chacun comprendra qu’il n’y a pas moins à craindre pour lui que pour tout autre ; & que s’il sent quelque inclination à juger favorablement des autres, c’est le Saint Esprit qui la lui donne : au lieu que ses jugemens téméraires, ses aversions & son mépris pour le prochain, n’ont point d’autre cause que sa propre malignité, & la suggestion du démon ; si donc nous nous sommes arrêtés à considérer trop curieusement les défauts d’autrui, ne nous donnons point de repos que tout ne soit effacé de notre mémoire.


CHAPITRE XLIV.
De l’Oraison.

SI la défiance de nous-mêmes, la confiance en Dieu, & le bon usage de nos puissances sont des armes nécessaires dans le Combat spirituel, comme on l’a fait voir jusques ici, l’Oraison que nous avons mis la derniere est encore d’une plus grande nécessité, puisque c’est par elle qu’on obtient de Dieu, non-seulement ces vertus, mais généralement tous les biens dont on a besoin. C’est par ce canal que découlent toutes les graces qu’on reçoit d’en haut : c’est elle qui fait que le Tout-puissant vient du Ciel à notre secours, & que par des mains aussi foibles que les nôtres, il détruit nos plus redoutables ennemis. Pour nous en servir comme il faut, voici ce que nous avons à faire.

1. Nous devons avoir un véritable desir de servir Dieu avec ferveur, & en la maniere qui lui sera la plus agréable. O ce desir s’allumera dans notre cœur, si nous considérons attentivement trois choses. La premiere est, que Dieu mérite infiniment d’être servi & honoré, à cause de l’excellence de son Etre souverain, de sa bonté ; de sa beauté, de sa sagesse de sa puissance, & de toutes ses perfections inefables. La seconde est, ce que Dieu fait homme n’a cessé durant trente-trois années de travailler pour notre salut, qu’il a bien voulu panser de ses propres mains les horribles playes de nos pechés, & qu’il a eu la bonté de les guérir, non pas en y versant du vin & de l’huile, mais en y appliquant son Sang précieux & sa Chair très-pure, toute déchirée par les fouets, par les épines & par les cloux. La troisiéme est, qu’il nous importe extrêmement de garder la Łoi, & de nous bien acquitter de nos devoirs, puisque c’est l’unique moïen de nous rendre Maître de nous-mêmes, victorieux du démon & enfans de Dieu.

2. Nous devons avoir une foi vive, & une ferme confiance que Dieu ne nous refusera point les secours nécessaires pour le bien servir, & pour opérer notre salut. Une ame pleine de cette sainte confiance, est comme un Vase sacré, où la divine Miséricorde répand les trésors de sa grace ; & plus il est grand, plus est grande aussi l’abondance des bénédictions célestes que l’Oraison y attire. Car comment un Dieu, à qui rien n’est impossible, & qui ne trompe personne, pourroit-il ne pas nous communiquer ses dons, lui qui nous presse de les demander, & qui nous promet son S. Esprit, pourvû que nous le demandions avec foi & avec persévérance ?

3. Nous devons prier par le seul motif de faire ce que Dieu veut, & non pas ce que nous voulons, desorte que nous ne nous apliquions à la priere, qu’à cause que Dieu nous le commande, & que nous ne desirions d’être exaucés qu’autant qu’il lui plaît ; qu’ainsi nous ayons purement en vûe de conformer notre volonté à la sienne, & non pas d’accommoder sa volonté à la nôtre. La raison de ceci est, que l’amour propre ayant perverti & corrompu notre volonté, nous ne sçavons le plus souvent ce que nous ne demandons ; au lieu que la volonté divine ne peut faillir, étant essentiellement juste & saine. Aussi doit-elle être la regle de toute notre volonté, & c’est s’égarer que de ne la pas suivre. Prenons donc garde à ne demander à Dieu que des choses qui lui agréent, s’il y a lieu de craindre que ce que nous souhaitons, ne soit pas conforme à sa volonté, ne le demandons qu’avec une entiere soumission aux ordres de sa Providence. Mais si les choses que nous voulons obtenir, ne peuvent lui être que très-agréables, comme des graces & des vertus, demandons-les plûtôt pour lui plaire, & pour servir la divine Majesté, que pour toute autre considération, quelque spirituelle qu’elle soit.

4. Si nous voulons que nos prieres soient exaucées, il faut que nos œuvres s’accordent avec nos demandes ; il faut qu’avant l’Oraison & après, nous travaillions de toutes nos forces pour nous rendre dignes de la grace que nous desirons obtenir. Car l’exercice de l’Oraison & celui de la mortification intérieure, ne doivent jamais aller l’un sans l’autre ; parce que c’est tenter Dieu que de lui demander une vertu, & de ne pas se mettre en peine de la pratiquer.

5. Avant que de rien demander à Dieu, rendons-lui de très-humbles actions de graces pour tous les biens qu’il lui a plû de nous faire. Nous lui pourrons dire : Seigneur, qui après an’avoir créé, m’avez racheté par votre miséricorde, & m’avez ensuite délivré une infinité de fois de la fureur de mes ennemis, venez maintenant à mon secours, & oubliant mes ingratitudes passées, ne me refusez pas la grace que je vous demande. Que si lors même que nous voulons obtenir quelque vertu en particulier, nous sommes tentés du vice contraire, ne manquons pas de remercier Dieu de l’occasion qu’il nous donne d’exercer cette vertu car ce n’est pas une petite faveur.

5. Comme l’Oraison doit toute sa force & son efficace à la souveraine bonté de Dieu, aux mérites de la Vie & de la Passion de notre-Seigneur & à la promesse qu’il nous a faite de nous exaucer, nous mettrons toujours à la fin de nos prieres, une ou plusieurs des conclusions suivantes : Je vous conjure, Seigneur, par votre divine miséricorde, de m’octroyer cette grace. Accordez-moi par les mérites de votre Fils, ce que je vous demande. Souvenez-vous, ô mon Dieu, de vos promesses, & exaucez mes prieres. Quelquefois il sera bon d’employer auprès de Dieu l’intercession de la Sainte Vierge & des autres Saints. Car ils ont au Ciel beaucoup de pouvoir & Dieu prend plaisir à les honorer, à proportion de l’honneur qu’ils lui ont rendu pendant leur vie.

7. Il faut de plus persévérer dans cet exercice, parce que le Tout-puissant ne peut résister à une humble persévérance dans la priere. Que si l’importunité de la Veuve de l’Evangile pût fléchir un méchant Juge, comment nos prieres ne toucheroient-elles pas un Dieu infiniment bon ? Et ainsi quand il tarderoit à nous accorder nos demandes, quand il sembleroit ne vouloir pas même nous écouter, nous ne devrions pas pour cela perdre la confiance que nous avons en son infinie bonté, ni de cesser de le prier, parce qu’il a dans le souverain degré tout ce qui est nécessaire pour pouvoir, & pour vouloir nous faire du bien. Si donc il ne manque rien de notre côté, nous obtiendrons infailliblement ce que nous demanderons, ou quelque chose de meilleur, & peut-être même l’un & l’autre. Au reste, plus nous croirons être rebutés, plus il faut que nous concevions de mépris & de haine pour nous-mêmes ; de telle sorte néanmoins qu’en considérant nos miseres, nous envisagions toujours la divine miséricorde ; & que bien loin de diminuer notre confiance en elle, nous l’augmentions, dans la pensée que plus nous demeurerons fermes parmi les sujets de défiance, plus nous aurons de mérite.

Enfin ne cessons jamais de remercier Dieu ; bénissons également sa sagesse, sa bonté, sa charité, soit qu’il nous refuse, ou qu’il nous accorde nos demandes ; & quoiqu’il arrive, demeurons toujours tranquilles, contens & soumis en tout à sa Providence.


CHAPITRE XLV.
Ce que c’est que l’Oraison Mentale.

L’Oraison Mentale, est une élévation de l’esprit à Dieu, dans laquelle on lui demande, ou expressément ou tacitement, les choses dont on croit avoir besoin.

On les lui demande expressément, lorsque de cœur on lui dit : Oh mon Dieu ! accordez-moi cette grace, pour l’honneur de votre saint Nom, ou bien, Seigneur, je crois fermement que vous voulez, & qu’il est de votre gloire que je vous demande cette faveur. Accomplissez donc maintenant en moi votre divine volonté. Quand nos ennemis nous attaquent & nous pressent le plus vivement, nous lui pouvons faire cette priere : Hâtez-vous, Seigneur, de me secourir, de peur que je ne devienne la proye de mes ennemis, ou cette autre : Mon Dieu, mon refuge & toute ma force, sécourez-moi promptement, de crainte que je ne succombe. Si la tentation continue, nous continuerons aussi à prier de la même sorte, résistant toujours courageusement au malin esprit. Quand le plus fort du combat sera passé, nous nous tournerons vers notre-Seigneur, & le priant de considérer d’un côté les forces de notre ennemi, de l’autre notre foiblesse, nous lui dirons : Voici, ô mon Dieu votre créature ; voici l’ouvrage de vos mains ; voici cet homme que vous avez racheté de votre Sang : voyez le démon qui s’efforce de vous l’enlever & de le perdre. C’est à vous que j’ai recours, c’est en vous que je mets toute ma confiance ; parce que je sçai que vous êtes infiniment bon & infiniment puissant. Ayez pitié d’un aveugle, quoique volontaire, qui sans le secours de votre grace, ne peut éviter de tomber entre les mains de votre ennemi. Assitez-moi donc, ô mon unique espérance, ô toute la force de mon ame !

On demande tacitement des graces à Dieu, lorsqu’on se contente de lui représenter ses besoins, sans rien dire davantage. Étant donc en sa présence, & reconnoissant que de nous-mêmes nous ne sommes point capables d’éviter le mal, ni de faire le bien, brûlant d’ailleurs du desir de se servir, nous arrêterons la vûe sur lui, en attendant son secours avec confiance & avec humilité. Cet aveu de notre foiblesse, ce desir de servir Dieu, cet Acte de Foi fait de la maniere que j’ai dit, tout cela est une priere tacite, qui obtient infailliblement du Ciel ce que nous voulons ; & qui a d’autant plus de force, que l’aveu est plus sincere, le desir plus ardent, & la foi plus vive. Il y a une autre priere semblable, mais plus courte, laquelle se fait par un regard simple de l’ame, qui expose aux yeux du Seigneur son indigence ; & ce regard n’est autre chose que le souvenir d’une grace qu’on auroit déja demandée, & qu’on demande encore, sans rien dire & sans exprimer son desir.

Tachons de mettre en usage cette sorte d’Oraison, & aprenons à nous en servir en toute rencontre ; parce que l’expérience nous fera voir, que comme il n’y a rien de plus aisé, il n’y a rien aussi de plus excellent, ni de plus utile.


CHAPITRE XLVI.
De la Méditation.

QUand on veut donner un peu plus de tems à la priere, comme une demie heure, ou une heure, ou même davantage, il faut y joindre la Méditation sur quelque point de la Vie, ou de la Passion de Notre-Seigneur ; & apliquer à la vertu qu’on veut acquérir, toutes les réflexions qui se font sur cette matiere.

Si donc vous avez besoin de vous exciter à la patience, arrêtez-vous à considérer le mystere de la Flagellation de votre Sauveur : songez, 1. comme les Soldats ayant eu ordre de la conduire dans le lieu où il devoit être fouetté, ils l’y traînerent avec de grands cris & de railleries sanglan- tes. 2. Comme ces cruels Bourreaux l’ayant dépouillé, son Corps très pur demeura tout nud. 3. Comme ses mains innocentes furent liées très étroitement à la colonnes. 4. Comme tout son Corps fut tellement déchiré par les fouets, qu’il en couloit jusqu’à terre des ruisseaux de Sang. 5. Comme les coups souvent redoublés dans une même partie, augmentoient & renouvelloient ses Playes.

Pendant que vous méditerez sur ces points, ou sur d’autres semblables propres à vous inspirer l’amour de la patience, appliquez d’abord vos sens intérieurs à ressentir le plus vivement que vous pourrez, les douleurs inconcevables que souffrit votre divin Maître dans toutes les parties de son corps & dans chacune en particulier. De-là passez à la considération de celle qu’il enduroit dans son Ame sainte, & tâchez de concevoir avec quelle patience & quelle douceur il les enduroit, toujours prêt à en souffrir de nouvelles pour la gloire de son Pere, & pour votre bien.

Après cela regardez-le tout couvert de sang, & assurez-vous que ce qu’il a le plus à cœur, est que vous preniez en patience votre affliction, & qu’il prie même son Pere de vous aider à porter non-seulement cette Croix, mais même toutes celles qui pourront vous arriver dans la suite. Confirmez par de nouveaux Actes la résolution où vous êtes de tout souffrir avec joie ; puis élevant votre esprit au Ciel, rendez au Pere des miséricordes mille actions de graces, de ce qu’il a bien voulu envoyer au monde son Fils unique, afin qu’il souffrit de si horribles tourmens, & qu’il intercédât pour vous, Priez-le enfin de vous donner la vertu de la patience par les mérites, & par l’intercession de ce Fils qu’il aime comme lui-même.


CHAPITRE XLVII.
D’une autre façon de prier, par la voie de la Méditation.

VOus pourrez encore prier & méditer d’une autre façon. Après a- voir consideré attentivement les peines de Notre-Seigneur, & l’allegresse avec laquelle il les souffroit, vous passerez de la considération de ses douleurs & de sa patience, à deux autres considérations non moins nécessaires.

L’une sera celle de ses mérites infinis ; l’autre celle du contentement & de la gloire que reçût le Pere Éternel de l’obéissance qu’il lui rendit jusques à la mort, & même à la mort de la Croix. Vous représenterez ces deux choses à sa divine Majesté, comme deux raisons puissantes pour en obtenir la grace que vous désirez. Cette pratique pourra s’étendre non-seulement à tous les Mysteres de la Passion du Fils de Dieu, mais encore à tous les Actes, soit intérieurs, soit extérieurs qu’il faisoit en chaque Mystere.


CHAPITRE XLVIII.
D’une maniere de prier, fondée sur l’intercession de la Sainte Vierge.

OUtre les maniéres de Méditation dont nous venons de parler, il y en a une autre qui s’adresse particuliérement à la Sainte Vierge. D’abord vous vous remettrez devant les yeux le Pere Éternel, puis Jesus-Christ Notre-Seigneur, & enfin la glorieuse Mere.

A l’égard du Pere Éternel, vous considérerez deux choses. L’une est l’affection toute singuliére qu’il a eû de toute éternité pour cette Vierge très pure, avant même qu’il l’eût tirée du néant. L’autre est l’éminente sainteté qu’il lui a communiquée, & tout le bien qu’elle a fait depuis le moment de la Conception, jusqu’à celui de sa Mort.

Pour la premiere ; voici ce que vous avez à faire. Commencez par vous élever en esprit au-dessus de toutes les créatures ; portez vos pensées au-delà de tous les tems ; entrez dans l’abîme de l’éternité, pénétrez jusques dans le cœur de Dieu, & voyez avec quelle satisfaction il consideroit dans l’avenir celle qu’il destinoit pour Mere à son Fils ; conjurez-le par le plaisir qu’il y prenoit, de vous donner assez de forces pour vaincre vos ennemis ; & sur tout celui qui vous fait présentement une plus cruelle guerre. Après cela représentez-vous les vertus & les actions héroïques de cette Vierge incomparable ; offrez-les à Dieu, ou toutes ensemble, ou chacune en particulier, & faites-vous-en un mérite, pour obtenir de la divine Bonté toutes les choses dont vous pouvez avoir besoin.

Adressez-vous ensuite à Jesus, & priez-le de se souvenir de cette Mere si aimable, qui le porta neuf mois entiers dans son sein ; qui dès qu’il fut né, l’adora avec un profond respect, le reconnoissant pour vrai Dieu & pour vrai Homme, pour son Créateur & pour son Fils tout ensemble ; qui le vit avec compassion couché pauvrement dans une étable ; qui le nourrit de son lait très-pur ; qui l’embrassa & le baisa mille fois avec tendresse, qui souffrit pour lui durant sa vie & à la mort des peines inconcevables. Exposez-lui si bien toutes ces choses, que vous l’obligiez par des considérations si puissantes à exaucer votre priere.

Puis venant à la Vierge même, dites-lui que la Providence l’a prédestinée avant tous les siécles pour être Mere de miséricorde, & Avocate des pecheurs ; que par conséquent, après son Fils, elle est celle en qui vous ayez le plus de confiance. Remettez-lui en mémoire cette vérité si constante parmi les Docteurs, & confirmée par tant de merveilles extraordinaires, que jamais nul ne l’a invoquée avec soi, qu’il n’en ait été secouru dans le besoin. Enfin, présentez-lui toutes les peines que son Fils a endurées pour votre salut, afin qu’elle vous obtienne de lui la grace d’en profiter, pour la gloire & pour la satisfaction de cet aimable Sauveur.


CHAPITRE XLIX.
De quelques considérations qui peuvent porter les pecheurs à recourir avec confiance à la Sainte Vierge.

QUiconque veut recourir avec une ferme confiance à la Sainte Vierge, doit s’y exciter par les considérations suivantes.

1. L’expérience montre qu’un vase où il y a eu du musc ou du baume, en retient l’odeur, surtout quand le musc ou le baume y a demeuré longtems, ou qu’il y en reste quelque peu. Cependant ni l’un, ni l’autre n’a qu’une vertu limitée, non plus que le feu dont on conserve la chaleur, après qu’on s’en est retiré. Cela étant, que dirons-nous de la charité & de la miséricorde de cette Vierge qui a porté neuf mois durant dans les entrailles, & qui porte encore dans son cœur, le Fils unique de Dieu, la Charité incréée, dont la vertu n’a point de bornes ? S’il est impossible de s’approcher d’un grand feu, que l’on n’en soit échauffé, ne s’ensuit-il pas, & n’a-t-on pas un plus grand sujet de croire que quiconque s’approchera de Marie, cette Mere de miséricorde, de ce cœur toujours brûlant du feu de la Charité, en ressentira d’autant plus souvent, & avec plus de confiance & d’humilité ?

2. Jamais pure créature n’a eû tant d’amour pour Jesus-Christ, ni tant de soumission à ses volontés que sa bienheureuse Mere. Si donc ce divin Sauveur, qui s’est sacrifié pour de misérables pecheurs comme nous ; si ce Sauveur, dis-je, nous a donné sa propre Mere, pour être notre Mere commune, notre Avocate, notre Médiatrice auprès de lui, comment pourroit-elle ne pas entrer dans ses sentimens, & négliger de nous secourir ? Ne craignons point d’implorer sa miséricorde ; recourons à elle avec confiance dans toutes nos nécessités, parce qu’elle est une source inépuisable de graces, & qu’elle a coûtume de mésurer ses bienfaits à notre confiance.


CHAPITRE L.
D’une maniere de méditer & de prier par l’entremise des SS. Anges, & de tous les Bienheureux.

POur mériter la protection des Saints Anges & de tous les Saints qui sont au Ciel, voici deux moyens dont vous pourrez vous servir.

Le premier sera de vous adresser d’abord au Pere Eternel, & de lui représenter les louanges que toute la Cour céleste lui donne, les travaux, les persécutions, les tourmens que les Saints ont enduré ici-bas pour l’amour de lui ; de le conjurer ensuite par toutes les marques de leur respect de leur fidelité & de leur amour, de leur donner ce qui vous est nécessaire.

Le second sera d’invoquer ces glorieux Esprits, qui souhaitent non-seulement que nous devenions parfaits comme eux, mais que nous soyons même élevés au-dessus d’eux dans la gloire. Vous les priez donc instamment de vous aider à vous défaire de vos vices, & à vaincre les ennemis de votre salut, mais particulierement de vous assister à l’article de la mort. Quelquefois vous admirerez les graces extraordinaires qu’ils ont reçûes de Notre-Seigneur, & vous vous en réjouirez, comme si c’étoit votre propre bien. Vous aurez même en quelque façon plus de joye de voir qu’il leur a fait de plus grands avantages qu’à vous, parce qu’il l’a ainsi voulu ; & ce sera pour vous un sujet de le louer & de le bénir.

Mais pour pratiquer cet exercice avec moins de peine & avec plus d’ordre, vous partagerez selon les jours de la semaine, les divers Ordres des Bienheureux en cette maniere. Le Dimanche vous invoquerez les neuf Chœurs des Anges ; le Lundi, St. Jean-Baptiste ; le Mardi, les Patriarches & les Prophêtes ; le Mercredi, les Apôtres ; le Jeudi, les Martyrs ; le Vendredi, les Pontifs & les autres Confesseurs ; le Samedi, les Vierges & les autres Saints. Cependant n’oubliez jamais de reclamer la Ste. Vierge, qui est la Reine de tous les Saints, ni votre bon Ange, ni le glorieux Archange Saint Michel, ni d’autres Saints, à qui vous avez une dévotion particuliere.

Ne laissez passer aucun jour que vous ne demandiez à Marie & à Jesus, au Pere Éternel, qu’il leur plaise de vous donner pour principal Protecteur, Saint Joseph, très digne Époux de la plus pure des Vierges. Puis vous adressant à lui avec confiance, priez-le humblement de vous recevoir en sa protection. On raporte une infinité de merveilles que ce grand Saint a opérées, & beaucoup de faveurs insignes qu’il a faites à tous ceux qui dans leurs nécessités, soit spirituelles, soit corporelles, l’ont invoqué, principalement lorsqu’ils ont eu besoin de la lumiere céleste, & d’un Directeur invisible pour aprendre à bien prier. Que Si Dieu considere tant les autres Saints, à cause qu’ils l’ont servi & honoré en ce monde, quelle considération, quelle déférence n’aura-t-il pas pour celui qu’il a honoré lui-même ici-bas, jusqu’à vouloir se soumettre à lui, & lui obéir comme à son Pere !


CHAPITRE LI.
De la Méditation des souffrances de Jesus-Christ, & de divers sentimens affectueux qu’on en peut tirer.

CE que j’ai dit auparavant de la maniere de prier, & de méditer sur les souffrances de Notre-Seigneur, ne va qu’à lui demander des graces : nous allons voir maintenant de quelle sorte on en peut tirer divers sentimens affectueux. Si donc, par exemple, vous avez choisi pour le sujet de votre Méditation, le crucifiement de cet Homme-Dieu, parmi plusieurs circonstances de ce mystere, vous pourrez vous arrêter à celles qui suivent.

Considerez, 1. Que Jesus étant arrivé sur le Calvaire, les Bourreaux le dépouillerent avec violence, & lui arracherent la peau toute déchirée par les foüets, & collée à ses habits par le Sang, qui avoit coulé de ses blessures. 2. Qu’on lui ôta sa Couronne d’Épines ; & que la lui ayant remise aussi-tôt, on lui fit de nouvelles playes. 3. Qu’à coups de marteau on l’attacha cruellement avec de gros cloux au bois de la Croix, 4. Que ses mains sacrées ne pouvant atteindre ou lieu où l’on le devoit cloüer, on les lui tira si violemment, qu’on lui disloqua tous les os, & qu’il fut facile de les compter[16]. 5. Qu’ayant été élevé sur cette Croix, où il n’étoit soûtenu que par les cloux, le poids de son corps augmenta ses playes, & lui causa d’étranges douleurs.

Si par ces sortes de considérations, ou par d’autres semblables, vous désirez exciter en votre cour des mouvemens de l’amour divin, tâchez d’arriver par la méditation, à une sublime connoissance de la bonté infinie de votre Sauveur, qui a bien voulu souffrir pour l’amour de vous tant de peines, Car plus vous croîtrez en la connoissance de l’amour qu’il a eu pour vous, plus vous aurez d’attachement & d’amour pour lui. Etant ainsi convaincu de son excessive charité, vous ne pourrez vous empêcher de faire des Actes de Contrition : d’avoir si souvent & sị indignement outragé celui qui s’est immolé lui-même pour la satisfaction de vos offenses.

Vous viendrez ensuite à former des Actes d’Espérance, en considérant que ce grand Dieu n’avoit point d’autre dessein sur la Croix, que d’exterminer le peché du monde, de vous délivrer de la tyrannie du Démon, d’expier vos crimes, de vous réconcilier avec son Pere ; de vous faire recourir à lui dans tous vos bésoins. Que si après avoir considérez ses souffrances, vous en considérez les effets ; si vous remarquez que par la mort il a effacé les pechés des hommes, il a appaisé la colere du souverain Juge, il a confondu les puissances de l’Enfer, il a triomphe de la mort même, il a rempli dans le Ciel les places des Anges rebelles, votre douleur se convertira en joye, & cette joye s’augmentera par le souvenir de celle que le grand ouvrage de la Rédemption du monde causa aux trois Personnes divines, à la bienheureuse Vierge, à l’Église Militante, & à l’Église Triomphante.

Que si vous voulez concevoir un vif regret de vos pechés, n’ayez en vûë dans votre Méditation, que de vous persuader que si Jesus a tant souffert, ç’a été pour vous inspirer une haine salutaire de vous-même, & de vos passions déreglées, surtout de celle qui vous fait faire de plus grandes fautes, & qui déplaît par conséquent davantage à Dieu.

Pour entrer dans des sentimens d’admiration, vous n’aurez qu’à considérer qu’il n’y a rien de plus surprenant que de voir le Créateur de l’Univers, l’Auteur de la Vie, mourir par les mains de ses créatures ; de voir la suprême Majesté comme anéantie, la Justice condamnée, la beauté salie de crachats & presque effacée, l’objet de l’amour du Pere Éternel devenu l’objet de la haine des pecheurs ; la lumiere inaccessible abandonnée à la fureur des Puissances des ténébres ; la gloire, la félicitée incréée, ensevelie dans l’oprobre & dans la misere.

Pour vous exciter à la compassion des souffrances de votre Sauveur & de votre Dieu, outre les peines extérieures, représentez-vous les intérieures, qui furent sans comparaison plus grandes. Que si vous êtes sensible aux premieres, comment pourrez-vous n’être pas touché des autres, jusqu’à en avoir le cœur percé de douleur ? L’ame du Sauveur voyoit clairement la divine Essence, comme elle la voit maintenant au Ciel : elle sçavoit combien Dieu mérite d’être honoré, & comme elle l’aimoit infiniment, elle désiroit aussi que toutes les créatures l’aimassent de toutes leurs forces. Le voyant donc terriblement deshonoré dans tout le monde par une infinité de crimes abominables, elle en étoit pénétrée d’une douleur non moins excessive que son amour, & que le desir qu’elle avoit que la Majesté divine fut aimée & servie de tous les hommes. La grandeur de cet amour & de ce désir étoit au-dessus de toute imagination, & par conséquent, il est inutile de vouloir comprendre quel fut l’excès des peines intérieures de Jesus mourant sur la Croix.

De plus, comme ce divin Sauveur aimoit tous les hommes d’une maniere qui passe tout ce que l’on peut en dire, l’affection si tendre & si ardente qu’il avoit pour eux, étoit cause qu’il s’affligeoit extrêmement de leurs pechés, qui les devoient séparer de lui. Il voyoit que nul d’entr’eux ne pouvoit commettre de peché mortel, sans détruire la charité & la grace, qui est le lien par où les Justes demeurent unis spirituellement avec lui. Or cette séparation étoit à l’ame de Jesus bien plus douloureuse que n’est au corps celle de ses Membres, lorsqu’ils sont hors de leur place, & il ne faut pas s’en étonner. Car l’ame étant toute spirituelle, & d’une nature beaucoup plus parfaite que le corps, elle est aussi bien plus susceptible de la douleur. Mais après tout, la plus sensible affliction de Notre-Seigneur fut de voir tous les pechés des damnés, qui ne pouvant plus retourner à lui par la Pénitence, doivent être éternellement séparés de lui.

Si à la vûë de tant de peines, vous sentez que votre cœur se laisse attendrir à la compassion pour votre Jesus, passez plus avant, & vous trouverez qu’il a souffert des douleurs extrêmes, non-seulement pour les pechés que vous avez effectivement commis, mais même pour ceux que vous n’avez point commis, puisqu’il est certain qu’il lui a coûté tout son Sang pour vous délivrer des uns, & pour vous préserver des autres, Croyez-moi, vous ne manquerez jamais de raisons capables de vous porter à prendre part aux souffrances de Jesus Crucifié. Sçachez qu’il n’y a jamais eu, & qu’il n’y aura jamais en quelque créature raisonnable que ce soit, aucun mal qu’il n’ait ressenti : injures, oprobres, tentations, maladies, perte de biens, austérités volontaires, il a ressenti tout cela plus vivement que ceux mêmes qui le souffrent en effet. Car comme ce Pere charitable a une connoissance très-parfaite de toutes leurs peines grandes & petites, spirituelles & corporelles, jusqu’à la moindre piqueure, & au moindre mal de tête, il ne pouvoit s’empêcher d’en avoir une tendre compassion.

Mais qui pourroit dire combien les souffrances de la sainte Mere lui furent sensibles ? Tout ce qu’il endura de plus cruel & de plus ignominieux en sa Passion, elle l’enduroit à sa maniere dans les mêmes vûës, & par les mêmes motifs : Et encore que la douleur ne fût pas égale, elle étoit toujours excessive. C’est ce qui redoubloit toutes les douleurs de Jesus, & qui faisoit dans son ame de profondes playes. De-là vient qu’une sainte Ame disoit avec beaucoup de simplicité, que le cœur de Jesus souffrant lui paroissoit comme une espece d’Enfer, dont toutes les peines étoient volontaires, & où il n’y avoit point d’autre feu que celui de la Charité.

Mais enfin quelle est la cause de tant de tourmens ? Ce sont nos pechés ; & par conséquent la meilleure maniere d’y compatir, & de marquer notre reconnoissance à celui qui a tant souffert pour nous, c’est d’avoir regret de nos infidelités, purement pour l’amour de lui ; c’est de haïr le peché par-dessus toutes choses, à cause qu’il lui déplaît, & de faire une continuelle guerre à nos vices, comme à ses plus mortels ennemis ; afin que nous dépouillant du vieil homme, & vous revêtant du nouveau ; nous ornions nos ames de vertus Chrétiennes, qui en font toute la beauté.


CHAPITRE LII.
Des fruits que l’on peut tirer de la Méditation de la Croix, & de l’Imitation des vertus de Jesus souffrant.

VOus pouvez tirer de grands avantages de la Méditation de la Croix. Le premier est, que non-seulement vous détestiez vos pechés passés, mais que vous preniez la résolution de combattre vos passions déreglées, qui ont fait mourir votre Sauveur, & qui ne sont pas éteintes en vous. Le second est, que vous obteniez de Jesus crucifié le pardon de vos offenses, & la grace d’une haine salutaire de vous-même ; afin que vous ne l’offensiez plus, mais que vous l’aimiez & le serviez désormais de tout votre cœur, en reconnoissance de tant de peines qu’il a souffertes pour l’amour de vous. Le troisiéme, que vous travaillez tout de bon & sans relâche à déraciner de votre cœur vos mauvaises habitudes, quelques légeres qu’elles paroissent. Le quatriéme est, que vous faisiez tous vos efforts pour imiter les vertus de ce divin Maître, qui est mort, non-seulement pour expier vos pechés, mais pour vous donner l’exemple d’une vie sainte & parfaite.

Voici une maniere de Méditation fort utile pour cela. Je supose qu’entre les vertus du Sauveur vous avez dessein d’imiter particulierement sa patience dans les maux qui vous arrivent. Examinez donc avec attention les points suivans. 1. Ce que l’Ame de Jesus en Croix fait pour Dieu. 2. Ce que Dieu fait pour l’Ame de Jesus. 3. Ce que l’Ame de Jesus fait pour elle-même & pour son Corps. 4. Ce que Jesus fait pour nous. 5. Ce que nous devons faire pour Jesus.

1. Considérez avant toutes choses comme l’Ame de Jesus, abîmée dans le sein de Dieu, contemple cet Étre infini & incompréhensible, devant lequel les plus nobles créatures ne sont rien : comme, dis-je, elle le contemple dans un état, où sans rien perdre de sa grandeur & de sa gloire essentielle, il s’abaisse jusqu’à souffrir toutes sortes d’indignités de la part de l’homme infidele & méconnoissant, & comme ensuite elle adore cette souveraine Majesté, lui rend mille actions de graces, & se dévouë toute entiere à son service.

2. Voyez d’un autre côté ce que Dieu fait à l’égard de l’Ame de Jesus ; considérez comme il veut que ce Fils unique, qui lui est si cher, souffre pour l’amour de nous, qu’on lui donne des soufflets, qu’on lui couvre le visage de crachats, qu’on vomisse contre lui mille blasphemes, qu’on le déchire à coups de fouets, qu’on le couronne d’épines, qu’on l’attache à une Croix. Voyez avec quelle satisfaction il le regarde chargé d’infamie, & accablé de douleurs pour une si glorieuse cause.

3. Représentez-vous ensuite l’Ame de Jesus, & remarquez que, comme elle sçait que Dieu prend plaisir à la voir souffrir ; l’amour qu’elle lui porte, soit à cause de ses perfections ineffables, ou à cause des biens infinis qu’elle en a reçûs, fait qu’elle se soumet en tout avec promptitude & avec joye à ses volontés. Quelle langue pourroit exprimer l’ardeur qu’elle a pour les Croix ? Elle ne s’occupe qu’à chercher de nouvelles manieres de souffrances ; & ne trouvant pas ce qu’elle cherche, elle s’abandonne avec sa chair innocente à la merci des hommes les plus cruels, & des démons mêmes.

4. Après cela jettez les yeux sur votre Jesus, qui dans le fort de ses douleurs se tourne vers vous, & vous dit amoureusement : Voici l’état pitoyable, où m’a réduit le dereglement de votre volonté, qui n’a pû se faire de violence pour le conformer à la mienne. Voyez quel est l’excès de mes douleurs, & avec combien de joye je les souffre, sans autre vûe que de vous aprendre la patience. Je vous jure par toutes mes peines, de porter courageusement cette Croix que je vous présente, & toutes celles qu’il me plaira de vous envoyer. Abandonnez votre honneur à la calomnie, & votre corps à la rage des persécuteurs que je choisirai pour vous éprouver, quelques vils & quelques inhumains qu’ils soient. O si vous sçaviez le contentement que me donnera votre résignation & votre patience ! Mais pouvez-vous l’ignorer, en voyant ces Playes que je n’ai reçues qu’afin de vous acquerir au prix de mon Sang les vertus dont je veux orner votre ame qui m’est plus chere que ma propre vie ? Si j’ai bien voulu me réduire à une telle extrêmité pour l’amour de vous, comment ne voudriez vous pas souffrir quelque legere douleur, pour soulager tant soit peu les miennes qui sont extrêmes ? Comment n’essayeriez-vous pas de guérir les playes que m’a fait votre impatience, qui est pour moi un tourment beaucoup plus insuportable que toutes les playes de mon Corps ?

5. Prenez garde qui est celui qui vous parle de la sorte, & vous verrez que c’est Jesus-Christ, le Roi de gloire, vrai Dieu & vrai Homme. Considérez la grandeur de ses tourmens & de ses humiliations, qui seroient des peines trop rigoureuses pour les plus criminels. Soyez dans l’étonnement de le voir au milieu de tant de souffrances, non-seulement ferme & immobile, mais plein de joye, comme si le jour de la Passion étoit pour lui un jour de triomphe. Songez que comme quelques goûtes d’eau jettées dans une fournaise ne servent qu’à l’embraser davantage : ainsi les plus grands tourmens, qui semblent legers à la charité, ne font qu’accroître la joye, & l’envie qu’il a d’en souffrir de plus terribles.

Au reste, souvenez-vous que ce qu’il fait, & ce qu’il endure, ce n’est point par force ni par intérêt, mais par un amour très-pur, ainsi qu’il la dit lui-même, & afin que vous appreniez de lui à pratiquer la patience. Tâchez donc de bien comprendre ce qu’il demande de vous, & la joye qu’il a de vous voir dans l’exercice de cette vertu : concevez ensuite des desirs ardens de porter non-seulement avec patience, mais même avec allegresse, la Croix sur laquelle vous gémissez, & d’autre encore beaucoup plus pésantes, afin d’imiter plus parfaitement Jesus Crucifié, & de vous rendre plus agréable à ses yeux.

Figurez-vous toutes les douleurs & toutes les ignominies de sa Passion, & surprise de la confiance avec laquelle il les supporte, rougissez de votre foiblesse : regardez vos peines en comparaison de celles qu’il souffre pour vous, comme des peines imaginaires ; & soyez bien persuadé que votre patience n’est pas seulement l’ombre de la sienne. Ne craignez rien tant que de ne vouloir pas souffrir pour notre Sauveur ; & si la premiere pensée vous en vient, rejettez-là comme une suggestion du Démon.

Considérez Jesus en Crois, comme un Livre tout spirituel, que vous devez lire sans cesse, pour y apprendre la pratique des plus excellentes vertus. C’est ce Livre qu’on peut justement nommer le Livre de Vie[17] ; qui en même-tems éclaire l’esprit par les préceptes, & enflamme la volonté par les exemples. Le monde est plein d’une infinité de Livres : mais quand on pourroit les lire tous, on n’y apprendroit jamais si bien à haïr le vice, & à aimer la vertu, qu’en considérant un Dieu Crucifié. Sçachez donc que ceux qui employent des heures entieres à pleurer la Passion de Notre-Seigneur, & à admirer sa patience, & qui dans les afflictions qui leur surviennent, se montrent après aussi impatiens, que s’ils n’avoient jamais pensé à la Croix ; sçachez, dis-je, que ceux-là, ressemblent à des Soldats peu aguerris, qui étant encore sous leurs tentes, se promettent la Victoire, mais qui ne voyent pas plûtôt l’ennemi, qui lâchent le pied, & prennent la fuite. Qu’y a-t’il de plus pitoyable que de voir des gens, qui après avoir contemplé, admiré, aimé les vertus de Notre-Seigneur, viennent tout d’un coup à les oublier, à en faire peu d’estime, lorsqu’il se présente quelque occasion de les imiter.


CHAPITRE LIII.
Du Sacrement de l’Eucharistie.

J’Ai travaillé jusqu’ici, comme vous l’avez pû remarquer, à vous fournir quatre sortes d’armes spirituelles, & à vous aprendre la maniere de vous en servir : il me reste maintenant à vous montrer de quel secours vous peut être la très-sainte Eucharistie pour vaincre les ennemis de votre salut & de votre perfection. Comme cet Auguste Sacrement surpasse, & en dignité & en vertu tous les autres, c’est aussi de toutes les armes spirituelles la plus terrible aux démons. Les quatre premieres n’ont de forces que par les mérites de Jesus-Christ, & par la grace qu’il nous a acquise au prix de son Sang ; mais cette derniere contient Jesus-Christ lui-même sa Chair, son Sang, son Ame, sa Divinité. Dieu nous a donné celle-là pour combattre nos ennemis par la vertu de Jesus-Christ, parce que mangeant sa Chair & buvant son Sang, nous demeurons avec lui, & il demeure avec nous. Mais comme on peut manger cette Chair & boire ce Sang en deux façons, réellement une fois le jour, & spirituellement à toute heure, & qui sont deux manieres de communier très-utiles & très-saintes, on doit pratiquer la seconde le plus souvent qu’il se peut, & la premiere toutes les fois qu’on en a la permission.


CHAPITRE LIV.
Comment il faut recevoir le Sacrement de l’Eucharistie.

ON peut s’approcher de ce divin Sacrement par plusieurs motifs. De-là vient que pour en recueillir le fruit, il y a plusieurs choses à observer en trois tems ; avant que de communier ; lorsqu’on est sur le point de communier, & après la Communion.

Avant que de communier, quelque puisse être notre motif, nous devons toujours purifier notre ame par le Sacrement de la Pénitence, si nous nous sentons coupable de quelque peché mortel. Nous devons ensuite nous offrir de tout notre cœur & sans réserve à Jesus-Christ, & lui consacrer toute notre ame avec ses puissances ; puisque dans le Sacrement il se donne tout entier à nous, son Sang, sa Chair, sa Divinité, avec le trésor infini de ses mérites. Et comme ce que nous lui offrons est peu de chose, ou presque rien en comparaison de ce qu’il nous donne, il faut que nous souhaitions d’avoir tout ce que les Créatures du Ciel & de la Terre n’ont jamais pû lui offrir, afin que nous en fassions tout d’un coup une obligation agréable à sa divine Majesté.

Que si nous voulons communier dans le dessein de remporter quelque victoire sur nos Ennemis, nous commencerons dès le soir du jour précédent, ou le plutôt que nous pourrons, à considérer combien le Sauveur désire d’entrer par ce Sacrement dans notre cœur, afin de s’unir à nous, & nous aider à vaincre nos appétits déreglés ; ce désir est si ardent, qu’il n’y a point d’esprit humain capable de le comprendre.

Pour nous en former quelque idée, tâchons de bien concevoir deux choses. L’une est le plaisir extrême que la Sagesse incarnée prend à demeurer avec nous[18] ; puisqu’elle en fait ses déļices. L’autre est la haine infinie qu’elle porte au péché mortel, tant parce que c’est un obstacle à l’union intime qu’elle veut avoir avec nous, que parce qu’il est directement opposé à ses dignes perfections. Car Dieu étant un bien souverain, une lumiere toute pure, une beauté sans aucune tâche, pourroit-il ne pas haïr le peché, qui n’est que malice, que ténébres, qu’horreur & que corruption ? Il le haït jusqu’à un tel point, que tout ce qu’il a jamais fait, soit dans l’ancien Testament, soit dans le nouveau, & tout ce que son Fils a souffert durant tout le cours de la Passion, ne tendoit qu’à le détruire. Les Saints mêmes les plus éclairés assurent qu’il consentiroit que ce Fils qui lụi étoit si cher souffrit encore mille morts, s’il étoit besoin, pour l’expiation de nos moindres fautes.

Par ces deux considérations ayant reconnu, quoiqu’assez imparfaitement, combien le Sauveur desire d’entrer dans nos cœurs, afin d’en exterminer pour jamais nos ennemis & les siens, nous desirerons aussi de le recevoir, & nous lui témoignerons pour cela une ardeur & une impatience extrême. L’espérance de sa venuë relevera notre courage, nous déclarerons de nouveau la guerre à cette passion dominante que nous voulons vaincre, & nous ferons le plus d’Actes que nous pourrons de la vertu qui lui est contraire. Ce sera-là notre principale occupation, & le soir & le matin, avant que de nous approcher de la sainte Table.

Quand nous serons prêts de recevoir le Corps du Sauveur, nous nous remettrons un moment devant les yeux toutes les fautes commises depuis la derniere Communion jusqu’à celle-ci ; & afin d’en concevoir de la douleur, nous songerons que nous les avons commises avec autant de liberté, que si Dieu n’étoit point mort sur une Croix pour notre salut : nous nous remplirons de confusion & de crainte, voyant que nous avons préféré un petit plaisir, une legere satisfaction de notre propre volonté, à l’obéissance que nous devions à notre souverain Maître : nous connoîtrons notre aveuglement, & détesterons notre ingratitude. Mais venant ensuite à considérer que quelques ingrats & infidéles que nous soyons, ce Dieu plein de charité veut bien se donner à nous, qu’il nous invite à le recevoir, nous irons à lui avec confiance, nous lui ouvrirons notre cœur, afin qu’il y entre, & qu’il s’en rende le maître ; & après cela nous le fermerons, de crainte qu’il ne s’y glisse quelque affection impure.

Dès que nous aurons communié, nous nous recueiilerons en nous-mêmes, nous adorerons humblement Notre-Seigneur, & nous lui dirons : vous voyez, ô Dieu de mon ame, l’inclination violente que j’ai au peché ; vous voyez l’empire que cette passion a sur moi ; & que de moi-même je n’ai pas la force d’y résister. C’est donc à vous principalement à la combattre : & s’il faut que j’aye quelque part au combat, c’est de vous seul que je dois attendre la victoire. Puis nous adressant au Pere Éternel, nous lui offrirons ce cher Fils qu’il nous a donné, & que nous aurons alors au-dedans de nous : nous le lui offrirons en action de graces de ses bienfaits, & pour obtenir avec son secours quelque grande victoire sur nous-mêmes. Nous prendrons enfin la résolution de combattra courageusement contre l’ennemi, qui nous fait le plus de peine ; & nous espérons de le vaincre, parce que faisant de notre côté ce que nous pourrons, Dieu ne manquera pas tôt ou tard de nous sécourir.


CHAPITRE LV.
Avec quelle réparation il faut commencer, pour s’exciter à l’amour de Dieu.

SI vous voulez que le Sacrement de l’Eucharistie produise en nous des sentimens d’amour de Dieu, souvenez-vous de l’amour que Dieu a eu pour vous, & dès le soir qui précedera votre Communion, considérez attentivement que ce Seigneur, dont la Majesté & la Puissance n’ont point de bornes, ne s’est pas contenté de vous créer à son Image, ni d’envoyer sur la Terre son Fils unique pour expier vos pechés par les travaux continuels de trente-trois ans, & par une mort non moins douloureuse qu’ignominieuse sur la Croix ; mais que de plus il vous l’a laissé dans le Sacrement ; afin qu’il y soit votre nourriture, & votre refuge dans tous vos besoins. Voici combien cet amour est grand & singulier en toute maniere.

1. Pour ce qui regarde la durée, vous trouverez qu’il est Éternel, & qu’il n’a point eu de commencement. Car, comme Dieu est de toute Éternité, c’est aussi de toute Éternité qu’il a aimé l’homme jusqu’à vouloir lui donner son Fils d’une maniere si admirable. Là-dessus vous lui direz avec un transport de joye : Il est donc vrai qu’une créature aussi méprisable que je suis, a été tant estimée & cherie de Dieu, qu’il a daigné penser à elle avant tous les siécles, & former dès-lors le dessein de lui donner pour nourriture la Chair & le Sang de son Fils unique.

2. Quelque ardente que soit la passion que nous avons ici-bas pour les choses qui nous plaisent, il y a des bornes, où il faut qu’elle s’arrête, & qu’elle ne peut passer. Le seul amour que Dieu à pour nous, est sans limite & sans mesure. Et c’est pour le satisfaire pleinement qu’il nous a envoyé du Ciel ce Fils qui lui est égal en tout, qui a la même Substance, & les mêmes perfections que lui. Ainsi l’amour n’est pas moins grand que le don, ni le don moins grand que l’amour, l’un & l’autre étant infinis, & au-dessus de toute intelligence créée.

3. Si Dieu nous a tant aimés, ce n’est point par force & malgré lui, mais par la seule bonté, qui le porte naturellement à nous combler de ses bienfaits.

4. Nous n’avions fait aucune bonne œuvre, nous n’avions acquis aucun mérite pour nous attirer son amour ; & s’il nous a aimé jusqu’à l’excès, s’il s’est donné tout entier à nous, nous en sommes uniquement redevables à sa charité.

5. L’amour qu’il nous porte est tout-à-fait pur, & si on y prend bien garde, on n’y verra point ce mêlange d’intérêt, qui se rencontre dans les amitiés mondaines. Dieu n’a que faire de nos biens, parce qu’il a dans lui même indépendamment de nous, le principe de son bonheur & de sa gloire. Lors donc qu’il répand sur nous ses bénédictions, ce n’est point son utilité, mais la nôtre seule qu’il envisage. Dans cette pensée chacun dira en soi-même : Qui eût crů, Seigneur, qu’un Dieu infiniment grand, comme vous, pût mettre son affection dans une créature vile & abjecte, comme moi. Que prétendez-vous, ô Roi de gloire ? Que pouvez-vous espérer de moi, qui ne suis que cendre & poussiére. Cette ardente charité qui vous consume, ce feu qui m’éclaire, & qui m’échauffe tout ensemble, me fait assez voir que vous n’avez qu’un seul dessein ; & je reconnois encore par-là combien votre amour est dégagé de tout interêt : vous ne prétendez autre chose, en vous donnant tout entier à moi dans ce Sacrement que de me transformer en vous, afin que je vive en vous, & que vous viviez en moi ; & que par cette union si intime devenant une même chose avec vous, je change un cœur tout terrestre. comme le mien, en un cœur tout spirituel & tout divin comme le vôtre.

Après cela nous entrerons dans des sentimens d’admiration & de joie, de voir les marques que le Fils de Dieu nous donne de son estime & de son amour ; persuadez qu’il ne cherche qu’à gagner tout-à-fait nos cœurs, qu’à nous attacher à lui, en nous détachant des créatures & de nous-mêmes, qui sommes du nombre des plus viles créatures, nous nous offrirons à lui en Holocauste, afin que notre mémoire, notre entendement, notre volonté, nos sens n’agissent plus que par le principe de son amour, & les motifs de lui plaire.

Puis considérant que sans sa grace, rien n’est capable de produire en nous les dispositions nécessaires pour le recevoir dignement dans l’Eucharistie, nous lui ouvrirons nos cœurs, & nous tâcherons de l’y attirer par des Oraisons jaculatoires, par des aspirations courtes, mais ardentes, telles que sont celles-ci : ô viande céleste ! quand aurai-je le bonheur d’être toute entiere à vous, & de pouvoir me consumer par le feu de votre divin amour ? Quand sera-ce, ô charité incréée, ô pain vivant ! quand sera-ce que je ne vivrai que de vous, que par vous & que pour vous ? O manne du Ciel, ô ma vie, ô vie heureuse & éternelle, quand viendra le tems que dégoûté de toutes les viandes d’ici-bas, je ne me nourrirai que de vous ? O mon souverain bien ! Ô toute ma joie ! quand viendra ce tems bienheureux ! dégagez, mon Dieu, dès maintenant, dégagez ce cœur de la servitude de ses passions & de ses vices ; ornez-le de vos vertus, étouffez en lui tout autre désir que celui de vous aimer & de vous plaire. Après cela je vous l’ouvrirai ; je vous prierai d’y venir ; & pour vous y attirer, j’userai, s’il est necessaire, d’une douce violence. Vous y viendrez, ô mon unique trésor, & rien ne vous empêchera d’y produire les effets que vous désirez. Voilà les sentimens tendres & affectueux, dans lesquels on s’exercera le soir & matin, pour se préparer à la Communion.

Quand le tems de communier aproche, il faut bien considérer quel est celui qu’on veut recevoir. C’est le Fils de Dieu vivant ; c’est celui dont la Majesté fait trembler les Cieux & les vertus mêmes des Cieux ; c’est le Saint des Saints, le miroir sans tâche, la pureté incréée, en comparaison de laquelle toute créature est immonde : c’est ce Dieu humilié, qui étant l’arbitre de la vie & de la mort, a voulu pour sauver les hommes, se rendre semblable à un ver de terre, se rendre le joüet de la populace, être rebuté, foulé aux pieds, mocqué, couvert de crachats, attaché à une Croix, par la fonction des infâmes partisans du monde. Considérez d’un autre côté, que de votre fonds vous n’êtes rien ; que par vos pechés vous vous êtes mis au-dessous des plus viles créatures, même de celles qui sont sans raison, que vous méritiez enfin d’être l’esclave des démons. Songez qu’au lieu de donner des marques de reconnoissance pour les obligations infinies que vous avez à votre Sauveur, vous l’avez cruellement outragé, jusqu’à fouler aux pieds le Sang qu’il a répandu pour vous, & qui est le prix & de votre Rédemption.

Après cela, & votre ingratitude ne l’emporte point sur la charité toujours constante & immuable ; il ne laisse pas de vous inviter à son banquet ; & bien loin de vous en exclure, il vous menace de son indignation & de la mort, si vous n’y allez. Ce Pere miséricordieux est toujours prêt à vous recevoir ; & quoiqu’à ses yeux vous paroissiez couvert de lépre, boiteux, hydropique, aveugle, démoniaque ; & qui pis est, plein de vices & de pechés, il n’a point d’aversion pour vous, il ne vous fuit point : tout ce qu’il demande de vous, c’est, 1. Que vous ayez une sincere douleur de l’avoir indignement offensé. 2. Que vous haïssiez par-dessus toutes choses le péché, soit mortel, soit même véniel. 3. Que vous soyez toujours disposé à faire sa volonté, & que dans les occasions vous l’exécutiez promptement & avec ferveur. 4. Qu’après cela vous ayiez une ferme confiance qu’il vous remettra toutes vos dettes, qu’il vous purifiera de toutes vos tâches, qu’il vous défendra contre tous vos ennemis.

Étant ainsi animé par le souvenir de l’amour qu’il porte aux pecheurs pénitens, vous pourrez vous aprocher de la sainte Table, avec une crainte mêlée d’espérance & d’amour, en disant : Je ne suis pas digne de vous recevoir, parce que je vous ai si souvent & si grievement offensé, & que je n’en ai pas fait toute la satisfaction que je dois à votre Justice. Non, mon Dieu, je ne suis pas digne de vous recevoir, parce qu’il me reste encore quelque affection pour les créatures, & que je n’ai pas commencé à vous aimer & à vous servir de toutes mes forces. Ah ! Seigneur, n’oubliez pas votre bonté ; souvenez-vous de votre parole ; rendez-moi digne de vous recevoir avec foi & avec amour.

Quand vous aurez communié, entrez aussi-tôt dans un profond recueillement ; & fermant la porte de votre cœur, ne pensez plus qu’à traiter avec votre Sauveur, en lui disant ces paroles ou d’autres semblables : O souverain Maître du Ciel ! qui a pû vous obliger de descendre jusques dans moi, qui suis une créature pauvre, misérable, aveugle, dénuée de tout. Il vous répondra incontinent : C’est l’amour. Vous lui répliquerez : O amour incréé ! que demandez-vous de moi ? Rien autre chose, vous dira-t-il, que l’amour. Je ne veux point d’autre feu dans votre cœur, que celui de la charité. Ce feu victorieux des ardeurs impures de vos passions, embrassera votre volonté, & m’en fera une Victime d’agréable odeur. C’est ce que j’ai toujours desiré, & ce que je desire encore ; je veux être tout à vous, & que vous soyiez tout à moi : ce qui ne se pourroit faire, si au lieu de vous conformer à ma volonté, vous suiviez la vôtre, toujours amateur de votre propre liberté, & de la gloire du monde. Sçachez donc que ce que je souhaite de vous, c’est que vous vous haïssiez vous-même, afin de pouvoir m’aimer ; que vous me donniez votre cœur, afin de l’unir au mien, qui fût ouvert pour vous sur la Croix. Vous n’ignorez pas qui je suis, & vous voyez néanmoins que par un excès d’amour, je veux bien mettre quelque sorte d’égalité entre moi & vous. En me donnant tout entier à vous, je ne vous demande que vous-même ; soyez à moi, & je suis content ; ne cherchez que moi ; ne songez qu’à moi ; n’écoutez & ne regardez que moi, afin que je sois l’unique objet de vos pensées & de vos desirs ; que vous n’agissiez qu’en moi ; que ma grandeur infinie absorbe votre néant ; qu’ainsi vous trouviez en moi votre bonheur, & que je trouve en vous mon repos.

Enfin, vous présenterez au Pere Eternel son Fils bien-aimé. 1. En action de graces de la faveur qu’il vous aura faite de vous le donner. 2. Pour en obtenir le secours, soit pour vous. même, soit pour toute l’Eglise, soit pour vos parens & pour ceux à qui vous avez quelque sorte d’obligation, soit pour les ames du Purgatoire ; & vous unirez cette offrande à celle que le Sauveur fit de lui-même sur la Croix, lorsque tout couvert de Playes & de Sang, il s’offrit en holocauste à son Pere pour la rédemption du monde. Vous pourrez encore lui offrir à cette intention, toutes les Messes qu’on célebrera ce jour-là dans tout le monde Chrétien.


CHAPITRE LVI.
De la Communion spirituelle.

BIen que vous ne puisiez pas communier réellement plus d’une fois en un jour, vous le pouvez faire spirituellement, comme j’ai déja dit, à toute heure ; il n’y a que votre seule négligence, ou quelque semblable défaut, qui puisse vous priver de cet avantage. Or, il est à remarquer que la Communion spirituelle est quelquefois plus utile à l’ame & plus agréable à Dieu, que plusieurs Communions sacramentales faites sans beaucoup de préparation & avec tiédeur. Lors donc que vous serez disposé à cette espece de Communion, le fils de Dieu sera toujours prêt à se donner spirituellement à vous, pour être votre nourriture.

Quand vous voudrez vous y préparer, vous tournerez d’abord votre pensée vers notre-Seigneur ; & ayant fait quelque réflexion sur la multitude de vos offenses, vous lui en témoignerez de la douleur. Ensuite vous le prierez avec un profond respect & avec une vive foi, qu’il daigne venir dans votre Ame, qu’il y répande de nouvelles graces pour la guérir de ses foiblesses, & pour la fortifier contre la violence de ses ennemis. Toutes les fois que vous pourrez mortifier quelqu’une de vos passions, ou faire quelque Acte de vertu, servez-vous de cette occasion, pour préparer votre cœur au Fils de Dieu, qui vous le demande sans cesse : puis vous adressant à lui, priez-le avec beaucoup de ferveur de venir à vous, comme un Médecin pour vous guérir, comme un Protecteur pour vous défendre ; afin que rien ne l’empêche désormais de posseder tout votre cœur.

Souvenez-vous en même-tems de votre derniere Communion sacramentale ; & tout embrasé de l’amour de votre Sauveur, dites-lui : Quand sera-ce, ô mon Dieu, que je vous recevrai une autre fois ? Quand viendra cet heureux jour ? Que si vous voulez communier en Esprit avec plus de dévotion, préparez-vous y dès le soir ; & dans toutes vos mortifications, dans tous les Actes de vertu que vous ferez, ne vous proposez autre chose, que de vous mettre en état de bien recevoir spirituellement Notre-Seigneur.

Le matin à votre réveil, appliquez-vous à considérer quel avantage c’est à une Ame que de communier dignement ; puisque par-là elle recouvre les Vertus qu’elle a perdues, elle revient à sa premiere pureté ; elle se rend digne de participer aux fruits de la Croix : elle fait une action très agréable au Pere Éternelle, qui souhaite que tous jouissent de ce divin Sacrement. Tâchez là-dessus d’exciter en votre cœur un ardent desir de le recevoir, pour plaire à celui qui veut se donner à vous ; & dans cette disposition, dites-lui : Seigneur, puisqu’il ne m’est pas permis de vous recevoir aujourd’hui réellement, faites au moins par votre bonté & par votre toute-puissance, que purifié de toutes mes tâches, que guéri de toutes mes playes, je mérite de vous recevoir en esprit, maintenant, & chaque jour, à chaque heure du jour, afin qu’étant fortifié d’une nouvelle grace, je résiste courageusement à mes ennemis, surtout à celui à qui pour l’amour de vous je fais particuliérement la guerre.


CHAPITRE LVII.
Des actions de graces qu’on doit rendre à Dieu.

PUisque tout le bien que nous possédons, que nous faisons, est à Dieu & vient de Dieu, il est juste que nous lui rendions de continuelles actions de graces pour toutes les bonnes œuvres que nous pratiquons, pour toutes les victoires que nous remportons sur nous-mêmes, pour tous les bienfaits, soit généraux, soit particuliers que nous recevons de sa main. Afin donc de nous acquitter comme il faut de ce devoir, considérons avant toutes choses, quelle est la fin pour laquelle Dieu répand avec tant de libéralité ses bénédictions sur nous. On reconnoîtra par-là de quelle maniere il veut que nous lui marquions le ressentiment que nous en avons.

Comme sa fin principale dans tout le bien qu’il nous a fait, est d’avancer sa gloire, & de nous attirer à son service, chacun doit faire d’abord cette réflexion en lui-même : O que ce bien fait de mon Dieu m’est une preuve manifeste de la puissance, de sa sagesse & de sa bonté infinie ! puis considérant que de lui-même il n’a rien qui mérite un tel bienfait ; & qu’au contraire, son ingratitude l’en rend tout-à-fait indigne, il dira avec beaucoup d’humilité : comment daignez-vous, Seigneur, jetter les yeux sur la plus vile de vos créatures ? Par quel excès de bonté pouvez-vous combler de grace un si misérable pecheur ? Que votre saint Nom soit béni dans tous les siécles des siécles ! enfin voyant que pour tant de bienfaits ou ne lui demande autre chose, sinon qu’il aime & qu’il serve son bienfaiteur, il concevra de grands sentimens d’amour pour un Dieu si bon, & de grands desirs de faire en tout sa divine volonté. Il finira par s’offrir tout entier à lui, de la maniere que nous allons dire.


CHAPITRE LVIII.
De l’Oblation qu’il faut faire de soi-même à Dieu.

AFin que cette Oblation soit fort agréable à Dieu, il y a deux choses à observer. La premiere est, qu’on l’ünisse à toutes celles que le Fils de Dieu faisoit ici-bas. La seconde, qu’on ait le cœur entierement détaché de toute affection pour les créatures.

A l’egard de la premiere, il faut sçavoir que Notre-Seigneur pendant qu’il vivoir en ce monde, ne cessoit d’offrir au Pere Éternel, non-seulement sa personne & ses actions particuliéres, mais encore tous les hommes & toutes leurs bonnes œuvres. Joignons donc nos offrandes aux siennes, afin que par cette union les siennes sanctifient les nôtres.

Pour la seconde, prenons garde avant de faire ce Sacrifice de nous-mêmes, que nous n’ayons nulle attache à aucune creature. Ainsi lorsque nous sentons que nos cœurs ne sont pas entierement libres de toute affection impure, recourons à Dieu, & conjurons-le de rompre nos liens, afin que rien ne nous empêche d’être tout à fait à lui. Ce poịnt est très-important : car si un homme qui s’est fait esclave des créatures, prétend se donner à Dieu, il veut lui donner un bien qu’il a déja engagé à d’autres, & dont il n’est plus le maître. Et n’est-ce pas-là se mocquer de Dieu ? De-là vient aussi que bien que souvent nous nous soyions offerts de cette maniere, comme en Holocauste au Seigneur, non-seulement nous ne croissons point en vertu, mais nous tombons en de nouvelles imperfections, & en de nouveaux pechés.

Nous pouvons à la vérité nous offrir quelquefois à Dieu, quoiqu’il nous reste quelque attachement aux choses du monde ; mais c’est afin qu’il nous en en donne de l’aversion, & qu’après cela nous puissions sans nul obstacle nous dévouer à son service : ce qu’il faut faire souvent, & avec beaucoup de ferveur. Que notre obligation soit donc toute pure ; que notre propre volonté n’y ait point de part. N’envisageons ni les biens de la Terre, ni ceux du Ciel : ne regardons que la seule volonté de Dieu : adorons sa Providence, & soumettons-nous aveuglement à ses ordres ; sacrifions-lui toutes nos inclinations, & oubliant les choses créées, disons-lui : Voici, ô mon Dieu & mon Créateur, que je vous offre tout ce que j’ai, je soumets entierement ma volonté à la vôtre : faites de moi ce qu’il vous plaira, soit durant la vie, soit à la mort, soit après la mort, dans le tems, & dans l’éternité.

Si c’est tout de bon & avec sincerité que nous parlons de la sorte, si nous sommes dans ces sentimens, comme le tems de l’adversité nous le fera voir, nous acquererons en très-peu de tems de forts grands mérites, qui sont des trésors infiniment plus précieux que toutes les richesses de la Terre, nous ferons à Dieu, & Dieu fera à nous, puisqu’il se donne toujours à ceux qui renoncent à eux-mêmes & à toutes les créatures, afin de ne vivre que pour lui. C’est-là sans doute un puissant moyen de vaincre nos ennemis. Car si par ce sacrifice volontaire nous nous attachons tellement à Dieu, que nous soyions tout à lui, & que réciproquement, il soit tout à nous, quel ennemi sera capable de nous nuire ?

Mais pour descendre davantage dans le détail, quand nous voudrons lui offrir des jeûnes, ou des prieres, ou des Actes de patience, ou d’autres sortes de bonnes œuvres, il faut d’abord nous ressouvenir des jeûnes, des Prieres, des actions saintes du Fils de Dieu, & mettant toute notre confiance en leur mérite, présenter ainsi les nôtres au Pere Eternel. Que si nous voulons offrir à ce Pere de miséricordes les souffrances de son Fils, en satisfaction de nos pechés, nous le pourrons faire de la maniere que je vais dire.

Nous nous représenterons en général, ou en particulier, les désordres de notre vie, & convaincus que de nous mêmes nous ne pouvons appaiser la colere de notre souverain Juge, ni satisfaire à sa Justice, nous aurons recours à la Vie & à la Passion du Sauveur : nous nous souviendrons que lorsqu’il prioit, qu’il jeûnoit, qu’il travailloit, qu’il versoit son Sang, il offroit & ses actions & ses souffrances à son Pere, dans le dessein de nous ménager une parfaite réconciliation avec lui. Vous voyez, lui disoit-il, comme j’obéis à vos ordres, en faisant à votre justice la satisfaction qu’elle demande pour les pechés d’un tel, & d’un tel, Ayez la bonté de leur en accorder le pardon, & de les recevoir au nombre de vos Elûs.

Il faut que chacun joigne ces prieres à celles de Jesus-Christ ; & qu’il conjure le Pere Éternel de lui faire miséricorde par les mérites de la Passion de son Fils ; cela se peut pratiquer touttes les fois qu’on médite sur la Vie, ou sur la Mort de Notre-Seigneur, non-seulement quand on passe d’un Mystere à l’autre, mais en toutes les circonstances de chaque Mystere, soit qu’on prie pour soi ou pour d’autres.


CHAPITRE LIX.
De la Dévotion sensible, & des peines de l’aridité.

LA dévotion sensible procede ou de la nature, ou du démon, ou de la grace. On en connoîtra la cause par les effets qu’elle produira dans l’Ame. Car si elle n’y opere nul amendement, il y a sujet de craindre qu’elle ne vienne ou du démon, ou de la nature ; surtout si l’on y prend trop de plaisir ; si l’on s’y attache excessivement ; si l’on vient à concevoir meilleure opinion de soi. Lors donc que vous vous sentez le cœur plein de joye & de consolation spirituelle, ne perdez point trop de tems à examiner quel en doit être le principe : mais gardez-vous bien d’y mettre votre confiance, ou de vous en estimer davantage : tâchez, au contraire, d’avoir toujours votre néant devant les yeux, & de conserver une grande haine de vous-même, de rompre tout attachement pour quelque objet créé que ce soit, même spirituel, de ne chercher que Dieu seul, ne désirer que de lui plaire. Car de cette sorte, quand la douceur que vous ressentez viendroit d’un mauvais principe, elle changeroit de nature, & commenceroit à être un effet de la grace.

L’aridité spirituelle procede pareillement de trois causes dont nous venons de parler. 1. Du démon qui met tout en œuvre pour nous porter au relâchement, pour nous détourner du chemin de la perfection, pour nous rengager dans les vains plaisirs du monde. 2. De la nature corrompue qui nous fait commettre beaucoup de fautes, qui nous rend tiedes & négligens, & qui attache nos cœurs aux biens de la terre. 3. De la graçe que le Saint Esprit nous communique, soit pour nous détacher de tout ce qui n’est pas à Dieu, & qui ne va pas à Dieu ; soit pour nous convaincre pleinement que tout ce que nous avons de bien, ne peut venir que de Dieu ; soit pour nous faire estimer davantage les dons du Ciel ; soit pour nous unir plus étroitement avec lui, en nous faisant renoncer à tout, même aux délices spirituelles, de peur que les aimant trop, nous ne partagions notre amour, qui doit être tout à lui ; soit enfin, parce qu’il se plaît à nous voir combattre généreusement, & profiter de ses graces.

Lors donc que vous vous trouvez dans le dégoût & l’aridité, rentrez en vous-même ; examinez quel est le défaut qui vous a fait perdre la dévotion sensible ; corrigez-vous-en au plûtôt, non pour recouvrer cette douceur qui s’est changée en amertume, mais pour bannir de votre ame tout ce qui n’est pas agréable à Dieu. Que si après une exacte recherche, vous ne découvrez point ce défaut, ne pensez plus à la dévotion sensible, tâchez seulement d’acquérir la vraie dévotion, qui consiste à vous conformer en tout à la volonté de Dieu ; n’abandonnez pas vos exercices spirituels ; mais quelque infructueux, quelques incipides qu’ils vous paroissent, résolvez-vous d’y persévérer avec constance, bûvant de bon cœur le Calice que votre Pere Céleste vous présente de sa main.

Et si outre l’aridité, qui vous rend comme insensible aux choses de Dieu, vous vous sentez encore l’esprit tellement embarrassé & plein d’épaisses ténébres, que vous ne sçachiez à quoi vous résoudre, ni quel parti prendre, ne vous découragez pas pour cela ; demeurez toujours attaché à la Croix ; méprisez tout soulagement humain, & rejettez les vaines consolations que le monde & les créatures, vous pourroient donner.

Cachez au reste votre peine à tout autre qu’à votre Pere spirituel, à qui vous devez la découvrir, non pour y trouver quelque sorte d’adoucissement, mais pour apprendre à la supporter avec une entiere résignation à la volonté divine. N’employez pas vos communions, ni vos prieres, ni vos autres exercices spirituels, pour obtenir de Notre-Seigneur qu’il vous détache de la Croix, priez-le plûtôt qu’il vous donne assez de courage pour y demeurer à son exemple, & à sa plus grande gloire jusqu’à la mort.

Mais si le trouble de votre esprit ne vous permet pas de prier & de méditer à l’ordinaire, priez, méditez toujours le moins mal que vous pourrez : & si vous ne pouvez pas faire agir l’entendement, suppléez à ce défaut par les affections de la volonté : joignez-y l’Oraison Vocale, en vous adressant tantôt à vous-même, tantôt à Notre-Seigneur. Vous ressentirez de merveilleux effets de cette sainte pratique, & elle vous sera d’un très-grand soulagement dans toutes vos peines. Dites-vous donc à vous-même en cette rencontre : a[19] O mon ame, pourquoi êtes-vous si triste, & pourquoi me causez-vous tant de trouble ? Espérez en Dieu : car je chanterai encore ses louanges, puisqu’il est mon Sauveur & mon Dieu. b[20] D’où vient, Seigneur, que vous êtes éloigné de moi ? Pourquoi me méprisez-vous, lorsque j’ai le plus de besoin de votre assistance ? Ne m’abandonnez pas tout-à-fait. Vous vous souviendrez aussi des bons sentimens que Dieu inspiroit à Sara femme de Tobie dans son affliction, & vous direz avec elle, dans le même esprit, non-seulement de cœur, mais même de bouche. [21]Mon Dieu, tous ceux qui vous servent, n’ignorent pas que s’ils sont éprouvés en cette vie par les souffrances, ils en seront récompensés : s’ils sont accablés de peines, ils en seront délivrés : si vous les chatiez avec justice, vous leur ferez miséricorde. Car vous ne vous plaisez pas à nous voir périr : vous faites succeder le calme à la tempête, & la joye aux pleurs. O Dieu d’Israël que votre nom soit béni dans tous les siécles.

Représentez-vous encore votre Sauveur, qui dans le Jardin & sur le Calvaire, se voit abandonné de celui dont il est le Fils bien-aimé, & le Fils unique : portez la Croix avec lui, & dites de tout votre cœur : [22]Que votre volonté se fasse, & non pas la mienne. De cette sorte joignant l’exercice de la patience à celui de la priére, vous acquérerez la vraie dévotion, par le sacrifice volontaire que vous ferez de vous-même à Dieu. Car, comme j’ai déja dit, la vraie dévotion consiste dans une volonté prompte & déterminée à suivre Jesus chargé de sa Croix, partout où il nous appelle ; à aimer Dieu, parce qu’il mérite d’être aimé, & à quitter, s’il est besoin, Dieu pour Dieu. Que si une infinité de gens qui font profession de piété, mésuroient à cela leur avancement spirituel, plûtôt qu’à de certains goûts d’une dévotion sensible, ils ne seroient pas trompés comme ils sont, ni par leurs fausses lumieres, ni par les artifices du démon ; ils n’en viendroient pas excès d’ingratitude, que de murmurer contre le Seigneur, & de se plaindre sans raison de la grace qu’il leur fait d’éprouver leur patience ; ils s’efforceroient au contraire de le servir plus fidelement que jamais, persuadés qu’il ordonne, ou qu’il permet toutes choses pour sa gloire & pour notre bien.

C’est encore une illusion dangéreuse que celle où sont plusieurs femmes, qui abhorrent véritablement le peché, & qui employent tous leurs soins pour en éviter les occasions ; mais s’il arrive que l’Esprit immonde les tourmentent par des pensées sales & abominables ; & quelquefois même par des visions horribles, elles se troublent & perdent le courage, croyant que Dieu les a délaissées. Elles ne sçauroient s’imaginer que le Saint Esprit veuille demeurer dans une ame remplie de tant de fantômes impures. Ainsi elles s’abandonnent à la tristesse & tombent dans une espece de désespoir ; de sorte qu’à demi vaincues par la tentation, elles songent à quitter leurs exercices spirituels, & à retourner en Egypte ; aveugles, qui ne voyent pas l’insigne faveur que Dieu leur fait de permettre qu’elles soient tentées, afin d’empêcher qu’elles ne s’oublient, & de les forcer par le sentiment de leur misere, à ne pas s’éloigner de lui. C’est donc une extrême ingratitude que de se plaindre d’une chose, dont elles devroient rendre mille actions de graces à son infinie bonté.

Ce qu’il faut faire en cette rencontre, c’est de bien considérer les inclinations perverses de notre nature corrompue. Car Dieu, qui connoît ce qui nous est le plus utile, veut que nous sçachions que de nous-mêmes nous ne nous portons qu’au peché, & que sans lui nous nous précipiterons dans le dernier de tous les malheurs. Il faut ensuite nous exciter à la confiance en sa divine miséricorde, & croire que puisqu’il nous fait voir le péril, il a dessein de nous en tirer, & de nous unir plus étroitement avec lui par l’Oraison. C’est de quoi nous lui devons témoigner une extrême reconnoissance.

Mais pour revenir à ces mauvaises pensées qui nous viennent malgré nous, il est très certain qu’elles se dissipent beaucoup mieux par une humble souffrance de la peine qu’elles nous font, & par l’application de notre esprit à quelque autre objet, que par une résistance inquiete & forcée.


CHAPITRE LX.
De l’Examen de Conscience.

DAns l’Examen de votre conscience, vous avez trois choses à considérer. 1. Les fautes que vous avez faites durant la journée. 2. Les occasions qui vous y ont engagé. 3. La disposition où vous êtes pour commencer tout de bon à vous défaire de vos vi- ces & à vous acquérir les vertus contraires. A l’égard des fautes commises durant la journée, vous observerez te que je vous ai enseigné dans le chapitre xxvij. qui contient tout ce qu’il faut faire lorsqu’on est tombé dans quelque peché. Pour ce qui est des occasions de vos chûtes, vous tâcherez de les éviter avec tout le soin & toute la vigilance possible. Enfin pour vous corriger de vos défauts, & pour acquérir les vertus qui vous manquent, vous fortifierez votre volonté par la défiance de vous-mêmes, par la confiance en Dieu, par l’Oraison, & par des desirs fréquens de détruire vos mauvaises habitudes, & d’en contracter de bonnes.

Que si vous croyez avoir remporté quelque victoire sur vous, ou avoir fait quelque bonne œuvre : défiez vous-en, gardez-vous bien de vous en estimer davantage. Je ne vous conseille même pas d’y penser beaucoup, de crainte qu’il ne se glisse par là dans votre cœur quelque sentiment secret de présomption & de vaine gloire : remettez donc toutes vos œuvres, quelles qu’elles soient, entre les mains de la divine Miséricorde, & ne songez qu’à vous acquitter à l’avenir de tous vos devoirs avec plus de ferveur que jamais. N’oubliez pas de rendre à Dieu de très-humbles actions de graces pour tous les secours que vous en avez reçûs ce jour-là : reconnoissez qu’il est l’Auteur de tout bien, & remerciez-le en particulier de ce qu’il vous a délivré d’un grand nombre d’ennemis, soit visibles, soit invisibles, de ce qu’il vous a inspiré beaucoup de bonnes pensées, & fourni plusieurs occasions de pratiquer la vertu ; & de ce que même il vous a fait une infinité d’autres biens qui vous sont cachés.


CHAPITRE LXI.
Comment nous devons persévérer dans le Combat Spirituel jusqu’à la mort.

ENtre les choses nécessaires pour réussir dans le Combat Spirituel, il faut compter la persévérance, qui est la vertu par laquelle nous nous appliquons à mortifier sans relâche nos passions déreglées, qui pendant que nous vivrons ne meurent point, mais poussent & croissent toujours dans notre cœur, comme dans un champ fertile en mauvaises herbes. C’est en vain que l’on prétend faire cesser cette guerre, puisqu’elle ne peut finir qu’avec notre vie, & que quiconque ne veut pas combattre, perdra infailliblement la liberté ou la vie. Hé ! comment ne seroit-il pas vaincu, ayant en tête des ennemis résolus de ne lui donner ni paix, ni treve ; parce que plus on recherche leur amitié, plus on éprouve leur haine. Vous ne devez pourtant vous étonner, ni de leur force, ni de leur nombre, puisqu’en cette sorte de combat nul n’est vaincu que celui qui le veut être ; & que d’ailleurs, vos ennemis n’ont de pouvoir que ce que leur en donne votre Capitaine pour l’honneur duquel vous combattez. Or, jamais il ne permettra que vous tombiez entre leurs mains ; il sera lui-même notre défenseur ; & comme il est infiniment plus puissant qu’eux tous, il vous en donnera la victoire, pourvû que combattant avec lui, vous mettiez votre confiance, non pas en vos propres forces, mais en sa Toute-puissance, & en la bonté souveraine.

Que s’il tarde à vous secourir, s’il vous laisse dans le danger, ne perdez pas pour cela courage : croyez fermement, & servez-vous de cette considération pour vous animer au combat ; croyez, dis-je, fermement qu’il disposera les choses, de sorte que tout ce qui semble devoir faire obstacle à votre gloire, tournera à votre avantage. Temoignez-lui seulement de la résolution & de la fidelité ; suivez par-tout votre Chef, qui s’est exposé pour vous à la mort, & qui en mourant a vaincu le monde, combattez courageusement sous ses enseignes, & ne quittez point les armes, que vous n’ayez détruit tous vos ennemis. Car si vous donnez la vie à un seul, si vous négligez de vous défaire d’un de vos vices, ce sera toujours une paille que vous porterez dans l’œil, ou une flêche que vous aurez dans le cœur, & qui vous empêchant de combattre, retardera votre victoire.


CHAPITRE LXII.
Comment il faut se préparer au Combat contre les ennemis qui nous attaquent à l’article de la mort.

QUoique toute notre vie ne soit ici-bas qu’une guerre continuelle ; il est certain néanmoins que la plus dangéreuse journée sera la derniere ; parce que quiconque se laisse vaincre en ce tems-là, n’aura plus d’espérance de salut. Afin donc de ne pas périr alors sans ressource, tâchez de vous aguerrir maintenant que Dieu vous en donne l’occasion ; parce que celui qui combat vaillamment durant sa vie, sera victorieux à la mort, à cause de l’habitude qu’il a de vaincre en toute rencontre les plus redoutables ennemis.

De plus, pensez souvent à la mort, car lorsqu’elle sera proche, elle vous fera moins de peur, vous en aurez l’esprit plus libre & mieux disposé au combat. Les gens du monde rejettent cette pensée comme facheuse & importune, de crainte qu’elle ne leur ôte le plaisir qu’ils trouvent dans les choses de la terre, parce qu’ils veulent se délivrer du plaisir qu’ils auroient, s’ils songeoient qu’un jour ils doivent perdre des biens qu’ils aiment éperduement. Ainsi leur passion ne diminue point, elle s’augmente au contraire & se fortifie de jour en jour. Delà vient aussi que de quitter cette vie, & de quitter en même-tems tout ce qu’ils ont de plus cher, c’est une peine pour eux d’autant plus insuportable, qu’ils ont été plus longtems dans les délices.

Mais pour vous mieux préparer à ce terrible passage du Tems à l’Eternité, imaginez-vous quelquefois être seul, sans aucun secours, parmi les douleurs de la mort, considérez attentivement les choses dont je vais parler, qui pourront alors vous faire le plus de peine, & n’oubliez pas les remedes que je vous proposerai, afin de pouvoir vous en servir dans cette derniére extrêmité ; car il faut nécessairement apprendre à bien faire ce qu’on ne fait qu’une seule fois, de peur de commettre une faute irréparable, & qui est toujours suivie d’une éternité de malheurs.


CHAPITRE LXIII.
Des quatre sortes de tentations qui arrivent au tems de la Mort, & premierement de la tentation contre la Foi, & de la maniere d’y résister.

LEs ennemis de notre salut ont coûtume de nous inquietter à la mort par quatre sortes de tentations dangéreuses. 1. Par les doutes sur les choses de la Foi. 2. Par des pensées de désespoir. 3. Par des sentimens de vaine gloire. 4. Par diverses sortes d’illusions, dont ces esprits de ténébres, transformés en Anges de lumiéres, se servent pour nous tromper.

Pour ce qui regarde la premiére tentation, si l’ennemi vous propose quelque raisonnement faux & captieux, gardez-vous bien de raisonner avec lui, contentez-vous de lui dire avec une sainte indignation ; Retire-toi, d’ici Satan, pere du mensonge, car je ne veux pas même t’écouter, & il me suffit de croire tout ce que croît la sainte Eglise Romaine.

Prenez garde aussi de ne pas vous arrêter à de certaines pensées, qui vous viendront dans l’esprit, & qui vous sembleront propres pour vous affermir dans la Foi : rejettez les comme des suggestions du démon qui prétend par-là vous embarrasser, en vous engageant insensiblement à la dispute. Que si vous n’êtes plus en état de vous défaire de ces pensées, si vous en avez déja l’esprit occupé, demeurez ferme, & n’écoutez ni les raisons, ni même les autorités de l’Ecriture que l’ennemi vous alleguera. Car quelques claires & quelques certaines qu’elles yous paroissent, elles sont ou tronquées, ou mal citées, ou détournées de leur véritable sens.

Si donc le malin Esprit vous demande ce que croit l’Eglise Romaine, ne lui faites là-dessus aucune réponse : mais sçachant que tout son dessein est de vous surprendre & de vous chicaner sur quelque mot ambigu, formez seulement en général un Acte de Foi, ou si vous voulez lui faire plus de dépit, répondez-lui que l’Eglise croit la Vérité ; s’il vous presse de dire cette Vérité, ne lui repliquez autre chose, sinon, que c’est ce que l’Eglise croit. Ayez loin sur-tout que votre cœur demeure attaché à la Croix, & dites au Fils de Dieu : mon Créateur & mon Sauveur, sécourez-moi au plûtôt, & ne vous éloignez point de moi, de peur que je ne m’écarte de la Vérité que vous m’avez enseigné ; & puisque vous m’avez fait la grace de naître dans votre Eglise, faites-moi aussi celle d’y mourir, à votre plus grande gloire.


CHAPITRE LXIV.
De la Tentation du désespoir, & comment on peut s’en défendre.

LA seconde tentation de l’ennemi de notre salut, est une vaine frayeur, qu’il tâche de nous donner, en nous remettant devant les yeux nos fautes passées, pour nous jetter dans le désespoir. Si vous vous trouvez en ce péril, prenez pour regle générale que la pensée de vos pechés est un effet de la grace, & qu’elle vous sera salutaire, si elle produit en vous des sentimens d’humilité, de componction, & de confiance en sa miséricorde divine. Mais sçachez aussi qu’elle vient du malin Esprit, lorsqu’elle vous cause du trouble & de la défiance qu’elle vous met dans l’abbatement, qu’elle vous rend lâche & timide ; quoiqu’il vous semble avoir de fortes raisons pour croire que vous êtes réprouvé, & qu’il n’y a point de salut pour vous.

Ne songez alors qu’à vous humilier, & à vous confier plus que jamais en la bonté infinie de Notre-Seigneur : car par ce moyen vous éluderez toutes les ruses du démon ; vous tournerez contre lui ses propres armes, & vous rendrez gloire à Dieu. Il faut à la vérité que vous ayez du regret d’avoir offensé cette Bonté souveraine, toutes les fois que vous vous en souvenez : mais il faut aussi que vous lui en demandiez pardon avec une ferme confiance aux mérites du Sauveur, Et quand même vous croiriez entendre de Dieu qui vous diroit au fond du cœur que vous n’êtes point du nombre de ses Brebis, vous ne devriez pas cesser d’esperer en lui : mais vous devriez lui dire humblement : Seigneur, vous avez sujet de me réprouver, & de me punir éternellement pour mes pechés : mais j’ai encore plus de sujer d’espérer que vous me ferez miséricorde. Je vous supplie donc d’avoir pitié d’une misérable créature, qui mérite la damnation éternelle ; mais qui a été rachetée de votre Sang. Je veux me sauver, ô mon Rédempteur, pour vous bénir à jamais dans votre gloire ; toute ma confiance est en vous, & je m’abandonne tout entier entre vos mains, faites de moi ce qu’il vous plaira, puisque vous êtes mon souverain Maître ; faites de moi, dis-je, ce qu’il vous plaira : mais quoiqu’il arrive, je veux espérer en vous, dussiez-vous dès à présent m’envoyer la mort.


CHAPIIRE LXV.
De la Tentation de vaine gloire.

LA troisiéme tentation est celle de la vaine gloire. Ne craignez rien tant, que de vous laisser aller à la moindre complaisance de vous-même & de vos œuvres. Ne vous glorifiez jamais qu’en Notre-Seigneur, & reconnoissez que vous devez tout aux mérites de la Vie & de sa Mort. Tant que vous vivrez, n’ayez pour vous que de la haine & du mépris : humiliez-vous de plus en plus, & rendez sans cesse des actions de graces à Dieu, comme à l’Auteur de tout le bien que vous avez fait. Priez-le de vous secourir ; mais ne regardez pas son secours, comme le prix de vos mérites, quand même vous auriez gagné sur vous de grandes victoires. Dameurez toujours dans la crainte, & avouez ingenuement que tous vos soins seroient inutiles, si Dieu, qui est toute votre espérance, ne vous assistoit. Profitez de ces avertissemens, & soyez sûr que vos ennemis n’auront sur vous aucun avantage.


CHAPITŘE LXVI.
De diverses illusions du démon qui arrivent à l’article de la Mort.

SI l’ennemi de notre salut qui ne se lasse jamais de nous tourmenter, contrefaisant l’Ange de lumiere, s’efforce de vous surprendre par des illusions, & par des visions imaginaires ou même sensibles, demeurez ferme dans la connoissance de vous-même, & dites-lui hardiment : Retire-toi, malheureux, retourne dans les ténébres, d’où tu es sorti ; car je suis un trop grand pecheur pour mériter des visions, & je n’ai besoin que de la miséricorde de mon Jesus, & des prieres de la bienheureuse Vierge, de S. Joseph, & des autres Saints.

Que si par des marques presque évidentes, il vous sembloit que ces choses vinssent de Dieu, gardez-vous d’abord d’y ajouter foi, ne craignez point de les rejetter : cette résistance, fondée sur la vûe de votre misere, ne peut être désagréable à Notre-Seigneur ; & si c’est lui qui agit en vous, il sçaura bien vous le faire connoître sans qu’il vous en arrive aucun mal ; parce que celui qui donne la grace aux humbles, n’a garde de les en priver, lorsqu’ils s’humilient.

Voilà les armes dont l’ennemi a coûtume de se servir généralement contre tous les hommes, lorsqu’il les voit proche de la mort : mais outre cela, il attaque chacun en particulier par l’endroit qui lui paroît le plus foible. Il étudie nos inclinations, & c’est par nos inclinations mêmes qu’il nous fait tomber dans le peché. C’est pourquoi avant que l’heure du grand Combat soit venue, prenons les armes, & commençons à faire la guerre aux passions qui nous dominent ; afin que nous ayons moins de peine à y résiter & à les vaincre dans ce tems si redoutable, qui sera la fin de tous les tems. [23]Vous combattrez contre eux, lusqu’à ce qu’ils soient entierement défaits.


F   I   N.


DE LA PAIX
DE L’AME,
ET DU BONHEUR D’UN
Cœur qui meurt à lui-même, pour
vivre à Dieu.




CHAPITRE PREMIER.
De quelle nature est le cœur humain, & de la maniere de le gouverner.

DIeu m’a fait le cœur humain, que pour l’aimer, & pour en être aimé. L’excellence de la fin de la Création le doit donc faire considérer comme le plus grand & le plus noble de ses Ouvrages.

C’est uniquement de son gouvernement que dépend la vie ou la mort spirituelle.

La science n’en doit pas être fort difficile, puisque son caractere est de faire toutes choses par amour, & de ne rien faire par force.

Nous n’avons qu’à veiller doucement & sans violence sur les mouvemens par lesquels nous agissons.

Voir d’où ils viennent, & où ils tendent.

Si ces mouvemens partent du cœur qui est la source de l’amour divin, ou de l’esprit, qui est la source de la vanité humaine.

Vous connoîtrez, que c’est le cœur qui vous fait agir dans vos bonnes œuvres, par le motif de l’amour, quand tout ce que vous faites pour Dieu ne vous paroît rien, & quand en faisant ce que vous pouvez, vous avez honte de faire si peu.

Et vous devez juger, que c’est l’esprit mû & excité par des intérêts humains, quand les bonnes œuvres que vous faites ne vous laissent au lieu des vertus douces, humbles & tranquilles, que des vapeurs & des illusions de vaine gloire, qui vous font croire que vous avez beaucoup fait, quand vous n’avez rien fait de bien.

La guerre humaine dont parle Job, consiste en ces veilles, que nous devons faire continuellement sur nous mêmes.

Elles ne doivent point être chagrines ni inquietes ; au contraire, leur but principal est de donner le repos à l’Ame, calmer & appaiser les mouvemens, quand on la sentira inquiete & agitée dans son action, ou dans sa priere. Car l’on doit être persuadé que I’on ne sçauroit bien prier en cet état, que l’Ame ne soit mise dans son premier assied.

Sçachez que vous n’avez besoin pour cela que du seul attrait de la douceur, & que c’est la seule chose qui la peut faire revenir de son égarement, & lui rendre sa premiere tranquillité.


CHAPITRE II.
Du soin que l’Ame doit avoir de s’acquérir une parfaite tranquillité.

CEtte attention douce & paisible, mais sur-tout persévérante sur notre cœur, nous conduira sans peines à de grandes choses : non-seulement elle nous fera prier & agir doucement & aisément, mais souffrir sans fâcherie, ce qui fait le sujet de l’emportement de tous les hommes, qui est le mépris & l’injustice.

Ce n’est pas que pour acqéerir cette paix intérieure, il ne faille essuyer beaucoup de travaux, & que faute d’expérience nous ne soyons souvent battus par ces ennemis puissans, qui sont au dedans de nous : mais soyons certains, que pourvû que nous le voulions combattre, nous ne manquerons ni de secours, ni de consolations en cette guerre, que nos ennemis s’affaibliront, que leurs forces se dissiperont, que notre domination sur nos mouvemens s’établira ; & qu’enfin nous donnerons à notre ame ce précieux repos, qui doit faire sa beatitude dès cette vie.

S’il arrive que l’émotion soit trop forte pour se laisser vaincre, ou le poids de l’affliction trop pesant, pour être supporté de nous-mêmes, courons à l’Oraison, prions & persévérons en la priere ; Jesus-Christ pria trois fois au Jardin des Olives, pour nous apprendre que l’Oraison doit être le refuge & la consolation de tout esprit affligé.

Prions toujours jusqu’à ce que nous sentions notre intérieur soumis, notre volonté rangée à celle de Dieu, & que notre ame soit revenue à sa premiere tranquillité.

Ne la laissons point troubler par la précipitation de nos actions extérieures ; quand nous ferons quelque ouvrage de corps ou d’esprit, travaillons-y posément ou paisiblement sans vous prescrire de tems pour l’achever, ni vous empresser d’en voir la fin.

Nous ne devons avoir qu’une seule principale intention, qui est de conserver en nous la mémoire & le souvenir de Dieu avec humilité & tranquillité, sans nous soucier de rien que de lui plaire.

Si nous y mêlons quelqu’autre chose, notre ame se remplira de trouble & d’inquiétude, nous tomberons fort souvent : & les peines que nous aurons à nous relever de nos chûtes, nous feront assez ressentir, que tout notre mal vient de ce que nous voulons tout faire selon notre humeur, & accomplir notre propre volonté en toutes nos actions : ce qui fait que quand elles réussissent nous nous en payons nous-mêmes par de vaines complaisances, & quand elles ne réussissent pas, nous nous remplissons de chagrin, de trouble & d’inquiétude.


CHAPITRE III.
Que cette demeure pacifique se doit édifier peu-à-peu.

REjettez de votre esprit tout ce qui peut l’élever ou l’abaisser, le troubler ou l’inquiéter : travaillez doucement à lui acquérir, ou lui conserver sa quiétude ; car Jesus-Christ a dit : Bienheureux sont les pacifiques ; apprenez de moi que je suis doux & humble de cœur. Ne doutez point que Dieu ne couronne ce travail, & qu’il ne se fasse de votre ame, une maison de délices ; tout ce qu’il demande de vous est qu’autant de fois que les mouvemens des sens & des passions vous agiteront, vous preniez à tâche de rabaisser ces fumées, calmer & appaiser ces tourbillons, & redonner la paix à vos actions.

Comme une maison ne s’édifie pas tout en un jour, aussi l’acquisition de ce trésor intérieur n’est pas une entreprise de peu de tems.

Mais la perfection de cette œuvre desire deux choses essentielles ; l’une que ce soit Dieu même qui s’édifie la demeure au-dedans de vous ; l’autre, que ce bâtiment ait pour fondement l’humilité.


CHAPITRE IV.
Que pour parvenir à cette Paix, l’ame doit se défaire de toute consolation.

LE chemin qui conduit à cette Paix, que rien n’est capable de trouver, est presque inconnu du monde. L’on y embrasse les tribulation, comme les mondains font les plaisirs ; l’on y ambitionne les mépris & les opprobres, comme ils font la gloire & les honneurs ; l’on y travaille tout autant à fuir, & être fui, quitter & être quitté des hommes, que sont les gens du monde à être recherchés, caressés & estimés des grands.

Mais l’on y professe en toute humilité, la sainte ambition de n’être connu, regardé, consolé & favorisé que de Dieu seul.

L’ame Chrétienne y aprend à demeurer seule avec son Dieu, & à se tenir si forte de la divine présence qu’il n’y ait ni peines, ni tourmens, qu’elle ne voulût souffrir pour sa gloire & pour son amour.

L’on y aprend, que la souffrance efface le peché ; qu’une affliction bien endurée est un trésor pour l’éternité ; & que souffrir avec Jesus-Christ, doit être toute l’ambition d’une ame, qui veut approcher de sa glorieuse conformité.

L’on y enseigne, que s’aimer soi-même, faire ses volontés, suivre les mouvemens de ses sens, contenter ses apétits & se perdre, est toute une même chose.

Qu’il ne faut pas même faire le bien auquel notre volonté se porte, que nous ne l’ayons soumise à celle de Dieu, en simplicité & humilité de cœur, pour n’en faire que ce que sa Majesté en ordonnera, sans recherche de nous-mêmes.

Nous nous portons souvent à de bonnes actions, par de fausses lumieres, ou par un zele indiscret, nous trouvons quelquefois en nous de faux Prophêtes, qui sous des apparences de Brebis, cachent des Loups ravissans.

Mais l’ame les connoîtra à leurs fruits, quand elle se trouvera troublée, ou inquietée, les sentimens d’humilité alterés, sa récolation dissipée, qu’elle n’aura plus sa paix & sa tranquillité, & qu’elle verra qu’elle a perdu en un moment, ce qu’elle avoit acquis avec beaucoup de tems & de travail.

L’on tombe quelquefois dans ce chemin, mais on s’humilie de ces chûtes, l’humilité nous en releve, & nous fait prendre des résolutions de veiller sur nous de plus en plus à l’avenir.

II peut être que Dieu permet que nous fassions des fautes, pour humilier en nous quelque orgueil que notre amour propre nous tient caché.

L’ame peut aussi quelquefois souffrir les atteintes des tentations des pechés ; mais il ne faut pas qu’elle s’en trouble : elle doit s’en tirer avec douceur, sans contention, & se remettre dans son premier calme, sans excès, ni du côté de la joye, ni du côté de la tristesse.

Enfin nous n’avons qu’une chose à faire, qui est de garder notre ame paisible, nette & pure devant Dieu, nous le trouverons au-dedans de nous, & nous connoîtrons par expérience que sa divine volonté tend toujours au bien & à l’utilité de la créature.


CHAPITRE V.
Que l’ame se doit tenir seule & détachée, afin que Dieu fasse en elle tout son bon plaisir.

SI nous sommes persuadés de l’estime que nous devons faire de notre ame, comme un temple destiné à la demeure de Dieu, prenons garde que nulle chose du monde ne l’occupe ; espérons au Seigneur, & attendons sa venuë en elle avec confiance. Il y entrera, s’il la trouve seule & détachée, seule, sans autre pensée que celle de le recevoir ; seule, sans autre desir que celui de la présence ; seule, sans autre amour que le sien ; seule enfin, sans autre volonté que son bon plaisir.

Ne faisons rien d’extraordinaire de nous-mêmes, pour mériter de loger chez nous celui que tous les Etres créés ne sçauroient comprendre.

Suivons pas à pas celui qui nous guide ; n’entreprenons sans notre Directeur, ni travail, ni peine de notre choix pour l’offrir à Dieu.

C’est assez que nous tenions notre intérieur toujours prêt, & disposé à souffrir pour son amour tout ce qui lui plaira, & en la maniére qu’il lui plaira.

Celui qui fait ce qu’il desire, feroit mieux de se reposer, & laisser sa divine Majesté faire en lui ce qu’elle voudra.

Notre volonté ne doit jamais entretenir aucun engagement, mais être toujours toute libre & détachée.

Et puisqu’il ne faut jamais faire ce qu’on desire, soyons persuadés qu’il ne faut rien desirer ; ou si nous desirons quelque chose, que ce soit de cette maniére, que le succès contraire nous puisse laisser l’esprit aussi en repos, que si nous n’avions rien desiré.

Nos desirs sont chaînes, y être attaché, c’est être esclave ; mais n’en avoir point, ou n’en être point lié, c’est être libre.

Dieu demande notre ame ainsi seule, nue & détachée pour y opérer ses merveilles, & la glorifier presque dès cette vie. O sainte solitude ! ô bienheureux désert ! ô hermitage glorieux où l’Ame peut avoir si aisément la jouissance de son Dieu ; n’écoutons pas seulement, mais demandons des aîles de Colombes pour y voler & y prendre un saint repos ; ne nous arrêtons point dans le chemin ; ne nous amusons point à saluer personne, laissons les morts ensevelir les morts, nous allons à la Terre des vivans, nous ne sommes point du partage de la mort.


CHAPITRE VI.
Qu’il faut user de prudence en l’amour du prochain, pour ne point troubler la paix de l’Ame.

DIeu ne fait point sa demeure dans une Ame, qu’il ne l’embrase d’amour pour lui, & de charité pour le prochain. Jesus-Christ a dit qu’il est venu mettre le feu en la Terre.

L’amour de Dieu ne doit point avoir de bornes, mais la charité que nous devons avoir pour le prochain, doit avoir ses mesures & ses limites. On ne sçauroit trop aimer Dieu, mais on peut trop aimer le prochain ; cet amour n’est ménagé, il n’est capable que de nous perdre : nous pouvons nous détruire en pensant édifier les autres. Aimons de telle sorte notre prochain, que notre Ame n’en reçoive point de dommage, le plus sûr est de ne rien faire par le motif seul, de donner exemple aux autres, & de ne leur servir de modele, de peur qu’en pensant les sauver, nous ne nous perdions ; faisons nos actions simplement & saintement, sans autre intention que de plaire à Dieu quand nous sçaurons nous humilier, & connoître ce que c’est que nos bonnes œuvres, nous n’en ferons pas assez de cas, pour croire que ce qui nous profite si peu, puisse beaucoup profiter aux autres. Il n’est pas besoin que nous soyons si zelés pour des Ames, que la nôtre en perde son repos.

Nous aurons cette soif ardente de leur illumination, quand il aura plû à Dieu de l’exciter en nous ; mais il la faut attendre de l’opération divine, & ne penser pas que nous la puissions acquérir par notre sollicitude, & notre zele indiscret ; conservons à notre Ame la paix & le repos d’une sainte solitude : Dieu le veut de cette sorte pour la lier & l’attacher à lui. Tenons nous assis au-dedans de nous, en attendant que le Maître de la Vigne nous vienne louer, Dieu nous revêtira de lui, quand il nous trouvera nuds & dépouillés de tous les soucis & des desirs de la Terre : il se souviendra de nous, quand il verra que nous nous serons oubliés nous-mêmes ; la paix regnera en nous, & son divin Amour nous fera agir sans trouble, mettra la modération & la tempérance dans tous nos mouvemens, & nous ferons toutes choses dans le saint repos de cette paix toute d’amour, où se taire c’est parler, & tout faire, que ne rien faire, que se tenir libre & docile à toutes les opérations de Dieu ; parce que c’est la divine bonté qui doit tout faire en nous & avec nous, sans desirer autre chose, sinon que nous tenant toujours humbles devant lui, nous lui présentons une Ame possedée d’un seul desir, qui est, que son divin bon plaisir s’accomplisse en elle, le plus parfaitement qu’il se pourra.


CHAPITRE VII.
Que l’Ame doit être dépouillée de toute propre volonté, pour se présenter devant Dieu.

VEnez à moi vous tous qui travaillez, & qui êtes chargés, si vous voulez être délassés de vos travaux ; & vous tous qui avez soif, venez à la fontaine des eaux si vous voulez être děsalterés. C’est la semonce que nous fait Jesus-Christ, en deux endroits des saintes Ecritures, suivons cette vocation divine : mais sans effort ni précipitation ; en paix & avec douceur, nous remettant avec respect & confiance en l’amoureuse Toute-puissance qui nous appelle.

Attendons en esprit de paix la venuë de l’esprit qui donne la paix ; ne pensons qu’aux choses par lesquelles il doit être desiré, aimé & glorifié, & soyons soumis & fidele à ce qu’il voudra faire de nous.

Ne forçons jamais notre cœur, de peur que s’il venoit à s’endurcir, il ne pût être capable du saint repos, qu’il nous est commandé d’acquérir.

Mais accoûtumons-le doucement à ne s’entretenir que de bontés, de l’amour & des bienfaits de Dieu envers ses créatures, & se nourrir de cette Manne délicieuse, que l’assiduité de cette méditation fera pleuvoir dans nos ames avec des douteurs inconcevables.

Ne faisons nul effort pour répandre des larmes, ni pour faire naître en nous des sentimens de dévotion que nous n’avons pas : laissons notre cœur se reposer intérieurement en Dieu, comme en son centre, & ne nous lassons point d’espérer que la volonté de Dieu se fera en nous.

Il nous donnera des larmes en son tems, mais ces larmes seront douces, humbles, amoureuses & tranquilles : vous connoîtrez à ces marques, la source dont elles coulent, & vous les recevrez comme la rosée du Ciel en toute humilité, révérence & actions de graces.

Ne présumons ni de sçavair, ni d’avoir, ni de vouloir aucune chose ; le commencement & la fin, le nœud & la clef de l’Ouvrage spirituel, est de ne rien fonder sur soi-même, sur ce qu’on sçait, sur ce qu’on veut, ni sur ce qu’on a ; mais se tenant en état d’une abnégation parfaite, demeurer comme la Magdeleine aux pieds de Jesus-Christ, sans se troubler comme Marthe.

Quand vous chercherez Dieu par la lumiere de l’entendement pour vous reposer en lui, que ce soit sans comparaison, termes ni limites ; car il est hors de comparaison, il est par-tout sans division de parties, & toutes choses se trouvent en lui, Concevez une immensité qui n’a point de bornes, un tout qui ne sçauroit être compris, une puissance qui a tout fait, qui maintient toutes choses ; & dites votre Ame que c’est son Dieu.

Contemplez & admirez-le incessamment ; il est par-tout, il est dans votre ame, il en veut faire ses delices, selon sa parole, & quoiqu’il n’ait en rien besoin d’elle, il veut la faire digne de lui.

Mais en cherchant ces vérités divịnes par les discours de l’entendement, faites qu’elles fassent le repos des affections de votre volonté douces & tranquilles.

Vous ne devez ni négliger, ni limiter vos dévotions, en sorte que vous soyez comme obligé à faire tant de choses, méditer tant de tems, ou lire tant de Chapitres ; mais que votre cœur demeure toujours libre, pour s’arrêter où il trouvera à se reposer, & être prêt à jouir du Seigneur, lorsqu’il voudra se communiquer à vous, sans vous mettre en peine de n’avoir pas fait ou dit tout ce que vous vous étiez proposé de faire ou dire. Laissez là le reste sans scrupule, n’écoutez aucune autre pensée sur ce sujet ; parce que l’unique fin de vos exercices étant de Dieu, quand cette fin est trouvée, les moyens doivent cesser.

Dieu nous veut mener par le chemin qu’il lui plaît, & quand nous nous imposons des obligations de faire ou dire telle ou telle chose, que nous avons en tête de nous acquitter, & quand nous nous sommes fait des devoirs de ces choses purement imaginaires, nous cherchons Dieu en le fuyant, nous lui voulons plaire sans faire sa volonté ; & nous ne nous mettons pas en état qu’il puisse rien faire de nous.

Si vous voulez marcher heureusement dans le chemin, & parvenir sûrement à la fin ou il conduit, ne cherchez & ne desirez que Dieu ; en quelque part que vous le trouviez, & qu’il se présente à vous ; demeurez-là, ne passez pas outre, qu’il ne vous en donne congé, prenez avec lui le repos des Sts, & quand sa Majesté se sera retirée, vous pourrez en continuant vos exercices, vous remettre à le chercher, à vouloir & desirer le trouver : & l’ayant retrouvé, tout quitter pour en jouir.

Cette leçon est d’un extrême profit, & mérite d’être retenuë & pratiquée : car l’on voit plusieurs personnes Ecclésiastiques, qui se perdent dans la lassitude du travail de leurs exercices, sans en avoir pû jamais tirer du profit ni de repos, parce qu’il leur semble toujours qu’ils n’ont rien fait, s’ils n’ont achevé toute leur tâche ; & qu’en cela consiste la perfection, qui est une vie d’hommes de journées, esclaves de leur volonté, qui ne parviennent jamais à la véritable paix intérieure, qui est le lieu du Seigneur, & le sanctuaire où Jesus-Christ habite.


CHAPITRE VIII.
De la foi qu’on doit avoir au saint Sacrement de l’Autel, & comment nous nous devons offrir à Dieu.

NOtre foi & notre amour pour le Saint Sacrement, ne doivent ja- mais demeurer en même état, mais tous les jours s’accroître, se fortifie, & se naturaliser en nous de plus en plus.

Approchons-nous-en, avec une volonté préparée à toutes sortes de souffrances, d’afflictions, de tribulations, de foiblesses & de sécheresses pour l’amour de lui.

Ne demandons pas qu’il se convertisse en nous ; mais bien qu’il nous convertisse en lui.

Ne lui faisons point de grands discours, nos admirations & nos joyes doivent remplir toute notre Ame, & consommer toutes les fonctions en sa présence ; l’esprit admirera cet incompréhensible mystere, & le cœur s’évanouira de joye, à la vûe d’une si grande Majesté cachée sous des petites especes.

Ne desirons point qu’il se montre à nous d’une autre maniere, & souvenons-nous qu’il a dit, que bienheureux sont ceux qui ne l’ont pas vû, & ont crû en lui.

Il faut sur tout être fidele & constant dans ses exercices, & perseverer dans la pratique des moyens de purifier & simplifier notre Ame, toujours avec repos & douceur.

Tant que ces pratiques ne seront point abandonnées, la grace de la persévérance ne nous abandonnera point.

Il est impossible qu’une Ame qui a goûté ce repos spirituel, puisse retourner à la maniere de vivre du monde, car ce lui seroit un tourment qui ne lui seroit pas supportable.


CHAPITRE IX.
Que l’Ame ne doit chercher de repos ni de plaisir qu’en Dieu.

UNe Ame à qui rien ne déplaise du monde que ses persécutions & ses mépris, qui n’aime & de desire rien de tous les biens qu’il peut donner, & ne craint rien de tous les maux qu’il peut faire ; qui fuit les uns comme le poison, & qui cherche les autres comme les délices, est en état de recevoir de grandes consolations de Dieu ; pour- vû que sa confiance soit tout en lui, & qu’elle ne présume rien de ses forces : le courage de S. Pierre étoit grand, quand il disoit hautement qu’il wouloit mourir avec Jesus-Christ : cette volonté déterminée étoit apparemment fort bonne ; mais en effet elle avoit un vice ; c’est que c’étoit sa volonté propre, & ce vice fut la cause de sa chûte : tant il est vrai que nous ne sçaurions rien penser, ni rien faire qui soit bon, sans le secours de la puissance de Dieu.

Tenons notre Ame libre de toute sorte de desirs, qu’elle soit toute entiere à son action, présente à ce qu’elle fait, à ce qu’elle pense, sans souffrir que les soins de ce qu’elle fera ou pensera hors de l’instant de son action, la tienne aucunement partagée. Néanmoins il n’est défendu à personne de s’appliquer à ses affaires temporelles, par une sollicitude prudente & avisée, selon la nécessité de son état ; ces choses prises comme il faut, sont de l’ordre de Dieu ; & n’empêchent nullemėnt la paix intérieure, & l’avenement spirituel.

Nous ne sçaurions rien faire de mieux pour bien employer le présent, que de toujours offrir à Dieu notre Ame nue & dépouillée de tous desirs, & nous tenir devant sa divine Majesté, comme un pauvre foible & languissant, qui n’a rien, & qui ne sçauroit rien faire, ni rien gagner.

Cette liberté d’esprit sans engagement en nous, & hors de nous pour dépendre absolument de Dieu, est l’essentiel de la perfection.

Il n’est pas concevable quels soins la divine bonté daigne prendre d’une créature, qui est ainsi tout à elle.

Elle a agréable qu’elle lui communique son cœur avec confiance. Elle veut bien lui éclaircir, & lui résoudre ses difficultés & ses doutes, la relever quand elle est tombée, lui remettre ses fautes, toutes les fois qu’il la trouvera préparée à s’en repentir : car Dieu est toujours le Prêtre Eternel : quelque pouvoir qu’il ait donné à S. Pierre & à ses Successeurs, de lier & de délier, il ne s’en est pas privé lui-même tellement, que si son Confesseur ne lui veut pas administrer les saints Sacremens si souvent qu’elle le desiroit, sa Majesté le reçoit, & lui accorde par don toutes les fois qu’elle vient à lui avec confiance, douleur & amour.

Ce sont les fruits de ce saint attachement.


CHAPITRE X.
Que les obstacles & les répugnances que nous trouvons à cette paix intérieure, ne nous doivent point contrister.

DIeu permettra que cette sérenité intérieure, cette solitude de l’Ame, cette paix, & ce saint repos du cœur se trouveront bien souvent troublés & obscurcis par les mouvemens & les fumées, qui s’éleveront du propre amour, & de nos inclinations naturelles.

Mais comme sa bonté permet ces choses pour notre plus grand bien, elle aura toujours soin de répandre sur la sécheresse de notre cœur, la douce pluye de ses consolations ; & cette pluye, non-seulement abaissera cette poussiere, mais lui fera produire des fleurs & des fruits dignes de l’agrément de la divine Majesté.

Ce renversement de notre tranquillité intérieure, & ces agitations causées par les émotions de l’apetit sensitifs, sont les combats où les Saints ont gagné les victoires, qui leur ont fait mériter leurs Couronnes.

Quand vous tomberez dans ces foiblesses, ces dégoûts, ces troubles & ses désolations d’esprit, dites à Dieu d’un cœur, aimant & humilié : Seigneur, je suis la créature que vos mains ont formée & l’esclave que votre Sang a racheté : disposez de moi comme de ce qui est à vous, & de ce qui n’est fait que pour vous, & permettez-moi seulement d’espérer en vous. Bienheureuse l’ame qui sçaura ainsi s’offrir à Dieu au tems de l’affliction.

Er quoique vous ne puissiez pas sitôt ranger votre volonté à celle de Dieu, il ne faut point vous en attrister, c’est votre croix, il vous commande de la porter & de le suivre ; lui-même ne l’a-t-il pas portée, pour vous enseigner à la porter ? Faites réflexion sur son combat du Jardin des Olives ; sur cette résistance de l’humanité, qui dans ses foiblesses lui faisoit dire : Mon Pere, s’il est possible que je ne boive point ce Calice, & sur cette force de son Ame, qui s’élevant, au-dessus de la foiblesse du corps, lui faisoit aussi-tôt ajouter d’une humilité profonde : Que ma volonté ne soit pas faite, mais la vôtre.

La foiblesse naturelle vous fera fuir toute peine & toute tribulation, quand elle viendra vous lui ferez mauvais visage, vous voudriez qu’elle fût bien loin. Mais persévérez en humilité & en prieres, tant enfin que vous n’ayez plus de volonté, ni desirs, que ceux de Dieu.

Tachez de faire que la demeure de votre cœur ne soit uniquement que pour Dieu, qu’il n’y ait jamais ni fiel, ni amertume, ni répugnance volontaire à quelque chose que ce soit ; n’arrêtez jamais vos yeux, ni votre pensée sur les mauvaises actions d’autrui ; & sans y faire de réflexion, passez, allez tout doucement votre chemin, & ne pensez à rien qu’à vous détourner de ce qui vous peut blesser ; c’est un grand art pour être à Dieu ; que d’outre-passer tout, & de ne s’arrêter à rien.


CHAPITRE XI.
Des artifices dont le démon se sert pour troubler la paix de notre ame, & comment nous nous en pouvons garantir.

CEt ennemi du salut des hommes, tend principalement à nous tirer de l’état d’humilité, & de la simplicité Chrétienne.

Pour y parvenir, il nous porte à présumer quelque chose de nous-mê- mes, de notre diligence, de notre industrie, & à nous faire prendre dans notre pensée quelque préférence au-dessus d’autrui, qui sera bien-tôt suivie du mépris, sous prétexte de quelque défaut.

Il se glisse dans nos ames, par quelqu’un de ces moyens, mais la porte par où il desire le plus d’entrer, c’est la porte de la vanité & de l’estime de nous-mêmes.

Le secret de s’en garantir, est de garder toujours le retranchement de la sainte humilité, sans s’en éloigner jamais ; de nous confondre, & nous anéantir nous-mêmes : si nous sortons de cet état, nous ne nous défendrons jamais de cet esprit de superbe ; & quand il aura gagné notre volonté par cette voye, il y regnera en tyran, & y fera regner tous les vices.

Ce n’est pas encore tout que de veiller, il faut prier : car il est dit, veillez & priez. La paix de l’ame est un Trésor, que ces deux gardes peuvent seules conserver.

Ne souffrons point que notre esprit s’agite, ni s’inquiete pour quelque chose que ce soit ; l’ame humble & tranquille fait toutes choses avec facilité : les obstacles ne tiennent point devant elle, elle fait le bien & y persévere, mais l’ame troublée & inquiete, fait peu de bien ; le fait imparfaitement, se lasse facilement, souffre continuellement, & ses peines ne lui sont d’aucun profit.

Vous discernerez les pensées que vous devez entretenir ou bannir par la confiance, ou la défiance en la bonté & la miséricorde de Dieu : si elles vous parlent d’augmenter toujours de plus en plus cette amoureuse confiance, vous devez les recevoir comme des Messagers du Ciel, en faire vos entretiens & vos délices ; mais vous devez bannir & rejetter comme des soufflets du démon, celles qui tendront à vous donner de la défiance de ces infinies miséricordes.

Le Tentateur des ames pieuses, leur fait paroître les choses ordinaires beaucoup plus grandes qu’elles ne sont, leur persuade qu’elles ne sont jamais leur devoir, qu’elles ne se confessent pas bien, qu’elles communient trop tiedement, que leurs prieres ont de grands défauts ; & il travaille ainsi par tous les scrupules, à les tenir toujours troublées, inquietes & impatientes, & à les porter à quitter leurs exercices ; comme si tout ce qu’elles font, étoit sans fruit, comme si Dieu ne les regardoit pas & les avoit dû toutes oublier, & toutefois il n’est rien de si faux que ces persuasions ; les utilités que l’on tire des distractions & des sécheresses intérieures, & des fautes que l’on commet dans la dévotion, sont innombrables, pourvû que l’ame entende & comprenne ce que Dieu veut d’elle en cet état, qu’elle prenne patience & persevere en son œuvre ; la priere & l’action d’une ame privée du goût de ce qu’elle fait, est un des plaisirs que Dieu prend en sa créature, disoit le grand St. Grégoire, & surtout quand, nonobstant elle seroit froide, insensible & comme éloignée de ce qu’elle fait, elle y persévere avec courage, sa patience prie assez pour elle, & fait beaucoup mieux son affaire devant Dieu, que les prieres qui sont de son goût. Le même Saint dit, que cette nuit intérieure où elle se trouve quand elle prie, est une lumiere qui brille en la présence de Dieu, qu’il ne peut rien venir de nous, qui soit plus capable de l’attirer en nous, qu’elle le force même à nous doņner de nouvelles graces.

Ne quittez donc jamais une bonne œuvre pour quelque dégoût que vous en ayez ; si vous ne voulez faire ce que demande le démon ; & apprenez par la lecture du Chapitre suivant, les grands fruits que vous pouvez tirer de votre humble persévérance dans les exercices de pieté, au tems de vos plus grandes sécheresses.


CHAPITRE XII.
Que l’ame ne se doit point attrister à cause de ses tentations intérieures.

LEs biens qui procédent de nos sécheresses spirituelles, & même de nos fautes dans nos exercices, sont assûrément infinis ; mais ce n’est que par l’humilité & par la patience, que nous en pouvons faire notre profit ; si nous sçavions bien comprendre ce secret, nous nous épargnerions bien de mauvaises heures & de mauvais jours.

Helas ! que nous avons tort de prendre pour des marques d’aversion & d’horreur de Dieu pour nous, ces précieux témoignages de son divin amour, & de croire que la colere nous punit quand la bonté nous favorise. Ne voyons-nous pas, que le sentiment des peines que nous donnent ses sécheresses intérieures, ne peut naître que du desir que nous avons d’être bien agréable à Dieu, zelés & fervens aux choses de son service, puisque ce qui pous afflige, n’est autre chose que la privation de ces sentimens & que ces chagrins & ses dégoûts qui nous persuadent que nous lui déplaisons, comme nous nous déplaisons à nous-mêmes : non, non, soyons certains que c’est un bon effet d’une bonne cause ; ces choses n’arrivent qu’à ceux qui veulent vivre en vrais serviteurs de Dieu, & s’éloigner de tout ce qui peut, non pas seulement l’offenser, mais lui déplaire.

Au contraire, nous ne voyons point que les grands pecheurs, ni ceux qui vivent de la vie du monde, se plaignent fort de ces sortes de tentations.

C’est une médecine qui n’est pas de notre goût, & contre laquelle notre estomach le souleve ; mais elle nous fait des biens merveilleux, sans que nous nous appercevions, que la tentation soit des plus horribles, & telle que la seule imagination nous épouvante & nous scandalise, plus elle nous affligera, plus elle nous humiliera, plus aussi nous en recevrons de profit. C’est ce que l’Ame n’entend point & ne comprend point ; c’est pourquoi elle ne veut point aller par le chemin où elle ne voit & ne sent rien qui ne lui déplaise & ne l’afflige.

C’est en un mot, qu’elle ne voudroit jamais être sans plaisirs & sans consolations, & que tout ce qui n’a point cette douceur, passe dans les sentimens pour travail, sans fruit & sans profit.


CHAPITRE XIII.
Que Dieu nous envoye ces tentations pour notre bien.

NOus sommes naturellement superbes, ambitieux & amis de nos sens ; de-là vient que nous nous flattons en toutes choses, & que nous nous comptons pour beaucoup plus que nous ne valons.

Mais cette présomption est tellement ennemie du progrès spirituel, qu’il n’en faut que l’odeur, pour peu qu’elle soit goûtée, pour nous empêcher de parvenir à la véritable perfection.

C’est un mal que nous ne voyons pas, mais Dieu qui le connoît & qui nous aime, a toujours soin de nous détromper, nous faire revenir de cette illusion de l’amour propre, & nous ramener à la connoissance de nous-mêmes : n’est-ce pas ce qu’il fit à son Apôtre Saint Pierre, quand il permit qu’il le déniât, & qu’il ne voulut pas reconnoître ce qu’il étoit, afin qu’il pût revenir à la connoissance de ce qu’il étoit lui-même, & lui faire perdre cette dangereuse présomption : N’est-ce pas aussi ce qu’il a fait à Saint Paul, quand pour préservatif de cette peste de l’Ame, & de l’abus qu’il pouvoit faire des hautes révélations qu’il avoit eues, il a voulu le tenir sujet à une tentation humiliante, qui lui fit tous les jours sentir sa foiblesse naturelle ?

Admirons la bonté & la sagesse de Dieu, qui agit contre nous-mêmes, pour nous-mêmes, qui nous a fait du bien sans que nous le sentions, & quand même nous pensons qu’il nous fait du mal.

Nous nous imaginons que ces refroidissemens de cœur nous arrivent, parce que nous sommes imparfaits & insensibles aux choses de Dieu : nous n’ayons point de peine à nous persuader qu’il n’est point d’Ame plus distraite & plus abandonnée que la nôtre ; que Dieu n’a point de serviteurs qui le servent si misérablement, & si lachement que nous, & que les pensées qui nous roulent dans la tête, ne viennent qu’à des gens éperdus & abandonnés.

Il se fait donc par l’opération de cette médecine venue du Ciel, que ce présomptueux qui croyoit être quelque chose commence à se croire le plus méchant homme du monde, & n’être pas digne du nom de Chrétien.

Seroit-il jamais descendu de cette élévation de pensée, où nous fait monter la superbe naturelle ? Auroit-il jamais guéri de cette enflure d’orgueil ? Ces vapeurs & ces fumées de vanité auroient-elles jamais quitté sa tête & son cœur sans ce remede ?

L’humilité n’est pas le seul profit que nous tirons de ces tentations, afflictions & désolations intérieures qui mettent notre Ame à sec, & en bannissent tout ce que la dévotion a de sensible : car cet état nous force de recourir à Dieu, de fuir toutes les choses qui lui peuvent déplaire, & de nous remettre dans la pratique des vertus, avec plus d’application qu’auparavant. Ces afflictions nous servent de purgatoire, puisqu’elles nous purgent & nous préparent des couronnes, quand elles sont prises avec humilité & patience.

L’Ame étant persuadée de ce que nous venons de dire, n’a qu’à penser si elle a sujet de perdre sa paix, & de se troubler pour perdre le goût de la dévotion, & se trouver dans les tentations spirituelles, si elle seroit raisonnable d’attribuer à la persécution du Démon ce qui lui est envoyé de la main de Dieu, & de prendre les témoignages de son amour, pour des marques de la haine.

Elle n’a rien à faire quand elle tombe dans cet état, qu’à s’humilier devant Dieu, qu’à perséverer & à souffrir avec patience le dégoût de ces exercices, se conformer à sa divine volonté, & tâcher de se conserver en son repos, par cet humble acquiescement à tout ce qui vient de sa main, puisque c’est la main de son Pere qui est dans les Cieux.

Au lieu de s’abandonner à la tristesse & au découragement, elle doit rendre de nouvelles actions de graces, & demeurer dans l’état de la paix & de son abandon aux ordres de Dieu.


CHAPITRE XIV.
Ce qu’il faut faire pour ne se point affliger de ses fautes.

S’Il arrive que vous pechiez par action ou paroles, que quelque évenement vous mette en colere, que quelque vaine curiosité vous enleve à vos exercices, que quelque joye immoderée, vous transporte, que vous ayez soupçonné de mal votre prochain, ou que vous tombiez par quel- qu’autre voyes, même assez souvent, quoique ce soit dans une même faute, & dans celle dont vous aviez résolu de vous garder, vous ne devez point vous inquietter, ni même vous remettre trop dans l’esprit ce qui s’est passé, pour vous affliger & vous déconforter, vous imaginant qu’il n’y aura jamais d’amendement en vous ; que vous ne faites pas ce que vous devez dans vos exercices ; & que si vous le faisiez, vous ne tomberiez pas si souvent en cette faute : car c’est-là une affliction d’esprit, & une perte de tems que vous devez éviter.

Vous ne devez point aussi vous arrêter à éplucher les circonstances du tems de votre faute, s’il a été long ou court, & s’il y a eu plein consentement, ou non ; parce que cela ne sert qu’à vous remplir l’esprit d’inquiétude, devant & après vos Confessions, comme si vous n’aviez jamais dit ce qu’il faut dire, & de la maniere qu’il le faut dire.

Vous n’auriez point toutes ces inquiétudes, si vous connoissiez votre foiblesse naturelle, & si vous sçaviez la maniere dont vous devez agir avec Dieu après vos chûtes. Ce n’est point avec ce chagrin & ce déconfort intérieur, qui inquiete & qui abat, c’est avec une humble, douce & amoureuse conversion à la divine & paternelle bonté, que vous devez recourir à lui : ce qui s’entend, non-seulement des fautes légeres, mais aussi de celles qui sont les plus grandes, non-seulement de celles qui le sont par tiédeur & lâcheté, mais de celles qui se commettent par malice.

C’est ce que plusieurs personnes ne comprennent pas, car au lieu de pratiquer cette grande leçon de la confiance filiale en la bonté & la miséricorde de Dieu, ils traînent des esprits si abatus, qu’à peine peuvent-ils seulement penser à rien de bon, & menent un vie misérable & languissante, pour vouloir préferer leurs imaginations à la vraye & salutaire doctrine.


CHAPITRE XV.
Que l’Ame doit se calmer sans perdre de tems à chaque inquiétude qui lui arrive.

QUe ce soit donc votre regle autant de fois que vous tomberez en quelque faute, grande ou petite, quand vous l’auriez commise volontairement mille fois le jour, aussi-tôt que vous reconnoîtrez ce que vous avez fait, de faire réflexion sur votre fragilité, récourir à Dieu d’un esprit humilié, & lui dire avec une douce & aimable confiance : Vous avez vû, Mon Dieu, que j’ai fait ce que je puis, vous avez vû ce que je suis, le peché ne sçauroit produire que peché, vous m’avez fait la grace du repentir, je supplie votre bonté de m’accorder avec le pardon, celle de ne jamais plus vous offenser. Cette priere étant faite, ne perdez point de tems en vos réflexions inquietes pour sçavoir si le Seigneur vous a pardonné ; remettez-vous humblement & doucement dans vos exercices, sans penser à ce qui est arrivé, avec même confiance & même repos d’esprit qu’auparavant ; quelque nombre de fois que vous soyez tombé, quand ce seroit cent mille fois, vous devez faire la même chose à la derniere chûte qu’à la premiere : car outre que c’est retourner toujours à Dieu, qui comme un bon Pere, est toujours prêt de nous recevoir quand nous venons à lui, c’est que nous ne perdons point le tems en inquietude & en chagrins, qui troublent l’esprit, & le tiennent long-tems incapable de rentrer dans le calme & la fidelite.

Je voudrois que ces Ames qui s’inquietent & se déconfortent de leurs chûtes, voulussent bien entendre ce secret spirituel, elles reconnoîtroient aussi tôt combien cet état est different de celui d’un intérieur humble & tranquile, où regne l’humilité & la paix, & de quel préjudice leur est la perte du tems, que ces inquiétudes leur causent.


P E N S É E S
SUR LA MORT.


A Chaque moment de notre vie, nous nous trouvons à la porte de l’Éternité.


Douze utilités de la considération de La Mort.
I.

Elle fait juger sainement sans tromperie & sans illusion de toutes choses, vera Philosophia.

Notre entrée & notre sortie tous nuds, condamne la passion des biens.

Notre sortie tous seuls, confond l’attachement aux amitiés des créatures.

La puanteur & la pourriture de la chair, qui devient la nourriture des crapaux & des vers dans le tombeau, guérit la folie des voluptés corporelles.

En cet état de nos corps sous la terre, parmi les animaux, qui ne sont pas dignes de voir le Soleil, & sous les pieds des hommes, nous défait bien de la vanité de vouloir nous élever au-dessus des autres.

II. C’est la Maîtresse de l’École de la vie, qui ne nous donne qu’un précepte, qui est de diriger toutes nos actions à notre fin.

Cette considération est aux hommes, ce qu’est la queuë aux animaux de terre, par laquelle ils se défendent de la pointe des mouches ; & aux oiseaux du ciel, & aux poissons de la mer, par laquelle ils se soutiennent.

III. Elle fait mépriser les choses terrestres & temporelles, peuplent les solitudes & les Cloîtres, & fait les retraites de tout ce que Dieu a de Serviteurs au monde.

IV. Elle apprend à se connoître soi-même, qui est un des principaux points de la sagesse.

V. Elle est comme un glace sur le feu de la concupiscence charnelle, qui l’éteint & l’amortit, & comme le frein des cupidités & de la chair.

VI. C’est une vive source de l’humiliation, & le remède unique contre l’orgueil & l’enflure de l’esprit.

VII. C’est un excellent préservatif contre le peché. Eccl. 7. In omnibus operibus tuis memorare novissima tua, & in æternum non peccabis.

VIII. Elle ramene les Ames ulcerrées à la douceur & à la réconciliation : quiconque songe bien sérieusement que la mort inévitable & incertaine, l’expose à pitié, & à la justice de celui qui ne pardonne qu’à ceux qui ont pardonné, n’a point de peine à pardonner.

IX. C’est un contrepoison des plaisirs & divertissemens du monde, & ce Prince qui fit asseoir un Comédien dans un Siége vieil & pourri, sous le quel il y avoit un feu allumé, eut bien raison de lui dire, le voyant triste & inquiet, dans l’appréhension que ce siége manquant sous lui par sa pourriture, il ne tombât dans le brasier allumé dessous, qu’il devoit considérer son corps comme le siége pourri, qui d’heure en heure, & même de moment à autre, pouvoit lui manquer, & l’Enfer comme le feu allumé dessous, où tout homme devroit avoir une juste crainte de tomber.

X. C’est l’œconomie de notre salut, qui nous mettant devant les yeux que nous devons avoir ailleurs, qu’en ce monde passager, une demeure perpétuelle, nous fait ménager quantité de bonnes actions, comme des · provisions pour cette vie future.

XI. Elle nous fait embrasser librement & volontairement la Pénitence.

XII. Elle nous y fait constamment & fortement persévérer.


S E N T I M E N S
D’un Pecheur qui desire retourner à Dieu.

JE reconnois, ô mon Dieu, que c’est par ma faute, & par ma très-grieve faute que j’ai peché contre vous, que je n’ai point d’excuse à apporter, & que je ne suis devant vous qu’un coupable & qu’un criminel.

Je sçai que vous m’avez fait pour vous, & que je vous appartiens par une infinité de titres. Cependant par une effroyable injustice, j’ai voulu vivre pour moi-même, & pour le monde, en m’attachant à ses vanités, en suivant ses maximes corrompues, qui m’ayant éloigné du chemin de mon salut, m’ont fait perdre le plus grand de tous les biens, qui est votre grace, & m’ont engagé en même-tems dans le plus grand de tous les maux, qui est l’esclavage du démon, la plus honteuse de toutes les servitudes.

Vous m’avez donné un corps pour le consacrer à votre service, cependant j’en ai fait un usage tout profane, puisque je m’en suis servi pour vous offenser. Ces membres qui devoient être autant d’armes de justice employées pour votre gloire, j’en ai fait autant d’armes d’iniquité, pour m’élever contre vous, pour vous faire la guerre en outrageant toutes vos perfections, par les égaremens de mon esprit, & par les déreglemens de mon cœur.

Oui, mon adorable Jesus, j’avoue avec confusion que j’ai outragé votre sagesse ; puisqu’au lieu d’en suivre ses lumieres, j’ai suivi le mouvement de mes passions ; j’ai outragé votre puissance, parce que j’ai mis souvent des obstacles à ses écoulemens ; j’ai outragé votre grandeur, parce que je l’ai méprisée ; j’ai outragé votre justice, parce que je l’ai irritée par mes fréquentes rechûtes dans mes mêmes désordres ; j’ai outragé votre bonté, parce que j’en ai abusé ; j’ai outragé votre libéralité, par l’excès de mes ingratitudes ; j’ai outragé votre patience, parce que je l’ai laissée, en demeurant si long-tems dans mes habitudes criminelles ; j’ai même voulu vous dépouiller de l’autorité que vous avez sur moi, puisque tant de fois j’ai refusé de vous obéir : Vous, mon Dieu, qui ne me commandiez que pour me sauver ; j’ai obéi au démon, en suivant ses malheureuses suggestions, lui qui est votre plus cruel ennemi, & qui ne me commandoit que pour me perdre.

Quel monstre dans la Religion ! quelle abomination dans une telle conduite ! quel déreglement dans la vie d’un Chrétien ! ce Chrétien élevé dans l’Ecole de J. C. encouragé par ses promesses, sanctifié par ses graces, réconcilié par ses Sacremens, lavé dans son Sang & nourri tant de fois de la Chair adorable. Deviez-vous, mon divin Sauveur, m’aimer avec tant d’ardeur, pour être traité avec tant d’injustice ? Deviez-vous employer tant de soins pour mon salut, pour voir tous ces moyens de votre charité rendus inutiles par mes crimes ? Que puis-je faire dans l’état misérable où je me trouve, sinon de me jetter entre les bras de votre miséricorde, appuyée sur votre parole, qui est aussi inviolable, comme elle est Éternelle, que vous ne voulez point la mort du Pecheur, mais plûtôt sa conversion ? Je vous la demande, ô mon Dieu, par les mérites de la Mort & Passion de N.S. J.C. accordez-moi par bonté ce que vous pourriez me refuser par justice, après la dissipation malheureuse que j’ai faite de tant de graces, & de tant de bienfaits dont vous m’avez comblé pendant ma vie, & après tant de profanations de vos Sacremens les plus augustes.

O Pere des lumieres, qui pénétrez les plus épaisses tenebres ; conduisez vous-même une Ame aveugle & égarée. Je vous demande ce qui vous est le plus agréable, & ce qui m’est le plus avantageux. Ce n’est point aucun bien de fortune ; ce n’est point de devenir plus heureux selon le monde, c’est de former en moi un cœur nouveau, un cœur qui vous aime, qui vous cherche, & qui vous désire, un cœur qui ne s’attache qu’à vous, qui ne vit que pour vous, pour me faire garder inviolablement les protestations que je vous fait aujourd’hui de me consacrer entierement à votre service, & d’être à vous tous les momens de ma vie.

Mais comme je reconnois par une funeste expérience, que les inclinations qui me portent au mal, sont plus fortes & plus puissantes que toutes mes résolutions, j’ai besoin de forces pour exécuter ce que je desire ; parce que je ne suis par moi-même que foiblesse & que langueur.

C’est pourquoi je supplie la sainte Vierge & tous les Saints de vouloir intercéder pour moi auprès de vous, ô mon Dieu, & d’engager votre bonté infinie, de m’éclairer par vos lumieres, de me conduire par votre esprit, de me fortifier par votre grace, de me redresser par vos inspirations salutaires, & de me soutenir par vos divines consolations : afin de me faire marcher avec fidelité dans le chemin de mon salut, convaincu que je suis, qu’il ne faut s’en éloigner qu’un seul moment, pour être perdu pour jamais.

Daignez, mon adorable Jesus, joindre à toutes ces graces, celles de me donner une sainte horreur pour le peché, une vive crainte de vos Jugemens ; l’espérance du pardon, & un amour pour la justice, & un desir sincere de me convertir par une pénitence constante ; puisque c’est-là le souverain remede qui doit guérir les infirmités de mon ame ; c’est-là l’unique moyen qui me reste pour me sauver du naufrage, c’est ce second Baptême, que les Peres de l’Eglise apellent un Baptême pénible & laborieux, où mes larmes étant mêlées avec le Sang de J.C. purifieront mon cœur des tâches & des souillures que j’ai contractées par mes pechés ; c’est cette même Pénitence qui doit me faire mourir aux inclinations de la nature corrompue, à toutes mes habitudes criminelles, à toutes mes passions pour n’en plus suivre les mouvemens, & entrer dans un entier renouvellement de conduite, me fera marcher & courir, à l’exemple du Prophête, dans les voies de la Justice Chrétienne, vous aimer de tout mon cœur, & y persévérer jusqu’à ce que j’arrive à cet heureux terme, qui me mettra dans la possession de mon Dieu, pour le louer, le bénir & le glorifier éternellement dans la compagnie des Saints. Ainsi soit-il.

FIN


Avertissement du traducteur

TABLE DES CHAPITRES
Chapitre I. En quoi consiste la perfection Chrétienne, que pour l’acquérir il faut combattre ; & que pour sortir victorieux de ce combat, quatre choses sont nécessaires. pag. 9
Chap. VII. Du bon usage des puissances ; & premierement qu’il faut que l’entendement soit libre de l’ignorance & de curiosité. 36
Chap. VIII. De ce qui peut nous empêcher de juger sainement des choses ; & de ce qui peut nous aider à les bien connoître. 39
Chap. IX. D’une autre chose nécessaire à l’entendement pour bien connoitre ce qui est le plus utile. 42
Chap. X. De l’exercice de la volonté, & de la fin où nous devons diriger toutes nos actions intérieures & extérieures. 47
Chap XII. Qu’il y a dans l’homme plusieurs volontés qui se font sans cesse la guerre. 57
Chap. XIII. De quelle maniere il faut combattre la sensualité ; & quels Actes la volonté peut produire, pour acquérir les habitudes des vertus. 63
Chap. XV. De quelques autres avis fort utiles, pour sçavoir quelle est la maniere de bien combattre, quels ennemis on doit attaquer, &c. 77
Chap. XXI. Du bon usage des sens extérieurs, du comment on peut les faire servir à la contemplation des choses divines. 109
Chap. XXII. Comment les choses sensibles nous aident à méditer sur ces Mysteres de la Vie & de la Passion de Notre-Seigneur. 116
Chap. XXV. Que le Soldat de Jesus-Christ qui a resolu de combattre & de vaincre les ennemis, doit éviter autant qu’il lui est possible, ce qui peut troubler la paix de son cœur. 133
Chap. XXVII. Comment le démon a accoûmé de tenter & de séduire ceux qui veulent s’adonner à la vertu, &c. 145
Chap. XXVIII. Des artifices qu’employe le demon pour achever de perdre ceux qu’il a fait tomber dans le peché. 146
Chap. XXIX. Des inventions dont se sert le malin esprit pour empêcher l’entiere conversion de ceux qui, convaincus du mauvais état de leurs consciences, ont quelque envie de se corriger, &c. 148
Chap. VI. Qu’il faut user de prudence en l’amour du prochain, pour ne point troubler la paix de l’ame. 323
Chap. VIII. De la foi qu’on doit avoir au Ss. Sacrement de l’Autel, comment nous nous devons offrir à Dieu. 331
Chap. X. Que les obstacles & les répugnances que nous trouvons à cette paix intérieure, ne nous doivent point contrister. 336


Fin de la Table.





APPROBATION.

J’Ai examiné par l’ordre de M. le Chancelier un Livre appellé, le Combat Spirituel, nouvellement traduit de l’Italien par le Pere Brignon de la Compagnie de Jesus, & je suis persuadé que cette nouvelle Edition ne fera qu’augmenter les bons effets que ce pieux Ouvrage a produit jusqu’à présent. A Paris ce 14 Aout 1703.

Signé, RAGUET.
  1. In indiculo librorum Asseticorum, pag 66.
  2. Erotemate X. de bonis ac malis libris, Tome ii page 267.
  3. In Indiculo lib. Ascet.
  4. Luc, 51.
  5. P. 3. 18
  6. I. Pet. 118.
  7. Math. 25. 21.
  8. Luc 18. 13.
  9. Jean, 12, 15.
  10. Rom. 8. 12.
  11. Baruch. 4. 24.
  12. Ps. 9. 19.
  13. Prov. 6. 32.
  14. Luc 21.19.
  15. Heb. 12. 1.
  16. Ps. 21, 18.
  17. Apoc. 3. 5.
  18. Prov. 8. 31.
  19. Ps. 42. 5.
  20. Psal.9. 22.
  21. Tob. 3. 21.
  22. Luc, 22. 42.
  23. Reg. 15.