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BlBLIÔT‘I—IÈQËUE ON ET DE_gËÇ' L ET c 18, iæ'ùa mc‘oa

PARIS

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HISTOIRE

D’UNE MONTAGNE *

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HISTOIRE

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HISTOIRE

D’UNE MONTAGNE

CHAPITRE I

L’ASILE

J’étais triste, abattu, las de la vie. La des— tinée avait été dure pour moi, elle avait enlevé des êtres qui m’étaient chers, ruiné mes pro— jets, mis a néant mes espérances. Des hommes que j’appelais mes amis s’étaient retournés contre moi en me voyant assailli par le mal- 5 beur; l‘humanité tout entière, avec ses inté- rêts en lutte et ses passions déchaînées, m’avait paru hideuse. Je voulais à tout prix m’échap— " per, soit pour mourir. soit nour retrouver,

1

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‘! HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

dans la solitude, ma force et le calme de mon esprit.

Sans trop savoir où me conduisaient mes pas, j’étais sorti de la ville bruyante, et je me dirigeais vers les grandes montagnes dont je voyais le profil denteler le bout de l’horizon.

Je marchais devant moi7 suivant les che- mins de traverse et m’arrêtant le soir devant les auberges écartées. Le son d’une voix hu— maine, le bruit d’un pas, me faisaient frisson— ner; mais, quand je cheminais solitaire, j’é- coutais avec un plaisir mélancolique le chant des oiseaux, le murmure de la rivière et les mille rumeurs échappées des grands bois.

Enfin, marchant toujours au hasard par route ou par sentier, j’arrivai à l’entrée du pre— mier défilé de la montagne. La large plaine rayée de sillons s‘arrêtait brusquement au pied des rochers et des pentes ombragées de châtaigniers. Les hautes eimes bleues aperçucs de loin avaient disparu derrière des sommets moins hauts, mais plus rapprochés. A côté de moi la rivière, qui plus bas s’étalait en une vaste nappe, se plissant sur les cailloux, cou- la1t inclinée et rapide entre des roches lisses et

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L’ASILE. 3

revêtues de mousses noirâ‘tres. Au-dessus de chaque rive, un coteau, premier contrefort des monts, dressait ses escarpements et portait sur sa tête les ruines d’une grosse tour, qui jadis fut la gardienne de la vallée. Je me sen— tais enfermé entre les deux murailles; j’avais quitté la région des grandes villes, des fumées et du bruit; derrière moi étaient restés enne— mis et faux amis. ,

Pour la première fois depuis bien long- temps, j’éprouvai un mouvement de joie réelle. Mon pas devint plus allègre, mon regard plus assuré. Je m‘arrètai pour aspirer avec volupté l’air pur descendu de la montagne.

Dans ce pays, plus de grandes routes cou-

' vertes de cailloux, de poussière ou de boue;

maintenant j’ai quitté les basses plaines, je suis dans la montagne non encore asservie! Un sentier, tracé par les pas des chèvres et des bergers, se détache du cheminot plus large qui suit le fond de la vallée et monte obliquement sur le flanc des hauteurs. C’est la route que je prends pour être bien sûr d’être enfin seul.

M’élevant achaque pas, je vois se rapetis—

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lr HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

ser les hommes qui passent sur le sentier du fond. Les hameaux, les villages, me sont à demi cachés par leurs propres fumées. brouil— lard d’un grisbleuâtre qui rampe lentement sur les hauteurs et se déchire en route aux lisières de la forêt.

Vers le soir, après avoir contourné plusieurs escarpements de rochers, dépassé de nom- breux ravins, franchi, en ksautant de pierre en pierre, bien des ruisselets tapageurs, j’attei- gnis la base d’un promontoire dominant au“ loin rochers, bois et pâturages. A la cime apparaissait une cabane enfumée, et des bre- bis paissaient à l’entour sur les pentes. Pareil à un ruban déroulé dans le velours dugazon, ce sentier jaunâtre montait vers la cabane et semblait s’y arrêter. Plus loin, je n’aperceVais . que de grands ravins pierreux, éboulis, cas— cades, neiges et glaciers. Là était la dernière habitation de l’homme. C’était la masure qui, pendant de longs mois, devait me servir d’a- sile. '

Un chien puis un berger m’y accueillirent en amis. , ‘

Libre désormais, Je laissai ma vie se renou—

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L’ASlLE. . ' 5

veler lentement au gré de la nature. Tantôt j’allais errer au milieu d’un chaos de pierres écroulées d’une crête rocheuse; tantôt je che- minais au hasard dans une forêt de sapins; d’autres fois, je gagnais les crêtes supérieures pour aller m’asseoir sur une cime dominant l’espace; souvent, aussi, je m’enfonçais dans un ravin profond et noir où je p0uvais me croire comme enfoui dans les abîmes de la terre. Peu a peu, sous l’influence du temps et de la nature, les fantômes lugubres qui han- taient ma mémoire relâchèrent leur étreinte. Je ne me promenais plus seulement pour échapper à mes souvenirs, mais aussi pour me laisser pénétrer par les impressions, du milieu et pour en jouir comme à l’insu de moi- même.

Si, clés mes premiers pas dans la montagne, j’avais éprouvé un sentiment de joie, c’est que j’étais entré dans la solitude et que des ro- chers, des forêts, tout un monde nouveau se dressait entre moi et le passé; mais, un beau jour, je compris qu’une nouvelle passion s’é— tait glissée dans mon âme. J ’aimais la monta- gne pour elle-même. J ’aimais sa face calme et

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6 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

superbe éclairée par le soleil quand nous étions déjà dans l’ombre; j’aimais ses fortes épaules chargées de glaces aux reflets d’azur, ses flancs où les pâturages alternent avec les forêts et les éhoulis ; ses racines puissantes s’étalant au loin comme celles d’un arbre immense, et toutes séparées par des vallons avec leurs rivelets, leurs cascades, leurs lacs et leurs prairies ;j’aimais tout de la montagne, jusqu’à la mousse jaune ou verte qui croît sur le ro- cher, jusqu’à la pierre qui brille au milieu du gazon.

De même, le berger mon compagnon, qui m’avait presque déplu, comme représentant de cette humanité que je fuyais, m’était dc— Venu graduellement nécessaire; je sentais naî- tre pour lui la confiance et l’amitié. Je ne me bornziis plus a le remercier de la nourri- ture qu’il m’apportait et des soins qu’il me rendait, mais je l’étudiais, je tâchais d’appren- dre ce qu‘il pouvait m’enseigncr. Bien léger était le bagage de son instruction; mais, quand l’amour de la nature se fut emparé de moi,- c’est lui qui me fit connaître la montagne où paissaient ses troupeaux, à la base de laquelle

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L’ASILE '!

il était né. Il me dit le nom des plantes, me montra les roches où se trouvaientles cristaux et les pierres rares, m’accompagna sur les cor— niches vertigineuses des gouffres pour m’in- diquer le chemin a prendre dans les passages difficiles. Du haut des cimes il me désignait les vallées, me traçait le cours des torrents; puis, de retour a notre cabane enfumée, il me racontait l’histoire du pays et les légendes lo— cales.

En échange, je lui expliquais aussi bien des choses qu’il ne comprenait pas et que même il n’avait jamais désiré comprendre. Mais son intelligence s’ouvrait peu à peu, elle devenait avide. Je prenais plaisir a lui répé— ter le peu que je savais en voyant son œil s’é-

clairer et sa bouche sourire; La physionomie

se réveillait sur ce visage naguère épais et gros- sier; d’être insouciant qu’il avait été jusqu’a— lors, il se changeait en homme réfléchissant sur soi—même et sur les objets qui l’entou raient.

Et, tout en instruisant mon compagnon, je m’instruisais moi—même, car, en essayant d’expliquer au berger les phénomènes de la.

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8 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

nature, j’arrivais à les comprendre mieux, et j’étais mon propre élève.

Ainsi sollicité par le double intérêt que me donnaient l’amour de la nature et la sympathie pour mon semblable, j’essayai de connaitre la vie présente etl’histoire passée de la montagne sur laquelle nous vivions comme des puce- rons sur l’épiderme d’un éléphant. J’étudiai la masse énorme dans les roches dont elle est bâtie, dans les accidents du sol qui, suivant les points de vue, les heures et les saisons, lui donnent une si grande variété d’aspects, ou gracieux ou terribles; je l’étudiai dans ses neiges, ses glaces et les météores qui l’assail- lent, dans les plantes et les animaux qui en habitent la surface. Je tentai de comprendre aussi ce que la montagne avait été dans la poésie et dans l’histoire des nations, le rôle qu’elle avait eu dans les mouvements des peu— ples et dans les progrès de l’humanité tout en- tière.

Ce quej’appris, je le dois àla collaboration de mon berger, et aussi, puisqu’il faut tout dire, à la collaboration de l’insecte rampant, à celle du papillon et de l’oiseau chanteur.

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RD _

L‘ASILE.

Si je n’avais passé de longues heures, cou- ché sur l’herbe, à regarder ou à entendre ces petits êtres, mes frères, peut—être aurais—je moins compris combien est vivante aussi la grande terre qui porte sur son sein tous ces infiniment petits et les entraîne avec nous dans l’insondable espace.

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CHAPITRE II

LES SOMMETS ET LES VALLÉES

Vue de la plaine, la montagne est de forme bien simple: c’est un petit cône dentelé s’éle- vant, parmi d’autres saillies d’inègale hau- teur, sur une muraille bleue, rayée de blanc et de rose, qui borne tout un côté de l’horizon. Il me semblait voir de loin une scie mons— trueuse aux dents bizarrement taillées; une de ces dents est la montagne où se sont égarés mes pas.

Cependant le petit cône que je distinguais des campagnes inférieures, simple grain de sable sur le grain de sable qui est la terre, m’apparaît maintenant comme un monde. De la cabane, j’aperçois bien, à quelques centai- nesde mètres au-dessus de ma tête, une crête

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12 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

de rochers qui me semble être la cime; mais, que je le gravisse, et voici qu’un autre sommet se dresse par delà les neiges. Que je gagne un deuxième escarpement, et la montagne paraît encore changer de forme a mes yeux. De cha- que pointe, de chaque ravin, de chaque ver- sant, le paysage se montre sous un nouveau relief, avec un autre profil. A lui seul le mont est tout un groupe de montagnes; de même, au milieu de la mer, chaque lame est hérissée de vaguelettes innombrables. Pour saisir dans son ensemble l’architecture de la montagne, il faut l’étudier, la parcourir dans tous les sens, en gravir chaque saillie, pénétrer dans la moindre gorge. Comme toute chose, c’est un infini pour celui qui veut la connaître en son entier.

La cime sur laquelle j’aimais le mieux a m’asseoir, ce n’est point la hauteur souweraine où l'on s’installe comme un roi sur un trône pour contempler a ses pieds les royaumes étendus. Je me sentais plus heureux sur le sommet secondaire dont mon regard pouvait à la fois descendre sur des pentes plus basses, puis remonter, d’arête en arête, vers les parois

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LES SO.\IMETS ET LES VALLEES. 13

supérieures et à la pointe baignée dans le ciel bleu. Là, sans avoir à réprimer ce mouvement d‘orgueilque j’aurais ressenti malgré moi sur le point culminant de la montagne, je savou— i':1is le plaisir de satisfaire complètement mes regards a la vue de ce que neiges, rochers, forêts et pâturages m’ofiraient de beau. Je pla— nais à mi-hauteur, entre les deux zones de la terre et du ciel, et je me sentais libre sans être isolé. Nulle part un plus doux sentiment de paix ne pénétrait mon cœur.

Mais c’est aussi une bien grande joie d’at- teindre une haute cime dominant un horizon de pics, de vallées et de plaines! Avec quelle volupté, avec quel ravissement des sens on contemple dans un tableau d’ensemble l’é- norme édifice d0nt en occupe le faite! En bas, sur les pentes inférieures, on ne voyait qu’une partie de la montagne, au plus un seul ver—- sant; mais, du sommet, on aperçoit toutes les croupes fuyant, de ressaut en ressaut et de contreforts en contrefort, jusqu’aux collines et aux promontoires de la base. On regarde d’é— gal à égaux les monts environnants; comme eux on a la tête dans l’air pur et dans la lu—

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14 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

mière; on s’élève en plein ciel, pareil à l’aigle que son vol soutient au-dessus de la lourde planète. A ses pieds, bien au—dessous de la cime, on aperçoit ce que la multitude d’en bas appelle déjà le ciel: ce sont les nues qui voyagent lentement au flanc des monts, se déchirent aux angles saillants des roches et aux lisières des forêts, laissent çà et la dans les ravins quelques lambeaux de brouillards, puis, volant au-dessus des plaines, y projet- tent leurs grandes ombres aux formes chan- geantes.

Du haut du superbe observatoire, on ne voit point cheminer les fleuves comme les nuages d’où ils sont sortis, mais leur mouve— ment se révèle par l’éclat brasillant de l’eau qui se montre de distance en distance, soit au sortir des glaciers brisés, soit dans les petits lacs et les cascades de la vallée, ou dans les méandres tranquilles des campagnes inférieu- res. Ala vue des cirques, des ravins, des val- lons, des gorges, on assiste, comme si tout d’un coup on était devenu immortel, au grand travail géologique des eaux creusant, évidant leurs lits dans toutes les directions autour du

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LES SOMMETS ET LES VALLEES. 15

massif primitif de la montagne. On les voit, pour ainsi dire, sculpter incessamment la masse énorme pour en emporter les débris, en niveler la plaine, en combler une baie de la mer. Je la distingue aussi, cette baie, du haut du sommet gravi; la s’étend ce grand abîme bleu de l’Océan, d’où la montagne est sortie, où tôt ou tard elle rentrera!

Quant à l’homme, il est invisible; mais on le devine. Comme des nids à demi cachés dans le branchage, j’aperçois des cabanes, des ha— meaux, des villages épars dans les vallons et sur le penchant des monts verdoyants. Là-bas, sous la fumée, sous une couche d’air vicié par d‘innombrables respirations, quelque chose de blanchâtre indique une grande cité. Les maisons, les palais, les hautes tours, les cou— poles, se fondent en une même couleur rouil- leuse et sale, contrastant avec les teintes plus franches des campagnes environnantes : on dirait une sorte de moisissure. On songe alors avec tristesse à tout ce qui se fait de perfide et de mauvais dans cette fourmilière, à tous les vices qui fermentent sous cette pustule presque invisible; mais, vu de la cime, l’im-

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16 ' IIISTOIRE_D'UNE MONTAGNE.

meuse panorama des campagnes est beau dans son ensemble, avec les villes, les villages et les maisons isolées qui paillettent çà et la l‘é- tendue. Sous la lumière qui les baigne, les taches se fondent avec ce qui les entoure en un tout harmonieux ; l’air déroule sur la plaine entière son manteau de pâle azur. Grande est la différence entre la vraie forme de notre montagne si pittoresque, si riche en aspects variés, et celle que je lui donnais dans mon enfance à la vue'des cartes que me fai— sait étudier le maître d’école. Je me figurais alors une masse isolée d’une régularité par- faite, aux pentes égales sur tout le pourtour, au sommet doucement arrondi, à la base gra- cieusement infléchie et se perdant insensible- ment dans les campagnes de la plaine. De montagnes semblables, il n’en est point sur la terre. Même les volcans, qui surgissent isolé- ment, loin de tout massif, et qui grandissent peu a peu en épauchant latéralement sur leurs talus des cendres et des laves, n’ont point cette régularité géométrique. La poussée des matières intérieures se produit tantôt dans la cheminée centrale, tantôt par quelque cre—

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LES SOMMETS ET LES VALLEES. 17

vasse des flancs ; de petits volcans secondaires naissent çà et là sur les pentes du mont prin— cipal et en bossellent la surface. Le vent lui- même travaille à lui donner la forme irrégu- lière, en faisant retomber où il lui plaît les nuages de cendres vomis pendant les érup— tions.

Mais pourrait—on comparer notre montagne, vieux témoin des âges d’autrefois, a un vol— can, mont né d’hier à peine et n’ayant pas encore subi les assauts du temps? Depuis le jour où le point de la terre où nous sommes. prit sa première rugosité, destinée à se trans- former graduellement en montagne, la nature, qui est le mouvement, la transformation in- cessante, a travaillé sans relâche à modifier l’aspect de cette protubérance : ici elle a exhaussè la masse; ailleurs elle l’a déprimée; elle l’a hérissèe de pointes, parsemée de cou- poles et de dômes; elle en a ployé, plissé, raviné, labouré, sculpté à l’infini la surface mouvante, et maintenant encore, sous nos yeux, le travail se continue.

A l’esprit qui contemple la montagne pen- dant la durée des âges, elle apparaît aussi flot—

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18 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

tante, aussi incertaine que l’onde de la mer chassée par la tempête : c’est un flot, une wa- peur; quand elle aura disparu, ce ne sera plus qu’un rêve.

Toutefois,dans ce décor changeant ou tou— jours varié produit par l’action continuelle des forces de la nature, la montagne ne cesse d’offrir une sorte de rythme superbe a celui qui la parcourt pour en connaître la structure. Que la partie culminante soit un large pla— teau, une masse arrondie, une paroi verticale, une arête. ou une pyramide isolée ou bien un faisceau d’aiguilles distinctes, l’ensemble du mont présente un aspect général qui s’harmo— nise avec celui du sommet. Du centre du massif jusqu’à la base du mont se succèdent, de chaque côté, d’autres cimes ou groupes de cimes secondaires; parfois même, au pied du dernier contrefort qu’entourent les alluvions de la plaine ou les eaux de la mer, on voit encore une miniature du mont jaillir en col—, line du milieu des campagnes ou en écueil du sein des eaux. Le profil de toutes ces saillies, qui se succèdent en s’abaissant peu à peu ou brusquement, présente une série de courbes

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LES SO)!METS ET LES \‘ALLÉES. 19

des plus gracieuses. Cette ligne sinueuse, qui réunit les sommets de la grande cime a la plaine, est la véritable pente. C’est le chemin que prendrait un géant chaussé de bottes ma- giques.

La montagne qui m’abrita longtemps est belle et sereine entre toutes par le calme régu- lier de ses traits. Des plus hauts pâturages, on aperçoit la grande cime, dressée comme une pyramide aux gradins inégaux ; des pla— ques de neige, qui en remplissent les anfrac- tuosités, lui donnent une teinte sombre et presque noire par le contraste de leur blan- cheur; mais le vert des gazons qui recouvre au loin toutes les cimes secondaires apparaît d’au— tant plus doux au regard, et les yeux, en re- descendant de la masse énorme à l’aspect for- midable, se reposent avec volupté sur les molles ondulations des pâtis; elles sont si gra— cieuses de contours, si veloutées d’aspect, que l’on songe involontairement a la joie qu’aurait un géant à les caresser de la main. Plus bas, des pentes brusques, des saillies de rochers et des contreforts revêtus de forêts me ‘cachent en grande partie les flancs de la montagne;

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20 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

mais l’ensemble me paraît d‘autant plus haut et plus sublime que mon regard en embrasse seulement une partie, comme une statue dont le piédestal me resterait caché; elle resplendit au milieu du ciel, dans la région des unes, dans la pure lumière.

A la beauté des cimes et des saillies de toute espèce correspond celle des creux, plissements, vallons ou défilés. Entre le sommet de notre montagne et la pointe la plus voisine, la crête s’abaisse fortement et laisse un passage assez facile entre les deux versants opposés. C’est à cette dépression de l’arête que commence le premier sillon de la vallée serpentine ouverte entre les deux monts. A ce sillon s’en ajoutent d’autres, puis d’autres encore, qui rayent la surface des rochers et s’unissent en ravins convergeant eux—mêmes vers un ’cirque d’où, par une série de défilés et de bassins étagés, les neiges s’écoulent et les eaux descendent dans la vallée. _

La, sur un sol à peine incliné, se montrent déjà. les prairies, les bouquets d’arbres do- mestiques, les groupes de maisons. De toutes parts des vallons, les uns gracieux, les autres

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LES son»rrs ET LES VALLEES. ’ 21

sévères d’aSpect, s’inclinent vers la vallée principale. Au delà d’un détour éloigné, le val disparaît au regard; mais, si l’on cesse d’en voir le fond, on en devine du moins la forme générale et les contours par les lignes plus ou moins parallèles que dessinent les profils des contreforts. Dans son ensemble, la vallée, avec ses innombrables ramifications pénétrant de toutes parts dans l’épaisseur'de la montagne, peut se comparer aux arbres dont les milliers de rameaux sont divisés et subdivisés en ramilles délicates. C’est par la forme de la vallée et de tout son réseau de vallons qu’on peut le mieux se rendre compte du véritable relief des montagnes qu’elle sé— pare.

Des sommets d’où la vue plane le plus libre- ment sur l'espace, ne voit-on pas d'ailleurs un grand nombre de cimes que l’on compare les unes avec les autres et qui se font com— prendre mutuellement? Par—dessus le profil sinueux des hauteurs qui se dressent de l’autre côté dela vallée, on distingue dans le lointain un autre profil de monts déjà bleuâtres; puis, encore au delà, une troisième ou même une

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22 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

quatrième série de monts d’azur. Ces lignes de monts, qui vont se rattacher à la grande crête des sommets principaux, sont vaguement pa— rallèles malgré leurs dentelures, et tantôt se rapprochent, tantôt s’éloignent en apparence, suivant le jeu des nuages et la marche du soleil.’

Deux fois par jour se déroule incessam- ment l‘immense tableau des monts, quand les rayons obliques des matins et des soirs laissent dans l’ombre les plans successifs tournés vers la nuit et baignent de lumière ceux qui re- gardent lejour. Des cimes occidentales les plus éloignées a celles que l‘on distingue a peine a l'occident, c’est une gamme harmonieuse de toutes les couleurs et de toutes les nuances . qui peuvent se produire sous l’éclat du soleil et la transparence de l'air. Parmi ces mon— tagnes, il en est qu‘un souffle pourrait clïa- cer, tant elles sont légères de tons7 tant leurs traits sont délicatement tracés sur lelond du ciel !

Qu’une petite vapeur s’élève, qu’une brume imperccplihle se forme à l’horizon, ou seule— ment que le soleil, en s’inclinant; laisse ga—

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LES SUMMETS ET LES VALLEES. ‘23

gner l’ombre, et Ces montagnes si belles, ces neiges7 ces glaciers, ces pyramides, s’éva— n0uissent par degrés ou même en un clin (l’œil. On les contemplait dans leur splen— (leur, et voici qu’elles ont disparu du ciel; elles ne sont plus qu’un rêve, un souvenir incertain.

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CHAPITRE 111

LA ROCHE ET LE CRISTAL

La roche dure des montagnes, aussi bien que celle qui s’étend au-dessous des plaines, est recouverte presque partout d’une couche plus ou moins profonde de terre végétale et de plantes diverses. Ici ce sont des forêts; ailleurs, des broussailles, des bruyères, des inyrtes, des ajoncs; ailleurs encore, et sur la plus grande étendue, ce sont les gazons courts des pâturages. Même la où la roche semble nue et jaillit en aiguilles ou se dresse en parois, la pierre est revêtue de lichens blancs, rouges ou jaunes, qui donnent sou- vent une même apparence aux rochers les plus différents par l’origine. Ce n’est guère que dans les régions froides de la cime, au

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25 1nsroms D’UNE MONTAGNE.

pied (les glaciers et sur le bord des neiges, que la pierre se montre sous une enveloppe de végétation qui la déguise. Grès, calcaires, granits, serfibleraient au voyageur inattentif être une seule et même formation.

Cependant la diversité des roches est grande; le minéralogiste qui parcourt les monts, le marteau a la main, peut recueillir des cen— taines et des milliers de pierres différentes par l’aspect et la structure intime. Les unes sont d’un grain égal dans toute leur masse, les autres sont composées de parties diverses et contrastent par la forme, la couleur et l’é- clat. Il en est de mouchetées, de diaprées et de rubanées; de transparentes, de translu— cides et d‘opaques. On en voit qui sont liérissées de cristaux à faces régulières, on en voit aussi qui sont ornées d’arborisations semblables à des bouquets de tamaris ou à des feuilles de fougère. Tous les métaux se retrouvent dans la pierre, soit a l’état pur, soit mélangés les uns avec les autres; tan- tôt ils se montrent en cristaux ou en no— dules, tantôt ce ne sont que de simples iri— satioùs l'ugititcs

, pareilles aux rcllcts écla-

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LA ROCHE ETLE CRISTAL; ÏZ'I

tants de la bulle de savon. Puis ce sont les innombrables fossiles5 ariiinau—xmu végétaux, que renferrpe:la roche et-dontelle garde l’em— preinte.ï Autant; de fragments épars, autant de témoins différents des êtres—- qui ont vécu pend ant l’incalculable série d-æsiéclesécoulés.

Sans être ni minéra'lôgis‘te ni— géolog—ue de profession, le voyageur qui Sait re‘garderavoit parfaitement quelle est la merveilleuse diver— sité de toutes ces roches qui constituent la masse de la montagne. Tel est le contraste entre différentes parties du grand édifice que déjà, de loin, on peut reconnaître souvent à quelle formation elles appartiennent. D’une cime isolée dominant un espace étendu, on distingue avec facilité l’arête ou le :dômede granit, la pyramide d’ardoisé et la pttI‘0i‘Îdé*lä roche calcaire.

C’est dans le voisinage immédiat du som— met.principal de notre montagne que la roche gràtnitique se révélelemieux. Là,yune crête de roches noires. separe deux champs demeige déployant de chaque c‘ôtéleuñ blancheur étin—‘ celante; on dirait un diadème de jais sur un voile de mousseline. C’est par cette crête qu’il

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28 ll__lSTOIRE D’UNE MONTAGNE.

est le plus facile de gagner le point culminant du mont, car on évite ainsi les crevasses ca— chées sous la surface unie des neiges; la, le pied peut se poser fermement sur le sol, tandis qu’à la force des bras on se hisse facilement, de degré en degré, dans les parties escarpées. C’est par là que je faisais presque toujours mon ascension, lorsque, m’èloignant du trou— peau et de mon compagnon le berger, j’allais passer quelques heures sur le grand pic. Vue à. distance, à travers les vapeurs bleuâ- tres de l’atmosphère, l’arête de granit paraît assez uniforme; les montagnards, pratiques et presque grossiers dans leurs comparaisons, lui donnent le nom de peigne; on dirait, en effet, une rangée de dents aiguës disPosées rè- gulièrement. Mais au milieu des rochers eux- mêmes on se trouve dans une sorte de chaos: aiguilles, pierres branlantes, amoncellements de blocs, assises superposées, tours qui sur- plombent, murs s’appuyant les uns sur les autres et laissant entre eux d’étroits passages, telle est cette arête qui forme l’angle du mont. Même sur ces hauteurs, la roche est presque partout recouverte, comme par une espèce

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LA ROCHE ET LE CRISTAL. 59

d’enduit, par la végétation des lichens; mais, en maint endroit, elle a été mise à nu par la friction de la glace, par l’humidité de la neige, l’action des gelées, des pluies, des vents, des rayons du soleil; d’autres rocs, brisés par la foudre, sont restés aimantés par le choc du feu céleste.

Au milieu de ces ruines, ‘_il est facile d’ob server ce qui fut encore tout récemment l’in- térieur même de la roche; j’en vois les cris- taux dans tout leur éclat, le quartz blanc, le feldspath a la couleur d’un rose pâle, le mieu qui semble une paillette d’argent. En d’autres parties de la montagne, le granit mis à nu présente un autre aspect : dans une roche, il est blanc comme le marbre et parsemé de petits points noirs; ailleurs, il est bleuâtre et sombre. Presque partout il est d’une grande dureté, et les pierres qu’on pourrait y tailler serviraient a construire des monuments dura— bles; mais ailleurs il est tellement friable, les cristaux divers en sont si faiblement agrégés, qu’on peut les écraser entre ses doigts. Un ruisseau, qui prend sa source au pied d’un

promontoire de ce grain peu cohérent, s’étale 2.

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30 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

dans le ravin sur un lit de sable le plus fin tout brillanté de mice; on croirait voir l’or et l’argenthriller à travers, l’eau frémissante; ' plus d‘un rustre venu-de la plaine…s’y est trompé et s’est avidement précipité sur ces .trésorsqu’entraîne négligemment le. ruisselet moqueur.

L’indessante action de la neige et de l'eau -—nous permet d’observer une autre espèce,— de roche qui'entre aussi pour une grande part dans la masse de l‘immense édifice. Non loin des arêtes et des dômes de granit, qui sont les parties les plus élevées de la montagne et sem- blent en être le noyau, pour ainsi dire,. se montre une cime secondaire dont l’aspect est d’une frappante régularité ; on dirait une pyra— mide à quatre pans posée sur l’énorme pié- destal que lui forment les plateaux et les pentes. C’est un.sommet composé de roches ardoi- sées, que le temps rabote incessamment par tous ses météores, le vent, les rayons solaires, les neiges, le brouillard et les pluies. Les feuil- lets.brisés de l’ardoise se fissurent, se brisent, et descendent en masses glissantes le long des; talus. Parfois le pas léger d’une brebis suffit

__ü.(

.,q.

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LA ROCHEET LE CRISTAL. . 31

pour mettre en mouvement des myriades de pierres sur tout un flanc de montagne.

Tout autre que la roche ardoisée est la roche calcaire qui constitue quelques—uns des pro- montoires avancée. Quand cette rochese brise, ce n’est pas, comme l’ardoise, en d’innombra— bles petits fragments, mais en_grandesmasses. Telle fracture a ”séparé; de la base au som- met, tout:un rocher de trois cents mètres de hauteur; dec'ôté et d’autre, on voit monter jus- qu’au ciel les deux parois verticales ; au fond du gouffre, la lumière pénètre a peine, et l’eau qui le remplit, descendue des hauteurs neigeuses, ne réfléchit la clarté d’en haut que; par les bouillonhements de ses rapides et les rejaillissements de ses cascades. Nulle part, même en des montagnes dix fois plus élevées, la nature ne paraît plus grandiose. De loin, la partie calcaire du mont reprend ses propor— tions réelles, et l’on voit qu’elle est dominée par des masses rocheuses beaucoup plus; hautes} mais elle étonne toujours par la puis—_- sante beauté de ses assises et de ses tours -—;on dirait des temples babyloniens.

Fort pittoresques aussi , bien ‘, que ',d’dunfië

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i32 ' HISTOIRE D‘UNE MONTAGNE.

faible importance relative, sont les rochers de grès ou de conglomérats composés de frag- ments cimentés. Partout où la pente du sol favorise l’action de l’eau, celle-ci délaye le ciment et se creuse une rigole, une fente étroite qui, peu à peu, finit par scier la roche en deux. D’autres courants d’eau ont également creusé dans le vbisinage des fissures secon— daires, d’autant plus profondes que la masse liquide entraînée est plus abondante; la roche ainsi découpée finit par ressembler à un dé— dale d’obélisques, de tours, de forteresses. On voit de ces fragments de montagnes dont l’as— pect rappelle *maintenant celui de villes dé- sertes, avec leurs rues humides et sinueuses, leurs murailles crénelées, leurs donjons, leurs _ tourelles surplombantes, leurs statues bizarres. Je me souviens encore de l’impression d’éton- nement, voisine de l’effroi, que je ressentis en approchant de l’issue d’une gorge envahie déjà par les ombres du soir. J’apercevais de loin la noire fissure, mais, à côté de l’entrée, sur la pointe du mont, je remarquais aussi des formes étranges qui me semblaient des géants alignés. (l’étaient de hautes colonnes d’argile

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LA ROCHE ET LE CRISTAL. 33

portant chacune à leur cime une grosse pierre ronde qui, de loin, figurait une tête. Les pluies avaient peu à peu dissous, emporté tout le sol environnant; mais les lourdes pierres avaient été respectées, et, par leur poids, continuaient à. donner de la consistance aux gigantesques piliers d’argile qui les soutenaient.

Chaque promontoire, chaque rocher de la montagne a donc son aspect particulier, sui- vant la'matière qui le compose et la force avec laquelle il résiste aux éléments de dégrada- tion. Ainsi naît une infinie variété de formes qui s’accroît encore par le contraste qu’offrent a l’extérieur de la roche les neiges, les gazons, les forêts et les cultures, Au pittoresque des lignes et des plans s’ajoutent les changements continuels de décor de la surface. Et pourtant, combien peu nombreux sont les éléments qui constituent la montagne et qui, par leurs mé— langes, lui donnent cette variété si prodigieuse d’aspects! .

Les chimistes qui, dans leurs laboratoires, analysent les rochers, nous apprennent quelle est la composition de ces divers cristaux. Ils nous disent que le quartz est de la silice, c’est—

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34 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

a-dire du silicium oxydé, un métal qui,’pur, serait semblable a de l’argent, et qui, par son mélange avec l’oxygène de l’air, est devenu roche blanchâtre. Ils nous disent aussi que feldspath, mica, augrite, hornblende et autres cristaux, qui se trouvent en si grande variété dans les rocs de la montagne, sont des compo— sés où l’on retrouve, avec le silicium, d’autres métaux., l’aluminium , le potassium, unis en diverses proportions et suivant certaines lois d’affinité chimique avec les gaz de l’atmo— sphère.La montagne entière, les montagnes voisines et lointaines, les plaines de leurs bases et la terre dans son ensemble, tout cela n’est que métal à l’état impur; si les éléments fondus et mélangés de la masse du globe re- prenaient soudain leur pureté, la planète au- rait, pour les habitants de Mars ou Vénus braquant sur nous leurs télescopes, l’aspect d‘une boule d’argent roulant dans le ciel noir.—

Le savant qui recherche les éléments de la pierre trouve que toutes les roches massives, composées de cristaux ou de pâte cristalline, sont, comme le granit, des métaux oxydés: tels sont le porphyre, la serpentine et les ro—'

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LA ROCHE ET LE CRISTAL. 35

ches ignées sorties de terre pendant les explo— sions volcaniques, trachyte, basalte, ohsi- dienne, pierre ponce: tout cela, c’est du silicium, de l’aluminium, du potassium, du sodium, du calcium. Quant aux roches dis— posées en feuillets ou en strates, placées en couches les unes au-dessus des autres, com- ment ne seraient—elles pas aussi des métaux, puisqu’elles pro‘v-iennent en grande partie de la désagrégation et de la redistribution des roches massives? Pierres brisées en fragments, puis cimentées de nouveau, sables agglutinés en roche aprés avoir été triturés et pulvériséS,’ argiles devenues compactes après avoir été délayées par les eaux, ardoises qui ne sont autre chose que des argiles durcies, tout cela n’est que débris des roches antérieures et, comme elles, se compose de métaux. Seuls, les calcaires, qui constituent une partie si con— sidérable de l’enveloppe terrestre, ne provien— nent pas directement de la destruction de roches plus anciennes; ils sont formés de de'- bris qui ont passé par les organismes des ani— maux marins; ils ont été mangés et digérés, mais ils n’en sont pas moins métalliques; ils _

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36 IIISTOXRE D’UNE MONTAGNE.

ont pour base le calcium combiné avec le soufre, le carbone, le phosphore. Ainsi, grâce aux mélanges, aux combinaisons variées et changeantes, la‘masse polie, uniforme, impé- nétrable, du métal, a pris des formes hardies et pittoresques, s’est creusée en bassins pour les lacs et les fleuves, s’est revêtue de terre végé- tale, a fini par entrer jusque dans la sève des plantes et dans le sang des animaux.

Le métal pur se révèle encore, çà et là, parmi les pierres de la montagne. Au milieu des éboulis et sur le bord des fontaines, on voit souvent des masses ferrugineuses; des cristaux de fer, de cuivre, de plomb, combi— nés avec d’autres éléments, se trouvent aussi dans les débris épars; parfois, dans le sable du ruisseau, brille une parcelle d’or. Mais, dans la roche dure, ni le minerai précieux, ni le cristal, ne sont distribués au hasard; ils sont disposés en veines ramifiées qui se développent surtouten re les assises de forma— tions différentes. Ces filons de métal, sembla— bles au fil magique du labyrinthe, ont conduit les mineurs, et après eux les géologues, dans l’épaisseur, l’histoire de la montagne.

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LA ROCHE ET LE CRISTAL. 31

Autrefois, nous disent les contes merveil- leux, il était facile d’aller recueillir toutes ces richesses dans l’intérieur du mont; il suffisait d’avoir un peu de chance on la faveur des dieux. En faisant un faux pas, on essayait de se retenir à un arbuste. La frêle tige cédait, entraînant avec elle une grosse pierre qui ca- chait une grotte jusqu’alors inconnue. Le ber- ger s‘introduisait hardiment dans l’ouverture, non sans prononcer quelque formule magique ou sans toucher quelque amulette, puis, après avoir marché longtemps dans la noire avenue, il se trouvait tout a coup sous une voûte de cristal et de diamant; des statues d’or et d’ar— gent, ornées à profusion de rubis7 de topazes, de saphirs, se dressaient tout autour de la salle: il suffisait de se baisser pour ramasser des trésors. De nos jours, ce n’est plus sans travail, par de simples incantations , que l’homme parvient à conquérir l’or et les autres métaux qui dorment dans les roches. Les pré- cieux fragments sont rares, impurs, mélangés de terre, et la plupart ne prennent leur éclat et leur valeur qu'après avoir été affinés dans la fournaise.

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CHAPITRE IV

L’ORIGINE DE LA MONTAGNE

Ainsi, jusque dans sa plus petite molécule, la montagne énorme offre une-combinaison d’éléments divers qui se sont mélangés en proportions changeantes; chaque cristal, cha- que minerai, chaque grain de sable ou par- celle de calcaire, a son histoire infinie, comme les astres eux—mêmes. Le moindre fragment de roche a sa genèse comme l’univers ; mais, tout en s’entr’aidant par la science les uns des autres, l’astrologue, le géologue, le physicien, le chimiste, en sont encore à se demander avec anxiété s’ils ont bien compris cette pierre et le mystère de son origine. '

Et l’origine de la montagne elle-même, est- il certain qu’ils l’aient dévoilée? A la vue de

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40 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

toutes ces roches, grès, calcaires, ardoises et granits, pouvons—nous raconter comment la masse prodigieuse s’est accumulée et dressée vers le ciel? En la contemplant dans sa beauté superbe, pouvons—nous faire un retour sur nous—mêmes, faibles nains qui regardons, et dire à la montagne, avec l’orgueil conscient de l’intelligence satisfaite : « La plus petite de tes pierres peut nous écraser, mais nous te comprenons; nous savons quelles ont été ta naissance et ton histoire »?

Comme nous, et plus que nous, les enfants se questionnentà la vue de la nature et de ses phénomènes; mais, presque toujours, dans leur confiance naïve, ils se contentent de la réponse vague et mensongère d’un père ou d’un aîné qui ne sait pas, d’un professeur qui prétend ne rien ignorer. S’ils n’obte— naient pas cette réplique, ils chercheraient, chercheraient toujours, jusqu’à ce qu’ils se fussent donné une explication quelcon— que, car l’enfant ne sait pas rester dans le doute; plein du sentiment de son exis— tence, entrant en vainqueur dans la vie, il faut qu’il puisse parler en maître de toutes

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L’ORlGINE DE LA MONTAGNE. ’il

choses. Rien ne doit lui rester inconnu.

De même les peuples, à peine sortis de leur barbarie premiére, avaient pour tout ce qui les frappait une affirmation définitive. La première explication, celle qui répondait le ' mieux à l’intelligence et aux mœurs de ce groupe humain, était trouvée bonne. Trans- mise de bouche en bouche, la légende a fini par devenir parole divine, et les castes d’inter— prétes ont surgi pour lui donner l’appui de leur autorité morale et de leurs cérémonies. C’est ainsi que, dans l’héritage mythique de presque toutes les nations, nous trouvons des récits qui nous racontent la naissance des montagnes ainsi que celle des fleuves, de la terre, de ' l’Océan, des plantes, des animaux et del‘homme lui-même.

L’explication la plus simple est celle qui nous montre les dieux ou les génies jetant les montagnes du haut du ciel et les laissant tom- ber au hasard; ou bien encore les dressant et les maçonnant avec soin, comme des colon- nes destinées à portenla voûte des cieux. Ainsi furent construits le Liban et l’Hermon; ainsi fut enraciné aux bornes du monde le

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42 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

mont Atlas «aux robustes épaules. D’ailleurs, une fois créées, les montagnes changeaient souvent de place, et des dieux s’en servaient pour se les lancer d’un coup de fronde. Les Titans, qui n’étaient point dieux, boulever- sèrent tous les monts de la Thessalie, pour en dresser des remparts autour de l’Olympe; le gigantesque Athos lui—même n’était pas trop pesant pour leurs bras, et, du fond de la Thrace, ils le portèrent jusqu’au milieu de la mer, à l’endroit où il s’élève aujourd’hui. Une géante du Nord avait rempli son tablier de collines et les semait de distance en distance pour reconnaître son chemin. Vichnou, voyäft un jour unejeune fille dormant sous les rayons trop ardents du soleil, s’empara d’une mon— tagne et la tint en équilibre sur le bout de son doigt pour abriter la belle dormeuse. Telle a été, nous ditla légende, l’origine des om— brelles. ’

Dieux et géants n’avaient pas même tou— jours besoin de saisir les monts pour les dépla— cer; ceux-ci obéissaient a un simple signe. Les pierres accouraient au son de la lyre d’Or- phée, les montagnes se dressaient pour enten-

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L‘ORIGI‘NE DE LA MONTAGNE. 43

dre Apollon : c’est ainsi que naquit l’Hélicon, séjour des muses. Le pr0phète Mahomet arriva _ deux mille ans trop tard : s’il fût venu dans un âge de foi plus naïve, il ne serait point allé a la montagne, c‘est elle qui se serait diri— gée vers lui.

A côté de cette explication de la naissance des montagnes par la volonté des dieux, la mythologie de peuples nombreux en fournit une autre moins grossière. D’après cette idée, les rochers et les monts seraient des organes vivants poussés naturellement sur le grand corps de la terre, comme poussent les éta- mines dans la corolle de la fleur. Tandis que7 d’un côté; le sol s’abaissait pour recevoir les eaux de la mer, de l’autre il se redressait vers le soleil pour en recevoir la lumière vivifiante. C’est ainsi que les plantes élèvent leur tige et font tourner leurs pétales vers l’astre qui les regarde et leur donne l’éclat. Mais les légen— des antiques ont perdu leurs croyants et ne sont plus pour l’humanité que des souvenirs poétiques; elles sont allées rejoindre les rêves, et l’esprit des chercheurs, enfin dégagé de ces illusions, est devenu plus avide à la pour—

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114 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

suite dela vérité. Aussi les hommes de nos jours, de même que ceux des temps anciens, ont—ils à se répéter encore, en contemplant les cimes dorées parla lumière : « Comment donc ont-elles pu se dresser dans le ciel? »

Même à notre époque, où les savants font profession de n’appuyer leurs théories que sur l’observation et l’expérience, il en est dont les fantaisies sur l’origine des monts ressem— blent assez aux légendes des anciens. Un gros livre moderne essaye de nous démontrer que la lumière du soleil qui baigne notre planète a pris corps et s’est condensée en plateaux et en montagnes autour de la terre. Un autre affirme que l’attraction du soleil et de la lune, non contente de soulever deux fois par jour les flots de la mer, a fait aussi gonfler la terre et redressé les vagues solides jusque dans la région des neiges. Un autre enfin raconte com- ment les comètes, égarées dans les cieux, sont venues heurter notre globe, en ont troué l’en— veloppe comme des pierres brisant un glaçon, et ont fait jaillir les montagnes en longues rangées et en massifs. ’

Heureusement la terre, toujours en travail

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L’ORIGINE DE LA MONTAGNE. 45

de création nouvelle, ne cessed’agir sous nos yeux et de nous montrer comment elle change peu a peu les rugosités de sa surface. Elle se détruit, mais elle se reconstruit de jour en jour, constamment; elle nivelle ses montagnes, mais pour en édifier d’autres; elle creuse des vallées, mais pour les combler encore. En par- courant la surface du globe et en observant avec soin les phénomènes de la nature, ou peut donc voir se former des coteaux et des monts, lentement, il est vrai, et non pas d‘une soudaine poussée, comme le demanderaient des amis du miracle. On les voit naître, soit directement du sein de la terre, soit indirecte- ment, pour ainsi dire, par l‘érosion des pla- teaux, de même qu’une statue apparaît peu à peu dans un bloc de marbre. Lorsqu’une masse insulaire ou continentale, haute de cen- taines ou de milliers de mètres, reçoit des pluies en abondance, ses versants sont gra- duellement sculptés en ravins, en vallons, en vallées; la surface uniforme du plateau se découpe en cimes, en arêtes, en pyramides, se creuse en cirques, en bassins, en précipices; des systèmes de montagnes apparaissent peu 3.

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46 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

à peu la où le sol uni se déroulait sur d’énor- mes étendues. Il est même des régions de la terre où le plateau, attaqué par des pluies sur un seul côté, ne s’échancre en montagnes que par ce versant: telle est, en Espagne, cette terrasse de la Manche qui s’affaisse vers l’An— dalousie par les escarpements de la sierra Morena. « 

En outre de ces causes extérieures qui chan— gent les plateaux en montagnes, s’accomplis- sent aussi dans l’intérieur de la terre de lentes transformations qui ont pour conséquence d’énormes effondrements. Les hommes labo- rieux qui, le marteau ‘a la main, cheminent pendant des années entières à travers les monts pour en étudier la forme et la structure, remar- quent, dans les nouvelles assises de formation marine qui cdnstituent la partie non cris— talline des monts, de gigantesques failles ou fissures de séparation qui s’étendent sur des centaines de kilomètres de longueur. Des mas- ses, ayant des milliers de mètres d’épaisseur, se sont redressées dans ces chutes ou même ont été complètement renversées, de sorte que leur ancienne surface est devenue maintenant

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D’ORIGINE DE LA MONTAGNE. 47

le plan inférieur.Les assises, en s’affaissant par chutes successives, ont dénudé le sque- lette de roches cristallines qu’elles entouraient comme un manteau; elles ont révélé le noyau de la montagne comme une draperie retirée soudain découvre un monument caché.

Mais les écroulements eux—mêmes ont en moins d’importance que les plissements dans l’histoire de la terre et dans celle des monta— gnes qui en ferment les rugosités extérieures. Soumises à de lentes pressions séculaires, la roche, l'argile, les couches de grès, les veines de métal, tout se plisse comme le ferait une étoffe, et les plis qui naissent ainsi forment les monts et les vallées. Semblable a la surface de l’Océan, celle de la terre s’agite en vagues, mais ces ondulations sont bien autrement puissantes: ce sont les Andes, c’est l’Hima- laya, qui se redressent ainsi au—dessus du niveau moyen des plaines. Sans cesse les roches de la terre se trouvent soumises à_ ces impulsions latérales qui les ploient et les reploient diversement, et les assises sont dans une fluctuation continuelle. C’est ainsi que se ride la peau d’un fruit.

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48 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

Les cimes qui surgissent directement du sol et qui montent graduellement du niveau de l’Océan vers les hauteurs glacées de l’at— mosphère sont les montagnes de laves et de cendres volcaniques. En maints endroits de la surface terrestre, on peut les étudier à l’aise, s’élevant, grandissant à vue d’œil. Bien diffé- rents des montagnes ordinaires, les volcans proprement dits sont percés d’une cheminée centrale par laquelle s’échappent des vapeurs et les fragments pulvérisés de roches incen- diées; mais, quand ils s’éteignent, la chemi— née se ferme, et les pentes du cône volcani— que, dont le profilperd de sarégularité première sous l’influence des pluies et de la végétation, finissent par ressembler à celles des autres monts. D’ailleurs, il est des masses rocheuses qui, en s’élevant du sein de la terre, soit à l’état liquide, soit à l’état pâteux, sortent tout simplement d’une longue crevasse du sol et ne sont point lancées par un cratère, comme les scories du Vésuve et de l’Etna. Les laves qui s’accumulent en sommets et se ramifient en promontoires ne difi'érent que par leur jeu— nesse de ces vieilles montagnes chenues qui

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L’ORIGINE DE LA MONTAGNE. ’ 49

hérissent ailleurs la surface de la terre. Les laves jadis brûlantes se refroidissent peu à peu; elles se délitent extérieurement et se revê- tent de terre végétale; elles reçoivent l’eau de pluie dans leurs interstices et la rendent en ruisselets et en rivières; enfin elles se recou- vrent à leur base de formations géologiques nouvelles et s’entourent7 comme les autres montagnes, d’assises de galets, de sable ou d’argile. A la longue, le regard du savant peut seul reconnaître qu'elles ont jailli du sein de la grande fournaise, la terre, comme une masse de métal en fusion.

Parmi les anciens monts qui font partie de ces massifs et de ces systèmes qu’on appelle les « colonnes vertébrales » des continents, il en est un grand nombre qui sont composés de roches très ressemblantes aux laves actuel— les et d’une constitution chimique analogue. Comme ces laves, porphyres, trapps et méta— phyres sont sortis de terre par de larges fissu— res et se sont étalés sur le sol, pareils à une matière visqueuse qui se figerait bientôt au contact de l’air, la plupart des roches grani- tiques semblent s’être formées de la même

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50 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

manière; elles sontcristallines comme les laves, et leurs cristaux ont pour éléments les mêmes corps simples, le silicium et l’aluminium. N’est—il pas raisonnable de penser que ces granits ont été, eux aussi, une masse pâteuse, et que des crevasses du sol ont donné passage a leurs coulées brûlantes? Toutefois, ce n’est la qu’une hypothèse en discussion et non une vérité démontrée. De même que les laves qui jaillissent du sol soulèvent parfois des lam— beaux de terrains avec leurs forêts ou leurs gazons, de même on pense que l’éruption des granits ou autres roches semblables a été‘la cause la plus fréquente du soulèvement des assises de formations diverses qui constituent la partie la plus considérable des montagnes. Des strates de calcaire, de sable, d’argile, que les eaux de la mer ou d’un lac avaient jadis déposées en couches parallèles sur le fond de leur lit, et qui étaient devenues la pellicule extérieure de la terre, auraient été ainsi ployées et redressées par la masse qui s’élevait des profondeurs et qui cherchait une issue. Ici le flot montant du granit aurait brisé les assises supérieures en îles et en îlots qui, tout dis-

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L’ORIGINE DE LA MONTAGNE. 51

loqués, fendillés, chifi'onnés en plissements bizarres, sont épars maintenant dans les dépres- sions et, sur les saillies de la roche soulevante ; ailleurs, le granit ne se serait ouvert dans le sol qu’une seule crevasse de sortie en reployant de côté et d’autre les assises extérieures, sui— vant les angles d’inclinaison les plus divers; ailleurs encore, le granit, sans même se faire jour, n’en aurait pas moins bossué les cou- ches supérieures. Celles-ci, sous la pression qui les a fait se ployer, auraient cessé d’être plaines pour devenir collines et montagnes. Ainsi, même les hauteurs formées de strates paisiblement déposées au fond des eaux auraient pu se dresser en cimes, de la même manière que les protubérances de laves ; un puits creusé à travers les couches superposées atteindrait le noyau de porphyre ou de granit.

En admettant que la plupart des monta- gnes ont fait leur apparition à la manière des laves, la cause qui a fait jaillir du sol toutes ces matières en fusion reste encore à recon— naître par la pensée. D’ordinaire on suppose qu’elles en ont été exprimées, pour ainsi dire, par la contracti0n de l’enveloppe extérieure

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52 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

du globe, qui se refroidit lentement en rayon- nant de la chaleur dans les espaces. Jadis, notre planète était une goutte brûlante de métal. En roulant dans les cieux froids, elle s’est figée peu a peu. Mais la pellicule seule est—elle solidifiée, ainsi qu’on aime à le répé- ter, ou bien la goutte entière est—elle devenue dure jusque dans son noyau? _On ne le sait pas encore, car rien ne prouve que les laves de nos volcans sortent d’un immense réser- voir remplissant tout l’intérieur du globe. Nous savons seulement que ces laves s’élan- cent parfois des crevasses du sol et coulent à la surface; de même les granits, les porphyres et autres roches semblables auraient coulé hors des fentes de l’écorce terrestre, comme la sève s’échappe de la blessure d’une plante. La marée de pierres fondues serait montée de l’intérieur, sous la pression de l’enveloppe planétaire, graduellement resserrée par l’effet de son propre refroidissement.

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CHAPITRE V

LES FOSSILES

Quelle que soitl’origine première de la mon— tagne, son histoire nous est du moins connue depuis une époque de beaucoup antérieure aux annales de notre humanité. A peine cent cin- quante générations d’hommes se sont succédé depuis que se sont accomplis les premiers actes de nos ancêtres dont il soit resté des témoignages; avant cette époque, l’existence de notre race ne nous est plus révélée que par des monuments incertains. L’histoire de la montagne inanimée est écrite, au contraire, en caractères visibles depuis des millions de siè- cles.

Le grand fait, celui qui frappait déjà nos aïeux dès l’enfance de la ciyilisation, et qu’ils

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54 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

ont diversement raconté dans leurs légendes, est que les roches distribuées en assises régu— lières, en couches placées les unes au-dessus des autres comme les pièces d’un édifice, ont été déposées par les eaux. Qu’on se promène au bord d’une rivière; que même, par un jour de pluie, on regarde la rigole temporaire qui se forme dans les dépressions du sol, et l’on verra le courant s’emparer des graviers, des grains de sable, des poussières et de tous les débris épars, pour les distribuer avec ordre sur le fond et sur les rivages de son lit; les fragments les plus lourds se déposeront en couches à l’endroit où l’eau perd la rapidité de son impulsion première, les molécules plus légères iront plus loin s’étaler en strates à la surface unie; enfin les argiles ténues, dont le poids dépasse à peine celui de l’eau, se tasse— ront en nappes partout où s’arrête le mouve— ment torrentiel de l’eau. Sur les plages et dans les bassins des lacs et des mers, les assises de débris successivement déposées sont encore bien plus régulières, car les eaux n’y ont pas la marche impétueuse des ondes fluviales, et tout ce que reçoit leur surface se tamise à

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LES FOSSILES. 55

travers la—profondeurde leurs eaux en res- tant, sans que rien vienne troubler l’action égale des vagues et des courants.

C’est ainsi que, dans la grande nature, se fait la divisi0n du travail. Sur les côtes rocheu- ses de l’Océan, assaillies par les flots du large, on ne voit que galets et cailloux entassés. Ailleurs, s’étendent a perte de vue des plages de sable fin, sur lesquelles le flot de marée se déroule en volutes d’écume. Les sondeurs qui étudient le fond de la mer nous disent que, sur de vastes espaces, grands comme des provin- ces, les débris que rapportent leurs instru- ments se composent toujours d’une vase uni— forme, plus ou moins mélangée d’argile ou de sable, suivant les divers parages. Ils ont aussi constaté qu’en d’autres parties de la mer la roche qui se forme au fond du lit marin est de la craie pure. Coquillages, spicules d’épou- ges, animalcules de toute sorte, organismes inférieurs, siliceux ou calcaires, tombentinces- samment en pluie des eaux de la surface, et se mêlent aux êtres innombrables qui s’accumu- lent, vivent et meurent sur le fond, en multi— tudes assez grandes pour constituer des assi—

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56 HlSTOIRE D‘UNE MONTAGNE.

ses aussi épaisses que celles de nos montagnes; et d’ailleurs, celles-ci ne sont-elles pas formées de débris du même genre? Dans un avenir in- connu, lorsque les abîmes actuels de l‘Océan s’étaleront en plaines ou se redresscront en sommets àla lumière du soleil, nos descen- dants verront des terrains géologiques sem- blables »à ceux que nous contemplons aujour- d’hui, et qui peut—être auront disparu, menuisés en fragments par les eaux fluviales.

Pendant la série des âges, les assises de for- mations maritimes et lacustres, dont la plus grande partie de notre montagne est compo- sée, sont arrivées à occuper à une grande hau- teur au-dessus de la mer leur position pen- chante et contournée en plissements bizarres. Qu’elles aient été soulevées par une pression venue d’en bas, ou bien que l'Océan se soit abaissé par suite du refroidissement et de la contraction de la terre ou par toute autre cause, et que, de cette manière, il ait laissé des couches de grès et de calcaire sur les anciens bas-fonds devenus continents, ces assises sont là maintenant, et nous pouvons à notre aise étudier les débris que nombre d’en-

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LES ross1nns. 51

tre elles ont rapportés du monde sous-marin.

Ces débris, ce sont les fossiles, restes de plantes et d’animaux conservés dans la roche. Il est vrai, les molécules qui constituaient le squelette animal ou végétal de ces corps ont disparu, aussi bien que le tissu des chairs et les gouttes de sang ou de sève; mais le tout a été remplacé par des grains de pierre qui ont gardé la forme et jusqu’à la couleur de l‘être détruit. Dans l’épaisseur de ces pierres, ce sont les coquillages des mollusques et les dis— ques, les boules, les épines, les cylindres, les baguettes siliceuses et calcaires des foramini- frères et des diatomées qui se rencontrent en plus étonnantes multitudes; mais il s’y trouve aussi des formes qui remplacent exactement les chairs molles de ces êtres organisés; on voit des squelettes de poissons avec leurs na- geoires et leurs écailles; on reconnaît des ély— tres d’insectes, des branchilles et des feuilles; on distingue jusqu’à des traces de pas, et, sur la roche dure qui fut jadis le sable incertain des plages, on retrouve l’empreinte des gouttes de pluie et l’entre-croisement des sillons tracés par les vaguelettes du bord.

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58 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

Les fossiles, fort rares dans certaines roches de formation marine, très nombreux au con- traire en d’autres assises, et constituant la masse presque entière des marbres et des craies, nous servent à reconnaître l’âge rela- tif des assises qui se sont déposées pendant la série des temps. En effet, toutes les couches fossillifères n’ont pas été renversées et bizar- rement entremêlées par les failles et par les éboulis, la plupart d’entre elles ont même gardé leur superposition régulière, de sorte que l’on peut observer et recueillir les fossiles dans l’ordre de leur apparition. Là où les as- sises, encore dans leur état normal, ont la position qu’elles avaient jadis, après avoir été déposées par les eaux marines ou lacustres, le coquillage que l’on découvre dans la couche” supérieure est certainement. plus moderne que celui des couches situées au—dessous. Des cen- taines, des milliers d’années, représentées par les innombrables molécules intermédiaires du grès ou de la craie, ont séparé les deux exis- tences.

Si les mêmes espèces de plantes et d’ani— maux avaient toujours vécu sur la terre de—

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‘ LES FOSSILES. 59

puis le jour où ces organismes vivants firent leur première apparition sur l’écorce refroidie de la planète, on ne pourrait juger de l’âge relatif des deux couches terrestres séparées l’une de l’autre. Mais des êtres différents n’ont cessé de se succéder pendant les âges et par conséquent dans les assises superposées. Certaines formes, qui se montrent en très grande abondance au sein des roches'strati— fiées les plus anciennes, deviennent peu à peu plus rares dans les roches d’origine moins éloignée, puis finissent par disparaître tout a fait. Les nouvelles espèces qui succèdent aux premières ont aussi, comme chaque être en particulier, leur période de renaissance, de propagation, de dépérissement et de mort; on pourrait comparer chaque espèce de fossile animal ou végétal à un arbre gigantesque, dont les racines plongent dans les terrains inférieurs d’antique formation, et dont le tronc se ramifie et se perd dans les couches hautes d’origine plus récente.

Les géologues, qui,dans les divers pays du monde, passent leur temps à examiner les roches et ailes étudier molécule à molécule,

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60 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

afin d’y découvrir les vestiges d’êtres jadis vivants, ont pu, grâce à l’ordre de succession des fossiles de toute espèce, reconnaître aux restes enfermés l’âge relatif des diverses as- sises de la terre qu’ont déposées les eaux. Dés que les observations comparées ont été assez nombreuses, il devint même souvent facile, a la vue d’un seul fossile, de dire à quelle épo— que des âges terrestres appartient la roche où il 's’est rencontré. Une pierre quelconque de grès, de schiste ou de calcaire, offre une empreinte bien nette de coquille ou de plante; cela suffit parfois. Le naturaliste, sans crainte de se tromper, déclare que la pierre dans laquelle est marquée cette empreinte appar- tient a telle ou telle série de roches et doit être classée à telle ou telle époque dans l’histoire de Iaplanète. '

Ces fossiles révélateurs, qui, sous forme d’êtres vivants, s’agitaient, il y a des millions d’années, dans la vase des abîmes océani- ques, se retrouvent maintenant à. toutes les hauteurs, dans les assises des montagnes. On en voit sur la plupart des cimes pyrénéennes, ils constituent des Alpes entières; on les re—

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LES FOSSILES. 61fi.

connaît sur le Caucase et sur les Cordillères. L’homme les verrait également sur les som— mets de l’Himalaya, s’il pouvait s’élever à ces hauteurs. Ce n’est pas tout : ces nappes fos— silifères7 qui dépassent aujourd’hui la zone moyenne des nuages, atteignaient autrefois- des altitudes beaucoup plus considérables. En maints endroits, sur un versant des monta—- gncs, on constate que des assises de roches sont plus ou moins souvent interrompues. Çà et la, peut—être, le géologue retrouve dans les vallons quelques lambeaux de ces terrains; mais les couches continues ne reprennent que» bien loin de là7 sur le versant opposé de la montagne. Que sont devenus les fragments intermédiaires? Ils existaient jadis, car, même en les brisant, la masse granitique, montant de l‘intérieur, n’a pu que les fendiller; mais les assises lézardées n’en restaient pas moins sur le sommet glissant.

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CHAPITRE VI

LA DESTRUCTION DES CIMES

Et pourtant ces masses énormes, monts empilés sur des monts, ont passé comme des nuages que le vent balaye du ciel; les assises de trois, quatre ou cinq kilomètres d’épais- seur, que la coupe géologique des roches nous révèle avoir existé jadis, ont disparu pour entrer dans le circuit d’une création nouvelle. Il est vrai, la montagne nous paraît encore formidable, et nous en contemplons avec une admiration mêlée d’efi‘roi les pics superbes pénétrant au-dessus des nuées dans l’air glacé de l’espace. Si hautes sont ces pyramides nei- geuses qu’elles nous cachent une moitié du ciel; d’en bas, ses précipices, qu’essaye vaine- ment de mesurer notre regard, nous donnent

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l l \

-6ë HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

le vertige. Néanmoins, tout cela n’est plus qu’une ruine, un simple débris.

Autrefois, les couches,d’ardoises, de cal— caires, de grès, qui s’appuient à la base de la montagne et se redressent çà et là en sommets secondaires , se _rejoignaient, par—dessus la cime granitique, en couches uniformes; elles ajoutaith leur énorme épaisseur & l’élévation déjà si grande du pic suprême. La hauteur de la montagne était doublée, la pointe atteignait alors cette région où l’atmosphère est si rare que l‘aile même de l’aigle n’a plus la force de s’y soutenir. Ce n’est plus le regard, c’est l’imagination qui s’effraye a la pensée de ce que la montagne était alors, et de ce que les neiges, les glaces, les pluies et les tempêtes lui ont enlevé pendant la série des âges. Quelle histoire infinie, quelles vicissitudes sans nombre dans la succession des plantes, des animaux et des hommes, depuis que les monts ont ainsi changé de forme et perdu la moitié de leur hauteur!

Ce prodigieux travail de déblai n’a, dail- leurs, pu s’accomplir sans qu’il en reste, en maints endroits, des traces irrécusables. Les

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LA DESTRUCTIOX DES CIMES. 65

débris qui Ont glissé du haut des cimes avec les neiges, que la glace a poussés devant elle, que les eaux ont triturés, menuisés, entraînés en cailloux, en graviers et en sables, ne sont pas tous retournés àla mer, d‘où ils étaient sortis à une période antérieure; d’énormes amas se voient encore dans l’espace qui sépare les pentes hardics de la montagne et les terres basses riveraines de l’Océan. Dans cette zone intermédiaire, où les collines se déroulent en longues ondulations, comme les vagues de la mer, le sol est en entier composé de pierres roulées et de gravois entassés. Tout cela, ce sont les restes de la montagne, que les eaux ont réduite en menus fragments, transportée en détail et déversée en énormes alluvions à l’issue des grandes vallées. Les torrents des— cendus des hauteurs fouillth a leur aise dans ces plateaux de débris, et en font ébouler les talus dans le sillon qu’ils se sont creusé. Sur les pentes du fossé profond où serpentent les eaux, on reconnaît, dans un désordre appa— rent, les diverses roches qui ont servi de ma— tériaux au grand édifice de la montagne: voici les blocs de granit et les fragments de q.

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66 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

porphyre; voilà des schistes aux arêtes aiguës à demi enfouis dans le sable; ailleurs sont des morceaux de quartz, des grès, des cailloux calcaires, des rognons de minerai, des cristaux émoussés. On y trouve aussi des fossiles d’épo- ques difi'érentes, et, dans les espaces où les eaux ont tournoyé longtemps, se sont arrêtés d’innombrables squelettes d’animaux flottés. C’est là qu’on a découvert, par milliers, les ossements des hipparions, des aurochs, des élans, des rhinocéros, des mastodontes, des mammouths et autres grands mammifères qui parCouraient autrefois nos campagnes et qui maintenant ont disparu, cédant à l’homme l’empire du monde. Les torrents qui appor— tèrent tous ces débris les emportent pièce à pièce en les réduisant en poussière. Sque- lettes et fossiles, argiles et sables, blocs de schiste, de grès et de porphyre, tOut s’effondre peu à peu, tout prend le chemin de la mer; l’immense travail de dénudation qui s’est accompli pour la grande montagne recom- mence en petit pour les amas de décombres; ravinés par les eaux, ils s’abaissent graduel— lement en hauteur, ils se fragmentent en col—

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LA DESTRUUTION DES CIMES. 61

lines distinctes. Néanmoins, même amoindri comme il l'est par le travail des siècles, tout croulant et ruiné, le plateau de débris qui s’étend à la base de la montagne suffirait pour ajouter quelques milliers de mètres a la grande cime, s’il reprenait sa position première dans les assises de la roche. « C’est en léchant les monts, dit une antique prière des Indous, que la vache céleste, c’est-à—dire la pluie des cieux, a formé les campagnes. »

' Sous nos yeux mêmes se poursuit le travail de dénudation des roches avec une étonnante activité. Il est des montagnes, composées de matériaux peu cohérents, que nous voyons se fondre, se dissoudre, pour ainsi dire : des gorges se creusent dans les flancs du mont, des bréches s’ouvrent au milieu de la crête; ravinée par les avalanches et par les eaux d’orage, la grande masse, naguère une et soli- taire, se divise peu à peu en deux cimes dis— tinctes, qui semblent s’éloigner l’une de l’au- tre à mesure que le goufire de séparation est plus profondément fouillé.

Au printemps surtout, alors que le sol a été détrempé par les neiges fondantes, les éhoulis,

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'68 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

les tassements, les érosions prennent de telles proportions, que la montagne entière semble vouloir s’affaisser et prendre le chemin de la plaine. Un jour de douce et humide chaleur, je m’étais aventuré dans une gorge de la mon- tagne, pour en revoir encore une fois les neiges, avant que les eaux printanières les eussent emportées. Elles obstruaient toujours le fond du ravin, mais en maint endroit elles étaient méconnaissables, tant elles étaient re- couvertes de débris noirâtres et mélangés de boue. Les roches ardoisées qui dominaient la gorge semblaient changées en une sorte de bouillie et Sàblll‘]ûl€llt en larges pans; la fange noire qui suintait en ruisseaux des pa- rois du défilé s’engouffrait avec un sourd cla- potement dans la neige à demi liquide. De toutes parts, je ne voyais que eataracles de neige souillée et de débris; instinctivement, je me demandais, avec une sorte d’effron si les rochers7 se fondant comme la neige elle—même, n’allaient pas s’unir par—dessus la vallée en une seule masse visqueuse et s’épancher au loin dans les campagnes. Le torrent, que j’apercevais çà et la par des puits au fond des—

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LA DESTRUGTION DES CIMES. 69

quels s’étaient effondrées les couches supé- rieures de neiges, paraissait transformé en un fleuve d’encre, tant ses eaux étaient chargées de débris; c’était une énorme masse de fange en mouvement. Au lieu du son clair et joyeux que j’étais accoutumé d’entendre, le torrent rendait un mugissement continu, celui de tous les décombres entre-choqués roulant au fond du lit. C’est au printemps surtout, a l’époque annuelle de la rénovation terrestre, que l’on voit s’accomplir ce prodigieux travail de des— truction.

En outre, un immense travail invisible se fait dans la pierre elle-même. Tous les chan- gements causés par les météores ne sont que des modifications extérieures; les transforma- tions intimes qui s’accomplissent dans les molécules de la roche ont, par leurs résultats, une importance au moins égale. Tandis que la montagne se délite en dehors et change incessamment d’aspect, elle prend a l’intérieur une structure nouvelle, et les assises mêmes se modifient dans leur composition. Pris en son ensemble, le mont est un immense labo- ratoire naturel, où toutes les forces physiques

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70 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

et chimiques sont à l’œuvre, se servant, pour accomplir leur travail, de cet agent souverain que l’homme n'a pas à sa disposition, le temps.

D’abord, l’énorme poids de la montagne, égal à des centaines de milliards de tonnes, pèse d’une telle puissance sur les roches infé- rieures, qu’elle donne à plusieurs d’entre elles une apparence bien diñ‘érente de celle qu’elles avaient en émergeant des mers. Peu à peu, sous la formidable pression, les ardoises et , les autres formations schisteuses prennent une disposition feuilletée. Pendant les mil- liers et les milliers de siècles qui s’écoulent, les molécules comprimées s’amincissent en folioles que l’on peut ensuite séparer facile— ment, lorsque, après quelque révolution géo— logique, la roche se trouve de nouveau rame- née a la surface. L’action de la chaleur terrestre, qui, jusqu’à une certaine distance du moins, s’accreît avec la profondeur, cen- tribue aussi a changer la structure des roches. C’est ainsi que les calcaires ont été transfor- més en marbres.

Mais non seulement les molécules des ro-

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LA nnsrnu0mN nus ohms. 71

chers se rapprochent ou s‘éloignent et se groupent diversement, suivant les conditions physiques dans lesquelles elles se trouvent pendant le cours des âges, mais la composi- tion des pierres change également; c’est un chassé-croisé continuel, un voyage incessant des corps qui se déplacent, s’entremêlent, se poursuivent. L’eau qui pénètre par toutes les fissures dans l’épaisseur de la montagne et celle qui remonte en vapeur des abîmes pro— fonds servent de véhicule principal à ces élé- ments qui s’attirent, puis se repoussent, en- traînés dans le grand tourbillon de la vie géologique. Dans les fentes de la montagne le cristal est chassé par un autre cr1srai; ie fer, le cuivre, l’argent ou l’or remplacent l‘argile ou la chaux; la roche terne s’irise de la mul- titude des substances qui la pénètrent. Par

le déplacement du carbone, du soufre, du

\ pliosPhore, la chaux devient marne, dolomite, plâtre-gypse cristallin; par suite de ces nou— velles combinaisons, la roche se gonfle ou se resserre, et des révolutions s‘accomplissent avec lenteur dans le sein de la montagne. Bientôt la»pierre, comprimée dans un espace

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12 IIISÎOIRE D’UNE MONTAGNE.

“ trop étroit, soulève, écarte les assises surin- combantes, fait crouler d’énormes pans et, par de lents efforts dont les résultats sont les mêmes que ceux d’une explosion prodigieuse, donne un nouveau groupement aux roches de la montagne. Tantôt la pierre se contracte, se fendille, se creuse en grottes, en galeries, et de grands écroulements s’y produisent, modi— fiant ainsi l’aspect et la forme extérieure du mont. A chaque modification intime dans la composition de la roche correspond un chan- gement dans le relief. La montagne résume en elle toutes les révolutions géologiques. Elle a crû pendant des milliers de siècles, décrû pendant d’autres milliers, et dans ses assises se succèdent sans fin tous les phénomènes de croissance et de décroissance, de formation et de destruction, qui s’accomplissent plus en- grand pour la grande Terre. L’histoire de la montagne est celle de la planète elle-même; c‘est une destruction incessante, un renouvel— lement sans fin.

Chaque roche résume une période géolo— gique. Dans cette montagne au profil si gra- cieux, surgissant de la terre avec une sinoble

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LA DESTRUCTION DES CIMES. 73v

attitude, on croirait voir l’œuvre d’un jour, tant l’ensemble a d’unité, tant les détails con- courent à l’harmonie générale. Et pourtant cette montagne a été sculptée pendant une myriade de siècles. Ici, quelque vieux granit raconte les vieux âges où la fibre végétale n’avait pas encore recouvert la scorie terrestre. Le gneiss, qui lui-même se forma peut-être à l’époque où plantes et animaux étaient encore à naître, nous dit que, lorsque l’Océan le dé— posa sur ses rives, des montagnes avaient été déjà démolies par les flots. La plaque d’ardoise qui garde l‘os d’un animal, ou seulement une légère empreinte, nous raconte l’histoire "des générations innombrables qui se sont succédé à la surface de la terre dans l’incessanteba— taille de la vie; les traces de houille nous parlent de ces forêts immenses dont chacune en mourant n’a fait qu’une légère couche de charbon; la falaise calcaire, amas d’animal- cules que nous révèle le microscope, nous fait assister au travail des multitudes d’organis- mes qui pullulaient au fond des mers; les débris de toute espèce nous montrent les eaux

de pluie, les neiges, les glaciers, les torrents, 5 .

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74 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

déblayant jadis les monts comme ils le font aujourd’hui, et changeant d’âge en âge le théâtre de leur activité.

A la pensée de toutes ces révolutions, de ces transformations incessantes, de cette série continue de phénomènes qui se produisent dans la montagne, du rôle qu’elle remplit dans la vie générale de la terre et dans l’his- toire de l’humanité, on comprend les premiers poètes, qui, à la base du Pamir ou du Bolor, racontérent les mythes d’où sont dérivés tous les autres. Ils nous disent que la montagne est une créatrice. C’est elle qui verse dans les plaines les eaux fertilisantes et leur envoie le limon nourricier; elle qui, avec l’aide du so— leil, fait naître les plantes, les animaux et les hommes; elle qui fleurit le désert et le par— sème de cités heureuses. Suivant une ancienne légende hellénique, celui qui fit surgir les monts et modele. la terre fut Éros, le dieu touîours jeune lepremier—né du chaos, la nature qui se renouvelle sans cesse, le dieu del éternel amour.

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CHAPITRE VII

LES ÉBOULIS

N0n seulement au montagne se transforme incessamment en plaine par les érosions que lui font subir les pluies, les gelées, les neiges glissantes, les avalanches, mais encore des fragments considérables s’en déchirent violem- ment pour s’écrouler tout à coup. Pareille ca- tastrophe est fréquente dans les parties du mont où les strates, redressées ou surplom- bantes, sont largement séparées les unes des autres par des matières de nature différente que l’eau peut déblayer ou dissoudre. Que ces substances intermédiaires viennent à dispa— raître, et les assises, dépourvues d’appui, doivent tôt ou tard s’écrouler dans la vallée. A côté des grands escarpements, ces débris

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76 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

tombés forment une butte, un monticule ou même une montagne secondaire.

Une cime, d’ailleurs élevée, que j’aimais à gravir à cause de son isolement et de la fière beauté de ses arêtes, m’avait toujours paru, comme le grand sommet lui—même, être une roche indépendante, tenant par ses assises profondes à la terre sous-jacente; ce n’était pourtant qu’un pan détaché de la montagne—

voisine. Je le reconnus un jour à. la position ’

des couches et à l’aspect des plans de brisure encore visibles sur les deux parois correspon- dantes. La masse écroulée qui portait des hameaux et des champs, des bois et des pâtu- rages, n’avait eu, aprés la rupture, qu’à pivo— ter sur sa base et a se renverser sur elle—même Une de ses faces s’était enfoncée dans le sol, tandis que de l’autre côté elle s’était partielle— ment déracinée. Dans sa chute, elle avait fermé l’issue de toute une vallée, et le torrent qui, jadis, coulait paisiblement dans le fond, avait dû se transformer en lac, pour combler le cirque dans lequel il était enfermé et d’où il redescend aujourd’hui par une succession de rapides et de cascades. Sans doute ces

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LES ÉBOULIS. 71

changements se firent avant“ que le pays fût habité, car la tradition de l’événement ne s’est point conservée. C’est le géologue qui raconte au paysan l’histoire de sa propre montagne.

Quant aux écroulements de moindre im— portance, à ces chutes de rochers qui, sans changer sensiblement l’aspect de la contrée, n’en ruinent pas moins les pâtures, n'en écra- sent pas moins les villages avec leurs habi— tants, les montagnards n’ont pas besoin qu’on vienne les leur décrire; ils ont été malheu— reusement trop souvent les témoins de ces événements terribles. D’ordinaire, ils en sont avertis quelque temps à l’avance. La poussée intérieure de la montagne en travail fait vibrer incessamment la pierre du haut en bas des parois. De petits fragments, à demi descellés, se détachent d’abord et roulent en bondissant le long des pentes. Des masses plus lourdes, entraînées à leur tour, suivent les pierrailles en dessinant comme elles de puissantes cour- bes dans l’espace. Puis viennent des pans de roche entiers; tout ce qui doit crouler rompt les attaches qui le retenaient a l’ossature inté- rieure de la montagne, et d’un coup la grêle

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78 HISTOIRE D'UNE MONTAGNE.

effroyable de quartiers de roches s’abat sur la plaine ébranlée. Le fracas est indicible; on dirait un conflit entre cent ouragans. Même en plein jour, les débris de roches, mêlés a la poussière, à la terre végétale, aux fragments de plantes, obscurcissent complètement le ciel; parfois de sinistres éclairs, provenant des rochers qui s’entre-ehoquent, jaillissent de ces ténèbres. Après la tempête, quand la montagne ne secoue plus dans la plaine ses roches disjointes, quand l’atmosphère s‘est éclaircie de nouveau, les habitants des cam- pagnes épargnées se rapprochent et viennent contempler le désastre. Chalets et jardins, enclos et pâturages ont disparu sous le hideux chaos de pierres; des amis, des parents y dor— ment aussi de leur grand sommeil. Des mon— tagnards m’ont raconté que, dans leur vallée, un village, deux fois détruit par des avalan— ches de pierres, et été rebâti une troisième fois sur le même emplacement. Les habitants au— raient bien voulu s’enfuir et faire choix pour leur demeure de quelque vallée bien large, mais nulle communauté voisine ne voulut les accueillir et leur céder des terres; ils ont dû

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LES ÉBOULIS. 79

rester sous la menace des roches suspendues. Chaque soir, quelques coups de cloche leur rappellent les terreurs du passé et les aver— tissent du sort qui les atteindra peut-être pen- dant la nuit.

Nombre de roches tombées, que l’on aperçoit au milieu des champs, ont une terrible légende; mais on en montre aussi quelques-unes qui ont manqué leur proie. Un de ces blocs énormes surplombant et dont la base était de toutes parts enracinée dans le sol se dresse à côté du chemin. En admirant ses proportions superbes, sa masse puissante, la finesse de son grain, je ne pouvais me défendre d‘une sorte d’effroi. Un petit sentier, se détachant de la route, allait droit vers le pied d’une formi- dable pierre. Prés de là, quelques débris de vaisselle et de charbon étaient entassés à la base; une barrière de jardin s’arrêtait brus- quement au rocher, et des plates-bandes de légumes, à demi envahies par les mauvaises herbes, entouraient tout un côté de l’énorme masse. '

Qui avait choisi cet endroit bizarre pour y établir son jardin et pour l’abandonner

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80 HISTOXRE D’UNE MONTAGNE.

ensuite? Je compris peu à peu. Le sentier, l’amas de charbon, le jardin, appartenaient naguère a une maisonnette maintenant écrasée sous la roche. Pendant la nuit de l’écroule- ment, un homme, je l’ai su plus tard, dormait seul dans cette maison. Réveillé en sursaut, il entendit le fracas de la pierre descendant de pointe en pointe sur le flanc de la montagne, et, dans sa frayeur, il s’élança par la fenêtre pour aller chercher un abri derrière la berge du torrent. A peine avait—il bondi hors de sa demeure que l’énorme projectile s’abattait sur la cabane et l’enfonçait sous elle à quelques mètres dans le sol. Depuis son heureuse esca- pade, le brave homme a rebâti sa hutte; il l’a blottie avec confiance à la base d’une autre roche tombée de la formidable paroi.

Dans mainte vallée de la montagne, ce sont des écroulements de pierres appelés clapiers, lapiaz ou chaos, qui forment les défilés, où torrents et sentiers se frayent difficilement leur passage. Rien de plus curieux que le désordre de ces masses entremêlées en un labyrinthe — sans fin. Là-haut, sur le flanc du mont, on distingue encore, à la couleur et à, la forme

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LES EBOULIS, 31

des roches, l’endroit où s’est produit l’effon- drement; mais on se demande avec stupeur comment un espace d’aussi faibles dimensions apparentes a pu vomir dans la vallée un tel déluge de pierres. Au milieu de ces blocs for- midables et bizarres, le voyageur se croirait dans un monde à part, où rien ne rappelle la planète connue, à la surface unie ou douce- ment mouvementée. Des roches, semblables à des monuments fantastiques, se dressent çà et là; ce sont des tours, des obélisques, des perches crénelés, des fûts de colonnes, des tombeaux renversés ou debout. Des ponts d’un seul bloc cachent le torrent; on voit les eaux s’engouffrer, disparaître sous l’énorme arcade, et l’on cesse même d’en entendre la voix. Parmi ces monstrueux édifices se montrent des formes gigantesques, comme celles des animaux fossiles dont on retrouve quelquefois les 0sæinents disldqués dans les couches ter- restres. Mammouths, mastodontes, tortues géantes, crocodiles ailés, tous ces êtres chi— mériques grouillent dans. l’effrayant chaos. Des milliers de ces pierres sont entassées dans

le défilé, et cependant une seule d’entre elles 5.

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82 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

est de dimensions suffisantes pour servir de carrière et fournir à la construction de villages entiers.

Ces clapiers, que je vois avec tant d’étonne- ment et au milieu desquels je ne m’aventure qu’avec hésitation, sont pourtant peu de chose, en comparaison de quelques écroulements de montagnes dont les débris couvrent des dis— tricts d’une grande étendue. Il est des massifs montagneux dont les cimes se composent de roches compactes et pesantes reposant elles- mêmcs sur des couches friahles, faciles 51 dé- blayer par les eaux. Dans ces massifs, les chutes de pierres sont un phénomène normal, comme les avalanches et la pluie. On regarde toujours vers les sommets pour voir si l’écrou- lement se prépare. Dans une région peu éloi— gnée, qu’on appelle le Pays des Ruines, il est deux montagnes qui,_ d’après les récits des habitants, auraient jadis engagé la lutte l’une contre l’autre. Les deux géants de pierre, devenus vivants, se seraient armés de leurs propres rochers pour s’entre-ruiner et se démolir. Elles n’ont point réussi, puisqu’elles sont encore debout; mais on peut s’imaginer

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LES ÉBOULIS. 83

les entassements prodigieux de rochers qui, depuis ce combat, jonchent au loin les plaines.

Quelquefois l’homme, en dépit de sa fai- blesse, a essayé d’imiter la montagne, et cela pour écraser d'autres hommes comme lui. C’est aux défilés surtout, aux endroits où la gorge est étroite et dominée par des escarpe- ments rapides, que, se portaient les monta— gnards pour faire rouler des blocs sur les têtes de leurs ennemis. Ainsi les Basques, cachés derrière les broussailles sur les pentes de la montagne d’Altabiscar, attendaient l’armée française du paladin Roland qui devait péé nétrer dans l’étroit passage de Boncevaux. Lorsque les colonnes des soldats étrangers, semblables à un long serpent qui glisse dans une lézarde, eurent rempli le défilé, un cri se fit entendre, et les roches s’écroulérent en grêle sur cette foule qui se déroulait en bas. Le ruisseau de la vallée se gonfla du sang qui, des membres écrasés, s’écoulait comme le vin d’un pressoir; il roula les corps humains et les chairs broyées comme il roulait les pierres en temps d’orage. Tous les guerriers francs périrent, mêlés les uns aux autres en

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8h HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

une masse sanglante. On montre encore au pied d‘Altabiscar l’endroit où le paladin Roland mourut avec ses compagnons; mais les pierres sous lesquelles fut écrasée son armée ont depuis longtemps disparu sous le tapis de bruyères et d’ajoncs.

Les résultats de nos petits travaux humains sont peu de chose en comparaison des écrou- lements naturels qui se produisent scus l’ac— tion des météores, ou par suite de la poussée intérieure des monts. Même après de longs siècles, les grandes avalanches de pierres pré— sentent un aspect tellement bouleversé qu’elles laissent dans l‘esprit une impression d’horreur et d’effroi. Mais quand la nature a-fini par réparer le désastre, les sites les plus gracieux des montagnes sont précisément ceux où les escarpements se sont secoués pour égrener des rochers à leur base. Pendant le cours des âges, les eaux ont fait leur œuvre; elles ont apporté de l’argile, des sables ténus pour reconstituer leur lit et former aux abords une couche de sol végétal; les torrents ont peu à peu déblayé leur cours en rongeant ou en déplaçant les pierres qui les gênaient;

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LES ÉBOULIS. 85

l’espèce de pare monstrueux formé par les roches plus petites s’est recouvert de gazon et s’est changé en un pâturage hosselé, hérissé de pointes; les grands rochers, eux-mêmes se sont vêtus de mousse, et çà et là se groupent en monticules pittoresques; des arbres en bouquets croissent à côté de chaque saillie rocheuse et parsèment des massifs les plus charmants le paysage déjà si gracieux. Comme le visage de l’homme, la face de la. nature change de physionomie; à la grimace a succédé le sourire. ‘

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‘ CHAPITRE V…

LES 'NUAGES

Sur la grandeur du globe, la montagne, toute haute qu’elle apparaît, n’est qu’une simple rugosité moins forte en proportion que ne le serait une verrue sur le corps d’un élé— phant : c’est un point, un grain de sable. Et pourtant cette saillie, tellement minime par rapport à la grande terre, baigne ses flancs et sa crête en des» régions aériennes bien difi‘érentes de celles des plaines qui servent de résidence aux peuples. ”Le piéton qui, dans l’espace de quelques heures, s’élève de la base du mont aux rochers de la cime, ' fait en réalitéun voyage plus grand, plus fécond en contrastes que s’il mettait des an- nées à faire le tour du monde, a travers

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88 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

les mers et les régions basses des continents.

C’est que l’air pèse en lourde masse sur l’Océan et sur les contrées qui se trouvent à une faible distance au—dessus du niveau marin, et que, dans les hauteurs, il se raréfie et de— vient de plus en plus léger. Sur la terre, des centaines et même des milliers de monts élèvent leurs sommets dans une atmosphère dont les molécules sont deux fois plus écartées que celles de l’air des plaines inférieures. Phénomènes de lumière, de chaleur, de cli- mat, de végétation, tout est changé lit-haut; l’air, plus rare, laisse passer plus facilement les rayons de chaleur, qu’ils descendent du soleil ou qu’ils remontent de la terre. Quand l’astre brille dans un ciel clair, la température s’élève rapidement sur les pentes supérieures; mais, dès qu’il se cache, les hautes parties de la montagne se refroidissent aussitôt; par le rayonnement, elles perdent très vite la chaleur qu’elles avaient reçue. Aussi le froid règne—til presque toujours sur les hauteurs; dans nos Imontagnes, il fait en moyenne-plus froid d’un degré par chaque espace vertical de deux cents mètres.

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LES NUAGES. 89

Pour nous, malheureux citadins, qui sommes condamnés à une atmosphère souil— lée, qui recevons dans nos poumons un air tout chargé de poisons, respiré déjà par des multitudes d’autres poitrines, ce qui nous étonne et nous réjouit le plus, quand nous parcourons les hautes cimes, c’est la merveil— leuse pureté de l'air. Nous respirons avec joie, nous buvons le souffle qui passe, nous nous en laissons enivrer. C’est pour nous ,l’ambroisie dont parlent les mythologies an— tiques. A nos pieds, loin, bien loin dans la plaine, s’étend un espace brumeux et sale où le regard ne peut rien discerner. Là est la grande ville! Et nous pensons avec dégoût aux années pendant lesquelles il nous a fallu vivre sous cette nappe de fumée, de poussière et d’haleines impures.

Quel contraste entre cette vue des plaines et l’aspect de la montagne, lorsque la cime en est dégagée de vapeurs et qu’on peut la contempler de loin à travers la lourde atmo- sphère qui pèse sur les terres basses! Le spectacle est beau, surtout lorsque la pluie a fait tomber sur le sol les poussières flot—

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90 HISTOIRE D'UNE MONTAGNE.

tantes, que l’air est rajeuni, pour ainsi dire. Le profil de rochers et de neiges se détache nettement du bleu des cieux; malgré l’énorme distance, le mont, azuré lui-même comme les profondeurs aériennes, se peint sur le ciel avec tout son relief d’arêtes et de promontoires; on distingue les vallons, les ravins, les pré— cipices; parfois même, à la vue d’un point noir qui se déplace lentement sur les neiges, on peut, à l‘aide d’une lunette d’approche, reconnaître un ami gravissant la cime. Le soir, après” le coucher du soleil, la pyramide se montre dans sa beauté la plus pure et la plus splendide à la fois. Le reste de la terre est dans l‘ombre, le gris du crépus- cule voile les horizons des plaines; l’entrée des gorges est déjà noireie par la nuit. Mais lit-haut tout est lumière et joie. Les neiges, que regarde encore le soleil, en réfléchissent les rayons roses; elles flamboient, et leur clarté paraît d’autant plus vive que l’ombre monte peu a peu, envahissant successivement les pentes, les recouvrant comme d’une étoffe noire. A la fin, la cime est seule assez haute pour apercevoir le soleil par-dessus la cour—

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LES NUAGES. 91

hure de la terre; elle s’illumine comme d’une étincelle; on dirait un de ces diamants pro- digieux qui, d’après les légendes indoues, fulguraient au sommet des montagnes divines. Mais soudain la flamme a disparu, elle s’est évanouie dans l’espace. Qu’on ne cesse de regarder pourtant : au reflet du soleil succède celui des vapeurs empourprées de l’horizon. La montagne s’illumine encore une fois, mais d’un éclat plus doux. La roche dure ne semble plus exister sous son vêtement de rayons“; il ne reste qu’un mirage, une lumière aérienne; on croirait que le mont superbe s’est détaché de la terre et flotte dans le ciel pur.

Ainsi, la rareté de l’air des hautes régions contribue à la beauté des cimes, en empêchant les souillures de la basse atmosphère de ga- gner les sommets; mais elle force aussi les vapeurs invisibles qui s’élèvent de la mer—et. des plaines a se condenser et à s’attacher en nuages aux flancs de la montagne. D’ordi— naire, l’eau vaporisée suspendue dans les couches inférieures de l’air ne s’y trouve pas en quantité assez considérable pour qu’elle se

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92 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

change immédiatement en nuées et retombe en pluies; l’atmosphère où elle flotte la main- tient à l’état de gaz invisible. Mais que la couche d’air monte dans le ciel, emportant ses vapeurs, elle se refroidira graduellement, et son eau, condensée en molécules dis- tinctes, se révèlera bientôt. C’est d’abord une nuelle presque imperceptible, un flocon blanc dans le ciel bleu; mais à ce flocon s’en ajoutent d’autres; maintenant, c’est un voile dont les déchirures laissent çà et là pénétrer le regard dans les profondeurs de l’espace; à la fin, c’est une masse épaisse se déployant en rou— leaux ou s’entassant en pyramide‘s. Il est de ces nuages qui se dressent sur l’horizon en forme de véritables montagnes. Leurs crêtes et leurs dômes, leurs neiges, leurs glaces res— plendissantes, leurs ravins ombreux, leurs précipices, tout le relief se révèle avec une netteté parfaite. Seulement, les monts de va— peur sont flottants et fugitifs; un courant d’air les a formés, un autre courant peut les déchirer et les dissoudre. A peine leur durée est-elle de quelques heures, tandis que celle des ments de pierre est de millions d’années:

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LES NUAGES. 93

mais en réalité la différencev'est-elle donc si grande? Relativement à la vie du globe, nuages et montagnes sont également des phé— nomènes d’un jour. Minutes et siècles se con— fondent, lorsqu’ils se sont engoufÏ'rés dans l’abîme des temps.

Les nues aiment surtout à s’amonceler autour des roches qui se dressent en plein ciel. Les unes sont attirées vers le roc par une électricité contraire à. la leur pr0pre; les autres, pourchassées par le vent dans l’espace, viennent se heurter sur les pentes des monts, grande barrière placée en travers de leur marche. D’autres encore, invisibles dans l’air tiède, ne se révèlent qu’au contact de la pierre froide ou des neiges; c’est la montagne qui condense les vapeurs et les exprime de l’air, pour ainsi dire. Que de fois, en contemplant la cime ou quelque promontoire avancé, j’ai vu les duvets des nuages naissants s’amasser autour de la pointe glacée! Une fumée s’élève, semblable à celle qui monte d’un cratère; bientôt chaque piton en est enveloppé, et le mont finit par s’entourer d’un turban de nuages qu’il a lui—même tissés dans l’air

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94 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

transparent. Des mains invisibles, semble—t—il, travaillent à la formation des tempêtes et à la chute des pluies. Quand les habitants des plaines voient la montagne disparaître sous un amas de nues, ils comprennent, & la ma- nière dont se coifi'e le géant, quel genre de fête il leur prépare. Quand deux souffles d’air viennent se rencontrer à sa pointe, l‘un brû— lant, l'autre froid, la une formée soudain se dresse haut en tourbillonnant dans le ciel; la montagne est un volcan, et la vapeur s'en échappe incessamment avec une sorte de furie pour aller se replier au loin dans le ciel «en une courbe immense.

Des nuages détachés s’éparpillent librement dans le ciel, ils se rejoignent, se cardent ou s’effilent sous le vent, s’étalent ou s’envolent et montent jusque dans l’atmosphère supé- rieure, bien au-dessus des cimes les plus éle— vées de la terre; la diversité de leurs formes est beaucoup plus grande que celle des nuages qui ceignent les sommets de la montagne. Cependant ceux—ci présentent également une singulière mobilité d’aspect. Tantôt ce sont des nues isolées qui se déplacentravec les

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LES NUAGES. 95

nappes d’air froid; ou les voit alors sèrpenter en rampant dans les ravins ou cheminer le long des arêtes en s’effrangeant aux roches aiguës. Tantôt ce sont de gros nuages qui cachent à la fois toute une pente de la mon-‘ tagne; à travers leur masse épaisse, qui grossit ou diminue, se déplace ou se déchire, on dis— tingue de temps en temps la cime bien con- nue, d’autant plus superbe en apparence qu’elle semble vivre et se mouvoir entre les vapeurs tourn oyantes. D’autres fois, les nappes aériennes superposées et de températures difÏé- rentes sont parfaitement horizontales et dis- tinctes comme des strates géologiques; les nuages qu’on y voit naître ont une forme analogue : ils sont disposés en bandes régu- lières et parallèles, cachant ici des forêts, la des pâturages, des neiges et des rochers, ou les voilant à demi comme une écharpe transparente. Parfois encore les cimes, les pentes supérieures, toute la haute montagne est noyée dans la lourde masse des nues, semblable a un ciel gris ou noir qui se serait abaissé vers la terre; la montagne s’éloigne ou se rapproche suivant le ieu des vapeurs

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96 HISTOIRE D’UNE HONTAGNE.

qui diminuent ou s’épaississent. Soudain, tout disparaît de la base au sommet : le mont s’est en entier perdu dans les brumes; puis l’orage descend des cimes, il fouette cette mer de lourdes vapeurs, et l’on voit le géant apparaître de nouveau « noir, triste, dans le vol éternel des nuées. »

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CHAPITRE IX

LE BROUILLARD ET L’0RAGE

On se trouve comme dans un monde nou— veau, à la fois redoutable et fantastique, lors-— qu’on parcourt la montagne au milieu du brouillard. Même en suivant un sentier bien frayé, sur des pentes faciles, on éprouve un certain efi‘roi à la vue des formes environ— nantes, dont le profil incertain semble osciller dans la brume, qui tantôt s’épaissit, tantôt devient plus claire.

Il faut être déjà. l’intime de la nature pour ne pas se sentir inquiet quand on est le captif du brouillard; le moindre objet prend des proportions immenses, infinies. Quelque chose de vague et de noir paraît s’avancer vers nous comme pour nous saisir},yEflace une branche,

…’Î v \\ 5

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98 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

un arbre même? Ce n’est peut-être qu’une touffe d’herbe. Un cercle de cordages vous barre la route: simple toile d’araignée! Un jour que le brouillard avait une faible épais- seur et que les rayons du soleil, transmis par les vapeurs, y faisaient poudroyer la lumière, je m’arrêtai, plein de stupeur et d’admiration, a la vue d’un arbre gigantesque tordant ses bras comme un athlète, au sommet d’un pro— montoire. Jamais je n’avais eu le bonheur de voir un arbre plus fort et mieux campé pour lutter héroïquement contre l’orage. Je le con- templai longtemps; mais peu a peu je le vis qui semblait se rapprocher de moi et qui se rapetissait en même temps. Quand le soleil vainqueur eut dissipé la brume, le tronc su- perbe n’était plus qu’un maigre arbrisseau poussant dans la fissure d’un bloc voisin.

Le voyageur perdu, égaré dans le brouil- lard, au milieu des précipices et des torrents, se trouve dans une situation vraiment terrible -: de toutes parts c’est le danger, c’est la mort. Il faut marcher et marcher vite pour atteindre, aussi vite que possible, le sol uni de la vallée ou les pentes faciles des pâturages, et rencon-

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LE BROUILL_ARD ET L’ORAGE. 99

trer quelque sentier sauveur; mais, dans le» vague des choses, rien ne peut servir d’indice et tout paraît un obstacle. D’un côté la terre fuit; on croirait être au bord d’un précipice. De l’autre côté se dresse un roc; la paroi en semble inaccessible. Pour éviter l’abîme, on tente d’escalader la roche abrupte; on met le pied dans une anfractuosité de la pierre et l’on se hisse de saillie en saillie; bientôt on est comme suspendu entre le ciel et la terre. En- fin, on atteint l’arête; mais, derrière le pre- mier roc, voici que s’en dresse un autre au profil indécis et mouvant. Les arbres7 les broussailles qui croissent sur les escarpements dardent leurs rameaux a travers la brume, d’une façon menaçante; parfois même, on ne voit qu’une masse noiràtre serpentant dans

l’ombre grise : c’est une branche dont le tronc

reste invisible. On a le visage baigné par une fine pluie; les toufi'es de gazon, les bruyères, sont autant de réservoirs d’eau glacée où l’on se mouille comme a la traversée d’un lac. Les membres se raidissent; le pas devient incer— tain; on risque de glisser sur l’herbe ou sur le roc humide et de rouler dans le précipice.

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“100 llISTOlRE D‘UNE MONTAGNE.

Des rumeurs terribles remontent d’en- bas et semblent prédire un sort fatal; on entend la chute des pierres qui s’écroulent, des bran- ches chargées de pluie qui grincent sur leur tronc, le sourd tonnerre de la cascade et le sinistre clapotement des eaux du lac contre ses rives. C’est avec épouvante que l’on voit la brume se charger de la sombreur du crépus- cule et que l’on pense a la terrible alterna— tive de la mort par le dérochement ou par le froid.

Sous un grand nombre de climats, l’im— pression d’étonnement, d’horreur même, que les montagnes laissent dans l’esprit, provient de ce qu’elles sont presque toujours envi- -ronnées de brouillards. Telle montagne d’E— cosse ou de la Norvège paraît formidable, bien qu’en réalité elle soit beaucoup moins haute que tant d’autres sommets de la terre. On les a vues souvent se voiler de vapeurs, puis se révéler partiellement et se cacher encere, voya— ger pour ainsi dire au milieu de la nue, s’éloi- gner en apparence pour se rapprocher sou— dain; s’abaisser quand le soleil éclaire nette- ment les contours, puis grandir ensuite quand

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LE BROUILLARD ET L’ORAGE. [01

ils se frahgent de brouillards. Tous ces aspects changeants, ces transfigurations lentes ou ra— pides de la montagne, la font vaguement res— sembler à un géant prodigieux balançant sa tête au-dessus des nuages. Bien différentes des sommets immuables aux profils arrêtés que baigne la pure lumière du ciel de l’Égypte, sont ces montagnes que chantent les poèmes d’Ossian: celles-ci vous regardent; elles sou— rient parfois; parfois elles menacent; mais elles vivent de votre vie, elles sentent avec vous; on le croit, du moins, et le poète qui les chante leur donne une âme d’homme. Belle par les vapeurs qui l’entourent, quand on la voit d’en bas à travers une atmosphère pure, la montagne ne l’est pas moins pour celui qui la contemple d’en haut, surtout au matin, quand la cime elle-même plonge dans le ciel et que sa base est environnée par une mer de nuages. C’est bien un véritable océan qui s’étend de toutes parts jusqu’aux bornes de la vue. Les vagues blanches du brouillard se déroulent à la surface de cette mer, non point avec la régularité des flots liquides,

mais dans un majestueux désordre où le ' 6.

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102 HISTOum D'UNE MONTAGNE.

regard se perd. Ici, on les voit bouillonner, se gonfler en trombes de fumée, puis s’épar- piller en flocons comme la neige et disparaître dans l’espace. Là, au contraire, elles se creu— sent en vallons emplis d’ombres. Ailleurs, c’est un tournoiement continuel, un mouvement de flots qui se pourchassent et s’entraînent en rondes bizarres. Parfois, la nappe des vapeurs est assez unie; le niveau desbndes de brume se maintient à une hauteur à peu près uni— forme sur tout le pourtour des roches qui s’avancent en promontoires ; en maint endroit, des sommets de collines isolées se dressent au— dessus du brouillard comme des îles ou des écueils. D’autres fois, l’océan brumeux se partage en mers distinctes et laisse apercevoir, çà et la, le fond des vallées, semblables à un monde inférieur qui n’a rien de la douce séré— nité des cimes. Le soleil éclaire obliquement toutes les volutes de brume qui s’élèvent au- dessus de la grande mer; les teintes roses, purpurines, dorées, qui se mêlent au blanc pur, varient à l’infini l’aspect de la nappe flottante. L’ombre des monts se projette au loin sur les vapeurs et change incessamment avec

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LE BROUILLÀRD ET L’ORAGE. 103

la marche du soleil. Le spectateur remarque avec étonnement l’ombre de sa propre per- sonne reproduite sur la nappe de vapeur et quelquefois avec les proportions d’un géant. On croirait voir un monstre spectral qu’on fait mouvoir a son gré en s’inclinant, en mar-' chant, en agitant les bras.

Certaines montagnes, qui se dressent au sein de la mer bleue des vents alizés, sont presque toujours environnées à mi-hauteur d’une nappe de brouillards qui cache presque toujours, au voyageur arrivé sur la cime, la vue de la grande plaine azurée; mais, autour du sommet dont je parcours les pâturages, les nappes de vapeurs montent et descendent, changent et“ se dissolvent comme au hasard : ce sont des phénomènes qui n’ont rien de constant. Après des heures ou des journées

.d’obscurité, le soleil finit par trouer la masse

des brumes, les déchire, les disperse en lam- beaux, les vaporise dans l’air, et bientôt la terre d’en bas, qui se trouvait privée de la douce clarté, s’illumine de nouveau sous la vi— vifiante lumière. Mais il arrive aussi que les br0uillards s’épaississent, s’accumulent en

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?104 HISTOIRE D‘UNE MONTAGNE.

nuages pressés et tourbillonnants. Les nues s’attirent, puis se repoussent; l’électricité s’a- masse dans les vapeurs grossissantes ; un orage éclate, et le monde inférieur se perd sous le tumulte de la tempête.

Une fois déchaîné, l’orage ne monte pas toujours & l’escalade des hauteurs qui le do— minent; il reste souvent dans les zones basses de l'atmosphère où il s’est formé, et le specta- teur, tranquillement assis sur le gazon sec des hauts pâturages éclairés, peut voir à ses pieds les nues ennemies s’entre—‘choquer et tout noyer avec rage. C’est un tableau magnifique et ter— rible à la fois. Une clarté livide s’échappe de ces masses bouillonnantes; des reflets cuivrés, des teintes violacées donnent à l’entassement des vapeurs l’aspect d’une immense fournaise de métal en fusion; on pourrait croire que la terre s’est ouverte, laissant échapper de son sein un océan de laves. Les éclairs qui jaillis— sent, de nue à nue, dans les profondeurs du chaos, vibrent comme des serpents de feu. Le déchirement de l’air, répercuté par les échos de la montagne, se prolonge en roulements sans fin; tous les rochers a la lois semblent en—

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LE BROUILLAKD ET L’ORÀGE. 105

voyer leur tonnerre. En même temps, on entend un bruit sourd qui monte des campa—. gnes inférieures à travers les nuages tourbillon— nants. C’est l’averse de pluie ou la chute de la grêle; c’est le f*acas des arbres qui se brisent, des rochers qui se fendent, des ava— lanches de pierres qui s’écroulent, des torrents qui se gonflent et mugissent en démolissant leurs berges; mais tous ces fracas divers se confondent en s‘élevant vers la montagne sc- reine. Là—haut, ce n’est plus qu’une plainte, un gémissement qui monte dela plaine où vivent les hommes.

Un jour que, assis sur une cime tranquille, dans le calme des cieux, je voyais un orage se tordre en fureur à. la base de la montagne, je ne pus résister à cet appel qui semblait m’ar- river du monde des humains. Je descendis pour m’engloutir dans la masse noire des va— peurs tournoyantes; je plongeai pour ainsi dire au milieu de la foudre, sous la nappe des éclairs, dans les tourbillons de pluie et de grêle. Descendant par un sentier transformé en ruis- seau, je bondissais de pierre en pierre. Exalté par la fureur des éléments, par l’éclat du ton-

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106 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

nerre, par le ruissellement des eaux, le mu- gissement des arbres seooués, je courais avec une joie frénétique. Lorsque enfin j‘arrivai dans le calme, où je trouvai du feu, du pain, des vêtements secs, toutes les douceurs de la bonne hospitalité du montagnard, je regrettai presque la puissante volupté dont je venais de jouir au dehors. Il me semblait que lei—haut, dans la pluie et le vent, j’avais fait partie de l’orage et mêlé pendant quelques heures mon individualité consciente aux éléments aveugles.

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CHAPITRE X

LES NEIGES

« Blanc, éclatant, ne1geux », telle est la si- gnification première de presque tous les noms donnés aux hautes montagnes par les peuples qui se sont succédé à leur base. En levant les yeux vers les sommets, ils aperçoivent, au- dessus des nuages, la blancheur étincelante des neiges et des glaces, et leur admiration est d’au- tant plus grande que les campagnes infé- rieures présentent un plus saisissant contraste avec les cimes blanches, par la teinte uniforme et brune de leurs terrains. C’est au plus fort de l’été, quand la poussière brûlante s’élève des chemins et que les voyageurs fatigués s‘ar- rêtent sous les ombrages, c’est alors surtout qu’on aime à porter ses regards vers les

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108 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

masses glacées, qui resplendissent aux rayons solaires comme des plaques d’argent. La nuit, un doux reflet, comme celui d’un monde lointain, révèle les hautes neiges de la mon- tagne.

Les pentes moyennes, les promontoires infé- rieurs, sont fréquemment recouverts de cou- ches neigeuses. Déjà, vers la fin de l‘été, lors— que les torrents ont emporté dans les plaines

\l'eau fondue des avalanches, que les arbres ont secoué le poids de neige qui faisait plier leurs branches, et que les petites mousses elles- mêmes, en réchauffant l’espace environnant, se sont débarrassées des flocons de neige qui les entouraient, un soudain refroidissement de l’atmosphère transforme en neige les vapeurs des montagnes. La veille, tous les contreforts des monts et les pâturages alpestres étaient complètement dégagés de frimas; on distin- guait nettement la couleur brune ou jaunâtre des roches nues, le vert des forêts et des ga- zons, le rouge des bruyères. Le matin, quand on se réveille, la blanche robe neigeuse a re— couvert jusqu’aux promontoires avancés. Tou- tefois, ce vêtement de neige, ce blanc manteau

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LES NEIGES. 100

? dont parlent les poètes, est percé, déchiré en 'n‘ille endroits. Les saillies de la montagne ,passent au travers de cette enveloppe, et les ' D‘UH'ÏCGS sombres desi‘oches, contrastant avec

. la blancheur de la neige7 accusent ainsi le

relief des escarpements avec plus de netteté.

‘ Dans les ravins profonds7 les flocons Se sont

accumulés en couches épaisses; sur les pentes rapides, ils brodent légèrement les fissures comme un mince voile de dentelle; sur les falaises abruptes, ils ne se montrent que çà et là. en mouchetures brillantes. Chaque pli de la montagne est signalé de loin sous sa véritable forme par l’éclatante coulée de neige qui l’emplit ; chaque roche saillante révèle ses protuhéranees et ses anfractuosilés par les ' couches neigeuses d’épaisseur (ll\Cl‘SC, alter— nant avec la nudité du roc. Li; Où la roche est formée de strates régulières, la neige trace de f la façon la plus nette les lignes de séparation. ‘ lille repose sur les corniches et se détache des parois d'éboulement. A travers les accidents de toute espèce, les saillies et les retraits, on voit les lignes d’assises se continuer avec une étonnante régularité sur des espaces de plu-

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110 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

sieurs lieues; on dirait des étages superposés par la main de quelque architecte géant Toutefois, ces neiges passagères d‘été, qui enveloppent la montagne comme d’un voile, et qui, loin d’en cacher les formes, les révèlent, au contraire, dans leurs plus petits détails, sont, pour ainsi dire, une coquetterie de la nature. Elles disparaissent bientôt des collines inférieures et des monts avancés; chaque jour les rayons du soleil en font remonter la limite vers les cimes; même par les belles journées, il arrive que, d'heure en heure, on peut suivre du regard les progrès de la fusion. Chacun des ravins qui découpent à mi—hauteur les flancs de la montagne présente un versant déjà dé— barrassé de neiges, celui qu’éclaire librement le soleil du midi, et un autre versant d‘une blancheur éclatante, celui qui se tourne vers l’horizon du nor—l. Puis cette pente elle-même dégage ses gazons et ses roches; il ne reste plus de la chute estivale (les neiges qu’un petit nombre (lo llaqucs graduellement rétré— cies, traces des axalanches en miniature qui ontrempli les «rr—ux des gorges. Ces flaqurs se mêlent & la terre, aux cailloux, et le ruisseau

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LE S NEIGE.'. 111:

qui passe en emporte goutte à goutte les dé- bris souillés.

Ces neiges de quelques jours sont char- mantes ii voir. On aime à en suivre du regard le décor changeant; elles ne se montrent, en effet, que pour disparaître bientôt. Pour con— templer les neiges sous leur véritable aspect et les comprendre dans leur travail comme agents de la nature, il faut les voir en hiver dans la dure saison des froids. Alors tout est recouvert de couches énormes d’eau cris—- tallisée en aiguilles et en flocons ; la montagne, ses contreforts et les collines de sa base, ne se montrent plus sous leur forme réelle. La masse épaisse qui les cache en oblit‘ere le relief et leur donne de nouveaux contours. Au lieu de saillies, de dentelures, de pointes au profil déchiqueté, le penchant du mont se déve— loppe maintenant en ondulations charmantes, en cronpes d’un dessin lmrdi, mais toujours sinueux. De même que leau, sous l‘influence de la pesanteur, équilibre son niveau pour s’étaler en surface horizontale, de même la neige, obéissant a ses lois propres, se dépose en couches aux renflemra.l.« arrondis. Le vent,

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112 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

qui l’amène en tournoyant, lui fait d’abord remplir les creux, puis adoucir tous les angles, déployer sa courbe sur toutes les saillies ; à la montagne âpre, déchirée, sauvage, a succédé une autre montagne aux contours purs et adoucis, aux courbes majestueuses. Mais, en _ dépit de la suave douceur de ses lignes, le géant n’en est pas moins formidable d’aspect. Çà et là, des escarpements, des roches perpen- diculaires sur lesquelles la neige n’a pu tenir, se dressent au-dessus des immenses pentes d’une éblouissante blancheur, et, par le con- traste, leurs parois paraissent toutes noires. On se sent saisi d’effroi à. la vue de ces mu— railles prodigieuses, tranchant sur la neige comme des falaises de charbon aux bords d’un océan polaire.

Dans cette transformation, les plaines, plus encore que les protubérances dela montagne, ont changé d’aspect. En s’al‘faissant de toutes parts, les neiges ont rempli les cuxitûs, ni- velé les creux, fait disparaître les a…—idents secondaires du terrain. Les torrents, les cas- cades, ont été recouverts; tout est glacé, tout repose sous le linceul immense. Les la«;s eux-

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LES NEIGES. 113

mêmes sont ensevelis; la glace de leur surface porte d‘énormes couches de neige, et souvent on ne sait même plus où se trouve l’emplace— ment des bassins; peut—être une fissure per- met-elle de voir au fond d’un gouffre la sur- face du lac, tranquille, noire, sans reflets; on dirait un puits, un abîme sans fond. Au-dessous des grands sommets et des cir- ques supérieurs, où la neige s’entasse en couches hautes comme les maisons, les forêts de sapins se montrent çà et là, mais à demi seulement. Sur chacune de leurs branches étalèes, les arbres portent tout le fardeau de neige qu’ils peuvent soutenir sans rompre; cnsemble,les branchages entremêlés forment comme des voûtes sur lesquelles les amas de cristaux neigeux se groupent en coupoles iné— gales ; quelques tiges rebelles seulement échappent à la prison de glace et dardent dans l’air libre leurs flèches d’un vert sombre, presque noires, et portant chacune ‘a son extré- mité un lourd paquet de neige, Quand le vent souffle au milieu de ces tiges, il en tombe avec un bruit métallique des fragments de neige glacée; un mouvement général de vibration

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114 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

agite la forêt cachée et le toit brillant 'qui la recouvre; parfois, une rupture se produit, une avalanche s’écroule a l’intérieur, un gouffre reste béant, jusqu’à ce qu’une nou— velle tourmente l’ait masqué par un pont de neige. Quel serait le sort d’un voyageur s’éga- rant pendant l'hiver dans une pareille forêt, là où il chemine & l'aise pendant l’été, sur le court gazon, à l’ombre des arbres puissants? A chaque pas, il serait exposé à tomber dans un abîme, étoufi‘é sous la neige écroulée!

En bas, dans la vallée, les maisons du vil— lage paraissent plus difficiles à discerner que les forêts et les bouquets d’arbres. Les toits, entièrement recouverts d’une couche de neige sous laquelle fléchissent les charpentes, se con- fondent avec les champs de neige environ— nants; seulement, une légère fumée bleuâtre ‘ rappelle que, sous ce linceul blanc, des hommes vivent et travaillent. Quelques murailles, un clocher, tranchent sur la monotonie du fond; d‘ailleurs, en cet endroit, la neige est plus tourmentée que loin deshabitations humaines; le vent, tournoyant autour des demeures, a dressé d’un côté les neiges en monceaux et en

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LESNEIGES. _ ' 115

barricades; del’autre côté, il les a presque en— tièrement balayées. Un certain désordre dans la nature indique le voisinage de l’homme; mais là, comme ailleurs, la paix est sans bornes; rarement un bruit trouble le silence de mort qui règne sur la vallée et sur les monts.

Pourtant, il faut quelquefois que l’homme et les autres habitants des montagnes sortent de leurs taniéres et troublent le grand repos de la nature. Seule, la marmotte, cachée dans son trou, sous l’épaisseur des neiges, peut dormir pendant les longs mois de l’hiver et

' attendre, dans un état de mort apparente, que le printemps rende la liberté aux ruisseaux, aux gazons et aux fleurs. Moins heureux, le chamois,,que la neige chasse des hautes cimes, doit rôder dans le voisinage des forêts, chercher un refuge entre les arbres pressés, en ronger les écorces et les feuillages. L’homme, de son côté, doit quitter sa demeure pour échanger quelques produits, acheter des pro— visions, remplir des engagements de famille ou d’amitié. Il faut alors déblayer les mon— ceaux de neige qui se sont accumulés devant

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116 HISTOIRE D'UNE MONTAGNE.

_|.

la porte et se frayer péniblement un sentier. D’un haut chalet bâti sur un promontoire, je vis une fois de ces petits êtres presque imper- ceptibles, de ces noires fourmis humaines, cheminer lentement dans une sorte d’ornière, entre deux murs de neige. Jamais l’homme ne m’avait paru si infime. Au milieu de la vaste étendue blanche, ces promeneurs semblaient perdus,absurdes, chimériques; je me deman— dais comment une race composée de pareils pygmées avait pu accomplir les grandes choses de l’histoire et réaliser, de progrès en progrès, ce qui s’appelle aujourd’hui la civilisation, promesse d'un état futur de bien-être et de liberté.

Pourtant, même au milieu de ces neiges formidables de l’hiver, l’homme a pu faire triompher son intelligence et son audace par ces routes commerciales qui lui permettent d’expédier librement ses marchandises et de voyager lui-même presque en tout temps. Le chamoisa cessé de parcourir les cimes, et nombre d‘oiseaux, qui volaient pendant l’été bien au-dessus des pointes, sont prudemment descendus dans les tièdes régions des plaines.

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LES NEIGES. 117

Mais l‘homme continue de parcourir les routes qui, de gorge en gorge, de contrefort en con- trefort, s'élèvent jusqu’à une brèche de la crête et redescendth sur l’autre versant. Pen— dant la belle saison, quand les torrents joyeux hondissent en cascades à côté du chemin, même les voitures traînèes par des chevaux aux grelots retentissants peuvent gravir sans peine les rampes établies à grands frais sur les escarpements. Quand les neiges ontrecou- vert la route, il faut changer les véhicules; les chars et les voitures sont remplacés par des traîneaux qui glissent légèrement sur les flocons entassés. La traversée des monts ne se fait pas moins rapidement que pendant les jours les plus chauds de l’année; a la des- cente, elle s’accomplit avec une vitesse qui donne le vertige.

C’est en voyageant ainsi en traîneau par- dessus les cols de la montagne qu’on peut apprendre a bien faire connaissance avec les grandes neiges. La charpente légère glisse sans'hruit; on ne sent plus les chocs des fer- railles sur le sol résistant, et l’on croirait voyager dans l’espace, emporté comme un es-

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118 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

prit. Tantôt on contourne la courbe d’un ravin , tantôt la saillie d’un promontoire; on passe du fond des gouffres a l’arête des précipiccs, et, dans toutes ces formes si variées qui se succèdent à la vue, la montagne garde sa blancheur unie. Le soleil éclaire-t-il la surface des neiges, on y voit briller d’innombrables diamants; le ciel est-il gris et bas, les élè- ments semblent se confondre. Lambeaux de nuages, monticules neigeux, ne se distinguent plus les uns des autres; on croirait flotter dans l’espace infini; on n’appartient plus à la terre. *

Et combien plus encore entre-t-on dans la région du rêve, lorsque, après avoir franchi le point culminant du passage, on redescend sur la pente opposée, emporté de tournants en tournants avec une effrayante rapidité! Au départ de la caravane, lorsque le dernier traî- neau s’ébranle, le premier a déjà disparu der— rière une saillie du gouffre. On le voit, puis il disparaît de nouveau; on le revoit, puis il se perd encore. On plonge dans un abîme vertigineux où s’écroulent des amas de neige gros comme des collivfls. Avalanche soi-même,

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, LES NEIGES. 119

on glisse par-dessus les avalanches, et l’on voit défiler a côté de soi, comme s’ils étaient emportés par une tempête, les cirques, les ravins, les promontoires; les sommets eux- 1nêmes, qui fuient à l’horizon, semblent en— traînés dans un tourbillon fantastique, une sorte de galop infernal. Et quand, a la fin de la course effrénée, on arrive a la base de la montagne, dans les plaines déjà dépourvues de neige ou saupoudrées a peine, quand on respire une autre atmosphère et que l’on voit une nature nouvelle sous un autre climat, on se demande si vraiment on n‘a pas été le jouet d’une hallucination, si l’on a réellement par- couru les neiges profondes, au-dessus de la région des nuées et des orages‘. ‘

Mais, pendant les jours de t0urmente, la traversée est assez périlleuse pour que le voya— geur puisse s’en souvenir, en garder nette- ment toutes les aventures dans sa mémoire. Le vent soulève incessamment des tourbillons de neige qui cachent la route et en modifient la forme, abaissant les talus et remplissant la voie déjà fiayée. Les chevaux, si habiles à poser leur pied sur un terrain solide, ont

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120 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

à traverser parfois des amas de neige molle, encore mouvante; tandis que l’un d’eux s’en- fonce jusqu’au poitrail, un autre se cabre sur un monceau de neige tassée. La tempête qui siffle autour de leurs oreilles, les cristaux nei— ‘geux qui leur entrent dans les yeux et dans les naseaux, les jurements brutaux des cochers, les irritent et menacent de les affoler. Le traî— neau cahote sur l’étroit chemin, penche tantôt ‘ vers la paroi de la montagne, tantôt vers le précipice': car le gouffreest la, on en rase le bord, on le suit au loin en perspectives im- menses, comme si, en tombant, on devait des— cendre jusque dans un autre monde. Le cocher a‘laissé le fouet, il ne tient plus qu’un, cou— teau dans les mains, prêt à Couper les rênes, si les chevaux, éperdus de frayeur ou glissant d’un talus de neige, venaient à rouler tout à coup dans le précipice..

Terrible est la situation du malheureux piéton lorsque, en traversant lentement les neiges, il est tout à coup surpris par une tour— mente. D’en bas, les gens des plaines admirent à leur aise le météore. La cime du , mont, fouettee par le vent, semble fumer comme un

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LES NEIGES. 1‘2î

cratère; les innombrables molécules glacées que soulève la tempête s’amassent en nuages qui tourbillonnent au—dessus des sommets. Les arêtes des contours, estompées par ce brouil- lard de neiges tournoyantes, paraissent moins précises; on croirait les voir flotter dans l’espace; la montagne elle-même semble va— eiller sur son énorme base. Et, dans cet im— mense tournoiement de la tempête qui siffle sur les hautes eimes, que devient le pauvre voyageur? Les aiguilles de glace, lancées contre lui comme des flèches, le frappent au visage et menacent de l’aveuglèr; elles pénètrent même a travers ses vêtements; enveloppé dans son épais manteau, il a peine a se défendre d’elles. Qu’en faisant un faux pas ou en sui— vant une fausse trace il quitte un instant le sentier, il est presque inévitablement perdu. Il marche au hasard en tombant de fondrière en fondrière ; parfois il s’enfonce a demi dans un trou de neige molle; il reste quelque temps, comme pour attendre la mort, dans la fosse qui vient de s’ouvrir sous lui; puis ii se relève en désespéré et recommence sa marche inégale a travers les nuages de cristaux que le vent

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12“! HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

lui jette à la face. Les rafales éloignent et rapprochent l’horizon tour à tour; tantôt il ne voit autour de lui que la blanche fumée des flocons qui tourbillonnent, tantôt il distingue a droite ou a gauche une cime tranquille qui se dégage de la nuée et le regarde, « sans haine et sans amour », indifférente à son dés- espoir; au. moins y voit—il comme une sorte de repère qui lui permet de reprendre la course avec un retour d’espérance. Mais en vain : aveuglé, affolé, raidi par le froid, il finit par perdre la volonté; il tourne sur place et se démène sans but. Enfin, tombé dans quelque gouffre, il regarde avec stupeur pas— ser les tourbillons de l’orage et se laisse gagner peu à peu par le sommeil, précurseur de la mort. Dans quelques mois, lorsque la neige aura été fondue par la chaleur et déblayée par les avalanches, quelque chien de pâtre retrouvera le cadavre et par ses aboiements effrayés appellera son maître.

Autrefois, les débris humains trouvés dans la montagne devaient reposer à jamais à l’en— droit où le pasteur les avait découverts. Des pierres étaient entassées sur le corps, et chaque

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LES NEIGES. 123

voyageur était tenu d’ajouter son caillou au‘ monceau grandissant. Maintenant encore, le montagnard qui passe a côté de l’un de ces tombeaux antiques ne manque jamais de ra- masser sa pierre pour en grossir le tas. Le mort est depuis longtemps oublié, peut-être même est-il resté toujours inconnu; mais, de

isièele en siècle, le passant ne cesse de lui

rendre hommage pour apaiser ses mânes.

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CHAPITRE XI

L’AVALANCHE

Au long hiver et a ses redoutables tour— mentes succède enfin le doux printemps, avec ses pluies7 ses vents tièdes, sa chaleur vivi- fiante. Tout se rajeunit; la montagne, aussi bien que la plaine, prend un aspect nouveau. Elle secoue son manteau de neiges; ses forêts, ses gazons, ses cascades et ses lacs, repa- raissent aux rayons du soleil.

Dans la vallée, l’homme s’est débarrassé le premier des amas neigeu—x qui le gênaient. Il a balayé le seuil de sa porte, réparé ses che- mins, dégagé ses toits et son ja‘rdinet, puis il attend que le soleil fasse le reste. Déjà les « soulanes », ou pentes bien exposées aux rayons du midi, commencent à se dégager du

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126 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

blanc linceul qui les recouvre; ça et la, le roc, la terre ou le gazon brûlé, reparaissent à tra— vers la couche de neige. Ces espaces noirâtres augmentent peu à peu; ils ressemblent à des groupes d’îles qui grandissent incessamment et finissent par se rejoindre; les plaques blan- ches diminuent en nombre et en étendue; elles fondent, et l’on dirait qu’elles remontent par degrés la pente de la montagne. Les arbres de la forêt, sortis de leur—engourdissement, commencent à faire leur toilette printanière; aidés par les petits oiseaux qui voltigent de branche en branche, ils seeouent le fardeau de givre et de neige qu’ils portaient et bai- _gnent librement leurs nouvelles pousses dans l’atmosphère attiédie.

Les torrents se raniment aussi. Au—dessous «(le la couche protectrice des neiges, la tempé- rature du sol ne s’est point abaissée autant qu’à la surface extérieure, balayéc par les vents froids, et, pendant les longs mois de l’hiver, de petits réservoirs d’eau, semblables à des gouttelettes dans un vase de diamant, se maintiennent ça et la sous les glaces. Au printemps, ces vasques, vers lesquelles se di-

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L’AVALANCIIE. 127

rigent tous les 'petits filets de neige fondue, ne suffisent plus a renfermer la masse liquide; les enveloppes glacées se rompent, les bassins débordent, et l’eau cherche a se creuser un chemin sous les neiges. Dans chaque ravin, dans chaque dépression du sol, se fait ce tra- vail caché, et le torrent de la vallée, alimenté par tous ces ruisselets descendus des hauteurs, reprend son cours qu’avait interrompu le froid de l‘hiver. D’abord, il passe en tunnel au-des— sous des neiges amoncelées; puis, grâce aux progrès incessants de la fusion, il élargit son lit, exhausse ses voûtes. Le moment vient où la masse qui le domine ne peut plus se soutenir en entier; elle s’écroule comme le ferait le toit d’un temple dont les piliers sont ébranlés. Des fuites s’ouvrent ainsi dans les amas neigeux qui remplissent le fond des val- lées; quand on se penche au bord de ces gouffres, on distingue au fond quelque chose de noir sur lequel un peu d’écoute brode une dentelle fugitive: c’est l‘eau du torrent; le sourd murmure des cailloux entre-froissés jaillit de l’ouverture ténèbreuse.

A ce premier effondrement des neiges en

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128 HISTOIRE D'UNE MONTAGNE.

succèdent d’autres, de plus en plus nombreux, et bientôt le torrent, redevenu libre en grande partie, n’a plus qu’à renverser les digues for- mées par les neiges les plus épaisses et les plus compactes. Quelques-uns de ces rem- parts résistent a l’action des eaux pendant des semaines et des mois. Même aux abords des cascades, des masses de neige, changées en glace et sans cesse aspergées par l’eau qui se brise, gardent obstinément leur forme; on dirait qu’elles se refusent à fondre. Souvent on voit, au devant de la cataracte mouvante du torrent, une sorte d’écran formé par une cata- racte solidifiée, celle des neigesglacées qui avaient arrêté le cours des eaux pendant l’hi— ver. _

En reformant son lit dans chaque vallée qui longe la base des monts, dans chaque ravin qui raye leurs flancs, l’eau des ruisseaux et des torrents enlève aux neiges des pentes les sou— basscments qui leur servaient de point d’ap— pui. Sous l’action de la pesanteur, des ava- lanches tendent alors ‘a se produire, et, de temps en temps,_la montagne, comme un être animé, fait tomber de ses épaules le vêtement

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L’A\Ç\LANCHE. 129

neigeux qui la recouvre. En toute saison, même au plus fort de l'hiver, des masses de neige, entraînées par leur poids, s’écroulent des sommets et des pentes; mais, tant que ces avalanches se composent seulement de la partie superficielle des neiges, elles sont un léger accident dans la vie des montagnes. Mais, parfois, c’est la masse entière de la neige qui glisse des hauteurs pour aller s’abîmer dans les vallées ; l’eau fondue, qui pénètre a travers les couches encore glacées de la sur— face, a rendu le sol glissant et préparé ainsi le chemin de l’ai*alanche. Le moment vient où tout un champ neigeux n’est plus retenu sur la pente; il cède et, par l’énorme ébran- lement qu’il communique aux neiges voisines, les fait céder aussi. Toute la masse se préci— pite à la fois sur le versant de la montagne, poussant devant elle tous les débris qui se trouvent sur son chemin, troncs d‘arbres, pierres, quartiers de roches. Entraînant avec lui les nappes d'air voisines, renversant les forêts à distance, le formidable écroulnncnt balaye d‘un coup tout un pan de la montagne sur plusieurs centaines de mètres de hauteur,

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130 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

et la vallée se trouve en partie comblée. Les torrents qui viennent se heurter contre l’ob— stacle sont obligés de se changer temporaire- ment en lacs.

De ces avalanches en masse, les monta—» gnards et les voyageurs ne parlent qu’avec terreur. Aussi, nombre de vallées, plus expo- sées que d’autres, ont—elles reçu, dans les patois locaux, des noms sinistres, tels que « Val-de-l’Epouvante » ou « Gorge-du-Trem- blement. » J’en connais une, terrible entre toutes, où les muletiers ne s‘aventurent jamais sans avoir l’oeil fixé sur les hauteurs. Surtout par ces beaux jours de printemps, lorsque l’atmosphère tiède et douce est chargée de vapeurs dissoutes, les voyageurs ont le regard soucieux et la parole brève. Ils savent que- ]Ïavalanche attend simplement un choc, un frémissement de l’air ou du sol, pour se mettre en mouvement. Aussi marchent-ils comme des larrons, a pa discrets et rapid s; parfois même, ils enveloppent de paille les grelots de leurs mulets, afin que le tintement du métal

' n’aille pas irriter lai-haut le mauvais génie qui les menace. Enfin, quand ils ont passé l’issue

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L’AVALANCHE. 1311

des ravins redoutables où les couloirs de la. montagne dégagent de plusieurs côtés a la fois leurs avalanches de neiges et de ruines, ils peuvent respirer a leur aise et songer sans. anxiété personnelle à leurs devanciers moins heureux, dont la veille ils s’étaient raconté les terribles histoires. Souvent, tandis que les voyageurs continuent tranquillement leur des— cente vers la plaine, un bruit de tonnerre, un long fracas qui se répercute de roche en roche, les force à se retourner soudain : c’est. l’écroulement des neiges qui vient de se pro- duire et de combler tout le fond de la gorge où ils passaient quelques minutes aupara— vant.

Heureusement, la disposition et la forme- des pentes permet aux montagnards de recon- naître les endroits dangereux. Ils ne construi- sent d0nc point leurs cabanes {tu—dessous des versants où se forment les avalanches, et, dans le tracé de leurs sentiers, ils prennent. soin de choisir des passages abrités. Mais tout change dans la nature, et telle maisonnette, tel sentier,qni n’avaient jadis rien a craindre, finissent par se trouver‘exposés au danger;

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132 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

l’angle d’un promontoire a,peut—être disparu, la direction du couloir d’avalanche s‘est peut— être modifiée, une lisière protectrice de forêt a cédé sous la pression des neiges, et, par suite, toutes les prévisions du montagnard se _ tr0uvent déçues.

Par les mille colonnes xpressées de leurs troncs, les bois sont l’une des meilleures bar- rières contre la marche des avalanches, et nombre de villages n’ont pas d’autre moyen de défense contre les neiges. Aussi de quel'res—__ pect, de quelle vénération presque religieuse regardent—ils leur bois sacré! L’étranger qui se promène dans leurs montagnes admire cette forêt à cause de la beauté de ses arbres, du contraste de sa verdure avec les neiges blan— ches; mais eux, ils lui doivent la vie et le repos; c’est grâce à elle qu’ils peuvent s’en- dormir tranquillement le soir“ sans craindre d’être engloutis pendant la nuit! Pleins de

' gratitude envers la forêt protectrice, ils l‘ont divinisée. "Malheur à qui touche de la cognée l’un de ses troncs sauveurs! « Qui tue l'arbre

' sacré tue le montagnard, _>3 dit un de leurs

proverbes. ‘

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L’AVALANCHE. ‘ 133

Et pourtant, il s’est trouvé de ces meur- triers7 et en grand nombre. De même que, de nos jours encore, des soldats soi-disant « civi— lisés » forcent à la soumission les habitants d’une oasis en abattant les palmiers qui sont la vie de la tribu, de même il est arrivé sou- vent que, pour réduire des montagnards, les envahisseurs ‘a la solde de quelque seigneur, ou même les pâtres d’une autre vallée, iont coupé les arbres qui servaient aux villages de sauvegarde contre la destruction. Telles étaient, telles sont encore les pratiques de la guerre. Non moins féroce est l’avide spécula— tion. Lorsque, en vertu de quelque achat ou par les hasards de l’héritage ou de la conquête, un homme d’argent est devenu le prOprié-

taire d’un bois sacré, malheur à ceux dont le

sort dépend de sa bienveillance ou de son caprice! Bientôt les bûcherons sont à l’œuvre dans la forêt, les troncs sont abattus, préci— pités dans la vallée, débités en planches et payés en beaux écus sonnants. Un large che- min se trouve ainsi frayé aux avalanches. Privés de leur rempart, peut-être les habitants du village menacé persistent à v rester par 8

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134Ï _ HISTOIRE D’UNEpMONTAGNE.

amour du foyer natal; nË1s, tôt ou tard, le péril devient imminent, il faut emigrer en toute hâte, emporter les objets précieux et laisser la maison en proie aux neiges suspendues.

Dans chaque village des monts, on se ra— conte aux veillées la terrible chronique des avalanches, et les enfants écoutent en se blot— tissant contre les genoux des mères. Ce que le feu grisou est pour le mineur, l’avalanche l’est pourle montagnard. Elle menace son cha— let, ses granges, ses bestiaux; elle peut l’en- gloutir lui-même. Que de parents, que d’amis il a connus, qui dorment maintenant sous les neiges! Le soir, quand il passe a côté de l’en- droit où la masse énorme les a engoufi'rés, il lui semble que la montagne d’ où s’est détachée l’çivalanche le regal—deb méchamment, et il double le pas pour s’éloigner du lieu sinistre. Quelquefois aussi, les débris de l’écroulement lui rappellent la délivrance inespérée d’un camarade. Là, pendant une nuit de printemps, s’abattit un talus de neige plus haut que les grands Sapins et que la tour du village. Un groupe de chalets et de granges Vse trouvait sous la formidable masse. Sans doute, pen-

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L’AVALANUIIE. 135

saient les montagnards accourus des hameaux voisins, sans doute toutes les charpentes ont été démolies et les habitants sont restés écrasés sous les débris! Néanmoins, ils se mettent courageusement à l’ouvrage pour déblayer l’énorme monceau. Ils travaillent pendant quatre nuits et quatre jours, et, quand leurs pioehes atteignent enfin le toit du premier chalet, ils entendent des chants qui s’entre- 1‘épondent. Ce sont les voix des amis que l’on avait crus perdus. Leurs demeures avaient ré— sisté a la violence du choc, et l’air qu’elles contenaient avait heureusement suffi. Pendant leur emprisonnement, ils avaient passé leur temps à établir des communications de maison à maison et à creuser un tunnel de sortie; ils ehantaient en même temps pour s’eneourager au travail. '

Les forêts protectrices ont—elles disparu, il est bien difficile de les remplacer. Les arbres poussent lentement, surtout sur les montagnes; dans les couloirs d’avalanche, ils ne poussent pas du tout. Il est vrai qu’à force de travaux on pourrait fixer les neiges sur les hautes pentes et prévenir ainsi le désastre de leur

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136 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

effondrement dans les vallées; on pourrait tailler la pente en gradins horizontaux où les couches de neige seraient forcées de séjourner comme sur les marches d’un gigantesque es- calier; on pourrait aussi remplacer les troncs d’arbres par des rangées de pieux en fer et par des palissades qui ernpêcheraient le glis— sement des masses supérieures. Déjà ces tenta— tives ont été faites avec succès, mais seule— ment en des vallées qu’habitent des populations riches et nombreuses. De pauvres villageois, à moins qu’ils ne soient aidés par la société tout entière, ne sauraient songer à sculpter, pour ainsi dire à nouveau, le relief de la mon— tagne, et les avalanches continuent de descen- dre sur leurs prairies par les couloirs accou— tumés. Ils doivent se homer à protéger leurs maisonnettes par d’énormes éperons de pierre qui rompent la force des neiges écroulées et les divisent en deux courants, quand ces neiges ne descendent pas en masses assez puissantes pour tout démolir d’un choc.

De tous les destructeurs de la montagne, l’avalanche est le plus énergique. Terres et fragments rocheux, elle entraîne tout comme

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L’AVALANCIIE. 131

le ferait un torrent débordé; bien plus, par la fusion graduelle des neiges qui en for— maient la couche inférieure, elle délaye tel— lement le sol que celui—ci se change en une boue molle, lézardée de profondes crevasses et s‘affaissant sous son propre poids. Jusqu’à de grandes profondeurs, la terre est devenue fluide; elle coule le long des pentes, entraînant avec elle les sentiers, les quartiers de roc épars et jusqu’aux forêts et aux maisons. Des pans entiers de montagne, détrempés par les neiges, ont ainsi glissé en bloc avec leurs champs, leurs pâturages, leurs bois et leurs habitants. Par leur entassement et la lente pénétration de leur eau de fusion dans le sol, les flocons de neige suffisent donc à démolir peu à peu les montagnes. Au printemps, cha— queravin montre clairement ce travail de destruction; àla fois cascades, èboulis, ava— lancbes, les neiges, les roches et les eaux con— fond ues descendent des sommets et s’aohemi- nent vers la plaine.

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CHAPITRE XII

LE GLAC1ER

Même au milieu de l’été, lorsque toutes les neiges se sont fondues au souffle des vents chauds, d’énormes amas de glace, renfermés dans les hautes vallées, font encore un hiver local rendu plus bizarre par le contraste. Quand le soleil brille de tout son éclat, la. chaleur directe et celle que renvoient les glaces se font sentir lourdement au voyageur; il fait même en apparence plus chaud que dans les vallées, à cause de la sécheresse de l’air, incessamment privé de son humidité par l’avide surface du glacier. Dans le voisinage, on entend chanter les oiseaux sous le feuil— lage; des fleurs émaillent le gazon, des fruits mûrissent sous les feuilles de myrtille. Et

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140 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

\ A

pourtant, a coté de ce monde joyeux, voici le morue glacier, avec ses crevasses béautes, ses amas de pierres, son terrible silence, son apparente immobilité. C’est la mort a côté de la vie.

Néanmoins, la grande masse glacée a aussi son mouvement; avec lenteur, mais avec une ' force invincible,elle travaille, comme le vent, les neiges, les pluies, les eaux courantes, à renouveler la surface de la planète; partout où les glaciers ont passé pendant un des âges de la terre, l’aspect du pays est trans- formé par leur action. Comme les avalan- ches, ils emportent dans les plaines les déblais des montagnes croulantes, sans vio— lence, par un patient effort de tous les in- slants.

L’œuvre du glacier, si difficile à saisir dans sa marche secrète, quoique si vaste dans ses résultats, commence dès le sommet de la mon- tagne, a la surface des couches neigeuses. Là— haut, dans les cirques où se sont.amassés en tourbillons les nuages d’aiguilles blanches fouettées de la tempête, l‘uniforme étendue des nèvés ne change point d’aspect. D‘année'

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LE GLACIER. 141

en année et de siècle en siècle, c'est toujours la même blancheur, mate à l'ombre des nuages, éblouissante sous les rayons du soleil. Il semble que la neige y soit éternelle, et c’est mêuî ainsi que la désignent les habitants des plaines qui, d’en bas, la voient briller a côté du ciel. Ils croient qu’elle reste a jamais sur les hautes Cimes et que, si le vent la soulève dans ses tourmentcs, il la laisse toujours retomber a la même place.

Il n’en est rien. Une partie de la neige s’é— vapore et retourne aux nuages d’où elle est descendue. Une autre partie du névé, exposée aux rayons du soleil ou à l’influence d’un vent chaud du midi, se parsème de gouttelettes fon- dues qui glissent a la. surface ou pénètrent dans les couches jusqu’à ce que, saisies de nouveau par le froid, elles se congèlent en d’imperceptibles gemmes. Ainsi, par des mil- lions de molécules qui fondent, puis se rcgè- lent pour se refondre encore et redevenir soli- des, la masse du névé se transforme insen— siblement; en même temps, elle se déplace, grâce à la pesanteur qui entraîne de quelques millimètres les gouttes fondues, et peu a peu,

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1442 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

les neiges tombées jadis sur le sommet de la montagne se trouvent en avoir descendu les pentes. D’autres neiges ont pris leur place et s'écouleront aussi par une série de fusions, sans que pourtant elles aient à subir le moin- dre changement apparent. Il est vrai qu’elles ont devant elles l’infini des âges; c’est avec lenteur qu’elles se hâtent vers la mer, où elles doivent aller s’engloutir un jour. Lorsque déjà deux générations d’hommes se sont succédé dans les plaines inférieures, tel floeon de neige tombé sur une haute cime n’est pas encore sorti de la masse du névè.

Mais, si lent qu’il soit, ce flocon changé en cristal n’en avance pas moins. La masse de névé, devenue plus homogène et déjà transfor— mée en glace, s’engage dans la gorge de la montagne où l’entraîne son poids. Toujours immobile en apparence, l’amas de glace est maintenant devenu un véritable fleuve coulant dans un lit de rochers. A droite et à gauche, sur les pentes, la neige d’hiver est complè- tement fondue, et des herbes fleuries l’ont remplacée. Tout un monde d’insectes vit et bourdonne dans les gazons des pâturages; l’air

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LE GI.A(EXER. 143

est doux, et l’homme conduit ses troupeaux sur des escarpements herbeux d’où le regard descend au loin sur le courant glacé. Et celui— ci, d’un incessant effort, continue toujours son voyage vers la plaine; il s’épancherait jusque dans les campagnes unies de la base des monts, il atteindrait la mer elle-même, si la douce température des vallées infé- rieures, la tièdeur des vents, les rayons du soleil, ne parvenaient à fondre ses glaces avancées.

Dans son cours, le fleuve solide se comporte comme le ferait une vraie rivière d’eau vive. Il a aussi ses méandres et ses remous, ses maigres et ses crues, ses « dormants », ses rapides et ses cataractes. Couune l’eau qui s’étale ou se rétrécit suivant la terme de son lit, la glace s’adapte aux dimensions du ravin qui l’enferme; elle sait se meuler exactement sur la roche, aussi bien dans l\ vaste bassin où les parois s’écartcnt de p… a et d‘autre, que dans le défilé où le passage ::…- l':,=rmc presque entièrement. Poussé par les ;: .:.—es dont l’ali- mentc incessamment le n(…- …per1eur, le glacier continue toujours de glisser sur le

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'l—'ih HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

fond; que la pente en soit presque insensi- ble ou bien qu’il forme une succession de précipices.

Toutefois, la glace, n’ayant pas la souplesse, la fluidité de l’eau, accomplit avec une sorte de gaucherie barbare tous les mouvements que lui impose lalnature du sol. A ses cataractes, elle ne sait point plonger en une nappe unie comme le courant d'eau; mais, suivant les ' inégalités du fond et la cohésion des cristaux de glace, elle se brise, se fendille, se découpe en blocs qui s'inclinent diversement, s'écrou— lent les uns sur les autres, se ressoudent en obéiisques bizarres, en tourelles, en groupes fantastiques. Même,làbù le fond de l‘immense rainure est assez régulièrement incliné, la sur- face du glacier ne ressemble point à la nappe égaledes eaux d’un fleuve. Le frottmimnt de la glace contre ses bords ne la ride pas de vague— 1ettes semblables à celles de l’onde sur le ri- vage, mais il la brise et la rebrise en crc- vasscs qui s’entre—croisent en un dédale de geull'res.

En hi\er, et même lorsque le printemps & déjà; renouvdé la parure des campagnes infé—

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LE GLACIER. 145

rieures, un grand nombre de crevasses sont masquées par d’épaisses masses de neige qui s’étendent en couches continues à la surface du glacier; alors, si la neige grenue n’a pas' été antollie par la chaleur du soleil, il est facile de cheminer par-dessus la gueule de ces - abîmes cachés; le voyageur peut les ignorer comme il ignore les grottes ouvertes dans l’è- paisseur des montagnes. Mais le retour annuel de la saison d’été fond peu à peu les neiges superficielles Le glacier, qui marche sans cesse et dont la masse fendillée vibre d’un con- tinuel frisson, secoue le manteau neigeux qui le recouvre; çà et la les voûtes s'effondrent et par gros fragments s‘abîment dans les pro- fondeurs des crevassrs; souvent il n’en reste que des ponts étroits sur lesquels on ne s’a—

enture qu’après avoir éprouvé du pied la so— lidité de la neige.

C’est alors que maint glacier devient dan- gereux à traverser, a cause de la largeur de ses fentes qui se ramifient à l’infini. Des bords du gouffre, on voit parfois, dans l’intérieur, des couches superposé. s de glace bleuûtre qui

furent jadis des neiges et que séparent des 9

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146 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

bandes noirâtres, restes de débris tombés sur le névé; d’autres fois, la glace, claire et home- gène dans toute sa masse, semble n’être qu’un 'seul cristal.

Quelle est la profondeur du puits? On ne sait. Une saillie de la glace et les ténèbres em— pêchent le regard de descendre jusqu’aux ro— ches du f0nd; seulement, on entend quelque— fois des bruits mystérieux qui s’élèvent de l’abîme : c’est de l’eau qui ruisselle, une pierre qui se détache, un morceau de glace qui se fen- dille et s’écroule.

Des explorateurs sont descendus dans ces gouffres pour en mesurer l’épaisseur et pour étudier la température et la composition des glaces profondes. Quelquefois ils ont pu le faire sans trop de danger, en pénétrant laté— ralement dans les fentes par les saillies des rochers qui servent de berge aux fleuves de glace. Souvent aussi, _il leur a fallu se faire descendre au moyen de cordes, comme le mi- neur qui pénètre au sein de la terre. Mais, pour un savantqui, tout en prenant les précautions nécessaires, explore ainsi les puits«cles gla- ciers, combien de malheureux pâtres s’y sont

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LE GLACIER. 1

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engouffrés ety ont trouvé la mort! On connaît pourtant des montagnards qui, tombés au fond de ces crevasses, meurtris, saignants, perdus dans les ténèbres, ont gardé leur courage et la résolution de revoir le jour. Il en est un qui suivit le cours d’un ruisseau sous-glaciaire et fit ainsi un véritable voyage au-dessous de l’énorme voûte aux glaçons croulants. Après une pareille excursion, il ne reste plus à l’homme qu’il descendre dans le gouffre d’un cratère pour explorer le réservoir souterrain des laves!

Certes il faut louer grandement le savant courageux qui descend dans les profondeurs du glacier pour en étudier les stries, les bulles d’air, les cristaux : mais que de choses nous pouvons déjà contempler a la surface, que de charmants détails il nous est permis de sur- prendre, que de lois se révèlent à nos yeux, si nous savons regarder!

En effet, dans ce chaos apparent, tout se régit par des lois. Pourquoi, visit—vis de tel point de la berge, une fente se produit—elle

toujours dans la masse glacée? Pourquoi, a une certaine distance au-dessous, la crevasse,

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1118 HISTOIRE D'UNE MONTAGNE.

qui s’est graduellement élargie, rapproche—t- elle de nouveau ses bords et le glacier se ressoude-t-il? Pourquoi la surface se bombe-t- elle régulièrement sur un point‘poi1r se cre- vasser ailleurs? En voyant tous ces phénomènes qui reproduisent grossièrement les rides, les vaguelettes, les remous ou les nappes unies de l’eau des fleuves, on comprend mieux l’unité qui, sous l’infinie diversité des aspects. pré— side & toutes les choses de la nature;

Quand on s’est fait l’intime du glacier par de longues explorations et que l’on sait se rendre compte de tous les petits changements qui s'accomplissent à sa surface, c’est une joie, un délice de le parcourir par un beau jour d’été. La chaleur du soleil lui a rendu le mouvement et la voix. Des veinules d’eau, presque imperceptibles d’abord, se forment çà et 151, puis s’unissent en ruisselets scintillants qui serpentent au fond de lits fluviaux en mi— niature qu’ils viennent de se creuser eux-mê— mes, et disparaissent tout a coup dans une fente de la glace en faisant entendre une petite plainte a la voix argentine. Ils se gonflent ou s’abaissent, suivant toutes les oscillations de

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LE GLACIER. 1ä9

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la température. Qu’un nuage passe sur le so— ' leil, refroidisse l’atmosphère, ils ne coulent pIUs qu’à grand’peine; que la chaleur devienne plus forte, les ruisseaux superficiels prennent des allures de torrents; ils entraînent avec eux des sables et des cailloux pour les déposer en alluvions, en former des berges et des îles; puis, vers le soir, ils se calmeront, et bientôt le froid de la nuit les congélera de nouveau. Sous les rayons de chaleurqui animent temporairement le champ du glacier par la fusion de la couche superficielle, le petit monde des cailloux tombés des parois voisines s’agite aussi. Un talus de gravier, situé au bord d’un filet d’eau murmurant, s’effondre par des écroulements partiels et plonge dans les crevasses. Ailleurs, des pierrailles noires sont éparses sur le glacier; elles absorbent, concentrent la chaleur et, trouant la glace au— dessous d’elles, la criblent de petits trous cy- lindriques. Plus loin, au contraire, de vastes amas de débris et de grosses pierres empê- chent la chaleur du soleil de pénétrer au-des- sous; tout autour, la glace se fond et s‘éva- pore; ces pierres arrivent ainsi à former des

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150 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

piliers qui semblent grandir, jaillir du sol comme des colonnes de marbre; mais chacune d’elles, trop faible àla fin, se rompt sous le poids, et tous les fragments qu’elle portait s’écroulent avec fracas, pour recommencer le lendemain une évolution semblable. Combien plus charmants encore sont tous ces petits dra— mes de la nature inanimée, quand animaux ou plantes viennent s'y mêler! Attiré par la tièdeur de l’air, le papillon arrive en voletant, tandis que la plante, tombée avec les éboulis du haut des rochers voisins, utilise son court répit de vie pour‘reprendre racine et déployer au soleil sa dernière corolle. Sur les côtes po- laires, des navigateurs ont vu tout un tapis de végétation recouvrir une haute falaise, de terre par le sommet, de glace par la base:

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CHAPITRE XIII

LA MORAINE ET LE TORRENT

Tous ces petits phénomènes qui s’accom— plissent chaque jour semblent peu de chose dans l’histoire de la terre. Qu’est-ce, en eli‘et, que le travaildu glacier pendant un jour d’été? Sa masse, avançant d’un incessant effort, a progressé de quelques centimètres a peine; deux ou trois rochers se sont détachés des pa— rois pour tomber sur le champ mouvant des glaces; le ruisseau qui emporte les eaux de fusion s’est étalé plus iargement, et dans son lit, les cailloux, plus nombreux, se sont en- tre-choqués avec plus (le fracas. Autrement, tout a gardé l’apparence accoutumée. Nulle part, semblet-il, la nature n’est plus lente dans son œuvre de renouvellement perpétuel.

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1.52“ HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

Et pourtant, ces petites transformations de chaque jour, de chaque minute, finissent par amener d’immenses changements dans l’aspect de la terre, de véritables révolutions géolo— giques. Ces cailloux, ces fragments de roches qui tombent des escarpements supérieurs sur le lit de glace, s’entassent peu a peu à la base des parois en d’énormes remparts de pierres; ils cheminent lentement avec la masse glacée qui les porte ; mais d’autres débris, éboulés des mêmes couloirs de la montagne, les remplacent à l’endroit qu’ils ont quitté. Ainsi de longs convois de roches, entassées en désordre, ac- compagnent le glacier dans sa marche; au fleuve de glace s’ajoutent des fleuves de pierres descendant de chaque promontoire en ruines, de chaque cirque _raviné par les avalanches.

Arrivé à l’issue des hautes gorges dans une zone de température plus douce, le glacier ne peut plus se maintenir à l’état cristallin; il se fond en eau et laisse tomber son fardeau de pierres. Tous ces débris s’écroulent en un im— mense chaos formant barrage dans la vallée; à l’extrémité de maint glacier, ce sont de ”véritables montagnes de pierres croulantes aux

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LA MOHAINE ET LE TORRENT. 153

talus mal affermis. Qu’après une longue série d’années neigeuses, la masse du glacier se gon— fle et s’allonge, il faut qu’elle reprenne ses montagnes de pierres et qu’elle les pousse un peu plus loin dans la vallée. Lorsque, plus tard, sous l’influence d'une température plus douce, d’hivers moins abondants en neiges, le glacier se fondra dans toute sa partie inférieure en laissant à vide la cuvette de rochers qui lui servait de lit, la « moraine » de blocs, délivrée de la pression qui la poussait en avant, restera isolée ;; une certaine distance du glacier; der- rière elle se montrera la pierre nue, polie, rabotée par le poids énorme qui s’y mouvait naguère, et recouverte çà. et la de la boue rougeâtre produite par l’écrasement des cail— loux et des graviers entraînés. Une autre mo- raine de débris _entassés se formera peu a peu devant le talus du glacier.

El] bien ! a des distances énormes en avant de la vallée, a des lieues et même a des dizaines de lieues, on remarque des traces indiscu— tables de l’ancienne action des glaces. Des plaines entières, jadis remplies d'eau, ont été graduellement comblées par les boues et les

9.

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154 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

cailloux que le glacier poussait devant lui; les saillies des montagnes et des collines qui . se trouvaient sur le chemin du fleuve solide ont été érodées et polies; enfin, des roches éparses et des moraines ont été déposées au loin, jusque sur les pentes de montagnes ap— partenant à d’autres massifs. On reconnaît facilement l’origine de ces pierres à leur com- position chimique, à l’arrangement de leurs cristaux ou a leurs fossiles; souvent même les caractères distinctifs ont une telle préci— sion que l’on peut signaler, sur la montagne elle—même, le cirque élevé d’où s’est détaché le bloc errant. Combien d’années ou de siècles a duré le voyage ?Bien longtemps sans doute, si l’on en juge par les grosses roches que trans- portent les glaciers actuels, et dont la marche a été mesurée. Parmi ces blocs voyageurs, il en est que des savants ont rendus célèbres par leurs observations et que l’on aime à revoir comme des amis.

Ces pierres échouées dans les plaines, ces amas de boue transportés au loin, toutes ces traces laissées par le séjour des anciens gla- ciers, nous permettent d’imaginer quelles ont

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l.A MORAINE ET LE TORRENT. 155

été les grandes alternatives du climat et les immenses modifications du relief et de l’aspect terrestres pendant les âges successifs de la pla— nète. Dans le passé que nous révèlent ces débris, nous voyons notre montagne et ses voi— sines se dresser bien au—dessus de leurs som— mets actuels; les pointes suprêmes dépassaient les nuages les plus élevés, et toutes les va- peurs qui voyageaient dans l’espace venaient se déposer en neiges ou en cristaux glacés sur les pentes de l’énorme massif; les cirques de pâturages, les vallons verdoyants, les versants aujourd’hui boisés, étaient recouverts par l’u- niforme couche des glaces; dans la Vallée, cascades et lacs, ruisseaux et prairies, rien ne paraissait encore; l’immense fleuve glacé, non moins épais que le sont maintenant les assises des monts, emplissait toutes les dépressions, puis, à son issue des gorges, allait s’étaler au loin dans les plaines par-dessus collines et val- lons. Telle était, du temps de nos aïeux, l’image que leur présentait le mont chargé de-glaces; pour les arrière-petits—fils de nos fils, dans le lointain indéfini des siècles, le tableau sera changé. Peut-être le glacier, alors complète—

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156 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

ment fondu, sera-t-il» remplacé par un faible ruisseau; la montagne elle-même aura cessé d’exister; un léger exhausseinent du sol en marquera la place, et la plaine actuelle, toute bouleversée par les changements de niveau, aura donné le jour à des hauteurs qui croîtront graduellement dans le ciel !

Et tandis que nous pensons à l’histoire de la montagne et de son glacier, à ce qu’ils furent et a ce qu’ils deviendront un jour, voilà le petit torrent qui sort en gazouillant des glaces et qui va de par le monde travailler à l’œuvre du renouvellement continuel de la terre! L’eau, rendue blanchâtre ou laiteùse par les innombrables molécules de roche tri- turée qu’elle porte en suspension, n’est autre chose que le glacier lui-même transformé sou- dain à l’état liquide. Et quel contraste, pour— tant, entre la masse solide avec ses crevasses, ses grottes, ses entassements de pierres, ses pentes boueuses, et l’eau qui jaillit gaiement à la lumière et serpente en babillant parmi les fleurs! C’est un des spectacles les plus curieux de la montagne, que cette brusque apparition du ruisseau qui, pendant tout son cours supé-

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LA MORAINE ET LE TORRENT. 157

rieur, a cheminé dans l‘ombre en se gonflant des millions de gouttelettes tombées des fentes dela voûte. La caverne d‘où s’échappe le cou— rant change de forme tous les jours, suivant les écroulements et la fonte des glaces; d’or-

dinaire, pourtant, il est facile de pénétrer a

une certaine distance dans la grotte et d’en admirer les pendentifs, les parois translu— cides, la lumière bleuâtre, les reflets chan— geants. L’étrangeté du spectacle, le vague, l’appréhension dont le cœur est saisi, font que l’on se croirait transporté dans un lieu sacré. « Trois fois et mille fois bénie » se croient les pèlerins hindous qui, après avoir remonté le Gange jusqu’à sa source, osent encore péné- trer sous la voûte ténèbreuse d’où s’élance la sainte rivière!

C’est avec une grande régularité, dépen- dante de celle des saisons, que les torrents glaciaires apportent dans les plaines l’eau fécondante et les boues alluviales, provenant de cette énorme officine de trituration qui fonctionne incessamment sous le glacier. Pen— dant la saison froide de nos zones tempérées, quand les pluies tombent le plus iréquem—

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158 HISTOIRE D‘UNE MONTAGNE.

ment dans les campagnes, et qu’au lieu de s’évaporer elles trouvent leur chemin vers les rivières, alors le glacier se gèle plus étroi- tement, il adhère partout à la voûte qui lui sert de lit, et ne laisse plus sortir qu’un faible courant; quelquefois même il tarit en entier; - pas une goutte d’eau ne descend de la mon— tagne. Mais, à mesure que la chaleur revient et que la végétation joyeuse demande pour ses feuilles et ses fleurs une plus grande quantité d’eau, à mesure que l’évaporation devient plus active et que le niveau des rivières tend à s’abaisser, les torrents des glaciers se' gon- flent , ils se changent temporairement en fleuves et fournissent l’humidité nécessaire aux champs altérés. Il s’établit ainsi une compensation des plus utiles pour la prospé— rité des contrées qu’arrosent des cours d’eau partiellement alimentés par les glaciers. Quand les affluents, gonflés par la pluie, coulent en surabondance, les torrents de la montagne n’apportent qu’un mince flot liquide; ils dé- bordent, au contraire, quand les autres riviè— res sont presque à sec; grâce a ce phénomène de balancement, une certaine égalité se main-—

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LA MORAINE ET LE TORRENT. 159

tient dans le fleuve où viennent s’unir les divers cours d’eau. Dans l’économie générale de la terre, le

‘ glaœer, immobile en apparence, tou30urs s1

lent et calme dans sa force, est un grand élé— ment de régularisation. Rarement il intro- duit quelque désordre imprévu dans la na— ture. C’est la ce qui peut arriver, par exemple, lorsqu’un glacier latéral, poussant un large rempart de débris ou s’avançant lui-même au travers d’un ruisseau sorti du glacier pri- maire, en accumule les eaux et forme ainsi un lac sans cesse grandissant. Pendant longtemps, la digue résiste a la pression de la masse liquide, mais, a la suite d’une fonte considé- rable des neiges, d’un recul du glacier de barrage ou de déblais lentement opérés par les eaux, il se peut que la barrière de glaces et de blocs amoncelés cède tout à coup. Alors le lac s’effondre en une terrible avalanche; l’eau, mêlée aux pierres, aux blocs de glace et a tous les débris arrachés a ses rives, se pré- cipite avec rage dans la vallée inférieure; elle enlève les ponts, détruit les moulins, rase les maisons de ses rivages, entraîne les arbres

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160 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

des pentes basses, et, déchaussant les prairies elles-mêmes, comme le ferait un immense soc de charrue, les roule devant elle et les mêle au chaos de son déluge. Pour les vallées que par— court l’inondation, le désastre est immense, et le récit s’en transmet de génération en génération.

Mais ce sont la des événements bien rares et qui deviennent même impossibles pour l’avenir dans les pays civilisés, parce que les populations menacées ont soin de prévenir le danger en creusant des souterrains de dégage- ment -aux réservoirs lacustres qui se forment derrière une digue mouvante de glaces ou de pierres. Ainsi réprimé dans ses écarts, le gla- cier reste le bienfaiteur des régions situées sur le cours de ses eaux. C’est lui qui les arrose dans la saison où elles auraient le plus à craindre les e_fîets de la sécheresse, lui qui les renouvelle par des apports de terre végétale toute fraîche encore et avec tous ses éléments de nutrition chimique. Le glacier est en réa- lité un lac, une mer d’eau douce d’une con— tenance de milliards de mètres cubes; mais ce lac, suspendu aux flancs des monts, s’épan-

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LA MOBAINE ET LE TORRENT. 161

che lentement et comme avec mesure. Il ren- ferme assez d’eau pour inonder toutes les campagnes inférieures, mais il répartit dis— crètement ses trésors. Cette masse glacée, pré- sentant l’aspect de la mort, contribue ainsi d’autant mieux à la vie et à la fécondité de la terre.

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ww…

CHAPITRE XIV

LES FORÊTS ET LES FATURAGES

Par ses neiges et ses glaces fondantcs, qui servent à gonfler les torrents et les fleuves pendant l’été, la montagne entretient la végé- tation jusqu’à d’énormes distances de sa base, mais elle garde assez d’humidité pour nourrir sa propre flore de forêts, de gazons et de mousse, bien supérieure, par le nombre de ses espèces, àla flore d’une même étendue des plaines. D’en bas, le regard ne peut ob— server les détails du tableau que présente la verdure de la. montagne, mais il en embrasse le magnifique ensemble et jouit des mille contrastes que la hauteur, les accidents du sol, l’inclinaison des pentes, l’abondance de l’eau, le voisinage des neiges et toutes les

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164 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

autres conditions physiques produisent dans la végétation.

Au printemps, quand tout renaît dans la nature, c’est une joie de voir le vert des her— bes et du feuillage reprendre le dessus sur la blancheur des neiges. Les tiges du gazon, qui peuvent respirer de nouveau et revoir la lu- mière7 perdent leur teinte rousse et leur as— pect calciné; elles deviennent d’abord d’un jaune blanchâtre, puis d’un beau vert. Des fleurs en multitudes diaprent les prairies : ici, ce ne sont que des renoncules, ailleurs que des anémones ou des primevères jàillissant en bouquets; plus loin, la verdure disparaît sous le blanc neigeux du gracieux narcisse des poètes ou sous le lilas du crocus, dont l‘être tout entier n’est que fleur, de la racine au bord de la corolle; près des cours d’eau, la parnassie ouvre sa fleur délicate; çà et la les petites fleurs blanches ou azurées, roses ou jaunes, se pressent en si grandes foules, qu’elles donnent leur couleur à toute la pente herbeuse et que, des versants opposés, on peut déja reconnaître l’espèce de plante qui domine dans la prairie, à mesure que la neige recule

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LES FORETS ET LES PATUIKAGES. 165

vers les hauteurs devant le tapis de verdure fieurissante. Bientôt aussi les arbres se met- tent de la fête. En bas, sur les premières pentes, ce sont les.arhres fruitiers qui7 peu de semaines après s’être débarrassés de la neige de l’hiver, se recouvrent d’une autre neige, celle de leurs fleurs. Plus haut, les châtaigniers, les hêtres, les arbustes divers, se couvrent de leurs feuilles d’un vert tendre ; du jour au lendemain, on dirait que la mon—-

tagne s’est revêtue d’un tissu merveilleux où

le velours s’est mêlé à la soie. Peu à pe11,_cette jeune verdure des forêts et des broussailles s’avance vers le sommet; elle monte comme & l‘escalade dans les rallons et les ravins pour conquérir les escarpements suprêmes entre les glaciers. Lei-haut, tout prend un aspect inat— tendu de joie. Même les sombres rochers, qui semblaient noirs par leur contraste avec les neiges, ornent leurs anfractuosités de petites touffes de verdure. Eux aussi prennent part a la gaieté du printemps.

Moins somptueux par l‘exubérance de leur verdure et la multitude prodigieuse-de leurs fleurs, les hauts pâturages sont pourtant plus

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166 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

'aimables que les prairies d’en bas; leurs pe— louses sont d’une gaieté plus douce et plus intime. On s’y promène sans effort sur l’herbe courte et l’on y fait plus aisément connais- sance avec les fleurs qui jaillissent par myria- des des touffes de verdure. La? du reste, l’éclat des corolles est incomparable. Le soleil y darde des rayons plus brûlants, d’une action chimique plus puissante et plus rapide; il élabore dans la sève des substances colorantes d’une beauté plus parfaite. Armés de leurs loupes7 le botaniste? le physicien, constatent dûment le phénomène; mais, sans leurs in— struments, le simple promeneur reconnaît bien à l’oeil nu que le bleu de nulle fleur de la plaine n’égale l’azur profond de la petite gen- tiene. Pressées de vivre et de jouir, les plan- tes se font plus belles; elles s’ornent de cou— leurs plus vives, car la saison de la joie sera courte; après l’été qui s’enfuit, la mort les surprendra.

Le regard est ébloui de l’éclat que pré- sentent les larges plaques de gazon parsemées des étoiles d’un rose vif du silène, des grap— pes bleues du myosotis, des larges fleurs au

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LES FORÉTS ET LES PATURÀGES. 167

cœur d’or de l’aster des Alpes. Sur les pentes plus sèches, au milieu des roches arides, croissent l’orchis noire au parfum de vanille et le « pied de li0n » , dont la fleur ne se fane jamais et reste un symbole de constance éter- , nelle. . ' Parmi ces herbes aux fleurs éclatantes, il en est que n’effraye nullement le voisinage de

la neige et de l’eau glacée. Elles ne sont point frileuses; tout a côté des cristaux du nèvé,

le flux de la sève circule librement dans les tissus de la délicate soldanelle, qui penche au- dessus de la neige sa corolle d’une nuance si tendre et si pure; quand le soleil brille, on peut dire d’elle, mieux que du palmier des oasis, qu’elle a son pied dans la glace et sa tête dans le feu. A la sortie même des neiges, le torrent, dont l’eau laiteuse semble être de la glace a peine fondue, entoure de ses bras un îlot fleuri, bouquet charmant aux tiges sans cesse frissonnantes. Plus loin, le lit de neige que l’ombre du rocher a défendu contre les rayons du soleil est tout diapré de fleurs; la douce température qu’elles répandent a fondu la neige autour d’elles ; on dirait

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168 .HISTOlRE D’UNE MONTAGNE.

qu’elles jaillissent d’une coupe de cristal au fond bleui par l’ombre. D’autres fleurs, plus sensibles, n’osent point subir le contact im- médiat de la neige; mais elles prennent soin de s’entourer d’un moelleux fourreau de mousse. Tel est le petit œillet rouge des som— mets neigeux ; on dirait un rubis posé sur un coussin de velours vert au milieu d’une cou— che de duvet blanc. ‘ Sur les pentes de la montagne, les forêts alternent avec les surfaces gazonnées, mais non pas au hasard. La présence de grands arbres indique toujours, sur le versant qui les produit, une terre végétale assez épaisse et de l’eau d’arrosement en abondance: ainsi, orrâce & la distribution des forêts et des pâturages, on peut lire de loin quelques uns des secrets de la montagne, pourvu, du moins, que l’homme ne soit pas intervenu brutalement en abattant les arbres et en modifiant l’as- pect du mont. Il est des régions entières où l’homme, âpre a s’enrichir, & coupé tous les arbres; il n’en reste plus même une souche, car les neiges de l'hiver, que n’arrête plus la . barrière vivante, glissent désormais librement

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LES FORETS ET LES I‘A'l‘lÏlîÀûliS. 1’Ï9

au temps des avalanches; elles dénudth le sol, le ‘abotent jusqu’au rocher, emportant avec elles tous les débris de racines.

L’autique vénération a presque disparu. Jadis, le bûcheron n’abordait qu’avec efi"roi la forêt de la montagne; le vent qu’il y entendait gémir était pour lui la voix des dieux; des êtres surnaturels étaient cachés sous l’écorce7 _ et la sève de l’arbre était en même temps un sang divin. Quand il leur fallait approcher la. cognée d’un de ces troncs7 ils ne le faisaient qu’en tremblant, « Si tu es un dieu,. si tu es une déesse. disait le montagnard des Apen- mins, si tu es un dieu, pardonne; » et il réci- tait dévotement les prières commandées; mais, après ses génuflexions, était—il bien rassuré, pourtant ?

En brandissant la hache, il voyait les bran— ches s‘agiter au-dessus de sa tête; les rugo- sites de l'écorce semblaient prendre une expression de colère, s’animer d’un regard terrible; au premier coup, le bois humide apparaissait comme la chair rosée des nym- 1h3s. « Le prêtre a permis sans doute, mais que dira la divinitèmême? La hache ne va t—

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o

170 HISTOIRE D‘UNE MONTAGNE

elle pas rebondir tout à coup et s’enfoncer dans le corps de celui qui la manie? »

Il est, même de nos jours, des arbres ado- rés; le montagnard ne sait trop pourquoi et n’aime pas qu’on l’interroge a cet égard; mais, encore en maints endroits, on voit des chênes respectés que les indigènes ont entou- rés de barrières pour les protéger contre les animaux et les voyageurs errants. Dans la vieille Bretagne, lorsqu’un homme était en danger de mort et qu’un prêtre ne se trouvait pas dans le voisinage, on pouvait se confesser au pied d’un arbre; les rameaux entendaient, et leur bruissemerit portait au ciel la dernière prière du mourant. '

Toutefois, si quelque vieux tronc est res— pecté çà et la par souvenir des anciens temps, la forêt elle-même n’inspire plus de sainte terreur; a présent, les abatteurs d’arbres n’y mettent pas tant de façons que leurs ancêtres, surtout lorsqu’ils ne s’attaquent pas a des forêts servant de barrière contre les avalan-- ches. Il suffit seulement qu’ils puissent les exploiter d’une manière utile, c’est-£t—dirc en gagnant plus par la vente du bois qu'ils n’ont

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LES FORETS ET LES'PATURAGES. …

à dépenser pour la coupe et le transport. Nombre de forêts sont encore maintenant dans leur virginité première, à cause de la diffi— culté pour l’exploiteur d’arriver jusqu’à elles et d’en extraire les arbres abattus. Mais, lors— que les chemins d’accès sont faciles, lorsque la montagne offre de bonnes glissoires d’où l’on peut, d’une seule poussée, faire descendre de plusieurs centaines de mètres les fûts ébranchés, lorsque en bas de la pente le tor- rent de la vallée est assez fort pour entraîner les arbres en radeaux jusque dans la plaine ou pour faire mouvoir de puissantes scieries mécaniques,— alors les forêts courent grand risque d’être attaquées par les bûcherons. S'ils les exploitent avec intelligence, s’ils rè— glent soigneusement leurs coupes, de ma- nière à laisser toujours sur pied des récoltes de bois pour les années suivantes et 51 dé— velopper dans le sol forestier la plus grande force de production possible, l’humanité n’a qu’à se féliciter des richesses nouvelles qu’ils procurent Mais lorsqu’ils coupent, détrui- sent tout d’un coup la forêt tout entière, comme s’ils étaient— saisis d’un accès de

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172 IIISTOIRÉD’UNE MONTAGNE.

frénésie, n’est—'on pas tenté de les maudire?

La beauté des forêts qui nous restent en— core sur les pentes de la montagne fait regret- ter d’autant plus celles que de violents spécu- lateurs nous ont ravies. Sur les premières pentes, du côté de la plaine, les bosquets de châtaigniers ont été épargnés, grâce a leurs feuilles, que les paysans ramassent pour la litière des bêtes, et leurs fruits, qu’ils man— igent eux-mêmes pendant les soirées d’hiver. Peu de forêts, même dans les régions tropi— Cales, où l’on voit alterner en groupes les arbres des essences les plus diverses, présen- tent plus de pittoresque et de variété que les bois de châtaigniers. Les pentes de gazon qui s’étendent au pied des arbres sont assez déga— gées de broussailles pour que le regard puisse s’ouvrir librement de nombreuses perspecti- ves arr-dessous des branchages étalés. En maints endroits, la voûte de verdure laisse passer la lumière du ciel; le gris des ombres et le jaune doux des rayons oscillent suivant le mouvement des feuillages; les mousses et les lichens, qui recouvrent de leurs tapis les éeorces ridées, ajoutent a la douceur de ces

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LES FORETS l'l'l‘ LES l‘ATURÀGES. l73

lumières et de ces ombres fuyantes. Les arbres eux-mêmes, ou bien se dressant isolés, ou bien groupés par deux ou par. trois, diffèrent de forme et d’aspect. Presque tous, par les sil—

lons de leur écorce et lejet de leurs branches,

semblent avoir subi comme un mouvement de torsion de gauche à droite; mais, tandis que les uns ont le tronc assez uni et bifur- quent régulièrement leurs rameaux7 d’autres ont d’étranges gibbosités, des nœuds, des ver- rues bizarrement ornées de feuilles en touffes. Il est de vieux arbres à l’énorme tronc7 qui ont perdu toutes leurs grandes branches sous l’effort de l’orage et qui les ont remplacées par de petites tiges pointues comme des lances; d’autres ont gardé tout leur brancbage, mais ils se sont pourris a l'intérieur; le temps a rongé leur tronc, en y creusant de profondes cavernes; il ne reste parfois qu’un simple pan de bois recouvert d’écorce, pour porter tout le poids de la végétation supérieure. Ça et la, on remarque aussi sur le sol les restes d‘une souche de puissantes dimensions; l’arbre lui- même a disparu; mais, sur tout le pourtour de cette ruine végétale, croissent des châtai— 10.

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1‘74 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

'gniers distincts, jadis unis dans le gigantes— que pilier, et maintenant isolés, racornis, bornés à leur maigre individu. Ainsi, la forêt présente la plus grande diversité : a côté d’ar— bres bien venus, d’un aspect superbe et d’un port majestueux, voici des groupes dont les formes étranges évoquent devant l‘imagina— tion les monstres de la fable ou du rêve! Bien moins divers dans leurs allures sont les hêtres, qui aiment également à s’associer en forêts, comme les châtaigniers. Presque tous sont droits comme des colonnes, et de longues échappées ouvertes entre les fûts per— mettent à la vue de s’étendre au loin. Les hêtres sont lisses, brillants d’écorce et de lichens; a la base seulement, ils sont vêtus de mousse verte; de petites toufi'es de feuilles ornent çà et la la partie basse du tronc; mais c’est à quinze mètres au-dessus du sol que;' les branchages s’étalent et s’unissent d’arbre} en arbre dans une voûte continue, percée de rayons parallèles qui bariolent le gazon. L‘as- pect de la forêt est sévère et pourtant hospita- lier; une douce lumière, composée de tous ces faisceaux brillants et verdie par le reflet

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r . ……., _…_……

LES FORETS ET DES PATURAGES. 175

des feuilles, emplit les avenues et se mêle à leur ombre pour former un vague jour cendré,

sans coups de lumièré, mais aussi sans ténè-

bres. A cette lueur, on distingue nettement tout ce qui vit au pied des grands arbres : . les insectes rampants, les fleurettes qui se balancent, les champignons et les mousses qui tapissent le sol et les racines; mais, sur les arbres eux—mêmes, les lichens blancs ou jaunes d’or et les rayonss’entremêlent et se confondent. Suivant les saisons, la forêt de hêtres change incessamment d’aspect. Lorsque- vient l’automne, son feuillage se colore de teintes diverses où dominent les nuances bru— nes et rougeâtres; puis il se flétrit et tombe sur le sol, qu’il recouvre de ses lits épais de feuilles sèches, frissonnant au moindre souffle— d’air. La lumière du soleil pénètre librement dans la forêt entre les rameaux nus, mais aussi les neiges et les brumes; le bois reste— morue et triste jusqu’au jour de printemps, Où les premières fleurs s’épanouissent à côté des flaques de neige fondante, où les bour— geons rougissants répandent sur tout le bran- chage comme une vague lueur d’aurore.

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176 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

La forêt de sapins qui croit à la même hau- teur que les hêtres sur le versant des monts, mais a une exposition différente, est bien au- trement sombre et redoutable d’aspect. Elle

semble garder un secret terrible; de sourdes rumeurs sortent de ses branches, puis s‘étei- gnent pour renaître encore comme le mur- mure lointain des vagues. Mais c’est en haut, dans les ramures, que se propage le‘bruit; en bas, tout est calme, impassible, sinistre; les rameaux, chargés de leur noir feuillage, s’a— baissent presque jusqu‘au sol; on frémit en passant sous ces voûtes sombres. Que l’hiver charge de neige ces robustes branches, elles ne l‘aibliront point et ne laisseront tomber sur le gazon qu’une poussière argentée. On dirait que ces arbres ont une volonté tenace, d’au— tant plus puissante qu’ils sont tous unis dans une même pensée. En gravissant par la forêt vers le sommet de la montagne, on s'aperçoit que les arbres ont de plus en plus a lutter pour maintenir leur existence dans l’atmo— sphère refroidie. Leur écorce est plus ru- gueuse, leur tronc moins droit, leurs bran- ches plus noueuses, leur feuillage plus dur et

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LES FORETS ET LES P.\TUIL\GES. 117

moins abondant : ils ne peuvent résister aux neiges, aux tempêtes, au froid, que par l‘abri qu’ils se fournissent les uns aux autres; iso— lés, ils périraient; unis en forêt, ils continuent de vivre. Mais aussi, que, du côté de la cime, les arbres qui forment la premiére palissade de défense viennent & céder sur un point, et leurs voisins sont bientôt ébranlés par l’orage et renversés. La forêt se présente comme une armée, alignant ses arbres, comme (les sol— dats, en front de bataille. Seulement un ou deux sapins, plus robustes que les autres, res— tent en avant, semblables à des champions. Solidement ancrés dans le rocher, campés sur leurs reins Lrapus, bardés de rugosités et de nœuds comme d’une armure, ils tiennent tête aux orages et, ca et la, secouent fièrement leur petit panache de feuilles. J’ai vu l’un de ces héros qui s’était emparé d’une pointe isolée et de la dominait un immense pourtour de val- lons et de ravins. Ses racines, que la terre végétale, trop peu profonde, n’avait pu rc- couvrir, enveloppaient la roche jusqu’à de grandes distances; rampantes et tortueuses comme des serpents, elles se réunissaient en

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178 HISTOIRE D’UNE'MONTAGNE.

un seul .tronc bas et noueux qui semblait prendre possession de la montagne. Les bran- ches de l’arbre lutteur s’étaient tordues sous l’effort du vent; mais, solides, ramassées sur elles-mêmes, elles pouvaient encore braver l’effort de cent tempêtes.

Au-dessus de la forêt de sapins et de sa petite avant-garde exposée à tous les orages, croissent encore des arbres; mais ce sont des espèces qui, loin de s’élever droit vers le ciel, rampent au contraire sur le sol et se glissent peureusement dans les anfractuosités pour échapper au vent et à. la froidure. C’est en lar— gear qu’ils se développent; les branches, ser— penteuses comme les racines, se reploient au— dessus d’elles et profitent du peu de chaleur qui en rayonne. C’est ainsi que, pour se ré- chauffer pendant les nuits d’hiver, les mou- tons se pressent les uns contre les autres. En se faisant petits, en ne présentant qu’une faible prise à l’orage et que peu de surface au froid, les genévriers de la montagne réussis— sent à maintenir leur existence; on les voit encore ramper vers les sommets neigeux a des centaines de mètres au—dessus du sapin le plus

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LES FORETS ET LES PATURAGES. 179

hardi & l‘escalade. De même, les arbustes, tels que les roses des Alpes et les bruyères, réus— sissent & s‘élever à de grandes altitudes, a cause de la forme sphérique ou en coupole qu’ont toutes les tiges pressées les unes contre les autres; le vent glisse facilement sur ces boules végétales. Plus haut, cependant, il leur faut bien renoncer à lutter contre le froid; ils cèdent la place aux mousses qui s’étalent sur le sol, aux lichens qui s’incorporent à la roche; sortie de la pierre, la végétationrentre dans la pierre.

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CHAPITRE XV

LES ANIMAUX DE LA MONTAGNE

Riche par sa végétation de forêts, d’ar- bustes, de gazons et de mousses, la montagne semble bien pauvre en animaux; elle paraî— trait presque complètement déserte, si les pâ— tres n’y avaient amené leurs troupeaux de va- ches et de brebis, que l’on voit de loin, sur le vert des pâturages, comme des points rouges ou blancs, et si les chiens de garde, toujours zélés, ne couraient incessamment de droite et. de gauche, en faisant retentir les roches de leurs aboiements. Ce sont là des immigrants temporaires, venus des plaines basses au prin— temps et qui doivent y retourner en hiver, à moins qu‘on ne les cache au fond des étables dans les hameaux de la vallée. Les seuls en-

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182 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

fants de la montagne que l’on rencontre en gravissant les pentes sont des insectes qui traversent le sentier, se glissant parmi les herbes ou bourdonnant dans l’air; des papil— lons, parmi lesquels on remarque les ér‘ebes noires aux reflets cbatoyants, et le magni— fique apollon, fleur vivante qui vole au— dessus des fleurs; çà et là quelque reptile se dérobe entre deux pierres. Les forêts sont fort silencieuses; il n’y chante que peu d’oi- seaux.

Cependant la montagne, forteresse natu— relle qui se dresse au milieu des plaines, a ses hôtes aussi : les uns, fuyards craintifs, qui se cherchent une retraite inaccessible; les au- tres, hardis voleurs, animaux de proie qui, du haut de leurs tours de guet, épient au loin l’horizon avant de s’élanceràleurs excur- sions de pillage.

Chose bizarre, que fait trop bien compren- dre la lâcheté des hommes, les bêtes de la montagne qui déchirent et qui tuent les autres sont précisément ce que l’on admire le plus. On en ferait volontiers des rois, et dans les ' mythes, les fables, les légendes et maint vieux

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LES ANIMAUX DE LA MONTAGNE. 183

livre d’histoire naturelle, on leur donne vrai- ment ce nom. ' '

Voici d’abord l’aigle et autres rapaces, oi— seaux de carnage que tous les maîtres de la terre ont choisis pour emblèmes, leur donnant quelquefois deux têtes, comme s’ils voulaient eux—mêmes avoir deux becs pour dévorer. Certes, l’aigle est beau lorsqu’il est fièrement campé sur un roc inaccessible aux hommes, et bien plus magnifique encore lorsqu’il plane tranquillement dans les airs, souverain de l’espace: mais qu’importe sa beauté?Si le roi l’admire, le berger le hait. Il est l’ennemi du troupeau, et le pâtre lui a voué guerre à mort. Bientôt aigles, vautours et gypaètes, n’existe— ront plus que dans nos musées; déjà, sur nombre de montagnes, on n’en voit plus un seul nid, ou bien celui qui reste ne renferme plus qu’un oiseau solitaire et méfiant, vieillard à demi perclus, dévoré de parasites.

L’ours est aussi un dévoreur de moutons, et, tôt ou tard, le berger l’exterminera de nos montagnes. En dépit de sa vigueur prodi— gieuse, de l’art avec lequel il sait broyer les os, il n’est pas le favori des rois, qui sans

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184 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

doute ne lui trouvent pas assez d’élégance pour le mettre dans leur blason; en revan- che, mainte peuplade le chérit a cause de ses qualités, et même le chasseur qui le poursuit ne peut se défendre d’une certaine tendresse à son égard. L’Ostiak, après lui avoir donné le coup de grâce et l’avoir étendu sanglant sur la neige, se jette à genoux devant le cadavre . pour implorer son pardon : « Je t’ai tué, 6 mon Dieu! mais j’avais faim, ma famille avait faim, et tu es si bon que tu pardonneras mon crime. » Pourtant il ne fait point sur nous l’effet d’un dieu; mais comme il semble hon- nête, et candide, et bienveillant! Comme il paraît bien pratiquer les vertus de famille! Qu’il est doux à ses petits et que ceux—ci sont gais, et cabrioleurs, et fantasques! Ces mœurs patriarcales qu’on nous a tant van-— tées, c’est dans la caverne de l’ours ou dans son énorme nid, confortablement tapissé de mousse, qu’il faut aller les chercher! Il est vrai que le gros animal donne de temps en temps un coup de croc aux moutons du ber— ger; mais, d’ordinaire, n’est—il pas la sobriété même? Il se contente de broùter des feuilles,

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LES ANIMAUX DE LA MONTAGNE. 185

de paître des myrtilles, de savourer des gâ- teaux de miel; peut—être se hasarde-t-il aussi dans la vallée pour aller débonnairement manger a même des raisins et des poires.

Un naturaliste suisse, Tsendi, nous affirme, sur l’honneur, que, si le brave animal ren- contre en chemin une petite fille portant un panier de fraises, il se borne à poser délicate- ment sa patte sur le panier pour en deman- der sa part. Et quand il est entré au service de l’homme, comme il est serviable, de bonne humeur, magnanime et dédaigneux des in— sultes! Je ne puis m’empêcher de regretter ce bon animal, que bientôt on ne verra plus dans nos montagnes et dont le chasseur eloue orgueilleusement les pattes sur la porte de sa grange. On supprimera la race : mais, avec plus d’intelligence, n‘eût—on pu l’apprivoiser et l’associer à nos travaux?

Quant au loup, personne ne le regrettera lorsqu’il aura tout a fait disparu de la mon— tagne. Voilà bien le compère malfaisant, per- fide, sanguinaire, lâche et vil de toutes fa— çons! Il ne pense qu'à déchirer la victime et à boire le sang chaud sortant de la plaie.

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71536 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

Tous les animaux le haïssent, et lui les hait tous; mais il n’ose attaquer que les faibles et les blessés. La frénésie de la faim peut seule le pousser à se jeter sur de plus forts que lui. En revanche, que d’empressement à se préci- piter sur une proie déjà tombée, sur un en- nemi qui ne peut se défendre ! Même lorsqu’un loup vient de s’abattre, vivant encore, sous la balle du chasseur, tous ses compagnons s’élan— cent sur lui pour l’achever et se disputer ses restes. Certes, la sanglante Rome a chargé sa mémoire de tous les forfaits imaginables; elle a rasé des villes par milliers, écrasé des hom—— mes par millions; elle s’est gorgée des riches- ses de la terre; par la perfidie et la violence, par des infamies sans nombre, elle est deve— nue la reine du monde antique, et pourtant, malgrétous ses crimes, elle s’est calomniée en se donnant une louve pour mère et pour patronne. Le peuple dont les lois, sous une— autr apparence, nous régissent encore, était certainement dur, presque féroce, mais il n’était pas aussi mauvais que pourrait le faire croire le symbole choisi par lui!

Pour celui qui chérit la montagne, c’est un

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LES ANIMAUX DE LA MONTAGNE. 187

plaisir de savoir que le loup, cet être odieux, est un animal des grandes plaines. La destruc— tion des forêts natales' et le nombre croissant des chasseurs l’ont forcé à se réfugier dans les gorges des hauteurs, mais il n’en est pas moins un intrus; il est fait pour fournir d’une traite des courses de cinquante lieues à travers les steppes, non pour escalader les pentes de rochers. L’animal que la forme de son corps et l’élasticité de ses muscles ren- dent le plus propre à bondir de roche en roche, à franchir les crevasses, c’est le gra- cieux chamois, l’antilope de nos contrées. Voilà le véritable habitant de la montagne! Aucun précipice ne l’effraye, aucune pente de neige ne le rebute; il gravit en quelques bonds des escarpements vertigineux où l’homme le plus avide de chasse n’ose se hasarder; il s’élance d’un saut sur des pointes moins larges que ses quatre‘pieds, réunis en un seul support; c’est bien un animal de terre, mais on le croirait ailé. D’ailleurs, il est doux et sociable; il aimerait a se mêler à. _ nos troupeaux de chèvres et de brebis; peu d’efforts suffiraient sans doute pour l’ajouter

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188 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

au petit nombre de nos animaux domestiques; mais il est encore plus facile de le tuer que de l’élever, et les quelques chamois qui restent encore sont réservés pour la joie des chas- ' seurs. Il est probable que la race en disparaî- |‘tra bientôt. Après tout, ne vaut—il pas mieux mourir libre que de vivre esclave? Encore plus haut que le chamois, sur des pentes et des roches entourées de tous les côtés par des neiges, d’autres animaux ont choisi leur demeure. Un d’eux est une espèce de lièvre qui a, su finement changer de livrée suivant les saisons, de manière à se confondre en tout temps avec le sol environnant. C’est ainsi qu’il échappe à l’œil perçant de l’aigle. En hiver, lorsque toutes les pentes sont revê— tues de neige, sa fourrure est aussi blanche ' que les flocons; au printemps, des touffes de plantes, de cailloux, se montrent çà et là à. travers la couche neigeuse; en même temps, le pelage de l’animal se manchette de taches grisâtres; en été, il est de la couleur des pier— res et du gazon brûlé; puis, avec le brusque changement de saison, le voilà qui, de nou- veau, change brusquement de poil.

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LES ANIMAUX DE LA MONTAGNE. 189

Encore mieux protégée, la marmotte passe son hiver dans un terrier profond où la tem- pérature se maintient toujours égale, malgré les épaisses couches de neige qui recouvrent le sol, et, pendant des mois entiers, elle sus— pend le cours de sa vie, jusqu’à ce que le parfum des fleurs et les rayons printaniers viennent la réveiller de son sommeil léthar- gique.

Enfin, un de ces petits rongeurs toujours actifs, toujours éveillés, que l’on rencontre partout, et pris le parti d’atteindre le sommet des montagnes en creusant des tunnels et des galeries au—dessous des neiges : c’est un cam- pagnol. Couvert de ce froid manteau, il cher- che dans le sol sa maigre nourriture et, chose merveilleuse, il la trouve!

Telle est la fécondité de la terre, qu’elle produit, pour la bataille incessante de la vie, des populations de mangeurs et de victimes qui. livrent leurs combats dans l‘obscurité, à plus de mille mètres au-dessus de la limite des neiges persistantes! Cette terrible lutte» pour l’existence, dont le spectacle presque

toujours hideux m’avait chassé des plaines, n.

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190 > HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

je la retrouve lit—haut, sous les couches de la. terre glacée.

Souvent, l’oiseau de proie plane plus haut encore, mais c’est pour voyager de l’une à l’autre pente de la montagne ou pour surveil- ler au loin l’étendue’et découvrir son gibier. Les papillons, les libellules, entraînés par la. joie de voleter au soleil, s’élèvent parfois jus- qu’à la zone la plus haute des monts et, sans prévoir le froid de la nuit, ne cessent de mon— ter gaiement vers la lumière ; plus fréquem— ment encore ces pauvres bestioles, ainsi que les mouches et d’autres insectes, sont empor- tées vers les hautes cimes par les vents de tour- mente, et leurs débris, mêlés à la poussière, jonchent la surface des neiges. Mais, outre ces étrangers qui, de bon gré ou par la violence, visitent les régions du silence et de la mort, il existe des indigènes qui sont bien là. chez eux; ils ne trouvent point que l’air y soit trop froid ou le sol trop glacé. Autour d’eux s’étend l’immensité morue des neiges; mais les pointes de rocs, qui, çà et la, percent la couche nei— geuse, sont pour eux des oasis au milieu du désert; c’est là sans doute, au milieu des

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LES ANIMAUX DE LA MONTAGNE. 191

lichens, qu’ils trouvent la nourriture néces— saire à leur subsistance. Du reste, c’est mer—— veille qu’ils y réussissent, et les naturalistes le constatent avec étonnement.

Araignèes, insectes ou mites des neiges, tous ces petits animaux doivent connaître la faim, et peut—être que les divers phénomènes de leur vie s’opèrent avec une extrême len- teur. Dans cet empire des frimas, les chrysa- lides doivent rester longtemps engourdics en leur sommeil de mort apparente.

Non seulement la vie se montre à côté des neiges, mais les neiges elles-mêmes semblent vivantes en certains endroits, tant les ani- malcules y pullulent. De loin, oxiaperçoit, sur l’étendue blanche, de grandes taches rouges ou jaunâtres. C’est de la neige pourrie, disent les montagnards; ce sont, disent les savants, armés du microscope, des milliards et des milliards d’être grouillants, qui vivent, s’aiment, se propagent et s’entre-mangent.

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CHAPITRE XVI

L’ÉTAGEMENT DES CLIMATS

Les naturalistes qui parcourent la mon— tagne en étudiant les êtres vivants qui l’ha— bitent, plantes ou animaux, ne se bornent point à étudier l’espèce dans sa forme et dans ses mœurs actuelles; ils veulent aussi con— naître l’étendue de son domaine, la distribu- tion générale de ses représentants sur les pentes, et l’histoire de sa race. Ils considèrent les innombrables êtres d’une même espèce, herbes, insectes ou mammifères, comme un immense individu dont il faut connaître à la fois toutes les demeures a la surface de la terre, et la durée pendant la série des ages.

A l’escalade d’un versant de la montagne,

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194 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

' le voyageur remarque tout d’abord combien peu nombreuses sont les plantes qui lui tien— nent compagnie jusqu’au sommet. Celles qu’il a vues à. la base et sur les premiers escarpe- ments, il ne les revoit pas sur les pentes plus élevées, ou, s’il en est encore quelques—unes, elles disparaissent dans le voisinage des nei- ges, pour être remplacées par d‘autres espèces. C’est un changement continue] dans l’aspect de la flore, à mesure qu’on se rapproche des froides cimes. Même lorsque la plante des collines inférieures continue de se montrer à côté du sentier voisin des neiges, elle semble changer peu à peu; en bas, sa fleur est déjà passée, tandis que, sur les hauteurs, elle est à peine en bouton; ici, elle a déjà fourni son été; là,—haut, elle est encore à son prin— temps.

Ce n’est pas au cordeau que l’on pourrait mesurer la hauteur exacte a laquelle telle plante cesse de croître, telle autre commence. à se montrer. Mille conditions du sol et du climat travaillent à. déplacer incessamment, à écarter ou à rétrécir les limites qui séparent le domaine naturel des différentes espèces.

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L’ÉTAGEMENT DES GLIMATS. , 195

Quand le terrain change, que la roche succède à l’humus ou que l’argile remplace le sable, un grand nombre de plantes cèdent aussi la place à d’autres. Mêmes contrastes, si l’eau détrempe la terre ou qu’elle manque dans le sol altéré, si le vent souffle librement dans toute sa fureur ou s’il rencontre des obstacles servant d’abri contre sa violence. A l’issue des cols où s’engouffrent les tempêtes, cer— taines pentes sont tellement balayées par cette âpre haleine, qu’arbres et arbustes s’arrêtent sous ce red0utable souffle, Comme ils s’arrê— teraient devant un mur de glace. Ailleurs, la végétation-varie suivant la. raideur des escar- pements. Sur les falaises verticales, il n’y a que des mousses; des broussailles seulement peuvent s’attacher aux parois très inclinées des précipices; que la pente soit moins forte, mais encore ingravissable à l’homme , les arbres rampent sur les rochers et s’ancrent dans les fissures par leurs racines ; sur les ter— rasses, au contraire, les tiges se redressent, les feuillages s’épanouissent. L’essence des arbres varie d’ordinaire autant que leur alti- tude. Là où la différence des pentes est causée,

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196 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

par celle des assises rocheuses que les agents atmosphériques ont plus ou moins entamées, la montagne offre une Succession d’étages pa- rallèles de végétation, du plus bizarre effet. Les pierres et les plantes changent à la fois, en alternances régulières.

De tous les contrastes de végétation, le plus important dans son ensemble est celui que produit la difi‘érence d’exposition aux rayons du soleil. Que de fois, en penétrant dans une vallée bien régulière, dominée par des versants uniformes, l’un tourné vers le nord, l’autre exposé en plein midi, peut-on voir combien cette différence de lumière et de chaleur mo- difie la végétation sur les deux pentes! Sou— vent le contraste est absolu; on dirait deux régions de la terre distantes de quelques cen- taines de lieues l’une de l’autre. D’un côté sont les arbres fruitiers, les cultures, les opulentes prairies; en face, il n'y a ni champs, ni jar— dins, mais seulement des bois et des pâtura- ges. Même les forêts qui croissent vis—à-vis, sur les deux versants, consistent en essences diverses. Lit—haut, sous la pâle lumière reflétée par les cieux du nord, voici les sapins aux

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L’ETAGEMENT DES CLIMATS. 197

sombres rameaux; sous la clarté vivifiante du midi, bien à leur aise comme en un immense espalier, voici les mélèzes au vert délicat. De même que les plantes, qui cherchent à s’épa— nouir aux rayons du soleil, l’homme a fait choix pour sa demeure des pentes tournées vers le midi. De ce côté, les maisons bordent les chemins en une ligne presque continue, les chalets joyeux sont parsemés comme des rochers grisâtres sur les hauts pâturages. Sur le froid versant qui se dresse en face, à peine voit—on de loin en loin quelque maisonnette s’abritant dans les plis d’un ravin.

Diverses sont les pentes de la montagne par l’aSpect, le climat, la végétation; mais toutes ont ce phénomène commun, c’est qu’en les gravissant on croirait se diriger vers les pôles de la terre; que l’on monte d’une centaine de mètres, et l’on se trouve comme transporté à cinquante kilomètres plus loin de l’équateur. Telle cime, que l’on voit se dresser au—dessus de sa tête, porte une flore semblable à celle de la Scandinavie; que l’on dépasse cette pointe pour s’élever plus haut encore, et l’on entre en Laponie; ‘a une altitude plus grande7 on

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198 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

trouve la végétation du Spitzberg. Chaque montagne est, par ses plantes, comme une sorte de résumé de tout l’espace qui s’étend de sa base aux régions polaires, à travers les con» tinents et les eaux. Dans leurs récits, les bota— nistes témoignent souvent de la joie, de l’é- motion qu’ils éprouvent lorsque, aprés avoir escaladé les roche nues, parcouru les neiges, cheminé le long des crevasses béantes, ils attei— gnent enfin un espace libre, un « jardin », dont les plantes fleuries leur rappellent quel— que terre aimée du nord lointain, leur patrie peut-être, située à des milliers de kilomètres de distance. Le miracle des Mille et une Nuits s’est réalisé pour eux; au prix de quelques heures de marche, les voici transportés dans une autre nature, sous un nouveau climat! Chaque année, quelques désordres violents, mais temporaires, se produisent dans cette ré— gularité de l’étagement des flores. En se pro— menant au milieu des éboulis récents, ou sur les amas de terres apportées du haut des mon- tagnes par les eaux torrentielles, le botaniste observe souvent des troubles dans la distri- bution des tribus végétales. Ce sont la des

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L’ETAGEMENT DES CLIMATS. 199

phénomènes qui l’émcuvent, car, a force (l’é

tudier les plantes, il finit par sympathiser avec elles. Cette vue qui lui fait battre le cœur est causée par l’expatriation forcée d’herbes et de moussesviolemment entraînées dans un climat pour lequel ellesne sont pas faites. Dans leur chute ou leur glissement du haut des escarpements supérieurs, les rocs ont ap- porté leurs fiores, semences, racines, tiges entières. Semblables aux fragments d’une pla— nète lointaine qui feraient débarquer sur la terre les habitants d’un autre monde, ces ro- ches descendues des sommets servent aussi de véhicules à des colonies de plantes. Les pau— vrettes, étonnées de respirer une autre atmo— sphère, de se trouver en d’autres conditions de froid et de chaleur, de sécheresse et d’humi— dité, d’ombre et de lumière, cherchent à s’ac- climater dans leur nouvelle patrie. Quelques— unes des étrangères arrivent à se maintenir contre la foule des plantes indigènes qui les entourent; mais la plupart ont beau se grou- per, se serrer les unes contre les autres, comme des réfugiées que tout le monde hait et qui s’en- tr’aiment d’autant plus, elles sont condamnées

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200 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

à périr bientôt. Assaillies de tous les côtés par les anciens propriétaires du sol, elles finissent par céder la place que l’écroulement de leur roche mère leur avait fait violemment conqué- rir. Le botaniste, qui les étudie dans leur nou— veau milieu, les voit dépérir peu a peu ; après quelques années de séjour, les colonies ne se composent plus que d’un petit nombre d’indi— vidus souffreteux, puis ces derniers aussi sont finalement étouffés.C’est ainsi que, dans notre humanité, des colons étrangers meurent suc- cessivement au milieu d’un peuple qui les hait et sous un climat qui leur est contraire.

En dépit des irrégularités temporaires, l’é— tagement des flores sur le flanc des monta— gnes garde donc le caractère d’une loi con— stante.

D’où provient cette étrange répartition des plantes à la surface du globe? Pourquoi les espèces originaires des contrées les plus loin- taines ont—elles ainsi essaimé en petites colo— nies sur les hauts escarpements des monts ? Sans doute les semences de quelques-unes d’entre elles auraient pu être portées par des oiseaux ou même par des vents de tempête; mais la

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L‘ISTAGEMENT DES CLIMATS. L’OL

plupart de ces espèces ont des graines dont ne se nourrissent point les oiseaux, et qui sont trop lourdes pour s’attacher aux plumes de leurs pattes; parmi ces plantes des régions froides qui colonisent la montagne, il en est même des familles entières qui naissent de bulbes, et certes ni le vent ni les oiseaux ne sauraient les avoir transportées par—dessus les continents et les mers.

Il faut donc que les plantes se soient pro— pagées de proche en proche, par empiétements graduels, comme elles le font dans nos champs et nos prairies. Les petits colons que l’on voit aujourd’hui dans les hauts « jardins _» entou— rés de neiges sont montés lentement des plai— nes inférieures, tandis que d’autres plantes des mêmes esPèces, marchant en sens inverse, se dirigeaient vers les régions polaires où elles sont actuellement cantonnées . Sans doute alors le climat de nos campagnes était aussi froid que l’est de nos jours celui des grands sommets et de la zone boréale; mais peu à peu la température devint plus douce; les plantes qui se plaisaient sous la rude haleine du froid furent obligées de s’enfuir, les unes vers le

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202 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

nord, les autres vers les pentes des monts. Des deux bandes fugitives, que séparait une zone sans cesSe croissante, occupée par des espèces ennemies, l’une, celle qui se retirait vers les montagnes, voyait l’espace diminuer devant elle, en proportion de la douceur accrue du cli— mat; elle occupa d’abord les contreforts de la base, puis les pentes moyennes, puis les ' hautes cimes, etmaintenant quelques-unes ont pour dernier refuge les crêtes suprêmes du mont. Que le climat se refroidisse de nouveau par suite de quelque changement cosmique, et les petites plantes recommenceront leurs voyages vers la plaine ; victorieuses à leur tour, elles chasseront devant elles les espèces qui demandent une température plus douce. Sui- vant les alternatives des climats et de leurs cycles immenses, les armées des plantes avan— êent ou reculent à la surface du globe, laissant derrière elles des bandes de traînards qui nous révèlent quelle fut jadis la marche du corps principal. Mêmes phénomènes pour les tribus des hom— mes que pour celles des plantes et des ani- maux! Pendant les oscillations du climat, les

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L’ETAGEMENT DES CLIMATS. 203

peuples des diverses races, qui ne pouvaient s’accommoder au milieu changeant, se dépla- çaient lentement vers le nord ou le sud, chas- sés par le froid ou par la trop grande chaleur. Malheureusement l’histoire, qui n’était pas encore née, n’a pu nous raconter tous ces va—et— vient des peuples; et d’ailleurs, dans leurs grandes migrations, les hommes obéissent tou— jours a un ensemble de passions multiples qu’ils ne savent point analyser. Que de tribus ont ainsi marché, changé de demeure, sans savoir ce qui les poussait en avant! Elles ra— contaient ensuite dans leurs traditions qu’elles avaient été guidées par une étoile ou par une colonne de feu, ou bien qu’elles avaient suivi le vol d’un aigle, posé leurs pieds dans les traces laissées parle sabot d’un bison.

Si l’histoire est muette ou du moins très sobre de paroles sur les marches et contre-i marches que les changements de climats ont imposées aux peuples, en revanche, il suffit de regarder pour voir, sur les flancs opposés de la plupart des montagnes, comment la diffé— rence des hommes répond à celle de la tempé— rature et du milieu. Lorsque, de chaque côté

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204 ’ IIISTOIBE’D’UNE MONTAGNE.

du mont, le contraste des climats est peu sen- sible, soit parce que la direction de toute la rangée des hauteurs est celle du nord au sud, soit parce que des vents d’une même origine et portant une même quantité d’humidité vien— nent arroser les deux versants, alors les hom— mes d’une même race peuvent se répandre librement de part et d’autre, s’adonner à la même culture, aux mêmes industries, prati- quer les mêmes mœurs. La muraille qui se dresse entre eux, et qu’interrompent peut-être de nombreuses brèches, n’est point un rem- part de séparation. Mais que la montagne et toute la série des sommets qui s’y rattachent de part et d’autre aient un de leurs versants tourné vers le nord et ses vents froids, et que la pente apposée reçoive en plein “les doux… rayons du midi; Ou bien que, d’un côté, les vapeurs de la mer s’épanchent en torrents, ' tandis que, de l’autre côté, les ravins restent toujours à sec, et bien certainement flore, faune, humanité des deux versants, offriront les plus remarquables contrastes. Chaque pas que fait le voyageur, après avoir franchi la crête, le met en présence d’une nature nou-

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L’ÉTAGEMENT DES CLIMATS. 206-

velle; il pénètre dans un autre monde où dé- couverte succède à découverte. Le voilà qui s’arrête devant une herbe odorante qu’il n’avait jamais vue; un étrange papillon voltige devant lui; pendant qu’il étudie les espèces nouvelles, plantes ou animaux, ou qu’il cherche a se rendre compte dans leur ensemble des traits de cette nature qu’il ne connaissait pas, un pâtre vient a sa rencontre; c’estl’homme d’une _ autre race et d’une autre civilisation; sa langue même est différente.

En séparant deux zones de climats, la crête de la montagne sépare donc aussi deux peu—— ples; c’est là un phénomène constant danstous les pays de la terre où la conquête n’a pas bru— talement mélangé ou supprimé les races, et même, en dépit des violences de la conquête, ce contraste normal entre les populations des deux versants s’est fréquemment rétabli. Qu’on enjuge par l’histoire de l’Italie! La splendeur de ce pays fascinait les barbares du nord et du nord—ouest! Que de fois les Allemands et les Français, attirés par la richesse de son ter- ritoire, par les trésors de ses villes, la saveur de ses fruits et toutes ses beautés naturelles, se

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206 . HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

«sont précipités en bandes armées sur les plaines qu’entourele grandiose hémicycle des Alpes! Ils ont eu beau massacrer, incendier et détruire, beau s’installer eux-mêmes à le place des vain- cus, se bâtir des villes et se construire des ci— tadelles, la population native a toujours repris

le dessus, et les étrangers, Celtes ou Teutons,

ont dû repasser les Alpes,

Aussi les monts, rugosités relativement insi— gnifiantes à la surface du globe, simples ol)—

stacles que l’homme peut d’ordinaire franchir

en un jour, prennent-ils une extrême impor- tance historique comme frontières naturelles entre les nations diverses.‘Ce rôle dans la, vie de l’humanité, ils le doivent moins au manque de routes, à la raideur de leurs escarpements, a leur zone de neiges et de rochers infertiles, qu’à la diversité et souvent à l’inimitié des po- pulations assises aux deux bases opposées., _ L histoire du passé nous l’enseigne: toute li- mite naturelle posée entre les peuples par un obstacle difficile à franchir, plateau, montagne, ‘ désert en fleuve, était en même temps une fron- fière morale pour les hommes , comme dans ‘

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les contes de fées, elle se fortifiait d’un mur

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L’ETAGEMENT DES CLIMATS. & 207

invisible, dressé. par la haine et le mépris. L’homme venu par delà les monts n’était pas seulement un étranger, c’était un ennemi. Les peuples se haïssaient; mais parfois un berger, meilleur que toute sa race, chantait doucement quelques paroles naïvement afiectueuses en re- gardant par delà les monts. Lui, du moins, savait franchir la haute barrière des rochers et des neiges; par le cœur, il savait se faire une patrie sur les deux versants de la montagne. Un vieux chant de nos Pyrénées raconte ce triomphe d’un doux sentiment sur la nature et sur les traditions de haines nationales :

Baicha—bous, montagnes! Planos, haoussa—bous, Daqué pousqui bede oun soun mas amous! Baissez—vous, montagnes! plaines, haussez—vous Et que je puisse voir où sont mes amours!

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CHAPITRE XVII

LE LIBRE MON'I‘AGNARD

Le plissement de la surface terrestre en montagnes et en vallées est donc un fait ca— pital dans l’histoire des peuples, et souvent il explique leurs voyages, leurs migrations, leurs conflits, leurs destinées diverses. C’est ainsi qu’une taupinière, surgissant dans une prairie, au milieu de populations d’insectes empressés qui vont et viennent, change immédiatement tous les plans et fait dévier en sens divers la marche des tribus voyageuses.

En séparant de son énorme masse les nations qui en assiègent de part et d’autre les versants, la montagne protège aussi les habitants, d’or— dinaire peu nombreux, qui sont venus cher—

, cher un asile dans ses vallées‘. Elle les abrite,

12. .

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210 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

elle les fait siens, leur donne des mœurs spé- ciales, un certain genre de vie, un caractère particulier. Quelle que soit sa race originaire, le montagnard est devenu tel qu’il est sous l’influence du milieu qui l’entoure; la fatigue des escalades et des pénibles descentes, la sim- plicité de la nourriture, la rigueur des froids de l’hiver, la lutte contre les intempéries, en ont faitun homme à. part, lui ont donné une attitude, une démarche, un jeu de mouvements bien différents de ceux de ses voisins des plai- nes. Elles lui ont donné en outre une manière de penser et de sentir qui le distingue; elles ont reflété dans son esprit, comme dans ce- lui du marin, quelque chose de la sérénité des grands horizons ; dans maints endroits aussi, elles lui ont assuré le trésor inappréciable de la liberté.

Une des grandes causes qui ont contribué à.; maintenir l’indépendance de certaines peu-À plades des montagnes, c’est que, pour elles, le travail solidaire et les efi'orts d’ensemble sont une nécessité. Tous sont utiles ‘a chacun, et chacun l’est à tous ; le berger qui va sur les hauts pâturages garder les troupeaux de la

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W, - ”,…—.“… .. … .

LE LIBRE MONTAGNARD. . 2112

communauté n’est pas le moins nécessaire a la prospérité générale. Quand un désastre a lieu, il faut que tous s’entr’aident pour réparer le mal; l’avalanche a recouvert quelques caba— nes, tous travaillent à déblayer les neiges ; la pluie a raviné les champs cultivés en gradins sur les pentes, tous s’occupent de reprendre la terre éboulée dans les fonds et la reportent dans des hottes jusqu’au versant d’où elle est descendue; le torrent débordé a recouvert les prairies de cailloux, tous s’emploient à déga— ger le gazon de ces débris qui l’étoufÏent. En hiver, lorsqu’il est dangereux de s’aventurer dans les neiges, ils comptent sur l’hospitalité les uns des autres; ils sont tous frères, ils ap- partiennent à la même famille, Aussi, quand ils sont attaqués, résistent-ils d’un commun accord, mus pour ainsi dire par une seule pensée. D’ailleurs, la vie de luttes incessantes, de combats sans trêve contre les dangers de toute sorte, peut-être aussi l’air pur, salubre, qu’ils respirent, en font des hommes hardis, dédaigneux de la mort. Travailleurs pacifiques, ils n’attaquent point, mais ils savent se dé- fendre.

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  • 212 ' HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

La montagne protectrice leur procure les moyens de s’ahriter contre l’invasion. Elle dé- fend la vallée par d’étroits défilés d’entrée où quelques hommes suffiraient pour arrêter des bandes entières ; elle cache ses vallons fertiles dans les creux de hautes terrasses dont les cscarpements semblent ingravissables ; en cer- tains endroits, elle est perforée de cavernes communiquant les unes avec les autres et pou- vant servir de cachettes.

Sur la paroi d’un défilé, que je visitais sou— vent. se trouvait une de ces forteresses ca— chées. C’est à grand’peine si je pouvais en atteindre l’entrée en mlaccrochant aux anfrac— tuosités du roc et en m’aidant de quelques tiges de buis qui avaient inséré leurs racines dans les fentes. Combien plus difficile en eût été l’escalade à des assiégeantsl Des blocs, entassés à la porte de la grotte, étaient prêts à rouler et a rebondir de pointe en pointe jusque dans le torrent. De chaque côté de l’entrée, la roche, absolument droite et polie, n’eût pas laissé passer une couleuvre; au-des- sus, la falaise surplorhbait et, Comme un por— che gigantesque, protégeait l‘ouverture. En

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LE LIBRE MONTAGNARD.

outre, un grand mur la ferm'ait à demi. A moins d’une surprise, la grotte était donc inabordablo à tout assaillant. Les ennemis devaient se bor— ner à la surveiller de loin; mais, lorsqu’ils n’entendaient plus sortir la moindre rumeur, lorsqu’ils se hasardaient enfin pour compter les cadavres, ils trouvaient les galeries souter- raines complètement vides. Les habitants s’é-' taient glissés de caverne en caverne jusqu’à une autre issue plus secrète cachée dans les broussailles. La chasse était à recommencer. Quelquefois, hélas! elle Se terminait par la capture du gibier. L’homme est une proie pour l’homme. ’

En certains endroits où la montagne n’ofïre pas de cavités propices, c’est un roc isolé dans la vallée, un roc aux faces perpendiculaires, qui servait de forteresse. Taillé à pic sur les trois côtés que le torrent entoure a la base, il n’était accessible que par un seul versant, et de ce côté le groupe de montagnards, qui vou- lait en faire a la fois sa tour de guet et son don- jon de retraite, n’avait qu’à continuer letra— ’vail commencé par la nature. Il e’scarpait la roche, la rendait ‘ingravissable aux pas hu-

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214 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

mains et n’y laissait qu’une seule entrée sou— terraine percée à coups de barre dans l’épais7 seur du roc. Une fois rentrés dans leur aire, les habitants de la forteresse obstruaient l’ou- verture au moyen d’un quartier de roche ; l’oi— seau seul pouvait alors leur rendre visite. L’architecture n’était point nécessaire à cette citadelle. Peut-être néanmoins, par une sorte de coquetterie , le montagnard bordait—il l’a— rête du précipice d’un mur à créneaux, qui permettait à ses enfants de jouer sans danger ’ sur toute l’étendue du plateau, et du haut du- quel il pouvait, mieux a son aise, épier tout ce qui se montrait aux alentours sur les pentes des monts. En beaucoup de contrées monta—. gneuses de l’Orient, dont les vallées sont peu— plées de races ennemies les unes des autres, et où le meurtre d’un homme, en conséquence, est tenu pour simple peccadille, nombre de ces rochers-forteresses sont encore habités. Quand un hôte arrive au bas de l’escarpement, il an- nonce sa présence par des cris d’appel. Bientôt après, un panier descend d’une trappe ou— verte dans le rocher; le voyageur s’y installe, et les robustes bras de ses amis d’en haut his—

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sent lentement le lourd panier tourbillonnant dans l’air.

Si les rochers abrupts des hautes vallées servaient à défendre les populations paisibles contre toute incursion, en revanche les mon— ticules de la plaine servaient souvent de poste de guet et de rapine a quelque baron de proie.

Combien de villages, même dans notre pays, montrent par leur architecture que, récemment encore, la guerre était en permanence, et qu’à. chaque heure il fallait s’attendre à une _atta- . que de seigneurs ou de_malandrins. Il n’y a point de maisons isolées sur les pentes sans défense; toutes les mesures, semblables à des moutons effrayés par l’orage, se sont groupées en un seul tas, vaste monceau de pierres. D’en bas, on dirait une simple conti- nuation du rocher, une dentelure de la cime, tantôt éclatante de lumière, tantôtnoire d’om— bre; on y monte par des sentiers vertigineux que chaque matin les paysans ont à descendre pour cultiver leurs champs, qu’ils ont a gra- vir péniblement chaque soir après le long travail de la journée. Une porte seulement donne accès dans la commune, et sur les tours

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216 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

latérales se voient encore les traces des herses et d’autres moyens de défense. Aucune fenêtre ne donne vue sur l’immense étendue des val- lées environnantes; les seules ouvertures sont (les meurtrières où passaient autrefois les ja— velots et les canons des fusils. Encore aujour— d’hui, les descendants de ces malheureux, as— siégés de génération en génération, n’osent bâtir leur demeure au milieu de'leurs champs. Ils pourraient le faire, mais la coutume, de tous les tyrans le mieux obéi, les parque tou- jours dans l’antique_prison.

Les hautes vallées de la montagne étaient libres, libres les montagnards; mais, en de- hors des passages étroits où ne s’étaientjamuis hasardés impunément les agresseurs, un pro— montoire presque isolé portait le château fort d’un baron. De lit-haut, le brigand, anohli par ses pr0pres crimes et par ceux de ses ancêtres, pouvait surveiller les plaines environnantes ainsi que les ravins et le défilé dela montagne. Comme un serpent enroulé sur un rocher et redressant sa tête inquiète pour guetter un nid plein d‘oisillons, le bandit regarde du haut de son donjon; il n’ose attaquer les monta—

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LE LIBRE MONTAGNARD. 217

gnards dans leur vallée, mais il se promet au moins de surpr mire et d’asservir ceux qui se hasarderont dans la plaine.

Le château du noble détr0usseur de pas- sants est en ruine aujourd‘hui. Un sentier pierreux, obstrué de rences, a remplacé le chemin ou les guerriers faisaient caracoler leurs chevaux joyeux au moment du départ, ' où remontaient les marchands enchaînés et les mulets pesannnent chargés de butin. A l’en- droit où fut le pont-levis, le fossé a été comblé de pierres, et, depuis, le vent et les pieds des passants y ont porté un peu de terre végétale dans laquelle des sureau‘x ont fait entrer leurs racines. Les murs sont en grande partie ‘ écroulés; d'énormes fragments, pareils a (les rochers, gisent épars sur le sol; ailleurs, des éboulis de pierres tombées dans le “fossé en emplissent & demi les douves que recouvre un tapis épais de lentilles d’eau. La grande cour, où jadis se rassemblaient les hommes d’armes avant les expéditions de pillage, est eneombrée de débris, coupée de fondriéres ; on ose a peine se frayer un chemin a travers le.q fourrés d’arbrisseaux et les hautes herbes; or.

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218‘ HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

a peur de marcher sur quelque vipère blottie entre deux pierres ou de tomber dans l’ouver- ture de quelque oubliette encore béante. Avan— çons pourtant en regardant attentivement a nos pieds! Nous arrivons au bord du puits qu’entoure heureusement un reste de mar- ' gelle. Nous nous penchdns avec effroi au— ' - dessus de la gueule noire du goufi're, et nous cherchons à en sonder la profondeur à travers les scolopendres et les fougères enguirlandées. Il nous semble discerner au fond le vague reflet d’un rayon égaré dans 1’a'bîme; nous croyons entendre monter vers nous comme un murmure étouffé. Est-ce un courant d’air égaré qui tourbillonne dans le puits-? Est—ce une source dont l'eau suinte à travers les pierres et tombe goutte à goutte ? Est-ce une salamandre qui rampe dans l’eau et la fait clapoter? Qui sait? Autrefois, nous dit la le- gende, les bruits confus qui sortaient de ces profondeurs étaient les cris de désespoir et les sanglots des victimes. L’eau du puits repose sur un lit d’ossements. ‘ Je détourne avec effort mes yeux du gouffre qui me fascine, et ju ies reporte sur la masse—

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LE LIBRE MONTAGNARD. 219

carrée du donjon, brillant en pleine lumière. Les autres tours se sont écroulées, lui seul est resté debout; il a même gardé quelques créneaux de sa couronne. Les murs, jaunis par le soleil, sont encore polis comme au lende— main du jour où le seigneur banqueta pour la première fois dans la grande salle; on n’y voit pas une lézarde, à peine une éraflure; seule- ment, les boiseries et les ferrures des étroites fenêtres disposées en meurtrières ont disparu. A cinq mètres au-dessus du sol, s’ouvre dans l’épaisseur de la muraille ce qui fut la porte d'entrée; une large pierre en saillie en forme le seuil, et le sommet de l’ogive est orné d’une sculpture grossière portant un monogramme bizarre et les traces de l’antique devise baro- niale. L’escalier mobile qui s’accrochait au seuil n’existe plus, et l’archéologue zélé , qui veut chercher a lire ou plutôt à deviner les quelques mots orgueilleux sculptés dans la pierre, doit se munir d’une échelle. Pour s’introduire dans l’intérieur de la tour, les paysans ont pris un moyen plus violent: ils ont percé le mur au ras du sol. Ce fut là, sans doute, un rude travail; mais peut-être

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220 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

étaient—ils animés par l’amour de la vengeance contre ce donjon où nombre des leurs étaient morts de faim ou dans les tortures; peut-être aussi se figuraient-ils qu’ils y découvriraient un trésor caché. ‘

Je pénètre par cette brèche avec une sorte d’appréhension; l’air de l’intérieur, auquel ne vient jamais se mêler un rayon de soleil, me glace avant que je sois entré. Pourtant la lu— mière descend jusqu’au fond de la tour; le toit s’est effondré ; les planchers ont été brûlés dans quelque antique incendie, et l’on aper-‘ çoit çà et la, à demi engagés dans la muraille, des restes de poutres noircies. Tous ces dé- bris, pierres, bois et cendres, se sont peu à. peu mêlés en une sorte de pâte que l’eau du ciel, descendant comme au fond d’un puits, conserve toujours humide. Un limon gluant recouvre cette terre molle où glisse le pied que

. j’y hasarde avec répugnalnce. Il me semble être enfermé déjà dans l’horrible cachet; je n’en respire qu’avec dégoût l’air rance et méphi— tique. Et pourtant cet air est pur, en com— paraison de cette odeur de moisissure et d’os— sements qui sort de la gueule ébréchée des ou-

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bliettes. Je me penche au-dessus du trou noir et cherche a discerner quelque chose, mais je ne vois rien. Il me faudrait avoir le regard aiguisé par une longue obscurité pour distin- guer les reflets égarés dans ces ténèbres. Trou sinistre! J’ignore les meurtres dont il a été complice, mais je frissonne de peur en le voyant, et, comme pour chercher de la force, je regarde vers le bleu du ciel encadré par les quatre murailles de la tour. Une chouette trou- blée tourbillonne là—haut en poussant son aigre cri.

Un escalier pratiqué dans l’épaisseur du mur permet de monter jusqu’aux créneaux. Plusieurs marches sont usées, et l’escalier se trouve ainsi changé en un plan incliné fort difficile à gravir; mais, en m’appuyant aux parois, en m’accrochant aux saillies, en glis- sant dans la poussière pour me relever, je finis par atteindre le couronnement de la tour. La pierre est large, et je ne cours aucun danger; cependant, j’ose a peine faire quelques pas, de peur d’être entraîné parle vertige. Je suis perché tout en haut, dans la région des oi— seaux et des nuages, entre deux abîmes. D’un

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222 HISTOIRE D’UNE MÜNTAGNE.

côté est le gouffre noir de la tour; de l’autre est la profondeur lumineuse des rochers et des versants éclairés par le soleil. Le promontoire qui porte le donjon paraît lui—même comme une autre tour de plusieurs centaines de mètres de hauteur, et la rivière qui serpente autour de sa base produit au plus l’effet d’un simple fossé de défense. On raconte que l'un des an— ciens seigneurs de l’endroit se donnait quel— quefois le plaisir de faire sauter ses prison- niers du haut de la terrasse du donjon. Il ré— servait à ses ennemis les plus détestés la mort lente dans le trou des oubliettes; mais les captifs contre lesquels il n’avait aucun motif de haine devaient, en s’élançant de la tour, montrer avec quel courage et quelle bonne grâce ils savaient mourir. Le soir, on en cau- sait autour de la table fumante, on riait des contorsions de ceux qui reculaient épouvan— tés devant l’abîme, on louait ceux qui d’un bond s’étaient d’eux-mêmes lancés dans le vide. Le noble seigneur mourut dans un cou— vent du voisinage en « odeur de sainteté ». Au pied de la roche se groupent en désordre les humbles maisonnettes aux toits d’ardoise

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LE LIBRE MONTAGNARD. 223

ou de chaume de l’ancien village asservi. Quels changements se sont accomplis, non{ seulement dans les institutions et dans les mœurs, mais aussi dans l’âme humaine, de- puis que le seigneur tenait ainsi tous ses su- jets sous son regard et sous son pied, depuis que l’héritier de son nom grandissait en se disant, de ces êtres mal vêtus qu’il voyait se mouvoir en bas : « Tous ces hommes, sije le veux, sont de la chair pour mon épée! » Com- ment alors eût—il été possible, même au plus doux, au mieux doué d’entre les fils de nobles, de ne pas sentir sa poitrine se gonfler d’un orgueil féroce, à la vue de tout cet horizon de terres soumises, de ce village rampant, de ces manants abjects grouillant dans le fumier? Il eût voulu s’imaginer qu’en naissant les hommes ont droit égal au bonheur, il se fût considéré comme né de la même boue, qu’un seul regard jeté dans l’espace, du haut de l’orgueilleuse terrasse de son donjon, eût suffi pour le détromper. Pour croire à l’égalité, non dans la joie, mais dans le désespoir ou le remords, il lui fallait quitter son château, s’entouir dans le couvent sombre d’une étroite

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224 HISTOIRE D’L“.\'E MONTAGNE.

vallée et se frapper le front sur le pavé des églises.

De nos jours, le descendant de ces anciens chevaliers n’a plus a se faire le geôlier d’un village, ni à surveiller les habitants d’un re- gard jaloux, à moins pourtant qu’il soit de- venu propriétaire d’usine et que les villageois peuplent sa fabrique. La villa qu’il s’est fait bâtir sur le penchant d’un coteau se cache pour ainsi dire. Le groupe de maisons le plus voi— sin est masqué par un rideau de grands arbres, et si des villages lointains se montrent çà et la, ils ne sont que de simples motifs dans le paysage, des traits dans le grand tableau. Le châteiain n’est plus le maître : que lui servi— rait donc de donner à sa demeure une posi- tion dominatrice? Il lui vaut mieux une soli- tude où il puisse jouir de la nature en paix.

C’est que, depuis le moyen âge, village et château ne constituent plus un petit monde a part; de gré ou de force, ils sont entrés dans un monde plus grand, dans une société où les luttes ont plus d’ampleur, où les progrès ont une portée bien autrement grande. Le petit royaume dont le seigneur était le maître ab

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LE LIBRE MONTAGNARD.

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solu n’est plus maintenant qu’un simple dis— trict, et le descendant des anciens barons n’a plus que faire du glaive rouillé de ses ancê- tres. Peut-être essaye—til encore de garder quelques-uns des privilèges apparents ou réels qui lui restent de la puissance de ses pères ; peut-être, se résignant a son rôle de sujet ou de citoyen, rentre—t-il simplement dans la foule. En tout cas, c’est a d’autres, peuples ou rois, qu’ont servi combats et conquêtes de ses aïeux. Que ceux—Ci, pendant de longues guerres contre les montagnards, aient réussi a les forcer dans leurs retraites, et qu’ils aient reporté jusqu’aux crêtes neigeuses la frontière de leur domaine, eux, àleur tour, ont eu à recevoir la visite de quelque envahisseur, et la limite qu’ils avaient donnée à leurs pos- sessions se perd dans l’immense pourtour d’un puissant empire. ’ Un nom bizarre, qui se retrouve en maints endroits dans les montagnes, m’a fait songer aux choses du passé. Dans un ravin, plisse- ment léger du sol, brille de loin, comme un petit diamant mobile, une source qui serait àpeine visible, si le soleil, d’un rayon, n’en 13.

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226 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

révélait l’existence. Je m’en approche, des feuilles de cresson ploient et se redressent tour à tour sous la goutte argentine qui passe; autour frémissent quelques oiseaux, et l’herbe, qui baigne ses racines dans l’eau cachée, darde ses tiges vertes et ses fleurettes bien au- dessus du gazon flétri des pâturages. Cette pe— tite nappe de verdure que discernent de loin les bergers sur le front gris et comme brûlé du versant de la'montagne, c’est la « Fon- taine des trois Seigneurs ».

Pourquoi cette étrange appellation? Com— ment une source aussi_peu abondante a—t—elle ainsi pris le nom de trois potentats? La lé— gende des montagnes nous dit qu’à une épo— que déjà très ancienne, du temps où des châ— teaux forts entourés de fossés se dressaient sur tous les promontoires des défilés,“ trois comtes qui, par hasard, n’étaient point en guerre, se rencontrèrent a la chasse dans le voisinage de la fontanelle. Ils étaient fatigués de leur longue course à la poursuite de sangliers ou de cerfs, et la sueur découlait sur leurs fronts. La tourbe de leurs valets, empressés autour d'eux, leur offrait à l’envi le vin et l’hydro-

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LE LIBRE MONTAGNARD. 221

mel; mais le petit filet d’eau sourdant de la fente du rocher leur sembla plus agréable à boire que toutes ces liqueurs versées dans les aiguières d’argent. L’un après l’autre, ils se penchèrent sur le petit bassin de la source, écartèrent de la main les herbes flottant a la surface de l’eau et burent a même comme de simples pâtres ou comme des faons de la mon— tagne. Puis ils se regardèrent, se tendirent la. main d’amitié et, se couchant sur le gazon, se mirent & deviser joyeusement, Le temps était beau, le soleil était déjà penché vers l’horizon, quelques nuages épars jetaient de grandes ombres sur les moissons jaunissantes des plaines; de légères fumées s’élevaient çà et là des villages. Les trois compères se sentaient en belle humeur. Jusque-là, leurs vastes do- maines n’avaient pas eu de limites précises dans la montagne; ils décidèrent que, désor- mais, la source qui les avait désaltérés de son filet d’eau glacée serait le point de séparation des comtés. L’un devait suivre la rive droite, l’autre la rive gauche du ruisselet; le troisième devait occuper toute la croupe qui s’étend de la source au sommet voisin, et de la sur le

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228 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

versant opposé. En foi du traité qu’ils ve- naient de conclure, les trois seigneurs rempli- rent leur main droite de quelques gouttelettes de la fontaine, et chacun en aspergea le gazon de son domaine. _ Mais, hélas! les beaux jours ne durent pas et les nobles comtes ne sont pas toujours sou- riants et bons camarades. Les trois amis se brouillèrent, la guerre éclata. Vassaux, bour— geois et paysans s’èg0rgèrent dans les forêts et ravins pour changer de place la borne des trois comtés. La plaine fut dévastée et, pendant plusieurs générations, des torrents de sang cou- lèrent pour la possession de cette goutte d’eau qui sourd là—hàut sur les paisibles hauteurs. Enfin, la paix est faite, et si la guerre recom- mence,“ ce n‘est plus entre les trois barons ni pour la conquête d’une simple fontaine, mais entre de puissants souverains et pour la pos— session d’immenses territoires avec des mon- tagnes, des forêts, des fleuves et des villes populeuses. Ce ne sont pas non plus quelques bandes mal armées qui s’entre—massacrent, ce sont des centaines de mille hommes, pour— vus des moyens de destruction les plus scien—

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LE LIBRE MONTAGNARD. 2‘39

tifiques, qui se heurtent et s’entre-tuent. Sans doute, l’humanité progresse, mais, à la vue de ces effroyables conflits, on se prend quelque- fois a douter!

Combien, semble—t—il alors, combien sont heureuses les populations retirées dans les val- lées hautes qui n’ont jamais eu à souffrir de la guerre,ou qui, du moins, en dépit du flux et du reflux des armées en marche, ont fini par . sauvegarder leur indépendance première! ' Maints peuples de montagnards, protégés par leurs énormes massifs de montagnes reliés les uns aux autres, ont eu ce bonheur de rester li- bres. Ils le savent; ce n’est point seulement & l'héroïsme de leurs coeurs7 a la force de leurs bras, à l’union de leurs volontés, qu’ils doivent de n’avoir point été asservis par de puissants voisins. C'est aussi a leurs grandes Alpes qu’il leur faut rendre grâces; ce sont là les fermes colonnes qui ont défendu l’entrée de leur temple.

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CHAPITRE XVIII

LE CRÉTIN

A côté de ces hommes forts, de ces vaillants àla poitrine solide, au regard perçant, qui gravissent les rochers d’un pas ferme, se traî- nent de hideuses masses de chair vivante, les crétins à goîtres pendants. Encore, parmi ces masses, en est—il beaucoup qui ne peuvent même se traîner; elles sont la, assises sur des chaises fétides, balançant de côté et d’autre leur torse et leur tête, laissant couler la bave sur leurs haillons gluants. Ces êtres ne savent pas marcher; il en est qui n’ont pas encore su acquérir l’art primordial de porter la nour— riture à la bouche. On leur donne la pâtée, on les gorge, et, quand ils sentent que la nourriture ingérée descend dans l’estomac, ils

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232 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

poussent un petit grognement de satisfaction. Voilà les derniers représentants de cette hu— manité, « ceux dont le visage a été créé pour regarderles astres! » Que d’intervalles fran— chis entre la tête idéale de l’Apollon Pythien et celle du pauvre crétin aux yeux sans regard et au rictus difi'orme! Bien plus belle est la tête du reptile, car celle-ci ressemble à son type, et nous ne nous attendons pas àla voir autrement, tandis que la figure de l’idiot est une forme hideusement dégénérée; nous aper— cevons de loin ce qui paraît être un homme, et l’intelligence de l’animal ne se montre même pas dans ces traits discordants!

Pour comble d’horreur, les sentiments ru- dimentaires qui se révèlent dans cet être mal— heureux ne sont pas toujours bons. Quelques crétins sont méchants. Ceux—là grincent des ’ dents, poussent des 'rugissements féroces, font des gestes de colère avec leurs bras malhabiles; ils frappent le sol de leurs pieds, et, si on les laissait faire, ils dévoreraient la chair et boiraient le sang de ceux qui les soignent avec dévouement. Qu’importe cette rage aux naïfs et bons montagnards? Ils n’en ont pas moins

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LE CRÉTIN. 233

donné aux pauvres idiots les noms de « cré— tins », de « crestias » ou « d’innocents », dans la pensée que ces êtres, incapables de raison- ner leurs actes et d’arriver à la compréhen- sion du mal, jouissent du privilège de n’avoir aucun péché sur la conscience. Chrétiens dès leur berceau, ils ne sauraient manquer de monter droit au ciel. C’est ainsi que, dans les pays musulmans, la foule se prosterne devant les fous et les hallucinés, et que l’on se glorifie d’être atteint par leurs crachats ou leurs excréments. Puisque, sous une forme humaine, ils vivent en dehors de l’humanité, c’est que sans doute ils font un rêve divin. D’ailleurs, parmi ces malheureux, il en est aussi de vraiment bons, aimant, dans leur cercle étroit, à faire le bien. Un jour, j’étais descendu dans la vallée pour remonter de l’autre côté sur un plateau de pâturages, au milieu duquel j’avais vu de loin les eaux d’un petit lac. Sans m’arrêter, j’avais dépassé une petite hutte humide, ienvironnée de quelques aulnes, et, d’un pas délibéré, je suivais un sentier vaguement indiqué par les pas des animaux au bord d’une eau rapide. Déjà je

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234 HISTOlRE D’UNE MONTAGNE.

me trouvais à plus d’un jet de pierre de la hutte, lorsque j’entendis retentir derrière moi un pas lourd et précipité; en même temps, un souffle guttural, presque un râle, sortait de cet être qui me poursuivait et gagnait sur moi. Je me retournai et je vis une pauvre «crétine, dont le goître, ballotté par la course, oscillait pesamment d’une épaule à l’autre épaule. J ’eus grand’peine à retenir une expres- sion d’horreur en voyant cette masse humaine

s’avancer vers moi: se jetant alternativement

de jambe en jambe. Le monstre me fit signe d’attendre, puis s’arrêta devant moi en me regardantfixement de ses yeux hébétés et en me soufflant son râle dans le visage. Avec un geste négatif, elle me montra le défilé dans lequel j’allais m’engager, puis elle joignit les mains, pour me montrer que des rochers à pic barraient le passage. « Là, là! » fit—elle ‘ en me désignant un sentier mieux tracé qui s’élève en lacets sur une pente inclinée et gagne un plateau pour contourner l’infranchissahle défilé du fond. “Quand elle me vit suivre son bon avis et commencer de gravir la pente, elle poussa deux ou trois grognements de sa—

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LE CRÉTIN.

tisfaction, m’accompagna du regard pendant quelque temps, puis s’éloigna tranquillement, heureuse d‘avoir fait une bonne action. Moins content qu’elle, je l’avoue, je me sentais hu— milié' dans l’âme. Un être disgracié de la nature, horrible, une sorte de chose sans forme et sans nom, n’avait en de repos qu’elle ne m’eût tiré d’un mauvais pas; et moi, l’un de ces hommes fiers, moi qui savais être doué par la nature d’une certaine raison et qui en étais arrivé au sentiment de responsabilité morale, combien de fois n’avais—je pas laissé, sans rien leur dire, d’autres hommes, et même ceux que j’appelais amis, s’engager en des passages bien autrement redoutables qu’un défilé de montagnes? L’idiote, la goîtreuse, m’avait en- seigné le devoir. Ainsi, même dans ce qui ine semblait au-dessous de l’humanité, je retrou- vais la bienveillance si souvent absente chez ceux qui se disent les grands et les forts. Au- cun être n’est assez bas pour tomber eta—dessous de l’amour et même du respect. Qui donc a raison, de l’antique Spartiate qui jetait dans un gouffre les enfants mal venus, ou bien de la mère qui, tout en pleurant, allaite et ca-

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236 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

resse son fils idiot et difforme? Certes, nul n'osera donner (tort aux mères qui luttent contre toute espérance pour arracher leurs enfants a la mort; mais il faut que la société vienne au secours de ces malheureux, par la science et l’affection, pour guérir ceux qui sont guérissables, donner tout le bonheur possible à ceux dont l’état est sans espoir, et veiller à ce que la pratique de l’hygiène et la compréhension des lois physiologiques réduisent de plus en plus le nombre de pareilles naissances.

Une éducation’ suivie peut dégrossir ces lourdes natures, et lorsque a l’affection de la mère succède la sollicitude d’un compagnon qui réussit à faire accomplir quelque travail grossier au pauvre innocent, celui-ci se déve- loppe peu à peu et finit par avoir sur son visage comme un reflet d’intelligence. Parmi les innombrables tableaux qui se sont gravés dans ma mémoire lorsque je parcourais la montagne, j'en retrouve un qui me touche et , m’émeut encore après de longues années. C’était le soir, vers les derniers jours de l’été. Les prairies de la vallée venaient d’être fau-

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LE CRETIN. 237

chées pour la seconde fois, etj’apercevais de, petites meules de foin éparses dont le vent m’apportait la douce odeur. Je cheminais dans une route sinueuse, jouissant de la fraîcheur du soir, de la senteur des herbes, de la beauté des cimes éclairées par le soleil couchant. Tout à coup, a un détour du chemin, je me trouvai en présence d’un groupe singulier. Un crétin goîtreux était attelé par des cordes a une espèce de char rempli de foin. ll traînait sans peine le lourd véhicule, ne voyant ni les fon— drièresJ ni les gros blocsépars, tirant comme une force aveugle. Mais il avait à côté de lui son petit frère, enfant gracieux et souple, au visage tout en regard et en sourire; c’était lui qui voyait et pensait pour le monstre. D’un signe, d’un attouchement, il le faisait obliquer à droite ou a gauche pour éviter les obstacles, il précipitait ou ralentissait sa marche; il for— mait avec lui un attelage dont il était l’âme et dont l‘autre était le corps. Quand ils passèrent près de moi, l’enfant me salua d’un geste aimable, et, poussant Caliban du coude, lui fit ôter sa casquette et tourner vers moi ses yeux sans pensée. Il me sembla pourtant y

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238 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

. ‘voir poindre comme une lueur d‘un sentiment humain de respect et d’amitié. Et moi je sa— luai, avec une sorte de vénération, ce groupe, ce groupe touchant, symbole de l’humanité en marche vers l’avenir.

Laissé à lui-même et ne jouissant que des lumières d’un instinct animal, le crétin peut accomplir quelquefois des choses qui seraient au-dessus de la force d’un homme intelligent et plein de la conscience de sa valeur._ Sou— vent mon compagnon le berger me racontait la chute qu’il avait faite dans une crevasse de glacier, et, quand il en parlait, l’efi'roi se pei— gnait encore sur sa figure. Il était assis sur un talus, près du bord d’un glacier, lors— qu’une pierre, en s’écroulant, lui fit perdre son équilibre,'et, sans qu’il pût se retenir, il glisse. dans une fissure béante qui s’ouvrait entre le roc et la masse compacte des glaces; tout à coup, il se trouva comme au fond d’un. puits, apercevant à peine un reflet de la lu- mière du ciel. Il était étourdi, contasionué, mais ses membres n’étaient point rompus. Poussé par l’instinct de la conservation, il put s‘accrocher à la paroi du rocher et monter,

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LE CRÉTIN. 239

de saillie en saillie, jusqu’à quelques mètres de l’ouverture; il revoyait le soleil, les pâtu- rages, les brebis et son chien, qui le regardait avec des yeux fervents. Mais, arrivé a ce- rebord, le berger ne pouvait plus monter, au-dessus, la roche était lisse partout et ne laissait aucune prise àla main. L’animal était aussi désespéré que son maître ; se jetant, de ça et de là,“ au bord du précipice, il poussa quelques aboiements Courts, puis, soudain, partit comme une flèche dans la direction de la vallée. Le berger n’avait plus rien a crain- dre. Il savait.que le bon chien allait cherchen ' du secours et que bientôt il reviendrait accom— pagné de pâtres‘ portant des cordes. Néan— moins, pendant la période d’attente, il passa par d’horriblès angoisses de désespoir : il lui semblait que la bête fidèle ne serait jamais de retour; il se voyait déjà mourir de faimisur son rocher et se demandait avec horreur si les aigles ne viendraient pas lui arracher des lambeaux de chair avant qu’il fût tout à fait mort. Et pourtant il se rappelait parfai— tement comment, dans un cas semblable, un « innocent _» s’était conduit. Étant tombé au

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2—30 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

fond d’une crevasse, d’où il lui était impossible de remonter, le crétin ne s’était pas consumé en efforts inutiles; il attendit avec patience, frappant le sol de ses pieds afin d’entretenir la Chaleur animale, et patienta ainsi— tout un soir, puis toute une nuit, puis ure moitié de la journée suivante. Alors, ayantentendu crier son. nom par ceux qui le chermaient, il répondit, et bientôt après il fut retiré du gouffre. Il ne se plaignit que d’avoireu grand froid.

Mais, quels que soient, hélas! las privi— lèges et les immunités du crétin, q10iq1ie le malheureux n’ait pas à craindre les soucis et les déceptions de l’homme qui se fraye & lui— même son chemin dans la vie, il n’en faut pas moins tenter -d’arracher le crétin & 501 « inno— cence » et à ses maladies dégoûtantes.pour lui donner, en même temps que la force ill corps, le sentiment de sa pr0pre responsabfité mo— rale. II faut le faire entrer dans la s@iété des hommes libres, et, pour le guérir et 14 relever, il faut connaître d’abord quelles en; été les causes de sa dégénérescence. Des savants, penchés sur leurs cornues ou sur leu—s livres,

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LE CRETIN. 2—’il

apportent des opinions diverses; les uns disent que la diff0rmité du goître provient surtout du manque d’iode dans l’eau de boisson, et que, par le croisement, la difformité morale finit par s’ajouter à celle du corps; les autres croient plutôt que goître et crétinisme pro— viennent de ce que l’eau descendue des neiges n’a pas eu le temps de s’agiter et de s’aèrer suffisamment, lorsqu’elle arrive devant le vil- lage, ou bien qu’elle a passé sur des roches contenant de la magnésie. Il est certain qu’une eau mauvaise peut souvent contribuer à faire naître et à développer les maladies: mais est—ce là” tout?

Il suffit d’entrer dans une de ces cabanes où naissent et végètent les idiots pour voir qu’il est encore d’autres causes à leur situation lamentable. Le réduit est sombre et fumeux; les bahuts, la table et les poutres, sont rongés de vers; dans les recoins, où ne peut complè- tement pénétrcr le regard, on entrevoit des formes indécises couvertes de crasse et de toiles d’araignées. La terre qui tient lieu de plan— cher reste constamment humide et comme visqueuse, à cause de tous les débris et des

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242 lllSTOIRE D’UNE MONTAGNE.

eaux impures qui l’engraissent. L’air qu’on respire dans cet espace étroit est âcre et fétide. On y sent à la fois les odeurs de la fumée, du lard rance, du pain moisi, du bois vermoulu, du linge sale, des émanations humaines. La nuit, toutes les issues sont fermées pour em- pêcher le froid du dehors de pénétrer dans la chambre ; vieillards, père, mère, enfants, tous dorment dans une espèce d’armoire à étages dont les rideaux sont fermés pendant le jour, où, pendant le sommeil des nuits, s’accu1fiu‘e un air épais bien plus impur encore que celui du reste de la cabane. Ce n’est pas tout : durant les froids de l’hiver, la famille, afin d’avoir plus chaud, émigre du rez—de-chausséc et descend dans la cave, qui sert en même temps d’écurie. D’un côté sont les animaux cou- chant sur la paille souillée, de l’autre sont les hommes et les femmes gîtant sous leurs draps noircis. Une rigole à purin sépare les deux groupes de vertébrés mammifères, mais l’air rcspirable leur est commun; encore cet air, pénétrant par d’étroits soupiraux, ne peut-il se renouveler pendant des semaines entières,

a cause des neiges qui recouvrent le sol ; il

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LE (; RÉTIN. 243

faut y creuser des espèces de cheminées, à travers lesquelles ne descend qu’un blafard reflet du_jour. Dans ces caves, lejour lui—même ' ressemble à une nuit du pôle.

Est-il étonnant qu’en de pareilles demeures naissent des enfants scrofuleux, rachitiques, contrefaits? Dès la première semaine, nombre de nouveau—nés sont secoués par de terribles convulsions auxquelles la plupart suceombent ; dans certains pays, les mères s’attendent si bien à la mort de leurs enfants, qu’elles ne les croient pas encore nés tant qu’ils n’ont pas franchi le redoutable défilé de la : maladie des cinq jours ». Combien aussi, parmi ceux qui en réchappent, en est-il qui vivent seule— ment d‘une vie de maladie et de démence? Autant l’air environnant de la libre montagne et le travail au dehors sont excellents pour développer la force et l’adresse de l’homme valide, autant l’espace étroit et l’ombre hu- mide de la cabane contribuent à empirer l’état du goîtreux et du crétin. A côté d’un frère qui devient le plus beau et le plus fort des jeunes gens, se traîne un autre frère, sorte d’excrois—A sance charnue horriblement vivante!

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5244 HISTOIRE D‘UNE MONTAGNE.

En maints endroits déjà, on a songé à bâtir des hospices pour ces malheureux. Rien ne manque dans ces nouvelles demeures. L’air pur y circule librement, le soleil en éclaire toutes les salles, l’eau y est pure et saine, tous les meubles et surtout les lits sont d’une exquise propreté; les « innocents » ont des surveillants qui les soignent comme des nour- rices, et des professeurs qui tâchent de faire entrer un rayon.de lumière intellectuelle dans leur dur cerveau. Souvent ils réussissent, et le crétin peut naître graduellement à une vie supérieure. Mais ce n’est pas tant à réparer le mal déjà survenu qu’il importe de tra- vailler, c’est a le prévenir. Ces huttes infectes, si pittoresques parfois dans le paysage, doivent disparaître pour faire place à des maisons commodes et saines; l’air, la lumière, doivent entrer librement dans toutes les habitations de l’homme; une bonne hygiène du corps, aussi bien qu’une parfaite dignité morale, doivent être observées partout. A ce prix, les monta- gnards achèteront en quelques générations ”une immunité complète de toutes ces maladies qui dégradent maintenant un si grand nombre

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LE GRETIN. 245

d’entre eux. Alors les habitants seront dignes du milieu qui les entoure; ils pourront con-— templer avec satisfaction les hauts sommets neigeux et dire comme les anciens Grecs : « Voilà «nos ancêtres, et nous leur ressemë blons. »

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CHAPITRE XIX

L’ADORATION DES MONTAGNES

L’adoration de la nature existe encore parmi nous, beaucoup plus vivace qu’on ne le croit. Combien de fois un paysan, en découvrant sa tête, m’a montré le soleil du doigt et m’a dit avec solennité : « C’est la notre Dieu! » Et moi aussi, le dirai-je? combien de fois, à la vue des cimes augustes qui trônentau-dessus des vallées et des plaines, n’ai—je pas été naïvement tenté de les appeler divines !

Un jour je cheminais paisiblement dans un défilé penchant et tout obstruè de pierres roulantes. Le vent s’engouffrait dans le pas- sage et me fouettait la figure, en apportant a chaque bouffée un brouillard de pluie et de neige à demi fondue. Un voile grisâtre me

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2118 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

cachait les rochers; çà et la seulement j’en- trevoyais, dans le vague, des masses noires et menaçantes qui, suivant l’épaisseur de la brume, semblaient tour à tour s’éloigner et s’approcher de moi. J ’étais transi, triste, maus— sade. Tout à. coup une lueur, reflétée par les innombrables gouttelettes de l’air, me fit lever les yeux. Au—dessus de ma tête, la une d’eau 'et de neige s’était déchirée. Le ciel bleu se montrait rayonnant, et là.—haut, dans cet azur, apparaissait le front serein de la montagne. Ses neiges, brodées d’arêtes de rochers comme par de fines arabesques, brillaieut avec l’éclat de l’argent, et le soleil les bordait d’une ligne d’or. Les contours de la cime étaient purs et précis comme ceux d’une statue se dressant lumineuse dans l’ombre; mais la pyramide superbe semblait être complètement détachée de la terre. Tranquille et forte, immuable dans son repos, on eût dit qu’elle planait dans le ciel; elle appartenait à un autre monde que cette lourde planète enveloppée de nuages et de brumes comme de baillons s0rdides. Dans cette apparition, je crus voir plus que le séjour du bonheur, plus même que l’Olympe,

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L’ADORATION DES MONTAGNES. 249

séjour des immortels! Mais un nuage méchant vint soudain fermer l’issue par laquellej’avais contemplé la montagne. Je me retrouvai-de nouveau dans le vent, la brume et la pluie; je me consolai en disant : « Un Dieu m’est apparu! »

A l’origine des temps historiques, tous les peuples, enfants aux mille têtes naïves, regar- daient ainsi vers les montagnes; ils y voyaient les divinités, ou du moins leur trône, se mon- trant et se cachant tour à tour sous le voile changeant des nuages. C’est à. ces montagnes qu’ils rattachaient presque tous l’origine de leur race; ils y plaÇaient le siège de leurs traditions et de leurs légendes; ils y contem- plaient aussi dans l’avenir la réalisation de leurs ambitions et de leurs rêves; c’est de la que devait toujours descendre le sauveur, l’ange de la gloire ou de la liberté. Si impor- tant était le rôle des hautes cimes dans la vie des nations, que l’on pourrait raconter l‘his- toire de l'humanité par le culte des monts; ce sont comme de grandes bornes d’étapes placées de distance en distance sur le chemin des peuples en marche.

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250 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

C’est dans les vallées des grands monts de l’Asie centrale, disent les savants, que ceux de nos ancêtres auxquels nous devons nos lan- gues européennes arrivèrent à se constituer pour la première fois en tribus policées, et c’est à la base méridionale des plus hauts mas— sifs du monde entier que vivent les Hindous, ceux des Aryens auxquels leur antique civili- sation donne une sorte de droit d’aînesse. Leurs vieux chants nous disent avec quel sentiment d’adoration ils cèlébraient ces « qua— tre—vingt-quatre mille montagnes d’or » qu’ils

voient se dresser dans la lumière, au-dessus des forêts et des plaines. Pour des multi— tudes d’entre eux, les grandes montagnes de l’Himalaya, aux têtes neigeuses, aux grands ruissellements de glace, sont les dieux eux— mêmes, jouissant de leur force et de leur majesté. Le Gaourisankar, dont la pointe perce le ciel, et le Tchamalari, moins haut, mais plus colossal en apparence par son isole- ment, sont doublement adorés, comme la Grande Déesse“ unie au Grand Dieu. Ces glaces sont le lit de cristaux et de diamants, ces nuages de pourpre et d’or sont le voile

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L’ADORATION DES MONTAGNES. 251

sacré qui l’entoure. Là—haut est le dieu Siva, qui détruit et qui crée; la aussi est la déesse Obama, la Gauri, qui conçoit et qui enfante. D’elle descendent les fleuves, les plantes, les animaux et les hommes.

Dans cette prodigieuse forêt des ép0pées et des traditions indoues ont germé bien d’autres légendes relatives aux montagnes de l’Hima- laya, et toutes nous les montrent vivant d’une vie sublime, soit comme déesses, soit comme mères des continents et des peuples. Telle est la poétique légende qui nous fait voir dans la terre habitable une grande fleur de lotus dont les feuilles sont les péninsules étalées sur l’Océan, et dont les étamines et les pistils sont les montagnes du Mérou, génératrices de toute vie. Les glaciers, les torrents, les fleuves qui descendent des hauteurs pour aller porter sur les terres des alluvions bienfaisantes, sont eux aussi des êtres animés, des dieux et des déesses secondaires qui mettent les humbles mortels des plaines en rapport indirect avec les divinités suprêmes siégeant au-dessus des nuages dans l'espace lumineux.

Non seulement le mont Mérou, ce point

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2522 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

culminant de la planète, mais aussi tous les autres massifs, tous les sommets de l’Inde, étaient adorés par les peuples qui vivent sur leurs pentes et à leur base. Montagnes de Vindyah, de Satpurah, d’Aravalli, de Nile.— gherry, toutes avaient leurs adorateurs. Dans les terres basses, où les fidèles n’avaient pas de montagnes à contempler, ils .se bâtissaient des temples qui, par leurs allées de bizarres pyramides, aux énormes blocs de granit, représentaient les cimes vénérées du mont Mérou. Peut—être est—ce un sentiment analogue d’adoration pour les grands sommets qui porta les anciens Égyptiens à construire les pyr— mides, montagnes artificielles qui se dressent ran-dessus de la surface unie des sables et du limon.

L’île de Ceylan, Lanka « la resplcndis- sante », cette terre bienheureuse où, d'après une légende orientale, les premiers hommes " furent envoyés par la miséricorde divine, après leur expulsion du Paradis, élève aussi vers le ciel des montagnes sacrées. Telle, entre autres, est la cime isolée au milieu des plaines, la ville sainte d’Anaradjapoura. C’est le Miliin-

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L’ADOIL\TION DES MONTAGNES_ 253

tala. Sur ce roc s’arrêta, il y a vingt-deux siè- cles, le vol de Mahindo, le convertisseur indou, qui s’était (lancé des plaines du Gange pour appeler les Cingalais a la religion de Bouddha. Un temple s’élève aujourd’hui sur le sommet où se posa le pied du saint. Haute, énorme est la pagode, et pourtant l’empressement des pèlerins est tel qu’ils l‘ont parfois recouverte en entier, du faite a la base, d’une robe de fleurs de jasmin. [ne escarl)0uele, couleur de feu, brillait au sommet du monument, renvoyant au loin les rayons du soleil. Jadis un ra]zih fit (lé— ployer, du haut de la montagne aux champs de la plaine, un large tapis de douze kilomè— tres de longueur, afin que les pieds des fidèles ne fussent pas souillés par le een— tact avec la terre impure apportée d’un sol

profane.

Et pourtant ce mont sacré de Mihintala le cède en gloire au célèbre pie d‘Adam, que les marins aperçoivent du milieu des flots, lorsqu’ils approchent de l'île de Ceylan.v L’empreinte d’un pied gigante5que, apparte- nant, semble-Hi, à un homme haut de dix

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‘2Zy'æ _ HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

mètres, est creusée dans la roche, sur la pointe terminale de la cime. Cette empreinte, disent les mahométans et les juifs, est celle d’Adam, le premier homme, qui monta sur le pic pour contempler l’immense terre, les vastes forêts, les monts et les plaines, les rivages et le grand Océan, avec ses îles et ses écueils. D’après les Cingalais et les In— dous, ce n’est point le pied d’un homme, mais bien celui d’un dieu, qui a laissé cette trace de son passage. Ce dieu dominateur, c’était Siva, nous disent les 13rahmanes7 c’était Bouddha, affirment les bouddhistes; Jéhovah, écrivent les gnostiques des pre— miers siècles chrétiens. Lorsque les Portu— gais déba1‘quèrent en conquérants dans l’île de Ceylan, ils dégrade—rent pour ainsi “dire la montagne, qui,, dans leur pensée, ne pouvait se comparer a celle de la Terre Sainte; ils ne virent plus dans l’empreinte 1‘n>stéricusc que la marque du.pied de saint 'l‘homas, ou d’un ancien convertisseur, apô— tre secondaire, l’cunuque de (Îandace. Moins respectueux encore, un ArnnËnien, Mot.—::» de t,Îhorùnc, jaloux pour sa noble monta—

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li.\l)0lî.\Tlth DES MONTAGSES. ‘2.35

gne d’Ararat, ne voit sur le sommet du pic d‘Adam que la trace du pied de Satan, l'éter- nel ennemi. Enfin, les voyageurs anglais qui, de plus en plus nmnbreux, font chaque année l'ascension de la sainte montagne, ne voient, dans la « divine empreinte », qu’un trou vulgaire agrandi et grossière— ment sculpté en creux. Mais aussi, de quel mépris ces étrangers sont-ils couverts par les pèlerins convaincus qui vont se prosterner sur la cime, baiser dévotement la trace du pied, et déposer leurs offrandes dans la mai— son du prêtre! Tout leur semble témoigner de l‘authenticité du miracle. A quelques mètres au-dessous de la cime jaillit une petite source : c'est le bâton du dieu qui l'a fait s'élancer du sol. Des arbres en foule croissent sur les pentes, et ces arbres, ils le voient ainsi du moins, inçlinent tous leurs brancha— ges vers le sommet pour \“égét01‘ et grandir en l”adorant. Les roches du mont sont. parse— n‘1ées de pierres précieuses : ce sont les lar— mes qui se sont échappces (les 3cux d'un dieu à la vue des crimes et des souffrances des hommes. Comment ne eroiraient-ils pas

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236 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

au prodige, en voyant toutes ces richesses qui ont donné naissance aux récits fabuleux des Mille et une Nuits? Les ruisseaux qui s‘épanchent de la montagne ne roulent point, comme nos torrents, des cailloux et du sable vulgaire; ils entraînent avec eux de la poussière de rubis, de saphirs, de grenats; le baigneur qui se trempe dans leurs flots se_ roule, comme les sirènes, dans un sable de pierres précieuses.

Les races de l‘extrême Orient, dont la civi— lisation a suivi une autre marche que celle de la race aryenne, ont également adoré leurs montagnes. En Chine et au Japon, aussi bien que dans l’Inde, les hauts sommets portent des temples consacrés aux dieux, quand ils ne sont pas eux-mêmes regardes comme des gt:— nies tutélaires ou vengeurs. C’est a ces mon— tagnes divines que les peuples cherchent a rattacher leur histoire par les traditions et les légendes.

Les plus anciennes montagnes historiques sont celles dela Chine, car le peuple du « mi- lieu » est lun des premiers qui soient arrivés à. la conscience d'eux—mêmes, le premier qui

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L‘ADORÀTION DES MON'I‘AGNES. _ 257

ait écrit sa propre histoire d‘une manière continue. Ses monts sacrés, au nombre de cinq, s’élèvent tous en des contrées célèbres par leur agriculture, leur industrie, les popu- lations qui se pressent a leur base, les événe- ments qui se sont accomplis dans le voisinage. La plus sainte de ces montagnes, le Tai-Chan, “domine toutes les autres Cimes de la riche péninsule de Chan-Touan entre les deux golfes de la mer Jaune. Du sommet, où l’on arrive par une route pavée et des escaliers tail-* les dans le roc, on voit, étendues à ses pieds, les riches plaines que traverse le Hoang—Ho, coulant tantôt vers l’un, tantôt vers l‘autre golfe, abreuvant de ses eaux des multitudes d’hommes plus nombreux que les épis d‘un champ. L’empereur Cheung y monta il y a quatre cent trente ans, ainsi que le rappellent les annales classiques du pays; Confucius essaya de le gravir aussi, mais la montée est rude, le philosophe dut s’arrêter, et l’on mont °c encore l'endroit où il reprit le chemin de la plaine. Tous les grands dieux et les principaux génies ont leurs temples et leurs oratoires sur la sainte montagne; de même aussi les Nuages,

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‘258 HISTOIRE D‘lÎNE MONTAGNE.

le Ciel, la Grande Ourse et l‘Étoile Polaire. Les dix mille génies s’y ahattent dans leur vol pour contempler la terre et les villes des hommes. « Le mérite du Tai-Chan est égal à celui du ciel. Il estledeminateur de cemende; il recueille les nuages et nous envoie les pluies; il déeideldes naissances et des morts, de l’infortune et du bonheur, de la gloire‘ et de la honte. De tous les pics qui s'élèvent dans le ciel, nul n’est plus digne d‘être visité. » Aussi les pèlerins s’y rendent-ils en foule pour implorer toutes les grâces, et le sentier est bordé de cavernes où gisent des mendiants aux _ plaies hideuses, l’horreur des passants.

A meilleur droit encore que les Chinois, car leurs montagnes releaniques sont d‘une parfaite beauté de formes, les Japonais regar— daient avec adoration vers les sommets nei- geux. Est-il idole dans le monde qui puisse se comparer a leur magnifique Fusi-Yama, a. la « montagne sans pareille », qui se dresse, presque isolée, au milieu des campagnes, en bas cou verte de forêts, neigeuse sur les pentes supérieures? Jadis, le volcan fumait et craehait des flammes et des laves; maintenant, il re-

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I.’ADORATIONY DES MONTAGNES. 259

pose : mais n’a—t-il pas, dans l’archipel, nombre de montagnes sœurs qui versent encore des fleuves de feu sur le sol frémissant? Parmi ces monts, il en est un, le plus terrible {de tous, que l’on crut devoir lléchir ”en lui jetant en offrande des milliers de chrétiens. C’est ainsi que, dans le Nouveau—Monde, on aurait tenté de calmer le Monotombo -en y précipitent des prêtres qui avaient osé prêcher contre lui dire

qu il n’était pas un dieu, mais une bouche de l’ enfer. D’ ailleurs, les volcans n attendent pas d’ ordinaire qu ’on leur jette (les victimes; ils

savent bien les saisir eux-mêmes, quand ils-

fondent la terre, vomissent des lacs de boue, recouvrent de cendres des provinces entières.

' Ils fontpérir d’un coup les populations de tout

un pays. N’est—ce pas assez pour les faire adorer de tous ceux qui s’inclinent (levant la force”? Le volcan dévore, donc il est un dieu!

Ainsi la religion des montagnes, de même que toutes les autres, s’est emparée del’homme par les divers sentiments de son être; Au pied de la montagne vomissant des laves, c’est la terreur qui l’a prosterné la face contre terre;

dans les campagnes altérées, c’est le désir

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260 HISTOIRE D’t'Nl-l MONTAGNE.

qui l’a fait regarder en suppliant vers les neiges,mères des ruisseaux; la reconnaissance aussi a fait des adorateurs de ceux qui ont trouvé un refuge assuré dans la vallée ou sur le promontoire cscarpé; enfin, l’admira- tion devait saisir tous les hommes a mesure que le sentiment du beau se développaiten eux7 ou même tant qu'il sommeillait a l‘etat d’instinct. Or, quelle est la montagne qui n’a pas a la fois de beaux aspects et des asiles sûrs, et qui n’est pas ou terrible ou bienfai- sante, presque toujours l’une et l’autre en même temps? Les peuples, se déplaçant de par le monde., pouvaient facilement rattacher toutes leurs traditions a la montagne qui de- minait leur horizon et y reporter leur culte. A chaque station de leurs grands voyages se dressait un nouveau temple. Jadis les tribus erran tes sur les plateaux de la Perse voyaient toujours7 vers le soir, une montagne surgir du milieu des plaines poudreuses :. c‘était le mont Tèlesme', le divin « Talisman » qui suivait ses adorateurs dans leurs pérégrinations a tra— vers le monde. _Et quand, après une longue migration, la montagne aperçue dans le loin——

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L‘ADOHATION DES MONTAGNES. 251

tain n’était pas un mirage trompeur, 'mais un véritable sommet avec neiges et rochers, qui donc aurait pu douter du voyage qu’avait fait le dieu pour accompagner son peuple? C’est ainsi que la montagne, dont la pointe aurait reçu les réfugiés du déluge, n’a cessé de cheminer a travers les continents. Une ver- sion samaritaine du Pentateuque prétend que le pic d’Adam est la cime où s’arrêta l’arche de Noé; les autres versions affirment que l’Ara- rat est le véritable sommet: mais quel est cet Ararat? Est-ce celui d’Arménie ou toute autre montagne sur laquelle des pâtres auront trouvé quelques débris du vaisseau sacré? De toutes parts, les peuples de l’Orient ré- clament l’honneur pour la montagne protec- trice, dont les eaux arrosent leurs propres champs. C’eSt la le mont d’où la vie est re- gdescendue sur la terre, en suivant le chemin des neiges et le cours des ruisseaux! Les preuves ne manquaient point d’ailleurs pour établir la vérité de toutes ces traditions. N’avait—on pas trouvé des monceaux de bois ’pétrifié jusque sous les glaces, et, dans les . roches elles-mêmes, n’avait-on pas rencontré

l'a.

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262 HISTOIRE D'l’Nl-j MONTAGNE.

les traces rouillcuses de ces « anneaux du déluge » que nos savants modernes (lisent être des ammonites fossiles? Aussi plus decent montagnes de la—Perse, de la Syrie, de l‘Ara- bie, de l’Asie Mineure, étaient-elles indiquées comme celles où débarqua le patriarche, se- cond père des humains. La Grèce aussi mon— trait son Parnasse, dont les pierres, lancées sur le limon du déluge, devenaient des hom— mes. .lusqu’en France il est des montagnes où ‘ s’est arrêtée l’arche ; un de ces sommets divins est Chamechande, près de la Grande Char— treuse de Grenoble; un autre est le IP_uy de Prigue, dominant les sources de l’Aude. Ainsi, le mythe est constant; c’est bien des hautes cimes que sont descendus les hommes. C’est aussi de ces escarpements, trône de la divinité, que s’est fait entendre la grande voix disant leurs devoirs aux. mortels! Le Dieu des Juifs siégeait surla pointe du Sinaï, au milieu des nuées et des éclairs, et parlait par la wix de la foudre au peuple assemblé dans la plaine. De même Baal, Moloeh, tous les dieux sangui- naires de ces peuples de l’Orient, apparais— saient a leurs fidèles sur le sommet des monts.

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“ "‘;—rw

L‘;\l)Olh\TION DES MONTAGNES. ‘203

Dans l‘Ârabie Pétrée, dans les pays d’Edom et de Moab, il n’est pas une seule hauteur, pas une colline, pas un rocher qui ne porte sa , grossière pyramide de pierres,°autel sur lequel des prêtres versaient le sang pour se rendre leur dieu propice. A Babel,, où manquait la

montagne, ou la remplaça par ce fameux

temple qui devait monter jusqu’au ciel. Le poète a reconstruit ce gigantesque édifice7 non tel qu’il fut, mais tel que se l’imaginaient les peuples.

Chacun des plus grands monts à ses flancs de granit N’avait pu fournir qu’une pierre;

Dans leur haine jalouse des cultes étran-V gers, lesprophètes juifs maudirent souvent. les « hauts lieux » sur lesquels les peuples leurs voisins pla;aient des idoles; mais eux— mêmes n’agissaiexit point autrement, et c’est vers les montagnes qu’ils regardaient pour en évoquer leurs anges secourahles. Leur temple s‘élevait sur une montagne; c’est également sur une montagne qu’Elie s’éntretenait avec Dieu; lorsque le Galiléen fut transliguré et piano dans la lumière incrèée avec les deux

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251 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

prophètes Moïse et Elie, c’est du Mont—Tha— bor qu’il s’était enlevé. Quand il mourut entre deux,voleurs, c’est au sommet d'une montagne qu’on le crueifia, et quand il re- viendra, dit la prophétie, quand il reviendra, entouré des saints et des anges, et qu’il assis- tera au châtiment de ses ennemis, c’est aussi sur une montagne qu'il deseendra; mais le choc de ses pieds suffira pour la briser. Une autre montagne, une cime idéale portant une nouvelle cité d’or et de diamant surgira de l’espace lumineux, et c’est la que vivront à jamais les élus, planant dans les airs sur les joyeuses cimes, bien au-dessus de cette terre de malheurs et d’ennuisl

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CHAPITRE XX

L’OLYMPE ET LES mnuX

De même que la gloire de l’imperceptible' Grèce dépasse en éclat celle de tous les em- pires de l’Orient, de même l’Olympe, la‘plus haute et la plus belle des montagnes sacrées des Hellènes, est devenue dans l’imagination des peuples le mont par excellence; aucun sommet, ni celui du Mérou, ni ceux de l’El— bourz, de l’Ararat, du Liban, ne réveille dans l’esprit des hommes les mêmes souvenirs de grandeur et de majesté. Bien peu, du reste, “étaient plus admirablement situés pour frap- per le regard, servir de signal aux races qui parcouraient le monde. Placé à l’angle de la , mer Êgée et dominant toutes les cimes voi— sines de la moitié de sa.hauteur, l’Olympe

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‘206 HISTOIRE D’CXE MONTAGNE.

est aperçu par les marins et d’énormes distances. Des plaines de la Macédoine, des riches val- lées de la Thessalie, des monts de l‘0thrys, du Finde, du Bermius, de l’Athos, on dis- tingue à l’horizon son triple dôme et ces pentes aux « mille plis » dont parle Homère. La fertilité des campagnes qui s'étendent a sa base appelait de toutes parts les populations, qui venaient s’y rencontrer, Soit pour se mé— langer diversement, soit pour s’entre-détruire. Enfin l’Olympe commande les défilés que (le- vaiept nécessairement suivre les tribus ou les armées en marche7 d’Asie en Europe? ou dela Grèce vers les pays barbares du nord ; il s‘élève comme une borne milliaire sur le grand che- min que suivaient alors les nations. Plusieurs autres montagnes du monde hel- lénique devaient a leurs neiges étincelantes le nom d‘Olympe ou de «lumineuse»; mais nulle ne le méritait mieux que celle de Thes- salie7 dont la cime servait de trône aux dieux. C’est que le peuple des llellénes lui—niéth avait passé son enfance nationale dans les vallées et les plaines étendues a l’ombre du grand mont. C‘est de la Thessalie que ve—

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L’OI.YMPE ET LES DIEUX. . 26.

naient les Hellénes de l’Attique et du Pélopo- nèse; c’est là que leurspremiers héros avaient combattu les monstres et que leurs premiers poètes,g fluides par la voix des muses Piérides, avaient composé les hymnes et les chants d al- légresse et de victoire. En essaimant vers les contrées lointaines, les tribus grecques se rap- pelaientla montagne divine qui les av ait portés et nourris dans ses vallons.

Presque tous les grands événements de l’histoire mythique s’étaient accomplis dans cette partie de la Grèce, et parmi eux, le plus important, celui qui décida de l’empire du ciel et de la terre. L’Olympe était la citadelle choisie par les nouveaux dieux,et tout autour étaient campées les anciennes divinités,les Titans monstrueux, fils du Chaos. Debout sur les monts Othrys, qui se développent au sud en un vaste demi-cercle, les géants sai— sissaient d’énormes rochers, des montagnes entières, et les lançaient centré l’Olympe a demi déraciné. Pour se dresser plus hautdans le ciel, les vieux Titans entassèrent mont sur mont et s’en firent un piédestal, mais la grande cime neigeuse lesdépassait toujours; elle s’en-

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QCS HISTOH‘.E D’ENE MONTAGNE.

tourait de sombres nuées d'où jaillissait la foudre. Les géants, nourris des forces mêmes de la terre, avaient dans leurs voix les hur— loments de l’orage et dans leurs bras la vigueur de la tempête; de leurs cent bras, ils lan- ' çaient au hasard leur grêle de rochers; mais, contre les jeunes dieux intelligents, ils_,lut— talent avec la fureur aveugle des éléments. Ils suci:ombèrent,et, sous les débris des monts, des peuples entiers furent écrasés avec eux. C‘est ainsi que des caprices de rois ont sou- Vent fait massacrer les nations comme par mégarde. ‘ ‘

Ces prodigieux combats de l’Olympe avaient Cessé depuis de nombreuses générations, lorsque les peuplades ioniennes et doriennes eurent des poètes pour chanter leurs propres exploits et, plus tard, des historiens pour les raconter. Alors Zeus, le père des Dieux et des Hommes, siégeait en paix sur la montagne sacrée ; son trône était posé sur la plus haute cime; a côté se tenaitHéra, la déesse toujours femme et toujours vierge; à l’entour étaient assis les autres immortels & la face éternelle- ment belle et joyeuse. Un éther lumineux bai—

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L‘OLY.\IPE ET LES DlEUX. 259

gnait le sommet de l’Olympe et se jouait dans la chevelure des dieux ; jamais les tempêtes ne ven aient troubler le repos de ces êtres heureux; ni les pluies] miles neiges ne tombaient sur la cime éclatante. Les nuées que Zeus assemblait s‘enroulaient a ses pieds autour des rochers qui formaient la superbe base de son trône. A travers les interstices de ce voile que les Heu res 0 uvraient et ferm aient au gré du maître, celui-ci contemplait la mer et la terre, les cités et les peuples. Sur la tête de ces hommes qui s‘agitaient7 il suspeudait des destinsinflexibles7 il prononçait la vie ou la mort, distribuait & son caprice la pluie bienfaisante ou la foudre vengeresse. Aucune lamentation venue d’en bas ne troublait les dieux dans leur quiétude éternelle. Leur nectar était toujours délicieux, toujours exquise l’ambroisie. Ils savouraient l’odeur des héeatombes, écoutaient comme une musique le concert des voix suppliantes. Ail—(lessous deux se déroulait comme un spec- tacleinfini le tableau (les luttes et dela misere humaine. Ils voyaient s‘entre-choquer les ar— méea les flottes s’engloutir, les villes dispe- raître en flammes et en fumée, les pauvres

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270 ' . HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

lahoureurs, mir1nidons presque invisibles, s’épuiser de fatigu‘es pour obtenir des récoltes qu’un maître devait leur ravir; jusque sous le toit des demeures, ils voyaient pleurer les femmes et se lamenter les enfants. Au loin, leur ennemi Prométhée géri1issait sur un roc du Caucase. Tels étaient les bonheurs des dieux.

Est-ce que jamais un Hellène, berger, prêtre ou roi, osa gravir les pentes de l’Olympe au- dessus des hauts pâturages de ses vallons et de ses croupes ? Un seul se hasarda-t-il, en met— tant le pied sur la grande cime, a se trouver tout a coup en présence des terribles dieux? Les écrivains antiques nous disent que des phi- losophes n’ontpas {craint d‘escalader PEtna, pourtant beaucoup plus élevé que l’Olympe; mais ils ne mentionnent aucun mortel qui ait eu. l’audace de gravir la montagne des Dieux, même au temps de la science, a l’épo- que où le philosophe enseignait que Zeus et les autres immortels étaient de pures con- ceptions de‘l’espri‘t humain.

Plus tard, d’autres religions, chez des peu- ples divers, qui vivent dans les plaines envi

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L"OLY.\IPE ET LES DIEUX. ' 271

ronnantes, s'einl'iarbrent de la sainte montagne et la eonsacrèrent a de nouvelles divinités. Au lieu de Zeus, les chrétiens grecs y adorèrent la sainte Trinité; dans ses trois principales cimes, ils voient encore les trois grands trônes du ciel. Un de ses promontoires les plus éle- vés, qui jadis portait peut-être un temple d’Apollon, est dominé maintenant par un mo- nastère de saint Élie; un de ses—vallons, où les Bacchantes allaient chanter Évohé en l’honneur de Dionysos ou Bacchus, est habité par les moines de saint Denys. Les prêtres ont succédé aux prêtres, et le respect super— stitieux des modernes à l’adoration des an- ciens; mais peut-être le plus haut sommet est-il, jusqu’à présent, vierge de pas humains; la douce lumière qui resplendit sur ses ro— chers et ses neiges n’a encore éclairé personne depuis que les dieux hell‘enes s’en sont allés.

Il y a peu d’années encore, il eût, été diffi— cile & l‘Eur0péen d’arriver jusqu’au sommet de la montagne, car les Klephtes hellénes, a l’infaillible halle, en occupaient toutes les gorges; ils s‘y étaient retranchés comme dans

une énorme citadelle, et de la, recommençant

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572 HISTOIRE I)’lÎNE MONTAGNE.

la lutte des dieux con tre les"l‘itans, ils allaient faire leurs expéditions contre les Turcs du mont Ossa. Fiers de leur bravoure7 ils se croyaient invincibles comme la montagne qui les p0rtait; ils personnifiaient l‘Olympe lui— même. « Je suis? disait un de leurs chants, je suis l’Olympe, illustre de tout temps et célèbre parmi les nations; quarante—deumpics se hérissent sur mon front, soixante—douze fontaines coulent dans mes ravins, et sur ma cime plus haute vient de se poser un aigle tenant dans ses se ’ŒS la tête d’un vaillant héros! » Cet aigle était, sans doute, celui de l’antique Zeus. Maintenant encore, il se repaît de l’homme qui s’entre-tue.

L’imagination des peuples se donne libre carrière quand il s’agit des dieux qu’elle a créés. Pendant le cours des siècles, elle change leurs noms, leurs attributs et leur puissaan suivant les alternatives de l‘histoire, les chan-

gements des langues, les variantes indivi— duelles et nationales des traditions; a latin, elle les fait mourir comme elle les a fait naître, et les remplace par de nouvelles divi— nités… Il ne lui en coûte donc pas beaucoup

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L’OLYMl‘E ET LES I)IIËUX: 273

de les faire voyager de montagne en monta— gne. Aussi chaque cime avait—elle son dieu ou même sa pléiade d’êtres célestes. Zeus vi- vait sur le mont Ida, de même que sur l’O- lympe de Grèce, sur ceux de la Crète et de Chypre et sur les rochers d‘Égine. Apollon avait sa demeure sur le Parnasse et sur l’Hé- licon, sur le Cyll'cne et sur le Taygète, sur tous les monts épars qui se dressent hors de la mer Égée. Les sommets que venaient dorer les rayons du jour naissant: lorsque les plai- ' nes inférieures étaient encore dans l’ombre7 dc- Vaient être consacrés au dieu du soleil. AUSsi, presque toutes les Cimes isolées de l‘Hellade portent-elles aujourd’hui le nom dlilias. Le prophètejoif, en vertu de son nom, est devenu, par un calembour sacré, l’héritier d’liélios, fils de Jupiter.

« Voyez ce trône, centre de la terre7 » disait Eschyle en parlant de Delphes. En maint autre endroit, suivant la fantaisie du poète, ou l’ima— gination populaire, se dressait ce pilier een— tral. Pindare le voyait dans l‘Etna; les matc— lots de l’Archipel désignaicnt le mont Athos, la grande borne que l’on disccrnait toujours

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' 27—’i HISTOIRE D'lÎXE MONTAGNE.

au—dessus des eaux, soit en quittant les rives de liAsie, soit en naviguant dans les mers de l’Europe. Sur cette montagne, disait—on, le so— leil se eouchait trois heures plus tard que dans les plaines de sa base, tant elle était haute; elle regardait par-dessus les bornes mêmes de la terre. Lorsque l’Ilellade , jadis libre, fut asservie au Macédonien, lorsqu’elle devint la chose d’un maître7 il se trouva un flatteur assez vil, un homme assez *ampant pour prier Alexandre, qui s’était proclamé dieu7 d’employer une armée à transformer le mont Athos en une statue du nouveau fils de Zeus, « plus puissant que son père ». L’œu— vre impossible aurait pu tenter un dieu par- venu7 fou d’orgueil; pourtant celui-ei n’osa pas l'entreprendre. Les marins qui voguaient au pied de la grande montagne continuèrent d’y voir un ancien dieu,jusquïtu(jour ou com— mença un autre cycle de l‘histoire7 amenant un nouveau cuite et de nouwlles divinités. Alors on se ra.eonta que le mont .‘tlms est précisément cette montagne ou le diable avait transporté Jésus le Galiléen pour lui montrer tous les royaumes de la terre étendus a ses

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,….-…—,_w_

L‘OLYMPE ET LES DlEUX. 7275

pieds, l’Europe, FAsie et les îles de la mer. Les habitants d’Athos le croient encore, et se- rait—il possible, en effet, de trouver une cime d’où la vue soit, sinon plus vaste, du moins plus belle et plus variée?

En dehors du monde hellénique où l'imagi— nation populaire était si poétique et si féConde, les peuples voyaient aussi dans leurs monta— gnes le trône des maîtres du ciel et de la terre. Non seulement les grands sommets des Alpes“. étaient adoi*és comme le séjour des dieux et comme des dieux eux—mêmes, mais, jusque dans les plaines du nord de l’Allemagne et du Danemark, de petites collines, qui relèvent leurs croupes au-dessus des landes uniformes, étaient des Olympes non moins véné‘rés que celui de la Thessalie l’avait été par les Grecs. Même dans la froide Islande, dans cette terre (les brumes et des glaces éternelles, les adora— teurs des souverains célestes se tournaient vers les montagnes de l’intérieur, croyant y voir les sièges de leurs dieux. Sans doute, s'ils avaient pu gravir jusqu’à la cime les flancs ravinès de leurs volcans, s’ils avaient contemple l’hor- reur de ces cratères où les laves et les neiges

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276 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

luttent incessannnent, ils n’auraient point songé à faire de ces lieux terribles le séjour enchanté de leurs divinités heureuses. Mais ils ne yoyaient les montagnes que de loin; ils en aperccvaient les cimes étincelantes a : travers les nuages déchirés, et se les figu- ‘ raient d’autant plus belles que les plaines de la base étaient plus sauvages et plus difficiles a parcourir. Ces monts, séparés de la terre des , humains par des barrières de précipices in— franchissables, c’était la cité d’Asgard où, sous un ciel t0ujours clément7 vivaient les dieux i0yeux. Ce grand nuage de vapeurs qui s’élef vait de la cime dela montagne divine et s’é- talait largement dans le ciel, ce n’était point une colonne de cendres, c’était le grand frêne Ygdrasil, a l’ombre duquel se reposaient les maîtres de l'univers. ’

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CHAPITRE XXI

LES GÉNIES

Les religions se transforment lentement, Les cultes du monde ancien, éteints en appa— rence depuis tant de générations, continuent sous les dehors des cultes nouveaux. Souvent les noms des dieux ontété changés, mais l’au- tel est resté le même. Les attributs de la divi- nité sont encore ce qu’ils étaient il y a deux mille ans7 et la foi qui l'invoque a gardé la « sainte simplicité » de son fanatisme. Dans les vallées sauvages de l’Olympe, où bondis— saith les baechantes échevelées, les moines murmurent maintenant des prières; sur la sainte montagne d’Atlms7 que les marins de toute race et de toute langue adoraient de la

surface des flots murmurants7 ncufcent trente- 16

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278 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

cinq églises s’élèvent en l’honneur de tous les saints; le dieu des chrétiens est devenu l’héri- tier de Zeus, qui lui—même avait succédé à des dieux plus anciens. De même, à Syracuse, le templede Minerve, dont les mâtelots saluaient de.loin la lance d’or en versant une coupe de vin dans les eaux, s'est changé en une église de la Vierge. Chaque promontoire marin et, dans l‘intérieur des terres, chaque sommet de colline, chaque montagne couronnée d’un tem — ple, & gardé ses adorateurs, tout en changeant son nom. Un voyageur parcourt l’île de Chypre à la recherche d’un temple de Venus Aphro- dite. « Nous ne l’appelons plus Aphrodite, s‘éerie avec zèle la femme qu’il interroge, nous l'appelons maintenant la Vierge Chrysopo- lite! » _

Mais les peuples Chrétiens n’ont pas seule- ment continué de vénérer les montagnes sain- tes des Romains et des Grecs, ils ont étendu ce culte ii leur manière dans toutes les contrées qu’ils habitent. De même que nos dieux des temps légendaires, nos ancêtres plus rappro— chés, qui vivaient au moyen âge, ne pouvaient. contempler la montagne sans que leur imagi-

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LES (';IËNIES. ‘373)

nation ne fit vivre des êtres supérieurs dans les vallées mystérieuses et sur les sommets rayonnants. Il est vrai que ces êtres n’avaient pas droit au titre de dieux; maudits par l‘E- glise, ils se transfermaient en diables, en (le- …ons malfaisants, ou bien, tolérés par elle, ils devenaient des génies tutélaires, des dieux de contrebande, invoqués seulement a la (lé— robée.

Jupiter, _,a\pollon, Vénus, étaient descendus de leurs trônes, ils s‘étaient réfugiés dans le fond des antres; eux dont les faces augustes ' avaient rayonné dans la lumière, étaient con— damnés a vivre désormais dans les ténèbres des cavernes. Les fêtes de l‘Olympe s‘étaient transformées en sabbats où les sorcieres lii— deuses allaient, a cheval sur un balai, évoquer le diable pendant les nuits d’orage. D'ailleurs, le froid climat, le ciel nuageux de nos enn— l.rées du nord devaient contribuer aussi pour une forte part a la réclusion des anciens dieux. Comment auraient-ils pu, sous le vent et la neige, au milieu des tourmentes, continuer leurs banquets joyeux, savourer l‘ambroisie et jouer de la lyre d’or?‘A peine pouvait-on

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‘ZC IlîSTÛXI:E l)"['.‘\'E MONTAGNE.

rêver leur présence dans ces palais fantasti— ques, construits en un instant par les rayons du soleil sur les cimes resplendissantes et dis- paraissant non moins vite, comme (les rêves ou de mins mirages!

Dieux et génies sont les personnifications de ce que l’hômme redoute et de ce qu’il dé- sire. Toutes ses terreurs, toutes ses passions prenaientjadis une forme surnaturelle. &ussi, parmi les esprits de la montagne, les uns sont— ils de redoutablesmagiciens qui brûlentl’herbe des pâturages, tuent le bétail, jettent un sort aux passants; les autres, au contraire, sont des êtres bienx‘eillants dont une jatte de lait répandue ou même une simple incantation con- cilie les faveurs. C‘est au bon génie que s’a— dresse le berger pour que ses troupeaux s’ac—‘ croissent d’agncaux vigoureux et de génisses sans lache. C’est a lui surtout que jeunes et vieux, hommes et femmes, demandent ce qui ii‘iallieureuscment serait pour presque tous la joie suprême de la vie, de l’or, des richesses, un trésor. De vieilles traditions nous racontent comment les génies dela montagne se glissent dans les veines de la pierre, pour y inserer

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rns GENES. 281

les cristaux et le métal, pour y mélanger di.— verscmcnt les terres et les minerais. D’autres légendes disent comment et à quelle heure il faut frapper la pierre sacrée qui recouvre les richesses, quels signes on doit faire, quelles syllabes étranges on doit prononcer. Mais qu‘un seul oubli se commette, ”qu’un son prenne la place d’un autre, et toutes les for- mules d’incantation sont vaines!

J’ai vu d’énormes fouilles entreprises par les montagnards au Sommet d’une pointe de rochers cachée par les neiges pendant neuf mois de l'année. Cette pointe était consacrée à un saint qui, lui-même, avait succédé, comme protecteur du mont, à un dieu païen Chaque été, les chercheurs de trésors reve naicnt crc user la cime en se servant des mots et des gestes sacramentels. Ils ne trouvaient que des feuillets de schiste sous d’autres feuil- lets semblables; mais, sans se lasser, quelque avide piocheur continuait son oeuvre, essayant d‘évoquer le génie par une nouvelle formule, , par un cri victorieux. ‘

Plus intéressants que ces dieux gardeurs

de trésors sont ceux qui, dans les cavernes de 16.

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282 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

la montagne, sont chargés de conserver le génie de toute une race. Cachés dans l‘épais— seur de la rocl1e, ils représentent le peuple tout entier, avec ses traditions, son histoire, son avenir. Aussi vieux que le mont, ils dure- ront aussi longtemps que lui, et, tant qu'ils vivront eux-mêmes, vivra la race dont l=s groupes sont épars dans les vallées environ— nantes. C’est le génie qui, dans sa pensée pro— fonde, coneentre tous les agissements, tous les flux et reflux de la nation qui s‘agite & ses pieds. Ainsi les Basques regardent avec orgueil vers le pic d’Anie où se cache leur dieu, in- connu des prêtres, mais d’autant plus vivant. « Tant qu’il sera la, disent-ils, nous y serons aussi! » Et volontiers ils se eroiraient éter— nels, eux dont la langue disparaîtra demain !

Au même ordre d’idées populaires appar- tiennent les légendes de ces guerriers ou uro— phètes qui, pendant des siècles, attendent un grand joùr,£eachés dans quelque grotte pro- fonde d’une montagne. Tel est le mythe de cet empereur allemand qui rêvait, accoudé sur une table de pierre, et dont la barbe blanche, croissant toujours, avait poussé jusque dans

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LES GEXlES. 283

le rocher. Quelquefois un chasseur, un bandit peut—être, pénétrait dans la caverne et trou— blait le songe du puissant vieillard. Celui-ci souleva-it lentement la tête, faisait une ques-

iion & l’homme tremblant, puis reprenait son

rôveinterrompu. (5 Pas encore! » soupirait—il. Qu’attendait-il donc pour mourir en paix“? Sans doute, l'écho de quelque grande bataille, l’odeur d’un fleuve de sang humain, un im- mense égorgement en l’honneur de son em— pire. Ah! puisse cette dernière bataille avoir été déjà livrée, et que le sinistre empereur ne soit plus maintenant qu’un monceau de een- dres !

Combien plus touchante et plus belle est la \ légende des trois Suisses qui, eux aussi, atten— dent leur grand jour dans l’épaisseur d’une haute montagne des vieux cantons ! Ils sont trois comme les trois qui, dans la prairie de Grütli, jurèrent de se faire libres, et tous les trois portent le nom de Tell, comme celui qui renverse le tyran. Eux aussi sommeillent; ils rêvent; mais ce n’est pas à… la gloire qu’ils songent, c’est a la liberté, non pas a la seule liberté suisse, mais à celle de tous les hom-

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284 HISTOIRE D'U:\_‘E MONTAGNE.

mes. ’De temps en temps, l’un d‘eux se lève

pour regarder le monde des lacs et des plaines;

mais il revient trisie vers ses compagnons. « Pas encore, » soupire—t-il. Le jour de la. "grande délivrance n’est pas venu. Toujours esclaves, les peuples n’on? cessé d’adorer les chapeaux de leurs maîtres !

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CHAPITRE XXII

L’HOMME

Attendons, toutefois, attendonsavec con— fiance; le jour viendra! les dieux s’en vont, emmenant avec eux le cortège des rois, leurs tristes représentants sur la terre. L’homme ap- prend lentement à parler le langage de la li- berté; il apprendra aussi a en pratiquer les mœurs.

Les montagnes qui, du moins, ont le mérite

d’être belles, sont au nombre de ces (lieux que l’on commence à ne plus adorer. Leurs ton- nerres et leurs avalanches ont cessé d’être pour nous les foudres de Jupiter; leurs nuages ne sont plus la robe de Junon. Sans peur désor- mais, nous abbrdons les hautes vallées, rési—

dence des dieux ou repaire des génies. Les

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286 HISTOIRE D’UNEMUNTAGNE.

cimes, jadis redoutées, sont devenues précisé— ment le but de milliers de gravisseurs, qui se sont donné pour tâche de ne pas laisser un seul rocher, un seul champ de glace vierge des pas humains. Déjà, dans nos contrées popu- leuses de l’Europe occidentale, presque tous les sommels ont été successivement conquis; ceux de l’Asie, de l’Afrique, de lZÀmèrique, le seront à leur tour. Puisque l’ère des grandes découvertes géographiques est a peu près ter- minée et que, saufquelques lacunes, les terres sont connues dans leur ensemble, d’autres voyageurs, obligés de se contenter d’une moindre gloire, se disputent en grand nombre l’honneur d’être les premiers à gravir les mon- tagnes non encore visitées. Jusqu’au Groen- land, les amateurs d'ascensions vont chercher quelque cime inconnue.

Parmi ces escaladcurs qui, chaque année, pendant la belle saison, tentent-de gravir quel— que cime haute et difficile, il en est, paraît—il, qui montent par amour de la gloriole. lis cher- chent, dit-on, un moyen pénible, mais sûr, de faire répéter leur nom de journal en journal, comme si, par une simple ascension, ils avaient

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L'HOMME. 287

fait une œuvre utile à l‘humanité. Arrivés sur la cime, ils rédigent, de leurs mains raidies par le froid, un procès-verbal de leur gloire, débouchent avec fracas des bouteilles de cham- pagne, tirent des coups de pistolet comme de vrais conquérants et secouent des drapeaux avec frénésie. Là où le sommet de la mon- tagne n’est pas revêtu d‘une épaisse coupole de neige, ils apportent des pierres alim de sex— lmusser encore de quelques pouces. Ce sont des rois, des maîtres du monde, puisque la montagne entière n’est pour eux qu’un énorme piédestal, et qu'ils voient les royaumes gisant a leurs pieds. Ils étendent la main comme pour les saisir. C‘est ainsi qu’un poète de cam- pagne, invité pour la première fois a visiter mi château royal, demanda la permission de monter un instant sur le trône. Quand il s‘y trouva, le vertige de la domination le saisit tout a coup. Il aperçut une mouche qui vole— tait près de lui : « Ali lje suis roi nmintenant, je t‘écrase ! » et, d'un coup de poing, il aplatit le pauvre insecte sur le bras du fauteuil doré. . Pourl:…t, l’homme modeste, celui qui ne

raconte point son escalade et n'ambitionnc

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288 , HISTOIRE D’UNE MOI—"TAUÎIL‘.

nullement la gloire éphémère d’avoir gravi quelque pic difficilement abordable, celui-là même éprouve une joie forte quand il pose le pied sur une haute cime. Dc Saussure n'a pas eu, pendant tant d’années, le regard fixé sur le dôme du Mont-Blanc, il n’en a pas, a tant de reprises, essayé l’ascension dans l’unique préoccupation d’être utile à la science. Quand, après Balmat, il eut atteint les neiges jus- qu’alors inviolées, il n’eut pas seulement la joie de pouvoir faire des observations nou— velles, il se livra aussi au bonheur tout naïf d’avoir enfin conquis ce montrebelle. Le chas— seur de bêtes et le chasseur d’hommes, hélas! ont aussi de la joie quand, après une pour— suite acharnée a travers bois et ravins, c::— 4teaux et vallées, ils se trouvent en face (le leur victime et réussissent a l’atteindre d’une balle! Fatigues, dangers, rien ne les a rebu— tés, soutenus qu’ils étaient par l’espoir, et, maintenant qu’ils se reposent à côté de leur proie tombée, ils oublient tout ce qu’ils ont souffert. Comme le chasseur, le gravisscur de eimes a cettejoie de la conquête après l’effort, mais il a de plus le bonheur de n’avoir risqué

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l.’ll() MME. ' 289

que sa pr0pre vie; il a gardé ses mains pures.

Dans les grandes ascensions, le danger est souvent bien proche, et à chaque minute on risque la mort; mais on avance toujours et on se sent soutenu, soulevé par une forte joie, à. la vue de tous ces périls que l’on sait éviter par la solidité de ses muscles et sa présence d’esprit. Fréquemment, il faut se tenir sur une pente de neige glacée où le moindre faux pas vous lancerait aux précipices. D’autres fois, on rampe sur un glacier en s’accrochent a un simple rebord de neige qui, en se bri— sant, vous laisserait tomber dans un gouffre dont on ne voit pas le fond. Il arrive aussi qu’on doit escalader des parois de rochers dont les saillies sont à peine assez larges pour que le pied y trouve place, et que recouvre une croûte de verglas, palpitant pour ainsi dire sous l’eau glaciale qui s’épanche au—dcssous. Mais tels sont le courage et la tranquillité d’es- prit, que pas un muscle ne se permet un faux mouvement, et tous s’harmonisent dans leurs efforts pour éviter le danger. Un voyageur glisse sur 'une roche d’ardoise polie et très inclinée, que coupe brusquement un préci-

17

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1290 ' HISTOlRE D’EXE MONTAGNE. '

pice de cent mètres de hauteur. Le voilà qui descend avec une rapidité vertigineuse ‘sur la pente lisse; mais il s’étend si bien pour offrir une plus large surface de frottement et ren- contrer toutes les petites aspérités du roc, il utilise si habilement ses bras et ses jambes en guise de frein, qu’il s’arrête enfin au bord de l’abîme. La, précisément, un ruisselet s’étale sur la pierre avant de tomber en cascade. Le voyageur avait soif. Il boit tranquillement, la face dans l’eau, avant de songer à se relever pour reprendre pied sur une roche moins pé- rilleuse.

Le gravisseur aime d’autant plus la mon- tagne qu’il a risqué d’y périr; mais le senti- ‘ ment du danger surmonté n’est pas la seule joie de l’ascension, surtout chez l’homme qui, pendant le courant de sa vie, a dû soutenir de fortes luttes pour faire son devoir. En dépit de lui-même, il ne peut sŸempêcl'ier de voir dans le chemin parcouru, avec ses pas- sages difficiles, ses neiges, ses erevasses, ses obstacles de toute sorte, une image du pénible chemin de la vertu; cettecomparaison des choses matérielles et du monde moral s'impose

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L'HOMME. 291

à son esprit. « Malgré la nature, j’ai réussi, pense-t-il; la cime est sous mes pieds. J‘ai souiTert, c’est vrai, mais j’ai vaincu, et le devoir est accompli. » Ce sentiment a toute sa force chez ceux qui ont vraiment mission scientifiqued’esealader un sommet dangereux, soit pour en étudier les roches et les fossiles, soit pour y rattacher leur réseau de triangles et dresser la carte du pays. Ceux—là ont droit de s’applaudir après avoir conquis la cime; s’il leur arrive malheur dans leur voyage, ils ont droit au titre de martyrs. L’humanité re— connaissante doit s’en rappeler les noms, bien autrement nobles que ceux de tant de pré- tendus grands hommes!

Tôt ou tard les âges héroïques de l'explo- ration des- montagnes prendront fin comme ceux de l’exploration de la planète elle-même, et le souvenir des fameux gravisseurs se trans- formera en légende. Les unes après les autres, toutes les montagnes des contrées populeuses auront été escaladées; des sentiers faciles,— puis des chemins carrossables, auront été con- struits de la base au sommet, pour on l‘aci- liter l’accès, même aux désœuvrcs et aux

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292 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

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affadis; On aura fait jouer la mine entre les crevasses des glaciers pour montrer aux ba- dauds la texture du cristal; des ascenseurs mécaniques auront été établis sur les parois des montsjadis inaccessibles, et les « touristes » se feront hisser le long des murs vertigineux, en fumant leur cigare et en devisant de scan- dales. '

Mais ne voilà—t—il pas déjà que l’on monte aux sommets par des chemins de fer! Les in— 'venteurs ont imaginé maintenant des locomo— tives de montagnes, afin que nous puissions aller nous plonger dans l’air libre des cieux, pendant l’heure de digestion qui suit notre dîner Des Américains, gens pratiques dans leur poési,e ont inventé ce nouveau mode d as— cension. Pour atteindre plus vite et sans fa- tigue le sommet de leur montagne la plus vénérée, à laquelle ils ont donné le nom de (" Washington, le héros de l’indépendance, ils l’ont rattachée à leur réseau de chemins dei, fer. Roches et pâturages sont entourés d’une: spirale de rails que les trains gravissent et, descendent tour à tour en sifflant et en dérou— lant leurs anneaux comme des serpents gigan-

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L’ no M M E. ‘ 293

tesques. Une station est installée sur la cime, ainsi que des restaurants et des kiosques dans le style chinois. Le voyageur en quête d‘im- pressions y trouve des biscuits, des liqueurs et des, poésies sur le soleil levant.

Ce que les Américains ont fait pourle mont Washington, les Suisses se sont hûtés de l’imiter pour le Righi, au centre de ce pano- rama si grandiose de leurs lacs et de leurs montagnes. Ils l’ont fait aussi pour l’Utli; ils le feront pour d‘autres monts encore, ils en ramèneront pour ainsi dire les cimes au ni- veau de la plaine. La locomotive passera de vallée en valléepar-dessus les sommets,commc passe un navire en montant et descendant sur les vagues de la mer. Quant aux monts tels que les hautes cimes des Andes et de l’Hima— laya, trop élevées dans la région du froid pour que l’homme puisse y monter directe— . ment, le jour viendra où il saura pourtant les atteindre. Déjà les ballons l’ont porté à deux ou trois kilomètres plus haut; d’autres aéronefs iront le déposer jusque sur le Gaou— risankar, jusque sur le « Grand Diadème du Ciel éclatant. »

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29i msromr n*rxn MONTAGNE.

' Dans cette grande œuvre d’aménagement de la nature, on ne se borne point à rendre les montagnes d’un accès facile, au besoin on travaille à les supprimer. Non contents de faire escalader à leurs routes carrossables les monts les plus ardus, les ingénieurs percent les roches qui les gênent, pour faire passer leurs voies de fer de vallée a vallée. En dépit de tous les obstacles que la nature avait mis en travers de sa marche, l’homme passe; il se fait une nouvelle terre appropriée à ses besoins Lorsqu’il lui faut un grand port de refuge pour ses navires, il prend un promon— toire au bord des mers, et, roche et roche, il le jette au fond des eaux pour en construire un brise-lames. Pourquoi, si la fantaisie lui en vient, ne prendrait-il pas aussi de grandes montagnes pour les triturer. et en répandre — les débris sur le sol des plaines?

Mais quoi, ce travail est déjà commencé. En Californie, les mineurs, las d’attendre que les ruisseaux leur apportent le sable pailletè d‘or, ont eu l’idée de s’attaquer à la mon- tagne elle—même. En maints endroits, ils écrasent la roche dure pour en retirer le mé-

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L’HOMME 295

tal; mais ce travail est difficile et coûteux. La besogne est plus facile lorsqu’ils ont de- vant eux des terrains de transport, tels que

sables meubles et cailloux. Alors, ils s’in—

stallent en face, avec d’énormes pompes à incendie, ravinent incessamment les talus a _ grands jets et démolissent ainsi peu à peu la montagne pour en extraire toutes les molé- cules d’or. En France, on a eu l’idée de dé- blayer de la mêmemani‘cre une partie des énormes amas d’alluvions antiques accumulés en plateaux au devant des Pyrénées; au moyen de canaux, tousces débris, transformés en limons fertilisants, serviraient a exhausser et à féconder les plaines nues des Landes. Certes, ce sont la des progrès Considé- rables. Le temps n’est plus où les seuls che- mins des montagnes étaient des orni'eres telle- ment étroites que deux piétons, venant en sens contraire, ne pouvaient s’éviter et devaient passer l‘un sur le dos de l’autre couché sur le sentier. Tous les points de la terre devien- nent accessibles, même aux invalides et aux malades; en même temps, toutes les ressources deviennent utilisables, et la Vie de l’homme

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296 IllSTOlRÉ D’ÏÎNE MONTAGNE.

se trouve ainsi prolongée de toutes les heures conquises sur la période d’efforts, tandis que son avoir s'accroît de tous les trésors arrachés à la terre. Mais, comme toutes les choses hu— maines, ces progrès amèneront avec eux les abus correspondants; quelquefois, on sera sur le point de les maudire, de même qu’on a maudit jadis la parole, l’écriture, le livre et jusqu’à la pensée. Quoi que disent les ama— teurs du bon vieux temps, la vie, si rude pour la plupart des hommes, deviendra pourtant de plus en plus facile. A nous de veiller pour qu’une forte éducation arme le jeune homme d’une énergique volonté et le rende toujours capable d’un héroïque effort, seul moyen de maintenir l’humanité dans sa vigueur morale et matérielle! A nous de remplacer par des épreuyes méthodiques ee dur combat de l'exis— tence par lequel il faut acheter maintenant la force d'âme. Jadis, lorsque la vie était un incessant combat de l’homme contre l’hom me ou la bête fauve, l‘adolescent était regardé comme un enfant, tant qu'il n’avait pas rap- porté de trophée sanglant dans la hutte pater— nelle. Il lui fallait montrer la force de son

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v—mm

L’HOMME. 297

bras, la solidité de son courage, avant qu’il osàt élever la voix dans le conseil des guer— riers. Dans les pays où le danger n’était pas tant d’avoir à se mesurer avec l’ennemi que d’avoir et subir la faim, le froid, les intempé— ries, le candidat au titre d’homme était aban- donné dans la forêt sans nourriture, sans vêtements, exposé à la bise et a la morsure des insectes; il fallait qu’il restait là, immo— bile, la face placide et fière, et qu’après des journées d’attente il eût encore la force de se laisser torturer sans se plaindre, d’assister à un repas abondant sans avancer la main pour en prendre sa part. ‘Maintenant, on n’impose plus ces épreuves barbares a nos jeunes gens, mais, sous peine de décadence et d’abêtisse— ment, il faut savoir donner aux enfants une âme haute et ferme, non seulement contre les

,malheurs possibles, mais surtout contre les

facilités de la vie. Travaillons a rendre l’hu— manité heureuse, mais enseignons—lni en même temps a triompher de son propre bonheur par la vertu. '

Dans ce travail, si capital, de l’éducation des enfants, et, par eux, de l’humanité future,

17.

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298 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

la montagne a 'le plus grand rôle a remplir. La véritable école doit être la nature libre, avec ses beaux paysages que l’on contemple, seslois que l’on étudie sur le vif, mais aussi avec ses obstacles qu’il faut surmonter. Ce n’est point dans les étroites salles aux fenêtres grillées que l’on fera des hommes courageux et purs. Qu’on leur donne au contraire la joie de se baigner dans les torrents et les lacs des montagnes, qu’on les fasse promener sur les glaciers et sur les champs de neige, qu’on les mène i11’escalade des grands sommets. Non seulement ils apprendront Sans peine ce que nul livre ne saurait leur enseigner7 non seu- lement ils se souviendront de tout ce qu’ils auront appris dans ces jours heureux où la voix du professeur se confondait pour eux, en une mêmeimpression, avec la vue de paysages charmants et forts, mais encore ils se seront . trouvés en face du danger et ils l’auront joyeu- sement bravé. L’étude sera pour eux un plai— sir, et leur caractère se formera dans la joie.

On ne saurait douter que nous sommes à la veille d‘accomplir les changements les plus considérables dans l’aspect de la nature aussi

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L’HOMME. 299

bien que dans la vie de l’humanité; ce monde extérieurque nous avons déjà si puissamment modifié dans sa forme, nous le transforme- rons a notre usage bien plus énergiquement encore. A mesure que grandissent notre savoir et notre puissance matérielle, iiotre volonté d‘homme se manifeste de plus en plus impérieuse en face de la nature. Actuellement, presque tous les peuples dits civilisés em— ploient encore la plus grande partie de leur épargne annuelle à. préparer les moyens de s’entre-tuer et de dévaster le territoire les uns des autres; mais, lorsque, plus avisés, ils l’appliqueront a augmenter la force de pro- duction du sol, a utiliser en commun toutes les forces de la terre, a supprimer tous les obstacles naturels qu’elle oppose a nos libres mouvements, c’est a vue d'oeil que cl‘1angera l’apparence de la planète qui nous emporte dans son tourbillon. Chaque peuple donnera, pour ainsi dire, un vêtement nouveau a la nature environnante. Par ses champs et ses routes, ses demeures et ses constructions de toute espèce, par le groupement imposé aux arbres et l'ordonnance générale des paysages,

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300 HISTOIRE D’UNE MONTAGNE.

la population donnera la mesure de son propre idéal. Si elle a vraiment le sentiment du beau, elle rendra la nature plus belle; si, au con— traire, la grande masse de l’humanité devait rester ce qu’elle est aujourd'hui, grossière, égoïste et fausse, elle continuerait à marquer la terre de ses tristes empreintes. C’est alors que lelcri de désespoir du poète deviendrait une vérité : « Où fuir? la nature s’enlaidit. »

Quel que soit l’avenir de l‘humanité, quel que doive être l’aspect du \milieu qu’il se créera, la solitude, dans ce qui reste de la libre nature, deviendra de plus en plus né- cessaire aux hommes qui, loin du conflit des opinions et des voix, veulent retremper leur pensée. Si les plus beaux sites de la terre de- vaient un jour être seulement le rendez-vous de tous les désœuvrés, ceux qui aiment & vivre dans l’intimité des éléments n’auraient plus qu’à s’enfuir dans une barque au milieu des flots, ou bien a attendre le jour ou ils pourront planer comme l’oiseau dans les pro— fondeurs de l’espace; mais ils regretteraient toujours les fraîches vallées des monts, et les torrents jaillissant des neiges inviolées, et les

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L’HOMME. 301

pyramides blanches ou roses se dressant dans le ciel bleu. Heureusement, les montagnes ont toujours les plus douces retraites pour celui qui fuit les chemins frayés par la mode. Long— temps encore on pourra s’écarter du monde frivole et se retrouver dans la vérité de sa pensée, loin de ce courant d’opinions vul- gaires et facticcs qui troublent et détournent jusqu'aux esprits les plus sincères.

Quel étonnement, quelle déshabitude de tout mon être, lorsque, franchissant le seuil du dernier défilé de la montagne, je me re— trouwai dans la grande plaine aux lointains indistincts et fuyants, à l’espace illimité! Le monde immense était ouvert devant moi; je - pouvais aller vers le point de l’horizon où me portait mon caprice, et cependant j’avais beau marcher, il ne me semblait point changer de place, tant la nature environnante avait perdu son charme et sa variété. Je n’entendais plus le torrent, je ne voyais plus les neiges ni les rochers, c’était toujours la même campagne monotone. Mes pas étaient libres, et pourtant je me sentais bien autrement emprisonné que dans la montagne; un arbre seul, un simple

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302 IIÎSTOIHE D’IIL\'E MONTAGNE.

arbuste, suffisaient à me cacher l’horizon; pas un chemin qui ne fût bordé des deux côtés par des haies ou des barrières.

En m’éloignant des monts que j’aimais et qui s’enfuyaient loin de moi, je regardais sou— vent en arrière pour en distinguer les formes amoindries. Les pentes se confondaient peu a peu en une même masse bleuâtre; les larges

’ entailles des vallées eessaient d’être visibles; les aimes secondaires Se perdaient, le profil ' des hauts sommets se dessinait seul sur le fond lumineux. A la fin, la brume de pous- sière et d’impuretés qui s’élève des plaines me caeba les pentes basses des montagnes; il ne restait plus qu’une sorte de (] 'eor porté sur des nuages) et c’est a peine si je pouvais encore retrouver du regard quelques-unes des cimes autrefoisgravies. Puis tous les con; tours disparurent dans les vapeurs; la plaine sans bornes visibles m’entoura de toutes parts. Désormais, la montagne était loin de moi, et j’étais rentré dans le grand tumulte des 1…— mains. Du moins ai-je pu garder dans ma mémoire la douce impression du passé. Je vois de nouveau surgir devant mes yeux le

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L*IIOMIME. ' 363

profil aimé des monts, je rentre par la pensée dans les vallons ombreu1x, et, pendant quel— - ques instants, je puis jo>uir en paix de l’inti— mité de la roche, de I’insecte et _ _…hgin d’herbe. " {

… n…… ……—_—'« 

FINI

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4\ — «… . 4—)—yæ:=v——: —….

TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE I. L’ASXLE.» ......... . . II. LES SOMMETS ET LES VALLÈES. . . III. LA ROCHE ET LE CRISTAL ...... IV. L’omcma DE LA MONTAGNE. . . . . V. Las FOSSILES. . . ......... VI. LA DESTRUCTION mas muss. . . . . VII. LES ÉBOULIS ............. VIII. LES NUAçES .............

IX. LE BROU1LLARD ET L'ORAGE. . . . .

X. LES NEIGES ....... ‘ ...... XI. L’AVALANGHE. . . . . . . . . . . . . XII. _LE*GLACIER ..... ' ........

XIII. LA MORAINE ET LE TORRENT. . . .

PAGES.

1 [11 25 39 53 63 * 75 87 97 107 125 139 '

151 163

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306

TABLE mas MATIÈRES.

CHAPITRE XV. LES ANIMAUX DE LA MONTAGNE . .

..—.

XVI. L’ÉTAGEMENT DES CLIMATS. . . . . XVII. LE LIBRE MONTAGNARD. . . . . . . XVIII. LE CRÉTIN . . ...........

‘XIX. L‘ADORATION DES MONTAGMZS . . .

XX. L’0LYMPE ET LES maux. . . . XXI. LES GÈNIES. . . . ........ XXII. L‘HOMME..… ..

FIN DE LA TABLE DES MATIÈNES

PAGES. .

182 193 209 231

1076. —- Im rimerie A. Lulmrc 9 l'….) du l"iuurus, runs. , 1

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Sommaire du cahier complémentaire. — Considérations générales. —- Histoire de l‘Architecture. -— De la Sculpture. _ De la Peinture. —— Gravure. — Lithographie. -— Histoire de la Musique. — Astronomie. — Archéologie. —— Numismatique. — Paléographie. ' —— Minéralogie. — Algèbre et Géométrie. —- De la Vapeur et de ses applications. — Télégraphie électrique. -— Galvanoplastie. — De la Chloroformisation. — De la Photographie et de l’Aérostation.

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