près les grandes Chansons de gestes, les Fabliaux ont été à un moment, et pendant deux siècles au moins, une des formes les plus importantes et les plus personnelles de l’ancienne littérature de la France et, on peut le dire maintenant, de la littérature française.
Le premier qui s’en soit aperçu à l’état d’historien est le Président Claude Fauchet dans son Histoire des anciens poëtes françois, publiée en 1581, alors que leur esprit était depuis longtemps passé ailleurs, dans les Farces d’abord et ensuite dans les conteurs en prose. Le dix-septième siècle les a ignorés. Molière, sans le savoir et par une série d’intermédiaires encore inconnus, a fait dans son Médecin malgré lui un chef-d’œuvre avec le vieux Fabliau du Vilain Mire, et La Fontaine a cru les trouver dans leurs imitateurs italiens. Il était réservé à la curiosité du dix-huitième siècle d’avoir l’intelligence de se reprendre directement à ce passé oublié.
Dans un Mémoire imprimé en 1746 dans le tome XX des Mémoires de l’Académie des Inscriptions, un amateur et un archéologue, ordinairement curieux de l’art italien ancien et moderne, le comte de Caylus, et d’après l’examen d’un seul manuscrit, celui de Saint-Germain-des-Prés, rappela, presque en s’en étonnant, l’attention sur cette forme particulière de l’ancienne littérature de son pays. Dix ans après, en 1756, Barbazan en publia, aussi bien qu’on le pouvait alors, un certain nombre, bien plus considérable à coup sûr qu’on n’eût dû s’y attendre de son temps.
Le Grand d’Aussy, vers la fin du siècle, en 1779 et 1789 en fit un autre recueil, où les analyses l’emportent de beaucoup sur les textes.
Sous l’Empire, en 1802 Méon en publia en quatre volumes un recueil, déjà plus général et maintenant encore le plus important, successivement augmenté par un supplément de deux volumes imprimés par lui sous la Restauration, en 1823 et par un autre recueil aussi de deux volumes, publiés en 1889 et en 1842 par M. Jubinal. Quelques trop rares plaquettes, imprimées par des éditeurs différents, au nombre desquels il faut surtout compter en France M. Francisque Michel, et en Angleterre M. Thomas Wright, y ont ajouté quelques pièces. Voilà, sans entrer dans le menu du détail bibliographique, l’état où en est aujourd’hui la question.
En même temps il faut remarquer que, dans toutes ces publications qui avaient à leur disposition tout l’inédit du Moyen Âge français, comme la Renaissance du xve et du XVIe siècles avait eu le bonheur de trouver tous les classiques latins et grecs, il est entré bien des pièces qui ne sont des Fabliaux à aucun titre. Miracles et contes dévots, chroniques historiques rimées, Lais, petits Romans d’aventures, Débats, Dits, pièces morales, tout ce qui se rencontrait d’ancien et de curieux sans être long a été publié un peu au hasard et en masse par les différents éditeurs dont j’ai rappelé les noms. Ils avaient à coup sûr raison ; tout ce qu’ils ont imprimé était une découverte et un document à la fois philologique et littéraire. Maintenant que les publications d’anciens textes français, et il faut encore un long temps pour en épuiser la mine, se sont accumulées, il convient forcément d’être plus sévère au point de vue du genre, et, si l’on s’occupe des Fabliaux, de s’en tenir à ce qui est le vrai Fabliau, c’est-à-dire à un récit, plutôt comique, d’une aventure réelle ou possible, même avec des exagérations, qui se passe dans les données de la vie humaine moyenne. Tout ce qui est invraisemblable, tout ce qui est historique, tout ce qui est pieux, tout ce qui est d’enseignement, tout ce qui est de fantaisie romanesque, tout ce qui est lyrique ou même poétique, n’est à aucun titre un Fabliau, et par suite ce Recueil se trouvera ne pas réimprimer plus d’un tiers, peut-être une moitié de ceux qui l’ont précédé. Un Fabliau est le récit d’une aventure toute particulière et ordinaire ; c’est une situation, et une seule à la fois, mise en œuvre dans une narration plutôt terre à terre et railleuse qu’élégante ou sentimentale. Les délicatesses de la forme ou du fonds tournent vite soit aux élégances de la poésie, soit aux hauteurs du drame tragique ; le Fabliau reste au-dessous. Il est plus naturel, bourgeois si l’on veut, mais il est foncièrement comique, souvent, par malheur, jusqu’à la grossièreté. C’est enfin, et à l’état comme individuel, c’est-à-dire relativement court, sans former de suite ni de série, un conte en vers, plus long qu’un conte en prose, mais qui n’arrive jamais à être ni un roman ni un poëme.
On voit par là le cadre dans lequel notre tâche d’éditeur doit se restreindre. Nous avons à donner tous les vrais Fabliaux qui ont déjà été imprimés une ou plusieurs fois, et y ajouter, autant que nous le saurons, ceux qui sont encore inédits. Tous les meilleurs sont connus, et nous n’aurons d’autre mérite que de les revoir avec soin sur les manuscrits ; c’est une tâche périlleuse, mais assez facile, en ce sens seulement que les manuscrits des Fabliaux sont aussi rares que ceux des poésies des Troubadours provençaux, que le plus grand nombre même n’existe que dans un seul manuscrit, et qu’à l’exception du manuscrit de Berne tous les manuscrits qui en contiennent un certain nombre sont au Département des Manuscrits de notre grande Bibliothèque nationale. Malheureusement, et sauf de trop rares exceptions, ceux que nous imprimerons pour la première fois sont les plus mauvais, les plus sots, les plus grossiers, parfois même les plus stupidement obscènes ; mais, comme nous faisons œuvre d’éditeur de textes anciens sans pouvoir arriver au grand public qui ne les comprend guère et s’y intéresse assez peu pour ne pas même y toucher, que ceux qui les liront seront ou des philologues ou des historiens, nous n’avons à nous préoccuper ici ni de jugement, ni de choix, ni d’extraits, ni de suppressions. Nous voulons faire le recueil des textes de Fabliaux ; c’est notre devoir, et nous ne pouvons nous y soustraire. Nous ne pouvons que donner et nous devons donner tous ceux qui sont connus, imprimés ou inédits, bons ou mauvais, spirituels ou maladroits, bien ou mal écrits, amusants ou ennuyeux, courts ou longs, réellement comiques ou violemment grossiers. Ce sont des textes non-seulement utiles, mais même nécessaires pour l’histoire de la langue et pour l’histoire littéraire ; quelques-uns sont des chefs-d’œuvre d’observation et de malice, de la grande lignée, peut-être la plus française, de Villon, de Rabelais, de Molière et de Voltaire ; d’autres sont acceptables ; d’autres ennuient ; d’autres dégoûtent aujourd’hui après avoir été entendus de leur temps et avec plaisir par des oreilles même féminines, plus honnêtes que celles qui ne les supporteraient pas aujourd’hui. Nous n’avons pas à les juger ; précisément parce que nous nous restreignons à un seul genre, nous sommes, à la suite de nos prédécesseurs dans la même voie, forcés à la fois de reproduire tout ce qu’ils ont donné et d’être plus complets.
En même temps nous devons à ceux qui viendront chercher ce qu’ils doivent exiger de nous, c’est-à-dire le recueil des textes, raison de l’ordre ou plutôt de l’absence d’ordre méthodique dans lequel ils se trouveront imprimés. La question était plus délicate qu’il ne semble, et M. Jannet et moi n’avons pas été sans la discuter plus d’une fois. Car je dois à l’estime et à l’amitié que j’avais pour sa personne et que je conserve pour sa mémoire, de dire qu’il m’avait autrefois demandé ce recueil pour la Bibliothèque elzevirienne, que sans l’interruption de celle-ci il y aurait paru depuis longtemps et que je lui avais naturellement conservé ce que j’avais déjà fait de collations, sûr qu’un jour ou l’autre nous l’imprimerions ensemble. Le moment en était venu ; une partie de ce premier volume des Fabliaux était même déjà imprimée et tirée avant la guerre et le siége de Paris, pendant lequel M. Jannet mourut. On voit que, s’il n’y a pas dans ce Recueil un ordre méthodique, c’est qu’après un examen sérieux il nous a paru impossible d’arriver dans ce sens à un ordre qui non-seulement fût satisfaisant, mais ne fût pas en même temps aussi faux que dangereux.
Il n’était pas possible de penser à les grouper par auteurs. Presque tous sont anonymes ; les auteurs de quelques-uns sont connus, alors seulement qu’ils ont enchâssé leur nom dans les vers de leur récit, et ces noms ne disent rien puisqu’on ne sait d’eux rien autre chose. De plus, avec la façon dont les copistes du Moyen Âge changeaient innocemment la langue et le dialecte de ce qu’ils transcrivaient pour l’accommoder au parler du jour et aux habitudes de leur propre province, ce qui fait qu’on ignore surtout leur date précise, il n’était pas plus possible de classer les Fabliaux dans l’ordre chronologique de leur rédaction.
Méon a bien mis sur son titre « Contes et Fabliaux des XIe, XIIe, XIIIe, XIVe et XVe siècles. » Il est certain que nous ne possédons pas un seul Fabliau en vers français du XIe siècle, si même il y en a eu ; on en a écrit certainement au xiie siècle, mais nous n’en possédons pas un qui soit bien authentiquement de cette époque ; tous les manuscrits sont du XIIIe, et du XIVe siècle ; pour le XVe siècle, il n’y en a plus ; le Fabliau avait fait son temps, il était vieilli, démodé et ne s’écrivait plus. En réalité, tous nos manuscrits de Fabliaux ne dépassent pas une période d’un grand siècle et demi. Quels sont là dedans ceux qui sont du temps même du manuscrit qui, selon l’âge réel, c’est-à-dire selon que le copiste qui garde son écriture était jeune ou vieux, peut varier d’une trentaine d’années en moyenne et ne s’apprécier que par approximation ? Quels sont dans chacun de ces recueils, — et ce sont des recueils en très-petit nombre, une dizaine au plus de cartulaires de Fabliaux, si l’on peut employer ce terme à leur propos, qui contiennent la presque-totalité de ce qui en est venu jusqu’à nous, — quels sont, dis-je, les Fabliaux qui sont antérieurs à l’exécution du manuscrit et qui s’y trouvent remaniés comme forme de mots, même comme style et comme récit ? Autant de questions insolubles.
Dans une notice excellente qui a été écrite par M. Victor Leclerc pour le vingt-troisième volume de l’Histoire littéraire (p.69-215), notice à laquelle je ne puis que renvoyer en regrettant de ne pas pouvoir la réimprimer en tête de ce Recueil, dont elle serait à la fois la meilleure préface et le plus juste commentaire, il a, pour classer ce qu’il en avait à dire, très-ingénieusement divisé les Fabliaux selon le caractère de leurs personnages principaux. Après avoir parlé des Fabliaux — ou plutôt des récits pieux qui ne sont pas des Fabliaux et sortent de notre cadre — où figurent la Vierge, les Anges et les Saints, il a parlé de ceux qui se rapportent au Clergé séculier, aux Moines, aux Chevaliers et Barons, aux Bourgeois et enfin aux Vilains. C’est un ordre ingénieux, naturel à un tableau littéraire, mais impossible dans une publication de textes. Non-seulement il aurait fallu, avoir en commençant, sans la moindre lacune, la collation et la copie de tous les Fabliaux imprimés ou inédits qui existent dans les manuscrits, mais en fait, chose dont il n’avait pas à s’inquiéter, on se trouverait mettre ensemble tous les Fabliaux grossiers à l’article du Clergé et à celui des Vilains, et mettre ensemble tous les plus heureux et les meilleurs à l’article des Bourgeois ; c’est là aussi qu’eussent été réunis tous les plus longs.
Devant ces difficultés, réellement insurmontables, — et l’on en pourrait citer d’autres, celle par exemple des Fabliaux qui ne rentrent précisément dans aucune de ces divisions ou qui pourraient indifféremment se mettre dans plusieurs — il a paru qu’il fallait tenir une voie moyenne et rester dans la condition de mélange et de variété adoptée du reste par tous ceux qui les ont édités antérieurement. Il y a, en effet, avantage pour la lecture à ne pas mettre ensemble tous les bons, parce qu’alors tous les mauvais se seraient trouvés réunis, à mêler les longs et les courts pour que chaque volume en ait un nombre à peu près égal, à éparpiller les Fabliaux grossiers parce que groupés ils formeraient un ensemble insoutenable, et que, si un éditeur est forcé de les subir, il n’a pas à en aggraver l’impression en les mettant à la suite l’un de l’autre, comme ont fait certains éditeurs pour les pires épigrammes de Martial. L’ordre en réalité ne pouvait, je crois, s’établir dans ce recueil autrement que d’une façon presque matérielle, par une sorte de proportion et d’équilibre entre les courts et les longs, entre les bons et les mauvais. Comme ce sont particulièrement des pièces séparées et sans aucune liaison, un ordre logique y est moins important qu’ailleurs ; plus même on chercherait à vouloir l’établir, moins on serait sûr d’en trouver un qui fut satisfaisant, moins on serait sûr de pouvoir le suivre, par cette bonne raison qu’il y a vraiment impossibilité.
Ce sera donc, comme le porte le titre, aussi complétement que possible, mais simplement un recueil de textes ; le premier volume n’a pas de variantes parce que les pièces qui y sont contenues ne se trouvent que dans un seul manuscrit ; dans les suivants, selon que les Fabliaux se trouveront dans deux ou dans trois, ce qui n’est pas fréquent, les variantes seront réunies à la fin du volume. C’est aussi cette condition, la plus simple et la plus exécutable, d’être un recueil de textes, qui en a fait retrancher volontairement tout l’appareil d’un commentaire d’histoire littéraire qui eût été insuffisant ou beaucoup trop développé. Les Fabliaux ne sont autre chose que des contes ; et les contes, qui se remanient et se reproduisent incessamment, n’ont de valeur nouvelle que par la forme et la mise en œuvre ; ils se transmettent et se retrouvent partout, dans le temps comme dans l’espace, aussi bien à la même époque qu’en remontant et en descendant. Il y a sur ce point déjà trop de textes et d’études pour, à moins d’un travail nouveau, énorme, et qui serait d’autant plus intéressant qu’il serait général et s’adresserait à l’ensemble sans se tenir à un recueil de contes ni à un auteur en particulier, faire autre chose qu’une compilation sans saveur et sans utilité. Indiquer ce qui a passé dans Boccace ou dans La Fontaine est inutile ; mais signaler, même par un simple renvoi, toutes les ressemblances avec les conteurs orientaux de toutes les époques, toutes ou même seulement les principales ressemblances ou imitations des conteurs européens postérieurs, ce serait faire l’histoire non pas seulement des conteurs français, mais bien plus encore de tous les Novellieri italiens. Être complet est impossible, être incomplet est inutile, et, dans une annotation nécessairement courte, on en dirait beaucoup moins que dans les livres, trop nombreux pour que je puisse même les rappeler dans cet avertissement, où l’on a commencé de s’occuper de la filiation et de la transmission des contes ou plutôt de leurs analogies.
Les ressemblances ou, si l’on veut, les coïncidences sont frappantes, mais la distinction successive des dates et surtout les généalogies réelles et prochaines sont beaucoup moins sûres. Ce serait la recherche la plus importante et l’affirmation la plus profitable ; mais, la plupart du temps, en dehors de ce qui est la littérature européenne moderne postérieure à l’imprimerie, cette source vraiment directe et positive est, et sera peut-être toujours, à peu près impossible à établir pour nos Fabliaux.
Assurément beaucoup de contes, tous les contes peut-être, viennent de l’Orient, et on les y retrouve plus ou moins ; mais assurément aussi les auteurs de nos Fabliaux ne les ont pas pris directement à l’Orient, qui, en dehors de quelques produits naturels, ou manufacturés, et transportables en nature à l’état de marchandises, a été, quoi qu’on en dise très-légèrement, presque aussi complétement ignoré après qu’avant les Croisades. Ce qui doit être l’origine des Fabliaux, ce sont des recueils de petits contes écrits en latin, et nous en possédons fort peu, surtout avec une date certaine. On peut en particulier croire que les Gesta Romanorum, à part, bien entendu, les moralisations qui me semblent évidemment ajoutées et très-postérieures au texte, sont bien plus anciens qu’on ne le pense ; ils sont évidemment postérieurs aux légendes des Mirabilia Urbis Romæ, mais doivent encore appartenir, au moins originairement, à ces quelques siècles du premier Moyen Âge par le plus étrange oubli et la perversion la plus singulière des faits, des noms et des idées les plus vulgaires de l’antiquité ; il y a là un reste et un fonds de contes barbares dont nous ne possédons presque plus rien et où les Fabliaux avaient leur racine peut-être plus directe que dans l’Orient. Et même celui-ci est venu trouver l’Europe, mais par plus d’intermédiaires qu’on ne le dit d’ordinaire. Les premiers sont les Arabes, mais ils n’eussent pas suffi ; le second et vrai intermédiaire, c’est le peuple cosmopolite par excellence et le seul qui le fut au Moyen Âge, c’est-à-dire les Juifs, orientaux eux-mêmes d’esprit et de tradition, qui seuls savaient l’arabe et qui seuls pouvaient le traduire en latin, la langue unique et générale par le canal de laquelle un conte aussi bien qu’une idée pouvait entrer dans le courant européen. Une trace bien curieuse et bien positive, c’est la Disciplina clericalis de Pierre Alphonse, et le cadre comme les récits des histoires des Sept Sages ont dû être transmis par les Juifs encore plus que par les Grecs, qui ont eu si peu d’influence sur notre vrai Moyen Âge. En même temps, il y a sur ce point toute une recherche à faire dans le Talmud ; il renferme, écrivait rapidement M. Deutsch et sans y attacher d’importance, beaucoup d’historiettes qu’on retrouve dans les conteurs du Moyen Âge. Il faut des connaissances toutes spéciales pour étudier le Talmud à quelque point de vue que ce soit, mais il serait digne d’un hébraïsant érudit de s’attacher à ce filon et d’en établir l’importance. La solution de la question, c’est-à-dire le vrai passage des contes orientaux en Europe, est peut-être là tout entier. S’ils se trouvent dans le Talmud aussi bien qu’en Perse ou dans l’Inde, c’est le Talmud qui les aura conservés chez les Juifs, et ce sont eux qui, en les écrivant en latin, en ont donné à l’Europe le thème et la matière.
Maintenant il est à remarquer qu’une fois écrits en français et en vers, à l’état individuel de pièces séparées ayant chacune une existence propre, une longueur personnelle, variable et plus développée que dans un recueil de contes, les Fabliaux sont devenus une forme qui reste particulière à la France.
L’Espagne et l’Allemagne, dont l’une a imité et dont l’autre a traduit nos grands poëmes, n’ont pas acclimaté chez elles nos Fabliaux et n’en possèdent pas qui leur soient particuliers. Si l’Angleterre en a profité, non pas seulement en les imitant comme a fait Chaucer, mais en en écrivant elle-même quelques-uns en anglo-normand, ils n’y ont pas la même importance que chez nous. L’Italie en a profité aussi, et Boccace en a rapporté des bords de la Seine, sur ceux de l’Arno, mais il est rentré dans le cadre et dans la forme de ces recueils latins maintenant perdus et qui devaient encore exister de son temps ; il est revenu d’un côté à la prose, de l’autre à la brièveté des récits, à leur pondération équilibrée, et son exemple a entraîné tous les auteurs italiens dont il est le maître et le modèle. Autrement dit, l’Italie a des contes et des conteurs, mais en prose, et ce qu’il peut y avoir de contes italiens écrits en séances ne sont que de petits poëmes, mais sans être davantage ce que chez nous ont été les Fabliaux.
Du reste ils n’ont pas chez nous duré plus de deux siècles sous la forme nouvelle et originale qui leur est et qui nous est vraiment propre. Lorsque l’élément comique, après avoir été d’abord un détail pour reposer de la gravité des Mystères, après s’y être étendu jusqu’à y passer à l’état d’intermède, s’est détaché du drame religieux et est devenu, non pas la Comédie, mais cependant une vraie pièce de théâtre et ce qui s’est appelé la Farce, celle-ci a tué le Fabliau ; elle lui a tout pris, ses sujets et ses personnages ainsi que son esprit et son ton lui-même. Comme le Fabliau, la Farce n’est pas autre chose, je ne dirai pas qu’une action, mais qu’une situation unique prise dans la vie commune et du côté de la moquerie. Le Fabliau avait plus dialogué que le Conte ; la Farce se débarrasse du récit et le met tout entier en dialogue. C’est si bien le même esprit, les mêmes visées, les mêmes auteurs, que du moment où, pour préparer le retour à la Comédie, la Farce a fait rire nos pères en se moquant d’eux à la façon du Fabliau, c’est-à-dire au quinzième siècle, il n’y a plus de Fabliaux ; ils sont morts, ou pour mieux dire ils se sont métamorphosés pour revivre sous une nouvelle forme. Seulement, comme le conte ne peut pas périr, avec les Cent nouvelles et les recueils du XVIe siècle il est, à la suite de Boccace et des Italiens, revenu à la prose, à la condition de recueil, et par elle à une brièveté maintenue d’une façon à peu près égale. L’imprimerie a été aussi une raison pour l’empêcher de reprendre sa forme versifiée, plus naturelle à la récitation publique que la prose, qui se lit plutôt parce que celle-ci ne reste pas dans la mémoire d’une façon assez sûre pour se dire facilement.
En tout cas, depuis la seconde moitié du xiie siècle, où il s’est essayé et développé, jusqu’à la fin du xive, le Fabliau a vécu en France d’une vie propre, et c’est chez lui et chez lui seul que pendant le même temps se trouve presque tout l’esprit comique. Leur meilleur historien en a dit à un endroit : « Il est permis de désirer encore une édition collective des Fabliaux, rigoureusement revue sur les manuscrits, correcte, méthodique, bornée au seul genre des contes, enrichie et non surchargée d’éclaircissements, de gloses, de parallèles avec les conteurs des divers pays et qui apprenne à la France quel rang elle occupait dans la poésie narrative au xiiie siècle. »
J’ai indiqué les raisons qui m’empêchent de tenter un ordre méthodique et de faire cette glose, pour laquelle, à mon sens, les vrais matériaux, c’est-à-dire les sources directes et prochaines, ou manquent ou ne sont pas encore explorées. Je me borne, je le répète, à donner, aussi bien que je le pourrai, l’édition collective des textes, bornée au seul genre des contes et revue sur les manuscrits, dont, il y a déjà seize ans, le savant M. Victor Leclerc signalait la nécessité et qu’il appelait de ses vœux.
FABLIAUX
I
DES DEUX BORDEORS RIBAUZ.
iva ! quar lai ester ta jangle :
Si te va séoir en cel angle,
Nos n’avons de ta jangle cure,
Quar il est raison et droiture
Par tot le mont, que cil se taise
Qui ne sait dire riens qui plaise.
Tu ne sez vaillant .II. festuz.
Com tu es[2] ore bien vestuz
De ton gaaignaige[3] d’oan !
Vois quiex sollers de cordoan,
Et com bones[4] chauces de Bruges !
Certes, ce n’est mie de druges
Que tu es si chaitis et las.
Ge cuit bien, par S. Nicolas,
Conment es tu si povrement ?
Que ne gaaignes tu deniers ?
Tu es ci un granz pautoniers :
Tu[5] n’es pas mendre d’un frison.
Or déusses en garnison
Avoir .II. porpoinz endossez,
Ou à un cureur[6] de fossez
Déusses porter une hôte,
Tant que d’amone[7] povre cote
Péusses iluec amender.
Mais tu aimes mielz truander,
Lechieres[8], que estre à hennor.
Or esgardez, por Dieu, seignor,
Cils homs[9], com richement se prueve !
Jamais, à nul jor, robe[10] nueve
N’a u[11], pour chose que il die.
Or esgardez[12] quel hiraudie
Il s’est iluec entorteilliez.
Moult est or bien apareilliez
De quant tel[13] chaitis doit avoir.
Si t’aïst Diex, or me di voir :
Quiex homs es tu, or me di quiex.
Tu n’es mie menesterex
Ne de nule bone œuvre[14] ovrieis ;
Tu sanbles un[15] vilains bouvieis,
Ausi contrefez come un bugles ;
Tu sanbles un meneur[16] d’avugles
Miels[17] que tu ne faces autre home.
Ge ne pris pas .I. trox de pome
Se Diex t’aïst[18], s’onques tuas
Onques nul home si te tue,
Que tu ne valz une letue,
Ne chose que tu saiches faire.
Pour Dé[19], si te devroies taire ;
Ne dois pas parler contre moi.
Que t’ai-ge dit ? or me di quoi ?
Tu ne sez à nul bien repondre[20] ;
Pour ce si te devroit on[21] tondre
Tantot autresi come un sot.
Tu ne sez dire nul bon mot
Dont tu puisses en pris monter ;
Mais ge sai aussi bien conter[22].
Et en roumanz et en latin.
Aussi au soir come au matin,
Devant contes et devant dus,
Et si resai bien faire plus
Quant ge sui à cort ou[23] à feste.
Car ge sai de chançon de geste.
Cantères sui qu’el mont n’a tel[24] :
Ge sai de Guillaume au tinel[25],
Si com il arriva as nés,
Et de Renoart au cort nés[26]
Sai-ge bien chanter com[27] ge vueil,
Et si sai d’Aïe de Nantueil[28]
Si com ele fu en prison ;
Si sai de Garins d’Avignon[29],
Qui moult estore bon romans ;
Si sai de Guion d’Aleschans[30]
[31] ;
Si sai de Bernart de Saisoigne[32]
Et de Guiteclin de Brebant[33] ;
Si sai d’Ogier de Montaubant[34],
Si com il conquist Ardennois[35] ;
Si sai de Renaut le Danois[36] ;
Mais de chanter n’ai ge or cure.
Ge sai des romanz d’aventure,
De cels de la réonde Table,
Qui sont à oïr delitable.
De Gauvain[37] sai le mal parler.
Et de Quex le bon chevalier ;
Si sai de Perceval de Blois[38] ;
De Pertenoble le Galois[39]
Sai ge plus de .XL. laisses ;
Mais tu, chaitif, morir te laisses
De mauvaitié et de paresce ;
En tot le monde n’a proesce
De quoi tu te puisses vanter ;
Mais ge sai aussi bien conter
De Blancheflor comme de Floire[40] :
Si sai encor moult bon estoire,
Chançon moult bone et anciene ;
Ge sai de Tibaut de Viane[41] ;
Si sai de Girart d’Aspremont[42].
Il n’est[43] chançon en tot le mont
Que ge ne saiche par nature ;
Grant despit ai com[44] tel ordure
Com tu es, contre moi parole.
Sez tu nule riens de citole,
Tu ne sez vaillant une figue.
De toi n’est il nus recouvriers[45] ;
Mais ge sui moult très bons ovriers,
Dont ge me puis bien recouvrer ;
Se de ma main voloie ovrer[46],
Ansi com ge voi mainte gent,
Ge conquerroie assez argent[47] ;
Mais à[48] nus tens ge ne fas œuvre.
Ge suis cil qui les maisons cueuvre
D’ués friz[49], de torteax en paele ;
Il n’a home jusqu’à Neele
Qui mielz les cuevre que ge faz.
Ge sui bons seignerres de chaz,
Et bons ventousierres de bués ;
Si sui bons relierres d’ués,
Li mieldres qu’en el monde saiches.
Si sai bien faire frains à vaches
Et ganz à chiens, coifes à chièvres.
Si sai faire haubers à lièvres,
Si forz qu’il n’ont garde de chiens.
Il n’a el monde, el siecle, riens[50]
Que ge ne saiche faire à point :
Ge sai faire broches à oint
Mielz que nus hom qui soit sor piez ;
Si faz bien forreax à trepiez
Et bones gaïnes à sarpes,
Et se ge avoie .II. harpes,
Ge nel lairai que ne vos[51] die,
Ge feroie une[52] meloudie
granz[53].
Et tu[54], diva, di, fox noienz.
Tu ne sez pas[55] vaillant un pois.
Ge connoi force[56] bons borgois
Et toz les bons sirjanz du monde ;
Ge connois Gautier Tranche-fonde[57],
Si connois Guillaume Grosgroing[58],
Qui assomma le buef au poing[59],
Et Trenchefer, et Rungefoie[60],
Qui ne doute home que il[61] voie ;
Mache-Buignet et Guinement[62].
Et tu, connois tu nule gent
Qui onques te faïssent bien ?
Nenil, voir, tu ne connois rien
Qui riens vaille en nulle saison.
Or me di donc par[63] quel raison
Tu te venis ici[64] enbatre.
Près va que ne te faz tant batre[65]
D’un tinel ou d’un baston gros,
Tant que tu fusses ausi mox
Com une coille de mouton.
Ains mais, par[66] l’acroiz[67] d’un bouton,
N’oï parler de tel fouet.
Vez quel vuidéor[68] de broet.
Et quel humerre[69] de henas !
A bien poi se tient[70] que tu n’as
Du mien, se ne fust por[71] pechié ;
Mais il ne m’ert jà reprouchié
Que tel chetif fiere ne bate,
Quar trop petit d’ennor achate
sor[72] tel chetif met sa mein ;
Mais se tu venoies demain
Entre nos qui savons[73] de geste,
Tu te plaindroies de la feste.
Or t’en va, beax amis, va t’en :
Esté avons en autre anten.
Fu de ci[74], si feras que saiges,
Ou tu auras parmi les naiges
D’une grosse[75] aguille d’acier ;
Nos ne t’en volons pas chacier
Vilenement por[76] nostre honte :
Nos[77] savons bien que henor monte.
Tu m’as bien dit tot ton voloir[78] :
Or te ferai apercevoir
Que ge sai plus de toi assez,
Et si fu mieldres menestrez
De toi ; moult me vois merveillant,
Nel dirai pas en conseillant,
Ainz vueil moult bien que chacun l’oie
Se Diex me doint henor et joie.
De tex menesterex bordons
À qui en done moult beax[79] dons
À haute[80] Cort menuement ;
Qui bien sor dit et qui bien ment.
Cil est sires des chevaliers ;
Plus donnent ils as mal parliers[81].
As cointerax[82], as mentéors,
Qu’ils ne font as bons trovéors
Qui contruevent ce que il dient
Et qui de nului ne mesdient.
Assez voi souvent maint ribaut
Qui de parler se font si baut
Que ge en ai au cuer[83] grant ire.
Et tu, bordons, que sez[84] tu dire.
Qui por menesterel te contes ?
Sez[85] tu ne beax diz ne beax contes
Pourquoi tu doies riens conquerre ?
De quoi sers tu aval la terre ?
Ce me devroies tu retraire.
Ge te dirai que ge sai faire :
Ge sui jugleres[86] de vièle ;
Si sai de muse et de frestèle
Et de harpe et de chifonie.
De la gigue, de l’armonie ;
Et el salteire et en la rote
Sai-je bien chanter une note ;
Bien sai joer de l’escanbot
Et faire venir l’escharbot
Vif et saillant dessus la table,
Et si sai meint beau geu de table
Et d’entregiet et d’artumaire[87]
Bien sai un enchantement faire ;
Ge sai moult plus que l’en ne cuide,
Quant g’i vueill[88] mestre mon estuide,
Et lire et chanter de clergie.
Et parler de chevalerie,
Et les preudhomes[89] raviser,
Et lor armes bien deviser.
Ge connois Monseignor Hunaut[90]
Et Monseignor Rogier Ertaut,
Qui porte un escu à quartiers ;
Tozjors[91] est-il sains et entiers,
Quar onques n’i ot cop féru.
Ge connois Monseignor Bégu,
Qui porte un escu à breteles
Et sa lance de .II. ateles
Au tournoiement, à La Haie[92] ;
C’est li bons du mont qui mielz paie
Menesterex à haute feste.
Si conois[93] Renaut Brise-teste,
Qui porte un chat en son escu ;
Cil a u maint tornoi veincu[94] ;
Et Monseignor Giefroi du Maine,
Qui tozjors[95] pleure au diemaine ;
Et Monseignor Gibout Cabot,
Et Monseignor Augis Rabot,
Et Monseignor Augier Poupée,
Qui à un seul cop[96] de s’espée
Coupe bien à un chat l’oreille.
À tozvos sembleroit merveille
Se ceus voloie raconter
Que ge connois jusqu’à[97] la mer.
Ge sai plus de toi quatre tanz :
Ge connois[98] toz les bons serjanz,
Les bons chanpions affaitiez ;
Si en doi estre plus proisiez.
Ge connois Hebert Tue-Buef,
Qui à un seul cop[96] brise un huef ;
Errache[99]-Cuer et Runge-Foie,
Qui ne doute home que il voie.
Et Heroart et Dent de Fer,
Et Hurtaut et Tierry d’Enfer,
Abat-Paroi, fort pautonier,
Et Jocelin Torne-Mortier,
Et Ysenbart le Mauréglé,
Et Espaulart, le fils Raiché,
Et Gauquelin Abat-Paroi[100],
Et Brise-Barre et Godefroi,
Et Osoart et Tranche-Fonde[101],
Et toz les bons serjans[102] du monde,
Et deçà et delà la mer
Vous sauroie bien aconter.
Ge sai tant[103] et si sui itex
Ge connois toz les menestrex,
Cil qui plus sont[104] amé à cort
Dont li granz renons partot cort.
Ge connois Hunbaut Tranchecoste
Et Tiecelin, et Porte-Hote[105],
Et Torne en fuie[106][107] et Brisevoire,
Et Bornicant, ce est la voire.
Et Fierabras et Tuterel,
Et Male Branche et Mal-Quarrel,
Songe-Feste à la grant vièle.
Et Grimoart qui chalemèle ;
Tirant, Traiant et Enbatant
Des menestrex connois itant.
Qui me vorroit mestre à essai,
Que plus de mil nomer en sai.
Ge sai bien servir un prudome,
Et de beau[108] diz toute la some ;
Ge sai contes, ge sai flabeax ;
Ge sai conter beax diz noveax,
Rotruenges viez et noveles,
Et sirventois et pastoreles.
Ge sai le flabel du Denier[109],
Et du Fouteor à loier,
Et de Gobert et de dame Erme,
Qui ainz des elz[110] ne plora lerme,
Et si sai de la Coille noire ;
Si sai de Parceval Testoire,
Et si sai du Provoire taint
Qui o les crucefiz fu painz ;
Du Prestre qui menja les meures
Quant il devoit dire ses heures ;
Si sai Richalt, si sai Renart,
Et si sai tant d’enging et d’art.
Ge sai joer des baasteax
Et si sai joer des costeax,
Et de la corde et de la fonde,
Et de toz les beax giex du monde.
Ge sai bien chanter à devise
Du roi Pepin de S. Denise[111] ;
Des Loherans tote l’estoire
Sai-ge par sens et par memoire ;
De Charlemaine et de Roulant
Et d’Olivier le conbatant.
Ge sai d’Ogier, ge sai d’Aimmoin
Et de Girart de Roxillon,
Et si sai du roi Loeis,
Et de Buevon de Conmarchis
De Foucon et de Renoart,
De Guielin et de Girart,
Et d’Orson de Beauvez la some ;
Si sai de Florance de Rome,
De Ferragu à la grant teste ;
De totes les chançons de geste
Que tu sauroies aconter
Sai ge par cuer dire et conter ;
Ge sai bien la trompe bailler.
Si sai la chape au cul tailler,
Si sai porter consels d’amors
Et faire chapelez de flors
Et çainture de druerie
Et beau parler de cortoisie
À ceus qui d’amors sont espris.
Et tu donc cuides avoir pris !
Ne parler[112] mais là ou ge soie,
Mais fui de ci et va ta voie.
Va aprendre, si feras bien,
Qui, contre moi, ne sez tu rien.
Beax seignor, vos qui estes ci.
Qui no parole[113] avez oï.
Se j’ai auques mielz dit de li,
À toz ge vos requier et pri
Que le metez fors de céanz.
Qui bien pert que c’est .I. noienz.
- ↑ I. — Des .ii. Bordeors ribauz, p. 1.
A. — Paris, Bibl. nat., Mss. fr. 19152, fol. 69 vo à 70 ro.
B. — » » » 837, fol. 213 vo à 214 ro.
Le ms. 354 de Berne contient ce fabliau sous le titre de : « Li esbaubismanz lecheor ».
Publié d’abord par B. de Roquefort, De l’état de la Poésie françoise, 1815, p. 290-305, d’après le ms. A. — Publié ensuite comme inédit par A. C. M. Robert, de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, Fabliaux inédits, 1834, p. 16-26, et par Achille Jubinal, Œuvres complètes de Rutebeuf, 2e éd., 1875, III, 2-14, d’après le ms. A ; donné en extrait par Legrand d’Aussy, éd. Renouard, II, 369-892.
Le ms. B porte comme titre : « La gengle au ribaut ».
- ↑ Vers 8 — Com tu es. B, Vez comme es.
- ↑ 9 — * gaagnaige. A, gaaigne.
- ↑ 11 — bones. B, beles.
- ↑ 19 — Tu. B, Qui.
- ↑ 22 — un cureur. A, une uevre. B, une oevre. C’est évidemment le sens d’œuvre qu’il faut adopter comme leçon.
- ↑ 24 — d’amone, leçon de Robert. A, d’aucone. B, d’aucune, qui est la bonne leçon.
- ↑ 27 — Lechieres. B, Et lechier.
- ↑ 29 — Cils homs, com. B, Com cils homs.
- ↑ 30 — robe. B, cote.
- ↑ 31 — N’a u. B, N’aura.
- ↑ 32 — Or esgardez. B, Veez or en.
- ↑ 35 — quant tel. A, quant que. B, quanques.
- ↑ 39 — bone œuvre. B, oevre bons.
- ↑ 40 — * Tu sanbles un. A, Tu sanble un. B, Ainz es uns ors. — bouvieis. A, B, bouviers.
- ↑ 42 — un meneur. B, meneres.
- ↑ 43 — Miels. B, Molt miels. — faces. B, fez.
- ↑ 46 — Diex t’aïst. B, t’aïst Diex. — s’onques tu as, lisez s’onques tuas. B, se tu tuas.
- ↑ 50 — Pour Dé. B, Pour ce.
- ↑ 53 — repondre. B, respondre.
- ↑ 54 — on. B, l’en.
- ↑ 58 — conter. B, chanter.
- ↑ 63 — et, lisez ou.
- ↑ 65 — B, Chanter el monde n’i a tel.
- ↑ 66 — On remarquera que, dans l’énumération des chansons de geste, la plaisanterie consiste à emprunter à deux chansons différentes les éléments de deux nouveaux titres combinés deux à deux. Ici « Guillaume au tinel » est une allusion à « Guillaume au cort nez ».
- ↑ 68 — « Renoart au cort nés », allusion à « Renoart au tinel ».
- ↑ 69 — com. B, quant.
- ↑ 70 — d’Aie. B, d’Aien. — « Aïe de Nanteuil », allusion au roman d’« Aïe d’Avignon ».
- ↑ 72 — Garins. A, B, Garnier, qui est la bonne leçon. — « Garnier d’Avignon », allusion à « Garnier de Nanteuil ».
- ↑ 74 — « Guyon d’Aleschans », allusion à « Guy de Bourgogne ».
- ↑ 75-76 — Manquent dans B. — « Vivien de Bourgogne », allusion à un roman perdu portant le titre de « Vivien d’Aleschans », qui a dû précéder la « Chevalerie Vivien » et « Aliscans », rattaché plus tard à la Geste de Guillaume au court nez.
- ↑ 76 — « Bernart de Saisoigne », allusion à « Bernard de Brabant », personnage de la maison de Monglane, héros d’une chanson perdue. Cf. G. Paris. Hist. poét. de Charlemagne, p. 79.
- ↑ 77 — Guiteclin. B, Guidequin. — « Guiteclin de Brebant », allusion à « Guiteclin de Saisoigne », c’est-à-dire à la « Chanson des Saxons ».
- ↑ 78 — « Ogier de Montauban », allusion à la chanson d’« Ogier le Danois ».
- ↑ 79-98 — Manquent dans B.
- ↑ 80 — « Renaut le Danois », allusion à « Renaud de Montauban ».
- ↑ 85-86 — « Gauvain et Kex », personnages des romans de la Table ronde, qui se prennent ici mutuellement leur épithète ordinaire.
- ↑ 87 — « Perceval de Blois », allusion à « Perceval le Galois ».
- ↑ 88 — « Pertenoble le Galois », allusion à « Partenopeus de Blois ».
- ↑ 95 — Allusion au roman de « Flore et Blanchefleur ».
- ↑ 98 — « Tibaut de Viane », allusion à « Thibaut d’Aspremont », chanson de geste perdue aujourd’hui et que ce passage nous révèle.
- ↑ 99 — « Girart d’Aspremont », allusion à « Girart de Viane ».
- ↑ 100 — n’est. B, n’a.
- ↑ 102 — Grant despit ai com, B, Si ai desdaing quant.
- ↑ 107 — recouvriers. A, B, recouvrier.
- ↑ 110 — Se de ma main voloie ovrer. B, Se je m’en voloie à ovrer.
- ↑ 112 — Entre le vers 112 et le vers 113, le ms. B donne les 16 vers suivants, qui répètent avec des différences les vers 79-98 du ms. A :
Mès de chanter n’ai ore cure.
Si sai de romanz d’aventure
Qui sont à oïr delitable ;
Je sai de la roonde table,
De G. (Gauvin) sai, le mal parlier,
Et de Keu, le bon chevalier ;
Si sai de Percheval del bois.
Et de sire Yvain le Galois
Sai je plus de .lx. lesses.
Et tu, chetis, morir te lesses
De mauvestié et de perece.
En tout le monde n’a proece
De qoi tu te puisses vanter.
Mès je sai aussi bien chanter
Et en romanz et en latin
Ausi au soir comme au matin. - ↑ 113 — à. B, en.
- ↑ 115 — D’ues friz. B, Desus.
- ↑ 126 — B, En ceste monde n’a nule riens.
- ↑ 133 — nel lairai que ne vos. B, ne lairai que ne te.
- ↑ 134 — une. B, tel.
- ↑ 135 — grantz, lisez granz.
- ↑ 136 — fax, lisez fox. — B, Et tu, que fez, di, folz noiens. — Le ms. B ajoute après ce vers :
Bien pert que tu es fols naïs ;
Que quiers tu donc en cest païs ? - ↑ 137 — Tu ne sai pas, lisez Tu ne sez pas. B, Quant tu ne sez.
- ↑ 138 — force. A, B, toz les.
- ↑ 140 — Trenchefonde, lisez Tranche-fonde.
- ↑ 141-142 — Ces deux vers sont intervertis dans B. — On lit dans A : Gros-groig, poig.
- ↑ 142 — B, Qui assomme le buef del poing.
- ↑ 143-144 — Ces deux vers sont intervertis dans B. — Trenche-fer. A, Tranche-fer. — B, Et Runge-fer et Trenche-foie.
- ↑ 144 — qu’il, lisez que il.
- ↑ 145 — B, Et Mache-buignet et Guinant.
- ↑ 150 — pour, lisez par.
- ↑ 151 — ici. B, ceens.
- ↑ 152 — B, Certes l’en te devroit tant batre.
- ↑ 156 — por, lisez par. — * bouton. A, vouton. B, voton, qui n’a pas de sens.
- ↑ P. 6, l. 22, la croiz, lisez l’acroiz.
- ↑ 158 — vuidéor. B, humeor. — brouet, lisez broet.
- ↑ 159 — humerre. B, vuideor.
- ↑ 160 — poi se tient. B, petitet.
- ↑ 161 — pas, lisez por.
- ↑ 165 — sur, lisez sor. — main, lisez mein. — B, Qui sur chetif homme met main.
- ↑ 167 — somes. B, savons.
- ↑ 171 — Fu de ci. B, Or t’en va.
- ↑ 173 — grosse. B, grant.
- ↑ 175 — par, lisez por.
- ↑ 176 — Nos. B, Quar.
- ↑ 177 — À partir de ce vers, la version du ms. B est toute différente de celle du ms. A, et a été publiée dans le second volume de cette édition (p. 257-263) sous le titre de « La Contregengle ». Nous n’avons donc plus à nous occuper ici que des corrections à faire au ms. A.
- ↑ 186 — beaux, lisez beax.
- ↑ 187 — * haute ; ms., hautes.
- ↑ 190 — * mal parliers ; ms., mentéors.
- ↑ 191 — cointereax, lisez cointerax ; — * mentéors ; ms., mal parliers.
- ↑ 197 — cueur, lisez cuer.
- ↑ 198 — sès, lisez sez.
- ↑ 200 — Sès, lisez Sez.
- ↑ 205 — jongleres, lisez jugleres.
- ↑ 215 — arrumaire, lisez artumaire.
- ↑ 218 — vueil, lisez vueill.
- ↑ 221 — prudhomes, lisez preudhomes.
- ↑ 223 — Tous les noms que nous voyons donner dans ce fabliau à des seigneurs ou à des sergents avaient peut-être pour les auditeurs du temps une application personnelle.
- ↑ 226 — Tosjors, lisez Tozjors.
- ↑ 9, 10, la haie, lisez La Haie.
- ↑ 234 — connois, lisez conois.
- ↑ 236 — vaincu, lisez veincu.
- ↑ 238 — tosjors, lisez tozjorz.
- ↑ a et b 242 et 252 — coup, lisez cop.
- ↑ 246 — conois dusqu’à, lisez connois jusqu’à.
- ↑ 248 — connoi, lisez connois.
- ↑ 253 — Arrache, lisez Errache.
- ↑ 261-262 — Ces deux vers sont intervertis à tort. — Quauquelin, lisez Gauquelin.
- ↑ 263 — Funde, lisez Fonde.
- ↑ 264 — tos les bons sirjans, lisez toz les bons serjans.
- ↑ 267 — tan, lisez tant.
- ↑ 269 — sont plus, lisez plus sont.
- ↑ 272 — Hotte, lisez Hote.
- ↑ 273 — Torne-Enfine, lisez Torne-en-fui.
- ↑ 10, 22, Torne Enfine, lisez Torne en fuie.
- ↑ 284 — * beax ; ms., beau.
- ↑ 289-298 — Tous les fabliaux dont parle ici notre trouvère sont connus ; celui de « Dame Erme », qu’on ne connaît pas sous ce nom, n’est autre que « le Villain de Bailleul ».
- ↑ 292 — els, lisez elz.
- ↑ 306-319 — Les chansons de geste et les héros d’épopée que cite notre auteur sont dans la mémoire de tous : Berthe aux grands pieds, les Loherains, la Chanson de Roland et autres poëmes du cycle carolingien ; Ogier le Danois, les Quatre Fils Aymon, le Couronnement Looïs, Beuve de Comarchis, Foulques de Candie, le Moniage Rainouart, etc.
- ↑ 331 — Ne parle, lisez Ne parler.
- ↑ 336 — Le ms. porte « noz parole » ; pour la régularité du vers, il vaut mieux lire no parole.
II
DES TROIS BOÇUS.
eignor se vous volez atendre
Et .I. seul petitet entendre,
Jà de mot ne vous mentirai,
Mes tout en rime vous dirai
D’une aventure le fablel.
Jadis avint à .I. chastel,
Mès le non oublié en ai,
Or soit aussi comme à Douay,
.I. borgois i avoit manant,
Qui du sien vivoit belemant.
Biaus hom ert, et de bons amis,
Des borgois toz li plus eslis,
Mès n’avoit mie grant avoir ;
Si s’en savoit si bien avoir
Que moult ert créuz par la vile.
Il avoit une bele fille.
Si bele que c’ert uns delis,
Et, se le voir vous en devis,
Je ne cuit qu’ainz féist Nature
Nule plus bele créature.
De sa biauté n’ai or que fère
À raconter ne à retrère,
Quar, se je mesler m’en voloie,
Assez tost mesprendre i porroie ;
Si m’en vient miex tère orendroit
Que dire chose qui n’i soit.
En la vile avoit .I. boçu,
Onques ne vi si malostru ;
De teste estoit moult bien garnis
Je cuit bien que Nature ot mis
Grant entencion à lui fère.
À oute riens estoit contrère ;
Trop estoit de laide faiture ;
Grant teste avoit et laide hure,
Cort col, et les espaules lées,
Et les avoit haut encroées.
De folie se peneroit
Qui tout raconter vous voudroit
Sa façon ; trop par estoit lais.
Toute sa vie fu entais
A grant amonceler ;
Por voir vous puis dire et conter,
Trop estoit riches durement,
Se li aventure ne ment.
En la vile n’ot si riche homme ;
Que vous diroie ? c’est la somme
Du boçu, coment a ouvré.
Por l’avoir qu’il ot amassé
Li ont donée la pucele
Si ami, qui tant estoit bele ;
Mès, ainz puis qu’il l’ot espousée
Ne fu il .I. jor sanz penssée,
Por la grant biauté qu’ele avoit ;
Li boçus si jalous estoit
Qu’il ne pooit avoir repos.
Toute jor estoit ses huis clos ;
Jà ne vousist que nus entrast
En sa meson, s’il n’aportast,
Ou s’il emprunter ne vousist :
Toute jor à son sueil séist,
Tant qu’il avint à un Noel
Que .III. boçu menesterel
Vindrent à lui où il estoit ;
Se li dist chascuns qu’il voloit
Fere cele feste avoec lui,
Quar en la vile n’a nului
Où le déussent fere miex,
Por ce qu’il ert de lor pariex,
Et boçus ausi come il sont.
Lors les maine li sire amont,
Quar la meson est à degrez ;
Li mengiers estoit aprestez ;
Tuit se sont au disner assis,
Et, se le voir vous en devis,
Li disners est et biaus et riches :
Li boçus n’ert avers ne chiches,
Ainz assist bien ses compaignons ;
Pois au lart orent et chapons.
Et, quant ce vint après disner,
Si lor fist li sires doner.
Aus .III. boçus, ce m’est avis,
Chascun .XX. sols de parisis,
Et après lor a desfendu[2]
Qu’il ne soient jamès véu
En la meson, ne el porpris ;
Quar, s’il i estoient repris,
Il auroient .I. baing cruel
De la froide eve du chanel.
La meson ert sor la rivière,
Qui moult estoit granz et plenière ;
Et, quant li boçu l’ont oï,
Tantost sont de l’ostel parti
Volentiers, et à chière lie,
Quar bien avoient emploie
Lor journée, ce lor fu vis.
Et li sires s’en est partis.
Puis est deseur le pont venuz.
La dame, qui ot les boçuz
Oï chanter et solacier,
Les fist toz .III. mander arrier,
Quar oïr les voloit chanter ;
Si a bien fet les huis fermer.
Ainsi com li boçu chantoient
Et o la dame s’envoisoient,
Ez-vous[3] revenu le seignor,
Qui n’ot pas fet trop lonc demor ;
A l’uis apela fierement.
La dame son seignor entent,
A la voiz le conut moult bien ;
Ne sot en cest mont terrien
Que péust fère des boçuz,
Ne comment il soient repus.
.I. chaaliz ot lez le fouier.
C’on soloit fère charriier ;
El chaaliz ot .III. escrins.
Que vous diroie ? c’est la fins,
En chascun a mis .I. boçu.
Ez-vous[4] le seignor revenu,
Si s’est delez la dame assis,
Qui moult par séoit ses delis ;
Mès il n’i sist pas longuement ;
De léenz ist, et si descent
De la meson, et si s’en va.
A la dame point n’anuia
Quant son mari voit avaler.
Les boçus en vout fère aler,
Qu’ele avoit repus ès escrins ;
Mès toz .III. les trova estins.
Quant ele les escrins ouvri.
De ce moult forment s’esbahi.
Quant les .III. boçus mors trova ;
A l’uis vint corant, s’apela
.I. porteur qu’ele a avisé ;
A soi l’a la dame apelé.
Quant li bachelers l’a oie,
A li corut ; n’atarja mie.
« Amis, dist-ele, enten à moi :
Se tu me veus plevir ta foi
Que tu jà ne m’encuseras
D’une rien que dire m’orras,
Moult sera riches tes loiers ;
.XXX. livres de bons deniers
Te donrai, quant tu l’auras fet. »
Quant li portères ot tel plet,
Fiancié li a volentiers,
Quar il covoitoit les deniers,
Et s’estoit auques entestez ;
Le grant cors monta les degrez.
La dame ouvri l’un des escrins :
« Amis, ne soiez esbahis,
Cest mort en l’eve me portez,
Si m’aurez moult servi à grez. »
.I. sac li baille, et cil le prant ;
Le boçu bouta enz errant.
Puis si l’a à son col levé ;
Si a les degrez avalé ;
À la rivière vint corant ;
Tout droit sor le grant pont devant,
En l’eve geta le boçu ;
Onques n’i a plus atendu,
Ainz retorna vers la meson.
La dame a ataint du leson
L’un des boçus à moult grant paine ;
À poi ne li failli l’alaine ;
Moult fu au lever traveillie ;
Puis s’en est .I. pou esloingnie.
Cil revint arrier[5] eslessiez ;
« Dame, dist-il, or me paiez ;
Du nain vous ai bien délivrée.
— Por quoi m’avez-vous or gabée,
Dist cele, sire fols vilains ?
Jà est ci revenuz li nains ;
Ainz en l’eve ne le getastes ;
Ensamble o vous le ramenastes.
Véz le là, se ne m’en créez.
— Comment, .C. déables mauféz.
Est-il donc revenuz céanz ?
Por lui sui forment merveillanz ;
Il estoit mors, ce m’est avis ;
C’est un déables antecris,
Mais ne li vaut, par saint Remi. »
A tant l’autre boçu saisi,
El sac le mist, puis si le lieve
A son col, si que poi li grieve ;
De la meson ist vistemant :
Et la dame tout maintenant
De l’escrin tret le tiers boçu ;
Si l’a couchié delez le fu ;
Atant s’en est vers l’uis venue.
Li porterres en l’eve rue
Le boçu la teste desouz :
« Alez, que honis soiez-vous,
Dist-il, se vous ne revenez. »
Puis est le grant cors retornez,
A la dame dist que li pait.
Et cele, sanz nul autre plait,
Li dist que bien li paiera.
Atant au fouier le mena,
Ausi com se rien ne séust
Du tiers boçu qui là se jut.
« Voiés, dist-ele, grant merveille.
Qui oï ainc mès la pareille ?
Revéz là le boçu où gist. »
Li bachelers pas ne s’en rist,
Quant le voit gesir lès le fu.
« Voiz, dist-il, par le saint cueur bu,
Qui ainc mès vit tel menestrel ?
Ne ferai-je dont huimès el
Que porter ce vilain boçu ?
Toz jors le truis ci revenu,
Quant je l’ai en l’eve rué. »
Lors a le tiers ou sac bouté ;
A son col fierement le rue ;
D’ire et de duel, d’aïr tressue.
A tant s’en torne iréement ;
Toz les degrez aval descent ;
Le tiers boçu a descarchié ;
Dedenz l’eve l’a balancié :
« Va-t’en, dist-il, au vif maufé,
Tant t’averai hui conporté ;
Se te voi mès hui revenir,
Tu vendras tart au repentir.
Je cuit que tu m’as enchanté ;
Mès, par le Dieu qui me fist né.
Se tu viens meshui après moi
Et je truis baston ou espoi,
Tel[6] te donrai el haterel,
Dont tu auras rouge bendel. »
A icest mot est retornez.
Et fus[7] en la meson montez ;
Ainz qu’éust les degrez monté.
Si a derrier lui regardé,
Et voit le seignor qui revient.
Li bons hon pas à geu nel tient ;
De sa main s’est trois foiz sainiéz,
Nomini Dame Diex aidiez ;
Moult li anuie en son corage.
« Par foi, dist-il, cis a la rage
Qui si près des talons me siut
Que par poi qu’il ne me consiut.
Par la roele saint Morant,
Il me tient bien por païsant,
Que je nel puis tant comporter
Que jà se vueille déporter
D’après moi adès revenir. »
Lors cort à ses deux poins sesir
.I. pestel qu’à l’uis voit pendant.
Puis revint au degré corant.
Li sires ert jà près montez :
« Comment, sire boçus, tornez ?
Or me samble ce enresdie ;
Mès, par le cors sainte Marie,
Mar retornastes ceste part ;
Vous me tenez bien por musart. »
Atant a le pestel levé.
Si l’en a .I. tel cop doné
Sor la teste, qu’il ot moult grant.
Que la cervele li espant ;
Mort l’abati sor le degré,
Et puis si l’a ou sac bouté ;
D’une corde la bouche loie ;
Le grant[8] cors se met à la voie ;
Si l’a en l’eve balancié
À tout le sac qu’il ot lié ;
Quar paor avoit duremant[9]
Qu’il encor ne l’alast sivant.
« Va jus, dist-il, à maléur ;
Or cuit-je estre plus asséur
Que tu ne doies revenir,
Si verra l’en les bois foillir. »
A la dame s’en vint errant ;
Si demande son paiemant,
Que moult bien a son comant fet.
La dame n’ot cure de plet ;
Le bacheler paia moult bien
.XXX. livres ; n’en falut rien ;
Trestout à son gré l’a paié,
Qui moult fu lie du marchié ;
Dist que fet a bone jornée,
Despuis que il l’a délivrée
De son mari, qui tant ert lais.
Bien cuide qu’ele n’ait jamais
Anui, nul jor qu’ele puist vivre,
Quant de son mari est delivre.
Durans, qui son conte define,
Dist c’onques Diex ne fist meschine
C’on ne puist por denier avoir ;
Ne Diex ne fist si chier avoir.
Tant soit bons ne de grant chierté,
Qui voudroit dire verité.
Que por deniers ne soit éus.
Por ses deniers ot li boçus
La dame qui tant bele estoit.
Honiz soit li hons, quels qu’il soit.
Qui trop prise mauvès deniers,
Et qui les fist fère premiers.
- ↑ II. — Des trois Boçus, p. 13.Paris, Bibl. nat., Mss. fr. 837, fol. 234 ; lisez fol. 238.
Publié par Barbazan, II, 125 ; par Méon, III, 245-254 ; par Renouard dans Legrand d’Aussy, IV, app. 27-30, et traduit par Legrand d’Aussy, IV, 257-263.
- ↑ Vers 83 — deffendu, lisez desfendu.
- ↑ 105 — Ez-vos, lisez Ez-vous.
- ↑ 118 — Es-vous, lisez Ez-vous.
- ↑ 167 — arrière, lisez arrier.
- ↑ 227 — Jel, lisez Tel.
- ↑ 230 — * fust ; ms., fus.
- ↑ 262 — grand, lisez grant.
- ↑ 265 — durement ; lisez duremant.
Ce fabliau se retrouve dans Straparole, Nuit V, nouv. 3. Cf. Loiseleur Deslongchamps, Essai sur les fables indiennes, p. 157, et Straparole, éd. Jannet, I, xxviij.
III
DU VAIR PALEFROI.
or remembrer et por retrère
Les biens c’on puet de fame trère
Et la douçor et la franchise,
Est iceste œuvre en escrit mise ;
Quar l’en doit bien ramentevoir
Les biens c’on i puet parcevoir.
Trop sui dolenz et molt m’en poise
Que toz li mons nes loe et proise
Au fuer qu’eles estre déussent ;
Ha ! Diex, s’eles les cuers éussent
Entiers et sains, verais et fors,
Ne fust el mont si granz tresors.
C’est granz domages et granz dels
Quant eles ne se gardent miex :
A poi d’aoite sont changies
Et tost muées et plessies.
Lor cuer samblent cochet au vent ;
Quar avenir voit-on souvent
Qu’en poi d’eure sont leur corages
Muez plus tost que li orages.
Puis qu’en semonsse m’a l’en mis
De ce dont me sui entremis,
Jà ne lerai por les cuivers
Qui les corages ont divers,
Et qui sont envieus sor ceus
Qui les cuers[2] ont vaillanz et preus,
Que ne parfornisse mon poindre
Por moi aloser et espoindre.
En ce lay du Vair Palefroi
Orrez le sens Huon Leroi
Auques regnablement descendre ;
Por ce que réson sot entendre,
Il veut de ses dis desploier,
Que molt bien les cuide emploier.
Or redit c’uns chevaliers preus,
Cortois et bien chevalereus,
Riches de cuer, povres d’avoir,
Issi com vous porrez[3] savoir,
Mest en la terre de Champaingne[4] ;
Droiz est que sa bonté empaingne
Et la valeur dont fu espris ;
En tant mains leus fu de grant pris,
Quar sens et honor et hautece
Avoit, et cuer de grant proece[5] ;
S’autretant fust d’avoir seurpris
Comme il estoit de bien espris,
Por qu’il n’empirast por l’avoir.
L’en ne péust son per savoir,
Son compaignon ne son pareil ;
Et au recorder m’apareil,
Por ce que l’uevre d’un preudomme[6]
Doit-on conter jusqu’en la somme[7],
Por prendre example bel et gent ;
Cil estoit loez de la gent.
Tout là où il estoit venuz
Si estoit son priz connéuz,
Que cil qui ne le connoissoient,
Por les biens qui de lui nessoient
En amoient la renomée.
Quant il avoit la teste armée,
Quant il ert au tornoiement
N’avoit soing de dosnoiement.
Ne de jouer à la forclose ;
Là où la presse ert plus enclose
Se féroit tout de plain eslais.
Il n’estoit mie aus armes lais,
Quant sor son cheval ert couvers ;
Ne fust jà si pleniers yvers
Que il n’éust robe envoisie,
S’en estoit auques achoisie
L’envoiséure de son cuer ;
Mès terre avoit à petit fuer,
Et molt estoit biaus ses confors.
Plus de .CC. livres de fors
Ne valoit pas par an sa terre ;
Par tout aloit por son pris querre.
Adonc estoient li boschage
Dedenz Champaingne plus sauvage,
Et li païs, que or ne soit.
Li chevaliers adonc penssoit
A une amor vaillant et bele
D’une très haute damoisele.
Fille ert à .I. prince vaillant ;
Richece n’alloit pas faillant
En lui, ainz ert d’avoir molt riches.
Et si avoit dedenz ses liches.
.M. livres valoit bien sa terre
Chascunan, et sovent requerre
Li venoit on sa fille gente,
Quar à tout le mont atalente
La grant biauté qu’en li avoit.
Li princes plus d’enfans n’avoit,
Et de fame n’avoit-il mie :
Usée estoit auques sa vie ;
En .I. bois estoit son recet ;
Environ fu granz la forest.
L’autre chevalier dont je di
A la damoisele entendi
Qui fille au chevalier estoit ;
Mès li pères li contrestoit ;
Si n’avoit cure que l’amast
Ne que de lui le renomast.
Li Jones chevaliers ot non
Messire Guillaume à droit non.
En la forest ert arestanz
Là où li anciens mananz
Avoit la seue forterèce
De grant terre et de grant richèce ;
.II. liues ot de l’un manoir
Jusqu’à l’autre ; mès remanoir
Ne pot l’amor d’ambesdeus pars ;
Lor penssé n’erent mie espars
En autre chose maintenir :
Et, quant li chevaliers venir
Voloit à cele qu’il amoit,
Por ce que on l’en renomoit,
Avoit en la forest parfonde,
Qui granz estoit à la roonde,
Un sentier fet, qui n’estoit mie
Hantez d’ome qui fust en vie
Se de lui non tant seulement.
Par là aloit celéement
Entre lui et son palefroi,
Sanz démener noise n’effroi,
A la pucele maintes foiz.
Mès molt estoit granz li defoiz,
Quar n’i pooit parler de près ;
Si en estoit forment engrès.
Que la cort estoit molt fort close.
La pucele n’ert pas si ose
Qu’ele de la porte issist fors ;
Mès de tant ert bons ses confors
Qu’à lui parloit par mainte foiz
Par une planche d’un defoiz.
Li fossez est granz par defors,
Li espinois espès et fors ;
Ne se pooient aprochier :
La meson ert sor .I. rochier,
Qui richement estoit fermée ;
Pont levéis ot à l’entrée,
Et li chevaliers anciens,
Qui engingneus ert de toz sens
Et qui le siècle usé avoit.
De son ostel pou se mouvoit,
Quar ne pooit chevauchier mais,
Ainz sejornoit léenz en pais.
Sa fille fesoit[8] près gaitier.
Et devant lui por rehaitier
Séoit, sovent ce poise li,
Quar au déduit avoit failli
Où son cuer ert enracinez.
Li chevaliers preus et senez
N’oublioit pas à li la voie ;
Ne demande mès qu’il la voie.
Quant il voit qu’autre ne puet estre,
Molt revidoit sovent son estre.
Mès ne pooit dedenz entrer.
Cele c’on fesoit enserrer
Ne véoit mie de si près
Comme son cuer en ert engrès.
Sovent la venoit revider,
Nel pooit gueres resgarder ;
El ne se puet en cel lieu traire
Que li chevaliers son viaire
Péust véoir tout en apert :
Chascuns dit bien que son cuer pert.
Li chevaliers qui tant devoit
Celi amer, qui tant avoit
En li de bien à grant merveille
Que on ne savoit sa pareille,
Avoit .I. palefroi molt riche,
Ainsi com li contes afiche :
Vairs ert et de riche color ;
La sanblance de nule flor
Ne color c’on séust descrire
Ne sauroit pas nus hom eslire
Qui si fust propre en grant biauté,
Sachiez qu’en nule réauté
N’en avoit nus à icel tans
Si bon, ne si souef portans.
Li chevaliers l’amoit forment,
Et si vous di veraiement
Qu’il nel donast por nul avoir.
Longuement li virent avoir
Cil du païs et de la terre.
Dessus le palefroi requerre
Aloit sovent la damoisele
Par la forest soutaine et bele.
Où le sentier batu avoit
Que nus el monde ne savoit
Fors que lui et son palefroi.
Ne menoit pas trop grant effroi
Quant s’amie aloit revider ;
Molt près li couvenoit[9] garder
Que parcéus ne fust du père,
Quar molt li fust la voie amère.
Toz jors menoient cele vie
Que l’uns de l’autre avoit envie :
Ne se pooient aaisier
Ne d’acoler ne de baisier.
Je vous di bien, se l’une bouche
Touchast à l’autre, molt fust douce
De l’acointance de ces .II.
Par estoit molt ardanz li feus
Qu’il ne pooit por riens estaindre ;
Quar, s’il se péussent estraindre
Et acoler et embrachier,
Et l’uns l’autre ses braz lacier
Entor les cols si doucement,
Com volentez et penssement
Avoient et grant desirrier,
Nus hom ne les péust irier,
Et fust lor joie auques parfète ;
Mès de ce ont trop grant souffrète
Qu’il ne se pueent solacier,
Ne li uns vers l’autre touchier.
Petit se pueent conjoïr
Fors que de parler et d’oïr ;
Li uns voit l’autre escharsement,
Quar trop cruel devéement
Avoit entre ces deus amanz.
Ele estoit son père cremanz,
Quar, s’il lor couvine séust,
Plus tost mariée l’éust ;
Et li chevaliers ne volt fère
Chose par c’on péust desfere[10]
L’amor qui entr’aus .II. estoit,
Quar l’ancien forment doutoit,
Qui riches ert à desmesure ;
N’i voloit querre entreprisure.
Li chevaliers se porpenssa,
Un jor et autre molt penssa
À la vie qu’il demenoit,
Quar molt sovent l’en souvenoit.
Venu li est en son corage
Ou tort à joie, ou tort à rage.[11]
Qu’à l’ancien parler ira,
Et sa fille li requerra
A moillier, que que il aviegne,
Quar il ne set que il deviengne
Por la vie que il demaine.
Trestoz les jors de la semaine
Ne puet avoir ce qu’il couvoite[12],
Quar trop li est la voie estroite.
.I. jor s’apresta de l’aler ;
A l’ancien ala parler
Au leu tout droit où il manoit,
Là où la damoisele estoit.
Assez i fu bien recéus,
Quar molt estoit bien connéus
De l’ancien et de ses genz ;
Et cil, qui ert et preus et genz
Et empariez comme vaillanz
En qui nus biens n’estoit faillanz.
Lui a dit : « Sire, je sui[13] ci
Venus ; par la votre merci
Or entendez à ma reson.
Je sui en la vostre meson
Venuz requerra tel afère
Dont Diex vous lest vers moi don fère. »
Li anciens le regarda,
Et puis après li demanda :
« Que est-ce dont ? dites le moi ;
Je vous en aiderai, par foi,
Se, sauve m’onor, le puis fère.
— Oïl, Sire, de vostre afère
Sai tant que fère le poez ;
Or doinst Diex que vous le loez.
— Si ferai-je, se il me siet ;
Et, se riens nule me messiet,
Bien i saurai contredit metre ;
Ne du doner ne du prometre
Ne vous sauroie losengier,
Se bien ne le vueil otroier.
— Sire, dist-il, je vous dirai
Quel don je vous demanderai.
Vous savez auques de mon estre ;
Bien connéustes mon ancestre
Et mon recet et ma meson.
Et bien savez en quel seson
Et en quel point je me déduis ;
En guerredon, sire, vous ruis
Vostre fille, se il vous plest.
Diex doinst que pensser ne vous lest
Destorber le vostre corage
Que vous cest don, par mon outrage
Que j’ai requis, ne me faciez ;
Et si vueil bien que vous sachiez
C’onques ne fui jor ses acointes ;
Quar molt en fusse baus et cointes
Se je à li parlé éusse,
Et les granz biens aparcéusse
De qoi ele a grant renommée.
Molt est en cest pais amée
Por les granz biens qui en li sont ;
Il n’a son pareil en cest mont.
Ce me content tuit si acointe,
Mès à petit de genz s’acointe,
Por ce qu’ele est céenz enclose.
La penssée ai éu trop ose
Quant demander la vous osai,
Et, se je de vous le los ai
Que m’en daingniez fère le don
En service et en guerredon ;
Baus et joianz forment en ière.
Or vous ai dite ma proière,
Responez m’en vostre plesir. »
Li anciens, sanz nul loisir
Et sanz conseil qu’en vousist prendre,
Li respondi : « Bien sai entendre
Ce que m’avez conté et dit.
Il n’i a mie grant mesdit ;
Ma fille est bele et jone et sage
Et pucele de grant lingnage,
Et je suis riches vavassors,
Estrais de nobles ancissors ;
Si vaut bien ma terre .M. livres
Chascun an ; ne sui pas si yvres
Que je ma fille doner doie
A chevalier qui vit de proie ;
Quar je n’ai plus d’enfanz que li ;
Si n’a pas à m’amor failli,
Et après moi sera tout sien ;
Je la voudrai marier bien ;
Ne sai prince dedenz cest raine,
Ne de ci jusqu’en Loheraine,
Qui tant soit preudom et senez
Ne fust en li bien assenez.
Tels le me requist avant ier,
N’a pas encore .I. mois entier,
Qui de terre a .Vc. livrées.
Qui or me fussent délivrées
Se je à ce vousisse entendre ;
Mès ma fille puet bien atendre,
Que je sui tant d’avoir seurpris,
Qu’ele ne puet perdre son pris
Ne le fuer de son mariage.
Le plus haut home de lingnage
Qui en trestout ces païs maingne.
Ne de ci jusqu’en Alemaingne,
Puet bien avoir, fors roi ou conte. »
Li chevaliers ot molt grant honte
De ce que il ot entendu :
Il n’i a lors plus atendu,
Ainz prist congié, si s’en repère ;
Mes il ne set qu’il puisse fère,
Quar amors le maine et destraint,
De qoi molt durement se plaint.
La pucele sot l’escondit
Et ce que ses pères ot dit ;
Dolente en fu en son corage.
S’amor n’estoit mie volage,
Ainz ert envers celui entire
Assez plus c’on ne sauroit dire.
Ainz que cil s’en fust reperiez,
Qui de grant duel estoit iriez,
Parlèrent par defors ensamble ;
Chascuns a dit ce qu’il li samble.
Li chevaliers li a conté
La novele qu’il a trové
A son père et la descordance :
« Damoisele gentil et franche,
Dist li chevaliers, que ferai ?
La terre, ce cuit, vuiderai ;
Si m’en irai toz estraiers,
Quar alez est mes desirriers ;
Ne porrai à vous avenir.
Ne sai que puisse devenir :
Mar acointai la grant richoise
Dont vostre pères si se proise ;
Miex vous amaisse à mains de pris,
Quar vostre père éust bien pris
En gré ce que je puis avoir.
S’il ne fust si riches d’avoir.
— Certes, fet-ele, je voudroie
Avoir assez mains que ne doie,
S’il fust selonc ma volenté ;
Sire, s’à la vostre bonté
Vousist mon père prendre garde,
Par foi, n’éusse point de garde
Que vous à moi n’avenissiez,
Et qu’à son acort ne fussiez ;
S’il contrepesast vo richece
Encontre vostre grant proece,
Bien déust graer le marchié.
Mès il a de cuer sens chargié ;
Il ne veut pas ce que je vueil,
Ne se deut pas où je me dueil.
S’il s’acordast[14] à ma penssée,
Tost fust la chose créantée ;
Mes cuers qui gist en la viellèce
Ne pensse pas à la jonèce
Ne au voloir de jone éage ;
Grant difference a el corage
De viel au jone, ce m’est vis.
Mes, se vous fetes mon devis.
Ne porrez pas faillir à moi.
— Oïl, damoisele, par foi,
Fet li chevaliers, sanz faillance
Or me dites vostre voillance.
— Or me sui, fet ele, apenssée
D’une chose à qoi ma penssée
A sejorné molt longuement.
Vous savez bien certainement
C’un oncle avez qui molt est riches ;
Fort manoir a dedenz ses liches ;
N’est pas mains riches de mon père ;
Il n’a enfant, fame ne frère,
Ne nul plus prochain oir de vous ;
Ce set on bien tout à estrous
Que tout ert vostre après sa fin ;
Plus de .LX. mars d’or fin
Vaut ses trésors avoec sa rente.
Or i alez sans nule atente ;
Viex est et frailes, ce savez ;
Dites lui bien que vous avez
Tel parole à mon père prise,
Que jà ne sera à chief mise
Se il ne s’en veut[15] entremetre ;
Mès, se il vous voloit prometre[16]
.CCC. livrées de sa terre,
Et mon père venist requerre
Icest afère, qui molt l’aime,
Li uns l’autre preudomme claime,
Vos oncles tient mon père à sage ;
Ancien sont, de grant aage,
Li uns croit l’autre durement,
Et se voz oncle bonement
Voloit tant por vostre amor fère
Qu’à ce le péussiez atrère
Que tant du sien vous proméist,
Et qu’il à mon père déist :
« Mon neveu erent délivrées
« De ma terre .CCC. livrées
« Por vostre fille qu’il aura, »
Li mariages bien sera.
Je croi bien qu’il otrieroit
Quant si vostre oncles[17] li diroit ;
Et, quant espousée m’aurez,
Toute sa terre li rendrez
Qu’il vous auroit ainsi promise.
En vostre amor me sui tant mise
Que molt me pleroit li marchiez.
— Bele, fet-il, de voir sachiez
C’onques riens tant ne desirrai ;
Droit à mon oncle le dirai. »
Congié a pris, si s’en retorne ;
Penssée ot molt obscure et morne
Por l’escondit c’on li ot fait.
Par la forest chevauchant vait.
Et sist sor son vair palefroi.
Molt est entrez en grant effroi.
Mes molt est liez en son corage
De cest conseil honest et sage
Que la pucele li a dit.
Alez s’en est sanz[18] contredit
A Medet, où son oncle maint.
Venuz i est, mès molt se plaint
A lui, mès molt se desconforte.
En une loge sor la porte
S’en sont alé privéement ;
Son oncle conta bonement
Son couvenant[19] et son afère.
« Oncles, se tant voliiez fère,
Fet-il, que vous en parlissiez.
Et qu’en couvenant[19] m’éussiez
.CCC. livrées de vo terre,
Je vous créanterai sanz guerre
Et fiancerai maintenant,
Ma main en la vostre tenant,
Que, luès que j’aurai espousée
Cele c’on m’a or refusée,
Que vous r’aurez vo terre quite
Por guerredon et por merite ;
Or fetes ce que vous requiers.
— Niéz, fet li oncles, volentiers,
Quar molt me plest et molt m’agrée ;
Au miéz de toute la contrée
Serez mariez, par mon chief.
Et j’en cuit bien venir à chief.
— Oncles, dist-il, or esploitiez
Ma besoigne, et si la coitiez[20]
Qu’il n’i ait fors de l’espouser,
Quar ne vueil plus mon tens user,
Et g’irai au tournoiement.
Atornez serai richement ;
Li tornois ert à Galardon[21],
Et Diex m’otroit en guerredon
Que je le puisse si bien fère
Que proisiez en soit mon afère ;
Et vous penssez de l’esploitier,
Qu’espouser puisse au repérier.
— Molt volentiers, fet-il, biaus niéz ;
De la novele sui molt liéz,
Quar ele est molt gentiz et franche. »
Lors s’en torna sanz demorance
Mesires Guillaumes[22] errant ;
Lors maine joie molt très grant
Por ce que ses oncles a dit
Que il aura, sanz contredit,
A fame cele qu’il desirre ;
Autre joie ne veut eslire[23].
Espris de joie molt forment
S’en ala au tournoiement
Com cil qui coustumiers en ert.
Et lendemain, quand jors apert.
Monta ses oncles, lui septime.
Et vint devant eure de prime
Là où li anciens manoit.
Qui riches manssions tenoit.
Et qui pères ert à celi
Qui a biauté n’ot pas failli.
Recéus fu molt hautement.
Li anciens l’amoit forment,
Quar son per de viellèce estoit
Et assez près de lui manoit ;
Riches estoit de grant pooir ;
De ce qu’il l’ert venuz véoir
Demaine joie et grant léèce,
Quar il estoit de grant hautèce.
Li anciens li sot bien dire :
« Bien soiez-vous venuz, biaus sire. »
Aprestez fu li mengiers granz.
Li anciens gentiz et franz
Estoit de cuer, et si savoit
Bien honorer ce qu’il devoit.
Quant les tables furent ostées.
Dont furent paroles contées
Et ancienes acointances
D’escuz, d’espées et de lances,
Et de toz les anciens fais
Fu mains biaus moz iluec retrais.
Li oncles au buen chevalier
Ne se volt pas trop oublier,
Ainz a son penssé descouvert.
A l’ancien dist en apert :
« Qu’iroie-je, fet-il, contant ?
Si m’aït Diex, je vous aim tant
Com vous porrez apercevoir[24].
A vous sui venuz por véoir
Et por enquerre une besoingne ;
Dieu pri que corage vous doingne
Qu’entendue soit ma proière
En tel point et en tel manière
Que j’en puisse venir à chief. »
Li anciens dist : « Par mon chief,
Je vous pris tant en mon corage
Que por souffrir trop grant malage
Ne vous sera chose véée
Qui de par vous me soit rouvée,
Ainz vous en ert graez li dons.
— Sire, merciz et guerredons
Vous en vueil molt volentiers rendre,
Fet li viellars, qui plus atendre
Ne veut de sa parole dire ;
Venuz sui demander, biaus sire,
Vostre fille, qui molt est sage ;
Prendre la vueil par mariage ;
Ainçois que je l’aie espousée
Ert de ma garison doée,
Que riches sui à grant pooir.
Vous savez bien que je n’ai oir
Nul de ma char, ce poise moi ;
Je li serai de bone foi,
Quar je sui cil qui molt vous prise.
Quant je vostre fille aurai prise,
Jà ne me quier de vous partir
Ne ma richèce départir
De la vostre, ainçois soit tout .I.
Ensanble serons de commun
De ce que Diex nous a doné. »
Cil, qui molt ot le cuer séné,
Fu molt joianz ; se li a dit :
« Sire, fet-il, sanz contredit
La vous donrai molt volentiers,
Quar preudom estes et entiers.
Liéz sui quant le m’avez requise ;
Qui le meillor chastel de Frise
Me donast, n’éusse tel joie.
A nului. Sire, ne tendoie
Si de cuer de son mariage
Comme à vous ; quar preudomme[25] et sage
Vous ai en trestoz poins trouvé
Que j’ai vostre afère esprové. »
Lors a fiancie et plevie
Celi qui n’a de lui envie,
Et qui cuidoit autrui avoir.
Quant la pucèle en sot le voir,
S’en fu dolente et esmarie ;
Sovent jura Sainte Marie
Que jà de lui n’ert espousée.
Molt ert dolente et esplorée,
Et molt sovent se desconforte :
« Lasse, dolente, com sui morte !
Quel trahison a cil viex fète !
Comme auroit or la mort forfète !
Comme a decéu son neveu,
Le gentil Chevalier et preu
Qui tant est plains de bonne tèche,
Et cil viellars par sa richèce
A jà de moi reçu le don :
Diex l’en rende son guerredon !
Entremis s’est de grant folie ;
Jamès nul jor ne serai lie ;
S’anemie mortel aura
Le jor que il m’espousera.
Comment verrai-je jà le jor !
Naie ! jà Diex si lonc sejor
Ne me doinst que véir le puisse !
Or a ci duel et grant anguisse,
Ainz mes n’oï tel trahison.
Se je ne fusse en tel prison.
Bien achevaisse cest afère[26] ;
Mès je ne puis nule rien fère,
Ne fors issir de cest manoir ;
Or me convendra remanoir
Et souffrir ce que veut mon père ;
Mès la souffrance est trop amère.
Ha ! Diex, que porrai devenir.
Et quant porra çà revenir
Cil qui trahis est laidement !
Se il savoit certainement
Comment son oncle l’a bailli
Et ce qu’il a à moi failli,
Bien sai que sanz joie morroie
Et que sanz vie remaindroie ;
Et s’il le séust, par mon chief,
Je cuit qu’il en venist à chief ;
Mes granz anuis fust achevez.
Diex, com mes cuers est agrevez !
Miex ameroie mort que vie.
Quel trahison et quel envie !
Comment l’osa cis viex pensser ?
Nus ne me puet vers lui tensser,
Quar mon père aime couvoitise[27],
Qui trop le semont et atise.
Fi de viellèce, fi d’avoir !
James ne porra nus avoir
Fame qui soit haute ne riche.
Se granz avoirs[28] en lui ne nice.
Haïr doi l’avoir qui me part
De celui là où je claim part,
Et qui me cuide avoir sanz faille ;
Mès or m’est vis que je i faille. »
La pucèle se dementoit
En icel point, quar molt estoit
A grant mesaise, ce sachiez,
Quar son cuer ert si enlaciez
En l’amor au bon bacheler
Qu’à grant peine s’en puet celer
Ce qu’ele pensse envers nului,
Et autrement rehet celui
A cui son père l’a donée.
Estre cuide mal assenée,
Que molt est viex, de grant aage ;
Si a froncié tout le visage.
Et les iex rouges et mauvais ;
De Chaalons dusqu’à Biauvais
N’avoit chevalier en toz sens
Plus viel de lui, ne jusqu’à Sens
N’avoit plus riche, ce dist-on ;
Mes à cuivert et à felon
Le tenoit on en la contrée ;
Et cele estoit si enflambée
De grant biauté et de valor,
C’on ne savoit si bele oissor.
Ne si cortoise ne si franche
Dedenz la corone de France.
Mès diverse ert la partéure,
D’une part clère, d’autre obscure ;
N’a point d’oscur en la clarté,
Ne point de cler en l’oscurté.
Molt s’amast miex en autre point
Cele qui amors grieve et point.
Et cil qui plevie l’avoit,
Et qui de li grant joie avoit,
A bien devisé son afère
Et pris terme des noces fère,
Com cil qui n’ert en soupeçon
Ne savoit mie la tençon
Ne le duel que celé menoit,
Qu’amors en tel point la tenoit
Com vous m’avez oï conter.
Ne vous doi mie forconter
Le termine du mariage.
Cil, qui furent preudome et sage,
S’en apresterent richement.
Li anciens certainement,
Ainz que le tiers jor fust venuz,
Manda les anciens chenuz,
Cels que il savoit plus senez,
De la terre et du païs nez,
Por estre au riche mariage
De sa fille, qui son corage
Avoit en autre lieu posé.
Au bon chevalier alosé
Avoit son cuer mis et s’entente ;
Mès or voit bien que sanz[29] atente
Est deçéue et engingnie.
Assamblé ont grant compaignie
Li dui chevalier ancien.
Par le païs le sorent bien
Tuit li preudome ancienor ;
Venu i furent li plusor ;
Si en i ot bien jusqu’à .XXX.
N’i ot celui ne tenist rente
De l’ancien et garison.
Venu furent en sa meson.
La parole ont si devisée
Que la pucele ert espousée,
Ce dient tuit, à l’ajorner.
Si la commandent atorner
Aus damoiseles qui la gardent,
Et qui le jor et l’eure esgardent,
Dont eles sont forment iries ;
S’en font chières molt esmaïes.
Li anciens a demandé
A celes qu’il ot commandé
Se sa fille est toute aprestée,
Et se de rien est efraée[30],
Et s’il i faut riens qu’avoir doie.
« Nenil, biaus sire, que l’en voie,
Respont une de ses puceles,
S’avions palefrois et seles
Por nous porter au moustier toutes,
Dont i aura, je cuit, granz routes
De parentes et de cousines
Qui ci nous sont bien près voisines. »
Cil li respont : « De palefroiz
Ne somes pas en granz efroiz[31] ;
Je cuit que assez en auron. »
En la contrée n’a baron
A cui l’en n’ait le sien mandé.
Et cil cui on ot commandé
En est alez sanz demorance
A l’ostel celui qui vaillance
Avoit en son cuer enterine ;
C’est cil qui proesce enlumine.
Guillaume, qui preus fu et sages,
Ne cuidoit que li mariages
Fust porparlez en itel point ;
Mès amors qui au cuer le point
L’avoit hasté de revenir.
Ne li pooit del souvenir
Se de ce non qui l’angoissoit :
Amors en son cuer florissoit.
Il fu du tornoi repériez
Com cil qui n’estoit mie iriez,
Quar il cuidoit avoir celi
A cui il a ore failli
De ci atant que Dieu plera
Et quant aventure avendra.
Chascun jor atendoit novele
Qui li venist plesant et bele.
Et que son oncle li mandast
Que sa famé espouser alast.
Chantant aloit par son ostel,
Viéler fet .I. menestrel
En la vièle .I. son novel ;
Plains est de joie et de revel,
Quar eu ot outréement
Tout le pris du tournoiement.
Souvent esgarde vers sa porte
S’aucuns noveles li aporte.
Molt se merveille quant vendra
Cele eure c’on li mandera ;
Le chanter lest à chief de foiz ;
Amors li fet mètre en defoiz
Qu’il a aillors mise s’entente.
Atant ez-vos sans plus d’atente
Un vallet qui en la cort entre.
Quant il le vit, le cuer du ventre
Li fremist de joie et tressant :
Cil li dist : « Sire, Diex vous saut ;
A grant besoin m’a ci tramis
Li anciens qui voz amis
Est de pieça, bien le savez :
.I. riche palefroi avez ;
N’a plus soef ambiant el mont ;
Mesire vous proie et semont
Que vous par amors li prestez,
Si que anuit li trametez.
— Amis, dist-il, por quel mestier ?
— Sire, por mener au moustier
Sa fille, nostre damoisele,
Qui tant est avenant et bele.
— Et ele por quel chose ira ?
— Biaus sire, jà l’espousera
Vostre oncle, à cui ele[32] est donée,
Et le matin à l’ajornée
Ert menée ma damoisele
Là-sus[33] à la gaste chapele
Qui siet au chief de la forest.
Hastez-vous, Sire : trop arest ;
Prestez vostre oncle et mon seignor
Vostre palefroi, le meillor
Qu’est el roiaume, bien le sai ;
Souvent en est mis à l’essai. »
Mes sires Guillaume l’oï :
« Diex, fet-il, m’a donques trahi
Mès oncles, en qui me fioie,
À cui si bel proie avoie
Que il m’aidast de ma besoingne[34] ?
Jà Dame-Diex ne li pardoingne[35]
La trahison et le meffet ;
À paines croi qu’il l’éust fet ;
Je croi que tu ne dis pas voir.
— Bien le porrez, fet-il, savoir
Demain ainçois prime sonée,
Quar jà i est granz l’assamblée
Des viez chevaliers du pais.
— Ha ! las, dist-il, com sui trahis
Et engingniez et decéus ! »
Poi s’en faut que il n’est chéus
De duel à la terre pasmez ;
S’il n’en cuidast estre blasmez
De cels qui erent à l’ostel,
Il féist jà encor tout el ;
Si est espris de duel et d’ire,
Ne sot que fère ne que d’ire.
De grant duel demener ne cesse,
Et cil le semont et reverse
Que qu’il estoit en cel effroi :
« Sire, en vostre bon palefroi
Fetes errant metre la sele ;
S’ert portée ma damoisele
Sus au moustier, que soef porte. »
Et cil qui soef se deporte,
Quar il entent à son duel faire
Entruès que sa tristèce maire
A porpensser quel le fera,
Savoir mon, s’il l’envoiera
Son vair palefroi à celui
Qu’il doit haïr plus que nului.
« Oïl, fet-il, sanz[36] delaiance ;
Cèle qui est de grant vaillance,
A cui j’ai entresait failli,
N’i a coupes, ce poise mi ;
Mon palefroi l’ira servir
Et la grant honor deservir
Que j’ai souvent en li trovée,
Quar en toz biens l’ai esprovée ;
James n’en porrai plus avoir,
Ce puis-je bien, de fi, savoir.
» Or n’ai-je pas dit que senez,
Ainz sui faillis et forsenez.
Quant, à la joie et au deport
Celui qui m’a trahi et mort,
Vueil mon palefroi envoier :
En ne m’a il fet desvoier
De celé que avoir cuidoie ?
Il n’est nus hom qui amer doie
Celui qui trahison li quiert :
Molt est hardis qui me requiert
Mon palefroi, ne rien que j’aie
Envolerai li dont je n’aie.
En ne m’a-il desireté
De la douçor, de la biauté
Et de la très grant cortoisie
Dont ma damoisele est proisie ?
» Or l’ai lonc tens en vain servi ;
Avoir en doi bien deservi
Que la très grant souvraine honor
En eusse bien le greignor,
Ne grant joie mes n’en aurai.
Comment celui envolerai
Cho.se de qoi puist avoir aise
Qui me fet estre à tel mesaise ?
» Mès neporquant, s’il m’a cousté,
Que cele qui tant a bonté
Mon palefroi chevauchera ;
Bien sai, quant ele le verra,
Que il li souvendra de moi.
Amée l’ai par bone foi
Et aim et amerai toz tans,
Mes s’amor si m’est trop coustans.
Par moi tout seul serai amis,
Et si ne sai s’ele aura mis
Son cuer en la viel acointance
Dont j’ai au cuer duel et pesance.
Je cuit qu’il ne li soit pas bel ;
Cayn, qui frères fu d’Abel,
Ne fist pas greignor trahison ;
Mis est mon cuer en grant friçon
Por celi dont je n’ai confort. »
Ainsi demaine son duel fort.
Le palefroi fist enseler.
Et l’escuier fist apeler ;
Le vair palefroi li envoie,
Et cil s’est lués mis à la voie.
Mesire Guillaume n’a pas
De sa grant tristrece respas ;
Dedenz sa chambre s’est muciez,
Molt est dolenz et corouciez,
Et à toz ses serjans a dit
Que, s’il i a nul si hardit
Qui s’esmueve de joie fère.
Qu’il le fera pendre ou desfère[37] ;
N’a mès de joie fère cure,
Ainz voudra mener vie obscure,
Qu’issir ne li puet à nul fuer
La grant[38] pesance de son cuer.
Ne la dolor ne la grant paine.
Et cil le palefroi enmaine
À cui il l’avoit fet baillier ;
Revenuz est sanz atargier
Là où li anciens manoit.
Qui molt grant joie demenoit.
La nuis estoit toute série ;
D’anciene chevalerie
Avoit grant masse en la meson.
Quant mengié orent à foison,
Li anciens a commandé
A la guete, et dit et mandé
A trestoz que, sanz nul sejor,
Une liue devant le jor
Soient tuit prest et esveillié,
Enselé et appareillié
Li cheval et li palefroi
Sanz estormie et sanz desroi,
Puis vont reposer et dormir ;
Celé qu’amors fesoit fremir
Et souspirer en grant doutance,
N’ot de dormir nule esperance ;
Onques la nuit ne someilla :
Tuit dormirent ; ele veilla.
Son cuer n’estoit pas endormis,
Ainz ert à duel fere ententis.
Et, s’ele péust lieu avoir,
N’atendist mie le mouvoir
Des chevaliers, ne l’ajornée,
Ainz s’en fust tost par li alée.
Après la mienuit leva
La lune, qui bien esclaira
Tout environ l’air et les ciex ;
Et quant la guete vit aus iex,
Qui embéus avoit esté.
Environ lui la grant clarté,
Guida que l’aube fust crevée :
« Estre déust, fet-il, levée
Pieça la grant chevalerie. »
Il tret le jor et huche et crie ;
« Levez, Seignor, li jors[39] apert, »
Fet cil, qui toz estordis ert
Du vin qu’il ot le soir béu.
Cil qui n’orent gueres géu
En repos, ne guères dormi,
Se sont levé tuit estordi ;
Des seles metre sont engrès
Li escuier, por ce que près
Guident estre de l’aj ornée ;
Mais, ainz que l’aube fust crevée,
Forent bien cinc liues errer
Et tout belement cheminer.
Li palefroi enselé furent,
Et tuit li ancien qui durent
Adestrer cele damoisele
Au moustier à la viez chapele,
Au chief de la forest sauvage,
Furent monté, et au plus sage
Fu commandée la pucele.
Au vair palefroi fu la sele
Mise, et, quant on li amena[40],
Adonc plus grant duel demena
Qu’ele n’avoit devant mené.
Li ancien home sené
Ne s’en parçurent de noient.
Ne sorent pas son escient,
Ainz cuidoient qu’ele plorast
Por ce que la meson vuidast
Son père por aler aillors ;
Ne connoissoient pas ses plors,
Ne la tristrèce qu’ele maine.
Montée fu à molt grant paine.
Acheminé se sont ensamble ;
Vers la forest, si com moi samble,
Alèrent cheminant tout droit ;
Le chemin truevent si estroit
Que dui ensamble ne pooient
Aler, et cil qui adestroient
La pucèle par derrière erent,
Et li autre devant alèrent.
Li chevaliers qui l’adestroit,
Por le chemin qu’il vit estroit,
La mist devant, il fu derrière
Por l’estrèce de la quarrière.
La route ert longue et granz assez ;
Traveilliez les ot et lassez
Ce qu’il orent petit dormi ;
Auques en furent amati ;
Plus pesaument en chevauchoient
Que viel et ancien estoient ;
Tant avoient sommeil greignor,
Quar grant pièce ot de ci au jor.
Desus les cols de lor chevaus,
Et par les mons et par les vaus,
Aloient le plus someillant ;
Et la pucele aloit menant
Li plus sages c’on ot eslit.
Mès cele nuit ot en son lit
De repos pou assez éu ;
Le someil l’a si decéu
Qu’il a tout mis en oubliance,
Quar de dormir a grant voillance.
La pucele se conduisoit
Si que de rien ne li nuisoit
Fors que l’amor et la tristrèce.
Que qu’ele estoit en cele estrèce
De cele voie que je di,
Toute la grant route a sordi
Des chevaliers et des barons.
Tuit clinoient sor les arçons
Li plusor ; li auquant veilloient,
Qui lor penssers aillors avoient
Qu’à la Damoisele adestrer.
Parmi la grant forest d’errer
Ne cessèrent à grant esploit ;
La pucèle est en grant destroit,
Si com celé qui vousist estre
Ou à Londres ou à Vincestre[41].
Li vairs palefrois savoit bien
Cel estroit chemin ancien,
Quar maintes fois i ot alé.
.I. grant tertre ont adevalé
Où la forest ert enhermie,
C’on ne véoit la clarté mie
De la lune ; molt ert ombrages
En celé part li granz boschages,
Que molt parfons estoit li vaus.
Granz ert la friente des chevaus.
De la grant route des Barons
Estoit devant li graindres frons.
Li .I. sor les autres sommeillent,
Li autre parolent et veillent ;
Ainsi vont chevauchant ensamble.
Li vairs palefrois, ce me samble,
Où la damoisele séoit,
Qui la grant route porsivoit,
Ne sot pas le chemin avant
Où la grant route aloit devant,
Ainz a choisi par devers destre
Une sentele, qui vers l’estre
Mon seignor Guillaume aloit droit.
Li palefrois la sente voit,
Qui molt sovent l’avoit hantée ;
Le chemin lest sanz demorée
Et la grant route des chevaus.
Si estoit pris si granz sommaus
Au chevalier qui l’adestroit,
Que ses palefrois arrestoit
D’eures en autres en la voie.
La damoisele ne convoie
Nus, se Diex non ; ele abandone
Le frain au palefroi et done ;
Il se mist en l’espesse sente.
Il n’i a chevalier qui sente
Que la pucele ne le siue ;
Chevauchié ont plus d’une liue
Qu’il ne s’en pristrent onques garde ;
Et cil qui en fu mestre et garde
Ne l’a mie très bien gardée :
Ele ne se fu pas emblée,
Ainz s’en ala en tel manière
Com cele qui de la charrière
Ne de la sente ne savoit
En quel païs aler devoit.
Li palefrois s’en va la voie
De laquele ne se desvoie,
Quar maintes foiz i ot esté,
Et en y ver et en esté.
La pucèle molt adolée,
Qui en la sente estoit entrée
Sovent se regarde environ,
Ne voit chevalier ne baron,
Et la forest fu pereilleuse.
Et molt obscure et ténébreuse ;
Et ele estoit toute esbahie
Que point n’avoit de compaignie.
S’ele a paor n’est pas merveille.
Et neporquant molt se merveille
Où li chevalier sont alé
Qui là estoient assamblé.
Lie estoit de la decevance ;
Mès de ce a duel et pesance
Que nus, fors Dieu, ne le convoie
Et li palefrois, qui la voie
Avoit par maintes foiz hantée.
Ele s’est à Dieu commandée,
Et li vairs palefrois l’enporte.
Cele, qui molt se desconforte,
Li a le frain abandoné,
Si n’a .I. tout seul mot soné ;
Ne voloit pas que cil l’oïssent,
Ne que près de li revenissent ;
Miex aime à morir el boscage
Que recevoir tel mariage.
Ainsi s’en va penssant adès,
Et li palefrois, qui engrès
Fu d’aler là où il devoit,
Et qui la voie bien savoit,
A tant alée s’ambléure
Que venuz est grant aléure
Au chief de celé forest grant.
Une eve avoit en .I. pendant
Qui là coroit grant et obscure ;
Li vairs palefrois à droiture
I est alez[42], qui légué sot ;
Outre passe plus tost que pot ;
N’ot guëres esloingnié le gué
Qui pou estoit parfont et lé,
Quant la pucele oï corner
Cele part où devoit aler
Li vairs palefrois qui le porte ;
Et la guete ert desus la porte.
Devant le jor corne et fretele.
Cele part vait la damoisele ;
Droit au recet en est venue,
Molt eshabie et esperdue,
Si com cele qui ne set[43] pas
Ne le chemin ne le trespas,
Ne comment demander la voie.
Ainz li palefrois de sa voie
N’issi ; si vint desus le pont,
Qui sist sor .I. estanc parfont ;
Tout le manoir avironoit ;
Et la guete qui là cornoit
Oï desus le pont l’effroi
Et la noise du palefroi,
Qui maintes foiz i ot esté.
La guete a .I. pou aresté
De corner et de noise fère ;
Il descendi de son repère,
Si demanda isnelement :
« Qui chevauche si durement
A iceste eure sor cest pont ? »
Et la damoisele respont :
« Certes, la plus maléurée
Qui onque fust[44] de mère née :
Por Dieu lai-moi léenz entrer
Tant que le jor voie ajorner,
Que je ne sai quele part j’aille[45].
— Damoisele, fet-il, sanz faille,
Sachiez ne l’oseroie fère,
Ne nului metre en cest repère,
Fors par le congié mon seignor ;
Onques mès hom n’ot duel greignor
Qu’il a ; forment est deshaitiez,
Quar vilainement est traitiez. »
Que qu’il parle de cel afaire,
Il met ses iex et son viaire
A uns partuis de la posterne[46] ;
N’i ot chandoile ne lanterne,
Que la lune molt cler luisoit.
Et cil le vair palefroi voit ;
Bien l’a connut et ravisé.
Mès ainz l’ot assez remiré ;
Molt se merveille d’ont il vient,
Et la pucèle, qui le tient
Par la resne, a molt esgardée,
Qui richement est atornée
De riches garnemenz[47] noviaus.
Et cil fu de l’aler isniaus
A son seignor, qui en son lit
Estoit couchiez sans nul delit.
« Sire, fet-il, ne vous poist mie,
Une famé desconseillie,
Jone de samblant et d’aage.
Est issue de cel boscage,
Atornée molt richement :
Molt sont riche si garnement ;
Avis m’est que soit afublée
D’une riche chape forrée ;
Si drap me samblent d’escarlate.
La damoisele, tristre et mate,
Seur vostre vair palefroi siet ;
Li parlers pas ne li messiet,
Ainz est si avenanz et gente,
Ne sai, Sire, que je vous mente.
Ne cuit en cest païs pucele
Qui tant soit avenant ne bele.
Mien escient c’est une fée
Que Diex vous a ci amenée
Por restorer vostre domage
Dont si avez pesant corage ;
Bon restor avez de celi
A cui vous avez or failli. »
Mesires Guillaume l’entent,
Il sailli sus, plus n’i atent ;
Un sorcot en son dos sanz plus,
Droit à la porte en est venus :
Ouvrir la fet isnelement ;
La damoisele hautement
Li a huche en souspirant :
« Ahi ! gentiz Chevaliers, tant
Ai de travail éu anuit !
Sire, porpieu, ne vous anuit,
Lessiez moi en vostre manoir :
Je n’i quier guères remanoir ;
D’une suite ai molt grant paor
De chevaliers, qui grant fréor
Ont or de ce qu’il m’ont perdue ;
Por garant sui à vous venue
Si com fortune m’a menée ;
Molt sui dolente et esgarée. »
Mesires Guillaume l’oï,
Molt durement s’en esjoï ;
Son palefroi a connéu,
Qu’il avoit longuement éu ;
La pucele voit et avise.
Si vous di bien qu’en nule guise
Nus plus liez hom ne péust estre.
Si la maine dedenz son estre,
Il l’a du palefroi jus mise.
Si l’a par la destre main prise,
Besie[48] l’a plus de .XX. foiz ;
El n’i mist onques nul defoiz,
Quar molt bien l’a reconnéu.
Quant li uns a l’autre véu,
Molt grant joie entr’aus .II. menèrent,
Et toz lor dels entr’oublièrent ;
De sa chape est desafublée,
Sor une coute d’or listée,
D’un riche drap qui fu de soie,
Se sont assis par molt grant joie.
Chascuns plus de .XX. foiz se saine,
Quar croire pueent à grant paine
Que ce soit songes que il voient ;
Et quant serjant iluec ne voient,
Neporquant molt bien aaisier
Se sorent d’aus entrebesier ;
Mès je vous di qu’autre meffet
A icele eure n’i ot fet.
La pucele sanz contredit
Li a tout son afère dit :
Or dist que buer fu ore née
Quant Diex l’a iluec amenée,
Et de celui l’a délivrée,
Si com fortune l’a menée,
Qui en cuidoit son bon avoir
Por son mueble et por son avoir.
Mesire Guillaume s’atorne
A lendemain quant il ajorne ;
Dedenz sa cort et sa chapele
Venir i fet la damoisele ;
Son chapelain sanz arester
A fet maintenant apeler.
Li Chevaliers sanz trestorner
Se fet maintenant espouser
Et par bon mariage ajoindre :
Ne sont pas legier à desjoindre.
Et quant la messe fu chantée,
Grant joie ont el palais menée
Serjant, pucèles, escuier.
Mès il doit molt cels anuier
Qui perdue l’ont folement :
Venu furent communément
A la chapele, qui ert gaste ;
Assez orent eu de laste
De chevauchier toute la nuit ;
N’i a celui cui il n’anuit.
Li anciens a demandée
Sa fille à cil qui l’ot gardée
Mauvesement ; ne sot que dire.
Isnelement respondi : « Sire,
Devant la mis, je fui derrière,
Que molt estroite ert la charrière.
Et la forest grant et ombrage ;
Ne sai s’aillors prist son voïage,
Quar sor mon arçon sommeilloie ;
D’eures à autres m’esveilloie.
Devant moi la cuidai adès,
Mès n’en est ore guêpes près ;
Je ne sai qu’ele est devenue ;
Mauvesement l’avons tenue. »
Li anciens par tout la quiert,
Et à toz demande et enquiert
Quel part ele est, ne s’il la virent :
Molt durement s’en esbahirent ;
Ne l’en sorent dire novele.
Et li viez qui la damoisele
Devoit prendre fu plus dolenz ;
De li querre ne fu pas lenz ;
C’est por noient que il la chace,
Perdue en a la droite trace ;
Cil qui avoeques lui estoient
En tel esfroi[49], el chemin voient
Venir un escuier poingnant ;
Vers l’ancien vient maintenant.
« Sire, fet-il, amistié grande
Mesire Guillaume vous mande ;
La vostre fille a espousée
Très hui matin à l’ajornée ;
Forment en est liez et joiant.
Venez i, sire, maintenant.
Et son oncle mande ensement,
Qui vers lui ouvra faussement ;
De cest mesfet[50] li fet pardon
Quant de votre fille a le don. »
Li anciens ot la merveille,
Onques mes n’oï sa pareille.
Toz ses barons huche et assamble,
Et, quant il furent tuit ensamble,
Conseil a pris que il ira,
Et celui avoec lui menra
Cui de sa fille avoit don fet.
Le mariage en voit desfet[51].
Nul recouvrier n’i puet avoir.
Cil, qui fu plains de grant savoir,
I est alez isnelement
Et tuit li baron ensement.
Quant à l’ostel furent venu,
Richement furent reçéu :
Mesire Guillaume fist joie
Molt grant, com cil qui de sa proie
Estoit molt liez en son corage.
Graer covint le mariage
À l’ancien, vousist ou non,
Et li viex au fronci grenon
S’en conforta plus biau qu’il pot.
Seignor, ainsi Dame-Dieu plot
Que ces noces furent estables,
Qui à Dieu furent couvenables[52].
Mesire Guillaume fu preus,
Cortois et molt chevalereus ;
Ainz sa proesce ne lessa,
Mès plus et plus s’en efforça :
Bien fu de princes et de contes.
Ainz le tiers an, ce dist li contes,
Morut li anciens, sanz faille ;
Tout son avoir li rent et baille ;
Toute sa terre ot en baillie,
Qui molt ert riche et bien garnie.
.M. livrées tint bien de terre.
Après ala la mort requerre
Son oncle, qui molt estoit riches,
Et cil, qui n’estoit mie nices,
Ne de cuer povres ne frarins,
Ne blastengiers de ses voisins.
Ainz tint la terre toute cuite.
Geste aventure que j’ai dite
Afine ci en itel guise
Com la verité vous devise.
- ↑ III. Du vair Palefroi, p. 24.Paris, Bibl. nat., Mss. fr. 837, fol. 348 vo à 355 ro.
Publié par Méon, I, 164-208, et traduit par Legrand d’Aussy, IV, 220-235.
- ↑ Vers 26 — cueurs, lisez cuers.
- ↑ 38 — pourrez, lisez porrez.
- ↑ 39 — Champaigne, lisez Champaingne.
- ↑ 44 — proesce, lisez proece.
- ↑ 51 — preudome, lisez preudomme.
- ↑ 52 — some, lisez somme. De même pour un certain nombre d’autres mots de ce fabliau qui, écrits avec une seule m, en ont deux dans le ms.
- ↑ 147 — faisoit, lisez fesoit.
- ↑ 194 — convenoit, lisez couvenoit.
- ↑ 226 — deffere, lisez desfere.
- ↑ 236 — Ou soit à joie, ou soit à rage, lisez Ou tort à joie, ou tort à rage.
- ↑ 243 — convoite, lisez couvoite.
- ↑ 255 — suis, lisez sui.
- ↑ 389 — accordast, lisez acordast.
- ↑ 419 — vuet, lisez veut.
- ↑ 420 — promettre, lisez prometre.
- ↑ 438 — oncle, lisez oncles.
- ↑ 456 — senz, lisez sanz.
- ↑ a et b 463 et 466 — convenant, lisez couvenant.
- ↑ 482 — l’acoitiez, lisez la coitiez.
- ↑ 487 — Galardon, « Gallardon », petite ville de la Beauce (Eure-et-Loir, arr. de Chartres).
- ↑ 497 — Guillaume, lisez Guillaumes pour la mesure du vers.
- ↑ 502 — eslirre, lisez eslire.
- ↑ 539 — aparcevoir, lisez apercevoir.
- ↑ 582 — preudom, lisez preudomme, qui dans la phrase est au régime.
- ↑ 613 — ceste afere, lisez cest afere.
- ↑ 635 — convoitise, lisez couvoitise.
- ↑ 640 — grans avoir, lisez granz avoirs.
- ↑ 698 — sans, lisez sanz.
- ↑ 720 — effraée, lisez esfraée.
- ↑ 730 — effroiz, lisez esfroiz.
- ↑ 789 — elle, lisez ele.
- ↑ 792 — * Là-sus ; ms. Lais, qu’il faut peut-être mieux lire Laiens.
- ↑ 803 — besoigne, lisez besoingne.
- ↑ 804 — pardoigne, lisez pardoingne.
- ↑ 835 — sans, lisez sanz.
- ↑ 898 — deffere, lisez desfere.
- ↑ 902 — grand, lisez grant.
- ↑ 943 — jor, lisez jors.
- ↑ 963 — Le vers est faux ; il faut corriger : li amena.
- ↑ 1020 — Vincestre, « Winchester », ville d’Angleterre, comté de Hampshire.
- ↑ 1107 — alé, lisez alez.
- ↑ 1119 — sait, lisez set.
- ↑ 1138 — fu, lisez fust.
- ↑ 1141 — aille, lisez j’aille.
- ↑ 1151 — poterne, lisez posterne.
- ↑ 1161 — garnemens, lisez garnemenz.
- ↑ 1215 — Besié, lisez Besie, pour la mesure du vers.
- ↑ 1286 — effroi, lisez esfroi.
- ↑ 1297 — meffet, lisez mesfet.
- ↑ 1306 — deffet, lisez desfet.
- ↑ 1322 — convenables, lisez couvenables.
Imbert a imité ce fabliau.
IV
DES TROIS AVUGLES
DE COMPIENGNE.
ne matère ci dirai[2]
D’un fablel que vous conterai.
On tient le menestrel à sage
Qui met en trover son usage
De fère biaus dis et biaus contes
C’on dit devant dus[3], devant contes.
Fablel sont bon à escouter[4] :
Maint duel, maint mal font mesconter[5]
Et maint anui et maint meffet[6].
Cortebarbe[7] a cest fablel fet ;
Si croi bien qu’encor l’en soviegne[8].
Il avint jà defors Compiegne
Trois avugle .I. chemin aloient.
Entre eusnis .I. garçon n’avoient[9]
Qui les menast ne conduisist
Ne le chemin lor apresist.
Chascuns avoit son hanepel ;
Moult povre estoient lor drapel,
Quar vestu furent[10] povrement.
S’en aloient[11] devers Senlis.
Uns clers qui venoit[12] de Paris,
Qui bien et mal assez savoit,
Escuier et sommier[13] avoit,
Et bel[14] palefroi chevauchant,
Les avugles vint[15] aprochant,
Quar grant embléure venoit[16].
Si vit[17] que nus ne les menoit ;
Si pensse que aucuns n’en voie[18] :
Coment alaissent-il la[19] voie ?
Puis dist : « El cors[20] me fière goute,
Se je ne sai s’il voient goute. »
Li avugle venir l’oïrent,
Erraument[21] d’une part se tindrent,
Si s’escrient : « Fetes-nous bien,
Povre somes sor toute rien ;
Cil est moult povres qui ne voit, »
Li clers esraument[22] se porvoit,
Qui les veut aler falordant[23] ;
« Vez ici[24], fet-il, .I. besant
Que je vous done entre vous .III.
— Diex le vous mire et sainte Croiz[25],
Fet chascuns[26], ci n’a pas don lait. »
Chascuns cuide ses compains l’ait.
Li clers maintenant s’en départ[27].
Puis dist qu’il veut veoir[28] lor départ.
Esraument[29] à pié descendi ;
Si escouta et entendi[30]
Coment les avugle disoient[31],
[32].
Li plus mestres des .III. a dit :
« Ne nous a or mie[33] escondit
Qui à nous cest[34] besant dona ;
En .I. besant moult biau don a.
Savez[35], fet-il, que nous ferons ?
Vers Compiegne retornerons ;
Grant tens[36] a ne fumes aaise ;
Or est bien droiz que chascuns s’aise[37].
Compiegne est de toz biens plentive[38].
— Com ci a parole soutive !
Chascuns des autres li respont ;
Cor éussons[39] passé le pont ! »
Vers Compiegne sont retorné[40],
Ainsi come il sont atorné ;
Moult furent lié, baut[41] et joiant.
Li clers les va adès[42] sivant,
Et dist que[43] adès les siurra
De si adonc[44] que il saura
Lor fin. Dedenz la vile[45] entrèrent ;
Si oïrent et escoutèrent[46]
C’on crioit[47] parmi le chastel :
« Ci a bon vin frès et novel,
Ç’a d’Auçoire, ç’a de Soissons[48],
Pain et char, et vin[49] et poissons ;
Céenz[50] fet bon despendre argent ;
Ostel i a[51] à toute gent ;
Céenz[52] fet moult bon herbregier. »
Cele part[53] vont tout sanz dangier,
Si s’en[54] entrent en la meson ;
[55] ont mis à reson :
« Entendez çà[56] à nous, font-il ;
Ne nous tenez mie por vil
Se nous somes si[57] povrement ;
Estre volons privéement ;
Miex vous paierons que plus cointe,
Ce li ont dit, et li acointe[58],
Quar nous volons[59] assez avoir. »
L’ostes pensse qu’il dient voir[60] ;
Si fète gent ont deniers granz.
D’aus aaisier[61] fu moult en granz ;
En la haute loge les maine[62] :
« Seignor, fet-il, une semaine
Porriez[63] ci estre bien et bel ;
En la vile n’a bon morsel
Que[64] vous n’aiez, se vos volez.
— Sire[65], font-il, or tost alez ;
Si nous fètes assez venir.
— Or m’en lessiez dont[66] convenir, »
Fet li borgois[67] ; puis si s’en torne.
De[68] .V. mes pleniers lor atorne
Pain[69], et char, pastéz et chapons.
Et vins, mès que ce fu des bons[70] :
Puis si lor fist là sus trametre[71].
Et fist du charbon el feu metre ;
Assis se sont[72] à haute table.
Li vallés au clerc[73] en l’estable
Tret ses chevaus[74], l’ostel a pris.
Li clers, qui moult ert[75] bien apris
Et bien vestuz et cointement[76],
[77]
Sist au mengier la matinée[78],
Et puis au souper la vesprée[79].
Et li avugle du solier
Furent servi com chevalier ;
Chascuns grant paticle[80] menoit,
L’uns à l’autre le vin donoit[81] ;
« Tien, je t’en doing ; après m’en[82] done ;
Cis crut sor[83] une vingne bone. «
Ne cuidiez pas qu’il lor[84] anuit.
Ainsi jusqu’à la[85] mienuit
Furent en solaz sanz dangier.
Li lit sont fet, si vont couchier
Jusqu’au demain qu’il[86] fu bele eure ;
Et li clers tout adès demeure,
Por ce qu’il[87] veut savoir lor fin.
Et l’ostes fu[88] levéz matin
Et son vallet, puis si contèrent[89]
Combien char et poisson coustèrent :
Dist li vallés : « En vérité[90],
Li pains, li vins et li pasté
Ont bien cousté plus de .X. saus ;
Tant ont il bien eu entre aus[91].
Li clers en a .V. sols pour[92] lui.
— De lui[93] ne puis avoir anui ;
Va là sus, si me fai paier. »
Et li vallés sanz delaier[94]
Vint aus[95] avugles, si lor dist
Que chascuns errant[96] se vestit,
Ses sires veut estre paiez.
[97] ne vous esmaiez,
Quar moult très bien li paierons[98] :
Savez, font-il[99], que nous devons ?
— Oïl, dist-il[100], .X. sols devez.
— Bien le vaut. » Chascuns s’est levez ;
Tuit troi[101] sont aval descendu.
Li clers a tout ce entendu.
Qui se chauçoit devant[102] son lit.
Li trois avugle à l’oste ont dit[103] :
« Sire, nous avons .I. besant.
Je croi qu’il est molt bien pesant[104] ;
Quar[105] nous en rendez le sorplus,
Ainçois que du vostre aions plus.
— Volentiers, » li ostes respont[106].
Fait li uns : « Quar li baille[107] dont
Liquels l’a. Be ! je n’en ai[108] mie.
— Dont l’a Robers Barbe-florie[109] ?
— Non ai, mès vous l’avez, bien sai[110].
— Par le cuer bieu, mie n’en ai[111].
— Liquels l’a dont[112] ? — Tu l’as. — Mès tu.
— Fètes, ou vous serez batu,
Dist[113] li ostes, seignortruant.
Et mis en longaingne puant[114]
Ainçois que vous partez de ci. »
Il li crient[115] : « Por Dieu merci.
Sire, moult bien[116] vous paierons. »
Dont[117] recommence lor tençons :
« Robert[118], fet l’uns, quar li donez
Le besant ; devant nous menez[119] :
Vous le reçustes[120] premerains.
[121],
Li bailliez[122], quar je n’en ai point.
— Or sui je bien venuz à point,
Fet li ostes, quant on me truffe. »
L’un va donner une grant buffe,
Puis faitaporter .II. lingnas[123].
Li clers, qui fu à biau[124] harnas,
Qui le conte[125] forment amoit,
De ris[126] en aise se pasmoit.
Quant il vit le ledengement,
A l’oste[127] vint isnelement,
Se li[128] demande qu’il avoit,
Quel chose ces genz[129] demandoit.
Fet[130] l’ostes : « Du mien ont éu
.X. sols, c’ont[131] mengié et béu.
Si ne m’en font fors escharnir[132] ;
Mès de ce les vueil bien garnir[133] :
Chascuns aura de son cors honte.
— Ainçois le[134] metez sor mon conte,
Fet[130] li clers : .XV. sols vous doi ;
Mal fet povre gent fère anoi. »
L’oste respont : « Moult[135] volentiers ;
Vaillanz clers estes et entiers[136]. »
Li avugle s’en vont tout cuite.
Or oiez com fète refuite[137]
Li clers porpenssa maintenant[138] :
On aloit la messe[139] sonant ;
A l’oste vint, si l’arésone[140].
« Ostes[141], fet-il, vostre persone
Du moustier dont[142] ne connissiez ?
[143] .XV. sols bien li croiriez,
Se por moi les vos voloit rendre ?
— De ce ne sui mie à aprendre,
Fet li borgois[144] ; par saint Silvestre,
Que[145] je croiroie nostre prestre,
S’il voloit, plus de .XXX. livres.
— Dont dites j’en[146] soie delivres
Esraument com je reviendrai[147] ;
Au moustier[148] paier vous ferai. »
L’ostes le comande[149] esraument,
Et li clers ainsi[150] fètement
Dist son garçon[151] qu’il atornast
Son palefroi, et qu’il troussast[152].
Que tout soit prest quant il reviegne[153] ;
A l’oste a dit que il s’en viegne[154].
Ambedui el moustier en vont[155],
Dedenz le chancel[156] entré sont ;
Li clers qui les .XV. sols doit[157]
A pris son oste par le doit[158],
Si l’a fet delèz lui assir[159].
Puis dist : « Je n’ai mie loisir[160]
De demorer dusqu’après[161] messe ;
Avoir vos ferai vo promesse ;
Je l’irai dire qu’il[162] vous pait
.XV. sols[163] trestout entresait
Tantost que[164] il aura chanté.
— Fetes-en vostre volenté, »
Fet[165] li borgois, qui bien le croit.
Li prestres revestuz estoit.
Qui maintenant[166] devoit chanter.
[167],
Qui bien[168] sot dire sa reson ;
Bien sanbloit estre gentiz[169] bon ;
N’avoit pas la chière reborse[170].
.XII. deniers tret de[171] sa borse,
Le prestre les met[172] en la main :
« Sire, fet-il, por[173] saint Germain,
Entendez çà .I. poi[174] à mi.
Tuit li clerc[175] doivent estre ami,
Por ce vieng-je[176] près de l’autel.
Je giut[177] anuit à un ostel
Chiés à .I. borgois qui moult vaut[178] :
Li douz Jhesu-Criz le consaut,
Quar preudom[179] est et sanz boisdie ;
Mès une cruel[180] maladie
Li prist ersoir dedenz sa teste,
Entruès que nous demeniens feste[181],
Si qu’il[182] fu trestoz marvoiez.
Dieu[183] merci, or est ravoiez,
Mès encore li[184] deut li chiéz ;
Si vous pri que vous li lisiez,
Après chanter[185], une evangille
Desus son chief[186]. — Et par saint Gille,
Fet[187] li prestres, je li lirai. »
Au borgois dist : « Je le ferai
Tantost[188] com j’aurai messe dite,
Dont en claime-je le clerc[189] cuite. »
Fet[190] li borgois : « Miex ne demant.
— Sire prestre, à Dieu vous comant[191],
Fet li clers[192]. — Adieu, biaus douz mestre, »
[193] estre,
Hautement[194] grant messe comence ;
Par .I. jor[195] fu de diemenche,
Au[196] moustier vindrent moult de genz.
Li clers, qui fu et biaus et genz,
Vint à son oste congié prendre[197] ;
Et li borgois[198], sanz plus atendre,
Dusqu’à son ostel[199] le convoie.
Li clers monte, si[200] va sa voie,
Et li borgois tantost[201] après
Vint au moustier : moult fu engrès[202]
De[203] ses .XV. sols recevoir :
Avoir les cuide tout por[204] voir.
Enz el[205] chancel tant atendi
Que li prestres se desvesti[206].
Et que la[207] messe fu chantée.
Et li prestres, sanz demorée,
A pris le livre et puis l’estole[208],
Si[209] a huchié : « Sire Nichole,
Venez avant[210], agenoilliez. »
De ces paroles n’est pas liéz[211]
Li borgois, ainz li[212] respondi[213] :
« Je ne ving[214] mie por ceci,
Mès mes .XV. sols me paiez.
— Voirement est-il marvoiez[215],
Dist[216] li prestres ; nomini Dame,
Aidiez à cest preudome à l’ame[217] ;
Je sai de voir qu’il[218] est dervez.
— Oez, dist li borgois, oez[219]
Com[220] cis prestres or m’escharnist ;
[221] poi que mes cuers du sens n’ist,
Quant[222] son livre m’a ci tramis.
— Je vous dirai[223], biaus douz amis,
Fet li prestres[224], coment qu’il praingne,
Tout adès de Dieu vous souviegne[225],
Si ne poez[226] avoir meschief. »
Le[227] livre li mist sor le chief,
L’Evangille li voloit lire[228].
Et li borgois commence[229] à dire :
« J’ai en meson besoingne à fère[230] ;
Je n’ai cure de tel afère.
Mais paiez-moi tost ma monnoie. »
Au prestre durement[231] anoie :
Toz ses paroschiens apele[232],
Chascuns entor lui s’atropele.
Puis dist : « Cest home me tenez[233] ;
Bien sai de voir qu’il est dervez[234].
— Non sui, fet-il, par saint Cornille,
Ne, par la foi que doi ma fille,
Mes .XV. sols me paierez,
Jà ainsi ne me gaberez.
— Prenez-le tost, » le prestre a dit[235].
Li paroschiens[236] sanz contredit
Le vont tantost moult fort prenant[237] ;
Les mains li vont trestuit tenant[238] ;
Chascuns moult bel[239] le reconforte,
Et li prestres le livre aporte,
Si[240] li a mis deseur son chief ;
L’Evangille de chief en chief
Li lut[241], l’estole entor le col,
[242] por fol ;
Puis l’esproha d’ève[243] benoite.
Et li borgois[244] forment covoite
Qu’à son ostel[245] fust revenuz.
Lessiez fu, ne fu plus tenuz[246] ;
Li prestres de sa main le saine[247],
Puis dist : « Avez esté[248] en paine. »
Et li borgois s’est toz cois teus ;
Corouciéz est et moult[249] honteus
De ce qu’il fu si[250] atrapez ;
Liéz fu quant il fu eschapez ;
A son ostel en[251] vint tout droit.
Cortebarbe dist oreudroit
C’on fet à tort maint home honte.
A tant definerai mon conte[252].
- ↑ IV. — Des trois Avugles de Compiengne, p. 70.
A. — Paris, Bibl. nat., Mss. fr. 837, fol. 73 vo à 75 ro.
B. — » » » 1593, fol. 103 ro à 107 ro.
C. — » » » 12,603, fol. 240 vo à 242 vo.
T. — Fragment trouvé dans la Bibl. de Troyes, aujourd’hui à la Bibl. nat., comprenant seulement les vers 151-293.
Il y a dans B, C et T des différences d’orthographe trop nombreuses et trop insignifiantes pour être données.
Publié par Barbazan, III, 68 ; par Méon, III, 398-408, d’après le ms. A ; par Renouard dans Legrand d’Aussy, III, app. 5-9, et analysé par Legrand d’Aussy, III, 49–57.
- ↑ Vers 1-5 — B :
Une aventure conterai
D’ou le fablel vos en dirai.
Je tien le menestrel molt sage
Qui en trover met son usage
Quant il dit fabliaus et contes.On lit dans C :
Une matere conterai
Dont le flabel vous dirai.
Je tieng le menestrel à sage
Qui en trouver met son usage
Dont on fait fabliaus et contes. - ↑ 6 — dus, devant. B, rois et devant. C, rois, dus et.
- ↑ 7 — B, Fabliaus sont bon à raconter.
- ↑ 8 — mesconter. B, C, oblier.
- ↑ 9 — meffet. A, mesfet.
- ↑ 10 — Cortebarbe. C, Cointebarbe. — a cest fablel. B, a ce fablel. C, a cestui.
- ↑ 11 — B, Je croi molt bien qui l’en soveigne.
- ↑ 14 — B, Entr’aus .III. nul garson n’avoient. C, Entr’aus .III. .I. garchon n’avoient.
- ↑ 19 — furent. B, yerent.
- ↑ 21 — aloient. B, C, venoient. — Senlis. C, Saint Lis.
- ↑ 22 — qui venoit. B, C, revenoit.
- ↑ 24 — sommier. B, garson.
- ↑ 25 — Et bel. B, C, .I. bel.
- ↑ 26 — vint. B, vit. C, vient.
- ↑ 27 — C, « grant » manque. — embleüre, lisez ambleüre.
- ↑ 28 — vit. C. voit.
- ↑ 29 — B, Lors se pensa c’a nus envoie. C, Lors se pensa qu’aucuns en voie.
- ↑ 30 — la. C, lor.
- ↑ 31 — El cors. B, Ançois.
- ↑ 34 — Erraument. B, Maintenant.
- ↑ 38 — erraument. B, C, maintenant.
- ↑ 39 — falordant. B, faunoient. C, ambousant.
- ↑ 40 — Vez ici. B, Vez vos ci. C, Vés ci.
- ↑ 42 — Croix, lisez Croiz.
- ↑ 43 — Fet chascuns. B, Font il que. C, Dist chascuns.
- ↑ 45 — B, C, Atant li clers ansus se part.
- ↑ 46 — * veoir. A, vir, forme contracte de veïr. — B, Et dit qu’il verra lor depart. C, Dist que veïr veut lor depart.
- ↑ 47 — Esraument. B, Maintenant.
- ↑ 48 — B, Tant qu’il oy et entendi. C, Cil qui oï et entendi.
- ↑ 49 — B, Ce que li avugle disoient. C, Quanque li avule disoient.
- ↑ 50 — B, Et que antr’aus .III. devisoient.
- ↑ 52 — B, « or » manque. — or mie. C, mie ore.
- ↑ 53 — cest. B, se.
- ↑ 55 — Savez, « fet il. B, Je vous dirai.
- ↑ 57 — Grant tens. B, Grant piece. — ne. C, que ne.
- ↑ 58 — que chascuns s’aise. B, chacuns soit aise.
- ↑ 59 — plentive. B, garnie.
- ↑ 62 — C’or eussons. B, C, Car eüssiens.
- ↑ 63-64 — B :
Et si fuciens ataverné. »
À Compeigne sont retorné.De même à peu près dans C :
Et fuissimes entavrené. »
Vers Compeingne sont retourné. - ↑ 65 — lié, baut. B, baut, lié.
- ↑ 66 — les va adès. C, adiès les vait.
- ↑ 67 — dist que. B, C, dit tot.
- ↑ 68 — si adonc. B, C, ci atant.
- ↑ 69 — Dedenz la vile. B, An la vile en.
- ↑ 70 — C, S’oïrent et si escouterent.
- ↑ 71 — crioit. B, C, huchoit.
- ↑ 73 — B, C’est d’Auvergne, c’est de Soissons.
- ↑ 74 — et vin. B, pastés, leçon qui est de beaucoup préférable. — C, Cha char d’oissons et poissons.
- ↑ 75 — Ceens, lisez Ceenz. — B, Ci fet bon despendre son argent.
- ↑ 76 — Ostel i a. B, Ci a hostel.
- ↑ 77 — Ceens, lisez Ceenz. — B, C, Ci puet on aize herbergier.
- ↑ 78 — B, « part » manque.
- ↑ 79 — Si s’en. B, Tuit. C, Tuit .iii.
- ↑ 80 — Li borgois. B, Le prodome.
- ↑ 81 — Entendez çà. B, Sire, entendez.
- ↑ 83 — si. C, trop.
- ↑ 86 — Ce vers manque dans B, et est remplacé par le suivant, qui précède le vers 85 :
En une bele sale pointe.
De même dans C :
En une loge biele et painte.
- ↑ 87 — Quar nous volons. B, Si voulons nous.
- ↑ 88 — B, C, Li ostes pense il dient voir.
- ↑ 90 — aaisier. B, aseoir. — engranz, lisez en granz. Le vers manque dans C.
- ↑ 91 — B, En la salle qui estoit pointe.
- ↑ 93 — Porriez. C, Poés. — ci estre. B, estre et.
- ↑ 95 — Que. B, Dont.
- ↑ 96 — Sire. B, C, Oïl.
- ↑ 98 — C, « dont » manque.
- ↑ 99 — borgois. B, ostes.
- ↑ 100 — De. B, Et.
- ↑ 101 — Pain. C, Plais. — chapons. B, poissons.
- ↑ 102 — B, Et vins noviaus qui furent bons.
- ↑ 103-104 — B :
Puis lor fait laissus trametre
Et lor fait charbon en feu metre.— fist. C, fait.
- ↑ 105 — se sont. B, C, furent.
- ↑ 106 — Li vallès au clerc. B, Et li vallès clers. C, Li vallès le clerc.
- ↑ 107 — ses chevaus. B, C, son cheval.
- ↑ 108 — qui moult ert. B, fu biaus et. C, fu sages et.
- ↑ 109 — B, Et fu vestuz molt richement. C, Biaus et vestus molt richement.
- ↑ 110 — moult hautement. B, cortoisement. — C, Sist avoec l’oste courtoisement.
- ↑ 111 — C, Au digner le matinée.
- ↑ 112 — au souper. B, après à la. — C, Puis au souper à la vesprée, leçon qu’il faut adopter.
- ↑ 115 — paticle. C, particle.
- ↑ 116 — B, Li .I. à l’autre vin donoit.
- ↑ 117 — après m’en. B, et tu me.
- ↑ 118 — Cis crut sor. B, Cil crut en.
- ↑ 119 — qu’il lor. B, que lor.
- ↑ 120 — Ainsi jusqu’à la. B, C, Ensis jusques à.
- ↑ 123 — Jusqu’au demain qu’il. B, Jusc’à demain qu’i.
- ↑ 125 — qu’il. B, que.
- ↑ 126 — Et l’ostes fu. B, Li ostes est. C, Li ostes ert.
- ↑ 127 — B, Et ses sergens, et si conterent.
- ↑ 129 — B, C, Li vallez dist : « En charité.
- ↑ 132 — B, Si m’aït Diex et saint Thiebaut !
- ↑ 133 — sols pour. B, tot pour. C, à par.
- ↑ 134 — De lui. B, A lui.
- ↑ 136 — C, Et chius i vait sans delaiier.
- ↑ 137 — Vint aus. C, Droit as.
- ↑ 138 — chascuns errant. B, tantost chacuns.
- ↑ 140 — Font il : « Or. C, « Or, » font il.
- ↑ 141 — li paierons. B, C, vous paierons.
- ↑ 142 — Savez, » font il, « que. B, C, Savez vos combien.
- ↑ 143 — dist il. B, C, fait il.
- ↑ 145 — Tuit troi. C, Tout droit.
- ↑ 147 — devant. C, desor.
- ↑ 148-149 — B :
Li avugle, sans contredit,
En vont l’oste arraisonnant. - ↑ 150 — C, Si cuidons bien k’il soit pesans. — Ce vers manque dans B.
- ↑ 151 — Quar. B, Si. C, Se. T, Or. — rendez. C, donnée.
- ↑ 153-155 — Ces trois vers sont remplacés dans C par
les cinq suivants :
Et dist li ostes : « Volentiers.
— Robert, » fait l’uns, « ces li bailliés,
Vous le vis qui veniés premiers.
— Mais vous qui veniés daarains,
Li donnés, car je n’en euc mie. - ↑ 154 — baille. B, bailliez. — T, Faites tost, se li donés dont.
- ↑ 155 — l’a. Bé ! je n’en ai. B, l’a don, je ne l’ai. T, vous n’a, je n’en ai.
- ↑ 156 — Barbe florie. B, Plante florie.
- ↑ 157 — B, Non n’ai, mès vous l’avez, bien le sai.
- ↑ 158 — B, Par la cervelle Dé, non ai. C, Par le cerveille bieu, mon ai. T, Par le cervele Dieu, non ai.
- ↑ 159 — Liquels l’a dont ? C, Et qui là ?
- ↑ 161 — Dist. B, C, Fait.
- ↑ 162 — en longaingne puant. B, en la longaigne grant.
- ↑ 164 — Il li crient. B, Sire, » font il. C, A lui dient. T, Il l’escrient.
- ↑ 165 — Sire, moult bien. B, C, T, Car molt trés bien.
- ↑ 166 — Dont. B, C, T, Lors. — lor. B, la.
- ↑ 167 — Robers, lisez Robert. — fet l’uns, quar. B, fait il, car. T, faites, se.
- ↑ 168 — devant nous menez. B, devant li metez. C, devant nous metés. T, qui nous fu donnés.
- ↑ 169 — Vous le reçustes. B, Vous l’eüstes tot. T, Que receüstes.
- ↑ 170 — venez daarains. B, veniés derriens. C. veniés daarains. T, veniez daarrains.
- ↑ 171 — bailliez. B, C, T, donnés. — quar. B, que.
- ↑ 175 — lingnas. B, ligaz. C, laingnars. T, saignaz (ou sargnas).
- ↑ 176 — biaus, lisez biau. — à biau harnas. B, en ces biaus draz.
- ↑ 177 — le conte. B, cest conte.
- ↑ 178 — De ris. B, De rire.
- ↑ 180 — A l’oste. T, Cele part. — vint isnelement. B, s’en vint erremant.
- ↑ 181 — Se li. T, L’oste.
- ↑ 182 — gens, lisez genz. — ces gens. B, à ses gens. C, tel gent.
- ↑ a et b 183 et 189 — Fet. B, Dit. C, T, Dist.
- ↑ 184 — c’ont. T, tout. — C, .X. sols que mengié que beü.
- ↑ 185 — fors escharnir. B, fors qu’escharnir. C, el k’escarnir.
- ↑ 186 — T, Mès de tout les puis garnir.
- ↑ 188 — le. B, C, les. — sor mon. B, à mon.
- ↑ 191 — L’oste respont : Moult. B, Dist li ostes : « Molt. » T, Li oste respont.
- ↑ 192 — entiers. B, legers.
- ↑ 194 — refuite. B, recite.
- ↑ 195 — porpenssa maintenant. T, maintenant se porpensa.
- ↑ 196 — la messe. T, as messes.
- ↑ 197 — C, Li clers tantost l’oste araisonne. T, Le bourjois tantost aresone.
- ↑ 198 — Ostes. B, C, Sire.
- ↑ 199 — dont. T, en. — dont ne connissiez. B, bien reconnoissiez. C, en le connissiés.
- ↑ 200 — Ces. B, Les. — croiriez. B, croiiez.
- ↑ 203 — Fet li borgois. B, Dist li ostes. T, Dist li bourgois.
- ↑ 204 — Que. B, Car. — C, Car je querrai bien…
- ↑ 206 — Dont dites j’en. B, Dites dont je. C, Dites que je. — j’en. T, que.
- ↑ 207 — B, C, A l’ostel quant je revandrai. T, Quant del moustier repairerai.
- ↑ 208 — Au moustier. T, Esraument.
- ↑ 209 — le commande. T, li otroie.
- ↑ 210 — ainsi. B, C, tot si. T, ausi.
- ↑ 211 — garçon. B, C, sergent.
- ↑ 212 — et qu’il troussast. B, si qu’i montast. C, et son harnas.
- ↑ 213 — B, Si tot com il reveigne (vers faux).
- ↑ 214 — B, A son oste dit que se veigne. — A l’oste. T, Au bourjois.
- ↑ 215 — el moustier en vont. B, C, T, au moustier s’en vont.
- ↑ 216 — le chancel. T, ambedoi.
- ↑ 217 — les .XV. sols doit. T, biax et gens estoit.
- ↑ 218 — doit, lisez doi.
- ↑ 219 — assir. B, T, seïr.
- ↑ 220 — B, Puis li dist : « Je n’ai pas loisir… ».
- ↑ 221 — dusqu’après. B, jusc’après.
- ↑ 223 — Je l’irai dire qu’il. B, C, Je li voiz dire que. T, Je li dirai que il.
- ↑ 224 — .XV. sols trestout. T, Vos .XV. sols tout.
- ↑ 225 — que. B, com. T, comme.
- ↑ 227 — Fet. T, Dist. — borgois. B, ostes. — le. T, l’en.
- ↑ 229 — Qui maintenant. B, La grant messe. C, Qui grant messe. T, Car grant messe.
- ↑ 230 — B, Li clers est venus à l’autel.
- ↑ 231 — bien. T, bel.
- ↑ 232 — estre gentiz. B, que fut gentis. C, qu’il fust gentis.
- ↑ 233 — C, Il n’avoit pas chiere rebourse.
- ↑ 234 — tret de. C, prist en. T, traist de.
- ↑ 235 — met. B, T, mist. C, boute.
- ↑ 236 — por. B, C, par.
- ↑ 237 — Entendez ça .I. poi. B, Or entendez .I. poi. T, Entendez .I. petit.
- ↑ 238 — li clerc. B, C, clerc si.
- ↑ 239 — je. B, si.
- ↑ 240 — giut, lisez giuc. — B, Je jiu ennuit en .I. ostel.
- ↑ 241 — B, Chiés .I. riche home qui tant vaut. C, T, Chiés .I. borgois qui forment vaut.
- ↑ 243 — Quar preudom. B, Vaillanz hons.
- ↑ 244 — cruel. B, si grant. C, molt grant. T, molt griés.
- ↑ 246 — B, Entr’aus que dememeniens grant feste. C, Entreus que nous meniemes feste. T, Entrues que meniiens no feste.
- ↑ 247 — Si qu’il. B, Car il. T, Si que. — trestoz. T, toz. — marvoiez. B, malvoiez. — Ce vers manque dans C.
- ↑ 248 — C, « Dieu » manque.
- ↑ 249 — encore li. T, c’un petit l’en.
- ↑ 251 — Après chanter. B, Après messe. C, Après le messe. T, Deseur son chief.
- ↑ 252 — Desus son chief. Et. B, Molt trés volentiers. T, Après chanter. Hé ! — Et par. C, De par.
- ↑ 253 — Fet. B, T, Dist. — lirai. B, dirai.
- ↑ 255 — Tantost. B, Si tost. — com j’aurai. C, que j’arai.
- ↑ 256 — clers, lisez clerc. — B, Dont en claim je bien le clerc quite.
- ↑ 257 — Fet. B, Dit. T, Dist. — Miex. C, B, Plus.
- ↑ 258 — comant. B, rant.
- ↑ 259 — Fet li clers. B, Di li prestres. C, Fait li prestres. — B, C, « doux » manque.
- ↑ 260 — à l’autel va. B, va à l’autel.
- ↑ 261 — Hautement. T, Esraument.
- ↑ 262 — Par .I. jor fu. T, Ce fu un jor.
- ↑ 263 — Au. C, T, C’au. — vindrent. B, T, vienent. C, vont.
- ↑ 265 — prendre. B, penre.
- ↑ 266 — borgois. C, ostes.
- ↑ 267 — Dusqu’à son ostel. B, Tantost à l’otel.
- ↑ 268 — monte, si. B, maintenant. — si va sa voie. C, si s’avoie.
- ↑ 269 — tantost. B, trestot.
- ↑ 270 — T, De revenir fu molt engrès.
- ↑ 271 — De. T, Pour.
- ↑ 272 — tout por, B, bien de.
- ↑ 273 — el. B, ou.
- ↑ 274 — devesti, lisez desvesti.
- ↑ 275 — que la. B, quant la. T, que grans.
- ↑ 277 — le livre et puis l’estole. B, le messel et l’estole. C, le livre et l’estole. T, et le livre et l’estole.
- ↑ 278 — Si. C, Puis.
- ↑ 279 — Venez avant. T, Or ça, » fait il.
- ↑ 280 — C, Ches paroles ne sont pas lies. T, Li bourjois l’ot, ne fu pas liez.
- ↑ 281 — Li borgois, ainz li. T, Tantost au prestre. — ainz li. B, ainsoiz.
- ↑ 281-4 — C :
Au bourgois molt forment anoie :
« Mais paiiés me tost ma monnoie. - ↑ 282 — ving. B, T, vieng.
- ↑ 284 — marvoiez. B, malvoiez.
- ↑ 285 — Dist. B, T, Fait.
- ↑ 286 — B, C, T, Soiés cest home aidant à l’ame.
- ↑ 287 — de voir qu’il. B, bien que il. C, de fi k’il. — T, Bien voi que il est fourcenés.
- ↑ 288 — B, Veez, » fait li borgois, « veez. C, Or, » i fait li bourgeois, « veés. T, Or ois, » fait li bourgois, « oez.
- ↑ 289 — Com. B, Que. — or. B, C, T, ci.
- ↑ 290 — Por. T, A. — B, A po mes cuers do cen n’it. C, Pour poi mes cuers fors du sens n’ist.
- ↑ 291 — Quant. B, Qui.
- ↑ 292 — Je vous dirai. B, Dist li prestres. C, Fait li prestres.
- ↑ 293 — Fet li prestres. B, Je vos dirai. C, Je le dirai. — comment qu’il praingne. B, C, T, coi qu’il aviegne.
- ↑ 294 — C, De Diu tout adès vous souviegne.
- ↑ 295 — poez. C, pores.
- ↑ 296 — Le. B, Son.
- ↑ 297 — dire, lisez lire, qui est exigé par la rime.
- ↑ 298 — commence. B, C, li prist.
- ↑ 299-300 — Ces deux vers sont intervertis dans B et C.
- ↑ 302 — durement. B, C, molt forment.
- ↑ 303 — apele. B, en apelle.
- ↑ 305 — tenez. B, prenez. — C, Puis a dit : « Cestui me tenés.
- ↑ 306 — B, C, Je sai de fi qu’il est desvez.
- ↑ 311 — B, Prenez, » li prestres a dist. C, Prendéle tost, » li prestres dist.
- ↑ 312 — paroschiens. B, païsant.
- ↑ 313 — B, L’ont pris et lié de maintenant. C, 'Le vont illuec tantost prendant.
- ↑ 314 — trestuit tenant. B, formant tordant. C, estroit loiant.
- ↑ 315 — bel. B, bien.
- ↑ 317 — Si. B, Se. — C, « seur » manque. — son. B, le.
- ↑ 319 — lut. B, lit.
- ↑ 320 — tenoit. C, tiennent.
- ↑ 321 — l’esproha d’eve. B, l’esparge d’iaue. C, l’espresent d’iaue.
- ↑ 322 — borgois. B, prestres.
- ↑ 323 — Qu’à son ostel. B, Que li borjois.
- ↑ 324 — B, Laissiez et ne fui plus tenuz. — plus. C, mais.
- ↑ 325-330 — Manquent dans B.
- ↑ 326 — Avez estés. C, Estet avés.
- ↑ 328 — est et moult. C, fu molt el.
- ↑ 329 — qu’il fu si. C, k’ensi fu.
- ↑ 331 — en. B, s’en.
- ↑ 334 — B, Ici fenit li miens contes. C, Ensi definera son conte.
Ce fabliau, bien souvent imité, se divise en deux parties séparées par la bataille des aveugles. La première partie se retrouve dans le Scelta di facezie, dans Sacchetti (nouv. 140), dans les Serées de Bouchet, dans les Contes du sieur d’Ouville, dans Imbert, etc. ; la deuxième partie est racontée à peu près pareille dans les Facétieuses journées de Chappuis, dans la Manière d’avoir du poisson (première repue de Villon, éd. Jannet, 187-190), dans les Facetie de Poncino, dans les Nouveaux contes à rire, etc., etc.
V
LA HOUCE PARTIE
..................[2]
e biau parler et de bien dire
Chascuns devroit à son mestire
Fère connoistre et enseignier
Et bonement enromancier
Les aventures qui avienent.
Ausi, comme gent vont et vienent,
Ot-on maintes choses conter
Qui bones sont à raconter.
Cil qui s’en sevent entremetre
I doivent grant entente metre,
En pensser[3], en estudier,
Si com firent nostre ancissier[4],
Li bon mestre qui estre seulent ;
Et cil qui après vivre vuelent
Ne devroient jà estre oiseus.
Mès il devienent pereceus
Por le siècle, qui est mauvès ;
Por ce si ne se vuelent mès
Li bon menestrel entremetre,
Qar molt covient grant paine metre
En bien trover, sachiez de voir.
Huimès vous faz apercevoir
Une aventure qui avint
Bien a .XVII. ans ou .XX,
Que uns riches hom d’Abevile
Se departi fors de sa vile,
Il et sa fame et uns siens fils.
Riches et combles et garnis
Issi com preudom de sa terre,
Por ce que il estoit de guerre
Vers plus fors genz que il n’estoit ;
Si se doutoit et se cremoit
De estre entre ses anemis.
D’Abevile vint à Paris.
Ilueques demora tout qoi.
Et si fist homage le Roi,
Et fu ses hom et ses borgois.
Li preudom fu sage et cortois,
Et la Dame forment ert lie,
Et li vallès fols n’estoit mie,
Ne vilains, ne mal enseigniez.
Molt en furent li voisin liéz
De la rue où il vint manoir ;
Sovent le venoient véoir
Et li portoient grant honor.
Maintes genz sans metre du lor
Se porroient molt fère amer ;
Por seulement de biau parler
Puet l’en molt grant los acueillir ;
Qar qui biau dit, biau veut oïr,
Et qui mal dit et qui mal fait,
Il ne puet estre qu’il ne l’ait ;
En tel point le voit-on et trueve ;
On dit sovent : l’uevre se prueve.
Ainsi fu li preudom mananz
Dedenz Paris plus de sept anz,
Et achatoit et revendoit
Les denrées qu’il connissoit.
Tant se bareta d’un et d’el
Que toz jors sauva son chatel,
Et ot assez de remanant.
El preudome ot bon marchéant
Et demenoit molt bone vie,
Tant qu’il perdi sa compaignie,
Et que Diex fist sa volenté
De sa fame, qui ot esté
En sa compaignie .XXX. anz.
Il n’avoient de toz enfanz
Que ce vallet que je vous di.
Molt corouciez et molt mari
Se fist li vallés lèz son père,
Et regretoit sovent sa mère.
Qui moult souef l’avoit norri ;
Il se pasma, pleure por li,
Et li pères le reconforte :
« Biaus filz, fet-il, ta mère est morte ;
Prions Dieu que pardon li face ;
Ters tes iex, essue ta face,
Que li plorers[5] ne t’i vaut rien.
Nous morrons tuit, ce sez-tu bien ;
Par là nous couvendra[6] passer ;
Nus ne puet la mort trespasser
Que ne reviegne par la mort.
Biaus filz, tu as bon reconfort,
Et si deviens biaus bacheler ;
Tu es en point de marier.
Et je sui mès de grant aage.
Si je trovoie .I. mariage
De gent qui fussent de pooir,
G’i metroie de mon avoir ;
Qar ti ami te sont trop loing ;
Tart les auroies au besoing[7] ;
Tu n’en as nul en ceste terre
Se par force nes pués conquerre ;
S’or trovoie fame bien née
Qui fust d’amis emparentée,
Qui éust oncles et antains.
Et frères et cousins germains,
De bone gent et de bon leu,
Là où je verroie ton preu,
Je t’i metroie volentiers,
Jà nel leroie por deniers. »
Ce nous raconte li escris,
Seignor, or avoit el païs
.III. chevaliers qui erent frère,
Qui erent de père et de mère
Moult hautement emparenté,
D’armes proisié et alosé,
Mès n’avoient point d’eritage
Que tout n’éussent mis en gage,
Terres et bois et tenemenz,
Por suirre les tornoiemenz.
Bien avoit sor lor tenéure
.IIIm. livres à usure,
Qui moult les destraint et escille.
Li ainsnez avoit une fille
De sa fame, qui morte estoit,
Dont la damoisele tenoit
Dedenz Paris bone meson
Devant l’ostel à cel preudon.
La meson n’estoit pas au père,
Qar li ami de par sa mère
Ne li lessierent engagier.
La mesons valoit de loier
.XX. livres de paresis l’an ;
Jà n’en éust paine n’ahan
Que de ses deniers recevoir.
Bien fu d’amis et de pooir
La damoisele emparentée,
Et le preudon l’a demandée
Au père et à toz ses amis.
Li chevalier li ont enquis
De son mueble, de son avoir,
Combien il en pooit avoir,
Et il lor dist moult volentiers :
« J’ai, qu’en denrées qu’en deniers,
.M. et .Vc. livres vaillant ;
J’en deveroie estre mentant
Se je me vantoie de plus ;
Je l’en donroie tout le plus
De .C. livres de paresis.
Je les ai loiaument aquis ;
J’en donrai mon fil la moitié.
— Ce ne porroit estre otroié,
Biaus sire, font li chevalier ;
Se vous deveniiez templier,
Ou moine blanc, ou moine noir,
Tost lesseriiez vostre avoir
Ou à temple ou à abéïe :
Nous ne nous i acordons mie ;
Non, Seignor, non, Sire, par foi.
— Et comment donc, dites le moi ?
— Moult volentiers, biaus Sire chier.
Quanques vous porrez esligier,
Volons que donez vostre fils,
Et que il soit du tout saisis,
Et tout metez par devers lui,
Si que ne vous ni à autrui
N’i puissiez noient calengier.
S’ainsi le volez otroier,
Li mariages sera fait ;
Autrement ne volons qu’il ait
Nostre fille ne nostre nièce. »
Li preudon penssa une pièce ;
Son fil regarde; si penssa.
Mès mauvesement emploia
Cele penssée que il fist.
Lors lor respont et si lor dist :
« Seignor, de quanques vous querez
Acomplirai voz volentez,
Mès ce sera par .I. couvent :
Se mes filz vostre fille prent
Je li donrai quanqu’ai vaillant,
Et si vous di tout en oiant
Ne vueil que me demeure rien,
Mès praingne tout et tout soit sien,
Que je l’en saisi et revest. »
Ainsi le preudon se dévest.
Devant le pueple qui là fu
S’est dessaisis et desvestu
De quanques il avoit el monde,
Si que il remest ausi monde
Com la verge qui est pelée,
Qu’il n’ot ne denier ne denrée
Dont se péust desjéuner
Se ses filz ne li volt doner.
Tout li dona et clama quite,
Et, quant la parole fu dite,
Li chevaliers tout main à main
Saisi sa fille par la main ;
Si l’a au bacheler donée.
Et li vallés l’a espousée.
D’iluec bien à deus anz après
Bonement furent et en pès
Li maris et la dame ensanble,
Tant que la dame, ce me sanble,
Ot un biau fil du bacheler.
Bien le fist norrir et garder,
Et la dame fu bien gardée,
Sovent baignie et relevée.
Et li preudon fu en l’ostel ;
Bien se dona le cop mortel
Quant, por vivre en autrui merci,
De son avoir se dessesi[8].
En l’ostel fu plus de .XII. anz,
Tant que li enfes[9] fu jà granz
Et se sot bien apercevoir.
Souvent oï ramentevoir
Que ses taions fist à son père,
Par qoi il espousa sa mère,
Et li enfes, quant il l’oï,
Aine puis nel volt metre en oubli.
Li preudon fu viex devenu,
Que viellèce l’ot abatu
Qu’au baston l’estuet soustenir.
La toile à lui ensevelir
Alast volentiers ses filz querre ;
Tart li estoit qu’il fust en terre,
Que sa vie li anuioit.
La Dame lessier ne pooit,
Qui fière estoit et orguilleuse ;
Du preudome estoit desdaigneuse,
Qui moult li estoit contre cuer.
Or ne puet lessier à nul fuer
Qu’ele ne déist son Seignor :
« Sire, je vous pri par amor,
Donez congié à vostre père,
Que, foi que doi l’ame ma mère,
Je ne mengerai mes des denz
Tant com je le saurai céenz,
Ainz vueil que li donez congié.
— Dame, fet-il, si ferai-gié. »
Cil, qui sa fame doute et crient,
Maintenant à son père vient ;
Se li a dit isnelement:
« Pères, pères, alez vous ent ;
Je di c’on n’a céenz que fère
De vous ne de vostre repère[10] ;
Alez vous aillors porchacier.
On vous a doné à mengier
En cest ostel .XII. anz ou plus ;
Mès fetes tost, si levez sus ;
Si vous porchaciez où que soit.
Que fère l’estuet orendroit. »
Li pères l’ot ; durement pleure;
Sovent maudit le jor et l’eure
Qu’il a tant au siècle vescu :
« Ha ! biaus douz filz, que me dis-tu ?
Por Dieu, itant d’onor me porte
Que ci me lesses à ta porte.
Je me girrai en poi de leu ;
Je ne te quier nis point de feu,
Ne coute-pointe, ne tapis ;
Mès la fors souz cel apentis
Me fai baillier .I. pou d’estrain.
Onques por mengier de ton pain
De l’ostel ne me gete fors.
Moi ne chaut s’on me met là hors,
Mès que ma garison me livre ;
Jà, por chose que j’aie à vivre
Ne me déusses pas faillir.
Jà ne puès-tu miex espenir
Toz tes péchiez qu’en moi bien faire,
Que se tu vestoies la haire.
— Biaus père, dist li bachelers,
Or n’i vaut noient sermoners ;
Mès fetes tost, alez vous en,
Que ma fame istroit jà du sen.
— Biaus filz, où veus-tu que je voise ?
Je n’ai vaillant une vendoise.
— Vous en irez en cele vile ;
Encore en i a-il .X. mile
Qui bien i truevent lor chevance :
Moult sera or grant meschéance
Se n’i trovez vostre peuture ;
Chascuns i atent s’aventure ;
Aucunes genz vous connistront,
Qui lor ostel vous presteront.
— Presteront, filz ! Aus genz que chaut,
Quant tes ostels par toi me faut ?
Et, puis que tu ne me fez bien,
Et cil qui ne me seront rien
Le me feront moult à envis,
Quant tu me faus, qui es mes fils.
— Pères, fet-il, je n’en puis mais
Se je met sor moi tout le fais ;
Ne savez s’il est à mon vuel. »
Adonc ot li pères tel duel,
Por poi que li cuers ne li criève.
Si foibles comme il est, se liève ;
Si s’en ist de Tostel plorant :
« Filz, fet-il, à Dieu te commant.
Puisque tu veus que je m’en aille,
Por Dieu me done une retaille
D’un tronçon de ta sarpeillière,
Ce n’est mie chose moult chière,
Que je ne puis le froit soufrir.
Je le te demant por couvrir,
Que j’ai robe trop poi vestue ;
C’est la chose qui plus me tue. »
Et cil, qui de doner recule,
Li dist : « Pères, je n’en ai nule.
Li doners n’est or pas à point ;
A ceste foiz n’en aurez point,
Se on ne me le tolt ou emble.
— Biaus douz filz, toz li cuers me tramble,
Et je redout tant la froidure ;
Done moi une couverture
De qoi tu cuevres ton cheval.
Que li frois ne me face mal. »
Cil, qui s’en bée à descombrer.
Voit que ne s’en puet délivrer
S’aucune chose ne li baille ;
Por ce que il veut qu’il s’en aille,
Commande son fil qu’il li baut.
Quant on le huche, l’enfes saut :
« Que vous plest, sire, dist l’enfant ?
— Biaus filz, fet-il, je te commant,
Se tu trueves l’estable ouverte,
Done mon père la couverte
Qui est sus mon cheval morel.
S’il veut si en fera mantel,
Ou chapulaire, ou couvertor ;
Done li toute la meillor. »
Li enfes, qui fu de biau sens,
Li dist : « Biaus taions, venez enz. »
Li preudon s’en torne avoec lui,
Toz corouciez et plains d’anui.
L’enfes la couverture trueve ;
La meillor prist et la plus nueve,
Et la plus grant et la plus lée ;
Si l’a par le mileu doublée.
Si le parti à son coutel
Au miex qu’il pot et au plus bel ;
Son taion bailla la moitié.
« Biaus filz, fet-il, que ferai-gié ?
Por qoi le m’as-tu recopée ?
Ton père le m’avoit donée.
Or as-tu fet grant cruauté,
Que ton père avoit commandé
Que je l’éusse toute entière ;
Je m’en irai à lui arrière.
— Alez, fet-il, où vous voudrez,
Que jà par moi plus n’en aurez. »
Li preudon issi de l’estable :
« Filz, fet-il, trestout torne à fable
Quanque tu commandas et fis ;
Que ne chastoies-tu ton fils
Qu’il ne te doute ne ne crient ?
Ne vois-tu donques qu’il retient
La moitié de la couverture ?
— Va, Diex te doinst male aventure !
Dist li pères ; baille li toute.
— Non ferai, dist l’enfes, sanz doute ;
De qoi seriiez-vous paié ?
Je vous en estui la moitié,
Que jà de moi n’en aurez plus.
Se j’en puis venir au desus,
Je vous partirai autressi
Comme vous avez lui parti.
Si comme il vous dona l’avoir,
Tout ausi[11] le vueil-je avoir,
Que jà de moi n’enporterez
Fors que tant com vous li donrez.
Si le lessiez morir chetif.
Si ferai-je vous, se je vif. »
Li pères l’ot : parfont souspire ;
Il se repensse et se remire.
Aus paroles que l’enfes dist
Li pères grant example prist ;
Vers son père torna sa chière :
« Pères, fet-il, tornez arrière ;
C’estoit anemis et pechié
Qui me cuide avoir aguetié ;
Mès, se Dieu plest, ce ne puet estre.
Or vous faz-je seignor et mestre
De mon ostel à toz jors mais.
Se ma fame ne veut la pais,
S’ele ne vous veut consentir,
Aillors vous ferai bien servir ;
Si vous ferai bien aaisier
De coute-pointe et d’oreillier.
Et si vous di, par saint Martin,
Je ne beverai mès de vin
Ne ne mengerai bon morsel
Que vous n’en aiez del plus bel ;
Et serez en chambre celée
Et au bon feu de cheminée ;
Si aurez robe comme moi.
Vous me fustes de bone foi,
Par qoi sui riches à pooir,
Biaus douz père, de vostre avoir.
Seignor, ci a bone moustrance[12]
Et aperte senefiance
Qu’ainsi geta le filz le père
Du mauvès penssé où il ère.
Bien se doivent tuit cil mirer
Qui ont enfanz à marier.
Ne fetes mie en tel manière,
Ne ne vous metez mie arrière
De ce dont vous estes avant.
Ne donez tant à vostre enfant
Que vous n’i puissiez recouvrer.
L’en ne se doit mie fier,
Que li enfant sont sans pitié ;
Des pères sont tost anoié
Puis qu’il[13] ne se pueent aidier.
Et qui vient autrui dangier
Molt vit au siècle à[14] grant anui.
Cil qui vit en dangier d’autrui,
Et qui du suen méismement
A autrui livroison s’atent ;
Bien vous en devez chastoier.
Icest example fist Bernier,
Qui la matère enseigne à fère.
Si en fist ce qu’il en sot faire.
- ↑ V. — La Houce partie, p. 82.Paris, Bibl. nat., Mss. fr. 837 (anc. 7218), fol. 150 ro à 152 vo.
Publié par Méon, IV, 472-485 ; par Renouard dans Legrand d’Aussy, IV, app. 13 ; par Bartsch, dans sa Chrestomathie de l’ancien français, 1re éd., 274-282, et traduit par Legrand d’Aussy sous le titre de « Le Bourgeois d’Abbeville », IV, 117-124. — L’auteur de ce fabliau est non Bernard, mais Bernier, comme l’indique le vers 414.
- ↑ Les premiers vers de ce fabliau manquent dans le manuscrit, qui est défectueux en cet endroit.
- ↑ Vers 11 — penser, lisez pensser.
- ↑ 12 — notre ancistier, lisez nostre ancissier.
- ↑ 79 — plorer, lisez plorers.
- ↑ 81 — convendra, lisez couvendra.
- ↑ 92 — besoin, lisez besoing.
- ↑ 204 — deffesi, lisez dessesi.
- ↑ 206 — enfez, lisez enfes.
- ↑ 238 — repaire, lisez repere.
- ↑ 362 — aussi, lisez ausi.
- ↑ 393 — monstrance, lisez moustrance.
- ↑ 407 — qu’ils, lisez qu’il.
- ↑ 409 — en, lisez à.
On retrouve ce conte dans le Novelliero italiano, dans Imbert, etc. — Il en existe une autre rédaction (Cf. notre second volume, p. 1-7).
VI
DE SIRE HAIN
ET DE DAME ANIEUSE.
ues Piaucele, qui trova
Cest fablel, par reson prova
Que cil qui a fame rubeste
Est garnis de mauvèse beste.
Si le prueve par cest reclaim
D’Anieuse et de sire Hain.
Sire Hains savoit bon mestier,
Quar il savoit bien rafetier
Les coteles et les mantiaus ;
Toz jors erent à chavestriaus
Entre lui et dame Anieuse,
Qui n’estoit pas trop volenteuse
De lui servir à son voloir ;
Quar quant li preudom veut avoir
Porée, se li fesoit pois,
Et si estoit tout seur son pois ;
Et quant il voloit pois mengier,
Se li fesoit por engaignier
Un poi de porée mal cuite.
Vers son seignor quanqu’ele pot ;
Quar quant il voloit char en pot,
Dont li fesoit-ele rostir
Et toute en la cendre honir,
Por ce qu’il n’en péust gouster.
Se vous me volez escouter,
Je vous dirai bon helemot :
Riens ne vaut se chascuns ne m’ot,
Quar cil pert moult bien l’auleluye
Qui par .I. noiseus le desluie ;
C’est por noient, n’i faudrai mie.
Sire Hains a dit : « Douce amie,
Alez me achater du poisson.
— Vous en aurez à grant foison,
Dist Anieuse, par saint Cire ;
Mès or me dites, biauz douz sire,
Se vous le volez d’éve douce. »
Et cil, qui volentiers l’adouce,
Li a dit : « Mès de mer, amie. »
Anieuse ne tarda mie,
Qui moult fu plaine de mal art.
Au Pont vient, si trueve Guillart,
Qui estoit ses cousins germains :
« Guillart, dist-ele, c’est du mains.
Je vueil avoir des epinoches ;
Mon mari, qui de males broches
Ait crevez les iex de la teste.
Demande poisson à areste. »
Et cil, qui fu de male part.
Se li a mis en son platel ;
Puis les cuevre de son mantel,
En sa meson en vint tout droit.
Sire Hains, quant venir la voit,
Li a dit : « Bien veigniez vous, dame ;
Foi que vous devez Notre-Dame,
Est-ce raie, ou bien chien[2] de mer ?
— L’en faut moult bien à son esmer,
Fet Anieuse, sire Hain ;
Volez-vous lier vostre estrain,
Qui me demandez tel viande ?
Moult est ore fols qui demande
Chose que l’en ne puet avoir :
Vous savez bien trestout de voir
Qu’il a anuit toute nuit plut :
Toz li poissons de là hors put.
— Put ! fet sire Hains ; Dieu merci,
J’en vi ore porter par ci
De si bons dedenz .I. panier.
— Vous en porrez jà tant pledier,
Fet cèle, qui le het de cuer,
Que je geterai jà tout puer.
Dehait qui le dit s’il nel fet ! »
Les espinoches tout à fet
A semées aval la cort.
« Diex ! fet Hains, com tu me tiens cort !
A paines os-je dire mot ;
Grant honte ai quant mon voisin m’ot,
Que tu me maines si viument.
Fet-ele, se vous l’osez fère.
— Tais-toi, fame de put afère,
Fet sire Hains ; lai moi ester ;
Ne fust por ma chose haster
Por aler au marchié demain,
Tu le compraisses aparmain.
— Comperaisse ! fet Anieuse ;
Par mon chief, je vous en di beuse ;
Quant vos volez, si commenciez. »
Sire Hains fu moult corouciez :
.I. petitelet se porpensse ;
Après a dit ce que il pensse,
Quant fu apoiez sor son coute :
« Anieuse, fet-il, ç’acoute :
Il m’est avis, et si me samble,
Que jà ne serons bien ensamble
Se nous ne tornons à .I. chief.
— Or dites donques derechief,
Fet-ele, se vous l’osez fère,
A quel chief vous en volez trère.
— Oïl, fet-il, bien l’ose dire :
Le matinet, sanz contredire,
Voudrai mes braies deschaucier,
Et enmi nostre cort couchier ;
Et qui conquerre les porra,
Par bone reson mousterra
Qu’il ert sire et dame du nostre.
— Je l’otroi bien, par saint Apostre,
Fet Anieuse, de bon cuer.
Cui en trerai à tesmoignage ?
— Nous prendrons en nostre visnage
.I. home que nous miex amon.
— Je l’otroi bien ; prenons Symon,
Et ma comère dame Aupais ;
Que qu’il aviegne de la pais,
Cil dui garderont bien au droit.
Hucherai les je orendroit ?
— Diex ! fet Hains, com tu es hastiue !
Or cuides bien que jà soit tiue
La baillie de no meson ;
Ainz auras de moult fort poison
Béu, foi que doi saint Climent.
Moult va près que je ne coment.
— Comencier, fet dame Anieuse ;
Je sui assez plus covoiteuse
Que vous n’estes del comencier.
Or n’i a fors que del huchier
Noz voisins. — Certes ce n’a mon.
— Sire Symon, sire Symon !
Quar venez avant, biaus compère,
Et si amenez ma comère,
S’orrez ce que nous volons dire.
— Je l’otroi bien sanz contredire, »
Fet Symons debonerement.
Adonc s’en vindrent esraument,
Si s’assiéent l’un delez l’autre.
Sire Hains, l’un mot après l’autre,
Lor a contée la réson
Por qoi la bataille doit estre.
« Ha ! fet Symons, ce ne puet estre
Que vous ainsi vous combatez. »
Anieuse dist : « Escoutez :
Li plais est pris en tel manière
Que nus n’en puet aler arrière[3],
Foi que doi au baron saint Leu ;
Je vueil que soiez en no leu ;
Si ferons que fère devons. »
Dont primes a parlé Symons :
« Je ne vos porroie achoisier,
Ne acorder, ne apesier,
Ainz aurez esprové voz forces.
Or garde bien que tu ne porces,
Anieuse, se ton poing non.
Sire Hain, je vous di par non,
Gardez bien que vous ne porciez
Nule chose dont vous faciez
Vo fame mal, fors de voz mains.
— Sire, si m’aït S. Germains,
Fet sire Hains, non ferai-gié ;
Mès or nous donez le congié
De no meslée comencier,
II n’i a fors del deschaucier
Les braies dont la noise monte. »
Que vous feroie plus lonc conte ?
Les braies furent deschaucies,
Et enz enmi la cort lancies ;
Chascuns s’apresta de combatre ;
Sire Symons, qui le parc garde.
Ainz que Hains s’en fust donez garde
Le fiert Anieuse à plains braz :
« Vilains, dist-ele, je te haz ;
Or me garde ceste alemite.
— Ha ! dist Hains, très orde traïtre.
M’es-tu jà venue ferir ?
Je ne porroie plus souffrir,
Puisque tu m’as avant requis ;
Mès, si m’aït Sainz Esperis,
Je te ferai male nuit trère.
— Par bieu, je ne vous doute guère,
Fet cele, por vostre manace ;
Puisque nous somes en la place,
Face chascuns du pis qu’il puet. »
A cest mot sire Hains s’esmuet,
D’ire et de mautalent espris ;
La cors fu granz et li porpris,
Bien s’i pooit-l’en retorner.
Et, quant cele vit atorner
Son baron por li domagier,
Onques ne se vout esmaier,
Ainz li cort sus à plain eslais.
Huimès devendra li jeus lais,
Quar sire Hains sa fame ataint
Si grant cop que trestout li taint
Le cuir, sor le sorcil, en pers.
« Anieuse, dist-il, tu pers ;
Or t’ai ta colée rendue. »
Ainz li cort sus isnelement ;
Se li done hastivement
.I. cop par deseur le sorcil
Qu’a poi que delèz .I. bercil
Ne l’abati trestout envers.
« Trop vous estiiez descouvers,
Fet Anieuse, ceste part ; »
Puis a esgardé d’autre part,
S’a véu les braies gésir ;
Hastivement les cort sesir,
Si les liève par le braioel.
Et li vilains par le tijuel[4]
Les empoigne par moult grand ire :
Li uns sache, li autres tire ;
La toile desront et despièce ;
Par la cort en gist maint pièce ;
Par vive force jus les mètent,
A la meslée se remètent.
Hains fiert sa fame enmi les denz
Tel cop, que la bouche dedenz
Li a toute emplie de sanc ;
« Tien ore, dist sire Hains, anc !
Je cuit que je t’ai bien atainte ;
Or t’ai-je de deux colors tainte ;
J’aurai les braies toutes voies. »
Dist Anieuse : « Ainz que tu voies
Le jor de demain au matin,
Chanteras-tu d’autre Martin,
Que je ne te pris deux mellenz ;
vilains[5] pullenz,
Me cuides-tu avoir sorprise ? »
A cest mot, de grant ire esprise,
Le fiert Anieuse esraument ;
Li cops vint par grant mautalent
Que dame Anieuse geta ;
Delèz l’oreille l’acosta,
Que toute sa force i emploie.
A sire Hain[6] l’eschine ploie,
Quar del grant cop moult se detort :
« Vilains, dist-ele, tu as tort,
Qui ne me lais les braies prendre. »
Fet sire Hains : « Or puis aprendre
Que tu ne m’espargnes noient ;
Mès se par tens ne le te rent
Sire Hains, dont li faille Diex ;
Or croist à double tes granz diex,
Quar je te tuerai ancui. »
Anieuse respondi : « Qui
Tuerez vous, sire vilains ?
Se je vous puis tenir aus mains,
Je vous ferai en mon Dieu croire ;
Vous ne me verrez jà recroire,
Ainz morras ainçois que m’eschapes.
— Tien or ainçois ces 2 soupapes,
Fet sire Hains, ainz que je muire ;
Je le te metrai moult bien cuire,
Se j’en puis venir au desus. »
A cest mot se recorent sus.
Si s’entredonent moult granz caus.
Qui del ferir moult se coitoit ;
N’en pot mès, quar moult le hastoit
Anieuse, qui pas nel doute ;
De deux poins si forment le boute
Que sire Hains va chancelant.
Que vous iroie-je contant ?
Tout furent sanglent lor drapel,
Quar maint cop et maint hatiplel
Se sont doné par[7] grant aïr.
Anieuse le cort sesir,
Qui n’ert pas petite ne manche ;
Sire Hains au tor de la hanche
L’abat si durement sus coste,
Qu’à poi ne li brise une coste.
Cele chose forment li griève ;
Mès Anieuse se reliève,
.I. petit s’est arrière traite.
Aupais le voit, si se deshaite,
Qui le parc garde o son baron :
« Ha ! por Dieu, fet-elle, Symon,
[Quar][8] parlons ore de la pès. »
[Ce] dist Symon, « Lai-moi en pès,
…..tait or, S. Bertremiex
…..s’Anieuse en fust au miex,
Que tu m’en priaisses aussi ;
Non féisses, par saint Forsi,
Tu ne m’en priaisses à pièce ;
Or atent encore une pièce.
Tant que li uns le pis en ait,
Souffrir te covient[9] se tu veus. »
Cil refurent jà par cheveus,
Qui erent en moult grant destrece[10] ;
Hains tient sa fame par la trèce,
Et cele, qui de duel esprent,
Son baron par les chevex prent ;
Si le sache que tout l’embronche.
Aupais le voit, en haut s’esfronche
Por enhardir dame Anieuse.
Quant Symons a choisi s’espeuse
Et l’esme qu’ele li a fète :
« Aupais, dist-il, tu es mesfète[11] ;
A poi que ferir ne te vois,
Se tu fez plus oïr ta vois
Dès que li uns en soit au miex,
Tu le comperras, par mes iex ; »
Cele se tut, qui le cremi.
Tant ont feru et escremi
Cil qui se combatent ensamble,
Que li contes dit, ce me samble,
Qu’Anieuse le pis en ot ;
Quar sire Hains à force l’ot
Reculée encontre une treille.
En coste avoit une corbeille ;
Anieuse i chéi arrière,
Quar à ses talons par derrière
Estoit, si ne s’en donoit garde ;
Et quant sire Hains la regarde,
S’en a .I. poi ris de mal cuer ;
Tu es el paradis Bertran ;
Or pués-tu chanter de Tristran[12],
Ou de plus longue, se tu sez ;
Se je fusse autressi versez,
Tu me tenisses jà moult cort. »
Atant vers les braies s’en cort,
Si les prist, et si les chauça ;
Vers sa fame se radreça,
Qui en la corbeille ert versée.
Malement l’éust confessée,
Ne fust Symons qui li escrie :
« Fui toi, musart, n’en tue mie ;
Bien voi que tu es au desus.
Anieuse, veus-en tu plus ?
Fet Symons, qui la va gabant ;
Bien a abatu ton beubant
Sire Hains par ceste meslée.
Seras-tu mès si emparlée
Com tu as esté jusqu’à ore ?
— Sire, foi que doi S. Grigoire,
Fet cele, ne fusse hui lassée,
Se je ne fusse ci versée ;
Mès or vous proi par amistez,
Biaus sire, que vous m’en getez. »
Fet Symons : « Ainz qu’isses issi,
Fianceras orendroit ci
Que tu jamès ne mesferas[13],
Et que en la merci seras
Sire Hain[6], à toz les jors mès,
Chose nule qu’il te desfenge[14].
— Ba ! Deable, et s’il me ledenge[15],
Fet Anieuse, ne cort seure,
Et j’en puis venir au deseure,
Ne me desfenderai[16]-je mie ?
— Escoute de ceste anemie,
Fet Symons, qu’ele a respondu,
Aupais ; en as-tu entendu ?
— Oïl voir, sire, bien l’entent.
Anieuse, je te blastent
Que tu respons si fetement,
Quar tu vois bien apertement
Que tu ne pués plus maintenant ;
Si te covient d’ore en avant
Fere del tout à son plesir,
Quar de ci ne pués-tu issir
Se par son comandement non. »
Anieuse respondi : « Non ;
Conseilliez-moi que je ferai.
— Par foi, dit Aupais, non ferai,
Que tu ne m’en croiroies mie.
— Si ferai, bele douce amie ;
Je m’en tendrai à vostre esgart.
— Or t’estuet-il, se Diex me gart,
Orendroit fiancier ta foi ;
Je ne sai se ce ert en foi,
Mès toutes voies le feras,
Que tu ton baron serviras
Si com preude fame doit fère,
Ne te dreceras contre lui. »
Anieuse dist sanz delui :
« Par foi, bien le vueil créanter,
Por que je m’en puisse garder,
Ainsi en vueil fère l’otroi. »
A cest mot en risent tuit troi,
Sire Hains, Symons et Aupais.
Toutes voies firent la pais ;
De la corbeille la getèrent,
Et en meson la ramenèrent ;
Moult sovent s’est clamée lasse.
Mais Diex i mist tant de sa grace,
Que puis cele nuit en avant
Onques ne s’ala percevant
Sire Hains qu’el ne li féist
Trestout ce qu’il li requéist :
De lui servir s’avolentoit.
Et, por ce que les cops doutoit,
Nel desdisoit de nule chose.
Si vous di bien à la parclose,
En fu à sire Hain moult bel.
Ainz que je aie cest fablel
Finé, vous di-je bien en foi,
Se voz fames mainent bufoi
Deseur vous nul jor par male art,
Que ne soiez pas si musart
Que vous le souffrez longuement,
Mès fètes aussi fetement
Come Hains fist de sa moillier
Fors tout le mains que ele pot,
Dusques à tant que il li ot
Batu et les os et l’eschine.
Tout issi cis fabliaus define.
- ↑ VI. — De sire Hain et de dame Anieuse, p. 97.
Publié par Barbazan, III, 39 ; par Méon, III, 380-393, et traduit par Legrand d’Aussy, III, 175-180.
- ↑ Vers 57 — Vers faux. Au lieu de « ou chien » on pourrait lire ou bien chien.
- ↑ 146 — ariere, lisez arriere.
- ↑ 212 — tuiel ; ms., tuuel, qu’il faut mieux lire tijuel, tijel, tigel, au sens de canon. Cf. Du Cange, sous Tigellum.
- ↑ 230 — vilainz, lisez vilains.
- ↑ a et b 238 et 349 — Hains, lisez Hain.
- ↑ 269 — por, lisez par.
- ↑ 281-284 — Le ms. est déchiré au commencement de ces quatre vers.
- ↑ 291 — convient, lisez covient.
- ↑ 293 — destresce, lisez destrece.
- ↑ 302 — meffete, lisez mesfete.
- ↑ 322 — Allusion à « Tristan et Yseult ».
- ↑ 347 — mefferas, lisez mesferas.
- ↑ 351 — deffenge, lisez desfenge.
- ↑ 352 — ledange, lisez ledenge.
- ↑ 355 — deffenderai, lisez desfenderai.
Ce conte, sans le dénoûment, est dans les Novelle de Sacchetti. Par contre, on trouve un dénoûment semblable dans la Farce du Cuvier, la quatrième de l’Ancien Théâtre français de la Bibliothèque elzévirienne, I, 21-50.
VII
DU PROVOST A L’AUMUCHE.
’un chevalier cis fabliaus conte
Qui par samblant valoit un conte,
Riches hom estoit et mananz ;
Fame ot, dont il avoit enfans
Si come il est coustume et us.
.XX. ans cil chevaliers et plus
Vesqui sans guerre et sanz[2] meslée.
Moult fu amez en sa contrée
De ses homes et d’autre gent,
Tant que .I. jor li prist talent
Du baron saint Jaque requerre.
A garder comanda sa terre
Un sien provost que il avoit.
Vilains et pautonniers estoit,
Mès richèce l’avoit seurpris ;
Si en ert amendez ses pris,
Si come il fet[3] à mains mauvais.
Li Provos ot à nom Grevais,
Le fil Erambaut Brache-huche ;
De burel avoit une aumuche,
Por la froidure, bien forrée.
Grosse avoit la teste et quarrée ;
Moult ert cuivert et de put aire.
Et li chevaliers son afaire
Fist atorner tel comme il dut.
A .I. jor de son ostel mut
Por fère son pelerinage.
Tant va par plain et par boschage,
Que au baron saint Jaque[4] vint ;
Deniers i offri plus de .XX.
Après se r’est mis el retor ;
Onques n’i vout metre trestor,
Tout si come il vint ne ala,
Tant que son ostel aproisma
Si près come à une jornée.
Le matinet, ainz la vesprée,
A .I. sien escuier tramis
A sa fame et à ses amis,
Qu’il venissent encontre lui,
Quar haitiez est et sanz anui,
Et si féist appareillier
A l’ostel assez à mengier,
De char, de poisson sanz devin,
Qu’à plenté i éussent vin,
Si qu’à plenté aient trestout.
Li escuiers se hasta moult
Tant qu’il est au chastel venuz ;
A grant joie fu recéuz
De cels, de celes qui l’amèrent.
Lendemain li ami montèrent ;
Encontre le chevalier vont.
A moult grant joie amené l’ont,
Et le mengier fu atornez.
Grevais ne s’est pas oubliez,
Li provos, ainz estoit venuz
Ainçois que nus fust descenduz ;
Moult fet sanblant d’estre joious.
Li chevaliers fu vizious ;
Par tout prent garde de sa gent,
Et séoir fet moult richement
Grevais son provost au mengier,
Avoec .I. riche chevalier,
Par devant le filz Micleart.
Au premier mès[5] ont pois et lart.
Dont la pièce moult granz estoit
Qui ès escuèles gisoit.
Liéz fu li provos de cest mès,
Quar le lart vit gros et espès
Qui en s’escuèle saïme[6],
Puis s’apenssa en soi-méisme,
S’en pooit embler une pièce,
Qu’ele duerroit moult grant pièce,
Qui en voudroit fère mesure.
Mès li chevaliers n’en ot cure
Qui avoec lui mengier devoit ;
A .I. sien compaignon parloit
Qui delèz lui avoit mengié.
Et le provost s’est abessié,
Ausi com por son nez mouchier,
Par derrière le chevalier ;
La teste baisse, puis si muce
La pièce de lart soz s’aumuche,
Qui moult estoit parfonde et lée,
Puis l’a sor son chief r’afublée,
Tout ausi come devant fu[7].
Uns vallés porte busche au fu ;
Si commença à embraser ;
Grevais prist moult à treculer,
Qu’il n’en avoit gueres loisir,
Quar assis fu, n’en quier mentir,
En .I. angle d’une maisière,
Si qu’il ne pot n’avant n’arrière ;
Ainz commença à eschauffer,
Et le lart prist à degouter[8],
Qui desouz le chapel estoit,
Si que par les iex li couloit
Le saïn, et aval la face,
Com se fust crasse char de vache.
Uns vallés devant lui servoit :
Anuiéz fu, trop li grevoit
S’aumuche qui estoit forrée ;
D’une verge, qui ert pelée,
Li a jus bouté le chapel,
Et li lars chiet sor le mantel
Au chevalier qui lèz lui sist.
Or oiez que li provos fist :
.I. saut done par mi le fu,
Vers l’uis se tret à grant vertu ;
Mès li escuier qui servoient,
Qui l’afère véu avoient,
Li donèrent grant hatiplat,
Si qu’il le firent chéoir plat ;
Fièrent en teste et en l’eschine ;
Li keu saillent de la cuisine,
Ne demandèrent que ce fu,
Ainz traient les tisons du fu,
Si fièrent sor lui à .I. tas ;
Tant le fièrent et haut et bas,
Que brisiés li ont les rains[9].
Aus bastons, aus piez et aus mains,
Li ont fet plus de .XXX. plaies,
Et l’ont fait chier en ses braies.
A la parfin tant le menèrent,
Que par les bras le traïnèrent
Fors de la porte en .I. fossé,
Où l’en avoit .I. chien tué ;
Moult li fist grant honte la chars.
Cist fabliaus retret de cest cas,
Que par embler[10] ont les avoirs.
Mais Diex qui fu mis en la Crois
Lor envoit tele povreté,
Que povre gent tiengnent verté.
- ↑ VII. — Du Provost a l’aumuche, p. 112.
Publié par Barbazan, II, 40 ; par Méon, III, 186-190.
- ↑ Vers 7 — sans, lisez sanz.
- ↑ 17 — fait, lisez fet.
- ↑ 29 — « Saint Jaque », « Saint Jacques » de Compostelle, en Galice.
- ↑ 64 — més, lisez mès.
- ↑ 114, 18, s’aïme, lisez saïme.
- ↑ 85 — * fu ; ms., eu ou tu, qui n’offrent pas de sens.
- ↑ 94 — degouster, lisez degouter.
- ↑ 119 — Vers faux ; peut-être faut-il lire : Que brisiés li ont il les rains.
- ↑ 129 — emblers, lisez embler.
VIII
DE LA BORGOISE D’ORLIENS.
r vous dirai d’une borgoise
Une aventure assez cortoise.
Née et norrie fu d’Orliens,
Et ses sires fu néz d’Amiens,
Riches mananz à desmesure.
De marchéandise et d’usure
Savoit toz les tors et les poins,
Et ce que il tenoit aus poins
Estoit bien fermement tenu.
En la vile furent venu
.IV. noviaus clers escoliers ;
Lor sas portent come coliers.
Li clerc estoient gros et gras,
Quar moult menjoient[2] bien sans gas.
En la vile erent moult proisié
Où il estoient herbregié :
.I. en i ot de grant ponois,
Qui moult hantoit chiés .I. borgois ;
S’el tenoit-on moult à cortois ;
N’ert plains d’orgueil ne de bufois,
Et à la dame vraiement
Plesoit moult son acointement ;
Et tant vint et tant i ala,
Que li borgois se porpenssa,
Fust par semblant ou par parole,
Que il le metroit à escole,
S’il en pooit en leu venir
Que à ce le péust tenir.
Léenz ot une seue nièce,
Qu’il ot norrie moult grant pièce ;
Privéement à soi l’apele,
Se li promet une cotele.
Mès qu’el soit de celé œvre espie.
Et que la vérité l’en die.
Et l’escolier a tant proié
La borgoise par amistié.
Que sa volenté li otroie ;
Et la meschine toute-voie
Fu en escout tant qu’ele oï
Come il orent lor plet basti.
Au borgois en vient maintenant,
Et li conte le couvenant[3] ;
Et li couvenanz tels estoit
Que la dame le manderoit
Quant ses sires seroit errez ;
Lors venist aux .II. huis serrez
Du vergier qu’el li enseigna.
Et el seroit contre lui là.
Quant il seroit bien anuitié.
Li borgois l’ot, moult fu haitié,
A sa fame maintenant vient :
« Dame, fet-il, il me covient
Aler en ma marchéandie ;
Gardez l’ostel, ma chière amie,
Si com preude fame doit fère ;
Je ne sai rien de mon repère.
— Sire, fet-ele, volentiers. »
Cil atorna les charretiers,
Et dist qu’il s’iroit herbregier,
Por ses jornées avancier,
Jusqu’à .III. liues de la vile.
La dame ne sot pas la guile ;
Si fist au clerc l’uevre savoir.
Cil, qui les cuida décevoir,
Fist sa gent aler herbregier.
Et il vint à l’uis du vergier,
Quar la nuit fu au jor meslée ;
Et la dame tout à celée
Vint encontre, l’uis li ouvri.
Entre ses braz le recueilli,
Qu’el cuide que son ami soit ;
Mès espérance la déçoit.
« Bien soiez-vous, dist-el, venuz. »
Cil s’est de haut parler tenuz ;
Se li rent ses saluz en bas.
Par le vergier s’en vont le pas,
Mès il tint moult la chière encline.
Et la borgoise .I. pou s’acline,
Par souz le chaperon l’esgarde.
De trahison se done garde ;
Si conut bien et aperçoit
C’est son mari qui la deçoit.
Quant el le prist à aperçoivre,
Si repensse de lui deçoivre ;
Fame a trestout passé Argu[4] ;
Par lor engin sont decéu
Li sage dès le tens Abel.
« Sire, fet-ele, moult m’est bel
Que tenir vous puis et avoir ;
Je vous donrai de mon avoir,
Dont vous porrez vos gages trère.
Se vous celez bien cest afère.
Or alons ça tout belement,
Je vous metrai privéement
En .I. solier dont j’ai la clef :
Iluec m’atendrez tout souef.
Tant que noz genz auront mengié ;
Et quant trestuit seront couchié,
Je vous menrai souz ma cortine ;
Jà nus ne saura la couvine.
— Dame, fet-il, bien avez dit. »
Diex, comme[5] il savoit or petit
De ce qu’ele pensse et porpensse !
Li asniers une[6] chose pensse.
Et li asnes pensse tout el ;
Tost aura-il mauvès ostel,
Quar quant la dame enfermé l’ot
El solier dont issir ne pot,
A l’uis del vergier retorna.
Son ami prist qu’ele trova.
Si l’enbrace et acole et baise ;
Moult est, je cuit, à meillor aise
Li secons que le premerain.
La dame lessa le vilain
Longuement ou solier jouchier ;
Tost ont trespassé le vergier.
Tant qu’en la chambre sont venu,
Où li dras furent portendu.
La dame son ami amaine,
Jusqu’en la chambre le demaine,
Si l'a souz le couvertoir mis,
Et cil s’est tantost entremis
Du geu que amors li comande.
Qu’il ne prisast une alemande
Toz les autres, se cil n’i fust.
Ne cele gré ne l’en séust.
Longuement se sont envoisié ;
Quant ont acolé et baisié,
« Amis, fet-ele, or remaindrez
.I. petit et si m’atendrez ;
Quar je m’en irai là dedenz
Por fère mangier celé gent.
Et nous souperons, vous et moi.
Encore anuit tout à recoi.
— Dame, à vostre commandement. »
Cele s’en part moult belement.
Vint en la sale à sa mesnie ;
A son pooir la fet haitie ;
Quant li mengiers fu atornez,
Menjuent et boivent assez.
Et, quant orent mengié trestuit,
Ainz qu’il fussent desrengié tuit,
La dame apèle sa mesnie,
Si parole come enseignie ;
.II. neveus au seignor i ot,
Et .I. garz qui éve aportoit,
Et chamberières i ot .III. ;
Si i fu la nièce au borgois,
.II. pautoniers et .I. ribaut.
« Seignor, fet-el, se Diex vous saut,
Entendez ore ma reson :
Vous avez en ceste meson
Véu céenz un clerc venir.
Qui ne me lest en pès garir :
Requise m’a d’amors lonc tens ;
Je l’en ai fet .XXX. desfens[7] ;
Quant je vi que je n’i garroie.
Je li promis que je feroie
Tout son plésir et tout son gré
Quant mon seignor seroit erré.
Or est errez[8], Diex le conduie.
Et cil, qui chascun jor m’anuie.
Ai moult bien couvenant tenu.
Or est à son terme venu,
Là sus m’atent en ce perrin.
Je vous donrai du meillor vin
Qui soit céenz une galoie,
Par couvant que vengie en soie :
En ce solier à lui alez.
Et de bastons bien le batez.
Encontre terre et en estant.
Des orbes cops li donez tant,
Que jamais jor ne li en chaille
De prier famé qui rien vaille. »
Quant la mesnie l’uevre entent,
Tuit saillent sus, nus n’i atent,
L’un prent baston, l’autre tiné.
L’autre pestel gros et molle :
La borgoise la clef lor baille.
Qui toz les cops méist en taille,
A bon contéor le tenisse.
« Ne souffrez pas que il en isse ;
Ainz l’acueilliez el solier haut.
— Par Dieu, font-il, sire clercgaut.
Vous serez jà desciplinez. »
Li uns l’a à terre aclinez.
Et par la gorge le saisi ;
Par le chaperon l’estraint si
Que il ne puet nul mot soner ;
Puis l’en acueillent à doner ;
De batre ne sont mie eschars.
S’il en éust doné .M. mars,
N’éust miex son hauberc roulé.
Par maintes foiz se sont mollé,
Por bien ferir, ses .II. nevous.
Primes desus et puis desous ;
Merci crier ne li vaut rien.
Hors le traient com .I. mort chien,
Si l’ont sor .I. fumier flati.
En la meson sont reverti ;
De bons vins orent à foison,
Toz des meillors de la meson,
Et des blans et des auvernois,
Autant com se il fussent rois ;
Et la dame ot gastiaus et vin,
Et blanche toaille de lin,
Et grosse chandoile de cire ;
Si tient à son ami concile
Toute la nuit dusques au jor.
Au départir si fist Amor
Que vaillant .X. mars li dona,
Et de revenir li pria
Toutes les foiz que il porroit.
Et cil qui el fumier gisoit
Si se remua come il pot.
Et vait là où son harnois ot.
Quant ses genz si batu le virent,
Duel orent grant, si s’esbahirent ;
Enquis li ont coment ce vait.
« Malement, ce dist, il me vait ;
A mon ostel m’en reportez.
Et plus rien ne me demandez. »
Tout maintenant l’ont levé sus,
Onques n’i atendirent plus :
Mès ce l’a moult reconforté
Et mis hors de mauvés penssé,
Qu’il sent sa famé à si loial ;
.I. œf ne prise tout son mal,
Et pensse, s’il en puet garir,
Moult la voudra toz jors chierir.
A son ostel est revenu,
Et, quant la dame l’a véu,
De bones herbes li fist baing,
Tout le gari de son mehaing.
Demande lui com li avint.
« Dame, fet-il, il me covint
Par .I. destroit péril passer.
Où l’en me fist des os quasser. »
Cil de la meson li contèrent
Du clercgaut com il l’atornerènt,
Coment la dame lor livra.
Par mon chief, el s’en delivra
Com preude fame et come sage :
Onques puis en tout son eage
Ne la blasma ne ne mescrut,
N’onques cele ne se recrut
De son ami aimer toz dis,
Tant qu’il ala à son païs.
- ↑ VIII. — De la Borgoise d’Orliens, p. 117.
Le ms. de Berne 354 (fol. 78 ro à 80 vo), contient une autre version toute différente de ce fabliau.
Publié par Barbazan, II, 1 ; par Méon, III, 161-168 ; et traduit par Legrand d’Aussy, IV, 294-297, sous le titre : « De la bourgeoise d’Orléans, ou de la dame qui fit battre son mari ».
- ↑ Vers 14 — manjoient, lisez menjoient.
- ↑ 42 — convenant, lisez couvenant.
- ↑ 85 — « Argu », « Argus », personnification de la vigilance.
- ↑ 102 — com, lisez comme.
- ↑ 104 — * une ; ms., un.
- ↑ 156 — deffens, lisez desfens.
- ↑ 161 — * errez ; ms., errer.
Nous trouvons une aventure analogue dans les Convivales sermones, dans les Facetiæ du Pogge, dans Domenichi, dans Malespini (nouv. 21), dans les Cent Nouvelles nouvelles de la cour de Bourgogne (nouv. 88). Bandello (nouv. 25), Boccace (Journ. VII, nouv. 7) et enfin La Fontaine, dans son « Cocu battu et content », ont imité, avec d’autres encore, ce fabliau bien connu. — Cf. les renvois du Pogge, éd. Noël, 1798, in-16, II, 9-11.
IX
LE CUVIER.
hascuns se veut mès entremètre
De biaus contes en rime mètre :
Mais je m’en sui si entremis
Que j’en ai .I. en rime mis
D’un marchéant qui par la terre
Aloit marchéandise querre.
En sa meson lessoit sa fame,
Qui de son ostel estoit dame ;
Il gaaignoit à grant mesaise,
Et ele estoit et bien et aise
Quant il ert alez gaaignier,
Et ele se fesoit baingnier
Avoec .I. clerc de grant franchise,
Où ele avoit s’entente mise.
Un jor se baingnoient andeux ;
Si lor en vint .I. moult granz[2] deuls,
Et tele paor, que le mestre
Por nul avoir n’i vousist estre ;
Quar, si comme il s’entretenoient
Et ensamble se deduisoient,
Et li borgois si s’en repère
De Provins, où il ot afère ;
Si s’en entre dedenz sa cort,
Et la bajasse tost acort
A sa dame que li clers tient ;
De son seignor ne li sovient.
« Dame, dist-ele, or vous empire,
Quar véz ici, par Dieu, mon sire,
O lui .III. marchéanz ensamble : »
La dame l’ot, de paor tramble[3].
Ele et li clers, sanz atargier,
Sont andui sailli du cuvier.
Ele sailli hors toute nue ;
Au plus tost qu’el pot s’est vestue.
La dame, qui n’estoit pas fole,
L’éve jeté desouz la sole
De la chambre, si qu’el s’encort
Desouz la sole en mi la cort.
El n’ot le clerc où esloingnier,
Si le muça souz le cuvier.
Et li borgois descent à pié,
Dont ele n’ot pas son cuer lié
Qu’il est venuz à cele foiz.
« Sire, dist-ele, bien veignois
Et vous et vostre compaignie, »
Dist-ele ; mes ne vousist mie
Que il fust venuz à cele eure.
Cil, qui n’ot cure de demeure,
Ainz s’en veut r’aler en besoingne,
A sa main une nape enpoigne,
Qui à la perce estoit pendue,
Si l’a sor la cuve estendue ;
Les autres marchéans apele ;
A sa fame dist : « Ma suer bele,
Or, ça, fet-il, la soupe en vin,
Quar nous volons metre au chemin. »
Et, quant cele ot parler de l’erre,
Au plus tost qu’el pot le va querre
Quanques il veut delivrement ;
Moult haoit le demorement.
Mès il ne tenoit de mengier
Au clerc qui ert souz le cuvier,
Qui ne menoit pas trop grant feste
Qu’il li menjuent sus la teste.
Et li borgois éust corouz,
Se il séust le clerc desouz ;
Et ele estoit mal assenée
Qu’elle avoit la cuve empruntée
Le jor devant à sa voisine.
Cele a apelé sa meschine,
Et li comande que grant erre
Alast léenz sa cuve querre ;
Fère l’en estuet sa besoingne.
Mais ele ne sot pas l’essoingne,
Ne le clers qui desouz sejorne.
Et la chamberière s’en torne,
Au miex que pot fist son message.
« Vostre dame n’est mie sage, »
Fet[4] cele, qui li dist briefment :
« R’alez li dire vistement
Que, par mon chief, trop se mesfet[5] ;
Je n’ai pas de son cuvier fet. »
Li borgois l’ot, n’en fu pas liez :
« Dame, fait-il, quar li bailliez
Son cuvier, et si en fera,
Et puis si le vous prestera. »
Cele les mains au cuvier tient,
Et dist : « Ne savez qu’il covient
Aus dames, ne qu’il estuet fère ;
Ci avez perdu un bon tère,
Quar, par mon chief, que que j’entende,
J’en aurai fet ainz que le rende. »
Puis a dit à la chamberière :
« R’alez-vous-en, amie chière,
Et si dites à vostre dame
Qu’ele n’est pas si sage fame,
Par mon chief, com je voudroie estre :
Ne set pas quel besoing puet estre. »
Cele s’en est tost revenue,
Et quant sa dame l’a véue :
« Qu’est-ce, fet-el, tu n’en as mie ?
— Non, dame, par le Fil Marie,
Ainz dist bien c’onques ne séustes
Qu’est besoing, n’onques ne l’éustes ;
Quar, se très bien le séussiez,
Jà hasté ne li éussiez. »
Quant cele se fust apenssée :
« Lasse, fet-el, trop sui hastée ;
Par mon chief, si ai fet que fole ;
Le mestre le tient de l’escole ;
Or porroit[6] ore moult bien estre
Qu’ele a desouz mucié le mestre. »
Oiez de qoi s’est porvéue :
.I. ribaut vit enmi la rue,
Qui de sa robe estoit despris :
« Veus gaaignier, dist-ele, amis ?
— Oïl, Dame, n’en doutez mie.
— Va donc, dist-ele, tost ; si crie
Le feu enz enmi cele rue.
Et de bien crier t’esvertue ;
L’en le tendra tout à folie
Et à grande ribauderie ;
Puis t’en revien par ma meson,
De ta paie ferai le don.
— Dame, dist-il, point ne m’esmaie,
Quar j’aurai bien de vous ma paie. »
En mi la voie a pris son leu,
A haute voiz crie le feu
De quanqu’il pot à longue alaine,
Ausi com la vile en fust plaine.
Et quant li marchéant l’oïrent,
Trestuit ensamble[7] au cri saillirent,
Et li ribaus d’iluec s’en part,
Si s’en fui de l’autre part.
Moult se tienent à mal bailli,
Quant au ribaut orent failli,
Et dient tuit : « Il estoit yvre. »
Et la borgoise se délivre
Du clerc ; maintenant l’en envoie,
Et li clerc si aqueut sa voie,
Qui n’ot cure de plus atendre.
Or puet cele son cuvier rendre,
Qui moult a esté esfraée[8].
Ainsi s’est cele délivrée,
Qui moult savoit de la chevance,
Quar apris l’avoit de s’enfance ;
S’ele n’éust besoing éu,
Ele n’éust jamès séu
Le grant besoin de sa voisine.
Tout ainsi cis fabliaus define.
- ↑ IX. — Le Cuvier, p. 126.
Publié par Barbazan, I, 147 ; par Méon, III, 91-96 ; donné en extrait par Legrand d’Aussy, IV, 47-48.
- ↑ Vers 16 — grant, lisez granz.
- ↑ 30 — tremble, lisez tramble.
- ↑ 79 — Fait, lisez Fet.
- ↑ 81 — meffet, lisez mesfet.
- ↑ 111 — poroit, lisez porroit.
- ↑ 132 — ensemble, lisez ensamble.
- ↑ 143 — effraée, lisez esfraée.
Cette vieille histoire se trouve déjà dans Apulée. Les contes de Boccace et de La Fontaine, qui portent le même titre, n’ont aucun rapport avec notre fabliau.
X
DE BRUNAIN
LA VACHE AU PRESTRE.
’un vilain conte[2] et de sa fame,
C’un jor de feste Nostre Dame
Aloient ourer à l’yglise.
Li prestres, devant le servise,
Vint à son proisne sermoner,
Et dist qu’il fesoit bon doner
Por Dieu, qui reson entendoit ;
Que Diex au double li rendoit
Celui qui le fesoit de cuer.
« Os, fet li vilains, bele suer,
Que noz prestres a en couvent[3] :
Qui por Dieu done à escient,
Que Diex li fet mouteploier ;
Miex ne poons-nous emploier
No vache, se bel te doit estre,
Que pour Dieu le douons le prestre ;
Ausi rent ele petit lait.
— Sire, je vueil bien que il l’ait,
Fet la dame, par tel reson. »
A tant s’en vienent en meson,
Que ne firent plus longue fable.
Li vilains s’en entre en l’estable,
Sa vache prent par le lien,
Présenter le vait au doien.
Li prestres ert sages et cointes.
« Biaus Sire, fet-il à mains jointes,
Por l’amor Dieu Blerain vous doing. »
Le lien li a mis el poing,
Si jure que plus n’a d’avoir.
« Amis, or as-tu fet savoir,
Fet li provoires dans Constans,
Qui à prendre bée toz tans.
Va-t’en, bien as fet ton message,
Quar fussent or tuit ausi sage
Mi paroiscien come vous estes,
S’averoie plenté de bestes. »
Li vilains se part du provoire.
Li prestres comanda en oirre
C’on face[4] pour aprivoisier
Blerain avoec Brunain lier,
La seue grant vache demaine.
Li clers en lor jardin la maine,
Lor vache trueve, ce me samble.
Andeux les acoupla ensamble ;
Atant s’en torne, si les lesse.
La vache le prestre s’abesse,
Por ce que voloit pasturer,
Mes Blere nel vout endurer,
Ainz sache le liens si fors,
Du jardin la traïna fors :
Tant l’a menée par ostez,
Par chanevières et par prez,
Qu’elle est reperie à son estre
Avoecques la vache le prestre,
Qui moult à mener li grevoit.
Li vilains garde, si le voit ;
Moult en a grant joie en son cuer.
« Ha, fet li vilains, bêle suer,
Voirement est Diex bon doublère,
Quar li et autre revient Blère ;
Une grant vache amaine brune ;
Or en avons nous .II. por une :
— Petis sera nostre toitiaus. »
Par example dist cis fabliaus
Que fols est qui ne s’abandone ;
Cil a li bien cui Diex le done,
Non cil qui le muce et enfuet ;
Nus hom mouteplier ne puet
Sanz grant éur, c’est or del mains.
Par grant éur ot li vilains
.II. vaches, et li prestres nule.
Tels cuide avancier qui recule.
- ↑ X. — De Brunain, la vache au Prestre, p. 132.
Publié par Barbazan, I, 41 ; par Méon, III, 25-28 ; et traduit par Legrand d’Aussy, III, 330-331, sous le titre de « la Vache du curé ». — L’auteur de ce fabliau est sans doute Jean de Boves. Cf. Hist. litt., XXIII, 153-4.
- ↑ Vers 1 — * conte ; ms., cont.
- ↑ 11 — convent, lisez couvent.
- ↑ 39 — fasse, lisez face.
Se trouve sous une forme un peu analogue dans le Passa tempo de’ curiosi, et a été reproduit en prose dans la VIIIe nouvelle de Philippe de Vigneulles.
XI
LA
CHASTELAINE DE SAINT GILLE.
l avint l’autrier à Saint Gille
C’uns chastelains ot une fille
Qui moult estoit de haut parage ;
Doner la volt par mariage
A .I. vilain qui moult riche ère.
Ele respondi à son père :
« Si m’ait Diex, ne l’aurai jà.
Ostez-le moi, cel vilain là,
Se plus li voi, je morrai jà.
» Je morrai jà, dist la pucèle,
Se plus me dites tel novèle,
Biaus père, que je vous oi dire ;
Si me gart Diex d’anui et d’ire,
Li miens amis est filz de conte ;
Doit bien avoir li vilains honte,
Qui requiert fille à chastelain.
Ci le me foule, foule, foule,
Ci le me foule le vilain.
— Le vilain vous covient avoir,
Dist li pères, par estavoir ;
Si aurez[2] à plenté monoie,
Çainture d’or et dras de soie. »
Ainsi li pères li despont ;
Mès la pucèle li respont :
« Quanques vous dites rien ne vaut ;
Jà nere au vilain donée,
Se cuers ne me faut.
» Cuers ne me faut encore mie,
Que jà à nul jor soie amie
A cel vilain por ses deniers ;
S’il a du blé plain ses greniers.
S’a char de bacon crue et cuite,
Si la menjust ; je li claim cuite ;
Je garderai mon pucelage.
J’aim miex .I. chapelet de flors
Que mauvès mariage.
» Mauvès mariage feroie,
Pères, se le vilain prendoie,
Quar son avoir et sa richece
D’avarisce lecuer li sèche ;
Mès mon cuer me dit et semont
Que toz li avoirs de cest mont
Ne vaut pas le déduit d’amer.
Se je sui jolie te
Nus ne m’en doit blasmer.
— Blasmer, bele fille, si fet ;
Sachiez que li enfes qui fet
Contre le voloir de son père ,
Sovient avient qu’il le compère.
— Pères, je ferai vo voloir,
Mès trop me fet le cuer doloir
Geste chançons, et me tormente :
Nus ne se marie qui ne s’en repente.
» Repente, ce vueil-je bien croire ,
Pères, que la chançon soit voire ;
Cil se repent qui se marie ;
Quar je me sui jà repentie
D’avoir mari ainz que je l’aie :
Li parlers tant fort m’en esmaie ,
Que j’en ai tout le cuer mari.
J’aim miex morir pucele
Qu’avoir mauvès mari.
— Mauvès mari n’aurez-vous pas ;
Mès fiancier isnel le pas,
Dist li pères, le vous covient. »
A tant ez li vilains qui[3] vient.
Qui moult avoit le cors poli ;
Au miex qu’il puet de cuer joli
S’est escriez à haute alaine :
L’avoirs done au vilain fille à chastelaine.
» Chastelaine fu jà sa mère,
Chastelains est encor son père,
Mès granz povretez l’avirone,
Quar, por l’avoir que je li done,
M’a-il doné la pucelète :
S’en doi bien dire chançonette,
Quar je n’ai pas le cuer dolant :
Je prendrai l’oiselet tout en volant.
» En volant l’oiselet prendroie ;
Tant est li miens cuers plains de joie,
Dist li vilains, que ne puis dire,
Quant je sa grant biauté remire.
Lors cuide paradis avoir.
Qui por tel dame done avoir,
Si m’aït Diex, riens ne mesprent.
Nule riens à bêle dame ne seprent.
» Nule ne se prent à celi
Dont li regars tant m’abeli,
Que son père le m’a donée ;
Rose qui est encolorée
Ne se prent pas à sa color :
Je ne sent ne mal ne dolor,
En tant qu’il m’en sovient, par m’ame,
Diex ! com est douz li penssers
Qui vient de ma dame.
» De ma dame ai .I. douz pensser,
Dont je ne puis mon cuer oster,
Adès i pens en regardant ;
Si vair œil vont mon cuer ardant ;
Por son douz regart li otroie
Mon cuer, ne partir ne l’en vueil.
En regardant m’ont si vair œil
Donez les maus dont je me dueil.
» Je me dueil, se Diex me sequeure,
Quar je ne cuit jà véoir l’eure
Que j’aie de li mon solaz :
Ha ! gentiz prestres Nicholas,
Espousez-nous tost sanz nul plet. »
Dist le prestres : « Ce fust jà fet.
Mès ne sai quels est l’espousée.
— Véez le la, demandez li
Se m’amors li agrée.
— Agrée-vous ceste novèle,
Dist li prestres à la pucèle,
Que vous doiez prendre et avoir
Cel vilain là por son avoir ? »
Ele respondi : « Biaus douz sire,
Je n’ose mon père desdire,
Mès jà ne li porterai foi.
Averai-je dont, lasse.
Mon mari maugré moi ?
» Maugré moi, voir, je l’averai,
Mès jà foi ne li porterai.
Sires prestres, bien le sachiez.
— Il ne me chaut que vous faciez,
Dist li prestres, je vous espouse. »
En chantant s’escrie la touse,
De dolant cuer come esbahie :
« Je n’ai pas amouretes à mon valoir,
Si en sui mains jolie.
» Mains jolie si en serai,
Ne jamès jor ne passerai
Ne soie sole de plorer.
Diex ! or i puet trop demorer
Mes amis à moi revéoir ;
Par tens li porra meschéoir :
Trop lonc tens oubliée m’a :
S’il ne se haste, mes amis perdue m’a.
» Perdue m’a li miens amis ;
Je croi que trop lonc tens a mis
A moi venir reconforter ;
Quar li vilains m’en veut porter
Tout maintenant en sa contrée.
Douz amis, vostre demorée
Me fet de duel le cuer partir.
Au départir d’amoretes
Doi-je bien morir.
» Morir doi-je bien par reson. »
A tant ez-vos en la meson
Son ami qui l’est venuz querre ;
Du palefroi mist piet à terre,
Et s’en entra dedenz la sale.
Cele qui ert et tainte et pale,
En chantant li prist à crier :
« Amis, on mi destraint por vous,
Et si ne vous puis oublier.
» Oublier ne vous puis-je mie,
Que je ne soie vostre amie
Trestoz les jors que je vivrai,
Ne jamès jor ne vous faudrai
Tant com je aie el cors la vie ;
Por le vilain crever d’envie,
Chanterai de cuer liement :
Acolez-moi et besiez doucement,
Quar li maus d’amer me tient joliement.
» Joliement me tient, amis,
Li maus qui si lonc tens a mis
Mon cuer por vous en grant destrèce ;
Si com gelée la flor sèche,
M’a li vilains adès sechie ;
Mès des or mès sui raverdie,
Quant lèz moi vous sent et acole.
Mes cuers est si jolis
Por un poi qu’il ne s’envole.
» Vole, mes cuers, oïl, de joie ;
Or tost, amis, c’on ne vous voie,
Si me montez sor vo cheval ;
Se nos aviens passé cel val.
Par tens seriens en vo païs. »
Cil, qui ne fu pas esbahis,
La monte, et dist tel chançonette :
« Nus ne doit lèz le bois aler
Sanz sa compaignète.
» Compaignète, ne vous anuit,
Quar en tel lieu serons anuit
Où li vilains n’aura poissance.
Alons souef, n’aiez doutance,
Je chanterai, s’il vous agrée :
J’ai bone amorète trovée ;
Or viegne avant cil qui le claime.
Ainsi doit aler fins cuers qui bien aime.
» Qui bien aime, ainsi doit aler. »
A tant ont véu avaler
Le chastelain sor son destrier ;
Li vilains li fu à l’estrier,
Qui sovent son duel renovele :
Et, quant a véu la pucele
Lèz son ami, se li deprie :
« Por Dieu, tolez-moi quanques j’ai,
Si me rendez m’amie.
» M’amie me covient r’avoir,
Quar j’en donai moult grant avoir
Avant que l’eusse espousée. »
Dont s’est la pucèle escriée,
Se li dist un mot par contrère :
« Vilains, force le me fist fère,
Si n’est pas droiz que vous m’aiez.
Pis vous fet la jalousie
Que li maus que vous traiez,
» Vous traiez mal et paine ensamble ;
La rage vous tint, ce me samble ,
Quant vous à mon père donastes
L’avoir de qoi vous m’achatastes
Ausi com se fuisse une beste :
Cranche les .II. iex de la teste
Vous menjust, et le cuer dedenz.
Vostre jalousie
Est plus enragie
Que li maus des denz.
» Li maus des denz vous puist aerdre,
Ainçois que jamès me puist perdre
Cil qui me tient à son voloir ;
Trop m’avez fet le cuer doloir,
Vilains, bien devez avoir honte. »
Dont s’escria li filz au conte,
Cui ceste parole abeli :
« Bele, quar balez et je vos en pri,
Et je vous ferai le virenli.
» Le virenli vous covient fère. »
Et li vilains comence à brère,
Quant la parole a entendue ;
Mès riens ne vaut, il l’a perdue.
Cil est entrez dedenz sa terre ;
Qui tuit chantoient liement :
« Espringuiez et balez cointement,
Vous qui par amor amez léaument.
» Léaument vous venons aidier. »
Adonc n’ot cure de plaidier
Li vilains quant les a véus ;
Fuiant s’en va toz esperdus ;
Au chastelain s’en vint arrière ;
Se li a dist à basse chière :
« Fuions-nous-en, sauve la vie.
La sainte Croix d’outre-mer
Nous soit hui en aïe.
» En aïde nous puist hui estre
La sainte croix au roi celestre, »
Dist cil, qui vousist estre aillors ;
Fuiant s’en va plus que le cors,
Quar de paor li cuers li tramble ;
Toz ses parages i assamble,
Qui li ont dit, sanz demorer :
« Vilains, lessiez vostre plorer,
Si vous prenez au laborer.
— Au laborer me covient prendre,
Dist li vilains, sanz plus atendre.
Et gaaignier novel avoir.
Bien sai que ne fis pas savoir,
Quant me pris à si haut parage,
Et se g’i ai fet mon domage,
Ne m’en blasmez, por saint Remi ;
Se j’ai fet ma foliete.
Nus n’en aura pis de mi.
» De mi ne cuit-je qu’il ait homme
Qui soit mananz de si à Romme
A cui il soit pis avenu ;
Mès[4] encor m’a Diex secoru,
Quant revenuz sui en meson ;
S’en doi bien dire par réson
Les vers que j’ai tant violé :
J’ai trové le ni de pie ;
Mais lipiot n’i sont mie,
Il s’en sont trestuit volé.
» Volé en sont tuit li piot,
C’est-à-dire que tel i ot,
Mien escient, qui les en porte. »
Ainsi se plaint et desconforte
Li vilains. Or m’en partirai ;
De la pucèle vous dirai,
Qui chantoit de cuer liement :
« Jolietement m’en vois,
Jolietement.
» Jolietement m’i demaine
Bone amor qui n’est pas vilaine,
Qui du vilain m’a délivrée :
Or sui venue en la contrée
Dont mes amis m’a fet douaire ;
S’en doi bien par droit chançon faire,
Quar j’ai toz mes maus trespassez :
J’ai amoretes à mon gré,
S’en sui plus joliete assez.
» Assez en sui plus joliete. »
Au descendre la pucelète
Ot assez dames et pucèles,
Qui chantoient chançons noveles ;
Et, quant ce vint au congié prendre,
La pucèle, sanz plus atendre,
Les avoit à Dieu comandées :
« A gironées départ Amors[5],
A gironées,
» À gironées ai mon voloir ;
Li vilains s’en puet bien doloir. »
L’escuiers devant la pucèle,
Qui tant estoit cortoise et bèle,
Dist : « J’ai en biau lieu mon cuer mis,
.................
Ne sera que ne face joie ;
J’ai amiete
Sadete,
Blondete,
Tele com je voloie. »
- ↑ XI. — La Chastelaine de Saint Gille, p. 135.
Cette pièce, qui à proprement parler n’est pas un fabliau, mais une chanson, a été publiée par Barbazan, III, 21 ; par Sainte-Palaye (Amours du bon vieux temps), qui y a fait quelques changements ; par Méon, III, 369-379 ; et donnée en extrait par Legrand d’Aussy, IV, 89-93.
Il est bien difficile d’identifier ce Saint Gille. La vis de Saint-Gilles, si connue en architecture, étant celle d’une église du midi, n’a rien à faire ici. Mais il y a plus d’un Saint-Gille, dans le pays d’oïl. Il y en a en Bretagne, en Anjou, en Normandie, en Tourraine. S’il fallait absolument choisir, on pourrait pencher pour le Saint-Gilles de Champagne, à six lieues et demie de Reims.
- ↑ Vers 21 — arez, lisez aurez.
- ↑ 66 — * qui ; ms. , ou.
- ↑ 269 — Mais, lisez Mès.
- ↑ 300-301 — Ce refrain se retrouve aussi dans la « Cour de Paradis », publiée par Barbazan, I, 200, et par Méon, III, 142.
Imbert a récrit ce conte en vers.
XII
DE LA DENT.
i siècles est si bestornez,
Que je sui trop pis atornez
Por le siècle, qui si bestorne
Que toute valor se retorne
Et se recule, vaine et quasse,
Comme limeçon en sa chasse.
Or ne me sai[2] mès comment vivre
Qui des bones genz[3] sui delivre,
Qui me soloient maintenir ;
Si ne me sai[2] mès contenir,
Et, se j’en mon païs sejor,
L’en me dira mes chascun jor,
Se j’ai soufrete ne destrèce,
Que ce sera par ma perèce.
Se je vois au tornoiement,
On œuvre plus vilainement
C’on ne soloit des .XIII. pars ;
Quar les veaus si sont liépars,
Et les chievres si sont lions.
Malement est baillis li bons
Qu’il estuet en lor manaie estre,
Quar li plus fort en sont li mestre,
Et li aver sont Alixandre[4].
Il n’est ne pie ne calandre
Qui ne[5] séust pas gosillier
Ce qui me fet si merveillier,
L’en me dit que chevalerie
Est amendée en Normendie,
Mès male honte ait qui le cuide ;
Bien croi que terre i est plus vuide
De grant contens que ne soloit ;
Chascuns l’autre fouler voloit,
Dont l’un est mort, l’autre envielliz.
Si est li siècles tressailliz
Por la mort qui trestout desvoie ;
Mès par Dieu je me gageroie
Un denier d’argent ou d’archal,
Se Bertran[6] et le Mareschal,
Els[7] et Robert Malet vesquissent,
Et le chamberlenc[8], qu’il féissent
Encore miex en Normandie[9]
Que cels ne font qui sont en vie,
Qu’il savoient plus biau doner,
Et le lor miex abandoner
Aus dames et aus chevaliers
Qui savoient bien les aliers
Qu’il apent à chevalerie ;
Trop fesoient miex cortoisie
A toute gent lonc ce que erent.
Menesterels molt recomperent
De ce que ne vivent encore ;
Quar ces mauvès qui vivent ore,
Donassent encor maugré lor :
Quar trop par fust grant deshonor
Se ces preudes hommes donaissent,
Et cil des iex les esgardaissent ;
Véoir doner sanz doner rien,
Tost se descouvrist lor merrien :
Quar l’en voit bien, ce est la somme,
Quant mauves est delez preudomme.
Que c’est molt diverse partie.
Il ot un fèvre en Normendie
Qui trop bel arrachoit les denz :
En la bouche au vilain dedenz
Metoit .I. laz trop soutilment,
Et prenoit la dent trop forment,
Puis fesoit le vilain bessier
Por entor l’enclume lier
Le laz qui li tient à la joe.
Ne péust pas .I. oef d’aloe
Estre entre l’enclume et la cane,
Et quant li fevres se rassane
Aus tenailles et au martel,
Si chaufe son fer bien et bel,
Et soufle et buffe et se regarde ;
Et celui ne se done garde
Qui à l’enclume est atachiez,
Quar le fevre qui l’a laciez.
Ne fet samblant de nule rien,
Ainz chaufe son fer bel et bien.
Quant s’esporduite est bien chaufée,
Et bien boillant et embrasée,
Si porte son fer sor l’enclume,
Qui tout estincele et escume,
Et cil sache à soi son visage ;
Si demeure la dent en gage,
Et cil porte toz jors son fer.
« Toz les vis déables d’enfer
Vous apristrent or denz à trère »,
Fet celui, qui ne set que fère,
Ainz est esbahis de péur,
Qu’il n’est mie bien aséur,
Quant il méismes si briefment
Esrache maugré sien sa dent.
Autressi maugré lor donoient
Cil aver, quant il esgardoient
Que Malet toute jor donoit,
Que le fer el feu si tenoit
Chaut de valor et alumez,
Que tuit fussent ars et brullez
Cels qui près de li se tenissent.
S’à son chaut fer ne guenchéissent ;
Quar preudom ne puet miex uller
A mauvès les grenons nuller
Ne plus cointement les denz trère.
Que par bonté entor lui fère.
Preudom tient toz jors l’espreduite
Et si chaufée et si conduite.
Que Honte art et Honor alume
Covient lors querre si se traient
Ou qu’il devisent ou qu’il traient,
Et s’aucuns le preudomme esloingne
Por la paor que il ne doingne,
Sachiez bien que trop li meschiet.
Puis qu’il gandist c’onor li chiet ;
Mès l’onor au preudom demeure
Comme la dent en icele eure
Fist au fèvre com je vous di,
Quant cil por son chaut fer gandi,
Por qoi il a sa dent perdue,
Qui demora au laz pendue.
Savez-vous qui j’apel le laz ?
Sens et cortoisie et solaz ;
Quar sens lace et lie la gent,
Sens est le laz et bel et gent
Qui prent honor et lie et lace,
Et les mauves les denz arrache.
Archevesques si mande et prie
Aus Escuiers de Normandie
Et aus plus riches damoisiaus,
Quels qu’il soient, viex ou noviaus,
Por l’amor Dieu, que s’entremetent
Que le fer tantost el feu metent.
Et que le laz n’oublient mie
De sens qui la gent lace et lie ;
Ne le martel de la proesce.
Ne l’espreduite de larguece.
Mès il ont molt poi d’examplère
Certes je ne sai en quel lieu.
Mès or lor soviengne por Dieu
Du bon aprentis du Nuef-borc ;
Bien lor en membre je sitor[10],
Et du jemble au fer de molin,
Dont le vimon[11] est au declin,
Et je lo bien que lor soviengne,
Et que chascuns si se contiegne
Que valor soit avant boutée,
Qui, vaine et quasse, est reculée
Comme en sa chasse limeçon.
Et que il metent contençon
Qu’il s’atornent en tel manière
Qu’il retornent trestuit arrière
Cest siècle, qui est bestornez.
Qu’arrière soit desbestornez,
Si qu’autressi atornez soie
Comme atornez estre soloie.
- ↑ XII. — De la Dent, p. 147.
Publié par Méon, I, 159-164 ; et donné en extrait par Legrand d’Aussy, II, 350-351 , sous le titre de « l’Arracheur de dents ».
- ↑ a et b Vers 7 et 10 — sais, lisez sai.
- ↑ 8 — gens, lisez genz.
- ↑ 23 — « Alexandre le Grand » est pris ici comme type de la générosité et de la prodigalité.
- ↑ 148, 4, me, corrigez ne.
- ↑ 38-40 — Les noms cités dans ces trois vers paraissent mettre la composition de ce fabliau à la fin du XIVe siècle. En effet, Bertran peut s’appliquer à Duguesclin, mort en 1380, le Maréchal à Jean de Maugenchy, dit Mouton, sire de Blainville, mort en 1391, le Chambellan à Bureau de la Rivière, chambellan de Charles V, mort en 1400 et enterré à Saint-Denis, aux pieds de son maître. Quant à Robert Malet, nous trouvons dans l’Histoire généalogique du P. Anselme (VII, 868) un Robert Malet, seigneur de Graville, vivant en 1378.
- ↑ 148, 18. M. Héron, dans son édition des Dits de Hue Archevesque (Rouen 1885), p. 40-41, corrige « Els » en Ele, qu’il identifie avec Ele d’Alençon, tante de Robert Malet ; mais le sens n’exige pas cette correction, d’autant que les actes que le trouvère attribue aux différents personnages mentionnés dans ce passage ne s’appliquent qu’à des hommes.
- ↑ 40 — Le chamberlanc, lisez le Chamberlenc.
- ↑ 41 — Normendie, lisez Normandie.
Imité très-souvent : dans la Gibecière de Rome, le Courier facétieux, les Novelle de Sacchetti (nouv. 166), les Serées de Bouchet (ser. 27), les Nouveaux Contes à rire, etc.
- ↑ P. 152, l. 5, membre je sitor, peut-être faut-il corriger membre, jes i ior ?
- ↑ P. 152, l. 7, vimon, peut-être faut-il corriger Vimou (Vimeu) ?
XIII
DES .II. CHEVAUS.
il qui trova del[2] Morteruel,
Et del[3] mort vilain de Bailluel,
Qui n’ert malades ne enfers,
Et de Gombert et des .II. clers
Que il mal atrait à son estre,
Et de Brunain la vache au prestre,
Que Blere amena, ce m’est vis,
Et trova le songe des vis
Que la dame paumoier dut,
Et du Leu que l’oue deçut,
Et des .II. Envieus cuivers,
Et de Barat et de Travers
Et de lor compaignon Haimet,
D’un autre fablel s’entremet,
Qu’il ne cuida jà entreprendre ;
Ne por Mestre Jehan reprendre
De Boves, qui dist bien et bel,
N’entreprent-il pas cest fablel,
Quar assez sont si dit resnable ;
Mès qui de fablel fet grant fable,
N’a pas de trover sens legier.
Mès, por ma matère abregier,
Vous conterai tout demanois
Qu’il avint en cel Amienois.
A Lonc Eve[4] sor la rivière
Mest uns[5] vilains, ce m’est avière,
Qui onc n’estoit huiseus trovez.
Mès traveilliez et aouvrez
De messoner[6] et de soier ;
Si menoit jarbes à loier
D’un roncinet de povre coust.
Qu’il avoit très devant aoust
Moult mal peu, et bien pené,
Et si en avoit amené
Son blé, ainz l’août, por l’orage.
Poi ot avaine, et poi forage,
Por bien sa beste gouverner ;
Mais, por ce qu’il ne pot juner.
Et por argent qu’il en vout prendre.
Se penssa qu’il le menra vendre ;
Ainsi avint com je vos di,
Et, quant ce vint au samedi,
Si matinet come il ajorne
Li vilains son roncin atorne.
Et frote, et conroie, et estrille ;
En .I. blanc chevestre de tille,
Le maine sanz sele et sanz frain.
Bien sanble roncins mors de fain ;
Si estoit-il, poi s’en faloit.
Tout ainsi comme[7] il s’en aloit
Sor le roncin, qui dur le porte,
Et il tresvint devant la porte
St Acueil[8], une prioré.
Iluec n’ot gueres demoré
Quant uns rendus de la meson
Ist hors, si l’a mis à reson,
Qui estoit venuz au serain ;
Si li dist au mot premerain :
« Amis, quel part vous menra Diex ?
Est cil roncins jones ou viex ?
Par samblant n’est-il gueres chiers.
— Foi que doi vous, biaus sires chiers,
Tel comme[7] il est le m’estuet prendre,
Tant que je le truise à oui vendre.
Mon vuel fust-il granz et pleniers,
Si en éusse plus deniers,
Si ne m’éussiez pas gabé.
— Foi que doi mon seignor l’abé
Fet cil, et l’ordre dont je sui,
Aine ne le dis por vostre anui,
Ne por vous de riens agrever ;
Ausinc volons-nous alouer
.I. no roncin qui céenz est ;
Se vos i savez vo conquest,
Nous le bareteriens au vostre ;
Venez enz, si verrez le nostre ;
Si fesons marchié, Diex, tant bien ;
Se ce non, chascuns r’ait le sien,
Puis resoions amis come ains.
— Je l’otroi bien, » dist li vilains.
A tant s’en entrent en la cort,
Li renduz en l’estable cort,
Si en a trait .I. roncin fors,
Qui n’estoit mie des plus fors
C’onques vi, ne des plus vaillanz,
Ainz estoit maigres et taillanz,
Dos brisié, mauvès por monter ;
Les costes li pot-on conter ;
Hauz ert derrière, et bas devant,
Si aloit d’un pied sousclochant.
Dont il n’estoit preu afaitiez ;
N’estoit reveleus ne haitiez,
N’il n’avoit talent de hennir.
Quant li vilains le vit venir.
Si l’esgarda moult d’en travers,
« Que regardez, fet li convers ?
Encor soit-il povres et maigres,
S’est-il plus taillanz et plus aigres
Que tel vendera-l’en .C. sous ;
Mès il ne fu piéça saous.
S’est chascun jor bien aouvrez.
Il seroit bien tost recouvrez,
S’il ne fesoit œvre grevaine,
S’éust du fuerre et de l’avaine ;
Por qu’il i péust avenir.
On n’auroit en lui que tenir,
Et si set bien s’avaine maurre.
Dites combien voudrez-vous saurre,
Je le vous métrai à droit fuer. »
Li vilains sorrist de mal cuer
De ce qu’il ot dire au rendu.
« N’avez mie encor tout vendu,
Dist li vilains ; par mon chapel,
Bien me volez vendre la pel,
Quar en lui ne voi-je mès rien,
Fors le vendage del cuirien.
Roncins qui n’a valor ne force
Est bien dignes que on l’escorce ;
S’ai tel engaingne[9], que je muir,
Qui me rouvez soudre à cel cuir ;
Mès vez ci roncin bien vendable,
Fols est qui le tient en estable ;
Bons est par tout où l’en l’aderce,
Bons en charrue, bons en erce,
Et bons ès trais et ès limons,
Ne onques ne vit toz li monz
Meillor roncin, ne plus isnel ;
Il cort plus ne vole arondel.
Je ne me vois mie esmaiant
Se nus veut roncins bien traiant
Por un grant mont adevaler[10],
Que il en lest cestui aler,
Por que l’en adroit li apiaut.
Mès je me merveil que c’espiaut[11]
Que vous m’avez tant detrié,
Et si vous avoie prié
Que vous ne me gabissiez pas ;
Or fusse à Amiens tout le pas,
Que que m’avez ci amusé.
— Moult avez ore refusé,
Fet li convers, et avillié
Mon roncin maigre et escillié.
Et le vostres fètes si preu ;
Mais nous saurons de si à peu
Liquels sera miez alosez,
Se le vostre esprover volez.
Metons[12] les roncins keue à keue,
Et si soit qui bien les aneue,
Et se li nostres puet tant fère
Qu’il puist le vostre à force trère
Dusques là sus à cele grange,
Perdu l’avez sans nule eschange ;
Et, se li vostres est tant fors.
Qu’il puist le nostre trère fors
De cele porte seulement,
Mener l’en poez cuitement ;
Ainsi doit-on prover sa beste. »
Ce dist li vilains : « Par ma teste,
Marchéant avez encontre ;
Ainsi vueil-je qu’il soit graé,
Et si vueil[13] que tout maintenant
Soient tenu li couvenant[14].
— Je l’otroi bien, » fet li convers.
Le sien a par la keue aers.
Qu’il avoit moult et mate et souple,
Andeux ensamble les acouple,
Puis fut chascuns devers le suen ;
Si ot verge tout à son buen,
Dont granz cops lor donnent et rendent.
Et li roncin tirent et tendent
Com cil qui ne s’osèrent faindre ;
Les neus font serrer et estraindre,
Mès, por tirer ne por sachier,
Ne les porent desatachier ;
Moult ont les crepons estenduz.
« Qu’est-ce, Baillet, fet li renduz ?
Gardez que cil ne vous eschape. »
Adonc de la verge le frape,
Fiert et frape et done granz cops.
Et li vilains ne fu pas fols,
Qu’il vueille Ferrant affoler,
Ainz le lest assez reculer,
Por celui lasser et recroire ;
Et li rendus, ce poez croire,
Fu liez quant vit Baillet errant.
Et il vit reculer Ferrant,
Moult li croist li cuers[15] et engrange.
« Baillet, fet-il, voiz ci la grange,
Garde que l’onor en soit tiue. »
Mès Baillès[16] a fète la siue,
Qu’il ne puet mès ne ho ne jo,
Ainz areste sanz dire ho ;
D’angoisse li batent li flanc.
Quant li vilains le vit estanc
Qu’il ne puet mès tirer ne trère :
« Ferrant, fet-il, or del bien fère,
Gentiz beste de bone essonre. »
Quant li roncins s’oï semondre,
Des piez devant s’aert à terre.
Que de l’un des piez se desferre[17] ;
Le fer fet voler contremont.
Et li vilains coite et semont
Ferrant, qui trait et tire fort,
Et Baillés arrière resort[18] ;
A cele premeraine pointe,
L’en maine de cul et de pointe
Vers la porte tout le grant cors ;
Traïnant ausi comme[7] un ours,
Enmenoit, à col estendu,
Et le roncin et le rendu.
Qui moult dolenz après le siut.
Si com de la porte issir dut,
Et li renduz connuit bien l’uevre
Que Baillés si vilment se prueve,
Que cil si vilment entraïne,
Son coutel tret de sa gaine,
Ne set coment il le reskeue,
A Ferrant a copé la keue ;
Se li a alegié son fais ;
De la porte tout à .I. fais
S’en issirent andui ensamble.
Li renduz fiert la porte ensamble,
Puis s’en repère à son ostel.
Li vilains n’en pot avoir el,
N’il ne pot pas desouz mucier ;
Ne sot tant brère ne huchier
Que cil li vousist mot respondre.
Puis le fist à Amiens semondre
A la cort par devant l’evesque,
Qui bien leur enquiert et enpesque
Comment il lor fu avenu ;
Puis ont lonc tens le plait tenu,
Qu’ainz ne lor en fist jugement.
Or vous proi-je communement
Qu’entre vous m’en dites le voir,
Se li vilains le doit avoir.
- ↑ XIII. — Des .II. Chevaus, p. 153.
Public par Barbazan, II, 58 ; par Méon, III, 197-204 ; et donné en extrait par Legrand d’Aussy, IV, 43-46. — Ce fabliau est l’œuvre de Jean de Boves, comme le prouvent les titres des Fabliaux qui sont énumérés en tête de la pièce et qui nous sont tous parvenus. Cf. l’Histoire littéraire (XXIII, 153-4), qui attribue ces fabliaux à un Jean Bedel.
- ↑ Vers 1 — d’el, lisez del.
- ↑ P. 153, l. 3, d’el, lisez del.
- ↑ 25 — Lonc-Eve, aujourd’hui « Longueau », près d’Amiens.
- ↑ 26 — un, lisez uns.
- ↑ 29 — messonner, lisez messoner.
- ↑ a, b et c 50, 63 et 208 — com, lisez comme.
- ↑ 53 — Saint-Acueil, aujourd’hui « Saint-Acheul » (canton d’Amiens).
- ↑ 119 — engaigne, lisez engaingne.
- ↑ 131 — à dévaler, lisez adevaler.
- ↑
- ↑ 147 — mettons, lisez metons.
- ↑ 161 — veuil, lisez vueil.
- ↑ 162 — convenant, lisez couvenant.
- ↑ 187 — le cuer, lisez li cuers.
- ↑ 190 — Baillet, lisez Baillès.
- ↑ 200 — defferre, lisez desferre.
- ↑ 204 — ressort, lisez resort.
XIV
DE L’ENFANT
QUI FU REMIS AU SOLEIL.
adis se fu uns marchéanz
Qui n’estoit mie recréanz,
Ne de gaaignier esbahis,
Ainz chercha sovent maint païs
Por ses denrées emploier ;
De son avoir mouteploier
Ne fu pas sovent à sejor.
De sa fame se part .I. jor,
Et va en sa marchéandise ;
Ainsi com cis contes devise,
Bien demora .II. anz entiers.
La marchéande endementiers
Fu ençainte d’un bacheler ;
Amors, qui ne se pot celer,
Mist l’un et l’autre en tel desir,
Que ensamble les fist gésir ;
Mès lor œvre ne fu pas fainte,
Quar la dame en remest ençainte ;
.I. fil en ot, ainsi avint.
A fuer de sage se prova.
De l’enfançon que il trova
A sa fame reson demande.
« Ha, sire, fet la marchéande,
Une foiz m’estoie apoïe
Là sus à vo haute poïe.
Moult dolente et moult esplorée
Tout por la vostre demorée,
Dont g’ère en moult grant desconfort ;
Yvers ert, si nègoit moult fort ;
Amont vers le ciel esgardoie,
Et je, qui point ne me doutoie.
Par meschief reçui en ma bouche
.I. poi de noif, qui tant fu douce
Que cel bel enfant en conçui
D’un seul petit que j’en reçui ;
Ainsi m’avint com je vous di. »
Et li preudom li respondi :
« Dame, ce soit à bon éur ;
Des or mès sui-je tout séur
Que Diex m’aime, seue merci,
Quant cest bel oir que je voi ci
Nous consent ainsi à avoir ;
Ausi n’avions-nous nul oir,
Et cist ert preudom, se Dieu plest. »
Ne plus ne dist, ainçois se test.
Ne de son cuer point ne gehi.
Et li enfes crut et tehi,
Et prist moult bone norreçon,
Li preudom, et en porvéance
Qu’il en voie sa délivrance.
Quant l’enfes ot .XV. anz passez,
Cil, qui n’est mie respassez
De son mal, qui moult est irais,
A sa fame s’est un jor trais,
Et dist : « Dame, ne vous griet pas
Que demain vueil, sans nul trespas.
En marchéandise r’aler ;
Fetes tost mes dras enmaler.
Moi auques matin esveillier.
Et vostre fil appareillier,
Q’o moi le vueil mener demain.
Savez-vous porqoi je l’i main ?
Jel vous dirai sans demander :
Por aprendre à marchéander
Entruès qu’il est de jone aage.
Jà ne verrez home fin sage
De nul mestier, sachiez sanz doute,
Se il n’i met son sens et boute
Ainçois qu’il ait usé son tans.
— Sire, bien m’i suis assentans ;
Mais encore, s’il vous pléust.
Mon fils encor ne s’en méust ;
Et, puis que voz plesirs i est.
Au contredit n’a point d’aquest.
Ne desfendre ne m’en porroie :
Demain vous métrez à la voie,
Et Diex, qui là sus est et maint,
Et doinst la bone destinée. »
A tant fu la reson finée,
Et li preudom matin se liève,
Cui ses afères point ne griève,
Quar sa chose li vient à point.
Mais la dame n’abelist point
Ce qu’ele en voit son fil aler,
Que de li part sanz retorner.
Et li preudon o lui l’en guie
Tout le chemin lèz Lombardie.
Ne conterai pas lor jornées,
Que tantes terres ont passées,
Qu’à Genes droit s’en sont venu ;
A .I. ostel sont descendu.
Li preudon [l’]a changié à graine[2][3]
A .I. marchéant qui l’enmaine
En Alixandre[4] por revendre.
Et cil, tantost sans plus atendre,
Qui le fil sa fame vendi,
A son autre afère entendi ;
Lors repéra en sa contrée,
Et tante terre a trespassée
Qu’à son ostel vint et descent ;
Mès ne le vous diroient cent
Le duel que la Dame demaine
De son fil que pas ne ramaine.
Sovent se pasme, ainsi avint,
Et, quant de pasmoison revint,
En plorant li requiert et prie,
De son fil qu’il est devenuz.
De respondre ne s’est tenuz
Cil, qui moult biau parler savoit.
« Dame, selonc ce que l’en voit
Doit chascuns le siècle mener ;
Quar en trop grant duel demener
Ne puet-il avoir nul conquest.
Savez-vous que avenu m’est
Enz el païs où j’ai esté ?
Par un chaut jor el tens d’esté,
Jà estoit miedis passez,
Et li chauz ert moult trespassez,
Lors erroie-je et vo fiex,
Lez moi........[5]
Deseure un mont qui tant fu hauz ;
Li solaus, clers, ardanz et chauz,
Sor nous ardanz raiz descendi,
Que sa clarté chier nous vendi,
Que vos fil remetre covint
De l’ardeur qui du soleil vint.
A ce sai bien et aperçoif
Que vostre filz fu fez de noif.
Et por ce pas ne m’en merveil,
S’il est remis el chaut soleil. »
La dame s’est aperçéue
Que son mari l’a deçéue,
Qui dist que son filz est remis.
Or li est bien en lieu remis
Ses engiens, et tornez à perte,
- ↑ XIV. — De l’Enfant qui fu remis au soleil, p. 162.
Publié par Barbazan, II, 78 ; par Méon, III, 215-220 ; et traduit par Legrand d’Aussy, III, 81-84, sous le titre de « l’Enfant qui fondit au soleil ».
- ↑ Vers 95 — « Agraine » peut être le nom de l’enfant ; mais on pourrait aussi lire : à graine (contre du blé). Seulement il faudrait ajouter un pronom au vers, et proposer comme lecture : Li preudon l’a changié à graine.
- ↑ 165, 16, a changié Agraine, corrigez [l’] a changié à graine.
- ↑ 97 — « Alixandre », « Alexandrie » (en Égypte).
- ↑ 124 — La fin du vers manque dans le ms.
- ↑ 145 — meffette, lisez mesfette.
- ↑ 146 — meffez, lisez mesfez.
Ce fabliau a été souvent imité : Cf Sansovino (journ. IX, nouv. 6), les Facétieuses journées, les Cent Nouvelles nouvelles (nouv. XIX), les Novelle de Malespini, les Contes de Grécourt, etc.
XV
DES .III. DAMES
iez, seignor, un bon fablel.
Uns clers le fist por un anel
Que .III. dames .I. main trovèrent.
Entre eles .III. Jhesu jurèrent
Que icele l’anel auroit
Qui son mari mieux guileroit
Por fère à son ami son buen,
L’anel auroit et seroit sien.
La première se porpenssa
En quel guise l’anel aura.
Son ami a tantost mandé ;
Quant il sot qu’el l’a comandé,
Si vint à li delivrement,
Quar il l’amoit moult durement,
Et ele lui, si n’ot pas tort.
Del meillor vin et del plus fort
C’on pot trover en cele terre
Fist la dame maintenant querre,
Et si ot quis dras moniaus
Del vin dona à son mari ;
Il en but tant, je le vous di,
Qu’il ne savoit où il estoit ;
Acoustumé pas ne l’avoit.
Quant li preudom fu endormi,
Entre la dame et son ami
L’ont pris et rez et l’ont tondu
Et coroné ; tant ot béu
Que l’en le péust escorcier.
La dame et son douz ami chier
Le prenent, et si l’ont porté
Droit devant la porte à l’abé,
Dont il erent assez prochain.
Iluec jut jusqu’à lendemain
Que Dame Diex dona le jor ;
Il s’esveilla, si ot paor,
Quant il se vit si atorné ;
« Diex ! dist-il, qui m’a coroné
Est-ce donc par vostre voloir ?
Oïl, ce puet-on bien savoir,
Que nus fors vous ne le m’a fait ;
Or n’i a donc point de deshait,
Vous volez que je soie moine,
Et jel serai sanz nule essoine. »
Maintenant sor ses piez se drèce ;
Grant oirre, que ne s’aperèce.
Vient à la porte, si apèle.
Li abes ert à la chapèle,
Qui maintenant l’a entendu ;
A pié, et sanz ame, toz sous :
« Frère, fet-il, qui estes-vous ?
— Sire, dist-il, je suis uns hom ;
Estre vueil de relegion ;
De ci près sui vostre voisin.
Sachiez que encore ier matin
Ne Savoie ceste aventure ;
Mes Dame Diex, qui tout figure,
M’en a doné si bon talent
Et moustré si cortoisement,
Sire, com vous m’oez conter,
Quar il m’a fet ci aporter
Tout coroné et tout tondu,
Come autre moine revestu.
Fetes-moi mander ma moillier.
Et se li ferai otroier.
De ma terre et de mon avoir
Vous ferai tant céenz avoir,
Que toute en aurez ma partie
Por estre de vostre abéie. »
Li abes covoita la terre ;
Si envoia la dame querre.
Et ele i vint delivrement ;
Quar bien savoit à escient
Por qoi li abes l’ot mandée.
Et, quant el fu léenz entrée
Et ele a véu son seignor :
« Sire, por Dieu le créator.
Volez-vous moines devenir ?
A la terre chéi pasmée ;
Par faint sanblant s’est demorée
Une grande pièce à la terre ;
Samblant fet que li cuer le[2] serre.
Li abes li dist franchement :
« Dame, cest duel est por néent ;
Vous déussiez mener grant joie :
Vostre sire est en bone voie ;
Diex l’aime, ce poez savoir
Qui à son oès le veut avoir. »
El l’otria à quelque paine ;
Uns gars à son ostel l’enmaine.
Où ele trova son ami.
Maint preudome a esté trahi
Par fame et par sa puterie.
Cil fu moines en l’abéie,
Où il i fu moult longuement.
Por ce chasti-je toute gent
Qui cest fablel oient conter.
Qu’il ne se doivent pas fier
En lor fames, n’en lor mesnies,
Se il nés ont ainz essaïes
Que plaines soient de vertuz ;
Mains hom a esté decéuz
Par fame et par lor trahison.
Cil fu moines contre reson,
Qui jà en sa vie nel fust,
Se sa fame nel decéust.
La seconde a moult grant envie
Ainz se porpensse comment l’ait ;
Moult fu plaine de grant agait.
Il avint à .I. vendredi,
Tout ainsi com vous orrez ci,
Ses sire ert au mengier assis.
Anguilles avoit jusqu’à .VI. ;
Les anguilles èrent salées
Et sechies et enfumées.
« Dame, dist-il, quar prenez tost,
Ces anguilles cuisiez en rost.
— Sire, céenz n’a point de feu.
— Et jà en a-il en maint leu
Ci près ; alez-i vistement. »
La dame les anguilles prent.
Et trespassa outre la rue ;
Chiés son ami en est venue.
Quant il la vit, moult ot grant joie,
Com se il fust sire de Troie,
Et la dame grant joie maine.
Iluec fu toute la semaine.
Et l’autre jusqu’au vendredi.
Quant vint à eure de midi,
La dame apela .I. garçon :
« Gars, dist-ele, va en meson,
Et saches que mon seignor fait. »
Li gars moult tost à l’ostel vait ;
La table ert mise, et sus .II. pains,
Et li preudons lavoit ses mains ;
Asséir devoit maintenant.
corant[3],
Et dist : « Vostre mari menjue. »
Cele ne fu mie esperdue ;
Chiés son voisin en est entrée,
Et le preudon l’a saluée,
Et la dame le resalue.
« Sire, dist-el, je sui venue
Anguilles cuire à mon seignor ;
Nous avons juné toute jor ;
Jel laissai or moult deshaitié ;
Il n’avoit encore hui mengié. »
Les anguilles rosti moult tost ;
Quant il fu droiz que on les ost,
Si les a prises en son poing.
Son ostel n’estoit gueres loing,
Et ele i fust moult tost venue ;
Très devant son mari les rue :
« Huis, dist-el, je sui eschaudée. »
Et li preudom l’a resgardée ;
Sor ses piez saut comme dervé.
« Pute, où avez-vous tant esté ?
Vous venez de vo pute rie. »
Et la dame à haute voiz crie :
« Harou, aide, bone gent. »
Et il i vindrent esraument,
Et li preudom i fu venu,
Chiés qui la pautonière fu
Por les .VI. anguilles rostir.
« Sire, dist-el, venez véir ;
Me sire est de son sens issu ;
Je me parti ore de ci…
— Voire, pute, dès vendredi. »
Cil entendirent qu’il a dit
Qu’ele au vendredi s’en partit.
Cil de toutes pars l’ont saisi,
Li preudom fu si esbahi
Que il ne sot qu’il péust dire.
Chascuns le desache et detire,
Les mains li lient et les piez,
Bien est matez et cunchiiéz ;
Puis s’en issirent de l’ostel,
Quar la pute ne queroit el.
L’en lor demande où ont esté :
« Chiés dant Jehan, qui est dervé ;
Si est grant duel et grant domage,
Quar orendroit li prist la rage
Qu’il voloit sa famé tuer. »
Cele ne se volt oublier,
Ainçois a mandé son ami.
Et il vint maintenant à li ;
En sa chambre l’en a mené,
Par .I. pertuis li a moustré
Com li vilains estoit liié ;
Bien l’a maté et cunchiié.
Et bien vaincu par son barat.
Li vilains reproche du chat
Qu’il set bien qui barbes il lèche ;
Cestui a servi de la mèche ;
Mès, s’il éust cuer de preudome,
Or oiez de la daerraine,
Qui nuit et jor fu en grant paine
En quel guise l’anel aura.
Son ami ot que moult ama ;
Sachiez pomt n’en remest sor lui ;
Moult s’entr’amèrent ambedui.
.I. jor l’ot la dame mandé ;
Quant il sot qu’el l’ot comandé,
Si vint à li tout sanz demeure,
Et la dame en méismes l’eure
Li dist : « Biaus amis, longuement
Vous ai amé[4] moult folement ;
Toz jors porroie ainsi muser ;
Bien porroie mon tens user
En foie vie et en mauvaise ;
Se vous de moi avez mesaise,
Moult seroie foie et musarde ;
Maus feus et male flambe m’arde
Se vous jamès o moi gisez
Se vous demain ne m’espousez.
— Dame, dist-il, por Dieu merci,
Jà avez-vous vostre mari ;
Coment porroit ce avenir ?
— De grant folie oi plet tenir,
Dist-ele ; j’en pensserai bien,
Jà mar en douterez de rien.
Mès vous ferez à mon talent.
— Dame, à vostre comandement
Ferai. » Jà n’en ert desdaignie.
Qu’au soir viegne por son mari,
Et si le maint avoeques li
Chiés[5] dant Huistasse le fil Tiesse,
Où il a une bele nièce,
Que volez prendre et espouser,
Se il la vous voloit doner ;
Et g’irai là sanz demorer ;
Jà tant ne vous saurez haster,
Que je n’i soie avant de vous :
Iluec nous troverez andous,
Où j’aurai mon afère fait
A Huistasse tout entresait,
En tel guise que vous m’aurez,
Se Dieu plest, et me recevrez
Très pardevant nostre pro voire.
Mon seignor ne saura que croire,
Qu’il m’aura après lui lessie ;
Je serai si appareillie
Que je aurai chancgiez[6] mes dras
Que il ne me connoistra pas,
Et me fiancerez demain
Très pardevant no chapelain.
A mon mari direz : Biaus sire,
El non de Dieu, el non saint Sire,
Ceste fame me saisissiez.
Il en sera joianz et liez.
Et bien sai que il me donra
A vous, et grant joie en aura.
Et, s’il ainsi me veut doner,
Issi fu fet, issi avint.
Toute sa vie cil la tint
A cui son mari la dona ;
Por ce que il ne li presta
Ne la pot onques puis r’avoir.
Mès or vueil-je par vous savoir
Laquele doit avoir l’anel.
Je di que cele ouvra moult bel
Qui moine fîst de son seignor ;
Et cele r’ot-el grant honor
Qui le suen fîst prendre et loier,
Et par estavoir otroier,
Et toz les .VIII. jors mesconter ;
Geste se refist espouser
En tel manière à son ami.
Or dites voir, n’i ait menti,
Et si jugiez réson et voir
Laquele doit l’anel avoir.
- ↑ XV. — Des .III. Dames qui trouverent l’anel, p. 168.
Publié par Barbazan, II, 86 ; par Méon, III, 220-229 ; et donné en extrait par Legrand d’Aussy, IV, 192-195. — Ce fabliau a pour auteur Haisiau (Hist. littéraire, XXIII, 134).
- ↑ Vers 84 — li, lisez le.
- ↑ 140 — courant, lisez corant.
- ↑ 212 — aimé, lisez amé.
- ↑ 233 — Chiez, lisez Chiés.
- ↑ 249 — changiez, lisez chancgiez.
La première partie de ce fabliau se trouve dans le Grand Caton ; le sieur d’Ouville lui a consacré une longue histoire. Il se retrouve imité dans les Facetiæ de Bebelius, dans les Convivales sermones, dans Boccace (journ. VII, nouv. 8 et 9), dans les Délices de Verboquet, dans les Facezie, motti e burle de Donienichi, dans les Contes pour rire, et enfin dans La Fontaine, sous le titre de la « Gageure des trois commères ». Cf. dans la Romania (III, 192) les renvois de M. d’Ancona pour la nouv. 22 du Novellino.
XVI
DU CHEVALIER
QUI FIST SA FAME CONFESSE.
n Beesin[2], moult près de Vire,
Une merveille j’oï dire
D’un Chevalier et de sa fame,
Qui moult estoit cortoise fame
Et moult proisie en sa contrée ;
A la meillor estoit contée,
Et li sires tant se fioit
En sa moillier, et tant l’amoit,
Que de rien cure ne prenoit ;
Tout li ert bon quanques fesoit,
Que jà nule riens ne féist
Se il séust qu’il ne vousist.
Ainsi vesquirent longuement,
Qu’entr’eus n’ot point de mautalent,
Fors tant, ne sai par quel manière,
Que la dame, qui moult fu chière,
Devint malade et acoucha ;
De .III. semaines ne leva.
Grant paor ot qu’el ne morust.
De son provoire fu confesse ;
Du sien donna et fist grant lesse.
Ne se vout pas à tant tenir ;
Son seignor fist à li venir
Et se li dist : « Biaus sire chiers,
Du conseil de moi fust mestiers ;
Uns moines maint moult près de ci,
Sainz hom est moult, ç’avons oï ;
A m’ame fust grant preu, ce cuit,
Se je fusse confesse à lui.
Sire, pour Dieu, sanz nule aloingne,
Quar me fetes venir le moine ;
Grant mestier ai d’à lui[3] parler. »
— Dame, dist-il, vez m’i aler.
Nul meillor mes de moi n’i a ;
Je cuit jel vous amenrai jà. »
A ces paroles s’en torna ;
Sor un cheval qu’il ot monta ;
A la voie se mist amblant,
Et de sa fame moult penssant.
« Diex ! penssa s’il, tant[4] a esté
Ceste fame de grant bonté,
Ce saurai-je, se Diex m’ait,
S’ele est tant bone com l’en dit ;
Jà n’i aura confession,
Par le cuer Dieu, se de moi non ;
En leu de moine à li vendrai,
Et sa confession orrai. »
En ce qu’en cest penssé estoit
Chiés le prior en vint manois,
Qui fu prudon et moult cortois ;
Et, quant le priéor vit li,
Encontre lui moult biau sailli ;
Bel l’apela, sel fist descendre.
Puis si a fet son cheval prendre ;
Puis li a dit : « Par l’ordre Dé,
Or m’avez-vous servi à gré
Quant vous m’estes venuz véoir
Com vostre ami, et remanoir ;
De herbregier grant joie en ai ;
Por vous la cort amenderai. »
Li chevaliers li dist : « Biaus sire,
Grant gré vous sai certes du dire,
Mès ne puis mie herbregier ;
Venez o moi çà conseillier. »
Quant il l’ot tret à une part :
« Sire, fet-il, se Diex me gart,
Grant mestier ai de vostre aïe ;
Gardez que ne me failliez mie ;
Se voz dras noirs me presterez,
Ainz mie-nuit toz les r’aurez,
Et voz granz botes chaucerai,
Et je ma robe vous lerai
Céenz avez mon palefroi,
Et le vostre menrai o moi. »
Le moine tout li otria
Quanque il quist et demanda,
Et, quant fu nuis, les dras vestit ;
Desus le palefroi monta
Au moine, qui souef ambla ;
Lors s’en parti de maintenant,
En sa méson en vint amblant.
Dedenz entra, bien fu enbronc ,
Bien s’enbroncha ou chaperon,
Quar ne voloit, ce cuit-je bien,
Que l’en le connéust de rien.
La méson ert auques obscure ;
Uns gars sailli grant aléure
Encontre lui por lui descendre.
A une fame se fîst prendre
Par la gonne ; s’el mena droit
Là où la dame se gisoit.
« Dame, dist-el, le moine est ci,
Que vous mandastes dès ier ci. »
Et la dame si l’apela.
« Sire, dist-el, séez-vous ça
Delèz cest lit, quar moult m’empire
Mon mal ; si crieng que je me muire,
Que nuit ne jor point ne me cesse ;
Si vueil de vous estre confesse.
— Dame, dist-il, ce sera sens,
Tant come avez et lieu et tens,
Quar nus ne nule ne set mie
Esmer de soi, ne de sa vie.
Por ce vous di, ma douce dame,
Qu’aiez merci de la vostre ame ;
Pechié celé, ce truis escrit.
Por ce vous di et vous chasti
Que vous aiez de vous merci. »
Et la dame, qui ou lit fu,
Trestout en autre siècle fu ;
De son seignor ne connut[5] mie,
Por le grant mal qui l’ot saisie,
Quar sa parole entrechanjoit ;
En la chambre lumière n’ot,
Fors d’un mortier qu’iluec ardoit ;
Point de clarté ne lor rendoit,
Ne gent n’avoit en cel ostal
Qui séussent guères de mal.
« Sire, moult ai esté proisie.
Mès je sui[6] fausse et renoïe ;
Sachiez de voir, tele est blasmée
Qui vaut moult miex que la loée ;
C’estoie-je qui los avoie,
Mès moult mauvèse fame estoie,
Quar à mes garçons me livroie,
Et avoeques moi les couchoie,
Et d’aus fesoie mon talent ;
Moie coupe, je m’en repent. »
Et, quant li chevaliers l’oï,
De mautalent le nez fronci ;
Moult par vousist et desirrast
Que mort soubite l’acorast.
« Dame, dist-il, pechié avez :
Dites avant, se vous savez ;
Mès bien vous déussiez tenir,
A vostre espous, qui moult vaut miex,
Ce m’est avis, par mes .II. iex.
Que li garçons ; moult me merveil.
— Sire, se Diex m’envoit conseil
A ceste ame, je vous dirai
La vérité si com je sai.
A paine porroit-l’en choisir
Fame qui se puisse tenir
A son seignor tant seulement,
Jà tant ne l’aura bel ne gent[7] ;
Quar la nature tele en ont,
Qu’els requièrent, ce sachiez-vous,
Et li mari si sont vilain
Et de grant felonie plain,
Si ne nous oson descouvrir
Vers aus, ne noz besoins gehir,
Quar por putains il nous tendroient.
Se noz besoins par nous savoient ;
Si ne puet estre en nule guise
Que n’aions d’autrui le servise.
— Dame, dist-il, bien vous en croi ;
Dites avant, se savez qoi.
— Sire, dist-ele, oïl assez,
Dont li miens cors est moult grevez,
Et la moie ame en grant fréor ;
Que le neveu de mon seignor,
Tant l’amoie en mon corage,
Ce m’estoit vis, que c’estoit rage,
Et sachiez bien que je morusse,
Tant fis que je o lui péchai.
Et que .V. anz, je cuit, l’amai.
Or m’en repent vers Dieu. — Aïe,
Dame, dist-il, c’estoit folie
Que le neveu vostre seignor
Amiiez de si foie amor ;
Li péchiez doubles en estoit.
— Sire, se Diex conseil m’envoit,
C’est la coustume de nous fames,
Et de nous aaisies dames ;
Quar cels dont l’en mains garde aura,
Entor cels plus se tornera.
Por le blasme que je cremoie.
Le neveu mon seignor amoie ;
Quar à mes chambres bien sovent
Pooit venir, véant la gent ;
Jà n’en fust blasme ne parole ;
Ainsi l’ai fet si fis que foie,
Quar mon seignor ai grevé si
Qu’à poi que ne l’ai tout honi,
Que du tortiau puant li gart,
Li ai bien fet mengier sa part.
Tant li ai fet, tant l’ai mené,
Que il croit plus en moi qu’en Dé.
Quant céenz vienent chevalier,
Si com droit est, por herbregier,
Lors demandent-il à noz genz,
Où est la dame ? — Ele est léenz ;
Jà le seignor n’ert demandé,
Ne jà ostel n’ert à honor
Dont la dame se fet seignor ;
Et fames ceste coustume ont,
Et volentiers toz jors le font,
Qu’eles[8] aient la seignorie
Sor lor seignors ; por c’est honie
Mainte méson qu’est sanz mesure,
Et fame avoire par nature.
— Dame, dist-il, ce puet bien estre. »
Del vrai Dieu le souverain prestre
Onques riens plus ne li enquist,
Mès sa coupe batre li fist,
Et li enjoinst sa penitance.
Et ele mist en couvenance[9]
Que jamès jor amor n’auroit
A autre home, s’ele vivoit.
Lors s’en parti ; moult fu iriez ;
A son cheval est repériez.
Dessus monta, si s’en issi ;
D’ire et de mautalent fremi
Por sa fame qu’il seut loer,
Et tant prisier, et tant amer ;
Mès en ice se confortoit
Qu’encore bien s’en vengeroit.
A lendemain, quant il li plout,
A son ostel, et quant il vout,
En sa méson s’en repera,
Et la dame si respassa.
Grant merveille ot de son seignor,
Et li baisier et acoler ;
Or ne daingnoit[10] à li parler.
Un jor par sa méson aloit
Trestout ainsi comme[11] el soloit,
Et comandoit moult fièrement
De ses afères à sa gent ;
Et li sires sel regarda ;
Iréement le chief crolla ;
Se li a dit : « Par l’ordre Dé,
Dame, quele est votre fierté
Et vostre orgueil ? Je l’abatrai,
Quar à mes poins vous ocirrai.
S’il vous membrast de vostre vie.
Honte éussiez d’avoir baillie ;
Quar nule fame bordelière
Ne fu de si maie manière
Com vous estes, orde mauvaise[12]. »
Lors ne fu pas la dame aaise ;
De son seignor se merveilla ;
Avis li fu, de voir cuida,
Que il l’éust fete confesse ;
Moult se doute que mal n’en nesse,
Puis li a dit de maintenant :
« Ha ! mauvès homme souduiant.
Moult me poise que je ne dis
Que tuit li chien de cest païs
Le me fesoient nuit et jor ;
Mès plus m’estoit de ma dolor.
Ha ! mauves home trahitier,
Por moi prover à desloial !
Mès, merci Dieu, je sui loial.
Je n’ai voisine ne voisin
Por qui je port le chief enclin[13] ;
Je ne te criem, la merci Dé,
Quar, se[14] seusses la vérité,
Toute ma honte lost fust seue,
Quar m’en estoie apercéue.
Quant je vous en enquis sordois
Tout ce que dis par mon gabois ;
Moult me poise, par saint Symon,
Que ne vous pris au chaperon,
Ne que ne vous deschirai tout.
Sachiez de voir, pas ne vous dout
De rien que onques vous déisse ;
Se Dame Diex mon cors garisse,
Bien vous reconnui au parler.
Je ne vous doi jamès amer ;
Non ferai-je, se Diex me gart.
Mauvès trahïtre de male art,
Jà ne vous ert mes pardoné. »
Tant li a dit, et tant conté,
Que li osta tout son espoir,
Et bien cuida que déist voir.
Granz risées et granz gabois
En féirent en Bescinois.
- ↑ XVI. — Du Chevalier qui fist sa fame confesse, p. 178.
Publié par Barbazan, II, 100 ; par Méon, III, 229-238 ; et traduit par Legrand d’Aussy, IV, 132-138, sous le titre « Du chevalier qui confessa sa femme ».
- ↑ Vers 1 — « Le Bessin », petit pays de la basse Normandie, ayant Bayeux pour capitale ; « Vire » (Calvados).
- ↑ 33 — de lui, lisez d’à lui.
- ↑ 41 — penssa, s’il tant ; lisez penssa s’il, tant.
- ↑ 115 — conut, lisez connut.
- ↑ 124 — suis, lisez sui.
- ↑ 150 — et gent, lisez ne gent.
- ↑ 205 — Qu’elles, lisez Qu’eles.
- ↑ 214 — convenance, lisez couvenance.
- ↑ 232 — daignoit, lisez daingnoit.
- ↑ 234 — com, lisez comme.
- ↑ 247 — mauvèse, lisez mauvaise.
- ↑ 264-273 — Le ms. est déchiré au commencement de chacun de ces vers.
- ↑ 266 — Quar ; se ; lisez Quar, se.
Imité par Boccace (journ. VII, nouv. 5), Bandello, Malespini (nouv. 92), Doni, les Cent Nouvelles nouvelles (nouv. 78), et enfin par La Fontaine, sous le nom du « Mari confesseur ».
XVII
LE DIT DES PERDRIZ.
or ce que fabliaus dire sueil,
En lieu de fable dire vueil
Une aventure qui est vraie,
D’un vilain, qui delèz sa haie
Prist .II. pertris par aventure.
En l’atorner mist moult sa cure ;
Sa fame les fist au feu mètre ;
Ele s’en sot bien entremetre ;
Le feu a fet, la haste atorne,
Et li vilains tantost s’en torne ;
Por le prestre s’en va corant.
Mès au revenir tarda tant,
Que cuites furent les pertris ;
La dame a le haste jus mis,
S’en pinça une peléure,
Quar moult ama la lechéure.
Quant Diex li dona à avoir,
Ne béoit pas à grant avoir,
Mès à toz ses bons acomplir ;
L’une pertris cort envaïr ;
Andeus les eles en menjue ;
Puis est alée en mi la rue
Savoir se ses sires venoit ;
Quant ele venir ne le voit,
Tantost arrière s’en retorne
Et le remanant tel atorne,
Mal du morsel qui ramainsist.
Adonc s’apenssa, et si dist
Que l’autre encore mengera ;
Moult très bien set qu’ele dira
S’on li demande que devindrent ;
Ele dira que li chat vindrent
Quant ele les ot arrier trètes ;
Tost li orent des mains retrètes,
Et chascuns la seue emporta ;
Ainsi, ce dist, eschapera.
Puis va en mi la rue ester,
Por son mari abeveter ;
Et, quant ele nel voit venir,
La langue li prist à frémir
Sus la pertris qu’ele ot lessie.
Jà ert toute vive enragie
S’encor n’en a .I. petitet ;
Le col en tret tout souavet,
Si le menja par grant douçor ;
Ses dois en lèche tout entor :
« Lasse ! fet-ele, que ferai ?
Se tout menjue, que dirai ?
Et coment le porrai lessier ?
J’en ai moult très grant desirrier.
Or aviegne qu’avenir puet,
Quar toute mengier le m’estuet. »
Tant dura cele demorée,
Que la Dame fu saoulée.
Et li vilains ne tarda mie,
A l’ostel vint, en haut s’escrie ;
« Diva, sont cuites les pertris ?
— Sire, dist-ele, ainçois va pis,
Quar mengies les a li chas. »
Li vilains saut isnel le pas,
Seure li cort comme enragiéz ;
Jà li éust les iex sachiez,
Quant el crie : « C’est gas, c’est gas.
Fuiez, fet-ele, Sathanas ;
Couvertes sont por tenir chaudes.
— Jà vous chantaisse putes Laudes,
Fet-il, foi que je doi saint Ladre.
Or çà, mon bon hanap de madré
Et ma plus bele blanche nape ;
Si l’estenderai sus ma chape,
Souz celé treille en cel praiel.
— Mès, vous, prenez vostrecoutel.
Qui grant mestier a d’aguisier ;
Si le fètes .I. pou trenchier
A cele pierre en cele cort. »
Li vilains se despoille et cort,
Le coutel tout nu en sa main.
A tant ez vos le chapelain,
Qui léenz venoit por mengier :
A la dame vint sans targier,
Si l’acole moult doucement.
Et cele li dist simplement :
« Sire, dist-el, fuiez, fuiez :
Jà ne serai où vous soiez
Honiz ne malmis de vo cors ;
Mes sires est alez là fors
Por son grant coutel aguisier.
Et dist qu’il vous voudra trenchier
Les coilles, s’il vous puet tenir.
— De Dieu te puist-il souvenir,
Dist li prestres ; qu’est que tu dis ?
Nous devons mengier .II. pertris
Que tes sires prist hui matin. »
Cele li dist : « Par saint Martin,
Céenz n’a pertris ne oisel ;
De vo mengier me seroit bel.
Et moi peseroit de vo mal ;
Mès ore esgardez là aval,
Come il aguise son coutel.
— Jel voi, dist-il ; par mon chapel ,
Je cuit bien que tu as voir dit. »
Léenz demora moult petit,
Ainz s’en fui grant aléure,
Et cele crie à bone éure :
« Venez-vous-en, sire Gombaut.
— Qu’as-tu, dist-il, se Diex te saut ?
— Que j’ai ? Tout à tens le saurez ;
Mès, se tost corre ne poez.
Perte i aurez, si com je croi ;
Quar, par la foi que je vousdoi,
Li prestre enporte voz pertris. »
Li preudom fu toz aatis,
Le coutel en porte en sa main,
S’en cort après le chapelain ;
Quant il le vit, se li escrie :
« Ainsi nés en porterez mie. »
Puis s’escrie à granz alenées ;
« Bien les en portez eschaufées ;
Ça les lerrez, se vous ataing ;
Vous seriez mauvès compaing
Se vous les mengiiez[2] sanz moi. »
Li prestre esgarde derrier soi,
Et voit acorre le vilain ;
Quant voit le coutel en sa main,
Mors cuide estre, se il l’ataint.
De tost corre pas ne se faint ;
Et le vilains penssoit de corre,
Qui les pertris cuidoit rescorre ;
Mès li Prestres de grant randon
S’est enfermez en sa méson.
A l’ostel li vilains retorne,
Et lors sa fame en aresone :
« Diva, fet-il, et.quar me dis
Comment tu perdis les pertris. »
Cele li dist : « Se Diex m’ait,
Tantost que li prestres me vit.
Si me pria, se tant l’amaisse[3].
Que je les pertris li monstraisse[4],
Quar moult volentiers les verroit ;
Et je le menai là tout droit
Où je les avoie couvertes :
Il ot tantost les mains ouvertes,
Si les prist, et si s’en fui ;
Mès je guères ne le sivi,
Ainz le vous fis moult tost savoir. »
Cil respont : « Bien puès dire voir ;
Or le lessons à itant estre. »
Ainsi fu engingniez le prestre
Et Gombaus, qui les pertris[5] prist.
Par example cis fabliaus dist
Fame est fète por decevoir ;
Mençonge fet devenir voir,
Et voir fet devenir mençonge.
Cil n’i vout mètre plus d’alonge.
Qui fist cest fablel et ces dis.
Ci faut li fabliaus des pertris.
- ↑ XVII. — Le Dit des Perdrix, p. 188.
Publié par Barbazan, II, 32 ; par Méon, III, 181-186 ; par Bartsch, dans sa Chrestomathie de l’ancien français, 1re éd., 269-272 ; et donné en extrait par Legrand d’Aussy, IV, 38-41.
- ↑ Vers 121 — mangiez, lisez mengiiez.
- ↑ 137 — amaise, lisez amaisse.
- ↑ 138 — monstraise, lisez monstraisse. (Note de Wikisource : la leçon est déjà la bonne)
- ↑ 149 — * pertris ; ms., pertrist.
Ce fabliau a été remis en vers par Imbert ; on le retrouve dans les Contes du sieur d’Ouville, dans le Passa tempo de’ curiosi, dans les Nouveaux Contes pour rire, dans les Facezie, motti e burle, de Zapata ; de nos jours, M. le comte de Chevigné l’a introduit dans ses Contes rémois.
XVIII
DU PRESTRE CRUCEFIE.
n example vueil conmencier
Qu’apris de Monseigneur Rogier,
.I. franc mestre de bon afère
Qui bien savoit ymages fère
Et bien entaillier crucefis.
Il n’en estoit mie aprentis,
Ainz les fesoit et bel et bien.
Et sa fame seur toute rien
Avoit enamé un provoire.
Son seignor li ot fet acroire
Qu’à un marchié devoit aler
Et une ymage o lui porter,
Dont il auroit, ce dist, deniers,
Et la dame bien volentiers
Li otria, et en fu lie.
Quand cil vit la chière haucie,
Si se pot bien apercevoir
Qu’el le béoit à décevoir,
Si come avoit acoustumé.
Lor a desus son col geté[2]
.I. crucefis par achoison
Et se parti de la méson.
En la ville va, si demeure,
Et atent jusques à cele eure[3]
Qu’il cuida qu’il fussent ensamble.
De mautalent li cuers li tramble[4].
A son ostel en est venuz ;
Par .I. pertuis les a véuz.
Assis estoient au mengier.
Il apela, mès à dangier
I ala-l’en por l’uis ouvrir.
Li prestres n’ot par où fuir :
« Diex, dist li prestres, que ferai ? »
Dist la dame : « Jel vous dirai :
Despoillez-vous, et si alez
Léenz[5], et si vous estendez
Avoec ces autres crucefis. »
Ou volentiers ou à envis
Le fist li prestres ; ce sachiez,
Toz s’est li prestres despoilliez ;
Entre les ymages de fust
S’estent ausi come s’il en fust.
Quant li preudom ne l’a véu,
Erraument s’est apercéu
Qu’aléz est entre ses ymages ;
Mais de ce fist[6]-il moult que sages
Qu’assez a mengié et béu
Par loisir ainz qu’il soit méu.
Quand il fu levez du mengier,
Lors comença à aguisier
Son coutel à une grant kex.
Li preudom estoit fors et preus ;
« Dame, dist-il, tost alumez
Une chandoile, et si venez
Léenz o moi, où j’ai afère. »
La dame ne s’osa retrère ;
Une chandoile a alumée.
Et est o son seignor alée
En l’ouvréoir isnelement ;
Et li preudom tout esraument
Le provoire tout estendu
Voit, si l’a bien apercéu.
Voit la coille et le vit qui pent :
« Dame, dist-il, vilainement
Ai en cest ymage mespris :
J’estoie yvres, ce m’est avis,
Quant je ceste chose i lessai ;
Alumez, si l’amenderai, »
Li prestres ne s’osa mouvoir ;
Et[7] ice vous di-je por voir
Que vit et coilles li trencha,
Que onques rien[8] ne li lessa
Que il n’ait tout outre trenchié.
Quant li prestres se sent blecié,
Lors si s’en est tornez fuiant.
Et li preudom de maintenant
Si s’est escriez à hauz criz :
« Seignor, prenez mon crucefiz
Qui or endroit m’est eschapez. »
Lors a li prestres encontrez
.II. gars qui portent une jarle ;
Lors li venit miex estre à Arle,
Quar il i ot .I. pautonier
Qui en sa main tint un levier ;
Si le feri desus le col
Qu’il l’abati en un tai mol.
Quant il l’ot à terre abatu,
Es-vos le preudome venu
Qui l’enmena en sa meson ;
.XV. livres de raençon
Li fist isnelement baillier,
C’onques n’en i failli denier.
Cest example nous monstre bien
Que nus prestres por nule rien
Ne devroit autrui fame amer,
N’entor li venir ne aler,
Quiconques fust en calengage,
Que il n’i lest ou coille ou gage,
Si com fist cil prestres Constans,
Qui i lessa les siens pendans.
- ↑ XVIII. — Du Prestre crucefié, p. 194.
Publié par Barbazan, I, 22 ; par Méon, III, 14-17 ; et donné en extrait par Legrand d’Aussy, IV, 160-161.
- ↑ Vers 20 — jeté, lisez geté.
- ↑ 24 — heure, lisez eure.
- ↑ 26 — tremble, lisez tramble.
- ↑ 36 — Leens, lisez Leenz.
- ↑ 46 — fit, lisez fist.
- ↑ P. 196, l. 19, Ei, lisez Et.
- ↑ 72 — riens, lisez rien.
Se retrouve dans Sacchetti (nouv. 25 et 84), Malespini (nouv. 93), Straparole (nuit IX, nouv. 4), les Cent Nouvelles (nouv. 64) et dans les Contes de Gudin (I, p. 136-9). Cf. Straparole, éd. Jannet, I, xxxvij.
XIX
D’ESTORMI
or ce que je vous ai molt chier,
Vous vueil un flabel[2] commencier
D’une aventure qui avint.
C’est d’un preudomme, qui devint
Povres entre lui et sa fame.
Non ot Jehans, et ele Yfame ;
Riches genz avoient esté,
Puis revindrent en povreté ;
Mais je ne sai par quoi ce fu,
Quar onques conté ne me fu ;
Por ce ne le doi pas savoir.
Troi prestre par lor mal savoir
Covoitèrent dame Yfamain ;
Bien la cuidièrent à la main
Avoir prise, por la poverte
Qui la féroit à descouverte.
De folie se porpenssèrent,
Quar parmi la mort en passèrent,
Issi com vous m’orrez conter
Et la matère le devine,
Qui nous raconte la couvine
De la dame et des .III. prelaz.
Chascuns desirre le solaz
De dame Yfamain à avoir ;
Por ce li promistrent avoir,
Je cuit, plus de .IIIIxx. livres.
Ainsi le tesmoingne li livres,
Et la matère le raconte.
Si com cil furent à grant honte
Livré par lor maléurtez.
Mès ce fist lor desléautez.
De lor crupes et de lor rains ;
Bien l’orrez dire au daarrains,
Por que vous vueilliez tant atendre.
Ainz Yfame ne vout entendre
Lor parole ne lor reson,
Ainz a tout conté son baron
L’afère tout si comme[3] il va.
Jehans li respondit : « Diva,
Bele suer, me contes-tu voir ?
Te prometent-il tant d’avoir
Com tu me vas ci acontant ?
— Oïl, biaus frère plus que tant.
Mès que je vueille lor bons fère.
— Dehez ait qui en a que fère,
Fet Jehans, en itel manière ;
Miex ameroie en une bière
Estre mors et ensevelis
De vous à nul jor de ma vie.
— Sire, ne vous esmaiez mie,
Fet Yfame, qui moult fu sage ;
Povretez, qui molt est sauvage.
Nous a mis en molt mal trepeil.
Or feroit bon croire conseil
Par quoi nous en fussons geté ;
Li prestre sont riche renté ;
S’ont trop dont nous avons petit :
Se vous volez croire mon dit,
De povreté vous geterai,
Et à grant honte meterai
Ceus qui me cuident engingnier.
— Va donc, pense du hamoingnier,
Fet Jehans, bele douce suer ;
Mès je ne voudroie à nul fuer
Qu’il fussent de vous au desus.
— Tesiez, vous monterez là sus
En cel solier tout coiement.
Si garderez apertement
M’onor et la vostre et mon cors ;
Les prestres meterons là fors,
Et li avoirs nous remaindra.
Tout issi la chose avendra,
Se vous le volez otrier.
— Alez tantost sans detrier[4],
Fet Jehans, bele douce amie,
Mès, por Dieu, ne demorez mie. »
Au moustier s’en ala Yfame,
Ainz que la messe fust chantée
Fu assez tost amonestée
De ceus qui quierent lor anui.
Yfame chascun à par lui
Tout belement l’un après l’autre,
Qu’aine n’en sot mot li uns de l’autre,
Mist lieu de venir à son estre.
Tout avant au premerain prestre
A mis la bone dame leu
Que il viengne entre chien et leu,
Et si aport toz ses deniers :
« Dame, fet cil, moult volentiers, »
Qui moult est près de son torment,
Ne porquant va s’en liement.
Estes-vous venu le secon,
Qui voloit avoir du bacon ;
Moult par avoit chaude la croupe.
Devant dame Yfame s’acroupe,
Puis li descuevre sa pensée.
Et cele, qui s’est porpenssée
De sa grande male aventure,
Li a mis leu par couverture
Qu’il venist quant la cloche sone :
« Dame, jà n’aurai tant d’essoine,
Fet li prestres, par S. Amant,
Que je ne viegne à vo commant,
Que pieça que je vous convoite.
— Aportez moi donc la queilloite
Que vous me devez aporter.
Fet cil, qui de joie tressaut.
Et li autres prestres resaut,
Puis li demande de rechief :
« Dame, vendrai-je jà à chief
De ce dont je vous ai requise ? »
Et la dame, qui fu porquise
De sa grant honte et de son mal,
Li dist : « Biaus sire, il n’i a al ;
Vostre parole m’a atainte,
Et povretez qui m’a destrainte
Me font otroier vo voloir ;
Or venez sempres à prinsoir
Trestout belement à mon huis,
Et si ne venez mie vuis
Que vous n’aportez ma promesse.
— Jà ne puissé-je chanter messe,
Dame, se vos n’avez vostre offre ;
Je les vois mètre hors du coffre,
Et les deniers et le cuiret. »
Atant à la voie se met
Cil qui est moult liez de l’otroi.
Or se gardent bien de lor roi
Qu’il ont porchacié laidement
Lor mort et lor definement.
Oublié avoie une chose
Qu’à chascun prestre à la parclose
Fist Yfame entendre par guile
Que Jehans n’ert pas en la vile ;
Si s’en refist chascuns plus jois,
Jurent, ce sachiez vraiement.
Et dame Yfame isnelement
Est revenue à sa méson ;
Son baron conte la réson.
Jehans l’oï ; moult liez en fu ;
A sa niecète a fet le fu
Alumer et la table metre.
Cele, qui ne se vout demetre
Qu’ele ne face son commant,
A mis la table maintenant,
Qu’ele savoit bien son usage.
Et Yfame, qui moult fu sage,
Li dist : « Biaus sire, la nuit vient ;
Or sai-je bien qu’il vous covient
Repondre, qu’il en est bien poins. »
Et Jehans, qui ot .II. porpoins,
En avoit le meillor vestu ;
Biaus hom fu et de grant vertu.
En sa main a pris sa coingnie ;
Une maçue a empoingnie.
Qui molt ert grosse, de pommier.
Estes-vous venu le premier.
Tout carchié de deniers qu’il porte ;
Tout belement hurte à la porte,
Il ne veut mie c’on l’i sache ;
Et dame Yfame arrière sache
Le veroil, et l’uis li desfarme[5].
Quant cil a véu dame Yfame,
Si la cuide avoir decéue.
Qui molt ot grosse la cibole,
Felonessement le rebole,
Si que li prestres n’en sot mot ;
Tout coiement, sanz dire mot,
Avala Jehans le degré.
Et cil, qui cuide avoir son gré
De la dame tout à estor,
Vint à li, se li fet un tor
Si qu’en mi la méson l’abat.
Et Jehans, qui sor eus s’embat,
Tout belement et sanz moleste
Le fiert à .II. mains en la teste
Si durement de la coingnie,
La teste li a si coingnie
Li sans et la cervele en vole ;
Cil chiet mors, si pert la parole.
Yfame en fu moult esmarie ;
Jehans jure sainte Marie,
Se sa fame noise fesoit.
De sa maçue la ferroit.
Cele se test, et cil embrace
Celui qui gist mors en la place ;
En sa cort l’enporta errant ;
Si l’a drecié tout maintenant
A la paroi de son bercil,
Et puis repère du cortil ;
Dame Yfame reconforta.
Et li autres prestres hurta,
Qui queroit son mal et sa honte ;
Et dame Yfame l’uis li œvre,
Qui molt fu dolente de l’uevre ;
Mès fere li estuet par force.
Et cil entre carchiez el porce ;
Les deniers mist jus qu’il portoit,
Et Jehans, qui là sus estoit,
Par la treillie le porlingne,
Felonessement le rechingne ;
Aval descent tout coiement.
Et cil embraça esraument
Celi por avoir son delit,
Si l’abati en .I. biau lit.
Jehans le vit, moult l’en pesa ;
De la maçue qui pesa
Le fiert tel cop en la caboce,
Ce ne fu pas por lever boce,
Ainz esmie quanqu’il ataint.
Cil fu mors ; la face li taint,
Quar la mort l’angoisse et sousprent.
Et sire Jehans le reprent.
Si le va porter avoec l’autre,
Puis a dit : « Or estes-vous autre ;
Je ne sai s’il vous apartient,
Mès miex vaut compaignon que nient. »
Quant ot ce fet, si s’en retorne ;
Son afère moult bien atorne ;
Les deniers a mis en la huche.
Ez-vous le tiers prestre, qui huche
Tout belement et tout souef.
Maintenant l’uis li desferma[6] ;
Et cil, qui folement ama,
Entra en la meson carchiez.
Et sire Jehans est muciez
Souz le degré et esconssez.
Et cil, qui cuide avoir son sez
De la dame, l’a embrachie
Et sus .I. biau lit l’a couchie.
Jehans le vit, moult s’en corèce ;
La maçue qu’il tint adrèce ;
Tel cop li done lèz la temple
Que toute la bouche li emple
De sanc et de çervele ensamble.
Cil chéi mors ; li cors li tramble,
Quar la mort l’angoisse et destraint.
Et sire Jehans le restraint,
Maintenant le Prestre remporte,
Si le dreça delez la porte :
Quant ce ot fet, si s’en revient.
Or sai-je bien qu’il me covient
Dire par quel réson Jehans,
Qui molt ot cele nuit d’ahans,
Remist les .II. prestres ensamble :
Se ne le vous di, ce me samble,
Li fabliaus seroit corrompus.
Jehans fust à mal cul apus,
Ne fust uns sien nièz, Estormis,
Qui adonc li fu bons amis,
Si com vous orrez el fablel.
Yfame ne fu mie bel
De l’afère, mes moult dolante.
« Se je Savoie où mes nièz hante,
Fet Jehans, je l’iroie querre ;
Il m’aideroit bien à conquerre
A delivrer de cest fardel.
Mès je cuit qu’il est au bordel.
— Non est, biaus Sire, fet sa nièce ;
Encor n’a mie moult grand pièce
Que je le vi en la taverne
Là devant chiés dame Hodierne.
— Ha ! fet Jehans, por S. Grigore,
Va savoir s’il i est encore. »
Cele s’en torne moult corcie ;
Por miex corre s’est escorcie ;
A l’ostel vient, si escoutoit
Se son frère léenz estoit.
Quant el l’ot, les degrez monta ;
Delez son frère s’acosta,
Qui getoit les déz desouz main ;
Ne li vint mie bien à main
La chéance, quar il perdi ;
A poi que tout ne porfendi
De son poing trestoute la table.
Voirs est, c’est chose véritable,
Qui ne m’en croit demant autrui,
Que cil a sovent grant anui
Qui jeu de dez veut maintenir ;
Mès ne vueil mie plus tenir
Geste parole, ainçois vueil dire
Qui de li ne se donoit garde.
Estormis sa seror regarde,
Puis li demande d’ont el vient :
« Frère, fet-ele, il vous covient
Parler à moi par çà desouz.
— Par foi, je n’irai mie sous.
Que je doi jà céenz .V. saus.
— Tesiez-vous, que bien seront saus,
Que je les paierai moult bien.
Biaus ostes, dites moi combien
Mes frères doit céenz par tout.
— .V. sols. — Vez ci gage por tout ;
Je vous en lerai mon sorcot ;
A-il bien paié son escot ?
— Oïl, bien avez dit réson. »
Atant issent de la méson.
Li vallés a non Estormis,
Atant s’est à la voie mis ;
Estormis sa seror demande
Se c’est ses oncles qui le mande :
« Oïl , biaus frère, à grant besoing. »
Li osteus ne fu mie loing ;
A l’uis vienent, enz sont entré,
Et quant Jehans a encontré
Son neveu, moult grant joie en fet.
« Dites moi qui vous a mesfet[7],
Por le cul Dieu, fet Estormis.
— Je te conterai, biaus amis,
Fet sire Jehans, tout le voir :
Vint dame Yfamain engingnier,
Et je le cuidai mehaingnier ;
Si l’ai ocis ; ce poise mi ;
Se cil le sevent d’entor mi,
Je serai mors isnel le pas.
— Jà ne me mandiiez-vous pas,
Fet Estormis, en vo richèce,
Mès jà ne lerai por perèce,
Par le cul Dieu, fet Estormis,
Puis que tant m’en sui entremis.
Que vous n’en soiez délivrez.
Fetes tost, .I. sac m’aportez,
Quar il en est huimès bien eure. »
Et sire Jehans ne demeure,
Ainz li a le sac aporté.
Au prestre, qu’il ot acosté,
D’une part son neveu enmaine ;
Mès ainçois orent moult grand paine
Qu’il li fust levez sor[8] le col.
Estormis en jure S. Pol
Qu’ainz ne tint si pesant fardel.
Ses oncles li baille .I.[9] havel
Et une pelé por couvrir.
Cil s’en vait, s’a fet l’uis ouvrir,
Qui ne demanda pas lanterne.
Parmi une fausse posterne,
Vait Estormis, qui le fais porte ;
Ne veut pas aler par la porte ;
Et quant il est aus chans venus,
El fons d’un fossé fet la fosse.
Celui, qui ot la pance grosse,
Enfuet, et puis si l’a couvert.
Son pic et sa pelé rahert,
Et son sac ; à tant s’en repère.
Et Jehans ot si son afère
Atiré qu’il ot l’autre prestre
Remis et el lieu et en l’estre
D’ont cil avoit esté getez
Qui enfouir estoit portez ;
Bien fu parfont en terre mis.
A tant est venuz Estormis
A l’uis, et il li est ouvers.
« Bien est enfouis et couvers
Fet Estormis, li dans prelas.
— Biaus nièz, ainz me puis clamer las,
Fet Jehans, qu’il estrevenuz ;
Jamès ne serai secoruz
Que je ne soie pris et mors ;
— Dont il a le déable el cors,
Qui l’ont raporté çà dedenz ?
Et s’il i en avoit .II. cenz,
Si les enforrai-je ainz lejor. »
A cest mot a pris son retor.
Son pic et son sac et sa pele,
Puis a dit : « Ainz mèz n’avint tele
Aventure en trestout cest monde.
A foi, dame Diex me confonde
Se j’enfouir ne le revois ;
Se mon oncle honir lessoie. »
A tant vers le prestre s’avoie,
Qui moult estoit lais et hideus ;
Et cil, qui n’ert pas péureus
Nient plus que s’il ert toz de fer,
Li dist : « De par toz ceus d’Enfer
Soiez-vous ore revenuz ;
Bien estes en Enfer connuz
Quant il vous ont ci raporté. »
A tant a le prestre acosté,
Si l’en porte, à tout lui s’en cort
Parmi le sentier de la cort ;
Ne le veut mie metre el sac.
Estormis sovent en somac
Le regarde, si le ramposne :
« Restriez[10] ore por la dosne
Revenuz si novelement ?
Jà por nul espoentement
Ne lerai que ne vous enfueche. »
A tant de la haie s’aprueche,
Celui qu’il portoit i apuie ;
Sovent garde qu’il ne s’en fuie.
La fosse a fète molt parfonde.
Le prestre prent, dedenz l’afonde,
Si lons comme il estoit le couche,
Puis li a les iex et la bouche
Et le cors tout couvert de terre ;
Puis jure les sainz d’Engleterre,
Ceus de France et ceus de Bretaingne,
Se li prestres revient huimès.
Mès de cestui est-il bien pès,
Que il ne porra revenir.
Mès du tiers soit au couvenir[11],
Que il trovera jà tout prest ;
Mestier li est qu’il se r’aprest,
Quar on li jue de bondie.
Or est résons[12] que je vous die
De Jehans, qui mist, c’est la voire
El lieu du daarain provoire
Où li autre dui furent pris,
Qui jà erent fors du porpris
Enfoui par lor grant mesfet[13].
Et, tantost qu’Estormis ot fet,
A son ostel est repériez.
« Hé ! la ! com je sui traveilliez,
Fet Estormis, et eschaufez !
Moult estoit cras et esfossez
Li prestres que j’ai enfoui ;
Moult longuement i ai foui
Por lui metre plus en parfont ;
Se déable ne le refont
Revenir, jà ne revendra. »
Et Jehans dist jà ne verra
L’eure qu’il en soit delivrez :
« J’en serai à honte livrez
Ainz demain à l’avesprement. »
Estormis li respont : « Comment
Serez-vous livrez à tel honte. ?
Que je ne soie en grant peril.
Revenuz est en no cortil
Li prestres que vous en portastes.
— Par foi, onques puis ne parlastes,
Fet Estormis, que vous mentistes,
Quar orainz à voz iex véistes
Que je l’en portai à mon col :
Je n’en croiroie pas S. Pol,
Oncles, que vous déissiez voir.
— Ha ! biaus douz nièz, venez véoir
Le prestre qui revenuz est.
— Par foi, tierce foie droiz est ;
Ne m’i leront anuit mengier.
Par foi, bien se cuide vengier
Li déables qui le raporte ;
Mès de rien ne me desconforte,
Ne pris .II. oés lor granz merveilles. »
Au prestre vint ; par les oreilles
L’aert, et puis par le goitron ;
Puis en a juré le poistron
Que le provoire renforra,
Ne jà por ce ne remaindra,
S’il a les déables el ventre.
A cest mot en grant paine rentre
Estormis, qui le prestre encarche :
Sovent va maudissant sa carche ;
N’en puet mès, quar forment li griève.
« Par le cuer Dieu, cis fais me criève,
Fet Estormis, je m’en démet. »
Que plus avant ne le porta.
Delèz une saus acosta
Li prestres, qui ert cras et gros ;
Mès ainçois li sua le cors
Que il éust sa fosse fète.
Et, quant il l’ot moult bien parfète,
Au prestre vint, et si l’embrace ;
Cil fu granz, et Estormis glace ;
En la fosse chiéent anduit.
« Par foi, or ai-je mon pain cuit,
Fet Estormis, qui fu desous ;
Las ! or morrai-je ci toz sous,
Quar je sui ci en grant destrèce. »
Et la mains au prestre radrece[14].
Qui del bort de la fosse eschape.
Puis li a donné tel soupape,
Por poi les denz ne li esmie :
« Vois, por le cul sainte Marie,
Fet Estormis, je suis matez !
Cist prestres est resuscitez ;
Com m’a ore doné bon frap !
Je ne cuit que mes li eschap,
Que trop me foule et trop me mate. »
A tant l’aert par la gargate,
Si le torne, et li prestres chiet :
« Par foi, fet-il, il vous meschiet.
Quant je sui deseure tornez ;
Malement serez atornez. »
A tant est saillis à sa pelé ;
Qu’aussi la teste li esmie
Com fust une pomme porrie.
A tant est de la fosse issus ;
Celui, qui cras ertet fessus,
A tout de terre acouveté ;
Assez a sailli et hurté
Por la terre sor lui couchier.
Puis jure le cors S. Richier
Que il ne set que ce puet estre
Se li prestres revient en l’estre ;
Jà n’ert mès enfouiz par lui,
Quar trop li a fet grant anui,
Ce dist, puis s’en vait à cest mot.
N’ot gueres aie quant il ot
.I. prestre devant lui aler,
Qui de ses matines chanter
Venoit, par sa maie aventure ;
Par devant une devanture
D’une méson est trespassez.
Estormis, qui moult fu lassez,
Le regarda à la grant chape :
« Vois, fet-il, cil prestres m’eschape ;
Par le cul Dieu, il s’en reva.
Qu’est-ce, sire prestres ? Diva,
Me volez-vous plus traveillier ?
Longuement m’avez fet veillier ;
Mes certes noient ne vous vaut. »
Dont hauce le havel en haut ;
Le prestre fiert si lèz l’oreille
Se li prestres fust eschapez,
Quar il fu du havel frapez
Que la cervele en chéi jus.
« Ha ! fet-il, trahitres parjurs,
Com m’avez fet anuit de honte ! »
Que vous feroie plus lonc conte ?
Estormis le prestre reporte
Par une bresche lèz la porte ;
Si Fenfuet en une marlière.
Trestout en si fête manière
Fist Estormis com j’ai conté,
Et, quant il l’ot acouveté
Le prestre, si repère à tant ;
Du revenir se va hastant,
Por ce que li jors apparoit.
Jehans estoit à la paroit
Dedenz sa méson apuiéz :
« Diex, fet-il, quant vendra mes nièz ?
Moult sui engranz que je le voie. »
Estes-vous celui par la voie
Qui moult ot eu de torment ;
A l’uis vient, et cil esraument
Li ouvri l’uis, et si le baise.
Puis li dist : « Moult dout la malaise
Que vous avez eu por mi ;
Molt vous ai trové bon ami
Anuit, foi que doi S. Amant ;
Or pués bien fère ton commant
De mon cors et de mon chatel. »
N’ai soing de deniers ne d’avoir.
Mès, biaus oncles, dites moi voir
Se li prestres est revenuz.
— Nenil ; bien fui secoruz ;
Jamès aparçuz n’en serai.
— Ha ! biaus oncles, je vous dirai
Une bone chetiveté ;
Quant j’oi le prestre acouveté,
Or escoutez que il m’avint :
Li prestres devant moi revint
Quant je dui entrer en la vile ;
Eschaper me cuida par guile,
Et je li donai du havel
Si durement que le cervel
Li fis espandre par la voie.
A tant le pris ; si me ravoie
Par la posterne là aval ;
Si l’ai geté en contreval ;
En une rasque l’ai bouté. »
Et, quant Jehanz ot escouté
La réson que li dist ses nièz.
Si dist : « Bien en estes vengiéz. »
Après dist bas tout coiement :
« Par foi, or va plus malement,
Que cil n’i avoit riens mesfet[13] ;
Mès teus compère le forfet
Qui n’i a pas mort deservie.
A moult grant tort perdi la vie
Li prestres qu’Estormis tua,
De genz engingnier et sousprendre. »
Par les prestres vous vueil aprendre
Que folie est de covoitier
Autrui fame, ne acointier :
Ceste résons[12] est bien aperte.
Cuidiez-vous por nule poverte
Que preude fame se descorge ?
Nenil, ainz se leroit la gorge
Soier à un trenchant rasoir,
Qu’ele féist jà por avoir
Chose dont ses sire éust blasme.
Cil ne furent mie de basme
Enbaussemé à l’enfouir,
Qui Yfame voudrent honir,
Ainz furent paie à lor droit.
Cis fabliaus moustre en bon endroit,
Qui enseigne à chascun provoire
Que il se gardent bien de boire
A tel hanap comme cil burent.
Qui par lor fol sens ocis furent,
Et par lor grant maléurté.
Vous avez moult bien escouté
Comme il furent en terre mis.
Au mengier s’assist Estormis ;
Assez but et assez menja ;
Après mengier l’acompaingna
Jehans ses oncles à son bien.
Mès je ne sai mie combien
Il furent puis se di ensamble ;
Avoir, por nule povreté,
Son petit parent en viuté,
S’il n’est ou trahitres ou lerres ;
Que s’il est fols ou tremelères,
Il s’en retret au chief de foiz.
Vous avez oï mainte foiz
En cest fablel que Jehans fust,
Se ses nièz Estormis ne fust,
Honiz entre lui et s’ancele.
Cest fablel fist Hues Piaucele.
- ↑ XIX. — D’Estormi, p. 199.
Publié par Méon, IV, 452-472 ; et donné en extrait par Legrand d’Aussy, IV, 264-265.
- ↑ Vers 2 — uns fabler, lisez un fablel.
- ↑ 39 — com, lisez comme.
- ↑ 76 — destrier, lisez detrier.
- ↑ 167 — deffarme, lisez desfarme.
- ↑ 231 — defferma, lisez desferma.
- ↑ 316 — meffet, lisez mesfet.
- ↑ 339 — sur, lisez sor.
- ↑ 342 — uns, lisez (.I.) un.
- ↑ 211, 17, R’estuez, lisez Restriez.
- ↑ 414 — convenir, lisez couvenir.
- ↑ a et b 418 et 595 — reson, lisez resons.
- ↑ a et b 423 et 585 — meffet, lisez mesfet.
- ↑ 484 — radresse, lisez radrece.
XX
DU SOT CHEVALIER.
uisque je me vueil amoier
A rimer et à fabloier,
Dont vous doi-je fère savoir,
S’il a en vous point de savoir,
Tout sanz mesfez[2] et sanz mesdiz,
D’une aventure qui jadis
Avint en la forest d’Ardane[3],
A quatre liues près d’Otane[4] ;
Si vous dirai tost et briefment
La fin et le commencement.
En la forest ancianor
Avoit manant .I. vavassor
Qui moult estoit bien herbregiéz ;
D’une part estoit ses vergiers,
Qui toz ert d’arbres esléus ;
Moult estoit preciex cil lieus
Quant ce venoit au noviau tans.
D’une part estoit ses estans
Qui toz estoit plains de poissons ;
Moult ert sires de venoisons ;
S’avoit ses chiens et ses oisiaus ;
Moult ert sires et damoisiaus
De toz les biens que terre porte.
Son molin ert devant sa porte.
Se il fust sages et senez,
A grant avoir fust assenez ;
Mès tant estoit sos par nature,
Qu’il n’ooit dire créature
Que il ne déist maintenant
Plus de cent foiz en .I. tenant,
Quar sotie l’ot deçéu.
N’onques n’ot à fame géu,
Ne ne savoit que cons estoit[5],
Ne porquant loé li estoit.
Por ce qu’il ert de haute gent,
Et riches d’avoir et d’argent,
Li ont si ami fame quise.
Quant il l’ot espousée et prise,
Si le tint plus d’un an pucele.
Moult en pesa la damoisele[6],
Qui vausist ses déduis avoir ;
Mès cil n’avoit tant de savoir
Qu’il séust au con adrecier,
Ne le pucelage percier ;
Ne porquant l’avoit-il tenue
Par maintes foiz trestoute nue ;
Tant ert-ele à greignor mesaise,
Quant ele sentoit la pasnaise
Sor ses cuisses et sor ses hanches,
Qui erent moult souez et blanches.
Quant el ne pot mès consentir
De si fète chose sentir,
Sa mère mande et ele i vint.
Or oiez coment li avint.
Ele li conta tout l’afère
Que ses sires li soloit fère ;
Sa mère moult bien s’aperçoit
Que sa folie le déçoit.
Le chevalier prent parla main,
Ne sai la nuit ou l’endemain,
Si l’enmena dedenz la chambre,
Qui toute estoit celée à lambre[7] ;
Si a ses cuisses descouvertes,
Et puis a les jambes ouvertes,
Se li monstra dant Connebert,
Puis li a dit : « Sire Robert,
Véez nul rien en cest val
Ne contre mont, ne contre val ?
— Oïl, dame, dist-il, .II. traus.
— Amis, com fais est li plus haus ?
— Il est plus lons qu’il ne soit lez.
— Et com fais est cil par dalez ?
— Il est plus cours, ce m’est avis.
— Gardez là ne voist vostre vis,
Quar il n’est pas à cel oés fais ;
Qui vit i met, c’est granz mesfais[8] ;
On le doit ou plus lonc bouter.
Après si doit-on culeter,
Et, quant ce vient au daarains,
Adonc doit-l’en serrer les rains.
— Dame, dist-il, volez-vous donc
Que mete mon vit ou plus lonc ?
— Nenil, amis, à ceste foiz ;
Il vous est or mis en defoiz,
Quar ma fille en a .II. plus biaus,
Et plus souèz et plus noviaus ;
Foutez le plus lonc anquenuit,
Coment qu’il vous griet ne anuit.
— Dame, dist-il, moult volentiers ;
Jà n’en ira li traus entiers
Que sempres n’i mete m’andoille.
Et que ferai-je de ma coille ?
— Amis, le plus cort en bâtez,
Quant vous au lonc vous combatez.
Atant la dame se recuevre,
Et li chevaliers la chambre œvre,
Puis va, à loi de non sachant,
Le lonc et le cort maneçant.
La nuit leva uns granz orez,
Issi com vous dire m’orrez ;
Ou bois esraçoient li arbre,
Et chéoient les tors de marbre.
À cele eure estoient ou bos,
Devers cele terre de los[9],
.VII. chevaliers cortois et sage
Qui porté orent .I. message ;
Ou bois estoient esbahi,
Et tuit dolant, et tuit mari.
Vers la meson au chevalier
Vienent fuiant tuit estraier ;
Li uns en est devant alez.
Qui estoit de Saint Eron[10] nez.
Le pont et la porte trespasse,
Qui n’estoit ne povre ne basse,
Ainz estoit haute et bien couverte,
Et la méson estoit ouverte.
Léenz vint trestoz eslessiez
Par l’uis qui ert ouvers lessiez ;
La dame et le seignor salue,
Puis a sa réson despondue :
« L’ostel vous requier et demande
Avoec cels qui sont en la lande. »
Li chevaliers a respondu
Tantost come il l’a entendu :
« Jà mes ostels n’ert escondis.
Bien sciez-vous venu tozdis,
Vous avant et li autre après ;
Sont vo compaignon auques près ?
Alez les esraument haster. »
Donc recommence à rioter,
Et dist : « Li plus lons ert foutuz.
Et li plus cours[11] sera batuz. »
Quant li vallés l’ot et entent,
Plus n’i areste ne atent,
Ses compaignons le cort tost dire,
Trestoz dolenz et toz plains d’ire :
« Seignor, dist-il, je ai trové
Là sus .I. erite prové ;
Il dist qu’il vous herbergera,
Et après vous ledengera,
Et si foutera le plus lonc,
Et si batera le plus cort. »
Là ot .I. chevalier moult grant,
Qui ot non Gales de Dinant[12] :
« Seignor, dist-il, je sai assez
Que toz vous ai de lonc passez ;
Je n’irai mie à cel erite
Qui en tele œvre se delite ;
Miex voudroie estre en croiz tenduz[13]
Que je fusse d’omme foutuz. »
Là ot .I. chevalier de Tongres[14],
Qui ot à non Pierres li Hongres :
« Seignor, dist-il, je n’irai mie
A si très vilaine envaïe ;
Je sai bien je sui li plus cors ;
Jà n’i averoie secors
Que je ne fusse ledengiez,
Jà n’i seroie revengiez.
Or remanons andui çà fors,
Encor soit li orages fors. »
Li autres dient à un ton :
« Seignor, ne vous vaut .I. bouton ;
Nous le ferons miex autrement.
Ce sachiez, et plus sagement :
Quant nous serommes tuit venu,
Li plus court voisent estendu,
Et li plus lonc voisent crampi[15],
Et si soient trestuit crampi. »
Ainsi l’ont entr’aus créante.
Atant sont en la cort entré,
Puis sont venu en la meson
Où li feus ardoit de randon,
Quar li yvers estoit moult frois.
Lors descendent des[16] palefrois ;
Mais, ainz que chascuns sa chape oste,
Ont salué hautement l’oste.
Il respont : « Seignor, Diex vous saut. »
A cest mot la mesnie saut,
Qui lor corurent aus estriers,
Et s’ont recéu les destriers ;
Et cil se sont vers le feu trait.
Gales li lons[17] se fist contrait,
Et Pierres vint sor les ortaus,
Si s’est assis sor .II. hestaus.
Ainsi furent à grant dangier
De si à l’eure de mengier,
Que li mengiers fu atornez,
Puis fu aus tables aportez,
Et li baron se sont assis.
Gales li Ions fut moult penssis.
A premiers orent pois au lart,
Et puis, .II. et .II., .I. marlart ;
Si orent hastes et lardez,
Et si orent moult bons pastez ;
Bon vin burent, et fort et roit,
Ce m’est avis d’Auçoirre[18] estoit.
Plaine une bout de trois sistiers ;
S’en remest .II. bouciaus entiers,
Que cil avoient aporté,
Qui moult erent desconforté,
Quant ont mengié par grant délit,
Adonc si furent fet li lit,
Si se couchierent li baron.
Entre la dame et son baron
En sont dedenz la chambre entré ;
Ainz qu’il aient le sueil passé,
Li chevaliers s’escrie en haut :
« En charité, dame Mehaut,
Je me voudrai anuit combatre,
Le plus lonc foutre et le cort batre,
Se g’i puis à droit assener. »
Gales comence à forsener,
Qui la nuit cuide foutuz estre ;
Et Pierres, qui jut à senestre,
Cuide moult bien qu’il le manace,
Et que ildurement le hace ;
Et cil ne s’asséure mie,
Qui va gésir jouste s’amie.
Si le comence à descouvrir,
Puis li fet les jambes ouvrir ;
Si a une chandoile prise,
Trestoute ardant et toute esprise ;
Se li esgarde entre les jambes,
Qui erent moult souez et blanches.
Quant il ot les .II. traus trovéz,
Si a parlé com fols provéz :
« Ma douce suer, amie chière,
Ces .II. traus vous fist .I. lechière ;
Je cuit qu’il vaudront se gloutir
Por ma chandoile transgloutir.
Il sont de moult bele façon ;
Bien ressemble œvre de maçon ;
Quant les fist vostre mère fère,
Les fist-ele aus siens contrefère ?
Li sien me samblent plus velu,
Et plus noir et plus chavelu ;
Cist sont plus bel, si com moi samble ;
A poi qu’il ne tiennent ensamble. »
Lors respondi la bele née :
Biau douz sire, ainsi fui-je née. »
A tant est la chandoile estainte
Au mur où ele estoit estrainte,
Puis a les .II. trauz mesurez ;
Il ne fu mie si dervez
Que tant ne l’ait traite et tracie
Qu’il a la piaucèle perde ;
Si a tant hurté et empoint
Que la chose est venue à point,
Et que li fols fist sa besoigne,
Si com li fabliaus nous tesmoigne,
Plus de trois fois en un randon,
Quar toz li fu mis à bandon,
Et li harnas, et li ostis,
Qui moult estoit entalentis.
La dame li a tantost dit :
« Sire, fet-ele, soif m’ocist ;
Se vous ne m’aportez à boire,
Jà me verrez morir, ce croire.
Là ot ersoir .I. boucel mis ;
Ne sai s’il est plains ou demis,
Mès vin i a, de fi le sai,
Ne sai ou d’Auçoirre[19] ou d’Aussai ;
Por Dieu, biau sire, aportez m’ent ;
N’i metez mie longuement,
Dont recomence un poi à muire. »
Cil crient que sa moillier ne muire ;
Moult fu de mautalent espris.
En sa main a .I. hanap pris,
De si au feu en est venus,
Trestoz despoilliez et toz nus ;
Puis a pris .I. manefle court[20],
De qoi li bouvier de la cort
Appareilloient leur atoivre ;
Ce doit-l’en moult bien ramentoivre.
Un peu a le feu descouvert ;
Le cul Galon a descouvert,
Qui se dormoit toz aïrez ;
Et li eus ert eschequerez
Autresi granz comme .I. portaus.
Il cuide ce soit li bouciaus
Qui là géust en mi la voie ;
Mès une chose le desvoie
Qu’il n’en set mie desfermer[21],
Ne le vin trère ne oster.
Or escoutez du vif maufé :
Il a le manefle chaufé,
Ausi com li bouvier fesoient
Quant lor harnas appareilloient,
Puis est au vaissel repériez,
Où il n’avoit ne vin ne miez ;
Tant durement le fiert et boute,
Que li sos toz en esclaboute
Du sanc qui par la plaie saut.
Gales tresfremit et tressaut ;
Si s’escria à haute vois :
« Or sus, or sus, quar je m’en vois ;
Cil erites m’a acueilli. »
Dont sont si compaignon sailli,
Quant il oïrent la bescousse,
Et li sos a sa main escousse
De qoi il tenoit le fer chaut ;
Aval le rue, ne li chaut ;
Si fiert Pierron lez le costé,
C’une grant pièce en a osté,
Et cil s’en tornent sans congié.
Mès il s’en fussent bien vengié,
Se ne fust la mère la dame.
Qui moult ert sage et bone fame ;
Ele tout l’afère lor conte ;
Si leur a aconté le conte,
Et leur fist savoir et entendre
Que nus hom ne doit’sot atendre,
Quar souvent en avient granz maus.
Li eus Galon[22] en fu vermaus,
Et Pierres en ot une trace
Dont li sans remest en la place,
Et li sos ot apris à foutre.
A cest mot est mon fablel outre.
- ↑ XX. — Du Sot Chevalier, p. 220.
Publié par Barbazan, III, 202 ; et par Méon, IV, 255-265.
- ↑ Vers 5 — meffez, lisez mesfez.
- ↑ 7 — « Ardane », forêt des Ardennes.
- ↑ 8 — « Otane ». L’Othe, Otta silva, l’un de ces petits pagus dont la trace s’est conservée dans la composition de certains noms de lieux, est dans l’Aube et dans l’Yonne, c’est-à-dire à l’ouest de Troyes. Cf. Guérard, « Pays de la France ». Ann. de la Soc. de l’Hist. de Fr., pour l’année 1837, p, 122. Dans la Moselle, il y a Othe, près de Briey, et Ottange, près de Thionville. Enfin il y a un Authe dans les Ardennes, à quatre lieues de Vouziers ; c’est probablement de celui-là que notre trouvère aura fait Otane pour la rime.
- ↑ 33-34 — La répétition de « estoit » à la rime est un bourdon du copiste.
- ↑ 40 — damoiselle, lisez damoisele.
- ↑ 62 — l’ambre, lisez lambre.
- ↑ 76 — meffais, lisez mesfais.
- ↑ 104 — terre de Los, lisez terre de los.
- ↑ 112 — « Saint Eron », « Saint-Evrou ».
- ↑ 132 — court, lisez cours.
- ↑ 144 — « Dinant », ville de Belgique, province de Liège.
- ↑ 225, 8, tonduz, corrigez tenduz.
- ↑ 151 — « Tongres » , ville de Belgique, province de Limbourg.
- ↑ 167-8 — Le répétition de crampi, à la rime, bourdon du copiste.
- ↑ 174 — les, lisez des.
- ↑ 182 — lonc, lisez lons.
- ↑ 196 — « Auçoirre », « Auxerre ». Le vin d’Auxerre était renommé dès le moyen âge.
- ↑ 262 — « Aussai ». Semur est dans l’Auxois ; c’est donc comme si le trouvère disait du vin d’Auxerre ou du Semurois.
- ↑ 271 — cort, lisez court.
- ↑ 283 — deffermer, lisez desfermer.
- ↑ 314 — Galons, lisez Galon.
XXI
DU FEVRE DE CREEIL.
r entendez .I. petitet,
N’i ferai mie grant abet.
Uns fèvres manoit à Creeil[2],
Qui por batre[3] le fer vermeil,
Quant l’avoit trait du feu ardant,
Avoit aloué .I. serjant
Qui moult estoit preus et legiers.
Li vallés avoit non Gautiers ;
Moult ert deboneres et frans,
Les rains larges, grailes les flans,
Gros par espaules et espès,
Et si portoit du premier mès
Qu’il covient aus dames servir,
Quar tel vit portoit, sanz[4] mentir,
Qui moult ert de bele feture,
Quar toute i ot mise sa cure
Nature qui formé l’avoit ;
Devers le retenant avoit
Plain poing de gros et .II. de lonc ;
Jà li treus ne fust si bellonc,
Por tant que dedenz le méist,
Qu’aussi roont ne le féist
Com s’il fust fèz à droit compas.
Et des mailliaus ne di-je pas
Qui li sont au cul atachié,
Qu’il ne soient fet et taillié
Tel com a tel ostil covient.
Tozjors en aguisant se tient
Por retrère delivrement,
Et fu rebraciez ensement
Come moines qui jeté aus poires,
Ce sont paroles toutes voires,
Rouges come oingnon de Corbueil[5] ;
Et si avoit si ouvert l’ueil
Por rendre grant plenté de sève,
Que l’en li péust une fève
Lombarde irès parmi lancier
Que jà n’en lessast son pissier,
De ce n’estuet-il pas douter,
Ne que une oue à gorgueter
S’ele éust mengié un grain d’orge.
Li vallés, qui maintient la forge
D’une part avoec son seignor,
Ne péust pas trover meillor
En la vile de ce mestier.
Bien ot esté .I. an entier
Avoec le fèvre li vallés,
Que de lui servir estoit prés.
Un jor avint qu’il fu à roit,
Et que son vit fort li tendoit ;
Ses sires le trova pissant,
Et vit qu’il ot .I. vit si grant,
De tel façon et de tel taille,
Com je vous ai conté sanz faille
Et pensa, se sa fame set,
Qui tel ostil mie ne het
Come Gautiers lor serjant porte,
Ele voudroit miex estre morte
Qu’ele ne s’en féist doner.
Par tens la voudra esprouver ;
A sa feme vient, si a dit :
« Dame, fet-il, se Diex m’aït.
Je ne vi onques si grant membre.
Que je sache ne que moi membre,
Come a Gautiers nostre serjanz ;
Quar, se ce fust uns granz jaianz.
Si en a-il assés par droit ;
Merveille est quant il est à roit ;
Je le vos di tout sanz falose.
Quar parlez à moi d’autre chose,
Fet cele, cui semble qu’el hée
Ce dont ele est si enbrasée ;
Quar, par la foi que je vos doi,
Se plus en parlez devant moi.
Je ne vous ameroie mie ;
Tel honte ne tel vilonie
Ne devroit nus preudom retrère. »
Li fèvres ne s’en vout pas tère
De loer le vit au vallet ;
Plus que devant s’en entremet.
Et dist qu’en tel ostil ouvrer
Ne sot miex Nature esprover
Qu’en rien que ele onques féist :
« Dame, fet-il, se Diex m’aït,
Onque mès hom de mère nez
Ne fut de vit si racinez,
Dame, fet-il, comme[6] est Gautiers ;
Je croi qu’il fout moult volentiers.
— Sire, fet-el, à moi que touche ? »
Qui bien savoit dire de bouche
Le contraire de son corage ;
Mès moult bien pert à son visage
Que sovent color mue et change.
Jà de sens ne fust si estrange
Home qui garde s’en préist,
Qui bien ne séust et véist
Que talent en ot fort et aspre.
Une eure est plus blanche que nape,
Autre eure plus rouge que feus.
« Certes, moult estes anieus.
Qui si parlez vilainement ;
Je vous avoie bonement
Proie que vous vous téussiez ;
Bien tère vous en déussiez.
— Ma dame, puisque il vous plest.
Je m’en terai ». Atant se test.
« Or lais ceste parole ester.
Dame, fet-il sanz arester.
M’en irai à saint Leu demain ;
Prenez du feu, fetes à plain
Gautier nostre serjant ouvrer. »
Or faisoit samblant de l’errer,
Si s’est souz la forge repus.
La dame s’est levée sus,
Et prent du feu, porte à Gautier,
Et cil comença à forgier,
Qui moult fu sages et soutiz.
« Gautier, fet-ele, tes ostiz
Est-il ores tels que l’en dit,
Quant est à roit, se Diex t’aït.
De la besoingne fere près ?
Tesiez, Dame, fet li vallès,
Qui grant honte a et grant vergoingne ;
Parlez à moi d’autre besoingne,
De ce ne vous rendrai-je conte.
— Par Dieu, fet-ele, riens ne monte,
Quar il estuet que je le voie
Orendroit sanz point de delaie,
Par couvent[7] que mon con verras :
Sez-tu quel loier en auras ?
Chemise et braies deliées.
Bien cousues et bien tailliées. »
Quant li vallés ot la promesse.
Si trait le vit, dont une anesse
Péust bien estre vertoillie.
Cele, qui estre en veut brochie.
Se descuevre jusqu’au nombril :
« Gautier, fet-ele, à ton ostil
Fai mon con besier une foiz,
Quar il est bien reson et droiz ;
Ne s’entrevirent onques mès ;
Si prendront l’uns à l’autre pès. »
Le vit fut roides com pel ;
Si atasta s’il i ot sel,
Et si fu près de hurter enz.
Mais li fèvres ne fu pas lenz ;
De derrier la forge est saillis
Et s’escria à moult hauz criz :
« Sire vassal, traiez en sus ;
Par mon chief, vous n’en ferez plus
Que fet avez, vostre merci ;
Ne remaint pas n’en vous n’en li
Que grant honte ne m’avez faite :
Vostre services ne me haite,
Ne ne me plest d’ore en avant ;
Alez-vous-en, jel vous comant,
Que vous n’entrez jamés céenz. »
Gantiers s’en part triste et dolenz,
Et la dame remest penssive,
Et li sires à li estrive :
« Par Dieu, fet-il, de grant ardure
Vous venoit et de grant luxure ;
Vous ne le poez pas noier.
Que vous voliez bien que Gautier
Lessast les oeuvres de ses mains
Por marteler desus vos rains ;
Jà en aurez vo guerredon. »
Lors avoit pris un grand baston.
Si la vous commence à paier,
Si que les os li fet ploier.
Se li a tant de cops donez
Qu’il est sor li trestoz lassez.
Par cest example voil moustrer
C’on doit ainçois le leu huer
Des bestes qu’il y soit venuz.
Se li fèvres se fust téuz,
Que Gautiers éust bouté enz,
La dame éust fait ses talenz.
A cest mot finerons[8] no conte.
Que Diex nous gart trestoz de honte.
- ↑ XXI. — Du Fevre de Creeil, p. 231.
Publié par Barbazan, III, 218 ; et par Méon, IV, 265-271.
- ↑ Vers 3 — « Creeil », « Creil », en Picardie (Oise).
- ↑ 4 — battre, lisez batre.
- ↑ 14 — San, lisez sanz.
- ↑ 33 — « Corbueil », « Corbeil » (Seine-et-Oise).
- ↑ 87 — com, lisez comme.
- ↑ 129 — convent, lisez couvent.
- ↑ 179 — fineront, lisez finerons.
Ce conte se retrouve dans Malespini, dans l’Enfant sans souci et dans les Cent Nouvelles nouvelles (nouv. 85).
XXII
DE GOMBERT ET DES .II. CLERS.
N cest autre fablel parole
De .II. clers qui vienent[2] d’escole ;
Despendu orent[3] leur avoir
En folie plus qu’en savoir.
Ostel quistrent[4] chiés un vilain ;
De[5] sa fame, dame Guilain,
Fu l’un des clers, lués que là vint[6],
Si fols que amer li convint[7] ;
Mès ne set[8] coment s’i acointe,
Quar la dame est mingnote et cointe ;
Les iex ot vairs come cristal[9].
Toute jour[10] l’esgarde à estal
Li clers, si qu’à paine se[11] cille,
Et li autres ama sa fille,
Qui adès i avoit[12] ses iex.
Cil mist encor s’entente[13] miex,
Quar sa fille est et cointe[14] et bele.
Et[15] je di qu’amor de pucele,
Quant fins cuers i est ententiex,
Est sor toute autre rien gentiex[16],
Comme li ostors au terçuel[17].
Un petit enfant en berçuel
Paissoit la bone[18] fame en l’aistre.
Que qu’ele entendoit à lui paistre[19],
Uns[20] des clers lez li s’acosta ;
Fors de la paelete[21] osta
L’anelet dont[22] ele pendoit ;
Si le bouta luès en son[23] doit
Si coiement que nul nel sot.
Tel bien com sire Gombers ot
Orent assez la nuit[24] si oste,
Lait boilli, matons et composte ;
Ce fu assez si come à vile.
Cele nuit fu moult[25] dame Guile
Regardée de l’un des clers ;
Ses iex i avoit si aers
Que il nés en pooit retrère.
Li preudom, qui ne sot l’afère[26]
Et n’i entendoit el que bien,
Fist lor lit fère près del sien ;
Ses coucha, et les[27] a couvers.
Lors se couche[28] sire Gombers
Quant fu chauféz au feu d’esteule,
Et sa fille jut toute seule.
Quant la gent se fu[29] endormie,
L’uns des clers ne s’oublia mie ;
Molt li bat li cuers et flaele[30] ;
A tout l’anel de la paele
Au lit la pucele s’en vint[31].
Oiez coment il li avint[32] ;
Lez li se couche, les dras œvre :
« Qui est-ce, Diex, qui me descuevre ?
Dist[33]-ele quant ele le sent.
Sire, por Dieu omnipotent[34],
Que querez-vous ci[35] à ceste eure ?
— Suer, dist[36]-il, se Diex me sequeure,
N’ai talent[37] qu’en sus de vous voise ;
Mès tesiez vous[38], ne fètes noise,
Que vostre père ne s’esveille,
Quar il cuideroit jà merveille,
S’il savoit que o vous géusse ;
Il cuideroit que[39] je éusse
De vous fètes mes volentez ;
Mès, se vos mes bons[40] consentez,
Granz biens vous en vendra encor.
Et si aurez[41] mon anel d’or,
Qui miex vaut de .IIII. besanz ;
Or sentez[42] comme il est pesanz ;
Trop m’est larges au doit manel[43]. »
Et cil[44] li a bouté l’anel
Ou doit, si qu’il passa la jointe[45].
Et cele s’est près de lui jointe,
Et[46] jure que jà nel prendroit.
Toutes eures, mi tort, mi droit,
L’uns vers l’autre tant s’amolie[47]
Que li clers li fîst la folie.
Et, quant il plus l’acole et baise[48],
Plus est ses compains à malaise,
Quar ressouvenir li fesoit[49] ;
Ce qu’à l’un paradis estoit
Sambloit à l’autre[50] droiz enfers.
Lors se liève[51] sire Gombers ;
S’ala à l’uis pissier toz nuz[52] ;
L’autre[53] clers est au lit venuz ;
A l’esponde par de devant
Prist le berçuel o tout l’enfant[54],
Au lit le porte où a géu.
Or est dant Gombert decéu[55] ;
Quar adès à coustume avoit[56]
La nuit, quant de pissier venoit.
Qu’il tastoit[57] au berçuel premier.
Si come il estoit[58] coustumier,
Lors vint[59] tastant sire Gombers
Au lit, mès n’i ert pas li bers ;
Quant il n’a le berçuel trové[60].
Lors se tient à musart prové ;
Bien cuide avoir voie marie.
« Li maufez, dist[61]-il, me tarie,
Quar en cest lit gisent mi oste. »
Il vint[62] à l’autre lit encoste,
Le bers i trueve et le mailluel[63],
Et li clers jouste le pailluel
Se trest, que nel truist le vilain[64].
Moult fu sire Gombers en vain[65],
Quant il n’a sa fame trovée ;
Cuide qu’ele soit relevée
Pissier et fère ses degras.
Li vilains senti chaus les dras.
Sise couche entre .II. linceus ;
Li sommaus li fu pris des eux ;
Si s’endormi isnel le pas.
Et li clers ne s’oublia pas ;
O la dame s’en vait couchier ;
Ainz ne li lut son nez mouchier
S’ot esté .III. fois assaillie.
Or a Gombers bone mesnie ;
Moult le mainent de maie pile.
« Sire Gombers, dist dame Guile,
Si viez hom comme[66] estes et frailes,
Moult avez anuit esté quailes ;
Ne sai or de qoi vous souvint ;
Pieça mes qu’il ne vous avint ;
Ne cuidiez-vous que il m’anuit ?
Vous avez ausi fet anuit
Que s’il n’en fust nus recouvriers ;
Moult avez esté bons ouvriers ;
N’avez guères esté oiseus. »
Li clers, qui ne fu pas noiseus,
En fist toutes voies ses buens,
Et li lesse dire les suens.
Ne l’en fu pas à une bille
Cil qui gisoit avoec la fille ;
Quant ot assez fet son délit,
Penssa qu’il r’ira à son lit
Ainz que li jors fust escleriez.
A son lit en est reperiez,
Là où gisoit Gombers ses ostes.
Cil le fiert du poing lèz les costes
Grant cop du poing, o tout le coûte
« Chetiz, bien as gardé la coûte,
Fet-il, tu ne vaus une tarte ;
Mès, ainz que de ci me départe.
Te dirai jà grande merveille. »
A tant sire Gombers s’esveille ;
Esraument s’est apercéuz[67]
Qu’il est trahis[68] et déçeuz
Par les clers et par lor engiens.
« Or, me di, dist[69]-il, d’ont tu viens ?
— D’ont ? dist-il , si noma tout outre,
Par le cul bieu, je vieng de foutre.
Mès que ce fu la fille l’oste ;
Pris en ai devant et encoste ;
Aforé li ai son tonnel[70],
Et se li ai donné l’anel
De la paelete de fer.
— Ha ! ce soit de par cels d’enfer,
Fet-il, à cens et à milliers. »
A tant l’aert par les illiers ;
Si le fiert du poing lez l’oie,
Et cil li rent une joïe
Que tuit li œil[71] li estincelent.
Si durement s’entrefiaelent
Entre els, qu’en diroie-je el,
C’on les péust en .I. tinel
Porter tout contreval la vile.
« Sire Gombert, dist dame Guile,
Levez tost sus, quar il me samble
Que no clers sont meslé ensamble ;
Je ne sai qu’ils ont à partir.
— Dame, j’es irai départir. »
Lors s’en vint li clers cele part ;
Trop i dust estre venuz tart,
Que ses compains ert abatuz,
Puisque cil i fu embatuz.
Le pior en ot dans Gombers,
Quar il l’ont ambedui aers ;
L’uns le pile, l’autres le fautre.
Tant l’ont debouté l’un sor l’autre
Qu’il ot, par le mien escientre,
Le dos aussi mol que le ventre.
Quant ainsi l’orent atorné,
Andui sont en fuie torné,
Et l’uis lessent ouvert tout ample.
Cis fabliaus monstre par example
Que nus hom qui bele fame ait,
Por nule proière ne lait
Clerc gésir dedenz son ostel,
Que il li feroit autretel ;
Qui plus met en aus, plus i pert.
Ci faut li fabliaus de Gombert.
- ↑ XXII. — De Gombert et des .ii. clers, p. 238.
A. — Bibl. nat., Mss. fr. 837, fol. 210 vo à 211 vo.
B. — » » 2168, fol. 240 vo à 241 vo.
Ce fabliau est l’œuvre de Jean de Boves (Cf. plus haut les notes du fabliau des « Deus Chevaus », p. 295). — Publié par Barbazan, II, 115 ; par Méon, III, 238-244 ; par la Chaucer Society (Originals and analogues of some of Chaucer’s Canterbury Tales. London, 1872, p. 87) ; donné en extrait par Legrand d’Aussy, III, 18-22.
- ↑ Vers 2 — vienent. B, vinrent.
- ↑ Vers 3 — « Creeil », « Creil », en Picardie (Oise).
- ↑ 5 — quistrent. B, prisent.
- ↑ 6 — De. B, Et.
- ↑ 7 — B, Et uns des clers quant il vint.
- ↑ 8 — convint. A, couvint. — B, Sa fame à amer li convint.
- ↑ 9 — set. B, sot.
- ↑ 11 — B, S’ot vairs les iex com un cristal.
- ↑ 12 — Toute jour. A, Toute nuit.
- ↑ 13 — si qu’à paine se. B, qui s’en merveille.
- ↑ 15 — Qui adès i avoit. B, Si qu’adès i tenoit.
- ↑ 16 — encor s’entente. B, s’entente encore.
- ↑ 17 — sa fille est et cointe. B, la fille est et jovene.
- ↑ 18 — « Et » manque dans le ms. A, qui est déchiré à cet endroit.
- ↑ 20 — B, Seur toutes amours est gentieus.
- ↑ 21 — B, Com est li faucons au terchuel.
- ↑ 23 — la bone. B, li prode.
- ↑ 24 — B, Quentrues qu’ele entendoit à paistre.
- ↑ 25 — Uns. B, L’uns.
- ↑ 26 — paelete. B, palete (vers faux).
- ↑ 27 — L’anelet dont. B, L’anel à coi.
- ↑ 28 — lues en son. B, en son sen.
- ↑ 31 — assez la nuit. B, la nuit assez.
- ↑ 34 — Cele nuit fu moult. B, Bien fu toute nuit.
- ↑ 38 — ne sot l’afere. B, bien cuidoit fere.
- ↑ 41 — les. B, ses.
- ↑ 42 — couche. B, coucha.
- ↑ 45 — Quant la gent se fu. B, Et, quant la gent fu.
- ↑ 47-48 — Ces vers manquent dans le ms. A.
- ↑ 49 — B, Au lit de la pucele vint.
- ↑ 50 — B, Or oiez comment li avint.
- ↑ 53 — Dist. B, Fait.
- ↑ 54 — omnipotent. B, alés vous ent.
- ↑ 55 — Que querez vous ci. B, C’avés vos chi quis.
- ↑ 56 — dist. B, fait.
- ↑ 57 — talent. B, pooir.
- ↑ 58 — tesiez vous. B, tesiez, si.
- ↑ 62 — que. B, ja que.
- ↑ 64 — * se vos mes bons. A, se mes bons me. B, se vos mon bon.
- ↑ 66 — si aurez. B, s’aurés ja.
- ↑ 68 — Or sentez. B, Sentés mon.
- ↑ 69 — m’anel, lisez manel. — B, Il m’est trop grans au doit manel.
- ↑ 70 — Et cil. B, Atant.
- ↑ 71 — B, Et doit si li passe la jointe.
- ↑ 73 — Et. B, Si.
- ↑ 75 — s’amolie. A, s’umelie.
- ↑ 77 — B, Mais com il plus acole et baise.
- ↑ 79-80 — Ces deux vers sont remplacés dans le ms. B par les quatre suivants :
C’a la dame ne puet venir,
Car cil li fait resouvenir
Cui il ot faire ses delis ;
Ce qu’à l’un samble paradis. - ↑ 81 — Sambloit à l’autre. B, A l’autre sambloit.
- ↑ 82 — Lors se lieve. B, Dont se leva.
- ↑ 83 — B, Si s’en ala pissier toz nus.
- ↑ 84 — L’autre. B, Et li.
- ↑ 86 — B, Si prent le berch atout l’enfant.
- ↑ 88 — B, Evous le vilain deceü.
- ↑ 89 — B, Car tout acoustumé tenait.
- ↑ 91 — tastoit. B, sentoit.
- ↑ 92 — estoit. B, en iert.
- ↑ 93 — Lors vint. B, Vint à.
- ↑ 95 — B :
Car li clers l’en avoit osté ;
Quant il n’a le beschuel trouvé.
Si cuide avoir voie cangie, - ↑ 98 — dist, B, fait. — * tarie. A, B, carie.
- ↑ 100 — Il vint. B, Lors vient.
- ↑ 101 — B, Si sent le berch et le mailluel.
- ↑ 103 — B, Se tint que li vilains nel sente.
- ↑ 104 — À partir de ce vers jusqu’à la fin de la pièce, le ms. B, détérioré par l’humidité, est tout à fait illisible, sauf en quelques rares vers que nous relevons.
- ↑ 119 — com, lisez comme.
- ↑ 145 — B, Si est taniost aperceüs.
- ↑ 146 — trahis. B, souspris.
- ↑ 148 — dist. B, fait.
- ↑ 153 — tonel, lisez tonnel.
- ↑ 161 — Que tuit li oeil. B, C’andoi li oel.
Ce fabliau, qui a trois versions différentes, se retrouve dans Chaucer (The Reeves tale, 1843, p. 30-33), dans Boccace (journ. IX, nouv. 6), dans les Cent Nouvelles nouvelles, dans le Parangon des nouvelles (nouv. 30), et dans La Fontaine, sous le titre du « Berceau ».
Les deux autres versions se trouvent dans le ms. de Berne, no 354 : l’une porte le titre « d’Estula et de l’anel de la paelle » ; l’autre, « le Meunier et les deux Clers », a été publiée par M. Wright (Anecdota literaria, 1844, 15-23), avec plusieurs versions anglaises.
XXIII
DES .II. CHANGEORS.
ui que face rime ne fable,
Je vous dirai, en lieu de fable,
Une aventure qui avint ;
De qui fu fète et à qoi vint[2]
Vous en dirai bien vérité.
Il avint en une cité
Que .II. changéors i avoit
Jones et biaus, et moult savoit
Chascuns du change maintenir.
Entr’aus .II. orent à tenir
Longuement compaignie ensanble ;
Mès chascuns avoit, ce me samble,
Par soi le sien herbergement.
Ainsi furent moult longuement
Entr’aus .II. sans acompaignier,
Fust à perdre ou à gaaigner,
Tant que l’uns d’aus se maria,
Et li autres tant taria
Cele que ses compains ot prise
Qu’ele fu de s’amor esprise,
Et firent quanques bon lor fu
Li uns à l’autre sanz refu.
Ainsi maintindrent lor amors
Longuement, qu’ainz n’en fu clamors
Ne par privé ne par estrange.
.I. matin se séoit au change
Li bachelers qui la fame ot,
Et li autres, qui moult amot
La borgoise, jut en son lit.
Por son bon et por son delit
L’envoia querre, et cele vient.
« Dame, fet-il, il vous covient
Toute nue lez moi couchier ;
Se de rien nule m’avez chier,
Couchiez i vous sanz contredit. »
— Amis, vous n’avez pas bien dit,
Fet la dame, se Diex me gart ;
Il covient mener par esgart
Amors, qui les veut maintenir,
Que l’en nés puist por sos tenir.
N’en est pas mes sires jalous,
Ainz avons entre moi et vous
Jusques ci nostre amor éue
Conques par nul ne fu séue.
La volez-vous fère savoir ?
Cil n’est mie plains de savoir
Qui tout à escient s’aville ;
Bien savez-vous qu’en ceste vile
Est mes sires, sanz nule faille.
Et, s’il avient que il s’en aille
Ainz que je reviegne en méson.
Mestrie aura et achoison
De jalousie à toz jorz mès.
— Dame, fet-il, tenez nouz pès ;
Je n’ai cure de preeschier ;
Mès venez vous lèz moi couchier,
Maintenant que fère l’estuet. »
Et celé voit que miex ne puet ;
Despoille soi, quel que l’en chiée.
Si tost come ele fu couchiée.
Cil fet prendre toute sa robe,
Et metre[3] en une garderobe,
Puis a son compaignon mandé ;
Cil vient là ; si a demandé
Où est li sires de céenz ;
D’autrui aises est-il noienz
Fors que des siens, ce m’est avis.
« Compains, fet-il, je vous plevis,
Se vous saviiez orendroit
Qui ci gist, vous auriiez droit.
De ce dirai ; venez avant ;
D’une haute chose me vant,
Dont je ne vous mentirai mie,
Que j’ai la plus très bele amie
Qui onques fust, qui lèz moi gist. »
Quant cele l’entent, si fremist ;
N’est merveille se s’esbahi.
Quant son seignor parler oï.
Lors est cil en la chambre entrez,
Et li dist : « Biaus compains, moustrez
Vostre amie, se Diex vous saut. »
Et cele fremist, si tressaut ;
Mès bien à point son vis li cuevre,
Et cil les treces li descuevre
Qui furent de trop grant beauté,
« Compains, par vostre léauté,
Véez, a-il ci biau tesmoing ?
— Je méismes le vous tesmoing,
Fet li autres ; se Diex me gart,
Je cuit bien qu’ele a douz regart,
Quant ele est si bele de ça. »
Et ele adès se remuça
Souz son ami, et boute et tire ;
Mès cil remoustre tout à tire
Piéz et jambes, cuisses et flans,
Les hanches et les costéz blans,
Les mains, les braz, et les mamelles,
Qu’ele avoit serrées et belles,
Le blanc col et la blanche gorge.
« Compains, foi que je doi[4] saint Jorge.
Fet cil, qui n’en connissoit[5] mie,
N’avez pas failli à amie ;
Bien devez gésir matinée
Lèz la plus bele qui soit née.
Au tesmoing que j’en ai véu.
Aucun pechié m’avoit méu[6],
Que j’ai si tost fame espousé ;
Mainte fois m’en a puis pesé,
Et poise, ce sachiez de voir.
Moult par devez grant joie avoir,
Et de bone eure fustes nez,
Quant si bien estes assenez ;
Mès, foi que je dois saint Martin,
Tart m’est que je liève au matin. »
Lors a cil couverte s’amie,
Et dist : « Compains, ne vous poist mie
Se je ne vous monstre sa chière ;
Je la dont tant et tant l’ai chière
Que ne vueil que plus en voiez.
— Je m’en tieng moult bien à paiez,
Fet cil, se Diex me benéie ;
Vous avez bele compaignie ;
Si la servez à sa devise
Qu’el praingne en gré vostre servise. »
A tant li bachelers s’en torne,
Et cele se vest et atorne ;
De soi chaucier ne fu pas lente.
Moult fu coroucie et dolente ;
Vers son ostel issi s’en vint.
.III. semaines après avint
Que la dame fist .I. baing fère.
Et li sires en son afère
Fu aléz aus chans ou aillors ;
Et la borgoise mande lors
Son ami que, por rien qu’aviegne,
Ne lest pas que à li ne viegne.
Cil vient là ; si a demandé
Por qoi ele l’avoit mandé.
« Amis, fet-ele, tant vous aim
Que por vous fis fère cel baing ;
Si nous baingnerommes ensamble.
Tout autre solaz, ce me samble,
Ai-je de vostre cors éu ;
Nous avons ensamble géu
Maintes fois par nuit et par jor.
Sachiez que j’aim moult le sejor,
Quant je vous ai à compaignon ;
Or me plest que nous nous baignon ;
Lors si aurai quanques je vueil.
— Dame, dist-il, trop grant orgueil
Avez dit ; ainz n’oï greignor.
Je vi ore vostre seignor
Qui revendra, je ne gart l’eure.
— Par toz les Sains que l’en aeure,
Fet la dame, sachiez de fi,
Se nel fetes, je vous desfi[7]
De m’amor et la vous desfent[8].
A pou que li cuers ne me fent
Quant je onques jor de ma vie
Oi de cest home amer envie,
Qui se plaint ainz que li cops chiée.
— Dame, ainz que nostre amor dechiée,
Fet li vallés, je sui tout prest
De fère quanques bon vous est,
Puisqu’il vous plest et bon vous samble. »
Lors sont entré el baing ensamble,
Et, por ce c’on nés puist sousprendre,
La robe au vallet a fet prendre
La dame, et metre en une huche.
Estes-vos le seignor qui huche.
Que la dame ot envoie querre.
Lors vousist estre en Engleterre
Cil qui se baingne, quant il ot
Son compaignon qui apelot.
Durement en fu esbahiz :
« Dame, dist-il , je sui trahiz,
Quant j’empris onques cest afère.
Or ne sai que je puisse fère ;
Metez-i conseil, par vostre ame.
— Comment, vassaus, ce dist la dame,
Estes-vous de si biau confort ?
Je vous voi bel et grant et fort ;
Si vous desfendez[9] come preus :
Je cuit bien que c’est vostre preus
S’a desfendre[10] vous afichiez,
Ou derrière moi vous fichiez,
Se vous cuidiez estre sorpris. »
Et cil s’est au plus legier pris :
Derrier la dame s’est tapis.
Qui d’un blanc drap et d’un tapis
Ot bien fète couvrir la cuve ;
Li vallés derrier li se muce.
Que ainsi fère li covient.
Estes-vos le seignor qui vient,
Et la dame li a dit : « Sire,
Ça venez ; .I. poi vous vueil dire
De chose dedenz vostre oreille. »
Cil se besse, ele li conseille :
« Sire , fet-ele, ci se baingne
O moi une moie compaingne,
Riche borgoise et riche fame ;
Mais, par la foi que je doi m’ame,
Ele est plus noire c’une choe,
Et plus grosse qu’une baschoe ;
Ainz ne vi fame si mal fète.
Ele se plaint et se deshète
De ce que vous estes ici.
Si vous en vueil crier merci,
Foi que devez au Sauvéor,
C’un petit li faciez paor,
Seulement de samblant moustrer
Que vous volez el baing entrer,
Ele ne sera mès hui aise. »
Moult fu li vallès à mesaise,
Qui ne sot de qoi el parloit ;
Et cele en haut dist, si qu’il l’oit :
« Biaus sires, venez vous baignier,
Et demain vous ferez sainier,
Que la sainie vous demeure. »
La chamberière sanz demeure
Vient auseignor ; si le deschauce ;
Et li vallès forment enchauce
Et pince et boute la borgoise,
Qui moult se jue et moult s’envoise
De la paor que cil avoit.
N’est pas à aise quant il voit
Son compaignon qui se despoille ;
Lors joinst les mains, si s’agenoille.
Et dist : « Dame, por Dieu merci ;
Ne honissiez moi et vous ci,
Que se vostre sire me trueve,
Jà n’i aura mestier c’on trueve
Ne parole, ne serement. »
Moult losenge cil durement
Cele qu’il tenoit à amie ;
Mès la dame n’i entent mie,
Ainz l’a derrier son cul torné ;
Le musart a si atorné
Qu’il ne la puet véoir el vis.
Onques nus hom, à mon avis,
Ne fu mès aussi desjouglez ;
Or n’est-il pas si enjenglez
Come il fu l’autrier en sa chambre,
Ainz li frémissent tuit li membre ;
Du conforter est-ce néenz,
Qu’il voit le seignor de léenz[11]
Qui toute a jus sa robe mise.
Fors ses braies et sa chemise ;
Mès ses braies maintenant oste,
Si près de la cuve s’acoste,
C’un de ses piez a el baing mis.
Et la dame li dist : « Amis,
Or vous chauciez, se vous volez ;
Cist bains n’est pas assez coulez.
Ne vueil pas que vous i baingniez ;
Mès moult me plest quant vous daingniez
Baingnier o moi : miex vous en pris ;
Si ai un autre conseil pris :
Demain ferai .I. baing tout froiz
Qui sera coulez .IIII. foiz ;
Si vous baingnerez, s’il vous plest. »
A cest mot li sires se vest
Et s’atorne, puis vait au change.
« Vassal, fet-ele, tel eschange
Doit l’en fère au musart prové ;
Or vous ai-je bien esprové[12]
A coart et à recréant.
Mès aujord’ui, ce vous créant,
Ert de nous deux la departie. »
Maintenant s’est du baing partie,
Si s’est en sa chambre enfermée,
Et cil, qui moult l’avoit amée[13],
Fu de mauvès contenement.
La chamberière isnelement
Li rent sa robe, et il s’atorne ;
Maintenant de l’ostel s’en torne.
Mès il se tint à mal bailli
De ce que il a si failli
Du tout en tout à la borgoise.
Qui de ce fist moult que cortoise
Qui s’en parti et atarja.
Ainsi la dame s’en venja.
Par cest fablel prover vous vueil
Que cil fet folie et orgueil
Qui famé engingnier s’entremet ;
Quar qui fet à fame .I. mal tret,
Ele en fet .X. ou .XV. ou .XX.
Ainsi ceste aventure avint.
- ↑ XXIII. — Des .II. Changeors, p. 245.
Publié par Barbazan, II, 140 ; par Méon, III, 254-263 ; par Renouard dans Legrand d’Aussy, IV, app. 21-24 ; et donné en extrait par Legrand d’Aussy, IV, 204-207.
- ↑ Vers 4 — à qui vint, lisez à qoi vint.
- ↑ 62 — mettre, lisez metre.
- ↑ 100 — dois, lisez doi.
- ↑ 101 — B, Si sent le berch et le mailluel.
- ↑ 106 — * meü ; ms., neü.
- ↑ 156 — deffi, lisez desfi.
- ↑ 157 — deffent, lisez desfent.
- ↑ 183 — deffendez, lisez desfendez.
- ↑ 185 — deffendre, lisez desfendre.
- ↑ 246 — leens, lisez leenz.
- ↑ 266 — esprouvé, lisez esprové.
- ↑ 272 — aimée, lisez amée.
Ce fabliau a été imité très-souvent. La première partie du conte se retrouve dans les Cent Nouvelles nouvelles (nouv. 53) ; les autres conteurs, Pecorone, Straparole, Bandello, etc., ont changé l’ordre des aventures.
XXIV
LE FLABEL D’ALOUL.
ui d’Aloul veut[2] oïr le conte,
Si com l’estoire nous raconte,
Sempres en puet assez oïr.
S’il ne le pert par mesoïr.
Alous estoit uns vilains riches.
Mès moult estoit avers et ciches,
Ne jà son vueil n’éust jor bien ;
Deniers amoit seur tote rien,
En ce metoit toute s’entente.
Fame avoit assez bele et gente,
Novelement l’ôt espousée,
C’uns vavassors li ot donée
Por son avoir d’iluec entor.
Alous l’amoit de grant amor.
Ce dist l’escripture qu’Alous
Garde sa fame com jalous.
Male chose a en jalousie.
Trop a Alous mauvèse vie,
Quar ne puet estre asséurez ;
Or est Alous toz sos provez,
Qui s’entremet de tel afère.
Or a Alous assez à fère,
S’ainsi le veut gaitier toz jors.
Or escoutez come il est lors.
Se la dame va au moustier,
Jà n’i aura autre escuier,
Coment qu’il voist, se Aloul non,
Qui adès est en soupeçon
Qu’ele ne face mauvés plet.
A la dame forment desplest,
Quant ele premiers l’aperçoit ;
Lors dist que s’ele nel deçoit,
Dont sera-ele moult mauvaise,
Se lieu en puet avoir et aise.
Ne puet dormir ne jor ne nuit ;
Moult het Aloul et son déduit ;
Ne scet que face, ne conment
Ele ait pris d’Aloul vengement,
Qui le mescroit à si grant tort ;
Peu repose la dame et dort.
Longuement fu en cel escil,
Tant que li douz mois fu d’avril,
Que li tens est souez et douz
Vers toute gent, et amorouz ;
Li roxingnols la matinée
Chante si cler par la ramée
Que toute riens se muert d’amer.
La dame s’est prise à lever,
Qui longuement avoit veillié ;
Entrée en est en son vergié ;
Nus piez en va par la rousée ;
D’une pelice ert afublée,
Et .I. grant mantel ot deseure.
Et li prestres en icele eure
Estoit levez par .I. matin ;
Il erent si très près voisin,
Entr’aus deux n’avoit c’une selve.
Moult ert la matinée bele,
Douz et souez estoit li tens,
Et li prestres entra léenz,
Et voit la dame au cors bien fet.
Et bien sachiez que moult li plest,
Quar volentiers fiert de la crupe ;
Ainz i metroit toute sa jupe
Que il n’en face son talent.
Avant s’en va tout sagement,
Com cil qui n’est pas esmaiez :
« Dame, fet-il, bonjoraiez ;
Por qu’estes si matin levée ?
— Sire, dist-ele, la rousée
Est bone et saine en icest tans,
Et est alegemenz moult granz,
Ce dient cil fusicien.
— Dame, dist-il, ce cuit-je bien,
Quar par matin fet bon lever ;
Mès l’en se doit desjéuner
D’une herbe que je bien connois[3] ;
Vez le là près, que je n’i vois ;
Corte est et grosse la racine,
Mès moult est bone medecine ;
N’estuet meillor à cors de fame.
— Sire, metez outre vo jambe,
Fet la dame, vostre merci,
Si me moustrez si ele est ci.
— Dame, fet-il, iluec encontre. »
A tant a mise sa jambe outre ;
Devant la dame est arestez ;
« Dame, dist-il, or vous séez,
Quar au cueillir i a mestrie. »
Et la dame tout il otrie,
Qui n’i entent nule figure.
Diex, c’or ne set cele aventure
Alous, qui en son lit se gist !
La dame isnelement s’assist ;
Ses braies avale li prestres,
Qui de ce fère estoit toz mestres ;
La dame enverse, si l’encline,
Bien li aprent la medecine,
Et ele vuisque sus et jus.
« Sire, fet-ele, levez sus,
Fuiez de ci ; Diex ! que ferai ?
Jamès prestre je ne croirai. »
Et li prestres resaut en piez,
Qui moult estoit bien aaisiez.
« Dame, dist-il, or n’i a plus.
Vostre amis sui et vostre drus,
Dès or vueil tout vostre gré fère.
— Sire, dist-ele, cest afère
Gardez que soit cele moult bien,
Et je vous donrai tant du mien.
Que toz jors mes serez mananz.
Foi que doi vous, bien a deux anz
Qu’Alous me tient en tel destrèce,
Qu’aine puis n’oï joie ne léèce,
Et si est tout par jalousie ;
Si en haz moult, sachiez, sa vie,
Quar mainte honte m’en a fète.
Fols est qui fame espie et guète.
Dès or mès porra dire Alous,
Si dira voir, que il est cous.
Dès or vueil estre vostre amie.
Quant la lune sera couchie,
Adonc venez sans demorée,
Et je vous serai aprestée
De vous reçoivre et aaisier.
— Dame, ce fet à mercier,
Fet li prestres, vostre merci ;
Departons-nous hui mes de ci,
Que n’i sorviengne[4] dans Alous ;
Penssez de moi et je de vous. »
A tant s’en partent enes l’eure ;
Chascuns s’en va, plus n’i demeure ;
Cele revint à son mari,
Qui moult avoit le cuer mari.
« Dame, fet-il, d’ont venez-vous ?
— Sire, fet-el, de là desous,
Dist la dame, de cel vergié.
— Conment, fet-il, sanz mon congié ?
Poi me doutez, ce m’est avis. »
Et la dame se test toz diz,
Que de respondre n’avoit cure.
Et Alous se maudist et jure,
S’une autre foiz li avenoit,
Honte et ledure li feroit.
Atant remest, s’est saillis sus,
Trestoz penssis et irascus ;
Moult se doute de puterie ;
Bien le demaine jalousie,
Qui de lui fet tout son voloir.
Çà et là vait par son manoir
Savoir s’il i avoit nului
A cui sa fame éust mis lieu,
Tant qu’il s’en entre en .I. jardin.
Douz tens fesoit et cler matin,
Et garde et voit que la rousée
I estoit auques defoulée
De lieu en lieu par le vergié ;
S’en a son cuer forment irié.
Avant en vait en une place,
Iluec endroit li piez li glace,
Que sa fame fu rafetie,
Por son pié qui ainsi li glie ;
Il esgarde tout environ,
Et vit le leu où li talon
Erent hurté et li orteil.
Or est Alous en mal trepeil,
Quar il set bien tout à fiance,
Et li leus li fet demoustrance
Que sa fame a esté en œvre.
Ne set conment il se descuevre,
Quar n’en veut fère renommée,
S’ert la chose miex esprovée,
Et plus apertement séue.
Or est la dame decéue,
S’ele ne se set bien gaitier.
À tant est pris à anuitier :
Alous en sa meson repère ;
Ne veut sa fame samblant fère
Que de rien l’ait apercéue.
La mesnie est au feu venue,
Si se sont au mengier assis ;
Après mengier ont fet les lis,
Si sont couchié tuit li bouvier,
Et Alous s’en revait couchier,
Il et sa fame maintenant.
« Dame, fet-il, couchiez devant,
Delà devers cele paroit,
Quar je leverai orendroit
Por ces bouviers fère lever,
Jà sera tans d’en champ aler
Por noz terres à gaaignier.
— Sire, vous i irez premier,
Fet la dame, vostre merci,
Quar je me dueil certes ici
Sor ceste hanche ci endroit ;
Je croi que clous levez i soit,
Quar je en sui à grant malaise. »
Atant Alous la dame apaise,
Que couchiez est et ele après ;
Mès ne l’a or guetié si près,
Que l’uis ne soit ouvers remez.
Or est Alous moult enganez,
Quar il s’en dort isnel le pas.
Et li prestres vient, pas por pas,
Tout droit à l’uis, desferm[5] le trueve,
Puis boute .I. poi, et puis si l’uevre,
De toutes pars bien le compisse.
Or avoit el mèz une lisse
Qui fesoit grant noise et grant brait ;
Et li prestres el n’en a fait,
La charnière va compissier,
Quar n’a cure de son noisier.
Quant le prestre aperçoit et sent,
Vers lui lest corre, si destent[6],
Si le saisit par son sorcot ;
Se li prestres n’esrast si tost
Dedenz la chambre, à icele eure
Defors fust maie la demeure.
Tout souef oevre l’uis et clot,
Et la lisse dehors reclot,
Quar n’a cure de son noisier ;
Moult het la lisse et son dangier.
Qu’aine ne fist bien gent de son ordre,
Adès les veut mengier et mordre.
Or est li prestres derrier l’uis,
Mès il est plus de mienuis.
Si s’est .I. poi trop atargiez,
Quar Alous se r’est esveilliez,
Qui longuement ot traveillié
Por .I. songe qu’il ot songié ;
S’en est encor toz esbahis,
Quar en sonjant li est avis
C’uns prestre en la chambre est entrez,
Toz rooingniez et coronez,
S’avoit sa fame si sorprise,
Et si l’avoit desouz lui mise
Qu’il en fesoit tout son voloir,
Et Alous n’avoit nul pooir
Qu’il li péust aidier ne nuire,
Tant c’une vache prist à muire,
Qui Aloul gete de s’error.
Mès encore ert en grant fréor.
Sa fame acole, si l’embrace,
N’a cure que nus tort l’en face :
Par la mamele prent s’amie,
Et sachiez qu’ele ne dort mie,
Dès or mès en veut prendre garde.
Et li prestres pas ne se tarde ;
Vait, pas por pas, tout droit au lit,
Où Alous et sa fame gist.
Ele est forment en grant tormente ;
Fet-ele : « Come gis à ente ;
Ostez vo braz qui seur moi gist ;
Traiez en là ; j’ai poi de lit,
A paine puis r’avoir mes jambes.
— Diex ! dist Alous, qu’estuet ces fames ? »
Par mautalent est trais en sus,
Et li prestres est montez sus ;
Tost li a fet le ravescot.
Et Alous se retorne et ot
Que li lis croist, et crisne, et tramble.
Avis li est que on li amble ;
De sa fame est en grant soloit,
Quar ainsi fère ne soloit.
Sa main gete desus ses draz,
Le prestre sent entre ses braz ;
A tant se va atapissant,
Et par tout le va portastant,
Quar à grant paine se puet tère.
Le prestre prent par son afère,
Et sache, et tire, et huche et crie :
« Or sus, fet-il, or sus, mesnie ;
Fil à putain, or sus, or sus !
Céenz est ne sai qui venus
Qui de ma fame m’a fet cop. »
Et la dame parmi le cop
Saisi Aloul, et par la gueule :
Li prestres de sa coille veule
Les dois par force li dessere,
Et sache si qu’il vint à terre
Enmi la chambre sor .I. aistre.
Or a le prestre esté à maistre,
Moult a souffertes granz dolors ;
Cui chaut, quant c’est tout par amors.
Et por fère sa volenté ?
A tant sont li bouvier levé ;
L’un prent tinel, l’autres maçue,
Et li prestres ne se remue,
Sempres aura le col carchié,
A ce que il sont moult irié
Por lor seignor qui ainsi crie ;
Toute est levée la mesnie ;
Cele part corent et vont tuit.
Or n’a li prestres de réduit,
Fors tant qu’il entre en .I. toitel
Où brebis gisent et aignel ;
Iluec se tapist et achoise.
Or fu au lit grande la noise
De la dame et de son mari,
Qui moult avoit le cuer mari
De ce qu’il a perdu sa paine :
A paine puet r’avoir s’alaine,
Tant orent hustiné ensamble.
Mès la mesnie les dessamble,
Si est remèse la meslée.
Et Alous a trète s’espée,
Celui quiert avant et arrière ;
N’i remest seille ne chaudière,
Que li bouvier n’aient remut.
Or sevent bien et voient tuit
Que par songe est ou par arvoire ;
Ne tienent pas la chose à voire.
« Sire, font-il, lessiez ester ;
Alons dormir et reposer ;
Songes fu ou abusions.
— Vois por les vaus, vois por les mons,
Fet Alous, qui ne mariroit,
Quant je le ting orains tout droit
A mes .II. mains, et vous que dites ?
Conment ! s’en ira-il donc quites ?
Alez le querre en cel mestier,
Et sus et jus en cel solier,
Et si gardez soz cel degré :
Moult m’aura cil servi à gré
Qui premiers le m’enseignera ;
.II. sestiers de forment aura,
Au Noel, outre son loier. »
Quant ce entendent li bovier
Qui moult covoitent le forment,
Çà et là vont isnelement ;
Tout par tout quièrent sus et jus ;
S’or n’est li prestres bien repus,
Tost i puet perdre du chatel.
Or avoit-il enz en l’ostel
Hersent, une vieille bajasse,
Qui moult estoit et mole et crasse ;
En l’estable s’en vient tout droit
Où li prestres repuz estoit,
Tous sanz lumière et sanz chandeille ;
Les brebis eschace et esveille,
Et va querant et assentant
Où li prestres ert estupant ;
S’avoit ses braies avalées,
Et les coilles granz et enflées,
Qui pendoient contre val jus :
Or est li eus entor velus ;
Si sambloit ne sai quel figure.
Hersens i vint par aventure ;
Ses mains geta sor ses collions ;
Si cuide que ce soit moutons
Qu’ele tenoit iluec endroit
Par la coille qui grosse estoit ;
Et .I. poi met ses mains amont ;
Velu le trueve et bien roont
En .I. vaucel en le moière ;
Hersent se trest .I. poi arrière ;
Si se merveille que puet estre.
Et cil, qui veille, c’est le prestre,
Hersent saisi par les timons,
Si près de li s’est trais et joins
Qu’au cul lui a pendu sa couple.
Or est Hersent merveille souple,
Ne set que fère ; s’ele crie,
Toute i vendra jà la mesnie ;
Si sauroient tout cest afère ;
Dont li vient-il miex assez tère
Qu’ele criast, ne féist ton.
Hersent, ou ele vueille ou non,
Sueffre tout ce que li a fait,
Sanz noise, sanz cri et sanz brait ;
Fère l’estuet, ne puet autre estre.
« Hersent, fet-il, je sui le prestre ;
A vo dame ère ci venuz.
Mais j’ai esté apercéuz ;
Si sui ci en grant aventure ;
Hersent, gardez et prendez cure
Conment je puisse estre delivres,
Et je vos jur sur toz mes livres
Que toz jors mes vous aurai chière. »
Hersent, qui fet moult mate chière :
« Sire, fet-ele, ne cremez,
Quar, se je puis, bien en irez. »
A tant se liève, si s’en part
Hersens[7], qui auques savoit d’art ;
Samblant fet qu’ele soit irée,
A haute voiz[8] s’est escriée :
« Fil à putain, garçon, bouvier,
Que querez-vous ? Alez couchier,
Alez couchier, à pute estraine ;
Come a or emploie sa paine
Ma dame, qui tant bien vous fet !
Moult dit bien voir qui ce retret :
Qui vilain fet honor ne bien,
Celui het-il sor toute rien ;
Tel loier a qui ce encharge.
Ma dame n’a soing de hontage,
Ainz est certes moult bone dame ;
Bon renon a de preude fame.
Et vous li fètes tel anui.
Mès, se j’estoie com de i,
Céenz n’auriez oés ne frommage
S’auriez restoré le domage ;
Des pois mengerez et du pain ;
Bien vous noma à droit vilain
Cil qui premiers noma vo non,
Par droit avez vilain à non,
Quar vilain vient de vilonie.
Que querez-vous, gent esbabie ?
Que menez-vous tel mariment ? »
Quant li bouvier oient Hersent
Et il entendent la manace[9],
S’ont grant paor que li frommage
Ne voist chascun de fors le ventre ;
Tout maintenant vienent ensamble
Por eus desfendre[10] et escondire :
« Hersent, font-il, ce fet no sire,
Qui nous fet fère son talant ;
Mes ce sachiez d’ore en avant,
N’i a celui qui s’entremete ;
No dame done sanz prometre,
Et si est moult et preus et sage,
Et noz sire fet grant outrage
Qui à si grant tort la mescroit ;
Or entend bien avoec, et voit
Que il a tort ; si va couchier. »
Recouchié sont tuit li bouvier.
Et Alous moult sa fame chose,
Et dist que ne face tel chose,
Dont il ait honte en mi la voie.
« Diex, com puis ore avoir grant joie,
Fet la dame, de tel seignor
Qui me porte si grant honor !
Honis soit or tels mariages,
Et honis soit li miens parages
Qui à tel homme m’ont donée ;
Ne jor, ne soir, ne matinée,
Ne puis avoir repos ne bien,
Et si ne set ne ne voit rien
Porqoi il me mescroit issi.
Moult aura lonc afère ci,
S’ainsi me veut adès gueter ;
Dès ore a moult à espier ;
Assez a encarchié grant fais.
— Dame, fet-il, lessiez me en pais,
A mal éur aiez repos. »
A tant li a torné le dos,
Et fet semblant que dormir doie.
Et li prestres, qui ne s’acoie,
Qui en l’estable estoit repuz,
De rechief est au lit venuz :
Si se couche avoeques s’amie,
Et Alous, qui ne dormoit mie,
Sent que li prestres est montez,
Et lui méisme est porpensez
Que il sont dui, et il est seus :
Si n’est mie partiz li geus,
Quar il est seus et il sont dui ;
Tost li porroient fère anui,
S’il començoient la meslée.
Tout coiement a pris s’espée,
D’iluec se liève, si les lait ;
A ses bouviers iriez revait :
« Dors-tu, fet-il, va, Rogelet ?
Foi que doi ti, revenuz est
Cil qui ma fame m’a fortret ;
Estrange honte m’aura fet ;
Eveille tost tes compaignons,
S’alons à lui, si l’assaillons,
Et se par force prendons l’oste,
Chascuns aura ou chape ou cote,
Et son braioel à sa mesure. »
Si s’afiche chascuns et jure,
Quant il entendent la promesse,
Que maus eus lor chantera messe,
Se le puèent tenir aus poins.
Hersent, qui n’estoit mie loins,
Qui n’ert encore recouchie,
S’estoit à un huis apoïe ;
D’iluec entendoit tout le fet,
Et tout l’afère et tout le plet,
Conment Alous porquiert sa honte.
Au prestre[11] vient, et se li conte ;
Mès or se liet, et si se gart.
Et li prestres[12] d’iluec se part,
Mès trop se tarde à destorner ;
Ce li porra sempres peser,
Qu’Aloul en mi sa voie encontre :
« Diex, fet li prestres, bon encontre. »
Et Alous saut et si le prent
Par les cheveus iréement ;
« Or ça, fet-il, fil à putain,
Or i metez chascun sa main,
Esforciez[13]-vous du retenir. »
Qui lors véist bouviers venir,
Se li uns fîert, li autres boute,
Come cil qui n’i voient goute :
Por le prestre ont Aloul aers,
Les os li froissent et les ners ;
Del retenir s’esforcent[14] tuit,
Et li prestres saut, si s’enfuit,
Ne set quel part, quar il est nuis,
Si ne set assener à l’uis,
Moult volentiers vuidast l’ostel,
Tant que il trueve .I. grant tinel,
Et taste à terre et trueve .I. van ;
Fez ert en méisme cel an ;
Li vans ert moult et granz et lez,
Apoiez ert à uns degrez.
Le van a pris et si l’en porte[15]
Sus les degrez, et s’en fet porte,
Iluec vaudra estai livrer :
Bien saura son parrin nommer[16]
Qui là vaudra à lui venir,
Tant come il se porra tenir.
Or ert li prestre en forterèce,
Et Alous est en grant destrèce,
Que li vilain ont entrepiez ;
Vilainement fust jà tretiez,
S’il ne se fust si tost nommez.
Ours ne fu onques miex foulez,
Que li vilains prist au broion,
S’il ne nomast si tost son non.
Quant il sèvent que c’est lor sire,
Si ne sèvent entre eus que dire,
Que moult en est chascuns iriez.
« Sire, font-il, estes bleciez ?
— Naie, fet-il, j’ai pis éu ;
Mès or tost alumez le fu,
Et si fètes au couvenant[17]. »
Le feu alument maintenant,
Par la méson quièrent le prestre ;
Rogiers, qui ert toz li plus mestre,
Son Seignor veut servir à gré.
Contremont puie le degré
Dont li prestres l’entrée garde ;
Mès Rogiers, qui ne s’en prent garde,
Sempres aura une cacoute ;
Le van, qu’il tint, enpaint et boute
Si qu’il le perce et qu’il l’esloche,
Et li prestres vers lui s’aproche ;
Tele li paie sor l’eschine,
De son tinel, que tout l’encline
Jus del degré enmi la place.
Or a Rogiers ce que il chace ;
Se Rogiers a riens qui li poist,
Ce m’est avis, c’est à bon droit :
Qu’aloit-il querre la folie[18] ?
Ez-vous Aloul et sa mesnie ;
« Diva, fet-il, es-tu hurtez ?
— Sire, fet-il, mal sui menez ;
Tout ai froissié et cors et vis.
Que je ne sai quels Antecris
M’a si féru seur cel degré ;
Près va que n’ai le cuer crevé ;
Mestier auroie de couchier. »
Sor les degrez vont li bouvier ;
« Par le cul bieu, qui est-ce dont ? »
Lor buissons lievent contremont ;
Savoir vuelent ce que puet estre,
Et gardent, et voient le prestre
Qu’est apoiez deseur la porte,
Et voient le tinel qu’il porte ;
Si se traient chascuns arière,
Quar paor ont que il nés fière,
Et Alous saut, s’espée trait,
Hardiement vers lui en vait,
Com cil qui moult est aïrez.
Contremont puie les degrez,
Monte .IIII. eschaillons ou .III. ;
Le prestre escoute, s’est toz cois.
Fet-il : « Qui estes-vous là sus ?
— Li prestres sui, estez en sus.
Qui fortune grieve et demaine ;
Est-il ore jors de quinsaine ?
Je cuidoie qu’il fust Noel,
S’ai grant paor que cest tiné[l]
Ne vous viengne parmi le col ;
Bien se porra tenir por fol
Qui sentira combien il poise. »
Dont reconmença la grant noise
Entre le prestre et les bouviers.
Alous, qui auques estoit fiers,
Tant a aie qu’il vint au van ;
Si en abat le meillor pan
A s’espée qui bien trenchoit.
Li prestres, quant il l’aperçoit
Que on abat sa forterece,
Cele part son tinel adrece,
Et fiert Aloul par tel vigor
Qu’il li fet prendre .I. si fet tort
Qu’aine tant come il mist à descendre,
Ne trova point de pain à vendre.
Quant à terre par fu venuz,
S’est si dolenz, s’est si confuz,
Qu’il ne pot dire .I. tout seul mot.
« Aloul, céenz sont li malot,
Fet li prestres, en ce tinel ;
Ne vous vuelent en lor ostel,
Ce m’est avis, acompaignier ;
Mès, se léenz éust bouvier
Qui en éust meillor éur,
Viegne ça sus tout aséur,
Moult bien puet estre de l’ostel ;
Mès, s’il i pert de son chatel,
De rien n’en revendra à moi,
Quar cist chastiaus est en defoi ;
Dont i fet-il mauvès monter. »
Qui donc oïst bouviers jurer
Les mons, les tertres et les vaus,
Ainz i sera chascuns si chaus,
Et si matez, et si delis,
C’on les porra escorchier vis,
Ainz qu’il ne l’aient mis à terre.
Lors reconmence la granz guerre
Entre le prestre et les bouviers ;
Moult i sera li assaus fiers.
Au degré sont tuit assamblé
Li bouvier, qui moult sont troublé ;
Por lor seignor sont coroucié.
Jà ont tant fet et tant drecié
Tout environ et bans et perches,
Seles, eschieles, eschamperches,
Qu’au prestre vienent à delivre.
Et il si bien d’aus se delivre
Qu’il n’i a si hardi, ni tel,
Ne .I., ne autre, enz en l’ostel,
Tant soit garnis ne bien couvers,
Qu’il ne le trebuche à envers
Jus de l’eschiele, maugré sien ;
Quar il entent et voit très bien
Que, s’il le tienent à delivre,
A deshonor le feront vivre,
A grant vergoingne et à grant honte.
A tant ez Robin qui i monte,
.I. des plus fors de tout l’ostel ;
En sa main tient .I. si grant pel
Qu’à grant paine le soustient-il ;
Là où en a .IIIc. ou mil,
N’i a il plus hardi qu’il est ;
Cil passe d’auques Rogelet,
Quar moult est plus entremetanz ;
Moult se tendra por recréanz
Se il ne venge son seignor ;
C’est cil qui porte le tabor
Le Diemenche à la carole.
De rien le prestre n’aparole,
Ainz vient avant ; si l’empaint outre,
Et le prestre de son pel boute
Si qu’il le fet tornerseur destre ;
Puis vint avant, s’aert le prestre
Par les cheveus ; à lui s’acouple,
Et cil, qui crient perdre sa couple,
Se dresce, s’a estraint les denz,
Robin sesi parmi les lenz ;
A ses .II. mains à lui le tire,
Et cil resache par grand ire ;
Si s’entretienent vivement
C’on les péust sus .I. jument
Porter ans .II., se il fust qui.
Et li bouviers lievent le cri :
« Seignor, font-il, montons là sus ;
Prenons bastons, tineus et fus ;
S’alons no compaignon aidier. »
Quant assamblé sont li bouvier,
Si montent tuit communaument,
Et li prestres, quant il entent
Que Robins doit avoir aïue,.
Si se resforce et esvertue ;
Tant a Robin à lui tiré,
Que desouz lui l’a enversé
Toz les degrez outre son vueil,
Si qu’il li samble que li oeil
Li soient tuit du chief sailli.
Mès or sont-il si mal bailli
Qu’il ne se pueent retenir,
Ainz les couvint[19] aval venir ;
Les degrez ont toz mescontez,
Et si les a toz enversez
Cil qui aloient à l’assaut,
Tant ert jà chascuns montez haut,
Que sempres se tendront por fol.
Li degré chiéent seur lor col,
Si les trébuchent et abatent,
Les pis, les testes lor debatent,
Les braz, les flans, toz les costez ;
Bien ont toz les degrez contez.
Quant à terre par sont venu,
Si chéirent ensamble el fu,
Qui moult estoit alumez granz.
Moult souffrirent cil granz ahanz
Qui desouz furent, ce sachiez ;
Qui plaint ses braz, et qui ses piez,
Et qui son cors, et qui sa teste.
Or vous dirai conment le prestre
Est mal baillis et decéuz ;
Quant à terre fu parvenuz,
Si le saisi dans Berengiers.
C’est uns vilains, c’est .I. bouviers ;
Les jumenz seut chacier devant ;
Aine ne véistes son samblant ;
L’un œil a lousque, et l’autre borgne ;
Toz diz regarde de clicorgne ;
L’un pié ot droit, et l’autre tort.
Cil tint le prestre si très fort
Par .I. des piéz qu’il ne li loist
A reperier là où soloit,
Ainz huche et crie hautement :
« Que fètes-vous, mauvese gent ?
Venez avant, et si m’aidiez
Que cis prestres soit escoilliez.
Par les nons Dieu, s’il nous eschape,
Chascuns aura perdu sa chape
Que nous promist, et no cotele. »
Quant li prestres ot la novele,
Sachiez que point ne li agrée ;
Tant a sa jambe à soi tirée
Que des mains dant Berengier l’oste ;
Mès il i a lessié sa bote,
Et son sorcot por son ostage ;
Miex li vient-il lessier son gage
Que de lessier son autre afère.
Bien voit qu’il n’a léenz que fère ;
D’iluec se lieve, si les lesse,
Et chascuns après lui s’eslesse ;
Qui rue fust, et qui tinel.
Li prestres entre en .I. chapel ;
Si se pent là sus contremont ;
Ses genouz met tout en .I. mont ;
Si se quatist que on nel truist.
Cil i vienent, si font grant bruit ;
El chapel sont trestuit entré,
Mès il n’ont nule rien trové,
Ne .I. ne el, néis le prestre ;
Moult se merveillent que puet estre ;
Ce lor samble estre faerie.
Li plus sages ne set que die ;
Si sont dolant et abosmé ;
Tuit cuident estre enfantosmé
Del prestre, qui les a brullez ;
Forment en est chascuns irez.
Del chapel sont tuit fors issu ;
A lor seignor en sont venu ;
Se li ont les noveles dites
Que li prestres en va toz quites.
« Quites, déable, fet Alous,
Et je remaindrai ci si cous ;
N’en serai vengiez par nului !
Des or me torne à grant anui
Li acointance de ce prestre.
Se vos volez mi ami estre,
Si le m’aidiez à espier
Une autre foiz. Alons couchier,
Que je suis moult bleciez ès costes ;
Maudiz soit ore si fèz ostes
Qui cop me fet et si me blece !
N’aurai mès joie, ne leece,
Si me serai de lui vengiez. »
Atant se r’est Alous couchiez.
« Seignor, fet-il, prenez escout
En cele cort et tout par tout,
Car il me samble tout por voir
Qu’il soit ancor en cest manoir ;
Por ce, s’en cest manoir estoit
Nul lieu repuz, trover seroit.
— Sire, à bon eur, font li bouvier ;
Mès il nous covendra mengier,
Que nous avons anuit veillié ;
Si sommes auques traveillié ;
N’i a celui ne soit lassez.
— Ce vueil-je, fet Alous, alez,
Mengiez, et si veilliez trestuit ;
N’i a mes gueres de la nuit ;
De legier le poez veillier. »
Lors se départent li bouvier ;
Si font grand feu por aus chaufer ;
Entr’aus conmencentà parler ;
Du prestre et de s’aventure
Li uns à l’autre si murmure :
Quant assez orent murmuré,
Et dit, et fet et raconté,
Si reparolent du mengier ;
C’est la costume du bouvier ;
Jà n’en ert liez s’il ne menjue.
Rogiers, qui porte la maçue
Desus toz cels de la meson,
Conmande c’on voist au bacon
Et aporce on[20] des charbonées,
Mès qu’eles soient granz et lées,
Si que chascuns en ait assez.
Entruès est Berengiers levez
Par le Rogier conmandement ;
Un coutel prist isnelement,
Qui d’acier est bien esmoluz.
Tant a alé qu’il est venuz
Droit au chapel, où li bacons
Estoit penduz sus les bastons ;
Berengiers va par tout tastant
Le plus cras à son esciant,
Quar il set bien que el plus cras
Est tout adès li mieudres lars.
Endementiers que il le taste,
Le prestre saisi par la nache ;
Par leus le trueve mole et dure ;
Si cuide que ce soit presure,
C’on i saut pendre en tel manière.
Avant retaste, et puis arrière,
Tant qu’il encontre les genous ;
Si cuide avoir trové os cors
C’on i ait mis por le sechier ;
Forment se prist à merveillier
De ce qu’il trueve tel harnas.
Sa main a mis de haut en bas ;
S’a encontre le vit au prestre.
Or ne set-il que ce puet estre,
Por ce que il le trueve doille,
Se c’est chauduns, ou c’est andoille
Con i ait mis por essuer.
Celi voudra, ce dist, coper,
Por ce que c’est uns bons morsiaus.
Li prestres ot que li coutiaus
Li vaitsi près des genetaires ;
Si ne mist au descendre gaires ;
Seur Berengier chiet à .I. fais,
Les os li a brisiez et frais ;
Près va qu’il n’a percié le col.
Or se tient Berengiers por fol,
Quant il i vint sanz le craisset.
Au retorner arrier se met ;
Au feu en va toz esmanchiez :
« Seignor bouvier, fet-il, aidiez,
Que cil bacons soit rependuz ;
La hars est route ; s’est chéuz ;
Par pou ne m’a le col tout frait
Parmi le col ; ait mal dehait
Li machecliers qui le dut pendre. »
Qui donc véist lumière prendre
Et alumer par la meson ;
Berengiers les maine au bacon
Por esgarder et por véir
Conment ce fut qu’il pot chéir.
Quant il parvindrent el chapel,
N’i troverent ne .I. ne el ;
Là sus estoient les bacons,
Si com devant, sor les bastons,
Tout .XX. ; n’en ert nés .I. à tire ;
Lors conmencierent tuit à rire.
Li .I.[21] dient que Berengier
N’osa le bacon aprochier ;
Li autres dist que bien puet estre
Que il avoit paor du prestre ;
Por ce fu-il si effraez.
« Seignor, fet-il, or est assez ;
Bien puet huimès ce remanoir ;
Mès je di bien, et si di voir,
Que je senti que uns bacons
Chéi sor moi o les jambons ;
Encore i avoit-il presure,
Que je senti et mole et dure ;
Or esgardons que ce puet estre. »
— Je cuit, font-il, que c’est le prestre,
Dont Berengiers senti les piez ;
Por nous estoit là sus muciez ;
Gardons partout que il n’i soit. »
Et Berengiers garde, si voit
Le prestre ester devers .I. huis ;
Mès li obscurtéz et la nuis
Li desfent moult à raviser.
Le prestre prent à portaster.
Et li prestres, quant il entent
Que Berengiers le voit et sent,
Si set très bien que trovez iert ;
Entre col et chapel le fiert
Del poing, qu’il ot gros et quarré,
Si qu’à ses piez l’a enversé :
« Alez, fet-il, dant Berengier,
Avez vous tost vostre loier ;
Destornez-vous, et levez sus ;
Cuites estes et absolus ;
Ne sai doner autres pardons ;
Fetes venir voz compaignons,
Si auront part en ceste offrande.
Fols est qui fol conseil demande ;
Ne vous tieng mie trop à sage,
Quant de fère si fet message.
Aviez seur toz pris le baston ;
Adès vuelent cil viez bordon
Lor talent fère et acomplir.
Fetes voz compaignons venir ;
S’auront de ce bienfet lor pars. »
Qui donques véist de toutes pars
Venir bouviers à grant foison,
Sempres aura male leçon
Li prestres, s’il ne se desfent.
Et Rogiers saut premierement ;
Si le saisi par la main destre,
Et li prestres de sa senestre
L’a si féru arrière main
Que tout le fet doloir et vain.
Moult fust en maies mains Rogiers,
Ne fust la torbe des bouviers
Qui moult l’angoisse et moult l’apresse ;
Des bouviers i avoit tel presse
Que tout emplissent le chapel ;
Mès il ont doute du tinel,
Dont il avoit devant servi.
Tel noise mainent et tel cri
Que Alous lor sire s’esveille,
Qui de la noise s’esmerveille ;
Tantost conme il la noise entent,
Aperçoit-il tantost et sent
Que c’est li prestres ses amis,
Qui de rechief s’est léenz mis.
Il saut en piez, si trait l’espée,
Si s’en vint droit à la meslée ;
Quant parvenuz fu à l’assaut,
Parmi trestoz ses bouviers saut ;
S’aert le prestre par derrière,
Et cil le fiert parmi la chière,
Si qu’il l’abat sor .I. bouvier.
Mès que vaudroit à detrier ?
De toutes pars chascuns l’assaut,
Et sa desfense poi li vaut.
Retenu l’ont et pris entr’aus ;
Par tant si est remez l’assaus.
Alous à ses bouviers demande
S’il l’ocirra, ou il le pande.
Il respondent communement
Qu’il n’en puet fère vengement,
De qoi on doie tant parler,
Come des coilles à coper.
« Coper, fet Alous, mès noier.
Et ne pourquant soit au trenchier,
Quar vous dites parole voire ;
Vostre conseil vueil-je bien croire ;
Or alez, le rasoir querez
Dont cil prestres sera chastrez ;
Fetes isnelement et tost. »
Quant li prestres entent et ot
C’on dit de lui itel parole,
Doucement Aloul aparole.
« Aloul, dist-il, por Dieu merci,
Ne me desfigurez issi ;
De pechéor miséricorde.
— Jà voir n’en sera fête acorde,
Fet Alous, à nul jor, ne paie. »
Se li prestres dès lors s’esmaie,
De legier le puet-on savoir.
Il ont aporté le rasoir,
Le prestre enversent et abatent ;
Moult le laidengent et debatent,
Ainz qu’il le puissent enverser ;
.I. taiseron font aporter
Por les jambes miex eslaisier.
« Liquels s’en saura miex aidier
Viegne, si praingne le rasoir.
— Je, sire, fet Berengiers, voir ;
Je li aurai moult tost copées. »
Les braies li ont avalées,
Et Berengiers jus s’agenoille,
Si prent le prestre par la coille.
Jà fust le prestre en mal toeillé,
Quant la dame, le feu toeillé,
Vint acorant à sa baisselle ;
Devant li trueve une grant sele,
Qui moult estoit et fors et granz ;
A ce qu’ele est fors et pesanz,
Fiert Berengier si sor l’eschine
Qu’ele renversa et encline ;
Près va que n’a perdu la vie.
Et Hersens prent une hamie ;
Si le fiert si parmi les rains
Que li craissès[22] li est estains,
Et li bouvier tout se departent
Por les granz cops qu’eles departent ;
Chascune tel estor i livre
Que le prestre tout à delivre
Ont mis et jeté du manoir,
Et il s’enfuit, si fet savoir,
Lassez et traveilliez et vains.
Bien ert chéus en males mains,
Quar si cheveil contremont tendent
Et les pesques contreval pendent
De son sorcot et de sa cote ;
En gage i a lessié sa bote.
Eschapez est de grand peril ;
Moult a esté en grant escil.
- ↑ XXIV. — Le Flabel d’Aloul, p. 255.
Publié par Barbazan, II, 252 ; par Méon, III, 326-357 ; et donné en extrait par Legrand d’Aussy, IV, 201-203.
- ↑ Vers 1 — veult, lisez veut.
- ↑ 77 — conois, lisez connois.
- ↑ 129 — sorvengne, lisez sorviengne.
- ↑ 205 — defferm, lisez desferm.
- ↑ 214 — descent, lisez destent.
- ↑ 384 — Hersent, lisez Hersens.
- ↑ 386 — voix, lisez voiz.
- ↑ 411 — menace, lisez manace.
- ↑ 415 — deffendre, lisez desfendre.
- ↑ 482 — prestres, lisez prestre.
- ↑ 484 — prestre, lisez prestres.
- ↑ 493 — Efforciez, lisez Esforciez.
- ↑ 499 — efforcent, lisez esforcent.
- ↑ 509 — emporte, lisez en porte.
- ↑ 512 — parin nomer, lisez parrin nommer.
- ↑ 529 — convenant, lisez couvenant.
- ↑ 547 — là, folie ; lisez la folie.
- ↑ 676 — convint, lisez couvint.
- ↑ 787 — apoice-on, lisez aporce on.
- ↑ 847 — uns, lisez (.I.) un.
- ↑ P. 287, l. 21, craissés, lisez craissès.
XXV
LA SAINERESSE.
’un borgois vous acont la vie,
Qui se vanta de grant folie
Que fame nel[2] poroit bouler.
Sa fame en a oï parler ;
Si en parla privéement,
Et en jura un serement
Qu’ele le fera mençongier,
Jà tant ne s’i saura gueter.
.I. jor erent en lor meson
La gentil dame et le preudon ;
En un banc sistrent lez à lez ;
N’i furent guères demorez,
Ez-vos un pautonier à l’uis
Moult cointe et noble, et sambloit plus
Fame que home la moitié,
Vestu d’un chainsse deliié[3],
D’une guimple bien safrenée,
Et vint menant moult grant posnée ;
Ventouses porte à ventouser,
Et vait le borgois saluer
En mi l’aire de sa meson.
« Diez soit o vous, sire preudon,
Et vous etvostre compaignie.
— Diex vous gart, dist cil, bele amie ;
Venez seoir lez moi icy.
— Sire, dist-il, vostre merci,
Je ne sui mie trop lassée.
Dame, vous m’avez ci mandée
Et m’avez ci fete venir ;
Or me dites vostre plesir. »
Cele ne fu pas esbahie :
« Vous dites voir, ma douce amie,
Montez là sus en cel solier ;
Il m’estuet de vostre mestier.
Ne vous poist, dist-ele au borgois,
Quar nous revendrons demanois ;
J’ai goute ès rains moult merveillouse,
Et, por ce que sui si goutouse,
M’estuet-il fere .I. poi sainier. »
Lors monte après le pautonier ;
Les huis clostrent de maintenant.
Le pautonier le prent esrant ;
En .I. lit l’avoit estendue
Tant que il l’a .III. fois foutue.
Quant il orent assez joué,
Foutu, besié et acolé,
Si se descendent del perrin
Contreval les degrez ; en fin
Vindrent esrant en la meson.
Cil ne fut pas fol ni bricon,
Ainz le salua demanois :
« Sire, adieu , dist-il au borgois.
— Diez vous saut, dist-il, bele amie ;
Dame, se Diex vous benéie,
Paiez cele fame moult bien ;
Ne retenez de son droit rien
De ce que vous sert en manaie.
— Sire, que vous chaut de ma paie,
Dist la borgoise à son seignor ?
Je vous oi parler de folor,
Quar nous deus bien en couvendra[4]. »
Cil s’en va, plus n’i demora ;
La poche aus ventouses a prise.
La borgoise se r’est assise
Lez son seignor bien aboufée.
« Dame, moult estes afouée.
Et si avez trop demoré.
— Sire, merci, por amor Dé,
Jà ai-je esté trop traveillie ;
Si ne pooie estre sainie,
Et m’a plus de .C. cops férue,
Tant que je sui toute molue ;
N’onques tant cop n’i sot ferir
C’onques sanc en péust issir ;
Par .III. rebinées me prist.
Et à chascune fois m’assist
Sor mes rains deux de ses peçons,
Et me feroit uns cops si lons ;
Toute me sui fet martirier,
Et si ne poi onques sainier.
Granz cops me feroit et sovent ;
Morte fusse, mon escient,
S’un trop bon oingnement ne fust.
Qui de tel oingnement éust,
Jà ne fust mes de mal grevée.
Et, quant m’ot tant demartelée.
Si m’a après ointes mes plaies
Qui moult par erent granz et laies,
Tant que je fui toute guerie.
Tel oingnement ne haz-je mie.
Et il ne fet pas à haïr,
Et si ne vous en quier mentir ;
L’oingnement issoit d’un tuiel.
Et si descendoit d’un forel
D’une pel moult noire et hideuse.
Mès[5] moult par estoit savoreuse. »
Dist li borgois : « Ma bèle amie,
A poi ne fustes mal baillie ;
Bon oingnement avez éu. »
Cil ne s’est pas apercéu
De la borde qu’ele conta.
Et cele nule honte n’a
De la lecherie essaucier ;
Portant le veut bien essaier ;
Jà n’en fust paie à garant,
Se ne li contast maintenant.
Por ce tieng-je celui à fol
Qui jure son chief et son col
Que fame nel poroit bouler
Et que bien s’en sauroit garder.
Mès[5] il n’est pas en cest païs
Cil qui tant soit de sens espris
Qui mie se péust guetier
Que fame nel puist engingnier,
Quant cele, qui ot mal ès rains,
Boula son seignor premerains[6].
- ↑ XXV. — La Saineresse, p. 289.
Publié par Barbazan, III, 149 ; par Méon, III, 451-454 ; et donné en extrait par Legrand d’Aussy, IV, 308-309, sous le titre « De la femme qui se fit saigner ».
- ↑ Vers 3 — n’el, lisez nel.
- ↑ 16 — deslié, lisez deliié.
- ↑ 61 — convendra, lisez couvendra.
- ↑ a et b 96 et 111 — Mais, lisez Mès.
- ↑ 116 — presmerains, lisez premerains.
XXVI
D’UNE SEULE FAME
DE TOUS POINS.
n ung chastel sor mer estoient
Cent chevalier, qui là manoient,
Pour aus et le païs desfendre,
Par que nus ne les pouïst prendre.
Chascun jor assaut lor livroient
Sarrazin, qui Deu ne créoient.
Par acort furent treves mises
Entre les parties et prises,
Tant que chascun à lonc sejour
Retorna et fist son labour.
Li chastiax estoit biax et gens,
Mais assis estoit loing de gens ;
Deux fames entr’ax touz avoient,
Qui por aus buer les servoient ;
Assez estoient de bel atour.
Qui plus plus, qui miex, à son tour,
D’eles faisient lor volenté
Chascuns, et à cele plenté,
Et sà et là, ce est la somme,
Com fame puet miex servir home.
Ainsis furent par moult lonc tems,
Tant qu’entre aus orent .I. contens
Por les fames, ce m’èt avis ;
Car chascuns d’aus à son devis
Les vouloit avoir à son tour,
Sans faire as autres nul retour.
Quant les fames sorent la noise,
N’y a cele ne s’en envoise,
Car chascune en cuide bien faire
Son preu par li, et touz atraire ;
Chascune en ot au cuer grant joie,
D’ame furent com rat en moie.
Li plus sages se porpencerent,
Et ainsis le contens osterent,
Que chascune d’eles par rente
Serviroit Chevaliers cinquente,
Ne nus ne porroit[2] par justice
Faire à l’autre préjudice ;
Einsis cil et celes ansamble
S’acordèrent, si com moi samble[3].
Einsis furent bien longuement,
Tant qu’il avint, ne sai coment,
Que les treves furent rompues
Et les guerres sont revenues,
Et li assaus est revenus
Des Sarrazins et fort tenus,
Et li Chevalier dou chastel
S’adoubèrent et bien et bel,
Qui grant talent avient d’abatre
Les mescréans par bien combatre.
Yssu[4] sont fors à ost bennie
Toute la noble compeingnie,
Mais que .II. Chevalier, qui jurent
Au lit por ce que blecié furent.
Li uns avoit le col plaissié,
Et li autres le bras brisié ;
Esté avoient au tournoi
Où pris avoient ce bonoi.
Cilz au bras bien se contenoit ;
L’autres point ne se soustenoit,
Car dou mal l’esconvint mourir,
Et de cest siecle defenir.
Evous[5] le grant assaut repris
Contre nos Chevaliers de pris ;
Moult fu fors li abatéis
Des mescrens, et li feréis ;
Bien estoient .XV. millier,
Sarrasin, Persans et Escler[6].
Ainsis avint, que Dex le vot,
C’unne cité près d’anqi ot,
Où avoit Crestiens en treuage
Des Sarrasins et en servage,
Qu’oïrent dire la novèle
Que des Chrestïens la rouèle
Aloit à grant perdicion,
Se d’ax n’avient subvencion.
Il s’arment et aidier lor vont ;
Les Sarrasins desconfit ont ;
Tant chaplèrent et tant ferirent
Que les Sarrasins desconfirent ;
Chascuns en fu manans et riches,
Se il ne fu trop fox ou nices.
En la cité alèrent prendre
L’avoir, et les Sarrasins pendre,
Et près d’uit jors i sejornerent
Pour ce que moult travillié ierent.
De ciax-ci illuec vous lairai ;
Dou Chevalier blecié dirai
Qu’avoit héu le bras brisié ;
Forment l’en a au cuer pesé
Qu’il n’a esté en la bataille
Avecques les autres sens faille,
Car dou chastel vit vraiement
La fin et l’encommencement.
L’autre fame, non pas la soe,
S’en vint vers li, faisant la roe,
Et bien savoit de sa compeingne
Qu’ele estoit en autre besoingne ;
En decevant l’araisonna,
Et soutilment l’ocoisonna,
Com cele qu’ot mis s’estudie
Por qu’il féist de li s’ammie.
Tant fist cele, tant l’asproia
Que li Chevaliers la proia,
Et as mains la traist sor son lit
Et en vot faire son delit.
Cele li court[7] à la poistrine
Et sa face li esgratine,
Et li dist : « Chevalliers fallis,
Jà de moi n’arez vo delis,
Tant com vive la vostre amie.
En vos n’a loiautéz demie ;
Vos ne devez, bien dire l’ose,
Moi requerir de tele chose ;
Vos i avez vo sairement. »
Et cilz li respondit briément,
Qui fu souprins de ses paroles
Decevens, attraians et moles :
« Ou mourir t’esteut maintenent[8],
Ou faire mon commendement.
— Miex ain mourir, se morir doi,
Que por vos face tel desroi
Contre ceax à cui suiz donée,
Qui m’ont de lor amor douée ;
Jà non ferai, coment qu’il praingne ;
Vos le diriez à ma compaingne. »
Ainsis au Chevalier argue,
Dont la prent, et en lit la rue,
Et en vot faire son plaisir.
« De ce vos povez bien taisir,
Que jà à ce ne me menrois,
Que vo talent de moi façois,
Fait cele, se n’est en tel guise
Que ma compeingne soit occise,
Qu’en li n’a point de loiauté,
Ne je ne pris riens sa bonté. »
Tant l’a cele forment despite
Par les paroles qu’el a dite
Que li Chevaliers li otroie :
« Or faites dont que je le voie. »
Li Chevaliers va cele querre ;
Des quarniax la rue à terre,
Et cele chiet morte pasmée,
Come cele qui fu acourée.
Landemain si compaignon vindrent,
Et lor parlement à li tindrent,
Où lor soingnans alée estoit.
Cil lor respont qu’il ne savoit.
Tant la quistrent et tant alèrent
Qu’an fossez morte la trovèrent,
Dont li demandent l’occoison
Por coi morut, par tel raison.
Li Chevaliers conté lor a
Coment la fame l’argua,
A faire einsis l’occision ;
Le fait et la narracion
Lor a conté, ce est la somme.
Li Chevalier furent prodome ;
Lor compaignon pas ne tuerent.
Adonc la fame entr’ax hucherent
Pour qu’avoit fait tel murtre faire
Et sa compeingne einsis desfaire.
Cele respont : « Jel vos dirai,
Que jà d’un mot n’en mentirai.
Dou deul de ma compeingne avoie,
Pour ce c’on li faisoit plus joie
Qu’à moi, si com il me sembloit,
Et de vos miex amée estoit.
Pour soupeçon de jalousie,
Par hayne traicte d’envie,
Pour ce la haïoie si forment,
Qu’il ne me chaut de quel torment
Desormais morir me faciez.
Mais, se respitier me voliez,
Ce que nous .II. fere souliens
Feroie ; jà n’en faudroit riens. »
Li Chevalier l’ont respitie
Que ne fu pas à mort jugie.
Molt se pena d’aux bien servir,
Par que lor gré puit desservir.
Tant fist qu’aussi bien les servoit
Com lors quant deuz en y avoit,
Ne ne se vont aparcevant
De desfaut nul ne que devant.
Einsis fust par ceste aventure
Délivrée de mort obscure ;
Des Chevaliers fu si privée
Que ses services lor agrée ;
Onc ne recrut de lor amor,
Ne tost, ne tart, ne nuit ne jor,
Ains lor livroit assez estor,
Car chascuns l’avoit à son tor.
- ↑ XXVI. — D’une seule fame qui servoit .c. chevaliers
de tous poins, p. 294.Publié par Barbazan, I, 98 ; par Méon, III, 61-67 ; et donné en très-court extrait par Legrand d’Aussy, III, 339-340.
- ↑ Vers 37 — pourroit, lisez porroit.
- ↑ 40 — semble, lisez samble.
- ↑ 51 — Yssus, lisez Yssu.
- ↑ 63 — Es-vous, lisez Evous.
- ↑ 68 — Les Sarrasins, les Persans, les Slaves (Cf. Romania, II, 331) sont indistinctement des païens aux yeux des hommes du moyen âge.
- ↑ 107 — cort, lisez court.
- ↑ 119 — maintenant, lisez maintenent.
XXVII
DU PREUDOME
l avint à .I. pescheor,
Qui en la mer aloit .I. jor,
En un batel tendi sa roi.
Garda, si vit très devant soi
.I. home molt près de noier.
Cil fu moult preuz et molt legier,
Sus ses piez salt, un croq a pris,
Liève, si fiert celui el vis
Que parmi l’ueil li a fichié ;
El batel l’a à soi saichié.
Arriers s’en vait, sanz plus attendre ;
Totes ses roiz laissa à tendre ;
A son ostel l’en fist porter,
Molt bien servir et honorer.
Tant que il fust toz respassez.
A lonc tens s’est cil propensez[2]
Que il avoit son oill perdu
Et mal li estoit avenu :
« Cist vilains m’a mon ueil crevé,
Et ge ne l’ai de riens grevé ;
Ge m’en irai clamer de lui
Por faire lui mal et enui. »
Torne, si se claime au Major,
Et cil lor met terme à .I. jor.
Endui atendirent le jor,
Tant que il vinrent à la Cort.
Cil, qui son hueil avoit perdu,
Conta avant, que raison fu :
« Seignor, fait-il, ge sui plaintis
De cest preudome, qui, tierz dis,
Me féri d’un croq par ostrage ;
L’ueil me creva ; c’en ai[3] domaige ;
Droit m’en faites ; plus ne demant :
Ne sai-ge que contasse avant. »
Cil lor respont sans plus atendre :
« Seignor, ce ne puis-ge deffendre
Que ne li aie crevé l’ueil ;
Mais en après mostrer vos vueil
Coment ce fu, se ge ai tort.
Cist hom fu en peril de mort
En la mer, où devoit noier ;
Ge li aidai ; nel quier noier,
D’un croq le féri, qui ert mien,
Mais tot ce fis-ge por son bien ;
Ilueques li sauvai la vie.
Avant ne sai que ge vos die ;
Droit me faites, por amor Dé. »[4]
C’il s’esturent tuit esgaré
Ensamble pour jugier le droit,
Qant un Sot, qu’an[5] la Cort avoit,
Lor a dit : « Qu’alez-vos doutant ?
Cil preudons, qui conta avant,
Soit arrieres en la mer mis,
La où cil le féri el vis ;
Que, se il s’en puet eschaper,
Cil li doit oeil amender ;
C’est droiz jugemenz, ce me sanble. »
Lors s’escrient trestuit ensanble ;
« Molt as bien dit ; jà n’iert deffait. »
Cil jugemenz lors fu retrait ;
Quant cil oï que il seroit
En la mer mis où il estoit,
Où ot soffert le froit et l’onde,
Il n’i entrast por tot le monde ;
Le preudome a quite clamé.
Et si fu de plusors blasmé.
Por ce vos di, tot en apert.
Que son tens pert qui felon sert.
Raembez de forches larron,
Quant il a fait sa mesprison,
Jamès jor ne vous amera,
Ains à tousjours vous haïra[6] ;
Jà mauvais hom ne saura gré
A mauvais, si li fait bonté ;
Tot oublie, riens ne l’en est,
Ençois seroit volentiers prest
De faire li mal et anui,
S’il venoit au desus de lui
- ↑ XXVII. — D’un Preudome qui rescost son compere
de noier, p. 301.Publié par Méon, I, 87-90 ; et donné en extrait par Legrand d’Aussy, II, 426-427, sous ce titre « Du prud’homme qui retira de l’eau son compère ».
- ↑ Vers 16 — propenssez, lisez porpenssez.
- ↑ 32 — * ai ; ms., a.
- ↑ 47 — Il faut fermer les guillemets après ce vers.
- ↑ 50 — qu’à, lisez qu’an.
- ↑ 72 — Ce vers, qui manque dans le ms., a été suppléé par Méon.
Ce fabliau a été remis en vers par Imbert.
XXVIII
DU FOTEOR.
ui fabloier velt si fabloit[2],
Mais que son dit n’en affebloit[3]
Por dire chose desresnable ;
L’en puet si bel dire une fable
Qu’ele puet ainsi com voir plaire.
D’un vallet vous vuel conte faire,
Qui n’avoit mie grant avoir ;
Mais il n’ert mie sanz savoir.
Ne porquant bien vestuz estoit ;
Cote et mantel d’un drap avoit,
Et nueve espée et uns nués ganz.
Beax vallez ert et avenanz ;
Entor .XXVI. ans avoit.
Nus mestier faire ne savoit ;
De vile en vile aloit toz jors,
Par chevaliers, par vavassors ;
Si mengoit en autruiz ostex,
Quar petiz estoit ses chastex.
.I. jor vint à une cité ;
Ge en ai le non oblié[4],
Or soit ainsinc com à Soissons.
Pains et vins et char et poissons
Menja la nuit à grant plenté ;
Ses ostes à sa volenté
Li fist venir de quanqu’il volt,
Et il li dit tôt à brief mot :
« Béax dolz ostes, cest m’escot
Paiera tex qui n’en set mot.
Or me dites, foi que devez
La riens que vos plus chier amez,
Et que Diex joie vos ameint,
Où la plus bele dame meint
De Soissons, la plus bele voire.
— Par foi, si c’on nos fait acroire
Moi et toz çax de ceste vile,
Madame Marge qui ne file,
La feme Guion de la place.
C’est la plus bele que g’i saiche ;
Néis ses mariz le tesmoigne
Qu’el n’aime mie un’ escaloigne
Mains li que lui, mais plus encor.
Por qoi le demandez-vos or ?
— Beax hostes, foi que me devez,
Puis que conjuré m’en avez.
Or escoutez. Menestrex sui ;
Si sui et à li et à lui
Envolez de par .I. haut home ;
Or vos en ai dite la some.
— Beax ostes, c’est uns marchéanz
Molt larges et molt dependanz,
Et sa feme riens ne l’en doit ;
Beau vos sera s’ele vos voit.
— Voir, oïl voir, molt très matin
Li dirai-ge en mon latin,
Se ge puis, mon messaige bien. »
Emprès ce ne distrent puis rien,
Ainz s’en alerent luès gesir ;
Mais cil, qui estoit en désir
De la bele dame véoir,
Ne pot onques avoir pooir
De dormir jusqu’à l’ainz jornée,
Et, lues que l’aube fu crevée,
Leva sus, si s’apareilla
Et, enprès, son oste esveilla ;
Si li pria qu’il retenist
S’espée très qu’il revenist.
En gaiges por l’escot du soir ;
Et il li dist : « Volentiers voir,
Beax ostes, alez de par Dieu ;
Diex vos doint venir en tel leu
Où auques puïssoiz gaagnier.
Laissiez vos ençois enseignier[5]
L’ostel, où vos aler devez,
Que vos de ci mais remuez. »
Lors s’en va-t’il à molt grant joie,
Quant monstrée li fu la voie.
A l’ostel molt droit assena,
Si com la voie le mena,
Mais n’ert encore nus levez.
D’autre part la voie ert alez ;
Droit endroit l’us, sor .I. estai
Se sist, mais ce li fîst molt mal
Que si longuement vit clos l’uis,
Quar il i sist grant pièce puis
Ainz que levast la chamberiere,
Qui n’estoit mie costumière
D’espier çax com jor le jor,
Mais por ce ot plus grant laisor
Que ses sires n’iert en la vile.
Quanque cil porpenssoit la guile
Comment il porroit esploitier
De lui[6] à la dame acointier,
La baissele esveillie fu ;
Son huis ovri, si fîst du fu ;
Si vait son ostel arréer,
Tant qu’ele prist à regarder
Celui qui devant l’us séoit,
Qui en ses .II. mains tornoioit
.I. blans ganzque il enformoit,
Et toz jors vers l’us regardoit ;
Durement s’en esmerveilla.
Atant la dame s’esveilla,
Tant que fors de la chambre oissi ;
Si vit le vallet en droit li ;
Très parmi l’us le vit séoir ;
Durement li plot à véoir
Qu’il avoit les crains beax et blons,
A merveille les avoit lons.
Janbe sor autre iluec séoit ;
Mielz li plaist come plus le voit ;
En son cuer à enmer le prist,
Sa baissele apele et li dist :
« Maroie, quar me di or, voir,
Que cil est que là voi seoir ?
— Dame, foi que doi vos, ne sai ;
Dès hui matin que m’esveillai
Le vi-ge iluèques assis ;
Ne sai por qoi tant i a sis ;
Ge cuit que c’est .I. barestière.
— Maroie, par l’ame ton père,
Va ; si li va tant demandant
Que tu saiches qu’il va querant
Et por qoi iluec a tant sis. »
Son cul a par l’oreille pris
Maroie devant et derrière ;
Si a passée la charrière.
Si com sa Dame li commande,
Au vallet vient ; si li demande :
« Quex hom estes vos, beax amis,
Qui tote jor avez ci sis ?
— Ge sui fouterres, bele suer.
Que bone joie aïez au cuer
Et bone joie vous doint Diex !
— Beax sire, vos et vostre giex
Fussiez ore en une longaigne.
Molt me tome à grant engaigne
Que vos issi m’avez gabée. »
Par mal talent s’en est tornée ;
S’a trespassée la charrière ;
A sa Dame revint arrière.
La Dame la vit, si s’en rist :
— Maroie, fait ele, que dist
Li valléz, qui tant a là sis ?
— Dame, ne me chalt de ses dis ;
Jà est .I. gloz, .I. mal lechière.
— Ne t’a mie fait bêle chière,
Quant si t’en revienz esmarie :
Que dist-il ? Nel’ me cele mie.
— Jà me dit qu’il est .I. fouterre.
— Dit il ce, par l’âme ton père ?
— Oïl, Dame, foi que vos doi.
— Tu me gabes, ge cuit, par foi.
— Non faz, Dame, foi que doi vos.
— Maroie, alom i anbedox.
— Dame, alez i trestote soule ;
Il n’i a mie trop grand foule ;
Ge n’ai cure de ses paroles.
Trop sont anuieuses et foies.
— Maroie, ge i vois savoir.
— En non Dieu, vos faites savoir ;
Jà en revenrez tote saige. »
Cele, qui ot le cuer volaige.
S’en va tôt riant cele part.
Et cil ne fist pas le coart,
Ainz se leva contre la Dame,
Et cele qui, com joene feme,
Ne se pooit tenir d’e rire,
Quant el i vint, ne sot que dire,
Si que tote s’envergoigna ;
A chief de pose si parla :
« Quex hom estes ? » Et il li dist :
« Dame, donc ne le vos aprist
La pucele qui ci fu ore ?
Volez que ge le die encore ?
Ge sui fouterres à loier ;
Se me volioiz aloer[7],
Ge cuit si bien vos serviroie
Que vostre bon gré en auroie.
— Alez, sire, honiz soiez ;
Bons estes, se vos ne piriez,
Qui la gent servez de tel guile.
— Dame, foi que je doi saint Gille[8],
Ge ai eu maint bel servise
De servir dames en tel guise.
Voire d’aucune sanz henor.
— Et, ne por quant, ce ert à jor
Ou en tasche que vous ovrez ?
Se vos ma pucele servez,
.IIII. deniers de sa gaaigne
Vos donra, se ele vos daigne ;
Tant aurez-vos por lui servir,
Se vos les volez deservir.
— Dame, de la vostre besoigne
Penssez, ainz que de ci m’esloingne,
Quar ne vueil mais ci plus ester. »
Lors s’en va, sanz plus arrester,
Et la Dame le rehuscha :
« Mar i alez, çà venez, çà ;
Dites, foi que devez henor,
Combien en vos done le jor.
— Dame, [tout] contre ce qu’ele est,
Me puet tote jor trover prest.
La laide me done sols .C.
Par ce que ele l’aise sent,
Et la bele me done mains.
— Par foi, vos n’estes pas vileins ;
Et combien penroiz-vos de moi ?
— Dame, fait-il, foi que vos doi,
Se ge ai .XX. sols et mon baing,
Et ge ai mon conroi de gaaing,
Gel voldrai molt bien deservir,
Quar ge sai bien et bel servir
Une dame, quant g’i met paine. »
Atant la dame o lui l’enmaine,
Que plus lonc conte ne volt faire.
Sa bajasse en ot grant contraire,
Quant o celui la voit venir,
Tant dit, ne se pot à tenir ;
« Diex aïue, or avomes hoste :
Dahèz ait-il s’il ne vos oste
Encui le mentel de cel col ;
Par foi, ge le tenrai por fol
S’il n’i gaaigne son escot.
— Tais toi ; si ne sone mais mot,
Fait la dame ; ge te ferroie
Si que sanglante te feroie ;
Mais porchace, foi que doiz moi,
Que nos aions .I. bon conroi
Et que li bains soit eschauffez.
— Baig, fait-ele ; por les mausfez
Puis-ge mais hui baing eschauffer[9].
— Dame, ne fust por moi lasser
Et por ce qu’il vos anuiast,
Ceste pucele me loast ;
Issi vers lui me deduiroie
Que debonnaire la feroie.
Si la me laississez servir.
— Comment porrïez deservir
Dont envers moi vostre loier ?
— Dame, bien volez emploier
Vostre avoir en marchéandise,
Fait la garce ; par seint Denise,
S’il me servoit à mon talent,
Avoir porroit de mon argent
Et du mien tost une grant part.
— Non fera, foie, Diex l’en gart,
— Si fera, s’il vos plait, ma dame ;
Jà n’i aura perte de l’ame ;
Ge sai le mestier par usaige ;
Il n’a el mont oisel volaige,
Moineax ne colons, qui tant œuvre
Com ge faz, quant je sui en l’uevre.
— Sire, que vos done ma dame ? »
Fait se il : « Bele, par saint Jame,
.XX. sols de bons deniers me done,
Baing et conroi com à preudome.
— Et vos combien de moi prendrez ?
— Par foi, grant solaz atendrez
Hui cest jor de moi por dix livres.
— Qu’avez-vos dit ? Estes-vos yvres,
Qui dix livres me demandez ?
Dites mains, se vos commandes.
— .VI. livres soient. — Mais .III., sire ;
Je n’oseroie de mains dire.
— .C. sols dorrez, fait-il, au meins.
— Tendez donc çà, sire, vos mains ;
Si sera la paumée faite,
Quar li marchiez molt bien me haite ;
L’argent aurez jà en baillie. »
A son escrin en est saillie
Où li .C. sols nombrez gisoient.
Qui dès antan mis i estoient,
Que de pieça aünez ot.
Et sa dame s’enmerveillot
Quant fors de son escrin voit traire ;
Plus en ot joie que contraire,
Por ce que l’avoit ramposnée.
Par deus foiz l’a cil retornée
Molt tost et molt isnelement.
Et cele puis molt liéement
Fist ce qu’an l’ostel ot affaire ;
Molt fu puis lie et débonnaire ;
Le baig chaufa ; le mengier fist ;
Quant le baig fu fait, si le mist
En une cuve enz en la chambre.
Et cil, à qui de rien ne manbre
Fors de son preu et de son aise,
De quanqu’il onques puet s’aaise ;
Si entre el baig, la dame o lui.
Assez mengerent ambedui
Et burent bon vin à plenté ;
La dame ot bien sa volenté
De tot fors del deerrain mès,
Et cil, qui du mestier ert frès,
Ne se volt à lui affroier
De si qu’il ot tôt son loier,
.XX. sols toz contez en sa main.
Et, quant cil en ot fet son plain,
De la cuve sailli luès fors ;
A .I. drap essuie son cors ;
O la dame couche en un lit.
Molt plainement fist son delit
De la dame une foiz sans plus ;
Tantost se vesti, sailli sus ;
Cil s’en entre el baing[10] de rechief,
Mais, qui qu’en soit ou bel ou grief,
Atant ez-vos l’oste venu ;
Lors croi que mal soit avenu.
Marion, lues que ele l’oit,
En la chambre s’en va tot droit ;
A sa dame vient, si li dist.
La dame l’ot, pas ne s’en rist,
Ainz vient au bai[n]g au bacheler :
« Or tost, dit-ele, du haster,
Me sire vient, reponez-vos.
— Ce est donc autre que li cox.
— C’est mes mariz. — Donc vait-il bien.
— Mais mal, fait-ele, por nule rien,
Que por riens que el mont éust
Ne voldroie qu’il vos éust
Trouvé, mais issiez molt tost fors.
— Dame, foi que ge doi mon cors,
Ge n’en istrai, ore ne ore,
Ainz me vueil ci deduire encore ;
Mais recouchiez en vostre lit ;
S’alons faire nostre délit.
— A mal éur que dites-vos ?
Vez ci jà mon seignor sor nos. »
Atant li sire en la chambre entre,
Et la dame, qui tuit li membre
Tranblent de hide et de paor,
Ne dit un mot à son seignor,
Ainz est fors de la chambre issue.
Et cil du bai[n]g ne se remue,
Mais qu’il dist : « Bien viegnoiz, bel oste. »
Cil ne dit mot, qui sa cape oste.
Quant le vit, si fu si pensis ;
Si dist : « Qui estes vos, amis,
Qui en ma chambre vos baigniez ?
— Mais vos, qui ci ne me daigniez
Respondre quant ge vos salu,
Quar ge sui cil qui a valu
Plus as gentix dames du mont
Que tuit cil qui el siecle sont ;
Quar ge sui un fouterres maistre ;
Jamais si bon ne pourra naistre.
.XX. sols doi ci gaaignier hui.
Bien les i aurai sax encui
La dame qui m’a aloé,
Quar bien la cuit servir à gré ;
Mais n’ai encor à lui géu,
N’encore mon loier éu.
Mais or est tens de commencier ;
Molt tost la me faites coschier ;
Si irai faire mon revel.
Amis, ge vos dirai tot el.
Dès qu’ainsi est que loez fustes,
Ne vos avuecques li géustes,
Por ce perdre ne devez rien ;
Por lui vos paierai-ge bien. »
Lors est cil fors du baig issuz ;
Autre .XX. sols a recéuz.
Or enport cil double loier ;
N’a cure de li convoier
La dame, quant cil s’en ala ;
Cil à Dieu commandez les a ;
Cil, qui .VII. livres enporta,
Son oste molt reconforta
Quant il li monstra li deniers.
Toz dis fu-il toz costumiers
De servir dames en tel guise,
Puis en reçust maint bel servise.
De povreté vint à richece,
Et puis avint, por sa proece,
Qu’il quist de lui garir engien,
Nequedent il i chaï bien ;
Mais tel .C. meller s’en péusent.
Qui en la fin honiz en fussent ;
Mais fortune, à qui il servi,
L’en dona ce qu’il deservi.
L’en dit pieça : Qui va, il lesche,
Et qui toz jors se siet, il sèche.
- ↑ XXVIII. — Du Foteor, p. 304.
Le ms. 354 de la Bibliothèque de Berne comprend, du fol. 1 au fol. 3 vo, une partie incomplète de ce fabliau.
Publié par Méon, IV, 204-216.
- ↑ Vers 1 — fabloie, lisez fabloit.
- ↑ 2 — affebloie, lisez affebloit.
- ↑ 20 — oublié, lisez oblié.
- ↑ 72 — * enseignier ; ms., entaignier.
- ↑ 92 — soi, lisez lui.
- ↑ 310, 8, à loer, lisez aloer.
- ↑ 182 — Ce vers manque dans le ms. de Paris.
- ↑ 231 — Le mot « eschauffer » manque dans le ms.
- ↑ 305 — baing ; ms., baig.
XXIX
C’EST DE LA DAME
SA PROVENDE AVOIR.
l avint, assez près de Rains,
D’une dame à vuoutiés rains
Qu’anmoit de si très grant randon
Car cuer et cors en habandon
Avoit mis en très bien amer
En un vallet fort et legier,
Bel et gent, et mignot et cointe ;
Forment avoit chier son acointe ;
Et le vallés si fort l’amoit
C’à chose autre riens ne pançoit,
Et, quant venoit c’ansamble estoient,
A merveille se conjoioient ;
N’est nus qui dire le séust,
Ne que raconter le péust,
Com si dui amant sont engrès
De veoir l’un l’autre tout adès.
Que vous iroie-je contant,
Ne les paroles alongant ?
Tant firent et tant esploicterent
A grant joie et à grant deduit,
Sens encumbrier et senz anuit.
Donc fu li tens à lor devise ;
Car chascuns par grant covoitise
Ama son per tant com il dut
Loialment, et bien i parut,
Car lor voloirs estoit tout un
Et lors estas estoit conmun ;
Tristans, tant com fu en cest monde,
N’anma autant Ysoue la blonde
Cum si .II. amans s’entr’emmerent
Et foy et honnor se porterent.
Moult bel menoient lor deduit
Privéement et jor et nuit,
Et, quant venoit à cel solas
Qu’i se tenoient, bras à bras,
Où lit où estoient couchié
Et l’un près de l’autre aprouchié,
Adonc menoient lor revel
Entr’aus et tant bien et tant bel,
Par amistiez et par delit,
Jà ne queissent issir du lit ;
Car cele, selonc sa nature.
Si amoit moult l’envoiséure.
Et le solas et le deduit
Qu’ele en avoit chascune nuit,
Et pour ce moult miex l’en servoit.
Et cils por s’amor s’esforçoit,
Car, de quel part que il venoit,
Sens respit querre et sens essoingne,
Faisoit adès cele besoingne,
Ou fust en lit ou fust à terre,
Tout sens autre alloingne querre.
Lonc tens menèrent ceste vie
Ensamble par grant druerie,
Et, ce vos di pour vérité
Come moult grande privauté
Orent entr’aus .II. establie,
Si vos dirai la mencolie
Que cilz ot aprinse s’amie[2] :
« Par amistié, par druerie,
Seur, dit-il, je te veuil aprendre,
Et tu i dois moult bien entendre,
Car par l’amor grant qu’à toi ai,
Tout mon convint[3] te dirai.
Quant je te voi aucun meschief
Avoir, en membre ou en chief,
Saches je n’ose à toi gesir.
Pour accomplir nostre desir,
Car je trop correciez seroie
Se mal ou anui te faisoie ;
Si te dirai que tu feras
Toutes fois qu’avec moi seras,
Soit en lit ou en autre place,
Et tu vourras que je te face
Se jolif mestier amouroux :
Se me diras : « Biax frères doux,
« Faites Moriax ait de l’avainne, »
Que je l’en donrai volentiers
Selonc ce qu’il sera mestiers
Et je pourrai et tu vourras,
Car jà à ce tu ne faurras. »
Cele li respont com cortoise :
« Biax frères douz, de ce t’aquoise,
Jà por cel ne te hucherai,
Ne là por ce ne te dirai
Que Moriax vuille avainne n’orge ;
Miex ain[4] c’on me couppast la gorge
Que je tel outrage féisse
Ne qu’ainsis huchier apréisse. »
Cilz li respondit erramment :
« Si feras, car jel te comment,
Car c’est tout un entre nous deuz,
Car je vuil tout ce que tu veuz ;
Donc ce que vueil tu dois voloir,
Sens toi en nul endroit doloir. »
Cele li a respondu tost
Et seli dist : « Tu ies tous sos,
Qui veus que die tel outrage ;
N’afiert à fame qui soit sage. »
Et sachiez, que qu’ele déist,
Que moult volentiers le féist ;
Jà pour danmage nel’ laissast,
Ne pour honte, que ne huchast
A Morel avainne donner ;
Miex s’amast à ce abandonner
Qu’ele sa provande perdist.
Pour miex enlachier son mari
Et faire son voloir de li
Car fame, selonc sa nature,
La riens, que miex ara en cure
Et tout ce que miex li plaira,
Dou contraire samblant fera.
Et li maris qui moult l’ama,
Cum cilz qui simple la cuida,
Li commanda diligemment
Que féist son commandement
Et que demandast de l’avainne
Por Morel chascune semainne,
Et chascun jor, à chascune houre,
Qu’il l’i plairoit et sens demoure.
Cele, qu’ot bone volenté,
Respont, par grant humilité,
Que moult bien l’en demanderoit,
Quant verroit lieu[5] et poins seroit.
Cilz se coucha et si se just
C’onques[6] la nuit ne se remust,
Ne landemain trestot le jor ;
A la Dame anuie le sejor.
Ainsis le fit .II. nuis après
Et les .II. jors trestout adés,
Et la Dame, qui ot apris
Sa rante avoir com li fu vis,
Sachiez en fu moult correcie,
Et dist que ne s’oublira mie,
A l’autre nuit, à bonne estrainne,
Si tost com il furent couchié,
Cele a son mari aprouchié,
En aplainnant, en acolent,
En faire tout à son talent,
Puis taste deçà et delà ;
Moult souefment araisnié l’a ;
« Frere, miex me souliez amer,
Et Dame et amie clamer ;
Mais or croi l’amors[7] est fenie
Et sans raison tost départie ;
Por une autre m’avez guerpie,
Où vous avez vo druerie.
— Non n’ai[8], par ma foi, bele seur ;
Je n’ai aillors qu’an vous mon cuer ;
Vos iestes m’ammie et m’ammors ,
Et mes solas et mes secors. »
Cils monta sus por solacier,
Que plus ne l’osa correcier,
Car il moult très bien s’aperçoit
Que Moriax aveinne voloit.
Une fois li a fait cele œuvre.
Et cele a bien chier c’on requeuvre,
Qu’à pièce n’en seroit lassée,
Li a dist par grant remposnée :
« Sire, l’autre jour me disiez
Qu’à Morel aveinne donriez
Toutes fois qu’an auroit besoing ;
Or en aiezdou donner soing
Orendroit, sire, si vous plait[9]. »
Et donne à Morel de l’avainne,
De la millor, de la plus sainne ;
Ainsis le fist tout demanois,
Et cele hucha l’autre fois,
Et cilz tout adès li dona
L’avainne qu’ele demanda.
Quant vint après à l’autre nuit,
Cilz s’endormi jusqu’à mienuit[10] ;
Et cele qui ne dormoit pas
Ne tint pas ceste affaire à gas,
Ainsois bouta son mari tant,
Et dist c’on li tenist convant.
Cilz s’aparoille et monte sus
Qu’amont, qu’aval, que sus que jus ;
Ainsis fist à pou de séjour
Dès le couchier jusques au jour.
Tant fu cele bone maistresce
De ramentevoir sa promesce
Qu’ele ot tost la honte béue
Qu’ele avoit à premiers héue.
Despuis cele houre, baudement,
Sa promesce ala demandant[11],
Com cele qui ne s’en vot faindre ;
Moult gentement se set complaindre
Vers son mari et soupploier,
Et doucement aplainnoier
Par coi Moriax sa provende ait.
Et cilz qui ne veut point de plait,
Li baille selonc ce qu’il peut,
Et cele n’est point esbahie
De dire : « Ne m’obliez mie. »
Et en mangant[12] et en bevant,
Li va tout adès requérant
Que doint sa provande à Morel ;
Dou tarder ne li est point bel.
Et cilz l’en donne se qu’il peut,
Mais mains assés que il ne seut, .
Car ou mont n’a grenier si grant
Que Moriax ne meist à noiant.
Appetisiez est li greniers,
Dont Moriax a esté rantiers ;
Et cils, qui la clef emportoit,
S’aparçoit bien que vuis estoit ;
Se ne set coment desamordre
La rien à c’on le veut ramordre,
Car fort chose est d’acoustumance.
Or est cil dou tout en balance,
Mais ne s’esmaie point le jour,
Car il s’en va en son labour ;
Mais, quant se vient à l’anuitier
Et on le haste de couchier,
Avant qu’il se puist endormir,
En veut celé avoir son plaisir ;
Moult demande à bonne estrainne ;
« Moriax veut avoir de l’avainne. » .
Cilz l’en donne à quelque meschief.
Mais bien set pou en i eschiet
Selonc sa première coustume ;
Ne peut estaindre, n’i vaut rien ;
Or est chéus en mal lien
De sa femme qui l’en despite
Pour la provande, qu’est petite
Et donnée en rechinnant ;
N’est pas tele comme devant,
Car cil ne set tant efforcier
Que jà por ce l’oit-on plus chier ;
Molt li va or de mal en pis ;
De sa fame est au dessous mis.
Que vous feroie plus lonc conte,
Vous qui savez à ce que monte ?
Ne ferai plus longue demoure,
Oiez qu’en avint à une houre.
Cilz fu trop laches et suciéz,
Frailles, vuis et touz espichiez,
Et toute la mole des os
Li fu issue de son cors,
Qui n’ot ne force ne vertus ;
Cil mestier faire ne pot plus.
Cele c’est bien aparcéue
Que sa force est bien déchéue ;
Adonc se mist en moult grant painne,
Que sa force tost li revaingne ;
Ne le volt de rien mesaisier ;
Moult le comança[13] aaisier,
Et moult doucement l’aséure ;
Moult a en lui mise sa cure
Por qu’il reviengne en sa vertu,
Et, quant il ot esté baingniez
Delèz sa fame, et puis sainniez,
Si tost com il fu en bon point,
La Dame resgarda son point,
Demanda li coment li est :
« Vostre merci, dist-il, bien m’est ;
Je suis tous prox et fors et sains ;
Si sui garis dou mal des rains.[14] »
Et cele c’est moult esjoïe
De la nouvele qu’ot oïe ;
Car, si tost comme couchié furent
En lor lit et ensamble jurent,
Se li print à ramentevoir
A faire vers li son devoir,
Et li dist bien à longue alainne :
« Moriax veut avoir de l’avainne. »
Cilz s’efforça, por pais avoir,
Et fist aucques à son voloir ;
A cele nuit bien couvant tint,
Tant qu’à une autre nuit revint
Que cele moult le tisonna
Et durement le tagonna,
Et puis par bel sen li demande
Por avoir Morel sa provande.
Cilz vit qu’à ce panroit la mort,
S’il n’en pernoit aucun confort,
Car il estoit tous espichiez
Par son effort, et tous suciez ;
A male fin l’esteut venir ;
Bien sot qu’il ne porroit durer
Ne ceste painne endurer.
Pourpensa soi que il feroit,
Et comment il s’en cheviroit,
Et comment se delivreroit
De tout ce qu’ele requeroit.
Or escoutez comment le fist ;
D’estre mal haitiez samblant fist ;
Son cul torna en son giron,
Et li chia tout environ
Que bran, que merde, qu’autre choze,
Et se li dist à la parclose :
« Seur, dès or mais te tien au bran,
Et ainsis com tu veus s’en pran ;
Bien saches l’aveinne est faille ;
Fait t’en ai trop grant départie ;
A noiant est mais li greniers
Dont Moriax a esté rantiers ;
Dès or au bran t’esteut tenir,
Car l’avainne as faite fenir.
Quant les haus jors venir verras,
D’aveinne taprovande aras ;
Dou bran auras les autres jors ;
De moi n’auras autre secors ;
Desormais au bran te tenras,
Car de l’avaine point n’aras. »
Quant cele l’oit, n’en doutez mie
Que moult forment fu esbahie,
Si que ne pot nul mot respondre,
Mais ains puis pour Morel provande
Ne quist, ne petite ne grande ;
Forment se sentit decéue
Por la laidure qu’ot éue ;
En grez prinst ce que pot avoir ;
Ne fist pas force à l’autre avoir,
Et cilz la servi ce qu’il pot,
Et toutes fois que il li plot,
Je ne di pas au gré de li,
Mais au voloir de son mari.
À vous di, qu’iestes mariez ;
Par cest conte vous chastiez ;
Faites à mesure et à point,
Quant verrez lieu et tens et point.
- ↑ XXIX. — C’est de la Dame qui aveine demandoit
pour Morel sa provende avoir, p. 318.Publié par Barbazan, III, 236 ; et par Méon, IV, 276-285.
- ↑ 320, 12, sa mie, lisez s’amie.
- ↑ Vers 66 — covine, lisez convint.
- ↑ 90 — aim, lisez ain.
- ↑ 128 — lieus, lisez lieu.
- ↑ 130 — C’onque, lisez C’onques.
- ↑ 149 — l’amor, lisez l’amors.
- ↑ 153 — Non ai, lisez Non n’ai.
- ↑ 169 — plaist, lisez plait.
- ↑ 178 — miennuit, lisez mienuit.
- ↑ 192 — * demandant ; ms., demendent.
- ↑ 203 — mangeant, lisez mangant.
- ↑ 256 — comença, lisez comança.
- ↑ 268 — Placez un point avant les guillemets.
n certain nombre des lecteurs de ces Fabliaux ont bien voulu exprimer le regret que les indications de manuscrits et d’éditions, le relevé des variantes et les renvois sommaires aux contes analogues, antérieurs ou postérieurs, dussent être renvoyés à la fin du Recueil. J’avais pris ce parti parce que des variantes sont un peu comme une table, plus faciles à consulter et à mettre en face du texte quand elles sont réunies en un seul endroit et qu’elles se trouvent dans un volume différent ; mais, comme le parti de les publier à mesure a l’avantage de les donner plus tôt et de mettre tout de suite le lecteur à même de juger, en pleine connaissance de cause, du soin avec lequel les manuscrits sont collationnés et des corrections qu’on a pu être forcé d’y faire, j’ai d’autant plus déféré à ce désir que des rapports de cette nature, entre l’éditeur et ceux qui s’intéressent à son travail, ne peuvent que profiter à l’œuvre, pour laquelle ils sont d’ailleurs un précieux encouragement. On désire avoir les variantes en même temps que les textes, et cela a ses avantages ; on trouvera, à la fin de ce second volume, celles qui s’y réfèrent et naturellement aussi celles qui se rapportent au premier volume. C’est même ce qui a augmenté le retard de la publication de celui-ci.
C’était mon ami M. Pierre Jannet, pour lequel j’avais depuis longtemps commencé le travail de cette publication, qui se trouvait avoir entre les mains toutes les collations déjà faites par moi, et elles se rapportaient à la plus grande partie des fabliaux compris dans les quatre volumes de Méon. Apres sa mort, arrivée au milieu du siège, sa maison, à cause de la proximité des fortifications, — il demeurait à Montrouge, boulevard Jourdan, — fut employée comme poste et comme ambulance. On pense bien que les copies, non employées ou employées, et que les épreuves de la partie déjà imprimée, sur lesquelles se trouvaient précisément ces variantes qui n’étaient plus qu’à transcrire, ne se sont pas retrouvées. Ceux qui ont eu à recommencer de toutes pièces un travail déjà fait savent combien cela est dur : travailler pour faire est un plaisir, travailler pour refaire a toujours quelque chose d’irritant et de pénible, et je sais plus d’une œuvre, terminée ou très-avancée, qui, perdue dans des conditions semblables, a été abandonnée et ne sera jamais reprise.
Mon ami M. Léopold Pannier se mit alors à ma disposition avec une bonne grâce que je ne saurais oublier. Pendant que je m’occupais de fabliaux auxquels je n’avais pas encore touché, il entreprit la collation de ceux dont j’avais perdu la copie, et je lui dois le premier travail d’un certain nombre des fabliaux de ce second volume, dont malheureusement il n’a pas vu la fin. Je comptais partager avec lui la charge de l’œuvre entière, mais sa collaboration, interrompue subitement par sa mort, n’a été que partielle et passagère. Je ne devais pas moins la signaler, pour ne pas être ingrat envers la mémoire d’un homme aussi intelligent, aussi dévoué à l’histoire de l’ancienne littérature de notre pays, et dont la perte est d’autant plus regrettable que sa jeunesse et son ardeur permettaient de compter sur lui et d’en beaucoup espérer.
C’est à la suite de cette mort qu’un jeune ami commun, M. Gaston Raynaud, sorti, comme M. Pannier et comme moi-même, de l’École des Chartes, — heureusement pour lui depuis moins longtemps, — a bien voulu s’offrir pour m’aider à mener à fin le recueil des Fabliaux.
Sa compétence, déjà bien connue dans le monde de l’érudition française, le sera bientôt dans le public par l’édition de la Chanson d’Aiol qu’il imprime pour la Société des anciens textes, par celle de la relation en vers de René Macé sur le Voyage de Charles-Quint en France, et par d’autres travaux qu’il prépare. Pour le commencement de sa collaboration, il s’est trouvé avoir la part la plus lourde, car c’est lui qui, en reprenant le travail comme s’il s’agissait d’une édition dont l’auteur aurait disparu, a dû, par suite de la perte des copies et des épreuves, collationner à nouveau les manuscrits et rétablir les variantes. Nous n’avons travaillé ensemble qu’à partir de la moitié du second volume ; il n’est que juste de mettre dès à présent son nom à côté du mien pour annoncer aux lecteurs de ce Recueil sa participation complète à la suite de l’œuvre, qui nous est maintenant commune.
FABLIAUX
XXX
C’HEST
DE LA HOUCE.
à 586 vo, 1re col.[1]
n essanple vous voel retraire,
Où jou ne quier mençoigne atraire
Quant il n’est du mentir mestier.
Il avint jadis à Poitiers,
Ensi com il me fu conté,
C’uns hom manoit en la cité,
Rices d’avoir et connissans.
Si amoit moult les siens enfans ;
Un fil ot, que mout tenoit cier.
Bien vous puis dire et aficier
C’onques nus hom en creature
Ne mist si très grant nourreture
Com li pères en li faisoit ;
A son pooir bien li faisoit,
N’onques un jour ne s’en recrut.
Li varlès amenda et crut
Tant que marier le convint.
Au preudhomme si en avint
Que pour lui metre ricement
Li donna mueble et tenement ;
A son pooir tout en lui mist
Et de quanqu’il eut se demist :
De toutes choses à son ues
N’en retint qui vausist .II. oes.
Li varlès mainnage maintint
Tant que sa femme .I. fil retint,
Qui mout fu puis de grant savoir.
Longement, [jel vous][2] fas savoir.
Mena li prodom bone vie.
Tant que sa femme en eut envie
Du prodomme qui tant haï ;
S’a dit à son baron : « Haï,
Con vous pensés de bien avoir.
Se vous aviiés plus d’avoir
Que n’avés, foi que doi Saint Pierre ;
Cel gasteroit tout vostre pierre ;
Bellement son mengier [d]esert ;
Nus ne menjue s’il n’en désert,
Fors plus seulement que d’estre ivre,
Ne jà jor n’en sera delivre.
Je vous di bien qu’il n’i a el,
U me vuidera cest ostel ;
Fiancer le puis de ma main,
Ou il ora congiet demain. »
Ensi sa femme li a dit,
Et li varlès sans contredit
Ce dit qu’il fera son voloir,
Cis qui du tout en noncaloir
Pour sa femme a son père mis,
Qui pour lui s’iert du tout demis.
Au main li coumencha à dire
Chose qu’il déust escondire :
« Biaus pères, vous aves esté
moi maint iver, maint esté ;
Onques ne vous entremesistes
De riens nule qui eust merites
Painne sans plus, fors que d’estre ivre.
Vous n’avés plus mestier de vivre ;
Celés vous ent en un renclus,
Et sachiés que jou ne vel plus
Que vous soiés en ma maison,
Car en vous n’a sens[3] ne raison, »
Quant li prodom l’a entendu,
Mout fu dolans et confondu,
Plains de grant maltalent et d’ire,
Car il ne puet un seul mot dire.
Longement ala demourant ;
Après se li dist en plourant
« Biaus fieus », dist-il, « je te nourri
Et saciés c’onques jour mari
Ne vous fis pour que je péusse
Et sachiés que je vous péusse
D’or et d’argent puis qu’il vous fust
D’autrui que de moi gréust[4].
Quant tu ensi m’en veus cacier
Je ne me sai ù pourquachier.
Au jor que pour toi me démis
Perdi l’avoir et mes amis ;
Mais prier t’en vuel d’une cose
Pour chou que nus hom ne t’en cose :
Je suis molt debrisiés et vius
Et, cant cacier m’en vius[5]
De ton ostel et m’en eslonges,
Je pri c’une robe me donnes,
Et si n’ai cauces ne soulers
Trop seroit mauvais li allers. »
Cis respont : « De chou ne m’en caut,
Encore avés vous trop de caut.
Ce poise moi que tant vivés.
Jamais par[6] moi nul bien n’arés ;
Ne paierai mais vostre escot.
— Biaus fius, donne moi un surcot
Que tu as de tes vieles[7] roubes
Ou une de tes vieles[7] houces,
Dont tu fais tes chevax couvrir.
Après me fais ton huis ouvrir ;
J’irai à Diu, quant il te plaist,
Que plus oïant de moi te laist.
— Hé ! » fait-il, « n’en puis escondire.
Alés laiens à mon fil dire
Qu’il vous doinst une houce viés ;
Si en cuuevre et teste et piés. »
Li Prodom tout[8] errant s’en tourne ;
A son neveu vint, qui atourne
Les chevaus et fait atourner.
Cis, qui plus ne pot sejourner,
A son neveu dist et recorde
De son père la grant discorde :
« Mais toutes voies tant me donne
C’une viés housche m’abandonne ;
Biaus niés, par moi vous prie et mande
Et sachiés qui le vous commande
Que la plus grande me bailliés ;
Or gardés que vous n’i failliés. »
Quant li enfes l’a entendu,
Mout fu dolans et esperdu,
Plains de grant mautalent et d’ire
« Or, alés à mon père dire
Que pau i avés esploitié ;
Vous n’en arés que la moitié
De la houce, si vous le di ;
Toute l’autre vous contredi. »
Li prodom l’ot, si eut grant duel,
Qui maintenant morir s’en vuel[9].
Tout errant arrière s’en vient :
« Biaus fieus », dist-il, « il te convient,
Pour ta parole faire estable,
C’avec moi vignes en l’estable,
Car tes fieus le me contredist,
Et si s’afice bien et dist
Que n’en arai que la moitie,
Je ne sai pour quel convoutie[10][11],
Et, quant ensi cacier m’en vius,
Fai le me avoir tout, se tu vius. »
Cis, qui la remanance doute,
Li respondi : « Vous l’arés toute,
Quel talent que li gars en ait. »
A son fil dist : « Il ne te plaist,
Quant n’as mon commandement fait ? »
Cis respont : « De riens n’ai méfait,
Ains ai mout grant raison et droit.
Et si vous dirai orendroit
Pour coi je ne li voel baillier
La houce, ains li voel retaillier.
Savés pourquoi je l’ai partie
Et vous oste l’autre partie,
Que vous, se je puis, userés.
Quant de son éage serés,
Jà de moi ne vous mentirai ;
Tout aussi vous revestirai
Com vous or faites vostre père,
Qui trop acate et trop conpère
La painne qu’il en vous mise ;
Vés qu’il n’a cote ne chemise.
Or vait trop malement l’escote ;
Je vous ferai d’autel drap cote.”
Quant li varlès oit et entend
Son fil, qui à raison entend,
Mout durement s’en esmervelle
Et trop li vient à grant mervele.
« Biaus fius », dist-il, « j’ai trop mespris.
Si m’aït Dieus, molt as apris
De chou c’as dit molt t’en merchi.
Or li pri jou, pour Dieu merchi,
Que cest grant méfait me pardoinst
Et sa benéichon me doinst. »
Li prodom trestout li pardonne,
Et li varlès errant li donne
Du tenement et du quatel
La signourie del ostel,
Dont fist li prodom son voloir,
Qui forment se péust doloir,
Ne fust chou que li enfes dist,
Que la houce li contredist.
Par chou vous fais aperchevoir
Que cis n’est pas plains de savoir
Mais de folie s’entremet
Qui tout le sien à son fil met,
Que nus ne fera jà son bon.
Si de l’autrui comme du son
L’autrui chose estoit com demant,
Du vostre vo commandement
Ferés, sans mesure et sans conte.
Ensi définerai mon conte.
- ↑ XXX. — De la Houce, p. 1.
Cette pièce, dont nous devons la copie à M. Stengel, n’est qu’une seconde version du fabliau que nous avons publié dans notre premier volume, p. 82-96.
- ↑ Vers 28 — « je l’ vous», qui n’existe pas dans le ms., doit être lu jel vous.
- ↑ 62 — * n’a sens ; ms., n’a ne sens.
- ↑ 74 — Ne faut-il pas corriger gré eüst ?
- ↑ 82 — Il faudrait corriger : Et, cant tu me cacier en vius.
- ↑ 90 — * par ; ms., pour. — arés ; ms., avés.
- ↑ a et b 93 et 94 — Pour la régularité de ces vers il faut corriger « viés » en vieles.
- ↑ 103 — « tout » manque.
- ↑ 124 — * morir s’en vuel ; ms., morut si en.
- ↑ 132 — convontie, lisez convoutie.
- ↑ P. 5, l. 30, convontie, lisez convoutie.
XXXI
DU PRESTRE ET D’ALISON.
l sont mais tant de Menestrex
Que ne sai à dire desquels
Gesui, par le cors S. Huitace ;
Guillaume, qui sovent s’élasse
En rimer et en fabloier,
En a .I. fait, qui molt est chier,
De la fille à une Borgoise,
Qui meint en la riviere d’Oise ;
Si avoit non Dame Mahaus.
Maintes foiz avoit vendu auz
A sa fenestre et oignons[2],
Et chapeax bien ouvrez de jons
Qui n’estoient pas de marès.
Sa fille avoit à non Marès,
Une puce[le][3] qui ert bele ;
Un jor portoit en ses braz belle
Et creson cuilli en fontaine ;
Moilliée en fu de ci en l’aine
Parmi la chemise de ling.
El ne fu mie de hait ling ;
N’estoit fille à Baron n’à Dame ;
Ne vos en quier mentir, par m’ame,
Fille estoit à une Borgoise,
Ainz nule n’en vi plus cortoise,
Certes, ne de meillor manière.
De marchéandise ert manière[4],
De comin, de poivre et de cire ;
Mais li Chapelains de S. Cire
Va en la maison molt sovent
Por le gingembre c’on i vent,
Por citoal et por espice,
Por quenele et por recolice,
Por l’erbe qui vient d’Alixandre.
Li Prestres ot non Alixandre ;
Si fut riches hom à merveille.
Mais por Marion sovent veille
C’on li vit le sercot porter,
Dont ala son cors déporter.
Au mains por le serain du tans.
Ne quida pas venir à tens
En la maison où cele maint ;
Certes n’a cure c’on li maint,
Quar molt bien i asenera ;
Jamais a, b, c ne dira,
S’il puet, si l’aura convertie.
Jà s’ame à Dieu ne soit vertie
S’il n’en fait son pooir sanz faille.
A tant affubla une faille
Por le chaut qu’i fait en esté.
Il avoit autre foiz esté
A la maison à la Vileine
Qui ne vendoit lange ne leine ;
Molt se garissoit belement,
Et li Chapelains arroment
Avoit la Dame saluée,
Et el s’estoit en piéz levée ;
S’a dit : « Sire, bien viegnoiz vos ;
Vos demorroiz ci avuec nos
A disjaer, et ferons grant joie,
Quar véz ci au feu la grasse oie, »
Fait ele, qui nul mal n’i tent.
Li Chapelains sa chière tent
Vers la pucele qu’il esgarde :
Li Chapeleins[5] estoit néz d’Arde
Entre S. Omer et Calais.
A tant s’est asis sor .I. ais,
Molt pensis et pas ne fu yvres.
Et dit qu’ainçois donra .X. livres
Qu’il de la pucele ne face
Sa volenté et face à face,
Qui tant ert bele et avenanz
Et n’ot mie passez .XII. ans.
Cele, qui si ert ensaignie[6].
Gorge blanche, soef norrie,
Molt estoit bele, simple et saige,
A tant fet on mètre les tables
A la maison à la Borgoise ;
Onques n’i ot mengié vendoise
Ne poisson, à l’eure de lors.
Fors malarz, faisanz et butors
Dont li ostex fu aésiez ;
Et li Chapelains qui fu liez
Et regarde la pucelete,
Cui[7] primes point la mamelete
Enmi le piz com une pomme.
Les tables ostent en la somme ;
S’ont fait des mengiers lor talenz.
Li Chapelains son cuer dedenz
Ot enbrasé par grant amor ;
La Dame apele par dolçor,
Qui avoit non Dame Mahaus :
« Dame, » fait-il, « oïez mes max.
Molt ai esté lonc tens en ire,
Or en vueil mon coraige dire,
Certes plus ne m’en puis tenir ;
Dès ore m’estuet descovrir.
Marion, vo fille, la bele.
M’a si le cuer soz la mamele
Derrompu et trait fors du cors,
Dame, auroit-il mestiers tresors.
Que je, mais qu’il ne vos ennuit,
S’éusse vo fille une nuit ;
J’ai meint bon denier monnaé. »
Et la Dame respont : « Sire, hé !
Quidiez-vos donc por vostre avoir
Issi donques ma fille avoir,
Que j’ai touz jors soef norrie ?
Certes ne pris pas un alie
Toz voz deniers ne vo trésor.
Par les Sainz c’on quiert à Gisor,
Ge n’ai cure de vostre avoir,
Bien le saciiiez à mon savoir ;
Gitez en autre liu voz meins.
— Ma Dame, » fait li Chapelains,
« Por Dieu, aiez de moi merci ;
J’aporterai les deniers ci ;
S’en prenez à vostre talent. »
Et Dame Mahauz, qui fu lent
Qu’ele ait l’avoir des escrins,
Sa fille, qui a blons les crins,
Li promet à faire ses bons,
Et si vos di que Rois ne Quens
La péust avoir à son lit
Pour faire de lui son délit,
Quar de grant beauté plaine fu.
Li Prestres se rassiet au fu
Entre lui et Dame Mahauz
Qui mai[n]te[8] foiz ot vendu auz
Et achaté poivre et comin.
Pris a congié, prent son chemin
Li Chapeleins à sa maison.
Onques mais ne fu guiléz hon
Que li Prestres fu conchiez[9].
Toz fu li bainz apareillez
Que la Dame fist aprester ;
Dame Diex en prist à jurer,
Et enprès le cors S. Huitasse,
Le Prestre prenra à la nasse
Ausin com l’en prent le poisson.
Lors fait mander Aélison
Une meschinete de vie,
Qui de cors fut bien eschevie,
A tot le monde communaus.
Oïez que dist Dame Mahauz.
Quant ele vit la pecherriz,
Coiement en a fait un riz
Comme celé qui molt fu saige :
« Aelison, .I. mariaige
T’ai porchacié ; par S. Denise,
De ci à l’aive de Tamice[10]
N’aura feme mielz mariée.
— Avez me vos por ce mandée ? »
Fait Alizon ; « c’est vilenie
De povre meschine de vie
Gaber, qui a petit d’avoir.
— Non faz, se Diex me doint savoir :
Amie, » ce[11] dit Dame Mahaus ;
« Jà de moi ne te venra maus ;
Blanc peliçon te frai avoir
Et bone cote, à mon savoir,
De vert de Doai traïnant[12].
Fai, si entre en cel bai[n]g corant ;
S’enprès te vendrai por pucele. »
Aalison fu molt isnele ;
S’est asise, si se despoille.
Devant la cuve s’agenoille[13]
Conme cele qui molt fu lie[14].
Lors se deschauce et se deslie,
Et se plunge comme vendoise ;
Ez vos la fille à la Borgoise
Que li Prestres avoir quida
Forment son oirre apareilla
Li Chapelains en sa maison ;
Il a mandé un peliçon,
Qui valt .XL. sols de blans,
Que I marchéanz de Mielanz[15]
Li vendi[16], qui maint à Provins ;
De la cote serai devins :
Nueve est, de brunète sanguine.
Maint chapon et mainte geline
Avoit fait à l’ostel porter,
La nuit se vorra deporter
S’emprès quant venra à la nuit.
Ne quidiez que il vos anuit
Li jors qui si enviz trespasse ?
Li Chapelains n’i fîst esparse,
Ainz a .I. escrin deffermé.
Si com Guillaumes a fermé
En parchemin et en romanz ;
.XV. livres d’esterlins blans
Estoie[n]t[17] en .I. cuiret cousuz.
Diex, com il sera déçéuz
Que por .I. denier de Senliz
Péust-il avoir ses deliz
De celui qu’avuec li gerra
S’emprès quant à l’ostel venra.
Ou près de tote la nuitiée.
De parisis une poigniée
A traist et mist en s’aumosnière
Por doner avant et arrière,
Dont il fera ses petiz dons.
Dame Mainnaus[18] dit .I. respons
A la pucele de l’ostel :
« Hercelot », fait ele, « entente el.
Va moi tost à maistre Alixandre,
Et si li di que ge li mande
Que ne face nule atendue. »
Hercelot tot son cuer remue
De la joie du mariaige :
« Dame, bien ferai le mesaige,
Si m’aïst Diex, à vostre gré. »
A tant s’en ist par un degré
De la maison, qui fu de pierre,
Et va jurant Diex et S. Pierre
Bon loier en vorra avoir.
« Sire, bon jor puissiez avoir
De par celui qui vos salue,
Qui est vostre amie et vo drue,
De par Marion au cors gent. »
Une fort corroie d’argent
Dona li Prestres Hercelot :
« Tien, amie ; si n’en di mot,
Encor auras autre loier.
— Mielz me lairoie detranchier, »
Fait Hercelos, « que g’en pallasse,
Ne que vostre amor enpirasse :
Par moi est toz li plaiz bastiz. »
Li Chapelains a fait .I. ris
Quant oï Hercelot palier ;
A son Clerc li a fait doner
.II. dras de lin frès et noveax.
Molt fu li dons Hercelot beax ;
Si prist congié, à tant s’en torne,
Li Chapelains à tant s’entorne ;
A la nuit molt grant joie atent.
Ha ! Diex, comme li viz li tent
Plus que roncin qui est en saut ;
Il jure Diex que un assaut
Fera sempres à la pucele
Qui à merveille estoit bele,
Qui de grant beauté pleine fu.
Li Prestres molt eschaufez fu
De la fille Dame Meinaut ;
Anvelopé en .I. bliaut
Avoit la cote et le pliçon ;
A tant s’en vaità la meson.
D’esterlins trossez quinze livres
Certes tost en sera délivres,
Se la Dame puet de l’ostel.
A tart entre enz, et ne fait el
Conme cil qui grant feste atent.
La Dame par la mein le prent,
Puis l’assiet lèz lui el foier.
La Dame fist apareillier.
Qui molt fu grant com à tel joie,
.II. chapons et une grasse oie ;
Si ot et malars et plunjons,
Et blanc vin, qui fu de Boissons ;
Si en burent à grans plentés[19].
Et gastieax rastiz buletéz
Si mengèrent à grant foison.
Après menger dit .I. sarmon
Dame Meinaus, qui a parié :
« Avez-vos l’avoir aporté
Que vos devez doner ma fille ?
— Dame, ne sui pas ci por guile ;
J’ai les garnemenz aportez.
Véez les ci, or esgardez,
Quar il sont et bel et plaisant ;
Vos me tenroiz à voir disant
Ainz que parte de vo maison ;
Foi que ge doi à seint Simon,
Ge n’amai[20] onques à trichier. »
Lors rue sor[21] un eschequier
.XV. livres d’esterlins blans ;
Li gorles fu riches et granz.
Et li avoir fu dedenz mis.
« Hercelot, maintenant as lis, »
Fait Dame Meinauz ; « alumez ;
En celé chambre vos metez ;
Faites beax liz com à un Roi. »
Herceloz qui prent grant conroi
De servir le Prestre à son gré,
El avoit monté .I. degré,
Qui de la chose avoit en soig ;
Aelison pristpar le poig
D’un coiement liu où estoit ;
La table devant lui estoit,
Et li boivres et li mengiers :
« Aélis, tost apareilliez ;
S’irois couchier o l’ordené.
Il vos apenra l’A, B, C,
Sempres et Credo in Deum ;
Ne faites noise ne tençon,
Quant vos vorra despuceler.
— Suer, ge ne le puis andurer,
Quar je n’ai mie ce apris.
Tenez, ma foi ge vos plevis
Onques mes cors ne jut à home ;
Ainsi sui pucele com Rome,
C’onques pelerins n’i entra,
Ne mastins par nuit n’abaia ;
Ainsi[22] sui veraie pucele. »
En une chambre, qui fu bele,
Mist Herceloz Aélison
Par uns fax huis de la maison,
Quar molt en sot bien l’ui et l’estre.
A tant s’en revint vers le Prestre ;
Si a pris par la mein Maret,
En la chambre arroment la met
Si que li Prestres la regarde.
Ha ! Diex, com li couchiers li tarde
De la grant joie qu’il atent.
Et Herceloz plus n’i atent ;
Maret destorne en .I. solier ;
Enuit mais porra dosnoier
Li Prestres à Aelison.
A tant vait seoir au giron
Herceloz lèz le Chapelain,
Qui li vendi paille por grain
Et changa por le forment l’orge.
Et dit Herceloz : « Par seint Jorge,
Ge ai couchiée la pucele
Soz la cortine qui ventele,
Molt dolente et molt esplorée.
Durement l’ai reconfortée,
Et li ai prié bonement
Qu’ele face vostre talent.
Et vos li prometez assez
Robes et joax à plentez,
Et g’ai fait molt vostre pont.
— Hercelot[23] », li Prestres respont,
« Ge li donrai à son voloir
De quanque ge porrai avoir,
— Vos dites bien, » dit Hercelot ;
« Dit li ai qu’el ne die mot
Quant vos seroiz o lui couchiez ;
Gardez ennuieus n’i soiez.
Mais soiez saiges et cortois,
Que amie avez vos à chois,
Qui se gist de soz la cortine ;
S’est plus blanche que flor d’espine
La pucele, qui tant est chiere.
— Tien, Hercelot, ceste aumosniere[24], »
Fait li Prestres ; « ci a[25] dedenz
Vingt sols ou plus, par seint Loranz ;
S’achate .I. bon bliçon d’aigneax.
Et g’irai faire mes aviax
A celui qu’ai tant desirrée. »
A tant a la chambre boutée
Sanz luminaire et sanz chandele :
A tant a sentue la toile
De la grant cortine estendue,
Là où cele gist estendue
Qui molt hardiement l’atent.
Et li Prestres plus n’i atent,
Les dras leva et dist : « Marie,
Dites, en estes-vos m’amie,
Bele suer, sanz nul contredit ? »
A tant n’i fait plus de respit,
Ainz l’enbraça molt vistement ;
Cele soupire durement,
Et fait par senblant grant martire,
Qui bien en sot le maiestire[26] ;
En sus de lui est traite et jointe.
Et li Prestres vers lui s’acointe.
Une foiz[27] la fout, en mains d’eure
Que l’en éust chanté une[28] Eure
En cel termine que ge di.
« Bele suer, » fait li Prestres, « di
De ceste chose que te sanble ?
Mon cuer[29] et mon avoir ensanble
Vos promet tot et mon voloir ;
Certes, se de moi avez oir,
Sachiez que bien sera norriz. »
Et Alison[30] a fait .I. ris
Molt coiement entre ses denz.
Li Prestres en ses bras dedenz
Quida bien tenir Mariom ;
Certes non fîst, mais Alison ;
Molt li fu tost li vers changiez.
Li Prestres[31] fu joianz et liez ;
De ci au jor que la nuiz fine,
.IX. fois i fouti la meschine ;
Ne vos en quier mentir de mot.
Or escoutez de Herselot,
Qui en la chambre fist son lit.
Là où cil menoit son délit
Li Chapelains li fist couchier ;
Hercelot n’i volt atardier
Qui molt savoit mal et voidie.
Ele s’estoit nue drécie[32] ;
Si avoit alumé le fu
En une couche, qui grant fu,
D’estrain de pesaz amassé.
A Herceloz le feu bouté.
Puis escrie : « Haro ! le feu. »
Cil de la vile, qui granz fu,
I acorent tuit abrievé ;
L’uis[33] ont despecié et coupé
Où laienz grant clarté avoit,
Là où li Prestres dosnoioit.
Li maistre Bouchiers de la Vile
Entra laienz, n’i fist devise.
Le Prestre a connu et visé ;
A soi l’a maintenant tiré
Dedenz la chambre à une part :
« Jà Dame Diex en vos n’ai part.
Ne en vos, n’en vostre meschine. »
Li Bochiers sot bien le covine,
Quar bien fu qui conté li a,
Et li Chapelain esgarda
Cele qu’il tint par la main nue ;
Ce fu Aélison sa drue ;
Il quida tenir Marion.
Li maistres Bouchiers d’un baston
Le feri parmi les costéz,
Et tuit li autre environ léz
Le fièrent de poinz et de piéz ;
Molt fu batuz et laidengiéz,
Et enprès la chape li oste,
« Nomini Dame si mal oste, »
Fait li Prestres, « por Dieu la vie ! »
Atant saut devers la chaucie
Li Chapelains par un guichet ;
Devers le cul sanble bouquet,
Por ce qu’il n’avoit riens vestu.
Cil de la Vile l’ont véu
Que il estoit nuz com .I. dains ;
Certes n’éust pas en dédai[n]g
.I. poi de robe sor ses os.
Les cox li pèrent par le dos,
Par les costez et par les flans.
Des bastons qui furent pesans ;
Molt fu laidengiéz et batuz.
Il est en maison enbatuz,
Tranblant[34] com une fueille d’arbre.
Savoir poez [par] ceste Fable,
Que fist Guillaume li Normanz,
Qui dist que cil n’est pas sachanz
Qui de sa maison ist par nuit
Pour faire chose qui ennuil,
Ne por tolir ne por enbler.
L’en devroit preudom hennorer
Là où il est en totes corz.
Se li Prestres fu enmorox,
N’i fu iaidengiez ne batuz,
Et cil ot ses deniers perduz.
Il en fouti Aélison,
Qu’il péust, por un esperon,
Le jor avoir à son bordel.
Il n’i [a] plus de cest Fablel.
- ↑ XXXI. — Du Prestre et d’Alison, p. 8.
Publié par Méon, IV, 427-441, et donné en extrait très-court par Legrand d’Aussy, IV, 301.
- ↑ Vers 11 — Ce vers faux peut être corrigé ainsi : A sa fenestre avoec oignons.
- ↑ 15 — * pucele ; ms., puce.
- ↑ 26 — * maniere ; ms., manere.
- ↑ 64 — chapelains, lisez chapeleins.
- ↑ 73 — * ensaignie ; ms., ensaignée.
- ↑ 84 — * Cui ; ms., Qui.
- ↑ 128 — * mainte ; ms., maite.
- ↑ 133 — On peut corriger ainsi ce vers : Comme li prestres…
- ↑ 150 — Le nom de la « Tamise », comme plus haut ceux de « Gisors, Calais, etc. », servirait à prouver la nationalité de notre auteur, s’il n’avait pris soin de nous l’indiquer lui-même au vers 439.
- ↑ 157 — « ce » devrait être supprimé pour la régularité du vers.
- ↑ 161 — trainant, lisez traïnant.
- ↑ 166 — * s’agenoille ; ms., s’ageloigne.
- ↑ 167 — * lie ; ms., liée.
- ↑ 176 — « Mielanz ». Il y a dans le Gers une petite ville du nom de Miélan ; il est plus probable qu’il s’agît tout simplement de Meulan-sur-Seine.
- ↑ 177 — * vendi ; ms., viendi.
- ↑ 191 — * estoient ; ms., estoit.
- ↑ 202 — Mainaus, lisez Mainnaus.
- ↑ 259 — * grans plentés ; ms., grant plenté.
- ↑ 273 — aimai, lisez amai.
- ↑ 274 — sur, lisez sor.
- ↑ 303 — * Ainsi ; ms., Ainsinc.
- ↑ 332 — Herceloz, lisez Hercelot.
- ↑ 344 — Il faudrait lire : ceste aumosniere.
- ↑ 345 — a ci, lisez ci a.
- ↑ 20, 14, majestire, lisez maiestire.
- ↑ 367 — fois, lisez foiz.
- ↑ 368 — * une ; ms., un.
- ↑ 372 — * cuer ; ms., cue.
- ↑ 376 — * Et Alison ; ms., Aalison.
- ↑ 382 — * prestres ; ms., prestre.
- ↑ 392 — * drecie ; ms., deciée.
- ↑ 400 — * L’uis ; ms., L’us.
- ↑ 437 — Tremblant, lisez Tranblant.
Boccace (Journ. VIII, nouv. 4.) a une pièce qui a des points de ressemblance avec ce fabliau.
XXXII
DU PRESTRE
os sans vilonnie
Vous veil recorder,
Afin qu’en s’en rie,
Prist trop bele fame. Si l’en meschéi
Qu’ele s’acointa d’un Prestre joli,
Mès le Çavetier molt bien s’en chevi.
Le Prestre venoit,
Entr’eus deus faisoient molt de leur soulas ;
Des meilleurs morsiaus mengoient à tas
Et le plus fort vin n’espargnoient pas.
Une fille avoit,
D’environ trois ans.
« Voir, ma mère a duel qu’estes céens tant. »
Bailet respondi : « Pour quoy, mon enfant ?
— Pource que le Prestre vous va trop doutant.
Vos souliers aus gens.
Lors vient, sans attendre,
Quant la table est mise l’en m’en donne assez,
Mès n’ay que du pain quant ne vous mouvez. »
Quant le mot oy,
Qu’il n’avoit pas toute
Qu’il dist à sa fame : « Je vois au marchié. »
Cele, qui vousist qu’il fust escorchié,
Li dist : « Tost alez ; jà n’en vuiegne pié. »
Qu’il fust eslongiez,
Le Prestre manda,
Puis firent un baing pour baingnier eulz deus[2],
Mès Baillet ne fut tant ne quant houteus ;
Droit à son ostel s’en revinst tous seulz[3].
Baillet par un mur
Sa fame l’oy, que faire ne sot,
Mès au Prestre dit : « Boutez vous tantost
Dedens ce lardier et ne dites mot. »
Et tout le fait vit ;
Lors la Çavetière
Que mout bien pensoie que retourriez ;
Vostre disner est tout apareilliez
Et le baing tout chaut où serez baingniez.
Que pour vostre amour,
Quar mout vous faut traire
Mès r’aler me faut errant au marchié. »
Le Prestre ot grant joie, qui s’estoit mucié,
Que Baillet pensa.
La plus grant partie
« Sur une charete me faut trousser haut
Ce viéz lardier là ; vendre le me faut. »
Lors trembla le Prestre, qu’il n’avoit pas chaut.
Le lardier trousser ;
Baillet, sans demeure,
Mès le las de Prestre, qui fu enserré,
Ot un riche frère, qui estoit curé
D’assés près d’ilec[4]. Là vint, bien monté,
Par une creveure,
« Frater, pro Deo, delibera me. »
Quant Baillet l’oy, haut s’est escrié ;
« Esgar, mon lardier a latin parlé ;
Mès, par saint Symon,
Il vaut grant monnoie ;
Par devant l’évesque le feron mener,
Mès ains le feray ci endroit parler.
Lonc temps l’ai gardé ; si m’en faut jouer. »
Li a dit ainsi :
« Baillet, se veus estre
Baillet respondi : « Il vaut grant argent
Quant latin parole devant toute gent. »
Le sens de Baillet ;
Afin de miex vendre
Donrra au lardier qu’il sera froez,
S’encore ne dist du latin assez ;
Mout grant pueple s’est entour aünez.
Que Baillet fust fol,
Mès folleur pensoient ;
Sera le lardier rompus de tous sens.
Le chétif de Prestre, qui estoit dedens,
Ne savoit que faire ; près n’issoit du sens.
Le Roi débonnaire
S’errant ne paroles, meschéant lardier,
Par menues pièces t’iray despecier. »
Alors dist le Prestre, n’osa delaier :
Me delibera ;
Reddam tam[5] cito
« Çavetiers me doivent amer de cuer fin
Quant à mon lardier fais parler latin. »
Lors le frère au Prestre dist : « Baillet, voisin,
Le lardier vendez ;
Ce sera folie
J’en aroy vint livres de bons parisis ;
Il en vaut bien trente, que moult est soutiz. »
Le mot refuser ;
A Baillet ala
Où privéement mist son frère hors ;
Bon ami li fu à cel besoing lors,
Quar d’avoir grant honte li garda son cors.
Et tout par son sens ;
Ainsi fu delivres[6]
D’amer par amours fame à Çavetier.
Par ceste chançon vous puis tesmoignier
Que du petit ueil[7][8] se fait bon guetier :
Ex oculo pueri noli tua facta tueri.
Fu le fait sçéu,
Qui estoit joneite.
Gardez, entre vous qui estes jolis,
Que vous ne soiez en tel lardier mis.
- ↑ XXXII. — Du Prestre qui fu mis ou lardier, p. 24.
[À partir de ce fabliau, la méthode de numérotation change ; le chiffre placé à côté du titre courant indique non pas le premier mais le dernier vers de la page.]
Publié par M. P. Meyer dans la Romania, III, 103-106, sous le titre de « Le savetier Baillet ».
- ↑ Vers 46 — * baingnier eulz deus ; ms., eulz deus baingnier.
- ↑ 48 — * seulz ; ms., ceulz.
- ↑ 88 — illec, lisez ilec.
- ↑ 139 — * tam ; ms., tan.
- ↑ 163 — delivre, lisez delivres.
- ↑ 168 — * ueil ; ms., uueil.
- ↑ 30, 12. Le proverbe disant qu’il faut se garder du petit œil (de l’œil de l’enfant) se retrouve presque textuellement t. IV, p. 149, et t. VI, p. 151.
- ↑ 174 — * çavetier ; ms., çavetiers.
L’on peut comparer à ce fabliau le conte de La Fontaine à peu près analogue intitulé « le Cuvier », imité du reste de Boccace.
XXXIII
LE MEUNIER D’ARLEUX
fo 506 ro, col. 2, à 508 ro, col. 2.[1]
ui se melle de biax dis dire
Ne doit commenchier à mesdire,
Mais de biax dis dire et conter ;
Dès or vos vaurai raconter
Une aventure ke je sai,
Car plus celer ne le vaurai.
A Palluiel[2], le bon trespas,
.I. Maunier[3] i ot Jakemars ;
Cointes estoit et envoisiés ;
A Aleus[4] estoit il mauniers ;
Le blé moloit il, et Mousès,
Qui desous[5] lui estoit varlés.
.I. jour estoient au molin
En un demierkes au matin ;
De maintes viles i ot gens
Qui au molin moloient souvent ;
Il i ot molt blé et asnées.
Maroie, fille Gérart d’Estrées[6],
Vint au molin atout son blé ;
Le maunier en a apielé ;
Ele l’apièle par son nom :
« Hé, Jacques », fait ele, « sans son[7],
Par cele foi ke moi devés,
Moles mon blé ; si me hastés
Que je m’en puisse repairier.
Atorner m’estuet[8] à mangier
Por mon père, ki est à chans. »
Jakès li a dit maintenans :
« Ma douce amie, or vous séés ;
.I. petit si vous reposés.
Il a molt blé chi devant nous[9]
Qui doivent maure devent vous.
Mais vous morrés qant jou porrai.
Et si n’en soies en esmai,
Car, se il puet, et vespres vient.
Je vous ostelerai molt bien
A ma maison à Paluiel.
Sachiés k’à ma feme en ert biel,
Car jou dirai k’estes ma nièche. »
Mousès ot jà moulut grant pièche ;
Les gens furent jà ostelé
Et à leur villes retorné.
Mousès voit bien et aperçoit
Tout cho ke ses maistres pensoit ;
Andoi orent une pensée
Por décevoir Marien d’Estrée.
Jésir cuident entre ses bras;
Mais il n’en aront jà solas,
Ains en sera Jakès décheus,
Tristres, dolens, corchiés[10] et mus.
Mousès a son maistre apielé :
« Sire » dist-il, « or entendes ;
Il a molt poi d’iaue el vivier ;
Il vous covient euvre laissier ;
Nos molins ne puet morre tor.
— Or n’i a il nul autre tor, »
Fait li mauniers ; « clot le molin. »
Li solaus traioit à déclin ;
La damoisièle ert plainne d’ire,
Pleure des iex, de cuer soupire :
« Lasse, » fait ele, « que ferai ?
Or voi jou bien ke g’i morrai.
Se je m’en vois encui par nuit,
Jou isterai dou sens, je cuit. »
Mousès l’a prise[11] à conforter ;
« Biele, » fait-il, « or m’entendes ;
Vous irés avuec mon maistre[12] ;
Il vos en pora grans biens naistre.
— Voire, » fait Jakès entressait,
« Mais meuture n’aura huimais[13],
Elle, ses[14] pères, ne sa gent. »
Par le main maintenant le prent :
« Levés sus, bièle ; s’en alons
A Paluiel en mes maisons ;
Là serés vous bien ostelée.
Vous mangerés, à la vesprée,
Pain et tarte, car et poisson,
Et buverés vin affuison ;
Mais gardés ke sace ma feme
Que soies el ke ma parente,
Car defors ma cambre girés,
Douce amie, se vous volés,
Et jou girai[15] à ma moillier.
A Aleus m’estuet repairier
Por mon molin batre et lever ;
Adont me vaurai retorner
Et choucerai lé vous, amie. »
Cele s’estut molt esbahie,
Qui dou maunier n’avoit talent,
Ens en son cuer bon consel prent ;
Dist : « Se Diex plaist, n’avenra mie. »
Tout .III. en viènent à la vile
De Paluiel chiés le maunier.
Or sont venu au herbegier ;
Li mauniers apiela sa fame ;
Se li dist : « Dame, que vous sanble ?
Que mangerons-nous au souper ?
— Sire, » chou dist la dame, « assés.
Qui est ceste méchine ichi ?
— Ma cousine est, sachiés de fi ;
Faites li fieste et grant honor.
— Volentiers, » la dame respont ;
« Bien soies vous venue, amie.
— Dame, » fait el[16], « Dius bénéie. »
De mangier n’estuet tenir plait
De chou ke promesse avoit fait ;
Pain et vin, car, tarte et poison
Orent assés à grant fuisson.
Quant orent mangié et béu,
Li lis fu fais, dalès le fu,
U la meschine dut couchier,
Kieute mole, linches molt chier,
Et covertoir chaut et forré.
Li mauniers en a apielé
Sa fame, k’il ot espoussée :
« Dame, » fait il, « si vous agrée,
Volentiers iroie au molin,
Il le m’estuet batre matin ;
Il i a molt blé ens es sas. »
La dame dist : « Se Diex me gart,
Il chou est molt très bon à faire. »
A tant li mauniers se repaire,
Mais anchois[17] ot dit à sa feme
Qu’ele pense de sa parente :
« Aies à Diu, » chou dist la dame ;
« Pis n’aura conme[18] se fust m’ame. »
A tant s’en va. Cele demeure ;
Del cuer souspire et des iex pleure,
Et dist la dame : « K’avés vous ?
Dites le moi tout par amors ;
Nous avons or esté si aisse
Et or nous metés en malaisse.
Qui vous a riens meffait ne dit ?
— Dame, » fait el[16], « se Diex m’ait,
Je me loc molt de vostre ostel,
Mais mes cuers est molt destorbés.
Se je l’osoie descovrir
J’en sui forment en grant désir.
— Oïl[19], » fait la Dame erramment,
« Dites le moi hardiement.
Jà ne sera si grans anuis
Ne vous en oste, se je puis. »
Dist la pucèle : « Grant merchi ;
Jel’ vous dirai sans contredit.
Huimain vinc por maure à Aleus[20],
Et vo barons si me dist leus
Que ne porroie maure à pieche.
Iluec me détria grant pieche ;
L’autre gent molut erramment ;
Le molin clot delivrement,
Car Mousès li ot ensaigniet
Qu’il ot molt poi d’iaue el vivier.
Tant iluec seoir m’i fissent
Que nuis me prist et viespres vinrent[21] ;
Chi m’amena por herbegier,
Car vaura dalès moi chouchier,
Se Jhésus et vos ne m’aïe.
— Or vous taisié, ma douce amie, »
Fait la dame, ki fu senée ;
« Vous en serés bien destornée ;
Car vous girés ens en mon lit
En ma cambre tout en serit,
Et jou girai chi en cestui.
Se mes maris i vient encui
Qu’il veulle gesir aveuc vous
Trover m’i porra à estrous
Et soufferai chou k’i vaura. »
La demoisele s’escria :
« Dame, » fait ele, « grant merchi ;
Bien avés dit, se Diex m’aït,
Il ert mérit, se Dius plaist bien. »
Dist la dame : « Chou croi jou bien ;
C’est bien et autre tout ensanble. »
Atant s’en entrent en la cambre
U la pucele se coucha,
Et la dame se retorna.
A l’uis s’en vint, si l’entr’ovri[22],
Puis est venue[23] droit au lit,
Qui fais estoit lès le fouier,
U la pucele dut chouchier.
Ele s’i chouce, plus n’arieste ;
Saingna son cors, saigna sa tieste ;
A Diu se rent et au Saint pière
Qu’il li doinst bone nuit entière.
Si fara il, mien ensient.
Se l’aventure ne nous ment.
Car ses maris, mauniers qui ert,
Il et Mousès sont repairiet ;
Par mi la rue vont tout droit ;
Del molin viennent ambedoit.
Por jesir avuec la meschine
Revint Jakès, ki le desire ;
Mousès l’en a[24] mis à raison :
« Sire, » dist il, « por[25] saint Simon,
Car faites .I. markiet à mi ;
Certes j’ai un porchiel nouri,
Il a passé .V. mois entiers ;
Celui aurés molt volentiers,
Foi ke doi Diu, sainte Marie,
Se jésir puis o le meschine.
Oïl, » fait Jakès entresait ;
« Se guerpir volés, sans nul plait,
Le porcelet ke nouri as.
Gesir te ferai en[26] ses bras.
— Oïl » fait il, « par tel marchiés
Le vous guerpisse volentiers.
— Or m’atent dont à cest perron ;
Je m’en irai à no maison.
Se choucerai o la pucele,
Qui tant est gentiex et biele. »
Chou dist Mousès : « A Diu aies ;
Quant vous poés, si revenés. »
Et Jakès li mauniers s’en torne ;
Dusc’à la maison ne destorne.
Il a trové l’uis entr’overt[27] ;
Tout souef l’a arière ouvert ;
Ens est entrés, puis le referme ;
Mais molt se doute de sa feme,
Qu’il cuide k’en sa chambre gisse.
Mais je cuic la mescine i gisse.
Au lit en vint, lès le fouier
Dalès sa femme tost choucier.
Il cuide che soit[28] la meschine ;
Si l’a acolée et baisie ;
.V. fois li fist li giu d’amours,
Ains ne se mut nient plus c’uns hors.
Il iert jà priés de mie nuit ;
Li mauniers crient Mouset[29] n’anuit,
Qui l’atent séant à la pière ;
Ses demoures forment li griève.
A la dame dist : « Je m’en vois,
Mais ke n’en aïés irois,
Car il est plus de mie nuit ;
Je revenrai encore anuit.
— Quant vous poés, si revenés, »
Et dist la dame, « à Diu alés. »
Jakès en est dou lit partis.
Si s’est rechauciés[30] et viestis ;
Gieut cuide avoir o la pucele ;
On li a cangiet le merielle,
A Mousèt en est retornés.
Qui dehors l’uis est akeutés :
« Vien chà, amis, errant jesir ;
Je vuel le porcel deservir.
.V. fois ai fait ; bien vous[31] hastés ;
Or il para quel le ferés. »
Che dist Mousès : « Que dirai jou,
Quant je venrai[32] en la maison ? »
Et cil a dit : « Au lit alés ;
Se vous chouciés dalé son lés ;
Ne dites mot, mais taisiés vous ;
Jà nel’ saura par nul de nous[33].
Faites de li vos volentés. »
A tant en est Mousès tornés,
Et vint au lit ; si se despoulle ;
Maintenant o la dame chouce.
.V. fois li fist en molt poi d’eure.
A tant Mousès plus n’i demeure[34] ;
Congiet a pris, si se viesti ;
La dame croit, saciés de fi,
Que ce ne soit fors ses barons.
Et cil revint à Jakemon ;
Se li a dit : « J’ai fait .V. fois.
— Dont a ele eu despois[35] ? »
Chou a dit Jakès, li vuihos ;
« Li porchiax esciet en mon los.
— Voire, » fait Mousès, « en non Dé ;
Or venés ; prenc, qant vous volés,
Le porcelet, ki estoit mien ;
Vous l’enmenrés par le loien. »
A tant s’en sont d’illuec parti.
Qant li jours fu bien esclarchi,
La damoisele s’est levée ;
Si s’est viestue et atornée.
A la dame congiet a demandet[36]
Et li merchie de son hostel.
Ele li dist : « Ma douce amie,
Perdue avés bonne nuitie,
Car mes maris .x. fois ennuit
M’en a[24] donné par grant déduit.
Por vous l’a fait ; ne l’en sai gré ;
Ou lit vous cuide[37] avoir trové.
— Gret m’en sachiés, » fait la mescine.
A tant plus n’arieste ne fine ;
A Hestrées tout droit s’en va.
Et li mauniers tost repaira ;
Si ammaine le porchelet ;
Par dalés lui s’en vint Mousès,
Qui le porciel li ot vendu ;
Bien le cuidoit avoir perdu.
Qant la dame perçut les a,
Sachiés ke pas nes[38] bienvina,
Le sien marit trestout avant ;
Tost li a dit : « Ribaut puant,
.XIIII. ans ai o vous estet ;
Ains ne vous poc mais tel mener,
Ne tant acoler, ne basier,
Servir à gré, ne solacier,
Que ja iffuse envaïe[39]
.II. fois en une nuit entière.
Pour la mescine eue, voir, ennuit
.X. fois, u plus, par grant déduit.
Cele m’a fait caste bontét,
Cui vous cuidastes recovrer.
En mon lit cocha[40], en non Dé.
Or avés vous cangié le dé. »
Quant Jakemars l’ot, et entent
Qu’il est vuihos certainnement,
Saciés ke point ne l’abielist.
Et Mousès tout errant li dist :
« Sire, mon porciel me rendes,
Car à tort et pechiet[41] l’avés.
— Qu’esse, diable ? » dit Jakemars.
« Tu as ennuit entre les bras
Jut de ma fame[42] et fait ton biel.
Et tu viex r’avoir ton porchiel ;
Saces ke tu n’en r’auras mie.
— Si arai », fait Mousès, « biax sire,
Car je duc gire o la pucele.
Qui estoit grasse, tenre et biele,
Ke miex vauroit ele sentir
Que de vo feme nul délit.
Sachiés je m’en irai clamer ;
Tost à Oisi vaurai aler. »
Mousès en va droit à Oisi.
Si en est clamé au Bailli,
Et li Baillius les ajorna ;
A tant Mousès s’en retorna.
Quant li termes et li jors vint
Que li Baillius les siens plais tint,
Li mauniers i vint et Mousès
Por conquerre le porchelet.
Mousès a sa raison contée ;
Li Eskievin l’ont escoutée.
Que vous feroie jou lonc conte ?
Toute sa raison leur[43] raconte,
Ensi com Jakemes[44], li cous,
Li ot fali de tout en tout :
« O la[45] pucele deuc jesir ;
O sa[46] feme m’a fait jesir, »
Qu’il ne prent mie en paiement,
Ains veut que Jakès li ament.
Car deut jesir o la pucele
Qui tant est avenans et biele.
Se li Esquievin li otrient ;
Communaument ensanble dient
Que il li tiegne ses markiés.
Li mauniers est levés en pies :
« Signor, » fait-il[47], « entendes nous.
Je sui vuihos et si sui cous.
Je doi bien cuites aler par tant,
Car sachiés il m’anuie forment
Chou que il avint à ma feme,
Car ses porchiaus ne m’atalente. »
Li Baillius a grant ris eut,
Puis si[48] ior a ramentéut :
« Volés de chou oïr le droit ?
— Oïl, » dit Mousés, « par ma foit.
— Et vous, mauniers ? » fait li Baliu.
« Voire bien, de par Dame-Diu,
Que il me doinst cuites aler. »
Li Baillius prist à conjurer
Les Eskievins por dire voir[49] :
« Si ferons nous à no pooir.
Sire, » font il, « molt volentiers. »
A tant se prendent[50] à consillier ;
A ce consel en sont aie ;
Plus tost qu’il peurent sont torné[51] :
« Sire, » font il, « entende nous.
Par jugement nous disons vous[52]
Ke vous Mousèt faites r’avoir[53]
Son porchelet, car chou est drois.
Et commandés à Jakemon
Qu’il li renge tout, sans tenchon,
U la meschine li r’amaint
Por faire son bon et son plain. »
Li Baillius li a commandé,
Et Jakès li a delivré
Le porchelet tout erramment,
Et li Baillius maintenant prent
Par le loien le porchelet,
Et puis si a dit à Mouset :
« Amis, or ne vous en courchiés[54] ;
Je vous renderai en deniers
.XXX. sols por le porchelet.
Mangiés sera à grant reviel
Des bons compaingnons del païs. »
Jakès s’en part tous esbahis,
Qui demeure chous et vuihos.
Cho fu droit que le honte en ot,
Car raisons ensaigne et droiture
Que nus ne puet mètre sa cure
En mal faire ni en mal dire[55]
Tousjors ne l’en soit siens li pire[56].
Et ausi fist il le maunier,
Qui en demoura cunquiet[57],
Mais ne me chaut, chou fu raisons.
Et li Baillius a tout semons
Les escuiers et les puceles,
Les chevaliers, les dames bieles ;
Si a fait mangier le porciel
A grant joie et à reviel.
Engerrans, li clers, ki d’Oisi
A esté et nés et nori,
Ne vaut pas ke tele aventure
Fust ne périe ne perdue ;
Si le nous a mis en escrit
Et vous anonce bien et dist
C’onques ne vous prenge talens
De faire honte à bones[58] gens.
- ↑ XXXIII. — Le Meunier d’Arleux, p. 31
Publié par M. Fr. Michel, à 100 exemplaires, Paris, Silvestre, 1833, in-8 de viii et 16 p., et donné en extrait par Legrand d’Aussy, III, 256-261.
- ↑ Vers 7 — « Palluel », à sept lieues d’Arras (Pas-de-Calais).
- ↑ 8 — mannier, lisez maunier. Cette correction devra être faite chaque fois que ce mot se présentera.
- ↑ 10 — « Arleux » en Gohelle, à trois lieues d’Arras.
- ↑ 12 — * desous ; ms., desus.
- ↑ 18 — Il y a trois Estrée dans le Pas-de-Calais, un dans l’arrondissement de Montreuil-sur-mer et deux dans celui de Béthune.
- ↑ 22 — * sans son ; ms., de Sanson.
- ↑ 26 — * estuet ; ms., estuer.
- ↑ 31 — * nous ; ms., vous.
- ↑ 50 — * corchiés ; ms., correchiés.
- ↑ 65 — * prise ; ms., prises.
- ↑ 67 — Vers faux ; il faut lire sans doute : Vous en irez avuec mon maistre.
- ↑ 70 — * huimais ; ms., amais.
- ↑ 71 — * ses ; ms., ne ses.
- ↑ 83 — Ne vaudrait-il pas mieux corriger girai en dirai ?
- ↑ a et b 104 et 134 — * el ; ms., ele.
- ↑ 123 — ainchois, lisez anchois.
- ↑ 126 — * conme ; ms., con.
- ↑ 139 — * Oïl ; ms., Doïl.
- ↑ 145 — * maure à Aleus; ms., à Aleus maure.
- ↑ 154 — * vinrent ; ms., virent.
- ↑ 177 — * entr’ovri ; ms., entrovi.
- ↑ 178 — * venue ; ms., venu.
- ↑ a et b 193 et 280 — * a ; ms., n’a.
- ↑ 194 — par, lisez por.
- ↑ 204 — * en ; ms., entre.
- ↑ 215 — * entr’overt ; ms., entrovet.
- ↑ 223 — * che soit ; ms., que che soit.
- ↑ 228 — * Mouset ; ms., molt ert.
- ↑ 238 — * rechauciés ; ms., rechauciers.
- ↑ 245 — Le ms. n’a pas le mot vous.
- ↑ 248 — * je venrai ; ms., tu venras.
- ↑ 252 — * nous ; ms., vous.
- ↑ 258 — * demeure ; ms., demoure.
- ↑ 264 — Vers faux.
- ↑ 275 — Vers faux ; peut-être faut-il lire : A dame a congiet demandet.
- ↑ 282 — * cuide ; ms., cuida.
- ↑ 292 — n’es, lisez nes.
- ↑ 299 — Non-seulement ce vers est faux, mais sa rime est insuffisante.
- ↑ 305 — * cocha ; ms., le cochai.
- ↑ 312 — * à tort et pechiet ; ms., tort et à pechiet.
- ↑ 315 — * Jut de ma fame ; ms., De ma fame jut ; — bel, lisez biel.
- ↑ 336 — * sa raison leur ; ms., leur raison.
- ↑ P. 42, l. 17, Jakemès, lisez Jakemes.
- ↑ 339 — * O la ; ms., Car o la. — La rime de ce vers, ou celle du suivant, est fautive.
- ↑ 340 — * O sa ; ms., Et sa.
- ↑ 349 — Le ms. n’a pas le mot il.
- ↑ 356 — * si ; ms., s’il.
- ↑ 363 — * dire voir ; ms., voir dire.
- ↑ 366 — * prendent ; ms., prede. — Le vers corrigé est faux ; ne faut-il pas supprimer se ?
- ↑ 368 — * torné ; ms., retorné.
- ↑ 370 — * disons vous ; ms., vous disons.
- ↑ 371 — * faites r’avoir ; ms., fait ravoir.
- ↑ 383 — * courchiés ; ms., courrechiés.
- ↑ 393 — * ni en mal dire ; ms., ni en dire.
- ↑ 394 — le pire, lisez li pire.
- ↑ 396 — Vers faux.
- ↑ 410 — * bones ; ms., bone.
- ↑ 411 — Vers faux, facilement corrigé en lisant : il ne fait que sage.
- ↑ 414 — Ronmanz, lisez Roumanz.
XXXIV
DU PRESTRE ET DU CHEVALIER
raiiés en chà ; s’oiiés .I. conte,
Si com Milles d’Amiens le conte,
D’un Chevalier et d’un Provoire.
Li contes fu mis en memore
C’uns Chevaliers molt povrement
Repairoit du tournoiement ;
Si avoit tout perdu le sien.
Et si avoit esté si bien
Batus que, s’il donnast .C. saus.
Ne trouvast-il qui tant de cols
Li donast pour .C. sols contés.
Laidement fu desbaretés[2] ;
Si ot toute sa compaignie
Perdue et toute sa mainsnie,
Et son harnas et son conroi.
..............
Ensi s’en vint molt povrement
Et .I. Escuiers seulement.
S’esmurent une matinée
Pour revenir en lor contrée.
..............
Cel jor ot faite grant journée
De .XV. liues[3] et de plus,
Et fist fors tans, et fu en plus
Trestous li cors dusque[4] as talons.
Dieu et saint Ladre d’Avalon.
Réclama, et Sainte Marie,
Que vrai conseil et vraie aïe
Li envoïast prochainement.
Moult chevauça pensieument
Jouste un pendant, lès .I. laris,
Com chius qui molt estoit maris
De le mesaise qu’il souffroit,
Et sachiés bien que il[5] estoit
.XIIII. tans de sa poverte
Que de son cors ne de sa perte.
Molt par s’en aloit povrement
Et ses Escuiers erraument
Le sievoit les galos destrois
Pour les dolours et pour les frois
Que il avoit le jour souffert,
Et prie Dieu et saint Lambert
Que par se grasce le consaut.
Tant chevauchèrent que en haut
Vinrent une ville campiestre,
Où il avoit moustier et prestre,
Riche, manant et asasé ;
.I. grant tressor ot amassé.
Riens nule celi ne faloit,
Ne d’omme nul ne li chaloit
Fors que de li et de s’amie,
Qu’il avoit biele et eschavie.
Et de sa nieche, qu’il tenoit
En son ostel, et si l’avoit
Donnée à .I. dansel de vile ;
La pucele avoit à non Gille.
Gille avoit à non la pucele,
Qui moult ert avenans et bele
.X. tans que dire ne poroie ;
De Monpellier dessi à Roie[6]
Ne trouvissiés pas .II. plus beles ;
Graillete estoit, et les mameles
Li venoient tout primerains ;
Les dois avoit lons et les mains ;
Plus blanche estoit que n’est gelée.
Quant ele estoit escavelée,
Si cheveil resambloient d’or,
Tant estoient luisant et sor ;
S’ot le col blanc et le front plain ;
Icele ert nieche au Capelain.
S’avoit petites oreilletes ;
Bien li séoient les levretes
Et li dent menue[7] et blanc ;
Sa bouche resanloit fin sanc ;
Cler et riant furent li œul.
Au Chevalier repairier vœil,
Qui avoit perdu son chemin,
Et esra tant que en la fin
Qu’il entra en une voiète
Qui le mena à le vilète
Où li Prestres riches manoit,
Qui l’amie et la nieche avoit,
Dont oïstes ore nagaires.
Mais grans anuis et grans contraires
Avint au noble Chevalier,
A li et à son Escuier.
Quant là vinrent, si estoit nuis
Et si estoient clos li huis,
Et les bestes èrent venues,
Et les estoilles par les rues
Luisoient, qui clartet donnoient
A chiaus qui les chemins aloient ;
A cele eure vint et entra.
A l’entrée .I. homme encontra
Qui li dist : « Sire, bien viengniés,
Comme preus et bien afaitiés. »
Respont li Chevaliers : « Biaus sire[8],
Dix te saut; par l’ame ton père,
Enseigne moi le plus riche homme
De ceste vile, c’est la somme. »
Dist li vilains : « C’est nostre[9] Prestres.
Ch’est li plus riche qui puist estre
Chi environ dis liues loing,
Et si set bien au grant besoing
Homme[10] servir, ses coses sauves;
Et si ne prise pas .II. mauves
Homme ne femme fors que lui,
Tant est fel et de put anui.
Et d’autre part sont li vilain
Felon, quivert, failli, et vain,
Maléureus de toute part,
Hideus comme leu ou lupart
Qui ne sevent entre gent estre,
Miex vous vient[11] aler chiés le Prestre,
Car de .II. maus prent-on le mieux.
— Vérité dites, par mes iex, »
Fait li Chevaliers au vilain.
« Où est li mès au Capelain ?
— C’est cele à cele keminée,
Cele bele, cele ordenée.
Li Prestres a à non Silvestres, »
Ensi li monstre chius les estres,
Puis prent congié, si s’en départ.
Li Chevaliers, qui molt fu tart
Que herbegiés fust chiés le Prestre,
Qui molt est fel et de put estre,
Petit ot en son cuer de joie,
Et non porquant que toutes voies
Chevaucha[12] tant k’il vit le Prestre
Qui se gisoit sous se feniestre,
Trestous envers, le dos desous,
Li chevaliers, simples et dous,
Qui le cors ot plaisant et gent
Regarda la vilaine gent ;
Dechiaus ne li estoit-il gaires
De ses anuis[13], de ses contraires.
Que il avoit eü le jour
Li faisoit muer sa coulour.
De Dame Dieu, le Roi de glore.
Salua moult biel le Provoire ;
Li Prestres si le resalua
Et après si li demanda
D’ont il est, ne de quel païs.
Li Chevaliers n’est esbahis :
« Chevaliers sui d’estranges terres ;
De tournoiier vieng pour conquerre ;
S’ai perdu, si com il avint,
A preudomme com[14] il avient,
A honneur pour querre los[15].
— Or auroie jà escalos »,
Fait li Prestres, « se je voloie »,
Ki ert chains de pute coroie.
Et si ert fel et deputeaires.
Et li Chevaliers deboinaires
Respont : « Sire, jà Dieu ne plache[16]
Que vos avoirs nul bien me faiche
S’au double n’en raves du mien,
Riches hons[17] sui, ce sachiés bien :
Je tieng encore tout du mien
Le montant de XV castiaus,
Boins et rices, et gens, et biaus.
Et autres viles, qui sont moies.
..............
N’a pas de là jusques ichi
.XV. liues, je vous affi,
Mais herbregiés moi anuit mais.
— Dans Chevaliers, tenés me en pais, »
Fait le Prestres, « aies vo voie,
Car nului ne herbergeroie.
Nès le Roi, s’il ert chi venus ;
Car du faire ne sui tenus
Qu’il ne me plaist ne je ne voeil,
Ne nului herbergier ne seul,
Ne or ne quier avoir maisnie,
Fors moi et me nieche et m’amie,
Qui me doit anuit aïsier.
Ailleurs vous aies herbergier,
Car je ne cuit à vous plait prendre,
Estriver ne parole rendre ;
Chi ne ferés vous vo[18] besoigne
Vaillant le pris d’une escaillongne. »
Dont fu li Chevaliers plains d’ire,
Et non porquant si prist à dire :
« Se Diu plaist, ne me faurés mie.
A Chevalier chevalerie
Et au Clergiet[19] afiert a estre.
Si com j’oï dire mon maistre.
Se che nous faut, c’est Vilonnie
Sourmonte honneurs et courtoisie.
Je vous donrai de mon avoir
Assés pour biel ostel avoir. »
Adont le regarda li Prestres ;
Si a drechiet amont sa tieste.
Si descent jus de la fenestre.
Dans Silvestre, li capelains,
Qui avoit ouvertes ses mains
Tous jours au prendre et au reçoivre
Le Chevalier cuide dechoivre
Et de sa parole souspendre :
« Dans Chevaliers, de chi atendre
Ne pores vous avoir nul preu.
Herbregiés vous en autre lieu.
S’ensi estoit, com je devise,
En tel manière et en tel[20] guise
Pores vous avoir mon serviche
Et de ma nieche et de m’amie
Et mon ostel à vo[21] talent. »
Et li Chevaliers erraument
Respont : « Or dites, je l’orrai,
Le convenant, et je ferai
Che que moi vendra à talent,
Car il est tout à vo commant
Et au mien ne fust d’autre part
Vous me tierriés pour musart ;
Pour ce est raison que je l’oie,
D’ont dirai que Dix me doinst joie. »
Fait li Prestres : « Vous me donrés
De tous les mes, dont vous ares
Servi, .V. sols pour convenanche.
— Par tous les Sains qui sont en France, »
Fait li Chevaliers, « je l’otroi.
— Dont me pluverés vous vo foi, »
Fait li Prestres, « que je serai
Demain paiiés, et si arai
Mon convenant[22] trestout sans noise ?
— Bien me plaist et nient ne me poise, »
Fait li Chevaliers, « mais c’au mains
Me jurés comme Capelains.
Si me fiancherés vo foi,
Comme Prestres de bonne foi,
C’a mon talent servis serai[23]
De tous les mes que je saurai
Que vous ares en vo baillie, »
De chou li a sa foi plevie
Li Prestres, mais ceste fiance
Dont contraire duel et pesanche
Ot, ains que partissent andui.
Li Chevaliers flanche lui
C’a son talent paiiés sera
Trestout quanqu’il demandera
De convenant et de droiture.
Li Escuïers fremist et jure,
Com cil à cui forment en poise ;
Mais il n’en ose faire noise,
Tant doute son seigneur et crient ;
Molt est dolens et molt se crient.
Et pense que il li larroit
Lors .I. cheval, et s’en iroit
A pie, se Dix ne les conseille ;
De bien servir biel s’apareille.
Li Prestres ses[24] a fait deschendre ;
Dame Avinée courout[25] prendre
Le palefroi au Chevalier,
Gille celi de l’Escuier.
Cascune osta le sien le frain ;
Si lor donnent avaine et fain ;
Molt savoient bien servir gent.
Mais laiens ot petit de gent
Et de maisnie, c’est la voire ;
.II. cousins germains à Provoire
Fissent venir, qui biel estoient
Et bien et biel servir savoient.
Quant venu furent belement,
Si saluent courtoisement
Le Chevalier et se maisnie :
« Biaus seignor. Dix vous béneïe, »
Respont li Chevaliers à iaus.
Li keus faisoit peler les aus,
Commin broier et poivre ensanle.
Et jà cuisoient, ce me sanle,
.IIII. capons[26] et .II. gelines.
Molt èrent beles les cuisines,
Car li connin et li oison
Erent jà cuit et li poisson.
Cille, au cors avenant et biel,
Fist .II. pastés et un gastel ;
Dame Avinée eslut le fruit,
C’on dut mengier par grant déduit,
Et en après autres viandes.
Li Prestres poile les amandes ;
Cius bat les aus, l’autre le poivre.
Et si ont fait un moult boin soivre ;
Li tierch lèvent les escuielles,
Li quart met les bans et les seles
Et les tables pour asseoir.
Là péuissiez menger veoir
Bien atourné et sans faitisse[27].
Li Escuiers .II. nois ne prise
Tout che, ains l’en poise forment
Qu’il cuidoit bien tout maintenant
Laissier son escu et sa targe ;
S’a tel duel por poi qu’il n’esrage,
Com cil qui plus faire ne puet.
Dist li Prestres : « Il vous estuet
Menger anuit, mais en est tans. »
En .II. bachins clers et luissians
Porta on l’iaue[28] pour laver ;
Gille[29], la plaisant demisele,
L’a aportée[30] maintenant.
Le Prestre fist laver devant
Le Chevalier à grant honnour ;
De son otel le fist seignour.
Après lava li Capelains
Ses iex et sa bouche[31] et ses mains ;
Puis s’alérent seoir après.
.II. candelabres de chiprès
Aportent doi vallet avant ;
En cascun ot .I. chierge grant
Que mieux véissent au mengier.
Sans contredit et sans dangier
Les servi on .I. à un mès,
Et, devant tous les autres mès,
Fu premiers li pains et li vins.
Li chars de porc et li connins
Aporta on, pour .II. mès faire ;
Celle viande doit bien plaire.
Après orent oisiaus nouviaus ;
Puis fu aportés li gastiaus.
Et li capon furent au soivre.
Et li poisson[32] à le fort poivre,
Et les pastés à déerains
Fait aporter li Capelains,
Por ce qu’il èrent biel et chier.
Por mieus seoir le Chevalier,
Et à toute l’autre maisnie
Dame Avinée, qui fu lie,
Aporta nois et autre fruit,
Et kanièle, si corn je cuit.
Et gyngembras et ricolisse ;
Mainte boine herbe et mainte espise
Lors aporta dame Avinée.
Ains que la table fust ostée,
S’en mengèrent, toutes et tuit,
Tout par loissir et par deduit,
Et burent vin, vermeil et blanc,
Cler comme larme, et pur, et franc,
Assés et as grans alenées.
..............
Et ont les tables, quant lius fu.
Et puis font attisier le feu
Que froidure ne les sousprengne.
« Dans Chevaliers, comment qu’il prengne
S’il vous plaist et ne vous anoie, »
Fait li Prestres, « je conteroie
Volentiers c’avons despendu.
— Contés, car bien vous ert rendu, »
Fait li Chevaliers, « se Dieu plaist. »
Li Escuiers adès se taist,
Qui moult avoit le cuer dolent
Qu’il ne set à dire comment
Icele dete porra estre
Rendue à Monseigneur le Prestre,
Car il n’ont fors leur .II. chevaus
Et lor reubes et lor mantaus[33] ;
Si en a molt son cuer dolent.
Fait li Prestres premierement :
« Vous conterai .V. saus au pain,
Et .V. au vin, plaisant et sain,
Et .V. à le char de porc saine ;
Autrestant a valut la laine.
S’en a .V. as gelines crasses,
.V. as capons et .V. as hastes[34],
.V. as pastés, .V. as gastiaus,
Que nous aussmes boins et biaus,
.V. as aus et .V. as oissnions,
.V. au poivre et .V. as poissons,
Et si ara .V. saus au feu,
.V. au serjant et .V. au keu,
.V. pour l’avaine. Or sont .C. saus,
Que je ne soie au conte faus.
S’en ara .V. as napes beles,
.V. as pos et .V. as paieles,
.V. as tables, .V. as plouviers
Que nous euismes boins et chiers ;
Les gyngembras, les ricolisses,
.XXX. sous coustent[35] les espises ;
Que je n’oubli[36] .V. saus au sel,
Et .V. au lit, .V. à l’ostel.
Et .V. au fain, tout sans l’avaine.
Et .V. à la litière sainne,
C’on mist desous vos .II. chevaus ;
Si sera li contes ingaus.
Chi n’a pas trop de nule rien
Car de[37] che me pairés vous bien
Demain au partir sans deçoivre.
Après le conte doit on boire, »
Fait li Prestres, « si beverons.
— Quant vous plaira, et coucherons, »
Dist li Chevaliers, « biaus dous sire, »
Qui en son cuer ot molt grant ire.
Dont se sont levé tout ensamble,
La maisnie, si com moi samble,
Pour lui servir et descauchier ;
Qui dont le véist encauchier
De lui servir et honnour faire,
Ne li peûst de riens mesplaire ;
Cius le descauche, chius le grate,
Chius le soustient, et chius le taste.
Ensi li font tout son plaisir ;
Acompli li ont son désir,
Tant qu’il l’orent muchié ou[38] lit,
Qu’il orent fait bel et delit.
Quant couchié l’ont isnelement
Si ne targierent de nient,
Ains aportent le vermeil vin.
Si but entre les dras de lin.
Quant ot bu, erraument se couche ;
Son chief envolepe et sa bouce.
Et fait samblant que dormir voeile.
Tantost se deschauce et despouille
Li Escuiers, et s’apareille[39]
De dormir[40] ; mais tantost s’esveille
Li Chevaliers, et se pourpense
Comment paiera tel despense ;
Bien set que jà n’en finera
Devant que li Prestres en sera
Paiiés, qui moult les deniers aime ;
Chaitis et fols musars se claimme,
Quant il a fait si grant despense.
Après ices mos se porpense
De grant barat et de grant guille.
Dont dist qu’il vora bien[41] que Gille
Viengne en nuit couchier en son lit,
Faire son boin et son délit
Et en après dame Avinée,
Li preus, li bele, li senée.
Et en après li dans[42] Prestres :
« Si saurai[43] de tous .III. les estres ».
De che[44] s’afiche molt, et jure
Que il fera ceste laidure,
S’il ne li claimme cuite et lait
Le grant despens que il a fait
En son ostel par son outrage.
« Si voroie mieus à Cartage
Estre que jà géuisse a homme,
Em Puille, en Salerne ou à Romme
Et non porquant si li ferai
Cest lait ; si li demanderai
Que il viengne avoec moi gesir
Faire mon boin et mon plaisir,
Pour .XV. saus qui n’i remaigne. »
Li Chevaliers, qui moult engaigne,
Non fera il por que il puisse.
Son Escuier prent par le cuisse ;
Vers li le sache et si le boute :
« Os tu ? Diva », fait-il, « escoute. »
Tant le déboute, et sache, et tire.
Que chiex sot que c’estoit ses sire.
Li Chevaliers li prist à dire :
« Lieve tost sus, et si va dire
Au Prestre félon et vilain,
Qu’il m’envoist sa nieche Gillain ;
Si mèce plus .V. sous au conte. »
Et chiex dit : « Vous li querrés honte.
— De li tele est no[45] convenenche.
Dont j’ai[46] sa foi et sa créance
C’a mon talent servis[47] seroie
De tous les mes que je sauroie
Que il aroit en sa baillie.
Et ceste i estoit sans faillie.
Pour ce le veut anuit avoir.
Qui qui le tiengne à non savoir,
Qui qu’en pleurt ne qui k’en ait joie. »
Dont dist li Escuiers et proie
A son seignor qu’il laist ester :
« Vous n’i poriés riens conquester,
Car qui trop prent et trop acroit
Ains qu’il ne veut caitis se voit. »
Et cure mout son cors et s’ame
C’ains mais ne vi pour une femme
.V. sous donner en son éage
Ne faire à homme tel outrage
Com fait ses sires, qui les donne,
Qui se tresbuse et abandonne
En grant peril et en grant mal,
Car demain à pie sans cheval
En ira pour[48] sa grant despense.
Ensi fait moult chiere dolente
Li Escuiers et se démente,
Et si a mis toute s’entente
En castoier son droit seigneur.
Duel ot, onques mais n’ot grigneur.
Pour son seignor qui se foloie.
Riens ne li vaut que toutes voies
L’enort[49] lever, outre son veil,
Li Chevaliers, qui, plains d’orgueil,
Le voit de son message faire,
Et chiex, qui ne s’en pot retrerre[50],
S’est levés sus tout maintenant.
Plus de .C. fois en un tenant
Se claimmelas, maléureus,
Et, com caitis et dolereus,
S’en vint droit à l’uis de le cambre,
Qui bien estoit ouvrée à lambre[51].
Quant là parvint, tel noise fait
Et a gieté .I. si grant brait
C’on l’oïst, mien esciant bien,
Sans mençoigne de nule riens,
De le vile par tout le sens.
..........
Li Prestres, qui grant duel en a :
« Dehait, qui vous i envola, »
Fait li Prestres, « pour faire noise ? »
Li Escuiers, à cui en poise,
Respont : « Sire, je n’en puis mais ;
J’aniaisse mieus gésir em pais.
Mès me sires le me commande,
Qui vous semont par moi et mande
Que vous li envoies vo nieche
De ceste nuit une grant pieche.
Si métés plus .V. saus au conte.
Car molt bien en savés le conte ;
La couvenanche si fu faite
Entre vous .II. », puis se dehaite.
Dans Silvestres bien s’aperçoit
Que li Chevaliers le déchoit ;
S’en a grant duel et ire fort :
« Biaus dous amis, à molt grant tort »,
Fait li Prestres, « me veut vos sires
Engingnier ; car li aies dire
Qu’il me claint cuite la pucele.
Je li ferai amende bele
De son despens, et li lairai
Quarante saus et li ferai
Quant li plaira autel bonté,
Car forment m’aroit ahonté.
Se il avoit ma nieche eue
Despucelée et puis géue.
Aies, biaus dous amis, et dites
Que des .XL. sous est quites
Li Chevaliers pour la pucele. »
Tel joie a cius, tous en canchele
Li[52] Escuiers de fine joie ;
Gratant son cul, la droite voie
S’en vint au lit où jut ses sire,
Joians, sans dolour et sans ire,
Li Escuiers, et s’ajenouille ;
De fine joie sue et moulle ;
Bien et briément fait son message,
A guisse d’omme preu et sage ;
Li dist : « Sire, li Capelains
Vous mande et prie ad joigtes mains
Que vous sa nieche li laissiés
Em pais, car nul preu n’i ariés :
Il vous laira, sans plus d’atente,
.XL. sous de vo despense. »
Li Chevaliers[53] sans plus d’atente,
Li prie molt forment de prendre.
Et sa proiière trop desdaingne.
Et molt par en a grant engaingne
Li Chevaliers de tel message,
Et, aussi com eüst la rage,
Li escrie : « Faus ribaus ors,
Diex maudie le votre cors.
Quant vous ne m’amenas[54] Gillain
Outre le gré au Capelain.
Alés ; dites je n’en prendroie
.X. livres de tele monnoie[55].
Par Saint Aliste de Hanstone,
Puis que convens à moi le donne. »
Dont retourna tous esmaris,
Et fait samblant de crucefis
Li Escuiers ; en kiet en fièvres ;
Tout aussi tremble comme lièvres,
Qui paour a pour les braquiés[56].
Aussi com s’il fust esragiés
Grate sa teste de paour ;
Si pert le sanc et la coulour
Pour le despens que il redoute ;
Sous[57] li emprent la paour toute
Comme musars et foie cose.
En la cambre, qui estoit close,
Vient, et entre ens, et dist au Prestre :
« Foi que doi vous, il ne puet estre,
Car Mesires veut votre nièche
Anuit avoir une grant pièche,
Mais je ne sai pas[58] s’il est yvres,
Car qui li conteroit .X. livres
Nes prendroit-il pas pour[59] Gillain. »
Lors drecha li Prestres sa main
En mont en haut, et si se sainne :
« Si m’aït Dix, et bien me vengne »
Fait li Prestres, « engingniés sui,
Ains mais si engingniés ne fui,
Ne jamais aussi ne serai ;
Et non porquant si li ferai
Tout son commant à mon pooir,
Estre mon gré et mon pooir, »
Dont viest li Prestres se chemise ;
Saint Amadour et Sainte Afflise
S’en vint jurant au lit Gillain ;
Adont l’a prise par la main,
Le vis li baise et puis la faice :
« Nièche, » fait-il, « ne sai que faice
Du Chevalier qui mal me maine.
Ensi ai pourcachié ma paine :
Je le cuidai avoir souspris,
Et il m’a engingniet et pris
Par convenenche, et s’a ma foi,
Et si me mande que o soi
Vous tramece pour ses boins faire.
Alés i, nièche, car retraire
Ne vous em puis, mais bien me grieve.
Mais, par saint Julien de Bievre,
Ne suis pas encore si faus,
Que voeille perdre .CC. saus,[60]
Nièche, pour votre puchelage[61] ;
Car je feroie grant folage,
Bielle nièche, se jes perdoie. »
Dont pleure celle etpertsejoie
Com celle qui nul mal ne set ;
Se vie despit moult et het ;
Bien vorroit estre ocisse et morte,
Mais ses oncles le reconforte
Qui li dist : « Nièche, ne vous caut :
Ch’est tel cose qui moult tost faut,
Et que pucelages trespasse ;
Em poi d’eure est pucele basse
Et bien mise à son pain gaaingner.
Ains n’en vi nule meshaingner.
Non ferés vous, si com je cuit,
Mais alés tost, sans faire bruit,
Faire les boins au Chevalier,
Et je vous jure saint Valier,
Qu’en liu de votre puchelage
Ares en votre mariage
Les .X. livres, se je vie tant. »
Adont s’est drechie en estant
Gille, de sen sercot viestue ;
Ensi est de la cambre issue.
De plourer a le coulour paile.
Ensi s’en va par mi la[62] salle
Li Prestres, et sa nièche o li.
Tout maintenant Gillain rendi
A l’Escuier par mi le main.
Or s’en va chius avoec Gillain
Au Chevalier la droite voie,
Qui de Gillain ara grant joie
Quant il le porra enbrachier,
A li juer et soulagier,
Et ses talens et ses boins faire.
Li Escuiers[63] le fu esclaire,
Com chius qui moult sot de raison.
Pour mieus veoir par le maison,
Et dist : « Veschi Gillain le biele,
Qui tant a biele le maisiele,
Biaus sire, que je vous amain. »
Adont li bailla par le[64] main ;
Li Chevaliers joians le prent.
Au fu, qui cler art et esprent.
Li Escuiers tantost retourne,
Si le rechoit, et[65] n’i sejourne,
Puis entra errant en son lit.
Li Chevaliers fait son delit,
Qui Gillain avoit jà souprise
Et desous li souvine mise,
Et jà tolu son pucelage.
Or puet mener et duel et rage
Gille, qui est depucelée ;
Moult en a grant doulour menée
Et dolousé icele nuit.
Or est moult joians du deduit
Li Chevaliers et moult se paine ;
Et cele, qui moult ot de paine
Pour la cose qu’ele[66] n’a aprise,
Li Chevaliers tant le justice
Que par .V. fois ses boins en fait,
Cui soit il[67] biel ne cui soit lait,
Et puis son Escuier apelle,
Cius saut tous seus en la gonnele,
Com chiex qui moult s’en sout tenus,
Et dist : « Sire, je suis venus ;
Jes… — Oïl voir ; or pren[68] Gillain
Tout belement par mi le main
Et à son oncle le remaine
Tout souef, qu’ele n’i ot paine. »
Et cil le prent par le main destre ;
Biel et courtoisement l’adestre.
Ensi s’en va Gille la bele,
Despucelée la pucele.
Et maudist moult souvent sa vie
De Dieu, le fil sainte Marie,
Et le santé qui le soustient.
Li Escuiers dist : « Pas n’avient
A Damoisele duel à faire. »
En la cambre, qui souef flaire.
S’en sont venu andoi ensanlle.
Li Escuiers, si com moi sanlle,
Rent à son oncle la mescine,
Qui de doulour ploie l’eschine ;
Puis prent congié et si s’en tourne.
Son cief envolepe et sa bouche
Li Escuiers qui fu lassés.
Mais il n’ot pas dormi assés
Quant ses drois Sires le resveille,
Qui moult se paine et se travaille,
Ou soit à droit ou soit à tort ;
Il li demande se il dort.
Et chieus respont : « Je non, biaus Sire
— Lieve tost sus et si va dire,
Amonneste le dan de prestre,
Que li vilains nomma Silvestre,
Que tout par boine destinée
Me trameche dame Avinée
Qui est et s’anchièle[69] et s’amie ;
Va tost, si ne li coille mie,
Mais bien li di que je le vœil.
Et, si dist que je fac orgueil,
Di li que tele est ma manière,
Que nule cose n’ai tant chière
Que ne donnaisse pour puchele
Ou pour dame, quant elle est biele.
Geste est biele ; cui qu’il desplaise,
Se l’voeil avoir pour faire m’aise ;
Va tost ; le[70] m’amainne et revien
Isnelement ; si feras bien. »
Dont s’en va cius et si s’en tourne ;
Dusque[71] la cambre ne séjourne.
Qui est fremée à la queville :
« Ouvrés, ouvrés ! — Voi, par saintGille, »
Fait li Prestres ; « Maufés[72] te maine
Qui nous mes ores en tel paine.
— Non fais[73], ains m’envoie Mesire
A vous ; si vous sui venus dire
Tantost, par boine destinée,
Si envoies dame Avinée,
La preus, la courtoise, la biele.
Par sainte Gietrus de Nivelle,
Jure Messires qu’il le veut. »
Or est plus dolens qu’il ne seut
Li Prestres, et plus se démente ;
Dieu jure qu’i toute sa rente
Ameroit mieus avoir donnée
Que jà eust dame Avinée ;
Diu jure fort, et si entreuvre[74]
L’uis, et à l’Escuier descuevre
Trestout son boin et son courage :
« Amis », fait-il, « moult grant folage
Pense vos sires, qui m’amie
Veut avoir. Il n’en ara mie, »
Fait li Prestres, « pour que je puisse.
Mieus vauroie ma destre cuisse
Avoir en .II. tronchons brisie
Que teus hontes me fust jugie,
Ne qu’il i atouchiet éust.
Se je Guidasse qu’il déust
Vers moi penser tel felonnie,
Jà n’i eüst jor de ma vie
Chaiens, ne marchié n’i fesist,
A moi que que nus en desist ;
Mais on ne connoist point la gent.
Li[75] grans convoitise d’argent
M’a dechut et mis à se part ;
Si m’en repent, mais ch’est à tart ;
Si ne m’en puis repentir mie.
Amis, par Diu, le fil Marie,
Va lui dire que de .C. saus
Puet estre quites, s’il n’est faus,
Mais qu’il me cuit dame Avinée ;
Et demain, à la matinée,
Li ferai un conroi nouviel
Boin, et plaisant et sain et biel.
De tenres[76] poulies et d’oisons,
De char fresque, devenissons.
Et de boin vin de .III. manières,
Et d’espices boines et chières.
Sans[77] che que che li couste rien.
— Biaus dous Sires, che sachiés bien, »
Fait li Escuiers, « mais je n’os ;
Car j’auroie froussiet les os
S’emprès s’a Monseigneur r’aloie
Et[78] la dame ne li menoie.
Pour ce l’atent[79], qu’ele s’en viengne.
Et que riens nulle ne l’ retiengne,
Sans atente ne sans demeure[80],
Si m’ait Dix et me sekeure. »
— Mal sui engingniés et terris, »
Fait li Prestres ; « en cest païs
N’aurai jamais honnour ne joie
Se che avient que li envoie.
Retourne tost à ton Seignor,
Si li di que relait grignor
Li feroie de blans .VII. livres ;
Si ne m’en croit, sour tous mes livres
Par boine foi li jurerai[81]
Que jà ne li demanderai
Au partir que .LX. saus. »
Li Escuiers, musars et faus,
Respont : « Sire, puet che voirs estre ?
— Oïl par fin, » che dist li Prestres.
Dont prent son cul parmi l’oreille ;
El repairier tost s’apareille
Li Escuiers à grant leèche ;
Joians, sans ire et sans tristeche,
Moult haitiement[82] s’en retourne,
Dusc’à la cambre ne séjourne ;
Biel et courtoisement li conte
Que relaissiet li sont du conte,
S’il veut, .VII. livres volentiers :
« Sire, » fait-il, « sour ses sautiers
Et de sour[83] tous ses autres livres,
Jure li Prestres que .VII. livres
Volentiers vous relaissera
Et conroi nouviel vous donra
Le matin à la matinée,
Se li cuitiés dame Avinée ;
Biaus Sire, et vous li cuiterés[84],
Se vous m’en créés. S’en irés
Demain en vo terre à cheval ;
Je n’aurai ja duel si coural
Se jou vous suic[85] trestout à pié.
Quant j’aurai mon rouchi laissiet,
Sans plus, pour .LX. saus ;
Se n’irés mie comme faus,
Ne com bricons, mais à honnour.
— Foi que je doi nostre Seignour, »
Fait li Chevaliers, « mieus vorroie
Que tu fuisses de ma coroie
Pendus à treu d’une longaigne.
Moult près va que ne te meshaingne
D’un des costés ou d’un brach[86] destre.
Retourne tost, si di au Prestre
Qu’il le m’envoist[87] sans nule atente,
Et si mèche au conte s’entente
C’adont li deverai[88] .X. livres
Et .V. saus cuites et delivres. »
Lors retourna grant duel faisant,
Lui et sa vie despisant.
Et maintenant en la cambre entre ;
Par les boiaus et par le ventre
Jure, et puis dist ainsi[89] au Prestre :
« Sire », fait-il, « ne poroit estre,
Car Mesire veut vostre amie,
Dame Avinée l’echavie[90].
Que tous li mons devroit amer. »
Qui dont oïst caitif clamer
Le las de[91] Prestre à li méisme ;
A li tenche, à li estrive[92],
Com chiux qui a moult grant engaigne :
« Hélas ! » fait-il, « comme gaaingne
Fait chix qui autrui veut dechoivre ;
Tex cuide sour autrui[93] boire
Qui boit sour li, sour sa compaingne.
Et trueve bien après gaaingne
Aussi com j’ai fait à le moie. »
Sour l’esponde du lit s’apoie
Com chiex qui moult estoit courciés :
« Dame Avinée, mes péciés, »
Fait-il, « m’a engingné et nuit.
Car aies faire le deduit
Le Chevalier et ses talens.
— Sains Martins, c’om aore à Sens,
Sire, » fait-elle, « me maudie,
Quant jà irai jour de ma vie ;
Et, se je sui abandonnée
Par vous, ne par autrui menée
Outre mon gré, che sai jou bien
Que ne m’amés de nulle rien.
— Amie, si fach, et vous de quoi
De che qu’avés eü de moi
Souvent mainte peliche grise.
Maint boin mantel, mainte chemise,
Et maint sercot et mainte bote,
Mainte afulure et mainte cote,
C’onques ne vous cousterent rien,
Et pour che devés garder bien
Ma foi qu’ele ne soit mentie.
— Vo foi ! Vo male convoitie
Vous a honnit et moi conchiet.
— Par le cuer Diu, il vous convient, »
Fait li Prestres, « comment qu’il aille,
Aler au Chevalier sans faille.
Et bien vous poist tout maugré vostre. »
Dont s’est levée tout à forche
Dame Avinée, triste et mate,
Et viest .I. sercot d’escarlate
Sans plus, et si lava ses mains.
Poires, et pumes, et parmains,
A mis ou cor d’une touaille,
Tantost à l’Escuier le baille
Et .I. pochon de noble vin ;
Puis prent .I. riche maserin,
Et .I. chierge qu’ele trouva,
A l’Escuier si le bailla
Tant que d’efroit l’Escuiers[94] tremble.
Ainssi s’en vont andoi ensamble
Au Chevalier la droite voie.
Quant voit la dame, s’ot grant joie
Et dist : « Bien veigniés vous andui. »
Dame Avinée dist à lui :
« Et vous soiés li bien trouvés,
Comme Chevaliers esprouvés
Que li mons devroit avoir chier. »
Puis li presente le pichier,
Et les parmains, et le biel fruit.
Li Escuiers ot grant déduit ;
Lor aporte l’yaue à lor mains.
Ore a grant duel li Capelains,
Qui ensi voit gaster sa cose,
Et sa bouce ouvrir n’en ose[95]
De cose nulle que il voie.
Li Chevaliers mainne grant joie
Et dame Avinée avoec lui ;
Tout a entroublié l’anui
Qu’a li Prestres[96] et le hontage.
Au chevalier courtois et sage
A dit : « Sire, mengiés du fruit
Et buvés du vin[97], car je cuit
Qu’il n’a meillor en ceste ville.
Mesires vous cuide de guille
Siervir, mais vous en servés lui ;
Bien a pourcachié son anui
Et sa grant honte, et sa viutanche ;
C’est à boin droit se li[98] pesanche,
Se nus n’apartenist à lui
A la viutanche et à l’anui ;
Mais j’i pierc[99] et sa nièche Cille,
Que vous avés par votre guille
Corrompue et despucelée.
Mais, se la cose n’est celée,
Elle est mal baillie sans fin. »
Le fruit li baillent et le vin,
Et boivent souvent et à trait
Et dame Avinée ot jà trait.
Biel se desportent et soulacent[100] ;
Souvent s’acolent et embracent,
Et baissent souvent et menu.
Et li Prestres au poil chenu
Les esgarde, cui[101] moult en poise.
Mais il n’en ose faire noise.
De che n’en poise pas sa vie
Vaillant une pume pourie[102] ;
Le lit refist à ses .II. mains,
Bas le cavech et haut les rains,
U li Chevaliers dut gésir.
Puis se despouille par loisir
Et maintenant ou lit[103] se couche
Li Chevaliers, qui bontés touche ;
Biel se soulacent[104] et deportent ;
Mais durement se desconfortent[105]
Entre l’Escuier et le Prestre,
Car en prison cuidoit bien estre
Li Escuiers pour le despense ;
Li Prestres a duel et offense
Pour le viutanche et pour l’anui
Qu’il a pour soi, nient par autrui ;
Ensi font lor pensé divers.
Et li frans Chevaliers apers
Fait de la dame son plaisir
Tout belement et par loisir,
Tant que sour li est tout lassés,
Et, quant il sot qu’il fu assés,
Li dist : « Dame, vous en irés
A vo Seignor et si ferés
Che qu’il vorra, car c’est droiture.
Mais ne tenés mie à laidure
Se je refus vo compaingnie. »
Cele qui fu bien enseignie
Respont : « Vous ferés vo talent. »
Et li Chevaliers erraument
La dame à l’Escuier rebaille,
Que renvoier le veut sans faille
Au Prestre, qui moult se démente.
Dame Avinée en fu dolente
Et fait semblant de femme irie :
« A Dieu, le fil Sainte Marie,
Sire », fait-elle, « vous otroi,
Si com je pense en boine foi
Qu’il vous desfende[106] de pesanche,
Et d’encombrier et de nuissanche,
A tous les jours de votre vie.
— A Dieu voisiés vous, douce amie, »
Fait li Chevaliers, « qui vous gart,
Consaut et ait et regart,
Et vous doinst boine destinée ! »
Atant s’en va dame Avinée
Vers le Prestre la droite voie,
Et li Escuiers le convoie
Et prent congié courtoisement,
Puis se retourne isnelement
Pour reposser et pour dormir
Tout bielement et par loisir.
Mais autrement iert k’il[107] ne cuide,
Car dame Avinée s’est mute
Moult durement à noise faire ;
Qui dont l’oïst noisier et braire,
Tenchier et estriver au Prestre :
« Haï ! Haï ! Sire Selvestre,
Com vous avés bien pourcachie
La honte qui vous est venie[108],
Que vostre amie avés perdue
Et vostre nièche avés vendue,
Pour avoir, à .I. estrange homme.
Tout li cor saint qui sont à Romme
Puissent le vostre cors confondre !
On vous devroit ardoir ou tondre
Com fol, et baillier grant machue. »
Dont a tel caut que trestout sue
Li faus[109] Prestres de fine honte.
Dame Avinée tout li conte
Sa mauvaisté et sa pesanche :
« Pour les plaies et pour le panche, »
Fait celle, « se femme n’estoie
Et à la honte ne perdoie,
Je diroie par tout le mont :
Vo convoitise vous confont,
Vo convoitise vous sousprent,
Vo convoitise vous esprent
Aussi com li fus fait la raimme.
Caitis et convoiteus se claime. »
Ensi le maistrie et travaille,
Et li Prestres la sourde oreille
Fait aussi que se n’oïst rien.
Adès se taist, et cele bien
De sa parole le lesdenge ;
Dieu jure bien et bien calenge
Que mais s’amie[110] ne sera
Ne jamais ne le servira :
« Tant comme j’aie l’ame el cors.
— Dame Avinée, vos effors »,
Fait li Prestres, « est en mal dire.
— Mais, merchi Dieu, nus n’en est pire
N’est pas pour vous, mais Diex ne veut,
Et pour che que li cuers me deut
De la honte que j’ai éue.
— Et vous estes bien esméue
En maudire et en lesdengier,
Si vous cuidiés en moi vengier
De la joie que vous menastes
Quant o le Chevalier mengastes[111] ;
Mais, se Dieu plaist, n’en ferés mie,
Et si dites bien que m’amie
Ne serés mès, si com je cuit ;
Dès ore voeil que sachent tuit
Trestout li voisin du visnage.
— Ha ! Diex[112] ! » fait-elle, « quel damage !
Se je piert mon seigneur le Prestre,
Autressi boin jamais à estre
Ne trouverai jour de ma vie.
Haï ! » fait-elle, « vostre[113] envie
A honnie moi et Gillain.
Dehait amours de capelain,
Ne qui l’aimme par mi le col,
En la fin s’en tient on pour fol,
Et je si me retienc à foie. »
Et li Prestres ceste parole
Li laisse dire, si s’acoise ;
A tant si abaisa la noise
Qui est entre li et s’amie.
Li Chevaliers n’oublia mie
Son marchiet ne sa couvenenche[114] ;
Et l’Escuier[115] sans demouranche
Apielle ; chieus saut de son lit :
« Que vous plaist, Sire ? — Mon délit
Di au Prestre qu’il veigne faire,
Sans atargier et sans atraire.
— Vo delit, biaus sire, de quoi ?
— De che que gésir viegne o moi
Si le [foutrai][116] .III. fois u .IIII.
— De Diu me saing, fillum patre ;
Faites le crois, seigniés vous, Sire !
Comment osastes vous che dire ?
— Osai, pour quoi ? — Cose despite !
Che n’afiert fors que sodomite.
— Si fait, musars, » fait-il, « à moi.
Je le foutrai, foi que ti[117] doi, »
Fait li Chevaliers hautement,
« Car il est mieus peus voirement
Que ne soit encore s’amie.
Encor[118] a il dessous l’eskine
.IIII. doie de crasse poure.
— Sire, c’est tout contre nature, »
Fait li Escuiers, « que vous dites.
Saingniés vous du saint Esperite ;
Vostre[119] manière avés perdu.
— Fix à putain, vilain pendu, »
Fait li Chevaliers, « je l’aurai !
Mais alés tost, sans nul délai.
Au Prestre, si le m’amenés[120] ;
Et, se vous sans li revenés,
Je vous ferai honte du cors. »
Dont s’en va chiex à grant effors
Vers le Prestre la droite voie,
Tristes et mournes[121] et sans joie,
Si li dist : « Ne m’en voeil retraire,
Biaus ostes, je ne m’en puis taire
Que mon message ne vous die,
Qui qui le[122] voeille le desdie,
Que Mesiresle vous commande,
Que vous semont par moi et mande
Que son convenant li tiesniés
Et c’avoec li gésir veingniés,
Que de vous veut son voloir faire.
Au mains sache vous puet atraire,
Se de convenant li fallés ;
Pour chou estuet c’a li allés,
Si vous foutra .III. fois ou .IIII.
— La mors[123] me prengne et puis abatre, »
Fait li Prestres, qui s’en vergoigne,
« Quant je irai pour tel besoigne ! »
Tout li samble que che soit soinge ;
Arrier se trait, de li s’eslonge,
Et si se sainne demanois[124].
Iriés, angouissieus et destrois
Fu li Prestres pour le nouviele :
« Amis », fait-il[125], « en lui cancele
Maufés[72], qui emaint lui esploite.
Portons i l’yaue benoite,
L’estole, le crois et l’encens,
Car je cuit qu’il est hors du sens.
— Del sens je ne saige pour voir ;
Mais qui li donroit grant avoir
Nés[126] prendroit-il qu’i ne jéust
A vous, pour c’avoir vous péust ;
Et je cuit k’il vous ara bien,
Car par devant sour toute rien[127]
Fu itele vo couvenenche ;
Mais alés tost, sans demourance
A mon Seigneur droit à son lit
Faire son boin et son delit.
Que li retraires n’i vaut rien. »
Or voit li Prestres et set bien
Que déchut l’a sa convoitise :
« Hé ! las, » dit-il, « bien[128] me justiche
Convoitise, qui mal me maine.
Ensi ai pourcachié ma paine
Et mon anui et ma grant honte.
Las ! caitis ; or ne sai que monte
Convoitise, s’on ne l’asaie. »
Ensi se doulouse et esmaie
Li Provoires, chiere dolente ;
Ensi se demaine et démente,
Fait comme .I. hons desconseilliés ;
« Amis, forment m’enulliés[129]
Vous et vos sires à grant tort.
— Non faich, se Dix me gart de mort, »
Fait li Escuiers, « car avant
Mist bien Mesires en convent
Qu’à son talent servis seroit
De tous les mes que il sauroit
Que vous ariés en vo baillie ;
Et vous estes, bien sans faillie,
En vostre[130] main, nient en l’autrui ;
Por che estuet c’aliés à lui.
— Amis, » fait-il, « onc[131] je n’iroie,
Qui me donroit Pieronne ou Roie,
Nevers, ne La Karitet[132] toute.
Par ensi soit que il me foute.
Mais va arrière, si li conte
Que ses .X. livres que il conte
Li clainc cuites[133] en boine foi,
Par si que il claint cuite moi,
Ne qu’il plus honte ne me kière ;
S’ensi le fait, ses amis ère. »
Dont ot li Escuiers grant joie,
Si saut, et baie, et tous se ploie,
Et chante cler comme seraine ;
.IIII. saus fait à une alainne,
Tant que il vint à son Seignour.
Si dist : « Sire, joie ai grignour,
Que je grant piece eüe n’ai,
Car cuites estes, bien le sai,
Du convenant et des .X. livres.
Aies vous en poés delivres,
Se cuiter volés le Provoire.
— Par saint Otrise et par saint Floire,
Fait li Chevaliers, « je n’ai cure
Que le cuitaise à nesun fuer
Pour .X. livres. Mais va arrière.
Que Dix maudie vostre chière
Quant vous revenistes sans lui.
Priés[134] va ! — Que ne vous faich anui
De la riens que plus avés chière. »
Dont s’en retourne chiex arrière
Tristes et mournes, sans areste.
Au Prestre vint, drecha[135] la tieste,
Si li dist : « Ostes, moult me poise
De la tenchon et de la noise
Que j’ai anuit pour vous souferte.
Et plus me poise de la perte
Que mes drois Sires fait de s’ame[136]
Pour vostre nièche et pour vo femme,
Et pour moi et pour vous ensamble.
Aler vous convient, ce me samble,
A mon seignour, qui vous veut foutre,
Qui a le vit plus lonc d’un coutre ;
Mais je ne sai que il veut faire. »
Adont s’espurge et esclaire[137]
Li courages dame Avinée :
« Ce soit à boine destinée,
Sire, que vous foutus serés ;
Si Diu plaist, vous engroisserés, »
Fait cele ; « s’en gerrés en mai.
— Dame, » fait li Prestres, « ne sai ;
De ce me puet bien Dix garder.
— Cierte[138], on vous deveroit larder, »
Fait-elle, « quant vous devéastes[139]
Vostre ostel, et ne herbregastes
.I. gentilhomme par frankisse.
Or voi que vostre convoitisse
L’a herbregié et vous honni ;
Huimais serons nous tout honni
A paiement recoivre et prendre.
De duel deveriés par mi fendre.
Engingnié vous a convoitise.
Mais, s’il alast par droite assise,
Je n’i perdisse riens, ne Gille.
Ciertes partout, je le desille[140]
Vo grant anui et vo contraire,
Viellars quemuns et deputaire,
Qui tel vilonnie fesistes,
Qui vostre ostel escondesistes
Par frankise[141] à .I. gentilhomme
Et cuidastes à la personne
Entrepartie de son avoir
A tort et au pechiet avoir.
Mais non arés, moult en faura
Et chi près n’iert cui n’en chara
De votre anui ne de cest conte ;
Cheste despense et icest conte,
Je cuit, achaterés moult chier.
Levés tost sus, alés couchier
Avoec le Chevalier gentil.
S’enchargerés anuit .I. fil.
Se Diu plait et sainte Esperite.
— Dame Avinée, tel merite, »
Fait li Prestres, « doi-ge recoivre ?
— Comment ? » fait-elle. « Ne doit boire
Le vin malvais[142] qui tel le brasse ?
Or avés-vous si grant amasse
Anuit pour vostre grant despense. »
Et li Provoires se pourpense
C’au Chevalier donra .X. livres.
Ains que de li ne soit delivres.
Itele est la pensée au Prestre,
Et, se du plait pooit[143] fors estre,
Moult li seroit avenu bien.
A cel Seignor, qui toute rien
Fist et forma, veue[144] et promet,
Se Jhesu en boine le met[145].
Que tousjours mais herbergera
Et ses osteus connus sera
Pour l’amour Diu et par frankisse,
Si que jà riens n’en sera pire
De despense qui laiens soit.
Ensi jure che qu’il pensoit
Li Provoires pour quites estre.
Dont dist li Escuiers[146] au Prestre :
« Venés vous en sans delaiier. »
Dist li Prestres à l’Escuier :
« Amis, par Dieu, onc[147] je n’irai :
Ne[148] jà, se Diu plaist, ne serai
En liu de femme desous homme,
Par tous les sains qui sont à Romme,
Et par saint Pol et par saint Pierre,
Foi que doi l’ame de tom père
Dont Dix faiche boine merchi,
Car atent .I. bien poi, ami ;
Fai moi honneur et amisté,
Et je t’en sarai mout[149] boin gré.
Sauve t’onnour et moi ma honte ;
Va à ton Seignor, si li conte
Pour saint Jake et pour saint Martin
Que il .X. livres le matin
Ara cuites et sa despense. »
Tantost li Escuiers s’apense
Et voit bien, et bien s’aperchoit
Comme[150] ses Sires le dechoit
Et bien voit que engingnié l’a
Ne pour che encor pas n’ira :
« Sire, » fait-il, « je n’irai mie ;
A grant anui, à felonnie[151]
Me feroit tost et lait[152] du cors
Mesires, qui est grans et fors.
Et grant honte me vorroit faire. »
Dont jure sour son[153] saintuare
Li Prestres et sour tous ses livres
Que il n’a deniers que .X. livres
En son ostel, mais ne pourquant
Li doivent deniers li auquant,
Li uns .VII. mars, li autres .XX.
Li Escuiers sa voie tint,
Quant ot[154] oï celle parole,
A son Seignor vint, si l’acole ;
Biel et courtoisement li conte :
« Volés, Sire, que je vous conte
Toute la vérité vostre oste,
Qui m’a tenu à grant escole,
Et dist que, s’il estoit delivres,
Il vous bailleroit les .X. livres,
Et qu’il fust cuites de sa foi.
Il n’a, dist-il, avoecque[155] soi
Or ne argent que ces .X. livres.
Juré le m’a sour tous ses livres
Et par bonne foi comme Prestres. »
— Mandé m’a che sire Selvestres ? »
Fait li Chevaliers. — « Oïl, Sire.
— Va dont, » dist-il ; « or li pues dire
Que .X. livres m’envoit avant,
Si sera cuites du convent. »
Lors s’en retourne cil arrière
Baus et joians à lie chière,
A grant fieste et à grant déport :
« Arrivés estes[156] à boin port.
Foi que doi vous. Sire Selvestre, »
Fait-il. — « Adont, » respont le Prestre,
Comment, amis, sui-ge délivres ?
— Oïl », fait-il ; « mes que .X. livres
Envoies mon Seignor avant,
Si serés cuites du convent. »
Dont est si liés qu’i baise terre
Li Prestres, et puis dessière
Sa queste et ses deniers en trait ;
Ne garde l’eure qu’il ait fait ;
Moult forment se haste et esploite,
Com chius qui moult avoit grant coite
De soi metre fors de tenchon.
Lors met l’Escuier à raison :
« Amis, enten à ma raison ;
Pour ce qu’il n’i ait souspechon, »
Fait li Prestres, « je irai à lui. »
Dont s’en vont maintenant andui,
Et passent l’uis et le planchier,
Tant k’il vienent au Chevalier
Qui se gisoit desous sa coste
..............
« Sire, Dix vous doint boine nuit,
Et de cose qu’il vous anuit
Vous desfenge[157] par sa poissanche !
— De mal, d’anui et de pesanche
Desfenge[157] vous, Sire Selvestre.
Comment », fait-il, « ne puet-il estre
Que vous vengniés gésir o moi ?
— Non, biau Sire, foi que je[158] vous doi ;
Je voeil qu’il[159] ne soit avenu
Pour à perdre[160] le poil kenu
Que j’ai en la barbe et el chief ;
Mais or ne vous soit mie grief.
Car .X. livres arès avant.
— Or soies cuites du convent, »
Fait li Chevaliers, « en tel guise
Que votre ostel ne vo servige
Ne verés ne clerc ne laï.
— Foi que doi[161] saint Nicholaï. »
..............
Ensi li créanta sa[162] foi
Que sa vie ensi usera
Et que tousjours[163] herbregera,
Trestous les jours k’il est en vie,
Sans barat et sans trecherie,
Ne jamais jour de son ael
Ne vééra[164] le sien ostel.
A ces paroles leur ajourne
..............
Ains se lieve la matinée
C’onques n’i a fait demeurée
Et puis se viest et si s’atourne,
Et ses Escuiers l’araisonne :
« Sire, vous en volés aler ?
— Ore, » fait-il, « sans demourer. »
S’espée a-il tout errant prise
Et la siele li fu tost mise.
Ore[165] s’en va li Chevaliers,
A tout .X. livres de deniers.
- ↑ XXXIV. — Du Prestre et du Chevalier, p. 46.
- ↑ Vers 12 — debaretés, lisez desbaretés.
- ↑ 23 — lïues, lisez liues, ici comme plus bas.
- ↑ 25 — * dusque ; ms., dusques.
- ↑ 34 — qu’il, lisez que il.
- ↑ 60 — « Roie », « Roye », ville de Picardie.
- ↑ 73 — * menue ; ms., menu.
- ↑ 97 — Pour que ce vers rimât avec le suivant, il faudrait changer « sire » en frere.
- ↑ 101 — notre, lisez nostre.
- ↑ 105 — home, lisez homme.
- ↑ 114 — tient, lisez vient.
- ↑ 129 — Chevauche, lisez Chevaucha.
- ↑ 136 — * anuis, de ses ; ms., anuis ne de ses.
- ↑ 148 — * com; ms., si com.
- ↑ 149 — Le vers serait régulier en lisant pour conquerre los.
- ↑ 155 — Il faut corriger : Dieu ne plache.
- ↑ 158 — homs, lisez hons.
- ↑ 180 — vos, lisez vo.
- ↑ 186 — * clergiet ; ms., clegiet.
- ↑ 204 — * En tel ; ms., Et en tel.
- ↑ 207 — * vo ; ms., mon.
- ↑ 225 — * convenant ; ms., convent.
- ↑ 231 — * serai ; ms., sera.
- ↑ 251 — les, lisez ses.
- ↑ 252 — couroit, lisez courout.
- ↑ 271 — Il faudrait corriger : capons.
- ↑ 287 — faitise, lisez faitisse.
- ↑ 297 — ïaue, lisez iaue. — Après ce vers, il en manque au moins deux.
- ↑ 298 — Gile, lisez Gille.
- ↑ 299 — * aportée; ms., aporté.
- ↑ 304 — Il faudrait corriger : Ses iex et sa bouche.
- ↑ 320 — * poisson ; ms., capon.
- ↑ 354 — * mantaus ; ms., maus.
- ↑ 58, 12, liastes, lisez hastes.
- ↑ 376 — saus, content ; lisez sous coustent.
- ↑ 377 — oublie, lisez oubli.
- ↑ 384 — « de » manque au ms.
- ↑ 401 — * ou ; ms., de.
- ↑ 411 — s’appareille, lisez s’apareille.
- ↑ 412 — * dormir ; ms., domir.
- ↑ 422 — « bien » manque au ms.
- ↑ 427 — Ne faut-il pas lire après li li dans… ?
- ↑ 428 — Il faut lire : Si saurai…
- ↑ 429 — ce, lisez che.
- ↑ 455 — * no ; ms., vo.
- ↑ 456 — * j’ai ; ms., ja.
- ↑ 457 — servi, lisez servis.
- ↑ 477 — pur lisez pour.
- ↑ 485 — * L’enort ; ms., Le fait. Il fallait évidemment corriger ce vers, puisque ce n’est que quatre vers plus loin que l’écuyer se lève.
- ↑ 488 — retreire, lisez retrerre.
- ↑ 494 — l’ambre, lisez lambre.
- ↑ 533 — « Li » est déchiré dans le ms.
- ↑ 547 — Au lieu de « Li chevaliers », le sens porterait plutôt à lire Li escuiers.
- ↑ 555 — * m’amenas ; ms. m’amena.
- ↑ 558 — monoie, lisez monnoie.
- ↑ 565 — * braquiés ; ms., braquiers.
- ↑ 570 — * Sous ; ms., Sour.
- ↑ 577 — « pas » manque au ms.
- ↑ 579 — « pour » manque au ms.
- ↑ 606 — Lisez : Que voeille perdre .CC. saus.
- ↑ 607 — * puchelage ; ms., puccelage.
- ↑ 632 — « la » manque au ms.
- ↑ 642 — * escuiers ; ms., chevaliers.
- ↑ 648 — la, lisez le.
- ↑ 652 — « et » manque au ms.
- ↑ 665 — Ne pourrait-on pas lire qu’el ?
- ↑ 668 — « il » manque au ms.
- ↑ 673 — prend, lisez pren.
- ↑ 705 — Il faut corriger : Qui est et s’anchiele…
- ↑ 715 — * le ; ms., si le.
- ↑ 718 — Dusqu’à, lisez Dusque.
- ↑ a et b 721 et 1107 — Maufès, lisez Maufés.
- ↑ 723 — fai, lisez fais.
- ↑ 735 — * entreuvre ; ms., entreuve.
- ↑ 752 — La, lisez Li.
- ↑ 763 — * tenres ; ms., tenre.
- ↑ 767 — * Sans ; ms., Sauf.
- ↑ 772 — * Et ; ms., Se.
- ↑ 773 — * atent ; ms., atenc.
- ↑ 775 — * ne sans demeure ; ms., et sans demourée.
- ↑ 785 — * jurerai ; ms., jurrai.
- ↑ 795 — * haitiement ; ms., haitement.
- ↑ 801 — * de sour ; ms., souz.
- ↑ 807 — * cuiterés ; ms., cuiderés.
- ↑ 811 — suie, lisez suic.
- ↑ 821 — Ne vaut-il pas mieux du brach ?
- ↑ 823 — * m’envoist ; ms., mevoist. — « nule » manque au ms.
- ↑ 825 — * deverai ; ms., devera.
- ↑ 831 — * dist ainsi ; ms., si dist.
- ↑ 834 — le chavie, lisez l’echavie.
- ↑ 837 — « las de » manquent au ms.
- ↑ 838 — Ce vers est faux dans le ms. ; ne faut-il pas lire et à li ?
- ↑ 842 — autruï, lisez autrui. Le vers reste faux.
- ↑ 885 — * l’escuiers ; ms., li escuiers.
- ↑ 900 — Vers faux dans le ms.
- ↑ 905 — * Qu’a li prestres ; ms., Que li prestres a.
- ↑ 908 — * vin ; ms., fruit.
- ↑ 914 — * se li ; ms, s’il.
- ↑ 917 — piert, lisez pierc.
- ↑ 925 — * soulacent ; ms., soulage.
- ↑ 929 — * cui ; ms., qui.
- ↑ 932 — pourrie, lisez pourie.
- ↑ 937 — au lit, lisez ou lit.
- ↑ 939 — * soulacent ; ms., soulagent.
- ↑ 940 — * desconfortent ; ms., desconforte.
- ↑ 969 — deffende, lisez desfende.
- ↑ 983 — qu’il, lisez k’il.
- ↑ 990 — * venie, correction plus que hasardée pour venue, qui ne rime pas.
- ↑ 999 — « faus » manque au ms.
- ↑ 80, 7, sa mie, lisez s’amie.
- ↑ 1030 — * mengastes ; ms., megastes.
- ↑ 1036 — Dieu, lisez Diex.
- ↑ 1040 — votre, lisez vostre.
- ↑ 1051 — * couvenenche ; ms., couvenche.
- ↑ 1052 — Le ms. porte « Li escuiers » ; il faudrait corriger : Et l’escuier.
- ↑ 1059 — « foutrai » a été gratté dans le ms.
- ↑ 1066 — te, lisez ti.
- ↑ 1070 — Encore, lisez Encor.
- ↑ 1075 — Votre, lisez Vostre.
- ↑ 1079 — * amenés ; ms., anés.
- ↑ 1084 — * mournes ; ms., mourme.
- ↑ 1088 — * le ; ms., ne.
- ↑ 1098 — Le mort, lisez La mors.
- ↑ 1103 — * demanois ; ms., de demanois.
- ↑ 1106 — * fait-il ; ms., fait ele.
- ↑ 1113 — N’es, lisez Nés. — * jeüst ; ms., just.
- ↑ 1116 — * toute rien ; ms., te rien.
- ↑ 1124 — « bien » manque au ms.
- ↑ 1134 — m’enulliés. Le ms. porte « metuilliés ». Le vers étant faux, il faut sans doute lire me travailliés.
- ↑ 1143 — votre, lisez vostre.
- ↑ 1145 — « onc » manque au ms.
- ↑ 1147 — « La Karitet », « La Charité », petite ville de la Nièvre.
- ↑ 1151 — * cuites ; ms., toute cuite.
- ↑ 1172 — Pues, lisez Priés.
- ↑ 1176 — dreche, lisez drecha.
- ↑ 1181 — * s’ame ; ms., s’amie.
- ↑ 1188 — Vers faux.
- ↑ 1196 — * Cierte ; ms., Ciertes.
- ↑ 1197 — * deveastes ; ms., devastes.
- ↑ 1208 — * desille ; ms., desisse.
- ↑ 1213 — * frankise ; ms., frankisse.
- ↑ 1229 — malveis, lisez malvais.
- ↑ 1236 — povoit, lisez pooit.
- ↑ 1239 — * veue ; ms., veu.
- ↑ 1240 — * le met ; ms., me ment.
- ↑ 1248 — * escuiers ; ms., chevaliers.
- ↑ 1251 — « onc » manque au ms.
- ↑ 1252 — « Ne » manque au ms.
- ↑ 1260 — « mout » manque au ms.
- ↑ 1268 — * Comme ; ms., Que.
- ↑ 1272 — felonie, lisez felonnie.
- ↑ 1273 — lais, lisez lait.
- ↑ 1276 — « son » manque au ms.
- ↑ 1283 — « ot » manque au ms.
- ↑ 1292 — * avoecque ; ms., avoec.
- ↑ 1304 — * Arrivés estes ; ms., Averiés estes.
- ↑ a et b 1329 et 1331 — deffenge, lisez desfenge.
- ↑ 1334 — Supprimez « je ».
- ↑ 1335 — * qu’il ; ms., qui.
- ↑ 90, 26, aperdre, lisez à perdre.
- ↑ 1344 — * Foi que doi ; ms., Foi que je doi.
- ↑ 1346 — la, lisez sa.
- ↑ 1348 — * tousjours ; ms., tousjour.
- ↑ 1352 — * veera ; ms., vera.
- ↑ 1363 — * Ore ; ms., Or.
XXXV
DE GUILLAUME AU FAUCON.
fonds Saint-Germain), fo 60 ro à 62 vo.
ui d’aventure velt traiter,
Il n’en doit nule entre[1]laisser
Qui bonne soit à raconter :
Or en vorrai d’une palier.
Jadis estoit .I. damoiseax
Qui molt estoit cointes et beax ;
Li valiez ot à non Guillaumes.
Cerchier péust-on .XX. réalmes
Ainz c’on péust trover si gent,
Et n’estoit molt de haute gent.
Il n’estoit mie chevaliers ;
Valiez estoit. .VII. anz entiers
Avoit .I. chastelain servi ;
Encor ne li avoit meri
Li service qu’il li faisoit :
Por avoir armes le servoit.
Li vallez n’avoit nul talent
D’avoir armes hastivement ;
Si vos dirai raison por qoi :
Amors l’avoit mis en effroi ;
La feme au chastelain amoit,
Et li estres molt li plaisoit,
Quar il l’amoit de tel manière
Qu’il ne s’en pooit traire arrière.
Si n’en savoit celé nient
Qu’il l’amast si destroitement.
S’ele seüst que il l’amast,
La dame molt bien se gardast
Que lui parlast en nule guise.
De cest[2] feme trop mal aprise
Ne vos en mentirai noient ;
Quant feme set certainement
Que home est de s’amor espris,
Se il devoit arragier vis,
Ne vorroit-ele à lui parler ;
Plus volentiers iroit joer
A un vill pautonier failli,
Qu’el ne feroit à son ami.
S’ele l’aime de nule rien,
Si m’aïst Diex, ne fait pas bien ;
La dame qui ainsi esploite,
De Diex soit-ele maléoite,
Quar ele fait molt grant pechié.
Quant el a l’ome entrelacié
Du mal dont en eschape à peine,
Ne doit pas estre si vileine
Que ne li face aucun secors,
Puis qu’il ne puet penser ailiers.
Reperier vueil à ma raison.
Guillaumes a s’entencion
Et s’amor en la dame a mise[3].
Mis l’a Amors en sa justise,
Soffrir li estuet grant martire.
De la dame vos voldrai dire
.I. petitet de sa beauté.
La florete qui naist el pré,
Rose de mai ne flor de lis,
N’est tant bêle, ce m’est avis,
Com la beauté la dame estoit.
Qui tot le monde cercheroit.
Ne porroit-on trover plus bele.
Ne el Realme de Castele[4],
Où les plus belles dames sont
Qui soient en trestot le mont.
Si vos dirai ci la devise
De sa beauté par soutill guise :
Que la dame estoit plus très cointe,
Plus très acesmée et plus jointe.
Quant el est parée et vestue.
Que n’est faucons qui ist de mue,
Ne espervier, ne papegaut.
D’une porpre estoit son bliaut,
Et ses menteaus d’or estelée,
Et si n’estoit mie pelée
La penne qui d’ermine fu ;
D’un sebelin noir et chenu
Fu li menteax au col coulez,
Qui n’estoit trop granz ne trop lez.
Et, se ge onques fis devise
De beauté que Dex eüst mise
En cors de feme ne en face,
Or me plaist-il que mes cuers face
Où jà n’en mentirai de mot.
Quant desliée fu, si ot
Les cheveus tex qui les veïst,
Qu’avis li fust, s’estre poïst,
Que il fussent tuit de fin or,
Tant estoient luisant et sor.
Le front avoit poli et plain,
Si com il fust fait à la mein,
Sorciz brunez et large entr’ueil ;
En la teste furent li œil
Clair et riant, vair et fendu ;
Le nés ot droit et estendu,
Et mielz avenoit sor son vis
Le vermeil sor le blanc assis,
Que le synople sor l’argent ;
Tant par seoit avenanment
Entre le menton et l’oreille ;
Et de sa bouche estoit vermeille,
Que ele sanbloit passerose,
Tant par estoit vermeille et close ;
Et si avoit tant beau menton,
N’en puis deviser la façon ;
Neïs la gorge contreval
Sanbloit de glace ou de cristal,
Tant par estoit cler et luisant,
Et desus le piz de devant
Li poignoient .II. mameletes
Auteles comme .II. pommetes.
Que vos iroie-ge disant ?
Por enbler cuers et sens de gent
Fist Diex en lui passemerveille,
Ainz mais nus ne vit sa pareille.
Nature qui faite l’avoit,
Qui tote s’entente i metoit,
I ot mise et tot son sens[5],
Tant qu’el en fu povre lonc tens.
De sa beauté ne vueil plus dire.
Un jor estoit alez li sire
Li chastelains por tornoier,
Son pris et son los essaucier ;
En .I. loigtieng païs ala,
Molt longuement i demora,
Quar molt ert riches et poissanz.
Chevaliers mena et serjanz
A grant foison ensanble o lui.
En sa route n’avoit celui
Qui ne fust chevaliers esliz ;
Li plus coarz estoit hardiz,
Guillaumes ert en grant effroi ;
Ne volt pas aler au tornoi,
Ençois amoit mielz le sejor.
A l’ostel fu ; li Diex d’amors
Si l’a sorpris ne sait que faire,
Et si n’en set à quel chief traire
Du mal qui ainsi le destraint.
A soi méisme se complaint :
« Hé ! las », dit-il, « mal-eürez,
De si male heure ge fui nez,
En tel leu ai mise m’amor ;
Jà ne porrai veoir le jor
Que ge soie à ma volenté !
Trop longuement ai voir celé
Mon cueur vers lui, ce m’est avis ;
Se ge por lui toz jors languis,
Qu’el ne le saige, c’est folie.
Il est bien droiz que ge li die ;
Bien sai,[6] grant folie feroie,
Se ge par tens ne li disoie.
Ainsi porroie-ge amer
Totes les femes d’outre mer.
Tu li diras… Que diras-tu ?
Tu n’auras jà tant de vertu,
Que tu ne l’oseroies dire
Que por lui fusses en martire.
Ge li dirai bien par mon chief,
Mais le comencement m’est grief.
Tant li dirai que ge l’aim bien,
Jà n’i doie-ge faire rien. »
Guillaume dit : « Ne sai que faire,
Bien m’en cuidoie arrière traire
Quant ce vint au comencement.
Amors m’eschaufe, Amors m’esprent. »
Guillaumes s’est lors enhardiz ;
Molt volentiers, non à enviz,
Si est en la sale venuz.
Coiement, sanz faire granz huz,
Il boute l’uis, en la chambre entre,
................
Aventure li adona
Que la dame seule trouva.
Les puceles totes ensanble
Erent alées, ce me sanble,
En une chanbre d’autre part.
Ne sai lioncel ou liépart
Cousoient en un drap de soie ;
Entr’eles menoient grant joie ;
Ce ert l’ensaigne au chevalier.
Guillaume ne se volt targier.
La dame seoit sor .I. lit,
Plus bele dame onques ne vit
Nus hom qui de mère soit nez.
Guillaumes fu toz[7] trespenssez
Où voit son leu, molt li est tart,
La dame fait .I. doz regart,
Guillaumes et puis la salue.
Ele ne fu mie esperdue,
.I. molt beax ris li a gité,
Tot en riant l’a salué :
« Guillaume, » dit-el, « or avant. »
Cil li respont en soupirant :
« Dame, » fait-il, « molt volentiers.
— Séez-vos ci, beax amis chiers. »
La dame point ne se gardoit
Du coraige que cil avoit.
Quant son chier ami l’apela ;
S’el le séust, n’en pallast jà.
Guillaumes s’est el lit assis
Joste la dame o le cler vis
Rit et parole et joe à li,
Et la dame t0t autresi.
De mainte chose vont pallant,
Guillaume fait .I. soupir grant :
« Dame, » fait-il, « or m’entendez,
En bonne foi quar me donez
Conseil de ce que vos diroie.
— Dites, » fait-ele, « ge l’otroie.
— Se clers ou chevaliers amoit,
Borjois, valiez, que que il soit,
Ou escuiers meïsme ensanble,
Dites moi que il vos en senble,
S’il amoit[8] dame ou damoisele.
Reine, contesse ou pucele.
De quele guise qu’ele soit,
De haut liu ou de bas endroit ;
Il aura bien .VII. anz amée ;
Itant aura s’amor celée,
Ne ne li ose encore dire
Que por lui soit en tel martire,
Et très bien dire li porroit
Se tant de hardement avoit
Assez aisement et loisir
De son coraige descovrir.
Or me dites vostre pensée ;
Puisqu’il a tant s’amor celée,
Itant vorroie-ge savoir
S’il a fait folie ou savoir.
— Guillaume, » dit-ele, « endroit moi
Dirai molt bien si com ge croi.
Ge ne l’en tieg mie por saige
Que ne li a dit son coraige,
Puis que il puet parler à lui.
Ele eüst de lui merci,
Et, s’ele amer ne le voloit,
Certes grant folie feroit
Se por lui entroit puis en peine.
Mais, dès qu’Amors si le demeine
Qu’il ne s’en puet arrière traire,
Itant li loerai-je[9] à faire
Que li die seürement ;
Amors demande hardement.
Un jugement droit vos en faz :
Cil que Amors a pris au laz,
Ne doit pas estre acoardi ;
Seürs doit bien estre[10] et hardi.
Se ge ère d’amor esprise,
Foi que ge doi à saint Denise
Diroie li comme hardie.
Itant li lo-ge que li die ;
S’ele le velt amer, si l’aint. »
Guillaumes a jeté .I. plaint ;
En soupirant li respondi :
« Dame, » fait-il, « véez le ci
Cil qui a trate ce dolor
Tant longuement por vostre amor.
Dame, ne vos osoie dire
Ne la dolor ne le martire
Que g’ai tant longuement sofferte.
A grant paine l’ai descoverte ;
Ma douce Dame, à vos me rent,
Tot à vostre commandement ;
Sui mis en la vostre menoie.
Dame, garissiez moi la plaie
Que g’ai dedenz le cors si grant.
Il n’est voir nul homme vivant
Qui me peüst santé doner.
D’itant me puis-ge bien vanter[11]
Ge sui tot vostre et fui et iere ;
En plus doulereuse manière
Ne pot onques vivre nus hom.
Dame, ge vos requier par don
Que me faciez de vostre amor,
Por qoi ge sui en tel error. »
La Dame entent bien que il dit,
Mais tot ce prise molt petit ;
Elle li respondi itant
Ne pris .I. seul denier vaillant
Ce qu’el oï Guillaume dire ;
Ele li conmença à dire :
« Guillaume, dist-ele, est-ce gas ?
Ge ne vos ameroie pas,
Vos gaberoiz encor autrui.
Onques mais gabée ne fui,
Par mon chief, com vos m’avez ore.
Se vos me pallioiz encore
De ce que vos m’avez ci dit,
Ne remandroit, se Diex m’aïst.
Que ge ne vos feïsse honte.
Ge ne sai riens que amors monte,
Ne de ce que vos demandez.
Beax[12] sire, quar vos en alez,
Fuiez de ci, alez là fors ;
Gardez que mais li vostre cors
Ne viegne mais là où ge soie.
Molt en aura certes grant joie
Mes sires quant il le saura !
Certes, tantost com il vendra,
Li dirai-ge ceste parole
Dont vos m’avez mis à escole.
Molt me sanblez musarz et fox ;
Maldahez ait parmi le cox,
Sire, qui ci vos amena !
Beax amis, traez-vos en là. »
Et quant Guillaumes ce oï,
Sachiez que molt fut esbahi ;
De ce qu’il ot dit se repent.
Onques ne respondi noient.
Tant fu dolenz et esbahiz.
« Hé ! las, » fait-il, « ge sui trahiz. »
De ceste chose me sovient
Que li mesaiges trop tost vient
Qui la male novele aporte.
Amors li commande et enorte
Qu’encore voist palier à lui ;
Ne la doit pas laisser ainsi.
« Dame, » dit-il, « ce poise moi
Que ge n’ai de vos autre otroi,
Mais vos faites molt grant pechié,
Quant vos m’avez pris et lié,
Et plus mal faire me baez ;
Ociez moi si vos volez.
De vostre amor vos ai requise ;
.I. don vos pri, par tel devise
Que jamais jor ne mengerai
Jusqu’à cel eure[13] que j’aurai
Le don eü de vostre amor,
Dont ge sui en itel error. »
Dist la Dame : « Par saint Omer,
Molt vos covient à jeûner
Que se devant lors ne mengiez
Que vos aiez mes amistiez.
Ce n’ert, si com j’ai enpensé[14],
S’erent soiez li noveau blé. »
Guillaumes fors de la chambre ist ;
Onques point de congié ne prist.
.I. lit a fait appareillier.
Lors si i est alez couchier.
Quant il se fu couchié el lit.
Si se reposa molt petit.
Trois jors toz pleins en son lit jut,
Onques ne menga ne ne but ;
Près fu du quart en tel manière.
Molt fu la dame vers lui fiere
Qu’ele nel’ daigna regarder.
Bien sot Guillaumes geüner
Qu’il ne menja de nule chose.
Son mal qu’il a point ne repose ;
Tant le destraint et nuit et jor
Tote a perdue la color.
S’il amegrist n’est pas merveille ;
Riens ne menjue et toz jors veille.
Guillaumes est en grant effroi
Quant li hueil li tornent .I. poi ;
La dame, qui tant par est gente,
Ce li est vis que il la sente
Entre ses bras dedenz son lit,
Et qu’il en fait tot son delit.
Tant com ce dure est molt a èse,
Quar il l’acole et si la baise ;
Et, quant cel avision[15] faut,
Donques soupire et si tressait ;
Estent ses braz, n’en treuve mie ;
Fols est qui chace la folie.
Par tot son lit la dame quiert ;
Quant ne la trueve, si se fiert
Sor la poitrine et en la face.
Amors le tient, Amors le lace,
Amors le tient en grant torment.
Il vosist que plus longuement
Li durast cel avisions[15],
Le Dieu d’amors le r’a semons
De froit avoir et de tranbler.
Du chastelain vorrai parler
Qui revient du tornoiement ;
Ensamble o lui ot molt grant gent.
Atant ez vos .I. escuier
A la dame venu noncier
Que se sires vient du tornoi.
.XV. prisons enmaine o soi.
Chevaliers riches et puissanz ;
Li autres gaainz est molt granz.
La dame entendi la novele ;
Molt par li fu joieuse et bele,
Molt par en est joianz et liée.
Tost fu la sale apareilliée,
Et mengier fist faire molt gent ;
Molt fist bel apareillement
La dame encontre son seignor,
Guillaumes fu en grant freor ;
Et la dame se porpensa
Que à Guillaume le dira
Que ses sires vient du tornoi ;
Demander li vorra por qoi
Il est si fox qu’il ne menjue.
Droit à son lit en est venue ;
Grant piece fu devant son lit ;
Onques Guillaumes ne la vit.
Dont l’a apelé par son non ;
Il ne li dit ne o ne non,
Quar toz en autre siècle estoit.
Elle l’a bouté de son doit,
Et si le husche .I. poi plus haut.
Quant il l’entent, toz en tressaut,
Quant il la sent, toz en[16] tressue,
Quant il la voit, si la salue :
« Dame, bien soiez-vous venue
Comme ma sente et m’aïue[17] ;
Dame, » fait-il, « por Dieu vos pri
Que vos aiez de moi merci. »
Itant la dame respondi :
................
« Guillaume, foi que ge vos doi,
Vous n’aurez jà merci par moi
En tel maniere com vos dites.
Rendu avez maies mérites
A mon seignor de son servise,
Quant vos sa feme avez requise.
Amez le vos de tel amor ?
Jà ne porroiz veoir le jor
Que vos m’aiez en vo baillie ;
Mais vos faites molt grant folie,
Guillaume, que vos ne mengiez.
Quant vos ainsi vos ociez,
La vostre ame sera perie,
Quar ge ne vos donroie mie
Le don que vos me demandez.
Faites le bien, si vos levez,
Que mes sires vient du tornoi.
— Par cele foi que ge vos doi
Ge ne gart l’eure que il viegne.
— Se Diex, » fait-ele, « me sostiegne,
Il saura por qoi vos gisez.
Si que jà n’en eschaperez.
— Dame, » dist-il, « ce n’a mestier,
Por trestoz les menbres trenchier.
Que ne mengeroie jamès.
J’ai sor le col un si grant fès
Nel’ puis jus metre ne descendre.
Vers vos ne me puis-ge deffendre ;
Por jeüner ne por morir,
Dame, dites vostre plaisir. »
Atant la Dame s’est partie
De Guillaume sanz estre amie ;
En la sale en est retornée,
Qui fu richement atornée,
Et les tables basses assises,
Et les blanches napes sus mises,
Et anprès les mes aportez,
Pain et vin, et hastes tornez.
Lors sont venu li chevalier,
Et sont tuit assis au mengier,
Et plus très bien furent servi
C’on ne porroit raconter ci.
Le Sire et la Dame menja ;
Parmi la sale regarda
Se Guillaume veïst venir
A son mengier por lui servir.
A molt grant merveille le tint
Que Guillaumes à lui ne vint.
« Dame, » dit-il, « en bone foi
Me sauriez-vos[18] dire por qoi
Guillaumes n’est à moi venuz.
— Il est trop cointes devenuz, »
Dit la Dame ; « gel’vos dirai ;
De mot ne vos en mentirai.
Il est malades d’un tel mal
Dont[19] jà n’aura medecinal.
Si corn ge cuit, en nule guise.
— Dame, » fait-il, « par saint Denyse,
Moi poise qu’il a se bien non. »
Mais, s’il seüst bien l’aqoison
Por qoi Guillaumes se geüst,
Jà du lit ne se remeüst.
Il ne le set encore pas,
Il i a un molt fort trespas.
Ge cuit à toz tens le saura,
Que la dame li contera
La parole, s’il ne menjue,
Por qoi la teste aura perdue.
Lors ont monté li chevalier ;
La dame ne volt plus targier.
Son seignor prist par le mantel,
Et dit : « Sire, molt me merveil
Que Guillaume n’alez veoir.
Vos devriez très bien savoir
Quel mal ce est qui le destraint ;
Encore cuit-ge qu’il se faint. »
Lors i sont maintenant aie ;
Guillaume ont trouvé trespensé.
Li Sires et la Dame vient
Devant Guillaume, qui ne crient
La mort qu’il a à trespasser.
Qu’il ne velt mais plus andurer
Ne tel martire, ne tel paine ;
Bien velt la mort li soit prochaine.
Li sires s’est ageloigniez
Devant Guillaume vers les piez ;
De ce fist-il conme frans hom ;
Doucement le mist à raison.
« Guillaumes, dites, beax amis,
Quex maus vos a ainsi sorpris ;
Dites moi conment il vos est.
— Sire, » fait-il, « malement m’est.
Une molt grant dolor me tient ;
Une goute, qui va et vient,
Me tient es menbres et el chief ;
Ge ne cuit que jamais en lief.
— Ne[20] porriez-vos menger ne boivre ?
— Ge nel’porroie pas reçoivre
Nule riens c’onques Diex feïst. »
La Dame plus ne se tenist.
Qui la deüst vive escorchier :
« Sire, par Dieu, ce n’a mestier ;
Guillaume dit sa volenté.
Mais ge sai bien de vérité
Quex maus le tient et où en droit.
Ce n’est mie du mal du doit,
Ainz est un maus qui fait suer
Ceus qui l’ont et souvent tranbler. »
Puis dist à Guillaume la Dame :
« Sire, se Diex ait part en m’ame,
Guillaume, se vos ne mengiez,
Or est li termes aproschiez
Que vos ne mengerez jamais.
— Dame, » dit-il, « ge n’en puis mais ;
Vostre plaisir poez bien dire.
Ma dame estes et il mes sire,
Mais ne porroie pas mengier
Por toz les menbres à tranchier.
Sire, » dit-ele, « or esgardez
Com Guillaumes est fox provez.
Tantost com au tournoi alastes,
Guillaume, qui ci gist malades.
Vint en ma chambre devant moi.
— Il i vint. Dame ? et il por qoi ?
Que fu-ce qu’il vos demanda,
Quant dedenz vostre chambre entra ?
— Sire, ce vos dirai-ge bien…
Guillaume, mengeroiz-vos rien ?
Ge dirai jà à mon Seignor
La grant honte et la deshenor. »
Dist Guillaume : « Nenil, par foi ;
Jamais ne mengerai, ce croi. »
Lors dist li Sires à la Dame :
« Vos me tenez por fol, par m’ame,
Et por musart et por noient,
Quant ge ne vos fier maintenant
D’un baston parmi les costez.
— Avoi, Sire, » dit-ele, « ostez,
Ainz le vos dirai par mon chief.
Guillaume, » dist-el, « ge me lief,
Mengerez-vos ? Ge dirai jà. »
Guillaumes donques soupira.
Et respondi piteusement,
Com cil qui grant angoisse sent :
« Ge ne mengeroie à nul fuer.
Se le mal qui me tient au cuer
Ne m’est primes assoagiez. »
Lors en ot la dame pitié,
Et à son Seignor respondi :
« Sire, Guillaumes, que vez ci,
Si me requist vostre faucon,
Et ge ne l’en voil faire don ;
Si vos dirai par quel maniere,
Qu’en vos oiseax n’ai-ge que faire. »
Dist li Sires : « Ne m’est pas bel.
J’amasse mielz tuit li oisel,
Faucon, ostoir et espervier
Fussent mort que .I. jor entier
En eüst Guillaumes geü. »
Bien a la dame deçeü.
« Sire, » dit-el, « or li donez,
Puisque faire si le volez ;
Il nel’ perdra mie par moi.
Guillaume, foi que ge vos doi,
Quant messire le vos ostroie,
Molt grant vilenie feroie
Se vos par moi le perdiez. »
Guillaumes fu joianz et liez,
Quant il oï ceste raison,
Plus que ne puet dire nus hom.
Tost s’apareille et tost se lieve ;
Li maus qu’il a point ne li grieve ;
Quant il fu chauciez et vestuz,
Droit en la sale en est venuz.
Quant la dame le vit venir,
Des elz a gité .I. soupir ;
Amors li a gité .I. dart ;
Ele en doit bien avoir sa part.
Froidir li fait et eschauffer ;
Sovent li fait color muer.
Dit li Sires à Guillemet :
« Il a en vos molt fol vallet
Qu’à mon faucon vos estes pris ;
G’en ai esté molt très pensis :
Ce n’en sai nul, ne fol ne saige,
Prince, ne conte de parage
Cui[21] gel’ donasse en tel manière
Por servise ne por proiere. »
Lors a dit à un damoisel :
« Alez moi querre mon oisel. »
Cil li aporta arroment.
Li Sires par les gièz le prent ;
Si l’a à Guillaume doné.
Et cil l’en a molt mercié.
Dist la Dame : « Or avez faucon ;
.II. besanz valent .I. mangon. »
Ce fu bien dit, .II. moz à un,
Que il en auroit .II. por un,
Et cil si ot ainz l’endemain
Le faucon dont il ot tel faim,
Et de la dame son déduit
Qu’il ama mielz que autre fruit.
Par la raison de cest flabel
Monstre ai essanple novel
As valiez et as damoiseax.
Qui d’Amors mainent lor[22] cenbeax,
Que, qant auront lor cuer doné
As dames de très grant beauté,
Que il la doit tot arroment
Requerra molt hardiement.
S’ele l’escondit au premier,
Ne la doit mie entrelaissier ;
Tost amolit vers la proiere,
Mais que il soit qui la requiere ;
Et tot ausi Guillaume fist
Qui cuer et cors et tot i mist,
Et por ce si bien en joï
Com vos avez oï ici.
Et Diex en doint ausi joïr,
Sanz demorer et sanz faillir,
A toz iceus qui par amors
Sueffrent et paines et dolors :
Si ferai je[23], se ne lor faut
Bon cuer. Ici li contes faut.
- ↑ XXXV. — De Guillaume au faucon, p. 92.
Publié par Méon, IV, 407-427, et donné en extrait assez long par Legrand d’Aussy, III, 307-315.
- ↑ Vers 30 — « cest » est appliqué à « feme ».
- ↑ 51 — mise, lisez a mise.
- ↑ 62 — Faut-il voir dans cet éloge des femmes de la Castille une flatterie à l’adresse de Blanche de Castille ?
- ↑ 117 — Ce vers faux peut être ainsi corrigé : Et i ot mise et tot son sens.
- ↑ 149 — Placez une virgule après « Bien sai ».
- ↑ 184 — * toz ; ms., tolz.
- ↑ 213 — aimoit, lisez amoit.
- ↑ 240 — * loerai je ; ms., loerage.
- ↑ 246 — Corrigez le vers : Seürs doit bien estre…
- ↑ 268 — Après ce vers, le ms. en ajoute un nouveau qui fait double emploi :
Fors vos d’itant me puis vanter.
- ↑ 292 — * Beax ; ms., Bax.
- ↑ 326 — Ne faut-il pas lire cele eure ?
- ↑ 333 — en pensé, lisez enpensé.
- ↑ a et b 361 et 371 — Ne faut-il pas lire cele avisions ?
- ↑ 405 — « en » manque au ms.
- ↑ 408 — ajue, lisez aïue.
- ↑ 462 — « vos » manque au ms.
- ↑ 468 — D’ont, lisez Dont.
- ↑ 509 — « Ne » manque au ms.
- ↑ 599 — * Cui ; ms., Qui.
- ↑ 618 — les, lisez lor.
- ↑ 635 — « je » manque au ms.
Ce fabliau n’a aucun rapport avec le conte de La Fontaine qui porte le nom du « Faucon ». (Voir Caylus, Mém. de l’Acad. des Inscript., XX, p. 366 et suiv.)
XXXVI
DOU POVRE MERCIER.
vo à 152 ro.[1]
ns joliz clers, qui s’estudie
A faire chose de conrie,
Vous vueil dire chose novelle.
Se il dit chose qui soit belle,
Elle doit bien estre escoutée ;
Car par biaus diz est obliée
Maintes fois ire et cussançons.
Ai abasies granz tançons,
Car, quant aucuns dit les risées,
Les forts tançons sont obliées.
Uns Sires qui tenoit grant terre,
Qui tant haoit mortel guerre
Tote[2] genz de malveisse vie
Que il lour[3] fesoit vilenie.
Que tot maintenant les pandoit,
Nule raenson n’an prenoit,
Fist crier .i. marchié novel.
Uns povres Merciers, sanz revel,
vint à tot son chevallet ;
N’avoit beasse[4] ne vallet ;
Petite estoit sa mercerie.
« Que ferai-je, Sainte Marie, »
Dist li Merciers, « de mon[5] cheval ?
Il ai[6] moult grant herbe en ce val,
Volumtiers pestre le manroe
Se perdre je ne le cuidoe ;
Car trop me coste ses ostages,
Et son avoinne[7], et ses ferrages. »
Un merchant, qui l’ot escouté,
Li dit : « Jà mar seras douté
Que vos perdroiz la vostre chose
En ceste prée qui est close[8] ;
Seur totes les terres dou monde,
Tant com il dure à la rehonde.
Ne trueve-l’on si fort justissc.
Si vos dirai par quel devisse
Vos lerroiz aler vostre beste.
Commandez les piez et la teste
Au bon seignour de ceste ville
Où il n’ai ne barat ne guille ;
S’il est perduz seur sa fiance,
Je vos di, sanz nulle créance,
Vostres chevaus vos iert randuz,
Et li lerres sera penduz,
S’il est trovez en sa contrée.
Faites an ce que vos agrée,
Li miens i est deis ier à nonne,
Par foi, » dist-il, « à l’eure bone, »
Dit li Merciers : « Je l’amanrei,
Et puis ou val le lesserei. »
A Deu, à Seignour le cornant,
El en latin et en romant
Conmance prieres à faire
Que nuns ne puet son cheval treire
Du vaul ne de la praerie,
Li fiz Deu ne l’an faillit mie,
Conques n’issist de la valée.
Une louve tote effamée
Vint celle part ; les danz li ruhe,
Si l’estrangle, puis l’a mainjue.
L’andemain va son cheval querre
Li Merciers ; si le trueve à terre
Gissant en pièces estandu.
« Diex ! car m’eüst-on or pandu, »
Dist li Merciers, « je le vorroe,
De tote ma plus fort corroe :
Ne porrai marchiez porsuïr.
Hélas ! il m’an covient foïr
De mon païs en autre terre,
Si me covient mon pain aquerre ;
Et non porquant je m’an irei
Au Seignour, et se li dirai
Qu’avenuz m’est tel meschéance
De mon cheval sor sa fiance,
Veoir se il me le randroit.
Ne se il pitié l’an panroit. »
Plorant s’an vai juqu’à Seigneur[9].
« Sire, » dit-il, « joe greignor
Vos doint-il qu’il ne m’a donée, »
Et li Sires sanz demorée
Respondit moult courtoissemant :
« Biaus amis, bon amandemant
Vos doint Dex ; por quoi plorez-vous ?
— Biaus Sires, le volez-vos
Savoir ? Et je le vos dirai,
Que jà ne vos an mentirai.
Mon cheval nnis en vos pesture ;
Si fis ma grant mesaventure,
Car li lou l’ont trestot maingié.
Sire, s’an ai le san changié.
On m’avoit dit si[10] comandoie
A vos, et après le perdoie,
En pesture ne en maison,
Que vos m’an randriez raison.
Sire, par sainte patenostre,
En la Deu guarde et en la vostre
Le comandoi entieremant ;
Si vos pri pour Deu doucemant.
Se la raison i entandez.
Qu’aucune chose m’an randez. »
Li Sires respont en riant :
« N’alez mie por ce plorant, »
Dit li Sires, « confortez-vos.
Seur vostre foi, me direz-vos
De vostre cheval verité ?
— Oïl, par Sainte Trinité.
— Ne, se jà Dex me gart d’essoigne.
Se tu[11] eusses grant besoigne
D’ergent, por combien[12] le donasses.
Et de coi denier ne lessases ?
— Sire, par le peril de m’ame,
Ne par la foi que doi ma Dame,
Ne se-je mes cors soit essos,
Il valoit bien .LX. sols.
— Ami, la moitié de .LX.
Vos randrai-je ; ce sont bien .XXX.,
Car la moitié me comandestes,
Et l’autre moitié Deu donestes.
— Sire, je ne li doné mie.
Ainz le mis en sa commandie.
— Amis, or prenez à li guerre ;
Si l’alez guagier en sa terre,
Que je plus ne vos an randroie,
Se me doint Dex de mon cors joie.
Se tout comandé le m’eussiez,
Toz les .LX. sols reussiez. »
Li Merciers dou Seignor se part,
Et s’an vai tot droit cele part
Où il avoit sa mercerie.
Sa delour li fu alegie,
Por l’ergent que renduz li ère :
« Par la foi que je doi saint Père, »
Dist-il, « se je vos tenoie[13],
Ne se seur vos povoir avoe.
De vostre cors l’achèteriez,
Que .XXX. sols me randriez. »
Li Merciers ist hors de la ville,
Et jure, foi qu’i doi saint Gille,
Que moult volentiers pranderoit[14]
Sor Deu, et si se vangeroit.
S’il an povoit le leu[15] trover,
Que bien s’an porroit esprover.
Quant il ot sa raison finée,
Si voit venir parmi la prée
Un Moinne, que du bois se part ;
Li Merciers s’an va celle part,
Se li dist : « A cui estes-vos ?
— Biaus douz Sire, que volez-vos ?
Je sui à Deu, le nostre Pere.
— Hai, hai, » dist li Merciers, « biaus freres,
Que vos soiez le bien venuz.
Je soie plus honiz que nus[16],
Se m’achapez en nule guisse
S’an daviez aler en chemisse,
Tant que je serai bien paiez
De .XXX. solz ; or tost traiex
Sanz contredit vostre grant chape.
Guardez que la main ne m’eschape
Sur vostre cors par felonie,
Car foi que doi Sainte Marie,
Je vos donrai jai tel coulée,
Que tele ne vos fu donée,
Que ne vos donesse greignour.
Je vos gage por vos Seignours[17] ;
.XXX. sols m’a fait de domage.
— Frere, vos faites grant domage, »
Dist li Moinnes, « que me tenez ;
Mès devant le Seignor venez,
Qui est justise de la terre.
Nuns moinnes ne doit avoir guerre ;
Se savez moi que demander,
Li Sires set bien comander
C’on doint à chescun sa droiture.
— Si me doint Dex bone aventure, »
Dist li Sires ; « je vueil aler,
Mès s’il me davoit avaler.
En sa chartre la plus parfonde,
S’averai-je vostre reonde.
Bailliez la moi apertemant,
Ou, foi que doi mon sauvemant,
Vous tanroiz jai malvès sentier.
— Sires[18], envis ou voleintiers, »
Dit li Moinnes, « la vos donrai-je ;
Vos me faites mout[19] grant outrage. »
Cil a la chape desvestue,
Et li Merciers l’ai recoillue.
Entre le Moingne et le Mercier
Veignent au Seignour encerchier
Liquiex ai droit en la querelle.
« Sire, ce n’est pas chose bele, »
Dit li Moinnes, « c’on me desrobe
En vostre terre de ma robe.
N’est-il bien hors de la mémoire[20]
Qui mat sa main sus .I. provoire ?
Sire, ma chape m’ont tolue ;
Faites qu’ele me soit randue.
— Si me doint Dieux amendement, »
Dit li Merciers apertemant,
« Vos mentez, mès je vos an gage ;
Je ne vos demant autre outrage,
S’an vueil le jugemant oïr.
— Ce me fait le cuer resjoïr, »
Dit li Moinnes, « que vos me dites ;
Par jugemant serai toz quites.
Je n’ai seignor fors que le Roi
De Paradis. — Par son desroi, »
Dit li Merciers, « vos ai gagié,
Et de vostre gage ostagié ;
Mon cheval li mis en sa guarde :
Morz est ; se li mausfués[21] ne m’arde.
Vos an paieroiz la moitié.
— Merciers, tu es moult tôt coitié, »
Dit li Sires, « de gages prandre. »
Dit[22] li Sires : « Sanz plus estandre,
Tot maintenant je jugeroie
Du très plus bel que je sauroe.
— Por ce suemes-nos ci venuz, »
Dit li Moinnes, « Il sera[23] tenuz »,
Fait li Sires, « ce que[24] dirai.
— Sire, jai ne vos desdirai, »
Dit li Moinnes. « Ne je, biaus Sires »,
Dit li Merciers. Qui veïst rire
Le Seignor et sa compaignie,
De rire ne se teignist[25] mie.
« Or antandez le jugemant, »
Dist li Sires, « communalmant,
Car tout en hault le vos dirai.
Dan Moinnes, ne vos partirai
.II. geus ; le malveis lesserez,
Et à moillour vos an tanres.
Se volez lessier le servisse
De Deu et de la sainte Yglise,
Et autre Seignour faire homage,
Vos ravez quite toz vos gages,
Et, se vos Deu servir volez[26]
Ausi come[27] vos solïez,
Le Mercier vos covient paier
.XXX. sols por lui rapaier ;
Or an faites à vostre guisse. »
Com li Moinnes ot la dévisse,
Il vosist[28] estre en s’abaïe ;
Bien voit qu’il n’achapera mie.
« Sire, avant que Deu renoiesse
J’auroe plus chier que paiesse, »
Dit li Moinnes, « .XL. livres.
— De .XXX. sols serés delivres, »
Dist li Sires « seüremant[29]
Et porrez plus hardiemant
Prandre des biens Deu sanz outrage,
Car por lui avez cest domage. »
Li Moinnes plus parler n’an osse,
Meis je vos di à la parclosse
Paia li Moinnes dan Deniers,
Por Deu, .XXX. sols de deniers ;
Por Deu les paia sanz aumosne.
Et li Sires, qui toz biens done,
Gart cels de maie destinée
Qui ceste rimme ont escoutée
Et celui qui l’a devissée.
Done-moi boire, si t’agrée.
- ↑ XXXVI. — Dou povre Mercier, p. 114.
Publié par Barbazan, I, 27 ; par Méon, III, 17-25, et traduit par Legrand d’Aussy, III, 93-98.
- ↑ Vers 13 — Totes, lisez Tote. — * malveisse ; ms., malveisses.
- ↑ 14 — leur, lisez lour.
- ↑ 20 — besasse, lisez beasse au sens de bagasse, servante.
- ↑ 23 — * mon ; ms., son.
- ↑ 24 — a, lisez ai.
- ↑ 28 — * Et son avoinne ; ms., S’avoinne. Il faudrait corriger plutôt : Ses avoinnes.
- ↑ 32 — * close ; ms., rose.
- ↑ 77 — Seignor, lisez Seigneur.
- ↑ 91 — * si ; ms., su.
- ↑ 108 — su, lisez tu.
- ↑ 109 — bien, corrigez combien ; le ms. porte : por que bien donesses.
- ↑ 133 — Vers faux.
- ↑ 139 — * pranderoit ; ms., prandroit.
- ↑ 141 — * leu ; ms., lue.
- ↑ 152 — * nus ; ms., nuns.
- ↑ 164 — Ne faut-il pas corriger vo seignour ?
- ↑ 182 — * Sires ; ms., Sire.
- ↑ 184 — « mout » manque au ms.
- ↑ 193 — Corrigez de la memoire.
- ↑ 210 — Mausfuès, lisez mausfués.
- ↑ 214 — Dist, lisez Dit.
- ↑ 218 — Dans ce vers faux on peut corriger « sera » en ert.
- ↑ 219 — * que ; ms., qui.
- ↑ 224 — * teignist; ms., teignest.
- ↑ 235 — volés, lisez volez.
- ↑ 236 — * come ; ms., com.
- ↑ 241 — * vosist ; ms., resist.
- ↑ 247 — seürement, lisez seüremant.
Ce fabliau a été remis en vers par Imbert.
XXXVII
LE DIT DES MARCHÉANS
uiconques veut bien rimoier,
Il doit avant estudier
A bone matire trouver
Si qu’il ne soit au recorder
De nului blasmez ne repris,
Et por ce me sui entremis
De fere .I. dit dont j’ai matiere.
Diex le me doinst en tel maniere
Fere qu’il puisse à chascun plere.
Des Marchéanz vous vueil retrere
.I. dit novel, qui n’est pas granz.
Je di c’on doit les marchéanz
Deseur toute gent honorer ;
Quar il vont par terre et par mer
Por querre laine et vair et gris.
Les autres revont outre mer
Por avoir de pois achater,
Poivre, ou canele, ou garingal.
Diex gart toz marchéanz de mal
Que nous en amendons sovent.
Sainte Yglise premierement
Fu par Marchéanz establie,
Et sachiez que Chevalerie
Doivent Marchéanz tenir chiers
Qu’il amainent les bons destriers
A Laingni, à Bar, à Provins.
Si i a marchéanz de vins,
De blé, de sel et de harenc,
Et de soie, et d’or et d’argent,
Et de pierres qui bones sont.
Marchéanz vont par tout le mont
Diverses choses achater.
Quant vienent de marchéander
Il font mesoner lor mesons,
Et mandent plastriers et maçons,
Et couvréors et charpentiers ;
Quant ont fet mesons et celiers,
Feste font de lor voisinage ;
Puis en vont en pèlerinage
Ou à saint Jaque ou à saint Gile,
Et, quant reviennent en lor vile,
Lor fames font grant joie d’els.
Et mandent les menesterels ;
L’uns[2] tabore, l’autre vièle ;
L’autres redist chançon novele,
Et puis, quant la feste est faillie,
Si revont en marchéandie,
Li .I. en vont en Engleterre
Laines et cuirs et bacons querre ;
Li autre revont en Espaingne,
Et tels i a vont en Bretaingne
Bues et pors, vaches achater,
Et penssent de marchéander
Et reviennent de toz pais
Les bons marchéanz à Paris
Por la mercerie achater,
Et sevent moult bien demander
Et Troussevache et Quiquenpoist.
Or escoutez, si ne vous poist :
Iluec pueent il bien trover
Toutes choses à achater
Qui à la mercerie apent,
L’or empaillolé et l’argent,
Corroies de soie, aumosnieres,
Et joiaus de maintes manières,
Cuevrechiefz crespés, melequins,
Pailes ouvrez, riches et fins,
Guimples, fresiaus, coutiaus d’yvuire,
Et maint riche joiel trefuire.
Et riches croces à evesques,
A abez et à archevesques,
Crucefiz et ymagerie
D’argent et d’yvuire entaillie.
Les joiaus d’argent et de soie
Et de fin or i trueve l’on.
Des autres marchéans diron.
Il i a marchéanz de dras,
Et de toile et de chanevas,
De basane et de cordouan,
De cire, d’alun, de safran,
De dras dorez et de cendaus.
Si a marchéanz de metaus
Que l’on redoit forment amer.
Il i a marchéanz de fer,
Et si i a, que je n’oublie,
Marchéanz de peleterie,
D’ermine, de vair et de gris.
De piaus d’aigniaus et de brebis,
De poisson frès et de salé,
De fain et d’avaine et de blé,
De gaude et de waide por taindre ;
Des marchéanz ne me vueil faindre.
Il i a marchéanz de pion,
Et de busches et de charbon,
D’estain, de cuivre et de métal,
D’orfaverie et de cristal.
De madré et de fust et de coivre ;
Si i a marchéanz de voirre.
Encor n’ai pas tout devisé.
Marchéanz i a de filé ;
Si a marchéans de forages.
De sauvagine et de poulages.
Il i a marchéanz de fruit,
Naviaus et poriaus et letues,
De faucons, d’ostors et de grues ;
Et marchéanz de freperie,
Et de chanvre et de corderie,
Et de sarges et de tapis,
Et de ratoires à soris ;
Si i a marchéanz de lin,
De mueles de fer de molin,
De haces et de bernagoes.
De peles, de pis et de hoes.
Hotes et vanz et escueles,
Et de gates et de foisseles,
De martiaus, d’englumes, d’acier.
Diex gart marchéanz d’encombrier,
Chandeliers, potiers, lormerie,
Marchéanz de féronerie,
De seles, d’estriers, de poitraus,
De charretes et de borriaus.
Il i a marchéanz de nois.
De feves, de veces, de pois.
De siu[3], d’oint, de miel et de sain,
De chandoile et de peresin.
Ne le tenez mie à eschar :
Li bouchier si vendent la char,
Et li poissonier li poisson.
Marchéanz d’uile et de coton
Et de gingembras d’Alixandre,
De jaspe et de cristal et d’ambre
Diex soushauce Marchéandie
Et gart marchéanz d’encombrier.
Moult ont paine por gaaignier,
Et si sont moult sovent pelez,
Mes lor biens foisonent, adès
Que Dame Diex sa grace i met.
A tant de rimer me demet.
Que Jhesucriz, li fîlz Marie,
Gart Marchéanz de vilonie
Et lor doinst si marchéander
Qu’en paradis puissent aler,
Et les marchéandes aussi
N’i met Phelippot en oubli.
A tant vueil ma rime finer ;
Si vueil por marchéanz ourer.
Diex gart Marchéans d’anemis,
Et de tonoirre et de peris[4] ;
Et des larrons, Diex, les gardez
Que il ne soient desrobez,
Et d’encontre de fol et d’yvre
Soient tuit Marchéant delivre,
Et de la tormente de mer
Si qu’à droit port puissent aler,
Et il les deffende du dé
Qui maintes foiz m’a desrobé ;
Encor ne sui pas enrobez,
Quar par le dé sui desrobez ;
Se Dieu plest, je m’enroberai
Et aus Marchéanz conterai
Qu’il me donront de lor argent.
Que Jhesucrist, li filz Marie,
Doinst aux Marchéanz bone vie.
- ↑ XXXVII. — Le Dit des Marcheans, p. 123.[Il faut lire vo et non ro après 283.]
Publié par G. A. Crapelet, Proverbes et Dictons populaires, 1831, p. 159-165.
- ↑ Vers 45 — Li uns, lisez L’uns.
- ↑ 127 — sui, lisez siu.
- ↑ 152 — pris, lisez peris.
XXXVIII
UNE BRANCHE D’ARMES
fo 222 vo à 223 ro.[1]
ui est li gentis bachelers ?
Qui d’espée fu engendrez,
Et parmi le hiaume aletiez,
Et dedenz son escu berciez,
Et de char de lyon norris,
Et au grant tonnoirre endormis,
Et au visage de dragon,
Iex de liepart, cuer de lyon,
Denz de sengler, isniaus com tygre,
Qui d’un estorbeillon s’enyvre
Et qui fet de son poing maçue,
Qui cheval et chevalier rue
Jus à la terre comme foudre[2],
Qui voit plus cler parmi la poudre[3]
Que faucons ne fet la riviere,
Qui torne ce devant derriere
.I. tornoi por son cors deduire,
Ne cuide que riens li puist nuire,
Qui tressaut la mer d’Engleterre
Por une aventure conquerre,
Si fet il les mons de Mongeu,
Là sont ses festes et si geu ;
Et, s’il vient à une bataille,
Ainsi com li vens fet la paille,
Les fet fuir par devant lui.
Ne ne veut jouster à nului
Fors que du pié fors de l’estrier,
S’abat cheval et chevalier
Et sovent le crieve par force ;
Fer ne fust, platine n’escorce
Ne puet contre ses cops durer,
Et puet tant le hiaume endurer
Qu’à dormir ne à sommeillier
Ne li covient autre oreillier.
Ne ne demande autres dragies
Que pointes d’espées brisies
Et fers de glaive à la moustarde.
C’est un mès qui forment li tarde,
Et haubers desmailliez au poivre,
Et veut la grant poudriere boivre
Avoec l’alaine des chevaus ;
Et chace par mons et par vaus
Ours et lyons et cers de ruit
Tout à pié, ce sont si déduit ;
Et done tout sanz retenir.
Cil doit moult bien terre tenir
Et maintenir chevalerie
Que cil, dont li hiraus s’escrie,
Qui ne fu ne puns ne couvez,
Mès ou fiens des chevaus trovez ;
S’il savoient à qoi ce monte
Sachiez qu’il li dient grant honte.
- ↑ XXXVIII. — Une Branche d’armes, p. 130.
Publié par Ach. Jubinal, Jongleurs et Trouvères, 1835, p. 73-74.
- ↑ Vers 13 — poudre, lisez foudre.
- ↑ 14 — foudre, lisez poudre.
XXXIX
LE DEBAT DU C. ET DU C.
fo 183 vo à 184 ro.[1]
’autrier me vint en avison
Que li Cus demandoit au Con
.III. sous de rente qu’il li doit.
Mès li Cons dist que non fesoit,
Qu’il ne l’en doit mie tant ;
Si en estoit bien souvenant
Que il li doit .II. sous sanz plus.
« Comment, deable, » dist li Cus,
« Me veus-tu fere desreson ?
— Nenil, biaus amis, » dist le Con,
« Je ne demant fors que mon droit.
Contons, moi et toi orendroit,
Et si sauras que je te doi.
— Par foi, » dist li Cus, « je l’otroi[2] ;
Je conterai moult volentiers.
Ne me dois-tu .XII. deniers
Quant tu eschaufes et tu sues ;
Por ce que dout que tu ne pues,
Je te corne, je te deduis,
Je te soufle au miex que je puis ;
Je t’abandonne tout mon vent ?
Ce sont .II. sous ; or le mes rent. »
Et dist li Cons : « Tu contes bien ;
Mès des autres ne sai-je rien
S’il ne me sont amenteü.
— Il ne pueent estre perdu, »
Ce dist li Cus ; « trop les achat
Que je en reçoif maint grant flat ;
Je sui batuz, je sui roilliez :
Pour ce sont il bien gaaingniez.
Quant tu engoules les morsiaus,
Et l’en me bat des .II. jumiaus
Et d’une grant borse velue ;
Sor moi la truis toz[3] jors pendue ;
Icele borse a à non coille.
Ersoir menjas tu une andoille,
C’onques rien ne m’en départis.
— Par mon chief, » dist li Cons, « si fis ;
Je t’en donai. — Non feïs, voir.
— Si fis ; saches le tu de voir ;
Au mains du brouet eus tu.
— Voire maugré en aies tu.
Que l’escuele estoit fendue[4]
Et maudehait Cons qui menjue. »
Et dist li Cons : « Ce n’est pas drois ;
N’as-tu assez quant tu en bois ;
Je ne te doi fors abevrer.
Et bien batre por bien corner ;
Li cop ne te font se bien non.
Ce n’est pas maçue de plon
Dont l’en te bat ne de flaiaus ;
Ne te plain fors des .II. jumiaus ;
Ce poise toi qu’il sont si mols
Qu’il ne te fièrent plus granz cops ;
Nous sommes si près herbregié
C’uns parchemins qui est moillié
N’est pas si tenus[5] par toz leus
Con la paroit entre nous .II.
Mauvesement en esploita[6]
Qui si près moi te herbrega.
Tu ne fleres pas comme uns coins ;
Se tu fusses .I. poi plus loins,
Toz li mons fust à moi aclin ;
Mès j’ai en toi si ort voisin
Que tu ne vaus ne tu ne sez.
A toz cels dont tu es amez
Doinst Dame Diex male aventure,
Quar il le font contre nature ;
Qui me lessent et à toi vont,
Je pri Dieu que il les confont.
Je faz agenoillier les contes,
Les chastelains et les viscontes ;
Les evesques et les abéz
S’i sont maintes foiz aclinez ;
Je les faz metre à estupons
Et redrecier à reculons.
Quant je vueil, jes remet en voie,
Jes faz dansser en mi la voie ;
Je faz commencier la carole ;
Mès de toi n’ert-il jà parole
Que Diex ne fist preudomme nul
Qui doie amer solaz de cul.
— Tais-toi », dist li Cus, « ors baveus ;
Moult par es ore ramposneus.
L’en ne se puet de moi soufrir ;
Bien sez qu’il convendroit morir
Homme et fame, se je n’estoie :
Je les esvuide et esnetoie.
Jamès homme ne mengeroit
Et, s’il menjoit, il creveroit
S’il ne s’en delivroit par moi.
Toutes merdes passent par moi »,
Dist li Cus, « et toutes ordures
Et toutes viez deslavéures[7]
De mes barbes, de mes grenons
Tu moilles en toutes sesons.
— Uns cons vaut bien .C. mile cus. »
De m’aventure n’i a plus.
Seignor, ceste desputison,
Qu’avez oï du Cul au Con,
Si m’avint l’autrier en sonjant
A mie-nuit en mon dormant.
Tout issi com je me dormoie
Si me prist une si grant joie
Qu’il me prist talent de rimer
Por ceste aventure conter ;
Mès onques plus je n’en oï
Fors ce que j’ai conté ici.
- ↑ XXXIX. — Le Debat du c. et du c., p. 133.
- ↑ Vers 14 — l’otroie, lisez l’otroi.
- ↑ 34 — tor, lisez toz.
- ↑ 43 — fandue, lisez fendue.
- ↑ 57 — * tenus ; ms., tenues.
- ↑ 59 — exploita, lisez esploita.
- ↑ 136, 14. Supprimez le point après « deslaveüres ».
XL
LE DIT DES C.
à fo 241 vo.[1]
eignor, qui les bons cons savez,
Qui savez que li cons est tels
Que il demande sa droiture,
Foutez assez tant comme il dure
Et, quant vous n’en poez plus fere,
Fetes Baucant cele part trere,
Si le menez devant la porte,
Et, se Baucent se reconforte
Qu’il puist en haut lever la teste,
On li ouverra la fenestre.
Et menra jusqu’en la fontaine
Qui tant par est de dolor plaine,
Et se dans Rondiaus li proliers[2][3],
Qui tant est orguilleus[4] et fiers,
Veut contredire le cheval,
Si le batent li mareschal
Que je ne sai autre venjance,
Mès qu’il i fust le roi de France.
Seignor, ne soiez pereceus,
Faintis, lanier, mès viguereus ;
Prendez le sovent et menu,
Et seul à seul et nu à nu.
Quant li preudon se lieve au main,
Si mete sor le con sa main ;
Si l’aplanit une grant pose ;
Jà puis, ce di, ne fera chose
Quemiex n’en soit et miex n’en viengne[5]
S’il same blé ne plante vingne[6].
Ne s’il fet autre maraudise.
Or gardez que n’i ait faintise
Que sovent ne soit li cons pris ;
Cest maistire[7] vous ai apris :
Si le tenez de moi en us,
Jà ne s’en repentira nus ;
Et, se c’est chevaliers erranz,
Ou escuiers, ou souduianz,
Serve le con et si l’ait chier.
Mains en redoutera l’acier,
Et s’en sera plus eüreus ;
Ce tesmoingne Gautiers Li Leus
Que li cons porte tel racine.
Sa dame en fet gesir souvine,
Et, si demande tele andoille
Dont sor l’anel en pent la coille,
Jà si grant vit ne li vendra
Que transglouti errant ne l’a.
Ne jà n’ert de si grosse vaine
Qu’il n’ait moult tost tolu l’alaine ;
Jà n’enterra nus en sa goule
Qu’il ne le vainque en petit d’oure ;
Por[8] ce sommes à lui enclin ;
Contre le con ne vaut engin.
Cist fabliaus dist au definer :
Connebert fet tornoi crier
Et moult de grandes fiertez faire.
Li cons est .I. nice douaire.
- ↑ XL. — Le Dit des c., p. 137.
- ↑ Vers 13 — * pioliers ; ms., proliers.
- ↑ 137, 18. Rétablissez la leçon du ms. proliers, au lieu de « pioliers ».
- ↑ 14 — orguilleux, lisez orguilleus.
- ↑ 27 — vieigne, lisez viengne.
- ↑ 28 — vigne, lisez vingne.
- ↑ 32 — * maistire ; ms., marstire.
- ↑ 51 — * Por ; ms., Pon.
XLI
DES VINS D’OUAN
fol. 217 ro à 217 vo.[1]
iaus sire Diex, rois debonere,
Qui le pooir avez de fere
Vostre plesir communaument,
Puis vostre resuscitement
Ne feïstes tele vingnée
Comme ele est ouan devinée.
Chascuns dit, et je m’i acorde,
Que vin sont dur et de mal orde,
Pou plesant et mal acuillable.
Virge pucelle et amiable,
Por nous toz soliiez prier
Nostre[2] Seigneur, qui oublier
Nous veut, dame, bien le savons.
Se par vous sa grâce n’avons,
Hé, mère Dieu, comment vivront
Marchéanz qui tels vins bevront.
Plus frez seront au departir
Qu’au commencier, c’est sanz mentir ;
Si est pitiez et grant domage.
Marchéant vont par mer à nage
Et par la terre en plusors leus ;
Communement dient entre els :
« Marchéandise a devorée
Li vin, qui lor art la corée »,
Et, si l’ont à moult granz dangiers,
Que referont ces messagiers
Qui les bons vins boivre soloient,
Dont lor chemin plus tost aloient
Et monter plus legierement ?
Or vous di-je certainement
Que celui qui miex en bevra
Plus pesant que devant sera ;
Messagiers à dolor seront ;
De .II. jornées .III. feront
Et de .IIII. .VI. ; c’est descort.
Eh ! Diex done lor reconfort
Et aux fèvres et aus forniers.
Vin lor coustera granz deniers
Et à cels qui bâtent le piastre,
Et si ne s’en porront esbatre
Qui les vins ne font s’enfler non.
Qui de bons vins boivre a[3] renon
Jà au novel ne touchera
Devant que le viez li faudra,
Qui auques se défaut et gaste ;
Moult nous poise qui si se haste
De lessier nostre compaignie.
Que cels qui aiment cortoisie
En sont dolenz ! Se Diex me voie,
Or n’i a fors c’on se porvoie
Comment l’en bevra les noviaus.
Vert sont et dur et desloiaus,
Qu’il vuelent les gens estrangler.
Jà n’en orrez homme jengler
Ne parler plus tost ne plus tart.
Je voi ces gens, si Diex me gart,
Qui por boivre font granz dossées
Le vin qui lor art les corées,
Et si ne s’en sentent de rien,
Geste chose vous[4] di-je bien
Que jà n’en seront plus haitiez
Provoz, qui sont toz afaitiez
Por prendre cels qui mesprendront.
Aus yvres pou conquesteront,
Qu’avant les verriiez crever
Que des vins d’ouan enyvrer ;
Ce n’est pas le preu aus Provoz.
Cels qui auront aus et civoz
Gaigneront plus et aus poriaus
Que Maires, Provoz ne Bediaus
Aux vins d’ouan, si com je cuit,
Que la gorge leur art et cuit
A toz cels qui les vont bevant
Et puis si les vont remuant
Et chaufent au feu por sotir.
Eh î Diex, por qoi vaus consentir
Que ceste anée est avenue.
Où tant avons descouvenue[5] ?
Sire, qui onques ne mentistes.
De pou de vin .II. pars feïstes ;
L’une est trop dure, l’autre a cuiçon,
Dont nous somrties en grant friçon,
Que sovent nous font rechingnier,
Bouche clorre, les iex cluingnier.
Qui plus en boit, bien le puis dire
Que le ventre li enfle et tire.
Tels sont en la terre de France
Qu’il ne font fors qu’emplir la pance
A celui qui plus en engorge ;
Plus aspres sont que nul pain d’orge.
Ne sai quels sont à la Rocele.
Menesterels, qui de vièle
Soloient les genz[6] solacier,
Ne se sevent[7] où porchacier.
Que la bone gent est troublée
Por ce que l’en lor a emblée
La très bone houce Gilet,
Qui les marchiez fere fesoit
Et les bones gens assambler ;
Cil n’avoit pooir de trambler
Qui l’avoit en son dos vestue ;
Or s’est en tel leu embatue
Que il covient trop grant avoir
Qui la veut en pou d’eure avoir ;
Les povres genz s’en souferront
Qu’en cest an ne l’afubleront
Que trop avons mauvese anée.
Virge, qui sanz pechié fus née,
Qui le cors Jhesucrist portas
Et Théophile confortas
Que tu meïs en bone voie,
Prie à Jhesucrist qu’il envoie,
Au menu pueple soustenance ;
Dame, en qui nous avons fiance.
Toz et toutes communaument
Nous vous requérons doucement
Que li vueilliez ce deproier
Qu’il nous ajut sanz delaier.
Tuit li prions qu’ainsi le face
Par son plesir et par sa grâce ;
De nous li plèse souvenir.
Ici luec veut son dit fenir
Guiot, qui est de Vaucresson,
Et sa petitete oroison.
- ↑ XLI. — Des Vins d’ouan, p. 140.
- ↑ Vers 12 — Notre, lisez Nostre.
- ↑ 42 — Le ms. n’a pas le mot a.
- ↑ 60 — vou, lisez vous.
- ↑ 78 — desconvenue, lisez descouvenue.
- ↑ 93 — gens, lisez genz.
- ↑ 94 — savent, lisez sevent.
XLII
LA PATRE-NOSTRE FARSIE
fo 274 ro.[1]
ater noster doit chascuns[2] dire
A Dieu et crier : Biaus douz sire,
Gardez nos ames et noz cors ;
Qui es in celis haut là sus,
Tu connois bien chascun çà jus
Et par dedenz et par defors.
Sanctificetur nomen tuum,
Car il n’est nus, soit fame ou hom,
S’à toi de cuer adveniat,
Qu’il ne gaaint regnum tuum ;
S’il humelie cor suum,
Tu lui diras tantost : fiat.
Voluntas tua est moult droite ;
Le salu de chascun covoite
Aussi du povre com du riche,
Sicut in celo et in terra.
Jà nus enz ès ciex n’enterra
Qui le cuer ait aver ne chiche.
Panem gardent trop li riche homme ;
Nostrum ne lor lest prendre somme
Quar adès acroistre le vuelent ;
Anui ont cotidianum ;
Bien se travaillent in vanum,
Qu’à la mort rien porter n’en pueent.
Da ne maint mès en cest païs
Qui de nobis est si haïs
C’on l’a tout perdu hodie,
Et dimitte l’en a quaissié,
Qui nobis a le cuer lechié
In hac valle miserie.
Debita nostra sont moult grandes ;
Ce sont li vin et les viandes
Que chascun jor volons avoir ;
Il n’est nus hom, sages ne sos,
S’il despendoit sicut et nos,
Qu’il ne deijst moult grant avoir.
Sire, qui es piissimus,
Envoies nous dimittimus
Que nous en aurions mestier.
Si mandez debitoribus
Que jà à creditoribus
Ne pait maaille ne denier.
Nostris seroit bien avenu ;
Lié seroient jone et chanu
Et ne nos, por nostre mesfait[3],
Inducas en enfer le lait
Peccatis exientibus.
Secor nous in temptationem
Que ne perdons mansionem
De toi demonis artibus ;
Nous, qui nous savons entechiez,
Devrions gehir noz péchiez
Dedans le mois .VI. foiz ou .VII.,
Dont seroit l’âme libera ;
Si voleroit per aera
Devant Dieu tout pur et tout net.
Quant nous vendrons en cel[4] osté,
A malo serons bien osté ;
Sanz fin troverons solamen ;
Quar Diex i maint et tuit si saint,
Et por ce qu’il nous i amaint
Si en die chascuns amen.
- ↑ XLII. — La Patre-Nostre farsie, p. 145.
- ↑ Vers 1 — chascun, lisez chascuns.
- ↑ 46 — meffait, lisez mesfait.
- ↑ 58 — a cel, lisez en cel.
XLIII
DE L’OUSTILLEMENT
fol. 119 vo à 121 ro.[1]
omme qui se marie
Moult par fet[2] grant folie ;
S’il n’est si[3] estorez
Et de pain[4] et de blez
Et de fuerre et de paille
Que nule rien n’i faille,
Tost en est assotez
Et de la gent blasmez.
Li prestres del[5] moustier
Li[6] demaine dangier ;
Si voisin ensement[7]
En parolent savent[8].
Se de plege[9] a mestier,
Nus ne li veut aidier,
Et, se il n’a que prendre[10],
Tant a il mains[11] à rendre.
Si le plege à envis
Li granz et li petis,
Et, se il se corouce
Et sa fame regrouce,
Maudient l’assamblée[12] ;
Or[13] sont à la meslée.
Si[14] venist miex, ce croi,
Que chascuns fustpar soi.
Or vous vueil aconter
Com se doit estorer
Homme[15] qui fame prent.
Sachiez tout vraiement[16]
Qu’il[17] li covient meson,
Et bordel et buiron ;
En l’un mete son grain[18]
Et en l’autre son fain,
Et en la tierce maingne.
Que riens ne li soufraingne,
Si li covient fouier[19]
Et la busche el[20] buchier,
Et le bacon au feste ;
S’en menjust à la feste.
Si n’envoit[21] mie au vin,
Mès chascun jor matin
Envoit[22] à la fontaine
Por une buire[23] plaine ;
De cele boive[24] assez
Qu’il ne soit enyvrez ;
Tost est d’avoir delivre[25]
Home qui trop s’enyvre.
Se li covient les[26] feves
Et les chois et les reves[27],
Et aus et porions.
Et civos et oingnons,
Et la[28] cuve à baingnier,
Charrete à charrier[29]
Et sele charretiere,
Et forrel et dossiere,
Trais et avaléoire,
Panel[30] et menéoire,
Crameillie de fer
Et craisset[31] en yver.
Se li covient trepier[32],
Et paiele et andier,
Et le pot et la louce
Où la[33] purée grouce,
Le graïl et le croc
A trere de son pot
La char, quant ele[34] ert quite,
Qu’il ne s’arde ne cuise,
Tenailles et soufiet
A fere son fouet.
Mortier et molinel,
Et pilete et pestel.
Se li covient coingnie
Trenchant et enmanchie,
Doléoire et cisel
Esmolu de novel,
Besague d’acier[35],
Tarere por percier.
Fers à fere mortoise
Et en pierre et en boise,
La lingne et le compas.
Ice n’est[36] mie gas,
Et se li covient roisne
Et canivet et foisne[37],
Et engin à peschier[38],
Et au col[39] le panier
A metre[40] son poisson,
Quant il en a foison.
Puis[41] le covient armer,
Por sa[42] terre garder,
Coterele et hiaumet[43],
Maçuele[44] et gibet,
Arc et lance et espée[45],
Se vient à la meslée[46] ;
Au chevès soit[47] couchie
L’espée enrœillie
Qu’il n’ait soing d’estoutie[48]
Ne d’esmovoir[49] folie ;
Tost est .I. homme[50] mort,
Soit[51] à droit, soit à tort,
Par une saietele[52] ;
Tele oevre[53] n’est pas bele
Par petite achoison[54],
Ce nous dit la reson.
Si[55] ait son viez escu
A la[56] paroit pendu,
Por ce, se il n’est bel
Acesmez[57] de novel,
N’est il mie mains durs,
De ce sui toz seürs ;
A son col le doit pendre
Por sa[58] terre desfendre.
Mès[59] gart qu’il ne soit mie
Devant à l’escremie,
Quar il feroit que fols[60],
S’il ert[61] aus premiers cops ;
Tels vient aus primerains,
S’il ert des[62] daarrains
Qu’il n’i perdist jà[63] rien ;
De ce savons nous bien[64].
Toz jors soit en porpens
De revenir par tens,
S’il[65] puet, à sa meson,
Et si ait son gaignon
Si afetié et duit
Que il n’abait par nuit
Se il ne set por qoi,
Ainçois se tiengne qoi[66].
Et se[67] li covient huches,
Et corbeillons et cruches[68].
Le chat aus soris prendre
Por les huches desfendre.
Et le banc el fouier[69]
Et la table[70] à mengier.
Se li covient en haut
Le chasier sus le baus
Aus frommages garder,
Et l’eschiele à monter,
Trepier[71] et chauderon
A brasser son boillon.
Quant ce revient[72] au tens
En Quaresme ès Avens
Et si reface en Mars
Assez cueillir des hars
A la charrue joindre ;
L’aguillon au buef[73] poindre
N’i[74] doit estre oubliez,
Et port, comme senez[75],
Par[76] derrier son crepon,
Ou sarpe ou[77] faucillon
A ses hars detrenchier.
Se il en a mestier,
Besche ou hache d’acier[78]
Aus busches esracier ;
Tout traie[79] à gaaignage,
Si fera moult que sage.
Et si li covient herche[80],
La civiere et la fesche,
Le sarcel enhanter
Por les chardons oster.
Se[81] li covient faucille.
Et alesne et estrille,
Coutel à pain taillier,
Et la jarce d’acier[82],
La keus et le fuisil
A aguisier l’ostil,
Les aguilles poingnanz[83]
Et les forces trenchanz[84],
Sollers et estivaus[85].
Et chauces et housiaus,
Cotele et sorcotel[86],
Chaperon et chapel[87]
Corroie et couteliere,
Et borse et aumosniere[88],
Et moufles bien cuiries,
De novel afeties,
A espines cueillir
Por son Seignor servir
Por[89] fere heriçon
Tout entor sa meson.
Puis ait pendu au laz
Le trible[90] et le saaz,
Chaelit à gesir,
Et la met à pestrir[91].
Se li covient le four
Et les forchons[92] entour ;
S’il a la barbe uslée,
N’en face jà posnée,
Mès soit de bele here[93]
Et face bele chiere,
Quar bon est le mestier
Où l’on puet gaaignier.
Se li covient sauniere[93],
A son feu par derrière
Toraille à brais sechier[94].
Ne li doit anoier
De lui bien[95] estorer,
Quar il en doit prester
A son voisin sovent,
Se besoing le sorprent,
Les pilons et la pile,
Nel tenez pas à guile[96],
Le sac et le boissel,
Le van et le rastel[97],
Picois, coingnie et pele[98].
Se la mesons est tele,
A il de plus mestier
A son Seignor aidier[99] ?
Oil, par le mien chief.
Encore i a plus grief,
Quar[100], se il ne l’avoit,
Querre li covendroit
Hanas et escueles,
Et platiaus et foisseles,
Granz gates et menues ;
Por ce, s’el sont fendues.
Ne les get en puer mie[101],
Quar ce seroit folie[102].
Le bers face devant,
Ainz que naisse[103] l’enfant,
Doit il estre tout plain
De drapiaus et d’estrain,
Et, se ce est vallet,
Se li quiere .I. auget[104]
Por baingnier estendu[105].
Si est ainçois creü,
Et, se c’est baisselete[106],
Se li quiere minete[107].
Si sera miex fornie,
Quar ce[108] est la mestrie.
Et, se il bien li plaist[109].
Si porchast, que il ait[110]
Viaus, une vache à lait[111],
Qu’il nel mete en delait[109]
A l’enfant alaitier,
Quant il en a[112] mestier ;
Quar, se saouls n’estoit,
Toute nuit[113] ploerroit,
Si toudroit le dormir,
Quant s’iroient[114] gesir
Toz ceus de la meson[115]
D’entor et d’environ,
Et l’endemain l’ouvraingne[116] ;
Ice n’est pas gaaingne[117].
Por ce di je souvent
Et faz sermonement
Que li fol se[118] chastient
Quant li sage lor[119] dient :
Homme[120] qui fame prent,
S’il n’a estorement,
N’est ja tenuz por sage[121]
A poissant ne à large ;
Quar, se il n’a que prendre.
Tant a il mains à rendre.
N’a garde de larron
Qu’il li brist[122] sa meson.
Ne que par nul[123] engien
Li toille nule rien.
Por ce n’ai je que fere
De nule rien atrere.
- ↑ XLIII. — De l’Oustillement au villain, p. 148.
A. — Paris, Bibl. nat., Mss. fr. 837, fol. 119 vo à 121 ro.
B. — » » »1593, fol. 212 ro à 213 vo.
Publié d’après le ms. A, par Monmerqué, Paris, Silvestre, 1833, et dans la Revue historique de l’ancienne langue française, janvier 1877, p. 18-30.
- ↑ Vers 2 — Moult par fet. B, Si fet molt.
- ↑ 3 — si. B, bien.
- ↑ 4 — Et de pain. B, D’avoinne.
- ↑ 9 — del. B, au.
- ↑ 10 — Li. B, L’en.
- ↑ 11-12 — Ces deux vers sont placés dans B avant le vers 9.
- ↑ 12 — souvent, lisez savent.
- ↑ 13 — de plege. B, d’aïde.
- ↑ 15-18 — Ces vers manquent dans B.
- ↑ 16 — moins, lisez mains.
- ↑ 21-22 — Ces vers sont intervertis dans B.
- ↑ 22 — Or. B, Lors.
- ↑ 23 — Si. B, Or.
- ↑ 27 — Homme. B, Li hons.
- ↑ 28 — B, S’il n’a estoremant.
- ↑ 29 — Qu’il. B, Il.
- ↑ 31-32 — B :
L’une à metre son frein
Et l’autre son estrain. - ↑ 35 — B, Et le bief ou grenier.
- ↑ 36 — el. B, ou.
- ↑ 39 — Si n’envoit. B, Et ne voist.
- ↑ 41 — Envoit. B, S’envoist.
- ↑ 42 — buire. B, cruche.
- ↑ 43 — boive. B, boine.
- ↑ 45-46 — B :
Car li hons qui s’enyvre
Est tost d’avoir delivre. - ↑ 47 — les. B, des.
- ↑ 48 — B, Des choleiz et des reves.
- ↑ 51 — li, lisez la.
- ↑ 52 — à charrier. B, et charretier.
- ↑ 56 — Penel. B, Banel. — meneoire. B, menjoire.
- ↑ 58 — craisset. B, grassot.
- ↑ 59-60 — Ces deux vers manquent dans B.
- ↑ 62 — la. B, sa.
- ↑ 65 — ale, lisez ele.
- ↑ 75 — B, Et besagu d’acier.
- ↑ 80 — Ice n’est. B, Nel tenez.
- ↑ 82 — foisne. B, soisne.
- ↑ 83 — B, La trugle pour peschier.
- ↑ 84 — au col. B, avec.
- ↑ 85 — A metre. B, Pour metre.
- ↑ 87 — Puis. B, Si.
- ↑ 88 — sa. B, la.
- ↑ 89 — hiaumet. B, harmet.
- ↑ 90 — Macuele. B, Et maçue.
- ↑ 91 — et espée. B, enfumée.
- ↑ 92 — B, Qu’il n’ait soing de meslée.
- ↑ 93 — Au chevès soit. B, Avec lui ait.
- ↑ 95 — B, Qu’il ne preigne estoutie.
- ↑ 96 — d’esmovoir. B, de feire.
- ↑ 97 — home, lisez homme.
- ↑ 98 — soit. B, ou.
- ↑ P. 151, l. 19, sajetele, lisez saietele.
- ↑ 100 — oeuvre, lisez oevre.
- ↑ 101-102 — Ces deux vers manquent dans B.
- ↑ 103 — Si. B, Puis.
- ↑ 104 — la. B, sa.
- ↑ 106 — Acesmez. B, Esmoluz.
- ↑ 110 — sa. B, la.
- ↑ 111 — Mès. B, Mès et. — Ce vers ne vient dans B qu’après le vers 112 qui se lit ainsi :
Quant il vient ost banie.
- ↑ 113-114 — Ces deux vers sont intervertis dans B.
- ↑ 114 — S’il ert. B, Devant.
- ↑ 116 — dus, lisez des. — B, Se il venist derreins.
- ↑ 117 — « ja » manque dans B.
- ↑ 118 — B, Ce savez vous luit bien.
- ↑ 121 — S’il. B, Se il. — « sa » manque dans B.
- ↑ 126 — B, Ainz se tiegne tout coi.
- ↑ 127 — Et se. B, Se. — huches. B, des huches.
- ↑ 128 — cruches. B, ruches.
- ↑ 131 — B, Le banc et le foier.
- ↑ 132 — Et la table. B, Et la trible.
- ↑ 137 — Trepier. B, Tonnel.
- ↑ 139 — revient, B, vient.
- ↑ 144 — au buef. B, as bues.
- ↑ 145 — N’i. B, Ne.
- ↑ 146 — B, Et voist touz jourz à pié.
- ↑ 147 — « Par » manque dans B. — son. B, sur le.
- ↑ 148 — Ou et ou. B, Et et et.
- ↑ 151-152 — Ces deux vers manquent dans B.
- ↑ 153 — traie. B, tourne.
- ↑ 155 — B, A blez covrir en terre.
- ↑ 159 — Se. B, Si.
- ↑ 162 — B, La jarce pour seignier.
- ↑ 165-166 — Ces deux vers sont intervertis dans B.
- ↑ 166 — trenchanz. B, taillans.
- ↑ 167 — B, Et solers à noiaux.
- ↑ 169 — B, Cotel et couteliere.
- ↑ 170-171 — Ces deux vers manquent dans B.
- ↑ 172 — B, Corroie et aumosniere.
- ↑ 177 — Por. B, A.
- ↑ 180 — trible. B, crible.
- ↑ 182 — pestrir. B, pretir.
- ↑ 184 — forchons. B, furgons.
- ↑ a et b 187-188 et 191-192 — Ces quatre vers manquent dans B.
- ↑ 193 — B, Toaille à blé senier.
- ↑ 195 — lui bien. B, soi à.
- ↑ 200 — Nel. B, Non.
- ↑ 202 — rastel. B, rasel. — Après ce vers, B ajoute:
La fourche et le flael
Et rabot et rastel ;
Si li covient balai,
Pourquoi le celerai ? - ↑ 203 — B, Le picois et la pele.
- ↑ 206 — B, De son voisin prier.
- ↑ 209 — Quar. B, Que.
- ↑ 215 — B, Hors ne les gitez mie.
- ↑ 216 — Après ce vers, B ajoute :
Mès face relier
Et la frete alier.
Car tout raestier aura
Quant mesniée croistra. - ↑ 218 — naisse. B, veigne.
- ↑ 222 — auget. B, baquet.
- ↑ 223-224 — Ces deux vers manquent dans B.
- ↑ 225 — baisselete. B, mechinette.
- ↑ 226 — minete. B, tinete.
- ↑ 228 — Quar ce. B, Ce en. — Après ce vers, B ajoute :
Sachiez qu’il li estuet
Se il feire le puet. - ↑ a et b 229 et 232 — Ces deux vers manquent dans B.
- ↑ 230 — B, Il covient que il ait.
- ↑ 231 — B, Une vache à lait (vers faux).
- ↑ 234 — Quant il en a. B, Se il en est.
- ↑ 236 — Toute nuit. B, Volentiers.
- ↑ 238 — s’iroient. B, en iroit.
- ↑ 239-240 — Ces deux vers manquent dans B.
- ↑ 241 — l’ouvraingne. B, l’on maigne.
- ↑ 242 — pas gaaingne. B, mie gaingne.
- ↑ 245 — se. B, s’en.
- ↑ 246 — lor. B, le. — Après ce vers, B ajoute :
- ↑ 247 — Homme. B, Li hons.
- ↑ 249-252 — Ces quatre vers sont remplacés dans B
Car se il n’a chastel,
Tant a il moins troussel. - ↑ 254 — li brist B, despient.
- ↑ 255 — nult, lisez nul.
XLIV
DU VALLET
fol. 242 vo à 244 vo.[1]
olés vous oïr du Vallet
Qui d’aise à malaise se met ?
Quant li Vallès a tant gaaingné[2]
Et[3] assamblé et esparnié
Qu’il a une cote en son dos,
De bleu, de rouge u[4] d’estainfort,
Et il a braies et chemises,
Dont a ses soingnes aemplies,
................
Ne il ne dort, ne il ne soingne ;
Et, quant il a un sercotel
Dont pert il trestout[5] son revel,
Que il cuide mout bien, sans faille,
Valoir .X. tans ke il[6] ne vaille,
Dont[7] se commenche à forquidier ;
Pour che se met au fol mestier.
Maintenant conmenche à amer
Et dist, s’il[8] estoit mariés,
Qu’il seroit sires et refais,
................
Et je di bien, se Dix m’aït,
Que d’ont devenroit[9] il caitis.
Je vous conterai bien le conte
Comment li Vallès va à honte,
Et li baiselete ensement,
Qui se marie povrement.
Li Vallès vint à une ville ;
Si parole à une meschine,
Celi quiconques miex li siet.
Li Vallès delés[10] li s’asiet,
Puis si li dist : « Ma douche seur.
Je vous ainme de tout men cuer. »
Cele respont : « Laissiés me[11] ester,
Biaus sire, et si ne me gabés ;
Envis m’ameriés, s’ariés droit.
Plus bele et plus cointe de moi
Ames vous, ce quide[12] je bien ;
Laissiés me en pais, si ferés bien.
Car ce n’est mie courtoisie
Se vous gabés une meschine. »
Et chiex respont : « Ma douche amie,
Sachiés, je ne vous gabe mie.
Anchois[13] vous ai mout enamée ;
N’a meschine en ceste contrée
Cui j’aimme tant com je fac vous.
Pour honneur[14] faire vieng à vous ;
Si vous prendrai[15], se vous volés ;
S’irai à vos amis parler
Et à vo dame et à vo sire. »
Celle respont, qui le desire
Et bien vauroit que che fust fait :
« Biaus sire, tenés vous em pais ;
De marier n’ai je mestier.
Je n’ai encore peu gaaignié ;
De chi à .II. ans chi avant
I venrai je assés à tans.
Riches hom n’est mie mes pères,
Et je ne sui bien[16] atournée. »
Et chius respont : « Pis apparans
Se marieront en cest[17] an,
Voire voir .XXII. u[18] plus. »
Tant parlerent et sus et jus
Que li voisin d’aval le rue
En ont la nouvelle espandue ;
Se li dient : « Vous ne savés ?
Chius Vallès veut vo[19] fille amer. »
D’ont vienent li fol et li sage ;
Si parolent du mariage.
Dist li uns : « S’il avoit vo fille,
Elle seroit mout bien assisse.
En non Diu, c’est .I. boins waingneres[20]
Et si n’est ne fol ne lechieres.
Encor n’aient il grant avoir.
Si porront il assés avoir. »
Ciertes il dient verité,
Voirement aront il assés :
Ou dissetes ou povretés
Aront il, tout plain les costés.
Ore est li mere en grant pensée
Conment se fille ert mariée,
Quant ele gist lés[21] sen preudomme,
Dont ne li puet prendre nus[22] sommes :
« Sire, » fait el[23], « vous ne savés ?
Chius Vallès veut vo fille amer.
Chiertes, che est[24] .I. boins vallès ;
Ne fol, ne trumeleres n’est,
Et si est[25] un boins vuaaignieres,
Et si n’est ne fols ne lechieres. »
Chius se retourne en l’autre coste :
« Oiiés », fait-il, « de ceste sote 1
Ciertes, vous n’estes mie sage.
Qui m’aparlés de mariage
Pour ches deniers que j’ai gissans
Et pour chu mueble que j’ai tant.
Or estes vous bien courechie[26]
Que no fille n’est aharnesquie.
— Ha hai, sire, que dites vous ?
— Je ne le di mie pour chou,
Ains le di pour ches baseletes
Qui sont si très soteletes[27].
— Se elle vuaignoit .I. quastron.
Puis n’oseriens vir .I. preudon.
Toutes voies es-ce nos enfes ;
Si i devons bien garde prendre
En tant que nous le marions
Et preude femme[28] le faissons ;
Chius le prendera[29] pour petit,
Car il l’ainme, je l’[30]sai de fit ;
Ainchois le prendroit il pour nient
Qu’il ne l’eüst, ce sai je[31] bien. »
Quant li femme entre en le reddie,
U faice savoir u folie,
Anchois mangeroit fer u[32] boise
Qu’ele ne vainque u qu’ele voisse.
Et li preudom si lait à dire :
« Dame », fait-il, « vous en souvigne[33] ;
Se chius marchiés pooit venir,
Je l’otroiroie[34] endroit de mi ;
Ainmi, las, que nous li donrons[35] ?
U prenderons nous garissons
Que nous li puisomes[36] doner
Que puist avoec li aporter.
— Nous li donrons une vakielle
Et .I. petitet de no terre ;
S’ai de mes coses en tour mi,
De mes napes et de men lin.
Se vous taissiés d’ore en avant ;
Laissiés m’ent convenir atant, »
Or iert li Vallès bien venus,
Quel eure qu’il spit revenus,
Et[37], quant il revient à s’amie.
Sa dame ne se targe mie
Que[38] ne li faiche boine chiere.
Soit sour lesson, soit sour keiere,
Le fait assir delés[10] se fille.
Et puis si li set très bel dire :
« Bien soies vous venus, biaus fix.
Je cuit que vous serés mes fix.
Je ne quidaisse en mout grant tans
Que mes sires vous amast tant ;
Il vous aime, je l’[30] sai de fi.
— Dame, » fait chius, « le[39] soie merchi,
Et Dix le mire men boin sire.
Je ne li fis onques serviche,
Mais, s’il avoit de nous mestier,
Nous li feriesmes volentiers. »
Dist la dame : « Je le sai bien ;
A son preu estes et au mien.
Mais .I. Vallès de cele[40] ville
Nous fait apparier de no fille
Qu’il le prendroit moût volentiers,
Se nous li voliemes aidier,
Et je respondi lues pour vous :
Plus chiere l’auroie avec vous ;
Vous n’estes mie deputaires,
Ains estes forment deboinaires ;
Qui me fille donroit .I. cop,
Ciertes il me donroit la mort.
Que, par tous sains, c’est uns boins enfes :
On ne set en li que reprendre,
Qu’ele ne saice bien filer
Et bien pestrir et bien buer.
Et si vous di, par le boin jour.
Que, se je demouroie .VIII. jours
Ne perderoie, mien escient,
Le pieur louche de chaiens.
En non Diu, et s’est eüreuse.
Et s’est bien sage[41] et bien viseuse.
Mais chiex, qui amenra me fille,
N’aura pas tout à une fie
Che que je li vaurai donner.
Se j’ai ma char, se j’ai mon sel,
Je voeil que chiex, qu’ara[42] ma fille,
Le prengne si com[43] soi meïsme.
— Dame, » failli Vallès, « par foi,
Chou est uns boins enfes, je croi ;
Plus chier l’auroie[44] à mains d’avoir
Que une autre pour plus avoir. »
Or oiiés de le bone femme,
Qui devant l’uoeil li trait le pane :
« Dont vous dirai je que ferés.
Alés à vos amis parler ;
Se vous à conseil le trouvés,
Revenés chà, se vous volés.
— Par le saint Diu », chiex respondi,
« Li consaus en gist tous en mi ;
Mais je[45] leur dirai toutes voies.
S’il i veulent estre, si soient.
Et, se che non, je vous di bien
Que pour aus ne demourra[46] rien. »
Mieus li venist[47], le malostrut.
Le chatif et le durfeüt[48],
C’on le fresist d’un grant baston,
A l’issue d’une maison.
Si le cachast on à la rue,
S’alast cachier une carue.
Li Vallès ist de le maison,
Puis si dist à sen compaignon :
« Tu ne ses que je te dirai,
Compains ? je me marierai.
Et cui[49] prender as-tu ? » fait cil.
« Par tous les sains[50], » fait chiex, « celi. »
Si le nomma par son droit non.
« Ha hai, si le te donra on ?
— Oïl, certes, mout volentiers ;
Se mere le me dist l’autrier.
— Mout a de honte et peu est plains
Chiex qui se leuwe à ces vilains.
— Mais, se j’estoie mariés
Et j’estoie par mi tournés.
Me femme averoit sen bel lit ;
Si gerriens aise, moi et li ;
Si passeriens de peu le tans.
La merchi Dieu, il est boins tans.
Auan quant je me revesti,
Si mis je d’argent deseur[51] mi
.XLVII. s. et demi.
................
Che vous conterai je mout[52] bien ;
Mentirs n’i vaut[53], ce voi je bien.
A me cote eut .XIIII. saus,
.IIII. saus à mes estivaus ;
Enne, sont che .XVIII. saus ?
................
Et[54] braies et chemise ausi
Que j’euc de .VI. saus et demi,
Que du keudre que du taillier ;
Che sont .XXIIII. saus, .VI. denier[55].
Et[56] me cape, que je ai chi,
Que j’euc de .X. saus et demi,
Enne, sont ce pas[57] .XXXVI.,
Qui sont jà deseur[58] mi assis ?
Une petite cauchemente,
Que je chauce le diemence[59],
Cele me cousta .IIII. saus ;
Enne, sont ce .XL. saus ?
Et .I. tacons dessous mes pies
Que j’acatai[60] de .IX. deniers
Qu’il me convient paiier tous seus,
Et s’en eut .III. en .I. huvet ;
Une coroie et .I. blans wans[61],
Que j’acatai[60] .VI. deniers blans.
Vois, par le tieste Diu, » fait-il,
« Comment[62] me poroie tenir :
Ne jou piniés ne je lavés,
Ne onques n’ai mes dras hués ;
Tant les ai portés entour mi
C’a peu k’il ne me sont pouri. »
Or se départ du compaignon,
Auquel a dite sa raison ;
Si s’en revient à ses parens.
Si lor conte[63] son errement
Que il se vora marier
Et k’il vorra par lui tourner.
Adont li dist uns siens parens,
Et auques mout crueusement :
« Biaus niés, k’avés vous enpensé,
Qui or vous volés marier ?
Uns rices bons de cele[64] ville
Ne vous donra mie se fille ;
N’avés maison, n’avés ostel
U vous le puissiés bien[65] mener ;
En court terme et en peu de tans
Porrés vous[66] mout avoir d’enfans.
Alés encor maistre servir,
Car vous ne porrés mie issir. »
Chiex respont : « Certes, non ferai,
Jamais vilain ne servirai.
Mais, se vous volés, s’i soiiés ;
Se vous volés, si le laissiés.
Et, se ce non, vous di je bien
Que pour vous n’en demourra[67] rien. »
Dont li respont .I. siens parens :
« Marie toi hardiement,
Et, se tu n’as mie[68] un ostel.
Je te presteroie un cambrel. »
Et chiex respont : « Moût volentiers »,
Qui bien set qu’il en iert mestiers.
Si s’en revient vers sen amie ;
Cheroit[69] fait k’il l’a fianchie ;
Li prestres fait ses bans hanster
Et dons[70] li pramet à donner ;
Et si n’a nient tant esparnié
Qu’il ait .X. saus de ses deniers
De quoy il peust ses noches faire ;
Si l’en converra meschief faire.
Si va .I. sien ami proier
Tant k’il ait .X. saus de deniers,
Et li a en couvent, sans faille,
Que des deniers de revidaille
Li rendera tout erraument,
Ja ne devra[71] plus longement ;
Et chiex li preste[72] les deniers,
Ki voit bien k’il en est mestiers.
Or a acaté li dansiaus
Ses affichés et ses juiaus,
Pour la joie k’il se marie
Et pour ce ke il[73] prent s’amie.
Ceroit[69] fait k’il l’a espousée ;
Adont ont[74] fait lor destinée.
On les revida l’endemain ;
On lor aporta vin et pain ;
De deniers lor aport’on pau,
N’en eurent pas jusque .VIII. saus.
Font les commères, qui là sont :
« De cest premier avoir, k’il ont,
Chou est boine estrine nouvelle,
S’en acatent pot et paiele ;
Che doit on faire du premier
Que Dix leur doinst eür de bien. »
On leur aporte pute estrine,
.I. pourcelet et .II. gelines.
Par chou perdront il[75] leur cambrel
Que leur parens leur a presté :
Li pourcelès i va fouant.
Les[76] gelines i vont gratant ;
Li boine femme les encache[77],
Si les hue et si les manache ;
Si leur dist tout appertement,
Et auques mout crueusement,
Que ne doit avoir nourechon
Li femme ki n’a se maison.
Cele en est forment courechie[78] ;
Si em pleure et si en crie[79] ;
A sen baron vint, si li dist :
« Biaus dous frères, se Dix m’aït,
Moi sambleroit buer fuisse née
Se de chi estoie escapée,
Que nous euissiens .I. torciel,
Une maison et .I. pourchiel. »
Ses drapiaus vent tous ki les a,
Et chiex les siens, teuls k’il les a,
Et tant que il[80] ont .I. torciel
Une maison et .I. pourciel
U il pueent leur huche assir
Et leur lit faire à lor plaisir.
Or vous dirai je des deniers
C’on emprunta[81] as ussuriers ;
Il ne seront jamais rendus ;
Si aura[82] .XXX. saus, ou plus.
Et, quant che vient au chief de l’an.
S’est cele grosse d’un enfant ;
Or li kiet li pois reveleus,
Et se li mue le couleurs,
Mais, s’ele se plaint, ne puet nient,
Car plus a de mal que de bien.
Chiex va trestout le jour ouvrer
Et vuaaignier[83] et labourer,
Et, quant il vient à son ostel,
Dont li estuet le fu souffler,
................[84]
Dont se prent caitis à clamer :
« Vois, » fait il, « maugrés en ait Dix !
Comme je sui uns[85] mausoutiex
Quant je fui onques mariés.
Com bien en sui ore amendés. »
Si malade n’est cele mie,
Qu’ele ne saice mout bien dire ;
« Que dites vous, puans pendus ?
C’à maie hart soiiés pendus !
Quant j’issi[86] de l’ostel mon père,
Je en issi bien endrapée ;
Je aportai mout boine plice
Et boin sercot et souscanie ;
Vous me les[87] avés tous vendus,
Tous alouiés[88], tous despendus :
................
Qu’à maie hart soiiés pendus ! »
Que vous iroie jou contant,
Ne qu’iroie ramentevant ?
Trestout le plus lonc jour d’esté
N’aroie mie raconté
Trestous ne leur fais ne leur dis ;
Que plus vivent, et[89] plus ont pis,
Et tout adès de mal em pis.
Pour che vous di ge bien de fi
Qu’il n’ait si maie que de…..[90]
Ensi comme cis fiabliaus dist.
Or vous ai je dit du Vallet
Qui d’aise à mallaise se met,
Que si faisoit le cretelet,
Et qui resamble l’oiselet
Qui, ains qu’ait elles, veut voler,
Et puis si demeure afolés.
Or vorroit estre à marier.
S’en deüst aler outre mer ;
Or, dist il, se Diex li aït.
Que, s’il issoit de cest peril,
Que jamais ne s’i rembatroit[91],
Se Diex li ait et sainte crois ;
Mès ne li vaut, que c’est trop tart :
s’est trop fort lachiés el lach.
- ↑ XLIV. — Du Vallet qui d’aise a malaise se met, p. 157.
Publié par M. W. Fœrster dans le Jahrbuch für rom. und engl. Literatur, neue Folge, I, 295-304.
- ↑ Vers 3 — « gaaigné » n’a que deux syllabes, ici comme plus loin.
- ↑ 4 — « Et » manque au ms.
- ↑ 6 — ou, lisez u.
- ↑ 12 — * pert il trestout ; ms., per il tout.
- ↑ 14 — * ke il ; ms., kil.
- ↑ 15 — D’ont, lisez Dont, ici comme plus bas.
- ↑ 18 — * s’il ; ms., se il.
- ↑ 22 — * devenroit ; ms., deveroit.
- ↑ a et b 30 et 135 — delès, lisez delés.
- ↑ 33 — * Laissiés me ; ms., Laissieme.
- ↑ 37 — * quide ; ms., qui.
- ↑ 43 — * Anchois ; ms., Ains.
- ↑ 46 — * honneur ; ms., honner.
- ↑ 47 — * prendrai ; ms., prenderai.
- ↑ 58 — « bien » manque au ms.
- ↑ 60 — cet, lisez cest.
- ↑ 61 — ou, lisez u.
- ↑ 66 — « vo » manque au ms.
- ↑ 71 — vuaigneres, lisez waingneres.
- ↑ 81 — lès, lisez lés.
- ↑ 82 — * nus ; ms., nul.
- ↑ 83 — * el ; ms., ele.
- ↑ 85 — * che est ; ms., ch’est.
- ↑ 87 — est si, lisez si est. — * vuaaignieres ; ms., waignieres.
- ↑ 95 — * courechie ; ms., courchie.
- ↑ 100 — Vers faux.
- ↑ 106 — * femme ; ms., femmes.
- ↑ 107 — * prendera ; ms., prendra.
- ↑ a et b 108 et 141 — * jel ; ms., je le.
- ↑ 110 — * je ; ms., ce.
- ↑ 113 — ou, lisez u.
- ↑ 116 — * souvigne ; ms., couviegne.
- ↑ 118 — * otroiroie ; ms., otroierai.
- ↑ 119 — * nous li donrons ; ms., li donrons nous.
- ↑ 121 — * puisomes ; ms., puisons.
- ↑ 131 — « Et » manque au ms.
- ↑ 133 — * Que ; ms., Qu’ele.
- ↑ 142 — Il faut corriger ce vers en supprimant « le ».
- ↑ 149 — ceste, lisez cele.
- ↑ 168 — i est saige, lisez s’est bien sage. — uiseuse, lisez viseuse.
- ↑ 173 — * qu’ara ; ms., qui ara.
- ↑ 174 — * com ; ms., comme.
- ↑ 177 — * auroie ; ms., averoie.
- ↑ 187 — si, lisez je.
- ↑ 190 et 272 — demourra ; ms., demoura.
- ↑ 191 — * li venist ; ms., le venist or.
- ↑ 192 — * durfeüt ; ms., dur fut.
- ↑ 201 — * cui ; ms., qui.
- ↑ 202 — * tous les sains ; ms., .C. sains.
- ↑ 216 — * mis je d’argent deseur ; ms., misse d’argent seur.
- ↑ 219 — « mout » manque au ms.
- ↑ 220 — * vaut ; ms., vaut.
- ↑ 225 — « Et » manque au ms.
- ↑ 228 — Ce vers a deux syllabes de trop.
- ↑ 229 — * Et ; ms., A. — * je ai ; ms., j’ai.
- ↑ 231 — « pas » manque au ms. Ne vaudrait-il pas mieux corriger : Enne, ne sont ce .XXXVI. ?
- ↑ 232 — * deseur ; ms., seur.
- ↑ 234 — * diemence ; ms., dimence.
- ↑ a et b 238 et 242 — * j’acatai ; ms., j’aicatai.
- ↑ 241 — vuans, lisez wans.
- ↑ 244 — Coment, lisez Comment.
- ↑ 252 — * conte ; ms., content.
- ↑ 259 — ceste, lisez cele.
- ↑ 262 — « bien » manque au ms.
- ↑ 264 — « vous » manque au ms.
- ↑ Erreur de référence : Balise
<ref>
incorrecte : aucun texte n’a été fourni pour les références nomméesv190et272
- ↑ 275 — « mie » manque au ms.
- ↑ a et b 280 et 299 — Ne faut-il pas lire « che roit » et « ce roit » ? Le sens reste douteux.
- ↑ 282 — * Et dons ; ms., Et li dons.
- ↑ 292 — * devra ; ms., devera.
- ↑ 293 — * preste ; ms., prestre.
- ↑ 298 — * ke il ; ms., k’il.
- ↑ 300 — * ont ; ms., on.
- ↑ 313 — « il » manque au ms.
- ↑ 316 — * Les ; ms., Et les.
- ↑ 317 — en cache, lisez encache.
- ↑ 323 — * courechie ; ms., courchie.
- ↑ 324 — Vers faux.
- ↑ 333 — * que il ; ms., qu’il.
- ↑ 338 — * emprunta ; ms., empruta.
- ↑ 340 — * aura ; ms., avera.
- ↑ 348 — * vuaaignier ; ms., wuaignier.
- ↑ 351 — Le chiffre qui indique au haut de la page la numérotation des vers doit être, non pas 378, mais 380, — Le vers 351, indiqué par des points, ne manque pas au ms., et doit être établi ainsi :
Et l’iauwe du baing aporter.
- ↑ 354 — « uns » manque au ms.
- ↑ 361 — * j’issi ; ms., je issi.
- ↑ 365 — * Vous me les ; ms., Vous les me.
- ↑ 366 — * alouiés ; ms., aluiés.
- ↑ 374 — « et » manque au ms.
- ↑ 377 — La dernière syllabe de ce vers manque.
- ↑ 389 — * rembatroit ; ms., rembateroit.
XLV
DE MARTIN HAPART
fol. 239 vo à 240 vo.[1]
umosne delivre de mort
Et fait arriver à bon port
De Mammone[2] d’iniquités,
Faites amis[3] en la cité
Du ciel, où cilz et celes vont
Qui as povres de cuer bien font ;
Quar, se petite aumosne vaut
Et fait monter ou ciel en haut,
Planté d’aumosne trop vaut miex
Et fait plus tost monter ès cielx.
Honneure les angres et donne
Aumosne, quar Jhesus pardonne
Leur meffais à ceus qui ce font,
Et des angres honnouré sont.
De ce je vous dire un conte,
Mès je ne scé qui le raconte.
Par mainte fois oï avez
De ces examples recorder :
De Saint Michiel un en orrez,
Onques de tel n’oy parler
Nus qui soit vis ;
Il n’est[4] mie du temps jadis,
Mès il avint ou temps d’avril[5].
A Avrenches, dessus le pont,
Une riche fame out meignant[6].
Que[7] espousa un riches hons
E[8] de molt grant atenement.
Il estoit plaideour molt grant.
Sage et gaillart ;
On l’apeloit Martin Hapart :
Il hapoit de chascune part.
Martin hapoit quant estoit vif.
Et si hapa quant il fu mort ;
Molt de gent metoit à essil
Et leur faisoit de leur droit tort ;
Miex amoit à boire bon vin
Qu’estre au moustier ;
S’entente estoit à soutillier
Conme il peüst gent essillier.
Martin Hapart haïoit moustier
Sur toute rien et le sermon,
Les mesiaus et les potenciers,
Et les gens de religion ;
L’Anemi l’avoit par reson
Mis en escrit :
En enfer estoit fet son lit,
Mès sa fame le garanti.
Sa fame à Saint Michiel ala
Par mainte fois et l’aoura ;
Son mari pria qu’i alast[9],
Mès il dist que rien n’en fera.
Un jour par matin se leva,
Si pria molt
Son mari qu’il alast au Mont ;
Martin dist que foie gent sont
D’aler Saint Michiel aourer,
Quar i n’i a de li noient :
Il n’i a riens que un moustier
Et un grant ymage d’argent ;
Saint Michiel n’est c’un pou de vent.
Dieu le crea,
Ne char ne sanc ne li donna,
Fors les eles dont il vola.
Tant comme il est, en Poitou,
Ou à Paris, ou à Orliens,
Puet l’Anemi faire un trou
En son moustier qu’i n’en set riens ;
Que fust l’or et l’argent ceens
En bons deniers,
Et le moustier fust trebuchiez,
Et les moignes tretous noiez.
« Tu ez folz, » sa fame li dist,
« Diex le commanda de son ciel
Que l’en un moustier i feïst
U non de l’angre Saint Michiel.
A dames est plus dous que miel,
Et qui ira
Bien repentant de tout meffait,
En paradis son lit est fait.
— Ou quel paradis ? » dist Martin ;
« Il n’est paradis fors deniers
Et mengier, et boire bon vin,
Et gesir sus draps déliez ;
Il n’i a riens de Saint Michiel
Fors les parois
Et l’ymage que le biau rois
Fist paiier de ses viex orfrois.
« Mès, g’irai, » dist il « par mon chief[10],
A povres[11] gent rien ne donrai.
Ne n’amenderont ja du mien ;
..............
Une maille li porteray
Qu’ey espargnié ;
Ele est esbrechie le tiers ;
Je li offerray volentiers. »
Cele[12] maaille li moustra :
La fame molt bien la quenut.
Martin à Saint-Michiel ala ;
Onques n’i menga ne ne but,
Ne onques tant povre ne sut[13]
Demander li
Qu’i donnast vaillant un espi :
Là venir n’en fu pas marri.
Quant à l’ostel s’en retourna,
La mort le prist ; si vint son jour :
Ne cuidoit pas que mort entrast[14]
En tel chastel n’en si fort tour ;
Des biens estoit à grant honnour,
Quar faucement
Bien doit amer celui l’argent
Qui le gaaigne loiaument.
Or oez par quoy il hapa,
Quant il fu en son sarqueu mis ;
C’est miracle si ne fust ja
Sceü par homme qui soit vis ;
Mès le fossier si avoit mis
En son braeul
.C. et .II. soulz, que il avoit
Receu d’un buef qui cras estoit.
Le fossier ses pans rebraça
A sa ceinture hautement ;
Sa bourse aval li balocha :
Le sarqueu prist li et l’argent.
Quant vint à son devalement,
Il s’entr’ouvri,
La bourse du braeul rompi ;
Martin hapa tout devers li.
Il senti bien rompre le las,
Mès il ne sot pas que ce fu[15].
A son hostel se clama las
Quant il s’en fu aperceü ;
Au prestre s’en est revenu ;
Si se clama
De Martin Hapart, qui hapa
Sa bourse, quant il l’enterra.
Cele journée proprement
Refu le sarqueu deffouy ;
Le fossier trouva son argent
Qui en la fosse li chey.
Et la maaille, qu’il ofîri ;
On l’enporta ;
Au vesque la nouvele ala,
Dont par mainte fois se seigna.
Le grameire, se dient, lut
.I. clerc, qui sot molt de latin ;
L’Anemi tantost s’aparut :
« Di moy, » fait il, « où est Martin ?
— Tu en orras, » fait il, « la fin ;
Le cors tenon ;
En enfer nous entrebaton
Pour l’ame que perdue avon.
« Son lit estoit en meson fait[16].
Mès Michiel le nous a tolu ;
Une maaille l’en a trait ;
S’a ballancé devant Jhesu
Les grans biens qu’il avoit eü
Par faus recors ;
Saint Michiel nous en a fet tort ;
Il estoit nostre après la mort. »
L’Anemi à tant s’en tourna,
Et le vesque est demouré.
Qui au Mont-Saint-Michiel ira,
Il li sera guerredonné.
Prions Saint Michiel, l’onnouré
De toute gent,
Qu’il nous conduie à sauvement
Devant Dieu pardurablement.
- ↑ XLV. — De Martin Hapart, p. 171.
Publié par Ach. Jubinal, Nouveau recueil de contes, dits, fabliaux…, 1839, II, 202.
- ↑ Vers 3 — Mammon e, lisez Mammone. — * d’iniquités ; ms., de iniquités. — Placez une virgule après ce mot.
- ↑ 4 — Supprimez la virgule avant et après « amis ».
- ↑ 23 — * Il n’est ; ms., El n’est.
- ↑ 24 — Après ce vers, on lit dans le ms. les trois suivants, qui ne rentrent pas dans le rhythme des strophes :
Douce gent, c’est bien verité.
Qui au Mont Saint Michiel ira,
S’il muert en l’an, miex l’en sera. - ↑ 26 — * meignant ; ms., meiguant.
- ↑ 27 — * Que ; ms., Qui.
- ↑ 28 — « E » manque au ms.
- ↑ 51 — * qu’i alast ; ms., qu’il i alast.
- ↑ 89 — Ce vers, dans le ms., n’assonne pas en ié : Par mon chief, » dist il, « ge irai.
- ↑ 90 — * A povres ; ms., Mès à povres.
- ↑ 96 — * Cele ; ms., Sele.
- ↑ 100 — * ne sut ; ms., li siut.
- ↑ 106 — * que mort entrast ; ms., qu’entrast la mo[rt].
- ↑ 129-131 — Les premières lettres de ces vers ont dû être restituées, ainsi que pour les vers 145-149 et 159.
- ↑ 152 — Il faut absolument corriger en meson fait pour la rime.
XLVI
DE DEUX ANGLOYS
f. Saint-Germain), fo 47 vo.[1]
n fableau vos veuil aconter
De .II. anglois, sanz mesconter,
Dont li .I. malade se jut,
Et li autre si com il dut
Le garda bien au mielz qu’il pot :
De son porchaz moult bien le pot.
Tant vint li eure et tant ala
Que li malades resua,
Et, quant il se sent alegié,
Son conpaignon a aresnié.
Son bon li velt dire en françois,
Mais la langue torne à englois
Que ce ne fu mie merveille.
Alein son conpaignon esveille ;
Or oiez com il l’apela :
« Alein, » fait il, « foustés vus là ?
Trop dormés ore longuement,
Mi cuit un poi alegement,
Mi have tote nuit soué,
Mi ave, ge cuit, plus soé ;
Si cuit vueil mangier .I. petit.
— Ha ! » dit Alein, « Saint Esperit,
Done mi companon santé,
Dont mi cors fou si fort troublé.
— Triant, » fait-il « par seint Tomas,
Se tu avez .I. anel[2] cras
Mi porra bien mengier, ce croi.
— Vos aurez .I. » fait il, « par foi ;
Je m’en vois une tost querer.
— Conpainz, Diex te puisse mirer, »
Alein s’en est tornez atant,
Tant va par la vile querant
Qu’il entra en une maison.
Le preudom a mis à raison
Au mielz qu’il onques pot parler ;
Mais onc tant ne s’i sot garder
Que n’i entrelardast l’anglois.
Ainsi farsisoit le françois :
« Sire », fait il, « par saint Tomas,
Se tu avez nul anel cras.
Mi chatera moult volontiers,
Et paie vos bones deniers
Et bones maailles frelins
Et paie vos bons estellins. »
Quant li preudom qui hernechoit,
Oï celui qui fastroilloit,
Ne set que il va devisant :
« Que as-tu[3], » fait il, « fastroi liant ?
Ge ne sai quel mal fez tu diz :
Va t’en, que tes cors soit honiz !
Es tu Auvergnaz ou Tiois ?
— Nai, nai, » fait il, « mi fout Anglois. »
Li preudons l’ot ; si en a ris :
« Que dites vos », fait il, « amis ?
Dites moi que vos demandez.
— Entendez mi, vos saverez :
Mi conpanon fout moult malart ;
Il proie mi que ge li chat
Un ainel que il[4] velt mengier. »
Li preudons, c’on claime Mainier,
Le cuide avoir bien entendu :
« Bien t’en est, » fait il, « avenu,
M’anesse en oit, ersoir, un bel. «
Devant l’Anglois a mis l’anel ;
Si le vendi ; cil l’achata.
A l’ostel vint, si l’escorcha.
Quant il est cuit et atorné,
Son conpaignon en a porté
Une des cuisses o le pié ;
Et cil l’a volantiers mengié,
Qui moult desirroit la viande
Et de respaster ert en grande[5].
Quant ot mengié par bon talent,
Les os esgarde qui sont grant
Et la hanche et la quisse tote,
Qu’il vit si grosse et si estote ;
Son conpaignon apele Alein,
Et il i[6] est venuuz à plain.
« Que volez tu, » fait il, « trichart
Que vos me tenez por musart ?
Quel beste m’as tu ci porté ?
— Anel, » fait il, « en charité.
— Anel ? » fait il, « par seint Almon,
Cestui n’est mie filz moton ?
— Si est, pour ane ge chatai,
Tot de plus grant que ge gardai.
— Anel ! deable, voirement :
Il sanble char de viel jument.
Se fu asnel que ge voi ci,
Ainz fu anel vostre merci.
— Se tu ne croiz que fout anel,
Mi vos ira moustrer de pel :
— Oïl, » dit il, « moustrez de ça. »
Et cil la pel li aporta,
Devant son conpaignon Testent ;
Cil le regarde durement.
Les piez, la teste, les oreilles :
« Alein, » fait il, « tou diz merveilles.
Si fait pié, si faite mousel
Ne si fait pel n’a mie ainel.
Ainelet a petite l’os,
Corte l’eschine et cort le dos[7] ;
Cestui n’est mie fils bèhè.
Quoi dites vos, Alein, que est ?
Ce ne fu mie fielz berbis.
— Tu dites voir, par seint Félix.
Foi que ge doi à seint Johan[8],
Cestui fu filz ihan, ihan ;
Encor fu d’anesse en maison
Et ge vos porte ci d’asnon. »
Quant li malades li oit dire,
Ainz ne se pot tenir de rire :
Du mal gari et respassa ;
Onques l’asnel que il menja
Ne li fist mal, si con cil dist
Qui le flabel des Anglois fist.
- ↑ XLVI. — De deux Angloys et de l’Anel, p. 178.
Publié par A. C. M. Robert, Fabliaux inédits, 1834, p. 11-14 ; et donné en extrait par Legrand d’Aussy, II, 347-348.
- ↑ Vers 26 — Toute cette pièce repose sur un jeu de mots. L’un des Anglais demande de l’agneau (aniel), et son compagnon lui apporte un ânon (asnel). La confusion est imputée à la mauvaise prononciation des Anglais, qui ne manquent pas du reste de confondre les conjugaisons françaises (querer, mirer, pour querir, merir, v. 29 et 30), et ne connaissent guère le genre des substantifs qu’ils emploient.
- ↑ 48 — * Que as-tu ; ms., Qu’as tu.
- ↑ 59 — qu’il, lisez que il.
- ↑ 72 — engrande, lisez en grande.
- ↑ 78 — « i » manque dans le ms.
- ↑ 102 — * Corte l’eschine et cort le dos ; ms., Corte eschine et corte dos.
- ↑ 181, 27, Joban, corrigez Johan.
XLVII
DU
CHEVALIER A LA CORBEILLE
fo 115 vo.[1]
ur ce que plusours ount mervaille
Del[2] Chevaler à la corbaylle,
Ore le vus vueil je counter,
Se il vus[3] plest à escoter.
Un chevaler de grant valour
E une dame de honour
S’entraimerent jadis d’amour
Leaument ou grande[4] douçour ;
Mès ne se[5] poeint assembler,
Ne pur geiter ne pur embler,
Fors à parler taun soulement,
Qar molt estoit estreitement,
La dame close e enmurée.
Meson[6] ne clos ne ount durée
Vers femme, qar son engyn pase
Tot ce qe autre[7] engyn compasse.
Le seigneur[8] l’out d’amour pryé,
Et la dame s’est otryé
A ly, quant vendreint en eyse ;
Mès mester est qe um se teyse
E[9] vers pucele e vers chaunbrere,
Et q’ el[10] se tienge en sa barrere
En pès, qar soun mary la geyte
E fet geiter à grant deceyte ;
E mès q’il geytée ne l’aust[11],
Si ne say corne l’em peust[12]
Approcher à tiel chasteleyne
Si ce ne fust à tro grant peyne,
Qar trop i a murs e fosseez.
Cil qe tous les aveit passeez
E feïst taunt q’il poeit estre
Denz cele chambre le plus mestre
Où la dame dort e repose,
N’uncor[13] serreit legere chose
D’aver tote sa volenté ;
Qar en yver e en esté
La gueyte une veele talvace[14] :
Si[15] la dame remuer se face
Une houre q’ el[16] ne la veïst,
Meintenant ele le[17] deïst
A le seigneur q’estoit soun fis ;
Cil crerroit bien tost tus[18] ces dys.
Le chevaler mout bien[19] souvent
Soleyt aler à tournoyement,
Si com riche baroun deit fere.
Le chevaler de basse affere,
Qe longement s’ avoit[20] mussee
E en mussaunt soun temps ussee,
Un jour forment[21] se purpensa
Qe la dame veïr[22] irra,
Qaunt erré fust le chasteleyn.
Le porter ne fust pas[23] vileyn :
Son[24] message à la dame fist,
E meintenant al[25] porter dist :
« Amis, lessez sa eynz venyr,
Qar à counsail le vueil tenyr
D’un[26] affere qe ge repens. »
Ataunt entra il[27] saunz defens ;
Les[28] chevalers qe leyns furent
Ly firent joie, qe ly conurent.
La dame molt bel le reçust ;
Mès la veeille ne le y[29] pust
Saluer si à grant peyne noun,
Qar el l’avoit[30] en suspecioun,
Desus un tapit se assistrent,
D’amours un parlement y mistrent.
Trop fut près la veeille frouncie,
Qe maie passioun la ocie !
Qar de parler ont poi d’espace :
« Dame, « feit il », ja Dieu ne place
Qe ceste veille vyvre puisse,
Q’ el[31] n’eit brusé ou bras ou quisse,
Qe ele soit clepe ou contrayte !
Qar s’ el eüst[32] la lange trayte,
Certes ce serroit charité,
Qe mensounge ne vérité
Ne issent jamès de ses[33] denz.
— Sire, mout ad el[34] cuer dedenz, »
Fet la dame, « feloun corage ;
Qe[35] mort la prenge e male rage !
Trop ad en ly male racyne ;
Mès qi m’enseignast medicine[36]
Par qei ele fust asourdée,
Je l’en donasse grant soudée,
Qar petit dort et longes veyle,
Si a par[37] tro clere l’oreyle
Auxi de nuytz corne de jurs.
Um di qe veeille gent sunt sourdz,
Mès ceste ad trop clere l’oye.
— La male goute, bele amie, »
Feit il, « nus em pusse venger !
Je ne vus say autre enseigner ;
Mès, pur Dieu, que frez vus de moi,
Qe taunt vus ayme en bone foy ?
Grant piece a, e bien le savez.
Trés[38] grant pechié de moy avez.
— Peché, » fet el[39], « bels amis chers ?
Ja estes vus ly chevalers
Qe je plus aym ; si je peüsse[40]
E je le loyser en eüsse[41],
Veiez tauntz barrez e tanz murs[42],
Je vodroi estre ou vus aillours
En Espaigne ou en Lumbardye.
— Dame, » fet il, « par coardye,
Si Diu peüst[43] mon cors salver,
Ne lerroi je pas à entrer
En cet hostel, e[44] tant feroi
Q’uncore[45] anuit seyenz seroi.
Si de vus qidoi esploiter.
— Venez or[46] dount saunz respiter, »
Fet ele, « anuit, bels douz amis ;
Qar, si saienz estoyez[47] mis
Qe de nul aparsu fussez,
Mon corps gayné avérez ;
Qar pus mès[48] ne faudrez vus ja
De venir desque cel us la
Où je serroye countre vus.
— Ensi, » fet il, « le ferrom nous ;
Je y vendroi anuit sauntz faile.
— Bien dount[49], » fet ele, « vus y vaile. »
Ataunt[50] lessent le conciler ;
De l’ oriller[51] e d’escoter
Fust la veeille[52] molt entremise,
Mès n’avoit[53] pas la chose aprise.
La dame demanda le vyn ;
Le chevaler, ce fust la fyn,
En bust, e ne mie grantment ;
Eynz regarde ententivement
La sale qe ad murs feytis
Estoit assis e apentis
Devers le mur fust descoverte,
Si ja ne fust fenestre overte.
Si pout um vere de lover ;
Qar um porroit bien[54] un bover
Launcer par mi ou tous ces buefs ;
Pensa qe[55] serroit à soun oefs.
Un soun esquier apela,
Priveement[56] le councila
Q’il s’en isse, e s’en aut muscer
Joste la sale en un ligner
Qi estoit[57] apuez al mur,
E soit là dès q’il soit obscur
E que la gent se soit cochee[58] ;
Puis mounte le mur à celee[59],
Si le atende à un kernel.
Cely, qe ne fust gueres bel
De remeyndre en si grande[4] doute,
Greaunta[60] sa volenté toute ;
Qar ne le osa fere autrement.
Vers le ligner va belement,
Enbuchez est dedenz la buche
E tint en sa meyn une rusche.
E qant la gueyte avoit cornée,
Le chevaler s’ ert[61] atornee.
Qant qida qe fust endormie
La gent, lors ne s’ oblia[62] mie,
E[63] le chevaler ad fet taunt
Qe grant piece après l’anuytant
Sy vint dehors les murs ester ;
Et um ly fet tost[64] aporter
Une corbaille bien tornée.
De cordes bien avyronée,
Ou la aye cely desus.
Le chevaler, qe remist jus,
S’est denz[65] la corbaille cochée,
E cil l’ount sus le mur sakee[66]
E molt tost le ount[67] mis a vale
De le mur desqe en la sale ;
Bien ad deservy son deduit.
E la dame unqe cele nuit
Ne dormi, einz fust en entente,
Tant q’ele oie ou q’ele sente
De son amy l’ aviegnement[68].
Vers la chaunbre va belement
Où la dame le entendoit[69].
Bon guerredoun[70] rendre l’en doit
La dame, qe grant joie en a ;
Dedenz la chaunbre le mena,
E firent qanqe fere durent.
A molt grant joie ensemble furent,
Mès la veille gysoit molt près,
Qe molt avoit le cuer engrès,
E n’ert pas uncore endormie.
Entre lur deus litz n’i out[71] mie
Une teyse, ce m’est avys ;
Un[72] covertour covroit lur lis,
Qe bon e bel e graunt estoit,
E qe soul[73] les deus litz covroit.
Le[74] chevaler fist son mester
E le covertour[75] fist crouler ;
Lors la maveise[76] demaunda :
« File, ton covertour, q’ey ça
Qe tant l’ oie[77] aler e venir ?
— Dame, je ne me[78] pus tenir, »
Fet ele, « de grater une houro :
Seigne, ce qid, me demoure. »
Cele qide que voir ly dye,
Mès longes ne demorra mie
Ne fist[79] le covertour crouler :
Sout[80] les coupes le roy doner
Le chevaler, mien esscient,
Qar il ne se repose nent,
Molt ert vaillaunt en cel estour.
Sovent fesoit le covertour
Crouler e torner d’ une[81] part ;
E la veille, qe mout soud d’ art[82]
E d’engyn e de trycherye,
Pensa q’ unqe[83] pur graterye
N’ ala[84] le covertour ensi.
De son lit la maveise[85] issi,
Une chaundelle prist desteinte,
E d’ aler[86] suef ne se est feynte ;
Vers la cusyne tint sa voie ;
Mès par mi la sale forvoie
Taunt q’en la corbaille chay.
Cil qiderent estre trahy
Qe les cordes braunler sentirent,
Vistement la corbaille tyrent ;
Sus trehent la veille chanue.
Le ciel fust estoillé saunt nue ;
Qant cele vint près del[87] lover,
Donqe conurent li esqier[88]
Qe ce n’est mie lur seignour.
Donqe la demeynent à dolour,
Qar la corbaille balauncerent,
De tref en autre la launcerent ;
Unqe n’ ala ele à tiel[89] hounte.
Primes avale e pus amounte.
En tel peyne e en tel[90] torment
L’ont[91] demenée longement,
Pur poy ne l’ ont[91] toly la vie ;
Bien qide q’il l’ eye[92] ravye
Deables ou autre malfees.
Qaunt il furent trop[93] eschaufeez
De crouler les cordes guerpissent,
La corbaille à terre flatissent,
E la veille à une part vole ;
Qaunt el[94] leva, se fist que foie.
A quoy ferroi je lonc sermoun ?
Taunt hordely[95] par sa mesoun
Q’à son lit s’en est revenue
Tremblaunt come fueille menue
Qe le vent de byse demeyne.
Si com[96] poeit parler à peyne,
Dit à la dame à grant tristour :
« Mal feu arde ton covertour !
Tel noise ad anuit démenée,
Malement me ad atornee. »
Les dames q’ errerent[97] par nuit
Mout en eürent[98] grant desduit,
Les deuz amantz, qant l’ œvre[99] surent,
E ceux qe balauncé l’eürent.
Le[100] chevaler ala e vynt :
Unq[101] plus à la veille n’avynt,
Q’el[102] levast puis qe fu cochée ;
Qant ly sovynt de sa haschée,
N’avoit talent de hors aler[103] ;
Unqes puis taunt n’ oy[104] crouler
Le covertour, qe se remust
Pur nulle besoigne q’ ele[105] eüst.
- ↑ XLVII. — Du Chevalier a la corbeille, p. 183.
Publié par M. Fr. Michel, à la suite de Gautier d’Aupais, Paris, 1835, p. 35-44.
[Nous avons essayé, pour ce fabliau et le suivant, de rendre aux vers leurs huit syllabes réglementaires ; mais les corrections à faire à ces vers anglo-normands sont si nombreuses qu’on peut se demander s’il n’eût pas été préférable de laisser les vers tels quels.]
- ↑ Vers 2 — * Del ; ms., De le — * à ; ms., e.
- ↑ 4 — vous, lisez vus.
- ↑ a et b 8 et 147 — * grande ; ms., grant.
- ↑ 9 — * ne se ; ms., il ne se.
- ↑ 14 — * Meson ; ms., Mesone. — * ne ount ; ms., n’ount.
- ↑ 16 — * qe autre ; ms., qu’autre.
- ↑ 17 — * seigneur ; ms., chevaler.
- ↑ 21 — « E » manque dans le ras.
- ↑ 22 — * q’el ; ms., qe ele.
- ↑ 25 — aüst, lisez aust.
- ↑ 26 — peüst, lisez pust.
- ↑ 34 — * N’uncor ; ms., Uncore ne.
- ↑ 37 — * talvace ; ms., talevace.
- ↑ 38 — * Si ; ms., Et si.
- ↑ 39 — * q’el ; ms., qe ele.
- ↑ 40 — « le » manque au ms.
- ↑ 42 — « tus » manque au ms.
- ↑ 43 — « bien » manque au ms.
- ↑ 47 — * s’avoit ; ms., se avoit.
- ↑ 49 — « forment » manque au ms.
- ↑ 50 — * veir ; ms., vere.
- ↑ 52 — * pas ; ms., mie.
- ↑ 53 — * Son ; ms., Eynz son.
- ↑ 54 — * al ; ms., à le.
- ↑ 57 — * D’un ; ms., De un.
- ↑ 58 — « il » manque au ms.
- ↑ 59 — * Les ; ms., Et les.
- ↑ 62 — * le y ; ms., ly.
- ↑ 64 — * el l’avoit ; ms., ele le avoit.
- ↑ 72 — * Q’el ; ms., Qe ele.
- ↑ 74 — * s’el eüst ; ms., si ele ust.
- ↑ 77 — * ses ; ms., ces.
- ↑ 78 — * el ; ms., en le.
- ↑ 80 — « Qe » manque au ms.
- ↑ 82 — * medicine ; ms., la medicine.
- ↑ 86 — « par » manque au ms.
- ↑ 96 — « trés » manque au ms.
- ↑ 97 — * el ; ms., ele.
- ↑ 99 — * peüsse ; ms., pusse.
- ↑ 100 — * en eüsse ; ms., usse.
- ↑ 101 — Ce vers nous paraît incompréhensible.
- ↑ 105 — * peüst ; ms., pust.
- ↑ 107 — et, lisez e.
- ↑ 108 — * Q’uncore ; ms., Qe uncore.
- ↑ 110 — « or » manque au ms.
- ↑ 112 — * estoyez ; ms., vous estoyez.
- ↑ 115 — « mès » manque au ms.
- ↑ 120 — « dount » manque au ms.
- ↑ 121 — Atant, lisez Ataunt.
- ↑ 122 — * De l’oriller ; ms., De le oriller.
- ↑ 123 — * Fust la veeille molt ; ms., Molt fust la veeille.
- ↑ 124 — * n’avoit ; ms., n’out.
- ↑ 134 — « bien » manque au ms.
- ↑ 136 — * Pensa qe ; ms., E pensa qe ce.
- ↑ 138 — * Priveement ; ms., Privément.
- ↑ 141 — * Qi estoit ; ms., Q’estoit.
- ↑ 143 — * cochee ; ms., cochié.
- ↑ 144 — * à celee ; ms., tot à celee.
- ↑ 148 — * Greaunta ; ms., Graunta.
- ↑ 154 — * s’ert ; ms., se s’ert.
- ↑ 156 — * s’oblia ; ms., se oblia.
- ↑ 157 — « E » manque dans le ms.
- ↑ 160 — « tost » manque dans le ms.
- ↑ 165 — * denz ; ms., dedenz.
- ↑ 166 — * sakee ; ms., saké.
- ↑ 167 — * le ount ; ms., l’ount.
- ↑ 173 — * l’aviegnement ; ms., le aviegnement.
- ↑ 175 — * le entendoit ; ms., l’entendoit.
- ↑ 176 — * guerredoun ; ms., guerdoun.
- ↑ 184 — * out ; ms., avoit.
- ↑ 186 — * Un ; ms., Un soul.
- ↑ 188 — * Et que soul ; ms., Le covertour que.
- ↑ 189 — * Le ; ms., Comme le.
- ↑ 190 — * E le covertour fist ; ms., Le covertour comença.
- ↑ 191 — * Lors la maveise ; ms., La maveise veille.
- ↑ 193 — * l’oie ; ms., le oie.
- ↑ 194 — « me » manque dans le ms.
- ↑ 199 — * Ne fist ; ms., Qe il ne fist.
- ↑ 200 — * Sout ; ms., Bien sout.
- ↑ 205 — * d’une ; ms., de une.
- ↑ 206 — * d’art ; ms., de art.
- ↑ 208 — * q’unqe ; ms., qe unqe.
- ↑ 209 — * N’ala ; ms., Ne ala.
- ↑ 210 — * maveise ; ms., veille.
- ↑ 212 — * d’aler ; ms., de aler.
- ↑ 221 — * del ; ms., de le.
- ↑ 222 — * li esqier ; ms., l’esqier.
- ↑ 227 — * n’ala ele à tiel ; ms., la veille ne alla à tiele.
- ↑ 229 — * tel peyne e en tel ; ms., tele peyne e.
- ↑ a et b 230 et 231 — * L’ont ; ms., La ont.
- ↑ 232 — * l’eye ; ms., la eye.
- ↑ 234 — « trop » manque au ms.
- ↑ 238 — * el ; ms., ele.
- ↑ 240 — * hordely ; ms., hordly.
- ↑ 244 — * com ; ras., come.
- ↑ 249 — * q’errerent ; ms., que errerent.
- ↑ 250 — * eürent ; ms., urent.
- ↑ 251 — * l’oevre ; ms., le oevre.
- ↑ 253 — * Le ; ms., Ensi le.
- ↑ 254 — * Unq ; ms., Unqe. — * n’avint ; ms., ne avint.
- ↑ 255 — * Q’el ; ms., Qe ele.
- ↑ 257 — * aler ; ms., issyr.
- ↑ 258 — * n’oy ; ms., ne oy.
- ↑ 260 — * q’ele ; ms., qe ele.
- ↑ 262 — « à » manque au ms.
- ↑ 263 — « nulle » manque au ms.
XLVIII
LE DIT DE LA GAGEURE
fo 118 ro.[1]
ne fable vueil comencer,
Que je oy l’autr’er counter,
De l’Esquier e la[2] Chaunbrere
Que comence en ytiel[3] manere :
Un chevaler jadis estoit
Que une trés bele femme avoit ;
Ele[4] n’amoit pas soun lygnage ;
De ce ne fist ele que sage.
Son frere estoit son esquier ;
Si ly servy de tiel mestier
Come à bon[5] esquier apent,
E la dame tout[6] ensement
Avoit une sue cosyne
Qe molt estoit gente meschyne ;
E l’esquyer la daunoa,
E de molt fyn cuer l’ama[7].
Mès[8] avynt issi par un jour
L’esquier[9] la requist d’amour,
E cele à sa dame tost[10] counte
Que[11] l’esquier requist sa hounte.
E dit la dame : « Savez bien
Qu’il vus ayme sur tote rien ?
— Oïl, certes, ma douce[12] dame ;
Ce me jure il toudis[13] par s’aime.
— Or arere, fille[14], tost va,
E ditez vostre amour ne avéra,
Quar vus ne poez bien[15] saver
Qu’il vus ayme de cuer enter,
S’ il[16] ne vus feïst une rien.
Et de ce vus asseurist bien,
Vo[17] cul beiser premerement,
Si que ne sache pas la gent ;
Et, quant avéra toun cul beisé,
De toi fera[18] sa volenté,
E puis me dirrez la verte[19]
Quant il vus avéra ce graunté. »
La pucelle n’a[20] oblié ;
A l’esquier est repeyré
Que ele[21] li dit tot son talent.
La pucele dit erralment
Que ne[22] puet crere ne quider
Que il[23] l’ayme de cuer enter ;
Pur ce, s’il[24] velt s’amour aver,
S’il li covent son cul beyser,
Et se ensi privéement[25]
Ne soit[26] aparsu de la gent,
« Quar de ce n’avérez ja blame.
— Molt[27] volenters, » fet il, « par m’alme !
Or tost terme me i[28] metez.
— Tantost, » fet el[29], « si vus volez,
Là sus en icel grant[30] jardyn ;
Desouz le perer Jahenyn
Alez, e ilec[31] m’atendez :
Je y vendroi, se bien[32] sachez. »
Li esquier[33] avant ala,
E la pucele retorna
A sa dame ; si l’a countee,
Que molt ad joie démenée,
A l’esquier la envoia,
Et à soun seigneur meisme[34] ala,
Ou bele chere, ou bel semblant :
« Sire, » fet el[29], « venez avaunt ;
Si verrez pur voir[35] vostre frere
Beyser le cul de[36] ma chaunbrere !
— Certes, » dit il, « je ne quid raie
Qu’il fereit[37] tiele vyleynie.
— Si fera il[38], par seint Martyn ;
Ce mettroi un tonel de vyn, »
La gagure ount il[39] affermee
E as fenestres sunt alee.
La damoisele se est venue
A l’esquier, que la salue ;
Yl leve sus les dras derer,
Puis pensout si à bon mester
Li esquier[33] à soun voler
De l’affere ne voelt[40] failler.
Yl sake avaunt un[41] bon bordoun,
Si l’a donné en my le coun,
Un gros vit et long[42] et quarré,
Si l’ a[43] en my le coun donné ;
Ensi à ly[44] de ces bras l’afferma
Ne[45] poeit gwenchir sa ne là.
Et la dame ly escria
E hastivement li[46] parla
Ou grosse voiz e longe aieyne :
« Gwenchez, gwenchez[47], gwenchez, puteyne ;
Trestresse[48], Dieu te doint mal fyn !
J’ay perdu le tonel de vyn. »
E ly sire dist[49] en riaunt :
« Tien tei, leres, je te comaunt,
Frapez la bien e vistement ;
Je te comaund hardiement.
De lower averez, seint[50] Thomas,
Un cheval qe vaudra dis mars !
Dame[51], or me diez par amour,
Ay je gayné le wagour ?
Vus[52] ne fetez mie que sage
De haier ceux de mon[53] lynage,
Depus qe je molt[54] tendrement
Aym les vostres[55] entierement. »
Et[56] le prodhome fist son frere
Esposer icele[57] chaunbrere ;
E de[58] pus après ycel jour,
Ama la dame[59] par tendrour
Ceux que soun seigneur bien[60] ama,
E molt de cuer les honora.
De la Chaunbrere et l’Esquier
Ne est[61] ore plus à treter.
- ↑ XLVIII. — Le Dit de la Gageure, p. 193.
Publié par Sir Francis Palgrave, Londres, 1818, in-4o, et par M. Fr. Michel, Paris, Silvestre, 1850, in-8o.
- ↑ Vers 3 — * De l’esquier e la ; ms., De un esquier e une.
- ↑ 4 — * ytiel ; ms., ytiele.
- ↑ 7 — * Ele ; ms., Mès ele.
- ↑ 11 — « bon » manque au ms.
- ↑ 12 — « tout » manque au ms.
- ↑ 16 — la ama, lisez l’ama. — Il faut corriger autrement ce vers.
- ↑ 17 — « Mès » manque au ms.
- ↑ 18 — * L’esquier ; ms., Que l’esquier.
- ↑ 19 — « tost » manque au ms.
- ↑ 20 — * Que ; ms., Coment.
- ↑ 23 — « douce » manque au ms.
- ↑ 24 — « toudis » manque au ms.
- ↑ 25 — « fille » manque au ms.
- ↑ 27 — « bien » manque au ms.
- ↑ 29 — * S’il ; ms., Se il.
- ↑ 31 — * Vo ; ms., Vostre.
- ↑ 34 — * fera ; ms., fra.
- ↑ 35 — * verte ; ms., verité.
- ↑ 37 — * n’a ; ms., ne s’est.
- ↑ 39 — « ele » manque au ms.
- ↑ 41 — Que ne ; ms., Que ele ne.
- ↑ 42 — * Que il ; ms., Qu’il.
- ↑ 43 — * s’il ; ms., si il.
- ↑ 45 — * ensi privéement ; ms., si privément.
- ↑ 46 — * Ne soit ; ms., Qu’il ne soit.
- ↑ 48 — « Molt » manque au ms.
- ↑ 49 — « i » manque au ms.
- ↑ a et b 50 et 62 — * el ; ms., ele.
- ↑ 51 — * icel grant ; ms., cel.
- ↑ 53 — * ilec ; ms., ileque.
- ↑ 54 — « bien » manque au ms.
- ↑ a et b 55 et 75 — Li esquier ; ms., L’esquier.
- ↑ 60 — * meisme ; ms., meismes.
- ↑ 63 — « pur voir » manque au ms.
- ↑ 64 — « de » manque au ms.
- ↑ 66 — * fereit ; ms., freit.
- ↑ 67 — * fera il ; ms., frez.
- ↑ 69 — « il » manque au ms.
- ↑ 76 — * l’affere ne voelt ; ms., son affere ne voldra.
- ↑ 77 — « un » manque au ms.
- ↑ 79 — * et long ; ms., long.
- ↑ 80 — * l’a ; ms., ly a.
- ↑ 81 — * Ensi à ly ; ms., Si l’a ensi à li.
- ↑ 82 — * Ne ; ms., Qu’ele ne.
- ↑ 84 — * li ; ms., à li.
- ↑ 86 — * Gwenchez, gwenchez ; ms., Gwenchez, tres tresse.
- ↑ 87 — * Trestresse ; ms., Gwenchez.
- ↑ 89 — * dist ; ms., ly dist.
- ↑ 93 — * seint ; ms., par seint.
- ↑ 95 — * Dame ; ms., Or, dame.
- ↑ 97 — * Vus ; ms., E dame, vus.
- ↑ 98 — * de mon ; ms., qe sunt de mon.
- ↑ 99 — « molt » manque au ms.
- ↑ 100 — * vostres ; ms., vos.
- ↑ 101 — « Et » manque au ms.
- ↑ 102 — * icele ; ms., cele.
- ↑ 103 — « de » manque au ms.
- ↑ 104 — * Ama la dame ; ms., La dame ama.
- ↑ 105 — « bien » manque au ms.
- ↑ 108 — * Ne est ; ms., N’est.
XLIX
LA VEUVE
angnour, je vous velh chastoyer.
Ne devons[2] aler ostoyer
En un ost d’ont nus[3] ne retorne ?
Saveis cornent on les atorne,
Chiaus ki sont en cel ost[4] semons ?
On les lieve sor .II. limons ;
Si les porte[5] on de grant ravine
Vers le mostier, pance sovine[6],
Et sa feme[7] le siet après.
Chil qui à li montent[8] plus près
Le tiennent, par bras et par mains,
Des pames batre, c’est do mains,
Car ele crie à haute vois :
« C’est merveilhe comment je vois,
Dulce dame[9], sainte Marie,
Con sui dolante et esmarie.
Ja Diés ne doinst con je tant voie[10]
Ke je repas par[11] ceste voie ;
Si soie avec mon sangnour mise,
Cui je avoi[12] ma foi promise.
Mult m’est ceste vie aspre et sure[13] ;
C’est merveille comment je dure ! »
Devant l’entrée del mostier,
Là recommence son mestier[14]
De criher haut et durement.
Et li prestres isnelement,
Ki convoite l’offrande[15] à prendre,
Reuve les chandoiles esprendre,
Ne ne fait pas longes trioles[16],
Car ilh convoite les chandoiles.
Cant li services[17] est finés,
Et li cors ensi atorneis
K’ilh est couchiés, toz en envers[18],
En terre noire avec les vers,
La dame cort[19] après salhir.
Ki dont le veïst[20] tressailhir
Et les oelz ovrir et clugnier[21],
Et l’un poing en l’autre fichier,
Il desist[22] bien, selonc mon sens :
« Ceste puet bien perdre son sens[23]. »
Cant li cors fu en terre mis[24],
Es vos entor li ses amis
Ki tost le ramoinent ariere[25]
Et si[26] le tienent par deriere
Et à son hostel[27] le ramainent.
Si voisin, ki entor li[28] mainent,
Li font boire de l’aigue froide,
Por ce que ses duez li refroide[29].
A l’entrée de sa maison,
Là[30] recommence sa raison
De crier haut et durement[31] :
« Vrai Diex ! que j’ai le cuer dolant !
Sire, qu’asteis vos devenus ?
Vousn’esteis mie revenus ?
Sire[32], con vos m’esteis enblez !
Con nostre avoirs estoit[33] dobleiz
Et que no choze nos venoit[34],
Et con ilh vos bien avenoit
Aler contreval vostre[35] cort !
Con vos seioient vo drap cort,
Sire ! Ousi[36] faisoient li nuef,
Ki furent fait à l’an renuef[37].
Ahi ! con j’ai[38] awant songié,
Encor ne l’aie je annonchiet[39],
De lais songes et de hisdeus[40] !
A bien le m’avertisse Deus !
Sire, encor songoie l’atr’yer[41]
Ke vos astiés en ce mostier ;
S’astoient andui li hus cloz.
Or astez vos en[42] terre encloz !
Chist songes est bien avoiris[43].
Si songai que astiés[44] vestis
D’une grande[45] chape à piron ;
En cele aiwe faisiés le[46] pion,
Ains puis ne reveniés desore ;
Or astez mors en mult pou d’ore[47].
Et puis me vint[48] en mon avis.
Mais je le conte mult envis,
Chaiens venoit .I. colenbiaus,
Ki mult estoit et gens[49] et biaus,
Ki s’asioit dedens mon soing[50],
Et cest assiet refaisoit soing ;
Mais[51] ne sai que ce senefie,
Sire, à ceste darraine fie[52]. »
Dont commence[53] li runemens,
Li conseil et li parlemens[54]
Des parentes et des cusines,
Et des vechiens[55] et des voisines ;
Si li dient : « Ma dulce amie[56],
Or ne vos desconfortez mie,
Mès lessiés tot ce duel ester ;
Penseis de vos remarier.
— Remarier ? Male[57] aventure !
Teneis en pais, je n’en ai cure. »
L’autres dist : « Ma belle done[58],
Vos reprendereis un preudome[59]
Ki ne sera faus ne lechieres. »
Ki dont le veïst faire chieres[60]
Et respondre par maltalent :
« Certes[61], je n’ai de ce talent :
De Damedeu soit ilh maudis,
Ki jamais me dira tez dis[62],
Car ne moi vienent pas à bel. »
Or maudist ele son lembel[63].
Or vos lairons chi de la dame[64],
Qui conte son duel et son dampne ;
Si dirons après de celi[65]
Ki ne volt faire bien ppr li.
Ilh fu meneis[66] à la grant cort,
Où on le fist[67] tenir mult cort ;
Se ilh ne sout[68] rendre raison,
On le prent[69] à poi d’ocoison.
Sovent regratoit[70] sa maisnie,
Cui ilh avoit suëf norrie[71],
Et ses parens et ses annis[72],
Où il avoit son avoir mis,
Et si huce[73] à dolente chiere
Sa molhier, qu’il tant avoit[74] chiere.
Mais la dame est en autre point ;
Une dolors al cuer li point,
Ki le sorlieve en contremont,
Car li doiens le resomont,
Ki desire à mangier char crue,
Ki n’est de paon ne de grue,
Ains est des andoilles pendans[75]
Où li plusor sont atendans[76].
La dame n’a mais de mort cure,
Ains soi reblanchoie[77] et rescure.
Et fait janise et molekins[78].
Et redrece[79] ses raverquins
Et seurcos jusc’as acorez[80],
Et commence ses estivez[81].
Et veste reube à remuyers[82].
Ausi con uns ostoirs[83] muiers
Ki se va par l’air enbatant[84],
Se va la dame deportant,
Mostrant son cors[85] de rue en rue ;
Mult simplement les gens[86] salue
Et les encline jusqu’en terre.
Mult souvent clout la boce et serre ;
Or[87] n’est ele pas perecheuse,
Dure ne aspre[88] ne tencheuse,
Ains est[89] plus dolce que canelle,
Et plus tornans et plus isnele
Ke ne soit rute[90] ne venvole ;
Avec les œlz li cuers s’en vole[91].
Or vos ai dit de sa manire[92],
Con faitement elle se mire[93].
Or vos raconterai[94] briément
Un petit de son errement[95].
Le lundi[96] comence son œvre :
Dont n’encontre blonde[97] ne noire
K’ele ne[98] face à li entendre,
Por tant[99] k’ele le vœlhe atendre.
Mult est or[100] ses corages liez ;
Ele[101] l’envoie en plusor liez
Où on n’a gaires de li cure.
La nuit n’est onkes si oscure[102]
Ke ses cuers ne voist en nuiere[103],
Et[104] dist sovent : « Ce m’est aviere,
Je avenrai[105] bien à celui ;
Il a mult bial valet[106] en lui,
Et chil n’aroit cure de mi ;
S’or[107] enparolent mi ami ;
Et chil autre ne[108] m’aroit œz,
Il n’a mie valhant douz œz ;
Chil est trop haus et chil trop viés[109].
Je poroie bien faire miés. »
Ensi toute nuit estudie,
Car ilh n’est ki li[110] contredie,
Et, cant ce vient la matinée,
Si dist : « De bune œre fui née
Ke n’ai mais privé, ne estrange[111],
...........
Ne brun, ne blanc, ne bis[112], ne roz ;
Or est mes chenevaus[113] derous. »
Or n’a ele soing de lochier[114],
Ne de plaidier ne de closcier,
Ains se fait mult et clere et saine.
Sovent pour le blanchir se saine,
Et, s’ele a la teste chenue,
A mult envis la porte nue ;
Ains se fait sovent sage et simple,
Et si remet avant sa guimple
Por ses viez grates recovrir
Ki rasemblent az œs ovrir.
Or[115] n’a ele soing de repunre ;
Il ne l’estœt mie semonre,
S’on fait noces, qu’ele n’i soit ;
Or n’a ele[116] ne fain ne soit ;
Or ne li faut fors que li rains[117]
Ki le mal li lache des rains ;
Celui acquiert[118] bien et porcace.
Ses enfans en sus de li chace
Et bece ausi con la geline
Ki desouz[119] le cok s’ageline ;
Nuitons devient, ses escalchire[120],
Et si[121] fait chandoiles de cire,
K’ele offre par us et par nombre,
Ke Dex des enfans le descombre
Et ke la pute[122] mors les prengne :
« Por eus ne trui je qui me prengne[123] ;
A ! qui[124] s’i oseroit enbattre. »
Dont[125] se reva à iauz conbattre,
Si fiert, et grate, et pice, et mort[126],
Et les[127] maudist de male mort.
Ce fait la dame, et plus aseis ;
Car[128], s’ele a deners amasseis,
Volentiers avec li les porte.
Et[129] dist : « Uns lions devers la porte
Me les paya[130] dès huy matin. »
Puis nome Tybert et Martin,
Ki l’en doient encore .VII. tans[131],
Et si li paieront par tans[132],
« Mon essient, ains[133] .XV. dis. »
Mult se fait rice par ses dis,
Et, s’ele encontre nouveliere[134]
Ki d’annonchier soit costumiere[135],
Lors[136] s’acoste dejoste li,
Et se li dist : « Ce poise mi,
Ke[137] ne sui auques vostre acointe.
Car vos n’esteis mie trop[138] cointe ;
Si vos ai grant piecha amée,
Et si me sui sovent[139] esmée
D’aler o[140] vos esbanoyer ;
Il ne vos doit pas[141] anoyer
Se je parole un poi à vos,
Car vos deveis monter à nos,
Ce me soloit ma mere[142] dire ;
Mais je ai en mon cuer grant ire[143]
De mon sangnour que j’ai perdu ;
Mais mi ami m’ont deffendu
Ke je laisse mon[144] duel ester,
Car je n’i puis rien conquester.
Certes, mes sires m’iert[145] mult bons,
Il[146] me faisoit mult de mes bons
Et de chaucher et de vestir[147] ;
Il m’avoit fait ja ravestir[148]
De sa maison et de son estre.
Il avoit mult le cuer honeste,
Mais ilh n’avoit point le delit
Ke li preudome ont en lor lit[149] :
Car, cant mes sire[150] astoit couchiés,
M’ert ses eus en mon sainch[151] fichiés.
Là s’endormoit tote la nuit[152],
Si n’en avoi autre deduit ;
Ce me devoit mult enuier.
Certes ja nel vos quier[153] noier,
Mes sires s’est[154] d’avoir sopris
Anchois que je l’euuisse pris,
Et j’astoie[155] une baiselette
A une tenre mamelette[156],
Et vos astiés uns enfanchons
Ausi petis[157] com uns pinchons ;
S’aliés corant après vo mere
Ki à la moie[158] estoit commere ;
S’ame soit hui[159] en bon repos !
J’ai asseis et pailes[160] et pos,
Huges, et sieges, et chailis[161].
Blances cuetes et dras de lis,
J’ai assez dras lingnes et langnes[162],
Si ai encor de douz lanages[163],
De la grosse, de la menue.
Ma maison n’est mie trop nue,
Ains i pert, al dire de maint[164],
Que preude femme et riche i maint,
Car, certes, j’ai mult bel harnais[165].
Je ai encor tez .II. benais[166],
Li uns en fu fais al viés tor[167],
A l’or[168] reverseit tot entor ;
Mes sires l’avoit forment chier.
Mais je n’ai cure d’anunchier
Se j’ai ce ke[169] Dex m’a doné.
Vos conissez bien Deudoné,
Et aussi faites vos[170] Herbert,
Et Balduin, le filh Gobert ?
Saveis vos riens[171] de lor afaire ?
One n’i[172] veuc mariage faire ;
Mais c’est merveilhe de la gent :
On quide en tel liu de l’argent
Où[173] il n’en a mie plenté ;
Li plusor sunt mult endeté,
Mais[174] je sui riche femme à force[175].
On voit asseiz del fust l’ascorce,
Mais on ne seit qu’il a dedens ;
Lors avoirs va aussi ke vens[176].
Mais li miens est bien apparans.
Je fais asseis de dras par ans,
Et si sui preude feme et sage.
S’ai awant eu maint message[177]
De plusors[178] qui sont ci parent ;
Li melhor en sont no parent[179].
Enne, connissiez vos Gomer ?
Celui ose je bien nomer ;
Por Gomer ne le di je mie,
Mais je vos dirai, dulce amie,
L’atrier[180] me dist une devine,
Ki me fîst estaindre sovine
Et muchier parmi un chercel[181],
Ke je[182] aroie un jouvencel,
Car, certes[183], j’ai mult bel avoir
Por un bel jovenciel[184] avoir.
Dulce[185] amie, penseis de mi ;
S’il n’y avoit nul vostre ami[186],
Ki auques fust preus et seneiz,
Il seroit mult[187] bien asseneis.
Et vos, soiés preus et senée,
Car s’astoi[188] par vos assenée,
Vos en ariés bon guerredon.
Se Diex me face vrai pardon.
Mais je ne vos voelh[189] tant prometre
C’onques ne m’en soch entremetre[190] ;
Mais sachiés mult bien, tot[191] de fit,
Se la chose torne[192] à profit,
Vos[193] en sereis mult bien chauchie.
Or prendez garde en la Chauchie[194]
Et en Essem[195] et en Nœf-borc,
Quels est li fiz dame Guibort,
Et li fiz sangnour Godefroit[196] ;
Il se fist avant ier mult froit,
Cant on l’aparla d’Issabel.
S’ilh vos devoit venir[197] à bel,
Je ne m’en departisse anuit,
Mais je crein qu’il ne vous anuit.
Je vos mech jor al diemenche ;
Si sera avec vos[198] Clamence ;
S’arons des[199] pumes et des nois
Et de cel bon vin de l’Onois[200].
Alez à Deu, dame, mais ent[201]
Revenez moi veoir sovent.
Chil qui maint delez vo maison[202]
Me samble de mult grand raison ;
Il m’a awant mult regardée[203],
Mais je me[204] sui mult bien gardée
C’onques vers lui ne me tornai[205].
I maint uns preudons à Tornai,
Ki m’appartient de par mon pere,
Si m’a parleit[206] d’un sien compere,
Ki est et riches et manans[207]
Et est mult près de lui manans,
Mais il est vies, ce m’at on dit ;
Si[208] l’ai awant asseis maudit,
Car, foi que doi à Saint Linart[209],
Suer, je n’ai cure de vielhart.
Et, puis qu’il vient à la bescosse[210],
Je n’ai cure de garbe scose.
Or vous dirai d’un mien parent[211] ;
Il[212] ne maint mie chi parent :
Il me voloit rendre[213] converse… »
Cele le fiert à palme enverse[214],
Et à ce mot[215] si s’en depart,
Et cele s’en va[216] d’autre part
Ki en maint liu le dist et conte.
Or en orés par tens[217] le conte,
Con faitement la dame esploite,
Car Golyas forment le coite[218]
Et li maus[219] dont ele est esprise,
Qu’ele en a un sachiet[220] à prise ;
Puis qu’ele[221] le tient en ses las,
Il se puet bien tenir por las[222].
S’il ne sait auques d’enviaus.
S’il n’est[223] remuans et isniaus.
Et s’il ne sait bien cottener[224]
Et bien froier et cropencr,
Il iert al matin[225] mal venus ;
De ce ne li puet aidier nus,
Qu’il n’ait sa loche[226] mal lavée
Tantost con la dame iert[227] levée.
Or[228] est li cas batus en l’estre.
Or commence li maus à naistre[229]
Et la noise[230] et li reprovier :
« Nos avons chaiens .I. brehier[231],
Un defeü, un dehuré[232] !
Haï ! com Demedex me heit,
Ki tant ou de preudomes chiés[233],
Et de cortois et d’ensigniés ;
Si pris un[234] chaitif par nature.
Tot chil aient malaventure
Qui m’en fisent assenement[235].
Car[236] ilh m’ont mis en grant torment.
Il ne demande autre dangier
Con de dormir et de mangier :
C’est ses deduis[237] et ses depors.
Toute[238] jour ronke con .I. pors ;
Et ne sui je bien[239] mal venue
Tant ilh me sent delez[240] li nue,
Et ilh se torne d’autre part.
A poi[241] ke li cuers ne me part.
Sire, ce ne faisiés vos mie,
Ains m’appeliés trés[242] dulce amie,
Et je vos appeloie ami ;
Dont vos retourniés devers mi[243],
Si me baisiés mult dolcement
Et disiés al comencement :
« Ma bele dulce kastelaine,
Con vos avez dulce l’alaine[244] ! »
Et chiz ribauz me tieht plus vil
Ke le fumier de son cortilh.
Je ne le doi gaires amer[245],
Car fuist il ors ultre la mer ! »
Et chil[246] respont à cele fois :
« Dame, vos astez en defois,
Je vous aïre[247] mult envis,
Car trop aveis torble[248] ce vis.
On ne puet mie[249] totans faire.
Ce savez bien, icel afaire ;
Quez dyables[250] feroit tot tans !
En non Dieu, je sui recreanz :
Se[251] vilain ont biaz bues par hores,
Si ne sont mie[252] tos tans mores ;
On peut bien si destraindre l’ive[253],
K’ilh n’i a sève ne salive.
Si m’avez destraint et sachié[254]
Ke vos m’avez à mort jugié[255]
Et ke, bien veoir le poés[256],
On dist que je sui craventés ;
Ce est voirs, par sainte Marie.
Trop[257] a li bons la char hardie,
Cui li dyables sy[258] sorprent,
Ke vielhe[259] feme à enfans prent,
Car il n’iert ja[260] .I. jor sans lime.
Venez avant, ma dame grime,
Si me paiés[261] les .XXX. mars
Ke me promesistes domars
Entrosque je[262] fesoie l’euvre
Où ilh covient la crupe mure[263].
— Aï », fait ele, « fouz couvers[264],
Vous deuuistes[265] iestre convers
U rendus à[266] une abeïe !
Voir, je devroi estre banie[267]
Cant je lessai por vos Jehan,
Ki a sa terre et son ahan,
Et Godefroi et Balduin,
Et Gillebert et Focuin[268] ;
Si pris trestot le plus malvais
Ki soit d’Orliens jusqu’à[269] Bialvais.
Tant m’aveis tolut et emblez[270],
Ke n’ai mais avaine ne bleiz ;
Bien est ma maison escovée.
Vous astez d’une orde covée,
Car je conoi bien vo parentes,
Les chaitives et les dolentes,
Et vos serors et vos aintains
Ki toutes sont ordes putains ;
Et ne fu cele vo cusine,
Et tante fois a jut sovine
Ki out .XIIII. enfans d’un prestre ?
Vos ne deveiz mie[271] bons estre. »
A ce mot li preudons li saut ;
Ilh ne dist mie : « Dex vos saut »,
Ains le saisi par ses linbars,
Se li done des esclubars ;
Tant li promet et tant li done
Ke tous ses dis li gueredone.
Cant ilh l’en ot doneit asseis,
Tant qu’il fu sus, lens et lassés,
La dame en sa chambre se muce,
Tot sans chapel et sans amuce ;
Là suce ses couz et repose,
Et dist sovent à chief de pose :
« Leres, con vos.m’aveis traïe !
Or m’a Dieu la mort otroïe,
Et si me mete en tele voie
Où je l’ame mon sangnour voie,
Et ke la moie le porsiuue
Et k’ele soit avec la siuue ! »
A tant defent l’uis à ovrir,
Et si se fait bien chaut covrir.
Si[272] fait faire des chaudelès,
Des restons et des wastelès ;
Si se bangne tant et atempre,
Et main et soir, et tart et tempre,
Ke cele chose est trespassée.
Or est garie et respassée ;
Ce m’est avis et ce me samble
Qu’andoi sont revenu ensemble.
Tant k’il pora ferir des maz,
Sera tous pardonnez li maus.
Or est li biaus chaz rehuchiez,
Or n’est ilh ferus ne tochiez,
Ains est li cossins retorneiz
Et li escamès destorneiz ;
Or est ilh amez et servis ;
Or a ilh tot à son devis,
Et si vos di bien de rechief :
Pitiet de cul trait leus de chief.
Vos, ki les femmes despitiés,
Por Deu vo pri et por pitié,
Sovengne vos à icele hore
K’ele est desous et vos desore.
De vos qui esteis aduin…
..............
Ne soies de riens en esmai :
Li aduin ont melhor mai
Ke n’ont li felon combatant,
Ki les noises vont commenchant.
Gauthier li Lons dist en la fin
Ke chil n’a mie le quer fin,
Ki sa femme laidenge et koze,
Ke ses autres voisines font.
Je n’en vuelh parler plus parfont.
- ↑ XLIX. — La Veuve, p. 197.
A. — Turin, L. V., 32 ; fol. 167 ro à 170 vo.
B. — Paris, Bibl. nat., Mss. fr. 2168, fol. 91 vo à 94 vo.
Publié, d’après le ms. A, par M. Aug. Scheler, une première fois dans les Annales de l’Académie d’archéologie de Belgique, XXII, 477-502 ; et une seconde fois dans les Trouvères belges du XIIe au XIVe siècle, 1876, p. 225-241, avec le secours d’une copie de Mouchet de la Bibliothèque nationale (coll. Moreau, 1727, Mouchet, 52). Les variantes du ms. B. viennent donc s’ajouter au texte de M. Scheler et au nôtre. — Ce fabliau a été donné en extrait très-court par Legrand d’Aussy, III, 322-327.
- ↑ Vers 2 — Ne devons. B, Tout devés.
- ↑ 3 — En un est d’ont nus. B, En l’ost dont neus hom.
- ↑ 5 — sont en cel ost. B, en cele ost sont.
- ↑ 7 — * porte. A, port. — B, Si les portent l’ierbe soavine.
- ↑ 8 — pance sovine. B, de grant ravine.
- ↑ 9 — fame. B, molliers.
- ↑ 10 — * montent. A, monte.
- ↑ 15 — Dulce dame. B, Bele dame.
- ↑ 17 — B, Ne place Diu que je tant voie.
- ↑ 18 — Ke je repas par. B, Ke je repair de.
- ↑ 20 — Cui je avoi. B, Cui j’avoie, leçon qu’il faut adopter.
- ↑ 21-22 — B :
Ensi vait acontant ses fables,
Ki ne sont mie veritables. - ↑ 23 — B, Dont recommence son mestier. — Le vers 23 devient alors dans B le vers 24. (Note de Wikisource : Le vers est déjà 24)
- ↑ 27 — Ki convoite l’offrande. B, Ki l’ofrende desire.
- ↑ 29-30 — B :
Quant il li a fait le pardon,
Dont cante de molt grant randon. - ↑ 31 — services. A, service.
- ↑ 33 — * toz en envers. A, toz en evers. B, trestaus envers.
- ↑ 35 — La dame cort. B, Dont veut la dame.
- ↑ 36 — veïst. B, verroit.
- ↑ 37 — B, Et les puins ensamble encugnier.
- ↑ 39 — desist. B, diroit.
- ↑ 40 — son sens. B, le sens.
- ↑ 41-42 — Ces deux vers manquent dans B.
- ↑ 43 — B, Ensi le resacent arriere.
- ↑ 44 — Et si. B, Li doi.
- ↑ 45 — Et à son hostel. B, Ki jusqu’à l’ostel.
- ↑ 46 — entor li. B, près de li.
- ↑ 48 — B, Por çou que li dex li refroide.
- ↑ 50 — Là. B, Dont.
- ↑ 51-52 — Ces deux vers manquent dans B.
- ↑ 55 — Sire. B, Por Diu.
- ↑ 56 — nostre avoirs estoit. B, estait vos avoirs.
- ↑ 57 — B, Dix, com vo cose vos venoit.
- ↑ 59 — vostre. B, cele.
- ↑ 61 — Sire ! Ousi. B, Car ausi.
- ↑ 62 — Après ce vers, B ajoute :
Agace, bien le m’avés dit !
Hairons, con je vous ai maudit,
Ki tant avés awan crié !
Kien, con avés sovent ullé !
Geline, bien le me cantastes !
Anerais, con vous m’encantastes
Ke ne conjurai mon ami
Por Diu k’i revenist à mi;
Se nus mors hon le pooit faire,
Je li ferai son treu tel faire. - ↑ 63 — Ahi ! con j’ai. B, Dix ! con jou ai.
- ↑ 64 — annonchiet. B, noncié.
- ↑ 65 — B, Songes et vilains et hontex.
- ↑ 66 — B, Sire, je songoie avant ier.
- ↑ 70 — vos en. B, en la.
- ↑ 71-72 — Ces deux vers qu’on retrouve plus bas dans B sont ici remplacés :
Puis resongoie après en oire :
Vous aviés une cape noire. - ↑ 72 — * que astiés. A, que vos astiés.
- ↑ 73 — * grande. A, grant. — B, Et unes grans bates de plont.
- ↑ 74 — le. B, un.
- ↑ 76 — On lit dans B, après ce vers, les huit vers suivants, dont les deux premiers sont les vers 71-72 de A.
Cis songes est bien avertis ;
Je songai vous estiés vestis
D’une grant cote à caperon ;
En vo main teniés un peron ;
Si abatiés tout cel assié.
Sire, quel treu m’avés laissié,
Jamais n’ert par nul home plains ;
Bien est drois que vous sovens plains. - ↑ 77 — Et puis me vint. B, Puis me revint.
- ↑ 80 — gens. B, blans.
- ↑ 81-82 — B :
Si m’avoloit ens en mon sain,
Si refaisoit cel aisié sain. - ↑ 83 — Mais. B, Jou.
- ↑ 84 — B, A ceste daeraine fie.
- ↑ 85 — commence. A, recommence. — runemens. B, parlimens.
- ↑ 86 — parlemens. B, runemens.
- ↑ 88 — vechiens. B, nieces.
- ↑ 89-94 — Ces vers manquent dans B.
- ↑ 93 — * Male. A, Par male.
- ↑ 95 — B, En carité, ma bele dame.
- ↑ 96 — Après ce vers, B ajoute :
Ki ceste maison maintenra
Et en cest avoir enterra. - ↑ 98 — B, Ki li verroit faire les ciercs.
- ↑ 100 — Certes. B, Dames.
- ↑ 102 — Me dira tez dis. B, maintenra ces dis.
- ↑ 104 — lembel. B, musel ; cf. plus bas v. 131.
- ↑
- ↑ 107 — B, Si rediroumes de celui.
- ↑ 109 — fu meneis. B, est remés.
- ↑ 110 — on le fist. B, le fait on.
- ↑ 111 — Se ilh ne sout. B, S’il ne set bien.
- ↑ 112 — prent, B, prist.
- ↑ 113 — Sovent regratoit. B, Il huce et crie.
- ↑ 114 — B, K’il avoit molt souëf nourie.
- ↑ 115-116 — Ces vers sont remplacés dans B :
Por Diu qu’il li viegnent aidier,
Mais ce ne puet nus souhaidier. - ↑ 117 — Et si huce. B, Puis apele.
- ↑ 118 — qu’il tant avoit. B, k’il avoit molt.
- ↑ 125 — B, Ains est de l’andoille pendant.
- ↑ 126 — B, U les plusors vont atendant.
- ↑ 128 — soi reblanchoie. B, se retifete.
- ↑ 129 — B, Si fait gausnir son molekin. Cette leçon donne un sens au vers du ms. A, qu’il faut corriger comme M. Scheler : Et fait janir ses molekins.
- ↑ 130 — redresse, lisez redrece. — B, Et relieve son raviekin.
- ↑ 131 — Le vers de A, que nous avions corrigé du tout au tout pour lui donner un sens, se lisait ainsi : Et fait cos muscas à corez ; la leçon de B, Si refait musiax à toretes, nous indique qu’il fallait lire : Et fait ces musias à torez. Pour le sens de ce vers il faut se reporter au vers 104, où nous voyons figurer déjà le mot musel, qui semble être le nom d’une parure (peut-être d’une coiffure) de femme. Au vers 104 la femme maudit sa toilette de veuve ; au vers 131, alors qu’elle se pare, elle se hâte de refaire sa parure (ses museaux) à toretes, c’est-à-dire avec des tours (peut-être des frisures).
- ↑ 132 — B, Et recommence ses tifetes ; cf. le vers 128 où on lit, dans B, retifete.
- ↑ 133 — B, Si vest les dras à remuiers.
- ↑ 134 — uns ostoirs. B, li faucons.
- ↑ 135 — B, Ki se vait à l’ane esbatant.
- ↑ 137 — Mostrant son cors. B, Et demoustrant.
- ↑ 138 — les gens. B, la gent.
- ↑ 141 — Or. B, Dont.
- ↑ 142 — Dure ne aspre. B, Aspre ne sure.
- ↑ 143 — « est » manque dans B.
- ↑ 145 — rute. B, roe.
- ↑ 146 — B, Aval le[s] ex li cuers li vole. — Après ce vers, B ajoute :
Ele n’a talent de corcier
Ne de plaindre ne de groucier,
Ains se fait molt et sage et simple ;
Souvent remet avant se guimple,
Por les joes cretes couvrir
Ki s’asanlent à l’uel ouvrir. - ↑ 147 — Il faut lire manire pour la rime, au lieu de maniere ; B nous donne matire.
- ↑ 148 — se mire. B, s’atire.
- ↑ 149 — raconterai. B, aconterai.
- ↑ 150 — Après ce vers, B ajoute :
Con faitement ele se mainne
Le diemence et le semainne. - ↑ 151 — lundi. B, deluns. — œvre. B, oire, qui est la bonne leçon, et doit être adopté.
- ↑ 152 — blonde. B, blance.
- ↑ 153 — K’ele ne. B, Ke ne.
- ↑ 154 — Por tant. B, Por çou. — Après ce vers, B ajoute :
Ensi toute jor va et vient ;
De mainte cose li souvient.
Et, quant ele est la nuit coucie,
Dont commence sa cevaucie. - ↑ 155 — B, « or » manque. — liez. B, alius.
- ↑ 156 — * Ele. A, Et. — plusor liez. B, tant mains lius.
- ↑ 158 — B, Ja la nuis n’estra tant oscure.
- ↑ 159 — en vuiere, lisez en nuiere, qui est la bonne leçon, au sens de « rêve ».
- ↑ 160 — Et. B, Puis.
- ↑ 161 — Je avenrai. B, J’avenroie.
- ↑ 162 — * valet. A, valez.
- ↑ 164 — S’or. B, Se.
- ↑ 165 — ne. B, me.
- ↑ 167-168 — Ces vers manquent dans B.
- ↑ 170 — li. B, le.
- ↑ 173-174 — La lacune de A est comblée ainsi par B :
Car je n’ai mais qui me destrange ;
Je ne creim privé ni estrange. - ↑ 175 — blanc ne bis. B, bis ne blant.
- ↑ 176 — chenevaus. B, cavestres.
- ↑ 177-186 — Ces vers manquent dans B.
- ↑ 187 — Or. B, Dont.
- ↑ 190 — Or n’a ele. B, Ele n’a or.
- ↑ 191 — B, Il ne li faut ne plus ne mains.
- ↑ 193 — aquiert. B, porquiert.
- ↑ 196 — desouz. B, dalés.
- ↑ 197 — ses escalchire. B, si ses caucire.
- ↑ 198 — Et si. B, Souvent.
- ↑ 201 — pute. B, male.
- ↑ 202 — B, « Je ne truis qui por aus me prenge.
- ↑ 203 — A, qui. B, Nus ne.
- ↑ 204 — Dont. B, Puis.
- ↑ 205 — B, Ses heurte et flert et grate et mort.
- ↑ 206 — B, « les » manque. — de. B, de le.
- ↑ 208 — Car. B, Et.
- ↑ 210 — Et. B, Puis.
- ↑ 211 — * Me les paia. A, Le mes paia. B, Le vit passer.
- ↑ 213 — B, Ki encor l’en doivent .II. tans.
- ↑ 214 — B, K’il li vaurent paiier partons.
- ↑ 215 — * ains. A, ain.
- ↑ 217 — nouveliere. B, une parliere.
- ↑ 218 — B, Ki par ses dis soit nouveliere.
- ↑ 219 — Lors. B, Si.
- ↑ 221 — Ke. B, Jou.
- ↑ 222 — mie trop. B, foie ne.
- ↑ 224 — me sui sovent. B, sui maintes fois.
- ↑ 225 — o. B, à.
- ↑ 226 — pas. B, mie.
- ↑ 229 — mere. B, dame.
- ↑ 230 — en mon cuer grant ire. B, molt le cuer plain d’ire.
- ↑ 233 — mon. B, le.
- ↑ 235 — m’iert. B, ert.
- ↑ 236 — Il. B, Si.
- ↑ 237 — B, Et en caucier et en vestir.
- ↑ 238 — B, Si m’avoit faite ravestir.
- ↑ 242 — ont en lor lit. B, font u lit.
- ↑ 243 — Car, cant mes sire. B, Tantost com il.
- ↑ 244 — * sainch. A, sairch. — ses eus en mon sainch. B, li eus en l’escourt (?).
- ↑ 245-246 — Ces vers sont intervertis dans B.
- ↑ 248 — ja nel vos quier. B, nel vos quier à.
- ↑ 249 — sires s’est. B, sire ert molt.
- ↑ 251 — Et j’astoie. B, Et jou ere.
- ↑ 252 — tenre mamelette. B, crasse maisselete.
- ↑ 254 — Ausi petis. B, Autretele.
- ↑ 256 — la moie. B, ma dame. — Après ce vers, B ajoute :
Jou sui de sa mort trop dolente,
Kar ele estoit près no parente,
Foi que je doi Nostre Signor.
Or vos dirai de mon segnor ;
Il savoit molt bien gaegnier.
Et asamber et espargnier. - ↑ 257 — hui. B, mise.
- ↑ 258 — et pailes. B, caudieres.
- ↑ 259-260 — Ces deux vers sont remplacés dans B :
Et bons mantias et peliçons,
Ki furent fait à esliçons. - ↑ 261 — langues, lisez langnes.
- ↑ 262 — B, Et s’ai encore de .II. laignes.
- ↑ 265 — * al dire de maint. A, al dit de tamaint. — Ce vers, ainsi que le suivant, manque dans B.
- ↑ 267 — B, Ains i a certes biax harnas.
- ↑ 268 — benais. A, benaus, qu’il faut sans nul doute lire et corriger henaus, comme le prouve le vers de B : Car j’ai encore .II. hanas.
- ↑ 269 — Il faut corriger ainsi ce vers : Li uns en fu fais al viés tor. B, Li uns en est fais à viés tor.
- ↑ 270 — l’or. B, leur.
- ↑ 273 — ce ke. B, quanques.
- ↑ 275 — Et aussi faites vos. B, Et si connisciés bien.
- ↑ 277 — vos riens. B, noient.
- ↑ 278 — * Onc n’i. A, O ne ni. B, On en vout.
- ↑ 281 — * Où. A, Or. — n’en a mie. B, n’a gaires de.
- ↑ 283 — Mais. B, Et.
- ↑ 284 — B, On puet du fist veïr l’escorce.
- ↑ 286 — B, Ainsi est il de maintes gens.
- ↑ 290 — B, Si ai souvent eü mesage.
- ↑ 291 — * plusors. A, plusor. B, mellors.
- ↑ 292-296 — B :
Tex i a qui sont vo parent.
Mais je n’ai cure de nomer :
En apartenés vos Gaumer ?
Mais por Gaumer ne dt je mie,
Or entendes, ma douce amie. - ↑ 297 — L’atrier. B, Anten.
- ↑ 299 — * chercel. A, chercler. — B, Si m’esgarda en .I. cercel.
- ↑ 300 — Ke je. B, K’encor. — Après ce vers, B ajoute :
S’avés noient en vo vinnage
U il ait auques de linnage ;Puis vient une série de vers qui dans A est placée après le vers 330.
- ↑ 301 — certes j’ai. B, j’ai certes.
- ↑ 302 — jovenciel. B, valeton.
- ↑ 303 — Dulce. B, Bele.
- ↑ 304 — B, Se vos avés nul bel ami.
- ↑ 306 — seroit mult. B, ert en moi.
- ↑ 308 — Car s’astoi. B, Se je sui.
- ↑ 311 — ne vos voelh tant. B, n’ai cure de.
- ↑ 312 — B, N’onques ne m’en vol entremetre.
- ↑ 313 — mult bien tot. B, bien trestout.
- ↑ 314 — torne. B, vient.
- ↑ 315 — * Vos. A, Tos.
- ↑ 316 — B, Esgardés en cele caucie.
- ↑ 317 — * Et en Essem. A, Et Essem. B, Et en Ensaing.
- ↑ 319-320 — Ces deux vers sont intervertis dans A.
- ↑ 322 — devoit venir. B, venait auques. — Après ce vers, B ajoute :
S’en parlissiés couvertement,
J’ai ci esté molt tongement. - ↑ 326 — vos. B, nos.
- ↑ 327 — S’arons des. B, S’averomes.
- ↑
- ↑ 329-330 — Ces deux vers manquent dans B. — Dans ce ms., les vers 331-344 sont déplacés, et viennent à la suite du vers 300.
- ↑ 331-332 — B :
Cil me sanle de grant raison
Ki maint d’autre part vo maison. - ↑ 333 — regardée. B, esgardée.
- ↑ 334 — me. B, m’en.
- ↑ 335 — me tornai. B, retornai.
- ↑ 338 — m’a parleit. B, parole.
- ↑ 339-340 — Ces vers manquent dans B.
- ↑ 342 — Si. B, Je.
- ↑ 343-344 — B :
Foi que je doi saint Lienart,
Jou n’i averai ja viellart. - ↑ 345 — * bescosse. A, bescoelce. — Ce vers, ainsi que le suivant, manque dans B.
- ↑ 347 — Les deux mss. recommencent à marcher de pair à partir de ce vers.
- ↑ 348 — Il. B, Ki. — chil, lisez chi.
- ↑ 349 — rendre. B, faire.
- ↑ 350 — B, Puis le fiert de le main enverse.
- ↑ 351 — Et à ce mot. B, Lors s’en torne.
- ↑ 352 — Et cele s’en va. B, Cele s’entorne.
- ↑ 354 — Or en orés par tens. B, Huimais porrés oïr.
- ↑ 356 — B, Geulias tant l’argue et coite.
- ↑ 357 — maus. B, fus.
- ↑ 358 — sachiet. B, sacié.
- ↑ 359 — Puis qu’ele. B, Quant ele.
- ↑ 360-361 — B :
Il puet bien dire qu’il est las ;
S’il assés ne set des aniaus. - ↑ 362 — S’il n’est. B, K’il soit.
- ↑ 363-364 — B :
Et qu’il sace bien cotouner,
Et heldiier et crotouner. - ↑ 365 — Il iert al matin. B, Il est au vespre.
- ↑ 367 — loche. B, louce.
- ↑ 368 — iert. B, est.
- ↑ 369 — Or. B, Dont.
- ↑ 370 — B, Lors commencent li mal à naistre.
- ↑ 371 — Et la noise. B, Et li mal.
- ↑ 372 — brehier. B, bruhier.
- ↑ 373 — B, .I. durfëu, un rabehet.
- ↑ 375-376 — B :
Ki fui des bons vallès agrius,
Et des courtois et des jentius. - ↑ 377 — un. B, cest.
- ↑ 379 — B, Ki en fisent là placement.
- ↑ 380 — Car. B, Quant. — grant. B, tel.
- ↑ 383 — deduis. B, delis.
- ↑ 384 — Coute, lisez Toute. — jour. B, nuit.
- ↑ 385 — Et ne sui je bien. B, Certes je sui molt.
- ↑ 386 — ilh me sent delez. B. je m’estent jouste.
- ↑ 388 — A poi. B, Por poi.
- ↑ 390 — trés. B, vo.
- ↑ 392 — B, Puis torniiés par devers [mi].
- ↑ 396 — dulce l’alaine. B, souëf alaine. — Après ce vers, B ajoute :
Sire, c’estoit tous tans vos dis ;
Vostre ame soit en Paradis. - ↑ 399-400 — Ces vers sont remplacés dans B par les suivants :
Mais jou sai bien, par saint Eloi,
K’il n’est mie de bone loi,
Ains est decaus de Mont Wimer :
II n’a soing de dames amer. - ↑ 401 — Et chil respont. B, Dont respont cil.
- ↑ 403 — aïre. B, adoise. — Ce vers et le suivant sont intervertis dans B.
- ↑ 404 — torbé, lisez torble. — B, Tant par avés torble le vis. — Après ce vers, B ajoute :
Je ne vos puis tenir couvent,
Goulias bée trop souvent. - ↑ 405 — * mie. A, mies. Ce vers manque dans B, ainsi que le suivant. — Le ms. B place ici les vers 427-436, et ce n’est que plus loin que l’on retrouve ceux dont nous donnons les variantes ci-dessous.
- ↑ 407 — * dyables. A, dyables le. — Au lieu de ce vers et du suivant, on lit dans B :
On ne puet pas faire tous tans
K’on ne soit et las et estans. - ↑ 409 — Se. B, Li. — biaz. B, bons.
- ↑ 410 — * mie. A, mies. — B, Mais tous tans ne sont mie meures.
- ↑ 411-412 — Ces vers manquent dans B.
- ↑
- ↑ 414 — jugié. B, jucié.
- ↑ 415-417 — B :
Si que bien certes le verrés,
On dist ja je sui esverrés,
Ja ne larrai que tiel vous die. - ↑ 418 — Trop. B, Molt.
- ↑ 419 — si. B, tant.
- ↑ 420 — vielhe. B, veve.
- ↑ 421 — il n’iert ja .I.. B, ja n’iert .I. seul.
- ↑ 423 — paies. B, bailliés.
- ↑ 425 — B, « je » manque. — l’euvre. B, cele oeuvre.
- ↑ 426 — la crupe mure. B, les rains remuevre. — Après ce vers, le ms. B ajoute :
Se jou nes ai par saint Ricier.
Vous les comperrës ja molt cier. »
La dame l’ot, molt li anoie.
Quant ele entent à la monnoie
Ke li bacelers li demande ;
A .C. diables le commande.
Ele aimme mix estre batue,
U que il l’ocie et le tue,
K’ele tel avoir li delivre
Ne qu’il en ait ne marc ne livre.
Lors le recommence à maudire
Et à tencier et à laidire :
« Ahi ! » fait ele, « despendus.
Or est vos avoirs despendus… »Le ms. B s’arrête ici, le feuillet qui suit manquant. — Les variantes que nous notons plus loin se trouvent placées plus haut dans B. Cf. la note du vers 405.
- ↑ 427 — B, « Dont, » dist la dame, « fel cuivers. » — Ce vers et les suivants font suite dans B au vers 405 de A.
- ↑ 428 — deuuistes. B, deüsciés.
- ↑ 429 — U rendus à. B, Et entrer en.
- ↑ 430 — B, Malement m’avés obeïe. — Après ce vers, B ajoute :
Or puet on bien de fi savoir
Ke je n’eue gaires de savoir. - ↑ 434 — Focuin, B, Foukelin.
- ↑ 436 — d’Orliens jusqu’à. B, dementres qu’à.
- ↑ 437 — * emblez. A, emblé. — Ce vers manque dans B, et tous les vers qui suivent sont ajoutés :
Sire, mal estes restorés ;
Vous devés bien estre plourés.
Car onques plus preudora ne fu.
Vos sens et vos favors mar fu
Vostre science et vo bontés.
Molt estiés sages et dontés ;
Onques par vous ne fui maudite.
Ni adesée ne laidite,
Et cis damoisiax me manace ;
Il est bien drois que je me hace. »
Dont li respont cil à haut ton :
« Dame, vous avés un glouton
Ki tous jors vauroit alaitier ;
Il a fait Bauçant dehaitier ;
Je l’ai awant souvent retrait
Tout herçoiié et tout contrait.Suit le vers 407 de A.
- ↑ 448 — * mie. A, mies.
- ↑ 469 — * Si. A, Et si. — * des. A, de.
Imbert a remis ce fabliau en vers. Cf. aussi La Fontaine, Fables, liv. VI, 21, et VII, 5.
L
ROMANZ
DE UN CHIVALER ET DE SA DAME
no 50, fo 91 à fo 94.[1]
n chivaler jadis estoit
Ke femme et enfaunz avoit.
De sun cors esteit trés pruz ;
A tuz esteit corteis et druz ;
Sa femme estoit mult[2] bone dame,
De vilainie n’out unkes blame ;
Seinte[3] Esglise mult amoit,
A mushter chascun jor aloit ;
Par matin il i voleit estre
Bien sovent ainz ke li prestre.
Mult fu de grant religion ;
A nului[4] ne vout si bien noun.
La dame fu corteise e bele ;
Si avoit une dammoisele
Ke fu la soer de[5] son seignur.
La dammoisele nuit e jur
A la dame tut entendeit,
E son commandement feseit
Si ke n’i out une contredit.
Li chevaler ad grant delit
De user sun tens en juer,
En venerie et en river.
Sovent haunta il[6] les esturs ;
Ilekes[7] receut les honurs ;
Chevals conquist, armes gaina,
E la dame pur li preia.
Kaunt vint à l’oshtel sojorner,
Dune se joyna à sa muler[8] ;
Une n’i out entre eus mesparlé,
Car pleins furent de charité.
Assez aveient terres e feuz ;
L’un vers l’autre fud druz e pius,
E fu la dame bele e gente :
Tant bele n’aveit entre trente.
Bele fud la dammoisele,
Mès la dame fud cent fez plus bele ;
De beauté poer ne avoit.
La dammoisele bele estoit.
Quei vus irrei plus eslongner
De lur beauté sermoner ?
Assez fu l’une e l’autre bele,
Mès meins remist à dammoisele[9].
En cele vile, si com sout estre,
Estoit un vicaire, un prestre,
Que fud prodomme en sa manere.
Ne fud ne[10] glotun ne lechere,
Bien ama Deu e seinte Esglise
E bien sustint le sien[11] servse.
Les[12] clerks amoit ke bien chanteient
E ke melodie feseient
En esglise pur Deu loer ;
En li n’i aveit quei reprover.
Icil[13] produm un clerk avoit
Ke de novel venuz estoit :
Bien savoit et[14] chaunter e lire
Li clerk, e si savoit li sire,
Li clerk fu de bele estature,
Bien out en li overé Nature.
Qui de beauté vousist contendre,
En li n’avoit que i reprendre :
Apert avoit la viere,
Sur tote rien fud debonere.
La gent le amoient pur sa bounté,
Pur sa pruesce, pur sa beauté.
Le vicaire mult le ama
Kar sage e umble[15] le trova.
Si estoit li clerk gentil,
Ne fut païsant ne nés[16] vil,
Car[17] fiz de chivaler estoit.
Piere e miere perdu avoit ;
A la clergie se vout tenir :
De ceo se quidout mieuz guarir.
Quei vus irrai[18] plus enloingnant ?
Li clerk fud par amé taunt
De riches, de poveres ensement,
Des homes, de femmes, de tote gent,
Ke tuy parleient bien de li :
Ne vodroient k’il eiist enui.
Cil clerk, deint jeo vus ai conté,
Chascun jor en la matiné
Al mouster vint tut de[19] premer,
Overi l’us e lessa entrer
La dame ke par matin leveit
E al mouster tantost aleit.
La dammoiselle l’i suy,
Que ne voleit estre loing de li.
Tant passa li tens avant
Ke li clerk devint amant
A ma dame sanz reison,
Ke fud de grant religion.
Cele l’ ama com autre gent[20],
Mès il la ama tut autrement :
De amur à li parler ne oseit
Kar bone dame la saveit,
E dotout mult le sien[21] seignur,
Ke il suth k’ eust[22] fait tel deshonur
Ke de sa femme eust felt folie
Tost i perdreit la vie ;
Mès pur eschiver[23] grant damage
Koy se tint, e fist ke sage.
La dame rien ne savoit
Ke li clerk tant l’amoit.
Ne pensa nient de folie,
Deu ama e bone vie.
Chascun jor, kant ele mangeit,
Treis povres devant li pesseit.
La chamberere le clerk ama
Tant ke bien[24] près se aragia.
Pur hounte ne pout descoverir
Ke maus de amur la fist sentir ;
Bien vout ke le clerk la amast
E ke de amur la priast.
Ici avoit estrange amur :
Nul ne savoit de autri dolur ;
La dame del clerk ne sout novele
Ne li clerk de la dammoisele.
Mult furent les dous tormenté ;
La dame n’i miht une sa pensé,
Ne ama le[25] clerk si en Deu nun.
Li clerk par fine foleisun
Ama tant ke il enmaladi :
Sa colur, sa beauté perdi.
De la pucele vus puis dire
Que ele entra en tel martire[26]
Por le clerk, kar forment l’amat,
Por poi ke sun sen ne chaungat[27] ;
De fine aunguisse[28] enmaladi.
Poi manga e meins dormi,
Perdi sa[29] force e sa colur.
Le clerk ne sot de cele[30] amur,
Mès por la dame languisseit ;
E la dame rien ne saveit,
Kar n’ot cure de tel amur.
Ne amoit autre ke son seignur.
Le clerk ne pout plus endurer :
Tant fu fiebles ne pout aler ;
Contre son[31] lit ala coucher,
Lessa le beivre et le manger.
Li proveire sun seignur
Pur le clerk fud en tristur.
Mult le pleint, kaf bien le amat.
De manger sovent le priat,
Mès por nient le feseit ;
Le clerk dist qu’il ne mange reit,
Kar ne pout por la[32] maladie.
Kant la novele fut oïe
Parmi la vile, entre la gent
Mult le pleindrent durement.
Li chivaler, la dame[33] auxi,
Aveient grant pité de li.
La dammoisele kant ceo savoit,
Se purpensa mult estroit
Coment peûst à li parler,
Si de rien li peust conforter.
A la dame vint, si li dist :
« Dame, merci pur Jhesu Christ.
Vous sovient il del bacheler
Ke vus soliez tout preiser,
Le beau clerk si bien chauntant ?
Tant est malades ne peut avant :
Il ne atent mes que la mort.
Qui faire li peust nul confort
Il fereit[34] aumonne e honur. »
La dame respond[35] par douçur
Ke volentiers confort li freit,
Si il nule rien voleit
De chose ke eust[36] en sa baillie.
La dame la dammoisele prie
Ke ele voit al clerk parler
E[37] de sun estre demander.
Kant ceo oït la dammoisele,
Joiose fud de la novele ;
Ore quida bien acomplir
Une partie de sun désir.
Quand ele fud apparaillée,
A plus tost ke[38] pout se est hastée :
Vient al clerk, si le salue.
Le clerk avoit truble la veue,
De june avoit fieble cervele.
Ne conuht pas la dammoisele ;
Ele vint près, si le appella,
De par sa dame le[39] salua.
Kant il la dame oït nomer
Il se senti trestut[40] leger :
Sus sailli com se[41] tut fust sain.
La pucele tendi sa main,
E loa ke en peis se tenist.
Sur le lit lez li[42] s’ashit,
Li demanda de sun estat :
Le clerk, ke fud fiebles e mat,
Respondi ke bien le fereit[43]
Si sa dame amer[44] le voleit.
Adounk se lessa chair jus,
A cele eure ne dist plus.
La dammoisele k’ Amur destreint,
(Amur est celi qui tut veint).
Ne se pout plus avant tenir[45].
Tost li covint à descovrir[46]
Son corage e son talant :
Com le aveit amé forment,
E com pur le fud travaillée,
Palle, teinte e descolurée ;
Unkes[47] mès n’avoit à nule jor
Vers autre home[48] si grant amur ;
Mès le clerk pur ceo li mercia,
E dist ke bien li rendera
La peine, le duel e l’ enuy[49]
Ke tant aveit suffert pur li.
Dès or[50] ne peut li clerk celer
La peine e le grant encombrer ;
A la pucele descovri[51]
Pur quel e come[52] enmaladi,
E coment vivre ne poeit
Si de la dame l’amur ne aveit.
Cele se tint bien afolée
Kant li clerk[53] out celi amée
E tel amoit ke li ne amat ;
Adonkes[54] forment se duillat.
Al clerk ne fist unkes[47] semblant
De sa dolur ne[55] tant ne kant ;
Tut graanta quanqu’il voleit dire,
Mès al quor out e duel[56] e ire.
Li clerk la damoisele requist
Ke un message li feïst
A sa dame privéement
Tantost, pur quel e coment
Suffri pur li paine e dolur ;
E s’il ne eust de li le amur
A bref terme de duel morreit,
Tant li tint Amur en destreit.
La damoisele prist congee,
Triste e murne est retornee.
Or saveit ele bien de veir
Ke failli avoit de sun espeir,
Mès tant fîst ele de corteisie
Ke son message ne cela mie.
Dist à la dame le grant dolur
Ke li clerk suffri pur s’amur ;
Requist k’ele eust de li pité,
Alast le ver, pur l’amur Dé.
La dame dist k’ele ne voleit,
Kar de li cure ne avoit
Pur sa dolur ne pur sa joie.
E la pucele tote voie
Pur le clerk pleide e crie
Tant ke sa dame se humelie,
E dist ke volentiers irreit,
De sa folie le chastiereit[57].
La dame afublieit un mantel
D’escarlette bon e beel,
Puis dist à sa chamberere :
« Dammoisele, par vostre prière
Emprendrai[58] ore ceo veage,
Ou turt[59] à preu ou à damage.
E si ne faz mie ke sage :
Unkes[47] mès en trestut mon age
Ne mespris tant vers mon seignur
Com faz ore pur vostre amur.
— Dame, « ceo dit la meschine,
« Ceo comande la lei devine
Ke hom deit le malade visiter ;
Deus vus en rendra bon loer. »
La dame s’en va, ke tant fu bele ;
Od li va sa dammoisele.
A l’ostel le clerk vunt tut dreit ;
Vienent al lit où[60] il giseit.
Li clerk la dame reguarda,
De joie k’il out colur chaunga.
Parla en haut k’il fust oy :
« Li sire qui de la Virgine nasqui
E deigna pur nus morir
Vous rende, dame, cest venir.
Mult me avez aleggé de ma paine,
Entré sui en bon simaigne. »
La dame respont come corteise :
« De vostre maladie mult me peise ;
Deu, par sa sainte pieté,
Vous en doint bone saunté.
— De saunté, » fait il, « ceo ne est rien :
De ma saunté sai très bien
Jamès saunté ne avérai
Ne lunges vivre ne porrai
Si vus ne eiez merci de moi.
— Jeo merci ! » fet ele, « de quel ?
Ne me mesfeites unkes de rien,
Ne jeo vers vus ; ceo savez bien.
De vos pecchez vus face merci
Deu meimes, kar ceo est en li.
— Dame, dame, » li clerk respount,
« Bien sai jeo[61] ke de tut le mund
Est Deu juges e seignur[62] ;
Mès sacez ke ja[63] ma dolur
Ne ert alegge si par vus nun.
— Vous ne dites pas reisun, »
Dist la dame, « ainz dites folie.
— Nun faz, par sainte Marie ! »
Dist li clerk, « si[64] dirrai por quel :
Si vus ne eiez merci de moi,
Ke vus me grantez vos amurs,
Ja sunt terminé mes jors,
Bien sai ke[65] ne puis vivre avant.
Ma vie, ma mort à vus comant ;
Tut est à vostre volenté
Ma maladie et ma saunté.
— Coment, » ceo dist la dame, « peut estre ?
Ne sui[66] phisicienne ne prestre
Ke sache pocion doner
Ou vostre maladie oster.
— Allas ! » dist li clerk, « or[67] sui mort !
Certes, ma dame, vous avez tort.
Ne soliez bien Deu amer ?
E volez ore un chaitif tuer !
Si jeo meur pur vostre amur
Jeo requer nostre Creatur
Ke il prenge de vus vengance.
Kant faire me poez aleggance.
Si issi morir me lessez,
Apert homicide serrez.
Le maindre[68] mal deit hom eslire
Pur eschure[69] cel ke est pire. »
La dame le clerk escuteit
E se purpensa mult estreit ;
D’autre part li sembla fort
Si ele fust encheson de sa mort ;
Corteisement respondu[70] a
La dame, dist ke mult le ama,
E ke ele le dorreit volentiers
De ses dras, e[71] de ses deners,
E de son or si il voleit,
Mes autre chose ne li freit ;
Ceo ne avendreit à nul jor
Ke tant mesprit vers sun seignur.
Le clerk à cel mot se pausma,
La dame grant pité en ad ;
Un petit le ad suslevé,
E il la dame ad reguardé,
Puis recheï com homme mort.
Pensa la dame : « Jeo ai tort ;
Si cist se lest pur moi morir,
Que[72] purrai jeo lasse devenir ? »
Par sei jugie la dame[73] e quide,
Se il meurt, que ele seit homicide.
Meuz li vaut fere un pecché
Ke seit encontre sa volenté
Ke apertement e de gré suffrir
Un tel homme pur li morir.
De bon oyl le ad aguardé,
Teint le vit e descoloré,
E tant le aveit veu bel avant[74] !
Adunc se prist pité mult grant.
La dame sa chamberere apelle :
« Entendez ça, soer bele,
De cest homme ai grant pité ;
Si jeo ne faz sa volenté
Morra de duel, si corn jeo crei,
E si il morist[75] ceo peisereit mei.
— Ma dame, à vostre pleisir seit, »
Dist la pucele ; mes ele penseit :
De la dame aveit envie
Com cele que quidout estre amie,
E del clerk quidout avoir ami.
Le clerk aitant ses oils overi,
Vit la dame ke ele fud pensive,
En sun corage pense e estrive ;
Un mot li dist en suspirant :
« Ma dame, à Deu vus cumand.
Kant vus ne pensez de ma saunté
Del tut sui mort e afolé. »
Dune dist la dame : « Lessez ester
Si vus[76] voleie m’amur granter,
Ne mie pur delit que jeo eie,
Mès pur tant ke jeo vodreie
Alegger vostre maladie,
Kei vus vaudreit aver amie,
Quant vus n’avez le poer
Ke vus pussez od li juer ?
Mès si jeo tant vus amasse
Ke jeo m’amur vus grantasse
Ke vus jussez en mun lit
E feissez de moi vostre delit,
Quant quidriez estre de vigur
Ke faire peussiez le jug d’amur
E servir une dame à talent ? »
Le clerk se adresça erraument
Com il ne eüst el cors grevance
De tel afere bien se avance,
E dist ke dedeinz le tierz jor
Assez serreit de vigour,
Kar la joie k’il avereit
Fort e vigorus li fereit[77].
La dame li dist k’il attendreit
Quinze jurs e dune avereit
Sa demande sanz desturber ;
Pensast de beivre e de manger.
Li clerk, si tost com ceo oy,
Merveillusement[78] se esjoy
Tant com il feist[79] de la cité
De Paris ke li feust doné,
Mès le lung terme chalanga.
E la dame le chastia,
Li dist le liu[80] où il vendreit,
Le oure e quel abit il avereit.
La dammoiselle tut escouta
A ki cest co venant mult peisa,
Mès de ceo semblant ne fist ;
En sun quer pensa e dist
Ke lur covenant contereit
A son frere kant le verreit.
Traïz sunt li dous amanz
Si Deu ne lur seit guaranz,
E la dame guarde ne prent ;
Trop se sevra folement.
Ele ad del clerk pris congié
Si l’ad trei fez baisé ;
Dune se prisa, ne pas petit,
Le clerk ; tantost guerpi son lit,
Manga et[81] but, devint tut sein ;
Mult fu joius li chapelein.
La dammoisele ne se targa ;
Al chivaler trestut[82] counta
De chef en autre lur afaire,
Mès le chivaler nel vout creire ;
Ele li jurad assez de sermenz :
« Fole garce, » dist il, « tu menz ;
Unkes ma femme nel pensa.
Pur nient le dites, nel creirai ja.
Mau gré vus sai de la novele.
La dame est tant e[83] bone e bele
Ke ele ne freit ceo pur nule rien.
Vous estes foie, jeo le vei bien ;
Il semble que vous eiez la rage.
— Jeo vus durrai ma teste en gage, »
Respondi[84] tantost la meschine,
« Si jeo vus ment de lur covine ;
E si vus meimes le volez,
Deinz bref terme le troverez.
Le liu[80], le terme oi deviser
Kant il voleient asembler.
— Alas ! » le chivaler ad dit,
« Dune me prise ma femme petit ;
E jeo l’ai tant tut jors amé !
Si vus me aiez le veir[85] counté,
Jeo vus ferai[86] si grant honur
Ke une frere à suer ne fist greinur,
Jeo serrai meimes lur espie ;
Mar penserent la folie
Si jeo les peus entreprendre.
Or n’i ad for de l’attendre. »
La dame de ceo mot ne saveit.
Kant le terme venuz esteit,
Le chivaler ad congié pris,
Dist qu’il irreit fors de païs :
A un torneement irreit,
De sun revenir nient ne saveit,
La dame quidout qu’il deist veir,
Mès failli aveit de sun espeir,
Kar le seignur tut el pensa.
Près de la vile i demora
Deskes à vespre ; dune se atornout
En tele robe com le clerk out ;
Hasta sei al plus tost qu’il pout ;
Mès la dame de ceo ne sout.
Par une privée posterne entra,
Desuth un perer se reposa
Où le clerk venir deveit
Si com la soer li dit avoit.
Este vus la dame est issue :
Cele part est tost venue,
Le clerk quidout aver trové.
Cil se tint tut coi e celee,
Bessa le vis e le mentun.
La dame se dota de traïson,
En son afaire aveit pour,
Reguerda, conust son seignur,
Pensa que ele fust traïe,
Mès[87] pur tant ne s’amaya mie ;
Suëf le prist par la main,
Li demanda si il fust tut sein.
Cil respondi tut coiement
De maladie ne senti nient.
La dame tantost l’ad mené,
En une chambre l’ad enfermé,
Ke forte fud e loinz de gent ;
Puis si li dist corteisement
La conveniht qu’il attendist
Desques de meimes après li venist,
E dist qu’ele avoit herbergé
Dous chivalers e lour mainé ;
En la sale voleit aler
Pur ses hostes reheiter.
Si leur freit appariler liz,
E quant il fussent endormi,
A li priveement vendreit,
E il de li son talent fereit.
La dame tost arere ala.
Vint al gardin, le clerk trova ;
Ou li le mena en grant delit,
Si le fist cocher en son lit ;
Après lez li se coucha.
Le clerk la dame acola,
Beisa e fist tot son talant.
Trop fu la dame longement,
Ceo fud avis al chivaler ;
Enué fud del reposer.
Kant le clerk aveit tant fet,
Servi la dame sis fez ou seet,
Tant fu las ne pout avant.
La dame li dist en riant :
« Ore en pernez tant com voudret,
Kar jamès plus n’i avendret. »
Que volez vus ? il ne pout plus.
Ele li dist : « Or levez sus,
Alez tost hors de cest païs,
Kar, si le sussent mes amis,
Tost serriez vus tut[88] afolé.
De male gleive tut detrenché. »
La dame .XX. mars li dona ;
Li clerk donc s’en ala,
L’endemain sun congié prist :
A l’escole irreit, ce dist.
Le comand la dame tint ;
Une puis en le païs ne vint.
La dame dune en sa sale entra,
Ses serjanz trestuz appella :
« Or[89] tost as armes com bons vassals !
Un clerjastre[90], un menestrauz
En ma chambre est abatu.
Gardez k’il seit tant batu
Ke bien seie de li vengié,
Fole me quidout aver trové.
Fust or mon seignur à l’oustel,
Nus li feïssom trestut el !
Une mès ne m’avint en ma vie
Ke hom me feiht[91] la vileinie.
Si il ne seit cher comparé,
A tuz jurs serrai vergundé. »
A tant se levent[92] un e un ;
Un bon bastun prent chascun,
Od la dame vunt tut dreit
Là où le chivaler l’atendeit ;
Le us overi, e puis cria :
« Ore à li ! ore i parra
Si vus amez vostre seignur.
Dune me vengez de ceo lechur !
Fetes ke mès ne eit corage
Fere à gentil femme hontage. »
Ore est li seignur mal arivé,
Kar batuz est de sa maisnée[93] ;
Li un fiert al chef, li autre al cool ;
Ore se tint il bien pur fol.
Blescié se sent, en haut escrie :
« Merci, pur Deu, ma duce amie !
Si me ociez, vus ferez[94] mal :
Jeo sui vostre sengnur leal ;
Par mal conseil ai meserret. »
La dame se feint mult corucée[93],
Respondi, com par[95] grant irrur,
Ke ceo ne fud pas sun seignur,
Mès fud le clerjastre de la vile
Ke deceivre la quidout par gile :
« Mai quidout honir e mon baron. »
Il osta dune sun chaperun,
E la dame le reconuht.
Tantost à ses pez coruht :
« Sire, » dist ele, « pur Deu, merci !
Ki vus quidout ore aver ici ?
Forfete me sui durement.
— Par foi, » dist il, « nun estes nient,
Mais durement grant gré vus sai ;
A tuz jors meuz[96] vus amerai ;
Vous avez feit com bone dame,
E cele ke vus miht en blame
De moi ne ert jamès amie. »
Sa soer tantost ad enchacie,
Ama sa femme, la tint plus chère,
Kant servi li avoit en teu manere,
E sa femme après cel jor
Ama e chéri son seignur
Assez plus k’ unke[97] mès ne fiht.
De sun peché penaunce prist,
Ama Deu sor tote rien,
Unkes[47] puis ne mespriht de rien ;
Lung tens vesqui en vie bone,
Del païs dame e matrone,
E, kant moruth la bone dame,
A Deu rendi sus sa alme.
- ↑ L. — Le Chevalier, sa Dame et le Clerc, p. 215.
Publié par M. Paul Meyer dans la Romania, I, 69-87.
La plupart des corrections que nous avons à indiquer sont empruntées à M. P. Meyer ; mais, malgré tout, bien des vers de ce fabliau anglo-normand restent encore faux.
- ↑ Vers 5 — « mult » manque au ms.
- ↑ 7 — * Seinte ; ms., Seint.
- ↑ 12 — * nului ; ms., nul.
- ↑ 15 — « de » manque au ms.
- ↑ 23 — « il » manque au ms.
- ↑ 24 — * Ilekes ; ms, Ilek.
- ↑ 28 — * muler ; ms., mulier, qui n’est pas la forme anglo-normande.
- ↑ 42 — Le ms. porte : Mès le meins remist à la dammoisele.
- ↑ 46 — « ne » manque devant « glotun ».
- ↑ 48 — « sien » manque au ms. — servse, lisez service.
- ↑ 49 — « Les » manque au ms.
- ↑ 53 — * Icil ; ms., Cil.
- ↑ 55 — « et » manque.
- ↑ 66 — * sage e umble ; ms., sages e umbles.
- ↑ 68 — * nés ; ms., neif.
- ↑ 69 — « Car » manque au ms.
- ↑ 73 — * irrai ; ms., irrai jes.
- ↑ 81 — « de » manque.
- ↑ 91 — Le ms. porte : Cele ne li aina mès com autre gent.
- ↑ 95 — « sien », manque au ms.
- ↑ 96 — * k’eust ; ms., k’il eust.
- ↑ 99 — * eschiver ; ms., eschure.
- ↑ 108 — « bien » manque au ms.
- ↑ 119 — * le ; ms., li.
- ↑ 124 — * martire ; ms., matire.
- ↑ 126 — * chaungat ; ms., rechaungat.
- ↑ 127 — * fine aunguisse ; ms., fin aunguisse est.
- ↑ 129 — « sa » manque les deux fois.
- ↑ 130 — * ne sot de cele ; ms., ne savait de cel.
- ↑ 137 — « son » manque au ms.
- ↑ 145 — « la » manque.
- ↑ 149 — * la dame ; ms., e la dame.
- ↑ 163 — * fereit ; ms., freit.
- ↑ 164 — * respond ; ms., respondi.
- ↑ 167 — Le ms. ajoute ele avant « eust ».
- ↑ 170 — « E » manque.
- ↑ 176 — * ke ; ms., k’ele.
- ↑ 182 — * le ; ms., si le.
- ↑ 184 — * trestut; ms., tut.
- ↑ 185 — « se » manque au ms.
- ↑ 188 — « li » manque au ms.
- ↑ 191 — Le ms. porte : Respondi e dist que bien le freit.
- ↑ 192 — « amer » manque au ms.
- ↑ 197 — * avant tenir ; ms., detenir.
- ↑ 198 — covint à descovrir ; ms., covenist à descoverir.
- ↑ a, b, c et d 203, 219, 256 et 582 — * Unkes ; ms., Une.
- ↑ 204 — « home » manque au ms.
- ↑ 207 — * l’enuy ; ms., li enuy.
- ↑ 209 — * or ; ms., ore.
- ↑ 211 — * descovri, ms., se descoveri.
- ↑ 212 — * come ; ms., coment.
- ↑ 216 — « li clerk » manque au ms.
- ↑ 218 — * Adonkes ; ms., Adonc.
- ↑ 220 — « ne » manque au ms.
- ↑ 222 — * e duel ; ms., duel.
- ↑ 248 — Le ms. porte : E de la folie se chastiereit.
- ↑ 253 — * Emprendrai ; ms., Prendrai.
- ↑ 254 — * turt ; ms., tut.
- ↑ 266 — * ou; ms., là ou.
- ↑ 290 — « jeo » manque au ms.
- ↑ 291 — Le ms. porte : Est juges e seigneur Deu.
- ↑ 292 — * ja ; ms., je.
- ↑ 297 — « si » manque au ms.
- ↑ 301 — « ke » manque au ms.
- ↑ 306 — * Ne sui ; ms., Ja ne sui.
- ↑ 309 — * or ; ms., ore.
- ↑ 319 — * maindre ; ms., main.
- ↑ 320 — « eschure » qu’il faut corriger en eschiver, comme au vers 99.
- ↑ 325 — * respondu a ; ms., respondera.
- ↑ 328 — « e » manque au ms.
- ↑ 340 — * Que ; ms., Ou.
- ↑ 341 — « la dame » manque au ms.
- ↑ 349 — avant ; ms., en avant.
- ↑ 356 — * morist ; ms., morsist.
- ↑ 370 — * vus ; ms., jes vus.
- ↑ 390 — * vigorus li fereit ; ms., vigrus li freit.
- ↑ 396 — * Merveillusement ; ms., Merveillement.
- ↑ 397 — * feist ; ms., feust.
- ↑ a et b 401 et 437 — liu ; ms., lui.
- ↑ 417 — « et » manque au ms.
- ↑ 420 — * trestut ; ms., tut.
- ↑ 428 — « e » manque avant « bone ».
- ↑ 433 — * Respondi ; ms., Respont.
- ↑ 442 — * veir ; ms., veirs.
- ↑ 443 — * ferai ; ms., frai.
- ↑ 476 — « Mès » manque au ms.
- ↑ 515 — « vus tut » manque au ms.
- ↑ 525 — * Or ; ms., Ore.
- ↑ 526 — * clerjastre ; ms., clerejastre.
- ↑ 534 — * me feiht ; ms., mesfeiht.
- ↑ 537 — * levent ; ms., leve.
- ↑ a et b 548 et 556 — Les rimes de ces deux vers sont fautives ; mais il faut remarquer que l’anglo-normand note ordinairement le son é par ee, ce qui pour l’œil semble rimer avec ée.
- ↑ 553 — * ferez ; ms., freiet.
- ↑ 557 — Le ms. ajoute mult après « par ».
- ↑ 570 — * meuz ; ms., le meuz.
- ↑ 579 — * unke ; ms., k’unke.
L’idée de ce fabliau est à peu près la même que celle qui a inspiré le fabliau de « la Borgoise d’Orliens », publié dans notre premier volume, p. 117, et dont nous avons donné plus haut (p. 292) les variantes. M. P. Meyer rapproche le fabliau « Du Chevalier, de la Dame et du Clerc » du « Castiagilos » de Raimon Vidal.
LI
DU PRESTRE ET DE LA DAME
fo 65 ro, 1re col. , à 65 vo, 2e col. [1]
cil qui les mençonges trueve,
A fait ceste trestote nueve,
Quar il avint, à un mardi,
Que uns Prestres, devers Lardi,
S’aloit à Estanpes déduire ;
Mais ses deduiz li dut bien nuire
Ainsi com vos m’orroiz ja dire.
Mais conter vos vueil tot à tire
Comment une cointe borgoise,
Qui estoit mignote et cortoise,
Li ot mandé, n’est mie guile,
Que ses sires à une vile
Devoit cel jor au marchié estre :
Bien li ot tot conté son estre.
Que vos iroie plus contant ?
Li Prestres si esploita tant,
Et tant de la Dame s’aprime
Qu’il fu à l’ostel devant prime,
Ou fu receü sanz dangier.
La baiesse atorne à mengier
Char cuite en pot, pastez au poivre,
Et bon vin cler et sain à boivre,
Et li bains estoit ja chauffez,
Quant uns deables, uns mauffez,
Le seignor ia Dame amena,
Quant au marchié ot esté ja.
Le cheval qui soef le porte,
Il s’en vint droit devant la porte ;
Si la trouva molt bien fermée,
Que la barre ert tote coulée.
Quand il parla, si dit : « Ovrez
Errant et point n’i demorez ;
Por qoi m’avez la porte close ? »
Et la borgoise molt en poise,
Qui li covient la porte ovrir ;
Mais cele fist avant covrir
Les pastez soz une touaille,
Et puis après se retravaille
De repondre le chanteor,
Qui de soi avoit grant paor.
Au Provoire loe et conseille
Qu’il entrast en une corbeille,
Qui ert mise dedenz la porte.
Et cil, qui ne se desconforte,
Cel conseil ne refusa mie,
Ainz i entra, sanz nule aïe,
Que geter se velt de la frape ;
Mais il laissa aval sa chape.
Plus ne repostent ne ne firent,
Tot maintenant la porte ovrirent
Au borgois qui tendoit la muse.
Cil entra enz et partot muse,
Tant qu’il a la cuve veüe
Où la Dame estoit tote nue ;
Ainz nul barat n’i estendi,
Tantost du cheval descendi,
Si l’a fait molt tost establer[2] :
Et cil, qui n’a soing de fabler.
Qui repoz ert en la corbeille,
Icil ne dort ne ne someille,
Mais si fort de paor trestranble,
Que la corbeille et lui ensanble
Encontre terre aval chaïrent ;
Cil de l’ostel pas ne le virent.
Quant il vit qu’il estoit cheùz
Et qu’il n’estoit mie veûz,
Si s’en vient enmi la meson ;
Hardiement dist sa raison,
Ne parla pas comme noienz :
« Diex, » fait li Prestres, « soit ceanz ;
Ge vos raport vostre corbeille. »
Au borgois molt a grant merveille
Quant il vit ainsi le Provoire,
Et la Dame li fait acroire
Que ele le li avoit prestée.
Bien est la dame asseürée :
« Certes que ge en ai bon gaige.
— Dame, vos feïstes outraige, "
Fait li borgois, « quant en preïstes
Son gaige, ne ne retenistes, »
Or est li Prestres fors de foire :
« Dame, » fait il, « ma chape noire.
Se vos plaist, quar me faites rendre,
Ge n’ai mestier de plus atendre,
Et ma toaille et mes pastez.
— Sire Prestres, trop vos hastez,
Mais mengiez avuec mon seignor ;
Si li faites itant d’ennor. »
Et li Prestres dit : « Je l’otroie, »
Qui du remanoir ot grant joie :
Il est remés sanz grant dangier.
Lors vont laver et puis mengier.
La table sist sor deus coussins ;
Desor la table ot deus broissins
Où il avoit cierges d’argent ;
Molt estoient bel et gent.
Lors despiecent pastez et froissent ;
La Dame et li Prestres s’engoissent
De verser vin à grant foison :
Tant qu’au seignor de la maison
Ont tant doné de vin à boivre
Et mengier des pastez au poivre
Que il fu maintenant toz yvres.
Si ot vaillant plus de mil livres
En son chatel que au matin.
Lors commence à palier latin
Et postroillaz et alemant,
Et puis tyois et puis flemmanc,
Et se ventoit de sa[3] largesce,
Et d’une trop fiere proesce
Que il soloit faire en s’anfance[4] ;
Li vins l’avoit fet roi de France.
Lors dist li Prestres, ce me sanble,
Que trois genz leveroit ensanble ;
Mais li borgois li contredist,
Et dit : « Merveilles avez dit ;
Ice ne porroit pas voir estre ;
Merveille avez dit, sire Prestre, »
Fait li Prestres : « Et g’i metroie.
— Et qui metroiz ? » fait il. « Une oie, »
Fait li Prestres, « se vos volez.
— Ce est gas, quant ainsinc pallez,[5] »
Fait li borgois, qui le devée.
La parole au Provoire agrée
Et molt li plaist et atalente.
Lors vient au borgois ; si l’adente
Tot estendu encontre terre,
Et puis va la baiasse querre ;
S’il l’a mise sor son seignor ;
A la Dame fîst tant d’onor
Que sor lui lieve la chemise ;
Après si l’a enverse mise ;
Entre les cuisses si li entre ;
Par le pertuis li entre el ventre ;
Là a mis son fuiron privé :
Molt seroit malvais au civé
Li connins que li fuirons chace.
Molt est fox qui tel connin trace ;
Mielz li venroit trover deus lièvres,
Quar cil connins est si enrievres
Qu’il ne puet faire bele chiere
S’il n’a fuiron en sa tesniere.
De ci au borjois vos rameine,
De lui relever molt se paine,
Que, quant li Prestres boute et saiche,
Li borgois dit qu’il les esquasche
Et que desor lui a deus rosches,
Et li Prestres sone deus cloches,
Qui avoit faite sa besoigne.
Au borgois a dit sanz aloigne :
« Levez sus, que ge ne porroie
Ces trois lever por riens que j’oie :
Por quant s’en ai tel paine eiie
Que tote la coille m’en sue
Et[6] de l’angoisse et de l’efforz. »
Dist la Dame : « N’estes si forz
Que ausi forz ou plus ne soit ;
Or paiez l’oie, quar c’est droit.
— Dame, » fait il, « par bone estraine,
Soffrez vos jusqu’à diemaine,
Vos l’aurez grasse par ma foi. »
Dit le borgois : « Et ge l’otroi,
Si l’achaterez au marchié :
Bien ai eu le col charchié.
Alez à Dieu beneïçon ! »
Atant s’en vait en sa maison,
Que saigement a esploitié ;
C’est de tel vente tel marchié.
Par cest flabel poez savoir
Molt sont femes de grant savoir :
Tex i a et de grant voisdie ;
Molt set feme de renardie,
Quant en tel maniere servi
Son bon seignor par son ami.
- ↑ LI. — Du Prestre et de la Dame, p. 235.
Publié par Méon, IV, 181-187, et donné en extrait par Legrand d’Aussy, IV, 299-300, sous le titre de : « De la Dame et du Curé ».
- ↑ Vers 57 — * establer ; ms., entabler.
- ↑ 109 — * sa ; ms., ses.
- ↑ 111 — * en s’anfance ; ms., es anfance.
- ↑ 122 — Ce vers manque dans le ms., et a sans doute été suppléé par Méon.
- ↑ 155 — « Et » manque au ms.
Ce conte se retrouve dans les Nouveaux Contes à rire, dans les Contes du sieur d’Ouville, etc., etc.
LII
LE ROI D’ANGLETERRE
fol. 107 vo.[1]
e Jouglour ne fuit losengier,
Einz fin, senez, e dreioturier ;
Le Roy duement endoctrina
E corne prudhome le chastia.
Delez le trosne, dessoubs le deis,
As fortz chastels, es riches paleis,
Truffeur se trovent e pautonier,
Qar mestier ert de lur mestier ;
Devaunt nostre sire en pleniere cour
Sunt meint jogleur e meint lechour ;
Molt bien sevent de tricherie,
D’enchauntementz e genglerie,
E font parroistre par lur grymoire
Voir come mençonge, mençonge come voire.
Prions la doulce benoicte Marie
Qe des Engleis ele eie merci,
Prions que ele vueille semoigner
Cil tregetours à sermoner
E à nostre sire donner conseil
Tiel come le loiax menestrel.
Seygnours, escotez un petit,
Si orrez un trés bon desduit
De un menestrel que passa la terre
Pur merveille e aventure quere.
Si vint de sà Loundres, en un pree
Encountra le Roy e sa meisnée ;
Entour son col porta sun tabour
Depeynt de or e riche atour.
Le roi demaund par amour :
« Ou qy este vus, sire Joglour ? »
E il respount sauntz pour :
« Sire, je su ou mon seignour.
— Quy est toun seignour ? » fet le Roy.
« Le baroun ma dame, par ma foy.
— Quy est ta dame par amour ?
— Sire, la femme mon seignour.
— Coment estes vus apellee ?
— Sire, come cely qe m’ad levee.
— Cesti qe te leva quel noun aveit ?
— Itel come je, sire, tot dreit.
— Où vas tu ? — Je vois de là.
— Dont vien tu ? — Je vienk de sà.
— Dont estez vus ? ditez saunz gyle.
— Sire, je su de nostre vile.
— Où est vostre vile, daunz Jogler ?
— Sire, entour le moster.
— Où est le moster, bel amy ?
— Sire, en la vile de Ely.
— Où est Ely qy siet ?
— Sire, sur l’ewe estiet.
— Quei est le eve apelé, par amours ?
— L’em ne l’apele pas, eynz vint tousjours
Volonters par son eyndegré,
Que ja n’estovera estre apelée.
— Tot ce savoi je bien avaunt.
— Don qe demandez com enfant ?
A quei fere me demaundez
Chose que vus meismss bien savez ?
— Si m’aïd Dieus, » fet le Roy,
« Uncore plus vus demaundroy :
Vendras tu ton roncyn à moy ?
— Sire, plus volenters que ne le dorroy.
— Pur combien le vendras tu ?
— Pur taunt com il serra vendu.
— E pur combien le vendras ?
— Pur taunt come tu me dorras.
— E pur combien le averoi ?
— Pur taunt comme je recevroy.
— Est il jevene ? — Oïl, assez ;
Yl n’avoit unqe la barbe reez.
— Vet il bien, par amours ?
— Oïl, pis de nuit qe de jours.
— Mange il bien, ce savez dire ?
— Oïl, certes, bel douz sire ;
Yl mangereit plus un jour d’aveyne
Que vus ne frez pas tote la symeyne.
— Beit il bien, si Dieu vus gard ?
— Oïl, sire, par seint Leonard ;
De ewe à une foiz plus bevera
Que vus ne frez taunt come la symeyne durra.
—Court il bien e isnelement ?
— Ce demaundez tot pur nient :
Je ne sai taunt poindre en la rywe
Qe la teste n’est devaunt la cowe.
— Amy, ne siet il point trere ?
— Je ne vus menterei, a quel feyre ?
D’ark ne d’arblastre ne siet il rien ;
Je ne le viunqe trere puis qu’il fust mien.
— Passe il bien le pas ?
— Oïl, ce n’est mie gas ;
Vus ne troverez en nulle route
Buef ne vache que il doute.
— Emble il bien, come vus est avis ?
— Yl ne fust unqe de larcyn pris ;
Tant com ou moi ad esté
Ne fut mes de larcyn prové.
— Amis, si Dieu vus espleit,
Je demaund si il porte dreit. »
Feit le Jogler : « Si Deu me eyt,
Qy en son lit coché serreit
Plus suef avereit repos
Qe si yl fust mounté soun dors.
— Ces paroles, » dit le Roy, « suntneynz ;
Or me dirrez si il est seinz.
— Seintz n’est il mie, ce sachez bien ;
Car si il fust seintz ne fust pas mien,
Les noirs moynes le m’eussent toleyt
Pur mettre en fertre, come s’en serreit,
Auxi come autres seintz cors sunt,
Par tot le universe mount
Pur pardoun receyvre e penance fere
A tote gent de la terre.
— Seinte Marie ! » fet le Roy,
« Comment parles tu à moy ?
Je dis sauntz de gales e sorenz
E d’autres mais e tormentz. »
Fet le Jogler al Roy :
« Yl ne se pleynt unque à moy
De maladie qu’il out en sey,
Ne à autre myr, par ma fey.
— Bels amis, ad il bons pies ?
— Je ne mangay unque, ce sachez, »
Ensi le Joglour respount ;
« Pur ce ne say je si bons sunt.
— Qe vus est, daun rybaut ?
Sunt il[2] durs, si Dieu vus saut ?
— Durs sunt il verroiement.
Come je quide à mon escient ;
Yl usereit plus fers un meis
Que je ne feisse mettre en treis.
— Est il hardy e fort ?
— Oïl, il ne doute point la mort ;
S’il fust en une grange soulement,
Yl ne dotereit verreiement,
Ne ja n’avereit il poour
Ne de nuit ne de jour.
— Ditez moi s’il ad lange bone.
— Entre si e Leons sur Rone
N’ad nulle meilour, comeje quyt ;
Car unque mensonge ne dit.
Ne si bien noun de son reysyn
Ne dirreit pur cent marcz d’or fyn,
Mès qu’il ly voleit apertement fere
Mavesté de chescune matere
Ou larcyn par le pays,
Ou homicide, qe valt pys ;
Sire Roy, ce sachez,
Par ly ne serrez acusez. »
Fet le Roi : « Je ne prise pas vos dys.
— Ne je les vos, que vaillent pys.
Je di bourde pur fere gent ryre,
Et je vus en countray, bel douz syre.
— Responez à droit, daunz Joglours ;
De quele terre estez vus ?
— Sire, estez vus tywlers ou potters
Qe si folement demaundez ?
Purquoi demandez de quele tere ?
Volez vus de moi potz fere ?
— E qe diable avez vus,
Que si responez à rebours ?
Tiel ribaud ne oy je unqe mès.
Diez de quel manere tu es ?
— Je vus dirroi, par seint Pere,
Volenters de ma manere :
Nus[3] sumes compaignons plusours,
E de tiele manere sumes nous
Que nus mangerons plus volenters
Là où nous sumez priez,
E plus volenters e plus tost,
Qe là où nous payons nostre escot ;
E bevoms plus volenters en seaunt
Qe nus ne fesons en esteaunt,
E, après manger que devant,
Pleyn hanap gros e grant ;
E, si vodroms assez aver,
Mès nus ne avoms cure de travyler,
E purroms molt bien deporter
D’aler matyn à mostier ;
E ce est le nostre us
De gysyr longement en nos lys
E à nonne sus lever
E puis aler à manger ;
Si n’avoms cure de pleder,
Car il n’apent à nostre mester ;
E nus vodroms estre tôt dis,
Si nus pussoms, en gyws e rys ;
E si vodroms aprompter e prendre,
E à nostre poer malement rendre ;
Nus n’avoms cure de aver,
For que nus eyoms assez à manger ;
Plus despondroms à ung digner
Qu’en un mois pourroms gayner ;
E uncore volum plus,
Quar orgoil est nostre us,
E à bele dames acoynter,
Ce apent à nostre mester.
Or savez une partie
Coment amenons nostre vie ;
Plus ne puis par vileynye
Counter de nostre rybaudie.
Sire Roi, or me diez
Si nostre vie est bone assez. »
Le Roy respoygnant ly dit :
« Certes, je preise molt petit
Vostre vie ou vostre manere,
Quar ele ne valt mie une piere.
Pur ce que vus vivez en folie,
Daheit[4] qe preyse vo vie !
— Sire Roi, » feit le Jogler,
« Quei val sen ou saver ?
Ataunt valt vivre en folye
Come en sen ou corteysie.
Et tot vus mostroi par ensample
Qu’est si large e si aunple
E si pleyn de resoun,
Que um ne dira si bien noun.
Si vus estez simple et sage houm.
Vus estez tenuz pour feloun ;
Si vus parlez sovent e volenters,
Vus estes tenuz un janglers ;
Si vus eiez riant semblaunt.
Vus estez tenuz pur enfaunt ;
Si vus riez en veyn.
Vus estez tenuz pur vileyn ;
Si vus estes riche chivaler
E ne volez point tourneyer,
Donqe dirra ascun houme
Vus ne valez pas un purry poume ;
Si vus estes hardy e pruytz,
E hauntez places de desduytz :
« Cesti cheitif ne siet nul bien ;
Taunt despent qu’il n’a rien. »
Si vus estes houme puissaunt
E serez riche et manaunt,
Dount dirra hom meyntenaunt :
« De par le deable ! où ad il taunt ? »
S’il est povre e n’ad dount vyvre :
« Cest cheitif tot ditz est yvre. »
Si il vent sa tere pur ly ayder :
« Quel diable ly vodera terre doner ?
Yl siet despendre e nient gaigner »,
Chescun ly velt cheytyf clamer.
S’il achate terres par la vile,
Si lur estoit autrement dire :
« Avey veu de cel mesel
Come il resemble le boterel
Qe unque de terre ne fust pleyn ?
Ensi est il de cel vileyn. »
Si vus estes jeovene bachiler
E n’avez terre à gaygner
E en compagnie volez aler
E la taverne haunter,
Vus troverez meint qe dirrat :
« Où trovera il ce qu’il ad ?
Unque ne fist gayne à dreit
Ce qu’il mangue et ce qu’il beit. »
Si vus alez poi en compagnie
E taverne ne hauntez mye :
« Cesti est escars, avers et cheytif,
C’est damage qu’il est vyf ;
Yl ne despendi unque dener,
S’il ne fust dolent al departer :
De son gayn Dieu li doint pert,
Yl n’out unqe la bourse overt. »
Si vus estes vesti quoyntement,
Donqe dirrount la gent :
« Avez veu de cel pautener,
Com il est orguillous e fier ?
Ataunt usse je de or real
Com il se tient valer fient de cheval !
Yl[5] n’i averoit si riche houme, par Dé,
En Londres la riche cité. »
Si vostre cote seit large e lée,
Si derra ascun de soun grée :
« Ce n’est mie cote de esté. »
Donqe dirra le premer :
« Assez est bone, lessez ester ;
Il resemble un mavois bover. »
Si vostre teste soit despyné
............
E soit haut estauncé :
« C’est un moygne eschapé. »
Si vostre teste seit plané,
E vos cheveus crestre lessé ,
Yl serra meintenant dit :
« C’est la manere de ypocrit. »
Si vostre coyfe seit blanche e bele :
« S’amie est une damoysele,
Qe ly vodra plus coyfes trover
Qe ly rybaud pust decyrer. »
Si ele est neyre, a desresoun :
« Yl est un fevre, par seint Symoun !
Veiez corne est teint de cliarboun. »
...............
Si vus estes cointement chaucé
E avez bons soudlers al pié,
Si serra ascun par delee
Que vus avera al dey mostree,
E à soun compaignoun est torné :
« Ce n’est mie tot, pur Dé,
De estre si estroit chaucé. «
Dirra l’autre : « A noun Dé,
C’est pur orgoil e fierté
Que li est al cuer entrée. »
Si vus estes largement chaucé,
E avez botes feutré
Et de une pane envolupé,
Donqe dirra ascun de grée :
« Beneit soit le moigne de Dee
Qe ces veyle botes par charité
Ad à cesti cheytyf doné. »
E si vus les femmes amez,
E ou eux sovent parlez
E lowés ou honorez,
Ou sovent revysitez,
Ou, si vus mostrez par semblaunt
Qe à eux estes bien vuyellaunt,
Donque dirra ascun pautener :
« Veiez cesti mavois holer,
Come il siet son mester
De son affere bien mostrer ».
Si vus ne les volez regarder
Ne volenters ou eux parler,
Si averount mensounge trové
Que vus estes descoillé !
Auxi di je par delà
Come l’ensaunple gist par desà,
Si ascune dame bele
Ou bien norrie damoysele
Par sa nateresse e bounté
De nulli seit privée,
Ou si ele tant ne quant
Fasse à nully bel semblaunt,
Ou si ele vueille juer :
Cele est femme de mester
E de pute manere
E à gayner trop legere.
Si ele soit auqa hontouse
E de juer dangerouse :
« Veiez corne ele se tient souche !
Bure ne destorreit en sa bouche. »
Cornent qe ele ameyne sa vie,
Rybaudz en dirront villeynie.
Si volenters alez à mostier
E à Dieu volez prier
De vos pechiés remissioun
E de fere satisfaccioun,
Si dirra ascun qe vus regard :
« Ja de vos prieres n’ey je part,
Qar vus n’estes qe un papelart ;
Vos prieres serrount oys tart. »
E si vus alez par le moster
E ne volez point entrer,
Donqe dirra vostre veysyn :
« Cesti ne vaut plus qe un mastyn ;
Si Dieu me doint de son bien,
Cesti ne vaut plus que un chien. »
Si vus volenters volez juner
Pur vos pechiés amender,
Dount dirra li maloré :
« Où à deables ad il esté ?
Yl ad soun père ou mère tué,
Ou ascun de soun parentee,
Ou femme, file ou enfaunt.
Pour ce qu’il june taunt ».
Si vus sovent ne junez,
Donqe dirrount malorez :
« Cesti mavais chien recreant
Ne puet juner taunt ne quant,
Le bon vendredy ahorree
Prendreit il bien charité
Trestot par soun eyndegré
Ja de prestre ne querreit congé ».
Si je su mesgre : « Bels douz cher,
Mort est de faim ; il n’a qe manger ».
E, si je su gros e gras.
Si me dirra ascun en cas :
« Dieu ! come cesti dorreit graunt fiaut
En une longayne, s’il cheit de haut ! »
Si j’ay long nées asque croku,
Tost dirrount : « C’est un bercu. »
Si j’ay court nées tot en desus,
Um dirrat : « C’est un camus. »
Si j’ay la barbe long pendaunt :
« Est cesti chèvre ou pelrynaunt ? »
E si je n’ay barbe : « Par seint Michel !
Cesti n’est mie matle, mès femmel. »
E si je su long e graunt,
Je serroi apelé geaunt ;
E si petitz sei de estat,
Serroi apelé naym et mat.
Dieu ! come le siecle est maloré,
Que nul puet vivre sanz estre blamé !
Plus y avereit à counter,
E assez plus à demaunder ;
Mès je ne vueil estudier
Si vus ne me volez del vostre doner ;
Car ensi va de tote rienz
E des malz et des bienz ;
Car nulle rien ne purroi fere
Qe um ne trovera le countrere. »
Donqe dit le Roi : « Verroiement
Vus dites voir, à mien ascient.
Quei me saverez vus counsiler ?
Coment me puis countener
Et sauntz blame me garder,
Que um me vueille mesparler ? »
Respound le Joglour al Roy :
« Sire, moun counsail vus dirroy :
Si vus vostre estat veilla bien garder,
Ne devrez trop encrueler,
Ne trop estre simple vers ta gent ;
Mès vus portez meenement ;
Car vos meymes savez bien
Qe nul trop valt rien :
Qy par mesure tote ryen fra
Ja prudhome ne l’y blamera,
Par mesure meenement
Corne est escrit apertement,
E le latim est ensi :
Medium tenuere beati.
Qy ceste trufle velt entendre,
Auke de sen purra aprendre ;
Car um puet oyr sovent
Un fol parler sagement.
Sage est qe parle sagement,
Fols[6] come parle folement. »
- ↑ LII. — Le Roy d’Angleterre et le Jongleur d’Ély, p. 242.
Publié par Sir Francis Palgrave, Londres, 1818 ; par De la Rue, Essais historiques sur les bardes, les jongleurs, etc., 1834, I, 285-298 ; et par M. Fr. Michel, à la suite de la Riote du monde, 1834, p. 28-43.
Le ms. met toujours n à la place de u.
- ↑ Vers 126 — ils, lisez il.
- ↑ 165 — Nous, lisez Nus.
- ↑ 208 — * Daheit ; ms., Dasscheit. — * vo ; ms., vostre.
- ↑ 271 — Il, lisez Yl.
- ↑ 427 — * Fols, ms., Fole.
L’Explicit n’existe pas dans le ms.
LIII
LA CONTREGENGLE
fol. 214 ro à 215 ro.[1]
abloié as or longuement
Et moi ledangié durement :
Si te vient de grant ribaudie ;
Mès qui biau veut oir, biau die ;
Ceste resons bien i afiert,
L’une bontez l’autre requiert.
Tu es fols de contralier,
Quar l’uevre loe bien l’ouvrier.
Moult me torne or à grant anui
Quant tu demandes qui je sui.
Tu me demandes que je sai ;
Mès je voudroie qu’à l’essai
Fussons ore, entre toi et moi[2],
Liquels set plus. Foi que doi toi,
Tu paroles moult folement.
Si me fez si .I. argument
Et .I. sofisme tout boçu.
Mès, chetis bouliers, qui es tu ?
Nul bien al siecle tu n’entens ;
Or, di quels est tes argumens ;
Va aprendre ; bien t’est mestiers.
Tu es et moult baus et moult fiers ;
As tu ci nul de tes parenz ?
Tu te fez prone entre les genz.
Et si vous veus ci fere[3] entendre
Que nus ne te porroit aprendre
Por ce qu’il te facent aïue.
Tu n’as pas ta borde vendue,
Qui ainsi bestornes les nons.
Tu es li sages Salemons,
Qui tant aprist que en folie
Torna le sens de sa clergie.
Tant as vescu que tu radotes,
Or[4] t’est avis que, por .II. cotes
Que tu as environ tes os,
Que nus ne soit jamès si os
Que il devant toi parler ost
Ne plus que devant .I. provost.
Ce est coustume de chetif
Et de truant ribaut faintif
Que, quand il vient à .I. poi d’aise,
Dont ne voit rien ne li desplaise.
De maigre poille par nature
Plus male d’autre est la morsure.
Ne deüsses pas avoir cote
Qui fust entire ? mès la hote
Ce deüst estre tes mestiers,
Et fîen porter en .II. paniers.
Mestier n’as entre nule[5] gent
Qui en els aient escient.
Va seoir o tes vieilles sordes ;
Celes dois tu pestre de[6] bordes.
Tu ne dois pas porter viele
Ne mengier en nete escuele,
Mès en une auge avoec porciaus.
Forche, pele, besche, fiaiaus
Dois porter et itel merrien ;
Diex[7] te desfende de tout bien,
Et il te gart de ton salu.
Poi m’as grevé et poi valu ;
N’i bée ja que mes mestiers
Puist empirier de tels bordiers.
Quar pleust ore Dieu et Saint Leu
Que samblaisses aussi bien leu
Que tu resambles .I. asnier.
Or esgardez quel charruier,
Comme est bien tailliez à vilain.
Seignor, or soiez tuit certain
Qu’il est du plus mauvais lingnage
Qu’ainc veïssiez en vostre eage ;
Por ce di que tels pautoniers
Ne se puet grever .II. deniers.
Fui de ci[8], quar tu es ribaus ;
Ne vaus pas certes .II. chiez d’aus,
Non pas ribaus, mès ridolenz.
Male goute aies tu ès denz
Tu es un ribaus pailletous ;
Je t’ai veü par maintes cors
Que tu n’avoies pas vestu
Vaillant .III. solz. Mès qui es tu ?
Qui fu ton pere et qui ta mere ?
Je les conui bien, par Saint Pere :
Tes peres embla .I. tabar
Par qoi il fu penduz à Bar,
Et en meïsme cele anée
Fu ta mere à Provins plantée ;
Je vi une teue seror
Qui espousa .I. lecheor ;
Andui furent planté ensamble
A Miaus le Chastal[9], ce me samble ;
Por .I. sorcot qu’ele ot emblé
Furent ensamble audui planté.
Encor n’a gueres que je vi
A Sens, .I. jor de samedi,
En l’eschiele .II. granz meschines,
Qui près estoient tes cousines.
Qui en faus plet furent trovées ;
En Yone furent getées.
Estrais es de pute lingnie
Je revi ja de ta mesnie
Lez moi que j’avoie à voisins
.II. maus larrons de tes cousins ;
Andui furent par bougresie
Ars en milieu de Normendie.
Por ce me torne à grant despit
Que .I. tel ribaut me mesdit.
Ja bons ne seras, par Saint Pere ;
Li filz[10] doit resambler le pere ;
Chetiz es et chetiz seras,
Ne ja nul jor n’amenderas.
Par tant n’auras de qoi tu vives.
Por ce me poise quant t’estrives
A moi et que tu me deshonte.
Dont te vient il ? A toi que monte ?
Chascuns ribaus si devient prone
Quant il fet tant que il larrone
.IIII. deniers ou .V. ou sis,
Si veut estre ou haut dois assis ;
Mès tu auras le pelori ;
Jamès ne t’en verra[11] guéri.
Si t’aït Diex, où emblas tu
Cel sorcot que tu as vestu ?
Or emble tant que tu porras ;
Por .I. pendre quites seras.
Trop par esprens à .I. besoing ;
Tu n’as de l’autrui chose soing,
Se nel pues tolir ou embler.
Hé Diex ! com vaillant bacheler !
Comme est servanz et de grant pais 1
Diva, fol ribaus, quar te tais ;
Si te va pendre à .I. gibet.
Tu ne sais rien fors que d’abet,
De mespoins et de fortreture ;
Mès de ce n’ont preudomme cure.
Ja n’est il nus hom qui Dieu croie
Qui en moustier entrer te voie ;
Tu as toute usée ta pel
En la taverne et au bordel.
Tu trueves ainz c’on ait[12] perdu.
Or te voi je tout esperdu ;
Or soit ore tout en respit
Si recordé ce que j’ai dit.
Mès tu ne sez nule rien dire ;
Tu ne fez rien fors d’autrui lire.
Tu vas autrui mort conquérant,
Dont tu aquiers maint mal voillant.
Quanques[13] tu as ici jenglé
As tu d’autre leu descenglé ;
Je suis près de ce à prover
Que tu m’as ci oï conter.
Je n’i vueil mètre plus d’alonge ;
Aconsiurre vueil ta mençonge,
Mès les oevres dont tu te prises
N’as tu pas encor bien aprises.
En toi n’a se les bordes non,
Ne n’es tu pas de grant renon
Si comme autre menestrel sont
Qui aus granz cors les robes ont.
Mès toi, por qoi les donnoit l’en ?
En toi n’a proece ne sen,
Dont l’en te doinst .I. oef pelé.
Musart or t’ai bien apelé ;
Tu ne sez ne bien ne honor.
Onques mès, par le Sauveor,
Ne vi si fol ni si musart.
Va, si te pent à une hart ;
Feus t’arde l’eschine et les flans ;
Va toi repondre[14] souz ces bans
Con povre chose et nice et fole ;
Et fols est qui a toi parole ;
Mès Fortune t’a or bien fet
Qui t’a encressié et refet.
N’ai cure d’à toi estriver,
Quar bien tost me porroie irer
De corouz et de mautalent.
Mès se ce n’estoit por[15] la gent
Et por mes amis ahonter,
Je te feroie mesconter
De ces degrez une partie.
Or t’en va, si ne revien mie
En leu où me saches ne voies,
Que tu tendroies males voies.
- ↑ LIII. — La Contregengle, p. 257.
Cette pièce n’est que la seconde partie du fabliau « Des .II. Bordeors ribauz », publié dans notre premier volume, p. 1-12. (Cf. plus haut les Notes et variantes du premier volume, p. 273, vers 177.)
- ↑ Vers 13 — * toi et moi ; ms., moi et toi.
- ↑ 25 — faire, lisez fere.
- ↑ 34 — Et, lisez Or.
- ↑ 49 — seule, lisez nule.
- ↑ 52 — des, lisez de.
- ↑ 58 — Dieu, lisez Diex.
- ↑ 73 — * d’eci, lisez de ci.
- ↑ 90 — « Miaus le Chastal », « Meaux » en Brie.
- ↑ 108 — fils, lisez filz.
- ↑ 120 — Il faudrait lire verras, mais l’s finale manque de même au vers 113.
- ↑ 139 — * ait ; ms., art.
- ↑ 147 — Quanque, lisez Quanques.
- ↑ 168 — repandre, lisez repondre.
- ↑ 176 — pas, lisez por.
LIV
[DES ESTATS DU SIECLE]
fol. 37 et 38.[1]
ous lisons une istoire, ou fable,
D’un qu’avoit .I. fil non estable,
Qu’au comancement de sa vie
Regarda l’estat de Clergie,
Et vit qu’il est trop precieux,
Trés aisiés, trés delicieux.
Les Clers ont les prelations,
Les rantes, les possessions,
Les grans palaffrois, les chevaux,
Les vins vieux et les vins nouveaux,
Devant tous autres la parole.
Si se prist aler à l’escole,
Et cuyda bon Clerc devenir
Et cel grant estat maintenir.
Quant vint après .III. ans ou quatre,
Il regarda les enfans batre,
Et la poine qu’il convient traire,
Quant uns homs se veut por Clerc faire,
Matin lever et tart cuchier,
De jour panser, de nuyt songier,
Et les autres affliccions
Qui sont nès ès prelations ;
L’estat de Clergie desprise,
Et dist que mieux vaut Marchandise.
Marchans gagnyent ardiement,
Merchans vivent aisiement,
Marchans puent prouffit aquerre
Et en la mer et en la terre.
Lors fist ses nefz appareillier,
Outre mer[2] s’en vait por gagnier,
Mais, quant fust en la mer profonde,
Regarda le peril de l’onde,
Et se santist le cuer amer
Par l’esmeuvement de la mer,
Tantoust arrière s’en retourne ;
A cultiver terre s’atourne[3].
Cilz, qui avoit le cuer volage,
Commencza louuer cultivage,
Quar l’en puet gagnier en cultil
Sans grant travail et sans peril,
Sans aler loing de sa maison.
Mais après vint une saison,
Quant il cuida grant gaing aquerre,
Sa semence pourrist en terre
Et ne gita herbe ne grain.
Si se sentist por fol vilain,
Et jura par sa main senestre
Que Chevalier lui convient estre,
Quar Chevaliers ont les honneurs
Et les estas de grans seigneurs.
Sans main mettre, l’en leur aporte
l’out ce qui leur faut à leur porte.
L’en[4] les sert à grant diligence,
A honneur et à reverence ;
Chacun doubte les Chevaliers.
Quant eulx moynent leurs escuiers.
Leurs hommes avoec[5] leur pennallye ;
N’est rien ou monde qui leur fallye.
Qu’à Chevalier fait vilenie.
Il n’est pas seür de sa vie.
Tantoust Chevalier se fist faire.
Mais après luy vint .I. contraire.
Que luy convient aler en guerre
Por son paix et por sa terre.
Et s’arma, selon la coustume,
Des armes qui ne sont pas plume.
Et il mist[6] l’eaume en sa teste ;
Ne le tient pas n’a jeu n’a feste.
Après, quant vist la chivauchie
Des enemis qu’ont aprouchie.
Et qui se moustroint en appart.
Lors voulsist bien estre autre part
Et pensa, s’il n’estoit délivres,
Qui luy dondroit .xm. livres,
Quar tel estat plus ne tiendroit
Pour le peril qu’il y veoit[7].
Si se trouva estre Avocas,
Et vist, entre tous les estas.
C’est celli par qui mieux luy samble
Que l’en met plus d’argent ensamble.
Avocas gagnyent sans grant poine.
Quant .I. homs sa cause demoine
Par Avocat, qui tout jour tire,
Il se puet bien tenir de rire,
Quar, s’il a point d’argent en borse,
Li Avocas[8] en fera trousse.
Tantoust prist l’abit d’Avocat ;
De Chevalier laissa l’estat.
Quant vint après, en .I. fort plait.
Ses aversaires avant trait
Tant de coustumes, tant de droès,
Tant de canons et tant de loès.
Et tant de desmandes luy baillye
Que il ne scet quel par qu’il alye.
Si propousa en son courage
Qu’il se mettroit en Mariage.
Quant .I. homs a sa preude feme,
Sage, sutil, de bonne fame,
Elle governe la maison
Et tout commande par raison.
Moult d’aise fait à son mary ;
S’elle luy voit le cuer mary,
Trés doucement le reconforte ;
Assés d’autre prouffit luy porte.
Pour ce tantoust se maria
Pour le grant aise qu’il y a.
Après, quant son estat cognoit,
Ne trueve pas ce qu’il cuydoit ;
Si tient en despit Mariage,
Et se mist en .I. reclusage,
Et propousa toute sa vie
Estudier Astronomie,
Et savoir du ciel la nature ;
Quar de la terre n’a plus cure.
- ↑ LIV. — Des Estats du siecle, p. 264.
Nous devons la copie de ce fabliau à l’obligeance de M. Eug. Ritter.
- ↑ Vers 30 — * Outre mer ; ms., Autre mer.
- ↑ 36 — * s’atourne ; ms., s’acourde.
- ↑ 53 — * L’en ; ms., L’un.
- ↑ 57 — * avoec leur ; ms., et leur.
- ↑ 67 — * Et il mist ; ms., Et mist.
- ↑ 76 — * veoit ; ms., vesoit.
- ↑ 86 — * Li Avocas ; ms., Le Avocat.
NOTES ET VARIANTES
DU PREMIER VOLUME
A. — Paris, Bibl. nat., Mss. fr. 19152, fol. 69 vo à 70 ro.
B. — » » » 837, fol. 213 vo à 214 ro.
Le ms. 354 de Berne contient ce fabliau sous le titre de : « Li esbaubismanz lecheor ».
Publié d’abord par B. de Roquefort, De l’état de la Poésie françoise, 1815, p. 290-305, d’après le ms. A. — Publié ensuite comme inédit par A. C. M. Robert, de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, Fabliaux inédits, 1834, p. 16-26, et par Achille Jubinal, Œuvres complètes de Rutebeuf, 2e éd., 1875, III, 2-14, d’après le ms. A ; donné en extrait par Legrand d’Aussy, éd. Renouard, II, 369-892.
Le ms. B porte comme titre : « La gengle au ribaut ».
Vers 8 — Com tu es. B, Vez comme es.
9 — * gaagnaige. A, gaaigne.
11 — bones. B, beles.
14 — cuit. B, croi.
19 — Tu. B, Qui.
22 — un cureur. A, une uevre. B, une oevre. C’est évidemment le sens d’œuvre qu’il faut adopter comme leçon.
24 — d’amone, leçon de Robert. A, d’aucone. B, d’aucune, qui est la bonne leçon.
27 — Lechieres. B, Et lechier.
29 — Cils homs, com. B, Com cils homs.
30 — robe. B, cote.
31 — N’a u. B, N’aura.
32 — Or esgardez. B, Veez or en.
35 — quant tel. A, quant que. B, quanques.
39 — bone œuvre. B, oevre bons.
40 — * Tu sanbles un. A, Tu sanble un. B, Ainz es uns ors. — bouvieis. A, B, bouviers.
42 — un meneur. B, meneres.
43 — Miels. B, Molt miels. — faces. B, fez.
46 — Diex t’aïst. B, t’aïst Diex. — s’onques tu as, lisez s’onques tuas. B, se tu tuas.
50 — Pour Dé. B, Pour ce.
53 — repondre. B, respondre.
54 — on. B, l’en.
58 — conter. B, chanter.
63 — et, lisez ou.
65 — B, Chanter el monde n’i a tel.
66 — On remarquera que, dans l’énumération des chansons de geste, la plaisanterie consiste à emprunter à deux chansons différentes les éléments de deux nouveaux titres combinés deux à deux. Ici « Guillaume au tinel » est une allusion à « Guillaume au cort nez ».
68 — « Renoart au cort nés », allusion à « Renoart au tinel ».
69 — com. B, quant.
70 — d’Aie. B, d’Aien. — « Aïe de Nanteuil », allusion au roman d’« Aïe d’Avignon ».
72 — Garins. A, B, Garnier, qui est la bonne leçon. — « Garnier d’Avignon », allusion à « Garnier de Nanteuil ».
74 — « Guyon d’Aleschans », allusion à « Guy de Bourgogne ».
75-76 — Manquent dans B. — « Vivien de Bourgogne », allusion à un roman perdu portant le titre de « Vivien d’Aleschans », qui a dû précéder la « Chevalerie Vivien » et « Aliscans », rattaché plus tard à la Geste de Guillaume au court nez.
76 — « Bernart de Saisoigne », allusion à « Bernard de Brabant », personnage de la maison de Monglane, héros d’une chanson perdue. Cf. G. Paris. Hist. poét. de Charlemagne, p. 79.
77 — Guiteclin. B, Guidequin. — « Guiteclin de Brebant », allusion à « Guiteclin de Saisoigne », c’est-à-dire à la « Chanson des Saxons ».
78 — « Ogier de Montauban », allusion à la chanson d’« Ogier le Danois ».
79-98 — Manquent dans B.
80 — « Renaut le Danois », allusion à « Renaud de Montauban ».
85-86 — « Gauvain et Kex », personnages des romans de la Table ronde, qui se prennent ici mutuellement leur épithète ordinaire.
87 — « Perceval de Blois », allusion à « Perceval le Galois ».
88 — « Pertenoble le Galois », allusion à « Partenopeus de Blois ».
95 — Allusion au roman de « Flore et Blanchefleur ».
98 — « Tibaut de Viane », allusion à « Thibaut d’Aspremont », chanson de geste perdue aujourd’hui et que ce passage nous révèle.
99 — « Girart d’Aspremont », allusion à « Girart de Viane ».
100 — n’est. B, n’a.
102 — Grant despit ai com, B, Si ai desdaing quant.
107 — recouvriers. A, B, recouvrier.
110 — Se de ma main voloie ovrer. B, Se je m’en voloie à ovrer.
112 — Entre le vers 112 et le vers 113, le ms. B donne les 16 vers suivants, qui répètent avec des différences les vers 79-98 du ms. A :
Mès de chanter n’ai ore cure.
Si sai de romanz d’aventure
Qui sont à oïr delitable ;
Je sai de la roonde table,
De G. (Gauvin) sai, le mal parlier,
Et de Keu, le bon chevalier ;
Si sai de Percheval del bois.
Et de sire Yvain le Galois
Sai je plus de .lx. lesses.
Et tu, chetis, morir te lesses
De mauvestié et de perece.
En tout le monde n’a proece
De qoi tu te puisses vanter.
Mès je sai aussi bien chanter
Et en romanz et en latin
Ausi au soir comme au matin.
113 — à. B, en.
115 — D’ues friz. B, Desus.
126 — B, En ceste monde n’a nule riens.
133 — nel lairai que ne vos. B, ne lairai que ne te.
134 — une. B, tel.
135 — grantz, lisez granz.
136 — fax, lisez fox. — B, Et tu, que fez, di, folz noiens. — Le ms. B ajoute après ce vers :
Bien pert que tu es fols naïs ;
Que quiers tu donc en cest païs ?
137 — Tu ne sai pas, lisez Tu ne sez pas. B, Quant tu ne sez.
138 — force. A, B, toz les.
140 — Trenchefonde, lisez Tranche-fonde.
141-142 — Ces deux vers sont intervertis dans B. — On lit dans A : Gros-groig, poig.
142 — B, Qui assomme le buef del poing.
143-144 — Ces deux vers sont intervertis dans B. — Trenche-fer. A, Tranche-fer. — B, Et Runge-fer et Trenche-foie.
144 — qu’il, lisez que il.
145 — B, Et Mache-buignet et Guinant.
150 — pour, lisez par.
151 — ici. B, ceens.
152 — B, Certes l’en te devroit tant batre.
156 — por, lisez par. — * bouton. A, vouton. B, voton, qui n’a pas de sens.
158 — vuidéor. B, humeor. — brouet, lisez broet.
159 — humerre. B, vuideor.
160 — poi se tient. B, petitet.
161 — pas, lisez por.
165 — sur, lisez sor. — main, lisez mein. — B, Qui sur chetif homme met main.
167 — somes. B, savons.
171 — Fu de ci. B, Or t’en va.
173 — grosse. B, grant.
175 — par, lisez por.
176 — Nos. B, Quar.
177 — À partir de ce vers, la version du ms. B est toute différente de celle du ms. A, et a été publiée dans le second volume de cette édition (p. 257-263) sous le titre de « La Contregengle ». Nous n’avons donc plus à nous occuper ici que des corrections à faire au ms. A.
186 — beaux, lisez beax.
187 — * haute ; ms., hautes.
190 — * mal parliers ; ms., mentéors.
191 — cointereax, lisez cointerax ; — * mentéors ; ms., mal parliers.
197 — cueur, lisez cuer.
198 — sès, lisez sez.
200 — Sès, lisez Sez.
205 — jongleres, lisez jugleres.
215 — arrumaire, lisez artumaire.
218 — vueil, lisez vueill.
221 — prudhomes, lisez preudhomes.
223 — Tous les noms que nous voyons donner dans ce fabliau à des seigneurs ou à des sergents avaient peut-être pour les auditeurs du temps une application personnelle.
226 — Tosjors, lisez Tozjors.
234 — connois, lisez conois.
236 — vaincu, lisez veincu.
238 — tosjors, lisez tozjorz.
242 et 252 — coup, lisez cop.
246 — conois dusqu’à, lisez connois jusqu’à.
248 — connoi, lisez connois.
253 — Arrache, lisez Errache.
261-262 — Ces deux vers sont intervertis à tort. — Quauquelin, lisez Gauquelin.
263 — Funde, lisez Fonde.
264 — tos les bons sirjans, lisez toz les bons serjans.
267 — tan, lisez tant.
269 — sont plus, lisez plus sont.
272 — Hotte, lisez Hote.
273 — Torne-Enfine, lisez Torne-en-fui.
284 — * beax ; ms., beau.
289-298 — Tous les fabliaux dont parle ici notre trouvère sont connus ; celui de « Dame Erme », qu’on ne connaît pas sous ce nom, n’est autre que « le Villain de Bailleul ».
292 — els, lisez elz.
306-319 — Les chansons de geste et les héros d’épopée que cite notre auteur sont dans la mémoire de tous : Berthe aux grands pieds, les Loherains, la Chanson de Roland et autres poëmes du cycle carolingien ; Ogier le Danois, les Quatre Fils Aymon, le Couronnement Looïs, Beuve de Comarchis, Foulques de Candie, le Moniage Rainouart, etc.
331 — Ne parle, lisez Ne parler.
336 — Le ms. porte « noz parole » ; pour la régularité du vers, il vaut mieux lire no parole.
Publié par Barbazan, II, 125 ; par Méon, III, 245-254 ; par Renouard dans Legrand d’Aussy, IV, app. 27-30, et traduit par Legrand d’Aussy, IV, 257-263.
Vers 83 — deffendu, lisez desfendu.
105 — Ez-vos, lisez Ez-vous.
118 — Es-vous, lisez Ez-vous.
167 — arrière, lisez arrier.
227 — Jel, lisez Tel.
230 — * fust ; ms., fus.
262 — grand, lisez grant.
265 — durement ; lisez duremant.
Ce fabliau se retrouve dans Straparole, Nuit V, nouv. 3. Cf. Loiseleur Deslongchamps, Essai sur les fables indiennes, p. 157, et Straparole, éd. Jannet, I, xxviij.
Publié par Méon, I, 164-208, et traduit par Legrand d’Aussy, IV, 220-235.
Vers 26 — cueurs, lisez cuers.
38 — pourrez, lisez porrez.
39 — Champaigne, lisez Champaingne.
44 — proesce, lisez proece.
51 — preudome, lisez preudomme.
52 — some, lisez somme. De même pour un certain nombre d’autres mots de ce fabliau qui, écrits avec une seule m, en ont deux dans le ms.
147 — faisoit, lisez fesoit.
194 — convenoit, lisez couvenoit.
226 — deffere, lisez desfere.
236 — Ou soit à joie, ou soit à rage, lisez Ou tort à joie, ou tort à rage.
243 — convoite, lisez couvoite.
255 — suis, lisez sui.
389 — accordast, lisez acordast.
419 — vuet, lisez veut.
420 — promettre, lisez prometre.
438 — oncle, lisez oncles.
456 — senz, lisez sanz.
463 et 466 — convenant, lisez couvenant.
482 — l’acoitiez, lisez la coitiez.
487 — Galardon, « Gallardon », petite ville de la Beauce (Eure-et-Loir, arr. de Chartres).
497 — Guillaume, lisez Guillaumes pour la mesure du vers.
502 — eslirre, lisez eslire.
539 — aparcevoir, lisez apercevoir.
582 — preudom, lisez preudomme, qui dans la phrase est au régime.
613 — ceste afere, lisez cest afere.
635 — convoitise, lisez couvoitise.
640 — grans avoir, lisez granz avoirs.
698 — sans, lisez sanz.
720 — effraée, lisez esfraée.
730 — effroiz, lisez esfroiz.
789 — elle, lisez ele.
792 — * Là-sus ; ms. Lais, qu’il faut peut-être mieux lire Laiens.
803 — besoigne, lisez besoingne.
804 — pardoigne, lisez pardoingne.
835 — sans, lisez sanz.
898 — deffere, lisez desfere.
902 — grand, lisez grant.
943 — jor, lisez jors.
963 — Le vers est faux ; il faut corriger : li amena.
1020 — Vincestre, « Winchester », ville d’Angleterre, comté de Hampshire.
1107 — alé, lisez alez.
1119 — sait, lisez set.
1138 — fu, lisez fust.
1141 — aille, lisez j’aille.
1151 — poterne, lisez posterne.
1161 — garnemens, lisez garnemenz.
1215 — Besié, lisez Besie, pour la mesure du vers.
1286 — effroi, lisez esfroi.
1297 — meffet, lisez mesfet.
1306 — deffet, lisez desfet.
1322 — convenables, lisez couvenables.
Imbert a imité ce fabliau.
A. — Paris, Bibl. nat., Mss. fr. 837, fol. 73 vo à 75 ro.
B. — » » » 1593, fol. 103 ro à 107 ro.
C. — » » » 12,603, fol. 240 vo à 242 vo.
T. — Fragment trouvé dans la Bibl. de Troyes, aujourd’hui à la Bibl. nat., comprenant seulement les vers 151-293.
Il y a dans B, C et T des différences d’orthographe trop nombreuses et trop insignifiantes pour être données.
Publié par Barbazan, III, 68 ; par Méon, III, 398-408, d’après le ms. A ; par Renouard dans Legrand d’Aussy, III, app. 5-9, et analysé par Legrand d’Aussy, III, 49–57.
Vers 1-5 — B :
Une aventure conterai
D’ou le fablel vos en dirai.
Je tien le menestrel molt sage
Qui en trover met son usage
Quant il dit fabliaus et contes.
On lit dans C :
Une matere conterai
Dont le flabel vous dirai.
Je tieng le menestrel à sage
Qui en trouver met son usage
Dont on fait fabliaus et contes.
6 — dus, devant. B, rois et devant. C, rois, dus et.
7 — B, Fabliaus sont bon à raconter.
8 — mesconter. B, C, oblier.
9 — meffet. A, mesfet.
10 — Cortebarbe. C, Cointebarbe. — a cest fablel. B, a ce fablel. C, a cestui.
11 — B, Je croi molt bien qui l’en soveigne.
14 — B, Entr’aus .III. nul garson n’avoient. C, Entr’aus .III. .I. garchon n’avoient.
19 — furent. B, yerent.
21 — aloient. B, C, venoient. — Senlis. C, Saint Lis.
22 — qui venoit. B, C, revenoit.
24 — sommier. B, garson.
25 — Et bel. B, C, .I. bel.
26 — vint. B, vit. C, vient.
27 — C, « grant » manque. — embleüre, lisez ambleüre.
28 — vit. C. voit.
29 — B, Lors se pensa c’a nus envoie. C, Lors se pensa qu’aucuns en voie.
30 — la. C, lor.
31 — El cors. B, Ançois.
34 — Erraument. B, Maintenant.
38 — erraument. B, C, maintenant.
39 — falordant. B, faunoient. C, ambousant.
40 — Vez ici. B, Vez vos ci. C, Vés ci.
42 — Croix, lisez Croiz.
43 — Fet chascuns. B, Font il que. C, Dist chascuns.
45 — B, C, Atant li clers ansus se part.
46 — * veoir. A, vir, forme contracte de veïr. — B, Et dit qu’il verra lor depart. C, Dist que veïr veut lor depart.
47 — Esraument. B, Maintenant.
48 — B, Tant qu’il oy et entendi. C, Cil qui oï et entendi.
49 — B, Ce que li avugle disoient. C, Quanque li avule disoient.
50 — B, Et que antr’aus .III. devisoient.
52 — B, « or » manque. — or mie. C, mie ore.
53 — cest. B, se.
55 — Savez, « fet il. B, Je vous dirai.
57 — Grant tens. B, Grant piece. — ne. C, que ne.
58 — que chascuns s’aise. B, chacuns soit aise.
59 — plentive. B, garnie.
62 — C’or eussons. B, C, Car eüssiens.
63-64 — B :
Et si fuciens ataverné. »
À Compeigne sont retorné.
De même à peu près dans C :
Et fuissimes entavrené. »
Vers Compeingne sont retourné.
65 — lié, baut. B, baut, lié.
66 — les va adès. C, adiès les vait.
67 — dist que. B, C, dit tot.
68 — si adonc. B, C, ci atant.
69 — Dedenz la vile. B, An la vile en.
70 — C, S’oïrent et si escouterent.
71 — crioit. B, C, huchoit.
73 — B, C’est d’Auvergne, c’est de Soissons.
74 — et vin. B, pastés, leçon qui est de beaucoup préférable. — C, Cha char d’oissons et poissons.
75 — Ceens, lisez Ceenz. — B, Ci fet bon despendre son argent.
76 — Ostel i a. B, Ci a hostel.
77 — Ceens, lisez Ceenz. — B, C, Ci puet on aize herbergier.
78 — B, « part » manque.
79 — Si s’en. B, Tuit. C, Tuit .iii.
80 — Li borgois. B, Le prodome.
81 — Entendez çà. B, Sire, entendez.
83 — si. C, trop.
86 — Ce vers manque dans B, et est remplacé par le suivant, qui précède le vers 85 :
En une bele sale pointe.
De même dans C :
En une loge biele et painte.
87 — Quar nous volons. B, Si voulons nous.
88 — B, C, Li ostes pense il dient voir.
90 — aaisier. B, aseoir. — engranz, lisez en granz. Le vers manque dans C.
91 — B, En la salle qui estoit pointe.
93 — Porriez. C, Poés. — ci estre. B, estre et.
95 — Que. B, Dont.
96 — Sire. B, C, Oïl.
98 — C, « dont » manque.
99 — borgois. B, ostes.
100 — De. B, Et.
101 — Pain. C, Plais. — chapons. B, poissons.
102 — B, Et vins noviaus qui furent bons.
103-104 — B :
Puis lor fait laissus trametre
Et lor fait charbon en feu metre.
— fist. C, fait.
105 — se sont. B, C, furent.
106 — Li vallès au clerc. B, Et li vallès clers. C, Li vallès le clerc.
107 — ses chevaus. B, C, son cheval.
108 — qui moult ert. B, fu biaus et. C, fu sages et.
109 — B, Et fu vestuz molt richement. C, Biaus et vestus molt richement.
110 — moult hautement. B, cortoisement. — C, Sist avoec l’oste courtoisement.
111 — C, Au digner le matinée.
112 — au souper. B, après à la. — C, Puis au souper à la vesprée, leçon qu’il faut adopter.
115 — paticle. C, particle.
116 — B, Li .I. à l’autre vin donoit.
117 — après m’en. B, et tu me.
118 — Cis crut sor. B, Cil crut en.
119 — qu’il lor. B, que lor.
120 — Ainsi jusqu’à la. B, C, Ensis jusques à.
123 — Jusqu’au demain qu’il. B, Jusc’à demain qu’i.
125 — qu’il. B, que.
126 — Et l’ostes fu. B, Li ostes est. C, Li ostes ert.
127 — B, Et ses sergens, et si conterent.
129 — B, C, Li vallez dist : « En charité.
132 — B, Si m’aït Diex et saint Thiebaut !
133 — sols pour. B, tot pour. C, à par.
134 — De lui. B, A lui.
136 — C, Et chius i vait sans delaiier.
137 — Vint aus. C, Droit as.
138 — chascuns errant. B, tantost chacuns.
140 — Font il : « Or. C, « Or, » font il.
141 — li paierons. B, C, vous paierons.
142 — Savez, » font il, « que. B, C, Savez vos combien.
143 — dist il. B, C, fait il.
145 — Tuit troi. C, Tout droit.
147 — devant. C, desor.
148-149 — B :
Li avugle, sans contredit,
En vont l’oste arraisonnant.
150 — C, Si cuidons bien k’il soit pesans. — Ce vers manque dans B.
151 — Quar. B, Si. C, Se. T, Or. — rendez. C, donnée.
153-155 — Ces trois vers sont remplacés dans C par les cinq suivants :
Et dist li ostes : « Volentiers.
— Robert, » fait l’uns, « ces li bailliés,
Vous le vis qui veniés premiers.
— Mais vous qui veniés daarains,
Li donnés, car je n’en euc mie.
154 — baille. B, bailliez. — T, Faites tost, se li donés dont.
155 — l’a. Bé ! je n’en ai. B, l’a don, je ne l’ai. T, vous n’a, je n’en ai.
156 — Barbe florie. B, Plante florie.
157 — B, Non n’ai, mès vous l’avez, bien le sai.
158 — B, Par la cervelle Dé, non ai. C, Par le cerveille bieu, mon ai. T, Par le cervele Dieu, non ai.
159 — Liquels l’a dont ? C, Et qui là ?
161 — Dist. B, C, Fait.
162 — en longaingne puant. B, en la longaigne grant.
164 — Il li crient. B, Sire, » font il. C, A lui dient. T, Il l’escrient.
165 — Sire, moult bien. B, C, T, Car molt trés bien.
166 — Dont. B, C, T, Lors. — lor. B, la.
167 — Robers, lisez Robert. — fet l’uns, quar. B, fait il, car. T, faites, se.
168 — devant nous menez. B, devant li metez. C, devant nous metés. T, qui nous fu donnés.
169 — Vous le reçustes. B, Vous l’eüstes tot. T, Que receüstes.
170 — venez daarains. B, veniés derriens. C. veniés daarains. T, veniez daarrains.
171 — bailliez. B, C, T, donnés. — quar. B, que.
175 — lingnas. B, ligaz. C, laingnars. T, saignaz (ou sargnas).
176 — biaus, lisez biau. — à biau harnas. B, en ces biaus draz.
177 — le conte. B, cest conte.
178 — De ris. B, De rire.
180 — A l’oste. T, Cele part. — vint isnelement. B, s’en vint erremant.
181 — Se li. T, L’oste.
182 — gens, lisez genz. — ces gens. B, à ses gens. C, tel gent.
183 et 189 — Fet. B, Dit. C, T, Dist.
184 — c’ont. T, tout. — C, .X. sols que mengié que beü.
185 — fors escharnir. B, fors qu’escharnir. C, el k’escarnir.
186 — T, Mès de tout les puis garnir.
188 — le. B, C, les. — sor mon. B, à mon.
191 — L’oste respont : Moult. B, Dist li ostes : « Molt. » T, Li oste respont.
192 — entiers. B, legers.
194 — refuite. B, recite.
195 — porpenssa maintenant. T, maintenant se porpensa.
196 — la messe. T, as messes.
197 — C, Li clers tantost l’oste araisonne. T, Le bourjois tantost aresone.
198 — Ostes. B, C, Sire.
199 — dont. T, en. — dont ne connissiez. B, bien reconnoissiez. C, en le connissiés.
200 — Ces. B, Les. — croiriez. B, croiiez.
203 — Fet li borgois. B, Dist li ostes. T, Dist li bourgois.
204 — Que. B, Car. — C, Car je querrai bien…
206 — Dont dites j’en. B, Dites dont je. C, Dites que je. — j’en. T, que.
207 — B, C, A l’ostel quant je revandrai. T, Quant del moustier repairerai.
208 — Au moustier. T, Esraument.
209 — le commande. T, li otroie.
210 — ainsi. B, C, tot si. T, ausi.
211 — garçon. B, C, sergent.
212 — et qu’il troussast. B, si qu’i montast. C, et son harnas.
213 — B, Si tot com il reveigne (vers faux).
214 — B, A son oste dit que se veigne. — A l’oste. T, Au bourjois.
215 — el moustier en vont. B, C, T, au moustier s’en vont.
216 — le chancel. T, ambedoi.
217 — les .XV. sols doit. T, biax et gens estoit.
218 — doit, lisez doi.
219 — assir. B, T, seïr.
220 — B, Puis li dist : « Je n’ai pas loisir… ».
221 — dusqu’après. B, jusc’après.
223 — Je l’irai dire qu’il. B, C, Je li voiz dire que. T, Je li dirai que il.
224 — .XV. sols trestout. T, Vos .XV. sols tout.
225 — que. B, com. T, comme.
227 — Fet. T, Dist. — borgois. B, ostes. — le. T, l’en.
229 — Qui maintenant. B, La grant messe. C, Qui grant messe. T, Car grant messe.
230 — B, Li clers est venus à l’autel.
231 — bien. T, bel.
232 — estre gentiz. B, que fut gentis. C, qu’il fust gentis.
233 — C, Il n’avoit pas chiere rebourse.
234 — tret de. C, prist en. T, traist de.
235 — met. B, T, mist. C, boute.
236 — por. B, C, par.
237 — Entendez ça .I. poi. B, Or entendez .I. poi. T, Entendez .I. petit.
238 — li clerc. B, C, clerc si.
239 — je. B, si.
240 — giut, lisez giuc. — B, Je jiu ennuit en .I. ostel.
241 — B, Chiés .I. riche home qui tant vaut. C, T, Chiés .I. borgois qui forment vaut.
243 — Quar preudom. B, Vaillanz hons.
244 — cruel. B, si grant. C, molt grant. T, molt griés.
246 — B, Entr’aus que dememeniens grant feste. C, Entreus que nous meniemes feste. T, Entrues que meniiens no feste.
247 — Si qu’il. B, Car il. T, Si que. — trestoz. T, toz. — marvoiez. B, malvoiez. — Ce vers manque dans C.
248 — C, « Dieu » manque.
249 — encore li. T, c’un petit l’en.
251 — Après chanter. B, Après messe. C, Après le messe. T, Deseur son chief.
252 — Desus son chief. Et. B, Molt trés volentiers. T, Après chanter. Hé ! — Et par. C, De par.
253 — Fet. B, T, Dist. — lirai. B, dirai.
255 — Tantost. B, Si tost. — com j’aurai. C, que j’arai.
256 — clers, lisez clerc. — B, Dont en claim je bien le clerc quite.
257 — Fet. B, Dit. T, Dist. — Miex. C, B, Plus.
258 — comant. B, rant.
259 — Fet li clers. B, Di li prestres. C, Fait li prestres. — B, C, « doux » manque.
260 — à l’autel va. B, va à l’autel.
261 — Hautement. T, Esraument.
262 — Par .I. jor fu. T, Ce fu un jor.
263 — Au. C, T, C’au. — vindrent. B, T, vienent. C, vont.
265 — prendre. B, penre.
266 — borgois. C, ostes.
267 — Dusqu’à son ostel. B, Tantost à l’otel.
268 — monte, si. B, maintenant. — si va sa voie. C, si s’avoie.
269 — tantost. B, trestot.
270 — T, De revenir fu molt engrès.
271 — De. T, Pour.
272 — tout por, B, bien de.
273 — el. B, ou.
274 — devesti, lisez desvesti.
275 — que la. B, quant la. T, que grans.
277 — le livre et puis l’estole. B, le messel et l’estole. C, le livre et l’estole. T, et le livre et l’estole.
278 — Si. C, Puis.
279 — Venez avant. T, Or ça, » fait il.
280 — C, Ches paroles ne sont pas lies. T, Li bourjois l’ot, ne fu pas liez.
281 — Li borgois, ainz li. T, Tantost au prestre. — ainz li. B, ainsoiz.
281-4 — C :
Au bourgois molt forment anoie :
« Mais paiiés me tost ma monnoie.
282 — ving. B, T, vieng.
284 — marvoiez. B, malvoiez.
285 — Dist. B, T, Fait.
286 — B, C, T, Soiés cest home aidant à l’ame.
287 — de voir qu’il. B, bien que il. C, de fi k’il. — T, Bien voi que il est fourcenés.
288 — B, Veez, » fait li borgois, « veez. C, Or, » i fait li bourgeois, « veés. T, Or ois, » fait li bourgois, « oez.
289 — Com. B, Que. — or. B, C, T, ci.
290 — Por. T, A. — B, A po mes cuers do cen n’it. C, Pour poi mes cuers fors du sens n’ist.
291 — Quant. B, Qui.
292 — Je vous dirai. B, Dist li prestres. C, Fait li prestres.
293 — Fet li prestres. B, Je vos dirai. C, Je le dirai. — comment qu’il praingne. B, C, T, coi qu’il aviegne.
294 — C, De Diu tout adès vous souviegne.
295 — poez. C, pores.
296 — Le. B, Son.
297 — dire, lisez lire, qui est exigé par la rime.
298 — commence. B, C, li prist.
299-300 — Ces deux vers sont intervertis dans B et C.
302 — durement. B, C, molt forment.
303 — apele. B, en apelle.
305 — tenez. B, prenez. — C, Puis a dit : « Cestui me tenés.
306 — B, C, Je sai de fi qu’il est desvez.
311 — B, Prenez, » li prestres a dist. C, Prendéle tost, » li prestres dist.
312 — paroschiens. B, païsant.
313 — B, L’ont pris et lié de maintenant. C, 'Le vont illuec tantost prendant.
314 — trestuit tenant. B, formant tordant. C, estroit loiant.
315 — bel. B, bien.
317 — Si. B, Se. — C, « seur » manque. — son. B, le.
319 — lut. B, lit.
320 — tenoit. C, tiennent.
321 — l’esproha d’eve. B, l’esparge d’iaue. C, l’espresent d’iaue.
322 — borgois. B, prestres.
323 — Qu’à son ostel. B, Que li borjois.
324 — B, Laissiez et ne fui plus tenuz. — plus. C, mais.
325-330 — Manquent dans B.
326 — Avez estés. C, Estet avés.
328 — est et moult. C, fu molt el.
329 — qu’il fu si. C, k’ensi fu.
331 — en. B, s’en.
334 — B, Ici fenit li miens contes. C, Ensi definera son conte.
Ce fabliau, bien souvent imité, se divise en deux parties séparées par la bataille des aveugles. La première partie se retrouve dans le Scelta di facezie, dans Sacchetti (nouv. 140), dans les Serées de Bouchet, dans les Contes du sieur d’Ouville, dans Imbert, etc. ; la deuxième partie est racontée à peu près pareille dans les Facétieuses journées de Chappuis, dans la Manière d’avoir du poisson (première repue de Villon, éd. Jannet, 187-190), dans les Facetie de Poncino, dans les Nouveaux contes à rire, etc., etc.
Publié par Méon, IV, 472-485 ; par Renouard dans Legrand d’Aussy, IV, app. 13 ; par Bartsch, dans sa Chrestomathie de l’ancien français, 1re éd., 274-282, et traduit par Legrand d’Aussy sous le titre de « Le Bourgeois d’Abbeville », IV, 117-124. — L’auteur de ce fabliau est non Bernard, mais Bernier, comme l’indique le vers 414.
Vers 11 — penser, lisez pensser.
12 — notre ancistier, lisez nostre ancissier.
79 — plorer, lisez plorers.
81 — convendra, lisez couvendra.
92 — besoin, lisez besoing.
204 — deffesi, lisez dessesi.
206 — enfez, lisez enfes.
238 — repaire, lisez repere.
362 — aussi, lisez ausi.
393 — monstrance, lisez moustrance.
407 — qu’ils, lisez qu’il.
409 — en, lisez à.
On retrouve ce conte dans le Novelliero italiano, dans Imbert, etc. — Il en existe une autre rédaction (Cf. notre second volume, p. 1-7).
Publié par Barbazan, III, 39 ; par Méon, III, 380-393, et traduit par Legrand d’Aussy, III, 175-180.
Vers 57 — Vers faux. Au lieu de « ou chien » on pourrait lire ou bien chien.
126 — Comencier, lisez Commencier. De même pour d’autres mots qui doivent prendre deux m au lieu d’une.
146 — ariere, lisez arriere.
212 — tuiel ; ms., tuuel, qu’il faut mieux lire tijuel, tijel, tigel, au sens de canon. Cf. Du Cange, sous Tigellum.
230 — vilainz, lisez vilains.
238 et 349 — Hains, lisez Hain.
269 — por, lisez par.
281-284 — Le ms. est déchiré au commencement de ces quatre vers.
291 — convient, lisez covient.
293 — destresce, lisez destrece.
302 — meffete, lisez mesfete.
322 — Allusion à « Tristan et Yseult ».
347 — mefferas, lisez mesferas.
351 — deffenge, lisez desfenge.
352 — ledange, lisez ledenge.
355 — deffenderai, lisez desfenderai.
Ce conte, sans le dénoûment, est dans les Novelle de Sacchetti. Par contre, on trouve un dénoûment semblable dans la Farce du Cuvier, la quatrième de l’Ancien Théâtre français de la Bibliothèque elzévirienne, I, 21-50.
Publié par Barbazan, II, 40 ; par Méon, III, 186-190.
Vers 7 — sans, lisez sanz.
17 — fait, lisez fet.
29 — « Saint Jaque », « Saint Jacques » de Compostelle, en Galice.
64 — més, lisez mès.
85 — * fu ; ms., eu ou tu, qui n’offrent pas de sens.
94 — degouster, lisez degouter.
119 — Vers faux ; peut-être faut-il lire : Que brisiés li ont il les rains.
129 — emblers, lisez embler.
Le ms. de Berne 354 (fol. 78 ro à 80 vo), contient une autre version toute différente de ce fabliau.
Publié par Barbazan, II, 1 ; par Méon, III, 161-168 ; et traduit par Legrand d’Aussy, IV, 294-297, sous le titre : « De la bourgeoise d’Orléans, ou de la dame qui fit battre son mari ».
Vers 14 — manjoient, lisez menjoient.
42 — convenant, lisez couvenant.
85 — « Argu », « Argus », personnification de la vigilance.
102 — com, lisez comme.
104 — * une ; ms., un.
156 — deffens, lisez desfens.
161 — * errez ; ms., errer.
Nous trouvons une aventure analogue dans les Convivales sermones, dans les Facetiæ du Pogge, dans Domenichi, dans Malespini (nouv. 21), dans les Cent Nouvelles nouvelles de la cour de Bourgogne (nouv. 88). Bandello (nouv. 25), Boccace (Journ. VII, nouv. 7) et enfin La Fontaine, dans son « Cocu battu et content », ont imité, avec d’autres encore, ce fabliau bien connu. — Cf. les renvois du Pogge, éd. Noël, 1798, in-16, II, 9-11.
Publié par Barbazan, I, 147 ; par Méon, III, 91-96 ; donné en extrait par Legrand d’Aussy, IV, 47-48.
Vers 16 — grant, lisez granz.
30 — tremble, lisez tramble.
79 — Fait, lisez Fet.
81 — meffet, lisez mesfet.
111 — poroit, lisez porroit.
132 — ensemble, lisez ensamble.
143 — effraée, lisez esfraée.
Cette vieille histoire se trouve déjà dans Apulée. Les contes de Boccace et de La Fontaine, qui portent le même titre, n’ont aucun rapport avec notre fabliau.
Publié par Barbazan, I, 41 ; par Méon, III, 25-28 ; et traduit par Legrand d’Aussy, III, 330-331, sous le titre de « la Vache du curé ». — L’auteur de ce fabliau est sans doute Jean de Boves. Cf. Hist. litt., XXIII, 153-4.
Vers 1 — * conte ; ms., cont.
11 — convent, lisez couvent.
39 — fasse, lisez face.
Se trouve sous une forme un peu analogue dans le Passa tempo de’ curiosi, et a été reproduit en prose dans la VIIIe nouvelle de Philippe de Vigneulles.
Cette pièce, qui à proprement parler n’est pas un fabliau, mais une chanson, a été publiée par Barbazan, III, 21 ; par Sainte-Palaye (Amours du bon vieux temps), qui y a fait quelques changements ; par Méon, III, 369-379 ; et donnée en extrait par Legrand d’Aussy, IV, 89-93.
Il est bien difficile d’identifier ce Saint Gille. La vis de Saint-Gilles, si connue en architecture, étant celle d’une église du midi, n’a rien à faire ici. Mais il y a plus d’un Saint-Gille, dans le pays d’oïl. Il y en a en Bretagne, en Anjou, en Normandie, en Tourraine. S’il fallait absolument choisir, on pourrait pencher pour le Saint-Gilles de Champagne, à six lieues et demie de Reims.
Vers 21 — arez, lisez aurez.
66 — * qui ; ms. , ou.
269 — Mais, lisez Mès.
300-301 — Ce refrain se retrouve aussi dans la « Cour de Paradis », publiée par Barbazan, I, 200, et par Méon, III, 142.
Imbert a récrit ce conte en vers.
Publié par Méon, I, 159-164 ; et donné en extrait par Legrand d’Aussy, II, 350-351 , sous le titre de « l’Arracheur de dents ».
Vers 7 et 10 — sais, lisez sai.
8 — gens, lisez genz.
23 — « Alexandre le Grand » est pris ici comme type de la générosité et de la prodigalité.
38-40 — Les noms cités dans ces trois vers paraissent mettre la composition de ce fabliau à la fin du XIVe siècle. En effet, Bertran peut s’appliquer à Duguesclin, mort en 1380, le Maréchal à Jean de Maugenchy, dit Mouton, sire de Blainville, mort en 1391, le Chambellan à Bureau de la Rivière, chambellan de Charles V, mort en 1400 et enterré à Saint-Denis, aux pieds de son maître. Quant à Robert Malet, nous trouvons dans l’Histoire généalogique du P. Anselme (VII, 868) un Robert Malet, seigneur de Graville, vivant en 1378.
40 — Le chamberlanc, lisez le Chamberlenc.
41 — Normendie, lisez Normandie.
Imité très-souvent : dans la Gibecière de Rome, le Courier facétieux, les Novelle de Sacchetti (nouv. 166), les Serées de Bouchet (ser. 27), les Nouveaux Contes à rire, etc.
Public par Barbazan, II, 58 ; par Méon, III, 197-204 ; et donné en extrait par Legrand d’Aussy, IV, 43-46. — Ce fabliau est l’œuvre de Jean de Boves, comme le prouvent les titres des Fabliaux qui sont énumérés en tête de la pièce et qui nous sont tous parvenus. Cf. l’Histoire littéraire (XXIII, 153-4), qui attribue ces fabliaux à un Jean Bedel.
Vers 1 — d’el, lisez del.
25 — Lonc-Eve, aujourd’hui « Longueau », près d’Amiens.
26 — un, lisez uns.
29 — messonner, lisez messoner.
50, 63 et 208 — com, lisez comme.
53 — Saint-Acueil, aujourd’hui « Saint-Acheul » (canton d’Amiens).
119 — engaigne, lisez engaingne.
131 — à dévaler, lisez adevaler.
147 — mettons, lisez metons.
161 — veuil, lisez vueil.
162 — convenant, lisez couvenant.
187 — le cuer, lisez li cuers.
190 — Baillet, lisez Baillès.
200 — defferre, lisez desferre.
204 — ressort, lisez resort.
Publié par Barbazan, II, 78 ; par Méon, III, 215-220 ; et traduit par Legrand d’Aussy, III, 81-84, sous le titre de « l’Enfant qui fondit au soleil ».
Vers 95 — « Agraine » peut être le nom de l’enfant ; mais on pourrait aussi lire : à graine (contre du blé). Seulement il faudrait ajouter un pronom au vers, et proposer comme lecture : Li preudon l’a changié à graine.
97 — « Alixandre », « Alexandrie » (en Égypte).
124 — La fin du vers manque dans le ms.
145 — meffette, lisez mesfette.
146 — meffez, lisez mesfez.
Ce fabliau a été souvent imité : Cf Sansovino (journ. IX, nouv. 6), les Facétieuses journées, les Cent Nouvelles nouvelles (nouv. XIX), les Novelle de Malespini, les Contes de Grécourt, etc.
Publié par Barbazan, II, 86 ; par Méon, III, 220-229 ; et donné en extrait par Legrand d’Aussy, IV, 192-195. — Ce fabliau a pour auteur Haisiau (Hist. littéraire, XXIII, 134).
Vers 84 — li, lisez le.
140 — courant, lisez corant.
212 — aimé, lisez amé.
233 — Chiez, lisez Chiés.
249 — changiez, lisez chancgiez.
La première partie de ce fabliau se trouve dans le Grand Caton ; le sieur d’Ouville lui a consacré une longue histoire. Il se retrouve imité dans les Facetiæ de Bebelius, dans les Convivales sermones, dans Boccace (journ. VII, nouv. 8 et 9), dans les Délices de Verboquet, dans les Facezie, motti e burle de Donienichi, dans les Contes pour rire, et enfin dans La Fontaine, sous le titre de la « Gageure des trois commères ». Cf. dans la Romania (III, 192) les renvois de M. d’Ancona pour la nouv. 22 du Novellino.
Publié par Barbazan, II, 100 ; par Méon, III, 229-238 ; et traduit par Legrand d’Aussy, IV, 132-138, sous le titre « Du chevalier qui confessa sa femme ».
Vers 1 — « Le Bessin », petit pays de la basse Normandie, ayant Bayeux pour capitale ; « Vire » (Calvados).
33 — de lui, lisez d’à lui.
41 — penssa, s’il tant ; lisez penssa s’il, tant.
115 — conut, lisez connut.
124 — suis, lisez sui.
150 — et gent, lisez ne gent.
205 — Qu’elles, lisez Qu’eles.
214 — convenance, lisez couvenance.
232 — daignoit, lisez daingnoit.
234 — com, lisez comme.
247 — mauvèse, lisez mauvaise.
264-273 — Le ms. est déchiré au commencement de chacun de ces vers.
266 — Quar ; se ; lisez Quar, se.
Imité par Boccace (journ. VII, nouv. 5), Bandello, Malespini (nouv. 92), Doni, les Cent Nouvelles nouvelles (nouv. 78), et enfin par La Fontaine, sous le nom du « Mari confesseur ».
Publié par Barbazan, II, 32 ; par Méon, III, 181-186 ; par Bartsch, dans sa Chrestomathie de l’ancien français, 1re éd., 269-272 ; et donné en extrait par Legrand d’Aussy, IV, 38-41.
Vers 121 — mangiez, lisez mengiiez.
137 — amaise, lisez amaisse.
138 — monstraise, lisez monstraisse.
149 — * pertris ; ms., pertrist.
Ce fabliau a été remis en vers par Imbert ; on le retrouve dans les Contes du sieur d’Ouville, dans le Passa tempo de’ curiosi, dans les Nouveaux Contes pour rire, dans les Facezie, motti e burle, de Zapata ; de nos jours, M. le comte de Chevigné l’a introduit dans ses Contes rémois.
Publié par Barbazan, I, 22 ; par Méon, III, 14-17 ; et donné en extrait par Legrand d’Aussy, IV, 160-161.
Vers 20 — jeté, lisez geté.
24 — heure, lisez eure.
26 — tremble, lisez tramble.
36 — Leens, lisez Leenz.
46 — fit, lisez fist.
72 — riens, lisez rien.
Se retrouve dans Sacchetti (nouv. 25 et 84), Malespini (nouv. 93), Straparole (nuit IX, nouv. 4), les Cent Nouvelles (nouv. 64) et dans les Contes de Gudin (I, p. 136-9). Cf. Straparole, éd. Jannet, I, xxxvij.
Publié par Méon, IV, 452-472 ; et donné en extrait par Legrand d’Aussy, IV, 264-265.
Vers 2 — uns fabler, lisez un fablel.
39 — com, lisez comme.
76 — destrier, lisez detrier.
167 — deffarme, lisez desfarme.
231 — defferma, lisez desferma.
316 — meffet, lisez mesfet.
339 — sur, lisez sor.
342 — uns, lisez (.I.) un.
414 — convenir, lisez couvenir.
418 et 595 — reson, lisez resons.
423 et 585 — meffet, lisez mesfet.
484 — radresse, lisez radrece.
Publié par Barbazan, III, 202 ; et par Méon, IV, 255-265.
Vers 5 — meffez, lisez mesfez.
7 — « Ardane », forêt des Ardennes.
8 — « Otane ». L’Othe, Otta silva, l’un de ces petits pagus dont la trace s’est conservée dans la composition de certains noms de lieux, est dans l’Aube et dans l’Yonne, c’est-à-dire à l’ouest de Troyes. Cf. Guérard, « Pays de la France ». Ann. de la Soc. de l’Hist. de Fr., pour l’année 1837, p, 122. Dans la Moselle, il y a Othe, près de Briey, et Ottange, près de Thionville. Enfin il y a un Authe dans les Ardennes, à quatre lieues de Vouziers ; c’est probablement de celui-là que notre trouvère aura fait Otane pour la rime.
33-34 — La répétition de « estoit » à la rime est un bourdon du copiste.
40 — damoiselle, lisez damoisele.
62 — l’ambre, lisez lambre.
76 — meffais, lisez mesfais.
104 — terre de Los, lisez terre de los.
112 — « Saint Eron », « Saint-Evrou ».
132 — court, lisez cours.
144 — « Dinant », ville de Belgique, province de Liège.
151 — « Tongres » , ville de Belgique, province de Limbourg.
167-8 — Le répétition de crampi, à la rime, bourdon du copiste.
174 — les, lisez des.
182 — lonc, lisez lons.
196 — « Auçoirre », « Auxerre ». Le vin d’Auxerre était renommé dès le moyen âge.
262 — « Aussai ». Semur est dans l’Auxois ; c’est donc comme si le trouvère disait du vin d’Auxerre ou du Semurois.
271 — cort, lisez court.
283 — deffermer, lisez desfermer.
314 — Galons, lisez Galon.
Ce fabliau se retrouve dans les Facezie de Domenichi.
Publié par Barbazan, III, 218 ; et par Méon, IV, 265-271.
Vers 3 — « Creeil », « Creil », en Picardie (Oise).
4 — battre, lisez batre.
14 — San, lisez sanz.
33 — « Corbueil », « Corbeil » (Seine-et-Oise).
87 — com, lisez comme.
129 — convent, lisez couvent.
179 — fineront, lisez finerons.
Ce conte se retrouve dans Malespini, dans l’Enfant sans souci et dans les Cent Nouvelles nouvelles (nouv. 85).
A. — Bibl. nat., Mss. fr. 837, fol. 210 vo à 211 vo.
B. — » » 2168, fol. 240 vo à 241 vo.
Ce fabliau est l’œuvre de Jean de Boves (Cf. plus haut les notes du fabliau des « Deus Chevaus », p. 295). — Publié par Barbazan, II, 115 ; par Méon, III, 238-244 ; par la Chaucer Society (Originals and analogues of some of Chaucer’s Canterbury Tales. London, 1872, p. 87) ; donné en extrait par Legrand d’Aussy, III, 18-22.
Vers 2 — vienent. B, vinrent.
3 — Despendu orent. B, S’orent despendu.
5 — quistrent. B, prisent.
6 — De. B, Et.
7 — B, Et uns des clers quant il vint.
8 — convint. A, couvint. — B, Sa fame à amer li convint.
9 — set. B, sot.
11 — B, S’ot vairs les iex com un cristal.
12 — Toute jour. A, Toute nuit.
13 — si qu’à paine se. B, qui s’en merveille.
15 — Qui adès i avoit. B, Si qu’adès i tenoit.
16 — encor s’entente. B, s’entente encore.
17 — sa fille est et cointe. B, la fille est et jovene.
18 — « Et » manque dans le ms. A, qui est déchiré à cet endroit.
20 — B, Seur toutes amours est gentieus.
21 — B, Com est li faucons au terchuel.
23 — la bone. B, li prode.
24 — B, Quentrues qu’ele entendoit à paistre.
25 — Uns. B, L’uns.
26 — paelete. B, palete (vers faux).
27 — L’anelet dont. B, L’anel à coi.
28 — lues en son. B, en son sen.
31 — assez la nuit. B, la nuit assez.
34 — Cele nuit fu moult. B, Bien fu toute nuit.
38 — ne sot l’afere. B, bien cuidoit fere.
41 — les. B, ses.
42 — couche. B, coucha.
45 — Quant la gent se fu. B, Et, quant la gent fu.
47-48 — Ces vers manquent dans le ms. A.
49 — B, Au lit de la pucele vint.
50 — B, Or oiez comment li avint.
53 — Dist. B, Fait.
54 — omnipotent. B, alés vous ent.
55 — Que querez vous ci. B, C’avés vos chi quis.
56 — dist. B, fait.
57 — talent. B, pooir.
58 — tesiez vous. B, tesiez, si.
62 — que. B, ja que.
64 — * se vos mes bons. A, se mes bons me. B, se vos mon bon.
66 — si aurez. B, s’aurés ja.
68 — Or sentez. B, Sentés mon.
69 — m’anel, lisez manel. — B, Il m’est trop grans au doit manel.
70 — Et cil. B, Atant.
71 — B, Et doit si li passe la jointe.
73 — Et. B, Si.
75 — s’amolie. A, s’umelie.
77 — B, Mais com il plus acole et baise.
79-80 — Ces deux vers sont remplacés dans le ms. B par les quatre suivants :
C’a la dame ne puet venir,
Car cil li fait resouvenir
Cui il ot faire ses delis ;
Ce qu’à l’un samble paradis.
81 — Sambloit à l’autre. B, A l’autre sambloit.
82 — Lors se lieve. B, Dont se leva.
83 — B, Si s’en ala pissier toz nus.
84 — L’autre. B, Et li.
86 — B, Si prent le berch atout l’enfant.
88 — B, Evous le vilain deceü.
89 — B, Car tout acoustumé tenait.
91 — tastoit. B, sentoit.
92 — estoit. B, en iert.
93 — Lors vint. B, Vint à.
95 — B :
Car li clers l’en avoit osté ;
Quant il n’a le beschuel trouvé.
Si cuide avoir voie cangie,
98 — dist, B, fait. — * tarie. A, B, carie.
100 — Il vint. B, Lors vient.
101 — B, Si sent le berch et le mailluel.
103 — B, Se tint que li vilains nel sente.
104 — À partir de ce vers jusqu’à la fin de la pièce, le ms. B, détérioré par l’humidité, est tout à fait illisible, sauf en quelques rares vers que nous relevons.
119 — com, lisez comme.
145 — B, Si est taniost aperceüs.
146 — trahis. B, souspris.
148 — dist. B, fait.
153 — tonel, lisez tonnel.
161 — Que tuit li oeil. B, C’andoi li oel.
Ce fabliau, qui a trois versions différentes, se retrouve dans Chaucer (The Reeves tale, 1843, p. 30-33), dans Boccace (journ. IX, nouv. 6), dans les Cent Nouvelles nouvelles, dans le Parangon des nouvelles (nouv. 30), et dans La Fontaine, sous le titre du « Berceau ».
Les deux autres versions se trouvent dans le ms. de Berne, no 354 : l’une porte le titre « d’Estula et de l’anel de la paelle » ; l’autre, « le Meunier et les deux Clers », a été publiée par M. Wright (Anecdota literaria, 1844, 15-23), avec plusieurs versions anglaises.
Publié par Barbazan, II, 140 ; par Méon, III, 254-263 ; par Renouard dans Legrand d’Aussy, IV, app. 21-24 ; et donné en extrait par Legrand d’Aussy, IV, 204-207.
Vers 4 — à qui vint, lisez à qoi vint.
62 — mettre, lisez metre.
100 — dois, lisez doi.
101 — conoissoit, lisez connissoit.
106 — * meü ; ms., neü.
156 — deffi, lisez desfi.
157 — deffent, lisez desfent.
183 — deffendez, lisez desfendez.
185 — deffendre, lisez desfendre.
246 — leens, lisez leenz.
266 — esprouvé, lisez esprové.
272 — aimée, lisez amée.
Ce fabliau a été imité très-souvent. La première partie du conte se retrouve dans les Cent Nouvelles nouvelles (nouv. 53) ; les autres conteurs, Pecorone, Straparole, Bandello, etc., ont changé l’ordre des aventures.
Publié par Barbazan, II, 252 ; par Méon, III, 326-357 ; et donné en extrait par Legrand d’Aussy, IV, 201-203.
Vers 1 — veult, lisez veut.
77 — conois, lisez connois.
129 — sorvengne, lisez sorviengne.
205 — defferm, lisez desferm.
214 — descent, lisez destent.
384 — Hersent, lisez Hersens.
386 — voix, lisez voiz.
411 — menace, lisez manace.
415 — deffendre, lisez desfendre.
482 — prestres, lisez prestre.
484 — prestre, lisez prestres.
493 — Efforciez, lisez Esforciez.
499 — efforcent, lisez esforcent.
509 — emporte, lisez en porte.
512 — parin nomer, lisez parrin nommer.
529 — convenant, lisez couvenant.
547 — là, folie ; lisez la folie.
676 — convint, lisez couvint.
787 — apoice-on, lisez aporce on.
847 — uns, lisez (.I.) un.
Publié par Barbazan, III, 149 ; par Méon, III, 451-454 ; et donné en extrait par Legrand d’Aussy, IV, 308-309, sous le titre « De la femme qui se fit saigner ».
Vers 3 — n’el, lisez nel.
16 — deslié, lisez deliié.
61 — convendra, lisez couvendra.
96 et 111 — Mais, lisez Mès.
116 — presmerains, lisez premerains.
de tous poins, p. 294.
Publié par Barbazan, I, 98 ; par Méon, III, 61-67 ; et donné en très-court extrait par Legrand d’Aussy, III, 339-340.
Vers 37 — pourroit, lisez porroit.
40 — semble, lisez samble.
51 — Yssus, lisez Yssu.
63 — Es-vous, lisez Evous.
68 — Les Sarrasins, les Persans, les Slaves (Cf. Romania, II, 331) sont indistinctement des païens aux yeux des hommes du moyen âge.
107 — cort, lisez court.
119 — maintenant, lisez maintenent.
de noier, p. 301.
Publié par Méon, I, 87-90 ; et donné en extrait par Legrand d’Aussy, II, 426-427, sous ce titre « Du prud’homme qui retira de l’eau son compère ».
Vers 16 — propenssez, lisez porpenssez.
32 — * ai ; ms., a.
47 — Il faut fermer les guillemets après ce vers.
50 — qu’à, lisez qu’an.
72 — Ce vers, qui manque dans le ms., a été suppléé par Méon.
Ce fabliau a été remis en vers par Imbert.
Le ms. 354 de la Bibliothèque de Berne comprend, du fol. 1 au fol. 3 vo, une partie incomplète de ce fabliau.
Publié par Méon, IV, 204-216.
Vers 1 — fabloie, lisez fabloit.
2 — affebloie, lisez affebloit.
20 — oublié, lisez oblié.
72 — * enseignier ; ms., entaignier.
92 — soi, lisez lui.
182 — Ce vers manque dans le ms. de Paris.
231 — Le mot « eschauffer » manque dans le ms.
305 — baing ; ms., baig.
pour Morel sa provende avoir, p. 318.
Publié par Barbazan, III, 236 ; et par Méon, IV, 276-285.
Vers 66 — covine, lisez convint.
90 — aim, lisez ain.
128 — lieus, lisez lieu.
130 — C’onque, lisez C’onques.
149 — l’amor, lisez l’amors.
153 — Non ai, lisez Non n’ai.
169 — plaist, lisez plait.
178 — miennuit, lisez mienuit.
192 — * demandant ; ms., demendent.
203 — mangeant, lisez mangant.
256 — comença, lisez comança.
268 — Placez un point avant les guillemets.
NOTES ET VARIANTES
DU SECOND VOLUME
Cette pièce, dont nous devons la copie à M. Stengel, n’est qu’une seconde version du fabliau que nous avons publié dans notre premier volume, p. 82-96.
Vers 28 — « je l’ vous», qui n’existe pas dans le ms., doit être lu jel vous.
62 — * n’a sens ; ms., n’a ne sens.
74 — Ne faut-il pas corriger gré eüst ?
82 — Il faudrait corriger : Et, cant tu me cacier en vius.
90 — * par ; ms., pour. — arés ; ms., avés.
93 et 94 — Pour la régularité de ces vers il faut corriger « viés » en vieles.
103 — « tout » manque.
124 — * morir s’en vuel ; ms., morut si en.
132 — convontie, lisez convoutie.
Publié par Méon, IV, 427-441, et donné en extrait très-court par Legrand d’Aussy, IV, 301.
Vers 11 — Ce vers faux peut être corrigé ainsi : A sa fenestre avoec oignons.
15 — * pucele ; ms., puce.
26 — * maniere ; ms., manere.
64 — chapelains, lisez chapeleins.
73 — * ensaignie ; ms., ensaignée.
84 — * Cui ; ms., Qui.
128 — * mainte ; ms., maite.
133 — On peut corriger ainsi ce vers : Comme li prestres…
150 — Le nom de la « Tamise », comme plus haut ceux de « Gisors, Calais, etc. », servirait à prouver la nationalité de notre auteur, s’il n’avait pris soin de nous l’indiquer lui-même au vers 439.
157 — « ce » devrait être supprimé pour la régularité du vers.
161 — trainant, lisez traïnant.
166 — * s’agenoille ; ms., s’ageloigne.
167 — * lie ; ms., liée.
176 — « Mielanz ». Il y a dans le Gers une petite ville du nom de Miélan ; il est plus probable qu’il s’agît tout simplement de Meulan-sur-Seine.
177 — * vendi ; ms., viendi.
191 — * estoient ; ms., estoit.
202 — Mainaus, lisez Mainnaus.
259 — * grans plentés ; ms., grant plenté.
273 — aimai, lisez amai.
274 — sur, lisez sor.
303 — * Ainsi ; ms., Ainsinc.
332 — Herceloz, lisez Hercelot.
344 — Il faudrait lire : ceste aumosniere.
345 — a ci, lisez ci a.
367 — fois, lisez foiz.
368 — * une ; ms., un.
372 — * cuer ; ms., cue.
376 — * Et Alison ; ms., Aalison.
382 — * prestres ; ms., prestre.
392 — * drecie ; ms., deciée.
400 — * L’uis ; ms., L’us.
437 — Tremblant, lisez Tranblant.
Boccace (Journ. VIII, nouv. 4.) a une pièce qui a des points de ressemblance avec ce fabliau.
[À partir de ce fabliau, la méthode de numérotation change ; le chiffre placé à côté du titre courant indique non pas le premier mais le dernier vers de la page.]
Publié par M. P. Meyer dans la Romania, III, 103-106, sous le titre de « Le savetier Baillet ».
Vers 46 — * baingnier eulz deus ; ms., eulz deus baingnier.
48 — * seulz ; ms., ceulz.
88 — illec, lisez ilec.
139 — * tam ; ms., tan.
163 — delivre, lisez delivres.
168 — * ueil ; ms., uueil.
174 — * çavetier ; ms., çavetiers.
L’on peut comparer à ce fabliau le conte de La Fontaine à peu près analogue intitulé « le Cuvier », imité du reste de Boccace.
Publié par M. Fr. Michel, à 100 exemplaires, Paris, Silvestre, 1833, in-8 de viii et 16 p., et donné en extrait par Legrand d’Aussy, III, 256-261.
Vers 7 — « Palluel », à sept lieues d’Arras (Pas-de-Calais).
8 — mannier, lisez maunier. Cette correction devra être faite chaque fois que ce mot se présentera.
10 — « Arleux » en Gohelle, à trois lieues d’Arras.
12 — * desous ; ms., desus.
18 — Il y a trois Estrée dans le Pas-de-Calais, un dans l’arrondissement de Montreuil-sur-mer et deux dans celui de Béthune.
22 — * sans son ; ms., de Sanson.
26 — * estuet ; ms., estuer.
31 — * nous ; ms., vous.
50 — * corchiés ; ms., correchiés.
65 — * prise ; ms., prises.
67 — Vers faux ; il faut lire sans doute : Vous en irez avuec mon maistre.
70 — * huimais ; ms., amais.
71 — * ses ; ms., ne ses.
83 — Ne vaudrait-il pas mieux corriger girai en dirai ?
104 et 134 — * el ; ms., ele.
123 — ainchois, lisez anchois.
126 — * conme ; ms., con.
139 — * Oïl ; ms., Doïl.
145 — * maure à Aleus; ms., à Aleus maure.
154 — * vinrent ; ms., virent.
177 — * entr’ovri ; ms., entrovi.
178 — * venue ; ms., venu.
193 et 280 — * a ; ms., n’a.
194 — par, lisez por.
204 — * en ; ms., entre.
215 — * entr’overt ; ms., entrovet.
223 — * che soit ; ms., que che soit.
228 — * Mouset ; ms., molt ert.
238 — * rechauciés ; ms., rechauciers.
245 — Le ms. n’a pas le mot vous.
248 — * je venrai ; ms., tu venras.
252 — * nous ; ms., vous.
258 — * demeure ; ms., demoure.
264 — Vers faux.
275 — Vers faux ; peut-être faut-il lire : A dame a congiet demandet.
282 — * cuide ; ms., cuida.
292 — n’es, lisez nes.
299 — Non-seulement ce vers est faux, mais sa rime est insuffisante.
305 — * cocha ; ms., le cochai.
312 — * à tort et pechiet ; ms., tort et à pechiet.
315 — * Jut de ma fame ; ms., De ma fame jut ; — bel, lisez biel.
336 — * sa raison leur ; ms., leur raison.
339 — * O la ; ms., Car o la. — La rime de ce vers, ou celle du suivant, est fautive.
340 — * O sa ; ms., Et sa.
349 — Le ms. n’a pas le mot il.
356 — * si ; ms., s’il.
363 — * dire voir ; ms., voir dire.
366 — * prendent ; ms., prede. — Le vers corrigé est faux ; ne faut-il pas supprimer se ?
368 — * torné ; ms., retorné.
370 — * disons vous ; ms., vous disons.
371 — * faites r’avoir ; ms., fait ravoir.
383 — * courchiés ; ms., courrechiés.
393 — * ni en mal dire ; ms., ni en dire.
394 — le pire, lisez li pire.
396 — Vers faux.
410 — * bones ; ms., bone.
411 — Vers faux, facilement corrigé en lisant : il ne fait que sage.
414 — Ronmanz, lisez Roumanz.
On retrouve ce fabliau dans les Facéties du Pogge, dans les Novelle de Sacchetti, dans les Contes de la Reine de Navarre, etc., etc. La Fontaine l’a imité dans ses « Quiproquo ».
Vers 12 — debaretés, lisez desbaretés.
23 — lïues, lisez liues, ici comme plus bas.
25 — * dusque ; ms., dusques.
34 — qu’il, lisez que il.
60 — « Roie », « Roye », ville de Picardie.
73 — * menue ; ms., menu.
97 — Pour que ce vers rimât avec le suivant, il faudrait changer « sire » en frere.
101 — notre, lisez nostre.
105 — home, lisez homme.
114 — tient, lisez vient.
129 — Chevauche, lisez Chevaucha.
136 — * anuis, de ses ; ms., anuis ne de ses.
148 — * com; ms., si com.
149 — Le vers serait régulier en lisant pour conquerre los.
155 — Il faut corriger : Dieu ne plache.
158 — homs, lisez hons.
180 — vos, lisez vo.
186 — * clergiet ; ms., clegiet.
204 — * En tel ; ms., Et en tel.
207 — * vo ; ms., mon.
225 — * convenant ; ms., convent.
231 — * serai ; ms., sera.
251 — les, lisez ses.
252 — couroit, lisez courout.
271 — Il faudrait corriger : capons.
287 — faitise, lisez faitisse.
297 — ïaue, lisez iaue. — Après ce vers, il en manque au moins deux.
298 — Gile, lisez Gille.
299 — * aportée; ms., aporté.
304 — Il faudrait corriger : Ses iex et sa bouche.
320 — * poisson ; ms., capon.
354 — * mantaus ; ms., maus.
376 — saus, content ; lisez sous coustent.
377 — oublie, lisez oubli.
384 — « de » manque au ms.
401 — * ou ; ms., de.
411 — s’appareille, lisez s’apareille.
412 — * dormir ; ms., domir.
422 — « bien » manque au ms.
427 — Ne faut-il pas lire après li li dans… ?
428 — Il faut lire : Si saurai…
429 — ce, lisez che.
455 — * no ; ms., vo.
456 — * j’ai ; ms., ja.
457 — servi, lisez servis.
477 — pur lisez pour.
485 — * L’enort ; ms., Le fait. Il fallait évidemment corriger ce vers, puisque ce n’est que quatre vers plus loin que l’écuyer se lève.
488 — retreire, lisez retrerre.
494 — l’ambre, lisez lambre.
533 — « Li » est déchiré dans le ms.
547 — Au lieu de « Li chevaliers », le sens porterait plutôt à lire Li escuiers.
555 — * m’amenas ; ms. m’amena.
558 — monoie, lisez monnoie.
565 — * braquiés ; ms., braquiers.
570 — * Sous ; ms., Sour.
577 — « pas » manque au ms.
579 — « pour » manque au ms.
606 — Lisez : Que voeille perdre .CC. saus.
607 — * puchelage ; ms., puccelage.
632 — « la » manque au ms.
642 — * escuiers ; ms., chevaliers.
648 — la, lisez le.
652 — « et » manque au ms.
665 — Ne pourrait-on pas lire qu’el ?
668 — « il » manque au ms.
673 — prend, lisez pren.
705 — Il faut corriger : Qui est et s’anchiele…
714 — Supprimez là comme ailleurs l’apostrophe après Sel.
715 — * le ; ms., si le.
718 — Dusqu’à, lisez Dusque.
721 et 1107 — Maufès, lisez Maufés.
723 — fai, lisez fais.
735 — * entreuvre ; ms., entreuve.
752 — La, lisez Li.
763 — * tenres ; ms., tenre.
767 — * Sans ; ms., Sauf.
772 — * Et ; ms., Se.
773 — * atent ; ms., atenc.
775 — * ne sans demeure ; ms., et sans demourée.
785 — * jurerai ; ms., jurrai.
795 — * haitiement ; ms., haitement.
800 — « de » manque au ms.
801 — * de sour ; ms., souz.
807 — * cuiterés ; ms., cuiderés.
811 — suie, lisez suic.
821 — Ne vaut-il pas mieux du brach ?
823 — * m’envoist ; ms., mevoist. — « nule » manque au ms.
825 — * deverai ; ms., devera.
831 — * dist ainsi ; ms., si dist.
834 — le chavie, lisez l’echavie.
837 — « las de » manquent au ms.
838 — Ce vers est faux dans le ms. ; ne faut-il pas lire et à li ?
842 — autruï, lisez autrui. Le vers reste faux.
885 — * l’escuiers ; ms., li escuiers.
900 — Vers faux dans le ms.
905 — * Qu’a li prestres ; ms., Que li prestres a.
908 — * vin ; ms., fruit.
914 — * se li ; ms, s’il.
917 — piert, lisez pierc.
925 — * soulacent ; ms., soulage.
929 — * cui ; ms., qui.
932 — pourrie, lisez pourie.
937 — au lit, lisez ou lit.
939 — * soulacent ; ms., soulagent.
940 — * desconfortent ; ms., desconforte.
969 — deffende, lisez desfende.
983 — qu’il, lisez k’il.
990 — * venie, correction plus que hasardée pour venue, qui ne rime pas.
999 — « faus » manque au ms.
1030 — * mengastes ; ms., megastes.
1036 — Dieu, lisez Diex.
1040 — votre, lisez vostre.
1051 — * couvenenche ; ms., couvenche.
1052 — Le ms. porte « Li escuiers » ; il faudrait corriger : Et l’escuier.
1059 — « foutrai » a été gratté dans le ms.
1066 — te, lisez ti.
1070 — Encore, lisez Encor.
1075 — Votre, lisez Vostre.
1079 — * amenés ; ms., anés.
1084 — * mournes ; ms., mourme.
1088 — * le ; ms., ne.
1098 — Le mort, lisez La mors.
1103 — * demanois ; ms., de demanois.
1106 — * fait-il ; ms., fait ele.
1113 — N’es, lisez Nés. — * jeüst ; ms., just.
1116 — * toute rien ; ms., te rien.
1124 — « bien » manque au ms.
1134 — m’enulliés. Le ms. porte « metuilliés ». Le vers étant faux, il faut sans doute lire me travailliés.
1143 — votre, lisez vostre.
1145 — « onc » manque au ms.
1147 — « La Karitet », « La Charité », petite ville de la Nièvre.
1151 — * cuites ; ms., toute cuite.
1172 — Pues, lisez Priés.
1176 — dreche, lisez drecha.
1181 — * s’ame ; ms., s’amie.
1188 — Vers faux.
1196 — * Cierte ; ms., Ciertes.
1197 — * deveastes ; ms., devastes.
1208 — * desille ; ms., desisse.
1213 — * frankise ; ms., frankisse.
1229 — malveis, lisez malvais.
1236 — povoit, lisez pooit.
1239 — * veue ; ms., veu.
1240 — * le met ; ms., me ment.
1248 — * escuiers ; ms., chevaliers.
1251 — « onc » manque au ms.
1252 — « Ne » manque au ms.
1260 — « mout » manque au ms.
1268 — * Comme ; ms., Que.
1272 — felonie, lisez felonnie.
1273 — lais, lisez lait.
1276 — « son » manque au ms.
1283 — « ot » manque au ms.
1292 — * avoecque ; ms., avoec.
1304 — * Arrivés estes ; ms., Averiés estes.
1329 et 1331 — deffenge, lisez desfenge.
1334 — Supprimez « je ».
1335 — * qu’il ; ms., qui.
1344 — * Foi que doi ; ms., Foi que je doi.
1346 — la, lisez sa.
1348 — * tousjours ; ms., tousjour.
1352 — * veera ; ms., vera.
1363 — * Ore ; ms., Or.
Publié par Méon, IV, 407-427, et donné en extrait assez long par Legrand d’Aussy, III, 307-315.
Vers 30 — « cest » est appliqué à « feme ».
51 — mise, lisez a mise.
62 — Faut-il voir dans cet éloge des femmes de la Castille une flatterie à l’adresse de Blanche de Castille ?
117 — Ce vers faux peut être ainsi corrigé : Et i ot mise et tot son sens.
149 — Placez une virgule après « Bien sai ».
184 — * toz ; ms., tolz.
213 — aimoit, lisez amoit.
240 — * loerai je ; ms., loerage.
246 — Corrigez le vers : Seürs doit bien estre…
268 — Après ce vers, le ms. en ajoute un nouveau qui fait double emploi :
Fors vos d’itant me puis vanter.
292 — * Beax ; ms., Bax.
326 — Ne faut-il pas lire cele eure ?
333 — en pensé, lisez enpensé.
361 et 371 — Ne faut-il pas lire cele avisions ?
405 — « en » manque au ms.
408 — ajue, lisez aïue.
462 — « vos » manque au ms.
468 — D’ont, lisez Dont.
509 — « Ne » manque au ms.
599 — * Cui ; ms., Qui.
618 — les, lisez lor.
635 — « je » manque au ms.
Ce fabliau n’a aucun rapport avec le conte de La Fontaine qui porte le nom du « Faucon ». (Voir Caylus, Mém. de l’Acad. des Inscript., XX, p. 366 et suiv.)
Publié par Barbazan, I, 27 ; par Méon, III, 17-25, et traduit par Legrand d’Aussy, III, 93-98.
Vers 13 — Totes, lisez Tote. — * malveisse ; ms., malveisses.
14 — leur, lisez lour.
20 — besasse, lisez beasse au sens de bagasse, servante.
23 — * mon ; ms., son.
24 — a, lisez ai.
28 — * Et son avoinne ; ms., S’avoinne. Il faudrait corriger plutôt : Ses avoinnes.
32 — * close ; ms., rose.
77 — Seignor, lisez Seigneur.
91 — * si ; ms., su.
108 — su, lisez tu.
109 — bien, corrigez combien ; le ms. porte : por que bien donesses.
133 — Vers faux.
139 — * pranderoit ; ms., prandroit.
141 — * leu ; ms., lue.
152 — * nus ; ms., nuns.
164 — Ne faut-il pas corriger vo seignour ?
182 — * Sires ; ms., Sire.
184 — « mout » manque au ms.
193 — Corrigez de la memoire.
210 — Mausfuès, lisez mausfués.
214 — Dist, lisez Dit.
218 — Dans ce vers faux on peut corriger « sera » en ert.
219 — * que ; ms., qui.
224 — * teignist; ms., teignest.
235 — volés, lisez volez.
236 — * come ; ms., com.
241 — * vosist ; ms., resist.
247 — seürement, lisez seüremant.
Ce fabliau a été remis en vers par Imbert.
Publié par G. A. Crapelet, Proverbes et Dictons populaires, 1831, p. 159-165.
Vers 45 — Li uns, lisez L’uns.
127 — sui, lisez siu.
152 — pris, lisez peris.
Publié par Ach. Jubinal, Jongleurs et Trouvères, 1835, p. 73-74.
Vers 13 — poudre, lisez foudre.
14 — foudre, lisez poudre.
Vers 14 — l’otroie, lisez l’otroi.
34 — tor, lisez toz.
43 — fandue, lisez fendue.
57 — * tenus ; ms., tenues.
59 — exploita, lisez esploita. Page:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/337
3 — si. B, bien.
4 — Et de pain. B, D’avoinne.
9 — del. B, au.
10 — Li. B, L’en.
11-12 — Ces deux vers sont placés dans B avant le vers 9.
12 — souvent, lisez savent.
13 — de plege. B, d’aïde.
15-18 — Ces vers manquent dans B.
16 — moins, lisez mains.
21-22 — Ces vers sont intervertis dans B.
22 — Or. B, Lors.
23 — Si. B, Or.
27 — Homme. B, Li hons.
28 — B, S’il n’a estoremant.
29 — Qu’il. B, Il.
31-32 — B :
L’une à metre son frein
Et l’autre son estrain.
35 — B, Et le bief ou grenier.
36 — el. B, ou.
39 — Si n’envoit. B, Et ne voist.
41 — Envoit. B, S’envoist.
42 — buire. B, cruche.
43 — boive. B, boine.
45-46 — B :
Car li hons qui s’enyvre
Est tost d’avoir delivre.
47 — les. B, des.
48 — B, Des choleiz et des reves.
51 — li, lisez la.
52 — à charrier. B, et charretier.
56 — Penel. B, Banel. — meneoire. B, menjoire.
58 — craisset. B, grassot. Page:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/339 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/340 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/341 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/342 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/343 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/344 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/345 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/346 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/347 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/348 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/349 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/350 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/351 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/352 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/353 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/354 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/355 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/356 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/357 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/358 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/359 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/360 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/361 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/362 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/363 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/364 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/365 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/366 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/367 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/368 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/369 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/370 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/371 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Montaiglon - Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles, tome II.djvu/372
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